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PIVOT Jules

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047

VOUS AVEZ DIT RÉSISTANCE ?

Dans la police des Alpes-Maritimes

L'Épuration

GUERRE 1939 - 1945

NICE - Octobre 1987

Analyse du témoignage

Écriture : 1985 - 42 pages

INTRODUCTION DU TÉMOIN

Cantonnée en sa galaxie par le big-bang, notre planète s'est façonnée au rythme des glaciations. De l'oréopithèque des montagnes à nos jours, soixante-dix milliards d'êtres humains y ont déambulé pour aboutir, en douze - mille siècles, à nos brillants Énarques aux carrières politiciennes dont le souvenir s'effacera dans la nuit des temps Devant la pérennité de la modeste ammonite une vie est infime en l'immensité de l'Univers mais hors de prix pour son détenteur, en particulier chez les Gens de Lettres, friands d'autobiographie : moyen incomparable de dire la vérité sur les autres. Faute d'imagination et par vice, je vais essayer d'en user.Confined in its galaxy by the Big Bang our planet was formed during the various ice ages, from the oreopitheque of the mountains to our present time, some seventy billions human beings trod on it, to end up some twelve thousands centuries later with our brilliant ENA students and their political careers the memories of which will fade away with time. In front of the perennity of the small ammonite a life is insignificant in the immensity of the universe but priceless to its holder, more particularly for the literary people, who love biographies : an incomparable means to tell the truth to other people. As I lack imagination and out of sheer vice, I will try to make use of it.

POSTFACE de Michel EL BAZE

Ce témoignage est édifiant et apporte une note insolite à l'idée que l'on se fait de la Résistance. On y apprend l'action secrète et soutenue des fonctionnaires de Police dans le Réseau Ajax, fondé par Achille Péretti et le courage des Tribunaux Militaires dans la Zone Libre, qui n'hésitèrent pas à juger sévèrement les collaborateurs de l'Occupant, pourchassés sous le contrôle de Vichy... Aussi, et surtout, on y voit les actions lamentables, perpétrées au nom de la Résistance, essentiellement par les derniers engagés, par les "héros" de la dernière heure qui s'acharnèrent, la Libération venue sur des milliers de Français. Règlements de comptes, quelquefois véritables "Dragonnades de l'Épuration" non toujours justifiées par la Loi du Talion. Nous n'avons pas eu le courage de Jules Pivot et avons du expurger les noms cités, le lecteur comprendra notre mansuétude, que le Témoin nous pardonne. This testimony is edifying and brings a strange note to the idea that one usually has about the Resistance movement. We learn there about the secret but sustained action of the police officers in the AJAX network founded by Achille Peretti and the courage of the military tribunals in the free zone, which did not hesitate to judge severely those collaborating with the occupying forces, chased under the control of Vichy... On top of that and first of all we see the despicable actions carried out in the name of the Resistance, mainly by the latest recruits, by the Last hour heroes which vented their anger at the time of the liberation on thousands of French people. Settling of accounts, sometimes turning into real purifying expeditions not always justified by the law of retaliation. We have not had the courage of Jules Pivot and we had to clear out the names mentioned, may the witness forgive us.

La mémoire

Mon arbre généalogique, de la hauteur d'un fraisier, se limite à l'entrée en scène des deux grands-pères en 1840. Marcel Pivot : Valdôtain de souche vaudoise, Officier des Chasses d'Emmanuel II. Grand sabreur de vertu, il échoue après une halte en 1883 à Nice, en Algérie pour y fonder, sous le signe de la bigamie, une nouvelle lignée avec la fille d'un Chef de douar. Giordano Tomaso: Piémontais du Hameau de la Rivoira, commune de Boves, au pied des Alpes. Autodidacte aux activités multiples, écrivain public, tailleur, barbier et intendant d'un riche magnanier local: ce qui l'amène à contacter, à Turin, des "soyeux" japonais - déjà envahissants - et à doter les souvenirs familiaux d'une paire d'éventails de Geishas. Joueur invétéré, il termine sa vie une nuit de Janvier 1895, en plein bois, sous la neige, au retour d'une partie de "scopa". Il ne reste de lui qu'un chalet criblé de dettes, un Prie-Dieu paroissial dans la travée des notables et la paire d'éventails. Émigrée à Nice, sa veuve, dentellière de métier, met un point d'honneur à régler les créanciers. Pratiquement inoccupé, le chalet va servir de refuge, sous l'Occupation, aux maquisards et échappe de justesse aux incursions incendiaires des S.S. du Major Joachim Peiper qui, le 19 Septembre 1943, met à feu et à sang la commune de Boves. Retour de flammes: Peiper, réfugié dans les Vosges, y périra carbonisé lors d'un sinistre provoqué, selon certains, par des Bovesans à la mémoire tenace. Né en 1883 à Nice et confié à des parents nourriciers, mon père y demeure séparé de sa famille d'Aoste. Nanti d'un solide certificat d'études, équivalent sinon supérieur en pratique orthographique à notre bac, et s'étant acquitté de trois années de service militaire, il épouse la fille de la dentellière. Le temps de me concevoir, il est mobilisé en Août 1914. L'épaule gauche truffée d'éclats de shrapnell sur la Somme, en Novembre 1916, il use d'une convalescence de longue durée pour visiter sa famille, à Aoste. Interpellé par les Carabiniers et qualifié d'insoumis italien, il est immédiatement incorporé dans la Divizione Littorio et dirigé sur le front de l'Isonzo pour colmater la trouée de Caporetto. La paix venue, penaud, il réintègre nuitamment son domicile à Nice sous l'uniforme italien peu prisé alors des Niçois. Ses activités guerrières, fondues dans la masse, n'éveillent en lui aucune prétention. Devenu boutiquier en bonneterie, Rue de la République, il estime n'avoir pas à solliciter de l'État une redevance pour les graves séquelles de sa blessure ayant entraîné la paralysie partielle du bras. Exemple de civisme contrastant avec les abus de 1945, lesquels, contrôlés, auraient permis à Merli, Directeur Régional des Anciens Combattants et à son Ministre et ami, François Mitterrand, de substantielles économies en brevets de pensions et rubans rouges. Ma formation, partie de l'Institution Saint-Joseph, consolidée par l'école Barla, a abouti au Lycée Masséna. En cet après-guerre d'ébullition politique, il n'était pas rare, le Lundi, de voir notre Professeur d'Histoire, Croix de Feu et son collègue en anglais, ancien mutin de la Mer Noire, le visage quadrillé de sparadrap pendant les heurts de meetings contradictoires. Mes condisciples: - Le futur Général Delfino. Fourvoyé, sur les instances de De Gaulle, aux Municipales de Mars 1965 contre la liste Jean Médecin, alors que sa droiture ne pouvait s'accommoder aux manoeuvres politiciennes du coin. La veilles des élections, il devait me confier son amertume d'avoir accédé aux désirs de l'U.N.R. - Les frères Aristide et Émile Issambre. Chahuteurs impénitents à l'humour gaulois réhabilitant la définition scolaire de nos ancêtres; acteurs politiques du Gabon: l'un à l'Intérieur, l'autre dans la dissidence. - Le Prince Troubetskoi. Fanatique du vélo, conjoint éphémère de Barbara Hutton. - Ket Monirath, Prince Royal du Cambodge. Initié par moi au parler nissard à l'ébahissement des marchandes de socca lors de nos randonnées dans le Vieux-Nice. Capitaine en 1939-1940, rentré au Cambodge, il prend la direction d'expéditions punitives contre les précurseurs des Khmers Rouges. Répression peu compatible avec son naturel spécifique: "Voir couper des têtes.... très peu pour moi....", tels étaient ses propos lors d'une rencontre à Nice en 1948. Janvier 1975. Il refuse d'être évacué de Phnom-Pehn assiégé par vingt mille Khmers Rouges. Le 17 Avril, la ville est investie, il est torturé et meurt crucifié...

LA GUERRE

Fiché "communiste" par le Capitaine Mortier du S.R. au vu d'une ancienne insertion publicitaire de mon père dans "Le Cri des Travailleurs" je suis affecté en Août 1939 au Fort de Monte- Grosso surplombant Sospel, centre de fixation des trublions en tous genres dont la promiscuité s'avérera instructive pour ma future carrière de policier. Sur un effectif de cinq cents hommes abrités sous une solide chape de béton, j'hérite - caporal-chef - d'un Poste de Surveillance "à la Bugeaud", au-dessus de l'ouvrage avec une patrouille de cinq Savoyards portés sur le gros rouge. Meublant les loisirs de la "guerre tranquille", je contribue avec un Instituteur, Jean SENS, sous le patronage de notre Commandant, le Capitaine Cuchietti, à la création d'un Journal "Altitude 1263 - Le Plus Fort Des Fortifiés". Publication consacrée à l'humour et au réconfort des P.A.F. cloîtrés dans leurs termitières. Chargé des bandes dessinées et de la mise en page, sous la houlette bienveillante de Pierre Rocher, à l'Imprimerie Commerciale de l'Éclaireur, je procède à la diffusion bimensuelle du Journal dans les autres ouvrages du secteur: ce qui incitera Mario Brun à sortir, au Fort de Saint- Agnès, un concurrent "Lou souleu mi fa canta". Avec ses félicitations, le Commissariat à l'Information souscrit à dix abonnements. Claude Renoir, seul collaborateur de l'extérieur, nous adresse une fable dramatique, "La Gamine, le Pou et son Amant" que j'ai plaisir à rappeler: "Dans les boucles d'une jeunesse, Un petit pou vivait heureux. Il eût pu mourir de vieillesse, Mais il était aventureux. Sur le cou blanc de la gamine, Il osa venir se poser. Lidoire aperçut la vermine, Et l'écrasa sous un baiser. Jamais, conseille la prudence, Ne vous mettez en évidence". Le 1er Mai 1940: dernière édition d'Altitude... 10 Juin: entrée en guerre de l'Italie, à la grande honte des mânes de mes aïeux piémontais (d'origine Celte). Du 10 au 20 Juin: pilonnage intensif et quotidien de notre ouvrage par son antagoniste, le Fort du Barcone di Marta juché sur le versant opposé de la Roya. Tapi avec mes Savoyards dans une tranchée de dernière minute, nous subissons le tir continu de "149" dont les obus, au ras du sol, ventilent notre abri pour s'écraser quelques dizaines de mètres en contrebas. La plupart des projectiles, de fabrication défectueuse, explosent mollement sans dispersion d'éclats. Notre tourelle de "175" jumelée s'avérera plus efficace sur les colonnes d'Alpinis descendant l'Arpette pour occuper Breil. La déclivité des pentes du Monte- Grosso dissuade toute expédition nocturne de sabotage des tourelles: ce qui simplifie ma mission et me vaut une Citation.... L'Armistice nous contraint à l'abandon de nos ouvrages, alors que le front des Alpes n'a pas cédé un pouce de terrain à l'ennemi. Replié au Muy, en instance de démobilisation, nous avons la primeur, le 4 Juillet, de la nouvelle orientation politique de la France par l'annonce officielle de la "traîtrise" des Anglais à Mers-el-Kébir.

L'OCCUPATION

Délaissant un poste d'enseignant, j'opte pour la Police d'État à Nice et suis détaché, en Octobre 1941, auprès de la Commission d'Armistice Italienne, à l'Hôtel Ermitage, présidée par le Général Comte Mazzolini, dans le but "officiel" de veiller sur ses membres, alors que ma mission relève d'un service d'espionnage monté par le Commissaire Principal Ruault, futur chef du Secteur 18 du Réseau "Ajax" créé par son collègue Achille Péretti qui a rejoint De Gaulle à Londres. Possédant aisément l'italien et posté en permanence à l'entrée des bureaux, il m'est donné d'en contrôler les mouvements et surtout d'interpeller "préventivement" chaque visiteur sur son identité et l'objet de sa venue. Renvoyé au lendemain, selon le cas, sous un prétexte quelconque, je vais jusqu'à lui conseiller amicalement, s'il est de passage, un hôtel convenable: ce qui facilitera l'intervention de Ruault. Tel fut le sort d'un entrepreneur bordelais désireux de collaborer, avec plans à l'appui, à la construction de blockhaus maritimes plus efficaces. Chaque jour, dès 17 heures, à la fermeture des bureaux, la gent féminine s'agglutine aux abords, guettant la sortie des fringants militaires au sillage parfumé. Outré d'un tel comportement, je fais embarquer à 17 heures tapantes par le Service des Moeurs, ces demoiselles pour examen de situation. Mesure sans effets durables, la séduction transalpine s'avérant finalement la plus forte… Le Général Comte Mazzolini acceptera, avec un mi-sourire, ma version d'une rafle dictée par des mesures prophylactiques. A vrai dire, francophile sincère, il n'a jamais été dupe de ma prétendue mission de protection. Monarchiste hostile à la politique mussolinienne, il m'avait confié ouvertement, lors de ma présentation, qu'il aurait préféré loger à l'Ermitage comme touriste. En Avril 1942. Satisfait de ma mise à l' épreuve, Ruault me fait affecter d'autorité par Vichy à la Brigade de Surveillance du Territoire de Châteauroux, installée, quartier de la Gare, dans une modeste bâtisse camouflée en annexe municipale. Son chef, le Commissaire Principal Bernardht est Alsacien ainsi que la dizaine d'Inspecteurs sous ses ordres. La brigade dispose d'un poste émetteur-récepteur de forte puissance. Replié de Lille, où elle a laissé un souvenir cuisant à la "Fünfte Kolonne", elle poursuit, sous le contrôle de Vichy, la chasse en zone libre aux agents de renseignements au service de l'Abwehr et du S.D. Ces agents ont pour première mission de recueillir tout élément militaire ou économique par notation sur carte "Michelin" des unités militaires et des usines importantes. Les cartes postales où figurent des ponts d'intérêt stratégique sont également fort appréciées. Ces tests ont pour but, la formation d'espions qualifiés destinés à des antennes en Afrique du Nord. Munis d'un viatique de 5000 Frs en billets de 100 fraîchement émis et d'un Ausweis, ils passent obligatoirement par Châteauroux lors du franchissement de la ligne de démarcation à Moulins. Certains, par prudence, préfèrent jouer les noctambules au Chabanais ou sur les quais de la gare. Nous opérons par tandem . Nos investigations dans les chambres d'hôtel s'effectuent habituellement dans un style assez particulier en l'absence du client et à l'insu du tenancier, à l'aide de passe-partout. Quand au Chabanais, ses pensionnaires, "au coeur bien français" - dixit Arletty - nous sont d'un précieux concours. Tout suspect, résidant à Vichy, détenteur de cartes "Michlin" annotées et de coupures de 1000 Frs de même série, parfois encore en liasses, est amené au service pour interrogatoire. Dans la plupart des cas, arguant du caractère anodin de sa mission qu'il ne peut nier, il passe aux aveux. Entendu par procès-verbal, il est traduit dans les vingt-quatre heures devant le Tribunal Militaire de Périgueux. L'audience sera brève. Un réquisitoire incisif invoquant les récentes exécutions d'otages en zone occupée. Une plaidoirie de cinq minutes, au plus. Sentence: la mort, avec le traditionnel "présentez armes". Rares sont les peines de détention. Dans l'heure qui suit: le peloton d'exécution. Le Tribunal Militaire est inflexible. J.B., 26 ans, serveur dans un café de la périphérie parisienne, appâté par l'offre d'un client, se disant Alsacien, accepte de le documenter sur la zone libre, contre le versement immédiat de 50000 Frs, apport bienvenu dans son maigre budget. Son épouse, enceinte de six mois, l'accompagne jusqu'à Moulins pour y attendre son retour. Interpellé, J.B. reconnaît les faits sans difficulté n'ayant eu jusque là conscience de la gravité de sa compromission avec l'ennemi. Devant son réel repentir, je lui laisse entrevoir, au pis aller, une peine de cinq ans d'emprisonnement, certainement écourté par la proche défaite des Allemands. Réconforté, J.B. comparait, le lendemain, devant le Tribunal Militaire. Son premier réflexe est de s'assurer de ma présence à l'audience, en quête d'un encouragement. La veille, cinq otages ont été exécutés à Paris. La sentence, soudée au réquisitoire par dessus une défense de principe, tombe comme un couperet: la mort. Éperdu, J.B. se tourne vers moi, implorant mon aide. Impuissant, je n'ose soutenir son regard. Émotivité qui ne se renouvellera plus devant les atrocités à l'actif de l'occupant, incompatibles avec toute forme de collaboration si minime fut-elle. La gravité des affaires traitées par la Brigade n'a pas été exempte d'humour... noir bien entendu. Une soirée de Juillet, avec le jeune Naudin, notre technicien radio, nous harponnons sur les quais de la gare un quinquagénaire ventripotent, garagiste à Vichy, dont l'attitude gênée et fébrile nous intrigue. Lors de sa fouille, il est trouvé porteur d'une somme de cinq cent mille Francs répartis dans une ceinture "goussets" à même la peau. Durant toute la nuit, il soutient obstinément avoir prospecté la région lyonnaise et Limoges en vue d'un placement immobilier aux destinations multiples et divergentes. Au matin, vers 9 heures, arrivent nos collègues aux interpellations bruyantes en alsacien, surmontées du sonore et habituel "Gott Verdami…!" du père Chwing, le doyen. Le garagiste, soudain détendu, me lance un regard complice. J'entre dans le jeu avec un sourire de connivence. Et le voilà qu'il s'exclame: "Je me doutais que c'était une épreuve, mais vous voyez, j'ai tenu le coup!..." J'alerte discrètement mes camarades pour qu'ils poursuivent leurs conversations en dialecte germanique. Certains vont même jusqu'à lui tapoter amicalement l'épaule avec des "Ach so.!.. Gutt...Sehr Gutt!.." Notre homme est aux anges. Persuadé d'avoir affaire à un contrôle de la Gestapo, il relate scrupuleusement sa mission au Commissaire Principal Bernardht, s'excusant même de ne connaître que quelques mots d'allemand... Effectivement, il a été chargé par le S.D. d'achat de matériel de transport pour l'Armée d'Occupation. C'est ainsi qu'il a arrêté ferme la commande d'une dizaine de camions à Lyon et Limoges en comptant terminer sa prospection à Châteauroux. Comme ses prédécesseurs, il prendra la route de Périgueux... Un souvenir réconfortant: celui d'un jeune Belge de 18 ans, globe-trotter rasant les murs. Dans son havresac: des cartes géographiques - dont la "Michelin" cochée de flèches Nord-Sud - une saharienne et un casque colonial style "Fachoda" Rassuré sur nos intentions, il nous confiera, avec le plus bel accent bruxellois, son projet de rejoindre les Forces Alliées d'Afrique du Nord, par l'Espagne. Nous lui fournissons toutes indications utiles sur l'itinéraire à suivre. Cet itinéraire nous est familier car c'est celui des pilotes de la Royal Air Force abattus en zone occupée qui, parvenus à franchir la ligne de démarcation, échouent à notre Brigade fichée par Londres: Relais officiel. C'est ainsi qu'un Dimanche après-midi, seul de permanence, j'ai eu la visite inopinée de trois gais lurons, moustaches à la "Major Thompson" revêtus sous des blouses défraîchies de l'uniforme de la R.A.F. Le soir même, ils étaient conduits en voiture à Mazamet pour être pris en charge par le Curé et passés en Espagne. Les activités de la Brigade se sont toujours déroulées à la connaissance, sinon le contrôle de René Bousquet, Secrétaire Général de la Police à Vichy dont nous dépendions. Chaque affaire traitée valait aux enquêteurs une prime de mille cinq cents francs. La liaison était assurée par un certain Bordes, à la fois courrier et ravitailleur de Vichy en beurre et oeufs collectés à chacune de ses venues. Il est surprenant que les médias et historiens, si prolixes depuis quarante ans sur la Résistance sous toutes ses formes, même les plus souples comme l'action du Secrétariat d'Entre- Aide aux Prisonniers dirigés par François Mitterrand, n'aient pas fait la moindre allusion au combat mené par notre Brigade de concert avec le Tribunal Militaire de Périgueux, sous l'égide de Vichy. Début Octobre 1942: Nervosité des Allemands après leur échec à Stalingrad. Le 9 Novembre. Alertés par Londres sur leur entrée imminente en zone libre, nous nous dispersons dans la nature, munis de faux papiers ou d'ordres de mission fantaisistes délivrés par le sous-préfet de Châteauroux. Pour ma part: une simple note manuscrite m'affectant "à la Police d'Issoudun". Sages précautions car le S.D. nous avait non seulement identifiés, mais photographiés au Restaurant de la Gare, lors de récentes agapes... Le Commissaire Principal Bernardht, embarqué le 11 Novembre à Marseille, destination Alger où sa femme avait pris les devants une semaine auparavant, se réveillera le lendemain matin au Vieux-Port: son bateau ayant été intercepté par la Marine Allemande. Vichy et ses environs sont mis sous surveillance par le Kommando SIPO-SD (Sicherheits Polizei und der Sicherheitsdienst) renforcé à la hâte. Désemparé, sans instructions, je réintègre Nice. Le 23 Décembre 1942. Le Secrétariat Général m'enjoint télégraphiquement de me présenter au S.R.P.J. de Clermont-Ferrand où le Commissaire Divisionnaire Moritz - dévoué à Vichy - me sermonne et m'affecte à un embryon d'antenne S.T. du Commissaire Castéran, relégué sous les toits. Un collègue de la Police Judiciaire nous est adjoint aux quelques enquêtes de routine qui nous échoient. En fait, nous sommes sous surveillance permanente, alors qu'un groupe "anti-terroriste" s'en donne à coeur joie dans la chasse aux Résistants, à la grande satisfaction de Moritz qui en répondra devant la Cour de Justice. 21 Janvier 1943. Branle-bas de combat. Tous les Services répressifs de la zone sud - Gendarmerie, G.M.R., Police Nationale - sont dirigés sur Marseille pour participer à l'évacuation du Vieux- Port. Sa destruction, dictée par Hitler sous prétexte de refuge de la pègre, vise en réalité l'élimination d'un labyrinthe de ruelles et d'immeubles imbriqués, se prêtant admirablement à la guérilla en cas d'insurrection. L'évacuation immédiate a lieu sous les ordres de la Gendarmerie Française pour limiter les dégâts, l'uniforme allemand étant mal venu dans le quartier. Notre assistance consiste en la fouille "théorique" des habitations. Perquisitions et rafles se poursuivront à Nîmes, Montpellier et Perpignan sans désemparer et sous la haute direction de Darnand: promu au Maintien de l'Ordre. Contrôles simulés dans la plupart des cas, sauf par certains éléments des Renseignements Généraux fidèles à tous les régimes au pouvoir.

RÉSEAU Ajax

Le 15 Avril, j'obtiens mon affectation à la 18ème Brigade Mobile de Nice, Commissaire Principal Stigny, villa "Mari", Rue André Theuriet. Sur un effectif de trente-cinq fonctionnaires, cinq - patron en tête - appartiennent au Réseau Ajax, organisation policière implantée sur l'ensemble du territoire à laquelle j'adhère en qualité d'Agent P I. La Centrale marseillaise, qui nous coiffe au Siège de la Police Mobile, Boulevard d'Athènes, comprend trois branches: AJA Mobile, AJA 2 et AJA 3. Nice, secteur 18, relais d'AJA Mobile, couvre les Alpes- Maritimes et les Basses- Alpes. Dès mon arrivée, je suis testé: - Politiquement par l'Inspecteur Nottari des Renseignements Généraux auquel je tais mes opinions. Ce fonctionnaire aura d'ailleurs quelques ennuis à la Libération; - Sur le plan professionnel, par une enquête sur des vols répétés de colis de la Croix-Rouge, à Sistéron. Sous un signe zodiacal bénéfique, j'obtiens les aveux du Chef de Gare, avec saisie en son domicile d'un amoncellement de colis. A ce propos, il est navrant de constater que les cheminots, admirables dans la bataille du rail, n'ont pas toujours fait preuve de conscience collective durant la longue période de restrictions où le pillage des colis de ravitaillement a été systématique. De mes maigres envois familiaux de Châteauroux et Clermont-Ferrand à Nice où la disette était particulièrement ressentie, aucun n'est arrivé intact; tous étaient délestés aux trois-quarts du contenu. Ce manque de civisme pourrait être également imputé à nos braves paysans de France qui se sont promptement initiés au marché noir. Mais revenons à Sistéron! Le premier acte répressif de Vichy avait été de créer un centre d'internement des truands et homosexuels notoires où les caïds, du gabarit des frères Guérini, n'avaient pas tardé à faire la loi par des sévices corporels et sexuels sur leurs jeunes compagnons, sous l'oeil indifférent des gardes-chiourme grassement soudoyés et généreux en permissions de sortie nocturne dans les meilleures auberges de la ville. Chargé d'enquêter sur ces dérèglements, j'ai la surprise de retrouver des anciens "durs" du Monte- Grosso dont le nommé J.Q..., futur chef de file des agents électoraux de la Municipalité niçoise et "frère" bien-aimé de la Loge du Grand Orient. Outre la répression des délits et crimes de droit commun, nous avons pour mission, en accord avec le Parquet de Digne, de couvrir les opérations de maquisards: attentats au plastic, attaques de perceptions, de mairies et de débits de tabac. Ces guérillas sont menées séparément par les F.T.P. qui ont refusé leur participation effective à toute constitution d'États-majors Forces Françaises de l'Intérieur. Devant l'attentisme des M.U.R., ils s'avèrent les seuls activistes. Ce cloisonnement, imposé par leurs recruteurs à des fins politiques, n'implique pas chez plusieurs d'entre eux leur adhésion au P.C. La montée du thème gaulliste s'accentuant, les Services de Sécurité allemands procèdent à une utilisation massive d'agents français. Le Scharführer Ernest Norma, alias Delage, de la Gestapo de Marseille, parvient ainsi à enrôler l'Inspecteur de Police Mobile Défa et, sur ses indications, à ficher les membres du Réseau Ajax. Alertés in extremis, douze policiers du Boulevard d'Athènes prennent la fuite. Imités quelque temps plus tard par Marcel Cassier et Joseph Orsini de notre groupe, à la barbe du S.S. Haupsturmführer Schultz Bureau IV (Gestapo) du K.D.S. Nice. Seul, notre spécialiste en fausses cartes d'identité, Bourry, jeune Secrétaire de l'Intendance de Police, sera arrêté et déporté. Dans les semaines qui suivent le débarquement du 6 Juin 1944 ,les Allemands, harcelés, se livrent aux pires exactions. 16 Juillet. Deux F.T.P. du Plan-du-Var, Torrin et Grassi sont exécutés par pendaison et exposés en plein centre de l'Avenue de la Victoire. 16 Août. Acculés par le débarquement Allié en Provence, les troupes d'Occupation remontent vers l'Est afin de ne pas être prises dans la souricière. Le 28 Août au matin. Leurs derniers éléments abandonnent Nice, ville déserte, se heurtant néanmoins à quelques accrochages dont le plus important, au Passage à niveau Gambetta, coûte la vie à cinq patriotes: un du Groupe Lorraine et quatre F.T.P. Dans la ville libérée, comme sous le coup d'une baguette magique, les "maquis" des quartiers déferlent sur l'Avenue de la Victoire et la Place Masséna, à bord de "tractions "bariolées d'inscriptions et de Croix de Lorraine , hérissées de drapeaux tricolores et de bras vengeurs, armes de tous calibres au poing. Leurs parcours répétés rappellent les allées et venues, sans but défini, des Barcelonais sur les Ramblas. La diversité des jeunes résistants pose à la foule le problème insoluble de leur origine: F.F.I., F.T.P.,?... De son Poste de Commandement - une pâtisserie Avenue Borriglione - l'Inspecteur Principal Demange des Renseignements Généraux distribue des brassards tricolores immatriculés et estampillés F.F.I. Les Résistants s'organisent. L'État-major F.F.I. occupe l'Hôtel Atlantic. Tout frais émoulu, un Commandant s'accapare de la section "carburant" en signe de continuité puisque, la veille encore, il se livrait au trafic des pneus avec un Colonel Italien et un jeune comparse qui, faible des bronches, bénéficiera ultérieurement d'une confortable pension de combattant. Les F.T.P. s'installent à l'Hôtel Scribe, mué en forteresse, où se succèdent les interrogatoires des collaborateurs, entrecoupés de une ou deux défenestrations. Des groupes de Résistants, plus ou moins fantaisistes, apparaissent en s'épaulant mutuellement par des attestations fraternelles. Cette éclosion de patriotes n'est pas particulière à notre région. Elle s'étend sur l'ensemble du territoire, au rythme des héros de la prise de la Bastille qui, six cents environ au soir du 14 Juillet 1789, étaient plus d'un millier à la fin du mois: chiffre qui alla d'ailleurs en croissant. Le 26 Avril 1944. Les Parisiens en foule avaient acclamé le Maréchal: place de l'Hôtel de Ville. Le 26 Août. Le Général de Gaulle descend les Champs- Élysées, ovationné par ce même Paris tandis que notre nationale "Mistinguett" à bicyclette, coiffée d'une capeline tricolore, pédale le long du défilé en criant "Vive De Gaulle!"; les Parisiens, oublieux de ses compromissions avec le "Gross Paris" et la Rue Lauriston lui font écho par des "Vive la Miss !"... Mais, tout le monde - toujours dixit Arletty - n'a-t-il pas résisté en son for intérieur ? Les Comités de Libération créés en l'absence de pouvoirs constitués n'ont aucune influence sur le problème des F.T.P. Ils sont peu à peu repris en main par les Commissaires de la République et les Préfets nommés à l'avance par le Gouvernement d'Alger qui s'efforcent d'éviter les excès. Malgré l'institution de Cours de Justice, il y aura tout de même en France près de quarante mille exécutions sommaires dont certaines, soulignons-le, sont amplement justifiées par la loi du talion. La Cour de Justice des Alpes- Maritimes est présidée par mon condisciple Jean Lippmann : huissier à Nice. Je lui fournis l'un de ses premiers clients: César Fiorucci, chauffeur de la Gestapo lors de la pendaison de Torrin et Grassi. Condamné à mort, Fiorucci est fusillé au Jardin Albert 1er, face à la mer. Seront déférés par la suite, pour relations avec l'ennemi, les membres des "Gruppi d'Azione Nizzarda" que j'ai identifiés par la saisie de leur fichier d'adhésion aux Archives du Comité de Libération italien. A vrai dire, hors de ces fascistes notoires, bon nombre de ressortissants italiens ont fréquenté leur Consulat, devenu "Casa Degli Italiani" pour bénéficier de certains avantages, notamment la distribution mensuelle de rations de tabac. A un degré inférieur, l'Intendance de Police devient le siège d'un Tribunal d'Épuration Professionnelle constitué en majeure partie de policiers en tenue, pour plus d'exactitude en "battle dress" avec pistolets apparents. Les débats sont houleux, style "9 thermidor". Non sans peine, je parviens à leur soustraire notre camarade l'Inspecteur Principal Fratoni, ancien de la Brigade du Tigre auquel on ne peut reprocher aucun acte de collaboration, si ce n'est sa neutralité de vieux fonctionnaire. Fratoni me recommande particulièrement de veiller sur les débordements possibles de son neveu Dominique, jeune Résistant. La presse issue de la Résistance se met en place en éliminant "Le Petit Niçois" et "L'Éclaireur de Nice" jugés trop à droite, donc collaborateurs. "Le Patriote" (Front National), "L'Espoir" (Socialiste), "L'Aurore" (Parti Communiste Français) et "Combat" se saisissent de l'information niçoise pour s'effacer finalement devant "Nice-Matin" à l'issue d'une "O.P.A." menée de main de maître par Monsieur Michel Bavastro. Jean Médecin est destitué par l'Occupant, puis déporté à Belfort. La Mairie échoit aux Municipales de 1945 à l'épicurien et talentueux avocat Jacques Cotta jusqu'à la réélection de Médecin en Octobre 1947.

LES DRAGONNADES DE L'ÉPURATION

Nommé Commissaire de Police, je me suis particulièrement attaché à déceler les règlements de comptes exécutés dans l'ère de l'épuration; sujets réversibles peu attrayants pour les magistrats et mes collègues. La Résistance dans les Alpes-Maritimes a été surtout ternie par les exactions commises en son nom à Cagnes-sur-Mer placé, la Libération venue, sous le régime de la terreur. Deux groupes, politiquement opposés, y ont tenu le haut du pavé avec toute la gamme des exécutions sommaires, tortures et extorsions de fonds. Viols, attentats, pillages se succèdent. La population cagnoise, apeurée, se tait. Ces excès ne seront divulgués qu'en 1947 lors de l'enquête déclenchée par l'affaire De Pressale qui m'a valu maintes pressions politiques et menaces de mort. GROUPE Ginette (R.P.F.) Félix Petitjean, mercier à Cagnes, apparaît à la Libération, sous le nom de "Lieutenant Ginette", comme un des personnages les plus actifs, créateur d'un réseau (jamais homologué). Dès lors, il s'abouche avec Mr Pierre Sauvaigo, du Barreau de Nice, résistant de dernière minute, n'ayant rejoint le maquis de Gréollières que le 24 Juillet 1944, au départ des Allemands, et affublé depuis du grade de Lieutenant, sous l'appellation d'Alex. Leur première action patriotique sera d'abattre - "pour se faire la main" - un vieux de la Volksturm ramené de Gréollières. Excipant d'une prétendue Résistance, ils rameutent une quinzaine de jeunes gens, installant leur poste de commandement à l'Hôtel Savournin, à Cagnes, puis prennent possession du Château des Grimaldi où seront emprisonnés et torturés un nombre incalculable de personnes. Petitjean, Sauvaigo et leurs acolytes opèrent sans gêne. Leur palmarès est hallucinant. En voici quelques traits: - Fin Septembre 1944, Arlette Arnac, fille du romancier Marcel Arnac, enlevée de son domicile à Nice, séquestrée au Château, violée, torturée, est abattue sur la route de Vence; son corps mutilé et déchiqueté à la dynamite, sera néanmoins identifié. - Marcelle Tirel, de ST Laurent- du-Var, également incarcérée subit des tortures raffinées: ventre et cuisses labourées à la fourchette, simulacre d'écrasement sous un vieux pressoir à huile, cible vivante adossée à un mur et, pour finir, assommée à coups de crosse. A sa libération, fin octobre, la villa de ses parents est plastiquée en signe de dissuasion pour un dépôt éventuel de plainte. - Marcelle Delbos, née Quilici, arrêtée à Vence, battue à mort sur la place publique de Cagnes, est amenée d'abord à l'Hôtel Savournin où, dépouillée de ses vêtements, elle endure la pose sur le dos de "moules" à pâtisserie en aluminium chauffés à vif. Ce rite accompli, on l'écroue au Château. Après un simulacre de fusillade, elle est abandonnée sans soins dans un cul-de-basse-fosse, arrosée de temps en temps par ses tortionnaires avec une lance. Neuf mois plus tard, libérée, Mme Delbos dénonce par écrit au Général de Gaulle ce qu'elle a subi. Aucune suite n'est donnée à l'affaire, le rideau protecteur des responsables du R.P.F. de Cagnes - Sauvaigo en tête - s'avérant des plus efficaces. - Disparition de Mr Chevallot, du Barreau de Nice, convoqué le 27 Septembre 1944 par Sauvaigo et dont on n'a plus eu de nouvelles. - Pillages: entre autres celui attribué à Petitjean, de la villa d'une septuagénaire, Mme Castella, d'un montant de plus de deux millions. - Réquisitions abusives de véhicules, écoulés en région parisienne; ce qui vaut à Sauvaigo, d'être inculpé, courant février 1945, d'escroqueries et de réquisition indue sur plaintes de Mme Faurepenin et Mr René Cousin, au parquet de Grasse. Une mention particulière pour l'affaire de Présale, à l'origine des vicissitudes subies par le Groupe Ginette et ses concurrents du P.C.F. Mr Le Roy de Présale, fondateur et directeur du poste Radio Méditerranée en association avec Max Brusset, Député R.P.F. des Charentes-Maritimes, va être, à la Libération, le héros involontaire de deux sombres aventures mettant en péril sa vie. Le 13 Octobre 1944, vers 20 heures, un couple de prétendus officiers de la Sécurité Militaire se présentent à sa villa "Maria-Salva", à Juan les Pins, et l'invitent à les accompagner pour témoigner dans une affaire importante. Bien que méfiant mais vu le caractère particulier de l'époque, Mr de Présale accepte de les suivre dans un coach Peugeot 402 qui file en direction de Grasse. A hauteur du cimetière de la Croix-Rouge, en pleine nature, sous prétexte d'une panne, il est prié de descendre et abattu de deux balles dans la tête; l'une pénétrée profondément dans la nuque ressort par le cou. Faisant preuve d'un extraordinaire sang-froid, Mr de Présale à terre, fait le mort; tandis que ses agresseurs, leur mission accomplie, démarrent en hâte. Assuré de leur départ, quoique grièvement atteint, Mr de Présale trouve le courage de faire à pied les sept kilomètres pour rejoindre son domicile. Prudemment, il laisse croire à sa mort et disparaît de la Région pour n'y revenir qu'en 1946 et déposer plainte sur plainte, sans résultat. Devant une telle constance, ses agresseurs récidivent. Dans la soirée du 7 Mars 1947, ils criblent la villa "Maria-Salva" de rafales de mitraillette. Seule, Mme de Présale est légèrement blessée par ricochet. Non intimidé, son époux ne se décourage pas et obtient que l'affaire me soit confiée. Mes investigations aboutissent à l'identification des deux exécuteurs du coach Peugeot: Félix Petitjean et Henri Ubbizone - promu depuis capitaine à la base aéronavale de Rochefort - formellement reconnus par leur victime et son épouse. La seconde expédition de 1947 leur est également imputée, avec l'assistance d'un industriel de la plaine d'Antibes, L..., aujourd'hui décédé. Il ressortira, en outre, que les parents d'Ubbizone étaient gardiens, à l'époque du meurtre d'Arlette Arnac, d'une propriété "Le Malbosquet" à Vence où le corps mutilé avait été abandonné. L'ère de l'épuration révolue, Petitjean et Sauvaigo se rabattent sur d'autres activités délictueuses. En 1950, ils créent le "Société Méditerranéenne d'Affrètement" avec le concours actif de Georges Foata, alias Capitaine Morgan, Camille Rayon d'Antibes, et Jean Audibert; résistants authentiques, tous membres influents du R.P.F. Y figure subsidiairement Mme Vve Sauvaigo mère. Cette société destinée officiellement à la location d'embarcations de plaisance, cache en réalité un commerce moins avouable: le trafic sur une grande échelle de cigarettes américaines avec un cargo de fort tonnage, le "Claire-Joelle". Claude Renoir, petit-fils d'Auguste Renoir, sponsor occasionnel, y perdra plusieurs millions sous prétexte d'une prétendue saisie de la cargaison. Il se refuse toutefois à donner une suite à l'affaire par crainte de représailles. L'association se désagrège un an plus tard lorsque son gérant Petitjean, dépositaire de la trésorerie, s'enfuit à Douala avec la caisse évaluée à 30.000.000 de Francs. Et nous voici au meurtre de Christiane Petitjean: Début août 1952, un bulldozer met à jour, en bordure de la route, à une vingtaine de kilomètres de Douala, un sac contenant des débris humains d'une femme blanche coupée en morceaux. Ces restes, dont le crâne, ont été littéralement nettoyés pas les fourmis. Or, c'est précisément à Douala que Félix Petitjean s'est réfugié avec sa femme et a monté une affaire d'import-export. Depuis Mme Petitjean a disparu. Le juge Marty, magistrat instructeur de Douala, envisageant une corrélation possible entre cette disparition et la macabre découverte, s'adresse au Parquet de Nice pour que je poursuive l'enquête sur commission rogatoire. Revenu en France entre-temps et détenu à Grasse pour le meurtre d'Arlette Arnac, Petitjean soutient que sa femme a délibérément abandonné le domicile conjugal en emportant une somme importante. Le témoignage capital de Mme Roqueplot très liée avec la disparue, confirme que celle-ci, victime de mauvais traitements de son mari, était terrorisée à la seule pensée de partager les lourds secrets d'exactions dont elle avait été le témoin ou la confidente. En liaison directe avec Mr Marty, j'obtiens l'envoi pas colis postal du crâne de l'inconnue aux fins de le soumettre à un examen de la prothèse dentaire. Son identification est formelle grâce à la fiche de Christiane Petitjean, saisie préventivement chez le dentiste Niçois Stoléa, intime de Ginette. Les restes macabres de Douala sont bien ceux de son épouse et sa culpabilité ne fait aucun doute. GROUPE JEAN ROSSI (P.C.F.) Bien que ne bénéficiant pas comme ses concurrents du R.P.F. de protections aussi efficaces, ce groupe a pris impunément une part active aux délits et crimes perpétrés dans le pays Cagnois. Je n'en extrairai que l'ignominieuse exécution des époux Chastagner. Jean Rossi, ex-Secrétaire du P.C. local, Conseiller Municipal U.R.R. et épicier de son état à Câgnes-sur-Mer, s'avère, à la Libération, l'ennemi acharné des Chastagner, ses anciens voisins, réclamant leur arrestation, la réquisition de leur voiture ou des expéditions punitives. Le Président du C.D.L., Burger, Commandant d'armes F.T.P. refuse de se prêter à ces actes de vengeance injustifiés. En effet, Adrien Chastagner, Officier de la Légion d'Honneur, grand mutilé de 1914-18, amputé des deux jambes, ancien répartiteur de poissons, fort apprécié de la population, ne s'est jamais signalé comme collaborateur. Dans la nuit du 23 Octobre 1944, en l'absence du Commandant Burger, les époux Chastagner sont enlevés après mise à sac de leur domicile. Les économies du ménage, poste de radio, machine à écrire, piano, voiture, une 7 CV spécialement équipée pour infirme……tout disparaît. L'opération, bien que nocturne, n'a pu passer inaperçue du voisinage. Il faudra attendre la percée de l'affaire de Présale pour que les langues se délient. Le temps de la grande peur est passé. Deux meurtres imputés à Rossi sont évoqués: la pendaison simulée d'un tonnelier de la Colle sur Loup, Tolosano, dans les sous-sols du Château, et la disparition de Hyacinthe Corvetto, horticulteur du Vallon des Vaux, victime de chantages. Sur ces données, je remonte à un ancien adjoint de Rossi, Antoine Giovanetti. Celui-ci, entendu à Paris, et encore traumatisé par l'exécution des époux Chastagner, entre dans la voie de la confession. Aveux confirmés par l'ex-Commandant Burger, à Meknès, où il s'est installé géomètre. L'expédition a bien été organisée et menée par Jean Rossi. Les Chastagner, abattus à la mitraillette, ont été enterrés sommairement sur place au quartier des Fourniers, à la sortie de Câgnes, en bordure de la route de la Gaude. Rossi était assisté, outre Giovanetti, de quatre ou cinq militants du P.C., dont les nommés Pesci (décédé), Lando Materozzi (parti au Viet-Nam) et Marcel Santinelli, cultivateur au Vallon des Vaux. Mais l'affaire ne sera définitivement élucidée que le 17 Février 1976 par une communication téléphonique d'un certain Robert Filippi, habitué du milieu corse, auquel je me suis intéressé en différentes occasions. Filippi, désormais couvert par la prescription, me révèle avoir été un coauteur de la double exécution perpétrée trente-quatre ans auparavant. A l'époque, enrôlé à dix-sept ans dans les F.T.P., il a déjà acquis la réputation d'un "dur" pour avoir abattu un cultivateur de la plaine du Var, victime d'une expédition punitive (affaire Calza). Répondant à l'appel de Rossi, il prend part à l'arrestation des Chastagner désignés comme d'actifs collaborateurs. Le but initial est d'exécuter le couple dans la montagne au-delà de la Gaude mais, à la sortie de Câgnes, une des voitures utilisées tombe en panne. Madame Chastagner, saisissant l'occasion, tente de s'enfuir. Rossi l'abat d'une rafale de mitraillette. Contraint de changer de plan, le groupe transporte le cadavre sur le terrain qui surplombe la route. Là, Filippi, sur ordre du Chef de l'expédition, abat à son tour Chastagner. Les deux suppliciés sont jetés dans une fosse hâtivement creusée. Par la suite, lors de la divulgation de l'affaire par la presse, Filippi s'enquiert auprès des responsables du P.C. de Câgnes des véritables motifs de l'exécution des Chastagner. Il lui est répondu qu'elle avait été décidée à des fins politiques pour éliminer des proches consultations électorales un concurrent dangereux. Procédé réédité à l'époque en de nombreuses communes de France.

ÉPILOGUE DES DRAGONNADES

Aucune des victimes citées ne pouvait être taxée de collaboration. Monsieur de Présale, visé pour sa position prépondérante à "Radio Méditerranée" - convoitée par Max Brusset, Paul Weil et l'acteur René Lefèvre - avait été lavé de toute suspicion collaborationniste par un non-lieu de la Cour de Justice. Arlette Arnac, dans la joie de vivre de ses vingt ans, se souciait fort peu de la politique. Déféré d'abord au Parquet de Grasse pour une double tentative de meurtre, libéré sous caution, puis remis sur la sellette pour un meurtre, Félix Petitjean a été finalement relaxé. L'affaire de Douala fut reléguée dans l'oubli. Ginette et ses acolytes n'ont cessé de bénéficier de l'appui des édiles locaux et de solides protections politiques d'un impact certain sur les décisions de justice. Monsieur Philip, premier Juge d'Instruction de Grasse à avoir pris au sérieux la plainte de de Présale, a été exilé dans un trou perdu des Causses à Marvejols. Georges Bidault, Ministre des Affaires Étrangères et Président du Comité d'Action de la Résistance lié à Petitjean, organisateur de ses promenades en mer à ses fréquentes venues à Câgnes, l'a soutenu sans réserve avec nombre de parlementaires R.P.F., M.R.P. et Indépendants. Leur intervention s'avérera surtout efficace, le 23 Février 1953, à la Tribune du Palais Bourbon lors de la discussion du Projet de Loi d'Amnistie où seront évoquées les affaires Petitjean et Rossi en pure perte.... Ainsi, la Libération venue, le simple port d'un brassard, l'obtention d'une attestation de complaisance ou une activité quelconque dans la Résistance, à tous les niveaux, suffira à soustraire à la justice des délits et crimes de droit commun, tels que ceux des bandes Ginette et Rossi. En la circonstance les Câgnois, la "terreur" passée, ont fait preuve d'une passivité comparable à celle des usagers du métro parisien: spectateurs de viols d'adolescentes. Mieux encore, ils ont accordé leurs suffrages à Pierre Sauvaigo, Maire et Député inamovible qualifié, lors de son éloge posthume par le Dr. Pons, du R.P.R., "d'homme pur". Éloge repris et intensifié, en 1988, par Charles Pasqua, alors Ministre de l'Intérieur, lors de l'inauguration du nouveau Parc des Sports d'Andon, baptisé "Pierre Sauvaigo", résistant de la première heure, décédé en 1983... En présence de son épouse qui lui a succédé dans ses fonctions de Maire, M. Pasqua a rappelé les mérites de celui qui fut "un homme d'honneur, de volonté et d'optimisme", et qui était l'un de ses plus chers amis... (Nice-Matin) - Nous sommes loin du passé où la presse intitulait en gros caractères: "Une lourde peur plane à Câgnes-S/Mer depuis que la police a rouvert le dossier des crimes impunis de 1944"... Alors que mon action judiciaire m'a valu sur la chaussée de la Route Nationale 85, de Câgnes à Grasse, de multiples slogans "Commissaire Pivot - S.S. - Gestapiste - Assassin...." et dans une certaine presse des commentaires équivalents....

INCROYABLE MAIS VRAI...

L'engouement des Français pour la Résistance, après la Libération, a été tel que des personnages ubuesques ont pu, non seulement créer des réseaux imaginaires, mais obtenir leur homologation. Je crois que notre Région a atteint le summum de la crédulité avec le Sieur Nicolas d'Anjou, se prétendant: Prince d'Anjou et de Mores, Comte d'Albe, Comte de Gravina, Seigneur de l'Honneur du Mont Saint- Ange, Baron et Pair de France de la descendance des "Odrowacz- Dourassow". A sa naissance à Nice, le 12 Mars 1917, son père, Officier Russe séjournant sur la Côte, aurait été contraint de rejoindre Kiev et à le déclarer dans cette ville, le 2 Avril suivant - par décalage du calendrier grégorien - pour normaliser ses titres de noblesse. Bref, Nicolas d'Anjou se dit, ni plus ou moins, descendant du Roi Saint- Louis dont une gravure ancienne, exposée ostensiblement en son bureau, reflète sa réelle ressemblance avec Louis IX. Considéré comme apatride réfugié, il est classé en 1939 "Service Auxiliaire", puis réformé. Le 13 Juillet 1942, il est condamné par le Tribunal Correctionnel de Nice à un mois de prison pour fausse déclaration en vue de la délivrance d'une carte d'identité de Français et infraction à la loi sur les étrangers. Sur opposition à ce jugement, la Cour d'Appel statue que l'appelant a rapporté la preuve de sa naissance à Nice- de feu Nicolas d'Anjou et de Berthe Buisson - sans l'autoriser toutefois à se prévaloir d'aucun titre. Faisant preuve dès lors d'une soudaine éclosion il adresse, le 1er Janvier 1943 au Garde des Sceaux, une longue lettre destinée à être rendue publique dans laquelle, après avoir rappelé que des Français, abusés par la propagande étrangère, se sont mis sous un drapeau qui n'est pas le leur, il fait l'apologie de régime Vichyssois. En plus de nombreuses interviews à "Signal" et au "Pariser Zeitung", il fait une nouvelle déclaration à "La Gerbe", rappelant que la fidélité au Maréchal est une règle impérieuse: Article largement commenté par André Castélot et A. de Châteaubriand. Il est fiché par les Renseignements Généraux de Nice comme membre du P.P.F. en relations suivies avec le Général Andrioli de la Commission Italienne d'Armistice et en contact avec les Autorités Allemandes. A la Libération d'Anjou fait l'objet, en Novembre 1944, d'une procédure d'épuration pour propagande active en faveur de la Milice durant un stage d'enseignement au Secrétariat de la Jeunesse et pour dénonciation d'Israélites. Dans l'ignorance de son véritable comportement, il n'est qu'astreint à une mesure administrative d'éloignement et autorisé à retourner à Nice, le 10 Août 1945. A partir de cette époque, il ne cesse d'attribuer pour obtenir des attestations lui conférant le titre de "Résistant". C'est ainsi qu'il entre en rapport avec le "Lieutenant Cyclamen", se disant Chef des Services de la Commission des Enquêtes et Renseignements F.F.I., qui lui délivre une attestation certifiant que "Monsieur d'Anjou a été détaché à la Direction d'un Service de Renseignements de la Résistance (F.F.I.) et que ses actes, entre 1940 et 1944, doivent être considérés comme étant couverts par le Service Secret des F.F.I.". Il parvient finalement à glaner de nombreuses citations pour lui et pour le "Groupe Louis" qu'il soutient avec un imperturbable aplomb, après l'avoir créé à la fin Juin 1940. Ces citations émanent particulièrement d'un Commandant André Vérot, Chef de l'Organisation "Lord Denys" et d'un autre Commandant F. Mazingue, Chef de l'Organisation "Coq et or" et des "Arients de Clamart".... Admis au Comité d'Honneur des Chevaliers de la Croix de Lorraine et Compagnons de la Résistance, il obtient la Médaille de la Résistance avec la citation suivante: "Nicolas d'Anjou, membre de la Fédération Nationale des Combattants Volontaires, a rendu d'éminents services aux F.F.I. accomplissant avec succès des missions très périlleuses. A fait preuve d'héroïsme, apportant une aide magnifique à la cause de la Libération. Au lendemain de l'Armistice de 1940, il créa le Groupe Louis et dirigea un important réseau. Notre camarade est titulaire de six citations". Consolidé dans sa position de Résistant, il dépose à la Préfecture des Alpes- Maritimes les statuts d'une Association dite des Anciens Francs-Tireurs-Libres de la Résistance, groupant ses prétendus camarades de combat. Le principal avantage de cette Association est de faciliter l'homologation du Groupe Louis, arrêté le 20 Février 1948 par le Secrétaire d'État aux Forces Armées. Exploitant habilement ses prétendus titres de noblesse, le Prince d'Anjou, "Résistant", a fait figure de rédempteur pour les clients éventuels de l'épuration. La qualification "d'agent occasionnel du Groupe Louis" permettant tous les abus, il n'a pas manqué d'en tirer des profits conséquents, avec force distributions de diplômes, décorations et insignes façonnés sur ses indications. Lancé par le nommé Antoine Jean- Jacques, se disant "Lieutenant Cyclamen", farfadet de l'Hôtel Atlantique, déféré par mes soins en Décembre 1946 pour escroquerie, d'Anjou a été activement secondé par un ressortissant égyptien, Aref Hussein Chérif, client assidu des Tribunaux niçois, interdit du département des Alpes- Maritimes par décision ministérielle du 12 Août 1948, mais continue à y demeurer par voie de sursis renouvelable. La composition du Bureau de l'Association des Anciens Francs-Tireurs-Libres de la Résistance est édifiante. Tous ces membres ont eu maille avec la justice: maître-chanteur, trafiquant notoire, fonctionnaire révoqué, voleur.... La première audition de Nicolas d'Anjou a eu lieu le 8 Mars 1949, à la Maison d'Arrêt de Nice, où il était détenu pour attentat aux moeurs. L'enquête s'est poursuivie sur ouverture d'une information pour escroqueries, fabrication et usage de faux certificats. Sur ces entrefaites, gros émoi au Cabinet du Préfet à l'annonce de la proche promotion du "Prince d'Anjou", à l'Ordre de Chevalier de la Légion d'Honneur. Délégué pour couper court au ridicule d'un tel dénouement, je me rends à Paris où je parviens à exposer directement l'affaire dans ces moindres détails à l'ex-Lejeune, Secrétaire d'État aux Forces Armées qui en savoure tout l'humour... L'authentique Prince de Duras, consulté, dénie tout lien de parenté avec le Sieur Anjou- Durassow. Par contre, le Comte de Nauendorf, aventurier réfugié à Casablanca, se prétendant "Henri, par la grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre" lui a décerné "le premier jour du mois d'Avril, l'An de Grâce Mille Neuf Cent Quarante Cinq et de son Règne de Droit, l'An Trente et Un...", les lettres de Chevalier Honoris Causa de l'Ordre Royal de Saint- Michel, avec armoiries adéquates, par diplôme avec cachet royal, contresigné par le Chancelier et Surintendant de l'Ordre.... L'affaire d'Anjou m'a entraîné, à l'époque, à quelques sondages dans les milieux de la Résistance où il s'est avéré que certains groupes non homologués s'étaient introduits après-coup et que des attestations d'appartenance F.F.C. avaient été faussement attribuées. Il m'arrive d'en retrouver quelques bénéficiaires dans la rubrique des personnalités, assistant aux manifestations commémoratives. Malgré l'usure du temps, les Combattants Volontaires de la Résistance, (ou assimilés) encore nombreux, se sont fonctionnarisés. Dans l'intervalle, des patriotes authentiques n'ont pu supporter l'oubli. Tel a été le cas de Jotté- Latouche, "Émilie", fondatrice du Groupe "Surcouf", retirée à Vence qui, dans la nuit du 29 Janvier 1952, s'est prétendue victime d'un attentat monté de toutes pièces, en vue de susciter un nouvel intérêt à sa personne, la presse l'ayant ignorée lors des multiples péripéties de l'affaire de de Présale où elle avait apporté son témoignage. Subsidiairement: B... frère de L'égérie du Front National, tenancier de cabaret aux activités ambiguës durant l'Occupation, reparaît à Nice en 1951 en tant qu'attaché du Grand Chancelier de la Légion d'Honneur, aux fins de placer trois rubans dont deux seulement trouveront preneurs, l'un à Monte- Carlo, l'autre auprès d'un marchand de tissus très connu Avenue de la Victoire...

C.I.D. CONNECTION

Fin Décembre 1944. Je suis détaché auprès des Services du C.I.D. - (Criminal Investigations Division) - installés 51, Rue Pastorelli et disposant des locaux de la Military Police, Hôtel Métropole. Sous le commandement du Captain William G. Dillon, il leur appartient d'enquêter sur tous les délits ou crimes concernant l'U.S. Army. Les effectifs: une dizaine d'Agents ayant rang d'Officiers, fort diligents, mais sans formation policière. La plupart d'entre eux proviennent de professions libérales, surtout des Avocats. Des personnalités y figurent, tel le Cinéaste Darryl Zanuck: ce qui donne à penser que l'affectation au C.I.D., à l'arrière de la zone de combat, est du domaine des privilégiés. Ma collaboration vise la complicité éventuelle de civils du ressort de nos Tribunaux, sans exclure la détection de clients pour la Cour de Justice, cherchant à se camoufler dans les Services annexes de la bannière étoilée. Hors l'identification et l'arrestation d'un déserteur de la Légion Étrangère, meurtrier d'un G.I., nos activités ont porté sur le trafic, à grande échelle, de cigarettes et de produits pharmaceutiques, sortis frauduleusement des entrepôts militaires de Marseille. La filière des cigarettes nous a notamment conduit à perquisitionner en Principauté de Monaco, dans les lieux tabous de la S.B.M.: ce qui ne s'était jamais vu. Le vol de caisses de pénicilline, par un commando de G.I., dans les chambres frigorifiques de l'U.S. "Campbell", amarré à Marseille, aboutit en remontant la chaîne des intermédiaires, à 4 honorables Pharmaciens. J'allais oublier la Tenancière de la maison de rendez-vous Régina. Les ampoules, payées au départ 600 Frs l'une, étaient revendues de 6 à 12OOO Frs, bien qu'éventées pour n'avoir pas été conservées durant leur transport à la température prescrite. Le 24 Avril: Mission d'information avec l'Agent Harris dans le Nord de l'Italie, à bord d'une V 8, sur les routes encombrées par la file montante des Unités Alliées vers le Brenner et le reflux des réfugiés, avec des moyens de fortune vers les régions libérées. Le premier soir à Vérone, sortant du mess, nous sommes canardés par une poignée d'irréductibles de la République de Salo, juchés sur les toits. La visite inopinée et tumultueuse du Maréchal Tito à Trieste, sanctionnant son annexion, en interdit l'accès. Le long de notre périple, sur des chemins secondaires, nous franchissons quelques barrages symboliques de Partisans Italiens, affublés de rubans multicolores. Leur ancienneté dans la Résistance se mesure à la longueur de la chevelure qu'ils ont fait serment de ne pas couper jusqu'à la Libération. Au retour, une halte nocturne dans une villa de la périphérie de Milan, évacuée précipitamment la veille par des Miliciens Français, repliés avec la Wehrmacht. Deux de leurs compagnes, laissées sur place, nous supplient en vain de les ramener en France. Le lendemain 29 Avril: nous traversons la ville en pleine effervescence devant les corps de Mussolini et de Clara Petacci, exécutés sur les bords du lac de Como et exposés, suspendus par les pieds, à la populace. Nos voisins Transalpins, dans leur soudaine rédemption, ont néanmoins conservé à notre passage la marque de Benito... Ave César!... Mais, je dois reconnaître que la dignité des Italiennes du Nord, devant les nouveaux Occupants, contraste avec la prostitution quasi-institutionnelle des filles de Naples. Le 28 Juin 1945: le C.I.D. "Riviera District" - la guerre finie - lève le camp pour réintégrer les U.S.A. Captain Dillon en tête, chaque Agent dispose d'une Jeep bâchée au chargement impressionnant de "souvenirs" collectés sur le continent. Moralité Les événements vécus de 1940 à ce jour reflètent la physionomie de la Bourse des Valeurs Nationales. Le titre de Résistant, non coté à Montoire, mais fort recherché à la Libération venue, n'a cessé depuis d'avoir preneur et d'être opérationnel. Aux deux guerres, il y a eu les "nouveaux riches". Pourquoi pas à la dernière les "nouveaux anciens Résistants"!... Post-scriptum: Par bonté d'âme, certains comportements ont été édulcorés ou passés sous silence, néanmoins je suis disposé à satisfaire, en aparté, tout esprit curieux, avec documentation à l'appui."

Jules Pivot