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L'oeuvre de Michel El Baze: Les guerres du XXe siècle à travers les témoignages oraux   





Henri FAURE

Etais-je un terroriste ?...

Tome II

Atterrissages - Parachutages


GUERRE 1939 - 1945


- Tome I -1939/1943 - Tome II - 1944 - Atterrissages - Parachutages  - Tome III - Le Pont de Livron


POSTFACE de Michel EL BAZE

Les atterrissages, les parachutages d'hommes d'armes, de munitions, de matériels de toutes sortes s'intensifient en 1944. Henri Faure nous fait vivre ici l'épopée de ceux que la répression n'intimidait pas. Mais il veut faire mieux et plus encore. Et dans la nuit du 16 au 17 Août, avec sa courageuse équipe, il fait sauter le pont sur la Route Nationale 7 qui enjambant la rivière Drôme relie Livron à Loriol. Bloquée dans sa retraite, la XIXème Armée Allemande subira là des pertes impressionnantes qui hâteront la libération de cette région de France.
The landing and dropping of men, arms, ammunitions, of goods of all sorts intensified in 1944. Henri Faure depicts here, the adventure of those who were not scared by repression. But he wants to it more and in a better still ! And in the night from 16 to 17 August, with his courageous team, he blows up the bridge of the RN7 over the Drome river linking Livron and Loriol. Held back in its retreat the German army will suffer impressive losses there which will hasten the liberation of this area of France.


1944

LES INSPECTEURS DES TRAVAUX FINIS

BINETTE

ÉLYPSE

LE HÉROS INCONNU

S'IL N'EN RESTE QU'UN…

MORTS AU CHAMP D'HONNEUR

MISSIONS ACCOMPLIES

LE DÉBARQUEMENT EN NORMANDIE

L'ARMADA VOLANTE

LA GRANDE BATAILLE DE NORMANDIE

LE DÉBARQUEMENT DE PROVENCE

LE PONT DE LA RIVIÈRE DROME

LA DÉTERMINANTE JOURNÉE DU 30 AOÛT

LA FIN DE L'ÉPOPÉE

L'hiver se poursuit, aussi rude et pour nous le passage dans l'année nouvelle ne change rien à notre existence de clandestins. Toujours sur le qui-vive, s'astreignant à ne pas penser à notre avenir personnel, serait-ce celui du lendemain, nous assumons au jour le jour la tâche qui se présente, satisfaits chaque matin de voir se lever une fois encore le soleil en hommes libres et en remerciant la Providence. 5 Janvier. Au rendez-vous hebdomadaire de LYON, je suis surpris de trouver le chef national S.A.P., MARQUIS ou encore CHARLES-HENRI. Sa présence me fait présager quelque chose d'important. Il est accompagné d'un homme de taille moyenne, maigre, le teint jaune l'air froid et peu amène, qu'il me présente sous le nom de ROCHE. Je sus plus tard qu'il s'appelait en réalité Monsieur CHARLOT. C'est notre nouveau chef régional, en remplacement de "Madame GAUTHIER" (VIGNERON). Que s'est-il passé ? VIGNERON, homme dur avec les autres comme avec lui-même, intègre, droit, ignore les concessions et les accomodements diplomatiques, a tout bonnement donné sa démission. Il n'a pas admis que LONDRES envoie un agent pour le doubler, attestant par là qu'on ne lui faisait pas confiance. En effet, "ROCHE" a pour mission de rechercher de nouveaux terrains de parachutages et de vérifier les anciens pour s'assurer qu'ils répondent bien aux conditions de sécurité. Or, nos terrains ont été homologués depuis de longs mois par LONDRES et ont toujours donné entière satisfaction au cours des nombreux parachutages que nous avons assurés sans le moindre incident. LONDRES commet là une grave erreur en mettant en cause l'organisation de "Madame GAUTHIER" et la mienne par voie de conséquence. Ce ne sera pas la dernière fois hélas et l'Etat-Major d'ALGER agira de même. Il est maladroit et dangereux d'attribuer à des gens "parachutés" dans les deux sens du terme des missions depuis longtemps assurées par des autochtones connaissant bien la région, ses habitants, ses ressources, ses moeurs et ayant acquis une solide expérience. Cela à cause des antagonismes inutiles entre les nouveaux et les anciens qui ont créé de toute pièce des services et des maquis fonctionnant parfaitement malgré les immenses difficultés qu'ils ont eu à surmonter au départ. On leur a fait confiance en leur donnant des responsabilités, qu'ils ont assumé parfaitement et les nouveaux arrivants, appliquant les consignes qu'ils ont reçu prétendent les supplanter, réorganiser les services alors qu'ils ignorent tout de la Résistance clandestine. Ces malheureuses initiatives créeront des quiproquos et des perturbations qui gêneront notre action et coûteront la vie à beaucoup des nôtres. En ce qui le concerne, "ROCHE" n'abusera pas de ses pouvoirs. Il se contentera de visiter les terrains déjà homologués avant son arrivée, sans y apporter systématiquement de modifications et sans en chercher de nouveaux dans les deux départements dont j'ai la responsabilité. En outre, il aura la délicatesse et l'intelligence de ne prendre contact avec les chefs de ces départements que par mon intermédiaire. Par la suite j'aurai de très bons rapports avec cet homme qui gagnait à être connu. Peu aimable, "pète-sec", c'était plutôt une attitude correspondant à sa conception du chef. Il avait fait la guerre de 14/18. Il était possédé par l'étrange manie de noter tous les jours les températures extérieures et, doué d'une mémoire phénoménale, quasi pathologique, il était capable de rappeler avec précision, à la demande, quelle température il faisait le soir, le matin, au soleil, sous abri, 8 jours, 15 jours ou trois mois auparavant. Très pointilleux, obsédé par le détail, il déconcertait en exigeant de connaître dans le menu des faits mineurs paraissant aux autres ne présenter aucun intérêt. Les chefs de la Résistance sont souvent soit des anonymes qui venaient la rejoindre avec le seul désir d'être utiles, sans faire état de leurs titres et de leurs capacités. Il appartenait à leurs supérieurs hiérarchiques de les distinguer et de leur attribuer les postes où ils pouvaient être efficaces. C'est ainsi que "Mr GAUTHIER" fut remarqué alias MONTAGNE, adjoint du Chef régional de la R.1. secrète qui lui confie la responsabilité de l'A.S. de l'ARDECHE. De ce fait, j'ai eu souvent à le rencontrer, son nouveau pseudonyme de "PONCELET ". Après m'avoir présenté "ROCHE", "MARQUIS;" m'apprend que l'opération manquée du 31 Décembre 43 sur "AGONIE;" est renouvelée le soir-même. Le message est passé à la radio à 13 h 15 alors que j'étais dans le train pour me rendre à notre rendez-vous. ROCHE décide d'assister à l'opération et nous reprenons tous deux le premier train en partance pour VALENCE où nous arrivons à 18 h 30. Je me rends directement chez "MARIUS" où je trouve mes amis qui ont entendu le message et préparé le camion. A l'émission de 21 h 15 la confirmation nous arrive et nous voilà partis une fois de plus, accompagnés de "ROCHE", pour SAINT-JEAN-EN-ROYANS où se situe le terrain "AGONIE ". Pour éviter les barrages possibles de la Milice ou des Allemands, nous empruntons les chemins communaux et nous arrivons au rendez-vous fixé à la ferme DEBRE aux environs de 22 h 30, après avoir parcouru une quarantaine de kilomètres. A 23 h. tout est prêt, les balises installées, les guetteurs à leurs postes et je mets en marche l'EUREKA. "ROCHE" s'est équipé d'un émetteur-récepteur de conception très moderne pour l'époque, le "S.Phone" dont je viens d'être doté. Cet appareil d'assez faible puissance fonctionne sur des batteries contenues dans une ceinture que l'on attache autour de la taille, reliée à des bretelles auxquelles s'accroche, à hauteur de la poitrine, l'appareil proprement dit et son antenne en T. Au casque d'écoute est fixé le micro qui arrive devant la bouche. On peut ainsi entrer en liaison radiophonique avec les pilotes afin de leur transmettre toutes les indications utiles pour le bon déroulement des parachutages ou des atterrissages. "ROCHE" n'est pas homme à faire des compliments mais je vois bien à sa physionomie qu'il a été favorablement impressionné par la rapidité et la précision de l'opération. En fait il a eu la chance de tomber un bon jour, toutes les circonstances se sont montrées favorables. Le temps était clair et peu après 23 heures, nous avons entendu le ronronnement familier, celui qui nous procure régulièrement le petit frisson d'excitation et de fierté. "ROCHE" est entré aussitôt en liaison avec l'avion anglais qui nous a survolé à trois reprises en larguant à chaque passage ses corolles lunaires, porteuses en premier lieu de 15 containers, puis des colis et enfin des trois parachutistes, le tout entre les balisages. Au centre du terrain, comme en plein jour. Un dernier "O.K." et l'avion reprend la direction de l'ANGLETERRE, mission accomplie. Nous nous précipitons auprès des hommes qui viennent d'atterrir, les premiers que nous recevons de LONDRES, tandis que l'équipe ramasse les containers et les groupe avec les colis. L'un des parachutés me prend à part et m'avise qu'une importante somme d'argent répartie en cinq paquets cachetés, de la dimension d'un dictionnaire, se trouve dans les containers et qu'il faut prendre immédiatement toutes les mesures qui s'imposent. Nous ouvrons les containers marqués d'un signe distinctif en présence des trois hommes et de "ROCHE;" et je mets les cinq paquets dans un sac à pommes de terre que le fermier nous a donné. L'inventaire se poursuit et nous avons la bonne surprise de trouver dans un colis un splendide petit groupe électrogène. Il nous permettra de recharger les accumulateurs de l'EUREKA et du "S.Phone ". On y a joint un bidon de 20 litres d'huile de moteur. L'inventaire terminé, les armes et explosifs mis en lieu sûr seront par la suite distribués au Maquis du VERCORS. Après nous être assurés que le secteur est calme et avoir attendu le retour de la patrouille que j'avais envoyé en reconnaissance, nous nous rendons à l'invitation de Jean FERROUL, qui habite SAINT-JEAN-EN-ROYANS, pour un casse-croûte. Il nous avoue qu'il a abattu clandestinement un porc pour nourrir ses trois enfants. Nous voici donc à 4 heures du matin, en train de manger une "fricassée" de boudin, qui sera suivie par un splendide Gâteau des Rois confectionné et offert de très bon coeur par Madame FERROUL. (Nous apprendrons par la suite que celui-ci était destiné aux enfants). Pendant le repas, nous faisons connaissance avec nos nouveaux amis, celui qui m'a informé de la présence de l'argent se nomme "PROCUREUR", il est Anglais, de son vrai nom Henri THACKWAITTE, le second "CHAMBELLAN", c'est un Capitaine des Marines Américaines, s'appelle Jean-Pierre ORTIZ;; quant au troisième, c'est un radio français, Camille MONNIER, alias "LEON", dont le nom de code est "MAYAR". Ils appartiennent tous trois à la "MISSION INTERALLIEE UNION", dont le chef Pierre FOURCAUD, alias "SPHERE;" que nous connaissons déjà par des missions précédentes en FRANCE, arrivera par une opération d'atterrissage dans la SAONE-ET-LOIRE le 18 Février 1944 car il s'est cassé la jambe à l'entraînement en ANGLETERRE. Ils nous confirment qu'ils ont eu un faux départ le 31 Décembre par suite du mauvais temps. Leur mission a pour but de coordonner l'organisation des maquis dans les départements de la DROME - ISERE - SAVOIE. Ils doivent d'abord se livrer à une enquête sur la formation de la Résistance, apprécier sa valeur militaire, ses déficiences en armes et en cadres. Ils doivent faire parvenir à LONDRES le résultat de leurs enquêtes et dresser la liste du matériel nécessaire aux maquis. Il fait depuis longtemps jour quand nous nous séparons. "PROCUREUR" que nous appelons familièrement "PROC" est hébergé chez l'instituteur Marcel BEC, "CHAMBELLAN" loge chez le pharmacien André DOUCIN, et le radio "LEON" reste chez FERROUL. Dès notre arrivée à VALENCE, "ROCHE" regagnera LYON et informera "MARQUIS" de l'opération. Maintenant que nos hôtes sont en sécurité nous prenons le chemin du retour, mais notre précieux chargement quoique peu encombrant m'inquiète, je prends la décision de le déposer chez "MARIUS" (JUNIQUE) qui a une très bonne planque, en attendant son transfert au chef national. Deux jours après "MARQUIS" me donne rendez-vous à LYON pour lui remettre le magot et lui présenter "PROC". On ne discute pas les ordres mais je suis assez surpris que l'on me demande de transporter cet argent jusqu'à LYON, distant de 100 km, avec tous les risques que cela comporte. J'aime cent fois mieux recevoir des armes que l'on stocke à proximité du lieu d'atterrissage et que l'on distribue dans les environs immédiats. Le jour venu, je dissimule les cinq paquets de billets de banque dans la roue de secours de la voiture et me voilà parti pour LYON en compagnie de "PROC". En approchant de VIENNE, juste après un tournant, j'ai un choc au coeur: un barrage de gendarmerie coupe la route. Impossible de faire demi-tour, il faut affronter les pandors en ayant l'air aussi tranquille que possible. Notre véhicule des P.T.T. est plutôt rassurant et un brigadier après avoir examiné mes papiers par routine, me demande simplement ce que je transporte. Je lui explique qu'une voiture des P.T.T. est en panne de crevaison et que je rapporte la roue réparée. C'est plausible et l'on nous laisse passer. "PROC" est un peu pâle. Je suis heureux de me débarrasser de mes cinq paquets. "MARQUIS" m'a réservé une bonne surprise: il me remet en échange un second EUREKA destiné à servir dans l'ARDECHE. Cela nous évitera de traverser le RHONE avec ce précieux appareil d'une importance capitale pour nos opérations. " PROC" reste à LYON et je remonte dans ma voiture en direction de VALENCE.

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Dans la nuit du 9 au 10 Janvier, le Capitaine "AZUR", de la mission "BROWN", de l'O.S.S. reçoit un parachutage sur le terrain "CADIX" près du Col de LIMOUCHE. La réception et le transport du matériel sont assurés par l'équipe de Mr PERDUE de BARBIERE.

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Un avion parachute dans la nuit du 10 au 11 près de BEAUREPAIRE, des armes et explosifs pour le Capitaine René (FANGET) du;Maquis de RATTIERE. Il profite de l'arrivée de ces armes pour tendre le lendemain, une embuscade au lieu-dit le "SAUT DES CHEVRES" sur la Nationale 7 à 6 km au nord de VALENCE, à une patrouille allemande; le combat durera une quarantaine de minutes, avant que l'ennemi décroche, laissant sur le terrain un mort et quatre blessés, le maquis a perdu un homme.

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Le Groupe-Franc "JEANNOT" exécute le 12 Janvier à VALENCE, le membre de la Gestapo LAJARIJE.

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13 Janvier -
"PROCUREUR" retour de LYON, prend contact avec le Capitaine THIVOLLET (GEYER) chef de la zone sud du VERCORS, à son P.C. d'ESPARON, près de SAINT-MARTIN-EN-VERCORS. Accompagné de "CHAMBELLAN" il inspecte le camp C11, conformément à la mission qui leur a été assignée. Les deux alliés promettent un parachutage d'armes et me font homologuer un nouveau terrain à VASSIEUX-EN-VERCORS. On le baptise GABIN en hommage à cet acteur de cinéma qui s'est engagé dans la marine des FORCES FRANÇAISES LIBRES. Les messages radio qui nous annonceront les parachutages sont inspirés de ses films: "il était sur le quai des brumes", ça me rappelle la "bête humaine", "la casbah était son asile".
 Dans le journal officiel du 20 janvier 1944 de l'Etat français, est promulgué la loi n° 38 signée de Pierre Laval, qui autorise le Secrétaire Général au Maintien de l'Ordre, à créer par arrêtés des cours martiales. Ces cours se composent de trois magistrats désignés par arrêté, l'une d'elle siège à Lyon. L'application des lois sur "l'instruction criminelle" est suspendue à l'égard des individus déférés auprès d'elle. Dans la majorité des cas, l'individu déféré à la cour martiale, est condamné à mort. L'affaire est réglée en quelques minutes, sans avocat, sans défense. Les coupables sont immédiatement passés par les armes. Cela signifiait pour nous que désormais, à chaque instant, à chaque détour de chemin, notre sort pouvait se jouer, non par une mort rapide, propre, mais par une fin agrémentée de raffinements que le monde connaît maintenant. Aussi la Résistance abattra sans hésitation toute personne convaincue de renseigner nos ennemis. Le maquis fait le 22 janvier 1944 un coup de main sur l'usine électrique de Chateauneuf-d'Isère et s'empare de 600 litres d'essence, d'huile et de 200 litres de gazoil. Ajusteur Dans son émission du 26 janvier 1944, la B.B.C. nous adresse le message: "nous montons sur la dune"; il concerne le terrain "Ajusteur" qui m'a été indiqué par Jean Maboux, électricien à Saint-Uze; il est situé au nord-est de ce village, sur le plateau d'une colline dominant les autres, en bordure du bois "Espinasse". Orienté nord-sud et très dégagé. J'y ai déjà effectué plusieurs opérations, aussi c'est sans appréhension que je m'y rends avec l'équipe de Tain l'Hermitage. Mais notre attente, cette nuit là, sera vaine et nous rentrerons bredouilles. Par expérience je sais que l'opération a été reportée pour des raisons que j'ignore. Aussi, je ne suis pas surpris d'entendre le samedi 29 janvier le même message à la B.B.C. Je reprends contact avec tout le monde et attends la confirmation. A 21 h 15, le speaker précise: "nous monterons sur la dune avec quatre amis". Le temps est clair mais très froid, avec mes coéquipiers nous prenons au passage l'équipe de Tain, où nous trouvons Charles Henri qui est venu assister à l'opération, nous rencontrons Maboux au cours de la montée sur le plateau, mais au fur et à mesure que nous avançons, le brouillard se forme et s'épaissit. Arrivé sur le sentier en bordure du terrain, j'arrête le camion et on installe l'antenne de l'Eureka. L'installation des balises devient délicate dans le brouillard; malgré ces difficultés, nous sommes prêts, j'éclaire les balises mais nous ne voyons pas celle qui se trouve à 100 mètres; je demande à un homme de l'équipe de se rendre compte si elle fonctionne bien, il revient avec une réponse affirmative. Un agent de liaison me prévient qu'un groupe de protection a entendu du bruit et des voix, il me demande les instructions, je lui conseille de ne pas bouger, surtout de ne pas tirer tant que l'opération n'est pas terminée. Ne l'ayant pas convaincu je pars avec lui pour me rendre compte de ce qui se passe. Ce groupe a pour mission de défendre un chemin de terre qui donne accès au terrain. Le brouillard devient de plus en plus dense, j'arrive auprès des hommes, ils me font signe le doigt sur la bouche de ne pas parler et d'écouter. Effectivement, j'entends des bruissements et des chuchotements, nous avons tous les nerfs tendus, j'écoute plus attentivement afin de situer d'où proviennent ces bruits et brusquement, j'entends le mot de "Cambronne", pas de doute, ce sont des Français ! Mais quels Français ? Nous ne pouvons rester dans cette situation, il faut en avoir le coeur net. Je dispose les hommes de l'équipe de protection prêts à faire feu et lance: "qui va là", pas de réponse, un silence total qui augmente notre angoisse; je lance: "répondez où nous ouvrons le feu sur vous". A cet ordre, une réponse: "Albert" ne tirez pas, c'est nous. Avance, alors ! dis-je d'un ton ferme, et nous reconnaissons un membre de la deuxième équipe de protection qui s'est perdue dans le brouillard et qui, elle aussi, était sur le qui-vive car elle avait entendu également des bruits suspects. Je rassemble tout le monde, je pense que personne n'oserait s'aventurer par un temps pareil, le brouillard se givre sur les arbres. A 23 heures, je mets l'Eureka en marche bien que les conditions atmosphériques ne soient pas en notre faveur, mais on ne sait jamais ! Je maintiendrai l'attente jusqu'à 3 heures du matin puis l'on se repliera. Nous entendons un ronflement, mais c'est notre ami Marius qui s'est endormi et qui nous donne un faux espoir. Un nouveau ronflement, pas le même cependant, celui-ci s'amplifie, se rapproche et je comprends enfin que c'est l'avion que nous attendons. "Allumez les balises ! Allumez les balises !" Mais N... de D... qu'est ce que vous attendez ? Une voix me réponds: "mais c'est fait !" je distingue alors à peine une petite lueur. Le brouillard s'est bigrement épaissi, l'avion ne verra pas les balises. A tous hasard, avec ma lampe torche je fais la lettre de reconnaissance "j", le bruit s'éloigne, revient, s'amplifie, il me semble avoir entendu le claquement caractéristique de l'ouverture des parachutes. L'avion s'éloigne, puis revient, s'éloigne à nouveau pour revenir encore. Le pilote, guidé par l'Eureka cherche certainement à voir le balisage à travers le brouillard; il revient une fois de plus sur nous dans le sens sud-nord, puis le bruit s'atténue et disparaît définitivement. Ces hommes qui ont l'habitude des parachutages ont la même conviction que moi: le largage a eu lieu. Je les rassemble tous et en nous tenant par la main, nous ratissons le terrain. Une première fois rien, une deuxième fois plus à gauche, rien, une troisième encore plus à gauche, toujours rien, la dernière nous amène en bordure du bois: "il y a un parachute", dit quelqu'un. Aussitôt tout le monde est autour. Au bout du parachute, un colis marqué "Binette". Par expérience, je sais que les colis sont largués après les containers, le parachute a bien eu lieu, il faut donc chercher mais au bout d'une demi-heure, nous n'avons rien trouvé dans ce brouillard; le cri d'une chouette, lugubre, nous accompagnait dans nos recherches mais nous n'y prêtions pas attention, bien que certaines personnes superstitieuses eussent pu trouver là une justification de notre insuccès. Je décide de suspendre momentanément les recherches. Nous les reprendrons au lever du jour, le brouillard givrant se lèvera sans doute très tard, peut-être pas du tout et empêchera l'avion de reconnaissance allemand, que nous appelons "le mouchard" et qui survole la région chaque matin, de déceler l'existence d'un parachutage. Les hommes, rassemblés autour du camion et de la Citroën se protègent tant bien que mal du froid on cherchent un peu de repos. Deux sentinelles sont désignés pour assurer notre sécurité, elles seront relevées toutes les deux heures. Trois heures du matin: des coups sont frappés sur la portière du camion; j'ouvre et je vois les deux hommes de garde encadrant un inconnu qui prétend avoir été parachuté avec trois autres personnes, affirmation qui correspond bien à l'annonce de la radio de Londres: "4 amis" mais je veux en savoir davantage et lui réclame d'autres précisions. Il me dit alors qu'Ellipse" s'est cassé la jambe en touchant le sol et que "Binette" est restée près de lui; quand à "Pioche" il ne sait où il est mais ajoute que ce dernier est reconnaissable à la balafre qui marque son menton. Le nom de "Binette" a levé toute équivoque puisque nous avons trouvé un colis portant son nom. Je ne me doutais pas cependant qu'il s'agissait d'une jeune femme, dotée d'une assez jolie "binette". J'appris par la suite que le parachuté qui avait été amené au camion était Léon Morandat (Yvon( et qu'il effectuait sa seconde mission en France. La première fois, en 1941, il avait été reçu dans la région de Toulouse le 6 novembre par André Bret. Sa mission présente consistait à entrer en contact avec les syndicats clandestins et d'établir leur liaison avec Londres. (Mission "Léo") Nous allons donc chercher le blessé qui se trouve sous la garde de Binette de l'autre côté du bois de l'Espinasse, au bord du chemin de traverse, à environ 500 mètres de notre camion. On le ramène avec précautions et je le fais installer à l'arrière de la traction. Et toujours le hululement de la chouette !... Le jour s'est levé, les hommes partent à la recherche des parachutes. Sur le chemin du bois, je rencontre un homme, révolver au poing ! Je vois la balafre au menton. C'est "Pioche".Il m'explique que son parachute est resté accroché dans un arbre, qu'il n'a pas osé se détacher, ne sachant pas à quelle distance du sol il se trouvait à cause du brouillard, qu'il avait bien entendu des bruits de voix dans la nuit et qu'afin qu'on le reconnaisse pour lui porter secours, il avait imité le cri de la chouette. Mais il l'avait si bien imité que nous étions loin de penser qu'il s'agissait de l'un de nos 4 amis et que nous sommes souvent passés près de lui sans le savoir. Ce n'est qu'à l'aube qu'il pût constater avec désappointement, et on le comprend, qu'il n'était seulement qu'à un mètre du sol ! Enfin nos recherches sont couronnées de succès, les uns après les autres les containers et le colis sont chargés dans le camion et il est près de huit heures lorsque tout est fini. Nous attendons que les derniers hommes aient rejoint le camion pour partir. Les voilà qui arrivent. Ils sont accompagnés de deux autres hommes et deux femmes qu'ils ont rencontrés dans le bois. Nous les questionnons, et nous nous trouvons en présence de fermiers qui se rendent à la messe à Saint -Uze et empruntant le même chemin que nous. Je demande à Maboux combien de temps il faut pour aller à ce village à pieds, il me répond de 3/4 d'heure à une heure. Je dis à ces gens qu'ils peuvent partir pour la messe, non sans leur avoir expliqué qu'ils ont intérêt à ne rien dire de ce qu'ils ont vu, sans quoi nous serions obligés de prendre des sanctions contre eux. Le camion, conduit par Constant, part avec le matériel et les hommes, je conduis la "Citroën" avec nos hôtes à Tain l'Hermitage où "Binette" et "Morandat" sont hébergés chez Marc Chapoutier et "Pioche" chez Jean Rey. Je continue ma route sur Valence pour mener "Ellipse", le blessé, rue du Pont du Gât, à la clinique du docteur Rigal qui est sympathisant. Celui-ci étant absent, je le confie aux bonnes soeurs en leur expliquant qu'il a été victime d'un accident et le laisse installé dans un bon lit. Le lendemain lundi je reviens à Tain l'Hermitage voir nos hôtes. "Binette" me demande de retourner sur le terrain car elle a perdu un objet en quittant sa combinaison de parachutiste et elle voudrait bien le récupérer. Nous voilà repartis sur "Ajusteur". Ma charmante compagne n'a pas oublié de se munir de son colt. En cours de route elle me raconte son saut, (elle était la première à sauter): "Le dispaching de l'avion m'a fait asseoir sur le bord de la trappe en position de saut, les jambes pendantes à l'extérieur, le regard fixé sur les lampes rouge et verte; le rouge reste constamment éclairé et le vert donne le signal de sauter. Par la trappe j'ai essayé de distinguer le sol, je n'ai rien vu, aucune lumière, le trou noir et j'ai dû rester dans cette position inconfortable, avec le vent qui me glaçait les pieds et les jambes, pendant 20 minutes qui m'ont paru interminables. A l'instant où la lampe rouge s'éteint, la verte s'éclaire. J'ai reçu une tape dans le dos et me voilà partie dans le vide... quelques secondes de chute libre et je me suis sentie balancée au bout de mon parachute. Me souvenant des instructions reçues à l'entraînement de saut, j'ai cherché du regard les balises du terrains afin de me diriger en tirant sur les suspentes du parachute mais j'ai eu beau chercher, je n'ai vu aucune lumière. Je me suis mise un instant à désespérer: l'équipe de réception ne serait-elle pas au rendez-vous ? Le pilote se serait-il trompé ? Pourquoi alors nous aurait-il largués ? Mes réflexions se sont arrêtés là car j'ai senti que je glissais le long d'un arbre et me suis retrouvée à terre sans aucun mal. un épais brouillard m'entourait, j'ai enlevé les deux grenades de mes poches, quitté ma combinaison, mon casque, ma montre bracelet trop repérable parce qu'à l'envers il y a une boussole, j'ai roulé le tout dans le parachute que j'ai enterré dans un trou creusé à la hâte au pied d'un arbre. N'entendant rien, j'ai appelé discrètement mes compagnons de saut. J'ai retrouvé sans difficulté Morandat et Ellipse blessé, il manquait Pioche. Nous devions nous trouver près d'une ferme car un chien aboyait depuis un certain temps. Morandat partit en reconnaissance, nous nous trouvions à l'orée d'un bois et comme il avait trouvé un chemin de campagne, nous y avons transporté Ellipse pour qu'il soit plus facile de nous retrouver par cet épais brouillard, ensuite Morandat a suivi le chemin qui s'enfonçait dans le bois à l'opposé de la ferme et a rencontré les deux hommes qui l'ont conduit au camion. Nous voilà arrivés sur le terrain avec un soleil radieux mais un froid très vif. J'explique à "Binette" qu'ils ont atterri de l'autre côté du bois près de la ferme où nous nous rendons à pieds. Je lui demande de me préciser l'objet que nous recherchons; elle hésite un moment puis me réponds qu'il s'agit d'une combinaison de femme en soie qu'elle avait roulée autour de sa taille et qui a dû tomber au moment où elle quittait sa tenue de parachutiste. Au bout d'une demi-heure nous n'avons rien trouvé. Je remarque que les gens de la ferme à 300 mètres de là, alertés par les aboiements de leur chien, nous observent et, en accord avec "Binette", nous décidons d'aller demander à ces fermiers s'ils n'ont pas ramassé quelque chose. Arrivés près d'eux, je reconnais les personnes interceptées par mes hommes qui se rendaient à la messe à Saint-Uze. Ils me reconnaissent également et nous invitent à entrer chez eux pour "boire le coup". Je les informe du but de notre visite, la fermière passe dans une autre pièce et rapporte l'objet recherché. Joie de "Binette" qui demande à se retirer un instant dans la pièce d'à côté, elle revient presque aussitôt et offre la "combinaison" en soie à la fermière qui n'a certainement rien compris à ce manège. "Binette" ne m'a rein dit et je ne lui ai rein demandé mais je pense qu'un "code" en soie ou un microfilm était caché dans une doublure. Après avoir "bu le coup" nous sommes repartis pour Tain l'Hermitage en remerciant ces fermiers qui se sont conduits en vrais Français. Et "Binette" partit pour mener à bien la mission qu'elle avait à accomplir. Après la guerre, "Binette" me fit le récit de son aventure. Fille d'un magistrat préfectoral, Monsieur Jean Petit, aveugle de guerre 14/18, elle est née le 24 octobre 1920 à Strasbourg. Elle a été très affectée par une réflexion de son père à la déclaration de la guerre en 1939, qui regrettait de n'avoir que deux filles et pas de fils à donner à la France. Elle décida d'aller en Angleterre rejoindre par la mer le Général de Gaulle se souvenant des paroles de son père qui l'avait blessée dans son amour-propre. Elle s'engage immédiatement dans les forces combattantes de Londres et devient déchiffreuse pour le général de Gaulle: à ce poste elle eut connaissance de télégramme strictement confidentiels. Mais malgré cet emploi très important, elle rêvait d'action et voulait prouver que, tout en étant une femme, on pouvait faire tout aussi bien sinon mieux qu'un homme. Elle demande à venir en France. Après avoir subi avec satisfaction de Close-Combat et de parachutiste, elle est nommée Officier de liaison auprès du délégué militaire de la région R2 qui comprend les départements: Alpes-Maritimes - Bouche du Rhône - Basses Alpes - Gard - Hautes Alpes - Vaucluse et Var. Pour rejoindre ce poste, elle est parachutée le 29 janvier 1944 et elle est la première femme du réseau action à sauter en parachute en France occupée. Tout de suite après son arrivée mouvementée en France, elle rejoindra "circonférence" qui est le D.M.R. (Délégue Militaire Régional) pour R2 en compagnie de "Pioche" également affecté à cette région comme officier instructeur pour l'armement et le sabotage. Nommé chevalier de la légion d'honneur à l'âge de 23 ans pour fait de guerre, elle envoya sa citation à son père qui, pour toute réponse, lui adressa sa propre Légion d'honneur qu'il avait reçue à l'âge de 25 ans. Ce fut l'amicale revanche que "Binette" opposa aux paroles de dépit de son père. Elle fut décorée par le général de Gaulle en personne. Tous ses exploits, son activité, ses déboires, ses évasions quand elle fut arrêtée, tout cela ferait l'objet d'un livre que je souhaite qu'elle écrive pour faire connaître aux nouvelles générations le courage que des jeunes femmes ont montré pendant la Résistance. Des "4 amis" parachutistes, trois sont partis vers leur destin: "Binette", "Pioche", et "Morandat", seul reste "Ellipse" que j'avais laissé entre les mains des bonnes soeurs à la clinique du docteur Rigal, rue du Pont du Gât à Valence. Je retourne donc prendre des nouvelles du blessé et lorsque j'arrive dans la chambre où on l'avait installé, je constate avec stupéfaction qu'elle est vide, je demande à une bonne soeur que je rencontre dans le couloir où est passé le blessé que j'ai amené dimanche après-midi avec une fracture à la jambe. Elle me répond qu'elle n'a vu personne n'étant pas de service ce jour-là. Ma mémoire me ferait-elle défaut au point de me tromper de chambre ? Je lui demande si dans l'établissement il n'y a pas un blessé avec une fracture de la jambe. Elle m'en indique un mais ce n'est pas celui que je cherche. Je retourne à la réception et demande à voir la soeur qui était de service dimanche; je n'ai vraiment pas de chance car cette fois-ci c'est la réceptionnaire elle-même qui était de repos dimanche; elle n'est donc pas au courant des entrées de ce jour là. Je commence à m'impatienter et décide de visiter toutes les chambres de l'établissement sans plus de résultat d'ailleurs. Je n'ai toujours pas trouvé mon blessé et cela a le don de m'énerver davantage. Je me mets à la recherche du docteur Rigal pour lui exposer la situation, il ne se trouve pas dans la clinique et j'ai l'impression que l'on me fuit. Devant cet état de chose je me rends au P.C. de l'A.S. (Armée Secrète) où je compte rencontrer Drouot (l'hermine) chef départemental qui connaît très bien Rigal. Je trouve Jean (Ruef) son adjoint et le mets au courant de la situation. Il accepte de venir avec moi à la clinique dont il connaît les soeurs. En sa présence, celles-ci m'apprennent qu'au cours de la réduction de la fracture, le blessé a parlé Anglais. Le chirurgien a compris qu'il s'agissait certainement d'un parachutiste et il l'a fait transporté dans un lieu sûr que les soeurs ignorent. Ouf ! Me voilà soulagé de toutes mes appréhensions et de mon angoisse ! Je verrai le chirurgien demain au cours de ses consultations, "Jean" le préviendra de ma visite et lui communiquera un mot de passe: "je reviens livrer l'éther demandé". Tout se passe comme prévu. Dès que j'ai prononcé la phrase clef, le chirurgien m'apprend qu'il a fait transporter le blessé par mesure de sécurité et avec son accord, chez le docteur Pangon à St Vallier sur Rhône, à 30 km de Valence. Etonnement de ma part car Ellipse se retrouve de ce fait à 4 km seulement du lieu où il a été parachuté, ce qui est très dangereux à mon avis. Je me rends donc aussitôt chez le docteur Pangon en voiture; la farce se poursuit: il n'est pas là, il fait la tournée de ses malades dans la campagne et ne doit rentrer que très tard. Qu'importe, je l'attends ! Aux questions que je lui pose quand je le trouve enfin, il fait l'ignorant malgré tous les détails que je lui fournis; la crainte de la Gestapo et de la milice le rend amnésique. Je parviens tout de même à le convaincre de téléphoner au docteur Rigal mais personne ne répond. Il ne me reste plus qu'à rentrer à Valence et la moutarde commence à me monter au nez. Je suis bien décidé à trouver cette fois ce Rigal pendant ses consultations à la clinique. Mais un autre contre-temps avait surgi pendant mon absence. Un message du chef National, Marquis, me fixait rendez-vous pour le lendemain à Lyon, avec... Ellipse. Ainsi que je me l'étais promis, je me rend à la clinique. Le docteur consulte, j'attends dans un couloir où je suis sûr de na pas le manquer. Au bout de 25 minutes, je n'y tiens plus ! J'ouvre délibérément la porte cabinet où une femme en tenue légère se fait ausculter. Stupéfaction du chirurgien qui entre dans une colère folle tout en faisant passer sa patiente dans une pièce contiguë. Mais je suis résolu à employer les grands moyens et quand il revient il se calme aussitôt car je tiens un 7,65 à la main. Je lui explique que les choses ont assez duré et lui ordonne d'appeler immédiatement au téléphone le docteur Pangon à ST Vallier, ce qu'il fait sur le champ. Par chance, il l'a tout de suite à l'appareil et lui confirme qu'il n'a rien à craindre de la personne qui est venue le voir la veille de sa part. Il lui demande de me mettre sans tarder en relation avec le blessé. Ayant obtenu satisfaction, je me retire, au grand soulagement du praticien. Toutes ces péripéties m'ont pris pas mal de temps et il ne m'est pas possible d'aller au rendez-vous de Lyon. J'envoie "Constant" à ma place pour demander un autre rendez-vous à "Marquis" en lui expliquant ce qui se passe. Me revoilà sur la route de St Vallier pour aller chez le docteur Pangon. Que de kilomètres pour rien ! Que de contrôles j'ai dû subir pendant ces jours de recherche, avec tous les risques que cela représente, malgré la "fausse authenticité" de mes papiers allemands ! Enfin j'espère être au bout de mes peines en sonnant à la porte du médecin. Il me reçois bien, aucun de nous ne fait allusion à notre entrevue de la veille et il m'emmène sans tarder au château de Fontager, situé sur la commune de Ponsas, non loin de St Vallier. "Ellipse" me revoit avec plaisir, je lui raconte tout ce qui m'est arrivé et lui fait part du rendez-vous que nous avons manqué avec "Marquis". Je ne m'attarde pas davantage auprès de lui et je reconduis le docteur à son domicile. Puisque je suis à St Vallier, j'en profite pour rendre visite à Dupont, électricien, qui lui aussi appartient à la Résistance. Au cours de la conversation je lui dit intentionnellement que je suis passé au château de Fontage pour savoir si l'on peut se fier à ses habitants. Il lève les bras au ciel: "tu es fou d'aller là-bas, me dit-il, la fille du propriétaire, Cécile Robin, est la fiancée de Hubert Rozier, le chef de la milice de St Vallier". Stupéfaction de ma part à cette révélation ! Dans quel guêpier on a fourré Ellipse ! Je retourne dare-dare chez Pangon et le met au courant. Il est surpris et confus, sentant le poids de sa responsabilité: "je crois pouvoir réparer ma bêtise", dit-il et il me conduit chez des fermiers, de l'autre côté du Rhône, pour leur demander s'ils veulent bien héberger notre blessé pendant quelque temps. Ces braves gens acceptent tout de suite mais comme il est très tard; rein ne sera changé pour cette nuit et demain matin à la première heure le docteur ira chercher Ellipse et le transportera à la ferme où je viendrai le reprendre pour l'emmener au prochain rendez-vous qui nous sera fixé à Lyon. Après cette journée fertile en incidents, je rentre à Valence ou Constant me transmet les "engueulades" de notre chef national et une convocation impérative dans quatre jours à Lyon. A la date fixée je pars en voiture pour Lyon, prenant au passage "Ellipse" avec son pied dans le plâtre. Nous arrivons sans encombre au café "Ours", à l'angle de la rue Jean Jaurès et de la grande rue de la Guillottière, lieu de notre rencontre. J'abandonne à "Marquis" mon encombrant compagnon et repars, l'esprit léger, satisfait d'avoir pu mener à bien cette mission malgré le sort contraire. J'ai compris à la Libération, l'importance que le chef national attachait à "Ellipse": il était nommé Délégué Militaire pour la région R5 (D.R.M.5) qui comprenait les départements suivants: Corrèze, Dordogne, Vienne, Haute-Vienne et Indre. En outre il était porteur des dernières instructions de Londres. 31 janvier 1944: Le groupe "Jeannot" exécute entre midi et 13 heures un coup de main contre le bureau du commissaire central de la police, grâce aux renseignements fournis par l'agent de police Perrotin et s'empare de documents importants dont le code secret et de 12 révolvers. Les formations représentent le Conseil National de la Résistance (C.N.R.) comprenant l'Armée Secrète (A.S.), les Mouvements Unis de la Résistance (M.U.R.), les francs-tireurs partisans Français (F.T.P.P.) et l'Organisation de la Résistance Armée (O.R.A.) se réunissent le 1er février et décident enfin de se grouper en une seule formation qui prend le nom de Forces Françaises de l'Intérieur (F.F.I.), divisée en régions et placée sous les ordres du Colonel Dejussieu, alias Poncaral. 2 février: Le maquis de Rattières est attaqué par 150 Allemands. Heureusement ses chefs prévenus à temps avaient pu évacuer le camp avec armes et munitions.


"Acanthe"

"Le circuit est fermé", nous disons" "Le circuit est fermé, trois fois" Cette phrase, diffusé par la radio de Londres à l'émission de 13 h 15, le 5 février 1944, nous annonce, à nous qui sommes initiés à ce genre de message, que trois avions viendront cette nuit parachuter des armes sur le terrain "Acanthe" situé près du Mont Gerbier de Jonc à 1554 mètres d'altitude où se trouve le maquis de l'une des équipes de parachutage de l'Ardèche qui loge dans le chalet à environ 1 km du terrain mis gracieusement à notre disposition par Mr et Mme Champel de Vals-les-Bains. Le temps est gris, l'altitude et le lieu de l'opération m'incitent à m'équiper contre le froid avant de rejoindre Etienne à son entrepôt, ure du Pont du Gât à Valence où se trouve garé notre camion Renault et où Constant viendra nous rencontrer, car tous deux ont dû entendre le message. En arrivant, je trouve Constant déjà occupé à faire le plein et à vérifier que le matériel de dépannage, roue de secours, cric, pelles, chaînes, est bien en place. Avec Etienne, nous mettons dans les coffres latéraux, l'appareil de radiogonio Eureka, le matériel de balisage, sans oublier la petite bonbonne de rhum que notre ami Zaretti, gendre de Madame Ducros, nous a remis gracieusement pour l'équipe. Tout est paré, je prends le volant d'un commun accord nous décidons de nous arrêter à Marcols-les-Eaux (Ardèche) situé seulement à 20 km du Gerbier de Jonc, chez notre ami Combe Elie, hôtelier, qui nous fait de plantureux repas malgré les restrictions. Là, nous écouterons à 21 h 15 si le message est confirmé, ce qui nous paraît très incertain vu le ciel gris. La conversation va bon train en attendant l'heure de l'émission. Notre hôte nous fait remarquer que pour des résistants, nous ne nous privons pas. Vexés par cette réflexion, la confirmation étant passée, je lui propose de venir avec nous. il accepte aussitôt et, le moment venu, nous attaquons la montée vers Mezilhac et le Gerbier de Jonc. A notre arrivée au chalet, c'est l'effervescence. Les hommes de l'équipe sont là et ils vont assister pour la première fois à un parachutage. Les vingt gars, composés de Français et Espagnols, montent joyeusement sur le camion pour se rendre sur le terrain où immédiatement on installe le balisage ainsi que l'antenne de l'Eureka sur le camion stationné au point culminant. Tout est prêt, l'Eureka fonctionne, il fait froid, les nuages sont bas, brusquement le vent se lève, la neige se met à tomber en tourmente, on s'abrite comme on peut, mais on reste sur place quand même malgré le vent glacial à 1.500 mètres d'altitude, dans l'espoir d'une accalmie hypothétique. La tempête redouble de violence, il va être deux heures du matin, l'avion ne viendra plus maintenant. Les hommes sont véritablement déçus de ce fâcheux contre temps, nous massons le matériel et tout le monde rentre au chalet, mouillé et transi de froid. Je fais distribuer une ration de rhum ce qui nous réchauffe un peu. Après quelques heures de repos, quelques uns ont dormi dans des conditions très inconfortables, Etienne, par exemple dans l'égouttoir de la cuisine, le jour étant venu, nous constatons que la neige tombe toujours et que la couche est déjà très épaisse. Cependant, la B.B.C. repasse le message. A Londres on ne se doute pas un instant du temps qu'il fait sur ce plateau. Les hommes sont heureux, tout n'est pas perdu et ils espèrent malgré le déchaînement des éléments. La nuit arrive, le vent perd de sa violence, la neige cesse de tomber en rafales, peut-être aurons-nous la chance d'effectuer cette opération. 21 h15 : Nous recevons la confirmation sur notre poste "biscuit" le ciel est encore parsemé de nuages poussés par un vent glacial. Nous mettons le camion en marche mais impossible de franchir les congères de plusieurs mètres de haut qui se sont formés pendant toute cette tempête, aussi le matériel est transporté en partie à dos d'hommes et sur une luge jusqu'au terrain, où nous remettons en place les balises et l'antenne de l'Eureka que je fais fonctionner à l'heure convenue. Le vent est toujours de plus en plus froid, la température baisse très sérieusement, et, pour la deuxième nuit nous avons encore de l'espoir. L'attente est longue est vaine mais personne ne se plaint, les hommes se préservent comme ils peuvent, certains ont une couverture sur la tête, d'autres sont chaussés de pantoufles de corde, ils attendent là, battant la semelle des heures entières mais le froid ne les fera pas capituler pas plus que l'ennemi, ils ont confiance et pourtant quand, en désespoir de cause, je donne le signal du retour au chalet, je n'ai pas le coeur de leur demander de récupérer le matériel, aussi je laisse sur place le balisage et l'antenne de l'Eureka, j'emporte seulement l'appareil. Nous prendrons le reste demain matin, quand il fera jour. De retour au chalet, nous constatons que le thermomètre accuse 23 degrés au-dessous de zéro à deux heures du matin. Le jour se lève pour la deuxième fois, dehors tout est blanc, le vent du nord souffle encore de l'intérieur. Les hommes de garde surveillent la campagne, spécialement du côté du terrain où nous avons laissé le matériel. Qui serait assez fou pour braver un temps pareil ! Nous sommes très loin de toute agglomération, pourtant l'homme de garde signale trois silhouettes qui traversent le terrain et vont passer près de l'antenne. Immédiatement, branle-bas de combat ! Constant avec plusieurs hommes se portent à la rencontre des intrus et du chalet nous surveillons l'action, prête à intervenir. Le groupe de Constant encercle les suspects: brève discussion, nos hommes reviennent tandis que les trois personnages se dirigent vers une ferme qui est au loin. A son retour, Constant nous apprend que c'est le fils de la ferme qui vient de se marier et qui retourne chez lui avec sa femme et son père ils n'ont pas pu rentrer plus tôt, le mauvais temps les ayant bloqués au village de Lachamp-Raphael à 9 km de là. Le beau temps semble revenu, pas de vent, un soleil éclatant, j'en profite pour faire dégager la route obstruée de congères afin de pouvoir repartir, cela occupe les hommes mais c'est un travail harassant qui demande beaucoup de temps. 7/8 février, 13 h 15: Nous écoutons la B.B.C., sans aucune conviction mais, oh surprise ! Pour la troisième fois, la radio nous annonce l'opération pour la nuit prochaine. Notre espoir est plus grand encore car le temps, bien que très froid, est très beau, le ciel est bien dégagé. L'émission du soir nous confirme l'opération. Je demande aux hommes de se reposer. Que faire d'autre d'ailleurs ? Nous partirons du chalet à 22 h 30 car tout est sur place. Je m'étends moi-même et donne la consigne aux hommes de garde de me réveiller à 22h si je dors. Le faisceau d'une lampe électrique me fait ouvrir les yeux. "C'est l'heure" murmure l'homme. Autour de moi des silhouettes emmitouflées dans des couvertures brunes je me lève et jette un coup d'oeil par la fenêtre, un air vif me frappe au visage. Bon signe ! Le ciel est rempli d'étoiles et le vent est tombé. Vite, je réveille tout le monde, chacun cherche maladroitement à rassembler ses affaires et ses armes. Le départ est à la fois un moment attendu et pénible attendu parce que tout au long des jours le maquisard rêve à cet instant qui lui donne le signal du début d'une grande aventure pénible car le corps engourdi par la nuit et le froid, commence à se détendre. Il parle peu, conscient de vivre une nuit pleine d'imprévu qui fera de lui un héros inconnu. L'équipe commence à cheminer vers le terrain éclairé par des rayons lunaires qui donnent au paysage un aspect fantasmagorique. La première heure est consacrée à la mise en place des équipes de protection à chaque point névralgique du terrain pour en interdire l'accès à quiconque étranger à notre groupe. L'essai du balisage qui était resté en place s'avère satisfait. L'Eureka est branché et fonctionne parfaitement. Je repère le sens du vent afin qu'au moment voulu, je puisse me placer de telle façon que le pilote reconnaisse les signaux que je lui ferai avec ma lampe torche pour lui indiquer le sens du vent et en même temps la lettre de reconnaissance en morse qui lui donnera la certitude qu'il peut effectuer le parachutage en toute confiance. Venant du nord, un bruit d'avion s'amplifie. Pour le maquisard c'est un instant sublime où il devient lyrique, un instant de gloire un son étouffé jaillit des poitrines quand les parachutes s'ouvrent. Les yeux fixés au ciel, on regarde descendre ces belles corolles qui apportent des armes, des munitions et aussi des vivres quelquefois, tout cela pour tenir jusqu'au bout, et on sent battre son coeur plus fort. Enfin, les parachutes sont là ! Ils ont touché le sol de France ! Et c'est beau ! Mais il ne faut pas s'attarder, ce n'est pas le moment de chanter la Marseillaise, il faut ramasser les colis. Quatre hommes par container, tous animés d'une même passion, tendant vers le même but, avec le même espoir, c'est le lien de l'équipe, de l'amitié. Par expérience, je peux affirmer qu'elles sont solides les amitiés nées du maquis, des parachutages, de l'action, solides comme le roc, car au fond, qu'ils soient riches ou pauvres, ouvriers ou patrons, jeunes ou vieux, catholiques, protestants ou athées, tous les résistants ont un esprit commun, fait du goût de l'aventure et de l'amour de la liberté. Ecole d'amitié, école de maîtrise de soi, de respect des autres, sens de la gratuité, c'est tout cela la résistance et c'est beaucoup plus encore, quelque chose d'inexplicable qu'on ne peut abandonner et qu'on aimerait tant communiquer aux autres. Par la suite, combien de fois n'ai-je pas entendu cette phrase: "vous n'avez pas eu peur ? C'était très dangereux". Peur ? Oui, je l'ai eue au creux du ventre, bien des fois. Mais ces moments là s'oublient, ce qui en reste c'est la réussite, c'est la joie, après une opération, de regagner son lieu de départ après des heures et des heures passées dans un monde dangereux et d'avoir mené à bien sa mission. Ces joies là, j'ai eu la chance de les vivre et elles seront toujours en moi. Sur la route du retour nous rendons notre ami Combe à ses fourneaux, sur lesquels il confectionna pour nous un excellent repas, arrosé de bon vin. De son propre aveu, il ne pensait pas qu'une opération de parachutage pouvait poser autant de problèmes, aussi il fut par la suite tout acquis à la Résistance. 9 février : Un camion vient livrer un chargement d'armes destinées à un maquis, dans une ferme isolée près de Taulignan, dans la Drome. Dès qu'il stoppe dans la cour, il est entouré par des soldats allemands mitraillettes aux poings, hurlant des ordres gutturaux. Une rafale d'intimidation frôle la cabine. Un homme en descend, mains en l'air et l'on se saisit de lui brutalement. C'est notre brave La Cloche qui est tombé dans une souricière. Trahison ? Délation ? On ne le saura jamais. Les fermiers, Louis et Berthe Gras seront déportés en Allemagne où ils mourront dans des circonstances dramatiques. Quant à la Cloche, il ne s'avouait jamais vaincu. Jouant te tout pour le tout, il n'hésita pas à sauter en marche du train qui l'emportait vers les camps de la mort. Il s'en est tiré avec une fracture de la mâchoire et quelques contusions. Recueilli par de braves paysans, il me rejoignit quelques jours plus tard. Etant brûlé sur la place de Valence on l'envoie au P.C. de l'Hermine. Le même jour, le groupe franc de "Jeannot" exécute, à l'angle de la rue madier-Monjeau, l'agent de la Gestapo Bravet qui avait "donné" plusieurs patriotes. La Résistance rendait coup pour coup. Dans la nuit qui suit, l'avion qui ramène en France Francis Cammerts (Roger) chef du réseau Buck-Masters, est atteint par la D.C.A. allemande. L'appareil prend feu, l'équipage et les passagers sautent en parachute près de Beaurepaire dans la Drome et atterrissent sains et saufs. De Beaurepaire, Roger, peut gagner Vence dans les Alpes Maritimes, but de son affectation. Il aurait dû être parachuté près de Castellane. On relève dans le bulletin d'information n° 14 de la Milice Française, le 1O mars 44 à la page 3: "Attentat contre Bouvier" Le 16 février 44 à 19 h 15 alors que notre camarade Bouvier Robert, sous-chef de gare à Lavoulte (Ardèche) quittait son travail accompagné de l'homme d'équipe Bravel, une rafale de mitraillette tirée par quatre terroristes les blessait grièvement. Bouvier très estimé à Lavoulte venait d'être nommé "chef départemental de la Milice" pour le département de la Loire il a reçu à la clinique un numéro de l'Ardèche Combattante, organe départemental du Comité de la Libération Nationale, où en bonne place, il put lire encadré de noir, l'avis suivant: "Le nommé Bouvier, sous-chef de gare à Lavoulte et chef milicien, sujet français, convaincu d'intelligence avec l'ennemi et de dénonciation, a été condamné à mort par un tribunal militaire de la Résistance, la sentence a été exécutée le 16 février 44 par fusillade". Dans la vie le tragique et le comique sont souvent intimement mêlés et c'est probablement ce qui la rend supportable. Je me souviens d'une histoire de voiture et de voleur volé qui paraîtrait invraisemblable si elle sortait de l'imagination d'un auteur de Vaudeville. Le maquis manquait de véhicules et l'Etat-Major de la Résistance de la Drôme décida d'effectuer un coup de main sur le grand garage Minodier, agent Citroën de l'avenue Victor Hugo à Valence. Il fallait bien que les citoyens contribuent d'une façon ou d'une autre à l'effort de guerre et nous ne pouvions pas toujours leur demander leur avis. Donc, dans la nuit du 16 au 17 février, un commando pénètre par effraction dans le garage et se retire sans être inquiété en emportant cinq voitures et des pièces détachées. Afin d'éviter que les véhicules ne soient repérés, ils furent provisoirement dissimulé dans des caches différentes. Le grand Lulu (Ploussard) gara une magnifique traction-avant chez notre ami commun Broc (Tintin pour les intimes) qui mettait une remise à notre disposition dans sa maison de Monteleger. Dès qu'il fit jour, Tintin, plein de curiosité, voulut inspecter la prise de ses camarades et resta cloué sur place de saisissement. Il se frotta les yeux, se pinça pour s'assurer qu'il ne rêvait pas et dût se rendre à l'évidence. Il s'était rendu complice du vol de sa propre voiture qu'il avait portée à réparer quelques jours auparavant chez Minodier. Il y avait de quoi se sentir vexé. Bien entendu nous étions d'accord pour lui restituer son bien mais comment procéder légalement puisque la Citroën avait été déclarée volée par le garagiste ? Devenir le receleur de sa propre voiture, cela ne s'était jamais vu et le cas n'était pas prévu par la loi. Pour rester jusqu'au bout dans la comédie burlesque, ce fut un ami gendarme, Reynes, qui trouva la solution. La nuit suivante, la traction fut abandonnée discrètement dans une petite rue, non loin de la gendarmerie et le lendemain, en faisant sa ronde le gendarme Reynes s'exclama: "tiens ! Voilà un véhicule suspect qui me paraît louche. Nous allons faire une enquête !" Une surveillance fut établie afin de surprendre les "individus" qui ne manqueraient pas de venir récupérer l'automobile, mais en vain et pour cause. On rechercha alors le propriétaire au service des cartes grises de la Préfecture et le sieur Broc fut prévenu officiellement que son véhicule, immatriculé etc... etc... avait été retrouvé et qu'il était prié de venir le récupérer à la gendarmerie. Courteline n'aurait pas fait mieux ! 20 février : Le capitaine de Lassus de St Gniès, alias "Legrand" arrive au P.C. du chef F.F.I. de la Drôme qui devient son adjoint. 26 février : Des explosifs ont été découverts avant qu'ils n'explosent sous le tunnel de la voie ferrée à Valence. La circulation des trains est interrompue le temps de remettre les choses en ordre et de vérifier s'il ne se trouve pas d'autres engins dissimulés sous la voûte. Cette nouvelle a le don d'irriter Marius le Boxeur, ainsi appelé à cause de son nez écrasé et de ses arcades sourcilières proéminentes. De taille moyenne mais bâti en athlète, il m'exprime avec un accent méridional très prononcé. D'un calme et d'un cran à toute épreuve, c'est un dynamiteur de premier ordre. Résistant autonome, agissant toujours seul, je le vois apparaître de temps en temps pour me demander des explosifs. Il me dit exactement ce qu'il veut en faire et pas une fois il n'a manqué à sa parole. Aussi je lui fais une confiance totale. Ne pouvant admettre un échec devant l'ennemi, il s'est mis en tête de reprendre l'opération manquée à son compte, et de faire dérailler un train dans un tunnel. Seulement, maintenant les Allemands se méfient et des soldats armés veillent aux deux entrées et ne laissent passer que les trains. Marius ne se décourage pas pour si peu et me commande le matériel nécessaire à son projet. Il m'expose comme d'habitude son plan d'opération. il s'est mis d'accord avec un mécanicien du dépôt de machines de Portes-les-Valence qui le préviendra dès qu'il sera chargé de conduire un train de marchandises en direction de Lyon ou de Grenoble. Le boxeur se glissera alors dans un wagon et le mécanicien ralentira au maximum en passant sous le tunnel, de façon à ce qu'il puisse sauter sur le ballast. 8 mars : L'opération se déroule comme prévu. Marius a revêtu un bleu de travail pour passer inaperçu le moment venu. Une fois sous le tunnel il installe ses explosifs sur les rails et se dissimule dans un des renfoncements prévus dans la voûte pour servir d'abri aux employés de la voie pendant le passage des trains. Il espère être ainsi protégé quand un convoi écrasera la dynamite et provoquera l'explosion. L'attente est longue dans le noir et le saboteur a tout le loisir de penser qu'il ne reverra peut-être jamais le jour... Ca y est ! Voilà un train ! La locomotive le frôle et quelques secondes plus tard c'est l'apocalypse ! Le train déraille, obstrue le tunnel et rend toute fuite impossible. Cependant l'abri a tenu, Marius est sain et sauf. Il attend que les secours dégagent les Wagons, ce qui est malaisé car on ne peut employer de grue et il se joint aux sauveteurs, pouvant ensuite rentrer tranquillement chez lui. J'ai malheureusement perdu sa trace et je n'ai pu connaître ni son véritable nom ni celui du mécanicien qui lui a permis de réussir. 9 mars 1944 : Une commerçante, madame Montagnon, est exécutée dans son magasin, rue du Pont du Gât à Valence. Ce monstre en jupons, dangereuse milicienne, avait dénoncé le fils du coiffeur Henri Barraquant. Le jeune homme a été fusillé par la Milice au quartier des Baumes à Valence et l'on a retrouvé son corps criblé de balles. Sa famille a été déportée en Allemagne d'où ne reviendront pas Paul et Edouard Barraquant. C'est dans cette même journée qu'à l'émission de 13 h 15 "les Français parlent aux Français", passe le message: "le sol est meuble". Il nous annonce une opération sur le terrain "ail" près du village de Plats (Ardèche) à 17 km au sud de Tournon où l'équipe de Tain l'Hermitage assure les réceptions. Quelques instants auparavant mais cette fois sur les ondes de radio-Paris, à la solde de Vichy et des Allemands, Philippe Henriot, collaborateur notoire, avait prétendu qu'un important bureau de la Résistance avait été découvert à Lyon et que la perquisition avait permis de saisir de nombreux documents, en particulier la liste de tous les terrains de parachutage. Il s'agissait bien entendu de fausses nouvelles s'inscrivant dans un programme d'intoxication et de propagande, destiné à nous effrayer et saper le moral des membres de nos réseaux. Les gars de l'équipe de Tain ont entendu l'information si bien que lorsque je me présente le soir au point de rendez-vous, deux responsables, un peu embarrassées me font part de leurs craintes. Ayant vu des soldats allemands à Tournon, de l'autre côté du Rhône, ils ont pensé que notre terrain serait surveillé et ont cru bon de ne pas prévenir les membres de l'équipe. Devant cette pusillanimité je suis d'abord déconcerté, puis la colère me gagne. Le message a été confirmé à 21 h 15 et l'avion sera là à l'heure dite. Heureusement, à cet instant se pointe le camion transportant notre matériel de radio et notre balisage. Il est conduit par Constant, accompagné de Marius (le boxeur). Ceux-là sont des éléments solides qui ne se laissent pas intimider et vont toujours jusqu'au bout quoi qu'il arrive. M'efforçant au calme, j'essaie de persuader les deux hommes de faire leur devoir, rappelant qu'un avion vient d'Angleterre et compte sur nous. Mais il restent insensibles à mes exhortations et refusent de nous suivre. Nous avons perdu un temps précieux en vaines paroles et ayant proposé à Constant et au Boxeur d'effectuer quand même l'opération à nous trois, ils acceptent immédiatement, ce dont je ne doutais pas. Mais le camion a des difficultés à démarrer il part tout de même, sur trois pattes ! Nous n'avons pas le temps de chercher ce qui ne va pas, le couvre-feu est déjà passé, impossible de faire la réparation sur place je donne l'ordre à Constant de partir et de tenter d'arriver, je le suis à distance respectable. Il s'engage sur le pont qui traverse le Rhône qui relie Tain l'Hermitage à Tournon, passant de la Drôme dans l'Ardèche. Je le suis des yeux et quand ses feux rouges ont disparu, j'emprunte à mon tour le pont. Parvenu de l'autre côté, je l'aperçois, arrêté et entouré d'Allemands. Ils me font signe de stopper mais je continue à avancer au pas en serrant le plus possible le côté gauche du camion, où se trouve le coffre dans lequel il y a le matériel radio. Cette manoeuvre a le résultat escompté et attire sur moi la majorité des Allemands, pointant leurs mitraillettes. Ils m'ordonnent de descendre de ma voiture en levant les bras en l'air. Aussitôt à terre je sens deux de leur joujoux me fouiller les côtes mais je vois avec soulagement l'officier allemand rendre à Constant les papiers du camion, immatriculé on s'en souvient au nom des ponts et chaussés de l'Ardèche et les laisser-passer allemands, faux également. Il lui fait signe de repartir, ce qu'il fait avec difficulté, son moteur tournant toujours sur trois pattes. L'officier vient alors à moi et en très bon français, réclame les papiers de ma voiture. Ma traction est au nom des P.T.T. et moi je suis ingénieur de cette administration, ce que confirment les papiers d'identité décernés par la Kommandatur. Il me demande pourquoi je circule après le couvre-feu, je réponds qu'une coupure de câble téléphonique à été signalée du côté de Saint-Peray, à une vingtaine de kilomètres et que je me rends sur les lieux afin de pouvoir effectuer rapidement la réparation. malgré cet excellent alibi, la voiture subit une fouille minutieuse. Il n'y a rien à découvrir et l'on me laisse partir. Je rejoins Constant et le Boxeur au bas de la côte qui mène au village de Plats. Ils sont heureux de s'en être tirés à si bon compte mais se font du mauvais sang à mon sujet. C'est donc avec joie qu'ils m'accueillent. Le camion monte difficilement, il chauffe, il crache la vapeur à tout va ! Constant me questionne: "on continue ?" "Et comment ! Si jamais il nous lâche, nous reviendrons le chercher en remorque mais en aucun cas nous ne l'abandonnerons" Ce camion a participé depuis le début à toutes nos randonnées et il fait partie intégrante de l'équipe. D'ailleurs pour nous montrer qu'il est conscient de ses devoirs il fait un effort et, surmontant sa faiblesse, réussit à atteindre le terrain, en bon et fidèle ami. Sitôt sur place nous installons les balises et mettons en marche l'E.R.K. Le vent du nord souffle avec violence, nous nous mettons à l'abri dans la traction. L'opération s'annonce difficile sans main-d'oeuvre et, dans notre for-intérieur, malgré notre désir de recevoir des armes, nous souhaitons presque qu'elle soit annulée à la dernière minute. Mais un ronflement venant du Nord coupe court à nos réflexions. C'est lui ! Les balises sont allumées, la lettre conventionnelle en morse est envoyée, l'avion nous survole dans le sens nord-sud, va tourner, revient, il nous dépasse et largue ses containers. Les parachutes s'ouvrent mais le vent les déporte, ils passent au-dessus de nos têtes, franchissent un vallon et vont s'échouer en plein sur un bois, à flanc de coteau, du côté opposé. Les difficultés commencent pour nous car il faut trouver et ramasser tout ce qui est tombé. Nous cherchons un chemin pour approcher au plus près des parachutes et nous découvrons un sentier dans le fond du vallon, encaissé parmi les futaies. Impossible de faire passer le camion par là ! Nous sommes obligés de le laisser au bord de la route et nous nous rendons à pied à la recherche des containers. Nous repérons des parachutes qui sont restés accrochés aux arbres, ils sont assez accessibles mais comment remonter le matériel à trois, par le sentier pentu et glissant ? Il va falloir ouvrir les containers sur place. Je ne dirai pas combien de montées et de descentes nous avons dû effectuer pour remonter le matériel jusqu'au camion. Le jour nous surprend en train de terminer cette tâche très fatigante, sous les regards inquiets des fermiers dont l'habitation se trouve à proximité et qui, nous voyant chargés de fusils et de mitraillettes n'ont pas bouger de chez eux. Nous sommes à bout de forces, nos yeux se ferment mais nous avons terminé, il ne reste plus que les containers vides qu'en faire ? Un gouffre rempli d'eau se trouve à proximité, nous y jetons les colis encombrants et compromettants. Les armes sont à l'abri dans le camion mais nous ne pouvons prendre le risque de tomber en panne au retour je décide de faire appel pour le transport à Michel Bancillon, le responsable du terrain de Vals et celui d'Aubenas. Mais la faim nous tenaille, Constant va à la ferme et revient avec un grand pain de campagne et du jambon cru, auxquels nous faisons grand honneur. Une fois restauré, Constant va téléphoner à Michel Bancillon pour lui demander de venir à la rescousse avec un camion. Pendant ce temps là, Marius et moi rapprochons le matériel de la route, distante d'environ un kilomètre. Nous trouvons un emplacement idéal, au bord du ruisseau, derrière une haie qui nous dissimule. Constant revient avec de bonnes nouvelles. Il a pu toucher Bancillon, il va se débrouiller pour trouver un camion et il arrive. Cela nous remonte le moral car la situation commençait à devenir délicate. Nous poursuivons le transport du matériel dont le poids semble augmenter en même temps que notre fatigue. Je ne sens plus mes bras. Aussi dès que nous avons fini, nous nous affalons sur l'herbe fraîche, à l'abri de vent, en surveillant à tour de rôle notre précieux dépôt. A 16 heures, Bancillon apparaît enfin au volant d'un camion, accompagné de Jardon et du propriétaire du véhicule, Roger Sargul. Nous lui devons une fière chandelle car il a tout risqué pour venir nous aider. Grâce à ce renfort, nous chargeons rapidement et recouvrons les armes avec une simple bâche. Le camion Renault est pris en remorque jusqu'à Alboussière qui se trouve sur le chemin du retour, où nous le laissons à un mécanicien. Il a un joint de culasse claqué. Constant restera sur place pour le ramener à Valence dès qu'il sera réparé. Ils repartent vers Aubenas en faisant de nombreux détours pour éviter les routes trop fréquentées et la traversée des villes importantes, ce qui leur vaut de rouler toute la nuit suivante. Mais l'essentiel c'est d'arriver sans anicroche et ils peuvent livrer le matériel comme prévu aux maquisards de l'Ardèche qui ne se doutèrent certainement pas comment ces armes avaient pu arriver jusqu'à eux et au prix de quels sacrifices. Cependant nous nous étions débarrassés à la hâte des containers vides, n'ayant pas le choix, en les basculant dans un trou d'eau qui ne se révèla pas aussi efficace que nous l'espérions. Si bien qu'un riverain, Monsieur Traversier, jugea prudent, en laissant passer à dessein quelques jours, de faire une déclarations aux autorités. En effet, il aurait pu avoir de sérieux ennuis pour n'avoir pas signalé des objets suspects émergeant entre les roseaux. Les Allemands ne plaisantaient pas sur ce sujet et le commandant du territoire avait largement diffusé la note suivante: "Quiconque a découvert des avions, des parties d'avions, du matériel provenant d'avions ou quelques objet jetés par des aviateurs, est tenu de le laisser sur place sans y toucher et de faire sans délai la déclaration de sa découverte aux autorités allemandes les plus proches, gendarmeries, ou mairies. Les contrevenants seront passibles des travaux forcés ou de peines plus fortes s'il y a lieu." Monsieur Traversier se rendit donc le 13 mars à la gendarmerie de Tournon déclarer qu'il avait aperçu dans un trou d'eau, au quartier du Banisse, sur la commune de Plats, des cylindres de fûts. Les Allemands récupérèrent ainsi les 15 containers du parachutage et les ramenèrent triomphalement à Tournon. Les membres de l'équipe locale de la S.A.P. qui les voyaient passer souriaient dans leur barbe car ils savaient bien que les fûts avaient été vidés de leur précieux contenu mais ils devaient aussi se sentir un peu honteux de n'avoir pas participé à leur réception. 10 mars : Nous n'aimons pas rester inoccupés et la radio ne nous ayant adressé aucun message nous décidons, Firmin Faure (Etienne) Léon Faille (Constant), Dédé (Souris) et moi d'aller jeter un coup d'oeil sur le dépôt d'essence du quartier de la Belle Meunière. Ce serait une bonne affaire si nous pouvions nous approprier le carburant et en cas d'impossibilité on pourrait le faire sauter. Aussitôt, nous organisons une "planque" qui durera toute la nuit pour relever les heures de ronde de la garde. Hélas ! Le matin nous apporte une cuisante déception: les citernes sont à sec. Nous sommes samedi, un soleil timide annonce la venue prochaine du printemps, les rues prennent un petit air de fête, nous avons un peu l'impression d'être en week-end. N'ayant rien de mieux à faire nous allons nous attabler au bar de l'auto, rue Sadi-Carnot pour nous réchauffer avec un café ou plutôt un ersatz de café. Nous sommes là, à bavarder de tout et de rien quand survient, tout essoufflé, notre quatrième mousquetaire Junique Marius. A sa mine nous devinons tout de suite qu'il se passe quelque chose de grave. Il s'adresse directement à Firmin: "je te cherche partout depuis une heure ! Ta fille aînée est venue à la maison pour m'avertir que la milice a fait une descente chez toi au lever du jour. Ils ont bouleversé tout l'appartement sans rien trouver et ils se sont rendus ensuite à ton atelier ! Le coup nul du dépôt aura au moins servi à ce que Firmin ne soit pas chez lui cette nuit. C'est très ennuyeux que la milice fouille son atelier car c'est là que nous remisons notre camion. Il faut en tout cas que notre ami disparaisse immédiatement de Valence. "Constant" prend la traction et va l'emmener à Vals-les-Bains, à l'hôtel de la poste chez Madame Henri Champel, une de nos bases de repli en cas d'urgence. Moi, je m'en vais à pied avec Marius dont le bar se trouve juste en face de l'atelier de Firmin Faure. Les miliciens sont repartis en laissant deux sentinelles. Nous entrons dans le bar qui sera un excellent poste d'observation. Ce n'est que vers treize heures qu'une voiture vient relever les deux miliciens de garde. Avec précaution nous pénétrons dans l'atelier. Les brutes ont brise tout ce qu'ils ont pu. La porte vitrée du bureau qui était fermée à clé à volé en éclats. On dirait qu'un ouragan est passé par là. Par chance le camion est intact. Sans attendre je vais aller le mettre à l'abri chez Monsieur et Madame Edouard Chabanne, les sympathiques fermiers propriétaires de notre terrain "Temple" à Allex. Il n'est plus question pour "Etienne" de revenir à Valence avant longtemps et cela me fait peine de me séparer de mon ami qui était aussi mon adjoint depuis le départ de Longepierre. Il assurera désormais les opérations dans l'Ardèche, en coopération avec moi. 15 mars : Coup du sort pour l'équipe de parachutage de Tain-l'Hermitage: Billon Marcel, Morand Etienne, Pinet Gaston et son frère Louis sont arrêtés ainsi qu'un jeune homme de 18 ans, Georges Girard qui logeait chez Billon. Il mourra des suites des tortures subies. Les quatres sont déportés en Allemagne, dont Morand Etienne ne reviendra pas, il décédera au camp d'Auschwitz. Ils avaient déjà à leur actif, en plus des parachutages, le déraillement d'un train de torpilles et beaucoup d'autres actions de sabotages. "Il était sur le quai des brumes" Ce message de la B.B.C. en ce 15 mars 44, m'annonce un parachutage sur le terrain de Vassieux-en-Vercors, "Gabin". L'opération est demandée par la "mission unie" pour ravitailler en armes le plateau du Vercors. Je dois l'assurer avec mon Eureka et le S.Phone, l'équipe de réception étant fournie par le maquis du capitaine Thivollet. Nous partons en voiture avec Constant et le matériel, sans oublier une luge qui nous servira à le transporter, car il y a encore beaucoup de neige sur le plateau. En passant à St Nazaire-en-Royans nous prenons Jean Ferroul qui doit nous mettre en contact avec le responsable de l'opération, à l'hôtel Bellier à la Chapelle-en-Vercors, où nous écoutons la confirmation. Celle-ci étant effective, nous partons pour Vassieux-en-Vercors, distant d'environ 10 km que l'on franchit avec beaucoup de difficultés, la route étant verglacée, avec des murs de neige de plus d'un mètre de hauteur sur les bas côtés. Arrivés au carrefour de la route de Fond-d'Hurle, qui à l'époque n'était qu'un chemin, à l'endroit où se trouve actuellement le "Mémorial", nous sommes arrêtés par un groupe de protection du terrain qui nous demande le mot de passe. Nous ne le connaissons pas, on a tout simplement oublié de nous le transmettre. Nous recevons l'ordre impératif de faire demi-tour sous la menace des armes et comme nous parlementons, un exalté décharge sa mitraillette en l'air pour nous intimider. La rafale attire un lieutenant des chasseurs en ski qui heureusement était au courant de notre venue. Nous laissons la voiture sur la route et nous chargeons l'Eureka, le S.Phone et les batteries sur la luge que nous tirons dans la neige jusqu'au balisage. Il n'y a pas une demi-heure que tout fonctionne que cinq appareils nous survolent à haute altitude. Par le S.Phone, j'essaie d'entrer en contact avec eux pour leur demander de perdre un peu d'altitude car il souffle un léger vent du nord qui va déporter les parachutes. Peine perdue, je n'obtiens pas la liaison. Ils larguent leur chargement en deux vagues, ce qui fait dire à certains qu'il y a dix appareils. Mais le vent à dispersé les soixante-quinze containers et les trente colis. Il est impossible de ramasser le tout dans la nuit et d'en faire l'inventaire. Malgré les progrès de coordination et d'unité de commandement, il arrive encore parfois des choses incompréhensibles et tout à fait navrantes. J'apprends qu'une opération de parachutage a eu lieu dans la nuit du 18 au 19 mars près du hameau de Vergnes, à quelques kilomètres du sud de Chezlard dans l'Ardèche, à l'intention d'une organisation dont je n'ai jamais entendu parler. Elle s'est soldée par un dramatique échec parce que tout le monde connaissait le message qui était paraît-il: "le voyageur viendra ce soir". Une telle légèreté d'organisation ne pouvait qu'aboutir à un fiasco. L'ennemi lui-même était au courant du message et du lieu. Aussi était-il présent au rendez-vous. Au moment du parachutage, les Allemands ouvrirent le feu sur les Résistants dont quelques uns furent blessés et s'emparèrent de tous les colis. Je sus par la suite que ce terrain était "Afficheur", d'Alger. Un message me fixe rendez-vous avec le chef régional Roche (André Charlot) le maniaque des températures, pour le 22 mars 1944 à 14h à Lyon. Pour m'y trouver à l'heure exacte, je dois prendre le train de 12h 55 en gare de Valence il me sera donc impossible d'écouter l'émission de la B.B.C. à 13h 15, je confie l'écoute à mes deux adjoints Etienne (Firmin Faure) et Constant (Léon Faille) au cas où un message nous concernant serait diffusé. Dans ce cas, Lyon m'en informerait au rendez-vous et je reviendrais immédiatement à Valence, soit par le train qui arrive à 17h ou au plus tard, à celui de 18h 15. Lorsque, en sortant de la gare de Lyon-Perrache j'aperçois Roche et Depute qui m'attendent, je comprends que quelque chose a eu lieu, ils m'informent que le message: "la fumée noircit la façade" est passé à l'émission de 13h 15 et il précisait l'arrivée d'un agent de Londres. Ce message concerne le terrain qui se trouve le plus au sud de la région, sur un plateau dominant la vallée du Rhône près de Bourg-St-Andéol (Ardèche). C'est la première opération sur ce terrain, aussi dois-je prendre contact le plus rapidement possible avec son responsable qui est le directeur d'école de Bourg-St-Andéol, Jean Beaussier, également responsable départemental du M.L.N. (Mouvement de Libération National) pour l'Ardèche. Il échappera de peu quelques mois plus tard, à la Gestapo venue l'arrêter dans l'appartement de l'école. A défaut du mari, ils arrêtèrent Madame Marie Beaussier le 18 avril 44, elle sera libérée le 25 août 44. Il faut que je reparte au plus tôt. Roche et Depute, de son vrai nom Pierre Ulmer, qui est adjoint de Charles Henri, décident tous deux de venir chercher l'agent qui doit être parachuté et nous prenons les dispositions nécessaires pour nous retrouver près du terrain, après étude de la carte, car c'est la première fois que Roche vient en Ardèche, et il ne connaît encore aucun terrain de ce département. Mais laissons la parole à Roche qui écrit dans son rapport de mission du 24 mars 44, ce qui suit: "Le 22 mars, un message nous signale qu'une opération de parachutage aura lieu sur "Albatros" situé près de Bourg-St-Andéol (Ardèche). C'est le terrain le plus éloigné de Lyon (190 km). Depute, chef régional de R.6. et moi, décidons de nous y rendre car un radio doit arriver au cours de cette opération nous avons vu Gérard (Henri Faure) le chef départemental Drôme-Ardèche qui nous a informés qu'au cas où l'opération ne pourrait être assurée sur "Albatros" pour une raison ou pour une autre, nous trouverons les instructions nécessaires sous une pierre au pied du poteau indicateur placé à la jonction de la route D.4. et le l'I.C.58 à l'est de Saint-Remeze (Ardèche). Toutefois, nous aurons à faire, à proximité d'Albatros, des signaux lumineux afin de nous faire connaître de l'équipe de protection. Nous quittons Lyon, Depute et moi, à 20h afin de traverser Valence avant le couvre-feu qui est à 22h. Nous effectuons le parcours sans incident bien que Depute m'ait avoué au départ de Lyon que c'était la première fois qu'il conduisait de nuit. Nous arrivons vers 22h 45 sur l'I.C.58 qui va de Bourg-St-Andéol aux alentours d'Albatros. Avec les phares de la voitures, nous faisons les signaux convenus, mais n'obtenons aucune réponse. Nous nous rendons donc jusqu'au poteau indicateur où nous trouvons Gérard qui nous informe que le terrain "Albatros" est occupé par les Allemands qui y construisent des fortifications et que, de ce fait, il a dû reporter l'opération sur le terrain "Acier" où il a monté l'Eureka et qui est situé au sud-est d'Aubenas (Ardèche). Au moment où Gérard nous donne les indications précédentes, un bruit d'avion se fait entendre. Je m'empare immédiatement de l'S.Phone qu'il avait dans sa voiture pour rentrer en rapport avec l'équipage afin de lui signaler que l'opération est reportée sur "Acier", soit à 20 km au nord-ouest d'Albatros. Je n'obtiens pas de réponse de l'avion, mais nous l'apercevons très bien, au moment même où il passe au dessus de nous, se diriger distinctement sur le nord-ouest en direction d'Acier où nous arrivons nous-mêmes plus d'une heure après. L'équipe de protection a bien entendu l'avion, mais il semble que personne ni aucun container n'a été largué. Après plus de deux heures de recherches sans avoir rien trouvé, Depute et moi nous rentrons à Lyon. L'équipe reprendra ses recherches au petit jour. Le terrain est constitué par une garrigue ayant plus de 7 km de longueur sur 2 km de largeur. Quant à moi, à mon arrivée à Lyon à 17 hures, je trouve Constant qui m'attend à la sortie de la gare de Valence avec sa moto sans discours il m'amène rue de Pont du Gât où nous garons notre camion dans l'entrepôt de Firmin Faure et qui a été préparé par ses soins pour notre randonnée. Notre conciliabule est très bref, par expérience je me méfie des premières opérations sur un nouveau terrain et surtout avec une nouvelle équipe. Aussi, je décide de nous rendre directement sur Aubenas (Ardèche) au cas où des difficultés surgiraient. Bien m'en a pris ! Dès notre arrivée à 19 heures avec Etienne et Constant, j'informe Bancillon de l'opération Albatros. Il met à ma disposition une traction avant pour aller prendre contact avec l'équipe de Bourg-St-Andéol à environ 45 km de là. Je resterai avec l'équipe sur le terrain et Constant reviendra avec la voiture chercher Etienne et le camion si tout va bien. Nous voilà partis sur les routes tortueuses de l'Ardèche. J'appuie un peu sur le champignon car je veux être à Bourg-St-Andéol à 21h 15 pour écouter l'émission de la B.B.C. et savoir s'il y a confirmation de l'opération. Nous arrivons à temps, le maintien est confirmé mais Beaussier m'informe que les Allemands occupent le terrain "Acier". Cependant, pour être absolument sûr, je passe voir si les Allemands occupent bien le terrain et je constate, en effet, qu'ils ont entrepris certaines constructions. Nous repartons très rapidement rejoindre Etienne et Bancillon afin que celui-ci alerte son équipe car l'heure tourne nous arrivons vers 22h à Aubenas, je mets mes amis au courant de la situation et les informe de ma décision de faire l'opération sur "Acier". Prévenir l'équipe ? Ce n'est pas la peine, les hommes ont vu le camion qu'il connaisse bien, et persuadés qu'une opération va avoir lieu, ils viennent très vite aux renseignements. C'est sans difficulté que Bancillon les rassemble. Je charge Etienne d'effectuer le balisage et de faire fonctionner l'Eureka car, avec Constant, nous retournons sur "Albatros" munis de l'S.Phone afin de prévenir le pilote du changement de terrain et de prendre contact avec Roche et Depute au point convenu. Avant même que Roche ait pu entrer en liaison radio avec le pilote, nous voyons l'avion prendre la direction du nord-ouest. Et nous voici de nouveau repartis vers Aubenas et le terrain "Acier". A notre arrivée, Etienne me dit qu'il a bien entendu l'avion mais que celui-ci paraissait avoir une altitude supérieure aux autres parachutages. Un léger vent du sud soufflait ce qui aurait déporté le matériel au moment du largage. Et c'est ainsi que Roche et Depute repartent à Lyon les mains vides. Nous attendons le jour pour inspecter le terrain qui est coupé par des murs de pierres sèches et je dispose des hommes en faction afin d'être prêt à toute éventualité. Et voilà que l'un d'eux signale qu'il a vu une forme humaine se déplacer derrière ces murs nous surveillons l'endroit et, effectivement, nous voyons quelqu'un qui apparaît et disparaît, bien au nord par rapport à nous mêmes. Avec beaucoup de précautions nous approchons sans qu'il nous voit et je lance le cri: "France-Libre", et il se démasque. C'était l'agent de Londres que nous attendions et qui roulait tous les parachutes afin qu'ils ne soient pas vus par des indiscrets. Il nous raconte alors, qu'il a bien vu le balisage au moment où il a été lâché mais, l'avion était très haut, il a été déporté vers le nord par un vent assez fort. "Roche" n'étant plus là, c'est Constant Eugène qui habite au quartier St-Pierre à Aubenas qui hébergera "Courbe" car tel est le nom du parachutiste, en attendant qu'il soit dirigé vers sa destination pour nous inconnue. Le jour est complètement levé quand nous ramassons les containers. Le camion chargé, il ne nous reste plus qu'à transporter le matériel dans sa cache avant la répartition pas question de le mettre dans celle qui est située dans les locaux de la gare d'Aubenas, elle est devenue dangereuse à la suite de l'incident sur venu quelque temps auparavant avec l'occupant: deux Allemands trop curieux voulurent contrôler et inspecter le camion qui transportait des armes en direction du maquis, ils montèrent chacun d'un côté de la cabine du camion mal leur en prit car les hommes de l'équipe de parachutage, qui avaient la responsabilité du chargement connaissaient les immenses difficultés que cela comportait et étaient rompus à la bagarre. Sans hésiter une seconde ils sortirent leurs pistolets et firent feu, deux balles, deux morts sur le terrain et le camion poursuivit son chemin apportant les armes libératrices aux Résistants. La nouvelle cache se trouve dans la maison cantonnière au bas du col de l'Escrinet sur la nationale 104. Pour y arriver il faut traverser Aubenas en plein jour, sans bâche pour couvrir le camion, mais nous sommes décidés à tout. Je suis au volant il n'est pas question de chercher la bagarre, mais il faut passer à tout prix et gare à qui se trouvera sur notre route. A côté de moi dans la cabine, Etienne a le doigt sur la détente de sa mitraillette. Derrière, sur le chargement, Constant et Jean (Pujudas) ont également des mitraillettes et des grenades prêtes à être lancées. Nous voici sur la route, nous entrons dans la ville, les gens regardent ce camion sans se douter de ce qu'il transporte. Bancillon qui est éclaireur vient m'informer que la milice arrête tous les véhicules. Afin d'éviter ce contrôle, il me fait passer par des petites rues où le camion a tout juste la place et nous ressortons à moins de cent mètres du barrage. Nous continuons notre route sans encombre, jusqu'à notre cache où nous déchargeons enfin notre précieux matériel. L'opération est terminée, je reprends le volant accompagné d'Etienne et de Constant en direction de Valence par le col de l'Escrinet et Privas. Dans cette ville nous nous heurtons à un barrage allemand. Confiants dans nos faux papiers, et ayant la certitude de ne rien avoir dans le camion qui puisse attirer l'attention de l'ennemi. (Il faut préciser que dès que les opérations étaient terminées, nous laissions dans une cache tout notre matériel: E.R.K., S.Phone, armes individuelles, afin qu'en cas de fouille, l'ennemi n'ai aucun prétexte pour nous mettre en état d'arrestation). Il s'agit d'un contrôle de routine et les Allemands ne paraissant pas particulièrement méfiants. Ils nous demandent nos papiers et nous font descendre tous les trois. Nous nous prêtons d'assez bonne grâce à la fouille et nous sommes sans inquiétude quand ils nous font ouvrir les fameux coffres, sur le côté du camion. Pour l'heure ils contiennent quelques innocents rouleaux de fil électrique et Constant explique qu'ils servent aux réparations courantes. Mi-plaisantant, mi-sérieux un Allemand demande: "Résistance ?" et Constant, imperturbable répond: "Ya Résistance !" en retenant difficilement son envie de rire. Le soldat trouve cela très amusant. Pendant ce temps là un autre fouille la cabine, lève le siège qui sert de couvercle à un coffre à outils. Je suis du regard cette opération, quand, brusquement le souffle me manque je viens d'apercevoir parmi les outils et les câbles de remorque, une crosse de pistolet qui dépasse. L'Allemand doit penser à autre chose car il rabat le siège et rajuste le coussin sans avoir rien remarqué. A quoi tient la destinée ? Si cette arme avait été découverte je ne serais certainement pas en train de raconter. Le contrôle est terminé, les soldats nous font signe de repartir, ce que je ne me fais pas répéter deux fois. De grosses gouttes de sueur dégoulinent de mon front et je dois être blanc comme un linge. Etienne et Constant me regardent drôlement, ils croient sans doute que cette formalité m'a fait peur. je ne réponds rien à l'interrogation muette de leurs regards mais je stoppe dès que nous nous trouvons dans un chemin tranquille et leur demande de regarder sous le siège. C'est à leur tour d'avoir le souffle coupé, de pâlir et de sentir leurs jambes flageoler. Aussi c'est d'un commun accord que nous nous arrêtons au premier café venu pour prendre un petit remontant. Bien que ce soit un jour sans alcool, le patron nous sert trois marcs qui resteront parmi les meilleurs que nous ayons bus. Le pistolet appartenait à Junique (Marius) notre quatrième mousquetaire. Il l'avait mis derrière le dossier lors d'une opération dans la Drôme et n'avait pas eu le temps de le récupérer, le camion étant reparti trop vite. Il était d'ailleurs beaucoup plus inquiet que nous et dès qu'il s'était aperçu de cet oubli il avait essayé de nous joindre pour nous en avertir, mais sans succès. Il fut mis à l'amende d'une tournée. Suite à l'opération de parachutage sur "Albatros" reportée sur "Acier": Le Chef régional S.A.P. Charlot alias Roche, propose mes compagnons et moi pour la "médaille de la résistance" dont voici le texte: Roche Chef Régional S.A.P. A Gérard, Chef Départemental. Je suis heureux de vous adresser toutes mes félicitations pour la réussite complète de l'opération prévue primitivement sur Albatros qui a été reportée par vos soins sur Acier par suite de l'occupation du premier terrain par l'armée allemande. Je tiens à cette occasion à rendre hommage personnellement à votre esprit d'initiative et à votre sens de l'organisation qui ont permis, dans des conditions difficiles, d'assurer le succès de cette opération. Dans ces circonstances, je suis heureux de vous annoncer que je vous propose pour la Médaille de la Résistance ainsi que vos collaborateurs immédiats et habituels: Etienne, Constant et Marius, pour l'aide efficace qu'ils n'ont jamais cessé de vous apporter dans toutes vos entreprises. De plus, pour apporter à la présente pièce un peu plus de valeur, je tiens à y apposer ma signature officielle dont l'authentification pourra être mesurée par Londres. Lors d'un rendez-vous à Lyon en avril le Chef National S.A.P.: Paul Rivière alias "Marquis" - Charles Henri. Une personnalité de la Résistance me remit une barrette de la "Médaille de la Résistance" accompagnée d'un bout de papier portant sa signature authentique et le n°15 Le 26 mars 44 Je transmets deux messages, l'un adressé à la "Mission Union", l'autre à une vieille connaissance, "Poncolet", chef A/S.de l'Ardèche, ex Mme Gauthier. Archive 1/De Albert Gérard à Mission Union 26.3. "Je tiens à vous signaler que j'ai reçu 4 colis de médicaments au nom de "Procureur" dans la région d'Aubenas (Ardèche). Je tiendrais également à voir l'un de vous pour régler l'incident "Gabin". La R.A.F. a l'intention de faire des opérations pendant la lune d'avril sur "Jounet" et "Gabin". Est ce possible ? Donner réponse par retour. Gérard ex Albert Archive 2/ De Gérard à Poncelet 26.3. "Inventaire "Albatros" Mardi 28 à 22 heures. Je tiendrais à ce que vous soyez seul par mesure de sécurité, rendez-vous Aubenas à 20 heures 30, prendre mesure pour évacuer matériel dans la semaine. Notre lieu de rencontre à Aubenas était le café-restaurant de Mr et Mme Léon Crozes, chez qui nous avons toujours trouvé couvert et gîte en toute sécurité. 30 mai : La Gestapo effectue à Valence une série d'arrestations. Jean Gaudemar et René Ragondet, deux dévoués cheminots font partie de la "charrette" et mourront en déportation. Marcel Gerin, cafetier rue de Génissieux aura la chance de survivre aux camps et aux tortures.Le général de Gaulle avait conclu pendant l'automne 43 un accord concernant l'installation d'une autorité militaire et administrative en France Métropolitaine et pour chaque région un "commissaire de la République" avait été nommé. IL devait prendre en charge l'administration et remplacer, dès que les circonstances le permettraient, les Préfets et les Maires de Vichy, par des fonctionnaires désignés par le gouvernement provisoire. C'est en ce mois d'avril 44, conformément à ces décisions, que Michel Debré rencontre Yves Fargues (Grégoire) dans un café du trocadero à Paris et lui remet sa nomination de "Commissaire de la république" pour la région R.I. En cette même période, tandis que toutes les unités des Forces Françaises de l'Intérieur (F.F.I.) passaient sous le commandement du général Koenig, Chaban-Delmas était nommé général et délégue militaire national. 3 avril : A Alger, le général de Gaulle remanie le C.F.L.N. (Comité Français de Libération Nationale) et nomme deux communistes, François Billon, commissaire d'Etat et Fernand Granier, commissaire de l'Air. Le lendemain 4 avril. La milice effectue une "descente" à l'entrepôt qui sert de garage à l'A.S., rue des Réservoirs à Bourg-les-Valence, arrête les gardiens et s'empare des voitures, des camions et de quelques armes. Pour pouvoir emmener leurs prises ils sont obligés de sortir une petite voiture Simca 5 qui les gêne pour manoeuvrer. Un voisin de garage avec qui je suis en relation m'informe de cette opération et me signale que les miliciens n'étant pas suffisamment nombreux pour emmener tous les véhicules ont laissé dehors la "Simca 5". Je m'empresse de venir la chercher. Je la destine à Etienne qui n'a pas de voiture de tourisme pour son groupe de l'Ardèche. Il dispose seulement, et depuis peu, de deux ambulances acquises à la "foire d'empogne". Elles étaient remisées dans un local de la Mairie, Place des Ormeaux à Valence quand nous avons appris, par Henri Chatelan, qu'elles allaient être réquisitionnées par les Allemands. Etienne, avec Gabriel Chanas et Jean Didier, ont décidé de les devancer et elles sont maintenant à la disposition des Résistants de l'Ardèche. Dans la nuit du 10 au 11 avril j'assure une opération sur "Argone" au cours de laquelle nous recevons, en plus des containers, quatre agents venant de Londres. Ce sont "Andalou" et "Egyptien de son vrai nom Jean Paris, "radio", tous les deux, ainsi que "Hache" et "Tombereau", des saboteurs-instructeurs. Ils ont sur eux 2.500.000 frs et les containers contiennent 81 millions de francs et 25.000 dollars. Je porte en voiture à Lyon cet argent, rangé dans des sacs postaux et les quatre agents qui doivent y rencontrer leurs chefs. La grande offensive des forces de police de Vichy contre la Résistance est déclenchée le 16. Vingt cinq camions remplis de miliciens encadrant des C.M.R. (Groupes Mobiles Républicains) appelés aujourd'hui C.R.S. partent en direction du Vercors. En cours de route et certainement sur dénonciation, ils s'arrêtent à St-Nazaire-en-Royans, chez Jean Ferroul, le responsable du terrain "Argone" où nous venons de recevoir les quatre parachutés, mais celui-ci n'est pas chez lui. La perquisition de la maison est négative mais ils emmènent Mme Ferroul et ses deux filles.Les miliciens pénètrent ensuite dans la pharmacie de Mme Doucin et arrêtent son mari, André, qui est l'adjoint de Ferroul et a hébergé les membres de la mission "Union". Les prisonniers sont emmenés dans le Vercors. Il s'agit d'une expédition importante, bien préparée, une attaque générale contre tous les Résistants de la région. Le même jour, le maquis "Michel" installé depuis peu au château d'Anse est investi par la Milice et par le 6ème Escadron du 4ème Régiment de la Garde Mobile Républicaine, sous les ordres de Bernonville et d'Agostini, miliciens réputés pour leur cruauté. L'engagement va durer cinq jours. Les Maquisards bénéficient de bonnes positions dans une sorte de forteresse naturelle. Ils occupent les hauteurs et chaque rocher constitue un affût et un abri. Ils sont bien armés, bien entraînés, bien commandés. Ils n'auront à déplorer qu'un tué et une vingtaine de blessés tandis que les attaquants ont 18 tués et 16 blessés. Ces combats entre Français me déchirent le coeur. Cette ambiance d'insécurité est peu propice aux parachutages, mais je n'ai pas le temps de faire annuler celui prévu sur le terrain "Agonie" pour la nuit du 21 au 22. Ce soir là les abords immédiats sont libres, l'équipe prend position et l'opération se déroule sans alerte. 15 containers et 8 colis atterrissent ainsi qu'un homme, le saboteur "Versoir". Les forces de Vichy se sont installés dans tout le massif du Vercors et se répartissent entre la Chapelle-en-Vercors et Vassieux-en-Vercors. De nombreuses patrouilles de reconnaissance cherchent à repérer les maquis. Les miliciens constituent un tribunal à l'Hôtel Allard à Vassieux. Il est composé des chefs de Bernonville, d'Agostini et de Mlle Champetier-de-Ribes, maîtresse du chef de la milice. Au cours d'une séance du tribunal, Madame Ferroul et ses filles sont relaxées tandis que des Résistants arrêtés à Romans, St-Nazaire et Vassieux, sont condamnés à être déportés et remis aux autorités allemandes. Ce sont Eugène Bernard, Aimé Bonnefoy, Ernest Diebold, Nancy et Germain Hourde, Pierre Revol et Marius Kuffer. Quant à Casimir Ezinjeard, Paul Mialy et André Doucin, ils sont condamnés à mort après avoir subi le terrible interrogatoire réservé aux terroristes. Leur attitude est celle des martyrs, soutenus par une foi que rien, aucun coup, aucune torture ne peut entamer. Les miliciens n'ont rien pu tirer d'eux. La sentence fut exécutée le dimanche 23 avril sous les yeux des habitants stupéfaits. Ils moururent en brave, refusant le bandeau sur les yeux, face au peloton d'exécution française, ce qui vaudra à André Doucin, la citation suivante: "André Doucin, jeune St cyrien animé du plus bel esprit de sacrifice, officier de valeur, exemple de courage et d'abnégation, s'est distingué brillamment aux cours des opérations qui ont eu lieu dans le Vercors. Tombé aux mains de l'ennemi, s'est refusé malgré les tortures qui lui ont été infligées, à révéler un seul détail sur la Résistance Française, a soutenu jusqu'à sa mort une attitude pleine de noblesse." Le chef régional "Roche" qui est venu passer quelques jours dans l'Ardèche à l'Hôtel de la Poste chez nos amis Mr et Mme Champel à Vals-les-Bains, assiste aux opérations des nuits du 25/26 mars sur "Argus" reportée sur "Acier" et du 26/27 prévue sur "Albatros" et reportée également sur "Acier" où nous avons reçu deux fois un avion. Pendant un séjour il a pris contact avec Henriette Rieu qui s'occupe de notre P.C. de Vals. Il l'engage comme agent de liaison entre Lyon, Valence et Vals-les-Bains sous le pseudonyme de "Yveline" et l'emmène avec lui à Lyon. Malgré la demande d'annulation du terrain "Albatros" près de bourg-St-Andéol (Ardèche) occupé par l'ennemi qui y a installé un centre d'écoute, Londres nous annonce par le message: "la moisson est proche", une opération sur celui-ci pour la nuit du 1er au 2 avril. Je la reporte comme d'habitude sur "Acier" avec Eureka et nous recevons 15 containers et 5 colis. Michel Bancillon et André Jardon m'informent que la cache de la cabane des cantonniers, situé au pied du col de l'Escrinet, sur la N.104, n'est plus très sûre car cette route est de plus en plus fréquentée et ils me suggèrent, pour plus de sécurité, de cacher nos armes et nos explosifs dans la prison de Largentière. On a beau s'attendre à tout et avoir vu beaucoup de choses, il y a quand même des propositions qui étonnent ! Malgré la confiance que je leur porte, j'éprouve quelque appréhension à l'idée de mettre notre matériel sous la garde de la Justice de Pétain. Ils me précisent que le Président du tribunal, Fernand Lequenne, est des nôtres. Devant la belle assurance de mes amis je me laisse convaincre et nous voilà partis pour Largentière avec notre chargement insolite. La prison est l'un des premiers bâtiments de la ville, isolé et assez éloigné du centre. Nous arrêtons le camion devant la lourde porte à deux battants, engageante comme… une porte de prison. Bancillon sonne, un judas claque et un conciliabule s'instaure. Le judas reclaque et au bout de quelques minutes le portail s'ouvre en grand. Je fais avancer le camion dans la cour pavée et la porte se referme immédiatement sur nous. Le piège pourrait être sans bavure et malgré moi je me tiens sur mes gardes, prêt à saisir une arme. Mais aucun danger ne nous guette: au contraire, le gardien-chef Georges Didelot et le gardien Pons, dans leurs beaux uniformes, s'avancent le sourire aux lèvres en prenant des airs aussi gracieux que leur métier le leur permet et nous aident obligeamment à décharger notre matériel. On l'entrepose dans des cellules et avec "Poncelet" (Vigneron) nous dressons l'inventaire en présence du gardien, d'André Jardon, Constant, Etienne et de Jean Pujadas. Ensuite, je distribue à chacun un révolver P38 et en arrivant à Jean, il me dit: - Donne-moi le tien en supplèment ? - Pourquoi ? - Comme ça, le pistolet et l'homme sont à toi ! Il y a des petites phrases qui passent très vite mais que l'on n'oublie pas. Pendant ce temps là, Mme et Mlle Didelot nous préparaient un très bon café de "marché noir". Décidemment, c'est un plaisir que d'aller en prison ! Une très mauvaise nouvelle ! Marcel Ranc "Le Mitron", avec qui j'ai fait sauter le bureau de propagande de Vichy, Avenue Victor Hugo à Valence, le premier coup de force de la Résistance dans cette ville, a été arrêté le 6 mai 44, faubourg St Jacques à Valence, par la police française qui le remet entre les mains de la Milice qui à son tour le livre à la Gestapo. Si ces gens sont encore de ce monde, je voudrais bien savoir s'ils dorment d'un sommeil tranquille ? Marcel a subi les interrogatoires raffinés des Allemands d'une façon héroïque. Il n'a pas fait une seule révélation concernant la Résistance. D'abord transféré à la prison St-Paul à Lyon, il connaîtra le calvaire des camps de concentration de Dachau, Auschwitz et Buchenvald sous le numéro matricule 201.026. Torturé, marqué à jamais sur un bras, il reviendra pourtant vivant. Il eut pour compagnon de misère le R.P Riquet. La journée s'annonce belle, ce matin du 16 mai, quand une traction noire stoppe devant la maison de Jean Mabboux, responsable de notre terrain, "Ajusteur" et d'un groupe chargé d'assurer l'exécution du Plan Vert (coupures des voies ferrées) chaque fois que la radio de Londres diffuse le message: "Je cherche des trèfles à quatre feuilles". Cinq Allemands en manteaux de cuir et chapeaux descendent aussitôt du véhicule et cernent la maison. Heureusement, Mabboux a entendu la voiture s'arrêter et en un reflex rapide, il attrape son fils par la main, lui fait escalader le muret du jardin de derrière et ils vont se cacher dans un fossé à cinquante mètres de là, de façon à surveiller ce qui se passe car Mme Mabboux et sa fille sont dans le pavillon. L'homme récupère un fusil-mitrailleur camouflé à cet endroit en prévision de ce qui vient d'arriver et il se tient prêt à intervenir. Les Allemands interrogent la jeune femme qui parvient à garder son calme et, déçus de ne pas trouver celui qu'ils cherchaient, ils se retirent. Mabboux les laissent monter en voiture puis, à l'instant où ils démarrent, les arrose de plusieurs rafales. L'ennemi file sur les chapeaux de roues, croyant avoir à faire à un nombre important de "terroristes". Bien entendu ils vont revenir en force, il faut fuir séance tenante, sans prendre le temps de faire ses valises. Mabboux conduit sa famille chez des amis sûrs, hors d'atteinte de la Gestapo. Bien lui en prend car les Allemands ne tardent pas à réapparaître renforcés d'un détachement de miliciens. Fous de rage en trouvant la maison vide, ils la mettent à sac, fracassant tout ce qu'ils ne peuvent pas emporter. Sa famille à l'abri, Mabboux prendra le commandement de la 6ème Compagnie des F.F.I. de la Drôme et continuera la lutte à outrance jusqu'à la mort. 24 avril: La B.B.C. passe le message: "Rudolph est bien arrivé", une nouvelle opération allait avoir lieu sur le terrain "Chlore". Nous étions loin de penser que ce serait la dernière pour celui-ci. Avec une exactitude et une précision toutes militaires, nous sommes en place vers 22 heures, l'E.R.K. est en route, l'avion peut arriver. La nuit est calme, sans vent et à 23 heures 45 nous l'entendons approcher. Je fais allumer les balises et l'appareil survient, se dirigeant vers le sud. Je le suis avec ma lampe torche en me plaçant de telle façon qu'il puisse voir d'où vient le vent et en émettant sans interruption la lettre "L" en morse, qui est les signe de reconnaissance du terrain. Le pilote passe une première fois pour repérer les lieux, s'éloigne, revient sur nous et à notre verticale, à moins de 200 mètres d'altitude il lâche les containers. Constant est à mes côtés quand nous entendons un sifflement puis le bruit d'une forte chute tout près de nous. C'est un container qui s'est détaché de son parachute et qui vient de prendre contact avec le sol. Nous l'avons échappé belle. L'avion effectue son deuxième passage pour larguer les colis, je fais "OK" avec ma lampe, il nous répond en allumant une seconde ses feux de position et disparaît en direction du Nord-ouest. L'opération a été impeccable, tout est tombé entre les feux. Après une attente précautionnelle de cinq minutes nous commençons le ramassage et tout le monde est content parce que nous aurons fini de bonne heure. Les balises sont éteintes, très détendu je me dirige vers l'E.R.K. pour le débrancher, et à l'instant précis où j'avance la main vers l'interrupteur j'entends de nouveau le bruit d'un moteur. Bientôt un avion nous survole dans le sens est-ouest ce qui me paraît étrange, aussi je ne fais aucun signal. Le bruit m'indique que l'appareil est à la verticale de l'E.R.K. et à tout hasard je commande à mes gars de se tenir prêts à baliser. L'avion tourne, revient, il n'y a pas de doute, c'est un allié. On allume les balises, je fais les signes lumineux de reconnaissance et les containers atterrissent en plein dans les balises. Un second tour et des colis viennent les rejoindre. Minuit sonne au loin, l'avion s'éloigne définitivement mais un autre moteur se fait entendre venant du sud, arrive sur nous et largue containers et colis en une seule fois. Il faut qu'il soit rentré avant l'aube en Angleterre. Nous nous retrouvons donc avec le contenu de trois avions et un seul camion pour le transport ! La B.B.C. n'avait pourtant pas précisé comme habituellement: "Rudolph est bien arrivé" trois fois, ce qui indiquait que nous allions réceptionner trois avions. Peu importe, nous sommes très heureux de l'aubaine et aussitôt le ramassage commence. Nous chargeons une première fois le camion à bloc, il part porter son précieux chargement dans une cache distante d'une dizaine de kilomètres puais revient chercher le reste. Pendant ce temps, avec les hommes d'équipe nous amenons tout le matériel en bordure de la route, le camion revient et nous le chargeons une deuxième fois, le voilà reparti l'aller et retour demande du temps, les heures passent, en attendant j'envoie des hommes ratisser le terrain, ils me rapportent encore un colis qui était très loin de nos balises, nous faisons le compte des containers, ils sont tous là, pas un ne manque, quant aux colis leur nombre est variable à chaque opération. Nous étions en train de charger le camion pour la dernière fois lorsque mon attention est attirée par les phares d'une voiture qui vient de Saint-Donat, je mets mes hommes de chaque côté de la route en position de combat, une voiture n'étant pas faite pour nous effrayer. Les lumières se rapprochent, le camion barre la route et je constate que ce que j'avais pris pour une voiture se trouve être un car, il s'arrête, il est aussitôt entouré par mes hommes arme au poing, prêts à faire feu, c'est le service régulier de Saint-Donat à Saint-Vallier qui assure la correspondance avec la S.N.C.F. Il est vrai qu'il va être cinq heures du matin. Constant et moi montons dans le car qui est complet, les armes à la main, personne ne dit mot. Faire un contrôle ne nous donnera rien sinon nous faire perdre notre temps, je fais donc dégager la route et donne ordre au chauffeur de se mettre sur le côté, tous feux éteints à l'exception de ceux de l'intérieur de façon à ce que Constant puisse surveiller les passagers. Inutile de leur dire qu'il y a eu un parachutage, ils voient les 45 parachutes sur le bord de la route. Les hommes ont enfin fini de charger le camion. Ils montent dedans, prêts à partir, je reviens vers le car où Constant tient tout le monde en respect et ordonne au chauffeur de continuer sa route. Nous le laissons s'éloigner et partons derrière lui à bonne distance tous feux éteints car pendant quelques kilomètres nous suivons le même itinéraire. Nous le voyons disparaître au village de Saint-Barthélémy de Vals distant de cinq kilomètres tandis que nous tournons à gauche. Nous avons fait à peine un kilomètres lorsque nous voyons arriver un cycliste, tout juste le temps de le voir sauter à bas de son engin, de l'abandonner et de disparaître dans les roseaux. Dans l'instant qui suit, nous sommes tous à sa recherche, sans succès, mais je relève son nom sur la plaque de sa bicyclette et mon ami Brunet de St-Barthélémy me dit qu'il s'agit d'un de ses clients qui travaille à Saint-Uze et qui nous a certainement pris pour la Milice. Nous repartons car il faut faire vite, l'alerte va sûrement être donnée. Nous déchargeons rapidement le camion et nous repartons par des chemins de terre pour Tain l'Hermitage où nous arrivons au lever du jour. Les hommes descendent et nous continuons notre route jusqu'à Valence sans incidents. Nous commentons les évènements dans le café de notre ami Marius Junique tandis qu'il nous sert un casse-croûte que nous mangeons de fort bon appétit, heureux d'avoir réussi encore une opération sans anicroche. Je charge, tout de même, Marius de contacter notre ami le gendarme Besse, secrétaire du Commandant de gendarmerie de la Drôme, qui nous fournit depuis longtemps toutes les informations concernant l'ennemi ou la Résistance, et de me tenir au courant des échos éventuels sur cette opération. Je demande également à Madame Wilmes qui est au central téléphonique (qui, heureusement pour nous est encore manuel) de vérifier s'il n'y a pas eu coup de téléphone en provenance de Saint-Vallier à la Kommandatur ou Milice. Après recherche, elle m'informe que la milice de Valence a reçu une communication le 25 avril vers 7 heures du matin en provenance du café de la gare de Saint-Vallier. Ceci me fait comprendre pourquoi la Milice était sur les lieux du parachutage dès 9 heures du matin, confirmation faite par le rapport de gendarmerie de Saint-Vallier retransmis par notre ami Besse et dont voici le texte intégral: Procès verbal de la gendarmerie de Saint-Vallier Le 25 avril à 9h 15 la brigade de Saint-Vallier a été prévenue téléphoniquement par Monsieur Vassier, maire de la commune de Claveyson qu'un parachutage de matériel avait eu lieu dans la nuit au quartier du Pilon, commune de Claveyson. A 9h 40 la gendarmerie se rend sur les lieux et rencontre un groupe de miliciens avec leurs véhicules automobiles comprenant 2 cars et 4 ou 5 voitures. Le chef de détachement dit être chef de Cohorte, adjoint de la milice française à Lyon, il a déclaré que, passant par "hasard" par là avec ses hommes, son attention était attirée par les occupants d'une camionnette qui, à leur vue, se sont enfuis, les uns avec la camionnette, les autres à travers champs à la suite d'une poursuite deux individus ont été arrêtés. Identité: Laurent Henri, né le 8.11.1911 à St-Donat, jardinier, demeurant avenue de la gare, fils de François et de Lafont Marie. Gateau Gérard Jacques, né le 15 juillet 1915 à Paris 12°, demeurant à hauterives chez Mr Brenier. Le parachute et son lest se trouvaient dans un champ inculte appartenant à Mr Lassagne Marius, cultivateur à Claveyson. Ce champ situé à 2 km au sud de Claveyson et à 100 mètres de la route reliant Claveyson à Chantemerle. Déclarations: Madame Dernat veuve Alleon Ludovic, 52 ans, cultivatrice quartier du Pilon à Claveyson déclare: "Ce matin Mr Hachard de la Motte de Galaure m'a appris qu'un parachutage de matériel avait eu lieu près de ma ferme. Je m'y suis rendue et j'ai vu qu'il s'agissait d'une toile blanche avec cordons blancs auxquels était attaché un paquet recouvert de toile verte de 0m80 de long sur 0m50 de large. Vers 9 heures une camionnette noire a stoppé et il est descendu 7 à 8 individus, ils se sont dirigés vers le parachute quand est arrivé 2 cars et plusieurs voitures venant de Chantemerle, ce convoi d'autos s'est arrêté en face de ma ferme, des coups de feu ont été tirés sur les réfractaires qui s'enfuyaient. Les occupants du convoi ont dit être des miliciens de Lyon et m'ont demandé de quoi il s'agissait, je leur ai dit qu'il y avait eu un parachutage et leur ai indiqué l'endroit, ils s'y sont rendus et j'ai remarqué qu'ils emportaient le paquet en question. Les réfractaires n'ont pas eu le temps de rien emporter et je n'ai pas vu la direction prise par eux. Personne n'est caché chez moi et j'autorise la milice à visiter ma ferme et ses dépendances, je n'ai plus rien à vous dire d'autre." Monsieur Seignobos, 42 ans, cultivateur quartier des Plats à Claveyson: "Ce matin j'ai appris par des voisins qu'un parachutage avait eu lieu près de la ferme Dernat. Vers 10 heures alors que je travaillais mes terres, une voiture s'est arrêtée en face de la ferme, 7 ou 8 individus sont descendus et se sont dirigés vers le parachute, quelques instants après une caravane de voiture est arrivée sur les lieux, je n'ai pas reconnu les occupants qui étaient au nombre d'une dizaine environ, j'ai vu 2 hommes s'enfuir en courant, poursuivis par d'autres qui leur tiraient des rafales de mitraillettes et des coups de mousquetons. Les fuyards ont disparu dans les bois, les poursuivants y sont allés mais sont revenus peu après. Je ne sais rien d'autre." Madame Veuve Montalon Eugène, 70 ans, propriétaire à Claveyson: "Le 24 avril vers 10 heures, je me trouvais dans mon jardin à proximité de ma ferme, quand un car et 3 voitures se sont arrêtés vers la ferme Dernat. Quelques instants après un homme est venu en courant chez moi. Sans rien me demander, il est entré dans une cave-débarras poursuivi par d'autres hommes. Il a cassé la fenêtre de la cave, est sorti par derrière où il a été arrêté. Il s'est blessé à la tête probablement avec le carreau cassé. J'ai su qu'un colis avait été parachuté mais je ne l'ai pas vu. Dans la nuit du 23 au 24 j'ai entendu de nombreux avions voler au-dessus du quartier entre 0 heure et une heure." Monsieur Figuet Léon, 49 ans, conseiller Municipal à Claveyson: "Le 24 avril 1944vers 7 heures 30, étant à ma ferme, j'ai vu une grande toile blanche dans le champ de Lassagne, situé à 6 ou 700 mètres de chez moi. Je m'y suis rendu et j'ai constaté qu'il s'agissait d'un colis enveloppé d'un sac de couleur grise relié à un parachute. J'ai prévenu le Maire qui à son tour s'est rendu sur les lieux. Il a téléphoné à la gendarmerie vers 9h15. Une camionnette s'est arrêtée en face du parachute, 2 hommes se sont dirigés vers celui-ci, 10 ou 15 minutes après 2 cars et 4 voitures sont arrivés sur les lieux, je n'ai pas vu ce qui s'est passé exactement, j'ai entendu des coups de feu et vu des hommes s'enfuir il est venu personne chez moi et j'ignore où peuvent être partis les fuyards. Je n'ai rien entendu pendant la nuit."Monsieur Vassier Ferdinand, 61 ans, Maire de Claveyson: "Ce jour, vers 8h30, Figuet Léon m'a prévenu qu'un colis parachuté se trouvait au quartier du Pilon, après m'en être assuré j'ai tout laissé en place et vous ai téléphoné. J'ignore ce qui s'est passé par la suite. A ma connaissance il n'y a pas de camp de réfractaires ou de terroristes dans ma commune. Je n'en connais pas dans les environs." Je me rends à St-Vallier auprès de notre ami Dupont, l'électricien afin de savoir qui a pu donner ce coup de téléphone. Le cafetier du coin nous apprend qu'un type qu'il n'avait jamais vu est descendu du car de St-Donat et a effectivement donné un coup de fil depuis la cabine. IL est reparti immédiatement après pour prendre un train en direction de Lyon. Le chauffeur du car devait confirmer que ce type était bien monté à St-Donat et qu'il n'avait parlé à personne durant le trajet. Lorsque j'ai eu connaissance du rapport de gendarmerie, je me suis rendu sur le terrain et aux environs immédiats pour situer exactement où le colis a été trouvé. J'ai constaté que celui-ci était tombé près d'une ferme à peu près à un kilomètre du lieu de parachutage il avait dû être largué le dernier et j'apprenais par la suite qu'il ne contenait que des vêtements. Renseignements pris, Londres ne nous avait bien envoyé qu'un avion, les deux autres étaient destinés aux départements de l'Isère ou de la Savoie, ce qui explique leur arrivée par l'est. Les équipes n'étant pas au rendez-vous, et guidés par nos balises, ils sont venus larguer leur marchandise sur notre terrain la rapidité de la dernière opération indiquait aussi qu'ils avaient fait beaucoup de chemin en trop. Nous avons d'ailleurs eu plusieurs cas semblables, en particulier sur le terrain permanent de Saint-Agrève en Ardèche qui était balisé toutes les nuits. C'était donc le dernier parachutage sur Chlore car après tous ces incidents, je l'ai rayé du cadre de mes opérations. 26 avril:"J'entends chanter les cigales" à l'émission de 13h15 de la B.B.C., message signifiant qu'une opération est prévue pour le soir même sur le terrain "Acier" situé à Lanas, à une dizaine de kilomètres au sud d'Aubenas et de Vals-les-Bains. Comme c'est l'habitude, dans l'heure qui suit la réception d'un message nous concernant, je retrouve mes coéquipiers Constant dans la cuisine du bar Marius dont le patron Junique est le quatrième mousquetaire de notre groupe. A mon arrivée tout le monde a un sourire entendu car une pluie diluvienne s'abat sur Valence et dans ces conditions le parachutage a très peu de chance de pouvoir être réalisé. Cette question de météorologie a toujours été une source de contre temps pour nos opérations car il peut faire beau à Londres où les décisions sont prises tandis que la tempête souffle sur notre région et les Anglais n'ont aucun moyen d'en être informés. Il arrive donc que des avions ayant décollé sous un ciel clair rencontrent en route un orage épouvantable qui les oblige à faire demi-tour. Dans l'ignorance de cette perturbation ou ne sachant pas si nos visiteurs prendront ou non le risque de passer, il nous arrive de nous morfondre vainement sur le terrain pendant des heures sous les intempéries. Mais la pluie n'est peut-être que passagère et de toute façon il faut attendre la confirmation de l'opération à l'émission de 21h15. Nous irons l'écouter le plus prés possible du terrain et nous avons pour cela deux possibilités: le restaurant Croze à Aubenas qui nous héberge souvent au retour et où l'on peut garer notre camion, ou l'Hôtel de la Poste à Vals, chez Mr et Mme Henri Champel chez qui nous trouvons toujours un accueil chaleureux. Nous optons pour cette dernière solution (où nous retrouvons Etienne) mais à l'heure dite, le message ne vient pas. Ne pouvant être de retour chez nous avant le couvre-feu, nous devons passer la nuit à Vals et pour meubler notre soirée nous décidons d'aller au cinéma voisin de l'hôtel. A cette époque le spectacle n'était pas permanent et l'on ne faisait remarquer quand on dérangeait les spectateurs en arrivant en retard. C'est notre cas ce soir et nous gagnons le plus discrètement possible trois fauteuils au fond de la salle, près d'une porte de secours car dans notre situation on peut toujours avoir besoin de s'échapper rapidement. A peine sommes-nous installés qu'un mouvement imperceptible se fait sentir et bientôt nous voyons des ombres gagner la sortie à la queue leu leu. Le film vient à peine de commencer et il n'est pas normal que des spectateurs s'en aillent sans raison apparente alors qu'ils ont payé leur place dans l'intention d'assister à la séance. Notre méfiance est aussitôt éveillée. Malgré nos airs décontractés nous sommes des hommes traqués et notre vigilance ne se relâche jamais. Après une rapide concertation à voix basse, nous décidons d'attendre un peu sans bouger et de nous éclipser avant la fin. Dehors, nous ne remarquons rien d'anormal et nous allons nous coucher sans connaître seulement le titre du chef d'oeuvre que nous avions manqué. Le lendemain matin, tandis que nous prenons notre petit déjeuner dans un coin du bar, un client s'approche du comptoir en nous observant à la dérobée et parle bas à Mme Champel. Après son départ, notre amie vient à nous, un sourire amusé sur les lèvres et nous raconte que ce monsieur avait pris Etienne pour le commissaire principal de Privas, venu justement enquêter sur l'exécution d'un collaborateur de la ville par la Résistance. La veille au soir ce brave homme se trouvait au cinéma quand nous y sommes arrivés et il a donné l'alerte. Craignant une rafle à la sortie, tous les hommes qui n'étaient pas tout à fait en règle ont préféré abandonner la séance plutôt que de s'exposer à un contrôle. Nous nous étions fait peur mutuellement, ce qui illustre l'état d'esprit de la population française à cette époque, chacun se méfiant de son voisin et vivant dans la criante perpétuelle d'être interpellé par la police de Vichy, la Milice ou les Allemands. 30 avril: Les sirènes mugissent, l'alerte est donnée, les forteresses alliées attaquent le terrain d'aviation de la Trésorerie qui sert de bases aériennes à l'aviation allemande, près de Valence. Un chasseur américain "mustang" est touché par la D.C.A., le pilote, le lieutenant Freed W.Goyer, matricule 0.2044.172 de l'américan eight air force head quarters, saute en parachute et atterrit près du Rhône à pont de l'Isère, dans la propriété de Mr Figuet, qui le camoufle immédiatement dans une ferme inhabitée et lui donne des vêtements civils. Figuet avertit la Résistance et Marcel Brunet de St-Barthélémy de Vals vient me prévenir. Le lendemain, 1er mai 1944. Avec "la Cloche" (Marc) et "le Boxeur" (Marius) nous partons en camion récupérer l'aviateur. L'américain se trouve à mes côtés dans la cabine. "La Cloche" et "le Boxeur" sur le plateau arrière quand nous sommes arrêtés par un barrage allemand à l'entrée de Bourg-les-Valence. Un gradé, parlant très bien français, me demande les papiers du camion et l'Aussweis, constatant que le camion appartient aux Ponts et Chaussées et que tout est en règle, il nous laisse passer, sans plus. Une fois repartie, l'aviateur me fait signe avec le pouce en l'air de la main droite, qui doit signifier "formidable" et respire un bon coup il est hébergé quelque temps chez moi, avant que je le confie à ceux qui pourront lui faire regagner sa base à la faveur d'un atterrissage clandestin dans le département du Vaucluse. La série noire continue: France Bastiat, agent des P.T.T. à Valence, qui me communiquait toutes les conversations téléphoniques, interceptées au Central par Mme Wilmes entre la police, la Milice et les Allemands, est arrêtée par la Gestapo le 17 mai 44 en même temps que son receveur Pierre Gateaud qui sera fusillé le 9 juin 44 par les nazis à Communay dans l'Isère. Quant à Bastiat, il trouvera la mort dans le train qui l'emmenait en déportation en Allemagne. J'apprends également que le chef de la Mission d'Union, Pierre Fourcaud alias "Lucas" et "Spere" a été arrêté le 19 mai. Plus tard il pourra faire le récit détaillé de son aventure. La veille de son arrestation il s'était rendu à l'hôtel Million à Alberville dans la Haute-Savoie. A son entrée dans la salle du café, Madame Million laissa tomber bruyamment le plateau qu'elle transportait pour attirer son attention et lui fit signe que l'endroit était malsain pour lui. Il se retira aussitôt. Mais le sort était jeté et le lendemain la Gestapo le surprit lors d'une réunion qui avait lieu au premier étage du magasin de photographie Raymond Bertrand. Quand les Allemands firent irruption, tous les Résistants sauf le colonel Fourcaud, sautèrent par la fenêtre donnant sur la cour. Lui, choisit la fenêtre donnant sur la façade du magasin, sous une rafale de mitraillette. Une balle l'atteignit à la pommette droite et lui fracassa la mâchoire. Etourdi, sa chute fut amortie par la toile du store qui le fit rebondir dans la rue où il se fractura plusieurs côtes. Le temps de reprendre ses esprits, la Gestapo était sur lui. On le transporta d'abord pour les premiers soins à l'hôpital de Chambery avant de le transférer, car les Allemands connaissaient parfaitement l'importance de leur prise, à l'hôpital de la croix Rousse à Lyon. Il se retrouva en compagnie d'autres prisonniers blessés, dans une salle commune dont toutes les issues étaient gardées par des hommes en armes. Le colonel ne pense pourtant qu'à s'évader. Réfléchissant, le regard fixé sur le sol carrelé, il a soudain une idée: pourquoi ne pas essayer de sortir par là ? Aussi rapide que sa pensée, il se met aussitôt au travail pour desceller un carreau. Dessous, il devrait trouver une couche de mortier, elle même recouvrant une couche de sable. A cette époque on ne faisait pas encore de dalles en béton armé. A l'aide d'une fourchette, il entreprend un travail minutieux qu'il doit effectuer prudemment entre les rondes de gardiens. Comme il le prévoyait il atteint le mortier, puis le sable, qu'il dégage. Que va-t-il découvrir ensuite ? Quelle aubaine ! Ce sont des planches qu'il sera possible de scier et de briser. Plusieurs carreaux enlevés doivent permettre le passage d'un homme. Les compagnons du colonel ont suivi cette opération avec l'intérêt que l'on pense et ils lui proposent de l'aider. A tour de rôle ils se mettent au travail et avec beaucoup de patience, de temps et d'émotions viennent à bout du plancher. Dessous, il y a une cave servant de débarras. Ils y jettent les gravats, les débris de bois et réajustent les carreaux pour dissimuler le trou qui représente maintenant tous leurs espoirs. La nuit venue, entre les rondes qui se succèdent toutes les deux heures, ils tenteront l'évasion. Un gros problème se pose ! L'un des prisonniers est atteint de gangrène gazeuse à une jambe et un autre est aveugle. Comprenant qu'ils seraient des fardeaux pour leurs camarades, ces deux braves décident de rester. Ils préviendront les Allemands le plus tard possible de l'évasion. Sortir de la cave ne présente pas de difficultés pour les neuf rescapés et chacun choisit sa destination. Le colonel Fourcaud joint son "contact" qui le conduit immédiatement dans une cache à St-Etienne. Mais la Gestapo ne renonce pas facilement à une proie aussi importante et entreprendra des recherches minutieuses en quadrillant toute la région. Pour s'y soustraire, le colonel Fourcaud va utiliser la ruse. IL sait que les Allemands ont connaissance, on ne sait comment, du message, pré-avis que lance la radio de la France-Libre à l'intention du Groupe "Mission Union". Par liaison radio il demande à Londres de le diffuser sur les ondes. Si bien que les Allemands entendant quelques jours plus tard: "de chapeau à culotte: les trois culottes sont bien rentrés au bercail. Nous répétons...etc", sont persuadés que le colonel et deux membres de son groupe ont réussi à quitter la France et ils cessent leurs recherches. Hélas ! Si neuf prisonniers ont retrouvé leur liberté, il n'en a pas été de même pour les deux qui se sont sacrifiés sans se faire d'illusions. Les Allemands les exécutèrent froidement sur leurs lits d'infortune. Je n'ai pu malheureusement connaître leurs noms. Encore des héros qui resteront pour toujours inconnue... Junique m'informe que le radio "Guy" de son vrai nom Menderer demande que l'on joigne de toute urgence Marcel Bac, artisan électricien à Livron, chez qui est dissimulé un poste émetteur afin qu'il évacue immédiatement ce matériel et se mette lui-même à l'abri. Que s'est-il passé ? "Guy" vient d'échapper miraculeusement aux Allemands mais le garçon chargé de le couvrir, surnommé "Gobe-Mouche" a été arrêté. C'est un faible et "Guy" craint fort qu'il parle et révèle où se trouve l'émetteur. Constant arrive sur ces entrefaites à moto et je l'envoie immédiatement chez Marcel Bac pour le prévenir du danger. Malheureusement Constant arrive à Livron en même temps que les agents de la Gestapo qui, accompagnés de "Gobe-Mouche" perquisitionnent chez l'électricien. Ils se saisissent de l'appareil de transmission et embarquent le malheureux au sinistre Port Montluc à Lyon. Il sera torturé et fusillé le 16 juin à St Didier de Formans dans l'Ain. Constant n'a plus qu'à faire demi-tour et il revient me faire son rapport. Il nous faut prendre à notre tour des mesures de précautions car ce "Gobe-Mouche" connait nos rendez-vous au bar Marius et il peut parler encore pour sauver sa peau. Tout le monde n'est pas un héros. De son côté, Guy part pour le maquis du plateau de Combovin où il trouvera une mort atroce dont on trouvera les détails plus loin. Gobe-Mouche sera retrouvé à la libération, emprisonné à la prison St-Paul à Lyon et passé en jugement mais j'ignore la sentence. La mission Union comprend deux agents radios: "Andalou" qui opère en Savoie et "Mayar" qui est dans la drôme. Dès son arrivée en France, ce dernier a commencé ses émissions chez Mr et Mme Rey à Tain l'Hermitage pendant une huitaine de jours. A son départ, Madame Rey lui a offert une croix provençal avec sa chaîne. Il a effectué ensuite des missions dans le Vercors, à St-Nazaire-en-Royans, étant hébergé à la ferme Carra. En ce début mai il se trouve dans une autre ferme à St Hilaire-le-Rosier. Alors qu'il est en train d'émettre des messages à destination de Londres son agent de liaison Léon Ribet fait le guet en gardant les vaches dans un pré voisin. Soudain il aperçoit deux soldats allemands se dirigeant vers la ferme. Aussitôt il vient avertir Mayar qui arrête sur le coup ses émissions, cache sont matériel et les deux hommes se mettent sur la défensive. Les Allemands sont entrés dans la salle commune et demandent au fermier de leur vendre des oeufs. Malgré sa répugnance à fournir de la nourriture aux occupants alors que les français en sont privés, il leur en cède deux douzaines. Poliment les militaires remercient, payent et s'en vont tranquillement. L'alerte a été chaude et peut se renouveler. Mayar décidé de quitter la ferme et dès le lendemain il transporte son émetteur récepteur à St-Marcelin chez Mr et mme Jean Rosny où il reprend son travail. 21 mai: Le printemps s'est installé, l'air est parfumé par les arbres en fleurs, la campagne est paisible. Mayar, Ribet et Rosny, histoire de se détendre un peu, prennent l'apéritif dans un café du village. Ribet a terminé sa mission et le soir même il repart pour St-Nazaire-en-Royans. Le lendemain 22 mai. Rien ne laissant prévoir le drame sanglant qui allait mettre fin brutalement à cette apparente tranquillité. La famille Rosny très unie, jouissait d'un bonheur que seuls connaissent les gens simples et de grand coeur. Dès que la Résistance eut besoin de lui, Jean Rosny n'hésita pas à se mettre à son entière disposition et c'est ainsi que malgré les risques que cela comportait, il avait accepté que l'on installe chez lui le poste émetteur qui nous reliait aux combattants de l'extérieur. Le lieutenant Camille Monnier, alias "Léon" ou "Mayar" qui avait été parachuté le 6 janvier sur "Agonie", habitait sous son toit. Hélas ! La faiblesse d'une homme qui venait d'être arrêté les désigna à la Gestapo. Dès l'arrivée des Allemands, "Mayar" comprit que tout était perdu. Il se laissa arrêter mais alors qu'il s'apprêtait à monter en voiture, il feignit de s'échapper, afin de se faire tuer et être certain ainsi d'emporter les secrets dont il était dépositaire. Jean Rosny tomba également sous les balles ennemies. Grièvement blessé, il mourut quelques jours plus tard dans de terribles souffrances. Après avoir visité la maison, les Allemands se retirèrent en abandonnant sur place les corps des deux martyrs. Madame Rosny fit preuve d'un courage remarquable et s'occupa de l'inhumation de Mayar dont elle ignorait la véritable identité. Les personnes charitables qui firent sa dernière toilette découvrirent la croix provençale de madame Rey, qu'il portait au cou. On lui fit donc des funérailles religieuses. Il était prévu que Mayar devait se rendre dès le 25 mai à Tain-l'Hermitage pour effectuer une mission chez Mr Blache. Le destin en avait décidé autrement. Nous apprenons l'arrestation de l'agent de police Ferrotin affecté au commissariat central qui se trouvait à l'époque au rez-de-Chaussée de la mairie de Valence, côté rue Madier de Nonjaut. Il nous communiquait, par l'intermédiaire de Marius "Junique", les rapports rédigés à la suite d'attentats contre des agents de la gestapo, des collaborateurs ou relatant tous les incidents constatés au cours des rondes de surveillance. Nous connaissions ainsi l'identité des personnes interpellés et Ferrotin nous avait même révélé le code secret utilisé par le commissaire principal Gunzer, fervent partisan de Hitler. Ferrotin nous avait également fourni les empreintes des clés du commissariat et de celles des cellules qui se trouvaient au sous-sol de la mairie, un local possédant deux issues. Il nous avait été ainsi possible de fabriquer des doubles pouvant être bien utiles au cas où l'un de nous serait emprisonné. Cette commodité nous valut un jour un grave problème de conscience: la police venait d'arrêter deux jeunes Résistants qui, par leur allure, avaient attiré l'attention et ils furent incarcérés dans une cellule du commissariat central. Ferrotin vint aussitôt prévenir Junique pour que nous les fassions évader. Une réunion eut lieu pour étudier la question au bar "Marius". Elle comprenait Ferrotin, Junique, Firmin