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Liste des 134 manuscrits   #Manuscrits                

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Brigadier-Chef

Pierre Knoblauch

**

138

Derniers combats

Guerre 1939 - 1945

Nice - Mai 1995

Analyse du témoignage

Écriture : 1994 - Édition Mai 1995 - 27 Pages

POSTFACE de Michel EL BAZE

Á la débâcle succéda la déroute entraînant le désordre, le désarroi de ces combattants de la Campagne de France qui ne purent que subir l'événement. Pourtant, depuis le 13 Juin 1940 sur le front, Pierre Knoblauch avait le sentiment d'avoir accompli son devoir, loin d'imaginer qu'en ce jour du 17 Juin, ses camarades devraient déposer leurs armes devant des officiers allemands qui leurs rendent les honneurs. Pour lui, blessé, c'est le début d'un périple douloureux qu'il n'évoque pas ici. Mais pour la France, dès le lendemain 18 Juin, le Signe apparaît : l'Appel du Général de Gaulle proclame la volonté de la France d'effacer cette triste période de son histoire. Commencent alors d'autres aventures que notre collection s'efforce de sauver de l'oubli.
To the collapse succeeded the rout entailing the disorder, the disarray of these combatants of the Campaign of France that could only undergo the event. Nevertheless, since 13 June 1940 on the front, Pierre Knoblauch had the sentiment to have accomplished his duty, far to imagine that in this day of 17 June, his comrades would have to deposit their arms ahead of German officers that render their honors. For him, hurt, that is the debut of a painful journey that he evokes here. But for France, from morrow 18 June, the Sign appears : the Call of the General de Gaulle proclaims the will of France to delete this sad period of its history. Begin then other adventures that our collection strives to save the oblivion.

La mémoire

La mémoire : seul bagage incessible

Jacques ATTALI

13 Juin 1940 Ce matin-là, nous étions réveillés de bonne heure... Avions-nous seulement pu dormir, couchés sur une paille sale et humide, dans ce réduit voûté qui ressemblait à une cave ? Il avait plu toute la nuit et, à 5 h. 1/2, le ciel roulait encore de lourds nuages noirs. Une vive agitation régnait dans notre cantonnement de la mine des Hauts-Ponts. Notre commandant est soucieux ; l'air grave, il tire sur son inséparable pipe à petits coups précipités cependant que rien ne lui échappe. Le colonel n'est content de rien et "engueule" proprement chacun, par habitude. Vers 7 h. moins 1/4, la colonne est prête à partir. Je suis sur mon cheval; le trompette Nectoute est à côté de moi, ainsi que quatre cyclistes, et nous partons, en avant de la colonne, préparer notre nouveau cantonnement sous la direction de l'Aspirant Farjon. La campagne est belle et cette promenade de 30 km me fait du bien. Je respire à pleins poumons cette délicieuse odeur de terre mouillée. Vers 10 heures, le soleil se montre et donne un peu de gaieté au refrain monotone que martèle sur la route le pas de nos chevaux. Je marche côte à côte avec l'Aspirant Farjon. Il est tout jeune et plein de vie. Nous bavardons tout le long du trajet. Parfois le vent vient supprimer un mot ou deux de nos phrases. Son père est sénateur du Pas de Calais et c'est à la fois le grand industriel fabricant de crayons de la maison Baignol et Farjon... un peu une de mes relations. Et nous arrivons vers 11 h. l/2 à Auboué, modeste petit village de Moselle. Immédiatement, nous nous préoccupons de choisir les emplacement pour loger hommes, chevaux et matériel de l'État-major, de la B.H.R. et des 3 batteries. Ce travail fini et ayant une faim de loup, j'achète du pain, du saucisson, du fromage, des fruits et je vais avec Nectoute dans un bistrot où nous buvons un bon litre de vin. Sitôt notre petit repas terminé, nous partons au devant de la colonne afin de diriger chacun vers son logement. Il est 13 h. quand arrive l'État Major. Les chevaux ont bu dans la rivière et on leur donne à manger. Le matériel est en ordre. La petite ville est en émoi. Les habitants nous reçoivent à bras ouverts et chacun tient à recevoir son soldat et l'invite à déjeuner. Hélas ! Hélas ! Une ou deux heures plus tard, on ne voit plus sur les places et par les rues que des hommes ivres... et, malgré l'ordre de fermeture, les bistrots versent à boire sans arrêt. Cette journée fut pour moi une des plus pénibles que j'aie eu à vivre durant cette guerre. Pour ma part, j'assistais impuissant à cette dégradation d'hommes dont la destinée de notre pays était entre les mains. Assis sur une pierre et la pensée lointaine, je me reposais sur le pas de la porte d'entrée de la grange immense où nous devions dormir, nous et nos chevaux. Vers le soir, ce fut pire. Ces hommes, ces camarades en vinrent aux mains et certains de nos officiers furent insultés. Je parvins néanmoins à calmer quelques uns de ces pauvres types qui, finissant par se rendre compte de leur état, se mirent à pleurer comme des enfants. Quelle triste vision, des bêtes déchaînées... Et déjà des rumeurs surgissent... Les Allemands sont à Fontoy... Ils ont forcé la Ligne Maginot, etc., etc.... Ces rumeurs sont fausses, nous le savons. Qui donc a intérêt à faire courir de tels bruits ? Nous le savons aussi. Le soir, je dîne au restaurant avec mes camarades sous-officiers. A la tombée de la nuit, tout rentre dans l'ordre, le calme revient et chacun fait son lit comme il peut, dans la paille. La dernière lumière vient de s'éteindre et déjà tout dort. Dans quelques heures, il faudra repartir...

14 Juin 1940

Je dormais d'un profond sommeil quand j'entendis dans la grange des bruits confus. Je finis par distinguer: - Debout, là-dedans ! Le vieux cri familier à tout militaire. - Déjà ? Quelle heure est-il ? - Une heure. L'ordre était donné par le Logis-Chef Denis qui n'avait dû dormir que d'un oeil. Et, dans la nuit noire, il fallut se remettre à seller, à harnacher les chevaux. Ce matin, rien à manger... D'ailleurs, à partir de ce jour jusqu'au 18 Juin, je ne me suis contenté que de vagues casse-croûte et de champagne. Mais ce n'est rien, les nerfs remplacent très bien l'alimentation. Vers 2 heures 1/2, la colonne est reformée en partie seulement. Nous devons embarquer. L'État-major et la Première Batterie prendront le premier train. La Batterie Hors rang est déjà partie dans la nuit. La C.R., la 2ème et la 3ème suivront l'E.M. Nous attendons l'ordre de départ qui ne vient qu'une bonne heure après. Les hommes ont l'air remis de leurs exploits de la veille mais les ombres que l'on aperçoit dans la nuit manquent d'énergie. Pour ma part, j'ai encore sommeil et je m'endors appuyé contre mon cheval. Voici les premières lueurs du jour. -"Pour tout le monde, à cheval !", résonne et nous fait sortir de nos rêves. Encore une petite pause et c'est le départ. L'étape n'est que de 7 à 8 km. Dans le ciel encore quelques nuages et, dans la vallée, une brume intense. Dans le lointain, on aperçoit toujours les grandes cheminées du bassin de Briey et l'on perçoit les bruits d'une vive canonnade. Nous arrivons au quai d'embarquement de la petite gare de Batilly. Et là, une fois de plus, c'est la très occupante petite manoeuvre d'embarquement qui nous absorbe. Elle est merveilleusement exécutée, avec précision et rapidité... et pour cause. Des bruits de moteurs d'avions se font entendre et ce ne sont pas des avions français, certainement ; ce serait un miracle. La manoeuvre terminée, le train part... Il roule, mais ce n'est pas un rapide ! Enfin ! il roule vers... A propos, où va-t-il ? Il vaut mieux l'ignorer... Il s'en va, résigné, vers son triste destin... On parle de l'Italie ? des bords de la Loire ? de Bologne. (Il existe un petit pays de ce nom au nord de Chaumont dans la Haute-Marne ?) Les sous-officiers ont pris place dans le second wagon de tête. C'est tout le confort des wagons à bestiaux avec litières de paille. Notre premier travail fut de dormir. Que c'est bon d'avoir les yeux fermés et de vivre dans un songe d'amour ! Les secousses du train qui piétine vous ramènent à la réalité. Et je vois, dans des attitudes plus ou moins curieuses : le Chef Denis, les Logis Jillard, Quentin, Bonnaud, Thuillier, Baille, Coine, Marache, Gouin. Il y a aussi avec nous le motocycliste Moreau, garçon très sympathique, et nos cuisiniers Cousin et Coté Le paysage défile avec une lenteur qui donne la fièvre. Sur les routes que l'on croise défilent de longs et lugubres cortèges. Ce sont des civils à pied, à bicyclette, en auto, qui embouteillent les routes et qui gênent le mouvement des troupes. Et maintenant, le soleil est là qui nous réchauffe... La campagne est superbe... Combien cette belle nature peut me faire désirer la liberté ! Et le train continue sa danse macabre avec une paresse désespérante... Conflans-Jarny, Mars-la-Tour, Pagny s/Moselle, Nancy... Et bientôt c'est la nuit. Je suis bien avec les chauffeurs du train avec lesquels je bavarde à chaque arrêt. Je suis même invité à venir coucher sur un de leurs lits, ce que je n'accepte pas. Ils ont leur habitation dans le wagon : 4 lits, 1 table, 1 poêle. Ils sont quatre et ils n'ont pas la vie drôle. Sur les quatre, il y en a un qui n'est pas très "sympa"; il est même suspect et ses compagnons voudraient s'en défaire à la fin du voyage. C'est un Alsacien paresseux et qui ne pense qu'à critiquer et à démoraliser. La nuit est venue... alors, il faut dormir... On dort... Je dors... 15 Juin 1940 O délicieux sommeil ! Mes rêves, mes doux rêves d'enfant, mes rêves d'amour, occupez tout mon esprit, tout mon être... Mais non ! Mon rêve est brutal comme la vie, c'est un vacarme effrayant, la sensation du wagon qui se soulève du sol et retombe avec violence: le train déraille... Est-ce un cauchemar provoqué par la fatigue et la tension des nerfs ? Non, c'est la réalité... Je me tâte. Rien... C'est tout juste si certains de mes camarades ne dorment pas encore. Je me lève précipitamment et, toujours curieux, je saute sur le ballast. Je veux voir. Que se passe-t-il ? D'abord l'heure... O h. l0, que j'aperçois à ma montre à la lueur d'une allumette. La nuit est claire et, de suite, j'entrevois un monceau de matériaux répandus sur la voie. Voici : notre train a tamponné un autre train qui se trouvait arrêté devant nous. Notre train n'a rien, celui qui a été tamponné est plus endommagé. Trois ou quatre wagons ont été écrasés; il n'y avait pas d'hommes dedans, heureusement. Rien que du matériel, fourgons d'ambulance, paquetages, vivres, etc.... Et déjà, dans la nuit, nous nous mettons au travail de déblaiement, travail difficile mais urgent : il faut repartir au plus vite... Notre train a déjà du retard. Et puis ne sommes-nous pas sur un passage à niveau ? Le jour est bien vite arrivé et la route est déjà encombrée de voitures de toutes sortes : camions, touristes, bicyclettes, charrettes, convois militaires, convois civils, misérables gens qui fuient à pied... Où sommes-nous ? A Poussay, près de Mirecourt; et toujours, nous ignorons le but de notre voyage. Tant pis pour nous, restons dans l'ignorance et soyons utiles. Le commandant me charge de la police de la route. Ma besogne commence d'ailleurs très mal. Je suis à bicyclette et voilà un fou qui, se sauvant en auto à toute allure, me renverse et écrabouille mon cheval à deux roues. Je pose contre un arbre le débris et reprends mon service non sans avoir copieusement sermonné ce fuyard. Allons ! Une auto qui double ! - Et vous, avancez donc... Des pannes, un cheval qui n'en peut plus, des maisons entières qui circulent sur la route... Certaines braves personnes ne sachant pas conduire ont tout de même acheté une voiture pour fuir et l'abandonnent quelques kilomètres plus loin. Maintenant, ce sont des bombardiers... alors, c'est l'affolement général. C'est à qui, fuyant à toutes jambes et laissant là voiture et bagages, cherchera un trou, un abri. Je reste sur ma route et je cherche à donner un peu de courage à tous ces malheureux. Je prête mon casque à une maman qui protège ainsi son bébé pendant que je fais un abri de mon corps pour une autre petite fille. Le bruit des moteurs et des bombes a disparu, chacun revient et le défilé recommence. Les voitures se dirigeant sur Mirecourt sont déviées. Bientôt, cependant, le passage à niveau est dégagé. Le train tamponné peut repartir amputé de ses arrières. Une grue puissante retire le gros matériel qui est sur la voie. Maintenant on voit clair de nouveau ; l'ordre est rétabli partout. Au loin l'Angélus sonne. Il est midi et notre train repart. C'est un pauvre vieux, il piétine encore. A 17 h. l5, le train s'arrête en pleine campagne. Voici les grands oiseaux de malheur qui reviennent. Tous mes camarades sont déjà à travers les buissons... Moi, je regarde... mais surtout j'entends ce sifflement étrange qui vous donne un léger frisson. Une vingtaine de torpilles encadrent notre convoi. Point de blessés mais nos wagons sont troués de toutes parts. Et de nouveau, le train repart. Cette fois, on a bien l'impression que c'est la fin. Il n'avance pas et, à 18 h., les freins grincent une fois de plus. Plusieurs convois sont bloqués devant nous. Les voies sont coupées. A droite, à gauche, des coups de mitrailleuses sifflent à nos oreilles. Déjà le jour baisse et le calme revient. Mais il ne faut pas songer au sommeil cette nuit. A tour de rôle nous allons monter la garde. La nuit passera d'ailleurs très vite et sans incidents. 16 Juin 1940 Depuis la veille au soir, nous sommes sur le qui-vive, mais tout semble calme. Des civils nous assurent qu'il y a des parachutistes dans les bois. Il faut voir, je veux voir. Et me voilà parti avec un camarade, le Maréchal des Logis Baille; pas de volontaires pour venir avec nous ; le Lieutenant Bocq nous aperçoit et veut être de la partie, l'Aspirant Farjon aussi. Et qui encore ? 2 ou 3 autres camarades de la 1ère Batterie. Le commandant m'oblige à prendre un fusil... je n'avais qu'un revolver (modèle 1870). Ce fusil me gêne bien vite. Il ne fonctionne pas. Nous parcourons les bois à pas de loup. Quelques balles partent de part et d'autre... mais voici notre train qui repart sans nous... Oh, il ne va pas loin. Nos mécaniciens pensaient pouvoir faire un aiguillage mais la ligne est coupée... ce qui nous permet de regagner notre train ; un autre nous suit et stoppe à 800 mètres de nous environ. Avec l'Aspirant Farjon je vais reconnaître par qui le train qui est arrêté à 800 mètres derrière nous est occupé. Nous arrivons sans incident et nous nous mettons en rapport avec le Commandant du 70ème R.I. Car c'est un bataillon d'infanterie qui est là. Peut-être allons-nous, avec eux, pouvoir organiser notre défense. Le train qui est devant nous est un train sanitaire. Sur une autre voie c'est un train de réfugiés. Nous revenons; l'Aspirant Farjon et moi, vers le Commandant Wenzinger. Dans les hautes herbes que nous traversons pour revenir, nous trouvons mon camarade Camby blessé au bras par une balle ; il nous assure avoir vu, caché dans les herbes, un Allemand avec une mitraillette. Nous faisons donc tout de suite une battue, l'Aspirant Farjon et moi, mais sans rien découvrir. Nous arrivons à notre train et nous mettons le commandant au courant de la situation. Il fait chaud, le temps est superbe; mes camarades restés dans le train sont heureux de me voir revenir et de l'espoir que je leur donne d'en sortir. Je me rafraîchis au champagne. Des gens qui évacuaient ont vidé leurs caves et, à notre passage, en avaient garni notre train. C'est délicieux pour ceux qui remuent, mais ceux qui restent inactifs seront dans peu de temps, encore une fois, dans les "vignes du Seigneur". Je ne me souviens plus ce jour-là avoir mangé quoi que ce soit. Je ne me souviens pas non plus de l'instant précis, de l'heure où tel ou tel fait a pu se produire. Je sais que dans le courant de la journée, des bombardiers (Italiens sans doute) nous ont copieusement arrosés avec des bombes à retardement. Dans leur chute, c'était comme un cri strident et point d'éclatement en arrivant au sol. Où sont tombées ces bombes ? Nous le saurons 2 ou 3 heures plus tard quand elles éclateront. Je sais encore que 2 ou 3 chars et automitrailleuses allemands ont essayé d'attaquer le 70ème R.I. Ce régiment s'est bien défendu et a même réussi à en immobiliser un. De notre côté, nous nous servions de nos 2 mitrailleuses et de notre F.M. Je sais que je suis reparti avec notre commandant auprès du Commandant du 70ème R.I. Je crois savoir que l'idée du commandant était de prendre la route pour regagner son point désigné. Notre commandant lui a donc demandé de l'attendre pour prendre la route avec lui et lui a demandé de nous fournir ainsi une avant et une arrière-garde. Le commandant d'infanterie refusa et c'est alors qu'il fut décidé d'organiser ensemble la résistance à Raincourt. Il a été convenu entre ces deux officiers qu'à la tombée de la nuit, l'infanterie, quittant son train, se replierait vers le petit village de Raincourt. A propos, c'est vrai, je n'ai pas songé un seul instant à savoir où nous étions (voir croquis en date du 16 Juin). Eh bien, le train est arrêté à 6 km environ de Jussey par la voie et à 800 mètres par la route, de Raincourt (Haute Saône). Le petit village de Raincourt est sur la hauteur ; de là nous pourrons mieux nous défendre. Donc l'infanterie se repliera la première et nous, nous tâcherons de débarquer dans la nuit nos chevaux, nos caissons, nos canons. Avant notre repli sur le village de Riencourt, le Lieutenant Ivira, deux camarades et moi, nous sommes restés en arrière garde. Nous en avons profité pour creuser une petite tranchée près du passage à niveau et y avons placé cinq obus percutants. Tandis que nous quittions ces lieux, derrière nous une violente explosion... Un char allemand sautait sur nos obus... Je me souviens aussi que des balles ont mis le feu à notre train. Trois wagons ou quatre ont brûlé, contenant l'un les autos des officiers, l'autre un ou deux fourgons avec des vivres, un autre des caisses à munitions. Ça, c'est moins drôle, nos propres obus partent à droite, à gauche, et j'avoue que je veux bien mourir mais pas par nos propres obus. Le Commandant Wenzinger tente de circonscrire le sinistre. Je me souviens aussi que mon camarade Hendryck est blessé ce jour-là ainsi que le Brigadier Compain. Les trois blessés de la journée sont transportés au train sanitaire. Je me souviens encore d'un incident qui a failli coûter la vie à 2 officiers français: le Capitaine Mettey et le Lieutenant de Guerroy. Ces deux officiers ont été trouvés dans le bois par une patrouille et furent pris pour des espions. Après qu'ils eurent prouvé leur identité, ils se mirent à la disposition du commandant. Un autre officier, le Lieutenant du 10ème Chasseur à Pied Coulon s'est mis également à notre disposition, n'ayant pas retrouvé son régiment. Un peu avant la nuit, un coup de feu : c'est notre camarade Ladent qui tombe, frappé à mort. Immédiatement, à 10 hommes dont je suis, nous recommençons une patrouille, fouillant chaque buisson; toujours sans résultat.De retour à notre train, j'apprends avec tristesse le départ, je n'ose dire la désertion, du Maréchal des Logis Quentin, du MdL Bonnaud, du MdL Thuillier, du MdL Gouin (J'ai appris cela par le MdL Jillard). Des hommes aussi ont fui: hélas ! Parmi eux se trouvent deux hommes à moi que je croyais braves ; ce sont les observateurs My et Bouvet. Où sont-ils partis ? Ils risquent la mort sans gloire... Il est vrai que nous n'avons pas d'armes... mais n'allons-nous pas soutenir l'infanterie... Il y aura des morts, des blessés, il y aura aussi leurs armes à reprendre (si elles sont en état de marche !) et leur place à occuper. La nuit est là maintenant. Alors commence le difficile débarquement des chevaux et du matériel. Nous n'avons pas de quai et seulement quelques planches. Cependant, ce dur travail se poursuit activement et, avant minuit, tous les chevaux regagnent Raincourt. Pendant ce temps, au loin, nous entendons le bruit ininterrompu des troupes et des motorisés ennemis qui se préparent, eux aussi, au combat. Et, sur la terre, je m'endors quelques instants, serrant mon fusil inutile dans mes bras. 17 Juin 1940 Après une ou deux heures de repos, la fraîcheur de la nuit me réveille. Mes camarades sont en train de décharger les 4 canons et les 4 caissons de la lère Batterie. Pendant ce temps, le Lieutenant Ivira et quelques hommes montent la garde, mitrailleuse et fusil-mitrailleur prêts à entrer en action. Déjà, le petit jour approche et les hommes s'impatientent ; ils voudraient être à Raincourt... ce dernier bastion de notre guerre. D'ailleurs, ne manque-t-il pas des hommes ? Comme pour excuser ses camarades défaillants, mon dernier observateur Mouret, vient me trouver et me dit : - Tu sais, mon vieux, moi je reste avec toi. Si tu as un coup dur, compte sur moi. Cette fois, je comprends nettement que c'est la fin, que nous allons tenter un dernier effort. Nous ignorons tout de la situation générale en France. Je me décide alors à me délester de ce qui me gêne. Je déchire minutieusement tous les documents que je gardais précieusement en souvenir : ce sont des croquis perspectifs de mes observatoires, des cartes d'État-major, des notes, etc... Je ne garde avec moi qu'une musette avec mes articles de toilette et une musette de vivres. Mon sac d'homme monté a dû être abandonné sur un des fourgons qu'on n'a pas déchargé. Il contenait bien des vêtements, des chaussures, du linge, encore des souvenirs... Hélas !.. Plus tard, j'abandonnerai mes couvertures qui m'embarrassent et même mon masque à gaz... Vers 5 h. l/2 le crépitement des mitrailleuses commence... Nous nous replions sur Raincourt ; à la charge les chevaux grimpent la colline, tirant canons et caissons. Le reste des hommes monte à pied en courant... Les balles sifflent. Le Lieutenant Ivira est mortellement blessé d'une balle au ventre. L'Aspirant Le Faucheux, de la Première Batterie, également. Ces deux officiers protégeaient notre retraite. A peine arrivés au village, voilà les obus qui tombent, l'enfer qui commence. La population civile qui est encore là veut fuir... Il est trop tard. Alors tout le monde disparaît dans les caves. Il reste cependant dehors des êtres que je n'oublierai jamais : Un vieux prêtre qui confessera, bénira, réconfortera inlassablement et donnera l'Extrême-onction toute la journée. Il y a aussi deux jeunes filles de 18 ans environ qui, avec énergie, distribueront de l'alcool avec du sucre aux soldats ; elles soigneront nos plaies; elles souriront toujours et prieront sur les morts. Reste encore un petit garçon de 14 à 15 ans en culotte courte qui veut être utile et veut servir l'armée française. Durant tout le jour, il aidera pour les liaisons et le transport des cartouches (famille Streibel). Ça, c'est bien l'image de la France, si belle, si grande, si noble et si fière. Quatre routes rejoignent la jolie petite place au centre du village. Sur cette place se reflète dans le bassin d'une fontaine la vieille église. Une grosse propriété est à l'entrée du village sur la route par laquelle nous sommes arrivés : C'est le château du pays. Le reste du village est composé de petites maisons paysannes et de quelques maisons bourgeoises. Les compagnies du 70ème défendent les abords du village ; l'infanterie qui avait pris position avant notre arrivée ne nous a pas laissé les places qui auraient pu nous être utiles comme antichars. Nos canons ont dû se replier trop à l'intérieur du pays, ce qui ne nous a permis aucun tir efficace ; ils sont pointés chacun à l'entrée des 4 routes. Ils ne pourront, hélas, pas servir, les emplacements étant très mauvais. Le commandant donnera un peu plus tard l'ordre de les faire sauter pour les rendre inutilisables. Les obus tombent de toutes parts, les vagues ennemies refluent sans arrêt durant toute la journée ; c'est un bruit infernal qui ne ralentira pas. Vers 9 heures, ayant faim, je m'assieds au bord de la fontaine et je mange un morceau de pain et de fromage; puis j'abandonne aussi ma musette de vivres. Une des jeunes filles me donne un sucre trempé dans l'eau de vie et je lui dis ma surprise de trouver encore des anges dans cet enfer. Elle sourit... De minute en minute la canonnade se fait plus intense, la mitraille crache et les hommes crient dans ce vacarme où l'on entend à peine le commandement des chefs. Midi approche... Ma guerre va bientôt finir. Nos officiers sont à table... comme ils peuvent et moi, je reste dehors pour voir ce qui se passe et les en avertir. Un pli du Commandant d'Infanterie me parvient qui demande un tir... Je le porte à mon commandant qui revient avec moi faire savoir au commandant d'infanterie que ce tir est impossible. ...Et en reconduisant le commandant dans la maison qui lui sert de P.C., un obus éclate à deux pas de nous. Je suis projeté par terre aux pieds de mon commandant. - Eh bien, Knoblauch, qu'y a-t-il ? me demande-t-il. Les officiers sortent et me voient par terre et j'entends: - Ah, c'est Knoblauch. - Mon commandant, je suis touché. - Mais non, mais non. Cependant, ma main droite est crispée et violette. Je ne souffre pas et je me relève. Un flot de sang s'échappe de ma manche. J'ai la rage au coeur... Ca y est, c'est fini pour moi. Je me dirige vers l'immeuble d'en face qui a été transformé en ambulance (maison de Madame de Laforest). Je retrouve là Pol, un infirmier du 26ème et les deux jeunes filles. Je retire moi-même mes vêtements et, dès que mon bras est nu, le sang fuse avec force. Pol me met une ficelle en guise de garrot pour arrêter l'hémorragie. La jeune fille blonde, l'ange, me fait un pansement et m'installe dans un bon fauteuil. Il y a dans cette salle le Lieutenant de Chasseurs Coulon assez grièvement blessé au bras et à la figure, un homme qui se meurt et le Lieutenant Métais blessé au poignet. La chambre est sombre, les volets sont fermés pour protéger des éclats. Le sang que j'ai perdu, le bruit de la lutte qui se poursuit à 20 mètres, la vision que j'ai de notre défaite font que j'ai un instant de défaillance. Je revois ma vie et ce que j'aime... Je souffre plus de tout mon être que de ma blessure. J'ai tant d'amour au coeur... Et le vieux prêtre passe, me donne l'absolution et le calme revient en moi... Je m'endors. Je suis réveillé par la jeune fille qui m'apporte à manger, ce que je fais de bon coeur. Cependant les bruits de la bataille se rapprochent, des maisons qui s'écroulent, des cris de toutes sortes. J'entends les cris des officiers français et allemands. -... Cessez le feu, ne tirez plus ! Allons, ne tirez plus ! - Qu'est-ce que c'est ? Quoi, c'est fini ? Non, c'est impossible... Et le clairon se met à sonner, lugubre, le couvre-feu. - Ouvrez les fenêtres, allons, ne tirez plus. Il y a encore quelques balles qui partent, de ci, de là. Les fenêtres s'ouvrent; une odeur de poudre, de feu et d'un tabac inconnu vous prend à la gorge. Des bruits de pas également inconnus et le ronronnement des autos blindées... Je sors de l'ambulance; le soir vient; une pluie fine tombe, des maisons flambent, d'autres sont en ruines. Des morts, des blessés, plein les rues. Un va et vient d'uniformes noirs, d'autres gris-verts. Il me semble que mes yeux me sortent de la tête. Les Allemands nous félicitent de notre courage. Oui, certes, nous nous sommes bien battus et nous nous sommes rendus après que toutes les munitions aient été utilisées. Les Allemands nous rendent les honneurs de la guerre. Ce qui reste d'hommes valides défile en armes devant les officiers allemands. Puis, ils déposent les armes. Nos coeurs se serrent, les yeux se remplissent de larmes. Mais, ce n'est pas tout; un chagrin sincère et profond m'attend encore. J'entends le Capitaine Satre dire : - Ah, voilà Knoblauch, mon Commandant... Knoblauch ! Le commandant vous demande. Et je vois mon commandant, mon chef, couché par terre sur une couverture, sa jambe nue en sang. Il a le visage blême, le masque de la souffrance, et je me penche sur lui : - Knoblauch, me dit-il, vous êtes un dur ; prompte guérison ! Serrez-moi la main !. Sa main est déjà froide ; l'émotion me prend à la gorge et je balbutie : - Mon commandant, vous êtes un chef avec lequel on irait n'importe où. Peu d'instants après, placé sur un brancard, il est hissé sur une voiture allemande. Mon camarade, le Maréchal des Logis Poiret est grièvement blessé à la face; on le place dans la même voiture. Le Capitaine Satre les accompagne... sans doute vers leur dernière demeure. Un Allemand, officier ou soldat, je ne sais, me demande si je peux partir à pied. Je réponds affirmativement. Oui, marcher... marcher... Respirer l'air du soir... voir la nature... Regretter de n'avoir pas repris mon fusil après ma blessure...