PIVOT Jules
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047
VOUS
AVEZ DIT RÉSISTANCE ?
Dans la
police des Alpes-Maritimes
L'Épuration
GUERRE
1939 - 1945
NICE
- Octobre 1987
Analyse
du témoignage
Écriture : 1985 - 42 pages
INTRODUCTION DU TÉMOIN
Cantonnée en sa galaxie par
le big-bang, notre planète s'est façonnée au
rythme des glaciations. De l'oréopithèque des
montagnes à nos jours, soixante-dix milliards
d'êtres humains y ont déambulé pour aboutir, en
douze - mille siècles, à nos brillants Énarques
aux carrières politiciennes dont le souvenir
s'effacera dans la nuit des temps Devant la
pérennité de la modeste ammonite une vie est
infime en l'immensité de l'Univers mais hors de
prix pour son détenteur, en particulier chez les
Gens de Lettres, friands d'autobiographie : moyen
incomparable de dire la vérité sur les autres.
Faute d'imagination et par vice, je vais essayer
d'en user.Confined in its galaxy by the Big Bang
our planet was formed during the various ice ages,
from the oreopitheque of the mountains to our
present time, some seventy billions human beings
trod on it, to end up some twelve thousands
centuries later with our brilliant ENA students
and their political careers the memories of which
will fade away with time. In front of the
perennity of the small ammonite a life is
insignificant in the immensity of the universe but
priceless to its holder, more particularly for the
literary people, who love biographies : an
incomparable means to tell the truth to other
people. As I lack imagination and out of sheer
vice, I will try to make use of it.
POSTFACE de Michel EL BAZE
Ce témoignage est édifiant
et apporte une note insolite à l'idée que l'on se
fait de la Résistance. On y apprend l'action
secrète et soutenue des fonctionnaires de Police
dans le Réseau Ajax, fondé par Achille Péretti et
le courage des Tribunaux Militaires dans la Zone
Libre, qui n'hésitèrent pas à juger sévèrement les
collaborateurs de l'Occupant, pourchassés sous le
contrôle de Vichy... Aussi, et surtout, on y voit
les actions lamentables, perpétrées au nom de la
Résistance, essentiellement par les derniers
engagés, par les "héros" de la dernière heure qui
s'acharnèrent, la Libération venue sur des
milliers de Français. Règlements de comptes,
quelquefois véritables "Dragonnades de
l'Épuration" non toujours justifiées par la Loi du
Talion. Nous n'avons pas eu le courage de Jules
Pivot et avons du expurger les noms cités, le
lecteur comprendra notre mansuétude, que le Témoin
nous pardonne. This testimony is edifying and brings a
strange note to the idea that one usually has
about the Resistance movement. We learn there
about the secret but sustained action of the
police officers in the AJAX network founded by
Achille Peretti and the courage of the military
tribunals in the free zone, which did not hesitate
to judge severely those collaborating with the
occupying forces, chased under the control of
Vichy... On top of that and first of all we see
the despicable actions carried out in the name of
the Resistance, mainly by the latest recruits, by
the Last hour heroes which vented their anger at
the time of the liberation on thousands of French
people. Settling of accounts, sometimes turning
into real purifying expeditions not always
justified by the law of retaliation. We have not
had the courage of Jules Pivot and we had to clear
out the names mentioned, may the witness forgive
us.
La
mémoire
Mon arbre généalogique, de la hauteur
d'un fraisier, se limite à l'entrée en scène des
deux grands-pères en 1840. Marcel Pivot :
Valdôtain de souche vaudoise, Officier des Chasses
d'Emmanuel II. Grand sabreur de vertu, il échoue
après une halte en 1883 à Nice, en Algérie pour y
fonder, sous le signe de la bigamie, une nouvelle
lignée avec la fille d'un Chef de douar. Giordano Tomaso: Piémontais du Hameau de
la Rivoira, commune de Boves, au pied des Alpes.
Autodidacte aux activités multiples, écrivain
public, tailleur, barbier et intendant d'un riche
magnanier local: ce qui l'amène à contacter, à
Turin, des "soyeux" japonais - déjà envahissants -
et à doter les souvenirs familiaux d'une paire
d'éventails de Geishas. Joueur invétéré, il
termine sa vie une nuit de Janvier 1895, en plein
bois, sous la neige, au retour d'une partie de
"scopa". Il ne reste de lui qu'un chalet criblé de
dettes, un Prie-Dieu paroissial dans la travée des
notables et la paire d'éventails. Émigrée à Nice,
sa veuve, dentellière de métier, met un point
d'honneur à régler les créanciers. Pratiquement
inoccupé, le chalet va servir de refuge, sous
l'Occupation, aux maquisards et échappe de
justesse aux incursions incendiaires des S.S. du
Major Joachim Peiper qui, le 19 Septembre 1943,
met à feu et à sang la commune de Boves. Retour de
flammes: Peiper, réfugié dans les Vosges, y périra
carbonisé lors d'un sinistre provoqué, selon
certains, par des Bovesans à la mémoire tenace. Né en 1883 à Nice et confié à des parents
nourriciers, mon père y demeure séparé de sa
famille d'Aoste. Nanti d'un solide certificat
d'études, équivalent sinon supérieur en pratique
orthographique à notre bac, et s'étant acquitté de
trois années de service militaire, il épouse la
fille de la dentellière. Le temps de me concevoir,
il est mobilisé en Août 1914. L'épaule gauche
truffée d'éclats de shrapnell sur la Somme, en
Novembre 1916, il use d'une convalescence de
longue durée pour visiter sa famille, à Aoste.
Interpellé par les Carabiniers et qualifié
d'insoumis italien, il est immédiatement incorporé
dans la Divizione Littorio et dirigé sur le front
de l'Isonzo pour colmater la trouée de Caporetto. La paix venue, penaud, il réintègre
nuitamment son domicile à Nice sous l'uniforme
italien peu prisé alors des Niçois. Ses activités
guerrières, fondues dans la masse, n'éveillent en
lui aucune prétention. Devenu boutiquier en
bonneterie, Rue de la République, il estime
n'avoir pas à solliciter de l'État une redevance
pour les graves séquelles de sa blessure ayant
entraîné la paralysie partielle du bras. Exemple
de civisme contrastant avec les abus de 1945,
lesquels, contrôlés, auraient permis à Merli,
Directeur Régional des Anciens Combattants et à
son Ministre et ami, François Mitterrand, de
substantielles économies en brevets de pensions et
rubans rouges. Ma formation, partie de l'Institution
Saint-Joseph, consolidée par l'école Barla, a
abouti au Lycée Masséna. En cet après-guerre
d'ébullition politique, il n'était pas rare, le
Lundi, de voir notre Professeur d'Histoire, Croix
de Feu et son collègue en anglais, ancien mutin de
la Mer Noire, le visage quadrillé de sparadrap
pendant les heurts de meetings contradictoires. Mes condisciples: - Le futur Général Delfino. Fourvoyé, sur
les instances de De Gaulle, aux Municipales de
Mars 1965 contre la liste Jean Médecin, alors que
sa droiture ne pouvait s'accommoder aux manoeuvres
politiciennes du coin. La veilles des élections,
il devait me confier son amertume d'avoir accédé
aux désirs de l'U.N.R. - Les frères Aristide et Émile Issambre.
Chahuteurs impénitents à l'humour gaulois
réhabilitant la définition scolaire de nos
ancêtres; acteurs politiques du Gabon: l'un à
l'Intérieur, l'autre dans la dissidence. - Le Prince Troubetskoi. Fanatique du
vélo, conjoint éphémère de Barbara Hutton. - Ket Monirath, Prince Royal du Cambodge.
Initié par moi au parler nissard à l'ébahissement
des marchandes de socca lors de nos randonnées
dans le Vieux-Nice. Capitaine en 1939-1940, rentré
au Cambodge, il prend la direction d'expéditions
punitives contre les précurseurs des Khmers
Rouges. Répression peu compatible avec son naturel
spécifique: "Voir couper des têtes.... très peu
pour moi....", tels étaient ses propos lors d'une
rencontre à Nice en 1948. Janvier 1975. Il refuse
d'être évacué de Phnom-Pehn assiégé par vingt
mille Khmers Rouges. Le 17 Avril, la ville est
investie, il est torturé et meurt crucifié...
LA GUERRE
Fiché "communiste" par le Capitaine
Mortier du S.R. au vu d'une ancienne insertion
publicitaire de mon père dans "Le Cri des
Travailleurs" je suis affecté en Août 1939 au Fort
de Monte- Grosso surplombant Sospel, centre de
fixation des trublions en tous genres dont la
promiscuité s'avérera instructive pour ma future
carrière de policier. Sur un effectif de cinq
cents hommes abrités sous une solide chape de
béton, j'hérite - caporal-chef - d'un Poste de
Surveillance "à la Bugeaud", au-dessus de
l'ouvrage avec une patrouille de cinq Savoyards
portés sur le gros rouge. Meublant les loisirs de
la "guerre tranquille", je contribue avec un
Instituteur, Jean SENS, sous le patronage de notre
Commandant, le Capitaine Cuchietti, à la création
d'un Journal "Altitude 1263 - Le Plus Fort Des
Fortifiés". Publication consacrée à l'humour et au
réconfort des P.A.F. cloîtrés dans leurs
termitières. Chargé des bandes dessinées et de la mise
en page, sous la houlette bienveillante de Pierre
Rocher, à l'Imprimerie Commerciale de l'Éclaireur,
je procède à la diffusion bimensuelle du Journal
dans les autres ouvrages du secteur: ce qui
incitera Mario Brun à sortir, au Fort de Saint-
Agnès, un concurrent "Lou souleu mi fa canta".
Avec ses félicitations, le Commissariat à
l'Information souscrit à dix abonnements. Claude Renoir, seul collaborateur de
l'extérieur, nous adresse une fable dramatique,
"La Gamine, le Pou et son Amant" que j'ai plaisir
à rappeler: "Dans les boucles d'une jeunesse, Un
petit pou vivait heureux. Il eût pu mourir de
vieillesse, Mais il était aventureux. Sur le cou
blanc de la gamine, Il osa venir se poser. Lidoire
aperçut la vermine, Et l'écrasa sous un baiser. Jamais, conseille la prudence, Ne vous
mettez en évidence". Le 1er Mai 1940: dernière édition
d'Altitude... 10 Juin: entrée en guerre de l'Italie, à
la grande honte des mânes de mes aïeux piémontais
(d'origine Celte). Du 10 au 20 Juin: pilonnage intensif et
quotidien de notre ouvrage par son antagoniste, le
Fort du Barcone di Marta juché sur le versant
opposé de la Roya. Tapi avec mes Savoyards dans
une tranchée de dernière minute, nous subissons le
tir continu de "149" dont les obus, au ras du sol,
ventilent notre abri pour s'écraser quelques
dizaines de mètres en contrebas. La plupart des
projectiles, de fabrication défectueuse, explosent
mollement sans dispersion d'éclats. Notre tourelle
de "175" jumelée s'avérera plus efficace sur les
colonnes d'Alpinis descendant l'Arpette pour
occuper Breil. La déclivité des pentes du Monte-
Grosso dissuade toute expédition nocturne de
sabotage des tourelles: ce qui simplifie ma
mission et me vaut une Citation.... L'Armistice nous contraint à l'abandon de
nos ouvrages, alors que le front des Alpes n'a pas
cédé un pouce de terrain à l'ennemi. Replié au Muy, en instance de
démobilisation, nous avons la primeur, le 4
Juillet, de la nouvelle orientation politique de
la France par l'annonce officielle de la
"traîtrise" des Anglais à Mers-el-Kébir.
L'OCCUPATION
Délaissant un poste d'enseignant, j'opte
pour la Police d'État à Nice et suis détaché, en
Octobre 1941, auprès de la Commission d'Armistice
Italienne, à l'Hôtel Ermitage, présidée par le
Général Comte Mazzolini, dans le but "officiel" de
veiller sur ses membres, alors que ma mission
relève d'un service d'espionnage monté par le
Commissaire Principal Ruault, futur chef du
Secteur 18 du Réseau "Ajax" créé par son collègue
Achille Péretti qui a rejoint De Gaulle à Londres.
Possédant aisément l'italien et posté en
permanence à l'entrée des bureaux, il m'est donné
d'en contrôler les mouvements et surtout
d'interpeller "préventivement" chaque visiteur sur
son identité et l'objet de sa venue. Renvoyé au
lendemain, selon le cas, sous un prétexte
quelconque, je vais jusqu'à lui conseiller
amicalement, s'il est de passage, un hôtel
convenable: ce qui facilitera l'intervention de
Ruault. Tel fut le sort d'un entrepreneur
bordelais désireux de collaborer, avec plans à
l'appui, à la construction de blockhaus maritimes
plus efficaces. Chaque jour, dès 17 heures, à la
fermeture des bureaux, la gent féminine
s'agglutine aux abords, guettant la sortie des
fringants militaires au sillage parfumé. Outré
d'un tel comportement, je fais embarquer à 17
heures tapantes par le Service des Moeurs, ces
demoiselles pour examen de situation. Mesure sans
effets durables, la séduction transalpine
s'avérant finalement la plus forte… Le Général
Comte Mazzolini acceptera, avec un mi-sourire, ma
version d'une rafle dictée par des mesures
prophylactiques. A vrai dire, francophile sincère,
il n'a jamais été dupe de ma prétendue mission de
protection. Monarchiste hostile à la politique
mussolinienne, il m'avait confié ouvertement, lors
de ma présentation, qu'il aurait préféré loger à
l'Ermitage comme touriste. En Avril
1942. Satisfait de ma mise à l' épreuve,
Ruault me fait affecter d'autorité par Vichy à la
Brigade de Surveillance du Territoire de
Châteauroux, installée, quartier de la Gare, dans
une modeste bâtisse camouflée en annexe
municipale. Son chef, le Commissaire Principal
Bernardht est Alsacien ainsi que la dizaine
d'Inspecteurs sous ses ordres. La brigade dispose
d'un poste émetteur-récepteur de forte puissance.
Replié de Lille, où elle a laissé un souvenir
cuisant à la "Fünfte Kolonne", elle poursuit, sous
le contrôle de Vichy, la chasse en zone libre aux
agents de renseignements au service de l'Abwehr et
du S.D. Ces agents ont pour première mission de
recueillir tout élément militaire ou économique
par notation sur carte "Michelin" des unités
militaires et des usines importantes. Les cartes
postales où figurent des ponts d'intérêt
stratégique sont également fort appréciées. Ces
tests ont pour but, la formation d'espions
qualifiés destinés à des antennes en Afrique du
Nord. Munis d'un viatique de 5000 Frs en billets
de 100 fraîchement émis et d'un Ausweis, ils
passent obligatoirement par Châteauroux lors du
franchissement de la ligne de démarcation à
Moulins. Certains, par prudence, préfèrent jouer
les noctambules au Chabanais ou sur les quais de
la gare. Nous opérons par tandem . Nos
investigations dans les chambres d'hôtel
s'effectuent habituellement dans un style assez
particulier en l'absence du client et à l'insu du
tenancier, à l'aide de passe-partout. Quand au
Chabanais, ses pensionnaires, "au coeur bien
français" - dixit Arletty - nous sont d'un
précieux concours. Tout suspect, résidant à Vichy,
détenteur de cartes "Michlin" annotées et de
coupures de 1000 Frs de même série, parfois encore
en liasses, est amené au service pour
interrogatoire. Dans la plupart des cas, arguant
du caractère anodin de sa mission qu'il ne peut
nier, il passe aux aveux. Entendu par
procès-verbal, il est traduit dans les
vingt-quatre heures devant le Tribunal Militaire
de Périgueux. L'audience sera brève. Un
réquisitoire incisif invoquant les récentes
exécutions d'otages en zone occupée. Une
plaidoirie de cinq minutes, au plus. Sentence: la
mort, avec le traditionnel "présentez armes".
Rares sont les peines de détention. Dans l'heure
qui suit: le peloton d'exécution. Le Tribunal
Militaire est inflexible. J.B., 26 ans, serveur dans un café de la
périphérie parisienne, appâté par l'offre d'un
client, se disant Alsacien, accepte de le
documenter sur la zone libre, contre le versement
immédiat de 50000 Frs, apport bienvenu dans son
maigre budget. Son épouse, enceinte de six mois,
l'accompagne jusqu'à Moulins pour y attendre son
retour. Interpellé, J.B. reconnaît les faits sans
difficulté n'ayant eu jusque là conscience de la
gravité de sa compromission avec l'ennemi. Devant
son réel repentir, je lui laisse entrevoir, au pis
aller, une peine de cinq ans d'emprisonnement,
certainement écourté par la proche défaite des
Allemands. Réconforté, J.B. comparait, le
lendemain, devant le Tribunal Militaire. Son
premier réflexe est de s'assurer de ma présence à
l'audience, en quête d'un encouragement. La
veille, cinq otages ont été exécutés à Paris. La
sentence, soudée au réquisitoire par dessus une
défense de principe, tombe comme un couperet: la
mort. Éperdu, J.B. se tourne vers moi, implorant
mon aide. Impuissant, je n'ose soutenir son
regard. Émotivité qui ne se renouvellera plus
devant les atrocités à l'actif de l'occupant,
incompatibles avec toute forme de collaboration si
minime fut-elle. La gravité des affaires traitées
par la Brigade n'a pas été exempte d'humour...
noir bien entendu. Une soirée de Juillet, avec le jeune
Naudin, notre technicien radio, nous harponnons
sur les quais de la gare un quinquagénaire
ventripotent, garagiste à Vichy, dont l'attitude
gênée et fébrile nous intrigue. Lors de sa
fouille, il est trouvé porteur d'une somme de cinq
cent mille Francs répartis dans une ceinture
"goussets" à même la peau. Durant toute la nuit,
il soutient obstinément avoir prospecté la région
lyonnaise et Limoges en vue d'un placement
immobilier aux destinations multiples et
divergentes. Au matin, vers 9 heures, arrivent nos
collègues aux interpellations bruyantes en
alsacien, surmontées du sonore et habituel "Gott
Verdami…!" du père Chwing, le doyen. Le garagiste,
soudain détendu, me lance un regard complice.
J'entre dans le jeu avec un sourire de connivence.
Et le voilà qu'il s'exclame: "Je me doutais que
c'était une épreuve, mais vous voyez, j'ai tenu le
coup!..." J'alerte discrètement mes camarades pour
qu'ils poursuivent leurs conversations en dialecte
germanique. Certains vont même jusqu'à lui tapoter
amicalement l'épaule avec des "Ach so.!..
Gutt...Sehr Gutt!.." Notre homme est aux anges.
Persuadé d'avoir affaire à un contrôle de la
Gestapo, il relate scrupuleusement sa mission au
Commissaire Principal Bernardht, s'excusant même
de ne connaître que quelques mots d'allemand...
Effectivement, il a été chargé par le S.D. d'achat
de matériel de transport pour l'Armée
d'Occupation. C'est ainsi qu'il a arrêté ferme la
commande d'une dizaine de camions à Lyon et
Limoges en comptant terminer sa prospection à
Châteauroux. Comme ses prédécesseurs, il prendra
la route de Périgueux... Un souvenir réconfortant: celui d'un
jeune Belge de 18 ans, globe-trotter rasant les
murs. Dans son havresac: des cartes géographiques
- dont la "Michelin" cochée de flèches Nord-Sud -
une saharienne et un casque colonial style
"Fachoda" Rassuré sur nos intentions, il nous
confiera, avec le plus bel accent bruxellois, son
projet de rejoindre les Forces Alliées d'Afrique
du Nord, par l'Espagne. Nous lui fournissons
toutes indications utiles sur l'itinéraire à
suivre. Cet itinéraire nous est familier car c'est
celui des pilotes de la Royal Air Force abattus en
zone occupée qui, parvenus à franchir la ligne de
démarcation, échouent à notre Brigade fichée par
Londres: Relais officiel. C'est ainsi qu'un Dimanche après-midi,
seul de permanence, j'ai eu la visite inopinée de
trois gais lurons, moustaches à la "Major
Thompson" revêtus sous des blouses défraîchies de
l'uniforme de la R.A.F. Le soir même, ils étaient
conduits en voiture à Mazamet pour être pris en
charge par le Curé et passés en Espagne. Les activités de la Brigade se sont
toujours déroulées à la connaissance, sinon le
contrôle de René Bousquet, Secrétaire Général de
la Police à Vichy dont nous dépendions. Chaque
affaire traitée valait aux enquêteurs une prime de
mille cinq cents francs. La liaison était assurée
par un certain Bordes, à la fois courrier et
ravitailleur de Vichy en beurre et oeufs collectés
à chacune de ses venues. Il est surprenant que les
médias et historiens, si prolixes depuis quarante
ans sur la Résistance sous toutes ses formes, même
les plus souples comme l'action du Secrétariat
d'Entre- Aide aux Prisonniers dirigés par François
Mitterrand, n'aient pas fait la moindre allusion
au combat mené par notre Brigade de concert avec
le Tribunal Militaire de Périgueux, sous l'égide
de Vichy. Début Octobre
1942: Nervosité des Allemands après leur
échec à Stalingrad. Le 9
Novembre. Alertés par Londres sur leur entrée
imminente en zone libre, nous nous dispersons dans
la nature, munis de faux papiers ou d'ordres de
mission fantaisistes délivrés par le sous-préfet
de Châteauroux. Pour ma part: une simple note
manuscrite m'affectant "à la Police d'Issoudun".
Sages précautions car le S.D. nous avait non
seulement identifiés, mais photographiés au
Restaurant de la Gare, lors de récentes agapes...
Le Commissaire Principal Bernardht, embarqué le 11
Novembre à Marseille, destination Alger où sa
femme avait pris les devants une semaine
auparavant, se réveillera le lendemain matin au
Vieux-Port: son bateau ayant été intercepté par la
Marine Allemande. Vichy et ses environs sont mis
sous surveillance par le Kommando SIPO-SD
(Sicherheits Polizei und der Sicherheitsdienst)
renforcé à la hâte. Désemparé, sans instructions, je
réintègre Nice. Le 23
Décembre 1942. Le Secrétariat Général m'enjoint
télégraphiquement de me présenter au S.R.P.J. de
Clermont-Ferrand où le Commissaire Divisionnaire
Moritz - dévoué à Vichy - me sermonne et m'affecte
à un embryon d'antenne S.T. du Commissaire
Castéran, relégué sous les toits. Un collègue de
la Police Judiciaire nous est adjoint aux quelques
enquêtes de routine qui nous échoient. En fait,
nous sommes sous surveillance permanente, alors
qu'un groupe "anti-terroriste" s'en donne à coeur
joie dans la chasse aux Résistants, à la grande
satisfaction de Moritz qui en répondra devant la
Cour de Justice. 21 Janvier
1943. Branle-bas
de combat. Tous les Services répressifs de la zone
sud - Gendarmerie, G.M.R., Police Nationale - sont
dirigés sur Marseille pour participer à
l'évacuation du Vieux- Port. Sa destruction,
dictée par Hitler sous prétexte de refuge de la
pègre, vise en réalité l'élimination d'un
labyrinthe de ruelles et d'immeubles imbriqués, se
prêtant admirablement à la guérilla en cas
d'insurrection. L'évacuation immédiate a lieu sous
les ordres de la Gendarmerie Française pour
limiter les dégâts, l'uniforme allemand étant mal
venu dans le quartier. Notre assistance consiste
en la fouille "théorique" des habitations.
Perquisitions et rafles se poursuivront à Nîmes,
Montpellier et Perpignan sans désemparer et sous
la haute direction de Darnand: promu au Maintien
de l'Ordre. Contrôles simulés dans la plupart des
cas, sauf par certains éléments des Renseignements
Généraux fidèles à tous les régimes au pouvoir.
RÉSEAU Ajax
Le 15 Avril, j'obtiens mon affectation à la 18ème
Brigade Mobile de Nice, Commissaire Principal
Stigny, villa "Mari", Rue André Theuriet. Sur un
effectif de trente-cinq fonctionnaires, cinq -
patron en tête - appartiennent au Réseau Ajax,
organisation policière implantée sur l'ensemble du
territoire à laquelle j'adhère en qualité d'Agent
P I. La Centrale marseillaise, qui nous coiffe au
Siège de la Police Mobile, Boulevard d'Athènes,
comprend trois branches: AJA Mobile, AJA 2 et AJA
3. Nice, secteur 18, relais d'AJA Mobile, couvre
les Alpes- Maritimes et les Basses- Alpes. Dès mon arrivée, je suis testé: -
Politiquement par l'Inspecteur Nottari des
Renseignements Généraux auquel je tais mes
opinions. Ce fonctionnaire aura d'ailleurs
quelques ennuis à la Libération; - Sur le plan
professionnel, par une enquête sur des vols
répétés de colis de la Croix-Rouge, à Sistéron.
Sous un signe zodiacal bénéfique, j'obtiens les
aveux du Chef de Gare, avec saisie en son domicile
d'un amoncellement de colis. A ce propos, il est navrant de constater
que les cheminots, admirables dans la bataille du
rail, n'ont pas toujours fait preuve de conscience
collective durant la longue période de
restrictions où le pillage des colis de
ravitaillement a été systématique. De mes maigres
envois familiaux de Châteauroux et
Clermont-Ferrand à Nice où la disette était
particulièrement ressentie, aucun n'est arrivé
intact; tous étaient délestés aux trois-quarts du
contenu. Ce manque de civisme pourrait être
également imputé à nos braves paysans de France
qui se sont promptement initiés au marché noir. Mais revenons à Sistéron! Le premier acte
répressif de Vichy avait été de créer un centre
d'internement des truands et homosexuels notoires
où les caïds, du gabarit des frères Guérini,
n'avaient pas tardé à faire la loi par des sévices
corporels et sexuels sur leurs jeunes compagnons,
sous l'oeil indifférent des gardes-chiourme
grassement soudoyés et généreux en permissions de
sortie nocturne dans les meilleures auberges de la
ville. Chargé d'enquêter sur ces dérèglements,
j'ai la surprise de retrouver des anciens "durs"
du Monte- Grosso dont le nommé J.Q..., futur chef
de file des agents électoraux de la Municipalité
niçoise et "frère" bien-aimé de la Loge du Grand
Orient. Outre la répression des délits et crimes
de droit commun, nous avons pour mission, en
accord avec le Parquet de Digne, de couvrir les
opérations de maquisards: attentats au plastic,
attaques de perceptions, de mairies et de débits
de tabac. Ces guérillas sont menées séparément par
les F.T.P. qui ont refusé leur participation
effective à toute constitution d'États-majors
Forces Françaises de l'Intérieur. Devant
l'attentisme des M.U.R., ils s'avèrent les seuls
activistes. Ce cloisonnement, imposé par leurs
recruteurs à des fins politiques, n'implique pas
chez plusieurs d'entre eux leur adhésion au P.C. La montée du thème gaulliste
s'accentuant, les Services de Sécurité allemands
procèdent à une utilisation massive d'agents
français. Le Scharführer Ernest Norma, alias
Delage, de la Gestapo de Marseille, parvient ainsi
à enrôler l'Inspecteur de Police Mobile Défa et,
sur ses indications, à ficher les membres du
Réseau Ajax. Alertés in extremis, douze policiers
du Boulevard d'Athènes prennent la fuite. Imités
quelque temps plus tard par Marcel Cassier et
Joseph Orsini de notre groupe, à la barbe du S.S.
Haupsturmführer Schultz Bureau IV (Gestapo) du
K.D.S. Nice. Seul, notre spécialiste en fausses
cartes d'identité, Bourry, jeune Secrétaire de
l'Intendance de Police, sera arrêté et déporté. Dans les semaines qui suivent le
débarquement du 6 Juin 1944 ,les Allemands,
harcelés, se livrent aux pires exactions. 16 Juillet. Deux
F.T.P. du Plan-du-Var, Torrin et Grassi sont
exécutés par pendaison et exposés en plein centre
de l'Avenue de la Victoire. 16 Août. Acculés
par le débarquement Allié en Provence, les troupes
d'Occupation remontent vers l'Est afin de ne pas
être prises dans la souricière. Le 28 Août au matin. Leurs
derniers éléments abandonnent Nice, ville déserte,
se heurtant néanmoins à quelques accrochages dont
le plus important, au Passage à niveau Gambetta,
coûte la vie à cinq patriotes: un du Groupe
Lorraine et quatre F.T.P. Dans la ville libérée,
comme sous le coup d'une baguette magique, les
"maquis" des quartiers déferlent sur l'Avenue de
la Victoire et la Place Masséna, à bord de
"tractions "bariolées d'inscriptions et de Croix
de Lorraine , hérissées de drapeaux tricolores et
de bras vengeurs, armes de tous calibres au poing.
Leurs parcours répétés rappellent les allées et
venues, sans but défini, des Barcelonais sur les
Ramblas. La diversité des jeunes résistants pose à
la foule le problème insoluble de leur origine:
F.F.I., F.T.P.,?... De son Poste de Commandement - une
pâtisserie Avenue Borriglione - l'Inspecteur
Principal Demange des Renseignements Généraux
distribue des brassards tricolores immatriculés et
estampillés F.F.I. Les Résistants s'organisent. L'État-major
F.F.I. occupe l'Hôtel Atlantic. Tout frais émoulu,
un Commandant s'accapare de la section "carburant"
en signe de continuité puisque, la veille encore,
il se livrait au trafic des pneus avec un Colonel
Italien et un jeune comparse qui, faible des
bronches, bénéficiera ultérieurement d'une
confortable pension de combattant. Les F.T.P. s'installent à l'Hôtel Scribe,
mué en forteresse, où se succèdent les
interrogatoires des collaborateurs, entrecoupés de
une ou deux défenestrations. Des groupes de
Résistants, plus ou moins fantaisistes,
apparaissent en s'épaulant mutuellement par des
attestations fraternelles. Cette éclosion de
patriotes n'est pas particulière à notre région.
Elle s'étend sur l'ensemble du territoire, au
rythme des héros de la prise de la Bastille qui,
six cents environ au soir du 14 Juillet 1789,
étaient plus d'un millier à la fin du mois:
chiffre qui alla d'ailleurs en croissant. Le 26
Avril 1944. Les
Parisiens en foule avaient acclamé le Maréchal:
place de l'Hôtel de Ville. Le 26 Août. Le
Général de Gaulle descend les Champs- Élysées,
ovationné par ce même Paris tandis que notre
nationale "Mistinguett" à bicyclette, coiffée
d'une capeline tricolore, pédale le long du défilé
en criant "Vive De Gaulle!"; les Parisiens,
oublieux de ses compromissions avec le "Gross
Paris" et la Rue Lauriston lui font écho par des
"Vive la Miss !"... Mais, tout le monde - toujours
dixit Arletty - n'a-t-il pas résisté en son for
intérieur ? Les Comités de Libération créés en
l'absence de pouvoirs constitués n'ont aucune
influence sur le problème des F.T.P. Ils sont peu
à peu repris en main par les Commissaires de la
République et les Préfets nommés à l'avance par le
Gouvernement d'Alger qui s'efforcent d'éviter les
excès. Malgré l'institution de Cours de Justice,
il y aura tout de même en France près de quarante
mille exécutions sommaires dont certaines,
soulignons-le, sont amplement justifiées par la
loi du talion. La Cour de Justice des Alpes- Maritimes
est présidée par mon condisciple Jean Lippmann :
huissier à Nice. Je lui fournis l'un de ses
premiers clients: César Fiorucci, chauffeur de la
Gestapo lors de la pendaison de Torrin et Grassi.
Condamné à mort, Fiorucci est fusillé au Jardin
Albert 1er, face à la mer. Seront déférés par la
suite, pour relations avec l'ennemi, les membres
des "Gruppi d'Azione Nizzarda" que j'ai identifiés
par la saisie de leur fichier d'adhésion aux
Archives du Comité de Libération italien. A vrai
dire, hors de ces fascistes notoires, bon nombre
de ressortissants italiens ont fréquenté leur
Consulat, devenu "Casa Degli Italiani" pour
bénéficier de certains avantages, notamment la
distribution mensuelle de rations de tabac. A un degré inférieur, l'Intendance de
Police devient le siège d'un Tribunal d'Épuration
Professionnelle constitué en majeure partie de
policiers en tenue, pour plus d'exactitude en
"battle dress" avec pistolets apparents. Les
débats sont houleux, style "9 thermidor". Non sans
peine, je parviens à leur soustraire notre
camarade l'Inspecteur Principal Fratoni, ancien de
la Brigade du Tigre auquel on ne peut reprocher
aucun acte de collaboration, si ce n'est sa
neutralité de vieux fonctionnaire. Fratoni me
recommande particulièrement de veiller sur les
débordements possibles de son neveu Dominique,
jeune Résistant. La presse issue de la Résistance se met
en place en éliminant "Le Petit Niçois" et
"L'Éclaireur de Nice" jugés trop à droite, donc
collaborateurs. "Le Patriote" (Front National),
"L'Espoir" (Socialiste), "L'Aurore" (Parti
Communiste Français) et "Combat" se saisissent de
l'information niçoise pour s'effacer finalement
devant "Nice-Matin" à l'issue d'une "O.P.A." menée
de main de maître par Monsieur Michel Bavastro.
Jean Médecin est destitué par l'Occupant, puis
déporté à Belfort. La Mairie échoit aux
Municipales de 1945 à l'épicurien et talentueux
avocat Jacques Cotta jusqu'à la réélection de
Médecin en Octobre 1947.
LES DRAGONNADES DE L'ÉPURATION
Nommé Commissaire de Police, je me suis
particulièrement attaché à déceler les règlements
de comptes exécutés dans l'ère de l'épuration;
sujets réversibles peu attrayants pour les
magistrats et mes collègues. La Résistance dans les Alpes-Maritimes a
été surtout ternie par les exactions commises en
son nom à Cagnes-sur-Mer placé, la Libération
venue, sous le régime de la terreur. Deux groupes,
politiquement opposés, y ont tenu le haut du pavé
avec toute la gamme des exécutions sommaires,
tortures et extorsions de fonds. Viols, attentats,
pillages se succèdent. La population cagnoise,
apeurée, se tait. Ces excès ne seront divulgués
qu'en 1947 lors de l'enquête déclenchée par
l'affaire De Pressale qui m'a valu maintes
pressions politiques et menaces de mort. GROUPE
Ginette (R.P.F.) Félix Petitjean, mercier à Cagnes,
apparaît à la Libération, sous le nom de
"Lieutenant Ginette", comme un des personnages les
plus actifs, créateur d'un réseau (jamais
homologué). Dès lors, il s'abouche avec Mr Pierre
Sauvaigo, du Barreau de Nice, résistant de
dernière minute, n'ayant rejoint le maquis de
Gréollières que le 24 Juillet 1944, au départ des
Allemands, et affublé depuis du grade de
Lieutenant, sous l'appellation d'Alex. Leur
première action patriotique sera d'abattre - "pour
se faire la main" - un vieux de la Volksturm
ramené de Gréollières. Excipant d'une prétendue
Résistance, ils rameutent une quinzaine de jeunes
gens, installant leur poste de commandement à
l'Hôtel Savournin, à Cagnes, puis prennent
possession du Château des Grimaldi où seront
emprisonnés et torturés un nombre incalculable de
personnes. Petitjean, Sauvaigo et leurs acolytes
opèrent sans gêne. Leur palmarès est hallucinant. En voici
quelques traits: - Fin Septembre 1944, Arlette Arnac,
fille du romancier Marcel Arnac, enlevée de son
domicile à Nice, séquestrée au Château, violée,
torturée, est abattue sur la route de Vence; son
corps mutilé et déchiqueté à la dynamite, sera
néanmoins identifié. - Marcelle Tirel, de ST Laurent- du-Var,
également incarcérée subit des tortures raffinées:
ventre et cuisses labourées à la fourchette,
simulacre d'écrasement sous un vieux pressoir à
huile, cible vivante adossée à un mur et, pour
finir, assommée à coups de crosse. A sa
libération, fin octobre, la villa de ses parents
est plastiquée en signe de dissuasion pour un
dépôt éventuel de plainte. - Marcelle Delbos, née Quilici, arrêtée à
Vence, battue à mort sur la place publique de
Cagnes, est amenée d'abord à l'Hôtel Savournin où,
dépouillée de ses vêtements, elle endure la pose
sur le dos de "moules" à pâtisserie en aluminium
chauffés à vif. Ce rite accompli, on l'écroue au
Château. Après un simulacre de fusillade, elle est
abandonnée sans soins dans un cul-de-basse-fosse,
arrosée de temps en temps par ses tortionnaires
avec une lance. Neuf mois plus tard, libérée, Mme
Delbos dénonce par écrit au Général de Gaulle ce
qu'elle a subi. Aucune suite n'est donnée à
l'affaire, le rideau protecteur des responsables
du R.P.F. de Cagnes - Sauvaigo en tête - s'avérant
des plus efficaces. - Disparition de Mr Chevallot, du Barreau
de Nice, convoqué le 27 Septembre 1944 par
Sauvaigo et dont on n'a plus eu de nouvelles. - Pillages: entre autres celui attribué à
Petitjean, de la villa d'une septuagénaire, Mme
Castella, d'un montant de plus de deux millions. - Réquisitions abusives de véhicules,
écoulés en région parisienne; ce qui vaut à
Sauvaigo, d'être inculpé, courant février 1945,
d'escroqueries et de réquisition indue sur
plaintes de Mme Faurepenin et Mr René Cousin, au
parquet de Grasse. Une mention particulière pour l'affaire
de Présale, à l'origine des vicissitudes subies
par le Groupe Ginette et ses concurrents du P.C.F.
Mr Le Roy de Présale, fondateur et directeur du
poste Radio Méditerranée en association avec Max
Brusset, Député R.P.F. des Charentes-Maritimes, va
être, à la Libération, le héros involontaire de
deux sombres aventures mettant en péril sa vie. Le 13 Octobre 1944, vers 20 heures, un
couple de prétendus officiers de la Sécurité
Militaire se présentent à sa villa "Maria-Salva",
à Juan les Pins, et l'invitent à les accompagner
pour témoigner dans une affaire importante. Bien
que méfiant mais vu le caractère particulier de
l'époque, Mr de Présale accepte de les suivre dans
un coach Peugeot 402 qui file en direction de
Grasse. A hauteur du cimetière de la Croix-Rouge,
en pleine nature, sous prétexte d'une panne, il
est prié de descendre et abattu de deux balles
dans la tête; l'une pénétrée profondément dans la
nuque ressort par le cou. Faisant preuve d'un
extraordinaire sang-froid, Mr de Présale à terre,
fait le mort; tandis que ses agresseurs, leur
mission accomplie, démarrent en hâte. Assuré de
leur départ, quoique grièvement atteint, Mr de
Présale trouve le courage de faire à pied les sept
kilomètres pour rejoindre son domicile.
Prudemment, il laisse croire à sa mort et
disparaît de la Région pour n'y revenir qu'en 1946
et déposer plainte sur plainte, sans résultat.
Devant une telle constance, ses agresseurs
récidivent. Dans la soirée du 7 Mars 1947, ils
criblent la villa "Maria-Salva" de rafales de
mitraillette. Seule, Mme de Présale est légèrement
blessée par ricochet. Non intimidé, son époux ne
se décourage pas et obtient que l'affaire me soit
confiée. Mes investigations aboutissent à
l'identification des deux exécuteurs du coach
Peugeot: Félix Petitjean et Henri Ubbizone - promu
depuis capitaine à la base aéronavale de Rochefort
- formellement reconnus par leur victime et son
épouse. La seconde expédition de 1947 leur est
également imputée, avec l'assistance d'un
industriel de la plaine d'Antibes, L...,
aujourd'hui décédé. Il ressortira, en outre, que
les parents d'Ubbizone étaient gardiens, à
l'époque du meurtre d'Arlette Arnac, d'une
propriété "Le Malbosquet" à Vence où le corps
mutilé avait été abandonné. L'ère de l'épuration révolue, Petitjean
et Sauvaigo se rabattent sur d'autres activités
délictueuses. En 1950, ils créent le "Société
Méditerranéenne d'Affrètement" avec le concours
actif de Georges Foata, alias Capitaine Morgan,
Camille Rayon d'Antibes, et Jean Audibert;
résistants authentiques, tous membres influents du
R.P.F. Y figure subsidiairement Mme Vve Sauvaigo
mère. Cette société destinée officiellement à la
location d'embarcations de plaisance, cache en
réalité un commerce moins avouable: le trafic sur
une grande échelle de cigarettes américaines avec
un cargo de fort tonnage, le "Claire-Joelle".
Claude Renoir, petit-fils d'Auguste Renoir,
sponsor occasionnel, y perdra plusieurs millions
sous prétexte d'une prétendue saisie de la
cargaison. Il se refuse toutefois à donner une
suite à l'affaire par crainte de représailles.
L'association se désagrège un an plus tard lorsque
son gérant Petitjean, dépositaire de la
trésorerie, s'enfuit à Douala avec la caisse
évaluée à 30.000.000 de Francs. Et nous voici au meurtre de Christiane
Petitjean: Début août 1952, un bulldozer met à
jour, en bordure de la route, à une vingtaine de
kilomètres de Douala, un sac contenant des débris
humains d'une femme blanche coupée en morceaux.
Ces restes, dont le crâne, ont été littéralement
nettoyés pas les fourmis. Or, c'est précisément à
Douala que Félix Petitjean s'est réfugié avec sa
femme et a monté une affaire d'import-export.
Depuis Mme Petitjean a disparu. Le juge Marty,
magistrat instructeur de Douala, envisageant une
corrélation possible entre cette disparition et la
macabre découverte, s'adresse au Parquet de Nice
pour que je poursuive l'enquête sur commission
rogatoire. Revenu en France entre-temps et détenu
à Grasse pour le meurtre d'Arlette Arnac,
Petitjean soutient que sa femme a délibérément
abandonné le domicile conjugal en emportant une
somme importante. Le témoignage capital de Mme
Roqueplot très liée avec la disparue, confirme que
celle-ci, victime de mauvais traitements de son
mari, était terrorisée à la seule pensée de
partager les lourds secrets d'exactions dont elle
avait été le témoin ou la confidente. En liaison
directe avec Mr Marty, j'obtiens l'envoi pas colis
postal du crâne de l'inconnue aux fins de le
soumettre à un examen de la prothèse dentaire. Son
identification est formelle grâce à la fiche de
Christiane Petitjean, saisie préventivement chez
le dentiste Niçois Stoléa, intime de Ginette. Les
restes macabres de Douala sont bien ceux de son
épouse et sa culpabilité ne fait aucun doute. GROUPE
JEAN ROSSI (P.C.F.) Bien que ne bénéficiant pas comme ses
concurrents du R.P.F. de protections aussi
efficaces, ce groupe a pris impunément une part
active aux délits et crimes perpétrés dans le pays
Cagnois. Je n'en extrairai que l'ignominieuse
exécution des époux Chastagner. Jean Rossi, ex-Secrétaire du P.C. local,
Conseiller Municipal U.R.R. et épicier de son état
à Câgnes-sur-Mer, s'avère, à la Libération,
l'ennemi acharné des Chastagner, ses anciens
voisins, réclamant leur arrestation, la
réquisition de leur voiture ou des expéditions
punitives. Le Président du C.D.L., Burger,
Commandant d'armes F.T.P. refuse de se prêter à
ces actes de vengeance injustifiés. En effet,
Adrien Chastagner, Officier de la Légion
d'Honneur, grand mutilé de 1914-18, amputé des
deux jambes, ancien répartiteur de poissons, fort
apprécié de la population, ne s'est jamais signalé
comme collaborateur. Dans la nuit du 23 Octobre 1944, en
l'absence du Commandant Burger, les époux
Chastagner sont enlevés après mise à sac de leur
domicile. Les économies du ménage, poste de radio,
machine à écrire, piano, voiture, une 7 CV
spécialement équipée pour infirme……tout disparaît.
L'opération, bien que nocturne, n'a pu passer
inaperçue du voisinage. Il faudra attendre la
percée de l'affaire de Présale pour que les
langues se délient. Le temps de la grande peur est
passé. Deux meurtres imputés à Rossi sont évoqués:
la pendaison simulée d'un tonnelier de la Colle
sur Loup, Tolosano, dans les sous-sols du Château,
et la disparition de Hyacinthe Corvetto,
horticulteur du Vallon des Vaux, victime de
chantages. Sur ces données, je remonte à un ancien
adjoint de Rossi, Antoine Giovanetti. Celui-ci,
entendu à Paris, et encore traumatisé par
l'exécution des époux Chastagner, entre dans la
voie de la confession. Aveux confirmés par
l'ex-Commandant Burger, à Meknès, où il s'est
installé géomètre. L'expédition a bien été
organisée et menée par Jean Rossi. Les Chastagner,
abattus à la mitraillette, ont été enterrés
sommairement sur place au quartier des Fourniers,
à la sortie de Câgnes, en bordure de la route de
la Gaude. Rossi était assisté, outre Giovanetti,
de quatre ou cinq militants du P.C., dont les
nommés Pesci (décédé), Lando Materozzi (parti au
Viet-Nam) et Marcel Santinelli, cultivateur au
Vallon des Vaux. Mais l'affaire ne sera
définitivement élucidée que le 17 Février 1976 par
une communication téléphonique d'un certain Robert
Filippi, habitué du milieu corse, auquel je me
suis intéressé en différentes occasions. Filippi, désormais couvert par la
prescription, me révèle avoir été un coauteur de
la double exécution perpétrée trente-quatre ans
auparavant. A l'époque, enrôlé à dix-sept ans dans
les F.T.P., il a déjà acquis la réputation d'un
"dur" pour avoir abattu un cultivateur de la
plaine du Var, victime d'une expédition punitive
(affaire Calza). Répondant à l'appel de Rossi, il
prend part à l'arrestation des Chastagner désignés
comme d'actifs collaborateurs. Le but initial est
d'exécuter le couple dans la montagne au-delà de
la Gaude mais, à la sortie de Câgnes, une des
voitures utilisées tombe en panne. Madame
Chastagner, saisissant l'occasion, tente de
s'enfuir. Rossi l'abat d'une rafale de
mitraillette. Contraint de changer de plan, le
groupe transporte le cadavre sur le terrain qui
surplombe la route. Là, Filippi, sur ordre du Chef
de l'expédition, abat à son tour Chastagner. Les
deux suppliciés sont jetés dans une fosse
hâtivement creusée. Par la suite, lors de la divulgation de
l'affaire par la presse, Filippi s'enquiert auprès
des responsables du P.C. de Câgnes des véritables
motifs de l'exécution des Chastagner. Il lui est
répondu qu'elle avait été décidée à des fins
politiques pour éliminer des proches consultations
électorales un concurrent dangereux. Procédé
réédité à l'époque en de nombreuses communes de
France.
ÉPILOGUE DES DRAGONNADES
Aucune des victimes citées ne pouvait
être taxée de collaboration. Monsieur de Présale, visé pour sa
position prépondérante à "Radio Méditerranée" -
convoitée par Max Brusset, Paul Weil et l'acteur
René Lefèvre - avait été lavé de toute suspicion
collaborationniste par un non-lieu de la Cour de
Justice. Arlette Arnac, dans la joie de vivre de
ses vingt ans, se souciait fort peu de la
politique. Déféré d'abord au Parquet de Grasse pour
une double tentative de meurtre, libéré sous
caution, puis remis sur la sellette pour un
meurtre, Félix Petitjean a été finalement relaxé.
L'affaire de Douala fut reléguée dans l'oubli. Ginette et ses acolytes n'ont cessé de
bénéficier de l'appui des édiles locaux et de
solides protections politiques d'un impact certain
sur les décisions de justice. Monsieur Philip, premier Juge
d'Instruction de Grasse à avoir pris au sérieux la
plainte de de Présale, a été exilé dans un trou
perdu des Causses à Marvejols. Georges Bidault, Ministre des Affaires
Étrangères et Président du Comité d'Action de la
Résistance lié à Petitjean, organisateur de ses
promenades en mer à ses fréquentes venues à
Câgnes, l'a soutenu sans réserve avec nombre de
parlementaires R.P.F., M.R.P. et Indépendants.
Leur intervention s'avérera surtout efficace, le
23 Février 1953, à la Tribune du Palais Bourbon
lors de la discussion du Projet de Loi d'Amnistie
où seront évoquées les affaires Petitjean et Rossi
en pure perte.... Ainsi, la Libération venue, le simple
port d'un brassard, l'obtention d'une attestation
de complaisance ou une activité quelconque dans la
Résistance, à tous les niveaux, suffira à
soustraire à la justice des délits et crimes de
droit commun, tels que ceux des bandes Ginette et
Rossi. En la circonstance les Câgnois, la
"terreur" passée, ont fait preuve d'une passivité
comparable à celle des usagers du métro parisien:
spectateurs de viols d'adolescentes. Mieux encore,
ils ont accordé leurs suffrages à Pierre Sauvaigo,
Maire et Député inamovible qualifié, lors de son
éloge posthume par le Dr. Pons, du R.P.R.,
"d'homme pur". Éloge repris et intensifié, en 1988, par
Charles Pasqua, alors Ministre de l'Intérieur,
lors de l'inauguration du nouveau Parc des Sports
d'Andon, baptisé "Pierre Sauvaigo", résistant de
la première heure, décédé en 1983... En présence
de son épouse qui lui a succédé dans ses fonctions
de Maire, M. Pasqua a rappelé les mérites de celui
qui fut "un homme d'honneur, de volonté et
d'optimisme", et qui était l'un de ses plus chers
amis... (Nice-Matin) - Nous sommes loin du passé
où la presse intitulait en gros caractères: "Une
lourde peur plane à Câgnes-S/Mer depuis que la
police a rouvert le dossier des crimes impunis de
1944"... Alors que mon action judiciaire m'a valu
sur la chaussée de la Route Nationale 85, de
Câgnes à Grasse, de multiples slogans "Commissaire
Pivot - S.S. - Gestapiste - Assassin...." et dans
une certaine presse des commentaires
équivalents....
INCROYABLE MAIS VRAI...
L'engouement des Français pour la
Résistance, après la Libération, a été tel que des
personnages ubuesques ont pu, non seulement créer
des réseaux imaginaires, mais obtenir leur
homologation. Je crois que notre Région a atteint
le summum de la crédulité avec le Sieur Nicolas
d'Anjou, se prétendant: Prince d'Anjou et de
Mores, Comte d'Albe, Comte de Gravina, Seigneur de
l'Honneur du Mont Saint- Ange, Baron et Pair de
France de la descendance des "Odrowacz-
Dourassow". A sa naissance à Nice, le 12 Mars 1917,
son père, Officier Russe séjournant sur la Côte,
aurait été contraint de rejoindre Kiev et à le
déclarer dans cette ville, le 2 Avril suivant -
par décalage du calendrier grégorien - pour
normaliser ses titres de noblesse. Bref, Nicolas
d'Anjou se dit, ni plus ou moins, descendant du
Roi Saint- Louis dont une gravure ancienne,
exposée ostensiblement en son bureau, reflète sa
réelle ressemblance avec Louis IX. Considéré comme
apatride réfugié, il est classé en 1939 "Service
Auxiliaire", puis réformé. Le 13 Juillet 1942, il est condamné par
le Tribunal Correctionnel de Nice à un mois de
prison pour fausse déclaration en vue de la
délivrance d'une carte d'identité de Français et
infraction à la loi sur les étrangers. Sur
opposition à ce jugement, la Cour d'Appel statue
que l'appelant a rapporté la preuve de sa
naissance à Nice- de feu Nicolas d'Anjou et de
Berthe Buisson - sans l'autoriser toutefois à se
prévaloir d'aucun titre. Faisant preuve dès lors
d'une soudaine éclosion il adresse, le 1er Janvier
1943 au Garde des Sceaux, une longue lettre
destinée à être rendue publique dans laquelle,
après avoir rappelé que des Français, abusés par
la propagande étrangère, se sont mis sous un
drapeau qui n'est pas le leur, il fait l'apologie
de régime Vichyssois. En plus de nombreuses
interviews à "Signal" et au "Pariser Zeitung", il
fait une nouvelle déclaration à "La Gerbe",
rappelant que la fidélité au Maréchal est une
règle impérieuse: Article largement commenté par
André Castélot et A. de Châteaubriand. Il est
fiché par les Renseignements Généraux de Nice
comme membre du P.P.F. en relations suivies avec
le Général Andrioli de la Commission Italienne
d'Armistice et en contact avec les Autorités
Allemandes. A la Libération d'Anjou fait l'objet,
en Novembre 1944, d'une procédure d'épuration pour
propagande active en faveur de la Milice durant un
stage d'enseignement au Secrétariat de la Jeunesse
et pour dénonciation d'Israélites. Dans
l'ignorance de son véritable comportement, il
n'est qu'astreint à une mesure administrative
d'éloignement et autorisé à retourner à Nice, le
10 Août 1945. A partir de cette époque, il ne
cesse d'attribuer pour obtenir des attestations
lui conférant le titre de "Résistant". C'est ainsi
qu'il entre en rapport avec le "Lieutenant
Cyclamen", se disant Chef des Services de la
Commission des Enquêtes et Renseignements F.F.I.,
qui lui délivre une attestation certifiant que
"Monsieur d'Anjou a été détaché à la Direction
d'un Service de Renseignements de la Résistance
(F.F.I.) et que ses actes, entre 1940 et 1944,
doivent être considérés comme étant couverts par
le Service Secret des F.F.I.". Il parvient
finalement à glaner de nombreuses citations pour
lui et pour le "Groupe Louis" qu'il soutient avec
un imperturbable aplomb, après l'avoir créé à la
fin Juin 1940. Ces citations émanent
particulièrement d'un Commandant André Vérot, Chef
de l'Organisation "Lord Denys" et d'un autre
Commandant F. Mazingue, Chef de l'Organisation
"Coq et or" et des "Arients de Clamart".... Admis
au Comité d'Honneur des Chevaliers de la Croix de
Lorraine et Compagnons de la Résistance, il
obtient la Médaille de la Résistance avec la
citation suivante: "Nicolas d'Anjou, membre de la Fédération
Nationale des Combattants Volontaires, a rendu
d'éminents services aux F.F.I. accomplissant avec
succès des missions très périlleuses. A fait
preuve d'héroïsme, apportant une aide magnifique à
la cause de la Libération. Au lendemain de
l'Armistice de 1940, il créa le Groupe Louis et
dirigea un important réseau. Notre camarade est
titulaire de six citations". Consolidé dans sa position de Résistant,
il dépose à la Préfecture des Alpes- Maritimes les
statuts d'une Association dite des Anciens
Francs-Tireurs-Libres de la Résistance, groupant
ses prétendus camarades de combat. Le principal
avantage de cette Association est de faciliter
l'homologation du Groupe Louis, arrêté le 20
Février 1948 par le Secrétaire d'État aux Forces
Armées. Exploitant habilement ses prétendus titres
de noblesse, le Prince d'Anjou, "Résistant", a
fait figure de rédempteur pour les clients
éventuels de l'épuration. La qualification
"d'agent occasionnel du Groupe Louis" permettant
tous les abus, il n'a pas manqué d'en tirer des
profits conséquents, avec force distributions de
diplômes, décorations et insignes façonnés sur ses
indications. Lancé par le nommé Antoine Jean-
Jacques, se disant "Lieutenant Cyclamen", farfadet
de l'Hôtel Atlantique, déféré par mes soins en
Décembre 1946 pour escroquerie, d'Anjou a été
activement secondé par un ressortissant égyptien,
Aref Hussein Chérif, client assidu des Tribunaux
niçois, interdit du département des Alpes-
Maritimes par décision ministérielle du 12 Août
1948, mais continue à y demeurer par voie de
sursis renouvelable. La composition du Bureau de l'Association
des Anciens Francs-Tireurs-Libres de la Résistance
est édifiante. Tous ces membres ont eu maille avec
la justice: maître-chanteur, trafiquant notoire,
fonctionnaire révoqué, voleur.... La première
audition de Nicolas d'Anjou a eu lieu le 8 Mars
1949, à la Maison d'Arrêt de Nice, où il était
détenu pour attentat aux moeurs. L'enquête s'est
poursuivie sur ouverture d'une information pour
escroqueries, fabrication et usage de faux
certificats. Sur ces entrefaites, gros émoi au Cabinet
du Préfet à l'annonce de la proche promotion du
"Prince d'Anjou", à l'Ordre de Chevalier de la
Légion d'Honneur. Délégué pour couper court au
ridicule d'un tel dénouement, je me rends à Paris
où je parviens à exposer directement l'affaire
dans ces moindres détails à l'ex-Lejeune,
Secrétaire d'État aux Forces Armées qui en savoure
tout l'humour... L'authentique Prince de Duras,
consulté, dénie tout lien de parenté avec le Sieur
Anjou- Durassow. Par contre, le Comte de
Nauendorf, aventurier réfugié à Casablanca, se
prétendant "Henri, par la grâce de Dieu, Roi de
France et de Navarre" lui a décerné "le premier
jour du mois d'Avril, l'An de Grâce Mille Neuf
Cent Quarante Cinq et de son Règne de Droit, l'An
Trente et Un...", les lettres de Chevalier Honoris
Causa de l'Ordre Royal de Saint- Michel, avec
armoiries adéquates, par diplôme avec cachet
royal, contresigné par le Chancelier et
Surintendant de l'Ordre.... L'affaire d'Anjou m'a entraîné, à
l'époque, à quelques sondages dans les milieux de
la Résistance où il s'est avéré que certains
groupes non homologués s'étaient introduits
après-coup et que des attestations d'appartenance
F.F.C. avaient été faussement attribuées. Il
m'arrive d'en retrouver quelques bénéficiaires
dans la rubrique des personnalités, assistant aux
manifestations commémoratives. Malgré l'usure du
temps, les Combattants Volontaires de la
Résistance, (ou assimilés) encore nombreux, se
sont fonctionnarisés. Dans l'intervalle, des patriotes
authentiques n'ont pu supporter l'oubli. Tel a été
le cas de Jotté- Latouche, "Émilie", fondatrice du
Groupe "Surcouf", retirée à Vence qui, dans la
nuit du 29 Janvier 1952, s'est prétendue victime
d'un attentat monté de toutes pièces, en vue de
susciter un nouvel intérêt à sa personne, la
presse l'ayant ignorée lors des multiples
péripéties de l'affaire de de Présale où elle
avait apporté son témoignage. Subsidiairement: B... frère de L'égérie
du Front National, tenancier de cabaret aux
activités ambiguës durant l'Occupation, reparaît à
Nice en 1951 en tant qu'attaché du Grand
Chancelier de la Légion d'Honneur, aux fins de
placer trois rubans dont deux seulement trouveront
preneurs, l'un à Monte- Carlo, l'autre auprès d'un
marchand de tissus très connu Avenue de la
Victoire...
C.I.D. CONNECTION
Fin Décembre 1944. Je suis détaché auprès des Services du
C.I.D. - (Criminal Investigations Division) -
installés 51, Rue Pastorelli et disposant des
locaux de la Military Police, Hôtel Métropole.
Sous le commandement du Captain William G. Dillon,
il leur appartient d'enquêter sur tous les délits
ou crimes concernant l'U.S. Army. Les effectifs:
une dizaine d'Agents ayant rang d'Officiers, fort
diligents, mais sans formation policière. La
plupart d'entre eux proviennent de professions
libérales, surtout des Avocats. Des personnalités
y figurent, tel le Cinéaste Darryl Zanuck: ce qui
donne à penser que l'affectation au C.I.D., à
l'arrière de la zone de combat, est du domaine des
privilégiés. Ma collaboration vise la complicité
éventuelle de civils du ressort de nos Tribunaux,
sans exclure la détection de clients pour la Cour
de Justice, cherchant à se camoufler dans les
Services annexes de la bannière étoilée. Hors
l'identification et l'arrestation d'un déserteur
de la Légion Étrangère, meurtrier d'un G.I., nos
activités ont porté sur le trafic, à grande
échelle, de cigarettes et de produits
pharmaceutiques, sortis frauduleusement des
entrepôts militaires de Marseille. La filière des
cigarettes nous a notamment conduit à
perquisitionner en Principauté de Monaco, dans les
lieux tabous de la S.B.M.: ce qui ne s'était
jamais vu. Le vol de caisses de pénicilline, par
un commando de G.I., dans les chambres
frigorifiques de l'U.S. "Campbell", amarré à
Marseille, aboutit en remontant la chaîne des
intermédiaires, à 4 honorables Pharmaciens.
J'allais oublier la Tenancière de la maison de
rendez-vous Régina. Les ampoules, payées au départ
600 Frs l'une, étaient revendues de 6 à 12OOO Frs,
bien qu'éventées pour n'avoir pas été conservées
durant leur transport à la température prescrite. Le 24 Avril: Mission d'information avec l'Agent
Harris dans le Nord de l'Italie, à bord d'une V 8,
sur les routes encombrées par la file montante des
Unités Alliées vers le Brenner et le reflux des
réfugiés, avec des moyens de fortune vers les
régions libérées. Le premier soir à Vérone, sortant du
mess, nous sommes canardés par une poignée
d'irréductibles de la République de Salo, juchés
sur les toits. La visite inopinée et tumultueuse
du Maréchal Tito à Trieste, sanctionnant son
annexion, en interdit l'accès. Le long de notre périple, sur des chemins
secondaires, nous franchissons quelques barrages
symboliques de Partisans Italiens, affublés de
rubans multicolores. Leur ancienneté dans la
Résistance se mesure à la longueur de la chevelure
qu'ils ont fait serment de ne pas couper jusqu'à
la Libération. Au retour, une halte nocturne dans
une villa de la périphérie de Milan, évacuée
précipitamment la veille par des Miliciens
Français, repliés avec la Wehrmacht. Deux de leurs
compagnes, laissées sur place, nous supplient en
vain de les ramener en France. Le lendemain 29 Avril: nous traversons la
ville en pleine effervescence devant les corps de
Mussolini et de Clara Petacci, exécutés sur les
bords du lac de Como et exposés, suspendus par les
pieds, à la populace. Nos voisins Transalpins,
dans leur soudaine rédemption, ont néanmoins
conservé à notre passage la marque de Benito...
Ave César!... Mais, je dois reconnaître que la
dignité des Italiennes du Nord, devant les
nouveaux Occupants, contraste avec la prostitution
quasi-institutionnelle des filles de Naples. Le 28 Juin 1945: le C.I.D. "Riviera
District" - la guerre finie - lève le camp pour
réintégrer les U.S.A. Captain Dillon en tête,
chaque Agent dispose d'une Jeep bâchée au
chargement impressionnant de "souvenirs" collectés
sur le continent. Moralité Les événements vécus de 1940 à ce jour
reflètent la physionomie de la Bourse des Valeurs
Nationales. Le titre de Résistant, non coté à
Montoire, mais fort recherché à la Libération
venue, n'a cessé depuis d'avoir preneur et d'être
opérationnel. Aux deux guerres, il y a eu les
"nouveaux riches". Pourquoi pas à la dernière les
"nouveaux anciens Résistants"!... Post-scriptum: Par bonté d'âme, certains comportements
ont été édulcorés ou passés sous silence,
néanmoins je suis disposé à satisfaire, en aparté,
tout esprit curieux, avec documentation à
l'appui."
Jules Pivot
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