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L'oeuvre de Michel El Baze: Les guerres du XXe siècle à travers les témoignages oraux   





Henri FAURE

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Etais-je un terroriste ?...

Tome I - 1939 - 1943

GUERRE 1939/1945

- Tome I -1939/1943 - Tome II - 1944 - Atterrissages - Parachutages - Tome III - Le Pont de Livron


PRÉFACE MICHEL EL BAZE

Ce témoignage, véritable anthologie des actions d'atterrissages et de parachutages dans les départements de la Drôme et de l'Ardèche, montre, s'il en était besoin, l'intérêt du "témoignage du témoin, acteur actif" d'événements tous extraordinaires dont beaucoup se targuent et que finalement bien peu ont vécu. Et pour l'Historien, voilà un document dans lequel il pourra puiser et rapprocher d'autres récits qui se veulent véridiques… Le récent ouvrage d'un auteur américain ne décrit-il pas la destruction, par lui-même, du fameux Pont de Livron dont on verra ici l'importance sur les voies de repli des armées allemandes de France ! Henri Faure a voulu situer son témoignage dans le cadre historique et donc "coller" sa propre action sur le terrain aux événements extérieurs, de lui immédiatement perçus ou découverts après la guerre. Ce procédé apporte au lecteur une grande satisfaction, mais, l'Historien pour lequel nous oeuvrons dans cette collection ne retiendra que le vécu, le témoignage de celui qui a fait et qui relate avec sa pleine subjectivité. Alors notre but sera atteint qui est de permettre au chercheur, non seulement de glaner l'événement mais aussi de fouiller l'âme du combattant.
This testimony, a real anthology of the actions of landing and of parachuting in the department of Drome and Ardèche, shows if need be the interest of the "testimony of the witness, active performer" of events all extraordinary, many boast about, and that finally few experienced. And for the historian, here is a document in which he will be able to dig and bring together other accounts which claim to be true. Does not this recent work of an American author describe the destruction by himself of the well known of Livron, whose importance we will see, during the retreat of the German armies from France. Henri Faure has wanted to set his testimony in the historical context and therefore placed alongside his own actions on the ground and the external events, immediately perceived by him or discovered after the war. This technique is very satisfactory for the reader, but the historian for whom we work in this collection will only retain the experience, the testimony of he who did the action and relate it in full subjectivity. We then will have reached our goal, which to allow the researcher, not only to pick up the event, but also to search through the mind of the fighter.

POSTFACE de Michel EL BAZE

Témoin, acteur d'événements tous extraordinaires, Henri Faure les relate avec le souci de la précision, nous faisant vivre notamment de nombreuses opérations de parachutages et d'atterrissages dans les départements de la Drôme et de l'Ardèche qui nous permettent de mieux comprendre ce que fut la Résistance en action sur le terrain. Le récit est une importante contribution à l'Histoire de la Résistance dans notre pays.
Being a witness, a participant of events, all of them extraordinary, Henri Faure relates them with special care for details, sharing among other things the experience of paradropping and landing operations in the Drome and Ardèche, which gives us a better understanding of what was the action of the Resistance movement on the ground. This story is an important contribution to the History of Resistance in our country.

AVANT - PROPOS DU TÉMOIN

Je n'ai pas la prétention, dans les lignes qui vont suivre, de faire l'apologie de la Résistance, ni d'écrire son histoire. D'autres l'ont fait avant moi, avec plus ou moins d'exactitude, parfois hélas à travers des récits fantaisistes. Cependant il me semble que le sujet constitue encore une sorte d'énigme pour beaucoup de Français et particulièrement pour les générations de l'après-guerre. C'est pourquoi je me résous, après quarante années de silence à apporter le témoignage de ma propre expérience, en espérant qu'il contribuera à faire mieux comprendre les motivations qui animèrent ces hommes et ces femmes anonymes que l'on a appelé depuis "les soldats de l'ombre" et qui, pour beaucoup d'entre eux, ont fait de la Résistance comme monsieur Jourdain faisait de la prose. Pourquoi suis-je devenu un Résistant ? Un terroriste ? Ma réponse est simple : je ne pouvais accepter l'idée que ma patrie fut envahie et mise en esclavage par l'Allemagne avec la complicité de certains Français l'abolition de la République m'était insupportable. Les personnes qui lisent des livres sur la Résistance Française, qui nous regardent lorsque nous défilons et que nous nous recueillons devant nos monuments commémoratifs, n'imaginent pas comme nous étions jeunes à l'époque elles ne savent pas non plus que sans la jeunesse des années quarante, il n'y aurait pas eu de Résistance. Quand on a de vingt à quarante ans on ne se résigne pas, on n'abandonne pas la patrie sans essayer de sortir de l'abîme. Dès l'âge de raison on a compris que la vie est un jeu où seuls les lâches crient "Pouce" et où les autres se donnent au combat sans réfléchir. Maintenant les James Bond, les O.S.S. 117, les espions venus on ne sait d'où, certains récits romancés de ce qu'a pu être notre action, présentent une image de la Résistance qui n'a rien de commun avec ce que nous étions en ce temps-là. C'est pour cela que je rapporte chronologiquement les faits tels que je les ai vécus, les réactions qu'ils m'ont suscité ainsi que celles de mes amis, sans pour cela prendre position pour ou contre un quelconque parti politique. Je ne citerai pas les noms des exécuteurs, des traîtres à la patrie. Ce serait leur faire trop d'honneur et en outre cela risquerait de rouvrir des blessures mal cicatrisées ou de porter atteinte à l'honneur et à la mémoire de Français ayant eu une conduite irréprochable. L'anecdote suivante en donnera un exemple frappant : une de mes connaissances était favorable à la Résistance et, malgré ses cinquante ans, cet homme faisait partie des premières équipes de réception des parachutages. Un soir, pendant que nous attendions l'arrivée d'un avion, il me prend à part et m'informe que son fils unique, âgé de vingt ans, vient de s'engager dans la milice malgré l'opposition de toute la famille. Il me demande alors quelle attitude il doit adopter vis-à-vis de lui. Cette révélation me met dans un cruel embarras ! Je lui conseille d'être très prudent dans ses conversations avec son fils. Un mot lâché et c'est la catastrophe. Je lui fais bien comprendre qu'il y va de l'intérêt de la Résistance. Je relâche peu à peu mes contacts avec lui. Mais au fil des jours, ce fils indigne, attiré sans doute par la facilité de la vie et l'appât du gain, collabore entièrement avec la Gestapo, dénonce et fait arrêter des patriotes. La Résistance décide alors de son exécution et par un bel après-midi, sa vie se termina au coin d'une rue. Quelle immense douleur pour le père et la mère lorsqu'ils apprirent la triste fin de leur fils unique abattu par la Résistance à laquelle ils appartiennent. Mais leur désespoir ne leur fit pas perdre la tête, ni même affleurer un désir de vengeance. Sans faiblir ils répondirent aux enquêteurs qu'ils ne se connaissaient aucun ennemi. A quelque temps de là, je dus reprendre contact avec le père. On avait besoin de ses services. La rencontre que je redoutais, ne sachant pas très bien quelle contenance prendre, fut pour moi un exemple d'abnégation et de dignité. Venant vers moi dès qu'il m'aperçut, il me tendit franchement la main, serrant fortement la mienne. Les larmes aux yeux, il prononça lentement ces mots : "Il l'a bien cherché…". Puis un court silence suivit. Je le mis au courant de ce que nous attendions de lui. Il accepta aussitôt. Bien que cette opération mit sa situation en danger, il me donna tous les renseignements que je désirais, payant même de sa personne car il vint ouvrir la porte de la cartoucherie nationale dont il assurait le gardiennage à un groupe de Résistants sans se douter que parmi eux se trouvait l'exécuteur de son fils. Heureusement qu'ils s'ignoraient mutuellement et que cette opération s'effectua la nuit et dans un silence absolu. Ce récit prouve également qu'il faut parfois taire les noms de certains qui pourtant, devraient être au tableau d'honneur de la Résistance. Mais les humbles soldats de l'ombre n'intéressent pas l'Histoire.
In the following lines, I not aim to do a praise of the Resistance movement, nor to write its history. Others did it before me, more or less accurately, sometimes, unfortunately, through fancy stories. Nevertheless, it seems to me that the subject still represents a kind of enigma for many French people, and particularly for the post-war generations. That's why I have decided after 40 years of silence to bring the testimony of my own experience, hoping that it will contribute to a better understanding of the motivations which prompted those unknown men and women, who were called the "Soldiers of Darkness", and many of whom did some Resistance without even knowing it. Why have I become a Resistant ? a terrorist ? My answer is easy : I could not put up with the idea of having my country invaded and reduced to slavery by Germany and with the complicity of certain French men, the abolition of the Republic was unbearable to me. The people who read books about the French Resistance movement, who see us when we parade and when we stand in meditation in front of our war memorials, do not imagine that we were young at the time, and that without the young people of the forties there would not have been any Resistance. When one between twenty and forty years old, one does not give up, does not abandon his homeland without trying to drag it out of the pit. As soon as one comes at the age of discretion, one understands that life is a game, where only the cowards shout "STOP", and where the other devotes themselves fighting without thinking. Now the James Bond, OSS 117, the spy coming from we do not know where, some fancy stories about our action, convey an image about the Resistance that has nothing in common with what we actually were at that time... That is why I chronologically relate the facts, just as I experienced them, the reactions they prompted in me, and among my friends, without in any way taking a stand for or against any political party. I will not quote the names of the executioners, of the traitors to their country,. That would be setting too much store by them, and moreover, it might reopen wounds not completely healed, or to mar the honour and the memory of French people whose behaviour has been spotless. The following anecdote will give a striking example of that, somebody I knew was in favour of the Resistance and despite the fact that he was fifty, this man was a member of the first teams for the reception of para droppings. One evening while we were waiting for the arrival of a plane, he takes me aside and tells me that his only sons has joined the Militia, despite the opposition of the whole family, he then asks me what his attitude should be towards him, that revelation puts me in a difficult situation ! I advice him to be careful when talking to his son. A single word might escape and it would be a catastrophe. I stress the point that it is in the interest of Resistance. My contacts with him gets less frequent, but as time goes by, this shameful son, attracted by easy life, and greed collaborates completely with the Gestapo, gives up his fellow citizens and have then arrested. The Resistance movement then decides of his execution, and one sunny afternoon, his life ended at a street corner. The pain of the father and the mother was immense when they heard the sad end of their only son shot by the Resistance movement which they belonged to. Their despair did not drive them crazy, nor any feeling of revenge went through their mind. Without faltering they answered to the investigators that they did not know of any personal enemies. Some time later, I had to get in touch again with the father. We needed his services. This encounter that I dreaded, as I did nit know how to behave was for me an example of abnegation and dignity. He came towards me as soon as he saw me, and put forward his hand, shaking strongly mine. His eyes filled with tears he slowly said to me : "He looked for it..."Then there was a short silence. I informed him of what were expecting from him. He accepted straight away, although this operation was putting his situation in jeopardy, he gave me all the information I needed, involving himself personally, as he came to open the door of the national ammunition store after which he was looking, to a group of Resistants, without knowing that the executioner of his son was among them. Hopefully they did not know each other, and this operation took place at night and in complete silence. This account shows that it is sometimes necessary to keep quiet the name of some people, who should be, though stand high on the list of the Resistance movement. The humble soldiers of darkness are of no interest for history, though.



AVERTISSEMENT


Tous les faits que je rapporte dans cet ouvrage se sont déroulés dans les départements de la DROME et de l'ARDÈCHE, ou dans d'autres lieux, mais ont toujours eu pour acteurs ou témoins des gens ayant directement participé à la Résistance. Je m'excuse si j'ai omis de mentionner tel ou tel groupement de Résistance qui a pu exister dans ces deux Départements. Je me suis borné à raconter ce que je connais, à parler des personnes avec qui j'ai été en rapport et des événements auxquels j'ai été mêlé directement ou indirectement. Je sais qu'un grand nombre de patriotes ont accompli du bon travail, dans la discrétion, sans bruit, pour la FRANCE. Je prie tous ceux qui ont été involontairement oubliés de ne pas s'en formaliser et leur exprime mes regrets de ne pas les avoir connus.

REMERCIEMENTS

Je remercie bien vivement le Colonel René FANGET

et Monsieur LA FICIRELLA conservateur du Musée de la Résistance de VASSIEUX-EN-VERCORS pour les documents, qu'ils ont mis à ma disposition et particulièrement le Journal de Marche du Capitaine Jean RUEFF.

H. F.
 

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1939-1943

AVANT-GUERRE

LE FRONT POPULAIRE

Pour bien comprendre les racines profondes de l'esprit de Résistance, il est utile de dresser un panorama rapide du climat politique de la FRANCE et du monde dans les années qui ont précédé la guerre, car deux camps étaient déjà en présence et rendaient inéluctables les événements qui ont suivi. 1936. Les partis de gauche viennent de s'entendre sur un programme commun, pour les élections législatives et constituent le "Front Populaire". Ils obtiennent la majorité à l'Assemblée Nationale; le Gouvernement SARRAUT démissionne et est remplacé par un Gouvernement LEON BLUM le 5 Juin 1936. Aussitôt la lutte ouvrière se déclenche : grèves, occupations d'usines, le tout se terminant, avec l'appui du Gouvernement, à l'avantage de la classe ouvrière et de tous les salariés qui obtiennent la semaine de quarante heures et les congés payés.

LE TEMPS LIBRE

Désormais tous les travailleurs disposent de la journée du Samedi et se trouvent un peu désorientés ; ils ne savent que faire. Etant dans ce cas, avec plusieurs camarades, nous décidons de créer un "MOTO-CLUB". Le Président en était MATHON (NANO) et j'assurais le Secrétariat. Puis nous créons un club "SKI ET MONTAGNES" dont je fus nommé Président, le Secrétaire étant PERARO (le fils). Toutes ces précisions peuvent paraître banales mais ont de l'importance pour suivre l'évolution psychologique des personnages que l'on retrouvera dans ce récit et l'enchaînement des circonstances qui ont entraîné ces hommes tranquilles à jouer un rôle actif dans la tragédie de la seconde guerre mondiale. Le "MOTO-CLUB" comprenait une trentaine d'adhérents provenant de tous les milieux sociaux : P.T.T. ; P.L.M. (chemins de fer PARIS-LYON-MEDITERRANEE). Parmi eux, Louis SAILLANT, ancien camarade d'école qui était Secrétaire de la C.G.T. et qui devint par la suite membre du Conseil National de la Résistance. Avec ce club, nous avons visité le Département de la DROME et aucune route, aucun chemin, n'avait plus de secret pour nous. Nous connaissions tous les moyens d'accès du VERCORS. I, forêt de LENTE, plateau de COMBOVIN, Col de la VACHERIE. Pour l'ARDECHE ce fut à peu près la même chose et le GERBIER DE JONC, le lac d'ISSARLES, le Col de l'ESCRINET et bien d'autres, firent l'objet de belles randonnées. Le club "SKI ET MONTAGNE" réunissait une trentaine de membres, en particulier des agents du Service des Téléphones des P.T.T. qui nous rendaient de précieux services en nous donnant, au moment des départs vers les champs de neige, la situation de l'enneigement et de l'état des routes. Parmi eux je citerai BASTIAT France qui fut arrêté et fusillé par les Allemands de la Gestapo en 1944. Les moyens de transport individuels n'étant pas répandus comme de nos jours, nous effectuions nos déplacements en train ou en car ; de ce fait notre champ d'action était limité et nous allions au plus près de VALENCE, le massif du VERCORS étant à 70 km. Le 18 Décembre 1937 fut le jour de notre première sortie en car pour la ferme de la prairie d'HERBOUILLY en VERCORS, que le propriétaire M. Alfred ROCHE, avait transformé en une accueillante auberge. (Elle fut en 1944 le P.C. de Jean PREVOST; et détruite par les Allemands en Juillet de cette même année). Quand on y accédait en skis par VILLARS de LANS, on passait obligatoirement par le belvédère qui domine VALCHEVRIERE; celui-ci fut le témoin de combats très durs, livrés par le groupe CHABAL qui n'eut pas un seul survivant. Les nazis détruisirent le petit village à100 %. D'autres sorties furent organisées au plateau de BEURRE qui domine le Col du ROUSSET (VERCORS). L'accès en car se faisait par les grands goulets et par un itinéraire qui desservait : les BARRAQUES-EN-VERCORS, la CHAPELLE-EN-VERCORS, la BRITIERE (où était installé en 1944, à l'ancienne laiterie, le Centre Radio et de Parachutages du VERCORS (S.A.P.) sous les ordres de Robert BENNES dit "Bob", au lieu-dit le ROUSSET. Entre ces deux villages, à 800 mètres à gauche, se trouve la grotte de "LA LUIRE" qui fut le théâtre d'un affreux massacre par les troupes allemandes lors de l'invasion du VERCORS en Juillet 1944. Le Col du ROUSSET était le terme de notre transport en car, aussi montions-nous à pieds jusqu'au plateau de BEURRE. A cette époque, il n'y avait pas de remonte-pentes. Au retour, nous retrouvions le chauffeur du car chez "BORDAT", un café installé dans un wagon. Les propriétaires étaient très accueillants et nous servaient d'excellents vins chauds. Ils rendirent d'immenses services à la Résistance et tous les maquisards du VERCORS connaissaient la "MERE BORDAT" qui est devenue légendaire.

LE PACTE GERMANO-SOVIETIQUE

Mais le temps passe. Le Gouvernement de "Front Populaire" connaît des difficultés qu'il ne peut surmonter et démissionne le 27 Juin 1937, il a vécu un an et six mois. Me souvenant des manifestations qui avaient eu lieu à l'époque de son avènement dans ma bonne ville de VALENCE et qui rassemblaient, pour une population de 45 000 âmes, des dizaines de milliers de manifestants chantant l'INTERNATIONALE, j'avais le sentiment que la Gauche était sérieusement installée en FRANCE et que ses partisans défendaient leur Gouvernement avec autant d'ardeur qu'ils en avaient apporté à son avènement. Cependant, depuis Janvier 1933, HITLER était devenu le maître de l'ALLEMAGNE, il avait rompu avec la Société des Nations de GENEVE et prenait la liberté de réarmer l'ALLEMAGNE, au mépris des termes du Traité de Versailles sans aucune réaction de la part des autres nations, dont la FRANCE, qui était pourtant la première intéressée. Les années qui ont suivi m'ont fait comprendre que les rassemblements de masses ne prouvent rien, la chronologie des faits le démontre : le Gouvernement BLUM est remplacé par celui de CHAUTEMP, du 27 Juin 1937 au 18 Mars 1938, jour où il démissionne. De nouveau Léon BLUM prend la direction du Gouvernement mais pas pour longtemps, 28 jours exactement et il démissionne à nouveau le 10 Avril 1938. Il laisse sa place à DALADIER qui forme à son tour un Gouvernement et demande les pleins pouvoirs à la Chambre des Députés élue en 1936, qui les lui accorde à la majorité. Mais où sont donc les manifestants de 1936 ? La peur du gendarme leur interdit-elle toute réaction ? Je cherche à en connaître les causes : la RUSSIE Soviétique et l'ALLEMAGNE hitlérienne sont au mieux : l'U.R.S.S. permet l'entraînement des troupes de HITLER en territoire soviétique avec des chars russes. Les conditions de l'Armistice du 11 Novembre 1918 et les conventions signées à GENEVE dans le cadre de la Société des Nations interdisant à l'ALLEMAGNE de posséder une armée, une aviation et une marine de guerre. Le 19 Août 1939, l'ALLEMAGNE et l'U.R.S.S. signent un accord commercial et financier. Le 23 Août 1939 signature à MOSCOU d'un pacte d'amitié et de non-agression germano-soviétique, alors que le même jour, HITLER décide avec ses Généraux l'attaque de notre alliée la POLOGNE, avec laquelle nous avons un pacte d'assistance mutuelle. Le 25 Août 1939, le Gouvernement français rappelle les troupes de couverture du Nord et de l'Est, ainsi que les spécialistes, dont je fais partie. Le 1er Septembre 1939, à 1 heure 45, les troupes allemandes lancent une offensive générale contre la POLOGNE. Le 3 Septembre 1939, la FRANCE qui mobilise 6 millions d'hommes et la GRANDE-BRETAGNE, lancent un ultimatum à HITLER pour obtenir le retrait des troupes allemandes de POLOGNE, puis déclarent la guerre à l'ALLEMAGNE. A la suite de ces événements, il était très difficile au Gouvernement français d'admettre dans le pays un parti allié à HITLER par l'intermédiaire de la RUSSIE, d'où dissolution du Parti Communiste Français, le 26 Septembre 1939. Cette mesure s'avérait justifiée puisque Maurice THOREZ, membre influent du Parti Communiste, mobilisé à CHAUNY (AISNE), désertait son unité le 6 Octobre 1939 pour rejoindre l'U.R.S.S. alliée de l'ALLEMAGNE. Il fut condamné à mort le 25 Novembre 1939 par le Tribunal Militaire d'AMIENS pour désertion.


1940

LA GUERRE

LA DÉBACLE

Je n'insisterai pas sur la "drôle de guerre" marquée par l'immobilisme de l'armée française, se croyant à l'abri derrière la ligne MAGINOT et la préparation intensive de l'armée allemande. Il ne se passa pratiquement rien sur le plan opérationnel pendant près d'un an. Je ne parlerai donc des péripéties de ma guerre que pour préciser qu'étant à ETOGES (MARNE) le 9 Juin 1940 avec PERARO (le fils) et DURON Emile pour dépanner les chars du groupement PROST-TOULAND, le Lieutenant SEPTIER nous apporta un ordre de repli sur ORBAIE-L'ABBAYE (MARNE) afin de rejoindre le gros de notre unité. Là, nous avons rencontré ECHALLIER, MONET, SIMONET, originaires de LYON. C'était le commencement des mouvements successifs dénommés par notre Etat-Major en un heureux euphémisme, "Replis Stratégiques" et qui se terminèrent pour nous à CANIAC (LOT) après que fut signé l'Armistice par le Général HUNTZIGER, le 22 Juin 1940 à RETHONDES. Ici se place un petit fait qui me parut alors de peu d'importance. Au cours d'un mouvement sur la base de BELABRE (INDRE) le 18 Juin 1940, où nous arrivions dans la nuit, les habitants nous apprennent qu'un Général français dont ils n'ont pas retenu le nom, a lancé un appel à la Résistance sur les ondes de la radio anglaise. Je restais sceptique à cette nouvelle, ayant perdu à peu près toutes mes illusions. Je me remémorais avec amertume la période 1936-1939, la défaite qui se transforma en débâcle militaire d'autant plus douloureuse que l'on nous avait trompé sur nos véritables possibilités. Je me souvenais de ces affiches qui proclamaient : "Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts "ou" Avec notre vieille ferraille nous forgerons l'acier victorieux". Ce scepticisme est encore conforté quand nous apprenons par ouï-dire dans notre cantonnement que la flotte anglaise de la MEDITERRANEE a demandé à une partie de la flotte française mouillée en rade de MERS-EL-KEBIR de rejoindre les ports britanniques et que devant notre refus les marins anglais n'ont pas hésité à ouvrir le feu sur nos unités, le 3 Juillet 1940, causant de nombreuses victimes parmi les équipages.C'est du village de VERS (LOT) que le 8 Juillet 1940, je fus démobilisé et selon l'expression consacrée, renvoyé dans mes foyers. Avec angoisse ma famille attendait de mes nouvelles. Elle était dans l'ignorance de ma situation depuis deux mois et toutes les suppositions étaient possibles. Aussi, c'est avec soulagement qu'elle me vit arriver. Je repris peu à peu contact avec la vie civile. On ne parlait que de cette drôle de guerre, des absents, dont on se demandait ce qu'ils étaient devenus : étaient-ils prisonniers ? Etaient-ils morts ? Au fur et à mesure que les jours passaient, beaucoup de familles voyaient leurs espoirs s'évanouir. Je m'informais de tous mes amis, aucun d'eux n'avait été fait prisonnier. Ils étaient tous rentrés sains et saufs et lorsque nous nous rencontrions, nous parlions de l'ALLEMAGNE victorieuse. Que va-t-elle nous imposer ? Quelle sera la réaction du Gouvernement de VICHY ? Certains bénissaient PETAIN d'avoir mis fin à cette guerre ! Les réponses à toutes ces questions n'allaient malheureusement pas tarder à être connues. Pendant que se déroulait notre "repli stratégique", la FRANCE avait vécu de durs moments historiques. Devant la poussée irrésistible de l'armée allemande en direction de PARIS, le Gouvernement Paul REYNAUD abandonna la capitale pour se réfugier, le 10 Juin 1940 à TOURS. C'est alors que profitant de notre défaite, l'ITALIE nous déclarait la guerre ce même jour. Le 12 Juin, le Général WEYGAND déclarait PARIS ville ouverte afin d'éviter une destruction inutile et dans la soirée du 13 Juin les unités allemandes atteignaient PANTIN, AUBERVILLIERS et BONDY. Le Général allemand Von STUTNITZ établit son Quartier Général à l'hôtel "GRILLON" à PARIS, sur lequel flottait le drapeau à croix gammée, amer symbole d'une réalité que les passants avaient encore du mal à admettre, tant elle était pour eux surprenante et inexplicable. C'est là qu'il convoqua le Général DENTZ, Gouverneur Militaire de PARIS, lui ordonnant de se présenter devant lui le 14 Juin à 16 heures. Le Gouvernement PAUL REYNAUD devant une telle situation remet sa démission au Président de la République Albert LEBRUN le 16 Juin 1940 à 20 heures. Celui-ci convoque alors le Maréchal PETAIN et lui demande de former un nouveau Gouvernement. Son passé militaire glorieux, son autorité morale, le désignaient en effet comme le seul à pouvoir représenter la FRANCE dans la dignité et en imposant à l'ennemi un certain respect. PETAIN présente donc au Président de la République la liste des membres de son Gouvernement (elle était toute prête). Le choix des Ministres ne satisfait pas entièrement le Président mais après quelques retouches il signera le décret de nomination. Mais la politique ne perd pas ses droits. Maurice TREAND, membre du Comité Central du Parti Communiste Français, responsable de la formation des cadres, rentre à PARIS occupé, venant de LILLE où il a appris que le quotidien communiste belge "LA VOIX DU PEUPLE" reparaît à BRUXELLES avec l'autorisation de l'Allemand. Il charge aussitôt deux militantes du Parti, Mesdames GINOLLIN et SCHORD;, d'entrer en rapport avec la Kommandantur de PARIS afin de faire reparaître le journal du Parti Communiste Français, "L'HUMANITE". Le 18 Juin 1940, alors que le Général DE GAULLE lançait son appel à la Résistance sur les ondes de la Radio de Londres, ces deux émissaires ont une entrevue avec le Lieutenant allemand WEBER chargé du Service de la Presse qui se déclare d'accord et demande même que "L'HUMANITE" paraisse le plus tôt possible. Immédiatement la rédaction du Parti Communiste s'affaire, madame GINOLIN alerte l'imprimeur habituel de l'HUMANITE, monsieur DANGON Rue Montmartre à PARIS et lui verse un acompte de 50 000 F. Le 20 Juin à 20 h 30, mesdames GINOLIN et SCHORD rencontrent près du métro SAINT-MARTIN, Maurice TREAND qui leur remet la copie pour le premier numéro mais une rafle de la Police française arrête les trois militants. On trouve sur eux les preuves indiscutables de l'action qu'ils mènent pour la publication de l'HUMANITE et en vertu des décrets d'Août et Septembre 1939 portant sur la dissolution du Parti Communiste et l'interdiction de la parution du journal, les autorités françaises les inculpent et les écrouent le 22 Juin 1940. Sur l'intervention des autorités allemandes, ils sont libérés trois jours après. A sa sortie de prison, Maurice TREAND, aidé par Jean CATELAS du Comité Central du Parti et de l'avocat Robert FOISSIN, membre du Parti, adressent une lettre au Conseiller d'Etat TURNER dans laquelle on relève les termes suivants : " Nous avons été les seuls à nous dresser contre la guerre à demander la paix, à une heure où il y avait quelque danger à le faire, l'HUMANITE, publiée par nous, se fixait pour tâche de poursuivre une politique de pacification européenne et de défendre la conclusion de paix durables "

L'ARMISTICE

La FRANCE, écrasée par les armées allemandes est à la merci du 3ème Reich, elle demande le cessez-le-feu. Le 22 Juin 1940, Adolf HITLER veut que les conditions d'Armistice soient dictées à la Clairière de RETHONDES, sur les lieux mêmes où l'ALLEMAGNE s'est humiliée en 1918. Là, les Plénipotentiaires français, conduits par le Général HUNTZIGER, prennent connaissance des conditions d'Armistice qui, en plus des considérations d'ordre militaire, imposent une "ligne de démarcation" qui coupe la FRANCE en deux parties, l'une dite "Zone Occupée" sous l'autorité allemande, l'autre "Zone Libre" représentant les 2/5ème de notre territoire, où le Gouvernement français doit conserver théoriquement son autorité. Cette ligne comporte des points de passage officiels, strictement contrôlés, que l'on ne pourra franchir qu'avec un "Ausweiss" (laissez-passer), délivré uniquement par les autorités allemandes. Le cessez-le-feu est fixé au 25 Juin 1940 à 0h 35.Alors que pour beaucoup tout semble joué, le Général DE GAULLE, tragiquement seul, s'efforce de rassembler les Français qui se trouvent en GRANDE-BRETAGNE. Pour lui, perdre une bataille n'est pas perdre la guerre, et il va mener son entreprise avec la foi et l'opiniâtreté que l'on sait. Des bâtiments de FORCES NAVALES FRANÇAISES ont rejoint les ports anglais. L'Amiral MUSELIER qui les commande propose au Général DE GAULLE de leur attribuer comme pavillon, un drapeau bleu, blanc, rouge frappé d'une Croix de Lorraine qui deviendra par la suite l'emblème des FORCES FRANÇAISES LIBRES et de la RESISTANCE. Pendant ce temps en FRANCE, le Président Albert LEBRUN convoque les deux Assemblées, la Chambre des Députés et le Sénat afin de réviser les lois constitutionnelles.

L'ARRIVEE AU POUVOIR DU MARECHAL

Les Parlementaires qui répondent à cet appel se réunissent à VICHY le 10 Juillet 1940 en "Assemblée Nationale" et au terme d'atermoiements, de pressions, de discussions et de marchandages de couloirs, il se trouve une majorité de 569 voix contre 80 et 17 abstentions pour accorder les pleins pouvoirs au Maréchal PETAIN, l'autorisant à promulguer par un ou plusieurs décrets la Nouvelle Constitution de l'Etat Français. On ne parle déjà plus de République.

Ce même jour, le Parti Communiste, sous la signature de Maurice THOREZ et de Jacques DUCLOS lance un appel dont il existe deux versions, ce qui provoque beaucoup de discussions à propos des mots ajoutés ou retranchés.

Dès le lendemain, ce qui montre bien que rien n'était improvisé, le Maréchal PETAIN, en vertu des pouvoirs qui lui ont été attribués promulgue trois actes officiels dont le premier décrète : " Nous Philippe PETAIN, Maréchal de FRANCE, Chef de l'Etat Français déclarons assumer les fonctions de Chef d'Etat, ajournons sine-die le Sénat et la Chambre des Députés qui ne pourront plus se réunir que sous notre convocation". Pierre LAVAL était nommé Vice-Président-Successeur. De façon inattendue, le second acte restituait le monastère de la Grande CHARTREUSE (dans le massif du même nom près de GRENOBLE) à ses légitimes occupants, les moines chartreux. Le Gouvernement du Front Populaire les en avait dépossédés. Dans ce nouveau régime, le Président légitime de la République Française, Albert LEBRUN qui réside au Pavillon SEVIGNE à PARIS n'a plus sa place. PETAIN le met devant le fait accompli le 13 Juillet 1940. C'est également en cette veille de la Fête Nationale que "L'HUMANITE" qui reparaît clandestinement publie un article consacré à la "Fraternité Franco-Allemande" On peut y lire : " Les conversations amicales entre travailleurs parisiens et soldats allemands se multiplient et nous en sommes heureux". Je dois dire que ceux de mes amis qui étaient communistes sont complètement désemparés devant la politique de leur Parti. Ils se montrent tous résolus à lutter pour la libération de la FRANCE. Le 16 Juillet 1940, le Gouvernement PETAIN ordonne de remplacer sur tous les actes officiels et sur les bâtiments publics, l'inscription : "REPUBLIQUE FRAN-ÇAISE" par "ETAT FRANÇAIS" et de substituer à la devise "LIBERTE-EGALITE-FRATERNITE" une nouvelle profession de foi : "TRAVAIL-FAMILLE-PATRIE". Des pièces de monnaies sont également frappées suivant ces nouvelles normes, avec pour emblème une francisque et des épis de blé annonçant la désindustrialisation de la FRANCE et le rôle de producteur agricole qui lui est attribué dans "l'Ordre Nouveau" européen. On habillera cela d'une formule bucolique "LE RETOUR A LA TERRE". Cette hâte d'officialiser ce qui apparaît comme un Coup d'Etat, montre bien la crainte d'une possible réaction du peuple français. La République est proprement escamotée, assassinée tandis que les Français sont encore dispersés sur les routes de l'évacuation, que les familles sont dans l'angoisse loin de leurs foyers et que 1 600 000 soldats sont prisonniers. Les Conventions de l'Armistice interdisent bien entendu à la FRANCE le service armé obligatoire mais il faut cependant que les jeunes hommes soient placés sous le contrôle de l'Etat, afin de les utiliser et dans toute la mesure du possible, les endoctriner. C'est pourquoi le Gouvernement de VICHY institue par un décret du 30 Juillet 1940 les "Chantiers de Jeunesse" auxquels sont incorporés les jeunes gens en mesure de faire leur service militaire. Le décret prévoit cependant une symbolique armée dite "d'ARMISTICE" composée de 100000 hommes triés sur le volet, encadrés par 4 000 Officiers tous engagés à long terme. Leur armement sera des plus succinct : pas de mortiers ni de mitrailleuses lourdes. Pas de canons anti-aériens ou anti-chars. L'artillerie se réduit à quelques pièces de "75" datant de 1897. Les munitions sont presque nulles, les moyens de transports inexistants, les aviations civiles et militaires supprimées. Le même jour, VICHY promulgue l'Acte Constitutionnel n° 5 portant sur la création d'une Haute-Cour Suprême à RIOM, chargée de juger et de punir les responsables de notre défaite, tant militaires que civils. Pour l'opinion publique, les choses sont claires : le Haut-Commandement avait des conceptions qui retardaient d'une guerre et les politiciens nous ont trompé, berné par une propagande mensongère. La glorification de notre armée, la sécurité totale de nos frontières, la certitude de la victoire que j'ai entendu claironner avant et après la déclaration de guerre, ont abouti à l'effondrement de notre moral quand la réalité s'est révélée contraire. Le Maréchal PETAIN exploite cet état d'esprit en déclarant : - Je haïs les mensonges qui vous ont fait tant de mal ! Mais je ne comprends pas mieux pourquoi il nous demande d'accepter cette défaite dont je ne me sens pas personnellement responsable, et de ne voir dans nos vainqueurs que de gentils soldats venant nous délivrer de notre malheureuse condition et relever nos ruines. Contrairement à ce que l'on voudrait nous faire croire, les jeux ne sont pas faits, la guerre continue hors de FRANCE, l'ANGLETERRE est confiante dans l'invulnérabilité de son île bien qu'ignorant totalement les intentions de l'ALLEMAGNE pour la poursuite de son offensive.

DANS LA CONFUSION GENERALE

LES POSITIONS SE PRECISENT

La Radio de Londres (B.B.C.) nous informe de la constitution d'un Etat-Major de la FRANCE-LIBRE par le Général DE GAULLE avec tous les services que cela comporte, mis en place par les quelques Officiers français qui ont répondu à l'Appel du 18 Juin. Un 2ème bureau (Service de Renseignements ou S.R.) est créé et son utilité n'échappe pas au Gouvernement britannique car il est important pour lui de connaître les intentions et les mouvements des troupes nazis en FRANCE. HITLER prépare-t-il l'invasion de l'ANGLETERRE ? Le Colonel Pierre FOURCAUD (alias LUCAS ou SPHERE), qui a rejoint DE GAULLE le 15 Juillet 40 sera l'un des premiers à être envoyé en mission en FRANCE, début Août 40. Il regagnera LONDRES le 23 Décembre suivant, rapportant de très importants renseignements sur l'ennemi. En outre, il a pris contact avec des opposants au régime de VICHY, tous favorables à l'action entreprise par le Général DE GAULLE. Cette action, à laquelle personne ne croyait, commence à prendre des dimensions inquiétantes pour VICHY et le 4 Août 1940 le journal "PARIS-SOIR" titre en grande manchette et première page : "Le Général DE GAULLE condamné à mort par contumace". La sentence a été prononcée par le Tribunal Militaire de CLERMONT-FERRAND le 3 Août, à la suite du mandat d'arrêt en date du 27 Juin 1940 lancé par monsieur SAINT-LAURENS, Juge d'Instruction auprès du Tribunal Militaire de la 17ème Région. On relève dans les textes du "Bulletin des Déserteurs et Insoumis" n° 1487 et du mandat d'arrêt de la Police Criminelle. " Mandat d'arrêt contre le dénommé DE GAULLE, Charles, André, Joseph, Marie, inculpé de refus d'obéissance en présence de l'ennemi et de provocation de militaires à la désobéissance. Fait également l'objet d'un mandat d'arrêt en date du 23 Juillet 1940, du Juge d'Instruction Militaire de CLERMON-FERRAND, du chef de trahison et désertion à l'étranger en temps de guerre". Le journal "L'HUMANITE" du 5 Août 1940, de son côté, accuse Paul REYNAUD, DALADIER, BLUM, de "misérables fauteurs de guerre" PETAIN ayant dissous la République agit comme tous les dictateurs, il supprime les institutions républicaines les unes après les autres. Après la Chambre des Députés et le Sénat, il interdit par décret du 20 Août 40 la réunion des Conseils Généraux. Le 28 Août 1940, le Secrétaire Général des "Anciens Combattants" du Gouver-nement de VICHY, Xavier VALLAT, Député de l'ARDECHE, propose à PETAIN de regrouper en une formation unique les anciens combattants. Le Maréchal souhaitait justement pouvoir disposer dans chaque commune de FRANCE d'un homme de confiance Xavier VALLAT lui fait remarquer que la "Légion des Combattants" serait un groupe d'hommes de confiance implantés dans tous les villages. Cette proposition obtient l'agrément de PETAIN qui dissout immédiatement toutes les Associations d'Anciens Combattants et les remplace le 30 Août par la "Légion des Combattants" dont il sera le chef incontesté. Cette légion est un mouvement autoritaire fortement hiérarchisé, elle repose sur l'obéissance, le culte du souvenir, l'attachement au chef, l'esprit de sacrifice. Ses missions sont au nombre de trois : les Légionnaires doivent constituer des liens étroits avec le Gouvernement, avec l'opinion et être les yeux et les oreilles du Maréchal.

SANCTIONS ET REPRESSIONS

CONTRE LES "RESPONSABLES" DE LA DEFAITE

Au début du mois de Septembe le Gouvernement de VICHY décide d'arrêter tous les communistes notoires de la zone libre et de les grouper dans des camps d'internement. Ils serviront d'otages à l'Occupant et beaucoup n'en reviendront pas. Dans un communiqué VICHY revendique l'arrestation de 18 000 anti-gouvernementaux.Les Présidents DALADIER, REYNAUD et le Général GAMELIN sont mis en résidence surveillée le 8 Septembre, suivi le 16 du même mois par le Président Léon BLUM. Le 26 Septembre c'est le tour du futur Président de la République Vincent AURIOL et du Député de la DROME, Jules MOCH qui sont arrêtés et transférés à PELLEVOISIN (INDRE). Ainsi de toutes parts la chasse s'intensifie contre les patriotes de tous bords. Tandis qu'en zone libre le Gouvernement emprisonne ses membres, le Parti Communiste Français par la voix de "L'HUMANITE" du 25 Octobre 40 réclame l'expropriation des grands capitalistes Aryens et Juifs. Le "PETIT PARISIEN" du 26 Octobre 40 publie en première page : "UNE DATE DANS L'HISTOIRE DE LA FRANCE". Le Maréchal PETAIN et le Führer ont eu en zone occupée un entretien décisif pour l'avenir de notre pays à MONTOIRE, le 24 Octobre 1940. Le 9 Novembre, décret de VICHY portant sur la dissolution de tous les syndicats et arrestation de certains militants. Dans les jours qui suivent je suis convoqué au Commissariat de Police et longuement interrogé sur mes activités syndicales, ayant été avant 1936 Secrétaire du Syndicat Autonome des Electriciens à LYON. Heureusement j'avais démissionné en 1936 et de toute façon cet organisme n'avait pas d'attaches politiques, ce qui me valut d'être laissé en liberté et de ne plus être inquiété par la suite à ce sujet. Le 11 Novembre 1940 une manifestation spontanée a lieu au Monument aux Morts de VALENCE, sans incident. Le 30 Novembre, à la suite des manifestations organisées par les étudiants le 11 Novembre sur le tombeau du Soldat Inconnu, les Facultés de PARIS sont fermées pour un temps indéterminé. Pour couronner son oeuvre de démolition en cette année 1940, le Gouvernement de VICHY publiera en Décembre l'Acte Constitutionnel n°6 prononçant la suppression du Parlement et du Sénat. Quand l'hiver arrive, on repense au ski. Des membres de "SKI ET MONTAGNE", dont je suis le Président me demandent de reprendre notre activité. Je prépare donc une réunion générale que j'annonce individuellement et par la presse. Le Commissariat de Police m'adresse aussitôt une convocation à laquelle je me rends et j'ai la surprise de m'entendre dire que notre réunion ne peut avoir lieu, toutes les Associations étant soumises à une demande d'autorisation préalable au Gouvernement de VICHY. Je fais donc ma demande aussitôt mais je ne l'obtiendrai que six mois plus tard. Malgré cela nous nous réunissons clandestinement et nos discussions débordent largement le domaine du sport. C'est ainsi que je peux constater que beaucoup des membres présents ne sont pas d'accord avec les orientations et les méthodes gouvernementales. Personnellement, les événements de cette année 1940 avaient heurté violemment mes sentiments et mes convictions. J'avais été élevé dans le plus grand respect des institutions républicaines dont le département de la DROME était profondément imprégné. Nos ancêtres nous ont laissé en héritage un ardent amour de la liberté et l'on peut encore lire leur testament émouvant sur les lieux mêmes où ils se réunissaient, au village ETOILE, à quelques kilomètres au Sud de VALENCE. L'inscription qui figure sur ce monument aurait pu être gravée en ces jours sombres de la défaite et mérite d'être citée :

LE SERMENT

Le 29 Novembre 1789 à 2 heures de l'après-midi dans la plaine d'ETOILE en Dauphiné et sous les armes. Nous citoyens Français de l'une et l'autre rive du RHONE, depuis VALENCE jusqu'à POUZIN, réunis fraternellement pour le bien de la cause commune, jurons à la face du ciel, sur nos coeurs et sur ces armes consacrées à la défense de l'ETAT, de rester à jamais unis, abjurant désormais toute distinction de Province, offrant nos bras et nos fortunes et notre vie à la patrie et au soutien des lois émanées de l'Assemblée Nationale. Jurons de nous donner mutuellement toute assistance, pour remplir des devoirs aussi sacrés et de voler au secours de nos frères de PARIS ou de toute autre ville de FRANCE qui seraient en danger pour la LIBERTE. Etaient présents par grands détachements les Gardes Nationales de : VALENCE - CHATEAUNEUF d'ISERE- SAINT-MARCEL FAUCONNIERE - PLOUVIER - LORIOL - LIVRON - CLIOUSCLATS - SAILLANS ETOILE - LE POUZIN - BEAUCHASTEL - LA VOULTE. Nous jurons de "VIVRE LIBRE OU MOURIR". Ce serment est renouvelé par l'Appel du 18 Juin 1940. Fidèle à la tradition de mes ancêtres je me sens prêt à répondre "présent" au Général DE GAULLE et la confiance que je lui accorde spontanément ne sera pas trahie car il a établi la République Française et ses institutions démocratiques ainsi qu'il en avait pris l'engagement solennel lors de ses premières déclarations à la Radio de Londres, levant même dès la Libération l'interdit qui frappait le Parti Communiste Français depuis 1939. Mais avant d'en arriver là, combien de sacrifices le peuple français devra-t-il consentir, combien de morts devra-t-il pleurer ? J'écoutais chaque jour, le coeur battant, les émissions de la B.B.C. : "LES FRANÇAIS PARLENT AUX FRANÇAIS" et une Résistance instinctive prenait naissance en moi, née de la hargne et du besoin de dire "NON" à VICHY et à l'ennemi.


1941

LES REALITÉS DE L'OCCUPATION

La vie reprend ses droits et l'on s'adapte tant bien que mal au nouveau régime, certains sont favorables au Gouvernement de VICHY, une majorité garde une prudente réserve, une minorité est contre mais n'ose l'exprimer ouvertement, je fais partie de ceux-là. Le 10 Janvier 1941, les Soviétiques signent à BERLIN, un accord économique avec l'ALLEMAGNE hitlérienne, accord approuvé par les dirigeants du Parti Communiste Français. L'Occupant exige de la FRANCE l'application du cessez-le-feu qui prévoit le ravitaillement de ses troupes par notre pays et opère d'importantes ponctions sur notre ravitaillement lequel est en déficit par suite du nombre considérable d'agriculteurs prisonniers. Le service du ravitaillement général du Gouvernement de VICHY instaure des cartes d'alimentation pour les Français le 15 Janvier 1941. La ration journalière pour chaque citoyen est fixée à : 30,9 grammes de boucherie 10,3 grammes de charcuterie 7,1 grammes de margarine 4,9 grammes d'huile 19,4 grammes de sucre 14,3 grammes de légumes secs 35,5 grammes de pommes de terre quant au pain la ration est abaissée à 300 grammes par jour et par personne à partir du 2 Janvier 1941. Pour le vin, la ration est de 4 litres par mois. Le "Journal Officiel" fixe la composition de "l'ersatz" succédané de café : orge-malt-glands doux-caroubes. Il faut ajouter à tout cela les bons de vêtements, de chaussures… Les femmes ne trouvent plus de bas à acheter. Pour cacher leur misère et préserver leur coquetterie, elles vont faire preuve d'imagination et avoir recours au "système D", réagissant d'une manière bien française. Crânement, en manière de défi et non sans humour, elles se teignent les jambes avec un produit brun rappelant la couleur des bas et pour parfaire l'illusion, vont jusqu'à tracer d'une main sûre un trait de crayon gras imitant la couture. Il n'y a plus de cuir pour fabriquer des chaussures. Là encore la difficulté est tournée : on lance la mode des semelles de bois, formées de lamelles articulées et faisant retentir l'asphalte des trottoirs de trottinements sonores et effrontés. Les bicyclettes roulent comme elles peuvent avec des moyens de fortune mais les motos et les automobiles doivent rester au garage. Il n'y a d'ailleurs plus d'essence. Sur les marchés on commence à trouver des aliments étranges. Les pommes de terres sont remplacées par des topinambours et des rutabagas, réservés jusqu'alors à la nourriture des animaux. On "inventera" un peu plus tard, les andouillettes aux carottes, du boudin ne comportant pas une goutte de sang et des pâtes dont il valait mieux ignorer la composition. Encore fallait-il faire de longues heures de queue pour s'en procurer. Des restrictions atteignent le charbon, le bois, l'électricité. L'industrie est forcément handicapée par la raréfaction des matières premières et il faut faire preuve là encore d'imagination. Dans les circuits électriques, les fils de cuivre sont remplacés par de l'aluminium. Le carburant étant sévèrement contingenté, il faut pour circuler en voiture automobile, une autorisation préalable des Ponts et Chaussées. C'est pour compenser les restrictions de force motrice - on dirait aujourd'hui d'énergie - que l'on invente le mot "délestage" qui revient hélas d'actualité. Les usines travaillent avec des horaires impossibles : la nuit, le Dimanche, sans envisager pour cela la moindre augmentation de salaire. Le monde entier, si virulent en 1936, est amorphe ! Je revois cet ouvrier tourneur qui à l'époque, voulait abattre tous les patrons, tenir un Dimanche, la bride du cheval du Directeur. Celui-ci, par économie d'essence, à moins que ce ne soit pour narguer les révolutionnaires de 36, venait à l'usine à cheval. A la demande de la Direction, j'installai un poste de radio au premier étage de l'atelier d'emboutissage, afin que tout le personnel puisse écouter la diffusion de l'allocution de PETAIN qui a lieu pendant les heures de travail. Toute activité doit cesser afin que l'on ne perde rien de cette voix chevrotante. Quand, à la sortie du travail, je rencontre mes amis MATHON, DUROND, CHAZAL, JUNIQUE, LOUBET, nous commentons le discours, nous échangeons nos impressions et les confrontons avec les propos de la Radio de Londres. Peu à peu naissait une fraternité d'opinion qui se traduisait, au fond, par une Résistance intuitive, une volonté de ne pas s'avouer vaincus. Ecouter le Général DE GAULLE et ses compagnons à la B.B.C., faire circuler sous le manteau les informations reçues, cela était déjà pour nous une satisfaction. Nous n'avions aucune expérience de l'action clandestine, aucun précédent dont nous eussions pu nous inspirer.

DÉJA EN SEPTEMBRE 1940

Le Capitaine FOURCAUD venant de LONDRES, parvient en FRANCE non occupée via le PORTUGAL et l'ESPAGNE. Il établit des contacts avec de nombreux Officiers de VICHY favorables à la Résistance, mais ils seront désavoués par DE GAULLE. Il rencontre le Capitaine WARIN (alias WYBOT) affecté au Service des Menées Internationales de l'administration de PETAIN et le persuade de gagner LONDRES. Il y arrive le 16 Décembre 41 et devient chef du C.E. de la FRANCE-LIBRE. Mais nous ignorions ce qui se passait à LONDRES. C'est à cette époque que le Général DE GAULLE convoque dès son retour en ANGLETERRE, le Colonel Pierre FOURCAUD (SPHERE) et le charge d'une mission diplomatique délicate : il doit contacter en FRANCE non occupée l'Amiral Jean de LABORDE, commandant la flotte de la haute mer et de lui demander de gagner avec ses unités les ports de l'AFRIQUE du Nord pour se mettre au service de la FRANCE-LIBRE. L'Amiral LABORDE, légaliste et pétainiste convaincu, reçoit SPHERE, dans sa villa de "TAMARIS" près de TOULON et refuse sèchement. Le 21 Août 41, au moment où FOURCAUD retire son courrier à l'hôtel d'"ARBOIS" à MARSEILLE, il est arrêté par les policiers du Service de Surveillance du Territoire. Il a été dénoncé par un Agent de Liaison arrêté précédemment. Le Colonel est incarcéré au Fort "SAINT-NICOLAS" à MARSEILLE puis transféré à la prison militaire de CLERMONT-FERRAND où il rencontrera le Commandant LOUSTANEAU-LACAU, tombé aux mains de la Police française alors qu'il était en train de constituer le fameux réseau anglais, connu par la suite sous le nom D'ALLIANCE et animé par Mme MERIC qui deviendra plus tard Mme Marie-Madeleine FOURCADE. Fort heureusement le Commandant FOURCAUD regagnera sa liberté et rentrera à LONDRES où il rendra compte de sa mission au Général DE GAULLE. Ce dernier, estimant qu'il serait dangereux de le renvoyer en FRANCE lui donne le commandement d'un Régiment de l'Infanterie de l'Air où sont formés les parachutistes de la FRANCE-LIBRE, au camp de CAMBERLEY.

LES CHANTIERS DE JEUNESSE

Début Janvier 1941, entre en application le décret instituant les "Chantiers de Jeunesse". Ce vocable ne signifie plus rien pour les générations d'aujourd'hui mais pour nous il apparaît hautement significatif du caractère totalitaire du régime de VICHY. C'était l'embrigadement de la jeunesse, suivant des méthodes ayant fait leurs preuves en ITALIE fasciste et en ALLEMAGNE nazie. Les Chantiers rassemblaient pour une durée de 18 mois les 100 000 jeunes gens mobilisables de la zone libre. Par une action psychologique bien menée on leur inculquait le culte du Maréchal, exaltant l'honneur qu'il y avait à le servir avec une ferveur menant au fanatisme. Pour les préserver de toute influence "corruptrice" les camps étaient installés dans des régions forestières ou montagneuses, en plein désert. Les garçons, soumis à une discipline militaire, vivaient en circuit fermé, sans aucun des avantages des garnisons de naguère : pas de filles, pas de cinémas, pas de bistrots mais le camping, la "gym" obligatoire, les marches forcées en chantant : "Maréchal nous voilà !". On les utilisait à tracer et à entretenir des chemins vicinaux, à des travaux de forestier, coupes de bois, fabrication de charbon de bois pour alimenter les "gazogènes", etc… Toujours dans le même esprit, un Acte Constitutionnel daté du 24 Janvier 1941, oblige les hauts fonctionnaires à prêter serment à la personne du Maréchal PETAIN.

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En Mars 41 la radio anglaise nous apprend que le Général DE GAULLE inspecte les troupes des Français-Libres qui combattent en ERYTHREE. Le 15 Mars 41, première mission entreprise en commun par le Special of Coordination (S.O.E.) britannique et les F.F.L. (Forces Françaises Libres). Un commando comprenant le Capitaine BERGE, les Lieutenants PETIT, LAURENT, FORMON, LE TAC, RENAULT, est parachuté dans la région de VANNES. La mission de ces hommes consiste à détruire un car qui transporte périodiquement 50 pilotes allemands à la base aérienne. Malheureusement, le dispositif allemand est modifié depuis deux jours et l'attaque ne peut avoir lieu. Le commando rejoindra l'ANGLETERRE à bord d'un sous-marin britannique le "TIGRIS".

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Le 1er Mai 41, le journal "L'HUMANITE" publie un numéro spécial où l'on peut lire : "Quand les propagandistes anglais présentent le mouvement gaulliste comme un mouvement démocratique, ils mentent effrontément ; ce Général à particule veut non pas la liberté de notre pays mais il veut le triomphe des intérêts impérialistes auxquels il a lié son sort" (Doc. F.F.L. 229 -15) (F.F.L. 231 - 23). A la lecture de ce journal, je dois dire que ni moi ni mes amis n'étions d'accord avec cette façon de voir.

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Par la B.B.C. nous apprenons qu'un Adjoint d'HITLER, Rudolf HESS, a atterri en ECOSSE le 11 Mai 1941 à bord d'un Messerschmitt 110 pour se constituer prisonnier des Anglais.

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Les Allemands annoncent qu'ils ont occupé l'île de CRETE par une opération combinée planeurs et parachutistes, le 20 Mai 1941.

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Le 2 Juin 1941, VICHY promulgue une loi interdisant aux Juifs l'accès aux emplois publics et à certaines professions. De nombreux Juifs étrangers sont arrêtés en zone sud. La radio nous informa que la 1ère Division Française Libre (1ère D.F.L.) occupe DAMAS depuis le 21 Juin 1941.

LA VOLTE-FACE DE HITLER

Le ciel s'embrase en ce 22 Juin 1941, tandis qu'éclatent les coups de tonnerre de l'artillerie allemande sur la frontière russe. Le monde entier retient son souffle. Il est de fait que la surprise est immense, colossale ! L'équivoque créée par le pacte germano-soviétique d'Août 1939, disparaît ; l'ALLEMAGNE attaque son alliée l'U.R.S.S. Les dirigeants communistes français qui jusqu'alors avaient adopté une attitude conciliante à l'égard de l'Occupant, invectivent de plus belle le capitalisme anglo-saxon et le gaullisme, son serviteur. Un trouble profond s'empare alors des membres du Parti et de leurs sympathisants. Cette volte-face les plonge dans le désarroi, mais toujours disciplinés, ils suivent les nouvelles consignes et entrent dans la Résistance. Ils ne perdront cependant jamais de vue qu'ils doivent, en tant qu'armée d'une révolution, noyauter cette Résistance afin d'en faire, si possible, l'instrument de leur ambition. L'HUMANITE publie dans le n° 119 le texte suivant où le mot "camarades" est remplacé par celui de "citoyens". "CITOYENS-CITOYENNES" "HITLER occupe la FRANCE et de nombreux autres pays européens, mais la guerre qu'il vient de déclarer à l'U.R.S.S. va l'obliger à vider notre pays de bon nombre de soldats. Pourquoi n'en profiterions-nous pas ? Notre ennemi, l'oppresseur de la FRANCE, HITLER fait la guerre à l'U.R.S.S. De ce fait, chaque Français digne de ce nom doit désormais se considérer comme un allié de l'U.R.S.S." (Doc. 16). Le P.C.F. avait accepté l'envahissement de la FRANCE, il n'acceptait pas celui de l'U.R.S.S. Le 7 Juillet 1941, Fernand de BRINON, Ministre du Gouvernement de VICHY, remet au représentant de HITLER en FRANCE, Otto ABETZ, une lettre de l'Amiral DARLAN exprimant le regret du Gouvernement français de ne pouvoir, faute de moyens, aider l'ALLEMAGNE à combattre le bolchevisme. Il a décidé cependant de créer une Légion de Volontaires Français (L.V.F.) et est prêt à donner à ce corps tout le développement désirable. Les chefs de cette Légion sont : DORIOT, DELONCLE, DEAT. Ils ouvrent immédiatement des bureaux d'engagement, celui de VALENCE est situé Avenue de la Gare. Les engagés sont dirigés sur la caserne BORGNIS-DESBORDES à VERSAILLES.

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Le même jour, les Anglais et les Forces Françaises Libres occupent BEYROUTH.

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L'ancien Ministre de l'Intérieur, Max DORMOY, est tué à la suite d'un attentat par une bombe placée sous le lit qu'il occupe, dans une chambre d'hôtel à MONTELIMAR, le 26 Juillet 1941. On ne retrouvera jamais les coupables.

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Dans son numéro 122, en date du 22 Juillet 1941, le journal "L'HUMANITE" lance la consigne suivante : "Dessinez la faucille et le marteau au centre des V (Victoire) afin d'affirmer l'union des gaullistes et des communistes, et de tous les patriotes, au Front National pour l'indépendance de la FRANCE".

LA COLLABORATION DE VICHY DEVIENT OFFICIELLE

Le 12 Août 1941, dans un message-radio autoritaire, le Chef d'Etat Français, "PETAIN" annonce son intention de vaincre la Résistance et tous les adversaires de l'Ordre Nouveau et de briser leurs entreprises en décimant les chefs. Il annonce aussi que tous les responsables du désastre de 1940 devront être jugés en vertu de l'Acte Constitutionnel n° 7. Le "Maréchal" au nom du pouvoir politique ordonne aux pouvoirs judiciaires de prendre des sanctions administratives. " La sentence de clôture pour le procès de RIOM doit être rendue en pleine lumière, elle frappera les personnes, les méthodes, les moeurs, le régime et sera sans appel". A la suite de cette allocution, le Gouvernement crée, le 14 Août 1941, des sections spéciales dans les Cours d'Appel qui sont chargées de la répression du communisme.

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La première prise d'armes de la L.V.F. (Légion des Volontaires Français contre le bolchevisme) a lieu le 29 Août 1941 dans la cour de la caserne "BORGNES-DESBORDES" à VERSAILLES. Y assistent : LAVAL, de BRINON, DEAT et deux Officiers allemands. Cette cérémonie est largement radiodiffusée par RADIO-PARIS : Le reporter : Que se passe-t-il ? Mais c'est un attentat !… Un homme vient de tirer un coup de revolver sur LAVAL. On entend crier : "On a tiré sur LAVAL !". On finit par comprendre : un Légionnaire "Paul COLETTE " a déchargé son revolver en direction de LAVAL, blessant celui-ci ; arrêté, l'agresseur avoue s'être engagé dans la "L.V.F." pour réaliser ce dessein. Ce geste n'arrête pas la "L.V.F." qui, le 12 Septembre 1941, prête serment de fidélité à HITLER.

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Jean CATELAS du Comité Central du Parti Communiste Français, l'un des instigateurs de la rencontre du 18 Juin 1940 avec le Lieutenant allemand WEBER chargé de la presse, pour demander la libre parution du journal "L'HUMANITE" arrêté depuis quelques jours, a été exécuté en ce matin du 20 Septembre 1941 par les autorités allemandes.

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Le 1er Octobre 1941, comparait Paul COLETTE devant le Tribunal d'Etat, avec comme chef d'accusation : tentative d'homicide contre Pierre LAVAL. A la question : "Exprimez-vous des regrets de votre acte ?" Paul COLETTE répond : "Le seul regret que je puisse exprimer, c'est de les avoir ratés les uns et les autres !". Il est condamné à la peine de mort.

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Le 7 Octobre 1941, PETAIN commue la peine de mort en travaux forcés à perpétuité. De prisons en camps de concentration, Paul COLETTE vivait en FRANCE à la Libération.

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Le 5 Novembre 41 Yvon MORANDAT est parachuté en FRANCE. Il a pour mission d'établir le contact avec les Syndicats Résistants.

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Les journaux publient, le 9 Novembre 1941, un communiqué du Gouvernement disant : "Les administrations publiques et les entreprises privées travailleront normalement le "11 Novembre". Les cérémonies commémoratives n'auront pas lieu, aucune démonstration publique ne sera tolérée". Le Monument aux Morts de VALENCE se trouvant à l'intérieur du parc JOUVET, entouré d'une très haute grille, il sera facile d'en interdire l'accès. Avec mes amis, nous décidons d'y déposer malgré tout une gerbe de fleurs dans la nuit du 10 au 11. Pour me rendre à mon usine, je longe ce parc, je connais une petite porte d'accès réservée aux jardiniers. Je suis donc désigné pour déposer cette gerbe en me rendant à mon travail que je commence à quatre heures du matin. Vers 3 h 30, je suis devant la petite porte qui est ouverte, et, sans difficulté, je dépose la gerbe de fleurs au pied du monument. C'est mon premier acte de Résistance. Les autorités ont interdit l'accès du parc JOUVET pendant la journée du 11 Novembre et le lendemain j'ai constaté que la gerbe était toujours là.

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Les troupes allemandes avancent à l'intérieur de la RUSSIE et arrivent le 16 Novembre 1941 devant MOSCOU où va se livrer une terrible bataille. STALINE déclare le 18 Décembre 1941 que MOSCOU est sauvée, les Allemands n'ont pas pu entrer dans la capitale. Devant la résistance opiniâtre des Russes, aidés par le froid, les nazis durent se replier, à notre grande satisfaction, ce coup de semonce marquait le commencement de leur retraite.

FIN DE LA NEUTRALITE AMERICAINE

La Radio de Vichy annonce que les Japonais ont attaqué par surprise l'île de PEARL HARBOUR, base avancée des Américains dans le PACIFIQUE, et qu'ils l'ont détruite le 7 Décembre 1941, l'ALLEMAGNE et l'ITALIE déclarent la guerre aux ETATS-UNIS le 11 Décembre 1941. Le P.P.F. (Parti Populaire Français) créé par DORIOT le 11 Novembre 1936, après son exclusion du Parti Communiste, lance l'idée de la formation d'un "Front de la Liberté" contre le communisme, et reçoit en cette fin d'année 1941 l'autorisation des Allemands.

UNE GRANDE FIGURE

Jean MOULIN était Préfet du département de l'EURE-ET-LOIR quand les troupes allemandes investissent CHARTRES en 1940 et les devoirs de sa charge lui imposent la pénible mission de les recevoir. Au cours de l'entrevue avec les Officiers de la Wehrmacht, ceux-ci veulent lui faire signer un document attestant que des troupes françaises de couleur ont massacré des enfants, tué et violé des femmes. Jean MOULIN refusant énergiquement de se plier à cette exigence est arrêté sur-le-champ et jeté en prison. Désespéré, il tente de mettre fin à ses jours en s'ouvrant la gorge avec un morceau de vitre. On le découvre peu de temps après baignant dans son sang et il est transporté rapidement à l'hôpital où il pourra être sauvé. C'est pour dissimuler la large cicatrice qui lui marquait le cou qu'on le vit toujours ensuite porter une grande écharpe. Loin de le féliciter pour cet acte d'héroïsme, le Gouvernement de VICHY révoque le Préfet Jean MOULIN, le 18 Novembre 1940. Il décide alors de passer en ANGLETERRE. Il gagne d'abord l'ESPAGNE - les PYRENEES se franchissent encore facilement et arrive à LONDRES où il va se mettre à la disposition du chef de la FRANCE-LIBRE. Le Général DE GAULLE jugeait rapidement les hommes et il détecte chez celui-ci des qualités exceptionnelles puisqu'il va lui confier l'énorme responsabilité d'être son représentant en FRANCE et délégué du Comité National de la FRANCE-LIBRE. Sa mission primordiale est de contacter et de coordonner les différents mouvements de Résistance. Tâche surhumaine si l'on considère la diversité d'opinions, d'idéaux et d'objectifs de ces mouvements et les rivalités qui les opposaient souvent. Il avait été parachuté "blind" (" aveugle" en anglais), c'est-à-dire sans comité de réception, dans la nuit du 31 Décembre au 1er Janvier 1942, près de SALON-DE-PROVENCE, en compagnie de Raymond FASSIN (S.I.F.) affecté au mouvement "Combat" pour organiser des bases de parachutages et du Radio Henri MONTJARET (S.I.F.-W) qui sera arrêté le 4 Juillet 1943 et déporté en ALLEMAGNE où il survivra à la déportation, au cours d'une opération de parachutage sur le terrain "Epinard" à 25 km au Nord de LYON.

1942

RÉSISTER

A partir de 1942, l'opposition, avouée ou latente ne cessera de croître : en revanche la minorité "collaboratrice" se durcit. Au début, les organisations de Résistance comprenaient assez peu de membres et se limitaient à un travail de propagande. En 1942, elles commencent à entrer en action. La Résistance en zone non occupée dispose, depuis 1941, de trois grands mouvements : "Combat", "Libération", "Franc-Tireur", qui peuvent être classés dans cet ordre pour leur ancienneté et leur importance numérique ou par leur degré d'organisation, mais ne fonctionnent que dans les grandes villes, la clandestinité freinant l'expansion par les risques encourus. " Combat" a pris dans tous les domaines une très large avance, son organisation servit de modèle à la Résistance "Sud", avec ses branches "Armée Secrète" (A.S.), "Groupe Franc" (G.F.), "Service de Renseignements" (S.R.), "Service Social et Action Ouvrière". Coordination, fusion… ces deux mots ramènent inévitablement à évoquer le rôle capital de Jean MOULIN (Max). Son objectif est de constituer une sorte de parlement de la Résistance, réunissant toutes les tendances et les groupes qui se dispersent dans les deux zones. S'appuyant sur les trois principaux mouvements de Résistance, il va s'efforcer de coordonner leurs actions dans un premier temps, puis de les amener à une véritable fusion organique. Avec patience et diplomatie il va décider les chefs de ces trois groupes : Henri FRESNAY pour "Combat", d'Astier de LA VIGERIE pour "Libération" et J.P. LEVY pour "Franc-Tireur" (F.T.) à ne pas confondre avec les "Francs-Tireurs Partisans Français" (F.T.P.F.) d'obédience communiste en formation, à réunir leurs troupes et leurs forces. Pour y parvenir, il dispose de plusieurs atouts et de moyens essentiels tels que : budget, transmission-radio avec LONDRES, liaisons aériennes et maritimes, armement, etc… Toutes ces choses dont les chefs de mouvements n'ont cessé de constater la nécessité et de déplorer la pénurie. Mais sa réussite est due avant tout à ses qualités humaines. Ce sont sa ténacité, son patriotisme, son intelligence, son abnégation et son rayonnement qui lui permirent de mener à bien sa mission impossible. Les Services Britanniques de Renseignements sont très intéressés et sont prêts à fournir des postes-radio de faible encombrement, des LYSANDERS pour atterrir sur des terrains de fortune. Mais cette réalisation se heurte à d'énormes difficultés, il faut mettre au point les postes de radio, instruire du personnel pour leur utilisation. D'autre part, l'organisation des atterrissages des LYSANDERS, le parachutage d'hommes et d'armes demande une coordination parfaite du balisage. Il faut trouver des terrains propices des hommes sûrs qui ne seront rôdés qu'après plusieurs mois. Ce service prend le nom de "S.O.A.M." (Service des Opérations Aériennes et Maritimes pour la zone Sud) dont le chef en est FASSIN. La propagande nazie va bon train en FRANCE. La majorité de la population est pro-Pétain, avec une minorité en faveur du Général DE GAULLE, bien rares sont ceux qui n'ont jamais entendu parler des collaborateurs avec l'ennemi, des "collabos" comme DORIOT, DEA, BUCARD qui ont lié leur sort à HITLER.

LE PROCÈS DE RIOM

Le 19 Février commence à RIOM le procès des "responsables de la défaite de 1940". Le Président du Tribunal est CAOUS avec neuf autres Juges. Au banc des accusés les anciens Ministres de 1936 : Léon BLUM, Edouard DALADIER, le Général GAMELIN, Guy LA CHAMBRE et JACONNET. L'ouverture du "procès de RIOM" devait combler d'aise l'opinion publique qui ne cessait de réclamer, influencée par une propagande bien orientée, un châtiment exemplaire à l'égard des responsables de la défaite de 1940. Il n'est pas jusqu'aux communistes qui s'en mêlent, François BILLOUX et sept Députés du Parti Communiste rappellent à PETAIN : " Nous étions les seuls en 1939 à nous dresser contre la guerre, nous étions les seuls pour la paix" (il est vrai que l'ALLEMAGNE était à cette époque l'alliée de la RUSSIE). Le 26 Juin 1940, vous avez déclaré, Monsieur le Maréchal : "Je haïs les mensonges qui vous ont fait tant de mal, si vous voulez en finir avec les mensonges, Monsieur le Maréchal, je demande à être entendu comme tous mes amis en qualité de témoins par la Cour Suprême de RIOM". Mais, à l'ouverture du procès vingt mois après la défaite, la colère du peuple s'est apaisée, il affronte son deuxième hiver d'Occupation et se débat dans d'inextricables difficultés matérielles. Le prestige du Maréchal présente d'inquiétantes lézardes et l'instruction traîne en longueur, on se heurte à la nature de l'inculpation. Pour les Allemands, dont la pression est vive, il s'agit de démontrer les responsabilités de la FRANCE dans l'ouverture du conflit. Sur ce point les communistes rejoignent l'Occupant, mais, pour la majorité des Français cela concerne surtout la préparation de la guerre. Les Avocats de la défense sont des grandes vedettes du barreau, rompus aux débats parlementaires, connaissant parfaitement leurs dossiers. D'emblée ils contestent la légalité de la Cour. Par ailleurs, il ne saurait être question d'invoquer la responsabilité de la FRANCE dans la déclaration de guerre de 1939, celle-ci n'a fait que respecter ses engagements. Enfin, il est visible que ce procès n'a qu'un but précis : déshonorer la République après l'avoir abattu. Le nom de HITLER ne devra pas être prononcé sous peine de huis-clos immédiat. On reproche à Léon BLUM sa législation ouvrière avec les 40 heures et l'insuffisance de la préparation militaire. Edouard DALADIER se voit reprocher une mobilisation industrielle trop tardive, il n'a pas su fournir à nos troupes l'armement nécessaire. Pour BLUM et DALADIER, la réponse est simple : les fautes en incombent à leur devancier le Maréchal PETAIN qui était Ministre de la Guerre en 1934 et a commandé en huit mois, huit chars lourds et a réduit les crédits militaires. L'accusation compte sur les témoins pour rétablir une situation compromise. Ce sont des militaires : une quarantaine de Généraux, quelques Colonels. L'on croit entendre une leçon apprise par coeur, ce sont toujours les mêmes termes : la défaite n'a pas eu pour cause l'incapacité militaire, mais le manque de matériel, le moral de la troupe qui était désastreux. Le procès de RIOM tourne à la mise en accusation de l'armée. Après plusieurs semaines de débat, la Cour s'octroie en congé. VICHY s'inquiète, le Gouvernement est parfaitement conscient de l'effet désastreux de la tournure des débats sur l'opinion malgré les efforts de la censure qui fait soigneusement disparaître toutes les allusions concernant le Général DE GAULLE. Celui-ci avait depuis longtemps préconisé la guerre des chars dans ses livres : "VERS L'ARMEE DE METIER" publié en 1934 et "LA FRANCE ET SON ARMEE" publié en 1938 et que l'on n'avait pas pris en considération alors que HITLER lui-même les a lu.

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Le 23 Février 1942, DARNAND, en accord avec le Gouvernement de VICHY, crée le Service d'Ordre Légionnaire (S.O.L.) qui est en fait, une Police émanant de la Légion du Combattant.

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Un ami de mon père, Pierre SEMARD, Secrétaire de la Fédération des Cheminots, dont le fils habite près de chez moi, est exécuté par les Allemands le 7 Mars 1942 pour "intelligence avec l'ennemi". (Décapité).

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HITLER, dans un discours publié le 15 Mars 1942 ne cache pas son mécontentement au sujet du procès : "Ce que nous attendions de RIOM, c'est une prise de position sur la responsabilité du fait même de la guerre !". Le 18 Mars 1942, l'envoyé personnel du Führer, le Conseiller CRIMM, demande au Gouvernement de VICHY de suspendre le procès qui se poursuit dans le ridicule. Sur ces instances, VICHY cède et décrète, le 11 Avril 1942 : "Pour rendre un arrêt qui satisfera la justice et amènera le calme dans les esprits, la Cour suspend le procès pour supplément d'information". Ainsi se termine un procès mal engagé. LAVAL demande alors à l'Amiral DARLAN, Ministre des Affaires Etrangères, de l'Intérieur et de la Marine depuis le 25 Février 194O, de l'accompagner jusqu'à MOULINS pour expliquer ses difficultés à Otto ABETZ qui représente en FRANCE depuis fin 1940 le Ministre des Affaires Etrangères du Reich, Von RIBBENTROP.

LA RELÈVE

L'ALLEMAGNE est dans l'obligation de combler les vides creusés dans la Wehrmacht par la campagne de RUSSIE et d'augmenter la production de ses usines. HITLER confie à SAUCKEL l'enrôlement d'un nombre énorme de nouveaux travailleurs étrangers volontaires et, si nécessaire, contraints. En FRANCE, la chasse à la main-d'oeuvre commence. Le 22 Juin 42, LAVAL exhorte les ouvriers français à aller travailler en ALLEMAGNE. Il a une "trouvaille ingénieuse " : instituer la relève, c'est-à-dire obtenir, pour trois départs d'ouvriers volontaires en ALLEMAGNE le retour d'un prisonnier. Proposition d'autant plus illusoire que parmi les libérés au titre de la relève rien n'empêchait les Allemands d'inclure les malades qu'ils auraient de toute façon, renvoyé en FRANCE. SAUCKEL ayant accepté le principe de la relève, LAVAL crut avoir remporté une éclatante victoire et le 10 Juin 1942, par une note confidentielle adressée par le Secrétaire d'Etat au Travail aux Inspecteurs Divisionnaires du Travail et communiquée aux Préfets, invite ces fonctionnaires à faciliter l'installation des bureaux de placement allemands, à apporter leur collaboration effective à ces services et à communiquer à ces bureaux, à titre strictement confidentiel, la liste des ouvriers licenciés, avec indication de leur spécialité professionnelle et leur adresse. Le bureau pour le département de la DROME est situé Rue de la Préfecture à VALENCE. Pour annoncer à la FRANCE que, grâce à sa politique et à "sa" relève, des prisonniers vont être enfin libérés, LAVAL prononce un discours le 22 Juin 1942 dont les termes souhaitent nettement la victoire des Allemands et la lutte contre le bolchevisme, discours qui procure à mes amis et à moi-même une considérable émotion et confirme mon opinion que LAVAL est un agent du Reich.

MES PREMIERS ACTES DE RÉSISTANCE

Tous ces événements ne font que durcir mon antipathie à l'égard du Gouvernement français et un farouche désir de sortir de cette inaction me saisit. Je n'ai aucun contact avec un quelconque mouvement de Résistance et mes amis pas davantage. Pourtant la Radio de Londres demande de diffuser ses informations, ses consignes, mais par quels moyens ? J'en parle avec mes amis Sylvio PERARO, Emile GARCON, Pierre CHAZAL, Jean LOUBET. Ce dernier suggère de se procurer un "duplicateur". Mais où trouver une telle machine ? Depuis 1940 la vente de ces appareils est interdite, ceux qui en possèdent ont dû en faire la déclaration à la Police, le transport en est même interdit. Malgré toutes ces difficultés, chacun de nous cherche à apporter une solution à notre problème. Chacun tente de cristalliser autour de lui des sympathisants et forme un groupe d'opposants au régime… Grâce à cela Pierre CHAZAL m'informe qu'il a trouvé une "ronéo", elle appartient au Parti Communiste qui la cache depuis 1939, date de son interdiction, dans une vieille masure à SAINT-BARTHELEMY-DE-VALS, près de SAINT-USE, dans la DROME, à 40 km de VALENCE. Le possesseur de cette "ronéo" est Marcel BRUNET que je rencontre. Après lui avoir expliqué l'utilisation de celle-ci, il est disposé à la prêter mais il n'a ni "stencyl" ni papier, ni encre et il ignore l'état de cette machine. Que faire donc de cette dernière sans matériel d'imprimerie ? Je m'en entretiens avec LOUBET qui est Rédacteur principal à la Préfecture de la DROME. Sa réaction est immédiate : - Je me procurerai les stencyls, le papier et l'encre à la Préfecture ! dit-il. Et dès le lendemain, il commence à apporter, dissimulé sous ses vêtements, le matériel nécessaire de façon à constituer un stock important. Cela demande pas mal de temps car il ne peut le sortir qu'en très petite quantité à chaque fois. Pendant qu'il effectue ces opérations, je prends rendez-vous avec BRUNET et je vais chercher la machine, je m'y rends à bicyclette soit 80 km aller-et-retour. La "ronéo", sortie de sa cache, ne me paraît pas avoir souffert du temps, mais son volume me pose un problème : comment la transporter sur le porte-bagages du vélo ? Une seule solution, la mettre en pièces détachées, la partie la plus compromettante est le rouleau où se fixe le stencyl, un averti la reconnaîtrait aussitôt, il va me falloir faire au moins deux voyages. Au cours de mon premier, je rencontre les gendarmes à TAIN-L'HERMITAGE, ils me demandent mes papiers, donnent un coup d'oeil sur le porte-bagages qui n'attire pas plus que ça leur attention, et me voilà reparti. Le deuxième voyage avec le rouleau se passe sans inconvénient. Je dépose ces pièces dans mon garage où, après les avoir bien nettoyées j'entreprends le remontage avec un peu de difficultés mais j'y arrive tout de même. Le 14 Juillet 1942 approche. Nous décidons de diffuser un tract pour cet anniversaire. La rédaction et la frappe du stencyl en sont confiés à CHAUVET qui est clerc de notaire Rue de la Gendarmerie. Ceci terminé, CHAUVET et moi effectuons l'impression dans mon appartement mais cette machine a un bruit bien caractéristique et pour le couvrir je mets la radio à fond, le tract est de petit format, nous en tirons quatre par feuille, avec 100 feuilles nous avons 400 tracts. Ils ? à la population le 14 Juillet 1789 où le peuple de FRANCE se libérait de ses oppresseurs et demandait d'avoir confiance en l'avenir. Un mouvement de révolte était né ! Ces imprimés sont les premiers distribués à VALENCE. Nous décidons de les jeter en vélo devant l'entrée des plus importantes usines. Nous sommes aidés par un maçon, ami de CHAUVET, et nous avons chacun un secteur. Pour le maçon ce sera : les usines "PAIN", la Boulonnerie, CROUZET, les Fermetures Métalliques, etc… CHAUVET s'occupera de : la S.A.C.O.C., les Grands Moulins, MARION et pour ma part : TOUSSAINT, M.G.M., Cartoucherie Nationale. Ce qui représente au total environ 1 500 ouvriers. La distribution aura lieu le 13 Juillet 1942 au matin et le départ de chacun de nous est fixé d'un commun accord à 3 h 30. Je dormis assez mal cette nuit-là, ayant peur de laisser passer l'heure, et c'est avec un léger pincement au coeur accompagné d'un grand enthousiasme que je partis effectuer la distribution dans le secteur qui m'était affecté, tout se passe sans incident et je me rends à mon travail qui débute à 4 heures. En arrivant devant la porte de l'usine, je vois un rassemblement. Tous les tracts lancés par CHAUVET sont ramassés et les ouvriers commentent favorablement leur lecture, ce qui met mon coeur dans la joie. J'étais loin de me douter que ces bouts de papier produiraient une telle réaction parmi la population et contribueraient à l'organisation d'une Résistance. J'en éprouvais une vive satisfaction.

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Le Gouvernement de VICHY rationne le tabac le 22 Juillet 1942 et institue une carte qui donne droit à 4 paquets de cigarettes ou 2 paquets de gris par mois et par personne, à condition que celle-ci soit inscrite dans un débit de tabac de son choix. Une telle mesure est très impopulaire, surtout pour les fumeurs invétérés.

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J'apprends qu'à LYON l'application de la dépêche confidentielle n° 2765 P., émanant du Conseiller d'Etat, Secrétaire de la Police, donnait ordre aux Policiers français de cette ville d'arrêter dans la nuit du 20 Août 1942, tous les Juifs dont on leur avait fourni la liste et les adresses.

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26 Août 1942, début de la bataille de STALINGRAD.

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VICHY décide, le 26 Août 1942, que les élections pour les Conseillers Généraux sont supprimées.

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Quelques jours après, me rendant au bar "MARIUS" Rue du Pont du Gât, le patron, JUNIQUE Marius, originaire du même pays que mon père, me remit un des tracts que nous avions distribué et, exprimant de vifs reproches envers le Gouvernement, il m'apprit que deux hommes auraient été parachutés le 29 Août 1942 au quartier du CHIEZ, près du village d'ETOILE (DROME). Ils ont été aperçus par des paysans. La rumeur est arrivée jusqu'à la Gendarmerie qui a entrepris des recherches et a découvert effectivement deux parachutes. J'engage la discussion avec prudence sur le sujet des tracts en évitant de dévoiler mes sentiments. MARIUS me paraît très bien informé car il me précise les lieux où ils ont été jetés. Dissimulant ma surprise, je lui demande d'où il tient ces renseignements, il me répond vaguement mais il me dit que la Police étudie les caractères d'imprimerie afin de découvrir avec quelle machine ils ont été tapés. Pour moi, cette information est d'une très grande importance, il faut donc que les prochains soient tapés sur une machine anonyme, d'où la nécessité d'en trouver une à l'extérieur de notre région par mesure de sécurité. Cela ne créa pas une grande difficulté : LOUBET me remit une machine portative provenant de LYON.

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SAUCKEL, le représentant de HITLER, se montre fort mécontent, à juste titre d'ailleurs, de la relève, au lieu de 350 000 hommes qu'il avait exigé dans le plus bref délai, 12 000 volontaires sont partis en Juin, 23 000 en Juillet et 18 000 en Août. Le Docteur MICHEL, Chef d'Etat-Major d'Administration du Commandement Militaire, exige par un ultimatum au Délégué Général des Relations Economiques Franco-Allemandes, que le Gouvernement français prenne un ensemble de mesures policières pour contraindre les "Volontaires" à signer un engagement, et, éventuellement, les mobiliser de force. Le 1er Septembre 1942, les Allemands menacent d'appliquer à la FRANCE l'ordonnance de SAUCKEL du 22 Août 1942 destinés aux pays envahis, permettant de décréter la mobilisation générale de toute la main-d'oeuvre masculine et féminine et de recenser la population de dix-huit à cinquante ans, mis en présence du diktat de SAUCKEL, LAVAL, ne voulant une fois de plus ni s'y opposer, ni s'avouer vaincu, au lieu de laisser s'appliquer en FRANCE cette ordonnance, fait promulguer par le Gouvernement français le 4 Septembre 1942, une loi qui en reproduit les principales exigences, en atténue quelques autres, mais compromet le Gouvernement de VICHY et le rend aux yeux de l'opinion complice des Occupants. Le Gouvernement français conserve, en apparence, sa souveraineté entière, puisque le départ des ouvriers français se fait par une loi française et non sur un texte allemand. Avant d'être promulguée, la loi française du 4 Septembre 1942, provoque chez quatre Ministres une réaction si violente que LAVAL est contraint d'en tenir compte en grande partie. LEROY-LADURIE, l'Amiral AUPHAN, BONNAFOUS, GIBRAT, conclurent : - Même si le danger d'être "Polonisés" existe, nous n'avons pas le droit de nous poloniser nous-mêmes ! Finalement, LAVAL obtint la signature des opposants en change de la promesse suivante : - La loi ne sera pas publiée tant qu'il n'aura pas été déclaré officiellement par l'ALLEMAGNE que l'ordonnance SAUCKEL est applicable à la FRANCE ! Le Gouvernement de VICHY exige quand même que les hommes justifient leur emploi. Il instaure une "Carte de Travail" de couleur jaune, délivrée par les entreprises et sur laquelle figure l'état-civil de l'intéressé. Elle doit être présentée à tous contrôles, afin de dépister les Français dépourvus d'emploi et les contraindre au volontariat pour aller travailler en ALLEMAGNE. Tous ces faits nous donnent l'occasion de rédiger de nombreux tracts, tirés à grand peine sur la "ronéo" clandestine, avec des risques augmentant de plus en plus. Ces tracts étaient loin d'être éléments négligeables dans notre tentative de rébellion car nous sentions que la population en était avide, par patriotisme ou simplement par curiosité.

LE DÉBARQUEMENT EN AFRIQUE DU NORD

LA ZONE LIBRE EST ENVAHIE

En cette matinée du 8 Novembre 1942, la nouvelle arrive comme une traînée de poudre : - Ils ont débarqué en AFRIQUE du Nord ! " Ils", ce sont les Américains et les Anglais. Ce débarquement trouble les collaborateurs et tous ceux qui misent sur la victoire allemande. Certains étaient persuadés du "double jeu" du Maréchal et d'une connivence secrète entre lui et le Général DE GAULLE. Cette équivoque qui transfigure "PETAIN" en Père Noël commence à se dissiper quand il ordonne à l'Amiral DARLAN qui se trouve en ALGERIE de s'opposer avec les troupes françaises fidèles au Gouvernement, au débarquement Allié. Des combats ont lieu mais heureusement cette lutte fratricide ne dure que 3 jours. La Radio de Londres commente les faits et demande au peuple de FRANCE de manifester le 11 Novembre 1942, le Gouvernement de VICHY ayant ordonné que ce jour-là ne serait pas férié, interdisant également toute manifestation. Pour appuyer les consignes de LONDRES, nous éditons un tract qui appelle la population valentinoise à faire la grève ce jour-là et à se grouper silencieusement, à 18 h 30, devant la porte qui donne accès au Parc JOUVET où s'élève le Monument aux Morts et qui, comme l'an dernier, sera certainement fermée. Le Service d'Ordre Légionnaire (S.O.L.) de VICHY prend lui aussi des mesures, dans sa note en date du 7 Novembre 1942, il précise : "En raison d'événements auxquels les radios étrangères et les salopards de l'intérieur font une large publicité, les S.O.L. doivent se considérer en état d'alerte à partir du 10 Novembre (Mardi) à 18 heures. Tout S.O.L. devra prévenir le chef de Dizaine au moins 24 heures à l'avance de son absence possible, etc… La sécurité d'impression dans mon appartement, très précaire, ne me permet pas de faire d'importants tirages, aussi nous décidons, mes amis et moi, de chercher un lieu plus approprié. Sur ces entrefaites, Pierre CHAZAL m'informe que le Parti Communiste est désireux de récupérer la "ronéo". Les tracts terminés, je lui remis celle-ci pas pour une destination inconnue. Le débarquement Allié en AFRIQUE du Nord sert de prétexte aux nazis pour envahir la zone libre, en ce matin du 11 Novembre 1942, jour où l'on a appelé la population à manifester. Les unités de la Wehrmacht franchissent la ligne de démarcation de très bonne heure, les convois blindés et motorisés allemands foncent vers le Sud et traversent notre région en fin d'après-midi. La population les regarde sans comprendre, c'est le suspens, plus encore que l'accablement qui fait suite à la joie du débarquement Allié en AFRIQUE du Nord. Pas la moindre résistance de la soi-disante Armée d'Armistice que nous possédons. L'Occupation visait à contrôler rapidement la côte méditerranéenne et les points stratégiques, sauf TOULON dont le port abrite notre flotte militaire composée de 90 navires, HITLER a donné sa parole d'honneur que ces forces navales conserveraient leur liberté à condition qu'elles participent à la défense des côtes de PROVENCE si besoin était.

PREMIÈRE BLESSURE

Faisant grève ce jour-là, conformément aux tracts que nous avions diffusé, j'en profite pour aller voir un chef des "Chantiers de Jeunesse" au camp de MATOURET, près de DIE, qui serait en liaison avec un mouvement de Résistance. Je prends le train jusqu'à cette station et arrivé au camp, je trouve le chef (dont le nom m'échappe) en compagnie d'un homme qu'il me présente comme étant Pierre LAPORTE. Ma démarche s'avère infructueuse car eux aussi sont à la recherche de contact avec la Résistance. Je reviens donc à VALENCE accompagné de LAPORTE qui doit prendre un train en gare de VALENCE pour le Midi. Le trajet du camp à la gare de DIE est d'environ 4 kilomètres que nous faisons à pieds. Nous arrivons à la gare après le passage du train. N'ayant plus d'autre moyen de transport, nous prenons un taxi afin d'être présents à la manifestation de VALENCE à 18 h 30. Nous arrivons vers 17 h, à l'intersection de la Nationale 7 et de la Nationale 93, au lieu-dit "FIANCEY", notre chauffeur qui tenait bien sa droite, évite de justesse un side-car allemand qui débouchait de la Nationale 7 en plein sur sa gauche, pour ce faire il donne un coup de volant à droite, ce qui a pour effet d'envoyer le side-car dans le fossé. Que se passa-t-il dans la tête de notre chauffeur ? Eut-il peur à la vue des chars allemands qui se dirigeaient vers le Midi sur la Nationale 7 ? Toujours est-il qu'il effectua un demi-tour pour repartir dans la direction d'où nous venions. Les deux occupants du side-car, qui se dégageaient tant bien que mal, voyant la manoeuvre, nous font signe de stopper la voiture étant déjà en direction du retour, le chauffeur ne voit pas le geste, un des Allemands lance à notre encontre une grenade à manche qui arrive vers moi, une détonation se produit et au même moment je ressens une sensation de brûlure à l'oeil gauche. Nous quittons ces lieux malsains à toute allure et nous nous arrêtons plusieurs kilomètres plus loin pour constater l'importance de mes blessures à la face et à l'épaule gauche. Le chauffeur me conduit chez le Docteur BARNAUD, Rue de l'Hôpital à DIE qui met plusieurs points de suture à mon épaule, panse mes plaies du visage et me conseille d'aller au plus tôt voir un oculiste. Accompagné de LAPORTE, j'ai pris le dernier train de nuit pour regagner VALENCE et je suis rentré chez moi sans me faire remarquer. Le lendemain matin je me rends chez un oculiste de l'Avenue de la Gare en lui disant que mes blessures proviennent d'une lampe à souder. Il me croît et me soigne sans difficultés. Ces blessures ont entraîné une incapacité de travail d'un mois. Je revois mes amis que je mets au courant de l'incident et à leur tour, il m'informe qu'un millier de personnes ont répondu à notre tract et que tout s'est passé dans le calme sans aucun ennui. Cela a permis de prendre contact avec beaucoup de nos connaissances dont nous ignorions la tendance, et d'élargir notre groupe.

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Le Général DE LATTRE DE TASSIGNY, qui au moment de ces événements, commandait à MONTPELLIER la 16ème Division Militaire, voulant s'opposer à l'occupation de la zone libre malgré les ordres de VICHY, partit avec une poignée d'hommes dans le Massif des CORBIERES, mais son initiative ne fut pas suivie, il fut arrêté quelque temps après, et déféré devant les tribunaux militaires.

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Dans la deuxième quinzaine de Novembre, les Allemands installent des censeurs dans toutes les villes où paraissent des quotidiens. Le journal "LE PROGRES DE LYON" dont Yves FARGES est l'un des rédacteurs, affilié à un mouvement de Résistance, décide de suspendre sa publication. Le "NOUVELLISTE DE LYON" et le "PETIT DAUPHINOIS" de GRENOBLE acquis à la collaboration continueront de paraître.

LE SABORDAGE DE TOULON

Le 26 Novembre 1942 à TOULON, l'heure est plutôt à la détente, aucune menace imminente ne semble peser sur les Forces Navales Françaises. Pourtant les dés sont jetés, le sort de notre flotte va se jouer. A quelques dizaines de kilomètres de là, plusieurs colonnes de blindés allemands sont sur le point de s'ébranler, prêts à faire rugir leurs moteurs. Cela devrait donner à réfléchir à l'Amiral LABORDE, commandant notre flotte ainsi qu'au Préfet Maritime, l'Amiral MARQUIS. La prise de possession de la flotte française est déclenchée le 27 Novembre 1942 à 5 h 30 du matin. Mais nos marins ne dorment pas sur leurs deux oreilles et donnent l'alerte, tentant l'impossible pour sauver leurs navires. Les sous-mains : VENUS, IRIS, GLORIEUX, MARSOUIN, CASABIANCA, dont les Commandants sont restés prudemment sur leurs gardes, réussissent à prendre la fuite et à rejoindre les Forces Alliées en AFRIQUE du Nord. 5 h 30, l'Amiral LABORDE informé du coup de force, donne l'ordre à tous les navires de se saborder. Aussitôt de violentes explosions se font entendre. Les bâtiments appliquent la consigne. Pourquoi faut-il que l'ordre le plus cruel pour un marin, la destruction volontaire de son bateau, soit donné, alors que la flotte avait la possibilité de rallier les Forces Alliées et de participer d'une manière active à la défaite des forces ennemies ? J'éprouve à cette nouvelle plus que de la tristesse, de l'angoisse devant des choses que je ne peux pas comprendre.

STALINGRAD


La radio anglaise m'apprend que la 6ème Armée Allemande de von PAULUS est encerclée à STALINGRAD.

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Le 27 Novembre 1942, le Gouvernement de VICHY dissout l'Armée d'Armistice. Les Allemands cernent aussitôt la caserne de la PART-DIEU à LYON occupée par le 11ème Cuirassier. Ils envahissent les bâtiments, en chassent les occupants. Le Lieutenant Narcisse GEYER qui appartient à cette unité pense à sauver son glorieux étendard, portent les noms des batailles de : HOHENLINGEE 1800 - AUSTERLITZ 1805 - LA MOSCOVA 1812 - MOULIN DE LAFFAUX 1914 - NOYON ARGONNE 1918 - SOMME SAINT-VALERY-EN-CAUX 1940. Son ordonnance dissimule le drapeau dans la doublure de son manteau, ce qui lui permet de franchir le poste de garde allemand sans encombre. GEYER, respectueux de la tradition des Officiers de Cavalerie n'entend pas abandonner son cheval à l'ennemi. Il revient donc le soir-même chercher l'animal, lui enveloppe les sabots de paille et de chiffons et franchit la grille de la caserne, au nez et à la barbe des Allemands, enfermés dans le poste de garde. Il ira le cacher dans la forêt de THIVOLET, au Nord-Est de la DROME dont le nom lui servira par la suite de pseudonyme dans la Résistance. Son exemple est suivi par quelques militaires qui se regroupent dans la forêt, formant l'embryon d'un nouveau "11ème Cuirassier". Quand ils seront repérés par les Allemands et la Police française, ils se réfugieront dans le VERCORS.

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Ce même jour Jean MOULIN (REX) présidait la première réunion du Comité de Coordination des Mouvements de la Résistance, "COMBAT", "LIBERATION" et "FRANC-TIREUR" avec leurs chefs : FRENAY J.P. LEVY - Emmanuel d'ASTIER de la VIGERIE et le Général DELESTRAINT.

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Par décision signée de Pierre LAVAL Premier Ministre, en date du 2 Décembre 42, les détentions d'armes et munitions seront passibles de la peine de mort. Toutes les armes de guerre, de chasse, de collection doivent être remises aux autorités.

1943

LA VIE QUOTIDIENNE

LES RESTRICTIONS

L'humiliation de la défaite, le malaise et la mauvaise conscience suscités par la soumission du "Maréchal" devant l'ennemi, accablaient l'ensemble des Français et à cette souffrance psychologique s'ajoutaient les difficultés matérielles. On a reproché depuis à nos populations leur apathie et leur résignation, mais il est bien connu que le moral est bas quand le ventre est vide. Les rations alimentaires en FRANCE sont devenues les plus réduites de l'Europe. Les cartes d'alimentation distribuées par le Ravitaillement Général attribuent à chaque adulte : - 250 gr de pain par jour, - 50 gr de fromage par semaine, - 300 gr de matière grasse, - 500 gr de sucre et 138 gr (sic) de légumes par mois. Les rations de viandes sont limitées à 120 gr par personne et elles sont rares. Les hommes en échange du ticket 3, ont droit tous les mois à un savon à barbe de 50 gr, ou à 75 gr de savon de ménage, ou à 100 gr de savon de toilette. Il fallait choisir entre se raser, se raser ou faire la lessive. Notre pays, royaume de la vigne par excellence où la dégustation du vin est plus qu'une tradition, presque une religion est au régime sec : quatre litres de vin par mois et par personne. Les cafés et les bars ne peuvent servir des apéritifs alcoolisés que trois fois par semaine. Il est honnête de souligner que durant les quatre années d'occupation, bon nombre de maladies dues à la bonne chère et à l'alcoolisme avaient disparues. L'obésité et la cellulite n'étaient plus des fléau, le régime amaigrissant étant obligatoire. Il n'y a plus guère de circulation sur les routes, du fait de l'absence de carburant et de pneus, mais aussi à cause des risques que constituent les fréquents contrôles et les barrages de la police. Un cycliste portant un sac sur son dos est suspect, de même qu'un piéton avec des valises. Ils peuvent être à tout moment interpellés et s'ils transportent des denrées rationnées elles sont saisies. L'arrestation arbitraire est toujours possible, sous les prétextes les plus divers et l'on ne sait jamais quelles en seront les suites.

LA MILICE

En effet , les régimes totalitaires ne s'imposent que par contrainte et ne se maintiennent que par l'oppression. Le 5 Janvier PETAIN annonce aux chefs de la "Légion des Combattants" la création d'une police supplétive à la tête de laquelle sera Joseph DARNAND. Le 31 Janvier, en présence de PETAIN, de LAVAL et de DARNAND, a lieu l'inauguration de cette "MILICE", légalisée par le Journal Officiel n° 63 du 30 Janvier 1943 sous la signature de Pierre LAVAL. Les "Miliciens" doivent être l'avant-garde du maintient de l'ordre à l'intérieur du territoire Français, e, collaboration avec toutes les polices. Ils prendront une part active (0 combien) au "redressement" politique, social, économique, intellectuel et moral de la France. Pour tous ces bienfaits, la Milice est reconnues d'utilité publique. Il y a des cynismes qui défient la raison. Le Chef du Gouvernement, Pierre LAVAL est le Chef suprême de la Milice, administrée par DARNAND, Secrétaire d'Etat à l'Intérieur. Dans une déclaration, celui-ci précise qu'elle doit soutenir "L'ORDRE NOUVEAU", lutter contre les adversaire du régime, repérer les foyer de propagande adverses, rechercher, poursuivre les meneurs et réprimer les menées anti-gouvernementales. Cette initiative donne toute satisfaction à Adolf HITLER qui, au cours de sa rencontre avec LAVAL, avait exigé la création d'une Police Supplétive destinée à lutter contre le "terrorisme". La "Milice"sera cette Police para-militaire qui soutiendra et doublera l'action de la GESTAPO Allemande. En effet, c'est de cela qu'il s'agit et les Miliciens seront plus terribles encore que les Allemands parce qu'étant de nationalité française, d'origine sinon de coeur, ils pourront s'infiltrer par traîtrise dans les réseaux de Résistance et se livrer à leur méprisable travail de dénonciateurs et d'espions. Des milliers de patriotes seront arrêtés, déportés ou fusillés par leurs soins, d'autres tomberont dans de meurtrières embuscades. Ils ne le cèderont en rien à leur confrères Nazis pour la cruauté, le sadisme, la torture, le mépris de la vie humaine, avec la protection et les encouragements du Gouvernement de VICHY. Devant ce nouveau danger, les Résistants doivent prendre des mesures de protection efficaces. C'est une question de vie ou de mort et une fratricide sans merci va s'engager entre eux et nous.

LE SERVICE DU TRAVAIL OBLIGATOIRE (S.T.O)

Devant l'effritement des candidatures de volontaires pour aller travailler en ALLEMAGNE, car l'opinion un moment abusée avait évoluer, surtout depuis le débarquement des Alliés en AFRIQUE DU NORD, les besoins de main-d'oeuvre du REICH ne font que croître. L'Allemand SAUCKEL qui a rencontré Pierre LAVAL à Paris le 11 Décembre, en présence de tous les responsables de Service de la Main-d'Oeuvre Française, annonce que de nouvelles mesures mesures vont être prises. Il faut qu'avant le 13 Mars, cent cinquante mille spécialistes et cent mille manoeuvres soient transférés en ALLEMAGNE. La RELEVE qui a été un échec, fait place au "SERVICE DU TRAVAIL OBLIGATOIRE" (S.T.O). Mettant bas les masques, on passe du volontariat à la réquisition. Tous les Français de sexe masculin de 18 à 50 ans tombent sous le coup de cette exigence. Sans plus se donner la peine de biaiser, l'ennemi veut faire de nous des esclaves et le décret est promulgué le 16 Février 1943. En ce qui concerne, je suis fermement décidé à conserver ma liberté d'une façon ou d'une autre, sans encore savoir comment je m'y prendrai. Le "S.T.O" devient la préoccupation essentielle du Gouvernement de VICHY qui a déjà promulgué un ensemble de textes officiels ayant pour but de hâter sa mise en application. Par une circulation du 2 Février, le renouvellement des cartes d'alimentation sera subordonné à l'apposition d'un cachet spécial attestant que le titulaire a fourni toutes indications utiles sur son activité professionnelle. Une Carte de Travail est attribuée, indiquant la spécialisation et l'employeur du salarié. La circulaire du 4 Février confirme qu'avant le 15 Mars Cent cinquante mille ouvriers et cent mille manoeuvres doivent être mis à la disposition des usines allemandes. Celle du 21 Février indique la marche à suivre pour la désignation des hommes à envoyer en ALLEMAGNE et la composition des commissions qui comprendront deux Français et un Allemand. Comme la plupart de mes amis, je suis concerné par ces décisions et je reçois une convocations pour me présenter le 5 Mars 43 à 9 heures, devant la commission médicale, en vue de mon affectation au Service du Travail Obligatoire en Allemagne. Ne voyant pas pour le moment le moyen de m'y soustraire et pour ne pas me faire remarquer, je me rends à cette aimable invitation au Bureau de placement Allemand, rue de la préfecture à VALENCE. Je n'ai pas d'appréhension car toutes les personnes de ma connaissance ayant passé cette visite et étant reconnues aptes au service ne se sont pas présentées à la gare le jour du départ et n'ont pas été inquiétées Cependant il est toujours désagréable de se retrouver parqué en sous-vêtements dans la promiscuité moite d'une salle d'attente aux odeurs douteuses, se sentant pris au piège et réduit à l'état de numéros d'ordre. La visite proprement dite est rondement menés par un médecin français et se limite à un examen radioscopique. Il me reconnaît apte et transmet ma fiche à un scribouillard également français qui me demande d'y apposer ma signature. L'imprimé porte en en-tête "contrat de travail". Je réfléchis rapidement que si je signe je m'engage et je refuse. "Vous avez tort" me dit simplement l'employé et, indifférent, il met le papier de côté. Une fois dehors je réalise que je viens de commettre une erreur. Cette réaction probablement inutile me signale à l'attention des autorités et me classe parmi les insubordonnés et les fortes têtes. Cinq jours plus tard, j'apprends par des voisins, que des requis ne s'étant pas présentés au départ de leur train pour l'ALLEMAGNE, ont été arrêtés chez eux ou sur leur lieu de travail par le "Groupe Mobile Républicain" (G.M.R.) qui les détient dans ses locaux. C'est la première fois que l'on assiste à une épreuve de force à VALENCE et l'inquiétude gagne les familles. Rien n'a été prévu pour se soustraire à de telles éventualités. Aucun mouvement clandestin n'a pris l'initiative de constituer des caches pour les réfractaires ou de créer des maquis. Aussitôt, nous décidons de diffuser des tracts appelant les Valentinois à manifester leur indignation devant la gare, le 10 Mars à 18 h, jour fixé pour le premier départ. Sur une population de 54 000 âmes, cinq cents personnes répondent à notre appel. Massés devant la gare et sur les quais, nous poussons des cris hostiles et scandons les protestations quand arrivent les camions de G.M.R transportant les réfractaires prisonniers. Une légère bousculade a lieu dans la confusion mais cela n'empêche pas les détenus d'être embarqués. Une manifestation similaire eut lieu en gare de ROMANS ou de courageux protestataires se plaçèrent devant la locomotive pour l'empêcher de partir mais ils furent dispersés énergiquement par la police.

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Copie du rapport de M. CHAPUS, chef de gare de Romans, des incidents lors du départ de S.T.O du 10.03.43. - Plusieurs centaines d'habitants de la ville ont envahi la gare après avoir brisé les barrières, pour empêcher le départ du train de 12 h 40. La police alertée a été impuissante, les gendarmes ont été lapidés, il y a eu une mêlée générale. La foule avait envahi les voies, les obstacles y ont été placés, dont un camion renversée au passage à niveau, la guérite des mécaniciens a été renversée aussi. Les manifestations ont coupé le dernier wagon d'un autre train, et l'ont amené jusqu'au km 18,400 où ils avaient placé la grue métallique, la wagon a fait dérailler la grue qui a obstrué les deux voies. De nombreux dégâts ont été commis dans les installations ferroviaires, des mesures ont été prises pour y remédier. Trente travailleurs sur les 300 ont pu être acheminés il a y une dizaine de blessés légers, gendarmes ou manifestations. Une voiture de gendarmerie a été renversée sans mal pour ses occupants le couvre-feu a été ordonné à partir de 19 heures à Romans et à Bourg de Péage.

J'ENTRE PAR LA FORCE DES CHOSES DANS LA CLANDESTINITÉ

Ces événements m'incitent à la prudence. Je ne tiens pas à être à mon tour cueilli au saut du lit par des sbires et expédié comme un colis au delà du Rhin. Je me mets donc en quête de trouver un refuge. Dans ces cas là, le plus simple est souvent le mieux. J'habitais alors avec mon épouse au 4ème étage et mes beaux-parents occupaient un appartement au 1er étage et personne ne vint jamais m'y chercher puisque je gardais ce même domicile pendant toute ma vie clandestine, sauf bien entendu quand j'étais en mission. Je crois savoir à quelles circonstances fortuites j'ai dû ce privilège et je l'expliquerai dans les lignes qui vont suivre. Tout au long de l'existence et plus encore dans les périodes troublées, les événements décident bien souvent de notre sort sans nous demander notre avis. Je continuais à travailler normalement, m'efforçant seulement de passer inaperçu pour entrer et sortir de chez moi. Un jour la sonnerie du téléphone retentit dans mon atelier. Je décroche et la concierge de l'usine m'avise que trois messieurs demandent FAURE Henri. Un coup d'oeil par la fenêtre me permet d'apercevoir des uniformes de G.M.R à la grille de la conciergerie. Cette fois c'est mon tour, on vient m'arrêter. Il faut prendre une décision rapide et une idée me vient à l'esprit. Au service d'entretien de l'entreprise j'ai un homonyme. Il y a deux FAURE Henri. Je suis électro-mécanicien. Nous n'avons aucun lien de parenté et pour nous distinguer on l'a surnommé "Gambillou". En effet, le pauvre est affecté d'une claudication prononcée à la suite d'un grave accident de moto. De ce fait il a été réformé d'office par la Commission Médicale du S.T.O. Après un court conciliabule avec les camarades du service, "Gambillou" se montre d'accord pour se présenter à ma place à la conciergerie tandis que je prends le large par une porte qui donne sur les quais du Rhône. Le lieu est peu fréquenté, je m'éloigne discrètement mais avec la célérité que l'on imagine. Tout cela s'est effectué très vite et les idées tourbillonnent dans ma tête. Je me fais beaucoup de soucis pour le brave "Gambilou". Pourvu qu'il ne lui arrive rien de fâcheux ! En fait cela ne va pas tout seul. Malgré son handicap visible, les gardes ayant l'ordre d'interpeller le nommé FAURE Henri, et ne connaissant que la consigne emmènent manu-militari. Il resta prisonnier quatre jours avant que son incapacité physique soit reconnue. "Gambillou", est donc libéré mais la confusion des noms n'est pas découverte. Si bien que je suis moi-même "oublié" sur les listes des requis pour l'ALLEMAGNE, ce qui explique sans doute pourquoi la police ne vint jamais fourrer son nez chez moi. Il ne m'est cependant plus possible de reprendre mon travail et je doit bon gré passer dans la clandestinité. Cela fait une impression bizarre de se retrouver du jour au lendemain hors-la-loi, rejeté de la communauté. Cela ne répondait absolument pas pour moi à une vocation mais tout valait mieux que de se placer aux volontés de l'ennemi et de ses complices. Comment prendre contact avec un Mouvement de Résistance ? Il faut de renseigner avec beaucoup de précautions, ne sachant jamais qui l'on a à faire à un ami ou à un adversaire. Un voisin de longue date, un commerçant, un collègue, peuvent avoir l'air tranquilles, inoffensifs et appartenir soit à un Groupement de "terroristes", soit à la Milice de DARNAND. Cela s'est vu maintes fois. J'ai assez de chance et au bout de quelques jours, on me présente à un Monsieur COMBE (surnommé la FOUINE) industriel rue des Balives à VALENCE qui, à cette époque, entretient des relations avec le Mouvement "Combat". Par son intermédiaire, je prends contact avec responsable de cette association, à LYON. Quand je lui ai exposé ma situation et mon désir de "faire quelque chose", il me propose d'assurer des liaisons entre les départements de la région. Il m'expose dans le détail les risques que cela comporte, sans me cacher que mes prédécesseurs ont été arrêtés. Je demande un temps de réflexion. Je ne suis pas né pour être un héros et je n'ai pas une foi de militant. Je me révolte simplement par dégoût contre mille abus, je lutte contre les injustices et les cruautés dont mon pays est victime mais pas pour une idée ou une doctrine. Je me rends bien compte que m'engager totalement dans la Résistance, cela signifie rejoindre ceux qui haïssent le régime de VICHY et le nazisme. C'est une aventure qui exige de la détermination et du courage. Il faut se monter digne de ces hommes et de ces femmes ardents, volontaires, prêts à faire le sacrifice de leur vie, ne craignant rien, assoiffés d'action, impatients d'affronter leurs adversaires sur tous les terrains. Peu nombreux, les Résistants font la guerre, le plus souvent avec héroïsme, dans les conditions les plus difficiles, à l'intérieur de la forteresse ennemi. La guerre n'est jamais bonne, même lorsqu'elle est justifiée ou imposée et l'on conçoit que ces soldats de la rébellion, surgis spontanément, agissant en formations dispersées et volontairement cloisonnées, respectant une discipline librement consentie, ne font pas seulement une guerre de francs-tireurs pour "bouter" l'envahisseur mais ils incarnent un sursaut de révolte contre un régime d'oppression. Ils sont donc doublement des hors-la-loi, traqués et traités comme tels. Ils se savent isolés matériellement et moralement, souvent même réprouvés par la majorité de leurs concitoyens qui ne comprennent pas cette attitude de refus et d'obstination farouche. La grande majorité des Français, traumatisée par la débâcle de 40, abusée indignement par la propagande du Gouvernement de VICHY, s'abritant derrière la stature glorieuse d'un vieillard, "Maréchal de France" a déjà fort a faire en luttant quotidiennement pour sa subsistance. De fait, résister paraît un défi à la raison et plus d'un "oracle" dans les rangs même des clandestins, manifeste son scepticisme sur l'efficacité et la durée de la Résistance. Je me rends compte que passer dans les rangs de ces "fous de la France c'est mettre le doigt dans un engrenage dont on ne se dégage plus. C'est aliéner sa liberté d'action, obéir aveuglement, quitter sa famille, rompre avec des habitudes et mettre sa vie en gage, non pas pour quelques jours ou quelques semaines, mais pour des mois, peut-être des années, rien ne permet encore de prévoir l'échéance.

AGENT DE LIAISON

C'est donc lucidement et après avoir mûrement réfléchi que je saute le pas et que j'accepte la proposition de Monsieur COMBE. Je prends immédiatement le train de LYON pour me mettre aux ordres. Dans cette ville je trouve asile chez un très bon camarades de guerre, ECHALLIER, qui possède une torréfaction de café cours Charlemagne. Dès le lendemain matin, j'ai rendez-vous sur le quai du RHONE, à la hauteur du pont MORAND, avec mon contact qui est accompagné par un homme se faisant appeler BATTESTI, un grand maigre, la trentaine, genre intellectuel. Je ne suis pas encore habitué à ce genre de rencontre et je me regarde un peu de l'extérieur, sans bien comprendre que je suis directement concerné, comme si j'assistais à la projection d'un film d'espionnage. Mais en même temps, est-ce la jeunesse ou la formidable faculté d'adaptation de l'être humain, je trouve cela assez naturel, je ne me pose plus de questions, j'assume la situation, j'appendrai plus tard que ce BATTESTI, de son vrai nom Marcel MECK, s'est vu confier par Henri FRESNAY l'organisateur de la région R.1 "COMBAT". Il est diplômé des Sciences Politiques et sa soeur Martine, brunette, s'occupe du Service Social du Mouvement. Il a amené avec lui Anne-Marie SOURCELLIER, alias Melle "BRUYERE" qui est sa secrétaire. Les présentations faites, je reste seul avec BATTESTI et tout en marchant comme d'inoffensifs promeneurs, il me met au courant du travail que j'aurai à faire. Il faut reprendre en main le service de liaison avec les départements de la région R.1. : AIN, ARDÈCHE, DROME, JURA, LOIRE, SAONE-ET-LOIRE, SAVOIE, HAUTE-SAVOIE, ISÈRE dont ils sont coupés depuis l'arrestation de mon prédécesseur il me demande de prendre un nom de guerre, je choisis "CHRISTIAN". De toute urgence, il faut rétablir en premier lieu la liaison avec la HAUTE-SAVOIE. Le point de chute est un magasin d'articles de souvenirs qui de trouve en face de la gare d'ANNECY et dont la propriétaire est Mme ALLAIS. Son mari est chauffeur de taxi, métier pratique pour circuler et approcher beaucoup de gens sans se faire remarquer. Il faut agir avec circonspection car nous ignorons si cette "boîte aux lettres" n'est pas brûlée. BATTESTI m'a remis du courrier, le mot de passe et de l'argent. J'ai rendez-vous avec Mlle BRUYÈRE deux jours plus tard à LYON, pour lui rendre compte du résultat de la mission. Mon train arrive à ANNECY vers 11 heures du matin et je repère tout de suite le magasin. En passant devant la vitrine, j'aperçois une blonde, correspondant au signalement donné. Tout semble normal et je profite d'un moment où il n'y a pas de client pour entrer. La dame blonde s'empresse, arborant le sourire machinal des commerçants et s'enquère de ce que je désire. La regardant bien en face, je lui dis d'un air détaché : "je cherche une cloche de Savoie donnant le do". C'est la formule de reconnaissance. Aussitôt l'expression de mon interlocutrice se transforme. C'est fabuleux ce qu'un "mot de passe" pour stupide qu'il puisse paraître, peut contenir de puissance pour celui qui le prononce en sachant qu'il va lui ouvrir des portes closes et pour celui qui le reçoit en comprenant brusquement que l'inconnu qu'il a devant lui est celui qu'il attendait. Le chauffeur de taxi me met en contact avec les responsables à qui je dois remettre le courrier et ils me confient le leur en échange. Avant de la quitter, je conviens avec Mme ALLAIS d'un signal en cas de danger et me voilà reparti. Tout s'est passé très vite, le plus facilement du monde, c'est pour moi un début encourageant. De retour à LYON je suis exact au rendez-vous et Mlle BRUYERE semble satisfaite de mon rapport. Devant elle, j'aurai toujours l'impression d'être à l'école et d'attendre une bonne note ou une réprimande. Cette brave fille, fidèle, courageuse et réservée, ne ressemblait pas du tout aux héroïnes troublantes des romans d'espionnage. Elle avait le physique et le comportement d'une institutrice de l'Ecole des Soeurs. Les cheveux tirés en arrière et serrés dans un chignon, des lunettes d'écailles, aucun maquillage des toilettes neutres, elle souriait rarement et imposait le respect, bien qu'elle fut une excellente personne. En réalité, elle devait être affreusement timide. Sans faire de commentaire, sans poser de questions, comme s'il s'agissait d'un échange banal de notes administratives, elle me remet un nouveau paquet de lettres, cette fois pour la Saône-et-Loire. Le "point de chute" est un coiffeur pour hommes, installé ure Rambuteau à Macon. Très décontracté, j'en profite pour me faire couper les cheveux et c'est le rituel qui devient déjà pour moi une habitude : mot de passe, échange de courrier et retour à LYON. C'est ainsi que je rétablis les contacts de la Direction Régionale avec les correspondants des départements. - le concierge du Lycée de garçons à LONS-LE-SAUNIER pour le JURA, - le coiffeur, avenue Alsace-Lorraine à GRENOBLE pour l'ISERE. - le patron du "Café Savoyard", François ROCHIER, Avenue de Ghabaril, à VALENCE, où je fais la connaissance de Marcel RANC (MITRON) pour la DROME - BLACHE du "Petit Dauphinois", GUILLERMIN, concessionnaire des Bastille, où je rencontrais Emile GARCON et Fernand BOUCHIER, également à VALENCE. - Mr. Jean TEINTURIER, à la sortie de SOYONS pour l'ARDECHE - Un photographe de BOURG-EN-BRESSE pour l'AIN, - Un plombier-zingueur, rue de la banque à CHAMBERY pour la SAVOIE;. - Mr. PAROT rue des Basses-Rives à ST-ETIENNE pour la LOIRE. - La pharmacie SAMUEL rue du Parc à VILLARS DE LANS. Ces fréquents voyages dans les départements dont j'avais la responsabilité, m'avaient habitué à vivre dans les trains et dans les gares. Je déjeunais et dînais, plus souvent qu'à mon tour, d'un sandwich dans les salles d'attente glacées ou sur des quais balayés par les courants d'air. L'odeur caractéristique des trains à vapeur, mélange de suie, de poussière et de désinfectant imprégnait mes vêtements. Pour que mes apparitions fréquentes sur les mêmes trajets et dans les mêmes villes n'attirent pas trop l'attention, je m'efforçais de changer d'aspect. Toujours sur le qui-vive, je courais sans arrêt, pensant à mille choses pour essayer d'oublier les décors de gare et pour tromper ma soif d'action pendant les longues heures d'immobilité sur les banquettes inconfortables des wagons. Les responsables des départements que je rencontrais étaient des hommes de bonne volonté qui attendaient impatiemment, comme moi, des directives pour entrer vraiment en campagne. Soldats sans uniformes, ils étaient aussi des soldats sans armes. En entrant dans la Résistance, ils avaient espéré attaquer les convois ennemis, faire sauter des objectifs militaires, supprimer des "collabos" mais ils leur manquaient les explosifs, les armes et les ordres. Les liaisons devenant de plus en plus nombreuses, la Direction Régionale est obligée de recruter du personnel supplémentaire. Je propose mon ami MONNET qui se trouve dans la même situation que moi. Il est accepté et prend le nom de "VICTOR". Je prends également dans mon équipe "LEON" qui m'est adressé par la Région. Il entrait aussi dans nos attributions de transporter des exemplaires du journal clandestin "COMBAT", imprimé par André BOLLIER qui possédait une machine à imprimer pesant sept tonnes. Il l'avait installée dans une rue VIALA à LYON et il lui fallait des trésors d'ingéniosité pour la faire fonctionner, en dépit du bruit qu'elle faisait et des coupures de courant. Les journaux sortaient de l'imprimerie dans des valises portant des noms fantaisistes d'expéditeurs et de destinataires. Leur expédition comportait de gros risques en ces temps où les contrôles, les rafles, les fouilles étaient, si je puis dire, monnaie courante, pour parvenir seulement jusqu'à la gare de LYON-PERRACHE sans encombre, il fallait beaucoup de chance. Arrivé là, les choses étaient plus faciles. Les valises étaient enregistrées en "Bagages non accompagnés" et s'il arrivait que l'une d'elle s'ouvre pendant le voyage ou soit fouillée, les noms d'emprunt des étiquettes lui assuraient l'anonymat. A l'arrivée, l'agent de liaison remettaient le bulletin de livraison au responsable départemental qui, avec la complicité d'un cheminot, récupérait le colis. On sait quelle part déterminante, les employés de chemin de fer, les héros de "la bataille du rail" ont pris dans la lutte contre l'occupant. Et puisque nous en sommes aux coups de chapeaux, rappelons que la presse clandestine a eu non seulement des grands martyrs, mais des héros méconnus qui furent déportés ou fusillés pour s'être fait les porteurs silencieux des journaux interdits. Je souhaite, par cette évocation, rappeler et honorer le courage et sacrifice de tous ceux, rédacteurs, imprimeurs, diffuseurs obscurs qui furent les artisans d'une pensée libre.

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Notre Service de liaisons fonctionna sans incident majeur jusqu'au" début de Mai 1943, époque à laquelle "LEON" fut interpellé plusieurs fois par la police. Considérant son jeune âge il fut décidé par mesure de sécurité de le relever de ce poste important où il sera remplacé par une jeune fille, Henriette YVANOFF, surnommé "HYETT" que m'avait présenté Lucien PLOUSSARD, "LULU".

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A quelque temps de là ; je dois prendre possession d'un courrier urgent dans une boîte aux lettres à CHAMBERY. Au moment où je m'approche, trois hommes surgissent et se saisissent de moi. Ce sont deux Italiens et un Allemand qui étaient en surveillance. Je joue l'innocent surpris mais ils m'emmènent malgré mes protestations indignées à la caserne CURIAL. J'étais simplement suspect mais je subis un interrogatoire serré. Les policiers ne trouvant rien de compromettant sur moi me confisquent mes papiers d'identité pour vérification et m'enferment dans un petit bâtiment servant de prison militaire. Bien entendu les papiers sont des faux et il va leur être facile de le découvrir. La situation est sérieuse. Je sais ce qu'il va m'arriver si je tombe entre les mains de la Gestapo et je préfère ne pas m'arrêter à cette éventualité. Il faut absolument que je m'échappe pendant qu'il en est encore temps. La nuit est tombée, un garde m'a apporté un frugal repas et j'espère que l'on ne s'occupera plus de moi jusqu'au lendemain matin. Je dois agir vite. La prison est une simple baraque en brique, tout au rez-de-chaussée, accotée au mur d'enceinte. La cellule que j'occupe est minuscule, deux mètre cinquante de long sur un mètre vingt de large. Pour toute ouverture il y a une petite meurtrière ne permettant même pas de passer la tête et la porte en bois massif, bardée de ferrures, comporte un judas pour surveiller les détenus. Inutile d'essayer de la forcer avec mes mains nues. Par contre le plafond me parait moins solide. Sous le plâtre humide, lézardé et se détachant par plaque apparaissent en transparence les liteaux, ces minces baguettes de bois caractéristiques des constructions traditionnelles de la région. Le tout ne constitue pas un obstacle bien résistant et derrière ce serra le vide et les tuiles. Je dois pouvoir passer par-là, mais comment atteindre le plafond, à part la paillasse à même le sol, il n'y a rien sur quoi je puisse grimper. J'ai pratiqué l'alpinisme et je me souviens de la technique de la varappe. Cela consiste, dans une "cheminée" à prendre appui avec son dos sur l'une des parois et à progresser avec les pieds sur celle d'en face. On se hisse ainsi, centimètre par centimètre. Ici les murs son lisses et aucune aspérité ne permet de s'agripper. Mes chaussures glissent et je retombe à terre à chaque essai. Peut-être les pieds nus auraient-ils plus de prise ? J'enlève chaussures et chaussettes. Ca marche ! C'est très fatiguant mais il faut absolument que je m'élève. Enfin ça y est, mes mains touchent le plafond et je gratte le plâtre. Heureusement qu'il s'émiette tout seul car je ne tiendrais pas très longtemps dans cette position acrobatique. Les liteaux se brisent facilement et j'ai maintenant un trou suffisamment large pour passer à l'étage au-dessus. C'est bien ce que je prévoyais, le toit est en pente, les tuiles sont à ma portée et les solives ont un écartement permettant le passage. L'opération a duré à peine deux heures mais s'est avérée bruyante et pour ne pas attirer l'attention sur la nature de mes travaux, je chantais de bon coeur : "MARILOU". Me voici enfin à l'air libre. La lune a eu la gentillesse de ne pas se lever et je distingue l'extrémité du toit coupée par la ligne sombre du mur d'enceinte qui me sépare encore de la liberté. L'enfourcher est un jeu d'enfant mais de l'autre côté, c'est le trou noir. Si je me souviens bien il a au moins quatre à cinq mètres de haut. Il faut sauter. On verra bien si je me casse une patte, je me suspends à la crête et avec le plus de souplesse possible, je lâche tout. A la réception, une curieuse sensation de picotement sois mes pieds nus mais j'enfonce mollement... dans un tas de gravillons que les Ponts et Chaussées avaient eu la délicate attention de déposer exactement à l'endroit où je devais sauter. Il n'y a pas que dans les romans que les héros ont de la chance. Elle continue d'ailleurs à me sourire puisqu'un passant compréhensif arrivant à propos m'apprend que je suis dans la rue Michaud. Il réalise vite la situation et offre de m'aider. Il se nomme GILBERT et est mandataire au marché de CHAMBERY. Quelques instants plus tard, après avoir procuré une paire de chaussons, il me fait prendre place à bord d'un camion de ravitaillement à destination de GRENOBLE. Aussitôt arrivé dans cette ville, je prends le train pour VALENCE où je me rends au "café Savoyard" demander à Lucien PLOUSSARD de partir sur le champ à LYON prévenir "HYETT" que la boite aux lettres de CHAMBERY est "brûlée" et que j'attends des instructions à VALENCE. Dès le lendemain ses amis Emile GARCON (MILOU) et Fernand BOUCHIER me fabriquent de nouveaux papiers d'identité. Un jour chasse l'autre dans notre "métier" et l'on n'a pas le temps de s'attarder sur ses états d'âme. Le surlendemain de mon évasion de la caserne de CHAMBERY, HYETT, avec ses airs mystèrieux de conspiration, le transmet un rendez-vous de la part de BATTESTI. HYETT était à l'opposéde Mlle BRUYERE, 25 ans, plutôt belle fille, elle aimait se donner de l'importance et ne pouvait faire les choses les plus simples sans prendre des attitudes. Je crois qu'elle était un peu mythomane et se prenait pour Mata Hari. åu demeurant, sérieuse et efficace. En l'occurence la situation s'y prêtait puisque le rendez-vous était fixé dans un café-dancing, à ESTRESSIN, près de VIENNE. Les lieux de rencontre devaient être constamment changés et l'on choisissait ceux où l'on avait le plus de chance de passer inaperçus. Je trouvais BATTESTI attablé en compagnie de DUVERNOIS (MOLHER) et de DARCIEL (MONTAGNE) qu'il me présente. Après m'être fair servir une bière je fais le compte-rendu des derniers évènements. Il n'était pas aisé de se faire entendre au milieu du brouha général, (au moins nous étions sûr ainsi) d'échapper à d'éventuels curieux. Le récit de mes pérégrinations constituait un couplet insolite mais BATTESTI n'en conclut pas moins que j'étais "grillé" dans le secteur. Nous sommes d'accord pour penser qu'il serait imprudent pour tout le Réseau que je poursuive mes liaisons et il est décidé que je serai remplacé à la tête de l'équipe par MONNET (VICTOR).

COMMENT JE SUIS NOMMÉ CAPITAINE

PROSPECTEUR DE TERRAINS

Une autre mission m'attend pour laquelle ma grande connaissance de la campagne et de la montagne de la région RHONE-ALPES va me rendre des services inestimables. Il s'agit de rechercher des terrains susceptibles de réceptionner les parachutages d'armes et de matériel qui ont été annocés par LONDRES. Je suis mis en rapport avec Léopold VIGNERON qui se fait appeler "Madame GAUTHIER". Notre première entrevue est très brève, commme son interlocuteur. Ce mathématicien conservait en permanence l'air sévère du professeur. Il s'exprimait d'uen voix retenue sur un rythme saccadé, en terme clairs et concis. Il lâchait les mots comme à contre-coeur, se limitant au strict minimum, sans manifester aucun sentiment personnel. Nos rencontres duraient parfois quelquessecondes. Il disait brièvement ce qu'il était utile de dire pour le service et tournrait le dos sans formule de politesse. Ce jour là, après m'avoir posé quelques questions précises, il me fixe rendez-vous pour la semaine suivante denant l'entrée du Parc de la Tête d'Or de LYON, à 14 heures. Nous y arrivons tous deux avec exactitude et "Madame GAUTHIER" m'invite à faire une partie de canot sur le lac, afin de pouvoir discuter en toute sécurité. Pendant que je rame, il m'expose les tenants et les aboutissants de ma future mission. Je dois repéré dans les départements de la DROME et de l'ARDECHE des terrains suffisamment grands et plats, éloignés de toute agglomération. Il m'indique comment relever les coordonnées topographiques sur une carte Michelin. Les terrains doivent répondre à des critères précis etr sont répartis en trois catégories : - Terrains d'atterrissages : Longueur 1500 m au moins, absolument plats, éloignés le plus possible de toute habitation et de points culminants. Abris proches, moyens de communications, absence de D.C.A ennemie. - Terrains homo-arma : Terrains dont la nature du sol ne permet de recevoir du personnel sans risques d'accidents. - Terrains arma : Terrains dont la nature du sol ne permet pas de recevoir des agents sans risques mais seulement du matériel. Je devais également recruter et instruire, pour chaque terrain, des équipes de réception et trouver à proximité des caches pour entreposer le matériel parachuté. L'ensemble des coordonnées des terrains repérés était transmis à LONDRES par "Madame GAUTHIER" du Service Régional du C.O.P.A, l'aviation anglaise venait les photographier et après vérification ils étaient acceptés et homologués. Il leur était alors attribués un nom de code et un ensemble de "Messages Personnels" qui devaient être diffusés par la B.B.C à 13 h 15 pour nous avertir de la date d'un parachutage. Si l'opération était confirmée, le message devait être répété au cours de l'émission de 21 h 15. Au sol, nous devions signaler notre présence aux aviateurs alliés par des signaux lumineux en alphabet morse, émis par une lampe électrique blanche.

CRÉATION DU C.N.R.

Jean MOULIN (REX) suivant les directives du Général DE GAULLE était parvenu à regrouper en une sorte de "Parlement de la Résistance" tous les principaux Mouvements appartenant aux grandes tendances politiques, des communistes à la droite conservatrice, ainsi que les Fédérations syndicales, la C.G.T et la C.F.T.C. Se faisant tour à tour à l'avocat des uns et des autres il les a convaincus de participer à une première rencontre historique, le 27 Mai 1943 dans l'appartement de Monsieur CORBIN, 48 rue du Four à Paris, Jean MOULIN présidait la réunion en tant que représentant officiel du Comité National de La France Libre. Y assistaient : AUBIN de "COMBAT" - CLAUDUS PETIT, de "FRANC-TIREUR" - Charles LAURENT de "LIBERATION-NORD" - Pascal COPEAU de "LIBERATION-SUD" - VILLON DU "FRONT NATIONAL" - TOUNY DE "l'ORGANISATION CIVILE ET MLITAIRE" (O.C.M) - LE NORMAND de "Ceux de la Libération" (C.D.L.L.) - LECOMPTE-BOINER de "Ceux de la Résistance" (C.D.L.R.) - MERCIER du "Parti Communiste" - LE TROQUER (S.F.I.O) Marc RUCARD du "Parti Radical" - Georges BIDAULT "Démocratie chrétienne" - LANIEL de "l'ALLIANCE Démocratique" - DEBU-BRIDEL de "Fédération Républicaine" - TESSIER de la "C.F.T.C." et mon ancien camarade d'école et ancien secrétaire des Syndicats de la DROME, Louis SAILLANT pour la "C.G.T.". Cette réunion aboutit à la création du C.N.R. (CONSEIL NATIONAL DE LA RESISTANCE). Grâce à Jean MOULIN, la FRANCE a réalisé la plus large union de son histoire. Pour cela il a mérité le titre glorieux d'UNIFICATEUR DE LA RESISTANCE.

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En application de la note de service n° 1211, de l'Etat Major particulier du Général DE GAULLE, le 2éme Bureau (S.R) de la France-Libre devient le B.C.R.A. "Bureau Central de Renseignements et d'Action". C'est lui qui décide d'envoyer en France des Officiers de liaisons spécialement chargés d'assurer les contacts entre la métropoles et LONDRES et d'enregistrer la réception du matériel de guerre. Ces missions étaient en rapport avec Jean MOULIN qui coordonnait leurs actions et leur transmettait des directivec générales. L'une de ces missions s'appelle le S.O.A.M. ou Service des opérations Aériennes et Maritimes". Elle sera scindée en deux groupes : en zone occupée, la B.O.A "Bloc d'OPERATIONS Aériennes" et en zone libre, le C.O.P.A. "Centre d'Opérations de Parachutages et d'Atterrissages". Celui-ci devra calquer son organisation sur le découpage des régions militaires de l'Armée Secrète (A.S.) en formation. Elle comprenait trois opérationnelles pour la zonz libre (voir la carte A/EC 560) : - R.1 et R.2 : Responsable : Bruno LARAT (Luc ou Xavier PARICOT) parachuté en Février 43 sur le terrain de LINTIGNY dans la LOIRE. - R.3 et R.4 : Responsable : "ARTHUR". - R.5 et R.6 : Responsable : "JAC". Raymond FASSIN (SIF) est le chef du C.O.P.A à qui LONDRES destine le message d'alerte : "BOSSUET à BOUDALOUE" qui annoncera des messages conventionnels et secrets, ces phases sibyllines qui intriguent ou amusent les profanes mais ont un sens précis pour les initiés. Après l'arrestation et la déportation de FASSIN, Bruno LARAT prend la direction du C.O.P.A.

C.O.P.A - responsable des Centre d'Opérations

de Parachutages et d'Atterrissages

C'est à cette époque que se situe mon entrée dans ce service en tant que responsable des départements de l'ARDECHE et de la DROME. J'étais, comme nous l'avons vu, en contact avec le responsable régional Léopold VIGNERON (Madame GAUTHIER) et par son intermédiaire, je pouvais communiquer avec l'ANGLETERRE. Chaque semaine je venais au rapport, à LYON, pour tenir "Madame GAUTHIER" au courant de mes investigations. Il est évident que je devais consacrer tout mon temps à ce service et afin de régulariser administrativement ma situation, on me demande de contracter un engagement dans les Forces Françaises COmbattantes, en application du décret 366 du 25 Juillet 1942. Mon affectation prit effet le 1er Juin 1943. Au 31 Juillet 1943 les F.F.L comptaient 31.900 engagés volontaires et avaient déjà perdu 5.200 tués. J'étais AGENT P.2, chargé de Mission de 1ere Classe, ce qui correspondait au grade de Capitaine. Je recevais la solde attribuée aux trois ficelles. Mon contrat d'engagement portant ma véritable identité et rédigé en clair a été envoyé à LONDRES par l'intermédiaire de Paul RIVIERE qui partait à LONDRES pour y subir un entrainement de la R.A.P par un atterrissage clandestin qui eu lieu dans la nuit du 15/16 Juin 1943 sur le terrain "Marguerite" près de MACON; avec d'autre passager, et j'apprendrais par la suite que cette engagement a échappé depuis à la gestapo, lors de la prise du bureau C.O.P.A à la suite de l'arrestation de Caluire du 21 Juin 1943, (Voir lettre à VON RIBBENTROP du 29 Juin). cf page J'éprouvais beaucoup de fierté à cette nomination car je savais que seule l'efficacité influait sur le choix des Chefs et leurs grades correspondaient à l'importance de leurs fonctions. Je pris alors le nom d'"ALBERT".

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Au printemps 43, tandis que la nature reverdit et que les oiseaux préparent leurs couvées, l'activité de la Gestapo et de la Police provoque des ravages, aussi bien parmi les Mouvements de Résistance que dans les Réseaux. Le Général DELESTRAINT, Chef de l'Armée Secrète est arrêté le 9 Juin par la Gestapo alors qu'il avait rendez-vous à la sortie de la station de métro Pompe, à PARIS. Il avait été dénoncé et il sera assassiné au camp de DACHAU, après 22 mois de captivité. C'est sans nul doute son arrestation qui a permis celle de Jean MOULIN, lors de la réunion du 21 Juin chez le Docteur DUGOUJON à CALUIRE près de LYON. Les Allemands avaient également été renseignés et le piège de referma sur Raymond AUBRAC, André LASSAGNE, Henri AUBRY, Bruno LARAT, le Colonel SCHWARSFELD et HARDY. Qui avait trahi ? De graves soupçons pesèrent par la suite sur certains de ces hommes sans que l'affaire puisse être vraiment élucidée.

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A la suite de ce dramatique évènement, le B.C.R.A décide de décenteraliser le plus possible nos organisations chargées d'effectuer la réception d'armes et de matériel. Une restructuration met en place un Officier d'Opérations par Région, à partir d'Août 43 ainsi qu'un certain nombre de responsables hiérarchisés.

S.A.P - Section d'Atterrissages Parachutages

Le C.O.PA devient S.A.P "Section d'Atterrissages Parachutages". Paul RIVIERE (Marquis), de la Mission GALVANI est rappelé d'urgence en FRANCE POUR REMPLACER LARAT et parachuté avec le saboteur Marcel PELLAY (PAQUEBOT) le 23 Juillet 43 sur le terrain VINCENT près de COMARTIN en SAONE-ET-LOIRE et réceptionné par Henri GILLERNIN (PACHA). Il prend la direction de R.I et assure la coordination de toutes les Régions de la Zone Libre. LONDRES lui attribue comme message d'alerte : "DU PERE NOEL A PITCHOUNETTE", puis par la suite "DE CARNAVAL A MARDI-GRAS". Pour la secrétaire du coordinateur "JEANNICK", le message est : "DE LA TRUFFE AU FOIE GRAS". Ces codes sont destinés à les prévenir que les messages qui suivent les concernent. Dans la nuit du 14 au 15 Septembre 1943 sur le terrain "ORION" arrivent par atterrissage Bourges-Monoury avec GAILLARD (TRIANGLE) ainsi que Camille RAYON (ARCHIDUC) Chef S.A.P pour la région R2 pour succèder à MARIANI Alias DUVAL qui avait échappé de justesse à la Milice dans la DROME, lors d'une réunion au café "SAVOYARD" Avenue de Chabeuil à VALENCE, avec le propriétaire Fernand ROCHIER, Lucien PLOUSSARD, Marcel RANC et le fils du concierge du Lycée de Garçons de LONS-LE-SAUNIER.

Recherche des terrains

Ma prospection pour la recherche des terrains entre dans une phase concrète. Georges CHABANNES de LIVRON, avec qui j'ai pris contact par l'intermédiaire d'Emile GARCON (MILOU) m'informe que son ami Louis VALETTE connaît un terrain qui lui a été signalé par Charles (CRADOT), il se situe sur le plateau de SOULIER, commune d'ALLEX (DROME). Me rendant sur les lieux, je découvre un superbeterrain plat, bien dégagé, d'où la vue s'étend sur plusieurs dizaines de kilomètres, d'un accès facile, à proximité de la ferme de Papa Edouard CHABANNE qui nous est acquis avec toutes sa famille et ses enfants Suzannes et Pierre. Je relève les coordonnées après avoir très exactement situer le terrain sur la carte Michelin, en appliquant sur celle-ci la grille secrète en papier calque, formée de carrés de 1/2 centimètres s'inscrivant dans un rectangle de 7 sur 11 centimètre. En abcisse, une série de lettres et en ordonnée des chiffres qui varient suivant le département. Je pose cette grille sur le rectangle que forme sur la carte les tracés de la longitude et de la latitude du terrain, et j'obtiens les coordonnées suivantes : (voir carte ci-contre) - Au Sud de la latitude 49 G 80 (Repère A) - A l'Est de la longitude 2G 80 (Repère B) Le terrain est donc situé à l'horizontale de la case 14 et à la verticale de la case N ( Repère C) Je transmet à Madame GAUTHIER les indications suivantes : - Carte Michelin 77 Plie 12 (Repère D) - Sud 49 G 80 N - Est 2 G 80 14 Elles seront transmises à LONDRES pour homologation et, quelques jours après "Madame GAUTHIER" me transmet l'acceptation. CE terrain prend le nom de code "TEMPLE" lettree de repérage P. Messages : - "VALENTINE VEUT ETRE SOLDAT" - "L'ASPIRANT FAIT SENSATION " C'est la première fois depuis les évènement que cette grille secrète est révélée et que sont décodés en clair les messages destinés aux Résistants par la Radio de Londres.

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Pierre REY, imprimeur à TAIN-L'HERMITAGE (DROME), à qui je me suis adressé pour la recherche d'un terrain, m'en indique un à 10 km au Nord de cette ville, situé à l'intersection d'un chemin 1 C 9 et 1 C 12, au quartier de PILON. Très bel espace, bien dégagé, les coordonnées transmises par le processus habituel. LONDRES l'homologue, le désigne par le nom de code "CHLORE" et donne pour identification la lettre "L" avec les messages : - "ADOLF BOIRA UN BON PERNOD" - "RUDOLF EST BIEN ARRIVE "

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MABOUX Jean-Marie, électricien à SAINT-UZE (DROME) a repéré un terrain sur un plateau au-dessus de ce village, quartier de LESPINASSE. Terrain splendide, très grande visibilité, mais je ne possède pas encore d'équipe pour en assurer le service. Celle de TAIN devra assurer la réception. La demande d'homologation est accordée par LONDRES sous le nom d' "AJUSTEUR" avec la lettre "P" pour sa reconnaissance et les messages : - "LE MUEZZIN A LANCE SON APPEL " - "LE TUYAU EST TROP LONG " - "MOUTONS SUR LA DUNE "

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Monsieur COTTE, ancien combattant de la guerre 14-18, chapelier à SAINT-DONNA L'HERBASSE (DROME), m'indique un terrain à l'est de son village, dans la vallée de la rivière l'HERBASSE à 14 km au nord de la route de ROMANS, sur un plateau près du "BOIS DE LA VACHE". Ce terrain sera accepté et prend le nom de "PLUTON ", avec la lettre "A" pour identification et les messages : - "NAPOLEON AIME LES GROGNARDS " - "CENDRILLON AIME LES CITROUILLES "

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Jean FERROUL, mécanicien à SAINT-NAZAIRE-EN-ROYANS (DROME) me signale deux terrains susceptibles de m'intéresser. L'un est situé dans la plaine de l'ISERE près du village d'EYMEUX, l'autre sur la montagne, au-dessus de la BEAUME d'HOSTUN. Homologation par LONDRES. Le premier prend le nom de "AGONIE " avec la lettre "G" et comme messages : - "REFLECHISSEZ ET AGISSEZ " - "LE PAIN EST MOISI " - "LE COQ EST UN EMBLEME". La dénomination du second est "AGRAFE", lettre "R". Messages : - "LA SYMPHONIE EST ACHEVEE " - "LES MUSES SONT FATIGUEES "

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Au cours de mes longues randonnées dans la nature, plusieurs terrains ont attiré mon attention. L'un est situé dans la plaine de l'ISERE entre les villages de CHANOS-CURSON et CHATEAU-NEUF D'ISERE, (DROME) qui prend le nom d' "AIGUILLON" avec "U" comme lettre de reconnaissance, et les messages : - "LA POESIE EST LYRIQUE " - "LE MELEZE EST HAUT " Le deuxième se trouve sur le petit terrain d'aviation de PIERRELATTE , DROME, baptisé par LONDRES "AGNEAU", lettre de reconnaissance "Q", messages : - "CETTE BARCAROLE ME BERGE" - "LA SEVE MONTE". Un troisième se situe dans la Vallée de la DROME entre les villages de BLACONS et SAILLANS, (actuellement Centre de Vol à Voile). Il est baptisé "STELLA" et a pour indicatif la lettre "V" avec les messages : - "ON RIGOLERA LE 14 JUILLET " - "JE COMBATTAIS A VALMY "

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Michel BANCILHON et Marcel JARDON de AUBENAS (ARDECHE) m'indiquent en plusieurs fois, des terrains. Le premier visité se trouve à 5 km environ au Sud de la ville sur un plateau désertique, à LANAS, son nom sera "ACIER" avec comme lettre "X", messages : - "J'ENTENDS CHANTER LES CIGALES " - "LA FUMEE NOIRCIT LA FAÇADE" Puis deux terrains près du GERBIER DES JONC (ARDECHE) où la LOIRE prend sa source. Ils auront pour nom "ADJOINT ", lettre "J", messages : - "J'AFFIRME CE QUE JE SAIS " - "JE CALCULE MENTALEMENT " et "ACANTHE" lettre "N" messages : - "LE CIRCUIT EST FERME " - "LA VASELINE EST MENTHOLEE" Ces deux terrains sont très dégagés et nous avons avec nous le propriétaire du Chalet du GERBIER DES JONC, Monsieur René CHAMPEL, qui se met à notre entière disposition.

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Par Michel BANCILHON, je prends contact à BOURG-SAINT-ANDREOL (ARDECHE) avec l'instituteur Jean BRAUSSIER qui m'indique un terrain qui aura pour nom "ALBATROS" indicatif "L" messages : - "JE REVE AU PAYS LOINTAIN " - "LA MOISSON EST PROCHE". Pierre REY de TAIN-L'HERMITAGE me propose un terrain dans l'ARDECHE, près du village de PLATS à une quinzaine de kilomètres de TAIN-L'HERMITAGE, il est baptisé "AIL", indicatif lettre "L" messages : - "LE SOL EST MEUBLE " - "URPIN EST CHIMISTE "

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" Madame GAUTHIER" m'informe que le coordinateur Paul RIVIERE (Marquis) m'adjoint LONGEPIERRE alias "COSTE " pour me seconder dans mon travail. Il vient de SAONE-ET-LOIRE et faisait partie de l'équipe de Henri GILLERMIN "PACHA" qui s'est envolé pour LONDRES, le 23 Septembre 43. Il est hébergé dans la villa de Mr et Mme VINSON, impasse Vachette, où couchera également le saboteur "Jean-Marie" En moto, ensemble, nous parcourons les départements de la DROME et de l'ARDECHE à la recherche de terrains. Albin DAVIN (alias Noël) chef de cuisine à l'Hôtel de France à VALENCE, nous indique un terrain près de MARSANNE (DROME) dont il est originaire, ce terrain aura pour nom "FABERT" (repère "E" de la carte) lettre de reconnaissance "F", messages : - "LE SANG EST ROUGE " - "LA BLESSURE EST BEANTE " Une connaissance de LONGEPIERRE (COSTE) que mes hommes ont surnommé "MEDOR" à cause du flair remarquable qu'il possède pour dénicher de nouveaux lieux ou pour prévoir les événements, nous indique un terrain près d'ANNONAY (ARDECHE). Son nom sera "JADE ", sa lettre "P", et ses messages : - "LEONIDAS EST SIDERE " - "SPARTACUS MANGE FROID " ainsi qu'un terrain au-dessus de TOURNON (ARDECHE) dans la Vallée du DOUBS qui s'appellera "GRAND DUC" avec la lettre "C" comme indicatif et les messages : - "FERNAND DANS LA VALSE " - "PETRUS EST IVRE MORT "

Passer à l'action

Ce n'était pas le tout d'avoir des terrains, il allait maintenant falloir s'en servir. Les équipes que j'avais rassemblé étaient formées en partie d'hommes pleins d'enthousiasme mais qui avaient tendance à considérer cette aventure comme un grand jeu scout, leur imagination prenant le pas sur la raison. Je crus bon de mettre les choses au point une fois pour toutes. Je réunis les chefs d'équipe et leur tins à peu près ce discours : - Nous n'allons pas sur ces terrains pour nous amuser et il faut que vous soyez conscients de vos responsabilités et des dangers que vous allez courir. J'ai besoin d'hommes responsables, décidés s'il le faut à risquer leur vie. Personne n'est obligé et il est encore temps de se retirer. Ceux qui resteront devront garder le secret le plus absolu sur nos activités. Je le répète encore une fois, une imprudence de langage peut non seulement compromettre une opération de guerre, mais causer beaucoup de victimes. Pas un mot à personne, ni à vos familles ou à vos épouses si vous êtes marié. Ceci est un avertissement que je ne renouvellerai pas, il ne saurait y avoir de pitié pour celui qui serait responsable de ce qui pourrait arriver à un ou plusieurs d'entre nous. Le jour du parachutage, je vous préviendrai en temps voulu et vous donnerai tous les détails. Tenez-vous prêts, il faudra être disponible de jour comme de nuit. Aucune excuse ne sera admise !

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Ces mises en garde n'étaient pas inutiles car au début du mois de Septembre 43, la situation militaire de la Résistance est assez critique. L'activité accrue de la Police et de la Gestapo se traduit par de nombreuses arrestations et un certain flottement en résulte dans les Mouvements. Le B.C.R.A. étudie en collaboration avec les chefs de Résistance à LONDRES, une nouvelle organisation répondant aux nécessités militaires et à la sécurité. Après plusieurs pourparlers entre les services britanniques et les chefs de Mouvements de Résistance, l'ordre de mission des Officiers prêts à partir pour la FRANCE fut rédigé. Ces Officiers prirent le nom de Délégués Militaires (D.M.). Il fut décidé de nommer un Délégué Militaire par zone et douze Délégués Militaires Régionaux (D.M.R.). (Voir carte A/EC 560 du 19/8/1943). La zone sud comprenait : R1 - R2 - R3 - R4 - R5 - R6. Le D.M.R. de la région R1 fut BOURGES-MAUNOURY, alias "Polygone" ayant comme adjoint "Triangle" Charles GAILLARD. Dans ses fonctions le D.M.R. traite des questions : - des effectifs ; - des renseignements militaires. De la mise en place des Plans d'Organisation des groupes paramilitaires. Il doit fournir mensuellement à LONDRES : a) un état numérique et géographique des effectifs de sa région ; b) la copie de l'ensemble des renseignements d'action qui lui sont parvenus ; c) un état des terrains de parachutage, et d'atterrissage communiqué par l'Officier chargé des opérations, à charge pour celui-ci de faire un rapport technique sur chacun des terrains, ainsi qu'un programme d'opérations ; d) il recevra de l'Officier chargé des parachutages le relevé des opérations effectuées, les résultats obtenus, la cause de l'échec s'il y a lieu, la liste du matériel arrivé, en précisant qu'il a reçu : - X containers de "PLAN VERT" ; - X containers de "PLAN ROUGE" ; - X containers d' "ACTION IMMEDIATE" ; e) l'armement et les explosifs devront être affectés en priorité aux équipes exécuteront en première urgence les Plans ordonnés par l'état-major interallié. Ces ordres seront transmis sous forme de messages personnels par la Radio de Londres et devront être exécutés dans les 24 heures, ils seront répétés autant de fois que les messages passeront à l'antenne. - "JE CHERCHE LE TREFLE A 4 FEUILLES " et- "LE PREMIER ACCROC COUTE 200 FRANCS " seront pour le "PLAN VERT" concernant le sabotage des voies ferrées et la guérilla à outrance. " LA VOIX HUMAINE EST MORTE " ou" LE BOURDONNEMENT ASSOURDI " seront pour le "PLAN VIOLET", coupures des lignes P.T.T. à grande distance.

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A la fin de Septembre 43 la S.A.P. possède onze terrains dans la DROME et huit dans l'ARDECHE. Les chefs d'équipes avaient recruté leurs hommes parmi les Résistants de la première heure, déjà éprouvés. Ils écoutaient les messages personnels diffusés à 13 heures 15 malgré le brouillage des Français et des Allemands. En principe, les hommes de l'équipe ne devraient pas connaître la formule de message de leur terrain, mais presque toujours on avait dû le leur révéler, comment en effet prévenir au dernier moment des hommes dispersés dans les villes ou les campagnes. La radio était encore le moyen le plus sûr et le plus discret. Aussi tous attendaient-ils avec anxiété cette phrase baroque, mystérieuse pour les non-initiés : "NAPOLEON AIME LES GROGNARDS" ou d'autres qui signifiaient pour eux la venue le soir-même, sur un terrain dont ils ne connaissaient pas l'emplacement d'un avion parti d'ANGLETERRE. Ils n'étaient pas d'ailleurs sans éprouver quelque fierté intérieure de ce savoir. Mais vainement ils restaient à l'écoute de la B.B.C. chaque jour et les messages attendus ne passaient pas. Le doute et le découragement se glissèrent dans les équipes les chefs eurent du mal à conserver leur cohésion et à maintenir leur foi. Malgré mes instructions, conformes aux thèses de LONDRES qui voulait un cloisonnement très strict, la plupart des hommes ont une activité résistante en dehors de ce service, soit qu'ils distribuent des tracts, des journaux clandestins, soit qu'ils organisent des maquis ou se livrent à des sabotages par leurs propres moyens. Quand un mouvement intensifie, multiplie ses actions et augmente ses effectifs, il se pose obligatoirement des problèmes d'organisation auxquels s'ajoutent les difficultés inhérentes à la clandestinité. Pour nous, les problèmes techniques étaient à peu près résolus mais nous n'avions pas prévu de structures de protection, c'est-à-dire un service d'information et l'intendance faisait complètement défaut. CHAMBRIER, alias "Bagnole" - on comprendra pourquoi - apporta un début de réponse à la question du matériel roulant. Militaire de carrière, il avait participé au moment de l'Armistice de 40, au camouflage de matériel militaire pour le soustraire à l'ennemi et éviter qu'il ne soit remis aux Commissions Italo-Allemandes. C'est ainsi qu'il put récupérer pour nous un camion RENAULT tout neuf qui avait été caché chez un particulier, Montée du Long à BOURG-LES-VALENCE, dans la DROME. Il manquait la batterie mais un artisan électricien-auto, GLEYE, établi Avenue de la Marne à VALENCE, m'en fournit une gracieusement. Mon ami Firmin FAURE, un autre homonyme qui se faisait appeler "Etienne" me proposa de le garer dans son atelier, Rue du Pont de Gat, face au bar MARIUS, tenu par un ami de mon père, Junique MARIUS. L'administration des Ponts et Chaussées possédait justement un véhicule du même modèle, de couleur grise. En repeignant le nôtre de la même teinte et en lui empruntant ses numéros d'immatriculation, nous aurions la possibilité de parcourir les routes sans susciter de curiosité. Il fallait aussi prévoir des contrôles possibles sur les routes et l'un des nôtres, Jean LOUBET (LEPAGE), rédacteur principal à la Préfecture de la DROME, me remit une carte grise correspondante et une autorisation de circulation tout à fait en règle, au nom des Ponts et Chaussées. " MILOU" (Emile GARÇON) nous composa des cartes d'identité correspondant à notre nouvel emploi. Nous pouvions rouler relativement tranquilles si nous n'avions pas la malchance improbable d'être contrôlés par la Police au moment où le vrai camion des Ponts et Chaussées passerait par là. Le bar MARIUS devient vite notre lieu de rendez-vous habituel. Marius a des clients volontiers bavards, les gendarmes viennent consommer chez lui et l'inspecteur FERROTIN, secrétaire du Commissaire Central GUNZER, fervent admirateur de HITLER, ainsi que ses collègues TERRASSE et SIMAL, le tiennent au courant des activités de la Police. Il peut ainsi nous fournir des renseignements précieux. Pour compléter mon service d'information, je fais la connaissance d'une réfugiée alsacienne, madame WILMESS, employée au Central Téléphonique. Elle comprend parfaitement l'allemand et écoute toutes les conversations des autorités d'occupation. C'est mon vieil ami France BASTIA qui faisait partie avant la guerre de notre club "SKI-MONTAGNE" et travaillait déjà aux P.T.T. qui me met en relation avec cette courageuse femme. Je l'ai retrouvé lui-même grâce à Jean LOUBET, chef départemental du N.A.P. (Noyautage des Administrations Publiques). Le hasard, ou la Providence, font bien les choses. En outre, Henri CHATELAIN, chef de la voirie et Gabriel CHANAS, surveillant de travaux me signalent tout ce qui est susceptible de m'intéresser à la Mairie de VALENCE. Je suis tenu au courant du trafic ferroviaire par un cheminot du P.L.M., Etienne BRAVAIS qui participe en même temps à notre équipement en soustrayant à son administration une bobine de 300 m de câble et deux conducteurs qui vont nous servir pour baliser les terrains de parachutages à partir d'une batterie électrique. Nos rencontres ont lieu au café GERIN, Rue Génissieux à VALENCE, dont les propriétaires sont des Résistants. Un parent de Junique MARUIS, le gendarme REYNES, secrétaire du Commandant de la Gendarmerie de la DROME, nous transmet toutes les circulaires venant du Ministère de l'Intérieur et leurs modalités d'applications. C'est ainsi que j'ai eu connaissance d'une circulaire datant du 10 Octobre 1943, émanant de Pierre LAVAL et du Gouvernement de VICHY, dont voici un extrait : " De nombreux parachutages de matériel en territoire français, par des avions britanniques, ont été récemment constatés, surtout en période de pleine lune. Les mesures suivantes sont immédiatement à prendre dans toutes les brigades. 1) Constituer dès que possible, si ce n'est déjà fait, un réseau d'Agents de Renseignements susceptibles de signaler sans délai à la Gendarmerie, tout passage suspect d'avion croisant dans la région et volant bas. Si les faits signalés constituent des indices sérieux de parachutages, ils alertent les brigades de la région survolée. 2) Il est important de barrer les voies d'accès de la région survolée, de vérifier et de relever l'identité de tous les individus rencontrés, de les garder éventuellement à vue, de s'enquérir de façon précise des motifs qu'ils peuvent avoir pour circuler et de vérifier ces motifs. Les Officiers voudront bien veiller personnellement à l'exécution qui révèlent une importance particulière".

1943

AUTOMNE-HIVER

LE GENERAL GIRAUD REJOINT ALGER

LE CONFLIT GIRAUD-DE GAULLE

L'AVIATEUR ANGLAIS

L'ATTAQUE DU TRAIN

"EUREKA" - PREMIER PARACHUTAGE

LES MAQUIS

Cette fin d'été 1943 incite à la douceur de vivre. La nature est magnifique, indifférente à la folie des hommes et la population essaie, autant que faire se peut, d'oublier la guerre, peu perceptible dans notre province. Les Résistants eux-mêmes, sauf ceux qui ont des responsabilités, se laissent prendre à l'apparente tranquillité continuent par habitude à écouter la radio de la FRANCE-LIBRE qui, malgré les brouillages; apportent le témoignage d'une délivrance future. Mais notre message n'arrive toujours pas, comme si l'on nous avait oublié. C'est alors que Mme THOMAS, dite "Pierrette", Agent de Liaison de "Marquis", chef de la Région "1" et coordinateur de toute la zone libre, m'apporte une convocation de la part de son patron. Il doit s'agir d'une chose importante pour qu'il désire m'entretenir en personne. Paul RIVIER doit avoir plus de trente ans et il a enseigné avant la guerre dans une école catholique. Il lui en reste le physique et un comportement très ecclésiastique. De taille moyenne, il a le visage rond, le teint clair et son caractère dominant est la douceur. Douceur des traits, du regard, de la voix, du sourire. Beaucoup de gens resteraient sceptiques si on leur disait qu'il s'agit là d'un important chef "terroriste". "Marquis" un surnom qui lui convient à merveille, n'a jamais terrorisé personne. D'humeur égale, poli et amical avec tout le monde, il exerce pourtant une autorité indiscutée. C'est un chef dans toute l'acceptation du terme et il affrontera toujours le danger avec sang-froid et efficacité. "Marquis" m'a fait venir à LYON pour me confier un appareil qui nous rendra des services incalculables et que nous aurons le privilège d'être les seuls à posséder dans la DROME et le VERCORS durant toute la guerre. Il a pour nom "EUREKA" et est destiné à signaler nos terrains aux pilotes des avions de parachutages. Il se présente sous la forme d'une valise bleue facilement transportable et son fonctionnement est des plus simples. Il nécessite aucun réglage, ne présente ni bouton, ni cadran, seulement un interrupteur de mise en marche. Des fils conducteurs de couleurs différentes terminés par des pinces permettent de le brancher sur une batterie d'accumulateurs et de le relier à une antenne en forme de "T". Il ne peut tomber aux mains de l'ennemi car il possède un système d'autodestruction qui le fait exploser (voir schéma et fonctionnement sur la figure ci-contre). La remise de cet appareil laisse présager, sans avoir besoin d'être voyant extralucide, que nous allons enfin entrer en action et recevoir des parachutages.

NAPOLÉON AIME SES GROGNARDS

Dans l'attente de l'heure H, il s'agit pour nous de glisser entre les mailles de la surveillance de la Police française et des Allemands qui ne cessent de se resserrer, car depuis Mars 43 la Résistance française a évolué. Des "maquis", mot qui n'avait jusqu'à ce jour qu'une résonance corse, sont constitués dans des lieux sauvages et reculés pour servir de refuges aux "réfractaires" du S.T.O. et vont se transformer petit à petit, en formation paramilitaire. La structuration de l'Armée Secrète, avec un état-major et une organisation bien adaptée à sa mission en fait un adversaire redoutable mais pourchassé avec autant de vigueur et de détermination. Plus que jamais nous sommes assidus à l'écoute de la B.B.C. en ce début du mois de Septembre et un beau jour notre patience est récompensée. C'est avec émotion que j'entends, à l'émission de I3 H15 après les "pan, pan, pan, pan - pan, pan, pan, pan" pathétique de la 5ème Symphonie de BEETHOVEN : "Ici Londres, les Français parlent aux Français". Voici quelques messages personnels : "NAPOLEON AIME SES GROGNARDS". Je pousse intérieurement un hurlement de triomphe, un cri de guerre remontant du fond des âges. Cette fois c'est sérieux, c'est l'annonce de notre première opération de parachutage sur le terrain "PLUTON", près de SAINT-DONNAT-SUR-HERBASSE. J'enfourche aussitôt la moto, je passe prendre COSTE qui est voisin et nous fonçons jusqu'à TAIN pour fixer avec Pierre REY le lieu et l'heure du rendez-vous avec l'équipe. Déjà beaucoup de camarades sont venus aux nouvelles. Nous allons voir ensuite Mr COTTE le responsable du terrain de SAINT-DONNAT, je lui demande de surveiller discrètement les abords, afin d'éviter toute mauvaise surprise et je lui répète la consigne donnée à REY : - Il faut attendre, avant de se mettre en route, l'émission de 21 h 15 qui doit rediffuser le message. S'il n'y a pas de confirmation, c'est qu'il y a contre-ordre et l'opération sera repoussée ou annulée ! Entre temps, Léon FAILLE (CONSTANT) qui nous a rejoint dans la clandestinité, prépare le camion, fait le plein d'essence en ayant bien soin de la filtrer, afin que nulle saleté ne vienne obturer le carburateur pendant notre mission. Après la vérification du niveau d'huile et la mise en charge des batteries, nous chargeons le matériel dans les coffres latéraux, les lampes rouges du balisage, etc… 21 h 15 : NAPOLEON aime toujours ses grognards, ce dont nous lui sommes très reconnaissants. J'embarque le précieux "EUREKA" qui est en somme le précurseur des balises radio dont nous sommes pourvus de nos jours dans les aéroports pour les atterrissages tout temps. Le moteur du camion démarre au quart de tour, l'embrayage grince un peu, c'est parti ! A bord, tout le monde se tait, se concentre. LONGEPIERRE (COSTE), Firmin FAURE (ETIENNE), Junique (MARIUS), Léon FAILLE (CONSTANT), sont près de moi. Je ne les vois pas bien dans l'obscurité mais je devine leur tension au rythme de leur respiration. Le rendez-vous est fixé à 22 heures. Nous avons une vingtaine de kilomètres à parcourir en empruntant les petits chemins communaux. Nous devons retrouver les autres à l'intersection de la route de CHANTEMERLE et de LARNAGE, à la sortie de TAIN-L'HERMITAGE, sur la départementale D 109. Là-bas, la ville est obscure et silencieuse, déjà endormie semble-t-il mais il est vrai que le couvre-feu interdit de sortir et que le camouflage des fenêtres et des lampes empêche toute lueur de filtrer à l'extérieur. En prêtant attention on entendait cependant des bruits de pas futifs et l'on distinguait des ombres longeant les murs. Ce sont les nôtres qui se hâtent discrètement vers notre rendez-vous. Selon les instructions, ils ont dû trouver un prétexte auprès de leurs familles pour justifier leur sortie : une quelconque société d'anciens élèves ou une simple partie de cartes chez un copain. D'ailleurs ils ne connaissent pas l'emplacement du terrain, ce qui leur évite la tentation d'être indiscrets. Ceux qui possèdent une arme l'ont glissé dans leur poche. A l'heure dite, le camion stoppe au carrefour. Le lieu est désert mais le moteur n'est pas plutôt arrêté que des silhouettes surgissent des fossés et des masses noires des buissons. Pas un homme ne manque à l'appel. Pour rien au monde un seul n'aurait manqué cela. Dans le noir, ils se sont reconnus à la voix au fur et à mesure de leur arrivée. Les voilà tous, Marcel BILLON, Jacques BOREIL, Marc CHAPOUTIER, Henri COLOMER, Marcel COTTE, Pierre ESPIC, Paul FRANCON, Gabriel FILLOD, Marcel GAYMAR, René GRIS, Charles HABRAD, Etienne MORAND, Gaston PINET, Pierre et Jean REY, Adrien ROBERT, Abel MICHON. Avec un peu de fébrilité, le coeur battant, conscients de l'importance que cette nuit prendra dans leurs souvenirs, ils se hissent dans le camion et nous partons pour SAINT-DONNAT où le père de COTTE, ancien combattant de 14/18, nous attend et nous informe que tout va bien. Tout est calme. Rien à signaler. Curieusement, maintenant que nous sommes arrivés au but, la tension se calme. On se sent en pleine forme, très lucides, avec une joie vibrante dans la poitrine. J'imagine qu'il doit en être ainsi pour les comédiens. Ils ont le trac en coulisse et quand ils entrent en scène, redeviennent parfaitement maîtres d'eux-mêmes. Cela ne nous empêche pas d'éprouver une certaine anxiété car nous allons guetter, tous les sens en éveil, le ronronnement qui annoncera l'avion. Et puis tout peut arriver, nous savons que dans les nuits comme celle-ci l'ennemi patrouille. Chacun a conscience de jouer sa liberté ou même sa vie et que cela se répètera à chaque opération. Pendant combien d'entre nous verrons la fin ? Une surprise désagréable en arrivant sur le terrain : il est labouré de frais. Je n'aime pas cela du tout. Les empreintes de nos pas vont marquer profondément et il ne sera pas possible de les effacer dans la nuit. D'autre part les allées et venues, les manoeuvres vont être ralenties et plus fatigantes. Nous n'avons pas le temps d'apprécier le paysage que l'on devine s'étendant sur des kilomètres, avec au loin la Chaîne des Alpes, le VERCORS, les CEVENNES. Je mets en place les équipes de protection - un bien grand mot car nous ne possédons que quelques vieux pistolets - et l'on commence à placer les balises. L'antenne de l'EUREKA est fixée sur le camion où nous avons prévu un système d'attaches. A 23 heures je branche l'appareil selon les ordres reçus et l'attente commence. Personne ne bouge ni ne parle. Seule se distingue la silhouette imprécise du camion, le lieu paraît désert. Dans le silence particulier de la nuit, on sent comme une vibration de vie. Bien qu'il n'y ait pas de vent, l'air n'est jamais tout à fait muet et l'on devine le glissement des petits animaux, parfois un bref pépiement que l'on ne peut situer dans l'espace évoque je ne sais quel rêve d'oiseau. Soudain, je devine plutôt que j'entends, un avion à haute altitude. Un coup d'oeil à ma montre : il est exactement 22 h 45. J'hésite à allumer les balises car le lancinant ronflement semble se fondre, se dissoudre en direction du sud, sans toutefois disparaître complètement. De nouveau il s'amplifie. L'appareil revient vers nous en perdant de l'altitude. Nul doute, il a repéré le terrain grâce à l'EUREKA. Les autres ont entendu comme moi et des fantômes surgissent, se regroupent. Je donne l'ordre d'allumer les balises et aussitôt les trois lampes rouges s'éclairent, transformant comme par magie ce lieu désert en champ opérationnel, comme au théâtre quand les projecteurs brusquement révèlent le décor tandis que les trois coups annoncent le début du drame ou de la comédie et que l'on attend ému, l'entrée des acteurs. Les balises sont disposées sur une ligne nord-sud et distantes entre elles de 100 mètres. Avec ma lampe-torche, je me déplace de telle façon que les quatre points lumineux forment un "L". L'orientation de la base de cette lettre indique au pilote la direction du vent au sol. Une légère brise soufflant du nord, je me trouve au sud. J'appuie sur l'interrupteur de ma torche à deux reprises, composant des appels lumineux, un court et un long, ce qui signifie "A" dans l'alphabet morse. C'est la lettre de reconnaissance de ce terrain. Nous regardons en l'air essayant en vain de percer l'obscurité du ciel. Le bruit du moteur se rapproche de plus en plus, l'avion nous survole à basse altitude. Soudain un claquement sec, des frous-frous et les corolles des parachutes flottent au-dessus de nos têtes comme de grosses méduses opalines se transformant en gigantesques lampions chinois car la lune s'est levée et les éclaire en transparence. En même temps je distingue la bouche lumineuse du monstre qui paraît vouloir les avaler. C'est l'avion qui passe, avec sa trappe de bagage encore ouverte. Les colis tombent exactement dans la surface balisée. Un attendu avec tellement de joie et d'anxiété s'estompe et se perd en direction du nord. L'instant n'est pas à rêver ni à bavarder. Vite, il faut ramasser les 15 containers et les colis et les transporter au camion. L'opération se révèle pénible car nous enfonçons dans la terre qui colle aux souliers et un container pèse de 160 à 180 kg. Il y a bien des poignées mais elles nous coupent littéralement les doigts. L'exaltation de ce "baptême du feu" a galvanisé les hommes et c'est dans un temps record que le camion est chargé. Nous avons ramassé également les parachutes et il ne reste aucun vestige de ce qui vient de se passer, si ce n'est les empreintes de pieds. Le pauvre paysan va croire qu'un match de rugby s'est disputé dans son champ pendant la nuit. Nous roulons sur le chemin du retour et je ne peux m'empêcher d'imaginer ce qui arriverait si nous faisions une mauvaise rencontre. Il faudrait engager le combat et avec les pauvres armes que nous avons… mieux vaut ne pas s'attarder à cette pensée. Nous avons fait la plus grosse partie du travail, il reste maintenant la moins pénible mais la plus périlleuse, entreposer les armes et le matériel dans une grotte, une "balme" qui appartient à Mr VASSY à CHANTEMERLE, sans attirer l'attention. Nous retraversons les bourgs endormis. Sous leurs gros édredons de plumes, les villageois sont loin de se douter que pendant leur sommeil, la Résistance a travaillé pour leur libération. A SAINT-DONNAT, nous avons laissé COTTE rentrer chez lui et nous arrivons à la "balme" sans encombre. Les containers une fois en sécurité, je dois en faire l'inventaire et établir mon rapport d'opération que je transmettrai à Charles HENRI, ex "Marquis" : voici ce premier inventaire, je l'ai gardé précieusement et la vue de ce papier jauni me reporte des années en arrière. INVENTAIRE : - 2 mitrailleuses avec munitions; - 4 fusils-mitrailleurs avec munitions; - 32 mitraillettes STEN et munitions; - 80 grenades GAMON; - 80 grenades GAMON; - 60 grenades quadrillées; - 6 pistolets; - 2 containers de sabotage comprenant plastique, détonateur, cordon bickford, cordon détonant, détonateur : commande à distance et crayons détonateurs; - 2 colis de munitions pour mitrailleuses, fusils-mitrailleurs et mitraillettes; - 1 colis de premier secours (pansements, pharmacie); - 1 colis avec cartouchières de fusils et cartouches. L'inventaire terminé, j'arme aussitôt l'équipe de TAIN et réserve du matériel pour armer d'autres équipes de réception. Le surplus sera remis à l'Etat-Major F.F.I. suivant les directives supérieures. La première opération de l'équipe de TAIN est réussie à 100 %. La distribution d'armes provoque une joie sans bornes, ce qui fait dire à ETIENNE : - Pour nous Résistants, une mitraillette ou un Colt, c'est une fortune, un fusil-mitrailleur est une richesse ! Et c'est dans l'allégresse générale que je ramène tout le monde au point de départ. Là, c'est la dispersion. Il n'est pas question pour les héros de défiler sous des Arc de Triomphe, les vivats de la foule et les pétales de roses. Chacun rentre discrètement chez soi avant l'aube, rompu mais le coeur en fête pour redevenir civil parmi les autres. Tout à l'heure, en se rendant au travail on leur demandera s'ils ont passé une bonne nuit et ils répondront : - Excellente ! Et ce sera vrai. Ils paraîtront peut-être un peu distraits, repassant dans leur tête ces heures merveilleuses. Merveilleuses par l'ambiance qui les a porté tout au long de l'expédition, merveilleuse aussi par la tâche ardue mais exaltante qu'ils ont accompli, matérialisant leur idéal et répondant à l'espoir que leurs frères d'armes mettent en eux. Ils ne pensent déjà plus aux dangers courus pour conserver que la plénitude de leur joie. Et leur paraîtra bien vaine, l'excuse de tous ceux qui se retranchent derrière le manque d'armes pour ne pas participer à la libération de la FRANCE. Quelques jours plus tard je me rends à SAINT-DONNAT pour demander à COTTE s'il a constaté des réactions à la suite de notre opération ou s'il a attendu des commentaires. Apparemment personne n'en a parlé et le propriétaire du champ s'est contenté de passer la herse pour réparer les dégâts, gardant le silence absolu sur l'événement. Les armes, les explosifs et tout le matériel sont bientôt livrés à leurs destinataires suivant un ordre de répartition qui m'a été communiqué. Il ne reste plus aucune trace de notre première réception de parachutage sur PLUTON. Une nouvelle attente va commencer à l'écoute de la Radio de Londres.

PREMIER SABOTAGE AU PLASTIC

Depuis longtemps, avec mes amis du café "SAVOYARD" nous avions l'intention de saboter le bureau de propagande de VICHY, situé au 11 Avenue Victor Hugo à VALENCE, conformément aux consignes d'action données par le porte-parole de la FRANCE-LIBRE au micro de la B.B.C. L'usage de la violence était justifié entre les Français qui soutenaient le régime PETAIN et la collaboration avec l'ennemi. (Armes page). Sans matériel, sans armes, nous n'avions pas pu mettre ce projet à exécution mais les parachutages le rendaient possible. Et puis il y avait ce fameux explosif le "PLASTIC" qui constitua pour la Résistance une révolution dans l'art des sabotages. Il se présente en pains ronds de 225 grammes, mesurant environ 15 cm de long et 30 m/m de diamètre. C'est une matière malléable, de couleur mastic, une pate miracle, (si l'on peut dire) qui dispose d'une puissance de destruction considérable. Un seul pain peut sectionner un rail de chemin de fer. Il pleut sur VALENCE, ce Samedi de fin Octobre nous décidons, Marcel RANC (LE MITRON) et moi, de passer à l'action. Ce sera la première opération du genre dans notre région. Nous ne connaissons pas bien encore les effets et le maniement du plastic et pour ce coup d'essai nous n'emploierons qu'un seul pain. Quel détonateur choisir ? Des "crayons" nous été livrés avec l'explosif mais nous n'avons pas encore la traduction du mode d'emploi. Les "crayons" sont de couleurs différentes, selon le minutage d'attente désiré avant la percussion. Cette durée peut varier d'un quart d'heure à plusieurs heures. Nous apprendrons plus tard que la durée de retardement des détonateurs est de dix minutes pour les crayons noirs, trente minutes pour les rouges, deux heures pour les blancs, six heures pour les verts, douze heures pour les jaunes et de vingt-quatre heures pour les bleus. Pour éviter toute erreur, nous préférons nous en tenir au classique cordon de BICKFORD bien qu'il est l'inconvénient de se voir quand il brûle. Le bureau de propagande est installé dans un ancien magasin de machine à coudre et ne dispose d'aucun dispositif de protection, ni volets, ni grilles. Dans les vitrines sont disposées des affiches exaltant le Maréchal, la milice, le S.T.O. et l'Ordre Nouveau. Nous avons attendu qu'il fasse nuit et la pluie favorise notre tranquillité. Placer le pain de plastic contre la porte ne demande qu'un instant. Nous avons fixé au détonateur une mèche d'environ soixante centimètres de long. Sachant que le BICKFORD fuse à raison de un centimètre par seconde, cela nous laisse une bonne minute pour prendre le large. Le "MITRON" allume une cigarette, applique le bout incandescent à l'extrémité de la mèche et nous enfourchons nos bicyclettes. Sans dire un mot nous pédalons ferme dans la direction de BOURG-LES-VALENCE où se trouvent nos résidences. Nous sommes dans la descente Gambetta, le nez sur le guidon, quand l'explosion se produit. Le lendemain Dimanche, les Valentinois sont venus contempler les résultats de l'attentat. Certains rient sous cape, en regardant avec satisfaction les vitres brisées, la porte arrachée, savourant le spectacle comme une revanche. D'autres, il ne faut pas le cacher, désapprouvent cette première initiative explosive de la Résistance qui ne s'était manifestée jusqu'à présent dans notre ville que par des distributions de tracts et de journaux clandestins. Dès le Lundi, la presse à la solde de VICHY se déchaîne contre ce "lâche attentat" et appela tous les "honnêtes gens" à condamner et à dénoncer s'ils le peuvent les "terroristes" criminels qui troublent la paix de la République. En fait, beaucoup d'opposants silencieux au régime de VICHY commencèrent à envisager la possibilité d'une Résistance efficace contre l'Occupant et le retentissement de ce coup de main ouvrit l'ère des sabotages systématiques. Leur énumération couvrirait les pages d'un gros livre et n'ayant pas participé à tous, je ne peux évoquer que les opérations dont j'ai eu connaissance et dont je garde le souvenir. De nombreux camarades de l'Armée Secrète ont participé à cette forme de lutte qui, contrairement à ce que certains ont prétendu, présentait beaucoup de dangers et exigeait un coeur bien accroché. Pour ma part, sans me poser en champion, je suis fier de pouvoir dire que j'étais toujours déterminé, poussé par un désir violent de vengeance à l'égard du Gouvernement de VICHY et de ses sbires méprisables valets d'HITLER. C'est avec enthousiasme, sans cesse renouvelé que j'ai effectué mes missions et accepté les plus téméraires.

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Le marquis de LAPEYROUSE fait sauter des pylônes de lignes haute-tension, à SAINT-RAMBERT-D'ALBON et le transformateur de l'usine "CARBONNE LORAINNE" à EPINOUSE qui travaillait pour les Allemands.

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A son retour en FRANCE, après la réunion de LONDRES, Emmanuel d'ASTIER de la VIGERIE, responsable d'un mouvement de Résistance, rapporte la partition de "CHANT DES PARTISANS" écrit par Joseph KESSEL et son neveu Maurice DRUON. Elle est aussitôt publiée dans le journal clandestin "LES CAHIERS DE LA LIBERATION". C'est la chanteuse Lina MARLHY qui sera la première à l'interpréter.

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La coordination d'une part et la collaboration sans arrière-pensée d'autre part, sont des choses bien difficiles à obtenir entre Alliés dont les intérêts particuliers prennent parfois le pas sur l'intérêt général. Au niveau des Gouvernements comme celui des Etats-Majors, puis en descendant la hiérarchie, dans les Services de Renseignements ou les Associations de Résistance, les rivalités vont bon train et les conséquences en sont souvent fâcheuses sur le terrain pour le simple combattant. Nous avons pu le constater bien des fois à nos dépens. Un jour, DAVIN (alias Noël) responsable du terrain "FABERT" près de MARSANNE (DROME) me fixe rendez-vous chez lui, Rue Martin Vinay et m'informe qu'il a été contacté par un certain PONS, résident à CREST, qui lui a demandé de trouver des terrains de parachutages pour un réseau anglais dénommé S.O.E. Il faut toujours être méfiant et n'étant pas du tout au courant, je lui suggère de ne pas bouger tant que je n'aurais pas contrôlé l'information auprès des supérieurs de notre réseau. On me confirme que le "S.O.E." (SPECIAL OPERATION EXECUTIVE) est bien une organisation anglaise, plus connue en FRANCE sous le nom de son créateur, Maurice BUCKMASTER, ancien reporter du journal "LE MATIN" associé à Thomas CADETT, qui fut correspondant du "TIMES" à PARIS. Ils dépendent directement des Services Britanniques. Leur premier envoyé parachuté le 5 Mai 1941 près de CHATEAUROUX, s'appelait Georges BEGUE dit Georges NOBLES. Le responsable du S.O.E. pour la région RHONE-ALPES-MEDITERRANEES est actuellement Francis CAMMERTS, alias ROGER, parachuté le 23 Mars 1943 à ESTRES-SAINT-DENIS près de COMPIEGNE. Il est secondé par Pierre REYNAND alias ALAIN, parachuté le 18 Juin 1943 en SOLOGNE en compagnie de CECILE Marie LEFORT, alias ALICE. ROGER gardera avec lui ALICE comme courrier et enverra ALAIN à MARSEILLE puis dans la DROME où il prend contact avec PONS le 14 Juillet 43 à CREST en le chargeant de repérer des terrains propices aux parachutages. Il en a déjà trouvé un à l'est de CREST, qui sera baptisé "VALOIS". Sa lettre de reconnaissance est "U", ses messages : "LES HUIT BETES SONT LÁ" et "LE CHASSEUR A TUE X SINGES VERTS". L'information est donc confirmée et nous apprenons ainsi que nous avons des concurrents qui se livrent au même travail que nous dans la même région, pour réceptionner également des parachutages de la ROYAL AIR FORCE. Dans ces premiers jours de Septembre, la B.B.C. diffuse le message : "HUIT BETES SONT LÁ", annonçant la première opération pour le S.O.E. sur le terrain le VALOIS. Le soir même, les avions sont au rendez-vous mais cherchent en vain le terrain qui doit être balisé par trois feux disposés en triangle. On voit déjà que le balisage varie suivant les organisations. Trompés par des feux anonymes, les aviateurs larguent une partie de leur chargement sur les villages d'ALLEX et de BACONS. Des gens d'ALLEX ayant vu les parachutes descendre en informent le maire qui prévient les gendarmes et les Allemands récupèrent le matériel. Ceux de BLANCONS ramassent les colis, les mettent en lieu sûr et alertent PONS qui en prendra possession. Pourquoi l'équipe de réception n'était-elle pas au rendez-vous ? Le Commandant PONS a expliqué qu'il n'avait pas entendu le message, son poste de radio fonctionnant très mal, tandis que son agent radio était en possession d'un texte différent. Il attendait "LES DEUX BETES ARRIVERONT CE SOIR". Aussi, quand il a entendu : "LES HUIT BETES SONT LÁ", il a pensé qu'il s'agissait d'un parachutage destiné à une autre région.

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Le 8 Septembre, une émission de RADIO-ALGER diffuse une déclaration du Général américain EISENHOWER annonçant qu'un armistice est conclu entre les Alliés et l'Italie et que celle-ci va retirer ses troupes d'occupation en FRANCE.

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Après les Britanniques, une organisation contrôlée par les Américains apparaît dans des conditions qui ne facilitent pas précisément notre action et mettent notre sécurité en péril. Le 20 Septembre, Jean JOUVE de DIEULEFIT, par l'intermédiaire du Commandant PONS, demande à Monsieur LATUNE, industriel à BLANCONS, s'il accepte d'héberger trois agents de la mission américaine "BROWN" de l'Office of Strategie Service (O.S.S.). Cet organisme a vu le jour le 13 Juin 1942. Sa mission fondamentale est de relier l'activité des groupes de Résistance à l'effort militaire des Alliés et de regrouper toutes les informations sur les mouvements de troupes ennemies. Dès le début l'O.S.S. essaya de dominer son homologue anglais le S.O.E. mais depuis le 13 Mai 43, il a reçu l'ordre de collaborer étroitement avec les Britanniques et avec les Français. Des équipes opératives, appelées "JEDBURGT" sont constituées d'un Américain, un Britannique et un Français. Les membres de ces groupes sont tenus d'opérer en toutes circonstances et en tous lieux, revêtus de leurs uniformes. C'est infiniment noble mais un peu voyant pour passer inaperçu en territoire occupé par l'ennemi. C'est pourquoi la mission BROWN, comprenant l'Américain "FRED", le Français Gaston VINCENT (alias AZUR), et le radio PIERRE est pourchassé depuis MARSEILLE par la Gestapo. Le passage de ces trois militaires provoqua des séries de catastrophes. A MONTELIMAR après le départ du château de CONDILLAC, leur hôte, le Comte d'ANDIQUE a reçu la visite de la Gestapo. A peine sont-ils allés chez LATUNE que le Commandant PONS est averti que des voitures allemandes rôdent dans le secteur et il prend la sage décision de les évacuer. Bien lui en prend car dès le 29 Septembre les hommes en manteaux de cuir noir effectuent une perquisition chez LATUNE. Ils ne trouvent rien mais arrêtent cependant le propriétaire. Il est dirigé sur MARSEILLE et parvient à s'évader pendant son transfert dans un camp de concentration en ALLEMAGNE. Chose étrange, la Gestapo arrive systématiquement dans tous les lieux où ils ont séjourné, quelques heures ou quelques jours après leur passage, la police allemande arrête et déporte une dizaine de personnes les ayant hébergé ne fusse qu'une nuit. Le Commandant PONS et sa famille échappent de justesse à l'arrestation, mais Albin DAVIN, responsable du terrain S.A.P. de parachutage "FABERT" est appréhendé le 10 Octobre 43, déporté au camp de FOSSEMBOURG où il meurt après avoir subi d'odieuses tortures le 14 Août 44, sans avoir rien révélé des secrets qu'il détenait. Une telle vague d'arrestations et la précision avec laquelle la Gestapo frappe n'ont pu être possibles sans des complicités dans les rangs même de l'O.S.S. dont les agents deviennent sujet à caution. En ce qui nous concerne, nous sommes parvenus, mais à quel prix, à sauver les trois qui nous avaient été confiés. L'Américain FRED a été rappelé, paraît-il, en AFRIQUE du Nord. Plus tard nous retrouverons AZUR et PIERRE dans le VERCORS.

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Les rapports entre la Résistance et le Gouvernement PETAIN se durcissent. Par une note en date du 12 Octobre 43, les Gardes Mobiles ont ordre de faire usage de leurs armes contre les Résistants, qualifiés bien entendu de terroristes.

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14 Octobre : JEANNOT et RICHARD, du Groupe Franc de l' "HERMINE" exécute à ROMANS (DROME) un agent de police, agent de la Gestapo.

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Dans la nuit du 15 Octobre, sur le terrain "AIGLE" de la S.A.P. près de MONTZIAT dans le département de l'AIN, un avion anglais atterrit. Il vient chercher pour l'emmener à LONDRES, le Général DE LATTRE DE TASSIGNY. Pour la circonstance, il a pris le nom de Charles DEQUENNE, un instituteur qui s'est évadé le 3 Septembre de la prison de RIOM où il purgeait une peine de dix ans de prison pour insubordination. Le Général part en compagnie de Claudius PETIT - HES - LOP - ROSHENTAL - HENNEBERT - FROMENT - THIERRY - une femme et son bébé. Passagers venant de LONDRES : Jacques MAILLET - Armand PHILIPPE - Michel CAILLAUX - Henri DESCHAMP. La B.B.C. confirmera l'arrivée du Général par le message : "LE ROI EST BIEN ARRIVE".

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L'ancien Ministre des Finances de la IIIème République Vincent AURIOL qui fut en 1940 l'un de ceux qui votèrent à VICHY contre la délégation de pouvoir au Maréchal PETAIN, emprisonné jusqu'en 1941, puis en résidence surveillée, vécut ensuite dans la clandestinité sous les noms de "Docteur VIAUD" et de "Jules MORES". Il fut l'un des organisateurs de la Résistance dans le SUD-OUEST et rejoignit le Général DE GAULLE qui devait le nommer Président de la Commission des Affaires Etrangères de l'Assemblée Consultative d'ALGER. Devenu Président de la République, il a relaté son départ en ANGLETERRE. Le lyrisme, l'émotion et la gratitude qui émanent de ce témoignage m'incite à en reproduire un extrait qui m'a particulièrement touché : " Lorsque sous le beau clair de lune de la nuit du 17 Octobre 43, la section S.A.P. de R I, nous enleva sur le terrain "ORION" à destination de LONDRES, mon émotion violente se doubla d'un sentiment d'émerveillement devant l'organisation méthodique, précise, audacieuse de cette étonnante expédition, à cinq kilomètres d'une grande ville où l'ennemi alerté faisait sonner la sirène d'alarme. Dès l'envol en plein ciel, au-dessus de l'armée d'Occupation, j'ai alors pensé à ces admirables aventuriers de la patrie que j'avais vu débarquer venant de LONDRES et qui allaient porter, à travers les réseaux, les consignes du Général DE GAULLE, et le courrier de la FRANCE LIBRE; à ces aviateurs intrépides qui, chaque mois, atterrissaient et décollaient à la barbe de l'ennemi; à ces équipes de Résistants régionaux, ouvriers, paysans ou bourgeois qui, mitraillettes au poing, escortaient partants et arrivants, et après l'opération rentraient chez eux, promis peut-être à la torture et à la mort. Parfois, les aviateurs et les "voyageurs" étaient pris au sol et fusillés, parfois comme l'avion qui partit en Novembre après nous, abattu au-dessus de la MANCHE. Et tous faisaient ce travail avec un courage tranquille, naturel, comme le font les plus purs héros. Je ne leur ferais pas leur éloge, les mots sont insuffisants. Je veux simplement élever vers la mémoire des morts la pitié reconnaissante de la patrie, et j'appelle les vivants à l'union, à cette même union qui permit la libération de la FRANCE. La comparaison du présent, avec ses déceptions et ses médiocrités et de l'idéal qui nous exaltait, nous simples voyageurs d'une nuit et eux intrépides messagers de la liberté, nous remplirait de confusion si nous ne gardions la foi que notre fidélité fera un jour triompher leur idéal de liberté, de justice et de paix".Vincent AURIOL Président de la République PARIS, le 14 Décembre 1952

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Avec la caution des Américains, DARLAN avait créé à ALGER le "Conseil de l'Empire" et prit le titre de Haut-Commissaire de FRANCE en AFRIQUE. Après son exécution par les Résistants de la FRANCE-LIBRE le 14 Décembre 1942, le Comité Impérial, réunissant des gouverneurs et des généraux, nomme GIRAUD Commandant en Chef des Forces Terrestres et Aériennes et, le 24 Décembre, le désigne comme successeur de DARLAN avec le titre de Commandant en Chef Civil et Militaire. Pour le Général GIRAUD, la Résistance n'est qu'un agglomérat de groupes hétéroclites sans consistance, dans la mesure où elle n'est pas une armée légale, encadrée par des professionnels. Il préfère de beaucoup l'O.R.A., constituée d'anciens militaires de carrière et il donne une grande impulsion à ce mouvement avec l'appui des Américains qui pensent ainsi limiter l'influence de DE GAULLE dont les prétentions nationalistes les gênent. Dès lors, l'O.R.A. se considère comme l'antenne en FRANCE occupée de la nouvelle armée française qui s'organise et s'équipe en AFRIQUE du Nord. Ses chefs n'entendent recevoir d'ordres que de l'état-major d'ALGER, c'est-à-dire que leur seul chef étant GIRAUD ils ne reconnaissent pas l'autorité de la FRANCE-LIBRE dont le siège est à LONDRES. Il n'en était pas de même en FRANCE et la grande majorité des Officiers et Sous-Officiers qui désiraient combattre pour la libération de leur pays préféraient, plutôt que de rejoindre la Résistance, traverser l'ESPAGNE pour aller grossir les rangs de l'Armée d'Afrique. Parmi ceux qui y parvinrent, très peu acceptèrent ensuite d'être parachutés en FRANCE pour encadrer la Résistance clandestine. C'est compréhensible si l'on pense que les militaires de carrière ont une formation et une psychologie qui les oppose fondamentalement à la conception des combats de partisans. La clandestinité se prête mal aux marques extérieures de respect, à la discipline formaliste, à un sens étroit de la hiérarchie et à tout le rituel de la tradition des casernes. De plus les militaires aspirent à se battre au grand jour, contre d'autres soldats en uniformes. Ils répugnent aux sabotages, aux filatures, aux actions souterraines, à la guérilla dont on ne saurait attendre selon eux des résultats décisifs. Ces différences de mentalité et de convictions nuisait inévitablement à la cohésion des combattants et à l'efficacité de l'action. Chacun resta sur ses positions et quand le Général GIRAUD demanda sa mise à la retraite le 8 Avril 1944, l'O.R.A. obéira avec discipline à ses successeurs et se considèrera toujours comme une organisation strictement militaire, refusant systématiquement toutes directives venant de l'A.S. (Armée Secrète). Il est bien certain que le Général DE GAULLE ne peut prendre en considération ces rivalités, ni les entériner. Il veut un Gouvernement provisoire fort et sans ambiguïté. Il n'accepte pas un Conseil de GERANCE truffé de personnalités de VICHY et ne comportant pas une représentativité importante de la Résistance. Malgré la pression des Américains qui lui reprochent son intransigeance, il n'envisagera jamais une fusion entre ALGER et LONDRES mais exigera l'intégration totale d'ALGER dans la FRANCE-LIBRE.

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Tandis que se poursuivent ces discussions d'états-majors l'action ne se ralentit pas. Même quand elle manque d'unité, elle ne manque jamais de coeur. "POUR UNE BLAGUE C'EST DEUX BLAGUES" est le message qui annonce le premier parachutage du réseau dépendant des militaires d'ALGER. Il a lieu sur le terrain "FRENE" près du village MONTJOUX, au col de la LANCE, à une vingtaine de kilomètres au sud de DIEULEFIT. Le 23 Octobre l'équipe est alertée. Elle se compose de Louis BARTA, CECCALDI, Edouard CHOMARAT, Edouard DELCLAUD, DUFAUD, Henri GIRAUD (PEPE) GOMI, JAMES, Jean JOUVE, Henri et Edmond RODET, Ernest VEYRIERLE responsable du terrain et Emile EDOUARD qui est hébergé chez le dentiste GOMI. L'opération est gênée par un fort vent du Nord qui déporte plusieurs parachutes. L'un d'eux se met en torche, le container tombe en chute libre et explose au sol. Le premier agent d'ALGER parachuté dans la DROME est l'ex-Capitaine Gabriel MAZIER, il atterrit dans les balises. Il faut plusieurs heures de recherches pour retrouver le second, le radio Joseph CABOT, déporté par le vent loin dans la campagne. C'est un jeune Ingénieur des Arts et Métiers qui sera hébergé chez notre brave Jean JOUVE, toujours volontaire, dévoué et courageux. CABOT ira rejoindre ensuite son poste à PUGET-THENIERS dans les ALPES-MARITIMES où il trouvera la mort le 3 Mai 1944. La mission de ses deux hommes consistait à prendre contact avec la Résistance de notre région et d'y établir la liaison avec ALGER.

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Les moyens de transmissions dont nous disposions à cette époque n'avaient pas la haute technicité de celles d'aujourd'hui. L'opérateur-radio émettait des messages chiffrés en morse sur des longueurs d'onde variant entre 35 et 75 mètres. La principale difficulté était de ne pas se faire repérer par l'ennemi. Il se tenait à l'écoute, essayant de déchiffrer les messages, mais surtout cherchant à repérer le point de départ de l'émission. Il disposait pour cela de trois goniomètres, instruments de topographie servant au levé des plans et à la mesure des angles sur le terrain. C'était très efficace et il fallait dans une interminable partie de cache-cache, trouver de nouveaux lieux d'émission. Le jeu était dangereux non seulement pour le radio, mais pour les braves gens qui l'hébergeaient avec son matériel. Malgré ces difficultés, les liaisons furent toujours assurées régulièrement. Elles nous permettaient de transmettre les coordonnées des terrains de parachutages et les renseignements sur l'ennemi que nous récoltions.

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OCTOBRE 1943 : l'état-major de l'Armée Secrète (A.S.) me demande des armes. 1° : Pour un maquis d'une quarantaine d'hommes sur le plateau de COMBOVIN dans la DROME, non loin du terrain de parachutage "BANANE". 2° : Pour une cinquantaine d'hommes dans le maquis de SAINT-DONAT-SUR- L'HERBAGE (DROME) placé sous les ordres du Capitaine René FANGET. 3° : Pour trois maquis en formation dans le nord des départements de la DROME.

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" LE SANG EST ROUGE" annonce la B.B.C. dans la cacophonie des brouillages le 3 Novembre 1943 à 13 h 15. Le message signifie qu'une opération de parachutage va avoir lieu sur le terrain "FABERT". Malheureusement, le responsable de ce terrain, mon ami DAVIN, a été arrêté par les Allemands, comme je l'ai relaté et à ce moment, nous ne savons absolument pas ce qu'il est devenu. C'est un brave, un généreux, un idéaliste, qui a choisi "NOEL" comme nom de guerre, mais les plus résolus ne peuvent jamais savoir comment ils réagiront sous la torture et s'ils ne craqueront pas un jour, à bout de force et de conscience. Aussi, pour plus de sécurité je décide d'effectuer cette réception sur "TEMPLE", un terrain situé à 15 km au nord de "FABERT", sur l'autre versant de la vallée de la DROME dont DAVIN ignore l'existence. Une fois encore se vérifie le bien-fondé des clivages entre les membres du réseau. Moins chacun en sait et mieux cela vaut pour tout le monde. De plus, l'habitude de savoir se taire quand il n'est pas utile de parler est une excellente discipline personnelle qui trempe les caractères et est utile dans toutes les circonstances de la vie. Je n'ai pas le temps de prévenir LONDRES et ce changement imprévu du lieu de rendez-vous va me permettre de vérifier l'efficacité d'EUREKA qui doit transmettre notre position exacte aux pilotes dans un rayon de 80 km. Je préviens aussitôt Louis VALETTE, le responsable de "TEMPLE" afin qu'il mette son équipe en état d'alerte. L'émission du soir confirme le message, l'opération va bien avoir lieu. L'équipe est composée de : ACHARD René - BOUVAT Charles - BOUVAT André - BOYER Jean - BRUNEL Léon - CHABANNE Edouard - CHABANNE Pierre - CHABANNE Georges - CHARRIER Pierre - CHEYLAN Henri - COMER Charles - FALOT Ferdinand - LABROSSE Henri - MIALLE Frédéric - PINASSEAU - RATEAU René - VALETTE Louis. Tous ces hommes ont déjà effectué des réceptions de parachutages sur leur terrain sans aucun problème. Ils sont sur place dès 22 h et installent le balisage et l'EUREKA. Les guetteurs sont à leurs postes pour assurer la protection, il n'y a plus qu'à attendre. Le ciel est un peu couvert et la lune fait de timides apparitions. "TEMPLE" situé sur un promontoire, domine la vallée du RHONE. Le point de vue est grandiose. Nous distinguons les lumières de la gare de triage de PORTES-LES-VALENCE, et plus loin, à 20 km à vol d'oiseau, celles de VALENCE. Nous les surveillons attentivement car elles constituent une indication primordiale. Vers minuit, tout s'éteint brusquement. C'est ce que nous attendions avec impatience, cela signifie que l'alerte aérienne a été donnée, nos amis ne sont plus très loin. Dès que nous entendrons le ronronnement caractéristique du moteur, il faudra allumer les balises. Ce devrait être une question de minutes… mais le temps s'écoule, pesant, interminable. A une heure du matin je suis persuadé qu'il s'est passé quelque chose d'anormal et chacun doit penser comme moi mais personne n'ose rien dire, peut-être inconsciemment pour conjurer le mauvais sort. Vers deux heures, les lumières de la gare et de la ville se rallument. L'alerte est terminée, aucun avion suspect n'est plus signalé par les services allemands de surveillance. Où est-il donc passé ? Aurait-il fait demi-tour en arrivant au but ? C'est bien improbable. Tandis qu'un sombre pressentiment m'envahit, un de mes hommes accourt pour m'aviser qu'une vive lueur est apparue à l'ouest de notre terrain, de l'autre côté du RHONE, en direction du Mont GERBIER-DE-JONC, à environ 60 km de l'endroit où nous nous trouvons. Aucun bruit n'est parvenu jusqu'à nous. Il est trois heures du matin, je donne l'ordre de repli. Tout le monde est déçu et inquiet. Deux jours plus tard, le 5 Novembre, Junique MARIUS me fait dire qu'il a un message important à me communiquer. Sans plus attendre je me rends auprès de lui, impatient de recueillir une information qui a certainement un rapport avec notre parachute manqué. Je ne me trompais pas. Junique a lui-même été mis au courant par Elie COMBE, hôtelier à MARCOLS-LES-EAUX dans l'ARDECHE, chez qui nous nous restaurons en écoutant les messages de la B.B.C. les soirs où nous attendons confirmation d'un message concernant les terrains "ACANTHE" et "ADJOINT" situés près du Mont GERBIER-DE-JONC. Elie COMBE affirme qu'un avion allié a percuté la montagne au col des QUATRE VIOS, qu'il y aurait des survivants et que les Allemands sont sur place. Il faut absolument faire quelque chose. S'informer d'abord et aviser selon les circonstances pour récupérer les aviateurs si cela est encore possible. J'envoie LONGEPIERRE alias COSTE et Marc, alias LA CLOCHE enquêter sur place. Ce sont deux jeunes gens particulièrement ardents et efficaces, toujours prêts à entreprendre les actions les plus folles en mettant toutes les chances de leur côté. LONGEPIERRE était très grand, mince, la mâchoire saillante, avec des yeux clairs qui se plantaient droit dans les vôtres. "LA CLOCHE" devait son surnom à son peu de soucis de l'élégance. "PARIGOT" gouailleur à l'accent faubourien, il parlait beaucoup, avec volubilité et un vocabulaire farci d'argot. On le voyait arriver les bras enfoncés jusqu'aux coudes dans les poches d'un vieux pantalon large comme une jupe, souvent mal rasé, un sourire goguenard au coin des lèvres. Nerveux, toujours en mouvement, il aurait fait n'importe quoi pour nuire à l'ennemi qu'il haïssait. Les précisions que rapportent bientôt mes éclaireurs sont précieuses. Il s'agit bien de notre avion et la lueur que nous avons aperçue dans la nuit du 3 au 4 était celle de son explosion. Dans la nuit il a percuté un piton rocheux. Il n'y a qu'un seul survivant, caché chez un habitant du village. Les Allemands paraissent ignorer son existence. Ils se sont retirés après avoir examiné les débris de l'appareil et ont emporté sept corps carbonisés. Un coup d'oeil sur la carte me renseigne sur les circonstances de l'accident. La proéminence rocheuse sur laquelle se sont écrasés les Anglais est orientée OUEST-EST, ce qui indique que l'avion se dirigeait droit sur "TEMPLE" dont la position lui était fournie par notre EUREKA qui avait donc bien rempli son office. Nous décidons de nous charger du rescapé et j'organise l'expédition. Nous partons en voiture, FAILLE (Constant) COSTE, LA CLOCHE et moi-même pour MARCOLS-LES-EAUX. Elie COMBE nous a précisé que le survivant se trouve chez Mademoiselle GIRAUD, dont les parents sont industriels. Marie GIRAUD a passé la quarantaine et ne s'est jamais mariée, elle est ce qu'on appelle une vieille fille. Pourtant cette robuste demoiselle n'évoque ni la vieillesse, ni la faiblesse, elle l'a d'ailleurs démontré en la circonstance. Catholique pratiquante, on ne peut non plus l'assimiler aux bigottes effarouchées et aigries qui hantent les sacristies. Certainement intelligente et instruite, elle a de la race et la foi. La vertu se traduit pour elle en premier lieu dans le comportement et l'action. Comme il fallait s'y attendre, elle nous reçoit avec méfiance et prétend ne rien comprendre à ce que nous lui disons. Elle n'est au courant de rien et il n'y a personne chez elle. J'admire son sang-froid et approuve son attitude mais le temps travaille contre nous, il faut dénouer la situation. J'essaie patiemment, sans l'effrayer de lui expliquer que nous sommes des résistants, qu'elle n'a rien à craindre et qu'il est urgent que nous mettions l'aviateur anglais en lieu sûr, qu'il serait dangereux pour elle-même de le cacher plus longtemps. Rien n'y fait, elle continue à nier farouchement. A bout d'argument, j'ai l'idée de lui montrer la lettre de reconnaissance du terrain "F" sur lequel le parachutage devait avoir lieu et lui demande de la communiquer éventuellement au rescapé. Sur-ce, nous prenons congé. Alors la réaction que j'espérais se produit. Elle me retient par la manche et nous avoue tout d'une traite que l'aviateur est bien chez elle. Nous faisant signe de la suivre, elle nous introduit dans une chambre où se tient un jeune homme grave, revêtu d'une combinaison de la ROYAL AIR FORCE. Mlle GIRAUD parle l'anglais et lui explique la situation en quelques mots. Un pâle sourire éclaire son visage fatigué. Désirant savoir exactement comment il se trouve là et qui est au courant, avant de rien décider je prie la demoiselle, maintenant détendue, de tout nous raconter dans les moindres détails. Nous sommes assis autour de la grande table de la salle à manger. Notre hôtesse a débouché une bouteille d'eau-de-vie, et sorti des verres. Après nous avoir servi, elle se concentre un instant et commence son récit d'une voix ferme et douce à la fois. Dans son désir de ne rien oublier et de ne pas déformer les faits, elle rapportait souvent mot à mot les propos des uns et des autres, jouant tous les personnages comme au théâtre : " Voilà ! le 4 Novembre au matin, Monsieur CROZE a fait irruption chez moi. C'est mon voisin, un fermier qui a été fait prisonnier en 40 et qui est revenu chez lui par ses propres moyens. Il avait l'air bouleversé : "Il est arrivé un malheur Mademoiselle Marie, me dit-il. Oui, un malheur ! Un avion anglais a percuté la montagne cette nuit dans la propriété de mon frère Marius. Il y a des morts et surtout un survivant. Que pouvons-nous faire pour lui tout de suite ? C'est mon neveu qui vient de me prévenir en passant, il va à la mairie déclarer l'affaire". J'ai tout de suite pensé qu'il valait mieux attendre pour la mairie et j'ai dit à Monsieur CROZE de courir après son neveu et de le ramener. Tous les trois nous sommes partis vers le lieu de l'accident. La montée est douce et nous pouvions bavarder. Il fallait prévoir le cas où des gens du village nous auraient vu partir et inventer une histoire vraisemblable. Nous avons coupé au plus court en traversant une coupe de bois tout en discutant de ce que nous pouvions faire pour l'aviateur et pour sa cargaison, s'il en restait quelque chose. Monsieur CROZE disait qu'il fallait détruire le poste-radio et ramasser les papiers." La radio ? Dieu sait où elle est ? répondait l'adolescent, mais des papiers mademoiselle, il y en a un morceau. Mon père veut prévenir les autorités le plus tôt possible pour que ces pauvres garçons aient une sépulture chrétienne. CROZE, lui, était d'avis que l'on devait d'abord penser aux vivants, au rescapé et aussi à ceux d'ici qui attendaient l'avion. En arrivant sur le lieu tragique dans la petite comble, je me sentais pâlir. Une grande traînée noire marquait le flanc de la colline. L'huile et l'essence avaient brûlé les genêts et les bruyères et l'on ne distinguait même plus la pierre. De petits arbres étaient sectionnés, déchiquetés et de la ferraille avait été projetée sur deux-cents mètres autour de l‘amas informe constitué par ce qui avait été un avion. C'est une vision que je n'oublierai jamais. Je prenais conscience de ce que signifiait la guerre et j'en étais malade". J'écoutais avec beaucoup d'intérêt mais j'étais impatient de passer à l'action et la priais d'en venir au survivant. Mon interruption parut la faire émerger d'un mauvais rêve : " J'y arrive. Nous l‘avons trouvé dans la ferme du frère de CROZE. Il était assis près du fourneau, prostré, visiblement encore très choqué. Je lui adressais quelques mots en anglais, il redressa la tête et une lueur d'intérêt éclaira son regard. Il sortit de sa poche une carte grande comme un mouchoir, imprimée sur du papier de soie et se mit à parler d'abondance, demandant où il était et en répétant qu'il ne voulait pas être prisonnier des Allemands. Bref ! On a décidé de l'emmener avec nous. Mais le frère de CROZE se montrait réticent : "Oui mais si je le laisse partir et que les Allemands l'apprennent ? Ils vont me fusiller, brûler ma ferme, nous massacrer tous !". En réalité il n'y a pas d'Allemands dans notre région mais je comprenais sa réaction. Le téléphone arabe marche très bien dans nos campagnes. Les langues vont bon train et tout finit par se savoir. La fermière qui n'avait rien dit jusque-là arrive à la rescousse. Elle était rouge et toute excitée : "Moi, je ne veux pas qu'on tue mon mari et mes petits pour sauver un étranger. Il faut prévenir les gendarmes et puis c'est tout". Cette femme n'était pas mauvaise; elle avait peur et c'était compréhensible. Je lui ai dit : "Madame, vous avez des enfants, dont sept garçons ! Ne voudriez-vous pas, s'ils étaient un jour dans le même pétrin que celui-ci, que quelqu'un les aide ?". Elle s'est calmée tout de suite, a essuyé sa joue avec son tablier et a murmuré : "Oui bien sûr… emmenez-le". Il convenait cependant de prendre toutes les précautions possibles et que tout le monde sache ce qu'il aurait à faire. Les trois aînés nous écoutaient, la bouche ouverte, et les yeux ronds, il était inutile de chercher à leur cacher quoi que ce soit. Les sept derniers ont vu l'Anglais et se couperont aux premières questions, autant les laisser dire ce qu'ils savaient. Comme prévu le fils aîné va descendre prévenir le maire et pour la suite je conseille au fermier de faire l‘imbécile, de répondre en patois aux questions qui lui seront posées, en s'en tenant à la version suivante : Un survivant ? Oui bien sûr ! Il a cogné à la porte à sept heures du matin. Il était tout noir, tout brûlé. Nous l'avons fait asseoir, il s'est réchauffé avec un coup de gnole mais n'a pas voulu manger. Anglais, vous dites ? Ça se peut bien. Toujours est-il qu'il ne parlait pas français mais il aurait bien pu être Allemand ! Il m'a emmené par la main voir ses camarades morts et il a beaucoup pleuré. Je l'ai ramené à la maison mais il n'est pas resté longtemps. On l'a vu retourner vers l'avion et marcher autour. Et puis j'avais mon travail, j'ai pas fait attention où il est passé". Je pensais qu'ainsi notre ami ne risquait pas d'ennuis et il fut d'accord pour jouer ce jeu". Je commence à éprouver beaucoup d'admiration pour Marie GIRAUD qui a montré dans cette affaire, du courage, de l'esprit de décision et qui mène son monde avec autorité. Elle poursuit : " Cette conversation n'a pas duré plus d'une heure et nous nous sommes dirigés vers les bois qui dominent le village. CROZE marchait le premier, l'Anglais suivait à cinquante mètres, puis le fils cadet. Moi, j'attendais qu'ils aient disparu dans les pins pour fermer la marche. Hélas, l'Anglais était encore à cent mètres du bois quand des gens arrivent à la ferme par un autre chemin. Je les salue et engage la conversation pour détourner leur attention : "Vous êtes venus voir l'accident ? Moi, je passais par hasard. C'est épouvantable !". Et je les laissais entrer sans savoir s'ils avaient aperçu ou non la longue silhouette qui se détachait à l'orée de la prairie. Les autres m'attendaient sous les arbres; nous étions un peu paniqués : les intrus avaient-ils deviné ce qui se passait ? Nous décidons de renvoyer le gamin à la ferme pour se rendre compte. Il revient au bout d'une heure qui nous en paraît dix avec des nouvelles rassurantes : apparemment, personne n'a remarqué notre manège, nous pouvons reprendre notre marche. Parvenus de l'autre côté de la pinède, nous avons installé notre aviateur qui m'a dit s'appeler John BROUGH, matricule 21481501, au plus profond d'un taillis, avec une bouteille thermos remplie de café au lait, en lui recommandant de rester caché là jusqu'à la nuit : "Je sifflerai deux fois" lui a dit CROZE. Dès que l'obscurité a été suffisante - le soleil se couche tôt au mois de Novembre - mon voisin est remonté comme convenu mais personne ne répondait à ses sifflements. Il a fini par découvrir John, recroquevillé auprès d'un arbre, à demi inconscient, encore sous l'effet du choc. De plus, il était blessé au pied, la descente fut pénible. Il est malaisé de se frayer un chemin dans les hautes bruyères sèches, en empruntant des sentiers de lièvres où personne ne passe jamais. CROZE mit deux heures à parvenir jusqu'au village en soutenant son compagnon qui se laissait entraîner sans réagir. Là, le plus dur restait à accomplir : traverser le pont qui enjambe la rivière. Par malchance la lune l'inondait, on y voyait comme en plein jour. Calant John à l'ombre du parapet, CROZE vint m'emprunter une pèlerine pour cacher son uniforme et c'est d'un pas à peu près assuré que les deux hommes traversèrent le pont. En arrivant chez moi, ils étaient fourbus mais CROZE rayonnait. Avec ses petits yeux plissés de paysan madré il me dit : "On leur en a tiré un mademoiselle ! Je n'ai jamais été aussi content bien sûr, depuis que je me suis évadé de chez eux". C'est tout ! Vous en savez autant que moi, conclut modestement Mlle GIRAUD sans se douter le moins du monde qu'elle s'était conduite en héroïne et que beaucoup ont reçu des décorations pour moins que cela. Marie nous sert maintenant d'interprète et John, reprenant peu à peu ses esprits nous confirme qu'il a toujours été persuadé que la Résistance Française ferait tout pour le retrouver. Ses cheveux blonds lui tombent sur le front et il a l'air très juvénile malgré les poches de fatigue qui gonflent ses paupières. Il explique que lorsque l'accident s'est produit, il occupait le poste de mitrailleur à l'arrière de l'appareil où il venait de remplacer le Français BARTHELEMY qui avait froid. A partir de ce moment il ne se souvient de rien. Il s'est retrouvé, allongé par terre, "knock-out" mais miraculeusement vivant. A quelque distance l'avion se consumait et c'est la pensée qu'il ne pouvait rien faire pour ses camarades, le traversant comme une décharge électrique, qui le ramena à la réalité. Il s'est remis péniblement debout, a vu une petite lumière s'allumer et s'est dirigé de ce côté. C'était la ferme de Marius CROZE, Quartier de SENOUCIS, dont les habitants, réveillés par l'explosion venaient voir ce qui se passait. Ils le réconfortèrent de leur mieux et comme ils ne comprenaient pas l'anglais, ils envoyèrent le fils aîné prévenir son oncle. John écrit les noms de ses camarades : - Chef de bord : PULLING I. (R.A.F. Anglais) - Capitaine : CLARK L. (U.S.A. Américain) - Sergent : HODGES H. (R.A.F. Anglais) - Sergent : SMITH W. (R.A.F. Anglais) - Sergent : NOTT R. (R.A.F. Anglais) - Sergent : PENFOLD O. (R.A.F. Anglais) - Sergent : BARTHELEMY J. (R.A.F. Français) Après avoir pris congé de Marie GIRAUD, nous reprenons avec John BROUGH, la route de VALENCE où nous arrivons sans difficulté. Il restera chez moi jusqu'au jour où mon chef national S.A.P., Charles-Henri RIVIERE (MARQUIS) qui a fait une enquête, me donne l'ordre de le conduire à LYON. Là, on lui remet de fausses pièces d'identité établies par GARCON (MILOU) sur lesquelles était précisé que leur possesseur était sourd et muet. La R.A.F. prenait la sage précaution de munir ses aviateurs de photos d'identité en costume civil, prêtes à être apposées sur de faux papiers. Dans le train qui nous emmenait à LYON nous avions subi un contrôle allemand, de même qu'à la sortie de la gare de LYON-PERRACHE avec la police française. John fut rapatrié en ANGLETERRE quelque temps après par nos services de la S.A.P. dans la nuit du 8/9 Février 1944 par un atterrissage clandestin sur le terrain "ORION" avec Lucie AUBRAC. Les gendarmes de SAINT-PIERREVILLE avaient été chargés de l'enquête sur cette affaire et comme nous avions des accointances avec eux ils nous apprirent que les Allemands n'avaient pensé à aucun moment qu'il puisse y avoir des survivants. Ils avaient fait inhumer les victimes au cimetière d'ANCONE, près de MONTELIMAR. Une visite en ce lieu me confirma l'information. Leur tombe se trouvait juste à l'entrée du cimetière et les habitants de la localité, voulant rendre hommage à des combattants alliés, l'avaient recouverte de fleurs. Pour prouver à l'ennemi que la Résistance Française n'était pas un Mythe, notre ami VINSON tailla une plaque de marbre de un mètre sur cinquante centimètres, frappée des insignes de la R.A.F. et de la Croix de Lorraine, sur laquelle il grava l'inscription reproduite ci-contre. La plaque fut dressée quelques semaines plus tard, donc en pleine Occupation, à la tête de la tombe, et ne fut jamais touchée par les Allemands. Il m'est pénible d'ajouter que cette plaque commémorative a été profanée et détruite à la Libération dans des circonstances mal éclaircies. Des morceaux de marbre ont été retrouvés dans la rivière le JABRON, à plusieurs kilomètres d'ANCONE.

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13 Novembre 1943 : un groupe de Résistants effectue un sabotage sur la voie ferrée à PORTES-LES-VALENCE, qui se solde par le déraillement d'une locomotive de six wagons. La circulation est interrompue pendant plusieurs heures. 14 Novembre : la B.B.C. diffuse à 13 h 15 le message suivant : "Nous irons à MARAKECH". Il nous annonce pour le soir-même le premier parachutage en provenance d'ALGER sur le terrain "ARBOUNOUSE" près de SAINT-MARTIN-EN-VERCORS. Cette fois encore la multiplicité des états-majors et des réseaux va être préjudiciable. Le fait que le texte de ce message est connu de nombreuses personnes, permet à des résistants locaux de se rendre sur place et de s'approprier les armes parachutés, (document : "Vérité sur le VERCORS". P. 210) les détournant ainsi de leur destination initiale et rendant impossible l'inventaire exigé par les alliés.

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Plaque posée, en pleine clandestinité, sur la tombe des aviateurs alliés, tombés le 3 Novembre 1943 au cimetière d'ANCONE près de MONTELIMAR (DROME) Dans la nuit du 15/16 Novembre 1943 : Roger CAMMAERTS du réseau BUCKMASTER retourne en ANGLETERRE par une opération d'atterrissage d'un avion HUDSON en compagnie de 9 autres passagers dont François MITTERRAND d'un terrain clandestin près d'ANGERS. Dans cette même nuit arrive sur le terrain "ALBATROS" en CHARENTE, par avion LYSANDERS, André ROCHE, le futur chef régional S.A.P. et trois autres passagers. 16 Novembre : Le Général DE GAULLE remanie le Gouvernement provisoire et y fait entrer deux communistes, L. MIDOL et E. FAJON. Par contre, le Général GIRAUD en est exclu et est nommé Inspecteur Général de l'Armée.

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24 Novembre : trois voitures "GIONO" allemandes, autorisées depuis Juillet 1942 à opérer en zone libre par le Gouvernement de VICHY pour localiser les postes-émetteurs clandestins, circulent dans la commune de SAINT-MARTIN-EN- VERCORS. Elles ont réussi à localiser les émissions de "PIERRE", la radio du Commandant "AZUR", de son vrai nom Gaston VINCENT, du réseau américain "BROWN", de l'O.S.S. Cette équipe a déjà échappé plusieurs fois aux recherches de la Gestapo avec son chef "FRED", entre autres le 20 Octobre dernier à BLACON. Les Allemands situent l'émetteur dans une ferme du quartier de BERTHONGES. In extremis, PIERRE est averti par ses agents de protection et il tente de s'échapper alors que l'ennemi investit la ferme. Il est blessé grièvement à la poitrine mais n'a pas perdu conscience. Il fait le mort et les Allemands, le voyant baigner dans son sang, inerte, se contentent de lui expédier quelques coups de bottes. Voyant qu'il ne réagit pas, ils croient l'avoir tué et le laissent sur place. Après leur départ, des voisins le transportent dans une clinique de BOURG-DE-PEAGE. Le malheureux est en très mauvais état et quelques jours plus tard, la Gestapo ayant, on ne sait comment, retrouvé sa trace on l'évacue en catastrophe, dans des conditions épouvantables, chez un résistant Monsieur PERDU, et de là chez les demoiselles METIFIOT à SAINT-DONNAT-SUR-L'HERBASSE. Le Commandant "AZUR" ayant perdu son radio et son matériel va se retrouver pour un temps sans communications possibles avec ses chefs.

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Par une note en date du 9 Novembre, les Services de Renseignements de la Résistance communiquent : " BOUGINI" propriétaire du restaurant "LA CHAUMIERE", 8 Rue du Jeu de Paume à VALENCE, ayant dénoncé cinq personnes à la Gestapo a reçu ce jour, au Café du Palais, Rue Berthelot, une prime de 1 000 F pour prix de sa trahison.

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10 Décembre 43 : un groupe de Résistants venus dans un car fonctionnant au gazobois fait dérailler un train de permissionnaires allemands au Sud de PONT-LES-VALENCE. Plusieurs wagons sortent des voies, des soldats tentent de s'échapper et le commando ouvre le feu, faisant de nombreuses victimes. Le moment de surprise passé, les Allemands se ressaisissent, se retranchent et ripostent. Se rendant compte de la faiblesse de l'armement de leurs assaillants, ils passent bientôt à la contre-offensive et poursuivent les résistants les obligeant à se replier vers le petit bois de la RATINE où ils ont dissimulé leur car gazo. Par malchance le véhicule refuse de démarrer. Nouvelle retraite en laissant sur le terrain Marcel CHAMPION (PIERRE) mortellement atteint. Il s'est sacrifié pour assurer le salut de ses camarades. Son corps sera remis par les Allemands aux miliciens français de VALENCE qui l'exposeront Boulevard Bancel, face à leur quartier général "pour servir d'exemple". Les opérations de ce genre n'étaient pas rares à cette époque et elles se multiplièrent encore au cours de l'année 1944 jusqu'à la Libération. J'ai choisi de rappeler celle-ci parce que c'est une des premières et qu'il existe un document qui s'y rapporte. L'un des membres du commando, le Capitaine MEYRAUD en a fait le récit dans le n° 14 du journal F.F.I. "En avant " : mieux qu'une relation a posteriori, je crois que ce rapport spontané, écrit dans le feu de l'action, constitue malgré ses maladresses, un témoignage émouvant de ce que fut l'esprit résistant et de l'engagement total des Français qui n'acceptèrent pas la défaite. En voici le texte, sans aucune retouche : " Des mitraillettes et du plastic !… voici là, tout l'armement qu'on possède. Pourtant il faut agir et l'attaque d'un train de permissionnaires est décidé pour le 9 Décembre 43 au soir. Mais direz-vous, c'est joli d'attaquer un train avec si peu de matériel, et c'est aller à l'échec et à la mort certaine, ils vous répondront : "il faut bien montrer que la vraie FRANCE est contre les Boches, et ils s'en iront". L'attaque du train est la première opération de cet ordre entreprise et menée à bien. Elle est le couronnement d'une tactique qui fut toujours celle des résistants de tous les pays : frapper un peu partout et fort au moment où l'on ne s'y attend pas, et épuiser par des coups de mains rapides, la force matérielle et morale de l'ennemi, en évitant l'attaque frontale insoutenable. L'opération a lieu à l'endroit encaissé entre LA PAILLASSE et PORTES. A 19 h, on prend la route, puis on se retrouve sur les lieux prévus pour le drame. Quatre volontaires minent la voie, tandis que quatre autres neutralisent le poste d'aiguillage et le reste, bouillonnant d'impatience prend position autour du lieu tragique. Diable ! Il était temps ! Le train des Boches est là, alors que les dynamiteurs terminent à peine leur travail, et se ruent sur le talus pour rejoindre leurs camarades. Tous fixent des yeux ces autres yeux qui s'approchent, et le panache flamboyant semble une comète dans la nuit pour ces hommes, ces ennemis, le danger est là, implacable et ils ne savent rien et rient en évoquant les joies du retour à leur foyer pour quelques jours. Chose cruelle que la guerre ! mais on ne s'apitoie pas, car eux sont impitoyables si on est pris et l'excès de sentimentalité est faiblesse ou lâcheté chez le soldat qui se bat. Maintenant on compte rapidement les secondes, car le train est là, tout près, une… deux… trois les poings crispés et la face attentive… six… sept… huit et subitement "BRAOUM" un fracas épouvantable ébranle les nerfs : la machine hors des rails, des wagons enchevêtrés et arrachés de la voie donnent l'idée d'un mauvais génie surgi soudain et qui aurait provoqué d'un signe ce spectacle de désolation. Dans le méli-mélo de fer et de bois, des hommes circulent affolés et impuissants, cibles faciles sur lesquelles le coup de sifflet du chef des résistants ordonne le feu. Les mitraillettes vomissent leur pluie de mitraille et des corps choient brutalement, tandis que d'autres s'aplatissent en hâte dans le fond des wagons ou se précipitent pour descendre en contre-voie. Quelques pièces automatiques et ce serait l'investissement total du convoi, mais armés seulement de mitraillettes ! Des Allemands sont tués, de nombreux blessés jonchent la voie, alors qu'il n‘y a pas de victimes dans les rangs des résistants. Second coup de sifflet et c'est le repli après avoir vidé plusieurs chargeurs. A sept ou huit cents mètres le détachement se regroupe, dans un ordre parfait, mais hélas, le gazo fait des siennes une demi-heure, puis fructueuses tentatives, le moteur tourne tandis que les Boches regroupés, soutenus par de fortes patrouilles, contre-attaquent violemment. Une décharge nourrie atteint le car et le jeune Marcel CHAMPION, dit "PIERROT" est touché mortellement, première et seule victime de cette splendide opération. Tout en se repliant méthodiquement, les gars tiraillent et atteignent encore des Boches qui s'écroulent, mais le chef du détachement est grièvement blessé à son tour. Transporté par ses camarades, il échappera à ses poursuivants. Copie du rapport du chef de gare de PORTES-LES-VALENCE : Sur la ligne PARIS-MARSEILLE à PORTES triage au km; 625,350 déraillement d'un train de permissionnaires allemands à 23 h sur voie 2 rapide par explosion, locomotive, tender, fourgon et quatre voitures ont déraillé, pas d'accident de personnes par déraillement, des terroristes ont ouvert le feu sur les voitures déraillées, les Allemands ont riposté, la fusillade a duré une heure, un Allemand a été tué, trois autres blessés, un assaillant tué. Une heure avant 5 hommes armés ont occupé IV, amenant avec eux les deux requis civils de service, ils ont coupé les lignes téléphoniques et sous la menace de leurs armes ont ordonné à l'aiguilleur de continuer son travail. Renseignements complémentaires fournis par le rapport de la gendarmerie : C'est du poste IV que s'est produite l'explosion et le train a déraillé à 800 mètres du poste. Les Allemands ont eu quelques blessés par déraillement, par débordement, ils ont obligé les résistants à se replier et les ont poursuivis dans la campagne environnante. Ils se sont emparés du car des terroristes qui avait été réquisitionné à LAVOULTE et l'ont amené à VALENCE. Ils ont arrêté et emmené deux fermiers voisins, les voies sont obstruées pour deux jours.

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Le lendemain de ce combat héroïque, nous pouvons voir le corps du malheureux Marcel CHAMPION exposé comme un trophée barbare aux yeux horrifiés de la population. De telles moeurs dégradantes avaient disparu chez nous depuis le Moyen-Age. Une violente colère nous envahit et nous décidons de donner une nouvelle leçon d'insécurité à l'Occupant. Léon FAILLE (CONSTANT) LA CLOCHE, toujours là pour les missions d'exception et MARIUS (LE BOXEUR) se portent volontaires pour lancer trois grenades quadrillées à la sortie d'une séance de cinéma réservée aux soldats allemands dans la salle des fêtes de VALENCE, le 16 Décembre. L'opération de représailles a fait de nombreuses victimes chez l'ennemi. Nous n'avons pas eu le loisir de rester sur place pour les compter mais plusieurs voitures d'ambulance arrivèrent sur les lieux.

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Le 12 Décembre, DROUET, alias "l'Hermite" responsable de l'A.S. pour la zone Nord du département de la DROME, est nommé chef départemental à la suite du très grave accident de voiture survenu au Capitaine ARNAUD, titulaire de ce poste. Il installe son P.C. chez Madame Huguette DUCROS, liquoriste 65 Avenue Victor Hugo à VALENCE, dont le gendre Mr SARETTI appartient à mon groupe. La maison de Mme DUCROS deviendra ainsi le lieu de rendez-vous des résistants jusqu'à son arrestation le Samedi 1er Avril 44. Heureusement, nous avons eu la joie de la revoir saine et sauve. Il faut donc un nouveau responsable pour la zone Nord et c'est René FANGET (Capitaine RENE) qui est désigné. Il installe son P.C. à SAINT-DONNAT-SUR-HERBASSE. Au cours de cette restructuration de notre région, BENEZECH (Capitaine ANTOINE) devient chef du secteur Centre et CHALLAN-BELVAL (PIERRE) chef du secteur Sud. Un Groupe-Franc est également constitué sous les ordres de "JEANNOT". Les parachutages nous procurent de plus en plus d'armes et de munitions, les sabotages de voies ferrées se multiplient. Avant le déraillement et l‘attaque du train de permissionnaires allemands du 10 Décembre, la voie avait été coupée près de PORTES causant le déraillement d'une locomotive et de 18 wagons, c‘était le 27 Novembre. Le 17 Décembre, un ponceau supportant la voie PARIS-MARSEILLE, saute à proximité du village d'ETOILE. Quatre jours après, dans la nuit du 21 au 22 Décembre un sabotage réalisé sans explosif provoque la chute dans un ravin d'un train de troupes allemands non loin de VERCHENY sur la ligne VALENCE-BRIANÇON. Le Lieutenant Georges DUJET, professeur à CREST, René ABONNENC, Henri GENEVES, et Pierre BELTRANDI employé à la S.N.C.F. qui procura des clefs spéciales, déboulonnèrent les rails dans une courbe. Nombreux tués et blessés parmi les Allemands. Copie du rapport de la gendarmerie : Sur la ligne LIVRON-BRIANÇON, déraillement d'un train de permissionnaires allemands entre VERCHENY et PONTAIX, par déboulonnage de rail. Locomotive et 14 wagons déraillés furent incendiés par les appareils de chauffage placés à l'intérieur et entièrement consumés. Douze corps de soldats allemands furent retirés des décombres, il y eut 40 blessés. Le 27.12.43, un important contingent d'Allemands arrêta des otages à PONTAIX, à VERCHENY, à SAINTE-CROIX, et à BARSAC. Ils rassemblèrent ces otages et demandèrent aux autorités présentes de désigner ceux qu'ils devaient relâcher (âge, situation et famille) car ils ne devaient en garder que cinquante-sept. Ils furent déportés, 38 sont décédés en déportation.

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Le 31 Décembre, les Français s'apprêtent à célébrer la Saint-Sylvestre en considérant tristement les maigres denrées que les Services du Ravitaillement de Pétain ont daigné débloquer pour faire bombance : par personne : 2 kg de pommes de terre, 75 centilitres de vin, 25 centilitres d'eau-de-vie, 500 grammes de marmelade, 250 grammes de pâtes et 125 grammes de confiture. Les enfants de moins de 16 ans se voient gratifiés, contre les tickets K et L de la carte de rationnement, d'une paire de galoches. Sans doute pour les mettre dans la cheminée en attendant le Père Noël. Bonne année, bonne santé et vive la fête !

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En ce qui nous concerne nous apprécions davantage l'annonce d'un accord que le Général De Gaulle vient de conclure avec les états-majors alliés pour une véritable coopération des divers Services Spéciaux français, anglais et américains. Il en résulte, tout au moins sur le papier, qu'Alger n'est plus qu'une base opérationnelle de la France-Libre, dépendant de Londres. Dans la réalité, l'Ardèche, le Vercors et la Drome continueront à être en liaison soit avec Londres, soit avec Alger qui ne tiendra guère compte du traité.

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Pour cette soirée de "réveillon", le temps est froid et sec. A 13 h 15 nous avons entendu sur les ondes de la B.B.C. un message qui nous concerne : "Le Pain est Moisi Pour Les Trois Amis". Il annonce la troisième opération de parachutage sur le terrain "Agonie", situé Quartier Gervan dans la commune d'Eymeux à 4 km à l'ouest de Saint-Jean-En-Royans dans la Drome. Nous ne nous attendions pas à un tel cadeau pour terminer l'année. Avec mes coéquipiers Firmin Faure (Etienne), Léon Faille (Constant) et Marius Junique (Marius) nous rallions vers 22 heures, à bord du camion Renault la ferme Debré où nous ont précédé Jean Ferroul, le responsable du terrain, son adjoint le Lieutenant André Oucin, Lucien Algoud, Marcel Bec, Jean Bourne, Ferdinand Bertrand, Louis Chardon, Raymond Delon, Elie Odeyer, Dupont, Marcel Ravaux, Ernest Rime, Paul Rivielle et les Frères Romanais, André et Paul. Les préparatifs se déroulent maintenant presque automatiquement. Chacun sait ce qu'il a à faire. Doucin met en place les groupes de protection tandis que mes équipiers installent les balises selon les orientations prévues. Je m'occupe personnellement de mettre en marche l'Eureka. L'attente commence dans la nuit glacée, au pied du Vercors. C'est le moment habituel où l'esprit vagabonde, où l'on est pleinement conscient de l'engagement que l'on a pris. Je me sens en parfaite communion avec tous ceux qui sont à leur poste de combat, cette nuit de fête, en cet instant, pouvant voir les mêmes étoiles dans le ciel. Ceux d'Afrique, les marins à bord des unités battant pavillon français sur toutes les mers du globe, nos aviateurs au-dessus de l'Allemagne et jusqu'en Russie, sans oublier "l'armée de l'ombre" des zones occupées, à qui revient sans doute le rôle le plus ingrat. J'ai l'impression profonde de les sentir tous à mes côtés, frères d'armes, frères d'espoir et cela fortifie encore ma résolution de tenir jusqu'au bout, jusqu'à la victoire. Dans le silence fluide de cette nuit d'hiver, le clocher d'Eymeux, au loin, égrène les heures : minuit, une heure, deux heures… toujours rien. Nos amis ne viendront pas nous souhaiter la bonne année, ne tomberont pas du ciel les colis d'armes, de munitions et d'explosif, avec ou sans faveurs roses, qui nous auraient fait plus de plaisir que des boîtes de chocolats. Je fais voeux en moi-même que l'année 1944 soit l'année de la Libération de la FRANCE, déçu d'avoir manqué cette réception d'avion mais confiant.

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Mon adjoint Longepierre (Coste) m'ayant quitté pour rejoindre "Pacha" (Henri Guillermin) de retour de Londres où il a fait un stage par avion Hudson sur le terrain "Junot" près 06 Tournus avec 8 autres passagers dans la nuit du 21/22 Septembre 43. Il est nommé Officier d'Opération de la Région R4.


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