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Je ne remercie personne pour ce
livre,
pour la bonne raison que personne
ne
m'a aidé... Il est vrai que je ne
l'ai
demandé à personne !
« Même pas à un nègre ?
»
«
Pourquoi
un noir ? »
« Non, un nègre ! »
« Ah, oui... Non, surtout pas ! »
Cependant, je dis merci à ceux et
à
celles qui m'ont encouragé à
l'écrire...
Et à tous les personnages, qui
ont
jalonné ma vie et m'ont inspiré !
A mon
père, Fernand...
A ma mère, Minouche...
A mes amis aviateurs à la
carrière sinueuse...
A
l'amitié !
Je
volais, je le jure, je jure que je volais... (
Jacques Brel
).
«
Jacques, je vois à ton air coquin que tu
as une envie... » , me dit cet ami de toujours, ce
vieux
compagnon d'armes, qui
comme moi, a roulé sa bosse un peu partout dans
le monde...
«
Tu me connais donc bien ! Oui, j'éprouve
un besoin de me raconter, de nous raconter ! »
«
Oh là là ! Tu veux raconter ta vie, ta
carrière... »
«
Oui... »
«
Une autobiographie ! Un bouquin
barbant... Mais, dis-moi, pourquoi nous ? »
«
Nous, parce que notre métier, toi, moi,
nous, les pilotes un peu « mercenaires »,
travaillant de
contrat en contrat, de
pays en pays... Bien que nous soyons souvent
considérés
comme tels, je n'irai
pas jusqu'à dire des « outlaws », des
hors-la-loi,
mais bien des «outsiders» !
«
Intéressant... »
«
Tiens, tiens... »
«
Mais encore... »
«
Un bouquin... Heu... Oui, si tu veux,
des notes personnelles de ma vie, de ma carrière,
des anecdotes
de notre boulot
par lequel nous avons côtoyé tellement de
mondes, de
races, de nationalités, de
cultures, de religions, de philosophies et
d'idéologies si
différentes, si
particulières ! Je ne crois pas que la plupart
des gens
s'imaginent les détours
heureux, malheureux de notre corporation... Un pilote en
uniforme !
Tout un
monde, un tableau ! Oui, mais quel travail de peinture
pour y
arriver... et
surtout s'y maintenir ! Des couleurs vives, des couleurs
sombres! Un
message
surtout, pour les jeunes, ceux qui ont le « feu
sacré
», les amoureux des cieux,
afin
qu'ils s'accrochent et ne
désespèrent JAMAIS d'y arriver un jour...
Quand on veut,
on peut! Tu en sais
quelque chose...
«
Alors, je vais raconter ce qui me passe
par la tête... Pêle-mêle ! Simplement:
sujet, verbe,
complément, adjectif...
Expliquer aux profanes le petit abc de la profession,
quelques
expressions
d'aviation et surtout l'ambiance d'équipage...
L'amitié !
N'oublie pas quand
même que je suis aviateur et
non-écrivain... Relax, quoi !
»
«
Relax ? »
«
Oui, cool... Raconter d'une manière
relaxante cette histoire, qui ne fut cependant pas
aisée... Je
la veux
divertissante, amusante... Des pincées d'humour
simple...
Parfois une
alternance au second degré, qu'il faudra suivre
et lire entre
les lignes !
Cependant, un zeste de tristesse, un brin d'amertume,
comme il en faut,
hélas,
dans tous les récits de vie... Du crescendo en
aigre-doux !
Nous
faisons notre métier avec amour et
professionnalisme et nous le ferons jusqu'à la
fin...
Nous ne sommes pas des amateurs ! Mais pour l'amour du
Diable ou pour
l'amour
de Dieu, ou pour l'amour des cieux, ne nous prenons pas
trop au
sérieux !
« D'accord, mais alors, Jack... Des «
moi
», des « je », ou troisième
personne ?
Surtout, pas de vedettariat ! Nous
faisons notre boulot, comme tout le monde...
Troisième personne,
certainement
pas ! Même si ma vie est un roman, ce n'est pas un
roman! Il
s'agit tout de
même de ma vie personnelle... Ceci, c'est de la
réalité ! TOUT est
ab-so-lu-ment vrai, jusque dans les moindres
détails, du «
(Sic) » !
Je
me suis toujours senti en dehors des
sentiers battus, un
outsider des
situations justement
! Des « moi », des « je », oui,
mais aussi des
« nous », car il s'agit de «
notre » aviation!
«
Récit objectif ? »
«
Affirmatif ! Je te le dis: « (Sic) »,
avec un grand « S »!
Le
Boeing 747, c'est une « grosse bête
»... Au décollage, je me le suis toujours
imaginé
comme un troupeau de plus de
150 éléphants chargeants sur une piste !
La comparaison
en poids est réelle...
Pas étonnant qu'on le surnomme « Jumbo
» et que le
pilote doit ajouter «heavy
»,
«lourd », à sa procédure radio
lorsqu'il rentre en contact avec le contrôle
aérien... Il
déplace de l'air le «
Jumbo » ! Il pèse au décollage,
à pleine
charge, 380 tonnes (380.000 kg !), une
masse ! Son propre poids est égal à celui
du carburant
qu'il emporte: 165
tonnes, 200.0000 litres de pétrole... De quoi
rouler avec sa
petite auto,
pendant presque deux siècles !
Il
est cependant un oiseau de fin vol...
Il plane comme un aigle et grâce à sa
finesse et à
son inertie, le faire
descendre et surtout le ralentir est une manœuvre
délicate !
D'une altitude
13.000 mètres, la mise ne descente est
effectuée par la
réduction complète des
quatre réacteurs, à une distance du point
d'atterrissage
de 250 kilomètres...
Le profane à difficile à accepter cette
loi de la
portance, procurée par la
vitesse de descente... Combien de fois ne nous
demande-t-on pas:
«
Mais, si les moteurs s'arrêtent, votre
avion..., il tombe comme une brique, surtout le 747,
énorme
comme il est ! ».
«
Mais non, Monsieur, il plane! Et si
bien... Un aigle ! »
Parfois
même, pour modifier cette descente
et ralentir son vol, on est bien obligé
d'employer la
manière forte, le
dompter, lui montrer qui est le maître... On lui
casse sa
portance en sortant
les aérofreins ! On tire sur le mord, on retient
la laisse ! On
brutalise la
bête ! Ses ailes tremblent ! Elle souffre !
Vilaine action de la
part du
pilote... D'ailleurs, c'est lui le fautif, il a mal
calculé son
coup !
La
vitesse du vol plané, qui a débuté
à
900 km/h, se réduit petit à petit pour
préparer
l'approche du circuit
d'atterrissage à environ 450 km/h et permettre
ainsi à
cet oiseau magnifique de
déployer d'avantage ses ailes, ce qui lui donne
plus de
portance... La sortie
des volets ! Enfin, il détend ses pattes, ouvre
ses griffes...
La sortie du
train ! Les 18 roues sont pré-positionnées
à un
angle de 45 degrés
pour toucher en
douceur... Vitesse
moyenne de 250 km/h! « Kiss-Kiss...» sur
la piste... Comme quand l'amour est bien fait !
Le
vol entier, spécialement l'approche,
l'atterrissage, est à chaque fois, un certain
challenge... Quand
ce corps à
corps amoureux avec la machine est bien fignolé,
une
véritable jouissance pour
le pilote ! En général, c'est très
bien fait,
grâce à ce docile animal...
Ah
! Vraiment, quelle belle bête !
Golf
Persique 1981 ! Niveau de vol 350
(35.000 pieds, 11.500 mètres). Atterrissage
prévu
à Bahrain... Il est 2 heures
du matin, heure locale... Nuit d'encre !
L'emblème lumineux
(logo) de la
compagnie est allumée... Dans cette
région, il est
prudent de se faire
identifier par quelques avions de chasse intempestifs...
C'est la
guerre entre
l'Iraq et l'Iran !
En
général, les secteurs de vol sont
partagés entre le Commandant de bord et le
Copilote... J'avais
volé de
Singapour à Bangkok, c'est Patrick Wong, mon
Copilote, qui est
aux commandes
pour le second secteur: Bangkok-Barhain. Début de
la descente...
Réduction des
réacteurs !
Le
radar d'approche nous dirige en phase
finale... Ce radar est un radar au sol ! Le
contrôleur donne
à l'avion les caps
à suivre pour le positionner en finale... Le
pilote
exécute les instructions
afin d'intercepter les deux faisceaux, direction et
pente, qui dirigent
l'appareil vers un point précis d'atterrissage:
«
Instrument Landing System »
(I.L.S.). Le pilote interprète dès lors
ces informations
sur les instruments de
bord... Dans le cockpit, nous avons également un
petit
écran radar, mais il
sert uniquement à détecter les zones
orageuses et
à les éviter !
Nous
sommes donc établis sur l'ILS,
vitesse réduite, volets sortis en partie... La
visibilité
est excellente... On
aperçoit très bien les lampes d'approche
et la piste
illuminée! Patrick demande
la descente du train:
«
Gear down ! »
J'exécute
!
Lorsque
le train descend (les trains, car
il y en a cinq ! et 18 roues !), cela s'entend ! Les
passagers sont
toujours
intrigués, impressionnés, par ces
bruits... Certains font
un rapide signe de
croix, d'autres lisent leur journal, l'air « cool
»... En
fait, ils paniquent !
Je les comprends: «
Bloum ! », « Bloum ! », surtout la
roue de nez:
« Bloum !!! ». Je me suis
toujours demandé comment le constructeur n'avait
pas encore
trouvé un moyen
d'atténuer ce vacarme...
La
vérification du verrouillage est
indiquée par un seul témoin, une petite
lampe: verte ou
rouge ! Vert, c'est
bon, rouge, pas bon !
Cette
fois-ci, nous avons la lampe rouge !
Le mécanicien de bord, Maniyam, confirme de suite
qu'il y a
anomalie: les deux
indications auxiliaires, situées parmi tant
d'autres, sur son
grand tableau
(1m30), indiquent une contradiction... Selon l'une, les
deux trains de
droite
ne sont pas sortis et l'autre dit le contraire !
«
Et la roue de nez ? »
«
L'indication est HS ! (hors-service)
».
«
Go around ! », « Remise de gaz ! »
J'annonce:
«
Je prends ! », vieille et belle
expression de la marine, employée
également en aviation: Je
prends les
commandes ! », de même qu'en
anglais: « I have » ou « I take
controls ».
Je
sais, nous savons, tous les trois,
qu'il s'agit d'une fausse indication... Instruments
électroniques... Ils se mélangent
les pinceaux ! Impossible d'avoir tous les trains sens
dessus dessous !
«
Nom di Diou ! », nous les avons bien
entendus descendre, ces trains ! « Bloum !
»,
«
Gear up ! »
On
remonte le train ! Montée à 3.000 pieds
(1.000 mètres). Prévenu, le radar
d'approche nous reprend
en main et nous
dirige vers une zone de moindre trafic... D'ailleurs, il
n'y en a
guère à cette
heure de la nuit... Nous ne sommes pas, heureusement,
dans le circuit
de Los
Angeles, de New York ou de Chicago !
«
Gear down ! »
On
écoute... On entend bien les
bloum-bloum... Toujours la lampe rouge !
Allez,
encore une fois, on ne sait
jamais... Train rentré, train sorti ! Même
résultat
!
J'ai
prévenu brièvement les passagers...
N'ai vraiment pas le temps de leur raconter ma vie,
d'autres chats
à fouetter !
Ils doivent en avoir plein les oreilles des «
bloum-bloum
»...
Depuis
Singapour, cette nuit-là, nous
approchions les douze heures de prestation... Les
capacités de
réactions
s'amenuisent, mais l'adrénaline coule et le
rendement redevient
quasi-normal,
ce qui nous sauve souvent dans de pareilles
situations... Exiger du
corps
humain les décisions rapides et adéquates,
qu'il nous
faut prendre ! Le choc
physiologique et psychologique, ça vient «
après
»... Il n'en est que plus dur
! Au sol, la fatigue est saupoudrée de
décalage
horaire... En plus, on sent le
bouc, on est bon pour l'abattoir ! Mais on
récupère, on
survit ! C'est notre
job... Après tout, nous ne sommes pas
employés aux PTT !
Dernière
ressource obligatoire, la
descente du train en système de secours...
Simplement, les roues
descendent par
gravité, par leur poids, ce qu'il fait d'ailleurs
en
opération normale, mais on
espérait qu'il se verrouille... Non ! Toujours,
« l'œil
rouge », qui nous
regarde !
A
cette altitude, la consommation
carburant est grande... Avec la remise des gaz, les
tours en rond que
nous
venons de faire, la jauge a baissé... Les
réserves sont
bien entamées ! A haute
altitude, l'air est moins dense, il faut moins de
puissance pour le
pénétrer,
donc moins de pétrole... Il y en a encore bien
assez cependant
pour tenter un
passage au-dessus de la tour de contrôle ! Je
décide de voler à basse altitude pour
vérification
visuelle des roues !
Autorisation accordée! Un puissant projecteur est
même
prévu! « Merci » ! Pas
courant, cette opération...
Le
radar nous ramène en vue de la
piste... Je vois le rayon
du projecteur... Alignement...
Sortie du reste des volets ! Ce
passage, à 100 mètres de hauteur, doit se
faire à
une vitesse minimale: train
sorti, tous les volets sortis (30 degrés) !
Au-delà
d'une certaine position de volets
(20 degrés), si, par mégarde ou par oubli
(c'est
A
nouveau, « gear down », bloum-bloum et
lampe rouge ! Je demande
à Patrick:
«
Flaps thirty ! », (30 degrés de volets),
les pleins volets, full flaps !.
A
ce moment, le Klaxon se met à hurler:
«
Poueeeeeeeeeeeeeeet ! » nous
notifiant
par-là:
«
Le traiiiiiiiiiiiiiiin ! Vous avez
oublié de descendre le train, bande de pommes !
Le
traiiiiiiiiiiiiiiin ! ».
Descendre
le train ! Nous n'avons fait que
cela ! Un tintamarre dans ce cockpit ! On se regarde
tous les trois !
Le doute
augmente ! Tant pis ! Attendons le verdict du
contrôleur...
Après
notre passage, un petit espoir ! Il
nous affirme que toutes les roues sont sorties ! Ouf !
Mais le
verrouillage ?
Plus
le temps de philosopher... On a tout
essayé ! Dans la foulée, demande
d'autorisation
d'atterrir et « Check-list
finale » lue par le mécano... Une des
réponses est:
«
Train descendu et verrouillé, lampe
verte »
Cette
fois-ci, nous ne savions plus très
bien quoi répondre...
Entre-temps,
apparition dans le cockpit:
L. McCully, le Chef-pilote « training »
(entraînement)! En passager, il part en
vacances en Italie... J'avais oublié qu'il
était à
bord. . Intrigué
par nos
« trois petits tours et
puis s'en vont », il s'est décidé
à venir
aux nouvelles... Arrivant dans ce boucan,
il est obligé de crier:
«
Jack, what's going on ? » (Que se
passe-t-il ?).
D'ailleurs,
il comprend de suite ce qui se
passe, en voyant la position des volets... Sur son
tableau, Maniyam lui
montre
les indications !
«
Il faut tuer, ce klaxon ! ».
Je
suis bien d'accord! Nous allions le
faire, mais nous avons été fort
occupés... Au
plafond et aux parois du cockpit,
se trouvent les dizaines et les dizaines de fusibles
(CB,
cicuit-breakers). On
en connaît les principaux... Le « Chef
» et le
mécano se mettent à la recherche
de celui de l'alarme... Ils le trouvent finalement et le
tire !
Silence!
Paix ! M'en souviendrai de cette
nuit ! Bloum-bloum et Poueeeeeeeeeeeeeeet...
Dire
qu'au bon temps, (avant, c'est
toujours le meilleur temps...), du Boeing 707 et autres
avions, une
vérification visuelle du train était
possible... Le
mécanicien de bord, « mine
de rien » se déplaçait dans la
cabine, soulevait un
coin du tapis de sol, prévu
à cet effet ! La tête des passagers... Un
système
de visée lui permettait de
vérifier le verrouillage des trains... Le B747
n'offre pas cet
avantage, étant
trop volumineux !
Les
gens confondent fréquemment « cabine
»
et « cockpit »... Le cockpit, pour les
pilotes, la cabine,
pour les hôtesses et
les passagers !
«
Ambulances ? Pompiers ? » nous demande
la tour !
«
Oui ! »
J'arrive
sur mes chaussettes... A
l'approche du sol, au moment d'arrondir le taux de
descente, je retiens
l'avion... Le plus possible ! Faire un atterrissage
doux... La crainte
de poser
les roues au sol... Elles touchent, mais je ne sens
rien, je suis
sûr que
l'avion s'enfonce !
«
Merde ! Shit ! Le train n'est pas
verrouillé ! »
Non
! Nous sommes bien au sol, nous
roulons sur la piste, suivi par le cortège des
pompiers, des
ambulances...
Pimpon ! Pimpon ! Pimpon ! A chacun ses bruits...
L'aventure
ne se termine pas si mal...
En fanfare ! Et puis, un atterrissage
sur le ventre, ce n'aurait pas été
spécialement un
kiss-landing (atterrissage
doux)…
Le
mécanicien de sol nous confirme: panne
électronique ! Tout ce cirque pour cette boite...
A Dublin
toujours, ce même
instructeur, à qui nous demandions:
«
Mais comment fonctionnent-ils, tous ces
instruments électroniques ? ».
«
Ne vous en faites pas! P.F.M.! Pure
Fucking Magic ! » (auto-magique !!!)
«
Ah, bon... » , admettions-nous,
facilement rassurés... Après tout, il
avait raison,
ça marche ou ça ne marche
pas ! Délicate et
emmerdeuse,
Mademoiselle l'électronique...
En
descendant de l'escalier en colimaçon,
qui débouche dans les premières classes,
Solange Nemry,
toute blême, m'attend!
Passagère à bord de ce vol, elle m'avait
interpellé à l'escale de Bangkok:
«
Jeson ! »
Un
surnom que j'avais reçu, il y a bien
longtemps, lors de mes études en Afrique... Je ne
l'avais pas
reconnue de suite
! Elle répète:
«
Jeson, c'est moi, Solange, nous étions
ensemble à l'Athénée (Lycée)
de Bukavu, au
Congo belge ! »
Je
la reconnais ! Embrassades...
Je
n'en reviens pas... Un bond en arrière
de plus de trente-cinq ans! Elle me présente son
mari Alex...
Solange était
venue passer quelque temps dans le cockpit et nous
avions refait le
passé...
Toujours nerveuse en avion, je l'avais calmée en
lâchant:
«
Mais enfin, Solange, tout ceci, c'est du
velours...»
Elle
ne me croira plus jamais ! Au pied de
cet escalier, j'essaie bien de les rassurer, elle et son
mari... Ils
sont
palots, l'air vraiment inquiets... Ils continuent sur le
même vol
! Je leur
explique.... Plus rien à craindre ! Alex me donne
leur adresse,
on se reverra à
Amsterdam...
«
Allez, Ciao ! Bon vol ! A bientôt...
Moi, je vais me coucher ! ».
En
fait, je me débine...
Dans
ma chambre de l'hôtel Hilton, je
refais le scénario de cette nuit en prenant un
pot avec
l'équipage... Tout le
monde « décompresse »,
«unwind», comme
disent les Anglais ! J'aime bien cette
expression... On a vraiment l'impression de se
dérouler, de se
détordre, de se
détendre de la fatigue et du stress, comme un
serpentin
libéré ou une hélice
d'avion, dont on vient d'arrêter le moteur...
Le
copilote, Patrick Wong, est aujourd'hui
Commandant de bord ! Quand je le croise dans les
couloirs des «
Opérations »
(salle où les pilotes viennent vérifier et
signer leur
plan de vol), toujours
le même script:
«
Tu te souviens de Barhain...»
«
Oh, oui, Jack ! »
D'ailleurs,
la plupart des copilotes, qui
volaient avec moi à cette époque, sont
passés
« à gauche », dans le siège de
gauche, celui du Commandant de Bord! Certains, devenus
instructeurs, me
font
passer les « Checks » (contrôles)
semestriels en vol
ou au simulateur...
Plus
tard, je me retrouve seul avec ma
bière... Je ne peux m'empêcher de penser
à ces
retrouvailles avec Solange...
Coïncidence ! Période où, justement,
j'étais
bien décidé à devenir aviateur...
Je
passe en « play-back » mon existence,
ma carrière... Depuis l'incident de cette nuit,
ce film ne
cessera de se
dérouler dans ma tête... Un rêve
classique de gosse,
d'adolescent... Mais il
s'est
réalisé ! Une longue histoire
d'amour, tout simplement! Avec ses joies, ses
déchirements...
L'espoir... Le
désespoir, trop bien souvent! Seule la «
Foi » du
ciel m'a sauvé, comme bien
des pilotes dans mon cas, pour arriver et me maintenir
au but final !
Bien sûr,
il en est de même dans les autres corporations...
Mais nous, les
aviateurs,
nous vivons dans un espace à trois dimensions,
« au-dessus
de la couche »,
comme dit mon grand ami Gérard Molinas, la couche
de nuages !
Trouver le juste
point d'équilibre, pas facile !
Dès
ma naissance, je suis embarqué sur une
étoile nomade, une filante de grande vitesse,
comète
rebondissante sur la voûte
céleste... Tout comme mes parents ! C'est dans le
sang de la
famille... Notre
blason est du genre « Gypsy-star » ! Je m'y
suis
accroché tant bien que mal,
voué aux chocs de sa trajectoire tortueuse... Que
de chemins de
traverse!
Bousculades physiques, intellectuelles, qui
influenceront mon
éducation, ma
profession, mes sentiments... Un tracé de vie,
loin d'être
une ligne droite,
une véritable sinusoïde... Mais quel
enrichissement !
En
fait, je crois que tout a commencé avec
l'histoire de ma mère... Au début des
années 1920,
elle a vingt ans... Jeune
mariée, elle part pour la Chine! Voyage de noces
assez
prolongé, elle y restera
sept ans ! Elle « s'expatrie »...
Probablement, devait-elle
déjà me coller sur
la peau ce tatouage d'errance... Encore actuellement, je
suis «
l'expatrié » !
On nous appelle les « expats », nous, les
pilotes, qui ne
sommes pas « chez
nous », de nationalité différente...
Nous
remplissons notre contrat, au revoir
et merci ! Je ne critique pas, c'est très bien
ainsi, j'accepte
cette règle de
jeu !
Les
chemins de fer ! A cette époque,
la
Belgique s'était très bien placée
sur ce marché, un peu partout dans le monde... Le
contrat
chinois était
important! Comptable, le mari de ma mère venait
d'être
engagé pour son premier
terme à Nangking...
Beaucoup
plus tard, ma mère devait me
raconter ce départ vers la Chine, sa vie dans ce
pays et son
retour
d'Extrême-Orient... Tranche de vie peu banale !
Toutes ses
péripéties
chinoises, elle me les a débitées morceaux
par
morceaux... Brièvement !
Combien, à présent, je regrette de ne pas
l'avoir mieux
écoutée... Lacune de ma
part ! J'aurais dû lui poser tellement plus de
questions... Je me le
reprocherais toujours ! Mais, je
décelais à chacun de ses récits une
réticence, une gène, à se laisser
aller
avec moi... Son mari, pendant toute cette
période,
n'était pas mon père... Elle
ne fut pas très heureuse dans cette union,
affirmait-elle... Moi,
je ne devais faire partie de sa vie
que
beaucoup plus tard... On efface tout et on recommence!
Le jeton,
à la case
départ, c'est moi ! En fait, ma mère
n'aimait pas
tellement me parler de son
premier mariage... Mais, pour la Chine, j'aurais
dû insister...
Se
souvenait-elle, d'ailleurs, de tous les détails ?
Traversée
de l'Europe en train pour
aboutir au Sud de l'Italie, à Brindisi...
Traversée de la
Méditerranée jusqu'à
Alexandrie... Elle me parle de la fameuse corniche de
cette ville, de
l'hôtel,
où elle est descendue...
1987.
Lors d'une de mes escales au Caire,
je loue les services de ce bon Nubi et de son vieux
break Peugeot ! Le
transport des équipages ! Il nous proposait
toujours des
randonnées peu
ordinaires, moyennant quelques livres égyptiennes
(ou dollars
américains, c'est
bon aussi, disait-il!). Je parle de lui au passé,
car
aujourd'hui, hélas, Nubi
n'est plus... Il a rejoint les scarabées des
tombes, ceux qu'il
essayait de
nous refiler... J'ai un peu hésité,
connaissant son
teuf-teuf », mais le voyage
fut sans problème sur l'autoroute du
désert, allant du
Caire à Alexandrie, un
pèlerinage pour moi, en quelque sorte...
Plein
été ! Une chaleur étouffante... Je
me souviens, ma mère m'avait parlé de
cette saison,
mentionné cette fournaise,
qui l'avait surprise ! Elle n'avait jamais eu si
chaud... Le long de
cette
belle corniche, j'aperçois un de ces vieux
hôtels de
début de siècle... L'hôtel
de ma mère ? Plus de soixante ans après,
celui-là
ou un autre... J'ai bien
pensé à elle, à ce
moment-là... Sa vie
aventureuse débutait ! Quelle
différence, quittant l'Europe pour la
première fois...
Elle ignorait
totalement, la pauvre, que depuis ce séjour en
Egypte, elle
passerait la
plupart de sa vie dans des pays tropicaux !
De
Port-Saïd, par le canal de Suez, ils
atteignent la Mer Rouge... Croisière luxueuse...
Ce sera ensuite
l'Océan Indien
par le Sud de l'Inde, Singapour et les deux Mers de
Chine, celle du Sud
et
celle de l'Est... Shangai ! Nanking ! Voyage de longues
semaines...
« On a slow
boat to China...», me dira plus tard, à
l'Ile Maurice, mon
second, David
Ebeling, un Américain de Louisiane... Il avait eu
le malheur de
me demander
l'historique de ma famille ! Quand
je
pense qu'aujourd'hui, la durée du même
trajet en avion est
de moins de quinze
heures... Sans escale ! Et qu'il existe encore des
passagers, qui
trouvent le
moyen de rouspéter, parce qu'il y a quelques
minutes de retard...
Mon
atterrissage à l'île Maurice en mai
1992 fut un de mes plus « durs » landings de
ma
carrière... En approche de
nuit, établi sur l'ILS, dont la pente est assez
raide pour
éviter les
montagnes, la piste paraît courte ! Il a raison,
mon ami
Gérard Maréchal... Il
m'avait également prévenu de faire gaffe
au dos
d'âne juste en début de piste !
«
Après, il ne te reste plus tellement de
macadam... Vaut mieux ne pas trop finasser ton
arrondi... Atterrissage
positif
! »
Je
ne pensais qu'a ça: « La bosse !
Atterrissage positif ! La bosse ! Atterrissage positif !
»
«
Plaff ! Crakk ! »
En
redécollant de jour, je fais remarquer
à David que, tout compte fait, cette bosse n'est
pas si
prononcée...
«
Evidement, Jack, tu l'as rabotée il y a
deux jours... Remember ? »
«
Shut-up, David ! Tais-toi ! »
Découvertes
pour ce jeune couple ! Les
voilà transposés dans un environnement
totalement nouveau
! La Chine, ce n'est
plus l'Europe... Ma mère était de milieu
bourgeois... Mon
grand-père maternel
possédait à Bruxelles un bureau
d'import-export...
Entreprise assez
florissante... Les bureaux avaient pignon sur rue, au
centre de
Bruxelles! Mes
grands-parents habitaient par contre à
l'extérieur de la
ville, à Tervueren...
Le tram s'arrêtait bien avant ce faubourg... Il
fallait, à
partir du terminus
des Quatre Couleurs, traverser une partie de la
Forêt de Soignes
en voiture à
cheval... On roulait donc carrosse, pour ainsi dire,
chez les Valentin
! J'ai
cru comprendre que le mariage de leur fille fut un
arrangement... Ma
mère,
Marthe, dut épouser par convenance M. L., ou
alors
peut-être, l'attrait de
l'exotisme, de l'Extrême-Orient ? Je ne l'ai
jamais bien su...
Je
retiens des récits de ma mère, le mode
de vie dans les concessions internationales: les
réceptions
officielles,
fréquentes et obligatoires, les dîners
entre amis (!), les
jalousies des
hiérarchies mondaines, la diplomatie à
employer pour
être invité à la « bonne
table »... Son visage s'éclairait seulement
lorsqu'elle me
parlait de sa
maison, sa domestique, son « amah » (comme
moi-même,
j'en aurai plus tard), ses
déplacements en pousse-pousse... Loin
d'être envieuse et
très gentille de
nature, ma mère laissait venir les
événements sans
trop de tracas... Je l'ai
toujours connue naïvement extasiée! Revenant
d'Afrique,
nous étions en congé à
Bruxelles, après quelques années de
brousse! Ma
mère s'écrie:
«
Oh ! Un tram ! ».
Mon père, terre à terre:
« Mais oui, Minouche, mais oui, c'est un
tram ! ».
Je
tiens d'elle, cette joie de vivre... Sa
spontanéité! Je suis un peu «
gogo-naïf
»...
« Oh ! Que
c'est beau ! Oh ! Que c'est bon!
», en
tapotant le bras de
celui ou de celle à qui je m'adresse:
«
Hein ? Hein ? ».
J'attends
une réponse, je veux que l'on
communie avec moi! Je me répète tellement
souvent, qu'on
est obligé de
m'arrêter, de briser mon enthousiasme...
« Oui ! Jack !
Ca va ! Ca va ! On le sait !
»
L'air
de me dire:
«
Tant mieux ! On est bien content pour
toi... Tais-toi, maintenant ! »
Peut-être
suis-je un peu chiant ?...
Pourtant,
je ne dérange personne quand je
suis assis seul dans le hall des grands hôtels...
J'admire
l'immense bouquet de
fleurs naturelles ! Une merveille que ne remarque
même plus les
clients, qui
s'en vont et s'en viennent sans y jeter ne fut-ce qu'un
petit coup
d'œil... Les
gens sont gâtés, les gens sont
blasés !
Un
que je ne trouve pas chiant, c'est mon
petit-fils... A l'âge de 15 mois, promené
comme un Seigneur dans sa
poussette, Shane s'extasie à la
campagne... Il lève son bras et de sa petite main
montre du
doigt:
«
Ooh ! »
«
Ooh ! » pour le mouton, « Ooh ! » pour
la vache, « Ooh ! » pour la poule ou pour le
lapin,
«Ooh ! » pour l'oiseau qui
nous survole... Impressionné aussi par le
tracteur qui nous
dépasse:
«
Ooh ! »
Il
se retourne, nous regarde, veut une
approbation, un accord, une communion:
«
Ooh ! »
«
C'est beau, hein, Shane ? »
«
Ooh ! »
Je
tombe à genoux et je prie ! J'implore
les dieux de lui laisser cet enthousiasme... Qu'il ne
soit jamais
blasé !
Maman...
Sa façon, à ma mère, d'expliquer
les faits, d'arranger les choses:
«
C'est un mal pour un bien ! ».
Simple
philosophie, qu'elle m'a transmise
sans doute inconsciemment... Le « Yin », le
«Yang», une balance de vie, qu'elle
a peut-être découverte en Chine... Que
sais-je ? J'ai
ajouté à cette recette
maternelle, un fataliste « Mekhtoub »
approprié
(c'est écrit), que m'ont donné
les Arabes pour qui, j'ai longtemps travaillé et
finalement un
« c'est la vie
», « c'est comme
ça
», bien français,
dont j'étais prédisposé
probablement...
Dans
les légations, le contact avec les
locaux est restreint... Quasi nul ! Ma mère m'a
tout de
même parlé de
conversations avec un certain lettré, un
Mandarin, dont elle a
reçu l'enseigne
et que je possède toujours, ainsi que des coffres
aux portes
recouvertes de
fine peau de porc, peintes de figurines
délicates...
Départ
de ce pays céleste en catastrophe!
Ma mère en a un souvenir pénible... Une
histoire
inimaginable... Elle me l'a
racontée deux fois seulement! J'aurais dû
la faire
recommencer et recommencer,
des dizaines de fois ! Noter, enregistrer! Mais, je n'ai
pas
osé... Il faut
dire qu'à force de parler, tout
s'entremêlait dans sa
tête... Et dans la mienne
encore plus! La guerre des Boxers ! Non, ça,
c'était bien
avant ! Sun Yan Sen ?
Tchang Kai Chek, le Kuomintang sans doute... Toujours
est-il que les
événements
se précipitaient en Chine !
Les
étrangers, les « expats », ne sont
plus tellement désirés et pas en
sécurité,
comme toujours, dans un pareil
cas... J'en ai eu l'expérience moi-même...
La compagnie
décide d'évacuer ses
employés ! Ce n'est plus un paquebot de luxe,
mais un rafiot de
dernière
minute...
Le
« navire » quitte Shangai!
Vitesse
restreinte... Sortie de l'estuaire du
fleuve jaune(? !)
Ma
mère disait toujours jaune au lieu de
bleu! Une confusion supplémentaire... Car, il
s'agissait bien du
Yang Tse, le Fleuve
Bleu !
Soudain,
attaque des pirates ! Abordage,
comme au bon vieux temps des Caraïbes ! Hop ! Les
grappins !
Souvenirs
de ma mère:
«
Ils nous ont tous rassemblés sur le
pont...»
Puis
un ordre sec:
«
Déshabillez-vous ! »
Ce
qui s'est vraiment passé ensuite, je ne
le sais toujours pas... Sombre histoire... Ma
mère en avait les
larmes aux yeux
! Pas de blessés, pas de morts ! Mais quelques
rhumes... Il fait
froid ! Les
flibustiers fouillent les vêtements,
déposés aux
pieds des passagers, prennent
au plus vite l'argent et les bijoux... Puis ils
disparaissent !
Le
Capitaine n'a aucune envie de faire
demi-tour... Prendre le large au plus vite ! Ainsi,
cette coquille de
noix
traverse toute la Mer de Chine et arrive enfin à
Singapour ! Le
Consul de
Belgique recueille les passagers, les loge à
l'Hôtel
Raffles, un palace renommé
en Extrême-Orient...
D'ailleurs,
cet acte de piraterie est fait
courant aujourd'hui... Dans le Golf du Siam, les
réfugiés
vietnamiens sont
attaqués régulièrement ! Les
voiliers de plaisance
aussi... Dans le détroit de
Malaga et jusque dans le port de Singapour, les pirates
attaquent les
pétroliers ! L'équipage est
rançonné contre
monnaie sonnante ! Depuis toujours,
un business cette piraterie...
1977.
J'arrive à Singapour... Ma mère
m'avait dit:
«
Va prendre un verre à ma santé, au «
Raffles...»
J'y
suis descendu, avec ma femme et ma
fille, en attendant de trouver une maison... Les
registres des clients
n'existent plus ! Hélas, ils ont tous
été
détruits pendant l'occupation
japonaise... Peut-être, ai-je logé dans la
même
chambre, que ma mère avait
occupée cinquante années auparavant ?
Récemment,
le Raffles, cette Lady, cette
vieille Dame, vient de recevoir un lifting... Elle est
éblouissante de beauté !
Mais aseptisée... Pour moi, elle a perdu son
âme... Elle
n'est plus la demeure
de Saumerset Morgan, de Churchill, ou de... ma
mère! Oui, le
« Singapore sling
», son cocktail de réputation mondial, est
toujours fort
apprécié... Mais les
clients ne le boivent plus dans ce fameux bar,
où,
paraît-il, on fut obligé
d'assassiner le dernier tigre de Singapour, par
self-defense !
J'espère que,
dans un demi-siècle, avec le patin des ans, cette
grande Lady,
aura retrouve sa
personnalité... et sa
poussière
!
Retour
et séjour en Belgique ! Début des
années 30, nouveau départ... Cette fois-ci
pour l'Afrique
! Le Congo Belge !
(Zaïre). Toujours les chemins de fer! Au
siècle dernier,
Léopold II, second Roi
des Belges, cherche des ouvertures... Un grand «
Monsieur
», génie de
l'expansion... A la Conférence de Berlin (1885),
les Etats
européens sont à
table, ils se partagent un gâteau de choix...
L'Afrique centrale ! «
C'est à moi, ça, Monsieur ! ».
«
Ah, non, Monsieur, c'est à moi ! ».
«
Pardon, c'est à moi! »
Aucun
d'entr'eux, n'y avait jamais mis les
pieds !!!
La
carte est encore bien vague...
Délimitations incertaines... Pas tellement pour
Léopold
II ! Un explorateur
anglo-américain, Stanley, a parcouru ces
régions en
zigzag, les connaît bien...
Il a même retrouvé un autre explorateur,
que l'on croyait
disparu:
«
Docteur Livingstone, je suppose ? »
Le
Roi l'invite à dîner dans son Château
de Laeken:
«
Monsieur Stanley, parlez-moi un peu du
Congo...»
Léopold
II s'assure ainsi les services du
fameux explorateur... Le Roi sait à
présent, la richesse
que représente toute
cette région... Il demande les frontières
du futur Congo
Belge, qui sera sa
propriété privée, quatre-vingt fois
plus grand que
son propre pays ! Il lègue
ce domaine » à la Belgique en 1907 sans ne
l'avoir jamais
visité !
Faut
le faire... Chapeau! Non ?
La
compagnie « Vicicongo » dans le Nord du
Congo... Plus de 500 km de voies ferrées à
travers la
jungle, de Bondo à
Paulis, en passant par Buta et Aketi, où, ma
mère et son
mari seront basés !
Départ
d'Anvers ! Comme d'habitude:
musique et serpentins ! Je
peux
m'imaginer ce voyage, l'ayant fait plus tard avec mes
parents... Les
adieux
terminés, le reste du voyage n'est pas des plus
tristes...
Surtout le passage
de l'Equateur! Neptune baptisant les passagers ... Le
champagne, la
bière,
coulent... La guindaille ! Vive la coloniale !
La
« Malle », le paquebot de la C.M.B.
(Compagnie Maritime Belge), qui fait
régulièrement la
traversée, met deux à
trois semaines pour atteindre Matadi, sur l'embouchure
du fleuve Congo
(son nom
d'origine: le Zaïre)... On « sent »,
plutôt, on
« voit » s'approcher l'Afrique,
car les eaux rougeâtres de ce fleuve, ne se
mélangent
à l'Océan Atlantique
qu'au grand large !
En
aviation, certaines traditions ont
disparu de nos jours... Arriver le plus vite possible,
voilà le
but ! Et sans
délai, s.v.p.! Au-delà de trois minutes de
retard sur
l'horaire prévu, nous,
les pilotes, devons en donner la raison ! Quand nous
quittons la
« gate » (la
position de parking), le station manager (Chef
d'escale),
entouré de tout son
staff, n'attend qu'une seule chose... Nous dire au
revoir ? Pas du tout
! Il se
ronge les ongles... Il attend que l'avion quitte le
parking pour noter
la
minute précise du lâcher des cales
(block-time)... Puis,
il disparaît ! Il n'a
pas le temps de nous lancer ne fussent que quelques
confettis... Les
gens « ne
savent plus rire avec ça ! », comme on dit
à
Bruxelles !
Cependant,
lors d'un de mes vols, retour
d'Australie, j'ai à bord, un groupe de passagers
italiens et
gesticulants...
Ils ne cessent de casser les pieds aux hôtesses
pour savoir quand
nous allons
passer l'Equateur... Le Chef de cabine vient m'en
parler... Je
déconnecte le
pilote automatique et donne un petit coup dans le manche
! L'avion fait
« Bloup
! »
«
Ecco l'Equatore ! », leur ai-je dit au
micro...
Eux,
ils ont ri !
Un
autre vol, sur le Pacifique, cette
naïve et jolie passagère, fascinée
par notre cockpit
(!):
«
La ligne de passage du temps ? ».
Je
lui refais le coup du « Bloup »...
Impressionnée, elle n'a pas ri, mais, j'en suis
certain, elle ne
m'a pas cru
non plus !
Le
fleuve Congo, se déverse dans l'Océan
Atlantique... Du port de Matadi, jusqu’à
Léopoldville
(Kinshasa), capitale du
Congo Belge, il n'est pas navigable... A cause des
chutes et des
rapides !
D'où, le train... La construction de
tronçon est à
marquer d'une pierre
blanche... Un travail de
Titans ! Dynamiter la
montagne, baraminer, creuser,
abattre la forêt... Le paludisme (la malaria)
massacre une grande
partie des
travailleurs de toutes races, entre autres des Chinois,
comme pour le
canal de
Panama... « L'Horreur » de Joseph Conrad !
De
Léopoldville, reprendre un bateau, à
aubes cette fois-ci... Grande roue à
l'arrière, comme sur
le Mississipi !
Remonter le fleuve pendant huit jours pour arriver
à
Stanleyville (Kisanghani),
Chef-lieu de la Province Orientale... Je devais
également faire
plus tard
plusieurs de ces remontées ou descentes du fleuve
Congo... Je me
souviens de la
chaleur et de l'humidité... J'étais gamin
et passait mon
temps sur le pont,
avec le Capitaine... Certains virages étaient
«
serrés » ! Parfois, il s'y
reprenait à deux fois... Machines-arrière,
machines-avant, toutes! Ceci, afin
d'éviter les bancs de sable... La nuit, pas de
navigation ! Aux
escales, le
soir, dîner en smoking pour les Messieurs, robes
longues pour les
Dames...
Aujourd'hui, même dans l'air conditionné,
on ne s'habille
plus! Les gens sont presque
tout nus...
« Pour
faire bien » ! Les traditions se perdent...
Pas
terminée l'expédition ! A partir de
Stanleyville, la voiture... Point de macadam ! De la
terre battue... La
poussière rouge, qui vous colle à la peau,
les averses
tropicales... Sous
l'Equateur, quand il pleut, il pleut ! La boue...
Bloqué pour
des heures... On
n’en sort plus ! Attendre que ça sèche...
Un stop dans un
gîte d'étape pour la
nuit... Un ou deux passages de rivières en bac...
La ballade du
dimanche, quoi!
Aketi n'était pas aussi loin que Shangai, mais le
voyage, pour y
arriver,
presque aussi long, et certainement plus
diversifié !
Ma
mère s'habitue vite à sa nouvelle vie
coloniale, semblable à celle qu'elle avait connue
en Chine...
Domestiques... Ce
n'est plus une amah, mais un « boy », des
boys !
Réceptions les uns chez les
autres de la petite population européenne...
Tennis, picniques
dans la forêt au
bord de la rivière Itimbiri... Et même, me
racontait-elle,
un petit groupe
théâtral, qui joue « Les Vignes
du Seigneur
», dont l'acteur principal de
cette pièce fut Josse Bungaert, mon futur
parrain... A force de
jouer ce rôle
enivrant, cela devint sa seconde nature ! «
Charmante
soirée », s'exclamait-il
soudainement, dans ces silences prolongés de
certaines
soirées... Le bon temps
des Colonies, mais dans des conditions climatiques
accablantes...
Chaleur et
surtout, humidité... Pas
étonnant
que
cette région de la Forêt Vierge s’appelle
la Cuvette
» !
Le
Congo belge était divisé en provinces,
districts et territoires... Aketi est un Chef-lieu de
territoire... La
population de ce petit village apprend alors que le
jeune
Administrateur est à
l'hôpital, gravement malade ! Il a difficile
à respirer...
Il étouffe ! Le
médecin est fort pessimiste... Ses chances de
survie sont
minimes ! Ce jeune
homme vient d'arriver... On ne le connaît pas
encore... Tout le
monde va « voir
»! Dont, ma mère... Etoiles dans les yeux!
Feux
d'artifices ! Eclairs ! Coup de
foudre !!! Ma vie, à moi, commence... Celle de ma
mère
recommence !
Avec
fermeté, les femmes prétendent
toujours qu'elles sont à la base
d'événement
heureux, qu'elles apportent la «
Chance » (!). Tant mieux... Ma mère m'a
toujours soutenu
que ce fut le « choc »
de leur rencontre, qui sauva mon père... En fait,
le docteur
Solomenzef avait
finalement diagnostiqué cette étrange
maladie: «
l'aspergilose! » Un champignon
dans les poumons ! Comment l'avait-il attrapée ?
En
suçant des branches d'herbe
! Geste, dont il avait l'habitude, lors de ses
tournées
matinales à pieds... A
cette époque, pas d'antibiotiques ! Comment
soigner ? Ultime
recours, le toubib
écrase des comprimés d'aspirines ! Il les
réduit
en poudre, qu'il fait respirer
à son patient... Miracle ! En quelques jours,
Fernand Siroux,
respire mieux !
Il reprend vie !
Les
visites de ma mère, au chevet de « son
» malade, deviennent quotidiennes... Son regard,
déjà amoureux, elle le gardera
pour lui jusqu'en 1960... Cette année-là,
elle sera
à nouveau auprès de son
lit... Une autre maladie celle-là, dont le
remède
n'existe toujours pas, même
pas avec la poudre du docteur Solomenzef...
Mon
père, Fernand, (Jules, Désiré),
Siroux, est né en 1908, à Hougnoul,
prés de
Liège... Etudes d'humanités
gréco-latines... Université Coloniale
d'Anvers ! En 1930,
il part pour le Congo
Belge... Son premier poste ! Administrateur du
Territoire d'Ango, dont
la
superficie est égale à celle de la
Belgique ! Pas la
jungle, la savane... A
partir de maintenant, j'ai tous les albums de photos...
Elles sont
jaunies,
couleur zêpia... De véritables archives !
Le territoire de
Fernand Siroux, est
un immense terrain de chasse... Des centaines de
troupeaux d'antilopes,
de
buffles ! Il en profitera pour accumuler les plus beaux
trophées... Je les ai
toujours ! Manque au tableau, le grand Kudu (Koudou)...
Mais,
aujourd'hui, je
lui rends visite au zoo de Singapour, où il est
bien vivant !
C'est mieux
ainsi... Et quelle joie, j'ai eu de le revoir et de le
photographier
avec toute
sa famille, dans les grandes réserves d'animaux
en Afrique du
Sud!
Mon
père est assisté d'un Agent
territorial... Il y a également le
vétérinaire,
qui est aussi le médecin !
C'est tout ! Ils sont trois ! Pas
d'électricité, pas
d'eau courante... Après la
chasse, distribution de la viande, qu'il troque bien
souvent contre des
légumes, des fruits... Bon prétexte pour
les
indigènes: chants, tam-tams,
danses... et « Pombé » ou «
Malufu »
(vin de palme) ! La fête, renouvelée bien
souvent ! De temps en temps, le passage d'un marchand
grec ou hindou...
Ils
sont partout, ceux-là, comme les Chinois ! Ils
ont le sens des
affaires... Ils
vendent n'importe quoi! Des phonographes à des
sourds... Un peu,
comme Tintin,
qui s'est retrouvé en plein désert
d'Arabie
propriétaire d'une paire de ski de
neige... Le marchand, cette fois-ci, était
portugais ! Voilà
les distractions ! Peu de
nouvelles du
monde extérieur... Son monde à lui,
c'était son
territoire, sa savane, ses
indigènes (masculins et... féminins!),
dont il
était le Seigneur et Maître, le
« Bwana »! Mon père m'a dit:
«
Une époque fabuleuse ! ».
Je
le croyais bien aisément ! Il venait
d'avoir vingt-trois ans...
Les
employés de la Colonie partent pour un
terme trois ans... Ils ont droit ensuite à un
congé de
six mois en Belgique...
Ainsi, après ses premières vacances, mon
père
reçoit le poste d'Aketi !
Ma
mère déteste son prénom de «
Marthe
»... Cela tombe bien, mon père l’appelle:
«Minouche
!» En effet, elle était
mignonne, prévenante... Jolie femme aussi,
coquette et
élégante! Ce surnom lui
est resté jusqu’à la fin de sa vie...
Parmi
cette petite communauté, l'histoire
d'amour de mes parents devient vite un secret, dont je
suis le
polichinelle...
Tout le monde sait que ma mère est la
maîtresse de
l'Administrateur
Territorial! Quand elle fut enceinte, on a ri sous
cape... Un petit
« scandale
» quand même !
Ma
naissance a lieu dans ce même hôpital,
où mon père a failli perdre la vie...
Même
médecin aussi ! Ironie étrange...
L'accouchement
est difficile... Long !
Souvent, ma mère me l'a raconté... Ce
n'était pas
comme son histoire de
pirates, qu'elle n'aimait guère me narrer ! Je le
connais
presque par cœur «
mon » accouchement! Je vois la scène d'ici:
Dans
la chaleur de la salle, c'est un peu
l'enfer pour ma mère, pour le docteur Solomenzef
également et pour la petite
Sœur-infirmière, qui assiste
«l'opération»
! Car, après tant de peines, en
arrivant au monde, je ne veux pas crier... Aucun
vagissement! Silence
total!
Silence de mort ! Le toubib me plonge dans l'eau chaude,
« Plish
» ! Rien !
Dans l'eau froide, « Plash » ! Rien ! Il
s'énerve !
Il recommence ! «
Plish-Plash » ! Il doit se dire:
«
Quel emmerdeur, celui-là »...
Toujours
rien ! La petite Sœur m'arrache
des mains du toubib, elle m'enfonce un tuyau en
caoutchouc jusqu'au
fond de la
gorge, aspire un bon coup ! Ce qui a pour effet de
dégager mes
bronches... Je
gueule comme un veau! Une religieuse vient de me sauver
la vie !
A
quel Saint me vouer ?... Mes prénoms:
Jacques, Camille, Raymond, Joseph, Yvon !
Mes
parents m’appelleront Jackie, les copains de classe
Jeson, mes
collègues, mes amis, mes femmes, simplement
Jacques ou Jack...
Certains surnoms
intimes comme Nounours, Moumouss, Mon Petit Lapin,
Darling Poum-Poum...
Un fait
est certain: né le 22 août de cette
année 1935,
sous cette étoile tropicale à
trente-six facettes, j'ai failli être «
Vierge »...
Pour les Chinois, je suis un
«Cochon » !
Ma
mère se sépare de son mari ! Vivre avec
son amant « ça ne se fait pas! »,
surtout qu'il est
l'Administrateur
Territorial! (en
abrégé,
AT). Une dame,
de passage au Congo, demandera à mon père
lors d'une
réception:
«
Qu'êtes-vous, M. Siroux ? ».
Réponse
brève de mon père:
«
AT ! »
«
Ah, bon ! Chacun sa philosophie...»
En
tout cas, habiter chez l'AT, impossible
! Le gouvernement ne tolère pas des situations
pareilles... Pour
moi, « Enfant
de l'Amour », ce sera le «Black-out!»
Avec ma
mère, c'est la fuite en Europe
! Nous devions y rester cinq ans! Attente d'un divorce,
qui ne sera
prononcé
que bien plus tard... La ténacité et la
patience, avec
laquelle ma mère a pu
conjurer le sort, sa foi, ses sentiments pour mon
père, est
aussi une histoire
quasi inimaginable !
Je
n'ai rencontré mon père qu'en 1937 !
J'avais deux ans ! Il était revenu en Belgique
pour passer avec
nous ses six
mois de congé... Seules les vieilles photos de la
Mer du Nord et
les
explications de ma mère me rapportent cette
période sur
la Côte belge... A
Duinbergen, je gambadais sur la digue, sans trop
obéir à
mes parents... Ma
première baffe, mais sur le pet !
«
Pan ! »
La
seule, que me donna mon père ! Ce geste
avait attristé ma mère !
«
Oooh !...»
Mais,
une petite claque n'a jamais fait de
tort à personne... Il y a tellement de pieds au
cul, qui se
perdent !
Toujours
pas de divorce... Situation
irrégulière de mes parents ! J'ai appris,
beaucoup plus
tard, que mon existence
fut gardée secrète durant toutes ses
années !
Toute la famille ignorait
absolument tout de moi ! La mère, le
frère, la sœur de
mon père ! Les mœurs
ont bien
changé depuis lors...
Mon
père repart au Congo pour reprendre
ses fonctions d'Administrateur... Son troisième
terme ! Il fut
nommé à
Bafwasende, dans la cuvette centrale... La jungle, la
forêt, les
moustiques, la
chaleur, l'humidité! J'insiste sur cet
environnement, il
influencera énormément
notre curriculum médical...
Nous,
nous restons en Belgique ! On quitte
l'appartement de l'Avenue Charles-Quint, à
Bruxelles, pour
s'installer dans une
villa à Coq-sur-Mer... Encore le Littoral !
J'avais,
paraît-il, besoin d'iode !
Ou pour mieux planquer le « bâtard »
?...
Mai
1940 ! Une « date » pour tout le monde
! Et pour nous ! Ma mère attendait impatiemment
le retour
d'Afrique de « Nani »
(mon père)... Extraordinaire cette histoire
d'amour ! Je parle
de cette
attente, comme s'il s'agissait d'un week-end! Cela fait
presque trois
ans,
qu'ils ne se sont plus vus... Mon père ne peut
pas revenir... Il
est bloqué au
Congo! C'est la guerre ! Ma mère n'hésite
pas ! Elle
décide de quitter au plus
vite le territoire belge ! Comment ? Par quels moyens?
Une idée
lui vient ! Aller
aux nouvelles chez « Madeleine »...
Madeleine,
l'épicière du coin! Tout ce qui
suit, est inscrit dans quelques astres lointains ! Elle
rencontre
là, une «
dame » assez élégante, qui
possède une
voiture... Elle est quelque peu
désargentée... Ma mère, par contre,
a fait
quelques économies sur l'argent que
lui envoie mon père... L'affaire est vite conclue
! Le
même jour, on s'embarque
tous dans la Torpédo ! Nous sommes six ! La dame,
ma
mère, ma grand-mère
maternelle (elle, elle sait que j'existe !), moi et le
chat ! Ce fut
l'exode...
Mon
souvenir le plus lointain, le
bombardement d'Abbeville ! Dans ma mémoire, des
flammes, de la
fumée, et
surtout du bruit ! Il me semble encore entendre le
sifflement des « Stukas
»,
l'éclatement de leurs
bombes ! Par milliers, nous étions tous aplatis
dans le
fossé de la route ! Il
paraît que je hurlais à la mort, la
tête enfouie
dans les bras de ma mère...
J'avais cinq ans!
1990.
Istanbul. Avec mon équipage, nous
allons aux « Opérations ». Plan de
vol sur Londres.
L'officier me dit, avec son
accent turco-anglais:
«
Captain, aujourd'hui, trafic chargé !
Vous passez par le Nord de la France. Une restriction
sur le temps de
passage
de la balise de Aibibi ! »
Aibibi
?! Kesskidi ? On cherche sur la carte
! Ah ! oui, ABB, Abbeville ! Il me semble, tout à
coup, que
cette sombre salle
d'opérations s'illumine ! A trois heures du
matin, je faisais
une nouvelle
fois, un bond en arrière d'un demi-siècle
exactement ! Je
revivais les feux
d'Abbeville...
Nous
traversons ainsi toute la France !
Par quel miracle ? L'acharnement, l'entêtement de
ma mère
! Elle se bat comme
une tigresse pour obtenir les autorisations, les
laissez-passer... Se
débrouille afin d'obtenir quelques litres
d'essence par-ci,
par-là ! Comme
beaucoup de gens de l'exode qui n'avaient aucun but,
sauf celui de
fuir, Madame
Torpedo, la dame à la voiture, se
décourage... Elle fait
demi-tour ! Disparue
dans la nuit des temps... Elle nous laisse en rade!
Heureusement, nous
étions parvenus
à passer en zone libre... A Lourdes, souvenir
assez clair dans
mon esprit: la
Grotte ! L'Espagne est proche ! Voilà
expliquée
l'obstination de ma mère durant
toute cette randonnée: atteindre ce pays et le
traverser pour
rejoindre mon
père au Portugal, à Lisbonne !
Hélas,
le passage clandestin des Pyrénées
fut impossible... J'étais trop petit ! Et puis,
il y avait aussi
grand-mère...
En
Espagne, il nous faut un visa! A
nouveau, ma mère ne perd pas courage... Elle
parvient à
trouver trois places
sur un des derniers trains, qui nous emmène
à Marseille !
Au consulat
d'Espagne, elle remplit les formulaires...
«
Monsieur, s'il vous plaît, combien de
temps pour l'obtenir cette autorisation de transit ?
»
«
Des mois, Madame...»
Ma
mère décide encore:
«
On attendra ! »
C'est
ainsi, que nous nous sommes
retrouvons chez M. et Mme Lumet... Ils nous louent le
minuscule
appartement du
premier étage de
leur villa
à Golfe
Juan, petite annonce dans le journal, que ma mère
entoura d'un
gros trait de
crayon ! Il nous porta bonheur... Monsieur Lumet est
architecte, sa
gentillesse
et celle de son épouse aident beaucoup ma
mère à
surmonter son impatience...
Ils lui remontent son moral, elle qui revenait de
Marseille
désespérée... Au
Consulat d'Espagne, elle ne cessait de s'entendre dire:
«
Maniana... »
Moi,
durant ses absences, avec
insouciance, je
fais des « Plouf-plouf »
dans la Méditerranée... Les Lumet m'aiment
bien, me
gâtent, m'emmènent à la
plage... Complètement inconscient de la
situation,
j'étais « heu-reux » ! Je me
souviens bien de la Côte d'Azur...
1993.
Nous passons quelques jours de
vacances à Antibes chez nos amis Gérard et
Esther
Molinas... Gérard est pilote,
il vole... Pendant ce temps, Esther va souvent à
la mer ! Elle
connaît donc
bien le coin et surtout cet accès facile à
la plage de
Golfe Juan, où nous
allons nous baigner... J'ai un éclair, un «
flash-back
» dans ma tête en
empruntant le tunnel en dessous du chemin de fer ! Je me
revois 52 ans
auparavant tenant la main de ma mère (ou celle de
Madame Lumet
?) lorsque nous
traversions ce passage souterrain, qui mène
à la
Méditerranée...
La
Côte d'Azur sera toujours un aimant, un
point de retour, un coin de chute pour
l'itinérant que je
serai... Un jour
peut-être y planterai-je mon arbre, moi, le singe
des pays du
Makakistan... Né
sous l'équateur et ayant vécu presque un
demi-siècle sous le soleil des
Tropiques, je ne peux plus survivre au Nord de la
Loire... Quand la
température
descend en dessous de 25 degrés, je mets vite ma
petite laine...
« Gla-gla » !
Je
sens que je vais contacter mon ami René
Lavau... Pied-Noir de Tunisie, installé à
présent
à Antibes, « il fait » dans
l'immobilier !
«
Tu en connais du monde, Jack ! »
«
I have been around, you know... J'ai
voyagé, tu sais... Jalan-jalan, comme disent les
Malais!»
Le
père de René, chasseur devant
l'Eternel, nous avait envoyé des cailles à
Bruxelles...
«
Des filles ? »
«
Mais, non, bêtasson ! Des
oiseaux ! Des
dizaines de cailles, qu'il nous a
fallu
déplumer et...»
«
OK ! Continue ton CV, Jack...»
Toute
l'Armée de France (ce qu'il en
restait...) n'aurait pu nous déloger de notre
compartiment! En
gare de
Marseille, dans ce train en partance pour Lisbonne, ma
mère, ma
grand-mère et
moi, on se cramponnait à nos sièges...
Nous y
étions collés, vissés! Ma
mère
soupira:
«
Enfin...»
Plus
de six mois pour obtenir ce bout de
papier !.
Traversée
de l'Espagne... Tracas aux
frontières, aux douanes... « Papiers !
» Nous
passons... Pendant que les
paysages défilent, le frère de mon
père
séjourne aussi en Espagne en 1941... Il
était en prison à Miranda ! Il y attend
aussi son visa de
sortie... Nous le
saurons plus tard ! Une autre histoire de notre famille
aventureuse...
Le
courrier était difficile... Les lettres
de ma mère, lui parvenant au compte-gouttes, mon
père
coordonne, tant bien que
mal, sa rencontre avec nous à Lisbonne... Il
prend ses
congés au Portugal ! Il
nous attend depuis trois mois...
Arrivée
à Lisbonne ! Il me semble
le revoir
dans le fond de ma mémoire, mon père ! Il
nous attendait
sur le quai de la
gare... Il devait être assez nerveux... Revoir sa
femme, son
fils, qu'il
reconnaissait à peine, la mère de sa
femme, qu'il ne
connaissait pas du tout!
Dixit ma mère, j'ai détendu
l'atmosphère en
affirmant d'emblée:
«
Les Allemands, ce sont des coquins ! »
Première rencontre réelle avec mon
père !
Le malheureux, il s'attendait peut-être à
d'autres
manifestations filiales...
Lisbonne,
ville refuge de toutes les
nationalités... Amitiés, inimitiés
! Ville d'intrigues, ville
d'attente ! Une pièce de
théâtre, un film... «
Casablanca » des années 40 ! Chaque
personnage
espère le permis d'échapper à
l'Histoire... Notre fuite, à nous, le Congo Belge
!
Dans
ma mémoire, quelques vues (ou les
photos ?) de nos promenades sur l'Estoril... Je roule
sur mon petit
vélo à
trois roues, un cadeau de mon père! Plus de
baffes, cette
fois-ci...
On
embarque pour l'Afrique ! Sur ce paquebot,
mon père se pose des questions... Que peut-il lui
arriver ?
Depuis le départ
précipité de ma mère d'Aketi, voici
six ans, sa
situation n'a pas changé !
Toujours pas de divorce... Officiellement,
l'Administrateur ne peut pas
nous
héberger ainsi sous son toit... Ce n'est pas sa
maison, mais
bien celle du
gouvernement... Notre statut n'est pas clair... «
It's not in the
book »... Le
code l'interdit ! Le « ça ne se fait pas
» revient
à la surface... Tant pis !
Mon père bravera les règles ! Bien des
années plus
tard, il me dira que cet
enfreint à la « bienséance »
sera noté
à « l'encre rouge » dans le dossier
de
sa carrière...
Soucis
immédiats sur ce bateau... Les
mines éparpillées dans l'Océan
Atlantique ! La
fête du passage de l'Equateur
est moins gaie... Neptune un peu
délaissé... Les «
baptisés » boivent quand
même une bière... Moi, je pédale sur
le pont, avec
« mon trois roues » !
Arrivée
sans encombre à Matadi ! C'est
reparti pour un tour de promenade: le train,
Léopoldville, le
bateau à roues,
Stanleyville, la voiture, Bafwasende !
Je
ne cesserai de répéter plus tard:
«
Bafwasende, c'est mon pays ! »
Nous
y sommes restés des années...
Chef-lieu de Territoire, ce poste de brousse a
marqué mon
enfance... J'ai grandi dans ce coin de
forêt vierge... Période heureuse de ma vie,
période
de plénitudes !
Pourtant,
il n'y avait guère de confort...
Pas d'électricité, pas d'eau courante...
Classique
à cette époque ! Je revois
les gestes de mon père... Il allumait les lampes
à
pression, à manchon, les
fameuses lampes « Colman »... A six heures
du soir, mon
père pompait... et
jurait ! Un léger choc, et «Crac», ce
manchon
disparaît en poussière... « Le
manchon », affaire délicate à
traiter aux colonies
! Au cours de la soirée, la
pression baisse ! Quelqu'un hurle:
«
Les lampes !!! »
Mon
père re-pompe... Je revois également
le prisonnier de corvée... « Konga mai
» ! (chauffe,
Marcel, chauffe). A la
même heure, lui, il allumait le feu du «
chauffe-eau
», un ancien fût d'essence
galvanisé de 200 litres, perché à
trois
mètres du sol... De ce réservoir, l'eau
coule par gravité... Notre eau courante ! Un
grand pot en grais,
avec filtre,
renfermait l'eau potable... Mes parents ne buvaient pas
beaucoup
d'alcool, à
part un peu de vin du Portugal en « dame Jeanne
», le
« Nabao » ! Quelques
bouteilles de bière au « frigidaire
», la Primus
» ! Le « frigo » est alimenté
au pétrole... Il fallait continuellement
surveiller la flamme bleue
»... Trop souvent, elle se
mettait à fumer et devenait subitement noire !
Combien
de fois, n'ai-je pas entendu ce
cri du boy:
«
Frigo iko niussi, tilili ! » (le frigo
est tout noir !)
Précipitations
! On réglait la flamme...
La
nourriture est conservée dans le «
garde-manger », armoire dont les pieds sont
trempés dans
des boites de
conserves, coupées en deux et remplies d'eau...
Barrière
contre les fourmis,
spécialement les rouges !
Nous
avons la T.S.F. ! Nous captons les
ondes courtes, l'oreille collée sur le
haut-parleur:
«
Scriiii... Scraaaa... Scriiii...
Scraaaa... »
Puis,
plus rien! La batterie est plate, on
va se coucher...
Mais
un soir du mois d'août 1945, nous ne
sommes pas allés nous coucher ! Non sans peine,
nous avions
capté la BBC:
«
Scriiii... Hiroshima... Scraaaa...
Atomic bomb... Scriiii... End of the war... Fin de la
guerre...
Scraaaa...»
«
Papa, qu'est que c'est la bombe atomique
? »
«
Je ne sais pas ! Une arme terrible, sans
doute... Je crois que la guerre se termine ! »
1991.
Vol entre Nagoya et Fukuoka. Un fort
vent debout de plus de 300 km/h nous ralentit. Un
« Jet Stream
» (puissant
courant d'air à haute altitude). Altitude: 10.000
mètres.
Plaisanterie
habituelle:
«
On recule ! »
Lorsque
le vent est « dans le nez », «
vent debout », la vitesse-sol ralentit, (la
vitesse par rapport
à la terre:
vitesse-air plus ou moins la vitesse du vent égal
la
vitesse-sol). Quand le
vent accélère la vitesse-sol, on dit:
« vent
arrière », « vent dans le cul
»...
La
couche de nuages ne nous permet pas de
voir correctement le sol... Dommage ! Pour une fois que
nous volons de
jour,
sur cette jolie région du Nord du Japon...
Soudain, claircie
! Une ville, à notre gauche: Hiroshima? Je mets
la
fréquence de la balise de
l'aéroport de cette ville... L'aiguille pointe,
confirme:
Hiroshima! J'ai un
frisson! Nous sommes dans les mêmes conditions
météorologiques, à la même
position, que le bombardier américain B29,
« Enola
Gay» en 1945... J'en fais
part à mon copilote, qui me répond
placidement, genre
« Hitler, connais pas!»:
«
I was not born... I am 25 years old ! »
(Je n'étais pas né, j'ai 25 ans !).
Evidemment,
il y a presque un demi
siècle... Mais, je n'ai pu m'empêcher de
lui lâcher
sèchement:
«
So what ? Et alors ? »
Mes
parents m'ont toujours dit qu'ils
furent heureux à Bafwasende... Pourtant, la
population
européenne ne dépassait
pas la douzaine d'habitants ! Cyril Koussoff, l'agronome
et adjoint de
mon
père, sa femme Deda, le vétérinaire
(et docteur
!), Vankalmont, son épouse
et ses
deux enfants (Marcel, le plus
âgé, mon petit copain), les Destrée
de la
Société Sedec et leur fils
«Dédé»
(mon autre petit copain)... Parmi les quelques
célibataires,
« Angali
kiyana» (il est
encore jeune, malgré son âge...), le
vieux-beau du coin, le tombeur... Les indigènes
vous collent un
surnom,
finement approprié... Personne n'y échappe
! Il y a, bien
sûr, l'épicier grec,
chez qui, on fait des « BP » (Bon Pour),
l'origine de la
carte de crédit,
probablement... Pas en plastique, un simple morceau de
papier, sur
lequel il
est écrit à la main « BP »! On
y griffonne sa
signature et on paie en fin de
mois, parfois avec surprise...
Aujourd'hui, à Singapour, nous avons aussi notre
épicier... M. Lim est
Chinois... Nous lui sommes fidèles depuis notre
arrivée... Ses services sont
impeccables ! Tous les matins, il
téléphone pour prendre
commande et livre en
fin de matinée... On signe ! Quand, j'ai la
flemme d'aller
à la banque, il me
refile même de l'argent! Moyennant un « BP
», bien
entendu ! Rien de bien
changé sous l'Equateur...
Nous
n'avons pas de produits frais... J'ai
été élevé dans « les
boites » !
Les boites de lait en poudre, le « Klim »...
On
en faisait du fromage blanc ! Les boites de porridge, le
«Quaker
Oats»... J'ai
très bien survécu ! Et je bois toujours
beaucoup de lait
(frais)... Une fois
par semaine, les légumes arrivent par un camion
venant des
montagnes du Kivu.
Le marché hebdomadaire du village... Une
distraction, un
événement !
Les
maisons sont agréables, bien
étudiées
pour la chaleur... Les « P04 » ! Quatre
grandes
pièces, entourées de la « barza
», la terrasse... Les plafonds étant
très hauts,
l'air (quand il y en a...)
circule bien...
Les
domestiques sont au nombre de cinq: le
« Pichi », le cuisinier, le «
Lavadaire »,
celui qui lave et repasse le linge,
le « Boy » de maison, le butler en quelque
sorte,
aidé par le Boy-moke
», le
petit boy ! En renfort, le
chauffeur-mécanicien, qui lave et bricole la
voiture... Le
chef-jardinier, qui
supervise les dizaines de prisonniers... Ils fignolent
le parc de la
résidence!
Ces deux derniers sont d'ailleurs, eux-mêmes des
prisonniers
(à perpétuité
!)... Le soir, accompagné de leurs policiers,
tout ce beau monde
rentre au
bercail, dodo à la prison !
«
Modeste » ! Notre boy ! Il est resté
avec nous pendant de nombreuses années... Lui,
aussi, avait de
l'allure ! Il
était de la tribu des « Mangbetus
»... Leur
particularité: la tête « en poire
»
! En effet, dès la naissance, les parents
enroulent et serrent
une corde autour
de la tête du nouveau-né ! Cette
opération est
répétée au cours des premiers
mois... Résultat: un crâne pointu, en forme
de poire !
Modeste n'a jamais pu
porter convenablement son béret blanc
d'uniforme... Comme une
toupille, il
tournait sans cesse autour de sa tête!
Découragé,
il ne l'a plus porté... Il
n'en était que plus beau ! Son visage
était gravé
de cicatrices en relief,
véritables sculptures de peau, une autre marque
de sa tribu...
Quelle belle
gueule !
Modeste
me donnait le bain... En me
frottant le dos, il me racontait des histoires de chez
lui, des
histoires de
sorciers ! J'écoutais, fasciné...
Car,
j'appris vite le « Kiswahili », la
langue arabisée de l'Est du Congo... Comme je
passais la plupart
de mon temps à
jouer avec mes petits copains noirs, j'en étais
arrivé au
point de mieux parler
et comprendre ce langage que le français! Les
intonations,
surtout les « di »,
« hé », « ha », «
tilili »,
etc... Je les possédais à fond ! Lors de
ses
tournées en brousse, j'aidais même mon
père
à traduire les « palabres », qu'il
jugeait dans les tribunaux indigènes... Par la
suite, je devais
presque
complètement oublier le Kiswahili...
1987.
Plusieurs mécaniciens de bord
indiens, venant du Kenya, où le Kiswahili est la
langue
nationale, furent
engagés par ma compagnie d'aviation... Quelle ne
fut pas ma
surprise, au cours
de mes courriers (période de vol) d'une dizaine
de jours avec
eux, de retrouver
rapidement ma langue quasi maternelle...
Voyage
sur Los Angeles. Au mécano Benawara.:
«
Yambo, Ben ! Abari kani, di ? Hé, mi na
saabu mingi kabissa, di ! Iko muzuri ku sema swahili
» ! (les u,
à prononcer
ou)
Le
copilote, aux yeux bridés:
«
Hi ! Hi ! Hi ! What ? Quoi ? ».
«
T'occupe, c'est du chinois »...
«
Sheng jing bing » (ils sont fous !), ces
expats ! » devait-il penser...
Petit
à petit, j'apprends à connaître mon
père... Son caractère ! Mais d'abord, son
uniforme... Il
me fascinait ! Il
porte des guêtres, taillées dans de la
grosse toile
blanche, faites à la main,
cousues pour lui... Bien pratiques pour marcher dans les
hautes
herbes...
Beaucoup de gens au Congo, connaissait les guêtres
de M. Siroux !
Comme un
revolver, il y glissait sa pipe... Ses bonnes vieilles
pipes «
Dunhill », avec
le petit point blanc ! Son casque colonial, off-course,
avec son
enseigne en
cuivre ! Toujours net, tiré à quatre
épingles, mon
père ! Il avait de
l'allure... Il m'impressionnait !
Mon
aspect est tout différent... Je ne
suis que poussière! Mon uniforme: le «
kapitula »
(short), la chemise à manches
courtes, les sandales sans chaussettes et le casque...
sans insigne
! Toujours le casque ! La hantise du « coup de
bambou »...
«
Le soleil ! Malheureux ! le soleil ! »
Il
m'était interdit de sortir sans ce fameux
chapeau en liège ! Quand
je vois
aujourd'hui les gens, tête nue, gueule en l'air,
pointée
vers le ciel, essayant
de bronzer ! Sauf Lee, notre amah... Pour aller à
la boite aux
lettres, au bout
du jardin, elle prend son grand parapluie... Non pas
qu'il pleuve, il
fait
plein soleil ! N'aiment pas tellement le soleil, les
Chinois... Je
crois qu'ils
ont bien raison ! Quand je regarde ma peau...
Moi,
je n'avais pas de pipe, comme mon
père... Mais, pendue en permanence autour de mon
coup, une
catapulte ! Deux
lanières de caoutchouc, découpées
dans une vieille
chambre à air, ficelées au
bout d'un morceau de bois en forme de V, coupé
dans une simple
branche d'arbre,
un bout d'étoffe pour y placer le projectile...
Une arme
redoutable ce
lance-pierres ! «
Mes petits Nègres » ! Ils nous en ont
appris des choses !
A Dédé, à Marcel, et
à moi ! Munis de cet
engin, tous
ensemble, une dizaine, une quinzaine, de
véritables amis de l'aventure,
nous partions à la chasse !
Nous
bombardions tout ce qui bougeait dans les feuillages...
Les oiseaux,
les
serpents, tout! D'ailleurs, nous étions la
plupart du temps,
nous même, dans
les feuillages, suspendus aux branches des arbres... Mon
père
avait dit:
«
Pas les manguiers ! Leurs branches
cassent comme du verre ! »
Du
coup, les autres branches du jardin se
mirent à pencher lamentablement vers le sol...
Nous vivions dans
ces arbres !
En grappes ! De vrais singes ! Quelle joie d'être
macaque...
Quelle liberté !
Je resterai « macaque » et sans complexes !
Je
revenais crasseux à la maison, une
vraie poubelle ! Modeste m'inspectait les pieds... Pas
de tiques ?
Allez, «
Plash » ! Il me fourrait dans mon bain, me
frottait le dos en me
racontant ses
histoires de sorciers... Au préalable, j'avais
dû
ingurgiter ma gélule de
quinine quotidienne... Contre la malaria ! Ce qui nous
procurait
à tous des
bourdonnements d'oreilles perpétuels...
Malgré cette
prévention, nous l'avons
tous eu, le palu !
Avec
mon père, personne ne tergiverse ! Il
a des décisions implacables ! Il est rationnel,
réaliste
! Ce n'est pas un
rêveur, « il voit clair » ! Le bon
sens, la logique !
Cartésien, sa doctrine
est nette ! De lui, j'apprends le sens des
responsabilités... Un
jour, je perds
ma bicyclette, que je chérissais... Plutôt,
on me la vole!
Ce solide « Burry »,
aux larges pneus ballons », avec boite de vitesse,
s.v.p.! J'ai
attendu fort
longtemps avant d'en recevoir un autre... A ma
mère, qui l'avait
réveillé en
pleine nuit,
pour lui dire qu'elle avait
faim, il lui avait répondu:
«
Bois de l'eau et tais-toi ! »
On
savait tous à quoi s'en tenir... Par
contre, un homme de cœur, un être attachant... Je
le suivais
comme un petit
chien!
Je
suis très attaché aussi à ma
mère et je
le serai toujours... Si elle me choie, mon père
ne me gâte
pas ! Je ne fus
jamais un « enfant gâté »...
Mon
père a son bureau au « Territoire
»...
Belle bâtisse ! Parmi les terrasses, une plus
grande, où
il assiste à l'appel
des prisonniers à 7 heures du matin... Il
écoute le
« rapport » ! Le « Boula
Matari » (le représentant du gouvernement)
trône...
Il juge, il sentence !
Paraît qu'il est sévère, mais
équitable !
Mon père, l'Administrateur, sera
respecté tout au long de sa carrière, pour
sa justice,
son intégrité ! En 1959,
deux ans après avoir pris sa pension, il
retournera en mission
au Congo... Il
sera reçu par les Chefs coutumiers et la
population des
villages, qu'il avait
administrés... Tous lui
témoignèrent de
l'amitié et du respect !
«
Ma meilleure récompense », avait-il dit
à son retour...
Toujours
est-il que, lui aussi, reçut
un
prénom: « Bwana Fimbo » !
(Chicotte)... Ce genre de cravache est
découpé dans de la
peau d'hippopotame...
Une lanière rigide d'un mètre environ!.
« Galet
», son policier, son planton,
son pisteur, son homme à tout faire,
exécute... Galet
n'est pas de cette région
centrale du Congo... Une « politique » de
l'Administration
Coloniale: les
tribus sont mélangées dans l'Armée
et la Police !
Galet n'est pas d'ici ! Il
vient de par là... de l'Ouest ! Ses origines
remontent
même au Sénégal... Il
mesure prés de deux mètres... Une armoire
à glace!
Il porte les guêtres et le «
fez », couleur kaki de la Force Publique... Droit
comme un i,
raide comme un
passe-lacet, il donne l'impression d'être
continuellement au
garde-à-vous, ce
qui agrandit encore sa stature... Sa fierté, son
mépris,
se lisent sur son
visage... Il jouit en distribuant ses coups de chicotte
sur les fesses
nues de
ce chien », qui n'est pas de sa tribu! Il prend
son temps...
« Clac ! »... «
Clac »... « Clac »... Huit coups ! Quatre à droite, quatre
à gauche ! Le manche
de sa chicotte est particulier... Le
sien est en
ivoire! Il le
tord, le vrille aux derniers coups... C'est sa
spécialité
! « Scratch
»... La peau est
arrachée... Le sang
gicle... Cris stridents... L'infirmier badigeonne
à la teinture
d'iode !
Hurlements dans le petit matin... Mon père
n'avait rien à
craindre, son garde
de corps était de taille...
J'ai
assisté à ces séances... Je les
décris telles qu'elles sont gravées
à jamais dans
le fond de ma tête... Et bien
d'autres scènes africaines...
Indélébiles !
De
nos jours, à Singapour, en 1993, la
chicotte existe toujours, sous une autre forme, «
the cane
», les coups de
canne ! La douleur est-elle plus aiguë ? Sans doute
! En tout cas,
guère de
problèmes, à Singapour... Ca marche
à la baguette
! Personne ne s'avise de
refaire une connerie... Comme ce petit con, fils «
d'expatrié », qui jouait les
durs en « graffitant » les voitures et
chapardant des
téléphones publics ! Allez,
hop, au trou, américain ou pas, la loi est la
même pour
tout le monde: quatre
mois de prison et au préalable, six coups de
canne, punition
trop molle à mon
avis ! Fesses jaunes, blanches, noires ou
bronzées, kif-kif: la
canne !
Pan-pan, cul-cul! Tout va très bien à
Singapour... Ca
marche!
Hélas,
les hommes sont nés
indisciplinés... Ils ont besoin d'un maître
! Regrettable
à constater: Il leur
faut de la trique... Sans la trique, c'est la pagaille!
Sombre
destinée...
Idem
pour n'importe quel quidam, qui prend
le risque de passer un peu de drogue à Singapour,
mais, lui, il
n'a plus
l'occasion de recommencer, puisqu'il pend au bout d'une
corde !
Hélas, ceux qui
méritent vraiment la pendaison, les «
grands pontes
» de la drogue, vivent en
paix, incognito, un gros cigare à la bouche...
Pas de la
mauvaise herbe, non,
du tabac de la Havane et de la meilleure qualité,
bien entendu !
Discussion
authentique avec un passager
australien à qui j’avais autorisé
(à tort !) la
visite du cockpit...Cet individu,
peu dégrossi, se met à parler du
gouvernement
singapourien ! Il trouve ce
régime peu démocratique...Bien que
gêné
devant mon équipage, je laisse dire...
Le « pax » parle alors de grèves, de
cette
liberté...Ils sont spécialistes en
la matière, les Australiens...
Jouissant,
je le coupe net:
«
A Singapour, Monsieur, le droit de grève
n’existe pas ! Interdite la grève ! » Il
explose, mon passager ! Il
fait une attaque !
Faudra-t-il appeler un médecin ?
«
WHAT ??? QUOI ??? »
«
Eh, oui sir... Les représentants des
mécontents discutent avec le Ministère du
Travail... Ca
s’arrange ou ça ne
s’arrange pas... En général ça
s’arrange bien... A
l’amiable ou non... A
prendre ou
à laisser ! Take it or leave it !
»
«
WHAT ??? QUOI ??? »
«
Eh, oui, sir... D’ailleurs... »
«
D’ailleurs ??? »
«
Vous descendez à Sydney, je crois, notre
première escale ? »
«
Yes ! »
«
No ! Nous n’atterrissons pas à Sydney,
nous allons directement à Melbourne...? »
«
WHY ??? POURQUOI ??? »
«
J’allais l’annoncer aux passagers... Un
message radio nous a annoncé une grève
éclair des
pétroliers... Pas de pétrole
à Sydney, pas de pétrole, pas de vol
»
«
WHAT ??? QUOI ??? Mais... Mais... je
dois être absolument à Sydney ce matin ! Impératif
! What a shame ! Quelle honte !
Mais quelle honte !!! »
Sourires
de l’équipage...
Exit
le syndicaliste !
Vision
plus agréable, le vieux « Matopé
»...Il porte aussi les guêtres et le fez,
mais bleus... Matopé
est de la police ! Il
n'est plus tout
jeune... Ses cheveux sont gris... Ses mœurs se sont
adoucies, lui! Sa
spécialité, le tam-tam ! Il règle
la vie du poste,
du lever au coucher du
soleil... Comme un coucou suisse, il donne le «
temps »...
Il est l'horloge
parlante ! Les heures, qui ne lui échappent pas,
ont une
mélodie différente...
Celle de midi, je peux la jouer ! Tam! Tam! Tam!
Ratatam! Ratatam!
Ratatam!
Tam! Tam! Tam!....... Car, mon père m'avait
offert un petit
tam-tam...
J'observais religieusement Matopé, suant sous son
auvent,
soufflant, (« Pff,
Pff », je l'entends encore), et frappant sur son
gros tam-tam !
«
Tembo ! Tembo ! Bwana, iko tembo ! »
Les
éléphants ! Parmi toutes ses
fonctions, l'Administrateur est également «
Officier de
Chasse »... Il est
responsable, non seulement de la faune, mais aussi de la
sécurité des
villages... Tous les fusils de mon père sont
posés en
permanence sur la
panoplie du mur du salon... A chaque appel, si le
village n'est pas
trop loin,
même cérémonie ! Il en prend deux,
les donne
à Gallet ! Ils partent en
camionnette avec le villageois, qui est venu chercher du
secours et
qui, excité
comme une puce, ne cesse de crier:
«
Tembo, Tembo ! »
Au
retour, mon père me raconte:
«
Comme d'habitude, ils ont traversé les
champs de manioc, en rang par quatre... Un beau travail
de labour !
Quand nous
sommes arrivés, ils prenaient leur
déjeuner dans les
plantations de bananiers,
se régalant de régimes entiers... Ils
exagèrent,
ces éléphants! Nous les avons
chassés...»
« Tu
en as tués ? »
«
Non ! De jeunes bêtes, pas de vieux
mâles ! Quelques coups de feu... Ils ont
déguerpi! »
«
Papa, quand irai-je à la chasse avec toi
? »
«
Bientôt ! »
Chasse
particulière... Safari aquatique !
Remontée, pendant plusieurs jours, de la
rivière Lundi,
qui coule à
Bafwasende... Celle que l'on traverse avec le «
bac » ! Je
le connais bien ce
bac... De grandes pirogues, liées entre elles, un
pont fait de
planches, pour
le véhicule, des poulies reliées à
un câble,
qui joint les deux rives... La
route, qui descend à la rivière, passe
devant la
maison... J'ai ainsi le temps
de sauter sur mon vélo, pour vite suivre la
voiture ou le
camion, qui va
l'emprunter... J'accompagne pour la traversée !
J'écoute
les mélopées des noirs,
qui halent le bac... J'aime ! Mais, les chants, que je
devais entendre,
lors de
cette première chasse avec mon père,
seront tellement
plus intenses, plus
rythmés ! Un de ces souvenirs profonds de ma vie
congolaise...
Le
départ a lieu près de ce bac, justement...
Trois longues pirogues, taillées dans des troncs
d'arbres
immenses, sont
échouées sur la berge... Dans chacune
d'elles, une
trentaine de pagayeurs! Ils
nous attendent, debout dans leurs pirogues, tors nu, le
pagne
ajusté autour des
reins... Comme des lances, ils tiennent à la
main, leurs rames
effilées...
Photo ! Avec le vieux Roleiflex
»
! Posemètre... Photo saine ! Ils
sont beaux ! Les « Jeans », les «
T-shirts et les Baskets
»,
toutes ces « crasses américaines »,
ne sont pas encore venus salir ce bel environnement...
Dix ans plus
tard, dans
l'Urundi, mon père interdira le port des «
souliers de
tennis » à la troupe
des danseurs Watutsi !
La
pirogue du « Bwana » est
différente...
En son centre, elle possède, un toit, fait en
feuilles de
bananiers ou de
palmiers... Abri contre le soleil! Ombre, pour mon
père, ma
mère et moi...
Gallet à nos cotés ! Modeste, le pichi, le
lavadaire et
les autres, dans la
deuxième et la troisième pirogue... Un
matériel
important... Toute l'intendance
!
C'est
parti! Les pirogues sont poussées
vers le large ! On remonte le courant ! Il est fort, le
courant...
L'eau est
haute! C'est la saison des pluies !
Alors,
commencent les chants des
pagayeurs...
«
Uélé, Uélé, maliba makassi!
Uélé, Uélé,
maliba makassi ! » (l'eau du fleuve est dure !).
Ils
rament en cadence, suivent la mélopée,
qui s'intensifie selon la force du courant... Puis, les
paroles
changent ! Les
pagayeurs racontent leur vie... Déboires, cris !
Joies, rires !
L'espoir
d'une bonne chasse... Des notes
marquent le rythme:
«
Le Bwana a pris ses gros fusils ! Eeh!
Eeh ! ». Un double coup de pagaye !
«
Il va nous donner de la viande ! Eeh !
Eeh ! ». Un autre double coup de pagaye !
Ils
nous décrivent, ma mère et moi:
«
Le Bwana a pris sa madame avec lui ! Aah
! Aah ! »
Chaque
fois, double coup de pagaye !
«
Et la madame a un beau chapeau! Ooh !
Ooh ! »
«
Le Bwana a pris son « Mutoto » (Ca,
c'est moi: l'enfant !) Ooh ! Ooh ! »
Etc...
Etc... Tout y passe ! Des heures,
des heures, des heures... « Tintin au Congo
» !
Les
rapides ! La rivière se faufile...
Remous de l'eau, qui écume... Tout le monde
descend, sauf nous !
Pieds dans
l'eau, les pagayeurs poussent, soulèvent un peu
les pirogues,
les allègent pour
passer les rochers, le long de la berge... On repart !
«
Uélé, Uélé,... »
Fin
d'après-midi, un cri:
«
Tembo ! »
Mon
père l'a vu, l'éléphant ! Un vieux
mâle, un solitaire ! Ses défenses sont
grosses, longues!
Moi aussi, je
l'aperçois... L'éléphant prend son
bain au bord de
la rivière...
Le
silence, presque total ! On n'entend
plus que le bruissement de l'eau... L'Afrique Noire !
Sans transition,
on passe
du bruit au silence ! Les rames, les chants, les cris se
sont tus !
Sans bruit,
les pagayeurs dirigent les pirogues vers la rive
opposée, les
retiennent aux
branches basses...
J'ai
peur ! Car mon père me dit:
«
Viens... »
Il
fait signe à Gallet, qui lui passe son
fusil... D'habitude, un « Mannicher »,
calibre point
neuf... Cette fois-ci, il
a décidé autrement...
«
Non, Gallet, le 600 ! », dit-il.
Il
veut être certain de son coup ! Il ne
veut pas que l'éléphant s'échappe,
échappe
aux pagayeurs, m'échappe... Ma
première chasse avec lui !
Le
« 600 » est un fusil à deux coups,
dont
les cartouches, grosses « comme ça »,
ont une
puissance de choc de deux tonnes
! Un éléphant ou un buffle, qui charge,
est stoppé
net dans sa course! Arme de
secours, qui a sauvé mon père plusieurs
fois, Gallet lui
refilant ce fusil en
dernière extrémité... Sa
détonation est
tellement bruyante, qu'elle rend sourd
le chasseur pour quelques heures! Par son recul, il est
assuré
d'une marque
bleue à l'épaule... C'est de cet engin
»,
que j'ai peur... Le bruit surtout !
Je
quitte la main de Maman... Je
m'accroche aux pans de Gallet, qui suit mon père
comme son
ombre... Camouflés
dans les grandes feuilles, qui s’appellent justement,
« oreilles
d'éléphants »,
nous voyons très bien la bête... Nous
sommes dans le
vent... Il nous a sentis !
Sa trompe périscope au-dessus de sa tête,
ses oreilles
battent l'air... Il se
redresse, sort de l'eau... Il monte sur la berge... Mon
père
vise... Je me
bouche les oreilles !
«
BARRAOUMM !!! »
Au
ralenti, je vois l'animal tomber à la
renverse... Sa masse semble rebondir plusieurs fois dans
la
rivière... Gerbes
d'eau !
La
balle a frappé juste ! Inerte, le corps
de l'éléphant gît sur le sable
mouillé...
Moi, je pleure! Je n'ai pas mal aux
oreilles, j'ai mal au cœur ! Mon cœur d'enfant, mes
tripes de gosse
! Je pleure la mort de l'éléphant...
Hurlements
de joie ! Battements des
pagayes contre les pirogues !
«
Badam Badam Badam Badam Badam...»
L'Afrique
fait tout oublier !
La
nuit tombe, campement ! Tentes, lits de
camp, moustiquaires... Mon père pompe, allume les
lampes ! Le
dîner est servi!
Modeste sert avec cérémonie... Extinction
des feux !
Bruits de forêt... Nuits
africaines... Dans mon lit, sous ma moustiquaire,
j'écoute... Je
ne peux pas
les identifier, ces bruits, je n'ai jamais pu...
D'où
viennent-ils ces sons
étranges ? Que sont-ils ? Rêves ou
cauchemars ? Murmures
d'outre-forêt...
Réveil
!
«
Kuku ya kwensa » ! (le premier coq, le
chant du coq) !
Il
y a toujours un coq, qui traîne dans le
coin... Car, dans tous ces déplacements, la
basse-cour est
obligatoire ! Pour
les œufs d'abord et pour la poule au pot ! La «
moambe » !
Poulet cuit dans
l'huile de palme, épicée de «
pilipili »,
piments rouges !
Dès
son arrivée, un nouvel Agent Territorial
est invité chez l'Administrateur... Le pichi est
prévenu... Il sait ce que «
mingi » veut dire: beaucoup ! (de pilipili) Lors
du repas, le
visage de l'agent
passe alors par toutes les couleurs... Il transpire...
Sa chemise est
trempée... Surtout, ne rien dire, bien que de la
fumée
lui sorte par les
oreilles ! Le « Bleu » sait qu'il passe son
test...
Gallet
réveille donc mon père:
«
Yambo, Bwana, Kuku ya kwensa, ».
«
Aksanti, Gallet ». (Merci).
Gallet
insiste:
«
Ils sont là, Bwana ! »
«
Qui donc ? »
«
Bambutis, Bwana ! »
Les
Pygmées ! Dénicher ces petits hommes, les
approcher, leur parler,
pas facile
! Nomades de
petite taille, ils se déplacent sans cesse dans
la
forêt... Des chasseurs-nés !
Ils rabattent le gibier, des antilopes en
général, qui
viennent s'enchevêtrer
dans les filets, qu'ils ont tendus! Leur tactique de
chasse à
l'éléphant est
plus scabreuse... L'éléphant
possède un odorat
très développé, très fin...
Le
chasseur désigné, s'enduit
d'excréments de cet
animal, afin qu'il ne sente pas
l'odeur humaine... Il se glisse sous le ventre de
l'éléphant, muni d'une longue
lance à manche court... Des deux mains, il
enfonce ce glaive
dans le ventre de
la bête:
«
Han ! »
Toute
la tribu suit l'éléphant blessé...
Des heures, des jours parfois, jusqu’à ce que
mort s'en suive...
Dur et triste,
mais, c'est comme ça ! Chasser pour se nourrir...
La loi de la
jungle !
Timides,
mais curieux, les Pygmées
décident eux-mêmes de prendre contact...
Ils apparaissent,
venant « de nulle
part »... Ce matin, ce sont eux, qui viennent
à notre
rencontre... Ils ont
certainement entendu le coup de feu de la veille... Coup
de feu
égal gibier,
égal éléphant, égal viande !
Comme
dans une cathédrale, il règne dans
la forêt tropicale, la « forêt vierge
», une
douce pénombre... Les rayons de
soleil percent entre les feuilles et les branches des
arbres, vitraux
de la
nature... Les vapeurs d'humidité montent
lentement vers la cime
des arbres,
l'encens des forêts... Jolis chants d'oiseaux,
chorale subtile...
Atmosphère de
recueillement...
Cependant,
dans ce havre de paix, je
devais assister à un rite peu orthodoxe... Une
scène
placardée, en cinémascope
sur les parois de ma mémoire !
Dans
ce clair-obscur, les Pygmées
attendent... A l'approche de Gallet, ils reculent de
quelques
mètres... A coté
de lui, ils paraissent minuscules !
«
Que veulent-ils ? La viande de
l'éléphant, je suppose ! » demande
mon père
à Gallet.
«
Oui, mais surtout son cœur ! »
«
Son cœur ? »
«
Oui, son cœur ! L'éléphant est mort sur
leur territoire de chasse... »
Mon
père acquiesce... Les Pygmées oublient
leur pudeur, leur retenue... Ruée vers le
cadavre! Curée
! Tout le campement
suit, moi le premier ! Les pagayeurs semblent inquiets !
Leur viande...
Mon
père les rassure:
«
Tembo iko mukubwa », l'éléphant est
gros, il y a à manger pour tout le monde !
Tel
un essaim d'abeilles, les Pygmées
enveloppent le corps de l'éléphant... Celui qui semble être le
chef, écarte sa
tribu... Il tient à la main un
couteau, le plonge dans la peau du cadavre... Mouvements
rapides ! Il
taille !
Il opère une longue ouverture dans le ventre...
Les intestins se
répandent sur
le sol !
«
Splaaash ! »
Puanteurs...
Les mouches sont déjà au
rendez-vous ! Alors, le Chef s'engouffre dans cette
plaie... Il
disparaît dans
le ventre de la bête ! Les secondes passent...
Comme
un diable, surgissant d'une boite,
le corps dégoulinant de sang, avec un cri de
victoire, il
réapparaît, tenant
dans sa main gauche le cœur de l'éléphant
!!!
Le
silence a plané durant tout ce
cérémonial... A présent,
tambourinages, cris,
rires aux dents blanches!
L'Afrique Noire...
Dépeçage...
Tranches de viande, boucanées
durant des jours, des nuits... Odeurs ! Mon père
décide:
«
On rentre ! »
Les
trois pirogues glissent avec le
courant... Les « Uélé » ne
sont plus de
mise... Le retour est rapide ! L'ivoire
ira au gouvernement...
Je
retrouve mes gentilles bêtes ! Ma douce
« Diane », mon antilope, qui se
promène en
liberté dans le poste... Autour de
son cou, nous lui avons mis une clochette en cuivre...
Nous l'entendons
s'approcher... D'un coup de langue, elle cueille
délicieusement
toutes les
fleurs du jardin, dahlias, hibiscus, cannas,
frangipaniers, au
désespoir du
chef-jardinier, qui imagine certainement rôtir
Diane sur un feu
de bois... Ma
chatte grise, « Poussinette », qui nous fera
des petits
jusqu'à la troisième
génération... Mon petit monde animal !
Cela
me fait penser que j'ai connu une
fille, qui s'appelait Diane...
«
Jack ! »
«
OK, je continue mon histoire... »
Autre
« safari », autre souvenir, aussi
poignant que le cœur de l'éléphant... Les
tribunaux
indigènes !
Tous
les deux mois, mon père part en
inspection... Il en profite pour régler les
affaires en litige
au tribunal !
L'Administrateur, je le répète, est un
homme à
tout faire, un homme
orchestre... Il est, entre autre, juge de paix !
Il
nous emmène en tournée... Cette
fois-ci, dans la camionnette « Ford » ! Ma
mère et
moi, assis devant, serrés
contre mon père... Dans le bac arrière,
l'intendance...
Gallet, les boys ! La
basse-cour, elle, n'a pas tellement une place de
choix... Les
malheureuses
poules sont pendues par les pattes et attachées
à
l'extérieur du véhicule ! Une
roulotte de Manouches... Les routes sont en terre (la
latérite)... La bande
centrale, de l'herbe... Des trous, les « nids de
poules
»...
« Blink
», « Blank », « Blonk » !
La
tôle ondulée, « Rrr... Rrr...
Rrr...« ... La
vision tremble ! Un nuage de
poussière rouge nous suit... On arrive tous dans
un état
épouvantable ! Modeste
ne peut pas s'empêcher de lancer sa blague
habituelle: «
Mama yango! (Ma mère !). Ah, Di, Bwana ! Eh ! En
pa.tant, nous
étions des noi.s
, maintenant, nous sommes des .ouges ! »
En
effet, on ne reconnaît plus personne !
Des masques rouges, des yeux, des dents...
Les
gîtes d'étape sont également ces
maisons P04... Barza agréable... Les
dépendances à
l'arrière... La cuisine, où
je me faufile souvent... Le pichi me refile en douce un
petit verre de
vin de
palme sucré ! Le
«
Pombé » sert de
levure pour faire le pain... Installation donc plus
facile qu'en pleine
forêt !
N'empêche que mon père pompe les lampes...
Ce rituel ne
changera que bien plus
tard, quand nous aurons un groupe
électrogène ! Lits de
camp, moustiquaires...
Se méfier non seulement des moustiques, des
serpents, mais de
toutes sortes de
bestioles, dont les tarentules... Un après-midi
de sieste, cri
de ma mère:
«
Aaah ! »
Une
énorme araignée,
toute
velue, s'avance vers son lit, elle
va bondir...
Immédiatement, Modeste arrive au secours ! Sans
hésitation, d'un coup de son
pied nu, « Scrasch », il écrase la
monstrueuse
tarentule !
Dans
le soir, bruit de fond: le tam-tam !
Rythme progressif, enivrant... Il enlace, fait tourner
la tête,
le corps...
Danses saccadées! Les danseuses ballottent leurs
seins nus...
Elles s'offrent, les
reins tendus... Les pieds frappent le sol...
Poussière ! Chaleur
! Sueur !
Odeur ! Le vin de palme arrose les danseurs... Le
chanvre fume... Les
yeux
rougissent ! Tam-tam, tam-tam, tam-tam...
Le
« Likembé », instrument de musique
des
plus simples... Une boite en bois, sur laquelle sont
fixées des
tiges de fer
aux bouts aplatis! Seuls les pouces frottent... Les
notes accompagnent
le
rythme: « Gling, Glang, Glong »... «
Gling, Glang,
Glong»...
Durant
tout mon séjour en Afrique, les
tam-tam, les likembés vont me marteler la
tête ! Ils roulent
encore dans mes veines...
Tam...Tam... Tam... Gling...Glang... Glong...
Les
indigènes viennent de loin... Ceux qui
viennent pour « régler » leurs
affaires et, plus
nombreux, les curieux! Ils ne
veulent pas manquer cette occasion de « fête
»...
Car, pour tous, assister à
ces « palabres », c'est aller au
théâtre! La
veille, l'avant veille, les jours précédents,
ils sont
déjà
là, pour avoir une bonne place... Alors, en
attendant, pourquoi pas, un petit coup de tam-tam, un
petit pas de
danse ?
Le
tribunal est grandiose ! Bâtiment brun
pâle, murs en « pisé », en
« Potopoto
» (boue séchée), murs
décorés de
peintures vives, ocres, légendes ou scènes
de chasse...
Le soleil éclaire ce
décor, la forêt ombrage...
De
bon matin, la salle est remplie ! Les
tam-tams sont les premiers, bien en place... Aux larges
fenêtres,
à l'entrée,
les têtes se tendent... Déjà, la
chaleur
alourdit... Transpiration !, Odeurs !
La poussière monte... Apparition des mouches ! Le
public
n'attend plus que les
trois coups...
Arrivée
de mon père, accompagné des Chefs
coutumiers ! Gallet le
suit, je suis
Gallet... Car, à nouveau, mon père m'a
dit:
«
Viens.. »
La
foule s'écarte... On pénètre dans
le
tribunal par l'allée centrale... Roulement de
tam-tam! Mon
père s'installe sur
le fauteuil du centre, le siège du Juge, les
Chefs à ses
cotés... Gallet,
impassible, sa chicotte passée dans sa ceinture,
n'est pas loin
de lui... Son
regard écrase les spectateurs... Je suis si petit
à
coté de lui... Je commence
à être impressionné par ce
décor ! Ce n'est
plus la main de Maman, que je vais
tenir, c'est
celle de Gallet...
Une main, que je dois quitter de temps en temps, quand
mon père
me fait signe !
Il me demande le sens, la finesse d'une expression...
Fièrement,
je traduis !
Levée
de rideau! Succession des actes...
Nouveaux acteurs! Même décor, mêmes
spectateurs...
«
Hi na kamata kuku yango ! » (Il a volé
mes poules !)
Pas
trop grave...
«
Hi na kamata mwanamuke yango ! » (Il a
pris ma femme !)
Un
peu plus grave...
«
Hi na kamata lupango yango » (Il a pris
ma terre !)
«
Hi na kamata franka yango » (Il a volé
mon argent !)
Le
cas grave !
«
Hi na kamata...» , « Hi na kamata...»
,
« Hi na kamata...» Des
heures,
des
heures, des heures de palabres... Critique, la foule
approuve.. Bravos!
Désapprouve... Murmures, cris, gestes! Des bras
en l'air, qui
retombent, comme
par hasard... sur les
tam-tams !
Ratatam... Tatam... Les pouces sur les likembes!
Gling... Glong...
«
Silence ! »
Sentences
de mon père ! Indemnisations,
amendes, internements... Parfois: « Mwambi!
», (huit, huit
coups de chicotte) !
Gallet retrouve son sourire en coin...
D'elle-même, la foule
s'est tue... Entre
chaque coup, on entend les cris du supplicié...
Gallet prend son
temps... On
entend les mouches voler... Cri final ! Cris de salle !
Contradiction
étrange, la réconciliation !
Serrements de mains ! On est quitte ! On salue
l'Administrateur...
Sortie, coté
jardin ou coté cour, peu importe, on est copain
copain!
Entracte
!
«
Mouches, poussière, sueurs ! »
Grande
finale ! Un cas bizarre, disparu
depuis des années... Vengeance de clans, de
tribus... Un «
truc » pour
effrayer, voler, tuer ! Il trouve sans doute cette
tactique bien
pratique, ce
revenant: « L'homme léopard » !
Il
est enchaîné comme une bête, mais ce
n'est pas une bête, c'est un homme!
Il
s'est déguisé en léopard ! Son
déguisement
l'atteste: cagoule en peau de ce
fauve, griffes d'acier, bâton pour marquer ses
empreintes... Il a
tué un homme
!
Finis
les cris ! Murmures, désapprobations
de la salle... L'atmosphère est lourde, la
poussière
retombe, les mouches
volent bas... Plus de palabres... Auditions,
témoins, preuve !
Verdict ! Prison
!
A
ce moment-là, entrée du sorcier ! Par la
grande porte ! A pas calculés, il traverse toute
l'allée
centrale... Vêtu de
peaux de singes, des colliers de « gris-gris
» à son
cou, il tient à la main
gauche un long bâton tordu... Gallet n'a pas le
temps
d'intervenir, le sorcier
est sur nous! Vite, il plonge sa main droite dans un
sac, en peau
d'antilope...
et d'un geste arrondi, nous asperge d'une poudre grise !
Il parle... Je
ne
comprends pas son charabia... Gallet va le massacrer !
Mon père
l'arrête net !
«
Apana ! » (non !), « Laisse ! »
Lentement,
à reculons, le sorcier,
retraverse la salle... Il continue de grommeler... Ses
yeux
chanvrés nous
fixe... La foule est hypnotisée,
pétrifiée ! Il
s'estompe dans le contre-jour
de la porte... Le sorcier nous a jeté un sort !
Rideau
!
Quel
sort ? Malédiction ? Bénédiction ?
J'y penserai bien souvent... J'avais une dizaine
d'années... Il
ne m'est pas
difficile aujourd'hui de retrouver mon sorcier, il
suffit que je ferme
les yeux
!
Sur
le chemin de retour, arrêt dans une
des missions, chez les « Pères Blancs
», avec qui
mon père, l’Administrateur,
doit entretenir des relations étroites... Le
Clergé a
toujours eu son
importance politique... D'eux, j'ai des souvenirs plus
agréables: les fruits du
petit-déjeuner: papayes, goyaves et surtout le
« cœur de
bœuf » ! De ce fruit,
en forme de cœur, dont la chair est blanche et
onctueuse, ma
mère en fait de
fins sorbets... Car, nous avions ce luxe: une
sorbetière pour
faire de la crème glacée !
Le « boy moke
» tournait la manivelle... Bien heureusement, j'ai
retrouvé tous ces fruits
tropicaux à Singapour...
Un
matin, sur la route, mon père stoppe la
camionnette ! Il se fâche ! Il vient d'apercevoir deux religieuses, des
« Petites Sœurs »...
Elles marchent au bord de la route... Elles portent des hauts fagots de bois
à brûler ! A la
manière indigène, ces bûches sont
liées en
paquet et soutenues sur le
dos par une
lanière, passée
sur la tête... Elles suent de partout,
grimacent... Elles sont
entourées d'une dizaine de
nègres,
qui les suivent en criant et gesticulant ! Ils rigolent,
ils s'amusent... Ils s'arrêtent de rire et
s'enfuient en
apercevant mon père descendre de
la
camionnette... Il ordonne aux deux Sœurs de se
débarrasser de
leurs fardeaux et
de monter à l'arrière
du
véhicule... Il
va les ramener à la mission ! Il leur fera la
leçon,
assez durement, je m'en souviens,
en leur
expliquant que leur
façon d'évangéliser n'est tout
à fait
conforme aux méthodes
de
colonisation...
Arrêts
fréquents aussi dans les
villages... Mon père exige des Chefs un rendement
de plus en plus
élevé de la
récolte du caoutchouc
(l'hévéa), qui doit être
envoyée aux
Alliés... L'effort de
guerre !
Les
indigènes appellent leur village, le «
Belge » ! Les blancs ne se fourvoient guère
dans cette cité...
Par contre, les noirs
doivent
montrer « patte blanche » (!), un «
laissez-passer
» de leur patron, qui
les autorise
à déambuler
librement dans le poste, après une certaine heure
de la soirée... Nos
domestiques logent
dans les
dépendances de la maison...
Mon
maître d'études lui, Tupa, habite au
«
Belge »... Après son travail, il me donne,
selon son temps
libre, quelques
leçons supplémentaires... Chez lui, il
m'enseigne son
savoir... Un jour, en fin
de leçon, il me dit:
«
Viens me voir danser ! »
«
Vous voir danser ? Où ? »
«
Au Café du Belge ! »
«
Eh, mi na pika danse, di ! » (Je vais
taper la danse! Je vais m'en guincher une...), disent
les amateurs de
danse...
De toutes les façons, ils sont tous des
passionnés de
danse !
Il
m'emmène faire un tour au « dancing
»... Il aime bien la danse, Tupa ! Il me dit qu'il
vient souvent
dans cet
endroit... En effet, il est bon danseur, il a « le
» rythme
! Il invite les
« mwanamukes », les femmes... Elles
portent le pagne,
la tête enrubannée
d'un long turban... Tableau animé, de couleurs
vives ! Le cul en
évidence, le
mouvement est ondulant, les genoux se plient, se
déplient, les
reins sont arqués,
les bras sont ballants... Mouvements lancinants,
répétés, sensuels... Dans ce
«
boui-boui », la piste de danse est en terre
battue... Le rythme
est marqué par
les pieds, qui frottent et frappent le sol... La
poussière monte
avec
l'ambiance... Plus de gros tam-tams, un ou deux
tambourins, le
grêlement des
likembes et la percussion de quelques casseroles ou
autres moyens de
résonance
! Plus tard, la guitare viendra accentuer la cadence...
«
Gling, glang, glong... Tom, tatom,
tom... »
Seuls
les Noirs ont, dans leur corps et
dans leur sang, ce don
inné du
rythme et
de la danse... Tout est motivé par le rythme !
Modeste me fait
même remarquer
un matin, que j'emploie mal la sonnette de mon
vélo !
«
Eh, pas un coup ! Non, plusieurs, di !
Comme ça, Bwana Jackie: Bilang, Bilanga, Bilang
! Jouer plus avec la nuance, di ! »
Le
rythme... Le « beat » !
Ainsi,
à l'insu de mon père, j'allais
m'encanailler avec mon professeur, pour de brefs
instants, aux rythmes
africains...
1990.
Paul Simon sort son album: « The
Rhythm of the Saints » ! Un style nouveau pour
lui... Il a
ramené d'Afrique
toutes les percussions de ce continent... Il adapte ses
chansons, sa
musique,
au rythme de ses musiciens africains! Saints ou pas
Saints, avec eux,
je
replonge avec délices dans le
«boui-boui» de Tupa,
les tam-tams des tribunaux
indigènes, les tambours de l'Urundi, toute mon
Afrique natale...
Puis,
un jour, tôt le matin, tout s'est
détraqué dans Bafwasende ! La cloche du
village s'est
emballée ! Matopé est-il
devenu fou ? A-t-il trop bu de pombé ? Son
tam-tam, en forme
d'antilope, creusé
dans le gros d'un tronc d'arbre, ne cesse de vibrer !
Plus d'heures
précises,
plus de notes connues ! De l'improvisation !
Matopé a vraiment
perdu la tête !
Je
saute de mon lit à travers la
moustiquaire... Mes parents ne sont encore pas
levés, je n'ose
pas les
réveiller... Intrigué, je demande à
Modeste... Il
ne semble pas surpris
d'entendre le tam-tam, qui bat la chamade !
«
Matopé fête le mariage du Bwana ! Ton
père se marie... »
«
Mon père se marie !!! Mais, ... avec qui
??? »
«
Eh, avec ta mère, di ! »
Je
ne comprends rien ! Papa, c'est mon
père, Maman, c'est ma mère ! Etat second,
esprit
embrouillé, mon cœur bat... Je
cours vers la chambre de mes parents ! Sans gène,
j'ouvre la
porte! A la
maison, on s'est depuis toujours promené tout nu
entre nous...
Heureusement,
mon père est dans la salle de bain...
Malgré mon
attachement à lui, j'ai
toujours un peu peur de mon père... Sans cesse,
c'est chez
Maman, que je me
réfugie... Je suis même jaloux de mon
père ! Quand
mes parents « tentaient » de
danser ensemble, au son du vieux phonographe, « La
voix de son
maître», que
l'on devait remonter incessamment, je ne pouvais
supporter de voir mon
père
dans les bras de ma mère ! Je venais le tirailler
par les pans
de son
pantalon... Œdipe ?
Ma
mère vient de suite à moi:
«
Ah, tu es déjà levé ! »
«
Maman,... le tam-tam ? Modeste m'a dit
que vous alliez vous marier ! »
«
Heu... Oui... Viens, j'allais justement
t'expliquer...»
Ma
mère me révèle brièvement,
ce
matin-là,
le bilan de sa vie... et de la mienne ! Les
détails viendront
après... Son
divorce vient d'être prononcé !
Aujourd'hui, mariage,
officialisation ! Elle
devient Madame Siroux ! Moi, je devrai encore attendre
plusieurs
années pour
porter le nom de mon père... Le temps, qu'il a
fallu à
Maître Sharf pour me
faire reconnaître fils de Fernand Siroux!
Ainsi,
j'ai assisté au mariage de mes
parents ! Pour cette occasion, je fais la connaissance
du frère
de ma mère,
Camille (mon second prénom) Valentin... Je suis
toujours en
possession de son
cadeau, un sous-main en cuir ! Il avait apporté
un bocal de
cerises, trempées
dans de l'alcool... Elles sont sucrées, c'est bon
! Ma première
cuite...
Le
tam-tam a résonné toute la
journée...
Puis, il s'est tu subitement ! Matopé a du
s'écrouler...
de fatigue
probablement !
Tous
savaient, sauf moi... J'ai su par mon
boy ! Le bon Modeste avait vendu la mèche... De
cette histoire,
un goût amer
m'est resté dans la bouche... J'en aurai bien
d'autres, des
goûts amers, mais
celui-là...
«
Bobonne », ma grand-mère maternelle,
s'éteint... Enterrement simple au petit
cimetière,
prés du bureau du
Territoire... Elle repose sous un manguier... Je l'ai
vue sur son lit
de mort !
J'ai peur! Je suis angoissé à
l'idée que ce lit
sera le mien... Je reprends sa
chambre ! Je la connais bien cette chambre... Avec
Modeste, nous y
avons tué un
serpent dans l'armoire ! Il dormait, enroulé dans
le linge... A
partir de ce
jour, toutes les légendes, ces récits
fantasmagoriques de
mes boys, de mes
Noirs, vont perturber mon âme... Dans mes
rêves, les
esprits, les démons, vont
faire leurs apparitions ! Pour longtemps, ils seront mes
cauchemars...
Début
de 1944 ! Mon père a droit à ses
congés... Toujours la guerre en Europe, dans le
Pacifique...
Où aller passer
ces vacances ? Cap au Sud, l'Afrique du Sud ! Long
voyage... Train,
à travers
l'Afrique! La Rhodésie, les « Victoria
Falls »...
Inoubliables ! Elles sont
toujours « là », sur l'écran
de ma
mémoire, les chutes du Zambèze... Comme le
seront plus tard, les Pyramides, le Grand Canyon, le Taj
Mahal et les
glaciers
de l'Alaska, craquant et tombant par tonnes dans la mer
avec fracas !
Nous
arrivons en Afrique du Sud... Je
m'étonne des beaux paysages... Quel pays
magnifique ! Mais
à Johannesbourg, les
buildings ont remplacé mes arbres verts ! Ce
n'est plus ma
forêt... J'en
attrape la rougeole ! (Sic) ! Mes parents ont peur de la
quarantaine...
Ils me
« planquent » une nouvelle fois ! Je reste
caché au
fond de mon lit d'hôtel...
Exactement
48 ans après, je reviens à
Johanesbourg... Je n'ai plus la rougeole, mais je suis
fatigué... Atterrissage
à cinq heures du matin... Vol de dix heures en
direct de
Singapour ! Arrivée à
l'hôtel juste pour l'ouverture du
«coffee-shop »,
à six heures trente... Le
breakfast ! Comme d'habitude, puisque c'est l'heure,
où nous
rentrons «à la
maison »... Les équipages sont toujours les
premiers
clients au petit déjeuner,
dans tous les restaurants des hôtels, où
nous descendons !
Après quoi, nous,
nous allons dormir, les autres, eux, ils vont
travailler...
Les
couleurs ont changé depuis mon dernier
passage, tous les serveurs sont noirs ! Ils gesticulent
en parlant...
En douce,
ils chantonnent, ils dansent presque en se
déplaçant !
Rex, le maître d'hôtel,
s'approche de nous en dodelinant, tout sourire, toutes
dents
blanches... Il
fredonne en catimini :
«
Oh yeah ! Yeah ! »
Comment
peut-il, ce phénomène, mettre du
rythme, animer cette musique mortelle de Clayderman,
débitée lamentablement en
musique de fond dans tous les hôtels du monde ? Un exploit !
«
Good morning, Gentlemen, tea, coffee,
eggs ? »
«
Everything ! Please... Tout ! » «
All right ! Lovely ! Thank you ! »
Il
note et s'en va... Son carnet de
commande virevolte dans sa main, scande les requiem de
Clay-Clay... Il
trémousse !
«
Oh yeah ! Yeah ! »
Mon
mécanicien déclare :
«
Nous ne sommes pas au Japon ! Dans les
restaurants, les garçons japonais sont raides
comme la justice
ou pliés en
angle droit, dans un silence solennel ! »
«
C'est le jour et la nuit, je sais ! »
Et
malencontreusement, j'ajoute sans le
vouloir:
«
Le noir et le blanc... »
«
Et le jaune ! » rectifie de suite mon
mécano chinois...
«
Oui, heu... évidement ! Mais tu sais,
même si tes œufs brouillés mettent un peu
plus de temps
pour arriver dans ton
assiette, n'est-ce pas plus amusant ainsi ? »
«
Oui... »
«
Tu sais, P.S., je connais l'Afrique, j'y
suis né... Je crois qu'il y a bien des lunes de
cela, un grand
Chef a réuni
toutes ses tribus et leur a tenu ce discours:
«
Les gars, il est temps de se mettre au
boulot ! Alors, il faut travailler plus, chanter moins,
danser moins !
Vous
allez répéter après moi:
«
Travailler, oui ! Danser, non ! »
En
chœur, tous se sont mis à répéter:
«
Travailler, oui ! Danser, non !
Travailler, oui ! Danser, non ! Travailler, oui !
Danser, non ! Tra
lalala, Lalala
! Tra lalala, Lalala... »
«
Et depuis lors, P.S., le grand Chef en
tête, ils n'ont pas pu s'arrêter de danser,
de chanter au
moindre son de
musique... Ils ont cela dans le corps, dans l'âme,
c'est plus
fort qu'eux,
c'est un besoin vital, sans lequel, ils ne peuvent pas
ni vivre, ni
survivre...
Soudainement, t'arrêterais-tu, toi, de manger ton
bol de riz ?
«
Non ! »
«
Tu vois... »
P.S. Lee est un de ces « vrais »
mécaniciens, ceux qui, avant de devenir «
volants »,
ont passé des années au
sol, ils viennent du « hangar » ! En
travaillant dans les
moteurs, ils ont eu
leurs mains, leurs bras, leur chemises, plus d'une fois
noircies par
des litres
et des litres d'huile pissant de tous les bords, ils
connaissent leur
affaire,
ils savent de quoi ils parlent... Quel plaisir d'avoir
à bord un
membre
d'équipage pareil ! Quelle sécurité
!
Mon
copi, Windels Keelaert, un gars du Sri
Lanka, n'est pas venu manger avec nous, il a
préféré monter directement dans sa
chambre pour y prendre son « liquid breakfeast
»,un
« petit déjeuner
liquide », une bière, deux bières,
ou quelques
whisky, pour mieux dormir...
Coutume assez fréquente parmi les membres
d'équipage...
Le lendemain, lors d'un
safari, que nous faisons tous ensemble, Windels trouve
aussi que les
Noirs sont
très « dansants »... Il m'en fait la
remarque... Je
lui ressors l'histoire, que
j'ai racontée à mon mécano, et je
lui demande:
«
Ton curry, tu t'en passerais ? »
«
Oh, non ! »
«
Tu vois... »
Je
n'avais jamais atterri sur un
aérodrome, dont l'altitude est si
élevée. P.S. non
plus ! Une expérience de
plus... Johannesbourg est à 1500 mètres
au-dessus du
niveau de la mer ! En
attendant nos œufs brouillés, nous avons eu le
temps d'en
parler... Je fais
remarquer le surplus de puissance, qu'il a fallu pour
maintenir la
vitesse
d'approche, l'air étant moins dense...
«
Et la cabine, que j'ai dû monter ! »,
ajoute P.S !
«
La cabine ? »
«
Oui, la pression intérieure de l'avion !
Au lieu de la descendre, il a fallu la monter à
l'altitude de
l'aéroport, 5.555
pieds ! »
Le
bon vieux mécano, le troisième œil,
celui, qui voit tout... Et dire qu'on les supprime petit
à
petit, les
mécaniciens de bord !
Cinq
jours après, nous devions faire le
plus long décollage de notre carrière...
Pesant 352
tonnes, poids limite pour
les performances à cette altitude et à la
température de 24 degrés centigrade,
il nous a fallu du temps et des kilomètres pour
arracher l'avion
du sol !
Heureusement, la piste est prévue pour...
Comme nos œufs
n'arrivaient toujours pas, P.S.
Lee nous parle « du bon vieux temps », du
temps, où
il s'occupait des «
Stratocruser » de la Pan-Am... Perché sur
les ailes,
courant d'un bout à
l'autre, il vérifiait la quantité voulue
de carburant en
plongeant un stick
dans chacun des réservoirs d'essence... Cela
prenait des
heures... Ou bien, il
était enfoui dans un moteur pour vérifier
les 28
cylindres et les 56 bougies de
ce moteur « Pratt & Whitney », dont les
pistons lui
crachaient de d'huile
en pleine gueule ! A présent, avec les moteurs
à
réaction, quelle simplicité et
quelle propreté ! Quand on aperçoit une
goutte d'huile,
cela devient
inquiétant, alors « qu'avant »,
opération
normale !
«
C'est bien simple », me dit-il, « quand
les jets, les moteurs à réactions, sont
arrivés,
j'ai eu l'impression de
prendre ma retraite ! »
Les
œufs sont arrivés aussi !
«
Thank you, Rex ! »
«
Welcome, Captain, welcome, welcome ! »
«
Come... Come... Come... »
Ses
doigts battent la mesure...
«
Oh, yeah ! Oh, Yeah ! »
Les
jours suivants, à chaque petit
déjeuner, Rex m’accueillait de cette même
façon:
«
Hello ! Captain ! » en serpentant du
tronc et balançant des bras... Si bien qu'a la
fin, j'avais
difficile moi-même
à ne pas trémousser du cul !
J'ai
quand même eu le temps de faire un
safari lors de ce séjour... Avec mon
équipage, j'ai revu
les paysages de mon
enfance... Les belles savanes avec les antilopes, les
buffles et les
éléphants
!
Les
éléphants... Dans un magasin souvenir,
on vend des bracelets en poils d'éléphants
! Ca
porte-bonheur, paraît-il, ...
Moi, le gogo-naïf, j'en achète un, en
souvenir des gri-gris
de ma jeunesse et
de mes éléphants ! Et mon copilote en fait
de
même... En souvenir de l'Afrique
!
Terminus du train:
Cape Town ! Un rêve des
Anglais: « C to C » ! Relier en train le
Caire et le Cap...
Hélas, des tronçons
en Afrique centrale ne furent jamais
réalisés... Ce sera
tout de même une
marque de cigarettes...
Quelques
souvenirs dans cette ville:
Il
va falloir m'enlever les amygdales ! Le
médecin m'endort au chloroforme... L'horreur !
Après
l'opération (!):
«
Faites lui manger de la crème glacée !
»
Pour
toujours, malgré les « ice creams »,
j'aurais mal à la gorge...
Plus
gai: mon premier cinéma ! « Lassie »
! Moins gai: je pleure comme une Madeleine...
Pour
me consoler, mes parents me sortent
le soir... Dîner pour la première fois de
ma vie dans un
restaurant ! Je me
souviens même de son nom: le «Del
Monico» ! La
salle est sombre. . Le
plafond est
parsemé d'étoiles ! Emerveillé,
le
nez en l'air, je mange ma
soupe et ma purée... C'est certain, de cette
soirée, je
garde l'amour de la voûte
céleste !
En
avion, je passe la plupart de mes vols
de nuit, mes jumelles à la main... Je scrute les
constellations
! Leurs étoiles
me sont familières à présent... A
10 ou 12.000
mètres d'altitude, au-dessus de
la couche des nuages, par nuits sans lune, nous, les
aviateurs, avons
le
privilège de posséder le meilleur des
postes
d'observation du ciel ! Pas de
pollution de lumières... Une merveille, que bien
des êtres
humains, surtout les
citadins, n'ont plus la possibilité d'admirer...
On parle
tellement de la Voie
Lactée... Combien d'enfants l'ont-ils
aperçue clairement ? Un
ou une astronaute, a dit:
«
On devient philosophe en regardant la
terre, le firmament ! »
Si,
en avions de ligne, nous ne sommes pas
à 600 kilomètres d'altitude, nous aussi,
les pilotes,
nous philosophons...
« L’Espace-temps, l'Infini »... De quoi
devenir
plutôt fou que philosophe
! Enfin, moi, car je casse les bonbons à mon
équipage:
«Tiens,
regarde le Scorpion, comme il est
beau ce soir ! Une de plus belles constellations !
Vraiment la forme
d'un
scorpion... »
«
Où ? »
«
Là ! Il est beau, hein ? Hein, qu'il est
beau ? »
«
Heu...oui... oui... »
Je
suis parfois écœuré d'un tel manque
d'intérêt ! J'insiste ! Je rabâche
une nouvelle fois
!
«
Omega du Centaure ! Pas joli ça ? »
«
Où ? Je ne le vois pas ! »
«
Ca fait rien ! Rien que le nom est
poétique... Et là, près du
Sagittaire, se trouve
le centre de notre galaxie ! A
propos, quel est le nom de notre galaxie ? ».
«
La Voie Lactée ! »
«
Ah ! Enfin, une bonne réponse ! Tu auras
une sucette... »
Je
n'ose plus parler de la Croix du Sud...
Ma femme, mes amis:
«
Jacques, tu nous casses les pieds avec
ta Croix du Sud ! »
«
OK... OK... Mais, je voudrais que vous
sachiez tout de même, que dans
l'hémisphère
austral, selon les saisons, il
arrive qu'elle soit à l'envers, la Croix du Sud !
»
«
Jack, tais-toi ! »
«
Vous êtes tous des béeetes... »
«
JACK, TAIS-TOI ! »
Peut-être
suis-je vraiment chiant ?...
Grimpette
à la « Montagne de la Table » !
Point de vue, pas de vue... Brouillard !
Décidément,
je préfère ma jungle...
Nous
quittons Cape Town pour East
London... Nous y resterons plusieurs mois ! Le relax...
Les bains de
mer dans
l'Océan Indien... Mon père et moi, nous
nous initions au
« body surf » ! Il
faut choisir la bonne vague, qui vous emporte dans son
creux jusqu'au
rivage...
Dommage, je suis piqué par les méduses...
Des
dizaines d'années après, à Honolulu
(Hawaii) et surtout à Bali (Indonésie), je
pratiquerai ce
sport... Je me
souviendrai de mes débuts dans les vagues d'East
London...
La
voie aérienne, la « route » pour
l'Australie, passe au-dessus de l'île de Bali...
Quand le temps
est clair, on
la voit toute entière ! Un de ces copilotes
intellectuels:
«
Tu vas souvent à Bali, Jack ! C'est bien
? Culturel cet endroit ! Tu visites les temples, tu
assistes aux
danses, tu
apprécies la musique balinaise... »
«
Non, je me roule dans les vagues ! »
Bali...
Le Garuda ! Est-ce un dieu, est-ce
un diable ? Garuda, cet oiseau mythique aux ailes et
à la queue
déployées en
larges plumes... Effrayant d'aspect, ses yeux globuleux
vous fixent,
son bec à
dents pointues est prêt à vous croquer !
Est-ce un
extra-terrestre ou un
aviateur à l'uniforme flamboyant ? Il vole ! Il
est transporteur
des dieux,
Vishnu est souvent sur ses épaules ! J'aime le
Garuda... Mais il
m'impressionne, comme il impressionne les habitants de
l'île !
Frayeur et
respect des divinités... Offrandes permanentes de
fleurs et de
fruits !
Peut-être, par son image, le Garuda veille-t-il
ainsi à
l'harmonie de l'île ?
Il engendre une paix intérieure, exprimée
par cette
gentillesse et ce sourire
nonchalant des Balinais... La nature se prête si
bien à
cette atmosphère... Les
grandes vagues viennent mourir en longueur et en
douceur... Si les
rizières et
les forêts ont des couleurs intenses, d'un vert
sur fond d'or, le
temps, lui,
s'écoule paisible, les heures sont simples...
C'est la
béatitude !
A
Bali, il y a aussi « Made’s Warung
»...
«
Une fille, Jack ? » «
Mais non, obsédé ! Warung, le
restaurant... Le restaurant
de Made ! D'ailleurs,
ils s’appellent tous Made là-bas ! »
«
Et alors ? »
«
On y mange bien... »
«
C'est tout ? Continue ton histoire,
Jack... »
A
East London, j'attrape un autre virus,
incurable, celui-là ! Pourtant insignifiant au
départ, ce
mal va se développer
petit à petit... Comme une maladie d'amour, il me
rongera les
sangs à jamais...
Le virus du Ciel ! Je vois mon premier avion !
C'était
à la fin de notre séjour, aux
environs du 6 Juin 44, le « D Day », le jour
du
débarquement ! C'est ce que mon
père me dit... J'ai une notion assez vague de la
guerre,
malgré l'exode, que
j'avais faite avec ma mère, quatre ans
auparavant... Il
m'explique, je
comprends mal... Ce qui m'intéresse, c'est cet
oiseau de feu,
qui nous survole,
nous rase la tête en vrombissant, remonte en
chandelle, fait des
boucles,
repique sur la foule ! A sa façon, un
« Spitfire
» de la Force Aérienne
Sud-Africaine, fête cet événement
historique
au-dessus des plages... Il marque
le coup ! Il me marque aussi...
«
Alors, Jack, l'Afrique du Sud, pour toi,
c'est... »
«
C'est une longue histoire, mon vieux,
qui, je le souhaite pour tout le monde, se terminera
bien, mais j'en
doute
fortement ! »
Je
ne comprends pas... Je n'ai jamais bien
compris pourquoi, nous, les Blancs, avons pu mettre ce
magnifique pays
sur la
liste noire... Les Blancs contre les Blancs ! Les
Européens:
Anglais (l'Empire
!), Français (l'AOF !), Hollandais
(l'Indonésie !),
Belges (Le Congo!),
Allemands et les autres... La jalousie ? La rage d'avoir
perdu nos
belles
Colonies ou le désir de se rincer la conscience
d'une
culpabilité rétrospective
? Les Américains, qui ont acheté du
nègre pendant
des siècles, ont massacré leurs
Indiens et parqué ceux qui leur ont
survécu dans des
réserves ! Les
Australiens, qui ont
appliqué une
politique identique avec les Aborigènes !
Elimination ! Ces
gens-là se permettent même
de donner
des leçons d'humanité... Ils sont
gonflés en
plaçant, comme ça, simplement, «
Plaff ! », un embargo et serrant la gorge de
l'Afrique du Sud !
Tous en
souffrent, non seulement les Blancs, mais aussi les
Noirs ! Minable !
Les
grandes idées ? Et
mon cul, c'est
du
poulet ?
«
Oh ! Jack! »
«
Chacun sa merde! »
«
Oh ! Jack ! »
«
Non, pas: Oh ! Jack ! Oh, Monique !
Ma
copine... C'est elle qui dit toujours
ça, et elle a bien raison ! »
Monique,
la « pinardière », celle qui
importe et vend du vin à Singapour et à
qui
j'achète ma bière...
«
Capitaine, j'ai ici un bon petit Sancerre... »
«
T'as pas du Beaujolais de Dubœuf ? »
«
Non ! »
«
Alors, livre-moi trois caisses de ta
bière sud-africaine... »
«
OK ! Allez, casse-toi ! »
J'aime
bien Monique...
On
fourre un peu trop vite son nez dans
les affaires des autres, en se mêlant de ce qui ne
nous regarde
pas... Avant
tout, si nous nous occupions d'abord de nos propres
problèmes ! Et ils
sont de tailles...
«
Et le Roi du Maroc ? »
«
Quoi le Roi du Maroc ? Hassan II ? »
«
Tu l'apprécies ? »
«
Je l'admire ! C'est le Roi ! Dans son
pays, pas le nôtre ! Il y fait ce qu'il veut et il
le fait
très bien ! »
«
Et Lee Kwan Yew ? »
«
Avant d'en parler, connais-tu Singapour
? Viens voir... Une leçon pour les
Européens ! »
Etrange...
Ce jour-là, j'ai failli perdre
un ami !
Mais...
Mais... Et ceci est une toute
autre histoire, il ne nous faut pas oublier, et les gens
ont la
mémoire courte,
que dans les mêlées internationales des
deux guerres
mondiales, à 10.000, à
15.0000, à 20.000 kilomètres de chez eux,
ces Ricains,
ces Kangourous et ces
Kiwis, en 17 et en 44 et en premières lignes,
sont venus nous
secourir et nous
sauver !
Dans
le Sud de l'île du Sud de la
Nouvelle-Zélande, autant dire au cul du monde, un
Néo-Zélandais m'a dit en se
posant la question:
«
Mais qu'est-ce que mon grand-père a bien
pu aller foutre à Gallipoli en 1915 ? »
Assis
sur un banc, j'admirais les hauts
arbres aux couleurs d'automne du jardin botanique de
Christchurch,
lorsque
quelqu'un vint s'asseoir à coté de moi...
Lui aussi
semblait être en extase
devant ces merveilles de la nature... Je ne pus
m'empêcher de lui
dire:
«
Aren't they beautiful, those trees
! Ne
sont-ils pas beaux, ces arbres ? » Sa
réponse fut instantanée !
«
Oh, yes ! Tellement beaux, que je les
peints ! »
«
Je vous comprends... Vous êtes donc un
artiste peintre ? »
«
Oui... Depuis mon retour de la guerre !
»
«
La guerre, Monsieur ? Quelle guerre ? »
«
40-45 ! Loin de chez moi... J'étais
pilote en Angleterre sur bombardier Lancaster... J'en
suis sorti vivant
et bien
heureux de rentrer à la maison, ici en Nouvelle
Zélande !
»
«
Je vous félicite, Monsieur ! »
Alors,
Bonnes Gens, un grand merci à ces
alliés et un large coup de képi !
«
God bless America » and « God save the
Queen » !
Mon
père me parle alors de son frère, mon
oncle... J'ignorais son existence ! Lui aussi, pilote un
Spitfire ! Il
est en
Angleterre, pilote de chasse à la «Royal
Air Force», la « RAF » !
Voici
sa carrière d'aviateur...
Assez
exceptionnelle !
1936.
Paul, Albert, Siroux réussit son
examen d'entrée à la Force Aérienne
Belge.
1937.
Brevet de pilote de chasse. En
escadrille, c'est le temps des Breguets, Renards,
Faireys, et des
Hawker
Hurricanes. Il fait partie de la patrouille acrobatique
sur Glouster
Gladiator
!
Mai
1940. Attaque éclaire de l'aviation
allemande. Destruction rapide de l'aviation belge.
. Comme nous,
à la même
époque, mon oncle part en exode à travers
la France...
Avec
Lucien Lelarge, un ami, un collègue
d'escadrille, ils parviennent, eux, à passer les
Pyrénées... La Guardia Civile
les arrête ! Prisons d'Espagne ! Barcelone,
Saragosse, Burgos. .
De
nuit, lors d'un transfert en train,
tous les deux, ils sautent du train en marche !
Direction le
Portugal...
Quelques jours après, ils sont repris !
Rejetés en prison
! Celle de Miranda !
Pour des mois...
Grâce
aux interventions diplomatiques du
Consul de Belgique et de l'Ambassadeur britannique
à Madrid, ils
sont
finalement libérés et conduits à la
frontière du Portugal
«
Tiens, à propos, voilà mon fils, dont je
ne t'ai jamais parlé ! Il a presque six ans...
»
Mon
père savait que son frère était
emprisonné en Espagne... Ce n'est que plus tard,
au Congo, qu'il
devait
apprendre cette évasion !
1942.
Paul Siroux rejoint les Forces
Alliées en Angleterre. Pilote de chasse sur
Spitfire.
Escadrilles 349 et 350 !
Il abat, il n'est pas abattu ! Décorations ! Une
d'elles: D.F.C.
(Distinguish
Flying Cross).
1945.
Il rentre à la compagnie nationale
d'aviation belge, la Sabena, qui reprend ses
opérations,
arrêtées durant la
guerre. Il est directement Commandant de bord sur DC3 ! Ensuite, le DC4, DC6, DC7,
Boeing 707 et
finalement le 747 !
1976.
Retraite. 27.000 heures de vol.
Quarante ans d'aviation ! A présent, il est président du club des
anciens du « Spitfire
». Certainement, le moteur «
Merlin » de cet avion résonne
encore dans les oreilles des membres de cette
association...
Chapeau
! Non ?
Il
n'est pas le seul à saluer... Son ami
Lucien, avec qui, il s'est évadé ! Et bien
d'autres, dont
les carrières civiles
ou militaires furent semblables... Un deuxième
coup de chapeau
pour tous ces
pilotes de la « RAF » !
J'interroge
toujours, j'insiste...
J'ajoute: « Non ? ». Je m'étonne
souvent du manque
d'enthousiasme de
l'humanité... On dirait que les gens ont presque
honte
d'exprimer leurs
sentiments ! J'attends une affirmation, une
confirmation... Des
événements
exceptionnels méritent bien un acquiescement, un
respect des
choses bien
faites... Simplement montrer de l'admiration, de la joie
! Un geste !
On frappe
des mains: « bravo ! ». Non ! Bien souvent,
la
réponse est:
«
Bof... »
«
Fameux, ce qu'il a fait ! Hein ? »
«
Bof... »
«
C'est beau ! Hein ? Non ? »
«
Bof... »
Déteste
les « Bofbof », les blasés ! Ou
ceux qui font semblant de l'être... Par jalousie,
probablement,
parce qu'ils ne
sont pas foutus d'en faire autant...
«
Un pilote ? ». « Bof... »
De
toute façon, il vaut mieux faire envie
que pitié...
Peut-être,
suis-je carrément chiant ?...
Paul
Siroux défend le métier d'aviateur,
il est respecté, apprécié... J'en
ai la preuve
aujourd'hui, lorsque je
rencontre des équipages, qui ont volé avec
lui...
« Bien sûr, il a son
caractère » !
Au
Maroc, en 1971, nous jouons au golf
ensemble à Marrakech... Il me raconte un
« incident
» lors d'un de ses
vols:
Un
passager ivre, dans la cabine
supérieure, qui sert de bar... Tant bien que mal,
le Chef de
cabine, tente de
le calmer... Ce « pax » est
complètement saoul et se
débat comme un diable...
Finalement, on informe le « Pacha »... Mon
oncle arrive sur
le lieu du crime...
Dans son brouillard d'alcool, le gars aperçoit un
uniforme, des
galons ! Le
prenant pour un garçon, il crie en direction du
«
Commandant de bord »:
«
Boy, un whisky ! »
«
Tu te rends compte, ce mec a osé me
traité de « boy » !
Cet
infortuné passager aura rendez-vous
avec les gendarmes à l'arrivée...
Ce
n'est pas parce qu'il est mon oncle,
qu'il est de ma famille... J'ai d'ailleurs eu des
« différents » avec
lui... Non, vraiment, « Yess, Sirr ! », Paul
Siroux, un
« Gentleman », un Monsieur
»
de l'Aviation !
Retour
d'Afrique du Sud... Re-train, mais
à Elisabethville, (Lubumbashi), on prend l'avion
! Un «
Junker » ! Le « JU 52 »
! Mon premier vol en aéroplane, mon baptême
de l'air...
La
carlingue de cet avion est en « tôles
ondulées »... Il possède trois
moteurs, dont l'un
est central, juste devant le
nez des pilotes... J'ai eu droit à une visite de
cockpit ! Je
n'ai presque rien
vu... Le pare-brise était rempli de taches
d'huile ! Je n'ai pas
compris ce que
les pilotes me racontaient, tellement il y avait du
bruit... Une
chaleur
étouffante ! En plus, l'avion était
secoué dans
tous les sens, je suis
malade...
Destination,
Stanleyville... Enfin, c'est
ce qui était prévu ! L'huile s'est mise
à pisser
de plus en plus... Atterrissage
à Manono, un poste de brousse, une piste en
herbe, « in
the middle of nowhere»
(au milieu de nulle part)... Fuite
réparée... Plein
d'huile... Décollage !
Arrivée enfin à Stan... Commençait
bien ma
carrière d'aviateur !
1988.
Vol direct de Zurich à Singapour...
Décollage au poids maximum ! Nous demandons la
piste 34, la
piste la plus
longue ! (34 veut dire 340 degrés, la direction
de la piste).
«
Line up and hold » (Alignez-vous et
maintenez position), nous autorise la tour de
contrôle... On «
pénètre » (!) sur la piste, comme
disent si bien
les Français...
«
Paré au décollage ! Ready to take off !
»
La
tour nous ordonne:
«
Hold position ! » (maintenez votre
position).
Nous
attendons...
Du
regard, nous inspectons les alentours
de l'aérodrome... Sans doute, un autre avion, qui
va atterrir...
Non ! Deux
Junkers 52, en formation, font un passage à basse
altitude
au-dessus de
l'aéroport ! Complètement retapés,
polis,
fignolés par des collectionneurs
d'avions, ils brillent dans ce ciel
d'été... Ils
répètent leur « show »
aérien
pour la Fête Nationale Suisse ! Aucune trace
d'huile n'est
visible sur leurs
carlingues ! Propreté helvétique... Rien
à voir
avec mon vieux JU52 de Manono !
Je
vais avoir neuf ans... Je n'ai toujours
pas été à l'école ! Pour la
simple raison,
qu'il n'y a pas d'école... Tupa, le
secrétaire de mon père, fut mon
maître ! Le matin,
il prend une ou deux heures
de son temps pour m'enseigner la base de la lecture, de
l'écriture et du calcul
! L'après-midi, ma mère surveille mes
« devoirs
» sur la barza... Elle me fait
répéter mes leçons... Il fait
chaud... Pas de
ventilateur, puisque pas
d'électricité ! Elle transpire... Moi,
encore plus !
Addition: un plus un égal
deux ! Pff... Multiplication: deux fois deux égal
quatre !
Pff... A, B, C, D,
E, F... Pff... Pff... Pff..
Grâce
à Tupa, et je le remercie, j'ai pu
avoir la base nécessaire, qui m'a permis de
suivre, tant bien
que mal, les
cours de cette petite école, qui vient de
s'ouvrir: le
Pensionnat des Sœurs de
l'Assomption, à Butembo, dans le Kivu. (les
« u »,
toujours à prononcer « ou
»).
Finie
pour moi la liberté dans mes
arbres... Adieu mes petits amis noirs... Terminée
la vie avec
Papa et Maman !
Je pars en pension, je pars en prison !
Quand
je pense qu'actuellement, les
enfants des « expatriés », ceux, qui
sont en poste
à l'étranger, ont plusieurs
écoles à leur disposition, presque partout
dans le monde
entier...
Ce
pensionnat n'est pas au bout de la
rue... Butembo est à des centaines de
kilomètres... De
longues heures
d'autobus, des jours parfois, pour y arriver ! On reste
souvent
bloqué en route
dans la boue ou au passage du bac, parce que le fleuve
déborde...
Pour
ma première rentrée à
l'école, mes
parents m'accompagnent... D'ailleurs, ceux de mon ami
Dédé sont présents
également... Car, nous rentrons tous les deux
ensemble au
Pensionnat !
Ce
fut, pour lui et pour moi, une « mise
en cage » atroce ! Lorsque nous avons vu nos
parents
s'éloigner, disparaître
derrière le mur de la cour, nous nous sommes mis
à
pleurer... Normal ! Puis,
tout à coup, à crier, à essayer de
s'enfuir,
à mordre ! Vite, la Mère
Supérieure doit faire appel à la Sœur
Econome ! C'est une
solide, la Sœur
Econome... Elles ont toutes les peines du monde à
nous retenir,
elles nous maîtrisent
avec difficultés... Les nonnettes nous
cloîtrent, nous
verrouillent, dans nos
chambres ! Du fond du corps, Dédé et moi,
hurlons
à la mort ! Les singes sont
enfermés ! On a bouclé les macaques... La
SPA de ma vie !
Nous
sommes quatorze pensionnaires... Je
porte le numéro 7 ! Vu mon âge, on me met
en
troisième... J'ai des difficultés
à suivre... On nous parle de l'Histoire de la
Belgique et de la
France...
Connais pas ! Je suis complètement «
paumé »
! La Mère Supérieure me prend
finalement en pitié... C'est elle qui donne les
cours en
troisième, quatrième
et cinquième ! Elle me consacre, elle aussi, des
heures
supplémentaires... Il
me faudra du temps pour faire surface... Mais, j'obtiens
même des
bonnes notes
! Une « carte dorée » et en bonus,
une
décoration ! La seule que je n'ai jamais
reçue et portée de ma vie... Hélas
pour une trop
brève période ! Très fiers,
nous paradons avec ce morceau de tissu,
épinglé sur notre
poitrine, rouge pour
les garçons, bleu pour les filles... Le lundi
matin, la
Mère Supérieure nous
l'arrache de la poitrine, « Scractch » ! La
décoration n'est valable que pour
le week-end...
Je
fais la connaissance de Dieu, je fais
la connaissance du Diable ! La forêt s'estompe
dans ma
tête... Les légendes
deviennent évangiles, les gris-gris des
médailles... Les
esprits, les sorciers,
se transforment en anges ou en démons... Satan
est
omniprésent ! Il va
m'ébranler, Satan ! Le curé, qui nous
donne le
catéchisme, y va un peu fort...
Pour illustrer « ses » péchés
capitaux, il
nous bourre le crâne d'histoires
horribles, macabres ! Décors de cimetières
! Mains de
voleurs, sur lesquelles
se referment des couvercles de cercueils,
qu'elles
sont venues piller... « Klac ! »
« Klac ! » « Klac ! ». Ame
malléable, je « cauchemarde »...
Dédé
en fait autant... On se remet à hurler
dans la nuit ! Nous réveillons tout le dortoir...
J'en
deviendrai somnambule !
(sic). Et pour pas mal d'années ! Avec
précautions, mes
parents iront souvent
me récupérer dans tous les recoins de la
maison...
Dieu
soit béni (!), le Père Baudouin
remplace ce prédicateur dramatique, Lucifer
s'estompe, les
rêves s'apaisent...
Le Père Baudouin est plus « relax »,
un autre
style... Il lit son bréviaire en
se promenant le long de la terrasse de notre dortoir...
En passant
devant les
fenêtres de nos chambres, il fait du troque avec
nous, les petits
garçons ! Les
images de Jésus, de la Vierge Marie, de tous les
Saints, contre
un petit
baiser, ou un « sacré patin »...
Dans
la foulée, on me donne un missel...
Je deviens enfant de chœur ! Je bois du vin de messe...
Je fais mes
communions... La première et la solennelle en
même temps !
Car, on profite du
passage du Monseigneur dans les parages... Un «
package » !
Un forfait ! Deux
pour le prix d'une... Avec moi, Nicole Saillez, une
jolie petite fille
aux
taches de rousseur...
En
1975, Nicole est ma Chef de cabine sur
Boeing 707 ! Lors d'un vol Le Caire-Koweit, au passage
de l'oasis de
Hail, seul
point de repère et unique balise à
l'époque de ce
grand désert d'Arabie
Saoudite, je la remercie de ses bons services, car elle
s'occupe bien
de nous,
les gens du cockpit... Elle est toujours aux petits
soins pour les
pilotes:
«
Nicole, tu es une véritable mère pour
nous ! »
«
Une mère, une mère... »
Autre
genre de communion...
Heureusement,
Butembo se trouve à une
altitude de 1500 mètres... Le climat est bon !
Malgré mon
esprit et mon corps
en bataille, je grossis, je prends des couleurs...
D'ailleurs, la Sœur
Econome
nous force à terminer nos assiettes... De son
gros doigt, elle
nous fait signe
d'avaler... On avale ! Parfois avec peine... Je suis
puni,
envoyé dans le coin
du réfectoire, pour avoir caché
subrepticement un morceau
de viande dans ma
poche ! Moi, l'habitué des petites
crèmes...
A
Noël, à Pâques et aux grandes
vacances,
je reviens à la maison... Un soir, le bus
s'embourbe pour de bon
! Nous passons
la nuit dans la forêt ! Les parents
s'inquiètent... Nous,
les gosses, pas du
tout ! Le chauffeur et le « boy chauffeur »,
celui à
qui on crie: « Weka kalè !
(mets la cale), ont fait un feu de bois... Une nouvelle
fois, venant du
néant,
les Pygmées ont fait leur apparition ! Ils sont
sortis de la
forêt... Ils nous
donnent de la viande séchée d'antilope...
On s'amuse bien
! Au petit matin, mon
père et ma mère nous trouvent tous
endormis sur les
banquettes... Nous sommes
recouverts de boue !
C'est
pendant ces périodes de vacances,
que j'accompagne mon père à la chasse
à
l'éléphant... Une autre fois, ce sera
dans les tribunaux indigènes... Avec quel
plaisir, je retrouve
« mon pays »
«
Si tu avais eu une vidéo-camera... Au
moins, les gens t'auraient cru... Quel documentaire !
» me dit
mon ami Gérard
Maréchal, à qui je racontais ces
aventures... Il sait de
quoi je parle...
Cependant,
je vais refaire plusieurs fois
le voyage vers Butembo avec mes parents... La
région a plu
à mon père... En
1945, il prend deux décisions importantes !
Un:
acheter un terrain, une plantation !
Il a « une brique dans le ventre », il veut
construire
Deux:
faire venir, de Belgique au Congo,
sa mère et sa sœur, dont la demeure s'est
écroulée
sous une bombe... Elles
s'occuperaient de la plantation... Elles acceptent avec
enthousiasme !
Mais
avant cette requête, mon père, pour
la forme, a demandé à sa mère si
elle ne
préférait pas habiter la Côte
d'Azur,
où il aurait pu acheter une
propriété... L'Afrique
centrale lui fait peut-être
peur, à sa maman... La réponse de sa
mère est
nette, rapide:
«
Non, je te rejoins au Congo ! »
Nom
di Diou, si Bonne Maman avait dit oui,
au prix du terrain à l'époque, nous
serions aujourd'hui
propriétaires de toute
la presqu'île St Jean Cap Ferrat ! D'autant plus
que nous devions
tout perdre
au Congo Belge...
Tout
comme avec mon oncle Paul, je
découvre ma grand-mère et ma tante...
Décidément, « on ne me dit jamais
rien à
moi » ! Ainsi, dix ans, vingt ans après le
décès de mon père, j'apprendrai
encore des « choses » sur lui ! Des faits,
qu'il aurait du
me confier, à mon
avis... Je mets cette lacune, sur le compte de ma
jeunesse... Pas assez
mûr
pour m'en parler... Et puis, à partir de mon
départ en
pension, je n'ai plus
été souvent à la maison...
En
1944 ma grand-mère maternelle, Jeanne,
habite à Hougnoul... Un V1 tombe en plein sur sa
maison, «
PLAM » ! « Bonne
Maman » est dans sa cuisine... Elle est
projetée sous la
grosse table en
chêne... Elle y reste coincée, mais elle
est vivante !
Quelques égratignures...
Décombres... Il ne reste rien de sa demeure !
Les
Coheur, vieux amis de longue date et
associés, l'hébergent chez eux, au
village...
Mon
grand-père paternel était brasseur...
Non brasseur d'affaires, mais brasseur de bière !
De là,
peut-être, mon goût
pour cette boisson ?... Fernand, Jules,
Désiré, Siroux (je
me demande comment à cette
époque, ils ne
se mélangeaient pas les pinceaux, ce sont les
mêmes
prénoms que mon père !)
Les
camions, chargés des tonneaux de la «
Brasserie Siroux », tirés par les gros
chevaux
brabançons, vont livrer à
Liège... Mon grand-père meurt en 1923,
à
l'âge de cinquante deux ans ! Son
épouse se retrouve seule avec ses trois jeunes
enfants ! Mon
père Fernand,
quatorze ans, mon oncle Paul, sept, et ma tante Josette,
deux ans !
Les
grandes brasseries bouffent les
petites brasseries... Les affaires sont dures...
Association avec M.
Coheur,
qui transforme la bière en beurre, (dommage...).
Cela permet
à ma grand-mère de
survivre et d'éduquer sa progéniture...
Elle habite
toujours sa villa, près de
la beurrerie, quand la bombe écrase tout !
Ma
tante Josette fait ses études
d'infirmière... Quand elle revient à la
maison, il n'y a
plus de maison ! Fin
45, début 46, elle travaillera pour
l'Armée
américaine...
1991.
J'ai un vol sur Bruxelles... Mon
oncle Paul m'invite, à Knokke le Zoute, où
il habite
à présent ! Il demande à
sa sœur, de venir également passer le week-end au
littoral ! Il
fait
splendide... Je fais un détour par Ostende...
« A notre
aise », nous pourrons ensuite
suivre la côte, s'arrêter à Coq sur
Mer, revoir
« Chez Madeleine », qui existe
toujours... Mais, Madeleine, elle,... elle n'est plus
là ! Un
pèlerinage pour
moi... Mon départ en exode avec ma mère !
Un tournant de
ma vie s'est joué dans
cette épicerie...
Déjeuner
à « La Belgica », un restaurant
de fruits de mer... Une institution, sur le port
d'Ostende, depuis le
début du
siècle... Un autre pèlerinage ! Je passe
ma vie à
faire des pèlerinages » !
Tellement de voyages, de souvenirs...
Avec
ma tante, on parle famille... Elle
n'est plus très grande, notre famille...
Après la «
sole meunière », réputée
dans cette brasserie, Josette me demande:
«
Est-ce que Maman t'a parlé du coup de la
malle ? »
«
Maman ? »
«
Oui, ma mère, ta grand-mère ! »
«
Ah oui, Bonne Maman ! Du coup de la
malle ! Quelle malle ? »
«
La malle, qui s'est cassée... Celle, qui
s'est ouverte, quand sa maison a explosé, suite
au V1!».
«
Euh... Non, jamais ! »
Elle
me raconte alors une histoire assez
invraisemblable... Mon père avait ramené
une malle,
pleine de « bilokos »
(objets, souvenirs) congolais, lors d'un de ses
congés en
Belgique... Il confie
cette malle à sa mère... (Je
possède encore
quelques-unes unes de ces malles en
fer, qui nous suivent partout dans nos
déménagements...
Elles me poursuivront
toujours mes malles
La
famille est mise au courant !
Finalement, on sait que j'existe...
Bafwasende,
fin 1946... Arrivée au Congo
de ma « Bonne Maman » et de ma Tante... Par
avion ! Le
voyage en DC6 est un peu
plus rapide que la « Malle » et le bateau
à roue...
Mes parents vont les
accueillir à Stan...
Quand
je reviens de mon Pensionnat pour
mes grandes vacances, je trouve à Bafwasende, une
grand-mère couverte de
bandages... Ses jambes et ses bras sont gonflés !
Ma Tante n'est
pas dans un
meilleur état. Elles sont toutes les deux
sanguinolentes !
«
Les pipis », me dit mon père, « elles
n'ont pas arrêté de se gratter ! »
Les
pipis sont de tout petits moustiques,
les maringouins... En effet, leurs piqûres
chatouillent
tellement, qu'il faut
une volonté de fer, pour ne pas se
«grattouiller»... Un bon départ pour
leur
séjour en Afrique... En plus, elles ont
dédaigné
le casque ou le chapeau, leur
visage est brûlé par le soleil !
Depuis
deux ans, mon père est fort occupé
! Il fait de nombreux voyages à Butembo... Ce qui
me permet de
voir mes parents
! En moins de deux ans, il a acheté un terrain de
trente
hectares, sur la
colline de « Vuyonga », à une dizaine
de
kilomètres de Butembo ! Au sommet, à
1.800 mètres d'altitude, il a fait construire une
maison, de
style provençal,
le toit est en tuiles romaines... Les plans sont de
Monsieur Lumet ! La
vue sur
les montagnes du Kivu est grandiose... Par temps clair,
on voit les
sommets
enneigés du « Ruwenzori »... Pour
atteindre la
villa, une route en lacets de
deux kilomètres... Oui, nous aussi, nous avions
une
« Ferme
A
Juliénas, dans le Beaujolais, on
aperçoit le Mont Blanc de la maison. Lorsque le
ciel est
dégagé, « il pleuvra
demain ! », dit-on dans le pays... Moi, je dis:
«
Oh ! Regardez ! Le Mont Blanc ! Regardez
! »
«
Oui, Jacques, oui, on sait, on sait... »
Oui,
je dois être chiant !
Un
beau paysage de la nature mérite aussi
de l'admiration. Stupéfaction de ma part, quand
on ne partage
pas mon
enthousiasme. Je sais, j'ai tort de forcer...La raison
de mon
rabâchage ?
J'aime que l'on communie avec moi ! Hélas, on ne
change pas le
caractère des
gens... Ces manifestations de respect pour la nature
doivent être
spontanées !
Je
prends mes jumelles, je regarde le Mont
Blanc et je pense aux Monts de la Lune, le Ruwenzori de
ma jeunesse...
La
maison de Butembo est quasi terminée...
Les meubles en bois massif, qui ont été
dessinés
par mon père et fabriqués à
l'atelier de Bafwasende, sous sa supervision, sont finis
!
Adieu
à Bafwasende, adieu à Gallet ! Il reste
à Bafwasende, Gallet, garde sa position
officielle dans la Force
Publique... Il
ne peut pas suivre mon père, qui part installer
sa famille dans
sa plantation
privée et reprendra un autre territoire
après ses
vacances... Gallet est au
garde-à-vous, il nous salue ! Il n'a plus son
regard dur de
garde de corps...
Il est triste ! Mon père lui rend son salut, lui
serre
longuement les mains...
Silences... Tout se lit dans leurs yeux... Les longues
randonnées de chasse,
les tournées en brousse, les rapports du matin,
toute leur vie
ensemble...
Gallet était l'ombre de mon père... Ma
mère, elle,
elle a les larmes aux
yeux... Gallet était une présence, une
sécurité ! Elle lui tient aussi
longtemps les bras et le remercie pour tous ses
services... Elle lui
est reconnaissante
de lui avoir, un jour, sauvé la vie... Ma
mère parle un
mélange de kizwaeli et
de français, elle parle « le petit
nègre »,
comme on disait... Mais, Gallet
comprend bien, quand elle lui répète:
«
Aksanti mingi, Gallet ! » (Merci
beaucoup, Gallet !).
Il
se souvient bien de cette chasse en
forêt, ou la visibilité était
restreinte, tant la
végétation est dense... Le
sol s'était mis à trembler ! Gallet avait
de suite
compris ! Il a crié:
«
Les buffles ! »
Contrairement
aux buffles de savane, les
buffles de forêt sont petits, nerveux ! Ils se
mettent à
galoper, à foncer en
ligne droite, dès qu'ils sentent un danger
quelconque ! Gallet a
rapidement
soulevé ma mère du sol et l'a assise sur
une branche,
avant de l'y rejoindre...
A l'avant, mon père a juste eu le temps, lui
aussi, de
s'agripper à un arbre,
les buffles passaient en trombe, écrasant tout
sur leur passage !
Ils
se souviennent aussi, tous les deux,
de la prise du jeune éléphant dans les
plantations de
bananes... La mère de ce
petit éléphant, furieuse d'être
dérangée et surtout pour défendre
son
«
BARRAOOM !!! »
Arrêt
net de la charge ! Mort, hélas, de
la « Maman éléphant »... Aide
des villageois
! Capture de l'éléphanteau avec
des lianes... Ma mère lui donne d'énormes
biberons de
lait en poudre
Je
pleure dans les bras de Gallet... Je
pleure de le quitter, de quitter mon pays:
«
Kwaeri, Gallet ! Adieu, Gallet ! »
Départ
! Un gros camion suit notre
camionnette... Cette fois-çi, je suis à
l'arrière
avec ma Tante, le Pichi et
Modeste... Nous rougissons de poussière...
Arrivée
au bac... Les eaux sont hautes, le
courant est fort ! Cela devient une habitude... Mais,
les passeurs
conseillent
d'attendre ! Le soir tombe, mon père veut
continuer...
Malgré tout, il veut
traverser, il prend un risque ! Cela m'a toujours
étonné
! Malgré son bon sens,
mon père a souvent risqué... Il faut
avouer qu'il
était joueur... Il aime le
poker... Moi, je n'ai
jamais aimé
les
cartes !
Il
conduit lui-même le camion sur le pont
du bac... Aux passeurs réticents, il ordonne le
départ de
la traversée !
Aujourd'hui, ils ne chanteront pas... Nous assistons
à cette
scène, le cœur
serré... Ma
mère n'est pas
heureuse... Quant à ma grand-mère et ma
tante, elles
doivent certainement se
demander ce qu'elles sont venues faire dans cette
galère...
Au
milieu de la rivière, le bac tangue, le
camion penche dangereusement... Je revois mon
père
délasser ses chaussures,
prêt a plonger dans les tourbillons du fleuve...
Mais le bac
atteint la rive
opposée ! Il fera jour quand il reviendra nous
chercher... Les
pagayeurs ont
refusé de repasser ! Mon père leur donne
quand même
raison...
Ma
grand-mère, « Bonne Maman », une
maîtresse femme ! Aussitôt à Vuyonga,
elle s'est
mise à jardiner, à potager...
Nous aurons vite toutes sortes de fleurs, de
légumes, de fruits !
Mon
père installe l'électricité ! Un
moteur à essence, une dynamo, des batteries...
Fini de pomper
les lampes à
pression ! Le luxe ! Il supervise la construction du
barrage, au bas de
la
colline, qui formera l'étang... Pour les
poissons, les «
Tilapias » ! Cette
grande marre nous sert aussi de bassin de natation... Ma
Tante Josette
m'apprend à nager...
Commence
alors la plantation des
pépinières de quinquina...Il faut cinq ans
pour produire
! Entre-temps, la
quinine sera remplacée par les antibiotiques, qui
seront
à la mode... Les gens
achètent plutôt des produits
synthétiques... La
plantation se reconvertira dans
le café, le pyrèthre !
On
aura un poulailler complet... Plus
tard, même quelques vaches... Enfin, du lait frais
! De la
crème fraîche pour
les fraises...
Mon
père termine ses congés... Mes parents
s'en vont à Irumu, dans l'Ituri ! Mon père
reprend le
Territoire... Il peut
dormir sur ses deux oreilles, ma grand-mère prend
vraiment les
choses en main !
Au début, avec l'aide de sa fille, ensuite toute
seule... Avec
son large
chapeau en paille, sa canne et son chien « Raf
», elle
impressionne ses 150
travailleurs, dont le responsable, le Chef, se nomme
Raphaël...
Pendant dix
ans, elle va les diriger avec maîtrise ! Perdue
dans sa montagne,
elle n'aura
peur de rien, de personne...
Chapeau
!
Un
après-midi orageux, je faisais mes
devoirs sur la table du salon, prés de la
cheminée, dans
laquelle une bûche
brûlait presque en permanence... J'étais face à ma
grand-mère, qui lisait... Dans
« son » fauteuil, dos à la
porte vitrée, pour mieux profiter de la
lumière, elle
dévorait des tonnes de
bouquins... Tout à coup:
«
Toc !, Toc !, « Toc ! »
Je
lève la tête, je fais:
«
Aaah ! »
Je
reste figé en apercevant cette masse
sombre, recouverte de peaux de chèvres... Elle
frappe
furieusement contre les
carreaux avec son bâton !
«
Toc !, Toc !, Toc ! »
Ma
grand-mère se retourne... Sans aucun
signe d'inquiétude, elle se soulève, prend
sa canne et me
dit calmement:
«
C'est encore le sorcier, il a de nouveau
bu ou fumé du chanvre...«
Les
sorciers ! Qu'est ce qu'ils ont pu
nous tarabuster en Afrique...
Elle
ouvre brutalement la porte, flanque
le bout de sa canne sous le nez de la « bête
»:
«
Kwenda ! » (Va-t-en ! Fous le camp !).
Le
sorcier recule... Il trébuche dans les
escaliers de la terrasse... Il s'enfuit...
Disparaît dans les
rafales de pluie
!
Sacrée
bonne femme ! Elle savait parler
aux sorciers, ma « Bonne Maman »...
Cette
installation à la plantation
m'arrange... Je quitte l'internat, je deviens «
externe » !
Ma grand-mère et ma
tante vont m'aider dans mes devoirs, me faire
répéter mes
leçons... Je
m'embrouille dans les rois de France... Josette a toutes
les peines du
monde à
me faire imaginer un Charlemagne à barbe
fleurie... Les
frontières de la
Belgique, celles de tous les pays du monde, ne sont pas
très
définies dans mon
esprit... Ma géographie se résume aux
montagnes du Kivu,
que j'aperçois de ma
colline de Vuyonga !
Je
vais à l'école en « Tipoy »...
Le
tipoy, c'est la chaise à porteur ! Le moyen de
locomotion que
les Agents, les
Administrateurs de Territoires, emploient
fréquemment pour leurs
tournées en
brousse... Ils se déplacent ainsi dans des
endroits, où
la voiture ne passe pas
! De la plantation à l'école, la route est
bonne... Mais
nous, on n’a plus de
voiture, puisque mon père est parti avec la
voiture... Alors, le
tipoy !
Un
petit safari quotidien ! Une bonne
heure de trajet... Quatre travailleurs sont
désignés de
« corvée tipoy » !
Mais, ils sont volontaires ! Ils se battent presque pour
me «
porter » ! Je
pèse à peine 50 kilos... Divisés
par quatre, je ne
vaux pas lourd... Cela leur
fait une ballade... Pendant tout ce temps, ils ne
travaillent pas sur
la
plantation ! Le matin, descente rapide ! Le soir,
montée lente,
de notre
colline... Sur la route gouvernementale, vitesse de
croisière...
Vitesse, qui
augmente tout d'un coup... Mes porteurs ont
aperçu un autre
tipoy ! Celui de
mon copain de la plantation voisine... Lui, aussi se
rend en classe en
« chaise
à porteur »... C'est la course !
J'encourage mon
équipage ! Mon ami en fait
autant ! Ils savent très bien que les vainqueurs
recevront
chacun un paquet de
cigarettes « Aloubai » (Albert) comme
« matabiche
», comme pourboire... Rires !
Cris ! Chants ! C'est gai ! Tous, on s'amuse bien !
Une
que cela n'amuse pas du tout, c'est la
Mère Supérieure... Car, malgré
notre course, nous
arrivons souvent après la
cloche... Combien de fois, j'ai entendu cette
réflexion:
«
Monsieur Siroux, vous habitez au diable
vau vert ! Votre chaise à porteur n'est pas une
excuse pour
arriver en retard à
l'école ! » (Sic).
Avant
à Singapour, les tipoys, étaient les
« Pousse-pousse », comme en Chine... Les
pousse-pousse ont été remplacés par
les «
Rickshaws »... Le rickshaw, un vélo,
qui tire un siège de deux places... Il n'y a donc
plus qu'un
seul homme, au
lieu de quatre... Au lieu de porter, il pédale !
Et il
pédale dur ! Je
préférerais être à la place
des quatre
porteurs de tipoy, qu'à celle du
malheureux, qui « traîne » les gros et
gras
touristes, à l'arrière de son
engin...
1977.
Notre arrivée à Singapour... Ma femme
et moi, « essayons » ce genre de taxi... Ce
malheureux
pédaleur chinois est
maigre comme un clou, les muscles de ses mollets sont
tendus comme des
élastiques, la lanière de son casque
colonial en osier
(cela fait époque !),
lui scie le
cou... Parmi la circulation,
il ne se débrouille pas mal du tout... Il
zigzague entre le
trafic des
voitures, des camions, des motos et des bus ! Nous ne
sommes pas
« gros et gras
»... Pourtant,
«
What are we supposed to do ? » (Que
sommes nous supposés faire ?), me demande
Je
réponds gêné, moi aussi, mais sans
quitter
mon siège:
«
Heu... Se faire le plus léger possible ?
Descendre ?... »
En
blaguant, j'aurais pu répondre à mon
épouse:
«
Like in the goog old days, kick him in
the ass ! » (Comme au bon vieux temps, lui botter
Non,
Monsieur, quoique vous en pensiez,
nous n'avons jamais agi ainsi « au temps des
Colonies ! »
En tout cas, pas moi
!
Descendre
? Trop tard, le Chinois a repris
forme humaine, mais il ne pédale plus, il pousse
!
Terminus
de cette charmante promenade à
l'Hôtel Raffles...
Je
ne peux décemment pas lui proposer,
pour prix de sa course et de sa peine, quelques
cigarettes «
Aloubai »...
«
Combien ? »
Il
me demande une fortune ! Je n'arrête pas
de compter mes liasses de dollars... Je ne lui donne pas
de «
matabiche », de
pourboire !
Je
termine quand même ma cinquième... Les
classes ne vont pas plus haut ! Je redeviens
pensionnaire... à
Bukavu
(Costermansville), Chef-lieu de la Province du Kivu,
chez les
Jésuites ! Après
les Bonnes Sœurs, pourquoi pas ?
Sixième
primaire ! Sixième, sixième (Bis),
et cinquième latine des Humanités
Inférieures.
«
Pourquoi n'avait-il plus de force ?
Dites-moi, pourquoi ? »
Nous,
les innocents, on se creuse la
cervelle...
«
Parce que », affirme-t-il, « la veille,
Messieurs, il avait commis le péché de la
chair ! »
A
vous couper le zizi !
Quand
j'y réfléchis... En « audience
privée », lorsque nous allions
quérir une
explication pour nos devoirs, penchés
sur le bureau, des mains jésuitiques se
fourvoyaient bien dans
nos petites
culottes... Qu'allaient-elles donc y faire ? J'avais
sans doute de
très jolies
petites fesses ?... Bah, incidents de parcours... Avec
le recul, je
vous donne
aujourd'hui mon l’absolution, mes bons Pères !
A
Los Angeles, j'ai une bonne copine, Rosy
Graham-Garner... Un mélange d'Egypte, d'Ecosse et
des
Flandres... Un panaché !
Elle parle plusieurs langues... Fille très bien,
fille
« straight »,
droite, directe ! Elle a son franc parler...
«
Tu fumes toujours ! Tu m'emmerdes ! »
Vlan
! On sait à quoi s'en tenir, on
connaît de suite son opinion ! Pour cette raison,
elle est ma
confidente...
Chez « Tony Romas », une chaîne de
restaurants,
où je la traîne toujours de
force, dont la spécialité sont les «
ribs »
(côtes de bœuf), la seule
nourriture américaine, que je puisse avaler aux
Etats Unis,
(avec les œufs au
bacon le matin), je lui raconte cette histoire minable
du croisé
affaibli...
«
Tu es sûr qu'ils ne t'ont pas castré,
tes Jésuites ? »
«
NON ! »
Pères,
Curés, Abbés, Frères et Sœurs, je
ne vous en veux point ! Au contraire ! Avec vous, je suis monté au ciel, je
suis descendu en enfer... Mon âme a
voyagé... Ma conscience
a pu discerner le Bien du Mal... Votre catéchisme
fut une
didactique rude !
Cependant, ce traitement de choc a purgé mon
esprit de toute
croyance religieuse...
Vous avez raté le coche ! J'ai fait
Aux
quatre coins du monde, je visite les
églises, les cathédrales, les temples, les
mosquées, les synagogues, les lieux
saints... Pour leurs beautés extérieures
et
intérieures... Dans ces lieux de
recueillement, j'y trouve un silence de Paix,
rejeté avec force
par ce monde en
désaccord avec lui-même... Les hommes ont
perdu la
tête, ils sont devenus fous
! Je brûle même un cierge, je fais un vœu !
Egoïstement... Par faiblesse !
En
vol de nuit, j'ai souvent l'impression,
que le ciel va me tomber sur la tête ! Par
dizaines, les
étoiles se décrochent
du firmament, elles abandonnent leurs constellations...
En une flamme
spectaculaire, parfois éblouissante, dans un
dernier sursaut
d'énergie, ces
étoiles filantes semblent me tendre leurs bras !
Elles viennent
mourir dans
l'atmosphère... Je n'arrête pas alors de
faire des vœux !
Superstition ? On n'y
croit pas, mais on n'y croit toujours un peu... Quand
ces
beautés jouent leur
grand jeu, elles s’appellent Perséides,
Léonides ou
Lyrides... Il vaut mieux
arrêter toute prière, tout va trop vite...
Elles sont si
nombreuses... Il est
préférable alors de se damner à
leurs caresses !
Pour
ma première rentrée au Collège de
Bukavu, mes parents m'accompagnent jusqu'à
Goma... Joli village
sur la pointe
nord du lac Kivu ! De là, je prends le bateau, le
«
Général Tombeur »... Il
fait la traversée en dix heures, 110
kilomètres, pour
atteindre Bukavu, à
l'extrême Sud du lac !
Nous
passons par Lubéro... A « l'Auberge
des Trois Canards », (il fait frisquet à
cette
altitude...), nous achetons des
fraises... La route descend alors vers la vaste plaine
du « Parc
National
Albert », réserve naturelle... Une
beauté ! Animaux
de toutes les espèces...
Pour
y arriver, « l'escarpement » ! La
route est étroite... Aucune
possibilité
de
croisement ! Elle serpente « en lacets »...
A chaque
virage, chaque «épingles à
cheveux», un tam-tam ! (encore lui...).
Mais, ce n'est pas vraiment
un tam-tam, c'est un fut d'essence vide, sur lequel les
«préposés» frappent avec un
morceau de bois:
«
Blong... Blong... Blong... Blong... »
Ils
règlent la circulation, en prévenant
qu'un véhicule monte ou descend la cote... Comme
à
confesse, chacun à son tour
! On attend au virage, où une place est
prévue à
cet effet... On laisse la
priorité à ceux qui monte... Souvent, tout
s'arrête
! Le passage est bloqué par
un camion, qui a rendu l'âme à la
montée, le
radiateur est en ébullition... Ou
alors, à la descente, le chauffeur a trop
joué sur ses
freins, au lieu de
freiner sur son moteur... Les férodos sont rouges
de chaleur !
Au
Parc Albert, logement au « Guest House
»... Les bungalows sont rounds... Toits de chaume
en pointe...Le
soir, dîner sous
la lampe à pétrole, suspendue au-dessus de
la table...
Ambiance safari ! Dodo
très tôt pour les voyageurs,
exténués par la
route et l'escarpement... Et puis,
il faut se lever aux aurores ! Le guide réveille
ses clients
bien avant le
chant du coq,
Comme
Gallet, le guide a également un fez,
mais ce n'est pas Gallet... Mon
père
ne
lui fait guère confiance... Pourtant, se dit-il,
il doit
connaître son
affaire... Il n'a pas plu pendant la nuit, mais la piste
est boueuse...
Bizarre
! Difficile de la suivre correctement avec les phares de
la
camionnette... Mon
père s'arrête !
«
Mais, Bwana, toi, continuer ! Plus loin
! Là ! Tout droit, tout près ! »
A
moitié convaincu, mon père
redémarre...
On glisse de plus en plus... A droite, à gauche !
«
Attendons le jour », décide-t-il,
écœuré...
Alors...
La clarté monte... Vision ?...
Réalité ?... Les ombres deviennent formes,
le paysage se
dessine... Naissance
du monde... Apparition de la Beauté... Un tableau
d'artiste
naît sous
Mon
père en oublie sa mauvaise humeur et
me dit:
«
Regarde, comme c'est beau... Je n'ai
jamais vu tant d'animaux à la fois ! »
Il
s'étonne que je ne réponde pas, se
penche vers moi... Il voit mes lèvres remuer...
«
Tu as froid ? »
Ma
mère:
«
Non, il prie ! »
Oui,
je prie ! Mains jointes, avec
ferveur, j'invoque tous les Saints du paradis, ceux
qu'on m'a appris...
J'implore leur secours... J'ai PEUR !
A
longues enjambées, le guide disparaît
à
l'horizon... Sans aucune crainte des animaux,
Je
suis retourné plusieurs fois au Parc
Albert, lors de mes grandes vacances, que je prenais
souvent à
Vuyonga...
Mon père
s'arrangeait alors pour
prendre
ses congés en même temps que moi... Le
système de pension
ne me donnait guère l'occasion
de
fréquenter mes parents !
Lors
d'une de ces vacances, visite de mon
Oncle Paul et de ma Tante Yvonne... Il m'offre une
carabine automatique
22 long
! Mon père n'est pas rassuré... Avec cette
arme
dangereuse, à balles «
Doum-doum », je vais cependant devenir le gardien
des
basses-cours ! Je vais
chasser les corbeaux, qui picorent les fruits du verger,
les
éperviers, qui
planent au-dessus du poulailler et plongent en
piqué sur les
poussins !
Mon
oncle et ma Tante profitent d'un de
mon retour en classe, à Bukavu, pour faire le
voyage avec nous... Pour
cette randonnée en famille, c'est
moi le
chauffeur ! Je suis plus âgé... Ce n'est
plus la
camionnette, le « Pick-up »...
Je conduis la Chevrolet ! Lubéro, les Trois
Canards, les
fraises, l'escarpement
(Blong ! Blong !) et le Parc Albert... Safari ! Avec un
peu de chance,
on
espère bien voir des lions...Nous n'en avons pas
vu ! Même
dans l'abreuvoir...
En
Afrique, jamais, je n'ai vu de lions ou
des lionnes en liberté dans les parcs
nationaux...
Mais,
des éléphants, cette fois-là, nous
en avons vu à la pelle... Des troupeaux entiers !
Et de
très près ! Un vieux
mâle a même failli « s'asseoir »
sur le capot
de la voiture... J'avais négocié
mon virage un peu trop vite... A la sortie de la courbe,
dans les
phares, une
famille d'éléphants traverse la route ! Un
solide coup de
frein. « Kriiiiii...
» ! Arrêt sous le cul de
l'éléphant ! Pour
un cul, c'était un cul ! Je n'en
verrai plus
jamais de pareil... Il
n'avait plus qu'a poser son derrière !
«
Un fauteuil pour Monsieur ? Voilà ! »
Mon
père:
«
Les phares ! Vite ! Eteins les phares !
»
Mouvements
de trompe et balancements
d'oreilles... Pas content le vieux mâle... Avec
ses longues
défenses , il n'a
qu'a faire « hop ! » et il retourne notre
véhicule... Non ! Gentiment, il
semble faire signe à sa troupe de
s'écarter... A pas
pesants, ils s'en vont
dans la nuit... Ma tante trouve tout de même
étrange que
cet animal à cinq
pattes ! (Sic).
Les
hippopotames, eux aussi, m'ont flanqué
la trouille... Par leurs cris de caverne ! Quand
Plus
de tipoy pour rentrer à la maison, à
Irumu, où mes parents habitent à
présent, l'avion
!
Modeste:
«
Bwana Jackie ! Hé ! L'avio, di ! L'avio
! »
«
Ndio ! Ndio ! Modeste, Mi na kwenda ! »
(Oui ! Oui ! J'y vais !).
J'ai
juste le temps de sauter sur ma
nouvelle bicyclette... Un « Raleigh », que
mon père
m'a finalement offert en
remplacement de mon premier « vélo
volé »...
J'arrive à la « plaine »
d'aviation juste à temps pour voir le DC3 faire
son dernier
virage, atterrir,
rouler, s'arrêter et couper ses moteurs devant la
cahute en
pisé... L'aérogare
!
Appuyé
sur ma bécane, j'admire cet
avion... Un bel avion, ce DC3 ! Il est et sera toujours
pour moi,
« l'Avion » !
Construit à plus de douze mille exemplaires, il
est « La
Légende » ! A chacun
de mes voyages, je demande à visiter le
cockpit...
Extraordinaire, le pilote
est souvent Lucien Lelarge, celui qui s'est
échappé du
train, en Espagne,
avec mon oncle !
Je
suis impatient de voir « mon » avion
repartir, car j'aime entendre le vrombissement de ses
moteurs... J'aime
le voir
accélérer dans la poussière de la
terre... J'aime
le voir décoller... S'envoler
! J'aime... j'aime... Je suis amoureux !
Un
jour, je rentre à la maison et déclare
à mes parents:
«
Je veux devenir aviateur ! »
Mon
père:
«
Aah ? »
Ma
mère:
«
Ooh ! »
Le
début de mes conflits professionnels
avec eux...
Au
Collège, j'apprends les sports... Mon
corps s'endurcit ! Début de journée,
dès le lever,
gymnastique en groupe...
Dans la cour, les grues couronnées nous
encouragent de leurs
chants:
«
Boam », « Boam », « Boam
»...
Après
quoi, on passera par les douches...
et par la chapelle, avant le petit-déjeuner ! Mes
fines guiboles
ne s'adaptent
pas très bien aux brusqueries du football... On
me dirige vers
le tennis,
j'aime mieux ! En natation, j'évite les «
grands »,
car ils « coulent » les «
petits » ! Du haut plongeoir, j'apprends à
« sauter
» dans le lac... Le
plongeon pur ne sera jamais mon fort !
Je
passe en sixième gréco-latine ! Rosa,
rosa, rosae... Alpha, beta,
gamma...
J'ai eu plus facile à apprendre le Kiswaeli ! Je
rame, je
traîne la patte...
Les Jésuites n'aiment pas les perdants,
Je
retrouve vite ma place, au fond de la
salle...
Je
passe en cinquième ! Je commence à
aimer la littérature française... Surtout
lorsque notre
professeur récite si
bien les poèmes:
«
Que sont mes amis devenus... »
«
Heureux, qui comme Ulysse a fait un beau
voyage... »
«
O, combien de marins, combien de capitaines...
»
Villon,
Dubellay, Victor Hugo et les
autres, il me les fait goûter... J'aime ! En
voilà un
enfin, qui fait découvrir
au « musenji », au sauvage que je suis, un
monde de finesse
et de beauté...
Entre-temps,
nous sommes rentrés en
Europe, en 1948... Voyage
en avion, un
DC3 de la Sobelair ! Je suis aux anges ! Je vais vivre,
faire corps
avec mon
avion, pendant huit jours... Car, le trajet dure une
semaine !
Décollage tôt le
matin, atterrissage en début
d'après-midi... Cela permet
aux passagers de
visiter les villes d'escales... La première est
Khartoum, au
Soudan ! Choc corporel,
le visage est frappé d'un souffle brûlant,
quand nous
descendons de la
passerelle: la chaleur sèche du désert !
Rafraîchissements, dîner, soirée sur
la terrasse de l'hôtel, au bord du Nil...
1975.
Je fais un vol sur Khartoum, en
Boeing 707, pour Egyptair. Contrairement à celles
du Boeing 747,
on peut ouvrir
les fenêtres du cockpit de cet avion... Des
l'arrêt au
parking, j'ai tort
d'ouvrir la mienne ! Je reçois la même
baffe de chaleur
qu'en 1948... J'avais
oublié !
Le
lendemain, envol vers le Caire, survol
du désert... Turbulences dues à l'air
chaud ! Le DC3
remue, bat des ailes...
Les passagers sont ceinturés, ils ne disent
mot... Moi, j'ai de
nouveau le mal
de l'air, je vomis ! Je ne pense plus tellement à
passer ma vie
dans les airs...
Le
Caire... Je raconte toujours mon
histoire des Pyramides, ma découverte ! Chaque
fois,
«
C'est quoi ? » Mes
parents:
«
Connais pas ! »
Tant
pis, achetons, buvons ! Tellement
soif !
«
Glou, glou, glou... »
Pour
moi, une révélation ! Un vin de
messe, un nectar, c'est « Le petit Jésus en
culotte de
velours » ! Je découvre
le « Coca Cola » !
«
Alors, Jack, les Pyramides, pour toi,
c'est le Coca Cola ? ».
«
Oui ! »
Le
guide nous dit:
«
Attendez le soir, pour voir le Sphinx...
»
«
Comment peut-on voir le Sphinx la nuit ?
Il fait noir ! »
«
Vous verrez, faites-moi confiance ! »
Nous
faisons confiance... On fait toujours
confiance ! Nous attendons le soir... Qu'y avait-il donc
de plus beau
que les
rayons du soleil couchant sur le corps cet animal ?
Enigme !
«
Je ne peux vous croire, Monsieur ! Vous
venez de nous dire que le nez du Sphinx fut
écrasé par
les talons de
Napoléon... » (Sic).
«
Non, Madame, j'ai dit les canons de
Napoléon, les canons, Madame, pas les talons...
»
Soudain,
le Sphinx s'illumine !
Rapidement, brièvement ! Une grosse
étincelle au
magnésium entoure sa face: «
Plouff » !
Le
« Son et Lumière » est terminé
! Le
guide tend la main...
Depuis
mon premier passage aux Pyramides,
j'y suis retourné maintes fois... Et toujours
avec le même
plaisir !
1986.
Vol direct Singapour, Le Caire.
Atterrissage à cinq heures du matin... Attention
au brouillard
matinal ! A
cause du Nil... Cette fois-ci, la météo
est bonne, tout
est clair... Pas de
problème ! Comme en 14, approche visuelle
(à vue, sans
l'aide du radar, ni de
balises... On voit
«
Vous avez déjà visité les Pyramides
? »
«
Non, mais nous y allons dès notre
arrivée à l'hôtel ! »
Courageux,
les gars ! On repart à minuit,
retour à Singapour ! Je ne peux cependant pas
résister:
«
OK, je vous accompagne ! »
Douche,
rapide breakfast... Nous sommes
toujours les premiers clients au breakfast... Nubi nous
emmène
dans sa Peugeot
au plateau de Gisa... Nous arrivons avant les cars de
touristes...
«
Non ! »
«
Up to you... Comme vous voulez... »
Je
laisse faire...
«
No ! Thank you ! », « No ! Thank you !
», ne cessent-ils de dire aux chameliers, qui nous
collent aux
talons... On
marche... On passe devant le Sphinx... Chaque fois que
je le revois, je
trouve
qu'il a pris « un coup de vieux » !
Hélas, c'est
vrai... On monte la pente...
On marche... Mon copilote craque, refoule ses principes
! Il loue un
cheval et
disparaît au galop derrière les
Pyramides... L'Egyptien
avec son chameau est
tenace, malin...
Il
y a « l'endroit » ! dit-il, « the
»
place for the picture !
De
cet emplacement, on peut cadrer toutes
les Pyramides en même temps, les grandes et les
petites... Il
propose à nouveau
son chameau à mon mécano, Michael Chia...
Rien que pour
la photo, qu'il prendra
lui-même...
«
Free ! ». « Gratuit ! »
Il
ne faut pas dire cela deux fois à un
Chinois... Hop ! Hop ! Hop ! Le voilà en selle !
Avant
«
Ce sera 10 livres ! »
Mon
mécano, furibard de son altitude:
«
Skipper, faites quelque chose ! »
Je
ris, l'Egyptien aussi... Je connais ce
gag admirable... Je propose 20 livres pour nous
reconduire tous les
deux au
village... J'ai aussi droit au turban... A dos de
chameau, on repasse
lentement
devant le Sphinx... Il a vraiment vieilli ! Il aurait
besoin d'un
facelift ! La
musique d'Aida, et le tableau serait complet ! Le
copilote est
déjà là ! Nubi
nous attend... Moi, je vais dormir, eux pas ! Ils ont
encore le
Musée du Caire
à visiter... La culture !
J’ai
parlé d’approche à vue « visual
approach »...On voit la piste, on atterrit !
C’est gai ! Nous adorons, enfin moi « vieille tige
», effectuer ce
genre de manœuvre avec l’autorisation de la tour de
contrôle, qui
d’ailleurs
nous le demande parfois pour expédier le trafic
lorsqu’il fait
beau...
Mais
oh, là, là, les enfants, prudence,
méfiance ! Car faut-il encore se poser sur la
bonne piste, le
bon aéroport !
C’est arrivé et plus d’une fois...Cette
mésaventure a
failli m’arriver. .
Karachi
1994 ! Le temps n’était pas des
plus clairs, la visibilité est à la
brume...Par des caps
« Piste en vue
? »
« Non » Soudain
mon jeune copilote :
« Yes » Occupé
à préparer la machine (réduction de
vitesse,
altitude, volets, train), je suis
fort surpris de son affirmation ! Je relève le
nez...Il a
raison, mon
second ! Devant nous, une
piste longue
et magnifique ! Joyeux, je suis sur le point de dire :
«
OK les gars ! Plein volets ! Terminez la
check-list, on y va ! » Quand
un mécanisme rapide de computer
cérébral de
« clic-clac » dans ma tête s’est
mis en branle pour me dire en une fraction de seconde :
« Jack
Non ! » L’expérience !
La main des dieux ?
Effectivement cette
piste me paraissait
bien proche par rapport à l’altitude que nous
avait
ordonnée Monsieur le
Contrôleur du radar, je ne reconnaissais pas
l’aérodrome
de Karachi et
l’aiguille de la balise indiquait à gauche !
«
Négatif : Runway not insight
! Non
nous n’avons pas la piste en vue ! »
«
Garder le cap et l’altitude ! » Des
anges passent...
«
Alors ? Piste en vue ?
L’équipage,
en chœur :
«
Oui ! Oui ! Oui ! »
Atterrissage
! Ouf ! Sueurs
rétrospectives... Racontant
cet incident qui aurait pu me ridiculiser à
jamais, un
collègue m’a dit :
«
Exactement dans les mêmes circonstances
et au même endroit cette histoire a failli m’arriver
à moi aussi, la confusion est facile et
est survenue à un
équipage voici quelques années... »
«
Ah bon ! Je ne suis donc pas le seul
martyr qui... »
«
Oh non, Jack ! Véridique, cet avion a
bien atterri sur cette piste militaire située
parallèlement à
quelques
kilomètres de l’aéroport de
Karachi »
La
tour de contrôle leur demande où ils
sont :
«
Ben, au sol, tiens ! »
«
Oui, dit le contrôleur, mais sur le
mauvais aéroport, celui d’à coté
certainement...
»
«
!!! »
«
Quelles sont vos intentions à présent,
Captain ? »
Le
British, car il faut être anglais et
moustachu pour répondre une chose pareille :
«
Et maintenant Sir ? Je vais m’acheter
une ferme dans le Kent ! »
En
1948, après les Pyramides, nous non
plus, nous n'avons pas été dormir... La
visite continuait
! Un autre genre de
circuit culturel, la visite de « El Khankalil
», les
« Souks »
«
On va prendre un café ! »
Nous
nous installons sur des chaises
branlantes éparpillées le long du
trottoir...
Bousculé par la foule, qui passe
et repasse, on boit un kawa (café) ou un tchai
(thé)...
Mon père, fumeur de
pipe, se laisse tenter par un « narguilé
»... Le
tabac est déposé sur des
cendres incandescentes, la fumée est
filtrée par de l'eau
!
«
Puff, Puff, Glou, Glou... »
Moi,
je commence à être fatigué... J'en
ai
marre, malgré mon Coca, que j'ai demandé
à la
place du thé ou du café, auquel
on avait droit dans le prix du tour...
Ma
léthargie ne sera pas longue... Arrive
un magicien ! Il repère notre bande de
touristes... Une bonne
clientèle ! Il ne
se trompe pas... Du moins en ce qui me concerne...
J'ouvre des yeux
comme des
billes ! Je n'ai plus du tout sommeil... Il nous fait le
coup des
poussins !
Ma
mère nous dit qu'elle a vu cela à
Alexandrie en 1921... Mon père:
«
Regarde ! »
Deux
sacs en cuir... Il en extrait de
minables poussins jaunes...
«
Galagala ! »
Ils
les refourre dans un des sacs...
«
Galagala ! »
« Où
sont les poussins ? »
Nous,
les bêtes toutous:
«
Dans celui-là ! »
«
Non ! Les poussins sont dans l'autre...
»
En effet, il retourne le sac... Il est
vide ! Les poussins dégringolent du second sac en
piaillant...
Il ramasse ses bestioles
et, « Vraff ! », les balancent dans le sac !
On recommence !
«
Galagala ! »
«
Combien de poussins dans ce sac ? »
Re-bêtes
toutous:
«
Trois, évidement ! »
«
Lah, lah ! Wouaad bass ! » (Non, non !
Un seulement !).
En
effet,... Etc... Etc...
Je
n'avais jamais vu de « trucs » pareils
au Congo... Je suis complètement
réveillé,
fasciné, comme avec les histoires de
Modeste.. Mais, je le suis encore plus par la magie des
« anneaux
» !
L'illusionniste
a quatre grands anneaux en
cuivre... Il les montre: 1,2,3,4. Il en prend deux,
«
Vérifiez ! »
Bêtement,
on vérifie, on admet !
Il
recogne un autre anneau... En voilà
trois d'attachés ! On vérifie...
«
Oui ! Oui ! Oui ! Bravo ! Bravo ! Bravo
! »
«
Clac, Clac, Clac, Clac » final, tous les
anneaux sont entremêlés !
«
Bravo ! Bravo ! Bravo ! Bravo ! »
Ce
n'est pas fini ! Mouvements
serpentins... Ses mains s'enlacent, se
délacent... Les quatre
anneaux sont
libérés !
Le
magicien tend la main... On rentre à
l'hôtel !
Le
plus vieux truc de magie... Dans ce
fin-fond des souks du Caire, il m'avait
imprégné de
mystère et de merveilleux...
Je l'ai revu souvent sur des scènes de
music-hall, dans des
cabarets et... dans
les rues de Bangkok ! Là, ce tour de passe-passe
a sombré
dans le terre à
terre... Finies les illusions, finis les rêves de
gosse, que je
gardais
fragilement au fond de moi-même, que je ne voulais
pas briser en
souvenir du
magicien d'El Kankalil...
1989.
Patpong. Rues du Faux ! Des fausses
vierges, des faux pédés, des faux
plaisirs, des faux
amours... Rues du bruit...
Rues des bars à gogos, des danseuses, des
masseuses,
«
Non ! »
«
OK, Sir ! Le mode d'emploi est à
l'intérieur... »
Honteux,
je rentre à l'hôtel, le paquet
enfoui dans ma poche... Je m'enferme dans ma chambre...
J'ouvre avec
fébrilité... J'ai très mauvaise
conscience... J'ai
l'impression d'avoir vendu
mon âme au Diable ! Je lis la notice, je
découvre le
mystère... Il est simple,
mais pas facile à exécuter, mais simple !
Il faut des
mains de magicien pour
rendre l'illusion... A chacun sa
spécialité, je ne suis
pas magicien... Aussi,
ce sont mes doigts, qui s'entremêlent, pas les
anneaux... Ils
m'échappent ! Je
dois les récupérer à quatre pattes
en dessous du
lit ! Je vais y passer la
soirée... Le téléphone sonne ! Un
membre de mon
équipage...
«
Tu viens prendre un pot avec nous, Jack
? »
«
Non ! Je joue avec mes anneaux ! »
Je
suis un misérable ! Pour une poignée de
dollars, j'ai percé le secret des magiciens...
D'Egypte,
le DC3 décolle pour la Grèce...
Athènes ! On n'échappe pas à
L'Acropole,
Avant
dernière étape, la France, Nice !
Tour de ville... Nous n'avons pas même pas le
temps d'aller faire
un rapide
pèlerinage à Golfe Juan, chez les Lumet...
D'ailleurs,
ils n'y habitent plus !
Ils sont quelque part en Provence...
Enfin,
Bruxelles ! Je fais la connaissance
de mon Oncle et de ma Tante... Ce n'est pas encore
Yvonne, c'est Rita !
Avec
qui, aujourd'hui, j'entretiens toujours des relations
des plus
familiales,
ainsi que son mari Jacques... Cela agrandit un peu mon
cercle familial,
qui n'a
jamais été fort étendu... Un peu de
baume au cœur !
La
première chose, que je fais en rentrant
dans l'appartement, est de me mettre sur la tête,
«
Tiens, tiens ! », dit-il...
Personne
ne me prend au sérieux... J'ai
dérangé le pilote durant tout notre voyage
! Dans le
cockpit, je n'ai cessé de
lui poser des questions... Je crois qu'il a fait «
ouf »,
quand il m'a vu
quitter définitivement l'appareil...
Lorsque
aujourd'hui, l'hôtesse vient me demander
si les passagers peuvent visiter le cockpit, je demande
d'abord
à quel genre de
visiteur, nous allons avoir à faire... Si ce sont
des jeunes,
ils sont de suite
autorisés... Je me revois en eux ! Ils demandent
toutes les
explications
possibles... Leurs questions sont souvent
appropriées, car ils
sont intéressés
! Parfois, ils posent des « colles »
embarrassantes... Je me
retourne alors vers « celui qui sait tout »,
le
mécanicien:
«
Explique-lui un peu... Je suis occupé...
»
Je
n'ai absolument rien à foutre, mais je
suis certain que la réponse technique du
mécano sera
meilleure que la mienne...
Ce
n'est pas comme certaines « bêtes »,
dont j'ai eu tort d'accepter la visite:
1/.
« Comme c'est petit ici ! »
Ca,
c'est vrai, il a raison, le
visiteur... Mr. Boeing a perdu sa sagesse en dessinant
les cockpits...
Plus les
avions sont grands, plus les postes de pilotage
rétrécissent ! Déjà qu'ils
n'ont jamais été très spacieux...
Il a toujours un
peu oublié les pilotes, Mr.
Boeing !
2/.
« Oh la la, qu'est ce qu'il y a comme
boutons ! Vous vous y retrouvez ? »
«
Non ! »
3/.
« Mais... On n'a pas l'air d'avancer !
»
«
Non, puisqu'on fait marche arrière... »
4/.
« Moi aussi, j'aurais bien voulu
devenir pilote, mais... »
«
Oui, ben, c'est trop tard, mon vieux ! »
5/.
« Mais... Vous ne faites rien ! » Cette
dernière remarque classe définitivement le
zèbre... Je réponds alors
inévitablement:
«
Non, Monsieur, on pense... Excusez-nous,
mais nous sommes fort occupés, au revoir,
Monsieur ! »
Il
nous quitte alors, la queue
entre les
jambes...
6/.
Celui qui, sans aucun intérêt pour les
choses de l'air commence à raconter sa vie, parce
que le
copilote, à qui je
fais des grands yeux (Tais-toi !), mais c'est trop tard,
a
demandé par
politesse au visiteur d'où il est... Le
pèlerin se met en
« overdrive » et
débite son histoire sans perdre haleine ! On s'en
fout ! Mais
alors, on s'en
fout !
«
Au revoir, Monsieur, nous sommes
vraiment très occupés... »
7/.
Ou alors cet autre tordu, qui aperçoit
mes jumelles posées près du pare-brise, en
vol de nuit:
«
Oh ! Vous faites de l'astrologie ! »
«
Non, Monsieur, de l'astronomie ! Vous
voyez bien que je pilote un 747... Je ne suis pas un
branlé, ni
un charlatan !
»
Il
quitte aussi le cockpit...
C'est
quand même incroyable ! Chaque fois
que je demande dans un magasin de journaux une revue
d'astronomie, on
m'accompagne au rayon d'astrologie !
«
Non, Monsieur, astronomie ! » Réponse
courante du médium taré et inculte:
«
Astronomie ? Heu... Désolé, nous n'avons
pas ! »
Mon
père prend livraison de la Ford, qu'il
avait commandée... IL loue une villa à la
mer, à
Coq sur Mer ! Encore ! Oui,
Oui ! A Coq sur mer ! La villa « Ja Ja » !
(Oui Oui, en
flamand)... Ma mère
retrouve Madeleine et son épicerie... Avec Paul
Siroux, nous
allons aux courses
d'Ostende... Il gagne à 7 contre 1 sur «
Spitfire » !
Vient
ensuite le tour obligatoire du côté
de Liège... La tournée des familles ! Le
sort des Lointains
»
! Pour ces gens-là, nous sommes
des habitants d'une autre planète, des
extra-terrestres, nous
sommes des «
Mutants » ! Il faut, après des
années de
séparation, recoller, ressouder les
liens ! Moments chaleureux... C'est si bon ! Car, pour
nous, les
cousins et
cousines mettent les petits plats dans les grands... La
grande bouffe !
Les
grands vins ! Mon père doit s'allonger
après chaque
repas... Non par son
habitude de la sieste, mais parce qu'il a mal sur
Les
Colonies, il fallait les faire...
Quinze
jours d'hôpital... Traitement à
l'émétine, à
l'émétique ! Badigeons
! Piqûres le matin! Rester au lit jusqu’à
midi... Après, nous avons quartier libre !
Charmantes
vacances... Nous en
profitons pour aller au cinéma... Deux films par
après-midi ! Je vois dix fois
les « Trois Caballeros » de Walt
Disney... Lectures...
Je lis Jules Verne
dans de belles reliures, offertes par mes parents !
Décidément, c'est écrit, je
ne cesserai de voyager...
Mon
père veut la paix, le repos, retrouver
le soleil, qui ne veut pas se montrer sur les plages
belges... On
descend sur
la Côte d'Azur !
Nationale
7 ! Que je prendrai bien
souvent, Monsieur Trenet... Route des vacances, que vous
chantez si
bien, ainsi
que la douceur de la France, que j'aime tant, moi
aussi... Lors de
votre
passage à Bukavu, j'ai aimé vos chansons
et je vous
écoute encore
aujourd'hui... J'ai toutes vos cassettes !
Arrêt
chez les Lumet, près d'Avignon...
Toujours aussi accueillants, gentils, sincères...
Des
qualités en voie de
disparition ! Nous avons eu de la veine de les avoir en
1940... Je me
souviens
qu'il m'avait demandé:
«
Sais-tu, Jackie, où commence la Provence
? »
«
Heu... »
«
Je vais te le dire, retiens le bien !
D'après moi, au premier olivier... »
Singulière
leçon de géographie, dont je me
suis toujours souvenu...
A
Cannes, nous habitons dans un des
appartements d'un petit château... Tous les jours,
marché
de Provence,
pique-nique, baguette, fromage, pâté
et
le
coup de rouge, bains
de
mer... La
meilleur façon de se refaire une santé...
Le relax ! Mon
père m'apprend le jeu
d'échec... Je joue aux cartes avec lui, contre
lui, « la bataille
» ! Je perds sans cesse, il
sort les
bonnes cartes !
Deux
mois de ce régime bénéfique et on
remonte en Belgique, par la route Napoléon...
Grenoble,
Mâcon... Un hôtel au
bord de la Saône, l'Hôtel d'Angleterre, que
je retrouve des
années et des
années après ! Qui aurait pu dire que je
reviendrai
souvent dans cette région
du monde pour y passer de longs séjours ?
Séjours
définitifs ? Je sens que mon
errance me réserve encore bien des surprises...
Départ
d'Anvers... La voiture est dans la
cale de ce petit cargo, qui appareille pour Mombassa, au
Kenya... Il
n'emporte
que dix passagers... Atmosphère de famille... Le
Commandant
mange avec nous,
quand nous sommes présents, car cette barquette
tangue au creux
de chaque
vague... Les premiers jours, le mal de mer est
assuré ! Canal de
Suez... A Port
Saïd, nous sommes à l'ancre... Le bateau
attend son tour...
Des barques nous
environnent... Les Egyptiens vendent des «
souvenirs »...
Mon père veut changer
de l'argent pour notre traversée du Kenya ! Le
taux de change
est bon... Il
confie une somme assez importante à un vendeur,
qui lui promet
de revenir avec
la contre valeur... Avec ma mère, nous sommes
à
coté de lui, nous voyons
la barque
s'éloigner vers la
berge... Personne ne parle, c'est
le
silence... Il m'étonnera toujours, mon
père ! Il faisait
des « coups », comme
ça ! Comme celui du bac, qui a failli se
renverser dans le
courant de la
rivière ! Lui, si réfléchi,
tellement logique !
Une demi-heure après, le «passeur»
revient... Il lui remet l'argent dûment
changé !
«
Tu vois, on peut parfois faire confiance
aux hommes ! »
Crânait-il
? Je ne l'ai jamais su...
Le
Yémen, Aden ! Notre cargo est à nouveau
ancré... Nous sommes dans le port... Des vedettes
viennent
chercher le fret...
Je me suis fait copain avec le chef mécanicien...
Il
prépare un câble, un
crochet, un gros morceau de viande comme appât...
Du pont
arrière du bateau,
nous pêchons ! Je n'avais jamais vu de requin,
j'en vois un,
accroché au bout
du câble ! J'aide à hisser la prise ! Oui,
Monsieur, j'ai
fait mon premier et
dernier requin à l'âge de 14 ans ! Un
«
bébé-requin », mais un requin tout
de
même...
Visite
des puits de Salomon, ou de la
Reine du Saba, ou de n'importe qui, je ne sais plus
très bien...
Des puits, de
grands trous profonds ! Mise de cap sur l'Est de
l'Afrique...
Débarquement à
Mombassa ! En route pour Nairobi, ensuite l'Uganda et le
Kivu, au
Congo, notre
plantation, Vuyonga, ou ma grand-mère nous
attend...
Traversée des réserves,
des parcs... La route en elle-même est un
safari... Nous arrivons
dans des
hôtels purement British » ! Vers cinq heures
de
l'après-midi, les « Ladies »
prennent leur « cup of tea », leurs tasses
de thé...
Le soir, elles sont en
robes longues, les «Gentlemen» en smoking...
Nous, on se
planque dans un
coin... Mon père n'a pas de cravate et moi, je
suis en scandales
!
«
Shocking ! » Les « Angliches » nous
refilent quand même à manger et un plumard
pour dormir...
Ma
Tante Josette s'est mariée ! Son mari,
Victor Van Helleputte, possède une plantation
Adieu
Curé, Père Recteur ou Père
Préfet...
Jésuites, je vous quitte ! Je vous salue, non
seulement pour
vous dire « Adieu
», mais pour vous dire «Merci» ! Oui,
vous
remercier de m'avoir appris, par
votre savoir-faire, une façon de naviguer parmi
les hommes, la
diplomatie des
êtres, cette vertu, dont j'aurais tellement besoin
dans mes tours
et détours
humains autour du globe, parmi les races... «
Faites-vous tout
à tous », ne
vous avait-il pas instruit votre
généralissime ? Il
était déjà fort en
navigation, le Père Ignace... En navigation
humaine !
Je
retiens aussi de vous, votre
intelligence... Malgré vos talents
d'éducateurs, j'ai
buté à vos conceptions
philosophiques... L'ayant trop torturée, vous
avez perdu mon
âme ! Mais pour
moi, vous êtes quand même une race à
part, une race
de Seigneurs...
N'étiez-vous pas outsiders »
déjà à
vos débuts ? Vous l'êtes restés !
Mon
père a décidé de mon sort... Il
tient
à m'envoyer dans l'enseignement laïque,
à
l'Athénée (Lycée) ! Cet
établissement
en est encore à ses débuts... Les classes
se donnent dans
des bungalows
provisoires... La communale ! L'internat des
garçons dans une
baraque, celui
des filles dans une autre, mais à l'opposé
de la ville !
Des camions,
transformés en bus nous emmènent à
l'école
deux fois par jour... De suite, je
me demande si mon père n'a pas fait un mauvais
calcul... Il
aurait pu attendre
l'ouverture du nouveau bâtiment, prévu pour
bientôt,
sur une des presqu'îles,
en concurrence directe avec le Collège des
Pères
Jésuites, au point de vue
architecture et emplacement ! Une nouvelle fois, je
change
d'environnement, je
suis bousculé, basculé...
L'enseignement
est différent ! Je me butte
immédiatement aux Mathématiques, aux
Sciences... Si Tupa
fit le maximum pour
m'enfoncer dans le crâne les tables de
multiplications, pour moi,
deux fois
deux ne faisaient encore que plus ou moins quatre... Une
lacune, un
sérieux
handicap, que repère de suite M. Keil, le prof de
math ! Je n'y
coupe pas, je
suis dans son collimateur !
Mais,
je vais découvrir un autre monde...
Pendant les trois années, qui vont suivre, mes
Professeurs de
latin-grec, de
français et de philosophie, Messieurs Moreau,
Mordant et
Dessart, vont
m'initier à une pensée plus vaste ! Ils
vont
façonner mon éducation
intellectuelle, ma culture générale, en
polir les
aspérités... Des champs de
vue, ou l'obtus sera banni ! Il ne sera plus question
d'inhibitions...
En un
mot, ils ouvriront mon esprit ! Je leur dois
énormément
à ces Messieurs...
Quant
aux mathématiques, je dus demander
l'aide de M. Bauwens, le prof des « matheux
» de la section
scientifique... Il
a vite fait de déceler mes faiblesses...
«
Je vois où le bât blesse, Monsieur
Siroux ! » (Sic).
Autant
dire:
«
Reprenons tout à zéro ! »
Il
va me faire comprendre que, finalement,
les chiffres, c'est de la logique, ils ne sont pas si
tordus que
ça ! En effet,
les sinus et cosinus de la trigonométrie, les
équations
algébriques, me
paraîtront plus « sensés »...
Grâce
à ses leçons particulières, et
à l'argent
de Papa, je vais pouvoir vivre et survivre dans les
méandres de
l'arithmétique...
Mon
père fait un remplacement à Buta, pas
loin d'Aketi, où je suis né, dans la
province de
Stanleyville, la Province
Orientale... De nouveau le climat chaud et humide ! Il
demande,
Buta
n'est pas bien grand... De ce coin de
brousse, où je suis venu passer mes vacances (DC3
jusque Stan,
bus et bac
jusqu’à Buta), j'ai deux ou trois souvenirs...
L'un d'eux, ma
première
cigarette ! Pour crâner devant une fille, j'ouvre
une de ces
boites rondes en
aluminium, une boîte de 50 «
C
to C »
(Cap to Cairo)... J'allume ma cigarette, je la fume
même avec un
porte
cigarette... Je tousse, ma tête commence à
tourner... La
fille n'est pas du
tout impressionnée et je rentre malade à
la maison... Mon
père, amateur de
belles courbes:
«
Cela t'apprendra ! Elle n'a
même pas
de jolies jambes, ton
Hollandaise, de grosses jambes...»
(Sic).
Malgré
tout, mon Hollandaise m'a appris à
tartiner mes tranches de pain avec de la confiture et du
fromage et
à les
tremper dans du café ! Chose que je fais encore
régulièrement... Néanmoins, je
garderai le goût du tabac et suivrai le conseil
paternel, celui
des fines
lignes féminines...
Mon
autre souvenir est celui du vieil
Adjudant belge... Il avait fait toute sa carrière
à la
Force Publique et était
rentré en Belgique pour sa retraite... Il me
raconte que peu de
temps après son
arrivée, il se sent mal ! Il perd ses forces, il
se sent de plus
en plus
vidé... A l'Institut Tropical d'Anvers, les
résultats des
analyses ne décèlent rien
! Mais, le vieux juteux se déprime, n'a plus
goût à
la nourriture, il maigrit !
Autant mourir où il a passé toute sa vie,
au Congo ! Il y
retrouve sa «
ménagère » (bonne et maîtresse
noire)... Elle
lui prépare à nouveau les petits
plats, qu'il aimait tant... Il reprend du poids, il se
sent revivre !
Il
m'affirme alors que c'est elle, la négresse,
J'en
parle à mon père...
«
Possible, mais c'est dans la tête, que
ça se passe ! »
L'Adjudant
est mort au champ d'amour !
Ah,
Les Colonies...
Inauguration
de l'Athénée Royal de Bukavu
! Superbe « bâtisse » ! De toutes nos
vastes salles
de cours, la vue sur le
lac... L'internat est moderne, beau réfectoire,
belles
chambres... Tout est
beau ! Nous sommes gâtés après nos
baraquements de
la « Kawa », d'après le nom
de ce ruisseau, qui dégoulinait au fond de cette
petite
vallée crasseuse...
Malheureusement, à peine installé dans ce
décor de
rêve, je commets une des
premières grosses erreurs de ma vie, je perds
contrôle de
moi !
En
cachette, je fume une cigarette, je
suis pris ! Suppression de mon dimanche chez mon ami
Roger Bracco... Je
suis
furieux ! En des termes peu élogieux sur le pion,
qui a
supprimé ma permission,
j'écris à mes parents... Je le traite de
tous les noms !
Ce surveillant n'en a
pas fini avec moi... Il me voit glisser ma missive dans
la poche de
Roger, qui
est venu me chercher et qui postera la lettre pour
moi... Ce rouquin,
car il
était roux mon surveillant, je ne m'en souviens
que trop bien,
remarque ce
petit jeu et confisque ma lettre ! Il s'en va sans rien
dire... Le
dimanche se
passe sans commentaires...
Le
lundi matin, je suis convoqué chez le
Préfet, M. Wouters... Il a mon « courrier
» dans ses
mains... Il n'y va pas par
quatre chemins:
«
Monsieur Siroux, dura lex, sed lex, vous
quittez l'Internat ! Soyez heureux que je vous autorise
à
continuer vos études
dans mon établissement... J'ai câblé
à votre
père ! »
«
Craaaaak ! » Craquelures...
Je
n'essaie même pas de trouver des
excuses, je suis aplati !
Réponse
de mon père le lendemain:
«
J'arrive ! »
Ma
panique ! Je reçois « l'engueulade »
maison ! Cependant, mon père m'apprend qu'il est
disposé
à me donner
l'équivalent de la somme d'argent, prévue
pour la
pension, c.a.d le minerval...
Pas un sous de plus !
«
Débrouille-toi ! »
Ce
coup de pistolet, « Débrouille-toi »,
sera le signal de départ de ma vie sinueuse... Je
vais devoir me
débrouiller
tout seul, me démerder !
Où
loger ? Commence alors ma vie de
bohème... Je trouve gîte chez plusieurs
personnes, des
couples, qui ont la
gentillesse de m'accueillir... et l'intérêt
financier de
me louer une
chambrette ! De pensions brèves en pensions
brèves...
Chaque fois que je suis
installé, mes logeurs trouvent le moyen de
quitter le pays...
J'ai un bon
souvenir cependant de cette famille charmante simple qui
m'héberge, les Van
Aersen ! Le mari, son hobby, c'est l'aviation ! Je crois
que le prix de
ma chambre
est vite transformé en fumées d'essence...
Il loue de
temps en temps un petit
avion, un
«
Non ! »
Pas
tellement pour le prix, plutôt par
crainte d'accident et surtout, la frousse de me voir
devenir encore
plus
passionné que je ne l'étais pour la
mécanique de
l'air.... Il a des arguments
en sa faveur... Un jeune, fraîchement
lâché seul,
vient de se tuer ! C'est en
première page dans le journal du Kivu... Par
retour du courrier,
je veux, moi
aussi, plaider ma cause... Cet accident, je le sais,
imprudence, vol en
« rase motte
»...
«
Non ! »
Madame
Bracco, la maman de Roger, ouvre un
hôtel et me propose de venir habiter avec son fils
dans un des
bungalows du «
Canadian Club »...
Même
après une catastrophe, c'est tout
juste si ma mère ne sort pas son: « C'est
un mal pour un
bien ! ». Elle a une
nouvelle fois raison... Mon « billet de sortie
» de
l'internat fut une
aubaine... Depuis mon expulsion, ma vie d'externe fut un
régal
de liberté, mais
je me ferai un point d'honneur à prouver à
mon
père, qu'il pouvait compter sur
moi, me faire confiance, après la bêtise,
que j'avais
commise... Avec Roger et
Charles Paquet, qui nous rejoindra plus tard, nous
serons les « Trois
Mousquetaires », ainsi
appelés
par les gens de la ville... Nous allons vivre une partie
des plus
intéressantes
de notre jeunesse... Lâchés à
nous-mêmes, il
nous faudra prendre des décisions
personnelles tout au cours de ces trois années
d'études... Ne pas flancher, pas
de faux pas ! Malgré notre environnement facile,
nous
terminerons nos études avec
succès ! Avec l'aide morale et l'enseignement des
Professeurs,
dont j'ai parlé,
de leurs conseils judicieux, nous allons mûrir...
Bien que je me
demande
parfois, si j'ai finalement atteint un certain
degré de
maturité ! La preuve:
le style simplet et le caractère naïf de ces
quelques
lignes, que je vous
tapote avec difficultés... Malgré tout,
j'ose penser que
celui qui d'aventure
lira ce texte ne se dira pas à lui-même:
«
Je suis en train de lire un bouquin
écrit par un illettré, c'est reposant !
» Bouquin
de grand gosse, bouquin de naïf,
bouquin... Ma vie... La vie ! Je m'amuse...
Je
suis enfant unique ! Roger Bracco sera
le frère de mon enfance... Il l'est d'ailleurs
toujours
aujourd'hui, malgré la
distance et bien que nos chemins se soient
décroisés...
Avant le « Club House
», ses parents tenaient un restaurant
réputé
à Bukavu, le « Régent ».
J'étais
reçu chez eux comme un fils... Yeti, Mme Bracco,
une seconde
maman pour moi,
nous gâte, on mange comme des rois... Je me
souviens des
massepains au dessert,
que je ne connaissais pas, et les bons petits flans,
passés au
four... Un régal
! D'où ma réaction brutale, sans doute, ma
lettre
incendiaire, quand on me
supprima tous ces délices... Au Club House,
« Mambuya
», le cuisinier du
Régent, le pichi, suivra aux cuisines... Roger et
moi, nous
avons notre table
réservée... Un gag à chaque repas:
«
Mambuya, dessert iko nini ? » (Qu'est-ce
qu'il y a comme dessert ?)
«
Iko fla ! »(Du flan !)
Roger
est intelligent, rapide en esprit,
intellectuel... IL a une facilité
déconcertante pour vous
pondre, comme ça «
Plaff », un texte, une rédaction... Il lit
beaucoup, sa
culture générale est
déjà très étendue... Il est
intéressant ! J'écoute... Moi, je suis
toujours en
peu dans mes légendes de forêts... Il est
bien bâti,
beau garçon, sportif,
Roger... Je lui dois le développement de mon
corps d'adolescent
! Il fait des
poids et haltères, j'en fais ! Il m'initie
à ce genre de
gymnastique, qui
rapidement va redresser mon torse et former mes quelques
muscles... Pas
comme
ceux de notre idole de l'époque, dont la photo
est collée
au mur: « Steve
Reeves, Monsieur Univers » ! Au tennis,
grâce à
l'organisation de Mr Dessart,
je joue au club de la Botte »... Je gagne
même une raquette
« Wilson », que
j'ai toujours, aux championnats des écoles de la
ville ! Notre
intellect,
Nous
roulions un peu des mécaniques, mais
nous étions des gosses sains... Il est vrai que
nous n'avions
pas les tentations
de maintenant, la drogue... Même l'alcool, je ne
me souviens pas
que nous
en buvions, ou très
peu ! Il faudra
attendre mon retour définitif en Europe pour que
je sois
obligé d'avaler
moultes pintes de bière à
l'Université, sinon, je
passais pour un connard !
Je
revêts donc mon manteau de fine peau,
je me sens bien dans ma peau ! J'ai l'impression de
sortir de quelque
crise
mystique... Ma descente aux enfers est avortée !
Je remonte vers
un ciel
serein... Finis les démons, les anges et les
archanges, les
ténèbres... Adieu,
Dieu ! Adieu Diable !
Le
Ruanda Urundi... Ancienne colonie
d'Allemagne, province sous tutelle des Nations Unies
depuis la fin de
la
première guerre mondiale, administrée par
la Belgique !
Mon père y sera d'abord
Administrateur, avant de devenir enfin Commissaire de
District... Ici,
cela
s'appelle: Résident ! Il sera le
Résident
de l'Urundi ! Chef-lieu: Kitega. Le climat
est bon, vu
l'altitude, 1.600 mètres. Le pays n'est qu'une
colline, à
perte de vue... Des
eucalyptus au bord des routes... Des vaches aux longues
cornes
pâturent dans ce
paysage de verdure... Les gardiens sont grands, c'est un
grand pays !
Mes
parents habiteront la Résidence, avec ses boys
(Modeste est
toujours
Après
le film, dont on mélange souvent les
bobines et dont le son est fréquemment inaudible,
les «
membres » (du club),
pour se réconforter, écartent chaises et
fauteuils et se
mettent à danser... Le
petit bal du samedi soir... Seul Noir admis, le Roi de
l'Urundi, le Mwami
Mwambutsa »... IL ne rate pas une
soirée, il est de toutes les fêtes !
Le
Roi, le Mwami, c'est mon ami ! Plutôt,
j'ai l'amitié du Roi ! IL me laisse conduire
toutes ses
voitures... Chaque
année, il en reçoit une nouvelle, un
cadeau de son peuple
! Je roule ainsi dans
toutes ces superbes bagnoles, mais jamais dans une Rolls
pour la bonne
raison,
qu'il n'en a jamais reçue ! Cela semble le
chagriner, moi
aussi... Sa Majesté n'a
pas que des amis, sinon il ne serait pas Roi... Le
système
féodal de l'Urundi
allait des serfs, aux vassaux, aux Seigneurs, à
Lui !
Rivalités ! Espionnages !
Méfiances ! Avec mon père, nous sommes
invités un
jour à déjeuner, chez une des
grandes familles adverses... Le clan des Baragnanka ! La
maison est
remplie
d'esclaves, deux d'entre eux (c'est plus sûr)
«
goûtent » les mets avant chaque
plat...
Jusqu’à
la fin de sa carrière en 1957, mon
père s'efforcera de maintenir l'église au
milieu de cet
énorme village, qu'est
l'Urundi... Pour cette tâche délicate, il
collaborera
étroitement avec le
Gouverneur du Ruanda Urundi, Mr Jean Paul Harroy, le
Résident
Général !
En
1988, Mr Harroy publie un livre sur
l'Urundi, dans lequel, j'eus l'heureuse surprise, de
lire
l'éloge de mon
père... Quelques photos de lui avec le Mwami !
Après la
lecture de ce livre, je
profite d'une de mes rotations sur Bruxelles pour rendre
visite
à Mr et Mme
Harroy, que je n'avais plus revus depuis 1955, à
Kitega !
Chaleureuse réception
! Durant notre conversation, je ne cesse de penser
à mon
père... Il aurait pu
vivre jusqu’à cet âge et faire partie de
cet entretien...
1962.
L'Indépendance de l'Urundi !
Massacres de tribus ! Assassinats des familles ! Les
clans
s’entre-tuent...
Tout flambe, le Moyen-Age est vraiment de retour...Le
Mwami est en exil
! Son
fils est fusillé, celui des Barangnaka, chez qui
on «
goûtait » les plats, est
pendu... Un après-midi, à Bruxelles, ma
mère se
promène Avenue Louise...
Soudain, elle assaillit par un grand Noir, qui la
soulève du
sol, la fait
tournoyer et l'embrasse comme du bon pain ! Panique !
Non, ce n'est que
le
Mwami, le Roi ! Il a les larmes aux yeux...
Hélas, le bon pain
est consommé,
une page d'Histoire a tourné !
Avant
qu'elle ne tourne cette page, il y
eut des moments grandioses pour tout le monde... J'ai
souvenir des
jours de
fêtes, où les danseurs Watutsi s'en
donnaient à
rendre l'âme... Les Watutsis ne
sont pas les Pygmées, ils sont de haute taille,
deux
mètres bien souvent !
Leurs chapeaux ont longs poils les allongent encore...
Avec la lance,
qu'ils
tiennent à la main, leurs gestes de bras sont
enroulants... Ils
décrivent des
arabesques gracieuses... Les pieds frappent le sol...
Toute la danse
est
rythmée par le son des clochettes,
attachées à
leurs chevilles... De la
finesse, du raffiné... Je ne verrai plus d'aussi
beaux ballets !
Changement
de style, les tam-tams, mes
tam-tams ! Encore eux, toujours eux ! Ils sont
maintenant « Les
Tambours du
Mwami, les tambours de l'Urundi » ! Matopé
était le
seul tam-tam dans le poste
de Bafwasende, à Kitega, ils sont dix, ils sont
vingt, ils sont
trente ! En
rang d'oignons ! Les tambours sont hauts, presque
à hauteur de
poitrine...
Simultanément, les batteurs frappent en force sur
la peau tendue
autour du bois
! La résonance prend au creux du ventre:
«
Tatam, Tatam, Ratatam... Tatam, Tatam,
Ratatam... »
Très,
très difficile de les arrêter ! J'ai
encore dans ma tête cette cadence
endiablée... Le jour de
la Nouvelle Année, la
troupe des tambours suit de maisons en maisons... Le
tour du poste !
Apéritif
officiel chez le Résident d'abord ! Ensuite tout
le monde va
prendre un pot
chez tout le monde... Et l'orchestre suit !
L'épicier
grec, toujours lui, mais un
autre, chez qui on signe également les «
Bon Pour »,
est Mr Tassos... Une image
! Amateur de whisky, il avale tous les jours, doucement
mais
sûrement, sa
bouteille de Johnnie Walker, en vrai connaisseur...
«
Pas de glaçons, rien qu'une larme d'eau
plate, merci » Personne
ne l'a jamais vu saoul ! Serviable
à merci, il trouve tout ce qu'on lui demande...
Un joyeux luron
au Club, où il
s'y entend pour chauffer l'ambiance lors des
fêtes... Serpentins,
confettis et
« Pouet-Pouet »... Un joyeux compagnon, Mr
Tassos,
aimé de tous ! Il n'est pas
le seul, Mr Van Sinay et bien d'autres aussi, chauffent
l'ambiance...
Au
club, j'apprends à danser ! Avec mes
amis et amies en vacances avec moi, nous nous faisons
nos «
thés dansants »...
A tour de rôle, on remonte le phono à
manivelle... La
mère de mon ami Louis,
Mme Schmidt nous donne des leçons de tango, de
valse, de
fox-trot ! Les
slows, c'est pour
après, quand elle
est
partie...
J'accompagne
mon père à la chasse... Grand
chasseur, le Mwami est de toutes nos chasses !
«
J'ai le froyon ! » diss-ti, en wallon...
Il
a « l'entre-fesses » en feu ! Moi
aussi...
Un
ami planteur a des bricoles avec les
antilopes... Elles viennent lui bouffer toutes les
jeunes plantes de
ses
pépinières ! Très tôt le
matin, ces gazelles
parviennent à sauter par-dessus
les clôtures ! De leurs langues expertes et
rapides, elles
ratiboisent les
plantations... De leurs pattes, elles abîment les
semis... Les
travailleurs en
ont ras le bol de voir ce carnage quotidien... Mon
père me fait
alors l'insigne
honneur de me confier son fusil... Le Mannicher ! Je
reçois la
mission de
chasser les antilopes !
«
Surtout, ne tire pas sur les femelles !
»
«
Kuku ya kwensa », éternelle devise du
chasseur, je me rends à la plantation de
Le
jour va se lever... Je me dirige vers
les pépinières... Je me planque en
rampant...
Hélas,
j'ai levé mon arme... Par surprise,
par réflexe ! Comme s'ils avaient deviné
mon souhait, ces
abrutis de rabatteurs
ont rompu le silence, en effet ! Ils se sont mis
à hurler,
à battre les hautes
herbes... Une explosion de cris sauvages... Ils
s'avancent en ligne,
rien ne
peut les retenir ! A leur tour, ils « bulldozent
» la
pépinière...C'est
l'affolo parmi les antilopes ! Bonds de panique... Sauts
en hauteur,
sauts en
longueur, sauts de désespoir... Une ombre
s'envole du talus,
derrière lequel
«
Pourquoi ?... »
«
Le coup du Roi », l'arme à la verticale,
le plus beau coup de fusil, paraît-il ! Pour un
vulgaire canard,
peut-être, ou
pour un faisan de passage, mais pas pour une Impala...
La Diane de mon
jardin !
Le plus vilain, le plus laid coup de ma vie, « le
coup du Con !
»
Finie
la chasse, l'adieu aux armes ! Je ne
m'en servirai plus que pour tirer sur des cibles
circulaires ou des
bonhommes
en carton, au «CVE» (Corps des Volontaires
Européens), où on nous préparait
«
au cas que... » , et plus tard, pendant mon
service militaire...
Pierrot
Uytenhoven va terminer sa « Poésie
» (seconde gréco-latine), l'année
prochaine, il
sera en « Rhétorique », la
dernière année... Il aura donc
terminé ses
études, s'il réussit ces examens
finaux (l'équivalent du baccalauréat) ! Il n'a pas
d'années de retard dans sa
scolarité... Moi, j'en ai déjà
trois ! Je ne suis qu'en quatrième... Nous avons
plus ou moins
le même âge...
Pierrot est passionné d'aviation, il veut en
faire son
métier ! Il a déjà dans
sa poche le brevet de pilote privé ! Il vole
à
l'Aéro-club, donne des baptêmes
de l'air... Après ses Humanités, il va
s'engager à
la Force Aérienne Belge...
Je réalise brutalement mon retard !
Mon
père a déjà refusé que je
fasse un
tour d'avion avec Mr. Van Aersen, chez qui je logeais
l'année
précédente... Je
tente un nouvel essai: un autre vol avec Pierrot...
Réponse
paternelle:
«
Non ! »
Parmi
mes collègues, il y a Emmanuel
Torrijos... Il nous a parlé souvent d'avions,
mais nous ne
l'avions jamais bien
écouté, il ne semblait pas être fort
convaincu...
Et pourtant... Après sa
quatrième, il obtient donc son diplôme
d'études
inférieures... Il n'est pas
présent pour la rentrée des classes, il a
disparu !
Quelques mois passent...
Nous recevons une photo de lui, il pose devant un
« Harvard-T6
» ! Emmanuel
Torrijos est en entraînement au Texas ! Il s'est
engagé
comme élève-pilote à la
Force Aérienne, dont l'entraînement se
passe aux
Etats-Unis... Tous, nous
sommes ébahis ! Du coup, je fais un rapide
calcul: j'ai trois
ans de retard,
OK. Mais je peux les rattraper en jouant le même
jeu que notre
copain Torrijos
! J'ai, moi aussi, obtenu entre-temps, mon diplôme
d'humanités inférieures, je
viens de passer en troisième, j'abandonne mon
année, je
m'engage comme
sous-officier élève-pilote ! Innocemment,
je pense que
cette solution va plaire
à mon père: rattraper le retard !
«
NON ! Tu DOIS terminer ta rhétorique,
c'est pour ton bien ! »
«
Et si je termine ? »
«
Termine d'abord ! »
Je
n'ai pas 18 ans, il me faut
l'autorisation de mon père pour cet engagement...
Je suis
coincé ! Je ne lui en
parlerai plus pendant trois ans... Si, une ultime
tentative, pour
décrocher son
feu vert, un tout petit circuit avec Pierrot ! En
attendant, je vais
essayer
d'oublier un peu mon ciel, mes avions dans ma
tête...
Peut-être, qu'il a
raison, mon père, un diplôme, c'est une
base, une
sécurité... On le planque
dans un tiroir, on le ressort en temps voulu:
«
Voilà ! »
Si
on en possède plusieurs, encore mieux !
On impressionne:
«
Voilà, voilà, et voilà, Monsieur !
»
Evidemment...
Et puis, suis-je
suffisamment « mature » pour me lancer
dès à
présent, dans cette aventure
céleste ?
Commence
alors, une véritable obsession:
terminer mes études, obtenir mon diplôme,
terminer mes
études, obtenir mon
diplôme, terminer mes études, obtenir mon
diplôme...
Plus tard, au cours de ma
carrière, cette hantise va se transformer,
évoluer:
avancer, rattraper mon
retard, avancer, rattraper mon retard, avancer, avancer,
avancer,
avancer ! Un
bruit de fond, un « boogie-boogie »
incessant... Une
maladie !
Bien
des années après, devenu aviateur
moi-même, j'apprends que le copilote du DC6, qui
s'est abattu
à Casablanca,
était Emmanuel Torrijos, que j'avais totalement
perdu de vue...
Pierrot
Uytenhoven suivra le même chemin
pour sa carrière d'aviateur, une belle
carrière, à
la seule différence, qu'il
est toujours vivant...
1984.
Je suis en escale à Copenhague. Je
profite de mes deux jours « off » (libres)
pour me rendre
à Bruxelles... Au
retour, je reprends l'avion Sabena...
«
Le Commandant Uytenhoven et son équipage
vous souhaite... » . Je passe vite ma carte de
visite à
l'hôtesse... Pierrot
vient me voir dans la cabine... On
se
regarde, on se reconnaît... Plus
de
trente ans, depuis qu'il m'avait emmené dans son
Piper-Cub
à Kamembé... Car,
mon père avait finalement cédé en
m'autorisant
« pour une SEULE fois » à monter
dans l'avion de Pierrot !
Hélas,
Mme Bracco doit quitter
Costermansville... L'époque rose du «
Canadian Club
», de l'hôtel, se termine
avec son départ... Une nouvelle fois, où
loger ? Mais,
cela va s'arranger !
Roger craint un changement d'école, il ne veut
pas perturber ses
études...
Pourquoi ne pas rester à Bukavu ? Il en parle
à sa
mère, elle admet ! Mais le
logement ? Yeti Bracco, de par son métier
d'hôtelière, connaît du monde... Elle
nous déniche une petite maison, au bord du lac,
que nous allons
louer à Mme
Jamar, l'épouse d'un avocat réputé
de la place...
Financièrement, il faudrait
être trois... Roger et moi, nous parvenons
à convaincre,
sans peine, un de nos
très bons amis de classe, Charles Paquet,
toujours interne...
Nous lui faisons
miroiter des jours pleins de soleil et de liberté
! Il ne
demande pas mieux,
mais son père ? Charles ne nous a jamais
montré la copie
de la lettre, qu'il
envoya à ses parents... Ses raisons, ses
arguments, devaient
être frappants !
«
Oui ! »
J'écris
aussi à mon père... « Tu
te débrouilles ! »
Sous-entendu,
avec le même pécule, et
surtout, tu réussis tes études !
L'année
de la « Cagna », surnom de notre
maisonnette, débute... Cette période passe
au rouge, au
vif ! Liberté ! Nous
sommes lâchés seuls ! Tout sera «
passion » !
Passions littéraires, théâtrales
et sportives... Nous allons nous enflammer !
Philosophies, engagements,
désengagements, oppositions, rébellions !
Tempêtes
! Age des remue-ménage
psychologiques, intellectuels... Au creux de ces grandes
vagues, la
barre est
cependant maintenue, le cap est bon, les récifs
esquivés... Nous ne ferons pas
trop de conneries... Une d'importance tout de
même, d'imprudence,
notre
traversée de nuit du lac Kivu !
Un
samedi soir, nous avons « emprunté »
en
douce le kayak des voisins, sans rien leur demander...
D'ailleurs, ils
ne nous
aimaient pas tellement nos voisins, ils
n'appréciaient pas notre
« style » !
Par
cette nuit d'encre, nous voilà partis
tous les trois sur le lac, sans bouées de
sauvetage, chacun une
demi rame à la
main... L'eau arrive au raz de l'embarcation, qui n'est
faite que pour
deux
personnes... Direction: l'île, à une
dizaine de
kilomètres au Nord, elle forme
la « passe », qui mène au
«grand large» ! Cette île appartient
à un Comte...
La lumière de leur maison nous sert de
repère, de
phare... Nous ramons... La
nuit, les distances sont faussées, surtout sur
l'eau,
pareillement dans le ciel
(dangereux !), on croit qu'il reste peu de chemin
à parcourir,
alors qu'il y a
encore des « miles » à avaler ! Nous
ramons...
L'impression de reculer... La
lumière de la maison ne grandit guère...
La surface du
lac s'agite...
L'inquiétude... Nous ramons... Puis, tout
à coup, le noir
complet, plus de
phare, plus de lumière ! La panique... Nous
ramons plus vite !
Finalement, on
aperçoit une bande sombre... La côte ! Le
canot
s'échoue entre des hautes
herbes... Rassurés, nous mettons pied à
terre, dans la
vase, « Splish », «
Splash », « Splosh »... Le kayak est
traîné sur la berge... Que faire ? Nous
n'osions
plus retraverser en sens inverse... Roger propose de
demander l'asile
au
propriétaire ! Que leur dire ? Quand j'y repense,
nous
étions vraiment des
gamins de merde... On prépare une «
histoire »
complètement invraisemblable:
«
Nous venons de Goma, par petites étapes,
nous aurions dû atteindre Bukavu ce soir, mais
voilà, nous
sommes fatigués !
Roger (puisque c'est lui, qui a eu cette brillante
idée) est
malade, nous
croyons même qu'il a de la fièvre... Ne
pourriez-vous pas
?... »
Trois
ombres humides et boueuses
s'avancent alors dans la nuit... Un
décor
de Louisiane... De grands arbres bordent l'allée,
qui emmène au «château»...
«
Hé, les gars, et les chiens ? ».
J'adore
les chiens, j'en ai toujours eu,
mais je m'en suis toujours méfié, depuis
que ce chien
errant m'avait sauté à la
gorge à Bafwasende... Avec le chien de ma
grand-mère,
Raf, nous n'étions pas de
grands grands amis... D'ailleurs, il n'aimait que sa
maîtresse,
les autres, les
travailleurs, il les mordait... Moi aussi, il a failli
me mordre ! Il a
mal
fini, le cœur transpercé d'une lance ! Celle du
sorcier, sans
doute... Et ce
Berger Allemand, qui saute la clôture de son
jardin, traverse la
route pour
atteindre le trottoir opposé ou nous marchions
tous les trois,
renifle tous les
copains, attrape mon short et le déchire d'un
coup de crocs !
« Scraatch ! »
Ce
soir-là, pas de chiens ! Etrange, pour
cet environnement... Nous nous attendions à une
meute de chiens
de chasse, «
Wouaf, Wouaf ». C'est la Comtesse, qui a fait
« Wouaf
», en nous apercevant...
Elle prend le café, avec son mari, sur la
terrasse... Le Comte
avale de
travers,
«
Bonsoir Madame, bonsoir Monsieur »
«
Mais, d'où venez-vous donc ? Qui
êtes-vous ? ».
Roger
commence à débobiner son mensonge...
Le
Comte ne nous croit pas un instant, la
Comtesse nous prend en pitié...
«
Venez avec moi... »
Nous
la suivons... On joue les misérables,
nous traînons les pieds... Nos souliers de tennis
n'ont plus leur
blancheur
d'origine, ils ne sont que mottes de boue, que l'on
éparpille
sur les tapis
d'orient... « Plish », « Plash
», « Plish
», « Plash » !
La
Comtesse nous installe dans la salle à
manger... La table mesure plus de dix mètres,
nous sommes assis,
nos culs
mouillés, à l'une des
extrémités de cette
piste d'atterrissage, sur les chaises
de style !
Le
Comte est resté sur la terrasse... Pour
digérer, il doit probablement se verser un solide
cognac... Son
épouse ne nous
offre pas l'apéro, elle nous refile de la quinine
en poudre avec
un peu d'eau
chaude ! Infect ! De suite, nous voulons minimiser notre
état de
santé...
«
Mais si, mais si, vous m'avez dit avoir
de la fièvre ! »
Charles,
désignant Roger:
«
Nous pas, lui ! »
«
Cela ne peut pas vous faire du tort...
Buvez ! » Est-elle dupe, la
patronne, ou veut-elle
nous
donner une petite leçon ? Toujours est-il,
qu'elle est sympa,
elle appelle le
boy, le « buttler », lui ordonne de nous
servir à
manger !
«
A toute à l'heure ! »
et
elle rejoint son mari...
Nous
allons alors nous goinfrer, comme des
cochons, que nous sommes, servi par des domestiques aux
gants blancs...
Ce sont
peut-être les restes du dîner, mais pour
nous, c'est
Byzance ! La soupière en
argent nous surveille... Elle est grosse, la
soupière,
érigée en monument au
centre de cette table, je m'en souviens !
Curieux,
que je puisse me souvenir de tous
ces détails de jeunesse, plus facilement que des
événements survenus, il y a
dix ou quinze ans à peine...
«
Cela prouve que tu deviens vieux, Jack »
m'a dit un jour Brian Cassidy, un copilote
américain, à
qui je faisais cette
remarque en 1992... Charmant !
Je
lui réponds:
«
Alors, toi, tu es sénile ! Tu ne fais
que me parler de ton Middle-West, quand tu étais
tout petit,
tout petit...
».
Cette
fois-ci, c'est Monsieur le Comte,
qui nous prend en mains...
«
Je vais vous conduire au pavillon ! »
Le
« pavillon » est une petite maison, aux
bords du lac, pour les invités, les « amis
» (!) de passage...
Quand
même gentils, ces gens...
«
Bonsoir, Monsieur, merci ! »
Nous
allons nous écrouler de fatigue, sur
des lits tout frais, nous les boueux...
Le
lendemain matin, on nous proposera même
de nous conduire avec le canot à moteur à Bukavu !
«
Non, non, merci beaucoup, tout va très
bien à présent, merci ! »
Sourire
du Comte...
Nous
nous imaginions la tête de nos
voisins en voyant leur kayak, traîné par le
splendide
Dire
que, la veille, si nous avions ramé
quelques kilomètres de plus, nous aurions
échoué
sur une autre île, celle du
Prince de Ligne... En grand Seigneur, nous aurait-il
offert le
champagne, au
lieu de l'eau à la quinine ? Ou, tout simplement,
un coup de
carabine ?
« Pan
! » Du gros sel plein les
fesses...
De
toute manière, ils doivent nous haïr,
nos voisins... Le week-end dernier, nous avons
ramené, et
enterré dans le
jardin, un crâne d'hippopotame, tué sur les
berges de la
rivière Ruzizi...
Méthode radicale pour nettoyer un trophée
de chasse... Au
bout de quelques
semaines, le crâne est complètement
dépecé,
toute la chair bouffée par les
fourmis, les os sont blancs ! Mais ça pue,
ça pue... La
voisine est venue gueuler,
nous avons du balancer le crâne de l'hippo dans le
lac !
Les
domestiques de Monsieur le Comte et de
Madame la Comtesse portent des gants blancs, les
nôtres n'en
portent pas ! Car
nous avons aussi nos domestiques...
D'abord,
Mambuya, le pichi, le cuisinier
de toujours de Mme Bracco, qui avait sauvé Roger
d'un incendie,
quand il était
petit... Il fait partie de la famille Bracco ! Ensuite,
le lavadaire,
qui lave
et repasse... Grâce à lui, nous serons
toujours
impeccables, le kapitula, la
chemise, sans un faux pli, à
part
celui
du col, que
nous relevions
pour nous
donner un genre...Le petit boy,
Mambuya
se croit toujours dans la cuisine
de ses grands restaurants... En début de mois,
nous mangeons
royalement, il
nous fait des repas succulents, mais un peu trop
copieux, à
notre avis... Au
bout d'une semaine, son budget est fort entamé,
presque à
sec ! Après quinze
jours, le menu change, on passe aux œufs, puis, aux
épis de
maïs... En fin de
mois, l'assiette est vide ! Nous n'osons rien lui
dire...
Lâchement alors, on
se rattrape sur le souffre douleur, le petit boy,
«
Batiké, tu n'as pas bien fait ceci !
Batiké, tu as mal fait cela ! Par
conséquent, on te
retire autant sur ton
salaire ! Voilà, ici, sur le mur, nous
inscrivons:
Batiké, moins 20 francs !
Batiké, moins 30 francs ! Batiké, moins...
»
Le
jour du « pocho », jour de paie, le
samedi, c'est Batiké, qui nous doit de l'argent !
Mambuya nous
fait de grands
yeux...
«
Mais non, Mambuya, mais non, c'est un
gag, c'est pour rire... »
Ce
furent, je crois, les trois boys les
mieux payés de Bukavu... et du Congo Belge ! Pour
ce qu'ils
avaient à faire...
Ma
mère, et celle de Charles, nous
envoient régulièrement des « colis
», des
boites de conserves, des biscuits, du
chocolat... Le chocolat, que Roger, en catimini, en
pleine nuit,
«
C'est de nouveau le chat de la voisine !
»
Munis
de nos raquettes de tennis, nous
nous précipitons dans cette petite pièce !
On
allume ! Le chat, c'est Roger,
farfouillant dans les paquets de chocolat...
Quant
ce stock est épuisé, notre dernière
ressource, la stratégie de la « surprise
party »...
En effet, certains seront
surpris: obligation d'apporter à manger et
à boire ! Les
filles Vandenbosch,
jolies au demeurant, mais un peu snobinardes, un peu
« Prout, ma
Chère » et
curieuses surtout de connaître enfin cette maison
de perdition,
dont elles ont
tellement entendu parler, n'ont jamais revu les
zakouski, qu'elles ont
apportés
sur deux grands plateaux d'argent... Et pour cause,
Roger fait le
baratin
pendant que Charles et moi, à tour de rôle,
nous planquons
vite dans le garde
manger, les trois quarts du contenu des plats
emmenés par les
nombreux invités
!
«
Les zakouski ? Mais, mes chéries, ils
étaient tellement bons... Un succès fou...
Il n'y en a
plus ! ».
Ainsi,
nous avons survécu aux vaches
maigres de la Cagna...
Heureusement,
tous les trois mois, je
rentre à la maison pour reprendre des forces...
De Kitega, je me
rends avec mes
parents à Vuyonga, chez ma grand-mère...
On rejoint le
Congo en passant
Ruhengeri, un poste au Ruanda, pour enfin arriver
à Kiseygni et
à Goma, sur le
lac Kivu... Région de la chaîne des
Montagnes du Virunga,
le pays des gorilles
! Un autre complexe, je n'ai jamais vu de gorille en
liberté ! A
cette époque,
on ne dérangeait pas les gorilles, on leur
foutait
1990.
Courrier sur Séoul. Ma fille me
demande de lui ramener un ours de Corée ! Un ours
en peluche...
Nous atterrissons
vers six heures du soir ! Sortir de l'aérogare
prend une demi
heure,
«
Valou, je ne sais pas si j'aurai le
temps... Si nous avons du retard, c'est foutu ! »
Je
maudis mon collègue et ami Gui
Vanderlinden... C'est chez lui, que Valérie a vu
l'ours blanc
(!), l'ours
polaire, presque grandeur nature, qu'il a ramené
à sa
fille Nathalie...
«
Je voudrais le même ! ». (Elle n'a pas
dit: « Je veux ! ». C'est bien ! Elle a des
chances d'avoir
son ours...)
«
Quant j'irai au Canada, à Vancouver, on
transite deux jours à Séoul... Je
verrai... »
Christophe,
le fils de mon ami n'a que des
avions dans la tête... Il veut devenir pilote, il
va devenir
pilote ! Il sait
tout par le computer de son père, relié
aux
opérations, qui lui fournit tous
les programmes de vol des pilotes:
«
Mais, Jack... Tu y vas demain, à Séoul !
»
«
Heu... Oui, je sais, mais courte escale,
j'arrive tard le soir et je repars tôt le
lendemain matin, retour
à Singapour !
»
Son
père, le gros malin:
«
Je te donne toujours l'adresse du
magasin à Itewan... »
Je
suis coincé !
Itewan,
une autre rue du faux ! Imitations
! Pas de sexe, mais des baskets « Rebok »,
Nike et Cie
», et autres « articles
de luxe », régal des équipages...
«
Par hasard, vous n'auriez pas besoin de
pompes ? »
«
Oui, si nous arrivons à temps ! », me
disent mes collègues...
Par-dessus
le marché, il pleut !
D'ailleurs, l'atterrissage s'est effectué au
minimum de la
visibilité... Je
ferais mieux de me relaxer devant une bonne bière
!
Nous
nous engouffrons dans un taxi... Dans
ce pays, la communication de langue est difficile...
Comment expliquer
au
chauffeur coréen, que je veux acheter un ours !
«
What ? Quoi ? A bear ? Un ours ? »
«
Yes, a bear ! Un ours en peluche ! »
«
Ah ! Ok ! »
Il
semble avoir pigé, mais il doit me
prendre pour un fou...
Finalement, avec
l'adresse de mon ami, on découvre le magasin aux
peluches...
Toutes les bêtes
de la terre sont présentes ! Assises,
couchées, debout...
Le zoo va fermer !
En
effet, l'ours polaire est bien là ! Le
malheureux est pendu par le cou, il tournicote autour
d'un fil... Il a
l'air
triste... Il est immense ! Cette fois-ci, c'est ma
fille, que je maudis
!
Comment transporter cette bête ?
C'est
alors que quelqu'un me regarde... Le
gorille ! Il est assis au fond du magasin, ses yeux en
biais sont
braqués sur
moi ! Il a l'air de me supplier... Parmi ses voisins, il
paraît
encore plus
grand ! Maintenant, c'est moi que je maudis, car je
n'hésite
pas, je les achète
tous les deux, lui et l'ours ! Je les libère de
leur
captivité...
Leurs
achats terminés, mon équipage me
rejoint... Je suis gêné...
«
Vous ne pourriez avoir la gentillesse de
m'aider à transporter mes bêtes ? »
«
Skip, vous n'auriez pas pu acheter des
godasses, comme tout le monde ? »
Dans
l'avion, ces énergumènes,
misérablement enfoncés,
rétrécis,
rapetissés dans un sac en plastique, afin
qu'ils ne soient pas trop voyants, ont fait le voyage en
première classe,
chacun assis sur un siège libre, seule endroit
assez spacieux,
vu leurs
tailles... Le Chef de cabine n'était pas des plus
heureux...
Avant
d'arriver chez moi, je demande au
chauffeur de taxi de s'arrêter. Le Chinois, c'est
certain, me
prend aussi pour
un cinglé, quand il me voit déballer mon
gorille et mon
ours, que j'installe à
l'arrière de la voiture...
Ma
fille:
«
Et mon ours ? »
«
Sorry, Valou, mais nous sommes arrivés
trop tard... Je t'avais prévenue... »
Mine
déçue...
«
J'ai deux copains dans le taxi... Ils
disent qu'ils n'ont pas le temps de prendre un pot ! Va
un peu voir...
»
Depuis,
« Virunga », notre gorille, n'a
plus jamais voulu quitter son fauteuil
«Emmanuelle
» ! Sous le ventilateur colonial, il n'a pas
trop chaud, il est
satisfait de son sort... Son regard de travers nous
regarde, il
sourit... Voilà
au moins un gorille de sauvé !
Quant
à l'ours, il a retrouvé des
températures, qui lui sont plus
appropriées, celles de
l'Irlande... Il est le
garde du corps de mon petit-fils !
Dans
ces belles collines du Ruanda, ce
n'est pas un gorille, que nous avons croisé, mais
un Ministre,
Paul Henri Spaak
! Sur le bord de la route, à l'ombre des
eucalyptus, où
nous nous sommes
arrêtés, ce Monsieur a peut-être eu
le mot exact, le
qualificatif, qui résume
l'histoire de notre famille...
Présentations
au Ministre, qui
s'informe... Mon père lui débite son
curriculum vitae:
son arrivée au Congo en
1929, lui parle de son frère, ex-aviateur de la
RAF, pilote de
ligne, de sa mère
et de sa sœur, venues le rejoindre en Afrique...
Impressionné,
Monsieur Spaak
conclut:
«
Les Siroux, ce sont des aventureux ! »
Il
n'a pas dit « aventuriers »... Nuance,
finesse ! Heureusement, mon père ne lui a pas
parlé de sa
femme, de ma mère,
attaquée par les corsaires en Mer de Chine... Si
le récit
de ma vie, celui que
je raconte aujourd'hui, était venu s'ajouter
à celui de
mes parents, peut-être
alors, Monsieur le Ministre, aurait-il employé ce
terme
péjoratif «
d'aventurier »...
En
1952, le voyage en Europe, fut moins «
aventureux », que celui de 1948... Au lieu du DC3,
le DC6 ! On
voyage déjà plus
vite... On ne prend plus le temps ! Escales rapides: Le
Caire, (sans
Pyramides), Athènes (sans Acropole), Rome (sans
Colisée),
Bruxelles ! Je
demande à visiter le cockpit...
Les
choses vont s'empirer... De nos jours,
les avions sont remplis de ces gens pressés
J'admets
tout de même, qu'à ma retraite,
lorsque mon horizon sera restreint, cloué au sol,
entre quatre
murs où pendront
quelques souvenirs d'avions, quand mes ailes seront
coupées,
brisées, qui sait,
pris d'un désir de bête, je ferai comme
eux, je
m'évaderai au bout du monde,
sur une plage de sable fin, pour l'amour d'un
cocotier...
Mon
père n'a pas commandé de voiture, bonne
excuse pour abréger les tournées
familiales... Son foie ! Mais, cette fois-çi,
c'est ma
mère, qui est malade !
Un vilain furoncle, qui ne veut pas guérir... A
son tour, elle
se retrouve
alitée, à l'Institut Tropical d'Anvers !
Les Coloniaux,
décidément, passent
leurs congés en Europe, à se rafistoler la
santé...
Elle
nous propose, bien gentiment, à mon
père et à moi, d'aller faire un tour
à Paris !
Mission culturelle... Mon père
doit me montrer les Champs Elysées, la tour
Eiffel, me faire
visiter les
musées, le Château de Versailles, le
Louvre...
«
Promis ? »
«
Oui, Minouche ! »
Le
premier soir, Papa m'emmène aux Folies
Bergères !
Des
seins nus ! Je n'ai vu que des seins
nus au Congo... Toutes les négresses de la
brousse avaient la
poitrine au vent,
je ne suis donc pas trop impressionné par celles
des danseuses
de la revue «
Synopsis »... Par contre, le galbe de leurs jambes
élancées, les souliers à
haut talon, les costumes à plumes, me donnent le
frisson !
Pour
paraître plus mûr, plus vieux, plus
de 17 ans, mon père me prête son
imperméable...
J'en relève le col, pour faire
« homme », pour faire « mec »
quand nous
rentrons dans ce bar de Pigalle !
A
nous deux, sortie de copains ! Ce n'est
plus des mains de curés, que j'ai dans mon
pantalon, mais bien
celles, bien
expertes, des entraîneuses, à qui mon
père offre
des tournées... Je ne le
reconnais pas ! Je me dis:
«
Ca y est, on va aux putes ! »
Fausse
impression... Déception ! Mon père
règle l'addition, nous quittons
l'établissement ! Les
filles font la gueule...
Mon
éducation sexuelle n'était que
théorique... Un après-midi, sur la barza,
ma mère,
naïvement, m'avait entretenu
des « choses de la vie »:
«
Une petite graine, qui... »
«
Maman, arrête, je t'en prie, je sais
tout ! Les boys m'ont absolument tout appris, dans les
détails... »
Elle
est surprise, inquiète...
«
Et, tu... »
«
Non ! »
Regrets
éternels... Censuré, à
l'époque,
ce film « en noir et blanc » !
Je
suis encore persuadé aujourd'hui, qu'il
a raté le coche, mon père... A Paris,
l'occasion
manquée d'effacer quelques
tabous, quelques inhibitions religieuses ou
laïques, de me faire
découvrir,
avec pureté, sans arrières pensées,
le
mécanisme de l'amour... Une leçon par
une professionnelle, qui ne demandait qu'une seule
chose, jouer son
rôle
d'enseignante à la perfection, m'apprendre une
histoire simple:
l'histoire du
cul !
Loupé
! Plus besoin de crâner, je rabats
mon col... Le bordel sera Le Louvre, le claque, le
Château de
Versailles !
On
retrouve ma mère à Anvers... Son
abcès
guérit, cicatrise ! Le médecin l'autorise
à
quitter l'hôpital...
Mon
père:
«
Peut-elle voyager ? »
«
Oui, mais méfiez-vous de la chaleur... »
Une
nuit et une journée de train... Au
Congo, nous n'avions jamais eu si chaud ! Destination:
l'Italie !
L'été, la
chaleur de juillet, une fournaise... Au fond de sa
cuvette, le lac de
Come est
en train de bouillir ! Sur la route de Bellagio,
l'autobus est un four
ambulant... Ma mère est prête est
s'évanouir !
Arrivée
à l'albergo, au bord du lac... Mon
père:
«
On ne bouge plus ! »
Nous
y sommes restés plus de deux mois...
Deux
mois de douceur, deux mois avec mes
parents, deux mois de bonheur... Il est des moments dans
la vie,
où tout
s'harmonise, tout s'accorde, la Paix, avec un grand
« P
»... J'ai, du Lac de
Come, ce souvenir paisible...
Le
soir, à la Campanina, sur l'air des «
Feuilles mortes », mes parents dansent, toujours
bien amoureux...
Je les
regarde en buvant mon Asti Spumante et j'hésite
à inviter
les belles
Italiennes...
A
la plage de la Villa Serbelloni, j'aide
les Américaines, qui sont moins belles, à
démarrer
à ski nautique, ainsi, elles
m'offrent parfois un tour gratuit... Je découvre
aussi...
«
Jack, tu ne vas pas recommencer ! »
«
Quoi ? »
«
Nous raconter l'histoire de ton Campari,
comme tu nous as raconté celle de ton Coca-Cola
»
«
Ca va ! Ca va ! OK ! J’abrège: à la
plage du Serbelloni, j'ai découvert le Campari !
»
«
Alors, Jack, pour toi, le lac de Come,
Bellagio, c'est le Campari ? »
«
Oui ! »
En
fin de séjour, nous bougeons quand
même... Un saut à Venise, un tour en
gondole ! Sur la
place St Marc, un artiste
me caricature... Il me fait le regard lointain, j'ai
l'œil
chaviré,
sentimental, je regarde un cœur transpercé d'une
flèche !
Vraiment, à Paris,
mon père aurait du m'emmener aux putes...
Roger
doit rejoindre sa mère en
Belgique... Charles décide alors de faire
également sa Rhétorique
», dernière
année des Humanités, à
Bruxelles... Je me retrouve donc seul ! Où loger
? Pour la
cinquième fois, je
me pose cette question ! Je trouve le gîte chez
les Fauconnier !
Leur fils,
Claude, était un habitué de la Cagna, un
ami des
mousquetaires... Il me propose
de venir habiter chez lui... Pour nous, son père,
entrepreneur
en menuiserie,
transforme, aménage le garage... Claude et moi,
nous avons notre
lit, notre
bureau... Leur maison se trouve aussi au bord du lac...
Ses parents
sont
charmants, en bons Wallons, ils sont gais, ils rient !
Des fois, Mr.
Fauconnier
s'énerve... Alors,
il jure !
Le
perroquet l'imite à la perfection... Un jour, ce
dernier
n'arrête pas de jurer,
de jurer encore... On va voir... Le chimpanzé le
tient le
perroquet par le cou,
le plonge et le replonge dans un saut d'eau ! Quand il
n'a pas la
tête sous
l'eau, le coco en profite pour hurler, comme son
maître:
«
Nom di Diou ! », « Nom di Diou ! »,
«
Nom di Diou ! »
Claudine,
la sœur de Claude est jolie, ce
qui ne gâche rien, mais, c'est une fille à
poigne... Pour
se faire de l'argent
de poche pendant ses vacances, la ravissante Claudine
fait du
transport, elle
conduit des poids lourds, des gros camions !
Je
retrouve ainsi une ambiance familiale,
je me sens bien, je porte avec aisance mon manteau de
fine peau...
Je
rentre en « Poésie »,
avant-dernière
année de mes études... Claude termine sa
«
Rhéto »,
Un
autre copain, « ex-cagna », n'est pas
mauvais guitariste, par contre... Fort heureusement,
Dany Lauwers sauve
le
trio, que nous formons, l'orchestre des « Tsins
boys » !
(Abréviation, que nous
avons l'habitude d'employer, de la langue flamande:
« Tot siens
», au revoir,
allez salut ! »). Cette cacophonie, «
Qouak-qouak,
boum-boum, kling-klong »,
nous la répétons dans notre chambre, notre
« garage
», heureusement situé au
fond du jardin et assez éloigné de la
maison pour que Mme
Fauconnier ne soit
pas dérangée dans ses vocalises... Elle,
c'est une
véritable artiste, elle
répète Mme Butterfly !
Depuis
toujours, je voulais apprendre un
instrument de musique... J'en veux un peu à mes
parents de ne
pas avoir
développé mon oreille musicale (!). Sans
doute, en
apprenant mon
Bien
des années après, à Singapour, je
ressors mon harmonica, je retente quelques airs de
musique, « Que
reste-t-il de
nos amours ? »... Je refais mes « Qouak
» ! Le chien,
la chienne, nos deux
Berger allemands, se mettent à hurler à la
mort, comme
des loups, le nez au
zénith: « Wooooooh,
Wooooooh... »
Ca
va, j'ai compris ! J'aurais dû
comprendre, il y a trente ans...
Ces
deux dernières années d'études vont
très bien se passer... S'ajoutent à mes
excellents
Professeurs, celui de
Néerlandais, M. Depooter, qui vient d'arriver...
Il est notre
voisin, devient
ami avec M. et Mme Fauconnier, devient notre copain,
à Claude et
à moi...
Professeur intéressant, d'esprit large, artiste
(il fait de la
peinture, plutôt
moderne, surréaliste, c'est bien son
caractère...), il
nous fait traduire
Multatuli, nous parle des rizières de Java, de
Sumatra...
Je
survolerai souvent l'Indonésie en
Boeing 707 et 747... Souvent, j'aurai une pensée
pour ce
Professeur, qui a
participé, lui aussi, à la formation de
mon esprit... Il
m'aide surtout à
m'enfoncer dans le crâne cette langue, pour moi un
peu
rébarbative, qu'est le
Flamand ! J'aime cependant mes amis Flamands... Une fois
accepté
dans leur
clan, dans leur vie, pas de ronds de jambes, pas de
superficialités, on pénètre
dans le béton de l'amitié solide ! Mais
j'ai des
difficultés avec leur
langue... Trop gutturale... Accents rudes... Gorge
sèche... Me
faut une boite
de pastilles Valda... Un peu comme les Français
avalent
péniblement l'Allemand ou
l'Anglais ! Plus facile pour les francophones de parler
l'Italien ou
l'Espagnol... Il suffit d'ajouter des « O »
et des «
A », m'a conseillé ce
linguiste distingué ! « En tout cas »
(!), dans les
écoles indigènes
congolaises, les pauvres bougres apprennent le Flamand !
Pourquoi pas
le
Chinois, tant qu'on y est ? Faut l'avouer, nous avons
tout de
même commis
quelques conneries aux Colonies ! Si ce n'était
que
celle-là...
Les
femmes ! J'ai été élevé par
les
femmes, j'ai été entouré de femmes
! A commencer
par ma mère, puis ma
grand-mère, ma tante et les Petites Sœurs, mes
belles-mères, ma femme, ma
fille, mes femmes... A mentionner la présence
obligée des
hôtesses de l'air,
qui font partie intégrante de notre
environnement, à nous
les pilotes !
En
fait, je suis infesté de femmes et
aucun vaccin ne peut m'en guérir, puisque je ne
peux pas vivre
sans leur
présence... Au point
que j'invite
parfois ma bonne, mon amah, à prendre le
thé avec moi...
« Yes, Master ! » Rien
que pour sa présence !
«
Et si tu te retrouvais un jour vraiment
seul, Jack ? »
«
Tu m'as déjà vu seul cinq minutes ?
»
«
Non, en effet, tu es toujours entouré
d'un ami, d'une amie, d'amis... Tu as même un
gorille en peluche
! »
Faiblesse
!
Je
n'ai pas eu la force de ce Diable
Boiteux, Monsieur de Talleyrand, qui a su y faire, lui !
Il est
parvenu,
paraît-il, à « être dans leurs
bras et
à leurs pieds, mais jamais dans leurs
mains... Moi, à mon insu, elles m'ont
diaboliquement
enserré dans leurs fines
menottes, les femmes !
Monsieur
Guitry, j'avais à peine une
quinzaine d'années lorsque j'ai fait votre
connaissance un
samedi soir, au
cinéma du Club de Kitega... Vous étiez
justement ce
diable d'homme, ce
diplomate inégalé, ce fin renard de grande
classe,
Monseigneur de
Talleyrand-Périgord... Je vous ai
apprécié tout de
suite ! Ensuite, je vous ai
reconnu dans vos pièces de théâtre
et dans vos
pensées, inégalées elles aussi,
que j'ai lues et relues... Vos citations sont tellement
appropriées
«
Non ! »
«
Merci ! » Je
crois que c'est vous qui avez dit:
«
Il y a les femmes avec lesquelles on
sort et les femmes avec lesquelles on rentre... »
Pour
ma part, poussé par je ne sais quel
démon de contradiction, je fis l'opposé !
Je me suis
toujours arrangé, dans la
plupart des cas, à sortir avec des femmes, avec
lesquelles
j'aurais dû rentrer
et à rentrer avec celles avec lesquelles j'aurais
dû
sortir... Par conséquent,
puisque j'ai inversé ce théorème
sans le vouloir,
bien des femmes m'ont trompé
lamentablement, au propre comme au figuré... En
amour, (comme en
affaires),
j'énonce: « Je vous fais confiance
»... Et je me
retrouve lésé !
Je
n'ai pas changé, on ne change pas les
gens... Transpercé, sublimé, par un doux
regard de biche,
par un doux regard de
chienne, je m'engage dans un cheminement, que je crois
être le
bon parcours...
Ce n'est bien souvent qu'un sens interdit, dont je n'ai
pas
aperçu, ou n'ai pas
voulu apercevoir, le poteau de signalisation, pourtant
« grand
comme ça »....et
en couleurs... Ou alors, au croisement d'une rencontre,
je fonce, les
paupières
closes... Vite, je brûle un feu !
«
Un feu rouge, Jack ? »
«
Plus rouge que ça, tu meurs ! »
Par-dessus
le marché, je m'accroche ! La
longueur d'onde est totalement différente, mais
je m'accroche !
Dès lors, les
chemins se croisent, se décroisent, se
zigzaguent... Le cinq sur
cinq devient
du zéro-zéro ! Communication difficile,
brouillée,
impossible...
Incompatibilité de réception,
d'interception... Impasse !
Mais
qui roule dans le bon sens ? Qui est
sur la bonne fréquence ? J'ai l'impression que je
ne suis pas le
seul à me
poser cette question... Doute ou certitude de
détenir la
vérité universelle ? A la
radio, il entend l'avertissement de la gendarmerie
aboyant:
«
Attention ! Un fou roule en sens inverse
sur l'autoroute ! Attention ! »
Le
gars, sûr de lui, se fait immédiatement
cette réflexion:
«
Les flics se trompent, il n'y a pas
qu'un fou sur l'autoroute, il y en a des centaines...
»
«
Tu es aussi peu la femme, qu'il me faut.
C'est bien tentant ! »
Du
Sacha...
L'erreur
du « mâle », est de vouloir, à
tout prix, forcer les femmes à changer leur ligne
de vie, leur
faire franchir
le Rubicon... Le résultat, c'est la
Bérézina ! Je
connais des femmes
indépendantes, souvent jalousées, parce
qu'elles sont
libres, parce qu'elles
ont la force de vivre seule... Je décèle
chez elles
cependant, une certaine
nostalgie... L'âge avance... Un besoin, qu'elles
avouent
difficilement, celui
de partager finalement leur existence... La solitude !
Une de ces amies
m'a
dit:
«
L'indépendance ? Un choix, Jacques, qui
se paie lourdement...«
Peut-être,
ai-je trop la notion du couple
?
«
Pas homme à femmes alors ? »
«
Si, mais d'une femme à la fois... »
Cependant,
j'ai eu des relations brèves, «
sans bavures »... Recette ? Faire abstraction de
tout sentiment !
J'estime que
c'est voler un peu bas... C’est difficile, je deviens si
vite amoureux
!
Un
ami conseille:
«
La paix avec les femmes ? Leur donner
tout ce qu'elles désirent ! »
«
Malgré les petits oiseaux, qu'elles
attrapent dans la tête à un certain
âge ? »
«
Ouais ! »
Matérialisme...
Facile à dire ! Dans la
mesure de mes moyens, quand je les crois
comblées,
«
Vous avez le cul dans le beurre !
Parasites, faites des bonds ! Des bonds de joies !
».
Ou
alors quand leur humeur est sombre, que
leur esprit et leur corps sont perturbés, je leur
conseille en
rigolant:
«
Faites le poirier, c'est bon pour la
circulation sanguine ! »
Evidement,
je suis mal reçu...
Et
elles m'en reparlent bien des années
après ! Elles ont
une de ces
mémoires,
mes femmes... Elles se souviennent de tout ce que je
leur ai dit... Des
éléphants !
«
Tu es indiscrète, tu retiens tout ce que
je te dis. »
Du
Sacha...
Insatiables
! Mais tellement
indispensables...
Pourtant...
Un collègue aviateur me parle
de son ex-femme orientale, une japonaise, je crois...
Pendant dix ans,
il ne
cesse de s'entendre dire qu'il est le plus beau, le plus
intelligent,
le plus
ci, le plus ça ! Au début, cette
soumission, cette
admiration, lui plaît, le
flatte ! Petit à petit, il trouve son
épouse de plus en
plus « carpette »...
Cela l'énerve à un tel point, qu'il s'en
sépare !
«
A la fin, si tu savais combien j'aurais
voulu, qu'au lieu de me traiter de Dieu tous les jours,
elle me donne
des
baffes ! »
Comme
quoi...
Etrange...
Parfois, j'ai pu régler la
bonne fréquence... Le ciel bleu, la
Plénitude, la Paix !
Le deux « P », les «
Pépées » de mes rêves... Tout
à coup,
« Reverses » ! Inversion de la puissance,
revirement de ma part, virage de 180 degrés,
routes divergentes
! Maladie,
masochisme ? Méchanceté ? Non, du tout,
mais lorsque
d'aventure, on fait du mal
à un très gentil, il devient très
méchant... J'avoue qu'alors, je vitriole,
j'acide ! Blessures... Cicatrices profondes, marques
ineffaçables, paraît-il...
Tant pis, fallait pas m'encrasser !
«
En vérité, j'ai pour la femme un tel
amour, et pour l'amour un tel penchant, que la
pensée de vivre
à deux sans
s'adorer me fait horreur. »
Du
Sacha...
En
relations féminines, je suis un jaloux
! Excuse ? Je suis bêtement sentimental, un
amoureux tout
simplement... Je
confesse ce péché capital ! Faiblesse, une
fois de
plus... Cela ne me regarde
absolument pas, mais j'ai alors le malheur, la
bêtise, de
farfouiller dans le
passé de ces dames...
«
Elles ont un redoutable avantage sur
nous: elles peuvent faire semblant, nous pas. »
Du
Sacha...
Quand
j'aime, j'aime ! Mon défaut: je suis
un possessif... Lorsque je possède, je
possède !
Simple... Du moins, je crois
posséder... Je m'en veux toujours de le montrer,
c'est plus fort
que moi !
A
Honolulu, Hawaii, nous sommes en sortie
d'équipage, « mon » équipage !
Je suis
obligé de présenter une de mes
hôtesses,
la jolie May, à un copain français,
Christian... Beau
garçon, présentateur de
publicité à la TV, il
bave
devant ce
genre de fille aux yeux d'amandes... Elle sourit, la
sotte ! Je dois
tirer la
gueule, car elle me glisse à l'oreille:
«
But, you are jalous, Captain ! » (Mais,
vous êtes jaloux, Commandant !).
Leçon
de cette Chinoise ! J'ai compris,
sur cette plage de Waikiki, que dans bien des cas,
j'avais
dépassé la mesure...
«
Vous, dans une cage ? Non, dans une
vitrine avec: Défense d'y toucher ! »
Du
Sacha...
Je
suis, paraît-il, accaparant... A la
limite, j'étouffe, dit-on ! Bizarre... Moi, qui
passe les deux
tiers de ma vie
à sillonner le globe ! Et quand je reviens de mes
envolées, j'emprisonne, je
colle, j'arapède...
«
Vous, en prison chez moi ? Légende... »
Du
Sacha...
Aux
femmes, j'ai l'impression de leur
demander l'impossible ! Pourtant, si elles savaient...
«
Je suis heureuse ! Je suis contente
d'être avec toi ! »
L'accord,
la communion... Hélas, c'est là,
tout mon problème, je creuse à la
recherche de
matières rares !
«
Hélas, on ne peut pas faire leur bonheur
de force. Et celles que nous ne rendrons pas heureuses
à notre
idée, sauront
nous rendre malheureux à leur façon.
»
Du
Sacha...
Ou
alors, les prémisses de ma logique
féminine sont-elles complètement
faussées à
la base ? Fort certainement !
Le
triste « ponpon » de mon histoire est
qu'au crépuscule de ma carrière et de ma
vie,
après une longue relation de feu
et de sang, je dois citer une nouvelle fois et tellement
à
propos,
«
Quelle heure as-tu ? »
«
J'ai six heures dix. »
«
Moi, j'ai six heures. »
L'un
retardait sa montre et l'autre
l'avançait. Et cet écart de dix minutes
subsistait...
Un
jour, peut-être, synchroniserons-nous
nos tocantes... Si la mienne n'est pas devenue
complètement
patraque !
Piment
obligatoire de la vie, les
femmes... Sans elles, ce serait le mornitude !
Pas
du Sacha... De moi !
Pas
fameux ? Evidement, c'est pas du Sacha
!
«
Alors, Jack, tu as mal joue mal joué aux
dames ? »
«
I am afraid, yes ! Je crois bien que oui
! »
Denise
L. est secrétaire, mais aussi
mannequin... Toujours été mon faible, les
mannequins...
Elle défile en
virevoltant, ma tête tourne en cadence, j'ai le
vertige, je
dérive...
Avec
d'autres de ses amies, qui
deviendront mes amies, concours automobiles, MG rouge et
Triumph
blanche...
Gominé, je suis le chauffeur de ses dames, le
larbin, le
toutou... Je les aide
à descendre de voiture, les guide vers le
podium... Denise,
elle, est dans la
grande décapotable américaine... Elle
porte le voile, l'innocente ! Toilette en voile, chapeau
de voile...
Denise,
la pulpeuse, l'appétissante, la
sensuelle... Elle est belle, Denise, elle est... Elle
est tout !
Choc
! Catéchisme nouveau ! Déchirement de
voiles ! Bombe, qui explose en mille feux, dont les
retombées me
pénètrent
jusqu'aux os ! Je suis ébloui, je suis foutu !
Elle part, j'attends
! Elle revient, je reviens ! J'absous, j'efface... J'ai
mal au creux du
ventre,
mon esprit se liquéfie... La panade ! C'est ma
Madeleine, c'est
ma Mathilde...
Non ! Pas celles de Brel, les miennes... Avec elles, je
replonge en
volupté,
quel doux enfer... Pour moi, c'est le paradis !
Samedis
et dimanches, l'après-midi, Denise
vient me prendre dans sa petite voiture bleue, son
« Anglia
»... Ca se passe en
général dans la petite maison de Dany, le
guitariste ! On
fait la sieste, puis
on dort un peu... Si peu... Sieste crapuleuse ? Oui !
Mais je
découvre ! Pas du
beau travail... Bibises, touche-pipi, sieste de
novice... Du «
Tchik-tchik »,
comme disait mes boys... Trop excité, je ne peux
pas, je ne sais
pas... Ca va
vite... De la lapinade... Eclaboussures inutiles !
Quand
je rentre au « garage », Claude me
renifle... Je suis dans un état
épouvantable, une
poubelle d'amour, cette
fois-ci !
Il
me dira plus tard, ce bel éphèbe, qui
faisait quand même du judo, ce qu'il pensait
à ce
moment-là:
«
Il faut sauver Jeson ! »
Je
dois passer mes vacances chez mes parents...
Notre club de judokas est la couverture idéale
pour emmener
Denise avec moi...
Je suis ceinture jaune (je n'irai jamais plus haut...),
j'organise une
démonstration au club de Kitega ! Ma mère
est contente
pour moi... Elle a
toujours été contente pour moi, ma
mère... Mon
père apprécie les formes
appétissantes de Denise, il a toujours
apprécier le
profil des filles, que je
ramenais à la maison, le coquin...
Les
copains repartent sans moi à Bukavu en
emmenant Denise...
A
mon retour, elle n'est plus là,
Denise... Elle est rentrée en Europe ! Claude
aussi... Il a
terminé ses
humanités, commence ses études en Belgique
!
Fallait
que je sois mal parti, pour que sa
mère et sa sœur me fassent comprendre que...
«
Que quoi ? »
«
Denise, vaut mieux que tu oublies... »
«
...»
«
Tu y croyais trop ! »
«
A quoi ? »
«
A ta Denise, tiens ! C'est pour cela
qu'on t'en parle ! »
«
Et alors ? »
«
Ben... »
J'hésite
à comprendre... Je pige enfin !
Claude m'a piqué Denise !
«
Craaaaac ! » Craquelures...
Trompé
par un ami, trompé par
une femme...
Je dévale la pente, je tombe
dans le ravin le plus bas ! Je m'écrase en mille
morceaux:
« Spricth » ! Pantin
disloqué, petite marre, je coagule...
Premier
« Craaaaac ! » sentimental, ce ne
sera pas le dernier... Et puis, il y aura aussi les «
Craaaaac ! » professionnels !
Quelques
années plus tard, je revois
Claude Fauconnier en Belgique... Il est Docteur en
Droit, a
trouvé un poste
dans un Ministère, a épousé Olga
M., une autre
copine à nous du Congo... Il me
jura qu'il n'avait jamais revu Denise, que sa liaison
avec elle,
à Bukavu...
«
Par amitié ! »
«
Tu rigoles ? »
«
Je t'assure ! Il fallait que je te
débarrasse de Denise... Tu étais mal
barré...
»
Je
l'ai presque cru !
La
belle excuse ! Au nom de l'amitié !
Amitié,
amitié... Moi, qui place la barre
de l'amitié si haut, si haut... Voilà une
chose, qui m'a
toujours surpris,
intrigué, dégoûté ! Pourquoi
un ami,
prétendu tel, puisse avoir le culot de
roucouler, de tournicoter autour de votre compagne ? De
la touchoter:
«
Et gna, gna, gni... Et gna, gna, gna...
»
J'en
ai eu des amis... De « bons » amis,
de « grands » amis, des « Mon
frère, je
t'embrasse »... Ils ne pensent qu'a une
seule chose: sauter votre femme... ou votre fille ! Les
boucs ! Les
Judas !
Faute grave ! Trahison ! Traîtrise à
l'amitié ! A
fusiller ! Exécution ! Au
poteau ! Coup de grâce ? Allez, oui, par
amitié ! «
Plam ! ». Une balle dans la
tête, entre les deux yeux !
A
ce régime-là, on en verrait des
drôles
de types passer dans la rue... Ils ont tous, car ils
sont nombreux, la
tête en
forme de passoire, percée de trous ! Certains de
ces instruments
de cuisine
trouvent alors une excuse facile: «
Lui ? Ce n'était pas mon ami ! »
Pour
moi, comportement inimaginable ! Seul
sur une île déserte, avec la femme d'un
ami, même si
le sable de la plage est
des plus fins, je ne pourrais avoir un geste
déplacé, je
serais de glace sous
un soleil de plomb ! Faudrait tout de même pas que
cette
situation perdure et
que ma cervelle se mette à fondre...
«
Jack, tu as trop de principes... »
«
Ta gueule, faux frère ! »
On
peut toujours se dire que sa femme
n'est pas si vilaine... Maigre consolation !
Je
reviens au grand maître:
«
N'est pas cocu qui veut ! Et nous ne
devons épouser que de très jolies femmes
si nous voulons
qu'un jour on nous en
délivre. »
Moi,
mon problème, c'est que, de mes
jolies femmes, je ne veux point m'en délivrer !
«
A l'égard de celui qui vous prend votre
femme, il n'est de pire vengeance que de la lui laisser.
»
Mais
je ne veux pas la lui laisser,
justement !
Décidément,
j'adore Sacha !
«
Mon Dieu, mon Dieu », Monsieur Guitry,
combien je vous vénère !
Bah
! L'eau coule sous le pont... On se
passe sur les tempes un peu de ce baume bienfaisant,
miraculeuse, celle
qui
dissipe les maux de tête et fait oublier... Le mal
passe... Mais,
c'est plutôt
le cou, qu'il faudrait se masser ! Les arêtes sont
toujours
là, piquées au
travers de la gorge...
Toujours
à la recherche de quelque
sensation, de quelque rêve, qu'il ne peut
réaliser dans
les bureaux de son
Ministère, mal dans sa peau, Claude Fauconnier va
se tuer en
poussant à fond
l'accélérateur de sa voiture, sur une des
grandes avenues
bruxelloises... Ce
jour-là, Denise ou pas Denise, j'ai perdu un ami
!
Charles
Paquet, le partenaire de la cagna,
épousera aussi une autre amie du Congo, Paulette
Devaux, une des
filles du
propriétaire de la plantation, pour qui je
chassais les
antilopes de sa
pépinière... Charles ne terminera pas ses
études
de médecine et dans une
dernière crise, se suicidera... Ce
jour-là, alcool ou pas
alcool, j'ai perdu un
ami !
Roger
Bracco, que nous appelions: « Big »,
pas le gros, « le Grand », parce qu'il avait
une grandeur
d'esprit, une
grandeur d'âme, une influence puissante sur nous
tous, est
toujours vivant, je
garde un ami !
Un
ami ? Un ami, Monsieur,
c’est quelqu’un
qui traverserait la
planète pour
vous apporter au bout du monde des oranges quand,
croupissant au fond
d’une
prison quelconque, vous auriez quelques ennuis...
Cependant,
espèce rare...Très rare
!
Bien
d'autres Mathilde viendront me
hanter, me torturer, me ronger le corps, le cœur...
Mais, N. di Diou,
qu'est ce
que j'ai pu aimer Denise !
Malgré
ce choc, je poursuis bien mes
études... Je suis en dernière
année, en
rhéto... Mes avions ne m'ont pas quitté
! Ils sont toujours là, dans le hangar du fond de
ma
tête... Malgré mes amours,
ils sont toujours mes amours... Ils vont bientôt
prendre l'air...
La date
approche... Si je réussis, l'aviation m'ouvre
enfin les bras...
En attendant,
c'est dans ceux des femmes, que je retombe.... Mais le
ton a
changé ! Elizabeth
M., une Hollandaise, mais celle-là, elle a de
fines jambes !
Je
me sens libéré d'une hantise, celle de
ne pas obtenir ce « baccalauréat »...
Par la suite,
et pendant des années, dans
bien des rêves, ce sera le cauchemar: je n'ai
toujours pas mon
diplôme... Je me
réveille en sueur... L'horreur !
Distribution
des prix, au cours duquel, je
reçois le prix de « Morale » !
Murmures dans la
salle, sourires... Ils auraient
pu l'appeler « Philosophie », ce qui est
plus exact...
Pendant
trois jours, trois nuits,
guindaille, ripaille... Mme X. me soutient au maxiton !
Un
copain, plus âgé, un mulâtre, ne
cesse de
me parler des cuivres, des « six sax » en
ligne des grandes
formations
américaines ! Il est fou de jazz... Alors, parce
que je joue
quelques notes de
musique (!), il m'a pris en sympathie... Pour
m'encourager, sans doute,
il me
prête, me donne presque, son scooter ! Je vais
à
l'école en moto... L'époque du
tipoy est loin..... Lorsque cette vieille Vespa tombe en
panne,
Christiane,
Cri-Cri, la Prof de gym des filles a la gentillesse de
me prendre
« en stop »
dans sa voiture sport, son M.G. rouge...
Cri-Cri,
bien sûr, fait la fiesta avec
nous tous... Mine de rien, un grand moustachu s'est
faufilé dans
cette
bacchanale ! Il ne lâche pas d'une semelle Cri-Cri
! Qui c'est ?
Je le saurai
vingt ans plus tard, à Singapour, où il me
retrouve ! Sa
moustache s'est encore
embellie, épanouie... Guy Robbe me
présente sa femme...
Je la connais: c'est
Cri-Cri ! Durant leur séjour de dix ans à
Singapour, ils
vont être de grands
amis...
Papa,
à nous deux !
Je
parle à mon père, non plus de Denise,
d'Elizabeth, de Raymonde, de toutes ces
différentes demoiselles,
qui ont défilé
à la Résidence de Kitega à chacune
de mes
vacances, je lui parle de mes avions
!
Son
manque d'enthousiasme, sa réponse me
déçoit... Voici, à peu de choses
près, les
termes de cette discussion serrée,
dont je me souviens très bien... En principe, mon
père
n'est pas contre,
mais...
«
Mais, quoi ? »
Il
remet son histoire de diplôme... Un
diplôme universitaire !
«
Tu m'avais promis ! »
«
Oui, je sais, mais un papier
universitaire, c'est encore mieux,
une
sécurité, un poids dans la balance de ta
vie... »
«
Il y a trois ans, tu m'as déjà tenu
cette théorie... J'ai admis, tu avais raison,
j'ai
accepté ! J'ai le diplôme,
que tu a exigé... Aujourd'hui, le temps presse,
tu le sais bien,
j'ai déjà
assez de retard comme ça... Je vais avoir 21 ans
! »
J'implore:
«
Papa, s'il te plaît ! »
En
fait, mon père ne tient pas du tout à
me voir devenir aviateur, il me voit plutôt faire
une
La
diplomatie ! Tout au long de mon métier
« à contrats », dans toutes les
compagnies
étrangères du monde, je ne ferai que
cela, de la diplomatie... De la diplomatie pour accepter
les exigences
locales,
et sans avoir fait d'études supérieures !
Nous, les
pilotes « mercenaires
», nous devons être nés diplomates,
avoir le sens
des relations humaines, sinon
c'est foutu d'avance, autant aller se coucher... Notre
diplomatie est
basée sur
le principe des ailes « à
géométrie variable
»... Ouvrir ses bras, fermer ses
bras, selon les circonstances, s'adapter au milieu
ambiant, doser
continuellement l'atmosphère du cockpit, des
couloirs, des
bureaux, de toutes
races, de toutes cultures, de toutes religions, de
toutes habitudes, de
toutes
couleurs... Une palette de teintes, avec qui nous
travaillons: blanc,
noir,
jaune, bronzé, vert, gris ou rose bonbon... Nous
devenons
caméléons ! Avec un
tantinet de « feeling », de politesse,
d'amabilité,
de respect d'autrui, un
simple sourire, il est rare de recevoir un accueil
négatif de la
part des êtres
de cette planète, à moins d'avoir affaire
à des
statues de marbre, des murs
d'incompréhension, mais c'est rare... Diplomatie
délicate
et sinueuse: ne pas
faire perdre la face tout en ne perdant pas la
Etudes
supérieures ! Tu parles ! J'ai
connu un Ambassadeur, qui, enfoncé dans le
fauteuil son bureau,
d'où il ne
sortait presque jamais (je me demande quel genre de
contacts humains,
«
Commandant, vous avez travaillé deux ans
en Tunisie ? C'est bien ce pays limitrophe du Maroc,
n'est ce pas ?
»
«
!!! »
Et
cet autre ambassadeur, supposé être
maître en diplomatie, s'adressant dans une
soirée,
à notre ami, Malik Sy,
Professeur d'Université, qu'il rencontre
d'ailleurs
régulièrement dans ce genre
de réunion:
«
Il me semble vous avoir déjà vu quelque
part... »
Notre
ami est le seul Noir de cette
assemblée...
Alors...
Mon père avait peut-être raison,
j'avais des chances de devenir un jour Ambassadeur !
Heureusement, ils
ne sont
pas tous de ce faible envergure... J'ai d'excellents
amis Ambassadeurs,
masculins et féminins, qui sont des êtres
supérieurs, fins, et tellement diplomates
!
Quant
à ma mère, elle est
épouvantée à
l'idée que je vais risquer le restant de mes
jours en l'air, et
comme une
sorcière, tenir serré entre mes jambes, un
manche
à balai...
Pour
la seconde fois, je me sens coincé !
Parce que je le veux bien, parce que je suis bon
garçon, bon
fils, bon con...
Respect paternel oblige, je n'ose pas dire
carrément à
mon père:
«
Je n'ai plus besoin de ton autorisation
pour m'engager à la Force Aérienne, je
suis majeur le
mois prochain ! »
«
Non ! » «
Craaaaaac ! » Craquelures... Désespoir !
Tournant
important de ma vie, de ma
carrière... Virage, que je vais négocier
avec faiblesse,
qui va me projeter...
en arrière !
Mon
existence sera pavée de croisées de
chemins, d'options: « A prendre ou à
laisser ! ».
C'est le résumé de la vie,
pour nous tous: « Take it or leave it » !
Jeu de poker, jeu
de dés,
perpétuellement...
Pour
cette première décision importante,
avec mollesse, je me laisse faire, j'obéis
à mon
père...
Je
quitte donc le Congo Belge... Je ne
devais plus le revoir ! Adieu la Colonie... D'ailleurs,
les Colonies,
c'est
fini ! History ! De l'Histoire !
Pour
la quatrième fois, je rentre en
Belgique ! A nouveau, le DC6... Je n'ai pas le cœur de
visiter le
cockpit... Escale
au Caire... Non, pas de Pyramides ! A Athènes,
oui, l'Acropole
et les musées...
Car Mme Tassos, la femme de l'épicier grec de
Kitega m'accueille
à
l'aéroport... Elle est en vacances à
Athènes et se
sent obligée de me faire
visiter sa ville... J'essaie de lui faire comprendre que
j'ai
déjà... Elle
comprend, elle abrège et m'emmène au
Pirhée ! Je
viens de quitter mes parents
et le Congo, mon pays natal... Pour combien de temps ?
Je dois avoir un
regard
un peu tristounet, car elle le remarque et ne sait que
faire pour me
faire
plaisir, Mme Tassos...
«
Alors, Jack, pour toi, Athènes, c'est le
miel du Mont Imet ? »
«
Oui ! »
Mais
j'y suis tellement retourné à
Athènes, que j'y ai beaucoup de souvenirs...
Entr'autres, cet
incident:
Septembre
1990. Vol Bruxelles-Athènes !
Légères turbulences au-dessus des Alpes
autrichiennes...
A part cela, ce vol de
nuit est sans histoire... Enfin, c'est ce que je crois !
Bonne
visibilité... Au loin, on aperçoit
déjà une grande tache claire, la ville
d'Athènes !
C'est moi qui fait le vol,
mon secteur... Briefing ! Il y a toujours des
briefings... Pour la mise
en
route des réacteurs, pour le décollage,
pour la descente,
l'arrivée,
l'atterrissage, le roulage au sol (taxi) et le
parking... Au sol,
attention,
méfiances ! Avec cette grande bête de 747,
dont les ailes
ont 75 mètres
d'envergure, il faut être prudent, ne pas se
fourvoyer dans la
nature...
Prendre le bon cheminement, suivre la ligne centrale, ne
pas accrocher
les
autres, spécialement la nuit, souvent c'est mal
éclairé... Le Jumbo au taxi,
c'est l'éléphant dans de la porcelaine !
Personnellement,
Briefings,
briefings, briefings... Nous
sortons donc
les cartes d'arrivée,
d'approche, d'atterrissage, ainsi que le plan de
l'aéroport...
Révision des
procédures !
Le
point de descente se calcule, en gros,
en multipliant l'altitude par trois: au niveau 370,
37.000 pieds,
(12.000
mètres): 37 fois trois égal 111. Le
début de la
descente s'effectue donc
De
nos jours, on peut intégrer tous ces
éléments dans l'ordinateur... Il
calculera, outre la
navigation, le point de
descente et ordonnera au pilote automatique la
réduction des
réacteurs, la
vitesse à tenir, le taux de descente, la route
à suivre,
etc., etc... Merveille
de la technique, j'admets, mais n’apprécie pas
tellement... Pour
autant que
rien ne vienne changer ces données, tout se passe
bien... Mais
si par malheur,
le contrôleur, par exemple, retarde la descente,
ordonne une
altitude, une
route ou une vitesse nouvelle, il faut reprogrammer le
computer en
vitesse !
Résultat, les pilotes sont penchés sur le
computer... Le
nez enfoui dans le
cockpit, ils tapotent sur le clavier et ne regardent
plus dehors ! Non,
je
n'aime pas ça ! Pour moi, ce n'est plus voler,
c'est jouer du
piano !
Probablement, certainement, parce que je suis de la
vieille
école, je vole «
avec mes fesses », « avec mon cul » !
J'aime sentir
mon « zinc » réagir aux
mouvements, que je lui implique avec le « manche
à balai
» et le palonnier...
Avec doigté, mais « du bras », que
Diable, et
« du pied » ! Point de ces
légers, de ces délicats « Tip
»,
« Tap », « Top », sur un
ordinateur, une
machine à écrire... Oui, je sais, je suis
un vieux
machin, place aux jeunes !
Ce
stick, que personnellement je reprends
toujours en dessous de 5.000 pieds, après avoir
désengagé le pilote
automatique...
«
Je passe en manuel ! »
Bref,
dans mon briefing, je ne parle donc
pas de Mr. « PMS » (Performance Managment
System), du
« Performateur », ce
boulier compteur... Je donne simplement une distance de
descente, que
je viens
d'estimer rapidement selon ces règles simples...
Mon
copilote s'étonne...
«
Heu... Pas de descente au PMS ? »
«
Mais non ! Il fait beau, pas de nuages,
pas de turbulence... Comme un chasseur ! Plein tube !
Vitesse de
descente
indiquée 350 knts (630 km/h) ! On va gagner
quelques minutes...
Et puis, tu
connais l'arrivée d'Athènes par le Nord...
Un seul
corridor pour les montées et
les descentes ! Le PMS... »
Mon
copi n'est pas convaincu, il
insiste...
«
Oui, mais pendant le training,
l’entraînement, les instructeurs m'ont dit que
... »
J'abdique
!
«
OK pour le computer... Mais tu le
programmes toi-même ! »
Bien
sûr, c'est magnifique... La réponse
est donnée en quelques secondes ! Le point de
descente s'affiche
sur le cadran
! Il est d'ailleurs, à peu de choses près,
le même
que le mien...
«
Autorisation de descente ! »
«
Standby ! » (Attendez !), nous répond
une agréable voix féminine... Plus
aiguës, les voix
de femmes passent bien à la
radio, souvent mieux que celles des hommes... C'est pour
cette raison
qu'elles
sont à ce poste d'ailleurs !
On
attend... Le point calculé de descente
approche... On insiste:
«
Autorisation de descente ! »
«
Standby ! »
Je
m'apprête à annuler cette descente
programmée, quand la contrôleuse nous
ordonne:
«
Descendez au niveau 250 ! »
On
répète l'autorisation... C'est
obligatoire, nous devons toujours répéter
mots pour mots
les
Je
dis au copilote:
«
Tu as du pot, on est quasiment au point
de descente... Le programme va passer ! »
Automatiquement,
les manettes des gaz
reculent, l'avion descend... Les niveaux de vol
commencent à
défiler...
Subitement, affolée, la fille contrôleuse:
«
Correction, correction ! Négatif 250,
négatif
250 ! Garder le niveau 370 ! Trafic opposé !
»
J'ai
raconté cette histoire à ma femme et
lui ai demandé:
«
Qu'aurais-tu fait ? »
Sans
hésiter, elle m'a répondu de suite:
«
Couper le pilote automatique, remonter
vite ! »
«
Bravo ! Une récompense ! »
Elle
a reçu une sucette... Ma fille aussi,
et même ma belle-mère, deux sucettes !
Toutes les deux,
elles m'ont donné la
même réponse !
C'est
exactement ce que j'ai fait...
Disconnecter le P.A. (pilote automatique) ! Je n'ai
même pas eu
besoin de
demander la puissance de montée... David Guerney,
mon
mécanicien expérimenté,
avait déjà poussé à fond les
manettes de
gaz, allumer les phares intérieurs et
mis le signal:
«
HAN ! »
A
peine en palier à notre niveau initial
de 370, l'avion qui venait en sens inverse, au 350, nous
croise ! La
jolie( ?)
contrôleuse avait libéré notre
altitude un peu trop
vite...
Depuis
les « ordinateurs », je crois qu'on
leur a un peu trop bourré le crâne, aux
jeunes...
En
attendant, nous étions toujours à
37.0000 pieds...
«
Est-ce qu'on peut descendre ?... »
«
Standby ! »
A
force de « standby », notre position: la
verticale d'Athènes !
Finalement,
nous recevons la clearance !
Alors...
Plus de PMS, plus de PA, plus
rien que les aérofreins et le train en dernier
recours ! La
descente en piqué !
Enfin, la « chasse, bordel ! ».
Tout
à coup, le pare brise s'embue... V'là
autre chose ! Je demande au mécano, s'il suit
bien avec la
pressurisation de la
cabine ? David est « passé en manuel
» lui aussi...
En automatique, le système
de pressurisation permet de différencier, de
régulariser
graduellement les
pressions intérieures et extérieures de
l'avion... On
arrive ainsi au sol avec
des pressions équivalentes ! En descente rapide,
les choses vont
plus vite, il
faut donc surveiller la pression de la cabine... Au
besoin,
équilibrer
manuellement !
«
Pressurisation OK, David ? »
«
OK, Skip ! »
J'ouvre
au maximum les bouches de
ventilation du pare brise... Buée ! Qui devient
de plus en plus
dense...
Heureusement, comme dans les voitures ou à la
maison, en passant
un chiffon sur
la « fenêtre », on voit dehors !
C'est
ainsi que mon mécano est devenu
laveur de vitre pendant la phase finale d'atterrissage !
Véritable
essuie-glaces, David Guerney frottait l'intérieur
de mon pare
brise:
«
ZIP », « ZAP », avec une serviette...
Le
mécanicien, le troisième homme, un homme
en or,
indispensable ! Hélas, espèce
en voie de disparition... Dans quelques années,
il n'y en aura
plus un seul...
Remplacés par un coup de sifflet ! Par des
circuits automatiques
!
«
Alors, Jack, Athènes, pour toi... »
«
Non ! C'est toujours le miel du mont
Imet ! »
Athènes
? Aussi une image triste... Les
cinq ou six vieux DC3, que j'aperçois en
dégageant la
piste 33R (330 degrés,
droite)... Ces vieilles carcasses sont parquées
dans un coin,
cannibalisées...
Les pauvres, qu'attendent-elles ? Un méchant
ferrailleur, qui
les écrasera dans
une presse hydraulique pour les vendre au kilo, ou un
gentil
collectionneur,
qui va les bichonner et leur rendre leurs ailes ?
Dernier
arrêt avant Bruxelles, Nice, où je
vais passer quelques jours chez M. Lumet...
Hélas, son
épouse n'est plus...
Pour cette raison, il est revenu vivre sur la Côte
d'Azur, au
Cannet ! Je le
reconnais à la sortie de l'aérogare... Il
est venu avec
sa Citroën traction
avant !
M.
Lumet m'invite à déjeuner dans un
restaurant du vieux Nice... Au café, il sort de
sa poche une
lettre, qu'il me
tend ! C'est un mot de mes parents pour me souhaiter non
seulement un
bon
anniversaire, mais aussi bon courage dans ma nouvelle
vie
d'étudiant...
Cette
lettre est écrite en grande partie
par ma mère... Elle me fend le cœur ! Le jour de
ma
majorité, je craque ! Je
pleure !
Je
la fais lire à M. Lumet... Il a aussi
la larme à l'œil... Alors, tous les deux, pour
nous distraire,
on sort !
L'après-midi, nous visitons Monaco, le Palais
et... le Casino !
Je découvre
l'atmosphère du jeu... Je comprends un peu mieux
ceux qui, comme
mon père,
aiment prendre des risques... Je ne serai jamais grand
joueur d'argent,
les
seuls « coups » de poker et de dés,
que je ferai,
auront un rapport avec ma
profession !
Le
soir, sur le chemin du retour, on
s'arrête à Juan les Pins... Pour
fêter mon
anniversaire, M. Lumet m'offre un
pot dans un cabaret en plein air ! Patachou nous chante
d'agréables rengaines
et la soirée se termine avec l'orchestre de
Claude Luter ! Le
monde est petit
(il sera toujours petit pour moi), car en
écoutant ces airs de
jazz de la
Nouvelle Orléans, j'entends mon nom ! C'est Yves,
de Bukavu, qui
rentre aussi
en Belgique... Ses parents commande de suite le
champagne en apprenant
mon
birthday ! Je ne pleure plus !
Le
lendemain, nous assistons à un match
international de tennis... Je découvre que dans
ce sport, je
dois encore faire d'énormes
progrès !
Grâce
à M. Lumet, séjour agréable, un bon
début pour ma nouvelle vie européenne,
mais note triste
dans ce tableau: je ne
devais plus jamais revoir mon ami, Monsieur Lumet...
A
Bruxelles, mon oncle et ma tante
m'hébergent en attendant de trouver un «
cot », une
chambre d'étudiant... J'ai
un petit budget pour mon « équipement
»... Je dois
refaire complètement ma
garde-robe, je n'ai rien ! Adieu « capitulas
», petites
chemises ont manches
courtes... Sous les conseils de ma tante,
j'achète pantalons de
velours,
chemises en flanelle et veste de daim,
Je
vois Paul Siroux partir dans son
uniforme de Commandant de Bord... J'en suis malade
intérieurement ! D'autant
plus que mon oncle trouve dommage le refus de mon
père: non,
pour mon
engagement à la Force Aérienne ! Pour me
remonter le
moral, il y avait mieux !
Pire, parfois nous le conduisons à
l'aéroport ! Je fais
la connaissance de son
équipage, je vois tous les autres pilotes... Je
rage ! Je suis
démoralisé
!
N'empêche,
qu'après un de ses départs, je
déclare à ma tante:
«
Un jour, moi aussi, je partirai en
uniforme pour aller voler ! »(Sic).
«
Je te le souhaite, mais cela ne se fait
pas en un jour... »
Vérité
! Toute l'histoire de ce bouquin...
Dans
le grenier, où je loge, je rêve en
trois dimensions ! Peut-être un peu à la
bonne aussi, qui
est si bien roulée...
Je
mange bien chez ma tante, fine
cuisinière... Moi, qui aime les laitages, je vide
les fonds de
biberons de mon
cousin Thierry... On doit me prendre pour un
demeuré ! Ma
cousine Françoise est
jolie, un peu jeune, mais jolie... Allez, il y a pire !
« Courage
», m'a dit ma
mère...
Ce
n'est pas avec joie que je m'inscris à
l'Université Libre de Bruxelles ! Ce n'est pas
avec joie que je
cherche un
logement ! Je me sens totalement
déplacé... J'ai froid !
Où est mon soleil
d'Afrique ?
Deux
événements vont changer mon moral, ma
vie:
1/.
Mon oncle remet mon rêve
d'aviateur sur le tapis ! Je crois qu'il n'a pas
digéré
le fait que son grand
frère n'ait pas suivi son conseil:
«
Laisse Jackie s'engager à l'aviation
militaire ! »
«
Non ! »
Il
s'est renseigné... Il me parle de la
possibilité de faire mon service militaire
à la Force
Aérienne, comme
éleve-pilote pendant mes dernières
années
d'Université !
Voilà
qui arrangerait tout le monde ! Un
diplôme universitaire pour contenter Papa et un
brevet de pilote
pour moi...
Une pierre, deux coups ! Trois coups même ! Car,
après ce
service militaire,
possibilité d'engagement dans le civil,
éventuellement
à la Sabena, la
Compagnie Nationale !
Tout
ragaillardi, je fonce aux casernes,
département recrutement...
On
me
confirme ! Cela s'appelle: « Le Flight
universitaire », qui
se déroule pendant
les trois dernières années
d'études... Le Droit,
où je me suis inscrit dure
cinq ans... Donc, dans deux ans !
«
Ah ! Ah ! »
J'écris
à mon père, qui ne peut répondre
que oui... A son tour d'être coincé ! 2/.
Je fais la connaissance de M.
et Mme Wuilkin, de très bons amis à mon
père, qui
les a prévenus: « Il arrive !
»... Ils ont trois enfants, dont Nicole, qui
rentre en seconde
année d'Unif !
Grâce
à ce projet de service militaire, je
peux rattraper pas mal de mon retard,
récupérer le
planning de mes projets
célestes... De suite, je me sens mieux, plus
euphorique... Je
vais retrouver
une famille chez les Wuilkin... Bref, je débute
enfin ma vie
bruxelloise sur
une note encourageante !
Je
trouve finalement une chambre à louer,
pas trop chère (mon budget !), au
troisième étage
d'un immeuble, avenue de
l'Aurore, pas loin de l'Université... Ma
fenêtre donne sur
les jardins
intérieurs, le calme ! Mais mon souci premier: le
chauffage ! Ca
va, il y a un
gros poêle à mazout... Je ne suis plus aux
Colonies, je
n'ai plus mes boys, je
n'ai plus Modeste... Je dois me coltiner les trois
étages avec
mes bidons...
Des fois, ils débordent... Quelques gouttes dans
les escaliers,
« Floc, floc, floc
», ça pue !
«
Oui, je sais, Mme Audoan, excusez-moi...
»
L'adresse
de cette pension, je l'ai eue
par le « Monsieur le Chef de rayon », qui
m'a vendu mon
costume ! Il me vend
aussi une chambre...
«
Ah ! Vous êtes étudiant, si jamais vous
aviez besoin d'un logement, ma femme et moi... »
Nous
sommes trois à prendre la
demi-pension... Deux frères, Médecine et
Solvay, des
« anciens », l'un est
barbu, la vraie gueule d'étudiant, et moi, sans
barbe, mais
moustache vierge,
première (toute première et
dernière) Candi en
Droit... Tous les soirs, l'œil
sévère et la cigarette au bec, Mme Audoan
nous sert
elle-même la soupe et les
plats... Tous les soirs, elle attend notre avis...
«
C'est très bon, Madame, c'est très bon !
»
«
C'est très bon, ma chérie, c'est
très
bon ! », dit aussi son mari, qui mange à la
même
table que nous...
Tous
les quatre, nous n'osons pas dire le
contraire... Mais, nous n'avons pas tellement à
nous plaindre,
c'est bon et
copieux !
Je
vais de découvertes en découvertes...
Je découvre les frites belges dans un petit
restaurant,
près de la place Flagey
! Côte de porc, frites, salade, mayonnaise...
Voilà mon
menu quotidien ! Au
bout de quelques semaines, j'ai un point, qui me fait
mal sur le
coté, le coté
du foie, comme mon père... Je change de friture !
On me donne
l'adresse d'un
bistrot, où les étudiants vont manger un
spaghetti pour
15 francs, à «
l'Horloge », dernière le
Théâtre de la
Monnaie... En 1985, 29 ans plus tard,
j'y suis retourné en pèlerinage, le
spaghetti
était à plus de 200 francs !
Lors
d'un de ces « soupers » de famille,
l'étudiant barbu me demande:
«
Ton baptême, c'est quand ? »
«
Mon baptême ? »
«
Ben, oui, ton baptême d'étudiant ! »
«
Ah ! Heu... Bientôt... »
«
Ce n'est pas obligatoire, mais je te
conseille de te faire baptiser ! »
Venant
de la bouche de cet ancêtre, je me
suis dit que c'était vraiment une obligation...
Et je fus
baptisé !
Mais
avant cette cérémonie peu religieuse,
ce fut la rentrée... Mon premier cours ! Dans le
grand auditoire
! Durant le «
quart d'heure académique », pendant lequel
le Prof se fait
attendre et désirer,
les anciens viennent « voir », jauger la
gueule des «
bleus », des nouveaux...
Ils viennent aussi et surtout, reluquer les nouvelles
nenettes, qui
sont
docilement assises sur les premiers bancs, le regard
baissé...
J'en
remarque un... Un grand gaillard,
beau mâle, l'air supérieur, très sur
de lui... Il
porte la « penne », la
casquette d'étudiant, sur laquelle je distingue
deux
étoiles, une dorée, une
blanche... Cela veut dire qu'il double son année
!
N'empêche qu'il roule des
mécaniques... Je sens son regard... Je suis de la
merde !
Heureusement le
Professeur arrive et le cours commence...
Ces
cours d'université ! Histoire,
philosophie, psychologie, latin... Je les suivrai
d'abord avec
assiduité pour
ne pas être dépassé, car la
matière,
à mon goût, s'accumule à une vitesse
effrayante... On est vraiment lâché seul,
libre ! Pour
essayer de mieux
m'imprégner des théories philosophiques,
je m'inscris
même au séminaire du
Professeur de Logique... En psychologie,
Ensuite,
remarquant que la plupart de mes
collègues sont de moins en moins présents
aux cours, sauf
à ceux des
Professeurs, qui ont la réputation d'avoir une
mémoire
visuelle infaillible, de
vous photographier « Clic » de leurs yeux,
et qui, à
l'examen, vous disent
d'emblée: « Je ne vous ai jamais vu, vous !
», puis
« Ziiip ! », vous coupe la
tête... Aux cours de
ces bourreaux,
je
vais, nous allons... Les autres, leurs salles sont vides
!
Je
me crois donc malin de faire comme tout
le monde, je « brosse » ! Je ne vais plus
aux cours... Et
j'avoue franchement:
non, vraiment, tout cela ne m'intéresse pas ! Je
sombre dans la
mélancolie, la
mélancolie de mes aéronefs...
Graduellement, je vais en
vouloir à mon père, qui
n'y a rien compris, à ma mère, qui a bien
compris, mais
qui a peur pour son «
Pupuss » ! (C'est moi !)...
Mon
baptême par contre, ne sera pas
mélancolique du tout !
Les
« anciens », coiffés de leur penne,
une pinte à bière, pendue à leur
cou par une
cordelière, nous ont réunis à la
Porte Louise... Parqués comme du bétail,
nous sommes
nombreux, un
«
En rang et en caleçon ! »
Ils
sont gentils, ils ont pitié, ils
auraient pu dire:
«
A poil ! »...
Peintures
! « Flish, flash ! » sur nos
poitrines, sur notre dos, dans nos cheveux !
Récompense
! Ils sont vraiment gentils...
Nous avons droit chacun à boire un coup, un grand
coup ! La
bière nous est
présentée dans un pot de chambre, au fond
duquel nagent
des morceaux bruns de
pain d'épice ! On nous ordonne de le vider, pas
«
Glou-glou et glou », mais
« Cul sec ! » Il y en a qui
dégueule... «
Sprouaff ! »
«
En file indienne ! »
Au
fond de cette salle, se dresse une
estrade, mais elle est voilée...
Mystère...
Comme
à confesse, chacun son tour, nous
devons passer derrière le rideau... On entend des
cris !
Quand
c'est à moi de pénétrer,
j’aperçois
une longue table, où trône le «
Conseil des
Anciens »
Un
ordre ultime:
«
Ton vi sur la table ! »
«
??? »
«
Ta biroute ! »
Je
l'extirpe et la pose...
Se
lève alors un des exécutants, le
bourreau de service... Je le reconnais ! C'est lui, qui
nous toisait de
son
regard méprisant dans le grand auditoire, l'homme
aux deux
étoiles ! IL tient à
la main un marteau ! IL le lève et « PAN !
» me
l'écrase sur le zizi ! Je ferme
les yeux... Je gueule ! Tiens, je n'ai pas mal ! Et pour
cause, le
marteau est
en mousse de caoutchouc...
Le
président me serre la main...
«
Tu peux aller en paix, tu es baptisé ! »
Je
sors et me retrouve dans une autre
salle avec tous les autres déjà
suppliciés...
«
Gla-gla » ! Vite mes vêtements !
Réunis
après cette initiation, anciens et
bleus, on se dirige vers « La Jambe de bois
», une cave
dans une impasse, près
de la Place de la Bourse... Dans ce repère
d'étudiants,
la boisson sera pour
tout le monde... Peinturlurés,
dégoulinants, nous allons
chanter « La Salope »,
« Va laver ton cul malpropre », debout sur
les tables, une
serviette passée et
repassée entre les jambes... Je n'ai plus froid !
J'ignore
encore comment je suis rentré
chez moi... Vacillant et « malade », comment
j'ai pu
grimper la volée
d'escaliers... J'ai du faire un sacré boucan, car
Mme Audoan, le surlendemain soir
m'a toisé en fronçant ses gros
sourcils...
Le
barbu:
«
C'est bien ! A présent, tu es un
étudiant, tu peux porter la penne ! »
Cette
penne dépucelée par la cigarette
d'un ancien, je la porterai et j'y ajouterai une note:
le drapeau du
Congo
Belge ! C'est ainsi que les
étudiants de
la Colonie, les « Coloniaux » se
reconnaissaient
aisément...
1978.
Je suis à Bruxelles chez l'agent
immobilier pour la signature du bail de ma maison, la
maison de mes
parents.
Celui qui va me louer la villa est déjà
là quand
j'arrive...
L'agent
me le présente:
«
M. Rayé ! »
«
Bonjour ! »
Il
me regarde... Plutôt, il me toise... Je
connais ce regard... Du déjà vu...
«
Il me semble que nous nous sommes déjà
rencontrés... »
Silence...
Méninges au travail...
N.d
D., je le reconnais ! Ce ne peut être
que lui !
«
Avez-vous fait l'ULB, M. Rayé ? »
«
Oui ! »
«
Le Droit en 1956 ? »
«
Oui ! »
«
C’est vous ! »
«
Quoi, c'est moi ? »
«
C'est vous qui m'avez baptisé ! C'est
vous qui m'avez tapé sur le zizi !!! »
C'était
bien lui... Jean est devenu mon
locataire, Jean est devenu et reste mon ami ! Je ne lui
en veux plus de
m'a
voir frappé le zizi...
Jean
est, bien entendu, Docteur en Droit,
et Directeur Général d'une « grosse
boite
»... Lors de mes vols sur Bruxelles,
on déjeunera bien souvent au club de «
L'Omegang
»... Notre table sera J'économise ! Mon
budget me permet
alors de
m'acheter un vieux scooter... Cette fois-ci, une
Lambretta !
«
Une véritable occasion ! » me
prétend le
vendeur...
«
Juste ce qu'il vous faut pour aller à
l'école... »
«
A l'Université, Monsieur, à
l'Université
! »
«
Ben alors, c'est encore mieux... »
Ce
n'est pas tellement à l'Unif, que je
vais avec ma moto, protégé des
intempéries par mon
duffel-coat et sa capuche,
mais dans toutes dans les rues de Bruxelles... Je tombe
plusieurs fois
en
dérapant sur les pavés ou en glissant sur
les rails du
tram ! Grâce à ce vieil
engin, tous les coins et recoins de cette ville me
deviennent
familiers... Je
crois que je garderai un souvenir de chaque coin des
rues de Bruxelles !
Les
parents de Nicole m'invitent sans
cesse... Je passe donc la plupart de mon temps libre (!)
dans leur bel
appartement de l'Avenue Louise... Nicole est devenue ce
qu'on peut
appeler «
une amie », sans équivoque, sans
arrière
pensée... En bruxellois, elle
m'appelle Pei », je l'appelle
Elle
va me prendre en mains ! J'ai
toujours aimé que les femmes me prennent en
mains... Pour
m'étrangler par la
suite ! Je finirai par croire que j'aime ça...
Nicole ne
m'étrangle pas, elle
décide au contraire, de polir, de façonner
un peu les
manières de ce sauvage,
que je suis, de me donner quelques notions, les bases du
savoir-faire,
du
savoir-vivre... Elargir, par la pratique, sur le
terrain, ma culture
générale... Et ma forme physique !
Candidate professeur
de gymnastique, elle a
du « boost »... Elle fait partie du
comité
organisateur du test de capacité
physique, genre parcours du combattant... On n'est pas
obligé de
le faire, mais
si on désire connaître son état
physique... Juste
pour voir où on en est...
Elle me dit:
«
Tu dois le faire ! »
J'obéis,
je fais ! Et je vois où j'en
suis... Je meurs à moitié ! Je souffle
comme un bœuf, je
crache mes poumons, je
dois m'allonger après l'épreuve de course
! J'ai la plus
grande peine du monde
à grimper mes escaliers... IL me faut plusieurs
jours pour
récupérer la
souplesse de mes muscles !
Changement
de programme... Les concerts de
Musique Classique au Palais des Beaux Arts...
J'apprécie,
j'enthousiasme ! Au
premier concert, je suis tellement emballé (et le
suis encore
aujourd'hui), par
l'allegro de Vivaldi, qu'a la fin du premier mouvement,
j'applaudis !
Nicole,
rougissante, me saute libéralement dessus et me
bloque les mains
! Tous les
yeux de la salle sont braqués sur nous... La
pauvre Nicole, elle
doit se
demander, à juste titre, quel singe elle avait pu
emmener dans
ce lieu de
culture...
Changement
de ton... Les concerts de jazz
! Dans cette même salle, je me sens plus dans mon
élément ! Je constate que mon
ami le mulâtre « aux six sax » avait
raison... Je
retrouve dans les grandes
formations de Count Basie, Duke Ellington, Lionel
Hampton, tous les
cuivres,
dont il m'avait parlés ! J'applaudis ! Nicole ne
m'arrête
plus, elle frappe des
mains avec moi...
Bals
des facultés ! Problème ! Quoi ? Le
smoking ! Je n'en ai pas ! J'en loue un chaque fois que
nous allons
faire un
tour au bal du Droit ou de Médecine, dans les
soirées,
invités par ses amis, où
ce survêtement est de rigueur... Je loue aussi un
habit à
queue de pie et un
chapeau haute de forme pour
le grand
mariage de la grande sœur de Nicole, Claudine...
Finalement,
le macaque se civilise !
J'avais
aussi d'autres amis... Parmi eux,
quelques anciens coloniaux ! Avec eux, je pars dix jours
au sport
d'hiver....
Une sorte de « charter », pour un prix
modeste, près
de Cortina d'Ampezzo !
C'est ce que dit le dépliant... Un long trajet en
train, une
auberge modeste,
loin, très loin de Cortina, voilà la
réalité ! Des amis m'ont
prêté des
vêtements chauds... Le singe découvre la
neige... Notre
moniteur nous montre comment
attacher nos skis aux chaussures... Avec des
lanières en cuir !
Le soir, au
bar, vu notre maigre pécule, on croit bien faire
en ne buvant
que cette bibine,
une sorte de punch, si peu
alcoolisée,
le « Skiwasser », « L'eau de ski »,
comme l'aubergiste l'appelle pompeusement... Ca ne doit
pas être
trop cher, les
jus de fruits... L'hôtel est assez bien
chauffé, mais
cette mixture ne nous
réchauffe pas le cœur... L'ambiance va cependant
changer,
lorsque nous
remarquons les «locaux», les durs
montagnards, rentrer et
aller directement
au bar, s'en jeter un en vitesse, ressortir aussi sec !
«
C'est pour se réchauffer. » nous dit le
barman.
«
Qu'est ce que c'est cette boisson ? »
«
De la Grappa ! »
«
Heu... Combien, le verre de Grappa ? »
Ce
fut notre mort pendant le restant du
séjour... La Grappa ne coûtait rien
à coté
de notre cocktail » à l'eau de ski !
Nous nous sommes mis à chanter « Volare
» tous les
soirs, jusque bien tard dans
la nuit... La journée, on trouvait le temps
brumeux,
malgré un ciel bleu des
plus purs... En voyant nos yeux rougis par l'alcool, la
cigarette et le
manque
de sommeil, notre moniteur devait se demander, lui
aussi, à
quelle bande de
sagouins il avait affaire...
Désespéré sans doute
par nos performances, il
s'est mis à boire avec nous !
J'ai
l'œil sur Lulu, mais Lulu boit encore
plus que moi... Péniblement, en fin de
soirée (!),
j'essaie de suivre Lulu...
Chaque nuit, ce n'est pas dans son lit que je la
retrouve, mais sur les
marches
des escaliers ! Après ces toutes ces heures de
beuverie,
pénibles à monter,
toutes ces marches... Elle, elle est assise, moi, je
suis sur mes
genoux ! Rien
ne s'est donc jamais passé entre Lulu et moi,
j'ai
déclaré « forfait » ! Parmi
les copains, certains couples se forment, comme Marcel
Mœrens, futur
avocat, et
Claudi Houba, ancienne Coloniale, que j'avais aussi
connue à
Bukavu... Ils se
sont mariés plus tard ! Quant aux autres copains,
Marc, Claude
et Cie, ils sont
probablement encore saouls à l'heure qu'il est !
Histoire des
neiges...
«
Alors, Jack, pour toi, les sports
d'hiver, Cortina d'Ampezzo, c'est la Grappa ? »
«
Oh, oui ! »
Coïncidences,
coïncidences ! Devrais-je
croire aux coïncidences ? Elles me poursuivent !
Mon
téléphone sonne pendant
que j'écris (!) ces souvenirs d'amis du Congo...
«
Allo ! Puis-je parler à Jacques Siroux ?
».
«
C'est moi ! »
«
Jeson ! C'est Olga, nous étions ensemble
à l'Athénée de Bukavu ! »
Un
peu le cri de Solange Nemry, à Barhain,
dans mon avion, dont les roues ne cessaient de monter et
de descendre...
Il
y avait beaucoup d'Olga à Bukavu...
«
Olga Demine... »
«
Ah ! Oui... Nom di Diou, ça fait combien
d'années ? »
«
En 1952 ! Il y a quarante ans... »
«
Où es-tu ? »
«
En transit à Singapour, je vais en
Australie pour un congrès... Mon avion repart
dans quelques
heures ! »
Un
« long pot » au bar du 32eme étage de
l'hôtel Mandarin avec vue sur toute
l'étendue de
l'île, que nous n'avons même
pas regardée... On aurait bien pu prendre ces
drinks au
sous-sol, tellement
occupés à résumer nos quarante ans
de
séparation d'amitié...
«
Tu as toujours tes jolies jambes... »
Elle
rougit brièvement, c'est donc qu'elle
est encore très jeune...
«
Tu ne m'écoutes pas ! » «
Mais si, mais si ! »
Olga
fait partie de ce clan assez
important et brillant, qui existait à la Colonie,
elle est
d'origine russe,
(comme le docteur Solomenzef, que j'ai emmerdé
dès ma
naissance...) et beaucoup
d'autres, qui furent mes amis... En
revenant de cette bouffée d'air pur (!) de
Cortina d'Ampezzo, je
retrouve Roger
Bracco... Il fait son service militaire aux
Para-commandos ! Lors de
ces
permissions, on sort parfois ensemble... On fait la
tournée des
« thés dansants
» ! Surtout celui du « Grand Siècle
»...
Tangos, boule de cristal !
«
Une boite à bonnes ! » me dit Roger.
«
Mais non... »
Jusqu’à
ce dimanche, où je tombe sur la
bonne de mon oncle, celle qui n'est pas mal
roulée, à qui
je pensais quand je
logeais au grenier... Je lui fais jurer le secret:
«
Vous ne m'avez jamais vu ici ! »
Et
je quitte l'établissement...
Quand
je suis invité à manger chez eux, je
n'ose plus lever mes yeux vers Lucienne... Malgré
cette
prudence, je crois que
ma tante aura toujours un doute... Elle me l'avoue, bien
des
années après !
Je
continue ma vie d'étudiant... De filles
en filles, de bières en bières...
Plutôt plus de
bières que de filles !
Si
Claude Fauconnier avait pensé: « Il
faut sauver Jeson », Pierre Grégoire pense:
« Il
faut sauver Jacques ! », mais
pour une toute autre raison...
Je
fais la connaissance de Pierre au début
des cours, sur les bancs de l'Unif... Je ne sais pour
quelle raison, il
me
prend en amitié... Peut-être, parce que je
suis
diamétralement opposé à son
caractère ! Pierre est très intelligent,
je ne suis pas
un phénix, il est
studieux, je ne le suis guère... Et surtout, il a
toujours eu
une vie bien
régulière, bien équilibrée,
bien
ordonnée... Pierre
Mon
profil est tout différent... Il est
l'inverse, l'antithèse ! La ligne de sa vie est
une ligne
droite, ascendante,
la mienne est une sinusoïde, elle ne cesse de
monter et de
descendre à tous
bouts de champs, des zigzags, de vraies dents de scie !
Expression, que
m'attribuera d'ailleurs M. Destrée, de
l'Administration de
l'Aéronautique,
chaque fois qu'il me renouvellera ma licence de
pilote...
«
Monsieur Siroux, vous avez une carrière
en dents de scie ! »
Et
pourtant, à cette époque, je n'en
étais
qu'à mes débuts... S'il avait pu
prévoir l'avenir, «
Croisées des chemins » !
Encore
aujourd'hui, je parle souvent de
Pierre Grégoire, lorsque quelqu'un me demande,
l'air
étonné:
«
Mais... Quel genre de vie avez-vous donc
eu ? »
Je
réponds alors, en pensant à Pierre:
«
Contrairement à un ami... »
Chaque
fois que je rentre au pays, il
m'est agréable de revoir les copains... Ce qui me
paraît
extraordinaire, à moi,
le romano, qui a habité trente quatre demeures et
fut
domicilié dans une
dizaine de pays différents, sans parler de tous
les hôtels
du monde, qui sont
également mes maisons
»,
puisque j'y
passe les deux tiers de mon existence, c'est de les
retrouver, ces amis
de
vieille date, dans la même maison, avec la
même femme, le
même chien (un autre,
mais de même race), la même voiture (une
autre, mais de
même marque), le même
numéro de téléphone, (si ce n'est
que les PTT y
ont ajouté un chiffre ou deux
!)... Je me compare alors à eux, je me pose des
questions... Qui
est le plus
heureux ? Chacun à notre façon, nous
sommes heureux, sans
doute... Qui est dans
la norme ? Tout est relatif... Une chose est certaine,
« not for
all the rice
in China », pas pour tout le riz de Chine, je ne
voudrais pas
changer ma vie
contre la leur !
Pierre
Grégoire s'aperçoit, sans peine, de
mon manque d'intérêt, que j'ai pour mes
études...
«
Justement, tu dois réussir tes études
pour pouvoir réaliser tout cela ! »
Je
sors de ma torpeur... Je réalise qu'il
a raison, que je suis en train de jouer au con, de tout
faire foirer !
Il
veut m'aider... Bien gentiment, il me
propose de venir revoir les matières avec lui...
Chez lui, nous
allons donc «
bloquer » ensemble ! Je m'aperçois que mon
retard s'est
gravement accumulé...
Je fais un effort ! Pierre parvient à me redonner
goût
à la Philosophie, à la
Psychologie, à la Logique... L'Histoire,
ça va, j'ai
toujours aimé... Grâce à
lui, je me remets dans le coup !
J'ai
une amie, Dédée, (pas
d'Anvers...)...
Elle a participé à nos
Olympiades d'hiver en Italie... Elle m'aide aussi !
C'est bien gentil
de sa
part, mais les cours particuliers, qu'elle me donne, ne
serviront pas
à
grand-chose... Par contre, sa famille est charmante avec
moi, je me
sens bien
chez eux ! Son frère, un d'un style plus
excentrique... Il ne
passe pas
inaperçu à Knokke le Zoute, sur la Place
Albert, la
« Place m’as-tu vu ? » ou
sur la digue... Ce n'est pas un Yorkshire, un petit
toutou à sa
Dadame, qu'il
promène... Il tient en laisse un canard !
Alors,
vers la fin de l'année scolaire, à
l'approche des examens, j'apprends « la »
nouvelle ! Le
Flight Universitaire
ferme ses portes ! Manque de budget ? Manque de
candidats ? Je crois
plutôt à
la difficulté, pour un étudiant, de suivre
régulièrement, et des cours d'Unif
et des cours de pilotage ! Quel qu’en soit la raison,
plus de
possibilité pour
moi d'envisager ce système...
«
Craaaaak ! » Craquelures...
Les
dieux ne sont pas avec moi...
Je
ne sais plus quoi faire... Continuer
mes études ? Pourquoi ? Pour mon père ? Et
mes
Seul,
je prends alors une des premières
décisions importantes de ma vie, de ma
carrière...
Mon
oncle n'est pas étonné que je veuille
arrêter mon Droit... Il me pose alors ce dilemme:
«
Aviation militaire ou civile ? »
«
Civile ? »
«
Oui, l'Ecole de la Sabena: formation de
pilote de ligne ! Je crois que l'idée plairait
plus à tes
parents, bien que,
personnellement, je conseille l'aviation militaire
d'abord... » «
Car », ajoute-t-il, « avant d'entrer dans
cette
école civile, il faut être
libre de tout engagement militaire ! »
«
Ah ? »
Je
ne sais vraiment plus quoi faire...
Afin
de récupérer le plus de retard
possible, mon esprit se met en ébullition... Dans
mes mains et
dans ma tête, je
suis en train de battre les dés, je coupe et
recoupe les cartes,
je fais et
refais des calculs: service militaire, en attendant
d'être
appelé: deux ans !
Ecole d'aviation civile: deux ans ! Stage et
lâcher en ligne: une
année ?
Environ cinq ans ! 22 + 5 = 27 ! Force Aérienne:
c'est simple,
cinq ans !
J'arrive au même résultat: j'aurai 27 ans !
Oui, mais,
faudra-t-il encore que
la Sabena recrute toujours des pilotes militaires...
Peut-être ne
recrutera-t-elle plus du tout !
Oui,
mais, par contre, alors... J'ai la
tête comme une pastèque ! Quand je pense
que tous ces
soucis auraient pu être
évités, si mon père m'avait
laissé faire...
A présent, quel merdier !
Je
lui câble:
«
J'abandonne l'Université ! Je commence
un stage vol à voile au mois de juillet, en
attendant de faire
mon service
militaire ! Après quoi, je rentre à l'EAC
(Ecole
d'aviation civile) ! »
Ma
décision est prise, j'opte pour
l'aviation civile ! Les dés sont jetés !
Mon premier coup
de poker, martingale
lourde de conséquences...
En
voici l'histoire, elle va durer six ans,
mais pas du tout, du tout, comme je l'avais
prévue ! Six ans,
avant le second
coup de poker, qui, pire que le premier, va basculer
totalement ma
vie...
Etonnante
la réponse de mon père, elle me
stupéfait ! Il ne semble pas « être
contraire
» à ma décision de stopper mes
études et surtout, il accepte mes projets
d'aviation ! Il
m'annonce en même
temps, leur retour définitif en Europe ! C'est au
tour de ma
mère d'ajouter un
post scriptum, elle qui m'écrivait sans cesse de
longues lettres:
«
On t'expliquera tout cela en détails en
juillet, bonne chance ! »
Mes
parents abdiquent-ils ? M'ont-ils
enfin compris ? Mais pourquoi ce retour
précipité ? Je
m’inquiète, je n'en
connais pas les raisons ! Et mon Congo ? Et Vuyonga,
où mon
père vient de
prendre sa retraite ? Je n'y retournerai plus, si je
devine bien ?
En
effet, dès leur retour, je comprends
mieux les motifs, qui ont pu décider mes parents
à
quitter le Congo... En fait,
mon père ne sens pas très bien, il
s'essouffle vite,
à cause de l'altitude de
la plantation, il a des battements de cœur ! Il sent
aussi que le
climat
politique vire à l'indépendance, il ne
présage
rien de bon... Situation
incertaine... Sombres nuages à l'horizon,
dit-il... Il voit
déjà, mon père,
s'envoler en fumée, tout ce que des hommes comme
lui, ont pu
créer au cours de
leur carrière coloniale... Les
événements futurs
lui donneront raison ! Dernier
motif, et non des moindres, les tiraillements entre sa
femme et sa
mère !
«
Eh, oui, erreur de ma part » m'avoue-t-il...
« Naïvement, j'avais cru qu'entre
belle-mère et belle
fille, tout irait bien...
Retiens cette leçon ! »
Muni
de cette expérience paternelle, il
eut été logique que je ne fasse pas la
même
connerie... Bien entendu, comme un
con, je l'ai faite plus tard !
En
effet, cela fait dix ans, que ma
grand-mère habite la plantation... C'est elle,
qui l'a
crée, l'a fait
fonctionner, elle en est la « Patronne » !
Tout en
étant le propriétaire, mon
père n'est plus chez lui... Quant à ma
mère,
à la moindre remarque, c'est quasi
« la remise en place » ! Ma
grand-mère, cette femme
de tête, quitte Vuyonga,
son nid d'aigle, descend dans la vallée, pour
aller vivre,
à Butembo, avec sa
fille et son gendre ! Situation inversée...
Mon
père prend alors une de ses décisions
rapides, dont il est coutumier... Il met en vente la
plantation ! En
peu de
semaines, il vend tout ce qui peut se vendre: sa
voiture, ses fusils,
ma
carabine 22 long (!), jusqu'au moindre ustensile de
cuisine... Tout !
Quotidiennement, les « bilokos », les
objets à
vendre, sont étalés par
terre, tout le « brol », comme on dit
à Bruxelles,
accumulé au fil des ans... «
Un vrai « souk » !, me dira ma mère !
Ce que les
Américains appellent: « garage
sale ». Au cours de mes
pérégrinations, à
chaque changement de pays, j'en ferai
aussi, des ventes dans mon garage...
Tout
est vendu, sauf la plantation ! Elle
ne sera jamais vendue... Avant de quitter le Congo, mon
père
parvient tout de
même à la louer au gouvernement, pour peu
de temps, en
attendant une vente
éventuelle, qui ne se fera jamais...
Réquisitionné
plus tard, après
l'indépendance, puis abandonné, notre
domaine de Vuyonga
sera envahi, petit à
petit, par sa végétation originale... Par
manque
d'entretien, la colline va
redevenir brousse ! Les hautes herbes, dans lesquelles
Raf, le chien de
ma
grand-mère, faisait des bonds verticaux pour
éviter les
serpents, recouvrent
les plantations, le potager, le verger... Adieu, les
beaux fruits, les
beaux
légumes de Bonne Maman ! Le soleil sèche,
fait craqueler
le sol... Désolation !
La pluie fait déborder les étangs, leurs
digues
craquent... Dispersion ! La
maison se camoufle, rongée par les plantes
sauvages,
dévorée par les lianes...
La faune est de retour...
Seule
reste à jamais imprenable, la vue
magnifique des montagnes du Kivu, avec pour toile de
fond les Monts de
la Lune,
le Ruwenzori et ses neiges éternelles... Au
moins, quelque chose
de sauvé...
Alléluia !
Notre
boy, Modeste, est bien obligé de
quitter mes parents... Au moment du départ,
Modeste, c'est
« Jean, qui pleure
et Jean, qui rit », paraît-il. Tout en
étant triste
de voir partir ses patrons,
il est également content ! Cela ne
m'étonne pas, car
Modeste va pouvoir
réaliser un de ses vieux rêves, il va
devenir chauffeur de
camions ! Il m'en
avait parlé...
«
Je pourrai alors », m'expliquait-il, «
pour bloquer le camion dans les descentes ou les
montées, lancer
l'ordre au
boy-chauffeur de mettre la cale: «Weka kalai
!». Je vais
faire ronfler le
moteur, « Vroumm, vroumm... Kabissa, di ! Vraiment
! Mi na pika
vitesse, di !
Moya, mbili, tatu ! Je vais « taper »,
changer les
vitesses, première, seconde,
troisième ! » Les
ambitions de « mon » Modeste... Est-il
devenu «
patron » à son tour ? Nous ne
l'avons jamais su... Adieu, Modeste !
Tous
ces tracas ont fatigué mon père... Il
est devenu plus philosophe, moins rigide, plus relax...
En acceptant
plus
facilement les événements, dont il ne peut
pas changer
les cours,
Néanmoins,
je me présente aux examens de
l'Université...
Pour la forme ! Pure forme, car je suis de suite
décapité, séance tenante ! Un
large coup de sabre suffit ! « Ziiip ! »,
plus de
tête, plus d'Unif !
Je
renonce à mon sursis militaire, prévu
pour les étudiants... J'établis de suite
la demande pour
être intégré le plus
vite possible... En attendant, stage de vol à
voile !
Un
ami, Georges (Yurik) Roesh, qui a fait
ses études avec moi à Bukavu et qui vient
de
réussir, lui, sa première année
d'Unif, est intéressé par le vol à
voile... Il
fait ce stage pour le sport,
pour s'occuper pendant ses vacances... Moi, je commence
mon
métier, ma «
carrière » ! Nous nous inscrivons ensemble
au stage de St
Hubert...
On
« charge » ma Lambretta ! « Preutt...,
Preutt... ». Direction: les Ardennes !
Aujourd'hui,
« La coupe Pierre Charron »
est courue chaque année... En souvenir de
Monsieur Pierre
Charron, un Français,
qui a consacré une grande partie de sa vie en
Belgique à
promouvoir ce sport
qu'est le vol à voile... Lorsque Georges et moi
arrivons
à l'école de St
Hubert, Premiers
jours, premiers cours au sol: base
d'aérodynamique,
météorologie, règlements de
l'air... Premiers « briefings » !
Le
temps est au beau fixe... Première
leçon pratique ! Je crois rêver... Suis-je
vraiment en
train de réaliser mon
vieux souhait: voler !
Pas
si simple, voler ! Surtout pour cette
opération de remorquage ! Le planeur (biplace)
est
attaché par un câble à
l'avion remorqueur (un bon vieux biplan, un Tiger Moth),
jusqu’à
une altitude
de cinq ou six cent mètres... Il faut donc voler
en formation
avec lui ! Le
moniteur est assis en place arrière,
l'élève est
à l'avant...
«
Suivez-moi aux commandes ! »
Je
suis... J'essaie de suivre ! Le stick,
le manche à balai, va dans tous les sens... J'ai
plutôt
l'impression de battre
le beurre, comme je le faisais, à Vuyonga, quand
je frappais le
petit lait...
En
tirant la poignée, M. Charron libère le
câble, « Clac » ! Le Tiger Moth pique
vers le sol,
Pour
le planeur, c'est le vol à l'état
pur... Pas de moteur, pas de bruit, si ce n'est que
celui des filets
d'air, qui
s'écoulent sur la surface des ailes et de la
carlingue...
Sensation de
liberté... Oui, de la pureté ! Je n'ai pas
le temps de me
laisser aller à ces
considérations...
M.
Charron me démontre un virage... Toute
la théorie de son briefing revient en pratique...
Le
vol à voile, l'école du « Sens de
l'air
» ! A petite dose, doucement, comme une
piqûre
intraveineuse, M. Charron me
l'inocule, ce sens... Il me distille son art dans la
peau... C'est lui,
qui va
pour toujours, me vacciner au secret de l'air !
La
leçon est de courte durée... Il est
déjà temps de se positionner pour
l'atterrissage ! En
vent arrière, en étape de
base et en finale... Opération délicate...
Il faut bien
juger ! Pas de moteur pour
redresser une
position
trop basse... Quand on ne « fait pas la piste
», qu'on
atterrit trop court,
c’est-à-dire dans les champs, s'il y en a, on
appelle cette
démonstration, «
faire une vache » ! Si le pilote est encore
entier, il rentre
à pied et la
honte au front... Si on se retrouve trop haut, il y a
toujours la
possibilité
de sortir les aérofreins, de véritables
planches, qui
sortent des ailes et
cassent la portance, la pente de descente s'accentue
immédiatement !
Le
vol à voile, l'école d'esprit
d'équipe
! En attendant leur tour, leur leçon de pilotage,
les
élèves ne se tournent pas
les pouces... Dès qu'un planeur vient d'atterrir,
ils courent en
bout de piste,
ramènent le planeur à l'autre
extrémité, en
le poussant, en le tirant, afin de
le positionner pour un nouveau décollage...
D'autres vont
chercher le câble,
qui vient de tomber du ciel,
«
Alors, Jack, St Hubert, pour toi, ce
sont les tartines ? »
«
Non ! C'est le vol à voile ! »
«
Ah ! »
La
première semaine, le temps est
parfait... Pas un nuage ! Les leçons avancent
bien pour tout le
stage... Mes
virages sont bons, ma bille bien centrée... Démonstration et
applications de la perte de
sustentation: « rendre la
main », pousser le stick en avant, reprise de la
vitesse...
«
Allez, Siroux, qu'est ce vous attendez ?
Un coup d'aéfs ! »
Vaut
mieux être trop haut que trop bas...
Je tire les aérofreins, je récupère
mon profil et
j'atterris... Marche bien ce
truc là !
Justement,
un après-midi, ce « coup d'aéfs
», Mr Charon ne peut pas le donner, pour la bonne
raison qu'ils
ne sortent
pas... Ils sont bloqués ! Cette fois-çi,
son
élève est vraiment trop haut...
Joli
passage au-dessus de nos têtes...
Toute la piste y passe... Atterrissage forcé,
« vache
» dans le champ,
malheureusement plein de bosses, « juste »
en dehors du
bout de piste... Pas de
blessés, mais les ailes du planeur sont
cassées,
pliées en deux !
Un
des premiers contretemps de ma «
carrière »... Il a son importance, car je
fais partie du
groupe Charron et nous
voilà sans planeur ! Que va faire de nous, Mr.
Charron ?
Il
décide de requinquer « une vieille
bête
», un vieux planeur, en retraite au fond du
hangar...
Peut-être est-il mort, ce
Mathusalem ? Charron veut lui rendre vie, le
ressusciter... Ses
élèves, (nous
!), passent deux jours entiers, à le
dépoussiérer,
à le briquer... Pendant ce
temps, aidé d'un mécanicien, Charon visse,
dévisse, serre, desserre, vérifie,
revérifie, avant de le relancer cet engin dans
les cieux !
Ce
planeur nous semble immense ! Ses ailes
surtout, quelle envergure ! En plus, il est tout en bois
! Il n'est pas
aussi
léger que les planeurs employés pour le
stage, les
Ifuzags... Quand nous le
roulons vers la sortie, nous entendons les craquements
de sa carcasse !
«
Criiiik..., Craaaak..., Criiiik...,
Craaaak... »
Je
commence, les autres aussi,
certainement, ont me demander comment cet oiseau a pu
volé un
jour...
Revolera-t-il d'ailleurs ? Nous ne pouvons pas cacher
notre
inquiétude, car
notre moniteur nous affirme:
«
Ce Kranich ? Un des meilleurs planeurs,
vous allez voir ! »
Sur
parole, on croit donc Monsieur
Charron...
Nous
avons vu, j'ai vu ! Après le vol
d'essai, je suis le premier à monter dans cette
carlingue...
Pendant
le remorquage, j'entends bien
quelques « Criiik, Craaak », mais je ne
m’inquiète
pas trop... Je fais
confiance à Mr Charron ! A peine
débarrassé de
notre câble, il me crie, car il
est loin derrière, à présent, vu la
longueur du
fuselage:
«
Il vole bien ! Hein, Siroux ? »
«
Heu... Oui, Monsieur Charron ! »
«
Je vais vous montrer la feuille morte !
»
«
??? »
«
La vrille ! »
«
!!! »
«
Suivez-moi bien aux commandes ! »
«
Oui, Monsieur Charron ! »
Durant toute cette manœuvre, il
m'explique toujours en criant:
«
Je monte doucement le nez sur l'horizon,
la vitesse diminue, Vous sentez ces tremblements ? Nous
approchons de
la perte
de sustentation... Han ! Un coup de palonnier ! L'aile
décroche
! Nous voilà en
vrille ! »
Il
est relax ce sacré moniteur ! Il « fait
la vrille », comme s'il battait ses œufs en
neige... Aucun
problème, aucun
complexe ! Moi, ce que je trouve de complexe, ce sont
les mouvements du
stick
et du palonnier...
Un
tour de vrille ! Ca fait: « Flop » !
Deux tours de vrille ! Ca refait: « Flop » !
Je
pense:
«
C'est exact, une vraie feuille morte ! »
En plus, la pauvre bête grince, ronchonne ! Les
« Criiik » et les « Craaak
» sont plus accentués ! « Criiik,
Craaak, Flop,
Criiik, Craaak, Flop »
«
Pour sortir de vrille » me hurle
Charron, « arrêter la rotation par un autre
coup de
palonnier ! HAN !
Pousser le manche en avant pour garder la vitesse, le
nez pointé
vers le sol !
La vitesse revient... Voilà ! »
Je
n'y vois que du feu, mais le planeur se
stabilise, se redresse... Approche, atterrissage !
Impeccable !
Au
sol:
«
Solide, ce planeur ! Hein, Siroux ? »
«
Oui, Monsieur Charron ! »
«
On recommence au prochain tour ! »
«
... »
«
Cela peut, un jour, vous sauver la vie,
Siroux ! » (Sic).
«
Oui, Monsieur Charron ! »
Avant
le « lâcher en solo », Monsieur
Charon nous met quelques fois en vrille... A nous d'en
sortir !
Personnellement, je vais assimiler ce
mécanisme... Un an plus
tard, je crois
bien que cet entraînement me sauvera la vie, j'en
suis toujours
persuadé
aujourd'hui... Grâce à Monsieur Charron !
La
météo change... Le ciel bleu
disparaît
sous des couches de nuages... Plafond bas... Second
inconvénient
! Retard... Le
stage est stoppé net !
Les
jours passent... Nous sommes cloués au
sol ! Soudain, une éclaircie... Nous allons
pouvoir effectuer
les dernières «
double commande » avec Monsieur Charron, qui
décidera
alors: « prêt » ou pas «
prêt » pour partir seul ! Le « solo
», moment
des plus marquants pour un
aviateur, moment d'extase... A vrai dire, serrement de
fesses !
Il
me reste quelques leçons à prendre...
Le plafond redescend... La visibilité est
minimale, elle
persiste, persiste...
Notre temps de stage se termine dans le brouillard... Place aux élèves
du stage suivant !
Je
n'ai pas l'occasion de faire mon
solo... Le comble, mon ami Georges, qui est venu ici en
dilettante,
pour se
distraire, est lâché, il quitte le stage
avec son brevet B
en poche ! Leur
groupe n'a pas dû « bichonner » cette
vielle bestiole
de Kranich, ils ont pris
de l'avance... Moi, qui suis venu à St Hubert
pour enfin
débuter convenablement
« l'Aviation », je suis reporté ! A
quand ?
Déporté ! Où ?
«
Craaaaac ! ». Craquelures...
Les
dieux ne sont pas avec moi...
Le
vol à voile, l'école de la Patience !
Pendant des mois, avec ma Lambretta et mon duffel-coat
à
capuche, je vais me
taper les 50 kilomètres pour aller au terrain de
Temploux,
près de Namur... Sur
ce terrain, je vais essayer de trouver un moniteur
d'abord, un planeur
ensuite
! Attendre une éclaircie... Attendre mon tour...
Je vais aider
les autres en
poussant les planeurs... Comme à St Hubert, je
vais galoper pour
récupérer le
câble... Et bien souvent pour rien ! Car,
Un
moniteur, Mr. Watelet, fait de son
mieux pour me donner le plus de leçons possibles
sur son «
Rhonlerche »...
Finalement, il me lâche sur un monoplace, le
« Grunau
», dont il referme la
verrière, le « canopy »... «
Clac » !
Coup de ciseaux, il a coupé le cordon
ombilical... Je suis abandonné à
moi-même... J'ai
l'impression d'un adieu...
Enfermé dans ce cockpit, attaché à
mon parachute,
qui sert de coussin, sanglé,
ligoté, je ne me suis jamais senti si seul !
Mais
une fois en l'air... Liberté...
Jouissance... Fierté... Dirais-je bêtement:
le plus beau
jour de ma vie ! Oui !
Je me sens homme de la situation, le Chef du ciel ! Mais
le «
Chef » a les
fesses moites et la goutte de sueur au front... Le
Grunau n'est pas
très fin,
très fin, il descend vite... Deux petits tours et
je rentre...
Circuit
d'approche, atterrissage ! Ouf !
Après
cette épreuve, coutume: payer le pot
! La bière coule... Je deviens aviateur !
Et
je reviens et j'attends à Temploux...
Moi aussi, je veux tenter le brevet C... Je l'obtiens en
parvenant
à « tenir
l'air » une bonne dizaine de minutes et à
faire un gain
d'altitude de plus de
300 mètres !
Eric
Lambelé est en courrier, de passage à
Singapour en 1992... Il me contacte, comme je contacte
mes copains
quand
j'arrive dans une ville ! Aux escales, c'est un de nos
plaisirs, nous,
pilotes
de ligne, voyageurs permanents...
Après
le tennis, Eric me parle un peu de
sa carrière, mais surtout de ses planeurs... Car,
c'est le hobby
de toute la
famille, sa femme Micheline et sa fille ! Ils utilisent
des appareils
à grande
finesse, avec lesquelles ils peuvent rester en l'air
pendant des heures
et
ainsi, aller très loin... Autres «
bestioles » que
le Kranich de mon
entraînement ou le Grunau de mon solo, qui volent
comme des
« fers à repasser
», par comparaison... Pourtant, la plupart des
débutants
ont obtenu leurs
premiers brevets de temps et d'altitude avec ces
planeurs d'une finesse
variant
entre 15 et 25, ce qui n'est déjà pas si
mal... Un
planeur ou un avion possède
une finesse de 15, lorsqu'il peut planer 15
kilomètres, si on le
lâche à une
altitude d'un kilomètre ! Le Boeing 747 est aux
environs de
20... Je l'ai dit,
un planeur ! Eric me parle de machines, qui ont 50, 55,
60 et plus !
«
C'est bien simple », me dit-il, « On ne
descend plus ! A la moindre ascendance, au moindre
courant d'air, on
remonte...
»
Il
me parle ainsi du jour, où il fut pris
dans un courant d'onde et aspiré ainsi
jusqu’à plus de
8.000 mètres !
Heureusement, il s'y attendait, il espérait
même trouver
cet « ascenseur », il
était prêt avec son masque
d'oxygène... Un premier
problème fut de redescendre
! Il fit ce que Charron m'avait hurlé dans les
oreilles: «
Un coup d'aefs », un
long coup d'aérofreins, cette fois-çi ! Le
second
problème fut le froid... La
température est bien loin en dessous de
zéro à
cette altitude... Son pare-
brise s'est complètement givré (les avions
ont un
réchauffage des vitres), et
lui-même, malgré sa petite laine, il s'est
mis à
grelotter ! Troisième
problème, pipi ! Cela faisait des heures, qu'il
tournait en
l'air à la
recherche de cette ascendance... Tant pis ! Dans son
pantalon...
« Aaah ! C'est
si bon... et ça réchauffe » ! Il a
eu de la chance,
Eric, il aurait pu pisser
des glaçons, comme les Esquimaux...
Un
autre ami, Michel Doutreloux, pilote
uniquement des planeurs, son planeur, dont il me donne
la finesse... Je
n'ose
pas en parler, ce n'est plus un planeur, c'est presque
un «
ballon », qui ne
demande qu'une chose: grimper ! Il me parle de ses
longues
randonnées en temps
et en distance au-dessus de l'Europe, de nuage en
nuage... L'air chaud
monte,
se refroidit et forme un nuage par condensation, un
nuage d'air
instable, le
cumulus. C'est en dessous de ses cumulus de beau temps
», que les
pilotes de
planeurs vont chercher les ascendances... Ces cumulus
peuvent devenir
méchants,
même très méchants, ils deviennent
alors des
cumulonimbus, des « CB »,
Hawaii
1989. Cela fait des années que je
n'ai plus mis mon cul dans un planeur, je refais un tour
! Ma femme
m'accompagne, nous sommes en place arrière du
cockpit, le pilote
est devant...
Il sait que je suis aussi aviateur, il est sympa, il
allonge le tour de
vol...
Il pourrait d'ailleurs l'allonger indéfiniment,
puisque c'est
ici, qu'un des
records du monde de durée de vol libre fut
établi... Plus
de 72 heures ! Je
crois même qu'il a fallu les abattre, ils y
seraient toujours...
Sans
discontinuité, le vent de l'Océan
Pacifique souffle sur
les montagnes du Nord
de l'île d'Ohau, formant ainsi un courant d'onde
bien
régulier. Au large, nous
voyons les baleines souffler...
Eric
Lambélé est à présent
Commandant de
Bord sur Airbus dans une compagnie du Golfe Persique...
Pour y arriver,
lui
aussi, a dû avoir de la patience... Il fait partie
de cette
longue liste des
collègues, dont je parle souvent dans ce bouquin
et qui serait
trop longue à
énumérer, les
Ca,
aussi, faut le faire ! Vais-je passer
pour un présomptueux ? M'en fous ! Je «
nous » tire
un coup de chapeau !
Mes
parents sont rentrés du Congo... Ils
me retrouvent à St Hubert, aux jours de
brouillard... Nous avons
donc
l'occasion de parler en visitant les alentours avec la
Wolkswagen, dont
ils
viennent de prendre livraison... Je trouve mon
père vraiment
transformé... Je
m'en souviens bien, au détour d'un chemin, nous
nous
étions arrêtés dans cette
douce clairière... Il y avait un ruisseau...
Malgré le
mauvais temps, les
Ardennes sont belles... Une sensation de
bien-être... Voyant mon
découragement
devant le brouillard, qui m'empêche de poursuivre
mes vols, il me
dit:
«
Jackie, moi, je ne m'en fais plus ! »
(Sic).
Silence...
Venant
de sa part, cela me surprend...
A-t-il abdiqué ? Est-il déçu par le
Congo ? Est-il
J'attends...
J'attends des mois... Je
n'attends plus mon planeur, mais ma rentrée au
service militaire
! J'emploie ce
temps à « patienter » à
Temploux...
Dès
que j'obtiens mes brevets B et C,
j'introduis une demande: une bourse pour obtenir un
brevet de vol
à moteur !
J'ai bien spécifié que je suis un futur
candidat à
l'Ecole d'Aviation Civile,
que j'ai encore mon service militaire à
effectuer, que j'ai
« déjà »(!) mes
premières licences de vol à voile... Assez
rapidement et
avec un grand étonnement,
je reçois une réponse favorable,
A
nouveau, mon père veut bâtir « sa
»
maison, je le savais ! La brique dans le ventre... Avant
son retour,
j'avais
repéré une petite parcelle dans une belle
avenue... Les
propriétés de ce
quartier sont importantes, sauf ce petit terrain ? Je le
montre
à mes parents,
ils aiment de suite l'endroit ! Je retrouve mon
père, il semble
reprendre
vie... Avec sa rapidité habituelle, il
décide d'acheter,
prend comme
architecte, celui qui a construit la villa de son
frère, pas
très loin d'ici,
il coordonne tous les corps de métiers, suit le
cahier des
charges... Je le
retrouve vraiment, il tient à avoir tout sous
contrôle,
mon père ! Pour
accélérer la besogne, lui et moi allons
chaque jour
défricher le terrain...
Egratignures, bras en sang, cloches aux mains... pour
rien ! Le
bulldozer
arrive, rase et nettoie les neuf ares en une demi
journée... Ma
mère:
«
Je vous l'avais bien dit, le
bulldozer... Vous n'avez pas voulu suivre mon conseil !
»
Faudrait-il
toujours écouter les femmes
?...
En
attendant la construction de la villa,
Avenue Baron de Huart à Kraainem, nous habitons
un appartement
Avenue
d'Auderghem, près du parc du Cinquantenaire... Je
profite ainsi
de la présence
de mes parents... J'accompagne souvent mon père
sur le chantier
de la maison...
C'est la première fois que nous allons vivre
ensemble si
longtemps, car l'Armée
n'a pas l'air d'être pressée de m'appeler
sous les
drapeaux, malgré avoir passé
trois jours « au Petit Château » et
trois autres
journées à faire des tests
écrits et pratiques d'appréciation pour
devenir Candidat
Officier...
Fin
1957, je commence mes cours de
pilotage à Grimbergen, près de
Bruxelles... Moins loin
que Temploux... Mon
moniteur est Monsieur de Bruyn... Je vole sur Piper Cub,
lequel ne
possède pas
plus d'instruments que les planeurs de St Hubert !
Ma
patience est de nouveau mise à
l'épreuve, mais j'ai appris... Il faut que mon
moniteur soit
libre, qu'il y ait
un avion de disponible et que le temps soit potable,
nous sommes en
hiver...
Beaucoup de conditions !
Recommence
alors à peu près ce que l'on
m'a appris au stage de vol à voile... Mise en
montée,
virages, mise en
descente. Surveillance de la vitesse, du vario, du cap,
de
l'altimètre, bille
et aiguille ! Circuits ! Décollage, montée
à 300
mètres, virage pour se
positionner en vent arrière, en étape de
base et en
finale... Un avantage, le
moteur ! Mais le moteur a du « torque », un
effet
gyroscopique, l'hélice « tire
» l'avion d'un coté ! Correction par le
gouvernail de
direction, au palonnier,
dès que le régime du moteur est
modifié ! Au
décollage, par exemple, lorsque le
moteur est poussé à fond, si l'avion part
à
droite, pied à gauche pour
maintenir la ligne droite ! Logique, mais pas si simple
pour
certains... J'en
parle parce que j'ai connu des élèves
pilotes, qui n'ont
jamais été capables de
tenir cet avion en ligne droite, leur «
carrière »
s'est arrêtée au décollage !
Pas doués ? Pourtant, il ne s'agissait pas
d'imbéciles,
ils étaient
universitaires !
Démonstration
du décrochage... Monter le
nez sur l'horizon, la vitesse diminue, sur les ailes les
filets d'air
décrochent, tremblements, « Brrrr...
», l'avion
« s'abat », « Plaff ! », perte
de sustentation ! Stick en avant, un coup de moteur, la
vitesse est
récupérée,
stabilisation de l'appareil. Je pense à Mr
Charron... Nouveau
décrochage, à mon
tour d'en sortir... Mr De Bruyn est satisfait de mes
premières
leçons... Les
circuits continuent... Il ne me démontre pas la
vrille, Mr De
Bruyn, ce n'est
pas encore au programme ! Pourtant, je vais
bientôt en faire une,
même deux,
juste après mon « solo », bien
malgré moi...
Car je suis assez rapidement « lâché
», bénéficiant de mon stage de vol
à voile !
Le
tout premier solo reste un souvenir
ancré dans la mémoire de chaque pilote,
néanmoins
les « lâchers » futurs sur
les différentes machines, qu'il va voler,
représente un
petit événement...
Les
premiers circuits en solo se font sous
la surveillance du moniteur... Lors de mon
troisième solo, Mr De
Bruyn reste
donc au sol, en bout de piste... Tout
se
passe bien... Il fait froid, le vent souffle... Mr De
Bruyn fume la
pipe, il a
épuisé toutes ses allumettes... Il fait un
saut au bar
pour demander du feu...
C'est à ce moment-là, pendant ces quelques
minutes, que
« l'incident » se
produit !
En
fait, l'Aéronca, sur lequel je suis en
train d'effectuer mon circuit, n'est pas
équipé de
radio... Les ordres de la
tour, autorisations ou interdictions, se résument
aux faisceaux
lumineux, verts
ou rouges d'une lampe, que nous braque le
contrôleur... En
extrême limite, il
tire une fusée, rouge ou verte, s'il lui semble
que le pilote
n'a pas compris
son message... Un peu comme chez les Peaux Rouges !
Je
vais virer en final... L'Aéronca a les
ailes hautes, la visibilité verticale est donc
restreinte... Je
« regarde bien
», éternel conseil de mon moniteur... Rien
! Le ciel est
libre... Et puis, je
le sais, je suis le seul avion dans le circuit... C'est
ce que je crois
!
Venant
de nulle part, du néant, un Tiger
Moth, « grand comme ça », fait son
apparition !
Comme mon sorcier, je le verrai
toujours, il est là, dans ma mémoire... Il
est devant
moi, il ne m'a pas vu !
Comment est-ce possible ? Avec la vue tout azimut, qu'il
a de son
cockpit ! Il
me coupe ma finale ! Immédiatement, je tente de
lui
échapper en passant
derrière lui ! Trop près, trop tard ! Mon
aile gauche
racle le ventre du Tiger
Moth... La béquille en fer, qui lui sert de
roulette de queue
arrache le bout
de mon aile... « Crak » ! Mon avion bascule,
je me retrouve
en vrille !
Monsieur
De Bruyn accourt...
«
Mon ami ! Que s'est-il passé ? »
Voilà
tout le problème, il n'y a pas de
témoins ! Ni lui, ni le contrôleur, ni
personne ! Sauf, le
pilote de l'autre
avion, qui revient se poser et parque le Tiger Moth, qui
n'a pas une
égratignure, à L'EAC (Ecole d'Aviation
Civile)... Cette
école où normalement,
après mon service militaire, je dois rentrer...
Je vais
être populaire !
M'acceptera-t-elle encore ?
Arrêt
de ma bourse ! Malgré son absence de
la piste, d'où il aurait dû me surveiller,
Mr De Bruyn me
défend, à fond ! Il
sera le seul à me féliciter ! Après
tout, avec le
peu d'heures de vol que
j'ai... Au bout de quelques semaines, il parvient
à faire lever
cette sentence
en attendant les résultats de l'enquête...
Tous les
« autres » sont contre moi
! Entr'autres, Mr Fieremans, le contrôleur, qui
préfère se mettre du coté de
l'Administration... Il ne prend pas de risque à
mon sujet... Il
n'a rien vu !
Sans doute, regardait-il du mauvais coté, du
coté des
Flandres, d'où ses
pigeons doivent revenir... Car, il est colombophile,
Monsieur le
Contrôleur,
c'est son hobby... Selon la météo, «
les convoyeurs
attendent ».... Peinard
dans sa tour, il attend que l'on me coupe le cou !
Comment
un petit boursier comme moi, à
peine lâché, peut-il avoir raison contre un
éleve-pilote de l'Ecole d'Aviation
Civile, déjà loin dans son stage de pilote
de ligne ?
Pour moi, c'est clair,
j'entamais mon approche finale, j'avais la
priorité, je ne suis
pas en tort !
Comment le prouver ?
«
Craaaaac ! ». Craquelures...
Les
dieux ne sont pas avec moi...
Raplapla,
je rentre à l'appartement... Mon
père est choqué, ma mère
disloquée... Elle
pleure ! J'en ai assez de cette
journée noire, je quitte la maison et rejoins
Micheline !
Micheline...
Car, entre-temps, j'ai
rencontré Micheline et son petit garçon...
Tout
bêtement, dans l'ascenseur de
notre immeuble... J'ai souvent fait des rencontres dans
les ascenseurs,
mais
celle-ci ! De fil en aiguille, je vais m'attacher
à Micheline...
Elle aussi, va
me prendre en mains, mais d'une toute autre façon
que Nicole...
Je ne sais pas
ce qu'elle fait, je ne l'ai jamais su ! Toujours est-il
que nous
fréquentons
des endroits très agréables... Elle
«m'invite» sans cesse dans d'excellents
restaurants, nous allons prendre « le dernier
» dans des
bars cossus, dont les
murs sont tapissés de velours... D'elle,
j'apprends la liste des
vins, le choix
d'une bonne bouteille, d'un bon alcool... Au moment de
l'addition, elle
me
glisse dessous la table quelques gros billets... Au
début, je
m'offusque ! Mais
Micheline se fâche ! Sinon, le jeu se termine !
Moi aussi j'ai
quelques sous,
mon argent de poche, que me donne Papa... Je ne veux
d'ailleurs rien
lui
demander, à mon père, il me prête sa
voiture, ce
n'est déjà pas mal ! Devant
cet ultimatum de Micheline, j'abdique vite...
Ce
« jeu » devient une habitude, que
j'avale sans plus aucun complexe... En fait, je suis
Je
commets une erreur... A ce sujet, je
serai toujours un faible ! Jalousie ! De quoi ? Je ne
sais rien, je ne vois rien
! Ah, si, un soir, Micheline,
qui vient d’emménager Avenue Huysmans,
près de
l'Université, car elle a quitté
notre immeuble pour « un plus grand », me
demande de vite
me planquer derrière
le canapé... « On » risque de me voir
à
travers la baie vitrée de ce premier
Elle
m'accompagne ainsi dans les rallyes
d'aviation, comme celui du Zoute, où Jacques
Genty et moi, en
Piper Cub,
trouvons tous les châteaux du monde, sauf le
bon... Le
Président remet le prix
de consolation aux deux Jacques ! Elle est aussi de
toutes les
manifestations
culturelles de cet ami aviateur et pianiste
renommé et de sa
femme violoniste,
Lola Bobesco... Micheline n'a toujours pas de moyen de
locomotion, mais
elle
n'en demeure pas moins généreuse à
mon
égard... Je n'y comprends rien, je me
laisse faire !
Pour
ne pas abîmer ses mains délicates de
pianiste, Jacques Genty ne veut jamais tourner
manuellement
l'hélice de son
avion... Le coup de pal pour démarrer le moteur !
Il fait
toujours appel aux
copains... Paul Putsage, qui remorque aussi les planeurs
avec le Tiger
Moth, me
dit un jour à Temploux:
«
Et nos mains alors ? Nos mains
d'aviateur ! Hein, Jackie ? »
«
Pour le moment, Paul, je ne suis qu'un
petit aviateur... »
Il
est vrai que la profession de Paul
Putsage est délicate également... Il vend
des
soutiens-gorge !
Après
ce contretemps, je reprends mon
entraînement avec Mr De Bruyn... J'accumule des
heures... Je les
compte les
minutes ! Ah ! Si j'avais pu noter les secondes... Au
début,
fiers, nous avons
tous fait cela, noter les minutes ! Après on
arrondira à
l'heure, même à la
dizaine près... Après chaque vol, si on
n'inscrit pas de
suite les heures dans
son carnet, c'est l'embrouille ! J'ai connu un «
vieux renard
», aux milliers
d'heures d'expérience, qui n'avait plus rien
à prouver,
il m'a dit un jour:
«
Mon carnet de vol ? Le quantième ? Je le
remplis une fois par an ! Grosso modo, j'arrondis
à la centaine
près... ».
Je
n'en suis pas là... Un
soir, je
suis chez Micheline, je note, je
« calligraphie » mes minutes » de vol
sur mon carnet
No 1. Elle n'a pas qu'un
fils, Micheline, elle a aussi un chien, un chiot, qui
à mon
insu, s'empare de
mon « log book » et le mâchouille ! Je
suis
obligé d'aller à l'Aéronautique,
l'échanger contre un neuf... Mr Destrée,
en apercevant
les lambeaux, que je lui
présente:
«
Qu'est-ce que c'est que ça, Siroux ? »
«
Mon carnet de vol... »
«
Mais... Mais... Comment est-ce arrivé ?
»
«
Bof... »
Je
recommence à calligraphier mes précieux
temps de vol... Pour l'amour de Micheline,
Comme
elle m'est apparue dans l'ascenseur,
Micheline disparaît sans laisser d'adresse...
Quelques
années après, je la
rencontre au Zoute, où elle habite dans une belle
maison de
style flamand... A
mon tour de l'inviter... Elle accepte, mais « en
bon copain
» seulement !
Micheline,
une femme de substance...
Nom
di Diou, qu'est ce que j'ai pu aimer
Micheline...
Je
passe avec succès le « progress test
»,
contrôle de progression, avec Mr François,
Inspecteur en
vol de
L'Administration de l'Aéronautique, ainsi que le
test final des
quarante
heures... Une des épreuves est
éliminatoire: 1.000
mètres d'altitude, vertical
terrain, moteur coupé, circuit en vol
plané... Endroit
d'atterrissage précis:
entre des planches blanches posées au sol,
« les panneaux
» ! Certains
atterrissent trop court, d'autres trop long, avant ou
après les
panneaux... Ils
doivent se représenter au prochain examen... J'ai
une nouvelle
fois le bénéfice
du vol en planeur, je pose mes roues entre les limites !
Je
suis les cours de Mr Weygaert, qui nous
prépare à l'examen écrit...
Excellent professeur,
d'une didactique simple,
claire. A un tel point, que je me demande comment j'ai
pu avoir des
difficultés
à comprendre auparavant les bases des lois
physiques et
mathématiques !
Nombreux sont les pilotes privés et
professionnels, qui doivent
à ce Monsieur
d'avoir obtenu leurs licences théoriques...
Dernier
examen, la navigation... Vu du
ciel, en Belgique, tout se ressemble, se mélange,
les villages,
les routes, les
rivières, les chemins de fer... Il faut s'y
retrouver ! Il y a
bien la Mer du
Nord comme dernier point de repère... Avec Mr De
Bruyn, je
m'entraîne à cette
épreuve... Il me fait faire le
«triangle», des
points (châteaux, églises,
chapelles, étangs, etc.) à
découvrir, perdus dans
la campagne... Je me perds...
Monsieur De Bruyn remet sur le bon chemin !
Mais
ce dernier examen de navigation est
reporté... Je reçois enfin ma convocation
pour mon
service militaire ! Ce
papier me dit que j'ai été
sélectionné pour
la Force Aérienne, exactement ce
que j'avais demandé: l'Aviation ! Un poste au
sol, genre tour de
contrôle, pour
rester tout près de mes avions... Suis-je
privilégié ? Car selon leur logique,
j'aurais dû me retrouver dans les sous-marins !
Peut-être,
parce qu'il n'y en a
pas ou qu'il n'y en a plus depuis leur opération
« Portes
ouvertes » !!! Je
suis quand même intrigué par ce terme de
UDA, et encore
plus surpris de lire
que je dois prendre le train à la Gare du Nord,
destination
Arlon, au fin fond
du pays... Il n'y a pas d'aérodrome par-là
! Dans le
compartiment, nous
apprenons vite, mes nouveaux camarades et moi, où
nous allons...
Au bagne ! UDA
veut dire Unité de Défense
d'Aérodrome, veut dire
entraînement infanterie ! Me
voilà fantassin, je suis dans la Biffe » !
Je ne suis plus
en l'air,
A
peine arrivés à la caserne,
désignation
des chambrées, remise des uniformes, le neuf No 1 et l'usagé No 2...
(Ah ! Quand même,
nous portons l'uniforme
bleu...), des souliers, une paire neuve, l'autre
usagée, et de
tout le reste du
matériel du parfait petit militaire...
Il
ne s'est pas écoulé pas cinq minutes
depuis cette distribution des prix, qu'une voix de
bête hurle
dans le couloir:
«
RASSEMBLEMENT DANS LA COUR ! UNIFORME ET
SOULIERS No 2 ! IMMEDIATEMENT ! »
J'ai
souvenir de cette petite réunion de
famille... Certains se croient à une «
garden party
», ils flânent... Cette
mollesse est de suite corrigée par le Premier
Sergent Major,
aidé par le
Sergent tout court ! Ce ne sont pas des tendres, ce ne
sont pas des
mous...
Nous le saurons plus tard, ils ont fait «La
Corée»
! A coté d'eux, le jeune
Lieutenant, qui les encadre, fait piètre figure,
il a l'air d'un
enfant de
chœur...
Ils
ne hurlent plus, ils aboient ! « EN
RANG PAR DEUX ! »
Nous
sommes vite en rang par deux !
On
se permet un petit commentaire...
«
SILENCE ! »
Nous
sommes vite silencieux !
«
JE NE VEUX VOIR QU'UNE TETE ! »
«??? »
«
ALIGNEMENT ! »
Nous
ne sommes plus qu'une tête !
«
INSPECTION ! »
De
quoi donc ? On vient d'arriver ! De
notre tenue ? Il faut dire que nous avons plutôt
l'air fin
prêt pour un
carnaval de province... Ceinturons mal ajustés,
pendouillants
à la cow-boy, les
bérets de travers, à la coquin, les nœuds
de cravates, le
col sont un poème de
collection de grand couturier, la mèche au
vent... Notre allure
est simiesque,
le dos bossu, la bouche entrouverte, les membres
ballants...
«
REDRESSEZ VOUS ! » La
stature, l'allure du Premier Sergent Major Lejeune me
fait penser au
garde de
corps de mon père, une armoire à glaces...
Peint en noir,
il est Gallet tout
craché ! Il nous détaille... Il doit se
demander de
quelle bande de pédés, il a
hérité pour ce stage de huit mois ! Il
passe devant nous,
nous fixe dans les
yeux... Puis, derrière moi... Je sens son souffle
dans mon
cou... Il me
vocifère:
«
CHAUSSURES DEGUEULASSES ! »
Je
me retourne:
«
Mais, mais, Monsieur, je... »
«
RETOURNEZ-VOUS ! SILENCE ! Quand on
s'adresse à moi, on m'appelle PREMIER ! »
«
Oui, M'sieur... »
«
WEEK-END SUPPRIME ! »
L'armée
a du bon... Depuis, j'ai toujours
eu les souliers brillants ! Cela est même devenu
un
critère immédiat... Lorsque
je rencontre quelqu'un pour la première fois, je
regarde d'abord
si ses
souliers sont propres... Je juge moi aussi, comme le
Premier Sergent
Major !
Les godasses, ça classe ! Les ongles, aussi...
Pour les femmes,
les pieds !
J'ai connu ainsi une hôtesse de l'air, Simone...
Malgré
ses yeux verts et sa
peau mate, ce sont ses pieds, que je regardais... Des
pieds
magnifiques, des
ongles soignés... Mais ceci est une autre
histoire...
«
Heureusement, Jack ! »
«
Je continue... »
Ca
commence bien... Consolation, je ne
suis pas le seul « week-end supprimé
»... Les jours
suivants, il en pleut
à la pelle,
des « week-end supprimés »,
surtout lors de l'apprentissage des mouvements de
troupe...
Je
croyais que ce genre de débandade
n'existait qu'a Hollywood, dans les films de Butt Abott
et Lou Castello
ou de
Laurel et Hardy, que j'avais vus dans cette petite et
vielle salle de
cinéma du
village de Klemskerk, commune de Coq sur Mer...
J'appartiens d'ailleurs
à la
milice de cette commune, puisque nous y étions
domiciliés... Non ! Ce gros comique,
je l'ai vécu !
«
A DROITE, DROITE ! »
La
plupart partent à gauche... « Bling !
», « Blang ! »... Chocs de fusils !
«
A GAUCHE, GAUCHE ! »
Les
pédés s'en vont à droite... «
Bling !
», « Blang ! »... Les fusils !
A
tel point, que le sergent, plus épuisé
que nous, découragé, nous suggère
de se mettre de
la paille dans la main
droite:
«
La PAILLE, C'EST LA DROITE ! »
Le
« GARDE A VOUS ! »... Il y en a qui
sont transformés, bronzifiés en statues
d'art
Le
« SALUT ! »... J'en ai vu, qui ont
failli s'éborgner en portant la main au front !
Le pouce,
Je
dis « ils », mais je fais partie du
lot, de cet étrange amalgame, dont le
critère de
sélection m'échappe... Il y a
André Lourtie, un balaise, je comprends son
affectation à
l'infanterie commando
UDA, Jean Swaelens, un fil de fer, sec comme un coup de
trique, fume
comme un
Turque, même pendant les marches, que nous faisons
chargés
comme des mulets,
André Verpaelen, OK, Moi, bof... Mais les autres,
comme Guy
Marres, Professeur,
tout fluet, tout menu, plein de finesse, intellectuel !
Lui, il est du
style
Villon, « Poèmes et chansons du Moyen Age
», dont
Rutebeuf, mise en musique et
chanté par Léo Ferré... J'aime
Ferré ! Le
plus grand de la chanson, avec Brel,
bien entendu ! Le grand Jacques est tellement grand,
qu'il est hors
circuit, ce
tout-tout grand des grands ! Guy nous a donc tellement
fredonné
cette mélopée
médiévale que je l'ai sans cesse dans ma
tête...
Elle résonne...
«
Que sont mes amis devenus... L'amour est
mort... ».
Une
nuit, en reconnaissance de terrain à
la boussole, sa chanson est interrompue ! « Que
sont mes amis
dev... », « Plouf
! »... Le poète est tombé dans un
trou ! Est-ce lui
qui est mort à
Exercices
de jour, exercices de nuit...
Pelotons... Camouflage... Le visage strié de
marques sombres, le
casque parsemé
de feuillage, un vrai bouquet... Champ de tir...
Mitraillettes,
mitrailleuses,
mortiers, grenades... Inspections des armes...
Inspections des lits...
Marches
des 5, 10, 15, 20, 25 kilomètres,
harnachés de son
équipement... Inspections du
matériel... Gymnastique dans la pluie, le vent,
la neige...
Boue, gadoue...
Moi, qui me classe déjà aviateur »
(!), je n'ai
jamais vu la terre de si près,
je fais corps avec elle, je l'embrasse, je la bouffe !
Mais
de cette bande de zouaves «
pouet-pouet », notre « Premier » va
parvenir à
en faire des
Un
Monsieur bien, très bien, finalement,
Lejeune, notre Premier Sergent Major... Nous avons
appris à le
connaître... Il
joue son jeu, nous jouons le sien... Nous l'invitons
à la
soirée de départ, que
nous avons organisée dans un bar à filles,
aux environs
de le caserne, où nous
sommes de très bons clients... La bière
coule... Le juke
box tonitrue... Est-ce
l'alcool ? C'est avec émotion, qu'il nous serre
la pince au
moment de l'adieu !
Quant à André Verpaelen, il danse son
dernier slow,
accroché, agglutiné à une
blonde platine, « Put your head on my shoulder
» de Paul
Anka... Il pleure !
L'armée
a du bon... Bons souvenirs... Le
corps, le caractère se trempent, se
détrempent ! Quand je
pense que l'on parle
de supprimer le service militaire...
Singapour
1988. Cocktail party...
Mondanités... Superficialités... Dialogues
sous vide...
Ca rentre par une
oreille pour en sortir de l'autre tout aussi vite ! Sauf
pour les
Anglo-saxons,
ils adorent ce genre de réunion, de « get
together
»... Au bout de la soirée,
ils parviennent encore à vous appeler par votre
nom ! Nous, il y
a belle
lurette, qu'on a oublié le leur... Questions
ridicules:
«
Il y a longtemps que vous habitez à
Singapour ? Ca vous plaît ? Dans quelle
entreprise... ? » Il est
vrai qu'on est là pour connaître des
gens... Mais nous,
les pilotes, on n'en a
rien à foutre ! D'ailleurs, nous sommes
incorrigibles ! Lorsque
nous ne pouvons
pas faire autrement que d'assister diplomatiquement
à ces
« social parties »,
on se regroupe immédiatement entre nous dans un
coin, en
ignorant complètement
les autres... Ces réunions sont valables pour les « business men
», qui ne pensent qu'a
une seule chose: prendre des « contacts » !
Nous,
après le vol, après s'être
battus avec les vents, les orages et les brouillards, on
rend la clef
et on se
retrouve avec les « vrais » amis, quand on
veut, quand on
peut !
Je
dois bien faire bonne figure... A mon
tour de demander à ce monsieur, qui me
paraît bien jeune,
ce qu'il peut bien
fabriquer dans ce pays... Sa réponse me scie en
deux, «
Ziiip ! »:
«
Je fais mon service militaire ! »
De
suite, j'ai envie de lui dire:
«
A quinze pas, garde à vous ! Le petit
doigt sur la couture du pantalon ! »
Mais
il ne connaît pas ça, ce jeune homme,
il est « coopérant », il travaille
dans une banque,
ce qui remplace son service
militaire... Au Sahel, en short et sandales, je pourrais
l'admettre,
mais à
Singapour, en costume trois pièces et pochette
voyante ! Je vous
le disais, il
y a des pieds
Mes
parents habitent maintenant dans leur
villa de Kraainem... Mon père s'occupe du
pavillon du Congo,
à l'Exposition
Universelle, qui vient de s'ouvrir ! Il a donc ses
entrées
libres, dont je
bénéficie lors de mes weekend, quand ils
ne sont pas
supprimés... J'assiste à
de représentations exceptionnelles ! Entre
autres, et le plus
émouvant pour
moi, les Tambours du Mwami, ainsi que les danseurs
Watutsi, que mon
père a fait
venir de l'Urundi... Toute cette troupe se produit aussi
sur la Grand
Place de
Bruxelles ! Pas le soleil d'Afrique, mais soleil quand
même...
Dans ce décor
anachronique, c'est un spectacle grandiose ! Eclats
d'étincelles
dans les
lances des danseurs, qu'ils « spiralent » en
beauté... Je retrouve leurs
mouvements gracieux, le son de leurs clochettes, qu'ils
font tinter
délicatement avec leurs pas de danse... Sur cette
place, les
Tambours, eux,
font résonner les ventres...
Je
revois
mon ami le Roi ! Comme il ne me prête pas sa
voiture, je roule
dans la Volks de
mon père !
«
La Belgique Joyeuse », reconstitution à
l'Expo 1958, de vieux quartiers bruxellois... Ambiance !
Restaurants,
moules
frites, bistros, bière... J'y rencontre Jeanine !
Ce n'est pas
une flèche, mais
une lance, qui me transperce le cœur et le corps !
Jeanine est une de
haute
taille et de taille fine... De longs cheveux blonds, des
yeux de
chatte, un
joli petit nez, des jambes à
tenter
et à
damner le plus pieux des saints de cette terre... Je
suis loin de faire
partie
de cette catégorie, mais je succombe « tout
de suite, tout
de suite » aux
attraits de cette « grande fille toute simple
», qui sera
la plus compliquée de
mes histoires d'amour... Une passion ! Elle est
mannequin,
paraît-il...
«
Encore ? Décidément, Jack ! Poule de
luxe ou fille de peu, qui pète et
fume
dans la soie ? »
«
Je t'en prie, mon vieux, hein, je t'en
prie ! »
Le
profil de cette créature de rêve, qui
n'est pas du tout du genre à faire la cuisine et
à se
salir les mains en
faisant la vaisselle, me subjugue... Je suis
désintégré sur place ! En fines
molécules, particules, je me sens
déjà glisser
vers un nouvel abîme, aspirer
dans un abysse ! Tant pis ? Tant mieux !
Vers
la fin de mon entraînement à Arlon,
je reçois une convocation... Epreuve de
navigation
aérienne ! J'explique
demande au Commandant de ma Compagnie, je lui demande un
jour de
permission ?
Accordé !
Les
candidats sont réunis à l'Aéro-club
de
Grimbergen... On nous communique la navigation:
Grimbergen, les
antennes de
Wingene, au sud de la ville de Gand, l'aéroport
du Zoute et
retour à Grimbergen
! Un triangle, dont nous traçons la route sur la
carte...
Calculs ! Sans vent,
le cap (heading) est le même que la route (track),
avec vent, on
s'éloigne de
la route, c'est le dérive (drift) ! Par
conséquent,
appliquer la correction de
dérive pour maintenir sa route... Sans vent,
vitesse air
égale vitesse sol,
avec vent, vitesse sol plus ou moins grande ! Simple ? A
la verticale
de
Wingene et du Zoute, quelqu'un prend note du temps de
notre passage...
Avant de
partir, nous devons remettre ce tracé et les
résultats de
nos calculs ont l'Inspecteur
de l'Aéronautique, qui a surveillé cette
épreuve
théorique, durant laquelle mon
voisin ne cesse de répéter:
«
Piece of cake, piece of cake ! Du
gâteau, du gâteau ! »
M'énerve
celui-là ! Mais il a raison, ce
triangle est facile... Départs, espacés de
15 minutes
chacun ! La météo est
excellente, cumulus de beau temps, bonne
visibilité... Nous
avons tous les
atouts en main pour réussir ! « Piece of
cake »... C'est
mon tour... Mlle Devleeming, « La Miss »,
une monitrice,
toujours présente à
Grimbergen, parce qu'elle passe sa vie avec ses avions,
dans ses
avions,
qu'elle couche avec ses avions, m'aide à
démarrer mon
moteur...
«
Contact ? »
«
Contact ! »
Pas
de démarreur, un tour d'hélice à la
main...
Taxi,
feu vert, décollage, mise de cap,
altitude à maintenir... Ma carte sur les genoux,
je suis bien ma
navigation...
Mes repères défilent correctement... Je ne
peux vraiment
pas louper
l'autoroute, que je coupe au bon endroit ! « Piece
of cake
»... Je suis sur la
bonne route, j'ai le bon cap !
Soudain
! « Preutt », « Preutt » ! Mon
moteur a des ratés... « Preutt »,
« Pr...
» ! L'hélice va s'arrêter, je le sens
! « Preutt », « Pr.... » ! Un
coup de
réchauffage au carburateur ? Je tire la
manette... Aucune amélioration ! Toujours «
Preutt
», « Preutt », « PR... » !
Je perds de l'altitude !
Dans
ce cas, réaction du bon élève
discipliné, que l'on m'a enseignée:
«
Recherche d'un terrain pour atterrir
immédiatement ! »
Ce
qui signifie virages à droite, virages
à gauche...
Pendant
cette recherche, mon moulin
reprend vie ! Plus de « Preutt », «
Preutt »,
mais un bon ronflement continu, «
Rrrrrrrrrrrrr »...
Je
pense de suite à reprendre ma
navigation... Je suis peut-être encore dans les
temps ? Mais
à force d’avoir
tourné dans tous les sens, je ne sais plus
où je suis...
Je suis perdu ! Je
cherche des repères sur ma carte, je ne reconnais
rien ! Pas
très fufute de ma
part... Au lieu de simplement prendre un cap Nord,
retrouver
l'autoroute, ou le
littoral... Non, petit con, je tournicote et
retournicote !
J'aperçois
une ligne de chemin de fer !
Réaction de l'élève
indiscipliné,
malgré mon moteur, qui pourrait refaire «
Preutt », « Preutt », ou plus «
Preutt »
du tout, je descends pour suivre les
rails... Il a bien une gare quelque part... En effet, la
voilà !
En
rase-mottes, je la survole... Je suis très bas !
Dans mon
affolement, je lis
seulement: « Ronse-... ». Je n'ai pas pu
lire le second nom
de cette ville,
inscrit en français !
«
Nom di Diou ! Je suis en Allemagne ! »
Je
suis complètement paumé...
Sur
le capot, juste devant moi, je vois le
fil de fer, fixé à un bouchon en
liège dans le
réservoir et qui sert de jauge à
essence... Il baisse ! Il faut faire quelque chose... De
toute manière, je suis incapable de retrouver ma
position
géographique, autant
arrêter ce jeu stupide... Un champ, il me faut un
champ ! Il y en
a bien un,
là, qui parmi tant d'autres, me paraît le
plus valable...
Une longue prairie,
bien plate, semble-t-il, mais assez étroite...
Mais la ligne
à haute tension
est juste en début de piste... Cependant, la voie
est libre de
l'autre coté...
Attention à la ferme à
l'extrémité,
attention surtout à la rangée de
peupliers,
qui bordent la partie gauche. D'où vient le vent
? Puis-je voir
remuer les
branches des arbres ? Oui ! La direction du vent
m'indique le sens
d'atterrissage... Malheureusement, je devrai passer
au-dessus des
lignes à
haute tension ! Bah, suffit de me présenter haut
et effectuer
une glissade
comme Mr Charron l'avait fait à St Hubert et
comme Mr De Bryun
me l'a enseignée
pour l'épreuve des panneaux...
Tout
cela se passe très vite dans ma tête
! OK, je décide de me poser...
Présentation
en finale, saut de mouton (!)
en glissade au-dessus de l'électricité
(!), toucher en
douceur (Sic), chaque
fois qu'il m'arrive des bricoles, mes atterrissages sont
doux... Savoir
pourquoi ? Je coupe le moteur, ce n'est pas lui qui
s'arrête !
J'attends...
A petit pas, le fermier
s'approche, hésitant... Je suis en uniforme, il
doit croire que
la guerre a
recommencé... L'invasion ! J'aurais pu recevoir
un coup de
fourche...
«
Heu... Bonjour, Monsieur...
Pourriez-vous me dire où je suis ? »
Une
attaque extra-terrestre ?...
«
Ben..., à Renaix, tiens ! »
«
Ah ! Oui ! Bien sûr... Renaix ! »
Je
lui raconte mon aventure... Rassuré, il
me permet de téléphoner à la
gendarmerie...
«
On arrive ! »
J'attends...
La fermière m'offre du
café...
«
Merci, j'en avais vraiment besoin ! »
Gendarmes
! Rapports, « Scrich, scrich,
scrich... » ! Signature, « Scrach » !
Ils
sont sympa, les flics, ils m'aident à
arrimer mon avion au sol, me conduisent à la
gare...
Je
rentre en train !
«
Piece of cake, piece of cake » disait
l'autre...
«
Craaaaac » ! Craquelures...
Les
dieux ne sont pas avec moi...
A
nouveau, pas de témoins...
«
Ce Siroux, qu'a-t-il encore bien pu
fabriquer ? »
Heureusement,
le lendemain, le moniteur,
qui va rechercher le Piper Cub, prend soin d'emmener
avec lui un
mécanicien...
Il croit plus ou moins à ma version de panne de
moteur...
Exact
! Le carburateur est complètement
encrassé !
Excusé
! Mais un très mauvais point pour
ma navigation... Néanmoins, une note meilleure
pour mon
atterrissage forcé !
Attendre
! Toujours attendre... J'attends
la prochaine épreuve de navigation pour me
représenter
à l'examen...
Un
weekend, en permission non-supprimée,
je traîne au bar de l'aéroport de
Grimbergen, où
j'avais fait la connaissance
de Willy Pourtois, homme d'affaires et pilote
privé... On avait
sympathisé...
Il est devenu un ami, qui m'aidera plus tard dans des
situations
difficiles...
Je lui raconte comment mon épreuve de navigation
s'est
terminée...
«
Tu as besoin d'exercice ! Justement,
dimanche prochain, je vole avec le Professeur... »
«
Professeur ? »
«
Un Prof d'Unif, également pilote... »
«
Veux-tu nous accompagner ? Tu feras la
navigation ! »
«
Avec grand plaisir ! »
«
Où allez-vous ? »
«
Un tour en Hollande, la Côte belge,
déjeuner à Ostende, le temps de manger une
langouste,
retour à Grimbergen... Je
t'invite ! »
«
Merci ! »
Pilotes
du dimanche... Gueuleton à
Ostende... Je verrai bien... J'ai vu !
Le
Fairchild sort de grande révision, il
est comme neuf, il vient d'être repeint, son gros
moteur
ronronne... Un bijou !
Avion à quatre places... A l'avant, en place
gauche, le
Professeur aux
commandes, Willy à droite, à la radio, car
il a la radio,
cet aéronef ! A
l'arrière, moi, avec mes cartes, mes crayons et
mes calculs...
Taxi,
autorisation de décollage, prise de
cap !
Navigation
relativement facile... Le
canal, l'autoroute, qui mènent à Anvers...
« Piece
of
Survol
du port d'Anvers... Impressionnant
!
On
« s'enfonce » alors dans la
Zéelande...
Beaucoup de flotte... Repères moins
évidents...
C'est
plutôt le Professeur... J'ai
l'impression qu'il ne se sent pas tout à fait
à son aise
géographiquement,
qu'il ne croit pas trop à mes les corrections de
caps... Il
décide:
«
Cap sur Ostende ! Combien, Monsieur
Siroux ? ».
Il
perturbe toute ma navigation...
Je
sors comme ça, « Plaff »:
«
Sud-ouest ! »
Je
ne suis pas Professeur d'Université, je
ne suis peut-être pas très fort en
navigation, mais quand
même... La Côte
belge, ça se voit... Il fait beau !
Ouf
! On aperçoit le littoral...
L'atmosphère « cockpit » (!) se
détend...
Retour à l'opération normale, la
ballade du dimanche...
Plus
d'exercice de navigation, je laisse
tomber ma carte, ce sera pour le retour sur
Grimbergen...
J'apprécie le
paysage... A partir Du Zoute, toutes les cités
balnéaires
défilent, agréables à
survoler... Sans vouloir l'avouer, tous les trois, nous
pensons
déjà à la
langouste !
Ostende
! La piste de l'aérodrome est
parallèle à la mer... Toutes les pistes
parallèles
à la mer ou à l'océan,
subissent généralement l'effet du vent de
travers !
Venant de la mer, le vent
souffle fort, moins fort ou très fort ! C'est le
cas
aujourd'hui, il vient de
la Mer du Nord !
La
manœuvre du « cross wind » est
délicate... Corriger la dérive, pour bien
garder l'axe de
la piste dans la
trajectoire de vol.. Lorsque cette correction est forte,
la piste n'est
plus en
face, mais à droite ou à gauche de
l'appareil... On vole
alors « en crabe » !
Annuler cette dérive juste au moment de
l'atterrissage, par un
coup de
palonnier, l'aile baissée dans le vent... Il faut
de
l'entraînement ! Mon
professeur, ce promeneur du dimanche, n'est pas
très
entraîné à ce genre de
sport...
Nous
sommes en finale... Autorisation
d'atterrir... En plus, le vent n'est pas
régulier, ce qui
complique les choses
! Turbulences ! Il vient de droite,
le
vent ! Nous partons à gauche, la piste à
droite... La
correction de dérive
n'est pas suffisante... Le Professeur corrige... Pas
assez, on repart
à gauche
! Re-correction ! Trop forte, nous voilà à
droite, la
piste à gauche !
Secousses, les ailes balancent dans tous les sens...
Re-re-correction !
On
repasse à gauche de la piste ! Puis, à
nouveau à
droite... L'avion n'en peut
plus, il ne sait plus où aller... Le sol
approche... Je sers ma
ceinture de
sécurité... Le Professeur s'est finalement
plus ou moins
aligné avec la piste,
mais on est en peu haut et à gauche...
Heureusement, cette piste
est longue...
On la survole en grande partie ! Le « Commandant
de bord »
coupe les gaz ! Un
coup dans le manche, un coup dans le palonnier, un coup
dans je ne sais
quoi !
L'avion obéit, il encadre la planète !
«
PLAFF ! »
Le
Fairchild est un oiseau à longues
pattes, son train fixe est haut... Celui de droite
s'écrase sur
le béton !
«
CRAK ! »
Heureusement,
nous sommes sur la piste,
mais pas pour très longtemps... Sous le choc, ce
pauvre train ne
tient pas le
coup... Il abdique ! Il salue, il se plie en deux !
«
CRAAAK ! »
L'avion
est déséquilibré, il quitte le
piste ! Dommage, il y était finalement...
Blessée, la
bête roule dans l'herbe
en une jolie courbe... Des travaux sont prévus
pour la piste
d'Ostende !
L'avion ne passe pas « entre » les tas de
moellons, mais
« sur » l'un d'eux !
Quelques paysans fauchent l'herbe, je les vois
s'encourir, ils gerbent !
«
PLAAFF ! »
Pas
besoin d'arrêter le moteur, il s'est
arrêté tout seul, écrasé dans
la pierre,
hélice brisée... Point d'incendie ! Le
Professeur et mon ami Willy, projetés sur le
pare-brise, pissent
du sang par le
nez, leurs lunettes sont cassées... J'ai un peu
mal aux
chevilles, à cause du
choc, qu'ont reçu mes pieds, appuyés
contre le
siège avant, en préparation pour
cet atterrissage de rêve !
Rapports
! « Scrich, scrich, scrich... ».
Signatures, « Scrach »
!
«
Alors, Jack, pour toi, Ostende, ce n'est
pas la langouste ? »
«
Oh, non ! Pour moi, Ostende, c'est le
crosswind ! »
Et
pour cause... Pas de gueuleton, pas la
moindre petite langoustine ou crevettes grises !
Sandwichs dans le
train, qui
nous ramène à Bruxelles...
«
Craaaaac ! ». Craquelures...
Les
dieux ne sont pas du tout avec moi...
D'ailleurs,
ce dimanche-là, dans le
silence de ce compartiment, enfumé par le cigare
de Willy, les
dieux me parlent
!
«
Fils, l'Aviation... Es-tu bien certain
d'avoir choisi la bonne voie ? »
J'ai
failli douter...
Mais,
je n'ai pas douté pas de moi... Ils
ne m'ont pas fait flancher, les dieux... Voulaient-ils
me tester ? Je
vais les
forcer à m'être plus favorables ! Je
m'accroche ! Je
représente mon épreuve de
« nav » avec succès ! Je ne suis pas
revenu en
train, mais avec mon avion !
Pourtant, l’itinéraire n'était pas du
« piece of
cake »... Un foutu coin, à
dénicher aux fins fonds du Limbourg !
J'ai
ma licence de Pilote Privé !
Licences
! En simplifiant, trois licences:
1/.
Pilote Privé: voler tous les types d'avions, sans
rémunération.
2/.
Pilote Professionnel (PP): voler avec
rémunération.
Commandant de bord, avions
légers ou copilote, gros avions.
3/.
Pilote de Ligne (TP, Transport Public. ATPL, Airline
Transport Pilot
Licence.):
Commandant de bord, gros avions.
Qualifications
! Inscrites sur ces
licences:
1/.
IFR, (Instrument Flying Rules): le vol aux instruments
(pilotage sans
visibilité, mauvais temps, zones
contrôlées, voies
aériennes). Stage, test au
sol et en vol !
2/.
Type d'avion, autorisé à voler. Stage,
test, au sol et en
vol !
Stages-tests,
stages-tests,
stages-tests... Un leitmotif !
Pour
maintenir ces licences:
Examens
semestriels: un médical et un
contrôle en vol ou au simulateur !
Examen
annuel: contrôle « en ligne », en
courrier !
J'allais
oublier l'épreuve annuelle de «
sécurité » ! Un examen sur tout
l'équipement
de secours de l'avion, se
terminant par un plongeon, « Plouff ! »,
dans la piscine ou
dans la mer, pour
rejoindre les canots de sauvetage... Mauvais ça,
pour le
métabolisme basal de
nous précipiter ainsi dans de l'eau fraîche
avec des
hôtesses de l'air, que
nous devons aider à monter dans les
Dire
qu'il y a des connards, qui estiment
que les pilotes de ligne ont un salaire trop
élevé... Des
jaloux, tout
simplement ! Ces profanes ignorent donc bien souvent,
qu'un pilote
d'avion peut
à la limite, perdre cinq fois son métier
par an... Durant
toutes les années de
sa carrière, tous les six mois, il doit prouver
qu'il est
toujours pilote ! En
fait, notre contrat de travail est semestriel !
Les
aviateurs font un métier de haute
voltige, du travail d'artistes... et sans filets !
Sans
filets... Une cinquantaine d'heures
de vol et ma licence de Pilote privé en poche,
Un
curé se présente au terrain avec ses
élèves...
«
Heu... Vous avez une certaine
expérience, je suppose ? »
«
Pff... Pensez-vous ! Bien sûr, mon Père
! C'est la première fois que vous allez voler ?
»
«
Oui... »
«
Montez ! Mon Père, je vais vous baptiser
! »
Je
soigne mon vol, mon atterrissage... «
Ne vole pas trop vite ! », comme disait ma
mère... Le
religieux est au septième
ciel (!), rassuré, enchanté ! Les
élèves
aussi... Une journée d'heures de vol,
qui viennent « gonfler » mon
expérience... Je
calligraphie mes heures dans mon
carnet de
L'épouse
d'André Verpaelen, l'ami d'Arlon,
est enceinte...
«
Tu comprends... Service militaire... Un
peu tôt pour commencer une progéniture...
Heu... Tu ne
pourrais pas lui faire
peur, à ma femme ? »
«
Quoi !!! Pourquoi ? Comment ? »
«
Avec ton avion ! Elle pourrait faire une
fausse couche... »
«
Dis donc, me prendrais-tu pour casse-cou
? »
«
Non, non, mais elle a une frousse bête
de monter dans un avion ! »
Je
fais un tour avec elle... Peut-être,
ai-je volé un plus vite que ne me l'avait
recommandé
Maman... André ne fut pas
Papa, cette année-là !
Tout
ceci se passe pendant mon stage à
l'Ecole de Nivelles... Comme nous sommes Candidats
Officiers, il nous
reste
deux mois à faire avant d'être
nommés Adjudants COR
(Candidat Officier de
Réserve)... Nous faisons de l'Administration,
entrecoupée
de gymnastique et de
parcours du combattant !
A
Arlon, la caserne était moderne, ses
dortoirs confortables, chauffage central... A Nivelles,
baraquements
datant de
la guerre, chauffage au poêle à charbon !
Extinction des
feux... Notre dortoir,
où nous logeons à une vingtaine, est un
bloc de glace !
Pendant ce mois de
février 59, un
matin, une bouteille
de Coca est retrouvée complètement
givrée, dans
notre chambrée...
Je
n'y coupe pas... Ma gorge ! Inflammation
! Fièvre de cheval ! Je suis alité au
dispensaire...
Piqûres de pénicilline ont
outrance... Médecine vétérinaire,
qui me retape
juste à temps pour la dernière
épreuve physique éliminatoire
d'Officier... Une marche de
nuit, avec
franchissements d'obstacles, l'ultime parcours du
combattant... Pour
moi, la
mort en perspective... Je suis affaibli !
A
Arlon, l'amitié de notre groupe,
maçonnée d'argile et de sueur, s'est
solidifiée...
André Lourtie, le baraqué
liégeois, me propose de suite:
«
Tu fais le parcours avec moi, je vais te
supporter ! »
Il
ne me supporte pas, il me porte ! Le
mur, qui se dresse devant nous, je le vois encore...
Infranchissable !
«
André, ne perd pas ton temps, laisse-moi
ici... »
«
Non ! »
Il
me hisse, je me retiens aux rebords...
Je m'agrippe ! Je retombe, « Plaff ! », de
l'autre
coté ! André est déjà
là, il
me passe son bras sous mon épaule... Je suis un
pantin, j'ai les
jambes et les
bras « floc, floc », en coton...
«
On continue ! »
La
fièvre est de retour, elle m'épuise !
André me laisse arriver seul... Grâce
à
André Lourtie, j'arrive dans les temps,
j'obtiens mon galon d'Adjudant !
S'en
souvient-il, ce frère ? Moi, bien !
On
se sépare... Chacun reçoit son
affectation !
«
Que sont mes amis devenus, que j'avais
de si près tenus, ils ont été trop
clairsemés, je crois le vent les a
ôtés,
l'amour est morte »...
Par
miracle, et un petit coup de pouce, je
suis posté à l'Etat-major, à Evere,
Bruxelles ! De
là, pendant les exercices de
manœuvres, j'irai faire des missions de défense
d'aérodrome sur les bases
opérationnelles... Cela m'arrange très
bien, Jeanine
n'habite pas loin, près de
la gare de Schaerbeek, où elle venait souvent me
chercher et me
sautait au cou
(Sic !), lorsque je rentrais en permission... Je
m'installe chez elle !
Pour
aller au bureau (!), j'achète un vélo,
plus
économique que mon vieux scooter,
souvent en panne d'ailleurs... Des pinces aussi, pour
que mon pantalon
ne
s'agrippe pas dans la chaîne... Belle image du
commando, qui
vient de se taper
dix mois d'entraînement intensif !
Pour
mon arrivée, coutume: payer le pot !
J'offre une bière... Que
dis-je ?
Un tonneau
! Durant cet « apéritif », j'ai le
cœur
serré, d'abord de tomber ainsi « Plaff
», parmi tous ces Officiers Subalternes et
Supérieurs,
moi, l'Adjudant COR
débarquant droit de sa caserne... Officiers plus
que
supérieurs aussi, puisque
je fais la connaissance du Général Mike
Donnet... Il me
parle de mon oncle,
Paul Siroux, qu'il connaît bien... Ils ont fait la
« Royal
Air Force » en
Angleterre, pendant la guerre ! Le cœur torché
aussi, parce que
je me trouve
soudainement plongé en plein Personnel Navigant
de la Force
Aérienne, dont
j'aurais dû faire partie depuis longtemps, et non
« rampant
», comme je le suis
dans cette assemblée...
Trente
deux ans plus tard, le Général
Donnet, bien aimablement, me dédicace son livre,
« J'ai volé la liberté
»... J'en fus fort flatté ! Une histoire
peu commune... Au
début de la guerre,
nuit après nuit, pendant des semaines, lui, un
collègue
aviateur et un
mécanicien, se sont faufilés dans le
garage d'un
château, réquisitionné par les
Allemands, où se mourait un vieux biplan SV4...
Chapeau
!
A
Arlon, pas étonnant que j'aie une sainte
frousse des « week-ends supprimés
»... Ils sont
sacrés, mes week-ends ! Je suis
fou de Jeanine ! Le vendredi soir, à peine
rentré
à la maison, je demande la
Volks à mon père pour foncer chez elle...
«
Tu ne restes pas un peu avec nous ? »
«
Je reviens demain... Promis ! »
Mais
le lendemain, ce n'est pas samedi,
c'est dimanche soir ! Le temps d'embrasser mes parents
et de leur
rendre la
voiture... Par la suite, j'irai directement chez Jeanine
en descendant
du train
à la gare de Schaerbeek !
Jeanine:
«
Ne serais-tu pas un peu tubar, par
hasard ? »
«
Tubar ? »
«
Oui, tuberculose... Il paraît que les
tuberculeux ne pensent qu'a ça... »
«
A quoi ? »
«
Jacques, je t'en prie ! »
Mon
« repos du guerrier » n'est pas un
repos... Mes week-ends avec Jeanine sont bien remplis... Elle m'apprend le chachacha !
Epoque des «Enfants terribles», avec
l'orchestre des « Chacachas », des musiciens
d'Amérique du Sud,
purement bruxellois... Mais ils
sont tellement bons, que tout le monde n'y voit que du
feu, moi le
premier !
Sauf, quand Jeanine, qui connaît le Chef
d'orchestre et pas mal
de monde dans
ce milieu de nuit, me le présente... Le nom et
l'accent de
Gaston Bogaert ne
sont pas du tout de Buenos Aires, mais du cœur du centre
de Bruxelles !
La
chanteuse, par contre, est bronzée sombre de je
ne sais quel
soleil ? Elle
chante à longueur de nuit son air à
succès:
« Es O Es, El Amor ». Un tabac !
Régulièrement, à la pointe du jour,
j'offre un
bouquet à Jeanine, au Marché aux
fleurs, comme ça, « bêtement »,
pour la
remercier de sa présence... Je suis
heureux, amoureux... Dans ce café de la Place de
Brouckere,
à travers les
vitres embuées, je m'en souviens, j'ai vu souvent
se lever le
jour... J'étais
complètement lessivé ! Nous attendions le
tram... Je
regrettais alors de ne pas
être passé chez mon père pour lui
demander sa
voiture...
Chez
elle, Jeanine se transforme... Sans
maquillage, elle est simplement simple ! Et pour moi,
elle n'en est que
plus
jolie... J'aime caresser sa fine peau de satin sous ce
lourd peignoir
en laine
des Pyrénées et c'est avec délice,
que je lui
enlève des pieds ses grosses
pantoufles, charentaises bien épaisses, qui lui
vont si bien...
Je l'ai dans la
peau ! Et elle ? Je me dis que oui, puisqu'elle ne cesse
de fredonner
cet air
de Frank Sinatra: « Have got you under my skin...
»,
« Je t'ai dans la peau...
»...
Jeanine
parlant parfaitement l'anglais,
m'initie aux chansons américaines:
«
I get a kick out of you... ».
Elle
me prend en main pour des leçons
d'amour, Jeanine...
L'amour,
ce n'est bien souvent qu'une
question de peau... Que voulez-vous répondre
à une
question pareille ? »
Sacha
Guitry...
Je
n'ai pas besoin d'être hippy ou baba
cool, de monter au sommet de l'Everest ou de courir les
Indes... Dans
la
chambre de son petit appartement, Jeanine
m'élève plus
haut que le Septième
ciel, j'atteins le Nirvana !
Jeanine
est mon « gourou », elle
m'enseigne le contrôle de moi, la retenue, le
dosage du plaisir,
le plaisir des
plaisirs... Mais à quel prix de volonté,
pour moi, lapin
des lapinades ! Les
premières séances me sont
pénibles... Je transpire
du corps et surtout du
cerveau ! Tout se passe dans la tête, la
tête, la
tête ! Le reste suit, vient,
survient au bon moment... Aujourd'hui, j'en ai encore la
chaire de
poule !
Point
de « Tagada souin-souin », d'amour à
la cosaque ou de poses extravagantes... Non ! Des
mouvements de corps
lents,
très lents... J'ai souvenir des mains de Jeanine,
l'une
posée sur ma hanche,
l'autre me tenant la nuque... Ses mains marquent le
tempo de notre
symphonie
amoureuse... La pression plus ou moins forte de ses
doigts, de ses
ongles,
s'enfonçant dans ma chair... Le souffle de sa
voix dans mon
oreille... Elle
n'est plus ma maîtresse, elle est mon
«
Retiens-toi ! Retiens-toi ! »
Puis,
Maestro, un coup de baguette
magique, un coup de griffe !
«
Viens ! »
Elle
est un peu plus âgée que moi,
Jeanine... Je
la présente à mes parents ! Mon
père sourit,
apprécie... Surtout, les jambes de
Jeanine, quand elle monte les escaliers... Ma
mère, contente
pour moi, est
heureuse que je sois de retour:
«
Mais, restez donc avec nous pour le
week-end... »
Nous
passons quelques week-ends à la
maison... Ce qui ne nous empêche pas de sortir le
samedi soir aux
« Enfants
terribles » et de revenir aux petites heures
à la villa,
un rythme de bongos
dans le corps...
Ce
samedi-là, la nuit fut rude... Le
dimanche, mes parents ont déjà pris leur
petit
déjeuner, leur déjeuner, lorsque
nous émergeons... Il est plus de deux heures de
l'après-midi !
Jeanine:
«
Du café, s'il vous plaît ! »
Café,
tartines...
Toujours
Jeanine:
«
Je vais prendre un bain ! »
Il
est environ seize heures trente, quand
mon oncle et ma tante arrivent à l'improviste
pour une petite
réunion
dominicale et familiale... Ils n'ont jamais entendu
parler de Jeanine !
Ma
mère fait du café pour la quatrième
fois ! Discussions au salon... Tout à coup,
bruits
d'écoulements d'eau ! «
Glou, glou, glou, glou... »... Les nez
s'élèvent au
plafond... Mon oncle Paul,
en levant son doigt vers le haut:
«
??? »
Moi:
«
Une amie... »
Ma
tante Yvonne:
«
??? »
Moi:
«
Qui prend son bain... »
Mon
oncle, ma tante, de concert:
«
Aaah ! »
Plus
de glouglou, les anges passent... Ils
ont le temps d'évoluer dans le salon, les
anges... Mon
père à des difficultés à
redémarrer une conversation... Ma mère va
refaire du
café !
Des
pas dans l'escalier...
Mon
oncle fait « Gloup », le coup de sang
est proche ! Ma tante a un mouvement de recul ! Ils
s'attendaient
à voir
apparaître la Sainte Vierge, c'est Esmeralda, qui
encadre la
porte du salon !
«
Bonjour ! »
Jeanine
adore les énormes boucles
d'oreilles... Aujourd'hui, elle les porte en super
évidence ! Sa
chevelure est
sauvage, son maquillage resplendissant, sa poitrine en
relief dans
cette blouse
bouffante à courtes manches... Ses longues
jambes, dont une
cheville est ornée
d'une chaînette en or, que je lui ai offerte, sont
mises en
évidence par de «
très » hauts talons et par la jupe à
volants,
qu'elle portait hier soir... Une
gitane blonde sur le parvis de Notre Dame !
Je
me recroqueville, me racrapote, deviens
petite masse... C'est moi le bossu ! Ou mon
père...? Ma
mère revient de la
cuisine, elle arrange tout, à sa façon:
«
Voilà, maintenant vous connaissez
Jeanine ! »
Ma
tante a toujours voulu me faire avouer
que j'aimais les filles d'un certain genre, d'un genre
certain...
Je
ne suis jamais parvenu à bien définir
non plus les origines de Jeanine... Orpheline, je
crois... En tout cas,
elle
s'occupait bien de son grand-père, ce vieux
monsieur, qui
habitait seul dans
son appartement, la rue derrière chez elle, que
j'ai bien connu,
et qu'elle
allait visiter quotidiennement...
Il
fait chaud, cet été-là ! J'ai
quelques
jours de congés, Jeanine et moi, nous partons
à la mer,
à Coq sur Mer !
«
Jack, tu ne vas pas, de nouveau, nous
reparler de Madeleine, l'épicière ?
»
«
Non ! »
«
Pourtant, Le Coq, pour toi, c'est
l'épicerie de chez Madeleine... »
«
Oui, Jack, on sait ! »
Scooter,
« Preutt, preutt »... Petite
auberge, plutôt pension de famille... Quelques
clients... Jeanine
fait
sensation, elle est vite noire de bronzage et de «
Tan O Tan
» ! Moi aussi, je
vais faire sensation... Que ne ferai-je pas pour les
beaux yeux de
Jeanine ?
Elle parvient à me convaincre que je serais
beaucoup mieux avec
quelques mèches
blondes dans les cheveux !
«
Tu es folle ! »
«
Mais si, mais si ! Cela fait vacances...
Avec le soleil et un peu d'eau oxygénée,
parfait ! »
Eau
oxygénée... Le soleil tape dur dans
les hautes dunes... Toute ma tête vire au roux
!(Sic). Le soir,
à table, les
pensionnaires ne me reconnaissent pas... Ils ont l'air
méfiants,
nous regardent
de travers... Je râle:
«
Que vais-je raconter à mon Commandant ?
»
Jeanine
aussi, arrange les choses à sa
façon: le plumard !
Nous
rentrons à Bruxelles, je me
représente à mon Commandant... C'est un
rouquin, mon
Commandant... Il croit à
une blague de ma part !
«
Siroux, vous vous foutez de ma gueule ?
»
«
Mon Commandant, je vous assure...
Laissez-moi vous expliquer ! »
J'invente
une histoire de rayons
ultraviolets... Je me suis endormi au soleil avec les
cheveux pleins
d'Ambre
solaire...
Punition
! Pas de mon supérieur, des dieux
probablement, qui m'ont toujours à l'œil...
Depuis cette
connerie, j'ai commencé
à perdre mes cheveux !
Les
jours passent, agréables... Je vais
bientôt être nommé Sous-Lieutenant,
terminer mon
service militaire, commencer
mon école de pilotage... Devenir enfin pilote !
Il est grand
temps, j'ai le
moral à zéro quand je reviens des bases,
où je
vais « défendre » les
aérodromes
pendant les manœuvres... Je ne peux pas y faire un pas
sans tomber sur
un
pilote de chasse... Au Mess Officiers de Bierset, je
rencontre le Major
Blum, à
qui je raconte mes péripéties d'engagement
«
Fallait y rentrer tote
suite, mon petit
gars ! »
«
Je sais, mon Major, je sais... »
Il
est quand même sympa:
«
Si tu as besoin de quelque chose... »
«
Thank you, Sir ! »
Ma
ligne de vie va de nouveau virer de
bord, se détériorer... Comme le
répète sans
cesse ma mère:
«
Courage ! Jamais rien ne marche la
première fois pour les Siroux... Ils doivent
attendre la seconde
fois ! »
Elle
a raison, mais personnellement, je ne
sais plus à quelle quantième fois j'en
suis !
Horrible
nouvelle, l'Ecole d'Aviation
Civile ferme ses portes ! Exactement le coup du Flight
Universitaire...
Raisons
? Manque de candidats ! Et moi ? Je suis à
nouveau à
ramasser à la petite
cuillère...
«
Craaaaac ! ». Craquelures...
Les
dieux ne sont vraiment pas avec moi...
Sans
tarder, je contacte le Major Blum...
«
Fais ta demande ! Tote suite ! »
«
Yes, Sir ! »
J'en
parle à mon père, qui, à ma
surprise,
m'encourage à présent ! Un peu tard, j'ai
perdu trois
ans... Six ans, s'il
m'avait permis de m'engager après mes secondaires
inférieures ! Ma mère ne dit
mot...
J'attends...
J'attends ma convocation pour
l'examen médical, les tests physique et
psychotechnique !
Est-ce
la déception ? L'énervement ? Je
deviens nerveux ! Je refais cette maladie infantile,
rongante, tuante,
mortelle... Je redeviens jaloux ! Jaloux du passé
de Jeanine, je
redeviens sot
! Comme avec Micheline, je
commence
à
poser des questions à Jeanine, je veux savoir !
«
Quoi ? Avant moi ? »
Riposte
! Tactique féminine
d'anéantissement... Jeanine le fait exprès
!
«
Tu l'as voulu, tu l'as eu ! »
Pour
m'enrager encore plus, elle me montre
des photos... Des soirées folles au Bal du Rat
Mort, à
Ostende ! Je la vois
déguisée en fille des îles... Elle
porte un
pagne... Elle a plein de fruits sur
sa tête, des ananas, des bananes, en guise de
chapeau... Elle est
surtout
entourée d'une bande de rastaquouères, qui
la tiennent
par la taille !
Je
lui arrache le paquet de photos des
mains et les déchire !
Sur
le meuble « hi fi », d'où
émanent les
guimauves de Sinatra, de Dean Martin, de Bing Crosby et
de l'orchestre
de Ray
Connif, trône un cendrier massif, car Jeanine et
moi fumons comme
des
pompiers... Ce chef-d'œuvre en cristal a vite fait de
traverser le
minuscule
salon-salle-à manger-chambre, pour atterrir sur
mon front !
« Plaff » ! J'ai
l'arcade sourcilière ouverte, je pisse du sang...
Je me rue sur
Jeanine !
Baffes ! Retour de baffes ! Cris ! Baffes, re-baffes !
Cris ! Sang !
Cris !
Cris... Nous sommes au rez de chaussée, les
voisins du dessus:
« Tac,
tac, tac », avec le manche
d'une brosse probablement... « Tac, tac, Tac
» !
«
Fous le camp ! »
«
Oui ! Je fous le camp ! »
Je
sors, je claque la porte et me retrouve
dans la rue, en manches de chemise tachée de sang
et dans le
froid ! Vite,
quelques pas et j'entre au café du coin, juste en
face,
où nous allons parfois
prendre le « Last for the road », comme dit
Jeanine,
« Le dernier pour la
route... » Ce bistro est
«
Jacques, on se calme ! »
Je
commande une deuxième bière, une
troisième, des autres bières...
Je
reviens chez Jeanine...
«
Toc ! Toc !... »
Elle
ouvre ! Je rampe...
Convocation
de la Force Aérienne ! Examens
de trois jours :
Epreuve
physique des 1.500 mètres, à
courir en très peu de minutes... Quelques-uns uns
ne sont pas
dans les temps,
j'arrive à temps, mais sur les genoux !
Examens
médicaux... Nombreux sont arrêtés
immédiatement par le premier test des yeux...
J'ai
une appréhension pour cet examen des
yeux... Un soir, devant un steak cuit au feu de bois, au
restaurant du
« Hoeffe
», je demande à mon voisin s'il peut lire
la marque de la
bouteille de gin, qui
sert de lampadaire... Moi, je ne peux pas, surtout de
l'œil gauche...
Sans
hésitation, il lit:
«
Tanqueray's ! »
Panique
!
Mais
à l'examen, je vois clair et je passe
! Les trois sauces du steak, sans doute, un peu trop
épicées...
Je
passe aussi pour tous les autres
tests... Le cœur (il a le mal d'amour, mais il est
solide !), les
poumons (que
j'ai crachés en partie, hier aux 1.500
mètres !), les
urines (la bière...), les
réflexes (les baffes...), le sang et sa pression
(pourtant, j'en
ai perdu dans
la bagarre avec Jeanine...),
«
Courant cette gorge enflammée ? »
demande le docteur...
«
Non, Doc, non ! Vraiment passager... »
Le
médecin me laisse continuer...
Tests
psychotechniques ! Des dessins, des
images, des ronds, des carrés, des lignes, des
flèches,
des chiffres...
Beaucoup de choses à imbriquer les unes dans les
autres en
ordre, soit disant
dans une logique... Je veux bien... J'assemble !
Interview
avec un psychologue... Un fou !
Un fou sérieux, qui ne sourit pas et me regarde
derrière
ses petites lunettes
cerclées...
«
Dessinez-moi quelque chose ! »
«
Heu... »
«
N'importe quoi ! »
Je
dessine un palmier... Facile, « crik, crik, crik
», le
tronc, les branches...
«
C'est tout ? »
Je
fais vite un cercle, « Zououp ! », un
rond, d'où sortent des lignes... Des rayons... Un
soleil !
«
Mais encore ? »
Deux
lignes croisées, « crik, craak ! »,
l'une plus longue que l'autre... Pour moi, elles
représentent un
avion !
«
Je vois... »
Ce
voyant prend alors son stylo... Il va
inscrire son verdict, il va me rayer, j'en suis certain
! Pour lui, je
suis un
demeuré... Non, il trempe sa plume dans un
encrier et «
Prouitt ! » fait une
grosse tache sur un morceau de papier, le plie en deux,
l'ouvre et me
présente
son chef d'œuvre !
«
Cela vous fait penser à quoi, ça ? »
«
Quoi ? »
«
La tache ! »
«
Heu... Une araignée... Un papillon... »
«
Mais encore ? »
Il
est tout à fait fou, ce type... Le
comble, c'est que, lui aussi, il est persuadé que
je suis
J'invente
n'importe quoi maintenant... Je
mélange tout ! La tache d'encre, mon dessin...
Pendant
mon laïus, le psychologue a dû
passer en transe... Je remarque que ses yeux sont
fixés sur la
ligne bleue des
Vosges... Il doit rêver, lui aussi !
Silence...
Tout à coup:
«
Au suivant ! »
Je
réussis le test de Monsieur le
Psychologue ! Il a dû se dire, ce savant, qu'il
devait
certainement y avoir un
rapport dans tout ça...
Amsterdam
1987. Dîner à « L'Œster Bar »,
une institution ! C'est le quartier
général de mon ami
Alex Ponfoort, pour ses
repas d'affaires... La table no 7 ! Ce soir, toute sa
famille est
présente...
Son épouse Solange, ses
deux fils,
Eric
et Alexandre, sa fille Sandra... Anniversaire d'Eric ! Gueuleton ! Huîtres de
Zéelande, poissons
fins et crevettes de la Mer du Nord... Vins ! La cave...
Quelle cave !
Alex, en
connaisseur:
«
La mienne est tout aussi bonne... »
Josée,
la fiancée d'Eric est aussi à cette
table divine... Elle fait ses études de
psychologie !
«
Oh ! Un truc dépassé, Jacques ! Ce test
n'avait aucune valeur... »
Qu'est
ce qu'il ne faut pas faire pour
devenir pilote ?
Tout
dernier test: le caisson ! Une sorte
de gros tonneau en acier, dans lequel par un
système de
pressurisation, on peut
monter artificiellement à des altitudes
différentes...
Avant
d'y pénétrer, l'instructeur nous
prévient:
«
Vous allez passer un test de
décompression rapide ! Si vous avez le moindre
rhume, dites le
tout de suite !
»
Je
pense tout de suite à ma gorge un peu
enflammée... Je ne dis rien !
Ce
silence
va me coûter cher...
Par
six, nous sommes assis sur deux bancs,
qui se font face... Les instructeurs nous montrent
comment placer le
masque à
oxygène sur la figure...
«
Respirez normalement ! Pas de fuite ?
Confortables ? OK ! »
Comme
dans un sous-marin, l'un des
instructeurs ferme l'écoutille, l'autre tamise
les
lumières rouges... Celui,
qui est claustrophobe et qui ne le savait pas, n'a plus
que ses yeux
pour
pleurer... Il peut éventuellement se ruer vers la
porte et
hurler après sa
mère... Trop tard, on « monte » !
Sans
doute pour nous relaxer, les
instructeurs nous font faire des petits jeux... Le
premier est de lire
un
texte, dont chaque ligne est numérotée et
écrite
de plus en plus fin... «
Combien de lignes pouvez-vous lire ? »
Nous
lisons tous jusqu’à la ligne numéro
dix ou onze...
Les
instructeurs nous demandent alors de
retirer notre masque !
«
Jusqu’à quelle ligne lisez-vous
maintenant ? »
«
Six, sept ! »
«
Remettez votre masque et respirez
profondément ! »
«
A quelle ligne arrivez-vous ? »
On
relit le texte jusqu’à la ligne douze,
treize, quatorze !!!
L'oxygène...
Je
fais vite une parenthèse... En vol de
nuit ou les jours de « lendemains difficiles
», les pilotes
ont tous fait cela,
respirer profondément à en voir des
étoiles, dans
le masque à oxygène à portée
de notre main... Je ne sais toujours pas si cela me fait
du bien ? Sans
doute
que oui, puisque c'est la première chose, qu'ont
appris les
hôtesses, quand un
passager se sent faiblard, lui fourrer le masque
à
oxygène sur le pif !
Justement, une nuit, cette gazelle entre dans le
cockpit, au moment ou
j'ai mon
masque sur le nez, en train d'aspirer à grands
coups...
«
You are not feeling OK, Captain ? Vous
ne vous sentez pas bien ? »
En
souvenir de l'expérience du caisson, je
lui réponds:
«
C'est pour mieux vous voir, mon enfant !
»
«
Hi, Hi ! Hi ! »
Elle
n'a rien compris aux bienfaits de
l'oxygène...
Nous
montons plus haut... Altitude 8.000
mètres ! Deuxième divertissement ! Les
instructeurs nous
distribuent du papier,
un crayon...
«
Inscrivez votre nom, votre adresse... Ne
vous arrêtez pas d'écrire ! »
Nous
inscrivons... Ils nous ordonnent
alors de retirer notre masque !
Nous
retirons... Nous écrivons... De mieux
en mieux ! Nous sommes des chefs, des artistes, des
calligrapheurs !
Euphorie... Délire d'écritures... Puis, le
vague, les
limbes !
Les
instructeurs ont vite replacé le
masque sur notre face ! Nous allions tomber dans les
pommes...
«
Lisez ce que vous venez d'écrire... »
Si
j'avais dessiné à mon psychologue ce
que je vois alors sur ma feuille, non seulement je ne
passais pas le
test, mais
je me serais retrouvé dans une camisole de force
! Les
premières lignes sont
correctes, les suivantes, des lignes dans tous les sens,
qui descendent
la
page, la remontent, se croisent, se recroisent, se
décroisent,
quittent la
page... Oui, il aurait eu raison le psychologue de
m'enfermer ! Ce
phénomène,
dû au manque d'oxygène, s'appelle
l'hypoxie, qui arrive
plus ou moins vite
selon l'altitude... A 12.000 mètres, où
nous montons
à présent, douze secondes
avant l'évanouissement !
Grande
finale !
Les
instructeurs nous disent de ne pas
nous effrayer... Nous allons entendre un bruit sec,
«
Ready ? »
«
... »
«
Go ! »
«
BANG » ! Détonation ! Un nuage de vapeur
! On n'y voit plus rien ! Froid, givre ! On descend
comme des balles...
Je
sens de suite mon oreille droite me
pincer... Je baille, j'avale... Rien ! J'ai mal à
présent,
Nous
sommes au sol ! A la sortie de cette
machine infernale, un médecin nous attend,
stéthoscope en
main... Pas n'importe
quel médecin, le grand patron, spécialiste
en Aviation,
le Colonel Evraert...
Je n'entends pas très bien ce qu'il me demande de
faire, je suis
sourd comme un
pot ! Ah ! présenter mes oreilles... Je sens bien
quelque chose
couler de mon
oreille droite...
«
Vous n'avez pas dit que vous étiez
enrhumé ! »
«
Vous dites, Mon Colonel ? »
«
UNE INFLAMATION ! VOUS AVEZ LE TYPAN
PERCE ! »
Son
stéthoscope est ensanglanté...
Je
dois me représenter dans six mois !
«
Si tout va bien ! » me dit le Colon...
«
Craaaaac ! ». Craquelures...
Les
dieux ne sont pas avec moi...
Je
ne suis plus en petits morceaux, je ne
suis que fine poudre...
Ce
beau manteau de fine peau, que je
croyais pouvoir revêtir à nouveau, je le
remise dans un
coin obscur de ma
vie... Ma vie ! Elle va devenir sombre, noire de nuit,
ma vie ! Je vais
devenir
malade... Malade de mon corps, malade de mon
âme...
Ma
gorge ! Je ne sais plus que faire
soigner ma gorge... Pour apaiser ce mal, je vais trouver
tous les
spécialistes
de la place... Tous, ils me conseillent un traitement
différent
! Je passe même
des heures à recevoir des rayons...
L'inflammation empire ! Le
ciel se charge
de nuages bas... Mes avions disparaissent peu à
peu à
l'horizon...
Enervement
? Frustration ? Fièvre ? Ma
gorge ? Je recommence ma jalousie envers Jeanine... J'ai
cette fois-ci
une
raison de douter... Je me demande, je lui demande, ce
qu'elle peut bien
faire
pour rentrer si tard, certaines soirées et dans
cet état
un peu titubant,
sentant l'alcool... Je n'ai assisté qu'a un ou
deux de ses
défilés de mode,
l'après-midi, jamais le soir, la nuit !
Défilés
nocturnes ? Bizarre...
«
Séances de photos ! Tu ne me crois pas
mannequin ? Et ces affiches, que tu vois partout en
ville ? »
C'est
vrai... La frimousse de Jeanine est
sur tous les murs de Bruxelles !
Je
suis chiant ! J'emmerde Jeanine... Le
soir, je suis bien souvent seul, ce que je
déteste, et ce qui
donne tout loisir
à mon imagination de s'envoler vers des
sphères
abominables... Je crois me
souvenir de l'avoir même suivie, à son
insu, dans les rues
de Bruxelles... Mon
esprit est tellement en ébullition, que j'attends
son retour
avec masochisme...
Toutes les cinq minutes, je soulève le rideau de
la grande
vitre... Pas de
Jeanine à l'horizon... Quand elle rentre
finalement, je la
bombarde de
questions... Je n'arrête pas, je la tarabuste, je
la
gestapiste ! Sous cet
abat-jour, surplombant le fauteuil, où elle est
assise, un
véritable
interrogatoire !
Un
soir, épuisée par mon comportement,
elle avoue ! Ce
sera la nuit des longs couteaux...
Elle
trouve d'abord ma conduite des plus
basses, (elle a raison, je suis un minable !), puis sans
aucun
complexe, me
donne ses explications ! Quelques extra... Une, deux,
trois coupes de
champagne
offertes par un client... Et sans trop se
détraquer la
santé, elle les vide
dans les pots de fleurs... Argent facile à gagner
! Elle ne
voulait pas que je
le sache... Elle ne voulait pas me perdre ! Ca, je n'en
suis pas
persuadé...
Peur de ma réaction ! Ca, j'en suis certain !
Ma
réaction ? Elle est simple ! Je vois
rouge, je frappe ! « Plaff » ! La
lèvre de Jeanine
est ouverte... A nouveau du
sang dans ce douillet petit appartement ! Je la refrappe
! «
Plaff » ! Cris...
Elle me frappe, elle me frappe ! « Baff » !
« Baff
» ! Cris ! Cris...
Avec
leur balai, les voisins:
«
Tac ! Tac ! Tac ! Tac ! »
«
Petit con ! Comment croyais-tu que je
puisse mener ce train de vie avec toi ? Ta solde de
minable ! »
C'est
vrai que je deviens con:
«
Un minable, moi ? Je suis un Officier !
»
Je
la frappe encore... Hurlements !
Les
voisins, toujours avec leur balai:
«
Tac ! Tac ! Tac ! Tac ! »
«
Et le reste ? Rien que des verres, avec
tes clients ? Hein ? Hein ? »
«
Je te jure que non ! »
«
Saloperie ! »
Je
vais la tuer... Le cendrier ! Non ! Je
me souviens du cendrier...
«
On se calme, Jacques, on se calme ! »
Je
ne prends pas le cendrier, j'arrête le
combat ! Ce qui sauve la vie de Jeanine et la mienne...
Je
quitte Jeanine !
Mais
non, je ne quitte pas Jeanine, je
quitte son appartement ! Le lendemain, je reviens...
Elle ne m'ouvre
pas sa
porte... J'implore... Elle ouvre !
Comme
avec Micheline, je m'entends dire:
«
Tu prends ou tu laisses ! ». « Take it
or leave it ! »
L'histoire
de ma vie...
Je
prends vite ! Et comme avec Micheline,
j'accepte cet arrangement... Je me dis que Jeanine doit
tout de
même tenir à
moi... Je fais table rase... Je prends la grosse
éponge, celle
qu'employait le
Mère Supérieure pour effacer le tableau
noir... Du coup,
tout se calme... J'abdique
! Je retrouve
la paix avec
Jeanine...
Elle
me dit:
«
Il faudrait que tu gagnes de l'argent !
Il faudrait aussi que tu te mettes sérieusement
à
l'Anglais ! »
Je
vais bientôt être démobilisé !
Il
était
temps... L’Adjudant de carrière, avec qui je
passe le rapport
tous les matins,
trouve tous les prétextes pour revenir dans mon
bureau... Il a
compris que
j'avais des problèmes personnels, que ma vie
privée n'est
pas ce qu'on peut
appeler
Il
me dira, mon Adjudant, juste avant mon
départ, avec son bon accent bruxellois, en guise
de
réconfort, de solidarité
entre hommes, en cadeau d'adieu:
«
Si ça peut vous consoler, mon
Lieutenant... Les femmes... Tenez, moi, avec la mienne,
à force
d’avoir ajouté
sans cesse de l'eau dans mon vin, il y a bien longtemps
que je ne bois
plus que
de la flotte ! » (Sic).
Il
me conseillera également de ne pas me
fier à ce « charlatan » de caporal,
de
carrière lui aussi...
«
J'espère que vous n'avez pas suivi ses
traitements, mon Lieutenant ? »
«
Non, non, Adjudant, ne vous en faites
pas ! »
Ce
laid petit caporal est tout tordu de
corps et d'esprit... Il
participe à
de
nombreuses compétitions d'un sport particulier,
bien
approprié à son caractère
et à son physique, la marche à pied, mais
sous forme de
course... Il se déhanche
donc continuellement en se déplaçant,
« bling,
blong, bling, blong » ! Il
passe et repasse de plus en plus devant la porte de mon
bureau...
A-t-il un
message à me transmettre, lui aussi ?
Décidément,
on s'occupe bien de moi...
Sans doute, devais-je paraître « minable
», comme
m'avait dit Jeanine...
«
Vous voulez me dire quelque chose,
Caporal ? »
«
Oui, mon Lieutenant, c'est au sujet de
votre gorge... »
«
Ma gorge ? Comment savez-vous... ? »
«
Je sais tout, mon Lieutenant ! »
Mon
caporal me conseille alors d'attraper
une grenouille, de placer sa gueule devant
J'ai
failli le faire... J'étais tellement
désespéré ! Aucun remède
n'ayant pu
éliminer mon infection...
Coïncidence
? Après ma démobilisation, en
sortant du tout dernier spécialiste, que j'avais
décidé de consulter, je tombe
nez à nez avec mon rebouteux ! M'avait-il suivi ?
«
Et votre gorge ? »
«
Que faites-vous ici ? »
«
Mon Lieutenant, suivez mon traitement !
»
«
Le coup de la grenouille ? Ecoutez, mon
vieux, ça suffit comme ça ! »
«
Non, l'alcool iodé... »
«
L'alcool iodé ? »
«
Badigeonnez-vous régulièrement le fond
de la gorge avec ce l'alcool iodé ! Une recette
de ma
grand-mère... »
«
Merci, au revoir ! »
J'ai
badigeonné... Ce crapaud de caporal a
fait disparaître mon mal de gorge !
Jeanine
m'introduit alors dans les «
milieux » ! Milieu de la photo et du cinéma
publicitaire
d'abord... Je me vois
déjà participer à des
réalisations
grandioses, des films exceptionnels...
Malgré
tout, je suis un « acteur »,
embarqué dans une vie mouvementée ! Je
dois me rendre
à l'aube, dans un bistro,
Place Flagey... On « filme » avant
l'ouverture... «
Action !
», « Action ! », «
Action !
»... Cinq fois, dix fois, on recommence
la même scène de groupe, avec nous, les
soi-disant clients
au bar... Comme il
s'agit d'une marque de bière, le barman ne
lâche pas sa
pompe, la bière
coule... Les figurants, dont je fais partie, ne sont
plus très
très frais,
quand les vrais premiers clients arrivent... Le patron
nous offre quand
même un
café !
Je
suis à l'affiche (!) aussi d'un court,
métrage... Il sera très court, en effet !
L'unique et
plus bref rôle de ma
carrière cinématographique... En studio,
je «
tourne » pour une marque de
détachant ! On m'avait dit de mettre mon beau
costume... A peine
arrivé, «
Sprouichh ! », un jet de jus de tomate sur ma
chemise blanche !
«
Ne vous inquiétez pas, le détachant va
faire son travail... C'est d'ailleurs pour cela que vous
êtes ici
! Non ? »
«
Oui... »
Scène
une, scène deux, scène trois... « Un
autre modèle, s'il vous plaît ! »
J'ai
dû jeter ma chemise...
«
Milieu » de la nuit ! J'accompagne
Jeanine dans plusieurs boites de nuit... Elle veut me
faire «
sentir »
l'atmosphère... Je sens tout de suite, ça
sent le fond de
cave, le mauvais vin,
répandu sur la carpette, l'odeur du champagne bon
marché,
collé aux rideaux ou
balancé dans les fleurs en plastique à
l'insu du client !
J'ai dur à m'y
faire... Jeanine le voit !
«
Je crois avoir bientôt un job pour
toi... A « L'Eléphant Blanc ! ».
«
Quel job ? »
«
Barman ! »
«
Où ? »
«
Porte de Namur ! »
Ah,
nous quittons les bas de la ville, le
« standing » s'élève...
Beau
bar... Mais avant d'avoir la place
d'aide-barman, je dois d'abord regarder, voir comment
cela se passe...
Apprendre ! Pas désagréable d'être
apprenti,
puisque je passe quelques soirées
dans ce bel établissement, assis au bar, devant
un « baby
», entouré de jolies
filles et de pots de fleurs...
«
Un Baby, c'est un Baby ! Un petit verre
de whisky, pas un grand ! Et attention à la dose
!
«
Je vois, je vois... »
Je
ne suis jamais arrivé à la fin de mon
stage... Je ne fus pas nommé barman No 2, ni No
3...
Malgré les recommandations
de Jeanine, ma place fut raflée par un
professionnel !
J'apprends
cette nouvelle à ma mère:
«
Ooh, comme c'est dommage... »
Car,
je ne peux rien cacher à ma mère,
elle sait tout de moi... Quant à mon père,
je ne lui ai
rien dit de tout
ceci... De toute façon, mon père est
absent, il est
reparti en mission au Congo
!
Les
bulles, les gènes du fils de
bourgeois, que je suis, remontent avec moi à la
surface... En
apnée, du fond de
cette plongée de nuit, pendant laquelle je
retenais mon souffle,
je donne de
grands coups de palmes... Je remonte vers l'air pur...
Je retrouve la
lumière
du ciel... et je quitte Jeanine ! Je ne lui demande plus
de m'ouvrir la
porte
de son appartement !
25
ans après... Par un matin d'hiver, je
suis en escale à Bruxelles... A la caisse d'un
supermarché à Uccle, je crois
apercevoir Jeanine ! Maquillage discret, manteau de
vison noir, bandeau
noir
autour de ses cheveux... Jolie femme ! Elle tient en
laisse un mignon
petit
caniche blanc... Je remarque une chaînette en or
à sa
cheville...
Moi,
je porte mon éternel « Burburry »...
Je m'approche tout hésitant, je crois que je
tremble... Oui, je
tremble !
«
C'est moi, Jacques ! »
«
... »
«
Vous n'êtes pas Jeanine V. ? »
«
... »
Les
secondes passent... Un « flash-back »
au fond des yeux ! Tout repasse vite en ces brefs
instants...
«
Vous faites erreur, Monsieur... »
«
Excusez-moi, Madame ! »
Il
gelait à pierre fendre ce jour-là...
Vision ? Le froid, sans doute...
«
Dommage... », comme m'avait dit Maman.
Nom
di Diou de Nom di Diou, qu'est ce que
j'ai pu adorer Jeanine !
Willy
Pourtois, celui du crash d'Ostende,
me vient en aide... Nous ferons ensemble de
l'immobilier... Aujourd'hui
je le
remercie encore de son amitié... Entre deux
clients,
l'après-midi, je suis des
cours d'Anglais, au Théâtre des Galeries,
en audio visuel
! On m'y apprend que
mon tailleur est riche...
M'arrive
alors sur la tête, le dernier
coup de massue... Le coup de grâce !
«
Craaaaac ! ». Craquelures...
Je
reçois une convocation pour la 19ème
chambre correctionnelle au Palais de Justice de
Bruxelles ! Je dois
répondre de
mon (?) « Homicide involontaire », lors de
l'accident, que
j'avais eu à
Grimbergen !!!
Désemparé,
je vais trouver mon cher oncle,
qui commence à en avoir marre des aventures de
son neveu... Il
est Président de
l'Association Belge des Pilotes de Lignes, dont l'avocat
est le
Bâtonnier
Thevenet... Il me conseille de le prendre comme avocat !
«
Je lui en toucherai un mot... »
«
Merci, Paul ! »
Le
jour d'audition, je retrouve mon
instructeur, le pilote, qui m'est rentré dedans
(ça,
c'est ma version !), son
instructeur, le contrôleur colombophile... Le
Bâtonnier a
pris place derrière
moi... Je suis assis près de mon ancien moniteur,
M. De Bruyn...
Tout
le monde parle, tous y vont de leur
petite histoire... Facile d'inventer sans témoins
! Mon avocat
ne dit pas un
mot... Rien ! Inquiet, je me retourne vers lui:
«
Maître... »
«
Schuut ! » Le
vieux renard... Il sait tout, lui aussi ! Lorsque les
déclarations semblent se
tarir, faute de conclusions, mon Bâtonnier demande
enfin la
parole... Corrida
rapide ! S'adressant au pilote du Tiger Moth:
«
Monsieur D., cet accident est survenu voici
plus d'une année... Vous étiez à
l'époque,
déjà fort avancé dans votre
stage...
Par conséquent, à l'heure qu'il est, vous
êtes
certainement breveté Pilote de
ligne et confirmé dans votre place de Premier
Officier Navigant
à la Sabena ! »
«
Heu... Non, Monsieur ! »
«
Tiens ! Vous n'êtes pas pilote ? »
«
Heu... Non, Monsieur ! »
«
Vous n'avez donc pas terminé votre
entraînement de pilote ? »
«
Heu... Non, Monsieur ! »
«
Et que faites-vous alors, à présent,
Monsieur D. ? » « Je
travaille dans les pétroles, Monsieur ! » Ici,
D. est complètement emberlificoté,
épuisé,
« picadoré »... Il offre son corps
à
la mort !
Estocade
finale:
«
Et pour quelle raison, s'il vous plaît,
n'avez-vous pas fini votre stage, Monsieur D. ? »
D.
tombe dans le piège ! Il lâche
naïvement:
«
J'ai été rayé pour
incapacité
professionnelle... »
«
Merci, Monsieur le Président... Ce sera
tout pour moi ! »
D.
s'écroule sur place, tué raide !
Jacques
Siroux est acquitté !
Les
deux oreilles et la queue pour le
matador !
Chapeau
! Monsieur le Bâtonnier...
Patte
blanche ! Quelque gros billets en
moins dans ma poche, mais libre... Libre de recommencer
une nouvelle
vie ! Les
dieux ont sans doute exigé toutes ces
épreuves à
mon égard... Me seront-ils
favorables maintenant ?
Ils
le sont !
Sans
problème et sans douleur, je passe
mon « caisson » No 2... Je suis admis
à la
144ème promotion d'élève-pilotes,
qui débute bientôt à Gossoncourt !
Je
ne peux m'empêcher de refaire le
compte... Nous sommes en 1960, si mon père, en
1953... Sept ans
de retard !
«
Oui mais, Jack, pendant ce temps-là, tu
en as vécu des choses... Tu regrettes ? »
«
Aujourd'hui, avec le recul, non ! Rien !
Mais à l'époque... »
Premier
stage: Gossoncourt ! EPA: Ecole de
Pilotage Elementaire... Elle n'est pas trop
élémentaire
pour moi, vu que j'ai
déjà un peu d'expérience de
l'air... Quelques
heures de vol, ma licence de
pilote de planeur et de pilote privé ! J'ai
cependant un peu
perdu la main...
Je m'écrase, je me fais tout petit ! Un bon
principe à
suivre à l'Air Force...
Les « bleus », les jeunes pilotes en
escadrille, qui
débarquent, s'entendent
souvent dire:
«
Ecrase, mon petit gars ! »
Normal
! Tout au long de ma carrière,
qu'elle soit militaire et civile, je respecterai
toujours les plus
gradés que
moi, les aviateurs plus expérimentés, les
« Seniors
»... Le respect des Anciens
! Une denrée, qui semble aussi disparaître
de nos jours...
Après
bien des années, je retrouve mon CO,
mon Commandant d'escadrille... Bien sûr, il me dit
« Tu
»... Moi, il m'est
impossible de le tutoyer ! Pour moi, il restera toujours
mon CO...
Je
fais la connaissance de Gui Oger, qui a
encore plus d'heures de vol que moi... Il a pu faire son
service
militaire dans
l'aviation légère de reconnaissance...
Nous sommes donc
tous les deux, les
seuls Officiers de notre promotion, ce qui nous donne
l'avantage de
pouvoir
loger et manger au Mess Officier, pendant que nos
collègues
soldats font des «
A droite, droite ! », des « A gauche, gauche
! »...
Les jeunes recrues n'ont
surtout pas l'avantage de bénéficier de
notre avance
aéronautique... Les têtes
vont vite tomber !
Déjà,
50% sont éliminés avant le « solo
»
! Il faut être « lâché »
avant dix
heures de vol !
L'espace
à trois dimensions... Une
découverte ! Pour ceux qui ne peuvent pas
maintenir leur avion
en ligne droite
ou à une altitude constante... Pour ceux qui ne
parviennent pas
à prendre un
virage sans glisser ou déraper... Pour ceux qui
ont peur... Et
ceux qui sont
malades... Pour ceux qui ne peuvent pas et ne pourront
jamais !
Il
faut un certain don, que tous n'ont
pas...
Rayés
!
Les
têtes tombent...
J'ai
comme instructeur le Lieutenant Paul
Jourez... De la classe, un gentleman ! En quelques
heures de manœuvres
et de
circuits, il me prépare pour mon solo ! Le
capitaine Delanseer
me lâche !
Quand
je reviens le reprendre en bout de piste,
où il est resté pendant mon circuit et mon
atterrissage,
il me fait signe, le
pouce en l'air:
«
OK ! »
Pour
voler sur le SV4, nous portons le
casque en cuir souple d'aviateur, les grosses lunettes
et les gants...
Certains
ont un foulard autour du cou... «Snoupy» en
14 ! Ce
biplan, le Stamp, est
plus fin que le Tiger Moth, surtout pour le vol
inversé et
l'acrobatie, que
l'on nous enseigne d'ailleurs dans la foulée,
quelques heures
à peine après le
solo ! Le renversement: l'avion à la verticale,
laisser mourir
la vitesse, un
doux coup de palonnier et l'avion se renverse, dans
l'axe et dans le
plan ! Le
looping: une boucle, dans l'axe et dans le plan ! Le
tonneau: tourner
l'avion
autour de l'axe ! Maintenir l'axe, ressortir dans l'axe
et dans le plan
!
L'axe, l'axe ! Le plan,
«
LOOK OUT ! Regardez dehors, regardez
partout ! »
La
tête des futurs pilotes de chasse doit
se transformer en véritable périscope...
Scruter le ciel
dans tous les azimuts
! Celui qui a le cou raide n'a aucune chance de survie !
Avant
d'entamer l'acrobatie, je fais
quelques pirouettes avec l'Adjudant Chevalier... Je ne
suis pas le seul
à
passer ce genre de baptême, qui est plutôt
un test, genre
« Tiendra-t-il le
coup ? »... La spécialité de cet as,
surnommé « Le Cheval » est le vol
inversé
! Toutes les figures d'acrobatie y passent, mais
à l'envers...
Je pends
lamentablement dans mes bretelles, la tête et les
yeux
gonflés de sang, prêts à
exploser, lorsque nous sommes sur le dos pour de longues
minutes...
Revenu
au sol, on essaie tous de faire
bonne figure... L'Adjudant, avec un sourire diabolique:
«
Bizarre, il y en a qui n'aiment pas ça !
»
Quand
je vole avec le Lieutenant Jourez,
je me sens en confiance, je ne suis pas seul... Mes
axes, mes plans, ne
sont
pas trop tordus... Sans mon instructeur, je suis un brin
plus
nerveux... Je me
souviens de mon premier « solo acro »...
Ciel, terre, ciel,
terre, ciel ! Mon
axe se met à se tordre, se détordre, mon
plan à se
plier, se déplier... Je sors
de mon premier looping à 90 degrés de la
ligne ! Quant
à mon tonneau, il se
disperse dans tous les sens... Au lieu d'à
l'endroit, je
renverse mon avion à
l'envers... Le malheureux ! Je ne sais plus très
bien où
j'en suis ! Ce ne sont
plus des figures classiques, c'est de l'improvisation
pure !
N'aurais-je
vraiment pas le « don » ?
«
Jacques, on se calme, on se calme ! »
Je
respire un grand coup...
Je
recommence... Terre, ciel, l'axe !
Terre, ciel, le plan ! Je recommence... Une
séance sur deux,
l'instructeur me
reprend en « double commande », me
corrige...En solo, je
recommence. Finalement,
ils sont
potables mes loopings,
mes tonneaux et mes renversements...
«
Looping ! »
Un
looping... Pas de commentaires !
«
Tonneau ! »
Un
tonneau... Pas de commentaires !
«
Renversement ! »
Un
renversement... Pas de commentaires !
«
Retour à la base ! »
Je
ne me suis pas perdu... Je reviens à la
base ! Atterrissage...
Un
commentaire:
«
OK ! »
Même
commentaire pour mon « Final Test »:
«
OK ! »
Mais,
pour un de nos collègues, ce ne fut
pas OK ... Un secteur d'acrobatie, plus ou moins
éloigné,
est attribué à chaque
élève... Ce jour-là, ce cadet
aviateur,
après s'être tourné et
retourné avec
délice dans le ciel, ne reconnaît plus rien
de son
secteur... Il est perdu ! Il
fait alors le coup de l'élève
indiscipliné, celui
que j'ai fait moi-même, lors
de mon examen de navigation... Mais lui, au lieu de
suivre les rails
d'un
chemin de fer, il suit une route, avec l'espoir de
pouvoir lire le
prochain
poteau indicateur... En voilà un !
En
vitesse, en rase-mottes, il scrute les noms...
«
PLAFF » dans la ferme !
Heureusement
dans la grange aux foins...
Pas
pour tous, hélas, mais on dit qu'il y
a un Dieu pour les aviateurs... Pour notre ami, c'est un
Diable, car il
y a le
feu à la grange ! Lui n'est pas mort, il est
même bien
vivant, puisqu'il est
sorti de son avion et qu'il aide, à grands seaux
d'eau, le
fermier, la fermière
et surtout leur fille
Merveilleux
conte de fées... Notre
aviateur épouse la fille de la ferme !
Si
tous les accidents d'aviation pouvaient
se terminer comme ça...
Mais,
il y en a... Basile Bastin me
raconte en 1991 celui-ci, moins romantique, mais qui,
également,
se termine
bien :
Début
des années 50, il est aussi
élève-pilote... Il vient d'être
lâché
en solo, ainsi que tous ceux de sa
promotion... En attendant leur départ pour les
Etats Unis,
où il feront leur
entraînement, ils effectuent des « Touch and
go »...
Décollage, circuit,
atterrissage, immédiatement, en roulant toujours,
remise des
gaz... Décollage,
circuit, atterrissage, remise des gaz, ainsi de suite...
Pas de piste !
Pour ne
gêner personne, on a choisi un grand champ en
pleine campagne...
De la ferme,
où sont réunis les instructeurs, on ne
peut pas voir le
bout du terrain, car il
est bombé...
Comme
tous ses collègues, Basile fait des
circuits... Ils tournent tous en rond !
Décollages,
atterrissages, décollages,
atterrissages... Le petit cirque ! Le vent change de 180
degrés... Il n'y a pas
de « biroute », de manche à air pour
donner la
direction du vent... Personne
n'y prend garde... Puisqu'il a le vent dans le cul,
Basile se
présente trop
haut en finale... Mais il veut «faire sa
«
Mes patates ! »
Basile:
«
Schuut ! Aidez-moi plutôt à redresser
mon avion et à le tirer sur l'herbe ! »
«???
»
Tous
les deux, ils redressent et replacent
l'avion sur le terrain en herbe...
«
Je vais vous expliquer maintenant
comment faire pour la mise en marche ! »
«
!!! »
Après
le « briefing », Basile monte dans
le cockpit, fait signe au cultivateur qu'il peut donner
un tour
d'hélice !
«
Contact ! »
Le
moteur démarre, ronronne... D'un geste
de la main, Basile remercie le fermier, qui se croit
toujours en plein
rêve,
met la gomme, décolle et mine de rien, va
reprendre sa place
dans le circuit
avec les autres ! Ni vu, ni connu...
«
Jack, je peux bien t'en parler
aujourd'hui sans inquiétude... Il y a quarante
ans de cela !
»
Basile
Bastin, breveté aux Etats Unis, a
reçu les « Silver wings », les ailes
d'argent de
l'Air Force américaine... Pilote
de brousse, sur petit porteur, sur gros porteur, sur
tous les porteurs,
pilote
de jet du plus léger au plus lourd, le «
heavy », le
747, aviateur des quatre
coins du monde, joyeux compagnon et ami des plus
solides, Basile, vient
de
prendre sa retraite... Toujours amoureux des cieux et
des vents
contraires, je
viens d'apprendre qu'il revolait dans une compagnie
charter...
Allez,
un coup de chapeau à Basile !
On
fête nos exploits dans les bars à
fille... Ce sont des demoiselles « bien » !
Elles sont
là, juste pour le
réconfort... Elles font marcher le commerce... La
bière
coule ! Elles dansent
avec nous... Quand le juke-box y va de ses rock and
roll, nous
retrouvons nos
figures acrobatiques... Des bras, des jambes s'envolent
dans
l’éther de cette
salle enfumée où la visibilité est
réduite... La bière coule ! Les slows,
nous
endorment dans les bras des filles... Elles nous
enlacent, nous collent
au
corps, les arapèdes ! Elles nous font
rêver, en nous
faisant avaler une
dernière bière... pour la route !
Il
y a toujours « quelque chose » pour
ternir un tableau de joie... C'est la vie ! Mais ce que
j'apprends est
fort
obscur... Mon père est revenu de sa mission au
Congo... Il ne se
sent pas
bien... Fièvre... Douleurs dans le ventre...
Opération !
Le chirurgien fait de
vilaines découvertes... Mauvais !
Je
rentre le plus souvent possible à la
maison... Presque tous les jours... Le Chef de Corps,
Je
retrouve alors mon amie de Bukavu,
Raymonde L., la régente de ma fin
d'humanités... Elle
vient souvent aider dans
ces moments difficiles... Je remercie aujourd'hui
Raymonde, comme je
l'ai
certainement fait à l'époque... Elle est
d'un grand
secours moral et physique
pour ma mère, qui se retrouve seule et
désemparée... Car j'ai terminé
l'Ecole
de Pilotage Elementaire ! Je vais partir en France
continuer mon
entraînement...
Mais
avant de partir, je parle avec mon
père... Avec difficultés, c'est surtout
lui, qui parle...
Il me raconte son
voyage au Congo... La joie qu'il a eue de retrouver les
Chefs
coutumiers, dont
il était l'Administrateur... Il me parle surtout
de sa
mère et de sa sœur, qu'il
a revues à Butembo, de la plantation de Vuyonga,
déjà en état de
délabrement...
Il me parle de mes avions... Oui, mon père me
parle de mes
avions !
Je
nous revois dans le jardin... Il est
assis dans son fauteuil... Dans ses mains, il tient une
pomme, qu'il
caresse
avec volupté... Il ne la quitte pas de ses yeux
humides... J'ai
peine à retenir
mes larmes, que je libère aujourd'hui en
écrivant ce
passage... Fatigué, il
conclut notre entretien:
«
Jackie, c'est beau, la vie... «
De
mon père, je retiens ces derniers
mots... « C'est beau la vie... » Ce qu'elle
peut être
moche, la vie ! Et toutes
les pommes du monde, que je croquerai dans mon
existence...
1960.
Indépendance du Congo Belge, qui
devient le Zaïre... Troubles... Parachutages !
Evacuations ! Au
Katanga, la
base aérienne de Kamina, ne peut donc plus servir
pour l'Ecole
de Pilotage
Avancé ! Ce second stage de notre
entraînement aura lieu
en Hollande pour les
Flamands, en France pour les Wallons...
J'aurais
bien voulu revoir mon Congo, mais
dans ces conditions, non !
«
Un mal pour un bien ! », me dit ma
mère... Une fois de plus, elle aura raison !
Exaltante phase de
ma vie ! Bien
dans ma peau, je vais me vêtir à nouveau de
ce manteau de
fine peau...
Un
avion du 15ème Wing de Transport nous
emmène à Salon de Provence... Nous sommes
quatre à
partir les premiers: Guy
Oger, Eugène Maquet, Albert Delevingne et moi...
Les
Direction
Sud ! Nationale 7 ! Oui, Monsieur
Trenet, une fois de plus, mais en l'air cette
fois-çi, la route
du ciel... Il
s'éclaircit le ciel, devient de plus en plus
bleu... Le soleil !
La Provence
est proche... Je n'aperçois pas le premier
olivier, mais bien le
magnifique
bâtiment de l'Ecole de l'Air se profilant à
l'horizon !
Présentations,
uniques dans les annales de
cet établissement militaire français de
haute
réputation, d'élèves-pilotes
belges en uniforme bleu de la Force Aérienne,
badge «
Belgium », cousu sur le
haut de la manche ! Les « Outsiders »...
Le
Colonel, « Jojo le Mérou »:
«
Ah, les petits Belges ! »
Accueil,
briefings... Eugène Maquet et
Albert Delevingne sont logés à la caserne.
Je regarde Guy
Oger...
«
Mon Colonel... Heu... Et nous ? »
Etonné,
il nous réplique:
«
Vous ? Vous êtes Officiers, vous vous
débrouillez ! »
Comme
tous les autres Officiers, nous
avons donc pris chambre en ville... A l'Hôtel de
Provence,
à Salon de Provence,
en Provence ! Que demander de plus ? Une moto ? Nous
l'achetons ! Une
très
belle période commence...
Nous
sommes intégrés avec les « Poussins
»... Grosses têtes, ils viennent de se
farcir Math Sup et
deux ans de cours
théoriques ! Ils vont seulement commencer leurs
premières
leçons de pilotages !
Nous, les « petits Belges », nous avons
déjà
quelques heures de vol, nous
sommes lâchés solo... Mais, il s'agit
à
présent d'une autre paire de manches:
l'avion à réaction, le Fouga Magister...
Les
élèves français débutent
à
zéro
sur ce biréacteur !
Nous
avons avec nous deux moniteurs
belges... Le mien s'appelle Emile Chatelain, il est
Capitaine ! Bien,
très bien
! Egalement un gentleman... Large culture
générale... et
connaissance
approfondie des histoires de « Tintin » ! Ce
qui classe de
suite une personnalité...
En vol, pour relaxer l'atmosphère et la tension,
il me pose des
questions:
«
Excusez-moi si je vous demande pardon,
mais je vous avais pris pour un mirage ! »
«
L'Or Noir, mon Capitaine ! »
«
Bien ! »
«
L'endroit serait merveilleusement choisi
pour une embuscade. »
«
Les Cigares du Pharaon, mon Capitaine !
»
«
Bravo, Jack, tu peux m'appeler Emile ! »
«
Bien, mon Cap... Heu... Bien, Emile ! »
Un
ami !
Premier
vol et « familiarisation » par un
instructeur français le 29 août 1960 !
Plutôt une
démonstration du Sergent
Villeneuve, genre celle du « Cheval » sur
Stamp à
Gossoncourt... Il ne pose pas
de questions... Magistralement, il «
démontre » en
effet les capacités du Fouga
Magister... Ca va vite et je respire vite dans mon
masque à
oxygène !
Pour
me mettre dans le bain, quelques
figures acrobatiques, que je n'ai pas le temps de
reconnaître...
Souvent, je ne
vois plus rien... J'ai un voile devant les yeux !
Jusqu’à
présent, nous
n'avions pas connu, ou peu, les effets des
accélérations,
les « G » !
De
par la pesanteur, le poids du corps
humain pèse un « G » au repos... La
force centrifuge
peut multiplier plusieurs
fois ce poids... A quatre, cinq ou six « G
», un rideau de
plus en plus épais
passe devant les yeux ! Aveuglement ! Jusqu’à
l'évanouissement, si on
persiste... Sur les avions plus puissants, les pilotes
portent une
combinaison
anti « G » (la G-suit), faite de poches
d'air, qui se
gonflent et se dégonflent
selon la force de l'accélération en
compressant les
jambes et le ventre... La
circulation sanguine est ainsi
accélérée, ce qui
permet de supporter des « G »
plus élevés !
Après
ces pirouettes, visite de la Côte
d'Azur en « radada », au ras de la mer...
Cannes,
l'Hôtel Carlton, « grand comme
ça » ! Nice, l'Hôtel Négresco,
« grand
comme ça » ! La Baie de Nice, la Baie
des Anges, la Promenade des Anglais, troublées
dans leur
sérénité par le
vacarme de nos réacteurs, je ne l'ai jamais si
bien vue,
même au pas d'homme
dans la traction avant de
Le
Sergent redresse ! Tonneaux à la
vertical, on disparaît vers le soleil ! «
Flip »,
« Flip »,
«
Je vais vous montrer les gorges du
Verdon ! »
«
M... Mer... Merci... »
Je
les ai très bien vues aussi...
Je
soulève mes pieds à l'arrondi de
l'atterrissage... Cet avion est si bas sur pattes...
L'instructeur
a-t-il
oublié de sortir le train ? Non ! Atterrissage en
douceur...
Au
sol, Villeneuve me lance:
«
La Chasse, Bordel ! Alors ? » J'ai
compris !
Si
je lui avais avoué le fond de ma
pensée... Arriverai-je à piloter ce
« jet »,
moi l'habitué de mon moteur «
Preutt, preutt »...
L'Armée
de l'Air française offre aux
candidats plusieurs spécialités: chasse,
bombardement,
reconnaissance,
hélicoptères ou transport... A la Force
Aérienne
Belge, tous les élèves-pilotes
sont destinés uniquement à la Chasse ! On
nous donne vingt heures de vol pour être
lâchés...
Le jour du solo, les copains
attrapent le pilote, l'emmènent sur un chariot et
« Plaff
! », tradition, le
balance dans la fontaine !
Tradition
! On paie le pot au « Café des
Sports », le quartier général des
Poussins...
L'ambiance de notre escadrille
d’entraînement, la quatrième, est joyeuse,
genre «
Au cul,
Tout
à coup, la fumée se suspend, les
gestes se glacent, les accents se taisent, les pastis
sont
déposés sur le
comptoir... Le barman vient de brancher le poste de
télévision, placé au-dessus
du bar... De Gaulle va parler ! Il parlera souvent, le
Général, et je perdrai
plusieurs de ces amis Poussins, devenus aviateurs en
Algérie !
A
l'Ecole de l'Air, j'ai fait la
connaissance de garçons de grande classe, c'est
vrai, je le
répète... Amitiés
profondes... Comme Vzdoulski, avec qui je faisais
équipe... Les
voir se
promener dans Salon en uniforme, avec la petite dague au
coté...
Du standing !
Au Bal de l'Ecole de l'Air, en spencer bleu-nuit de
soirée, ces
Officiers m'ont
laissé un souvenir d'aristocratie inoubliable !
En
attendant ce jour de solo,
apprentissage des virages normaux, à 45
degrés, à
90 degrés, pertes de
sustentation, vrilles, décollages, circuits,
atterrissages...
Les
instruments sont plus nombreux, plus
modernes, plus précis ! Tel l'horizon artificiel,
Un
coup d'œil dehors, un coup d'œil aux
instruments... Position, vitesse, taux de montée
ou de descente,
altitude, cap,
bille-aiguille pour les virages... Eh oui, la bille et
l'aiguille, le
« turn
and bank », est toujours là ! Les pilotes
sont
condamnés à avoir, cet
instrument simple devant le nez pendant toute leur
carrière et
sur tous les
types d'avion... Il est de plus en plus minuscule, mais
il est toujours
là ! Le
fil à plomb de l'aviateur... L'emblème de
notre
franc-maçonnerie !
Ensuite,
on nous enseigne le PSV, Pilotage
sans Visibilité, uniquement aux instruments ! Les
yeux passent
d'un instrument
à l'autre. DI-FU-SION ! Horizon artificiel,
vitesse,
variomètre, etc..
Le
Capitaine Chatelain.:
«
Jack, la vitesse... »
«
Jack, le vario... »
«
Jack, le cap ! »
«
OK, reviens à ton horizon artificiel...
»
Surtout
ne pas se fier à ses sensations...
Croire les instruments, surtout si l'on a l'impression
qu'ils procurent
une
fausse information...
Démonstration
sous « capote » PSV, un
rideau cachant complètement la visibilité
extérieure, de ce phénomène
d'équilibre: le moniteur prend les commandes,
retournent l'avion
dans tous les
sens, le place dans une position scabreuse, puis:
«
A toi les commandes ! »
De
suite, interpréter les instruments,
replacer l'avion en position de vol !
Bien
souvent, on est persuadé que les
instruments mentent:
«
Nom di Diou ! Je me sens bien en train
de monter, en virage à droite ! » Check,
vérification aux instruments: l'avion
descend en virant à gauche !
«
Nom di Diou ! Je suis bien en vol
horizontal ! ». Oui, l'avion est en vol
horizontal, mais sur le
dos... J'aurais
dû m'en douter, je pends dans mes bretelles !
Etc.. Etc..
L'espace à trois
dimensions !
Au
début, que se soit en vol à vue ou en
PSV, les élèves corrigent trop rapidement
! Mouvements
brusques ! Peu à peu,
les mouvements des commandes deviennent souples...
Pilotage en
doigté !
Malheureusement, il y a ceux qui battront toujours le
beurre avec le
manche à
balai... Ceux-là, ne seront jamais de fins
pilotes !
Nous
travaillons aussi le PSV au sol... Au
« link trainer » ! Une boite en vague forme
d'avion,
montée sur un système
pneumatique... Des soufflets, qui font « Prrff
», «
Prrff » chaque fois que
l'on actionne les commandes ! Enfermés dans ce
machin, les
élèves tentent de
faire des
Quand
il n'est plus tellement certain de
savoir où il en est, Eugene Maquet a
trouvé le truc... IL
soulève délicatement
le couvercle du Link et jette vite un coup d'œil vers la
table !
Où est ce
crabe ? Jusqu'au jour où l'instructeur s'en
aperçoit...
Leurs regards se
croisent !
«
Dites donc, Maquet ! »
«
J'ai un peu chaud dans cette caisse, Mon
Adjudant... »
Le
juteux ne l'a jamais cru !
Nous,
les Belges, qui avons appris les
termes des procédures en anglais, nous devons
nous habituer aux
termes
français... Ainsi, nous disions:
*
« Line up », pour s'aligner avec la
piste, les Français demandent l'autorisation de pénétrer ...
*
En finale, nous ne disions rien, eux,
ils chantonnent: « Train, volets, pressions !
», pour
indiquer que tout est
vérifié...
*
Nous annoncions le « Break », c.a.d «
casser » la vitesse en arrivant au-dessus de la
piste avant
d'atterrir, les
Français aimeraient annoncer « cassure
», ce qui
effectivement, est bien
traduit et réaliste...
*
L'acrobatie, c'est la « voltige » pour
eux... On se croirait en plein Kamasutra, quand on nous
demande
d'exécuter un
huit cubain (cuban eight), une abattée (stall) ou
un
renversement (stall
turn)... Tant qu'on y est, pourquoi pas le cumulet
indien, le
tire-bouchon
japonais ou la brouette thaïlandaise ?
Mais
tout cela me plaît énormément, le
français étant ma langue maternelle, je me
plais
tellement à l'Ecole de l'Air
française !
Je
me sens bien dans ma peau, mon manteau
de fine peau...
Travail
d'équipe, comme nous le faisions
avec les planeurs à St Hubert, nous poussons les
Fougas hors du
hangar... Tous
les matins, nous les alignons sur le parking (la piste
pour eux, tarmac pour
nous), prêts pour le cirque
journalier... Les programmes, les missions nous sont
alors
distribuées ! Le
soir, nous les rentrons dans le hangar... Ils se
reposent des
cabrioles, que
nous leur avons infligées !
Je
m'en donne d'ailleurs à cœur joie...
Dans le ciel bleu de Provence, je « tire »
des grandes
boucles, je dessine des
huit cubains... Belle figure, le « cuban height
»: à
la remontée du looping,
repasser l'avion en vol inversé et
enchaîner avec une
seconde boucle pour
former un « huit », une suite de boucles...
Et dans l'axe,
s.v.p. ! Comme à
Gossoncourt, on nous attribue des secteurs d'acr... de
voltige ! Ces
secteurs
sont choisis selon des points de repères
naturels, les routes
par exemple, qui
sont d'excellents « axes » justement ! Celui
que je
préfère est la route en
ligne droite entre Salon de Provence et Aix en
Provence... Exactement
le
tronçon Saint-Cannat Lambesc...Visions d'un de
mes loopings: je
vois Aix, je
vois le ciel, je vois Salon...
La
Provence, que nous visitons en moto
tous les quatre... La moto se transforme ensuite pour
moi en jolie
voiture,
celle de la « Femme du Capitaine » ! Non !
Pas celle de mon
moniteur, qui
d'ailleurs, comme son mari, est devenue une
véritable amie...
« Pas touche ! »
Non ! la femme de ce capitaine, que je ne verrai jamais
et dont elle
prétend
même ne plus voir souvent... Je me sens moins
coupable... Bref,
pour moi, elle
restera la Femme du Capitaine »
!
Avec
Vzdoulski , mon « camarade »
d'équipe, nous descendons souvent à
Marseille... Nous
balader... Manger une
bouillabaisse, une soupe de poisson... Pour tout dire,
« nous
allons aux putes
», du coté du théâtre !
Ce
samedi-ci, programme d'une toute autre
noblesse, nous assistons au Bal de l'Ecole de
Sur
ces marches de marbre, une dame
remarque le badge à mon épaule:
«
Belgium ? »
«
Belgique ! »
«
Ah, vous êtes Belge... »
«
Vous dansez ? »
Rapidité
!
Chances
? Avec les femmes, c'est comme à
la loterie, mais à la grande différence,
comme m'avait
dit ce dragueur
invétéré, on a toujours une chance
sur deux,
cinquante pour-cent: oui ou non !
C'est énorme !
«
Tu en connais, des loteries pareilles,
toi ? »
«
Non... En effet ! »
Je
fais la connaissance de M... Slows,
rumbas, froti-frotas... Promesses de se revoir...
«
Quand ? »
«
Demain ! »
Bien
accrochés, nous ne décrocherons pas
pendant une bonne partie de mon stage... Avec elle,
j'écume
toutes les routes
de Provence et des alentours... Je reconnais au sol, la
plupart des
secteurs de
voltige, dans lesquels je me débats avec mon
Fouga... Le secteur
du Mont
Ventoux et les autres... Ces routes, ces
rivières, comme la
Durance, sur
lesquelles j'essaie de m'aligner en me renversant le
corps, elles sont
bordées
de petits hôtels d'après-midi, d'auberges
bien
accueillantes pour siestes
crapuleuses... Vaison la Romaine... Haute voltige...
Axes
mémorables !
Le
« Whisky à gogo », sur le Vieux Port
devient notre QG, le quartier général de
nos
soirées de weekend...
Liaison
sans bavures...
M…,
elle aussi, ne cesse de fredonner...
La chanson du moment, celle de Piaf:
«
Non, rien de rien, non, je ne regrette
rien... »
Nom
di Diou, moi non plus, je ne regrette
rien !
Si
! Tout au fond de moi, j'ai un
regret... Celui de ne pas laisser couler, à
perdre l'âme,
mes sentiments et mes
désirs pour « Cacarinette »,
Michèle L., la
fille du poissonnier !
Cacarinette,
la coccinelle, c'est un autre
monde... Angelot descendu de mon ciel, venu se poser sur
ma peau... On
ne
touche pas une bête à Bon Dieu !
D'ailleurs, en me
revoyant beaucoup plus tard,
sa mère s'écrie, avec son accent
merveilleux:
«
Ah, mon Dieu, voilà le Diable ! »
Ce
petit joyau, cette pierre précieuse,
j'ai une envie folle de la caresser, de la retourner
dans ma main, de
l'embrasser, de la garder pour moi, pour toujours...
Mais alors...
Attachement
profond, sérieux, définitif, à vie
! Et ma
carrière ? Je la débute à peine...
Je ne peux pas, je ne veux pas ! La mort dans
l'âme, je suis
debout sur les
freins, je passe en « reverses » ! Un doux
baiser au coin
des lèvres, voilà
jusqu'où iront nos rapports...
Clichés,
vérités: M. et Mme L. sont les
gens les plus gentils, les plus accueillants, les plus
sincères,
les plus
joyeux du monde ! « Pépé », le
grand-père, champion de la pétanque, que
nous
jouons au chant des cigales, dans leur mas près
de Grans, est un
personnage des
plus attachants... Si, de toute ma vie, j'ai atteint une
seule fois la
Plénitude, la Paix, les « PP », dont
je
rêvais, je crois bien que ce soit avec
ces gens-là ! Je sens que je m'attache à
toute cette
chaleur, qui m'entoure...
Je freine ! Et je retrouve la femme du Capitaine...
Je
m'attache et je dois me retenir
d'autant plus, que cette famille va devenir pour ma
mère et moi,
le soutien
moral, dont nous avions besoin...
Je
reçois un télégramme de la
maison...
Mon père va très mal !
De
Bruxelles, le Colonel Aviateur Jo
Willocq fait une mission à Solenzara, en Corse...
Il vole un
gros bimoteur de
transport de troupe et de matériel, le C119, le
« Packet
» ! Il est de ma
famille le Colonel, il connaît donc l'état
de mon
père... Au retour,
il a la
gentillesse de s'arrêter
«
Ton père a beaucoup souffert tous ces
derniers mois... Tu le sais... Ce serait une
libération...»
On
aperçoit la maison... Tous les volets
sont clos... Seule la lampe de la porte d'entrée
est
restée allumée...
«
Je crois, Jackie, que nous arrivons trop
tard... »
J'ai
envie de crier:
«
Papa, j'arrive ! »
Papa
ne m'a pas entendu, il ne m'a pas
attendu... Papa est mort !
«
CRAAAAAC ! » CRAQUELURES... Fissures
profondes...
L'adieu
à mon père... Quelque chose se
brise, se fend dans mon être... Une partie de moi
me quitte en
serrant sa main
froide et en embrassant son front glacé !
L'adieu
de mon père... Il y a quelques
jours, ajouté à la lettre de ma
mère, avec
laquelle je ne cessais de
correspondre, je reçois un petit mot de lui, que
j'ai
toujours... La lecture en
est difficile... Je sais mon père
épuisé... Les
lettres, les lignes
s'entremêlent... Mais je peux lire...
Il
y a du monde, le jour de
l'enterrement...
Notre
famille, peu nombreuse, mais la
famille... Mon amie Raymonde est à mes
cotés !
Les
amis, les anciens du Congo... Sur le
seuil de la villa, M. J. P. Harroy, toujours en fonction
à
Usumbura, dit adieu
à son collègue et ami de l'Urundi... Oraison élogieuse sur
la carrière,
Nous
sommes en 1960. L'indépendance de
l'Urundi n'aura lieu qu'en 1962, le Mwami de l'Urundi
est donc
présent également...
Mwambutsa a les larmes aux yeux... J'ai les yeux qui
piquent...
J'aperçois
mon ami Roger Bracco et son
amie Jenny, qui deviendra sa femme et qui l'est
toujours... Roger est
en
entraînement à la Force Aérienne !
Il a tenu
à venir... Malheureusement,
«
Jo, je vous en prie ! Pour le souvenir
de Fernand... »
«
Justement, manque de respect ! »
Dur
dur, le Colonel... Moi, je remercie
Roger de sa présence et de son amitié !
Mais
toute cette assistance, qui connaît
bien les opinions philosophiques de Fernand Siroux, est
quelque peu
surprise...
Pourquoi un service religieux ?
Je
sais, je n'ai pas voulu faire de
vagues, chagriner ma mère, en ces jours
pénibles, la
briser encore plus par mes
reproches... Dans ce ciel si bas, un vautour a
plané... Mangeurs
d'âmes,
Je
décide ma mère à revenir à
Salon avec
moi... Ce n'est plus la torpédo de 1940, qui nous
emmène
à travers la France,
mais la Volkswagen ! Ce n'est pas un chat, qui nous
accompagne, c'est
un chien
! Néron, notre boxer, ce gentil baveur, qui en se
secouant les
babines, a fort
abîmé les coffres chinois de ma
mère... Mais, pour
elle, il est son compagnon
des mauvais jours et sera pour longtemps encore son ami
fidèle... Etape à
Tournus, chez « Greuse », mais le cœur n'y
est pas...
Dans
une vie, il est déjà de grande
difficulté à faire abstraction de toute
peine, de tout
malheur... Dans notre
métier d'aviateur, il s'agit d'une obligation !
Il n'octroie
aucune chance à la
défaillance... Les nerfs doivent rester solides,
l'esprit vif,
clair, dégagé de
tout nuage... Point de place pour les faibles, les
fêlés,
les branlés, quelle
qu'en soit la raison ! Stress et sentiments de
déprime, sont mal
venus... Les
affaires de cœur sont à bannir de notre
corporation ! Elles
tuent ! Se
contrôler... Les chagrins d'amour, à
remiser au fond d'un
tiroir... Se
concentrer ! Maintenir l'équilibre !
L'équilibre, mot
magique de notre
métier... L'axe ! Et pourtant... J'avoue avoir
flanché un
jour, plutôt, une
nuit... De suite, redressement de l'esprit ! Un coup de
manche, un coup
de
palonnier pour échapper au désastre,
à la
vrille... Balayer... « Regardless of
expence », sans tenir compte des frais...
Même si cela fait
mal au cœur,
assumer ! Vital !
1988.
Lors d'un « check », un contrôle au
simulateur, programmé un peu rapidement
après un retour
de vol... Cette séance
se passe à trois heures du matin...
«
Jack, why this rejected take off after
V1 ? » Pourquoi cet arrêt de l'avion sur la
piste,
après la vitesse V1, après
laquelle on DOIT continuer le décollage ?
«
Jetlag », fuseaux horaires ? Arguments
avec ma femme ?
Déception,
déprime... Je ne suis pas dans
le coup ! Déboussolage... Esprit
préoccupé...
Panade au cerveau ! Paumé:
«
I do'nt know... Je ne sais pas... Poids
de l'avion léger, piste longue, j'ai cru bien
faire... Je ne suis pas
sorti de la piste ! »
Mauvais
réflexe ! Replacé en séance de
ré-entrainement !
Contrôle
suivant:
«
OK ! »
J'avais
pris la grosse éponge ! Table
rase... On efface tout et on recommence...
Et
quelques bonnes heures de sommeil !
Mais
pour dormir, il faut l'esprit en
paix... Cercle vicieux... Pilules ? Non, encore
l'éponge !
Razzia dans la
tête... Du balai ! Sinon, l'erreur nous guette,
dans notre
univers à trois
dimensions !
A
Salon, j'installe ma mère et Néron dans
un petit hôtel, Place de la Fontaine Moussue,
J'ai
besoin de concentration, je reprends
mon stage... Une grande nouveauté: la formation !
Aile dans aile
ou collé au
cul du leader, juste derrière la tuyère de
son avion, la
position du charognard
» ! A moins d'un
mètre l'un
de l'autre !
Faut faire gaffe...
Mes
premiers vols en double commande...
Mes yeux ne quittent pas les points de repère,
l'alignement de
l'aile avec la
tête du leader ! Son casque avance un peu, un peu
de gaz... Il
recule, petite
réduction de la puissance... Son aile monte,
légère correction vers le haut...
Elle descend, la suivre vers le bas... Les
repères ! Peu
à peu, ce genre de
pilotage devient douceur... Emile Chatelain, toujours
très
relax, me répète des
« Easy... », « Easy... »,
« Doux, tout
doux... ».
Pas
étonnant qu'après cette tension, on
fume une cigarette... Un grand coup de fumée de
ces
Dans
les premiers solos, un qui ne
parvient pas à réagir assez vite aux
ordres du leader,
qui ordonne: « Pour les
aérofreins... TOP ! », c'est notre ami F.,
le Libanais...
Ses « AF » sortent
une seconde trop tard, il prend une longueur d'avance...
« Pour
le train... TOP
! », il prend deux longueurs d'avance ! Officier
envoyé
aussi par son pays pour
sa formation de pilote, comme nous, les Belges... Je
pense à
lui, parce qu'il
est petit de taille... Le parachute nous sert de coussin
dans le
Fouga... F.,
lui, il a son coussin personnel, pour être
à bonne
hauteur, oreiller qu'il
emmène sous le bras en se dirigeant vers son
zinc, en plus de
son parachute, de
son casque, de ses gants, de ses cartes, de son foulard
jaune de la
quatrième
escadrille... Pourquoi pas son parasol, ses sandwiches,
son thermos et
ses
raadloukoums ? Malgré ce confort, il
dépasse, passe et
repasse la formation !
Une promenade... Le leader, à la radio:
«
F., où allez-vous ? Ici ! »
Ce
« toutou » au dressage revient... S'en
va, s'en vient...
«
Ici ! »
Parfois,
il n'est pas le seul...
«
Siroux ! Ici ! »
Dans
notre promotion, il y a également
Machta, le Tunisien...
Tunis
1976. Par téléphone, j'ai difficile
de pénétrer dans la base de Bizerte... La
communication
est sans cesse
interrompue... Je refais le numéro ! J'insiste !
Du plouc au
Sergent, du
Sergent au Lieutenant, du Lieutenant au Capitaine, qui
me passe le
Commandant,
qui me passe une demoiselle ! «
Bonjour ! Que désirez-vous, Monsieur ? »
«
Parler au Colonel Machta, s'il-vous
plaît... »
«
Le Chef d’Etat-major de l'Armée de l'Air
Tunisienne ? Vous êtes sûr ? »
«
Oui ! »
«
Vous êtes certain... Le Colonel Machta !
»
«
Oui ! S-il-vous plaît... »
«
Qui dois-je annoncer ? »
«
Siroux, Commandant de bord à Tunis
Air... »
«
Un instant, Monsieur... »
Silence
téléphonique... Long instant ! On
m'a encore coupé ? Tout à coup:
«
Ici le Colonel Machta ! »
Impressionné,
je ne sais plus quoi dire...
«
Heu... Mon Colonel, je suis un ancien de
l'Ecole de l'Air... Salon de Provence... Nous y
étions
ensemble... Vous vous
souvenez ? »
«
Ma secrétaire m'a parlé d'un Monsieur
Sibou, Sivou... »
«
Siroux ! Jacques Siroux... »
«
Ah, Jack ! Le Belge ! Où es-tu ? »
«
A la Marsa, à Tunis... »
«
J'arrive ! »
L'amitié
d'un Poussin...
Le reste de notre promotion nous a
rejoint... A Gossoncourt, je m'étais
déjà fait la
réflexion: ils sont jeunes,
mes copains de promo... Jusque six à sept ans de
différence avec moi ! Avec
tous les cours qu'ils ont suivis avant leur phase de
vol, les Poussins
sont un
peu plus âgés... Avec eux, je sentais moins
le poids de
mon retard, j'avais
même l'impression de l'avoir
récupéré en
bonne partie, mais avec mes
collègues...
Tous
les matins, nous voyons ces Poussins
« sauter »... Parachutisme ! Brevet
obligatoire pour eux !
Tous
les matins, sur toutes les bases de
toutes les Forces Aériennes, il y a le «
briefing »
! Météo, missions et
opérations du jour, etc...
Tous
les matins, à Salon, le Commandant
des Escadrilles d'entraînement encouragent ses
Poussins à
sauter et à sauter
encore... Pour le plaisir ! Ils ne sont plus
obligés à le
faire, puisqu'ils
sont déjà brevetés parachutistes...
D'ailleurs, il
montre l'exemple, le
Commandant, il saute toujours le premier !
Mes
jeunes collègues belges:
«
Nous aussi, on veut sauter ! »
Demande
en Belgique...
«
Non ! »
Premier
refus du gouvernement belge...
Ils
insistent...
«
Non ! »
Dernière
tentative... Après tout, ils sont
intégrés aux Français !
«
Oui ! »
Je
dis « ils », parce que moi, je ne suis
pas très chaud... J'estime que lorsqu'un pilote
doit sauter en
parachute, c'est
que tout va mal à bord ! Pas tellement
l'idée de mon
métier d'aviateur... J'ai
vu aussi ce pauvre type, tournicotant pendant de longues
minutes autour
de son
parachute avant qu'on ne puisse le ramener dans la
carlingue...
Véritable toupille,
accrochée au gouvernail de profondeur du DC3 ! En
vérité, j'ai surtout peur de
me casser une patte, ce qui me clouerait au sol
indéfiniment...
J'ai assez de
retard comme çà !
La
preuve... Un matin, le Commandant se
traîne avec des béquilles dans la salle de
briefing, sa
jambe dans le plâtre...
Il
ne se dégonfle pas ! A la fin du
briefing, il se lève péniblement et
« Clop »,
« Clop », « Clop », se
dirige vers le pupitre, d'où il harangue encore
ses ouailles:
«
Sautez, les gars ! Sautez ! »
Les
Poussins regardent le plafond, ils ont
l'air de siffloter...
Vol
de nuit ! Nous faisons des tours de
piste sur la base d'Istres... L'environnement change !
Plus de ciel
bleu, la
nuit noire ! Cockpit d'ambiance, lumières
tamisées...
Lampes d'approches, piste
balisée, éclairage de couleurs...
Peinture... Blanc,
rouge, vert, bleu ! J'aime
et j'aimerai toujours admirer ce tableau, de «
pénétrer » au moment du
décollage ou m'y aligner en finale pour
l'atterrissage... Une
autre jouissance pour
le pilote... Du moins, pour moi !
Comme
les premiers circuits de jour,
décollages, vent-arrière, étapes de
base, finales,
train, volets, pressions »,
atterrissages, remises des gaz... Ca va, ça
vient... «
Touch and go », « Touch
and go », « Touch and go ! L'attention est
vive... Une
bonne cigarette en fin
de session !
En
navigation de nuit, on évalue mal les
distances, surtout en altitude, les mesures sont
faussées... Une
ville
illuminée paraît si proche... En
réalité,
elle est fort éloignée ! Parfois, le
contraire... Méfiance !
En
navigation, de jour comme de nuit, je
ne me perds pas, je ne reviens pas à Salon en
train... Mon stage
avance bien !
Nous
changeons parfois de moniteur... Les
moniteurs français donnent des leçons aux
élèves belges et les deux moniteurs
belges aux Poussins français... Je me souviens de
l'un d'eux,
«
C'est bon ! Hein, c'est bon ? »
Je
suis en plein accord avec mon
instructeur, le paysage est tellement beau et c'est si
bon de voler...
Il me
prend en amitié ! Avec lui, j'irai passer
quelques week-ends
à Toulon, où il a
des
J'en
ai eu plusieurs, des moniteurs
français... Chacun avait sa
personnalité... Je me
souviens du Sergent Mengelou,
lors d'un exercice de voltige, que j'avais quelque peu
massacré,
il m'avait
dit, avec son accent méridional:
«
Mais c'est un gros caca tout noir, que
vous me faites là, Siroux ! »
Des
« moustachus »...
Nous
suivons quand même quelques cours
théoriques, sorte de leçons
particulières pour
Belges immigrés »... Je me
souviens de l'un d'eux, le collimateur !
L'instructeur
est un Capitaine, il nous
bombarde de longues formules... Le tableau en est rempli
! Pour nous
expliquer
le fonctionnement de visée de cet instrument,
basé sur le
principe des gyroscopes,
il nous semble qu'il reprend la physique à la
base...
Fin
de matinée... Albert Delevingne:
«
Mais, mon Capitaine, comment ça marche ?
»
Le
Capitaine, énervé, pointe son doigt,
blanchi de craie vers le tableau:
«
Et ça, c'est quoi ? Attendez, nom d'un
chien, que j'arrive à la conclusion
mathématique »
Une
montagne de nouvelles formules, une
fortune de craies ! Le Capitaine blanchit de plus belle
le tableau
noir...
On
va déjeuner...
Fin
d'après-midi... Albert, qui n'en peut
plus, nous non plus d'ailleurs, sauf peut-être Guy
Oger, qui est
le matheux de
notre clan:
«
Mais, mon Capitaine, comment ça marche ?
»
Ecœuré,
le Capitaine, s’empare du
collimateur, qui se trouve sur la table devant lui...
Cet appareil
n'attend
qu'une seule chose: nous montrer combien il est un
être simple,
un gentil
garçon, pas du tout compliqué, qui se
laisse si
facilement manier !
«
Bien, Delevingne ! Ecoutez-moi ! Avec
l'aide de la poignée pivotante de la manette des
gaz, que voici,
vous entourez
la cible avec ces points lumineux, que voilà !
Vous voyez ?
Là, dans le système
de visée... Les « diamants », une
fois bien
concentrés autour de l'avion à
abattre, vous tirez ! »
Albert:
«
Ben, voilà, mon Capitaine, j'ai compris
! »
On
avait tous compris...
Coïncidences,
coïncidences ! Devrais-je
vraiment croire aux coïncidences ou à la
télépathie ?
1992.
Je viens de terminer l'histoire du
collimateur... Mon téléphone sonne...
«
Jacques Siroux ? »
«
Oui ! »
«
Jacques, c'est Albert Delevingne, je
t'appelle de Bruxelles... Je savais que tu étais
à
Singapour... J'ai obtenu ton
numéro... »
«
Albert, tu ne me croiras jamais... »
Albert
Delevingne ne deviendra jamais
pilote de chasse... Il sera arrêté plus
tard à
l'Ecole de Chasse de Brustem, en
Belgique... Quant à Eugène Maquet, il
terminera sa
carrière à Salon de Provence
d'une bien triste façon: un ridicule accident de
moto ! Raymond
Nicolai, qui
conduisait, n'aura rien de bien grave et fera, lui, une
belle
carrière de
pilote militaire et civil ! Eugène est sorti de
ce « crash
» avec quelques
égratignures, mais il est tombé sur la
tête... Les
médecins, dans les pattes de
qui nous n'aimons pas tomber, nous les pilotes, ces
carabins chez qui,
par leur
verdict, nous risquons notre vie tous les six mois
à la visite
médicale, lui
ont trouvé des bricoles au cerveau ! Pourtant, il
se sent bien,
Eugène, ce
grand gaillard plein de santé ! Allant d'appel en
appel, il n'a
jamais pu
savoir de quelle anomalie il souffrait et comme il ne
fut jamais
autorisé à
revoler... Il fera, la mort dans l'âme, une
carrière dans
les fromages !
En
I988, je retrouve la trace d'Eugène, je
lui écris en craignant de lui remuer le couteau
dans le cœur...
Il me répond
vite et m'offre pour la Noël un cadeau surprenant,
une cassette
vidéo, sur
laquelle il est parvenu à reproduire tous les
films en 8mmm
qu'Albert avait
pris lors de nos entraînements en SV4 et en Fouga
! Le tout sur
un fond de
musique des Beattles... Emouvant ! Surprise: à la
fin de la
bande, Eugène
apparaît ! Je le reconnais peu, il a peu de
cheveux... Mais de
suite, je le
retrouve en l'entendant me souhaiter de Bonnes
Fêtes avec son bon
accent
wallon...
Tous
les autres ne terminent pas leur
entraînement... Quelques têtes tombent...
Elles tomberont
surtout en Belgique !
Un qui gardera bien sa tête bien en place durant
toute sa
carrière est
«
R.J., il me faut prendre trois jours de
congé, je dois absolument rentrer en Belgique !
»
«
Problème de famille, Jack, un décès
? »
«
Non, une réunion de pilotes... Ma
promotion à la Force Aérienne ! »
«
Important ? »
«
Il y a trente ans... »
«
Accordé ! »
Je
suis parti un jeudi soir, arrivé à
Bruxelles le vendredi matin... Le soir, avec les
« Anciens
», je buvais de
la « Blanche », cette excellente
bière du coin... Le
samedi matin, je repartais
pour Singapour... Au dessert, pour être venu de si
loin, on me
fit une
ovation... J'ai apprécié !
Je
retrouve Gossoncourt... Les avions ont
changé, nous avons changé ! Je retrouve
ainsi
après trente années de
vagabondage les copains d'antan... On se
reconnaît... Les pilotes
toujours en
vie et en service parmi cette assistance ne sont
guère
nombreux... Nous ne
sommes qu'une minorité... J'évalue le
pourcentage... Pas
très élevé ! La vie a
de ces détours... Bonne soirée quand
même !
Je
vais croire aux coïncidences, je vais
croire à la télépathie !
Le
postier: « Dring-Dring » ! J'y vais...
Une lettre du Quartier Général de la Force
Aérienne ! Une invitation du Colonel
Jo Huybens... Il prend sa pension et offre une solide
pinte !
Je
n'ai pu obtenir de jours « off » pour
cette réunion... A ma place, j'ai envoyé
à JO une
jolie petite hôtesse de l'air
chinoise... sur carte postale !
Mon
départ de Salon de Provence est un peu
endeuillé... A ma mère, à Gui Oger
et à
moi, les parents de Cacarinette nous
offrent un repas de roi ! Je ne reverrai plus de si
belles langoustes
de ma
vie... Néron, invité lui aussi bave et
rebave... Nous
aussi ! On se tape la cloche...
Repas
d'adieu ? Ce n'est qu'un au revoir ?
Ou repas de fiançailles ? Je fais semblant de
rien... Au
dessert, c'est
toujours au dessert que ça se passe, je sens que
je dois me
prononcer... Tous
me scrutent, attendent ma déclaration... Je vais
craquer ! Non !
Le cœur
freiné, en détresse, je remercie tout
simplement la
gentillesse française,
cette chaleur provençal, proverbiale, que nous
avons
trouvé dans cette
famille... Nous allons maintenant remonter dans les
brumes du Nord...
Merci !
Cacarinette
se lève en larmes, M. L., et
Mme L. me fusillent du regard, ma mère retient le
chien, qui
profite du
brouhaha pour essayer d'attraper en aboyant le reste des
langoustes...
Guy,
Le
champagne s'arrête de pétiller...
La
Place de la Fontaine Moussue
s’efface...
Fin
de Salon de Provence !
Le
Colonel, ancien de la RAF, commandant
la base de l'Ecole de Chasse de Brustem, à une
particularité: il a un œil de
verre ! Difficile de savoir à qui il s'adresse...
Sarcastique,
le Colonel
Nitelet nous reçoit dans son bureau... Ce fut
bref !
«
Alors les pilotes de salon ? »
«
... »
«
Eh bien, dites-moi un peu ce que les
Français vous ont appris... »
Gui
Oger répond, croyant que cette question
lui est posée, alors que le bon œil du Colon est
dirigé
vers Albert Delevingne,
qui est persuadé que c'est à moi qu'il
s'adresse:
«
Mon Colonel, en voltige par exemple,
nous... »
Oger
est coupé net:
«
Mon petit gars, ici on ne parle pas de
voltige, mais bien d'acrobatie ! Chez nous, on dit:
acro ! Vu ?
»
«
Bien, mon Colonel... ».
«
Vous allez me refaire quelques heures de
Fouga, puisque vous le connaissez si bien, le
Magistèeere...
à notre façon !
Rompez ! »
«
A vos ordres, mon Colonel ! »
Exit
les salonnards...
Pas
un comique le Colon... Heureusement,
nous n'avons pas mentionné les «
pénétrations » et les «
cassures »
françaises,
nous nous serions retrouvés au trou !
Ca
commence mal, mais tout ira bien ! Comme nous sommes
trois, le Major Vandepoel en profite
pour faire la
paire... C'est ce qu'il lui faut pour nous enseigner les
premiers
éléments de
la formation de combat, deux paires ! Nous volons donc
sur les Fougas
Magister
français, qui viennent d'être
livrés... Il nous
remet à la sauce
anglo-belgo-américaine... Les termes changent de
nouveau...
Réadaptation !
D'ailleurs
de tous ces mélanges nous
gardons, les anciens de « l'Air Force », un
jargon bien
à nous... Le profane
s'y perd ! Quant aux « bobonnes », les
femmes des pilotes,
elles s'y retrouvent
peu à peu et finalement, à force
d’habitude, elles
suivent la conversation !
Des termes d'aviation anglais, une pincée de
français, un
zeste de flamand...
Celui qui nous écoute se demande vraiment quelle
langue nous
parlons...
Aujourd'hui encore, ce langage m'est resté...
Un
exemple: je pense à cet incident, que
je relate à un collègue... Un choc dans le
gouvernail de
direction, survenu en
B707 lors d'une descente sur Osaka, au Japon:
«
Je broque volle gaz, à three fifty
knots, la speed de descente du Seven O Seven. Tout
à coup, un
kick dans le
rudder ! Sure, c'est le yaw damper qui déconne...
»
Autre
exemple:
«
Jiézousse Kraiist (Jésus-Christ en
Anglais !), je commence à être fed up de
ces night-flihts
et de ce jetlag...
Let's face it, one of these days, je vais finir par
collaps ! »
Du
charabia !
Nom
di Diou, qu'on parle mal ! Jeu de
massacre de la langue française... et anglaise !
Quelle horreur !
Pour
les pilotes militaires et civils, la
phraséologie employée en procédures
radio avec les
contrôles aériens, fait
partie de nos conversations quotidiennes... La plupart
du temps, nous
disons:
«
Négatif » pour dire « Non » et
«
Affirmatif » pour dire « Oui » !
« Affirm
», « Négat », ou autres termes:
«
Affirmatif ! Five square ! Cinq sur cinq
! « Charlie-Charlie ! »
Le
profane écoute, quelque peu
étonné...
Mais
ce mari ne s'étonne plus... Il
attrape sa femme et lui dit brutalement:
«
Toi, tu me trompes ! »
«
Moi te tromper ! Et avec qui donc ? »
«
Avec un pilote de ligne ! »
«
Négatif ! » lui répond tout de go la
traîtresse...
Il
y a aussi le code « Q »...
«
Le code cul, Jack ? »
«
Non, « Q », la lettre « Q »,
comme QNH,
qui est la pression atmosphérique par rapport au
niveau de la
mer, à afficher à
l'altimètre, qui indique alors l'altitude par
rapport au niveau
de la mer...
Comme QFE, la pression par rapport au niveau de
l'aérodrome,
l'altimètre
indique alors la hauteur par rapport à
l'aérodrome...
Comme QNE, pression
standard de 1013 millibars, par rapport à
laquelle nous volons
tous en
croisière... Etc., etc... »
«
Ah, bon, le code « Q »... On ne sait
jamais avec vous autres, les pilotes ! Mais dis-moi, si
j'ai bien
compris,
l'altimètre, c'est un baromètre, tout
simplement ? »
«
Tu as bien compris ! Une simplicité ! »
Formation
de combat, formation large !
Nous ne sommes plus collés l'un à l'autre,
mais
éloignés de quelques centaines
de mètres et plus... Le Major VDP nous aligne
dans le ciel, en
Le
métier rentre...
Il
nous apprend aussi, le Major, le coup
du « soleil » ! Toujours un avion (ou
une paire), qui
surveille l'autre...
Où est-il cet avion ? Dans le soleil ! Essayez de
regarder vers
le soleil, vous
êtes éblouis, vous ne voyez rien du tout,
mais moi, j'y
suis et je vous vois !
Très efficace, comme en 14 !
Le
métier rentre...
Le
soir, dans les bars à filles de St
Tronc, nous y fêtons nos exploits
aériens... Ces
demoiselles accueillantes, qui
nous servent la bière « Crystal »,
ont l'habitude de
voir virevolter nos mains
dans tous les sens ! Nos mains sont nos avions et nous
reformons avec
elles les
figures des formations de combat de la journée...
Ces
demoiselles dansent avec
nous, comme elles ont toujours dansé avec toutes
les promotions
d'éléves-pilotes, mais nous avons la
certitude que c'est
la nôtre qu'elles
préfèrent...
Les
instructeurs sont là aussi, nous leur
payons des pintes... Faut dire qu'ils nous en offrent
aussi !
La
bière coule, le métier rentre...
Le
Major VDP:
«
Dites donc, Siroux, tu danses mieux le
rock and roll que moi, mais, moi, je fais mieux les GCA
que toi !
»
«
Bien sûr, mon Major, mais moi, il y a
longtemps que je danse le rock, tout comme vous, vous
faites des GCA
depuis des
années... »
«
Tâche d'être en forme demain ! »
Demain...
Huit heures du matin, briefing !
Il faut en effet être en forme ! Il y a souvent du
brouillard
à cette heure
là... Brouillard au sol ou brouillard dans nos
yeux ?
Le
GCA ! En attendant le reste de notre
promotion envoyée en Hollande, notre «
bunch »
(voyez la déformation...), notre
groupe de trois est en entraînement GCA (Ground
Control
Approach)... Une
nouveauté ! Ce GCA, nous l'emploierons sans cesse
dans le
futur...
Contrairement à l’ILS, que nous
interprètons sur nos
instruments, c'est le
contrôleur du sol, qui devant ses deux
écrans radar, un
pour la direction, un
pour la pente de descente, nous donne les caps à
suivre, au
degré près et nous
dit à quelle altitude on devrait se trouver...
Nous corrigeons
en
conséquence... En un monologue incessant et
calme, il nous
mène ainsi par le
bout du nez jusque sur la piste, au point d'atterrissage
et par des
visibilités
fort basses !
Pas
comme cet élève-pilote, qui n'y a rien
compris... Il ne corrige pas son altitude en pilotant,
il la corrige
à
l'altimètre ! (Sic).
Le
contrôleur:
«
A présent, vous devriez être à telle
altitude ! »
L'élève
corrige les aiguilles de son altimètre...
«
Maintenant, vous devriez être à telle
altitude ! »
Il
recorrige les aiguilles de son
altimètre... Le
radar perd son contact... Pas étonnant ! De nuit,
il atterrit
bien avant la
piste ! Il en sort vivant, mais sa carrière est
morte aux champs
de patates...
Dans
le civil, très peu de GCA, pas de GCA
! Sauf à Hong Kong, venant de la mer pour la
piste 31... Le
contrôleur anglais
demande alors gentiment si nous accepterions une
approche GCA ! Comme
entraînement, pour garder la main... Moi, de
suite:
«
Bien sûr, avec plaisir ! »
Le
jeune copi:
«
GCA ? »
«
T'inquiète ! Easy... Facile ! On fait
exactement ce qu'il nous dit de faire ! »
Du
travail à la main... En souvenir des
bons vieux jours !
Le
T33, le « T-bird » ! Machine plus
importante, avec combinaison anti G, la chasse est
ouverte,
l'école de chasse
commence ! D'abord, les circuits classiques, les tours
de piste et le
lâcher
solo, fêté au bistro... Ensuite, la
formation
serrée ou de combat, la navigation,
le pilotage aux instruments et le vol de nuit, les cours
théoriques au sol !
Tout se passe bien...
Le
métier rentre...
Il
ne rentrera plus pour certains... Les
têtes tombent... Albert Delevingne et bien
d'autres... Jean
Derycker est à
peine lâché, qu'il fait un passage à
«
très » basse altitude « dans »
le jardin
de sa mère... Les gendarmes sont dans les
parages, ils notent
l'immatriculation
de son avion... La carrière militaire de Jean
s'arrête en
rase-mottes dans le
verger de maman ! Rayé ! Mais pas de la
carrière civile,
car Jean, après
quelques boulots, reprend courageusement des cours
d'aviation, au sol,
de
licences en licences, et en vol, d'aéro-clubs en
aéro-clubs... Je le
retrouverai six ans après en Libye parmi tous les
pilotes
à contrat, que nous
sommes... Il travaillera de compagnies aériennes
en compagnies
aériennes...
Tout comme Pierre Rassart, excellent pilote, qui lui,
finira son temps
à la
Force Aérienne et viendra rejoindre les
mercenaires » de
l'emploi !
A
cette époque, Pierre est Sous-Officier
et me rend souvent visite au mess Officier, puisque
«
Bonsoir, Pierre, je vais me coucher ! »
Pierre
est estomaqué ! Il n'en est jamais
revenu... Des années après, il me reparle
de l'histoire
du pyjama !
1968.
Tripoli, Libye. Egalement, j'en ai
assez, je suis fatigué ! Je dis au Consul de
Belgique,
invité pour dîner à la
maison:
«
Veuillez m'excuser, Monsieur, mais je
vole demain matin, décollage à l'aube, je
vais me coucher
! »
«
Commandant, je vous félicite de votre
professionnalisme ! »
«
Bonsoir, Monsieur le Consul... »
Ma
femme se cache en dessous du tapis...
Paul
Dardenne, lui, qui ne peut jamais
décrocher, répandra le bruit à
Tripoli, que je
sers le café à la grille du
jardin !
A
un autre Pierre, un soir à Bruxelles en
1975, je refais le coup du pyjama, mais un peu plus
sophistiqué... Sans succès
! J'éteins une lampe, je baisse la radio...
J'éteins une
deuxième lampe, je
coupe la radio ! Je disparais dans ma chambre, je
ressors en pyjama !
Je n'ai
pas le temps de dire quoi que ce soit, Pierre Jottrand
me souhaite la
bonne
nuit et continue à boire sa bière... avec
ma femme ! Il
est vrai que ce n'était
plus la même femme...
«
Tu es donc vraiment chiant ! Hein, Jack
? »
«
Non ! Mais quand c'est trop, c'est trop
! »
Ces
amis de promotion resteront mes amis
jusqu’à ce jour ! Un autre, en navigation
à très
basse altitude ne pourra pas
nous rejoindre... Sans doute, s'est-il un peu trop
penché sur sa
carte en
vérifiant sa navigation... A 900 Km à
l'heure et à
moins de 100 mètres du sol,
le paysage défile vite... Il fait un grand trou
dans un champ de
tulipes en
Hollande ! Cynique, un des moniteurs:
«
Pas besoin d'apporter de fleurs... ».
(Sic).
Les
têtes tombent... Rayées ! Les têtes
tombent... Rayées !
Notre
promo devient petite, petite... Une
peau de chagrin... Vers la fin de notre
entraînement, nous serons
moins de
vingt !
Arrive
enfin le grand jour ! La remise des
ailes ! Nous sommes 17 ! 17 sur les dizaines et les
dizaines de
candidats,
depuis la fameuse visite médicale... Proportion
normale,
proportion effrayante
!
Le
Général Aviateur Henri nous épingle
nos
« Wings » sur la poitrine... Au moment
d'accrocher ces
ailes sur ma poitrine,
sorte de décoration pour moi, il a un mot sympa,
le
Général:
«
Vous restez dans la lignée familiale...
Bravo ! »
Car
mon oncle, qu'il connaît, est présent
à cet événement... Paul Siroux me
félicite,
mais je le sens et je suis bien
d'accord avec lui, il a envie d'ajouter:
«
Si l'on m'avait écouté, cette
cérémonie
aurait pu avoir lieu quelques années
auparavant... »
Malgré
tout, j'ai l'impression d'avoir
franchi enfin ce grand mur, celui de mes rêves de
toujours... Ce
qui est vrai !
Mon père n'est pas là, hélas, pour
partager ma
joie... Comme toujours, ma mère
est contente pour moi, mais appréhende
déjà mon
arrivée en escadrille... De
bons amis, Henri Verhulst, (Capitaine aux Kakis,
Armée de
terre), le Gentleman
Officer, qui a l'habitude de dîner aux chandelles
en grand
uniforme de gala et
en tête-à-tête avec sa jolie femme
Paule
(mannequin), m'offrent une pinte en
terre cuite, décorée de mes ailes de
pilote... Je l'ai
toujours ! Blanche, une
amie depuis mon arrivée en Belgique, est
présente
à la fête... A son retour
d'Espagne, elle s'était arrêtée
à Salon pour
me dire bonjour... J'adore quand
une femme me dit:
«
Je passe te dire un petit bonjour... »
Journée
bénie des dieux, qui semblent
enfin me tendre leurs mains !
Nous
sommes fiers de nos ailes... On ne
roule pas des mécaniques, mais c'est tout
juste... Ceux qui ne
portent pas les
ailes, on les... Les pilotes ? Impressions de
supériorité, qu'ils garderont
toute leur vie ? Non ! Mais, quand même... Oui,
nous avons une
vision
différente des choses... Tout ce qui vit en
dessous de 10.000
mètres, pour
nous, c'est...
«
C'est de la merde ! Pour vous, les
pilotes, nous, les terriens, nous sommes des ânes
! », me
dit brusquement cet
ami pourtant intelligent, macho de surcroît et
professeur de ma
fille, avec qui
je déjeunais souvent en 1985 ! Comme quoi on ne
connaît
jamais à fond ses
amis... Il aime bien les histoires d'aviation, alors je
lui raconte !
Assez
interloqué par ce sentiment
inattendu d'infériorité, je n'ai pu que
lui
répondre, en lui tapotant l'épaule,
croyant qu'il allait pleurer:
«
Mais non, Franco, mais non... »
Depuis
lors, je le laisse gagner quand je
joue au tennis avec lui...
Avant
d'arriver en escadrille, un autre
stage nous attend... L'OTU (Operation Training Unit),
à la base
de Kleine
Breugel, sur le F84F, le « Thunderstreak » !
Une
sacrée bête...
Nouveauté
! Tous les avions jusqu’à
présent étaient biplace... Le F84F est
monoplace ! On se
retrouve donc seul...
Le premier vol, c'est le solo ! Mais on n'est pas
seul... Le moniteur
nous
Le
Thunderstreak est un chasseur
bombardier, ce qui signifie navigation à basse
altitude... Aller
trouver un «
target » (un but) à bombarder au fond de
l'Allemagne ou
d'ailleurs... Je n'aime
pas tellement la navigation... Sans doute pour cette
raison et pour son
poids,
surtout avec ses gros bidons de carburant sous les
ailes, je n'ai
jamais eu cet
avion « dans la peau »... Sa lourde ligne ne
m'a pas
donné le coup de foudre !
Ce ne fut pas le grand amour ! On est amoureux d'un
avion comme on est
amoureux
d'une femme, question de goût !
Un
jour, l'Adjudant Bone, le moniteur:
«
Tu es payé en kopecks, Jack ? »
«
Heu... Pourquoi ? »
«
Vérifie ta position ! »
Je
vérifie ma position... En effet, je
m'approche un peu trop de l'Est, du rideau de fer !
Au
retour du vol, je paie la pinte...
En
1974, sur Boeing 707, je retrouve Jo
Bone dans une compagnie charter, la TEA (Trans European
Airways)... Ce
n'est
plus du vol à vue et nous sommes tous les deux
payés en
francs belges...
Marrant
! 1992. Mon copilote est
Sud-Africain, ex-Air Force. Il s’appelle aussi Jo
(Johanes)... Nous
allons à
New Delhi, aux « Indes » (!). Ce grand Sudaf
de six pieds
six pouces aux yeux
clairs, aux muscles secs est un être doux, tout
doux... Pas un
mot plus haut
que l'autre, toujours le sourire... Charmant ! Mais je
sais qu'il est
ceinture
noire de karaté ! Avec son sourire d'angelot, il
vous briserait
le cou et
toutes les vertèbres d'un petit coup de patte !
Je demande
à sa femme, Renée,
qui nous accompagne dans ce courrier et avec qui nous
allons
dépenser une bonne
partie de notre solde en achetant au bazar de Delhi des
tapis, des
nappes de
Jaipur et des oiseaux de bois, paons et coq
multicolores, des dieux
à la tête
d'éléphant, Ganesh peinturlurés:
«
Heu... Combien de « dans » il a ton mari
à sa ceinture noire ? »
«
Je ne sais plus... Je ne les compte plus
! »
Vaut
mieux être en bon terme avec ce genre
de copilote...
En
survolant de nuit le Golf du Bengale,
Jo me raconte ses navigations en Afrique du Sud, quand
il faisait le
même genre
de stage que moi: l'OTU ! Jo, cette fois-çi n'est
pas
l'instructeur, il est
l'élève... Son moniteur est
Français, ancien de
l'Armée de l'Air ! Un vrai
mercenaire, sans doute, lui...
«
Monsieur Maartens, are you going for zi
picnic ? Did you take your passeporte viz you ? Vi are
approching zi
Zimbambwe
! » Soulagement... Je n'étais donc pas le
seul à
m'approcher sans le savoir des
frontières étrangères...
Sans
ses bidons, ce F84F est quand même
une bonne machine, un bon chasseur... Le Capitaine Masuy
s'y entend
à me le
démontrer ! Figures acrobatiques en formation
serrée, il
boucle les boucles, il
tourne les tonneaux, aile dans aile... Je le suis, je
lui colle au cul
!
D'ailleurs, c'est l'ordre, qu'il m'avait donné:
«
Comme un morpion, Siroux ! »
«
Yes, Sir, comme un morpion, mon
Capitaine... »
Nous
sommes prêts, paraît-il, pour les «
Moulachkas » ! La Moulachka ? Notre
« Bouskatchi
» à nous, les pilotes de
chasse... C'est le grand cirque ! Un mélange, un
cocktail, un
énorme mixer. La
recette est simple: des avions, des avions et encore des
avions ! La
mise en
place de cette mixture est simple également: la
veille, un coup
de fil aux
différentes bases aériennes... Rendez-vous
demain
à tel endroit, telle
altitude, telle heure !
Le
tourbillon commence au-dessus d'Hasselt,
par un petit matin de printemps... Au début, on
reconnaît
les siens, à la fin,
on se demande « qui est qui ? » ! Surtout
les jeunes comme
nous... Nous n'avons
qu'une chose en tête: ne pas perdre son leader !
La «
G-suit », la combinaison
Je
ne perdrai pas mon leader dans ce
premier combat aérien... J'ai retenu la
leçon du
Capitaine... S'il avait un
morpion dans l'air ce matin là, c'était
bien moi ! Mais
je n'y ai vu que du feu
et beaucoup d'avions, qui nous frôlaient, de
droite, de gauche,
de gauche de
droite, d'en bas, d'en haut, de partout...
Aujourd'hui,
je revois cette montée vers
le zénith... Il sait ce qu'il fait, je suppose,
le Capitaine
Masuy en
poursuivant ces deux Hunters, qui montent à la
verticale ! Il
les a dans son
collimateur, il les filme, voilà le but du jeu,
la preuve ! On
en use de la
pellicule... Des mètres et des mètres de
pellicule ! Moi
pas, je n'ose pas, je
suis mon leader, je ne veux absolument pas le perdre en
faisant du
cinéma... Et
puis, le seul avion, que je peux éventuellement
encercler dans
mes diamants,
c'est le sien ! Oui, ils sont mal pris, les Hunters
(rare et
étrange pour un
Hunter d'être collimaté, surtout par un
F84F !), ils
veulent échapper à tout
prix, le prix de la vitesse ! Ils espèrent que
nos F84 n'auront
bientôt plus de
vitesse pour les poursuivre... Mais nous avons un
excédent de
vitesse et ce
sont eux, qui arrivent à badin presque nul...
Morte leur vitesse
! Ils se
renversent et redescendent sur le même plan,
à la
verticale ! Nous, on monte
toujours... On se croise ! Je les vois « grands
comme ça
» !
«
Zaaap », « Zaaap » !
«
Zaaap », « Zaaap » de droite, de
gauche
! « Zaaap », « Zaaap », de
gauche, de droite !
« Zaaap », « Zaaap », d'en
bas, d'en haut ! « Zaaap », « Zaaap
», de
partout ! Quatre paires de
Thunderstreaks, quatre paires de Hunters, quatre paires
de F84 et
même quatre
paires de Sabres, venus d'Allemagne... Virent bien sur
eux-mêmes,
les Sabres,
grâce à leurs volets en bec en avant des
ailes...
Difficile à collimater, les
Sabres ! Total: 32 avions ! Un cocktail ! Bien remuer
pendant un bon
quart
d'heure !
On
se retrouve au ras du sol... On
remonte... Rassemblement ! On rentre développer
les films,
compter les points !
Terminée la moulachka !
Je
croyais être félicité, je me fais
engueuler !
«
Siroux, tu ne m'as jamais averti d'une
attaque quelconque ! Pourquoi ? Tu es sensé me
protéger,
mon petit gars ! »
«
... »
«
Tu es un martyr ! Tu n'y as rien vu,
bien sûr, dans tout ce cirque ! C'est
çà ? Hein,
avoue ! »
«
... »
«
Enfin, tu ne m'as pas lâché... Pour la
première fois, ce n'est déjà pas si
mal ! »
Ah,
quand même...
Le
métier rentre...
Dernier
apprentissage: le tir air-sol !
Comme avant toute mission, briefings... Briefings,
briefings,
briefings,
l'histoire de notre vie !
Mise
en pratique: toujours avec le leader,
nous survolons le champ de tir d'Helechteren, où
la tour de
contrôle nous
autorise au circuit de tir... Piqué en descente,
alignement avec
la cible!
Collimateur... « Feu ! »... On redresse...
Pas fameux !
Second circuit, « Feu !
»... Un peu mieux ! Troisième circuit,
« Feu !
», mieux ! Au canon ou à la
mitrailleuse, malgré les balles traçantes,
on voit peu le
résultat de nos impacts au
sol ou dans
la cible (s'il y en a
!)... Il y a spectacle lorsque la bombe au napalm est
lâchée ! Nous n'entendons
pas « PLAAM », mais en remontant en virage
et en se
retournant, on aperçoit
alors le « PLAAM » ! Boule de feu
dévastatrice des
guerres meurtrières... Je
suis impressionné !
1992.
Mon copilote est cette fois-ci un
Américain... Il s’appelle aussi JO !
Décidément...
Joseph Rudder, ancien du
Vietnam... Il raconte ses missions sur le plus gros des
bombardiers...
Il
a largué des tonnes de bombes... Des
petites, des moyennes et de très grosses !
«
L'enfer vu du ciel ! » m'avoue-t-il...
Il
a terminé la guerre sur le Lockheed
C130, sur lequel il a fait des missions inimaginables,
des missions
impossibles
! Avec Peter Massimiani, le mécano, d'origine
italienne et qui
vient du
Zimbambwe, lui, nous l'écoutons... Les heures
passent plus vite
ainsi dans
notre cockpit en survolant l'Iran...
Il
nous parle alors du napalm !
«
Mais ! Jo, le C130, c'est bien un avion
de transport de troupes et de matériel ? »
«
Ja, mais comme nous connaissions si bien
le terrain, nous étions souvent sollicités
pour des
survols à basse altitude...
»
«
Pour lâcher du napalm ? »
«
No, pour aller repérer des nids de
Vietcongs, cachés dans les vallées et les
signaler aux
chasseurs bombardiers,
avec qui nous étions en communication radio...
Ils
étaient en « stand-by » à
haute altitude au-dessus de nous... Dès qu'on
leur filait les
coordonnées des
Viets, PLAAM » !
«
I see... »
Le
Vietnam... Je n'ai jamais osé lui
parler de mes petits bombardements à Helechteren
!
Se
termine ainsi notre stage
d'opérations... Nous partons en escadrille !
Laquelle
? Logiquement Florennes, sur
Thunderstreak, le F84F, que nous venons de voler et sur
lequel on nous
a appris
la base du métier de chasseur bombardier...
Non
! Les dieux sont avec moi... Ils
allongent même leurs bras et sur un plateau
doré,
m'offrent la « Chasse pure »,
sur Hunter, à Chièvres !
Nous
croyons rêver, Pierre Rassart et
moi... L'escadrille des « Cocottes » !
L'escadrille des
vieux chasseurs...
Faudra être à la hauteur !
Nous
allons faire des jaloux et même des
ennemis... Parmi les collègues et surtout parmi
les anciens
pilotes de Hunter
de la base de Bierzet, qui font leur temps à
présent sur
F84 et n'ont qu'un
espoir: être remplacés à la
première
occasion et revenir à la chasse pure...
L'occasion, les dieux nous la donnent, à nous,
gamins,
plutôt qu'a eux, vieux
renards moustachus... Ils sont furieux !
Nous,
on s'en fout... « Hard luck ! »,
malchance pour eux... « Chacun son problème
»,
expression journalière de Paul
Naime, Capitaine Aviateur, avec qui je serai en
escadrille à
Chièvres, à la
Septième, la Cocotte rouge !
Avant
la cocotte rouge, dix jours de
congés ! Direction Knokke le Zoute...
Je
vais prendre un godet au Number One,
chez Frans, un copain de Brel... Surprise ! De vieilles
connaissances,
les
Chacachas ! Ils jouent au Casino, juste en face... Avec
eux, Marlyse
G., qui
les connaît très bien, même un peu de
la famille...
Marlyse, que j'ai connu
bien plus jeune à Bukavu ! Que voilà,
à
présent, un beau brin de fille...
Dans
ce bar, les artistes viennent manger
un bout, boire un pot, après leur
représentation au
Casino... Je ne suis pas
artiste, mais j'y suis tous les soirs... Vraiment, je
trouve Marlyse
bien
jolie... Son cousin Gaston me parle du génie de
Miles Davis,
dont j'écoute
toujours avec admiration aujourd'hui les merveilles
à la
trompette... Oui, un
génie ! Tous les soirs, je danse avec Marlyse sur
la musique
sud-américaine de
l'orchestre bruxellois de Gaston Bogaert... Tout
à coup, je
repense à ma
Jeanine ! « Es o es el amor »... Qu'est-elle
donc devenue ?
«
Tu le sais, toi, Gaston ? »
«
Mais de qui parles-tu ? »
«
Laisse tomber... »
Singapour
1985, Fabrice de Barcy, un jeune
Belge ouvre un restaurant, le Saxophone ! Point
facile... La plupart
des
restaurants réputés font partie des grands
hôtels... Difficultés d'obtenir les
licences, surtout celle pour de son orchestre de jazz !
Le jazz,
ça fait du
bruit, la police n'aime pas tellement... Aux premiers
jours
d'ouverture, les
policiers viennent régulièrement
vérifier avec
leurs instruments si l'orchestre
du Sax, qui débite du blues au-dessus et
derrière le bar,
ne dépasse pas les
décibels autorisés ! Patience... Fabrice
tient
tête, paie des amendes quand il
faut, améliore sa cuisine et son service, met des
tables en
terrasse au rez de
chaussée, ce qui est unique en ville
Bravo,
Fabrice !
Fabrice
prend donc du poids, au propre et
au figuré... Ses cheveux sont à la «
poney tail
», la queue de cheval, sa
Jaguar est peinte en peau de tigre, Fabrice est à
la mode,
« un Monsieur que
l'on veut connaître, qu'il faut connaître
» !
Il
décide alors d'ouvrir en 1992, idée
originale à Singapour, non une boite, ni une
disco, mais un
genre d'endroit, où
l'on peut prendre un pot relax dans un cadre tout aussi
original... J'y
vais et
je me retrouve en Afrique ! Le décor de l'endroit
réservé aux membres, c'est Marrakech,
les murs du reste de la salle sont ornés de
masques africains,
la musique de
fond est tambourinante... C'est plein à craquer !
«
Fabrice, tu m'avais dit relax... »
«
Relax avant la Salsa ! »
«
La Salsa ? »
«
Tu vas voir... » La
salsa ! Qu'est ce que c'est la salsa ? La salsa, c'est
la musique
sud-américaine et antillaise... Ce sont les
Cacachas des
années 58/60 ! J'ai un
choc ! Aux premières notes de musique,
l'orchestre me transporte
plus de trente
ans en arrière... Ce n'est plus Gaston Bogaert,
il est
remplacé par un plus
basané, la chanteuse aussi est colorée,
elle a minci...
Mais la musique et le
rythme, même chose ! Ambiance à faire
péter les
plombs ! Je me revois danser
avec Jeanine
«
D'où sont-ils tous ces musiciens,
Fabrice ? »
«
Mais enfin, voyons, Jacques... De
Bruxelles, évidement ! »
«
Un peu bronzés pour des Bruxellois... »
«
Ca ne fait rien, ils habitent tous à
Bruxelles... Ils en ont même l'accent ! »
J'ai
eu le malheur, une fois de plus de
demander à la femme d'un copain, assise à
mes
cotés:
«
Tu te souviens, c'est tout à fait la
musique des Cacachas, très à la mode en 58
? »
«
En 58 ? J'avais trois ans ! »
La
Salsa des Antilles bruxelloises, les
Chachachas de Bruxelles, ça vous fait faire de
ces conneries !
Le
mois suivant, l'orchestre a changé...
Musique espagnole ! Miguel, Ricardo, Antonio, Xavier...
Sylvain, Birt
(eux sont
Belges !), Jacques(lui est Français !), font un
« tabac
» tous les soirs...
«
Fabrice, des Espagnols de Bruxelles, je
suppose ? »
«
Evidement, Jacques ! »
«
Et le prochain orchestre ? »
«
Des Zaïrois ! »
«
Tout noirs ? De Bruxelles, évidement ? »
«
Ben, évidement, Jacques, ils habitent
tous Bruxelles ! »
«
I see... »
Je
parle Kiswaeli avec les gens de
l'orchestre... A chacune de mes apparitions chez
«
Malinga ya quetu, dis ! Muzuri kabissa,
hé ! »
«
Les danses de chez nous, dis, ça c'est
bien, hein ! »
On
rit... Je retrouve les dents blanches
de mon Afrique centrale... C'est bon !
Aristide,
le Gabonais, cheveux tressés,
sourire ivoire, est le bassiste:
«
Oui mais, moi, je suis Français ! »
Et
me désignant ses collègues musiciens,
noirs charbon:
«
Eux, ils sont Belges... »
«
I see... Je vois ! »
Je
n'oserai plus dire à ma jeune voisine
ce qu'ils me rappellent... Le Congo dans les
années quarante !
Tous
les soirs, avant de la quitter, j'embrasse très
fort Marlyse...
J'ai un peu
peur de son cousin Gaston... Notre affaire en reste aux
baisers
ardents... Je
crois que cela a dû lui plaire... Moi, aussi! Nous
en reparlons
plus de vingt
ans après... Je suis en escale à
Amsterdam, je fais un
saut à Nivelles pour
assister à une réunion des « Anciens
de Bukavu
»... On se reconnaît quand même
! Nelle, la sœur de Marlyse est là avec son mari
Claude Nemry,
le frère de
Solange, la copine dans mon Boeing de Barhain ! La
maffia des Coloniaux
!
Reflets du passé...
Donc,
au Number One, défilé des
artistes... Je fais leur connaissance par l'entremise de
Gaston, de
Marlyse et
des Chacachas...
Alain
Barrière ! Il débute: « Cathy, Cathy
»... Il me dit qu'il aurait bien aussi voulu
devenir pilote...
Juliette
Grecco ! Elle m'avoue parfois
avoir un de ces tracs... Se souvient-elle du whisky, que
je lui ai
apporté
juste avant son entrée en scène ?
Jacques
Nellens, le directeur de la «
Réserve » et du Casino organise des parties
de
pétanque à onze heures du matin
avec Annie Cordy ! Pour elle, c'est l'aurore... Je fais
équipe
avec Edouard
Caillau, présentateur-animateur à
Bruxelles chez «
Paul au Gaity »... Il n'a
pas pris l'accent
Tout
ça, parce qu'il y a Marlyse et qu'elle
est bien jolie, Marlyse... Mon congé se termine,
«
Mais, Jacques, ce n'était pas le Number
One ! », me dit Fabrice en 1992...
«
Comment ? »
«
Je t'assure ! Ma mère habitait dans
cette maison... »
«
Peut-être, mais c'était le Number One !
»
«
Non ! J'ai oublié le nom, mais le Number
One était à l'intérieur du
Casino... Tu paries,
Jacques ? Attention, elle est
de Knokke, ma mère, je vais lui demander...
»
«
OK ! 200 dollars ! Ecris à ta Maman... »
«
Pas besoin ! »
Fabrice
sort alors de la poche de sa large
chemise son téléphone mobile, forme un
numéro...
«
Tiens, demande-lui ! »
«
??? »
«
Allo, Madame de Barcy à l'appareil... A
qui ai-je l'honneur ? »
«
Heu... Jacques Siroux, à Singapour... Le
pilote, ami de votre fils... Vous vous souvenez ?
»
«
Oui, oui ! Qu'y-a-t-il ? »
«
Tout va bien, Madame, tout va bien... Je
dîne au Saxophone avec Fabrice... Nous avons fait
un pari...
Comment s'appelait
l'établissement de Frans, près du Casino
à Knokke,
dans les années 60 ? »
«
Le Gallery ! »
Sacré
Fabrice... A 13.000 kilomètres de
distance, tout en buvant sa coupe de champagne, il
règle ses
affaires ! Pas
étonnant que son business marche fort, qu'il
gagne de l'argent
et que moi, je
perde mon fric en pariant comme un connard...
Chièvres
! Profile bas, low profile...
Petits souliers ! Les souliers des vieux chasseurs, je
suis
persuadé que nous
devrons les cirer tous les matins... Dixit un vieux
renard, que j'avais
rencontré à Tours, où j'avais
passé un
week-end pour revoir mes amis de Salon
en entraînement à l'Ecole de Chasse
française...
Naïf, je l'avais cru ! Ce fut
tout le contraire...
Présentations:
*
Au Commandant de la Base, le Colonel
Kaisin, dit « Papa Jules », charmant !
*
A l'OSN (Officier Supérieur des
Navigants), le Major Cook, dit « Cookie »,
charmant !
*
Au CO (Commander Officer), le Commandant
d'escadrille, charmant ! Plus tard, mon CO sera le
Commandant
Hervé Donnet, qui
nous supervisait de Bruxelles, quand nous étions
à
l'Ecole de l'Air de Salon...
Il y venait de temps en temps nous faire une visite en
T33 avec le
Major Blum,
celui qui m'avait conseillé lors de mon service
militaire... Des
plus charmants
!
*
Aux pilotes de notre escadrille, ces
grands chasseurs, Officiers, Sous-officiers, que nous
nous
redoutions...
Charmants ces moustachus !
Charmant
accueil à Chièvres !
On
porte, Pierre Rassart et moi, l'insigne
représentant une cocotte en papier... Elle est
rouge avec comme
emblème: « GET
IN »... Cela veut tout dire: « On fonce, les
gars ! »
Je
me sens de suite bien, très bien... Je
sens que je peux revêtir mon manteau de fine peau
!
Nous
payons la pinte, un tonneau s'ouvre,
la bière coule...
Coup
de foudre, je tombe amoureux du
Hunter ! Il fait partie de la longue histoire d'amour de
mes avions !
Bête
racée, jolie bête... Il faudra la dompter !
C'est ce que
m'apprend le Capitaine
Tonet, dit « Le Piet » ! Un grand de la
chasse...
Cours
au sol d'abord, simulateur
ensuite... Nouveau pour nous le simulateur ! C'est comme
un avion, mais
au sol,
même cockpit, même instruments !
L'Adjudant-instructeur
(charmant lui
Premier
vol, premier lâché... Le Capitaine
Tonet, tout comme mon instructeur sur F84, est dans mon
cockpit,
tellement il
est près !
Quel
avion ! Quelle finesse... Un corps à
corps de volupté ! Quel
bel oiseau
! Un
chasseur
Avion
monoplace, premier vol, premier
lâché...
«
C'est bien, Siroux ! »
Venant
de la part du « Piet », cette
remarque me « gonfle » pour toujours !
Je
paie la pinte, le tonneau est percé, la
bière coule...
Quelle
puissance, cet avion ! Vitesse de
montée: 400 nœuds ! En quelques minutes, on se
retrouve à
45.000 pieds ! Dès le
décollage, nous sommes pris par un premier radar,
qui nous guide
dans le
secteur de montée... Un second radar nous dirige
alors vers un
« target », un
avion considéré comme ennemi, qui joue
à l'ennemi
et que nous devons
intercepter... C'est là tout le métier du
pilote de
chasse, l'interception !
Mais l'ennemi ne se laisse pas faire, il se
défend ! Souvent, il
n'est pas
solitaire... Une paire, deux paires et plus ! La «
moulachka
» commence... De
moulachkas en moulachkas, je vais apprendre ce boulot
passionnant de
chasseur »
!
Les
anciens conseillent, ordonnent, nous
suivons ! Je repense ici à Piet Tonet, Mike
Debar, Jean Baron,
Jean Claude
Demey, Max Girardin, Thierry Grisart et bien d'autres...
Des vieux
renards de
la chasse, pas vieux en âge, mais en
expérience... Ils
m'impressionnaient à
l'époque
«
Boogie, three o'clock, low » ! L'ennemi
est à trois heures (trois heures, sur les
aiguilles d'une
montre, c.a.d, plein
travers à droite), en bas ! Pas de radar de bord,
pas
d'électronique
sophistiquée, seul l'œil du chasseur, comme en 14
! Duel sain,
duel simple,
duel de mort... Mort du plus faible !
Moi,
je meurs souvent... Je suis faible,
parce que je suis jeune, l'adversaire le voit de
suite... Nous allons
mourir
souvent, les jeunes... J'apprends... Grâce aux
anciens, qui nous
initient à
leurs « trucs », à l'astuce qu'il
faut avoir au bon
moment pour ne pas se
retrouver dans le collimateur de l'adversaire, le
métier
rentre... Ils nous
transmettent leur expérience... On prend de la
bouteille, l'œil
s'affine, on «
sent » mieux les réactions de l'adversaire,
on
prévoit le coup... On comprend
mieux le jeu, on rentre dans le jeu de ce tout grand
sport, ce tout
grand
cirque ! A notre tour de
Nous
refaisions un peu la bataille
d'Angleterre en tournoyant au-dessus de la Manche, de la
France ou de
l’Allemagne... J'ai pensé souvent à ces
jeunes pilotes de
temps de guerre... Ce
n'était pas du cinéma pour eux ! Pour
nous, malgré
tout, une jouissance
profonde de corps à corps en sueur... Ces
combats, de temps de
paix sont de
courte durée... Le pétrole
s'épuisant vite, la
lampe orange, avant la rouge,
nous avertit qu'il est temps de rentrer... Le radar
d'interception
(GCI) nous
donne un cap de retour vers la base, le radar d'approche
(GCA) nous
prend et
nous guide en formation et par tous les temps, vers la
piste... GCI,
GCA,
l'histoire de ma période à la
Septième Escadrille
de Chasse à Chièvres... Le «
grand bleu » à l'envers ! Dans les
profondeurs du ciel,
toujours bleu à 45.000
pieds, d'un bleu intense, assombri par l'altitude et la
visière
du casque, qui
nous protège des rayons du soleil, toujours
présent lui
aussi... Bien au-dessus
des nuages,
Lors
de ces pirouettes aériennes, ces «
dog fights » (combats de chiens tournoyants), il y
a parfois de
la casse... «
Plaff ! ». On se rentre dedans ! Alors, «
bail out !
», le siège éjectable !
Parmi mes collègues, certains ont dû
s'éjecter...
La vie est sauve, mais ça
fait mal... Le corps reçoit une
accélération
brutale ! Un coup de pied au cul
instantané de plus de vingt fois le poids du
corps, « Paff
» ! La colonne
vertébrale encaisse et dans bien des cas, le dos
reste faible et
handicapé...
A
la Porte de Namur, à Bruxelles, Mouky,
la mère de Jacky Rœland tenait un
établissement,
fréquenté depuis toujours par
des pilotes et où j'allais souvent le week-end...
Mon oncle, le
pilote, m'y
avait emmené et introduit... En rentrant, le
pianiste lui avait
demandé:
«
Quel air voulez-vous que je vous joue,
Monsieur Siroux ? »
«
Les roses de Picardie... »
Ma
tante:
«
Mais enfin, Paul, tu n'as pourtant pas
fait la guerre de 14 ! »
Rêve
de vétéran...
Chez
Mouky, le samedi midi, l'apéro ! On
grignote « ses petites crasses », comme elle
les appelait,
éparpillées sur le
piano... Au demeurant, d'excellents zakouskis ! Je
connais donc son
fils, pilote
à Chièvres, dont il me parle avec
fierté... Je me
faisais un plaisir de le
rejoindre en escadrille... Hélas, juste avant mon
arrivée, Jacky doit sauter en
parachute, le « bail out » ! Au moment du
déclenchement du siège éjectable,
sa
tête est mal placée sur le dossier, elle
est
penchée... Il devra porter
longtemps une minerve autour du cou, ne volera plus du
tout... Je le
reverrai
des années plus tard... Avec nostalgie, il me
reparlera, comme
à l'apéritif
chez sa maman, du Hunter, ce magnifique oiseau de
chasse... En
l'écoutant, je
me disais que j'avais eu beaucoup de veine de jamais
avoir
été dû m'éjecter !
Fort
heureusement, les sièges éjectables
se sont améliorés depuis lors,
l'accélération est à présent
progressive...
Un
plaisir de s'envoyer en l'air ? Non, quand même...
Abandonner son
avion est la
chose la plus triste pour un aviateur !
L'IP
(Aie Pi), l'Initial Point ! Ce que
les Français appellent la « cassure
», le point
où l'on casse la vitesse, le «
break » avant l'atterrissage... Jolie figure,
surtout en
formation, quand elle
est bien synchronisée... A 1.000 pieds (300
mètres), on
se présente aligné avec
la piste à une vitesse 500 nœuds (900 km/h) ! A
l'entrée
de piste, le leader
vire, 90 degrés d'inclinaison, il break » !
Durant ce beau
virage pour se
retrouver face à la piste, sortie des
aérofreins, du
train et des volets... Les
autres de la formation font de même à trois
secondes
d'intervalle... Je me
souviens du truc, que l'on nous avait enseigné,
compter: «
One thousand one, one
thousand two, one thousand three. » Trois secondes
!
Bien
qu'ayant fait convenablement mon
travail, je n'ai jamais été un des grands
« as
» de la chasse et pour avoir «
ramé », être un peu en retard sur les
autres, j'ai
dû en payer des pintes...
«
Je n'arrête pas de pisser ! A quoi sert
de jouer les intermédiaires ? »
«
C'est bon pour les reins, Jo, de pisser
! »
«
A boire pour tous les gars ! »
Soirées
de frères, de compagnons du ciel
et de la bière... Inoubliables ! Je rentre dans
ma chambre du
Mess à quatre
pattes...
Echanges
d'escadrilles ! L'une en
Angleterre, à Ipswich, chez les Anglais, l'autre
en Allemagne,
chez les
Américains et les Canadiens... Ils organisent des
moulachkas en
l'air... Et à
terre ! En l'air, dans le ciel, on encadre, on
collimate, on filme ! A
terre,
on compare les résultats... Au Mess, on boit !
Les Anglais du
whisky, les
Canaques du gin, les Ricains
Pour
moi, mémorable aussi cette mission en
Allemagne avec le Lieutenant De Graeve, dit
Au
retour:
«
Si on nous demande quelque chose, nous
étions à 45.000 pieds... Compris, Jack ?
»
«
Bien sûr, Min ! »
Les
Anglais, à leur tour, nous rendent
visite à notre base de Chièvres... Le CO
me demande si je
peux les emmener un
soir à Bruxelles ?
«
Tu dois bien connaître quelques endroits
particuliers... Ca les changera un peu de l'IP ! »
«
Avec plaisir, CO ! Heu... Je prends un
copain avec moi, ils sont quatre ! »
«
OK ! Permission de midi ! »
Je
demande au Capitaine Paul Naime s'il
veut bien m'accompagner... Il est « tot suite
»
A
part les moules frites, où aller ?
Endroit particulier, endroit particulier ? Le CO a
raison,
Carnet
d'adresses... Je retrouve ainsi une
amie, pas Jeanine, mais un peu dans le style... Jolie
grande blonde,
Véronique
! D'elle non plus, je n'ai jamais très su bien ce
qu'elle
faisait pour gagner
sa vie... Bijouterie ? Horlogerie ? Import-export ? Mode
? Cabaret ? Je
me
souviens en tous cas que l'on s'est bien marré
ensemble...
«
M'enfin, Jack, pas étonnant que tu... »
«
Oui, ça va ! Hein ? C'est comme ça !
»
Après
la Grand'Place et les moules frites,
Véronique nous attend dans un beau bar d'un des
grands
boulevards du bas de la
ville... Elle a bien fait, trop bien fait les choses,
Véronique... Elle a des
copines avec elles ! Et quelles copines... Paul Naime a
un geste de
recul en
voyant ce parterre de nanas... Il sent
déjà son
portefeuille diminuer de
volume, me fusille de ses petits yeux !
«
On aurait été mieux, à l'IP !
»
«
T'inquiète, c'est mon affaire ! »
L'affaire
démarre mal, les Anglais
commandent du whisky ! Sur notre territoire, ils osent
prendre le choix
des
armes ! Nous attaquer au whisky ! Paul et moi, nous
aurions choisi la
bière...
Les filles aidant, les « scocths » vont
défiler pour
eux... et pour nous !
Les
heures passent, de plus en plus glorieuses...
Des toasts à la gloire de la Reine d'Angleterre,
à celle
du Roi des Belges...
Des toasts pour notre escadrille, pour leur escadrille,
pour notre
avion, le
Hunter, pour leur avion, le Lighting... Des toasts ! Les
filles
s'ennuient...
Drôle de clientèle pour elles, elles s'en
vont ! Nous, on
prend les derniers «
pour la route » ! D'ailleurs,
«
Un dernier, pour la route ? »
«
All right ! »
«
Un tout dernier pour la route ? »
«
All right ! »
Ils
ne sucent pas du sucre les
Roastbeefs...
«
Le der des der ? »
«
For the road ? »
«
Yes ! »
«
All right ! »
«
L’addition, s.v.p ! »
J'ai
un choc !
Paul:
«
On aurait été mieux, à l'IP !
»
J'appelle
Véronique au secours, lui montre
la facture...
«
Tu as de la chance, c'est un prix
spécial... »
Paul:
«
On aurait été mieux, à l'IP !
»
Les
Angliches sont « bien-bien », assez
raides, assez droits, à l'Anglaise... Plus
entamés que
nous ! Paul et moi,
titubants et penchés, en sommes persuadés
!
Les
Britiches prennent un taxi pour
Chièvres !
«
Thank you very much, Bye-bye, see you
later ! »
Paul:
«
Later, later... Ah ! Ah ! On les a eus !
Demain, ils ne pourront pas se réveiller, ils
seront morts !
Heu... Et nous ? »
«
Nous ? On va manger un morceau chez ma
mère ! »
«
T'es fou, t'as vu l'heure ? On va la
réveiller ! »
«
Le jour se lève... Petit-déjeuner !
»
«
Comme tu veux... Chacun son problème,
mon petit gars ! Allons-y ! »
Avec
la Volskwagen, ce fut un chemin long
de brouillard, de visibilité restreinte... Le GCA
aurait
été d'un grand secours
! Nous apercevons bien des ombres, des gens attendant le
premier tram...
Paul:
«
Qu'est ce qu’ils foutent là, à cette
heure-ci ? »
«
Ils vont au boulot ! »
«
Jisouss Kraiist, les malheureux... »
«
Nous aussi, on va au boulot, mais le
breakfeast d'abord ! »
«
Oui, tu as raison... »
Ma
mère est contente de me revoir... Elle
est toujours contente de me revoir, preuve que je suis
encore en vie !
Elle
nous fait des œufs au lard, du café, beaucoup de
café !
Une bonne douche et
retour à Chièvres bien avant midi, vers
dix heures, les
yeux rouges:
«
Ah ! Ah ! Les Anglais, toujours au
plumard ! Hein, CO ? »
«
Non, ils viennent de décoller, retour en
Angleterre, frais et dispos... »
Les
Rosbifs nous ont « collimatés » de
nuit et descendus au whisky... Ils m'ont
coûté ma solde
d'un mois de
Sous-Lieutenant !
Echanges
d'escadrille... Des lendemains,
qui chantent !
1987.
Taipei. Formose. Taiwan. Nous
revenons de Los Angeles... Mon copilote Michael Leong,
un Chinois a
rencontré
une Chinoise à bord...
«
Elle m'invite dans son club... Elle a
une amie... Tu viens, Jack ? »
Solidarité
d'équipage, crew-team, je suis
bien obligé d'accepter... Pas vrai ?
«
Un club ? Quel club ? »
«
On verra... »
Nous
voyons ! Les filles nous dorlotent,
nous servent à boire, du Chivas et des
glaçons, des
glaçons et du Chivas...
Nous buvons... Ce qui est imbuvable, c'est la musique,
sur laquelle les
drôlesses nous secouent ! Les heures passent,
bruyantes, peu
chantantes... On
s'emmerde !
Michael,
pour la forme et croyant que
c'est « free », gratuit,
fait
signe à la
maquerelle supérieure:
«
Mama Sun, l'addition, please ! »
«
OK ! »
«
!!! »
Choc
! Une fortune ! Les filles sont
payées à l'heure...
«
Je croyais que ta copine nous invitait,
Michael ? »
«
Jack, heu... »
Je
joue les Paul Naime:
«
On aurait mieux fait de prendre un pot
dans le lobby de l'hôtel... C'est ton
problème, mon petit
gars, paie ! »
Son
salaire de copilote est sérieusement
entamé... Je paie quand même ma part...
Solidarité
d'équipage... Pas vrai ? Bien
! Soirée mémorable...
Elles
se renouvellent parfois ces soirées,
lorsque emberlificotés, englués dans un
piège
à con, on est obligé de réveiller
un copain en plein milieu de la nuit à
l'hôtel:
«
Help ! Au secours ! On n'a plus de fric
! » «
J'arrive ! »
Solidarité
d'équipage...
Le
passage du mur du son, je l'ai fait
avec le Capitaine Pierre Tonet.. Montée vers les
52.000 pieds !
L'air n'est
plus très dense, les virages sont à
négocier avec
délicatesse... Le
« stall »,
Papa
Jules, le Colonel, patron de la base,
nous tire l'oreille au briefing de huit heures:
«
Qu'est ce que c'est encore cette
histoire de visons ? »
«
De visons ? »
«
Oui, de visons, qui s’entre-tuent, de
poules, qui pondent de travers et de vaches, dont le
lait tourne ! Les
éleveurs
en ont assez de vos BOUM , vos passages du mur du son !
»
«
... »
«
Faites gaffe ! Et à vos rase-mottes
aussi ! »
«
... »
Le
rase-mottes... A la pelle, des
histoires de rase-mottes ! En voici une assez
exceptionnelle... Meeting
aérien
prévu à Chievres... Préparations !
La patrouille
acrobatique de la base, les
Le
Roi a, paraît-il, demandé à son chef
d'Etat-Major:
«
Qui c'est ce pilote ? »
Après
ce genre de démonstration, le pilote
finit souvent par tirer la cible de tir pour un certain
temps à
Solenzara,
histoire de se calmer les nerfs...
Deux
semaines de tir « air-air » à
Zolenzara, en Corse... A quelques centaines de
mètres
derrière lui, un Méteor
biréacteur tire la cible, la « flag
», un long
panneau de toile... Je vais
enfin pouvoir employer réellement le collimateur
! Pas facile...
Au début, zéro
trou ! A la fin, quelques trous grâce au conseil
du Capitaine
Dardenne, dit «
Le Pelle », assesseur des films de tir et
commentateur des
résultats... Il ne
se souvient plus très bien de moi... Je l'avais
rencontré
lors de son passage à
Bukavu en 54... J'osais à peine l'approcher, lui,
l'élève-pilote de Kamina ! Il
est ancien pilote de Hunter... Lui aussi est un chasseur
pur, il a
çà dans le
sang ! Je sais qu'il fait partie de ceux, qui auraient
bien voulu
revenir à
Chièvres et qu'il trouve « assez gros
» que des
jeunes gorets comme nous, de
tous jeunes brevetés, aient été
désignés à voler directement le
Hunter... Mais,
il est sympa et me donne de bons tuyaux... Mes
résultats
s'améliorent donc, je
fais un peu plus de trous dans la cible ! Rien à
voir avec ceux
des champions
de tir de notre escadrille, qui battent des records...
Avec eux, c'est
gênant,
j'ai honte... Leur clache est criblée de «
bullets
», de trous d'obus, car nous
tirons aux canons ! Donc, pas « Ratatatata
», mais «
Bloum, Bloum, Bloum ! ».
Dieu
sait ce que nous deviendrons amis,
Pelle et moi, par la suite, dans nos carrières
civiles, à
la Linair en Libye, à
la TEA en Belgique et à Singapour... Partout ! Un
frère
d'armes... Au point qu'il
me dira un jour,
trente ans
après:
«
On en a fait des choses, Jack, depuis
Solenzara... ».
Un
« mercenaire » de l'emploi
aéronautique, comme moi, comme nous ! Mais, Paul
Dardenne a une
réputation
monumentale dans le monde de l'aviation militaire et
civile... Il est
un de ces
loups blancs, connu pour son fin pilotage, sa droiture,
sa camaraderie,
son
sourire (ressemble beaucoup à Sinatra avec ses
yeux bleus, bleus
!) Il n'a qu'a
chanter Doubidoubidou et les filles viennent l'implorer
pour un
autographe....
Et son rire ! Si un jour, au détour d'une
ballade, vous
pénétrez par hasard sur
une grande place, noire de monde, dont l'espace est
démesuré, ne vous étonnez pas
que vos yeux, vos oreilles soient immédiatement
attirés
par ce monument de
paroles et d'éclats de rire, érigé
en son centre,
c'est le « Pelle » ! Sa femme
« Nelle », hors du commun
également, me dit
toujours que j'aime semer
quelques graines et récolter ainsi les «
histoires
d'aviation » de son mari...
Le Pelle démarre, raconte et ne tarit plus !
En
général, l'Adjudant Jean Baron, tire la
flag, car il est souvent puni pour une connerie
quelconque et passe sa
vie à
Solenzara à traîner la cible... Avec son
Méteor, il
fait vingt kilomètres dans
un sens et vingt kilomètres dans l'autre sens...
Il s'emmerde...
Pour faire
passer
Quand
les passes de tir sont terminées, Jean
vient lâcher son câble et sa cible... Il se
défoule
alors en quelques
acrobaties exceptionnelles... Le looping à
l'envers, par
exemple, dont il est
un des seuls à pouvoir tirer ! Il en ressort avec
les yeux en
sang et hors de
la tête, mais il le fait !
Mais
Jean Baron, cette fois-çi, ne traîne
plus la flag, il a été reposté
à
Chièvres et fait partie de notre escadrille,
la Septième... Jean n'est pas sorti du camp
durant toute la
période de tir !
Antécédents avec des filles du pays... Les
papas corses,
fusils en bandoulière,
l'attendaient à la sortie !
Jean
Baron passe un jour à la maison... Il
fait glacial ! Jean ne porte qu'un léger veston,
col ouvert
comme d'habitude, à
fleur de peau ! Je le reconduis en ville... Verglas !
Glissade ! Une
bagnole
encadre la voiture de Blanche, que je conduisais, la 2CV
! Elle est
pliée en
deux ! Jean a eu juste le temps de sauter sur mes
genoux... Le
conducteur sort
de sa grosse américaine intacte et se
présente à
nous... D'abord à moi, le
conducteur:
«
Baron V... »
«
Siroux ! »
Puis
à Jean:
«
Baron V... »
Jean,
muscle tendu par le froid:
«
Baron ! »
Le
Baron répète:
«
Baron V... »
Jean:
«
Baron ! »
Le
Baron V., vielle France, va remettre ça
pour la troisième fois... Jean le coupe:
«
Jean Baron, Monsieur, Jean Baron ! C'est
mon nom, N. de D. ! »
Jean
Baron, fin pilote de chasse, avec qui
j'ai fait quelques missions de haute voltige, fera une
carrière
civile complète
au Congo (Zaïre)... Je l'ai revu en 1990 à
Bruxelles, au
Saint Louis, son
quartier général, dont le patron, Jackie
Dupont, a la
voie enrouée par sa vie
de nuit, faisait partie de mon baptême
universitaire... Toujours
la même gueule
de bagarreur, de balafré, le Jean, la même
prestance, la
même chaleur
d'amitié... Costume sombre, chemise toujours
ouverte, mais
pochette en évidence,
un gros cigare à la bouche, un whisky à la
main...
«
On m'a dit que tu ne fumais plus et que
tu ne buvais plus... »
«
Moins ! Plus de cigarettes... Un cigare
! Plus de grand whisky, un petit baby... J'ai ainsi
l'impression
d'avoir
diminué ! » « Tu
bois kekchose, Siroux ? »
«
Une bière... »
«
Barmaid, une bière pour mon pote et un
autre baby pour moi ! Et tant que vous y êtes, un
cigare...
»
Jean
Baron aime le soleil et les grosses
bagnoles américaines...
«
Je vais prendre ma pension à Saint
Martin, mon petit gars ! »
Un
mec, le Jean Baron !
A
peu près à cette époque, Jean
Claude
Demey, avec qui j'avais visité la Corse, est de
passage à
Singapour... Je
retrouve « Abu ! » ! « Abu ! »,
parce qu'il
fonçait à travers tout...
« Abuuuu ! ».
A
l'hôtel Oriental, lorsqu'il ouvre la
porte de sa chambre, c'est pour moi une apparition !
Serviette de bain
autour
des hanches, il pèse à présent un
nombre
impressionnant de kilos, il a toujours
les cheveux épais, mais blancs, sa tête
n'en est que plus
belle... Quelle belle
gueule !
«
Eh, oui, Joseph, pourtant Singapour
était aussi une colonie... »
On
parle des ans passés sans s'être
revus... On parle de Jean Baron justement ! Il me
raconte alors le gag,
qu'ils
ont fait ensemble lors d'un vol sur Bruxelles... Tous
les deux ont des
années
et des milliers d'heures de vol sur DC8... Abu est
Commandant de bord
sur ce
vol, Jean rentre à Bruxelles en congé, il
est en civil...
Il y a une visiteuse
dans le cockpit... (Il y a souvent une fille dans le
cockpit pour
autant
qu'elle soit jolie...). Avant la descente, Abu
prétend soudain
qu'il est
malade, il ne se sent pas bien du tout ! Son cœur... Le
copilote est
jeune,
inexpérimenté, dit-il...
«
Heureusement, j'ai un ami à bord, qui
est pilote ! » La
fille, fort inquiète:
«
De lourds avions ? »
«
Non, mais bon pilote privé ! Il peut me
remplacer... Je vais le quérir ! »
Jean
est dans le coup... Il rentre dans le
cockpit, l'air inquiet, lui aussi... La fille
pâlit ! Il fait un
temps de curé,
une visibilité infinie, une tempête de ciel
bleu...
Jean
amène le DC8 en finale et joue alors
le grand jeu... Un coup à droite, un coup
à gauche ! Le
DC8 zigzague...
«
Je ne vois pas bien la piste ! »
La
fille s'écrie en pointant du doigt:
«
Mais, je la vois, moi ! Elle est là,
là... là, voyons ! »
«
Ah, oui. Merci ! »
Jean
pose l'avion comme une fleur et la
fille manque de s'évanouir ! Remettra-t-elle les
pieds dans un
cockpit ?...
Jean
Claude Demey aime aussi le soleil et
aime être servi...
«
J'ai acheté une belle propriété en
Afrique du Sud, à Cape Town... Si je me retrouve
un jour sur une
chaise
roulante, je suis sûr d'y trouver plus facilement
quelqu'un qui
me poussera ! »
Sacré
Abu !
A
Solenzara, nous nous exerçons sur une
base française et j'y retrouve quelques-uns uns
de mes amis de
l'Ecole de
l'Air... Nous nous retrouvons surtout au pastis ou au
« Cap Corse
» pour
l'apéro du soir, à la « Myrte
» pour le
pousse-café... Ici, plus de bière, du
vin avec le méchoui »... Les moutons
grillent sur la
plage... Il coule aussi,
le vin... François Reip est couché sur la
plage,
Les
anciens de l'escadrille ! Certains
encore vivants, certains, hélas, disparus...
Comme le Max et le
Piet... Max
Girardin, au Zaïre, Pierre Thonet, en Belgique...
Et bien
d'autres... Accidents
d'avions ! J'ai cru revoir le Piet ! Le grand Piet !
Lors d'une
réunion des
Anciens de la Septième ! Choc ! Mirage ? Trop de
pintes ? Non !
Son frère
jumeau, dont j'ignorais l'existence, venu saluer la
mémoire de
Pierre !
Impression étrange... Amertume !
Week-end
libre avant de quitter Solenzara
! Je pense à M., la femme du Capitaine...
Qu'est-elle devenue ?
Téléphone !
Rendez-vous au bar du Négresco ! Ca, alors !
Jo
Dhert:
«
Où vas-tu ? A Nice ? Je viens avec toi !
OK ? J'ai un tuyau pour y aller à bon
marché ! »
«
OK ! »
Passagers
dans un petit avion qui
transporte de nuit les légumes frais pour le
marché
matinal de Nice... Le
pilote est ancien chasseur de l'Armée de l'Air...
C'est lui le
tuyau ! Il fait
ses débuts dans le civile, nous dit que voler ce
«
cerf-volant », après le «
Mystère », ce n'est pas la joie...
«
Je pinaille, les gars, je pinaille ! »,
nous dit-il.
Nous
« pinaillons » toujours quand il y a
quelqu'un dans le cockpit, surtout si c'est un
collègue... Et
c'est toujours
alors que nous faisons notre plus mauvais atterrissage !
A Tripoli,
j'avais
dans le cockpit de mon DC3 Jay Howard, un pilote
américain,
ancien de la SAC
(Strategic Air Command, les bombardiers !), ce n'est pas
un gamin !
Respect !
Je pinaille... Je loupe mon atterrissage « Boum
», je
rebondis « Boum » et
encore « Boum » ! Jay, la gueule
complètement
brûlée par un crash, me regarde
en souriant et me fait ce commentaire, que je
ressortirai bien souvent
à mes
passagers pour un retard technique quelconque:
«
Do'nt worry, Jack, it happens in the
best family... Cela arrive dans la meilleure famille...
»
A
Nice, au moment du toucher, « Boum », un
bon, « Boum », deux bons, « Boum
», tous les
artichauts arrivent dans le
cockpit, nous sommes coiffés, entourés
d'artichaut !
«
Bon, les gars, heu... Salut, à dimanche
soir ! »
Jo,
en s'effeuillant:
«
Merci, quand même... »
On
économise en roupillant dans un hôtel
minable... Pas du tout minable est le Négresco,
où je
retrouve M., le lendemain
midi ! Week-end sans bavures, comme à Salon... A
part les
artichauts !
Visite
royale à Chièvres ! J'ai l'insigne
honneur de faire partie des quatre paires de Hunter, qui
font une
démonstration
pour le Roi Baudouin ! Je n'ai pas à payer la
pinte, je «
pinaille »... Mon
break est parfait !
Nous
recevons le Roi dans notre «
dispersal », la salle d’opérations...
Pilote lui aussi, le
Roi est en grand
uniforme d'aviateur ! Nous en combinaison de vol...
Biscuits,
café... Le CO
Hervé Donnet nous avait fait un solide briefing:
«
On ne s'adresse au Roi qu'a la troisième
personne ! Vu ? Compris ? »
«
... »
Le Roi s'approche de Jo Dhert ! Il ne
comprend pas bien ce le Roi lui demande...
«
Vous dites, Sire ? »
La
moustache du CO bat des ailes, ses yeux
lancent des poignards... Jo rosit, le Roi sourit...
«
Capitaine... »
La
conversation se passera bien !
Le
Roi s'adresse alors au Min:
«
Lieutenant, quelle est la portée de ce
poste de radio de secours dans votre bouée de
sauvetage, la
Mae-West ? »
«
Heu... Pff... Heu... »
Poignards
du CO !
«
Cinquante miles, Lieutenant ? »
«
Heu... Pff... Heu... »
Sabres
du CO !
«
Cent miles, Lieutenant ? »
«
Heu... Pff... Heu... »
«
Plus de cent miles alors, Lieutenant ? »
«
Oui, Majesté ! »
Le
CO va éclater, tout comme le Min, qui
est écarlate !
Le
Roi sourit...
Le
Roi Baudouin... Je le revois enfin et
de très près ! J'avais
espéré qu'il me
parle, mais il ne l'a pas fait... Je ne
pouvais quand même pas l'interpeller:
«
Hé, Sire Baudouin, by the way... »
Le
CO aurait fait un infar... Je lui
aurais rappelé sa visite à Kitega en
1955... Mes parents
avaient dû quitter
leur maison, la Résidence, pour la lui
céder ! Mon
père n'en avait pas dormi...
«
Pourquoi laisser cette place libre et
mise en face de sa Majesté ? »
«
Pour la Reine, Madame Siroux... »
«
Mais... Le Roi n'est pas marié ! »
«
Le protocole, Madame... »
De
ce dîner, ma mère avait un souvenir des
plus agréables... La gentillesse du Roi, sa
simplicité...
Mon père m'a dit que
les questions, qu'il posait à tous les sujets,
étaient
fort appropriées et que
le Roi était au courant de tout ! Son
intelligence, sa
mémoire aussi l'avait
impressionné ! Je suis certain que le Roi se
serait donc souvenu
de son séjour
à la maison, s'il m'avait demandé mon
nom...
Peut-être, a-t-il bien fait de ne
pas m'adresser la parole... Le CO m'aurait
massacré pour lui
avoir répondu à la
quatrième personne !
Si,
quelques fois, je tire mon chapeau
dans ce bouquin, je ne me permets pas de le faire pour
le Roi
Baudouin... Ca ne
se fait pas ! Je le salue ici militairement et au garde
à vous !
«
Vive le Roi ! »
Fête
Nationale, défilé aérien !
Gigantesque formation ! Ramassage, rendez-vous d'avions
! Escadrilles
de toutes
les bases ! Chorégraphie subtile, travail de
minuterie pour
réunir tout ce
monde à la minute, voir la seconde près,
et sur un axe
bien précis ! Il s'agit
de tenir sa place !
Durant
une répétition, que faisait ce
ballon dans l'axe du défilé ?
Poussé par le vent ?
On se souviendra longtemps
du leader avertissant les 300 avions derrière
lui:
«
Balloon, twelve o'clock ! Every body on
his own ! Chacun pour soi ! »
Et
tout le monde a gerbé ! Ratée la
répétition du défilé...
Celui
qui se souviendra du 21 juillet,
c'est Jo Marette ! Leader des avions «
fumigènes
»... Sur Bruxelles, il
commande d'allumer les pots, qui dégagent en
fumée les
trois couleurs du
drapeau belge: noir, jaune, rouge ! C'est parti,
ça fume ! Un
ailier avertit
cependant Jo qu'il ne fume plus... Son pot s'est
détaché
de l'aile !
«
Merde ! » dit Jo, « en plein sur la
ville ! »
Mission
accomplie, soirée au Mess... Jo ne
pense plus tellement à son pot fumigène,
mais
plutôt à son pot de bière... Il
est demandé au téléphone !
«
Allo ! Major Marette ! »
C'est
sa belle-mère au bout du fil, qui
trouve la plaisanterie de mauvais goût !
«
Vous l'avez fait exprès ? »
«
Quoi donc, Belle-Maman ? »
«
J'ai reconnu votre escadrille cet
après-midi et je connais votre place de leader !
»
«
Ah, vous avez vu notre défilé
aérien !
Bien, n'est ce pas ? Mais, je suis désolé
de vous
décevoir, Belle-Maman, je
n'ai pas fait exprès de passer au-dessus de chez
vous... Il se
fait que vous
habitez juste dans l'axe prévu pour le
défilé...
»
«
Non ? Et ce machin, que vous m'avez
envoyé ? »
«
Quel machin ? »
«
Une sorte de boite, qui s'est écrasée
sur mon balcon ! Je l'ai vue aux jumelles se
détacher de votre
avion ! Vous vouliez
me tuer ? »
«
!!! »
Le
pot fumigène ! Incroyable, mais vrai !
Comment tuer officiellement sa belle-mère un jour
de Fête
Nationale ! Faut dire
qu'il aurait fallu à Jo plusieurs 21 juillet, il
a eu de si
nombreuses
belles-mères...
Survie
en mer ! D'Ostende, nous
embarquons sur un bateau de
la Marine
Nationale... La côte n'est plus en vue... De
minutes en minutes,
nous sautons à
l'eau, Mae-West autour du cou,
L'Adjudant,
qui surveillait les manœuvres,
« Le King », le dur, celui à qui il
ne peut jamais
rien arriver, a failli ne
pas survivre... Il s'est retrouvé à
l'hôpital avec
une fièvre de cheval ! Il
n'a pas attrapé une broncho-pneumonie, il a
attrapé une
énorme méduse, qui
s'est emberlificotée autour de sa tête...
Suite
à cette croisade, c'est peut-être ce
qui a décidé Eddy Meert, ce fameux pilote
de chasse, avec
qui j'ai plongé dans
la mer, d'ouvrir un restaurant avec un grand feu de
bois... Un
succès depuis
des années ! Il y cuit de succulents morceaux de
viandes, des
pavés aussi
fameux que lui ! Quand je vais manger dans cette maison,
à
l'Avenue Defré à
Bruxelles, plus de vrombissements
d'hélicoptère, de la
musique classique en
sourdine... Plus d'eau glacée, du bon vin... Il
fait bon chez
Eddy, il fait
chaud !
A
l'Athénée, notre professeur de
philosophie et de morale nous a un jour posé la
question
suivante:
«
Messieurs, à votre avis, quelles sont
les bases d'un bon mariage, d'une union solide ? »
Nous,
les élèves du mauvais âge:
«
Des yeux bleus, de longs cheveux
blonds... De longs cheveux noirs, des yeux noirs... Des
yeux verts !
»
«
Allons, Messieurs, allons ! »
«
Un beau petit cul, alors... »
«
Messieurs, je vous en prie, un peu de
tenue ! »
«
... »
«
Que pensez-vous de: même culture, même
religion, même milieu social ? »
«
Oui, évidement... Et la race ? »
«
Si vous parvenez à réunir ces trois
critères, la couleur de la peau est de moindre
importance, mais
difficile ! Un
jour ou l'autre, chacun revient à ses racines...
»
Et
pourtant, « ça craque » bien souvent
malgré ces conditions...
Cette
théorie m'est resservie bien des années
après lors d'un déjeuner avec un ami
indien au restaurant
de l'hôtel « Taj
Mahal » à Bombay:
«
Subash, tu remercieras encore ta fille à
New Delhi, qui nous a si bien organisé la visite
du
mausolée Taj Mahal à Agra !
Elle nous a reçus chez elle avec
l'hospitalité bien
connue de votre peuple...
Pinku a l'air très heureuse ! Comment a-t-elle
rencontré
son mari ? »
«
Elle ne l'a pas rencontré ! Elle fut
simplement remarquée lors d'une
réception... Ensuite, la
famille de ce garçon
m'a approché... Nous avons discuté !
Milieu familial,
secte, croyance,
éducation... et situation financière !
Après
plusieurs entrevues et enquêtes,
nous sommes tombés d'accord: la base était
solide pour
une cette union ! Cela
se passe souvent ainsi chez nous...
«
Oui, très bien ! Mais l'amour dans tout
ça, Subash ? »
«
L'amour, Jacques ? Ca vient après ! »
La
leçon de mon professeur m'est restée...
Autant dire une fille de sa rue ! Moi, j'ai tellement eu
de rues que je
n'ai
jamais eu de rue ! Une rue, bien à moi, où
j'aurais
passé toute mon enfance à
jouer avec les mêmes petits garçons, les
mêmes
petites filles au fil des jours
et des jours... Connais pas ! Bousculé,
basculé de rues
en rues... Pourtant,
depuis mon retour du Congo,
La
jolie Blanche, la douce Blanche, avec
qui je sors, avec qui je rentre, que je quitte, que je
retrouve...
Blanche, qui
me console, me gronde, de mes fredaines, me «
catalyse »...
Je me sens bien
avec elle !
Dans
un bistro de la Place des Martyrs, un
ami a arrangé une soirée...
J'hésite...
«
Tu verras, deux filles, comme ça ! »
J'y
vais... C'est de suite le ras de bol !
Je
téléphone à Blanche :
«
On se marie ! »
«
Passe d'abord à la maison, Jackie... »
Septembre
62. Mariage ! Je me stabilise...
Je
fais la connerie, dont mon père m'avait
mis en garde... Nous habitons avec ma mère !
Pourquoi ne pas
profiter de cette
belle villa ? Ma mère est gentille et possessive,
Blanche est
gentille et
accommodante... Les rapports seront bons, mais je fais
une connerie, je
le sais
aujourd'hui, elle en souffrira...
«
Qui, Jack ? »
«
Ma femme ! »
Avec
ma femme, nous allons connaître une
période assez faste ! Je
ne
comprends
toujours pas aujourd'hui comment nous avons pu nous en
tirer
financièrement...
Ma solde n'est pas grasse, le salaire de Blanche modeste
! Oui, il y a
Maman,
qui nous aide... J'ai ma voiture, la WV, Blanche a sa 2
chevaux... On
ne se
prive de rien ! Restos, boites, soirées,
théâtres !
Le théâtre, à cause de
Serge !
Serge
Michel est notre voisin... Il est
grand acteur bruxellois, spécialiste du
vaudeville... Serge ne
s'est pas exilé,
comme quelques-uns uns de ses contemporains, qui ont
tenté leur
chance à
Paris... Bien souvent, à l'époque
où mon
père n'était déjà pas bien,
Serge lui
remontait le moral en nous invitant voir ses
pièces... Je me
rappelle mon père
riant, les larmes aux yeux, oubliant son mal...
Grâce à
Serge ! Nous étions
fourrés chez lui tous les dimanches... Sa femme,
Thérèse, nous préparait de ses
petits plats ! Milieu cependant étrange... Du
moins pour moi, au
début ! Les
«
Serge, je t'en prie, tu connais ma
vie... »
«
Oui, je sais ! Dommage... » (Sic).
Ai-je
raté quelque chose ? Une expérience
supplémentaire ? Non, décidément,
pas du tout mon
style sexuel !
Je
parle de Serge au passé... Serge n'est
plus ! En 1988, je l'ai appris bien tristement par un
ami bruxellois de
passage
à Singapour... Je n'avais plus eu de ses
nouvelles depuis le
« Vison voyageur
», qu'il jouait au Théâtre des
Galeries... Il nous y
avait tous invités cette
veille de Noël 1984, où je me trouvais en
courrier à
Bruxelles... Après le
spectacle, des huîtres chez « Stans
»,
derrière le théâtre, lieu de
réunion des acteurs... Dernier souvenir de Serge
Michel, de
bonne humeur, de
chaleur au cœur et d'amitié... Je pense souvent
à toi,
Serge... Et c'est gai de
penser
Mes
costumes sont taillés sur mesure par
l'Italien... Je tiens cette adresse de Gilbert Merlier,
notre voisin !
D'ailleurs, je crois que toute l'avenue s'habille chez
lui ! Gilbert,
est tiré
à quatre épingles dans ses costumes de
flanelle grise...
Gilbert
Merlier, est un des premiers à
avoir construit à l'Avenue de Huart... Avec sa
femme Francine,
ils sont donc
nos voisins directs et de très agréable
compagnie...
Un
dimanche, en fin d'après-midi, Gilbert
vient me trouver et me demande de l'accompagner chez les
Sœurs ! Nous
habitons
en face d'un couvent...
«
Qu'est ce que tu leur veux ? »
«
Tu n'en as pas marre, toi, d'entendre
continuellement sonner cette cloche ? »
«
Heu... Non, j'aime assez le son de cette
cloche ! »
«
Viens avec moi pour leur demander d'au moins
ne pas sonner trop fort... »
«
Bon, je t'accompagne... »
Solidarité
toujours...
On
se présente au couvent... Une des Sœurs
dominicaines entrouvre la porte...
«
Messieurs... De quoi s'agit-il ? »
«
Nous voudrions parler à la Mère
Supérieure... C'est pour la cloche ! »
Gilbert
n'en est pas à sa première bière
de la journée...
«
La cloche ? Quelle cloche ? Est-ce
vraiment important ? »
«
Très important, ma Sœur ! »
«
Veuillez patienter, s'il vous plaît... » On
patiente...
Alors...
En clair-obscur et encadré dans
un petit grillage, illuminé par un rayon de
lumière,
apparaît devant nous le
ravissant visage de la jeune Mère
Supérieure... La plus
belle icône de toutes
les Russie ! Elle nous parle, cette icône:
«
Messieurs, la Sœur me dit que vous
vouliez me parler... »
Devant
cette apparition, Gilbert et moi
sommes hypnotisés ! Aucun
mot ne
peut
sortir de notre gorge... C'est bien simple, nous ne
sommes que statues
de
pierre, la bouche béante, les yeux au grand fixe
!
«
Voyons, Messieurs,... »
Gilbert
se réveille de ce rêve...
«
Ma Sœur... Pff... Heu... Ma Mère...
Pff... Je ... Heu... Nous habitons en face de chez vous
depuis si
longtemps...
Heu... Nous voulions tout simplement vous saluer...
Pff... Pas vrai,
«
Oui... Oui... »
«
La Sœur m'a parlé d'une cloche... »
«
Une cloche ? Quelle cloche, Jacques ? »
«
Une cloche ? »
L'icône
sourit... Sa main nous gratifie
d'un signe de croix... Bénis du ciel,
téléguidés, nous retraversons notre
avenue... « Ding dong », sonne la cloche, la
cloche des
Vêpres ! Notre
après-midi dominicale s'achève en
état de
grâce...
Gilbert...
Un compagnon gai, agréable...
Un dimanche toujours, il vient à la maison:
«
Je vais chercher des beignets à la foire
de la Place Dumont... Tu m’accompagnes,
Ma
mère, toujours partante:
«
Oui, Gilbert ! »
Nous
ne les avons plus revus de toute
l'après-midi, de toute la soirée...
Francine:
«
Mais où sont-ils donc ? Il leur est
certainement arrivé un accident ! Si nous
appelions la police ?
»
Gilbert
et ma Maman dansaient le tango
chez « Paul au Gaity » ! Les beignets sont
revenus
froids... Nous n'avons pas
mangé de beignets ! Il y
a aussi Madame J., que Jean Pierre force à
chanter... Ancien
petit rat de
l'Opéra, elle n'en a plus la silhouette... Une
poitrine !
Convaincue par Jean
Pierre de « pousser » une chanson
«
Je n'ai pas eu le temps de m'habiller...
Je suis toute nue sous mon manteau de vison ! Hi !
Amusante
avenue, l'Avenue de Huart dans
les années soixante...
Nous
ne parlions jamais de politique... Je
n'ai jamais fait de politique ! D'ailleurs, durant
toutes ses
années passées en
Belgique, j'avoue n'avoir jamais très bien su
quel genre de
gouvernement était
à la tête du pays et quels en
étaient les membres,
même le Premier Ministre !
De toute façon, ils jouent tellement bien
à la «
chaise musicale », que l'on s'y
perd...
Il
y a aussi « L'Ancienne Belgique »...
Grand café aux longues tables... Nous y avons vu
et
écouté tous les chanteurs
de l'époque... Je me souviens
particulièrement de
Barbara, de sa rue de la
grange aux loups... De Brassens et de son gorille... De
« Cloclo
» et de ses
nanas, un phénomène ! Et bien bien
d'autres... J'aime le
Music-Hall !
Nous
faisons connaissance avec Club
Méditerranée... Train ! De longues heures
de train,
«
Je pense au Congo, je sens que je vais
me plaire ici ! »
Jean
Pierre, le Chef de village, nous
apprend la plongée sous-marine, la plongée
libre...
Masque, tuba, palmes ! Un
peu comme en aviation, il y en a qui ne sont jamais
parvenus
«
Pfff, Pfff, j'étouffe, Pfff, Pfff,
j'étouffe ! »
Jean
Pierre:
«
Respire, hé, pomme ! »
Je
tombe amoureux de la mer, que je ne
connaissais pas sous cet aspect... Un aspect de vertige,
car l'eau, le
long des
falaises est du cristal ! En apercevant les fonds
sous-marins, j'ai
l'impression de revoler, d'être à nouveau
suspendu dans
les airs ! En un
mouvement de « canard » impeccable,
Jean Pierre
descend à la verticale !
De la surface, nous le suivons le masque collé
aux yeux... Il
remonte... Il
agite dans sa main droite, une touffe d'algues !
«
Quarante mètres à mon profondimètre
!
Qui dit mieux ? »
Il
a lâché les algues, qui redescendent en
douceur... Mine de rien, je plonge et en ramasse
quelques-uns unes,
à moins
d'un mètre de profondeur...
«
Moi ! » dis-je, en agitant mes petites
feuilles...
«
Toi, le Belge, tu es quand même malin...
Tu auras le vin gratuit ce soir ! »
Le
vin est de toute façon gratuit au
Club... Malin aussi ce Français, Chef de village
! Le soir, ce
géant, dont la
femme, « La Puce », est un modèle
réduit,
joue du violon... Faux, mais on lui
pardonne... Sans doute à cause du vin de Calabre,
un peu fort,
que nous buvons
gratuitement !
Blanche
est puéricultrice, elle aime donc
les enfants... Moi, je ne les aimais pas tellement
à
l'époque ! Affreux à
avouer, je disais que je les mangeais au BBQ avec de la
crème
fraîche !
L'horreur ! L'erreur ! Egoïstement, je veux
profiter de la vie et
en faire
profiter ma femme... Liberté d'action, pas
d'obstruction ! Pour
les enfants, on
se serre la ceinture, on leur offre un avenir et ils
vous quittent !
Comme je
l'ai fait avec mes parents... Bien qu'eux, ils me
voyaient avec une
perruque
d'avocat sur la tête, et moi, je ne pensais qu'a
ma casquette
d'aviateur...
Plus tard, pas avec Blanche, j'aurai une fille, qui ne
sera pas ma
fille, mais
qui sera quand même ma fille et qui s'en ira au
bout du monde !
Ou alors,
fonder une grande famille, dix gosses, la maffia !
Agréables
réunions
familiales autour du grand-père, comme les
dimanches
après-midi dans la belle
et grande famille de Blanche... Les années vont
passer et ce
refus d'avoir un
enfant finira par brouiller l'atmosphère, nous
amener à
la discorde... Oui,
l'erreur ! Que je referai plus tard dans une situation
semblable !
Décidément...
J'estime
être dans la minorité des
minorités des êtres, qui sont du bon
coté de la
barrière, du très bon coté de
la barrière et j'en suis conscient et heureux...
J'en profite !
L'espèce
humaine ne semble pas cultiver cette philosophie... Les
gens n'en ont
jamais
assez, il leur en faut toujours plus !
«
L'herbe est toujours plus verte dans le
pré du voisin ! »
Je
leur dis simplement:
«
Dans le pré du voisin ? C'est bien
souvent dans la merde, que vos tomberez de l'autre
coté de la
barrière ! »
«
Le cul dans le beurre », je l'offre à
mes femmes... Ce n'est sans doute pas la solution,
puisqu'il leur
manque
toujours quelque chose... Un petit truc par-ci, un petit
truc
par-là...
Je
connais un couple extraordinaire... Ils
sont mariés depuis soixante ans ! Toujours
amoureux, merveilleux
! Dès le
début, décision: jamais d'enfant ! De par
le monde,
qu'ils ont parcouru dans
tous les sens, ils ont absolument tout fait ensemble ! A
deux, ils ont
traversé
les plaines, escalader les montagnes, les volcans...
Voyages, missions,
postes
importants de très haute diplomatie... Avec des
gosses,
impossible, me dit le
mari, d'assumer tout cela en restant côte à
côte !
Pourtant, à la fin de cette
conversation, il m'avoue que son neveu, il le
considère un peu
comme son
fils...
J'ai
un regret aussi, mais c'est un peu
tard...
Heureusement,
pour la descendance de notre
nom, il y a encore mon cousin germain, Thierry, fils de
mon oncle
Paul... Je
lui ai toujours souhaité un fils !
Décembre
1992. Fax de Thierry Siroux:
«
C'est un ket, fieu, un garçon ! Ne
t'inquiète plus, la race des Seigneurs n'est pas
morte ! »
Il
pousse un peu, là, mon cousin...
Comme
j'habite Bruxelles et le CO aussi,
je fais avec lui le trajet jusqu’à
Chièvres un jour avec
sa voiture, un jour
avec la mienne... Un matin, il me demande:
«
Pourquoi ne pas passer ton examen A ? »
L'examen
A, examen de passage à l'active !
Je suis auxiliaire, contrat de cinq ans...
«
Je pense toujours aux années perdues...
»
«
Justement, tu as bien récupéré
à
présent
! »
«
CO, je ne sais pas... »
Certains
de mes collègues vont suivre les
cours de l'examen A... Les Officiers Auxiliaires pour
passer à
l'active, les
Sous-Officiers pour devenir Officiers, d'active
également !
L'active... Une
carrière à la Force Aérienne ! Les
années
comptent doubles pour les volants »,
la pension (!) est intéressante et se prend
jeune...
Sécurité ! Je me sens bien
à Chièvres... Le Hunter m'envoûte...
«
Bamby » ! Un ami, que je devrai revoir
dans pas mal de pays, où j'ai volé, Maroc,
Tunisie,
etc... Il représente des
avions, fait des démonstrations en vol et les
vend à
droite et à gauche...
«
J.P, comment s'appelait... ? »
Pas
de réponse... Bamby a les yeux
vagues... Perles de sueur au front, il a l'air
sonné ! Il est
vrai qu'il fait
chaud... Nous marchons en plein soleil en revenant du
marché de
mon quartier...
«
Sais plus, Jack... »
A
la maison, à l'ombre de la terrasse,
sous l'air du ventilateur, une bière
fraîche à la
main,
Elle
a vraiment raison, mon amah, ma
bonne, qui est chinoise, de toujours se trimballer au
soleil avec son
parapluie...
«
Un mal pour un bien », me dit ma mère,
lorsqu'elle apprend que je suis busé ! En
tous cas, un bien pour Guy Wéry, qui est aussi
recalé,
pour une toute autre
raison... Grade de Commandant, il coince le Caporal en
train de
photocopier
cette version de Flamand la veille de l'examen... Le
caporal se met au
garde à
vous ! «
Donnez-moi une copie de cette version flamande ! »
«
Mais, mon Commandant... »
«
C'est un ordre ! »
Guy
ne passe pas d'active... Le caporal
s'empresse de tout dire au Chef de Corps... Le Colonel,
celui a l'œil
de verre,
fait « passer » Guy Wéry
définitivement dans
le civil !
Guy
est fort aux études, sauf en
Flamand... Il étudie facilement et réussit
les cours
théoriques de Pilote de
Ligne, ce qu'il aurait dû faire à la place
de cet examen
A... Il redeviendra
vite Commandant, Commandant de bord à Air
Zaïre ! Je le
revois lors d'une de
mes escales à Agadir, au Maroc... Il porte
costume clair,
cravate voyante,
panama, cigare au bec ! Chaussures en
Des
années après, en escale à
Bruxelles,
je cogne quelqu'un dans le hall du « Chez le Raton
«
Tu as besoin d'une voiture, Jacques ?
Dis donc... ils n'embauchent pas dans ta compagnie ?
»
Guy
ne porte plus panama et alpaga ! Il
est vrai que nous ne sommes plus sous le ciel bleu
d'Agadir... La
Belgique, les Wallons, les Flamands... J'avais un
collègue,
Pierre Boutez,
pilote de chasse comme moi, à Chièvres...
Il me racontait
comment dans sa
famille à Ypres, la vie était
organisée...
«
Comme à l'Armée ! »
«
Pourquoi, Pierre ? » «
Parce ce que je fais partie d'une famille nombreuse...
Chacun de nous,
frères
et sœurs, grands et petits, nous savons exactement la
tâche
à accomplir
journellement... Le matin, donné par nos parents,
nous avions
aussi un briefing
pour la mission du jour ! »
«
Combien étiez-vous ? »
«
Nous sommes 23... De deux lits ! Je suis
le 21ème enfant... Alors, tu comprends, la vie
militaire ne me
change pas
tellement... Les corvées, je connais ! »
Je
me souviens de cette conversation, un
soir de pinte à « l’IP »... Voici
deux pilotes
belges, de la minuscule
Belgique, Pierre Boutez et Jacques Siroux, ne parlant
pas couramment,
l'un
La
petite gazette mensuelle de notre
association belge et luxembourgeoise à Singapour,
est
éditée en anglais, et
lors de nos réunions, les discussions se font en
anglais ! Il y
a toujours
moyen de s'entendre...
Et
de ne pas se taper sur la gueule !
Comme le font les excités, les extrémistes
!
D'ailleurs,
loin de ce petit territoire
belge, dans un bar de Manille, de Singapour, de Caracas
ou d'ailleurs,
lorsque
la bière a un peu trop coulé, il ne
faudrait pas qu'un
quidam ose toucher à un
seul cheveu d'un Flamand, le Wallon lui sauterait
dessus, et si le
cheveu du
Wallon venait à être
décoiffé, ce quidam
serait écrabouillé immédiatement
par
le Flamand !
«
Tu en es certain, Jack ? »
«
Certain ! Je l'ai vécu à Hong Kong...
»
Ne
pas toucher à l'os du chien...
Dans
la salle des opérations, en 1992, je
signe mon vol... Je suis étonné de voir le
nom de
Daruwala comme membre
d'équipage ! Daruwala est un mécanicien de
bord, avec qui
j'avais fait mon
premier vol en Boeing 747 en 1979 et d'autres courriers
en 80 et 81...
Daru est
aussi une de ces vielles branches... Avec Air India, il
a
commencé sa carrière
sur les DC et le Constellation... Il fut basé
à Moscou,
à New York... Il a volé
les Boeings, le 707, le 747... Il a de
l'expérience, le Daru !
Un mécano sur
qui on peut compter dans n'importe quelle
circonstance... Check-list !
«
My God, Daru, where have you been ? Où
étais-tu passé ? »
«
Au Sri Lanka, sur Tristar, pendant huit
ans... »
Encore
un voyageur mercenaire...
Pendant
les douze jours de ce vol, qui va
nous mener un peu partout en Europe, nous aurons le
temps de
discuter... Que ce
soit à Athènes, en descendant le sentier
du Mont
Lycavittos, qui nous mène aux
terrasses de la place Kolonaki pour y prendre
l'apéritif
national, l'Ouzo, ou
en dégustant une bière Calsberg à
Copenhague, ou
simplement, en prenant notre
café en l'air, dans le cockpit !
En
B747, il nous faut plus de quatre
heures pour traverser l'Australie... Les passagers,
même les
Australiens, n'en
reviennent pas ! Après deux heures de vol:
«
Où sommes-nous ? »
«
En Australie... »
Après
trois heures de vol:
«
Que survolons-nous maintenant ? »
«
L'Australie... »
Quatre
heures de vol:
«
Vous n'allez pas tout même nous dire que
c'est toujours l'Australie, là, en bas ? »
«
Mais si, mon ami, mais si, toujours
l'Australie ! Nous allons enfin la quitter... »
La
traversée de la Belgique se fait en
moins de vingt minutes !
Daru
me dit:
«
Il fait clair aujourd'hui, on voit bien
ton pays, Jack ! »
«
En effet, quelle visibilité ! Je peux te
montrer les villes, les bases aériennes, les...
»
Il
m'interrompt:
«
En Belgique, je crois que vous avez des
problèmes entre les Flamands et les
Français... »
«
Les Wallons ! Heu, oui... Mais... »
Il
me coupe de suite:
«
Why ? Pourquoi deux langues ? »
«
La plupart des gens ignorent l'origine
des frontières belges... Brièvement, Daru:
en 1830,
Indépendance de la Belgique
! Le Nord était le Sud de la Hollande et le Sud,
le Nord de la
Daru
me coupe une seconde fois:
«
Somme toute, une partition comme chez
nous aux Indes, en 1947... Le bordel ! »
«
Heu... Oui... Non ! Sais pas... »
«
En tout cas, Jack, vu de 10.000 mètres
d'altitude, toutes vos disputes paraissent ridicules...
»
Je
regarde dehors... Nous avons dépassé la
Belgique ! Le temps de cette conversation et
j'aperçois
déjà l'Angleterre ! Et
dire que l'on veut diviser la Belgique en deux ou trois
morceaux ! Trop
grand
pays sans doute aux yeux de certaines petites gens...
Il
a raison, Daru... Vues d'ici, nos
disputes sont ridicules et mesquines ! La devise de la
Belgique ?
« L'Union
fait la Force » ! Faut le faire...
Les
mécaniciens de bord peuvent voler
au-delà de 60 ans... A cause de la suppression
progressive des
mécaniciens volants,
Daruwala a finalement pris sa pension à 63 ans...
Il est
retraité, la mort dans
l'âme ! A chaque courrier, que je passe à
New Delhi, il
m'invite chez lui... Sa
charmante et jeune épouse, brillante avocate,
tente de
participer à nos
histoires d'aviation... Son mari et moi, dans notre
ciel, toujours
à 10 ou
12.000 mètres d'altitude, nous philosophons...
Nous ne sommes
pas les seuls
oiseaux, à ne pas comprendre très bien les
bassesses de
ce monde ! Nous ne
pigeons pas très bien les terriens... Leur besoin
du pouvoir,
leurs envies
incessantes d'envahir le territoire du voisin, leur
fanatisme à
l'éliminer,
s'il n'est pas de même obédience,
Nous,
les pilotes, nous survolons les
guerres... Etonnés, de notre cockpit, nous
observons le sol, en buvant notre éternel
café... Dans l'atmosphère
douillette de la cabine, les passagers, eux,
écoutent de la
musique douce...
Ils ne pensent même pas qu'au sol, en ce moment,
l'espèce
humaine est en train
de s'entre-tuer... Ils ont oublié et sirotent
leur champagne !
Daru
a raison... Toute cette violence
semble ridicule vue de notre ciel paisible ! Ridicule et
affreuse,
croyez-moi !
N'y
aurait-il pas un moyen de s'entendre ?
Ce serait si simple ! Il y a toujours un moyen de
s'entendre...
Mais
les hommes sont devenus fous... Non,
ils ont toujours été fous ! Alors...
Cependant
à Singapour, tout le monde
s'entend... Les gens de différente race, langue,
culture ou
religion, se
souhaitent mutuellement « Bonne Fête »
! Les Chinois,
les Indiens, les Malais
et les autres... Bouddhistes, Musulmans,
Chrétiens ou Juifs se
respectent !
Chapeau
!
Je
retourne donc avec joie en
escadrille... Et je repense à mon avenir !
D'autant plus que les
bruits courent
que l'on pourrait fermer la base de Chièvres et
supprimer le
Hunter ! Oui,
supprimer le Hunter ! A la vente, à la casse !
L'horreur !
Chièvres n'est pas
éternel... Moi, le candide, je n'y pensais pas !
Cette
idée me réveille brusquement à la
réalité ! Dans le fond de ma tête,
le boogie-woogie
me reprend soudain de plus
belle:
«
Avancer, rattraper le retard, avancer,
rattraper le retard... ».
En
fait, ce refrain latent me poursuit, il
n'a jamais vraiment quitté le « back of my
mind »...
Je crois avoir bien fait
mon métier de pilote de chasse, mais je pensais
trop !
Dès mon entrée à la
Force Aérienne, je suis parmi de très
jeunes... Ils ont
à peine 18 ans, les
survivants seront brevetés à 20 ou 21 ans
tout au plus...
Quant je reçois mes
ailes, j'en ai presque 26 ! Eux, les jeunes gorets ne
pensent pas qu'au
vol,
qu'a la chasse, qu'aux combats aériens, ils
broquent »,
foncent « regardless of
expense »... Moi aussi, mais je ne suis pas un
pur, puisque je
réfléchis en
pensant toujours à mes mésaventures
passées,
à mon retard, que je dois, que je
veux combler !
Fermeture
officielle de Chièvres !
«
Craaaaak ! »... Craquelures...
Une
dernière fois, la bière va couler lors
de cette ultime réunion... Elle coulera, la
bière, dans
cette pinte, que nous
recevons chacun en souvenir de notre escadrille... Une
pinte en
étain, gravée
de notre nom sous la fameuse cocotte... Je l'ai toujours
! J'ai
l'honneur de
remettre un cadeau
Ce
président d'une république de bananes
quelconque a dit un jour à ses concitoyens:
«
Mes enfants, avec moi, ce pays va faire
un pas de géant en avant ! »
Et
ils se sont tous retrouvés écrasés
au
fond du gouffre !
C'est
à peu près ce qui m'est arrivé,
à
moi aussi ! Je vais prendre presque trois ans de retard
supplémentaires dans ma
carrière d'aviateur ! Je vais être
infidèle, oui,
infidèle, à mes avions...
Honteux ! Durant ces années, dans un ciel
incertain, dans lequel
je vais pourtant
naviguer avec aisance et me plaire, et c'est là
mon
infidélité, je les vois
disparaître à l'horizon, dans des nuages de
basses couches
... Adieu, ma
Cocotte !
J'avais
bien essayé d'intriguer... Je
m'étais dit que pour les deux ans qu'il me
restait à
faire, quitte à ne plus
être chasseur pur, autant postuler pour le
transport...
Expérience, qui pourra
bien me servir pour le civil... Les avions à
hélices !
«
Niet ! Le F84f à Florennes ! »
Puisque
c'est ainsi, impulsif, je décide
de quitter la Force Aérienne ! « Plaff !
», comme
ça !
J'avais
pris la précaution de suivre, à
nouveau avec Monsieur Weygart, les cours
théoriques de la
licence
professionnelle... Il est tellement bon ce professeur,
que je
réussis ! Je
trouverai bien un boulot quelque part pour commencer mon
expérience civile...
Je me prends pour un petit dieu... Venant de la chasse,
« Ils
» vont me prendre
de suite ! Pauvre con, je me trompe ! Bêtise que
tout ceci,
sottise que tout
cela ! Naïveté...
Recommence
alors une période sombre... Je
dois me dévêtir... J'enlève une fois
de plus mon
manteau de fine peau ! La
mouise ! Ma femme me prend pour un fou, mon oncle me
traite de
dégonflé, mes
copains me regardent de travers... Ma mère, elle,
n'est pas
fâchée de me voir
quitter ce métier dangereux... La mouise !
Ambiance
électrique des mauvais
jours...
Que
faire ? Car, je ne trouve aucun boulot
volant... La Sabena ? Je suis trop âgé ! Et
puis, cette
compagnie n'apprécie
guère ma rupture avec la Force Aérienne...
Ah, bon ! Le
Zaïre ? Pas assez
d'expérience ! Car je voulais de suite passer sur
grosse
machine... Je pense à
Modeste, mon boy, mon bon Modeste... S'il est devenu
Premier Ministre,
peut-être pourrait-il me donner un coup de pouce ?
Mais je n'ai
pas de ses
nouvelles, il est sans doute toujours chauffeur de
camion...
L'expérience...
Le problème ! Eternel
difficulté pour les débuts dans ce
métier de
mercenaire... En commencement de
carrière, si on ne pénètre pas de
suite dans une
compagnie nationale,
l'expérience, il nous faut aller la chercher
n'importe
où, au bout du monde,
s'il le faut... Pour nous, pilote venant de
l'Armée, c'est assez
frustrant...
Nous n'avons qu'une seule chose: notre expérience
personnelle,
les heures de
vol passionnantes, que nous avons volées, avec
nos fesses, sur
des avions
merveilleux ... Mais ces beaux oiseaux
n'intéressent pas les
civils ! De même
pour les licences... Licences militaires, dans le civil,
zéro !
IL nous faut
donc recommencer toute la théorie pour obtenir
« le papier
» !
On
s'entend donc dire:
«
Vous avez des heures de vol en
suffisance, mais les types d'avions, sur lesquels vous
avez
volé... Ce qu'il
nous faut, nous, ce sont des qualifications de machines
plus lourdes
et...
civiles ! »
Alors,
on se met à courir la planète à la
recherche d'une compagnie, qui offre la
possibilité d'obtenir
une qualification
d'avion plus lourd... De compagnies en compagnies, de
machines
«
Mais, Monsieur, vous n'avez pas la
qualif 727 ! »
Cette
fois-çi, on lui lance à la tête:
«
Mais, Monsieur, vous n'avez aucune
expérience sur cette machine ! »
Licences,
qualifications, expérience...
Oh, désespoir !
Aussi,
profanes, en voyant passer devant
vos yeux, ces beaux pilotes en uniforme aux galons
dorés, vous
avez raison de
vous dire que nous faisons, en effet, le plus beau
(j'allais
écrire le plus
vieux...) métier du monde, mais, s'il vous
plaît, pensez
aussi que pour y
arriver, il y a eu du combat, du stress... Il nous a
fallu de la
patience, de
la persévérance et du courage !
«
Ca va, Jack ? »
«
Ca va, merci. Et toi ? »
Stress...
Pour le moment, c'est de ma
faute... Les dieux ne m'abandonnent pas, c'est moi qui
les abandonne !
OK, OK,
j'ai fait une connerie... Il faut corriger ! Comment ?
En attendant, il
me faut
gagner des sous... Blanche travaille, ma mère
aide, mais quand
même...
D'ailleurs, Blanche en a marre de sa crèche, de
ses petits
enfants ! Elle va
travailler dans la boutique de mode de Rita,
J'essaie
le domaine des pétroles... On
m'offre de tenir une station d'essence... Ma femme:
«
Si tu acceptes, tu es vraiment fou ! »
Je
vais trouver le beau Jean Pierre, un
des amis de Serge... Il est Directeur d'une compagnie
d'assurance... Il
veut
bien m'engager à la commission... Il sait
très bien ce
qu'il fait ! Comme je
connais beaucoup de monde, il s'attend à ce que
j'aille taper
tous mes copains
en leur présentant cette alléchante police
d'assurance
vie ! C'est d'ailleurs
ce que je fais... A commencer par moi-même,
histoire de me
convaincre !
Carnet
d'adresses ! Ces tournées me
donnent ainsi l'occasion de
retrouver
pas mal de mes vielles connaissances... Pendant quelques
mois, je fais
la
tournée, je place quelques assurances, si peu...
Chez les
Fauconnier, par
exemple... Cette police va les aider ! Epoque, où
Claude se tue
en voiture !
Triste, mais au moins, j'ai l'impression d'avoir fait
une bonne
action... La
liste de mes amis diminuent... Je dois faire du porte
à porte !
Elles semblent
rouillées, ces portes, s'ouvrent avec
difficulté et quand
enfin elles
s’entrouvrent, elles se referment vite en claquant sur
mon nez:
«
Non, merci ! »
«
Plaff ! »
Trop,
c'est trop ! J'ai encore une dernière
adresse, celle de Pierre Grégoire, l'ami
d'Unif... Je le
contacte, je le
retrouve... En lui racontant ma vie, lui le stable, il
est
bouleversé ! Il ne
me signe pas de contrat, mais une fois de plus, pense
certainement:
«
Il faut sauver Jacques ! »
En
effet, quelques jours après ma visite,
il me téléphone:
«
Va trouver Michel Béduwé de ma part...
Avocat, il a travaillé dans le cabinet de mon
père...
Brillant garçon ! Il
engage ! »
«
Quel boulot ? »
«
Acheteur... »
«
Acheteur ? De quoi ? »
«
Tu verras, il t'expliquera ! »
J'ai
rendez-vous avec Michel Béduwé aux
rayons pull-overs et cravates du grand magasin de
l'Innovation, Rue
Neuve !
La
première fois que l'on rencontre quelqu'un,
dans la seconde qui suit, ça fait « Clic !
» ou
ça fait « Clac ! ». Lorsqu'on
retrouve un ami, sa femme ou une maîtresse,
ça refait
« Clic ! » ou ça refait «
Clac ! ». Dans un cockpit, avec l'équipage,
avec qui l'on
vole pour la première
fois,
Je
rentre dans le magasin, j'aperçois un
grand garçon, type anglais... Costume de
flanelle, chemise bleue
pâle, pâle
comme lui, cravate de soie épaisse... Je ne l'ai
jamais vu, mais
je sais que
c'est lui, je sens que c'est lui ! IL sait que c'est
moi, il sent que
c'est moi
! « Clic ! »
«
Monsieur Siroux, je présume... »
Je
ne m'étais pas trompé sur son style...
Béduwé est de cette espèce
d'hommes, qui sont
nés avec une cravate ! J'en ai
rencontré un certain nombre... Soleil au
zénith,
thermomètre et hygromètre dans
le rouge, prêts à exploser, ces gentlemen
se
promènent le cou en cascade, en
cascade de sueur, col et cravate humides... Tout le
monde est à
poil autour
d'eux ! Mais, eux,
Il
m'emmène alors dans son bureau...
Ballade ! Rue Neuve, Place Rogier, grimpette au
23ème
étage de l'immeuble
Martini, les bureaux d'achats ! Pendant cette promenade
d'un quart
d'heure, la
communication est bien établie... « Cinq
sur cinq »,
« Clic ! ». Un point
commun: la Force aérienne, où il a fait
son service
militaire comme Officier de
Réserve dans l'Administration...
Béduwé a
adoré ! Très Officier
Béduwé, plutôt
Armée des Indes, il a apprécié le
« spirit
» des pilotes de chasse...
«
Voici, Monsieur Siroux, ce que je vous
propose... »
Je
me souviendrai toujours de la façon,
dont il m'a proposé le job d'acheteur ! Je saisis
de suite le
genre de son
caractère, de son humour...
«
Je prends sans doute un risque, mais un
hussard, qui n'est pas mort à trente ans n'est
pas un hussard...
Les
universitaires, que je viens d'interviewer... Heu... Je
change de
tactique !
Vous étiez pilote de chasse, vous saviez vous
aussi prendre des
risques, je
suppose... Je fais donc un essai avec vous... Je mise
sur un outsider !
»
Ce
terme me frappe ! En employant ce
qualificatif, je revois en quelques secondes le fil de
ma vie...
Outsider...
Michel Béduwé ne pouvait pas mieux choisir
! Outsider...
Oui, il a raison...
«
Je vous disais donc... » «
Excusez-moi... Oui, un outsider... Merci, Monsieur
Béduwé, mais de quoi s'agit
exactement ce métier d'acheteur ? »
Michel,
car il m'a demandé de l'appeler
Michel, va me l'apprendre, le métier
d'acheteur... Comme Jeanine
m'avait ouvert
les portes du monde de la nuit, Béduwé me
faire entrer
dans le monde du
business... Connaissais pas !
Par
un jeu complice entendu, sous-entendu,
que je joue avec plaisir, un gag à la sauce
british, que nous
mettons
tacitement au point, « Got it ? »,
«Get it !», « Good ! », je
l'appellerai
vite
«
Mais d'abord », m'avait dit
le
Master, « un stage à la vente,
question de vous mettre dans l'ambiance et de faire la
connaissance de
nos
articles... »
Articles
? Cravates et pull-overs !
Mettez
dix hommes devant un rayon de
cravates, ils choisissent dix cravates
différentes ! Devant un
étalage de
pulls, les uns préfèrent le col
roulé, les autres
le col en V, de couleurs et
de laines différentes, bien sûr... Les
goûts et les
couleurs... Pas facile à
satisfaire ! à l'acheteur de sentir, de «
humer » la
bonne tendance lors de ses
achats, six mois ou plus avant la vente... Risques !
Béduwé a raison, il faut
prendre des décisions délicates, bien
négocier
l'investissement... Coups de
dés, coup de poker, à nouveau !
Je
n'en suis pas encore là... Avec Madame
Leenaerts, la Chef de rayon, je me promène dans
le magasin...
Après toutes ses
années de vente, elle doit se demander, cette
ancienne
employée, comment on a
pu choisir un gars comme moi, tombé du ciel,
comme ça,
« Plouff ! » pour
devenir subitement « Pliff ! », un futur
acheteur !
Le
premier jour, l'air pincé:
«
Bienvenue, Monsieur ! »
Aïe
! Elle est de vielle école, Madame
Leenaerts... De son temps, il fallait faire des ans
avant d'être
promu
acheteur... Moi, je ne fais que passer ! Un mois, deux
mois... Mais,
derrière
son regard dur, qui me fait penser à la
Mère
Supérieure de mon Pensionnat, elle
est sympa et coopérative... Je vais apprendre
avec elle les
« trucs » de la
vente... Je vais surtout apprendre les matières:
les «
synthétiques », les
laines, le « Shetland », le
«Lambswool», le
Cachemire »,
Madame
Leenaerts sourit... Elle sait qu'au
bout de la journée, j'ai mal aux pieds ! Jamais
de ma vie, je
n'étais resté
debout aussi longtemps... Un martyr ! Je souffre... Le
premier
week-end, je
m'enfuis avec ma femme à la Côte pour avoir
la jouissance
de me promener les
pieds nus dans l'eau de la Mer du Nord... (Sic).
Je
plonge sous un comptoir !
«
Vous avez perdu quelque chose, Monsieur
Siroux ? »
«
Heu... Non ! Madame Leenaerts. Heu...
Oui... Je... »
Je
venais d’apercevoir le « Red »
Dewaelens ! Pilote de chasse aux cheveux roux, Capitaine
Aviateur, je
l'avais
connu à Chièvres... Indécis, il
regarde et
traîne devant le long panneau
Pendant
ce stage à la vente, je me fais
des amis... Une pensée pour Monsieur
Delsipée, le
Directeur, qui devra mourir
dans l'incendie, qui ravagea ce grand magasin deux ans
après mon
départ...
Béduwé
décide qu'il est temps de m'initier
à l'achat... Je n'ai pas de bureau, je suis dans
le bureau de
Michel ! Dans la
pièce voisine trônent les
secrétaires: Madame Theys
et Mademoiselle « Lapin
Bousouff » ! Elles s'occupent absolument de tout !
Indispensables
personnages,
que Michel Béduwé ne cesse de mettre en
boite:
« Mademoiselle,
serait-ce une bonté de
votre part de
me passer la dernière
commande de Lebailly, si, bien entendu, vous parvenez
à la
retrouver dans le
limon de vos dossiers ? »
Après un
voyage:
«
Madame Theys, c'est bien simple, dans ma
chambre d'hôtel à Florence, il n'y avait
pas de chambre,
tellement elle était
minuscule ! Vous nous envoyez vraiment dans des culs de
basse fosse !
»
Madame
Theys se laisse toujours prendre...
«
Mais, Monsieur Béduwé, les Wagons-lits
m'avaient... »
«
Engueulez les Wagons-lits ! »
Je
place en douce des expressions, qui
vont devenir populaires... Parlant d'un certain
représentant aux
prix trop
élevés:
«
Il rêve, il plane à 45.0000 pieds ! Ce
comique est in the blue... »
Béduwé est un bourreau du
travail... Pour
lui, pas de week-ends, pas de vacances... C'est un
samedi d'ailleurs
qu'il m'a
convoqué ! Il est également
obsédé par le
« Chiffre » ! A la fermeture, il fait
demander par Madame Theys, qui est prête à
quitter le
bureau, le chiffre
d'affaire de la journée dans toutes nos
succursales ! Il note
les résultats
dans son calepin, qui ne quitte jamais sa poche... Il
s’inquiète
aussi de la «
Rotation » de la marchandise... Trop stock ? Zut !
Démarquer, liquider ! Stock
insuffisant ? Zut ! Réapprovisionner !
Epuisant...
Heureusement,
nous partons souvent en
voyage...
Voyages
d'achats !
Commence
alors une vie mouvementée mais
agréable à travers l'Europe:
L'Angleterre...
La ville de Londres, que
je ne connaissais pas... Un autre continent pour moi,
tout est à
l'envers ! Je
suis dépaysé... Béduwé, lui:
«
Enfin, retour à la civilisation ! »
Au
restaurant « Simpsons on the Srand »,
Michel adore glisser une pièce au « carver
», celui
qui, sur son chariot
ambulant, avec son grand couteau et son tablier,
découpe la
viande en belles
tranches, et s'entendre dire:
«
Thank you, Sirrr... »
L'Italie...
Nous allons à Milan faire la
foire (du textile), à Boulogne, à Florence
visiter des
fournisseurs et à Sienne
faire un peu de tourisme...
«
On mange bien à Boulogne », me dit le
Master... En effet !
«
Alors, Jack, pour toi, Bologne, c'est...
»
«
Les spaghettis à la Bolognese ! » « Et
Florence ? Le Dôme, quand même ! »
«
Non, le David de Michel-Ange ! »
La
Hollande... Amsterdam !
La
France... Paris et Lyon ! (les soieries
lyonnaises...).
Lorsqu’un
acheteur débarque, c'est tout
juste s'il n'est pas reçu avec fanfare et tapis
rouge...
«
Jack, on te met vraiment à toutes les
sauces, toi ! »
«
Heureusement, je lie assez bien les
sauces... Faut bien ! Je me fourre dans de telles
situations... »
Nous
n'acceptons que les invitations à
déjeuner ou à dîner, que nous
rendions sur place ou
à Bruxelles lors du passage
du fournisseur ou de l'agent... Pas de petits cadeaux,
pas
d'entourloupettes !
«
Acceptez cet exemplaire de pull en
vigogne, Monsieur Siroux... My pleasure ! »
Michel
me fait de gros yeux... Mais j'ai
reçu son briefing, il n'a rien à craindre
!
N'empêche... Ce fin pull jaune
clair, je l'ai toujours devant les yeux !
A
Londres, nous nageons dans la laine,
toutes sortes de laines, surtout le cachemire, que
Béduwé
veut lancer en haut
de gamme pour la première fois dans un grand
magasin...Risque !
Très
Officier du Bengale, Michel Béduwé
s'écrie soudain:
«
Chaaaarge ! »
Sa
façon à lui de prendre une décision
capitale !
Il
a eu raison... Nous avons bien réussi
dans le cachemire ! Les premiers clients ? Nous ! Pour
montrer
l'exemple...
De
même pour les cravates... Nous tentons
aussi une série « prix élevés
» ! Les
épaisses cravates en soie aux dessins
cachemires imprimés à la main... Une
collection de
merveilles !
«
Chaaaarge ! »
Elles
se sont bien vendues... J'en ai
toujours... Celles que j'ai achetées à
notre rayon pour
encourager la vente !
La
première, j'ai failli la perdre en la
barbouillant ! Lors du voyage en avion, la Caravelle fut
prise de
tremblements
effrayants en passant dans un orage... A
l'intérieur de la
cabine, la
turbulence était telle que tous les passagers
s'accrochaient
désespérément à
leur siège, l'air verdâtre, l'âme en
bouillie... Les
plats, qu'ils ne
parvenaient plus à retenir valsaient dans tous
les sens ! Michel
Béduwé, des
plus flegmatiques:
«
Jeeves, mind your tie... Faites
attention à votre cravate... »
Pour
protéger ma belle cravate,
j'esquivais les rafales des vins et des sauces provenant
des
plateaux... Béduwé
ajoute alors, relax:
«
Jeeves, go to the Captain, pay him my
compliments and tell him to stop that stupid game !
» (Allez voir
le
Commandant, saluez-le de ma part et dites-lui
d'arrêter ce jeu
stupide !).
Après
ce passage terrestre de mon
existence, la seule cravate que je devrai encore porter,
sera celle de
mon
uniforme de Pilote de Ligne...
Parfois,
nous voyageons avec les
acheteuses... « Coco, Françoise et les
autres »...
De jolies femmes pour les rayons
de femmes ! Des « business woman »... Le
soir, après
nos achats,
Quand
nous allons dîner à Londres avec ses
Dames au « Veraswami », le portier indien,
tout
enturbanné et moustachu, ne
manque pas de saluer les clients d'un geste bien
militaire... Sa main
vient
frapper son front et rebondit plusieurs fois ! Son bras
est un
véritable
amortisseur...
«
Good evening, Sirrr ! »
Beduwé
se croit alors au Bengale et
pénètre en Vice-Roi dans le restaurant...
Le
maître d'hôtel, en nous voyant en bonne
compagnie, et présentant la carte de ses curries
plus ou moins
épicés, se
permet une suggestion dans l'oreille de Michel:
«
Sir, I suggest hot ! For the ladies... »
Quand
nous y allons avec un représentant,
ce coquin d'Indien ne dit jamais rien...
Par
contre, Béduwé joue la mélancolie
et
pérore avec humour sur la gente féminine:
«
Ah, les femmes... »
Il
raconte en mimant...
«
Je connais un Lord anglais, qui rentrant
chez lui, aperçoit des roses et des chocolats sur
le
guéridon... En regardant
son épouse, il prend une praline et dit:
«
Hmm... Chocolate ! »
Il
respire une rose et dit:
«
Hmm... Perfume ! »
Le
gentleman se tourne alors vers son
buttler:
«
Jeeves, my hat, my glooves, my umbrella
! »
Et
disparaît majestueux par la grande
porte du salon, avec son chapeau, ses gants et son
parapluie ! Jeeves
suit...
«
Ah, les femmes ! »
De
Michel, j'ai tellement apprécié la
suivante, que je la replace bien souvent dans ma
carrière de
pilote:
«
Mon grand-père, l'Evêque, ne cessait de
me conseiller: Michel, jamais dans le diocèse !
»
«
Ah, les femmes... »
Il
conclut tristement:
«
Je rêve d'une grande fille toute simple
avec beaucoup d'étoiles dans les yeux... »
«
Ah, les femmes... »
Malgré
cette atmosphère de fête, on
bosse... On bosse dur ! Aussi, lorsque nous rentrons
à
l'hôtel le soir, voici
la phrase classique de fin de journée:
«
I need a good hot bath and a nice cool
beer... »
Un
bon bain chaud et une bonne bière
fraîche nous remettent en effet vite sur pieds...
Le
« chiffre » est bon ! Béduwé
est
content... Un qui est satisfait aussi, c'est «
Pierre le
Jean
Giergilewiecz, lui n'est jamais
content... Polonais d'origine, jeune Officier durant la
guerre, il a
fait la
campagne de Libye, où avec trois hommes seulement
de son
peloton, il a encerclé
et fait prisonniers 150 italiens qui se sont rendus tout
de suite, nous
raconte-t-il !
«
Comment as-tu fait ? Jean ? »
«
Zé nè rien ou à faire, ils
zhantaient...
»
Il
en a vu... Un personnage assez
extraordinaire ! Mais à présent, il se bat
contre la
météo... Les prévisions
étaient: pluie et temps froid ! Il fait beau et
il fait chaud...
Jean
est l'acheteur des imperméables et
des manteaux !
L'air
malheureux, avec son accent et son
éternelle cigarette au bec:
«
Mon stock ! Kess kè zé vais bien faire
de tous mes zimpers ? »
Phrase
que j'ai entendu bien souvent de la
part de ce héros, qui a participé à
l'assaut du
Mont Cassin !
La
hantise de Pierre le Grand...
Je
me souviens de l'amour, que ressentait
Michel Béduwé pour cette entreprise !
Quand le
«
Jeeves, that belongs to me ! » (Cela
m'appartient !).
A
l'époque, il se sentait déjà
devenir
Calife à la place du Calife... Chose qui arriva
par la suite et
que j'appris
avec plaisir ! Pas étonnant avec un Master de ce
genre !
La
vue, que nous avons sur la ville de
Bruxelles est impressionnante... Notre agent de Londres,
arrivant un
matin de
brouillard à couper au couteau, nous dit en se
dirigeant vers la
terrasse:
«
What a view ! Quelle vue ! »
Les
Anglais... Michel a apprécié cet
humour et moi aussi ! Mais, ce n'est pas pour cette
raison que nous lui
avons
acheté sa cacaille...
Moi,
de cette terrasse, je vois défiler
les nuages... J'ai une autre vision... Je ressens
profondément
ma culpitude...
Pincements de cœur ! Non, je ne peux pas être
éternellement infidèle à cette
maîtresse, qu'est l'aviation, à mon ciel,
à mes
avions...
Un
événement triste survient... Notre
chien, Néron, ce brave boxer, traîne la
patte depuis qu'il
s'est fait écraser
en traversant la route devant la maison... Bien que dans
mon tort,
j'engueule
«
Il n'y a pas de soleil ! Un nouveau
look, Jacques ? »
«
... »
Je
pense à Néron... Néron
détestait de
rester seul à la maison... Alors, quand nous
sortions, par
toutes les
températures, même les plus basses, on
l'emmenait avec
nous et on le laissait
sur le siège arrière de la voiture ! Il
savait que nous
ne l’abandonnions pas
et que nous allions revenir au parking... Il regardait
passer les gens
et nous
attendait patiemment, emmitouflé dans son
manteau, sa grosse
écharpe de laine
autour du cou... Personne n'a jamais touché
à la voiture
!
Histoires
de chiens, qui vous vrillent le
cœur... Histoires d'amour !
Béduwé
n'est pas du genre sportif... Son
sport favori, à part le « chiffre »,
c'est la bonne
cuisine, les bons desserts
! Un week-end d'été, je parviens tout de
même
à le décider de nous accompagner
à Wépion, sur la Meuse...
«
Wépion ! Pays des fraises ! On va manger
des fraises, Jeeves ? »
«
Non, Master, faire du ski nautique ! »
«
Oh... »
Mon
ami Paul Putsage, que Michel connaît
d'ailleurs, donne la théorie du
démarrage...
«
Surtout, Michel, ne lâchez pas la corde
! Ne pas lâcher ! »
Paul
avance les gaz de son puissant «
inboard »... Michel fait un plongeon en avant et
disparaît
dans le fleuve, sous
le fleuve ! Paul croit que Michel est sorti, ne se
retourne pas, garde
les
gaz... Nous suivons la course du sous-marin Michel
traversant la
Meuse... Les
bulles d'air montent à la surface... Paul se
retourne, ne voit
pas de Michel,
il coupe les gaz ! Michel fait surface, l'eau lui sort
de la bouille en
fontaine...
Paul:
«
Il fallait lâcher la corde ! »
Michel:
«
Vous m'avez dit de ne pas lâcher la
corde... Discipliné, je n'ai pas
lâché la corde !
»
« Jeeves, please, allons manger des
fraises... »
«
Jeeves, generosity, that was my first
mistake ! »
«
La générosité fut ma
première erreur !
»
Heureusement,
dans cette affirmation, je
ne discerne pas un regret quelconque de la part de
Michel
Béduwé à mon sujet...
Au contraire, je commence à voler de mes propres
ailes... (!).
Béduwé
m’envoie à Amsterdam pour un achat
important de cravates à bas prix, prévu
pour les
prochaines soldes ! Le vendeur
en me versant moultes bières, m'en propose
« un paquet
» ! Je les achète ! Un
coup de dés, que je sens « bon »...
«
Combien de cravates, Jacques ? »
«
Plus de dix mille, Michel... »
«
Gloup » du Maître...
Elles
se sont toutes vendues !
Satisfaction du
Maître, qui me lâche
de la
bride...
Je
prépare donc un autre coup de poker,
mon plan d'achat en pulls pour la saison prochaine...
Des millions
d'argent !
Je reçois un coup de fil, c'est Roger Bracco, un
revenant !
«
Jeson, tu veux revoler ? »
Bien
que je m'en doute:
«
De quoi s'agit-il ? »
Tentations...
Nuits blanches, discussions
avec Blanche, qui serait cependant partante ! Où
? Au Zaïre
! Pas l'armée, pas
le civil, l'un et l'autre, puisqu'il s'agit d'une
compagnie d'aviation
civile
américaine (!), qui aide les militaires...
«
En quoi faisant ? »
«
Du strafing... Soutien aérien...
Mitraillages, fusées ! »
«
Quels avions ? »
«
T28 »
Take
it or leave it... A prendre ou à
laisser !
Nuits
au sommeil trouble... Décision !
«
I do'nt take it ! Je passe ! Non ! »
Je
me replonge dans mes cravates...
Je
sais, j'emploie souvent le terme de «
mercenaire » dans ce bouquin... Une image...
J'aurais pu cette
fois-là le
devenir réellement !
«
Regrets, Jack ? »
«
Oui, d'avoir déçu Roger... Non, puisque
cette aventure congolaise a mal tourné... Les
pilotes se sont
vite retrouvés
sans avions et sont passés au sol à la
biffe ! Ces
aviateurs devenus fantassins
durent finalement se rendre et quitter le pays... Que
dis-je ? Le
Continent !
Sur leur passeport, l'Afrique leur était
interdite ! Triste
récompense pour ces
durs, qui avaient malgré tout, ne l'oublions pas,
maintenu de
l'ordre et sauvé
quelques vies dans la tourmente africaine... Minable
tampon ! Rien de
répréhensible pourtant le mercenariat...
Il existe depuis
le début des temps !
Roger
fit des missions impossibles...
Impossibles, parce que nous n'avons jamais su de quelles
missions il
s'agissait
! Où était-il ? Du coté de chez Bob
? Le Katanga,
le Yemen,
Je
m'excite parfois... Oui, cela m'arrive
! A table, lors d'un bon dîner avec des amis
«
J'aurais bien été défendre la cause
de
Moïse Tshombé au Katanga moi aussi...
J'aurais bien
combattu auprès des
Mujdhaïdines en Afghanistan... J'aurais bien...
»
«
En attendant » me lance ma femme, « tu
manges ton jambon de Parme devant un verre de
Meursault... »
«
Ouais, bien sûr... »
Les
dieux tirent les ficelles... Nos
ficelles à nous, marionnettes humaines,
polichinelles
Bob
Depp, je connais... Un pote de mon
oncle ! Mais, lui, il a quitté la Sabena...
D'ailleurs, sa
compagnie, la Bias,
dont il est Directeur des Opérations, reprend les
vols DC3 de la
Sabena en
Libye, la Linair ! Vols dans le désert: transport
du personnel
et
ravitaillement pour les compagnies de pétrole...
Take
it or leave it, à prendre ou à
laisser...
DC3
! Pas de nuits blanches, ni de
discussions avec Blanche ! Le sommeil est paisible...
«
Oui ! »
Bombe
à l'Innovation, quand je remets ma
démission ! Michel Béduwé n'est pas
étonné, il s'y attendait...
«
I knew it... »
Mais
les autres ! Ils ne comprennent pas,
ne m'ont jamais compris... Une place d'acheteur !
Position enviable,
recherchée
!
«
Siroux est fou ! »
Ce
ne sont pas les mots du Président,
Monsieur Bernheim, qui me convoque dans son bureau, en
cette fin
d'année
1965... Il me dit, livre de Saint-Exupéry en
main, en
feuilletant quelques pages
avec négligence:
«
Monsieur Siroux, êtes-vous bien
décidé ?
Vous savez, le Petit Prince, c'est bien joli... »
(Sic).
Et
ce qui m'a fort flatté:
«
Vous reviendrez et vous serez le
bienvenu ! »
Il
m'attend toujours...
Je
loue carrément tout un café, Porte de
Namur... Dans ce bistrot, l'ambiance est genre Air
Force... La
bière coule ! Je
suis ému lorsque tous ces collègues
m'offrent une montre
de pilote,
«
A mon ami Jacques, le (i)récupérable
nomade. Avec mes sentiments d'amitiés très
profonds.
Philippe Bolle. »
Faut
dire que Philippe est le Tsarévitch,
le fils de Pierre le Grand, Pierre Bolle ! Grosse
tête issue de
Solvay, il a
fait son service dans la Marine... Il va reprendre mes
rayons ! Nous
faisons
quelques voyages ensemble sous la supervision de Michel
Beduwé,
qui pour mettre
Philippe au courant, doit tout recommencer ! Durant ces
tournées, il aurait pu dire:
« Jeeves, generosity was my first mistake !
»
Peut-être, le pense-t-il ? Mais
il ne le dit pas et l'ambiance demeure excellente...
Dans
les couloirs des bureaux d'achats,
lors de mes derniers jours à l'Innovation, je ne
fais
qu'entrevoir la sœur de
Philippe, la jolie Marianne, qui termine ses
études aux Beaux
Arts de l'Abbaye
de la Cambre... Elle vient faire des stages de styliste
dans les rayons
des
acheteuses !
A
Singapour, une vingtaine d'années après,
j'ai à ma table une bien jolie jeune femme comme
voisine...
«
Vous habitez Bruxelles ? »
«
Oui, Avenue Hamoir... »
«
Je connaissais Philippe Bolle, qui
habitait Avenue Hamoir... »
«
Je suis sa sœur, Marianne ! »
Mon
Dieu, elle est encore plus jolie !
C'est pour cette raison que je ne l'avais pas
reconnue...
Lors
d'une rapide escale à Bruxelles,
Philippe est venu prendre un pot avec moi au bar du
Sheraton,
(très bien chez
le raton, où nous descendons la plus part du
temps... Je l'ai
déjà dit, je
crois... Je ne le dirai plus !), il me tend la main:
«
Jacques, le nomade... »
«
Oui, Philippe, je ne suis pas revenu...
»
Lui
aussi, je ne l'avais plus revu depuis
des ans, mais je l'ai de suite reconnu ! « Baby
face »,
Michel
Béduwé, je l'ai revu aussi... «
Baby face » également, mais il est
passé dans les
hautes sphères... A présent,
il vole haut, lui aussi... Il a pris du poids, au propre
comme au
figuré, c'est
Orson Welles, Monsieur le Directeur, bien serré
dans sa chemise
! Michel a
gardé son merveilleux humour:
«
Les cols 39 ne sont plus ce qu'ils
étaient... »
Nous
nous lançons bien quelques « Master
», quelques « Jeeves », mais nous
avons perdu la
main, nous ne sommes plus dans
le même bain... Nous ne nageons plus ni dans la
soie des
cravates, ni dans la
laine vierge des pull-overs !
Je
quitte la Belgique, je quitte ma mère !
Blanche me rejoindra plus tard... En éclaireur,
je vais
reconnaître le terrain,
la Libye !
Non
seulement, je me réjouis de revoler,
mais je suis impatient de découvrir le
désert,
Escale
à Rome, changement de ligne,
embarquement pour Tripoli ! Le Chef-pilote m'attend
à
l'arrivée ! C'est gentil,
ça !
«
Bonjour, je m'appelle Tony Vingerhœts,
tu continues sur Benghazi... Voici ton billet ! »
«
Je croyais être basé à Tripoli !
»
«
Oui, mais plus tard, pour le moment, on
a besoin de toi à Benghazi ! »
«
Pour combien de temps ? »
«
Sais pas, on verra... »
«
Et l’entraînement DC3 ? »
«
Tu verras cela sur place ! Allez, salut
et Good Luck ! »
Avant
de partir, j'avais fait revalidé ma
licence de pilote professionnel: examen
médical...
«
Tu as trouvé du boulot ? »
«
Oui ! »
«
Où ? »
«
En Libye ! »
«
Ben, mon vieux... Très peu pour moi,
non, merci ! »
Heureusement
qu'il existe de pareils
casaniers... Sinon, il y aurait moins d'embauche
à
l'étranger... Cela nous
arrange, nous, les expatriés !
Lorsque
Monsieur Deppe m'avait engagé, je
lui avais rappelé que je n'avais pas la
qualification civile IFR
(vols aux
instruments)...
«
Pas besoin, Fieu, il fait toujours beau
en Libye ! »
«
Et la qualification DC3 ? »
«
Pas besoin, Fieu, tu n'es pas Commandant
de bord ! »
«
Monsieur Depp, je ferai quand même un
petit entraînement ? »
«
Tu veux le job, Fieu, ou pas ? »
«
Oui, oui, oui ! »
En
effet, le DC3 peut se voler à un seul
pilote, aidé par un copilote, dont la
qualification n'est pas
requise... Ce
copilote peut être radio ou mécanicien...
En Libye, comme
copi, à part rentrer
et sortir le train et les volets, je ferai la radio, la
navigation et
parfois
je serai même steward pour les VIP's et
débardeur pour
accélérer le chargement
et le déchargement du freight... La bonne
école, quoi !
Quand le Commandant est
sympa et coopératif, il laisse voler son
copilote... Ce qui est
souvent le cas
!
Quand
je pense que j'ai vu en 52, à
Athènes, sortir un jour d'un DC3 de l'Air Force
américaine, « une chiée »
d'équipages... A se demander s'il ne s'agissait
pas des
passagers ! Le
Commandant de bord, le Premier Officier, le Second
Officier, le
Mécanicien, le
Radio, le Navigateur, les deux hôtesses ! A
l'époque, il y
avait du monde dans
le cockpit de ce petit avion... Aujourd'hui, dans les
gros
quadriréacteurs, il
ne sont plus que deux ! Le reste de l'équipage a
été remplacé par un coup de
sifflet ! Les systèmes automatiques...
Bientôt, plus de
pilote ! Quand même,
par mesure de prudence, comme un extincteur, un
Commandant de Bord en
uniforme,
galons bien en vue, sera placé derrière
une vitre en
verre sur laquelle on
pourra lire en plusieurs langues:
«
Brake in case of emergency ! A briser en
cas de secours ! »
J'arrive
tard à Benghazi, j'arrive tard à
l'hôtel... Il est passé minuit ! Un message
m'y attend:
«
Vol sur WH32. Call (réveil) à quatre
heures, pick-up (transport) à cinq heures,
take-off
(décollage) à six heures du
matin ! »
Je
dors vite et mal...
Je
fais la connaissance du Commandant
Gordon, un Anglais, avec qui je vais voler... Je n'ai
aucune
idée de la mission
que nous allons faire... A part mes visites de cockpit
dans le DC3 de
ma
jeunesse, je ne connais rien de cet avion ! Je lui en
fais part... Il
n'est pas
étonné !
«
Do'nt worry, I will show you... » Il va
me montrer, je n'ai pas à m'en faire...
«
WR32, what is that ? Qu'est ce que c'est
? »
«
Wharehouse 32, un dépôt de la Compagnie
américaine Oasis... »
«
Où ? Un long vol ? »
«
You will see... »
«
I see... »
La
Linair, compagnie charter pour les pétroliers,
emploie une dizaine de DC3 à partir de Tripoli et
de Benghazi...
Je vais voler
le DC3 ! Je n'en reviens pas ! Ce DC3, héros de
guerre construit
à plus treize
mille exemplaires... Solide machine de légende !
Ce DC3, que
j'allais voir
atterrir et décoller à Irumu... Ce DC3,
duquel
j'étais tombé amoureux... Ce
DC3, qui m'a fait dire à mes parents, il y a de
cela une
vingtaine d'années:
«
Je veux devenir aviateur ! »
Je
crois rêver...
Mais
je n'ai pas le temps de rêver, tout
se passe très vite ! Le Captain me montre deux ou
trois actions,
que je devrai
faire accomplir à son ordre: rentrer le train,
sortir le train,
les volets...
«
Et la navigation ? »
«
Je t'ai dit de ne pas t'en faire ! »
«
OK, Sir ! »
«
Relax ! » me dit-il en me montrant une
carte crasseuse et remplie de lignes droites,
tracées au crayon,
ce sont « les
routes » des différentes navigations
au-dessus du
territoire libyen, deux fois
grand comme la France !
«
Et la radio ? Je ne suis pas habitué
a... »
«
Relax, je la fais ! »
Un
homme orchestre que cet homme là !
Relax...
Moi,
qui aime les onomatopées, j'aurais
difficile cette fois-çi, de mettre tous ces
bruits sur papier...
Je vais
cependant essayer de vous faire participer à la
mise en marche
d'un DC3:
D'abord,
un coup de bistouille pour «
arroser » d'essence, préparer le
carburateur:
«
Psssssss... »
Démarreur,
l'hélice tourne:
«
Hiiii... Hiiii... Hiiii... Hiiii... »
On
entend les cylindres:
«
Clac ! Clac ! Clac ! Clac »
Ballet
de mains ! L'une, la gauche, en
haut du cockpit, pour les magnétos, l'autre
toujours sur le
démarreur... Au
premier vrombissement, « Brooum »,
changement de mains !
Vite, la main droite
sur la manette du mélange d'essence, la mixture,
pour
l'arrivée du carburant,
la main gauche sur celle des gaz pour contrôler ce
carburant !
Gaz en avant,
mixture en avant ! Mixture en arrière, gaz en
arrière !
Ou le contraire ! Cela
dépend des bruits, «Brooum» ou Plam !
», qui
viennent du moteur... Les
manettes sont alors parfois inversées... Avant,
arrière !
Arrière, avant ! Un
de ces jeux de mains ! Je regarde l'Anglais... Il me
fait penser
à un
prestidigitateur ! Est-ce qu'il n'en remet pas un peu ?
Non ! Je l'ai
appris
par la suite en démarrant moi-même les
moteurs du DC3...
Quand
tout se passe bien:
«
Brooum », « Brooum », « Brooum
»,
« Brrrrrrrrrrrrrr... »
Mais,
et c'est souvent le cas:
«
Plam ! »(des flammes !), « Brooum ! »,
«
Plam ! », « Plam !, « Brooum »,
« Plam !
» (encore des flammes ! ), « Brooum »,
« Brrrrrrrrrrrrr » ou
«Flouff !»,
plus rien ! Etouffé
Impressionnant
! Ces gestes, je devrai les
faire et refaire des milliers de fois... Ca, c'est de
l'Aviation !
«
Un truc à attraper ! » me dit mon
Anglais...
Taxi
vers la piste ! Il me commande les
volets... Fort heureusement, je ne rentre pas le train,
j'agis sur le
bon
levier...
«
Pschiitt ! »
Un
jet d'huile hydraulique d'un rouge sang
m'arrive sur les godasses... Mes beaux «
desert-boots » !
Fines bottines de
désert en peau de daim, que j'avais
achetées chez «
Clarks », Regent Street à
Londres, lors de mon dernier voyage d'achats, en
prévision de
mes périples
sahariens...
Je
râle !
«
C'est le DC3... » dit mon Commandant en
se marrant...
Il
doit d'ailleurs me prendre pour un pédé
avec mes bottillons... Je regarde ses pieds, il porte
les mêmes !
Ses « desert-
boots » n'ont plus leur tinte d'origine, couleur
sable, elles ont
viré au
sombre... Taches d'huile, de cambui, de mazout, de tout
!
J'ai
compris... Même noires de crasse,
tous les pilotes portent les « desert-boots
» ! Je vais les
porter pendant cinq
ans... Elles sont tellement confortables et vous
protègent du
sable...
Décollage,
mise de cap au sud, sud-est...
Pour moi, c'est vague... Enfin, je vois le désert
! Mais, j'en
vois trop et
trop vite ! Je n'ai pas le temps d'apprécier...
Tout comme
l'instructeur lors
de mon premier vol en Fouga, l'Anglish veut
m'impressionner ou est-ce
son
habitude, il fait
«
Field insight ! Terrain en vue ! »
Qu'est-ce
qu'il a en vue ? Je ne vois rien
!
«
Gear down ! Flaps down ! »
Je
descends le train, les volets...
Je
n'ose pas lui demander, à mon patron,
si cette bande sombre dans le sable est bien la piste
d'atterrissage...
Là,
près de ces baraquements... C'est bien la piste,
puisqu'il
atterrit !
«
Ici, c'est du luxe », dit-il, « ils ont
recouvert le sable d'une couche de pétrole brut
et passé
Je
vais en voir des pistes, qui ne sont
pas des pistes et sur lesquelles, je serai bien
obligé
d'atterrir de toute
façon !
Wharehouse
32, ma première escale
désertique...
Tout
au long de ma carrière d'aviateur,
j'ai rencontré des hommes, pilotes ou pas, qui
sortent de
l'ordinaire... Des
gens exceptionnels ! Des êtres, qui valent la
peine de
décrire ! J'en parle
parce que j'aime ces « caractères »,
leurs gueules
et leurs travers...
«
Dis-moi, Jack,... Heu... J'ai
l'impression que pour toi, un pilote est
déjà un
être exceptionnel ! Non ? »
«
Oui ! »
En
Libye, l'horaire est simple....
Décollage à six heures du matin, retour
à six
heures du soir ! Boulot, dodo !
Une camionnette Volkswagen, ramasse les pilotes un
à un à
leur domicile...
Mon
second vol se fait avec « Le Grec »,
le Commandant Kalapotrapos, dit « Kalas » !
Sauf pour son
crâne dégarni, c'est
un gorille poilu, trapu... Des bras, des pattes ! Une
bête ! Mais
gentille...
Je me présente en rentrant dans la Volks... Il me
dit de suite
qu'il était
Colonel dans l'Aviation grecque et qu'il aime «
instruire »
les nouveaux
venus...
Il
faut s'habituer à un cockpit qu'on ne
connaît pas... Au début, en se glissant
dans son
siège, on se cogne toujours la
tête sur les « swicths », les boutons
pointus du
panneau supérieur,
«
Mind your head ! »
Sans
mon avertissement, ça ne rate pas...
« Boum ! »
Je
frotte ma tête quand Kallas pénètre
dans le cockpit...
L'Ex-Colonel
m'instruit donc...
«
Tousse rien, zé vais tout té montrer !
»
Zé
ne tousse à rien et zé lé regarde
faire... Mise en marche, taxi, décollage... Il
rentre
lui-même le train, les
volets ! Ses gros doigts passent d'une manette, d'un
bouton à
l'autre, ils
descendent, remontent, décrivent des
arabesques... J'ai
l'impression qu'il
dirige un orchestre ! Un autre homme orchestre, un
« One man show
» ! Ou alors,
par ces mouvements en cercle, veut-il m'hypnotiser ? Car
je sais que
les 3/4 de
ces ronds de bras sont inutiles... Pour terminer son
show, il balance
«
You see... Easy ! Facile ! »
Et
sort son paquet de « Rothmans »:
«
Have a cigarette ! »
«
Thank you, Captain ! »
«
Call me Kalas ! »
Mais
quel manœuvrier ! Il me le démontre à
l'approche, à l'atterrissage... Quant à
moi, qui aurait
bien voulu « toucher »
un peu le manche, un petit levier ou un petit bouton, je
ne fais rien
pendant
toute la durée du vol... Je me demande ce que je
suis venu faire
en Libye !
Un
manœuvrier est un pilote, qui, en vol à vue, vole
avec ses yeux,
avec ses
fesses... Avec son cul, il fait corps avec l'avion ! Les
jugements, les
réactions sont rapides, il vole bien ! En vol aux
instruments,
ces qualités de
pilotage demeurent, mais il faut y ajouter une finesse
supplémentaire,
puisqu'il s'agit d'une interprétation, d'un
jugement, non par
rapport à des
repères au sol ou
Le
dimanche, Le Commandant Kallas, costume
sombre, chapeau sombre va à la messe... Il est
suivi de son
épouse et de sa
fille, toutes deux vêtues de noir...
Pierre
Périer, célibataire français et
copilote à la Linair, est basé à
Benghazi... Il
vole régulièrement avec
Kallas... Ils s'entendent bien ! Au retour d'un vol, le
Grec lui
demande enfin:
«
Tou voles dimanche ? »
Le
petit Pierre, parce ce qu'il est petit
et qu'a coté de Kallas, il est minuscule et fluet
! Je les
imagine dans le
cockpit...
«
Heu... Non ! Pourquoi ? »
«
Zé t'invite dimanss à la maison
après la
messe... »
Pierre
n'en revient pas ! Une invitation
dans la famille du Grec !
«
C'est vraiment gentil ça, Kallas, merci
! »
Alors,
Kallas lui sort une mise en garde !
Enormes, ses deux mains velues, l'une sur l'autre, font
le geste de
l'étrangleur ! Elles se tordent, « Criiik
», se
détordent, « Craaak » ! Ses
doigts épais sont serrés... Je n'oublierai
jamais ce
récit de Pierre !
«
Oui, ma... Pierre ! Si tou tousse à ma
file, zé té tord lé cou comme oune
petite zoizon !
»
Plus
tard, cet avertissement, je le
lancerai moi-même aux « pisseurs »,
qui tourneront
autour de ma fille... Sans aucun
succès d'ailleurs, puisque je n'ai pas la stature
et les pognes
de Kallas !
Max
Popp ! Suisse-Allemand, sourire rare,
stature d'ours, chauve aussi... J'en viens à me
demander si les
tempêtes de
sable, ici en Libye, n'en sont pas la cause.... Un autre
manœuvrier ! Pas un
hypnotiseur, mais il m'hypnotise par
son pilotage hors pair ! Pas un chef d'orchestre,
puisqu'il me laisse
«toucher»... Il me laisse même
atterrir ! L'avion rebondit,
atterrit refait un autre
bon ! Le DC3 a de gros pneus, genre ballons, qui ne
demandent qu'une
seule
chose: rebondir, semble-t-il !
Je
ne serai pas le seul à rebondir à mes
premiers atterrissages... Le Pelle, par exemple, qui
viendra me
rejoindre un an
plus tard en Libye, en fait l'expérience... Il
raconte alors
à sa façon et avec
son humour, ses premiers « bonds »... Il
rebondit tellement
haut, qu'il se
retourne vers les passagers et du cockpit, leur crie par
mesure de
précaution:
«
Oxygène !!! »
Le
DC3... Une bête à dompter ! Celui qui y
parvient, peut voler tous les avions !
Le
Captain Popp n'aime pas que les
passagers se déplacent trop souvent dans la
cabine...
A
Tripoli, ce sera Monsieur Popp,
entr'autres pilotes, qui va m’amener petit à
petit, grâce
Je
n'en suis pas là... En attendant, dans
le sous-sol de l'Oriental, ce vieux palace du temps des
Italiens sur la
corniche de Benghazi, je raconte mon jeu de puces en
DC3... Dans ce
cabaret,
«
Docteur ! Aïe ! Docteur ! J'ai mal ! Là,
au cœur ! Aïe ! Aïe ! ».
Elle
prend la main de l'écrasé et la
flanque sur son gros sein gauche, en appuyant bien
fort... «
Flaash » ! Pierre
s'arrange avec elle, pour qu'elle atterrisse sur les
genoux du pilote
fraîchement arrivé... Un genre de
baptême pour
« bleus »... Réactions diverses
! La réplique d'André Cronier, qui vient
d'arriver, est
excellente... Lorsque
le mammouth, qui joue tellement bien son rôle, lui
tombe dessus,
paniqué, il a
un geste de recul:
«
Mais... Mais, Madame, je ne suis pas
Docteur, je suis pilote à la Linair ! »
André
Cronier est aujourd'hui Commandant
de bord à UTA... Je le revois lors de ses escales
Je
quitte le Sphinx, on me rappelle à
Tripoli ! Le Chef Pilote, Tony Vingherœts, me prend sous
son aile... Je
commence vraiment mon entraînement avec ce
très bon
instructeur ! Pas des tours
de piste, trop chers, mais lors des vols cargo, sans
passagers, Tony me
coupe
des moteurs...
«
Tu te souviens: Dead leg, dead engine...
»
«
Non, Tony, je n'ai jamais volé de
bimoteur... Jambe morte, moteur mort ? »
Il
m'explique:
«
Lorsqu'un moteur tombe en panne, mettons
le gauche, l'avion est tiré vers la gauche...
Immédiatement, il faut mettre du
palonnier à droite pour le maintenir en ligne
droite ! Ta jambe
droite est
tendue, ta gauche est molle, morte en quelque sorte...
C'est le
coté du moteur
en panne, du moteur mort ! Sur le DC3, le cadran des
tours/minutes, des
RPM,
est unique pour les deux moteurs... Les aiguilles No I
et No 2 sont
superposées
! Attention de ne pas couper le bon moteur et mettre son
hélice
en drapeau !
Dead leg, dead engine ! »
«
Mise en drapeau de l'hélice ? »
«
Feather ! Comme une plume, mettre les
pales parallèles au vent pour qu'elles ne
freinent pas, diminuer
la traînée au
maximum ! »
Plus
tard, Vingherœts me coupe l'un ou
l'autre moteur au décollage... Situation
délicate ! Les
moteurs sont à pleine
puissance... Il faut une réaction rapide et une
force de
palonnier puissante
pour cette action de secours !
Ces
« emergency », je vais en faire et en
refaire tout au long de ma carrière en
réalité et
au simulateur... Je me
souviendrai de ce bon truc de la jambe molle !
Tony,
qui m'a donné les commandes:
«
Et bien, tu vires en finale, fieu, oui
ou non ? »
«
Heu... Je ne vois pas la piste... »
«
Mais, là, à 90 degrés ! Tu vois
bien les
futs alignés, non ? »
«
Oui, je les vois, mais la piste ? »
«
C'est la piste ! »
En
plein désert, une Land Rover fait, non
loin du camp, un ou deux kilomètres en ligne
droite et
vérifie la solidité du
sable... Si le sol ne s'enfonce pas trop sous les roues,
cela
paraît bon ! Des
fûts d'essence vides sont alors alignés et
espacés
le long de ce parcours, c'est
la piste ! Environ un quart d'heure avant
l'arrivée
prévue de l'avion, un vieux
pneu est brûlé... Sa fumée indique
au pilote la
direction du vent !
Malgré
cette précaution, il faut néanmoins
faire gaffe ! La surface paraît dure, mais il
s'agit parfois que
d'une fine
croûte... Attention ! Ne pas trop freiner...
Surtout, ne pas
entamer un
Il
doit faire un vol de secours...
Quelqu'un a eu la jambe écrasée... Vilaine
fracture... Il
faut l'évacuer ! Les
pneus du Fokker F27, contrairement au DC3, sont plus
fins et à
haute pression,
donc plus enclins à casser la croûte de
surface...
Atterrissage... Bien ! Pas
de problème !
«
You never gona make it, man, because...
Vous n'y arriverez jamais, parce que... »
Jean
Pierre, occupé, énervé:
«
You, shut up ! Toi, tais-toi ! »
Dans
la fournaise, J. P. se démène,
ordonne le bulldozer, des cordes, se
démène comme un
diable... Le Ricain sur
son grabat, insiste, ne cesse de répéter,
le regard
souffrant:
«
You never gona make it, man, because...
»
«
SHUT UP ! »
«
You never gona make it, man, because...
»
«
SILENCE ! »
«
You never gona make it, man, because...
»
Jean
Pierre n'en peut plus... Il va le
prendre par le collet, il va l'engueuler, parce que
finalement, c'est
pour lui
que l'avion est venu ici et qu'il s'est
ensablé... Mais Jean
Pierre demande
quand même pour quelle raison ce mec est tellement
négatif
?
« OK, tell me,
God Damned, tell me why ? Dis-moi
pourquoi,
Nom de Dieu ? »
«
That's what I wanted to tell you...
Because, man, I am the only driver of the bulldozer in
this camp !!!
C'est ce
que je voulais vous dire... Parce que je suis le seul
conducteur du
bulldozer
dans ce camp !!! »
Le
sable de Libye...
Avant
de s'ensabler, il faut d'abord
trouver le camp... Les camps permanents, nous les
connaissons... Ils
ont même
souvent une radio-balise, un «beacon» ! Les
nouveaux
campements et ceux qui
bougent toutes les huit jours pour la sismographie,
comme la CGG, il
nous faut
les découvrir ! Il s'agit souvent de quelques
tentes,
camouflées dans le sable
du désert, cachées derrière une
dune... On
reçoit leurs coordonnées, on trace
un long trait sur la carte... Prise de cap ! On part un
peu à
l'aventure...
Pour
la dérive, le dérivomètre !
Instrument à travers lequel on peut voir
défiler le sol,
que l'on aligne avec
des lignes droites tracées sur la lentille
rotative et
graduée du viseur...
L'angle par rapport à l'axe de l'avion nous donne
la
dérive ! Précision assez
relative... Cet instrument sert le plus souvent à
faire un œil
au beurre noir
au passager invité dans le cockpit à
regarder le sol
Petit
à petit, nous inscrivons tous les
repères possibles du sol... Les Ouadis,
rivières
sèches, certaines dunes,
certaines couleurs de terrain... A la fin, notre carte
de navigation
ressemble
à une carte au trésor !
Parfois,
le « Ghibli » se lève... Ce vent
torride venant du Sud en tempête de sable !
Véritable mur,
qui arrive à
l'horizon... Le courrier doit passer ! Nous
pénétrons
alors dans un monde de
secousses, de grincements
de sable et de
chaleur intense ! La visibilité horizontale est
réduite,
quasi nulle ! Nous
nous fions à la visibilité verticale... Si
on vole bas,
on peut voir le sol,
reconnaître nos repères: « le »
pipeline,
« la » ligne à haute tension, «
le »
torcher en flammes,
Je
me souviens d'un vol avec Max Popp...
Ce renard du désert, était parvenu
à trouver la
piste, heureusement recouverte
de goudron, donc plus facile à repérer...
Atterrissage !
«
Ca, alors », nous dit le Chef du camp
avec étonnement, ses yeux protégés
par de grosses
lunettes en plastic, la
figure picotée par le vent de sable, « j'ai
cru que
l'autre avion était revenu
atterrir... »
«
Quel avion ? » demande Max, qui a
entouré sa tête d'une serviette à la
manière
d'un Touareg...
«
Celui qui vient de décoller, il y a
quelques minutes ! C'est pour cela que je suis encore
ici... Je ne vous
attendais pas ! »
Depuis
cet incident, les pilotes de toutes
les compagnies, et elles devenaient nombreuses,
s'annonçaient
sur une fréquence
radio commune:
«
J'arrive ! »
Dire
que le père Deppe m'avait qu'il
faisait toujours beau en Libye...
Navigation
! Etrange... Je me suis perdu
sur le territoire de la petite Belgique et par beau
temps... au-dessus
de la
vaste Libye et par Ghibli, je ne suis jamais
paumé !
Comme
les Dupont et Dupond, à qui le
Capitaine Haddock avait ordonné de ne pas
s'arrêter de
pomper avant d'en avoir
reçu l'ordre... Nous aussi, nous ne sommes pas
arrêter de
pomper en Libye... En
faisant les pleins d'essence ! En plein désert et
par toutes les
températures... En hiver, pas loin de
zéro, en
été, elles peuvent atteindre 50
degrés Celsius ! Un pétrolier m'a
assuré avoir
cuit des œufs au plat sur les
ailes du DC3... Des œufs ? Les œufs, c'est nous ! Du
moins, celui qui
est sur
l'aile et maintient le bec du tuyau d'essence dans le
réservoir... L'autre est
au sol et active la pompe, plongée dans le
fût de 200
litres, il pompe ! «
Ponpon », « Ponpon », « Ponpon
»...
Sur
l'aile, le danger nous guette... La
moindre giclée d'essence sur la surface de l'aile
et c'est
Je
ne sais vraiment pas pour quelle
raison, après mon séjour libyen, j'ai
abandonné
mes desert-boots... Ils sont
pourtant d'un tel confort... Une autre
infidélité ! Bien
longue, car en 1990,
je les revois, ces « Clarks » à la
devanture d'un
magasin de Fukuoka, au Japon
! Vision... Ils me remettent en mémoire cet
épisode de ma
vie désertique !
Sur-le-champ, je les achète pour une fortune
et...
«
Jack... »
«
Quoi ? »
« On
s'en fout de tes desert-boots ! »
«
Moi, qui voulait vous parler de mes
chaussettes Burlington, ces chaussettes, que je porte
toujours et qui
me
tombent sur les chevilles comme des bas de
grand-mère, mais
tellement
confortables et... »
«
On s'en fout, Jack ! »
«
Vraiment des médias, que vous êtes...
Bande de pommes ! Si j'avais été une
vedette
hollywoodienne, vous seriez à mes
pieds pour reluquer la couleur de mon caleçon !
Mais, moi, votre
ami, vous vous
en foutez... »
«
Oui ! On s'en fout ! »
«
Ah, bon ? OK... Alors, je vais parler
des desert-boots de mon ami Freddy Deneffe, qui en
portait au moment de
son
accident...
Dès
que le champ pétrolifère devient
productif, le camp devient permanent... Construction de
bâtiments, de hangars,
de réservoirs, de pipelines, d'une piste
recouverte de goudron !
Pour nous
aider et peut-être parce qu'ils ont pitié
de nous en nous
voyant « pomper »,
les pétroliers américains inventent un
système
« D » de « refueling » rapide...
Sur un camion, les fûts
Je
parle de Freddy parce qu'il est un ami
et que nous avons fait de nombreux vols ensemble et avec
qui, il est
difficile
de s'ennuyer... Il parle, Freddy... Au point que c'est
devenu un gag
entre
nous... Après le décollage, quand il
disait, après
avoir terminé la checklist:
«
After take off check-list completed »,
je lui disais:
«
Non, tu as oublié un point... »
«
Quoi ? »
«
TAISEZ-VOUS ! »
Ou
quand je lui demandais de sortir les
volets:
«
Flaps, sixteen and a half, volets à 16
et demi ! »
Nous
n'avons jamais très bien su pourquoi
ce demi degré de volet était là,
mais c'est comme
ça...
«
...and a hèelf, Freddy, and a hèelf ! Et
TAISEZ-VOUS ! »
Tout
le vol se passait quand même en
parlotes ...
Je
parle de Freddy pour le courage, qu'il
a eu après cet accident... J'allais le voir
à
l'hôpital
Après
des opérations, des mois et des ans
de rééducation en piscine, sa jambe
s'étant
tellement affaiblie, Freddy va
reprendre le chemin des Cieux ! Chapeau à Freddy
et aux pilotes
dans son cas,
qui ont lutté pour pas se faire arracher des
mains ce fameux
papier, qu'est
notre licence, notre visa de résidence dans
l'azur !
Hélas, tous n'y sont pas
parvenus... J'ai connu, des collègues et amis
aviateurs,
amaigris et fatigués
par des maux funestes, mais en état suffisamment
fort pour
être acceptés par la
médecine, qui sont revenus, le regard brillant,
s'asseoir dans
leur siège de
pilote... Ce fauteuil de Roi auquel ils s'accrochaient !
Leurs yeux
étaient
humides, car ils savaient bien au fond d’eux-mêmes
que dans les
bras de cette
maîtresse divine et aérienne, ces instants
d'ultime
jouissance ne seraient que
momentanés...
Plus
de quinze ans après son accident, je
retrouve Freddy Deneffe à Amsterdam, lors
d'une de mes escales... Dans ce vieux restaurant
penché sur un
canal, il parle, Freddy... Inouï, il me dit qu'il
est pilote dans
la firme Fokker
! Ce Fokker, duquel il est tombé ! Il va dans
tous les pays du
monde pour les
livraisons et donne de l'instruction aux acheteurs de
cet appareil et
de son
grand frère, le jet Fokker 28 ! Il me dit ne plus
être
jamais remonté sur son
l'aile, avec ou sans desert-boots...
Sid
Truesdel est américain... Une image,
lui aussi ! Il termine sa carrière en se faisant
plaisir... Il
vole le DC3 ! En
vol à vue, OK... En vol aux instruments, il a un
peu perdu les
procédures de
bases ! Lors d'un retour sur Tripoli, la tour nous
annonce du vent de
sable...
Le Ghibly souffle ! La visibilité est
réduite... Approche
ADF, au radio-compas
! Sid vire et revire, tourne et retourne dans tous les
sens... La
tête m'en
tourne... La tour ne cesse de nous demander notre
position ! Notre
position ?
Je ne sais plus très bien où nous en
sommes... Le
sait-il, le Captain, qui
m'ordonne soudain:
«
Dis que nous avons la piste en vue ! »
« ! ? !
? »
«
Yes, field insight ! »
«
But... Mais... »
«
Tell him ! Dis-lui ! »
«
OK, Sid, OK... »
Quelques
nouveaux virages... Descente
rapide ! Sid ne regarde plus ses instruments, il regarde
dehors ! La
visibilité
verticale lui permet de repérer des endroits au
sol, qu'il
connaît bien, comme
la route de Ben Gashir, bordée d’Eucalyptus, qui
mène
à l'aéroport... Un virage
final et en radada, nous sommes en face de la piste !
Atterrissage !
«
Now, I need a drink ! A nice cool
beer... »
«
Me too, j'ai besoin de boire un coup ! »
Une
bonne bière fraîche... Que je prends
encore aujourd'hui, seul ou avec mon équipage
dans ma chambre
d'hôtel, après
une journée ou une nuit de vol !
Le
matin, Sid a des difficultés à grimper
les escaliers de la tour de contrôle, où
nous allons
déposer le plan de vol...
Il a la jambe droite un peu raide, suite à un
accident, dont il
ne veut jamais
parler...
«
Tu as mal à ta jambe, Sid ? »
«
No, too much whisky last night... Trop
de whisky hier soir... »
Il
y a des phrases, comme ça, qui
deviennent classiques...
Monsieur
Deppe vient de Belgique avec un
nouvel avion... Pas un DC3, un Dove ! Petit bimoteur
pour
déplacement de
VIP's... Sid Truesdel est le seul pilote disponible pour
continuer
«
But... Mais... Je ne connais pas cet
avion ! »
«
Come on, Sid, an old fox like you...
Easy ! Allez, Sid, facile pour un vieux renard comme
toi... Voici les
manuels !
»
Sid
Truesdel passe sa nuit à potasser les
bouquins avec Freddy Deneffe, qui sera son copilote et
qui m'a
raconté cette
histoire... Le lendemain, manuels en mains,
démarrage, taxi...
Taxi lent, taxi
long, durant lequel la check-list est faite et refaite
plusieurs
fois... Le
Dove s'approche de l'entrée de piste... La tour
demande:
«
Are you ready to take-off ? Prêt au
décollage ? »
Sid
s'empare du micro et dit au
contrôleur:
«
Sir, I never been so ready in my all
live ! Monsieur, de toute ma vie, je n'ai jamais
été
aussi prêt ! »
Ô
combien de fois, en pensant à Sid
Truedel, je ne devrai pas me retenir pour sortir cette
phrase au
contrôleur,
qui nous laissera moisir au point d'attente avant de
«
pénétrer » sur la
piste...
Sid
ne parle pas un mot de français... Il
nous demande des tuyaux sur sa prochaine visite
«
Where to go ? Où aller ? »
«
Tu dois d'abord voir les Champs Elysées,
Sid ! »
«
What ? »
«
Les Champs Elysées ! Répète: les
Champs
Elysées ! »
«
Leii champess élaiisiss... Et si je me
perds ? »
«
Simple ! Tu demandes à la première fille
venue: Mademoiselle, voulez-vous coucher avec moi ?
Répète ! »
«
Maademoazaiille, voolaii voo coochaii
aveec moa ? »
«
Recommence, Sid ! »
«
Maademoa.... »
Sid
est revenu de Paris en nous racontant
qu'il fut bien étonné de recevoir une
grande baffe sur la
gueule, quand il a
demandé bien gentiment son chemin à une
Maademoazaiille... Il nous
a avoué
qu'il s'était dit alors avec
philosophie:
«
C'est la vie ! »
Il
nous avait caché, Sid, qu'il
connaissait quand même quelques mots de
français...
Ô
combien de fois, en pensant au Sid
Truesdel, je ressors son « C'est la vie ! »,
quand, quoi
que je fasse, les
événements se déroulent
imperturbablement, sans
avoir besoin ni de moi, ni
d'aucun d'entre nous...
Sid
et son épouse Bethy nous invitent
souvent à leurs BBQ... Les hamburgers de Sid sont
excellents...
A dernières
nouvelles, mais il y a longtemps de cela, il
paraît que Sid
« barbequeue »
toujours ses hamburgers... Pas à Tripoli, aux
bords des plages
de Californie et
qu'il les vend avec succès ! C'est la vie...
«
La check-list » ! Les check-lists ! Les
briefings ! Les check-lists ! Voilà notre bible,
à nous
les pilotes, notre
livre de chevet... Briefing avant la mise en route des
réacteurs, check-list
avant le démarrage, check-list après le
démarrage,
check-list pendant le taxi,
briefing avant le décollage, check-list avant le
décollage, check-list après le
décollage, briefing pour l'approche,
l'atterrissage et le
roulage au sol,
check-list avant la descente, check-list avant
l'approche, check-list
avant
l'atterrissage, après l'atterrissage, check-list
après
l'arrêt des réacteurs...
Briefings ! Check-lists ! Debriefings aussi...
En
quittant la plage, mon ami Franco, avec
qui je fais du ski nautique à Singapour, oublie
sa nouvelle
« veste-bouée »...
«
Mama mia, Giacomo, ma belle veste, toute
neuve ! Vite, demi-tour ! »
Sa
veste a disparu...
«
Check-list, Franco, check-list !
Toujours check-list ! Rien oublié ? Check-list !
»
«
Si, tou as raison... Check-list ! »
Blanche
me rejoint enfin... Le
déménagement aussi, quelques vielles
malles de mon
père
Installation
! On trouve une petite maison...
Le jardin est entouré de hauts murs... Petite
oasis de verdure
à Giorgium
Populi, où on trouve de tout dans ce quartier
extérieur
à la ville et en bord
de mer ! Supermarchés à
l'Américaine... Le «
Chicken on the wheels », le
« Safeway » ! C'était au temps
du bon Roi
Idris... Ghadafi modifiera le
style de vie plus tard !
Je
n'arrête pas de voler... Boulot, dodo !
Dodo parfois dans le désert, dans le dernier
camp, lorsque nous
sommes surpris
par la nuit... La nuit, on ne vole pas en Libye ! Je
couche avec mes
DC3...
J'accumule des heures et des heures ! Le métier
rentre...
Je
me sens bien dans ma peau, je revêts
mon manteau de fine peau...
Claude
Goret est copilote, comme moi à la
Linair... Avec sa femme, Micheline, ils deviennent de
bons amis, ils
resteront
de bons amis jusqu’à ce jour ! Quand nous avons
un jour «
off », une journée
libre, je fais de la chasse sous-marine avec Claude...
On ne
pêche rien, pour
la bonne raison que nous ne voyons aucun poisson !
Jusqu'au jour
où nous rencontrons
ce Libyen... Sur un ballon, qu'il traîne
attaché à
lui par un câble en nylon
d'une dizaine de mètres, il a, non seulement, son
fusil-harpon
de réserve, mais
aussi un paquet de mérous de toutes les
grosseurs, qui
pendouillent sur un fil
!
«
C'est plein de poissons ici, mais il
faut descendre... »
Claude
et moi, nous nagions toujours en
surface...
«
Montre-nous ! »
«
Suivez-moi ! »
On
le suit... Les rochers sont là, bien
bas... Il plonge ! Nous, en surface... Lui, en descente
! Dix
mètres, vingt
mètres... Il disparaît presque
entièrement sous la
roche... On n'aperçoit plus
que ses palmes... Les secondes passent... Il ressort...
Il n'a plus son
fusil !
Il remonte en douceur... Prend un autre fusil !
Redescend...
Redisparaît... En
retirant le tuba de sa bouche, Claude me dit avec son
accent de
Marseille:
«
Un véritable sous-maring, ce gars-là !
»
Le
Libyen réapparaît... Remonte sans son
fusil !
«
Maintenant, il faut attendre... »
«??? »
«
Le mérou se gonfle dans son trou à la
moindre attaque... Je le tire deux fois ! Il faut
attendre qu'il meure
pour le
dégager ! »
«
!!! »
Le
sous-marin se remet en plongée...
Secondes, minutes... Nous, toujours à fleur
d'eau, le cul en
l'air !
«
Il est là ! Il est là ! »
Le
sous-marin remonte en surface... Dans
ses bras, il tient un mérou de dix kilos ! Ses
fusils, il ira
les récupérer
plus tard...
Claude,
écœuré:
«
Jacques, vieng, c'est l'heure du
passetisse... »
Mais
nous suivrons encore notre Libyen...
Uniquement pour le plaisir de le voir pêcher et
nous deviendrons
copains... Il
nous prépare même ses mérous sur les
rochers en
nous donnant sa recette à
l'harissa, ce piment rouge...
Nous
allons nous entraîner à plonger...
Nous exagérons un peu... A la moindre heure
libre,
Une
fois de plus, Blanche me raisonne:
«
Pas étonnant, tu passes ton temps dans
la mer... En plus de tes vols ! Tu es
épuisé ! »
Par
mesure de sécurité, les nuits
suivantes et surtout dans la chambre du cinquième
étage
de l'hôtel à Benghazi,
où nous passons parfois la nuit, j'attache une
ficelle au pied
du lit, liée à
ma cheville ! (Sic).
En
bout de saison, avec tous les copains,
Tony Vingherœts, Jean Derycker et les autres, nous
arriverons à
descendre vers
les douze mètres, profondeur insuffisante,
hélas, pour
atteindre les trous à
mérous... Sur la plage, on mangera alors la
« paella
» aux poissons de
Fernand... Il est prudent, Fernand... Il n'attend pas
après nos
poissons... Il
les achète au marché !
«
Le Chibani » ! En arabe, le Vieux...
Non, l'Ancien, le Senior, l'Expérimenté,
l'Honorable !
Monsieur Devillers, le
Chibani, a fait l'Indochine, l'Afrique du Nord... Une
stature ! Une tête ! Une belle gueule,
lui aussi... Jean Gabin ! Cheveux épais, blancs,
d'où son
surnom, sans doute...
Faut pas lui en conter... Parle peu ! Voilà un
Monsieur que je
n'ai jamais osé
tutoyer... Il ne me l'a d'ailleurs jamais demandé
! Quand il me
parle, c'est
pour m'aider ! Il m'enseigne les ficelles du
métier... «
Ses » ficelles... Ce
Français connaît le DC3 américain
comme le fond de
sa poche !
«
N'aie pas peur, garçon, d'employer le
palonnier... Comme ça ! « Han ! » et
« Han !
», des grands coups de tatanes,
quand il le faut ! Surtout par vent de travers...
»
Un
bonhomme, le Chibani !
Par
contre un fin pilote aussi et un bon
navigateur... Monsieur Devillers, lui, emploie le
dérivomètre... Non pour
noircir les yeux de ses passagers, mais pour « sa
»
navigation, qui est
toujours exacte ! Un des premiers vols, que je fais avec
lui nous
dirige en
Cyrénaïque... Quelques tentes à aller
découvrir parmi les hautes dunes de la «
Mer de Sable »... Pile dessus ! Où atterrir
? Je suis
persuadé que nous sommes
venus pour rien... Rien que des vagues
élevées de force
10, les hautes dunes !
«
J'atterris là ! » me dit-il en
désignant
une dune immense...
«
Sur cette dune ? »
«
Non, sur la pente de la dune précédente
! Ainsi, je m'arrêterai sur le sommet de l'autre,
celle dont tu
parles... » «
... »
Virtuosité
! Travail d'artiste ! Coups de
pinceaux délicats... Au toucher des roues, le
manche en
douceur... Ne pas passer
sur le nez ! Le
palonnier en
finesse cette fois-çi... Ne pas dévier
brutalement !
Garder la ligne droite
dans le sable, qui freine les roues ! Ne pas s'ensabler
! Manœuvre de
perfection... Je crois bien que j'aie applaudi !
«
Monsieur Devillers... Heu... Et pour
repartir ? »
«
Tout droit, mon gars ! Tu sais très bien
qu'il ne faut surtout pas virer sur le sable ! Surtout
celui-ci ! Je
décolle en
employant la pente de la dune... Nous serons en l'air au
sommet de la
suivante
! »
«
... »
Virtuosité
! Travail d'artiste...
Perfection !
Un
bonhomme, le Chibani !
Ce
matin-là, en 1990, à Christchurh,
Nouvelle-Zélande, la tour nous demande, à
nous le gros
Jumbo à 450 places, si
nous voulions bien laisser passer ce petit DC3 et ses 25
passagers, qui
vient
sur le taxiway à notre gauche !
«
Off course ! With pleasure ! »
Mon
jeune copilote chinois a l'air de se
demander pourquoi j'arrête le 747 pour laisser la
voie libre
à ce... à ce... Il
ne doit même pas connaître ce nom de DC3,
j'en suis
sûr !
Je
lui montre le DC3 et dit fièrement:
«
Cet avion, Monsieur, c'est le Dakota DC3
! ‘’Zi plane’’ ! L'AVION ! Alors, respect, s.v.p
!»
Mon
copi se retournant vers le mécano,
tout aussi jeune que lui:
«
Vous savez, Captain, nous... Nous sommes
de l'ère du jet... Les avions à
hélices... »
Les
malheureux, ils n'ont rien connu ! Moi,
qui à leur âge, je n'osais même pas
rêver de
voler un jour un Boeing 747... Si
je leur racontais mes aventures en DC3, d'abord, ils ne
me croiraient
pas et
surtout, ils me prendraient pour un Commandant de Bord
fou ! Le lendemain, vol
court: Christchurh,
Auckland ! Le surlendemain, vol
long, très long:
Auckland,
Singapour
! Plus de onze heures de vol... Je vois mon jeune ami,
qui baille...
Ses yeux
ont tendance à se fermer...
«
Dur, hein, ce vol avec le soleil dans la
gueule ? Les longs courriers... Que veux-tu ?... A
propos, quel
âge as-tu ? »
«
25 ans, Captain... »
«
Et bien, mon petit gars, tu en as encore
pour 35 ans, à faire du jet en long courrier !
»
Jusqu’à
l'atterrissage à Singapour, il a
dû se demander pendant des heures si les vols en
DC3, du temps
des hélices,
n'étaient pas plus...
Avec
le Chibani, personnage agréable des
plus « Vielle France », nous allons à
Ghadames,
oasis à la frontière de la
Libye et de la Tunisie... Je suis son copilote et ma
femme, ainsi que
celle de
Claude Goret, Micheline, en sont les hôtesses !
Vol VIP,
organisé par Madame
Heugel, Consul de France à Tripoli... En fait, on
va voir
« Bégu », leur ami
français, à elle et son mari, un copain
à nous tous...
Bégu est contrôleur
du trafic
aérien de Ghadames ! Quel
trafic ? Sais pas ! Il n'y en a pas ! Ou peu... Nous, ce
jour là
! Je crois que
l'Administration française l'a oublié dans
son oasis
perdue dans le désert...
Il a quand même un poste de radio, Bégu...
Nous rentrons
en contact avec lui: «
Salut, les gars ! Il fait beau... Clair pour
l'atterrissage ! Le pastis
vous
attend... A toute à l'heure pour
l'apéritif ! »
J'aime
ce genre de procédure radio...
«
Jack, tu ne mets plus de (Sic) à la fin
de tes histoires ? »
«
Non, j'en ai marre... Je l'ai dit depuis
le début, tout ce que je raconte est
minutieusement authentique
! »
«
OK, ça va... Plus de (Sic) alors ! »
Depuis
longtemps, Bégu ne s'habille plus à
l'européenne dans « son » oasis...
Entouré de
tous les gosses du village, qui
n'arrêtent pas de crier, accrochés à
ses pans:
« Bégu ! Bégu ! », il est en
djellaba bleu pâle, celle des Touaregs, qui sont
d'ailleurs venus
accueillir
Madame la Consul... Les hommes bleus l'invitent à
déjeuner sous leur grande
tente, Begu aussi ! Et nous ? L'équipage aussi !
Garde
d'honneur... Les
Touaregs sur leurs chameaux... Un tableau que je ne suis
pas
près d'oublier !
Devillers,
lui, a une vision mois
artistique...
«
Mon fils n'a jamais voulu porter de
chaussures... A force de toujours marcher pieds nus, il
a
attrapé des pieds
comme ceux de ces bêtes ! »
«
... »
Sur
des tapis d'Orient à faire baver les
collectionneurs, Madame la Consul est assise à la
droite du
grand Chef Touareg,
Bégu à ses cotés pour la traduction
! Madame
Heugel ne peut pas avaler le lait
de chameau contenu dans le sac en peau de chèvre,
qu'on vient de
lui offrir...
«
Faites un effort, Madame, le grand Chef
vous regarde de ses beaux yeux noirs... Ne le vexez
surtout pas !
» lui souffle
Bégu en riant sous cape...
Madame
avale... Elle étouffe ! Elle a un
poil, de chèvre sans doute, qui lui reste
collé à
la gorge ! Bégu lui tape sur
le dos... Le poil passe ! Bégu a envie
d'éclater de
rire... Madame la Consul le
fusille des yeux ! Le reste du repas et de la
journée dans
l'oasis se passe
relativement bien...
Quand
Bégu vient à Tripoli,
événement
rarissime, il ne porte plus
sa djellaba,
il porte
«
Je dois me reforcer à la civilisation,
sinon... ».
Il
loge chez les Heugel... Ils sont amis
intimes ! Madame Heugel, fine cuisinière, nous
invitent pour
cette occasion...
Bégu se marre en nous rappelant le coup du poil
de chèvre
!
«
Ris toujours, Bégu, cela pourrait
t'arriver un jour ! »
«
Moi ? L'habitué du désert ! Ah ! Ah !
»
Entrée,
petits fours chauds au fromage ...
«
J'adore ça ! » dit Bégu en se
précipitant sur le premier morceau à sa
portée, en
face de lui... Il ouvre sa
grande gueule et mâche... Tout à coup,
Bégu
étouffe ! Il crache ! Une touffe de
poils lui sort de la bouche ! Madame Heugel s'esclaffe !
«
Faites un effort, Monsieur Bégu, ne
vexez pas Madame la Consul de France... »
Madame
Heugel avait passé tout son
après-midi en espérant bien que
Bégu allait
s'emparer de ce petit four, destiné
pour lui et placé en face de lui... Ce petit
four, qu'elle avait
bourré
soigneusement de poils de chèvre a l'intention de
Monsieur le
Contrôleur de
l'Aérodrome de Ghadames !
Que
sont devenus Monsieur Devillers, Bégu
? Des rumeurs ont couru que le Chibani s'est
enfermé dans sa
propriété de
France et qu'il n'y laisse rentrer personne...
Bégu aurait
finalement quitté
son oasis et se serait fixé à Nice... Je
voudrais bien le
savoir !
Le
Docteur Girault ! Une autre figure de
l'aviation, car c'est lui qui nous fait passer notre
examen
médical tous les
six mois ! Et tous les six mois, même gag... En rentrant dans son cabinet,
il nous demande avec son
accent de la
France du Sud-Ouest, dont il est originaire:
«
Alors, mon vieux, encore une-bonne-chaud-de-pisse
? »
«
Non, Doc, c'est pour mon examen médical
! »
«
Ah, oui, c'est vrai, j'avais oublié...
Déshabillez-vous ! Non, allez plutôt
d'abord faire pipi !
»
Pisser...
Il faut leur présenter des
urines claires à ces médecins, sinon ils
ne sont pas
contents ! Un jour, les
miennes ne l'étaient pas...
«
Oh ! Oh ! Qu'est-ce qu'est que ça ?
Revenez demain ! »
Depuis
lors, je bois un litre d'eau
minérale avant mon examen médical et mon
pipi à la
limpidité du cristal, ce qui
satisfait le carabin...
Avant
cet examen, ils sont nombreux ceux
d'entre nous, qui soudain passent en Carême ou en
Ramadan... Plus
d'alcool,
plus de tabac, nourriture légère, moins de
sexe !
«
La pression sanguine, tu comprends... »
L'examen
médical semestriel... Un autre
jeu de poker !
Comme
tout inspecteur de santé pour
aviateurs, le Docteur Girault est assez pinailleur...
«
Vous avez grossi depuis votre dernière
visite... Faudrait perdre du poids ! »
«
Vous avez maigri depuis votre dernière
visite... Faudrait prendre du poids ! »
«
Votre pression sanguine est un peu haute
! Qu'est-ce qui se passe ? Faudrait... »
Les
carabins... Facile pour eux ! Assis
derrière leur bureau, ils jugent nos états
de
santé et décident de notre vie...
Bon ou pas bon pour le service ! A ce jour, dire que je
suis
déjà passé dans
leurs bras presqu'une centaine de fois !
«
Apparemment, tu as survécu, Jack ! »
«
Oui, mais par deux fois, j'ai bien cru
que je ne reverrai plus ma licence et je ne suis pas au
bout de ma
carrière...
»
Physiquement,
le « Doc » ressemble goutte
pour goutte à Mister Magoo... Distrait, ses yeux
fermés
derrière d'épaisses
lunettes, on a l'impression qu'il est
complètement bigleux et
qu'il ne vous
reconnaît pas !
A
part le bon whisky (une larme d'eau,
merci, pas de glaçons !), son hobby, au Docteur
Girault: le
cinéma ! Des films
en 16 millimètres, qu'il produit lui-même
avec
commentaires, son et musique...
Sortes de documentaires de ces tours du monde ! Pour
agrémenter
ces films, il
nous demande, aux deux couples Goret-Siroux, de venir
passer plusieurs
soirées
chez lui...
«
?!?! »
«
Non, ce n'est pas ce que vous pensez...
Vous allez faire de la figuration pour le
générique de
mon film que je viens de
terminer lors de mes dernières vacances en
Egypte... Bouffe et
alcools à
volonté, bien sûr ! »
Ces
séances ne sont pas tristes...
L'italienne, qui est la bonne à tout faire(!), la
cuisinière, la patiente du
Docteur (Je suis le seul à pouvoir m'occuper de
cette pauvre
fille, elle n'est
pas tout fait normale...) est en tout cas un cordon bleu
! Les vins, en
effet,
sont excellents ! Le Doc joue son metteur en
scène, nous fait
recommencer dix
fois les mêmes séquences... Il boit un coup
!
«
Plus lancinantes, Mesdames, plus
lancinantes ! »
Claude
et moi, armes de guerre à la main,
on a reçu l'ordre de tournicoter, les yeux
lubriques, autour des
« Belly
dancers »...
«
Plus vite, Messieurs, plus vite ! »
«
Stop ! »
On
boit un coup...
«
Action ! »
On
recommence ! Jusqu'aux petites
heures... Crevant, le cinoche avec le père
Girault !
Le
Docteur Girault est également le toubib
de certaines compagnies pétrolières...
Pour cette raison,
il nous accompagne
dans l'expédition, que les géologues ont
organisé
dans le Sud de la Libye !
Destination: Uau Namus, où nous devons passer
deux ou trois
jours ! Je croyais
avoir vu le désert, je n'avais encore rien vu !
«
Uau Namus ? »
«
Un ancien volcan enterré en plein
désert... Vous verrez, une merveille ! »
Mais
avant d'y aller, les géologues
veulent atterrir pour aller picoter le sol pendant une
ou deux
heures... Armés
de leur piolet, ces gens aiment casser la roche, prendre
des
échantillons et
rêver aux âges de pierre...
«
Où voulez-vous aller exactement ? »
Un
doigt sur la carte:
«
Là ! »
Pour
nous, « là ! », c'est tout blanc sur
la carte... On ne voit rien ! Pas un seul point de
repère... On
ne connaît pas
ce coin de la Libye... Ils nous donnent les
coordonnées de cet
endroit
mystérieux...
«
Nous avons sillonner le désert en Land
Roover dans tous les sens, on vous indiquera exactement
où
atterrir... »
«
OK... »
Nous
partons à deux DC3... En formation !
Max Popp et Claude Goret prennent la tête, Sid
Truesdell et moi
suivons à une
distance confortable... D'après nos calculs,
trois bonnes heures
de vol... Sid et
moi, on ne s'en fait pas trop... Il fait beau... On suit
l'avion de Max
! Une
ballade...
Une
ballade ? A l'horizon, un vent de
sable se lève, il fait moins beau... On se
rapproche de Max !
La
visibilité se réduit encore... On se
rapproche un peu plus de Max !
Ghibli
! Tempête de sable... On ne voit
plus Max !
Par
radio, on décide de prendre deux mille
pieds (600 mètres) de séparation verticale
entre les deux
avions...
Nous
devrions être à présent plus ou mois
au point d'arrivée... La visibilité
verticale nous laisse
deviner le sol... Sid
appelle un géologue dans le cockpit, qui au bout
de cinq
minutes, déclare:
«
Je ne reconnais rien ! »
«
!!! »
Max
confirme:
«
Mon savant aussi ne reconnaît rien... Je
propose de tourner en rond, le vent semble baisser... La
visibilité sera
peut-être meilleure dans une demi heure... »
On
se met à tourner à tourner... Une demi
heure... Une heure... L'essence diminue... Une heure et
demie...
L'essence
diminue... Il faut penser à faire demi tour ! Meilleure visibilité ! Le
géologue du Max a reconnu ses cailloux, le
nôtre, pas...
Max va tenter un
atterrissage face au vent, qu'il détermine par le
sable qui
courre au raz du
sol... Tout ce passe bien ! Il atterrit, il nous
contact:
«
Visibilité suffisante... Sol dur... OK
pour un atterrissage ! Où êtes-vous ?
»
Que
voilà une bonne question à cent mille
dollars ! Nous n'en savons rien Sid et moi !
Il
nous a fallu du temps pour retrouver
l'avion de Max Popp ed Claude Goret... Nous
étions depuis
longtemps passé « sur
auxiliaires », les réservoirs de secours !
En regardant
les jauges d'essence,
je me suis dit, ce jour-là, que les dieux
m'abandonnaient
à nouveau, que
j'allais revivre mon examen de navigation, mon
atterrissage en
campagne... Mais
ici, il n'y a pas de chemin de fer, pas de gare pour se
repérer... et pas de
train pour rentrer à la maison !
Néanmoins, il y a
toujours un dieu pour les
aviateurs... Ce dieu est aujourd'hui personnifié
par le casseur
de pierre dans
notre cockpit, qui tend soudain son bras, il montre !
«
I got it ! I got it ! J'ai trouvé ! Turn
left ! Virez à gauche ! »
Sid
vire à gauche...
«
Straight ahead ! Tout droit ! »
Ligne
droite...
«
There it is ! Le voilà ! »
L'avion
du Max... Atterrissage !
Nous
n'avons plus guère de fuel... Max
fait un calcul ! En ajoutant le reste de notre carburant
au sien, il
peut
rejoindre l'oasis de Sebha, où il y a de
l'essence, faire le
plein et nous
ramener des fûts...
Sid
se demande comment transférer
l'essence d'un avion à l'autre ?
Max:
«
Je vais placer mon avion nez à nez avec
le tien... Les tuyaux de nos pompes sont assez longs...
»
Les
deux DC3 se font des bibises... Il
faut faire vite, le jour baisse... Max doit arriver
à Sheba
avant la nuit !
Alors, nous, nous pompons... « Ponpon »,
« Ponpon
» dans la chaleur ! Les
géologues, heureux, piquent le sol, « Pik,
pik !
»... Le Docteur Girault
filme... J'ai une angoisse ! Dans quel genre de
personnages va-t-il
encore nous
demander de nous déguiser pour ce documentaire ?
En pompistes,
sans doute...
Sacrée
ballade ! Je pense de nouveau au
Capitaine Haddock:
«
En tout cas, une chose est certaine: mes
prochaines vacances, c'est ici que je viendrai les
passer... C'est
vraiment un
endroit de tout repos ! »
J'ai
tort de rechigner... Je vais passer
une nuit et une journée, dont je me souviendrai
toute ma vie,
car Max et Claude
ne reviendront que très tard le lendemain...
On
s'organise pour la nuit... Les
géologues ont emmené tout un
matériel de campement
approprié: sac de couchages,
couvertures... Ils ont du pain, ouvrent quelques boites
de Corned
beef
»... Il reste même des bières
fraîches dans les bacs à glace... Bysance !
Malgré
une température assez basse,
je ne couche pas dans la carlingue de l'avion... Le ciel
est trop beau
!
«
C'est bien joli... »
Oh,
oui, c'est joli... C'est beau,
Monsieur Bernheim ! Cela ne m'étonnerait pas de
voir
apparaître soudain
derrière ce monticule le Petit Prince... Le
silence du
désert, ce n'est pas
vrai ! La solitude du désert, ce n'est pas vrai !
Si on tend
bien l'oreille, il
y a toujours ce bruit de sable roulant au moindre
souffle de vent... Il
y a
toujours ce scarabée, qui surgit soudain de sa
retraite... En
sortant du sol,
il fait crisser les grains de sable... Je ne suis pas
seul ! Encore
moins seul
quand j'aperçois à l'horizon ce spectacle
diffus...
Est-ce un mirage ? La
chaleur accentue la vision que j'ai tout à coup !
Je dois
rêver... Mon
imagination me joue des tours ! Dans un halo, des formes
encore
indéfinissables
s'avancent vers moi... Elles s'approchent lentement...
Le soleil va
passer au
zénith, quand cette caravane de cinq ou six
chameaux
dépasse notre site... Les
hommes, qui la guident ne se retournent même pas
vers l'avion !
Sans doute,
croient-ils eux aussi, qu'ils ont affaire à un
étrange
effet d'optique... Le
désert a de ses surprises ! La caravane passe...
Et Max Popp
revient ! Il
revient avec son plein d'essence et huit fûts
d'essence... Nous
repompons...
Mais
le rêve reprend forme en approchant
Uau Namus... Malgré nos lunettes de soleil, ces
fameuses «
Ray Ban », que nous
portons tous, la luminosité du désert et
la
réverbération du sable nous
éblouissent... De loin, à la surface
blanche du
désert libyen, nous apercevons
une tache sombre... Elle s'agrandit... De plus
près, on
reconnaît un cratère...
A trois ou quatre cents mètres plus bas, dans le
fond de ce trou
immense de
plus de dix kilomètres de diamètre, un
oasis de
verdure... Des palmiers, des
roseaux, des fleurs ! Trois lacs de différentes
couleurs: bleu,
vert et rose !
Le Shangrila des légendes ? Mirage ? Non ! Nous y
descendrons...
Mais l'eau de
ces lacs est de souffre, de sel et de vase... Ce n'est
pas Shangrila !
Un
qui commence à se sentir seul malgré la
présence de son coéquipier libyen, c'est
le chauffeur du
camion, chargé de
ravitaillement et surtout de fûts d'essence...
Parti de Tripoli,
il y a un
mois, il a traversé le désert en lignes
droites et en
virages, en montées et en
descentes...
«
Sensa spaghetti, no posso caminare ! »
Sans
ses pâtes, ce buriné du désert
aurait
été incapable d'arriver à Uau Namus
!
Boulot,
dodo ! Les vols sont nombreux...
Vers les quatre heures et demie du matin, habituel
cappuccino chez
l'Italien du
coin et direction l'aéroport ! Je fais plus de
1.800 heures en
un an et demi !
Le DC3 et le désert me deviennent familiers...
Atterrissages,
décollages,
atterrissages, décollages... Le métier
rentre !
Au
petit matin, après avoir passé la nuit
dans le désert, la batterie attrape parfois un
coup de froid...
Elle est à plat
! Solution ? Une corde enroulée comme à
une toupille
autour du pot central de
l'hélice et attachée à un
véhicule !
«
Contact ? »
«
Contact ! »
La
jeep démarre et entraîne l'hélice !
Preutt
! Preutt ! Brrrrrrr... Brrrrrrr...
Le moteur ronfle !
Ca,
c'est de l'aviation !
Le
Chef-pilote me fait comprendre que vu,
le départ prochain de deux Commandants de Bord,
il se pourrait
que...
«
Mais quelle licence, Tony ? » Problèmes
de licences...
Je
n'ai que ma licence professionnelle
belge ! Il me faut une licence de Pilote de Ligne...
Laquelle ? Licence
belge ?
Peu pratique, la matière est lourde... Cours par
correspondance
? Difficile...
Pour bien faire et avoir des chances de réussir,
il faut suivre
des cours
particuliers...
«
Tony, nous volons sur des avions
immatriculés belges, « OO, Oscar, Oscar
»... Si
j'obtiens mon ATR (Airline Transport
Rating, aujourd'hui ATP, Airline Transport Pilot),
est-ce que ma
licence
américaine sera reconnue par l'Administration de
l'Aéronautique belge ? »
«
Non, pour voler en Belgique, mais oui,
avec une validation de six mois en six mois, pour voler
en dehors de la
Belgique... »
«
?!?! »
«
Eh, oui, c'est comme ça... En attendant,
si j'étais toi, je prendrais la licence
américaine, ce
qui te permettra de
passer Commandant de bord... Après, tu peux
toujours tenter la
licence de
Pilote de Ligne belge... Comptes-tu rentrer en Belgique
? »
«
Je n'en sais rien... »
«
Alors, licence américaine, fieu ! »
Recommence
alors dans ma tête le
boogie-woogie: rattraper le retard, avancer, rattraper
le retard,
avancer...
Passer Commandant de bord, passer Commandant de bord,
passer...
Je
commande les cours « Jeppesen » en
Amérique... J'étudie ! Toutes les
matières sont
concentrées en deux volumes !
Pratique ! Mon ami Claude Goret étudie par
lui-même aussi
sa licence théorique
de Pilote de Ligne français... Lui, n'a pas deux
volumes, il a
deux malles
entières de bouquins ! Un jour, je passe chez
lui... Il est en
train de
potasser le DME (Distance Measuring Equipment), un
appareil, qui nous
donne la
distance par rapport à une station au sol...
«
Tiens ! Moi aussi, j'ai vu le DME
hier... »
«
En une seule journée ? »
«
En quelques minutes ! »
Claude
me montre alors son manuel français
sur le DME... Une véritable encyclopédie,
reprenant
à la base toutes les lois
de la physique et de la propagation des ondes ! Je lui
parle de mon
cours à
moi, résumé en une dizaine de lignes...
«
Sélecter la fréquence d'une station
désirée. Lorsque l'aiguille du cadran
indique 150, par
exemple, cela veut dire
que vous êtes à 150 nautiques de cette
station. Vu ? Got
it ? Good ! »
Sujet
suivant !
Pratiques
les Américains ! Que demande le
pilote ? La distance !, c'est tout !
Malade,
Claude replonge dans ses
formules...
Entre-temps,
les vols du personnel, du
matériel et du ravitaillement continuent... Vols
de deux ou
trois heures,
suivis de sauts de puces dans le désert... Nous
avons ainsi un
vol de
« catering », de vivres frais, pour le
compte d'un
Libanais... Nous
faisons jusque dix à douze décollages et
atterrissages
par jour... Il faut
faire attention au chargement, car Mister Otman, en
répartissant
sa
marchandise, rajoute en catimini, quelques grosses
pièces de
viande à la
cargaison ! Nous nous étonnons alors que l'avion
a de la peine
à s'élever ! Il
décolle, se pose, redécolle, se repose et
finalement,
prend péniblement un peu
d'altitude... Heureusement, la piste de sable est longue
!
«
Ce gangster d'Otman nous a encore
trompés dans les poids ! »
Cette
phrase devient coutumière...
Ce
personnage peu scrupuleux des lois de
la pesanteur et de celles de l'aérodynamique,
lors de ce vol de
retour sur
Tripoli, propose à Max Popp, ce soir-là
à bord du
DC3:
«
Je dois absolument atterrir à V10 ! »
V10,
un camp permanent, où les flammes des
torchères brûlent avec une telle
intensité, qu'il y
fait presque clair comme en
plein jour...
Je
sais que Max peut le faire sans trop de
risque...
«
Are you crasy ? Vous êtes fou ? Nous
allons à Tripoli, aéroport
équipé pour vol
de nuit, un point c'est tout ! » Si
les Libanais réussissent si bien en affaires,
c'est parce qu'ils
insistent !
Collants comme leurs gâteaux au miel, ils
s'accrochent,
reviennent à la charge
avec des arguments frappants... Vous les balancez par la
porte , ils
rentrent
par la fenêtre ! Otman fait miroiter à Max
des liasses de
billets de banque...
«
Même pour 500 livres ? »
«
Go to hell ! »
Max
l'envoie au diable et lui claque au
nez la porte du cockpit !
Il
y a cependant des vols de secours
durant la nuit dans le désert... La piste est
reconnaissable
alors par les
phares des jeeps, camions et autres véhicules
disponibles,
alignés en deux
lignes droites... Du trapèze pour les pilotes...
De la corde
raide !
Du
trapèze aussi, ces atterrissages en
bord de mer, où nous déposons les
pétroliers du
bateau de forage, Glomar Five,
ainsi que les plongeurs de la Comex, que vient chercher
un
hélicoptère... La
piste est changeante, puisqu'il s'agit de la plage... A
chaque vol, le
terrain
est différent !
Claude
Goret me raconte un de ces
atterrissages balnéaires: Renwick,
le Captain anglais pose bien... Mais un fin de course,
un amas de sable
capable
de faire basculer le DC3 sur le nez ! Reflex correct: un
coup de
palonnier, «
Han ! », pour éviter le monticule...
L'avion fait un 180
degrés, évite le tas
de sable, sur lequel la roulette de queue vient
s'arrêter
gentiment ! Les
pétroliers américains n'en étant
plus à
leur première bière, ne sont pas
impressionnés du tout et, comme d'habitude, se
dirigent vers la
porte, l'ouvrent
et y accrochent la petite échelle, dont les trois
marches sont
loin d'atteindre
le sol, vu le porte-à-faux de l'avion ! Le
premier Texan
disparaît...
Silence... Son copain s'en inquiète, le cherche
des yeux sur la
plage...
«
Hou, hou, Jo, where are you ? Jo, où
es-tu ? Réponds ! »
Jo,
croyant qu'il allait mettre
pied-à-terre à la dernière marche,
a piqué
de la tête, il est sous
l'appareil... Il répond, la bouche pleine de
sable:
«
I am here, God Damned ! Je suis ici, N.
de D. ! »
«
Oh, Jo, I thought... Je pensais que... »
«
Plaff ! », et en loupant cette dernière
marche, le copain de Jo s'en va bouffer du sable
à son tour...
Débarquement
particulier de notre clientèle !
Un
autre débarquement semblable, dû à
un
virage au sol nécessaire pour éviter des
rochers sur la
piste... Ce ne sont pas
des Texans, cette fois-çi, qui évacuent la
cabine, ce
sont des fûts de 200
litres de pétrole ! Par la force centrifuge et
mal
arrimés probablement, se
détachent et ouvrent brutalement la double porte
en la
défonçant, roulent sur
le terrain et s'arrêtent devant les tentes du
campement...
Livraison à domicile
!
Pas
loin de la mer, nous atterrissons à
quelques kilomètres du village d'Agedabia...
Personne à
la ronde près du bunker
de Rommel, enfoui dans le sable... L'entrée en
descente est
encombrée, tentante
! Max Popp me dit:
«
Never go down ! Nobody went down since
the war... Dangerous ! »
Personne
n'a jamais osé pénétrer dans
cette tanière depuis la guerre... La peur de
rencontrer le
fantôme du grand
Général ou la crainte des mines ?
Frustré, je
regarde alors le désert...
L'horizon est une nappe de chaleur... Mirages... Je
revois les films de
la
bataille d'Afrique du Nord, qui ont tellement
impressionné ma
jeunesse... Les
tanks apparaissent... Dans la poussière, qu'ils
soulèvent, je peux distinguer
le casque arrondi des hommes d'infanterie, leur fusil
pointé
vers l'avant...
Ils suivent les chars dans ce vacarme d'enfer, de feux
et de flammes...
L'artillerie se déchaîne, bombarde ! Le
ciel s'enflamme !
« Monty » veut en
finir avec ce renard du désert !
J'entends
une voix au loin ! C'est Max...
Il est à l'ombre, sous l'aile du DC3...
«
Jack ! Take off ! Décollage ! »
Je
dois quitter Rommel...
«
Excusez-moi, mon Général,... »
Au
retour vers Tripoli, nous devons
normalement traverser en ligne droite le Golf de
Syrte... Max Popp, qui
m'accorde ce secteur de vol, me dit soudain après
le
décollage:
«
I have controls ! Je prends les
commandes ! I will show you the sharks... I hope they
are there to day
! Je
vais te montrer les requins... J'espère qu'ils
sont au
rendez-vous aujourd'hui
! »
Les
requins ?
Max
vire vers le Sud, perd de l'altitude
et suit la côte à une cinquantaine de
mètres de la
mer... Des
requins ? En Méditerranée ? Si près
du bord ?
Oui
! Je les vois... Je n'en reviens pas !
Une longue bande sombre... En groupe, en famille, en
paquets ! Par
dizaines,
ils font des ronds dans les eaux chaudes du bord de
plage, ils se
Max
reprend le cap de Tripoli et me
repasse le stick...
«
On m'a dit que tu faisais de la chasse
sous-marine, Jack ? »
«
... »
Le
sable n'est plus blanc dans cette
partie du désert... Il est noir ! Le basalte...
Paysage
lunaire... Des
cratères, lacs séchés, sur lesquels
nous
atterrissons ! La navigation est
difficile... Seul, le « rig », cette haute
tour de forage,
est visible de
loin... Et encore, elle est noire, elle
«
Comment ton steak ? Tac-tac ? »
«
Tac-tac ? »
«
Oui, tac-tac ! Bleu ! Un coup d'un coté,
tac, un coup de l'autre, tac ! Tac-tac ! »
«
Va pour tac-tac... »
J'ai toujours bien aimé ces missions
Forasol... Les géologues français, avec
qui je deviens
ami, me montrent le
fonctionnement d'un forage, m'explique la
séismique, la
recherche des couches
pétrolifères, l'analyse de la boue au fur
et mesure de la
profondeur du puits !
Je plains les foreurs sur le rig... Ils ont à
leur portée
une caisse de « Ben
Gashir », l'eau minérale libyenne et
avalent bouteilles
sur bouteilles, le
corps en dégoulinade sous la chaleur du soleil et
celle du
moteur Diesel...
Sacré boulot, qu'ils font pendant cinq à
six semaines
avant d'être remplacés !
Le
« Pelle », Paul Dardenne quitte la
Force aérienne et me rejoint en Libye... Il
optera aussi pour la
licence
américaine et ira à Francfort, tout comme
je l'ai fait,
passer son examen à
l'Ambassade des Etats Unis et passera ses checks
également avec
Mac Guiness,
l'Inspecteur américain... Malheureusement, il est
basé
à Benghazi ! Nous ferons
tout de même quelques vols ensemble plus tard,
dont celui-ci:
Nous
partons pour ravitailler un campement
à deux heures de Benghazi, dans la mer de
sable... Les dunes...
Après deux
heures de vol, nous devrions y être... Aucune
tente en vue ! On
continue: Rien
! En stabilisant l'altitude à 1000 mètres,
nous
commençons alors ce que l'on
appelle le «square search», une recherche en
carré: deux minutes en ligne
droite, virage de
«
Le vent a dû nous pousser... » dit le
Pelle avec son sourire des beaux jours... Avant de
l'ébranler,
lui !
Moi,
ce qui m'inquiète, c'est le
carburant... Nous sommes sur « Aux »,
auxiliaires ! En
fait, nous ne sommes pas
perdus, nous connaissons approximativement notre
position sur cette mer
de
dunes... Mais où est ce foutu camp ?
«
OK, cap à l'Ouest, on va à Sarir, chez
BP (British Petroleum), puisque c'est pour eux, que nous
volons, ils
auront
bien quelques fûts d'essence à nous
refiler... »
Sarir...
« Toc ! Toc ! » à la porte du
responsable « fuel »...
«
Yes ? »
«
Good morning, Sir, heu... »
Nous
lui expliquons, puis:
«
Pouvez-vous nous passer quatre fûts
d'essence ? »
L'essence
d'aviation est chère dans le
désert et les réserves, prévues
pour la stricte
nécessité...
«
OK, because you are flying for us...
Four drums, that's all ! C'est bon que vous volez pour
nous... Quatre
fûts,
c'est tout ! »
«
Thank you, Sir ! »
Nous
pompons...
Cap
à l'Est vers notre destination
initiale... Nous devrions y être... Rien ! On
recommence nos
recherches...
Square search... Rien ! On repasse sur « Aux
»... Rien en
vue !
«
Jaisouss Craaiste ! Tu crois qu'on
oserait aller refrapper à la porte de l'intendant
de Sarir ?
»
«
Il n'y a rien d'autre à faire, Jack,
mais c'est vexant, Nom di Diou ! »
Le
Pelle s'excite quand même... Son
orgueil est touché... Le mien aussi !
Toc
! Toc !
«
Encore vous ? ? »
«
Heu... Oui ! »
En
montrant quatre doigts:
«
Encore quatre fûts, s'il vous plaît,
Sir... »
La
rage au cœur, il nous file quatre
fûts...
«
Les derniers ! Compris ? »
«
Yes, Sir, thank you, Sir... »
Nous
pompons...
Re-caps,
recherches et re-carrés, qui sont
de plus en plus vastes... Re- »Aux » !
«
Jack, il faut trouver ! Je ne retourne
plus à Sarir... Je préfère crascher
dans le
désert, la honte au front ! »
«
Moi aussi, Pelle ! »
Le
dieu des aviateurs nous entend... Un
campement en vue ! Est-ce le bon ? Si loin du plot,
Deux
jours de congés... Je fais un saut à
Francfort, pour passer mon examen théorique au
Bureau FAA ! Je
présente à la
demoiselle de service mes carnets de vols, je remplis
les formulaires,
elle me
donne les questions d'examens, me désigne une
table et me dit:
«
Good luck ! Bonne chance ! »
Je
passe la matinée à répondre aux
questions « multiple choice », quatre
réponses,
choisir la bonne... Cela paraît
facile, ce ne l'est pas ! A midi, je lui rends mon
examen...
«
Thank you ! Le Centre vous enverra le
résultat dans les huit jours ! » Je
reçois le résultat, j'ai réussi !
84% ! Il faut
80%...
Pratiques,
les Américains !
IFR,
Instrument Flying Rules ! A
l'occasion, avec Tony Vingehœts et Max Popp, je fais
bien des approches
aux
instruments en revenant du désert... Approches
ADF ou VOR, mais
l'ILS n'existe
pas à Tripoli ! De plus, les vols en «
airways »,
les couloirs aériens, sont
quasi
Je
m'inscris à l'école de la Sotramat
d'Anvers... Mais pas à Anvers, à Cannes !
Je profite de
mes vacances de février
pour y passer trois semaines d'entraînement,
à mes frais,
bien entendu !
Cannes, même en hiver, c'est toujours Cannes, il
fait beau, et de
l'aéroport de
Mandelieu, je suis les cours IFR sur Cessna, qui me
paraît
déjà être un poux du
ciel, comparé à mon DC3... Avec
instructeur et par la
suite sans, je fais des «
holdings », des attentes, en forme d'hippodrome,
au-dessus de la
balise
d'Antibes et des ILS à l'aéroport de
Nice... Nice ! J'ai
une pensée en souvenir
des artichauts... Aussi, je pinaille !
Je
fais la connaissance de Robert
Schepens... Avec le fruit de ses économies et
l'aide de son
père, ce jeune
garçon suit les cours complets pour obtenir sa
Licence
Commerciale avec IFR,
FAA (américaine). Nous sympathisons de suite...
Il me demande
des
renseignements sur la Libye... Robert obtiendra ses
licences et
également une
place de copilote à la Linair, où il
viendra me rejoindre
plus tard... Ce
rouquin, gaillard des plus sympathiques et excellent
pilote, deviendra
un ami,
un frère, et nous ferons ensemble des milliers
d'heures de vol
sur DC3 et
Fokker F27 en Libye et au Maroc !
Ce
matin de juin 1967, je remarque bien une
certaine agitation en rentrant dans la ville de
Tripoli... J'arrive
à l'hôtel
Uaddan, également vieux palace du temps des
Italiens... Le seul
Italien, qui
reste est mon coiffeur ! Je le trouve en train de
baisser ses volets...
Le
figaro ferme boutique !
«
Je viens pour une coupe... »
«
Ma, tou es fou, Giacomo, rentre chez
toi, c'est la guerre ! »
«
La guerre ? »
«
Israël a attaqué l'Egypte ce matin ! Tu
n'écoutes pas les nouvelles ? Leur aviation a
été
complètement détruite ! »
«
A qui ? »
«
A l'Egypte... »
«
Si vite ? »
«
Oui... Allez ciao ! »
Je
rentre vite chez moi ! Les jours
suivants seront des jours de couvre-feu... On reste
barricadé
à la maison !
Heureusement, nous avons rapidement fait des
provisions... Nous n'avons
que
trois choses à faire: manger, boire et
écouter les
nouvelles... Nasser hurle à
la radio !
«
Les Cairotes sont cuites ! » dit
Blanche...
Il
paraît même qu'à Tel-Aviv, l'Office
du
Tourisme propose déjà de visiter
Israël et ses
pyramides...
Les
réservoirs de nos DC3 sont pleins ! On
ne sait jamais.. Mais comment arriver à
Les
Dardenne, de passage chez nous, sont
bloqués et ne peuvent retourner à
Benghazi... Alors, de
la terrasse de mon
appartement, car nous avons
déménagé, on regarde
en gueuletonnant brûler les
magasins des Juifs, que les Libyens incendient pendant
la «
Guerre des six
jours »...
Pour
nous, les pilotes, l'atmosphère
devient plus tendue les jours suivants, lorsque nous
recevons
l'autorisation
d'aller enfin ravitailler les gens dans le
désert... Il
était temps, les
malheureux vivaient déjà sur leurs
réserves !
Sur
la route de l'aéroport, avec Mustapha,
le mécanicien libyen d'origine tunisienne, qui
parle
français, nous sommes sans
cesse arrêtés pour contrôle
d'identité...
Stop ! Papiers ! Vérifications !
J'échappe, grâce à lui, à un
gros
pavé dans le pare-brise de ma Volks, que veut
me balancer un excité... Mustapha bondit hors de
la voiture:
«
Hé, standa chouaia ! »
Et
explique la situation en arabe...
Il
faut des heures pour obtenir
l'autorisation de vol... L'ambiance n'est pas à
la rigolade...
Israël a gagné
la guerre depuis belle lurette, mais ici, c'est toujours
la Guerre
Sainte, la
Djihad » !
La
situation se calme, se normalise... Les
vols reprennent, la routine reprend le dessus... Mais
pour moi, elle
change la
routine, car lors d'un retour de vacances, je dois
ramener un DC3
Départ
de Bruxelles le soir... Survol de
la Belgique, survol de la France... Monsieur Deppe me
dit:
«
C'est le 14 juillet, il fait beau, nous
allons suivre la vallée de Rhône à
basse
altitude... »
«
A basse altitude ? Et notre plan de vol
? »
«
Demande le plus bas niveau de vol
possible ! »
«
Yes, Sir ! »
Nous
volons de feu d'artifice en feu
d'artifice...
Monsieur
Deppe me joue des tours... Il
éteint toutes les loupiotes du cockpit et place
une lampe torche
sous son
visage en faisant « Baaaah » et en tirant la
langue !
Je
dois rire...
Nous
arrivons à Nice... L'ILS est tenu
impeccablement... On se croirait sur un rail ! Je
m'attends à ce
qu'il me dise:
«
Je pinaille... »
L'atterrissage
en vent de travers est
parfait ! Je pense à mes artichauts... Le
père Deppe me
dit:
«
Pas si mal pour mon âge ! Hein, fieu ? »
«
Oui, Monsieur Deppe... »
De
Nice à Tripoli, sur la
Méditerranée,
Monsieur Deppe trouve le temps long... Il lit des romans
policiers...
Mais il
ne lit que les dialogues ! Les polars défilent...
Aujourd'hui,
Monsieur Deppe ne joue plus
des blagues, ne lit plus des romans policiers, ne vole
plus... Monsieur
Deppe
est mort ! Une figure de l'aviation a disparu...
Encore
quelques entraînements et je me
sens prêt pour mes « checks » avec Mac
Guinness,
pilote pour une compagnie
pétrolière et Inspecteur pour le FAA...
« Mac
» a une réputation d'examinateur
sévère ! Normal pour un
représentant du FAA
américain... Ils ne badinent pas,
ni avec les questions, qu'ils posent concernant l'avion,
ni avec le
test en
vol... Il paraît qu'il a un dada, le «
canyon approach
», une dernière épreuve,
qu'il demande d'exécuter en fin de check ! En
effet, le jour
où je vais le
trouver pour fixer les dates des examens, il m'en parle
! Mais d'abord:
«
Hi ! » (Aïe !)
Quand
je rencontre un Américain, un
Australien ou un Néo-Zélandais, je fais
toujours un
«
Aïe ! »
«
Oh, pardon, je vous ai marché sur le
pied ? »
«
Non, pourquoi ? »
Hi !, (Aïe !), Salut !...
L'approche
est différente avec les
Anglais, plus « soft », plus douce, moins
directe, plus
vicelarde:
«
Hellooooo... Hooooow nice to see you !
Quel plaisir de vous voir ! »
Comme
s'ils vous connaissaient depuis
toujours... Ils ne vous ont jamais vu, mais ça ne
fait rien !
Mac
Guinness demande d'emblée:
«
Are you aware of the canyon approach ?
Connaissez-vous l'approche dans un canyon ? »
«
Not really, Sir... Pas vraiment...
»
«
You better be prepared, boy ! Voici ce
que j'exige en dernier
point... »
Il
m'explique alors le canyon approach...
Descente dans un canyon, une vallée imaginaire !
«
J'indiquerai au sol les points de
repères représentants les limites de cette
vallée... Je vous préviens que
quelques pannes surviendront durant la descente et la
remontée,
car il faut
bien ressortir du canyon... N'est-ce-pas ? Mais d'abord
le test de la
licence
commerciale et l'IFR, un autre jour pour l'ATR... See
you ! Au revoir !
»
Vite,
je vais pleurer chez le Chef pour
obtenir de l'entraînement supplémentaire...
Tony
Vingerhœts m'autorise une
séance avec Max Popp ! Je lui explique... Il aime
ce genre
d'évolution
aérienne, le Max ! Canyon approach...
Physiquement,
Mac Guinness ressemble à
Robert Mitchum, bien que plus petit de taille... Il me
serre la main
pour mon
check commercial et IFR !
«
Well done ! Bien fait ! »
Je
suis en transpiration, le jour où il me
serre aussi la pince après mon check ATR !
«
Well done ! Bien fait ! »
Pendant
ce check, Mac Guinness n'a pas
cessé de couper les moteurs, celui de droite,
celui de gauche...
Panne ! Panne
! Son réveil matin n'a pas arrêté de
sonner !
« Riiing ! », feu !
Pour
fêter mon succès, je l'invite à
dîner
avec sa femme Glo... Il accepte volontiers ! Durant ce
repas, je leur
raconte
un peu ma vie... Ils nous parlent de leurs deux fils au
Vietnam... Ils
sont
inquiets ! En fin de repas:
«
Thank you for the meal, Jack, next time,
my turn at Wheelus Base ! La prochaine fois, à
mon tour de
t'inviter à la base
de Wheelus... »
Mac
Guinness est un ancien de l'Air Force
et a donc le droit de profiter de toutes les
facilités de cette
grande base
américaine aux abords de Tripoli...
Mac
me fait alors penser à mon CO,
lorsqu'il ajoute:
«
Tu as rattrapé pas mal de retard... Te
voilà bientôt Captain ! »
Commandant
de bord ! C'est vrai... Je
réalise maintenant que je suis parvenu à
ce tournant
important de ma carrière !
Ces quatre gallons dorés, une sorte de «
Légion
d'Honneur » pour le pilote...
Certains la reçoivent plus jeune, certains moins
jeunes...
Certains jamais !
Incapables d'atteindre ce summum, ne possédant
pas les valeurs
requises...
Certains, malchanceux, n'étant jamais là,
hélas,
au bon moment... « The right
man at the right place » ! Trop tard, les autres
leur ont
déjà pris la place !
Ils sont probablement nés sous de mauvaises
étoiles, sous
de néfastes
conjonctions... Ils sont nés perdants, ils sont
les « born
losers » ! Il leur
manque toujours la bonne carte... Ils ont le grand
flush, mais sans le
valet,
le full sans la paire ! Pénible
réalité...
Cependant,
avec patience et persévérance,
j'en connais qui ont continué à lutter
contre leur
destin, à forcer le cours
des événements... Et ont réussi !
Bravo ! Il n'y a
pas que dans notre métier,
dans tous les métiers, dans toutes les vies, il
existe des born
losers... Il
furent des époques de ma vie, tellement sombres,
que je
n’apercevais plus la
lumière... Je me suis demandé alors si
J'ai
32 ans... Je suis encore dans les
temps, dans la bonne moyenne ! J'ai rattrapé mon
retard, mais
tant d'efforts
restent à faire... Ai-je cette petite carte, le
jokey de
dernière seconde, qui
donne le coup de pouce final, la chance justement ? J'ai
l'impression
que je ne
fais que commencer, que je vais tout recommencer ! Et ce
sera vrai...
Encore
faut-il que la compagnie en ait
besoin, d'un Commandant de Bord et que le Chef-Pilote me
lâche
sur « la ligne
»... Suis-je « the right man » ? Je
sais qu'il leur
faut un Captain, « tote
suite » à la Linair ! Les compagnies
d'aviation n'ont
jamais été des sociétés
de philanthropie... Et ce n'est pas pour mes yeux bleus,
qu'après mon test, je
suis vite confirmé Commandant de bord,
après supervisions
en vol, licence et
validation rapidement en règle !
Je
fais mon premier vol avec Claude Goret,
qui me félicite... Plus tard, Claude fera belle
carrière
en Afrique: Commandant
de Bord DC8, DC10 et Airbus ! Je le reverrai à
Paris, des
années après, à « La
Coupole », lors de mes courriers en provenance de
Singapour:
«
Sacré Jacques ! »
«
Sacré Claude ! »
Les
anciens de Libye se sont bien
démerdés...
Je
reçois aussi une belle récompense pour
cette nomination de Commandant de Bord... Voici:
Il
est une expression bruxelloise assez
imagée:
«
Mon franc tombe ! »
«??? »
Plus
tard, ma femme, (la Française), dira
toujours:
«
Mon front tombe ! »
Jusqu'au
jour où:
«
Qu'est-ce que tu dis, Michèle ? Mon
front ? »
«
Oui, mon front ! Vous voulez dire que
vous avez compris... Mon front tombe ! J'ai compris !
Non ? »
«
Oui, ça veut dire qu'on a compris, mais
ce n'est le front, qui tombe, c'est le franc ! Celui que
tu mets dans
un
juke-box, dans une machine à sous... Il tombe, le
franc, il
passe dans la
machine, « Kling ! ». Parfois, nous disons
aussi: ça
fait TILT ! On a compris !
»
«
Vous, les Belges... » Mon
franc va donc tomber... Tilt ! Comment n'est-il pas
tombé plus
tôt ? Il est
tombé en repensant, comme je l'ai fait à
Benghazi lors de
mon premier vol, à
mes DC3 d'Irumu, que j'allais vite voir atterrir et
décoller et
qui m'amenaient
à l'école... Je découvre que ces
avions,
précisément, sont ceux que j'ai
volés
ici, en Libye, depuis presque deux ans et que je vole
«
Mac & Glo » nous invitent donc,
Blanche et moi, à la grande base
américaine de Wheelus !
Au
Mess-Officiers, sans doute pour nous
impressionner, Mac lit la carte des vins et commande
fièrement
une bouteille:
«
Châatoo Niouf dou Papé » ordonne-t-il
au
garçon, qui amène en effet, un
Château Neuf du
Pape... Il arrive directement du
freezer, le Pape... La bouteille est un bloc de glace !
«
Heu... Mac... I think this wine is a
bite cold... J'ai l'impression que ce vin est un peu
trop froid...
»
«
Never mind, Jack ! Waiter ! Ca ne fait
rien ! Garçon ! Apportez-nous un seau avec de
l'eau chaude !
»
Plaff
! La bouteille dans l'eau chaude !
Pratiques les Américains ! C'est ainsi que j'ai
souvenir de mes
premiers galons
de « Patron », de Commandant de Bord... J'ai
bu du
Bourgogne au bain-marie !
Sur
la lancée et puisque mon salaire se
gonfle tout à coup, j'achète sur cette
base de Wheelus un
grand frigo
américain, un grand four américain ! Mac
Guinness m'a
donné le nom d'un de ses
amis, qui quitte la base après trois ans de
service en Libye...
Il vend ses
affaires ! Marché conclu, le Sergent m'offre une
« Bud
»... Je fais la
connaissance de la Budweizer, une bière
américaine, un
joli pipi clair... Pas
mauvais, rafraîchissant, mais rien à voir
avec de la
bière ! Dans sa maison,
confortent installée, je lui demande:
«
Comment avez-vous trouvé la Libye ? »
«
Good weather... A bit hot in summer...
But we are next to the beach and we have air
conditioning ! It's OK !
Un peu
chaud en été, mais nous sommes au bord de
la mer et nous
avons l'air
conditionné ! Ca va ! »
«
Et la ville de Tripoli ? »
«
Tripoli ? Never been ! Jamais été !
»
En
trois ans, ce militaire n'a pas quitté
sa base pour visiter la ville de Tripoli, qui se trouve
à 15
kilomètres !
«
No need, we have everything here !
Supermarkets, restaurants, cinémas... Pas besoin,
nous avons
tout ce qu'il nous
faut ici ! Même l'eau... »
«
Quelle eau ? »
«
L'eau potable ! Elle arrive d'Amérique
par avion, dans des containers en plastic... »
«
!!! »
Dire
qu'il y a de l'eau si pure dans le
sous-sol libyen...
Pratiques,
les Américains... A l'étranger,
ils transportent avec eux leur confort, sinon ils sont
complètement paumés !
Géographiquement,
ils ne savent pas très bien se situer...
1993.
Les pilotes font souvent du «
positoning », c. a. d. de la mise en place... On
part en
passagers sur notre
compagnie ou sur une compagnie étrangère
pour aller
reprendre un courrier
«
Hi ! » (Aïe !), I am Bill ! And you ? »
«
Jacques Siroux... »
Question
habituelle, bête:
«
How long have you been in Singapour ?
Depuis combien de temps es-tu à Singapour ?
»
«
Sixteen years ! 16 ans ! »
Je
lis sur son visage un étonnement...
«
So long from home... Depuis si longtemps
loin de chez ton pays... Give me the secret ! Donne-moi
le secret !
»
Je
n'ose pas entamer mon curriculum
vitae... Avec la fatigue et le décalage horaire,
il aurait vite
des
étourdissements ! Je ne lui réponds pas...
«
Where are you from ?, Jack ? D'où es-tu,
Jack ? »
«
Belgium ! »
Il
fronce les sourcils... Je vois qu'il
cherche, qu'il se creuse la cervelle, malgré la
fatigue... «
Belgium ? East of France... Near Switzerland ? A l'Est
de la France,
près de la
Suisse ?... »
Heureusement,
il n'a pas dit l'Ouest de la
France....
«
No, au Sud de la Hollande ! »
«
I see... Je vois... »
Il
ne voit rien du tout ! Pas étonnant
pour un quidam Ricain, mais assez renversant pour
Les
Américains...
Je
vais pourtant travailler avec eux !
L'un des pilotes de cette compagnie me dira, sans aucun
complexe et
convaincu:
«
Everything east of New York is shite,
man ! »
«
Tout ce qui est situé à l'Est de New
York, c'est de la merde, mon vieux ! »
Traditionnellement,
pendant la période de
Noël, les Américains invitent leurs amis le
soir
Nous
sommes chez Mac Guinness... Il fait
froid en hiver, en Libye ! Mac se dirige vers le feu de
cheminée... Qu'y a t-il
de plus beau, qu'un feu de bois ? Je crois qu'il va le
ranimer... Oui,
mais à
sa manière... Il y jette une poudre ! «
Plaff » !
Les flammes prennent de
l'ampleur... et des couleurs ! Toutes les couleurs !
Bleu, vert, rouge
vif,
violet... Un feu d'artifice ! «
Merry Christmas ! Joyeux Noël ! »
En
le quittant dans le jardin, Mac nous
étonne encore...
«
Look ! Regardez ! »
Il
éclaire son palmier... C'est si beau,
un palmier vert illuminé...
Le sien
est
de teinte rose bonbon !
«
Merry Christmas ! Joyeux Noël ! »
Les
Américains...
Mac
Guinness va me « scier » une dernière
fois... A l'aéroport, je le rencontre le
lendemain de
l'alunissage par les
Américains...
«
Congratulations, Mac ! »
«
Thank you, Jack... Have a cigare ! »
Ses
poches de chemise sont pleines de
cigares, qu'il distribue à la ronde...
«
Merci, Mac, et encore bravo pour les
Etats unis ! La lune... »
Mac
semble déçu, vexé...
«
Oh... The moon ! It's not for the moon,
it's for my dog ! Je n'offre pas ces cigares pour la
lune, je les offre
pour
Sultan, notre Berger Allemand... Il est papa ! »
«
!!! »
Les
Américains...
Le
secret de l'entente entre les êtres
humains, je crois, demeure là... Accepter le
genre de vie, les
habitudes, les
goûts des autres, de ceux avec qui nous vivons,
nous travaillons,
même si leur
façon de faire nous paraît
incompréhensible,
inadmissible... Cela ne vous plaît
pas ?
A
Paris, à mon équipage asiatique:
«
Les gars, ce soir, on retourne manger
français et boire du vin français ! OK ?
»
«
Encore ? Ah, non Jack, ce soir on va
manger chinois ! »
«
OK ! A demain... »
Mon
équipage, à Hong Kong ou à Taiwan:
«
Jack, tu viens manger chinois avec nous
ce soir ? »
«
Encore ? Non, merci... »
«
OK ! A demain... »
A
Dubai, à Patrick O Shea, l'Irlandais:
«
Partie de tennis à cinq heures ! C'est
le seul court libre... »
«
Sorry, Jack, mais je dois aller à la
messe... »
«
OK ! »
A
Jeddah, à mon copilote et à mon
mécano,
lors d'une mission « Hadj », les
pèlerins musulmans,
que nous emmenons à
Jeddah:
«
Raman, Abu, que faites-vous ces quelques
jours, on pourrait... »
«
Non, Jack, nous en profitons pour aller
à la Mecque faire le pèlerinage ! »
«
OK ! »
«
Tu viens déjeuner, Ahmed ? »
«
Non, je fais le Ramadan... »
«
Excuse, j'avais oublié ! »
Respect
mutuel... Pas de problèmes !
Détails,
mais tout est là: Je ne suis pas
chez moi ! A la limite, si le Chef-Pilote me demande
Boulot,
dodo... Les heures s'accumulent...
Je vais faire près de quatre mille heures sur ce
bon DC3...
3.700 exactement !
Je
reprends mon boogie-woogie: avancer !
Prochaine étape: passer sur avion à
réaction, sur
Les
grandes compagnies américaines
recrutent... Je fais un saut à Londres pour un
interview avec
l'une d'elles,
United ! Il faut débuter comme troisième
pilote
mécanicien... Le siège de
Commandant de bord n'est pas en vue avant des
siècles !
D'ailleurs, qu'est-ce
que je fous ici ? La vie à l'américaine ne
me tente
guère... Je rentre à
Tripoli ! A Tripoli, où je suis Commandant de
bord, merde, et
où la vie est
agréable...
Ce
ne sera donc pas le jet, ce sera le
turbo-jet, avion à hélice, dont le moteur
est à
réaction,
Bouquins
! Nous étudions par nous-mêmes ce
nouvel avion pour présenter l'examen, requis par
l'Administration de
l'Aéronautique... Un questionnaire assez
épais !
L'entraînement est donné par
Vingherœts... Tout recommence: pannes moteurs, feux
moteurs, au
décollage, en
vol,
Solide
bac, le Fokker F27 ! Il fait le
travail du DC3 et deux fois plus vite... Pour arriver
à Kufra,
cette oasis au
Sud-Est, dans le fond de la Libye, où le
Général
Leclerc a fait serment de
délivrer Paris, il nous faut, cinq heures de vol
en DC3,
fenêtres souvent
grandes ouvertes, à cause de la chaleur... En
F27, un peu moins
de la moitié du
temps ! Le F27 est pressurisé, la
température cockpit et
cabine, agréables...
Le démarrage n'est plus celui du DC3, plus de
«
Fenêtres ouvertes en DC3 ? »
«
En plein été, oui ! »
«
Et les oreilles ? »
«
Nous avons les écouteurs... Mais quand
même, c'est bruyant ! »
Tous
les trois ans, les pilotes de lignes
doivent passer un « audiogramme », test pour
les
oreilles... Bon ou pas bon !
Pas bon ? Finie licence !
Celui
que je passe en 1984 à Singapour, a
failli me perdre ! Normalement, l'examiné est
enfermé
dans une chambre
insonorisée, écouteurs sur les oreilles...
Il pousse sur
un bouton chaque fois
qu'il croit entendre « quelque chose »,
émis par
l'examinateur lorsque celui-ci
déclenche une note basse ou aiguë sur son
l'appareil de
l'autre coté de la
pièce !
Ponctuel,
comme d'habitude, et un peu
nerveux, je suis à l'heure de mon rendez-vous...
«
Tacatacatac », « Tacatacatac »,
«
Tacatacatac » !
Le
toubib me montre le siège en face de
lui... Il me passe les écouteurs ! «
Docteur, vous n'avez pas de chambre insonorisée ?
»
«
Pas encore... Bientôt ! »
«
Mais... »
«
It will be OK ! Ca ira comme ça ! Ready
? Prêt ? »
«
Heu... »
Je
mets le casque sur ma tête... A part
les « Tacatacatac », un peu
atténués, je
n'entends rien ! Mais je vois... Je
vois mon spécialiste pousser sur son bouton
chaque fois qu'il
m’envoie un son !
Je fais semblant de rien et je pousse à mon tour,
au fur et
à mesure que son
doigt appuie...
«
OK ! Done ! Terminée ! »
Il
regarde le diagramme, qui s'est déroulé
de la machine...
«
Not bad, not bad, for your age... Pas
mal, pas mal, pour votre âge... »
Perdre
la face est pour un Chinois la pire
des choses... Pour moi, ce fut encore pire, la
Le
Docteur s'aperçoit alors qu'il a oublié
de brancher les fils des écouteurs... Il tient
les deux bouts en
mains !
Il
vire de couleur, il me regarde...
Je
vire de couleur, je le regarde... Par
la fenêtre, Michèle regarde les
marteaux-piqueurs...
Silence...
Puis,
intelligent, il chiffonne le
diagramme et le jette au panier:
«
Hi ! Hi ! Hi ! What a joke ! Hi ! Hi !
Hi ! Let's do it again ! Quelle blague ! Hi ! Hi ! Hi !
On efface tout
et on
recommence ! »
Moi:
«
Ha ! Ha ! Ha ! »
J'entends
quelques sons... J’appuie...
C'est bon !
Le
Doc a sauvé sa face... J'ai sauvé ma
licence !
J'alterne
DC3 et F27... Robert Schepens
est arrivé... Ensemble, nous ferons des milliers
d'heures de vol
! Robert est
souvent à la maison, qui est la maison du Bon
Dieu(!)...
La
vie est agréable... Mon manteau de fine
peau !
Mes
derniers vols en DC3... Vols
particuliers... Au Tchad, à Bardaï ! Escale
à Sebha,
dans
«
Look, the moon ! Regarde la lune ! »
Il
arrive que l'on voie la lune en pleine
journée... Je regarde en l'air !
«
No, down there ! Non, par terre ! »
En
effet, un parfait croissant de lune,
fait de sable brun se distingue sur la blancheur du
Vol
charter... Une agence de voyage
parisienne a mis au point(!) une semaine au Tibesti !
Nous y allons
tous les
samedis, retour le dimanche soir... Une aventure
amusante, dont je ne
suis pas
prêt d'oublier les deux premiers week-ends ! Le
prix du voyage de
Paris (en DC3
«
L'aventure ! » me dit-il...
Une
aventure déjà que de faire monter ce
quatrième âge dans le DC3 ! Pendant le vol,
je les regarde
avec pitié par la
porte du cockpit... Je dis a Hervé Gilmont:
«
Survivront-ils ? »
«
Bah, ils ont l'air de s'amuser... »
Exact
! Il me faudra longtemps avant de
retrouver pareils « Joyeux turlurons »...
Pas
de Ghibli... Je retrouve la vallée,
qui nous mène à la piste, simple
délimitation de
pierres blanchies à la chaux,
près de cette montagne noire... Pourquoi noire ?
Les
géologues nous avaient
expliqués... Bref, faisant tache dans la couleur
brune des
pentes de l'Emi
Koussi ! Atterrissage... Débarquement !
Embarquement ! Voyage
d'une heure en
jeeps, « Pling ! », « Plang !
»,
Le
soir, les passagers sont crevés ! Ca ne
fait rien, méchoui, vin ! Le picrate, que nous
avons
apporté, les réveille...
L'ambiance monte !
«
Il n'y aura pas de méchoui ce soir ! »
déclare Patrick, Chef de bande et de cuisine...
«
Un contretemps... Nous allons vous
servir la gazelle en pot-au-feu ! »
Une
grande casserole est placée sur le feu
du méchoui, au milieu de l'assemblée... Ca
mijote...
Patrick remue dedans avec
un grand bâton !
Mon
voisin de table (!), qui est assis à
même le sol, s'étonne de la grosseur de cet
os de gazelle,
qui dépasse du
chaudron...
Quand
on me parle du Tonkin, je ne sais
pas pour quelle raison, (ma mère ?), je fonds !
«
Commandant, moi, j'étais artilleur au
Tonkin ! Oui, Monsieur, j'ai fait le Tonkin »
«
Je vous félicite, Monsieur ! »
Rencontrer
une pièce pareille dans le
Tibesti...
Sa
voisine a un coup dans l'aile... Elle
chante, les yeux humides:
«
Du bleu, du gris que l'on rooouuule... »
On
bouffe enfin... Dure, dure la gazelle !
Patrick rempli les verres... Heureusement, il n'y a pas
de dessert...
Mes
passagers s'écroulent avant le dessert ! Il faut
les transporter
dans leurs
huttes...
Ensuite,
Monsieur l'organisateur m'avoue:
«
Je suis très embêté... Les
villageois ne
m'ont pas tué une seule gazelle ! »
«
Dis donc, Patrick, quel animal as-tu mis
dans ton pot-au-feu ? »
«
L'âne du village, que j'ai dû marchander
à prix d'or ! »
Je
vais me coucher sur mon lit de camp...
Le
lendemain matin, avant le réveil
général et pénible, nous nous
taillons en douce
avec Patrick, qui nous conduit
en jeep jusqu’à l'avion... Il aurait bien voulu
s'enfuir avec
nous...
Nous
revenons le samedi suivant avec
d'autres amateurs d'aventures... Je retrouve mes
aventuriers du
week-end
passé... Méconnaissables ! Ils font peur !
Leur
tête, toute entière est brûlée
par le soleil ! Le nez enflé, les oreilles
pelées, les
joues cramoisies, le
crâne en croûte ! Leurs yeux sont à
demi-clos ! Ils
sont assis par terre, les
pieds en sang, entourées de bandages... Un point
commun: ces
gens sourient, ils
respirent la béatitude ! En me voyant, la
première
question:
«
Ah, Commandant ! Et le vin ? »
«
Le vin ? »
«
Y en a pu ici ! »
«
Ne vous en faites pas, nous en avons
apporté... De pleines bonbonnes ! »
La
cour des Miracles, en chœur:
«
Aaaaaah ! »
Je
prends Patrick à part:
«
Que s'est-il passé ? »
«
Je leur avais bien dit ! Attention au
soleil ! »
«
Oui, mais les pieds ? »
«
Les pieds ? Heu... Comme il n'y avait
pas de chameaux, toute la semaine, ils ont marché
à pieds dans la
montagne ! »
Il
ajoute:
«
Le comble, regarde comme ils sont
heureux malgré leur état ! Et moi, j'ai
marché sur
un scorpion ! J'ai failli
crever, moi ! »
«
Un scorpion ! Dangereux, en effet... »
«
Non, pas le scorpion, la piqûre de l'infirmier
du village ! Quelle semaine ! Dis donc, heu... Tu as
apporté le
pinard ? »
«
Oui, oui... »
Pinard
du soir... L'ambiance monte...
«
Il y a bien des années, Monsieur, que je
ne me suis plus senti aussi bien ! Au Tonkin... »
«
Du bleu, du gris, que l'on rooouuule...
»
«
Moi, Monsieur ? Oui ! J'ai fait le
Tonkin ! »
«
Du bleu, du gris, que l'on rooouuule...
»
Fin
du DC3...
Rrrrrrrrrr
font les moteurs du DC3...
Pendant des heures et des heures ! Admirable
solidité... Sauf,
de temps en
temps, mais rarement: « Boum ! », la panne !
Je l'ai eue au
décollage... Vite
le pied, le palonnier, procédures, check-list !
Tout c'est bien
passé ! Une
autre fois, en croisière...
Je
me souviens d'être venu de Tripoli
comme copilote avec Tony Vingherœts, les mécanos
et le moteur de
rechange...
Alphonse Santkin, dit « le Fons », Jules
Cousin et Roger
Paelinck retroussent
alors leurs manches... Non ! Faux ! Ils sont torse nu...
L'huile leur
coule sur
le corps... Démonter le moteur, remonter l'autre
moteur... La
transpiration les
inonde... Ils boivent de la Ben Ghashir, l'eau
minérale
nationale ! C'était
près de Syrte... A la nuit tombante, ils
s'arrêtent et
tous ensemble nous
allons manger du chameau dans le seul restaurant (!) du
village...
Notre hôtel
pour la nuit ? Le DC3 !
Dans
toutes les villes du monde, qui ont
un Musée de l'Aviation, j'y cours ! Washington,
Londres,
Manchester,
Christchurch, Santa Monica à Los Angeles, Chino
en Californie,
partout, partout
! Néanmoins, cet empressement tente à se
ralentir... J'ai
des angoisses ! Pour
la bonne raison que les avions, que j'aperçois en
premier lieu
dans ces musées,
sont les avions, que j'ai volés... Le Stamp, le
Tiger Moth, le
Hunter, le T33,
le DC3, et même le Boeing 707 à
présent !
J'ai
bien peur qu'un jour, en pénétrant
dans un de ces musées, ce sera moi, que je verrai
!
Empaillé, momifié, je serai
suspendu au plafond par des ficelles, les bras ouverts
en un dernier
geste
d'envol... Je ne serai pas le seul... Tous ensemble,
avec les copains,
nous
tournoierons ! Cauchemar...
Ce
n'est jamais un cauchemar quand je
visite le Musée de l'Air à Bruxelles...
Mon ancien
Commandant d'Escadrille, le
Colonel Hervé Donnet, s'en occupe depuis sa mise
à la
retraite !
Il
me fait alors un plaisir immense... Il
demande un escabeau et me permet de grimper et de
m'asseoir dans le
cockpit du
Hunter ! Un de ceux que j'ai probablement volé
... Je ferme les
yeux... Je
refais des gestes... Une main sur la manette des gaz,
l'autre sur le
stick...
Gestes vieux de trente ans, mais vite retrouvés !
Le silence de
ce grand hall,
où mon CO et son équipe sont parvenus
à faire
pendre une Caravelle au plafond,
est vite brisé... J'entends des bruits...
«
Jackie, il est temps de redescendre, si
tu veux encore monter dans le DC3 avant la
«
Yes, Sir, je descends ! »
Musée
des souvenirs... Musée des fous du
ciel !
«
Musée, mon vieux » !
Mac
Guinness me contacte début 69 !
«
Jack, un tuyau ! La compagnie pétrolière
américaine « Occidental » a
commandé un
Fokker F27... Elle va donc avoir sa
propre flotte, son «aviation department» !
Ca peut
t'intéresser... Ils paient
très bien à OXY ! What do you think ?
Qu'en penses-tu ?
»
«
Heu... »
Professionnellement,
ce n'est pas
avancer... Même travail, mais mieux payé !
Why not ?
Pourquoi pas ? En
attendant...
Je
connais Occidental... Un jour,
approchant de notre destination en F27 de la Linair,
nous apercevons
à
l'horizon une colonne de fumée noire, immense,
montant vers le
ciel ! C'est la
Compagnie Occidentale, qui vient de percer un des plus
grands puits de
pétrole
du monde...
Le
Chairman d'OXY est l'Américain Armand
Hammer, dont la vie fut extraordinaire, elle aussi... A
vingt ans, il
est
millionnaire ! Pendant qu'il vend des journaux et fait
de nombreuses
Armand
Hammer part en Russie en 1921 et
parvient à obtenir la confiance de Lénine,
avec qui, il
entretiendra par la
suite des relations quasi amicales ! Il n'y aura pas que
Lénine...
Que
propose-t-il à Lénine ? Du troc !
Entr'autres, produits pharmaceutiques, tracteurs...
«
Contre quoi, Monsieur Hammer ? »
«
Heu... Pourquoi pas quelques peintures
et icônes, quelques pièces du trésor
des Romanoff,
quelques œufs de Fabergé
?... »
Il
les revendra en Amérique !
Il
crée une usine de crayon à Moscou !
Des
« affaires »...
Revenu
aux Etats-Unis, ils continuent les «
affaires » en touchant un peu à tout, du
Approchant
la soixantaine, plusieurs fois
millionnaire, il commence à écrire ses
mémoires
à Los Angeles, quand un de ses
amis lui propose:
«
Le pétrole, Armand, ça ne
t'intéresserait pas ? »
«
Le pétrole ? Connais pas, mais... »
Le
Docteur Hammer s'associe et se lance
donc dans le pétrole... Il loue des petites
concessions
pétrolières en
Californie, Occidental Petroleum Company !
Ca
va, mais pas au goût de ce
business-man...
En
Libye, les concessions sont allouées
pour cinq ans... Une compagnie américaine va
rendre une de ses
concessions...
Pas bien grande... Pas de pétrole, ou peu,
inutile de renouveler
!
Par
je ne sais quel mystère ou quel
renseignement surtout, Armand Hammer sait qu'il y a du
pétrole
dans cette
petite concession, mais il suffit, paraît-il, de
forer un peu
plus profondément
!
«
PISSSS ! », ça pisse ! Et ça pisse
bien,
puisque le rendement en barils de ce premier essai est
un des plus
grands puits
du monde ! C'est celui que je vois de mon avion... Et il
y en aura
d'autres,
tout aussi productifs !
Le
diagnostique du Docteur fut bon... Il a
du nez !
Du
coup, à l'américaine, construction d'un
camp permanent et moderne, d'une piste d'aviation, d'un
pipe-line de
300
kilomètres jusqu’à la
Méditerranée,
à Ras Lanuf, où un port est
aménagé pour
les
tankers...
Une
fois de plus, je pense à Tintin...
Tintin en Amérique ! Le pauvre, au lendemain de
sa
découverte d'un puits de
pétrole jaillissant dans les airs, se fait
enguirlander par un
« cop »,
Le
Docteur possède deux avions
personnels... L'un reste basé à Los
Angeles, l'autre
à Tripoli ! Mais quels
avions ! Des chasseurs bombardiers de la guerre,
bimoteurs
transformés en
avions VIP, des B26, de sacrés engins ! Pour
venir en visite
à Tripoli, ce
Monsieur, qui n'est plus tout jeune, couché sur
la banquette de
la petite
cabine, fait traverser à ses pilotes, d'escales
en escales: les
Etats-Unis,
l'Océan Atlantique, l'Europe et la
Méditerranée !
Plus tard, le Docteur Hammer
aura des « jets », Grumann et Boeing 727,
avec lesquels il
sillonnera le monde,
ses « affaires » étant devenues
internationales...
OXY par-ci, OXY par-là !
Plus
de vingt ans après avoir volé sur ses
avions en Libye, j'ai téléphoné
plusieurs fois
«
Captain Siroux, Docteur Hammer would be
happy to meet you, but he is a very busy man, you
know... Next time,
try again,
please ! »
Le
Docteur est un homme très occupé, je
sais... Mais lors de ma dernière tentative, ce
fut trop tard...
Mon ancien «
Boss », le Docteur Hammer, ce business-man
milliardaire et
infatigable, cet
amateur d'art, ce mécène, était
mort à
l'âge de 92 ans ! Dommage...
Chapeau
!
Je
vais donc trouver le chef pilote
d'Occidental...
«
HI ! (Aïe !), my name is Von Fulenwider
! Call me Von ! »
«
Clic ! », comme avec Beduwé... « Clic
!
» ! Positive vibes ! Les vibrations sont
positives... Je
l'appelle Von et nous
allons bien nous entendre et même bien rigoler !
Mac
Guiness avait raison, je triple
presque mon salaire ! Le Docteur Hammer avait l'habitude
de dire:
«
I do'nt pay with peanuts... »
Il
ne paie pas avec des cacahuètes, mais
il faut bosser... Normal ! Puisque
OXY va recevoir un Fokker F27 et que j'ai
déjà une
expérience sur cet avion,
Von me propose d'entraîner les pilotes
américains, qu'il
va engager...
«
Heu... Merci, mais je n'ai pas la
qualification sur ma licence américaine ! »
«
Do'nt worry, Jack, I am sending you in
Amsterdam... »
Von
m'envoie à l'usine Fokker, à
Amsterdam, pour refaire tout le cours au sol,
l'entraînement en
vol et passer
ensuite la qualif FAA avec Mac Guiness !
Il
ajoute, en sortant une pile de
candidatures de son tiroir:
«
Il me faut aussi des copilotes... »
«
Heu... Von, if you do'nt mind... Regarde
à la lettre S »...
«
S ? Why S ? Pourquoi S ? »
«
S for Schepens ! Good guy, good pilot,
goog spirit ! DC3 and F27 also ! I recommend
Je
savais que Robert avait envoyé sa
candidature... Je le recommande à Von
Fulenweider, qui sort
« l'application
form » de Schepens !
Je
lui dis rapidement:
«
Easy for you to interview him... He is
here, in Tripoli ! »
«
OK, Jack, I will interview this guy ! »
Robert
fut interviewé et engagé... Nous
allons continuer à voler ensemble... Des heures
et des heures de
Fokker, comme
nous l'avions fait en DC3 et en F27 à la Linair
et comme nous le
ferons au
Maroc ! (Bis ! Mais
ça ne fait
rien...)
Je
reçois souvent aujourd'hui des lettres
et des lettres de collègues, que je connais, ou
de pilotes, que
je ne connais
même pas, mais qui me connaissent par X ou Y...
Ils attendent une
réponse de la
compagnie, à qui ils ont envoyé leur
candidature... Les
innocents !
«
Cher Monsieur Siroux, vous ne pourriez
pas... » Par
solidarité, je réponds de suite à
leur lettre en
leur donnant les
renseignements désirés, mais j'ajoute
aussi:
«
Cher Monsieur, ASAP (as soon as
possible), dès que possible, prenez vite votre
brosse à
dents, vos licences et
le premier avion ! Venez vous-même sur place en
personne et
montrez-vous au
Chef-Pilote ! Ainsi vous arriverez avant les autres,
s'il y a une place
à
prendre ! »
Personnellement,
c'est en employant cette
tactique, que je me suis toujours retombé sur mes
pattes...
Quant
à recommander quelqu'un... Plus
scabreux ! Il faut être sûr du personnage:
pilotage,
comportement,
diplomatie... Surtout, nous, les expatriés !
Votre
réputation est immédiatement
liée à la sienne... J'ai été
déçu... Il m'a fallu réparer les
morceaux,
joué
les étonnés... Et je l'étais !
Je
remercie ici Paul Dardenne, qui m'a
recommandé à Singapore Airlines en 1977...
Pour que Pelle
recommande
quelqu'un... Un honneur !
«
Jack... Es-tu un bon pilote ? »
«
!!! »
«
Allez, de 1 à 10... Quelle cote ? »
«
Franchement, aux environs de 7 ! Quand
j'ai commencé à voler à St Hubert,
Monsieur Charon
m'a attribué cette note et
je m'y suis maintenu... Mais il y a des jours, et nous
avons tous cette
impression, j'ai le sentiment de voler comme une
patate... Pour je ne
sais
quelle raison, la fatigue, les emmerdes ? Et des jours
où les
dieux me sont
favorables, je crois alors voler comme un dieu ! Oui, je
peux dire,
sans
déconner, la bonne moyenne... Medium rare !
»
«
OK, je te crois ! »
«
Mais j'espère bien ! »
En
attendant d'aller à Amsterdam, Von me
fait faire quelques tours de piste avec « le
bombardier » !
Un autre monde
encore... De la cabine, il faut se courber, se glisser
dans le
cockpit... Une
fois installé dans le siège et dans le
tintamarre des
puissants moteurs, il
n'est pas difficile d'imaginer les missions de guerre,
qu'ont
effectuées les
pilotes américains en 40 !
Ceux
qui volent cette machine à OXY, sont
d'excellents manœuvriers, qualification obligatoire pour
ce genre de
sport avec
cette « bête » ! Eux seuls sont les
Captains du Bomber »
!
Un
soir, Von me téléphone:
«
Jack, le Bomber doit partir en révision
à Beyrouth... Tu seras mon copilote ! »
«
But, Von, je n'ai pas la qualification !
»
«
Pas besoin comme copilote... Le FAA ne
l'exige pas ! Néanmoins je vais te la donner, la
qualification !
»
«
Ah, good ! Quand ? »
«
Tout de suite, Jack ! Répète après
moi:
«
B »
Je
répète:
«
B »
«
Twenty ! »
«
Twenty... »
«
Six ! »
«
Six... »
«
B26 ! »
«
B26... »
«
OK, Jack, tu as la qualification !
Décollage demain matin ! Rendez-vous à
l'aéroport... Six heures ! See you... »
«
... »
C'est
ainsi que nous sommes partis pour le
Liban.... Comme le Docteur Hammer n'est pas regardant
non plus sur les
indemnités, Von, Jim Mac Claren, l'Ecossais
Chef-mécanicien au sol, qui porte
le kilt pour les grandes occasions, et moi, avons
passé 15 jours
de rêve à
Beyrouth, au St Georges, aux Caves du Roi et au Casino
du Liban, en
attendant
que le « Bomber » ait terminé sa
toilette de
printemps...
A
Beyrouth, je fais connaissance avec un
personnage assez spécial, extraordinaire aussi, « quite
a character »... J'aime ! Grâce à
Mimi, la jolie
Mimi, une hôtesse libanaise,
qui vole à
«
Jacques, si tu vas un jour à Beyrouth,
dis-le-moi, je préviens Pépé...
»
«
Pépé ? »
«
Oui, Pépé Abed, un ami... Tu verras, il
te recevra bien ! »
La
réception fut des meilleures...
Pépé
Abed vient me chercher au St Georges ! Gueule de vieux
loup de mer,
casquette
de marin penchée sur ses cheveux argentés,
élégant blazer bleu, souliers
blancs... Il a de l'allure, Pépé ! Tout le
monde semble
le connaître, car il ne
peut pas faire un pas sans qu'il soit obligé
d'agiter ses bras
en guise de
salutations, de serrer une pogne à droite et
à gauche, ou
d'embrasser quelqu'un
! Il est d'ailleurs accompagné d'une jeune et
jolie
européenne... Son habitude,
m'avait dit Mimi !
Il
m'emmène déjeuner dans un de ses
restaurants à Tyr, où il fait, entre
autres «
affaires », de l'archéologie (!)
en retirant de la Méditerranée des
paquets de colonnes en marbre...
Le
soir, il m'invite chez lui !
Solidarité
! Je ne parle pas de Jim,
puisqu'il a disparu dans Beyrouth... Personne ne sait
où il est !
«
Pépé, je suis ici avec mon Chef-Pilote,
il est tout seul... »
«
Je l'invite ! »
Dîner
de Roi et de spécialités libanaises...
Avant
de le quitter, il nous demande, à
Von et à moi:
«
Où allez-vous ? »
«
On rentre à l'hôtel, au St Georges...
»
«
Vous avez rendez-vous ? »
«
Heu... Non, Pépé ! »
«
Seuls à Beyrouth ? Impossible ! Attendez
! Je vous recommande à un ami... »
J'ai
toujours ce morceau de marbre antique
sur lequel Pépé Abed écrivit
à la pointe
Bic:
«
Occupe-toi de mes amis, sinon tu auras
affaire à moi ! Pépé. »
En
fait, il nous envoyait aux putes... Et
ce fut mémorable ! Je crois que c'est dans cet
établissement que les ondes
entre mon Chef-Pilote et moi sont passées au
degré
supérieur,
Nous
avons dû rentrer à l'hôtel,
accompagnés et soutenus par ces demoiselles...
Pas pour la
bagatelle ! Pour
leur payer le restant de la facture !
Nous
avions l'estomac gonflé d'alcool, mais les
poches vides...
Pépé
a-t-il tordu le cou à son ami,
directeur du « ... » ? J'ai oublié le
nom ! Et pour
cause...
Vit-il
toujours Pépé ?
Et
dire que l'hôtel St Georges, les Caves
du Roi, ce bar aux ambiances raffinées, où
le barman nous
montrait des « trucs
» de magie, et le Casino du Liban, où j'ai
admiré
les plus beaux spectacles du
monde, n'existent plus, enfouis dans les ruines du
débâcle
de ce beau pays !
Folies des hommes...
Retour
à Tripoli, autre mission avec Von
Fulenwider... Survol du désert pour retrouver une
jeep et ses
deux occupants
perdue dans le désert ! Ils ont quitté
l'oasis de Kufra
et se sont laissés
surprendre par le Ghibli...
Von
met le B26 en régime de croisière
économique, ce qui allonge le temps de
l'endurance de vol...
Comme nous
l'avions fait avec Paul Dardenne, mais cette
fois-çi, pendant de
nombreuses
heures, nous allons faire du « Square search
», vols en
carrés...
Le
premier jour, rien !
Le
deuxième jour, rien !
Le
troisième jour, finalement, nous
découvrons la jeep ensablée dans les
contreforts des
grandes dunes de la Mer de
Sable... De notre ciel, nous remarquons que les traces
des pneus font
de grands
cercles... Pris dans la tempête de sable, sans
compas sans doute,
les
malheureux ont fait comme les Dupont et Dupond, ils ont
roulé en
rond ! En
plus, ils ont commis une faute grave en quittant leur
véhicule... Erreur !
Il
n'y a pas plus une seule âme dans ou
près de la jeep... Où sont-ils ? A notre
tour de tourner
de faire des cercles
de plus en plus grands à partir de la jeep...
Von,
qui scrute le terrain, coté gauche:
«
Here they are ! Les voilà ! »
Passage
en rase-mottes... Deux corps
étendus sur le sable ! Pas de signe de vie...
Repassage (!),
immobilité totale !
Nous
lançons un message radio à tous les
véhicules mobilisés pour ces recherches en
donnant les
coordonnées de la
jeep... Ils ne sont d'ailleurs pas très loin ces
véhicules, mais ils n'ont
jamais pensé à aller voir du coté
des grandes
dunes... Pourquoi auraient-ils
pris ce chemin difficile ?
Nous
rentrons à Kufra pour faire le plein
et y passer la nuit... Nous apprenons que nos
rescapés
étaient encore vivants,
mais inconscients... Bien qu'ayant bu toute la flotte du
réservoir
Le
lendemain, à Tripoli, nous voyons nos
deux photos en première page de journal... Nos
femmes
respectives ont eu un
choc ! Fier du sauvetage de
notre
département-aviation, Jim,
Stage
à Amsterdam...
Dick
Hull, un Américain, et moi, nous
passons d'abord trois jours en Angleterre, chez
Rolls-Royce... A Derby,
on nous
dissèque le moteur, avec lequel j'ai
déjà fait des
centaines d'heures de vol !
Et six semaines, non seulement à l'usine Fokker,
mais aussi
à « L'American
Hotel », où notre séjour fut
excellent... Je
passerai de longues heures avec
lui et son épouse, qui l'accompagne, dans ce
vieux café
de l'American à parler
de choses et d'autres, dont du F27... Cet
établissement,
où le café, tellement
bon, est servi dans de la belle porcelaine, et que je ne
manquerai pas
de revisiter
plus tard à chacune de mes escales à
Amsterdam, pour y
lire mon journal,
relax... Pèlerinage !
Aux
cours, je rencontre des pilotes des
compagnies, qui ont aussi acheté un ou plusieurs
Fokker et ont
envoyé leurs
pilotes pour le cours au sol... Je retrouve Théo
Bal, un ancien
de la Force
aérienne, pilote à Air-Zaïre... Je
fais la
connaissance d'autres pilotes
français d'Air-Algérie, des pilotes d'un
peu partout, que
je reverrai
d'ailleurs plus tard aux quatre coins du monde...
Intéressant !
Nous nous
croisons sans cesse dans cette petite mafia, qu'est le
petit monde
Retour
à Tripoli avec notre Fokker tout
neuf ! L'entraînement commence... Avec le
Chef-Pilote de Fokker,
Wolters,
j'avais fait et refait pendant des heures et des heures,
toutes les
actions de
secours, les « emergencies » possibles et
inimaginables...
A
mon tour de faire faire des tours de
piste en coupant les réacteurs et en y mettant le
feu, aux
pilotes d'OXY et
d'abord à mon Chef-Pilote Von Fulenwider, qui me
fait, en me
voyant piloter
avec des gants, habitude en Libye pour la transpiration:
«
Pfff, c'est un avion pour prima-dona ! »
Bien
sûr, à coté de son bombardier
tonitruant et pissant de l'huile par tous les pores de
sa carcasse...
Les
autres pilotes du B26, comme Woody
Yong et Roy Skelton apprécient le F27, mais ils
auront toujours
une vielle
préférence pour leur Bomber... Je les
comprends !
Woody,
un ours de taille et d'esprit, mais
tellement gentil et sympa ! Son dada: la mayonnais !
Chaque fois que
nous
avertissons le camp par radio de notre arrivée,
il demande des
sandwichs à la
mayonnaise:
«
Do'nt forget: mayooonnaiiise for me ! »
Le
cuisinier doit se demander pourquoi on
lui demande encore des sandwichs à la
mayonnaise...
Habitué à cette demande, il
les a déjà préparés !
Un
soir, je passe chez Woody pour le
prendre avant un vol, que nous faisons ensemble... Lui
et toute sa
famille sont
en train de manger:
«
Have a bite with us, Jack... Delicious !
»
«
No, thank-you ! »
Manger
un morceau avec eux ? Non, merci !
Devant un verre de Coca-Cola, ils s'empiffrent avec des
poires en
boite,
nageant dans de la mayonnaise...
Les
Américains...
A
Kufra, Occidental Petroleum Company fait
des expériences étonnantes avec la
collaboration du
gouvernement libyen... OXY
et le Ministère de l'Agriculture sont parvenus
à faire
pousser du blé en plein
désert ! Le secret ? De l'eau, beaucoup d'eau,
extraite du sol
par de
puissantes pompes et distribuée à longueur
de
journée par un système de longs
tuyaux d'arrosage ! De loin, en avion, nous apercevons
ainsi quelques
hectares
de verdure... On croirait aux mirages !
Un
jour donc, à Kufra, attendant sous
l'aile du B26, que les VIP agronomes reviennent, un
soldat de
l'Armée libyenne,
qui était là de garde, offre, à
Woody une
cigarette... Bien gentiment, bien
simplement... Par paquets, Woody ne fume que des «
Winston
» !
«
No, it's not my brand ! Ce n'est pas la
marque des cigarettes, que je fume ! »
Robert
Schepens, qui était son copilote,
lui fait remarquer que ce refus est assez vexant et
même
dangereux pendant ces
journées troubles de la Révolution
libyenne...
Woody:
«
Oh, ja ? OK ! »
Et
de foncer sur le plouc en lui donnant
une grande claque sur l'épaule, ce qui par sa
force, fait valser
le Libyen...
Il en avale presque son fusil !
«
Hé, you ! Give me a cigarette ! »
Les
Américains...
Plus
de dix ans après avoir quitté la
Libye, ce brave Woody Yong, car c'est le meilleur des
garçons,
ce doux et calme
Roy Skelton, à qui nous avions donné comme
cadeau de
mariage un des petits de
notre chatte Cocinette, je les appellerai à New
York, où
ils sont basés à
présent...
A
la fin de nos conversations
téléphoniques, pendant lesquelles nous
avons
raconté nos vies depuis notre
départ de Tripoli, Woody:
«
God bless you, Jack ! »
«
Gods bless you, Woody ! »
Roy:
«
Jack, Love-Love is still alive ! »
Le
chaton, devenue une grande et jolie
chatte, était toujours vivant !
Jay
Howard aussi est venu rejoindre la
flotte d'OXY... Celui qui m'avait dit, suite à
mon bond,
à mon « ascension » en
atterrissant le DC3:
«
Cela arrive dans les meilleures
familles... »
Il
me raconte sa vie de famille et de
pilote... La fumée de ses « Malboros
» sort de ses
grosses lèvres déformées par
les cicatrices suite au crash...
Il
me dit la chance qu'il a eue, le jour
où il fut « lucky » d'avoir eu
« une affaire
» avec Mercédes, qui deviendra sa
femme, dont il est toujours tellement amoureux !
Mercédes aussi,
est toujours
amoureuse de son mari... Les voir ensemble me donnait
une impression de
bien-être !
Mercédes...
Femme de caractère ! Cigarette
à la bouche, verre à la main, voix
éraillée, raconte, elle aussi:
Infirmière
pendant la guerre, elle a dû
soigner un grand blessé ! Elle a dû, parce
que
c'était son métier et qu'elle
est bien obligée par conscience professionnelle
et par
humanité, de procurer
ses soins à cet Officier Supérieur
japonais ! A ce Jaune,
elle ne le cache pas
son inimitié, en lui parlant en Anglais... Tout
son vocabulaire
y passe ! Au
fil des mois, son blessé ne répond jamais
! Forte de
cette situation, elle lui
balance de plus belle sa façon de penser de ces
« Japs
», de... de...
Son
blessé guéri, il disparaît de
l'hôpital...
«
Bon débarras » se dit Mercédes et
n'y
pense plus...
Quelques
années après que la guerre soit
terminée, on sonne à sa porte ! Un
Monsieur aux yeux
bridés et habillé avec
raffinement, qui lui présente un colis !
Mercédes
hésite... Ouvre le paquet enroulé
de papier cadeau... Des perles fines de couleur noire !
«
Qui êtes-vous ? »
«
Vous ne me reconnaissez pas ? » lui
répond le Japonais dans la langue de
Shakespeare...
«
Vous m'avez sauvé la vie, Madame...
Aussi, pour vous remercier de vos bons soins, je tiens
à vous
offrir une perle
noire pour chaque jour que vous avez passé
à me soigner
et à me traiter
Mercédes
s'évanouit !
Extraordinaire
!
«
Jack, encore cet adjectif
-extraordinaire-... »
«
M'en fous ! Pas de fioritures ! Adjectif
simple, qui veut bien dire ce qui veut dire: hors de
l'ordinaire ! Des
gens,
des événements, que j'ai eu la chance de
rencontrer et de
vivre de par mon
métier, qui furent hors de l'ordinaire, hors du
commun et de la
banalité, sont
pour moi extraordinaires, tout simplement ! OK ? »
«
OK, OK... »
«
OK ! Donc, la plupart des personnages,
des histoires, placardés sur les murs de ma
mémoire, dont
je parle dans ce
bouquin, et parce que je les estime extraordinaires,
sont
extraordinaires !
Simplissimo ! Cappice ? »
«
Si, si, Jack, si... Ne te fâche pas !
C'est extraordinaire ! »
«
Tu te fous de moi ? »
«
Non, Jack ! »
«
OK ! Où en étais-je ? Ah ! Oui,
extraordinaire... »
Nous
sommes trois Belges à OXY... Jean
Pierre Keyers, qui s'entendra dire qu'il ne pourra
jamais
désensabler son avion
avec le bulldozer et qui est à présent
Commandant de Bord
à Brunei, est venu
gonfler la flotte ! La maffia belge...
Il
y a toujours de par le monde un petit
pilote belge volant pour une compagnie
étrangère ! J'en
connais des tas et des
tas: en Orient, au Moyen-Orient, en Asie d'Est et
d'Ouest, en Afrique
du Nord
et du Sud, aux Amériques, et même en Europe
! La maffia
belge des pilotes à
contrats, aux carrières sinueuses... Des mecs,
qui se sont
démerdés ! J'aime !
Avec
J. P., je ferai non seulement de nombreuses
heures de vol, mais aussi des petits gueuletons...
Aimant la bonne
cuisine, ce
ne sont pas des sandwichs à la mayonnaise, qu'il
commande par
radio, mais
carrément des plats, dont il ordonne le menu !
Sitôt
après le décollage,
l'assiette sur les genoux, nous dégustons...
«
Tu vois le tableau » me dit-il « si nous
avions un crash, on retrouverait deux pilotes, une
fourchette
plantée dans la
gorge ! Les enquêteurs se demanderaient quel genre
de bagarre a
bien pu se
dérouler dans le cockpit... »
Plus
tard, dans les « Airlines », je
mangerai sur un plateau... Dans le cockpit, les pilotes
mangent leur
repas,
penchés sur un plateau posé sur leurs
genoux, leur
cravate rejetée sur l'épaule
afin qu'elle ne trempe pas dans la soupe ou le
café... Position
peu
confortable... Moi, cela me coupe l'appétit !
J'en suis
arrivé à ne presque
plus rien manger à bord ! Je bois du thé,
de l'eau
minérale et je mange
quelques biscuits... Et puis, je ne sais pour quelle
raison vexatoire,
il
suffit que nous commencions à manger pour que la
turbulence se
mette à secouer
l'avion et « Plaff ! », le pantalon est
rempli de
nourriture et de boissons !
D'ailleurs, ne nous parlez plus de poulet
«
Encore du poulet froid ! »
La
langouste et même le caviar de la
première classe prennent le même chemin:
«
Encore de la langouste ! Pff... »
«
Encore du caviar » ! Pff... »
Nous
sommes des gâtés ! Tant que l'on en
est conscient, ça va...
Au
temps de ma mouise, à l'époque de ma
dèche, quand tout semblait s'acharner sur moi,
que mon morale
s'enfuyait vers
l'abîme, Serge Michel, voyant mon état,
m'avait
conseillé d'aller rendre visite
à ce monsieur, qui avait, paraît-il, un
pouvoir
surnaturel...
«
Non seulement, il peut guérir les corps,
mais aussi l'esprit... Il pourrait peut-être te
réconforter... Il prévoit
également l'avenir ! »
«
L'avenir ! Mais enfin, Serge, mon
avenir... Je t'en prie, pas ce genre de truc avec moi !
»
«
Comme tu veux, Jackie... »
Blanche,
ma femme un peu sorcière, qui
prédira certaines choses de ma vie avec
exactitude, et dont je
crains encore à
ce jour les prévoyances:
«
Que risques-tu ? »
«
Ce que je risque ? Mais qu'il me prédise
un futur des plus noirs ! Je risque alors de sombrer
complètement dans la
dépress... »
Elle
insiste:
«
Si tu veux, je t'accompagne... »
Nous
sommes allés trouver ce phénomène !
Il
reçoit dans l'arrière-salle d'un
café
derrière la Bourse... Nous rentrons dans le
café... Il
est bourré de monde !
Installée à une table au fond de la salle,
une dame... La
femme du fakir !
Encore un arbre de Noël ! Manteau de vison...
Pendentifs... Ors et
argents en
masse, diams ! Peinturlures... Mascarade de fards...
Sourcils noirs,
épais...
Lèvres vives de rouge ! Elle distribue les
tickets, me dit-on !
«
Bonjour Madame, nous voudrions voir
monsieur... »
«
Oui, oui ! »
Et
« Plaff », elle nous balance un ticket
!
«
Chacun à son tour ! »
«
Combien ? »
«
Vous donnez ce que voulez après votre
visite au Maître... »
«
Ah... »
Je
jette un coup d'œil à mon numéro...
«
Pardon, Madame... Il y a-t-il beaucoup
de monde avant nous ? »
La
madone fait un large et lent mouvement
du bras... Elle me montre tous les gens du bistro... Des
dizaines !
«
Ah... »
La
matinée passe devant un café, deux
cafés, une bière, deux bières... Un
sandwich, une
bière, un café...
Je
veux partir... Blanche me retient !
«
Attends ! C'est bientôt notre tour... »
Le
café ne désemplit pas... Au fur et
à
mesure que les gens quittent la salle, d'autres viennent
les remplacer
! Je me
dis que le patron de cet établissement et «
le devin
» ont bien combiné leur
affaire... Là, ils ont vu clair ! Les visites
sont assez
rapides, mais ils sont
tellement nombreux, les malades...
Un
café, un autre café... Je me sens
devenir de plus en plus nerveux ! L'après-midi
est
déjà bien entamée, quand
Madame Fakir hurle notre numéro ! Bingo, c'est
à nous !
Les
choses vont se passer vite !
Je
rentre... Le monsieur, qui me prend
immédiatement la main gauche en la pressant
doucement, est
habillé, lui, avec
simplicité ! Il ne me regarde même pas...
Il a d'ailleurs
les yeux mi-clos ! Je
veux parler, c'est lui qui parle...
«
Je vois... Fatigue morale... Mauvais
passage de vie... »
Silence...
La
pression de sa main devient plus forte
!
«
Je vois du bleu... Du bleu vraiment
bleu... Je vois du blanc... Du blanc vraiment blanc...
Je vois aussi du
feu ! Mais
point dévastateur... Du feu... »
Silence...
«
Je vois dans tout ceci un aboutissement
pour vous... »
Je
veux lui demander:
«
Quand ? »
Mais
il termine ! Il ne m'a toujours pas
regardé...
«
En mon pouvoir, c'est tout ce je peux
vous dire... ! »
Il
prend ensuite la main de Blanche et lui
raconte pas mal de vérités sur sa
santé...
Nous
quittons l'alcôve... Je balance à sa
femme, comme elle m'a balancé mon ticket, deux
billets de mille
francs !
Blanche:
«
Qu'en penses-tu ? »
«
Sais pas... »
Et
j'oublie cette journée de 1963...
En
1969, je survole le Golf de Syrte...
Visibilité à perte de vue...
Lumière intense,
couleurs vives... Je pense... Je
suis heureux ! J'ai repris la voie du ciel... Je suis
depuis 1967
devenu
Commandant de Bord, de DC3 d'abord, de Fokker F27
à
présent... Je gagne très
bien ma vie... Ma carrière se profile bien ! J'ai
enfin abouti...
Abouti
?
Tout
à coup, un « Flash » se
réverbère
devant moi au travers du pare-brise ! Je vois la Mer
Méditerranée, bleu comme
seule elle peut l'être ! Je vois la côte et
au loin le
désert, blanc comme seul
il peut l'être ! Je vois alors du feu... Le feu
des
torchères des puits de
pétrole... Le tableau de mon oracle !
Alors,
je le revois, ce Monsieur, dans
l'arrière-salle du café de Bruxelles ! Je
l'entends me
citer ces trois couleurs
! Je l'entends me parler d'aboutissement...
(SIC)
!
«
Ah ! Un (SIC), Jack ! »
«
Je crois qu'il en vaut la peine... »
Coïncidence
?
De
toute manière, tout baigne dans l'huile
!
La
vie à Tripoli se déroule de la
façon la
plus agréable... « Parties » entre
copains, dont
celles de Marivonne Perez très
recherchées, « Hippy party » et
parties de Monopoly
dans la belle villa de
Franco, le beau-frère de la belle Sybile, femme
d'Armuth Weyer,
un jeune
Commandant de bord allemand, de très bons amis...
Shows,
défilés de mode et
soirées déguisées à
l'Uaddan, ce vieux
palace et casino du temps des Italiens,
etc... etc...
Tout
baigne dans l'huile !
Malgré
cette dolce vita en Tripolitaine,
Blanche se met à travailler à l'Ecole
française...
Elle donne cours aux
petits... Elle a sa voiture
! Moi, je
vends à regret la Volks de Papa et m'offre une
Corvette
décapotable, vert
métallisé, intérieur cuir... Chaque
fois que
j'appuie sur l'accélérateur de
cette machine à turbo, je vois la jauge d'essence
baisser d'un
cran ! Mais on
s'en fout en Libye, au prix où est le baril...
«
C'est le pourboire, que tu donnes là au
pompiste ? » «
Non, c'est l'argent pour le plein... »
J'achète
cette voiture d'occasion à un
jeune Italien, qui me fait un prix... Combine ! Je le
paie en Europe,
car ce
malheureux ne peut transférer aucun argent hors
du pays,
étant en Libye depuis
des générations... Nous, avec notre permis
de travail,
nous pouvons quand même
faire sortir quelques sous... Le tiers de notre salaire
! Et ce sera
ainsi au
Maroc et en Tunisie ! Le sort des expatriés... A
prendre ou
à laisser ! Mais
les Maghrébins en Europe, eux, prennent leur fric
et le
rapatrient en vitesse
dans leur pays et en totalité ! La
démocratie...
Bref...
Nous allions aussi au « Mocambo
»... Un peu « Le Sphinx » de Benghazi
! Odeurs...
Fumées... Tapis humides
d'alcools renversés... Entraîneuses de
toutes races...
Ambiance ! Bagarres
aussi ! Lieu de plaisir des pétroliers, surtout
des Texans, qui
reviennent du
désert et s'éclatent le soir dans ce
repaire de plaisirs,
dernière catégorie !
Les « shows » ne sont pas ceux du Casino du
Liban, ni de
l'Uaddan... C'est
dégueulasse, on s'encanaille ! J’espérais
bien retrouver
ma grosse Egyptienne
de Benghazi pour lui prendre la température, mais
elle
n'apparaîtra jamais sur
scène, mon Egyptienne, qui réclamait un
Docteur...
Par
contre, ce qui va apparaître à cet
Anglais, qui quitte le Mocambo aux petites heures est
inhabituel... Il
m'a
raconté sa sortie du Mocambo ! Il croit avoir un
peu trop
poussé sur le whisky
en apercevant dans les rues des tanks, des soldats,
encore des tanks,
encore
des soldats...
Un
militaire libyen lui conseille:
«
Rentrez vite chez vous ! »
Nous
sommes le 01 septembre 69, Gadhafi
fait son coup d'état !
Plus
rien ne baigne dans l'huile...
Et
le couvre-feu recommence... Le
black-out, excepté pour la radio locale, qui ne
transmet que de
la musique
militaire arabe ! Nous ne sommes plus en appartement,
nous habitons une
villa à
Giorgum Populi, le quartier en bord de mer à
l'Ouest de
Tripoli... Pendant deux
ou trois jours, nous n'avons aucune idée de la
situation ! Peu
à peu, nous
apprenons que le coup d'état s'est passé
sans effusion de
sang, que le Roi
Idris s'est exilé en Egypte et que nous pouvons
sortir quelques
heures pour
nous approvisionner... Un ordre cependant:
«
Remettre immédiatement au Conseil de la
Révolution
toutes les armes à feu, que vous possédez
! »
Je
pense à mon pistolet 22 long
automatique... Vais-je le rendre ? J'y tiens ! Le
Commissaire de Police
de
Kraainem m'avait autorisé d'acheter cette arme
après le
cambriolage de la
villa, le lendemain de notre mariage... Nous dormions !
Néron,
le boxer, avait
bien mis en fuite le ou les voleurs, mais ils avaient eu
le temps de
rafler sur
la table du salon, quelques cadeaux de mariage, et le
sac de Blanche
contenant
les quelques sous que sa famille lui avait offerts...
Les ordures ! Je
les
aurais tués ! Une balle dans la tête, entre
les deux
yeux...
D'ailleurs,
c'est le conseil que me donna
un copain de la police:
«
Descendre l'intrus d'abord ! Ensuite,
tirer une balle dans le plafond... Self-defence ! Tu
vois ce que je
veux dire ?
»
Oh,
oui ! Bons dieux, comme je suis bien
d'accord avec ce policier-là...
Et
avec cet autre policier singapourien,
qui alerté par le cambriolage d'un bijoutier,
qu'un petit con
menaçait avec un
revolver (personne ne peut posséder d'arme
à feu à
Singapour !)... Il n'a pas
hésité:
«
Pan ! »
Une
balle dans la tête ! Entre les deux
yeux... Allez ! Hop ! A dégager !
Le
lendemain, ce jeune Officier avait sa
photo en première page et recevait les
félicitations de
la presse et de tout le
monde ! Voilà le travail ! Du beau travail !
Et combien je comprends que dans certains
pays de loi coranique, on coupe des mains... Dans ces
pays, Monsieur,
je peux
laisser mon portefeuille sur le siège de ma
voiture,
fenêtres ouvertes... Quand
je reviens, il y est toujours !
Je
devrai être encore cambriolé deux
fois... Au Maroc ! Tous les bijoux de Blanche disparus
et mon beau
salon en
cuir lacéré de coups de couteau... Les
ordures ! Je n'ai
pas eu l'occasion de
leur foutre une balle dans la tête... D'abord,
parce que je n'en
ai pas eu
l'occasion, puisque je n'étais pas
présent, et surtout
parce que je n'avais
plus mon beau revolver... Ghadafi me l'avait
confisqué
définitivement !
Cette
arme, que j'avais donc « glissée »
dans mon déménagement, je la cache (!)
dans un tiroir de
la commode, entre
calçifs et chaussettes, où se trouve
également
l'argent pour les dépenses de la
maison... Or, « l'argent du mois » fond
vite... Les billets
disparaissent ! Pendant une
révolution, coincé à la
maison par le couvre-feu, que faire
d'autre que la grasse matinée ? Manger, oui, bien
sûr,
mais il est encore trop
tôt pour le petit-déj...
«
Bang ! », « Bang ! », « Bang !
», «
Bang
! » !
Je
n'ai pas le temps d'aller ouvrir, la
porte est déjà enfoncée... Dans le
salon,
où ils ont pénétré, quatre
soldats me
braquent leurs mitraillettes en pleine poire ! Ils ne
sont pas seuls...
Notre
bonne, d'origine tunisienne, les accompagne ! Elle parle
le
français: «
Myriam ! Qu'y a-t-il ? »
Elle
ne me répond pas, se dirige vers la
chambre en bousculant ma femme, qui en sort...
Rapidement, elle revient
tenant
à la main mon pistolet 22 Long, qu'elle remet aux
ploucs,
triomphante !
Les
bras en l'air, l'air con, je
comprends... C'est Myriam, qui nous piquait quelques
billets de temps
en temps
! Elle savait donc où se trouvait mon arme...
Pour se mettre du
bon coté, cette
saloperie me vend aux soldats de la révolution !
Sous
bonne garde, j'ai juste le temps de
passer un pantalon et d'enfiler une chemise, de dire
à Blanche
d'essayer de
contacter le Consulat de Belgique par
téléphone, s'il
n'est pas coupé...
Embarcation
brutale dans une jeep, les
mitraillettes toujours pointées vers moi... Je
suis
encadré par les militaires
et le sourire méchant de ma bonne ! Ma bonne, qui
me dit
agressivement:
«
Nous allons au Conseil de la Révolution
! »
Je
suis inquiet... Pas de Consul belge !
Je le suis encore plus lorsqu'après avoir attendu
une bonne
partie de la
journée, dans une sorte de cellule, on me fait
pénétrer devant un aréopage
d'Officiers... Myriam est là !
Elle
se met à parler en me pointant du
doigt... Je comprends un peu l'arabe... Elle raconte que
je ne la
payais pas
assez, que je l'exploitais ! La salope, elle est
gonflée...Je la
pourrissais!
Mon
inquiétude augmente en voyant Myriam
soudain se jeter et se rouler par terre... Serpentant
sur le ciment,
elle me
désigne encore de la main ! Un show ! Elle
pleure, elle crie,
elle hurle ! Mon
compte est bon... Je vais passer par les armes !
Non
! Je me rassure... Je vois les
Officiers sourire ! Cela les amuse... Je vois aussi
passer un autre
Officier,
un jeune Capitaine de 27 ans, qui deviendra vite
Colonel... Il
s'arrête un
instant... Cette scène semble l'amuser
également... Je le
reconnaîtrai quelques
jours plus tard dans les journaux... Le Colonel Ghadafi
!
Ce
qui les intéressent, les militaires, ce
ne sont pas les histoires de ma bonne, c'est mon
revolver, qu'ils
tiennent en
main et qu'ils se passent mutuellement en ne sachant pas
quelle
décision
prendre à mon sujet...
En
anglais, ils me demandent pourquoi je
n'ai pas rendu mon arme après l'annonce à
la radio... Que
dire ?
«
J'ai oublié... Sorry ! »
Que
vont-ils décider ?
Ils
décident d'abord d'envoyer Myriam au
Diable et ensuite de me renvoyer, moi, dans ma cellule !
Angoisse...
J'attends !
Que
vont-ils décider ?
Toujours
pas de représentant
diplomatique...
Angoisse...
J'attends !
Quant
vers 17 heures, la porte s'ouvre...
Je ressens alors ce que les condamnés à
mort ressentent
probablement... Drôle
d'impression !
Dans
la salle du Conseil, je reconnais de
suite mes « boss » américains ! Mon
Chef-Pilote et
un des grands patrons
d'Occidental à Tripoli... Ils ont l'air calme,
mais
pressés... D'ailleurs, avec
un sourire, ils me prennent de suite par le bras et
m'emmènent
à l'extérieur !
«
Quickly, let's get the hell out of here,
before they change their mind... We bailed you out, but
it was not easy
! »
«
Foutons le camp en vitesse de cet enfer
avant qu'ils ne changent d'avis... On t'a sorti d'ici,
mais ce ne fut
pas
facile ! »
Blanche
avait eu la bonne idée d'avertir
aussi OXY...
Les
Américains... Bien, les Américains,
très bien ! Chapeau et merci !
Le
Consul de Belgique, pas chapeau et pas
merci ! Ce Monsieur, qui, je l'apprendrai quelques
années plus
tard, restera
planquer par habitude sans doute, dans l'Ambassade de
Belgique à
Khartoum dans
des circonstances semblables et y sera tué !
Je
n'ai plus jamais revu mon 22, je n'ai
plus jamais revu Myriam...
Comme
en 67, pendant « La Guerre des Six
jours », il faut bien ravitailler les hommes dans
le
désert... Les premières
autorisations de vol arrivent...
A
nouveau, avec Mustapha, qui entre-temps
est lui aussi passé à OXY, « parce
que le flouze,
il est meilleur », nous voilà
partis vers l'aéroport dans la voiture de la
compagnie, une
Volkswagen...
«
Stop, papiers ! », « Stop, papiers !
»,
« Stop, papiers ! »
Stop
! Pas de demande de nos papiers !
Deux soldats nous braquent le canon de leurs fusils !
L'un sur ma
tempe,
l'autre sur celle de Mustapha... Mustapha, qui n'a pas
arrêté de me dire que
tout se passera bien !
«
Et s'il se passe quelque chose,
Commandant, je suis là pour parlementer en arabe
! »
«
Et bien parle maintenant, Mustapha ! »
Les
ploucs nous réquisitionnent... Ils
veulent que nous les emmenions à Ben Gashir,
près de
l'aéroport, pour acheter
des cigarettes !
Je
descends, je baisse le dossier de mon
siège:
«
Be my guests ! Fadel... Je vous en
prie... Montez à l'arrière ! »
Le
soldat passe son fusil autour de ses
épaules, se plie en deux et va entrer dans la
Volks...
Son
fusil s'accroche...
Second
essai...
«
Clac ! »
Il
fait signe à son collègue d'essayer
à
son tour...
«
Clac ! »
Problème
! Réflexions...
Il
décide alors de me donner non seulement
son fusil, mais aussi celui de son petit camarade ! Je
me retrouve,
avec sur
les bras, les deux armes, qui nous ont
menacées... Ces Messieurs
pénètrent dans
la voiture... Je donne les armes à Mustapha !
J'ai difficile
à ne pas pouffer
de rire... Mustapha, lui, le rigolard, va éclater
de rire !
«
Mustapha ! »
Ce
premier vol ne peut s'effectuer qu'avec
un militaire à bord ! Il doit nous surveiller...
Il nous attend
au pied du F27
! Le malheureux n'a jamais mis son cul dans un avion...
Je le vois, il
est
paniqué ! Aussi, je lui demande en anglais, en
arabe et surtout
en gestes, de
mettre sa mitraillette, qui est chargée,
là, à
l'entrée du cockpit ! Avec
hésitation, il accepte enfin... Car ce passager
veut s'asseoir
sur le « jump
seat », le siège qui se rabat entre les
deux pilotes !
Au
décollage, il s'agrippe où il peut,
devient grisâtre... Tant que nous survolons le
désert,
ça va... Notre passager
peut voir le sol ! Il est calme... Mais pour la
traversée du
Golf de Sirte,
c'est autre chose ! Il voit disparaître la terre,
ne voit plus
que de l'eau...
Il devient nerveux ! Il a tendance à allonger son
bras vers sa
mitraillette...
Je décide alors de suivre la côte... Il se
calme ! La
journée sera longue...
Le
soir, je reprends le chemin de la
ville... Toujours avec Mustapha !
«
Stop, papiers !, « Stop, papiers ! »,
«
Stop, papiers ! »
Stop
! Barrières en chicanes... Dans la
lumière des phares, nous apercevons un immense
bonhomme ! Il est
tout noir,
Libyen du Sud sans doute... Son torse nu reluit... A la
ceinture, une
baïonnette... Comme un cow-boy, il se
démarche vers nous
... Scène à filmer...«
Action ! » Il est près de la voiture...
«
Mustapha, qu'est-ce qu'on fait ? »
«
Rien, Commandant ! »
Le
grand nègre:
«
Papiers ! »
Il
prend nos papiers... Il lit mal ! Il
retourne nos papiers... Il lit mieux ! Il sort la
baïonnette de sa
ceinture...
Je
veux foncer, je vais foncer !
Mustapha,
en me montrant la bête:
«
Regardez, regardez ! »
Je
regarde... Je vois mon révolutionnaire,
qui se gratte consciencieusement le crâne avec sa
baïonnette
et nous donne
l'autorisation de passer... Je fonce !
La
Révolution libyenne...
Mais
elle va nous emmerder, la Révolution
libyenne, notre style de vie est perturbé...
D'abord,
l'alcool... Plus d'alcool
! Interdite l'alcool ! Pays de la soif ! Régime
sec, qui est
vite transformé en
humidité... Dans les camps de pétrole, la
soudure marche
à fonds ! Les alambics
se soudent, se forgent, se montent... Distilleries !
Production en
quantité,
mais pas en qualité, d'un alcool à 100%,
qui rendra
« zinzin » plus d'un
pétrolier !
Chacun
se met à faire du vin, améliorant
jalousement ses cuvées selon les recettes venues
d'Arabie
Saoudite !
Fièrement:
«
Viens goûter mon petit blanc... »
«
Viens goûter mon dernier rouge... »
Moi,
par pur hasard, je fais du rosé ! Je
le sers bien frais... Il a 11 degrés ! Je le
sais, parce que
j'ai fait venir de
Londres un alcoomètre...
Fernand,
le spécialiste de la paella, le
goûte... Il revient de la plage, juste en face de
chez moi... Le
soleil est au
zénith, il cogne dur sur la tête !
«
Aaaah... ! Excellent, Jacques ! Tu
permets... ? »
Et
de se reverser une rasade pour assoiffé
du désert...
«
Aaaah... ! Vraiment bon, dis donc ! Tu
permets... ? »
Troisième
rasade...
Plus
de compliments ? Fernand est-il
devenu muet ?
Sur
la pelouse du jardin, comme un vieux
cheval, Fernand s'affaisse lentement sur ses genoux...
Dans
le Beaujolais, les vignerons me
regardent d'un drôle d'air... Moi, le Belge, je
leur explique
comment faire du
vin !
«
Du jus de raisins en bouteille, de
l'eau, du sucre et de la levure ! Laisser macérer
une semaine ce
mélange, dont
je garderai les proportions secrètes, dans des
seaux, recouverts
d'une toile
moustiquaire, pour les mouches... Ca fait des bulles,
Bloup-Bloup-Bloup, à
cause de la fermentation ! Ca pue ! Siphonnage... Une
autre semaine
dans une
grosse dame-jeanne... Ca fait Pshiiiii, toujours
à cause de la
fermentation, à
croire qu'elle est en train de bouillir sur un feu, la
dame ! Ca pue
moins...
Resiphonnage... Mise en bouteilles et cassure de la
fermentation au
frigo... Ca
pue plus ! Prêt à servir ! »
Les
vignerons me regardent vraiment d'un
drôle d'air...
Ca
pue tellement que je crains la
police... En suivant l'odeur, elle n'aurait aucune
difficulté
à découvrir mes
seaux de vin éparpillés dans le garage...
De
Londres, je fais également venir non un
décapsuleur, mais un capsuleur... Pour capsuler
mes bouteilles,
dans lesquelles
je verse un mélange infâme de houblon et
d'eau
sucrée... Opération plus
difficile, la fabrication de la bière !
Nous
sommes réveillés la nuit par des
coups de feu ! Des soldats dans le jardin ? Une
contre-révolution ? Non, j'ai
mis trop de sucre et mes bouteilles explosent les unes
après les
autres...
Comme mon grand-père n'est plus là pour me
conseiller,
j'abandonne ma brasserie
et me consacre à ma cuvée «
Rosé 1970
» !
Cuvée
70, que j'offre « en douce » à mon
ami Barudi... Je lui apporte deux bouteilles ! Barudi
est un artiste
libyen, un
grand artiste, il peint ! Il vit et peint dans une
grotte, au KM 13,
endroit où
nous allons régulièrement faire de la
plongée
sous-marine et de la paella...
Barudi peint des paysages de désert, de chameaux
et de
tempêtes de sable...
Après
avoir vidé une de mes bouteilles et
pour me remercier, il peint devant moi, en
Avant
la révolution, les amis de Robert
Faure sont le Chef de la Police, le Ministre de ceci, le
Ministre de
cela...
Tous ses copains sont à présent
derrière les
barreaux !
Robert,
baroudeur d'affaires, caractère
blagueur, ami agréable, vient chez moi un soir me
faire une
proposition...
Mi-figue, mi-raisin:
«
Tu sais que j'ai fait l'Indo ? »
«
Oui, Robert, tu me l'as dit... Pourquoi
? »
«
Je veux sortir mes potes de tôle ! Je
m'occupe de les évacuer de la prison... Je les
emmène
à l'aéroport... Toi, tu
les embarques dans ton avion... De simples passagers
allant travailler
dans le
désert... Vol normal ! »
«
?!?! »
«
Une fois en l'air, tu te diriges vers
Malte ou vers la Sicile ! Tu n'as rien à
craindre, tu
prétends à un
détournement... »
«
!?!? »
«
Combien tu veux ? Ton prix est leur prix
! »
«
?!?! »
Je
commence à voir des doutes... Robert se
fout-il de moi ? Ou est-il sérieux ?
Je
décide de jouer le jeu:
«
Donne-moi 24 heures... Ma décision
dépendra du prix ! »
Robert
revient le lendemain... Je lui sors
un chiffre exorbitant en millions de dollars !
«
J'en parle à qui de droit et je reviens
demain ! »
«
!?!? »
Pour
la troisième fois, Robert est à la
maison...
«
C'est OK ! »
«
Moi, c'est pas OK ! Voyons, Robert, tu
me connais, tu sais très bien que je ne joue pas
de ce jeu...
»
«
Dommage, Jacques... »
Jeu
ou pas jeu ?
Dix
ans après, je retrouve Robert Faure
dans sa suite de l'Intercontinental d'Abu Dhabi,
où je fais
souvent escale...
«
Dis-moi, Robert... Le coup, que tu m'as
proposé à Tripoli en 1970... Tes copains
en prison... Mon
pseudo-détournement...
Tu blaguais ou pas ? »
«
Non ! »
«
!?!? »
«
Jack, tu as déjà été
détourné
? »
«
Pas encore... »
Quatre
pauvres cons ont cru bien faire en
détournant un avion de Singapore Airlines en 1991
! Ils ont mal
choisi
l'endroit... Singapour ! Après des
négociations
infructueuses, pendant
lesquelles une équipe spéciale
s'entraînait sur un
autre Airbus, les
Singapouriens sont passés à l'action ! Ce
fut vite fait:
«
Pan !, Pan !, Pan ! Pan ! »
Quatre
fronts transpercés d'une seule
balle... A dégager !
Voilà
le travail ! Du beau travail !
Chapeau
!
Si
on avait pu réussir ainsi ce genre
d'opération depuis le début des
détournements
d'avion... Comme au temps où l'on
pendait les mutinés au grand mât des
voiliers !
Après
ces mois de secousses et pour nous
remettre en forme et surtout pour boire un bon coup,
nous passons 15
jours de
vacances aux sports d'hiver, à Avoriaz ! Dans le
prospectus, on
parlait de
traîneaux, tirés par des rennes... Pas vu
de rennes ni de
traîneaux ! Viendront
plus tard, paraît-il... La station vient de
s'ouvrir ! Je me mets
au ski avec
un pilote belge d'Air Algérie, rencontré
sur place, Bob
Smet ! On s'en tire pas
mal, mais je crains... J'ai la frousse de me casser une
patte ! J'ai
connu
tellement de pilotes revenants du ski de neige avec une
jambe
cassée et plus de
licence... Nous faisons donc de grandes balades dans la
montagne... Le
ciel est
bleu... Grandiose ! Tout à coup, au sommet d'une
côte, une
apparition,
grandiose aussi ! Ce n'est pas la Sainte Vierge, c'est
encore plus
beau, plus
renversant, plus... C'est Brigitte Bardot ! Elle est
à contre
jour dans ce
décor de rêve... En éclipse
derrière elle,
le soleil lui donne des ailes...
Sourire de madone, image de missel ! Quelle est belle,
Brigitte,
habillée de
laine claire, son bonnet beige, son écharpe, ses
bottes de
daim... Je ferme les
yeux et la revois encore aujourd'hui ! Soudain
derrière elle, un
animal, une
bête, la tête, le corps recouverts de poils
et de fourrures
! C'est moins
beau... C'est Papillon ! Charrières a sans doute
intérêt à suivre BB partout,
puisqu'il lance son bouquin... Suivent les
journalistes... C'est
affreux ! Je
continue ma promenade...
Le
soir, nous retrouvons Papillon au bar
de notre l'hôtel... Il est vraiment pas beau,
(quelle gueule !)
mais sympa,
rigolard et plein d'humour... Quand le barman voit
entrer les deux
gendarmes
venus se réchauffer dans le bar, à
l'extérieur il
gèle à pierres fendre, il
leur crie en rigolant:
«
Si c'est Charrières, que vous cherchez,
il est ici ! Là, juste en face de moi ! »
Papillon,
toujours la toque de fourrure
sur son crâne, va de suite vers eux et leur tend
ses poignets...
«
Je me rends ! Passez-moi les menottes !
»
Avoriaz...
Jolie station ! Dire que je
voulais y acheter un studio en le payant avec mes soldes
d'OXY...
OXY
fait l'acquisition d'un autre type
d'avion, un Pilatus Porter ! Petit turbo-prop capable
d'atterrir et de
décoller
très court, l'espace d'un terrain de football
suffit ! Avec cet
appareil, nous
sommes basés dans le désert à tour
de
rôle... Nous allons transporter du
personnel et du matériel d'un camp à
l'autre,
évacuer des blessés, surveiller
et nous poser le long du pipe-line pour permettre aux
ingénieurs
et aux
mécaniciens de procéder à la
maintenance...
Ce
faisant, nous volons bas ! Ce qui nous
permet de faire de bien curieuses découvertes...
On atterrit et
on visite !
Cette forêt millénaire, par exemple... Mais
elle est de
pierre ! Les arbres,
couchés sur le sol, sont pétrifiés
! Je me
souviens surtout de ce vieux fort en
ruine... J'avais posé le Pilatus à
proximité et
m'étais aventuré dans le
silence de cette forteresse... Une légère
brise soulevait
le sable...
Impressionné par ce décor, je regardais et
j'écoutais en espérant que le
désert
me livrerait l'énigme de ce lieu ! Quel massacre
a bien pu se
commettre dans ce
fort ? Les Tartares étaient-ils enfin venus ?
Le
désert... Je l'avais découvert beau,
quasi-vierge, sans ride, sans cicatrices ! Je le quitte,
après
cinq ans,
vieilli, souillé, griffé... Les pipe-lines
le veinulent,
le strillent... Le
pétrole brut le tache... Il a une maladie de
peau, le
désert ! Il est devenu
malade, il a la fièvre... Les torchères
lui enflamment le
corps !
Il
n'y a pas que lui, la terre tout
entière est malade... Plus tard, je verrai les
forêts
brûler en Asie du
Sud-Est... Le sol aura alors cet aspect de lèpre,
de maladie
incurable ! Les
Océans également, je les verrai
souillés de taches
sombres... Et surtout aux
horizons de mes vols, avec inquiétude, je vais
apercevoir cette
bande brunâtre
de pollution se dessiner de plus en plus épaisse
sur toute la
surface du
globe... Notre planète étouffe... Et les
hommes s'en
foutent ! A part quelques
uns... Comme le Commandant Cousteau ! Il fait ce qu'il
peut pour notre
bonne
vielle terre... Il devrait, le Commandant donner des
ordres militaires
!
Interdire ! Suis-je bête ? Interdire... J'oublie
que dans nos
concepts actuels,
tourbillonnés dans le courant des « grandes
idées
», il est interdit
d'interdire ! Minable...
La
situation à Tripoli n'est guère facile
pour les compagnies pétrolières...
Restriction du
personnel ! Occidental nous
fait comprendre qu'étant Belges... Normal !
Sympas, les
Américains nous
laissent le temps de trouver un autre job !
Voilà
que ça me reprend ! Avancer,
avancer, avancer ! Boogie-woogie ! Passer sur jet,
passer sur jet,
passer sur
jet !
Où
? Coup de dés, poker, monopoly !
Le
Maroc ! Il paraît qu'ils embauchent...
Billet d'avion, licences, carnets de vol, brosse
à dents et, en
vitesse,
direction Casablanca !
Hélas,
ce ne sera pas encore le jet pur...
Toujours le Turbo-propulseur Fokker F27... Je commence
à l'avoir
bien en mains
celui-là !
Ce
que je n'ai pas très bien en mains,
c'est la pratique du vol en IFR (vols aux instruments),
du
contrôle aérien et
des voies aériennes, des plans de vol, des
horaires
réguliers et... des
hôtesses de l'air !
La
Royale Air Inter va donc nous donner
l'occasion de familiariser avec le travail d'Airline
! Je dis nous, car Robert Schepens est de la partie...
Tous
les deux, nous allons passer à
l'aéroport Casa-Anfa, l'interview et surtout le
test en vol...
Le
Commandant Kabbaj, Directeur des
Opérations de Royal Air Maroc, nous pose des
questions... Sourit
peu Kabbaj !
«
Je vois d'après votre CV que avez fait
Salon de Provence... »
Je
ne sais pourquoi, j'ai l'impression que
ça ne fait pas « Clic », mais
plutôt «
Clac »... Il n'a pas l'air fort
impressionné... Bizarre pour cet ancien poussin !
Test
en vol... Au taxi, Robert et moi,
touaregs des sables:
«
Ooooh, Monsieur Kabbaj, des fleurs ! »
En
effet, nous sommes en Mai (1971), tout
est verdure et muguets le long de la piste... Kabbaj
doit se demander
à quelle
bande d'olibrius il a affaire ! Des amoureux de la
nature ou des
retardés du
désert ?
Ca
ne traîne pas ! Panne au décollage !
Moteur coupé ! Hélice en drapeau ! Feu !
Moteur
coupé ! Hélice en drapeau ! Feu
! Check-list ! Check-list !
Approches
ADF, VOR, ILS... Je pinaille !
Kabbaj,
militaire:
«
C'est bon, Siroux ! A votre tour,
Schepens ! »
Robert
et moi rentrons à Tripoli, un
boulot dans la poche... Poche à moitié
vide, puisque
notre salaire est presque
coupé en deux ! Un job, quand même... On
verra... A
prendre ou à laisser ! Nous
prenons ! Jeu de poker...
Chics,
les Américains ! En apprenant que
je vais voler la plupart du temps aux instruments (fini
le temps des
vols à
vue, des vols à l'ancienne, à la ST-Ex.),
ils m'offrent un cours
de« rafrai- chissement
» (!) IFR ! Comme ils savent que tout se fera en
Français
au Maroc, ils
m'envoient à Paris chez « Air Inter
»...
Ce
cours me fait le plus grand bien... Au
link-trainer, je refais toutes les procédures
d'attente,
d'approche et percées
radio-compas, VOR et ILS... Les instructeurs me donnent
un bon rapport
de vol !
Dure
semaine, car mon voisin norvégien,
Per Blom, business-man, profite de mon séjour
à Paris
pour m'accompagner...
Comme nous sommes au Hilton-Sufresnes, nous
écoutons presque
tous les soirs
Stéphane Grapelli... Presque tous les soirs, nous
sommes au
« Crazy Horse » et
tous les soirs, nous sommes dans des boites à la
mode, je ne
sais plus
lesquelles, où nous sortent des amis, le
Directeur UTA à
Tripoli, Vania Lange,
et sa jolie femme suédoise...
Rafraîchissement, en effet,
nous ne sommes plus
au Sahara ! Ensuite...
Ensuite,
je décide d'emmener Per avec moi
chez Gaston, chez qui je suis invité... Gaston,
que j'ai bien
connu à Bruxelles
chez les Jansen et qui apprécie en connaisseur
les somptueux
dîners de Rita...
Gaston, cet antiquaire de suprême finesse, vit au
fond d'une
cour, au fond
d'une cave... Mais quel appartement ! Un tombeau de
pharaon rempli de
richesses
! Dans cette pénombre de sépulture, des
triptyques
médiévaux sont mis en relief
par des spots lumineux... Confortablement
installés dans des
fauteuils de cuir
et d'époque, nous buvons le champagne... Les
coupes sont en
cristal ! Gaston,
les cheveux grisonnants peignés en
arrière, fume... Ses
doigts sont effilés,
ses ongles soignés, mais brunis par son
éternelle
cigarette... Gaston, le
regard aristocrate, à l'œil sur Per, joli
garçon... Il
lui dit:
«
Cher ami, vous buvez dans des verres,
qui ont appartenu à la collection personnelle de
Napoléon... » Je
traduis en Anglais pour mon ami, qui ne parle pas un mot
de
Français... Per
manque de lâcher son verre !
«
Jackie, dis aussi à ton ami qu'il me
plaît beaucoup... Il peut revenir ici quand il
veut ! »
Adieux
à la Libye... A Tripoli, au revoir
à notre chien, Clowny, fils de Madame Ali,
chienne des Goret !
Au revoir à
notre chatte, Coqinette, maman de Love-Love... Ils
restent en pension
chez les
Skelton en attendant notre installation à
Casablanca...
Histoire
de chiens, histoire de chats,
histoire de bêtes, histoire d'amour, qui vrillent
le cœur...
Coquinette
s’enfuira, disparaîtra et Clowny sera abattu dans
la rue par un
policier libyen
! Je m'en veux de ne pas les avoir pris de suite avec
nous à
Casablanca, même
pour un mois à l'Hôtel Continental,
où nous sommes
hébergés en attendant de
trouver demeure... Je m'en veux ! Je m'en veux !
Je
n'en veux pas aux Libyens de m'avoir
jeté en prison, j'en veux aux Libyens, parce
qu'ils ont
tué mon chien !
Nous
sommes Robert Schepens et moi parmi
les premiers pilotes à voler pour la «
Royal Air Inter
», compagnie domestique
desservant les villes intérieures du Maroc...
Plus tard, nous
irons en Algérie
(Oran), en Espagne (Malaga) et à Gibraltar !
Corvette
décapotable, vert
métallisé, intérieur cuir...
Pour
débuter ses opérations, cette
compagnie a fait appel à « Pakistan
Airlines », qui
lui a détaché quelques
pilotes... Je fais donc la connaissance du Commandant
Saleem Mirza (!),
un
Pakistanais de l'Ouest... Se plaisant fort au Maroc, il
y restera le
plus
longtemps possible avant de retourner dans son pays ! Je
rencontre
également un
Paki de l'Est, le Commandant Doza... Lui, dès
l'ouverture des
hostilités entre
le Pakistan et l'Inde, il fait ni une ni deux et repart
dans son
Bengale natal,
qui deviendra le Bangladesh ! J'aurai des nouvelles de
ce Bengali des
années
après, à l'Hôtel
Intercontinental
de
Dubai, où il est de passage... Il a vu mon nom
sur la liste des
équipages et me
laisse sa carte:
«
Hello, Jack ! Everything OK ? I am OK !
Doza. »
Je
deviens aussi ami avec le petit Hashim,
un autre copilote du Pakistan, avec qui je ferai des
nombreux
courriers... Il
est amoureux du Maroc, restera au Maroc et je crois,
deviendra
«
Would you excuse me, Madame... »
Et,
par le hublot, il envoie son rayon
lumineux vers l'aile haute du Fokker !
«
Mais que faites-vous donc ??? »
«
Je vérifie l'aile, Madame... »
Encore
une qui ne prendra plus
l'avion...
Etrange...
Trois copilotes australiens
viennent du bout du monde renforcer la flotte ! Les
malheureux ne
parlent pas
un mot de Français... Car, non seulement la
langue courante est
le Français au
Maroc, mais aussi toutes les procédures radio
(à nouveau,
on parle de pénétrer
sur la piste et de vitesse de pénétration
en
approche...), les check-lists, les
briefings, etc. Ils
survivront tout de
même, mais à la première occasion
d'un job en
Australie, ils repartiront sans
rien dire
Je
retrouverai l'un d'eux, mon ami Alex
King... Il est devenu Commandant de Bord dans la
compagnie domestique
« Ansett
», vols intérieurs ! Dix et douze ans
après, il
m'invitera souvent dans sa
ferme au Nord de Melbourne... Sous un soleil
brûlant, nous
passerons des
journées entières avec sa femme et son
amie Christine,
à trimballer ses 2.500
moutons d'un emplacement
«
Comme passe-temps entre mes vols,
j'avais commencé avec quelques moutons,
maintenant un vrai
business... »
Marcello
Papalardo... Son père est le
médecin, qui nous fait passer notre visite
médicale et
heureusement me dit
semestriellement:
«
Va tutto bene, Commandante ! »
«
Grazie ! »
Ouf
!
Avec
le beau Marcello, qui marche comme
Aldo Maccione, quand il se met à déconner,
j'ai de bons
moments de rigolade...
Il
y a aussi, bien sûr, les copilotes
marocains, avec qui je vais parfaitement m'entendre...
«
Un petit café, Commandant ? »
Changement
agréable de l'environnement...
Enrichissement
que de rencontrer tous ces
gens... Et durant tout le reste de ma carrière,
il en sera ainsi
! J'ai de la
chance... Les dieux me tiennent la main...
Les
vols au Maroc sont également « boulot,
dodo »... Sauts de puce de 15, de 25, ou de 45
minutes tout au
plus (45 minutes
! Du long courrier !) Du Nord au Sud, de l'Est à
l'Ouest !
Exemples:
Casa,
Rabat, Tanger, Tétouan, Al Houceima
! Fin de ligne, tout le monde descend ! Retour: Al
Houceima,
Tétouan, Tanger,
Rabat, Casa ! Pour varier cette litanie, vite Gibraltar
ou Malaga,
à partir de
Tanger... (Vols internationaux !)
Une
autre ligne: Casa, Fez, Oudjda, Oran !
Terminus ! Retour. Ca, c'est le long courrier !
Un
classique:
Casa,
Marrakech, Agadir, Ouarzazate,
Ouarzazate, Agadir, Marrakech, Casa ! Et radadi
«
Dis donc, je crois qu'on s'est gouré...
»
«
Comment ??? »
«
Oui, nous sommes en direction de
Marrakech... C'est à Agadir, que nous devions
aller !
«
Merde, tu as raison ! »
Rapide
changement de cap au-dessus de
l'Atlas... Heureusement, il n'y a pas de couverture
radar... Personne
ne nous
voit virer de bord !
Travail
cependant intéressant... Cela nous
change de la Libye ! Plus de terrain plat comme sur le
désert,
mais des
montagnes, dont celles de l'Atlas, dont le sommet, le
Mont Toubcal
dépasse les
quatre mille mètres ! Pour la traverser, cette
chaîne, en
route pour Agadir,
faire gaffe
Marcello:
«
Ils ne boivent pas du Chivas tous les
jours, ces montagnards... »
Faire
gaffe aussi aux brouillards
d'Agadir, de Rabat... Pinailler l'ILS ! etc.
Le
métier rentre, comme il rentre encore
aujourd'hui après des milliers d'heures, car tous
les vols, que
nous faisons au
fil de notre carrière sont différents ! La
météo change à tout bout de champ,
du ciel bleu aux nuages bas, à la neige, au
brouillard ! Du
calme à la tempête
! Les paramètres varient selon le poids de
l'avion, de la
température... Le
trafic n'est jamais le même... Bref, les
conditions de vol et de
travail sont
sans cesse renouvelées... Heureusement !
«
Jack, tu veux dire une fois de plus que
vraiment, vous n'êtes pas employé aux PTT ?
»
«
Je ne voulais pas le dire... »
Le
Maroc est un très beau pays... Les
Marocains sont accueillants, hospitaliers, gentils,
parlent le
Français...
Casablanca, dont le nom fait rêver est une ville
agréable,
vivante !
Je
ne revêts cependant pas de suite mon
manteau de fine peau, mais un manteau tout simple...
Contre le froid !
Au début
de ce séjour, j'ai eu froid à Casablanca !
Froid à
l'hôtel et dans les maisons,
parce que la plupart d'entre elles ne possèdent
pas de
système de chauffage,
elles sont humides...
Aussi, dans notre
grande maison de la Rue des Farigoules, à
Anfa-Supérieur,
je fais placer de
suite un poêle à mazout dans le hall, comme
je l'ai fait
à Tripoli et le ferai
plus tard
«
Jack, on s'en fout ! »
Je
sais, mais c'est pour expliquer que
nous avons été un peu refroidis par le
Maroc...
Après cette installation
sanitaire, nous avons cru, ma femme et moi, que nous
avions tout sous
contrôle
et qu'enfin, l'épisode marocaine allait enfin
bien
démarrer... Oui, pour
quelques mois... Puis, cambriolage ! Bijoux disparus,
salon de cuir
déchiré !
Je rage ! Blanche aussi... Elle en devient malade, n'est
plus bien dans
sa
peau... Sous le conseil d'une amie (!), elle veut se
mettre dans les
pattes
d'une sorte de guérisseur ! Je cède... Ce
con, qui m'a
déjà pompé quelques
sérieux sous de mon salaire, me dit un jour:
«
Quant à vous, vous feriez mieux de plus
boire de bière ! Très mauvais ! »
Je
le vire !
D'ailleurs,
cette maison est trop grande,
surtout trop chère pour ma « solde
»... On
déménage ! Joli petit bungalow dans
le quartier de CIL... Ca va mieux... Mais plus tard,
re-cambriolage !
Par-dessus
le marché, la situation
politique, que je croyais stable, ne l'est pas du
tout...
Zezette
est une des premières personnes,
que nous fréquentons assidûment à
Casa... Elle sait
tout, connaît toutes les
bonnes adresses... Car Zezette, juive marocaine, cœur
sur la main, est
marrante, bonne vivante... Zezette est l'amitié
même !
Elle nous prend sous son
aile ! J'ai fait sa connaissance au garage Chrysler,
où j'ai
« investi » (!)
dans une voiture !
Zezette
nous invite dans son cabanon au
bord de l'Océan Atlantique... Journée
paisible
d'été... Lorsque, en fin
d'après-midi, le bruit court vite sur la plage
qu'il y a eu un
coup d'état au
Palais Royal de Skhirat ! Un massacre... Des morts ! Le
Roi Hassan
est-il
vivant ? Le lendemain, nous apprendrons qu'il a eu
de la chance, qu'il a échappé de justesse
! La Baraka... Le coup est
manqué et le Roi fera fusiller la plupart de ses
Officiers
Supérieurs !
Nous
apprenons aussi que notre Ambassadeur
de Belgique, un des nombreux invités à cet
anniversaire
royal, est parmi les
victimes de cette réception sanglante !
Moi,
qui croyais enfin avoir fui à tout
jamais les guerres saintes et les révolutions, je
retombe en
plein drame...
Ce
n'est pas fini ! Deux ans plus tard,
attaque en plein ciel de l'avion du Roi Hassan II par sa
propre
aviation de
chasse ! Une fois de plus, il en réchappe encore
! Le «
blessing », la
protection des dieux... La Baraka !
Ce
n'est pas fini ! Il y aura aussi la
guerre du Yom Kipour... L'atmosphère
s'électrise !
Un
ami m'avait écrit à l'époque:
«
Jacques, je n'ai pas besoin de me
demander où tu trouves sur le globe, je
n'ai qu'à suivre les coups d'état, les
révolutions... Là où il y a le
bordel,
tu y es ! »
«
Tu exagères... »
Mais
à l'époque, il n'avait pas tout à
fait tort, mon ami...
Comme
toujours, après les tempêtes, le
calme revient, la vie se régularise...Vie
agréable et
vols réguliers ! Robert
me fait remarquer d'ailleurs en survolant la baie de
Tanger par un
matin
resplendissant:
«
Nous avons de la chance, Jacques, de
voler ici... »
«
Oh, oui, Robert ! »
Ma
mère, de passage chez nous à Casa, nous
le dit aussi... J'avais arrêté la voiture
sur la
corniche...En admirant les grandes
vagues de l'Océan Atlantique, qui viennent
frapper les rochers
avec force ou
mourir en douceur sur la plage voisine, elle s'exclame:
«
Oh, comme c'est beau ! Vous avez de la
chance d'être ici ! »
«
Oh, oui, Maman ! »
Nous
prenons un chien... Un Berger
allemand ! Il a un pedigree « long comme ça
»,
Monsieur Upso d'Ain Seeba de...,
de... Un noble quoi ! Un peu faiblard des pattes, le
nobillon... Comme
le sera
plus tard mon autre Berger, Monsieur Gunnar
d'Hollenzobern de..., de...
Egalement
avec pedigree allongé, qui ne l'empêche pas
d'avoir les
oreilles à
l'horizontale et en forme de pagode chinoise, au lieu de
pointer vers
le
ciel... Il se permet, ce Seigneur, de n'avoir qu'une
seule couille et
de
traîner de l'arrière train aussi... Mais il
est si gentil
! Ce Prince a
également l'estomac délicat... Il renifle
sa
pâtée, il hésite, fait le
difficile et mange finalement... Il vomit à la
moindre secousse
de voiture !
Mais il est si gentil ! Sa femelle, par esprit de
solidarité
conjugale, l'imite
au centuple...
Ces
chiens à pedigree, payés une fortune
à
l'achat, nous donnent plus de soucis que les
bâtards, que j'ai
eus... Comme
Clowny, par exemple... Lui, sans faire la fine bouche
comme mes
Bergers,
avalait n'importe quoi ! Il est vrai qu'il
n'était pas de la
noblesse, mais un
chien de poubelles...
Roberto,
notre voisin de Singapour, cet
ancien légionnaire aux cheveux ras, sec comme un
coup de trique,
qui frappe et
casse souvent sa raquette contre le mur, heureusement
pas sur ma
tête, quand il
rate une balle lorsque je joue au squash avec lui,
Roberto, osera nous
dire un
soir par-dessus la clôture du jardin:
«
Et bien, mes enfants, si ce chien est un
Berger allemand, moi, je suis le Roi de Prusse ! »
Nobles
ou roturiers, chiens de salon ou
chiens de rue, bancales ou pouilleux, qu'importe ?
Nous
avons un autre ami, un bon ami, David
Huysmans ! Pilote en Belgique, au Liban, est maintenant
Commandant de
Bord à la
Royal Air Maroc sur Caravelle... Un personnage hors du
commun, «
extraordinaire
» ! J'avais connu David dans des soirées
assez
mémorables
David
est également marin ! Il a fait son
stage sur ce magnifique voilier, le navire-école
C'est
dans une de ces soirées déguisées
et
bruxelloises que David, éclaboussé de
bière «
La
mer, Jacques, la mer... L'étendue des
Océans ! Au retour
de mes traversées, je
voulais avoir les yeux encore plus bleus... Quand je
suis
rentré, ils étaient
tout rouges ! Les vagues, que j'ai prises dans la
gueule, le sel... Tu
comprends ? Je suis passé dans l'aviation !
»
Mais
il est resté marin dans l'âme,
David... A Casablanca, il vit sur son gros bateau de
Hollande, sur
lequel il
nous invite souvent à manger son poisson, cuit
à la
Tahitienne dans du
citron... Ses chemises, d'ailleurs, viennent du
Pacifique, c'est son
uniforme
civil... Il loue cependant une petite maison...
«
Là », dit-il, « je me prépare
pour mes
vols... Je mets mon habit de lumière ! »
Son
uniforme de Commandant de Bord...
Dans
cette casemate, David nous prépare
aussi d'excellents repas... Car David, amateur de bonne
chaire et de
bons vins,
est un excellent cuisinier ! Par la radio, qu'il a
installé chez
lui, il
prévient son amie Babette:
«
J'arrive ! »
Je
me souviens de sa phrase habituelle:
«
Aujourd'hui, j'ai coupé les coins, j'ai
raboté les couloirs aériens pour arriver
plus vite et
vous mettre ces petits
plats au four... »
Lors
d'une approche à Tanger, le temps est
exécrable... Vents en rafales, nuages très
bas, mais dans
des « trous », on
peut apercevoir le sol... Aucun avion ne veut
atterrir... Ils
divertissent tous
à Rabat ! David sur sa Caravelle, vient de
Paris... Moi, sur mon
Fokker, je ne
reviens que de Tétouan...
Nous
sommes en
contact radio ! Je lui demande:
«
Tu y vas ? »
«
Bien sûr, que j'y vais ! »
«
... »
Je
suis David dans son approche, le vois
disparaître dans une éclaircie... Entre les
nuages, nous
voyons la piste ! A la
tour de contrôle:
«
Piste en vue ! »
Descente
rapide ! Lui, avec ses aérofreins,
moi, train descendu, tous gaz réduits, nez vers
le sol ! Le
Fokker descend
alors comme un pavé !
Marcello,
la peau bronzée par ses
pirouettes au soleil sur sa planche de surf, est tout
pâle !
Marcello, le «
chatcheur », aux gestes nombreux et
envoûtants, est de
glace ! Il a les yeux en
forme de billes et fixe le sol ! Je ne comprends rien
aux borborygmes,
qui
échappent de sa bouche:
«
En... Ce... Me... Te... Fe... Leu... »
Cela
deviendra un gag entre nous...
Atterrissages
!
Nous
sommes les deux seuls avions au sol, les deux Belges...
«
Le courrier doit passer, mon vieux ! »
«
Oui, David ! »
David
n'est pas seulement aviateur, il est
aussi musicien ! Musicien de jazz, il joue à la
perfection du
xylophone ! Il se
trimballe avec tout son matériel et loue ses
services à
toutes sortes de
soirées, dans lesquelles il met de «
l'ambiance » !
«
Du hot, Jacques, du hot ! Tu comprends ?
»
Du
temps de la « Rose Noire », il a connu
Jacques Brel, avec qui il est resté ami...
Singapour
1979. David Huysmans passe à la
maison...
«
Je suis content de te revoir, David ! »
«
Jacques, je viens chercher du boulot...
»
«
Tu ne voles plus ? »
«
Plus en Airline, en petit coucou... Je
représente une marque de d'hydravion
léger... Un de ces
jours, je compte
d'ailleurs aller dire bonjour à Jacques aux
Marquises, mon bac
pourrait
l'intéresser, il pilote son avion et vole entre
les
îles... Nous pourrions y
aller ensemble, si tu veux... »
«
Oui, avec plaisir... Mais, toi, pourquoi
revoler en Airline ? »
«
Mes sardines ne marchaient plus très
bien... »
«
Tes sardines ? »
«
Oui, avec mon bateau, j'ai fait de la
sardine dans l'Atlantique... J'en ai marre ! »
Peut-être
en avait-il marre de sentir le
poisson...
David,
le non-conformiste, n'a pas pris le
job, qu'il aurait pu facilement obtenir de par ses
qualifications... Il
a
trouvé Singapour trop rigide, pas assez d'humour,
trop
antiseptique... Lui
justement, dont l'humour au troisième
degré de son
briefing, n'était pas
toujours compris par une bonne partie de ses
équipages:
«
Vous êtes tous des singes... Je suis le
Patron ! En cas de panne, d'emergency, c'est moi qui
agis ! Ne touchez
à rien !
»
Cette
façon de faire était revenue aux
oreilles du Chef-Pilote, qui l'avait convoqué
pour lui dire:
«
Huysmans, pensez-le, mais ne le dites
pas ! »
En
arrivant pour passer son examen médical
chez les « Doctors Chan, Kho & Partners
»
«
Hello, Partners ! »
Le
toubib chinois n'a pas ri... (!).
«
Ils ne sont pas cool ici ! Hein, Jacques
? »
Nous
n'irons jamais rendre visite à
Brel... Le Grand Jacques vole dans d'autres cieux,
navigue sur d'autres
mers...
Le Grand Jacques n'est plus de notre monde !
Ami
David Huysmans... Bourlingueur,
mercenaire de l'air et de la mer, « Outlaw
», comme l'avait
appelé Jean
Bosmans, parce qu'il se considérait
lui-même comme un
hors-la-loi, qu'es-tu
devenu ?
Avenue
des Farigoules habite un autre
ami... Le Commandant Georges Ballini ! Lui aussi est
marin... Pendant
ses
congés, il navigue sur un voilier... Pour sa
retraite, il a
prévu une traversée
d'Atlantique, une croisière dans les
Caraïbes et un retour
par le Grand Nord !
Ceci, il me le dira
«
Dis-moi, Georges, pour cette expédition,
tu dis: je, je, je... Et ton équipage ? »
«
Mon équipage ? C'est moi ! Je fais cette
navigation en solitaire... »
«
Ah !... »
Il
n'emmènera donc pas sa femme
Marie-Françoise et sa fille Fleur... D'ailleurs
Marie-Françoise est fort
occupée... Elle est actrice de
théâtre et de
cinéma ! La première fois, que je
l'ai rencontrée, je me disais bien l'avoir
déjà
vue quelque part...
Georges
me met sur la voie:
«
J'ai épousé une nonnette... »
On
peut s'attendre à tout dans notre
corporation, mais quand même...
«
Une Sœur ? Une religieuse ? »
«
Oui ! Tu ne la reconnais pas ? »
«
Heu... Non... Heu... Oui ! Oui ! J'y
suis ! Vous êtes la nonnette, la jolie Sœur aux
larges cornettes
et à la 2
chevaux dans les films de de Funes ! »
«
C'est moi ! »
«
Enchanté, ma Sœur... »
Georges
Ballini est aussi écrivain... Il
m'a offert un de ses livres: « L'âne au long
cours »
!
La
ville et le terrain d'aviation de
Tétouan sont situés dans une
vallée, au bord de la
Méditerranée... La procédure
d'approche se fait au radio-compas, au-dessus de la mer:
passage
à la verticale
de la balise à l'altitude de
sécurité,
éloignement et descente, virage « à
plat
» (altitude constante) et retour vers la piste en
descendant,
arrêt de la
descente à la hauteur minimum de
sécurité !
Tactique identique sur tous les
aérodromes: piste en vue, atterrissage ! Piste
pas en vue,
remise des gaz !
Selon la procédure du lieu...
Ce
jour-là, couche de 8/8 de nuages... On
ne voit pas le sol, on ne voit rien ! Percée IFR
! C'est le
secteur de mon
copilote, je le laisse faire... Un jeune marocain, qui
sort droit de
son
entraînement en France !
Passage
de balise, début de descente...
Comme je trouve le temps d'éloignement un peu
longuet, je me
tourne vers mon
copi... Je m'aperçois alors qu'il remue les
lèvres !
«
Que fais-tu, Mohamed, tu pries ? »
«
Non, Commandant, je calcule ! »
«
Ah ! Et que calcules-tu donc ? »
«
La dérive et le temps d'éloignement !
»
«
Ah ! Et comment ? »
«
Avec le sinus et le cosinus sur l'axe de
percée ! »
«
Ah ! Et sur la base de quel vent ? »
«
Celui que la tour nous a donné, quand
nous lui avons demandé la météo !
»
«
Le vent au sol ? »
«
Oui ! »
«
Mais nous sommes en l'air, Mohamed ! »
«
Oui ! »
«
Je vois ! »
Je
vois presque l'Espagne, à force de
s'éloigner...
«
Tu sais, on a percé la couche... Regarde
dehors, on voit la mer... Si tu entamais ton virage de
procédure
vers la balise
? Non ? »
«
Heu... Oui, Commandant ! »
Virage...
Eternité... Ballade de touristes
au-dessus des flots vers Tétouan !
Tout
heureux:
«
J'ai la piste en vue, Commandant ! »
«
Et bien, atterris ! »
Le
calcul mental...
Lors
de mon stage à Air Inter, mon
instructeur avait bien essayé de m'initier
à ce sport de
l'esprit, aimé par les
Français... Je l'avais arrêté net !
«
Vous savez, Monsieur, pour moi, qui ne
suis pas une grosse tête, deux fois six moins
trois plus quatre,
multiplié par
zéro virgule six, ça fait... ça
fait... Voyez,
j'ai déjà oublié ! »
Ecœuré,
il m'avait fait faire les
procédures d'une façon normale... Que j'ai
bien
exécutées !
J'aime
les approches « spéciales »
d'aérodrome... Celle de Gibraltar, par exemple...
Plus tard, ce
sera Hong Kong
! Il n'y a guère de place à Gibraltar...
La piste se
trouve juste derrière
cette masse imposante, qu'est le « Roc » !
Elle n'est pas
longue, la piste...
Surtout pour les jets... En Fokker, pas de
problème ! Les
Espagnols n'aiment
pas que les avions survolent leur territoire ! Donc, le
virage final se
fait en
suivant de l'œil les bouées... Surtout, ne pas
dépasser
les bouées !
«
Les bouées ? »
«
Oui, les bouées sur la mer ! En
atterrissant à Gibraltar, comme s'ils rentraient
au port, les
aviateurs
deviennent alors des marins... »
Avec
les copilotes marocains, j'entretiens
des relations professionnelles excellentes... Et je me
lie de
sincère amitié
avec eux ! Bien qu'outsider, je ne me sens nullement
dépaysé... Ils parlent
mieux la langue française que moi (Pas difficile,
me
direz-vous... Je l'admets
!). Je me sens chez moi, je crois être sur la
même longueur
d'ondes... J'ai
tort !
L'incident,
qui suit, va me prouver mon
erreur... Il sera pour moi, cet incident, la meilleure
leçon, la
leçon
définitive et finalement bénéfique
pour le reste
de ma carrière, qui, je
l'espère, n'est pas encore terminée...
Moi,
l'étranger, qui avait encore,
pendant plus de vingt ans, jusqu'à ce jour de
1994, travailler
dans des pays et
pour des gens, chez qui je ne serai jamais chez moi,
chez qui, je serai
toujours
l'Outsider !
Pour
moi, Georges Merkovitch est un «
gitan »... De par son origine des Balkans, son
accent, son teint
mat de peau,
ses cheveux épais, ses yeux noirs, la
façon, qu'il a
d'amadouer son entourage à
la première seconde... Il fume des cigarettes
« Stuyvesant
», qu'il m'offre à
tout bout de champ et dont il m'en a donné le
goût ! Son
endurance au travail,
sa résistance à la fatigue, vous met sur
les genoux... Il
est infatigable !
Georges est bien sûr, un excellent pilote ! Je le
sais par mon
oncle, avec qui
il a volé à la Sabena, où il avait
trouver refuge
après avoir quitté son pays,
la Yougoslavie... Tous les autres pilotes, qui l'ont vu
opérer,
confirme la
finesse de son pilotage !
En
1971, il est Commandant de Bord
Caravelle à la « Royale... Comme David,
Georges, cet
être de « substance », est
un ami !
A
Rabat, « Merko » fait embarquer ses
passagers... Souci primordial du pilote: partir à
temps ! Pour
gagner du temps,
il demande déjà à la tour de
contrôle,
« la mise en route » des réacteurs...
Accordée ! Mais les passagers de Georges ne sont
pas au
complet... Comme
toujours, quelques
Bref
! Avec mon avion, je suis aussi à
Rabat... Mes passagers sont au complet ! Autorisation de
mise en
route...
Refusée !
Mon
ami Georges, pour nous aider,
intervient auprès du contrôleur:
«
Laissez d'abord partir le Fokker, tous
mes passagers ne sont pas encore tous à bord !
»
Le
contrôleur le prend mal... Il se fâche !
«
Monsieur, vous n'avez pas à me donner
des directives ! »
Georges:
«
OK,OK... C'était simplement pour
accélérer le trafic... »
Le
contrôleur marocain:
«
Monsieur, c'est moi seul, qui prend les
initiatives sur ce terrain ! Compris ? »
Croyant
que mon copilote va me donner
raison, je dis à Mustapha:
«
Mais enfin, qu'est-ce qu'il lui prend au
contrôleur ? »
Alors...
Alors... Le couperet tombe et
avec lui mon franc !
«
Quoi ??? Il a bien raison, le contrôleur
! C'est à cause de gens comme vous, les
Français, les
Espagnols ! Vous nous
avez botté le cul pendant des siècles...
Vous avez fait
de nous des complexés !
»
Je
suis scié ! je n'en reviens pas ! Je ne
sais que dire à Mustapha... Mustapha Mebahi,
l'intelligent
Berbère, l'homme de
finesse, d'une éducation et d'une culture
supérieure
à n'importe quel petit
Français, petit Espagnol ou petit Belge !
Je
me réveille... Je lui aboie:
«
Et bien oui, tu as raison, tu es un
complexé ! Tu es un pauvre con ! Voilà !
»
Bonne
ambiance de cockpit...
Mon
« Voilà », peut-être l'ai-je
dit en
souriant... Mustapha se calme, sourit à son
tour...
«
OK, Mustapha, on réglera cela ce soir à
Tanger devant une bière... Redemande la mise en
route ! La
Caravelle est partie
à présent... »
Mustapha
restera mon ami... Mustapha avec
qui je ferai de nombreux vols... Avec qui, je me
souviens, à
l'escale de
Marrakech pendant le Ramadan, j'allais vite «
briser le
jeûne » à la Place
Djemma Elfna au coucher du soleil en mangeant des
gâteaux au miel
avec de la
soupe, l'harira ! Mustapha mangeait plus que moi
puisque, lui, n'avait
rien
avalé de toute la journée ! Mustapha, avec
qui, aux
escales de Ouarzazate où
l'équipage était toujours invité,
nous nous
exercions à la plongée aux
bouteilles dans la piscine du Club
Méditerranée... Bons
souvenirs d'amitié...
Mustapha, devenu Commandant de Bord, est resté
mon ami ! Du
moins, je
l'espère...
Je
n'ai jamais eu aucuns problèmes avec
les « locaux » des pays dans lesquels j'ai
travaillé... Le comble, ce n'est
qu'avec des « expats », que j'ai eu des
problèmes...
Deux problèmes ! L'un,
Deux
« incidents de parcours » sur plus de
trente ans de carrière à «
l'étranger
», je crois que c'est un record... J'ai
connu de nombreux pilotes, qui en dehors de leur pays,
n'ont jamais pu
s'y
faire... Ils ne parvenaient pas à s'identifier au
système
local... Il leur est
arrivé des bricoles et finalement
sont
rentrés
chez eux !
La
« vie de cockpit »... A quatre, à
trois
ou à deux membres d'équipage, nous vivons
dans une boite,
les uns sur les
autres, comme des sardines, des heures et des jours, sur
quelques
mètres
carrés, dans peu de mètres cubes...
Enfermez dix hommes
dans une cage, au bout
d'une semaine, ils n'en restent plus qu'un ou deux...
Ils se sont tous
bouffés,
dévorés entre eux ! L'espèce
humaine, pas facile
à négocier...
Le
Club Méditerranée... Lorsque nous
sommes en escale à Agadir ou Marrakech, nous y
passons des
soirées grandioses !
Dans un geste ample de djellaba bleu
délavé:
«
Que la fête commence... » disait ce Chef
de Village en ouvrant les festivités aux sons des
tambourins et
des flûtes
marocaines !
La
fête, nous la vivons souvent grâce à
la
gentillesse des « Gentils-Organisateurs »,
que nous
trimbalons avec leurs «
Gentils-Membres » en charter à travers tout
le Maroc...
J'ai l'impression
certaine que les grands yeux noirs de nos hôtesses
y sont pour
beaucoup dans
toutes ces invitations...
En
escale aujourd'hui, on me demande
encore souvent, quand je suis invité à une
soirée:
«
Heu... Jack, en 747, tu as bien une
quinzaine de gazelles... »
«
Gazelles ? »
«
Oui, tes hôtesses ! Où sont-elles ? Tu
les caches ? »
Lors
d'un déjeuner au Club Med de
Ouarzazate, le Général Oufkir est à
la table
voisine... La seule fois, où j'ai
eu l'occasion de le voir... On m'en avait tellement
parlé et il
fera encore
bien parler de lui ! Berbère au regard d'aigle,
il vous
transperce de son
regard... Nos hôtesses sont
pétrifiées... Elles
n'osent plus se laisser aller à
cette bonne ambiance relaxe d'équipage, la
Une
fois par an, s'établit un véritable
pont aérien entre villes du Maroc, où seul
le Fokker
atterrit, et celle de
Rabat d'où les pèlerins partent pour La
Mecque en jet...
Ces vols reprennent à
leur retour d'Arabie Saoudite ! Au pied de l'avion et
à l'ombre
de l'aile,
j'aime regarder les embarquements et les
débarquements... Un
décor de couleurs,
ce Sud marocain ! Le soleil frappe, le ciel est
bleu-noir, les «
ksars » se
profilent en toile de fond... Ces grandes demeures
élevées de teinte terrienne
font penser aux pays des légendes, aux Mille et
Une Nuits !
A
Ouarzazate, un de ces pèlerins en
djellaba blanche se détache des passagers et
s'avance vers
moi... Ce vieux
Berbère épuisé par son l'âge
et par le long
retour au pays me tend la main:
«
Barakalofik ! »
Comme
un magicien, il sort de sa manche
une sorte de bracelet entremêlé de
pochettes cousues dans
le cuir... Il me
parle en Arabe... Le Chef d'escale me dit qu'il veut me
remercier de
l'avoir
ramené sain et sauf à bon port en
m'offrant ce gri-gri
comme porte-bonheur !
Chaleureusement,
il me serre les deux
mains, le bracelet entre ses doigts...
«
Shoukran ! Merci ! »
Gri-gris...
En le voyant s'éloigner, je
revois mes sorciers, mes gri-gris d'Afrique centrale... Gri-gris
d'ici, gri-gris de là... Amulettes, qui me
poursuivent et me
collent à la peau
! Le collier de sorcier, que nous avions ramené
du Congo... Je
l'ai pendu au
compteur EDF... A chaque fois qu'il relève les
unités, le
pauvre employé doit
recevoir un choc électrique !
J'ai
enfoui ce bracelet au fond de ma
mallette de vol et je n'ai plus osé y toucher !
Il a vieilli
avec elle... Cette
mallette, que m'avait offert mon Oncle Paul à
l'un de ses
retours de New York
et que j'espérais bien conserver jusqu'à
la fin de ma
carrière... Hélas, malgré
de nombreuses réparations au fil des
années, ma mallette
craquera, se déchirera
! Et avec elle le gri-gri, qui se décomposera !
Magie... Je
m'aperçus alors que
les pochettes de cuir contenaient des osselets... Ils
seront devenus
poussière
!
J'eus
une appréhension en achetant une
nouvelle « Flight-case »...
«
Qu'est-ce que vous trimballer dans cette
mallette de vol, Jack ? Des manuels ? Des documents de
bord ? »
«
Oui ! La check-list, par exemple... Un
peu de tout... Ses petites affaires... Moi, j'ai mon
computer pour
écrire mes
bêtises, mes jumelles pour mes étoiles, ma
radio pour
réception mondiale, mon
appareil de photo, mes... »
«
Dis donc, elle est grosse ta mallette !
»
«
Oui, volumineuse, mais j'ai l'impression
qu'elle est plus légère qu'auparavant...
»
«
Pourquoi ? »
«
Un poids en moins, je me sens plus
léger, je suis libéré de mon
gri-gri ! »
«
Tu blagues, Jack, j'espère... »
«
Mais oui... Ce qui rend ma mallette
moins lourde, c'est le fait de la transporter sur le trolley
»,
ce petit chariot à roues, que l'on
traîne derrière soi avec deux doigts et
dont nous avons
piqué l'idée aux
hôtesses de l'air... Nous avons l'air de
tantouzes, mais c'est
tellement
pratique ! Avant cette découverte, n'as-tu pas
remarqué
que les pilotes de
ligne avaient tous un bras plus long que l'autre
à force de
porter leur
mallette de vol à la main ? »
«
Jack, si tu passais au chapitre suivant
? »
Radadi, Radada...
Vols en sauts de puce... Je
commence à repenser à mon avenir... Il est
temps de
passer sur jet !
Boogie-Woogie... Passer sur jet, passer sur jet, passer
sur jet sur...
Je vais
trouver le Commandant Kabbaj:
«
Monsieur, puis-je espérer un passage sur
Caravelle ? »
«
Siroux, patientez ! C'est comme le bon
vin, plus il vieillit en cave, meilleur il devient !
» (Sic).
Bon
vin, bon vin... Bien sûr, il a facile
le père Kabbaj avec nous ! Nous sommes bons et on
vieillit bien
! Il peut
dormir sur ses deux oreilles ! Nous, qui faisons tourner
ses avions
sans aucun
problème, sans aucun retard, sans jours de
congé de
maladie, sans faire de
vagues ! De façon régulière, les
Fokkers
ronronnent, Zizzz… Zizz… Zizzz… Du
velours ! Sauf une seule fois:
«
Riiinnng » ! Lampe
rouge ! Le feu !
Procédure,
réacteur
coupé, hélice en drapeau, atterrissage
à
Marrakech... C'était une fausse
alarme, comme bien souvent... L'humidité ? De
toute
façon, check-list !
A
part ça, tout va bien ! Il aurait tort
de troubler cette opération, Kabbaj...
Je
patiente dans ma cave... A la Royale
Air Inter !
Nous
allions décoller d'Agadir, quand le
chef d'escale, la mine blême, me prend à
part:
«
Commandant, je viens d'apprendre qu'un
coup d'état vient d'avoir lieu ! »
«
Encore !!! Et alors ? »
«
Le coup est manqué, le Roi est vivant !
»
A
notre arrivée à Casablanca, nous avons
apprenons les détails... Histoire incroyable ! Le
Roi Hassan II
revient d'un
voyage à Paris dans un des Boeings 727 de la
Royale Air Maroc,
mis à sa
disposition... Le Commandant Kabbaj est aux commandes !
Procédure normale, à
l'entrée du territoire du Maroc, escorte par
l'aviation
militaire marocaine
pour la sécurité de l'avion royal ! Cette
après-midi-là, la procédure n'est
pas
normale... Les chasseurs tirent sur le Boeing ! Un
premier
réacteur est touché
! Le deuxième réacteur est touché !
La partie
supérieure de la cabine avant est
arrachée ! Les ailes, les volets, le gouvernail
de direction,
sont criblés de
larges trous ! (J'ai vu cet avion quelques jours
après à
Rabat... Une passoire
!). Par miracle, l'avion vole encore, difficilement,
mais il vole, il
perd de
l'altitude... Kabbaj parvient sur un seul
réacteur à le
diriger en longue
descente vers la piste de Rabat ! Kabbaj, dit-on,
à la
présence d'esprit de
rentrer en contact avec les aviateurs rebelles et leur
dit:
«
Arrêtez ! Le Roi est mort ! »
Le
Roi n'est pas mort... Kabbaj sauve le
Roi ! Les chasseurs cessent leur tir ! En fin pilote,
manœuvrier
expert, Kabbaj
atterrit le 727 et en bout de piste... Il ordonne
l'évacuation
immédiate ! Par
les toboggans, le Roi Hassan et sa suite, évacue
le Boeing !
Entre-temps,
les pilotes révolutionnaires
ont compris qu'ils se sont fait berner... Ils vont se
réarmer et
reviennent
mitrailler l'aéroport de Rabat, ils canonnent
l'aérogare
! Trop tard... Le Roi,
incognito, est déjà en route vers son
palais !
La
Chance, la Baraka du Roi...
Miracle
? Mauvais chasseurs ? On a dit que
les avions de chasse n'étaient pas armés
de balles, de
boulets explosifs !
Munitions d'exercice seulement ! Possible... Pourquoi ?
Le
Général Oufkir attend à Rabat pour
recevoir Hassan II à son arrivée... Durant
toutes ces
attaques, le Berbère est
nerveux, il perd son calme ! Pourquoi ?
Le
Général n'attend pas l'arrivée du
Roi... Il disparaît ! Il n'ira à Skhirat
que bien plus
tard... Oufkir, le
traître ne sortira pas vivant du Palais Royal, il
se suicide
d'une balle dans
la tête ! Dixit l'histoire...
Quant
au Commandant Kabbaj... Chapeau !
C'est
d'ailleurs ce que je lui dis,
lorsqu'il vient prendre le Fokker pour se rendre
à Rabat... Il
le prend souvent
le Fokker... Le vol du matin ! Kabbaj prend aussi les
commandes du
Fokker !
Ce
matin-là, je me dirige vers mon
avion... J'entends des petits pas secs derrière
moi...
Je
ne l'avais pas revu depuis l'attentat
du Boeing...
«
Mon Colonel, mes félicitations ! »
«
Pourquoi, Siroux ? Pour cet uniforme ? »
«
Non, Monsieur, pour votre performance
d'aviateur... »
«
Ah, bon... »
Il
ajoute:
«
La Baraka, Siroux, la Baraka... Sans la
Baraka, l'homme est perdant ! » (Sic).
Ce
n'est pas le moment de lui demander si,
moi aussi, j'aurai un jour la Baraka de passer sur
jet... Je passe !
Un,
qui ne l'a pas la Baraka, c'est mon
copilote australien... Un mois ou deux après,
même
situation, même vol du matin
! Le Colonel Kabbaj, impressionnant dans son uniforme,
au lieu de
prendre les
commandes, les donne à mon copi ! «
Vous, en place gauche ! Amenez-nous à Rabat... Si
vous passez ce
test, vous
devenez Commandant de bord ! »
Il
est comme ça, Kabbaj...
Mon
Australien, d'habitude relax et bon
pilote, et qui, par son expérience et ses heures
de vol, est
prêt à passer en
siège de gauche, se transforme en statue... Il
est
pétrifié ! (Comme les
hôtesses devant Oufkir à Ouarzazate...). Je
n'ai jamais vu
un pilote aussi «
coincé » !
Ce
vol de 17 minutes, que nous faisons
presque tous les jours, les yeux fermés, sera
pour lui son
calvaire final et sa
crucifixion... Je suis assis sur le «jump
seat», petit
siège repliant entre
les deux sièges des pilotes, entre Kabbaj,
à droite, et
mon kangourou, à
gauche... Rien ne va ! Du genou, j'ai beau l'avertir de
ses erreurs,
l'Australien ne comprend pas... J'en ai mal au genou !
Il vole
parallèle à
l'axe ILS, ne voit pas qu'il lui faut intercepter cet
axe par un angle
d'attaque, un petit changement de cap... Il continue
tout droit ! Il
est
cramponné à son manche, le regard
fixé sur ces
instruments, dont il
n'interprète aucune donnée ! Un coup d'œil
dehors aurait
suffit... Il fait beau
! Il est hypnotisé, les yeux vissés sur
son tableau de
bord ! Il n'y voit rien
! J'en ai pitié... Coups de genou ! Aucune
réaction... Un
bloc de béton !
Nous
sommes presque au travers de la piste
!
Le
Colonel lui demande:
«
Que faites-vous ? »
«
... »
Pas
de réponse...
Le
Colonel perd patience:
«
Je prends ! J'ai les commandes ! »
Il
fait « Ten-ten blue sky », « 10 sur 10
de ciel bleu »... Le Colon pique vers la piste et
atterrit. De sa
voix
éraillée:
«
Mon vieux, vous avez manqué votre chance
! Adieu ! »
L'Australien
se ramollit...
Et,
Nom di Diou, au retour, mon copilote
fera cette approche impeccablement ! Mais sans Kabbaj...
En
donnant de l'instruction plus tard sur
Boeing 707, j'ai connu ainsi des pilotes, perdant leurs
moyens lors des
contrôles en vol... L'un
d'eux,
tellement nerveux, au lieu de détacher
délicatement du
bouquin de procédures
d'approches et d'atterrissages les pages en fin papier,
ne pouvait
s'empêcher
de les arracher ! « Craaak » ! Il ne pouvait
agir
autrement... Le malheureux
tremblait comme une feuille morte ! Comme cet autre,
après un de
ces « checks »
en vol, ne parvenait pas à remettre sa cravate,
ce type de
cravate dont le nœud
est déjà tout fait et que l'on accroche
à son
col... Sa main, moite de sueur,
se trimballait partout autour de son cou, sauf au bon
endroit, au col
de sa
chemise !
Ceci
sont les cas extrêmes... On a beau
crâner, nous sommes tous nerveux avant et pendant
et même
après un « check » !
J'avoue, les contrôles en vol ne sont pas une
partie de
relaxation...
Juste
avant le départ, le Chef d'escale de
Malaga vient me trouver dans le cockpit et me donne une
carte de
visite... Le
Directeur de la Pan American Airways pour toute
l'Afrique du Nord !
«
Commandant, ce Monsieur vous demande de
bien vouloir lui donner le siège-cockpit...
L'avion est plein !
Il dit qu'il
doit absolument être à son bureau demain
à
Casablanca pour un rendez-vous
important... »
«
Accordé ! »
L'Américain,
un Jack aussi, fait le voyage
assis entre nous, les deux pilotes...
Un
des gros avantages pour les pilotes de
ligne est de pouvoir bénéficier de billets
à
réductions... Selon le nombre
d'années passées dans la compagnie, ces
réductions
sont de 75, 50 ou de 90%,
que nous accordent les autres compagnies internationales
!
J'ai
trois semaines de vacances... Blanche
et moi voulons faire un séjour au Club
Méditerranée de Tahiti et en même
temps,
deux ou trois escales aux Etats Unis... Comment y aller
? Muni d'une
lettre de
la Royale Air Inter, « Ayez l'obligeance
d'accorder à
Monsieur... Merci ! », je
vais trouver Pan Am !
Je
m'attends de leur part à 75%, tout au
plus 50% de réduction... et places non
réservées !
Je tombe sur le Directeur,
qui me fait de suite rentrer dans son bureau...
«
Monsieur... »
«
Call me Jack ! »
«
Heu... Jack, ma femme et moi voudrions
aller à Tahiti en passant par les Etats Unis...
Voici la lettre
de demande
habituelle de ma compagnie... »
«
Quel itinéraire voulez-vous ? »
Je
lui balance:
«
Casablanca, New York, San Francisco,
Tahiti, Honolulu, Los Angeles, Las Vegas, New York,
Bruxelles,
Casablanca...
Pouvez-vous m'octroyer une réduction de...
», je
risque...,
«
My dear, vous ne pouvez pas vous
imaginer le service, que vous m'avez rendu en
m'acceptant dans votre
cockpit il
y a quelques mois... »
«
It was my pleasure... Ce fut mon
plaisir... »
«
OK, je signe votre lettre... Passez
demain au comptoir prendre vos billets ! »
«
Heu..., Jack ! Combien de réduction ?...
»
«
I'll see what I can do... »
«
Thank you, Sir... Heu... Jack ! »
Le
lendemain, je sortais de la Pan Am avec
deux billets gratuits, première classe, places
réservées ! Sacré Jack ! Pas
moi, le Directeur Pan AM ! Il est assuré d'avoir
une place dans
le cockpit pour
le restant de ses jours, quand il en aura besoin...
Il
y a plus de vingt ans de cela... Le bon
vieux temps ! Aujourd'hui, les choses ont
changé... Les mains
sont liées par
des règlements plus stricts...
Par
la
suite, j'ai encore accordé des « jump seats » au personnel des
Airlines... C'est à
peine s'ils m'ont remercié
! L'un d'eux a même fait un rapport, disant que
son plateau de
nourriture
n'était pas bon ! Aussi les « sièges
cockpit
», je n'en donne plus, sauf pour
un pilote ou une hôtesse de l'air !
Après
des paquets d'heure de vol, arrivée
enfin à San Francisco... Moi, le macaque, je
découvre
l'Amérique, émerveillé
devant la télévision en couleur de la
chambre de notre
hôtel...
Blanche:
«
Tu ne crois pas qu'il y a d'autres
choses à faire ? »
«
Heu..., oui... Oui, tu as raison... »
Nous
visitons la ville... La meilleure
façon de visiter un endroit pour la
première fois:
prendre un tour ! Je le fais
encore aujourd'hui... A Union Square, nous prenons place
dans le bus...
«
New York, New York !
Applaudissements
!
«
Dallas, Texas ! »
Applaudissements
!
«
Washington, D C ! »
Applaudissements
!
Etc..
A notre tour:
«
Et vous ? »
Nous,
à moitié sonnés par la fatigue du
voyage et le décalage horaire...
«
Brussels... »
Pas
d'applaudissements... Silence !
«
Belgium... »
Toujours
pas d'applaudissements... Silence
!
«
Europe ! »
Un
ou deux « claps-claps » et le tour
démarre, la visite de « San Fran » !
Qui
aurait pu dire que dix ans plus tard,
je retournerai en escale des dizaines et des dizaines de
fois à
San
Francisco... Je n'aurai plus besoin de prendre plus de
« City
Tour » !
Le
lendemain, direction Tahiti ! Au Club,
nous faisons la connaissance des GO... Tous des Belges !
Le Chef de
village est
René Halemans, son second Pierrot Belings... Des
anciens du
Katanga... Il
paraît qu'ils ont remis un peu d'ordre dans le
camp de Moorea !
Si l'un des GO
n'est pas content de ce régime, il a le plaisir
de voir son
billet de retour
cloué à la porte de sa case !
«
Quand vous savez que vous êtes en pays
civilisé ? »
«
??? »
«
Quand vous allez à la toilette, que vous
tirez la chasse et que ça marche ! »
Si
j'avais eu à l'époque l'expérience
des
survols de territoires, que j'ai aujourd'hui, j'aurais
ajouté:
«
Et quand les moyens de communications
radio ne sont pas pénibles... »
En
HF (haute fréquence pour les longues
distances), on appelle Honolulu dès le
décollage de
Tokyo, réponse 5/5 ! On
appelle Tokyo dès le décollage de Los
Angeles,
réponse 5/5 ! A la verticale de
Bombay, on appelle Bombay: « Bombay ! Bombay !
Bombay ! »,
réponse brouillée ou
pas de réponse du tout ! Ou Calcutta: «
Calcutta !
Calcutta ! Calcutta ! », de
la friture ou rien ! Dire que ces gens envoient des
fusées dans
l'espace et
qu'ils ont la bombe atomique... Mon copilote, à
force de
s'égosiller sur son
micro me dit un jour, désespéré:
«
J'ouvre la fenêtre du cockpit et je
hurle ! Ils m'entendront peut-être mieux...
»
«
Mais on ne peut pas ouvrir les fenêtres
du cockpit, tu le sais bien... »
«
Ah, oui, c'est vrai ! »
Pierrot,
plongeur émérite, vient de passer
trois jours à Bora Bora... Le soir, à son
retour, la
coupe en main:
«
Mon vieux, j'ai vu un requin grand comme
ce bar ! »
Le
bar mesure 25 mètres...
Soirées
de rêves sous le ciel du
Pacifique...
Los
Angeles ! « Disney Land » ! Ils sont
forts, les Américains pour ce genre de «
shows » !
Imbattables ! Je découvre
l'Amérique...
Las
Vegas ! Les casinos et leurs
spectacles ! « La revue du Casino de Paris »
avec les
moyens américains...
Fameux ! Les filles descendent bien leurs escaliers...
Le
Grand Canyon en avion m'impressionne,
mais aussi New York ! Au « Grand Central
«
To be save, get back in your room and
watch TV ! Pour votre sécurité, retournez
dans votre
chambre et regardez la
télévision ! »
Nous
ne nous dégonflons pas, Blanche et
moi, nous prenons un taxi et allons voir «
Jésus-Christ,
Super Star »... Super
! A la sortie du théâtre, tout le monde se
précipite sur les taxis ! Entre le
chauffeur et les passagers, il y a maintenant une
cloison, une paroi en
verre
pare-balles ! On glisse le prix de la course par un
petit trou
découpé à cet
effet... Moi, le broussard... Le lendemain, tour
organisé de la
ville !
Contrairement
aux Californiens, ils n'en
ont rien à foutre, les New-Yorkais, à
savoir d'où
vous venez ! Surtout ne pas
leur parler de San Francisco, cette ville de Liliput,
comme m'a dit mon
voisin
dans le métro, à qui j'avais osé
adresser la
parole... Quelle imprudence !
Cette fois-ci, le guide ne nous demande donc pas
d'où nous
sommes, mais nous
conseille de ne surtout pas s'occuper des autres,
à New York, de
personne, même si cette personne
vient de s'écrouler par terre, à vos pieds
! Moi, le
broussard... Je ferai de
nombreux séjours aux Etats Unis et serai moins
impressionné... L'habitude, sans
doute... On n'y pense plus... Et surtout, parce que
j'aurai perdu un
peu ma
peau de broussard !
«
Passer sur jet » devient pour moi une
obsession... J'écris bien à droite,
à gauche...
Les réponses sont toutes
pareilles:
«
Monsieur, merci pour l'intérêt, que vous
portez pour notre compagnie, mais votre
expérience sur avion
à réaction... »
Expérience...
Toujours le même problème !
Où l'obtenir ?
Je
commençais à désespérer,
quand
là-haut,
sous une constellation merveilleuse, une autre ficelle
fut
tirée...
Notre
vol sur l'Espagne arrive à Malaga le
samedi soir, nous en repartons le lendemain dans la
soirée...
Quand on s'y
attend le moins du monde, arrive alors un
événement
positif ou négatif, qui va
transformer votre vie... Le mien est positif ! Ce
dimanche-là
fut pour moi, le
dimanche béni des dieux !
Mon
copilote marocain et moi, arrivons un
peu trop tôt à l'aéroport...
«
Zorba (!), si nous allions prendre un
café au restaurant du premier étage ?
»
«
Bonne idée ! »
Nous
montons les escaliers... Le
restaurant est moche, peu de clients, vide de toute
atmosphère...
«
Redescendons ! »
Le
bar de la salle de départ est plus
amusant... On peut y voir passer du beau monde...
Le
beau monde, que nous rencontrons, est
un équipage de la Trans Europeean Airways... Je
le vois par
l'écusson de
l'uniforme des pilotes: TEA ! Je sais que Jean Derycker
y travaille
depuis son
départ de Libye... Cette compagnie belge de
charter est
basée à Bruxelles... Je
ne connais pas cet équipage, mais j'ai
l'impression de le
connaître... Je me
présente !
Le
Commandant:
«
Jacques Siroux ! Ca alors... J'ai
entendu souvent parlé de toi ! Nous ne nous
sommes jamais
rencontrés ... Je
m’appelle Delcuve ! Voici Micky Volkaert, mon copilote !
»
«
Jean Pierre Delcuve ! Ca alors... J'ai
entendu souvent parlé de toi ! Nous ne nous
sommes jamais
rencontrés... Voici
mon copilote Zorba ! Il n'est pas Grec, il est
Marocain... Je vous
offre un
café ? »
Ce
café, que nous aurions dû boire au
premier étage... Jamais alors, je n'aurais
rencontré
Delcuve ! Coïncidence
? Jeu de la destinée
? Mektoub !
C'était
écrit...
«
Comment ça va à la RAM (Royal Air Maroc)
? »
«
Royal Air Inter ! Ca va, j'espère un
jour passer à la RAM sur jet... »
«
Sur jet ? La TEA engage... Elle vient
d'acheter trois autres Boeing 707 ! »
«
Oui, mais j'ai la licence américaine...
Pas reconnue en Belgique ! »
«
Tu as ta licence professionnelle belge ?
»
«
Oui, mais pas l'IFR... »
Jean
Pierre me débite:
«
Ca ne fait rien... L'IFR, tu le passes
chez nous, tu voles d'abord comme copilote, tu suis les
cours de
Transport
Public, qui vont être organisés par la
compagnie, tu
redeviens Commandant de
Bord... Et sur jet ! »
«
... »
En
deux minutes, Delcuve m'a mis la tête
comme une pastèque ! Mon cerveau est un jeu de
bataille... Je
jette les dés, je
lance ! En deux secondes, je décide !
«
Jean Pierre, qui puis-je contacter ? »
«
Eddy Lejeune, le Chef-Pilote... Voici
son numéro de téléphone ! »
«
Le privé ? »
«
Tu veux son numéro privé ? Le voici !
»
Malaga,
Tanger, Rabat, Casablanca... Il
est passé minuit quand j'arrive chez moi à
la maison !
Téléphone
:
«
Ring, Ring, Ring »…
«
Allo, Monsieur Eddy Lejeune ?
»
«
oui »
«
Monsieur, je me permets de vous appeler
à une heure pareille parce que… »
« Oui… »
«
Je viens de rencontrer Jean Pierre
Delcuve à Malaga... »
«
Oui... »
«
Il m'apprend que vous engagez... »
«
Oui... »
«
Je suis candidat, Monsieur ! Je
m'appelle Jacques Siroux... »
«
Oui... Siroux, j'ai entendu parlé de toi
par Pierre Rassart, qui débute chez nous en
décembre...
Tu es OK ! Sois à
Dublin le 3 janvier pour le second cours Boeing 707 !
»
«
Oui, mais mes licences ? »
«
On en parlera à Dublin ! Welcome to TEA
! Bonne nuit, Siroux ! » Le
plus bref interview de ma carrière...
Chamboulement...
Ma vie va basculer...
Nous sommes en Octobre, il faut faire vite ! A moins que
le Colonel, en
apprenant cette offre, ne change d'avis et me propose la
Caravelle ou
le Boeing
727... Naïf, je rêve encore... La
réponse de Kabbaj
est typique:
«
Siroux, vous êtes fou ! Vous volez pour
une Airline, vous êtes en sécurité
d'emploi, la
crise du pétrole commence...
Votre futur patron, s'il ne peut plus vendre des places
d'avion, vendra
des cacahuètes...
Que ferez-vous alors ? » (Sic).
Il
n'a pas tort, le Colon... Fais-je une
connerie ? Tant pis, ma décision est prise !
«
Pour votre bien, je refuse votre
démission ! »
«
Mon Colonel, j'aime le Maroc... Je ne
désire qu'une chose, c'est d'y rester ! Mais
puisque vous ne
voulez pas me
faire passer sur jet... »
«
Je vous ai dit de patienter... »
«
Mon Colonel, vous me forcez à sauter sur
cette chance... Le Boeing 707 ! »
«
Siroux, je refuse votre démission ! »
«
Mon Colonel, je vous donne trois mois de
préavis, je vous donne même mes
congés... Je ne
vous prends pas au dépourvu ! »
«
Siroux, je refuse votre démission ! »
«
Bien... Au revoir, Mon Colonel ! »
Ce
fut mon dernier entretien avec le
Colonel Kabbaj... Je ne devais jamais plus le revoir,
jamais plus
l'entendre
ronchonner dans sa barbiche...
Il
faut faire vite... Tout prend du temps
! Entre mes vols, je vends une partie de mes meubles,
que j'envoie
à
Bruxelles... Je prends Upso dans mon cockpit lors d'un
courrier sur
Malaga et
le confie à François Reip... L'ami
François, celui
qui pédalait sur son vélo
tombé dans le sable et sans son froc, lors de
notre
méchoui d'escadrille à
Solenzara, a depuis longtemps quitté l'aviation
et tient une
boite sur la Costa
del Sol... Upso... Upso, le noble... Peut-être
est-il devenu
barman chez
François ? Histoire de chien, histoire d'amour,
qui vous vrille
le cœur !
Je
paie mes taxes et mes impôts, parce que
je suis un garçon honnête et parce que, qui
sait, je
reviendrai peut-être un
jour au Maroc... Ce qui sera le cas !
Je
suis fin prêt à partir en règle pour
le
pays, mais pas en règle pour le Colonel... Je
n'ai toujours pas
son feu vert !
Une carte d'importance me manque dans ce coup de
poker... Sur le tapis,
la mise
est élevée: une qualification Boeing 707 !
Je vais
bluffer... Je vais attendre
jusqu'au dernier moment... Peut-être que Kabbaj va
découvrir son jeu ? Non, il
ne le fait pas ! Je dois découvrir le mien...
Je
n'aime pas ce que je vais faire, je
hais ! Mais il m'y oblige, Kabbaj... Il l'aura voulu !
Ma Chrysler,
bourrée,
chargée, surchargée, ressemble à
une roulotte de
gypsy... La galerie est
remplie de paquets, de couffins ficelés... A
l'aube par Tanger,
je prends le
bateau pour l'Espagne, je quitte le Maroc ! Ali, le
chauffeur de taxi,
celui
qui promenait les équipages lors de nos escales
à Tanger,
celui qui roulait
sans cesse une boulette de pain dans sa main gauche,
« pour faire
circuler le
sang », disait-il, va m'aider pour les
formalités de
douanes...
Ce
jour de décembre 1973, je devais me
présenter aux opérations pour faire un
vol... La Royal
Air Inter m'attend
toujours !
Qu'il
soit de droite ou de gauche, du
centre ou d'ailleurs, blanc ou noir, bronzé ou
violet, un
être, qui par son
caractère et sa personnalité, sort de
l'ordinaire, pour
moi, gagne des
points... Kabbaj n'était pas mon ami, mais quand
j'ai appris sa
mort quinze ans
après, j'ai fait, comme je le fais toujours quand
j'apprends la
disparition de
« quelqu'un »:
«
Oooh ! »
Amies
ou ennemies, je n'aime pas quand des
« figures » disparaissent...
«
Oooh ! »
Le
Colonel Kabbaj... Lui, qui avait la
Baraka... Plus de Baraka ! La ficelle est devenue grosse
corde, celle
de la
cloche finale... La cloche funèbre ! (Oui,
Monsieur Trenet, je
sais, mais je
vous l'ai déjà dit, j'aime vos
chansons...). «
Ding-Dong » pour tout le monde,
plus de Baraka ! Pour personne ! Terminé ! Kalas
! C'est la
règle... C'est
écrit ! Mektoub !
Un
qui est mon ami au Maroc: Monsieur Y.
Suzan, le Directeur Général de la Royale
Air Inter... On
accroche, « Clic » !
Son épouse et lui nous invitent, Blanche et moi,
pour des
dîners marocains...
La Pastilla aux pigeons et la tendresse de la viande du
mouton sont
immortels
dans le fond de ma mémoire !
J'avoue
avoir commis quelques traîtrises
dans ma vie... Je n'en suis pas fier ! En voici deux
exemples:
Suzan
me fait jurer sur mes gallons de
Commandant de Bord de ne plus revoir cette fille !
«
Ta femme, Jack ? »
«
Non, justement !
Je
lui donne ma parole, et je ne la tiens
pas... Les Arabes ne m'ont jamais trompé ! Moi,
je trompe un
Arabe, qui est mon
ami, et je trompe ma femme...
«
Jack, tu t'éclates en écrivant ton
bouquin ? », m'avait demander Albert Delevingne,
à notre
réunion d'escadrille,
lorsque je lui avais dit que je scribouillais... ...
«
Je m'éclate ? Oui et non, Albert... Je
m'éclate, mais je me déculotte aussi ! Il
m'est souvent
de grande difficulté de
raconter les bêtises de mon existence... Mais
puisque j'ai
décidé de les
écrire, je dois y passer ! »
Je
n'ai jamais fait de mal à une mouche...
Non, ce n'est pas vrai ! J'ai fait du mal à deux
mouches...
L'une est l'Impala,
cette jolie antilope, que j'ai tué bêtement
d'un coup de
fusil... Le coup du
con ! L'autre, c'est Blanche... Je lui ai fait mal...
Très mal !
Blanche...
«
Craaaaak » ! Craquelures...
Blanche,
que j'appelais « Ma Poule »,
Blanche, qui me disait: « Jackie, nous sommes des
potes, nous
avons fait la
Libye ensemble... », Blanche, à qui, par
égoïsme de vie facile, j'avais
toujours refusé un enfant... Les années
passent, elle en
fait une maladie...
Elle n'est plus la même... Plus la douce Blanche !
Elle est
nerveuse, je deviens
nerveux... Disputes ! La jeunesse est derrière,
les petits
oiseaux apparaissent
dans la tête... C'est contagieux, j'en attrape
aussi... Je tombe
sur Michèle !
Française,
née au Maroc, moi, Belge, né au
Congo, nous sommes tous les deux « d'Afrique
»... Le
seul point commun que
nous ayons ! Je suis le Nord, elle est le Sud, je suis
l'Ouest, elle
est l'Est,
le Blanc et le Noir, l'Eau et le Feu, la droite, la
gauche, le positif,
le
négatif, l'Occident, l'Orient !
«
Big Bang » ! Expansion de mon univers...
Etincelles présentes !
»Big
Bang » !
Etincelles futures ! Mais je suis tellement amoureux...
Je persiste !
Les yeux
à l'oriental, la peau mate, les cheveux auburns,
longs,
passés au « henné »...
Moi, qui aime les blondes ! Michèle me prend au
ventre,
Michèle me prend au
cœur.... Oh, non, Michèle n'est pas une fille de
ma rue... Ma
rue ! Quelle rue
? Je suis tellement amoureux.... Je persiste !
Il
est un fait certain, pendant les vingt
ans qui vont suivre, je ne vais pas m'embêter avec
Michèle... Et j'espère ne
pas m'ennuyer avec elle encore pendant de nombreuses
années !
«
Au moins, avec moi, tu ne t'ennuies
pas... Hein, Jack ? »
«
Ooooh, non ! »
Michèle
est professeur de Français et
d'Espagnol... Elle a une petite fille... Ca m'agace...
Au début
! Au fil des
ans et durant l'adolescence de Valérie,
malgré les
heurts, je deviendrai
Pour
mes vacances, j'emmène Michèle en
Extrême-Orient... Bangkok, Hong Kong
!
Au retour, les remords me travaillent… J’hésite…
je suis en
pleine crise ! Je suis
heureux et
malheureux... Je suis
déchiré !
Blanche...
« Craaaak »,
craquelures, déchirures !
Blanche...
Je revois Blanche, qui revient
de Marbella... Robert Schepens organise un souper chez
lui... Suzan est
présent
! Il essaie d'arranger les bidons... Suzan veut sauver
les meubles,
dit-il ...
Il me fait jurer que... Mais Robert sait que c'est
inutile ! Ayant
appris ma
relation avec Michèle, me connaissant et me
voyant
transformé, transfiguré, il
m'avait déjà dit, je m'en souviens
très bien:
«
C'est foutu ! »
D'ailleurs,
lui-même, est amoureux... Il a
rencontré Jasmina à Marrakech...
J'étais
présent ! Elle deviendra sa femme...
Et Robert fera sa carrière au Maroc !
Je
ne freine pas, je n'emploie pas les «
reverses »... Au contraire, je pousse les manettes
de la
puissance à fond vers
le tableau de bord, c.a.d: « plein pot » !
Je vais vite
retrouver Michèle à son
cabanon... Elle prend son bain de soleil devant
l'océan... En
m'apercevant,
elle se lève et accourt:
«
Jacques... »
Souvenir
gravé !
Alors,
pourquoi ai-je donné ma parole à
Monsieur Suzan, moi qui ai Michèle dans la
peau ! Tristesse
de voir
Blanche souffrir ? Remords ? Education ? Principes ?
Faiblesse ? Un
mélange...
Maladie d'amour, maladie mentale !
Je
m'en voudrai toujours de ne pas avoir
été net vis-à-vis de Blanche,
vis-à-vis de
Michèle... Vis-à-vis de mon ami
marocain... Et vis-à-vis de moi-même !
Nom
di Diou, Blanche... Je vous ai
pourtant fort aimé !
Le
bateau quitte la rade de Tanger... Le
soleil se lève... Le Maroc va disparaître
à
l'horizon... Je regarde Michèle...
Elle est à mes cotés !
Basculades...
Ma vie privée bascule, ma
vie professionnelle bascule... Une fois de plus !
Une
semaine à Bruxelles pour la Noël chez
ma mère, où nous logeons... Elle est
contente, ma
mère, puisque je suis content
! Elle est heureuse de me retrouver, plus dans la villa
de Kraainem,
qui est
louée à présent, parce que devenue
trop grande
pour elle, mais dans
l'appartement d'Uccle, que je viens d'acheter à
très long
crédit...
Michèle
repart au Maroc pour donner ses
cours, je pars à Dublin pour suivre mon cours
707... Enfin, le
jet !
Trois
semaines de théorie sur l'avion...
Nos deux instructeurs nous apprennent les « trucs
» et les
« ficelles » (!),
avec lesquelles Boeing a construit cette machine:
«
Monsieur Boeing, dans sa sagesse... »
En
bons Irlandais, les pauses-café sont
arrosées d'une sérieuse dose de whisky...
Pas n'importe
quel whisky, du bon
whisky, du vrai whisky, de l'Irlandais ! Plus la
journée avance,
plus les cours
sont difficiles à suivre... Nos deux
instructeurs:
«
Si vous avez des questions, nous sommes
à votre disposition... Nous pouvons venir le soir
à votre
hôtel prendre un café
et vous donner des renseignements
supplémentaires... »
Michel
Pitsy, le flight-engeneer, le
mécanicien de bord, qui veut toujours en savoir
plus, qui veut
aller dans les
détails:
«
Oui, oui ! S'il vous plaît, venez ! »
Les
instructeurs viennent... Nous buvons
des Irish-coffees... La bière coule aussi ! Les
secrets du
Boeing 707...
Pitsy,
qui me demandera des mois plus
tard, lors d'un vol sur Hammamet en Tunisie:
«
Jack, tu pourrais encore m'expliquer le
fonctionnement de la descente du train d'atterrissage et
de son
verrouillage ?
»
«
Bien sûr, Pitsy: lampe verte, c'est bon,
lampe rouge, pas bon ! »
«
Toi, alors... Mais après tout, tu as
raison ! Who cares ? Except me... » Pitsy n'a plus
eu le temps de
trop s'en
faire sur ces circuits hydrauliques... Pitsy, toujours
le rire à
la bouche,
toujours ami, toujours heureux, amoureux de Julie... Il
s'en est
allé, Pitsy !
Comme ça, en quelques secondes... Injustice !
Les
week-ends, nous rentrons à Bruxelles,
les bras chargés de saumons d'Irlande, de whisky
d'Irlande !
L'Irlande est à la
mode parmi la gente TEA...
«
Je te fais un café ? Un Irish-coffee,
bien sûr... »
«
Evidemment ! »
La
TEA... La Trans European Airways !
Fondée par Monsieur Georges Gutelman... Il a
commencé sa
carrière avec une
agence de voyage... Puis, a trouvé plus pratique
de vendre des
tickets d'avion
en achetant lui-même des avions ! Il débute
avec un
Boeing, puis deux Boeings
707 ! Les vols vont jusqu'en Extrême-Orient...
Hong Kong,
Singapour ! Arrêts à
Bombay...
Chapeau
Georges !
Pour
moi, pas tellement chapeau concernant
mon salaire... Lors de mon interview nocturne et
téléphonique avec le
Chef-Pilote, ce n'était pas le moment de parler
de salaire...
Je
fais la connaissance d'Eddy Lejeune à
Dublin... Il vient pour nous donner l'instruction au
simulateur ! Je
crois que
toutes les premières rencontres, faites par Eddy,
qu'elles
soient masculines ou
féminines, font « Clic » ! Il est
charmant, il est
charmeur... Il y a des
hommes comme ça... Un Chef pareil, on le suit en
enfer ! Ce dont
je m'aperçois
quand il me dit ce que
«
Tu comprends, Jacques, on te donne la
qualif Boeing 707... On te fait passer ton IFR belge...
Une fois
qualifié
copilote, tu toucheras plus, bien entendu... Ensuite, si
tu passes ta
licence
de pilote de ligne belge, tu retrouves ton siège
de gauche,
tu... »
«
C'est idiot, Monsieur, je suis déjà
à
gauche depuis longtemps... »
«
Appelle-moi Eddy... Oui, mais ton ATR
américain n'est pas valable pour les
autorités belges...
Tu le sais, non ? »
«
Oui, hélas... Cependant certains pilotes
étrangers volent ici avec leurs propres licences
? »
«
Oui, parce qu'ils ne sont pas Belges...
»
«
... »
«
Ecoute, Siroux ! Fais-moi confiance, tu
redeviendras Commandant de Bord... Et sur jet
! »
J'ai
vraiment misé gros en prenant cette
décision de venir à la TEA... Ceci n'est
plus du poker,
mais bien de la
roulette russe !
Je
fais confiance à Eddy Lejeune et je ne
le regretterai jamais ! Au contraire, ma carrière
va être
propulsée vers le
haut, vers le but, que je m'étais fixé...
La TEA va me
donner les bases et
l'expérience, dont j'aurai besoin pour
conquérir d'autres
marchés
aéronautiques... Avancer... Avancer... Avancer !
Pour
la plupart d'entre nous, pour moi en
tous cas, je vais pénétrer dans cet antre,
qu'est le
simulateur... Cette boite
à tortures, dans laquelle je passerai des «
checks
», des « checks » et des «
checks » tout au long de ma carrière...
Autour
de plusieurs tables rassemblées
dans le lobby de l'hôtel, Eddy Lejeune nous donne
nos premiers
« briefings »...
Je suis un peu nerveux... Mais Eddy, par sa façon
d'expliquer
les procédures,
nous met à notre aise... Il est relax, Eddy...
Ses gestes sont
virevoltants,
presque enivrants... Ses mains volant dans l'air, ses
doigts en
tremolo, il
nous dit comment l'approche s'effectue...
«
Sans toucher au setting, à la puissance,
vous laissez bleeder, diminuer votre vitesse en
descendant les
volets... Du
beau travail... De la finesse, s'il vous plaît !
»
Un
très bon pilote Eddy Lejeune... Je le
verrai à l'œuvre ! Excellent instructeur aussi...
Il nous en
apprendra des astuces
! Tout semble facile avec lui... Pas si facile, car tout
change pour
nous, pour
moi... J'ai affaire à un avion à
réaction !
Réaction plus lente de la puissance
demandée... Avec un moteur à
hélice,
réponse immédiate quand on met la gomme...
L'hélice mord l'air, comme le fait dans l'eau
celle d'un bateau,
on avance ! Il
faut au moteur à réaction plus de dix
secondes pour
obtenir la puissance
désirée... Donc, anticiper ! J'ai connu
cela avec les
avions de chasse, mais il
faut ajouter ici le poids du Boeing... Inertie...
Anticiper ! La
vitesse... Ca
va vite un jet ! Etre à tout moment «
devant » son
avion et non « derrière »...
Comme en équitation, ne pas se laisser guider par
son cheval !
Anticiper ! J'ai
connu certains pilotes en entraînement,
Le
jet, une autre philosophie de vol !
Question d’habitude...
Plus
tard, leurs turbines d'entrée de
réacteur agrandies, au point de devenir de
véritables
ventilateurs produisant
les 2/3 de la puissance, les moteurs à
réaction
redeviendront presque des
moteurs à hélice et la réponse aux
manettes des
gaz sera quasi instantanée...
On les appellera les
Pour
le moment, à la TEA, nous sommes loin
d'avoir des « fans », nous en sommes au
tuyau de
poêle, le « straight pipe »,
le réacteur pur... Pas tout à fait pur,
car pour les
décollages lourds et par
température élevée, afin de
densifier l'air
entrant dans le réacteur, nous
injectons de l'eau dans les nacelles du réacteur
!
Un
ami me demande:
«
Mais comment ça marche, Jack, un moteur
à réaction ? »
«
Principe simple ! Tu prends un ballon,
tu le gonfles en soufflant... Pression sur les parois
intérieures: action ! Tu
relâches l'embouchure, libération des
pressions:
réaction ! Le ballon s'envole
dans tous les sens ! Action-réaction ! Vu ?
»
«
Vu ! Mais le réacteur lui-même ? »
«
Comme le ballon: compression de l'air +
kérosène + étincelles = pressions
dans les
chambres de combustion = action !
Libération de ces pressions = réaction !
Action-réaction ! Simple ! Le tuyau de
poêle, je te dis... Simplicité ! Plus de
pistons, de trucs
et de machins ! Pigé
? Tu préfères des formules ? »
«
Non, non ,non, Jack, j'ai pigé, j'ai
pigé ! »
Le
simulateur est une réplique exact d'un
cockpit d'avion... L'instructeur peut programmer tous
les vols, les
approches
et les pannes qu'il désire... Le pilote les
effectue comme s'il
était vraiment
en l'air... Les mouvements de l'avion et même les
bruits figurent
au programme
! Par un système de caméra, on peut aussi
faire
l'approche à vue d'un aérodrome
!
Une
dizaine de séances de deux heures
chacune... Pannes, feux, feux, pannes, pannes et nous
devrions
être prêts pour
le check final... Je pinaille dans cette caisse
sombre... Je
transpire... Nous
transpirons ! Tout se passe bien pour moi et mon
groupe... Eddy est
satisfait,
nous rentrons à Bruxelles en attendant notre
départ pour
l’Algérie !
Mais
avant de partir pour Alger, la TEA
organise sa soirée annuelle... Retrouvailles !
Qui ?
*Jean
Derycker, qui est à la TEA depuis le
début... C'est pour cette raison qu'il avait
quitté la
Libye !
*Jean
Pierre Delcuve, de qui j'apprends
que je fais partie de son équipage pendant la
période des
« Hadjs », les
pèlerinages pour Air Algérie... J'en suis
heureux !
*Paul
Dardenne ! Il était parti de Libye
avant moi pour aller voler dans l'Est de l'Afrique, au
Kenya ! Il a
donc pris
la même décision que moi, le Pelle, pour
passer sur jet...
On se retrouve donc
! Mais nos chemins vont encore se croiser et recroiser
encore bien
souvent...
*Pierre
Rassart, qui était aussi en
Libye...
*Tony
Payens, le Directeur de la «
mécanique », ancien de la Linair...
Tout
un monde de l'aviation... Pilotes,
qui vont, qui viennent aux quatre coins de la terre...
Pilotes
aventureux...
Pilotes à contrats... Pilotes amis... Pilotes
frères...
Pilotes !
Je
fais d'abord la connaissance de
Monsieur et Madame Gutelman, je fais la connaissance de
la Trans
European
Airways !
Je
me présente à tout le monde...
*Etienne
Fallon:
«
Siroux ! J'ai souvent entendu parler de
toi... »
«
Fallon ! J'ai souvent entendu parler de
toi... »
Etienne...
Lui aussi, à partir de cette
soirée, nos chemins vont... En Tunisie, à
Singapour...
Deviendra un ami, un
frère ! Sa femme, Christine, les enfants,
suivent...
*Guy
Vanderlinden, un autre pilote dont
les chemins vont... A
Singapour... Un
autre ami, un autre frère ! Sa femme, Arlette,
ses enfants,
suivent...
*Pierre
Jottrand, Copilote et Commandant
de bord plus tard... Deviendra aussi un «
frère »,
mais nos chemins ne se
croiseront point puisque Pierre ne quittera jamais la
Belgique...
*Je
retrouve également René Dauwe ! Il
était à Chièvres à mon
époque, mais
dans l'escadrille flamande... Il est
instructeur ! Il me dira plus tard, lors d'un retour sur
Alger et
après
l'approche et l'atterrissage à Tripoli, que je
connaissais bien
pour l'avoir
faite des centaines de fois:
«
C'est très bien... Presqu'aussi bien que
moi ! »
*Tiens,
Jo Boone ! Mon instructeur en
F84F, avec qui je m'étais un peu trop
approché des
frontières russes...
*
Jacob Debeuken, dit « Levy » ! Un
caractère...
*
»Poussy » (!), une fille copilote ! Une
idée d'Eddy Lejeune: «
dé-mys-ti-fier » ! Il
a bien misé bien, Eddy, puisque
Poussy deviendra Commandant de bord et Instructrice sur
jets !
*Claude
Gilliaux... Nous jouerons beaucoup
au tennis avec les copains pilotes dans sa
propriété
d'Uccle...
Et
bien d'autres aviateurs, que je
rencontre...
Je
me présente à tout le monde...
*Le
personnel de cabine est entièrement
féminin... Parmi les hôtesses et chefs de
cabine, Aline,
Audry, Vicky et Cie,
que je rencontre, je retrouve Nicole Saillez, avec qui
j'ai fait ma
communion à
Butembo ! Elle se fait appeler à présent:
«
Capucine » !
*Une
autre hôtesse: Jackie ! Elle me
présente à Haakon Hellner, un Commandant
de Bord
norvégien, un type formidable
« Hawk », qui nous préparera d'abord
pour l'examen
IFR et plus tard pour celui
de « Captain B707 »... Par son calme et sa
manière
d'instruire ses élèves, il
va nous mener vers ces tests finaux avec
maîtrise... Nous lui
devons beaucoup à
Hawk Hellner ! Oak épousera Jackie et
après la TEA, ils
partiront pour L'Arabie
Saoudite, le Sri Lanka et Singapour, où je les
retrouverai...
Frères d'armes !
Tous
ces équipages ont déjà fait un
« hadj
», « pèlerinage », dont Paul
Dardenne, qui a
passé son IFR et est « lâché
»
copilote... Un mois de vol: Alger, Jeddah, Alger !
Alger, Jeddah, Alger
!
Alger, Jeddah, Alger ! Alger... Radadi, radada,
ça recommence !
Je
n'ai pas encore mon IFR belge, puisque
je n'ai pas encore mis mon cul dans un 707...
L'entraînement en
vol se fera
lors des retours à vide et par la suite à
Bruxelles... Je
pars donc comme »observateur
»,
comme second (troisième ?)
pilote... Quelle carrière !
Arrivée
à Alger... Distribution des
chambres à l'hôtel « Ziri »
entièrement
loué pour tous les équipages de la
TEA... L'hôtel nous appartient ! Distribution des
chambres par
Monsieur
Baudoule, dit « Bidule »... Je suis à
peine
installé que « Toc,Toc,Toc » à
ma
porte... J'ouvre... Une hôtesse !
«
C'est à quel sujet ? »
«
Ben, je viens prendre possession de ma
chambre ! »
«
Mais, Mademoiselle, cette chambre, c'est
ma chambre ! »
«
Non, c'est ma chambre ! »
«
Je crois que vous faites erreur, c'est
la mienne ! »
Entre-temps
la fille est rentrée dans « ma
» chambre avec sa valise, a déposé
ses affaires sur
«
Oh ! Bidule a dû encore se tromper...
C'est la deuxième fois, que ceci m'arrive
aujourd'hui »
«
Et puis, merde, j'en ai marre de mes
trimballer avec ma valise, je reste ici ! Ca te convient
?»
Je
me présente...
«
Viens, allons trouver Bidule, il te
trouvera bien une chambre... »
Comment
aurais-je pu expliquer cette
situation à Michèle, qui va arriver du
Maroc pour passer
quelques jours avec
moi à Alger ?
«
Tu sais, Miche, la crise du pétrole, les
restrictions... Je suis nouveau ici, j'ai obéi
aux règles
de la compagnie: on
partage les chambres... »
Elle
ne m'aurait jamais cru ! Non, ce
n'est pas mon genre... Et puis, je suis tellement
amoureux d'elle !
Michèle
est venue à Alger, à l'hôtel
Ziri... Un après-midi, En sortant de ma chambre,
nous passons
devant la chambre
d'Eddy Lejeune... Bruits ! Musiques ! Vapeurs d'alcool !
Je dis
à Michèle:
«
Je tiens à te présenter à Eddy
Lejeune,
dont je t'ai bien souvent parlé... »
«
Toc, Toc,Toc ! »
La
porte s'ouvre... Apparaît alors un être
bizarre... Eddy n'est pas tout maigre, tout maigre... A
part la longue
perruque
blonde, qui lui descend sur les épaules, le seul
vêtement
qu'il porte est un
caleçon !
«
Je te présente mon Chef-Pilote ! »
Sans
hésiter, Eddy, hospitalier et
englobant, les yeux coquins, embrasse Michèle en
la serrant dans
ses bras:
Kiss-Kiss !
«
Mais entrez donc... »
C'est
une belle journée d'hiver... Le
soleil inonde la terrasse... Les copains pilotes sont en
maillot de
bain, ils
détaillent Michèle en connaisseurs... Les
hôtesses
aussi en maillot, détaillent
également Michèle... D'un regard
inquisiteur, elles se
demandent ce que cette
nana, étrangère aux équipages, peut
bien venir
foutre ici ? Michèle fait ce
jour-là, la connaissance du monde de l'aviation !
A
présent, je comprends ce que le Pelle
m'avait dit à la soirée TEA sous le regard
foudroyant de
sa femme Nelle... Il
m'avait parlé de l'hôtel Ziri... Son rire
éclatant
à la bouche:
«
Ah, Ah, Ah... Tu feras gaffe, Jack, en
ouvrant les portes de tes armoires... Tu risques de
recevoir cinq ou
six
hôtesses sur le coin de la gueule ! »
Maintenant,
je pige pourquoi nous appelons
l'hôtel Ziri, « l'Hôtel Zizi » !
Les
principes du grand-père l'Evêque sont
mis au rancart dans le diocèse de la TEA...
On
raconte l'histoire de ces concours, qui
avaient lieu au bon vieux temps entre les hôtesses
de l'air des
grandes
compagnies aériennes internationales... Le jour
de ce «
contest », le jury
eut des
difficultés pour attribuer le
premier prix... Les trois filles de la Pan American, de
la British
Airways et
d'Air France étaient ex-equo ! Que faire ? Le
jury décide
alors de leur poser
un problème, dont la réponse pourra les
classifier:
«
Mesdemoiselles, voici... Imaginez-vous
dans un avion, qui a de graves problèmes... A tel
point qu'il
tombe... Il se «
crashe » ! Pas sur terre, dans la mer ! Vous avez
de la chance,
vous
survivez... En pleine mer, vous nagez, vous nagez...
Vous avez encore
plus de
chance, une île à l'horizon ! Vous nagez,
vous nagez...
Epuisée, vous
atterrissez sur la plage de cette île
déserte... Pas si
déserte que ça puisque,
de derrière les buissons, apparaissent des
hommes... Des
sauvages, qui n'ont
plus vu de femmes depuis pas mal de temps ! Vous
êtes là,
étendue sur le sable
blanc... Que faites-vous ? D'abord, vous,
l'Américaine ! »
«
Nous, les Américaines, nous ne quittons
jamais notre sac de maquillage, notre «
baise-en-ville »...
J'ai donc nagé avec
le mien ! Aussi, je me peinturlure vite le visage, je me
grime, je me
fais
laide, très laide... Pleine de couleurs... Berk !
Affreuse, que
je suis... Berk
! Ainsi, ces sauvages n'auront aucune envie de moi et ne
me toucheront
pas ! »
«
Heu... Vous croyez ? Enfin... Et vous,
l'Anglaise ? »
«
Moi, je crois que je serais plus
maligne... Puisqu'il faut inévitablement y
passer, je vais de
suite repérer le
Chef, je deviendrai la femme du Chef et ainsi, je ne
serai pas
violée par toute
la tribu ! »
«
Pas mal, pas mal comme solution... Et
vous, la Française ? »
«
Heu... Messieurs, voulez-vous bien
répéter votre question, je ne vois
vraiment pas où
est le problème ! »
«
... »
Bons
dieux ! Quelle aurait été la
réponse
de nos « vieilles » Chefs de cabine de la
TEA ?
Une
historiette authentique celle-ci:
Après
l'indépendance, ce Congolais devient
donc Zaïrois... Normal, le Congo est devenu le
Zaïre ! Il est
steward le
nouveau zaïrois... A bord du DC3, un passager
l'appelle:
«
Boy, un whisky, s.v.p ! »
«
Mais... Mais... Patron, je ne suis plus
un boy, je suis une hôtesse de l'air ! »
«
!!! »
Quelle
réaction auraient eue les sauvages
de cette l'île en apercevant ce grand Noir sur le
sable blanc et
qui ne cessait
de prétendre qu'il n'était qu'une jolie
petite
hôtesse de l'air ? Je
n'ose plus
penser du tout !
Mais
je pense à cette remarque que me fait
ma voisine de table... Retrouvailles à Bruxelles
de cette
ancienne équipe
folklorique, bien des années après... Il
est vrai qu'en
plus des pintes et des
pintes de bière, nous avions aussi «
tûté
» quelques bouteilles de
Beaujolais... Cette amie,
«
Jack, en regardant tous les mecs de
cette tablée, je viens de m'apercevoir que tout
compte fait, tu
es le seul que
je ne me suis pas tapé ! »
Fille
opérationnelle... Ca, c'est de
l'opération aéronautique !
Je
fais donc partie de l'équipage
Delcuve... En fait, nous sommes deux «
observateurs »: Yves
Lecoq et moi-même !
Ceci pour dire que le cockpit est plein à craquer
! Les cinq
sièges sont
occupés... Nous allons vivre dans cette cage
pendant de
très longues
heures... Le
mécanicien de bord est
Euglène Sui, un « ancien », un vrai
mécano...
Le copilote est Guy Vanderlinden,
qui a suivi le premier cours 707 à Dublin...
Grâce
à la gentillesse de Guy, que
je remercie ici, je vais pouvoir me remettre dans le
coup... Car, au
Maroc, les
opérations s'occupaient de tout, des plans de
vol, de la
navigation et du reste
! Avec Guy, nous allons aller dans les tours de
contrôle remplir
les plans de
vols... Avec Guy, très méticuleux, nous
allons
préparer la navigation... Avec
Guy... Avec Guy !
Quant
à Jean-Pierre Delcuve, il nous met
de suite à l'aise... A peine « airborn
», en l'air, il fait
quatre nœuds à son
mouchoir et se
le noue sur la tête,
comme le fit le Capitaine Haddock dans le Sahara...
«
Nous allons traverser des déserts, les
gars... Méfiance au soleil ! »
En
effet, il fait chaud dans le cockpit...
Notre B707 n'est plus de toute première jeunesse
et son
système de
refroidissement n'a rien à voir avec l'air
conditionné
des avions
d'aujourd'hui, dans lesquels il vaut mieux mettre sa
petite laine pour
ne pas
attraper la crève ... Nous dans le 7-0-7, on
transpire... Avec
l'altitude, un
peu d'air frais, ça passe... Au sol, à
Jeddah, en
attendant notre tour de
mettre en route, ce qui peut prendre des heures, car il
y a des
dizaines et des
dizaines d'avions venus apporter les «
pèlerins »,
nous fondons littéralement
dans le cockpit !
Durant
ces escales, les hôtesses vont aux
« Souks » faire des achats... Nous, on ne
chôme
pas... Le Commandant va signer
des tonnes de papiers, de formulaires, il va payer
« cash
», en dollars, le
kérosène, les droits d'atterrissage,
etc... Il sue ! Le
copilote s'encourt à la
tour pour les plans de vol... Il sue ! Le mécano
fait le plein
de carburant,
transfère l'eau d'un réservoir à
l'autre, de l'eau
distillée (paraît-il !) pour
refroidir l'air s'engouffrant dans les réacteurs
au
décollage... Il sue !
Nous
suons encore quand nous voyons
arriver le bout de piste au décollage...
Après des
distances de décollages
insoupçonnables, l'avion veut bien
décoller ! Il rase les
toits... Il fait
chaud pour lui aussi, le pauvre, malgré la flotte
qu'on lui
injecte dans la
gueule pour le rafraîchir...
Jean
Pierre:
«
Ah, ces sacrés bidons ! »
«
Les bidons ? Quels bidons ? »
«
Les bidons de flotte que chaque pèlerin
veut ramener avec lui... L'eau sacrée !
Sacrée flotte,
oui ! Ces bidons en
plastic pèsent au moins cinq kilos chacun...
Multipliez 185
passagers par
cinq... Ca fait combien, les gars ? »
«
Heu... Presqu'une tonne ! »
«
Ben, voilà ! Nous sommes une tonne trop
lourd ! Si pas plus... »
Sur
le désert d'Egypte, je suis le seul
dans le cockpit, je ne sais pour quelle raison, à
ne pas
m'endormir sur mon
siège arrière, cette après-midi
là... (Ces
sièges, il y en a deux, sont
d'ailleurs appelés les sièges des
observateurs). Les
quatre autres membres
d'équipage ronflent ! Mon titre d'observateur est
donc fort
approprié...
J'observe ! Et je réveille à l'approche de
la balise
Les
vents sont contraires sur le retour
vers Alger... Faut s'arrêter à Benghazi !
De Benghazi, en
route pour Oran...
Déposer les « Hadjis » ! Vol à
vide de Oran
à Alger, vol d'entraînement pour
nous, observateurs... Cela fait presque vingt heures,
que nous sommes
en
route... Je suis à ramasser à la petite
cuillère... Ca ne fait rien ! Je me
secoue... Brrrrr ! Que ne ferait-on pas pour avoir un
petit secteur ?
Tenir un
peu les commandes, toucher un peu le stick... Après
ces heures de prestations épuisantes,
ces escales, ces formalités d'immigration et de
douane, nous
rentrons
finalement à l'hôtel... Repos ? Pas tout de
suite ! La
pinte d'abord, les
pintes ! Manger un morceau et enfin dormir... Glou-glou,
Niam-niam,
Dodo ! Vite
dodo, quelques heures à peine, car dans la
foulée, on
repart ! Alger, Jeddah,
Benghazi, Oran, Alger... Cela dure un mois... Radadi,
radada ! Radadi,
radada !
Nous trouvons même le temps d'aller manger des
merguèses
en ville... Radadi,
radada ! Nous revenons à Bruxelles sur les genoux
!
Faut
être résistant... Faut en vouloir...
Que ne ferait-on pas pour une qualification Boeing
Sur
jet... Je suis sur jet ! Enfin !
Zzzzzz.... Zzzzzz... Le doux du bruit du jet... Les
réacteurs
à l'arrière font
bien un bruit de tonnerre, mais ce que nous entendons
dans le cockpit
n'est que
le sifflement de la vitesse aérodynamique, les
filets d'air
défilants sur son
corps... Zzzzzz... Zzzzzz... Zzzzzz...
Le
jet... Le Boeing 707, aussi « une »
machine ! Solide machine... On attend beaucoup de lui,
comme on
attendait
beaucoup du DC3... Par cette solidité, il est
à la
hauteur de la tâche qu'on
exige de lui... Cet avion merveilleux, je le vole enfin
! Il est le DC3
de mes
débuts, il est..., il est... Je suis amoureux !
Comme toujours,
comme je l'ai
été de mes avions du passé, comme
je le suis de
mes avions du présent... Et
comme je le serai de mes avions du futur !
Commence
alors mon véritable entraînement
pour me préparer au « check » de
qualification
machine et aussi à l'examen
IFR...Je n'observe plus, on m'observe... Je vole sous la
surveillance
et
l'instruction d'Eddy Lejeune, René Dauwe et Hawk
Hellner... Je
passe et réussis
ces examens en avril 74 avec Monsieur François !
Ce même
Monsieur François, qui
m'avait fait passer les tests de ma licence de pilote
privé
voici plus de
quinze ans !
Petit
monde que le monde de l'aviation...
« Les vengeances du Kroumir » nous guettent
à chaque
retrouvaille ! Vaut mieux,
comme disent les Anglais, « To keep your nose
clean »,
Garder votre nez propre
» en toutes occasions et dans toutes les
compagnies pour
lesquelles on vole...
J'ai
connu ainsi le cas d'un pilote à
l'entraînement de qualification... Son instructeur
se souvenait
très bien des
vacheries, qu'il avait eu à subir de la part de
cet
élève d'aujourd'hui...
Lui-même, à l'époque n'était
que
l'élève-pilote de celui à qui
à
présent il
donnait de l'instruction sur grosse machine trente ans
après... L’entraînement
fut pénible pour
ce pilote !
Il
y a aussi ceux qui furent de simples «
line pilots », les pilotes de la ligne, mais qui,
à force
de vouloir devenir
Calife à la place du Calife, en attendant sont
devenus Vizirs !
Eux qui
hurlaient avec les loups, pour les calmer et les faire
taire, on en a
fait des
Chefs de meutes, des Chef-Pilotes ! Passés de
l'autre
coté de la cage, ils se
sont tus ! Puis, se sont mis à nouveau à
lancer des
hurlements, dirigés
maintenant vers leurs anciens petits camarades, les
simples pilotes,
dont ils
faisaient partie et désormais sous leurs
ordres...
Pour
nous, pilotes errants, il faut se
méfier dans ce petit monde de l'aviation,
où l'on se
connaît presque tous et
dans lequel on finit toujours par se retrouver un jour
ou l'autre...
Les
chemins des « expatriés » se croisent
et forcement
se rencontrent... Au sein de
la compagnie également, les rôles se
renversent pour les
expats... Plus tard, à
Singapour, comme je l'ai déjà dit, ceux
qui furent mes
copilotes, et même mes
mécaniciens ou mes navigateurs de bord dans les
années
70, sont devenus
Commandants de Bord et certains sont mes instructeurs !
Me
voici donc en possession de la
qualification Boeing 707 ! En place droite... Pour moi,
elle ne sera
complète,
cette qualification, que lorsque j'aurai retrouvé
mon
siège de gauche ! Quand ?
Assez rapidement !
Une
chance, et c'est ça la chance, va
entourer nos épaules... Je dis « nous
», parce ce
qu'il s'agit aussi des
autres... Je parle de Dardenne, de Vanderlinden... Nous
avions
été Commandant
de Bord... Le système incompréhensible
des
équivalences de licences ne nous permettent pas
de le
rester... Eddy
Lejeune, lui, comprend... Il faut être un «
Eddy Lejeune
» pour pouvoir prendre
de pareilles initiatives et c'est pour cette raison,
qu'on le suit en
enfer...
Rapidement, il sort une
note autorisant
tous les Commandants de Bord, qui ne sont pas
instructeurs, à
nous laisser
voler dans le siège de gauche, à leur
discrétion
bien-entendu ! Ces Captains,
et ils sont nombreux, acceptent ! A ces pilotes, nous
leur devons
énormément...
Je leur en suis profondément reconnaissant encore
aujourd'hui !
Je parle de
Jean Pierre Delcuve, de Pierre Rassart, de Jo Boone et
de tous les
autres, qui
ont leur licence de Pilote de ligne belge et sont par
conséquent
Commandants de
Bord... Une camaraderie, une fraternité, que je
ne retrouverai
plus jamais dans
toute ma carrière d'aviateur !
Remisé
momentanément au fond d'un placard,
vais-je pouvoir ressortir mon manteau de fine peau ?
Radadi,
Radada... Rebelote ! La TEA s'est
spécialisée sur l'Espagne...
Bruxelles-Palma-Bruxelles !
Bruxelles-Malaga-Bruxelles !
Après une journée de prestations
pareilles,
on ne peut pas se quitter comme ça... D’ailleurs
nous sommes
indissociables et
c’est souvent fatigant ! On
vole, on
mange, on boit, on danse, on... On ne peut pas s’en
passer de la cabine
! A tel
point qu’un jour Jean Pierre demande à Aline:
« Dis-moi, ma
chérie, est ce que nous
avons assez de
carburant pour ce vol
? »
«
Bof, ajoute-moi une tonne... On ne sait
jamais ! »
La
permanente aplatie, les cheveux
débouclés, les bas tombés et
enroulés sur
les chevilles, le slip pendouillant
entre les cuisses, déblousée et seins
à l'air,
puisque son soutien- gorge s'est
retrouvé à la taille, j'aurais bien vu une
de ces
hôtesses, gaillardes et
familières du cockpit, pénétrer
dans le poste de
pilotage et nous demander le
regarde sévère, à nous les pilotes
dont la cravate
s'est déplacée au nombril à
cause du choc:
«
Quel est celui qui m'a fait ce putain
d'atterrissage ? »
Les
rapports « cockpit-cabine » sont donc
excellents... Plus
jamais, je ne
retrouverai cette ambiance ! Par conséquent,
c'est sans se
forcer que nous
allons prendre la pinte ensemble chez
« Georges »
après les vols... Les
journées sont longues, nous le méritons
bien ! Ce bar
près de l'aéroport, qui
est devenu du coup un second centre d'opérations
pour les
équipages du cockpit
et de la cabine... Opérations privées
surtout chez
Georges (pas Gutelman !),
qui nous verse à boire et nous cuisine aussi
quelques
spaghettis, quelques
steak-frites ! La bière coule... De nombreux
problèmes de
« relations humaines
» sont traités, réglés,
déréglés dans ce bistro !
Cet
ami de Mâcon:
«
Vous ne trompez pas votre femme, non !
Vous vous trompez parfois de femme... C'est ça,
Jacques ? »
«
Georges-Max, je note de suite ce que tu
viens de me dire ! »
Cet
autre ami, coutumier du fait:
«
Jamais, au grand jamais, il ne faut
avouer ! Même si ta femme te pique au lit avec une
nana... De
suite, tu lui
dis: mais, ma chérie, tu rêves, il n'y a
personne ici ! Tu
divagues... Allons,
allons, calme-toi, hein, calme-toi ! »
A
noter également...
Dans
les premiers mois, je vole souvent
avec Eddy Lejeune... J'aime sa façon relaxe
d'instruire... Je me
sens à
l'aise... Je me souviens des détails de
l'enseignement
bénéfique d'Eddy... Il
me conseille, par exemple, juste avant le
décollage de me
retourner et de
balayer du regard le tableau du mécanicien ! D'un
geste large et
tournoyant
vers ce panneau, il me montre comment faire...
«
Non seulement, Jack, cela fait très
Captain, mais encore tu pourrais apercevoir une ou deux
loupiotes
oranges et
même rouges, qui ne devraient pas s'y trouver...
»
J'ai
gardé cette habitude, mais en
croisant le regard de mon mécano, j'ai parfois
l'impression
qu'il se dit:
«
Ce type me prend pour un con ! Il doute
de moi... »
Ou
peut-être:
«
Quel type ! Un professionnel ! »
L'un
ou l'autre, tant pis, tant mieux...
Ce balayage des yeux est devenu pour moi une routine en
cours de vol et
un
dernier point personnel de la check-list avant le
décollage ! En
effet, je
trouve que cela fait très « Captain
»...
Les
vols avec Jean Pierre Delcuve sont
mémorables... Jean
Pierre Delcuve
n'a
cependant pas fait « L'Air Force », mais
comme Paul
Dardenne, voici un pilote,
qui a aussi le sens de l'air dans son sang ! Baraqué,
le J.P... Ancien champion de ski nautique,
on lui reprochait
alors son style un « peu dur » lorsqu'il
passait les
bouées, mais il gagnait
les championnats !
«
C'est le résultat, qui compte ! »
avait-il l'habitude de dire...
Le
résultat de son enseignement à mon
égard est profitable... Il me met de suite
à gauche et me
laisse faire... Me
laisse aller dans les limites de quelques mauvaises
manœuvres, que je
fais au
début... Ensuite, il reprend ! M'explique mes
conneries, que je
ne ferai plus !
Un
arbre sera la dernière bouée de Jean
Pierre Delcuve... En ski de neige, il dévalait
les pentes en
champion et en
vitesse... Ce bête sapin, il n'a pas pu
l'éviter ! En
1979, mon Chef Pilote
chinois, Choon Choy, sachant que j'étais
bruxellois m'a
sympathiquement désigné
pour l'accompagner sur ce vol inaugural, Boeing 707
Cargo, sur
Bruxelles... A
l'arrivée, Christian Braet, que j'avais connu
à la TEA
comme mécanicien de
bord, me dit:
«
On a enterré Jean Pierre ce matin... »
J'arrivais
trop tard... Je n'ai pu donc le
saluer une ultime fois ! Pendant que la troupe, venue
expressément de Singapour
à cette occasion pour la Danse du Lion, habituel
cérémonial lors des vols
inauguraux, je pensais à Jean Pierre... Le cœur
lourd et en
dernier hommage, je
lui ai dédié cette manifestation des dieux
et des
démons d'Asie, pleine de
significations...
Les
vols avec les autres Captains se passent
bien, mes rapports de vol sont bons... J'étais
déjà amoureux de ce bel animal,
qu'est le Boeing 707, je le suis encore plus ! Et le
serai davantage
plus tard
quand je volerai le 707 à moteur « fans
» en Asie...
Le
sentiment, que l'aviateur éprouve pour
chacun des avions, qu'il rencontre, qu'il vole ou qu'il
viole au cours
de son
existence, est un sentiment d'amour passionné...
L'aviateur fait
des
rencontres... Il rencontre des avions, il devient
amoureux, il
s'enflamme ! Il
rencontre des femmes, il devient amoureux, il s'enflamme
! Au fil des
jours,
ses relations féminines deviennent plus ou moins
intenses,
profondes ou
dévastatrices... Il en ressort bien souvent avec
des bleus au
cœur... Avec les
aéronefs cependant les histoires d'amour de
l'aviateur,
malgré certains
démêlés, sont
généralement sans
bavures ! Très rarement, j'ai entendu un pilote
dire:
«
Quelle saloperie ce bac ! »
Par
contre, je l'ai souvent entendu dire:
«
Quelle salope cette nana ! »
Michèle
a quitté son enseignement au Maroc
et après quelques temps d'habitation chez ma
mère, nous
louons un joli petit
appartement à Uccle... Nous n'y habiterons
guère, car
nous voyagerons beaucoup
ensemble !
Le
Caire... La TEA vole pour Egypt Air !
Nous sommes en « wet lease », c.a.d. l'avion
est
loué avec équipages... Je fais
partie du premier contingent, qui fait cette mission...
Mon Captain est René
Dauwe ! Nous sommes
logés à « L'Omar
Khayam », vieil hôtel, vieux palais sur les
bords du Nil...
Si Michèle passe
ses jours à la piscine, moi je vole et sillonne
le ciel ! Nous
avons peu de
jours libres... Du Caire, nous volons sur Jeddah,
Khartoum, Beyrouth,
Koweït,
etc... Radadi, Radada, le métier entre... Vols
durant lesquels
Monsieur
l'Instructeur Dauwe, me surveille... Il semble satisfait
! Un soir,
entre ces
courriers, il me paie même un pot aux Pyramides
à
l'entracte du « Son et
Lumière » ! Je revois mon Sphinx et je bois
un Coca
à sa
«
Jack, on sait ! »
«
OK, OK ! »
Je
suis chiant...
J'ai
un jour libre, un jour « off » !
Michèle et moi prenons l'avion et nous visitons
en plein mois
d'août, par plus
de 50 degrés, le Temple de Luxor et la
Vallée des Rois...
Pfff... Pfff...
Heureusement d'ailleurs que nous avons fait cette
visite, car je ne
reviendrai
plus au Caire avec la TEA ! Depuis, dès qu'une
occasion se
présente dans ma vie
d'entreprendre quelque chose, j'en profite
immédiatement !
Où serai-je demain ?
Où serons-nous, pilotes-pigeons voyageurs ?
Retour
à Bruxelles... Vols des vacanciers
sur l'Espagne et Ténériffe, sur l'Italie,
sur la
Grèce, sur tout !
Nous
faisons aussi des vols de pèlerinage
à partir de Bruxelles, à Lourdes et
à Rome,
où après l'atterrissage, quelqu'un
frappe à la porte du cockpit ! C'est moi qui
l'ouvre... Un
passager, l'air
heureux de survivre, avec un grand sourire de
connivence, me glisse
discrètement un billet dans la main !
«
Pour le conducteur... » me dit-il !
Je
jette un œil sur le billet de 20 francs
belges (1/2 dollar)... Avec difficultés, je reste
sérieux:
«
Mais, Monsieur, nous sommes trois à
conduire, comme vous dites... »
«
Ooh... »
Gêné,
le pèlerin se remet vite dans la
file de ses petits copains en train de
débarquer...
Pendant
que nos passagers vont se faire
pieusement bénir par le Pape, nous, on va manger
et boire
à la Trattoria...
Jean Derycker, mince comme un fil, sec comme Valentin le
Désossé, malgré les
grosses assiettes qu'ils avalent
régulièrement lors de
ces repas
gargantuesques, a l'habitude de dire:
«
Mes amis, mangeons, buvons !
Profitons-en ! Dans le métier de charter que nous
faisons, on ne
sait jamais de
quoi demain sera fait ! »
De
retour à Bruxelles, encore des « Toc,
Toc, Toc », à la porte du cockpit !
J'ouvre... Mon
pèlerin bienfaiteur ! Il a
toujours son sourire, sa main est retournée pour
que personne ne
puisse
apercevoir le nouveau pourboire, qu'il va glisser dans
la mienne...
«
Pour les trois conducteurs ! »
Et
il disparaît !
J'ai
trois billets de 20 francs dans ma
main...
Vol
sur Malaga. Un passager doit aller aux
toilettes... Dans le couloir, les hôtesses
poussent leur chariot,
distribuent
les repas... Le « trolley » bouche donc le
passage... Ce
passager est pressé...
Il veut passer ! Sans
scrupules, « Pan », il se cogne, se
recogne, « Pan » !, aux fesses de
Jackie, qui se
retourne :
Mais
enfin, Monsieur, où allez-vous donc
comme ça ? »
«
A Malaga » !
Les
cours pour la théorie de la licence de
Pilote de ligne, qui nous avaient été
promis, ne sont
toujours pas organisés...
Et n'ont pas l'air de se concrétiser ! Because,
les profs n'ont
pas assez de
temps libre et il leur est difficile de se
libérer pour des
sessions
particulières à nous consacrer pendant nos
jours «
off », paraît-il...
Difficile, en effet, de réunir en même
temps, des pilotes,
dont le programme de
vol est chargé, à moins de leur
donné congé
à chaque jour de cours et pendant
des mois et des mois... Impensable ! La compagnie n'est
pas une
association
philanthropique... Non plus, ces professeurs ne donnent
pas des cours
pour
rien, ils sont chers, il s'agit de leur argent de poche,
à ces
Messieurs ! De
tout ceci, j'aurais dû m'en douter... Je repense
à
Monsieur Weygaert... Ah, si
je l'avais écouté, j'aurais en poche ce
sacré
papier ! Il nous faut ce papier,
il faut faire quelque chose !
Bien
que nous connaissions déjà la
réponse, « passez votre licence belge
», nous
décidons, Jean Derycker et moi,
de tenter un essai... Nous allons trouver directement le
Directeur de
l'Administration de l'Aéronautique ! Nous n'avons
pas beaucoup
d'espoir...
Le
Monsieur, qui nous reçoit, écoute nos
doléances... Nous invoquons notre
expérience, le fait que
nous ne sommes plus
des gamins, que, quand même, voler, c'est voler,
qu'une licence,
c'est une
licence, que nous voulons bien passer la Belge, mais que
le temps nous
manque,
que...
«
Quelle licence de Pilote de Ligne
avez-vous ? »
«
L'Américaine, Monsieur... »
«
Nous ne la validons pas ! »
«
Mais, Monsieur, certains pilotes
étrangers volent sous cette licence en
Belgique... »
«
Oui, mais ils ne sont pas Belges, vous,
vous êtes Belges ! »
Jean
et moi sommes persuadés que notre
entretien est terminé... A moins de sortir la
carte, que nous
avions
préparée... Allons-y !
«
Accepteriez-vous une licence européenne
plus pratique à obtenir sur le plan du temps, des
cours sont
organisés dans
certaines écoles, et sur laquelle licence
théorique, vous
pourriez nous accorder
une équivalence ? »
«
Se serait envisageable... »
Le
choc ! Serions-nous tombés sur un
administratif compréhensif ?
Vite,
Jean sort la carte No 2 ! Un
véritable menu...
«
Monsieur, que diriez-vous d'une licence
suisse ? »
«
Licence suisse ? »
«
Oui, la Suisse ! Sérieux, la Suisse...
Deux mois à Genève, à l'Ecole de
Ailes ! »
«
La Suisse, la Suisse... Ecole des Ailes,
je ne connais pas, mais si vous pouviez me donner des
renseignements
complets,
je pourrais comparer leur matière avec la
nôtre... »
«
Monsieur, vous aurez tout cela sur votre
bureau dans trois jours ! Au revoir, Monsieur ! »
Que
ne ferions-nous pas pour ce papier ?
Moi, pour retrouver ma place à gauche et Jean
pour la
découvrir... Le jour
même, dans la BMW de Jean, nous foncions sur
Genève...
Jean a toujours aimé les
belles voitures, on les lui vole parfois, comme on lui a
volé
cette BM, mais il
les remplace vite ! Jean roule vite... Aussi, nous avons
vite fait la
connaissance de l'Ecole de l'Air, près de
l'aéroport de
Cointrin !
Le
Directeur, un autre Jean, Jean Liardon,
nous donne tout le programme des cours... Il nous assure
de la
coopération de
l'Administration suisse pour nous faciliter les rapports
avec la
Belgique !
Charmant ! C'est aussi son intérêt... Ces
deux mois
d'école, plus le logement
et la nourriture, vont nous coûter une petite
somme !
Retour
à Bruxelles ! Un dossier complet
est sur la table de Monsieur le Directeur de
l'Aéronautique...
Nous attendons
son verdict ! Les jours passent...
Convocation
! Rechoc !
«
Je me suis mis en rapport avec les
Suisses, leurs matières semblent
équivalentes à
notre programme, j'accepte de
vous donner l'équivalence sur la licence suisse !
»
«
!!! »
Aussitôt
dit, aussitôt fait ! Nous sommes
en septembre, la saison d'hiver approche, saison creuse,
les vols vont
diminuer... Paul Dardenne, Jean Derycker et Jacques
Siroux
reçoivent deux mois
de congé (sans solde !) pour suivre les cours
à
Genève ! D'autres pilotes
intéressés par cette combine s'inscrivent
immédiatement... Nous retrouvons Jo
Marette, qui vole chez Eddy Lejeune ! Eddy ayant
quitté la TEA
pour former sa
propre compagnie: «Yong Cargo» !
En
octobre et novembre 1974, retour sur
les bancs de l'école... On reprend toute la
théorie
à zéro, on redevient
écoliers... Une dizaine de Belges à
débuter les
cours à l'Ecole de Ailes ! En
fait, nous ne sommes pas les premiers Belges à
être
inscrits dans cet
établissement... Un autre Belge
célèbre y est
passé avant nous à titre
personnel pour y prendre ses brevets de pilote: Jacques
Brel !
Michèle,
qui n'est pas encore ma femme,
mais le deviendra bientôt, m'accompagne, bien
sûr...
Véro, l'amie de Jean, qui
ne deviendra pas sa femme, l'accompagne... Nelle, qui
est la femme de
Paul,
vient souvent le rejoindre... Vicky, l'amie de Jo, qui
deviendra sa
femme, fait
également des séjours fréquents
dans ces petits
studios... Dans ces petits
studios, que nous avons loué Avenue des Acacias !
Nous
voilà tous redevenus
étudiants... Gamins cloués sur nos chaises
de 8 à
17 heures, les crayons
affinés, penchés dans nos bouquins... Le
soir, nous avons
la goutte au front...
La cause n'en est pas le Pastis, mais bien nos devoirs !
Pas pour
Pelle... Il a
une telle facilité d'étudier, ce qui
enrage Jean... Pelle
reste des heures dans
son bain, verre à la main, pour faire des mots
croisés !
Jean râle en taillant
ses crayons de couleur...
Nous
essayons de redécouvrir les secrets
de l'aviation, que l'on nous avait enseignés
voici une vingtaine
d'années,
notre moyenne d'âge à nous tous
étant de quarante
ans ! Après ce cours, pendant
lequel on aura oublié comment voler, il faudra
certainement
réapprendre à voler
! Tout cela pour un petit bout de papier ! Ca aussi,
faut le faire !
Faut en
vouloir... Faut être fou... Fou de l'azur, fou du
ciel !
Le
week-end est relax... Nous sommes les «
Joyeux pinsonnets du dimanche » en skiant au col
de la Faucille !
Le soir, on
va manger des fondues, boire du bon vin du Valais... Jo
pousse un peu sur le
« Fendant »,
disparaît et on le
retrouve dans un caniveau... Nous sommes alors des vrais
«
Turlurons » !
Hélas,
j'apprendrai quelques années après
une bien triste nouvelle... Un choc ! José
Marette nous a
quittés ! Fort
probablement, José a retrouvé Jean Pierre
Delcuve
là-haut, dans un bistrot
céleste... Je les espère paisibles,
prenant ensemble une
bière finale, une
bière éternelle... La dernière pour
la route !
Aérodynamique,
Météorologie, Règlements,
Navigation, etc... Les matières rentrent...
Même
Plus
tard, sur Boeing 707, j'aurai un
navigateur pour traverser les Océans... Sur le
Pacifique, quand
ce monsieur me
dira « Deux degrés à droite, Captain
! »,
puis, quelque temps après « Trois
degrés à gauche, Captain ! », puis
« Le cap
est bon, Captain », j'obéirai
aveuglément en espérant ne pas me
retrouver au Kamchatka
! Nous ne sommes
jamais allés au Kamchatka ni en Sibérie et
nous sommes
toujours arrivés à bon
port avec ces professionnels... D'un coin perdu de la
Mongolie
Extérieure, la
honte au front, je n'ai pas été
obligé d'appeler
le Directeur des Opérations à
Singapour:
«
Allô, Captain Chan ? C'est Jack Siroux
ici... My crew and I... Mon équipage et moi...
Allô,
Charlie ? Allô ? Allô ? »
Captain
Maurice de Vaz prendra « vite » la
place du Captain Charlie Chan, fin de carrière...
Heureusement,
je n'ai pas dû appeler le
Captain de Vaz en 1993... Dans ce bar 'Anchorage,
Perdu
dans le Grand Nord:
«
Allo, Maurice ? My crew and I... Allo ?
Allo ? »
Ces
navigateurs, eux aussi, sont remplacés
aujourd'hui par un coup
de sifflet, par
l'INS (Inertial Navigation System)... Un système,
basé
sur de puissants
gyroscopes, jouant sur des
accéléromètres, que les
Américains ont inventé pour
aller sur la Lune... Nous sommes loin du
dérivomètre...
Il nous donne tous les
renseignements possibles et imaginables, l'INS: la
position
géographique en
coordonnées (longitude-latitude), la route, le
cap, la
dérive, la direction et
la force du vent, la distance et le temps de vol, etc...
Plus besoin de
balises
au sol ! On « inserte » d'abord la position
exacte de
l'avion au sol avant de
partir, ensuite tous les points de navigation du plan de
vol... En
l'air, l'ami
« Georges », le pilote automatique, bien
discipliné,
prend soin de les suivre !
Easy, facile ! En fin de parcours, l'erreur est minime
sur des milliers
de
kilomètres, un mile ou deux tout au plus... Une
petite merveille
! Comment
a-t-on pu naviguer sans ce machin ? Si nous avions eu ce
moyen de
navigation
dans le désert de Libye... Pelle et moi, par
exemple, nous
n'aurions pas été
pleurer pour quatre malheureux fûts d'essence
supplémentaires afin de trouver
notre destination située au milieu des sables...
Toujours
est-il que mes navigateurs,
forcés de quitter leur sextant, sont devenus
pilotes... Pas
tous... Certains,
comme mon ami Chandran, sont à présent
Commandants de
Bord sur 747, d'autres
sont même instructeurs ! Cette fois-çi, le
ton a
changé... Au simulateur, plus
de:
«
Jack, on va faire ceci ou cela, OK ?
».
«
OK ! ».
Toujours
aussi sympas, néanmoins !
Nous
terminons les cours avec réussite,
donc avec célébration ! Ouf ! Dans un des
studios des
Acacias, on se défoule...
Ouf ! La bière coule, le Fendant coule... Ouf !
La musique est
telle ment forte
que les voisins interviennent... On les invite ! Le
lendemain de cette
guindaille, je suis persuadé que le
propriétaire jure ses
grands dieux qu'il
n'acceptera plus jamais de vieux étudiants dans
ses
appartements...
Toujours
avec la Chrysler, la tête grosse
d'alcool de la veille et de théories avioniques
de deux mois
passés à bûcher,
retour à Bruxelles !
Une
nouvelle mission pour décembre 74 et
janvier 75, nous attend: des « Hadjs » !
Encore !
Décidément, les pèlerins font
vivre le charter... Michèle m'accompagne, comme
accompagnent les
épouses et
surtout les petites amies des autres pilotes... Cette
fois-çi, nous sommes basés d'abord
à Hassi-Messaoud, où ma valise
se casse ! L'Algérien, Directeur de
l'hôtel, bon cœur et
hospitalité arabe
oblige, me donne la sienne... Elle est en carton et ne
ferme pas bien !
Je
l'entoure d'une ficelle à laquelle pendent la
casserole et le
brûleur, qui
servent à chauffer l'eau du thé dans la
chambre,
(matériel que j'ai toujours
avec moi aujourd'hui, mais il est à
présent dans ma
Puis,
c'est Hanaba (Bône) ! Je fais
équipage avec Mike Molin, un fermier en
Scandinavie ! Mike est
un « free lance
», comme pas mal de ses compatriotes... Ils ont la
licence de
leur nationalité,
donc ils peuvent voler en Belgique... (!). En haute
saison, ces
fermiers, car
ils possèdent des terres, viennent regoûter
aux joies du
pilotage et se remplir
les poches pendant quelques semaines... Bon arrangement
! Le
mécano est Michel
Pitsy... Tous ensemble, nous allons dîner au bord
de la mer
après notre long
vol...
«
Finally, hot food ! Enfin, manger chaud
! » et « Cream caramel ! International
desert, dessert
international ! » répète
Mike à chaque repas...
«
Oui, Mike... »
Il
a raison, le Mike Molin... Le poulet
froid, ras le bol ! Et au menu de tous les «
coffe-shops »
des hôtels du monde,
je retrouverai: « Cream Caramel » !
J'emmène
Michèle en vol à Jeddah !
Spectacle assez inouï que ces « Hadjis
»... Les
hôtesses ont fort à faire avec
ces pauvres bougres, dont la plupart n'ont jamais pris
l'avion... L'un
veut
absolument avoir une place à coté du
hublot pour pouvoir,
fait-il comprendre
par gestes, ouvrir la fenêtre ! L'autre, qui ne
veut pas
s'asseoir, mais grimpe
directement dans le placard au-dessus des sièges
pour s'y
coucher ! Ou celui,
qui ignorant toute convenance et surtout l'existence de
toilettes dans
un
avion, pisse carrément dans le couloir ! Tout
à coup, en
plein vol et à une
heure déterminée, les pèlerins et
les
pèlerines changent d'habits, leurs
vêtements deviennent blancs immaculés ! Les
musulmanes se
mettent toutes alors
à hululer ! Elles frappent de la langue:
Pour
ces vols sur La Mecque, nos hôtesses,
elles, méritent bien le Paradis ou la
Légion d'Honneur...
Pas étonnant qu'elles
se saoulent la gueule avec nous au retour de voyages
pareils !
Retour
à Bruxelles... Repos ! Puis
entraînement... Car l'Aéronautique donne le
feu vert pour
notre licence suisse
! Tout est arrangé avec les Suisses... Bien les
Suisses !
Pratiques les Suisses
! La signature d'un Inspecteur de l'Aéronautique
belge vaut
celle d'un inspecteur
suisse ! La Suisse fait donc confiance à la
Belgique... Aussi,
avant que tout
ce monde ne change d'avis, nos instructeurs Eddy Lejeune
et Hawk
Hellner y
mettent immédiatement le paquet pour nous
présenter le
plus rapidement possible
au test de Commandant de Bord ! Avec eux, nous allons
à Ostende
(d'où jadis
j'étais rentré en train...) et à
Charleroi...
Dardenne, Derycker, Vanderlinden
et Siroux font quotidiennement des « touch and go
», des
circuits, des remises
de gaz un moteur en panne, des approches un ou deux
réacteurs
(toujours en panne!), ADF,
VOR et surtout
ILS, durant
lesquels nous «rabotons» les « QDR
», axes
d'éloignement de balises, « dada »
de Monsieur François, qui va bientôt nous
« checker
»...
Le
jour du check, nous transpirons... La
journée est chaude et avec elle la cabine, dans
laquelle nous
attendons notre
tour d'être mis sur la sellette dans le cockpit...
Concentration,
sueur au
Mon
contrôle en ligne se fait sur
Athènes... Vent de travers à
l'atterrissage ! Je ne sors
pas de la piste et
nous rentrons avec l'avion à Bruxelles...
Monsieur
François me félicite ! Il se
souvient, Monsieur François, des contrôles
et des examens,
qu'il m'a fait
passer sur Piper Cub à Grimbergen à mes
débuts...
Il me parle, je m'en souviens
aussi, de la persévérance, que j'ai eue...
En effet,
c'est un grand jour pour
moi... Le fossé semble finalement
comblé... J'ai
rattrapé tous mes retards et
je suis sur jet ! Les dieux m'ont tenu la main...
Musique, tambours et
fanfare
!
Mais
notre figure s'allonge lorsque
l'Administration de l'Aéronautique ne nous
accorde qu'une
validation de notre
licence suisse au lieu d'une équivalence, qu'elle
nous avait
promise ! Une
équivalence est un document permanent, une
validation n'est
valable que pour
six mois... Pourtant, les Suisses, eux, nous ont
donné, sans
rechigner, une
licence, un beau carnet en bonne et due forme !
D'ailleurs, depuis
lors, je
travaillerai toujours avec ma licence de Pilote de Ligne
suisse, sur
laquelle
les différents pays m'accorderont une
équivalence... Les
Suisses reconnaîtront
même les qualifications des nouveaux avions, que
je volerai... La
Belgique, mon
pays, non !
Pour
le moment, ce qui m'intéresse, c'est
de retrouver mon siège de gauche... Muni de ce
morceau de
papier, je le
retrouve ! Profitons-en !
Nom
di Diou ! Quand donc existera-t-il une
licence européenne, une licence
internationale ? Je le
souhaite pour les
jeunes à venir, mais je ne crois pas que ce soit
demain la
veille...
La
TEA vient de décrocher un nouveau
contrat « wet lease » avec la Tunis Air ! La
TEA nous
convoque pour organiser
le planning des équipages de cette nouvelle
mission... En plein
été ! En
Tunisie ! Les gens paient des fortunes pour y passer
quinze jours...
Nous, aux
frais de la
« Qui est
volontaire ?
»
Je
crois à une blague de «
Bidule », le
Directeur des Opérations...
Je suis
étonné que peu de pilotes
soient enthousiasmes... A part Pelle, l'éternel
voyageur, ils ne
semblent pas
sauter de joie ! Monsieur Baudoul:
«
Les rotations ne seront que de trois
semaines... »
Je
n'en reviens pas ! La raison en
est-elle que nos hôtesses, cette fois-çi,
ne nous
accompagnent pas ? L'équipage
de cabine sera Tunisien ! L'idée d'avoir de
jolies
hôtesses tunisiennes ne
suscite pas plus d'enthousiasme parmi les copains... Peu
de doigts (!)
se
lèvent... Aussi, je me lève ! Non, je ne
me lève
pas, je saute littéralement
sur la table !
«
Moi, moi, moi ! Et j'y reste pour six mois
! Et sans rentrer à Bruxelles ! »
«
OK, Siroux, OK ! OK ! Je te mets sur la
liste ! »
Je
le redis, heureusement qu'il existe des
gens aussi casaniers, sinon ils prendraient nos places
à
l'étranger...
C'est
ainsi que je suis resté plus de deux
ans en Tunisie !
A
Tunis, nous logeons à l'hôtel Africa, en
plein centre de la ville... Dans ma chambre, petite
réception
avec « mon »
équipage, avec les équipages... Je
fête mon
quarantième anniversaire !
Pour
cette occasion, je fête aussi ma
place de « Captain sur jet » ! Pierre a la
gentillesse de
m'offrir une
magnifique marionnette sicilienne, qui pend toujours
aujourd'hui sous
l'escalier... Chaque fois que je la regarde, je pense
à la
satisfaction, que
j'ai eue le soir de cette petite réunion
d'équipages...
Une sorte de béatitude
! Elle marque une étape sérieuse de ma vie
! J'ai
véritablement rattrapé
mon
retard... J'aurais moins de boogie-woogie
dans ma tête... Un peu... Juste ce qu'il faut pour
avancer dans
ma carrière,
obtenir de plus grosses qualifications... Je me sens si
bien dans ma
peau... Je
sens que ce manteau de fine peau, que j'avais remis sur
mes
épaules lors de mes
premiers vols sur Boeing 707, je vais le garder... A
présent, ma
joie est
décuplée et j'ai cette sensation
agréable de
velours sur le corps... Je sens
que cette parure restera collée à ma peau
une fois pour
toutes ! Ce sera le
cas, puisque les dieux me garderont en mains pour les
autres jalons de
ma vie aéronautique...
Les
vols pour la Tunis Air sont variés...
Les principales villes européennes !
Mon
premier vol est retardé... Quand nous
arrivons à l'avion, quelqu'un a dû toucher
à un
bouton dans le cockpit... Tous
les masques à oxygène sont sortis de leur
emplacement et
pendent lamentablement
au-dessus des 185 sièges des passagers ! Il faut
du temps pour
les remettre
dans leur case... Je suis gêné de ce
retard, j'enrage...
Pas le Chef de cabine
tunisien, qui le prend relax:
«
Commandant, un joli spectacle ces
masques... On dirait les oranges d'Hammamet ! »
Je
comprends dès lors qu'il ne faut pas
que je m'en fasse trop sous le soleil de Tunisie...
Mais
nous sommes en location et il faut
que la compagnie Tunis Air soit satisfaite... Pas de
bavures !
Des
bavures, il y en aura très peu... Un
incident, au décollage de Tunis, je tue un
flamand !
«
Quoi ? Un Flamand ? Jack, qu'est ce que
tu racontes ? »
«
Oui, un flamand rose... Ingurgité dans
le moteur... Arrêt réacteur !
Procédures... Comme
au simulateur ! »
Atterrissage,
vol retardé ! J'enrage
malgré le soleil...
Le
métier rentre... L'expérience !
L'expérience...
La foudre ! Je l'avais
déjà reçue en pleine poire, sur le
cockpit en
F27... Boum ! En 707, avec Dany
Claes, « Reboum », au décollage de
Tunis ! Caisse de
résonance ! Les passagers
doivent avoir perdu l'ouïe... Les radios
fonctionnent toujours...
Comportement
normal de l'avion... Ca va, on continue le vol sur
Bruxelles ! A
l'arrivée,
Julot, le mécano de sol:
«
On vous a tiré dessus ? »
Un
trou grand « comme ça » dans le
gouvernail fixe de direction ! La foudre des dieux...
L'expérience...
Nous devons absolument
atterrir à Orly avant le couvre-feu (pour le
bruit !)... On
se bat avec
les différents contrôleurs pour obtenir des
«
directs », des lignes droites
entre les balises des couloirs aériens... Ils
sont sympas, nous
les accordent
selon le trafic... On veut toujours plus, un nouveau
supérieur,
où le vent est
plus favorable, une autre directe...
«
Je vous donne la maing, maintenang vous
demandez le bras, hé ! Allez, OK, je vous
autorise au niveau 350
! »
«
Merci, Msieu... »
En
arrivant sur Orly, le contrôleur
d'approche, à qui Louis a demandé la
permission de garder
la vitesse:
«
Direct sur la balise d'OYE, plein badin
! »
«
Merci, Msieu... »
Nous
fonçons alors à 350 nœuds ! Le
contrôleur doit parfois nous ralentir...
«
Réduisez à 180 nœuds ! »
Aérofreins
!
Le
métier rentre... L'expérience !
Je
passerai la plupart de mes vols à
demander des « directs » ou des niveaux
supérieurs... Nous le faisons tous...
Nous houspillons les contrôleurs, nous leur
compliquons un peu la
tâche, nous
leur cassons les pieds ! Ces « aiguilleurs du ciel
», dont
j'admire le
boulot... Devant leur écran-radar, guider ainsi
des centaines
d'avions dans les
couloirs aériens, des dizaines d'avions en
approche, n'est pas
une sinécure !
Ils sont d'un haut professionnalisme, ils connaissent
l'importance, que
l'on
attache à gagner du temps, du carburant... de
l'argent ! Aussi,
ils nous aident
au maximum... Vital pour les compagnies, surtout les
compagnies
charters, dont
nous partageons le gâteau !
Dans
les compagnies privées, comme dans
les compagnies nationales d'ailleurs, mais surtout dans
les «
charters », « les
pièces de rechanges coûtent chères !
»... On
fait gaffe au matériel ! Sauf si
le trafic est intense, bien-entendu, j'ai gardé
l'habitude par
exemple de ne
pas trop freiné après l'atterrissage,
laisser rouler
l'avion et dégager la
piste en douceur, les freins chauffent moins, le
remplacement des
ferrodos
moins fréquents et les passagers moins
projetés en
avant...
Aujourd'hui,
je ne freine plus ! En 747,
Monsieur Boeing a installé un système de
freinage
automatique avec ABS s.v.p,
qui se déclenche dès le toucher des
roues... Epatant !
Quatre positions:
minimum, médium ou maximum... La
décélération est constante... Le
pilote peut
annuler cette action en poussant sur les freins, qui
sont la partie
supérieure
des pédales du palonnier... En position maximum,
tous les
« pax » ont le nez
aplati sur le siège de leur voisin d'en face !
« Splaaath
! ». Je ne l'ai
jamais employé...
Nous
faisons de longs séjours à Jerba...
La mer est belle... Le soleil brille... Les vols se
poursuivent...
Quand je
suis « off », visite de Kairouan et de sa
mosquée,
ballade dans le désert
tunisien... Il fait chaud... J'aime cette chaleur,
j'aime la Tunisie !
De
retour à Tunis, je m'arrange pour que
les équipages soient logés à
« La Baie des
Singes », un luxueux hôtel de
vacances avec plage, crique privée et tout et
tout... On
déjeune sur le bord de
la piscine... J'aime vraiment la Tunisie !
Le
Directeur de ce splendide établissement
est Jacky Wolff... Nous deviendrons de bons
Là,
bien sûr, en prenant l'apéritif, on
revoit le passé, notre passé de Tunisie,
que nous aimions
tant !
«
Tu te souviens de nos soirées à la
Baraka ? »
«
Nom di Diou, oui ! Et de Saad, notre
ami, le patron... Dans le boucan de cette boite à
la mode,
où de jolies filles
dont pas mal de mes hôtesses s'éclataient
en l'air, Saad
appelait les serveurs
avec ses grosses lèvres, lui, le Tunisien du
Sud... Il lui
suffisait de faire
semblant de donner un baiser... Ce son strident faisait
accourir le
garçon,
tambour battant ! »
J'essaie
parfois ce truc lorsque personne
ne semble vouloir me servir dans le brouhaha d'un
restaurant ou d'un
bistro...
Je n'ai pas une aussi grosse bouche que le noir Saad,
mais on me
remarque enfin
! Je passe pour le plus vulgaire des personnages,
j'échappe sans
doute à une
baffe, mais je suis enfin servi...
Mon
équipage est stupéfait: « Quel
Captain ! »
ou... »Quelle bête ! ».
Les
copines de mon amie Martine, elles,
auront dû aussi se dire: « Quelle fille !
» ou
« Quelle bête ! », lorsqu'un
jour, à la terrasse d'un café, sans
complexes, elle m'a
sifflé parmi la foule
des passants... Tous les clients des tables voisines
avaient le tympan
crevé... Méthode
infaillible
», me dit-elle ! En effet,
le trafic s'arrête, les piétons sont comme
des chiens
à l'arrêt, le dos plat,
un bras vers l'avant, une jambe vers l'arrière,
pétrifiés ! Martine ne risque
pas de baffe... Elle est jolie femme ! Moi...
Toujours
est-il qu'à la « Baie des Singes
», certains membres d'équipages, alors que
leur
épouse ou leur amie se
prélassent au soleil au bord de la piscine en
dégustant
une pizza, me demandent
si je ne veux pas prendre leur tour de mission afin de
rentrer chez
eux...
Durant toute cette période, je n'ai fait que
cela, prendre le
tour des autres !
Je ne suis jamais retourné à Bruxelles !
«
Merci, Jack, c'est gentil ! »
«
Avec plaisir... Moi, ça m'arrange bien,
mon vieux ! Mais pourquoi tiens-tu vraiment à
rentrer en
Belgique ? Des
affaires à régler ? »
«
Non, mais ma télévision en couleur me
manque... »
«
!!! »
Heureusement
qu'il existe des gens
pareils, ainsi ils ne nous prennent pas nos places
à
l'étranger et...
«
Oui, Jack, tu l'as déjà dit ! »
«
OK, je n'en parlerai plus... »
Notre
bon vieux 707 vole bien, les courriers
sont accomplis sans retards... Radadi, Radada... Paris,
Lyon,
Marseille, Nice
(vent traversier, je pinaille !), Toulouse, Bruxelles
(je connais...),
Amsterdam, Francfort, Londres, Genève, Zurich...
Radadi, Radada,
etc. etc...
Les Tunisiens sont contents !
Les
choses de la vie sont ainsi faites...
C'est moi, qui pilote ce jour de Septembre 1975... Nous
revenons de
Paris, la
porte du cockpit s'ouvre ! Le Commandant Ladjimi,
Directeur des
Opérations de
Tunis Air ! J'ignorais qu'il était à
bord... On ne me dit
jamais rien ! Je
l'avais rencontré brièvement, sans plus...
«
Monsieur Ladjimi, bonjour ! Soyez le
bienvenu dans ce modeste cockpit... »
«
Merci ! »
Clic
! Vibrations positives...
Ladjimi
regarde ce vieux bac avec
curiosité et intérêt...
Je
fais le PR (Public Relation) de la
TEA...
«
Bon bac que cet avion, Monsieur...
Paraît un peu sur le retour, mais il a fait ses
preuves, ce bon
vieux 707... »
«
Oui, je sais... Nous volons aussi de
vielles Caravelles... Heu... Nous sommes satisfaits des
services de
votre
compagnie ! »
Il
ajoute, et je me souviendrai et
emploierai souvent son expression:
«
Sans bavures ! »
Mais
la Tunis Air emploie également des
avions nouveaux... Les Boeing 727 ! Et elle vient d'en
commander encore
cinq,
je le sais, ça ! C'est ce qui
m'intéresse...
Ladjimi
fera la descente, l'approche et
l'atterrissage de Tunis avec nous dans le cockpit... Je
pinaille ! Je
pinaille,
parce que d'abord je pinaille toujours, mais
peut-être ici, je
pinaille un peu
plus car, avant la descente, j'ai parlé à
Ladjimi... Je
me suis dit: « C'est le
moment ou jamais... ». Je ne crois pas un seul
instant que j'ai
ne fusse qu'une
toute petite chance... Tant pis, j'y vais de mon baratin
! Baratin
sincère, parce
que tout ce que je lui dis est sincère... En
fait, je le
désire ardemment ! Je
prends un ton blagueur:
«
Monsieur Ladjimi, j'aime votre pays, les
Tunisiens et la Tunis Air... Vous n'auriez pas un job
pour moi ? »
«
Plaff » !
Un
silence... A quoi pense-t-il ! Ai-je
été trop direct ? Je me dis: « J'ai
foiré...
Oui, j'ai foiré ! » Puis sa
réponse, qui restera gravée dans les
annales de ma
carrière...
«
Vous êtes off demain ? »
«
Heu... Oui, Monsieur ! »
«
Venez me voir à mon bureau vers 11
heures ! »
C'est
ainsi que j'ai eu un « job » à la
Tunis Air... Je n'en revenais pas !
«
Mais Monsieur Ladjimi, je n'ai pas la
qualification Boeing 727 ! »
«
Nous vous la donnerons... Cours au sol
ici à Tunis, simulateur à Paris chez Air
France,
entraînement ici à Tunis
également ! »
«
Monsieur, j'ai une licence de Pilote de
Ligne suisse... »
«
Très bien ! Les examens médicaux devront
donc se faire en Suisse pour le renouvellement de votre
licence...
Demandez
leur s'ils acceptent la signature des tests tunisiens de
qualification
727 et
les contrôles semestriels ! Si oui,
l'Administration de
l'Aéronautique de
Tunisie vous donnera une validation sans
problème... Quand
pouvez-vous
commencer ? »
«
A la fin du contrat TEA avec Tunis
Air... »
«
OK ! »
«
Monsieur Ladjimi... Heu... Une dernière
question... »
«
Allez-y ! »
«
Combien de temps puis-je espérer rester
en Tunisie ? »
Dans
mes annales, je me souviendrai aussi
de cette réponse:
«
Siroux, vous pouvez compter prendre
votre retraite ici ! »
Je
rentre à la Baie un peu éberlué...
J'en
parle à Michèle... .. Elle est
enchantée ! Nous
tirons des plans sur la
comète... Les dieux sont avec nous !
Je fais vite un saut à Berne, contacte
les autorités suisses... Ils sont d'accord !
Pratiques, les
Suisses ! Sur ma
licence, ils me donneront toutes les qualifications
Boeings: 707, 727
et 747 !
Très bien les Suisses !
Lors
d'un vol sur Bruxelles, je vais
trouver mon Chef-Pilote, René Dauwe... Ce n'est
plus,
hélas, Eddy Lejeune...
A
peine rentré dans son bureau, je n'ai
pas le temps de lui parler à René, il me
dit
d'emblée, avec son habituel
sourire sarcastique:
«
Ah, Siroux, tu fais bien de passer par
ici, je dois te prévenir que vos licences
suisses... »
«
Quoi les licences suisses ? »
«
Elles ne seront plus renouvelées par la
Belgique... »
«
Quoi ? »
«
Enfin... Pas pour tout de suite... Mais
ils vous demanderont certainement de passer l'examen
belge dans un
avenir assez
proche... Sinon... »
«
Sinon ? »
«
Plus de validation ! »
L'éternel
problème des licences... Quelle
mesquinerie ! Je suis écœuré !
Je
souris à mon tour et sors de ma poche,
toute prête, ma lettre de démission !
René
Dauwe:
«
!?!? »
Il
est scié en deux !
Adieu
TEA...
Quand
je pense qu'un petit monsieur,
pourtant grand ponte de l'Association Belge des Pilotes
de Ligne,
pépère dans
sa vie et dans sa carrière, a la licence unique
et qui, bien
qu'ayant navigué,
a toujours vécu dans sa petite Belgique, qui n'a
jamais
quitté sa petite
commune, sa petite maison, son petit jardin, roule avec
sa petite auto,
son
petit vélo...
«
Jack, tu es sûr qu'il a un vélo ? »
«
Persuadé ! Un tout petit vélo... »
Bref,
ce sédentaire de nature, m'a dit
avec culot:
«
Tu sais, Siroux, tu es parti un peu vite
de la TEA... »
Que
ne faut-il pas entendre ? Non,
décidément, je dois quitter ce
système à la
con et je m'en réjouis !
Cette
joie est cependant atténuée... Vers
la fin de cette mission tunisienne, je
m'inquiète: une grosseur
au cou que
j'avais déjà remarquée me
gêne... La cravate
de mon uniforme me serre ! Aux
derniers examens médicaux pour ma licence, j'ai
pu
échappé aux toubibs... Quand
les médecins me tâtaient le cou, je le
raidissais, je
l'allongeais, comme un
héron ! Les carabins n'y ont rien vu ! Mais cette
fois-ci, je
décide d’en
parler à mon médecin de famille à
Bruxelles...
«
C’est un goitre, fieu !
Faut l’enlever cela !
» Un
goitre !
«
Craaaaak ! »
Craquelures...
Je
me souviens des opérations de goitre au
Congo, (les goitres y étaient nombreux... Le
manque d'iode ?),
sur lesquelles
les jeunes médecins se faisaient la main et
auxquelles j'ai
assisté quand j'étais
gamin ! Le médecin de Kitega m'avait
invité (!) à
voir ce qu'était une
opération chirurgicale ! Je ne m'étais pas
dégonflé... J'ai vu ainsi une
opération du goitre, j'ai vu une
césarienne... La peau
noire ouverte par le
bistouri, le rose de la chaire, le rouge du sang...
L'horreur dans
toute sa
splendeur ! J'ai dû crâner dur devant le
toubib pour ne pas
tomber dans les
pommes ! A mon tour donc de passer sur le billard...
Panique
!
Je
pars vers le néant...
Impression
de disparition... Anéantissement
! Reviendrai-je ? Retrouverai-je Michèle,
à qui j'ai
demandé de passer la nuit
dans ma chambre ? Je reviens et je retrouve
Michèle !
L'opération s'est bien
passée... Pas de choses malignes... La veille, je
discute
longtemps avec
l'anesthésiste,
A
l'examen médical, que je passe en
Suisse, le docteur, désignant ma cicatrice, toute
fraîche:
«
Qu'est ce que c'est que ça ? »
«
Opération de la thyroïde, Doc... Voici
le rapport du chirurgien ! »
«
Et... ça va maintenant ? »
«
Ca va ! Et vous ? »
Mon
oncle Paul vient me voir à
l'hôpital... Mes rapports avec lui se sont
améliorés... Depuis que je suis
devenu Commandant de Bord ! Nous avons joué au
golf ensemble
à Marrakech...
Quand je suis passé sur 707, cela ira encore
mieux... Sur 747,
tout baignera
dans l'huile ! N'aime pas tellement les « losers
»,
Paul-Albert... Je lui
présente Michèle, qui est auprès de
mon lit !
En
connaisseur, mon oncle Paul:
«
... »
Ma
tante Yvonne:
«
... »
Le
27 décembre 1975, j'épouse
Michèle...
Elle porte un gilet noir, une blouse noire, un pantalon
noir... La
mariée est
en noir ! Moi, j’ai mis mon beau (!) et unique
costume... J'ai une
cravate !
Valérie est présente, comme moi au mariage
de mes
parents... Avec ma tante
Josette, Rita et son mari Jacques, ma belle-mère
Micheline,
déjeuner au «
Waterzooi » ! Pas de waterzooi,
spécialité de Gand,
mais du râble de lièvre à
la crème ! Bons vins, bonnes bières...
Tout simplement !
Ce
solide Boeing 707 a tout de même une
légère faiblesse... Ses veines ! Des
varices ? Les tuyaux
de son système
hydraulique un peu faiblards... Lors d'un de mes
derniers vols à
la TEA, nous
sommes à Jerba prêts à taxier et
« Psssst
», ça pisse ! Jauge dans le rouge !
«
Ne t’inquiète pas, Jack ! Allez prendre
un pot... Je m'en occupe ! » me dit mon
mécano Emile
Janssens.
Mon
copi Guy Dilbeck et les hôtesses bien
sûr !, dont Anne Monar, qui nous raconte où
elle fait ses
achats à Londres pour
son matériel de golf, à « Picadilly
Circuuuus...
», nous suivons le conseil
d'Emile...
«
Le Mile », ancien mécanicien au sol,
retrousse ses manches... En moins deux heures, il a
terminé son
opération
chirurgicale ! Les tuyaux sont raccordés, le
plein d'huile
hydraulique est
refait ! Cette petite anecdote pour dire que j'aime bien
mes
mécaniciens de
bord... Surtout un comme Emile !
En
1978, à Colombo, l'hydraulique a aussi
pissé... Cette nuit-là, nous l'avons
passée,
équipage et passagers, à
L'Intercontinental... Emile n'était plus mon
mécano !
Branle-bas
de combat ! Déménagement !
Nous, qui venions de nous installer dans un mignon petit
appartement
à Uccle...
Migration ! Si je dois prendre ma retraite en Tunisie,
autant tout
transporté
vers le Sud... Les malles coloniales !
A
Bruxelles, je vends la Chrysler pour une
croûte de pain et j'achète à Tunis
et à prix
fort une des premières Alpha
Roméo, l'Alpha Sud... Nous l'avons toujours en
France !
Nous
dénichons à Tunis une villa au bord
de la mer, à Marsa- Cube, rue Larbi Zarouk...De
mon bar, la vue
est sublime...
Je ne peux m'empêcher de couper les discussions de
notre ami Jean
Bosmans:
«
C'est beau, hein ? Hein, que c'est beau
? »
«
Quoi, Jacques ? »
«
La vue sur cette baie, tiens ! »
«
Ah ? »
«
Il faut en profiter, les enfants...
Soyons épicuriens ! Nous avons le cul dans le
beurre, la chance
de... »
Michèle:
«
Jack, écoute Jean ! »
Jean
Bosmans... Une sorte de « outlaw »,
comme il dit, de hors la loi ! Pour une connerie, il
s'est
brouillé avec sa
compagnie d'aviation et l'a quittée pour venir
voler à
Tunis Air... Jean est
taillé dans la masse, sa cigarette et
porte-cigarettes ne
quittent pas sa
bouche, ce qui gêne fortement le mouvement de son
swing, quand il
« tee off »
au golf ! Son style en souffre, mais Jean est tout en
force, et lorsque
la
balle est frappée au bon endroit, elle
disparaît à
l'horizon ! Bosmans est
Flamand du Limbourg, dur d'approche, mais une fois son
amitié
acquise, c'est du
solide, du roc... Comme lui !
Il
aime la bonne chaire, Jean, les bons
alcools:
«
Avant son petit-déjeuner, mon grand-père
prenait tous les jours un verre de cognac ! Il a
vécu
centenaire... »
Jean
aime bien les débats, il
philosophe... Il est cultivé et apprécie
l'Histoire...
Quand il visite les
châteaux de la Loire, il mêle l'utile
à
l'agréable:
«
Un château, un restau ! »
Jean
Bosmans... Un ami ! Ancien de la
Force Aérienne, « Outlaw » à
Royal Air Maroc,
à Singapour... Un frère d'armes !
Deux
autres Belges, déjà présents
à Tunis
Air: Hervé Gilmont sur Caravelle, et
François Dekerkhove
sur 727...
Il
y a toujours un ou deux Belges quelque
part... J'en connais partout dans le monde ! On se
partage le
gâteau... Même
dans la Légion Etrangère, où nous
avons,
paraît-il, certaines difficultés à
obtenir notre part... de boudin !
Un
autre ami, qui a fait la mission
TEA-Tunis Air est Etienne Fallon... Lorsque je lui ai
appris que je
rentrais à
Tunis Air, les yeux bleus d'Etienne, continuellement
fixés sur
la ligne bleue
des Vosges, se sont mis à scintiller ! Il se voit
déjà habiter Sidi Bou Said,
le Baron...
«
Jack, tu crois que je... »
«
Allez, Etienne, come on, viens avec moi
en Tunisie ! Je crois bien qu'ils ont encore besoin de
pilotes...
»
Mais
Etienne Fallon, ainsi que sa femme
Christine sont de grandes et nombreuses familles belges...
Leurs racines, contrairement à moi,
qui n'en ai guère, sont profondément
ancrées en
Belgique ! Malgré ses attaches,
je pousse Etienne à s'embarquer dans l'aventure
tunisienne... Il
a bien
envie... Hésite... En parle et reparle
probablement à sa
femme... En fait,
Christine, elle, ne demande pas mieux de s'expatrier !
Etienne va
trouver
Ladjimi et signe un contrat avec Tunis Air, habitera
Sidi Bou,
où nous
prendrons ensemble le thé « aux pignons
» au «
Café des
Etienne
Fallon... Un ami ! Ancien de la
Force Aérienne, un frère d'armes ! Qualification
Boeing 727 ! Le cours au sol de trois
semaines se fait à
Tunis... Bien fait, pratique, vidéos à la
Boeing, mais en
français ! Car, à
nouveau, on change de langage... Toutes les inscriptions
dans le
cockpit, les
procédures, passent du français à
l’anglais ! Je rechange de
vitesse...
Je
crois que c’est une raison pour
laquelle les Français s’expatrient moins que les
autres... Ils
ne parlent guère
l’anglais ! J’ai eu la
chance à la
Force
Aérienne de me familiariser avec les expressions
anglaises et
américaines
d'aviation... J'ai été bien obligé
de
perfectionner mon anglais à l'étranger !
Je
pense à ce pilote français, le
troisième pilote en stage sans doute, à
qui on avait
adjoint la mission de
prendre « l'actuel », la météo
du terrain
avant le décollage...
Au
sol, à LAX, je l'écoutais sur la
fréquence de la tour:
«
Los Angeles tawouère, Los Angeles
tawouère, request zi actuel wèdère
of zi airfilde
! »
Il
coupe le contrôleur américain, qui a
d'autres chats à fouetter... Le trafic est
intense ! Les
clearances sont
rapides et débitées en triple vitesse dans
un accent
américain épouvantable !
J'avoue, quasi-incompréhensibles pour nous de
langue
française... Faire répéter
le contrôleur est presque une impossibilité
!
«
Los Angeles tawouère, Los Angeles
tawouère, request zi actuel wèdère
of zi airfilde
! »
Pas
de réponse...Le contrôle en Amérique
est vraiment difficile à avaler...
«
Los Angeles tawouère, Los Angeles
tawouère, request zi actuel wèdère
of zi airfilde
! »
Sans
managements, le Ricain:
«
Shut-up ! Go over the ATIS ! Taisez-vous
! Passez sur l'ATIS ! »
Kesskidi
?
«
Los Angeles tawouère, Los Angeles
tawouère... »
Je
crois qu'il y est toujours, à Los
Angeles... Il ignorait sans doute, ce martyr, qu'il
existe une
fréquence
spéciale débitant la météo
de
l'aérodrome, renouvelée toutes les trente
minutes:
Robert
Schepens me raconte qu'aux
Etats-Unis, son copain français, qui suit avec
lui les cours
théoriques pour la
licence de Pilote de Ligne, lui demande:
«
Pourquoi donc l'instructeur
commence-t-il toujours son cours en nous parlant de
« Festival » «
Festival
», « Festival »... ? Robert,
que veut-il bien dire ? S'il te plaît ! »
«
Mais non, pas « festival », mon vieux,
«
First of all » ! « First of all »,
« Tout
d'abord... »
«
Ah, bon... »
Cela
ne m'étonne pas... Max Popp, lui,
terminait la plupart de ses phrases par: « period
! »..
Exemple parmi tant
d'autres:
«
This company should be paying us more,
period ! »
Kesskimdi
? De quelle période me
parle-t-il donc, le Max ?
J'ai
découvert plus tard que Max me disait
avec affirmation, que nous devrions
être
mieux payés, un point, c'est tout ! Period !
Point final !
Aux
States, j'avoue que je dois ouvrir mes
pavillons sur la position « full open »,
« grande
ouverture » pour piger
l'accent des contrôleurs américains et ne
pas rater un mot
de leurs clerances,
tellement ils sont excités comme des puces !
Mais, bons dieux,
pourquoi
parlent-ils si vite ? A cause du trafic ? Sans doute...
Pourtant, en
Europe, ça
tourne aussi, c'est le grand cirque des avions ! Mais
les
contrôleurs sont
calmes... A tel point que nous avons l'impression d'être
seuls dans le circuit !
La
langue anglo-saxonne (et surtout
l'accent !), pour nous de langue française, ce
n'est pas
évident... Les
anglo-saxons doivent se dire la même chose... Mais
ils ne sont
qu'une infime
minorité à la parler et ne font aucun
effort pour
l'apprendre ! Nous, au moins
on essaye... Mais ils ne savent pas, ces innocents, ce
qu'ils ratent en
ne
connaissant pas les finesses de cette plus belle langue
du monde,
qu'est le
français !
«
C'est le français, que tu parles, Jack ?
»
«
Sort of... Une sorte de... Je... Dis
donc, tu veux une baffe ? »
Nous
allons ensuite à Paris pour le
simulateur... Michèle m'accompagne et nous en
profitons pour
« sortir », au
théâtre surtout ! Marie Françoise
Rumilly nous
invite... Elle joue avec François
Perrier !
Mais
je ne passe pas tout mon temps à
Paris dans un théâtre, ni dans les boites,
je suis dans
«
Il était temps, Siroux... »
En
effet, il était temps que je lui fasse
remarquer en effectuant mon taxi, parmi les nombreuses
pannes, qu'il
m'a
programmées, le petit drapeau, le
«flag», qui est
en travers de mon horizon
artificiel de secours... Comme sur tous les instruments,
ce «
flag », quand il
se montre, indique que l'instrument est H/S,
Hors/Service ! Mais moi,
pilote de
charter, habitué à voir
souvent
ce genre
d'apparition, ce jour de mon test, je le vois sans le
voir... In the
back
of my mind, dans mon
subconscient, c'est
une opération normale ! « Les pièces
de rechange
coûtent chères ! »...
Le
reste du test est bon... Je passe !
L'entraînement
en vol à Tunis... Mon
instructeur est toujours Chabbi ! Il est satisfait de
mes circuits...
Sebai me
prend pour le contrôle final... Je passe !
Bel
avion, avion fin que ce Boeing 727...
Les ailes en flèches, le gouvernail en hauteur,
il fend l'air
avec fierté et
élégance ! En plus, comme la plupart de
ces avions sont
neufs, ils sentent
bon... Ils ont cette odeur de nouvelle voiture, qui sort
de l'usine et
que l'on
possède pour la première fois... Comme
d'une jolie femme,
je suis amoureux du
727 !
L'entraînement
en ligne ne sera pas long
pour Fallon et moi, puisque toutes les routes de la
compagnie, nous
venons de
les faire avec le 707 loué à Tunis Air !
Au joli mois de
Mai, nous sommes «
lâchés sur la ligne » !
Commence
alors ma belle aventure
tunisienne... Une des plus belles et des plus paisibles
de mon
existence
aéronautique et privée ! Le superbe
manteau de fine
peau...
Vu
que nous « découchons » peu (terme
officiel pour les « night-stops »), nous
sommes donc
souvent à la maison... En
été, il suffit de descendre les quelques
marches de la
terrasse de notre maison
pour nous retrouver sur la plage et plonger dans la
mer... Les jours
« off »,
deux par semaine, tennis, mer, mer, tennis, et certaines
soirées, Baraka, chez
Saad ! Tiens, Baraka ? Oui, j'ai de la chance...
Mes
femmes sont contentes... Je leur
répète, sans doute à tort, qu'elles
ont le cul
dans le beurre... Et moi aussi !
Valérie vit à présent avec nous...
Je suis
vraiment Papa ! Elle suit les cours
de la petite école française... Ce qu'elle
fera
également à Singapour jusqu'à
son bac !
Mais
les heures de vol et les secteurs
sont nombreux... Radadi, Radada... On ne chôme pas
! Boulot, dodo
! Personne ne
rouspète, puisqu’en plus du salaire de base, nous
sommes
payés pour les heures
supplémentaires volées au-dessus de
cinquante heures et
nous faisons une
moyenne de cent heures par mois... Nous sommes
payés 50% en plus
pour les
heures de nuit... Et nous sommes payés 30% en
plus lorsque nous
survolons le
désert ! Quel désert ?
En
route pour le Caire, via Tripoli (je
connais Tripoli...), le mécano:
«
Commandant, on vient de passer Jerba...
J'inscris ! On pénètre dans le
désert...
«
Bien sûr ! »
St
Exupéry a dû travailler à la Tunis
Air
du temps des Français...
Résultat:
le « Jackpot », le salaire du
Jack ! Jamais été aussi
élevé...
Agréable !
Agréable de pouvoir
bénéficier de
tickets
gratuits... Ma mère, ma belle-mère,
viendront souvent
nous rendre visite à
Tunis... En première classe ! Pour les Arabes,
rien n'est assez
bien pour la
famille... Surtout pour les vielles mamans ! Les
hôtesses sont
prévenues, elles
sont au petit soin pour elles... Michèle et moi,
mais nous
allons parfois dîner
à Paris par le vol du soir, retour par le premier
vol du
matin... En première
classe ! Le cul dans le beurre...
Agréable
aussi, parce que je travaille
avec des gens agréables... L'ambiance de travail,
dans le
cockpit, aux escales,
avec les copilotes et les mécaniciens tunisiens,
est excellente,
les standards
professionnels, excellents ! Procédures Air
France... Avec eux,
les Turky,
Triki, Souisssi, Derouiche, Ghoulem, Somai (Bibi !),
Bayar, Kachouty,
Ben
Younes, Ben Slimane, Thouiri, Chérif, Arfaoui,
j'en passe et des
meilleurs,
avec ces gens-là, cela a fait de suite Clic !
Jamais, il n'y eut
de « Clacs
»... Moi, l'outsider, je joue leur jeu... Et je le
joue avec
plaisir !
Agréable...
Je joue aussi au golf... Nous
nous sommes mis au golf ! Ma femme a un bon swing, mais
les jeux de
balle lui
seront toujours de quelques difficultés... Je la
pousse au
tennis... Je veux
lui faire aimer le tennis ! Le seul, qui y trouvera du
plaisir est son
instructeur, qui fait fortune sur mon dos... Elle est
plutôt
« aérobic », ma
femme ! Dure-dure... Sérieuse ! Pas comme moi,
qui gueule et
rigole au tennis,
quand je rate une balle et qui aime jouer au golf avec
un ami rien que
me
promener, discuter...
Relax
! Relax, le golf ? Malgré ce
mouvement anti-naturel, qu'est le swing ? Il faut
être Anglais
pour avoir
inventé un jeu pareil... Tout
comme
le
cricket... Jamais rien compris au cricket ! Ou le
« tie-break
» au tennis, que
je ne suis jamais parvenu à piger non plus: un
coup par-ci, deux
coups par-là
et hop, on change de camp ! Pourquoi ? Sait pas...
Au
Golf-Club de Tunis, sous les conseils
avisés de l'instructeur Ali (ne jamais quitter la
balle des
yeux, le bras
gauche bien tendu, le cul en arrière, les jambes
un peu
pliées, le poignet...
Pfff...), que nous taperons et taperons sur cette
malheureuse balle... A
force de concentration, j'ai l'impression
au moment de frapper cette sacrée balle d'avoir
un
véritable orgasme !
Le
jour du « lâcher » sur le parcours,
nous sommes étonnés de voir que les
« greens
» sont noirs ! En effet, le fin
gazon, souvent brûlé par le soleil, est
remplacé
par de la fine terre noire,
que l'on doit ratisser avant chaque « putt
»... Nous
« puttons » donc dans le
noir... Unique ! Faut aimer, mais on aime...
On
aime le golf, parce que Jean Jouanicou
et sa femme Michou nous y ont entraîné...
Jean
Jouanicou... Ancien de la ligne
Paris-Saigon sur DC3 ! Huit jours de vol aller, huit
jours sur place,
huit
jours de vol retour, huit jours de congé... Le
mois est fini !
Rebelote, huit
jours... Fallait le faire... Lui aussi avait fait l'Indo
! Moi, le
bienheureux,
le naïf-exalté, je ne peux pas
m'empêcher d'admirer
ces pionniers ! Et
j'espère, Nom di Diou, que je ne suis pas le
seul...
Est-ce
de ses voyages, de ses séjours en
Extreme-Orient, que Jean, à la chevelure
ondulée,
«
C'est parce que vous êtes mes bons amis
que je vous dis que ce pays est magnifique... Vous
verrez ! Mais ne le
dites
surtout aux autres ! Dites leur que ce coin de France
est affreux...
Ainsi, il
sera préservé et personne ne viendra m'y
emmerder !
»
Jean
Jouanicou... Moi, qui espérait bien
le revoir dans sa jolie maison, où avec ses fils,
nous avions
passé des moments
d'intense amitié... Une lettre de Michou... Jean
est parti ! Il
venait pourtant
de nous envoyer sa carte annuelle: « Bonne
Année »...
Jean
est reparti voler dans les cieux...
Il a rejoint ses nuages, les beaux nuages blancs, ceux
qui se
confondent avec
sa chevelure... Ses nuages du bon temps !
Je
fais mon premier courrier sur
Casablanca... Et Kabbaj ? M'en veut-il encore ? M'a-t-il
mis sur la
liste noire
? Sur la « déclaration
générale »
(liste des personnes à bord), le premier nom
est celui du Commandant: « Jacques Siroux »
! Vais-je
être immédiatement arrêté
à la descente du cockpit ? Jeté en prison
? En plus de la
check-list, j'ai
cette fois-çi dans ma « flight case
», ma
mallette de vol, tout mon
dossier du Maroc, toutes les preuves que j'ai
quitté ce pays en
règle:
quittances des impôts, quittances des loyers,
quittances des
douanes...
Quittances ! Manque la signature de Kabbaj...
L'immigration,
la police et la douane me
laissent passer ! Allez, je ne lui en veux plus trop
à Kabbaj...
Je suis quand
même bien content d'atterrir à Casa en tant
que Commandant
de Bord Boeing 727,
cette qualification, que le Colonel m'avait toujours
refusée !
Boeing
727... Zzzzzzzz... Zzzzzzz... La
douceur , le silence... Les trois réacteurs sont
à l'arrière,
on ne les entend pas ! Seul
bruit,
le sifflement de l'air... Il perce le ciel ! Sur les
douze cents heures
volées
sur cette machine, j'ai beau feuilleter mon «
logbook »,
mon carnet de vol, je
ne lis aucun incident majeur ! Zzzzzzzz...
Le
21 Mai 1977, un incident cependant, qui
va dans le futur, changer mon métabolisme... Une
rencontre ! Vol
Jerba-Paris...
Les passagers sont peu nombreux... Le Chef de cabine
vient dans le
cockpit me
dire que les « pax » veulent visiter le
poste de pilotage !
«
Accordé ! Mais deux par deux... »
Les
« pax » défilent dans le cockpit...
Ils posent « leurs » questions... Je laisse
le soin
à Mili, mon Mécanicien de
bord, le privilège de leur répondre... Ce
qui nous laisse
le temps, malgré
notre air fort concentré, à mon copilote
Arfaoui et
à moi, de reluquer les
jolies passagères !
La
plupart de nos passagers sont en
général des touristes... Ils viennent par
les agences de
voyage ou par le Club
Méditerranée, profiter du bon soleil de
Tunisie...
Je
ne peux cependant pas m'empêcher de
répondre à la place de Mili, quand un
« toutou
» observateur lui demande pourquoi
l'altimètre de gauche, le mien, indique une
altitude
supérieure à celui de
droite, celui du copilote ? (différence minime
d'indication,
normale à ces
niveaux élevés de croisière).
En
douce, je monte mon siège au maximum,
je dépasse Arfaoui de deux têtes !
J'explique:
«
Mais, mon vieux, vous voyez bien que je
suis plus haut que mon collègue de droite !
Enfin, cela saute
aux yeux... Voyez
! »
«
Ah, oui ! Ah oui ! Je vois, c'est vrai !
»
«
Au revoir, Monsieur... »
«
Au revoir, Commandant, et... merci ! »
Tous
les trois, on s'esclaffe... Nous
reprenons notre sérieux:
«
Au suivant ! »
Le
suivant, je le remarque de suite... Je
connais cette tête ! Allure
décontractée, beau
gosse, un peu play-boy, mais
juste ce qu'il faut... Bien !
Il
semble intéressé, regarde les
instruments, le cockpit... Lui, ne pose pas de questions
! C'est moi
qui lui
demande bêtement:
«
J'ai l'impression de vous avoir déjà vu
quelque part... »
«
... »
«
Que faites-vous dans la vie, Monsieur ?
»
Il
doit se demander ce passager si je ne
suis pas en train de le draguer... Il s'attend
peut-être à
ce que je lui
demande aussi s'il habite chez ses parents !
«
Je suis écrivain... »
«
Vous êtes Pierre Rey ! »
«
Oui... »
Je
venais de lire le best-seller à succès
de Pierre Rey: « Le Grec » ! Sa photo,
bien-bien, relax,
cigarette aux doigts,
est au verso de tous ses livres...
Comme
il semble vraiment intéressé, je lui
propose de faire l'atterrissage dans le cockpit...
«
La temps à Paris n'est pas fameux...
Vous pourrez assister ainsi à une approche
réelle aux
instruments, un ILS... »
«
Avec plaisir, merci... Heu... Est-ce que
ma femme aussi pourrait... »
«
Allez donc la chercher... »
Une
jolie femme entre dans le cockpit !
Nous ne regardons plus tellement les instruments...
Pierre
Rey:
«
Mon épouse... Pascale ! »
Je
l'ai déjà vue aussi quelque part... Ah,
oui ! Pascale Robert, l'actrice !
Tous
les trois:
«
Enchantés ! » L'atterrissage
à Orly se fait au minimum de
la visibilité...
Avant
de quitter le cockpit, Pierre Rey
nous demande si nous avons le temps de prendre un pot
avec eux en
attendant
leurs bagages...
Arfaoui
et Mili déclinent... Ils doivent
vite foncer chez Félix Potin » faire leurs
courses ! Comme
à chaque escale parisienne, moi aussi, je devais
aller acheter
les fromages,
les saucissons, les... Je fais une croix sur
Félix !
«
Très intéressant cette approche et cet
atterrissage... Encore merci ! Que prenez-vous,
«
Un café, s'il vous plaît... »
«
Je vous enverrai mon dernier livre, qui
va bientôt paraître... »
De
la part des passagers visitant le
cockpit, ce genre de promesse est fréquent...
Rarement tenue !
Mais de Pierre
Rey, je recevrai son dernier livre « Out
»... et
dédicacé !
C'est
alors que Pierre me pose « la »
question:
«
Comment êtes-vous devenu pilote ? Et
comment avez-vous atterri à Tunis Air ? » Ce
que j'ai pu entendre cette question tout au long de ma
carrière
de pilote
itinérant !
«
Comment se fait-il que vous volez
pour... »
Pierre
Rey... Voilà un monsieur, dont les
romans parlent de « jet society », de sex,
d'argent, de
drogue, de violence et
de maffia et qui semble impressionné par notre
métier
d'aviateur ! Tant
mieux...
«
Monsieur... Heu... Pierre, si je
commence à vous raconter cela, ce n'est pas un
café, mais
des dizaines de
cafés, qu'il nous faudra avaler... Nous serons
encore là
demain ! »
«
Comment cela ? »
«
Je n'ai guère le temps, mais je vais
résumer en cinq minutes ce qui prendrait sans
doute tout un
bouquin ! »
Pierre
Rey me regarde assez étonné... Il
est stupéfait ! Il croit sans doute que je fais
partie de ceux
qui sont entrés
jeunes dans une compagnie d'aviation, y sont
restés et y sont
toujours !
«
Mais, Jacques, c'est exact, tu devrais
écrire un livre ! »
«
Oh, oui, Jacques ! » dit Pascale...
«
Je n'y avais jamais pensé... »
Et
je n'y penserai plus pendant dix ans...
Mais, de temps en temps, l'idée de Pierre Rey me
revient en
tête... Je reverrai
Pierre Rey à Paris... Nous irons, Michèle
et moi,
dîner chez eux à Paris...
Plus tard, lors de mes vols « cargo » en
707, je
retrouverai Pierre et ses amis
à Montparnasse, nous irons dîner à
la Coupole,
prendre un verre chez « Castel
», endroits peu propices aux discussions
intimes... On ne parle
plus tellement
de « mon livre »... Pierre est connu, fort
demandé,
très occupé par sa vie, ses
relations... Je le perds de vue !
Je
le déniche chez lui à Los Angeles fin
des années 80... Il m'invite le soir...
«
Relax, hein, Jacques... Nous sommes à
L.A. ici ! » me dit-il au
téléphone...
J'arrive
col ouvert, mon habituelle veste
en daim (de fine peau d'ailleurs...), mes «
desert-
Le
dîner est relax, la chaire excellente,
les vins divins... Lorsque le patron, qui mange avec
nous, me demande:
«
Mais comment êtes-vous devenu pilote ? »
Pierre
me regarde, je regarde Pierre...
«
Tu vois... Je te l'avais dit, Jacques,
que tu devais écrire un livre ! »
Le
lendemain, je me mettais à écrire...
Voilà...
Si
je dois remercier quelqu'un pour ce «
livre » (!), c'est bien Pierre Rey... Il m'a
donné le coup
de pied au cul,
qu'il me fallait ! Depuis ce jour, en creusant
profondément dans
la mémoire de
ma vie, ce qui m'est parfois épuisant, mais
bénéfique pour mes « jetlags
», mes
décalages horaires, car après ce travail
(!), je tombe de
fatigue... En
essayant de mettre sur papier, tant bien que mal, les
péripéties de mon
existence et celles de mon métier d'aviateur, je
suis tellement
pompé, que je
m'endors comme une souche ! En effet, oui, Pierre, mon
métabolisme a changé...
Réflexions ! Macérations de mon esprit, de
mon «
pois chiche » !
J'ai
peut-être attrapé un air zombien...
«
A quoi penses-tu, Jacques ? »
«
...Oh, rien... Une anecdote, que je
pourrais relater... Quelques phrases à
rafistoler... Des
bêtises... »
La
nature humaine est curieuse... Quand
d'aventure, certaines personnes apprennent que
«
Dis donc, Jack, tu parles de moi au
moins ? »
«
Non ! Pourquoi ? »
Ces
gens-là, en quête de je ne sais trop
quelle renommée ridicule, sont
précisément ceux
dont je n'ai jamais eu la
moindre intention de parler... Bizarre !
Dans
mes hôtels, où je passe les
trois-quarts de ma vie, je ne m'emmerde plus ! La
compagnie pourrait
m'envoyer
un mois à Tombouctou, je serais content ! Dans ma
chambre ou
dans ma
«
Oooh, Captain, qu'est ce que vous faites
là ? »
«
Je joue du piano... »
«
Atcha... »
Et
il rebalance de la tête...
J'ai
aussi mon thé, mes biscuits... J'ai
la Paix ! Les retrouvailles du moi, des miens, de mes
amis, de mes
amours ! Je
me fais du bien... et je m'amuse !
Merci,
Pierre !
J'avais
commencé à écrire à la
main... Au
bout de quelques pages, j'ai voulu me relire...
«
Cannot, lah ! » (en argot singapourien)
! Vu surtout mon écriture en « pattes de
mouche »,
vu les ratures, les
corrections, les « scrith-scrath » et les
rajoutes, je n'ai
pas pu me relire !
Découragé, j'ai bien failli laisser tomber
les doigts,
quand mon ami le «
computer man », celui qui boit, qui mange, qui
couche et qui a
des orgasmes
avec son computer, je parle ici de mon ami Guy
Vanderlinden, me redit
pour la
centième fois:
«
Jack... Le computer ! »
Jusque-là,
Guy ne m'avait pas tout à fait
persuadé...
Le
computer de Guy possède, paraît-il, une
mémoire « énooorme »... Un
« bazar
» avec lequel il se bat, se débat,
s'empoigne ! Parfois, de drôles de «
borborygmes »
s'échappent de son bureau...
«
Aaaaarrgh ! », « Aaaaarrgh ! »...
Le
computer n'en peut plus... Guy lui en a
trop demandé... Il a sorti ses bras, le computer
!
Sa
femme Arlette ne s'en fait plus, elle
est habituée... Nous aussi d'ailleurs, quand on
prend
l'apéro chez lui... Car
Guy parvient toujours au dernier moment à tendre
un bras et
à pousser un doigt
sur une de ces touches tranquillisantes du clavier, je
n'ai jamais su
laquelle,
pour mettre le monstre K.O. ! Ou alors, sans doute, lui
raconte-t-il
des
carabistouilles et la bête s'endort... Guy, le
cheveu en
bataille, la peau
luisante, surgit alors de son antre en déclarant:
«
Les computers... C'est ça ! »
Moi:
«
Ah, oui ?... »
Jusque-là,
Guy ne m'avait donc pas tout à
fait persuadé... Je lui
téléphone... Quand il
n'est pas en vol, réponse immédiate
de Guy ! Je sais où il est... Devant son computer
!
«
Guy, tu as le numéro de téléphone
d'un
tel, s'il te plaît ? »
«
Stand by, Jack, standby... » Les
minutes passent... J'allume un clope... Je bois une
bière !
«
Guy... Heu... »
«
Patience, Jack, patience... J'ai
tellement de programmes, tu le sais très bien
pourtant ! »
«
Dis donc, Guy, tu ne pourrais pas
inscrire tes adresses dans un calepin, et au crayon, et
comme tout le
monde,
non ? »
J'ai
failli perdre son amitié... Je
ne suis toujours pas persuadé... Mais...
Perdre
l'amitié de Guy ? Non, difficile de
perdre l'amitié de Guy... Et puis, je lui fais
plaisir en
décidant finalement:
«
OK, j'achète un computer ! Un petit
computer, tout petit petit, un « note-book
»... Moi, c'est
pour le traitement
de texte, pour écrire mes conneries, pas pour mes
adresses ou
mes numéros de
téléphone ou mes dépenses... Tiens,
mais... Dis
donc, Guy j'aurais dû acheter
une machine à écrire tout simplement...
»
«
NON, Jack, un COMPUTER ! »
«
Bien, Chef ! »
Merci,
Guy... Car depuis cet achat, même
en effaçant, en remplaçant ou en
corrigeant du texte, je
peux me relire... Sauf
lorsque j'ai poussé sur une mauvaise touche et
que j'ai
effacé tout mon texte !
Mais je persiste à haïr les computers...
«
P.F.M. », « Pure Fucking Magic »,
«
Magie noire » !
Quand
plus rien ne marche, quand mes
phrases se mélangent, quand mes mots se
décomposent, se
liquéfient d'eux-mêmes,
bref que je n'y comprends plus rien, je courre alors
chez mon ami Guy:
«
Help ! » Et mon
ami Guy se met de suite en position de lutteur
gréco-romain pour
parer aux
coups de mon petit ordinateur...
Quand
le Captain V.D.L n'est pas à
Singapour et lorsque mon écran passe soudain au
vide,
«
Help ! »
«
Hi ! Hi ! Hi ! You goofed again, hé,
Captain ? »
«
Eh, oui, Kenny, j'ai encore tout
bousillé... »
Kenny
Kwan, fluet chinois, mais tout dans
la tête, est une véritable pieuvre... Je
l'appelle
d'ailleurs: « l'Octopus » !
Il n'a pas deux bras, il a cent bras... Ses mains, ses
doigts, sont en
mouvements giratoires perpétuels... Ils partent
et frappent dans
tous les sens
! Kenny a plusieurs computers à sa portée,
sur lesquels
il programme et copie
des dizaines de disquettes à la fois ! Pendant
qu'il «
Tap, tap, tap » avec
virtuosité sur tous ses computers, je glisse
subrepticement le
mien entre ses
tentacules... Ce qui ne l'arrête pas du tout !
Tout en copiant
ses programmes,
il
«
Voilà, Captain ! Hi ! Hi ! Hi ! Et la
prochaine fois, faites attention a... »
«
O.K., O.K., Kenny... Thank you very much
! Bye... »
Comment
a t-il fait ? Qu'a t-il fait ?
Sais pas... Saurai jamais ! « P.F.M. »...
Et
dire qu'il y a des gens, qui aiment
ça...
Je
hais les computers...
Je
hais, quand à la banque, on me dit:
«
Je suis désolée, Monsieur Siroux, je ne
peux pas vous donner le montant de votre solde...» «
Et
pourquoi donc, Mademoiselle Véronique ? »
«
L'ordinateur est en panne, Monsieur... »
Je
hais, quand je vais retirer de l'argent
à la caisse automatique et que je me trouve
devant ce message:
«
Sorry, the computer is unserviceable ! »
Je
hais, quand je vais signer mon vol aux
opérations et que je me retrouve devant ce
même message:
«
Sorry, the computer... »
Avant,
nous signions à la main et... pas
de problèmes !
Je
hais, quand le station manager vient
nous annoncer:
«
Nous aurons du retard... »
«
Et pour quelle raison, s'il-vous-plaît ?
»
«
Captain, les passagers... »
«
Qu'est ce qu'ils ont encore les
passagers ? »
«
La police ne sait plus qui est qui... Le
computer est tombé en panne ! » Il
est vrai que cette fois-là, j'ai compris le
computer... A New
Delhi, les pannes
de courant sont tellement fréquentes, que ce
pauvre ordinateur,
à force d’être
décapité toutes les cinq minutes, en a eu
marre de cette
douche écossaise et a
pris de lui-même l'initiative de « passer
sur off »,
une fois pour toutes !
Je
hais, quand...
En
résumé, je n'aime pas les computers !
Ni
trop les « gadgets »... Guy aime les
gadgets... Il rêve de s'acheter un gilet de
chasseur, pleins de
poches ! Pas pour
les remplir toutes de cartouches, mais bien de commandes
à
distance, de «
remote-controls »... Un « remote »
pour la TV, un
pour le magnétoscope, un pour
la Hi-Fi, un pour le répondeur, un pour l'air
conditionné, un pour le fax, un
pour le four à micro-ondes, un pour... L'homme
orchestre ! Moi,
ces trucs
électroniques me donne un peu la frousse...
P.F.M. !
J'achète
une nouvelle télévision...
«
Simple, hein, Jack ! » m'avait dit ma
femme avant cet achat...
«
T'inquiète pas ! »
La
TV arrive à la maison...
«
Plus simple que ça, tu meurs... Il n'y a
qu'un bouton ! »
«
Ah, oui ? »
«
On-Off ! »
«
Et pour le reste ? »
«
Heu... Commande à distance,
télécommande... Remote control ! »
«
Pff... »
Selon
les cas plus ou moins graves, je
traite parfois de « médiévales
» ou «
d'âge de pierre » ma femme Michèle et
surtout ma belle-mère Micheline, qui se demande
pourquoi le
papier de sa lettre,
placé dans la
fente du fax, ne parvient
pas à son destinataire...
«
Oh ! Il est revenu ! »
Mais
j'avoue faire partie de ce club
conservateur dont la devise est: « P.F.M. »
!
En
effet, Pff... J'ai passé des matinées,
des après-midi entières, à
comprendre et à
programmer ma nouvelle TV et mon
nouveau magnétoscope... Pff... Pff... Je
m'énerve ! Ma
bonne passe et
repasse...
«
Ce n'est plus comme avant, Captain...
Tout se fait par remote maintenant... Not easy, pas
facile ! »
Elle
m'énerve, mon amah... En la « zapant
» avec ma télécommande:
«
D'ailleurs, je vais acheter un remote
pour vous ! »
«
Mais... Mais... Je ne suis pas une
machine, Master ! »
«
Mais non, Alimah, mais non...
Heureusement ! »
Après
le déjeuner, café au salon... La
commande à distance m'accompagne à
présent...
J'élève soudain le bras
par-dessus les fauteuils ! Ma main se brinquebale dans
l'air telle la
tête d'un
cobra... Avec le « remote », j'essaie de
viser la
chaîne à haute fidélité, la
«
hi-fi » !
Ma
femme:
«
Que fais-tu, Jack ? Tu dis au revoir à
la bonne ? »
«
Non, je baisse le son... »
«
Pure Fucking Magic... P.F.M. !
Comme
dans tous les pays du monde, les
coutumes surprennent... Cela surprend les
premières fois, puis
on s'y fait !
Ainsi, ces « Hi ! Hi ! Hi ! » des Chinois...
Ils semblent
rire, non seulement,
de tous les malheurs de la terre, mais de leurs propres
infortunes !
La
maison de mon tailleur de Sembawang,
Allan Wong, est complètement rasée par un
incendie...
Mister Wong croit que sa
famille est à l'intérieur, se
précipite dans les
flammes... Personne ! Il
ressort de sa boutique en flammes... Son visage, ses
bras, ses mains,
son dos,
sont brûlés au troisième
degré ! Tout en me
racontant ce malheur en riant,
Allan ne cesse d'entre couper ses phrases par des
« Hi ! Hi ! Hi
! », alors que
moi, je fais des « Ooh ! Ooh ! Ooh ! » et
que j'en ai
presque les larmes aux
yeux !
Je
raconte cette mésaventure à mon
chauffeur de taxi, qui me conduit à
l'aéroport depuis
plus de dix ans...
Pendant le trajet, on se raconte des tas d'histoires...
Nous sommes
devenus des
amis ! Mister Chang:
«
Hi ! Hi ! Hi ! »...
Tintin
à la recherche de son ami Tchang au
Tibet ! Dans la boutique chinoise de Tcheng Li Kin:
«
Ah ! Vous parlez de notre pauvre et
regretté neveu d'adoption... Hi ! Hi, Hi !...
Hélas, il
est mort ! Hi !,Hi !,
Hi ! »
De
par mes tours du monde, c'est fou ce
que je peux penser à Hergé... Pourtant,
lui, n'a jamais
fait le tour du monde !
Au
fait, si nous aussi, nous faisions des
« Hi ! Hi ! Hi ! », peut-être
aurions-nous l'air
moins morose ?...
Nous
faisons la connaissance de Paolo
Montini au golf de Tunis... Directeur d'une grosse
compagnie italienne
de
pétrole, il est muté à Kinshasa, au
Zaïre !
Comme il sait que j'y suis né, il
nous invite ! Il joue toujours au golf, mais à
Kin, dit-il, il
est suivi d'une
dizaines de caddies, qui se battent et se
déchirent entr'eux
pour courir après
sa balle et recevoir ainsi du patron »,
«
Tu nous montreras le Kivu, que je ne
connais pas encore... »
Le
Congo... Mon Congo ! Dans quel état
vais-je le retrouver ? Tant pis, on verra bien...
«
OK, Paolo, on arrive ! »
Paolo:
«
Non, ne venez pas ! C'est la guerre... »
Une
bagarre tribale a éclaté à cause du
Sabbah (ex Katanga)... Ils s'envoient des baffes, comme
ça,
« Paff, »Paff » !
Vielle coutume africaine... La pagaille !
Que
faire de nos vacances ?
Tiens,
le Pelle est à Singapour... Il a
quitté la TEA, lui aussi et vole pour Singapore
Airlines...
Allons voir les
Dardennes !
Avec
un jeu de « Lego », dites à des
gosses:
«
Construisez-moi une ville... »
Ils
vont vous construire une ville modèle,
idéale, avec de belles maisons, avec de beaux parcs, de beaux jardins,
pleins de belles fleurs, de
belles avenues,
bordés de beaux arbres... De hauts buildings
aussi, comme un
petit Manhattan ou
le « downtown » de San Francisco... Mais
également des forêts de verdure... Du vert
feuillage ou du
béton, pas une herbe
ne
1988.
Ma Tante Josette, en vacances chez
nous à Singapour... Sur la route de
l'aéroport:
«
C'est extraordinaire, Jackie... Quelle
netteté ! Pas une mauvaise herbe ! »
«
C'est interdit, ma Tante ! »
«
C'est extraordinaire, Jackie... Quelle
propreté ! Pas une saleté par terre !
»
«
C'est interdit, ma Tante ! »
«
Quel entretien ! Il ne doit pas y avoir
de chômage ici... »
J'ai
failli lui répondre:
«
C'est interdit, ma Tante ! »
Je
raconte à ma tante les méthodes
singapouriennes:
«
Celui qui est pris en flagrant délit en
train de jeter par terre et par négligence un
morceau de
papier ou une saleté quelconque, reçoit
non seulement une
amende de 1.000
dollars, mais aussi se voit affliger de corvée...
Pendant des
heures, avec un
employé il balait ! Homme ou femme, avec un
écriteau
agrafé sur le dos: ‘’Je
suis un sale garçon’’ ou « ‘’Je suis
une sale
«
En effet ! Heu... Y-a-t-il d'autres
interdictions, Jackie ? »
«
Oh, oui ! Elles sont nombreuses: le
chewing gum, par exemple... Interdit ! Interdit aussi de
fumer dans les
restaurants air conditionnés ! Après
usage, ne pas
oublier de tirer la chasse
dans les toilettes publiques, sinon 150 dollars d'amende
! Interdiction
de
faire la grève, bien sûr... Interdiction
de... »
«
Et... tout le monde est content ? »
«
Tout le monde DOIT être content, ma
Tante... A prendre ou à laisser ! »
«
Je vois en tous cas le résultat... »
«
Moi aussi, ma Tante... »
«
Jackie, je ne vois pas une seule voiture
sale ! »
«
Il n'y a pas de véhicules sales à
Singapour, ma Tante... La propreté est
passée dans les
mœurs ! »
J'aurais
pu ajouter à ma Tante Josette que
tout ceci est inscrit « in the book ».Le
bréviaire !
Lorsque d'aventure, on
s'écarte de son contenu, c'est un peu le
désarroi !
«
It's not in the book ! »
L'initiative
manque à l'appel... Que faire
? Mais ce livre est tellement épais que
l'essentiel s'y
trouve... Alors, en
général tout marche très bien !
«
Sévère Singapour... Pas beaucoup de
liberté ! »
« La
liberté ? La liberté, Monsieur, c'est de
se promener aux
petites heures et dans
les petites rues de
Singapour ou
d'ailleurs, sans se faire agresser... En toute
quiétude... En
liberté ! »
Non
seulement à Singapour, mais dans
toutes les compagnies d'aviation du monde, nous avons
à
présent notre « bible »
également... Où est le bon vieux temps,
quand le
mécano disait au Pacha:
«
J'ai fait l'inspection extérieure de
l'avion ! Nous avons les ailes, les moteurs... J'ai
donné un
grand coup de pied
dans les pneus, tout tient en place... On peut y aller !
»
Le
Commandant:
«
Ben, on y va, alors ! »
Aujourd'hui,
à la moindre petite panne,
nous plongeons dans la « M.E.L » (Minimum
Equipment List
»): Go ou No Go !
D'après ce bouquin, on peut partir ou ne pas
partir ! Bête
et facile... Plus de
décisions personnelles... Plus amusant du tout !
La
réussite de Singapour ne fut pas
obtenue en un jour, mais toutes les entreprises des
Singapouriens sont:
«
Number One » ! Ils s'en font un honneur !
L'aéroport, le
métro, les
communications, les... Tout ! « Itchiban »,
comme ils
disent au Japon, « Numéro
Un » ! Venant des Japonais, voilà bien une
référence...
Singapour...
En retrouvant les Dardennes,
je retrouve de suite le climat équatorial de mon
Afrique
centrale... Cette
bouffée d'air chaud et humide, qui vous
étouffe
dès que l'on sort de l'aéroport
! Au Congo, nous n'avions pas la climatisation... A
Singapour, tout le
monde
a l'air
«
Comment ? Tout le monde a l'air con à
Singapour ? Que nous chantes-tu là maintenant, Jack ? »
«
Tu as l'air con dans ta chambre, toi ? »
«
Dis donc ! Et toi, t'as pas l'air con
tout court ? »
«
Mais non... Patate ! Dors-tu avec l'air
conditionné ? »
«
Ah bon ! J'y suis... L'air conditionné,
air conditioning, air con ! »
Sur
les taxis, dans les bus, c'est marqué
en grand: « Air Con » ! Ils ont l'air con !
J'ai l'air con,
tu as l'air con, il
a... »
«
Bon, bon, Jack, ça va, ça va, on a
compris ! »
Pelle
et Nelle habitent à Changi et nous
retrouvons avec eux l'amitié et l'ambiance des
bons jours...
Pelle raconte...
Il est sur Boeing 707, ceux qui ont les belles turbines,
les «
fans », ceux qui
au décollage ont ce bruit particulier «
Rrrrrrrrrrrr
», qui me fait bander,
comme m'avait dit Pitsy... Pelle fait donc du long
courrier... Il est
même
devenu instructeur, le Pelle ! Pas étonnant de sa
part... Et il
restera
instructeur pour le restant de sa carrière sur de
nombreux types
d'avions ! Il
pourra dire, Paul Dardenne, comme le proclament certains
pilotes avec
un air
hautain:
«
Pff..., I flew them all ! Je les ai tous
volés ! »
Mais
ce qui fait la supériorité du Pelle,
c'est qu'il ne le dit jamais !
On
ne peut qu'écouter le Pelle... Tenter à
son tour de placer ne fut-ce qu'un tout petit mot, est
du domaine de
l'impossible ! Lors de notre séjour, quand Pelle
n'est pas en
vol, Michèle et
moi, nous écoutons donc raconter le Pelle... Avec
plaisir ! Tout
en suivant ses
gestes, ses expressions, son rire, dont je me
régale, je
pense... Je me mets à
rêver... 707, (avec fans !), longs courriers, ils
ont aussi des
747 à SIA...
Tiens, tiens... Pas mal, tout cela !
Pendant
deux semaines, Michèle et moi,
nous visitons Singapour... Guide du « routard
» en mains,
nous découvrons cette
île de 30 sur 40 kilomètres... Deux
millions six cent
mille habitants...
Population composée de 75% de Chinois, 15%
d'Indiens, 7% de
Malais, 3%
d'expatriés ! Tous les coins et les recoins de
Singapour,
quartiers chinois,
indiens, malays, on les connaît ! Toutes les nourritures, chinoises,
indiennes, indonésiennes,
malaises, on les
connaît ! Tous les centres commerciaux, les
« shopping
center », on les connaît
! Singapour ? On
connaît !
Au
moment de quitter les Dardennes, Pelle
emploie sa formule habituelle:
«
See you, one of these days... On se
revoit un de ses jours... »
Il
ne pouvait pas mieux dire... Dix jours
après, nous étions de retour à
Singapour !
Dès
mon retour de Singapour, les bruits
courent que la Tunis Air veut nationaliser, c'est
à dire, ne
plus avoir des
pilotes expatriés... Comme moi, comme nous,
Fallon, Bosmans et
les autres !
Je
vais trouver Ladjimi en espérant que
tout cela n'est que ragots !
«
C'est vrai ce que j'entends, Monsieur
Ladjimi ? »
«
Hélas, oui... Je suis désolé,
Siroux...
Je ne pensais pas que cette tendance arriverait si
vite... »
Dans
mon dos, je sens alors se déchirer
mon manteau de fine peau... Au cours de ma
carrière de pilote,
jamais, je n'ai
eu la sensation de blessure aussi profonde !
«
Craaaaak ! » Craquelures...
Ils
s'y connaissent quand même bien, les
dieux, pour tirer les ficelles du destin... Mon
destin...
Décidément, il est
écrit que je resterai gypsy !
Ladjimi,
qui m'avait pourtant affirmé que
je pourrais voler jusqu’à ma retraite ici,
à Tunis Air...
«
Craaaaak ! » Craquelures...
«
Effective quand, cette décision,
Monsieur ? »
«
Rien n'est fixé... Mais, si vous pouvez
trouver du travail... D'ailleurs, nous donnerons
amplement le temps
à tous nos
pilotes étrangers de se retourner... »
«
CRAAAAAK ! » Craquelures...
Le
temps, le temps... Moi, je n'ai pas le
temps ! Je n'attends pas ! Licences, carnets de vol,
brosse à
dent et en
vitesse chez le Directeur de la Swissair pour un ticket
!
«
Mais, vous venez d'aller à Singapour !
Vous avez oublié quelque chose ? »
«
Oui, un boulot ! »
Singapour,
avril 1977.
«
Salut, Pelle... »
«
!!! »
Je
lui raconte...
Il
me confirme ce qu'il m'avait dit il y a
moins d'un mois: Singapore Airlines embauche... Ils vont
recevoir leurs
nouveaux Boeing 727 ! Sur quoi, je lui avais de suite
rétorqué:
«
Pelle, je suis très bien à Tunis...
»
A
présent, je lui demande:
«
Pelle, à qui dois-je me présenter ?
»
«
Je passe un coup de fil à mon Chef
Pilote... »
«
Merci, Pelle ! »
Paul
Dardenne téléphone... J'ai un
interview pour le lendemain et le lendemain, je retrouve
un job !
Pas
de suite !
«
Fin de l'année... » me dit-on à
l'interview !
«
Fin de l'année ? Pourquoi fin de
l'année, Monsieur ? »
«
Les 727 débutent leurs vols fin de
l'année... Vous êtes current,
qualifié pour le
moment, sur cet avion ! »
Je
joue alors un petit coup de poker...
«
Heu... D'accord, mais je suis aussi
qualifié Boeing 707... Si je ne l'ai plus
volé depuis
presque deux ans, un
petit refrescher-course, un petit cours de
rafraîchissement
suffirait... Vous
n'avez vraiment pas besoin de pilote sur 707 ? Non ?
»
«
C'est que cet interview est dirigée pour
le recrutement des nouveaux 727... Or, je le
répète, vous
êtes 727 ! »
Je
sais que Choon Choy, le Captain, qui
est en face de moi, est le Chef Pilote de la flotte
707... Je sais
aussi par le
Pelle, qu'il est un peu à court, un peu «
short »
d'effectif...
«
Heu... Captain Siroux, » me dit donc le
Chef Pilote 707, « nous vous donnerons une
réponse ce
soir... A quel hôtel
êtes- vous descendu ? »
«
Je loge chez mon ami Paul Dardenne... »
«
Ah, oui, mon instructeur ! »
«
Oui, Captain Choy, votre instructeur
707... »
Le
soir, chez Pelle, « gin tonic » à la
main, on buvait un bon coup... Captain Choon Choy venait
de m'apprendre
que
j'étais retenu sur 707 !
«
De suite, Sir ? »
«
Non, en septembre... On vous tiendra
informé ! Welcome to the club ! See you...
»
Captain
Choy... A l'interview, il n'était
pas seul... A ses cotés, un membre du Personnel
Administratif,
David Lee... Dès
mon entrée dans la salle, mon regard va vers Choy
! Clic ! Ondes
super-positives... Clic ! Et il en sera ainsi pendant
deux ans,
période pendant
laquelle je serai sous ses ordres...
Les
deux Chinois en face de moi me
préviennent en me montrant les barèmes de
salaires SIA
qu'il ne s'agit plus du
pactole de Tunis Air... Je regarde la feuille que David
Lee me
présente... Mon
salaire est divisé en trois ! Je pense au Docteur
Hammer...
« Peanuts » ! C'est
le jeu: Take it or leave it ! A prendre ou à
laisser ! De toute
façon, je ne
peux rien faire d'autre...
«
It's OK for me... »
Pour
un Chinois, qui a un signe de dollar
($) au fond des yeux, David Lee est
étonné... Je lui
raconte le coup de la
nationalisation de Tunis Air !
«
I understand now, Captain Siroux... »
Quant
à Choy, il me dit simplement:
«
Keep your nose clean, do your job, no
internal or external politics and everything will be OK
! »
Pas
d'embrouilles politiques internes ou
externes à la compagnie ? Je n'ai jamais eu cette
attitude...
Faire son travail
? Je l'ai toujours fait...
«
OK, Sir ! »
«
OK, you got the job... If you pass the
physical ! » me dit-il en me serrant la pince...
La
visite médicale ! Je l'avais oubliée...
La première visite médicale pour rentrer
dans une
compagnie est une visite
importante... Tout l'avenir dépend d'elle !
Je
fais la connaissance du Docteur Koh and
Partners... Je ne l’appelle pas « Partners »
comme David
Huysmans ! Ma tension
est bonne, je lis bien les lettres de plus en plus
petites du tableau,
qui se
trouve à six ou sept mètres et que le
toubib me pointe
avec son doigt... Je lui
fais un pipi clair, au Doc, qui me donne la mention
« fit
», « en forme » !
Ouf
!
Ma
mère avait-elle eu raison, une fois de
plus: un mal pour un bien ! Ou ma tante Rita: les choses
s'arrangent
toujours
dans la vie ! Ou les dieux ?...
Un
mal ? Oui, le coup des Tunisiens...
Nous balancer ! J'ai pleuré en quittant la
Tunisie !
Choon
Choy... Choon deviendra un ami...
Quand dans des « parties », comme au
nouvel-an chinois chez
lui, je lui dis:
«
Choon ! Mon ami, le Chinois ! »
«
What do you say, Jack ? Tu parles encore
des Chinois ? »
«
Non, je parle d'amitié... Bonne année !
Gong Xi Fa Cai ! »
«
I see... Gong Xi Fa Cai, Jack ! »
Avec
lui, en effet, nous faisons notre
job... et tout va bien ! Quand un problème
survient, convocation
! On
s'explique... Il explique ! C'était encore la
bonne
époque, où la paperasserie
n'était guère à la mode et
n'inondait pas nos
« pigeon-box », nos boites
personnelles aux OPS (Opérations)... Agissaient
de même,
le Directeur des OPS,
Charlie Chan, un Chinois et son adjoint, B.S. Gurm, un
Indien, Len
McCully, un
eurasien, au Training, à l'entraînement,
à
l'Administration, Doodley
Leiscester, un de je ne sais d'où, mais un bon,
dont je gagnerai
aussi
l'amitié... L'équipe des bons jours !
Mauvais jours,
quand on recevait un savon
dans leur bureau... Pour moi, il n'y eut guère
d'orages... Ce
sera « a smooth
operation » ! Une opération, qui restera en
douceur,
malgré l'expansion de la
compagnie Singapore Airlines !
Allez,
Jack, ton manteau de fine peau
n'était pas finalement tellement
déchiré... Au
contraire, il gardera sa
souplesse et s'affinera encore ! La main des dieux...
Mais
avant toute cette période de plus de
16 ans et qui n'est pas terminée aujourd'hui,
années
pendant lesquelles, sans
pour cela perdre mon statut d'outsider, parce que, bien
que je me
sentirai chez
moi, je ne serai pas chez moi, je perdrai un peu ma peau
de nomade...
Je vais
me stabiliser professionnellement... A la limite,
m'embourgeoiser !
Avant
cette longue finale, je retourne
donc en Tunisie... « Nous » retournons, car
Michèle
est avec moi !
Je
retourne voir Le Commandant Ladjimi...
Il a l'air soulagé quand je lui apprends que j'ai
une place
à Singapour !
«
Tout de suite ? »
«
Non, pour le mois de Septembre... Les
papiers sont en cours... Heu... Cela vous convient-il,
Monsieur Ladjimi
? »
«
Pas de problème ! Je vous avais dit que
vous pourriez prendre votre temps... »
Et
il me ressort son expression favorite:
«
Il n'y a pas eu de bavures avec vous et
les autres Belges... Je suis désolé,
Siroux... »
Ladjimi
a l'air sincère... L'est-il ? Je
le crois volontiers ! Poussé par le syndicat des
pilotes locaux,
les jeunes
turcs, les jeunes loups, qui lorgnent la place de
gauche, la place du
Roi, ce
qui est logique, je suis d'accord, car je ne suis pas
chez moi, Ladjimi
doit,
lui aussi, jouer le jeu... Normal ! En quittant son
bureau, j'ai un
pincement... Là, sur le côté
gauche... Le cœur ? Je
suis triste ! Mais, quand
je quitterai Tunis pour de bon, j'aurai les larmes aux
yeux !
Le
jeu... Oui, la règle du jeu, mon jeu,
notre jeu des expatriés:
«
Messieurs, nous n'avons plus besoin de
vous, au revoir et merci ! »
Clair
et net, le jeu ! Nous acceptons,
nous admettons...
Je
n'ai jamais très bien compris... Je ne
comprends pas toujours pas ! Pourquoi la
réciproque n'est-elle
pas valable ?
Nous avons suivi les lois des gouvernements locaux: pas
de politique,
transfert
de salaire limité, surtout pas
d'interférences... Je n'ai
jamais manifesté dans
les rues, moi, pour la reconstruction d'une
église à
Tripoli, à Casablanca ou à
Tunis ! Je n'ai jamais crié au scandale, quand
aux
frontières d'Egypte ou
d'Arabie Saoudite, la police retient les passeports des
équipages pour toute la
durée de leur séjour dans le pays ! Si
j'avais
soulevé la moindre
argumentation, je serais en prison depuis longtemps,
pendu par les
« rouldouldoules » ou fusillé
tout
simplement... J'ai accepté, j'ai admis
! Alors pourquoi ne pas faire de même ? Les
grandes
idées... « Pouet-pouet »,
molles, les démocraties européennes !
Minables...
Finalement,
ces pays, que l'on dit du
tiers-monde, ce sont eux qui ont bien raison... Ils
n'ont pas de
problèmes
d'émigration ou d'immigration !
Clair
et net leur jeu:
«
Messieurs, nous n'avons pas besoin de
vous, merci ! »
Ou:
«
Nous n'avons plus besoin de vous, au
revoir... et merci ! »
Après
plus de seize ans de travail à
Singapour, qui est loin d'être un pays du
tiers-monde, au
contraire, un pays
surdéveloppé, dirais-je, et qui nous bat
en longueur et
en largeur, si ma
compagnie décide qu'elle n'a plus besoin de mes
services, que je
doive leur
rendre mon uniforme, mon contrat étant
expiré ou dans les
termes du préavis,
mon permis de travail se transforme illico presto en
visa de touriste !
J'ai 15
jours pour quitter le pays ! J'aurais pu demander le
Les
démocraties « pouet-pouet »... Nous
sommes des molassons des « mous-mous » ! En
plus, nous
avons l'air d'éprouver
une jouissance suprême à baisser culotte et
à se
faire « empapaouter ».
Alors,
bien fait pour notre pomme... Minable !
Il
faudrait s'enfoncer ceci dans la tête:
«
Démocratie, oui ! Pouet-Pouet, non ! »
«
Démocratie, oui ! Pouet-Pouet, non ! »
«
Démocratie, oui ! Pouet-Pou... »
«
Jack, arrête tes conneries, tu te mets à
danser... »
«
Oh, pardon ! »
En
passant, j'ajouterai que l'on admet des
« Mac Donald », des Kentucky Fried
Chicken... Hamburgers
sur les Champs Elysée
à Paris ou sur la Piazza Espania à Rome !
Où va
t-on ? Mais où va-t-on ?
Empapaoutage... On aime ça, je vous dis !
«
Holà ! Jack, tu t'excites de nouveau, tu
dérailles... Tu te prends au sérieux !
»
«
Tu as raison... Je me calme... Je passe
en reverses ! »
Ce
n'est donc pas avec joie que nous
quittons la Tunisie... Bruxelles, où j'ai ma
mère, est
à moins de trois heures
de Tunis, Lyon à moins de deux heures, Nice est
à une
heure de Tunis ! Cela
nous arrange, la Tunisie...
Micheline,
ma belle-mère a quitté le
Maroc, où elle a vécu et fait
carrière... Elle fut
« la » dernière française
employée dans sa banque, (le jeu...), et s'est
installée
dans la maison et les
vignes de famille dans le Beaujolais, à Julienas,
au lieu-dit
« Les Bucherats »
!
Petit
à petit, je fais non seulement la
connaissance de cette famille, mais aussi des gens du
pays... Tous
m'acceptent
! Je retrouve ainsi quelques attaches... J'aime...
J'aime ces gens et
La
famille... Ma famille nouvelle ?
Jean,
le frère de Micheline, sa femme
Suzette... Jean, qui a le même
âge
que
moi et qui deviendra un frère pour moi ! Jean est
un bosseur,
possède sa propre
entreprise de droguerie et se demande pourquoi les gens
ne veulent plus
travailler... Il aime aussi Jean, le travail bien fait !
«
Il n'existe plus de gens de métier... »
Je
suis bien d'accord avec lui ! Lorsque
je vois mon costume mal taillé, je dis à
mon tailleur:
«
Moi, Monsieur, si je faisais une erreur
pareille, je tuerais quatre cents personnes à la
fois ! »
Peut
être ai-je choisi un mauvais tailleur
?...
Lorsque
je vois ma coupe de cheveux
complètement loupée, je dis au coiffeur:
«
Moi, Monsieur, si je bâclais mon travail
de cette façon, je tuerais quatre cents personnes
à la
fois ! »
Peut
être ai-je choisi un mauvais coiffeur
?...
Lorsque
la nouvelle fenêtre coulissante de
notre maison à Tunis, n'était pas
d'équerre avec
le mur, j'ai dit à ce maçon
italien et pied-noir:
«
Moi, Monsieur, si je faisais une erreur
pareille... »
Peut-être
ai-je choisi un mauvais maçon
?...
En
effet, ils sont bien rares les gens de
métier... Les gens s'en foutent !
Henry,
dont la femme Colette est la sœur
de Micheline... Voici quelqu'un de métier ! Il
bosse, aime le
travail finement
terminé ! Henry fignole avec amour quand il met
la
dernière touche de peinture
à la restauration d'un château, d'une
vieille maison ou
tout simplement d'une
villa des environs... Il serait inadmissible, pour lui,
de saloper un
travail !
Henry était de grande culture et agréable
à
écouter: les Ducs de Bourgogne,
l'Histoire de France... Il aimait qu'on admire, et nous
le faisions
avec
plaisir, sa collection de cartes postales de la
région
mâconnaise... Henry
s'intéressait ! Je parle au passé...
Henry, qui voulait
tellement profiter de
sa retraite, est parti pour entamer d'autres études...
La mauvaise ficelle des dieux... Perte
pour moi, pour nous
tous !
Viennent
tous leurs enfants et viennent
tous les cousins, cousines...
Il
y a Ninon, dont j'aime le nom et la
personne... Ninon, qui, je crois, m'aime bien aussi,
puisqu'elle
m'appelle «
Mon neveu préféré »... A mon
tour, je
l'appelle « Marquise » et je lui baise la
main ! Ses deux fils Robert et Claude... Claude et sa
femme Christine,
qui
tiennent un excellent restaurant à Pontaneveaux,
« La Clef
des Champs »...
Spécialités du pays !
«
Jacques, comme d'habitude, poulet à la
crème ? Tu ne veux pas vraiment pas changer ton
menu ? »
«
Non ! »
Les
gens du pays... Le Beaujolais, les
vignerons ! Gens de la terre, gens des vignes... Je les
aime bien ! Ils
m'ont
accueilli avec simplicité,
sincérité... Sont
devenus des amis !
Comme
Jojo et Annie Trichard... Il est
vrai que Jojo gardait les vaches avec Michèle,
quand ils avaient
cinq ans...
Cela facilite les choses ! Jojo, qui nous demande de
vendanger les
dernières
pièces de vignes de son domaine... Je l'ai fait
une seule
fois... Plus jamais !
Ayant trouvé trop pénible cette position
à genoux,
j'ai demandé à porter la
hotte... Emporté par son poids, j'ai failli
basculer avec elle
dans la benne !
Jojo, que j'accompagne à la chasse... Gueuleton
à midi !
Jojo, avec qui nous
jouons aux boules, chez lui ou après le gueuleton
(un autre !)
au restaurant de
son frère Michel à Bourg en Bresse...
«
Jacques, cuisses de grenouilles et poulet
à la crème, bien sûr ? »
«
Bien sûr ! »
«
Dès que j'ai fini en cuisine, les
boules... Hein, Jojo ? Hein, Annie ? Hein, Jacques ?
Hein,
Michèle ? »
«
Et le pousse-café, Michel ? »
«
Je l'offre, je l'offre ! Mais ensuite,
la pétanque à la maison ! »
«
Evidement, c'est pour cela que nous
sommes venus ! »
«
Et pour mes grenouilles, non ? »
«
Mais bien sûr, Michel ! »
Du
sérieux, les boules chez Michel ! Il
avait rassemblé « son »
équipe... On leur a
mis la
«
Merde, faudrait pas que ce soit dans le
journal local ! »
De
Los Angeles, je lui envoie une carte
postale... Je lui dis mon étonnement de voir
à mon
arrivée le Gouverneur de la
Californie, le Maire de L. A., la TV et les journalistes
! Ils veulent
savoir
quelle tactique nous avons employé pour battre
à plat de
couture la fameuse
équipe de pétanque de Bourg en Bresse !
Quelqu'un a donc
dû parler... Michel
Trichard ne m'a jamais répondu !
Antoine
Guignet et son épouse Hernestine,
chez qui j'allais chercher le lait frais au temps
où elle avait
encore ses deux
magnifiques vaches... Antoine:
«
Venez prendre une tassée, l'aviateur ! »
«
Avec plaisir, Monsieur Guignet ! »
Dans
cette cave, j'ai rencontré un ancien
artilleur:
«
Moi, Monsieur, j'ai fait le Tonkin ! »
«
Je vous félicite, Monsieur... » Décidément,
le Tonkin me poursuit... Pas étonnant que je sois
impressionné par ce pays de
légendes ! Je m'attendais à ce que le
vétéran nous chante «Du bleu, du
gris...», mais non ! Bizarre... Le Beaujolpif
d'Antoine est pourtant
excellent !
Monsieur
Gelin, qui m'invite à goûter le
vin nouveau, le « paradis »... Ce nectar
coule directement
de la presse...
Merveilleux ! Pas une presse automatique, une vieille
presse en bois,
tournée
encore à la main... Moment divin ! Pipi de petit
Jésus...
Surtout avec les noix
fraîches du noisetier de Monsieur Gelin... Etrange
histoire:
Monsieur Gelin
s'en est allé vendanger d'autres vignobles...
Quelque part,
là-haut, dans de
très hautes collines... Après son
décès,
cet arbre s'est fané petit à petit et,
lui aussi, est mort doucement ! Solidarité
d'anciennes
cuvées...
Marius
Clément, à qui j'achète mon miel...
Il m'a appris, Marius, à sucrer mon café
avec du miel...
A voir la santé de
Marius, c'est concluant et puis, c'est bon ! Marius,
avec qui je prends
un coup
de jaja au caveau de Juliénas, le jour du
marché... Le
lundi, une tradition, le
marché du village !
On
parle... On me fait parler !
Monsieur
Champanay, viticulteur également,
métayer aussi des vignes de ma belle-mère,
chez qui je
vais remplir la bonbonne
de vin...
«
Une petite tassée, Monsieur Siroux ? »
«
Avec plaisir, Monsieur Champanay ! »
On
parle... Il me fait parler !
Je
n'ose plus tellement raconter depuis le
jour où il m'a narré fièrement son
voyage aux
Antilles en Boeing 747...
«
J'ai même été à St Bart,
Monsieur Siroux
! Vous connaissez ? »
J'ai
manqué de psychologie... J'ai
répondu:
«
Oui... »
Monsieur
Champanay aurait peut-être voulu
me battre sur mon propre terrain...
Un
jour, il a pris sa revanche... Il m'a
bien eu ! Nous parlions des décalages horaires et
de la vie
détraquée des
pilotes de ligne... Je lui disais combien
j'appréciais ici, de
manger à heures
régulières, de dormir dans le même
lit, avec le
même oreiller (important
l'oreiller pour les
«
Avec la même femme... »
«
Monsieur Champanay ! Voyons ! »
Il
y a aussi Madame Rey... Grande dame
âgée, tellement brillante et accueillante
dans sa jolie
maison du Pavillon...
Et
« Teuteu » ! Yvette, pleine de vie, qui
nous fait les gaufres et le saucisson chaud !
Après, partie de
pétanque dans
son grand jardin, en plein milieu de Juliénas !
Bien
que « Les Bucherats » soient à un
petit kilomètre de Juliénas, cette
promenade à
pieds pour aller faire les
courses, est souvent très longue pour moi... Je
m'arrête
pour un petit bonjour,
une petite parlote avec tous les gens du village...
«
Bonjour Monsieur Barraud ! » J'admire le
jardin de ce retraité... Un véritable
bouquet de fleurs !
Je
n'entre pas chez le menuisier Monsieur
Béquilleux, je lui dis bonjour de loin, car son
chien «
Téo », un magnifique
Bas Rouge !, l'air méchant et agressif, mais
l'est-il, galope et
aboie le long
de la clôture... « Bonjour Téo !
» !
Chez
Jacques et Josi Gelin, qui vendent
des bons vins...
«
Bonjour Josi ! »
«
Salut ! Un petit verre ? J'ai ici un de
ces St Vérand... »
«
Non, merci, je ne fais que passer... »
«
Allez, allez... »
Je
goûte !
Au
magasin d’électroménagers, ils ont
aussi un Bas Rouge, mais lui, comme il a probablement
reçu
l'ordre de laisser
rentrer les clients, il me renifle bien aimablement...
Avec ses
maîtres,
Monsieur et Madame Guérin, on parle des nouvelles
antennes TV,
les assiettes
pour satellites...
Chez
le garagiste, « Bonjour Monsieur
Combier ! », qui entretient et remet en route
l'Alpha
Roméo lorsque nous
revenons en vacances... « Prince », son
chien Berger
Allemand, aboie... Pour la
forme... Il est gentil !
Le
plombier, « Bonjour Monsieur Labrouyère
! »... Il n'a pas de chien !
Si
Yvette est là, je m'arrête chez Yvette
! « Bonjour Teuteu ! »
Chez
le boucher, Monsieur Ravier:
«
Bonjour M'sieur ! »
«
Bonjour jeune homme ! »
Je
lui demande toujours un petit morceau
de son excellent boudin noir, « juste pour
goûter...
», en lui achetant sa
charcuterie !
Chez
la boulangère, « Bonjour M'dame »,
pour le pain quotidien... Elle a de très bonnes
Chez
la coiffeuse Françoise, qui me coupe
les tifs (bien, elle !) et essaie de me vendre ses
produits soi-disant
miraculeux pour ma tonsure... J'achète ! Et
à
l'épicerie, j'achète aussi !
A
la Poste, (PTT !), à la Mairie, chez Monsieur
le Maire et son secrétaire Max... On parle...
Chez
bien d'autres... On parle...
A
Mâcon, jolie ville fleurie, mon assureur
est devenu mon ami... Il est pilote privé et
Président de
l'Aéro-Club... Nous
survolons le Beaujolais et nous allons déjeuner
ensemble !
«
Georges Max, ça te va le Lamartine ? »
Les
assurances Thirion:
«
Oui, Jacques... Très bon rapport
qualité-prix ! »
J'adore
« Le Lamartine », cette brasserie
aux bords des quais de Saône... Non seulement la
nourriture est
toujours bonne,
très bonne, donc il y a toujours du monde,
l'accueil est
toujours des plus
sympas, apéritif et pousse-café offerts
par la maison,
donc toujours bonne
ambiance... Pour ces raisons, j'y suis fidèle !
Aussi, je
commence à y être connu...
François:
«
Encore un steak-frite-salade ? Comme
hier ! »
«
Et pourquoi non ? »
«
Et une bière-pression, sans doute ? »
«
Bien sûr ! »
Christian
Chauvot, qui essaie de me vendre
une bagnole, une Volvo...
«
On se fait une bouffe un de ces jours ?
Où voulez-vous aller, Monsieur Siroux ? »
«
Au Lamartine ! »
«
Va pour le Lamartine... »
Et
tous les autres, dont j'ai fait la
connaissance...
La
maison « Dubœuf » à
Romanèche...
Georges Dubœuf et son fils Franck... En passant,
chapeau, Monsieur
Dubœuf !
Dans mes escales lointaines, je bois vos Beaujolais...
Un jour,
à Honolulu, le
garçon américain de ce bistrot
français »
(!) me vante le vin du Beaujolais,
votre
«
Do you know where is the Beaujolais ?
Savez-vous où se trouve le Beaujolais ? »
«
Off course, man, I know... California !
»
Ce
devait être un illettré...
Pas
comme le serveur chinois du « Trou
Normand » à Hong Kong lors du Beaujolais
Nouveau, que je
goûtais une fin
Novembre avec des amis...
«
Beaujolais Dubœuf ? France, Sir ! »
Il
a reçu une sucette... Non, pour
changer, une banane !
A
Singapour, quel vin boit-on à la maison
? Beaujolais Dubœuf ! Le Beaujolais Nouveau de Louis
Tête n'est
pas dégueulasse
non plus... Nom di Diou !
Pour
la famille, je suis sans doute une «
pièce rapportée »... Pour les gens
du pays, je
resterai toujours « le Belge »,
« l'Aviateur »... Ils ne vont pas
jusqu'à dire
« l'immigré » ! Mais je sais,
Je
me compare alors une nouvelle fois à
tout ce monde stable... Pour eux, et ceci n'est pas
péjoratif
bien au
contraire, leur horizon s'arrête aux pieds de
leurs vignes ! Ils
sont ancrés
dans leurs racines, leurs traditions, leurs familles,
leurs amis de
toujours...
C'est bien ! C'est bon ! Moi, bien que j'ai aimé
ma vie de
baroudeur, à coté
d'eux, je suis un paumé...
Grâce
à eux cependant, j'ai retrouvé peu
à
peu une base, une fondation, sur laquelle il me semble
enfin possible
de
reposer mes guibolles de baladeur... et je leur en suis
reconnaissant !
Nous
ferons donc moins partie de tout cet
environnement, puisque nous nous expatrions encore plus
loin, aux
extrêmes de
la géographie... L'Extrême-Orient !
Ninon
me pose la question:
«
Et votre mère, Jacques ? »
«
Vous savez, Maman commence à avoir
l'habitude... C'est ma vie ! »
Branle-bas
de combat ! Déménagement !
Emballage !
Je
suis un conservateur... J'éprouve des
difficultés immenses à me séparer
de mes
affaires... Surtout celle que j'aime
bien ! C'est donc avec tristesse que je me sépare
de mon Alpha-
Roméo... Je la
vends au Commandant Georges-Henri Satgé ! J'aime
tellement ma
voiture que je la
lui rachèterai plus tard en France ! Aujourd'hui,
cet Alpha Sud
va bientôt
passer dans la catégorie « Vintage »,
«
Antique »...
Satgé...
Une figure ! Lors d'un retour de
vol, je ne sais pour quelle raison, il ne veut pas poser
son 747
à l'aéroport
de Charles de Gaulle, où l'atterrissage est
prévu... Il
atterrit à Orly !
Pépins ! Sa compagnie l'écarte en
l'envoyant en mission
à l'étranger... Il est
« détaché » au Liban et... en
Tunisie !
Georges-Henri
a aussi écrit un bouquin: «
Carnets de vols »... Etant du métier,
j'apprécie !
Il m'offre un de ses livres
et me le dédicace...
«
C'est le dernier, que je possède,
Siroux... »
«
Comment le dernier ? »
«
Je n'en ai guère vendu... Je crois même
que je les ai tous donnés ! Je te l'offre avec
plaisir... »
«
Merci, Georges-Henri ! »
Si
jamais un jour je les publie, c'est
probablement ce qui va arriver aux bêtises que je
mets ici en
mémoire dans mon
« petit traitement de texte... »
Pendant
l'escale d'un de mes derniers vols
Tunis Air sur Londres, je rentre en contact avec
l'Anglais, adjoint du
Station
Manager de Singapore Airlines, Jerry Stevens... Je lui
demande qu'il
soit assez
gentil de..., de bien vouloir envoyer à Singapour
«
quelques-unes unes » de mes
affaires personnelles, que j'ai apportées avec
moi dans la soute
du 727...
«
Dear Sir, would you be so kind to... »
«
Heu... Beaucoup d'affaires ? »
«
Douze malles... »
«
What ? Quoi ? »
«
Je dois redécoller... Le représentant
Tunis Air est au courant... Il vous contactera... Allez,
Good Bye et
Thank you
very much ! »
Les
malles coloniales... Que Jerry aura la
gentillesse de faire parvenir à bon port !
L'avion
roule vers le point d'attente...
L'avion « pénètre » et
s'aligne sur la
piste... L'avion prend son envol ! Je
regarde par le hublot... Je regarde par le hublot pour
apercevoir une
dernière
fois les côtes de la Tunisie... Je quitte
l'Afrique ! Je sens
tourner,
s'envoler à grande vitesse, une belle page de ma
vie... Elle se
déchire, cette
page ! Je regarde par le hublot, parce que je n'ose pas
me retourner
vers
Michèle et Valérie... Je pleure !
Deux,
trois jours à Bruxelles pour dire au
revoir à ma mère... Ma mère, que
j'ai
quittée si souvent, semble cette fois-ci,
fort éprouvée, ébranlée...
Elle ne le
montre pas trop, mais ses yeux sont
humides en permanence... J'ai moi aussi cette sensation
d'une
séparation plus
profonde !
«
Maman, à la première occasion, tu viens
nous rendre visite... »
«
Singapour... C'est loin... »
Je
le sais !
Hélas,
pas pour une raison de distance,
Minouche ne viendra jamais à Singapour...
Le
26 Septembre 1977, embarcation non vers
le Far-West, mais vers le Far-East ! L'Asie... Par
Londres ! Nous
prenons la «
Panam » ! D'Angleterre, Singapore Airlines:
Londres, Amsterdam,
Francfort,
Barhain, Bangkok et Singapour ! Dire qu'aujourd'hui, les
vols sont
directs,
sans aucune escale... Et que les passagers trouvent
encore le moyen de
rouspéter !
A
bord, je fais la connaissance du Captain
Mohan Sing... Il retourne à Singapour en
passager... Il est le
premier pilote
local de la compagnie, à part Choon Choy, que je
rencontre... Il
me parle de
Singapore Airlines, me donne quelques tuyaux...
J'écoute !
Mohan, que je verrai
souvent dans des «parties» ou dans son
bureau, car depuis
il est devenu
Calife... En buvant une tasse de thé, nous fumons
ensemble une
cigarette,
jusqu'au jour où il sera interdit de fumer dans
tout le
bâtiment... Plus de
cigarettes ! Mais Mohan restera toujours un chef
sympathique... Chaque
fois que
nous nous voyons:
«
Remember the first time we met ?... Tu
te souviens de notre première rencontre ?...
»
«
Oh, yes... In the plane, years ago ! Oh,
oui... Dans l'avion de Londres, il y a des années
!»
Le
temps passe...
A
Singapour, la compagnie nous loge pour
huit jours à l'Hotel Merlin, devenu le Plaza
aujourd'hui... Nous
avons donc
seulement une semaine, durant laquelle je suis fort
occupé, pour
nous trouver
un logement... On ne trouve pas ! En attendant, logement
au Raffles,
qui fait
des
Finalement,
installation à Shelford Road
dans un petit « condo » (!)... Piscine...
Duplex
meublé à un prix raisonnable !
Il
n'y a pas que le condominium qui est
petit... Le monde est petit ! Nos voisins: Gérard
et
Michèle Pagès ! Ingénieur
dans les pétroles, j'ai connu Gérard en
Libye lors de mes
vols en DC3 pour
Forasol ! Aussi un pigeon voyageur, Gérard...
Réflexe
instantané de la
mentalité coloniale:
«
Venez prendre un pot ! »
L'électricien
doit bien venir... Bof, j'ai
bien le temps, il sera certainement en retard... Erreur
! A notre retour de l'apéro, un mot sur la porte:
«
Sir, I was here at 5 pm... Nobody !
Monsieur, personne chez vous pour notre rendez-vous de
17 heures !
»
Moi,
l'habitué des coutumes africaines,
j'apprends l'efficacité singapourienne...
Proverbiale ! Ici,
quand on demande «
quand pouvez-vous venir ? », on ne vous
répond pas «
je viendrai demain », on
vous répond « je viendrai hier » !
Aussi, lors des
nombreux méchouis, que nous
ferons au bord de la piscine avec les Pagès, je
ferai gaffe...
Je remonterai
vite à l'appartement afin d'être à
l'heure pour mes
rendez-vous !
Avant
de commencer mon « refresher course
» (cours de rafraîchissement !) Boeing 707,
Je
me rafraîchis donc au cours 707...
Cours au sol d'abord, ensuite simulateur (a la carte:
pannes, un
réacteur, deux
réacteurs, feux-driiing-driiing, remises de gaz,
etc... Menu
habituel !)
Mon
instructeur ? Paul Dardenne ! Pelle,
stricte et peu tendre en instruction, me dit à la
fin des
séances prévues:
«
C'est bien, Jack ! » Venant de sa part, c'est
un compliment !
Un
de mes autres instructeurs, Colin
Sharpe, ancien Major de la Royal Air Force... Il me
lâche sur la
ligne... Sur
les lignes ! Car à cette époque, les
nouveaux pilotes
doivent être
« checkés » sur toutes les
destinations ! C'est
ainsi qu'avec Colin, nous
achèterons du caviar à
Téhéran...
A
Téhéran, où tout l'équipage
se battait
à
coups de boules de neiges dans les jardins de l'Hilton,
alors que la
veille,
nous transpirions à grosses gouttes au
décollage de
Colombo... Je me souviens
de mon mécano S.S. Yu, emmitouflé dans son
écharpe
de laine !
A
Téhéran, toujours en 1978, je fis un des
derniers vols avant le départ du Shah... Tous les
«
Vous avez encore du caviar ? »
«
Oui, oui ! Il me reste 10 kg... »
«
Je les achète ! Faites-moi un bon et
dernier prix... »
A
la maison, nous n'avions plus le cul
dans le beurre, nous avons le cul dans le caviar...
Changement
de rythme, les longs
courriers... Des longs vols, des longs séjours,
parfois de plus
de deux
semaines, de longues escales, faire et défaire sa
valise,
à tel point qu'à l'hôtel,
j'en retire le strict nécessaire afin de ne pas
trop la
défaire...
Ainsi
ma femme me dira souvent « Adieu ! »
après m'avoir souhaité « Bonnes
vacances
! »
«
Bonnes vacances ? Je vais travailler,
moi ! »
Il
est vrai qu'en plus de ma valise et de
ma « flight case », j'ai sous le bras, ma
raquette de
tennis, mes clubs de golf
et, selon la destination, mes palmes et mon masque de
plongée
sous-marine...
Michèle
n'est pourtant pas une profane en
la matière... Alors, que doivent penser les
autres, qui nous
regardent passer
avec tout cet attirail ?
«
Quelle belle vie, ces pilotes ! »
Les
ignorants ! Ils ne connaissent pas le
dessous des cartes...
Nous
sommes parfois en « standby », c.a.d
en « réserve » pour remplacer au pied
levé un
collègue tout à coup malade ou
qui vient de se casser le pied en montant dans
l'avion... Nous
attendons à la
maison... Téléphone des Opérations
!
«
Vous partez dans une heure ! »
Ce
soir-là, je fus quand même surpris !
Juste le temps de faire ma valise ! Je suis parti pour
un long
voyage... 19
jours ! Dans l'affolement du paquetage, j'ai failli
oublier ma raquette
de
tennis ! Qu'aurais-je fait durant les deux escales de
quatre jours
à Honolulu ?
«
Allez, Jack, kiss-kiss et joue bien ! »
«
Tu veux dire vole bien ? »
«
Amuse-toi bien ! »
A
mon retour, les chiens ne m'ont plus
reconnu à la grille du jardin... Dans la
pénombre du
soir, ils aboient ! Moi,
je hurle:
«
MICHE ! C'EST MOI ! »
Miche
arrive:
«
Les chiens, taisez-vous ! C'est votre
maître ! »
Maître...
Maître... Dans le cockpit, oui,
à la maison ? Le Captain, parti depuis si
longtemps, perd un peu
de sa «
captaincy » lorsqu'il rentre chez lui... J'ai
l'impression que je
dérange...
Non, pas une impression, une certitude ! Je
dérange toute une
organisation...
Moi, le revenant, j'essaie bon gré mal gré
de reprendre
ma place dans la
bicoque... Mais je reste en sixième position sur
la liste des
priorités ! Après
ma femme, ma fille, les chiens, la bonne et la
voiture...
«
Tu as de la chance, Jack », me dit ce
collègue, « moi, je ne suis plus sur la
liste du tout
!»
Les
longs courriers...
«
Tu te plains, Jack ? »
«
Non, pas du tout ! Mais il ne faut pas
oublier qu'il existe quand même quelques
inconvénients
dans ce beau métier, qui
est le nôtre et qu'il vous faut savoir que...
»
«
Oui, on sait, Jack, on sait ! »
«
OK, alors ! »
Singapore
Airlines... Historique ! En
1947, l'île de Singapour fait encore partie de la
Malaisie... La
compagnie
s'appelle « Malayan Airways » et emploie un
« Consul
» pour ses vols locaux, un
petit bimoteur, quatre, cinq passagers... En 1955, le
DC3 rentre en
scène pour
les vols régionaux... Avec la formation de la
Fédération de Malaisie en 1963,
le nom change:
Et
c'est parti... La flotte grandit
d'années en années, se gonfle ! Le Boeing
747 en 1972 ! Nous
sommes en 1993...Singapore Airlines dessert aujourd'hui
67 villes dans
40 pays
différents... En moyenne d'âge la plus
jeune du monde,
voici sa flotte
actuelle:
*
5 Airbus 310-200 !
*
14 Airbus 310-300 !
*
2 Boeings 747-200 !
*
4 Boeings 747-200 gargo !
*
3 Boeings 747-300 Combi !
*
11 Boeings 747-300-Big Top !
*
20 Boeings 747-400-Mégatop !
Attendez,
attendez ! Pas fini, pas fini !
A venir, les ordres étant passés, de 30
autres Boeing
747-400 Mégatops et 20 Airbus
340...
Alors,
Messieurs, il n'y a plus qu'une
seule chose à faire, voyons ! Un grand coup, un
très
grand coup de chapeau !
Quand
on pense que la plupart des
compagnies d'aviation européennes et
américaines sont en
difficultés, au point
même que des pionniers comme la Panam et consorts
ont dû
jeter l'éponge...
Allez,
Messieurs, un second grand coup de
chapeau !
Non
?
«
Jack, tu n'attrapes pas des crampes au
bras à lever si souvent ton chapeau ? »
«
Parfois... Mais, je le répète, il faut
avoir le courage de saluer ce qui en vaut la peine...
Pas d'inhibitions
! »
Dire...
Dire que, passager lors d'un mes
retours en Belgique, alors que je visitais le cockpit
par courtoisie,
habitude
que j'ai, par sentiment de solidarité
professionnelle, le
Commandant de Bord de
cette compagnie nationale, que j'empruntais, m'a
toisé... Il le
prenait d'assez
haut... Le ton supérieur, l'air de se demander ce
que je pouvais
bien foutre
dans cette compagnie de bougnoules (!), ce
dédaigneux m'a
posé cette question:
«
Heu, mon ami... Combien de 747 avez-vous
dans votre compagnie ? Comment encore ? Singapour
Airways ?... ».
«
Singapore Airlines ! »
«
Ah, oui ! C'est ça... SIA ! Combien donc
de 747 ? »
Ma
réponse fut directe, percutante... Une
flèche au cœur... Mortelle ! Je savais, bien
sûr, que sa
compagnie ne possédait
à l'époque que deux vieux 747,
modèles
essoufflés et mourants, tombants en
pièces...
«
Vingt deux, Monsieur ! »
Il
y eut un « PLANK ! »... Le bruit du
siège de ce Commandant, qui passait soudain en
position «
full low », « toute
basse » et qui venait de s'écraser sur le
plancher du
cockpit, que je quittais
sans regret...
«
Au revoir, Monsieur... »
Je
mets de moins en moins les pieds dans
les cockpits des compagnies nationales
européennes...
Lors
d'un autre voyage en passager sur un
vol de New York, je me rends à nouveau dans le
cockpit de cette
autre compagnie
nationale qui se croit importante... Je me
présente... Le
Commandant et son équipage
semblent étonnés à
l'extrême... Venant de la
part de ces aviateurs, c'est moi
qui suis plutôt abasourdi par leurs questions !
«
Mais qu'est ce qu'un Belge peut bien
faire en Asie ? Comment as-tu pu arriver à
Singapore Airlines ?
»
«
C'est un peu long à raconter, mais voici
en bref... »
«
Et de qui sont composés les équipages ?
»
«
De pilotes d'un peu partout... »
«
Et... Heu... Pas de problèmes de langue,
de procédures ? Et dans le cockpit ? Comment
fais-tu ? Ca va ?
»
«
Bien sûr que ça va ! Ca va même
très
bien... Nous sommes tous aux mêmes standards...
Chapeau,
d'ailleurs ! Un tour
de force que de mettre tous ces pilotes sur le
même pied, une
véritable légion
étrangère ! »
«
Heu... Combien de nationalités différentes
? »
«
Quarante quatre ! »
Cette
fois-çi, pas de « PLANK ! »... Un
silence total ! Le vide !
«
Hou-hou ! Vous êtes toujours là ?
Hou-hou ! Hou-hou ! Hou-hou ! »
Ces
trois membres d'équipages avaient
fondu ! Trois petites flaques, trois petites mares sur
le plancher du
cockpit,
que je quittais sans regret...
«
Au revoir, Messieurs... »
Je
ne mets plus du tout les pieds dans les
cockpits des compagnies nationales européennes !
Ahurissants
ces équipages de compagnies
nationales européennes ou américaines
(encore
En
apprenant ma nationalité, combien de
fois ne m'a-t-on pas affirmé:
«
Vous êtes pilote de ligne, vous volez à
la Sabena ! »
«
Mais non, Monsieur, mais non ! »
«
Mais... Où alors ? »
«
Si je vous le disais... »
J'ai
volé pour des compagnies
nationales... « Expat » à Royal Air
Maroc, à
Tunis Air, compagnies nationales,
mais pas européennes ! Voici plus de seize ans
que je vole pour
Singapore
Airlines, compagnie nationale asiatique, dont je
commence à
faire partie des
meubles et dont la diversité des
équipages, des «
crews », est tellement
étendue qu'il existe à chaque vol un
renouveau dans le
poste de pilotage... Les
« locaux », les Singapouriens, d'origine
chinoise, indienne
et malaise... Les
autres pilotes de tous les continents: Asie, Europe,
Afrique,
Amérique du Nord
et Amérique du Sud, le compte est bon !
Légion
Etrangère, oui, mais aussi
Nations Unies ! Relations humaines... Chances
d'enrichissement !
Cependant,
bon nombre de ces « pilotes d'airlines
», forcés de prendre leur retraite
anticipée ou
leur retraite normale à 55 ans,
seront bien contents de venir terminer leur
carrière à
SIA et d'arrondir leur
portefeuille... La plupart se plieront aux règles
et aux
procédures de la
compagnie et seront bien obligés de s'habituer
à la
complexité des différentes
races du poste de pilotage... Les Américains, les
Australiens,
en dehors de
chez eux, ils sont perdus ! Surpris, tout se passera
bien pour eux !
Exilés
pour la première fois de leur vie, de leur pays,
certains auront
des
difficultés... Sans doute, se croyaient-ils les
meilleurs ? Ou
alors,
pensaient-ils encore évoluer dans un empire
colonial quelconque ?
«
Oui mais, chez nous, on faisait comme
ça... »
«
Mais vous n'êtes plus chez vous ! »
Point
à la ligne ! Period ! Take it or
leave it ! A prendre ou à laisser ! Pas facile
à avaler
parfois, mais c'est
ainsi...
D'autres
auront des ennuis avec leurs
bobonnes... Les pauvres chéries, elles ne
supportent pas la
chaleur permanente (28-30
degrés) et l'humidité (80-90%) de
Singapour... Pourtant,
elles ont l'air-con !
Mon
premier vol « solo », je le fais sur
Hong Kong... Il ne faut pas être manchot pour
atterrir à
Hong Kong ! La
procédure d'approche est particulière...
La piste est
construite en partie sur
la mer... Les vents sont souvent turbulents, vu l'effet
« venturi
» provoqués
par les montagnes des alentours ! Pour y atterrir, sur
cette piste face
à
l'Est, ce n'est plus un I.L.S., qui nous guide, mais un
I.G.S., G
signifiant «
guidance », guider ! Les deux faisceaux I.G.S.
nous
amènent droit sur la
montagne, sur laquelle sont installés de grands
panneaux... Un
coup d'œil alors
vers la droite et la piste, se prolongeant sur la mer,
doit être
en vue... A
cette altitude minimum de 670 pieds, 200 mètres,
si on ne voit
pas la piste,
remise des gaz selon une procédure bien
appropriée
à ce genre de terrain
montagneux ! Avec instructeur, il faut faire plusieurs
fois «
Hong Kong » avant
d'y être « lâché » ! Lors
de ce dernier
virage à vue de 47 degrés, nous
frôlons
tellement les appartements de Koolown, qu'on a
l'impression de
traverser
carrément les salons, les salles à manger
et les chambres
de ces citadins.
Pardon ! Nous ne faisons que « passer
»... Mais nous
entendent-ils encore
? Les malheureux, ils doivent être sourds comme
des pots ! Le
pilotage est donc
l'affaire de bon manipulateur ! J'aime faire l'approche
de Hong Kong et
je
crois que nous l'aimons tous... Excitante ! Plus
question de «
computer » pour
effectuer ce virage final... L'œil et les fesses, comme
en 14 ! Quant
à la
piste face à l'Ouest, I.L.S normal en passant
entre deux pics...
Ne pas dévier
de l'axe ! Et important, ne pas atterrir trop long sur
cette piste 13
en partie
construite sur la mer, surtout quand elle est
mouillée, sinon
« Plouff ! »,
baignade assurée ! C'est arrivé...
Le
soir, pour fêter « mon premier Hong
Kong », j'offre un pot au bar de notre
Hôtel, au
« Dickens Bar », lieu de
rendez-vous de tous les pilotes de toutes les
compagnies, que nous
fermons bien
souvent... « On ferme ! ».
Low,
mon copilote (aujourd'hui Commandant
de Bord sur 747-400 !) me dit entre deux bières
« San
Miguel »:
«
Captain... »
«
Appelle-moi Jacques... »
«
Jack, nous n'aurions pas dû accepter cet
avion... »
«
Pour quelle raison ? »
«
Le V du flight-director n'était pas tout
à fait... »
«
!!! »
Le
« flight-director » est composé d'un
V
ou de barres (les barres de tendances), que le pilote
suit
bêtement comme dans
les jeux-vidéo, en plaçant la maquette de
l'avion de
l'horizon artificiel dans
le V ou en gardant les barres bien croisées...
Cet instrument
interprète le
taux de virage pour un changement de cap ou pour suivre
la direction ou
la
pente de l'I.L.S. Facile ! Je n'ai jamais osé
avouer à
Monsieur Low que les
707, que j'avais volés auparavant,
n'étaient pas
équipés de flight-director...
Ainsi,
ces jeunes pilotes sont gâtés...
Leur supprimer les barres de tendance et ils ne peuvent
plus
interpréter leurs
instruments !
Moi,
au contraire, ce machin m'a un peu
embrouillé les idées au début... Au
simulateur, je
me suis fait sonner les
cloches par B.S. Gurm pour avoir coupé le
flight-director lors
d'une manœuvre
de remise des gaz...
«
Jack, tu te rends compte combien ça
coûte cet instrument ? Et toi, tu le coupes !
»
Gâtés
également ces jeunes singapouriens,
pour la bonne raison que tout marche bien, tout
Moi
aussi, je me suis pourri à
Singapour... Et j'aime ça !
Nom
di Diou, comment vais-je faire plus
tard en Europe ?
Je
téléphone aux Communications...
Immédiatement:
«
Yes, Captain Siroux (mon nom est sur
l'ordinateur !), que peut-on faire pour vous ? »
Je
suis fiché... Ils connaissent mon nom,
ils savent tout !
«
Si possible, je voulais une seconde
ligne téléphonique pour mon fax... »
«
Standby, please... Un instant, s.v.p...
»
Petite
musique... Puis:
«
Oui, c'est possible... Quand
pouvons-nous passer chez vous ? »
«
Heu... »
«
Cet après-midi ? »
«
Heu... Oui ! » «
Quinze heures ? »
«
Heu... Oui ! »
«
OK ! This afternoon, 3 pm ! Bye-bye... »
«
Heu... Thank you ! »
Trop
tard, ils ont raccroché, déjà en
route pour mon domicile sans doute...
Nom
di Diou, comment vais-je faire plus
tard en Europe ?...
Je
suis à mon bar avec Jackie, l'ancienne
Chef de Cabine de la TEA... Son mari, Hawk Hellner, va
probablement
postuler
pour Singapour Airlines... Elle vient prendre la température de Singapour, « voir
» un peu
comment
ça se passe... Elle est de suite
édifiée!
«
Tiens, Jack, ton frigo de bar coule... »
«
Mon frigo coule ? »
En
effet, des gouttes d'eau ! Je prends
mon téléphone, sans fil et sur le bar !
Jackie me
regarde...
«
Allô, Mister Ong ? Captain here... Mon
frigo coule ! »
Jackie
me demande:
« ?
»
«
C'est le Chinois à qui j'ai acheté ce
frigo... »
«
Et alors ? »
«
Alors ? Il arrive, tiens ! »
Mister
Ong prend le frigo... Heureusement,
il y a encore des boissons fraîches dans le frigo de la cuisine... Quelques
bières et Ong
revient avec le réfrigérateur remis
à neuf !
Jackie:
«
?!?! »
Nom
di Diou, comment vais-je faire plus
tard en Europe ?...
Je
« page », je « beep » K. J.
Seng... Il
me résonne de suite:
«
Allô, Philip ? Captain here... Un boyau
de ma raquette de tennis vient de péter ! »
«
Voyons... Il est dix-neuf heures trente,
je peux encore passer chez vous ce soir ! Votre raquette
sera
prête demain
matin ! Ca vous va ? »
Et
il me demande si ça me va ! Nom di
Diou, comment vais-je faire plus tard en Europe?...
«
Allô, Bernart ? Captain, here... Vous
sortez mon canot à moteur et vous faites le
plein, please ?
Thank you ! »
Après
la journée de ski nautique, le
speed-boat est sorti, nettoyé et le moteur
passé à
l'eau douce... Devant cette
scène, mon ami Hugues Nieuwenhuis, pourtant
habitué de
Singapour, mais rentré
en Europe, ne peut pas s'empêcher de me sortir:
«
Jack, mon pauvre vieux, que feras-tu
plus tard ?... »
«
Nom di Diou, Hugues, comme tu dis
vrai... Je suis pourri, nous sommes pourris ! »
Quand
j'arrive à Bangkok aux petites
heures du matin, avant d'aller dormir, je glisse un mot
en dessous de
la porte
du tailleur indien de l'hôtel:
«
K.C., please... Deux pantalons et cinq
chemises en coton ! Teintes habituelles... Thanks !
»
Je
ne verrai pas K.C., car il connaît mes
goûts et possède mes mesures... Le soir
même, je
récupère mes chemises et mes
pantalons à la réception !
A
Singapour, mon tailleur Larry possède
aussi mes mesures...
«
Larry, un pantalon en gabardine beige,
please... »
«
Pour quand, Captain ? »
«
Cette question ! Pour hier, tiens ! »
«
Pour demain, Captain... OK ? »
«
OK ! »
Dans
ce magasin « Myer's », il n'y a pas
que Larry... Sam, Aziz, Simon, Chris et les autres
vendent de
l'électronique !
Ils ont comme clientèle les équipages de
la plupart des
compagnies d'aviation
de passage à Singapour... Ces « pirates
», chez qui
j'achète depuis 15 ans TV,
enregistreurs, chaines-stéreo,
téléphones, fax,
caméras, ne peuvent pas se
permettre de nous rouler sur les prix ! Leur
réputation est en
jeu... Ils font
tout pour nous conserver comme clients ! J'ai d'ailleurs
dépensé dans leur
boutique des milliers de dollars... «
Dis donc, Aziz... Je veux changer mon
téléphone rouge
contre un de couleur
noire... »
«
Vous l'avez acheté chez nous, Captain
Jack ? »
«
Heu... Non ! Mais il est tout neuf... »
«
Allez, bon ! Je vous l'échange... Parce
que c'est vous, hein ! »
«
Merci, Aziz ! »
Je
m'imagine la mine et la réaction d'un
vendeur en Europe à qui je proposerais le
même
marché... Il me casserait la
figure !
Il
y a un problème d'achat à Singapour...
Dès qu'on est sorti du magasin, la machine que
vous venez
d'acheter est déjà
périmée... Un nouveau modèle est
sorti entre-temps
!
«
Aziz... Sam... Pourrais-je échanger mon
fax avec ce fax, ma camera avec cette caméra,
mon... »
«
Mais oui, Captain Jack... Moyennant une
différence, bien sûr... Les nouveaux
modèles sont
beaucoup plus chers ! Vous
comprenez ? »
«
Je comprends, Sam, je comprends... Bien
sûr, Aziz, je comprends ! »
Nom
di Diou, comment vais-je faire plus
tard en Europe ?...
Pourri
jusqu'à la moelle !
Sam,
Aziz et « Company Private Limited »,
pirates sympathiques... On sort de chez eux les bras
chargés
d'un tas
d'appareils, dont on ignore totalement comment ils ont été
inventés ! Tant bien que mal, on
lit les
instructions... Nous sommes des consommateurs, des
passifs ! Nous
laissons aux
inventeurs le soin de nous faciliter la vie (!) et de
nous
gâter... On avale !
N'empêche,
je me sens bien... Mon ami
Georges Ballini le remarque de suite quand il m'ouvre la
porte de son
appartement à Paris, juste en face de notre
hôtel à
Montparnasse ! Georges a de
ces phrases...
«
Cela fait plaisir de voir ainsi un
aviateur heureux... »
«
Pourquoi, il y en a de malheureux,
Georges ? »
«
Bah... La vie... »
«
Et toi ? La retraite ? »
«
Justement, je ne suis plus aviateur...
Heureusement, toujours marin... Je prépare une
traversée
avec mon voilier...
Dis donc, qu'as-tu fais de ton équipage ? »
«
Ils visitent Paris... Je leur ai fait un
briefing sur l'emploi du métropolitain... »
Le
lendemain, je revois mon équipage...
Mes Singapouriens me disent avoir eu quelques
difficultés
à trouver la sortie !
«
Jack, tu as oublié de nous traduire
-exit- en français... » «
Sortie ! »
«
Oui, maintenant on le sait... Mais nous
avons failli passer la nuit dans le métro !
»
«
Sorry, les enfants ! »
La
vie... Ficelle des dieux... Nuage
sombre dans mon ciel clair !
J'apprends
à mon retour que ma mère vient
de faire une thrombose cérébrale ! Maman
n'a-t-elle pas
supporter mon
expatriation lointaine ?
CRAAAAAK
! CRAQUELURES...
Je
saute sur un avion comme on saute dans
le tram ! Je ne reconnais pas Maman, qui ne me
reconnaît pas non
plus !
CRAAAAAK
! CRAQUELURES...
Mon
Chef Pilote, Choon Choy est
compréhensif, il me donnera tous les vols
possibles sur l'Europe
! D'Amsterdam,
de Paris, de partout... Je pourrai ainsi me rendre
à Bruxelles,
trouver un
établissement, qui s'occupe de personnes
handicapées et
voir ma mère le plus
souvent possible... Inconvénient des
expatriés, Singapour
n'est pas la porte à
coté... 13.000 kilomètres!
Pendant
huit ans, j'irai Avenue de la
Couronne visiter ma mère... Pendant huit ans,
dans cette
antichambre de la
mort, je passerai des après-midi à
regarder Maman, ses
yeux fixés sur la
télévision, le seul intérêt
que ma
mère semble encore avoir... Parfois, elle se
tourne vers moi, les yeux humides... J'ai peine, moi
aussi, à
retenir mes
larmes... Elle ne parle plus, Maman, elle bredouille,
ânonne
quelques mots...
Je ne comprends pas ce qu'elle veut me dire... Que
veut-elle donc me
dire ?
Est-ce à moi, son fils, qu'elle s'adresse ? Tout
le passé
de cette grande dame
est enfouie dans les ténèbres... La Chine,
le Congo, son
mari... Je lui parle
de Papa... En vain ! Finalement elle me
reconnaîtra et me
laissera
difficilement quitter sa chambre ! Elle ne vivra plus
dès lors
que pour mon
retour... Je descends à midi avec elle pour
déjeuner dans
la salle à manger, remplie
de petits vieux mourants, de petites vielles
mourantes... La faux est
dans la
salle ! Ce qui ne les empêche pas parfois de rire
et de se
chamailler ! Dans sa
chaise roulante, Minouche ne reconnaît aucuns de
ses amis, aucuns
de mes amis,
qu'elle connaissait cependant très bien et que
j'ai
invités pour ne pas perdre
le contact... Mon CO, par exemple, qui par gentillesse,
tout
simplement,
viendra régulièrement lui rendre une
petite visite... On
n'en fait plus des CO
pareils ! La famille, nous n'en avons plus tellement...
J'ai le cœur
malade à
chacune de mes visites, j'ai le corps rompu quand je
sors de ce home...
Je suis
brisé ! Et dire que mes équipages
pensaient que j'avais
des dizaines de
maîtresses à Bruxelles !
«
Non, les gars, je vais voir ma vieille
maman ! »
«
Mais oui, Jack, mais oui... Amuse-toi
bien, Jack ! »
A
la fin, ils m'ont cru... Pour me faire
plaisir ?
Complètement
lessivé de tristesse, voûté
sous la fatigue de mes voyages, je dois avoir une
drôle de
tête quand je passe
dans le hall... Chevelure bouclée à la
mode, Viviane,
l'hôtesse d'accueil et
jolie secrétaire de la « Résidence
Gray Couronne
» remarque ce portrait peu
flatteur... Cependant:
«
Monsieur Siroux... Je vais souvent voir
votre mère... Je l'aime bien ! »
Ainsi,
nous irons boire quelques bières
dans une taverne non loin de là ! Viviane...
Histoire sans
histoires, mais qui
me raconte des histoires drôles ! Viviane...
Histoire sans
bavures ! Grâce à
elle, mon cœur reprendra forme en essayant, pour une
petite heure,
d'oublier
Maman !
Longs
courriers... Plus du Radadi-Radada,
mais bien du Raaaaadaaaaadiiiii-Raaaaadaaaaadaaaaa ! 7,
8 et 9 heures
de vols !
En 747, ce sera jusque 10, 11 et 12 heures à
passer au-dessus du
Pacifique,
plus de 8.000 kilomètres de flotte !
En
Cargo 707, les navigateurs (deux degrés
à droite, trois degrés à gauche),
nous guident de
Guam à Honolulu et en
Californie, San Francisco, Los Angeles ! J'admire les
couchers de
soleil...
Nous avons le privilège, nous les aviateurs,
d'être assis
aux places de choix,
aux fauteuils d'orchestre, pour apprécier ce
spectacle de
couleurs, dont les
faisceaux de flammes sont à chaque instant
transformés...
Merveilleux tableau
sans cesse retouché, repeint par une main divine
! Une musique
de Jean Michel
Jarre au fond de la tête et le paradis nous est
offert sur un
plateau
grandiose... Là, à portée des yeux
!
Par
contre, nous n'aimons pas tellement
les levers du soleil, nous attendons même avec
appréhension que la « Bête »,
se
montre... Ce « Titan », émergeant de
son sommeil et
des profondeurs de
l'horizon, d'un seul rayon ardent et sans pitié,
nous
crève alors les yeux,
déjà si fatigués et rougis par les
heures de vol
de nuit... Mais nous sommes
prêts ! Comme Monsieur Boeing n'a prévu
comme
visière qu'un vulgaire morceau de
plastic vert et transparent sans aucun effet
protecteur... Nous avons
les
journaux ! Oui, les journaux, placardés sur les
fenêtres
du cockpit...
Plus
tard, sur 747, un passager demandera
de monter au cockpit pour admirer le lever du soleil...
Sa
déception fut
grande... A part les petites annonces des journaux étalés sur le
pare-brise, il n'a pu rien
voir
! Sa visite fut brève... Ce poète nous a
maudit !
Comme
nous a certainement maudit ce juif
errant, qui sans autorisation est entré dans le
poste de
pilotage, tamisé pour
le vol de nuit... En apercevant son habit noir, sa barbe
noire, son
chapeau
noir et ses longues tresses de cheveux, nous avons fait
tous les trois
avec
effroi:
« Aaaaah
! »
Allant
droit au but, ses yeux globuleux
par-dessus de petites lunettes cerclées, elle
nous a posé
cette question, cette
apparition:
«
Croyez-vous en Dieu ? » (Sic) Je lui
ai montré tous les instruments...
«
Pour le moment, je crois plutôt en ça !
Bonsoir, Monsieur ! »
S'il
nous a maudit, moi, j'ai maudit le
Chef de Cabine, qui a laissé passer cet
énergumène...
«
As usual... Comme d'habitude ! Blondes
ou brunes, mais bien roulées... »
«
Hi ! Hi ! Hi ! »
Il
n'a rien compris, ce Chief ! En plus,
nous avons eu peur...
Lui
que l’on aperçoit assez rarement dans
le cockpit et comme s’il pénétrait dans la
quiétude d’une administration
quelconque, ce chef de cabine fait soudain une
apparition. Il choisit
mal son
moment.. Nous sommes en final sur la piste 02 droite
à
Singapour, la descente
du train est imminente !
Depuis le temps
qu’il vole il devrait avoir , ce Monsieur, quelques
meilleures notions
d’aviation...
Comme une furie à répétition, il
m’aboie : «
Captain ! Captain, Captain ! » Assez effrayé
je réponds du tac au
tac :
«
Qu’y a t-il ! Qu’y a t-il ? Le feu
? Le feu ? »
«
Non Captain, non, non !
»
«
Quoi alors ? Vous voyez que
nous sommes
fort occupés,
mon vieux ! »
«
La police, Captain, la police !
Vous devez
prévenir la police !
Captain, je...
»
«
Allez vous me dire, N de D, ce qui se
passe ? »
«
Un passager vient de mettre la main sur
les fesses d’une de mes hôtesses
!
»
«
! ? ! So what ? Et alors ? Bon on verra ça au
sol... »
Mon
copilote :
«
On ne m’a jamais mis la main au cul,
moi ! »
Mon
mécano :
«
Hi ! Hi
! Hi ! »
Moi
:
«
Dites les gars, on continue à voler ?
Oui ou non ! »
A
propos des Chefs de cabine qui se
prennent toujours un peu pour le Captain... Pour vider
un 747 de ses
400
passagers, il faut du temps, surtout quand une seule
porte est ouverte
pour
leur sortie... Une fois la check-list terminée,
la «
shutdown check-list », les
pilotes quittent le cockpit et descendent l'escalier
pour se buter
alors au
troupeau en train de débarquer en file indienne !
Un de ces
passagers parle le
français... Il m'interpelle:
«
Ah, vous êtes le Chef de cabine ? »
«
Non, Monsieur, je suis le Chef de train
! » (Sic).
«
Ah oui, c'est vrai ! »
Vexant
!
«
Jack, tu avais dit : plus de Sic ! »
«
Oui, mais c'est pour rappeler que tout
ce que je raconte, ce ne sont pas de carabistouilles...
» Assez
vexant aussi, les noms, que m'attribue inconsciemment
l'hôtesse
lors de son
petit discours de bienvenue aux passagers au PA (public
adress)... Cela
fait
plus de seize ans que ça dure ! Elles ont des
difficultés, ces gazelles, à
prononcer mon nom... Difficile aussi pour elles de
prononcer les
« r » et les «
x »... Ce qui donne: (Authentique !).
*
« Captain Sibou et son équipage... »
Ca
passe encore...
Ca
empire:
*
« Captain Xérox et son équipage...
»
Les
passagers se demandent quelle machine
les pilote...
Ca
devient grave:
*
« Captain Zoro et son équipage... »
Masqué,
l'épée à la main, cape au vent, je
m'imagine apparaître dans la cabine... Les
Passagers font:
« Aaaaah ! »
Parfois,
prenant mon prénom pour nom de
famille:
*
« Captain Jakouess... »
Les
passagers persuadés que leur Captain
est un métèque extra-terrestre, sont
pales, inquiets...
Le
comble:
*
« Captain Zéro... »
Les
passagers se signent, une nullité est
aux commandes ! Puis, contactant la frayeur, ils
dégrafent leur
ceinture,
bondissent hors de leur siège, se
précipitent vers la
porte en hurlant: «Maman
! On veut sortir ! ». Il faut les retenir !
»
J'ai
abandonné... Quand l'hôtesse me
demande avant chaque vol:
«
Comment dois-je vous annoncer ? Ah
Yah... Captain, difficile votre nom ! »
«
Whatever... N'importe comment, ma
chérie, mais surtout, ne faites pas peur aux
passagers »
Les
longs courriers... Les décalages
horaires... On atterrit avant de décoller ! Par
exemple,
«
Dites donc, les gars, j'ai gagné un an
de vie ! »
Mon
équipage, en chœur:
«
Oh non, old Jack ! T'as vu ta gueule
après ce vol de nuit ? T'as pris dix ans !
»
«
Merde alors ! »
Le
« body-clock », l'horloge de notre
corps est détraquée... Je suis
paumé !
«
Jack, quel jour sommes-nous ? »
«
Sais pas, sais plus, mon vieux... Si je
le savais ! »
J'ai
cru que je m'habituerai à ce « jetlag
»... C'est de pire en pire ! Si vous voulez
rencontrer des
équipages, allez
donc au coffe-shop de l'hôtel vers les trois ou
quatre heures du
matin, vous y
verrez certainement quelques pilotes ou hôtesses
de l'air, les
yeux grands
ouverts, mangeant avec appétit, puisque pour eux
ou pour elles,
c'est leur
repas de midi ! Ou alors, n'ayez crainte de frapper
à la porte
de leur chambre,
ils ne dorment pas, ils regardent la
télévision !
Par
beau temps, ennuyant d'arriver dans la
matinée dans un pays de soleil et de voir tous
les gens jogger,
jouer au
tennis, nager, surfer... Nous aussi, on voudrait en
faire autant, mais
nous
venons de passer de longues heures de nuit... Nous
sommes
lessivés ! Dodo ! Le
soir, ne sachant plus dormir, niam-niam, glou-glou !
Coffee-shop ! Le
coffee-shop, lieu de rencontre, caravansérail des
équipages, de ceux qui viennent
d'arriver et de ceux qui vont s'en aller... Endroit
où on
apprend à mieux se
connaître les uns des autres... Là, nous
reconstruisons
aussi, non seulement le
monde, mais toute la structure de la compagnie...
«
Ah ! Si j'étais le Roi ! »
«
Oui, mais tu n'es pas le Roi... »
K.H.
Soo, le mécano, me fait remarquer un
jour après l'atterrissage, la forme qu'a prise
notre bouteille
en plastic d'eau
minéral, que nous avons toujours à
portée de la
main dans le cockpit... Elle
n'a plus de forme, la bouteille d'Evian ! A
moitié vide, elle
s'est toute
écrasée, racrapotée pendant la
descente sous les
différences de pressions !
«
Jack, tu te rends compte ce que notre
corps encaisse ? En plus, il paraît que l'on
reçoit des
radiations plein la gueule
aux altitudes auxquelles nous volons ! »
«
Mais, je te dis, K.H., nous ne sommes
pas employés aux PTT ! »
«
Jack, tu as dit que tu ne parlerais plus
des PTT ! »
«
J'ai dit ça, moi ? »
Longs
courriers... Je fais la connaissance
des hôtels ! Ces hôtels à quatre,
à cinq et
à beaucoup d'étoiles, qui seront
mes domiciles secondaires... Secondaires ! Que dis-je ?
Ces
hôtels sont mon
domicile principal ! Je viens de passer cinq ans
à Singapour
et...
«
Mais Jack, tu nous dis que tu y habites
depuis plus de 16 ans ! Faudrait savoir ! »
«
Ecoutez... En longs courriers, nous
passons en moyenne 18 à 20 jours par mois
à arpenter le
monde, les 2/3 de notre
vie ! Sur 16 ans, je n'ai donc passé que 5 ans
chez moi à
la maison ! Vu ? » «
Mouais... »
En
tous cas, ces hôtels sont notre
domicile principal, je le maintiens ! Bandez-nous les
yeux et
emmenez-nous dans
un de ces hôtels... Demandez-nous alors dans quel
hôtel
nous nous trouvons ? Je
donne ma main à couper que la réponse sera
exacte !
Chaque hôtel à son parfum
particulier, que nous reconnaissons de suite ! Certains
sentent bon,
d'autres
moins bon... Selon leur âge et malgré leurs
étoiles, il y en a qui sentent le
renfermé... Odeurs de vieille anglaise
négligée,
effluves d'alcool d'hier ou de
tabac froid, car bien souvent ces gîtes ne
possèdent plus
de
D'ailleurs,
à force de descendre dans ces
hôtels, qui sont nos demeures, nous finissons,
nous les
équipages, par prendre
l'habitude des lieux... Leurs décors, sans cesse
revisités, font que nous nous
sentons finalement plus ou moins « à la
maison »...
Aussi, je crois ne pas être
le seul complètement désorienté
quand j'arrive
dans « mon » hôtel, mais qui
n'est plus « mon» hôtel, puisqu'on
vient de
transformer le hall d'entrée, la
réception et surtout le coffe-shop, dont le menu
a bien souvent
changé, lui
aussi ! Tout est neuf ! Les odeurs sont neutres, le
cadre froid, sans
plus
d'âme aucune... J'en perds l'appétit !
Le
maître d'hôtel, qui me connaît bien:
«
Vous n'avez pas l'air d'avoir faim
aujourd'hui, Captain ? »
«
Heu... »
«
Pourtant, notre nouvelle salle à
manger... Bien, n'est-ce pas ? »
«
Justement... Non ! »
Vexé:
«
Non ? Comment non ? Vous ne trouvez pas
ce cadre plus agréable qu'avant ? »
«
Non ! Je ne sens plus chez moi... » (Sic).
Les équipages sont difficiles sur
l'octroi de leur chambre... La chambre doit être
au calme, c.a.d.
coté-cour et
loin des ascenseurs, les rideaux doivent être
doublés et
se fermer complètement
pour ne pas laisser filtrer la lumière du jour...
Comme ce
dernier critère est
rarement rempli, certains pilotes, dont moi, ont
toujours avec eux des
pinces à
linges ou du papier collant afin de maintenir ensemble
les pans des
rideaux !
En plus, l'hôtel doit posséder
obligatoirement un
«
Des emmerdeurs, quoi ! »
«
Oh là ! Oh là ! Le sommeil est
primordial pour nous ! Volerais-tu, toi, avec un pilote épuisé de
fatigue, qui n'a pas pu dormir et
récupérer
convenablement ? »
«
Non ! »
«
Ben, alors !
«
Et qui a le ventre creux ? »
«
Non ! »
«
Ben, alors ! »
A
Jakarta, en 1977, le copilote refuse sa
chambre à la réception de l'hôtel !
A
l'époque, je ne savais pas les Chinois si
superstitieux...
«
Non ! Non ! Pas cette chambre... Elle
est hantée ! »
«
Quoi ??? »
«
Je ne dors pas dans cette chambre ! »
Je
suis fatigué... Pour faciliter les
choses et accélérer le mouvement:
«
OK ! Prends ma chambre, donne-moi ta
clef ! »
«
Merci, Skipper ! »
La
direction de certains hôtels, en guise
de bienvenue, nous offre une corbeille de fruits...
Arrivé dans
ma chambre, je
prends une bière au « mini-bar », je
défais
le papier celluloïd de la corbeille
et je grignote une pomme... Douche ! Dodo !
Je
vais m'endormir... Un bruit !
Crissements ! « Scriiik... Scriiik... Scriiik...
» ! Je
sursaute ! « Scriiik...
», je tends l'oreille, « Scriiik... »
! Tout à
coup, j'y pense:
«
La chambre hantée ! » J'allume ! Rien !
Mais, toujours: « Scriiik...,
Scriiik..., Scriiik... »
!
Je
me lève ! Je ne suis pas très
rassuré,
j'avoue... Les « Scriiik » viennent du
coté du
fauteuil... J'avance... Je
découvre le fantôme ! C'est le papier
cellophane, que j'ai
froissé et jeté dans
la corbeille, il reprend forme !
«
Ouf ! »
Ils
ont beau avoir 36 étoiles mes hôtels,
cela ne m'empêche pas des fois d'attraper un coup
«
Allez, secoue-toi, Jack ! Une bonne
douche et dodo ! »
Heureusement,
épuisé, « cassé » par
la
fatigue, qui doit être la cause de cette
dépresse,
Il
existe deux personnages importants dans
un hôtel: le Directeur Général et le
Concierge...
Jean
Claude Bailli, pilote privé, aimant
le ciel, Shashank Warty, Pierre Lopez, à New
Delhi et de
nombreux autres dans
le monde de l'hôtellerie à travers le
monde, qui sont
à présent mes
«
Captain, finalement je peux vous obtenir
une place au marché noir pour «Less
Miss»... Ce sera
100 livres ! »
Je
n'ai jamais vu « Les Misérables »...
à
Londres !
Il
n'y à pas que dans les coffee-shops des
hôtels que nous mangeons... Nous avons aussi nos
restaurants !
Nous y sommes
connus et, clientèle fidèle, les patrons
nous soignent
bien... J'aime arriver
dans un endroit où immédiatement on me
reconnaît et
on me bichonne... Pour la
bonne raison aussi que je sais que ce que je vais manger
me plaira et
que ce
sera bon ! Les équipages ont donc leurs
habitudes... J'ai mes
habitudes !
A
Athènes, derrière le Sheraton, il y a
une place... Les gens viennent y prendre le frais en été... L'air est
paisible... Repos du corps,
tranquillité de l'âme... Tout se remet en
place ! Vassili:
«
Pour vous: poulet grillé, mais sans
herbes ! Salade, mais rien que des tomates ! Je
sais...»
«
Merci, Vassili... »
Habitudes...
Habitude
aussi de donner à ce vieux marlou
de chat, qui semble à chaque fois me
reconnaître et qui se
frotte à mes jambes,
les os de ma volaille...
Toujours
à Athènes, à la Plaka, c'est
André, qui m'accueille...
«
Un ouzo pour commencer, hein Captain ?
Offert par la maison, bien sûr ! Comme
d'habitude...»
«
Comme d'habitude, André... Merci !»
A
Auckland, au « Cin Cin on Quay », le
garçon me connaît... Je sympathise d'autant
plus avec lui,
qu'il est Marocain !
On parle français, je lui baragouine quelques
mots en arabe ! Commandant
Siroux,
toujours "le fish and
ship" ? Le poisson pas trop
sec,
bien beurré, comme vous l'aimez ? Comme
d'habitude... »
«
Comme d'habitude, Paul... Merci !
D'ailleurs, je ne t'appelle plus Paul, je t'appelle
«
Oui, Mohamed ! Je suis de Marrakech !
Mais à présent, je suis
Néo-Zéelandais...»
«
Ca ne fait rien... Pour moi, tu es
Mohamed, le Berbère ! OK ? »
«
Waka, Sidi ! »
A
Francfort, Faozia, la Marocaine, ne fait
pas le couscous... Ayant épousé un
Allemand, elle tient
avec son mari un
restaurant allemand avec spécialités
allemandes:
choucroute, pieds de porc,
etc... ! Moi, j'aime les escalopes panées...
«
Commandant, labes alik ? »
«
Labes, Faozia... Pour moi, ce sera
les... »
«
Je sais ! Vienner-schniestels, pommes
sautées, salade et bière... Je sais ! Et
un petit verre
d'apel-cider pour
terminer, que je vous offre d'ailleurs... Comme
d'habitude...»
«
Comme d'habitude, Faozia... Merci ! »
A
Tokyo, je traîne «mon» équipage
à
«mon»
restaurant japonais préféré...
Là, je n'ai
pas besoin de montrer les plats en
plastic dans la vitrine, car la «Mama Sun»
sait mon menu
par cœur... On
arrive... Plus de restaurant ! «Mon»
restaurant n'existe
plus ! Je suis paumé !
Où aller ? Désemparés, nous allons
manger un
spaghetti infect dans un Pub
anglais...
Ma
femme, à qui je raconte tout:
«
Jack, à Tokyo, il y a un million de
restaurants japonais... Voyons, un Pub anglais ! »
«
Non, mais j'ai été bouleversé dans
mes
habitudes... »
«
Pas très fufute...»
«
J'avoue, pas très fufute... Mais j'ai
été boul...»
«
Oui, je le sais ! »
Habitudes
aussi de nos magasins... Nous
allons faire notre «shopping» à des
milliers de
kilomètres, alors que nous
pourrions tout acheter sur place, à deux pas de
la maison !
Habitudes
indécrottables de notre errance
le long des méridiens de la planète...
Les
douaniers ont souvent des maux de tête
à cause de nous, voyageurs sans
frontières... Cette
histoire m'est arrivée lors
d'un courrier en Europe... Je profitais d'un jour libre
à
Bruxelles pour faire
un saut à Juliénas... Casquette, veste de
daim, desert
boots, je suis vite
repéré par le douanier de service:
«
Vous arrivez d'où ? »
«
Hier... Je... De Singapour ! »
«
Wasisda ? Qu'est ce que c'est que ça ? »
Sur
mon chariot, ça, c'est un vieux tapis
enfoui dans une vielle boite en carton, qui a contenu
une vielle
machine à
laver... Elle est toute enroulée de ficelles, ma
boite !
J'ai
le malheur de lui dire:
«
Un vieux tapis...»
«
Ah ! Ah ! Une antiquité ? »
«
Non ! Monsieur, laissez-moi vous
expliquer... C'est un tapis de laine marocain, que nous
avions quand
nous
habitions à Casablanca et que nous avons
ramené à
Bruxelles...»
«
Mais vous êtes à Bruxelles ! »
«
Oui, mais nous n'habitons plus
Bruxelles... Ce tapis, nous l'avons emmené
à
Tunis...»
«
Vous habitez la Tunisie ? »
«
Non ! Nous avons habité Tunis... Nous
avons déménagé en Asie, à
Singapour...»
«
Vous vivez à Singapour...»
«
Oui ! Nous nous sommes aperçus que ce
tapis est beaucoup trop chaud pour ce climat tropical...
Et puis, nous
avons un
petit chien, un chiot Berger allemand, qui passe son
temps à
faire ses crottes
sur ce beau tapis... Tout cela dans cette chaleur !
Aimez-vous les
chiens,
Monsieur ? (là, je pousse un peu fort)... Par
conséquent...»
«
Vous ramenez votre tapis à Bruxelles...
Mais vous n'habitez plus Bruxelles ! »
«
Non ! J'habite en France... Je profite
de mon passage ici pour ramener ce tapis en France
! »
«
Mais... Vous venez de me dire que vous
habitiez à Singapour ! »
«
Oui ! En vacances, nous habitons
Juliénas, dans le Beaujolais...»
«
C'est où ça ? Vous êtes
Français alors ?
»
«Non
! Je suis Belge, mon épouse est
Française et sa Maman possède une
propriété
en France, où nous habitons en
vacances et plus tard, nous comptons bien...»
Le
douanier ne me regarde plus ! Il a le
regard vague... Des étoiles dans les yeux... Il
est rouge
brique... Il est en
ébullition... Je crois apercevoir un nuage de
vapeur au-dessus
de sa tête...
Son crâne fume ! Il se sent soudainement
très
fatigué... Il a un coup de pompe,
le douanier ! Il s'affaisse lentement... Alors, en un
dernier geste
d'agonie,
il balance le bras de droite à gauche... Je me
penche vers
lui... Il me susurre
ses dernières volontés... Il va mourir !
Je dois tendre
l'oreille ! Sa voix est
si basse, tellement éteinte, que je dois le faire
répéter:
«
Je vous ai dit: Allei ! Passei ! C'est
bon pour une fois...»
Le
mutant a franchi la douane...
A
part les impressionnantes pluies
d'étoiles filantes, comme les Géminides ou
les
Perséides, que j'ai pu admirer,
je n'ai jamais rien vu d'extra-terrestre dans le ciel...
Des
collègues
prétendent avoir vu des boules vertes, des boules
rouges, des
formes... Je
connais un mécanicien de bord, tellement
impressionné par
ce qu'il avait vu en
Australie juste au coucher de soleil, qu'il n'en a
parlé
à personne pendant des
années et surtout pas à sa femme ! Parmi
les millions de
systèmes solaires de
notre galaxie, parmi les millions des autres galaxies,
je suis
persuadé que
nous ne sommes pas les seuls... J'attends donc une
rencontre... Que je
n'ai
jamais faite !
En
1978 cependant, j'ai bien cru avoir un
rendez-vous du troisième type... Au petit matin
d'une descente
sur Hawaii en
707, j'ai crié à mon copilote F.H. Yap,
devenu un ami
à force de sillonner le
Pacifique ensemble:
«
Là ! Là ! Là ! »
«
Mais non, Jack, ce n'est que la
réverbération des phares dans la brume
matinale...»
Je
coupe les phares, que nous allumons
toujours à partir de 10.000 pieds «pour
mieux nous faire
voir»... La «chose» en
forme de ballon montgolfière disparaît !
Dommage...
Quand
plus tard, F.H., passé instructeur,
me fera passer des checks au simulateur:
«
Tu as encore des visions, Jack ? Abruti,
lah ! »
«Lah»,
typiquement singapourien, qui
correspond un peu à notre «hein».
En
tous cas, F.H. Yap se souvient de mes
leçons de français... Abruti !
A
Honolulu, autres rencontres... Magda !
Magda, la Basque devenue américaine... Elle
enseigne dans son
école, qu'elle a
créée, le Français, l'Espagnol !
Elle est aussi
l'ambassadrice des gens de
langue française passant par Honolulu... Elles
les
dénichent je ne sais
comment, organise les sorties, arrange les rencontres,
adore
présenter... Elle
me présente Debbie, une sorte de gypsy
américaine parlant
l'espagnol, mais
hélas pas le français et, étant
d'une
génération plus jeune, ne danse pas les
airs du passé, plutôt du genre musique
«boum-boum» ! Je resterai cependant bon
copain avec elle ! De 5 à 7 (!), nous allons,
Magda et moi, au
thé dansant de
chez «Trappers»... Non parce que les
consommations sont
moins chères à ces
heures-là, les «happy hours», mais
parce c'est le
temps attribué aux «anciens»
de la Navy... Ils jouent du jazz de la
Nouvelle-Orléans !
On jazzote !
Entre deux tours de piste, on grignote des
«poupouss»,
petites crasses offertes
gracieusement par la maison... Quand les
«pensionnés» n'en peuvent plus de
souffler dans leurs cuivres, un autre orchestre les
remplace... Tangos
et fox-trots
! On tangote, on
Les
longs courriers... Les rencontres !
Rencontres fortuites ou bien souvent arrangées et
prévues, car:
«
Tu vas dans une telle ville ? Tiens,
voici le contact de très bons amis... Ils te
recevront bien,
j'en suis sûr ! »
Boule
de neige... Mon carnet est rempli de
numéros de téléphone de gens avec
qui j'ai
lié de véritables liens d'amitié...
Le pire des malheurs qu'il pourrait m'arriver: perdre
mon carnet
d'adresses !
A
San Francisco, je retrouve Charles
Pisciotta ! Je jouais un jour au tennis avec lui
à Tunis.
Après la partie, il
me donne sa carte de visite: «
On
ne sait jamais, si tu passes un jour à San
Francisco...»
«
Merci, mais je ne crois pas que...»
Avec
Charles, je déjeune «Au Central»
à
chacun de mes passages à San Francisco ! Les
patrons sont
français... Les
Capelle deviennent des amis !
Boule
de neige...
A
Londres, un couple d'amis belges, dont
le mari est banquier, me donnent le contact de leurs
amis à
Barhain... Paul
Marie Jacques:
«
Je suis sûr qu'ils te...»
Eric
et Anne Cardon deviennent mes amis !
Lors de ce premier dîner de rencontre dans un
restaurant italien
(!) de
Barhain, Anne me dit:
«
Mon père aussi était aviateur ! »
«
Tiens ! Civil ou militaire ? »
«
Militaire ! »
«
Comment s'appelle votre père ? »
«
Donnet ! »
«
Quand j'étais à la Force Aérienne,
mon
CO était un Donnet ! »
«
C'est mon oncle...»
«
Son frère, le Général Donnet,
était
à
l'époque un des grands patrons de l'Air Force en
Belgique...»
«
C'est mon père...»
«
!!!... !!! »
C'est
ainsi que j'ai retrouvé mon
Commandant d'escadrille !
Boule
de neige... à Barhain, les Cardon me
présentent Jean Jacques et Danielle Petit... J.J.
est pilote
à Gulf Air ! Il y
a toujours un petit (!) pilote belge quelque part... Les
Petit seront
de grands
amis ! A
Los Angeles, je retrouve aussi des amis de Tunis, Donald
et Nicole
Henderson,
qui me reçoivent avec chaleur et amitié !
Donald est
architecte, il joue bien
au tennis, nous jouons au tennis... chez eux à
Beverly Hills !
Nicole nous
mijote ensuite de bons petits plats... Leur maison sera
pour moi le
meilleur
restaurant français de Los Angeles ! Le petit
monde de mes amis
voyageurs
tourne autour du globe... Je retrouve Donald et Nicole
à
Séoul, en Corée, fin
des années 80 et j'espère bien les revoir
plus tard dans
leur maison, près du
Pont de Gard ! On ne jouera plus au tennis, on
mangera...
Anecdote
amusante: je suis en mise en
place (passager) de Singapour à Los Angeles,
d'où
«
Que faites-vous dans la vie ? »
«
Je voyage et je joue au tennis...»
«
Où allez-vous ? »
«
Los Angeles, Bervely Hills...»
«
Pour longtemps ? »
«
Non, juste pour le week-end, quelques
balles avec mes amis et je rentre à
Singapour...»
«
... »
M'a-t-elle
cru ? Je ne lui pas menti
pourtant à cette beauté
peinturlurée... La preuve,
ayant un peu forcé sur les
balles pendant ce week-end de tennis, je boite... Le
Commandant
Gutierez, qui
reprend l'avion à Tokyo pour continuer la ligne
vers Singapour
le remarque:
«
Jack, tu traînes la patte ? »
«Oh,
c'est rien, le tennis à Los
Angeles...»
«
A ton âge, tu ferais mieux de jouer aux
échecs ! »
«
Au revoir, Dick ! »
J'aurais
quand même dû lui souhaiter bon
vol à mon collègue des Philippines...
Il
n'a pas tout à fait tort, mon ami Dick
Gutierez... Quand je joue au tennis, je porte casquette,
lunettes
noires,
genouillère, bandeau au coude et «shock
absorber»,
un amortisseur à mercure (!)
au poignet... J'ai l'air d'une momie ! Mais cette momie
n'est pas
silencieuse... Elle s'amuse !
«
AAAAAAH ! »
ou
je hurle lorsque je rate une balle:
«
MAIS NON, JESON ! »
Tant
et si bien qu'un matin, invité au
«Tanglin Club» de Singapour, un truc
huppé à
l'Anglaise, je me suis fait
attraper par France, une amie suisse et pourtant
ancienne d'Afrique:
«
Jacques ! Tu sais où tu es ? Tu n'es
plus au Congo ! »
La
momie s'est alors rembobinée dans ses
bandelettes, s'est tue et s'est emmerdée...
Lors
d'un séjour à Jeddah avec mes amis
Hellner et Bob McLean, par 40 degrés à
l'ombre, personne
ne criait au tennis...
Silence complet, chaleur, sueur... Tête en
bouilloire, nous ne
comptions plus
tellement les points !
«
Où en est-on ? » demande Bob...
Déconfiture
! Jackie, ma partenaire, et
moi, nous perdions... Je la regarde, lui fait un clin
d'œil et lance:
«
Jeu ! Set ! Nous gagnons 6-4 ! »
«Ah...
Bon ! Bravo ! Allons prendre boire
un coup...»
C'est
ainsi que dans la vie, de perdant on
devient gagnant... Par le culot ! Une momie, ça
impressionne...
Même clopinante
!
A
Jeddah, mission «Hadj» en Boeing 747...
Le responsable des 400 pèlerins me demande
l'autorisation
d'employer le «PA»,
le micro, pour chanter ses psaumes ! Mon copilote, Raman
Bajerai, un
musulman,
lui communique les heures de la prière, qu'il
calcule je ne sais
comment... Le
Jumbo est transformé en mosquée ! Je coupe
l'interphone
pour quand même
entendre le contrôleur...
C'est
à Jeddah que je rencontre ce pilote
belge... Il vient de terminer son contrat de 12 ans
à la Force
Aérienne ! Bien
qu'il ait fait partie de la patrouille acrobatique, il
cherche un
boulot de
pilote dans le civil... On parle... On se
remémore Salon de
Provence, où, lui
aussi eut la chance d'être basé, non comme
élève, mais comme instructeur dans
le cadre d'échanges franco-belge...
«
C'était bien, hein ? »
«Oh,
oui !»
Je
lui conseille d'aller faire un tour
dans les Emirats... Peut-être ? Sait-on jamais...
Il ira à
Abu Dhabi et
trouvera du travail sur Twin Otter, petit-porteur
ravitaillant les
pétroliers !
Le même genre de vols que je faisais en Libye...
Ainsi, je
reverrais souvent
les Dessart lors de mes escales à Abu Dhabi ! Et
dix ans plus
tard à Dubai,
Gérald Dessart sera sur Airbus à Emirates
Airlines !
Gérald et Dominique
Dessart, de grands amis ! Avec eux et avec d'autres
pilotes belges,
mercenaires
de l'emploi aéronautique, Marnix Brees, Albert
Teugels, Eric
Lambelé, je
jouerai au tennis dans ce joli coin de désert en
train de
devenir un second
Singapour...
«
Gérald Dessart ! Dessart... Dessart...
Curieux, ton nom me dit quelque chose... J'y suis ! Mon professeur de
Français à Bukavu
s'appelait Dessart ! »
«
C'est mon père...»
Que
mon monde est petit !
J'avais
dans cette ville de Hong Kong, où
nos escales étaient fréquentes, on y
vivait presque
«
Qu'est-ce que je te dois ? »
Je
l'avais insulté...
«
Merci, François ! »
Gêné,
je ne pouvais que lui donner mon
amitié et la vue de ma chambre donnant sur
Causeway Bay et le
port de Hong
Kong...
Tous
ces amis se sont dispersés, car ils
sont aussi des nomades... Devenu Ambassadeur, j'ai
retrouvé
Christian à New
Delhi... J'allais lui tenir compagnie dans sa
résidence, un
véritable fort
moghul dans lequel il se sentait seul et perdu,
malgré la
chiée de serviteurs
tournant autour
Ainsi,
une ville vidée de mes amis, ne
m'intéresse plus !
De
par notre métier, nous avons la chance
de voyager et de visiter les pays et les villes du monde
entier... Mais
après
une première visite, une seconde visite et une
dernière
visite, nous avons fait
le tour de l'environnement... Nous connaissons nos
bistros, nos restos,
nos
points de chutes !
Lors
de mes escales, si mes amis sont
présents:
«
Coucou, c'est moi ! »
S'ils
ne sont pas là, autre numéro de
téléphone...
J'ai
dû leur casser les pieds, à mes amis
! Aussi, j'ai «cool down», je les contacte
moins !
Car,
en général, n'étant pas pilotes,
mes
copains travaillent pendant que moi, oiseau de nuit,
Mes
amis «bussiness-man» passent leur vie
en réunions...
«
Non, Jacques, je suis au bureau en plein
meeting ! Je ne peux pas jouer au tennis cette
après-midi, mais
une bouffe ce
soir, ça te va ? à ce soir ? »
«
A ce soir ! »
Ou:
«
Tu as de la chance, c'est aujourd'hui
dimanche, je suis à la maison ! »
Horaires
déphasés et tordus de la vie des
Pilotes de Ligne, dont la vie sociale est
imprévisible...
Week-ends, samedis,
dimanches, Noël, Nouvel An, Pâques ou
Trinité, vaut
mieux oublier ! Ces jours
fériés, nous les passons rarement en
famille, mais en
Patagonie...
«
Tu te plains, Jack ? »
«
Non ! J'explique mon métier... J'avoue
tout de même que je commence en avoir
marre...»
«
Aah ? »
«
Je commence surtout à être fatigué,
mon
vieux ! »
«
Ooh !»
Lors
de cette remarque, un de mes
copilotes chinois m'a de suite mis en garde:
«
Jack, si tu t'arrêtes, ton compte en
banque s'arrête aussi ! »
Je
sais, Chan... De toutes façons, les
mercenaires ne finissent jamais très riches, tu
sais !»
Mes
hôtels... En Asie, quand je suis à
Hong Kong ou à Taiwan, les employés sont
Chinois,
à Séoul, Coréens, à Jakarta,
Indonésiens, en Malaisie, Malaysiens, à
Manille,
Philippins, au Caire,
Egyptiens, à Casablanca, Marocains, à
Tunis, Tunisiens...
Très bien ! Couleur
locale ! En Europe, finie la couleur locale !
Mélanges, pertes
d'identité ! Je
ne parlerai pas des Etats-Unis, le «melting
pot», le
pot-pourri ! On ne sait
plus qui est qui... Quand je demande mon
petit-déjeuner au
service de chambre,
au «room-service», je m'attends en ouvrant
la porte de ma
chambre à voir à
Amsterdam ou à Copenhague, une solide grande
blonde, me
souhaitant bonjour avec
le sourire... Non ! Ainsi, à Stockholm, ce fut un
grand
nègre, à qui j'ai
ouvert la porte un matin ! «Aaaah !».
«
Pistolets, M'sieur ? »
«
Oui, des petits pains ! Spécialité de
Bruxelles...»
«
Connais pas, M'sieur...»
Bien
gentil, l'Arabe, mais... Il dénote !
A
Bombay, dans le hall de l'hôtel, où de
jolies indiennes, les mains jointes, vous accueillent en
vous disant
adorablement «Namasté»,
j'aperçois une blonde
Anglaise, jolie au demeurant,
mais blanche comme un cachet d'aspirine... J'ai failli
lui demander ce
qu'elle
pouvait bien faire là, assise au bureau
d'information ? Elle
dénote !
«
Dis donc, Jack, ne serais-tu pas un peu
sectaire ? Genre: les bleus à droite, les verts
à
«
Non, mais chacun à sa place ! Tu irais
vendre tes frites dans un quartier chinois, toi ?
»
«
Non ! »
«
Ben, alors ! »
«
Heu... Un peu raciste quand même ? »
«
Raciste ? Le qualificatif facile, à la
mode ! Mais non, mon vieux ! Tu n'as vraiment rien
compris à mon
histoire...
Comment, pendant trente ans, en étant raciste,
aurais-je pu
survivre en Libye,
au Maroc, en Algérie, en Egypte, au Maroc, en
Tunisie et en Asie
? Dis-moi ! »
«
Tu n'y étais pas à ta place non plus, tu
dénotais, comme tu dis...»
«
Ah ! Ah ! Je m'attendais à cette
remarque... Je suis bien d'accord, je dénotais !
Les visiteurs
du cockpit sont
souvent étonnés de voir un européen
aux commandes
d'un avion d'une compagnie
asiatique ou africaine ! Seulement, voici: je suis
là pour
l'unique et simple
raison qu'on a vachement besoin de moi, de nous ! Le but
final est de
nous
remplacer au plus vite... Normal, la règle du jeu
! Le jour
où c'est fini,
c'est fini, au revoir et merci ! Dois-je te rechanter ce
refrain ?
»
«
Bon... Passons à autre chose ! »
«
Pas encore ! D'abord, je tiens à
préciser que ces étrangers qui travaillent
légalement chez nous ont finalement
bien raison d'en profiter, puisque personne ne veut plus
travailler en
Europe !
Ensuite, n'est-il pas agréable d'aller manger
chinois dans le
quartier chinois,
indien chez les Indiens, savourer un couscous chez les
Maghrébins, écouter de
la musique noire dans un bar africain ? Je respecte le
travail de ces
gens, qui
nous procurent un parfum de leur couleur locale...
Chacun ses quartiers
et sans
faire de vagues ! Je n'ai jamais fait de vagues, moi !
»
«
Sans faire de vagues ! Un peu facho,
hein, Jack ? »
«
De suite, les grands mots ! Egalement,
une tendance facile et néfaste de nos jours, qui
embrouille les
idées de tout
le monde... Décidément, t'as rien
pigé ! Est-ce du
fascisme que d'aimer
l'ordre, la discipline, le respect d'autrui et des
valeurs morales ?
»
«
Non ! »
«Ben,
alors !»
«
Heu... Je continue mon histoire ? Si tu
en as marre, il faut le dire ! »
«
Continue ton histoire...»
«
Je continue...»
Je
continue en disant que l'espèce humaine
est branlée... Depuis le début des temps,
les hommes
s'écharpent ! La violence
a toujours existé... Elle va croissante, parce
que nous sommes
de plus en plus
nombreux sur cette planète ! D'autant plus
croissante que nous
avons
l'impression qu'elle est partout, la violence ! Dans les
trente
secondes, la
radio, la TV, nous annoncent tout de suite la
catastrophe, qui vient de
se
produire à l'autre bout du monde !
«
Tu as entendu la radio ? »
«
Quoi ? »
«
Praaat ! »
«
Praaat ? »
«
Oui, praaat, au lieu de proout... Le
chat, qui vient de péter de travers ! »
«
Ah, oui ! Ah, oui ! Je l'ai vue à la TV
cette pauvre bête... La CNN était
présente ! » Catastrophes
pour les médias... Ca paie ! Je n'ose plus ouvrir
un journal...
Les pages sont
tachées de sang ! J'ai l'impression que le monde
est en feu, ce
qui n'est pas
tout à fait faux... La seule page, que je lis:
les bandes
dessinées ! Garfield,
le vilain chat à catastrophes lui aussi, mais il
est amusant
Garfield et pas
bien méchant finalement !
Nous
vivons ainsi continuellement dans le
malaise ! Pour les gens du Moyen-âge, moins
rapidement avertis,
il leur
suffisait de se rendre sur la place publique pour s'en
rendre compte,
pour
prendre l'air du temps... Au gibet pendaient des corps
déchiquetés, broyés,
dépecés... Leurs têtes
piquées sur un
bâton ! Par comparaison, je trouve que
nous sommes encore assez «cool» à
notre
époque...
Les
Blancs tapent sur les Noirs, les Noirs
tapent sur les Blancs, les Arabes tapent sur les Blancs,
les Blancs
tapent sur
les Arabes, les Noirs tapent sur les Arabes, les Arabes
tapent sur les
Noirs !
Les Blancs, les Noirs et les Arabes se tapent entre eux
! Tout le monde
tape
sur les Juifs... Complexes de supériorité,
complexes
d'infériorité... Mic-mac
de la société humaine... Quel jeu ! Un
beau damier, un
beau merdier !
Il
n'empêche que chacun essaie de sauver
la face... Blancs, Noirs ou Bronzés,
sincères ou non, du
fond notre poche ou de
notre manche, par un tour de passe-passe habile, nous
sortons tous, au
bon
moment d'une conversation, qui, un petit Blanc (!), qui,
un petit Noir,
qui, un
petit Arabe ou un petit Juif:
«
Oui mais, moi, Monsieur, j'ai un ami
Noir, vous savez ! »
«Moi,
Monsieur, j'ai un ami Arabe...»
Moi,
j'ai un ami Juif... Il ne sort ni de
ma poche, ni de ma manche, mais bien droit de mon cœur
et avec
sincérité, parce
que c'est un ami véritable ! En plus, ce n'est
pas un petit
Juif, c'est un
grand juif, bien portant et sans aucun complexe, lui !
Allongé
dans ma piscine
sur un matelas pneumatique, casque pseudo-colonial en
paille sur la
tête et gin-tonic
deposé sur sa bedaine imposante, Paul Ambach nous
dit:
«
Moi, je suis un Juif, qui souffre depuis
2.000 ans ! »
J'adore
! I love it !
Qui
n'aimerait pas Paul Ambach ? Cet
Anversois, brillant organisateur de grands concerts et
musicien
surtout,
chantant du «blues-rock» à la Ray
Charles, son piano
du pauvre pendu autour de
son cou, est venu avec son orchestre à Singapour
pour faire
l'ouverture du
«Saxophone»... Et il y reviendra souvent !
à chaque
soirée, il fait mousser
l'ambiance... Les clients deviennent hystériques
! Paul aussi !
Il enlève sa
chemise... Les gens hurlent ! Sa grande finale: du haut
du bar et de
tout son
poids, il se laisse tomber dans la foule !
«
Un tabac, Jacques, un tabac ! Fabrice
doit être content...»
«
Tout le monde est content, Paul...»
En
effet, assez nouveau à Singapour...
Nous
avons des gags, Paul et moi, qui
étonnent notre entourage...
«
Jacques, dis-moi comment vole un avion !
»
«
Mais je te l'ai déjà dit et redit,
Paul...»
«
Encore une fois... Please, Jacques ! »
«
OK... Tu prends cette assiette, tu la
lances... Va-t-elle tomber par terre à la
verticale ? »
«
Non ! »
«
Pourquoi ? »
«
Parce qu'elle a une forme aérodynamique
et que la vitesse lui procure de la portance ! »
«
Comme le profil des ailes d'avion ! Tu
as bien retenu ta leçon...»
«
Moi, l'artiste, je suis émerveillé !
»
«
Et moi, Paul, je suis émerveillé par ta
musique...»
«
Et les vitesses ? »
«
Quelles vitesses ? »
«
Mais oui, tu sais bien... Au décollage:
V1, VR, V2 ! »
«
Mais je te les ai déjà expliquées,
Paul...»
«
Encore une fois... Please, Jacques ! »
«
OK... En cas de panne avant V1, on doit
arrêter le décollage ! VR est la rotation,
on tire dans le
manche pour faire
s'élever l'appareil ! »
«
Et V2 ? »
«
V2 ? Trop compliquée V2... On est en
l'air, c'est déjà pas mal... Ne t'en fais
pas pour V2 !
»
«
OK, je reprends: manettes en avant !
Vrrrrrrrr... Je lâche les freins ! Vrrrrrrrr...
Pas de
Les
gens de la table d’à-côté sont
maintenant sûrs d'une chose: leurs voisins sont
des fous ! S'ils
apprenaient
que je suis vraiment Commandant de Bord, ils ne
prendraient plus jamais
Paul
Ambach, un personnage
extraordinaire... J'aime bien Paul !
Je
reviens à mes hôtels... Nous n'avons
pas à nous tracasser, nous sommes certains
d'être
réveillés à temps ! La
standardiste:
«
Bonjour ! Ceci est votre heure de réveil
! Votre ramassage (!) dans une heure... Bon vol !
»
J'adore
ces termes français ! On nous
«ramasse» pour nous envoyer
«découcher»...
Parfois,
la demoiselle du téléphone est
remplacée par un enregistrement automatique avec
arrière-fond de musique... Il
faut le savoir ! Lors d'un de mes premiers vols au
Japon, je me
souviens avoir
répondu «Merci» ! Et la bande
enregistrée de
reprendre:
«
Bonjour ! Ceci est....»
Moi,
le macaque:
«
Merci ! Merci ! »
Et
je me laisse encore prendre
aujourd'hui... Où sont les bons vieux
téléphones
d'antan, ceux avec une
manivelle ?
«
Allô ? Mademoiselle, Allô ? Allô ?
S'il
vous plaît, passez-moi le...»
Je
croyais que l'histoire suivante ne
pouvait arriver qu'en Afrique:
«
Patron, je vous réveille pour vous dire
que vous pouvez encore dormir, le décollage est
retardé !
»
Et
bien, non ! Elle m'est arrivée au
Japon... L'opératrice:
«
Excuse me to wake you up, Captain... The
take-off is delayed... Go back to sleep ! »
Le
Japon moderne...
Comme
je me suis laissé prendre dans
l'ascenseur de cet hôtel à Osaka... Nous
sommes
arrivés, les portes
s'ouvrent... Le couple de Japonais ne sort pas ! Avec
leur corps,
Monsieur et
Madame se mettent à décrire plusieurs
angles droits ! Ils
saluent leurs amis,
qui les attendent sur le palier ! Je suis coincé
derrière
eux ! Têtes basses,
ils ne voient pas les portes de l'ascenseur, qui se
referment devant
leur nez !
« Slang ! ». Trop tard pour pousser sur le
bouton ! Nous
voilà repartis vers le
haut... L'ascenseur s'arrête ! Persuadé que
cette
fois-çi, ils ont poussé sur
le bouton « lobby », le hall, je crois que
l'on
redescend... Vraiment
silencieux ces « lifts » au Japon, on
n'entend rien, on ne
sent rien ! On se
regarde tous les trois... Pour dire quelque chose, je
lâche:
«
Very smooth, your lifts in Japan... Très
doux, vos ascenseurs au Japon... »
«
... »
En
fait, rien ne bouge ! Personne n'a
poussé sur le bouton... On se regarde et on perd
la face ! Je
pousse sur le
bouton ! On descend... Les portes s'ouvrent et je suis
le premier
dehors! Pas
difficile, le couple japonais est de nouveau plié
en deux dans
l'ascenseur...
Leurs copains sont toujours là, stoïques et
cassés
à 90 degrés, eux aussi ! Mes
Japs sont-ils remontés au trentième
étage ? Je ne
l'ai jamais su... Peut-être y
sont-ils toujours, dans leur ascenseur ?
Le
Japon moderne...
Après
la standardiste ou la bande
enregistrée, les Opérations !
«
Bonjour, Captain ! Avez-vous bien dormi
? Bien ! Voici la météo, le plan de vol,
les poids...
Bien ! Le carburant vous
suffit-il ?... Bien ! A toute à l'heure pour
votre signature !
»
En
général, j'abrège parce que de
toute
manière, nous passerons au bureau signer le plan
de vol, mais
surtout pour la
bonne raison que cet officier des OPS tombe toujours au
mauvais
moment... Je
suis sous ma douche et le téléphone de la
salle de bain
est tout aussi mouillé
que moi !
Tout
en revêtant mon habit de lumière, je
ne prie pas la Vierge, mais je repense à ce
briefing...
Décollage lourd,
température élevée, piste
mouillée ! Je
révise mentalement les procédures... En
cas de panne dans ces conditions limites, je me remets
en tête
des actions, que
l'on fait souvent au simulateur, mais peu en
réalité...
(heureusement !).
Procédures vitales, auxquelles je repenserai
encore toute
à l'heure en
m'alignant sur la piste... Malgré les
années d'habitude,
moi, le candide, je
serai toujours émerveillé par ces
décollages de
poids et je serai même toujours
surpris d'arracher si facilement du sol cette masse
énorme !
Lorsqu'il
n'y a rien eu de particulier
dans le briefing des OPS, je ne pense à rien,
j'essaie de me
réveiller !
Automatismes...
Nous avons des gestes dans
le cockpit, qui sont devenus eux aussi des habitudes !
Pour telle ou
telle
manœuvre, la main s'avance automatiquement vers le
bouton
approprié... La
check-list est là pour vérifier si nos
doigts ont bien
exécuté l'action voulue
! Mais après un mois de vacances, ces
automatismes commencent
déjà à se
rouiller, un peu oubliés au fond de notre
mémoire... Nous
devons alors « penser
» avant de faire le bon geste... Pour cette
raison, si un pilote
n'a pas volé
durant une période de plus de 28 jours,
obligatoirement, on le
balance dans «
la boite », le simulateur pour une séance
de
rafraîchissement du corps et de
l'esprit... Sans son habit de lumière !
Habit
de lumière, habit de lumière... Un
jour, pour ne pas rater mon train, je ne me change pas,
je reste en
uniforme !
Dans la gare de Lyon à Paris, un type se
précipite sur
moi !
«
Monsieur, pouvez-vous m'indiquer la voie
No 4 ? »
«
??? »
Dans
le train, un autre zigoto:
«
Monsieur le Contrôleur, voici mon
billet, je... »
«
??? »
Sur
le pas d'un grand hôtel, j'attends
avec mon équipage le transport pour
l'aéroport... Je me
tiens juste devant
l'entrée... Un client descend d'un taxi et me
montre ses bagages
!
«
Portier ! Pouvez-vous vous occuper de
mes valises ? »
«
??? »
Habit
de lumière...
C'est
sur ce vol d'Osaka que j'ai eu un
coup, « un kick dans le rudder » de mon
Boeing 707... Le
jet-stream nous
soufflant dans le cul à plus de 300
kilomètres à
l'heure, il était temps de
descendre ! Autorisation de descente:
«
Standby ! »
Le
vent nous pousse... Nous implorons:
«
Standby ! »
A
ce train d'enfer, nous allons dépasser
notre destination, ma parole... Nous supplions:
«
Standby ! »
Puis
tout d'un coup, l'air de nous accuser
de ne pas avoir demandé la descente plus
tôt, comme si
nous l'avions oubliée,
c'est le comble, le contrôleur:
«
Descend NAOW ! Descendez IMMEDIATEMENT !
»
Réacteurs
réduits ! Aérofreins tout sortis
! Vitesse max ! Le gouvernail de direction fait
Un
passager, que je retrouve aux bagages:
«
Votre descente... En piqué, hein ? »
«
Fallait bien descendre un jour,
Monsieur... »
Le
lendemain dans mon ascenseur,
descendant et remontant avec mes deux Japonais, j'ai eu
une
pensée pour cette
descente rapide... Décidément, il m'est
difficile de
mettre les pieds sur le
sol du Japon !
Je
trouve dans ma « pigeon box », ma boite
personnelle aux Opérations, un mot du
Chef-Pilote... Aïe !
De quoi s'agit-il ?
J'ouvre...
«
J'ai le plaisir de vous annoncer que vous
passez instructeur ! Le cours commence le...
Félicitations !
»
Merci,
mais ce n'est pas ma « cup of tea
»... Sans doute, ont-ils lu quelque part dans mon
dossier que
j'ai donné de
l'instruction dans le temps sur F27... Je sais que
l'instruction
demande de
longs séjours dans le simulateur et que lors des
vols en ligne,
l'instructeur
n'est plus très souvent dans son siège de
gauche, mais
bien dans celui de
droite ou alors, il est assis bêtement dans celui
de
l'observateur... Le fait
de ne pas accepter cette position aurait probablement
retardé ou
ruiné ma
carrière... J'accepte, bien entendu !
J'ai
connu beaucoup d'instructeurs... Des
très bons, de moins bons, et parfois,
hélas, de
mauvais... Mauvais, parce que
ces messieurs, une fois nommés « training
captain »,
se sont gonflés à en
éclater telle la grenouille voulant devenir
bœuf...
Hélas, n'ayant pas éclatés,
ils sont devenus bœufs ! Ils furent aveuglés par
je ne sais
quelle obsession de
supériorité... Ils sont en
général
excellents pilotes, connaissent à fond leur
avion, mais leur manière d'enseigner est
dès lors
dépourvue de toute
psychologie... Dommage, ils gueulent, ils engueulent,
ils
écharpent !
Je
suis heureux d'être sorti vivant de
certaines séances et assez fier que ce genre
d'instructeur
difficile m'ait dit
en fin de combat:
«
Ce n'est pas si mal... »
Echappé
de leurs griffes toutes
ensanglantées, je crois avoir trouvé la
parade à
ce regain de suprématie
négative... Je dis alors à cette
espèce
d'éducateurs:
«
Nom di Diou de Nom di Diou ! Comment,
mais comment, ai-je pu voler jusqu'à
présent sans votre
enseignement
merveilleux ? Merci ! »
Ce
n'est plus un bœuf que j'ai devant moi,
mais un énorme ballon, une baudruche de
fierté, peau
tendue, sanguine, rouge
vermeil... Va-t-il éclater pour que je m'en
débarrasse
Instructeur,
je n'ai pas éclaté, parce que
ce n'est pas dans ma nature de me gonfler comme
ça !
Finalement,
j'ai apprécié ce travail, que
je fis durant une année... J'ai beaucoup appris
en
opérations en observant le
vol des autres pilotes. J'ai pu moi-même corriger
mes propres
erreurs... Mais
j'ai découvert aussi un autre aspect de
l'aviation... Certains
pilotes trichent
! J'ai appris ainsi qu'un des pilotes, que je «
lâchais
» sur l'Europe, car à
l'époque, tous les pilotes devaient être
«
176 miles ? Et nous sommes à 35.000
pieds ! En plus, il faut nous positionner en vent
«
Avec ma calculatrice... »
« ?!?...
Quelle vitesse de descente vas-tu
prendre ? »
«
250 nœuds... »
«
Tu ne pourrais pas aller plus vite ? 320
? »
«
Non ! Non ! »
«
Pourquoi ? »
Il
avoue:
«
J'ai peur de perdre ma queue.... »
«
?!?! »
«
De vieux 707 ont ainsi perdu leur queue
! »
«
Nos 707 ne sont pas si vieux ! Vitesse
de descente: 320 nœuds ! OK ? C'est la règle !
»
«
Bon... »
A
Zurich, nous avons dû remettre les
gaz...
Mon
rapport fut simple et net:
«
Inlâchable ! »
Il
ne fut jamais lâché... Ce n'est pas
à
57 ans que l'on apprend à voler... 57 ? On
découvre que
ce pilote américain,
avait ajouté dix ans à sa vie et à
sa licence pour
refaire un tour dans le
ciel... Le pauvre vieux... Cela peut se comprendre, mais
pas acceptable
!
Mais
ils ne sont pas tous vieux, les
tricheurs, au contraire... Je me suis toujours
demandé comment
certains
aviateurs, sans scrupule aucun, peuvent ainsi tricher
dans leur
curriculum
vitae... Le monde des aviateurs étant un monde si
petit, comment
peuvent-ils
vivre continuellement dans l'anxiété de se
faire
reconnaître par un ancien
collègue ou de se faire, après
enquête, tout
simplement pincer ? Il faut avoir
du cran... Du cran, que je n'admire pas ! J'ai connu et
je connais
encore
aujourd'hui des pilotes, qui sont passés, je ne
sais comment,
à travers les
nombreuses mailles des filets de l'Inquisition... En
attendant qu'on
les
déniche, je crois que la meilleure punition pour
cette
espèce dangereuse de
faussaires, malhonnêtes à notre
corporation, est de les
laisser mijoter dans
cet enfer de frousse permanente, qui est de se faire
découvrir !
Un
qui fut vite lâché est Don Exley...
Ancien pilote de chasse de Royal Air Force ! Pas en 14,
ni en 40...
Pendant son
engagement militaire quand il avait 20 ans !
Anecdote,
qui n'a rien à voir avec son
entraînement, si ce n'est l'entraînement au
froid:
Yone,
la femme de notre grand ami Jean
Claude Armani, ancienne hôtesse Alitalia,
apprenant que j'allais
à Stockholm,
me conseille d'aller faire un tour au « Black Cat
», une
boite assez
spéciale... Atterrissage, hôtel, douche et
direction le
« Chat Noir » !
Mon
équipage:
«
Dis donc, Jack... T'es fou ! Température
extérieure: moins 27 degrés ! »
«
Ca ne fait rien, je vous promets du
plaisir ! »
«
T'es vraiment fou ! »
«
Taxi ! »
C'est
la nuit... Nous avons oublié qu'il
fait noir depuis bien longtemps dans ce pays... Bien
qu'il soit huit
heures du
soir, nous, on croit que c'est minuit ! Le chauffeur
connaît le
«
Merde ! L'établissement est fermé !
C'est trop tôt ! »
Alors,
la peau craquelante, les oreilles
et le nez, en blocs de glace, nous courrons dans la
rue... Nous
cherchons un
refuge !
«
Là ! »
Le
seul établissement ouvert... Un
ciné-porno ! Là-dedans, au moins, il fait
chaud... On se
réchauffe !
«
Taxi ! »
Hôtel,
bains chauds ! Niam-niam, glou-glou,
dodo ! Gla-gla...
Au
retour à Singapour, Yone:
«
T'as vu de beaux petits culs au Chat
Noir, hein, Jacques ? »
Qu'on
ne parle plus jamais de chattes !
Le
lendemain, notre cargo 707 étant aussi
gelé que nous la veille, il nous a fallu attendre
d'être
à la verticale
d'Istanbul pour enfin retrouver une personnalité
normale de
pilote... Petit à
petit, au fur et à mesure que l'avion se
réchauffait,
nous avions enlevé notre
casquette, nos gants, notre écharpe, notre
manteau, notre veste,
nos pulls...
Don:
«
Un vol strip-tease, Jack ! Ca ne valait
pas la peine d'aller au Black Cat... »
«
Tais-toi et vole ! »
Don
Exley... Il y a plus de quinze ans de
cela, nous sommes en 1993 ! Don n'est donc pas mort de
froid, puisqu'il
termine
sa carrière dans un mois... Une belle
carrière !
Ainsi,
nous avions décollé de Scandinavie
par MOINS 27 degrés pour atterrir dans le Golf
Persique,
où la température
était de PLUS 27 ! 54 degrés de
différence ! Le
corps des pilotes encaissent,
nous ne sommes pas aux PT...
«
Jack ! »
«
J'ai rien dit, j'ai rien dit ! »
Ce
que j'ai le plus apprécié lors de mon
passage comme instructeur est le training donné
aux pilotes
venant de l'Air
Force... Surtout, les tours de pistes visuels, les
« touch and go
», on touche
le sol, on remet de suite les gaz et on recommence, sur
l'aéroport militaire de
Tenga, qu'ils connaissaient bien. Ils venaient de
quitter le Hunter,
que cette
Force Aérienne possédait encore à
l'époque
! Nous étions donc « sur le même
chanel», la même longueur d'ondes... Je me
revoyais en eux
! Je n'avais pas
besoin de leur demander de serrer un peu plus leur
circuit, ils me le
demandaient... On se serait cru à « La
Chasse Bordel
» !
«
N'oublie pas quand même pas que ceci est
un Boeing 707... »
Les
anciens de l'Air Force... Ca se sent
tout de suite !
Jean
Bosmans et Etienne Fallon, après la
Tunisie sont partis voler pour la Royal Air Maroc... De
Casablanca, ils
m'écrivent chacun de leur coté:
«
Hello, Jack, comment ça va en Asie ? Ici,
ça va, mais
à tout hasard,
pourrais-tu envoyer quelques précisions sur ton
job à
Singapore Airlines ? »
J'ai compris, je réponds:
«
Venez ! Ticket, brosse à dent et
licences ! »
C'est
ainsi que Jean et Etienne viendront
travailler à Singapour... Pelle compris, nous
serons alors
quatre Belges à SIA,
quatre anciens de la Force Aérienne !
Eddy
Wan n'est pas un ancien de l'Air
Force et comme la plupart des copilotes locaux, est
entré jeune
dans la compagnie,
ira de promotion en promotion, y passera sa vie, prendra
la place de
gauche,
deviendra instructeur... Il est aujourd'hui Commandant
de Bord 747-400
! Très
bien ! En 1978, il est mon copilote sur 707 et est
devenu mon ami, tout
comme
F. H. Yap, avec qui j'ai « raboté »
l'Asie, le
Pacifique et l'Europe... A 4
heures du matin, nous sommes dans le hall de
l'hôtel Sheraton
à Dubai, où à la
réception nous attendons que l'on nous distribue
nos chambres...
Eddy est
étonné de voir rentrer un équipage
assez
délabré... La fatigue gravée sur le
visage, les pilotes ont une barbe de deux jours, leur
chemise et
surtout celle
du mécano remplie de taches d'huile... Ils ne
marchent pas vers
la réception,
ils rampent! Ils demandent à l'employé
s'il y a encore
trois chambres de
disponible...
«
Non ! L'hôtel est complet ! »
Les
yeux remplis de sommeil et
d'imploration, ils se tournent alors vers Yves, le
« Directeur de nuit »,
un Français, que je connais bien et qui les
toise:
«
Vraiment pas de... »
«
Non ! L'hôtel est complet ! »
Courbés
au raz du sol, ils repartent
misérables, traînant leurs valises et leurs
peines
à la recherche d'un gîte...
Eddy
me demande:
«
Qu'est ce que c'est que ça, Jack ? »
«
Ca, c'est le charter, mon vieux !
L'équipage de l'avion cargo, qui nous suivait en
approche... La
Pélican Airways
! »
«
La Pélican Airways ! Hi ! Hi ! Hi ! »
«
Faut pas rire, Eddy... Le charter, tu
n'as pas connu cela, toi ? »
«
Non... Heureusement ! »
«
Dommage, Eddy... »
Je
n'ose plus tellement leur raconter ma
vie et mes aventures aéronautiques à ces
jeunes
Singapouriens... Ils finiraient
par se poser des questions sur ce Captain
expatrié, que je suis
!
«
Hélas, Jack, je n'ai pas connu cette vie
excitante... Je vais passer le reste de ma vie à
pianoter un
computer ! »
Triste...
La voie royale ? Je préfère la
mienne: la route de campagne, les chemins de traverse !
Encore
plus triste quand je pose la
question:
«
Aimes-tu voler ? Comment trouves-tu ce
job ? »et que je reçois une réponse
comme celle-ci:
«
Bof... Je suis rentré à l'aviation par
le truchement des petites annonces, on demandait des
pilotes, j'ai
répondu,
j'ai été accepté, j'ai
réussi... Bof, un
job comme un autre... »
Scié,
je suis ! Alors, mon courage à moi,
est de ne pas débarquer ce copilote à la
prochaine escale
! Heureusement, cette
race n'est pas trop courante, sinon, mon mécano
et moi, on se
retrouverait
souvent bien seuls dans le cockpit...
Voici
une lettre authentique, écrite par
un gamin (heureusement !), à qui on avait
demandé ce
qu'il voulait faire de sa
vie... Lettre qui m'a également
scié
!
«
Quand je serai grand, je veux devenir un
pilote parce que c'est un job merveilleux et facile
à faire.
C'est pour cette
raison qu'il y a tellement de pilotes de ligne dans le
monde.
Les
pilotes n'ont pas besoin de trop de
diplômes. Il leur suffit d'apprendre à
compter, ainsi ils
peuvent lire leurs
instruments. Je crois qu'il doivent aussi pouvoir lire
une carte.
Les
pilotes doivent être braves pour ne
pas avoir peur dans le brouillard ou quand une aile ou
un moteur vient
à
tomber.
Les
pilotes doivent avoir une bonne vue
pour voir à travers les nuages et je crois aussi
qu'ils ne
doivent pas avoir la
frousse du tonnerre ou des éclairs puisqu'ils
sont plus
près d'eux que nous.
Le
salaire des pilotes est une chose que
j'aime. Ils reçoivent tellement d'argent qu'ils
ne savent pas
quoi en faire.
C'est la raison peur laquelle les gens pensent que voler
un avion est
dangereux, exceptés les pilotes, qui savent
combien c'est facile.
J'espère
que je n'aurai pas le mal de
l'air et si j'ai le mal de l'air, je ne pourrai jamais
devenir un
pilote et
alors je devrai travailler. »
Nom
di Diou ! Bonne chance, mon petit
gars...
Histoires
du « born loser », celui
voudrait bien, mais qui ne peut pas, parce que c'est
comme ça,
parce que c'est
inscrit dans son tracé de vie... Il est
déjà
perdant avant de commencer !
*
Le soir, à la sortie du bureau, le born
loser emprunte le pas à son patron... Il le suit
comme un petit
mouton, engoncé
dans sa veste, penché éternellement vers
la terre, sa
casquette enfoncée sur sa
tête... Son patron n'est pas un loser, non !
Fière
prestance, chapeau melon,
manteau de fine laine, col en fourrure, écharpe
en cachemire
blanc... Le born
loser, pour une fois, soulève ses yeux:
«
Oh ! » s'exclame-t-il, « la première
étoile ! J'ai vu la première étoile
du soir ! Elle
scintille dans le ciel ! Il
faut faire un vœu ! Je fais un vœu ! »
Et
de dire à son patron:
«
Je voudrais une augmentation ! »
Le
boss, entre deux bouffées de son cigare
et sans se retourner:
«
Oubliez, mon vieux, ce n'est pas une
étoile, c'est un 747 ! »
Le
rêve, la consécration finale pour tout
pilote de ligne est de voler un jour un Boeing 747!
*
Ce pilote n'a pas de chance... Il arrive
trop tard dans sa carrière... Il est trop
âgé pour
être sélectionné au cours
747 ! Désespéré, il va trouver
Madame Irma, sa
voyante habituelle...
«
Encore vous ! Que voulez-vous savoir
cette fois-çi ? »
«
Si après ma mort, je pouvais voler un
747... »
«
?!?! »
«
Je veux savoir si dans l'au-delà, il y a
des 747... »
Après
tout, se dit Madame Irma, je gagne
bien ma vie avec ce nigaud...
«
Attendez, Monsieur, je vais consulter ma
boule de cristal... »
Madame
Irma jette un œil dans sa
boule... (!)... «
Voilà ! »
«
Quoi ? Quoi ? Dites-moi vite ! »
«
Monsieur, j'ai de bonnes nouvelles et de
mauvaises nouvelles... »
«
Ah ? Dites-moi les bonnes d'abord ! »
«
Et bien, mon cher Monsieur, vous êtes un
veinard, vous ! »
«
Quoi ? Quoi ? »
«
En effet, dans le ciel de l'au-delà, je
vois des 747... J'en vois même beaucoup ! Je crois
donc qu'il
vous sera
possible de les voler un jour... Après votre
décès
! »
«
Ah ça alors ! Pour une fois, c'est vrai,
j'ai de la chance... Heu... Madame Irma, quelle est la
mauvaise
nouvelle ? »
«
Votre entraînement commence demain matin
! »
Le
born loser...
Sans
mourir et sans le savoir, mon
entraînement à moi, sur 747, est proche...
Vol
sur Tokyo en 1979, cinq jours d'escale
! Michèle m'accompagne toujours pour ce genre de
courrier...
Problème de
communication, vite réglé à la
manière
japonaise: au restaurant, on montre du
doigt les photos ou les formes en plastic
représentant les plats
à déguster
(!), à l'agence de voyage, nous désignons
les images des
tours disponibles...
Nous visitons ! Tokyo et ses alentours, le Fujihama...
« Bullet
train », le TGV
japonais nous emmène à Naha... Visites des
temples ! Dans
l'un d'eux, je tire «
les bâtonnets »... Je tire le bon, puisque
mon bout de bois
me renvoie à la
traduction en anglais de ma « grande et bonne
fortune » !
J'ai conservé
précieusement ce document... Bref, tout va
très bien pour
moi ! Je peux même
m'attendre à une promotion !
Nous
rentrons à Singapour... Dans ma «
pigeon box », un mot du Captain McCully, mon
patron de
l'entraînement !
«
Aïe ! »
J'ouvre...
«
Vous quittez votre position
d'instructeur... »
J'ai
un choc ! Qu'ai-je fait ? A part,
lors de ce check, que je fais passer, atterrissage sur
deux
réacteurs, ces huit
pneus qu'a fait dégonfler un pilote en appuyant
un peu trop sur
les freins !
Trop tard, je n'ai pas pu reprendre...
«
Vous passer sur 747 ! Le cours commence
en Avril 1979... Félicitations ! »
Je
rêve souvent que je vole... Dans mon
rêve, je prends mon élan et je m'envole,
les bras en ailes
! Une sensation de
rêve... En lisant cette lettre de promotion, je
crois que j'ai
éprouvé cette
même jouissance avec en plus, une musique de
grandes orgues ! Mon
conte de fées
se réalisait enfin ! Je volais, je jure que je
volais...
Le
Commandant Ken Toft, toujours élégant avec
son nœud papillon, nous donne le premier briefing:
«
Vous avez de la chance, les gars, vous
arrivez à pic... Vous allez voler non seulement
le Boeing
747-100, le 200, mais
aussi le 300, le « Big Top », qui arrive
bientôt !
»
Allez,
tant mieux ! Nous ne sommes pas
perdants, nous ne sommes pas des losers...
Recommence
alors tout le programme
habituel:
1/.
Cours au sol d'un mois, au cours duquel je commence,
sous la
lumière des néons,
à avoir des difficultés ont lire les
graphiques des
performances...
A
Londres, avec Paul Dardenne, nous avons
les bras qui s'allongent, qui s'allongent... Sous ce
réverbère du coté de
Trafalgar Square, nous essayons, mais en vain, de lire
le plan de la
ville ! Un
« Bobby », un gentil policier, nous fait une
lecture de
carte... Sauvés, on
retrouve le chemin de l'hôtel !
«
Il faut faire quekchose... » dit le
Pelle.
Ce
« quekchose », c'est Maryvonne Perez,
ancienne copine de Tripoli, de passage à
Singapour, qui me fait
retrouver une
vision normale... Lors d'un repas chinois, elle me
fourre sur les yeux
les
lorgnons de René, son mari... J'aperçois
mieux mes
nouilles !
«
Tes quoi ?, Jack ! »
«
Mes nouilles ! Mes nouilles chinoises
dans mon assiette ! Dis donc, moi, si ma vue a
baissé, toi, tu
as les
portugaises complètement ensablées... Tu
ne passeras
jamais ton audiogramme ! »
Bref,
Maryvonne s'écrie:
«
Po ! Po ! Po ! Jacques découvre la vue,
dis ! »
Premières
lunettes !
Pour
la réussite de ce cours, avec Gerry
Sirley, Anglais né au Kenya, Dick Trull,
Américain, tous
deux aussi
instructeurs avec moi, organisons une grande bouffe au
bord de la
piscine de
mon « condo »... La bière coule...
Dick Trull est
jeune, il a 34 ans, Gerry,
avec qui je reparle le Swahéli, un peu plus,
moi... A la fin du
repas, on fout
tout le monde à la baille ! Sauf les Califes, que
nous avons
invités... Maurice
de Vaz, qui est à présent notre
Chef-Pilote, McCully,
Chef-Pilote
entraînement-traning, Choon Choy, Chef-Pilote 707,
Mohan Singh,
Doodley
Leiscester et les autres Chefs ! Faudrait pas noyer
notre avenir...
Je
me dois de parler de Gerry Sirley...
Une figure ! Tout d'abord, un excellent
opérateur... Hors pair !
Un sens de
l'air, qui lui coule naturellement dans les veines, fait
de lui un
aviateur né
!
Mais
Gerry a un caractère particulier...
Il lui arrive toujours des « bricoles »...
Ainsi, croyant
bien faire pour ce
long vol à « équipage
augmenté »,
qu'il va effectuer qu'en tant que Commandant
en second, il ne veut pas appeler le « standby
», «
la réserve » à Honolulu, où
il s'est tordu la cheville le matin en faisant son
« jogging
»... Il arrive
avec des béquilles et en uniforme à
l'aéroport !
Lors
d'un autre vol en double équipage
également, c'est au tour de Gerry d'aller dormir
dans
«
Sir, excusez-moi, mais vous êtes ici
dans la première classe... Je... Heu... J'ai
l'impression de
vous avoir déjà vu
quelque part... Où est votre siège en
classe
économique ? »
Gerry
hurle et réveille tout ce petit
monde douillet de la « fisrt class »:
«
Mon siège ? Il est là-bas, en haut,
à
gauche dans le cockpit ! JE SUIS VOTRE COMMANDANT DE
BORD ! »
Gerry
Sirley me racontera plus tard une
autre histoire inimaginable... Une aventure incroyable,
mais vraie, qui
ne
pouvait arriver qu'a lui seul ! J'abrège, car son
récit
dura des heures... Et
puis, vous n'allez pas y croire ! Grâce à
ses dispositions
naturelles
d'aviateur, Gerry a repris les commandes d'un avion,
qu'il ne
connaissait pas
et dans lequel il n'était que passager ! Pourquoi
a-t-il repris
les commandes ?
Parce que le pilote fut éjecté de cet
avion en vol ! Il
voulait vérifier la
fermeture de l'unique porte, mal fermée au sol
sans doute, de ce
petit
appareil... Gerry a ramené l'avion à bon
port ! Finale de
cette aventure
aérienne peu commune: le pilote, accroché
par son pied
à la chaîne de la porte,
pendait à l'avion... Gelé, mais vivant !
Mon
copain Gerry Sirley... Un phénomène !
2/.
Simulateur ! Ca y est, ça recommence aussi !
Pannes ! Feux !
Feux ! Pannes !
Train, volets, qui ne veulent pas sortir ! Check-lists !
Check-lists !
Remise
de gaz en veux-tu en voilà pendant une dizaine de
séances, qui s'étalent sur un
autre mois... Mon instructeur n'est pas un facile...
David Leong ! Mais
ça
ira... Je lui apprends quelques mots de français
! « Un
petit cul, David ! Un
petit cul ! Pas un petit cou... »
Ceci,
bien-entendu, après avoir réussi le
« final check », le contrôle final au
simulateur et
lors de l'entraînement en
ligne...
3/.
Circuits sur la machine ! Nom di Diou, une grosse
machine ! Surtout
à
l'atterrissage... On est haut !
«
L'arrondi ! L'arrondi ! Tire sur le
manche ! »
«
Déjà ? »
«
Oui ! »
Plaff
!
Sacrée
bête, ce jumbo...
Un
qui n'est pas une bête, mais un
monsieur fin et distingué, le Commandant Teh,
senior-instructeur, qui me fait
passer le check en vol... Il me dit:
«
C'est bien, Monsieur Siroux ! »
«
Vous parlez le français ? »
«
Un peu... Je l'étudie... Je sais le lire
en tout cas ! »
Ce
gentleman chinois parle français ! Pas
étonnant qu'il ait de la classe, H.H. Teh... Nous
deviendrons
bons copains et
plus tard, lors de rencontres dans les escales, nous
jouerons au
4/.
Entraînement en ligne ! Selon la
disponibilité des avions
et des instructeurs,
encore quelques mois... Je me souviens de: « Bonne
rotation
!», me dit mon
instructeur, Derrick Dasilva, lors de mon premier vol en
ligne... Ce
qui fut
moins bien, mais ce n'est pas de ma faute, c'est l'aigle
que j'ai
tué en final
au retour de Singapour... Ce bel oiseau est venu
s'écraser sur
la roue de nez !
Chaque
fois que je rencontre Derrick, je
ne peux m'empêcher de lui rappeler cette tuerie...
Quinze ans
après:
«
J'ai gardé une de ses plumes, Jack... En
souvenir ! »
Mauvais
souvenir... Ce bel oiseau !
Je
suis lâché « solo » en octobre,
j'ai
donc 44 ans ! Sept mois en tout pour la qualification
Comme
disent les méchantes langues, les
jaloux, les imbéciles:
«
Cher pour conduire un autobus ! »
A
quoi je réponds:
«
Pauvres cons ! »
44
ans... Enfin, mon 747 ! Je pense alors
à certains Singapouriens, comme Peter Leo, par
exemple, qui
devint Commandant
de Bord 747 bien en dessous des 30 ans ! Bravo ! A
l'époque, ces
jeunes pilotes
eurent la chance d'être « là »,
au bon moment,
parce qu'ils avaient
l'expérience voulue et des rapports de vol
« above average
», bien au-dessus de
la moyenne... Les
Les
loyers doublent ! Je n'attends pas
qu'ils triplent et quadruplent, ce qu'ils feront, pour
embarquer ma
petite
famille dans le Nord de l'île... A Sembawang !
Wellington Road...
Wellington...
Comme par un fait exprès, je vais rencontrer ce
grand
Général anglais un peu
partout dans l'ancien «Empire britannique» !
Wellington
Street, Wellington
Square, la statue de Wellington à cheval dans les
parcs, la
ville de
Wellington, capital de la Nlle Zéelande, le
saviez-vous ?...
Wellington,
Wellington, Wellington ! M'énerve un peu cet
Anglais, vainqueur
de Waterloo...
On le sait, OK ? Bref, c'est comme ça, je suis
bien
obligé de coucher avec le
général, puisque nous logerons dans sa rue
pendant quatre
ans...
Nous
habitons dans l'ancienne base de la
Royal Navy, anglaise off course ! Ancienne maison du
type colonial...
Je me
retrouve un peu au Congo ! En guise de fenêtres,
des nattes... Il
n'est donc
pas question d'air conditionné ! Nous n'avons pas
l'air con dans
ce bungalow...
La télévision belge est même venue
nous filmer ! La
fille de mes amis Putsage,
à qui je vais un jour rendre visite lors d'un de
mes passages
à Bruxelles, me
reconnaît de suite !
«
Oh ! Le monsieur sans fenêtres ! »
Elle
avait vu l'émission sur Singapour et
appelée « D'autres Belges» (!)...
Populaire !
Des
ventilateurs au plafond... Le luxe,
les ventilateurs ! Nous n'en avions pas à
Bafwasende, puisqu'il
n'y avait pas
d'électricité !
Je
vis torse nu, un « sarong», sorte de
pagne, de paréo, serré autour des reins,
j'ai des
scandales aux pieds...
Le
jardin ? De la brousse ! Bref, je
redeviens macaque !
Entre
deux arbres, un hamac... Dans ce
hamac, ma femme, un livre à la main, le chat sur
sa poitrine,
les chiens
couchés à ses pieds... Heureux pour elle,
j'ai eu le
malheur de lui dire:
«
Tu as vraiment le cul dans le beurre...
Un vrai parasite ! »
Plus
tard, elle me reprochera cette
remarque, malheureuse paraît-il... Je n'ai pas
compris !
Et
comme mes émoluments ont augmenté, je
change de voiture ! Je fais toujours dans les
Japonaises, les petites
Japonaises d'occasion... Toyota-Corolla remplacée
par
Daihatsu-Charade, que
j'ai toujours ! Un ami, mais est-ce un ami, a
traité ma bagnole
de « sac à dos
» ! Les voitures sont très chères
à
Singapour... Deux à trois fois les prix
d'Europe ! Vu le peu de superficie, le gouvernement
essaie de limiter
le nombre
de véhicules... Il tente aussi de
décourager
l'automobiliste à circuler au
centre de la ville en lui faisant payer une taxe pour
pénétrer au centre de la
ville pendant les heures de pointe... Dans les premiers
jours de notre
arrivée
à Singapour, Michèle, pour conduire
Valérie
à l'Ecole française, ignorait ce
règlement, elle rentrait et sortait
allègrement de cette
« Restricted Zone «...
» Moi, je payais les amendes ! Efficace,
Singapour... Efficace
aussi la lampe,
qui s'allume automatiquement sur le toit des camions et
camionnettes
au-dessus
de 50 Km/h... La police verbalise ainsi aisément
! Je me demande
ce que font
les propriétaires de Ferrari (il y en a pas mal
!)... Ils
doivent probablement
passer leur vie en première vitesse... La vitesse
maximum
étant limitée à 50
Km/h et à 80 sur autoroutes !
Dès
notre installation, notre voisine
vient se présenter... Elle est gentille, la
voisine... Elle sait
ce qu'elle
fait !
«
Si vous avez besoin de quelque chose,
n'hésitez pas... Ah, à propos, ma chienne
vient d'avoir
ses petits... Venez les
voir, ils sont mignons, mignons ! Je les vends avec
pedigree et tout et
Michèle
a toujours rêvé d'avoir des
chiens... Quant à Valérie, non seulement
des chiens, mais
des chats, des
lapins, des poissons rouges, des tortues... Nous
voilà donc en
possession de
deux chiens, d'un chat, ramassé au marché
et donc sans
pedigree, lui, d'un
lapin et d'un aquarium, plein de poissons multicolores
et de tortues en
miniature !
Mignons,
mignons, les petits chiens,
deviendront grands les petits chiens... Plus ils
grandiront, plus le
chat
deviendra neurasthénique ! Epuisé de leur
griffer le
museau, il en mourra, le
pauvre Farrer... Des amours pourtant, ce couple de
chiots... Des
Bergers
allemands! La femelle: Semba ! Le mâle: Wang !
Semba et Wang !
Original,
Sembawang !
«
Et Sembawang ? »
«
De quoi tu parles ? De nos chiens ou de
notre quartier ? »
Je
voudrais ici parler non d'un chien (!),
mais d'un chat, qui m'était très cher au
Congo, un vrai
tigre... D'où son nom:
Tigré, fils de Poussinnette ! Chasseur de premier
ordre, il
ramenait des rats,
des oiseaux, aussi énormes que lui... Pour son
frère
Noirou ! Car Noirou était
aveugle... Lors de ces retours de chasse, Tigre ne
faisait pas des
ronrons...
Il avait un feulement qui glaçait toute la maison
! Même
Raf, ce méchant chien,
que Tigré avait d'ailleurs remis vite en place
par un solide
coup de patte, en
restait pétrifié ! Je m'en souviens, une
après-midi: rugissements bizarres de
Tigré ! Nous allons voir... Tigré tient
dans sa gueule la
tête d'un serpent à
moitié vivant ! Enroulé autour de son
corps, le serpent
essaie d'étouffer mon
chat... Avec l'aide de Modeste, je le libère...
«
Ca vous intéresse, oui ou non,
l'histoire de mon tigre ? »
«
Si, si, Jack ! Si, si... Nous... »
«
Sinon, il faut le dire, hein ! »
Pour
une soirée, il est difficile
d'inviter en même temps tous vos amis pilotes de
ligne pour la
bonne raison
qu'ils sont tous dispersés aux quatre coins de la
terre, dans
tous les
azimuts... Quand un est là, l'autre n'est pas
là !
«
Et lui ? »
«
Lui ? Il est là ! »
«
Il est là ? Alors, on fait une bouffe !
»
Guy
Robbe, Président de l'Association
belgo-luxembourgeoise à Singapour, connaît
aussi ce
problème, vu que la plupart
des membres sont des hommes d'affaires, qui voyagent
presque autant que
nous
les pilotes... Il a donc des difficultés de
réunir tout
son petit monde, Guy !
Homme généreux de nature, il ne regarde
pas à la
dépense et donne de belles
soirées ! En fait, Guy Robbe, durant tout son
séjour de
dix ans à Singapour, a
été plus l'Ambassadeur des Belges à
l'étranger que les Ambassadeurs de
Belgique, qui ont défilé pendant cette
décennie...
Guy
avait organisé pour l'Association une
journée sur une jonque chinoise... Pas n'importe
quel rafiot !
Une jonque
construite à Canton par des jeunes
Français... Ils
avaient décidé, ces amoureux
des mers, de ramener à Paris, au pied de la Tour
Eiffel, ce
magnifique bateau !
Par la Mer de Chine, l'Océan Indien, le Cap de
Bonne
Espérance, l'Atlantique et
la Méditerranée, ils y sont arrivés
! Il leur a
fallu quelques années et de
nombreux avatars, mais ils l'ont fait ! Chapeau !
Bien
que sponsorisés par une grosse boite
de pétrole, ces jeunes marins courageux se
faisaient un peu
d'argent de poche
en « charterisant » leur jonque aux
escales... A celle de
Singapour, Guy leur
loue la jonque pour une ballade dans les îles...
Il demande une
participation
minime aux membres de l'Association pour cette occasion
assez
exceptionnelle...
Certains trouveront le prix de cette journée trop
élevé ! D'autres, faisant
semblant de rien en quittant le navire en fin
d'excursion, ne
régleront pas les
boissons, qu'ils avaient bues et cependant inscrites au
tableau juste
au-dessus
du bac à glaces, rempli de bouteilles de
bière ou de
limonade ! Il a fallu leur
courir après... Pour moi, ces gens-là sont
des... des...
«
Quoi, Jack ? »
«
Des minables ! »
Nous,
les pilotes au contrat local, nous
avons bien quelques indemnités de logement et de
déplacements... Rien à voir
avec le statut de ces employés, sous-directeurs
ou directeurs de
banques et de
sociétés, qu'ils soient petits Belges,
petits
Français ou petits d'ailleurs !
Ils n'ont jamais voyagé... Postés pour la
première
fois hors de leur patelin
pluvieux, les voilà « expats ...
» Ils quittent
leur HLM (!) pour habiter
gratuitement au soleil une jolie villa ou un bel
appartement avec
voiture,
bonne, gaz, électricité et
téléphone, le
tout payé par leur boite ! Ils se
croient alors devenus princes et invitent aux frais de
leur
compagnie... Ils
ont la certitude d'offrir ! Mais donner un petit sou de
plus de leur
poche ?
Jamais ! Ces gens-là, économisent...
Lamentablement!
Fiers, ils parlotent, le
champagne à la main, ne comprenant rien, mais
alors rien de
rien, à leur bêtise
et à l'environnement local... Des minables !
A
force de se déplacer, il y en a qui
guériront... Mais j'en doute ! Chez eux, c'est
ancré aux
sources, d'être
minable... Petites gens, ils ne grandiront jamais !
Maladie de
naissance,
qu'ils ont !
Heureusement,
il existe toujours des
exceptions... Ils ne sont pas tous comme ça !
«
Jaloux, Jack, de leurs indemnités ? »
«
Tu me prends pour un minable, maintenant
? »
Ecœuré,
je mets les voiles, car je suis
tombé amoureux...
«
Encore, Jack ! »
«
Oui »
J'ai
affaire ici à une maîtresse d'un
genre nouveau pour moi... Une amie avec qui je dois
changer de langage
et de
comportement... Je dois la serrer au près, puis
prendre le
largue, après avoir
viré de bord ! Elle n'est pas facile cette
partenaire... Je suis
tombé amoureux
de la voile !
«
Ah ! Tu vois, toi aussi, tu as un vélo,
Jack ! »
«
Oui, mais un grand, tu sais ! » et je
descends vers le « kampong «, le village de
pêcheurs
malais, je traverse la
jungle... Je vais à la Marina !
Ce
sont les copains des alentours de
Sembawang, qui m'ont fait virer de bord (!) et converti
à la
voile...
J'entends: à la mer ! Timidement, je loue un
dériveur et
je n'avance pas !
Etienne Fallon est avec moi et nous n'avançons
pas ! De son
voilier, Gille
Barbier nous donne des ordres:
«
Vous êtes au vent ! La voile faseye !
Bordez ! Tirez un bord ! »
«
Qu'est ce qu'il raconte ? »
Plouff
!
Philippe
Legoff, un breton, m'initie...
D'abord, les termes de marine, la théorie...
Interdit de parler
de corde, mais
de boute ! Les amers, pas les repaires ! Pas à
droite, ni
à gauche, tribord,
bâbord ! Je dois être paré à
virer «
lof pour lof «, je dois serrer au près, je
ne prends pas mon pied, je prends le largue et le grand
largue...
Voiles en
biseaux ! Philippe m'apprend les nœuds:
A
mon tour, j'initie mes femmes... et mes
chiens ! Allez, tous dans le « Topper ! » Ce
dériveur minuscule, qui nous
ramène de l'île de Seletar (à 300m
de la
marina !), n'en peut plus... Nous avons
dépassé son poids
au décollage... Il
prend l'eau ! On écope ! Sauf les chiens, qui ne
comprennent pas
très bien ce
nouveau jeu... Pour marquer sa désapprobation,
Wang
n'arrête pas de bailler, le
cul dans la flotte ! Semba, paniquée,
lèche la figure de
Michèle...
Comme mes
émoluments
ont encore augmenté et comme il n'y a pas
tellement de place
pour tout mon
petit monde, je décide l'achat d'une embarcation
plus
spacieuse... J'achète un
voilier
Philippe,
lui, a un grand voilier, avec
lequel nous faisons de belles ballades et sur lequel
j'apprends
beaucoup ! Un «
Vagabond » de 12 mètres, une belle
bête, dont je
m'enflamme aussi...
«
Jack, vraiment, tu exagères... Tu vas
finir par rôtir à petit feu !»
«
M'en fous ! »
J'ai
5 jours « off » ! Je propose à
Philippe de nous accompagner sur le Beaujolais pour une
croisière en Mer de
Chine... Philippe, tant qu'il s'agit de la grande bleue,
est toujours
prêt
comme un louveteau !
Nous
profitons de la marée du soir pour
prendre le cap... Il nous faut passer la pointe sud de
Malaisie avec le
courant... Comme nous sommes en retard, nous sommes
contre le courant!
Dans la
nuit et sur la côte, je vois mes amers immuables,
je les vois
même avancer !
Nous reculons !
«
Philippe, je mets le moteur en route ! »
Marin
au fond de l'âme, il déteste
l'emploi de ce moyen pour « donner de l'erre
» à un
voilier... Etonnamment:
«
Moteur en route ! Faut quitter cette
zone dangereuse de navigation !»
De
suite, mon « Volvo-Penta » ronronne !
La vitesse m'indique 4 nœuds, le courant contraire doit
en avoir 3,
nous
marchons donc à 1 nœud de déplacement...
Mes amers
reculent doucement !
Philippe:
«
C'est bon ! »
C'est
bon ? Il en a de bonnes, Philippe !
Du 2 kilomètres à l'heure... Moi, qui
descend rarement en
dessous de 900 km/h
avec mon 747 !
Après
des heures et des heures
d'incertitudes, nous passons la passe ! Nous nous
éloignons des
gros tankers...
Ouf !
Philippe:
«
Jacques... Pas une seule petite risée...
Laisse tourner le moulin et pilote automatique ! On va
boire un pot...
Affiche
un cap de 010 degrés, que nous garderons pendant
5 heures...
»
5
heures ? Je trace un trait sur ma carte,
je mesure la distance... 5 multiplié par 4, la
vitesse
procurée par mon Volvo «
teuf-teuf », égal 20, égal une
trentaine de
kilomètres en ne tenant pas compte
du courant, moins puissant ici en haute mer que dans le
détroit
de Singapour !
«
Philippe, moi, en 5 heures, je traverse
l'Océan Indien ! »
«
Relax, Jacques, relax... Tu fais de la
voile... Relax... Sois bien content que j'accepte le
moteur, sinon tu
aurais le
temps de traverser dix fois l'Océan Pacifique
avec ton avion !
»
Je
me fais difficilement à ce
train-train...
Soudain,
des phares foncent sur nous ! A
la marina, j'ai entendu des histoires de pirates... J'ai
vu revenir un
gars,
dont le bras avait été à
moitié
tranché par la machette d'un de ces frères
de
la côte, qui, avant cette boucherie, avait
violé au
préalable les deux nanas !
Tradition oblige...
Philippe,
impassible, probablement habitué
de la chose:
«
Relax... fais-leur des signes de la
main... Comme ça: Bonsoir ! »
Le
bateau approche, fait deux fois le tour
du Beaujolais... Il s'éloigne !
Ouf
! C'est la Police Navale de
Malaisie... On prend un grand et long pot avec
Philippe... Les filles
roupillent toujours !
Le
lendemain, au petit matin, à dix
kilomètres près, on ne connaît pas
très bien
notre position... Un bateau de
pêcheur passe... Je veux leur demander où
nous...
Philippe,
le Breton:
«
Jacques ! Jamais, mais alors jamais, un
marin ne demande sa route ! Prends un cap Nord ! »
Après
belle lurette, c.a.d au coucher du
soleil (!), ces 360 degrés nous amènent
effectivement sur
des îles...
Lesquelles ? Il en a tellement...
Philippe:
«
Nous allons atterrir ! »
Atterrir
? En effet, c'est le bon terme...
Nous atterrissons ! Au lieu de descendre le train,
Valou,
spécialiste en la
matière, jette l'ancre: «Plouff » !
Nous
passons la nuit à bord... On raconte
quand même l'affaire de la police malaysienne aux
femmes,
à quoi elles ont
échappé... Leur seule réaction,
comme à
regret:
«
Ah, oui ! »
Les
femmes...
Le
barracuda, que nous avions pêché par
hasard la veille au bout d'une ligne, glisse de la main
de Philippe et
disparaît
dans la mer... Philippe, non seulement breton, mais
cuistot, nous avait
promis
un gueuleton ! Raté...
«
Dis donc, Philippe, je survole souvent
ces îles pour rentrer à
Singapour...
Je
regarde alors mon INS, instrument de navigation, qui me
dit: 12 minutes
avant
l'atterrissage ! Il nous a fallu 30 heures pour
atteindre Pulao
Tinggi... »
«
Relax, Jacques, relax... Tu fais du
voilier... »
«
Oui, mais, je dois rentrer à Singapour,
moi ! Dans trois jours, je dois faire mon vol... »
Vraiment,
je me fais difficilement à cette
vitesse de tortue... Et surtout le temps ! J'avoue que
je ne
parviendrai
jamais... Moi, bourgeois pourtant en sarong et pilote de
ligne en plus,
à me
mettre dans la peau de ces marins-là, à
posséder
leur mentalité de nonchalance,
merveilleuse d'ailleurs... Nous, dans notre
métier, si nous
avons 3 minutes de
retard, rapport ! Eux, sans boulot bien défini,
ne
possédant que leur voilier,
une paire de sandales, un short et un T-shirt, leur
notion du temps est
vague...
Parce qu'ils ont le temps ! Moi, je n'ai pas le temps !
Peut-être
plus tard, à
la retraite... Et encore ! Ainsi, Gilbert et Marie
France m'annoncent
un soir:
«
Tiens, on vient de revoir nos amis du
Sénégal... Ils viennent juste d'arriver
avec leur
Je
crois que ces retrouvailles viennent
d'avoir lieu dans l'après-midi...
«
Non, Jacques, il y a trois mois... Nous
ne les avions plus revus depuis Dakar ! »
«
Quand ont-ils quitté Dakar, vos copains
? »
«
Il y a cinq ou six ans... »
«
!!! »
Ils
ne souffrent pas du décalage horaire,
eux... Ainsi, moi, j'ai de très très
grandes
difficultés
Mais
ça ne fait rien, je suis amoureux de
la voile, j'aime ! Alors je m'accroche et je fais des
projets ! Pendant
mes
escales à Taïwan, je passe des jours entiers
dans les
sentiers navals...
Oui,
autant dire de suite que je suis
fou...
C'est
ce que me confirme mon ami, Robert
Faure, que je retrouve à Abu Dhabi et à
qui je confie mes
projets d'évasion...
Il me regarde, lui aussi, le sourire aux
lèvres...
«
Jacques, t'es fou dans ta tête... Toute
ta vie d'aviateur, tu l'as passée à te
battre contre le
mauvais temps: les
orages, les queues de typhon, les vents traversiers, le
brouillard et
le
reste... En professionnel ! Et maintenant, pour tes
loisirs, tu veux
remettre
ça... En amateur ! Allons, Jacques, les pieds sur
terre ! »
Cet
avis amical fut un choc, une sorte de
révélation !
Toute
cette folie est venue de la marina,
passage de tous les voiliers du monde... Là, j'ai
rencontré des marins (!) de
toutes les catégories:
*
Les purs, que rien n'arrête ! A ma
question à propos du mauvais temps, l'un m'a
donné sa
tactique:
«
J'affale les voiles, je ferme toutes les
écoutilles et nous attendons, ma femme, ma petite
fille et moi
que le grain
passe ! Nous avons fait ainsi fait plusieurs fois un 360
degrés... Mon bateau
est en acier, je ne risque rien, un véritable
sous-marin !
»
Je
me vois rassurer mes passagers en leur
racontant ce genre de truc: « This is our Captain
speaking... Le
temps est à la
turbulence, ne vous en faites pas si l'avion se retourne
sur
lui-même, il est
solide ! »
*
Les impurs... Comme ce couple de
bijoutiers, ayant tout liquidé en France pour se
lancer autour
du monde... Je
les ai vus descendre de leur voilier tenant chacun dans
leurs bras un
caniche
nain et blanc... Suivait « le skipper », le
pro, qu'il
payait cher pour leur
faire faire le tour de la boule !
*
Et les inconscients ! Certains
arrivaient sur une simple barquette à voile...
Tels ces deux
uluberlus, qu'on
appelait « les zonards »... On n'a
jamais su
d'où ils venaient ! Le
savaient-ils eux-mêmes ?
Pas
un seul de tous ces personnages
folkloriques n'a jamais pu me dire la date et la
destination de leur
prochain
départ ! Bien que j'avais avalé
difficilement leur mode
de vie, ces cinglés
m'avaient transmis leur virus... A leur contact, je suis
devenu fou
à mon tour
! Robert Faure avait raison...
Ce
ne fut pas aisé d'être tous les trois
libres pour profiter de notre voilier... Michèle
donnait ses
cours à l'Ecole
française, Valérie sur les bancs de cette
même
école, moi peu souvent
J'ai
cependant garder le « Beaujolais »
pendant cinq ans... Nous avons vécu des moments
de
plénitude sur ce bateau ! Vu
que le vent à Singapour
n'est pas
idéal
pour la voile, ou c'est le calme plat ou ce sont les
bourrasques de
force 5 et
6, parce qu'il y a orage, nous n'allions pas très
loin... Nous
faisions des ronds
dans l'eau... Bien que naviguant sur mer, nous
étions marins
d'eau douce ! Pour
la nuit, à peu de nautiques de Singapour, nous
jetions l'ancre
aux abords des
petites îles proches, comme Pulao Ubin, Tekong,
Kusu ou St
John... Les chiens
sur le pont, montaient la garde ! Wang surtout, qui
détestait la
société... De
son aboiement guttural, il mettait en déroute
quelque malheureux
pêcheur, qui
ne faisait que ramasser bien gentiment ses filets au
lever du soleil,
mais au
goût de notre chien, cet intrus se promenait trop
près de
son voilier ... Sur
un bateau, les meilleurs amis deviennent les pires
ennemis, les couples
se
déchirent... Ce ne fut pas le cas ! A part
quelques coups de
gueule sur le pont
lors de manœuvres incertaines... Le soir, après
avoir
jeté l'ancre, nous avions
des instants de quiétude... Le silence... A
l'étale, la
mer baillait de
fatigue... Plus rien ne bouge ! Oui, ces cinq
années de voile,
je peux le dire,
furent des moments de magie divine...
Je
n'ai pas acheté le Vagabond et nous ne
sommes jamais partis pour de lointaines
traversées... Je suis
devenu un traître
en achetant un canot à moteur... Crime de
lèse-majesté pour un marin de voile !
Un
marin comme Jean Pierre, qui a
construit son voilier de bois et de 20 mètres aux
Célèbes, le « Matutué «
et
dans lequel, « dans » parce que la
carré ressemblait
à un véritable grenier
admirablement décoré, dans lequel sa femme
Poussinette
nous préparait de bons
petits gueuletons... Cette magnifique goélette,
qui fut leur
maison, a coulé !
Un tronc d'arbre à la dérive a
troué la coque...
Prenant l'eau, ingouvernable,
soulevé par de grandes vagues, ce magnifique
navire, armé
à l'ancienne, sans «
winch «, mais à palans, s'est brisé,
éclaté littéralement,
«
J'en construirai un autre... »
Je
l'ai cru sur parole !
Jean
Pierre, un pur...
A
Honolulu, je rencontre René et Nini...
Après quatre ou cinq ans de navigation à
travers
l'Atlantique et le Pacifique,
ils arrivent enfin à Hawaii...
En
revenant d'un « coucher de soleil «,
promenade favorite des
marins d'Honolulu
pour admirer ce tableau en pleine mer, René me
parle sur son
voilier du « rayon
vert »... On ne peut l'apercevoir et pour une
fraction de
seconde, que lorsque
le soleil disparaît à l'horizon et il faut
que le ciel
soit limpide... Ce
jour-là, pas un seul nuage ! Je vois le rayon
vert ! Au retour
dans la marina,
nous croyons reconnaître ce grand voilier noir...
On amarre vite
le « Roméo
Bravo », on prend vite le dinghy... On
s'approche... C'est bien
lui, l'ancien
bateau de Jacques Brel, l'Ascot ! L'Ascot est devenu
glacière...
Il trimballe
du poisson ! Mais cela ne nous empêche pas de
monter à
bord avec la permission
du skipper... On s'assoit dans le cockpit... En silence,
René et
moi,
profondément émus, nous pensons au grand
Jacques !
Puis
un jour, plus de René, plus de
voilier... Il est reparti vers les Mers du Sud, les
Océans...
Aux Maldives,
j'ai de ses nouvelles...
René,
un pur...
Un
autre pur est mon collègue et ami Heyko
Schroedl, arrivé à Singapour un an
après moi...
Itinérant et mercenaire du ciel
transportant des machines à coudre sans doute,
Heyko a volé un peu partout
en Afrique avant de s'engager à SIA... Il y est
toujours, mais
attend avec
impatience le jour où, enfin paré, il
partira sur son
immense catamaran vers...
vers...
«
Vers où, Heyko ? »
Il
ne sait pas...
«
Je verrai... »
Heyko,
un pur...
Le
pur des purs fut ce skipper, qui
m'invita sur son voilier à Auckland,
Nouvelle-Zélande...
Au téléphone:
«
Jack, 4 PM at the marina ! »
4
H de l'après-midi ? Nous allons sans
doute aller admirer le coucher de soleil, comme à
Honolulu,
petit café,
gâteaux, biscuits... Je me trompais ! J'arrive et
de suite, il me
présente son
équipage... Ils sont douze, en uniforme,
salopette blanche et
alignés comme
pour une parade... Pas une tête ne dépasse
! J'ai
l'impression de les passer en
revue... Tout est prévu, le douzième me
donne un
uniforme... Avec ce voilier de
15 mètres, au mat et au gouvernail grand «
comme ça
», ces gens-là font la
course !
Alors
commencent les trois heures les plus
pénibles de ma carrière de marin (!)... Le
départ
est infernal ! Des dizaines
de voiliers se frôlent... Le skipper, par des
manœuvres qui me
sont encore
aujourd'hui inexplicables, ne démolit aucun des
concurrents et
parvient à
prendre la troisième position... Il remonte, il
dépasse !
Nous finirons second
! Mais à quel prix ? Automatiquement,
Après
cette corrida:
«
Qu'en penses-tu, Jack ? Full of fun,
amusant, hein ? »
«
Heu... ! »
«
Attends ! Le plus difficile reste à faire...
»
Le
plus difficile, c'est le pub, sous le
grand pont d'Auckland, le «Bird's Cage »,
(la cage aux
oiseaux), où le skipper
paie la pinte à ses hommes... Pour le remercier,
je le devance
en commandant en
vitesse treize verres de bière...
«
Tchin, Tchin ! Santé et merci... »
Je
bois une lampée... Je règle ma
tournée... Je me retourne... Les treize pintes
sont vides ! Le
skipper a déjà
commandé « sa »
tournée... Et tous les
autres voltigeurs d'en faire
autant: chacun offre « sa »
tournée ! Comme sur
le pont, je ne suis plus
le rythme... Je suis en retard d'une bière, de
deux
bières, de trois bières,
que ces bourreaux m'obligent à vider cul-sec afin
de les
rattraper... Je pense
à la cloche ! Pas la cloche du départ, la
cloche de dix
heures, celle qui va me
sauver en disant:
«
Dernière commande !»
Une
ultime fois, les marins commandent...
Par paquets ! Les pintes sont alignées sur le bar
!
Le
skipper me rassure alors:
«
Ne t'en fais pas, Jack, nous connaissons
un endroit, qui ne ferme qu'à 1 H du matin...
»
Je
crois m'évanouir !
Je
rentre à l'hôtel à quatre pattes...
Le
concierge:
«
Are you all right, Captain ? Vous
sentez-vous bien ? » «
... »
Dans
le cockpit, on parle de tout et de
rien... D'argent, de filles, de voitures... Il y a ceux,
les
sentimentaux, qui
montrent les photos de leur femme, de leurs gosses...
Personne n'exhibe
la
photo de sa petite amie ! Aussi est-on tout surpris
lorsque quelqu'un
vous dit:
«
Voulez-vous voir ma dernière conquête ?
Une beauté ! Quelle finesse ! Quel... »
«
Montre ! Montre ! »
Fièrement:
«
Admirez ! »
Nous
avons alors sous le nez une série de
cartes postales, des vues de mer... Un superbe voilier
fend les vagues !
Un
pur marin...
Je
ne montre pas de photos, puisque je ne
suis pas un pur... Mon ami Alain Tyrbas de Chamberet,
pilote
d'hélicoptères,
l'est peut-être un peu plus que moi ! Avec son
épouse,
Chacha, avec exactement
le même voilier que le nôtre et avec le
même
enthousiasme, ils font, comme
nous, des ronds dans l'eau... Ainsi, nous lierons avec
eux une
amitié
sincère... Une amitié, qui demeure,
puisque nous irons
les visiter aux
Etats-Unis, à Washington DC, où sur la
rivière du
Potomac et dans la baie de
Chesapeake, Alain nous fera de la vitesse avec son
puissant canot
à moteur ! Un
crime vraiment, pour un ancien amoureux de la voile...
Forfait, que je
commets
également à Singapour
en
tirant ma fille
en ski nautique ! Moi, qui du pont de mon voilier
refusait de saluer
les brutes
qui me dépassaient avec leurs hors-bord polluants
et bruyants...
Non,
nous ne sommes pas de « purs-purs
«
... »
Dans
les eaux chaudes des Tropiques, les «
barnacles «, les coquillages envahissent les
coques à une
vitesse effrayante...
Un élevage de moules ! Alain et moi, nous
nettoyons donc la
coque de nos
voiliers respectifs... On plonge, on gratte ! Pfff...
Pfff... On
plonge, on
gratte ! Pfff... Pfff...
«
J'aurais mieux fait de placer en banque
tout l'argent de ce voilier... Au moins, il m'aurait
rapporté
des intérêts ! »
Je
réponds:
«
Tiens ! J'ai déjà entendu ça
quelque
part... Un copilote chinois, donc expert en
matière d'argent,
m'a dit la même
chose ! En plus, il m'a soutenu qu'être
propriétaire d'un
voilier équivalait à
se mettre au bout d'une jetée et
d'éparpiller ses dollars
dans la mer ! »
Alain,
comme pour me convaincre:
«
Bah... Nous avons quand même beaucoup de
plaisir de nos voiliers ! Hein, Jacques ?
«
Oui, Alain, oui ! Mais un dicton affirme
qu'il y a deux jours heureux dans la vie d'un marin, le
premier quand
il achète
son bateau, le second quand il le vend... »
Je
suis un impur !
Personnellement,
j'ai plutôt eu un
pincement au cœur quand j'ai vendu le « Beaujolais
»...
La
raison principale de la vente de mon
voilier fut l'anéantissement, l'expropriation par
le
gouvernement de toute la
jungle de Sembawang pour y construire des HDB, des
HLM...... Par
conséquent,
disparition de la marina, tenue par le peu souriant
Mister Ong,
démolition du
restaurant tenu par Philippe Legoff au rire
éternel... Sa femme
chinoise,
Maureen, tenait la caisse... L'argent rentrait !
Malgré la
difficulté d'y
parvenir, vu le sentier à travers la brousse, on
y faisait
parfois des
mauvaises rencontres, des iguanes par exemple, ce
restaurant, devenu un
coin à
la mode où le couscous de Gilbert et de Marie
France,
était au menu tous les
samedis, a disparu dans la poussière des
bulldozers... Triste
histoire !
Du
coup, on change de maison... Même
village... Sur les hauteurs de Sembawang ! Jalan (la rue
en malais)
Hikayat...
Bungalow... Grande surface de terrain ! Obstiné
et têtu,
je suis toujours
parvenu à obtenir ce que je voulais dans ma
vie.... Je
rêvais (je rêve souvent,
excusez-moi !) d'avoir « ma » piscine...
Voici l'occasion !
Sur la pelouse,
j'ai de la place... Elle ne sera pas de dimension
olympique, « ma
» piscine...
Montée à la surface du sol, cette
baignoire d'un
mètre vingt de profondeur et
de 10 mètres sur quatre est à deux pas de
la terrasse...
Facile, « Plouff » !
Bien agréable...Agréable ? Pas la
première
semaine... Catastrophe ! Comme chez
les Siroux, rien ne marche du premier coup (ma
philosophe de
mère: c'est un mal
pour un bien...), la bâche de la piscine craque et
les 40.000
litres de flotte
se déversent dans le jardin et dans la maison de
mon voisin
chinois, qui vient
juste d'aménager... Les chutes du Niagara !
Michèle
m'appelle d'urgence à Tokyo... Je
m'attends toujours à une mauvaise nouvelle de
Maman !
«
Non, ce n'est pas Minouche, c'est la
piscine... Elle est descendue chez le voisin ! » « !!!
»
Ni
Paul Dardenne, ni Etienne Fallon, ni
Jean Bosman, ne feront pas du voilier avec moi... Paul
et Etienne,
attirés par
un salaire élevé, un dollar fort, partent
pour l'Arabie
Saoudite, ce que je
comprends ! J'hésite... Take it or leave it ! Je
garde la mise,
je reste à
Singapour ! Je ne regretterai pas... Jean est bien
obligé de
quitter, SIA
supprimant ses Boeings 727... Jeanne peut pas passer sur
747... Il a
dépassé 52
ans, âge limite pour être qualifié
à
l'époque sur Jumbo ! Par la suite, ce sera
55 ans... L'offre et la demande... En bon « outlaw
», Jean
Bosmans se
débrouille...Il part voler, toujours sur 727,
pour une compagnie
qui transporte
des poussins... Les pilotes doivent voler
continuellement avec le
masque à
oxygène pour ne pas respirer le duvet de ces
crétins de
poussins ! Faut le
faire...
Plus
tard, ce sera le contraire, une
migration de vieux routiers, va s'opérer de
Jeddah vers
Singapour... Viendront
me rejoindre Guy Vanderlinden, Hawke Hellner, Basile
Bastin ! Vieux
frères d'armes...
Et plus tard, Franck Dassen !
En
attendant, je reste donc le seul Belge
dans la compagnie durant quelques années...
Ce
n'est pas pour cette raison, mais je ne
digère plus ! Je ne vais pas voir Madame Irma, je
vais voir le
Docteur Koh...
Il voit clair, lui !
«
Une douleur sur le coté droit, Captain ?
»
«
Non, une lourdeur, Docteur, une
lourdeur... »
«
I see... Je vois... Vésicule biliaire !
»
Les
radios confirment.... Opération !
Craaaaak
! Craquelures...
Le
professeur Foo (prononcer fou !) m'examine...
«
Oh, mais vous me faites aussi une
hernie, Captain ! Vous ne le saviez pas ? »
«
Une petite, Professeur, une toute petite
hernie... »
«
Je vais vous arranger cela avec le
reste... A propos, ça ne vous dérange pas
que je vous
opère devant mes élèves,
n'est-ce pas ? »
«
Heu... »
«
OK ! »
Je
suis dopé sur ma civière... A
moitié
dans les pommes, je m'inquiète en attendant mon
tour... Nous
sommes ainsi
quelques dizaines à patienter dans le couloir...
Car il y a dans
cet hôpital du
Gouvernement, plus d'une vingtaine de salles
d'opération ! Il ne
faudrait pas
qu'il y ait erreur sur la personne... Que je me retrouve
sur le mauvais
billard... Je m'inquiète ! J'ai bien autour du
poignet un
bracelet en plastique
avec mon nom... Je lève péniblement le
bras pour bien
préciser que je suis le
patient du Professeur Foo...
«
Hou, hou... Je m'appelle Siroux et je
suis le... »
Une
nurse m'arrête net:
«
Do'nt worry... And shut up ! Ne vous en
faites pas... Et taisez-vous ! »
Un
autre de mes copilotes chinois, à qui
je raconterai cette « attente» dans le
corridor avant
d'être opéré:
«
Jack, il ne fallait pas t'en faire...
Moi, j'aurais eu de sérieuses raisons de
m'inquiéter, mon
nom est Tan et il y a
des milliers de Tan à Singapour ! »
Apparemment,
je suis dans la bonne salle,
puisque dans mes vapes, je crois reconnaître mon
Professeur parmi
des têtes
inconnues...
Reviendrai-je
?
Je
reviens !
Splendide
job du Prof Fou (!) et soins
merveilleux des infirmières ! Hôpital
gouvernemental ?
Hôpital de première
classe ! J'y suis tellement bien dorloté que je
fais
l'impossible pour rester
quelques jours supplémentaires !
«
Out ! Dehors ! »
«
OK... OK... »
Les
pierres sont de taille... Je les
montre plus tard au Docteur Koh:
«
Hi ! Hi ! Hi ! »
«
Pourquoi ces pierres, Doc ? Et surtout
si grosses ! »
«
Hi ! Hi ! Hi ! Vous, les Européens,
votre nourriture est trop riche... Toutes vos sauces
à la
crème vous donnent...
»
«
Au revoir, Docteur Koh... »
Opération
chirurgicale veut dire de suite
perte de licence ! Après ma convalescence, je
dois passer devant
un comité de
trois médecins spécialistes (!) en
aviation, qui jugent
si je suis à nouveau
bon pour le service aéronautique...
«
Comment vous sentez-vous ? »
«
Ca va ! Et vous ? »
Je
récupère ma licence... Ouf !
Et
le 747 dans tout ça ? Le 747 ?
ZZZZZZZZZZ... Il m'emmène en voyages, en longues
randonné
paisibles !
ZZZZZZZZZZ... Au cours desquelles, j'ai la chance, je le
répète, de travailler
avec des gens de toutes les couleurs, de toutes les
nationalités... Oui, j'ai
de la chance ! Qu'ils soient Commandants de Bord ou
copilotes, j'en ai
déjà
cité, mais je ne peux pas tous les citer, ils
sont
légions ! J'ai souvenir de
bons moments d'équipage:
*
Ainsi, aux Opérations, je rencontre pour
un premier vol avec lui copilote originaire du
Sri-Lanka... Je lorgne
sa «
fligh-case », où est inscrit son nom... Ils
ont des noms
à coucher dehors dans
ce pays ! Il m'arrête de suite en se
présentant:
«
Ce n'est pas mon adresse que vous lisez
sur ma flifht-case, Captain, c'est mon nom !
Navaratnarajah. R. etc...
On
m'appelle Nava, c'est plus simple ! »
«
Ca oui ! Enchanté, Nava ! »
En
voilà un qui a de l'humour... Avec
Nava, je sillonnerai donc le ciel avec plaisir !
Egalement, avec le
Captain
Jayawardena, son compatriote avec que je serai en
double-équipage:
«
Appelle-moi Helmo... Plus facile ! »
*
Laurence Lye, jeune copilote à l'époque
et à qui je donne les commandes après le
décollage
de Zurich... Une fièvre
subite, mon palu colonial qui revient de temps en temps,
comme
ça, paff, et
disparaît pouff ! Je fais le décollage de
Zurich en cargo
! Ensuite, j'incline
mon siège au maximum et enveloppé dans une
couverture, je
grelotte...
Vaguement, je reconnais les différentes voix et
accents des
contrôleurs: les
Italiens, Grecs, Turcs, Cypriotes, Syriens, Jordaniens,
Iraquiens et
enfin les
Anglais, qui ont un contrat pour le contrôle
aérien de
tout le Golf Persique...
Laurence me secoue en finale à Barhain, où
je resterai
planqué dans mon lit
pendant les deux jours d'escales avec une fièvre
de cheval !
Devenu
Captain et même Instructeur,
Laurence Lye me remerciera bien souvent de cette
confiance que je lui
avais
donnée...
*
Toujours le palu des Colonies... A
Amsterdam ! Chandran vient aux nouvelles dans ma chambre
de
l'hôtel Marriott:
«
Tu n'as besoin de rien, Jack ? »
«
Si ! Des glaçons ! »
«
Pour ton whisky ? »
«
Non, pour les mettre sur ma tête... Elle
va éclater ! »
Le
toubib, que Chandran fait venir, me
trouvera donc avec un sac de glace comme couvre-chef...
Il prend ma
température
!
«
Nom di Diou ! Je vais vous donner
quelque chose qui... »
«
Mais j'espère bien, Doc... »
Le
médecin me donne une piqûre... Tout se
calme... Béatitude... Je plane dans un rêve
de couleur...
Je rêve ! Je vois
tout en rose, je vois des éléphants roses
! (Sic) Et je
comprendrai mieux la
tentation de drogués ! Le médecin m'avait
injecté
de la morphine...
*
Dass, qui m'a fait une des plus belles
surprises d'anniversaire... En paragraphant une de ces
cartes «
Happy birthday
! », que le Captain doit signer souvent pour les
passagers,
j'avais fait la
remarque:
«
Tiens ! Aujourd'hui, c'est aussi mon
anniversaire... »
Le
soir, à Auckland, j'appelle mon
équipage pour leur payer un pot... Dass:
«
Heu... OK, Jack ! Merci ! Rendez-vous
dans la suite 417, à 20 heures... »
«
417 ? »
Dass
avait déjà raccroché ! Bizarre...
A
8 heures du soir, je frappe au numéro
417...
«
OUAAAAAH ! Happy birthday, Captain !
OUAAAAAH ! »
Les
20 membres de mon équipage étaient
présents ! Egalement de la fête, la fille
et la famille de
la fille, pour qui
j'avais autographié (!) la carte de vœux, les
agents de trafic
SIA de
l'aéroport, une partie du personnel de
l'hôtel... Un
paquet, un bouquet !
Dass
n'a pas dormi de toute
l'après-midi... Ni le Chef de cabine, E.P. Chua !
Ensemble, ils
avaient
organisé cette soirée «
mémorable » de
mon 50ème anniversaire ! Non seulement,
la bière a coulé à flots, mais
aussi le champagne
Don Pérignon... Je m'en
souviendrai toute ma vie !
Dieux
! Que ces marques d'amitié
réchauffent le cœur...
A
propos, je m'offre à cette occasion une
montre Rolex et comme je suis un gentil garçon,
j'en
achète aussi une pour ma
femme, qui...
«
Jack, on s'en fout ! »
«
Ca va, je passe, je passe... »
Je
dis quand même que ces « vieux Chefs de
cabine » comme E. P. Chua, Roy Pek, M.C. Lim, T.H.
Goh, Simon et
les autres,
sont restés dans l'ambiance « aviation du
bon vieux
temps...
*
William Foo, à qui je demandais
récemment dans le cockpit:
«
William, il y a combien de temps qu'on
se connaît ? »
«
Nous sommes de vieux amants, Jack... »
Je
fais donc partie des meubles... Des
vieux meubles !
*
C'est avec grand plaisir également, que
je vole avec Alberto Bastianelli... Cet Italien de Rome
n'a rien
d'efféminé !
Il nous a bien eus... Il nous demande un jour
très
sérieusement , à mon mécano
et à moi:
«
Vous saviez qu'il y a un copilote homosexuel dans la
compagnie ? »
«
On en apprend tous les jours... Qui
donc, Alberto ? »
Et
le beau mâle de répondre:
«
Si vous m'embrassez tous les deux sur la
bouche, je vous dirai qui c'est... »
*
Kim Minis, à qui je demande s'il a pris à
la radio la
température au sol en
approchant Anchorage en Alaska:
«
Un degré, Kim, ça va encore pour ce pays
de glaciers... »
«
Un degré Fahrenheit, Jack, Fahrenheit !
Nous sommes au States... Ce qui fait moins 17
degrés Celsius !
»
«
Oh, Nom di Diou ! »
*
A Christchurh, Nlle-Zélande, malgré un
puissant vent de travers, je donne le décollage
à mon
copilote Mohan Jaya...
Mohan
est un « boddy builder »... Il a des
biceps, gros comme ça, des cuisses
musclées comme
ça ! Je me dis qu'il aura
donc la force de se battre avec les rafales... De
tête, il
ressemble à Michael
Jackson, quand Michael Jackson était beau, bien
basané,
avant qu'il ne trahisse
sa race en devenant blanc et avant qu'il ne tombe
complètement
en couilles...
Mohan est donc un
Exécution
parfaite de ce take-off délicat
! Turbulences en passant au-dessus des « Alpes
» (comme ils
les appellent
là-bas !)... Maintien de l'assiette et de la
vitesse par Mohan !
«
C'est très bien, Mohan ! »
«
Oh, Captain, je suis habitué aux
secousses... Je suis un rainmaker ! »
«
Un quoi ? »
«
Un faiseur de pluie ! C'était mon
métier, je fabriquais de la pluie... Avant
d'entrer à
SIA,
Un
copi faiseur de pluie... Faut le faire
!
*
Dany Cheng, ce mécanicien de vieille
date:
«
Moi, j'étais un kicker... »
«
Un quoi, David ? »
«
Un kicker ! Je donnais des grands coups
de pieds dans les ballots, que nous balancions au
Cambodge du DC3 dans
les
années soixante... Je me faisais ainsi quelques
dollars de poche
pendant mon
écolage à Hong Kong ! » Un
mécano kicker...
Faut le faire !
*
Derek Chua, également vétéran
mécanicien, me raconte que lors d'une mission de
six mois en
Boeing 727 à
travers le monde... Il attendait à l'ombre de
l'avion,
loué par un Maharani et
dont la plupart des sièges ont été
retiré
et remplacé par des tapis... Il
attendait, Derek, que le Maharani revienne de ce village
perdu
d'Amérique de
Sud... Quelques bonzes de sa suite étaient
restés
à bord...
Tout
à coup, Derek entend des « Boum »,
«
Boum », « Boum » ! Le 727 se met
à sursauter !
«
Qu'est-ce qu’ils peuvent bien foutre,
ces zèbres ? Ils vont esquinter mon bac !
», se demande
Derek...
«
Tu sais ce qu'ils faisaient, Jack ? »
«
Non ! »
«
En position de lotus, des exercices de
lévitation ! »
C'est
vrai qu'il y a quand même des
branlés sur cette terre...
Voici
pêle-mêle une liste, bien
incomplète, des gens avec qui j'ai partagé
le cockpit
durant toutes ces années
de vol: les Nava, Mohan, Derek, Aric, Dany, Victor...
Les Jo, John,
Bill,
David, Sylvestair, Jeoffrey... Les Dezouza, Lorenzo,
Ferrera, Camacho,
Pacheco... Les Tan, Teo, Yeo, Chang, Chong, Chin, Poon,
Poh, Ping,
Pang, Pong,
non pas Pong, mais Peter Pan (!), Ang, Leong, Bey... Les
Voon, Soon,
Mok, Fok,
Foo, Ho, Seah, Kassim, Baddar, Winodan, Peacock Yselman,
Benny, Gan,
NG, Wong,
Lim, Lee, Lye... J'arrête ! Je me mets à
chantonner...
Et
tant d'autres... Comme mon ami le
Commandant Alain Borthayre... Il est Français,
Que
de souvenirs enrichissants !
«
Tu l'as déjà dit, Jack ! »
«
So what ? Et alors ? »
«
Ca aussi, tu as déjà dit... »
«
So what ? »
«
Oui ! »
«
So what ! »
Les
hôtesses aussi... Ces petites gazelles
aux yeux noirs, au regard de biche... A les voir ainsi
s'approcher de
vous et à
les entendre murmurer à l'oreille « Votre
café,
Captain... », le Captain, lui,
ne pense qu'a remettre en vigueur, de suite, l'ancien
droit de cuissage
médiéval
!
«
Jack, tu as dit que le grand-père
l'Evêque... »
«
Oui, je sais... Jamais dans le diocèse !
Mais on a bien envie, à ce moment-là, de
l'envoyer au
diable, le grand-père
l'Evêque... Qu'il aille en enfer, le
grand-père
l'Evêque, qu'il y grille, qu'il
y rôtisse ! Et qu'on n'en parle jamais plus du
grand-père
l'Evêque ! »
Moi,
le candide sentimental... Par respect
(!) ou par éducation, que sais-je, mais
certainement pas par
timidité, les
femmes m'ont souvent traité de
«gentleman»... A
regret ? Sais pas ! N'étant
pas un bouc, je ne les ai jamais bousculées ou
basculées
aux premières
rencontres... A tort ? Non, car je suis comme je suis et
ne peux agir
autrement
! A mon grand étonnement, moi le naïf, mes
copains ou amis
vantards m'ont de
suite mis au courant avec élégance (!) de
la
réalité:
«
Celle-là ? Mais, mon vieux Jack, je l'ai
déjà sautée... »
Quelle
vulgarité !
Je
pense alors qu'au lieu de regarder la
plupart de ces filles dans les yeux, j'aurai mieux fait
d'ouvrir
immédiatement
ma braguette... Ceci dit encore plus vulgairement ! Mais
on ne change
pas les
gens... Gentleman ? Tu parles, loser, oui !
Les
hôtesses... Elles sont jeunes, la
plupart de nos hôtesses ! Voici des filles, qui
commencent
à voler vers 17 ou
18 ans, les jeunes et jolies «Singapore
Girls»,
publicité de la compagnie !
Le sourire qu'elles doivent afficher en permanence leur
creuse vite des
rides
sur le visage... A 23 ou 24 ans, en fin de contrat, elle
a
intérêt d'être
encore fraîche, la « Singapore Girl »,
sinon... Par
comparaison, je pense alors
à cette hôtesse d'une compagnie
américaine, dame de
poids et d'âge canonique,
laide par-dessus le marché, à qui j'avais
demandé
bien gentiment un verre
d'eau... L'épouvantail de vielle peau:
«
Il y a un robinet au fond de la cabine !
» Elle
ne m'a même pas dit « Monsieur »,
cette
grand-mère mal conservée...
Usha
Nair, jeune et jolie Indienne, fit un
de ses premiers vols avec moi en Boeing 707 à
Taipé en
1978... Elle est à
nouveau sur mon vol en 1985, en 747... A Bombay:
«
Tu as survécu, Usha ? »
«
Oui, Jacques... Au début, j'étais
prête
rapidement, je me maquillais vite... A présent,
«
Usha, tu rigoles ? Tu es aussi
rafraîchissante qu'a ton premier vol !»
«
Oui, je rigole... Merci, quand même ! »
Puis
Usha s'est mariée... Solution finale
aux problèmes des hôtesses de l'air ! Elles
travaillent
dur, ces jeunettes...
Elles n'ont pas toujours le temps de regarder le paysage
par la
fenêtre comme
le font les passagers et ignorent bien souvent quels
pays l'avion est
en train
de survoler... Elles ne sont donc pas fort calées
en navigation
et en
géographie ! Faut dire aussi qu'elles ne pensent
guère,
ces jeunes biches... La
preuve:
«
Captain, un passager me demande ce que
nous survolons... »
Nous
volions depuis plus de sept heures...
Vol direct de Londres à Singapour par la
Russie... Le petit
matin... Au-dessous
de nos ailes, je dirais au raz de nos ailes,
s'étendent les
hauts sommets de
l'Indu Kush en Afghanistan... Une merveille au petit
matin ! Je montre
ce
tableau divin et enneigé à la gazelle:
«
Où croyez-vous que nous sommes ? »
«
Heu... »
«
Allez ! Cette chaîne de montagnes
pleines de neige... »
«
Ah, oui ! Les Alpes ! »
«
!!!»
«
Nous survolons la Suisse ! N'est ce pas,
Captain ? »
« ?
? ?... ! Bonne réponse, ma chérie ! Allez
donc annoncer
cela à votre
passager... »
Cinq
minutes après, elle revient dans le
cockpit:
«
Ah, Captain, mon passager est bien
content... Il a enfin vu le Mont Blanc ! »(Sic).
Passager
humoristique ? J'en doute...
Aujourd'hui,
il existe dans la cabine un
écran sur lequel la route de l'avion est
tracée
continuellement... Malgré cette
technique moderne, survit encore une race de
pèlerins, qui
demande en
permanence aux hôtesses:
«
Mais où sommes-nous donc ? »
Alors...
D'ailleurs,
quand je vais faire quelques
pas dans la cabine pour me dégourdir les jambes,
«
Qui pilote l'avion ? Qu'est-ce que vous
faites-là ? »
«
Georges est aux commandes et je vérifie
notre position ! »
«
Ah, oui ! Ah, oui ! Je comprends
maintenant... »
Le
747... ZZZZZZZZ... Vols paisibles...
Solide bête de somme ! Mais, il a parfois des
faiblesses, il
craque ! Des coups
de pompes, lui aussi... Normal, qu'il ait une pression
sanguine
élevée, qu'il
fasse de temps en temps un infar... Il passe sa vie en
l'air, ses
artères
pressurisées au maximum ! Il n'arrête pas !
Juste pour les
escales et les
révisions... Un avion au sol coûte une
fortune ! Lors des
escales, le profane
croit que l'avion nous attend sur le « tarmac
», alors
que nous le
reprenons après qu'il ait fait presque le tour du
monde !
Le
coup de pompe qu'il a eu cette nuit de
Février 1981 sur le Golf du Bengale, mon 747, est
un vrai coup
de pompe,
puisque c'est le FCU, « la pompe à essence
» du
réacteur No 3, qui a lâché...
«
Ploum ! ».
Ce
n'est pas « un » Chef de cabine, mais
«
une » Chef de cabine, que j'ai sur ce vol... Elle
arrive dans le
cockpit
pendant que nous répondions à tous les
points de la
check-list, lue par le
mécanicien Victor Gan... Quand on a besoin de ces
filles, elles
ne sont jamais
là, quand nous n'en avons pas besoin du tout,
elles sont
toujours là !
«
J'ai entendu quelque chose ! J'ai senti
quelque chose ! »
«
Oui, ma chérie, on vient de perdre le
moteur No 3... »
«
De perdre??? »
«
Non ! Heu... Oui ! Il s'est arrêté tout
seul... »
«
Qu’est ce qu'on fait, Captain ? »
«
On retourne à Bangkok, tiens ! »
«
Je préviens les passagers ? »
«
Je le ferai moi-même en temps voulu... »
Le
réacteur No 3 est un moteur intérieur,
lorsqu'il s'arrête, on le «sent »
moins, comme dit la
demoiselle, que pour les
réacteurs No 1 ou No 4, puisqu'ils sont à
l'extérieur, presque en bout
d'aile...
Heureusement,
nous sommes encore en
communication directe en VHF avec le contrôle
Approche
et landing donc sur trois
réacteurs... Je me souviens, Roland Ho, mon
copilote,
aujourd'hui instructeur,
me dit en blaguant:
«
Jack, c'est comme au simulateur... Tu
passes ton base-check ? »
«
J'ai passé mon contrôle hier ! »
De
fait, la veille, on me torturait dans
la « caisse »...
Une
heure quinze aller, une heure quinze
retour, cela fait deux heures et demi que le Chef
d'escale et son
équipe ont
quitté l'aéroport... Il est trois heures
du matin ! Ils
roupillent tous... Les
prévenir, les réveiller, il faut du temps
! Pendant ce
temps, il nous faut nous
occuper de la marchandise... Des passagers !
La
Chef, qui ne semble avoir que cette
question dans la bouche:
«
Qu'est ce qu'on fait, Captain ? »
«
Donnez leur à boire... »
Lors
d'incidents pareils, alors que tout
s'est très bien passé et qu'a la limite on
vient de leur
sauver la vie, ces 400
passagers ne sont pas contents du tout ! Non, ils
rouspètent,
ils gueulent en
gigotant ! Les Italiens se croient en plein
marché sur une place
quelconque le
samedi matin,
L'un
d'eux, m'a raconté mon ami Guy
Vanderlinden, lui a tendu son billet et d'un air
vraiment agressif et
méchant
lui a dit:
«
Ma destination, c'est Paris et vous avez
atterri à Amsterdam ! Quel genre de pilote
êtes-vous donc
? »
Paris
était fermé pour cause de verglas...
La piste, une patinoire artistique !
Mon
Français à moi, spécialiste de chez
Renault sans doute, me demande:
«
Alors, Commandant, c'était une durit ? »
(Sic).
Au
moins, lui, il est amusant...
Pas
comme celui qui interpella mon ami
Nick Evans, qui venait vraiment de lui sauver la vie et
celle de tous
les
passagers... Le Captain Evans n'avait pas perdu qu'un
réacteur,
il les avait
perdus tous les quatre ! En traversant la nuit un nuage
volcanique,
phénomène
qui ne se voit pas au radar... Perte de plus 7.000
mètres
d'altitude, pendant
laquelle, il avait pu remettre finalement en marche deux
réacteurs et atterrir
ainsi sur la piste relativement courte de Jakarta...
Chapeau !
Au
sol, ce locdu de première classe, car
il était en première classe ce « pax
»,
interpelle Nick Evans, qui descend du
cockpit encore tout secoué par sa performance:
«
Dites, Captain, j'espère bien que la
compagnie va me mettre dans un hôtel first class !
»
Quand
Nick m'a raconté cette histoire, je
lui ai dis:
«
Moi, je l'aurais étranglé ! »
«
Mais, Jack, le règlement interdit de tuer
ses passagers ! »
«
Hélas, oui ! »
Les
passagers... Ceux qui ne sont jamais à
temps à l'enregistrement, ceux qui se perdent
dans
l'aérogare, ceux qui
traînent au « Free shop » et ceux qui
s'endorment
carrément dans un coin, sur
le tapis des couloirs... Le Chef d'escale devient alors
fou ! Il
organise ! Pas
une chasse à courre, une chasse à l'homme
! Son
personnel, hommes et filles, «
walkie-talkie », radio en mains, traquent le
« pax »,
qu'il faut absolument
dénicher... C'est la battue, sinon l'avion aura
du retard ! Car,
il faudra
ouvrir les soutes, retrouver ses valises pour les
débarquer par
mesures de
sécurité... Une bonne heure de perdue...
Rapport !
Aah,
le bon vieux temps, quand le Captain
décidait de fermer les portes, passager ou pas
passager... Pas
de pitié !
L'heure, c'est l'heure ! Comme à la SNCF... En
plein hiver, j'ai
vu un pauvre
monsieur en bras de chemise rester planté sur le
quai de la gare
du TGV de
Mâcon-Loché. Pendant
les deux
minutes
d'arrêt, il était descendu pour faire pipi
au toutou... Sa
femme, restée au
chaud à l'intérieur de la voiture, hurlait
à
travers la vitre:
«
Arrêtez ! Arrêtez ! Mon chien va crever
de froid ! »
Ils
sont bien gâtés aujourd'hui, les
passagers aériens ! La compétition
étant forte,
les compagnies essaient de les
attirer comme des mouches... Et surtout de les garder !
Pour cette
raison, on
les chouchoute ! Ces chéris ont jusque trois
choix au menu de
leur repas, qui
sont au nombre de deux sur les longs vols... En plus,
ils peuvent
demander une
petite collation au cas où ils auraient une petit
creux (!)...
Entre ce gavage
animal, un long film, deux longs films et des courts
métrages !
Entre ces
niam-niams et glou-glous, ils ont la possibilité
de
téléphoner et de faxer...
Ils sont pourris, les passagers, et ne sont jamais
satisfaits !
Et
puis, il y a ceux qui ont toujours un
pet de travers (comme le chat...), qui sont malades, qui
s'évanouissent à force
de trop manger, de trop boire au cours de cette grande
bouffe... Un vol
sur
trois, il faut demander au micro:
«
Allô ! Y-a-t-il un médecin à bord ?
»
Un
jour, le Chef de cabine débarque tout
excité dans le cockpit:
«
Captain ! Captain ! Un pax vient de
s'évanouir ! Il est pâle comme la mort...
Peut-être
est-il mort ? »
«
Vous avez appelé un docteur ? »
«
Bien sûr ! Je retourne dans la cabine...
Je reviens vous tenir au courant ! »
Il
part et revient dix minutes après:
«
Alors ? Qu'a dit le toubib ? »
«
Qu'il était complètement saoul... » «
Qui ? Le médecin ? »
«
Non ! Le passager ! Il a repris ses
esprits... Ca va mieux ! »
Comme
celui qui avait aussi bu un coup de
trop... Le Chef de cabine vient me chercher !
«
Captain, il y a un passager qui voudrait
que tous ses voisins boivent et chantent avec lui... Je
ne peux pas le
faire
taire ! »
«
Bon, j'y vais... »
C'est
un Arabe en classe « business »...
Je remarque de suite qu'il n'a pas l'air bien
méchant, ni
agressif... Il
chantonne en terminant sa bouteille
de
Chivas ! Quand il m'aperçoit, il la vide
complètement
dans un verre et me
l'offre ! Il ne m'appelle pas « boy »...
«
Ah, Captain ! Voici pour vous...
Personne ne veut boire avec moi ! »
«
Mais je ne peux pas boire avec vous...
Vous le savez bien... Voyons !»
Je
m'assieds à coté de lui et avec les
quelques mots d'arabe que je connais, je parviens
à le calmer...
Après mon
départ, il s'endormira vite, me dit plus tard le
Chinois, qui a
perdu la face:
«
Comment avez-vous fait, Captain ? »
«
Les yeux bleus, Chef, les yeux bleus ! »
«
... »
A
Londres par contre, mes yeux bleus n'ont
servi à rien... Le Chef d'escale:
«
Captain, une passagère ne veut pas
absolument embarquer ! »
«
Et pour quelle raison ? »
«
Elle a peur... Je n'ai rien pu faire...
Est-ce que... »
«
Bon, j'y vais... »
Je
n'ai rien pu faire, moi non plus, pour
la décider à monter dans
l'avion...
Ni
par des mots tantôt doux, tantôt brutaux !
Cette fille
était accrochée, gluée à
son siège dans la salle d'attente ! Un morceau de
glace fondant,
bavant et
répétant le regard fixé sur ses
pieds:
«
I am afraid ! I am afraid ! I am afraid
! J'ai peur ! J'ai peur ! J'ai peur ! »
Résultat:
recherche de sa valise... Une
heure de retard !
Les
passagers... Problèmes sur problèmes !
Je
trouve très bien ces vols de classe
unique, que j'ai fait moi-même en voyageant,
où avant
l'envol, au pied de la
passerelle, le passager reçoit son panier
pique-nique, une
banane et un pied au
cul ! A bord, ils peuvent demander du café, du
thé, des
boissons... Ils
n'emmerdent personne ! Ils devraient être
contents, le billet
leur coûte moins
cher... Moins de personnel de cabine, service simple,
avion moins
lourd, on
consomme moins de carburant !
L'idéal,
pour les passagers et pour tout
le monde, ce serait, à mon avis, de leur donner
avant le
décollage, non un
bonbon acidulé comme ces chou-choux
reçoivent d'habitude,
mais une piqûre pour
les endormir, et une seconde piqûre juste avant
l'atterrissage
pour les
réveiller... Ou alors, plus facile et plus
économique, un
gaz soporifique dans
l'air conditionné ! La paix !
«
Dis, Jack... Heu... Tu es toujours en
première classe, toi, quant tu voyages ? »
«
Oui, pourquoi ? »
Non...
Il m'arrive de voyager en classe
économique, quand il n'y a pas de places
disponibles en
première classe ! En
fin d'une année scolaire, le Directeur de l'Ecole
française m'avait demandé de
donner une petite conférence sur l'aviation...
Les
élèves, je dois dire,
étaient fort intéressés et posaient
de nombreuses
questions... Le petit
Martinau, lui, ne voulait savoir qu'une seule chose: si
les Pilotes de
Ligne
voyageaient toujours en première classe !
«
Bien évidement, jeune homme ! Qu'est-ce-
que tu crois ? »
Je
pars en congé... Pas de places en «
Fisrt » ! Nous sommes installés avec ma
femme et ma fille
en bout de queue,
dans le dernier siège de la dernière
rangée de
l'avion... Vient s'asseoir à
coté de moi... Qui ? Le petit Martinau !
«
Mais ! Mais ! Que faites-vous ici,
M'sieur ? »
«
Heu... »
Certains
Commandants de Bord font à leurs
passagers un « speech » long comme un jour
sans pain... Un
discours ! Moi, pas
! Le plus court possible... Je ne suis pas un guide pour
touristes !
Très bref,
mon laïus aux passagers... Je laisse le soin au
Chef de cabine, ce
qui lui
donne l'impression d'être le Captain et ainsi il
est content, de
leur expliquer
comment avancer ou reculer leur montre pour qu'ils
sachent à
quelle heure on
arrive... De toute manière, je me trompe dans ce
genre de calcul
horaire... En
plus, personne n'écoute ! Même pendant le
briefing de
sécurité avant le
décollage, peu de passagers regardent la
malheureuse
hôtesse, qui se décoiffe
en leur montrant comment passer la bouée de
sauvetage ou le
masque à oxygène
par-dessus la tête...
La
preuve: une des questions du pax moyen
admis pour une visite de cockpit:
«
A quelle altitude sommes-nous ? »
Ca
me remue les sangs ce genre de truc !
«
Je vous l'ai dit tout à l’heure au
micro, Monsieur... 35.000 pieds ! Au revoir,
Monsieur...»
Les
passagers... Ils nous font vivre !
Pour cette simple raison, nous sommes bien
obligés de les
pouponner, de leur
talquer le pet...
Vive
le cargo !
Sacha
Guitry se donnait vite un coup de
peigne quand il avait une jolie femme au
téléphone...
Moi, comme je dénoue ma
cravate dès que j'entre dans le cockpit, je la
renoue vite
lorsque je vais
faire un petit tour en cabine... En cargo, on s'en fout
! On peut
enlever son
slip, si l'on veut... J'en ai connu qui volaient en
bermuda et
même en sarong !
Relax, nous réchauffons notre popote et notre
jus... Pas
d'hôtesses pour le
café ou le thé !
Pourtant,
j'ai eu aussi des passagères
emmerderesses en vol cargo... 217 vaches ! Soudain,
elles se sont mises
à taper
du sabot dans leur cage en bois, où elles sont
par trois...
« Bing ! »,
J'ai
eu également des passagers emmerdeurs
en cargo... Des passagers de première classe...
Des chevaux de
course !
Magnifiques bêtes, assurées pour des
millions...
Emmerdeurs, parce que nerveux
au décollage... Aussi, leurs palefreniers ont
l'autorisation de
rester à leurs
côtés au décollage... Pour les
calmer, ils leur
racontent sans doute de tendres
contes de fées:
«
Il était une fois... »
En
croisière, un jeune poulain a rué dans
les brancards pendant les dix heures de vol !
Malgré les
histoires d'amour, que
lui a contées son lad, il ne s'est jamais
apaisé... Parce
que vendues un jour
au bout du monde, j'ai lui ai demandé au gars,
pas au cheval,
s'il ne lui était
pas pénible de devoir quitter un jour ces
bestioles, qu'il avait
élevées et à
qui il s'était certainement attaché ?
«
Comme avec les femmes, Captain... Dans
ce métier, ne jamais tomber amoureux ! Sinon,
c'est foutu... You
know, Captain
! »
«
Oh, yes... Je sais ! »
Des
chèvres aussi, qui nous ont donné une
fausse alarme-feu en remuant le sable de leurs
caisses... Une
poussière ! Le
détecteur a cru qu'il s'agissait de fumée
et de feu !
En
vol cargo, une madame rhinocéros, qui
dans sa cage semblait bien triste... Elle avait
réellement la
larme à l'œil !
Son « vet » personnel, le
vétérinaire qui
l'accompagnait, m'a prétendu qu'elle
n'appréciait pas sa nouvelle vie... Destination:
le zoo de
Manchester ! Dieux !
Ce que je la comprends...
Quant
aux milliers de poissons tropicaux,
que nous trimballons régulièrement, ils
sont gentils, ne
disent mot... Ils nous
foutent la paix, ces poissons rouges... Ils font des
bulles ! Nous
transportions cette autre passagère de classe...
Voilée
dans sa robe de toile
fine, confortablement installée et bien
attachée, elle
n'a pas élevé la voix
durant tout ce vol des Emirats en Angleterre, n'a rien
réclamé... Nous amenions
cette beauté à Londres pour une
exposition... Une
Rolls-Royce Silver-Ghost 1904
! Enfin, un voyage de quiétude...
Cependant,
un qui semble inquiet et
nerveux en me présentant le manifeste du cargo,
est le Chef
d'escale de
Londres... Nous terminions la check-list...
«
Signez, Captain, signez ! »
« Oh
là ! Oh là ! Pourquoi cet empressement ?
»
«
Signez, Captain, signez ! »
Je
signe en comprenant sa nervosité...
Pour le compte du gouvernement singapourien, nous
transportions 30
tonnes d'or
! Je jette un coup d'œil à l'extérieur...
L'avion est
entouré
d’automitrailleuses et de policiers armés
jusqu'aux dents !
Mon
second sort vite sa calculatrice de sa
poche et veut estimer la valeur en argent que nous avons
à
bord... La
calculatrice explose !
«
Dis donc, Jack, ton ami Gadhafi... 30
tonnes d'or, cela pourrait l'intéresser... Non ?
»
«
Non ! »
Un
autre voyage, qui ne fut pas des plus
reposants, fut le vol cargo, que je fis de Bruxelles
«
Side cargo door ! La grande porte
latérale ! »
«
Stracey, il s'agit sans doute d'une
fausse indication... Un mauvais contact ? Non ? »
«
Je ne crois pas, Jack, je ne peux pas
pressuriser l'avion ! » « Merde ! »
Nous
pesions 373 tonnes, les réservoirs
contenaient 147 tonnes de carburant.. Il fallait donc
vidanger plus de
80
tonnes pour descendre le poids de l'avion à 285
tonnes, poids
max
d'atterrissage... Re-merde !
«
Bruxelles radar, Bruxelles radar... Où
vidanger ? »
Bruxelles
radar, très coopératif et
opérationnel, m'envoie directement sur la
côte belge: la
balise de Costa à
l'altitude de 2.000 mètres ! Le radar nous
donnera ensuite des
caps pour
l'opération « vidange » sur la Mer du
Nord... Pour
moi, Costa veut dire: «
Knockke le Zoute !
Alors,
moi le Belge, qui exactement 35 ans
auparavant, essayait avec ma libellule de pas me perdre
dans ma
navigation en
suivant le littoral comme un martyr, moi le Belge, je
vais
déverser au large de
cette côte belge et pendant 45 minutes plus de
100.000 litres de
pétrole avec
Stracey,
insistant pour aller jeter un
œil, à qui j'avais finalement donné
l'autorisation
d'aller seulement voir, mais
l'interdiction formelle de toucher à cette
sacrée porte,
revient dans le
cockpit après sa ballade aller et retour de 60
mètres
entre le fret:
«
Effectivement, la porte est
déverrouillée et même entrouverte...
Il n'y a
vraiment rien à
«
Si, Stracey, il y a quelque chose à
faire... Please, fais-nous un bon café ! »
Pilote
automatique, café chaud à la main,
cigarette, je me sentais encore plus coupable en
regardant le littoral
belge...
Nick Asleen, mon copilote, très jeune dans le
métier,
s'il ne fumait pas en
buvant son café, vivait au moins
intensément une de ses
premières
expériences aéronautiques...
De
retour à Singapour, j'invite à
déjeuner
le Chancelier de l'Ambassade de Belgique, mon bon ami
Faufeider, que
j'avais
très bien connu à Hong Kong...
A
l'apéro:
«
Dis-moi, Lucien, mon passeport belge ? »
«
Tu l'as perdu ? »
«
Non, non ! Mais, heu... Tu n'as rien
entendu dire ? Un incident sur la côte belge ?
»
«
Non ! »
«
L'Ambassade n'a donc pas reçu des ordres
de m'ôter ma nationalité belge ? »
«
Mais qu'est ce que tu me racontes-là,
Jacques ? »
«
Rien, Lucien, rien... Oublie ! »
Oublie...
Bien entendu, je n'oublierai
jamais le décès de ma mère !
CRAAAAAK
! CRAQUELURES...
Je
ne suis pas persuadé que ce soient les
os de notre corps qui se ratatinent, l'échine qui
se plie et
nous donne cet air
penché quand on prend de l'âge... Je crois
plutôt
que ce sont tous les coups
que nous ont assenés les dieux au cours de notre
existence...
« Plaff ! », on
prend un coup de vieux ! «Plaff» ! Craaaaak
!
Craquelures... Un second coup
de vieux ! « Plaff » ! Craaaaak !
Craquelures... Un
troisième... Tels des
rapaces, les dieux, nous arrachent des morceaux de notre
cœur...
Lambeaux par
lambeaux au fil de notre destinée... En fin
d'existence, c'est
bien simple, on
a plus de cœur du tout ! On ne peut plus verser de
larmes... Les
« Craaaaak !
Craquelures... », sans cesse renouvelées,
vous enfoncent
la tête dans les épaules...
Nos
bras deviennent ballants... On
craquelle... Craaaaak ! Craquelures finales... Le destin
finit par nous
mettre
K.O. !
Au
retour d'un séjour d'une semaine dans
l'île de Phuket avec ma femme et ma fille, un
télégramme m'attend... Il
m'annonce que ma mère n'est pas bien du tout...
J'enrage ! Je
m'en veux à
nouveau de ne pas avoir suivi mon instinct, d'avoir
accepté de
passer ces huit
jours au bord des plages, au lieu de les passer
près de Maman,
pour une
dernière fois ! Je le sentais... Une sorte de
télépathie entre ma mère et moi,
que nous avions toujours ressentie mutuellement... Pour
cette raison,
je haïrai
toujours Pukhet et ses plages de sable fin !
Je
saute dans le premier avion comme on
saute dans le premier tram... En 1985, les vols
n'étaient pas
encore directs
comme aujourd'hui... De nombreuses escales !
Arriverai-je à
temps ?
«
Maman, j'arrive ! »
J'entre
à la Résidence Grey-Couronne...
Viviane d'habitude toujours souriante, a longue mine...
«
Jacques, tu arrives trop tard... Ta
maman est morte hier soir ! » CRAAAAAK !
CRAQUELURES...
Comme
avec Papa... J'arrive trop tard !
CRAAAAAK
! CRAQUELURES...
Je
revois Minouche... Elle a l'air
paisible... En une étincelle de secondes et
d'images, je revois
sa vie... Pour
le peu de temps que j'ai passé avec elle, je la
revois avec
moi... Je la revois
avec Papa... Cette grande dame, au passé
fabuleux, à
l'existence
extraordinaire, vient de terminer sa vie ici, dans ce
triste home,
où peu de
famille, peu d'amis, peu de gens, vinrent la visiter,
lui tenir la
main, comme
je le fis en vitesse entre deux escales... Minouche, qui
côtoyait
tant de
monde, de personnalités...
Cependant,
oui,
quelques vrais amis sont venus la voir... De temps en
temps !
«
Qui, Maman ? »
Mais
Minouche ne s'en souvenait plus...
CRAAAAAK
! CRAQUELURES...
Ma
mère repose dans le même caveau que mon
père au cimetière de Kraainem...
Après 25
années de séparation, Fernand et
Minouche se sont enfin rejoints ... La destinée
finale !
Dans
ce café-restaurant en face de la
maison communal, où nous allions parfois
déjeuner, ma
mère et moi, dans les
années soixante, j'ai organisé une petite
réunion
après l'enterrement...
Avertis par les faire-part dans les journaux, je fus
surpris de
retrouver pas
mal de connaissances ! Ce qui m'a
réchauffé le cœur par
cette matinée glaciale
de décembre... Mais c'est avec une partie de cœur
en moins que
je repartis vers
Singapour...
Neuf
ans après, en écrivant ces lignes
funèbres, le décès de ma
mère, tout comme
pour celui de mon père, je pleure
devant mon texte... Allons, c'est qu'il me reste donc un
peu de cœur !
Oui,
assez de cœur pour perdre souvent la
vue... Mes yeux s'embuent facilement à la lecture
d'un texte...
Au cinéma, oui
Monsieur, je fais « sniff-sniff » ! Aux
souvenirs tristes
d'autrefois, j'ai le
cœur serré et je dois sortir mon mouchoir ! Assez
de cœur pour
frissonner à
l'écoute d'un air de musique classique, de jazz
ou
d'opéra... Assez de cœur
pour avoir la chaire de poule en écoutant une
chanson, de
frissonner d'émotion
au spectacle grandiose du firmament ou d'un simple coin
de la nature...
Assez
de cœur... Trop de cœur ? Heureusement !
Etrange
coïncidence que cette photo de ma
mère en robe longue, prise à Casablanca au
réveillon chez les Weyer en 1971...
Peu à peu, les couleurs se sont fanées,
puis la photo
elle-même... La
silhouette de ma mère devenait de plus en plus
floue... En la
regardant,
j'avais l'impression de la voir disparaître peu
à peu, ma
mère ! Un
pressentiment... A mon
retour de Bruxelles,
j'ai voulu encore revoir ce cadre, vieux de 15 ans...
Sans doute y
avais-je
moins prêté attention les derniers temps ?
La photo
était devenue toute
blanche, Maman avait disparu !
La
vie, ma vie continue !
Elle
continue mal, ma vie... Tous
les deux ans, nous devons passer notre examen
médical à
l'Hôpital du
Gouvernement...
Alors
que je croyais recevoir mon feu
vert, un des toubibs me montre
la
radiographie de mon thorax...
«
Captain... Votre trachée... Vous voyez ?
Là ! »
«
Non, Docteur, je ne vois pas... »
«
Elle est un peu courbée... La thyroïde
gauche, qui pousse dessus... Faudrait
examiner...
On vous retire votre licence ! »
Craaaaak
! Craquelures...
Encore
la thyroïde ! Le manque d'iode de
mes origines en climat congolais ?
Examens
! Il y a bien ma thyroïde, la
gauche cette fois-ci, qui est grosse... Les
médecins:
«
Opération ! Sinon, ils ne vous rendront
jamais votre licence... »
«
OK alors... »
Craaaaak
! Craquelures...
Me
voilà à nouveau sur ma civière en
train
de crier mon nom et celui du chirurgien... Ce n'est plus
le Professeur
chinois
Fou (Foo !), c'est le Professeur indien, Nambiar !
«
Taisez-vous ! »
Je
disparais... Reviendrai-je ? Je reviens
!
Convalescence...
Re-examen médical chez
ceux qui m'ont condamné !
«
Comment vous sentez-vous ? »
«
Ca va ! Et vous ? »
Je
récupère ma licence... Ouf !
Boeing
747... ZZZZZZZZ... Il m'emmène, ce
bel animal, vers des destinations de rêves... Aux
Maldives !
Par
centaines, les îles Maldives se
situent en plein Océan Indien au Sud-Ouest du
continent
indien... Une merveille
à survoler ! La mer ici a la peau tachetée
d'îlots,
que sont tous ces atolls, la
plupart inhabités, sauf une soixantaine
aménagés
pour le tourisme... L'eau
cristalline en fait le paradis des plongeurs et des
amateurs des
pêcheurs en
haute mer !
L'aéroport
est construit sur un de ces
atolls... Une piste, ni très longue, ni
très large, un
parking ne pouvant
recevoir que deux ou trois gros porteurs, une
aérogare
minuscule, d'où les
passagers prennent un « dhoni », bateau de
fabrication
locale, ou un hors-bord
pour se rendre sur l'île de Malé, la
Capitale, proche de
quelques miles seulement,
ou pour s'en aller vers les « resorts »
touristiques... Vu du ciel, cette
infrastructure ressemble tout à fait à un
porte-avions,
sur lequel nous devons
poser le Jumbo avec
toutes les
précautions voulues ! Car, aux Maldives, il n'y a
pas que le
ciel bleu, la
brise des tropiques et les petits oiseaux qui chantent,
il y a les
orages, la
pluie, le vent et ses rafales... Pas de radar !
L'approche et
l'appontage dans
ces conditions, surtout de nuit et par mauvais temps,
est à
nouveau l'affaire
d'un bon manœuvrier ! Dans le grain, travail du stick,
du palonnier...
La
pente, la dérive... Les essuie-glaces plein tubes
! Ne pas
toucher trop loin...
Atterrissage, reverses ! Voyez le travail ? Nous ne
sommes pas en
vacances,
nous, les pilotes ! Comme le carburant est rare à
cette
destination, nous avons
pris le maximum de fuel au départ... Nous sommes
donc «
heavy », lourd !
Attention les freins ! Ne pas les surchauffer ! Et ne
pas faire «
Plouff ! »
dans la mer... Les passagers seraient de suite dans le
bain, mais ce
n'est pas
ça l'idée ! Avec ses 75 mètres de
longueur,
lorsqu'on fait demi-tour en bout de
piste, le nez du Jumbo est pour ainsi dire au-dessus des
flots... Quant
il fait
beau, de la hauteur du cockpit, j'aperçois la
limpidité
des fonds sous-marins...
Le vertige des Maldives me prend déjà aux
tripes !
Le
vertige que j'ai, m'est donné par un
coup de téléphone à 6 H du matin...
Pierrot Braet
! Pierrot devenu « Papy » au
cours des années, il a pris de la bouteille et du
grade... Il
est devenu Chef de
village ! Je ne l'avais plus revu depuis mon passage
à Tahiti en
72...
«
Jacquesske ! Tu prends un dhony et tu
viens au Club ! »
Le
« ke » ajouté au prénom,
signifie «
petit », une familiarité... « Mon
petit Jacques
», Jacquesske ou Jacqueke...
Comme Marieke, la petite Marie...
«
J'arrive ! »
Pierrot...
Un être hors du commun...
Dirai-je extraordinaire ? Genre de personnage que l'on
ne rencontre pas
à tous
les coins de rue... Une baraque,
une
belle gueule de pirate, barbe, bandeau au front, boucle
à
l'oreille, tatouage,
mais discret, sur le bras et sur un pied ! Ne sachant
pas qu'au
demeurant que
Pierrot est le plus gentil garçon du monde, celui
qui le
rencontrerait donc au
coin d'une ruelle serait pétrifié sur
place...
Pierrot...
Par sa personnalité, entraîne
derrière lui un raz de marée de «
G.M. », ces « Gentils
Membres » du Club
Méditerranée ! Fidèlement, ils
viennent
en vacances dans le village de Papy, pour Papy, et rien
que pour
Papy... La
beauté du paysage, le soleil, la mer bleue, ils
s'en
balancent... Ce qu'il leur
faut, c'est Papy !
Pierrot
est un public relation, un « PR »
idéal pour ce genre de clientèle ! Au bar,
il raconte des
histoires... Son
accent bruxellois ajoute un parfum rare aux
récits de ses
aventures à travers
le monde... Bouche bée, les gens écoutent
!
«
Moi, Monsieur, avec le détachement belge
des parachutistes, j'ai fait la guerre de
Corée... Lorsque nous
sommes arrivés,
la guerre était finie ! Ils ont eu peur de
nous... »
«
Moi, Monsieur, au Katanga, quant que je
me battais pour le compte de... »
«
Moi, Monsieur, j'étais champion de
lutte... J'ai fait 33 combats en division nationale...
J'en ai
gagné un ! Ce
jour-là, mon adversaire a déclaré
forfait... Il
était tombé malade et je ne l'ai
jamais vu sur le ring ! »
«
Moi, Monsieur, lors d'une plongée, j'ai
vu de ces monstres de requins... »
«
Moi, Monsieur, dans les montagnes de
l'Atlas au Maroc, un vieux Berbère m'a
confié ce secret
terrifiant... »
«
Lequel, Papy ? »
« Je
ne vous le dirai pas ! »
Les
gens s'extasient... Se tordent de
rire... La bière coule !
Mais
Pierrot, du jour au lendemain, décide
de s'arrêter de boire ! Il est alors, comme il dit « dans sa
période bleue »... La
main
tapotant sa panse, sous laquelle pend son paréo:
«
Tu comprends, je dois quand même faire
attention à ma ligne de jeune homme... »
Pierrot
apprend des chansons
flamando-bruxelloises aux pêcheurs maldiviens.....
«
Viva Bomma, pataten met saussissen.. »
Les
pauvres mecs répètent en chœur:
«
Viva... »
Bien
heureusement, ils ne comprennent pas
un traître mot de cette chanson de corps de
garde...
Pierrot
est ainsi adoré de son équipe qui
essaie par tous les moyens de le suivre lors de chaque
changement de
village du
Club... Moi aussi, j'aime bien Pierrot...
On
parle de Bruxelles... De pas mal de
connaissances communes, de « personnages
»... Tiens ! Du
« Birodrome » et de
son patron, que nous connaissons tous les deux...
D'ailleurs, qui ne
connaît
pas Pol ? Au Birodrome, formations de jazz, les «
grands »
y sont passés... Et
surtout, des dizaines et des dizaines de bières
différentes... D'où son nom !
La bière coule... Le soir où j'ai fait la
connaissance de
Pol, j'ai bien failli
recevoir une baffe...
«
Qu'est-ce que tu prends, Fieu ? »
«
Un café... »
Pol...
Avec ses grosses moustaches, il
ressemble à l'Empereur François Joseph !
Une figure lui
aussi...
Lors
d'une de mes escales aux Maldives, je
vais à la pêche au gros avec Jacques et
Regina... Leur
bateau est super équipé
! Radar en couleur pour repérer les bans de
poissons, cannes
Jacques,
avec son accent de Marseille:
«
On a fait une casse-que-tte... Tant pis,
hé ! La prochaine fois, on fera mieux... »
Nous
descendons du bateau... Un râle nous
parvient...
«
Héee... Héee... »
On
se retourne... C'est un pêcheur
maldivien, le cul trempé dans sa minuscule barque
à
voile... Elle prend la
flotte, sa barquette... Elle va couler... Par le poids
d'un thon de 80
kg,
qu'il vient de prendre avec un simple ficelle en nylon !
Jacques,
par tactique de diversion:
«
Allons prendre le pastis, hé ! »
C'est
d'ailleurs la manière par laquelle
les équipages pêchent le soir lors du
« fishing trip
» organisé pour eux par l'hôtel
de Kurumba ou de Bandos... Un fil en nylon, un plomb, un
Avec
mon masque, mon tuba et en palmotant à la surface
de l'eau,
« flip », « flop »,
j'admire les centaines de poissons sur les bancs de
corail... Je peux
voir
clairement à une cinquantaine
«
Let me introduce myself... Je me
présente... »
Je
n'ai jamais vu de requin !
Les
Maldives...
Je
dis à mon équipage:
«
Les gars, nous avons bien de la chance
de pouvoir profiter de ce paradis... »
Paradis
? Le soir de notre décollage vers
l'Europe, une bande de mercenaires venant des Indes ou
du Sri-Lanka, je
ne sais
plus, et qui furent vite mâtés, attaquaient
la ville de
Malé et
«
Opération complètement lamentable !
»
m'a raconté plus tard « l'affreux »
Pierrot-Papy...
Et de commenter:
«
Nous aurions fait mieux, nous, au
Katanga... »
A
Malé, un décollage de nuit,
impressionnant et raté en Mai 1989... Par fort
vent à 90
degrés de la piste,
plein travers, les deux réacteurs dans le vent
(!), ne recevant
plus assez
d'air, ont craché leurs poumons en deux longues
flammes et en
faisant: « Boum »
! et « Boum » !...
«
Reject take-off ! », «
Accélération-arrêt
! » « Décollage
interrompu » Heureusement,
nous roulions à peine et j'ai arrêté
la machine
rapidement... Pendant ce temps,
mon mécanicien de bord et d'expérience,
David Teng,
coupait les moulins dont
les températures devenaient scabreuses en
s'envoyant en l'air
vers le rouge !
Ah ! Les mains d'un bon mécano... Le
troisième homme...
La sécurité !
Au
parking, une inspection visuelle (!)
des turbines par le mécano du sol nous rassure
(!)...
«
Everything OK ! Clear to restart No 1
and 2... »
On
remet en route le 1 et le 2... Tout est
normal ! Au décollage, je prends un peu plus de
vitesse avant
d'avancer les manettes
pour la puissance finale... V1, VR, V2... Nous quittons
ces lieux de
paix que
sont les Maldives !
Toujours
des Maldives, direction Vienne en
Octobre 1988, via Dubai pour une escale technique: faire
du
carburant... A
Malé, le camion citerne est tombé en panne
! Au moins une
heure à ajouter à nos
prestations...
Brouillard
à Vienne ! Diversion
Francfort... Pendant la descente, Francfort passe en
dessous de nos
« minima »
pour l'atterrissage (800 mètres de
visibilité, 200 pieds
de plafond)! Il nous
reste Munich, dont la visibilité diminue
rapidement aussi...
Atterrissage avec
900 mètres de
Les
profanes comptent nos prestations en
heures de vol... Erreur ! A Malé, réveil
une heure avant
le « pick-up », qui ne
comte pas dans le calcul des prestations, ni la
demi-heure de bateau,
pendant
lequel, par mer forte, l'équipage se fait souvent
mouiller par
les vagues... Le
maquillage des hôtesses se dilue,
s'évanouit... Certaines
ont le mal de mer !
Elles doivent se rafistoler dans les toilettes de
l'aéroport...
Nous arrivons
une heure avant le décollage... Début des
prestations !
Je ne parlerai pas des
trajets de deux heures à cause des encombrements
dans des villes
comme Bangkok,
Tokyo, Séoul ou Taipé... L'horreur !
A
Munich, en comptant à partir du saut du
lit, plus les 3H 30 de vol entre Malé et Dubai,
plus les 6H 30
entre Dubai et
Munich, une heure d'escale à Dubai, nous sommes
déjà sur pieds depuis belle
lurette... Malgré cela, avec l'accord de mon
équipage, je
décide de continuer
le vol... Je n'ai jamais refusé de continuer,
pour autant que
nous ne
dépassions pas les 16 heures de prestations, qui
est le maximum
légal prévu par
la réglementation dans des cas pareils ! Le
maximum programmable
est 12h...
D'ailleurs, qui nous remplacerait Munich, escale non
desservie par la
compagnie
?
On
attend ! On attend que le brouillard se
lève à Vienne... Une heure se passe...Une
deuxième!
Les
passagers commencent à être nerveux...
«
Qu'on leur donne à boire... »
A
la troisième heure, les « pax » dont
la
destination était Amsterdam après l'escale
de Vienne,
veulent débarquer,
récupérer leurs bagages et exigent qu'on
leur trouve une
place sur un avion
pour Amsterdam ! Tout de suite !
«
Redonnez leur à boire... D'ailleurs la
visibilité s’éclaircit à Vienne...
»
Vienne
passe au-dessus des 800 mètres requis
de visibilité... On y va ! Nous sommes en final
ILS, 2.000
pieds...
Je
demande la « Final check-list ! »
Nous
sommes trois dans le cockpit: ma pomme,
mon copilote E. C. Chong, mon mécano Dominique
Lim... Nous
sommes trois à
répondre:
«
Down in, green light ! Train descendu,
verrouillé ! Lampe verte ! »
Je
demande 25 degrés de volets...
«
Flaps twenty five ! »
Le
« Poueeeeeeeeeeeeeeeeeeeet » klaxon de
Monsieur Boeing se met à hurler ! Le
traiiiiiiiiiiiiiiiiiiiin !
Bande pommes !
Vous avez oublié le traiiiiiiiiiiiiiiiiiiiin !
»
Hébétés,
nous sommes trois à regarder la
lampe rouge... Et nous descendons les roues !
«
Merde alors ! Merci, Monsieur Boeing...
»
La
fatigue... Nous sommes à 50 % de nos
moyens, si pas moins !
Nous
arrivons en état de décomposition à
la réception de l'hôtel Hilton:
«
Vous arrivez des Maldives ! Vous devez
être en pleine forme... »
Ce
réceptionniste devait être
complètement bigleux !
Lors
de ce vol, j'avais invité Christian
Steveniers et sa femme Suzanne, rencontrés avec
Papy au bar du
Club, à venir
dans le cockpit... Christian, cuisinier de son
métier, Chef au « Rouge
Cloître »,
excellent restaurant
bruxellois, m'avait donné une recette simple pour
réussir
à tous les coups une
sauce béarnaise... Dans la tourmente de notre
diversion, j'ai
perdu le bout de
papier sur lequel j'avais inscrit ce précieux
secret ! Il est
donc écrit
quelque part, que jamais, je ne réussirai une
béarnaise...
Les
Steveniers avaient donc fait un long
voyage:
Malé-Dubai-Munich-Vienne-Amsterdam-Bruxelles !
Enfin
arrivés à
destination, il nous envoie bien une carte postale:
«
Etes-vous toujours vivants ? Nous, on
est mort ! Vivent les vacances... Christian et
Nous
aussi, pendant deux jours, nous
étions morts ! Pas de chant de la chorale des
petits chanteurs,
pas de chevaux
Ibizans, pas de tarte au chocolat chez Sacher, pas de
café au
Café
Kolschiski... Notre circuit classique
court-circuité !
Les
vacances aux Maldives...
Pour
autant que les appareils au sol et
ceux de l'avion soient en ordre de parfait
fonctionnement et que
l'équipage
soit qualifié (simulateur, etc...), les normes de
visibilité peuvent descendre
bien plus bas lors des approches aux pilotes
automatiques... «
Aux », parce
qu'il y a deux et même trois pilotes automatiques,
qui font
l'approche ensemble
! Ils se surveillent mutuellement, les trois «
Georges »...
Ils rapportent
immédiatement, ces délateurs, la
première petite
connerie d'un confrère...
Alarmes et lampions rouges ! En catégorie 2, la
visibilité ne doit être que de
350 mètres et le plafond 100 pieds (une trentaine
de
mètres) seulement... Déjà
pas grand chose ! Dans les différentes
catégories 3,
autant dire de suite que
l'avion se pose dans la purée du brouillard, les
pilotes ne
voyant quasiment
rien ! Leur problème majeur est alors de se
repérer au
sol... Car l'avion s'est
posé tout seul sans aucune intervention manuelle
du Commandant
de Bord !
Impressionnant ! Question d'habitude... Finalement avec
la pratique, on
s'y
fait ! Bien que nous ayons les mains posées sur
le stick et les
gaz « en cas
que », angoissant tout de même de voir
bouger le manche,
d'observer les
manettes avancer et reculer toutes seules afin de donner
la puissance
voulue
pour un parfait maintien des vitesses d'approche...
L'altimètre
descend !
Atterrissage ! Réduction automatique des manettes
et arrondi
automatique
effectué par le stick ! Ces atterrissages
automatiques sont
d'ailleurs assez
vexants... Georges atterrit souvent bien mieux que nous,
les pilotes !
Stress,
fatigue, décalage horaire ou
simplement distraction ? Nous sommes trois à « positionner
», mise en place,
d'Athènes à Istanbul par «Turkish
Airlines »... Bon petit déjeuner... Un peu
bref, car voici
déjà la mise en
descente ! On le « sent », car nous n'avons
rien
pigé au laïus de l'hôtesse
turque... Tiens ! Mon copilote australien Geoffrey Rich,
que je taquine
en l'appelant
« le bush-man », mon mécanicien
chinois Alex Leong
et ma pomme (!), nous nous
dépêchons de terminer notre plateau...
Bizarre, ce vol est
court... Entre deux
bouchées, on jette un œil dehors... La mer ! Nous
atterrissons
sans doute sur
la piste 36... Puis des montagnes... Non, ce sera la
18... Atterrissage
!
Nous
sommes trois à quitter la cabine, à
dire au revoir aux hôtesses, qui semblent fort
surprises... En
uniforme (pas
besoin de visa), nous sommes trois à passer comme
des balles
devant les
Officiers de l'Immigration, qui semblent
également fort
surpris... En attendant
nos bagages, je demande à un autre passager s'il
connaît
cette nouvelle
aérogare ? Uniquement pour la « Turkish
», compagnie
nationale ! C'est bien ça
!
«
Mais non, Sir... Il a déjà quelques
années cette aérogare ! »
Nous
n'avons toujours rien compris...
Notre franc ne tombe toujours pas ! Car, nous sommes
trois à
dire:
«
Ah, bon ? »
Nos
trois valises ne sont pas sur le tapis
roulant des bagages, qui s'arrête soudainement !
Une
employée de la compagnie s'approche...
«
Vous avez un problème, Messieurs ? »
«
Nos bagages ne sont pas là, Mademoiselle
! »
«
Montrez-moi vos billets, s'il vous
plaît... »
«
Les voici... »
«
Mais... Mais... Vous allez à Istanbul !
»
«
Bien sûr, Mademoiselle, que nous allons
à Istanbul, puisque nous sommes à Istanbul
! »
«
Non, Captain, vous êtes à Izmir ! »
Trois
demi-tours et puis s'en vont... Le
regard caché sous la visière de notre
casquette, nous
n'avons pas revu les
policiers étonnés en repassant
l'immigration... L'avion
est-il encore là ? Oui
! Ouf ! Nous n'avons pas souri aux hôtesses
surprises (!)...
Direction rapide
vers nos sièges ! Silence...
Je
vois d'ici la tête de mon Chef pilote:
«
Allô, R.J., mon équipage et moi sommes
à
Izmir au lieu d'être à Istanbul !
Allô, R. J.,
laisse-moi t'expliquer... Allô,
allô, R.J., allô...»
Stress,
fatigue, décalage horaire ou
simplement distraction ? Ou l'âge ?... A travers
l'aérogare de Singapour, je
suis seul, cette fois-çi, à me diriger
vers mon avion...
On lit de suite sur
mon visage (mon front est d'un sérieux !) la
concentration du
pilote avant son
envol... Je pénètre dans la cabine et
comme d'habitude,
je dis au Chef de cabine:
«
Bonsoir ! Le temps de vol est de 5H10
et... »
«
Captain, 5H10 pour aller à Tokyo... Un
record ! »
«
Tokyo ? Nous allons à New Delhi ! »
«
Non, nous allons à Tokyo, Captain... »
«
... »
Un
demi-tour et je m'en vais, les yeux
baissés sous ma casquette... Je me suis
trompé de
Une
autre fois, j'ai confondu les
hémisphères... En plein mois de juillet,
je me suis
retrouvé en escale en
Australie, à Melbourne... En été,
on porte
chemisettes à manches courtes et
petits shorts... Non ? Ma valise en était remplie
! Quelle ne
fut pas ma
stupéfaction de sentir un vent glacial me
transpercer les fesses
et de voir le
toit des voitures chargées de matériel de
ski ! Les gens
emmitouflés dans leurs
écharpes, partaient aux sports d'hiver... Je suis
resté
deux jours enfermé dans
mon hôtel à grelotter et à regarder
la
télévision !
Une
bière de trop ce soir-là ? Au vaste
bar « Someplace Else » de l'hôtel
Sheraton à
Brisbane, mon mécanicien de bord,
Dany Cheng:
«
Regarde, Jack ! »
«
Quoi ? »
«
L'écriteau au néon... Au-dessus du bar !
»
Je
lis:
«
La bière est gratuite demain ! »
Et
j'ai failli dire à Dany:
«
OK, on reviendra demain alors... »
Alec
Cadi, mon ami français (que dis-je ?
mon ami basque !) est un «business man »,
qui passe sa vie
à voyager en
avions... Ce qui, apparemment, ne l'a pas
dégoûté
des avions... Pourquoi ?
Parce qu'il est pilote privé lui-même et
donc
passionné d'aviation ! En Floride,
il a virevolté en Cessna... Il aime donc la
compagnie des
aviateurs et adorent
nous entendre parler de nos avions... Cependant, des
histoires comme
celles que
je viens de relater l'inquiètent... Il ne cesse
de nous
répéter:
«
Et dire que l'on confie notre vie à ces
gens-là... »
Nous
avons, Alec et moi, le même goût...
Nous aimons les alcools sucrés ! Les vins cuits,
les portos, les
apéritifs
doux... Moi, je les appelle « les alcools de
vieilles putes
»... J'aime ! Les
vieilles putes ? Oui ! Heu... Non, les alcools !
La
première fois qu'il est venu à la
maison, il me demande un « Bristol Cream » !
«
J'ai pas, mon vieux ! Par contre, je
peux t'offrir un Baileys... Alors, toi aussi, Alec, tu
aimes ces
alcools de
vieilles putes ? »
«
Dis donc, Jacques ! »
J'ai
acheté uniquement pour lui une
bouteille de Bristol Cream... A chaque apéro:
«
Tu veux ton alcool de vieilles putes,
Alec ? »
L'expression
est devenue classique entre
nous, coutumière... Elle demeure ! Tellement
habitué
à présent à ce gag,
qu'Alec me raconte:
«
A cause de toi, à une réunion de famille
en France, enfin je veux dire dans le pays basque, j'ai
bien failli
proposer un
alcool de vieilles putes à mes parents et
à ceux de ma
femme Bernadette ! Comme
pousse-café, désirez-vous un alcool de....
Heu... Un
vieil alcool !? »
Alec
Cadi, me faisant vilain regard:
«
Et dire que l'on confie sa vie... »
Comme
Directeur, Alec Cadi a remplacé un
autre de mes amis, ex-Colonel Aviateur de la Force
Aérienne
belge... Georges
Castermans ! Comme moi, du temps de mes Grands Magasins,
mais lui en
bien plus
haute position, Georges a donc prouvé qu'un
ancien pilote de
chasse était
capable, sans doute mieux que bien d'autres
universitaires aux
diplômes
multiples, de prendre des décisions et
d'organiser avec
maîtrise les affaires
d'une grosse boite... Surtout que Georges Castermans est
du genre
« Gig-line »
! Expression de discipline, retenue lors de son
entraînement
comme élève-pilote
aux U.S.A.:
«
La ligne de la chemise doit être alignée
avec celle de la braguette du pantalon ! »
C'est
tout dire... Depuis qu'il m'a parlé
de sa « Gig-line », moi, bête et
discipliné,
aimant aussi la netteté et
l'ordre, tous les matins, je vérifie comme un con
l'alignement
de mon falzar et
de ma chemise ! Régulièrement, je pense
donc à mon
ami Georges...
Contrairement
à mon CO, je n'ai pas connu
Georges Castermans à la Force Aérienne...
Raison pour
laquelle sans doute, je
me suis permis de le tutoyer rapidement après
notre
première rencontre... avec
sa permission ! Nous sommes devenus grands amis et le
Colonel, sans
doute pour
marquer qu'il est toujours Chef de meute, me dit «
Repos, mon
petit loup ! »,
quand pour rigoler, je lui adresse la parole en disant
« Mon
Colonel ! » et en
claquant des talons ! N'ayez crainte, aucunes tendances
particulières... Oh,
non ! Les principes de Georges! De l'amitié, tout
simplement ! A
l'unanimité,
Georges Castermans fut élu et
ré-élu
Président de notre Club
Belgo-Luxembourgeois, durant son séjour à
Singapour... Un
ami !
Ce
n'est pas aisé de faire les « rôles
»
des pilotes, d'établir le planning de leurs
vols... Je me
demande comment
Anthony Andres, le programmateur, n'est pas devenu
complètement
fou ! Son
téléphone ne cessait de sonner...
«
Mister Anthony, please, pourrais-je
avoir le vol sur... »
Riiiiiing
!
«
Mister Anthony, please,... »
Riiiiing
!
Mais
Anthony ne s'énervait pas et avec
calme, parvenait à contenter tout le monde et
tout le monde
était content !
Chapeau ! Pas facile à contenter, les pilotes...
«
Oh la la ! Je vole trop... »
«
Oh la la ! Je ne vole pas assez... »
Nous
sommes tous ainsi...
Existe,
hélas, cette catégorie de pilotes
pour qui rien n'est jamais bien... Ils ne sont jamais,
jamais, jamais
contents
! Ils ne cessent de rouspéter, sont
persuadés que c'est
mieux ailleurs (qu'ils
y aillent !), se rendent malheureux et par leurs
jérémiades, démoraliseraient
toute une escadrille ou un régiment de
cavalerie... Moi, je ne
les écoute plus
! La compagnie s'agrandissant et se modernisant, Mister
Anthony a
été remplacé
par un computer... C'est foutu ! Probablement parce
qu'on lui a
soufflé à
l'oreille le mot magique de « productivité
», cela
l'a troublé, monsieur le
computer, et il n'a rien pigé... La moitié
des pilotes
passent leur vie en
l'air, l'autre moitié au sol !
A
présent, lorsque nous essayons d'obtenir
un vol particulier, la seule et brève
réponse que nous
recevons de la fille qui
tout en tricotant interroge l'ordinateur,
«
Le computer a dit: NON ! »
Et
tout le monde est mécontent...
Ainsi,
moi le Belge, qui aimerait bien
aller manger un plat de « moules » de temps
en temps
à Bruxelles, je me retrouve la plupart du temps
en Australie,
alors que les
Australiens se promènent en Belgique sans manger
de frites !
Les
computers...
Où
est le temps des petites compagnies,
que j'ai connues ? Nous allions trouver le programmateur
des
rôles avec un «
petit kekchose »... Une petite bouteille, une
mignonnette, ou un
magnum, selon
le petit ou le grand vol désiré... Quand
on n'apportait
rien, on volait, oui,
mais en « réserve »...
«Standby»
à la maison !
Une
autre réponse parapluie de la
demoiselle au computer:
«
Si vous n'êtes pas content, allez
trouver le Chef-Pilote ! »
«
Ben oui ! J'y vais, tiens ! »
J'entre
dans le bureau de Victor Ho, un de
mes Chef-Pilotes:
Victor:
«
Tiens ! Tu portes des bretelles
maintenant, Jack ? »
«
Tu nous fais travailler comme des
nègres... Pas étonnant que je maigrisse !
Faut bien que
mon pantalon soit
soutenu... »
«
Hi ! Hi ! Hi ! »
«
Heureusement, nous faisons pas mal de
mises en place en passagers... Un peu de relax ! A ce
propos, Victor,
j'ai lu
dans de nombreux journaux que SIA demandait des
pilotes... »
«
Oui... Quels journaux ? Nos annonces
sont seulement dans Flight International ! »
«
Non, non, Victor ! Dans tous les
journaux mondiaux... Beaucoup de pilotes ! »
«
Je ne suis pas au courant... Beaucoup de
pilotes ? Quelles qualifications ? Et pourquoi
«
Des pilotes sans aucune qualification !
Uniquement pour faire de la mise en place... »
«
Hi ! Hi ! Hi ! »
J'aime
bien les gens qui savent rire...
Surtout quand il s'agit d'un Chef-Pilote !
«
Jack, pourquoi dis-tu un nègre au lieu
d'un noir ? »
«
Ca y est ! Tu reviens avec tes grandes
idées « Pouet-pouet »... Nègre
n'est pas
péjoratif du tout ! D'ailleurs: « Dieu
est Nègre » ! C'est Lèo qui a dit
ça... Non
? Un Noir perd toute sa saveur, un
Nègre garde toute son authenticité... Un
chat, c'est un
chat, mon vieux ! »
«
Passons... »
En
temps de mousson, nous naviguons entre
les orages... Les cumulonimbus ! Ces nuages peuvent
atteindre des
altitudes
importantes, jusque 15.000 mètres ! Ce qui nous
oblige à
les contourner en
faisant des détours de 20, 30 ou 50
kilomètres et plus,
pour les éviter !
Lorsqu'il s'agit d'un typhon, nous le savons à
l'avance,
puisqu'il a été
photographié (en couleur !) par un satellite,
dont nous recevons
l'image aux
Opérations avant le vol... Fantastique d'avoir
ainsi sous les
yeux la moitié de
la planète ! Nous décidons alors
d'emprunter une autre
voie aérienne ! «
Interdit de boire à moins de 50 mètres de
l'avion et de
fumer 10 heures avant
le décollage et... »
«
Jack, C'est le contraire ! »
«
Sorry ! Tu as raison... »
Je
connais cependant une « espèce » de
passager, assez rare mais existante, que les turbulences
ne
dérangent pas du
tout... Au contraire ! Cette belle Italienne en fait
partie... Elle me
l'a
avoué à Rome, où elle m'avait
emmené
déjeuner dans un restaurant en plein air,
heureusement en plein air, parce que cet albergo est
à deux pas
des catacombes
!
Entre
deux verres de Lambrusco, elle me
sort:
«
Quand zé prend l'avion, zé demande
toujours oune place à l'arrière, dans la
queue...
Là, ça bouge beaucoup ! »
«
Ah ? Et pourquoi donc, Maria ? »
«
Zadore me faire secouer ! Cet oune vrai
plaisir pour moi ! Comme oune... oune... »
«
Oune orgasmo, Maria ? »
«
Si ! Si ! Tou as raison, Jacques ! Oune
orgasmo ! »
Il
faut de tout pour faire un monde...
Il
faut de tout pour faire un monde...
C'est ce que semblait me faire comprendre cet ami, que
je remerciais
pour son
invitation de la veille, coutume que j'ai depuis
toujours ! Je fus tout
aussi
surpris que lui, lorsqu'il m'a demandé:
«
Heu... Merci pourquoi, Jacques ? »
«
Ben... Pour le bon repas et la bonne
soirée passée chez toi ! »
«
Heu... Merci, Jacques... »
«
Merci encore... »
«
Merci ! »
J'embrasse
mes amies, bien sûr, mais
j'embrasse aussi mes amis... Une habitude africaine sans
doute, mais
surtout
parce que quand j'aime, j'aime ! Pour certains, cela
paraît
bizarre... Il faut
de tout pour faire un monde !
Le
monde... En vol de jour, je regarde le
monde, j'admire les nuages... J'assiste alors à
un
véritable travail de
sculpture ! Des mains invisibles façonnent la
matière, la
polissent sans
cesse... Des statues prennent forme et se
transforment... Miracle de
courte
durée... Hommes, femmes, anges ou démons,
diables en
gargouilles, animaux
terrestres, extra-terrestres, apparaissent,
disparaissent... En vol de
nuit, pour
une seconde, les éclairs ajoutent à ce
tableau une touche
finale... Luminosité
d'apocalypse... Que c'est beau !
De
nuit, par ciel clair, j'admire
l'Univers... Que c'est beau ! Le grand Architecte fait
bien fait les
choses...
Il ne joue pas aux dés ! Certainement pas, a dit
Einstein...
Tout semble si
bien programmé ! Mais ce déterminisme
semble avoir une
faille: pourquoi les
hommes se détruisent-ils en se haïssant
depuis le
début des temps et
s'acharnent à détruire leur planète
? Par
mégarde ou par fatigue, le grand
Patron, pourtant infaillible, paraît-il, a-t-il
poussé sur
une mauvaise touche
de son ordinateur universel ? Ou est-ce de nouveau un
coup du computer
lui-même
? Il lui joue des mauvais tours ? PFM ! Ou alors, un
fait
exprès, bien
déterminé de la part du grand Calife ? Je
me le
demande... Sais pas !
L'Univers...
Mes jumelles, que j'ai
toujours avec moi à bord ou même mon
télescope
à la maison, ne sont pas assez
puissants pour voir l'extra-terrestre que je connais...
Je ne peux pas
le contacter...
J'ai pourtant son adresse exacte, mais hélas, je
ne suis jamais
parvenu à
obtenir son numéro de fax ou de
téléphone... Il
habite loin, très loin... A des
années-lumière ! Il tient demeure
près de
l'étoile Alnitak, zêta de la
Constellation d'Orion... Orion, le chasseur, qui fut
piqué par
le Scorpion !
Pour ne plus connaître cette mésaventure,
on dit que les
dieux ont arrangé les
bidons en faisant se lever à l'Est la
Constellation du Scorpion,
alors que
celle d'Orion se couche à l'Ouest... Ainsi, le
Chasseur et le
Scorpion ne se
rencontreront plus jamais !
Prés
d'Alnitak et de la nébuleuse 2024, se
trouve un nuage de gaz noir, IC 434... La maison de la
«
Tête de Cheval » !
Dans mon bureau, j'ai fait encadré sa photo,
prise par un
célèbre photographe,
possédant un télescope au grossissement
fort
élevé, lui... Une pose
merveilleuse... Est-ce un cheval ? Un pion de jeu
d'échecs, un
écuyer du grand
échiquier cosmique ? Surgissant de ce nuage de
gaz sombre, son
cou allongé et
sa tête me font plutôt penser à un
cobra ...
Impressionnant ! Je me demande si
ce personnage habite encore dans le coin ? Car l'image,
que nous
connaissons de
lui, a quitté son domicile voici plus d'un
millénaire...
Les
Grecs ont écrit dans le ciel
l'histoire de leur mythologie... Ils ont nommé
les
constellations: Persée,
Andromène, Pégase... Les Arabes ont
surnommé les
étoiles: Alnitak, Alnilam,
Mintaka, de la ceinture du Chasseur... Dubhe, Merak,
Phecda, Megrez,
Alioth,
Mizar, Alcor, Alkaid de la Grande Ourse... Aldebaran du
Taureau...
Antarès du
Scorpion... Et bien d'autres: Alderamin, Eltanin,
Schedir, Betelgeuse,
Rigel,
Altair, Sheratan, Hamal, Menkalinan, Saiph, Sadr,
Eltanin, Rasalgeti,
Rasalhague, Tarazed, Zubenelgenubi... De quoi
rêver ! Non ?
Je
me sens toujours bien dans mon manteau
de fine peau... Mon Jumbo me fait visiter le monde !
Mon
Jumbo m'emmène aux Indes, où la
communication radio est parfois difficile à
établir:
«
MADRAS ! MADRAS ! MADRAS ! »
«
CALCUTTA ! CALCUTTA ! CALCUTTA ! »
«
BOMBAY ! BOMBAY ! BOMBAY ! »
Idem
pour le Pakistan:
«
KARACHI ! KARACHI ! KARACHI ! »
Pourtant,
eux aussi, ils ont la bombe
atomique...
Puisque
nous ne pouvons pas ouvrir nos
fenêtres du cockpit pour gueuler après les
contrôleurs, la solution, pour nous
pilotes, serait d’employer le téléphone
portatif mis
à la disposition des
passagers avec lequel, de n’importe quel endroit du
monde et sans aucun
problème, ils contactent leurs bureaux ou leurs
petites amies...
En
finale ILS, en un point donné, nous
faisons un contrôle de l'altitude de l'avion sur
la pente de
l'ILS: «
Outer-marker check » ! Soit le passage d'une
balise, soit un mini
son et
lumière, lampe bleue, qui s'allume en
intermittence et
accompagnée d'un bruit «
poueeet-poueeet »... Nous devrions passer à
cette
altitude, c'est correct: «
Outer marker checked » !
Aux
Indes, à Bombay ou à New Delhi,
l'outer-marker
check est confirmé également par
l'odorat... Vers les
2.000 pieds, au lieu de
dire « outer-marker check », on devrait
plutôt dire
Par
contre à Hong Kong, dès que les roues
ont touché le sol et que nous passons en
reverses, les effluves
de l'eau
stagnante du port pénètrent dans le
système de
pressurisation et remplissent le
cockpit, la cabine, tout l'avion... Nous sommes certains
alors de notre
position, on ne s'est pas trompé
d'aérodrome, nous sommes
bien à Hong Kong, ça
pue la merde !
Les
Indes... Il faut se laisser aller aux
Indes... Ne pas essayer de comprendre... Il faut
s'extasier sous les
remparts
des Palais Moghuls, du Fort Rouge ou d'ailleurs... Se
laisser aller, se
laisser
couler ! Les Indes... On aime ou on n'aime pas... J'aime
les Indes !
J'aime
les Indes pour les Tajs: le « Taj
Mahal », le palace d'une grande époque,
où nous
descendons à Bombay et à Agra,
le « Taj Mahal », ce mausolée,
merveille du monde,
qui m'a impressionné...
Impressionné,
comme je le fus lors de la
lecture de mon premier roman « Bombes sur
Shangai » par
Vicky Baum, je crois... En route pour la
Chine, les personnages de ce gros livre
s'arrêtèrent
à Bombay pour boire du gin
au long bar de l'hôtel Taj Mahal ! Dans la brousse
de mon
enfance, je ne savais
pas ce que pouvait bien être du gin, que je
prononçais
d'ailleurs
«
Jack, on s'en fout ! »
«
Ah, oui, c'est vrai, j'avais de nouveau
oublié... »
Je
n'oublierai cependant jamais le corbeau
du Taj Mahal... L'hôtel a conservé le style
de cette
Grande Dame, cette « Old
lady »... Les chambres sont vastes, on peut
choisir entre le
ventilateur au
plafond ou l'air climatisé... Moi, j'ouvre les
fenêtres !
J'aperçois les
corbeaux et les éperviers virevoltant dans le
ciel... J'ai un
présage !
Peut-être, parce que je les ai chassés,
tués
à coup de carabine dans le verger
de ma grand-mère a Vuyonga, ces oiseaux m'en ont
toujours voulu
! Ils m'ont
poursuivis au Pakistan, au Sri Lanka, aux Indes... De
familles en
familles,
sans doute se sont-ils donnés le mot au travers
des pays qu'ils
ont survolés et
pillés comme ils ravageaient les arbres fruitiers
de notre
plantation... Déjà à
l'époque du Kivu, nous n'étions pas
amis... Ils me
voyaient venir et de leurs
yeux de charbon en oblique me narguaient...
Malgré la mort que
Des
années et des années après, je
devais
donc les retrouver... Identiques voleurs... Les corbeaux
m'ont suivi,
c'est
certain !
Un
des corbeaux est venu se poser sur ma
fenêtre... « Craw ! Craw ! »... Il
m'avertit sans
doute de son retour, d'une
autre vie que je lui avais ôtée jadis en
Afrique... Nanti
d'une mission
ancestrale, il me raconte certainement qu'il vient
torturer mes remords
pour
tous les crimes que j'ai commis parmi les siens... Il me
prépare, dit-il, une
vengeance noire, couleur des ses plumes... En claquant
des mains, je
l'effraie,
je le chasse de la fenêtre et de mon esprit! Je
vais prendre ma
douche...
Je
ne suis pas quitte de mon corbeau... Un
tintamarre ! Cette fois-çi, ce chapardeur est
carrément
rentré dans la chambre
et picore à qui mieux mieux dans ma corbeille de
fruits,
transformés en compote
! De ses yeux moqueurs et de ses « Craw ! Craw !
», mon
vieil adversaire me
nargue à nouveau ! Serviette tournoyante, je
fonce sur lui ! En
un dernier
reflex,
Ultime
victoire de mon corbeau, je suis
bien obligé depuis lors de fermer mes
fenêtres et de
passer tous mes séjours au
Taj dans l'air conditionné... J'ai l'air con !
Le
golf de Willigdon... Pas Wellington
(ouf !), Willigdon ! Le « tee off» est
à 6H30 du
matin ! Avec mon mécano,
Benwara, nous avons chacun deux caddies ! Un pour porter
le sac et
nettoyer les
clubs après chaque coup, un pour courir en
suivant la
trajectoire de la balle,
protéger la balle une fois au sol afin que les
corbeaux (encore
eux !) ne
l'attrapent pas et ne s'envolent pas avec elle !
Je
demande le fer 5...
«
Non, Sahib, plutôt le 6... »
En
fait, je n'ai jamais joué qu'avec un
demi-sac: bois 3, fers 3, 5, 7 et 9, sandwech et putter!
Le pro, quoi !
Fer 6 ?
Connais pas !
«
Heu... Et si tu me montrais ? »
«
Avec plaisir, Sahib ! »
Souriant
de ses dents plus blanches que
blanches, ce malheureux gringalet, tout
déguenillé, pieds
nus, aux jambes et
aux bras si minces, si minces, se débarrasse de
son
énorme sac... Comment
d'ailleurs peut-il porter cette masse ? Sais pas !
«
Clakk ! »
La
balle rebondit sur le green, roule et
s'arrête à moins d'un mètre du trou
!
«
Heu... Quel est ton handicap, toi ? »
«
3, Sahib ! »
«
I see... »
Quand
je réussis, ce matin-là, le plus
beau et le plus long « putt » de ma
carrière de
golfeur, une quinzaine de
mètres, un de ces coups de pot, Ben me dit en
Swahili:
«
Muzuri kabissa, di ! »
Tout
fier, moi, je dis en anglais à mon
caddie:
«
Fantastic, hé ? What do you think ? »
«
Very good, Sahib, mais il vous a fallu
plus de 10 coups pour arriver sur le green de ce
«
Allez, allons petit-déjeuner ! »
Pendant
que l'on nettoie nos godasses au
vestiaire, toasts, œufs brouillés, thé et
marmelade,
servis par des garçons en
gants blancs sous les ventilateurs...
J'aime
bien les Indes !
Seng,
mon copilote, qui m'avait traîné de
force au casino de notre hôtel Gloucester la
veille à
Londres, et nous avions
gagné (!), me dit le lendemain à Bombay
que les
hôtesses veulent faire un tour
en fiacre... Elles ont besoin de gardes de corps !
«
OK ! Le mécano vient avec nous ? »
«
Oui, Marc Wong vient en renfort... »
«
Ah ! Elles veulent voir Bombay by night
? Allons-y ! »
«
Où, Jack ? »
«
Aux cages ! »
Les
cages... Quartier de la prostitution
humaine ! Mâles, femelles, filles et
garçons de 7 à
77 ans et plus, travestis
et autres espèces, corps difformes et informes,
qui se vendent
sur des lits
superposés, cachés par des rideaux (!) et
derrière
des barreaux ! D'où le nom:
les cages...
On
s'entasse dans le carrosse (!)... Il
roule donc... Le vieux cheval fait « Clop ! Clop
!
«
Kling ! Klang ! » fait le fiacre en deux
soubresauts !
Nous
venons de passer sur un corps !
Dormait-il ? Dort-il toujours ? Il n'a pas bougé
!
«
Il doit être mort ! » lâche le
cocher...
Les
hôtesses sont minuscules...
«
Si nous rentrions à l'hôtel, Captain ?
»
«
Non ! Vous avez voulu voir Bombay, vous
verrez Bombay ! »
Nous
devrions retrouver une luminosité
rougeoyante puisque nous sommes dans le « red
light district
»... Non ! Sous un
faible éclairage, le décor
apparaît... Des formes
de toutes les couleurs, de
toutes les formes entourent le fiacre, montent sur les
marches... Des
mains
tentent de nous agripper, de nous caresser !
Lamentations... Odeurs...
Cour des
miracles ! Le fiacre n'est plus qu'une grappe humaine...
Seng et moi
repoussons
! De ses bras, Marc fait parage... Le cocher
accélère !
Au petit trot, nous
traversons Falkland Sreet, la rue des cages... De
derrière les
barreaux, des
yeux nous convient, nous envient... Les hôtesses
n'existent plus,
elles sont
petites marres sur le plancher du fiacre, enfouies sous
les banquettes !
A
20 mètres du perron de l'hôtel Taj
Mahal, les loqueteux, les boiteux, les mendiants, sont
arrêtés net par une
ligne de démarcation... Cette frontière
est invisible,
même pas peinte à la
chaux sur le sol... Si le Roi Georges V est entré
aisément dans son Empire
colonial par la Porte des Indes en 1911, juste en face
de
l'hôtel, eux, les
miséreux et les misérables, n'ont pas le
droit de passage
dans le royaume des
nantis... C'est la règle du jeu... Ils le savent
!
Arrivées
aux frontières du Taj, je demande
aux hôtesses:
«
Alors, le centre de Bombay la nuit ? »
«
... »
«
Bonne nuit ! »
«
... »
«
Seng, Marc, allons prendre une
Kingfisher... I need a drink ! »
«
Me too... Une bonne bière pour avaler
tout ça ! »
«
Bombay sans « tout ça », ce n'est
plus
Bombay, Seng ! »
«
True... C'est vrai... »
J'avoue
que je crânais lors cette
traversée... Peu rassuré, le Jack !
Adieu,
Bombay !
L'Inde...
Continent subtil...
Epoustouflant ! Il faut se réincarner plusieurs
fois pour avoir
le temps de
l'admirer, de l'assimiler... Les Indes, du merveilleux
et du terre
à terre !
Par
une journée claire, sans mousson,
survolant un matin ce pays immense, je suivais Madec en
pensée
au-dessus du
plateau du Deccan... Madec, ce mercenaire
français au service
des Maharadjahs
au 18ème siècle et devenu Nabab ! Avec ses
troupes, il
s'en retournait enfin
vers
Bonjour
Bangkok !
Les
procédures de départ et d'arrivée
portent souvent des noms des alentours du pays comme
Yamato ou Goschi
au Japon,
etc... Au briefing et par gag, nous avons
surnommé
l'arrivée de Bangkok: «
Patpong » !
Patpong...
Fameuse rue, où « tout » se
vend ! J'y ai même retrouvé le «
Tintin » de
mon enfance, des scènes de tous
ses albums imprimées sur des « T-shirts
»... Ces
va-nu-pieds le vendent à la
criée, mon Tintin !
«
Tinetine ! Tinetine ! Tinetine ! »...
J'achète « Tinetine in Congo » !
Patpong...
En équipage, nous allons au «
Fire Cats » ! (encore des chats !)... Nous montons
les marches...
Le bar est en
ovale... Au centre, les barmaids, la caissière et
la
scène... C'est là que ça
se passe !
Nous
prenons une bière... Les filles en
tenue légère nous enrobent, nous
enserpentent,
s'agglutinent... Si on veut ! Si
on ne veut pas, elles demeurent à distance... Et
tentent un
second essai un peu
plus tard ! On prend une bière... On admire les
fifilles en
train de danser
(!), de se trémousser en tintamarre sur la
scène dans la
tenue d'Eve... Pas
tout à fait Eve, puisqu'elles ont un foulard
autour du cou ! En
fait, ce n'est
pas une écharpe, c'est leur petite culotte,
qu'elles abaissent
vite et
entourent leurs fesses quand la police est
signalée par le
portier de la rue,
qui appuie sur un bouton allumant une lampe rouge dans
la salle en haut
! Les
gendarmes font alors un tour
Tout
à coup, des ballons de toutes les
couleurs font leur apparition dans la salle... Tiens, un
anniversaire ?
Non !
Ces ballons sont les cibles de la spécialiste en
balistique !
Avec sa sarbacane
enfoncée dans le sexe, cet artilleuse au souffle
puissant envoie
des fléchettes
et fait éclater les ballons ! Assis au bar, faut
faire gaffe
à la trajectoire
de ses missiles... On pourrait en ressortir borgne de ce
bui-bui...
Car,
souvent mal lunée (!), la fille rate parfois son
coup ! J'avais
emmené ma femme dans cet endroit de
rêve (!)... Dès l'entrée,
Michèle, peu
rassurée, s'était blottie entre S.L.
Leong, mon copilote et moi... Elle fut vite dans le bain
après
quelques bières
et avec le soutien de mon équipage ! A tel point
que tendant le
bras vers la
canonnière, qui loupait pas mal de ses tirs ce
soir-là,
Michèle suggérait des
améliorations de visée:
«
If I were you... Si j'étais vous... »
Mon
angoisse à moi était de voir ces
danseuses, faisant tournoyer leur culotte dans la main,
demander
soudain à
l'audience:
«
Et à qui c'est, ce petit slip ? »
Et
la foule de réponde en chœur:
«
C'est au Captain Siroux ! »
Ce
n'est pas un slip, c'est une balle de
ping-pong, qui atterrit dans la pinte de mon copilote
Johnny Walker
(Sic !), un
Australien des plus sympathiques, toujours dans le coup
et bon vivant,
aimant
la bière ! Jonnhy, que je sais sensible quand on
touche à
sa bière:
«
Jaisouss Kraiiste ! »
Et
furieux, de s'en prendre à la Mama Sun,
la Patronne derrière le bar:
«
This fucking ping-pong ball in my beer !
»
La
maquerelle:
«
Allez ! Allez ! Ce n'est pas grave... Il
suffit de la retirer de votre verre, la ping-pong
ball... Comme
ça ! »
De
ses gros doigts, elle plonge dans la
pinte de Johnny et enlève tout simplement la
balle, flottant
dans la mousse ...
Johnny,
tout rouge:
«
WHAT ? QUOI ? »
Je
vois que les choses vont mal tourner...
En tendant 100 baths à la Mama Sun:
«
Une autre bière pour mon copain ! Et
pour moi ! Please... »
Nous
buvons nos bières...
Je
dis à Jonnhy:
«
La balle de ping-pong aurait pu être une
tranche de banane... Elles sont fortes et tranchantes
ces demoiselles,
quand
elle s'y mettent... Un cocktail de fruits, ta
bière ! »
«
BEEERK ! »
La
grande finale de ce « show »: un couple
fait l'amour devant vos yeux ! Positions inimaginables:
sur le ventre,
sur le
dos, sur un coté, sur l'autre coté,
couché,
debout, la tête en haut, la tête en
bas, à l'envers, à l'endroit, jambes
repliées,
jambes dépliées... Ca dure... Ca
dure... D'ailleurs, la fille en a marre ! En position de
brouette, le
cul
secoué et en l'air, elle s'agrippe au bar et se
met à
discuter avec la
caissière... Ensemble, elles se racontent les
derniers potins en
grignotant des
cacahouètes ! Ca dure... Ca dure... On a le temps
de prendre une
bière, deux
bières, de fumer deux ou trois cigarettes !
«
Comment ce type peut-il bander aussi
longtemps et devant cette foule ? C'est un malade, un
handicapé... »
Attraperait-on
des complexes... ?
Enfin,
mais sans un cri d'amour, le
superman éjacule ! Il descend de la scène
en passant
devant les clients du bar,
son zizi brinquebalant à la main et
éclaboussant à
la ronde ! Il y a du sperme
partout...
«
Ta bière, malheureux ! Attention à ta
bière ! »
Reflex
des habitués: vite couvrir son
verre de la main !
Sorties
d'équipage...
«
Tu bandes encore bien, Jack ? »
«
Ca va ! Et toi ? »
«
Pour ça, tu es curieux, hein, mon salaud
? Je croyais que tu t'en foutais... »
«
Bof... »
Attendez
! Ce n'est rien avec ce que j'ai
connu à Honolulu... Au « Stop Light »
! Ces expertes
étaient Coréennes... Vous
ouvraient les bouteilles de bière avec ce que je
pense et vous
rendaient sur le
bar la monnaie en pièces de « quaters
» (25 cents)
avec aussi ce que je
pense...
«
Plof ! Plof ! Plof !
«
Your change ! »
«
Oh, sorry ! Je me suis trompée... Je
vous dois encore un quarter ! Le voici ! »
Plof
!
Faut
le faire...
J'avais
fait cette sortie avec mon
copilote X... X, parce que voilà bien le seul,
qui m'a interdit
de dévoiler son
nom ! Il était déjà un grand
garçon
pourtant au début des années 80... Encore
plus grand aujourd'hui, puisque Commandant de Bord
Mégatop
Boeing 747-400 ! Au
« Stop Light » donc, voilà pas que ce
copi X se met
à sauter comme un cabri à
travers toute la salle ! Il attrape au vol les
étoiles filantes
et
fluorescentes qu'envoie la fille de sa
balançoire, et qui ne
manque pas de
souffle où je pense... Mon X les a toutes en
mains, les bombes
volantes... Il a
gagné le prix !... Il ignorait qu'il s'agissait
d'un concours !
«
Quel prix ? »
«
Montez sur la scène, Monsieur... »
La
demoiselle descend de sa balançoire,
s'installe sur une chaise, s'introduit une fine
flûte dans la
fente de sa
foufoune et dit à mon ami:
«
Votre prix ? Sur ce pipeau, Sir, vous
pouvez jouer l'air que vous voulez... Moi, je souffle
(!) et vous, vous
jouez
de vos dix doigts ! »
X
a joué « Frère Jacques, Frère
Jacques...
»
Pour
me faire plaisir sans doute, car il
aurait pu jouer « Au claire de la lune...
Je
ne peux cependant pas dire que j'avais
une érection grandiose, en fait pas
d'érection du tout,
quand, nu comme un
vers, l'air con et grelottant de froid à cause de
l'air
conditionné, je me suis
retrouvé dans cette chambre pour une
expérience (a ne pas
rater, ne fusse
qu'une seule fois dans votre vie) du « boddy
massage », le
massage du corps par
un corps... Un corps à corps !
Je
paie le Patron (!)...
«
Combien ? »
«
500 baths ! »
En
montrant ma « crew pass », ma pièce
d'identité équipages:
«
Je croyais que nous avions un prix
spécial ! »
«
Fallait le dire ! 20% de réduction: 400
baths ! »
Je
choisis une fille derrière la large
vitre de « l'aquarium »... Elle me fut
d'ailleurs
recommandée par un collègue
pilote et connaisseur en la matière et dont je
tairais aussi le
nom sans qu'il
me le demande, lui... Ces beautés sont comme des
poissons
derrière une large
vitre... Elles vous font des ronds de bouches...
Mouvements des
lèvres fort
aquatiques !
Elle
arrive et me dirige vers une pièce
sombre et glacialement air-conditionnée... La
Numéro 106
( ?) me dit dans un
anglais assez brutal:
«
Couché ! »
J'ai
froid ! J'ai dû attendre qu'elle
batte le savon... Il y a de la mousse partout... Des
nuages de mousse !
Le sol
est glissant...
Je
me couche...
Vlan
! Elle est sur moi... Avec son corps,
elle masse mon corps ! Le terrain est vraiment
glissant... Je dois
m'agripper !
A quoi ? Aux bulles ?
«
Other side ! Retourne-toi ! »
Je
me retourne...
Elle
me rabote le dos de ses seins
plantureux... J'ai la gueule dans le savon ! Elle
glisse, nous
glissons...
Glissades ! Je glisse ! Comme une savonnette, mon
« boddy »
lui échappe des
mains... Je quitte le matelas pneumatique et vais me
cogner le
crâne sur le mur
! Je râle ! J'ai de plus en plus froid... Je
commence à en
avoir marre de ce
pugilat et j'ai une bosse au front !
En
professionnelle, elle le sent...
«
Dry ! Séché ! »
«
??? »
«
On the bed ! Sur le lit ! »
Eponge,
serviette de bain au nom de la
maison « La Chérie », (que j'ai
gardée en
souvenir)... Je me réchauffe enfin !
«
Hoooo... Tu as fait la guerre, toi ? »
Sous
le tube de néon et sans la savonnée,
elle a remarqué mes cicatrices... Hernie,
vésicule
biliaire, cou tranché par
les opérations du goitre, et toutes les taches de
soleil, que le
dermatologue a
dû brûler à la neige carbonique, ce
qui donne
à ma peau un aspect criblé de
balles de fusil !
«
Quelle guerre ? »
Si
la donzelle répond 14-18, je lui fous
une baffe, si elle parle de 40-45, pas de pourboire !
Elle essaie de
penser
(!), de deviner:
«
Heu... Le Vietnam ? »
Je
ne me dégonfle pas: «
Mais, bien sûr, le Vietnam ! »
«
I see... Je vois... Heu... For a little
bit more, pour un petit supplément d'argent...
Massage
spécial, Mister ? »
«
S'il vous plaît ? »
Comme
si ce que je venais de vivre était
d'une banalité !
La
péripatéticienne ne prend pas mon «
s.v.p ? » comme une question, mais elle pige en
bonne experte
intéressée:
«
S'il vous plaît, allez-y ! »
Trop
tard ! Je n'ai pas le temps de
corriger ce malentendu... Tant pis ? Tant mieux ? Une
expérience
supplémentaire...
Je me laisse faire !
Je
suis cloué au plumard, labouré,
pompé !
L'ouvrière besogneuse est déjà au
turbin...
J'avais
un ami italien à Tripoli, qui me
bassinait les oreilles avec cette femme, qui...
«
Jacques... Elle te fait de ces pipes !
Tu sais, le long de la grosse veine bleue...
Jusqu'à la
dernière goutte ! A en
mourir, Jacques... A en mourir ! Raaaaah ! »
«
Raaaaah, Pino ? »
«
Oui, Jacques... Raaaaah ! »
Bangkok...
Le marché flottant, le Palais
Royal, le bouddha assis en or massif, le bouddha
couché...
Bangkok ? Le «
Raaaaah » !
Craaaaak
! Craquelures...
Notre
chienne Semba meurt ! On la retrouve
le matin dans le salon... Pénibles instants ! De
chagrin et les
pattes arrières
faiblardes, Wang ne peut pas survivre longtemps à
la disparition
de sa
femelle... Nous devons le piquer ! J'ai encore devant
moi l'adieu de
Wang, les
yeux de Wang... Histoires de chiens, histoires d'amour,
qui vrillent le
cœur,
qui vous font si mal ! Surtout
Cette
année 1988 sera le début de
divergences, d'inhabilité,
d'instabilité... La
fréquence n'est plus la bonne
fréquence... Il y a brouillage ! Malgré
tout, je porterai
toujours mon manteau
de fine peau, mais il va s'effilocher de
l'intérieur, mon
manteau... Plus tard
et avec précaution, il me faudra recoudre les
déchirures !
Ma
femme s'est arrêtée d'enseigner lorsque
ma fille a terminé et réussi son bac en
1985...
Valérie suit les cours
supérieurs d'hôtellerie à Singapour
pendant trois
ans... Elle obtient son
diplôme sponsorisé et signé par la
grande
école de Lausanne ! Sa dernière
année, elle l'a passée à
l'hôtel
Méridien... Mon ami, Jean Claude Bailli ne
demandait pas mieux que d'avoir une stagiaire
française parlant
parfaitement
l'anglais et sans accent français ! Dire que
Valérie ne
parlait pas un seul mot
d'anglais en arrivant à Singapour... Avec son
certificat et les
bonnes
recommandations, qu'elle reçoit de l'hôtel,
la
voilà donc parée pour un bel
avenir, une carrière intéressante !
A
Paris, celui qui interview Valérie, est
fort impressionné ! Voici une jeune fille, qui a
déjà une expérience de grand
hôtel du Sud-Asiatique, qui jongle avec la langue
anglaise...
Mais Valérie ne
semble pas intéressée... Elle
écoute sans
écouter... Elle dit finalement au
Directeur du Personnel:
«
Monsieur, je crois que je vais partir en
Nouvelle Zélande... »
«
Ah ? Pour y travailler, Mademoiselle ? »
«
Non ! Pour y retrouver mon petit ami...
»
«
!!!»
Le
« petit » ami de notre fille mesure
1m93... Valérie atteint à peine le
mètre soixante
! Moi, qui avait interdit
l'entrée de ma propriété à
ce genre
d'énergumène, me voilà bien pris au
piège... Il a suffi d'une rencontre au ski
nautique pour que
Valou soit piégée,
elle aussi ! Cette grande
Mais
avant ce retour en Europe et ces
naissances, il y eut le mariage et le séjour de
Valou dans ce
pays « aux longs
nuages blancs », appelé ainsi par les
natifs de ces deux
grandes îles...
A
Dunedin, au sud du sud de l'île du sud
de la Nouvelle- Zélande (le cul du monde !), le
mariage fut
militaire ! Grands
uniformes et sabres au clair à la sortie de
l'église...
Pays de tradition, le
soir, le repas fut de tradition... D'origine
écossaise (Scott
!), les parents
de Dick (!) aiment les traditions... J'aime aussi !
Ma
belle-mère, Micheline et deux couples
d'amis (Armani et Lesage), avaient traversé la
moitié de
la planète pour
assister au mariage... Au dîner, le match
était
inégal... Nous étions sept
contre 120 ! Le maître de cérémonie
nous avait un
peu oublié sur sa liste des
discours... Tout le monde y allait de son petit
laïus... Comme mon
tour ne
venait pas, j'ai demandé la parole !
Je
leur ai dit à ces Kiwis que le jour où
notre fille nous avait parlé de Richard, nous
nous sommes
demandés, ma femme et
moi, où pouvait bien se trouver la
Nouvelle-Zélande ! Ah,
oui, là-bas !
Sourires mitigés... Qu'avec mon avion, j'avais
toujours peur de
louper ces
îles... Si je les manquais, derrière, c'est
bien simple,
il n'y a plus rien du
tout ! Le vide ! Que lorsque, étant en France, je
pensais
à ma fille, il me
fallait regarder entre mes deux pieds, puisqu'elle se
trouvait aux
antipodes...
Au cul du monde ! Rires mitigés... Mais que
découvrant la
beauté des paysages
et la gentillesse des gens, etc... Applaudissements !
La
bière a coulé... Le smoking militaire
de soirée n'a pas empêché les
collègues
Officiers de Dick de se saouler la
gueule... Ils ne sucent pas du sucre, les Kiwis !
Craaaaak
! Craquelures...
Michèle
ne supporte pas bien la mort des
chiens et le départ de Valérie... Son
moral baisse petit
à petit ! A la maison
l'atmosphère deviendra tendue
d'électricité ! A
nouveau, je comprends sans
comprendre... Avec le recul, j'admets avoir eu de
réactions
brutales, des mots
de trop... Cela nous mènera à la perte de
sustentation...
A la vrille !
La
vrille... Souvenez-vous, pour en
sortir, un bon coup de palonnier... Pas trop puissant
cependant...
Dosé, car on
risque alors de repartir dans le sens inverse !
Michèle
reprend l'enseignement au Collège
International et de commun accord, il faut faire le
point ! Elle
habitera seule
pour quelque temps... A mon tour de supporter mal une
situation
pareille ! Mais,
j'estime, que cela en vaut la peine... On ne fout pas
à la
poubelle plus de 20
ans de tas de bons moments ensemble ou même de
quelques mauvais
souvenirs...
Surtout qu'il ne s'agit pas d'une histoire de cul, mais
une histoire de
tête !
De petits oiseaux dans la tête... Alors, quelques
mois de
séparation...
Retravaillant,
Michèle se sentira mieux
dans sa peau ! Valérie reviendra en Europe avec
son mari...
Naissance de Shane
!
Coup
de palonnier... Révision de soi...
Correction bénéfique !
Mais
moi, pendant cette absence, que faire
? N'étant pas un solitaire, je suis un
malheureux... En fait, je
suis paumé !
Paumé, parce que je me retrouve seul... Moi
aussi, il me faut
changer les idées
! Je décide de changer d'environnement ! Et je
mets les «
reverses »... Car les
Vivis, les Ninis, les Nanas, les filles que j'aime bien
et qui m'aiment
bien je
crois, car elles ne demanderaient pas mieux que de
partager mon superbe
appartement... A moins que ce soit uniquement pour mon
appartement ?
Même l'amie
d'un ami !
«
I am moving in ! Je m'installe chez toi
! »
Mais
l'amie d'un ami... Ca ne se fait pas
! Et puis, la femme d'un ami, c'est de suite la balle
dans la
tête, entre les
deux yeux...
Faut
préciser que mon duplex a une vue de
180 degrés sur la mer, grandes terrasses, piscine
olympique,
tennis, squash et
club de gym avec sauna... Pour cette raison sans doute,
elles sont
prêtes, ces
bonnes amies, à me préparer de bons petits
plats !
«
Non, merci, j'ai ma bonne ! »
Non
! Reverses ! Je résiste ! Et je ne
grossirai pas...
Mon
coup du palonnier fut non seulement un
coup de pied, mais un coup de jambes... Surtout que par
connivence ou
par
solidarité, ma bagnole se munit tout à
coup d'un pilote
automatique ! Elle
m'emmène tous les soirs chez Fabrice...
Là, je retrouve
mes gambettes de
danseurs... Lambadas, salsas des Antilles et musiques
d'Espagne... Sur
les airs
de l'orchestre de Miguel et de ses musiciens
bruxello-espagnols, je
m'éclate !
Moi,
qui m'enflamme et m'accroche si
rapidement à de jolies silhouettes, je ne veux
pas me tenter
moi-même... Celle,
la seule, que je ramènerai à l'apart et
aux aubes: ma
vielle Japonaise, ma
Daihatsu ! Je n'ai même pas besoin de la
conduire... Elle
connaît le chemin par
cœur !
«
T'as pas l'air con, Jack, mais t'es con
! »
«
Oui, je sais... »
Jusqu'au
jour où Michèle est revenue...
J'ai retrouvé ma femme ! Nos montres sont
à l'heure...
Con ? Il faut savoir ce
que l'on veut !
Le
coup du palonnier...
Comme
tous mes collègues, j'ai eu des
chocs en avion... Par les check-lists et le sang froid,
les choses se
sont
arrangées ! Cependant, un événement
me fit
beaucoup de peine à bord de cet
avion qui me ramenait en passager de Los Angeles
à Singapour
début Août 93...
Je reçus ce choc après le décollage
! Je
rêvassais dans mon siège en regardant
d'un œil distrait les images du journal
télévisé
sur l'écran de cinéma ... Je
n'avais pas le son, puisque je n'avais pas mis mes
écouteurs !
Le monde est fou
et tournera bien sans moi... Mais le monde s'est
arrêté
soudain, car j'aperçus
un drapeau belge et reconnus le Palais Royal à
Bruxelles ! Vite
le son !
J'appris alors que notre Roi Baudouin venait de mourir !
Choc ! Dans un
flash
instantané, bref mais vivant, car il reproduisait
les photos,
que je possède,
j'ai revu le Roi se promener avec mon père et ma
mère
dans le jardin de la
Résidence à Kitéga... J'ai revu le
Roi signer le
Livre d'or, que mon père lui
présentait... J'ai revu le Roi... Avec lui, j'ai
revu mon
père, j'ai revu ma mère
! Flash ! Tristesse ! Regard humide ! J'ai revu le Roi
visiter notre
escadrille... Pour un dernier adieu, dans mon coin et en
pensées, j'ai salué le
Roi !
Les
Chef-Pilotes, jouant sans cesse à la
chaise musicale, il est de grande difficulté de
suivre leurs
positions... Je
sais quand même qui furent mes Chefs ! Choon Choy
en Boeing 707,
en 747, un
paquet ! Car ils ont eu chacun des « seconds
» devenus
à leur tour califes dans
la même flotte (fleet-flotte, selon le type
d'avion) ou dans
d'autres flottes !
En 747, les Captains Maurice de Vaz, devenu grand patron
des
Opérations,
Kandasamy, Freddy Koh et R.J. Tan... Et les autres, une
tripotée
! Albert
(Albeurt en anglais, Albèere en français,
voyons, Albeurt
!) Koh, Mohan Sing,
H.K. Leong, Victor Ho, Tony Tan... Tony Tan, qui parle
un peu de
français, m'a
dit un jour:
«
Jack, c'est la joie de vivre ! »
Voulait-il
me flatter ? Ce n'est pas le
genre d'un Chinois... Non, je crois qu'il était
sincère... Et il avait raison !
Durant les 17 ans passés à Singapore
Airlines, je me suis
senti bien avec ces
gens-là ! Je n'ai eu de cesse que de me rouler
dans mon manteau
de fine peau ! Ayant
fait mon boulot sans soulever de vagues (take-it or
leave it !) et sans
casser
du bois (je touche du bois !), j'ai eu au cours des
années avec
ces supérieurs
d'excellentes relations... Avec certains, je dirai
même amicales
! Avec Victor
Ho, par exemple, et avec d'autres, je peux me permettre
quelques
plaisanteries... Avec le Captain Ho, j'ai fait le
premier vol inaugural
cargo
sur l'Alaska en Novembre 91, à Anchorage ! A
l'étape de
Taipé, le portier de
notre grand hôtel a une belle casquette, dont la
visière,
comme celle de mon
Chef-pilote, est parsemée de dorures !
«
Dis donc, Victor, t'as vu la casquette
du portier ? Elle a plus d'œufs brouillés que la
«
Hi ! Hi ! Hi ! »
Freddy
Koh, devenu CP 747-400,
m'apercevant de son bureau un jour que je passais dans
le couloir
attendant une
signature « d'Albèere », m'appelle:
«
Un café, Jack ? »
Je
fais une parenthèse ici... A Singapour,
héritage british sans doute, dans la conversation
et surtout
dans le journal,
où un dictionnaire est nécessaire,
l'emploi
d'abréviations est courant...
CP
veut dire Chef-Pilote ! Simple ! Mais,
parmi tant d'autres exemples:
«
Je passe au POSB pour retirer de
l'argent afin de régler mon PUB et TAS...
Ensuite, j'irai
vérifier mon CPF et
passerai au HDB pour renouveler mon contrat de
location... Il
paraît que le PM
va bientôt mettre le GST en vigueur
!
Je
dois aussi passer chez le Doc, j'ai égaré
mon MC... Tout
en faisant attention
de ne pas pénétrer dans le CBD ! »
«
??? »
Il
est vrai que nous avons aussi nos PTT,
EDF, HLM, SNCF, TVA... et PMU !
«
Tu prends un café, oui ou non, Jack ? »
«
Oui... Merci, Freddy ! »
Freddy
me parle alors du Boeing 747-400...
«
Ca t'intéresse ? »
Je
l'arrête !
«
Tu sais, moi, mes courriers sont déjà
assez longs comme ça... Les très longs
courriers à
double équipages et les
décalages horaires multipliés par deux vu
les vols
directs... Non, merci ! Je
veux bien voler le 400 entre Changi et Paya Lebar... Il
y a deux
minutes de vol
! »
«
Hi ! Hi ! Hi ! »
«
Et puis, moi, les écrans de
télévision,
les computers dans le cockpit... Je ne sais voler
qu'avec mon cul,
Freddy ! »
«
Gloup ! Hi ! Hi ! Hi ! »
Le
Captain Koh me dit que, justement, tous
ces gadgets sont merveilleux...
«
Quand ils fonctionnent bien, tes PFM de
gadgets... Pure fucking magic ! PFM ! »
«
Ecoute, Jack... C'est une autre
génération ! »
Suis-je
visé ?
Il
me prend alors au sentiment, Freddy...
Me parle de mes petits enfants... Se fout-il de ma
gueule ?
«
Tu pourras leur dire que tu as terminé
ta carrière sur le plus gros, le plus
sophistiqué des
avions du monde, le
Mégatop ! »
Il
parle, il parle, Freddy... Il
m'hypnotise ! Et moi, comme un gosse devant de belles
affiches en
couleur, je
dis:
«
Oui ! »
Le
lendemain, il me téléphone à la
maison
en s'excusant:
«
Jack, tu as dépassé 55 ans ! La limite
est 55 ans pour la qualification... Sorry ! »
«
Je m'en doutais... Ca ne fait rien,
oublie-moi ! »
Ouf
! Mon intention: ne jamais passer sur
cette machine...
Freddy
Koh me retéléphone !
«
Jack, c'est la date de sélection, qui
compte ! Tu avais été
sélectionné avant ton
anniversaire... Welcome back ! »
«
... »
Le
747-400 en est à ses débuts... Ce n'est
pas pour mes yeux bleus, que ce Chef veut m'avoir dans
sa flotte... Il
a besoin
de pilotes !
«
Non ! »
Puis,
retenté par plusieurs appels des
anciens, ce qui me flatte, raison pour laquelle, je
redis:
«
Oui ! »
Ma
femme me prend pour un fou... Elle n'a
pas tout à fait tort !
Finalement,
ce sera « Non ! » après un
choix, que Maurice, pour une question de
rémunération,
proposera à tous les
expatriés:
«
Le 400 à mes conditions... A prendre ou
à laisser ! »
Bonne
excuse pour moi... J'ai laissé ! Je
fus le seul sur 17... L'outsider ! Les autres, plus
jeunes, auraient eu
tort de
laisser tomber... Je comprends !
Re-ouf
!
C'est
ainsi que sur mon « câble car », je
suis resté heureux...
Malgré
que lui offrant mon bar et mon
pastis, Patrick Aurelle, voisin et très bon ami,
ce jeune
expatrié, pied-noir
de Casablanca ayant volé au Zaïre et
à
présent pilote de Boeing 747-400, ose me
dire en prenant l'accent de l'Afrique noire:
«
Commanda ! Toi, Jurassic Parc, vraiment,
dis ! »
«
Toi, tu voles un avion de pédé ! »
«
Quoi ! » «
Oui ! Ton avion avec les bouts d'ailes en tutu, que tu
pilotes en
pianotant des
bitoniaux sur un computer, « Tip, Tap, Top
»... Tu n'as pas
honte ? »
«
Quoi ? Dinosaure, va ! »
Patrick
joue bien le jeu... Gag souvent
répété entre nous deux !
«
P'tit con ! »
«
Dinosaure ! »
«
P'tit con ! »
«
Dinosaure ! »
«
Un autre pastaga, Patrick ? »
«
Oui, Commanda ! »
Moi,
qui à son âge rêvait de voler un jour
sur n'importe quel « jet » commercial, lui,
qui vole le
Mégatop, me traite de
bête préhistorique... Les choses vont trop
vite maintenant
!
Ce
qui ne va pas très vite, par contre,
c'est l'établissement d'un dossier de retraite...
en Europe !
Plus d'un an et
une correspondance pesante pour régulariser sa
pension ! A
Singapour, l'affaire
est réglée en cinq minutes ! Il est vrai
qu'il ne s'agit
pas d'une somme à
recevoir mensuellement, mais d'un montant d'argent,
calculé au
prorata des
années passées dans la compagnie et que le
pensionné encaisse d'un seul coup...
A 55 ans, date officielle de la retraite, on
reçoit donc son
pécule ! Les
pilotes peuvent cependant « rempiler »
jusqu'à 60
ans, l'âge limite... On met
le compteur à zéro et on recommence tout
pendant cinq ans
!
Le
tort que j'ai, connaissant les Singapouriens,
est de contacter le CPF (Central Provident Fund) et de
leur rappeler
que dans
trois mois, j'ai 55 ans...
«
Mais, Captain, ne vous en faites pas...
Nous allions vous écrire un mois avant votre
anniversaire ! Vous
n'aurez qu'a
vous présenter au bureau CPF de votre quartier
muni de votre
carte de membre,
votre passeport et votre carnet de chèques pour
l'identité bancaire... »
En
effet, je reçois leur lettre un mois
exactement avant la date de mon anniversaire... Je me
rends au
bureau... Le préposé
prend une photocopie de mes documents et me dit:
«
Le 22 Août 1985, l'argent sera à votre
compte... »
«
!!! »
J'allais
me lever quand Sylvester Leong,
car il s'appelait Sylvestre, ajoute:
«
Félicitations, Captain ! Nous avons ici
un cadeau pour vous... »
Je
m'attends à une montre en or... Une
Rolex ?
Sylvestre
se retourne...
«
Voici ! »
Et me présente fièrement un
parapluie aux
couleurs du CPF et rempli de logos du CPF !
«
Heu... Thank you, Sir ! »
Au
moment de quitter mon siège, Sylvestre
m'interrompt à nouveau:
«
Si vous voulez bien signer ici,
Captain... Pour le parapluie ! »
Ce
Chinois avait peut-être plus d'humour
et de délicatesse que je ne pensais... Au lieu de
m'offrir un
parapluie, il
aurait pu me donner un cadeau plus triste... Une canne
pour mes vieux
jours !
L'argent
fut versé à mon compte, pile le
jour de mes 55 ans !
Contrairement
à une pension mensuelle ad
vitam eternam, cette somme d'argent est tentante... La
jouer en bourse
pour
avoir plus, la dilapider rapidement par des placements
négatifs
et se retrouver
avec rien ! Nous sommes très forts pour
ça, les
pilotes... Selon le caractère,
d'aucun pourrait également vite transformer cet
argent en
fumée en le buvant
avec des filles de peu... Dangereux ! Comme je suis le
genre de type
qui achète
des actions au plus haut prix et les revends au plus
bas, j'ai
placé mes petits
sous « à la papa »... Chez les
trapézistes de
métier, les banquiers !
La
retraite... Dans tous les métiers,
s'arrêter de travailler est un choc psychologique
!
Mon
ami Lucien Faufeder, chancelier de
l'Ambassade de Belgique:
«
Tu te rends compte, Jacques, même ta
carte de visite t'est retirée, mon vieux !
»
C'est
vrai ! Il a raison, Lucien... Y
ajouter « pensionné » n'arrange pas
le
problème:
«
Monsieur X. Ex-ci, Ex-ça. Pensionné.
»...
Autant
inscrire:
«
Amen » !
Pour
nous pilotes, qui avons toujours
marché à la pendule, à la minute
près,
notre vie réglée comme du papier à
musique, et qui du jour au lendemain n'avons plus rien
à faire
du tout,
Je
connais d'anciens pilotes, pilotes
retraités, héros de guerre ou pionniers
d'aviation
commerciale... L'iris cerclé
de blanc, leurs yeux n'ont plus cette intensité
d'antan... Ils
ont un regard de
vieux chien... C'est ce que l'on croit ! Car, si l'on
regarde bien au
fond de
ces yeux, le ciel est toujours clair, plein de
lumière... Le
blanc, c'est le
blanc des falaises, que ces goélands survolent
avec
frénésie... Ils piquent en
rase-mottes et remontent en chandelles vers un
zénith d'azur et
de liberté...
C'est le blanc des nuages, des nuages de beau temps,
autour desquels,
ces
oiseaux virent et revirent avec volupté... Non !
L’amour des
cieux n'est pas
mort et dans l'âme de ces pilotes, ce sera
toujours le grand
cirque de la
jouissance de l'air ! Demandez-leur ! En eux, vibreront
alors les
moments
intenses de leurs aventures aériennes... Ces
Capitaines vous
raconteront
comment ils sont revenus de leurs croisées de
mers lointaines et
de leurs
traversées de pays perdus... L'aviateur est
éternel !
Il
en est ainsi de ces vieux musiciens de
jazz... Leurs cheveux crépus ont blanchi... Si
leurs yeux
paraissent fatigués
et humides à force d’avoir vécu toute leur
vie dans la
fumée du tabac, si leur
voix basse semble tellement gutturale à force
d’avoir
chanté le blues et si
leurs gestes sont plus lents qu'auparavant, ces
merveilleux artistes
ont encore
au fond de leur tête tous les rythmes
endiablés... En vous
parlant, ils se
mettent alors à trembler doucement avec
grâce, comme ils
ont tremblé jadis au
tempo de leurs notes... De suite, on sent revivre en eux
cette extase
de la
musique, qu'ils nous donnent en offrande comme un cadeau
des dieux...
Le
musicien est lui aussi éternel
!
On
raconte l'histoire de ce pilote qui vient
de prendre sa retraite... Son ami, pilote de ligne
également, et
qui va
bientôt, lui aussi, prendre sa retraite, lui
demande inquiet:
«
Comment ça va ? »
«
Ca va ! »
«
Ca va ? »
«
Mais oui, ça va ! »
«
Comment fais-tu ? Tu as un truc ? »
Le
jeune retraité lui explique alors...
«
J'ai acheté une grande photo du cockpit
d'un 747, que j'ai collée sur un mur de mon
bureau... A la cave,
j'ai déniché
une vieille chaise, la plus inconfortable, que j'ai
placée
devant ce poster...
Je m'installe donc dans mon siège pour un vol de
nuit ! Car au
préalable, j'ai
allumé une seule et petite lampe de chevet et
j'ai mis
l'aspirateur en
marche... Ainsi, pendant toute la nuit, dans ce
ronronnement et cette
faible
lueur, je fixe mes instruments ! De temps en temps,
j'appelle
l'hôtesse, à
l'occurrence ma femme, et lui demande un café...
Furieuse, elle
m'apporte alors
une tasse du café froid, dont le contenu s'est
bien entendu
renversé en grande
partie dans la sous-
Lorsque
j'entends un avion passer dans le
ciel, je me précipite dehors... Je ne suis pas
blasé !
Oh, non ! Car dans mon
bureau, j'ai un truc, moi aussi... J'ai une radio
pouvant capter toutes
les fréquences
aéronautiques: la tour de contrôle,
l'approche, les
couloirs aériens ! J'écoute
les avions... Je suis assis devant les deux dessins, le
cockpit du DC3
et celui
du 747, que mon ami Jean Luc Beghin a dessiné
artistiquement et
qu'il m'a
gentiment offert... Merveilleux tableaux !
Pour
l'ancien, celui qui a fait décades à
Singapore Airlines, il est de coutume que le Chef-Pilote
ou même
le Directeur
des Opérations soit présent à
l'arrivée du
dernier vol de ce vétéran !
Déjà que
cet aviateur ayant posé ses roues sur la piste
pour une ultime
fois, son moral
est au zéro absolu... Alors existe cette
tradition, reprise de
je ne sais d'où,
de je ne sais qui... Des Anglais, sans doute ! Y a
qu'eux pour inventer
un truc
pareil...
Maurice,
le sourire aux lèvres, de sa main
droite félicite et remercie pour les services
rendus... Et de sa
main gauche, «
Clipp ! », coupe d'un coup de ciseaux habile, la
cravate du
malheureux pilote !
«
Aaaaah ! »
C'est
comme si on lui coupait le zizi !
C'est
bien simple, s'il n'a pas la force
de surmonter cet outrage, ce vieux marlou de pilote se
sent
châtré pour le
restant de ses jours... Le comble, il doit encore dire
merci au grand
Chef !
Puis, ramassant son petit bout de cravate (de cravate
heureusement !),
il s'en
va, la queue entre les jambes !
Rien
que pour échapper à cette mutilation,
je crois que je partirai avant la date !
La
retraite... Tout comme mes collègues,
qui ont à leur actif certainement plus d'heures
et plus de
pirouettes autour de
la boule que moi, j'ai dépassé les 20.000
heures de vol,
j'ai fait plus de 500
fois le tour du monde, en long, en large et en
travers... Non, pas en
travers,
puisque je n'ai jamais survolé l'Amérique
du Sud et je le
regrette !
Au
fil des ans, j'avoue que les décalages
horaires, les vols de nuit, les heures de sommeil
irrégulières et les repas à
contre temps m'ont un peu « cassé
»... Je suis
fatigué ! Je ne crois pas être
le seul ! Je remarque que les cheveux drus de mes amis
asiatiques, avec
qui je
vole depuis près de 17 ans, ne sont plus ce
qu'ils
étaient... Si leur chevelure
est toujours aussi épaisse,
Peu
réjouissantes les statistiques
concernant les pilotes en retraite, du moins pour ceux
qui ont fait
beaucoup de
« jet »... Paraît-il qu'après
s'être
arrêtés de voler, leur chance de survie
(!) est fort brève ! Explication ? Inconnue !
Sans doute, leur
corps et leur
esprit, loin d'avoir vécu une existence plate,
trimbalés,
bousculés aux quatre
vents de jour et de nuit, secoués dans les
tempêtes, ont
pris l'habitude de ce
rythme de vie... Soudain, plus rien ! Walou ! Le calme
plat ! Le
métabolisme
passe sur « off !
Je
voudrais quand même bien profiter un
peu de ma retraite... Relax et sans horaires, visiter
enfin la belle
Europe...
Par la voie de terre, pas de l'air... A pieds, à
cheval ou en
voiture !
Assis
devant une bonne bière brune à la
terrasse du Movenpick à Zurich et regardant
passer les jolies
voitures (!),
j'avais dit à Paul Grant:
«
Nous sommes des cobayes ! Personne ne
sait ce que ces jetlags, traversés en
rapidité d'Est en
Ouest et d'Ouest en
Est, ces nuits blanches, nous réservent...
L'aviation est
à présent trop
rapide... Avant, on y allait à son aise, Paul !
»
Paul,
ce jeune Australien, dont
l'arrière-arrière-arrière
grand-père fut
envoyé aux galères en Australie (en
Tasmanie plus précisément) parce qu'il
avait volé
trois canards dans un étang
d'Angleterre, est émerveillé par un de ses
premiers
voyages européens... Son
pays, uniforme de langue et de culture, est aussi vaste
que l'Europe !
Ensemble,
nous avions été au Danemark, en Hollande
et maintenant en
Suisse ! A chaque
escale, langues, cultures, coutumes et cuisines
différentes...
Sur une
superficie restreinte ! En Australie...
Toujours
est-il que cet
arrière-arrière-arrière petit-fils
de
forçat plein d'humour fin est devenu mon
ami et nous rions ensemble... J'en ris que j'en pleure !
Il me
répond en
dégustant sa bière et en profitant du
spectacle de la rue
par cette belle
après-midi d'été:
«
Guineas pigs ? Peut-être... Mais, moi,
Jack, je suis bien content d'être un cobaye !
»
Survit
cependant cette race de « purs »...
Ceux qui ne peuvent, qui ne savent pas s'arrêter
de voler... Oui,
ils
s'arrêteront le jour où, le manche à
balai entre
les jambes, les dieux auront
tirer la dernière ficelle ! Car passé
l'âge de 60
ans, si le Ministère de
l'Aéronautique interdit les vols commerciaux aux
pilotes, il
autorise cependant
l'instruction pour les jeunes cadets... Sur un Lear-Jet,
véritable petit
chasseur... Je connais des collègues, qui ont
plongé sur
cette occasion pour
rester dans les cieux trois années
supplémentaires ! Avec
de jeunes élèves,
leur attention ne devant surtout pas se relâcher
une seconde, il
ne s'agit pas
d'une après-midi de relax à la campagne...
Une partie de
plaisir ? Pour eux,
oui ! Circuits de nuits, atterrissages et
décollages
répétés, plusieurs étapes
en Thaïlande, décollages, atterrissages ! Je
parle de mes
amis:
*
J.S. Pal... La classe, l'Indien ! Avec
son turban bleu-nuit assorti à son uniforme, ses
yeux de
charbons ardents vous
foudroient d’élégance et de charme... Un
gentleman ! J.S.
aime la bonne chaire,
les grands vins... Ce qui ne l'a pas
empêché de garder la
forme... En fait, je
le revois tel que je l'ai rencontré il y a 17
ans...
Malgré que possédant chalet
en Suisse et palace au Punjab,
*
Collin Sharp, mon premier instructeur en
1977 sur Boeing 707... A 60 ans, il n'a pas
quitté Singapour,
mais s'est
accroché au Lear-Jet !
*
Peter Van Emmenis... A peine rentré en
Afrique du Sud, Peter ne peint pas les murs de son
nouvel appartement,
il les
grimpe ! Il n'en peut plus et pose de suite sa
candidature au poste
d'instructeur !
*
Kandasamy, mon ancien Chef-Pilote et
H.H. TEh, le premier instructeur, qui me fit
goûter au 747 en
tours de piste,
idem !
*
Nevil Lockett, ancien de Quantas venu
terminer sa carrière à SIA et que je
rencontre dans la
salle d'attente lors de
ma visite médiale:
«
Que fais-tu ici ? Je croyais que tu
étais pensionné dans trois semaines et que
tu retournais
dans ta belle villa à
Sydney, au bord de l'océan ! »
«
Heu... Oui, mais je veux encore voler...
Le Learjet, comme instructeur... Alors, sérieux
examen
médical ! Puis ce sera
le cours au sol et le simulateur et ensuite... J'ai fou,
Jack, j'ai
«
Je suis fou, Nevil, pas j'ai, je suis...
»
«
Je suis fou ! »
«
Non, tu n'es pas fou... Chacun sa vision
des choses ! »
*
Et mon ami Daruwala ! A soixante-quatre
ans, je viens d'apprendre qu'il remet ça pour un
contrat d'un an
! La compagnie
avait besoin de Mécanicien de bord... «
Tote suite »
!
Des
« purs »... Faut le faire... Chapeau !
Quant
à mon ami John Shurman, le Canadien
aux milliers d'heures de vol et à Singapour
depuis plus de vingt
ans, a dit:
«
Stop ! »
Il
n'est pas assis dans le cockpit du
Lear-Jet à Singapour, mais sur son tracteur en
France...
Comme
lui, je crois que je ferais de
même...
Je
regretterai cependant de ne plus
apercevoir dans le ciel austral «ma» Croix
du Sud... Ces
quatre étoiles, que
j'ai failli me faire tatouer sur l'épaule un soir
de spleen dans
le quartier de
Kingcross à Sydney ! Cependant, je porte toujours
mon manteau de
fine peau...
Sa couleur s'est un peu ternie... Il s'est
froissé aux
craquelures et aux
ouragans, mon manteau, mais il est toujours de fine peau
! Je me sens
bien dans
ma peau...
Alors ? Je me pose
une nouvelle fois la
question:
En
quelque domaine que ce soit, n'ai-je
jamais été un « pur » ?
Pourtant,
si on me demandait:
«
Jack, si tout était à refaire ? La
même
vie ? »
Je
répondrais vite:
«
OUI ! »
Nombreux sont donc
ceux qui attendent avec
impatience que l'âge de la retraite soit poussée jusqu'à
63 ou 65 ans pour les vols commerciaux... Pourquoi pas
70, 80, 90, ou
même la
centaine ? Par amour pour l'aviation, ils sont multitude
ceux qui
désirent
ardemment ce recul de la limite de pension... Mais,
parmi cette
espèce
d'oiseaux, ils sont nombreux aussi les pilotes de
lignes, qui ayant
épousé une
première, une seconde, puis une troisième
et parfois
même une quatrième femme,
sont obligés de payer d'interminables pensions
alimentaires en
fin de mois...
Ils se retrouvent papa et grand-papa à la
retraite... Ca
coûte cher !
Conséquence: il leur faudrait voler
jusqu'à l'âge
de 150 ans pour subvenir aux
besoins de toute leur ribambelle de famille !
Il
est ainsi des moments de bonne
fréquence... Nous parlons beaucoup, Monsieur Lim
et moi !
Président du Club
d'Astronomie de Singapour, Albert Lim me raconte le
firmament, me situe
les
étoiles, les constellations, les galaxies... Ce
mathématicien me parle de
Relativité, Restreinte ou Générale,
de
Mécanique Quantique... Il me parle de
l'Univers ! Einstein, Hawking... Tant bien que mal,
j'essaie de
suivre...
J'écoute... Je pose des questions... Le temps
passe...
L'espace-temps ! Ce
jour-là, tout en nous dirigeant vers la sortie du
Centre des
Sciences, nous
continuons la discussion... Arrivés sur le pas de
la porte, nous
nous taisons
soudain ! Une communion silencieuse, de commun accord,
nous regardons
le ciel
ensoleillé, le vert feuillage des arbres
soufflé au vent
par la brise, les
fleurs, le jardin... La beauté de la nature !
Monsieur Lim, le
scientiste,
rompant cette minute de silence, me dit:
« Finalement, il est une simple
théorie,
Captain Siroux... C'est bon d'être
en vie ! »
«
J'allais vous le dire, Mister Lim... »
L'équipage
sirote son verre au bar du
dernier étage du Sheraton... La journée
s'achève... Nous, nous venons de nous
réveiller ! On découvre la Tour de
Galata... Elle veille
sur l'entrée du
Bosphore ! En 1622, un certain Ahmed Celebi, se prenant
pour Icare,
s'est
accroché des ailes aux bras et s'est jeté
du haut de ce
bâtiment... Paraît-il,
il fit ainsi, ce premier aviateur, un vol plané
de 12 Km ! Je me
demande bien
comment ? On aperçoit aussi l'imposante
Mosquée Bleue et
celle de Suleiman,
Sainte Sophie et Topkapi... A Istanbul, je pense
à Banou...
Banou, la fille a
la voix rauque, aux grands yeux verts, bruns, bleus,
gris ! Et moi,
je...
Comme
dit le notaire Brel, à l'hôtel des «
Trois Faisans »:
«
Et moi ? Je parle encore de moi ! »
Non
! Je ne parlerai plus de moi ! Je
crois cependant ne pas avoir parlé que de moi...
J'ai
parlé de nous ! Avec
plaisir, j'ai beaucoup parlé de mes
collèges aviateurs,
de mes amis, de mes
copains, de mes femmes ! Encore tant d'histoires ont
raconter
cependant...
Histoires d'autres lieux, d'autres cieux, d'autres
yeux... Mais je
m'arrête !
«
Quoi, Jack ! Tu t'arrêtes ? »
«
Oui ! »
«
Plus de Captain ? »
«
Non ! Adieu... Captain ! Check-list
finale, s.v.p ! » « Tu
es sûr ? »
«
Certain ! J'arrête mes bêtises !
D'ailleurs, vous m'avez souvent dit que vous vous en
«
Mais non, mais non ! »
«
Mais si, mais si ! »
«
Et maintenant, Jack ? »
«
Maintenant ? Je ne sais pas, je ne sais
plus... Si, je sais ! Une dernière supplique aux
dieux:
«
Laissez-moi... Laissez-moi, pour encore
un peu de temps, les collines du Beaujolais, les
paysages de Provence,
le
soleil de la Côte d'Azur... Laissez-moi la mer...
La Mer du Nord,
la Méditerranée
! La nuit, laissez-moi mes étoiles... Laissez-moi
écouter
le chant du coq, les
oiseaux chanter au petit matin ou la cloche du village,
tout
simplement...
Laissez-moi admirer de jolis yeux, un doux regard, un
sourire...
Laissez-moi
une franche poignée de main, un rire...
Laissez-moi un ami !
» ****** SIC ! ****** Mai
1994 ! Tous droits réservés... Bien
sûr !
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