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: Saturday, June 27th, 2015 
             


L'oeuvre de Michel El Baze: Les guerres du XXe siècle à travers les témoignages oraux   

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ROBERT Guy
Un Français ordinaire dans la "drôle de guerre"
Guerre 1939 - 1945



POSTFACE de Michel EL BAZE

Robert Guy me dit que ses dons sont plus affirmés dans l’image et la caricature que dans l’écriture. Vous apprécierez, chercheurs, savants de toutes disciplines, ce Français qui se dit "ordinaire" et qui cependant produit là l’un des plus intéressant témoignage de ma collection. Beau par l’écriture sincère, spontanée. Merveilleux par les 50 admirables images que j’ai mis bien longtemps à mettre en page tellement j’étais fasciné par le dessin, précis, évocateur, qui vivifie le texte et contribuent à faire de ce témoignage un chef d’oeuvre. Guerre, captivité, évasion, résistance, voilà un périple, une tranche de vie de "5 tristes années" qui a pour simple but, dit-il, de rappeler une certaine époque de sa vie, sa façon à lui "de ne pas mourir complètement quand viendra l’heure" Robert Guy tells me that his gifts are more asserted in the image and the caricature that in the handwriting. You will appreciate, reseachers, scientists of all disciplines, this French who discribe itself as ordinary and who has however product there one of the most interesting testimonies of my collection. Beautiful by the sincere handwriting, spontaneous. Supernatural by 50 admirable images which I spent a long time to put in page because I was fascinated by the drawing, precise, evocative, which invigorates the text and contribute to make this testimony a masterpiece. War, captivity, escape, resistance, here is a journey, a slice of "5 sad years" of a life and for simple purpose, tells-it, to remind a certain period of his life, his manner to him "not to die completely when the time will come".    

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Le récit que je vais faire à pour but de rappeler une certaines époques de ma vie ma façon à moi de ne pas mourir complètement quand viendra l’heure il est tel que mes souvenirs me le permettent après cinquante années sans enjolivures seulement les faits dans leur stricte vérité..   

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On en parlait déjà lorsque en 1933, je terminais mon service militaire au Maroc, au 1er Zouaves, des bruits de bottes se devinaient déjà à l’Est, mais dans l’insouciance de notre jeunesse, nous étions presque heureux d’un retour précipité pour cette raison. Mon mariage eut lieu un an après mon retour. Ma jeune femme était vosgienne, de Fontenoy le Château, charmant petit bourg médiéval, à côté de Bains les Bains, elle y exploitait un salon de coiffure qu’elle avait crée. Quant à moi, j’étais toujours avec mes parents à Tucquegnieux dans le bassin de Briey où j’étais né et que nous avions dû quitter à l’exode de 1914, ce pays très cosmopolite n’avait alors guère l’agrément de ma future femme; mon père, entrepreneur de travaux publics, m’y avait installé une petite entreprise de peinture et décoration pour m’aider à démarrer dans la vie, pour moi peu importait le lieu, j’avais une femme que j’adorais et c’était le principal. Pour nos débuts et d’un commun accord nous décidons de nous installer à Épinal.

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De l’appartement que nous occupions en plein centre de la ville, je commençais à découvrir les réalités de l’existence, il fallait se mettre sérieusement au travail, mais comment ? dans cette ville inconnue, la crise qui sévissait n’arrangeait rien, Paulette, ma femme, continuait à exploiter son salon à Fontenoy une fois par semaine, pour mettre un peu de beurre aux épinards!  Je troquais ma vieille Almicar contre un joli petit cabriolet Fiat, plus sûr pour elle, je n’étais pas tranquille de la voir partir dans ce vieil engin disloqué! La vie était difficile, mais à deux, c’était supportable et nous fîmes même des économies et l’achat d’un terrain en plein centre, en vue d’y construire notre nid définitif; dans l’appartement que nous occupions, en attendant, elle fit la tentative d’installer un salon, mais il fallut abandonner devant les protestations des deux vieilles filles propriétaires des lieux; comme je racontais nos mésaventures à Monsieur Martin l’administrateur des Magasins Réunis qui était un de mes bons clients, il trouva de suite la solution en nous proposant un emplacement à l’intérieur de son grand magasin; nous devons à ce brave homme une grande reconnaissance, car le résultat dépassa nos espérances; la vie devint plus facile, nous prîmes même nos premières vacances dans le Midi et nous avons pu faire la découverte des paysages enchanteurs de la Côte d’Azur. A cette époque pourtant une ombre me tourmenta : la guerre. Est-ce le souvenir inconscient de l’exode de 1914, de la fuite de notre maison, alors à deux kilomètres de la frontière, de l’embarquement précipité sur des wagons à bestiaux, sans bagages direction Sud, chez une tante à St Dizion puis fuite à nouveau à la première bataille de la Marne, cette fois vers Lyon dans les mêmes conditions de confort! Non le bébé de un an que j’étais ne peut se souvenir, c’est plutôt le récit de cet exode tellement souvent répété par ma mère qu’il s’est incrusté dans ma mémoire.

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1938 : Notre joie est à son comble, c’est la naissance d’une petite fille tant désirée par ma chère Paulette, rêve qu’il lui semblait impossible puisque étant trois garçons de mon côté et deux du sien, nous devions automatiquement hériter d’un mâle! Elle choisit de l’appeler Dominique. Sa photo et sa sucette seront les fétiches qui me donneront, plus tard, le courage de supporter les épreuves. Mais revenons à l’époque critique où nos dirigeants essaient en vain de trouver un compromis avec la "bête d'outre-Rhin". Mes modestes talents pour le croquis me permettent mieux de m’exprimer que l’écriture et par prémonition, je dessine au crayon gras sur une grande feuille de papier un sujet que j’intitule "cauchemar", des personnages casqués, grimaçants, avec des brassards à croix gammées, fusils avec baïonnettes au canon et à dents de scie, et gueules de canons fumantes. Je fais cadeau de ce dessin à notre voisin, commandant de réserve dans l’aviation qui en avait apprécié le "réalisme", le sujet n’est pas très réjouissant mais il le place bien en vue sur sa cheminée, naturellement le dessin est signé de mon nom, ce détail aura son importance par la suite... Ma jeune femme, elle, ne croit pas à la folie des hommes pour déclencher cette guerre; cependant arrive la première mobilisation, puis l’attaque sur la Pologne (pauvre cher pays où j’ai de bons camarades qui, à cause des bruits de guerre imminente, sont rentrés chez eux dans l’espoir de la défendre!); que de regrets! une riposte immédiate de notre part aurait peut-être permis d’éviter la catastrophe! Après beaucoup trop d’hésitations, le haut commandement se décide enfin à tenir ses engagements et la France déclare la guerre à l’Allemagne.

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Ayant été en opérations durant mon service militaire au Maroc, je suis dispensé des périodes et je dois me rendre, le cinquième jour de la mobilisation, au centre de Toul; adieu à nos projets de construction, mais mis à part la tristesse de la séparation, mon départ ne cause pas de problèmes matériels, le salon de coiffure est prospère, toutefois les soins et la surveillance qu’il faut prodiguer à notre petite fille nécessitent la présence d’une autre personne, c’est ainsi qu’une jeune fille originaire de la Meuse et amie de la famille, Lucienne, vient tenir compagnie à Paulette, son courage et son dévouement nous seront d’un grand secours dans les terribles années qui suivront....

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Tristesse du départ, adieux touchants. Le jour arrive où je dois partir pour le Centre Mobilisateur de Toul, c’est un oncle de Darny, l’oncle Georges, qui m’y conduit dans sa camionnette de boucher, je lui fais, en plaisantant, la remarque que son véhicule est approprié à la circonstance, mais je ne réussis pas à le faire sourire, au contraire, je devine une petite larme dans les yeux de cet homme de coeur... A mon arrivée à la caserne ce n’est ni l’exaltation, ni la joie; je tombe des nues à la vue des valises éventrées et pillées où ceux qui sont déjà partis, ont rangé soigneusement leurs effets civils dans l’espoir de les retrouver au retour! Des salopards se sont déjà adonnés au pillage! Je suis parti sans joie mais avec un brin de patriotisme et dans l’espoir d’en finir une fois pour toutes avec les incertitudes de cette sale guerre qui nous est imposée, je constaterai par la suite que je n’étais pas au bout de mes déceptions..!

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Me voici transformé en tirailleur. Chéchia et uniforme kaki, le tout ayant déjà servi et un peu répugnant! je reste quelques jours à Toul, Paulette vient me voir avec notre petit cabriolet vert, puis je suis dirigé sur Remiremont. Cette fois, le paquetage est neuf et je deviens fantassin, je subis les inévitables piqûres d’incorporation mais j’ai la joie de revoir plusieurs fois Paulette accompagnée de Dominique calée dans une boîte en carton sur la banquette du cabriolet. Mon père fait lui aussi le voyage mais il lui faut faire 200 km, et à cette époque, étant donné les circonstances c’était presque un exploit! Il essaie de cacher son émotion et de me remonter le moral, mais je ne peux m’empêcher de méditer sur son état d’esprit à ce moment, lui qui a fait toute la "Grande Guerre", Verdun, les Éparges, etc. et blessé grièvement onze jours avant l’armistice au Chemin des Dames, ayant échappé miraculeusement à la mort et qui voit partir ses trois fils!.. Mon frère Yvon, mon cadet de 7 ans est déjà parti avec son régiment (artillerie légère tractée de Verdun) un des rares régiments modernes que nous ayons, quant à Jean mon aîné de 4 ans il a rejoint son régiment d’aviation à Reims. Après quelques jours passés à Remiremont où certaines recrues essaient de se planquer en utilisant leurs relations ou leurs compétences personnelles, quant à moi je trouve plus sage de m’en remettre au destin, et la solution ne se fait pas attendre: comme il manque quelques hommes pour compléter le 19ème Bataillon de Chasseurs qui se forme à Mally le camp et qui est composé de disponibles (soldats maintenus sous les drapeaux à cause des rumeurs de guerre). Je suis tout désigné comme ancien zouave (régiment de marche), une seule chose cependant leur a échappé, ma taille: 1m 83 contraste avec celle des petits chasseurs à pied! fini donc les visites et tout ce qui me rattache à la vie civile, et en route pour le camp de Mally.

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Le camp est sinistre mais l’ambiance chez les chasseurs est bonne, des jeunes gars sympathiques. Je suis un des plus vieux et parmi les rares pères de famille, par contre le baraquement voisin est occupé par des "Joyeux", régiment disciplinaire composé de repris de justice. Un jour, la malheureuse épouse d’un capitaine d’une autre unité à la malencontreuse idée de s’adresser à un groupe de ces individus, ils lui proposent gentiment de la guider dans le camp, on la retrouve assassinée et violée dans un bosquet au bord du chemin... Notre compagnie est chargée de mettre un terme aux agissements de cette bande de malfrats, après avoir cerné les bâtiments nous récupérons deux caisses pleines de couteaux, revolvers et armes de toutes sortes qui n’ont rien à voir avec le matériel militaire. Ces régiments que l’on croyait combatifs, sont plutôt une charge encombrante; ils ont déjà fait un court séjour aux avant-poste en Moselle, mais on a dû les évacuer vers l’arrière à cause de leur comportement, pillage, vandalisme, ils ont même mis le feu aux granges et aux maisons pour signaler leur présence à l’ennemi! Il est évident que ces types ne sont pas d’ardents patriotes.

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A notre tour de partir vers la frontière Via Metz en train, et à pieds vers Bouzanville notre premier cantonnement, je me trouve alors à moins de 30 km de chez mes parents. Le lieutenant qui commande notre compagnie me permet une courte absence pour aller les embrasser avant de monter aux avant postes; j’emprunte une bicyclette à un cultivateur, pour le retour mon père me conduit avec le vélo sur sa petite Simca, nous sommes heureux d’avoir eu l’occasion de nous revoir, peut-être pour la dernière fois? . Qui sait ce que l’avenir nous réserve!.. Cette course avec ce vieux vélo dont je n’ai plus l’habitude, m’a sans doute fait prendre un chaud et froid, le lendemain pour partir j’ai une fièvre de cheval, j’ai beau me faire des boissons chaudes avec des "poules au pot" que ma mère m’a glissées dans ma musette, rien n’y fait. Je suis très ennuyé car j’ai peur de passer pour un tire aux flancs au moment de monter en ligne; vu mon état, on me fait évacuer en pleine nuit vers un poste de secours, je ne tiens plus sur mes jambes; l’infirmier qui m’examine constate que j’ai plus de 40° de fièvre, il m’expédie aussitôt vers l’hôpital militaire de Metz, pas en ambulance mais dans une camionnette bâchée pleine de courant d’air! J’arrive à destination vers minuit. Le reste de la nuit, je suis veillé par un infirmier très gentil qui me fait absorber le contenu d’un grand broc de tisane; au petit matin la fièvre est tombée et je me sens tout à fait bien! A la visite du Major, je sens son regard incrédule accompagné d’une remarque désobligeante; pour prouver ma bonne foi, je demande ma sortie immédiate, on me garde encore deux jours; j’ai ensuite toutes les peines du monde pour retrouver les traces de mon bataillon. A Bouzanville, j’apprends qu’il a pris position à Filstroff, devant la Ligne Maginot; en cas d’attaque massive allemande, il est certain que nous sommes des sacrifiés! Nos avant-postes sont constitués de tranchées et d’abris sommaires à l’est du village où nous avons notre cantonnement dans de modestes maisons évacuées en hâte par les villageois, on devine le passage des Joyeux: la belle armoire lorraine privée de ses portes est couchée sur le dos et remplie de paille pour servir de lit; nous trouvons même, sur la table une soupière remplie d’excréments! Il y a des vicieux! Le seul point positif, et qui me comble de joie, c’est le visage réjoui des copains qui sont heureux de me retrouver, je suis donc adopté par tous ces braves petits chasseurs; l’un d’eux, un cas spécial, gosse de l’Assistance et valet de ferme, contraste avec la bonne tenue des autres, un vrai clochard mal ficelé, le commandant a fini pas se faire une raison: il s’occupe du mulet et de la voiturette de compagnie, il a bon coeur mais boit, comme un trou, il s’appelle Hondin et me taquine souvent en me disant :"Toi, le grand, tu dépasses tous les autres, et au casse-pipe, tu seras le premier descendu !" Ça n’est pas méchant et me contente de rire.

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La neige a fait son apparition, la garde de nuit est pénible car nous avons de temps en temps, la visite de patrouilles ennemies; malgré les précautions et les boites de conserves attachées aux barbelés pour signaler la présence d’un intrus, nous avons la surprise de voir nos piquets de barbelés garnis de chapeaux de toutes sortes, "ils se foutent bien de nous" malgré tout, ils ne doivent pas être très nombreux car nous faisons quelques incursions chez eux jusqu’à 25 km sans rencontrer de résistance, ils sont sans doute encore occupés en Pologne. Mon rôle comme observateur de compagnie me permet de circuler partout, cependant, un jour, je remplace le téléphoniste de la Cie, je capte un message que je transmets sans en connaître la signification: "Les arbalètes à moineaux sont arrivées". En fait il s’agit de fusils de chasse, armes interdites par les lois internationales de la guerre, mais bien utiles pour tirer la nuit sur des bruits suspects! Un jour un groupe de jeunes fanatiques parvient jusque dans nos lignes, grenades à la main, résultat deux morts. L’un d’eux est un de nos chasseurs à qui, étant touché, échappe la grenade qu’il s’apprête à lancer, c’est un miracle que personne d’autre ne soit blessé. C’est notre premier mort, comme moi un des rares pères de famille. Nous ne sommes pas encore habitués à ce triste spectacle, aussi, je me souviendrai longtemps de ce corps d’une pâleur irréelle, zébré de longues entailles écarlates que l’on charge sur une camionnette et qui part; pour lui, la guerre est finie, triste consolation! Il faut bien songer à s’endurcir, car il est fort probable que nous en verrons d’autres... Nous sommes toujours dans la boue avec un confort précaire. Un jour, une patrouille ennemie réussit à s’infiltrer, et tue une quarantaine de légionnaires à 5 km derrière nos lignes; leur tactique est simple: ils se camouflent de chaque côté de la route, l’un d’eux, coiffé d’un casque français et l’uniforme dissimulé sous un drap blanc (prétexte la neige) fait stopper le camion qui transporte les légionnaires sans méfiance. Ces derniers sont massacrés à la grenade, les quelques rescapés sont achevés à la mitraillette. On parle aussi beaucoup de la Cinquième Colonne: Radio Stuttgart annonce nos déplacements avant même que nous en soyons informés! Nous avons l’impression que des signaux partent du clocher de Filstroff qui sert en même temps d’observatoire, nous contrôlons mais ne voyons rien d’anormal... Un jour une de nos sentinelles de garde à l’entrée du village prise d’un besoin pressant, pose son arme contre un arbre et a la désagréable surprise de voir passer une patrouille allemande, ces derniers, mitraillettes sous le bras, souriant, mais évitant de tirer pour ne pas signaler leurs présence. Il nous raconte son aventure tout penaud...

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Une note étant passée stipulant que tout militaire ayant un frère sous les drapeaux peut prétendre à une permission, j’en fais la demande, le commandant de compagnie me fait remarquer que ma présence est indispensable actuellement, mais me fait promesse que je pourrais partir dès que nous serons au repos à l’arrière, il me faudra attendre bien longtemps avant d’avoir satisfaction!... J’ai pourtant grande envie de revoir mes deux amours qui occupent continuellement mes pensées!... Étant brigades légères de chasseurs, nous devons par définition, nous rendre rapidement sur tous les points sensibles, même lorsque nous sommes au repos; nous sommes soumis à un entraînement intensif (30 km par jour avec armes et bagages) ce qui ne m’enchante guère, moi qui sort de la vie civile; j’ai bien appris à marcher aux zouaves, mais cinq années ont passé, et mes petits camarades, eux, marchent depuis quatre ans; malgré mes grandes jambes, je souffre! Un jour j’ai une lueur d’espoir, une note émanant du Haut Commandement demande des volontaires pour être pilote de chasse (les Américains nous envoient parait-il, des Curtis qui s’accumulent sur le port du Havre). Je vais pouvoir satisfaire un rêve de jeunesse, piloter un avion. J’envoie ma demande en bonne et due forme, hélas, c'était sans compter sur le manque de loyauté du commandement, les indésirables ont un avis favorable, mais pour me garder, j’ai l’avis contraire! Il faut donc me résigner une fois pour toutes à marcher à pied!Mes quelques loisirs sont remplis par de grande lettres à ma famille, l’écriture est cependant loin d’être mon fort, aussi je complète souvent par des dessins humoristiques, souvent ridiculisant Hitler, ce qui par la suite manquera de tourner au drame... J’illustre également le livre de la vie du bataillon qu’écrit un de nos lieutenant poète.

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Notre séjour en Lorraine se termine, nous partons direction inconnue, transport S.N.C.F. (8 chevaux, 40 hommes) par voiture, naturellement nous apprenons notre destination par radio Stuttgart! Nous arrivons dans l’Aisne ;à Moncornet Notre cantonnement: un village "La ville au Bois les Dizy". Ce qu’explique la menace qui pèse sur la Belgique où nous n’avons pas de fortifications. L’hiver bat son plein. La neige souffle en rafale entre les planches mal jointes de l’écurie où avec ma section nous sommes logés sur la paille hachée qui recouvre le sol; le matin nous sommes à demi recouverts de neige... Heureusement, nous avons Houdin, notre muletier qui, la nuit tombée, part bravant le neige et la glace jusqu’au dépôt de Moncornet et revient le matin, sa voiturette chargée de charbon, de sorte que nous pouvons nous réchauffer. Une nuit il passe par la petite lucarne d’un cagibis où le caporal d’ordinaire cache sa gniole (un affreux breuvage alcoolisé pour exciter les hommes au combat). Il revient avec quatre bidons de deux litres -"tiens, mon vieux Robert, me dit-il, je t’ai apporté un bon drogue"! C’est super un brave type; par la suite je devais souvent le sortir d’un mauvais pas quant il buvait plus que de raison... Un certain jour alors que j’ai les fesses à l’air, car un de mes camarades tailleur de son état est en train de faire un ourlet à mon caleçon militaire que j’ai coupé au dessus du genou, n’ayant pas l’habitude de ce genre de vêtement, survient un chasseur qui m’annonce qu’une dame désire me voir, quelle surprise! Je vois apparaître ma chère Paulette, toute blonde, plus jolie que jamais. Les gars et les officiers présents la dévisagent avec envie, sa présence est insolite, elle a bravé tous les dangers et les interdictions, voyage interminable, dans les trains de nuit mal éclairés, parmi certain militaires ivres, Légionnaires ou Joyeux et enfin le parcourt à pied dans la neige pour parvenir au village. Ce jour là est empreint de craintes et de joies; avec l’aide de mon copain Friedmann, caporal de ma Section et ancien policier de la P.J. qui est placé comme plongeur au bistrot du village, car en secret, il doit surveiller les agissements du patron, un barbu qui est soupçonné de fournir des renseignement à l’ennemi. Il fait de son mieux pour nous trouver une chambre plus intime que l’écurie pour abriter nos retrouvailles! Cette chambre est sale et froide, avec un affreux lit de fer, le manteau de Paulette sert d’isolateur et de couverture; malgré le décor peu accueillant, nous sommes heureux d’être ensemble, elle me parle beaucoup des progrès que fait notre petite Dominique et serrés l’un contre l’autre, nous oublions quelques instants, le tragique de notre situation. Notre séparation a lieu le lendemain, après quelques heures de bonheur, je suis anxieux en pensant aux dangers qu’elle doit affronter au retour.

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Après le départ de Paulette, je suis pris d’une forte fièvre due, sans doute au poison des piqûres successives que j’ai subies depuis mon incorporation et du fait des différents changements, certaines n’ont pas été enregistrées sur mon livret et sont recommencées sans explication! Résultat: un énorme entraxe au cou! Et les nuits passées sur la paille sale n’arrangent rien! Pour la deuxième fois, je refais le trajet dans les courants d’air d’une camionnette bâchée jusqu’au dépôt d’éclopés de Barby (4 km de Rethel). Le sous officier qui me prend en main, fait office de major et muni d’un matériel rudimentaire essaie d’extirper, à l’aide d’une pince, les impuretés de mon cou en jurant tous les diables qu’il n’a aucune compétence pour ce genre de travail! Notre cantonnement étant alors installé dans une salle de classe réquisitionnée à cet effet avec un simple bas-flanc pour s’allonger, je pense que jamais je n’en serais sorti sans l’aide d’une brave femme qui a bien voulu m’aider en mettant à ma disposition un lit propre; à ma demande elle veut bien aller à Rethel, chercher les médicaments et les pansements pour me soigner, elle habite avec sa fille, une petite maison près de l’église, son mari étant mobilisé, elle avait pour mission de sonner les cloches à certaines occasions! Il y a là également, un camarade de rencontre et je passe mes loisirs à nourrir au biberon un bébé brebis que j’ai sauvé de la mort car le fermier voulait le supprimer (parce que jumelle, la brebis ne pouvant en nourrir deux). Étant privé de ma femme et de ma fille chérie, je reporte ma tendresse sur cette petite bête qui m’a adopté et me saute sur les genoux de joie quand je rentre le soir! Un jour j’ai le chagrin de la trouver morte, je l’enterre dans le jardin. Nous devions par la suite voir des choses qui marqueront terriblement, mais l’être humain est étrange, la mort de ce petit animal est restée dans ma mémoire.

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Grâce aux soins qui me sont prodigués avec beaucoup de délicatesse, mon mal fini par se résorber, et je retourne rejoindre mon bataillon à la Ville au Bois. Nous sommes à la veille de Noël. Si seulement je pouvais obtenir une permission! A cet effet, je rappelle à mon Commandant la promesse faite en Moselle, de me laisser partir dès que ce serait possible. La guerre s’éternise et rien ne semble annoncer une attaque imminente, ma demande est accordée et après... d’interminables stations dans les gares de triage, un voyage de nuit dans des wagons inconfortables et glacés, j’arrive enfin le matin de Noël à Épinal, mon coeur bat très fort en montant l’escalier qui mène à notre appartement du 1er étage. La porte de l’appartement n’est pas fermée à clé et je n’entends aucun bruit, j’entre, au milieu de la pièce qui sert de bureau, seule, ma Dominique sur son "popo" souriante, mais un peu gênée devant cet homme habillé bizarrement! Elle a doublé de volume depuis que je l’ai quittée, je la prends dans mes bras, elle n’oppose aucune résistance, sans doute a-t-elle le sentiment que je ne suis pas tout à fait un étranger, ma joie est à son comble quand ma Paulette, qui l’a laissée quelques instants, arrive. Nous sommes à nouveau réunis pour quelques jours de bonheur!

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La permission se termine trop vite. Notre voisin Balabouka d’origine russe et gérant du magasin de chaussures du rez-de-chaussée est lui aussi mobilisé et a sa permission en même temps que moi; il est maréchal des logis dans l’artillerie. Nous partons ensemble jusqu’à la gare de triage de Ternier. Après les adieux touchants à la gare d’Épinal, nous nous retrouvons sans mot dire, face à face, que faire? Un seul remède, oublier,;pour ce faire, je sors une bouteille de mirabelle que je tends à Georges Balabouka. Les Russes ont la descente facile! Après lui, je tente le remède, si bien que peu à peu l’excitation se fait sentir; en gare de Charmes puis de Nancy, Georges insulte les officiers sur les quais en les traitant de planqués, nous arrivons enfin à Ternier où nous devons nous quitter, nous sommes complètement dans le cirage... On distribue du vin chaud dans des baraquements enfumés, nous restons ensemble jusqu’au matin en attendant nos trains respectifs, j’ai perdu mon casque après avoir dormi dehors sur le talus malgré le froid (il gèle très fort) Georges me procure un autre casque qu’il va resquiller, hélas! il est trop petit et a pour insigne deux canons en croix au lieu d’un cor de chasse!... Je réussirai à le changer par la suite. Redevenus sobres, nous nous séparons en nous souhaitant bonne chance.

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Je retrouve ma compagnie à la Ville au Bois et je reprends la marche journalière d’entraînement. Fin mars, la température redevient plus clémente, mais une certaine effervescence règne, nous recevons un équipement bizarre, comme couvre-chef de grands bérets de chasseurs alpins, des vestes imperméables, des chaussettes en laine blanche et de grosses chaussures en phoque, on nous distribue même des raquettes et des skis, la plupart de nous ne savent pas s’en servir! Les cuisines roulantes sont supprimées et remplacées par des espèces de marmites à fixer au dos des mulets puis, on nous fait un cours théorique sur les coutumes de la Norvège sans oublier de nous dire que les filles sont jolies et blondes aux yeux bleus! L’armement est aussi revu. Le jour arrive enfin ou tout le bataillon part direction la Bretagne, nous avons hélas, parmi nous certains "dégonflés", pressentant les risques, certains se trouvent des infirmités, des cadres d’active nous lâchent aussi sous prétexte d’être affectés à l’instruction des nouvelles recrues, ils sont remplacés par des réservistes. Quand nous parvenons en Bretagne, nous tournons en rond, marches forcées, tous les jours pour ne pas perdre l’entraînement, tantôt à Plubenec, Sandivisian, etc.... Un soir las de coucher sur la paille dans les chapelles ou autres lieux, avec un camarade nous frappons à la porte d’une maison isolée, nous devons faire bonne impression car on nous accueille gentiment. Il y a là, trois générations représentées: la maman, la grand-mère et la fille. Les hommes sont partis et les vieux sans doute décédés. Dans cette maison de pur style campagnard breton une seule et unique pièce, la grande cheminée au fond, une énorme table massive avec des bancs et sur le mur le plus long une boiserie sculptée pour le rangement et les lits qui sont dissimulés par des portes à glissières, une étagère sert de banc sur toute la longueur et permet l’accès aux lits. On nous offre le café au lait avec d’énormes tartines de beurre (le beurre n’est pas rare à cette époque, surtout en Bretagne); puis la jeune fille qui rentre exténuée d’un pèlerinage, croit nous faire plaisir en nous chantant des chants nostalgiques bretons copiés sur un cahier d’école. Nous n’y comprenons rien mais c’est malgré tout beau et triste. Tous tombent de sommeil, impossible de décrire la gymnastique qu’il nous faut faire pour entrer, en se déshabillant pudiquement, dans le placard où on s’enfonce profondément dans la plume! La chaleur est insupportable, surtout pour nous qui sommes habitués à la dure! Le matin, même complication en sens inverse pour sortir du lit!... Je mets le nez dehors, la vieille dame est déjà en train de casser du bois dans la grande cheminée pour faire chauffer le petit déjeuner, nous goûtons avec délice la chaleur d’un ambiance familiale. Après avoir remercié nos hôtes, nous partons rejoindre le gros de la troupe car avec cette manie de toujours se déplacer, nous risquons de les perdre!...

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Ce matin là au grand complet le bataillon prend la direction des quais d’embarquement de Brest, une de nos plus belles unités, le paquebot Pasteur de la marine marchande qui faisait l’Extrême Orient, est vidé de son luxe, transformé en transport de troupes. Il nous attend, la musique de la marine nous rend les honneurs, je suis même personnellement invité à dire quelques mots à la radio, ma voix est entendu à Épinal, j’ai profité pour faire mes adieux; une fois à bord, le paquebot décolle du quai puis sans raison apparente revient à l’amarrage. Sans doute y a-t-il contre ordre? Nous débarquons et pendant les huit jours qui suivent, en dehors des marches, nous visitons la ville de Brest; un grand cuirassé est en cale sèche en train de se terminer, les rues sont animées de militaires de toutes armes et de marins, les bordels font recette! Pour la deuxième fois nous embarquons les mulets sur un cargo, et nous sur le Pasteur; chaque homme a un sac de jute rempli de vivres pour tenir huit jours dans la nature sans ravitaillement, inutile de dire qu’après tous ces transbordements, seules les boîtes de conserves ont résisté, le chocolat et les biscuits sont en poussière! "Triste organisation" j’entends toujours la réflexion de ce pauvre Hondin: -"on y est ce coup-ci sur la mare aux z’harengs"... Une flottille de torpilleurs anglais assure notre protection, nous faisons une première escale en Écosse la baie de Glascow est magnifique, la mer est bleu et parsemée de moutons blancs, on voit se dessiner la silhouette imposante du porte avion Arc Royal ainsi que d’autres bâtiments de guerre, c’est presque rassurant! L’escale dure quelques jours. Après un trajet en train, dans de vrais wagons de voyageurs capitonnés (et non nos habituels wagons à bestiaux), le chef de gare est en redingote avec rose à la boutonnière pour nous recevoir! Quel luxe! Nous essayons de dialoguer avec des civils sympathiques qui sont en admiration devant nos nouveaux fusils... Un camp installé dans de vertes prairies est notre point de chute, des tentes toutes neuves, même des w.c. individuels s’alignent, séparés de toiles de jute et munis de seaux galvanisés avec couvercle. Nos hommes, parmi lesquels certains ne respectant rien, ont délibérément cochonnés ces lieux. Je ne comprends pas l’anglais, mais je suis honteux, en voyant l’expression des officiers alliés qui passent l’inspection; ils avaient fait de leur mieux pour nous recevoir, je comprends leur écoeurement! D’autres, en vadrouille dans la ville, achètent cigarettes et marchandises avec des pièces trouées sans valeur! Nous apprécions le pain blanc comme du gâteau et la traditionnelle confiture d’orange que nous distribuent nos amis.

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Notre court séjour en Écosse se termine. Nous embarquons à nouveau, cap sur la Norvège, plus au large, la mer charrie des glaçons. Je frissonne à la pensée d’un bain forcé, notre constitution ne nous permettrait sans doute pas de tenir bien longtemps! Je suis invité par le Commandant pour lui faire son portrait (grâce à la publicité de mes camarades). C’est un petit homme aux cheveux blancs comme neige et au regard vif, son nom "Chaliani", sans doute d’origine corse? Il est industriel à Nancy... appelé comme officier réserviste, il s’est déjà distingué durant la guerre de 1914 plusieurs fois, il m’a déjà fait décliner mon identité, intrigue qu’il était par ma taille. Le pont de notre bateau est chargé de troupes; à un certain moment, nos escorteurs se mettent à manoeuvrer de façon insolite, et nous apercevons le sillage d’une torpille venir dans notre direction! Heureusement, aperçu à temps par le commandant qui vire de bord, elle frôle de quelques mètres, l’avant du paquebot, un sous-marin ennemi est dans les parages, aussitôt pris en chasse par les contre-torpilleurs... Le bruit court que le débarquement devient impossible. Les baleinières de débarquement qui descendent à l’abri du navire, sont, dès qu’elles ont dépassé l’étrave, balayées par le tir des mitrailleuses, le comité d’accueil est déjà sur place. Le communiqué est affiché tous les jours sur le bateau. Le matin du 10 mai, nous apprenons l’attaque sur la Belgique, ordre est donné de faire demi-tour, ceux qui nous ont précédés et n’ont pas pu rejoindre le bord sont définitivement perdus. Après quelques jours d’une mer agité, bien des hommes sont malades, nos pauvres mulets crèvent dans les cales des cargos et leurs cadavres sont jetés à la mer.

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Notre retour à Brest n’est pas aussi triomphant que le départ! Pas de musique! Le train nous attend, puis les mêmes wagons à bestiaux nous emportent direction cette fois, Les Mureaux près de Paris et toujours notre itinéraire est indiqué d’avance par la radio allemande! Nous nous installons près des usines Potez; le lendemain nous nous dissimulons dans la nature car un message des services secrets britanniques nous avise d’un bombardement imminent de l’aviation ennemie. Comme observateur, je m’installe en haut d’une vieille tour et je scrute le ciel. J’aperçois bien quelques petits points lumineux accompagnés d’un bruit sourd de moteurs et, tout à coup, les bombes se mettent à tomber secouant mon perchoir; je m’empresse de faire un croquis panoramique et marque les points de chute d’une croix sur mon dessin, aujourd’hui encore je m’en demande l’utilité! Cette anecdote est relatée dans le livre que notre lieutenant poète écrira et terminera au Tchad :  "Des chasseurs dans la débâcle", ce livre m’avait été offert plus tard par Friedmann, compagnon de guerre rescapé. J’ai eu tort de le prêter, on ne me l’a jamais rendu! Ce même jour fut le premier raid sur Paris.

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Le lendemain, à la tombée de la nuit, une ribambelle de cars citroën venus de Paris nous attendent en bordure de route pour nous conduire au devant des hordes ennemis qui déferlent sur la France, nos courageuses troupes qui se sont portées au devant d’eux en Belgique et même en Hollande (mon jeune frère en faisait parti) après une percée triomphale en avant, ont dû reculer devant la quantité impressionnante du matériel ennemi; ce qui en restait à connu les misères de l’embarquement de Dunkerque. Toute la nuit nous roulons tous feux éteints, les virages sont balisés par des petites veilleuses au bord de la route. Nous restons silencieux, fusil entre les jambes, les cartouchières garnies au maximum, le reste de l’équipement est allégé. Au petit matin nous arrivons dans la Somme, entre Alberville et Asnières; en descendant des cars, des avions de chasse mitraillent notre convoi. Un jeune capitaine a pris le commandement de notre compagnie, je peux constater qu’il est aussi impressionné que moi, heureusement la providence a placé à côte de moi un gros arbre pour m’abriter à chaque passage en tournant autour! Soudain, j’ai la joie de voir apparaître un petit avion aux cocardes tricolores qui livre courageusement combat seul, contre cette escadrille ennemie, c’est hélas, de courte durée, après avoir réussi à abattre un avion ennemi, il percute le sol un peu plus loin. Nous ramassons le pilote enroulé dans son parachute, d’après ses papiers, c’est un jeune lieutenant originaire d’Issy les Moulinaux. La vraie guerre va commencer pour nous. Après quelques kilomètres de marche forcée, nous installons nos positions à l’orée d’un bois près de Beaucamp le Vieux, face au plateau d’Hornais, le temps est superbe mais la colline en face est un vrai brasier; au milieu d’un grondement assourdissant, je me demande comment des hommes peuvent tenir dans de telles conditions... Une estafette vient nous prévenir qu’ils décrocheront dans la soirée, nous sommes stupéfaits de constater que cette poignée d’hommes a pu si longtemps tenir tête à un ennemi cent fois supérieur en nombre. Ce sont des G.R.D.E. (groupe moto et automitrailleuses). Les quelques survivants sont accompagnés d’une camionnette chargée de blessés, le sang coule sous les ridelles, nous saluons le courage de ces braves...

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Nous occupons une ligne de front d’environ 5 km avec trois bataillons, le notre, le 19° au milieu du dispositif et de chaque côté le 13° et le 3° Chasseur. Nous repoussons plusieurs attaques d’infanterie faisant même quelques prisonniers que nous évacuons vers l’arrière; devant notre résistance, ils nous font subir un tir serré de mortiers de 100 et d’obus fusants de 75 (redoutables canons français récupérés en Tchécoslovaquie), c’est le comble. Je fais parvenir au Commandant un croquis panoramique avec l’emplacement des batteries ennemies que je vois prendre position en face. Le commandant vient lui même constater, droit sous la mitraille avec son imperméable blanc, il nous montre un bel exemple de courage. Le sol est rocailleux, nous n’avons pas eu le temps de nous terrer profondément, je pose la question au commandant: pourquoi n’utilisons nous pas notre artillerie? Hélas, nous n’avons pas de canons, seule une batterie de 75 d’artillerie coloniale, de retour de Belgique, vide son dernier caisson d’obus avant de décrocher. Nous ne disposons que de mortiers de 60 et de quatre canons antichars de 20, le mortier à mes côtés crache sans interruption mais la lutte est inégale; toute la journée du lendemain le bruit déchirant des fusants qui éclatent à quelques mètres du sol dans les branches est insupportable. A l’arrière une section de ravitaillement en munitions (celles-ci commençant à s’épuiser) a dû faire violence à des gardes sénégalais qui ont pour consigne de n’en donner à personne. Dans le ciel à haute altitude, tournoient sans interruption des combats aériens; de temps en temps, l’un d’eux tombe en feuille morte suivi d’une longue traînée de fumée. On ne peut distinguer s’ils sont amis ou ennemis. Un camarade à mes côtés a eu la main emportée si vite que sur le coup il n’a même pas senti la douleur; un autre, le visage couvert de sang, enlève son casque dont la tôle est roulée comme un copeau, la blessure heureusement n’est que superficielle. Tout autour, le vide se fait. Par ci, par là, les hommes tombent; mon capitaine un éclat dans la jambe, me trace de son brancard, l’itinéraire que je devais faire prendre aux rescapés survivants dès la nuit. En effet, nous venons d’apprendre que les 3° et 13° Bataillons ont été enfoncés par les chars et que nous restons seuls au milieu du dispositif de combat.

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Le soir, un silence angoissant a fait place au tumulte, aucun rescapé vivant, je suis vraiment seul, que faire? Je parts dans la direction indiquée dans l’espoir de rejoindre quelques chasseurs égarés. Dans le village que je traverse j’avise un bistrot de campagne, pas une âme en vue; derrière le comptoir ou je prends une bouteille pour me désaltérer, il y a une glace, dans cette glace, je vois un visage, le mien, que je ne reconnais pas, j’ai vieilli de 10 ans dans une seule journée, la peur et sans doute aussi la barbe qui a poussé très vite. J’ai vraiment une drôle de gueule! La fatigue et l’alcool que je viens de boire, me font planer... En sortant, à l’angle de la rue, j’aperçois deux hommes en noir, avec un drôle d’objet qui claque entre leurs mains, je réalise seulement qu’il me tirent dessus à la mitraillette! leurs uniforme que je ne connais pas encore est celui des conducteurs de chars, je m’abrite vivement derrière la maison et je continue ma route, souvent à travers champs, la traversée des ruisseaux à pied ainsi que la chaleur, ont donné à mes pieds l’aspect d’une éponge; j’avise une ferme sur mon passage, un silence de mort y règne, la chaise du bébé près de la table me fait songer à Dominique, la soupe séchée est encore dans les assiettes. D’un carrefour en plein champs j’aperçois quelques Chasseurs avec une voiturette de mitrailleuse, je me joins à eux. Des chasseurs bombardiers Stuka nous survolent, je ne crois pas qu’ils préteront attention à nous, si peu nombreux mais à ma grande stupeur, ils se mettent en piqué et accompagnés d’un bruit de sirène, lâchent leurs bombes au dessus de nos têtes, je me souviens de leurs couleurs vertes!... Heureusement, la route est un peu en contrebas, les projectiles éclatent de chaque côté de nous, au ras du sol, l’herbe est brûlée et coupée comme à la tondeuse; je me retrouve deux mètres plus loin, déplacé par le souffle, par miracle personne n’est touché. Dans le village suivant que nous traversons, toujours personne, mais dans une grange, un vieux camion de l’autre guerre, ses roues sont à bandages plein et il est peint en rouge. L’idée me vient de l’utiliser si nous pouvons le mettre en route car se traîner à pied et le ventre vide est fatiguant; il y a là des fûts d’essence, nous faisons le plein avec des seaux, ce n’est pas très commode! Après quelques tours de manivelle à ma grande surprise la moteur tourne, je me mets au volant et avec toute ma petite troupe, je reprends mon itinéraire et m’engage sur une petite route bordée de talus. Quelque kilomètres plus loin un officier de Chasseurs, inconnu, me fait stopper, il est accompagné de quelques hommes et ont vu des chars venir dans notre direction. Il me conseille d’abandonner notre camion trop bruyant et si voyant! Je le quitte à regret mais c’est plus raisonnable! Je continu mon chemin à travers champs, quelques Chasseurs m’emboîtent le pas. Nous arrivons en vue d’une petite ville dont le nom m’échappe. Nous sommes environ à un kilomètre quant une escadrille de bombardiers y déverse une quantité importante de bombes. Le spectacle qui s’offre à nos yeux quand nous y entrons est hallucinant: dans les ruines fumantes, ça et là, des corps mutilés, des têtes aux yeux exorbités émergent pêle-mêle écrasées sous les poutres; au bord de la route cinq ou six petits corps d’enfants dont les pieds chaussés de petites chaussures dépassent d’une couverture et abandonnés là; nous ne rencontrons qu’un seul civil, un vieillard aux yeux hagards qui ne peut prononcer un seul mot... Jusque là je n’en voulais pas trop à l’ennemi qui fait sa guerre, mais devant l’inutilité de ce massacre, la rage me vient au coeur et je crois que je vais pouvoir tuer plus facilement... Je suis aussi écoeuré par le geste d’un Chasseur qui, devant une bijouterie à la vitrine brisée, emplit ses poches de montres, quant à moi je me contente de tailler une tranche de jambon à l’étalage d’un boucher, laissant soigneusement le reste bien en vue pour les suivants. Je trouve également du vin dans un hangar ouvert! je saisis précipitamment une bouteille car le feu fait rage tout près des fûts d’essence que la chaleur fait déjà bouillonner.

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Nous quittons cette vision d’horreur pour nous réfugier, quelques kilomètres plus loin, dans une maison isolée au milieu d’un verger afin d’y passer la nuit; mes compagnons se mettent à l’abri, moi je préfère m’allonger sous un arbre et m’endors exténué. Le jour n’est pas encore levé que je suis réveillé par un bruit assourdissant: des éclairs partout, je me trouve au milieu d’un tir de fusants; en me précipitant à l’abri dans la cave je constate que je suis à nouveau seul. Tout le monde est parti sans remarquer ma présence sous mon arbre! Le jour pointe et derrière le mur qui borde le jardin de la maison, le long de la route, j’entends des bruits de moteurs. Je me hisse en haut du mur car j’ai reconnu une camionnette anglaise qui stoppe immédiatement en me voyant. Ce sont des Écossais de la 8ème Armée Britannique. On parvient à peu près à s’expliquer, leurs premières paroles: -"où sont les Boches"? J’explique qu’ils viennent de passer car j’ai à peine vu défiler plusieurs autos blindées tout de suite identifiables par la croix peinte sur le côté!... Comme je manifeste le désir de monter à bord, ils me demandent si je ferai feu avec eux? J’acquiesce de la tête naturellement... et je prends place sur leur voiture. C’est une sorte de camionnette avec plateau à ridelles, à l’avant deux hommes dont le conducteur, un bon gros souriant et sympathique, sur le plateau, un Écossais avec son fusil mitrailleur placé sur le toit de la cabine et pointé sur la route. Un autre est assis à côté de moi. Le chauffeur ne sais quelle direction prendre, je lui suggère de partir vers la mer que je crois proche et la route du littoral vers Saint Valéry en Caux où j’ai entendu dire que la résistance s’organise... Un dernier village à traverser avant d’atteindre la mer; à l’entrée deux canons antichars démolis, des motos, des side-cars et voitures brûlées mais toujours personne... J’occupe le côté gauche du plateau et par précaution je me suis protégé le ventre avec une caisse de munitions. A ma gauche coule une petite rivière et sur la rive quelques rares propriétés... Soudain, après un virage, devant un portail, entre deux piliers de briques rouges, deux soldats vert de gris fusil à la main discutent avec une vieille dame; à notre vue les deux coups partent presque simultanément, je sens sur mon visage la chaleur du feu et par réflexe ou par peur j’appuie sur la détente, le hasard veut que l’un d’eux s’écroule sur la route; le mitrailleur se retourne, et me frappe sur l’épaule pour me complimenter avec son accent écossais: -"très, très bien tiré", dit-il, je ne veux pas ajouter que je ne n’ai pas fait exprès, nous avons de ce fait déclenché le feu des éléments qui se trouvent en bordure de route, et je vois, effrayé, des morceaux de la caisse qui me protège partir en éclats!... J’aperçois la route qui borde le littoral. Sans doute sur la gauche y a-t-il un pont; en voyant la mer, naïvement, je nous crois sauvés, pourtant, je ne sais pourquoi, j’avais cru bien me faire comprendre en indiquant de prendre à droite vers St-Valéry (nous sommes à Veulette). Le chauffeur tourne cependant à gauche et s’engage sur le pont; cette erreur me sauve la vie car en présentant à découvert l’arrière du véhicule, nous étions sous le feu des mitrailleuses qui gardent le pont; le chauffeur essaie en vain de faire demi-tour mais l’avant vient s’encastrer contre le parapet, ce qui a pour effet de nous projeter sur la route. Les deux Écossais qui sont à l’avant, sont sans doute tués sur le coup; avec la rapidité que l’on ne peut acquérir que dans certaines circonstances, nous contournons sous le feu, le parapet du pont pour nous retrouver sous ce pont dans l’eau jusqu’à la poitrine. Je regarde mes deux compagnons avec admiration car ils ont su conserver leur équipement, casque sur la tête et fusil à baïonnette au canon; quant à moi je n’ai plus ni casque ni fusil, seulement mes jumelles accrochées au cou et une musette remplie de croquis insultants représentants le Führer, quelle imprudence!... Il convient de prendre une décision rapide car la position n’est pas confortable!

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La rivière débouche sur une plage de galets, le courant est très fort, l’un des Anglais, me regardant, propose la solution. "Nous allons?", dit-il, je réponds d’un geste et nous quittons notre abri provisoire; nous nous laissons couler en nageant entre deux eaux pour atteindre l’autre rive et émergeons de temps en temps pour reprendre notre souffle; le courant nous déporte assez loin sur la plage, nous n’avons sans doute pas été vus car le mitraillage a cessé, mais au moment ou nous prenons pied sur l’autre rive, le feu reprend de plus belle; nous courons par bonds successifs vers la falaise en nous protégeant le mieux possible, les éclats des galets provoqués par les balles explosives nous fouettent de toutes parts, nos mains sont couvertes de sang mais ce n’est que superficiel et sans douleur. Enfin nous trouvons un abri au pied de la falaise. Il est formé de galets portés par la mer, nous longeons cette dernière en direction de St-Valéry à plat ventre comme des serpents; en haut de ces grandes roches calcaires, les Allemands ont déjà pris position et nous balancent des grenades qui sont sans effet si ce n’est le bruit insupportable! Puis le silence... Nous sommes sans doute hors de portée? A un certain endroit la plaine rejoint la plage entre deux falaises, nous hésitons un instant, car il nous faut passer à découvert; un de mes compagnons fait remarquer qu’il ne doit plus y avoir de "Boches" car les oiseaux sont posés sur les rochers; nous traversons en effet sans encombres et arrivons jusqu’à une grotte, nous sommes à environ 3 ou 4 kilomètres de St-Valéry. Des obus passent dans les deux sens au dessus de nos têtes; au large, dans la brume matinale on distingue des navires de guerre alliés, les embarcations que l’on voit quitter le port de St-Valéry pour les rejoindre sont aussitôt coulées par l’ennemi, beaucoup trouvent la mort par noyade, des débris de toutes sortes couvrent la plage, je récupère un fusil anglais et rempli ma musette de chargeurs. Plus réconfortant il y a là aussi un litre de Cap Corse tout neuf que nous vidons rapidement à nous trois. Ce matin là nous avions le ventre vide et son effet nous procure une douce euphorie, après ce que nous venions de vivre, nous nous sentons de plus en plus invulnérables; je me souviens alors des récits des vieux de l’autre guerre, ils finissaient par s’habituer au danger. Dans notre abri provisoire une idée idiote nous vient: faire des signes aux bateaux en face, peut-être nous enverront-ils un canot? Pour ce faire nous allumons tous les papiers qui se trouvent dans la grotte, le résultat ne se fait pas attendre, nous apercevons des signaux lumineux suivis d’un grondement du tonnerre au dessus de nos têtes et des déflagration font vibrer notre caverne, à la hâte et par prudence nous éloignons notre signal, avec un tir un peu plus bas, notre sort était réglé!.. Nous continuons par St-Valéry. En arrivant nous trouvons là des soldats de toutes armes, outre les Écossais de la 8ème Armée, la division du Général Berniquet, quelques Chasseurs rescapés. Une activité intense règne, les artilleurs prennent position de tous côtés, des véhicules renversés gisent sur la chaussée, des boîtes de confiture d’orange et des cigarettes jonchent la route. Malgré les obus qui tombent ça et là, nous avons bien mérité un peu de détente, aussi mes nouveaux amis prennent dans une de leur voiture des boîtes de gaufrettes, nous trouvons aussi des bouteilles de cidre bouchées. Assis sur la digue, les pieds pendants, nous nous restaurons, heureux et surpris de nous retrouver encore vivants!... Les obus qui tombent, font des gerbes d’eau autour de nous, ces quelques heures passées ensemble, dans ces terribles circonstances, ont suffi à créer des liens d’amitié. L’un d’eux ,je me souviens, s’appelait Robert’s, mon homonyme, les adresses sont échangées dans l’espoir de nous revoir un jour, je les insère sur mon permis de conduire, elles seront hélas, effacés par la suite par plusieurs bains forcés, c’est dommage, j’aurais bien aimé savoir ce qu’ils étaient devenus. Nous faisons nos adieux, eux rejoignent leur unité, tandis qu’un lieutenant de chasseur, à qui j’avais narrer notre aventure, me conduit au P. C. du Général Berniquet. Je lui indique sur la carte d’état major les positions exactes de l’ennemi, je me souviendrai toujours de ses paroles: -"les Anglais s’en occupent de ce côté-là", puis il fait rassembler les rescapés de toutes armes et nous tient un court discours à peu près en ces termes: - "Les gars, quand tout est perdu, il reste encore quelque chose à sauver: l’honneur" Aaprès quoi il donne l’ordre de contre-attaquer les positions occupées sur les hauteurs autour de la ville; nous parvenons aux prix d’énormes sacrifices à déloger l’ennemi, hélas pour peu de temps. J’apprends quelques instants plus tard que le général a été tué dans son bureau par une rafale de mitrailleuse. Nos canons, l’artillerie légère des Écossais ainsi que nos 105 courts manoeuvrent et tirent de toutes parts autour de la ville; le bruit mélangé au sirènes et aux bombes des Stukas qui descendent en piqué, produit un vacarme infernal,. Épuisé et à bout de force, n’ayant pas dormi depuis bien longtemps, je sombre dans un profond sommeil sur une petite place sous les platanes; des cris stridents me réveillent, plus insupportables que le bruit des bombes, un homme hurle à côté de moi, il est devenu aveugle par les projections de pierres produites par les éclatements. Je me relève pour aller m’abriter derrière les pierres tombales d’un chantier de sculpteur. Un peu plus loin, derrière une autre pierre, deux soldats anglais ayant en main une espèce de fusil tout métallique à gros calibre guettent l’angle de la rue toute proche, après une courte attente un grondement sourd mais caractéristique se fait entendre et un gros char débouche près de la maison; je regarde la manoeuvre, à coup répétés, ils arrivent à couper une chenilles et le char se met à tourner sur place et à l’aide bouteille d’essence, préparées d’avance, parviennent à y mettre le feu. La chaleur est si forte que je dois m’éloigner. N’oublions pas non plus le triste spectacle des femmes et des enfants à la recherche d’un abri précaire, couchés et hurlants dans les fossés de la périphérie de la ville; je verrai longtemps, alors que je fais le coup de feu allongé sur l’aile d’une vieille voiture, sur laquelle aile est posée un portefeuille enveloppé dans un caillot de sang, -à qui a-t-il bien pu appartenir? - et tout à côté, dans le fossé, une fillette apeurée. Le jour tombe, la pluie, aussi, je trouve abri dans un garage ou plutôt une sorte de hangar où un officier anglais me fait remarquer que j’ai un de leurs fusils; outré, je le lui jette dans les bras, j’ai le sentiment qu’il ne me sera plus de grande utilité. Le matin la bataille baisse d’intensité, moins de bruits, seulement quelque tirs par ci par là, sans doute des braves qui ne veulent pas se rendre... Les Anglais défilent en bon ordre, à la file indienne, un mouchoir blanc à la pointe de la baïonnette, je comprends que c’est la capitulation, nous sommes le 12 juin, c’est ma fête, "St Guy", drôle d’anniversaire. Les chars, avec, dépassant des tourelles, ces hommes en uniformes noirs, le regard conquérant, déferlent sur la ville; on nous rassemble, valides et éclopés de toutes sortes, puis le défilé commence sous les yeux du Maréchal Rommel et de son état-major. Nous avons la surprise de nous voir rendre les honneurs militaires par un détachement d’infanterie, le Maréchal est encore de cette vieille école qui apprécie le courage!...

Fin du 23ème chapitre et de mon service aux Armées

  La poche de St Valéry vient de se rendre, alors que les "Boches" ont déjà passé la Loire; maintenant va commencer pour moi une période de un mois, où je vais me traîner lamentablement sur les routes, et dans le calme revenu, je songe à la manière de retrouver ceux que j’aime, que sont-ils devenus?   J’existe peut-être encore grâce au fétiche de Dominique ou plus vraisemblablement à la relique de la petite Thérèse que ma mère a voulu que je porte au cou, celle là même qui ramena mon père de la tourmente de 1914 et aussi à la promesse faite d’aller en pèlerinage à Lourdes, à pieds, si mes deux frères et moi même revenions vivants...    

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Dans la prairie où nous sommes parqués, aucune violence de la part de nos gardiens mais il faut vider nos poches de leurs objets, couteaux etc..... Ceux qui ont encore leur casque doivent les abandonner. Un silence inhabituel fait place au bruit des combats, j’entends pourtant un étrange miaulement dans les oreilles, comme si des balles continuaient à siffler, c’est paraît-il un phénomène connu... Nos gardes nous font comprendre avec un brin de malice que la France est presque totalement envahie et que la guerre se termine... Ma pensée va vers Paulette, et Dominique, que sont-elles devenus? Le soir de la première étape, on distribue aux prisonniers un morceau de pain noir sur lequel on y met une cuillerée de végétaline provenant des réserves anglaises et un hareng saur: on est soigné! Sans doute les ordres de Rommel... C’est le premier repas consistant qui nous est offert et le dernier... après se sera de longues étapes, toujours à pied; pour survivre, il faut se débrouiller en chemin, quand nos gardiens nous permettent un écart vers un silo de betteraves ou dans une maison en ruine. Les villages que nous traversons sont abandonnés, pas âme qui vive, il est donc impossible de penser à l’évasion pour l’instant, sous peine d’être repris et fusillés. La nuit venue, on nous parque dans un champ gardé par des sentinelles et entouré de barbelés, nous formons un petit groupe pour nous entraider mutuellement et nous réchauffer la nuit en nous mettant l’un contre l’autre en chien de fusil. Chemin faisant, nous ramassons des brindilles pour faire du feu, des orties pour faire des épinards, des pommes de terre quand nous pouvons avoir accès à une cave en ruine; un jour même nous capturons un coq et un canard dans la cour d’une ferme abandonnée, tout est mis en commun, pêle-mêle dans un sac; le soir venu, aussi discrètement que possible, nous faisons un trou dans la terre pour faire notre foyer et cuisons le tout dans un vieux chaudron récupéré en cours de route; je n’ai pour tout bagage qu’un sac à masque vide avec une demi boîte de conserve qui me sert de gobelet pour boire, et certains jours pour manger, quelque fois il y a une distribution de malt que l’on ne peut obtenir qu’après une guerre interminable.

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Avec la chaleur du jour et la fatigue, je marche à demi inconscient. Je me contente de ne citer que quelques souvenirs de cette longue marche. Parmi cette foule d’hommes amaigris, dont certains ne se relèvent pas le matin, l’autopsie est pratiquée par des majors prisonniers, les "Boches" craignent l’épidémie! Le diagnostique est très simple: l’estomac est vide, ils sont morts de faim!.. A chaque étape, nous avons de nouveaux accompagnateurs, tantôt des vétérans de 1914 ou des Autrichiens, ce qui nous permet un peu de relâche dans la discipline; quand ce sont des hitlériens féroces, ils nous obligent à marcher en bon ordre à coups de pieds ou à coups de crosses; j’arrive à éviter cette humiliation car je me demande malgré ma fatigue quelle serait ma réaction. Un jour durant une pose, je vois deux Anglais qui ne peuvent plus se relever, hochent la tête, ils implorent, mais sont achevés à coup de baïonnette. Un soir dans le champ où nous sommes parqués, je remarque un groupe de Sénégalais, admirables de solidarité, ils partagent un petit morceau de pain en parts égales pour chacun. Par malheur certain portent sur le visage des marques de tribus, ces signes ne sont pas appréciés des "Boches" qui les croyants plus féroces que les autres, les appellent d’un geste, et les massacrent à la mitraillette. Un jour alors que notre convoi déambule sur la route, je vois à 100 m environ, dans un champ , une fumée qui sort d’un abri, ce sont deux Anglais qui font tranquillement leur popote! Ils sont aperçus et doivent rejoindre les rangs rapidement, encore heureux de s’en tirer à si bon compte. Les betteraves que l’on trouve dans les silos en bordure de route sont filandreuses mais calment un peu notre faim. J’avise un jour un petit carré de salades devant une maison abandonnée, je me précipite pour cueillir la douce laitue mais une odeur nauséabonde ma fait reculer... Il y a là, gisant, un cadavre de Sénégalais gonflé à éclater, les lèvres mangées, toutes dents dehors dans un rictus effrayant; je prends tout de même la salade, la faim, c’est terrible!... Nous arrivons maintenant dans le Nord, près de Lille, nous commençons à voir des civils qui sortent de ces pauvre petites maisons de briques rouges; des braves femmes nous distribuent un peu de nourriture, la gentillesse ce ces gens du Nord est bien connue; un jour je vois l’une d’elles sortir de sa maison avec un panier chargé de tartines de confiture, elles est renversée et roulée dans la poussière par une bande de sauvages affamés, j’ai tellement honte que je n’ose m’approcher, épuisé et à bout de force, je marche en zigzaguant me demandant si je pourrai tenir encore longtemps; j’attrape au vol un morceau de sucre que l’on me tend, l’effet est immédiat, des forces nouvelles me permettent de continuer cette épreuve....

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La volonté de vivre et de revoir les miens me hante à nouveau; pour les retrouver il me faudra, je le sens, forcer le destin... Notre arrivée à Lille parmi une foule inhabituelle, me fait songer de nouveau à l’évasion; à condition de trouver des vêtements civils, je pourrai me mélanger à cette foule... La vie a l’air de reprendre un cours normal. Cette fois notre camp est le Parc des Expositions de la ville; en y arrivant, soudain une douleur atroce me tenaille l’estomac: dans mon ventre vide, j’ai ingurgité tout ce qui m’a été donné le long de la route: nourritures de toutes sortes, beaucoup de pain et des cigarettes; pour la première fois nous avons des prises d’eau qui permettent de boire et de nous laver. Mon mal s’estompe, et à travers le grillage qui nous entoure, une brave femme m’inscrit sur un papier une adresse en vue d’une première évasion; les départs se font au petit jour, j’envisage donc de laisser partir le convoi et de me cacher sous les bancs d’un amphithéâtre monté dans le parc... Je me crois sauvé quand j’entends vociférer des mots incompréhensibles, deux baïonnettes sont pointées sur moi, inutile de discuter, je rejoins très vite la queue du convoi, heureux de m’en tirer à si bon compte!...

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Le matin, les rues sont désertes, sans doute un couvre feu imposé par l’occupant? Nous quittons Lille au petit jour; impossible de fuir sans se faire remarquer. Nous entrons en Belgique,. Les Allemands font courir le bruit que la guerre est finie et que nous allons bientôt tous rentrer chez nous (sans doute pour éviter les évasions) je ne crois pas à cette promesse... Mais soyons justes, parmi ces Allemands il y en a de moins mauvais. Un certain jour, l’un d’eux, d’un certain âge, me fait signe,et me tend un paquet sorti de sa poche en cachette, c’est un sandwich emballé dans du journal, ma fierté a disparu et le l’accepte volontiers... Ma mémoire est assez floue quant aux noms des villes traversées. Un certain jour nous arrivons dans un camp formé de tentes anglaises, sur une forteresse genre Vauban, avec des fossés en chicanes tout autour; dans ces fossés, des soldats font la ronde par groupes de deux, j’évite d’utiliser l’abri des tentes car je m’aperçois que les occupants sont couverts de poux; l’idée nous vient d’utiliser les cordes des tentes mises bout à bout pour descendre dans les fossés après avoir calculé le temps de passage des hommes de ronde, nous remarquons aussi que personne ne peut sortir, mais que l’on rentre facilement en passant par le corps de garde; un petit gars de notre équipe descend donc le long de la muraille et revient peu de temps après en passant par l’entrée principale avec une miche de pain sous chaque bras. Les autres prisonniers nous regardent avec envie et aussi avec mépris croyant que ce pain nous a été donné par un collaborateur avec l’ennemi... Nous possédons aussi quelques pommes de terre et je rougis de honte en pensant à ce soldat anglais qui, du geste, demande une pomme de terre en nous tendant un gros billet de banque; nous sommes au moins une quinzaine de milliers de prisonniers, pourquoi lui et pas les autres? Nous lui refusons, c’est chacun pour soi. Dans notre triste situation, l’égoïsme est chaque jour plus fort...

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Le jour suivant, nous reprenons notre longue marche. Cette fois, nous arrivons le soir dans une caserne passant l’entrée de justesse; les quelques traînards qui me suivent sont groupés sur l’ordre de l’officier qui est à l’entrée, et fusillés sur le champ pour servir d’exemple... Pour la première fois il m’est donné de dormir à l’abri; il n’y a pas de lit mais des casiers en liteaux, sans doute d’un magasin d’habillement; je suis obligé de dormir les jambes repliées mais la flexion des planches me procure un confort inconnue depuis longtemps... La route est longue. Toujours à pied, nous arrivons dans les Flandres, nous passons l’Escaut sur un pont de bateaux en direction de la Hollande; l’extrême limite est atteinte, il est temps de décider, après il sera trop tard... Je consulte mes compagnons de misère; je me souviens de l’expression de l’un d’eux ,un paysan de l’Indre. -"Ça n’est pas gracieux, ils vont nous fusiller". Que faire? Vaut-il mieux risquer le tout pour le tout, ou bien aller moisir dans un camp en Allemagne, où Dieu seul sait ce qu’on nous réserve?... J’ai trop hâte de savoir ce que sont devenus tous ceux dont le souvenir ne m’a jamais quitté...

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Le convoi s’allonge le long d’une grande route goudronnée et droite; de chaque côté, un peu en contrebas, des champs d’avoine; de temps à autre, à distance régulière, une camionnette avec une mitrailleuse en batterie sur le plateau, un garde tous les 5 rangs nous surveille et nous oblige, en nous comptant, à conserver l’alignement... Les petits commerces ont déjà repris et la providence veut qu’un marchand de glace vienne offrir sa marchandise aux prisonniers; j’achète un esquimau avec une de mes dernières pièces de 1 franc; l’arrivée de ce marchand provoque une certaine agitation qui fait hurler nos gardes, et constate au même instant qu’une tête émerge du champ d’avoine, un prisonnier a demandé la permission d’épancher un besoin naturel... pourquoi ne pas prendre le même prétexte mais sans demander? Je consulte rapidement ma petite équipe; devant leurs hésitations je joue ma décision à pile ou face, à la suite de quoi je plonge sans regarder dans l’avoine, dans la pagaille personne ne s’aperçoit de rien et n’entends aucune réaction; en me retournant sur le dos, je suis surpris de si bien voir le convoi qui s’allonge en file interminable, les gardes, la voiture avec sa mitrailleuse, personne ne fait plus attention à moi; pour la première fois je respire un air de liberté et reste ainsi immobile quelques instants; mon esquimau est fondu dans ma main, je lèche le papier pour ne rien perdre et entreprends de m’éloigner en rampant. Après une cinquantaine de mètres, je traverse une haie derrière laquelle se trouve un petit ruisseau peu profond, le ruisseau franchi je me libère de ma veste et de mes chaussures et avec pour tous vêtements un maillot de corps et mon pantalon marine à liseré jaune (seul indice militaire que la pudeur m’oblige à conserver!) je m’éloigne en courant, pieds nus, le plus loin et le plus vite possible... Un groupe de femmes rencontrées sur mon passage portent des cruches de café destinées aux prisonniers. L’une d’elle qui a compris ma situation, s’exprime en français et m’invite à l’attendre dans une baraque de champ qui est à proximité; par crainte de la voir revenir accompagnée de soldats, je l’observe entre les planches mal jointes de mon abri; je l’ai mal jugée, car à son retour elle me fait signe de la suivre. Cette brave personne est institutrice et parle plusieurs langues; quand j’entre chez elle, j’ai la surprise de constater qu’un Chasseur m’a déjà devancé, il est vêtu de bleu de travail, de bottes, ainsi qu’une veste en cuir, il s’appelle Lambert... Les vêtements qu’elle me procure sont de son fils: un pantalon de ville rayé, une veste grise en coton, complétée par une petite écharpe bleu pâle et une casquette. Nous apprécions le café au lait ainsi que les tartines de beurre qu’elle nous offre, puis avec bien du mal et un rasoir de fortune, je réussi à enlever une barbe de plus d’un mois, ce qui a pour effet de me faire une gueule de singe: le visage tout bronzé par cette longue marche au soleil et le tour de la bouche tout blanc!... On nous propose alors de prendre pour compagnon de route un autre prisonnier qui est réfugié chez la vieille mère de notre bienfaitrice; nous trouvons là un Anglais aux cheveux blonds en brosse et vêtu d’un smoking! La situation est cocasse mais il est certain qu’avec ce compagnon, nous perdrons toutes nos chances de poursuivre notre chemin... poliment, nous refusons l’offre de le prendre avec nous; nous avons hâte de reprendre la route vers le sud. Afin de nous mettre sur le chemin, notre hôtesse nous propose de nous aider à repasser le pont de l’Escaut qui est gardé; il est convenu qu’elle parlera à la sentinelle, et que si elle poursuit sa route, nous pouvons continuer en toute sécurité; ce qui sera fait. Nous prenons alors congé de cette brave dame, assez surpris d’avoir trouvé un tel accueil, car dans son ensemble, le pays flamand n’est pas tellement de notre côté. En traversant peu après le pont du canal, des vieux sont assis sur le parapet, dans les mots qu’ils prononcent, je perçois le mot "fransous", nous sommes donc tellement différents des autres pour qu’ils reconnaissent notre nationalité?

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Connaissant à peu près la géographie de la Belgique, je propose de prendre la direction de Bruxelles. Chemin faisant, sur la grande route, nous croisons un père barbu en soutane, monté sur un vélo, il a dû faire demi-tour, car un peu plus tard il nous rattrape tout suant. - Vous êtes Français? Vous vous évadez? Nous dit-il; comment lui cacher la vérité? Après quoi, il nous donne un billet de banque belge, et nous conseille de faire étape à Termonde, dans une sorte de séminaire, de la part du père Pierre... Arrivés sur les lieux, nous sonnons à la porte. Le supérieur qui nous ouvre est un gros homme jovial, dans son bureau, il nous sert lui-même à nouveau du café au lait ainsi que des tartines, puis il nous installe des matelas sur la tables d’une salle de classe, en nous recommandant de ne souffler mot de notre situation, même à ses collègues... douillettement installés, nous passons notre première nuit de liberté à l’abri. Le lendemain, nous prenons congé après un copieux petit déjeuner, c’est un bon départ!... La route est encore longue, nous reprenons la direction de Bruxelles. Chemin faisant, nous nous cachons le plus possible pour ne pas être vus; ce jour là un side-car nous dépasse, dans le panier, un homme, mitraillette sur le bras, je comprends difficilement leur langue, sans doute veulent-ils voir nos papiers? A leurs gestes, je finis par comprendre qu’ils cherchent à acheter des oeufs! Comme si j’étais du pays, je leurs montre du doigt une ferme, le plus loin possible!... La pluie se met à tomber très fort, nous avisons une sorte de hangar abandonné à l’écart de la route, ces lieux sont déjà occupés par une clocharde avec sa marmaille, qui fait semblant de faire des difficultés pour accueillir des hommes dans son domaine! Une fois rassurée, elle veut nous offrir un peu de nourriture; c’est un morceau d’oreille de cochon qu’elle extirpe de dessous des langes puants d’une voiture d’enfant!.. Quand j’y songe, j’en ai encore des hauts le coeur!...

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La pluie a cessé, nous quittons au plus vite cet endroit, le soir, nous nous arrêtons devant une maison isolée en bordure de route à l’orée de la forêt, après avoir pris le risque de frapper à la porte, une dame, la cinquantaine environ, nous ouvre, il y a là deux enfants. Nous cherchions un refuge, mais devant le risque que nous pouvions faire courir à cette famille, nous décidons de continuer notre route, mais elle insiste beaucoup en nous conseillant d’attendre le retour de son mari; quelques instants plus tard apparaît dans l’encadrement de la porte, un homme de haute stature en uniforme de garde forestier, avec un sourire complice et devinant nos besoins, il demande à sa femme de bien vouloir faire immédiatement une grosse omelette au lard, tandis que sur la route passent par intermittence des convois ennemis... Ragaillardis par tant de gentillesse nous voulons partir le plus vite possible, pour ne pas faire courir plus de risques à d’aussi braves gens, cet homme met en jeu la vie de toute sa famille. Rien n’y fait - Vous êtes très fatigués, nous dit-il, je sais combien vous êtes pressés de retrouver les vôtres, mais vous partirez demain après une bonne nuit de repos... Nous ne pouvons refuser une invitation aussi généreuse, la maison est petite mais il y a une mansarde où sur le plancher sont étalées des pommes; avec le matelas de leur propre lit, ils nous installent confortablement après avoir dégagé une partie du sol; je respire encore aujourd’hui cette odeur de pommes synonyme de liberté; nous avons bien chaud avec une couverture, trop chaud même, n’étant plus habitués... Soudain, dans la nuit, des craquements de plancher me font soupçonner une présence, j’ouvre un oeil tout en faisant semblant de dormir, c’est notre hôte qui vient nous couvrir de sa grande capote de crainte que nous ayons froid! Je garderai toujours un souvenir ému en pensant à eux!...

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Le lendemain, nous prenons congés après avoir été restaurés et non sans avoir remercié chaleureusement nos nouveaux amis... Nous avons repris du poil de la bête! Nous sommes jeunes, et, du squelette basané que nous étions devenus, nous commençons à reprendre une allure à peu près humaine!... En arrivant un dimanche matin à l’entrée d’un village, avant les premières maisons, nous trouvons un grand parc entouré de hauts barbelés derrière lesquelles sont entassés des milliers d’hommes lamentablement débraillés dans leurs uniformes fatigués... trop tard pour faire demi-tour car devant la barrière du poste d’entrée, des officiers conversent en nous regardant passer... Nous ralentissons le pas en sortant une feuille à cigarette et de la poussière de tabac du fond de nos poches pour nous donner une contenance, nous arrêtant de temps à autres ayant l’air de promeneurs et nous attendant à tout moment à être interpellés... Une fois ce point critique dépassé, nous rencontrons plus de monde: les gens sortent de la messe, mêlés à eux, nous nous sentons, plus à l’aise pour reprendre notre marche normale... Nous approchons de Bruxelles... En pénétrant dans la ville, nous constatons que le pont sur le canal Albert n’existe plus et que les rails en suspension ont été consolidés pour permettre le passage des tramways. La traversée en équilibre sur le rail n’est pas facile et risque de nous faire remarquer; grâce à l’argent du père Pierre, nous prenons donc le tram, qui nous dépose au centre de la ville; dans un bar où nous entrons pour calmer notre soif, la patronne devinant notre situation, au lieu de nous faire payer, nous gratifie d’une pièce de 10 francs belge, heureusement pour elle que tous ses clients ne sont pas comme nous!...

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En sortant de la ville, notre intention est de prendre la direction du Grand Duché de Luxembourg, où j’ai de la famille; pour ce faire, nous nous dirigeons vers Namur, Dinan et Neufchâteau; le contact avec la population devient plus facile, car nous venons de quitter le pays Flamand pour entrer dans le Brabant où on parle notre langue. Un soir, pour nous reposer, nous avisons une ferme en bordure de route dont la toiture est à demi effondrée. On y accède par une grande cour; cette ferme a été touchée par un obus et vide de ses occupants, il y a des salades dans le jardin, nous trouvons le gîte et le couvert, un peu maigre comme nourriture mais mieux que rien!... A l’aide de la pompe à main qui est à côté de la pierre d’évier, nous commençons à laver notre salade devant la fenêtre qui fait face à la route, soudain une voiture de bataille garnie d’hommes en armes fait irruption dans la cour et se précipitent dans notre direction... aucun doute, certains collaborateurs ont du signaler notre passage; par je ne sais quel réflexe, et je me demande pourquoi? La salade est enfouie dans un pot en grès qui se trouve à proximité et nous sautons précipitamment par une fenêtre qui donne sur le derrière de la maison... Nous gagnons en courant comme des lapins, un petit bois de sapins tout proche, désireux de mettre le plus de distance possible entre eux et nous! Nous avons de ce fait perdu notre orientation et, à la nuit tombante, nous débouchons sur un champ gardé par des sentinelles, il y a là un bon nombre d’avions les ailes démontées... Nous pensons qu’il vaut mieux ne pas s’attarder à cet endroit et nous gagnons sans être vus le village le plus proche... Le bourgmestre du pays, a qui nous nous adressons, est mort de peur, il nous remet en tremblant une grosse miche de pain et nous prie de partir au plus vite car des inspections ont lieu tous les jours à la recherche de prisonniers évadés, et le risque encouru est énorme. Ce soir-là nous dormons à la belle étoile...

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En reprenant la route le lendemain matin, je m’aperçois que les espadrilles que l’on m’avait données pour m’évader, tombent en lambeaux; pour être à peu près présentable, il est urgent de trouver à me chausser. Dans une maison à la sortie d’un village, un vieux monsieur me fait don d’une paire de pantoufles en cuir, hélas, au moins deux pointures trop petites, mes doigts de pieds sont un peu repliés, mais il faut marcher quand même!... Nous reprenons la bonne direction vers Namur, glanant ça et là un peu de nourriture... Dans la soirée nous apercevons les premières maisons de la ville... Il y existe une grande activité, le passage du pont sur la Meuse nous inquiète un peu, deux solutions s’offrent à nous, passer le pont ou traverser à la nage... Les troupes allemandes sillonnent la ville et on apprend que des soldats évadés ont été abattus dans l’eau alors qu'ils traversaient pour gagner l’autre rive à la nage; pour nous finalement ce sera plus simple, une providentielle attaque aérienne de bombardiers canadiens au moment où un convoi militaire s’engage sur le pont font que le soldat qui règle la circulation à l’aide d’un disque, se met à hurler "schnell, schnell" en s’adressant à nous, sans plus nous faire prier nous traversons le pont au pas de gymnastique!... Nous sortons de la ville mais cette fois en empruntant le chemin de halage en bordure du canal de la Meuse; quelques pêcheurs à la ligne nous regardent passer en silence.. Le soir à la recherche d’un abri pour passer la nuit à côté d’une écluse, nous trouvons une petite baraque à lapins, sous le pignon un petit espace d’environ 50 cm auquel on accède par une échelle et bourré de foin; nous nous installons profondément enfouis dans cette cachette providentielle. Nous dormions à poings fermés, quand apparaît dans le triangle formé par le toit, le visage souriant de la fille de l’éclusier qui nous apporte un plateau, deux bols de café au lait bien chaud et un grand saladier de fraises!.. Quelques exceptions mises à part, ces belges sont vraiment gentils. Nous cheminons toujours le long du canal vers Dinan,. A quelques kilomètres de la ville, un éclusier nous fait cuire des oeufs et insiste pour que nous nous reposions (je lui ai rendu visite après la guerre accompagné de Paulette et j’ai eu droit à une bonne engueulade pour avoir retenu une chambre dans un hôtel tout proche, il aurait été si heureux de nous héberger). Il est si fier de nous raconter les exploits des tireurs qui défendaient les abords de Dinan ,c’est un beau grand vieillard qui n’a pas froid au yeux et son mépris de l’ennemi nous donne du courage...

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Après Dinan c’est vers Neufchâteau que nous nous dirigeons. Nous approchons de la frontière luxembourgeoise, pays soi-disant neutre, mais lui aussi occupé par l’ennemi. Nous passons près d’une ferme et dans la cour des soldats et des chevaux; toujours à la recherche de nourriture, nous nous adressons à celui que nous pensons être le fermier. Nous réclamons des oeufs en payant, (nous pensions trouver partout la même compréhension) mais il n’y a pas d’oeufs! Nous avisons des bidons de lait, pas de lait non plus! Un peu vexé mais prudent, je demande la permission de boire à la fontaine qui est au milieu de la cour, la réponse fut brève -"faites vite et déménagez car ça va tourner mal". Encore heureux qu’il ne nous dénonce pas, car il a sans aucun doute deviné ce que nous sommes!... Nous apprenons par la suite que certains réfugiés belges, déjà rentrés de l’exode, ont du payer de l’eau dans certains villages de France, ceci excuse cela! Sur la grande route qui mène à Luxembourg, je marche comme un automate en zigzaguant; mes pieds dans mes chaussons trop petits, me font souffrir horriblement, la sueur coule sur mon front, je ne vois pas une voiture d’officiers allemands qui arrive derrière moi et manque de m’écraser!... La voiture stoppe à quelques mètres. Un officier en descend et met son revolver sur ma poitrine, je pense ma dernière heure arrivée, mais suis trop fatigué pour manifester la moindre émotion! Une engueulade s’en suit dans un charabia inconnu, du geste j’essaie de lui faire comprendre que je ne l’avais pas remarqué... Il remonte dans sa voiture en bougonnant. Après leur départ je réalise seulement que la vie ne tient qu’à un fil!...

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Une lueur d’espoir: la belle ville du Luxembourg est sous nos yeux; j’aperçois les flèches effilées de sa cathédrale que je connais bien, puis le grand pont qui enjambe la vallée d’une seule arche; un peu plus loin l’avenue bien nommée de la liberté. Ma cousine a son appartement sur cette même avenue, est-elle toujours là? C’est elle qui vient m’ouvrir quand je sonne à la porte; d’abord elle ne me reconnaît pas, je suis si différent de celui qu’elle connaissait! Mais c’est de courte durée, elle m’embrasse et n’en finit pas de me dévisager; à bras ouverts elle nous accueille dans son magnifique appartement, après nous avoir débarrassés de nos vêtements et de nos sous vêtements en loques et répugnants de saleté; nous prenons un bon bain réparateur puis en peignoir, et les pieds dans une infusion de camomille pour soigner les ampoules que j’ai à chaque doigt de pied, un repas somptueux accompagné de vin du Rhin nous est servi puis je me glisse dans un grand lit 2 x 2 vêtu du pyjama de soie du cousin!... Le lendemain le conseil de famille est réuni pour s’occuper de nous; il importe tout d’abord de nous procurer des vêtements corrects, les cousins, les cousines, tous sont au travail, mais personne ne sait ce que sont devenus mes parents ainsi que Paulette et Dominique... Le mari d’une autre cousine, ancien propriétaire du Carlton ainsi que du Sporting, (les plus beaux hôtels du Luxembourg), ancien champion en haltérophilie et grand sportif, m’explique en souriant la façon de respirer pour se remettre en forme, et m’apprend, qu’il vient de passer trois semaines dans une prison "modèle" en Allemagne; devant sa stature imposante, les hommes de la Gestapo avaient hésité et demandé du renfort pour l’arrêter!... Il était accusé, à cause de sa fortune et de son mariage avec une française, de faire partie du bureau d’espionnage français... Il avait pu prouver, documents en main, que ce qu’il possédait correspondait à la vente de son hôtel, mais ni son or, ni sa superbe voiture américaine ne lui furent restitués! L’officier qui la lui avait réquisitionnée, lui donnait de temps en temps des nouvelles (quelle courtoisie)! Malgré toutes ces épreuves, il conserve le moral; il me fait cadeau de sa cravate, mais sa veste qu’il me met sur le dos pend lamentablement de chaque côté de mes épaules, on finit par nous trouver des vêtements à mes mesures, et après deux jours d’un repos salutaire et la forme retrouvée, nous devons de nouveau songer au passage de la frontière vers la France, en direction de Thionville, qui se trouve à environ 20 km, 32 km plus loin c’est Tucquegnieux, le domicile de mes parents.

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Nous prenons congé de nos gentils cousins et cousines et de l’avis de tous il est inutile de nous fatiguer, des cars font tous les jours la navette dans cette direction et reviennent bondés de réfugiés belges et luxembourgeois. J’ai bien quelques hésitations car nous n’avons aucun papier d’identité, enfermés dans un car il nous serait impossible de fuir en cas de contrôle, un jeune cousin qui parle parfaitement l’allemand (plus tard enrôlé de force il laissera une jambe sur le front russe) ce jeune cousin dis-je, propose de nous accompagner pour plus de sûreté. Nous prenons donc l’autocar. A l’intérieur il n’y a que sept à huit personnes dont un prêtre. Au passage de la frontière une barrière ferme la route et des officiers conversent à côté du poste, il y a aussi des hommes casqués et en armes; l’un d’eux monte dans le car pour vérifier les identités, lorsqu’il s’adresse à nous, je fais semblant de chercher dans mes poches pour avoir une contenance, mon cousin intervient et dit que nous sommes réfugiés belges, il n’en croit sûrement pas un mot et se tourne vers les officiers qui, à ce moment, ne prêtent pas attention à nous et nous faisant un clin d’oeil, sort sans rien dire; nous avons eu la chance de tomber sur un être humain! A cet instant je réalise qu’il est difficile de se venger sur un ennemi sans connaître ses intentions. Après cette expérience, nous pensons que nous n’aurons peut-être pas deux fois la même chance, aussi nous décidons de continuer à pied, depuis Thionville vers Fontau et l’ancienne frontière d’avant 1914, exactement à Lomeranges. La campagne est vallonnée et entrecoupée de forêts, nous cheminons sur les petites routes que je connais bien pour les avoir sillonnées à bicyclette étant enfant. Tout à coup au détour du chemin, le poteau à l’insigne du Reich a été remis en place, il est gardé par un factionnaire armé, décidément ils n’ont pas perdu de temps. L’homme est seul et de petite taille, il nous sera facile à nous trois de nous débarrasser de lui si nécessaire; au mot "papier" nous répondons "ya, ya", on montrant notre poche, il n’insiste pas et nous poursuivons notre chemin.

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Une demi-heure plus tard, nous arrivons chez mes parents. La porte n’est pas fermée à clé, il n’y a personne, un ordre parfait règne, le coffre fort a été laissé intentionnellement ouvert, dans la pièce principale, une épée d’un général allemand décore le mur, (c’est un trophée que mon père a rapporté de l’autre guerre), l’envahisseurs a sûrement déjà passé par là mais a laissé tout intact, je suis bien obligé de constater qu’il est plus stylé que nous! Notre premier souci est de nous restaurer, un vieil ouvrier de mon père qui a pour mission de s’occuper du jardin et de la maison, arrive quelques instants plus tard et nous faisons, grâce à lui, un bon repas avec un lapin qu’il va tuer spécialement pour nous; après déjeuner, mon cousin repart à Luxembourg. Lambert, lui, prend la direction du centre de la France à l’aide de la bicyclette toute neuve de mon père qu’en de telles circonstances je lui fais cadeau... Je n’aurais plus jamais de ses nouvelles, j’espère qu’il est bien arrivé, de toutes manières, sa compagnie n’était pas pour moi d’un grand secours, il s’est trouvé au hasard du chemin, je n’attendais de sa part aucun merci et conserve seulement un peu de déception... Mon arrivée n’est pas passé inaperçue, bientôt j’ai le plaisir d’avoir la visite de monsieur et madame Liégois, lui, infirmier de la mine, m’a soigné depuis mon plus jeune âge de toutes les blessures qu’un gamin turbulent pouvait se faire! J’apprends par lui que mes parents sont probablement à Arcachon, nous bavardons longtemps ce soir là; mon problème est que je n’ai aucun papier, ces papiers tant demandés pour franchir les contrôles; monsieur Liégois, a l’idée de demander pour moi l’aide de monsieur Christiani, ancien porion de la mine, devenu directeur, grâce aux Allemands et de sa nationalité italienne, il me connaît bien, et mon père a la considération de tous. Comme il dispose d’une voiture et de tous les "Ausweiss" nécessaires, il me propose pour plus de sûreté de me conduire en personne à Épinal; j’accepte volontiers car il y a encore 180 km à parcourir et de nombreux barrages à traverser; nous les franchissons facilement sur présentation de sa carte; il prend le chemin du retour après m’avoir accompagné jusqu’à la porte de notre appartement et me souhaite bonne chance. (j’ai pu un peu le remercier par la suite en expliquant par lettre son intervention au tribunal, lors du jugement des collaborateurs à la Libération). En entrant chez nous, je trouve dans la boîte aux lettres l’imprimé classique de la croix rouge signalant ma disparition; le coeur battant, je réussis à rentrer, personne n’est encore passé par là, un carton de paillote et de vaisselle trône au milieu de la pièce, les vitres sont brisées par le bombardement, les rideaux pendent lamentablement par la fenêtre par laquelle je peux voir les patrouilles allemandes sillonner la rue où règne un désordre indescriptible... Le centre tout proche est complètement détruit. Je me demande où ont bien pu passer ceux pour qui j’ai eu la force de faire une aussi longue marche.

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La maison est complètement vide, et je me rappelle soudain le croquis de cauchemar que j’avais offert au voisin du dessus, monsieur Froment, et signé de mon nom; j’entreprends donc de vérifier, en passant par une lucarne qui donne dans la cuisine; en arrivant dans le petit salon, je constate qu’il est toujours là en évidence sur la cheminée; ce dessin aurait pu me conduire au poteau d’exécution et le fais rapidement disparaître.Dans l’armoire, je retrouve toutes mes affaires et à l’aise dans mes propres vêtements, je descends dans la rue pour glaner quelques renseignements. Je retrouve quelques visages connus et échange quelques paroles, je croise même le regard réprobateur de quelques femmes dont les maris sont prisonniers; par quel miracle suis-je là? Je ne peux raconter mon aventure qu’aux personnes que je connais bien. Une de nos amies sinistrée vient remettre en ordre l’appartement pendant que je remplace les vitres brisées; il faut bien songer maintenant à trouver de l’argent, car je suis entièrement démuni. J’ai l’idée de remettre le salon de coiffure en route; je finis par retrouver les employées qui sont enchantées de se remettre au travail. Elles me préparent même mes repas sur le fourneau du pointeur des Magasins Réunis qui se trouve à côté du salon! Tous mes problèmes matériels étant résolus, nourritures logement et argent. Il me faut au moins en apparence régulariser ma situation pour pouvoir continuer ma route à la recherche de ma famille. Monsieur Bey un vieil appariteur de la mairie que je connais bien, me procure une carte d’identité mais il n’est pas question de me faire démobiliser. Je parviens à faire prévenir mon beau père qui est comme moi, sans nouvelles. Il m’écrit un mot et craint le pire, il a même failli être fusillé à cause d’un de mes croquis ridiculisant Hitler trouvé par hasard par un officier allemand qui occupait la maison... Depuis mon arrivée à Épinal le 14 juillet, 15 jours s’étaient déjà écoulés sans pouvoir obtenir de renseignements valables, certains bruits alarmants courraient auxquels je ne voulais pas porter crédit, je décide donc de reprendre ma route vers le sud, il faut à tout prix que je les retrouve. Mon ami l’appariteur qui va tous les jours faire signer à la Kommandantur, essaie toujours de faire tamponner le fameux cachet avec aigle et croix gammée sur une sorte d’"Ausweiss"; après plusieurs tentatives infructueuses il revient triomphant avec le document où mon nom sera ensuite inscrit.

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Mes deux valises remplis de mes costumes, linge et conserves pour un long voyage, je prends le train en gare d’Epinal, direction: Langres, Dijon, Châlons et la zone libre. Partout les chefs de gare ont des suppléants allemands que l’on distingue à leurs casquettes rouge; à Langres, je me crois à la fin du voyage, un militaire hargneux m’engueule en examinant mes papiers, je le vois partir avec soulagement. En fin d’après-midi j’arrive à Dijon. Là, nouveaux problèmes A 8 heures, tout le monde doit être enfermé dans la salle d’attente, ce sont les ordres, les salles sont bondées de monde, que faire, ma situation ne me permet pas de subir des contrôles successifs. J’interpelle le chef de gare français et à tout hasard lui explique ma situation, il m’invite à entrer dans son bureau et me conseille de me reposer sur sa banquette en attendant le train des Allemands qui vient de Paris, en direction de Lyon et entre en gare à 3 h du matin, il me réveillera le moment venu; à cette heure-là, la gare est déserte, les quais sont sinistrement vides et silencieux, on perçoit seulement les pas des deux Feldgendarme qui font le va et vient. A 3 h une petite tape sur l’épaule m’annonce que le train entre en gare, je dis simplement merci! Et, sans attendre, prends mes valises et traversant sans regarder autour de moi, prends la première portière qui se présente à moi... Aucune réaction, les gardes devaient tourner le dos à ce moment là!... Le train est à peine éclairé, quelques militaires allemands occupent les compartiments, j’en choisis un seulement occupé par une jeune femme blonde; sans mot dire je m’installe dans un coin, mon chapeau sur les yeux faisant mine de dormir. Il reste encore une épreuve à passer, le contrôle de Châlons, pour pénétrer en zone libre... Le train s’arrête tout feux éteints en gare de Châlons, un officier accompagné de deux hommes armés visite chaque compartiment et examine les papiers à l’aide d’une lampe de poche. Notre tour arrive, il commence par la dame qui exhibe un beau document tapé à la machine avec tous les cachets nécessaires, faisant toujours semblant de dormir j’examine la scène du coin de l’oeil, l’officier après un laps de temps qui me semble interminable, finit par rendre le papier et, se dirigeant vers moi me tape sur l’épaule, faisant semblant de sursauter comme quelqu’un qui est réveillé brutalement, je lui tends d’un geste vif mon minable laissez-passer, qui, à part le cachet manque d'authenticité! Je ne comprendrai jamais pourquoi il me le rendit aussitôt; son départ fut accueilli avec soulagement!

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Le train démarre quelques minutes plus tard. Enfin, la zone libre! Je ne suis pas pour autant tiré d’affaires; il y a partout des contrôles de gendarmerie, mais français cette fois. Il me faut sortir de la gare de Lyon en me dissimulant car pour les autorités française le fait de ne pas être démobilisé fait de moi un déserteur, et je ne veux à aucun prix aller moisir dans une caserne avant d’avoir retrouvé toute ma famille. La patrie n’a plus besoin de moi et je suis plus que jamais décidé à poursuivre mon chemin à leur recherche. Dans l’espoir d’obtenir des renseignements, je vais rendre visite à Villeurbanne à monsieur et madame Lafond (les vêtements Adolf Lafond). Ces industriels sensibles aux misères des autres avaient déjà hébergé notre famille durant la guerre de 1914 dans leur château de l’Ain, où nous avons passé toute la guerre à l’abri des privations pendant que mon père se battait à Verdun... Madame Lafond possède vraisemblablement un bon service de renseignements, car j’apprends du même coup que mes parents sont à Arcachon, que ma femme est à Perrat le Château dans la Haute Vienne, et qu’elle se prépare à monter vers la ligne de démarcation; que mon jeune frère Yvon, après avoir réussi à embarquer à Dunkerque est revenu à Cherbourg, et, muni d’un nouveau matériel est reparti combattre en direction de Paris, puis de décrochage en décrochage, l’armistice intervenant, s’est fait faire prisonnier à la terrasse d’un café d’Angoulême, assis devant un demi de bière! Il a la chance d’être relâché ainsi que ses camarades quelques jours plus tard, ayant été capturé après l’armistice... Mon frère Jean, lui, a embarqué pour l’Afrique du Nord sur un cargo chargé de bombes, et est rentré un peu plus tard. Pendant tout ce temps, mes parents ont eu des nouvelles de mes deux frères, mais n’ont plus entendu parler de moi depuis mon départ pour la Norvège; mon père est désespéré, mais ma mère, douée d’une foi profonde, espère toujours mon retour... C’est elle qui est à l’origine de la promesse faite d’aller à Lourdes à pied!... La neuvaine qu’elle a commencée se termine le jour de mon anniversaire le 31 juillet et d’après des ordres qu’elle a donnés au "Très Haut" c’est précisément ce jour-là qu’elle désire avoir des nouvelles et le 31, elle exhibe à mon père incrédule, une carte que le facteur vient de lui remettre; cette carte émane des Liégeois de Tucquegnieux qui, ayant eu entre temps connaissance de leur adresse, leur signalent mon passage en bonne santé sans autres précisions, et pour cause!... Ma mère, je l’ai appris par la suite, ne fut pas surprise du tout, c’est ainsi que cela devait se passer! C'est un exemple d’une foi immense qui force le destin... Mon père, fou de joie a offert le champagne à tout les marins de La Teste, présents.

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Malgré l’accueil toujours exemplaire du couple Lafond, j’ai hâte de retrouver ma famille à laquelle je n’ai jamais cessé de penser! Au plus vite, je reprends le train en direction de Limoges; à mon arrivée, la gare est gardée par les gendarmes et un groupe de Chasseurs à pied. J’explique à l’un d’eux mon problème et il me fait passer discrètement par les bagages... Là, il me faut reprendre un tortillard pour Perrat Le Château où j’arrive dans la soirée. Il y a là beaucoup de réfugiés; en questionnant ça et là, je fais la connaissance d’un couple dont le mari vient d’être démobilisé, j’apprends par eux que toute la famille a bien séjournée ici, mais qu’ils sont repartis vers la ligne de démarcation dans l’espoir de retourner à Épinal, et sont probablement pour l’instant à Souvigny. En téléphonant à la mairie de cette ville, j’ai la confirmation qu’il campent pour l’instant à l’école communale et demande qu’on les prévienne de mon arrivée et qu’ils m’attendent. Il me faut passer la nuit là car il n’y a qu’un train le lendemain matin; tout à ma joie, j’ouvre la bouteille de champagne que je trimbale dans ma valise depuis Épinal, ainsi que quelques provisions. L’homme qui est encore à demi habillé en militaire, revêt une de mes vestes que je lui prête le soir, et constate qu'elle lui va parfaitement, sans méfiance et fatigué d’avoir encore à porter ces deux énormes valises, j’accepte volontiers l’offre qu’ils me fait de les garder et de me les déposer à Souvigny qui est forcément leur itinéraire de retour avec leur voiture. Ce sont des industriels de Paris, fabricants de poupées pour les foires, je n’ai jamais plus eu de leurs nouvelles; plus tard, de retour à Épinal je leur écrirai sans toutefois insister, car ils connaissent ma situation, mais sans résultats! Une fois de plus je suis surpris de la malhonnêteté des gens!... Peut être aussi ont-ils disparu car je crois savoir qu’ils étaient juifs!

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C’est les mains vides que j’arrive sur le quai de la gare de Souvigny. Paulette m’attend accompagnée d’une jolie petite fille, toutes deux plus belles que jamais. Dominique n’est plus un bébé, souriante dans sa petite robe à pois rouge et des sabots vernis. Je n’en crois pas mes yeux! Fou de bonheur, je les serre toutes deux dans mes bras, nous ne savons que dire tant notre joie est à son comble!... Dans la cour de l’école, une tente a été dressée spécialement pour nous et abriter nos retrouvailles. Les autres réfugiés, parents, amis ainsi que ma belle mère, Lucienne, Bernard et toute la famille, sans compter les chiens, ont élu domicile dans les salles de classe. Tout à mon bonheur, je ne décrirai pas ces instants magnifiques, rares dans la vie d’un couple!... Ayant atteint le but que je m’étais fixé, je peux régulariser ma situation, après avoir pris tous les renseignements pour une démobilisation rapide, en particulier la nécessité d’un certificat de travail; ce document m’est gentiment fourni par le peintre du village; à la caserne de Montluçon, les formalités ne durent que quelques heures et je repars libre, et muni d’un petit pécule... A cause de moi, et pour les raisons que vous connaissez, il n’est plus question de repasser la ligne à Moulin; Souvigny est une belle petite ville, le ravitaillement y est abondant; Lucienne part à bicyclette chercher du fromage, des volailles et notre allocation de réfugiés, dix francs par jour et par tête, est presque suffisante et Dieu merci, Paulette a des économies, et puis le peintre qui a fait mon certificat de travail, m’offre de travailler avec lui. J’accepte avec joie cette proposition et pour prolonger notre séjour plus confortablement, nous avons la chance de trouver à louer une petite maison où tout ce monde peut se loger; seul manque à l’appel mon pauvre vieux beau père... qui un jour, à bout de force, vient nous rejoindre à bicyclette! A son arrivée, il fondit en larmes d’émotion!...

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Bien qu’ayant tout abandonné, ces jours passés à Souvigny seront, je crois, les plus beaux moment de ma vie!... Je suis presque honteux de notre bonheur en pensant à ceux qui, enfermés dans des camps, souffrent d’être séparés de leur famille et aux courageux qui n’ont pas accepté la défaite et qui sont partis dans l’espoir de pouvoir un jour reprendre la lutte; moi, inconscient, je me laisse même vivre, exempt de toute responsabilité et considérés dans mon travail. Je me fais même une petite notoriété en décorant le café sur la place, tenu par la mère de mon employeur. Les habitués peuvent même admirer leurs portraits peints sur les murs dans des scènes villageoises! Souvent, nous avons regretté de ne pas terminer la guerre dans cette charmante petite ville; par la suite nous avons eu la mauvaise idée de suivre les conseils de nos jeunes amis lyonnais (relations de nos vacances d'avant guerre), lui était lieutenant dans un groupe de G.R.D.C. il est revenu de la guerre sans dommages. Il nous suggère de ne pas moisir dans notre retraite, et de venir à Lyon, ou pour eux la vie est relativement facile (ils exploitent une petite fabrique d’imperméables et de canadiennes qui leur servent également de monnaie d’échange pour se ravitailler auprès des cultivateurs)... Comme nous ne restons que tous les quatre: Paulette, Dominique, et Lucienne ainsi que moi-même, le reste de la famille ayant obtenu des laissez-passer de retour, nous écoutons malheureusement les conseils de nos amis.

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Dès notre arrivée à Lyon, nous comprenons toute la misère, la faim et le froid qui nous attend. Paulette achète un salon de coiffure que la clientèle a abandonné parce que son propriétaire était Italien. Elle doit le remonter avec tout son savoir faire. Moi, je bricole, par ci par là, des travaux de peinture, nous pourrions écrire un long chapitre sur cette période: la traversée des ponts le soir dans la neige, pour aller dormir dans un petit local non chauffé prêté par nos amis; heureusement, nous avons une santé robuste, notre Dominique garde ses bonnes joues rouges et sa gaieté débordante malgré les privations!... Un jour, de passage à Lyon, le directeur des Magasins Réunis, monsieur Marlin, nous rend visite et nous dit que la vie reprend normalement à Épinal et que nous aurions intérêt à revenir chez nous, le salon de coiffure marche en plein! Ma courageuse Paulette décide de s’en assurer par elle-même, elle part donc pour Épinal, bravant tous les dangers, notamment le passage de la ligne de démarcation à travers bois, la nuit, en groupes accompagnés de passeurs. A mon passage à Épinal, j’avais confié la garde de notre appartement à une dame sinistrée pour qu’il ne soit pas réquisitionné et nous assurons toujours le règlement des loyers. Bien que cette dame m’avait été chaleureusement recommandée, lors de son arrivée, le matin, en frappant à la porte de notre appartement, Paulette est reçue par un homme de haute taille drapé dans ma robe de chambre et qui barre le passage, sans doute un ami de cette dame "si bien". Paulette pénètre un peu malgré lui et constate le triste état des lieux; les chiens couchent dans notre lit, les costumes qui j’avais laissés ont le bas des pantalons souillés de graisse de bicyclette etc.... tant et si bien qu’elle avise la propriétaire que nous abandonnons la location, et fait sur le champ venir un camion pour déménager les meubles et leur contenu à Fontenoy dans un local à côté de chez mes beaux parents, laissant à ces gens indélicats le loisir de rester dans les lieux si il le désirent!...

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Après toutes ces constatations, Paulette prend le chemin du retour, non sans se renseigner sur les possibilités de passage de la Ligne en sens inverse (une bouteille de champagne posée discrètement dans la guérite de l’homme de faction suffira!) Nous voyons revenir notre chère Paulette avec joie et notre décision est prise, la vente du salon est facile car l’affaire est remontée grâce à elle, et nous sommes heureux d’en récupérer le prix d’achat. L’expédition du retour est toute une équipée! Nous devons de nouveau franchir la fameuse Ligne; la route est prise avec le minimum de bagages et à l’aide de lourdes bicyclettes (fabrication artisanale de guerre) trouvées grâce à nos relations, nous parvenons au point de passage dans la campagne; une fois en zone occupée, Lucienne et moi-même continuons à bicyclettes avec Dominique sur mon porte-bagages dans un petit panier. Paulette prend le car avec les quelques bagages emportés, nous traversons Arbois, Vesoul, et par les petites routes de Haute-Saône vers Vauvillers et finalement Fontenoy... Notre Dominique sommeillait dans son panier et son corps ballottant de gauche à droite me faisait zigzaguer sur la route. Nous arrivons finalement sans encombre fatigués mais heureux de retrouver Paulette ainsi que ses parents qui nous accueillent avec joie dans leur maison de Fontenoy.

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Quelques jours plus tard nous redéménageons nos meubles pour nous installer dans l’appartement que les Magasins Réunis ont bien voulu mettre à notre disposition; nous sommes à nouveau dans notre cher Épinal; en ce qui me concerne, mes craintes sont minimes, je suis sans doute oublié et il n’est pas nécessaire de raconter à tous, les péripéties de mon évasion... Paulette reprend la direction de son salon qui marche fort bien et moi, j’installe mon atelier de peinture dans un garage à côté au fond de la cour. Le travail ne manque pas non plus pour moi, mais il faut faire preuve d’ingéniosité et faire un nouvel apprentissage avec les "ersatz" de peintures synthétiques, et tout est contingenté, les marchandises comme la nourriture, heureusement, nous sommes chez nous et les quelques relations que nous avons à la campagne nous permettent de subvenir.Cependant la guerre n’est pas terminée, et la vue des uniformes vert de gris qui se promènent chez nous, l’air conquérant, nous serre le coeur; en cachette nous écoutons la radio de Londres, et cela fait naître en nous l’espoir lointain mais possible de la libération. La Russie qui est entrée en guerre, les sourds bombardements que l’on entend sur l’Allemagne l’agitation et le durcissement de l’occupant contribuent à nous remonter le moral... Hélas il y a aussi la crainte des déportations, on commence à fusiller à tort et à travers... Des voisins et amis sont emmenés Dieu sait où; je me souviendrai toujours du regard de Madame Albert, femme de notre voisin bijoutier qui est emmenée sous nos yeux, sans savoir pourquoi? Car elle n’est même pas au courant des activités de résistant de son mari, elle mourra dans un camp ainsi que lui dans des conditions horribles... Avec notre ami Balabouka, (celui de la permission de Noël) nous allons reconnaître un point de ralliement pour le cas échéant rejoindre la résistance, mais les Allemands ont appris qu’il sert d’interprète aux prisonniers russes évadés, il est arrêté. L’idée me vient alors de demander l’aide d’une relation: le meunier de Bains les Bains, et par l’intermédiaire de son directeur, je suis mis en relation avec la femme de ce meunier qui est Allemande, qui faisait partie de la 5° colonne et a ses entrées à la Kommandantur; elle accepte de m’aider dans ma tentative de sauver mon ami, je crains aussi que sous la torture Georges ne puisse garder certains secrets... C’est une femme jeune assez jolie, vêtue d’un manteau de fourrure, et s’exprimant correctement en français; à son arrivée chez moi, je lui expose aussitôt la situation insistant sur le fait que, étant donné la tournure des événement, peut-être un jour prochain je serai appelé à lui rendre le même service. Je lui explique aussi que mon ami n’est pas un terroriste et qu’il a seulement été sollicité pour servir d'interprète, j’insiste aussi sur le fait de ne pas lui faire subir de brutalités... Elle m’assure qu’elle va de ce pas à la Kommandantur car je pense que ma proposition lui donne à réfléchir. Elle revient environ une heure plus tard et m’assure que mon ami sera bien traité, mais qu’elle ne peut le faire libérer étant donné les faits graves qui lui sont reprochés. Je pense que ma démarche lui sauvera la vie car il reviendra des camps après sa libération sans avoir été maltraité ni trop souffert...

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Durant toute cette période j’ai la chance de ne pas être obligé de travailler pour l’ennemi, alors que tous les hommes sont réquisitionnés pour le travail obligatoire et malgré toutes les démarches que j’entreprends à la Préfecture, mon dernier ouvrier doit partir et suis moi-même dans l’obligation de répondre à la convocation... Sachant que les mineurs de fond sont exemptés, je vais me faire embaucher à la mine de Tucquegnieux dans le but d’obtenir un certificat de travail, mais le directeur allemand exige ma présence. Il me faut envisager une autre issue. Par l’intermédiaire d’un suisse fabricant de gruyère, qui m’est présenté par un oncle de Paulette et qui est en relation avec les Allemands pour ses affaires et aussi en bons termes avec le major qui passe en revue les recrues, je suis présenté à ce dernier qui tout en m’offrant un cognac m’assure qu’il voudrait bien éviter aux jeunes Français de partir, mais que à part quelques exceptions, ça n’est pas en son pouvoir; Un peu plus tard pour régulariser, je reçois ma convocation, nous nous présentons au bureau de recrutement en groupe, l’officier que j’avais rencontré auparavant en civil est maintenant en uniforme de commandant, et fait semblant de ne pas me reconnaître, sa secrétaire qui avait assisté à notre entretien, est présente, je lui demande si il ne m’a pas oublié, elle me fait "chut" et du regard m’impose le silence; je remarque alors deux hommes en imperméables et chapeaux sur la tête qui surveillent les opérations; après la visite nous partons en colonne vers un autre bâtiment où les résultats sont donnés; à l’appel de mon nom s’ajoute la mention "inapte". J’apprendrai par la suite que las de la guerre, le commandant qui m’avait rendu ce service s’est suicidé dans son bureau à la Libération.

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Les raids sur l’Allemagne sont de plus en plus nombreux mais entre temps, nous avons la joie de la naissance d’un deuxième enfant "Francis" (fruit de nos retrouvailles!. A la centième alerte, alors que personne ne croit à un bombardement sur Épinal, les bombes sont lâchées sur la ville... panique au salon de coiffure! Les femmes se sauvent avec les appareils sur la tête! Je suis un peu plus loin dans mon atelier de peinture, à la première déflagration, les pots de peinture qui étaient suspendus au plafond me tombent sur la tête! je réalise que notre Francis encore bébé, dort dans la chambre du fond de l’appartement qui est situé au 1er étage. Je monte précipitamment quatre à quatre l’escalier devant une des coiffeuses qui m’emboîtent le pas, on dirait un tremblement de terre, la maison est comme un navire dans la tempête, nous avançons en nous butant d’un mur à l’autre, dans la chambre, une partie du plafond a été emportée, on aperçois le ciel. Francis est assis dans son lit recouvert de débris de plâtre et se demande ce qui lui arrive!...Je le prends sous mon bras et redescends rapidement l’escalier au bas duquel Paulette nous attend affolée, la tête entre les mains et vite nous nous réfugions dans les sous-sol des Magasins Réunis. Nous sommes très inquiets pour notre Dominique qui est partie en promenade accompagnée au château; le bombardement terminé, nous voyons les morts par dizaines passer sur des brancards, quand il s’agit d’un corps d’enfant, nous redoutons de voir notre chère petite... plusieurs heures s’écoulent avant que nous la retrouvions. Elle avait trouvé refuge dans l’une des grottes du parc du château!...

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Après cette nouvelle épreuve, l’appartement démoli, nous déménageons à nouveau aidés de quelques bénévoles, nous chargeons nos meubles et le piano sur le camion en passant directement par les fenêtres du 1er étage et vers Fontenoy ou Paulette au début de la guerre, avait fait l’acquisition, lors d’une vente aux enchères, d’une petite maison au bord de l’eau, à proximité de chez mes beaux parents. Nos meubles entassés dans une grange voisine, j’entreprends aussitôt la restauration de notre nouvelle demeure, il convient de lui donner un aspect plus habitable avec un minimum de confort. C’est petit mais compensé par le calme rassurant de la campagne. A Épinal, le salon a échappé au désastre, aussi avec son habituel courage et malgré notre désapprobation, Lucienne qui secondait Paulette dans son travail veut y retourner... mal lui en pris car quelques jours plus tard eut lieu un second bombardement, cette fois tout est complètement détruit, elle ne peut même pas récupérer sa bicyclette sous les décombres! Une fois la maison restaurée que faire? Nous menons une vie de rentiers dans l’attente de la suite des événements. De temps en temps des groupes de maquisards passent devant notre porte entre deux convois ennemis, un jour ils viennent même se cacher dans le garage de mes beaux parents avec armes et bagages en attendant que la voie soit libre! Le risque est grand et je n’ai pas du tout envie de me joindre à eux. Un jour ou j’étais retourné à Épinal dans d’espoir de récupérer quelques affaires, je déjeune au "Globe" restaurant qui épargné par les bombes fonctionne encore, un monsieur est assis sur la banquette derrière moi, et les revues qu’il avait placées sur le porte chapeaux tombent de mon côté, en lui rendant, il me semble le reconnaître, lui se souvient de moi, c’est un lieutenant de mon bataillon mais d’une autre compagnie; avant la guerre il était instituteur à Rambervillers, il a été rapatrié d’Allemagne comme grand blessé et marche avec des cannes. Il me fait le récit de son histoire: Lorsque nous étions en ligne dans la Somme, il a été criblé d’éclats sur tout le corps, couvert de sang il a fait le mort quand les premiers éléments ennemis sont arrivés car les blessés étaient impitoyablement achevés et les Chasseurs avec leurs pantalons marine, étaient considérés comme une sorte de S.S. La seconde vague l’a transporté inanimé vers un poste de secours puis dans un hôpital en Allemagne ou il a été soigné; il m’apprend également que la démobilisation des Chasseurs a eu lieu à Cahors et qu’il n’y avait hélas que sept rescapés de mon bataillon et que c’était ceux des sections d’accompagnement qui n’avaient pu nous rejoindre. Il était donc heureux de retrouver un ancien Chasseur et me souffle à l’oreille qu’il fait partie de la résistance et me demande si le cas échéant il peut compter sur moi, comment lui refuser, je lui donne mon adresse à Fontenoy.

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Entre temps nous avons la grande joie d’apprendre que les Alliés ont débarqué en France, une lueur d’espoir pour les patriotes mais ceci ne fait pas l’affaire de certains collaborateurs... Quelques jours passent. Un matin un jeune homme inconnu m’apporte un message qui me prie de me rendre au maquis de Grandrupt, le document est signé lieutenant "Weiss", je pense que c’est un nom de maquis et crois qu’il émane de ma dernière rencontre... L’ultime aventure de cette drôle de guerre commence là. Le temps de prendre une musette avec quelques affaires indispensables et embrasser mes amours avec toute la ferveur d’un problématique retour. Je suis emmené en camionnette jusqu’au village de Grandrupt , je suis un peu surpris par la légèreté du comportement de mes contacts, deux femmes soi-disant agents de liaison m’accompagnent dans un café ou m’attend un capitaine en uniforme de tirailleur, képi bleu horizon, cheds autour du cou, la pipe au bec et canne à la main (le vrai blédard); il est sympathique, nous sablons même le champagne, après quoi nous nous acheminons ensemble vers le bois où sont installés environ trois cent maquisards; en arrivant sur les lieux, je me renseigne pour savoir où est le lieutenant Weiss, quelle n’est pas ma déception quand je me rend compte que c’est un jeune collégien rencontré chez mon oncle de Darney, à la communion de leur fils... il a le grade de chef de centaine et me demande de venir le seconder n’ayant aucune expérience de la guerre. Je n’en ai guère plus, cependant il est facile de constater que nous sommes dans une souricière, et que l’endroit n’est pas idéal pour la défense, enfermé dans un triangle de routes, placé en contrebas dans une petite vallée où la Saône prend sa source. Notre campement est un vrai camp de boys scouts avec, pour les corvées quelques prisonniers boches, des parachutes en guise de tentes, des tables rustiques faites de rondins, et au centre un mat porte drapeau. Les hommes étaient partis quelques temps après la capture des responsables mais le calme revenu avaient repris leurs emplacements, c’est la faute qu’il ne fallait pas commettre!... Il y a bien des hommes en faction tout autour, mais que pourrions nous faire en cas d’attaque en force! Enfin, les dés sont jetés, je ne peux plus me dérober sans éveiller des soupçons! Je reçois en cadeau un superbe colt à barillet avec un long canon, puis j’apprends que l’on forme une équipe de balisage pour le terrain de parachutage qui doit avoir lieu le soir même à minuit... un peu curieux je me porte volontaire, je fais la connaissance de l’abbé Matis curé d'Hennezel qui écrit un livre sur notre maquis et qui voudrait assister au parachutage; assis à notre table, en buvant le cognac espagnol pris aux Allemands, il me raconte sa guerre; par une étrange coïncidence il était en même temps que moi à St Valéry en Caux... nous nous quittons à minuit car il y a contre ordre, le parachutage n’aura lieu que plus tard et il a son catéchisme à faire le lendemain... Une heure après son départ, on annonce à nouveau l’ordre de parachutage pour 3 heures du matin, nous nous rendons sur les lieux, un grand champ à l’orée du bois, autour duquel nous disposons des boîtes de conserve remplies de pétrole pour baliser le terrain. La nuit est belle et ma curiosité dissipe ma peur; au bout d’un moment; nous percevons le bruit sourd des quadrimoteurs Lancaster et leurs masses imposantes passent plusieurs fois au dessus de nous et de plus en plus bas, puis c’est le largage des containers d’armes, de carburants et enfin ce qui ressemble à de gros paquets rectangulaires fixés à trois parachutes... L’un d’eux tombe derrière moi à quelques mètres dans la forêt, je me précipite et constate avec surprise que c’est une Jeep, véhicule qui, par la suite nous deviendra familier! Il y en a quatre de parachutées ainsi que des grands paniers d’osier remplis de vivres et de cigarettes, des containers de munitions d’armes et d’essence. Puis c’est le tour des équipages, des officiers anglais à bérets rouges, certains sont suspendus dans les arbres et il n’est pas facile de les décrocher dans la nuit, néanmoins nous rassemblons presque le tout, les hommes sont au complet, 12 soit 3 par Jeep; après avoir échangé quelques renseignements nous apprenons qu’une division de Panzers remonte de Lyon, que les Alliés sont encore à 150 km à l’ouest puis c’est la traditionnelle distribution de cigarettes; nous leurs offrons en échange une rasade de notre cognac espagnol et ils s’accordent une heure de repos flegmatiquement allongés sur leurs parachutes de soie. Enfin il faut songer au but de leur mission, les Jeeps sont libérées de leurs châssis métallique à l’aide d’une manivelle placée sur le côté; j’assiste ahuri à la libération de celle qui est tombée à côté de moi, et qui gît parmi les branches fracassées. Sur chaque Jeep un chauffeur et un homme à l’avant avec une mitrailleuse jumelée de gros calibre et derrière un homme avec une mitrailleuse simple pour assurer la retraite en cas de fuite précipité. Le tout accompagné d’une quantité impressionnante de bandes de cartouches ainsi que leur panier à vivres; après les salutations d’usage, ils disparaissent dans la nuit, nous regagnons le campement et lourdement, je m’allonge sous un parachute pour terminer ma nuit car le jour ne doit tarder à poindre...

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Vers 8 heures, je dors d’un profond sommeil. Le camp est en effervescence, les hommes courent dans toutes les directions, ceux qui font le guet, ont déjà ouvert le feu, les balles sifflent de toutes parts, je vois un paysan des environs nous apporter une brassée de fusils allemands dégoulinants de sang qu’il vient de ramasser sur la route de Darney; c’est le résultat du travail de nos parachutistes, leur rôle étant de semer la panique et l’insécurité parmi les convois ennemis; cela consiste à se poster au bord d’un chemin qui débouche sur une nationale, dès que l’ennemi apparaît, il est aspergé d’une rafale meurtrière, après quoi l’équipe disparaît dans la nature... L’homme qui a assisté à la scène nous raconte: Les Anglais étaient à l’affût en bordure de route, le mitrailleur à côté de la Jeep occupé à satisfaire un besoin naturel, quand surgit une voiture ennemie, sans avoir le temps de relever son pantalon il envoie une rafale dans leur direction... Cette scène un peu cocasse mérite d’être racontée, la mobilité de ces équipages les rend presque invulnérables... Après un temps d’accalmie relative, nous apprenons avec stupeur que l’artillerie prend position autour du camp et que les blindés, les automitrailleuses ainsi que l’infanterie s'apprêtent à participer à notre élimination, c’est une attaque de grande envergure qui se prépare. Le général qui commande les opérations nous fait parvenir par l’intermédiaire d’un habitant de Grandrupt, la note qui stipule que si nous ne déposons pas immédiatement les armes, nous serons éliminés par l’artillerie et que les habitants de Grandrupt, Hennezel, et Vromesnil seront fusillés sur le champ! Les responsables du camps se consultent: faut-il faire massacrer tous ses braves gens qui nous ont aidés? C’est un cas de conscience grave, nous avons dans la note du général la promesse d'être traités en prisonniers de guerre, promesse que je ne crois pas et, pour cette raison, je vais trouver mon jeune chef de centaine et lui fais comprendre que je ne suis pas venu jusque là pour me rendre et comme je n’ai pas encore prêté serment au drapeau, lui demande l’autorisation de conserver mon arme; dans son désarroi il ne sait quoi répondre, ce que je prends pour une réponse positive!... A mon sens, il faut sortir de ce cercle infernal, ou mourir car notre sort ne fait aucun doute, et puis il est plus facile de se cacher dans la forêt... Je pense aussi à mon jeune beau frère Yvan que je peux joindre car il est posté en bordure, je voudrais bien l’emmener avec moi... A côté de moi, il y a un habitant de Fontenoy (un vieux de l’autre guerre, 45 ans environ) je le connais bien, presque un ami, il est là à l’affût avec son fusil anglais et refuse de déposer son arme sous prétexte qu’il n’a pas encore tué un Boche!... J’insiste pour qu’il m’accompagne en prétextant que s’il ne rentre pas, sa femme ne sera pas contente, et qu’il aura sans doute l’occasion de le rencontrer, son Boche! Nous nous décidons rapidement car tous les maquisards sont, sur ordre, en train de déposer leurs armes sur les tables, lui muni de son fusil, moi de mon colt nous partons discrètement... La pluie se met à tomber à verse, ce qui étouffe le bruit de nos pas sur les branches, la Saône à cet endroit ne mesure guère que 50 cm de large; comme point de repère, nous descendons son cours les pieds dans l’eau, nous retrouvons au passage un des paniers d’osier parachuté la nuit et que nous n’avions pas pu localiser; en traversant une clairière, mon ami qui est sourd mais pas aveugle, me donne un coup de coude, et j’aperçois une bande de soldats qui arrivent à notre rencontre, déployés en tirailleurs et derrière eux, sur le chemin, à travers les branches, la silhouette des automitrailleuses; instinctivement nous nous mettons à plat ventre dans l’espoir qu’ils n’ont pas remarqué notre présence. Le terrain est spongieux, je n’ai pas beaucoup de mal à enfouir mon portefeuille avec mes papiers sous une épaisse couche de mousse. Je deviens de ce fait un inconnu, car je crains trop les représailles sur ma famille, puis les mains crispées sur nos armes, nous attendons prêts à faire feu au moindre signe qui aurait décelé notre présence, mieux vaut mourir ainsi que devant le peloton d’exécution! Le choix est facile à faire! Nous entendons les cris de ralliement de nos ennemis, quelques uns sont si près de nous, que nous les entendons se moucher et parler, de temps en temps ils jettent des grenades dans les sous-bois environnants ou tirent une rafale de mitraillette et ne songe pas à regarder à leurs pieds! Puis ils partent en progressant vers le camp, nous entendons les rumeurs s’atténuer... Il est à peu près midi, il pleut toujours... Immobiles, nous attendons que le silence se fasse, et restons là couchés dans l'eau jusqu’à 6 heures du soir environ. Enfin, nous nous décidons à poursuivre notre chemin, mais mon compagnon complètement engourdi est incapable de marcher, je dois le soutenir un moment. Doucement, évitant les chemins, et marchant le plus possible à couvert, nous arrivons aux abords d’une ferme isolée, un vieil homme est devant sa porte, discrètement, nous essayons de lui signaler notre présence: il finit par nous apercevoir et vient vers nous, il y a une demi-heure qu’il a vu passer les derniers Allemands. Les émotions nous ont ouvert l’appétit, ce brave homme va chercher une casquette pleine d’oeufs que nous nous empressons de gober. Nous le remercions et sans plus attendre nous poursuivons prudemment notre chemin. Ça et là nous trouvons des vestiges du passage de nos ennemis: un calot, des emballages de cigarettes. Pendant que nous marchons, la nuit se met à tomber, nous traversons une prairie et arrivons à proximité du carrefour du Void d’Esles. La nuit est devenue noire, nous percevons des voix étrangères et des lueurs de cigarettes... amis ou ennemis? Nous approchons en silence, un bruit de moteur et tout s’évanouit dans la nuit, plus de doute, se sont nos Anglais qui continuent tranquillement leur travail. Il est au moins minuit quand nous arrivons à Sarnes/Harol. Je connais là un cultivateur ami qui nous procurait du ravitaillement lorsque nous étions à Épinal. Ce brave monsieur Maugin, il vient nous ouvrir tout surpris, quand il apprend que nous venons du maquis de Grandrupt. Il nous demande des nouvelles de son jeune frère, mais j’ignorais qu’il était aussi avec nous. Lui hélas n’en reviendra jamais... Il nous installe une banquette dans le salon pour dormir et attendre la suite des événements; la brave madame Mangin entreprend de réparer mon pantalon de golf déchiré et comme il fallait rassurer nos familles, la jeune soeur de madame Mangin s’offre d’aller à bicyclette les prévenir.

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Comme prévu, après avoir eu de nos nouvelles, Paulette arrive aussitôt, elle aussi à vélo, au risque de sa vie; elle croise des convois ennemis aux abois, elle est si heureuse que je n’ai pas le courage de la disputer! Pour plus de prudence nous décidons sur les conseils de Mr. Mangin de rester encore quelques jours, le temps de nous faire oublier... Heureusement que nous ne sommes pas arrivés un jour plus tard, car l’endroit où nous dormons sera réquisitionné comme poste de garde d’une compagnie de passage, et malgré les protestations de madame Mangin nous devons vider les lieux. Mais où aller? Le couvre feu est en vigueur et le village est plein d’Allemands!... Un jeune officier à qui j’ai été signalé comme artiste peintre en vacances, se propose de nous conduire chez les parents Mangin un peu plus haut dans le village, il parle couramment le français et chemin faisant, nous parlons peinture car il a lui aussi reçu une formation artistique; courtoisement il me quitte en me serrant la main, je constate que l’art est un moyen de rapprochement des êtres... Les Allemands abandonnent le village le jour suivant et le surlendemain nous sommes dans les champs à aider nos amis à la cueillette des haricots et le bruit court que des gens ont vu et parlé, avec des éclaireurs de l’Armée Leclerc.Mais sur la route un peu en contrebas, nous voyons passer plusieurs voitures allemandes et des motos qui vont en direction de Ville s/Illon ce n’est pas l’Armée Leclerc et tout en faisant la réflexion, brusquement au sommet de la côte, éclate un véritable feu d’artifice, les voitures sont pulvérisés, une seule moto repasse à toute vitesse en sens inverse, l’homme couché sur son guidon!... Nous commençons à entrevoir la libération car il a bien une automitrailleuse française postée au carrefour de Ville s/Illon. Nous ne pouvons plus attendre et impatients, nous repartons à travers champs et forêts vers Fontenoy. C’est une belle journée ensoleillée. En arrivant à l’entrée du village de Haumougey mon ami manifeste le désir de se reposer car ses pieds le font souffrir; il entre dans une grange dont la porte est ouverte, mais le propriétaire nous en fait ressortir en nous menaçant. A cet endroit nous devons traverser la grande route Bains-Darney; par chance les soldats qui surveillent la route sont très préoccupés et apparemment sur la défensive, le casque recouvert de branchages et dissimulés dans les fossés, leurs armes braquées en direction de Darney. Nous traversons la route sans encombres et maintenant c’est la forêt et les bords du Coney jusqu’à Fontenoy, tous les obstacles sont franchis, nos familles sont heureuses de nous retrouver! Nos problèmes hélas sont les mêmes qu’à mon arrivée en 1940 à Épinal, les familles de ceux qui ne sont pas rentrés s’étonnent de nous revoir et se demandent comment nous sommes rentrés si facilement; je reste malgré tout sur mes gardes. Dans notre petite maison, on accède à notre chambre par un escalier extérieur, dans le plafond une trappe donne sur le grenier; un matin, à l’aube nous sommes réveillés par le bruit d’un camion qui s’arrête sous notre fenêtre; regardant au travers des persiennes, je vois ce camion chargé du reste des hommes valides du village, des Mongols sous l’uniforme allemand sont chargés du ramassage... Avec l’agilité d’un singe, je me retrouve dans le grenier en passant par la trappe sans même utiliser l’échelle! j’entends avec satisfaction le camion repartir. Les nuits suivantes, je les passe dans une petite baraque de jardin pour me ménager un point de fuite. Notre maison, sur un côté la route, de l’autre la rivière, est trop vulnérable.

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La bataille se rapproche, on entend le canon et le bruit des armes automatiques; des convois passent battants en retraite; l’aviation alliée a une grande activité et fait des ravages dans les colonnes ennemies. Ce n’est plus l’armée triomphante mais les mêmes pauvres types que nous étions en 1940; certains vétérans passent en bras de chemise sur de vieilles bicyclettes et demandent poliment un peu de nourriture. L'arrière garde est en train de miner le pont du canal à côté de notre maison. En cachette, Paulette et Lucienne cousent des drapeaux alliés en vue d'une libération toute proche, néanmoins nous avons jugé plus prudent de nous réfugier dans une maison plus loin à la sortie du village... Le matin suivant, mon beau père arrive tout heureux pour nous prévenir que les Américains sont là! D’abord quelques Jeeps, puis des camions chargés d’hommes. Le génie se met aussitôt à l’ouvrage et en un temps record, le pont est reconstruit en bois. Contrairement aux traditions de nos armées, le lieutenant qui commande le groupe, travaille lui aussi la hache à la main et même plus que ses hommes. Nous sommes en admiration devant ces courageux soldats qui viennent en libérateurs. Nous sommes libres mais la guerre se poursuivra encore de longs mois et la bête nazi a encore des soubresauts dangereux.

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La fin de l’odyssée de notre maquis me sera racontée par Yvan mon beau-frère; il reviendra longtemps après l’armistice, squelettique et méconnaissable; il finira par se rétablir à force de soins. D’abord le matin de la bataille nom ami d’un soir, l’abbé Matis, a été traîné en chemise devant sa mère et tout le village puis fusillé, son vicaire le sera un peu plus loin. Aux abords du maquis tous les prisonniers ont été rassemblés dans un champ et l’ordre a été donné de les exterminer; l'intervention in extremis du général les a sauvés car celui ci avait donné sa parole de les traiter en prisonniers de guerre. Il aurait sans doute mieux valu pour eux la première solution, car sur les trois cents environ deux cent vingt moururent en déportation. Un ancien du maquis m’a raconté aussi qu’il avait fait prisonnier un colonel allemand rescapé du mitraillage des Anglais et que en le ramenant vers le camp et voyant qu’il était trop tard, est reparti en dissimulant sa mitraillette, faisant mine d’accompagner l’officier; ils ont pu ressortir et ne sachant que faire de lui, a dû l’exécuter dans la forêt un peu plus loin. Je me suis borné à raconter quelques faits dont j’ai été témoin durant ces cinq tristes années. Je pourrais poursuivre mon récit mais sa lecture n’aurait pas grand intérêt. Il y a eu l’euphorie de la libération les règlements de compte les faux résistants à l’honneur et bien d’autres choses sur lesquelles il vaut mieux faire silence. Quant à moi, je me suis contenté de passer le mieux possible à travers les gouttes et je remercie le ciel de m’avoir épargné ainsi que toute ma famille... 

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