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Lieutenant-colonel Jacques
Ardisson "Nul ne craint"
Avec le 22ème Bataillon de Chasseurs
Alpins Guerre
1939 - 1945
Témoignages
Analyse des témoignages
Écriture : 1940 - 110 pages
POSTFACE de Michel EL BAZE
Le Chef de Bataillon Jacques
Ardisson a signé le 1er Octobre 1940 le Journal de Marche
du 22e Bataillon de Chasseurs Alpins qui est ici publié à
la suite du récit plus détaillé qu'il fait de l'engagement
de son unité du 10 Mai au 2 Juin de cette même année.
Mais le document qui sera très
apprécié des chercheurs est sans aucun doute l'historique
que l'Adjudant Chef Jean-Marie Buquet a pu réaliser grâce
à la passion qu'il a mise à interroger et à transcrire les
relations des témoins dont il donne le liste dans la
préface de cet ouvrage. Il apporte ainsi sa contribution capitale à
la sauvegarde de la mémoire de ceux qui appartinrent au
Bataillon de Nice.
The
Chief of Battalion Jacques Ardisson has signed 1st
October 1940 the Newspaper of Step of 22e Alpine Hunter
Battalion that is here published to the continuation of
the more precise account that he makes the commitment of
his unit of 10 May to 2 June of this same year. But the document that will be
appreciated seekers is without no doubt the historical
that the Adjudant Chief Jean Marie Buquet has been able
to realize thanks to the passion that he has put to
question and to transcribe the relationships of the
witnesses whose he gives the list in the preface of this
work. He brings thus
his capital contribution to the safeguard of the memory
of these who apart to the Battalion of Nice.
Chef de Bataillon Jacques Ardisson hat am
1. Oktober 1940 das Marschtagebuch des 22. Bataillons
der Chasseurs Alpins unterzeichnet, das hier
veröfentlicht ist in der Folge des detaillierteren
Berichts, den er vom Einsatz seiner Einheit vom 1O.
Mai bis 2. Juni dieses gleichen Jahres verfasst.
Aber das Dokument, das von
den Forschern sehr gechatzt werden wird, ist ohne
Zweifel die historische Beschreibung, die der Adjudant
Chef Jean-Marie Buquet niederschreiben konnte dank dem
Eifer, den er einsetzt, um nachzuprüfen und die Erzah
lungen der Zeugen umzuschreiben, von denen er ein
Verzeichnis im Vorwort dieser Arbeit gibt. Er tragt auf diese Weise seinen
wesentlichen Anteil bei zur Erhaltung des
Gedachtnisses derer, die dem Bataillon von Nizza
angehorten.
PRÉFACE DE L'ADJUDANT CHEF JEAN-MARIE
BUQUET
Dans une lettre, adressée en
avril 1951 au Chef de Bataillon Eugène des Touches, qui
venait de prendre le commandement du 22ème Bataillon de
Chasseurs Alpins, nouvellement reconstitué, le Général de
Corps d'Armée Lafont, qui avait commandé le bataillon
d'avril 1916 à Juillet 1917, écrivait :
"Je
pense qu'au cours de la guerre de 1914-1918 sa
caractéristique a été "la modestie" dans le devoir
accompli avec le maximum de courage et de dévouement. "
C'est exactement ce que j'ai
ressenti à la lecture des notes et souvenirs de Mai et
Juin 1940, des combattants méconnus du 22ème Bataillon de
Chasseurs Alpins. Leur message se résume ainsi :
"Nous
ne sommes pas des héros. Nous avons simplement fait, le
mieux possible, ce que nous devions faire, là où nous
avions été placés."
C'est à cette modestie que
veulent, après tant d'années de silence, rendre justice
ces quelques pages que les Croix de Guerre de Nice ont
accepté, avec enthousiasme, de publier dans leur
collection de témoignages sur les guerres du XXe siècle.
Que soient ici remerciés ceux et
celles qui m'ont apporté la matière première de ce récit,
que ce soit sous forme de rapports, de journaux de marche,
de carnets de notes, de souvenirs, même partiels et
parfois imprécis, mais qui permettaient de précieux
recoupements, ou de photos. Le Lieutenant-Colonel Ardisson, avec lequel
je me suis longuement entretenu, m'a communiqué les
rapports qu'il avait établis aussitôt la fin des combats.
Je lui dois également d'avoir connu le texte des citations
des gradés et chasseurs du bataillon, ce qui m'a permis de
situer leur action personnelle dans la chronologie de la
bataille. Madame
Griolet m'a fort aimablement confié les documents hérités
de son époux : le rapport rédigé par le Chef de Bataillon
Désidéri, commandant la 26ème Demi-Brigade, ainsi qu'un
brouillon de rapport du Capitaine Griolet sur la période
du 11 au 10 Juin, pendant laquelle il commandait le 22ème
B.C.A. Ces deux documents ont été rédigés au cours des
premiers jours de captivité, passés au camp de Mailly.
Le Lieutenant Jacques Minot, qui
commandait la 3ème Compagnie, a bien voulu corriger et
préciser les passages mettant en cause l'action de la 3ème
Compagnie ou la sienne propre. Le Sergent-chef Bassecourt, nommé par son
chef de section, le Sous-Lieutenant Escande,
"historiographe de la 1ère Section de la 3ème Compagnie, a
mis à jour leurs souvenirs communs. Le Sous-Lieutenant Merpillat, chef de section
à la 2ème Compagnie, m'a offert son journal de marche et
celui du Sous-Lieutenant Beau. Le Sergent Michel Rodde m'a donné la copie de
son carnet de notes. Le Sergent-Chef Leruth et le Sergent
Dory, moins prolixes, mais tout aussi précis, leur
"Chronologie" des événements de mai et juin 1940. Madame Lajous et Madame Pacaud ont
retrouvé pour moi dans les souvenirs de leurs époux, les
notes qui ont permis de préciser certains événements. Le
Sergent-Chef Lantheaume et le Sergent-Chef Le Commandeur,
tous deux de la 1ère Compagnie, ont fait de même, bien que
prétextant un manque de mémoire après tant d'années...
André Meng, chef-comptable de la
2ème Compagnie, m'a relaté les pérégrinations de l'errance
du Train Régimentaire du bataillon, de Lhéry jusqu'à
Millau. Mesdames
Griolet et Lajous, Merpillat, Penchenat, Minot, Dory et
Truchon, ont fourni les photos qui illustrent ce récit,
dont Maurice Leruth a établi la remarquable cartographie.
In
a letter, addressed in April 1951 to the Chief of
Battalion Eugène des Touches, that came to take the
commandment of 22ème Alpine Hunter Battalion, newly
reconstitute, the General of Army Corps Lafont, that had
ordered the battalion of April 1916 to July 1917, wrote
: "I think that in
the course the war of 1914-1918 its characteristic has
been "the modesty" in to have accomplished it with the
maximum courage and dedication." It is exactly what I have felt to the notes
and souvenir perusal of May and June 1940, misunderstood
combatants of 22ème Alpine Hunter Battalion. Their
message summarizes thus : "We are not hero. We have simply made, the
better possible, what we had to make, there where we had
been placed." It is
to this modesty that want, after so years of silence, to
render justice these some pages that Cross of War of
Nice have accepted, with enthusiasm, to publish in their
collection of testimonies on wars of the XXth century.
That are here thanked these
and those that have brought me the raw material of this
account, that this is in the form reports, newspapers of
step, notebooks of notes, souvenirs, same mid-terms and
sometimes vague, but that allowed precious recoupements,
or photographs. The
Lieutenant-Colonel Ardisson, with which I have at length
maintained, has communicated me reports that he had
established immediately the end of combats. To him I
have equally to have known the text of quotations of the
officers and hunters of the battalion, what has allowed
me to situate their personal action in the chronology of
the battle. Mrs.
Griolet me has confided inherited documents of his
spouse : the report written by the Chief of Battalion
Désidéri, ordering 26ème Half-Brigade, as well as a
rough of report of the Captain Griolet on the period of
11 to 10 June, while he ordered 22ème B.C.A. These two
documents have been written in the course of the first
days of captivity, pasts to the camp of Mailly. The Lieutenant Jacques Minot, that
ordered 3ème Company, has well wanted to correct and
specify passages putting in causes the action of 3ème
Company or this own. The
Sergeant-chief Bassecourt, appointed by his chief of
section, the Sub-lieutenant Escande, historiographe 1ère
Section of 3ème Company, has put to day their common
souvenirs. The
Sub-lieutenant Merpillat, chief of section to 2ème
Company, has offered me his step newspaper and that the
Sub-lieutenant Beau. The
Sergeant Michel Rodde has given me the copy of its
notebook of notes. The Sergeant-Chief Leruth and the
Sergeant Dory, less prolixes, but whole as precise,
their Chronology of May and June events 1940. Mrs. Lajous and Mrs. Pacaud have
found for me in souvenirs of their spouses, notes that
have allowed to specify some events. The Sergeant-Chief
Lantheaume and the Sergeant-Chief Le Commandeur, all two
of 1ère Company, have made similarly, although
prétextant a lack of memory after so years... André Meng, chief-accountant of
2ème Company, has related me the pérégrinations, the
errance of the Regimental Train of the battalion, Lhéry
until Millau. Mesdames
Griolet and Lajous, Merpillat, Penchenat, Minot, Dory
and Truchon, have provided photographs that illustrate
this account, whose Maurice Leruth has established the
remarkable cartography.
In einem Brief, der im April 1951 an den
Bataillonschef Eugène des Touches adressiert war, der
gerade das Kommando des neu wiederhergestellten 22.
Bataillons der Chasseurs Alpins übernommen hatte,
schrieb der General des Armeekorps Lafont, der das
Bataillon vom April 1916 bis Juli 1917 kommandiert
hatte : "Ich
glaube, dass im Laufe des Krieges von 1914 - 1918 "die
Bescheidenheit" in der Pflichterfüllung mit einem
Maximum an Mut und Ergebenheit charakteristisch war".
Das ist genau das, was ich
bei der Lektüre der Notizen und Erinnerungen von Mai
und Juni 1940 von verkannten Mitkampfern des 22.
Bataillons der Chasseurs Alpins empfunden habe. Ihre
Botschaft lasst sich folgendermassen zusammenfassen :
"Wir sind keine Helden. Wir
haben nur auf bestmogliche Weise gemacht, was wir
machen mussten, dort, wo wir eingesetzt waren."
Das ist dieser
Bescheidenheit, der nach sovielen Jahren des
Schweigens diese weniger Seiten Recht wiederfahren
lassen wollen, die die Trager des Kriegskreuzes von
Nizza mit Enthousiasmus angenommen haben, um sie in
ihrer Sammlung von Zeugnissen über die Kriege des 20.
Jahrhunderts zu veröffentlichen. Dass hier bedankt seien
diejenigen, die die Materialien zu diesem Bericht
beigesteuert haben, sei es in Form von Meldungen,
Marschberichten, Notizbüchern, Erinnerungen, sogar
wenn sie nur unvollstandig und manchmal ungenau waren,
die aber wertvolle Nachprüfungen erlaubten, oder von
Fotos. Lieutenant-Colonel
Ardisson, mit dem ich mich lange unterhalten habe, hat
mir die Berichte, die er sogleich nach dem Ende des
Kampfes niedergeschrieben hatte, überlassen. Ich
verdanke ihm ebenfalls, den Text über die
Auszeichnungen der Chargierten und der Chasseurs des
Bataillons gekannt zu haben, was mir erlaubt hat, ihre
personliche Handlungsweise in der Chronologie des
Kampfes zu bestimmen. Madame Griolet hat mir
liebenswürdigerweise die Dokumente, die sie von ihrem
Mann geerbt hat, anvertraut : Der Bericht verfasst vom
Chef de Bataillon Désidéri, der die 26. Demi-Brigade
befehligte, ebenso wie einen Entwurf des Berichts von
Capitaine Griolet über die Periode vom 11. bis 10.
Juni, wahrend der er die 22. B. C. A. befehligte.
Diese beiden Dokumente wurden im Lauf der ersten Tage
der Gefangenschaft, verbracht im Lager von Mailly,
abgefasst. Lieutenant
Jacques Minot, der die 3. Compagnie befehligte, hat
die Passagen, die die Kampfhandlung der 3. Compagnie
oder seine eigene in Frage stellen, korrigiert und
klar ausgedrückt. Sergent-chef
Bassecourt, von seinem Chef de section,
Sous-Lieutenant Escande zum "Geschichtsschreiber der
1. Section der 3. Compagnie ernannt, hat ihre
gemeinsamen Erinnerungen aktualisiert. Sous-Lieutenant Merpillat, Chef
de Section der 2. Compagnie, hat mir sein
Marschtagebuch und das von Sous-Lieutenant Beau
geschenkt. Sergent
Michel Rodde hat mir die Kopie seines Notizbuches
gegeben. Sergent-Chef Leruth und Sergent Dory, weniger
ausschweifend, aber ebenso genau, ihre "Chronologie"
der Ereignisse von Mai und Juni 1940. Madame Lajous und Madame Pacaud
haben für mich in der Hinterlassenschaft ihrer
Ehemanner die Notizen wiedergefunden, die es erlaubt
haben, gewisse Ereignisse klarzustellen. Sergent-Chef
Lantheaume und Sergent-Chef Le Commandeur, alle beide
von der 1. Compagnie, haben es genauso gemacht, obwohl
sie einen Mangel des Gedachtnisses nach all den Jahren
vorgaben... André
Meng, Chef-Buchhalter der 2. Compagnie hat mir die
weite umherirrende Fahrt des Regimentszugs des
Bataillons von Lhéry nach Millau erzählt. Die Damen Griolet und Lajous,
Merpillat, Penchenat, Minot, Dory und Truchon haben
die Fotos beigesteuert, die diesen Bericht
illustrieren, von dem Maurice Leruth die
bemerkenswerte Kartographie erstellt hat.
Table
Préface 7
Concentration d'une division
sur l'Aisne
- Défense d'une coupure par
un bataillon de chasseurs 9
La défense du canal de l'Oise 12
Étude du terrain, mission et
ordre de défense du quartier de Soupir 12
Conclusion 16
Journal de
Marche du 22ème B.C.A. 17
Débarquement à Vitry la Ville
et étape sur Châlons sur Marne 18
Engagement du bataillon sur
le canal de l'Oise à l'Aisne 19
Organisation de la position 19
Arrivée de l'ennemi sur le Chemin des Dames
- Prises de contact 20
Relève par la demi-brigade de chasseurs
de la 28ème D.I. 21
Le 22ème B.C.A. passe en deuxième ligne. 21
Les Allemands passent l' Aisne 21
L'ennemi attaque nos positions
en arrière de l'Aisne 22
Attaque de la crête nord de Bazoche
par l'ennemi 22
Attaque de Fismes par l'ennemi - 10 Juin 23
Retraite sur la Marne et sur la Seine 24
Adjudant-Chef Jean-Marie
Buquet
Historique du 22e Bataillon de Chasseurs Alpins 25
1939 27
Secteur des Alpes maritimes 27
1940 32
Troyes 33
L'Alsace 34
L'Aisne 37
Paars - Courcelles - Bazoches 53
Fismes 62
La Marne 69
La fin 84
La mémoire
La mémoire : seul bagage incessible
Jacques
ATTALI
CONCENTRATION D'UNE DIVISION SUR L'AISNE
DEFENSE D'UNE COUPURE
PAR UN BATAILLON DE CHASSEURS
Dans
la deuxième moitié du mois de Mai 1940, le 22ème
Bataillon de Chasseurs Alpins a eu la mission de
défendre le canal de l'Oise à l'Aisne, entre Braye en
Laonois et Bourg et Comin. Le 2 Juin, il a été relevé dans sa mission
par une partie des 27ème et 47ème B.C.A.; ce n'est donc
pas sur les bords du canal qu'il a été engagé au cours
de la bataille de l'Aisne. Je ne parlerai que de la
défense du canal, avant la relève du Bataillon; c'est la
période où l'ennemi prend le contact sur ce point;
faisant effort dans le Nord, pour régler le sort de
notre armée de Belgique. Il n'a pas encore déclenché sa
grande offensive vers le Sud et nos moyens de défense
peuvent équilibrer ses moyens d'attaque. Par la suite au
contraire, les événements se sont déroulés avec une
telle rapidité, les grandes et petites unités étaient à
un tel point désorganisées, les fronts avaient une telle
ampleur que, malgré les efforts déployés par le
commandement à tous les échelons, la bataille défensive
fut difficilement conduite et le combat dégénérait vite
en actions défensives sporadiques, plus ou moins
énergiques, suivant la valeur des commandants de
compagnies ou plutôt même des chefs de sections et il
est difficile de faire une analyse de l'évolution de la
situation. Par
contre, je parlerai du départ d'Alsace du Bataillon et
de la concentration de la Division à l'Ouest de Reims,
il y a des enseignements pratiques à mettre en lumière
et surtout, il est possible par ce cas concret, de se
rendre compte de l'un des rôles qu'a joué l'aviation
allemande dans la conduite de la guerre par l'ennemi.
L'infanterie de la 44ème
division à laquelle appartenait le Bataillon comprenait la
26ème 1/2 Brigade (22ème Bataillon d'Active, 62ème et
64ème Bataillon de Formation), le 173ème Régiment
d'Infanterie Alpine d'Active, et un régiment d'Infanterie
de formation, le 6ème R. I. La 26ème Brigade et le 173ème
étaient du type alpin, seul le 6ème R. I. était du type
Nord-Est. Le IO Mai,
la Division était en cantonnement en Basse Alsace, elle
était employée à des travaux d'organisation d'une
bretelle, au Nord de la forêt de Haguenau. La demi-brigade
doit s'embarquer à Merzwiller. Le Bataillon est reparti en
deux trains. Dans le premier doit se trouver l'État-major,
deux compagnies et demie de fusiliers voltigeurs, une
partie de la C. A. et une partie de la Compagnie Hors
rangs. L'embarquement qui devait avoir lieu de nuit, ne se
fit que dans l'après-midi suivant par suite du retard des
trains. Le règlement sur les embarquements en chemin de
fer prévoit que le quai doit rester entièrement libre et
vide avant un embarquement; la troupe doit attendre dans
un emplacement abrité. Lorsque le train est en gare, la
reconnaissance est faite, le matériel acheminé et chargé,
les animaux sont embarqués et ensuite seulement, la
troupe, fractionnée à l'avance, s'approche, s'embarque et
le train doit partir. Si tout est organisé et si la troupe
est dressée, l'opération doit être rapidement terminée et
une attaque aérienne provoquée par la visite d'un avion
ennemi de reconnaissance a les plus grandes chances d'être
trop tardive. Pour toutes
les unités de la demi-brigade, le tonnage en véhicules
autos était bien inférieur au tonnage réglementaire, et il
avait été prêté des moyens de transports supplémentaires.
Mais ces moyens devaient alléger successivement plusieurs
unités et il n'étaient prêtés que pour un temps très
limité. Force fut donc de faire déposer sur le quai le
supplément de tonnage Comme le retard des trains dépassa
toutes les prévisions, et que les camions durent être
libérés, l'excédent de bagages devant être chargé sur les
sept trains de la demi-brigade se trouva entièrement
rassemblé sur le quai Aussi, malgré les précautions prises
par la troupe pour se rendre à la gare, un avion de
reconnaissance ennemi passé vers le début de l'après-midi
ne manqua pas de voir un tel amas de bagages et le
personnel chargé de la garde. L'attaque se produisit. Elle
fut menée par quatre chasseurs, qui, pendant 20 minutes
balayèrent le train et ses abords. Le matériel était
chargé, les animaux avaient presque terminé leur
embarquement, la troupe était heureusement encore à son
emplacement d'attente. Les muletiers ne pouvaient franchir
la clôture avec leurs animaux, ils n'avaient donc qu'une
solution à prendre, celle de continuer l'embarquement.
C'est ce qu'ils firent, malgré les difficultés produites
par les animaux devenus rétifs L'embarquement terminé, ils
purent se mettre à l'abri. La D. C. A. active placée pour
la défense du train comprenait : une section de
mitrailleuses à l'avant, un groupe à l'arrière et six
fusils-mitrailleurs répartis le long du train. Toutes ces
armes tirèrent beaucoup ; peut-être y eut-il un résultat,
car quatre avions avaient commencé l'attaque, et trois
seulement la terminèrent, mais j'en doute. De notre côté,
le bilan des pertes fut faible. Quatre camions en feu,
dont deux furent éteints, un blessé grave et la locomotive
percée comme une écumoire. La demande à Hagueneau d'une
nouvelle locomotive fit perdre encore trois heures car
tous les fils avaient été coupés, probablement par la D.
C. A. A la tombée de la nuit, le train partit enfin.
La route fut longue et
mouvementée, mais le convoi où se trouvait la portion
principale du Bataillon ne fut plus directement inquiétée.
La perturbation jetée par l'aviation allemande le long des
voies ferrées était grande, les trains n'avançaient qu'au
ralenti; j'ai compté plus de 10 trains à la suite, au
passage de la Meuse. Près de Saint Dizier, un train de
troupes anglaises avait été incendié, et il fallait
utiliser les voies de garage pour doubler et reprendre la
grande ligne. Il y a lieu en cours de transport d'observer
une stricte discipline. Les wagons doivent être fermés,
les hommes ne doivent pas être assis sur marche-pieds, le
matériel doit être bâché, et, ce qui est le plus difficile
à obtenir, les hommes ne doivent pas se répandre sur les
voies pendant les arrêts. En un mot, rien ne doit
différencier un train de troupe d'un train vide car
l'ennemi ne pouvant frapper partout, choisit de préférence
une proie intéressante Le point de première destination
pour la division devait être Reims, en fait, deux trains
seulement y parvinrent. L'État-major, le Général, une
partie du G. R. D. et des services. Les autres furent
arrêtés plus ou moins loin et le dernier, trois jours
avant le premier.
La
44ème Division était une des grandes unités qui devaient
reformer un front défensif pour arrêter l'ennemi qui
avait rompu nos lignes vers Sedan Mézières et qui avait
forme une poche entre Laon et Rethel.
Je dis former un front défensif
et non pas renforcer une ligne, car si l'ennemi avait
alors poussé dans cette direction, il n'aurait rien
rencontré. Comme nous le verrons plus loin, le front
imparti à la Division fut d'abord tenu par le G. R. D.
incomplet, seul, renforcé peu à peu par des fractions de
Bataillons qui arrivaient au compte-gouttes. De plus, si
les Divisions avaient pu arriver ensemble, il est probable
que la ligne défensive choisie aurait été moins en
arrière, la poche creusée par l'ennemi aurait été moins
profonde et de ce fait, la densité défensive de notre
front aurait été plus forte. Par ce cas concret, de la
concentration d'une division retardée par les actions de
l'aviation ennemie, on peut voir le rôle immense joué par
cette arme dans la protection lointaine des offensives. Ce
qui s'est passé pour la 44ème Division, s'est passé pour
d'autres et il est indéniable qu'un adversaire qui a la
maîtrise absolue de l'air comme les Allemands l'ont eue, à
moins à craindre les réactions en retardant ou en faisant
avorter même les parades. Le train contenant la portion principale du
Bataillon fut arrêté à Vitry la Ville. Le débarquement se
fit sans incidents à la tombée de la nuit. La circulation
routière de Châlons alertée par téléphone donna l'ordre de
rejoindre Reims par la route. Mais il y avait 80
kilomètres environ. Pendant que le Bataillon se repose et
fait la soupe dans un bois, je me rends à Châlons en
voiture de liaison. Châlons venait d'être bombardé, après
une heure de recherche, je trouve un chef d'escadron du
train, qui dormait dans une cave. Il n'était pas au
courant de la situation, mais était très pessimiste et il
avait reçu comme instruction de pousser vers Reims toutes
les unités nouvelles qui se présenteraient, et par tous
les moyens. Si je rentre dans tous ces détails, c'est pour
bien mettre en lumière le désarroi qu'avait causé sur nos
communications l'aviation allemande et montrer que dans
ces conditions toute contre-offensive ou parade de notre
part était difficile Le chef d'escadron me promit pour le
lendemain matin des camions pour enlever le bataillon. Je
retourne à Vitry La Ville et le bataillon se met en route
vers minuit pour aller à la rencontre des camions et
gagner du temps. Le 62ème bataillon débarqué derrière nous
à Vitry La Ville, n'ayant que des réservistes non
entraînés et fatigués, ne pourra pas atteindre Châlons et
prendra sur le bataillon, un retard de 24 heures. A
Châlons, l'embarquement se fait en plein jour. Il y a lieu
de signaler la parfaite discipline du train-auto dont les
manoeuvre furent parfaitement exécutées Malheureusement,
il n'y a que des cars et je me vois obligé d'abandonner
les animaux. Les chasseurs chargent leurs poches de
cartouches, les sacs sont abandonnés, on emporte quelques
caisses de mortiers, on espère pouvoir faire suivre les
animaux dans la journée. Il faut encore laisser des hommes
pour le chargement des mulets et des sacs et le bataillon
part avec la perspective d'avoir à combattre avec deux
minutes à peine de feu et les deux tiers de son effectif.
La Colonne se met en route sur Reims, je la précède en
voiture de liaison. A Reims Ville personne ne peut me
renseigner. Enfin à la gare, je trouve un officier de
l'État-major de la Division qui attendait les trains qui
ne devaient plus arriver. Il m'indique le Poste de
Commandement du Général, mais ne sait rien sur la
situation. Je laisse un planton à Reims pour arrêter la
colonne de cars et je me rends au P. C. du Général de
Division. La situation est grave puisque l'ensemble du
front de la Division n'est tenu depuis la veille au soir
que par une partie seulement du G. R. de la Division et
par un autre G. R., le G. R. 22 prêté par une Division
voisine. Cependant, des éléments de reconnaissance amis,
ayant poussé jusque vers la ligne Laon Rethel, n'ont
remarqué aucun indice de pression dans notre Direction. Le
Général estime qu'il n'y a pas lieu de précipiter le
mouvement. Le Bataillon attendra donc ses animaux. Le
débarquement se fait à Courlandon. Les équipages à
Dhuysel, où ils doivent recevoir des ordres pour leur mise
en place sur le canal. Il
semble, par cet exemple, que nous n'avons pas utilisé avec
assez d'audace nos moyens motorisés pendant cette guerre.
Voilà un bataillon qui en est à sa cinquième nuit sans
sommeil, qui a voyagé, qui a fait des étapes pénibles et
qui aurait pu être conduit jusque sur ses positions par
les cars, d'autant plus que l'ennemi n'est pas là et qui
est déposé assez loin parce que le règlement sur les
transports prévoit que les débarquements doivent se faire
à quatorze kilomètres du front. J'ai vu par la suite, des
camions allemands arriver à limite de défilement à deux
kilomètres de nos armes automatiques, déposer leur
chargement humain et faire demi-tour. C'était alors
vraiment des troupes fraîches qui venaient à l'attaque.
La défense
du canal de l'Oise à l'Aisne A Dhuysel, un premier ordre est reçu. Une
compagnie, une section de mitrailleuses et un canon de 37
doivent relever la fraction du G.R.D. de la Division qui
tient l'axe Pont Arcy - Vieil Arcy. Après reconnaissance,
ce groupement temporaire se met en place. Il a pour
mission de tenir le pont-route sur le canal, les ponts sur
l'Aisne et les deux villages. Les ponts sont solidement
barricadés, des travaux de campagne sont commencés Le
reste du Bataillon reçoit ensuite l'ordre de relever le
G.R. 22 sur le canal de l'Oise à l'Aisne entre Braye en
Laonnois exclu, et la compagnie du Bataillon déjà
installée. L'ennemi n'étant pas encore là, la relève se
fait sans incident, mais le front à tenir étant très
grand, il faut se contenter de tenir les passages ainsi
que quelques points d'appui en profondeur. Le 62ème B.C.A.
qui arrive le lendemain, le 19 Mai, est intégré dans le
dispositif entre le Bataillon et le 99ème R.I. qui tient
Braye en Laonnois. Le quartier de Soupir a donc maintenant
sa composition définitive, celle qu'il aura lorsque les
Allemands aborderont le canal.
Étude du
terrain,
mission et ordre de défense du quartier de Soupir
Je vais dire quelques mots sur
la situation défensive du quartier de Soupir, puis je
traiterai par ordre chronologique l'arrivée et les
renforcements successifs de l'ennemi, en notant au passage
les incidents intéressants. Le terrain où va se dérouler l'action est le
même que celui où s'est déroulée l'offensive allemande de
Mai 1918, qui devait enfoncer notre front et conduire
l'ennemi jusqu'à la Marne. La situation de notre position
de 1918 était cependant meilleure; le Chemins des Dames
couvert par le canal de l'Ailette était à nous. Cette
fois-ci, le front est à cheval sur le Chemin des Dames
dans le secteur de la Division à gauche et dans le
quartier du Bataillon il est au pied et dominé de prés. Le
canal de l'Ailette d'ailleurs était le bond suivant prévu
pour la Division si, n'ayant pas été retardée, elle était
arrivée à temps. La mission du Bataillon est de maintenir
l'intégrité de la position dont la ligne principale de
résistance est le canal lui-même et dans les limites qui
lui sont imparties. Le printemps est déjà avancé, la
végétation est abondante et les nuits sont très courtes.
Du point de vue défensif de notre part, le terrain se
présente de la manière suivante : Chez l'ennemi, le Chemin
des Dames et ses deux promontoires du Tilleul et de la
Côte I75, dominent tout le quartier. Trois gros villages
peuvent servir de bases de départ. Le canal est un
obstacle assez sérieux, il est bordé d'arbres et de
taillis surtout dans le milieu. Sur le front du Bataillon,
il est traversé par cinq ponts et quatre passerelles
d'écluses. Il est en superstructure et domine de très près
par les pentes de Moussy et de Courtonnes. De notre côté,
le terrain monte à gauche vers la croupe nord de Soupir,
mais il faut s'écarter du canal de plus d'un kilomètre
pour arriver au niveau du sommet de la digue. Le haut des
pentes et le sommet de la colline sont boisés. A droite,
le sol est plat, mais coupé de taillis et de marigots.
Entre la colline et le bois, une large plaine dénudée qui
se termine par un goulet, verrouillé par le point d'appui
nature de Soupir et du Parc du Château. La ligne
principale de résistance étant le canal, c'est sur
l'obstacle lui-même que doit être placé le maximum des
feux, mais comme la digue est en superstructure, la
défense doit être installée sur la berge même. Tout ce qui
est en arrière, ne peut battre que les débouchés du canal
mais étant lui-même dominé et de très près par l'ennemi,
il est à craindre que la défense ne puisse s'y maintenir
et que de ce fait, l'obstacle perde toute sa valeur. Ce
genre de coupure étroite et encaissée où les défenseurs
sont obligés de se placer sur la berge même pour tirer sur
l'eau, n'est pas rare, et il semble constituer une ligne
principale de résistance difficile à défendre. L'ennemi
voulant percer, accumule ses moyens, écrase la défense à
ses pieds et l'obstacle, n'étant plus battu, n'en est plus
un. Par contre, un obstacle de la sorte sers d'un secours
précieux sur une ligne de résistance d'avant-postes,
n'ayant pour mission que d'arrêter les éléments moyens de
l'ennemi. Cette idée sera à la base des événements qui
vont suivre. Tant que le Bataillon occupera la position,
l'ennemi ne disposera pas de très gros moyens et toutes
ses tentatives pour s'octroyer des têtes de ponts
resteront vaines, mais après la relève du Bataillon,
lorsqu'il fera effort dans cette direction, la défense du
canal sera submergée et l'obstacle sera passé sans
difficultés. La
conception de la défense du quartier est la suivante : 1 -
Une ligne de feux continue sur l'obstacle, donnée par des
armes automatiques placées sur la berge amie et pouvant
intervenir sur le bas de pentes de la rive ennemie. 2 - En
arrière, deux môles de résistance sont solidement tenus,
la croupe Nord-Est de Soupir et le bois entre le canal et
Pont Arcy. Ces deux môles recoupent leurs feux à travers
la plaine en arrière du canal. 3 - Enfin, Soupir et le
parc sont aménagés en réduits. Il y a trois sous-quartiers
en ligne. Celui de droite tient les points d'appui de Pont
Arcy et de Vieil Arcy imposés par le Commandement.
La sûreté est assurée par deux
postes de surveillance en I58 et en I75. Tous les ponts et
les passerelles sont barricadés par des moyens de fortune,
quelques mines anti-chars sont placées devant les ponts
routes. Deux canons de 25 croisent leurs feux à travers la
plaine, un canon de 47 tire dans l'axe de la grand-route.
L'artillerie de la défense est assez conséquente. En plus
de ses moyens organiques, la Division disposera au moment
de l'arrivée des Allemands de deux groupes de 75 et d'un
groupe de I55. Des tirs d'arrêts sont préparés devant tous
les passages et des tirs de C.P.0. sont prévus à Moussy,
Verneuil, Courtonne et sur les bois des pentes de I75. Le
téléphone est installé entre les P. C. de compagnies et le
bataillon entre le bataillon et les quartiers voisins et
avec la demi-brigade. Un code de signaux est prévu pour le
déclenchement de l'artillerie. Des munitions en masse sont
poussées dans les points d'appui, une forte réserve est
maintenue à Soupir. Les Chasseurs s'enterrent
principalement sur le canal où des trous profonds sont
creusés. Quand le 22ème Bataillon sera relevé par le 27ème
B.C.A., l'organisation sera assez poussée, il y aura des
abris, des observatoires, des amorces de communications
enterrées. Mais les défenses accessoires ne seront livrées
qu'après l'arrivée des Allemands et il ne sera plus
possible de placer des fils de fer avec piquets sur le
canal. Les premiers
éléments ennemis qui se présentent le 20 Mai au soir, sur
la rive opposée sont des motocyclistes. Dans la journée,
on avait reçu l'ordre de dégager les ponts pour permettre
le passage d'éléments amis motorisés en reconnaissance. A
la tombée de la nuit, un motocycliste et deux side-cars
descendent vers le canal, le premier va s'engager sur le
pont lorsque le guetteur à l'autre bout ne sachant à qui
il a à faire crie : "Halte là"!. Les trois engins font
demi-tour non sans lâcher quelques rafales. Le contact est
pris. La défense avait donc été surprise et cependant,
tout le monde s'attendait à l'arrivée de l'ennemi. En plus
des postes de surveillance utiles surtout le jour, il
aurait fallu, sur les principaux axes routiers, des
éléments motorisés placés assez loin, sur le Chemin des
Dames par exemple. Il semble que les éclaireurs motos de
la demi-brigade auraient été là, bien employés. Une
surveillance rapprochée fournie par l'infanterie de la
défense n'est plus à l'heure actuelle suffisante, il faut
se garder loin par des moyens rapides qui surveillent et
gardent un obstacle passif sur une route. Pendant, la nuit, le Chemin des
Dames retentit d'un grand vacarme de moteurs et le ciel
fut sillonné par des pinceaux de phares et par des signaux
lumineux de toutes sortes. Nos postes de surveillance
rentrèrent sans incidents et les ponts furent de nouveau
solidement barricadés. Le
lendemain, la fusillade se déclenche sur toute la ligne
visiblement pour faire dévoiler notre dispositif; le piège
est éventé et seuls les tireurs isolés répondent sur les
objectifs visibles. L'ennemi s'organise dans les villages
et sur les promontoires; la circulation continue à être
très forte sur le Chemin des Dames. Pendant tout le séjour
du Bataillon dans le quartier de Soupir, L'ennemi ne
cessera de se renforcer, mais sans atteindre en final de
très gros moyens. Le G.R.D. arrivé au contact le premier,
sera remplacé par de l'infanterie sans dépasser je crois,
l'effectif d'un bataillon sur le front du quartier.
L'artillerie ne sera à aucun moment très fournie; mais les
éléments au contact feront preuve d'une grande agressivité
et tenteront à plusieurs reprises de franchir le canal par
surprise ou de vive force. La première tentative est faite au soir du 2I
mai, lendemain de la prise de contact dans l'après-midi.
L'ennemi dont la force a été évaluée à une quarantaine
d'hommes, s'approche grâce aux taillis épais d'un pont
défendu par des éléments de la 2ème Compagnie et franchit
en bloc l'espace dénudé. Nos armes automatiques se
déclenchent. Quelques Allemands paraissent touchés, mais
la presque totalité vient se plaquer contre les piles du
pont et derrière la berge; et de là, s'engage un combat à
bout portant avec notre point d'appui. La situation
n'était pas grave puisqu'il restait à l'ennemi le
principal à faire, c'est-à-dire, franchir le pont; mais le
commandant du sous-quartier ne tenait pas à passer la nuit
avec un contact aussi étroit. Ni l'artillerie, ni les
mortiers du bataillon ne peuvent être employés par suite
des limites de sécurité. On essaye le mortier de 60 de la
Compagnie mais on ne peut l'amener sur la berge du canal
par suite du feu ennemi, il est obligé de rester sous
bois, et ne voit pas le pont; ce tir au jugé maintenu
assez long, toujours pour des raisons de sécurité est sans
effet. C'est finalement grâce au sang-froid d'un
sous-lieutenant de la Compagnie d'accompagnement qui était
dans le point d'appui près du pont que la question sera
réglée. Il sort de son trou en rampant, vient trouver le
commandant du sous-quartier, rassemble cinq grenadiers
V.B. de la Compagnie, les conduit le long de la berge près
du pont et ouvre le feu. Aussitôt tous les défenseurs de
la berge qui avaient le nez dans leur trou reprennent
confiance, des grenadiers à main isolés rampent même au
milieu du pont, derrière les blocs de paille placés comme
obstacle et l'ennemie reflue par petits paquets vers les
buissons, non sans pertes. Dans la première partie de
l'incident l'ennemi très agressif, a eu, malgré sa
situation désavantageuse, un avantage moral incontestable;
la défense s'énerve, personne n'ose bouger de son trou,
mais il a suffi de l'exemple d'un chef, pour que chacun se
redresse et que l'ascendant moral un moment abandonné,
soit repris. La
deuxième tentative importante de franchissement fut faite
le 23 mai, par l'infanterie qui avait remplacé le G.R.D.
Elle eut lieu sur le sous-quartier de la 1ère Compagnie. A
la tombée de la nuit, des rafales d'engins à tir courbe
s'abattent sur la berge du canal; ce tir n'est ni très
violent, ni très fourni, et dure une dizaine de minutes;
en même temps Soupir, les bois des premières et deuxième
Compagnie reçoivent des rafales espacées de 105. Sur le
canal, deux abris seulement se seront écroulés et il n'y
aura eu que deux blessés. Puis, alors que les rafales
d'engins arrivaient encore sur le canal, notre barrage
d'infanterie se déclenche soudain sur le front des
premières et deuxième Compagnies et une fusée rouge de
demande de barrage, monte du pont de Moussy. De
l'observatoire du bataillon, on ne voit que les flammes
des armes automatiques; les P.C. de Compagnie ne voient
pas non plus ce qui se passe. La fumée rouge est repérée
au bataillon, et par téléphone, il est précisé qu'il
s'agit de tirs d'arrêt devant les deux sous-quartiers de
gauche seulement, puisque la droite reste calme. Trois
minutes après la première fusée, le tir est déclenché, les
éclatements sont denses et serrent le canal de près,
quelques coups même tombent courts en deça, mais sans mal.
Quand le tir est levé, les armes automatiques ne tirent
plus que par intermittence, et sur tout le front attaqué;
c'est donc que tout va bien et que l'ennemi n'a pu percer
en aucun point. Puis, tout se ralentit mais la nuit
restera agitée. L'ennemi avait essayé de passer le canal,
sur un front de 500 m environ il disposait de deux ponts
et de deux passerelles d'écluse. Il devait être également
muni de supports flottants car les chasseurs de première
ligne affirmèrent avoir vu des groupes d'hommes porter ou
jeter des fardeaux. L'ennemi avait du choisir cette heure,
car il n'avait pu manquer de remarquer que c'était celle
où se faisait le départ des corvées de soupe de ce
sous-quartier où toute circulation entre la première ligne
et les bois était impossible de jour. Il pensait sans
doute que la neutralisation de la berge serait suffisante,
pour permettre, à la tombée de la nuit, un passage de vive
force. L'effectif attaquant a été estimé à deux compagnies
mais il est difficile de l'affirmer. Les Allemands sont
partis de Moussy et des pentes de I58, ils ont été
entendus très nettement par notre première ligne malgré
les éclatements de mines. Ils manoeuvraient au sifflet.
Les tirs d'infanterie de la défense, atteignaient mais
sans grande efficacité, surtout la nuit, les pentes de
I58, et entre le pied des pentes et le canal, il y avait
de nombreux angles morts. L'ennemi avait donc pu
s'approcher du canal, et c'est lorsqu'il allait
l'atteindre, qu'il fut pris sous le tir d'arrêt de 730 Il
se précipite alors contre la berge du canal, mais on ne
peut arriver au sommet car en fait, il n'y avait pas eu
neutralisation et la défense étant intacte, l'obstacle
avait gardé, cette fois encore toute sa valeur. Le lendemain de cette tentative
ennemie, les explosifs arrivèrent enfin; dans la nuit les
charges furent préparées, et au jour, tous les ponts
avaient sauté. Mais ils n'étaient que cassés par le milieu
et les piétons pouvaient encore passer. Il restait de
plus, toutes les passerelles d'écluse auxquelles on ne
pouvait toucher sous peine de vider le canal. Chose qui
n'aurait pas été très grave d'ailleurs, car au dire des
officiers de génie, la vase et la profondeur du fond sont
un obstacle aussi sérieux que l'eau. Ceci est intéressant
à savoir, car lorsqu'on se bat sur les bords d'un canal,
il y a toujours un des adversaires qui manoeuvre une
écluse. Les Allemands
n'occupaient pas comme nous le bord du canal, ils tenaient
les hauteurs et les villages; mais la nuit, des armes
automatiques légères, isolées, se mettaient en place dans
les hautes herbes de la rive adverse, dans l'intervalle de
nos points d'appui, et au jour, fusillaient les
imprudents. Nous eûmes de ce fait, quelques pertes
jusqu'au jour où une embuscade placée par la 2ème
Compagnie, dès la tombée de la nuit, sur une piste venant
de Courtonne, vers le canal, fut assez heureuse pour tuer
deux fantassins allemands, et ramener leurs papiers, une
mitraillette et des munitions. On appris ainsi, qu'il
s'agissait du 14ème Régiment d'infanterie. Une troisième tentative en plein
jour, cette fois, et avec des moyens d'appui plus
puissants eut lieu à cheval sur le sous-quartier de la
3ème Compagnie et sur le quartier voisin, le 25 Mai. Mais
les moyens mis en oeuvre par l'ennemi furent encore
insuffisants et le canal, cette fois encore, ne fut pas
traversé. Le 2 Juin,
la division de gauche prit à son compte le front jusqu'à
Pont Arcy. Le bataillon fut relevé par le 27ème Alpin et
passa en réserve de Corps d'Armée. Peu après, l'attaque
générale se produira, les défenseurs seront écrasés dans
leurs trous et le canal sera passé partout.
CONCLUSION
Dans
le première moitié de cet exposé, j'ai essayé par un
exemple de montrer le désarroi qu'avait causé l'aviation
allemande sur nos lignes de communications. Nos troupes
sans couverture aérienne, protégées par une D.C.A.
insuffisante et sporadique, n'ayant à leur disposition
que des moyens actifs pratiquement inefficaces, étaient
sans défense, surtout en cours de déplacements ou de
rassemblements. Dans ces conditions, les grandes unités
arrivant au combat dissociées et avec de gros retards
enlevaient à nos chefs toute liberté d'action. et je
crois que le rôle joué ainsi par l'aviation de
bombardement ennemi a été plus décisif que celui joué
par l'aviation d'assaut en appui de l'infanterie. Cette
dernière avait des effets plus moraux que matériels, et
nos troupes surprises par les premiers contacts,
s'étaient vite ressaisies. J'ai ensuite essayé de faire ressortir
combien un obstacle même imparfait, était un sérieux
appoint pour la défense. Il oblige l'ennemi a accumuler
des moyens pour le franchir et si dans la phase du
combat considéré, l'ennemi ne peut accumuler ces moyens,
il est tenu en échec.
Journal de Marche
du 22ème B.C.A.
(à partir de la période
active des opérations)
ORDRE DE BATAILLE
Chef de Corps
|
Chef de
Bataillon Jacques Ardisson
|
Active
|
|
|
|
Cne
Adjudant-Major
|
Capitaine
Pourchier
|
Active
|
Officier des
Détails
|
Lieutenant
Baillet
|
Active
|
Médecin-Chef
|
Médecin-Lieutenant
Reynon
|
Active
|
Officier-Adjoint
|
Lieutenant
Ricatte
|
Active
|
C.H.R.
Commandant de
Cie
|
Capitaine
Sivade
|
Réserve
|
Officier Appro
|
S/Lieutenant
Nicolas
|
Active
|
1ère Compagnie.
Commandant de
Cie
|
Capitaine
Latruffe
|
Active
|
Chef de
Section
|
S/Lieutenant
Lajous
|
Réserve
|
|
S/Lieutenant
Ballandras
|
Réserve
|
|
S/Lieutenant
(T.T.) Léon
|
Active
|
|
Adjudant-Chef
Rival
|
Active
|
2ème Compagnie
Commandant de
Cie
|
Capitaine
Combet
|
Active
|
Chef de
Section
|
S/Lieutenant
Merpillat
|
Réserve
|
|
S/Lieutenant
Beau
|
Réserve
|
|
S/Lieutenant
(T.T.) Coré
|
Active
|
|
Adjudant-Chef
Lanfranchi
|
Active
|
3ème Compagnie
Commandant de
Cie
|
Lieutenant
Minot
|
Réserve
|
Chef de
Section
|
S/Lieutenant
Escande
|
Réserve
|
|
S/Lieutenant
Renaudo
|
Réserve
|
|
S/Lieutenant
Darmont
|
Réserve
|
|
S/Lieutenant
(T.T.) Tognotti
|
Active
|
C.A.
Commandant de
Cie
|
Capitaine
Bussat
|
Active
|
Section de
Mitraille
|
S/Lieutenant
Agard
|
Réserve
|
|
S/Lieutenant
Elorz
|
Réserve
|
|
Adjudant-Chef
Moulet
|
Active
|
|
Adjudant-Chef
Martin
|
Active
|
Engins
|
Sergent-chef
Goulet de Rugy
|
Réserve
|
Embarquement en Alsace
Le I5 mai, le 22ème B.C.A.
embarque à Mertzwiller. L'État-Major, deux compagnies de
fusiliers-voltigeurs, une partie de la C.A. et de la
C.H.R. dans un premier train. Le reste du bataillon dans
un autre train, avec des éléments du 62ème B.C.A. et de la
26ème Demi-Brigade. L'embarquement, qui devait avoir lieu
de nuit, n'eut lieu que dans l'après-midi, par suite du
retard des trains. Alors que l'opération touchait à sa
fin, quatre avions de chasse ennemis vinrent survoler la
gare et mitraillèrent le bataillon pendant une demi-heure.
Cet incident me permit de me rendre compte du sang-froid
et du courage de certains gradés et chasseurs, dont
beaucoup firent leur devoir en accomplissant leur rôle
modeste d'une façon superbe. Les muletiers avaient, au
moment de l'attaque, encore une vingtaine d'animaux à
embarquer. La gare était clôturée, ils ne pouvaient en
sortir avec les mulets. Il ne fallait pas songer à
abandonner ces derniers, qui se seraient échappés et
emballés. Ils prirent donc le seul parti possible:
continuer l'embarquement malgré les difficultés produites
par les mulets devenus rétifs. Une fois les animaux
attachés dans les wagons, les muletiers se dispersèrent
dans les champs avec leurs camarades. La conduite de certains chauffeurs
ne fut pas moins méritante. Alors qu'une camionnette de
munitions atteinte brûlait, ils la déchargeaient sous le
feu des avions ennemis, et, malgré le danger d'une
explosion imminente. Les
mitrailleuses et les fusils-mitrailleurs de D.C.A. ne
cessèrent par un instant leur tir sur les avions ennemis
descendant en piqué. Un appareil fut vraisemblablement
touché dès le début, car trois avions seulement
continuèrent l'attaque. Le voyage fut assez mouvementé par suite des
attaques aériennes. Le train fut arrêté finalement à Vitry
la Ville, alors que le point de dernière destination
devait être Reims. Débarquement à Vitry la Ville et
étape sur Châlons sur Marne Le débarquement eut lieu sans incident le 16
Mai à 21 H. Je fis bivouaquer le bataillon dans les bois
et provoquais des instructions par téléphone. Je reçus de
Châlons l'ordre d'avoir à rejoindre Reims par la route.
Pendant ce temps, le groupe franc du bataillon avait été
déployé pour rechercher des parachutistes signalés, mais
sans résultat. Après
avoir laissé deux heures au bataillon pour se reposer et
faire la soupe, je mis en route en direction de Châlons
vers minuit, sans attendre les moyens éventuels de
transport, afin d'arriver au plus tôt. Le 22ème B.C.A.,
qui a débarqué assez loin, et non un des premiers, sera
ainsi un des premiers à pouvoir être engagé. A Châlons, où je m'étais rendu avec
la voiture de liaison à la régulatrice, des cars furent
mis à ma disposition pour transporter le personnel
d'abord. Des camions étaient prévus par la suite pour les
animaux. Le bataillon
arrive à Châlons le 17 mai, vers sept heures du matin. Il
embarque en cars à onze heures. Séparé de mes animaux,
j'avais donc alors la perspective d'être engagé avec une
partie seulement du bataillon et avec à peine une minute
de feu. Les cars furent dirigés sur Courlandon, à
proximité de Fismette. Pendant le déplacement du
bataillon, je pus me rendre au P.C. de la division, où je
fus mis au courant de la situation. J'appris également
que, l'intervention du bataillon étant moins urgente que
l'on avait crû, il me serait possible d'attendre mes
animaux au point de débarquement. Le bataillon fut
regroupé à la tombée de la nuit et fit étape sur Baslieux
les Fismes, où rejoignirent les équipages, et où je
laissais quelques heures de repos, puis ensuite sur
Dhuizel, où il arriva dans la fin de la matinée, le I8
mai. Engagement du bataillon sur le canal de
l'Oise à l'Aisne Ce
fut la 3ème Compagnie, commandée par le Lieutenant Minot,
qui eut la première l'honneur d'être engagée. Je
constituais un groupement temporaire avec cette compagnie,
une section de mitrailleuses et un canon de 37, avec
mission de relever le G.R.D.22 aux deux ponts sur l'Aisne
et sur le canal de Pont Arcy. Dans l'après-midi, renforcé par une partie de
G.R.D. de la 44ème D.I., je reçus l'ordre de relever
entièrement le G.R.D.22, de Braye en Laonnois exclu à
Bourg et Comin exclu, et d'établir mon P.C. à Soupir.
L'ennemi n'ayant pas encore pris
le contact, la relève se fit sans incident. Le front à
tenir était très grand et il n'était possible de tenir
solidement que les points de passage. Le 62ème B.C.A. vint
ensuite s'intégrer dans le dispositif entre le bataillon
et le 99ème R.I. de la 28ème D.I. Organisation de la
position Le
22ème B.C.A. avait pour mission de défendre le quartier de
Soupir, dont la ligne principale de résistance était
jalonnée par le canal de l'Oise à l'Aisne. Comme les rives
du canal étaient en superstructure, la défense devait,
pour donner des feux sur le canal, être placée sur la rive
même. Les éléments échelonnés en profondeur ne pouvant
concourir à la défense de la ligne principale n'étaient
susceptibles, de ce fait, que de constituer une deuxième
position. Pour cette raison, afin de faire effort sur le
canal, j'avais placé sur le canal même le maximum de mes
moyens, l'échelonnement n'ayant pour but que de constituer
des réserves derrière les points sensibles. Le
commandement s'étant inquiété de cette défense linéaire,
je dus changer mon dispositif et répartir les unités en
profondeur, ne laissant sur le canal qu'un tiers des
forces. A mon avis, la mission n'était plus intégralement
remplie, et le canal ne pouvait plus être considéré que
comme une ligne d'avant-postes et non comme la ligne
principale de résistance. La défense présentait en finale la
physionomie suivante: - un tiers du bataillon groupé en
points d'appui alignés sur le canal. - en arrière, deux
môles de résistance formés, l'un par un éperon boisé, à
gauche, et l'autre par une zone de taillis, à droite. Ces
deux môles donnaient des feux sur les arrières du canal et
croisaient leurs tirs à travers la plaine. - enfin, le
village de Soupir était constitué en réduit avec des
éléments prélevés sur les compagnies en ligne. J'y
installe mon P.C.. Comme
telle, la position présentait des points faibles, mais
elle devait être solidement consolidée par les travaux
d'organisation entrepris. Arrivée de l'ennemi sur le Chemin
des Dames - Prises de contact Le 20 mai, l'ennemi apparût d'abord sur le
rebord sud du Chemin des Dames sous la forme d'éléments de
groupes de reconnaissance, donnant lieu à quelques
escarmouches avec nos éléments de sûreté avancée vers
Moussy Verneuil et vers Courtonne, et avec les éléments de
défense des ponts qui n'avaient pas encore sauté. Le 21 mai au soir, des éléments
assez sérieux parvinrent même à se glisser sur plusieurs
ponts à la faveur de l'obscurité. Ils furent rejetés à la
grenade et il y a lieu de signaler, à ce sujet, la belle
attitude du sous-Lieutenant Lajous (1ère Cie), du
sous-Lieutenant Beau (2ème Cie), de l'Aspirant Bonifassi
(C.A.), et du sous-Lieutenant Elorz (C.A.). Puis l'infanterie ennemie, avec son
artillerie à tir courbe d'appui, vint remplacer les G.R.D.
La droite du quartier étant
dénudée et très dominée fût la plus inquiétée. Le point
d'appui du sous-Lieutenant Escande, dans une situation
très critique, tint cependant sans pertes, grâce aux
travaux d'organisation terminés et à la discipline des
chasseurs, qui s'abstenaient de tout mouvement pendant la
journée. La gauche du
quartier, en face du sous-quartier de la 1ère Compagnie
(Capitaine Latruffe) fût ensuite, le 23 mai, l'objet d'une
tentative d'attaque à la faveur de l'obscurité du soir.
Les tirs d'arrêt de l'artillerie, déclenchés rapidement,
et les feux de la Compagnie Latruffe rejetaient l'ennemi,
dont la force avait été évaluée à deux compagnies, avec
des pertes sérieuses. La
droite du quartier, occupée par la Compagnie Minot fut
ensuite relevée par une compagnie du 64ème B.C.A., rentré
en ligne à son tour entre le 22ème B.C.A. et le 6ème R.I.
de Bourg et Comin. La Compagnie Minot vint en réserve de
sous-secteur occuper et organiser la région du Cimetière
Italien et du pont de Chavonne. En face, l'ennemi ne cessait de se renforcer,
son artillerie d'accompagnement devenait de plus en plus
agressive. Cependant, toutes les passerelles du canal
avaient réussi à sauter, grâce au courage et au sang-froid
des détachements du Génie, qui eurent à mettre le feu, à
plusieurs reprises, sous les tirs de l'ennemi. Cette période est marquée par un
accident regrettable : Le 31 mai, une rafale de 105,
brutale et violente, tombée sur une corvée déchargeant un
camion de ravitaillement, à la tombée de la nuit, dans
Soupir, fit quelques morts et de nombreux blessés. Malgré
les bombardements constants et violents de minenwerfer,
les rafales fréquentes et brusques de I05 sur Soupir et
sur les positions, l'immobilité forcée dans les trous, à
laquelle étaient astreintes les unités de première ligne,
le moral restait excellent. L'exemple donné par les
commandants de compagnie et les chefs de section
contribuait pour une bonne part à maintenir le moral
élevé. Il y a lieu de citer particulièrement le Capitaine
Combet, qui avait à coeur de faire profiter ses jeunes
cadres de son expérience de la Grande Guerre. Les visites
fréquentes de l'aumônier de la division en première ligne,
de jour et sous le feu de l'ennemi, étaient également un
puissant réconfort pour les chasseurs. Plusieurs
tentatives agressives de notre part sont à signaler,
notamment les coups de main exécutés par les Goupes
Giacomoni et Kandzia, de la Compagnie Combet. Le Sergent
Kandzia fut mortellement blessé en traversant une écluse
pour retourner dans nos lignes. Enfin, l'organisation de la position devenait
sérieuses les P.C. étaient aménagés, je disposais d'un
observatoire avec abri à l'épreuve; des réseaux
entouraient les P.A. et quelques boyaux étaient amorcés;
des munitions en grande quantité étaient poussées en
première ligne, lorsque le 22ème B.C.A. fut relevé par des
unités de la demi-brigade de chasseurs de la 28ème
Division d'Infanterie. Relève par la demi-brigade de
chasseurs de la 28ème D.I. La relève fut très retardée par suite de
l'arrivée tardive des éléments relevants. Elle se fit dans
le silence le plus parfait, et l'ennemi n'amorça aucune
réaction. La crête, très exposée aux vues de l'ennemi, au
sud de Saint Mard, fut franchie sans incident au petit
jour. Je quittais le
P.C. de Soupir à 6 heures 30, toutes consignes passées.
Le 22ème
B.C.A. passe en deuxième ligne. Le bataillon se regroupe à Paars et
dans les bois environnants. La C.H.R. est portée à
Bazoche. Le bataillon se porte ensuite à Bazoche, et a
pour mission d'organiser une bretelle vers l'ouest, la
vallée de la Vesle, entre le village de Saint Thibaut et
la crête nord de Bazoche. Cette période est troublée par
des bombardements terrestres sérieux et violents sur la
voie ferrée et le village de Bazoche. Pendant ce temps,
l'ennemi enlevait le canal de l'Oise à l'Aisne et abordait
l'Aisne.
Les Allemands
passent l'Aisne Le
5 juin, dans la soirée, le bataillon reçoit l'ordre de se
rassembler dans les bois de Paars, en vue de couvrir
éventuellement le flanc gauche de la division. Le 6, le
bataillon prend un dispositif gardé autour de Paars,
pouvant permettre de contre-attaquer dans les directions
de Saint Mard ou de Dhuizel. Chaque fois, à chacune de ces
étapes, le terrain est solidement organisé, et la
malchance fera finalement que la rencontre avec l'ennemi
se fera en rase campagne. Le 7, dans l'après-midi, je reçois l'ordre de
faire tenir Limé et Courcelles. Après une reconnaissance
en voiture de liaison, pendant laquelle j'essayais de voir
clair dans cette situation très confuse et très
inquiétante, au milieu des éléments de la 28ème D.I. en
pleine retraite, je fais porter, à la tombée de la nuit,
le Lieutenant Minot et sa 3ème Compagnie sur Courcelles,
et le Capitaine Latruffe avec la 1ère sur Limé. Ces deux
officiers organisent, face au nord et à l'ouest, la
défense de ces deux villages, ainsi qu'un point de liaison
mixte entre eux sur la Vesle. J'installe la Compagnie
Combet sur une hauteur dominant la route nationale Reims -
Soissons, gardée, face au nord et à l'ouest pour soutenir
le point d'appui de Courcelles. Je garde mon P.C., reste à
Paars, face au nord, avec une section de F.V., un canon de
25, une S.M. et des éléments de la C.H.R. Quelques
éléments regroupés, d'une unité de la Légion Étrangère,
participent avec le Lieutenant Minot à la défense de
Courcelles. Dans la soirée du 7 et la matinée du 8, Paars,
Limé et Courcelles. sont violemment bombardés par
l'artillerie et l'aviation. L'ennemi attaque
nos positions en arrière de l'Aisne Un trou assez large s'étant produit
entre le 99ème R.I. et la demi-brigade de chasseurs de la
28ème D.I., le bataillon est invité à parer à cette
nouvelle situation dans la mesure de ses moyens. La
compagnie de Courcelles seule, était à pied d'oeuvre. De
plus, devant continuer à garder Courcelles face à l'ouest,
je ne pouvais disposer que de deux sections et demie de
cette compagnie. Dans Courcelles, très violemment
bombardé, ce personnel se rassemble en vue de cette
contre-attaque. Je charge le Lieutenant Minot de mener
l'affaire. Dès l'arrivée du détachement sur le plateau
nord de Courcelles, l'aviation d'assaut ennemie intervint,
et j'assiste impuissant, pendant une demi-heure, à cette
ronde infernale des appareils ennemis. Les pertes furent
cependant minimes, mais, quand le détachement Minot eut
atteint son premier objectif, l'ennemi avait enlevé les
deux môles de résistance qui tenaient encore le plateau.
Le colonel commandant la demi-brigade de chasseurs de la
28ème D.I., resté seul avec sa liaison, donne lui-même
l'ordre de repli sur Courcelles. Le repli se fit sans
incident, et je donnais alors au Lieutenant Minot l'ordre
de se barricader dans le village et d'y résister sans
esprit de recul. A la
tombée de la nuit, ne pouvant plus garder Paars face au
nord, (Paars est dans une cuvette entourée de bois),
j'installe sur la crête nord de Bazoche les éléments que
j'avais tenus en réserve pour la garde de mon P.C. à
Paars, et je donne l'ordre à chacun des points d'appui
suivants: Capitaine Latruffe à Limé, Lieutenant Minot à
Courcelles, Capitaine Combet sur un mamelon entre
Courcelles et Paars, l'ordre de s'enfermer et de résister
sans chercher de liaison avec le point d'appui voisin. De
même pour le quatrième P.A. créé au nord de Bazoche.
Le 8, dans la soirée, je reçois
l'ordre de replier tous mes éléments et de tenir le plus
grand front possible entre Bazoche, occupé par le 85ème
R.I. et le G.R.D. de la 44ème D.I., qui devait tenir l'axe
Vauxtin - Vauxéré - Perles. Mes motocyclistes parviennent
à porter l'ordre de repli aux unités, qui, sans encombre,
réussissent, par des itinéraires différents, à rejoindre
Bazoche à la fin de la nuit. Je place la Compagnie Combet
immédiatement au nord de Bazoche, en liaison avec le 85ème
R.I., et j'envoie le Lieutenant Minot et la 3ème Compagnie
faire la liaison avec le G.R.D. vers le nord. Je garde en
réserve la Compagnie Latruffe, arrivée la dernière, par
suite de la longueur de son itinéraire. J'installe mon
P.C. dans un bosquet, au nord de la route Bazoche - Reims,
à un kilomètre nord de l'entrée de Bazoche. Attaque de la
crête nord de Bazoche par l'ennemi La matinée du 9 est calme. Elle
permet de mettre de l'ordre dans le dispositif et de
prendre la liaison effective avec le G.R.D.. A midi,
l'ennemi attaque en masse, appuyé par de puissantes bases
de feu, entre l'Aisne et la Vesle. La 3ème et la 2ème
Compagnie subissent des assauts violents, mais résistent
farouchement. Craignant que l'ennemi ne fasse effort sur
la route Soissons - Reims et ne me coupe du 85ème R.I.
tenant Bazoche, j'envoie deux sections de la 1ère
Compagnie en réserve patrouiller dans cette direction. Le
sous-Lieutenant Lajous, commandant le détachement, subit
quelques pertes, mais rend compte que le front reste soudé
de ce côté. Dans le milieu de l'après-midi, un officier
envoyé par le colonel commandant le G.R.D. m'indique que
le G.R.D. abandonne la crête Vauxtin - Vauxéré et va tenir
solidement Perles. Pour que ma droite ne reste pas à
découvert, je donne l'ordre au Lieutenant Minot, auprès
duquel j'envoie mon officier-adjoint, le Lieutenant
Ricatte, d'avoir à rabattre sa droite face au nord. Je lui
envoie ma dernière section en réserve pour réaliser ce
mouvement. Ce mouvement se réalise, mais non sans pertes
ni sans difficultés, par suite de la proximité de
l'ennemi, qui prend la Compagnie Minot de front et de
droite sous ses feux. Vers
16 heures, je reçois l'ordre du colonel commandant le
G.R.D., sous les ordres duquel le 22ème était depuis le
matin, de me replier sur Fismes et de me hâter, car on
attendait le passage du dernier élément pour faire sauter
les ponts; puis, à Fismes, de prolonger le front du G.R.D.
sur la gauche, au nord-ouest, à l'ouest et au sud ouest de
la ville. Après avoir prévenu le 85ème R.I. de Bazoche,
j'ordonne le décrochage, qui s'exécute facilement et sans
nouvelles pertes. Il y a lieu de citer la belle attitude
de l'Adjudant-chef Rival et de sa section, laissés au
sommet de la croupe pendant le temps nécessaire à
l'écoulement du bataillon. Le repli vers Fismes du
bataillon devait, d'après l'ordre, être protégé par
l'aviation amie. Il se fit sans difficultés. La Compagnie Latruffe est placée au
nord de la Vesle, sur les hauteurs dominant Fismes, et à
l'ouest de la route allant vers Baslieux les Fismes. La
Compagnie Combet, moins deux sections que je garde en
réserve, est chargée de tenir les ponts coupés de la route
sur la Vesle et sur le ruisseau parallèle, et au sud de la
Vesle. La 3ème Compagnie, qui a été très éprouvée, me sert
à couvrir ma gauche dans les taillis au sud de la Vesle.
La nuit reste calme. Attaque de Fismes
par l'ennemi - 10 Juin Dans la matinée des colonnes nombreuses
ennemies descendent vers la Vesle. La 1ère Compagnie
réagit vigoureusement, cause des pertes à l'ennemi et fait
même quelques prisonniers. Devant Fismes, malgré l'absence
de l'artillerie, qui dût quitter ses positions, l'ennemi
parait arrêté, mais vers l'ouest, entre Bazoche et Fismes,
une forte infiltration a lieu, et, dès 10 heures, la
bataille s'engage avec ma compagnie de flanc-garde gauche.
Le bois au sud de la Vesle, où se trouve mon P.C., le
G.R.D. et mes deux sections de réserve, est pris
violemment à partie par l'artillerie ennemie. Des pertes
assez sérieuses sont subies. Vers 11 heures, m'étant rendu
sur le pont de Fismes auprès du Commandant Désidéri,
commandant la 26ème demi-brigade, j'apprend que la
situation est assez critique dans Fismes. Je dois lui
envoyer tous mes moyens disponibles. Je ne peux décrocher
aucune de mes unités engagées, sous peine de voir
immédiatement couper par l'ennemi la route Fismes - Saint
Gilles. et de faire encercler toute la demi-brigade et le
G.R.D.. Je lance cependant deux sections vers Fismes. Le
sous-Lieutenant Coré, à la tête de sa section, traverse le
pont et entraîne ses chasseurs à l'assaut de la colline
dominant Fismette. La contre-attaque progresse, mais le
sous-lieutenant est grièvement blessé, et sa section,
prise par des feux violents, doit refluer sur Fismes La
bataille se poursuit ensuite dans les faubourgs de Fismes,
de maison en maison. Les sections Ballandras et Lajous
tentent de nouveaux coups de main et s'emparent même de
quelques matériels ennemis. De nombreux actes de courage peuvent être
signalés dans ce combat de rues: C'est le chasseur
Bergonis, qui dégage à la grenade le fusil-mitrailleur
enrayé et encerclé d'un groupe voisin. Les chasseurs Sire
et Collomb. qui continuent seuls à faire le coup de feu
pour protéger le repli de leur section. Le Sergent Mansom,
qui, sous une rafale violente, a porté son
fusil-mitrailleur en avant pour protéger le repli de sa
section et celui du groupe franc du 62ème B.C.A.. Le
Sergent-chef Johansen, qui prit le F.M de son tireur, qui
venait d'être tué et servit la pièce, couché sur le dos
par suite d'une blessure qu'il avait reçue la veille à la
poitrine. Je suis
blessé vers I4 heures; le Capitaine adjudant-major
Pourchier prend le commandement du bataillon. Retraite sur la Marne et sur la
Seine Le
bataillon, à partir du 11 Juin, combattit en retraite vers
la Marne et vers la Seine. Il y a lieu, pendant cette
période, de citer les actions d'éclat suivantes, dont j'ai
pu avoir connaissance. Le
12 juin, vers 18 heures, la 3ème Compagnie, formée en deux
sections, reçoit l'ordre de s'installer sur la gauche du
dispositif du bataillon et de tenir un mamelon au sud du
village d'Oeuilly, sur la Marne. Cette compagnie subit de
violents tirs d'artillerie et d'infanterie, l'ennemi ayant
franchi la Marne et faisant un mouvement tournant pour
faire tomber la résistance du village. A la 4ème section,
les chasseurs Courtes et Breton sont tués, les chasseurs
Blanc et Rassat sont grièvement blessés. Le
sous-lieutenant, commandant la section est blessé. Le
Sergent Sigaud, blessé au ventre, tombe en criant : "Vive
la France" ! Rassat, qui a une jambe coupée, refuse
l'assistance de ses camarades devenus trop peu nombreux,
et se rend seul au poste de secours en serrant son tronçon
contre sa cuisse. A
Châtillon sur Marne, la 1ère Compagnie est l'objet d'un
coup de main par un corps franc allemand. Ce coup de main
est repoussé après un violent engagement. L'ennemi subit
des pertes, et le groupe du Sergent Dotta, dont la
conduite est à signaler particulièrement, fait même un
prisonnier.
Le 22ème
B.C.A. est dissous à Millau le 1er août 1940.
Montpellier, le 1er Octobre 1940
Adjudant-Chef Jean-Marie Buquet
**
Historique du 22e Bataillon de Chasseurs
Alpins
1939
Secteur des
Alpes maritimes Depuis
le I4 août, le 22ème Bataillon de Chasseurs Alpins a
quitté Nice et son quartier Saint Jean d'Angély, pour
rejoindre le secteur de défense qui lui est imparti, face
à la frontière italienne. Secteur que cadres et chasseurs
connaissent bien, puisqu'il est celui de leurs manoeuvres
d'été et d'hiver, au nord de Peïra-Cava, dans le massif de
l'Authion. Le P.C., la
2ème Compagnie et la C.H.R. cantonnent à Cabanes Vieilles.
La 1ère Compagnie bivouaque sous les marabouts au
Ventabren et à l'Arbouin. La 3ème Compagnie campe à la
Béole, et la C.A. au Moulinet. Officiers et sous-officiers
constituent un encadrement de bonne qualité: Officiers
d'active dotés d'une solide expérience, officiers de
réserve jeunes et dynamiques, qui ont, soit effectué leur
service actif au bataillon, soit, pour les plus jeunes,
qui y servent depuis plusieurs mois déjà. Sous-officiers
d'active possédant à fond leur métier, les plus jeunes
étant guidés par les ancien, dont beaucoup ont connu la
Grande Guerre. Sous-officiers de réserve d'un niveau
rarement égalé; plusieurs sergents se présenteront avec
succès aux épreuves du Brevet de Chef de Section avant que
le bataillon ne soit engagé. La troupe, composée d'appelés
ayant en moyenne plus de six mois de service et de
rappelés, est homogène. Les chasseurs sont déjà habitués à
leurs gradés, qu'ils connaissent bien. L'annonce, le dimanche 3 septembre,
de la déclaration de guerre entre la France et
l'Allemagne, si elle est accueillie avec calme et sans
crainte, modifie les rythmes et les habitudes. Dès le
soir, des patrouilles partent vers la frontière italienne,
distante de quelques kilomètres, pour ne rentrer qu'au
lever du jour. Le 22ème, qui, avec les 24ème et 25ème
B.C.A., appartenait en temps de paix à la 6ème
Demi-Brigade de Chasseurs Alpins, entre alors dans la
composition de la 26ème D.B.C.A., avec son Bataillon de
Réserve, le 62ème, et le 64ème B.C.A., Bataillon de
Réserve du 24ème.
L'encadrement
du Bataillon est alors le suivant:
|
|
Chef de CorpsCapitaine
Adjudant-Major
|
Capitaine Pourchier
|
Médecin Chef
|
Médecin-Lieutenant Reynon
|
Médecin Auxiliaire
|
Médecin-Aspirant Sidi
|
Compagnie Hors Rangs
|
Capitaine Sivade
|
Section d'Eclaireurs-Skieurs
|
Sous-Lieutenant Causeret
|
1ère Compagnie
|
Lieutenant
Latruffe
|
2ème Compagnie
|
Capitaine De
Golberry
|
3ème Compagnie
|
Capitaine
Rossi
|
Compagnie
d'accompagnement
|
Lieutenant
Baills
|
Tandis
que les cadres et chasseurs désignés pour la formation du
62ème B.C.A. sont dirigés sur le Camp de Caïs, près de
Fréjus, où se forme cette unité, les disponibles et
réservistes arrivent, les 3I août et 1er septembre. Une
des plus cuisantes humiliations de sa vie attend le
Sergent rappelé Michel Rodde.
"Une
fois habillés et formés en groupe de combat, mes hommes
et moi sommes conduits, pour y passer la nuit, dans un
garage aménagé en cantonnement, devant la porte duquel
un tirailleur sénégalais, baïonnette au canon, interdit
toute sortie." "Rien dans le comportement ni dans
l'esprit des rappelés ne justifiait une telle mesure."
"Aussi sec, je fais mettre mes hommes en tenue de
sortie. Garde à vous ! Puis, au pas cadencé, nous
passons devant le factionnaire, que j'ai également fait
mettre au garde à vous. J'emmène mes chasseurs passer
une dernière soirée en ville." "Le lendemain, un car
nous conduisait à Cabanes Vieilles."
Le jour de la déclaration de
guerre, le commandant donne l'ordre de raser toutes les
barbes, que quelques fantaisistes commençaient à laisser
pousser...pour faire plus "Poilu", sans doute. La 3ème Compagnie installe des
avant-postes de surveillance avancée dans la vallée du
Cayros, à la chapelle Sainte Anne, et, dans la vallée de
la Maglia, au poste de douane de la chapelle Sainte
Claire, en même temps qu'elle fournit au Génie la main
d'oeuvre nécessaire à la construction d'un blockhaus sur
la ligne de crête de la Béole. Le I5 septembre, la première neige tombe sur
les cantonnements, tandis qu'intervient un nouvel ordre du
chef de corps: - Rendre d'urgence visite aux coiffeurs du
bataillon, pour une coupe de cheveux du type
"Boule-à-zéro". Nouvelles
chutes de neige au cours de la deuxième quinzaine de
septembre. Une seconde section d'Eclaireurs-Skieurs est
constituée le 9 octobre, sous le commandement de
l'Aspirant Gilbert George. Après une dernière reconnaissance
frontalière, le 22 octobre, le bataillon fait mouvement
vers Nice, avec cantonnements intermédiaires à Contes et
Berre les Alpes. L'étape de Berre les Alpes, au dénivelé
très accentué, est rendue particulièrement pénible par un
vif soleil d'arrière-saison. A Nice, le 22ème B.C.A.
rejoint le quartier de la Californie (actuel aéroport de
la Cote d'Azur), et bivouaque dans les boxes et locaux du
champ de course. Le 23
octobre, les deux S.E.S., qui, seules, sont restées sur
leurs positions, à l'Authion, fusionnent, sous le
commandement du Sous-Lieutenant Causeret. Début novembre, un groupe franc est
formé, dans le cadre d'un corps franc divisionnaire,
commandé par les Lieutenants Agnély et Darnand, du 24ème
B.C.A. Ce corps franc est dissous quelques jours plus
tard, lors du départ de la 29ème Division d'Infanterie
pour la Marne, où elle devient réserve du Grand Quartier
Général. La 26ème Demi-Brigade, qui a été détachée de la
division, passe sous le commandement du Secteur Fortifié
des Alpes-Maritimes. Le Capitaine Bussat prend le
commandement de la Compagnie d'Accompagnement le 9
novembre. Le Commandant Gauthier fait ses adieux au
bataillon le I3. Le Capitaine Rossi assurera l'intérim
jusqu'à l'arrivée du nouveau chef de corps. Au cours de la matinée ensoleillée
du I5 novembre, le 22ème Bataillon de Chasseurs Alpins
rejoint, d'une seule étape de quarante-deux kilomètres,
ses nouveaux cantonnements à Spéracèdes et Cabris. Il
défile, le 27, devant le Prince Louis de Monaco, général
de division de l'Armée Française. Un peloton de préparation au Brevet de Chef
de Section est constitué à Grasse, à l'échelon de la
Demi-Brigade, sous la direction du Chef de Bataillon Brun,
commandant le 62ème B.C.A. Le Lieutenant Jacques Minot succède, le 1er
décembre, au Capitaine Rossi, à la tête de la 3ème
Compagnie. Quelques jours plus tard, après avoir été passé
en revue, à Vence, siège de l'E.M. du XVème Corps d'Armée,
par le Général Mittelhauser, le bataillon prend
cantonnement à Tourettes sur Loup, où l'instruction se
poursuit. Le Capitaine Combet, ancien combattant de I4/I8,
remplace le Capitaine De Golberry au commandement de la
2ème Compagnie. Le Capitaine Jacques Ardisson,
venant du 84ème bataillon Alpin de Forteresse, prend le
commandement du 22ème B.C.A. le 25 décembre. Le 30, a lieu l'Arbre de Noël du
bataillon.
1940
Le 12 janvier, on tire les rois,
tandis que le Sous-Lieutenant Paul-Jean Roquère quitte le
22ème pour devenir observateur d'aviation. Le I5 Janvier, embarquement en cars
et camions pour La Turbie, où s'installent le P.C., la
C.H.R. la 2ème Compagnie et la C.A., tandis que les 1ère
et 3ème Compagnies cantonnent à Menton, à l'Hôtel
Alexandra. La quatrième Section de la 2ème Compagnie,
(Adjudant-chef Coré), demeurera seule à Tourettes sur Loup
jusqu'au 3 mars. Les
Sergents Damei, Clarençon et Hitter rejoignent le peloton
d'élèves-aspirants à St Maixent le 22 janvier. Le bataillon est employé à des
travaux d'organisation du terrain, face à l'Italie, dont
la neutralité ne semble pas d'une absolue franchise. Il
reçoit, le 23 février, des renforts en personnel provenant
des 53ème et 67ème B.C.A.
Les sections
d'Eclaireurs-Skieurs des bataillons alpins stationnés dans
le Secteur Fortifié des Alpes-Maritimes sont détachées de
leurs corps d'origine et entrent dans la composition d'une
Brigade dépendant directement du Secteur. Celle du 22ème
B.C.A., que commande l'Aspirant Gilbert George depuis le
1er février, le Sous-Lieutenant Causeret ayant été affecté
à l'État-major de la 26ème demi-brigade, tiendra, au cours
de la Bataille des Alpes, un secteur de la vallée du
Cayros, limité à l'ouest par la cime de Raus et par la
Causega à l'est, face aux sommets frontaliers du Macruera
et du Scandail. Les
compagnies sont regroupées au Fort de la Tête de Chien le
dimanche 3 mars. Au cours de la nuit du 11 au I2, il fait
étape sur Nice, o ù la caserne du 157ème Régiment
d'Artillerie Portée l'accueille à 5 heures du matin. Repos
dans la paille fraîche étendue à même le sol des écuries.
Il pleut. A I4 heures, les vivres de route sont
distribués. A I6 heures, les compagnies rejoignent la gare
de Nice-Saint Roch. Embarquement des animaux, des
véhicules, du matériel, de la troupe, (Chevaux: 8 en long
- Hommes: 40). Dernières provisions de paille, d'eau, de
vivres. Le convoi s'ébranle à 2I heures. Il pleut
toujours! "Au revoir,
Nizza la Bella ! " Troyes Le train s'arrête à Rouilly-Géraudot, au
nord-est de Troyes, le 13 mars à 20 heures, sous une pluie
fine et glaciale. Un vent violent succède à la pluie,
tandis que s'effectue le débarquement, et accompagne les
unités jusqu'à leur leurs cantonnements : État-Major, 3ème
Compagnie et C.A. à Onjon, 1ère et 2ème Compagnies à
Bouy-Luxembourg. Dépaysement total, dans une plaine
recouverte de boue calcaire blanchâtre, où il faut
réapprendre à marcher à plat, sous un ciel de grisaille.
La 26ème Demi-Brigade de
Chasseurs Alpins appartient maintenant à la 44ème Division
d'Infanterie, qui vient d'être créée le 1er mars, et se
concentre dans la région d'Arcis sur Aube, sous les ordres
du Général Boisseau. Avant même que les cadres du
bataillon en aient été informés, la nouvelle en avait été
annoncée par le traître Ferdonnet, sur les ondes de
Radio-Stuttgart. L'infanterie de la division est composée
de la 26ème Demi-Brigade Alpine (22ème, 62ème et 64ème
B.C.A.; le 22ème est un bataillon d'active, les deux
autres, des bataillons de formation), de la 2ème
Demi-Brigade de Chasseurs Alpins (qui sera dirigée sur
Brest le I5 avril pour participer à l'expédition de
Norvège et sera remplacée par le 6ème Régiment
d'Infanterie, formé en octobre 1939 par prélèvement sur
les 26ème, 94ème, 151ème et 170ème Régiments
d'Infanterie), et de la 173ème Demi-Brigade d'Infanterie
Alpine (active), en provenance de Corse. Les 26ème et
173ème Demi-Brigades sont de type alpin, le 6ème Régiment
d'Infanterie est du type Nord-Est. La division est
complétée par le 91ème Régiment d'Artillerie, les
compagnies 44/I et 44/2 du Génie et le G.R.D. Le
Capitaine Jacques Ardisson est promu chef de bataillon "à
titre temporaire". Un
groupe franc de bataillon est constitué le I8 mars. Il est
commandé par le Sous-Lieutenant Agard, dont l'adjoint est
le Sergent-chef Johannsen. Il se compose d'un groupe feu
(Sergent Pierre Fourastié), et d'un groupe assaut (Sergent
François Dory). L'Alsace Un mois plus tard, le jeudi 11 avril, le
22ème B.C.A. embarque en gare de Rouilly - Sacey pour
l'Alsace. Il débarque le 12, à 13 heures, à Ochfelden
(Bas-Rhin), et rejoint à pied Quartzenheim, vingt
kilomètres plus loin, près de Strasbourg, puis, le 14
Issenhausen, et Zoebersdorf le 15, pour s'installer le 17
à Mietesheim et Mertzwiller. Les chasseurs du bataillon se
souviendront longtemps de l'accueil chaleureux des
populations de ces villages, qui contraste avec la quasi
indifférence des habitants de Bouy - Luxembourg. d'aucuns
sont invités, dès le premier soir, à partager le repas
familial, et, pour tous, à la moindre occasion, l'eau de
vie de prunes sera généreusement offerte. Jusqu'au début du mois de mai, les
compagnies travaillent à l'organisation d'une bretelle
défensive au nord d'Hagueneau, face au nord-ouest, en
travers de la Zinseltal. L'instruction est menée de pair.
Une session de Brevet de Chef de Section permet aux
meilleurs des sergents de réserve d'accéder au grade de
sergent-chef. De temps
en temps, lorsque le vent porte, on entend le canon tonner
dans le lointain. Le
bataillon est encore occupé à ses travaux d'organisation
du terrain lorsque parvient la nouvelle de l'offensive
allemande du 10 mai. Toute la nuit, on avait entendu les
vagues d'avions passer au dessus des villages, en
direction du sud-ouest. Le 11, le bataillon est regroupé à
Mietesheim, où lui parvient l'ordre d'embarquer pour être
jeté dans la bataille déchaînée par la percée des
Panzerdivisionnen. Le
13, le "cuistot" Lambert, de la 2ème Compagnie, est blessé
par une balle perdue, au cours d'un duel aérien, que se
livrent deux avions au dessus du village. L'embarquement est prévu pour la
nuit du 14 au 15 mai, en gare de Mertzwiller. L'état-major
du bataillon, deux compagnies, une partie de la compagnie
d'accompagnement et la compagnie hors rangs doivent
occuper un premier train; le reste du bataillon et des
éléments du 62ème B.C.A. un second convoi. Les rames de
wagons ne sont pas encore à quai lorsque les compagnies
arrivent. Elles gagnent les couverts environnants pour se
camoufler. Le matériel, amené par plusieurs rotations de
camions, s'entasse sur les quais. Le jour se lève... La
matinée du 15 est presque écoulée lorsque les deux rames
arrivent. Le chargement du matériel commence aussitôt. Un
avion de reconnaissance allemand rôde au ras des arbres,
puis s'éloigne. Il revient encore avant de disparaître.
Soupir de soulagement! Les muletiers commencent à faire
grimper leurs bêtes dans les wagons. Les postes de D.C.A.,
une section de mitrailleuses en tête du train, un groupe à
l'arrière, et six fusils-mitrailleurs répartis le long de
la voie, scrutent attentivement le ciel. Venant du nord,
quatre points grossissent rapidement dans le ciel et
piquent dans un déchaînement de moteurs. Quatre
Messerschmidt 109 attaquent de toutes leurs mitrailleuses.
Du sol, les pièces ripostent. Après un mouvement
instinctif pour se mettre à l'abri, les muletiers du
Sergent Bouniol, dont le calme est contagieux, continuent
l'embarquement. "On ne peut tout de même pas laisser
s'échapper les "miaules". Les avions reviennent à
l'attaque... Ils piquent de nouveau... Ils ne sont plus
que trois!...Aux mitrailleuses comme aux
fusils-mitrailleurs, les gars se regardent, une flamme
dans les yeux: "On en a eu un!" De la fumée, puis des
flammes montent soudain des plates-formes sur lesquelles
sont arrimés les camions. Quatre d'entre eux commencent à
brûler, dont la camionnette de munitions. Le chasseur
Maurice Bezios bondit. C'est sa voiture!... et puis, il y
a les munitions... Si tout ça sautait! Il grimpe sur le
"bahut" et passe les dangereuses caisses aux camarades qui
l'ont suivi. Une fois
encore, les Messerschmidt reviennent. On courbe la tête,
et, dès qu'ils sont passés, le travail continue. Les
mulets sont enfin enfermés dans leurs wagons. Les
muletiers peuvent aller se mettre à l'abri. Les avions
ennemis, à court de munitions, repartent vers le nord.
L'attaque a duré vingt minutes, qui ont paru des heures.
Le chasseur Joseph, de la C.H.R., blessé à l'épaule, gémit
doucement, tandis que le Médecin-Lieutenant Reynon se
penche sur lui. Deux camions achèvent de brûler. Les deux
autres ont pu être sauvés. Mais la locomotive, percée
comme une écumoire, laisse échapper un dernier jet de
vapeur par ses multiples déchirures. Il faut en demander
une nouvelle à Haguenau. On perd encore trois heures.
Enfin, à la tombée de la nuit, le personnel peut
embarquer, et le train part. Premier contact avec
l'ennemi, premier contact avec son aviation, dont on a
tant entendu parler. Plus de bruit que de mal. Les jeunes
chasseurs se sont révélés calmes et courageux. Le
Commandant Ardisson peut être tranquille: Ils seront
dignes des Anciens! Le
trajet fut long et mouvementé. Si le convoi qui emmène le
bataillon n'est pas directement inquiété, chacun peut se
rendre compte de la perturbation apportée au trafic
ferroviaire par l'aviation ennemie. Les trains n'avancent
qu'au ralenti. Au passage de la Meuse, dix convois se
succèdent à distance de sécurité. Près de Saint Dizier un
train de troupes anglaises, incendié, obstrue la voie. Il
faut manoeuvrer pour emprunter l'autre voie.
L'encadrement du bataillon est alors le
suivant :
Chef de
Bataillon Ardisson, commandant le bataillon (active).
État-Major
Capitaine
Pourchier
|
Adjudant-major
|
active
|
Lieutenant
Baillet
|
Officier des
détails
|
|
Médecin-Lieutenant
Reynon
|
Médecin-chef
|
active
|
Médecin-Aspirant
Sidi
|
Médecin
auxiliaire
|
|
Lieutenant
Ricatte
|
Officier-Adjoint
|
active
|
C.H.R.
Capitaine
Sivade
|
Commandant de
Compagnie
|
réserve
|
Sous-Lieutenant
Nicolas
|
Officier
d'approvisionnement
|
active
|
1ère Compagnie
Capitaine
Latruffe
|
Commandant de
Compagnie
|
active
|
Sous-Lieutenant
Lajous
|
|
réserve
|
Sous-Lieutenant
Ballandras
|
|
réserve
|
Sous-Lieutenant
Léon
|
|
active
|
Adjudant-Chef
Rival
|
|
active
|
2ème Compagnie
Capitaine
Combet
|
Commandant de
Compagnie
|
active
|
Sous-Lieutenant
Merpillat
|
|
réserve
|
Sous-Lieutenant
Beau
|
|
réserve
|
Sous-Lieutenant
Coré
|
|
active
|
Adjudant-Chef
Lanfranchi
|
|
active
|
3ème Compagnie
Lieutenant
Minot
|
Commandant de
Compagnie
|
réserve
|
Sous-Lieutenant
Escande
|
|
réserve
|
Sous-Lieutenant
Renaudo
|
|
réserve
|
Sous-Lieutenant
Darmont
|
|
réserve
|
Sous-Lieutenant
Tognotti
|
|
active
|
Compagnie d'Accompagnement
Capitaine
Bussat
|
Commandant de
Compagnie
|
active
|
Sous-Lieutenant
Agard
|
|
réserve
|
Sous-Lieutenant
Elorz
|
|
réserve
|
Adjudant-Chef
Moulet
|
|
active
|
Adjudant-Chef
Martin
|
|
active
|
Sergent-Chef
Goulet de Rugy
|
|
active
|
L'Aisne La 44ème D.I. doit participer à la
constitution d'un front défensif, face à la ruée des
Panzerdivisionnen qui ont bousculé nos troupes à Sedan et
foncent vers l'ouest et le sud, entre Rethel et Laon.
La destination du train qui
transporte le bataillon est Reims, mais la voie est coupée
bien au sud de cette ville. Le convoi s'arrête à Vitry la
Ville, le I6, en début de soirée. Le deuxième train arrive
à son tour, à la nuit tombée. La ville est en flammes. La
gare a été bombardée. Sur une voie parallèle, un train est
stationné, toutes vitres brisées, parois des wagons
criblées de mitraille. Nouvel aspect de la guerre. On
apprend qu'elle ne se manifeste plus seulement sur une
ligne de front, mais s'étend à tout le territoire.
Le
débarquement a lieu sans incident à 21 heures. Les
compagnies gagnent les couverts voisins pour, tant bien
que mal, organiser un repas et se reposer quelques heures.
Le groupe franc, alerté, est découplé à la recherche de
problématiques parachutistes. Des sentinelles sont
détachées à la garde du matériel débarqué sur le quai. Les
véhicules ne seront débarqués qu'au jour. Les mulets sont
mis à la corde dans le sous-bois. La nuit est claire.
Quelques dégourdis ont découvert un étang tout proche, et,
nus, profitent d'un bain réparateur. Le Commandant Ardisson téléphone à
Châlons sur Marne pour demander des instructions. Il
reçoit l'ordre de rejoindre Reims à pied....Quatre-vingts
kilomètres! Il se concerte avec le Capitaine Diot,
commandant du 62ème B.C.A., arrivé avec le deuxième
convoi. Puis, tandis que ses chasseurs se reposent un peu,
il se rend en voiture au P.C. de la Circulation Routière à
Châlons. La ville vient d'être bombardée au cours de la
soirée. Des ruines encombrent les rues; les maisons
brûlent encore. L'officier du Train qui le reçoit lui
promet des camions pour le lendemain matin. Dès son retour
à Vitry la Ville, peu après minuit, il fait partir le
bataillon à pied, en direction de Châlons sur Marne. Le
Capitaine Diot, pour sa part, préfère accorder une nuit de
repos à ses hommes.
Les compagnies arrivent à Châlons vers 6 heures 30, le 17
au matin. Elles se dispersent et s'abritent en attendant
les véhicules, qui ne sont pas encore en place. Le repas
de midi est plutôt succinct... On grignote quelques
biscuits des vivres de réserve Vers 14 heures, arrivent
des autocars, alors que l'on attendait des camions. Chacun
s'allège au maximum et bourre ses poches de cartouches et
de grenades, de quelques biscuits. On arrime des caisses
d'obus de mortier et de cartouches de mitrailleuses sur
les toits des autocars. Le train auto du bataillon n'a pas
rejoint, et il faut maintenant abandonner les mulets, ces
mulets, sans lesquels un bataillon alpin se retrouve plus
nu qu'une unité de biffins. Ils rejoindront plus tard...
en camion. Le Commandant Ardisson envisage avec angoisse
d'être engagé avec seulement une partie de son bataillon
et quelques minutes de feu. Le convoi se met en route à I5
heures, à destination de Reims, où il a rendez-vous avec
le chef de corps, parti en avant pour prendre les ordres
de la Division. Reims
a été sévèrement bombardée. La ville est déserte, rues
jonchées de pans de murs et de toitures effondrées. Tout
ce qui reste de la population semble s'être rassemblé à la
gare, dans l'attente de trains qui ne viendront plus.
Le commandant y trouve un officier de l'E.M. de la division,
qui, stoïque, continue d'attendre les trains arrêtés à
Vitry-la-Ville, et qui le fait conduire au P.C. de la
division. Il y est accueilli en sauveur par le général
Boisseau, qui commençait à désespérer de voir arriver sur le
terrain les troupes placées sous ses ordres. Le Groupe de
Reconnaissance Divisionnaire, (G.R.D.41), tient, seul avec
le G.R.D.22, de la 28ème D.I., le front imparti à la 44ème
Division. Il a poussé assez loin de l'autre côté de l'Aisne,
sans rien rencontrer. Le 22ème B.C.A. doit aller le
renforcer. Le Commandant
Ardisson retrouve ses compagnies et leurs véhicules
abrités tant bien que mal sous les arbres des squares et
des avenues de la ville. Embarquement. Sur la route, le convoi croise des
éléments débandés de toutes armes, rescapés de l'Armée
Corap, encore sous le choc des attaques en piqué de
l'aviation ennemie. Nombreux sont ceux qui n'ont plus
d'armes. Ils avancent lentement, assommés par le sort et
par la fatigue, au milieu de la cohue angoissée des
populations qui refluent devant l'ennemi. Tout cela donne
une pénible appréhension aux chasseurs, sans pour autant
entamer leur moral. Les autocars s'arrêtent à Courlandon
et Romain, où l'on met pied à terre pour attendre de
nouveaux ordres, car les règlements interdisent aux
véhicules de s'approcher à moins de quatorze kilomètres du
front!!! Ces villages
viennent d'être évacués. Dans celui où arrive la 3ème
Compagnie, le maire, qui s'apprête à partir à son tour,
autorise les chasseurs à se ravitailler en vivres à
l'épicerie. Dans la
soirée, le train muletier rejoint, transporté par camions,
ce qui permet d'alléger les hommes et de remettre en ordre
le matériel des sections lourdes, mitrailleuses, mortiers
et canons. Dans l'attente des ordres de départ, les
compagnies se sont étirées le long de la route, bordée
d'arbres hauts et feuillus, qui protègent des vues
aériennes. Un ordre inattendu arrive: Chacun, officier,
sous-officier ou chasseur, doit remettre au chef-comptable
de sa compagnie son argent, ses papiers personnels. La
situation serait-elle grave à ce point? A 20 heures 30, commence une étape
de nuit, qui amène les compagnies à Blanzy et Baslieux les
Fismes, où elles arrivent vers 2 heures. Quelques heures
de repos, et, de nouveau, dans la nuit noire, par des
chemins mal commodes, avec un sac qui se fait de plus en
plus lourd, nouvelle étape jusqu'à Dhuizel, où les hommes,
écrasés de fatigue, s'endorment sur place, au revers du
talus. On y récupère les derniers éléments du Train
Régimentaire... mais le ravitaillement n'a pas suivi.
A Dhuizel, le Commandant
Ardisson reçoit, à 6 heures du matin, le 18, l'ordre
suivant: -"Tenir l'axe Pont Arcy - Vieil Arcy, ainsi que
ces deux villages et les ponts sur le canal et sur
l'Aisne, en y relevant les éléments du G.R.D. qui s'y
trouvent."Sept kilomètres de front! Le commandant désigne la 3ème Compagnie, que
commande le Lieutenant Minot, pour effectuer cette relève
et progresser jusque-là en avant-garde du bataillon. Elle
sera renforcée d'une section de mitrailleuses et d'un
canon de 25 Tandis que
la 3ème Compagnie se met en route vers Pont Arcy, une
vague de bombardiers allemands attaque la ville de Fismes,
à une dizaine de kilomètres au sud-est. On peut voir les
appareils piquer, lâcher leurs bombes, et reprendre de
l'altitude. L'un d'eux, pour la plus grande joie des
chasseurs, est abattu par un avion français et vient
tomber non loin de Dhuizel. Le Sous-Lieutenant Elorz, de
la C.A, et sa section, capturent deux membres de
l'équipage. Les trois autres sont morts. Le Lieutenant Minot prend contact, à
Vieil Arcy, vers 7 heures, avec l'officier du G.R.D. qu'il
doit relever, et qui ne peut fournir aucun renseignement
précis... Le front serait très proche. Il faut donc
progresser avec précaution. La 1ère Section, que commande
le Sous-Lieutenant Escande, servira d'avant-garde à la
compagnie La chaleur
devient vite accablante pour ces hommes chargés de tout
leur barda. Arrivée à proximité du canal latéral de
l'Aisne, la section prend position. Le canon de 25 est mis
en batterie, prenant en enfilade le pont sur le canal, la
grand'rue de Vieil Arcy et le pont sur l'Aisne. Deux
sous-officiers du G.R.D. apprennent alors au Lieutenant
Minot que des éléments motorisés ennemis, venus en
reconnaissance aux abords du canal de l'Oise à l'Aisne,
ont été repoussée jusqu'à une dizaine de kilomètres. Des
cavaliers du G.R.D., très décontractés, pêchent à la ligne
dans l'Aisne. Minot décide d'occuper immédiatement
Pont-Arcy et de pousser la Section Escande jusqu'aux rives
du canal de l'Oise à l'Aisne. Faute de pouvoir les faire
sauter, il entreprend de barricader les ponts sur le canal
latéral et sur l'Aisne. Au pont sur l'Aisne, une chicane
permet le passage du groupe motocycliste du Lieutenant
Gilette, qui effectue une reconnaissance sur le R.N.325,
en direction de l'est. Le groupe revient peu après, ayant
repéré des Allemands au-delà de Bourg et Comin. La chicane
est condamnée. Le Lieutenant Minot effectue, dans Pont
Arcy, le tour du propriétaire. Le village est abandonné,
maisons aux portes béantes. Les animaux domestiques ont
été lâchés dans la nature. Ils errent, ça et là, à la
recherche d'eau. Des vaches aux pis gonflés meuglent
lamentablement, appelant pour être soulagées. Dans une
cuisine, un cheval boit à même l'évier. En avant du
village, l'Aisne coule entre des berges boisées. Vers 17 heures, la Section Escande
repart. Aux abords du canal, elle rencontre un officier du
Génie, chargé d'étudier le minage des ponts. Après une
rapide reconnaissance des lieux, effectuée en compagnie de
son adjoint, le Sergent-chef Bassecourt, il procède à une
première implantation de ses groupes sur la rive ouest :
deux sur la droite du pont, l'autre sur la gauche, après
avoir réuni tout son monde, qu'il met, en quelques
phrases, au courant de la situation, et à qui il résume la
mission de la section... - Les gars, c'est fini de rire.
Repas rapide. Les gorges et les estomacs sont noués...
Chacun se met ensuite au travail pour creuser les premiers
emplacements, tandis que les hommes de garde scrutent la
rive opposée, dans la nuit qui tombe. Escande établit le
plan de feu de ses armes automatiques, et, par coureur,
rend compte au Lieutenant Minot, en demandant le renfort
d'un canon de 25 et d'un groupe de mitrailleuses; renfort
qu'il recevra le lendemain matin. Le Commandant Ardisson et le reste du
bataillon se sont arrêtés à Pont Arcy, où parvient, en
cours d'après-midi, un nouvel ordre:
"Le
22ème Bataillon de Chasseurs Alpins, renforcé des
éléments du G.R.D.22, relèvera la totalité du G.R.D.41
entre Braye en Laonnois à l'ouest, et Bourg et Comin à
l'Est."
Vers I6 heures, les 1ère et 2ème
Compagnies, la C.A. et la C.H.R. font mouvement vers
Soupir, où le Commandant Ardisson établit son P.C. (P.C.
du Sous-Secteur de Soupir). La 1ère Compagnie passera la
nuit dans le village, tandis que le Capitaine Combet
pousse les Sections Merpillat et Coré jusqu'au canal.
Lui-même et le reste de la 2ème Compagnie s'installent
pour la nuit dans une grange, entre Soupir et le canal.
Le I9 mai, au petit jour, les
1ère et 2ème Compagnies sont réveillées par des explosions
de bombes, qu'un avion allemand vient de lâcher. L'une
d'elles est tombée au milieu du cimetière de Soupir.
La relève du G.R.D.41, le long
du canal, s'effectue sans incident au cours de la matinée.
La 1ère Compagnie, au nord, avec deux sections , assure la
liaison avec le 99ème Régiment d'Infanterie Alpine, de la
28ème D.I. A la 2ème Compagnie, la Section Beau relève la
Section Merpillat, le long du canal. Le Lieutenant Minot vient, le matin,
inspecter la Section Escande, maintenant renforcée d'un
groupe de mitrailleuses et d'un canon antichars. Les
travaux d'aménagement du terrain sont déjà bien avancés.
L'après-midi, Escande envoie Bassecourt établir la liaison
avec les voisins. Sur la gauche, le contact est pris de
suite avec la Section Coré, avec laquelle on est en
liaison à vue. A gauche, c'est le vide. Plus d'un
kilomètre de vide. Deux ponts-passerelles ne sont pas
gardés. Seul, le pont sur la R.N.235, vers Bourg et Comin,
est occupé par une compagnie du Génie. Immédiatement
avisé, le Lieutenant Minot rend compte au Commandant
Ardisson. Ces deux ponts recevront, dans la matinée du 20,
une garnison du 6ème Régiment d'Infanterie. Le 62ème B.C.A., qui arrive en cours
d'après-midi, est intégré dans le dispositif, entre le
22ème B.C.A. et le 99ème R.I.A., avec P.C. à la Ferme de
Soupir (Sous-secteur de la Cour de Soupir). La 1ère
Compagnie lui cède ses positions et roque vers le sud, où
la 2ème resserre son créneau. Les premiers jours, les trois compagnies sont
en ligne sur le canal. Chacune a poussé une "sonnette" sur
l'autre rive: la 1ère, au Tilleul de la cote I58; la 2ème
au village de Courtonne; la 3ème, en avant du pont dont
elle a la garde Le bataillon reçoit de la Demi-Brigade le
renfort de deux canons de 25 et d'un canon de 47. Quelques
éléments réservés, dont le groupe franc et une section de
mitrailleuses, assurent la protection du P.C. du
bataillon, installé dans une maison du village de Soupir.
Le P.C. de la Demi-Brigade est implanté à Chavonne, celui
de la Division à Baslieux les Fismes. Le secteur est
difficile. Dominé au nord par les hauteurs du Chemin des
Dames, où l'ennemi va bientôt prendre position, relié à
l'autre rive du canal par cinq ponts et une douzaine de
passerelles d'écluses, que le Génie n'a pas encore fait
sauter, il oblige à une défense linéaire le long du canal,
et, loin en arrière de celui-ci, laisse la possibilité
d'aménager quelques môles de résistance: croupe N.E. de
Soupir, bois entre le canal et Pont Arcy, château de
Soupir. A vingt-cinq
kilomètres dans l'est, se profile la sinistre cote 108,
où, un matin de mai 1917, l'explosion d'un gigantesque
fourneau de mine a volatilisé deux compagnies du 22ème
Bataillon de Chasseurs Alpins de la Grande Guerre.
Sous-secteur
de Soupir (22ème B.C.A.) Soupir : P.C. du
Bataillon
1
|
Section Léon
|
1ère Compagnie
|
2
|
Section Lajous
|
1ère Compagnie
|
3
|
Section Beau
|
2ème Compagnie
|
4
|
Section Coré
|
2ème Compagnie
|
5
|
Section
Escande
|
3ème Compagnie
|
Partout
on s'affaire à perfectionner les travaux d'organisation du
terrain, déjà entrepris par les cavaliers: emplacements
d'armes automatiques, défenses accessoires, réseaux de
barbelés, tranchées et abris, abattis sur l'autre rive,
tandis que les hommes des Transmissions tirent leurs
lignes entre les compagnies et le P.C. Le canal, s'il est
un obstacle réel que l'ennemi devra franchir, ne présente
pas une position de défense idéale. Il est en
superstructure et traverse la plaine entre deux remblais,
hauts par endroits de deux à trois mètres. Une plaine
marécageuse, truffée de trous d'obus de la "dernière",
remplis d'eau et partiellement camouflés par un taillis
épais. Les relèves de nuit s'y perdront. Il est délicat de
creuser abris et tranchées dans le flanc du talus. L'eau
s'infiltre rapidement au fond des trous et suinte sur les
parois, y rendant le repos suprêmement inconfortable. Les
armes automatiques n'ont qu'un champ de tir limité. Il
faudrait être sur le chemin de halage lui-même pour
obtenir des tirs rasants sur le plan d'eau. Vers
Moussy-Verneuil, les positions sont franchement dominées
par les cotes 158 et 175, derniers ressauts du Chemin des
Dames sur la rive adverse. A l'extrémité sud du sous-secteur, la Section
Escande se trouve dans une situation particulièrement
difficile. Le remblai du chemin de halage dépasse à peine
le niveau de la prairie marécageuse. Il ne peut être
question d'y creuser de véritables abris. Dans chaque groupe, les trous
individuels ont été reliés entre eux par d'étroites
saignées. Les hommes devront y vivre, pendant tout leur
séjour en première ligne, dans des conditions très
précaires, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. En outre,
l'ensemble du point d'appui est dominé, à six ou sept
cents mètres, par l'éperon sud-ouest de la montagne de
Comin. Le chef de
section et son adjoint ont installé leur "P C " contre le
talus du petit chemin qui accède au pont sur le canal, et
l'ont renforcé par un mur de caisses à munitions remplies
de terre, camouflé par des branchages. Pour effectuer les
rondes et visites d'un groupe à l'autre, Escande et
Bassecourt devront, la plupart du temps ramper ou marcher
à quatre pattes dans l'herbe du marécage. L'artillerie divisionnaire a
rejoint. Deux groupes de 75 du 91ème R.A., et un de 155,
qui mettent en place des tirs d'arrêt en avant de la ligne
tenue par le bataillon. Courteline pas mort !... Les fusils Lebel et
les mousquetons, qui tirent la cartouche à balle de 8m/m,
sont remplacés par des Mas 36 de calibre 7m/m5. L'échange
se fait jusqu'aux avant-postes... et les munitions
n'arrivent que le lendemain. Par chance, l'ennemi ne se
manifeste pas. Mais si... Mieux vaut n'y point penser. Les
compagnies reçoivent enfin des mines, qu'il faut installer
d'urgence sur les voies, d'accès aux ponts Des blindés
ennemis ont été signalés sur les hauteurs du Chemin des
Dames. On attend également le repli de la 4ème Division
Cuirassée du Général De Gaulle. Au petit jour, le 20 mai, des équipes
installent les champs de mines. Celle de la 2ème
Compagnie, que commande le Sergent Michel Rodde, se fait
prendre à partie par un point d'appui de la 1ère, alors
que, travail terminé, elle rentre dans nos lignes. Pas de
casse, mais quelques instants de vive émotion. Pour
la première fois depuis la mise en place des compagnies,
dès six heures du matin, le "mouchard" tourne au dessus du
canal. Dès lors, il sera là tous les jours, dès l'aurore,
énervant par son indiscrète et continuelle présence,
épiant toute modification apportée au terrain et tout
mouvement, même individuel. Les gars de la 3ème Compagnie
l'ont surnommé "Ernest". C'est peut-être plus familier,
mais il n'en est pas moins malfaisant. En fin de matinée, les sonnettes
placées en avant-postes sur 158 et à Courtonne sont au
contact avec des motocyclistes allemands, qui se replient
après un échange de coups de feu. Le groupe franc effectue une patrouille de
l'autre coté du canal, jusqu'au village de
Moussy-Verneuil. Au cours de leur progression, les
chasseurs assistent de loin à un combat qui met aux
prises, sur les pentes du Mont de Beaulne, une section de
vieux chars F.T.Renault, type 1917 avec des blindés
allemands. L'un après l'autre, ces chars, qui ne possèdent
qu'une mitrailleuse Hotchkiss, ou, pour les mieux armés,
une pétoire de 37 court, sont touchés par les projectiles
de leurs adversaires et brûlent. L'un d'entre eux,
cependant, qui a réussi à esquiver les tirs ennemis,
débouche en cahotant en face d'Escande, tentant de
rejoindre nos lignes. Une des mines, posée le matin même,
lui arrache une chenille. Les deux hommes d'équipage en
jaillissent d'un trait et rejoignent en courant les
chasseurs, qui, à grand renfort de cris et de gestes, les
guident vers une passerelle. Peu après, une patrouille
allemande arrive jusqu'au char. Ses mitrailleuses
interdisent désormais tout débouché du bois. A la
tombée de la nuit, une motocyclette et deux side-cars
descendent de Moussy-Verneuil vers le canal. Alors que le
motard s'engage au ralenti sur le pont, la sentinelle, qui
se croit en présence d'éléments de la 4ème D.C., crie: -
"Halte-là!" Les trois engins font demi-tour dans un
déchaînement de moteurs, tandis que les passagers des
side-cars lâchent des rafales de mitraillettes. Toute la nuit, le Chemin des Dames
est balayé des pinceaux lumineux des convois ennemis, dont
le bruit des moteurs tisse un fond sonore dans la nuit.
Les deuxième et troisièmes
sections de la 2ème Compagnie ont eu affaire, au cours de
la nuit, à des isolés infiltrés sur leurs arrières. Au
Jour, le 21, le Sergent Guy ratisse la zone, à la tête
d'une patrouille de dix hommes, tandis que le Sergent
Rodde et quatre chasseurs sont en bouclage. Sans résultat.
Au retour, la patrouille est saluée d'un coup de 77
fusant. Le chasseur Boutin s'écroule, le crâne ouvert par
un éclat; Molinier est blessé à la jambe. Le corps de
Boutin est ramené au P.C. de la compagnie. Sa section
présente les armes, tandis que les brancardiers emportent
la dépouille du sympathique titi parisien, aimé de tous.
Il sera le premier et le dernier à recevoir ces honneurs.
Par la suite, on n'aura plus le temps. Au
petit Jour, le 21, le chasseur Andrévie, la "longue
carabine" de la Section Escande, découvre un guetteur
ennemi, qui tente de se camoufler dans les branches hautes
d'un peuplier, et l'abat d'une balle. Au cours de la
journée et les jours suivants, il se spécialisera dans ce
genre de sport. Chacun de ses coups de feu est ponctué
d'un: "Encore un, mon lieutenant." Vers sept heures, le guetteur du groupe de
mitrailleuses signale des groupes de fantassins, qui
progressent sur le versant nord de 1a Montagne de Comin. A
la jumelle, aucun doute n'est possible: ce sont des
Allemands. - "Hausse 2000 mètres." Escande fait tirer
quelques rafales de mitrailleuses, qui doivent leur
siffler aux oreilles, car les groupes se dispersent. A
chaque mouvement, la mitrailleuse tire quelques
cartouches. Trois minutes plus tard, la riposte arrive;
une rafale de mitrailleuse lourde claque dans les branches
des peupliers qui bordent le canal. Escande choisit parmi
les volontaires qui s'offrent pour une patrouille. Le
petit groupe franchit le canal et disparaît dans les
taillis. Dix à quinze minutes se passent, longues comme
des heures pour ceux qui attendent. Brutalement, quelques
claquements secs de mousquetons, auxquels ripostent des
rafales de pistolets-mitrailleurs. Les patrouilleurs se
replient en courant vers le pont. Au sifflet, Bassecourt
donne le signal du tir de barrage pour les armes
automatiques du point d'appui. Deux minutes de feu,
pendant lesquelles le chasseur Peyre, resté de l'autre
coté du canal, s'incruste dans le sol, sous les rafales
qui le frôlent désagréablement près. Le tir terminé, d'un
bond, il franchit le pont, souriant, mais un peu pâle tout
de même. C'est à qui racontera le coup. La patrouille a
surpris les voltigeurs de pointe ennemis. Deux d'entre eux
sont tombés, tués sans doute; deux autres auraient été
touchés. C'est maintenant, par dessus le canal, un échange
continu de coups de feu isolés, de courtes rafales.
L'ennemi occupe la ligne de buissons, à une quarantaine de
mètres, sur l'autre rive. Les corvées de soupe commencent à arriver de
façon irrégulière. Celle de midi vers 18 heures, celle du
soir tard dans la nuit. Il est vrai que les gars doivent à
tout instant se plaquer au sol sous une rafale de
mitrailleuse ou l'explosion d'un obus. Il faut le faire!
A
10 heures 30, un Stosstrup à l'effectif d'une section
s'approche du pont tenu par la Section Beau, de la 2ème
Compagnie, en progressant dans les taillis épais, puis,
d'un bond, franchit l'espace découvert en direction du
pont. Les fusils-mitrailleurs tirent de longues rafales
Quelques Allemands tombent, mais les autres parviennent
jusqu'à la berge et à la pile du pont. Le Sous-Lieutenant
Elorz, qui commande les mitrailleuses du point d'appui,
rameute cinq grenadiers V.B. et commence à arroser
l'ennemi de grenades à fusil. Les Allemands reculent dans
les buissons, par petits groupes, poursuivis par le tir en
écharpe des mitrailleuses de l'Aspirant Bonifassi, qui
fait de nouvelles victimes. Nous n'avons que quelques
blessés. Au cours de
l'après-midi, une équipe du Génie fait sauter le pont que
garde la Section du Sous-Lieutenant Lajous (1ère
Compagnie). Celui que vient de défendre la Section Beau
saute à son tour, le 22, à 3 heures 30. Avant chaque
explosion, le personnel du point d'appui se replie de cent
cinquante mètres, tandis que l'artillerie applique un tir
de barrage sur la rive adverse. Sitôt après l'explosion,
nos gens reprennent leurs positions. L'ennemi modifie son dispositif. Ses
éléments de reconnaissance, avec lesquels nous étions au
contact, sont relevés par de l'infanterie, dotée de
Minenwerfer, et accompagnée par de l'artillerie. De notre
côté, la 44ème Division d'Infanterie passe sous les ordres
du VIIème Corps d'Armée. Le soir, à 20 heures, nos 75 appliquent leur
tir sur l'autre rive.
La nuit du 22 au 23 est
relativement calme, si ce n'était cet énervant harcèlement
de coups de feu. Le
23, au matin, le point d'appui de la Section Escande est
encadré par un tir de mortiers, vraisemblablement un
réglage. Faute de pouvoir riposter avec un matériel
similaire, Bassecourt propose à son chef de former un
groupe de contrebatterie avec les grenadiers V.B. de la
section. Un emplacement leur est assigné un peu en arrière
du P.C. de section, de part et d'autre du chemin d'accès
au pont. Et l'on procède au repérage des objectifs
éventuels. L'ennemi
poursuit ses tirs de harcèlement et ses patrouilles de
contact contre nos avant-postes, aux abords des
passerelles d'écluses. Au cours de l'après-midi, un
violent orage s'abat sur la région. Dans le sous-quartier
de la 1ère Compagnie, la foudre frappe mortellement le
Caporal-chef Lattés, de la section de l'Adjudant-chef
Léon, auprès de son fusil-mitrailleur, dont un des
servants est blessé. Le Sergent-chef Lantheaume sert de
guide aux brancardiers qui viennent chercher le corps.
L'un d'entre eux, le chasseur Aimé Barelli, deviendra,
après la guerre, un célèbre chef d'orchestre. A la tombée de la nuit, la densité
des tirs de Minen augmente soudain sur la berge du canal,
tandis que des salves de 105 s'abattant en arrière autour
des P.C. de compagnies. Le bombardement dure une dizaine
de minutes, puis, sur un front de cinq cents mètres, deux
compagnies allemandes se ruent vers les deux ponts et les
deux passerelles du canal, en face des points d'appui de
la 1ère compagnie. Des groupes traînent avec eux des
canots pneumatiques. Le tir des armes automatiques se
déchaîne. Deux abris seulement se sont effondrés, et la
1ère Compagnie n'a que deux blessés légers. Une fusée
rouge monte, demandant l'appui de l'artillerie. Les
chasseurs de la section de l'Adjudant-chef Brun tirent,
presque à bout portant, sur les silhouettes qui se
pressent sur l'autre rive du canal. Le chasseur de 1ère
classe Briols, qui a pris le commandement du groupe du
Caporal-chef Lattés, tué cet après-midi par la foudre,
refoule à la grenade l'assaillant qui cherche à prendre
pied dans sa position. Trois minutes seulement après le
lancement de la fusée rouge, les premiers obus de 75
s'abattent de l'autre côté du canal. Leurs explosions
serrent la berge de très près, hachant les groupes
ennemis, qui refluent. Les explosifs attendus pour faire
sauter les derniers ponts, en particulier celui du point
d'appui de la 3ème Compagnie, arrivent enfin le 24.
Vers midi, le premier groupe de
la Section Escande est pris sous un feu continu et ajusté
d'armes individuelles et automatiques. Chaque mouvement,
qui dépasse le maigre parapet, est sanctionné d'une
rafale. Le sous-lieutenant, qui est debout depuis la
veille au soir, vient à peine de rejoindre son abri, pour,
si possible, prendre un peu de repos. Bassecourt décide
alors de transporter le groupe dans des emplacements
creusés à quelques dizaines de mètres de ceux qu'il
occupe, et qui n'ont jamais été utilisés. Pour permettre
ce mouvement, il faut neutraliser pendant quelques minutes
les tireurs adverses. Le Sergent Truc fait démonter les
mitrailleuses installées sous abri, et les fait remonter
sur le parapet. Au coup de sifflet, les deux pièces
ouvrent le feu, en fauchant, sur la ligne de buissons
suspects, tandis que les hommes du premier groupe
s'éjectent de leurs trous et bondissent dans leurs
nouveaux emplacements. Le fusil-mitrailleur du groupe, de
nouveau en batterie, reprend son tir. Les mitrailleuses
ont tiré plus de cinq cents cartouches. La "soupe de midi", qui arrive sur
le coup de vingt heures, accompagnée de quelques sapeurs
du Génie, chargés comme des mulets alpins, apporte un
ordre du Lieutenant Minot: - " Faire sauter le pont cette
nuit, SANS FAUTE." A la nuit tombée, une première mise à
feu est effectuée, après que la garnison du P.A; et son
matériel aient été repliés d'une centaine de mètres. Long
feu ?...Même pas. La mèche s'est éteinte aussitôt
qu'allumée. Un essai avec un morceau prélevé un peu plus
loin sur le rouleau confirme qu'elle est de mauvaise
qualité. Tandis qu'un sapeur part vers l'arrière à la
recherche d'un autre rouleau de mèche lente, le Lieutenant
Escande décide de demander le tir de rupture repéré à
l'avance sur le pont. Le signal en est une fusée à trois
feux verts. Nouvelle évacuation des positions. La fusée
s'élève, les trois étoiles vertes effectuent de gracieuse
trajectoires dans le ciel nocturne avant de s'éteindre. En
rigolant un peu nerveusement, un gars chuchote : "Ça ne
vaut pas le 14 juillet à Nice". Les minutes s'écoulent.
Les canons restent muets. Deux autres fusées - les
dernières - sont tirées à leur tour, sans plus de
résultat. Mais que foutent donc les artilleurs ? Cinq
minutes passent encore. Cela fait un quart d'heure que le
point d'appui est désert. Dangereux, ça. La section
retourne occuper ses positions au bord du canal. Le sapeur
revient enfin. Le cordon est installé. Bassecourt réveille
Escande qui s'était assoupi. Pour la troisième fois, on
évacue le P.A. La mèche est mise à feu. Trente secondes
plus tard, une explosion formidable secoue le sol. La
terre tremble. Des débris de toute sorte pleuvent autour
des chasseurs qui foncent dans le fumée pour reprendre
leur poste. Le tir reprend par dessus le canal, dans
lequel le pont s'est effondré, cassé par le milieu.
Le chasseur Coularou, agent de
liaison de la section, a parcouru cette nuit trois fois le
trajet aller et retour du canal jusqu'à Pont Arcy, pour
porter au Lieutenant Minot le compte-rendu de chacune des
péripéties. Trois fois huit kilomètres, de nuit, par le
petit chemin qui traverse les marais. Brave Coularou!
Tout est réinstallé pour le
petit jour. La matinée s'étire sans incident notable, si
ce n'est que la soupe n'arrive pas. Au cours de
l'après-midi, des rafales de mitraillettes claquent tout
près, au ras du pont, de plus en plus nourries. Escande et
Bassecourt se concertent. Comment les faire taire ? - J'y
vais, mon lieutenant. Le chasseur Antoine Sansoni, tireur
au F.M. est une force de la nature. Rien n'arrête jamais
ce niçois solidement charpente, au cou de taureau, que
surmonte un visage rougeaud...Il se saisit de son arme,
escalade le talus de la route, appuie son
fusil-mitrailleur sur la poutre métallique du pont, tordue
par l'explosion, et vide d'un trait une boite chargeur
entière, en balayant la ligne des buissons. Son chargeur
l'a suivi et réapprovisionne l'arme. Nouvelle longue
rafale, qui écrête, en face, le chemin de halage. Tout
l'après-midi, grandiose d'inconscience, il répond à chaque
coup de feu de l'adversaire, et, de temps à autre, se
retourne en rigolant. Sansoni se régale. Les échanges de coups de feu
augmentent avec la nuit qui vient. Un groupe arrive de
l'arrière. Ce n'est pas la corvée de soupe tant attendue,
mais un renfort envoyé par le Lieutenant Minot , qui s'est
rendu-compte de l'état d'épuisement physique et nerveux de
la section. Bassecourt installe personnellement les
nouveaux arrivants dans les emplacements initialement
occupés par le premier groupe, puis ensuite abandonnés. Il
donne au Sergent Fourrés, qui les commande, tous les
renseignements sur l'ennemi : - ...en face... à une
quarantaine de mètres. - C'est pas vrai ! Les heures
nocturnes s'écoulent, interminables. Les nouveaux venus
ont le visage déjà marqué par la nuit blanche qu'ils
viennent de passer. Ils n'en reviennent pas d'apprendre
"que c'est comme ça depuis le premier jour." La soupe de midi est apportée,
presque à l'heure, par une corvée de la compagnie.
Miracle! les gamelles sont encore chaudes. La répartition
entre les groupes s'effectue rapidement. Le sous-officier
qui commande les ravitailleurs remet un pli au
Sous-Lieutenant Escande, qui l'enfouit sans rien dire dans
sa poche après l'avoir lu. L'après-midi traînaille dans le calme et la
chaleur. Par roulement, les hommes dorment, réveillés de
temps à autre par quelques rafales d'armes automatiques ou
quelque explosion isolée. Le soir, tandis qu'il pioche
avec les doigts dans la boite de "singe" qu'il partage
avec Bassecourt, Escande lui tend le papier qu'il a sorti
de sa poche. - "Vous serez relevés ce soir à 22 heures par
le 54ème B.C.A." Bouffée de chaleur. La fatigue s'envole.
- Faites la tournée des groupes, vérifiez les munitions.
Mais, surtout, ne dites rien. Pas même aux chefs de
groupes. On ne sait jamais. En rampant, ou presque,
Bassecourt fait sa tournée, compte les grenades, les
munitions de réserve, blague avec les hommes, et revient
rendre compte. La nuit est déjà là. 22 heures. Rien. 23
heures. Toujours rien. Bassecourt esquisse une grimace.
Avec la nuit, les échanges de coups de feu ont repris. des
isolés viennent, en face, au ras du canal, vider par
courtes rafales leur chargeur de mitraillette, avant
d'aller un peu plus loin reprendre leur petit jeu. - Allez
vous reposer, mon vieux, je vous réveillerai. Bassecourt
s'effondre entre deux caisses de munitions remplies de
terre et sombre . Il se réveille d'un coup. Il est deux
heures du matin, et la relève n'est pas venue. Escande est
un peu plus loin, près du pont, accompagné du Lieutenant
Minot, qui est venu réconforter ses gens lorsqu'il s'est
rendu compte que la relève n'arrivait pas. Presque au même
instant, un officier de la Compagnie Becq du 64ème B.C.A.
se présente, s'excusant du retard. On l'embrasserait!
Pendant que les chefs de section se passent les consignes,
Bassecourt conduit les groupes qui arrivent à leurs
emplacements. Il doit insister pour que les consignes
soient passées dans tous les détails, tellement les gars
sont pressés de quitter le coin. La relève se fait
lentement. Au lever du jour, la section est regroupée, en
marche vers Pont Arcy. Andrévie, qui manque à l'appel,
rejoint en cours de route. Les maisons de Pont Arcy. Une soupe bien
chaude attend la section, qui arrive à 6 heures, mange, et
s'effondre dans la paille d'une grange. Quelques raffinés
ont pris le temps de se laver. Le Lieutenant Minot offre
le champagne aux gradés souriant, détendu, soulagé. Au
cours de ce dur séjour au contact de l'ennemi, la section
n'a eu ni mort, ni blessé. Il plaisante Bassecourt, qui,
vraiment, a une sale gueule. Pas rasé depuis huit jours,
le visage verdâtre, comme les mains d'ailleurs et la
capote, d'avoir rampé de jour et de nuit dans l'herbe du
marais. Mais il s'en fout, Bassecourt. Est-ce le champagne
ou cette sensation grisante d'être délivré de cette
hantise quotidienne qui l'habitait ? Avisant un vélo posé
contre le mur de la ferme, il l'enfourche et se met à
pédaler à toute vitesse, comme un fou, sur la route,
heureux de se sentir libre, le vent dans la figure.
L'après-midi, la section rejoint
Cys la Commune. Le P.C. de la compagnie et les autres
sections sont déjà installées à Chavonne. Le 64ème B.C.A. a implanté son P.C.
à Pont Arcy. Sur ordre
de la division, le Commandant Ardisson doit remanier son
dispositif. Seules les 1ère et 2ème Compagnies restent en
position sur le canal. Chacune des deux compagnies met en
ligne deux sections, renforcées par une section de
mitrailleuses; les deux autres sections s'installent
légèrement en retrait. La compagnie de droite dispose en
outre d'un canon de 37. La 3ème Compagnie, après son repli
sur Chavonne et Cys la Commune, est chargée de la garde
des ponts et passerelles d'écluses sur le canal latéral de
l'Aisne, ainsi que de patrouilles dans les villages
alentour. La C.H.R. et le train régimentaire du bataillon,
cantonnés à l'origine dans Soupir, à proximité du P.C.,
sont repliés sur Chavonne, où se crée une base arrière,
sous les ordres du Capitaine Sivade. Durant ces quelques jours, la 2ème
Compagnie s'est livrée à plusieurs coups de main rapides
et brutaux, pour dégager les extrémités des passerelles
d'écluses, où l'ennemi tente de s'implanter. Les groupes
du Sergent Kantzia et du Caporal-chef Giaccomoni s'y
distinguent. Au cours de l'un de ces accrochages, le 25
mai, Willy Kantzia est grièvement blessé à la gorge. Il
meurt au cours de son évacuation en ambulance. Le sergent mitrailleur Pourtout, qui
s'est déjà distingué à Mertzwiller, lors de l'attaque de
la gare par l'aviation allemande, participe aux
patrouilles. Le fusil-mitrailleur du groupe s'étant enrayé
au cours d'un accrochage, il en protège le repli à la
grenade. Le Commandant
Ardisson visite fréquemment les points d'appui de première
ligne, et peut se rendre compte que cadres et chasseurs
sont "gonflés", calmes et résolus, malgré le manque de
sommeil et les conditions précaires d'installation dans un
terrain marécageux, où l'on cohabite un peu trop
étroitement avec des nuées de moustiques. Le 26, au petit jour, un petit
groupe de soldats français se présente devant le point
d'appui du Sous-Lieutenant Beau, et se fait reconnaître.
Les chasseurs leur font franchir la passerelle d'écluse.
Il y a là un capitaine, blessé aux genoux, deux
lieutenants et quatre soldats. Ils errent au travers des
lignes ennemies depuis le 15 mai, et sont hirsutes,
affamés et épuisés. Ils indiquent avoir repéré, à quelques
dizaines de mètres du canal, les cadavres de deux
Allemands. Tandis qu'on les guide jusqu'au P.C. de la 2ème
Compagnie, le Caporal-chef Giaccomoni et le chasseur
Volgouris se faufilent, par delà le canal, jusqu'à
l'endroit où gisent les corps. Ils en ramènent un
pistolet-mitrailleur, des munitions, des grenades à
manche, et divers papiers qui permettent d'identifier le
vis-à-vis : le 14ème Infanterie Régiment, de Postdam.
Le soir, le chasseur Antoine
Lucchini, de la Section Beau, est tué au cours d'une
patrouille. Les jours
suivants se passent dans un calme relatif, haché de salves
d'artillerie et de tirs de minen aux heures des corvées de
soupe. Le 26, un obus
de 105 tombe sur l'abri de l'Aspirant Bonifassi, en crève
la voûte de terre et de rondins, pour terminer sa course à
l'intérieur, sans exploser. D'un même élan, les occupants
se retrouvent dehors, sans trop savoir comment cela s'est
fait. L'aspi, encore sous le choc, téléphone au P.C. du
bataillon : - Que dois-je faire de l'obus ? La réponse
l'achève définitivement : - Laissez-lui votre abri et
trouvez en un autre. Le
31 au soir, c'est au tour de la 3ème Compagnie d'assurer
le ravitaillement en matériel et barbelés des compagnies
avancées du bataillon. Le responsable du convoi ne connaît
pas bien le parcours et ignore le danger que représentent
les observatoires que les Allemands ont installé sur les
crêtes. Il part de Chavonne alors que la nuit n'est pas
complètement tombée, et est rapidement repéré par les
guetteurs ennemis. Une salve d'artillerie encadre les
véhicules alors qu'ils pénètrent dans le village de
Soupir. Les obus éclatent dans les arbres et hachent les
chasseurs qui se sont jetés contre les talus. Trois hommes
sont tués, d'autres blessés, dont le Sergent Brodnick,
jambe gauche broyée. Au
cours de la nuit du 1er au 2 juin, la 28ème Division
d'Infanterie prend en charge le secteur jusqu'à Pont Arcy.
Le 22ème B.C.A. est relevé par des unités des 27ème et
47ème Bataillons de Chasseurs Alpins, qui appartiennent à
la 25ème Demi-Brigade, que commande le Lieutenant-Colonel
Bel, et passe en réserve de Division. La relève, qui
devait s'effectuer en début de nuit, traîne en longueur
par suite de retard des unités relevantes, plus ou moins
égarées dans les dédales du marécage. les compagnies
quittent leurs positions l'une après l'autre, pour se
regrouper dans les bois de Paars. Elles y arrivent,
épuisées par cette marche de nuit, venue s'ajouter aux
fatigues accumulées au cours des journées passées en
première ligne. La dernière franchit au petit jour
seulement la crête très exposée de Saint Mard, sans
attirer de réaction ennemie. Les Sous-Lieutenants Agard et Beau, ainsi
qu'une dizaine de sous-officiers, qui sont restés en
postcurseur auprès des unités de relève, rejoignent le
lendemain seulement Bazoches, où le P.C. et la C.H.R. sont
cantonnés. Comme les précédents, Soupir, Bourg et Comin,
Moussy-Verneuil, ce village a été complètement pillé. Par
les fuyards de l'Armée Corap ?... Par les réfugiés ?...
Les boches n'y trouveront pas un gros butin. Paars - Courcelles
- Bazoches Le 2
juin, le Chef de Bataillon Ardisson reçoit l'ordre
"d'organiser solidement Bazoches et de constituer une
bretelle pour barrer la vallée de la Vesle entre Saint
Thibaut et les hauteurs situées au nord de Bazoches ' Deux
jours durant, les compagnies s'emploient à des travaux de
campagne, tranchées et coupures de route, malgré la
présence permanente des avions d'observation ennemis et
des tirs d'artillerie, qui occasionnent des blessés
légers: le Sergent-Chef Chamayou, chef comptable de la
C.A., et le chasseur Edouard Coste. La 3ème Compagnie
barre la route nationale par un dispositif antichars et se
fait livrer des bidons d'essence, qui doivent servir à
enflammer les blindés ennemis. Une compagnie de chars
Hotchkiss, flambant neufs, traverse le chantier en cours
et se dirige vers Braine.
Le 3 au soir, le commandant se
rend en voiture à Courcelles. Le village est désert. Il
pousse jusqu'à l'entrée de Braine, où ne se manifeste
aucune présence de troupe française. Il semblerait que le
bataillon soit complètement en l'air vers l'ouest!
Le groupe franc est dissous le 4
juin. Gradés et chasseurs rejoignent leur unité d'origine.
Gardé en réserve de bataillon dès l'installation sur le
canal, il avait été découplé à la recherche
d'hypothétiques parachutistes, cette obsession de tous
ceux qui ont vécu cette époque. Le 20 mai, il a poussé une
patrouille jusqu'à Moussy-Verneuil, de l'autre côté du
canal, et, le 21, pris contact avec le groupe franc du
G.R.D.. Hormis ces quelques patrouilles, il a été employé,
le 22, en couverture d'un canon de 37, en batterie au
carrefour du chemin départemental 88, en deçà du canal,
face à Moussy-Verneuil, (les ponts n'ont pas encore
sauté), et, du 26 mai au ler juin, alternativement à des
travaux de pose de barbelés et à quelques patrouilles.
Le 5 juin, à l'aube, les
Allemands attaquent avec d'importants effectifs en face de
la 28ème D.I. sur le Chemin des Dames et sur le canal de
l'Oise à l'Aisne, en particulier contre les positions que
les 62ème et 22ème B.C.A. avaient occupées jusqu'au 1er
juin. Malgré une résistance acharnée, les unités en ligne
sont débordées. Dans la soirée, le bataillon est remis à
la disposition de la 26ème Demi-Brigade. Il reçoit l'ordre
de couvrir le flanc gauche de la 44ème Division dans les
bois de Paars, avec possibilité d'intervention en
direction de Saint Mard et Dhuizel. Il est relevé, à
Bazoches, par le 85ème Régiment d'Infanterie, nouvellement
arrivé dans le secteur. Le 6 juin, la ligne de feu se rapproche.
Certaines unités de la 28ème D.I., écrasées par
l'artillerie et l'aviation ennemies, continuent à se
replier pas à pas, au cours d'âpres combats. D'autres sont
déjà dispersées. Le 7
juin, a lieu dans les compagnies une première remise de
Croix de Guerre, gagnées sur le canal. Le reflux des unités de la 28ème
D.I. s'accentue. Le Sergent François Dory, de la 1ère
Compagnie, qui protège avec son groupe une équipe du
Génie, occupée à miner le pont sur la Vesle entre Limé et
Courcelles, voit défiler, tout au long de la matinée, des
groupes de toutes armes, les uns encore armés et à peu
près en ordre, d'autres en pleine débandade. Une batterie
d'artillerie hippomobile traverse le pont au grand galop
de ses attelages. Au milieu des Alpins du 99ème R.I.A. qui
se replient, Dory retrouve son frère dont il était sans
nouvelles. Embrassade rapide. Puis chacun retourne à son
devoir. En fin
d'après-midi, à la réception d'un nouvel ordre, le
Commandant Ardisson envoie la 1ère Compagnie (Capitaine
Latruffe) à Limé, et la 3ème (Lieutenant Minot) à
Courcelles, avec mission de s'y établir face au nord et à
l'ouest, en assurant la liaison entre elles sur la Vesle.
Le Capitaine Combet et la 2ème Compagnie occupent une
hauteur qui domine la Route Nationale 31, Soissons-Reims,
en appui des compagnies de première ligne. Le P.C. est
maintenu à Paars, protégé par une section de la 2ème
Compagnie, une section de mitrailleuses, Un canon de 25,
quelques infirmiers et transmissionistes, et une
automitrailleuse Hotchkiss isolée, venue se rallier au
bataillon. L'essentiel de la C.H.R. et le train
régimentaire se replient vers Mont Saint Martin, et
ultérieurement sur Lhéry Le Lieutenant Minot, qui a installé son P.C.
dans une cave proche de l'église de Courcelles, a, de son
coté, récupéré quelques hommes de la Légion Étrangère et
les a incorporé à son dispositif. La 3ème Compagnie a pris
position: deux sections de part et d'autre de la R.N.31,
face à l'ouest, d'où, pense le lieutenant, doivent arriver
les chars allemands, une section au nord du village, la
quatrième en retrait, vers la sortie est. Tandis que les
sections aménagent leurs positions, deux chevaux
allemands, ayant perdu leurs cavaliers, entrent au grand
galop dans le village. Les chasseurs s'en emparent après
quelques minutes de rodéo. L'ennemi n'est donc pas loin.
A peine cet incident réglé,
brutalement, une pluie de bombes s'abat sur le centre du
village. Les sections sont heureusement en dehors de
l'agglomération. Il n'y a pas de pertes, mais le village
est devenu méconnaissable. Chacun son tour, les villages
de la région sont pris à partie par l'aviation et
l'artillerie allemandes. Des incendies éclatent un peu
partout. Le bombardement se calme tant soit peu avec la
nuit, pour reprendre avec la même violence le 8 au lever
du jour. Notre artillerie est désespérément muette
En avant du bataillon, la 25ème
Demi-Brigade (28ème D.I.) a établi son P.C. à la Ferme de
Crévecoeur, sur le plateau, au nord-ouest de Courcelles.
Sur la gauche, le 99ème R.I.A. devrait défendre Braine,
appuyé par le 59ème Bataillon de Mitrailleurs. Or, une
brèche importante se produit, le 8, en cours de matinée,
entre le 99ème R.I.A. et la 25ème Demi-brigade. Le
Lieutenant-Colonel Bel, qui commande celle-ci, sollicite
l'appui du 22ème B.C.A., pour permettre le décrochage de
ses éléments encore au contact de l'ennemi, menacés
d'encerclement. En voiture, le Commandant Ardisson se rend
à Courcelles, pour donner personnellement au Lieutenant
Minot l'ordre de se mettre, avec deux sections, à la
disposition du commandant de la 25ème D.B.C.A.. Minot
donne aux Chefs de Sections désignés, Escande et Beau, les
directives pour leur marche d'approche. Les hommes doivent
s'alléger au maximum et n'emporter que la toile de tente
en sautoir, leur arme, et le plus de munitions possible.
Conduit par le motocycliste de la compagnie, Minot va se
présenter au Lieutenant-Colonel Bel. En approchant de la
Ferme de Crévecoeur, il est pris sous le bombardement qui
écrase le plateau. Dans les ruines de la ferme, mi P.C.,
mi poste de secours, il trouve le colonel entouré de
blessés. Tandis qu'il prend ses instructions, les deux
sections, en formation diluée, gravissent les pentes qui
conduisent à la ferme. La progression est rapide, dans les
blés de juin, qui montent à hauteur de poitrine d'homme.
Alors que les chasseurs abordent le plateau, ils sont pris
à partie par une vague d'avions, qui attaquent en piqué à
la bombe et à la mitrailleuse. Sous l'avalanche, chacun se
terre de son mieux, s'incruste dans le glacis découvert,
se protège comme il peut. Bien mieux ! Le Sergent-Chef
Karl Johannsen - il a été blessé ce matin à la poitrine,
au cours du bombardement de Courcelles - se saisit d'un
fusil-mitrailleur dont le tireur vient d'être touché à ses
côtés. Couché sur le dos, les genoux supportant l'arme, il
ouvre le feu sur les avions qui piquent à nouveau. Son
exemple est contagieux. Le Caporal Georges Rival, lui
aussi, tire au F.M., d'autres au fusil. Lorsque les avions
disparaissent enfin, Escande s'aperçoit que dans sa
section les pertes sont minimes: Un tué et un blessé. Le
mort est le clairon Baumelle, à qui un éclat de bombe a
pratiquement sectionné un bras au niveau de l'omoplate.
Mais, tandis qu'ils étaient neutralisés par le
bombardement, l'ennemi a submergé les deux points d'appui
de la 25ème Demi-Brigade, qui résistaient encore au nord
du plateau. Les 27ème
et 44ème Bataillons de Chasseurs Alpins se sont durement
battus et ont terriblement souffert. La ferme de
Crévecoeur déborde de blessés. Le Lieutenant-Colonel Bel
donne lui même au Lieutenant Minot l'ordre de ramener ses
sections à Courcelles, et remercie le Commandant Ardisson
de son aide. Avec
l'aide d'un chasseur, Bassecourt a roulé le corps de
Baumelle dans la toile de tente que le mort portait en
bandoulière. Ils le traînent plutôt qu'ils ne le portent
pendant quelques dizaines de mètres. En avant d'eux,
quatre chasseurs transportent dans une toile de tente un
camarade blessé aux reins, et qui hurle sa douleur. Les
avions réapparaissent et les obligent à se plaquer de
nouveau au sol. L'alerte passée, ils s'éloignent, laissant
le corps sur place, pensant pouvoir revenir un peu plus
tard avec les brancardiers. Un début de flottement se produit. Revolver
au poing, Escande regroupe sa section, la remet en ligne
face au nord. A la jumelle, on voit apparaître à quelque
quinze cents mètres les Allemands, dont les silhouettes se
découpent sur l'horizon, en direction de Saint Mard. Alors
qu'ils s'attendent à une reprise du feu, leur parvient
l'ordre de repli sur Courcelles. La
quatrième section s'est établie en recueil, au défilement
de la crête. Les premiers Feldgrauen apparaissent en face
du Caporal-chef Robert Amann, qui les reçoit par le feu
nourri de ses deux fusils-mitrailleurs. Car ce
débrouillard a récupéré en cours de mouvement un F.M.
abandonné. Un fusil-mitrailleur, ça peut toujours servir,
n'est-ce pas ?... qu'il porte lui-même, pour épargner les
gars de son groupe, déjà bien chargés. Puis, la quatrième
section se replie à son tour. Courcelles est en ruines. Pendant qu'ils
étaient sur le plateau de Crévecoeur, les bombardiers se
sont acharnés sur le village, ensevelissant dans les caves
les capotes et les sacs qu'ils y avaient déposés à l'abri.
De retour à Courcelles, le Lieutenant Minot fait reprendre
position à ses gens et se prépare à recevoir l'assaut
ennemi. Ce que font, de leur coté, le Capitaine Latruffe à
Limé, et le Capitaine Combet, dont la 2ème Compagnie a
pris position sur une croupe boisée, entre Courcelles et
Paars. Mais le choc ne se produit pas, et, le soir, le
Commandant Ardisson replie son P.C. sur la crête nord de
Bazoches, le village de Paars, au centre d'une cuvette
entourée de bois, constituant un véritable traquenard. Il
y reçoit l'ordre de passer sous le commandement du colonel
commandant le Groupe de Reconnaissance Divisionnaire 41,
et d'aligner le 22ème B.C.A. entre Bazoches, toujours tenu
par le 85ème R.I. et les éléments du G.R.D., installés sur
l'axe Vauxtin, Vauxcéré, Perles. La 2ème Compagnie prend
position sur la crête nord, en liaison à gauche avec le
85ème R.I.. A sa droite, la 3ème Compagnie, qui prend
contact avec le G.R.D. vers Vauxtin. La 1ère Compagnie
abandonne Limé, et, dernière à s'être repliée, demeure en
réserve, à la disposition du chef de corps . La matinée du 9 est relativement
calme. Chacun en profite pour s'assoupir un peu, casser
une croûte. Le commandant fait le tour des compagnies. En
dehors du Storch d'observation, aucun avion allemand ne se
manifeste. Il fait très beau et le soleil plombe
terriblement. Vers I3 heures 15, la Deuxième Compagnie
vient occuper une nouvelle position sur la croupe nord-est
de Bazoches, cependant que l'infanterie ennemie, après une
préparation d'artillerie d'une rare intensité, passe à
l'attaque. Les fantassins allemands sont amenés en camions
au plus près de la ligne de combat, jusqu'à ce que
sifflent les premières balles. Ils sautent alors des
véhicules, manches retroussées et col largement ouvert, et
montent à l'attaque, frais et dispos, après une bonne
nuit... Tandis que nos chasseurs... La 3ème Compagnie est
rapidement au contact et résiste farouchement. Devant la
2, à deux kilomètres de distance, des colonnes
d'infanterie, d'artillerie automobile, et quelques
automitrailleuses défilent en direction de Paars. Le Commandant Ardisson, craignant
d'être coupé du 85ème R.I., envoie une patrouille, forte
de deux sections de la 1ère Compagnie, en direction de
Bazoches. La patrouille subit quelques pertes, du fait de
l'artillerie, mais, à son retour, le Sous-Lieutenant
Lajous, qui la commande, peut rendre compte que le 85ème
se bat durement, lui aussi. La 2ème Compagnie est attaquée à son tour,
débordée sur sa gauche par des éléments ennemis, qui
ouvrent le feu, à courte distance, sur le P.C. de la
compagnie. A la
troisième section de mitrailleuses, que commande le
Sergent-Chef Maury, instituteur dans le civil, et qui est
en batterie à la charnière entre les Deuxième et Troisième
Compagnies, un coup direct frappe la première pièce et
blesse grièvement le tireur Vincent Molteni. La deuxième
pièce, commandée par le Caporal-chef Arnaldi, tire bande
sur bande, puis s'enraye. Hâtivement, on change le canon,
et le tir reprend, fauchant la vague d'assaut qui croyait
déjà passer à l'abordage. Mais l'ennemi est bien trop
près. Sous un feu nourri, les mitrailleurs démontent les
pièces et se replient. Le Sergent-Chef Maury a ramassé un
fusil-mitrailleur abandonné sur le terrain, et, debout,
par dessus les blés, il fauche à pleins chargeurs les
fantassins vert-de-gris qui montent à l'assaut. A la 3ème
Compagnie, les Sergents Knaebel et Fourastié en font
autant, insoucieux des projectiles qui les cherchent. Le
Sergent Marty est blessé au mollet. Sur la crête, le canon
de 37 est volatilisé par un obus qui enterre à moitié le
Sergent Osteng, chef de pièce, sans le blesser. Le
Sous-Lieutenant Escande contre-attaque à la tête de sa
section et reprend une partie du terrain perdu.
Imperturbable sous le feu, le Sergent-chef Goulet de Rugy
dirige le tir de ses pièces. Son groupe de mortiers de 81,
que commande le Caporal-chef Cabanel, ne se repliera, sur
ordre, qu'à vingt heures, après avoir tiré les cent
quarante quatre obus de sa dotation, et raménera à Fismes
son matériel au complet. Le chasseur Hoffmann, tireur
d'élite, décime, par son tir ajusté, un peloton cycliste
qui venait prendre position. Les pertes sont lourdes à la 3ème Compagnie,
attaquée de front, et maintenant menacée d'encerclement
sur sa droite, car le G.R D. vient d'abandonner Vauxtin et
de se replier sur Perles. Le commandant envoie le Lieutenant Ricatte et
une section de renfort au Lieutenant Minot, avec l'ordre
de rabattre sa droite face au nord. Le mouvement
s'effectue sous le feu rapproché de l'ennemi, qui cause de
nouvelles pertes dans les rangs de la 3, mais ne poursuit
pas son avantage. A 16
heures, le colonel commandant le G.R.D. transmet l'ordre
de se replier sur Fismes, où le 22ème B.C.A. doit
prolonger, du nord-est au sud-ouest, le front du G.R.D..
Il faut faire vite, car les ponts sur la Vesle sont minés
et n'attendant que le passage du bataillon pour être
détruits. Le Commandant Ardisson envoie un motocycliste à
Bazoches, pour prévenir le 85ème de son repli. Mais le
85ème a déjà abandonné Bazoches! Les compagnies décrochent par échelon, sans
difficulté majeure, sous la protection d'une section de la
1ère Compagnie, commandée par l'Adjudant-chef Rival.
Celui-ci, très affaibli par la maladie qui le mine depuis
le séjour sur le canal, sera évacué dès son arrivée à
Fismes. Son adjoint, le Sergent Chef Hugues Le Commandeur
prendra le commandement de la section. L'excitation du
combat tombée, la fatigue s'abat, brutale, sur les hommes.
Il y a cinq jours maintenant que l'on ne dort pas, ou si
peu... , et le dernier ravitaillement en vivres, pain et
boeuf de conserve, remonte au 7 juin. Deux chasseurs, qui
s'étaient endormis lors d'un arrêt de la colonne,
rejoindront, après que les ponts aient sauté, en
traversant la Vesle à la nage. D'autres ne rejoindront
pas. Fismes Fismes est en ruines, où fument encore des
incendies qui cheminent sous les décombres. Dans la nuit,
les compagnies prennent position. La 1ère, sur les
hauteurs qui dominent Fismettes, dans la tête de pont qui
subsiste au nord de la Vesle, à la gauche du G.R.D.. Cette
tête de pont est placée sous le commandement du Capitaine
Griolet, capitaine adjudant-major du 62ème B.C.A. La mise
en place est effectuée par le Sous-Lieutenant Laroque, du
G.R.D. A l'ouest de
Fismes, au sud de la Vesle, la 2ème Compagnie assure la
garde des ponts : Section Beau au pont de la Route
Nationale - pont sauté -, Section Merpillat au pont sur
l'Ardre. Les Sections Coré et Lanfranchi sont en réserve
vers la sablière, sur la départementale 367. La 3ème
Compagnie, très éprouvée par les combats des 8 et 9 juin,
couvre le dispositif sur sa gauche, dans les taillis au
sud de la Vesle La nuit est très claire et permet la mise
en place d'une organisation improvisée. Pour le reste, on
verra au jour... , qui se lève à 3 heures 30 ! Quelques
brefs instants de sommeil. Lundi, 10 juin. Le calme, entrecoupé
d'explosions isolées de projectiles de 105, donne la
possibilité d'établir des plans de feu, bien précaires, et
de vérifier les liaisons. Au petit jour, le Capitaine
Griolet remanie le dispositif de la tête de pont. Il
dispose de la 1ère Compagnie du 22 à l'ouest, en barrage
de route, face à Bazoches, du G.R.D. au centre, en bouchon
au carrefour de Fismettes, et d'éléments regroupés du
62ème B.C.A., qui après les durs combats que ce bataillon
a livré depuis deux jours sur l'Aisne et à Longueval,
tiennent, au nord de Fismettes, la route de Baslieux les
Fismes et les chemins venant de Blanzy . Entre deux
explosions d'obus, on peut entendre le bruit des moteurs
des camions, qui, en amènent en face, au défilement de la
crête, leur chargement de troupes fraîches. Bien reposés, en bras de chemise,
les fantassins allemands surprennent les chasseurs de la
1ère Compagnie, harassés des incessants combats de ces
jours derniers et boudinés dans leurs lourdes tenues de
drap. La compagnie doit céder du terrain. Les Sections
Ballandras et Lajous contre-attaquent. Les chasseurs
Lerda, Michel, Guyot et Ferrère, s'emparent de prisonniers
et de leurs armes. Le chasseur Bergonis dégage à la
grenade un groupe voisin, dont le fusil-mitrailleur est
enrayé. La lutte continue, acharnée. La 3ème Compagnie est à son tour au
contact, sur sa gauche, où s'est produite une importante
infiltration ennemie, entre Fismes et Bazoches. Le P.C. du
bataillon est à plusieurs reprises encadré par des salves
de I05, qui font des tués et des blessés. Le sentier qui y
conduit est d'ailleurs situé dans l'axe de tir de
mitrailleuses lourdes installées sur les côtes qui
dominent Fismettes au Nord. Vers 10 heures, le commandant
de la Demi-Brigade demande au commandant du 22 de lui
envoyer le maximum de monde, pour dégager la droite du
secteur, d'où l'escadron motocycliste du G.R.D. vient
d'être retiré pour intervenir en direction de Bazoches. Il
s'agit de permettre le repli des éléments des 62ème et
64ème B.C.A, ainsi que de ceux du 6ème R.I., qui
combattent encore entre l'Aisne et la Vesle Au passage de
ces unités, le Capitaine Griolet renforce son dispositif
du groupe franc du 64ème B.C.A., commandé par le
Sous-Lieutenant Gesta, et le groupe franc du 62ème, du
Sous-Lieutenant Fritsch. Le Commandant Ardisson met à la
disposition du Commandant Désidéri ses deux sections de
réserve, dont le Sous-Lieutenant Coré prend le
commandement. En formation d'approche très diluée, le
détachement franchit le pont du chemin de fer, puis le
carrefour de Fismettes, et aborde les pentes de la cote
I62. Le soleil est maintenant très haut dans le ciel, et
la chaleur est étouffante, malgré les manches de vareuses
retroussées et les cols largement ouverts. Arrivé à la
crête, Coré a sous les yeux le spectacle du fourmillement
de centaines - plus d'un millier, peut-être - de
fantassins allemands, qui viennent de quitter leurs
camions et qui progressent vers lui, par dizaines de files
parallèles. Mise en batterie discrète et rapide des
fusils-mitrailleurs, puis, lorsque l'ennemi est bien
engagé, à bonne portée, sur le terrain découvert qu'ils
dominent, au signal, ils ouvrent le feu. En face, des
files d'hommes, prises de flanc, culbutent. Quelques obus
tombent sur la crête. L'adversaire fait face et amorce un
vaste mouvement en tenaille par les ailes. Les F.M.
commencent à chauffer, et les munitions diminuent
terriblement vite. Coré ordonne le décrochage : "En
rampant, par demi-groupe !" Le mouvement s'effectue,
méthodiquement, comme au champ de manoeuvre. Au chasseur
Cantergiani, qui s'affole, il crie : "Rampez correctement,
ou je vous fais recommencer". Ce qui fait rire Picauron,
d'un rire un peu trop nerveux. Pendant cette contre-attaque, un bataillon du
6ème R.I. s'est présenté pour traverser le pont sur la
Vesle, maintenant sous le feu des armes automatiques
adverses. L'opération s'effectue par petits groupes, en
courant. Lorsque la Section Coré arrive au pont, le
Capitaine Griolet lui fait prendre position pour protéger
le repli de la 1ère Compagnie, qui traverse le pont, homme
par homme. Les chasseurs Sire et Collomb, restés seuls en
arrière, protègent le décrochage. Passent ensuite des
groupes du 62ème, puis le Groupe Franc du 64ème B.C.A.,
dont le chef, le Sous-Lieutenant Gesta, atteint à la
poitrine par plusieurs projectiles, s'écroule au milieu de
la rue. Le Sergent Rodde le traîne dans le couloir d'une
maison voisine, où il ne peut que constater la mort.
Le Sous-Lieutenant Garzulino et
quelques chasseurs du 62ème se joignent aux défenseurs du
pont Jusqu'à ce que tous les blessés aient été évacués.
Seuls, ont encore sur la rive nord les gens du Groupe
Franc du B.C.A , ils sont couverts par le F.M que le
Sergent Masson a mis en batterie au débouché du pont. Au
signal - une sonnerie de clairon - tout le monde traverse
le pont en trombe pour se mettre à l'abri. Il doit sauter
une minute après ce signal. Le chasseur Vigroux revient
sur ses pas pour rechercher, de l'autre côté, un camarade
blessé. Il le ramène, mais est soufflé et blessé lui-même
par l'explosion. Des débris tombent de toutes parts. Le
tir reprend, par dessus la rivière. Une certaine pagaille
se produit, dans les rues de Fismes, parmi les éléments
d'origines diverses qui viennent de franchir le pont. La
Section Coré se replie par les rues montantes de la ville.
Le chasseur Enfantin, en queue de section, recule pas à
pas, monstrueux de désinvolture, son fusil-mitrailleur
sous le bras, tirant de courtes rafales sur l'ennemi qui
se presse maintenant sur l'autre rive. Marcel Scheffer
ravitaille son tireur avec le même calme qu'au stand de
tir, remettant au fur et à mesure les boîtes-chargeurs
vides dans sa musette. Les chasseurs Radez et Pont, agents
ce liaison, parcourent vingt fois les rues balayées par la
mitraille, pour porter les ordres aux unités en ligne. Le
Sergent Bernard sert lui-même une mitrailleuse dont le
tireur vient d'être tué. Au P.C., le Sergent-Chef Marx,
secrétaire du chef de corps, rameute plantons et dactylos
pour faire face à l'ennemi. L'Adjudant Conan fait de même
avec ces transmissionistes. L'ennemi jette toujours de
nouvelles forces dans la bataille. Rageurs, à un contre
dix, les chasseurs ne reculent que pas à pas. Vers I3 heures, la 3ème Compagnie
reçoit l'ordre de se replier sur le P.C. L'opération
s'effectue section par section, Quelques minutes de calme,
à l'abri d'un ravin, puis l'artillerie ennemie reprend son
pilonnage. La 1ère Compagnie tiraille toujours dans les
faubourgs de Fismes. Les Sections Beau et Merpillat sont
touchées à 13 heures 30 par un ordre qui leur indique
Saint Gilles comme point de rassemblement. Il est 14
heures, lorsque le Commandant Ardisson est sérieusement
blessé au bras et au côté gauche par l'explosion d'un obus
de 105. un infirmier lui pose un premier pansement, tandis
que, très calme, il transmet le commandement du bataillon
au Capitaine Adjudant-major Pourchier. Il est ensuite
évacué en side-car. Le Médecin-auxiliaire Sidi
l'accompagne; il rejoindra le bataillon le lendemain à
Oeuilly Toutes les
compagnies refluent maintenant vers le sud de la ville. La
section de mortiers tire ses derniers obus pour protéger
le repli, puis elle détruit ses pièces avant de se retirer
à son tour. Presque tous ses mulets ont été tués ou
blessés; quelques uns ont réussi à s'enfuir. Le
Caporal-chef Cabanel en récupère un cependant. Il permet
d'emporter une seule pièce de 8I, qui tirera ses tout
derniers obus, après ravitaillement partiel, le I2 juin à
Oeuilly. Les
compagnies se regroupent à Saint Gilles. Puis elles se
dirigent vers Lhéry, quinze kilomètre plus loin. Le
Capitaine Bussat est parti en bicyclette pour préparer le
cantonnement de sa compagnie. On ne le reverra plus.
De nouveau, après l'excitation
du combat, la fatigue revient brutalement écraser les
épaules des hommes harassés, que la faim et la soif
tenaillent. A quoi vient s'ajouter la chaleur torride de
cette fin de journée. Arrivée
à Lhéry... que le train régimentaire du bataillon a quitté
quelques heures plus tôt. Vers 16 heures, le Capitaine
Sivade a pris la tête d'un convoi de ravitaillement,
vivres et munitions. A mi-chemin entre Lhéry et Fismes, il
a été stoppé par la Prévôté, qui l'a obligé à vider son
chargement sur le bord de la route, puis à faire
demi-tour, après lui avoir confirmé que tout contact était
perdu avec le 22ème B.C.A., encerclé dans Fismes par
l'ennemi. De retour à Lhéry, le Capitaine Sivade récupère
tout le personnel de la C.H.R. et se dirige vers Port à
Binson. Arrivées à
Lhéry, les compagnies doivent, malgré l'état d'épuisement
des hommes, s'installer de nouveau en position défensive,
face au nord. "Ordre du général.", dit le Capitaine
Pourchier aux commandants de compagnies qui protestent.
Une chenillette providentielle livre un maigre
ravitaillement en vivres et en munitions.
L'Adjudant-brancardier Jean, qui n'a pas voulu abandonner
les quatre derniers blessés ramassés à Fismes, réussit à
les faire évacuer par le dernier camion du G.R.D. 41 qui
quitte Lhéry. La sanitaire du bataillon a disparu. De
lui-même, le Sous-Lieutenant Coré a maintenu en
arrière-garde sa section, à laquelle il a su insuffler un
moral à toute épreuve. Il récupère les éclopés et les
trainards, et, par son exemple, conjure la panique.
Lorsqu'ils arrivent à Lhéry, vers 23 heures, ils sont
accueillis avec joie, car on les croyait perdus..., mais
il ne reste rien pour eux du maigre ravitaillement
distribué. Le Sous-Lieutenant Beau et une partie de sa
section n'ont pas rejoint. On les retrouvera demain à
Oeuilly. Le bataillon,
qui a subi de très lourdes pertes - il lui reste à peine
plus de trois cents hommes - reçoit à 2 heures du matin
l'ordre de se transporter rapidement en arrière de la
Marne, par Anthenay, où il arrive à 9 heures, pour en
repartir deux heures plus tard en direction de Châtillon
sur Marne et Port à Binson. Marche rapide, malgré la
fatigue, au milieu de l'exode lamentable qui se traîne sur
la route: réfugiés, fantassins, artilleurs à pied,
cavaliers démontés... que harcèle l'aviation ennemie. Au
cours de cette marche, le Sergent Dory s'aperçoit que son
tireur au F.M. a disparu avec son arme. Peu après
Anthenay, il découvre un fusil-mitrailleur abandonné au
bord de la route et s'en charge. Il le portera jusqu'à la
fin. La tête de colonne recoit quelques coups de feu et
rafales de mitraillettes en approchant de Châtillon sur
Marne, en même temps que l'on entend une violente
explosion. Le pont de Port à Binson vient de sauter. La
3ème Compagnie est déployée en couverture, face au village
de Châtillon, tandis que le bataillon oblique vers l'est,
en direction de Reuil. Marche harassante jusqu'au pont
d'Oeuilly. Les gradés mettent un peu d'ordre dans la
cohue. Le pont est franchi en colonne par trois. Le Génie
est en place et les fourneaux de mines sont chargés.
La Marne
Le 11 au matin, le Chef de
Bataillon Désidéri, commandant la 26ème Demi-Brigade,
convoque à son P.C. d'Olisy Violaine le Capitaine Edmond
Griolet, du 62ème L.C.A. et lui confie le commandement du
22ème. Les effectifs
du bataillon ont fondu au cours des combats des jours
précédents. Les compagnies sont reconstituées sur la base
de trois petites sections chacune. C'est ainsi qu'à la
1ère Compagnie, la quatrième section, que commande
maintenant le Sergent-Chef Hugues Le Commandeur, reçoit le
renfort du groupe du Sergent Canal, de la première
section. Il reste neuf mitrailleuses utilisables, ainsi
que les deux tiers des fusils-mitrailleurs, et une seule
pièce de mortier de 81. Le bataillon ne possède plus aucun
véhicule de liaison.
La Marne. Ce nom évoque des
souvenirs et des espérances. Mais il y a cette mortelle
fatigue qui écrase les hommes, et leur petit nombre, leur
faible armement, et le manque de munitions.
L'Encadrement
du bataillon est alors le suivant :
Chef de Corps
|
Capitaine
Griolet
|
Capitaine
Adjudant-Major
|
Capitaine
Pourchier
|
Officier-Adjoint
|
Lieutenant
Ricatte
|
|
|
Compagnie Hors
Rang
|
Capitaine
Sivade
|
|
|
Ière Compagnie
|
Capitaine
Latruffe
|
|
Sous-Lieutenant
Lajous
|
|
Sous-Lieutenant
Ballandras
|
|
|
2ème Compagnie
|
Capitaine
Combet
|
|
Sous-Lieutenant
Merpillat
|
|
Sous-Lieutenant
Beau
|
|
Adjudant-Chef
Coré
|
|
Adjudant-Chef
Lanfranchi
|
|
|
3ème Compagnie
|
Lieutenant
Minot
|
|
Sous-Lieutenant
Escande
|
|
Sous-Lieutenant
Renaudo
|
|
Sous-Lieutenant
Darmont
|
|
|
Compagnie
d'Accompagnement
|
Sous-Lieutenant
Agard
|
|
Sous-Lieutenant
Elorz
|
|
Adjudant-Chef
Moulet
|
La
position est déjà tenue - si l'on peut dire - par la 22ème
Compagnie d'Instruction du 46ème Régiment d'Infanterie,
commandée par le Capitaine Pluchot; une section au pont
d'Oeuilly, les autres dans le village. Les hommes sont
dotés d'un armement disparate, dont ils ne paraissent pas
tellement savoir se servir. Une autre compagnie
d'instruction, la 22ème du 48ème R.I., est en place à Port
à Binson. Dans le
village d'Oeuilly, quelques débrouillards ont découvert
des conserves, des pâtes, du vin. Le moral est déjà
meilleur. Le
Sous-Lieutenant Beau et ses hommes sont déjà 1à. Au départ
de Fismes, ils ont ignoré l'embranchement de Saint Gilles
et ont continué plein sud, à la boussole. Un mulet de la
C.A., errant sur leur route, a été capturé pour porter les
sacs et les armes automatiques. La nuit est venue. Ils
avancent au milieu de fuyards de toutes armes et dépassent
des stocks de munitions et d'obus, entassés en bordure de
route et abandonnés. Un motocycliste du bataillon,
rencontré à 2I heures 30, leur indique Lhéry comme nouveau
point de rassemblement. Lhery, qu'ils ont laissé il y a
plus d'une heure sur la gauche de la route qu'ils ont
suivie. Demi-tour, malgré la fatigue. Une providentielle
voiture particulière abandonnée leur livre des chemises et
des chaussettes neuves. Arrivée à Romigny vers 24 heures.
Lhéry est encore à six kilomètres et les hommes sont
littéralement effondrés. Beau se présente à un chef de
bataillon du 113ème R.I., dont le détachement occupe le
village, et qui lui offre une soupe chaude. Enfin, pouvoir
dormir! A deux heures et demie, le
Sous-Lieutenant se réveille, pour s'apercevolr que les
gens du 113ème ont dlsparu. Il réveille ses hommes et
repart vers la Marne, qu'ils passent à 10 heures 30, alors
que des avions allemands viennent, à basse altitude, de
bombarder le pont de Reuil, sans résultat d'ailleurs. Sa
section, lui compris, ne compte plus que dix-neuf hommes.
Au cours de l'après-midi du 11
juin, la 44ème Division d'infanterie occupe la rive sud de
la Marne, entre Port à Binson et Dammery. Le 22ème B.C.A.
assure la défense du quartier d'Oeuilly, encadré - en
principe - par le 6ème R.I. à l'est, et par la 45ème
Division d'infanterie à l'est. La 2ème Compagnie prend
position face au pont de Reuil Oeuilly. Deux sections en
première ligne, le long de la rivière, de chaque côté du
pont, la troisième en arrière, dans le talus de la voie
ferrée. Les sections de première ligne attendront la nuit
pour rejoindre leurs emplacements, au travers de l'espace
découvert qui s'étend entre la rivière et la voie ferrée.
Les 1ère et 3ème Compagnies occupent les lisières boisées
sur le plateau. La 1ère à l'est, la 3ème à l'ouest. Le
chasseur Pignet, agent de liaison de la 3, a capturé un
cheval, qu'il va utiliser au cours de la journée pour les
liaisons avec le P.C. du bataillon. Le P.C. du bataillon
s'implante en haut du village, à proximité de celui de la
Demi-Brigade. La section de mitrailleuses du
Sous-Lieutenant Elorz creuse ses emplacements sur la crête
qui domine le village, dans l'axe du pont. Ce qui reste du
62ème B.C.A., décimé les 8 et 9 juin, deux petites
compagnies, commandées par le Sous-Lieutenant Garzulino et
l'Adjudant-Chef Gandioli, est chargé de la construction de
barricades aux entrées du village et de leur défense. Le
64ème B.C.A. est en réserve de Demi-Brigade dans le bois
de Missy, à l'ouest d'Oeuilly. Les reconnaissances
envoyées pour prendre contact avec les éléments qui
devraient prolonger le front vers l'ouest ne trouvent pas
la 45ème Division d'Infanterie à la place qu'elle devrait
occuper. Une terrible évidence s'impose : sur la gauche du
bataillon, vers Port à Binson, le passage sur la Marne
n'est pas gardé. A dix-huit heures, les Allemands se
présentent devant le pont d'Oeuilly, que fait sauter le
Lieutenant Vetroff, du 46ème R.I.. Dans Reuil, sur l'autre
rive, ils s'emparent d'un important dépôt de matériel du
Génie, qui n'a pu être évacué. Quelques coups de feu sont
échangés par dessus la rivière.
A la nuit, la Section
Merpillat quitte la protection du talus de la voie ferrée
et gagne la rive de la Marne, où elle doit prendre
position. Pénible constatation, l'eau affleure. Il n'est
pas possible de creuser un quelconque emplacement de
combat, ni même un trou individuel. Il faut uniquement
utiliser la quasi symbolique protection des taillis et
d'un vague sillon de drainage de vingt centimètres de
profondeur. La section ne possède qu'un seul
fusil-mitrailleur, et encore lui a-t-il été donné par le
Sous-Lieutenant Beau. Les siens sont inutilisables depuis
Fismes. Il est mis en batterie sur une bosse de terrain
couronnée d'un clayonnage masqué par des buissons-sans
doute un poste de tir aux canards. C'est le seul endroit
qui permette le tir en direction de Reuil. Merpillat fait
renforcer la protection de la claie par quelques pelletées
de terre. Par derrière, la section de l'Adjudant-chef
Lanfranchi occupe le talus de la voie ferrée. Sur la
gauche, de l'autre côté du pont, Beau et Coré et leurs
chasseurs. A 23 heures, une chenillette de la
Demi-Brigade apporte au P.C. du bataillon un maigre
ravitaillement en vivres et en munitions: trois caisses de
cartouches pour les fusils-mitrailleurs et trois caisses
de grenades; cinq boules de pain et vingt boites de
"singe" par compagnie. Toute la nuit, on entend l'ennemi
travailler à la préparation de radeaux et passerelles pour
franchir la Marne. L'aviation allemande, guidée par la
lueur des incendies, bombarde le village à plusieurs
reprises. Le petit jour n'amène pas l'attaque que l'on
supposait devoir se produire. L'adversaire attend sans
doute des renforts. La matinée est assez calme. Les
artilleries croisent leurs tirs au dessus de la rivière.
Des avions allemands lâchent quelques bombes sur Oeuilly,
où s'allument de nouveaux incendies. La Section Merpillat
tire quelques coups de feu sur l'ennemi qui patrouille sur
l'autre rive et dans les rues de Reuil. Un
nouveau dispositif de défense est envisagé pour la soirée
du 12. Le 22ème B.C.A. défendra un quartier délimité à
l'est par Oeuilly inclus, et à l'ouest par la corne
sud-est du bois qui longe la voie ferrée, à un kilomètre
de Port à Binson. Le P.C. du bataillon demeure à Oeuilly.
Le Capitaine Griolet réunit ses commandants de compagnies
et distribue les missions: 2ème Compagnie (Capitaine
Combet) à droite du pont, 1ère (Capitaine Latruffe) à
gauche, 3ème Compagnie (Lieutenant Minot) en point d'appui
dans le village. Reconnaissance immédiate Tandis qu'ont lieu ces
reconnaissances, les Allemands déclenchent, à 14 heures
30, de très violents tirs d'artillerie, qui présagent une
attaque imminente. Rapidement, les ruines s'accumulent
dans le village. La pluie, intermittente depuis la nuit
dernière, se met à tomber de façon continue. Des
concentrations ennemies et des tentatives de passage sont
signalées à l'est de Reuil, où le 6ème R.I., qui devait
assurer la continuité de la ligne de défense, n'a pas
encore pris position. Au bord de la Marne, la terre est
devenue éponge, les trous sont pleins d'eau, les capotes
traversent, et les chasseurs de la Section Merpillat se
vautrent littéralement dans la boue. Mais ils tirent. Le
F.M. creuse des vides dans les colonnes ennemies qui
descendent vers la rivière, cependant que les voltigeurs
guettent les isolés qui circulent entre les maisons du
village de Reuil. Vers 16 heures, le Capitaine Griolet
apprend que trois compagnies allemandes ont franchi la
Marne à Port à Binson, où elles n'avaient en face d'elles
que la Compagnie d'Instruction du 48ème Régiment
d'Infanterie, et progressent vers le sud. La 3ème
Compagnie est envoyée sur la crête boisée, au sud-ouest du
village, pour assurer la protection arrière contre les
infiltrations, et la défense directe des P.C. du bataillon
et de la Demi-Brigade. D'autres éléments ennemis
franchissent la Marne à l'est, entre le 22ème B.C.A. et le
6ème R.I. et attaquent Oeuilly par le sud-est. Le P.C. de
la 1ère Compagnie, un instant cerné, est dégagé par la
manoeuvre hardie des chasseurs Montsarrat, Navarro et
Marianella. Le Sergent Dotta, dont le groupe est pris à
revers par un commando cycliste, se porte seul à sa
rencontre, tandis que ses hommes manoeuvrent et font un
prisonnier. Il appartient au 504ème Infanterie Régiment,
qui vient d'être amené par camions jusque sur la Marne.
Quelle différence de fraîcheur avec les chasseurs du
bataillon, qui marchent et combattent depuis cinq jours
maintenant sans véritable repos et sans ravitaillement.
La lutte continue, acharnée. Les
munitions s'épuisent, et les tirs parcimonieux de notre
artillerie sont de moins en moins fournis. Plusieurs F.M.,
surchauffés, sont inutilisables. Les pertes augmentent.
Vers 16 heures, le
fusil-mitrailleur de la Section Merpillat s'enraye à son
tour. Dix fois démonté, nettoyé tant bien que mal et
remonté, il persiste, victime de la boue qui imprègne
choses et gens. Le F.M. du Sous-Lieutenant Beau s'arrête,
lui aussi. Le percuteur ne remplit plus son office. Il
faisait pourtant du bon travail sur les groupes qui
débouchaient du bois de Reuil, au nord du village. Beau
décide de l'envoyer à Merpillat - qui pourra peut-être
s'en servir - par le chasseur Galzy. Le courageux garçon
n'arrivera pas à exécuter sa mission. Le soir, au cours de
son repli, Merpillat le retrouvera, gisant dans la plaine
à côté de son fusil-mitrailleur. Un obus fait deux blessés à la Section Beau :
le chasseur Montané et un homme des Transmissions du
bataillon qui avait adopté la Section. Beau les fait
accompagner jusqu'au P.C. de la compagnie par Pellieu.
Vers 17 heures, Beau se rend lui
même auprès du Capitaine Combet, pour lui rendre compte de
la situation de la section. Il obtient l'autorisation de
changer de position, et de constituer un nouveau point
d'appui dans la dernière maison à l'ouest du village, sur
la route de Port à Binson. Alors qu'il revient de nouveau
vers le P.C., après avoir transmis ses ordres à ses chefs
de groupes, il se trouve pris au milieu du reflux
désordonné des hommes du 46ème R.I. qui étaient en
position au pont d'Oeuilly. A vue, l'artillerie allemande
prend à partie cette nouvelle cible, et concentre son tir
sur le nord du village. Beau est littéralement assommé par
l'explosion d'un obus, qui éclate à quelques mètres de
lui, heureusement de l'autre coté d'une murette. Les
explosions se succèdent. Les deux agents de liaison qui
l'accompagnent, Occelli et Pellieu, sont blessés, le
premier assez grièvement, semble t-il. Ils sont évacués
entre deux salves. Le Sous-Lieutenant Coré, qui sortait du
P.C., est touché lui aussi. Les deux compagnies du 62ème B.C.A. se sont
volatilisées au cours des bombardements et des combats.
Quelques gradés et chasseurs se raccrochent aux sections
du 22ème. Les caves du village se remplissent de blessés
graves, auprès desquels l'Adjudant Jean et ses
brancardiers se dépensent sans compter. Le
médecin-auxilialre Barre, du 62ème, s'est spontanément mis
à la disposition du Médecin-Lieutenant Reynon. Malgré le bombardement, le
Caporal-chef Cabanel a réussi à mettre en batterie son
dernier tube de 81, et tire les dix-neuf obus reçus du
dernier ravitaillement, avant de détruire la pièce.
Le tir de l'artillerie ennemie
se transporte ensuite en arrière du village, sur le bois
qui borde le plateau, là où, depuis 18 heures, la 3ème
Compagnie a pris position. La Section Escande, en ligne,
vient de ratisser le bois, en descendant vers la Marne.
Accueillis au débouché par une salve de fusants, les
chasseurs se replient dans la lisière. Des salves de 77 et
de 105 s'abattent sur les Sections Renaudo et Darmont. Les
obus percutent dans les branches hautes des arbres et les
éclats fouettent le terrain comme un tir de fusants. Le
chasseur Breton s'effondre, le crâne ouvert. Des éclats
labourent le fessier et les jambes d'Eugène Blanc, tireur
au F.M.. Son chargeur, Joseph Courtés, le populaire
"Queno", la poitrine déchirée" expire, adossé à un arbre.
Leur chef de groupe, le Sergent Jean Sigaud, le ventre
crevé par un éclat, s'abat en criant : "Vive la France."
Evacué par le Sous-Lieutenant Darmont et le Sergent-Chef
Johannsen, Sigaud mourra le lendemain matin, en arrivant
enfin dans un hôpital, après un douloureux périple en
ambulance, de poste de secours en poste de secours. Blessé
également, le Sous-Lieutenant Renaudo. Le chasseur Maxime
Rassat, atteint de cinq éclats, dont un lui a presque
complètement sectionné la jambe droite, qui ne tient plus
que par un lambeau de chair, dit aux camarades qui le
portent :"Ne vous occupez pas de ma quille, je m'en
charge". Il tiendra lui-même sa jambe brisée serrée contre
sa cuisse jusqu'au poste de secours. A la section voisine,
le Sergent Pacaud est blessé au pied. Ses chasseurs le
traînent et le hissent jusqu'à la route qui longe le
sommet de la côte. Le Sergent Pierre Fourastié est blessé
à son tour. Un agent de liaison de la 2ème
Compagnie, le chasseur Sportiello, réussit, sous la
mitraille, à arriver jusqu'au Sous-Lieutenant Merpillat,
pour l'aviser, de la part du commandant de compagnie, que
le signal du repli lui sera donné par l'Adjudant-chef
Lanfranchi, en position sur la voie ferrée, quelques trois
cents mètres en arrière, sous forme de cinq coups de
sifflet. Cinq coups de sifflet au milieu de ce sabbat!
Sportiello repart en zigzaguant.
Il parvient au P.C. de compagnie vers I9 heures 30, et
rend compte au Capitaine Combet de la situation critique
de la section, qui baigne dans l'eau, sans abri, son
fusil-mitrailleur hors de service, et qui ne dispose plus
que de quatre fusils en état de tirer et quelques dizaines
de cartouches. Le capitaine ne peut que rendre compte au
chef de corps et demander des ordres. De l'autre coté de la Marne, les
pionniers allemands, suivis de l'infanterie, progressent
vers la rive, transportant des radeaux et des éléments de
pont. Les mitrailleuses de l'Adjudant-chef Moulet creusent
des vides dans leurs rangs. A 21 heures, l'ennemi déclenche une attaque
de front, en liaison avec l'action des unités déjà
engagées sur les flancs du village. Loin, vers le sud, des
fusées blanches jalonnent la progression de ses éléments
les plus avancés, bien en arrière du bataillon. Sur les bords de la Marne, après le
départ de Sportiello, la Section Merpillat a reçu
soudainement, vers 20 heures, une dégelée d'obus de 75,
alors qu'elle était déjà en butte à des tirs de
mitrailleuses adverses. Le chasseur Guidicelli a été
touché à la poitrine, au bras et au poignet. Le
Sergent-Chef Maurel rampe jusqu'à lui et le panse. Une
vingtaine d'obus français encadrent la section. Par
bonheur, le sol détrempé étouffe les explosions. Puis ce
sont des 105 qui arrivent. Un large éclat d'acier entaille
profondément la cuisse du chasseur Décanis. On lui pose un
garrot. Il fait
presque nuit. Les dernières cartouches ont été tirées.
Merpillat décide de replier sa section jusqu'à la voie
ferrée. Décanis ne peut être transporté. Il est installé
le moins inconfortablement possible. Le Sous-Lieutenant
demande à Guidicelli de rester auprès de son camarade.
Guidicelli le supplie de le laisser suivre; ce qu'il fera
d'ailleurs courageusement, sans aide aucune Par bonds, les
chasseurs quittent leurs emplacements, sous les tirs de
mitrailleuses, qui n'ont pas cessé. On bondit, on se jette
à terre, on repart, on se couche... Dans le champ que l'on
traverse, Galzy est étendu près du F.M. qu'il apportait.
Arrivée à la voie ferrée, où il n'y a plus personnel ! On
n'a cependant pas entendu les cinq coups de sifflet...
Fontagnier, Darles et Reynes manquent à l'appel. A travers
jardins, champs, clôtures et barbelés, et sautant les
murs, le repli se poursuit vers le sommet de la côte,
accompagné par des volées de traceuses. Une route est
traversée d'un bond. Guidicelli s'écroule, frappé cette
fois d'une balle dans la tête. Rousset est blessé à la
cheville. Arrivé sur le plateau, le Sous-Lieutenant
Merpillat regroupe ses hommes... Ils sont dix, lui
compris. Le Sergent-Chef Maurel a disparu depuis le
passage de la voie ferrée. Le petit groupe part à travers
champs en direction du sud-est Alors qu'il rejoignait le P.C. du bataillon
après une reconnaissance dans Oeuilly, le Capitaine
Pourchier a été jeté à terre par l'explosion toute proche
d'un obus. D'autres explosion se succèdent, tout autour de
l'endroit où, tant bien que mal, il s'abrite. Fortement
contusionné et choqué, il devra être évacué. Pour lui, la
guerre est terminée... temporairement. Il repose
maintenant dans le cimetière militaire de Saint Nizier, au
milieu des "terroristes" qui sont tombés à ses côtés au
Vercors. A 22 heures 15, parvient au
Capitaine Griolet l'ordre de repli, aussitôt retransmis
aux compagnies. Les survivants de la 2ème Compagnie -
hormis, bien entendu, la Section Merpillat - se replient
vers le P.C. du bataillon. Celui-ci est déjà vide. Le
Capitaine Combet y rencontre le Sous-Lieutenant Agard, qui
commande maintenant la C.A., venu, comme lui, aux ordres.
Sur tout le front les sections décrochent l'une après
l'autre. Les mitrailleurs du Sergent-Chef Cuthel protègent
de leur tir les éléments voisins, puis démontent leurs
pièces et les emportent, matériel à dos. Le premier
regroupement des compagnies a lieu à proximité de la ferme
du Bois Brûlé, en couverture d'une batterie hlppomobile de
75, qui n'a pas reçu l'ordre de repli. Depuis vlngt-quatre
heures, les hommes n'ont pas eu un instant de vrai repos,
et n'ont reçu aucun ravitaillement. A peine arrêtés, ils
se laissent tomber sur place et s'endorment à même le sol,
malgré la pluie qui persiste. C'est alors que le Chef de
Bataillon Désidéri, commandant la Demi-Brigade, reçoit de
la Division l'ordre de faire remonter vers Oeuilly ce qui
reste de ses bataillons. Le contre-ordre arrivera après
avoir laissé au chef de la 26ème D.B.C.A. le temps de
pousser une magistrale gueulante contre les c... qui nous
commandent ! L'ennemi n'a pas suivi, durement secoué, lui
aussi, par l'âpreté des combats. Mais, ce qui est grave,
les munitions sont totalement épuisées. Le
Sous-Lieutenant Beau, affaibli par sa blessure et la
fièvre qu'elle provoque, s'est endormi dans le talus de la
route, où il est découvert, le 13 au petit jour, par un
médecin-lieutenant du G.S.D. 44, et évacué sur l'hôpital
de Troyes. Le Sous-Lieutenant Merpillat et son
groupe ont été recueillis sur la route par le chauffeur
d'un car, vide, appartenant à une unité du train, qui les
dépose à Montmort. Dans une maison vide, ils trouvent des
vêtements secs, mangent un peu, et s'endorment. Le 13,
vers midi, nouveau repas, chaud cette fois, confectionné
avec des vivres trouvées sur place. C'est fou ce qu'on
peut engloutlr après ces 8 jours d'abstinence! Les tenues
sont à peu près sèches. Départ en direction de Sézanne.
Les attaques aériennes leur font abandonner la route pour
suivre une voie ferrée désaffectée. Sur renseignement que
l'ennemi est déjà à Sézanne, changement de direction vers
Fère Champenoise. Quelques heures de repos à Bannes.
Au
petit Jour,le 13, les compagnies sont réveillées et
rassemblées, encore à moitié endormies, pour entendre un
bref rapport: - "Il faut à tout prix retarder les
Allemands, pour empêcher la chute de Paris."... En
sommes-nous déjà là ? Les
sections sont réparties, en ligne de tirailleurs, entre la
Ferme du Bois Brûlé et la Ferme de la Cense. La mise en
place s'effectue au travers des blés détrempés par la
pluie de la veille, et qui arrivent à mi-corps. Un
brouillard épais protège le mouvement. Quelques
patrouilles allemandes apparaissent, qui se retirent
aussitôt. Les positions sont à peine occupées, que
parvient un ordre de repli. Les Allemands ont franchi la
Marne en force à Dormans. La 44ème Division d'Infanterie
doit se replier en direction de Vertus, où elle passera
sous les ordres de la XXIVème Armée. Le 22ème Bataillon de
Chasseurs Alpins doit rejoindre Morangis en évitant tout
accrochage sérieux. Une chenillette de la Demi-Brigade
apporte les munitions qui ont fait si cruellement défaut
la veille en fin de Journée. Distribution rapide et
partielle, car les effectifs, hélas, ont bien diminué...
une cinquantaine d'hommes par compagnie. Regroupées, les
unités partent en direction de Brugny et Morangis. Les
hommes sont trempés jusqu'au ventre, et leurs chaussures
gargouillent de l'eau qui les emplit, à la suite de la
marche matinale dans les blés mouillés. Le décrochage est
protégé par le G.R.D. et une compagnie du 99ème Régiment
d'infanterie Alpine, (Capitaine Villernet), qui prennent
position sur la lisière nord des bois. Le bataillon arrive
vers midi à Morangis, où se trouvent déjà le Chef de
Bataillon Désidéri et quelques éléments de l'E.M. de la
26ème D.B.C.A. Un peu plus tard arrivent quelques groupes
du 64ème B.C.A..., environ deux cents hommes. Le Train
Régimentaire de la Demi-Brigade distribue... enfin!... des
conserves de viande et du pain. Des cantonnements sont
affectés aux compagnies. C'est la grande vie! Manger et
dormir!.. Dormir! Pas le temps. A 13 heures 30 : "Alerte!"
Les Allemands ont suivi la retraite du 22ème, retardés par
la Compagnie Villernet, qui les contient à la lisière du
bois,au nord-est du village. Le Commandant Désidéri
constitue un bataillon de marche, sous les ordres du
Capitaine Griolet. Ce bataillon comprend les 2ème et 3ème
Compagnies du 22ème B.C.A., (Capitaine Combet et
Lieutenant Minot), et une compagnie du 64ème B.C.A.
(Capitaine Becq). Il reçoit la mission de contre-attaquer
en direction de Brugny et d'occuper, sur la départementale
51, le carrefour situé à cent-cinquante mètres au sud de
ce village. La 1ère Compagnie, (Capitaine Latruffe),
demeure en réserve, et, tandis que la contre-attaque se
met en place, le Capitaine Diot, chef de corps du 64ème
B.C.A., regroupe les blessés légers et les éclopés de la
Demi-Brigade, et se met en route avec eux en direction de
Vertus. Le Capitaine Griolet rejoint le Capitaine
Villernet et se fait expliquer la situation. La compagnie
d'arrière-garde est harcelée par un élément léger,
transporté en sidecars, et armé de mitrailleuses légères
et d'un mortier La
Compagnie Becq prend position sur la route, en soutien du
détachement Villernet. La Compagnie Combet, à droite, et
la Compagnie Minot, à gauche, progressent sous-bois, pour
prendre l'ennemi à revers et le déloger. Le contact vient
d'être pris par le feu, lorsque parvient l'ordre de cesser
le combat et de se replier rapidement sur Vertus. Les
hommes ont alors une réaction totalement imprévue... Ils
se relèvent, se rangent tranquillement colonne par un, par
groupe, l'arme à la bretelle tout comme s'ils terminaient
une quelconque manoeuvre sur les terrains niçois du Mont
Chauve ou de La Gorra. Le repli s'effectue en ordre
parfait, la Compagnie Becq assurant le service
d'arrière-garde. Deux auto-mitrailleuses croisent la
colonne, montant au devant de l'ennemi. Le bruit court
dans les rangs que la Demi-Brigade est relevée par une
Division Blindée Polonaise... Il ne s'agit, en réalité,
que d'un petit détachement blindé mis à la disposition de
la Demi-Brigade pour favoriser son décrochage et son
repli. Le Commandant Désidéri apprendra un peu plus loin
d'un officier de char de la même unité que ces deux
auto-mitrailleuses ont été prises sous le feu d'un canon
antichars en abordant Ablois par le sud, et qu'elles ont
été détruites. Arrivé
à Vertus, le Sergent-Chef Bassecourt, épuisé, s'écroule
sous le porche d'une grange. Il n'en peut plus ! Il a
effectué les derniers kilomètres dans un état second,
cramponné à la queue d'un mulet, titubant comme un homme
pris de boisson. Lorsqu'il se réveille, peut-être deux
heures plus tard, aucune trace du 22ème. une voiture du
Génie accepte de le prendre à son bord Jusqu'au village
suivant, où il trouve le Sergent Blanc, qui vient de
découvrir deux vélos sans propriétaire. De concert, ils
roulent en direction de Fère Champenoise. La pluie s'est remise à tomber. La
cohue devient de plus en plus dense. Outre les deux
colonnes de véhicules de toutes sortes et de piétons
imbriqués, qui piétinent en direction de Fère Champenoise,
il y a maintenant une troisième file, piétons et voitures,
qui remonte en sens inverse, vers Vertus. Bassecourt et
Blanc se réfugient dans une baraque de cantonniers,
dressée au bord de la route. Deux heures de sommeil
largement arrosé par l'eau de pluie qui filtre au travers
de la toiture. Ils repartent alors, pour atteindre Fère
Champenoise alors que la nuit tombe, et s'abritent dans
une maison vide. En arrivant à Vertus, la 1ère
Compagnie prend position en bouchon au carrefour, à un
kilomètre à l'ouest de l'agglomération. Les autres
compagnies de la Demi-Brigade sont réparties dans des
granges, à la sortie sud du bourg. La soirée et les
premières heures de la nuit sont calmes. Enfin un peu de
détente; se laver, changer de linge, remettre un peu
d'ordre dans ses équipements, compléter son
approvisionnement en munitions, manger, et surtout dormir.
Dormir... A une heure du matin, le 14, le Capitaine
Griolet reçoit l'ordre de faire mouvement en direction de
Morains, par Bergères les Vertus. Encore à moitié
endormis, les chasseurs avancent, colonne par un, sur une
route encombrée de convois, de pièces d'artillerie,
d'éléments hétéroclites de toutes armes, de civils, qui
retraitent dans un désordre total. Aucun service de
Prévôté Militaire ou de Régulation Routière aux
carrefours. Le tout mélangé aux équipages disparates des
réfugiés. Dans la cohue nocturne, des groupes perdent le
contact, se diluent. Des hommes épuisés s'arrêtent,...
pour repartir un peu plus tard,... ou pas du tout. La
colonne parvient à Morains vers 7 heures. Les "compagnies"
s'installent en défensive face au nord. L'aviation
allemande intervient à la bombe et à la mitrailleuse
contre le lamentable charroi qui se traîne sur la route.
Les positions du bataillon sont, elles aussi, bombardées à
plusieurs reprises. A
11 heures 30, nouvel ordre de repli en direction de Fère
Champenoise. De nouveau, en colonne par un, au travers des
champs, car les avions continuent de mitrailler tout ce
qui s'entasse sur la route. Le trajet est jonché de
cadavres, de chevaux éventrés, de voitures et chariots
renversés dans les bas-cotés de la route. Dans le centre
de Fère Champenoise, où convergent toutes les colonnes
venant du nord et de l'est, règne un indescriptible chaos,
sur lequel s'acharnent les bombardiers. Cadavres mutilés,
chevaux éventrés et véhicules détruits qui s'accumulent en
travers des rues, au milieu des ruines, et parmi lesquels
les chasseurs doivent se faufiler. La marche vers le sud continue, en direction
d'Euvy, épuisante, entrecoupée d'alertes aux avions. Puis,
à Salon, le gros des colonnes oblique vers Arcis sur Aube,
toujours poursuivi par l'aviation, tandis que la
Demi-Brigade bénéficie d'un peu de calme sur la route de
Champfleury. Suivi des hommes de sa section, le
Sous-Lieutenant Lajous a pris au carrefour la direction
d'Arcis sur Aube, où il rencontre le Sergent-Chef Leruth,
de la 2ème Compagnie, isolé de sa section, avant de le
perdre de vue au moment de la traversée de la rivière sur
le pont à demi détruit par une bombe. Lajous et ses hommes
continuent vers Troyes par la R.N.77. A la sortie d'Arcis
sur Aube, Leruth est dépassé par une voiture de liaison de
la Division, qui s'arrête. Le Général Boisseau, passager
du véhicule, lui indique que la Demi-Brigade est à Pouan.
Après
quelques heures de repos à Champfleury, la Demi-Brigade a
repris la route à 22 heures pour franchir l'Aube en
direction du sud. Le pont de Plancy a été éventré par une
bombe et est impraticable. Celui de Viâpres le Petit était
sur le point de sauter lorsqu'arrive le Capitaine Griolet,
que le Commandant Désidéri a chargé d'assurer le passage.
La Demi-Brigade - ce qui en reste - réussit à passer, au
milieu de la cohue qui augmente de minute en minute, car
le pont d'Arcis sur Aube, à cinq kilomètres à l'est, vient
de sauter. Le 14, au jour, Merpillat et ses
hommes ont repris leur marche. Ils traversent Fére
Champenoise bombardée, suivent à nouveau une voie ferrée,
et arrivent à Bar sur Aube. Le pont sur l'Aube vient
d'être atteint par une bombe, mais permet encore le
passage de piétons isolés. Des maisons brûlent sur la
grand'place. Ils passent. Un peu plus loin, Amat, Reynes,
Thirion et Viguié réussissent à grimper dans un camion. Au
soir, les autres s'arrêtent dans une maison isolée pour
dormir. Le Train Régimentaire, guidé par le
Capitaine Sivade et le Lieutenant Baillet, est reparti de
Port à Binson au cours de l'après-midi du 11, sans avoir
eu connaissance de la présence du 22ème B.C.A. à Oeuilly.
Le 12, le convoi a traversé Euvy sous le mitraillage et le
bombardement de l'aviation allemande. Il est passé ensuite
à Allibaudières, avant de bivouaquer dans les bois de
Villemorien. Chaque fois qu'il le peut, le Capitaine
Sivade prend contact avec le commandant d'armes des
localités qu'il traverse, pour tenter d'en obtenir des
instructions, ou, tout au moins, des renseignements.
Personne ne sait rien! La
progression est lente, dans la cohue qul encombre les
routes, entrecoupée d'alertes aux avions. Le 14, en cours
de Journée, le convoi a ramassé sur le bord de la route
deux fantassins, qui venaient d'être grièvement blessés
par l'explosion d'une bombe. Ils ont été pansés 1e mieux
possible et installés dans la camionnette de la 2ème
Compagnie, aux bons soins du Sergent-Chef comptable André
Meng. Les survivants de la Demi-Brigade sont
regroupés à Pouan, le 15, vers 4 heures du matin. Les
commandants de compagnies viennent aux ordres. Pour ceux
du 22ème B.C.A., Latruffe, Combet et Minot, ce sera leur
dernière rencontre de la campagne. Il n'est plus questlon
de s'arrêter, car l'ennemi talonne ce magma de fuyards,
civils et militaires, qui se pressent sur la route. Depuis
la veille, le Commandant Désidéri a perdu tout contact
avec la 44eme Division d'infanterie. Et l'on repart,
abandonnant au bord du talus les plus épuisés, qui dorment
à même le sol. La colonne s'effrite à chaque à-coup de la
marche. Au petit jour, les harcèlements et bombardements
par l'aviation recommencent. A la sortie de Pouan, la 1ère Compagnie, qui
marche en arrière-garde, oblique vers Méry, alors que le
gros de la troupe a pris la direction de Premier fait.
Le Commandant Désidéri est parti
en avant, avec le Capitaine Griolet, en voiture de
liaison, pour reconnaître la passage sur la Seine. A la
sortie de Villacerf, en direction du fleuve, la voiture
est saluée par une fusillade. Les Allemands occupent déjà
le pont… ! Demi-tour en voltige. La reconnaissance est
poussée vers Pont Hubert et Pont Sainte Marie, au nord de
Troyes. La circulation est bloquée sur plusieurs
kilomètres de profondeur par l'enchevêtrement des convois
civils et militaires. Le pont Hubert est coupé par une
bombe d'avion, mais toutefois praticable pour
l'infanterie. Le Commandant Désidéri ramène le Capitaine
Griolet à Villacerf, avec mission d'attendre la colonne et
la guider, tandis qu'il repart vers Troyes pour tenter de
trouver du ravitaillement. Les premiers éléments de la Demi-Brigade
arrivent à Villacerf vers 10 heures 30, toujours à travers
champs et en file indienne, et se présentent à Pont Sainte
Marie à 15 heures. Le pont Hubert est sous le feu des
chars et de l'infanterie allemande. Le Commandant
Désidéri, qui vient de rejoindre la colonne, donne l'ordre
au Capitaine Griolet de forcer le passage. Des patrouilles
s'avancent pour tâter le dispositif ennemi, mais ne
peuvent déboucher sur le pont. Il y a plusieurs blessés.
La 2ème Compagnie n'a pas encore rejoint. Le commandant
décide alors de remonter le cours de la Seine par la rive
droite, à la recherche d'un point de passage. Il lui reste
à peu près deux cents hommes, en majorité chasseurs des
22ème et 64ème B.C.A., rassemblés maintenant à la sortie
nord-est de Pont Sainte Marie, sur le route de Crenay. Au
cours de la progression vers Villechétif, la mince colonne
subit l'attaque de bombardiers italiens, sans grand
dommage. A la sortie de village, elle prend à travers bois
et marécages vers le sud. De l'autre coté des bois,
quelques camions sont camouflés, abandonnés. On y récolte
quelques vivres. Une
patrouille, commandée par le Sous-Lieutenant Elorz, va
reconnaître la route de Belley à Saint Parres aux Tertres,
au défilement de la prochaine crête. La route semble
libre, mais des groupes de fantassins allemands
progressent en direction de Troyes. Le Sergent-Chef
Johannsen revient, sur une bicyclette récupérée, chercher
un fusil-mitrailleur et rejoint la patrouille. De
l'emplacement où se tient le gros des compagnies, on
aperçoit une patrouille allemande, qui profite d'un angle
mort pour progresser, à quelques deux cents mètres du
groupe Elorz. Le Lieutenant Ricatte met le F.M. en
batterie et prend la place du tireur. Les Allemands
approchent, ignorant le risque couru. C'est le moment que
choisit un groupe de soldats français pour sortir du bois,
mains levées, et marcher à leur rencontre. Ricatte tire
sur les Allemands, qui se dispersent, sauf un, qui est
capturé. Il sera remis, le lendemain à la 4ème D.I..
Le Capitaine Griolet conduit
personnellement une reconnaissance dans le village de
Belley, qui est désert, puis rejoint le Commandant
Désidéri en bordure de la R.N.19. Regroupement rapide, car il faut repartir. Il
y a là le Commandant Désidéri, le Capitaine Bessy et le
Sous-Lieutenant Causeret, de l'état-major de la 27ème
Demi-Brigade, le Capitaine Griolet, le Lieutenant Ricatte,
les Sous-Lieutenants Escande, Ballandras et Elorz, du
22ème B.C.A., les Capitaines Diot, Becq et Poli, les
Sous-Lieutenants Josson; Georges et Bougnasse, du 64ème
B.C.A., et cent cinquante sous-officiers et chasseurs. La
première partie de la nuit se passe en marches et
contremarches, qui permettent enfin de franchir le canal
et d'atteindre Rouilly Saint Loup. Après consultation de
la carte, dans une maison abandonnée, à la lueur d'un
briquet, le commandant décide de continuer jusqu'à
Verrières, pour y franchir la Seine avant que le pont ne
saute. Lorsque la colonne arrive à Verrières, vers 22
heures 30, c'est pour apprendre que le pont n'existe plus.
Il y a bien celui de Clerey, à quelques kilomètres. Le
Capitaine Griolet, complètement exténué, -i l n'a dormi
que dix-sept heures en douze jours - demande au Commandant
Désidéri de l'abandonner. Il rejoindra, dès que possible,
le P.C. de la 44eme D.I., qui devrait se trouver à Rumilly
les Vaudes. Le
Sergent-Chef Leruth, toujours solitalre, a retrouvé le
Lieutenant Minot au moment où la 3ème Compagnie quitte
Pouan, ce matin du I5 juin. Il s'y arrête quelques
minutes. Lorsqu'il repart, le lieutenant et ses chasseurs
ont disparu. Leruth est alors pris en charge par des
artilleurs du 94ème R.A., puis par des fantassins du
213ème Régiment d'Infanterie, qui l'amènent à Bar sur
Seine. Là, il trouve place dans un camion du 93ème Train,
qui part pour Avignon.
Séparé des groupes qui le
précèdent, le Lieutenant Minot entraîne les gens de la
3ème Compagnie à la recherche d'un pont, vers Villacerf et
Troyes. Marches et contremarches harassantes. Vers 16
heures, aux abords de Troyes, le groupe formé par le
Lieutenant Minot, le Sous-Lieutenant Darmont et une
vingtaine de chasseurs. est encerclé par les Allemands et
fait prisonnier. Le Sous-Lieutenant Lajous et ses
hommes continuent en direction d'Auxerre. Merpillat
et ses chasseurs se joignent aux véhicules d'un Groupe
Sanitaire Divisionnaire, qui tente de franchir la Seine
par le pont de Sainte Maure. Ils sont accueillis sur
l'autre rive par un détachement d'une Panzerdivision.
Blanc
et Bassecourt se réveillent le 15, vers 8 heures. Mauvaise
surprise pour Bassecourt, qui s'aperçoit que, pendant son
sommeil, on lui a dérobé sa capote, mise à sécher près de
lui. Ils repartent sur leurs bicyclettes. Juste à la
sortie de la ville, lls ramassent une capote abandonnée.
Un peu plus loin, lls rencontrent le Sous-Lieutenant
Escande, lui aussi à la recherche du bataillon . Brève
rencontre. Eacande, qui est à pied, est bientôt perdu de
vue. Bassecourt et Blanc continuent vers Arcis sur Aube
par de petits chemins de terre, en se repérant sur une
carte arrachée à un agenda des P.T.T. Direction
Champfleury, Verrières, Clerey. La Seine est traversée à
Villemoyenne. Bar sur Seine est, parait-il, aux mains des
Allemands. Rencontre avec des officiers de la 26ème
Demi-Brigade, qui se dirigent vers Saint Florentin.
A Chaource, changement de
direction vers Dijon, par Chesley, Étourvy, Laignes A
chaque arrêt, il leur semble que la fusillade se rapproche
Ils sont quatre maintenant : Blanc, Bassecourt, Sansoni et
Trouiller, tous quatre sur de vieux vélos brinqueballants
A Valsuzon, ils apprennent que les Allemands sont à
Montbard et à Dijon Un peu plus loin, dans une clairière,
ils aperçoivent quelques soldats françals, déséquipés,
sans armes, qui se reposent tranquillement - Qu'est-ce que
vous foutez 1à ? - Nous ? On est prisonniers T'as pas vu ?
Sur la route, derrière une hale, stationnent des chars à
la croix noire Demi-tour en voltige Plongée dans le
sous-bols Le lendemain
matin, au petit jour - dimanche 16 juin - au moment de
repartir, une voiture militaire allemande passe à quelques
mètres d'eux. Ils décident alors de se rendre à Dijon,
pour se renseigner à la gendarmerie !!! La route présente
une succession de petites côtes assez raides Les vieux
vélos, dont les freins ne fonctionnent plus, prennent
chaque fois de la vitesse A la sortie d'un virage, une
masse gris-vert barre la route, dans laquelle, en freinant
des godillots sur le sol, ils viennent buter,... un char
allemand. Séparé de son groupe après le
passage à Droup Sainte Marie, le Sergent Dory se retrouve
avec l'élément d'arrière-garde de la 1ère Compagnie,
commandé par l'énergique Sergent Gaston Canal, qui a su
conserver autour de lui les survivants de son groupe,
auxquels se sont agglutinés quelques chasseurs et biffins
d'autres unités La marche s'effectue par à-coups, perdus
au milieu des réfugiés et des fuyards de toutes armes,
entre deux alertes aux stukas Un motard de la Demi-Brigade
leur signifie d'avoir à presser le pas pour franchir les
ponts de Troyes, qui doivent sauter incessamment
Lorsqu'ils abordent Troyes, c'est pour apprendre que les
ponts n'ont pas sauté, mais sont occupés par les
Allemands. Emmené par Canal et Dory, le groupe marche vers
le nord-est pour dépasser l'agglomération. A la sortie de
la ville, ils découvrent un petit convoi de véhicules
chenillés de ravitaillement de chars, commandé par un
adjudant. La discussion s'engage. L'adjudant accepte de
les embarquer pour tenter le passage de la Seine un peu
plus loin vers l'est. Un colonel du 123ème Régiment
d'infanterie, qui marche en isolè, est sollicité de
prendre le commandement de l'ensemble et refuse. Un
lieutenant du Génie, rencontré un peu plus loin, accepte
et monte auprès de l'adjudant des chars dans la cabine.
Dory, Canal et les chasseurs grimpent sur le plateau du
véhicule. Dory installe son F.M., qu'il trimballe depuis
Anthenay, sur le toît de la cabine, appuyé sur son sac
Bergam. Les autres prennent place dans deux autres
véhicules. Direction Bar sur Seine où le fleuve est passé
au cours de la nuit. La progression a été marquée par un
accrochage et la disparition des deux autres engins. Une
tentative infructueuse est tentée en direction de
Tonnerre, puis de Montbard.
Le Capitaine Sivade et son
convoi arrivent à Dijon, où les deux blessés sont confiés
aux religieuses de l'hôpital de la ville. Et l'on repart
rapidement vers Beaune, où le capitaine reçoit l'ordre de
se diriger au plus vite vers Autun... Les Allemands
arrivent. A peine arrêtés à Autun, il faut repartir à la
hâte. La fusillade crépite déjà dans les rues du quartier
nord de la ville. Le Commandant Désidéri a entraîné sa
colonne jusqu'à Clerey, où elle arrive à 3 heures du
matin, le 16. Il décide de laisser ses gens, écroulés de
fatigue, se reposer jusqu'à 5 heures. A 5 heures, on
repart vers le pont de Clerey, où l'on arrive une
demi-heure plus tard pour apprendre qu'il a sauté à 4
heures 30. Personne n'a entendu l'explosion! On recherche
un gué, que l'on trouve enfin un peu en amont. Tout le
monde passe avec de l'eau jusqu'aux genoux. Après une
courte halte pour se rhabiller et se rechausser, dans un
petit bois, la troupe, scindée en petites colonnes, repart
vers le sud-ouest. Au moment de franchir la grand route
qui traverse le village de Vaudes, le détachement est pris
sous le feu d'une colonne motorisée, qui remonte la route
depuis Bar sur Seine et lui occasionne quelques blessés
légers, qui, malgré tout, continuent à suivre. La marche
continue au travers du bois d'Aumont. Le Commandant
Désidéri, accompagné d'une dizaine de chasseurs, se trouve
séparé du gros de la troupe, où se retrouvent les
capitaines Becq et Poli, les Sous-Lieutenants Escande,
Ballandras, Georges et Elorz, et d'un autre petit groupe,
formé par les capitaines Diot et Bessy, accompagnés d'une
quinzaine d'hommes. Au débouché du bols, le Commandant
Désidéri se trouve face à face avec un char allemand,
qu'escortent des motocyclistes.
Le Capitaine Griolet
s'est réveillé à 9 heures. Le village de Verrières est
complètement désert. Au cours de sa marche, il regroupe
une trentaine d'hommes, tant fantassins de différentes
unités que tirailleurs sénégalais. A une centaine de
mètres du pont détruit de Verrières, il découvre une
passerelle intacte. Le groupe franchlt la Seine, pour se
trouver en face d'un groupe d'Allemands, qui font la pause
à l'abri d'un char. Demi-tour rapide et retour précipité
sur l'autre rive, salués de quelques rafales de
mitraillettes. La marche continue vers l'est, par Saint
Aventin, Clerey et Courbeton, où l'on arrive vers midi. En
cours de route, le détachement s'est renforcé de vingt
hommes du 1er Zouaves, commandés par le Sergent Chef
Vaillant, dix cavaliers du G.R.D.31, sous le commandement
du Maréchal des Logis Bonafos, trente fantassins de la
3ème Compagnie du 115ème R.I. avec le Sergent Chef
Devauley, et quelques isolés. Tandis que les hommes prennent quelques
minutes de repos et dévorent les maigres provisions
découvertes dans le village, une patrouille va reconnaître
le pont de Saint Pierre les Vaudes. Elle le trouve, lui
aussi, occupé par un groupe de motocyclistes, accompagnés
d'un blindé marqué d'une croix noire. La marche reprend vers l'est. Le
pont de Courbeton est heureusement tenu par un peloton de
chars français. La Seine est franchie en direction du sud.
Contact est pris, à Virey sous Bar, avec le colonel
commandant le 80ème Régiment d'infanterie, qui indique au
Capitaine Griolet que le P.C. de la 42ème Division se
trouve à Jully sur Sarce, quatre kilomètres plus loin.
Griolet lui remet le groupe qu'il a amené avec lui et se
rend au P.C. de la Division, où l'on est incapable de le
renseigner sur la 26ème Demi-Brlgade en général et sur le
22ème B.C.A. en particulier. Il continue donc, seul, en
direction de Rumilly les Vaudes, lorsqu'en traversant le
village de Lantages, il apprend d'un officier du 64ème
B.C.A. que la Demi-Brigade cantonne à la ferme de
Lantages. Il retrouve les Capitaines Becq et Poli, les
Sous-Lieutenants Georges et Bougnasse, du 64ème B.C.A.,
les Sous-Lieutenants Escande et Ballandras, du 22ème
B.C.A. et le Sous-Lieutenant Causeret, de l'État-Major de
la Demi-Brigade, regroupés dans une ferme à l'entrée du
village. Les Capitaines Diot et Bessy ont disparu, de même
que le Sous-Lieutenant Elorz. Il reste une centaine
d'hommes, à majorité de chasseurs. D'autorité, le
Capitaine Griolet prend le commandement de l'ensemble.
La ferme est déjà pleine de
réfugiés, de soldats de toutes armes et de blessés. Les
Allemands arrivent bientôt, amenés par camions à courte
distance. Ils attaquent. mitrailleuses et canons de 20m/m
arrosent la ferme, blessant quelques hommes. Murs et
fenêtres sont garnis de défenseurs, qui ripostent en
ménageant les quelques munitions qui leur restent.
L'ennemi n'insiste pas, tandis que la nuit tombe. Les
blessés sont chargés sur des voitures de réfugiés, et, à
21 heures, la colonne repart vers le sud-est, par Praslin
et Pargues. Alors que le camion du Train qui
l'emporte vers Avignon traverse le village de Laignes, le
Sergent-Chef Leruth aperçoit des chasseurs auprès d'un
véhicule chenillé à l'arrêt, et, parmi eux, son copain
Dory. Le temps de sauter du camion qui roule à petite
allure, et ce sont d'émouvantes retrouvailles. Tout le
monde remonte sur le plateau de l'engin, qui repart vers
Dijon. Après plusieurs jours d'errance, le
Sous-Lieutenant Lajous et les quelques chasseurs qui le
suivent arrivent à Nevers, juste à temps pour y prendre
part, sous les ordres du commandant d'armes de la place, à
la défense du pont sur l'Allier. Par la suite ils se
retrouveront à Millau pour participer à la prise d'armes
de dissolution du 22ème Bataillon de Chasseurs Alpins.
Un
autre groupe de la 1ère Compagnie, conduit par le
Sergent-Chef Lantheaume, le sous-officier adjoint de
Lajous, arrive, de son coté, le 16 au soir, à Rouilly
Saint Loup, où la colonne de la Demi-Brigade est passée à
trois heures du matin... mais ce sont les Allemands qui
les accueillent. Le Capitaine Sivade et son convoi
passent dans la journée à Moulins et arrivent en fin
d'après-midi à Montluçon. Ils sont hébergés à la caserne
pour la nuit du 16 au 17. La fin La progression de la colonne se fait de plus
en plus lente. L'état d'épuisement des hommes, y entre
pour une large part. En outre, les Allemands sont partout.
Tout village est supposé être tenu par l'ennemi. Il faut
donc s'arrêter et prendre position, tandis que des
patrouilles vont reconnaître les lieux. Puis on repart
pour traverser le village. La manœuvre se répète aux
abords de Bagneux la Fosse. Tandis que la troupe fait une
pause, le Capitaine Griolet part en avant, vers Les
Riceys, reconnaître les possibilités de bivouac. Il emmène
avec lui les Sous-Lieutenants Escande, Georges et
Ballandras. Le jour n'est pas encore levé. Une barricade
s'élève à l'entrée du village. Elle n'est pas gardée.
Après avoir traversé le bourg, Griolet avise, à la sortie
est, une grange qui pourrait abriter l'ensemble du
détachement. Il envoie le Sous-Lieutenant Ballandras à la
rencontre de la colonne, qui devait suivre à quinze
minutes leur petit groupe. Il va être cinq heures. Les
minutes passent. Des coups de feu se font entendre de
l'autre côté du village, puis le silence retombe. Au bout
d'un nouveau quart d'heure, le capitaine envoie aux
nouvelles le Sous-Lieutenant Georges, qui, cent mètres
plus loin, essuie quelques coups de feu et revient en
courant. Alors qu'il n'est plus qu'à quelques mètres du
capitaine, il est interpellé par une patrouille allemande,
qui débouche d'une ruelle latérale. Escalade de murs,
traversée d'une cour, d'un jardin, d'un magasin. Les trois
hommes se barricadent dans une chambre à l'étage, et,
après quelques minutes de vigilance, succombent au
sommeil. Le détachement conduit par le
Capitaine Becq est bien arrivé un quart d'heure après le
Capitaine Griolet devant la barricade, à l'entrée des
Riceys. Dès qu'il s'est engagé il a subi, à bout portant,
le feu des Allemands embusqués à l'entour. Ceux-ci avalent
laissé passer le premier petit groupe, mais réagissaient
contre une troupe qui leur paraissait importante dans la
grisaille du petit jour. Des hommes tombent. Les autres se
mettent à terre. Le Capitaine Becq s'avance, seul. Que
peut-il faire ?... Son détachement est cerné, ses hommes
épuisés, sans munitions, ou presque... Ainsi finirent la 26ème Demi-Brigade
et les 22ème et 64ème Bataillons de Chasseurs Alpins.
Le
groupe, isolé depuis deux jours, à la tête duquel marche
le Capitaine Latruffe, est capturé le même jour aux
environs de Dijon. L'engin qui transporte Canal, Dory,
Leruth et leurs chasseurs, arrive à Dijon en début de
matinée. La ville est déserte. Près de la gare, un poste
distributeur d'essence, dont les gérants sont partis, est
mis à contribution pour refaire le plein. Un capitaine du
93ème R.I., qui erre dans la rue, refuse de se joindre au
groupe. Un peu plus loin, des gendarmes, questionnés sur
les possibilités de régulariser la situation de la petite
troupe, ne savent que répondre, pressés qu'ils sont de
sauter dans la voiture de la brigade et de partir vers
Beaune. Le camion à chenilles prend également la direction
de Beaune, où il se heurte à un barrage de machines
agricoles, que gardent des cavaliers. Il est midi. Dory va se présenter au
commandant d'armes de la place, qui lui conseille d'aller
prendre le train en gare de Beaune, pour rejoindre
Clermont Ferrand, où la 44ème D.I. se serait repliée... A
force de discussion, Dory arrive à lui extorquer un bon
d'essence pour leur véhicule. Encore faut-il s'aller
approvisionner à Citeaux. En abordant le carrefour situé à
quelques cent mètres des célèbres Hospices, le véhicule
est atteint à l'avant par un projectile qui l'immobilise
et tue le chauffeur et l'adjudant des chars, qui se
trouvent tous deux dans la cabine. Les occupants du
plateau ont sauté, chacun de son côté, pour s'engouffrer
dans les maisons voisines. Leruth a disparu. Des gerbes de
traceuses balayent la route. Dory s'évertue à récupérer
son sac et son fusil-mitrailleur. Il se retrouve enfin, en
compagnie de Canal et de Grandchamp, à l'abri d'une
maison. Ils décident de marcher vers l'est, vers la
Suisse. A la sortie de l'agglomération ils découvrent deux
vélos et s'en emparent, pour tomber, trois kilomètres plus
loin au coeur d'un accrochage auquel ils ne comprennent
absolument rien. Où sont les amis ? les ennemis ? Ils
aperçoivent un char, camouflé au défilement de la
tourelle, qu'ils supposent français, et vers lequel ils se
précipitent... pour tomber nez-à-nez avec un immense
Oberleutnant portant la tenue noire des troupes blindées
allemandes. Après un rapide interrogatoire, dans un
français presque courant, qui lui apprend que ses
prisonniers sont des Chasseurs Alpins, le ton change. Il
leur fait présenter les armes par les hommes de son
équipage et leur fait donner à manger, après les avoir
fait entrer dans une maison voisine. Tous les trois, ils
restent là, sans surveillance particulière, tout au long
de l'après-midi, puis, vers le soir, l'officier leur
indique qu'il part, et qu'ils doivent se rendre à l'église
de Beaune, où sont regroupés les prisonniers. Ils sont,
l'un et l'autre, tellement assommés, tant par la fatigue
de tous ces jours sans repos, que par la succession quasi
incohérente des événements de la journée, que, sagement,
ils s'y rendent, "comme des joueurs de football regagnent
le vestiaire après un match perdu". Le
Capitaine Sivade et son convoi passent par Clermont
Ferrand, Ussel, le Mont d'Or, et bivouaquent le soir à La
Bourboule. Le Sergent Michel Rodde, qui s'est
retrouvé isolé après la traversée d'Arcis sur Aube, est
passé à Troyes le 15, puis à Bar sur Seine, où il a
rencontré le Sergent Truc, de la C.A. Les 16 et 17 Juin,
de nouveau solitaire, il joue à cache-cache avec les
colonnes allemandes qui sillonnent les routes, et dans
lesquelles il vient buter le 17 au soir. Le lendemain, il
profite d'une corvée pour s'évader, s'habille en ouvrier
agricole - pas très ressemblant - avec des vêtements
trouvés dans une ferme abandonnée par ses habitants, est
repris, et s'évade se nouveau. Au culot, sous le nez des
Allemands, il entre dans un magasin et achète des habits
qui conviennent mieux à son allure de jeune étudiant,
confie à la vendeuse ses papiers militaires, ne gardant
sur lui que sa carte d'inscription en faculté. Après une
nuit passée dans une grange, au milieu de réfugiés, il
"emprunte" la belle bicyclette d'un gendarme, qu'un soldat
allemand lui échange d'autorité, quelques kilomètres plus
loin, contre le vieux clou qu'il chevauchait. Il se fait
embaucher pendant quelques jours dans une ferme isolée,
sous un camouflage de "valet de ferme yougoslave", et,
toujours solitaire, sur son vélo minable, rejoint le 28
juin Paris, où il se fait démobiliser. Au
cours de la matinée du 18, le Capitaine Griolet et les
deux sous-lieutenants tentent une sortie, de cour en
jardin, de maison en maison. Repérés par une patrouille
qui tire sur eux et les poursuit, ils se réfugient dans
une villa, où ils se barricadent. Ils y restent enfermés
jusqu'au 20, se reposant et se nourrissant comme ils
peuvent, ravitaillés et renseignés par une vieille voisine
qui n'a pas voulu quitter le village. Tout au long des
journées des 18, 15 et 20 Juin, passent sans arrêt des
convois de chars, d'artillerie, d'infanterie portée, qui
roulent en direction de Montbard et de Dijon. Le 18 au
soir, une brigade entière cantonne dans le village, tandis
que tombe une pluie torrentielle. Ils ont décidé de partir
le 20, à la nuit tombée, vers le sud, à la boussole. A 19
heures 30, un officier allemand se présente à la porte,
accompagnant une section qui doit loger dans la villa. Il
ne reste au Capitaine Griolet que cinq cartouches dans son
revolver modèle 1892. Les Sous-Lieutenants Escande et
Georges n'ont plus aucune munition... Tandis que le
capitaine se présente aux Allemands, Escande réussit à
s'esquiver par la porte de derrière de la maison. Il
restera caché dans une maison voisine jusqu'au début du
mois de juillet, où il sera découvert par une vieille
femme du village dont les cris de frayeur alerteront une
patrouille allemande.
Après un arrêt à Tulle et une
nuit passée à Aurillac, le Train Régimentaire du bataillon
arrive à Fontange, non loin de Rodez, le 21. Il y reste
trois jours avant de gagner Millau, où les camionnettes,
stationnées sur la berge du Tarn, connaissent un certain
succès de curiosité en raison des blessures qu'elles ont
reçues. Les hommes de troupe sont dirigés vers un camp de
rassemblement, en attendant leur démobilisation. Les
sous-officiers sont logés à la Maison du Peuple. Ils
seront chargés de la gestion de l'ordinaire et de la
comptabilité du camp. Chaque militaire libéré reçoit une
prime de démobilisation de 1000 francs. Quelques isolés du
bataillon rejoignent Millau. A la mi-Juillet, les rescapés
du 22ème B.C.A. reçoivent la visite de leur chef de corps,
le Commandant Ardisson, en congé de convalescence de la
blessure qu'il a reçue le 10 Juin à Fismes. Le 3
août, au cours d'une prise d'armes présidée par le
Lieutenant-Colonel De Nadaillac, Commandant d'Armes de
Millau, les rescapés du 22ème Bataillon de Chasseurs
Alpins défilent une dernière fols devant le Fanion de leur
bataillon. Le 22ème B.C.A. est dissous. Quelques Jours
plus tard, le Capitaine Sivade et le Lieutenant Baillet
ramènent à Digne les archives du bataillon. Les sous-officiers, de même que les
chasseurs non libérables, sont dirigés sur Rodez, où se
forme le Bataillon de Marche de Rodez, du Régiment du
Tarn-Aveyron, dont la portion centrale est à Albi, et qui,
peu après, deviendra le 51ème Régiment d'infanterie.
Sur 1050 Officiers,
Sous-Officiers et Chasseurs, qui avaient quitté Nice le 12
mars, 125 seulement ont rejoint Millau. Il est difficile
de savoir quelles furent les pertes exactes du bataillon.
Combien de morts ? de blessés ? de prisonniers ? Jeté,
comme bien d'autres corps de l'Armée Française dans un
combat qui n'était pas à sa taille, le 22ème a maintenu
les traditions d'honneur et de bravoure que ses Anciens de
14/18 avaient scellées de leur sacrifice. A Mertzwiller,
lors du mitraillage de la gare par l'aviation allemande,
dès la première minute, mitrailleuses et
fusils-mitrailleurs ouvraient le feu. Sous les balles, les
muletiers continuaient leur travail, les chauffeurs
bondissaient pour éteindre les véhicules en feu et
décharger les explosifs qui risquaient de provoquer une
catastrophe. Lors des premiers contacts, sur l'Aisne, le
bataillon rendait coup pour coup, et même plus. Nulle part
l'ennemi n'entamait ses avant-postes. Ses patrouilles
allaient chercher l'Allemand sur son terrain. Lors de la
ruée allemande, aux plus critiques instants de la
bataille, alors que l'ennemi jetait dans le combat des
troupes fraîches, sans cesse renouvelées, ses chasseurs,
parfaitement conscients du sacrifice qui leur était
demandé, ne cédaient de terrain que pas à pas et ne se
repliaient que sur ordre. Il nous a été donné de lire les
lettres écrites au Chef de Bataillon Ardisson par ceux,
Officiers, Sous-Officiers et Chasseurs, qui avaient été
sous ses ordres au combat. Toutes reflètent le même
orgueil d'hommes qui gardent la tête haute après un combat
malheureux, car ils n'ont pas démérité. Toutes reflètent
l'absolue loyauté et l'absolue confiance vis-à-vis du chef
qui les commandait.
"Nous
avions tous l'amertume de n'avoir pu faire mieux, le
regret poignant d'avoir été écrasés avant que chacun ait
pu donner toute sa mesure. Puisse un jour la fortune des
armes nous redonner l'honneur de servir sous vos
ordres..."
Que les esprits chagrins
épiloguent sur les causes de notre défaite de 1940, nous
savons que les Chasseurs du 22ème Bataillon de Chasseurs
Alpins se sont montrés dignes de leurs Anciens de la
Béhouille, du Linge, de Metzeral, de la Tranchée de Reuss
et de la Cote 108. Le combat exemplaire mené par le 22ème
sur l'Aisne et sur la Marne, ainsi que dans toutes les
circonstances qui l'opposèrent à l'ennemi, ne fut
sanctionné d'aucune citation ni d'aucune récompense
collective. Il y eut
bien un Ordre N° 105 C, en date du 30 juillet 1940, sous
la signature du Général Weygand, Ministre, Secrétaire
d'Etat à la Défense Nationale, qui citait à l'ordre de
l'Armée : - La Nème Division.... - La Nème Division.... -
La 44ème Division D'Infanterie, sous les ordres du Général
Boisseau...
"...
avaient reçu l'ordre de défendre l'Ailette et l'Aisne
sans esprit de recul. Elles l'ont fait généreusement,
les 5, 6, 7, 8, 9 et 10 Juin 1940, au cours de très durs
combats, contre un ennemi très supérieur en nombre,
poussant l'esprit de sacrifice à sa dernière limite."
Signé :
Weygand.
Le sacrifice du Bataillon méritait plus
et mieux.
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