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L'oeuvre de Michel El Baze: Les guerres du XXe siècle à travers les témoignages oraux   

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Chef de Bataillon H. Teisseire Aimé
Mes Campagnes

Un Compagnon de la Libération raconte

Guerre 1939 - 1945
GUERRE d’INDOCHINE





POSTFACE de Michel EL BAZE
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Il est des destins extraordinaires, il en est d’autres de surprenants parceque l’on se demande où le Témoin a pu puiser une telle énergie, une telle ténacité pour réaliser ce que lui dictent sa conscience et l’amour de son Pays. Á lire le récit de vie de Teisseire on a l’impression qu’il s’est laissé entraîné par les événements alors, qu’en fait, c’est lui qui s’y est intégré et de quelles manières héroïques, par la seule puissance de sa farouche volonté de défendre sa Patrie en toutes circonstances et sur tous les fronts. Ses supérieurs le jugent, au hasard des neuf citations dont il est titulaire : "D’une bravoure exemplaire ". "D’un courage exceptionnel". "S’est une fois de plus distingué". "Magnifique Chef de Section toujours à la tête de ses hommes". "Beau type de chef... fait preuve d’une intrépidité et d’un courage magnifique". "Magnifique entraîneur d’hommes". "Officier de tout premier ordre, d’une bravoure hors de pair". etc. Jugez en vous-même !.. Si tant est que je puisse résumer une tranche de sa vie de Combattant Né à Puget-Théniers (Alpes-Maritimes) en 1914, il est blessé lors de la malheureuse Campagne de France en 1940. Fait prisonnier, il s’évade. Franchit la Ligne de Démarcation. Rejoint l’Armée d’Armistice. De l’Afrique Occidentale Française, il s’évade pour la Nigéria britanique pour railler les Forces Françaises Libres. Le Tchad, le Maroc. Arrive en Grande Bretagne le 30 Mai 1944. Débarque en France, Campagne de Normandie Une seconde fois blessé devant Paris. Campagne des Vosges, encore une blessure. Campagne d’Alsace. L’Allemagne jusqu’à Berchtesgaden. Et puis, dès fin 1946, il est en Indochine où il participe à la lutte contre les rebelles avant de terminer sa carrière militaire par des séjours à Madagascar, La Réunion, le Cameroun... Avec le Colonel Michel Carage, je souhaite que ce témoignage puisse être lu par les jeunes de France et servir d'exemple .

It is extraordinary destinies, and others surprising because the one wonders where the Witness has been able to draw a such energy, a such tenacity to realize what dictate him his conscience and the love his Country. To read the account of life of Teisseire one has the impression that he is left entailed by events then, in fact, is he that he has been integrated there and what heroic manners, by the alone power of his surly will to defend his Homeland in all circumstances and on all fronts. His superiors judge him, to the chance of nine quotation whose he is incumbent: "An exemplary bravery". "An exceptional courage". "Is once more tasteful". "Magnificent Chief of Section always to the head of his men". "Beautiful type of chief... proof fact of an intrepidity and of a magnificent courage". "Magnificent trainer of men". "Officer of all first order, of a bravery out peer". etc. Judge in yourself !.. If so is that I could summarize a slice of his life of Combatant. Born to Puget-Théniers (Alpes-Maritimes) in 1914, he is hurt during the miserable Campaign of France in 1940. Captive fact, he escapes. Crosses the Line of Demarcation. Rejoins the Army of Armistice. From the French Africa Western, he escapes for Nigeria britanique to mock Free French Forces. Chad, Morocco. Arrives in Great Britain 30 May 1944. Disembarks in France, Campaign of Normandy Seconds time hurt ahead Paris. Campaign of Vosges, again an injury. Campaign of Alsace. Germany until to Berchtesgaden. And then, from fine 1946, he is in Indochina where he participates in the struggle against rebels before to end his military career by stays to Madagascar, The Reunion, Cameroon... With the Colonel Michel Carage, I wish that this testimony could be read by youths of France and to serve as example.
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AVANT-PROPOS DU TÉMOIN
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Ce qui va suivre sont mes souvenirs personnels et je relate surtout ce que j'ai pu faire. Je m'excuse de parler ainsi de mes actions, mais je tiens à souligner, quoique le comportement de l'Armée Française aît été très inégal, que j'ai connu des chefs admirables, des camarades magnifiques, des soldats extrêmement courageux. En particulier, je veux rendre hommage à mes subordonnés; beaucoup d'entre eux se distinguèrent et certains accomplirent de beaux faits d'armes. What is going to follow are my personal souvenirs and I relate especially what I have been able to make. I excuse to speak thus my actions, but I hold to underline, although the behavior of the French Army was very unequal, that I have known admirable chiefs, magnificent comrades, extremely courageous soldiers. Especially, I want to render homage to my subordinates a lot of distinguished them and some accomplished beautiful make arms.  


PRÉFACE DU GÉNÉRAL DE DIVISION (CR) CHARLES DESCHÊNES
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Les "Mémoires" du Chef de Bataillon (H). Aimé Teisseire, Officier de la Légion d’Honneurs, Compagnon de la Libération, retracent la carrière exceptionnelle d’un "authentique" combattant, tout au long de dix années de guerre (1939/1949), tant en Europe 1939/1945 qu’en Extrême Orient, après 1945. Simples et directs, ses propos jalonnent fidèlement le parcours étonnant d’un jeune sous-officier, devenu officier à la force du poignet et au hasard des combats. J’ai connu le Sergent, puis, à partir du 1er Juin 1940, le Sergent Chef Teisseire durant la bataille de France de Mai-Juin 1940. Il avait vingt six ans, avec déjà l’avantage d’une expérience colossale. J’en avais vingt et sortais de St Cyr. L’un et l’autre, nous faisions partie du 1er Bataillon du 6ème Régiment d’Infanterie Coloniale mixte Sénégalais (R.I.CS) (6ème Division d’Infanterie Coloniale) : environ 600 Africains et 200 européens, cadres officiers et sous officiers compris. Du 16 Mai au 20 Juin, nous avons subi le même sort, lui dans une section de fusiliers voltigeurs et moi à la tête d’une section de mitrailleuses Hotchkiss (modèle 1914). Le 20 Juin, dans l’ultime "sursaut pour l’honneur", de la 6ème DIC, réduite à 2000 combattants à peine encerclés avec les restes d’autres divisions au sud de Tolu, nous étions blessés l’un et l’autre, à quelques centaines de mètres de distance, presque au même moment. Évacués sur la même formation sanitaire, installée à la ferme de Naroulieu, au nord du Mont d’Anon (10 km nord -nord ouest de la colline de Sion-Vaudemont) nous y étions faits prisonniers le 22 et transférés le même jour sur des hôpitaux de Nancy. Là ont divergé nos destinées respectives. Le 29 Juillet, je réussissais à m’évader en sautant près de Lunéville, d’un train d’officiers prisonniers en route vers l’Allemagne. Lui devait attendre le 15 Août pour fausser compagnie à ses gardiens. Magnifique combattant d’une bataille mal engagée et mal conduite, où le courage et le sacrifiée des meilleurs - ils étaient nombreux, contrairement à certains jugements hâtifs portés à l’époque - furent impuissants à rattraper les faiblesses graves de notre armée, le Sergent Chef Teisseire allait, dans la rangé des Forces Françaises Libres (F.F.L.) s’illustrer à la 2ème Division Blindée (2ème D.B.) du Général Leclerc, et, lieutenant, terminer la guerre à l’Obersalzberg.Quelle belle revanche pour le sous officier malheureux de Juin 1940 ! C’est sur les lieux mêmes de nos combats de Mai-Juin 1940 qu’après plus de 45 années nous nous sommes retrouvés, lors d’une réunion annuelle des anciens de la 6ème D.I.C. Car il est des souvenirs si vivants que le temps ne saurait les effacer ! Memories of the Chief of Battalion (H). Aimé Teisseire, Officer of the Legion of Honors, Companion of the Liberation, retrace the exceptional career of an authentic combatting, all along ten years of war (1939/ 1949), so in Europe 1939/ 1945 that in Extreme Orient, after 1945. Simple and direct, his purposes line faithfully the staggering trip of a youth under-officer, become to officiate to the force of the wrist and to the chance of combats. I have known the Sergeant, then, to leave from 1st June 1940, the Chief Sergeant Teisseire during the battle of France of May-June 1940. He had twenty six years, with already the advantage of a colossal experience. I had twenty and exited St Cyr. The one and the other, we made part 1st Battalion of 6th Regiment of Senegalese mixed Colonial Infantry (R.I. CS) (6th Division of Colonial Infantry): approximately 600 Africans and 200 Europeans, frameworks officiate and under officers understood. 16 May to 20 June, we have undergone the even leaves, him in a section of fusiliers voltigeurs and me to the head of a section of machine-gun Hotchkiss (model 1914). 20 June, in the ultimate "start for the honor", 6th DIC, reduced to 2000 combatants hardly circleed with rests of other divisions to the south of Tolu, we were hurt the one and the other, to some hundred of distance meters, almost to the same moment. Evacuees on the same sanitary training, installed to the farm of Naroulieu, to the north of the Mont d’Anon (10 km north-north west of the hill of Sion-Vaudemont) we there were suitable prisoners on 22 and transferred the same day on hospitals of Nancy. There have diverged our respective destinies. 29 July, I succeeded to escape me in jumping close to Lunéville, of a train of captive officers on the way to Germany. He had to wait 15 August to falsify company to its guardians. Magnificent combatting of a committed badly battle and pain driven, where the courage and sacrificed of the better - they were numerous, contrarily to some hasty judgements carried to the period - were helpless to recapture weaknesses engrave our army, the Chief Sergeant Teisseire went, in tidied it Free French Forces (F.F.L.) to illustrate in 2th Armored Division (2ème D.B.) the General Leclerc, and, lieutenant, to end the war to the Obersalzberg. Beautiful what revenge for under miserable June officer 1940 ! That is on same places of our combats of May - June 1940 that after more of 45 years we are found, during an annual meeting of the ancient of 6th D.I.C. Because it is souvenirs si alive that the time not to would know delete them!   


SERGE BOROCHOVITCH
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Ancien adjoint puis Commandant de la l0ème Compagnie du Régiment de Marche du Tchad à la 2ème Division Blindée

Il y a cinquante ans nous étions ensemble dans la tourmente de la lutte contre les nazis. Notre honneur fût de ne pas cesser le Combat et de rejoindre le Général de Gaulle. 
Ainsi, vous avez réussi à arriver au Tchad et vous vous êtes engagé dans "Les Forces Françaises Libres" Vous avez été de ceux qui n’ont jamais accepté l’armistice de Juin 40. Je suis heureux, en souvenir de notre Combat, de vous exprimer ma profonde et très fidèle amitié. There are fifty years we were totality in the gale of the struggle against Nazi. Our honor was not to cease the Combat and to rejoin the General de Gaulle. Thus, you have succeeded to arrive to Tchad and you have been committed in Free French Forces. You have been these that have never accepted the armistice of June 1940. I am happy, in souvenir of our Combat, to express you my deep and very faithful friendship.  


PRÉFACE DE MICHEL CARAGE
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Compagnon de la Libération
Ancien chef de section puis commandant de compagnie  à la 10e Compagnie du Régiment de Marche du Tchad
Colonel (h.) des Troupes de Marine

18 Novembre 1944 
Hier, les défenses ennemies ont été percées entre Badonvillier et Bréménil. Cette nuit, plusieurs contre-attaques ont été repoussées. Ce matin, le détachement blindé de tête s'efforce d'ouvrir le chemin vers Petitmont, voire Cirez-sur-Vézouve. De là et pourquoi pas pour la Division, le col du Dabo et la plaine d'Alsace... L'avance se heurte successivement à des ilots de résistance qui s'accrochent au terrain. Devant l'orée d'un bois, le détachement blindé est une nouvelle fois sous le feu ennemi. Sa section d'infanterie met de nouveau pied à terre et tente de contourner à travers bois les lignes adverses. Mais assez rapidement, le chef de détachement constate être vraiment tomber sur du "dur" : Ordre de repli à l'infanterie afin de faire donner l'artillerie. Malheureusement, le chef de section vient d’être gravement blessé et a du être abandonné chez l'ennemi, en principe à l'abri dans un petit fortin. Un peu plus tard, I'assaut est donné. Spectacle pour le moins insolite : ce chef de section sortant de son abri, couvert de sang de la tête aux pieds, mais pistolet au poing derrière un groupe de combat allemand les bras en l'air !.. Flegme et courage. Il s'agit d'Aimé Teisseire. Revenons en Août 1940 Dans un troupeau de prisonniers soumis au vainqueur, un blessé qui sort tout juste de l'hôpital de Nancy. Ce blessé, encore physiquement diminué, n'a pas seulement décidé de s'évader, mais aussi de rejoindre la France Libre ! Encore faut-il passer à l'exécution : S'évader, traverser la zone interdite, la France occupée, la ligne de démarcation ; se débrouiller pour se faire affecter en Afrique aussi près que possible des territoires ralliés à la France Libre... Et de là, réussir à gagner le Tchad. Vu de Nancy, derrière des barbelés, c'est plus qu'une vue de l'esprit. Et bien, fin décembre 1941, il est à Fort Lamy, capitale du Tchad ! Idéal : Refus de la loi du troupeau; Volonté et initiative : il s'agit aussi d'Aimé Teisseire.Le Maroc - Septembre 1943 Formation de la 2e Division Blindée. L'auteur de cette préface, muté de la 1ère Compagnie du R.T.S.T à la 10e Compagnie du nouveau Régiment de Marche du Tchad (RMT), y retrouve le Capitaine Sarazac et les Sous-lieutenants Silvy et Borochovitch. Il fait la connaissance de l'Adjudant-chef Teisseire que les hasards des affectations ne l’avaient pas fait rencontrer jusque là. Ensuite, ce sont Teisseire et lui qui vont le plus se côtoyer jusqu'à ce que le premier soit blessé ce 18 novembre 1944 et le second deux semaines plus tard en Alsace. Eh bien, il a fallu attendre près de 50 ans et qu'Aimé Teisseire lui fasse l’honneur de lui demander de préfacer le recueil de ses souvenirs, pour que Michel Carage ait enfin connaissance d'un peu de détails sur son brillant comportement tout au long de l'éprouvante campagne de France de mai et juin 1940. La réserve et la modestie des vrais guerriers. C'est également Aimé Teisseire. En rédigeant, à partir de notes prises sur le vif, ses souvenirs de guerre, le Chef de Bataillon Teisseire s'est refusé à faire oeuvre littéraire. Il apporte à l'état brut le témoignage personnel d'un Combattant de la France Libre, témoignage sollicité par des historiens et destiné en final à des archives du dernier conflit mondial. Souhaitons cependant que ce témoignage, quitte à en modifier la forme, ne soit pas seulement réservé à quelques historiens et archivistes, mais puisse aussi être lu par la jeunesse de France, à titre d'exemple du culte de la Patrie, nécessité d'hier comme de demain. 18 November 1944 Yesterday, enemies defenses have been openings between Badonvillier and Bréménil. This night, several contre-attaques have been repelled. This morning, the armored head detachment strives to open the path to Petitmont, perhaps Cirez-sur-Vézouve. From there and why not for the Division, the collar of the Dabo and the plain of Alsace... The advance knocks successively to islets of resistance that hang to the terrain. Ahead the edge from a woods, the armored detachment is a time news under the enemy fire. Its section of infantry puts new foot at earth and tent to skirt through drink adverse lines. But enough rapidly, the chief of detachment observes to be truly come across the "hard": Order of fold to the infantry so as to make give the artillery.Unfortunately, the chief of section comes to be gravely hurt and has to be abandoned it at the enemy, in principle under cover in a small fortin. A later bit, the assaut is given. Spectacle for the less peculiar : this chief of section exiting his shelter, shelter of blood of the head at feet, but pistol to the fist behind a German combat group arms in the air !.. Phlegm and courage. It concerns Aimé Teisseire. Return in August 1940 In a submissive prisoner herd to the victor, a hurt that leaves all just the hospital of Nancy. This hurt, again physically decreased, has not only decided to escape, but also to rejoin Free France ! Again is necessary-it to pass to the execution : to escape, cross the forbid zone, occupied France, the line to demarcation unravel to be made allocate in Africa also near that possible territories rallied to Free France... And from there, to succeed to earn Tchad. Seen from Nancy, behind barbed wires, it is more than a view of the spirit. And well, December end 1941, he is to Fort Lamy, capital of Tchad ! Ideal : Refusal of the law of the herd. Will and initiative : it concerns also Aimé Teisseire. The Morocco - September 1943 Training of 2th Division Plated. The author of this preface, transferred 1ère Company of the R.T.S.T to 10e Company of the new Regiment of Step of Chad (RMT), finds there the Captain Sarazac and Sub-lieutenant Silvy and Borochovitch. It makes the knowledge of the Adjudant-chief Teisseire that chances of affectations had not made meet up to there. Then, this are Teisseire and him that are going the most to coast until what the first is hurt this 18 November 1944 and the second two later weeks in Alsace. Eh well, it has been necessary to wait close to 50 years and that Aimé Teisseire makes him the honor to ask him to preface the collection of his souvenirs, in order that Michel Carage has finally knowledge a few details on his brilliant behavior all along the trying Campaign of France of May and June 1940. The reserve and the modesty of the true warriors. It is equally Aimé Teisseire. In writing, from notes taken on the vivid, his souvenirs of war, the Chief of Battalion Teisseire has refused to make literary work. He brings to the crude state the personal testimony of a Combatant of Free France, testimony requested by historians and destined in final to archivess of the last world conflict. Wish however that this testimony, leaves to in modify the form, is not only reserved to some historians and archivists, but could also be read by the youth of France, to title example of the cult of the Homeland, necessity of yesterday as tomorrow.  

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POSTFACE_de_Michel_EL_BAZE

Préfaces

Général de Division (cr) Charles Deschênes 
Serge Borochovitch
Colonel (cr) Michel Carage

Avant propos du témoin

Avant guerre

La "drôle de guerre" 20
Combats de Mai-Juin 1940
Captivité et évasion
Dans l’Armée d’Armistice
Je m’évade pour rejoindre les Forces Françaises Libres
Dans les Forces Françaises Libres
Campagne de France avec la Division Leclerc
L’Allemagne
Mon mariage
L’Extrème-Orient

Colonel Michel CARAGE

 

 

  Avant guerre
Travaillant dans une banque à Monte-Carlo, mais aspirant à une vie plus active et désirant voyager, je veux m'engager pour le Service Général des Troupes Coloniales et au titre d'un régiment stationné au Levant (Syrie ou Liban, je ne me souviens plus). Refusé à la visite médicale à cause de l'indice de Pignet (rapport taille-poids-tour de poitrine); j'étais trop maigre, paraît-il, alors que j'étais en excellente santé et très sportif... Une autre demande peu après, au titre d'un régiment du Maroc, a le même insuccès pour le même motif. Peut-être, si j'avais demandé un Régiment en Métropole, le Médecin aurait été moins strict ? J'avais dix huit ans depuis peu. 
Je pars comme civil au Gabon, comme caissier dans un café à Port-Gentil et éventuellement remplaçant du patron pendant ses absences. J'arrive le 23 Mars 1933. Par la suite, j'irai tenir un petit magasin en brousse, près des grands lacs du Fernand Vaz. C'est peu rentable et je reviens en France. J'avais failli entrer dans l'exploitation des bois; un directeur de société voulait acheter pour sa maison une concession de bois d'okoumé à abattre et m'aurait pris comme agent de coupe; mais finalement l'affaire ne s'était pas faite. Je redemande à m'engager dans les Troupes Coloniales, pour le 8ème Régiment de Tirailleurs Sénégalais à Toulon. Cette fois, je suis accepté à la visite médicale. Je signe le 26 Mars 1934 un engagement de 5 ans et j'arrive au Corps le 27. Peloton d'élève-caporal (6 mois), d'élève-sergent (9 mois) à Aix-en-Provence, au Régiment d'Infanterie Coloniale du Maroc (R.I.C.M.) le Régiment le plus décoré de France. Sous le commandement du Colonel Deslaurens, militaire dans l'âme, l'entraînement est intensif, la discipline sévère et le règlement est appliqué à la lettre: ainsi, j'aurai quelques jours de consigne car j'avais porté en ville mon képi légèrement incliné et non droit... Devenu Général, commandant une division décimée près de Dunkerque en 1940, il aurait pris un fusil et aurait tiré jusqu'à la mort... Je salue sa mémoire et j'aimerais qu'il ne soit point oublié. Étant a Marseille, l'on demande des volontaires, par ordre de la Direction des Troupes Coloniales, pour la Côte Française des Somalis, au moment de la Guerre Italo-Ethiopienne. Je le suis, mais le Chef de Bataillon ne désire pas me lâcher et ma candidature n'est pas retenue. Les primes ayant été sérieusement augmentées, je signe le 12 Novembre 1936 un rengagement de 4 ans pour compter du 26 Avril 1939. Je suis des cours à Toulon, à la caserne du 4ème R.T.S., préparatoires à l'École de Saint-Maixent. Mais je suis désigné pour l'Afrique Équatoriale Française. Peut-être, et mon commandant de compagnie m'aurait probablement aidé, aurais-je pu me débrouiller pour ne pas partir, mais je ne le cherche pas et j'effectue un séjour au Congo.      TABLE



La "drôle de guerre"
Au moment de la déclaration de guerre Franco-Allemande, je suis sergent et j'appartiens au 3ème Régiment d'Infanterie Coloniale basé à Rochefort, mais je suis détaché à la base aérienne de Rochefort (qui comprenait surtout une école de mécaniciens d'aviation) où, ainsi qu'un adjudant et un autre sergent européens, nous encadrons un détachement de Sénégalais préposés à la garde des avions, bâtiments et à divers travaux. A propos de "Sénégalais", il faut spécifier que dans les Troupes Coloniales étaient dits tirailleurs (ou gradés) Sénégalais les ressortissants de l'Afrique Occidentale ou de l'Afrique Équatoriale Françaises n'ayant pas le statut de "citoyen français". A la suite de la guerre 14-18, qui vit combattre beaucoup d'originaires du Sénégal, les enfants nés à Dakar, Saint-Louis, Rufisque et Thiès (si je ne me trompe, ceci étant à vérifier éventuellement) étaient citoyens français et étaient classés dans les Troupes Coloniales comme Européens, tout comme par exemple les Antillais, alors que les militaires venus du Soudan Français (le Mali maintenant), de la Côte d'Ivoire, du Dahomey, de la Guinée, de l'Oubangui-Chari (devenu République Centre Africaine), etc. étaient dits "Sénégalais"... Estimant que ma place était dans une unité combattante, étant sergent d'active, alors qu'il y avait la guerre et que je pourrais être remplacé par un sergent de réserve, je demande avec insistance mon retour à mon régiment. C'est refusé. Il n'y a rien à faire par demandes normales. J'ai un petit litige par ailleurs. Je l'amplifie et je me rends insupportable et tout à fait indiscipliné jusqu'à ce que le commandant de la Base Aérienne, excédé, téléphone au Commandant d'Armes de Rochefort. Je suis renvoyé à mon Corps où je couche à la salle d'arrêts. Le lendemain matin, je suis convoqué par l'Officier Supérieur Chef du Dépôt arrière du 3ème R.I.C. (le gros du Régiment étant parti). Il me dit : - Alors tu as fais le con pour rejoindre la Coloniale. Il lève l'exécution de mes nombreux jours d'arrêts de rigueur restants. Mais je ne rejoins pas la zone des Armées; je suis affecté à un bataillon d'instruction dans la région de Fouras (Charente-Maritime). Je ne suis pas entièrement satisfait mais j'espère bientôt aller au front et je trouve que je fais un travail militaire plus utile qu'à la base aérienne. C'est la "Drôle de guerre". Nous partons pour la zone des Armées par chemin de fer. Intercalé entre les wagons, il y a une plate-forme découverte avec des mitrailleuses en batterie pour la défense contre avions. Je me porte volontaire pour, avec mon groupe, assurer celle-ci. Il fait très froid. Nous avons installé des toiles de tente pour nous abriter quand nous ne sommes pas de garde. Il y a de la glace dans nos gourdes. Mais le moral de mon groupe (des Européens) reste élevé. Le 2 Janvier 1940, nous arrivons dans la zone des Armées. Le convoi ne va pas très vite. Nous occuperons divers cantonnements. Le 16 Avril 1940, je suis, ainsi que d'autres cadres Européens, muté au 6ème Régiment d'Infanterie Coloniale Mixte Sénégalais en formation et qui a reçu des Sénégalais du 6ème Régiment de Tirailleurs Sénégalais, ainsi d'ailleurs que des cadres européens (et soldats ?) de ce régiment.

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Combats de Mai-Juin 1940
Le 15 Mai 1940, la Compagnie à laquelle j'appartiens, (2ème Compagnie commandée par le Capitaine Farcet) et qui était cantonnée à Ernecourt (Meuse), est transportée par camion jusqu'à Bayonville (Ardennes). Le mouvement se poursuivra à pied. Le 16, le gros de la 2ème Compagnie est à Fontenois (Ardennes); la section à laquelle j'appartiens est à Saint Pierremont, légèrement au nord. Le chef de cette section est le Sous-Lieutenant de Grand Maison. Son adjoint est en permission; étant le sous-officier le plus ancien, je cumule donc les fonctions de chef de groupe et d'adjoint au chef de section. Des avions stukas ont attaqué en piqué dans les environs. Les roulantes (cuisines ambulantes) semblent particulièrement visées. Mon groupe n'a pas de support pour tir contre avions du fusil-mitrailleur. J'avais exercé mon tireur, un grand tirailleur de race Bambara. En cas d'attaque aérienne, il était convenu que je prendrais le fusil-mitrailleur sur mon épaule étant debout, le maintenant par le bipied, mon tirailleur tirant, un genou à terre. Le chef de section a dû s'absenter, étant probablement allé prendre des consignes auprès du commandant de compagnie. Je reste de garde, près de mon fusil mitrailleur. Soudain, trois avions allemands "Dornier 17" surgissent, mitraillant en rase-mottes. Comme prévu, étant sur le talus, je prends le F.M. sur mon épaule, mon tireur, dans le fossé, un genou à terre, tire comme je lui avais appris. L'avion visé passe à une dizaine de mètres de hauteur et à une trentaine de mètres, au maximum, de distance. Il passe latéralement devant nous. Il est touché, tangue fortement, mais n'est pas abattu. Les avions reviennent. Mon F.M. touche encore. Le tireur d'un autre groupe de ma section, commandé si mes souvenirs sont exacts par le Sergent Garin, tire aussi; il est muni d'un support de tir contre avions qui était installé sur un pieu de clôture. Un avion sera abattu; un autre perdra sa tourelle avec une mitrailleuse. J'apprendrai qu'un autre tireur, le Tirailleur Boke Diarra, qui était à Fontenois avec le gros de la compagnie, avait tiré aussi, en maintenant son fusil-mitrailleur à bras-francs. Après l'armistice, un livre, le "Mémorial de l'Empire" relate cette affaire mais ne parle que de Boke Diarra. A un paragraphe, il relate la perte de la tourelle supérieure d'un avion avant l'autre avion abattu. Plus loin, il situe l'avion abattu avant l'autre épisode raconté ainsi : "...il en atteignait un autre, dont on put voir à vingt mètres du sol, l'observateur s'écrouler dans la carlingue en lâchant une mitrailleuse qui se cassa en tombant à terre". D'après le récit, Boke Diarra aurait tiré au second passage. Par lettre du 11 Août 1985, l'ex-Capitaine Farcet m'écrira à ce sujet, confirmant qu'il avait vu Boké Diarra, tirant à balles traçantes et perforantes, avoir atteint la tourelle supérieure du premier avion qui fut arrachée et projetée avec la mitrailleuse mais il me dit que le 2ème avion a été descendu par le tir de la Section de Grand Maison. Cependant, les souvenirs de Farcet ont pu s'émousser et il reste possible que Boké Diarra soit l'auteur des deux exploits. Il me semble me souvenir, mais c'est moins net dans mon esprit que le premier passage, que nous avons vu au 2ème passage, un avion lâchant une fumée un peu plus loin puis s'abattre après avoir viré à gauche. Je reste près des F.M. de la section. Garin va reconnaître. Il me dira qu'il y avait dans l'avion abattu plusieurs balles perforantes; les trois F.M. ont tiré avec ces balles. Des recoupements faits après la guerre, il ressort que les avions ennemis ont survolé la compagnie de mitrailleuses du bataillon installée dans des bois, puis ont mitraille le gros de la 2ème Compagnie à Fontenois, puis après une boucle, nous ont mitraillés à Saint-Pierremont. Après un trajet indéterminé, les avions ont effectué un deuxième passage sur ces deux localités. Boké Diarra avait à Ernecourt gagné un concours de tir et avait été chargé par le capitaine de la défense aérienne du P.C. de la compagnie a Fontenois. Il fut tué peu après. A titre posthume, il eut une citation à l'ordre de l'Armée. J'ai demandé à mon chef de section de proposer mon tireur et celui du Groupe Garin pour une citation. Je crois qu'ils l'ont eu. Peu après cette affaire, une rue de Saint-Pierremont fut mitraillée par un avion à cocarde tricolore, sans doute par erreur et heureusement sans pertes. Le 16, nous montons en ligne. Dans la nuit , nous relevons une unité. Mon groupe est en première ligne, à la lisière nord des bois au nord de Sommauthe. Vu les recoupements effectués après la guerre, je pense avoir situé notre emplacement. Les consignes sont vite passées : "l'ennemi est par là". Le 17, nous subissons un violent bombardement d'artillerie. Je maintiens mon groupe en place. Puis une puissante offensive allemande a lieu. Je suis près du fusil-mitrailleur. M'étant déplacé en rampant à un autre endroit pour compléter mon observation, une rafale d'arme automatique ennemie coupe des herbes à un demi mètre au dessus de ma tête. Les tirs allemands sont intenses. Je reçois un ordre de repli. Une section en retrait et un peu à droite a déjà décroché. Nous nous mettons en position à la lisière d'un bois un peu au sud, une clairière devant nous, pour arrêter l'assaut ennemi, mais nous recevons l'ordre de nous replier encore un peu. Les combats sont violents. Avec mon groupe, je suis coupé de ma section. Un canon de 25 est en batterie pouvant prendre de ses feux la route vers la Besace. Il ne semble pas protégé. Je prends l'initiative de le couvrir plus au Nord, me mettant à la disposition du plus haut gradé présent. Puis le canon de 25 se replie. Je retrouve ma section. L'ennemi est finalement stoppé. La section de mitrailleuses du Sous-Lieutenant Deschènes avait été encerclée. Elle était restée sur ses positions, l'ordre de repli ne lui étant pas parvenu et avait magnifiquement résisté. Le 18, une contre-attraque locale est décidée pour la dégager. La Section De Grand Maison, appuyée par trois chars, doit progresser le long de la route vers la Besace. Le chef de Corps, le Colonel Lelong, nous voit avant le départ, fait prendre nos noms... Au cours de la progression, un char tombera en panne. Sur la route, les Allemands avaient déposé des mines antichars sous des branchages; nous les enlevons. Nous arrivons à la lisière nord du bois, face à la Bagnole. Je prends le fusil-mitrailleur de mon groupe, mon tireur étant terrorisé par le feu adverse. Les deux chars restants, le chef de notre section et quelques gradés ou hommes dont je suis, dépassons la lisière et nous tirons vers l'ennemi, face à l'est. Puis, nous décrochons. Je pars avec le dernier char, continuant à tirer, mon F.M. posé sur celui-ci. Le feu ennemi est intense`. La Section Deschènes a pu rejoindre. Elle avait tiré 80.000 cartouches... Les jours suivants, nous sommes en position dans la forêt. La section forme, soit un point d'appui fermé, à l'ouest de la route, soit deux petits points d'appui fermés à cheval sur la route et près l'un de l'autre; je commande alors le deuxième. Nous effectuons des patrouilles. Nous subissons des bombardements. Nous repoussons des éléments ennemis qui nous tâtent. Nous occupons une nouvelle position. Nous sommes près du carrefour route Sommauthe-La Besace et chemin qui, de la côte 194 va vers 182-185-189. Elle forme deux points d'appui, à l'Est et près de la route Sommauthe- La Besace. Le chef de section est au sud du chemin allant vers 182; je commande le point d'appui au Nord. Nous subissons un très violent bombardement qui va en s'amplifiant dans la nuit du 22 au 23 et se prolonge au petit jour. Le chef de section regroupe la section au sud du chemin. Je suis dans un trou "Gamelin", près d'un tireur au F.M. (un Dahoméen, il me semble); c'était, je crois, le seul fusil-mitrailleur restant en service à la section. Près de nous, à notre Sud, elle aussi à l'Est de la route Sommauthe-La Besace et près de celle-ci, il y a une unité de mitrailleuses. Je croyais qu'il y avait une section (Adjudant Ferrer) mais le S/Lieutenant. Deschènes, devenu Général, m'assurera après la guerre qu'il s'agissait d'un groupe commandé par le Sergent Bigotte. L'ennemi arrive, le chemin leur servant d'axe de marche. A plusieurs reprises, ils donneront l'assaut. Le scénario : ils se regroupent à une quarantaine de mètres (la végétation est dense); ils s'excitent: "Ein Volk - Ein Reich - Ein Führer"; ils se lancent à l'assaut. A 25-30 mètres, nous ouvrons le feu. A 10-15 mètres, ils sont stoppés. Puis l'on recommence. Un intermède : les Allemands ayant hurlé leur slogan, l'un de nous crie d'une voix puissante : "Ta gueule, eh, con". Ce n'était pas très poli; ça rappelait Cambronne; mais cela a détendu l'atmosphère de notre côté... Mais la situation devient intenable. Après un commun accord des deux chefs, l'unité de mitrailleuses décroche, emmenant ses armes. Elle a tiré un nombre impressionnant de cartouches. Notre section tient encore un peu, puis décroche à son tour. Nous sommes obligés de laisser nos blessés. En 1944, au Maroc, j'aurai connaissance d'un article paru dans un journal, qui m'avait été transmis par le Commandant Larroque (capitaine en 1940 au 6ème R.I.C.M.S.). Le Colonel Merglen (devenu Général), qui avait été l'auteur de cet article, fit paraître en 1967 un livre : "La Guerre à la Française" où il reprenait cet article. Il est relaté un rapport relevé dans un ouvrage établi sous la direction de l'état-major général de l'Armée de Terre allemande. Le combat du 23 Mai 1940 sur notre régiment est exposé; le récit montre la belle résistance du 6ème R.I.C.M.S. A signaler cependant: Le récit Allemand se rapporte indiscutablement à l'attaque du 23 Mai. Il indique qu'il est mené par le 118ème R.I. Il dit que le 21, ce régiment est dans une position défensive. Au Service Historique de l'Armée de Terre Française, à Vincennes, sont déposés un rapport du Colonel Lelong sur les combats de Mai 40 et le Journal de Marche de la 6ème D.I.C. (Division à laquelle nous appartenions). Le rapport au Colonel Lelong, parlant du 21 Mai, où il y avait eu aussi une attaque Allemande, indique : "...Des prisonniers faits sur le front, il ressort nettement que trois bataillons, un de chaque régiment, de la division, attaquent: ... un du 118ème à sa droite..." Ceci ressort aussi du Journal de Marche de notre division qui, d'autre part, indique pour le 23 Mai:  "L'attaque ennemie menée par 4 Régiments (60e R.I. - 79e R.I. - 70e R.I. et 87e R.I.) se prononce vers 4 heures du matin sur l'ensemble du front de la Division..." Le récit allemand mentionne : "A 4h42, notre artillerie ouvre le feu, un feu d'enfer...". Le bombardement sur nos positions a commencé bien plus tôt; ceci est d'ailleurs confirmé par le rapport du Colonel Lelong. Le bombardement devait devenir ensuite d'une violence extrême. J'aurai connaissance d'une traduction d'un manuel d'instruction militaire britannique de 1942. A la page 79, il se rapporte à l'article allemand Nous participons encore à des actions d'abord dans les bois de Sommauthe, puis prenons position sur une colline un peu à l'Ouest, face au Nord. Au cours d'un bombardement ennemi, le Capitaine Farcet, commandant la compagnie et l'Adjudant de Compagnie Barbeaux Chef de la section de Commandement, sont blessés le 26 Mai. Relevés peu après, nous participons à l'établissement d'un fossé antichars. Dans la nuit du 10 au 11 Juin, nous faisons mouvement pour occuper une position face à l'Ouest et Nord-ouest. C'est le Lieutenant Charoy (ou Charroy) qui commande maintenant la 2ème Compagnie. J'ai été nommé sergent-chef à titre exceptionnel et suis passé chef de la section de commandement. Les règlements militaires de l'époque prévoyaient que l'adjudant de la compagnie devenait en temps de guerre chef de la section de commandement de la compagnie était chargé du ravitaillement en munitions, fonction tout à fait théorique à ce moment. En pratique, vu la pénurie en officiers, je serai pratiquement adjoint au commandant de la compagnie dont les effectifs en personnel s'amenuiseront très rapidement. Le P.C. de la compagnie s'installe sur une colline à l'est de Manre (région sud Ardennes), près du carrefour route D6 Ardeuil-Manre et embranchement allant vers Grateuil, au sud de la première route et un peu à l'ouest de la seconde. Le 12 Juin, nous assistons au repli général : l'artillerie, l'infanterie, puis en dernier, le groupe de reconnaissance divisionnaire à cheval qui nous prévient de l'arrivée imminente de l'ennemi. En effet, peu après des blindés allemands apparaissent sur la crête en face, près de Manre. Puis leur infanterie arrive. Nous sommes canonnés et mitraillés avec générosité. L'ennemi attaque. Nous résistons avec nos moyens. Vers le soir, arrive au P.C. de la compagnie l'ordre de repli. Une section de la compagnie, commandée par le Sergent Giovanelli, ainsi qu'une pièce de canon de 25, commandée par l'Adjudant-chef Cantera, en position plus à l'ouest et non loin de la voie ferrée, n’ont pu être touchées par cet ordre. L'ennemi a déjà débordé. Je propose à mon commandant de compagnie d'aller les prévenir de l'ordre de repli; il me donne son accord. Je progresse à quatre pattes à travers les champs de céréales. Les balles traceuses m'encadrent. A un moment, je rencontre un tirailleur cheminant lui aussi à quatre pattes en sens inverse. Je crois d'abord que c'est un fuyard, mais au moment où je vais le lui reprocher, je m'aperçois qu'il est sérieusement blessé au cou; je lui indique le cheminement de repli. J'arrive aux éléments amis, bien aisés de me voir. L'adjudant-chef me demande de tenir encore une dizaine de minutes avec la section afin de protéger le repli de sa pièce; je lui donne mon accord. Après avoir tenu ainsi que prévu, nous décrochons à notre tour. Nous arrivons sous un talus de 2 mètres de haut, vertical avec des arbustes sur le haut. La nuit est tombée. La pièce de 25 est stoppée à proximité. Les Allemands nous ont complètement encerclés mais ne nous ont pas encore repérés grâce à l'obscurité. Je demande à l'adjudant chef s'il rend sa pièce inutilisable; il me répond par l'affirmative. Je crois, sans certitude, qu'il sera fait prisonnier. Nous sommes, les éléments de la section et moi-même, au bas du talus. A voix basse ou par signes, je prescris de se préparer à un feu de salve. L'ennemi s'est approché du bord du talus, écarte les branches des arbustes pour voir ce qui se passe. Malheureusement, un de nos tirailleur tire intempestivement; les Allemands s'aperçoivent qu'ils ont sous eux des Français. Dès lors, fusillades à bout portant, courses effrénées, épisodes tragiques et parfois comiques; ainsi, alors que nous courrons vers les lignes allemandes en vue d'échapper ensuite à l'encerclement, Giovanelli tombe sur un gradé adverse qui, dans la nuit, le prenant pour un fuyard de sa nationalité l'engueule, le menace et lui montre la direction des Français; inutile de dire que le camarade a fait un demi-tour rapide avant d'être reconnu. Je me rappelle d'un thalweg où nous étions descendus croyant trouver un défilement protégé mais où il y avait des éléments ennemis. Finalement, le chef de section, des éléments de la section (je ne me souviens plus du nombre) et moi-même franchissons l'encerclement ennemi. Nous rejoindrons ensuite la Compagnie, après avoir marché la nuit. Il me semble, ainsi que je l'ai écrit dans mes souvenirs, que nous n'avons pu la rejoindre que le lendemain dans la journée, mais mes souvenirs sont imprécis à ce sujet et je ne peux certifier l'heure approximative de notre jonction (début de matinée peut-être ?) La section de l'Aspirant Deuve, de notre compagnie, a été pratiquement anéantie. Le 13 Juin, notre Bataillon subit de très lourdes pertes. Son chef, le Chef de Bataillon Cordier, est perdu. Je suis parmi les éléments qui ont pu passer. Nous avons en particulier été attaqué par des automitrailleuses. Dans les 24 heures, nous avons parcouru environ 55 km. Passant près du Moulin de Valmy, nous avons espéré un redressement. La retraite continua pour le régiment. Les replis ne se font toujours que sur ordre. Généralement, marche de nuit et une partie de la matinée. Installation sur des positions; trous "Gamelins". Les Allemands, transportés en camions, arrivent frais. Combat défensif pour plusieurs Unités jusqu'à l'ordre de repli... Après les combats du 13, le 1er Bataillon est dissous; la 2ème Compagnie est rattachée au 3ème Bataillon. Le 19 Juin, elle est rattachée officiellement à la 10ème Compagnie. (Capitaine Larroque), mais déjà auparavant l'on ne peut guère parler de compagnie, mais plutôt d'assez grosse puis de petite section... Le 14 Juin, le Régiment livre des combats très durs en forêt de Belval, un peu au sud de Villers en Argonne et dans la région de Bournonville. Le 15 Juin, nous sommes en position en première ligne, face en gros à l'Ouest, un peu au sud-ouest de Vaubecourt (Meuse). Je pense que notre emplacement est à peu près celui indiqué sur la carte en annexe 5. Un Bataillon du 21ème Régiment d'Infanterie Coloniale est à côté de notre Bataillon. Nous sommes bombardés. Les Allemands se concentrent, nombreux. Étant à l'échelon le plus avancé, nous les voyons nettement et essayons de leur infliger des pertes. L'attaque allemande est massive. Nous tenons et résistons jusqu'à l'ordre de repli, partant parmi les tout derniers. Nous sommes largement débordés. Nous essuyons des feux extrêmement nourris; il y a notamment une montée dénudée à passer. Les balles arrivent tout autour de nous. Ce jour là, j'ai subi une des plus vives, voire même, je crois la plus vive fusillade de ma vie. Les pertes sont lourdes. Avec quelques hommes, nous arrivons à une route qui est prise en enfilade (voir annexe 5). Nous nous heurtons encore à d'autres unités allemandes. Plus loin, nous subissons le tir d'un fusil-mitrailleur français qui est plus au Sud; les balles tapent près . Nous sommes coupés. Je suis avec trois soldats européens, je ne me rappelle plus de quelle unité. Nous arrivons près d'un village où arrive un important détachement allemand. Un guetteur allemand tire sur nous et donne l'alerte. Un soldat préfère se rendre. Avec les deux autres et après d'autres péripéties, je rejoindrai finalement l'armée française. Je communique au Commandement des Troupes rejointes tout ce que j'avais pu observer. Je rejoins mon Unité. Nous passons la Meuse à Lerouville, allant vers l'Est. Le 17 Juin, près de Vertuzey, nous sommes mis à la disposition d'un Chef de Bataillon des Troupes Coloniales, mais non du régiment, le Commandant Lauzier, figure très originale. Il avait auparavant attaqué des blindés avec des bouteilles d'essence. Le chef du bataillon, avec sang-froid et un grand calme, propose à un général de remplir telle ou telle mission. Finalement, il reçoit l'ordre de tenir un point. Il constitue trois éléments pour une défense à contre pente, tandis qu'un autre élément, dont je suis, est formé, à qui il dit :"...et nous, nous contre-attaquerons, moi le premier, la canne à la main". Puis, il nous prescrit d'aller chercher à manger; il me semble que des lapins ont été trouvés... Il nous avait galvanisés; lui et je crois certains d'entre nous sont déçus de devoir se replier avant l'arrivée de l'ennemi sur notre position. Notre mise temporaire à sa disposition se termine. Le 20 Juin, ce qui reste de l'ex-2ème Compagnie se réduit à un officier, le Lieutenant Charroy, un sergent-chef européen (moi-même) deux sergents (ou caporal-chef) européens, un soldat européen, une vingtaine de Sénégalais. Dans la matinée, étant dans le bois de Chanois (un peu au Nord-est de Barizey-au-Plain, sud de Toul), nous recevons l'ordre de nous porter vers l’ennemi pour essayer d’enrayer sa progression. Le P.C. du chef de corps, près de nous, est menacé d'encerclement. Le terrain et très légèrement ondulé. Le Lieutenant. Charroy, les deux chefs de groupe et moi, nous nous portons à la crête puis je vais chercher le restant de l'unité. Nous sommes fortement mitraillés par l'ennemi qui est retranché derrière une voie ferrée et semble avancer sur les ailes. Je tiraille, tout en surveillant et encourageant les Tirailleurs. Je suis couché, la cuisse droite repliée sur la jambe gauche. Un fusil-mitrailleur est mal placé; je lui fais signe d'avancer, avec un mouvement du bras. Pour ceci, je déplace un peu ma tête. C'est ce qui me sauve. Une balle d'arme automatique, me frôlant le corps, passe entre le haut de mes cuisses, me blesse à la droite, près de l'aine. Une autre balle m'atteint par ricochet à la cheville gauche. L'on s'apercevra par la suite qu'une balle, trouant le pantalon m'a atteint très légèrement dans la région du genou gauche. Je ne m'en aperçois pas sur le moment et je ne sais si cette balle m'a touché en même temps que les autres ou pendant mon évacuation qui est difficile. Le Lieutenant Charroy a désigné le soldat européen pour me soutenir jusqu'au premier poste de secours. Je suis couché dans une grange, avec d'autres blessés. Des camarades blessés mais pouvant marcher me racontent ce qui se passe. Il y a un différent entre des artilleurs et des médecins. Les premiers veulent tirer leurs derniers obus, les médecins s'y opposent arguant qu'ils sont à côté des blessés. Un accord est trouvé. Nous sommes évacués. Les artilleurs attendent notre départ pour ouvrir le feu. Nous sommes évacués au poste de secours divisionnaire sur une colline, le Mont Anon. De grandes croix rouges sont installées. Les Allemands respectent l'emplacement des blessés. Des combats font encore rage autour du mamelon, le 22 Juin. Il parait, en particulier que des légionnaires s'y distinguent. Les Allemands arrivent au poste de secours ce jour-là et nous sommes faits prisonniers.
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Captivité et évasion

Je suis soigné dans un hôpital à Nancy, puis envoyé à l'Institut de Santifontaine et des jeunes aveugles, transformé en centre de convalescence pour blessés. 
Deux anecdotes: - La quantité de nourriture laisse beaucoup à désirer. Je garde un peu de pain pour le lendemain matin. Il m'est volé par un autre prisonnier. - Avec de très jeunes filles nancéennes qui ont une balle, nous jouons comme des gosses à nous envoyer celle-ci par dessus la grille et la sentinelle allemande. Celle-ci excédée, finit par confisquer la balle. Sur le moment, j'enrage, mais je dois reconnaître ensuite en mon for intérieur qu'à sa place j'aurais peut-être gratifié les prisonniers de mon pied quelque part... Je suis envoyé à l'ex-caserne d'aviation d'Essey-Les-Nancy transformée en camp de prisonniers. Le commandant allemand nous dit quelques paroles : - Je sais ce que c'est d'être prisonnier; je l'ai été à la dernière guerre; je ferai tout pour votre bien-être... J'ai pris toutes précautions pour empêcher des évasions... Nous sommes traités correctement. Nous mangeons souvent de l'avoine, mais la nourriture est plus abondante qu'à l'hôpital ou à Santifontaine. Nous touchons la solde prévue par les accords de Genève. Il y a une cantine où nous pouvons faire quelques achats. Parmi les prisonniers que je vois (il n'y a que des sous-officiers ou hommes de troupe) aucun ne parait vouloir s'évader. Les plus pessimistes pensent que nous serons libérés pour la Noël. Certes, je pense aussi qu'en ce qui concerne, sous-officiers et hommes de troupe, seule l'armée d'active sera maintenue en captivité; je déclare être de réserve et que mon domicile habituel est à Tchonga-Tchiné, au Gabon. Mais je veux m'évader; l'on ne sait jamais et je trouve d'ailleurs cela plus élégant... Les sous-officiers ne travaillent pas et restent à la caserne. J'examine les possibilités. C'est difficile: armes automatiques en position sur miradors, sentinelles à l'intérieur et à l'extérieur des murs, interdiction de sortir la nuit des bâtiments.Le 14 Août, j'enlève mes galons et je me joins à un détachement effectuant des corvées d'intendance. A la gare de Nancy, je commence à partir discrètement mais je tombe sur des Allemands. Je fais demi-tour, l'air innocent. C'est bourré d'uniformes d'outre-Rhin. Mes gardiens m'ont sous le regard. L'on demande un sous-officier pour le lendemain 15 Août afin de répartir équitablement les repas entre les diverses corvées extérieures. Je me porte volontaire et remets mes galons. Au cours d'un trajet, vers midi le garde allemand étant assis près du chauffeur d'un gros camion découvert, je suis seul derrière. Je compte sauter sur une grande route; un cycliste allemand s'accroche derrière. Il nous abandonne quand nous prenons un chemin de terre bordé de forêt, allant à un champ de tir. Au carrefour, un groupe d'Allemands est à la terrasse d'un café. Puis, nous disparaissons de leur vue après un tournant. Le gardien ne me regarde pas. Je saute. Vu la vitesse, je m'écorche assez profondément aux mains et aux genoux (je conserve à l'heure actuelle une cicatrice à la paume de la main gauche), après être tombé. Je me relève, cours. Le soleil est invisible; il faut m'orienter. Je pense aux scouts; la mousse autour des arbres; las! ce n'est pas du tout évident... Je pense aller d'abord vers l'Ouest jusqu'à Ernecourt où j'ai une marraine de guerre, puis, toujours a pied vers la zone non occupée. Il faudrait que je trouve des vêtements civils. Mon pantalon militaire est déchiré, plein de sang. Je vois deux femmes qui cherchent des champignons dans la forêt. Le premiers mots de l'une : - Mon pauvre monsieur, vous ne savez pas que tous les prisonniers évadés que l'on rattrape, on les fusille. Ce qui est d'ailleurs faux. Puis - D'habitude, nous venons avec un pantalon; nous en apporterons la prochaine fois. Ces bonnes paroles n'apportent pas une solution à mon problème. Plus loin, un bucheron m'offre du café mais pas de vêtement. J'arrive près d'un village; j'attends la nuit pour y aller. Une femme et son mari (affecté spécial pendant la guerre) arrivent. Nous causons mais ils repartent. Ils reviennent; la femme a décidé son mari. Ils partent devant en éclaireurs et doivent siffler en cas de danger. Je les suis jusque chez eux où ils m'hébergent. Mes habits militaires sont enfouis et ils me fournissent de vieux habits de paysans, ainsi qu'une paire de souliers de rechange.Je chemine, un sac sur l'épaule, contenant les souliers. La ligne de démarcation entre la zone dite "interdite" et le restant de la zone occupée est bien gardée (même mieux me semblera-t-il que la ligne entre zone occupée et non occupée). Grâce à des renseignements d'habitants, je passe sans être intercepté. J'arrive à Ernecourt. Ma marraine de guerre me passe 50 fr.. (que je lui rembourserai ensuite par mandat); j'ai d'autre part un peu d'argent mais je ne dépenserai rien en zone occupée à part un pot payé à des prisonniers; je ne sais s'ils ont donné leur parole de ne pas s'évader; ils travaillent sans surveillance et n'ont pas l'air d'avoir le désir de partir. Je suis généralement bien reçu. Une seule exception : un cultivateur me refuse l'hospitalité. Il pleut. Je coupe une grande quantité de céréales dans son champ, me glisse sous le gros tas d'épis qui me protège. Je progresse dans un champ. Viennent en sens inverse sur le chemin des militaires allemands à cheval. Arrivés à ma hauteur, ils tournent leurs chevaux vers moi. Ils sont à une trentaine de mètres. La forêt est trop loin pour que je puisse l'atteindre avant eux; je continue le plus naturellement possible. Les Allemands reprennent leur route... Je rencontre des troupes allemandes manoeuvrant. Dans un thalweg, je tombe sur quelques soldats allemands qui paraissent avoir plutôt une position de farniente que celle d'un guetteur ou d'un éclaireur. Ils paraissent surpris mais soulagés. J'ai l'impression qu'ils sont plus heureux de me voir que d'être surpris par un de leur gradés... Du sommet d'une colline, je vois dans la plaine des isolés marchant vers le Sud. Je crois bien que c'est des prisonniers évadés. Je m'arrête dans une ferme tenue par des Alsaciens. Ils ne parlent pas le français, à l'exception d'une des filles. Je dis que je vais chercher du travail dans le Sud. La fille me fait comprendre qu'elle a deviné que je suis un prisonnier évadé cherchant à rejoindre la zone non occupée. Après dîner, il m'est proposé une place dans la paille au fond d'une grange profonde. La fille me dit qu'elle doit aller dans le village le plus proche pour divers achats. Dans celui-ci, il y a des Allemands. S'ils arrivent, je ne peux m'enfuir, la grange n'a qu'une entrée. Je me dis : il faut choisir: fuir de suite ou me reposer. Je décide que la fille est sympathique et je m'endors. Le lendemain, je vois la jeune fille revenue; un petit déjeuner puis des provisions me sont offerts. Après le passage en zone non occupée, je serai présenté au 2ème Bureau, à Bourg-en-Bresse, qui continue son travail, estimant que nous sommes toujours en état de guerre avec l'Allemagne. L'Officier me dira que des prisonniers évadés lui ont signalé cette ferme d'Alsaciens comme suspecte; je ferai rectifier ce jugement... Près de Chalon-sur-Saône, un peu avant la ligne de démarcation, je vois d'autres évadés. Nous sommes hébergés par des cultivateurs (et cultivatrices, car il n'y a pas d'hommes en âge de porter les armes). Des guides nous sont fournis bénévolement, des renseignements donnés; nous franchissons la ligne sans encombre. Le comportement général de la population civile change d'une zone à l'autre. En zone non occupée, elle ne nous est pas hostile mais dans l'ensemble plus indifférente qu'en zone occupée. Je veux rentrer chez mes parents à Beausoleil (Alpes-Maritimes) avec mes habits d'évadé; je fais un peu "clochard". Il y a trois classes dans les trains; j'ai droit à la 2ème classe qui à l'époque est fréquentée par beaucoup de gens très aisés. Dans le wagon, des femmes assez huppées ont l'air scandalisé. Les contrôleurs vérifient mon titre de transport; je ne dis rien. Ils discutent entre eux à voix basse. J'entends l'un dire à l'autre d'un ton désabusé : "il y a droit" (à la 2ème classe). A Marseille, près du port, un agent fonce sur moi: "vos papiers": Je lui présente mon ordre de mission et ma permission. Je lui dis: "prisonnier évadé". Il bredouille confus : "je m'en doutais"... Je prends une boisson dans un beau café de Nice. J'arrive chez mes parents que j'avais prévenu auparavant de mon évasion. Quelques anecdotes de Mai 40 et de captivité : - Le 17 Mai, la bataille faisant rage, des vaches abandonnées errent dans la campagne. L'un de mes tirailleurs sénégalais me demande : - Dis, chef, les vaches là-bas c'est pour Français ou Allemands ?. - Nous sommes en point d'appui ferme dans les bois. Un de mes tirailleurs a tiré parce qu'il a entendu un bruit suspect. Je lui explique qu'il faut tirer à coup sûr. Un peu après, je fais une ronde. Mon tirailleur dort du sommeil du juste. Je le réveille, le sermonne. Ah! chef, me dit-il, d'un ton désarmant, si moi y a pas moyen tirer, moi y a moyen dormir. - Dans une unité voisine, soumise à un violent bombardement soudain un tirailleur se lève, pointe un doigt vengeur vers l'ennemi et crie : - Lui y a couillon trop. Lui y a visé moi. - En captivité, les prisonniers font l'objet de différentes listes: ainsi, les Noirs sont sur des listes distinctes, mais à part des Français il y a les Bretons. Il semble qu'au début, les Allemands croyaient et misaient sur un mouvement important autonomiste Breton... - Un camarade prisonnier est juif polonais. Nous n'étions certes pas au courant de la réalité des camps de concentration, mais nous sentions confusément qu'il valait mieux pour lui qu'il ne décline pas ces deux titres. Nous le pressons pour qu'il déclare une autre identité. - Je suis Juif; je suis Polonais, nous dit-il, je le dirai. C'est ce qu'il a fait. L'on peut penser que c'était bête; l'on ne peut nier que c'était courageux et ne manquait pas d'une certaine grandeur. - Le 14 Août, je m'approche de la roulante, car nous avions droit au café (ou au breuvage en faisant fonction). J'avais sur ma capote, la fourragère jaune du régiment. Des Allemands sont intrigués par celle-ci et m'interrogent. J'essaye de leur expliquer les règles d'attribution. Hélas! je ne parle pas l'Allemand et eux pas le Français. Alors, mimant le tir à la mitrailleuse je dis : - En 1914-18, Régiment gut. Tac, tac, tac! Beaucoup Allemands kaput. Alors... Et je désigne la fourragère. Les Allemands hochent la tête. Ah! disent-ils. Et l'un d'eux prend dans la roulante un superbe bifteck et me le donne. -La nourriture n'était certes pas celle d'un restaurant trois étoiles mais ce n'était tout de même pas Buchenwald. Nous déchargeons de la nourriture d'un wagon; un cageot contient des fruits dont certains sont un peu blets. Un officier allemand, du reste sans morgue aucune, nous dit que nous pouvons en prendre. Des soldats français se précipitent, se ruent, d'une façon que je trouve indécente. L'officier et moi, nous nous regardons et, je crois, nous comprenons. - Dans un, camion qui nous transporte, il y a des supports tricolores pour drapeaux. Nous ne sommes ni torturés, ni brutalisés, ni menacés d'aucune sorte. Désirant sans doute s'attirer les bonnes grâces de nos gardiens, un soldat français piétine le support tricolore en disant : "France kaput..." Il eut des regards méprisants des Allemands. Longtemps après la guerre, j'apprendrai que la Médaille Militaire avec Citation à l'Ordre de l'Armée, m'avait été décernée pour les combats de Mai-Juin 40, cette Médaille Militaire annulant des citations dont l'une à l'Armée. La citation accompagnant la Médaille Militaire mentionne les actions du 23 Mai, des 12 et 20 Juin. D'autre part, à Fréjus, le Capitaine Larroque (qui commandait la 10ème Cie) à laquelle les débris de notre 2ème Cie avait été rattachés), m'avait proposé pour une citation à l'ordre du Corps d'Armée pour les 15 et 20 Juin mais, peut-être égarée, cette proposition ne semble pas avoir aboutie.

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Dans l’Armée d’Armistice

Je suis affecté à Fréjus. je fais de la propagande orale pour la continuation de la lutte, pour De Gaulle et les Forces Françaises Libres que je cherche à rejoindre. L'on m'a oublié au tour de départ colonial. Je le signale dans l'intention de rejoindre les F.F.L. A cette époque, en Métropole, sous réserve de ne pas attaquer la personne du Maréchal Pétain, il est possible dans l'Armée de montrer ses sentiments Gaullistes. On connaît les miens. A la coopérative militaire où je suis affecté, le lieutenant qui la dirige m'interpelle parfois amicalement dans le magasin, en m'appelant de Gaulle. 
Un jeune homme d'une quinzaine d'années, vivant à Fréjus, apprend au Sergent Ferrer (frère de l'Adjudant Ferrer qui était dans le 3ème Bataillon), et à moi-même, qu'une organisation de résistance à Montpellier était susceptible de faire passer des gens pour l'Angleterre. Vu son âge, à son regret, le jeune ne peut venir. Je préviens mes parents qui ne soulèvent pas d'objections malgré les dangers et la séparation douloureuse. Ferrer et moi demandons une permission de 48 heures. A Montpellier, nous voyons effectivement le chef de rayon d'un magasin que le jeune nous avait signalé. Il appartient à une organisation de résistance. Elle est surveillée (il me semble qu'il nous a été dit que des arrestations avaient été opérées mais je ne suis pas certain de ce souvenir). Il nous présente à un instituteur. Pour notre voeu tendant à rejoindre les F.F.L., ils ne peuvent rien faire pour nous. Au cours d'une discussion amicale avec l'instituteur, celui-ci nous dit qu'il pense que Pétain et de Gaulle sont d'accord. Je lui réponds que je le souhaiterais mais que je ne le crois pas. Le soir, nous allons au cinéma; la salle montre des sentiments anti-allemands et pro-britanniques. Un camarade du Cap-d'Ail (localité où j’ai séjourné une grande partie de mon enfance et de ma jeunesse), a été tué à Monaco par des pro-fascistes résidant dans la Principauté. Ceux-ci criant: "Nissa, terra nostra" (Nice, terre à nous), il aurait dit : "ce n'est pas encore fait". Le meurtre aurait été accompagné d'actes ignobles. La colère et l'émotion sont grandes. Le drapeau du 6ème R.I.C.M.S., enterré en Meurthe-et-Moselle a été ramené en zone occupée par le Lieutenant Deschènes qui s'était dévoué pour aller le chercher. Une cérémonie a lieu à Saint-Raphaêl. La commission d'armistice italienne regarde un peu plus loin. A Saint-Raphaël-Fréjus, des femmes portent une épingle de sûreté sur leur vêtement, avec quatre boutons ou quatre pièces de monnaie. C'est l'épingle anglaise avec quatre roues (avec Catroux)... Elles montrent ainsi leurs sentiments pro-gaullistes et pro-britanniques. L'intervention des Troupes Gaullistes en Syrie contre les forces françaises de Vichy m'atteint douloureusement. Tout en pressentant les raisons de celle-ci, je n'approuve pas. Je me demande où est mon devoir. Finalement, voulant combattre contre les forces de l'Axe et les Forces Gaullistes étant à ce moment les seules françaises à se battre contre les occupants, je maintiens mon projet d'évasion. Je suis désigné pour l'Afrique Occidentale Française. J'embarque pour Oran le 4 Septembre 1941. J'espère passer par le détroit de Gibraltar, mais c'est par le train que je dois rejoindre Casablanca. J'embarque à Casablanca le 14 et débarque à Dakar le 24 Septembre. Beaucoup plus qu'en Métropole, en Afrique du Nord et plus encore en Afrique Noire, il est préférable de ne pas afficher des désirs de rejoindre les Forces Françaises Libres. A Dakar, les sentiments anti-Gaullistes et anti-Britanniques semblent prédominer, mais à vrai dire beaucoup plus dans la Marine que dans les Troupes Coloniales. Je suis désigné pour le Dahomey (le Bénin actuellement). J'embarque le 20 Octobre 1941 et j'arrive à Bohicon, au Dahomey, mon lieu d'affectation, le 16 Novembre. Le Bataillon est commandé par le Commandant Lauzier auprès de qui nous avions été temporairement détachés en Juin 1940. Il prépare son unité pour le combat mais n'est pas Gaulliste. Je me souviens d'une de ses allocutions devant le front des Troupes. Après nous avoir décrit les combats en cours, il continue : - En Russie, les Allemands continuent à étriper des Russes et les Russes continuent à étriper les Allemands. Tout cela est excellent pour nous. Il faut être prêt. Nous battrons-nous au Nord, à l'Ouest, à l'Est, je ne sais pas. Irons-nous piquer les fesses des Allemands avec nos baïonnettes, je l'espère.
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Je m’évade pour rejoindre les Forces Françaises Libres 
Je suis chargé d'achat de boeufs à Parakou, dans le nord-Dahomey. L'on m'a confié de l'argent, pour acompte éventuel. L'affaire sera faite sans que j'ai à en verser. Je ne m'évade pas, ne voulant pas faire croire que je suis parti pour m'approprier ces sommes Un lieutenant a été arrêté pour "gaullisme" à Bohicon. J'examine la possibilité de le faire évader, mais il est trop bien gardé. Vu le climat de suspicion qui règne, je me garde d'éveiller les soupçons en recherchant des renseignements géographiques et j'ignore l'emplacement des villages en Nigeria Britannique. J'accompagne un détachement à Parakou. Avant le départ du train à Bohicon, je donne un pourboire au conducteur africain du train pour qu'il retarde le départ jusqu'à ce que le postier regarde si j'ai du courrier. Au retour de Parakou, je descends, le 18 Décembre 1941, un peu avant le lever du jour, à Tchaourou et je me dirige vers la frontière. Mon père étant brusquement décédé le 31 Mai 1941, j'avais fait une délégation de solde en faveur de ma mère demeurant à Beausoleil (Alpes-Maritimes). Afin que l'on puisse me porter "disparu" et non "déserteur", je laisse volontairement dans le train tous mes bagages, y compris mon bidon d'eau. Je n'ai que quelques photos, la relation des combats de Juin 40 faite par le Lieutenant Colonel Bédouin après son évasion et une aiguille aimantée que je fais tenir en équilibre sur une épingle pour avoir le Nord. Malgré cela, je serai porté "déserteur" et condamné par contumace par le Tribunal militaire de Dakar. La délégation à ma mère sera supprimée (je crois qu'elle a dû même rembourser le dernier mois). Je pourrai lui faire parvenir de l'argent par le Vatican et la Croix Rouge du Caire. Étant allé à Alger rendre visite à ma soeur et mon beau frère partis là-bas, elle devra y rester à cause du débarquement allié de 1942. La délégation lui sera à nouveau versée avec rappel; je crois qu'à ce moment le Général Giraud avait encore des pouvoirs politiques. Évitant les sentiers, je marche à travers la savane haute et très dense. Le temps est couvert et le soleil invisible. Il faut que je me repère avec mon aiguille aimantée et ceci me fait perdre du temps. A un endroit, je trouve un peu d'eau. La nuit, je ne suis pas encore arrivé au cours d'eau servant de frontière. Le lendemain matin, après avoir léché la rosée sur les feuilles, je continue ma route et arrive au cours d'eau. Alors que je me repose, un fauve et une antilope, l'un bondissant après l'autre, passent près de moi. Je traverse à la nage. De l'autre côté, en Nigeria, dilemme: faut-il suivre le cours d'eau ou piquer vers l'Est? Le long de celui-là la forêt est épaisse; une vague carte générale entrevue avant de partir n'indique des localités qu'à l'intérieur; d'autre part, l'eau... J'adopte une solution de moyen terme : je prends une direction en gros vers le Sud-sud-est qui me permet de quitter la proximité du cours d'eau mais doit me permettre d'y revenir en cas de péril par soif... Plusieurs traces de gros animaux sauvages. J'arrive à un sentier fait par la main des hommes. Je le suis vers le Nord. Il s'arrête dans la nature; je ne vois pas de prolongement. Je le parcours dans l'autre sens. Il aboutit au cours d'eau; quelques vieux instruments de pêche abandonnés sont là. Pas d'autre sentier aux alentours. En brousse, un sentier d'hommes doit aboutir dans un village; je refais le chemin parcouru; à l'endroit où le sentier s'arrête inopinément je cherche et, enfin, je le retrouve plus loin; les hautes herbes avaient envahi et fait disparaître une de ses portions. Je continue la trace; elle est plus visible plus loin. J'arrive dans un village africain où je suis hébergé. Départ le lendemain matin avec un autochtone qui me sert de guide. Heureusement que je suis bon marcheur... L’accueil et l'hospitalité sont très bons dans les villages rencontrés. Nous arrivons à Shaki où se trouve un administrateur britannique. Il a fini son repas. Il m'offre le thé. Je me restaurerais volontiers mais il me donne d'abord de quoi me raser. Ensuite, il me fait servir un repas. Sa voiture, accidentée est temporairement inutilisable. Nous passons la veillée de Noël avec deux familles de missionnaires américains protestants. Après réparation de sa voiture, il m'emmène à Lagos; je vois la mission française représentant le Général de Gaulle. Deux Français, un sergent et un caporal, viennent de s'évader en passant par la lagune de Porto-Novo. Je signe un engagement dans les Forces Françaises Libres (F.F.L.) le 28 Décembre 1941, pour compter du 19 Décembre, date du franchissement de la frontière. Je demande à être affecté d'urgence au Tchad, ayant entendu parler d'opérations au Fezzan.
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Dans les Forces Françaises Libres

J'arrive à Fort-Lamy (Djamena actuellement) le 14 Janvier 1942. Je suis reçu par le Colonel Ingold, en l'absence du Général Leclerc. Il m'indique que, malgré mon vif désir, je ne peux participer de suite à des opérations. Il m'affecte à Chedra (nord de Fort-Lamy-Djamena) à la 1ère Compagnie du Régiment de Tirailleur Sénégalais du Tchad. Il me dit que ce sera la première compagnie à entrer dans la composition d'un bataillon de marche pour des opérations. Le Capitaine Baylon, commandant cette compagnie, me demande de faire un exposé devant un auditoire sur les combats de mon régiment en Mai-Juin 1940. Contrairement à mon espoir, la compagnie ne part pas au combat. Je fais de nombreuses demandes pour aller dans des formations qui se battent, en particulier pour être affecté dans une compagnie de découverte et de combat, mais c'est sans succès. 
Le Bataillon de Marche n°8 est formé. Mais il reçoit l'ordre de partir à Garoua (Nord-Cameroun). Nous quittons Chedra le 7 Juin 1942 et arrivons à Garoua le 14 Juin. Je ne sais pas conduire. Un adjudant nous sert de moniteur sur des camions. En vue de traverser le dessert, il s'agit surtout de savoir passer rapidement les vitesses et particulièrement de bien maîtriser le double rétro débrayage. Un jour, le Lieutenant Bonnet, commandant la Compagnie, me fait appeler : - Teisseire, nous risquons de manquer de chauffeurs; il faudrait former des Africains. - Oui, mon lieutenant, mais par qui? - Par vous. - Je ne suis pas très qualifié; il m'arrive de faire encore grincer les vitesses. - Bof! Et je suis professeur de conduite; je forme des chauffeurs africains, sans avoir de permis de conduire... En 1943, nous rejoignons la Tripolitaine par le Tchad et le Fezzan (Fort-Lamy - Moussoro -Koro-Toro - Largeau - Zouar - Sebha). Nos camions (véhicules commerciaux) sont à rude épreuve... Quelques uns restent le long du trajet. Dans un village en Lybie, nous sommes horrifiés par l'état sanitaire des autochtones. A peu près tous sont malades, souffrant en particulier de maux d'yeux; plusieurs sont aveugles. Le régime fasciste ne semble pas avoir fait beaucoup pour la protection sanitaire des Indigènes. Quelles que soient les critiques que l'on peut faire au régime colonial français, il faut reconnaître que nos médecins ont bien oeuvré dans nos possessions... La première voiture alliée rencontrée est occupée par des Indous. Elle saute sur une mine. Pas de perte heureusement, sauf une roue du véhicule arrachée. Nous arrivons à Sabratha le 4 Juillet 1943. L'on me propose d'aller dans une école d'aspirants. Je refuse, ne voulant pas être retardé pour les opérations. J'ai une permission pour Alger en vue de revoir ma mère et ma soeur. Je me présente à la gendarmerie, ainsi que le Règlement l'exige, afin de faire enregistrer mon titre. Le gradé gendarme sort un exemplaire d'un avis de recherche de Vichy, suite à ma condamnation; il est en bonne place. Quand ma mère est partie de Beausoleil pour Alger, un exemplaire a suivi. Le gradé me dit : - Savez-vous que je pourrais vous arrêter? Je prends la table à deux mains, prêt à la renverser sur le gendarme et à bondir jusqu'à la résidence du Général de Gaulle. - Essayez donc, dis-je. Le gradé de gendarmerie fait marche arrière, ne sait plus comment s'en tirer, me dit que j'ai du caractère... Les Africains, ainsi que quelques cadres européens, sont mutés. Je le regrette un peu; l'on m'avait très vite donné le commandement d'une section et je crois que j'en avais fait un bel outil de combat. Après un séjour près de Djidjelli (Algérie) nous allons au Maroc. La 2ème Division Blindée (Division Leclerc) est crée. J'appartiens à la 10ème Compagnie du Régiment de Marche du Tchad, commandée par le Capitaine Sarazac. Le Bataillon, sous le commandement du Chef de Bataillon Putz est à Skirat. Nous nous morfondons, ne participant pas à la campagne d'Italie. Je vois un aumônier qui serait en contact avec le B.C.R.A. (Bureau Central de Renseignements et d'Action). Il me dit de me présenter à M. de Boissoudy, membre de l'Assemblée Consultative à Alger. Je vois celui-ci au cours d'une permission. Je vais de sa part au bureau de recrutement pour le B.C.R.A. Je demande la section "sabotage". Je suis volontaire pour être parachuté en France après un stage en Grande-Bretagne. Ça marche; la visite médicale est sommairement passée; dire qu'en 1938, étant volontaire pour les parachutistes, dénommés à l'époque infanterie de l'air, l'on m'avait refusé à cause d'un taux de vision insuffisant (il fallait 9/10e minimum de chaque oeil sans correction de verres); maintenant, je suis apte sans problèmes. De retour, je préviens mon commandant de compagnie de mon prochain départ. Je ne vois rien venir. J'écris à un ami à Alger. Il m'indique qu'il y a eu effectivement une décision de M. le Troquer, Commissaire à la guerre dans le gouvernement, mais elle ne me sera jamais notifiée; il est à supposer qu'elle a été jetée au panier à son arrivée à la 2ème D.B. La Division doit partir pour la Grande-Bretagne. Tout s'éclaire. Je suis satisfait. Nous embarquons à Oran le 20 Mai 1944 et, après un grand crochet dans l'Atlantique, débarquons à Glasgow (Écosse) le 30 Mai. La compagnie rejoint Pocklington (Yorkshire) où elle cantonne. M. et Mme. Harry et Irène Rowley me reçoivent. C'est le début d'une amitié qui ne s'éteindra pas. Elle continuera aussi avec leur fils et leur belle-fille Steven et Pauline; ceux-ci, en 1992, habitent Waterlooville, près de Portsmouth.
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Campagne de France avec la Division Leclerc
Je commande une section, la 3ème Section de la 10ème Compagnie du Régiment de Marche du Tchad. Au Maroc, j'ai poussé son instruction du mieux possible et je continue en Grande-Bretagne. Elle dispose de cinq half-tracks (véhicules légèrement blindés à roues avant et chenilles arrières). Elle est composée de volontaires d'origine diverse. Ceux provenant d'Afrique du Nord, où beaucoup étaient nés, avaient fourni un apport important. Le Sergent-chef Le Goff était un de ces jeunes Bretons qui avaient rejoint l'Angleterre en Juin 40; il avait ensuite été envoyé en Afrique Équatoriale Française; le Sergent Leroy, qui me sera affecté en cours de campagne était dans la même situation. Beaucoup venaient des glorieux Corps Francs d'Afrique; certains s'étaient distingués au cours de la Campagne de Tunisie et il faut saluer leur courage; le Sergent-chef (Adjudant par la suite) Touati, le Sergent-chef Beck, le soldat Sarmiento (caporal par la suite) avaient été cités pour cette campagne (Il n'est pas impossible que je commette des omissions). Touati et Beck avaient déjà combattu en France et Beck avait eu une citation à l'ordre de la Division en Juin 1940. Des patriotes, de la Métropole, pour pouvoir participer aux combats; avaient rejoint l'Afrique du Nord en passant par les Pyrénées et après avoir été internés dans les prisons et/ou le camp de concentration franquistes (sauf erreurs ou omissions: les Sergents Lévy, Marchive Aimé, Stam (celui-ci après avoir combattu en France), les soldats Augros (qui deviendra sous-officier), Jaouen, Parker. Après le débarquement, il y aura des apports d'engagés en Métropole qui adoptèrent l'esprit de la section et sa combativité et contribuèrent souvent à ses succès. 
Nous embarquons le 30 Juillet 1944 à destination de la France. La 2ème Division Blindée fait partie de l'Armée Patton qui doit réaliser la percée. Nous ne débarquons à Grand camp (Calvados) que le 4 Août. Le 12 Août, avant Sees (Orne), la section fait des prisonniers. Un peu après la sortie de Sees, notre canon de 57 - chef de pièce: Sergent Marchive, Aimé - tire sur des résistances ennemies situées au nord de la route D908 (Sees - La Ferrière Béchet - Carrouges). A partir du carrefour de la D908 (N808 suivant d'autres cartes, et de la D26, la section fait partie du dispositif de tête qui attaque en forêt d’Écouves du Nord au Sud. Le détachement est sous les ordres du Chef de Bataillon Putz. Il devra faire jonction avec des éléments de la Division venant du Sud. La 9ème Panzer Allemande est dans la forêt. Nos half-tracks sont intercalés avec les chars moyens du Lieutenant de la Bourdonnaye (section de la 2ème Cie. du 501ème Régiment de Chars de Combat). Je suis dans le premier H.T. derrière le char de tête. Une reconnaissance ennemie se heurte à nous. Je ne me rappelé plus le nombre exact de véhicules; il y avait un genre de "command-car", une autre voiture légère peut-être. Ils sont capturés; des prisonniers, dont des officiers, sont faits. Je renouvelle mon offre de reconnaître à pied les tournants dangereux; mais les chars préfèrent aller vite. Peu avant le carrefour "La Croix de Médavi", le char de tête est détruit par un char lourd allemand qui est aux aguets, en position à ce carrefour. Bonhomme, le chauffeur de l'half-track de tête, effectue la marche arrière la plus rapide de sa carrière afin de mettre son H.T. à l'abri dans la forêt. La section met pied à terre. Je laisse mon adjoint, le Sergent-chef Touati, rassembler rapidement la section et je vais reconnaître avec deux ou trois hommes. A un moment, je suis coupé d'eux par le tir venant de nos chars. Notre Commandant de Compagnie, le Capitaine Sarazac est venu prendre des nouvelles et Touati lui a rendu compte de la situation. Je reviens chercher ma section qui a commencé à avancer. Augros a pris le commandement du groupe du Sergent-chef Girma qui a été blessé. La section progresse jusqu'au carrefour. Face à celui-ci, à droite de la route D 26, elle se met en place pour l'assaut, le plus discrètement possible. Un fossé existe près du carrefour et protège les éléments les plus avancés de la section. Les chars allemands se sont légèrement repliés vers le Sud, sur la route D 26 allant vers Alençon, mais il reste encore au carrefour divers véhicules. Tir au lance-roquettes; jets de grenades. Après les explosions, nous nous élançons et atteignons l'autre côté du carrefour. La section est bientôt rejointe par d'autres éléments à pied. Des actions dans la forêt ont lieu, souvent par de petits groupes de combat. Je vais un peu vers le Nord, puis revient vers le Sud. Sous la pression de nos unités, l'infanterie allemande s'est séparée de ses chars. Je vais en reconnaissance vers ceux-ci, étant à gauche de la route allant à Alençon. Je m'approche à quelques mètres de l'un d'eux, celui qui est le plus rapproché du carrefour, utilisant tous les accidents de terrain. Je n'ai pas de grenades antichars ni des cocktails "Molotov". Dépité, je tire au pistolet-mitrailleur dans les fentes de visée. Énervé par le moustique que je suis, le char tire d’une manière désordonnée et recule un peu. Je reviens vers ma section. Je récupère le Sergent-chef Legoff, chef de l'un de mes groupes, armé d'un lance-roquettes, accompagné du soldat Borinov (de son vrai nom Roux Pierre) qui porte des roquettes, alors qu'il cherche aussi à s'approcher des chars. Laissant le gros de la section presser les fantassins adverses, nous approchons du char ennemi. Tirs de Legoff, tandis que je sers de chargeur. Incident technique entre les tirs, vite réparé (mauvais contact). Au premier tir, la roquette passe trop haut; erreur de hausse. Au deuxième, à la base de la tourelle, la roquette ricoche. Au troisième, la région du moteur étant visé, le char est mis hors de combat. Le Lieutenant Carage, chef de la 2ème section de la compagnie, arrive avec ses hommes et peut-être des éléments de la C.A.3, de l'autre côté de la route. Le Lieutenant Silvy, avec la 1ère Section, arrive de notre côté. Il me demande de le laisser passer en tête et de lui "prêter" Legoff avec son lance-roquettes. J'accepte. Accompagné de Borinov et de Quille, agissant suivant son initiative, Legoff attaque un autre char lourd, le rendant inutilisable en détériorant son train de roulement. Il sera blessé peu après. Après la destruction du premier char ennemi, j'avais fait dire à nos propres chars qu'ils pouvaient avancer jusqu'à celui-ci, en leur recommandant de ne pas le dépasser. Nos chars préféreront continuer et un deuxième char du 501e sera mis "en flammes" par un char allemand. Le Lieutenant Silvy sera lui aussi blessé. Ma section reprend alors la tête de tout le dispositif dans la progression. La nuit tombée et suivant les ordre reçus, elle reste en protection avancée. Elle repart le lendemain matin de bonne heure vers les spahis qui remontent du Sud (Groupement Roumianzoff). L'ennemi semble désemparé. De nombreux prisonniers sont encore faits. des chars, sabotés, ont été abandonnés par l'adversaire. La liaison est un moment délicat, mais tout ce passe bien. Étant dans le fossé près de la route, nous entendons les bruits de moteur et voyons apparaître les spahis; nous agitons nos mouchoirs; pas de bavures. Très peu de temps ensuite, la section de reconnaissance du Bataillon arrive. Alors que le gros de la 10ème Compagnie est dirigé vers Argentan, ma section est envoyée à Bouce. Le lendemain 14 Août, près d'Avoine, nous essuyons, dans une plaine, un feu nourri de l'ennemi. Avec d'autres éléments, nous le mettons en fuite, mais nous avons eu le premier mort de la section, le soldat Amsellem, un père de famille, engagé volontaire. A Bouce, un groupe de la section est en protection à une sortie de village; le commandement nous a fait reconnaître qu'il ne peut, par cette route, arriver que des ennemis. Un véhicule arrive. Bref engagement; l'adversaire est mis en fuite et nous récupérons... une Jeep de la Division. C'était un petit groupe, commandé par un aspirant artilleur qui s'était trompé d'itinéraire ou qui avait été mal informé. Heureusement, pas de blessés par les coups de feu réciproques. Les artilleurs arriveront à rejoindre leur unité; notre section utilisa la Jeep quelque temps... De Bouce, de profondes reconnaissances sont effectuées. Le 17 Août, nous retrouvons la compagnie à Joue du Plain, puis le soir même ma section est envoyée dans la région d’Écouche en renfort de la 9ème Compagnie. Pour éviter l'encerclement, de nombreuses colonnes ennemies se heurtent à nos unités. Des Britanniques font liaison avec nous. Nous rejoignons le gros de notre compagnie. De nombreux véhicules de la Wehrmacht ont été détruits ou capturés; nous en ramenons plusieurs, y compris un véhicule blindé de transport de troupes, correspondant à nos half-tracks, en état de marche. Je suis adjudant-chef depuis le 1er Janvier 1944, après avoir été nommé adjudant à titre exceptionnel pour compter du 15 Février 1942. Après la Campagne de Normandie, je suis proposé à titre exceptionnel pour le grade de sous-lieutenant; la nomination à ce grade aura lieu pour compter du 25 Septembre 1944, par décret du 23 Décembre 1944. Le Capitaine Sarazac m'a proposé dans ces termes : "L'Adjudant-chef Teisseire, chef de section commandant la 3ème Section de la 10ème Cie. depuis le mois de Décembre 1943, s'est tout de suite imposé par ses qualités de chef. A fait de sa section une unité parfaitement instruite, homogène, prête physiquement et moralement au combat. Depuis le début des opérations, a obtenu une série de brillants succès. A la Croix de Médavi, a entraîné sa section à l'assaut du carrefour puis s'est élancé à la poursuite des chars allemands. Avec quelques hommes, a attaqué et détruit un char lourd. Plusieurs fois proposé pour le gradé de sous-lieutenant avant les opérations l'adjudant-chef Teisseire a amplement prouvé qu'il est apte à devenir un excellent officier". J'aurai une citation à l'ordre du Corps d'Armée. Le Capitaine Sarazac me dira que je ne l'ai pas eu à l'ordre de l'Armée parce que j'avais été proposé sous-lieutenant à titre exceptionnel. Le 24 Août 1944, après avoir dépassé Longjumeau, roulant vers Paris, ma section est chargé d'effectuer une reconnaissance à pied, à gauche de la route et notamment de reconnaître un carrefour. Après avoir cheminé à couvert nous sommes obligés d'être à découvert. Le carrefour est tenu par l'ennemi. Nous repérons des résistances et, en particulier un canon. Je demande l'appui des chars mais ceux-ci ne peuvent m'être envoyés de suite. Nous sommes pris sous un tir de mortiers. Je suis blessé au crâne, à l'omoplate, à l'avant-bras. Nous recevons l'ordre de nous replier sur la route. Je porte un moment un autre blessé. Je ne veux pas être évacué. Le médecin prend une décision contraire d'autant que ma blessure au crâne m'a fait perdre beaucoup de sang et que, devant lui, mon visage avait pris une pâleur très accentuée. Je suis évacué sur un hôpital tenu par des soeurs à Montlhéry. Après ma blessure, j'avais ramassé mon casque lourd. Il y avait deux trous, à l'avant et à l'arrière; d'après leurs emplacements, l'on aurait pu supposer que son détenteur avait eu tout le crâne fracassé. L'obus de mortier a explosé derrière moi. Mais, après avoir troué l'arrière du casque, celui-ci ayant sauté (le fait de ne pas avoir mis la jugulaire a-t-il influé ?), l'éclat a troué le casque à l'avant en ne suivant pas la trajectoire que l'on pourrait supposer, labourant seulement le haut du crâne. A l'hôpital de Montlhéry, le caporal Barraud, chauffeur, mais qui avait combattu à pied et avait été blessé en même temps que moi, est dans un lit proche. Il a perdu énormément de sang; il est cadavérique. Je vais l'embrasser et lui dire quelques paroles; je ne sais s'il les entend. Il tombe dans une inconscience totale. Des soeurs se sont mises à genoux, les bras en croix, priant. Je bois mélancoliquement du champagne qui avait été porté. Une transfusion de sang est faite à Barraud. On le voit revenir à la vie. Je suis évacué sur un hôpital de campagne américain, à Bonneval (Eure-et-Loir) si je ne me trompe pas. Quatre éclats sont enlevés dans la région crânienne. (L'éclat d'obus dans la région de l'omoplate et un petit à l'avant-bras sont toujours à ces endroits à l'heure actuelle). Je me sauve de l'hôpital. Je fais de l'auto-stop pour aller à Paris (un camion transportant du lait, il me semble). Débarqué à Paris, une femme commence par m'indiquer le point sanitaire le plus proche; il est vrai que j'ai la tête entièrement bandée et que je ressemble plus à Tout Ankh Amon qu'à un soldat. Un jeune étudiant me propose l'hospitalité. Nous rencontrons des gars de la 2ème D.B. m'informant que mon Unité doit être au Bois de Boulogne. Je vois un poste américain. Je leur dis, au plutôt fais dire car je ne parle pas l'Anglais, qu'il me faut absolument une Jeep de suite. Accordé. Le chauffeur, l'étudiant et moi allons au Bois de Boulogne, mais dans la nuit je ne trouve pas ma compagnie. Le lendemain matin, retour en Jeep américaine et, cette fois, je la retrouve. Le médecin, à qui je me présente, veut me rehospitaliser illico. Peut-être avez-vous été trépané, me dit-il. Je propose au Capitaine Sarazac de me faire soigner en ville, dans un dispensaire F.F.I. (Forces Française de l'Intérieur) et de reprendre le commandement de la 3ème Section dès le départ de celle-ci pour de nouvelles opérations. Il est d'accord. J'ai élu résidence chez l'étudiant, Quai du Louvre. Ses parents, absents, lui ont laissé l'appartement. A l'étage au dessus, habitent ses tantes, trois vieilles demoiselles charmantes et très compréhensives. De nombreux copains et copines viennent voir l'étudiant. De temps en temps, je vais rendre visite à la 3ème Section. La 3ème Section, privée aussi du Sergent-chef Touati, adjoint, blessé en même temps que moi, entre à Paris le 25 Août, occupe les environs de l'église Saint-Germain des Près, participe à la prise du Palais du Luxembourg. Comme convenu, je reprends officiellement le commandement de la 3ème Section un peu avant le départ pour de nouvelles opérations. Pendant le séjour à Paris, un Officier a été désigné pour prendre pendant quelques jours le commandement de la section; il ne peut y rester étant d'un grade supérieur au mien.J'aurai la Médaille Militaire avec Citation à l'Ordre de l'Armée. Quand, longtemps après la guerre, l'on s'apercevra que je l'avais déjà pour Mai-Juin 40, la deuxième Médaille Militaire sera annulée par décret du 10 Mai 1952, paru au Journal Officiel du 13 Mai 1952 (sans compensation), la Citation à l'ordre de l'Armée étant conservée. Ma première Médaille Militaire, avec citation à l'ordre de l'Armée, m'avait été accordée par Ordre du Général, Secrétaire d'État à la Défense dans le Gouvernement de Vichy, le 20 Janvier 1944 et parut au Journal Officiel de Vichy du 11 Avril 1944. J'ai donc la particularité d'avoir eu la Médaille Militaire étant condamné pour "désertion", ceci au nom du même gouvernement, celui de Vichy.. Le 12 Septembre, les forces allemandes tenant Andelot (Haute-Marne) sont attaquées par deux sous-groupements de la 2ème D.B. après avoir repoussé un ultimatum. Nous appartenons au Sous-groupement Cantarel. En tête, de gauche à droite, ma section, la 2ème Section de notre compagnie, une section du Génie; la 1ère Section de notre compagnie, engagée peu après, rejoindra très vite. L'attaque est précédée par un tir d'artillerie plus intimidant que meurtrier à cause de la présence de civils français dans le village. Nous attaquons à pied, sans les chars (qui restent d'abord en appui et nous rejoindront par la suite) en direction grosso modo du Sud-est. Un F.F.I. nous a servi de guide et a fourni de bons renseignements topographiques. Nous devons descendre une colline boisée puis aborder un terrain plus plat et beaucoup plus découvert avant la lisière du village; pour éviter de lourdes pertes, il faudra foncer et coller aux tirs... Le Sergent-chef Beck, chef d'un de mes groupes, est blessé. Après avoir dévalé la colline, ma section aborde la portion qui semble la plus dangereuse et avance rapidement. Il y a des tirs amis, provenant de l'arrière et de notre droite, qui nous gênent; des obus; provenant probablement de nos chars, explosent près des éléments avancés de la section sans causer de pertes, heureusement; nous devons nous abriter et stopper un moment la progression. Cependant, ces tirs ont obligé les Allemands à se terrer et paraissent avoir sapé leur moral. La section repart à l'attaque dès que les tirs amis s'allongent un peu, serrant au plus près. Des Allemands sont en position dans une ferme, grosse bâtisse un peu en dehors du village, entourée de fils de fer barbelés, ainsi que dans des trous individuels ou derrière des tas de bois. Nous arrivons sur eux avant qu'ils aient pu se ressaisir; la ferme est débordée et conquise. Le village est abordé. Une arme automatique est gênante; ses servants sont capturés après contournement. L'on ne peut dire quelle est la section arrivée la première dans le village; il a été abordé par plusieurs éléments en des points différents, à peu près dans le même temps. Chaque groupe de la section fait des prisonniers; parmi ceux du Groupe Lévy se trouve un jeune lieutenant. Parker, qui parle parfaitement l'Allemand, l'interroge et reconnaît son accent typique autrichien. Il le persuade de collaborer. L'Autrichien interpelle ses hommes embusqués dans les maisons: "nicht schiessen" (ne tirez pas). Ceux-ci obtempèrent et se rendent, ce qui nous évite des pertes. Le P.C. allemand, qui vient d'être évacué par ses occupants, est occupé par une partie de ma section tandis que d'autres groupes se répandent dans des rues environnantes. Au P.C. allemand, une valise remplie de billets de banque est découverte; Parker reconnaît sur ces billets des inscriptions en lettres cyrilliques. La valise est remise au premier de nos officiers rencontré. Ma section a fait de nombreux prisonniers dont beaucoup, notamment près de la lisière du village, étaient armés de "Panzer-faust" arme individuelle antichars (charge creuse fixée au bout d'un tube). A Houecourt (Vosges), ma section attaque l'ennemi retranché dans le village. Un tir nourri, provenant d'une maison, prend la route en enfilade; un coup de bazooka (lance-roquettes) en pleine porte d'entrée y met le feu. Des grenades sont lancées. L'ennemi est culbuté; il est abattu, se rend ou s'enfuit. Nous le poursuivons assez loin, dans les bois environnants. Des tirs provenant d'éléments amis arrivés près du village claquent près de nous... Notre section vient en renfort à Chatel-Sur-Moselle, relevant dans la nuit une unité en première ligne lors de la création de la première tête de pont. Mais, sur ordre de la Division, celle-ci est évacuée et nous nous replions. Nous effectuons une reconnaissance jusqu'à Nomexy où nous nous installons, nous gardant de tous côtés et pouvant prendre sous nos feux le pont sur le canal de l'est. Arrive l'ordre de se replier sur le gros des forces dans le secteur; je demande au Capitaine Sarazac de rester sur place, ce qui m'est accordé. Des cultivateurs me signalent que des Allemands auraient franchi le canal plus au Sud vers nos lignes; je prends mes dispositions pour supporter le choc éventuellement mais je ne crois guère à ce renseignement qui ne sera pas confirmé. Il doit y avoir un bombardement ami sur les positions allemandes. Je replie légèrement sur le village les éléments de la section les plus près du canal, afin d'éviter éventuellement des coups courts. C'est l'artillerie allemande qui entre d'abord en action, avec vigueur, sur Nomexy. Bien protégés, nous n'avons pas de pertes. Notre artillerie se déclenche à son tour. Quand les tirs s'arrêtent, je fais reprendre à un groupe sa place près du pont sur le canal. Des renforts arrivent. Le Sous-groupement Cantarel doit reprendre Chatel-Sur-Moselle. Ma section franchit en tête de tout le dispositif le pont sur le canal de l'Est puis avance rapidement. Le feu ennemi est violent. Le Sergent Stam, mon deuxième adjoint, blessé, est séparé par un terrain battu par les tirs adverses. Je vais le chercher. Une petite distance est dangereuse. Je ramène Stam sur mon dos en courant. Les Allemands ne tirent pas sur nous; étaient-ils occupés par ailleurs, n'ont-ils pas eu le temps de nous ajuster, ont-ils agi par esprit chevaleresque ? Je l'ignorerai toujours. Nous tâtons un point, en vue de franchir la Moselle. l'ennemi semble bien le tenir. En particulier, une mitrailleuse tire en flanquement. Nous nous replions légèrement en vue d'essayer un autre endroit. Une balle passe entre mon corps et mon avant-bras, déchirant ma chemise, effleurant mon coude, cassant la crosse de mon pistolet-mitrailleur. J'en récupère un autre. Nous arrivons, un peu plus au Nord, à un endroit où il y a un gué. La section de chars moyens du Lieutenant Touny vient d'y arriver. Cette section appartient au 501ème R.C.C. (Régiment de Chars de Combat), un régiment magnifique; je m'entends parfaitement avec le Lieutenant Touny, chef exceptionnel, d'une très grande bravoure. C'est avec sa section que ma section est généralement accolée au cours de la campagne quand un "détachement" chars-infanterie est crée. Je dis au Lieutenant Touny: "Je passe". Il me répond qu'il en fait de même. Nous traversons la Moselle. Au début de notre progression dans Chatel-Sur-Moselle, nous voyons un peu à notre Sud les chars légers du Lieutenant Nanterre. Nous apprendrons plus tard que la 2ème Section de notre compagnie, commandée par le Lieutenant Carage est passée à côté d'eux. Avec la Section de Chars Touny, nous conquérons un quartier de Chatel-Sur-Moselle, dans sa partie nord. La nuit est passée tout près des Allemands. Le lendemain, l'action est continuée. Un civil nous indique qu'une arme automatique allemande est dans une propriété. La végétation est touffue. Nous abordons par derrière les servants de l'arme en batterie face à la Moselle. Les visages des Allemands reflètent successivement la surprise, la terreur puis la joie de ne pas être abattus. Leurs officiers sont partis, les laissant sur place sans crier gare. Les prisonniers demandent même de leur laisser leurs armes pour "faire leur compte" aux lâcheurs. Nous recevons l'ordre d'agrandir la tête de pont vers le Nord avec les chars de Touny; nous devons progresser jusqu'à ce que nous trouvions un champ de tir favorable. Mon commandant de compagnie, le Capitaine Sarazac, ne me fixe pas un objectif à conquérir mais une limite extrême à ne pas atteindre, le village de Portieux. Je monte sur le char de tête. Le détachement est arrêté, ayant un beau champ de tir, devant ce village. L'artillerie allemande est active, en particulier sur la Moselle, visant le pont en construction par le Génie. Après Chatel-Sur-Moselle, je serai proposé pour la Croix de la Libération, décernée par Décret du 29 Décembre 1944 paru au Journal Officiel du 6 Janvier 1945. Une proposition de Citation à l'Ordre de l'Armée, pour les combats d'Andelot, d'Houecourt et de Chatel-sur-Moselle avait aussi été faite. Égarée, elle ne sortira pas. Longtemps après, elle sera trouvée dans les archives de la Chancellerie de l'Ordre de la Libération. Le Secrétariat d'État aux Forces Armées de Guerre l'accordera le 30 Mai 1951... à l'ordre de la Division. Je suis près d'un talus, avec Gomez Gil Pablos (de son vrai nom Valenti, de nationalité monégasque); soldat au débarquement, il commandera par la suite un groupe et deviendra sergent. Un obus s'enfonce dans le talus, sans exploser... Nous sommes en position à Doncières (Vosges). De nombreuses patrouilles sont effectuées. Des obus tombent parfois dans le village. Je reçois l'ordre d'envoyer une patrouille pour savoir si l'ennemi a ou non décroché. Je demande si l'on peut attendre la nuit, mais le commandement veut avoir le renseignement de suite. Je prends le commandement de la patrouille que je scinde en deux échelons. Nous avançons en "perroquet" vers le Château de Villers que tiennent ou tenaient les Allemands. Arrivés à proximité, je laisse l'élément de gauche en protection. Nous nous avançons avec l'autre élément jusqu'à la dernière petite crête. Le terrain est découvert entre le château et nous; il y a simplement des herbes dans le fond de l'espace qui nous sépare. Nous observons à la jumelle; aucun indice de vie. Nous tirons; aucune réponse. Ainsi qu'ils avaient été désignés préalablement, le Caporal Dahan, au centre, Torrès à gauche, d'Ornano (de son vrai nom Favard) à droite, reçoivent l'ordre d'avancer, simulant les premiers voltigeurs d'une attaque. Ils le font sans hésitation, bien que pleinement conscients du danger... Les Allemands (ils sont encore là) ouvrent le feu. Nous voyons nos éclaireurs se coucher. Mission accomplie. Nous redoublons notre tir pour les protéger, afin qu'ils puissent revenir. Le Capitaine Sarazac, qui observe à la jumelle, fait déclencher notre artillerie pour protéger le décrochage. Une volée d'obus s'abat sur le Château de Villers, mais une pièce semble tirer trop court. Ne voyant pas réapparaître nos camarades, nous cherchons à les récupérer mais le feu ennemi nous en empêche. D'Ornano nous rejoint après un long détour; il est "groggy" mais indemne. Impossible d'atteindre les deux autres. Nous fonçons, dévalons la pente, arrivons tout près du lieu où se sont couchés les voltigeurs dans les herbes. Nous ne voyons rien. Continuer les recherches, équivaudrait à sacrifier des hommes car l'ennemi tire (armes à tir tendu et mortiers). Nous revenons à Doncières. Je demande au Commandant Cantarel de nous prêter des chars pour nous aider à aller récupérer nos gars. Le Commandant Cantarel me prête gracieusement deux chars. Il me dit : "Je le fais parce que c'est vous", me demande que ses chars ne dépassent pas une certaine ligne; il aurait des reproches par les autorités supérieures si l'un d'eux était mis hors de combat. Nous retournons mais même avec l'appui des chars, nous ne pouvons atteindre les deux manquants. Après Baccarat, nous reviendrons. Nous découvrirons les corps de Dahan et de Torrès dans les herbes. Tous deux avaient été tués par éclats d'obus. Il est impossible de dire si c'est par les mortiers allemands ou par la pièce d'artillerie française. L'on entend dire parfois que les actions d'éclat sont faites par inconscience. Ces deux braves sont morts étant parfaitement lucides des risques. Dahan, Marc, venait d'Hussein-Dey (Algérie). Il était Juif et communiste. Quelque temps auparavant, j'avais vu la faucille et le marteau peints sur son sac contenant son paquetage. Je lui avais donné l'ordre de faire disparaître ces insignes, ne voulant à la section aucune inscription à caractère politique. Je lui avais dit que je n'autorisais que le Drapeau Français ou La Croix de Lorraine (à l'époque, celle-ci n'était pas l'emblème d'un parti politique et pour moi elle ne symbolisait que la lutte contre l'envahisseur). Il m'avait répondu : - Mon adjudant chef, je vous obéis, mais j'aimerais que tout le monde devienne communiste. En raison de ses très grandes qualités de combattant et de chef, je l'avais fait nommer caporal. Ses camarades, sur lesquels il a beaucoup d'ascendant, l'appellent "Tonton"; il est très aimé. Son Chef de Groupe, Augros, dépeignant ses subordonnés dans ses souvenirs, écrira : "... Marc Dahan, figure assez remarquable, Juif algérien, très courageux, communiste (mais ignorant tout de la doctrine). Garçon frondeur, rouspéteur, haïssant les adjudants corses et les officiers "m'as-tu vu?..." Le soldat Georges Torrès est le fils du célèbre avocat maître Torrès. Il est le beau fils de Madame Torrès qui, depuis la Normandie, commandait les "Rochambelles", nos ambulancières qui furent extraordinaires; leur chef eût une conduite admirable. Madame Torrès deviendra l'épouse du Général Massu. Elle aimait beaucoup son beau fils. En 1969, me dédicaçant son livre "Quand j'étais Rochambelle", elle écrira : "...lorsque mon petit Georges tomba à Doncière (Octobre 1944) une histoire qui nous est commune...". Partant de la forêt de Mondon, ma section participe à l'attaque générale qui amènera la prise de Baccarat. Avec d'autres unités, elle est à l'échelon de tête, attaquant l'ennemi de flanc, progressant en gros vers le Sud-est, vers des villages au Nord et au Nord-est de Baccarat. Des pièces antichars ennemies nous font front. Le terrain, boueux, détrempé, gêne la progression mécanisée. Nos half-tracks, malgré leurs chenilles, avancent parfois péniblement ou s'embourbent carrément; même les chars ont des difficultés à certains endroits. Des hommes de ma section, sous une pluie d'obus ennemis, sont obligés d'aller couper des branchages afin de les glisser sous des chenilles. Nous finissons par laisser nos half-tracks sur place et nous continuons l'avance, soit montés sur les chars, soit à pied. Les objectifs sont atteints. Vives réactions de l'ennemi (artillerie, "train bleu"). Le soldat Ballet a été blessé mortellement. A Merviller, l'Adjudant-chef Bootz, qui m'a été récemment affecté comme adjoint, est près de moi, près d'un petit mur. Un obus explose sur celui-ci. Bootz est tué sur le coup. Alors que nous sommes revenus, chercher les corps de Dahan et de Torrès, l'un parmi nous, le caporal Ricour perd son pied, une mine ayant explosé sous ses pas alors que nous rejoignions la route. Dahan et Torrès gisaient dans un champ de mines antipersonnel. Ils y avaient échappé à moins que les mines aient été posées postérieurement à leur mort. Ma section est installée en défensive, en pointe du sous-groupement, dans un petit bois à droite de la route Merviller-Montigny, non loin de ce dernier village qui n'est plus occupé par nos troupes. Il fait froid, il pleut. L'eau monte dans nos trous individuels. Nous pensons aux "poilus" des tranchées de la guerre précédente. Deux motocyclistes amis, probablement égarés, arrivent de la direction de l'ennemi. Nous essayons de les prévenir, leur faisant de grands signes d'arrêter. Hélas! Les malheureux sautent sur des mines. Nous les ramassons en piteux état; l'un est mort, l'autre gravement blessé. De nombreuses patrouilles sont effectuées. Je reçois l'ordre de détacher un "chouf", avec pour mission de s'infiltrer dans le village de Montigny, réoccupé par l'ennemi, et de rapporter tous les renseignements susceptibles de servir le commandement. Les trois premiers envoyés, des volontaires, sont les soldats Guerab, qui en avait le commandement, Buquet et Parker. Quittant nos positions à la tombée de la nuit, rampant dans le fossé bordant la route, le petit détachement arrive sans encombre dans le village, à un croisement de routes où il y a un va-et-vient de militaires allemands, en voiture ou à pied. Le "chouf" s'installe, en observation, dans l'écurie de la ferme formant l'angle de routes et il peut ainsi surveiller le carrefour par l'une des fenêtres. Il peut aussi entendre la discussion des sentinelles allemandes placées juste devant. Il reste toute la nuit qu'il a mis à profit pour sortir de sa cachette et entreprendre des observations aux alentours. Aux paysans, affolés par cette présence, il est prescrit de garder celle-ci secrète. Le lendemain matin, ce premier détachement rejoint nos positions. Il est remplacé par d'autres volontaires jusqu'à notre relève. Ce "chouf" était dangereux mais s'est avéré fort utile.Ma section, au repos à Azerailles (Meurthe et Moselle), est appelée d'urgence en renfort, ainsi que toute la 10ème Compagnie. Nous devons relever la 9ème Cie. de notre régiment qui est entrée dans Badonviller mais qui a subi de lourdes pertes. Une grande partie de cette place forte allemande a été prise mais pas entièrement. L'artillerie adverse est active. Alors que les deux autres sections de notre compagnie sont envoyées dans le Nord, je reçois l'ordre d'aller vers le secteur est, d'en tenir, en particulier, deux grands axes. Près de la place, d'où continue la route D992 (RN actuellement) et d'où part la D 182, nous voyons quelques rescapés de la 9ème Compagnie. Nos chars n'avancent plus. Après la place, le long de la D 992, des gars de la 9ème sont tombés. Je place trois groupes de ma section à des points sensibles. J'envoie le Groupe Lévy en protection sur une hauteur, un peu au Nord. Je prends le commandement direct du Groupe Augros; celui-ci est en permission et c'est le Caporal Barraud; revenu de convalescence, qui assure l'intérim. Nous contournons par la gauche, c'est-à-dire au Nord les maisons qui sont le long de la D 992, vers la sortie du village. Nous passons à travers des propriétés, franchissons des clôtures, pestant contre des grillages. Guerab, du groupe, a pour arme un fusil-mitrailleur allemand, récupéré auparavant avec des munitions. Arrivé dans la campagne, après les dernières maisons, nous faisons du "volume" pour faire croire que nous sommes nombreux. Nous prenons la route à revers. Des Allemands fuient ou se replient vers l'Est, à droite de la route. Dans une maison, au premier étage, nous découvrons un officier supérieur allemand qui vient de se suicider au pistolet. Il est encore assis sur une chaise. On le touche; il s'écroule, mort. C'est probablement le Commandant d'Armes de la Place. Je regrette de ne pas avoir eu la pensée de lui faire présenter les Armes... Des prisonniers sont faits. Nous sommes relevés. Nous rejoignons près des Carrières de Bréménil le Lieutenant Carage commandant par intérim la lOème Compagnie. Un bombardement l'artillerie ennemie nous accueille. Bréménil est conquis. Dans la nuit, des éléments ennemis se heurtent a nous. Le lendemain, l8 Novembre, un détachement est constitué sous les ordres du Lieutenant Carage, en vue de continuer la percée vers Petitmont. Il comprend un peloton du R. B. F. M. (Régiment Blindé de Fusiliers-Marins), un peloton de spahis et ma section qui en constitue l'élément d'infanterie. Un peu après l'embranchement route vers Parux et route vers Petitmont, barrant cette dernière, un canon antichars ennemi, soutenu par de l'infanterie qui déborde dans le bois au Sud, est en position. Ma section attaque à travers le bois qui est épais. J'aurais préféré déborder beaucoup plus largement mais ceci aurait demandé trop de temps. Nous arrivons sur les éléments avancés ennemis qui sont dans des trous individuels du type "Gamelin". Je suis en tête de mon Unité et donne l'ordre d'assaut. Je bondis vers l'ennemi qui est à très courte distance. Je sens un flottement chez lui. Parvenu tout près, mon pistolet-mitrailleur s'enraye et je n'ai que le temps de m'aplatir dans un trou. L'ennemi se ressaisit. Je donne l'ordre de repli afin de regrouper ma section et de reprendre l'attaque. Les soldats Bérébi et Harel sont morts au Champ d'Honneur. Il y a 4 blessés dont mon agent de transmission, Amengual, magnifique combattant, déjà légèrement blessé et non évacué le 24 Août; gravement touché à la tête, il s'écroule en criant : "Vive la France". Nous les ramenons. L'attaque est reprise. Le char de tête des fusiliers-marins (tank antichars destroyer) détruit le canon anti-chars adverse. La résistance est enfoncée. Les servants du canon antichars sont morts, enchaînés à leur pièce. Des ennemis fuient puis se rendent plus loin. Je récupère un pistolet. Après la "Croix de Pierre", il y a un bois qui est tenu par une nouvelle résistance. Ma section, en tête, pénètre dans le bois. Je reconnais un abri allemand où il n'y a qu’un blessé dans la région des reins. En sortant de cet abri et alors que, de la tranchée jointe, je jette un coup d'oeil d'observation, je suis blessé par une balle qui m'atteint à la mâchoire gauche. Dans un éclair, je vois que je suis entre la vie et la mort. Je m'abaisse pour ne pas recevoir une autre balle. Avec ma langue, je tâte mes dents; ma denture semble intacte (l'on s'apercevra par la suite que la balle est sortie derrière la nuque). L'un de mes hommes me fait un pansement sommaire. Je donne l'ordre de me laisser et de continuer la progression. Le Chef de Détachement, estimant ses moyens trop limités, ordonne le repli pour faire donner l'artillerie. Ma section doit se replier. Tirs d'artillerie amis; heureusement, l'abri où je suis est solide. J'entends des bruits de pas. Je pense que ce sont les Français. Je vois entrer un groupe allemand conduit par un sous-officier. Je ne veux pas être fait prisonnier. J'ai laissé mon pistolet-mitrailleur sur le lieu où j'ai été blessé. Je suis couché prés du blessé allemand. Je sors de ma ceinture le pistolet que j'avais pris sur un Allemand et je le braque sur les arrivants. J'ignore si le pistolet est armé mais il s'agit de gagner de vitesse en intimidation. Je vois une lueur d'hésitation dans les yeux du sous-officier allemand. Je bondis sur mes pieds et le menace. S'il lève sa mitraillette, j'armerai mon arme si elle ne l'est pas. Une fraction de seconde, je vois dans ses yeux qu'il va le faire, mais son arme, après avoir esquissé le mouvement, s'abaisse. Il se rend, imité par ses hommes. Je leur fais déposer leurs armes et les fais asseoir. Le blessé allemand leur dit quelque chose, que je suis gentil, peut-être. Je reste un moment debout, l'arme à la main. Les Allemands ne semblent plus avoir de velléité de reprendre le combat; ils sont six. Je les remets aux amis quand ceux-ci arrivent. Je fais monter le blessé allemand près du chauffeur de la Jeep qui m'évacue; c'est une "Rochambelle" qui nous conduit. Après le poste de secours, je suis évacué sur un hôpital de campagne américain. Un prêtre vient me donner l’extrême-onction. Je suis transporté à la salle d'opérations. Plusieurs praticiens discutent. Je m'endors. L'on me ramène. La nuit suivante, il y a intervention chirurgicale. Les documents médicaux (qui sont en ma possession actuellement) indiquent pour la date du 20 que ma plaie a été incisée; que le caillot a été évacué; qu'une brusque hémorragie a eu lieu, provenant probablement de l'artère qui passe sous le menton et qu'elle a été maîtrisée. Le prêtre m'est renvoyé. J'écris des lettres à envoyer en cas de décès. Je demande un miroir à l'infirmière qui refuse. Je tempête jusqu'à ce que j'ai satisfaction. Je ne suis pas très beau; l'hémorragie est très étendue. De l'hôpital d'évacuation n° 51, je suis transféré à l'Hôpital Général Américain n° 36 puis, le 4 Décembre, sur un hôpital français. J'aimerais revoir ma mère à Alger, mais il m'est dit que pour ceci il faut que j'ai une permission d'au moins 3 mois. Le médeçin-chef me propose une convalescence de cette durée. Je refuse, ne prenant qu'une permission nettement plus courte et je vais à Beausoleil (Alpes-Maritimes). Je reçois, à l'hôpital ou à Beausoleil, des lettres de gars de ma section. Actuellement, plus qu'à toutes mes décorations, c'est à une lettre d'un de mes voltigeurs, Guérab, que j'attache du prix. Guérab m'avait écrit : ...Je vais vous écrire quelques mots qui pour moi représentent un appel désespéré. Revenez vite, bien vite. La seule chose que nous souhaitons tous, c'est votre retour rapide... Guérab, René, vient de Blida (Algérie); son père était Berbère et sa mère Arabe. Ce n'était certes pas un soldat modèle au cantonnement mais il était excellent camarade et surtout avait une bravoure extraordinaire au combat. Je revis Guérab (aujourd'hui décédé) en débarquant a Saigon et il m'hébergea; il était employé à la Banque de l'Indochine. L'ayant perdu de vue, ce n'est que longtemps plus tard que nous nous revimes. Ghérab (nouvelle orthographe) était devenu directeur de banque à Riyad (Arabie Saoudite), avait un avion personnel... A la suite de certaines circonstances, il avait coupé les ponts avec l'Armée Française... Je l'informerai du décès d'Augros. Il annulera un voyage d'affaires prévu et assistera aux obsèques de celui qui fut son Chef de Groupe... A Beausoleil, il m'est communiqué un article du journal L'Humanité (à l'époque, peu de journaux paraissent). L'Humanité relate une allocution du Général Leclerc à propos de l'emprunt; Leclerc, parlant de faits d'Armes dans sa Division, mentionne mon histoire de prisonniers faits dans les lignes ennemies. Mais elle a dû lui parvenir un peu déformée : "C’est un de nos aspirants" (Je portais les galons d'adjudant-chef, ma proposition pour sous-lieutenant étant en cours -Blessé à la jambe (j'avais été blessé aux jambes en 1940; 1à, j’étais blessé à la mâchoire) "Caché par ses hommes dans un abri en attendant le lendemain matin", (pas tout à fait exact). Je serai fait Chevalier de la Légion d'Honneur avec citation à l'Ordre de l’Armée. Celle-ci mentionne : "C'est en enlevant sa section à l'assaut qu'il a été blessé une seconde fois à Bréménil le 18 Novembre 1944". En réalité, les faits se sont passés comme indiqué plus haut; d'autre part, c’était la troisième fois que j'étais blessé. Je rejoins le Bataillon de Renfort de la 2ème Division Blindée le 12 Janvier 1945. L'on me propose d'y rester. Je demande à rejoindre d'urgence mon Unité. Je reprends le commandement de ma section le 19 Janvier. Après ma blessure du 18 Novembre, la section avait été commandée par mon adjoint, l’Adjudant Durette, puis par l'Aspirant Catelain à partir du 5 Décembre 1944. Catelain sera muté peu après mon retour, dans une autre unité pour prendre un nouveau commandement. La 3ème Section avait participé à la prise de Strasbourg, combattu en Alsace, principalement à Herbsheim où les soldats Grattery et Lupinelli tombèrent au Champ d'Honneur et dans la région de Witternheim. La lOème Compagnie est maintenant commandée par le Lieutenant Borochovitch . Celui-ci avait été blessé le 12 Août en forêt d’Écouves, alors qu'il était adjoint a notre Commandant de Compagnie. Le 19 Janvier, la lOème Compagnie, comme tout le Groupement, fait mouvement de la Lorraine, où elle avait été envoyée, vers l'Alsace. Je participe à la fin de la Campagne d’Alsace. Pendant un certain temps, nous sommes près de la 1ère Division Française Libre. Le Capitaine Guintini, ex-Administrateur des Colonies, est désigné pour prendre le commandement de la lOème Compagnie. Nous regrettons que le Lieutenant Borochovitch n’ait pas été maintenu dans cette fonction.
TABLE 

L’Allemagne
Après un séjour à Valençay (Indre), nous partons pour la Campagne d'Allemagne. La frontière est franchie le 26 Avril. Le 3 Mai, près de Tegernsee (environ 90 km à vol d'oiseau à l'ouest de Berchtesgaden), ma section dépasse des Américains arrêtés face à des fantassins allemands qui disposent de tireurs d'élite. Le neige nous rend très visible et ne facilite pas notre progression, qui se fait à pied. Nous commençons cependant à attaquer, cherchant à déborder par un coté, mais nous recevons l'ordre d'arrêter et de continuer par un autre axe qui, par la suite, nous fera arriver à Berchtesgaden. Cramer, caporal-chef au débarquement, chef de groupe et sergent ensuite, est blessé. Ce sera le dernier blessé de la campagne par le fait ennemi et ce sera le dernier engagement de la section. Les Américains sont arrivés les premiers à Berchtesgaden, mais la 2ème Division Blindée est la première à l'Obersalzberg, où se trouve le Berghof, la résidence d’Hitler. Un détachement de la Division est aussi aller planter les couleurs françaises à la maison du Kchistein (ou "Nid d'aigle") qui domine l'Obersalzberg et Berchtesgaden. Ma section reçoit la mission, à l'Obersalzberg, d'assurer la garde du garage. Le Général Leclerc fait prendre la Mercédès blindée d'Hitler (Notre général en fera ensuite cadeau au Général de Gaulle qui la remettra à la République Française). Il fait prendre aussi deux autres Mercédès. Quand la garde est levée, nous récupérons une magnifique Mercédès, munie d'un puissant appareil émetteur-récepteur, qui appartenait à l'Armée de l'Air Allemande. Nous sommes envoyés à Hallein (Autriche). Des prisonniers français libérés, qui semblent avoir bien fêté la fin de leur captivité, discutent à haute voix avec notre commandant, semblent avoir des idées tactiques militaires personnelles... A côté, il y a des Autrichiens, silencieux et dans un ordre impeccable, qui appartenaient à la Résistance contre Hitler. Afin de soulager mes hommes, le commandant me propose d'utiliser les uns ou les autres pour la protection éloignée. J'ai moins de patience que le commandant. Je remercie, plutôt sèchement, les Français et utilise les Autrichiens. En allant à Hallein, un de nos H. T. a été accidenté. Nous revenons à Berchtesgaden. Vers la fin de la guerre, ma section doit quitter Berchtesgaden, de même que la compagnie, et aller à Pahl par les grands axes avec une colonne importante. Il n'y a absolument aucun danger. La 2ème D. B. dépend d'une Armée Américaine et les Américains ont donné l'ordre de reverser toutes les voitures de récupération. Des bruits circulent : des contrôles seraient en place pour faire respecter ce que nous avons tendance à considérer comme un diktat. Je fais part de mes préoccupations concernant la Mercédès au Capitaine Guintini, commandant la compagnie, qui me laisse toute liberté de manoeuvre. Laissant mon adjoint au commandement de la section, je pars par les routes de montagne du Sud avec la Mercédès, le Caporal Lambour, chauffeur, et le soldat Selot, qui peut servir d'interprète. Nous rencontrons des militaires allemands, en particulier deux médecins qui déclarent qu'il y a des troupes allemandes plus loin et que des S. S. résistent encore. Cette dernière affirmation est-elle exacte ? En tout cas, entre la Military Police et les S. S., nous préférons affronter les S. S. Je prescris au chauffeur, au cas où il y aurait une embuscade, de faire demi-tour s'il y a des abattis, de foncer dans le cas contraire. Nous roulons à vive allure. Dans un petit village, il y a encore quelques militaires allemands qui semblent considérer que la guerre est terminée, mais qui confirment les déclarations des médecins. Nous dessinons des Croix de Lorraine sur les ailes avant. Brusquement, un grand nombre d'Allemands est là; un détachement à pied, nombreux et en bon ordre, avance. Nous l'arrêtons. Les Officiers sont intrigués : voiture allemande (sans le fanion, bien entendu), uniformes américains et ont aussi un haut-le-corps quand ils s'aperçoivent qu'ils ont affaire à des Français. Leur commandant déplie une carte et, par l'intermédiaire de l’interprète, m’explique qu'il emmène son détachement à tel endroit. J'approuve doctement. L'officier allemand semble tout heureux de savoir qu'il exécute bien les ordres reçus. Lambour me presse pour ramener des souvenirs. J'acquiesce à son désir. Un peu plus loin, descendant de voiture, nous demandons à deux officiers allemands de nous remettre leurs pistolets. Mais ils s'insurgent, nous disent qu'ils ne se sont pas encore rendus. A ce sujet, nous n'en savons rien mais c'est plein d'Allemands aux alentours. Il ne faut pas perdre la face. Je fais semblant de m'apercevoir qu'ils sont officiers et le leur demande. "Ya", me disent-ils, tout fiers. Je fais traduire : "On laisse leurs armes aux officiers". Ils sont tout contents. Nous nous saluons impeccablement. Aux croisements, la Mercédès est arrêtée, je demande le passage immédiat; la circulation automobile allemande est arrêtée pour nous faire passer. Il semble que nous traversons les débris d'une armée allemande où règne encore un ordre impeccable Des officiers sont blêmes quand ils constatent notre nationalité, surtout un qui est à l’étage d'une maison; ses yeux lancent des éclairs. Dans la maison, il y a une grande salle au rez-de-chaussée, où il y a des militaires allemands. Parmi eux, un soldat de la Wehrmacht, ancien serveur dans un café à Paris. Nous bavardons un peu avec lui. Avant de partir, nous prenons des pistolets sur quelques Allemands. "Vous charriez", nous dit le titi parisien allemand. Quand nous arrivons chez les Américains, il y a un peu de surprise, mais ils ne posent pas beaucoup de questions. La Mercédès sera encore liée à d'autres péripéties. Elle finira au Corps expéditionnaire d’Extrême-Orient. J'ai gardé le fanion.
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Mon mariage 
Je connais ma future épouse, Mademoiselle Coste, Marcelle, que j’appellerai Michèle, alors que je suis en permission de départ colonial, étant désigné pour l'Indochine. Nous décidons de nous marier. Je vais à mon Corps, fais signer ma demande par mon Commandant de Compagnie, fais établir par le bureau du Chef de Corps la demande d'enquête réglementaire sur ma future épouse qui est adressée directement à la Brigade de Gendarmerie de Beausoleil. Je la porte moi-même; l'enquête est tapée par les Gendarmes sur mes indications. Je retourne au Corps, à Toulon, fais signer par le colonel son avis favorable. Je vais à Marseille voir le général. Je l’arrête dans l'escalier : - Je suis désigné pour l'Indochine et veux me marier. - Pour un sursis de départ, faites une demande. - Je ne veux pas de sursis; je veux me marier de suite. - Montez !, me dit le général. Il téléphone à son ler Bureau qui est dans un autre bâtiment, me prête sa voiture et son chauffeur. Le Commandant du ler Bureau, croyant probablement que je suis très "pistonné", m'accueille avec égards : - Asseyez-vous, lieutenant; tout autre travail étant délaissé, il fait taper l'autorisation de mariage. Je reviens avec la voiture et fais signer cette autorisation au général. Je m’arrête à Solliès-Pont, pour prévenir ma grand-mère. Je vois à Nice le substitut du Procureur de la République qui m'établit une dispense de publication des bans. Je la donne à la Mairie de Beausoleil. Le lendemain, 29 Novembre 1946, le mariage est célébré. J'embarque pour l'Indochine le 13 Décembre de la même année.    
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L’Extrème-Orient


J'arrive en Indochine le 31 Décembre 1946 et débarque à Saigon le ler Janvier 1947. Je suis affecté au Cambodge. 
Je commande par intérim une compagnie à Kompong-Thom. Je vais à Samrong (région Nord Cambodge) avec une compagnie. Au retour, nous tombons dans une embuscade tendue par des rebelles cambodgiens, des K.I. Khmers Issaraks (khmers libres). Tandis que le Commandant de Compagnie m'appuie de ses feux, je prends la tête des troupes descendues à terre, donne l'assaut avec nos Cambodgiens qui constituent l'essentiel de la compagnie. Les adversaires sont mis en fuite. Je suis Commandant de Compagnie et je commande le quartier de Kralanh. Dans ma compagnie, il y a surtout des Cambodgiens. Sous mes ordres, pour ce qui concerne les opérations, il y a aussi un peloton de scouts-cars où le pourcentage d'Européens est élevé. Nous effectuons de nombreuses patrouilles, parfois assez loin. Par ailleurs, je dois parfois fournir des escortes pour des convois. Peu de temps après mon arrivée au Cambodge, je me suis rendu compte qu'il y avait deux choses sacrées : le Roi et les bonzes. Afin de me rendre compte de l'état d'esprit des rebelles, j'autorise le chaufaysrok (chef d'un srok, circonscription administrative intermédiaire entre la province et le canton) de Kralanh, qui nous est très favorable, à correspondre officieusement avec des rebelles par messagers interposés. Nous aurons des correspondances de chefs khmers issaraks : Prak Sarin et Hul. . Elles ne manquent pas d'humour. Prak Sarin (neveu de l’ex-ministre Son Ngoc Thanh) énumère ses griefs contre les Français. Parlant de Sa Majesté le Roi, il écrit :. "...Nous ne voulons aucun coin de sa terre, ni aucune flasque de son eau". Il fait un cours d'histoire du Cambodge. Il est obligé d'accepter l'aide des Siamois, mais ne les aime pas" ... "Je n'oublie jamais l'époque où les Siamois faisaient des trous aux oreilles des Cambodgiens pour faire passer des rotins et les emmener prisonniers chez eux... Nous faisons comme le chat qui a faim en frôlant l'homme et se retire après en laissant des selles sur le lit...". Dans une lettre qu'il destine au Roi : "... Nous nous prosternons très respectueusement devant Votre Majesté... Vous avez bien d'appétit avec les biftecks offerts par les Français..." Je rends compte à mon supérieur hiérarchique, le Chef de Bataillon commandant le secteur Nord, à Siem-Reap, en lui transmettant les copies des correspondances. J'envoie aussi des copies au lieutenant-colonel commandant le Secteur Ouest, à Battambang, et au Capitaine commandant le quartier de Sisophon. En 1958, étant au Cameroun, parlant avec un Colonel qui avait servi au 2ème Bureau à Saigon, lui exposant la situation au Cambodge en 1947, je serai étonné par sa réflexion : - Au début, nous ne savions pas que le Roi du Cambodge avait une telle influence... Un radio du peloton scouts-cars prend un message "en l'air". C'est un appel désespéré du poste de Pnom Srok, qui dépend du Quartier de Sisophon. Il est 12 H. 45-13 H. ; le poste est attaqué depuis 7 heures; il y a des blessés. J'ai deux sections détachées et une autre en escorte vers Chong Kal et Samrong. Je prends immédiatement les dispositions suivantes : - 2 scouts-cars sont envoyés à Sisophon afin de prévenir et demander du renfort (Nous ne pouvons avoir la liaison radio); - Mes deux comptables européens, l'infirmier européen, un groupe de la section restante, restent au camp pour assurer la garde des cantonnements de ma compagnie et du peloton des scouts-cars; - Je pars au secours du poste avec 2 groupes de ma compagnie, avec 1 ou 2 camions et 2 scouts-cars commandés par le sous-lieutenant commandant le peloton. Nous mettons pied à terre à proximité du poste encerclé. Le combat est engagé. Un cours d'eau arrête les scouts-cars qui nous appuieront par leurs feux. Nous franchissons le cours d'eau, donnons l'assaut, mettons en fuite l'ennemi. Le poste était à la dernière extrémité, ses derniers combattants réfugiés dans le réduit central. Les assaillants ne reviennent pas. Nous restons jusqu'à l'arrivée des renforts de Sisophon. Le poste de Samrong (région Nord Cambodge) tenu par une section avait failli être enlevé par les "Khmers issaraks". Je prends les fonctions de chef de poste de Samrong, ainsi que celle de Délégué administratif du Gouvernement Cambodgien (délégation de Samrong, Srok de Chong Kal et ancien Srok d'Anlong Veng), fonction très théorique. . Le poste de Chong Kal, au sud de Samrong, fort d'une section, est supprimé. L'on me donne 2 sections d'une compagnie (Adjudant-chef Bauman - Sergent-chef puis Adjudant Dede). D'autre part, à titre de délégué du Gouvernement Cambodgien, j’ai un adjoint, 2 secrétaires. J'utiliserai ceux-ci à tout autre chose; ainsi l'un d’eux fera un excellent conducteur de travaux pour la construction de ponts provisoires avec des troncs d'arbres. J'ai aussi un infirmier cambodgien. D’autre part, j’ai un infirmier européen militaire. Il n'y a pas de médecin. Mon épouse restera longtemps sans courrier. L'adjoint part avec moi; je trouverai les deux secrétaires à Samrong, ainsi qu’un détachement de policiers. Ceux-ci n'ont pas été payés depuis un certain temps par le Gouvernement Cambodgien, pas plus d'ailleurs que les deux autres fonctionnaires du khum, (le khum: le canton, le phum étant la petite commune). Le détachement de policiers sous mes ordres a 22 fusils russes (j'ignore comment ils sont arrivés là) en plus ou moins bon état et 2 mousquetons; il y a 2.000 cartouches de fusil russe. Vu l'arrivée de la saison des pluies, en prévision de la coupure par les eaux, notamment par la forte crue du stung (cours d'eau) Sreng, l'on me remet 150.000 piastres pour alimentation - paiement prêt hommes de troupe - avances aux militaires à solde mensuelle, 2.500 piastres pour travaux et 700 piastres pour fonds politiques (renseignements, etc.). En particulier, il m'est fourni pour sept mois certaines denrées (farine pour les Européens - sel...). A ma prise de fonction à Samrong, l'ancien chef de poste administratif cambodgien, qui repartira ensuite, me remet sa comptabilité relative à sa fonction et l'argent restant. Il a fait quelques avances d'argent et je continuerai. Nous partons de Kralanh le 5 Avril 1947. Accrochage en cours de route. Couchons à Chong Kal. Arrivée à Samrong le 6. Le personnel relevé part pour Kralanh. Le convoi sera attaqué a deux reprises sur le chemin de retour. L'ancien chef de poste (Adjudant Farcy) avait commencé la construction d'un nouveau poste à Samrong. Il était encore dans l'ancien quand il avait été durement attaqué; le nouveau poste, déjà très avancé, avait été détruit. Dès que possible, je réglerai toutes les dépenses occasionnées (travailleurs, fournitures) soit 2.032 piastres 90. Je m’installe dans ce nouveau poste, mieux placé. Le 7, coups de feu sur le camp. J'envoie une patrouille. Le 8, deux patrouilles de notre part, dont l'une jusqu'à 8 kms. du poste. Le 9, 1e poste est attaqué. La fillette, âgée d'environ 9 ans, du chef des policiers est blessée à la cuisse, au début de l'attaque, volontairement semble-t-il. Je conduis une vigoureuse sortie. Les assaillants sont mis en fuite. Nous apprendrons par la suite que tous n’étaient pas arrivés et que les renforts ont fait demi-tour après notre attaque. Le poste ne sera plus jamais attaqué. Le 11, des patrouilles sont effectuées. Le 12, avec une section, je fais une randonnée de 40 km. A mon retour, l'autre section part. Nous effectuons par roulement de nombreuses sorties. L'effectif engagé est variable suivant l’objectif, généralement une section, parfois 2 groupes. Fréquemment, des policiers nous accompagnent. En 1941, 1e Siam (à cette époque, l'on appelait ainsi la Thaïlande), soutenu par le Japon, avait annexé une partie du Cambodge; en 1945, il avait dû rétrocéder ces territoires. D’après mes renseignements, les Siamois ont des troupes assez nombreuses non loin du Cambodge. Nous allons fréquemment jusqu’à la frontière, dans la chaîne des Dan Rek. Je me fais préciser cette frontière. Nous voyons plusieurs traces de véhicules venus du Siam, à l'intérieur du territoire cambodgien. Dans le cas où les Siamois attaqueraient, j’ai l'intention de prendre la brousse et de mener des actions de guérillas. Cependant, au cas où je recevrais l'ordre formel de résister dans le poste, je renforce solidement les défenses de celui-ci. Je fais détruire des petits ponts existant dans la Chaîne des Dan Rek, en territoire cambodgien. Une piste d'aviation de fortune, permettant l’atterrissage d'un petit avion, est aménagée. Les habitants de Samrong et d'autres villages s'étaient enfuis en brousse. Ils reviennent peu à peu. Les bonzes de Samrong m’écrivent, m’indiquant le village assez lointain ou ils se sont réfugiés et me demandent de venir "les enlever". Nous les ramenons à Samrong... avec leur plein assentiment. Leur chef s'était réfugié au Siam; il revient à son tour. Je fais procéder par les 2 infirmiers aux vaccinations des habitants de Samrong et de Pongro. Nous avons capturé un troupeau de bovins, pris aux rebelles. Nous avons aussi récupéré une grande quantité de paddy (riz non décortiqué) en particulier après la destruction de deux campements khmers issaraks. Je paye largement ce que j'achète, mais je n'ai aucune difficulté pour nourrir gratuitement les policiers ou pour faire face à d'autres dépenses. 10 chevaux, puis 6, sont pris aux rebelles, y compris le propre cheval de Hul, un des chefs K.I. Celui-ci s'échappe de justesse. Sous les ordres du Sergent Clerc-Renaud, un groupe monté sert dans certaines occasions. Très schématiquement, l’on peut admettre que nous contrôlons bien le pays dans un rayon de 25 km, que nous avons créé une zone d’insécurité pour les rebelles dans un rayon beaucoup plus étendu. Nous sommes capables de faire des parcours considérables à pied (nous n'avons aucun véhicule); pour nos sorties, nous sommes aussi allégés que les K.I Nous apprendrons que les K.I. ont attaqué Siem-Reap et qu'un sous-officier européen a été blessé par balle dans l'hôtel transformé en P.C. du Bataillon. Le commandement décide de renforcer Samrong. Une troisième section m'est affectée. Un peloton monté doit venir à Samrong. Le lieutenant commandant celui-ci est plus ancien que moi dans le grade. Aussi, le Capitaine de Montrigaud est désigné pour coiffer l'ensemble. Le 28 Juillet, je pars avec une section pour faire liaison avec les renforts au stung Sreng. Ils viennent par voie terrestre; un détachement fluvial remonte le stung Sreng et repartira quand les renforts seront passés. Nous sommes accrochés à l'aller entre Chong Kal et le stung par un ennemi qui semble très bien armé et qui ouvre un feu violent. Nous ripostons immédiatement, donnons l'assaut et le mettons en fuite. Le 29 Juillet, nous remontons vers le Nord avec les renforts. Le capitaine De Montrigaud a placé le peloton monté en tête de la colonne. Je ne suis pas du tout d'accord pour ce schéma d'utilisation de la cavalerie hérité des guerres européennes. Pour moi, au Cambodge, l'élément monté doit être, dans les déplacements, placé derrière les fantassins, servir à la poursuite une fois l'ennemi mis en fuite ou, éventuellement, être utilisé pour un grand débordement. Des K.I. sont aux aguets dans la forêt, un peu au nord de Chong Kal. Ils tirent sur les cavaliers qui ne les ont pas repérés. L'embuscade est heureusement médiocrement montée; leurs tirs pas bien ajustés. La section de renfort a été placé derrière le peloton monté; elle est moins aguerrie que celle venue de Samrong. Nous parvenons cependant à chasser l'ennemi. Par miracle, le peloton monté s'en tire avec un soldat blessé, un cheval et un mulet tués. Le Capitaine de Montrigaud se montre courageux. Il s'adaptera très bien aux opérations de guérilla; il conduira des opérations très loin de notre base. J'apprends par radio la naissance de notre fille, Katia. Les actions sont continuées. Le Capitaine de Montrigaud, à la tête d'un détachement, détruit, après l'avoir attaqué, un camp K.I. près de Varin, à une grande distance de Samrong. De bons résultats sont obtenus, souvent très loin de notre poste. Nous apprenons qu'une compagnie a été presque complètement anéantie par les rebelles dans la région Nord-ouest du Cambodge. Nombreux morts, y compris le commandant de compagnie. Presque tout l'armement est perdu. Malade, je suis évacué sur l'hôpital de Phnom-Penh, puis a Saigon. Accidentellement, j'ai aussi les deux poignets légèrement fracturés. Mon épouse et notre bébé, Katia, arrivent à Saigon le 20 Mars 1948. Ultérieurement, elles m’accompagneront à La Réunion et Madagascar et me rejoindront au Cameroun d'où mon épouse sera rapatriée pour cause de dysenterie amibienne. J'ai le commandement du "Commando 3", une compagnie d'intervention, au Cambodge. Elle est à Sisophon. Mon épouse, avec Katia, sont les seuls civils européens. L'autorail Phnom-Penh - Battambang a été attaqué par des K.I. entre Pursat et Battambang. Il n'y avait une escorte qu'entre Phnom-Penh et Pursat. Le Capitaine de Montrigaud, qui était le seul à avoir un pistolet, a été tué, ainsi que d'autres militaires. Ma compagnie est appelée à Battambang, pour faire partie d’un détachement commandé par le Capitaine Bonny, en vue de se rendre sur les lieux et de tâcher de rejoindre les rebelles. Je laisse un groupe en protection du logement de ma famille. Certaines choses me faisant penser que les K.I. ont dû aller rapidement vers le Nord après leur attaque, je dis au colonel que notre seule chance d'accrocher les rebelles est d'aller immédiatement et rapidement par camions sur une route située très au nord de la voie ferrée. Ma suggestion n'est pas retenue. Tout le détachement va sur le lieu de l'attaque; aucun K.I. n'est rencontré. Nous interrogeons des villageois dans des lieux voisins. Notre recherche de renseignements est vaine. Le lieu de cantonnement de ma compagnie est transféré de Sisophon à Battambang. Cette compagnie est aussi composée essentiellement de Cambodgiens, mais le pourcentage d’Européens est légèrement supérieur à celui des autres compagnies de combat du Bataillon (qui sont hors Battambang). Cependant, un seul officier est avec moi. Je suis souvent en opérations avec ma compagnie, parfois loin de Battambang. Un intermède agréable. Ma compagnie doit relever temporairement une Unité à Siem-Reap et assurer notamment la garde des ruines d'Angkor. J’emmène ma femme et Katia. Celle-ci est la mascotte de la compagnie et tous, Cambodgiens comme Européens, sont prêts à la défendre vigoureusement si le convoi était attaqué (ce qui n'a pas lieu). Mon épouse et ma fille, qui a presqu'un an, visitent Angkor, logeant à Siem-Reap. Ma compagnie participe à une action combinée. Des unités convergent vers une zone où il doit y avoir un rassemblement K.I. (assez vague renseignement). Me mettant à la place des rebelles, j’imagine que des chefs pourraient emprunter un certain itinéraire pour aller vers ces endroits. J'ai un trajet qui est fixé, mais ceci non impérativement. Je m'en écarte pour pouvoir être en interception de l’itinéraire que je juge pouvant être emprunté par l'adversaire. Dans un village, nous reposant, j’ai mis des groupes de garde aux issues. Le chef K.I. Ham se présente. Croyant être tout à fait tranquille sur ce trajet, il n'a pas pris d'escorte. Voulant se défendre, il sera abattu par le groupe, ainsi que son adjoint, tandis qu'un prisonnier est fait. Au cours de ces opérations, nous culbutons aussi une forte bande placée en embuscade. Dans la région de Varin, ma compagnie a réussi à trouver les camps de Dap Chuon, un autre chef K.I. Nous attaquons les occupants, bien qu'ils soient nombreux. Ils résistent d'abord puis s'enfuient. Nous détruisons leurs camps, très bien aménagés. Nous poursuivons une bande nombreuse; ce ne sont pas des K.I. mais des Viêt-minh. Nous la rejoignons à Sang Rang, l’attaquons. A un passage battu par l'ennemi, un de mes chefs de section, l'Adjudant Larquier, est tué, juste derrière moi. Nous manoeuvrons, faisons agir notre mortier léger, donnons l'assaut. Les Viêt-minh s'enfuient. Près d'un tué viêt-minh, un livre doctrinal s'est échappé de ses mains... Ma compagnie participe à des actions d'envergure avec d'autres unités dans le Massif des Cardamones (sud-ouest du Cambodge). Après avoir fait un peloton d'élève-gradé et avoir été nommé caporal-chef, le jeune Sisowath Méthavi, apparenté à la famille royale, qui s’était engagé dans l’Armée Française, m'est affecté. Dans mon unité, il ne bénéficie d'aucun traitement de faveur pour les opérations. Les tirailleurs, d'origine terrienne, se demandent s'il va tenir le coup, lors de nos longues marches; il ne craque pas. Il participe notamment au combat contre les Viêt-minh et se comporte très honorablement. Par la suite, il sera Attaché Militaire, Naval et de l'Air, près l'Ambassade Royale du Cambodge, à Paris. Je serai inscrit au Tableau exceptionnel de Capitaine de 1949 et nommé Capitaine à titre exceptionnel pour compter du 30 Juin 1950. J'ai 3 citations pour l'Indochine (Corps d’Armée - Division - Brigade). Je serai fait Officier de la Légion d'Honneur pour "Services de Guerre exceptionnels en Extrême-Orient". Un lieutenant, rattaché au Service des Renseignements, m’écrira de Battambang, m'informant que le chef K.I. Dap Chuon s’était soumis, qu'il avait apporté 15 fusils-mitrailleurs, 29 pistolets-mitrailleurs, 25 carabines et 241 fusils, et qu'il avait à présent son P.C. à Pradak (région de Siem-Reap).

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Je demanderai ma mise à la retraite avant la limite d'âge. Elle me le sera accordée pour compter du 2 Janvier 1961. Je travaillerai dans le civil. Depuis 1961, mon épouse et moi-même habitons Nice. 
  
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Colonel Michel CARAGE

12 Bld. Jean Mermoz

92200 Neuilly sur Seine

1940 ; Étudiant à Paris (ESSEC - 1ère année Droit) 19 ans et P.M.S. Père mobilisé. Mère, jeune frère et soeurs installés pour la guerre à Nantes. Juin 1940 : Examen de P.M.S. (Préparation Militaire Supérieure)... l’avant veille de l'arrivée des Allemands... Le lendemain, parvient à quitter Paris et arrive le surlendemain au Mans où entre-temps, il a appris que son père reforme un Bataillon. Veut s'y engager mais son père l'en dissuade. - Je ne m'apprête qu'à un baroud d’honneur. Rejoins donc ta mère à Nantes d'où tu arriveras- n’ai crainte, la guerre n'est pas finie- avec de la chance, dans le réduit breton ou ailleurs; tu vas pouvoir te battre... En arrivant à Nantes, entend avec fureur l'appel de Pétain à cesser le combat. Tente de s'embarquer avec les Britanniques à Saint Nazaire. Leur dernier paquebot vient de partir et est en train de couler dans l’estuaire. Le soir, les Allemands sont aux portes de Nantes. Part vers le sud en vélo. A La Pallice, à La Rochelle, à Rochefort, aucune possibilité d’embarquement. Le soir, arrive à Royan. Le lendemain, grâce à un pêcheur bienveillant, fait du bateau-stage dans l'estuaire de la Gironde. Malheureusement, des bombardements allemands précipitent les appareillages. Finit par atterrir bredouille à Verdon, sur la rive sud. De là, prospecte les Commandants des quelques navires encore en rade... mais sans succès (machines en panne, ordre de sabotage...). Le lendemain, alors qu'il apprête à continuer vers le Sud et vers l’Espagne, il tombe sur le Commandant d'un petit caboteur venu tenter d'avoir des instructions par téléphone de ses armateurs. Le caboteur arrive de Bordeaux. Son port d'attache est Casablanca. Il l'accepte à bord et il appareille sans tarder, les Allemands se signalant déjà sur la rive nord... Enfin, la grande chance est que le sympathique commandant accepte finalement de faire tirer sur l’Angleterre, alors qu'il aurait dû rejoindre Casablanca! ( J'ai donc rallié un bateau à la France Libre !). La leçon de cette histoire est que j’ai eu beaucoup de chance de rejoindre dès fin juin 1940 la France Libre! Le reste, en fait, n’est que question de chance et malchance d'affectation!  Septembre 1940 / juin 1941 - École d'élève officier d'active de Camberley. Sortant Juillet 1941 ; aspirant. Affecté en A.F.L. (Afrique Française Libre). Septembre 1941 / février 1942 - Instructeur à Brazzaville... Mars 1942 - Sous-lieutenant commandant. une compagnie (détachement ??) envoyée sur la frontière Est de la Guinée Espagnole (pourparlers entrée en guerre de l'Espagne). Avril 42 - Mai 42 - De la base d'Ebolowa (sud Cameroun) patrouilles successives le long (et en! ) Guinée Espagnole. Mai 42 - Compagnie intégrée au BM.9 (Bataillon de Marche n°9) en instance de départ pour le Moyen-Orient. Octobre 42 - Parvient à se faire muter enfin au Tchad comme adjoint d'une compagnie auto (C.A.3).Participe ainsi à la 2ème Campagne du Fezzan. Début 43 - Parvient à se faire muter au R.T.S.T. (Régiment de Tirailleurs Sénégalais du Tchad) - 1ère Compagnie - Campagne de Tunisie. La suite, tu la connais!  Août 45 - En congé sans solde sur sa demande. Septembre 45 / octobre 46 - Attaché à la Résidence de France à Tunis (attaché de presse, puis responsable de "l’information dirigée"...) Fin 46 - Rentre en France. Quitte définitivement l'Armée et rentre dans la cage aux grandes affaires ! Note : Michel Carage, Compagnon de la Libération, est aussi Commandeur de la Légion d’Honneur.

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