RUGGÉRI Sauveur
BELLOT
Louis
RABOUILLE
Jean
FLORY
François
FUSSINGER
Gérald
035
Nous...les
évadés !..
GUERRE
1939-1945
NICE
- Mai 1987
Analyse
des témoignages
Ecriture : 1986 - 60 pages
POSTFACE
de Michel EL BAZE
Décider de s'évader et
réussir à recouvrer la Liberté après tant et tant
d'aventures dans un pays hostile, tel est
l'exploit accompli par nos quatre Témoins, chacun
en un lieu et à des époques différentes alors
qu'ils étaient prisonniers de guerre aux mains des
Allemands. Facile, diront d'aucuns ! Voir ! Encore
fallait-il avoir le courage de se réveiller, de se
lever… et de partir…
EN GUISE D'INTRODUCTION
***
Depuis un mois déjà sur les
bords de la MEUSE Le temps passe gaiement et ne
semble pas long. Les journées et les nuits sont
toutes délicieuses Point n'est besoin de lit,
d'oreiller, d'édredon. Le printemps à TROUSSEZ
donne une vie nouvelle Et pare la forêt de
multiples couleurs Pendant que les humains à l'âme
si cruelle Répandent d'un conflit les terribles
horreurs. L'harmonieux concert de la nature en
fête Parfois s'interrompant de crainte, emplit les
coeurs Et dans l'azur si bleu c'est la mort qui
s'apprête Dans le vrombissement saccadé des
moteurs. Hommes, femmes, enfants rassemblant leur
courage Attendent anxieux mais pourtant résignés
Que des oiseaux de proie soit fini le carnage Pour
pleurer sur leurs morts et soigner leurs blessés
Dans le cantonnement tous les soldats s'apprêtent
Car il faut dès ce soir partir plus loin encore :
Des troupes alliées, ils aident la retraite
Bloquant de l'ennemi le formidable effort.
Aussitôt arrivé au point qu'il faut défendre
Chacun creuse son trou, se cache de son mieux. La
consigne est mourir plutôt que de se rendre Est-il
pour un soldat rien de plus glorieux. Et là
pendant 3 jours et 3 nuits l'on surveille Guettant
le moindre bruit, inspectant l'horizon. Lorsqu'un
guetteur s'endort l'autre le réveille Et tous deux
dans la nuit songent à la maison. Le Boche est
parvenu à quelques kilomètres, Le danger est
pressant, nul n'a d'illusion. Et chaque instant il
peut près de nous apparaître Et de tous les côtés
toussent tous les canons. La gloire cette fois
n'est point notre partage : Un ordre de repli
vient de nous parvenir. En plein midi on part,
tout le monde est en nage, Conservant et laissant
de très bons souvenirs. Tout le long du chemin
nous rencontrons sans cesse Des pauvres évacués,
le cortège piteux : Enfants, femmes, vieillards
,trébuchant de faiblesse
S'enfuyant
apeurés, tristes, silencieux
"
Quel mal avez-vous fait exilés lamentables "
Si ce n'est d'habiter un
pays envié ? De ce crime innocent vous êtes les
coupables Et vous devez ainsi durement expier.
Malgré votre abandon, malgré votre souffrance
Conservez bon espoir, faites crédit à DIEU. Vous
reviendrez un jour dans votre douce FRANCE Dignes
de nos soldats et de tous vos aïeux. Nous voici de
nouveau dans un petit village, Il se nomme PAGNY
,nous ne l'oublierons pas. Car c'est dans cet
endroit malgré notre jeune âge Que nous devons de
peu échapper au trépas. Vers onze heures du soir,
écrasés de fatigue, Nous succombons enfin au
sommeil tentateur Lorsque les Allemands en
ferraille prodigue Mirent fin au repos pourtant
réparateur. C'en est fait, nous voila dans la
grande bagarre, Pendant toute la nuit sous le
bombardement. Aussi bien que l'on peut des éclats
on se gare Tressaillant au bruit sourd du lointain
grondement. Chaque départ de coup, chaque feu par
rafale, Fait courber tous les dos, fait palpiter
les coeurs. Est-ce déjà pour nous la minute fatale
Ou bien de cet enfer sortirons nous vainqueurs
Fernand BALANDIER
Kommando 641
Stalag XI A
La mémoire
La mémoire : seul bagage incessible
Jacques ATTALI
RUGGÉRI Sauveur
***
Évadé de Guerre !..
12 JUIN
1988 Le devoir numéro un des prisonniers est
de fausser compagnie à leurs gardiens. Récit de
captivité et de guerre de Sauveur RUGGERI, né le 5
Janvier 1918 à RIPOSTO - SICILE - ITALIE. Emigré
en FRANCE où mes parents travaillaient déjà depuis
1920 à NICE. J'ai fréquenté l'école, très peu, 3
ans de 6 à 9 ans, où j'ai fait connaissance d'un
maître qui m'a donné les premiers rudiments de la
langue française, lequel se nommait Commandant
Jean ALLEGRE, Ecole BARLA. Après divers métiers
j'ai fait le coiffeur pour hommes jusqu'en 1938 où
j'ai été mobilisé au 12ème Chasseurs à Cheval, à
SEDAN dans les ARDENNES, dans la cavalerie, où mes
Officiers, tous des nobles, m'ont appris le rude
métier des armes ainsi que la discipline qui était
de rigueur dans ces Régiments. En 1939 où la drôle
de guerre nous a fait balader dans tous les coins
de FRANCE, de SEDAN à LONGWY en passant par
THIONVILLE, LONLAVILLE et frontière du LUXEMBOURG,
j'ai été volontaire dans les Corps-Francs où je me
suis retrouvé à SEDAN pour rentrer en BELGIQUE à
VENDRESSE le 10 Mai 1940. Dans la nuit du 13 au 14
Mai nous arrivons, venant de BELGIQUE, après un
premier affrontement très pénible avec les
Allemands, avec nos chevaux devant les chars nous
nous trouvons sur les hauteurs au sud de MEZIERES
- SAINT-MARCEAU, de là nous apercevons un
véritable brasier. SEDAN et les villages des
alentours flambent. Un grondement terrible emplit
nos oreilles, ce sont les canons qui tirent
principalement du côté de SEDAN des vagues de
bombardiers géants allemands, traversent le ciel
et lancent des espèces d'entonnoirs qui font un
bruit de sirène; l'alerte au gaz est donnée, on
enfile les masques et on court dans toutes les
directions. Nous arrivons à SY près de Chênes,
nous installons le cantonnement, les chevaux sont
dessellés, chose qui n'a pas été faite depuis le
10 Mai. On soigne les bêtes certaines ont la peau
du dos qui part en lambeaux, le ciel flambe. Peu
de temps après notre Capitaine, le Comte Richard
de MAZIN, fait appeler tous ses Sous-Officiers,
l'air grave, il nous félicite pour notre belle
conduite en BELGIQUE et fait remarquer à
quelques-uns qu'ils ne sont pas rasés, oui mon
vieux Lannes de l'Assistance Publique, je me
rappelle qu'un matin à la caserne au rassemblement
notre Lieutenant, De FOMBELLE, t'a fait marcher à
pied jusqu'au champ de manoeuvre. Vers minuit
l'ordre du départ est donnée les colonnes se
mettent en route en direction de SEDAN, tout au
long du parcours des morts et des blessés
encombrent la route. Le ciel semble flambé. Le 14
nous arrivons au point que nous devons défendre,
VENDRESSE, à 20 km de SEDAN, nous mettons pied à
terre, chacun prépare tout le nécessaire pour
combattre à pied. Nous nous rendons à pied à
l'autre bout du village où des tranchées ont été
creusées pendant l'hiver, nous recevons un ordre:
" Montez 100 mètres plus haut et faites face à
l'est! " On voit arriver des chars ennemis. Des
spahis en position sur notre droite se replient en
laissant des morts sur le terrain, des chevaux
sans cavalier galopent en tous sens, un seul canon
de 25, nous n'avons aucun moyen de nous protéger.
Encore un ordre: " Repliez-vous en vitesse ! ".
Ainsi commence une suite de replis mais tous les
jours nous avons un accrochage avec les Allemands
qui nous ont emmené jusqu'à PERONNE (SOMME) où le
Régiment a subi des pertes mais retardant avec
succès l'avance des Allemands. D'ailleurs le
Régiment a eu une citation pour l'action qu'il a
eue de tous temps. Moi-même j'ai eu droit à la
Médaille Commémorative des Batailles de la Somme.
Ensuite, après des marches forcées nous arrivons à
VENDRESSE près de la BELGIQUE où nous abandonnons
nos chevaux qui étaient de plus en plus meurtris.
Beaucoup de cavaliers ont pleuré de ce fait,
moi-même j'étais très attaché à ma jument qui
avait un nom charmant " Coquette " que j'ai dû
abandonner mourante après avoir essuyé plusieurs
rafales de mitraillettes de ces fameux MESSERSHMIT
qui après tourné sur nos têtes en rond piquaient
dans un sifflement qui faisait mal aux oreilles,
lâchaient leurs mitrailles et remontaient dans
leur ronde infernale. Ensuite nous nous dirigeons
vers la BASSE-NORMANDIE. Je ne me souviens pas
très bien de l'itinéraire car nous marchions la
nuit. Après VEULES-LES-ROSES nous sommes encerclés
vers le 6 Juin à SAINT-VALERY-EN-CAUX. Sachez que
du 10 Mai au 12 Juin 1940 date à laquelle j'ai été
fait prisonnier avec la plupart de mes camarades,
j'ai maigri de 16 kg. Là a commencé la longue
marche qui nous a conduit pour la plupart en
ALLEMAGNE - où j'ai compris avant tout qu'il ne
fallait pas rester prisonnier. Je savais que tous
les chemins mènent à ROME, tous les évadés peuvent
se mettre à dos le Saint-Siège - si mon récit doit
être mis à l'index ce serait dommage mais ce ne
serait pas la première fois que les Siciliens
s'opposeraient aux Romains. RECIT
D'EVASION Fait prisonnier le 12 Juin 1940 à
SAINT-VALERY-EN-CAUX après 9 ou 10 jours de marche
forcée nous arrivons à AIX-LA-CHAPELLE. Je décide
de m'évader avec l'aide et la complicité de
Monsieur Henri BERTRAND de BRUXELLES. Je passe la
frontière à EBESTAL. Je poursuis et arrive à
MOUSCRON frontière belge chez Madame LEPERS HIBON,
café-bar 4 Place de la Station, Mouscron,
Belgique. Cette dame m'a envoyé chez Monsieur
OMER-BOISSEL - café des Cuirrassiers - qui m'a
permis de passer la frontière belge en compagnie
de sa femme jusqu'à TOURCOING, puis je suis passé
chez Monsieur Pierre CAMUS 39 Avenue Charles
Lomont à ALBERT, SOMME. J'ai pris un autobus pour
AMIENS où, à la descente je suis arrêté par les
Allemands. N'ayant aucun papier, je déclare être
Italien et n'avoir que 19 ans. Le gradé qui m'a
interrogé n'a pas voulu me croire et m'a menacé de
me faire passer devant un tribunal allemand pour
avoir voulu passer la zone interdite, dite Zone
Rouge, j'ai avoué que j'étais un prisonnier évadé
alors il m'a envoyé avec d'autres prisonniers à la
Citadelle de DOULLENS militairement gardée où je
suis resté enfermé 10 mois. Je couchais dans la
cellule de VIOLETTE-NOZIERRES et je devins le
coiffeur du camp, mes deux premiers clients étant
Victor BRUSA et PORCEL Joseph, cela m'a permis de
connaître l'adresse de Madame RENALDO
Saint-Germain qui avec l'aide de Monsieur TEMPEZ,
Maire de DOULLENS, fournissait tout le nécessaire
à tous ceux qui voulaient s'évader. Cette dame a
obtenu la Médaille des Passeurs et a eu un
beau-frère de 18 ans fusillé par les Allemands.
Grâce à mon métier de coiffeur elle m'a fait avoir
un faux laissez-passer lequel m'a permis à nouveau
de m'évader le 4 Juillet 1944 dénoncé par Monsieur
José CLOVIS, ancien Conseiller Municipal. Moi je
savais car j'avais appris avant tout le monde que
mon chemin et que mon but étaient la liberté et
surtout la COTE-D'AZUR mais je ne savais pas que
pour avoir la Médaille des Evadés il fallait
attendre si longtemps. Quant à la Croix de Guerre
cela a été très vite car elle m'a été décernée le
12 Juin 1940.
BELLOT
Louis
***
Mon
évasion
**
J'ai reçu la Médaille des Evadés
par le Général Ct la Place de NANCY
devant
le Palais du Gouvernement
en
1950
*
**
Le 25 Août 1939, à 2 heures
du matin, 2 soldats m'apportent une feuille de
route, je dois rejoindre de suite la caserne
FOREY-CURIAL à TOUL, par le premier train.
J'habite à NANCY, 15 rue du Haut-Bourgeois 54000.
Alors, que je n'avais été que soldat de 1ère
classe, à monter la garde, à ne faire que des
corvées, à la fin de mon service de 18 mois, le
planton du bureau, avait inscrit sur mon livret:
Ouvrier Chimiste, Maître Artificier. C'est sans
doute pour cela, que je fus appelé sitôt, avant la
déclaration de guerre. A mon arrivée à la caserne,
on ne m'attendait même pas, on ne m'habillait pas,
j'avais tout de même droit à la cantine. Je
m'ennuyais énormément, voilà que des maires de
petits villages, viennent réclamer des hommes pour
le battage des moissons, et travaux des champs. Je
me présente comme volontaire, et me voilà embarqué
de suite, pour la ferme du Paquis des Agneaux chez
Mr POIRSON, territoire de TOUL, puis chez le maire
Mr CHAUDOT, commune de ROSIERES en HAYE. La saison
est de suite hivernale, les chevaux de l'armée,
étant mal abrités contre les intempéries, meurent
en séries. Les récoltes sont compromises, il
pleut, il gèle, il neige, je n'ai vraiment pas le
filon. Pour les fêtes de la TOUSSAINT, je reviens
à TOUL, je suis affecté à la caserne BAUTZEN 20ème
B.O.A. On me fait travailler à l'atelier Z, on y
fabrique des masques à gaz. Je fais de la
manutention à l'arsenal, un petit train nous
emmène dans les forts, aux alentours de TOUL, il y
a 17 forts, on charge des munitions, on en
décharge, c'est un travail pénible. Puis je monte
la garde, à l'entrée de la caserne, par les gros
froids. NOEL est là 1939. Des poilus veulent
organiser une récréation au réfectoire, pour faire
plaisir aux officiers, alors ; j'en profite pour
déclamer une chansonnette militaire, qui a fait
plaisir aux gradés. Puis voici le Nouvel An 1940.
On demande des volontaires, pour les aciéries de
POMPEY, les Arabes font grève, ils travaillent
dans de très mauvaises conditions, ils sont mal
nourris, et mal logés. Je loge dans leur réduit,
nous sommes sous le contrôle de l'armée, avec les
Affectés Spéciaux. Nous chargeons d'énormes
poutrelles de fer, sur des wagons plats, qui sont
dirigés vers la ligne MAGINOT. Après 3 mois de ce
travail, je suis rappelé à la caserne. Je fais
partie du poste de garde, situé au fort St Michel.
Une ancienne casemate de 1914 a été aménagée, pour
y loger les officiers. Ils sont à l'abri des
bombes lancées par les avions d'HITLER, il y a la
5ème Colonne, des parachutistes descendent dans la
nuit et s'infiltrent dans les ouvrages militaires.
Je prends la faction quand tombe la nuit. Nous
sommes 4 sentinelles et un chef de poste. Nous
montons la garde pendant 2 heures à tour de rôle.
Nous surveillons la casemate où sont le Ct GUYOT,
le capitaine LALEVIE de FRAIZE, (VOSGES) Le Ct est
de NANCY (MEURTHE-ET-MOSELLE). Dans le jour, je
travaille au mess des sous-officiers à nettoyer
les tables. Le 14 Juin 1940, nous sommes au
réfectoire. Le capitaine nous conseille de quitter
la caserne, en emportant avec nous le strict
minimum, et de prendre la route de
COLOMBEY-LES-BELLES vers NEUFCHATEAU, et de rester
groupés en attendant un soi-disant pique-nique.
Nous voilà sur la route encombrée de civils, avec
des chariots à chevaux, des convois militaires,
qui fuient les divisions blindées S.S. Des convois
de la CROIX-ROUGE qui essaient de remonter, vers
l'ennemi. C'est une véritable débâcle, nous
n'avons pas de chefs pour nous guider, c'est un
sauve-qui-peut, car les avions italiens en
profitent, pour nous mitrailler. Il y a des morts,
et beaucoup de blessés. Sur la route, des bombes
ont creusé d'énormes trous au carrefour des routes
stratégiques. Je suis fait prisonnier sur la route
de DIJON, à 10 kms de LANGRES, à CHASSIGNY. Des
motards S.S. nous ramènent à LANGRES, pour nous
enfermer dans les Halles. Puis ensuite dans une
immense caserne où nous sommes des dizaines de
milles, militaires de toutes armes. Du 15 Juin
1940 au 15 Août 1940, les NAZIS, nous font prendre
le train à LANGRES . Nous aidons les spécialistes
S.S. à réparer les voies, à reboucher les trous de
bombes etc. Le 15 Août après midi, tous les P.G.
sont embarqués dans des wagons à bestiaux, 60 par
wagon. Sur le quai, il y a beaucoup de sentinelles
en armes, et de nombreuses mitrailleuses. Nous
ignorons où l'on nous dirige. Après 4 jours et 4
nuits, nous débarquons à KREMS, en AUTRICHE. Nous
avions des biscuits à grignoter, pour le voyage,
nous défilons dans la ville, nous avons l'air très
misérables. Nous arrivons sur un immense plateau,
nous sommes 100000, nos tenues sont passées à
l'étuve, nous attendons tout nus dehors: un
véritable troupeau de cochons. Des patrons
viennent chercher des P.G. pour l'Arbeit, je
choisis la culture, espérant mieux pouvoir me
sauver vers la FRANCE. Je fais partie d'un convoi
de 100 gars pour une carrière, dans la montagne du
TYROL, le village se nomme KLEIN-REFLING, non loin
de LINZ-STEIR. C'est un kommando, construit pour
les jeunes S.S. Ces baraques sont grillagées de
gros fils de fer barbelés, les fenêtres sont
barricadées. La carrière est à 1 km. Il y a une
équipe de jour, et une équipe de nuit. De 6 heures
le matin à 6 heures le soir. A midi les
sentinelles nous ramènent à la baraque, pour
avaler une pitance, et le travail reprend à 1
heure. Le chemin est tortueux, c'est pénible à
marcher vite, nous avons aux pieds des galoches de
bois. Le travail dans la journée se fait pendant
15 jours. Le travail de nuit, c'est de 6 h le
soir, jusqu'à 6 h le matin. A minuit, un arrêt 1/4
d'heure pour avaler un breuvage à peine chaud,
c'est un énorme récipient d'eau chaude, dans
laquelle a été jeté un pain de margarine. Nous
chargeons d'énormes blocs de pierre sur des
wagonnets plats, que l'on roule, jusqu'à un
concasseur. Une fois concassée, avec des pelles,
nous jetons cette pavasse, sur des wagons plats,
cette pierraille est dirigée pour construire des
autostrades. Ce chantier est au-dessus de
l'affluent du DANUBE, l'INN. Dès les premiers
jours, je fais une réflexion à des P.G., je leur
dis de ne pas se montrer courageux. Ils me
répondent: - Les Marks serviront à nous payer de
la confiture, du beurre, de la bière! Ainsi, je
n'ai jamais été leur copain. Aussitôt, chef S.S.
et chefs civils, m'ont fait dire par leur
interprète, que j'étais un fainéant et un
saboteur, l'interprète était Alsacien, il se
nommait DEKER et était boulanger à St Dié, il se
sentait heureux, d'être toujours parmi ces chefs.
Lui-même préférait ceux qui mettaient de l'ardeur
dans le travail. A table, ils étaient récompensés
par les chefs qui leur apportaient du rabiot,
c'était comme un bon point, comme lorsqu'ils
allaient à l'école. Plus tard nous avons eu un
autre homme de confiance. Il s'appelait PASDELOUP,
instituteur à MONTRARD, il était responsable de
1000 P.G. A l'Alsacien il lui a dit: - Il faudra
rendre des comptes, quand nous rentrerons en
FRANCE! Ce P.G. PASDELOUP, par son comportement
vis-à-vis des NAZIS, a dû nous quitter, pour aller
en prison dans un camp disciplinaire. Par un
après-midi, au mois de Juin 1942, la montagne
s'est écroulée, sur notre chantier, ce fut comme
un bruit de tonnerre, la roche glissait et tombait
sur le chantier, écrasant le chantier, quelques
camarades furent blessés, et renvoyés en FRANCE,
d'autres rentrèrent en FRANCE pour avoir dégager
des ouvriers. Moi je m'en suis tiré en dévalant et
en me roulant en boules, en essayant d'éviter les
gros blocs qui comme moi dégringolaient vers la
rivière l'INN. J'avais le dos meurtri, et en
remontant, j'étais dans une colère folle, alors,
je me suis mis à invectiver, les responsables
civils et NAZIS, je hurlais: - HITLER NIX GUT! et
en leur faisant des gestes grossiers. Ils ont dû
penser que j'étais devenu fou. En 1942, je suis
envoyé dans une sablière, à RASCHAFEN-BEI-
BRAUNAU, les camions de cailloux et sables, sont
emmenés à l'usine d'aluminium GUEURING, construite
dans une forêt de sapins, elle n'est qu'à 4 kms.
Des soldats alsaciens, ont revêtu, certains par
force la tenue S.S., ils font de l'exercice, avant
de partir sur le front russe. J'essaie de leur
causer, certains osent répondre: - Croyez pas
qu'ils nous ont attrapé facilement, et puis, se
cacher, il y a les représailles sur la famille. Et
beaucoup sont déportés au camp de la mort du
Strutoff de NARSWILLER, en ALSACE! Un matin - A la
caserne à LANGRES, les P.G. sont en rang dans la
cour. Le grand NAZI, demande aux Juifs de sortir
des rangs. - Les Alsaciens-Lorrains, qui veulent
rentrer chez eux, sortez des rangs! Ceux-là le
regretteront d'avoir accepté, car ils seront sous
le commandement allemand. Des sous-off. français,
acceptent de nous emmener au travail, ils
remplacent les soldats nazis, au chantier c'est la
même chose. Un matin, je ne me présente pas sur
les rangs, c'est rapporté de suite au poste de
garde du camp. Je suis jeté en prison. Cachot pour
2 jours. A la sablière, je quitte le chantier,
pour donner, une raie de chocolat, et plusieurs
cigarettes, à 2 pauvres gars, tout déguenillés qui
passaient par là, pour ce geste, je suis appelé:
"le Soviet". Ce devait être 2 jeunes Russes,
puisqu'il y avait un camp de réfugiés Russes. Une
note a été affichée à l'intérieur, dans la cour:
les P. de G. doivent obéir, et non pas désobéir
aux Autorités Allemandes. Travaillant de nuit,
étant à la carrière dans la montagne, c'était
l'hiver, par moins 30°, je suis allé me réfugier
dans une cabane, ce devait être une cabane de
gardiens, j'avais froid, je tombais de sommeil, je
m'y suis endormi. Je fus réveillé par une
sentinelle, je lui ai dit: - Sers-toi de ton fusil
si tu veux! Il m'a ramené doucement sur le
chantier, où les autres P.G. se réchauffaient en
travaillant dur. Cette sentinelle n'a rien dit au
poste de garde du camp. Je m'amusais à transformer
quelques refrains, avec des paroles contre le
régime NAZI. Cela nous passait le temps. Il y
avait des perquisitions de temps en temps dans nos
lits, ayant trouvé quelques feuilles, ils ont
demandé au responsable alsacien, ancien garçon de
café à PARIS, de leur dire, ce qu'il y avait
d'écrit, il a répondu sèchement: - C'est la
MARSEILLAISE! Un matin ce gars s'est évadé, mais
il fut repris, et il fut changé de camp. L'hiver
1943. Je quitte l'ancien monastère, transformé en
camp de P.G. Je suis dans un kommando, baraques en
bois, il y fait très froid. L'usine d'aluminium
est toute proche; près de nous est le camp barbelé
de P.G. Italiens, puis le camp barbelé de soldats
Allemands, punis pour désobéissance dans l'armée,
il y a aussi un camp de réfugiés Russes, à part
femmes invalides et enfants, tout le monde doit
aller à l'Arbeit aux fours d'aluminiums. C'est
vraiment: "Marche ou crève". Je continue à ne pas
me montrer courageux, en incitant comme je peux,
dans le langage que j'ai appris étant P.G., qu'ils
soient Italiens, Russes, NAZIS-anti-hitlériens, à
plutôt saboter, quand ils le peuvent. Ces soldats
NAZIS savent qu'ici, c'est le camp disciplinaire,
avant de partir sur le front russe. Le
contremaître Louis, brave Autrichien, prendra ma
défense, quand la Gestapo de l'usine, cherchait à
me connaître. Le chef "Polir" Karl, surveillant,
m'avertissait, quand j'étais absent de mon poste,
en disant: - BELLOT hartung! car il y avait la
police de l'usine. Ce Karl me disait: - Pourquoi
toi, pas prendre vélo, et repartir en FRANCE! Il
était naïf, mais brave. Un jour qu'il faisait un
beau soleil dehors, je suis sorti abandonnant le
four d'alu… Je me suis assis, et je respirais de
l'air pur, vient à passer un ingénieur S.S. qui
m'a dit en bon français: - Oh! Mais vous n'êtes
pas à NICE ici! Et aussitôt un Polir venait me
chercher. Comme je travaillais en dépit du bon
sens, j'étais un peu bousculé par le responsable
du four, on s'est même attrapé tous les deux à la
gorge, mais cela n'allait pas plus loin. Enfin des
camarades de ma baraque, m'ont mis en garde en me
disant: - BELLOT, il serait temps que tu arrêtes
ton comportement! Ils avaient constaté, qu'il se
tramait quelque chose contre moi. J'ai fait
allusion que j'allais disparaître, celui qui était
notre interprète a répondu: - Tu vas agir tout
comme un gars, qui fait sa 1ère communion J'ai
teint mon pantalon en noir. Avec des cigarettes,
une tablette de chocolat, j'obtenais une veste, le
béret je l'avais déjà. Un matin, il faisait encore
nuit, début Janvier 1944, je rentre à l'usine, et
je ressorts aussi vite, j'étais satisfait de mon
comportement, depuis mon arrivée dans tous ces
camps en AUTRICHE. Je ne me souciais pas du trajet
je pensais au petit bonheur la chance. Je savais
que mes deux chefs de l'usine, seraient ravis, que
je me sois envolé. Dans la baraque de bois, une
sentinelle venait fermer la lumière à 9 h le soir.
Un P.G. avait enduit la clanche de la porte
d'entrée de merde, pour faire rire la chambrée. Le
gars en avait plein les doigts, tout le monde a
bien ri. Ma couchette était juste en face, il m'a
vu rire, et il m'a pris pour le coupable, il m'a
arraché de ma paillasse, et m'a traîné au poste.
J'étais tout déguenillé, en savates dans la neige,
ils m'ont emmené dans un véritable cachot c'était
profond et tout noir. Sur le parcours de 1 km, ils
m'ont bousculé, mais sans me frapper, mais je
devais avancer très vite, c'était pénible, car je
patinais. J'y suis demeuré 2 jours et 2 nuits,
dans ce réduit puant, le W.C. c'était une grosse
casserole. Les P.G. de la baraque, s'étaient faits
du souci, ils ignoraient ce que j'étais devenu.
Début 1944,en Janvier, j'ai décidé de m'évader.
Dans l'espoir de revoir la FRANCE, j'ai pris un
billet de train à SIMBACH, j'avais traversé la
petite ville de BRANAU s/INN, où est né HITLER. Le
pont sépare les 2 villes. Je prends mon billet
pour MUNICH, dans le wagon il y a des civils
français, qui possèdent la carte de frontalier,
parmi eux, il y a des trafiquants, qui vivent de
marché noir, puis il y a des soldats S.S.
permissionnaires etc. J'arrive jusqu'à SAVERNE en
ALSACE, sans aucun contrôle. Ici c'est le
terminus. Une sentinelle est sur le quai, avec un
employé S.N.C.F. Le contrôleur dit à la
sentinelle: - Je m'occupe de lui! Je l'entends
dire à l'employé: - Vous n'allez tout de même pas
le faire payer! Car depuis MUNICH, je voyage sans
billet. Il me fait entrer dans son bureau, il a
l'habitude, il vient lui- même, mettre à l'aise
les voyageurs qui débarquent ici à SAVERNE. Tout
d'abord, il me conseille de ne plus porter de
béret, la Gestapo arrête tous ceux qui en portent,
ils reconnaissaient ainsi la Résistance aux NAZIS,
beaucoup ont été déportés. Nous nous quittons, et
il me dit: - Nous allons vers la victoire! Je
monte dans le train pour METZ, il fait nuit. Sans
le savoir, je me trouve dans un wagon 1ère classe
le contrôleur m'en fait la remarque, et me dit: -
Je vous reverrai à la prochaine gare! Mais il m'a
oublié. A METZ je sors dans la ville, un petit
hôtel se présente, j'y prends un petit repas, et
je loue une chambre pour la nuit. Au repas, à ma
table, il y a un client que je connais bien, c'est
un ancien coureur cycliste de NANCY, lui, ne me
connaît pas. Il sait que je suis un P.G., il
connaît bien toute la clientèle, et même la
patronne. A 2 heures du matin, on frappe à ma
porte. - Polizeï! Ouvrez! Ce sont 2 inspecteurs de
la Gestapo, accompagnés d'un chien berger, ils
m'emmènent dans un séminaire, en plein centre de
la ville, il y a d'abord une cour, avec un
va-et-vient infernal, qui vont en tous sens, j'y
vois des femmes, mélangées aux hommes, jeunes et
moins jeunes je pense qu'il vient d'y avoir une
rafle, dans la ville. C'est plein de longs
couloirs, de chambres qui servent de bureaux. Je
suis mélangé à toute cette foule, il n'y a pas de
sentinelles, je ressorts bien tranquillement, et
je vais vers la gare. Je m'entends appelé: - Allo!
Monsieur! C'est 2 jeunes S.T.O. qui veulent
sortir, ils sont bloqués à la grille, je prends 2
billets de quai, et les voilà libres. Un peu plus
tard, nous sommes emmenés par un passeur, qui
devait attendre des évadés, ils nous mènent, dans
une maison bombardée, il y a là d'autres
Résistants. Nous sommes à l'abri, au chaud. On
peut s'étendre, midi et le soir, ils nous font des
frites, et même un petit bifteck. Ils nous
mèneront tous les 3, au premier train à 5 heures,
ils nous donnent notre billet. A PAGNY-SUR-
MOSELLE, il y a le contrôle, c'est la ligne de
démarcation. Les Résistants nous attendent dans un
autre wagon, ayant passé au contrôle. Nous
descendons, il fait nuit noire. Nous entendons: -
Par ici les gars! Nous suivons ce passeur, et nous
entendons d'autres appels, ce sont les vrais
passeurs, ils sont trahis ; nous doutons encore un
peu. Nous sommes en plein champ, à plusieurs
reprises, il nous fait nous coucher, d'après lui,
il y a non loin de là, des sentinelles S.S. Après
1 km nous voilà à ARNAVILLE, il nous dit: - A
présent vous êtes en FRANCE! Il a loué là au bord
du chemin, une bicoque, il a dû agir ainsi pendant
toute la guerre, à rançonner les P.G. Ses paroles
sont: - Donnez-moi tout ce que vous avez! Et puis
il vend une carte pour pouvoir voyager. C'est
pourtant l'individu MONNET, le coureur cycliste de
NANCY, qui mangeait face à moi, dans le petit
restaurant de l'hôtel de METZ. Nous quittons ce
traître faux passeur. Nous prenons un billet à la
gare d'ARNAVILLE, un contrôleur polizeï, avec une
lampe de poche contrôle les billets, nous filons
vers les soufflets, j'ouvre la portière gauche, et
je m'accroupis sur le marchepied, je vois le
polizeï passer avec sa lampe, pour aller à l'autre
wagon, je reviens m'asseoir, le train est arrêté,
nous sommes à PONT-A-MOUSSON. Les 2 gars sont
descendus sur les voies, dans la nuit noire, je ne
les reverrai plus, ils allaient dans le centre de
la FRANCE. Me voilà à NANCY, les quais sont
déserts, aucune trace de soldats nazis. Rue de
Serres, je lis sur une porte, "MAISON POUR
SECOURS", par un petit judas, une Soeur m'envoie
place d'Aliance, j'arrive à une énorme porte
cochère, derrière la préfecture, la porte est à
demi-ouverte, dans la lumière, j'aperçois des
uniformes de soldats S.S., c'est un poste de
sentinelles, dans la nuit dehors, je n'ai pas été
vu, heureux pour moi, que la porte était
entr'ouverte. Mais pourquoi! Cette religieuse
m'avait envoyé à cette adresse, alors! que la
maison du P.G., se trouvait dans la même rue à 100
mètres. Dans la matinée, je me présente à la
maison du P.G., tout de suite, on me fournit la
carte pour passer la ligne de démarcation à
CHALON-SUR- SAONE, je vais me présenter près du
Directeur où j'étais employé. Il ne me dit même
pas de m'asseoir. Il me dit: - Mon devoir serait
de vous livrer aux autorités allemandes! Il reçoit
souvent des gradés NAZIS dans son bureau, ils
fument et trinquent ensemble. Ce Directeur se
nomme Louis NUSSBAUM, il est Alsacien, pendant la
guerre 1914, il était lieutenant dans l'armée
allemande. Au printemps 1944, il a fait arrêter le
Président-Directeur-Général de la Société "COOP",
qui est un Résistant de 1ère heure. La Gestapo l'a
fait mettre en prison à la Maison d'Arrêt "CHARLES
III" à NANCY, il allait être déporté, mais il fut
libéré par le grand chef de la police de NANCY,
Monsieur LUNOT. En nous rendant depuis la baraque,
jusqu'à l'usine j'ai aperçu un employé de bureau
de la Maison "COOP", où je travaillais à NANCY,
qui se promenait en touriste en AUTRICHE, il
devait, je pense faire partie de la 5ème Colonne,
en 1939 il était entré comme chanteur à l'Opéra de
Paris. A la Société "COOP", je l'avais vu chanter
dans les kermesses "COOP", il s'appelait VAUTRIN.
Dès le 1er jour à mon arrivée chez moi, rue du
Haut-Bourgeois n° 15, j'avais la visite de la
Gestapo, j'étais absent, les voisins ont répondu
que j'étais P.G. en ALLEMAGNE, ils ont répondu: -
Non, Mr BELLOT est en FRANCE ici! Le lendemain
c'était les G.M.R. de Pétain. Je voyageais déjà
vers la ligne de démarcation, à CHALON-SUR-SAONE.
Le policier contrôleur en voyant ma carte: - Oh!
Mais elle est toute neuve! J'ai craint qu'il ne me
fasse descendre au bureau. A LYON, je n'ai pas
réussi à trouver du travail, ils avaient peur
d'être inquiétés. Je suis parti à la campagne dans
le village de CORBELIN ISERE, à la limite de la
SAVOIE, tout près des montagnes du VERCORS,
j'entendais le grondement de la mitraille. A
CORBELIN je fus embauché dans une industrie, qui
fabriquait des parachutes pour l'armée, pour les
nazis. J'obtenais un salaire de misère à faire le
manoeuvre, en dehors de l'usine de soieries. Je
n'ai jamais pénétré en dedans. Il y avait 3
patrons. Il y en avait un qui me reprochait de
manquer d'activité, et j'étais déjà très
déficient. Sa femme à ce patron m'a dit un jour: -
Vous faites un travail de bagnard! Elle avait du
sentiment. Son mari redoutait le débarquement des
Américains, et disait: - Pourvu que ces sauvages
n'arrivent pas en FRANCE! C'était à l'Entreprise
(BROSSE) ET Cie. Dans l'année 1944, j'ai travaillé
dans 10 Maisons au village de CORBELIN. C'était
plutôt la culture, je faisais 12 h par jour, j'y
mangeais presque à ma faim. J'ai travaillé chez le
curé, chez un lieutenant de réserve qui gérait une
petite ferme. Il s'appelait Monsieur MOUFLET. Pour
une partie du village je n'étais pas estimé de me
trouver là. Je n'avais pas droit au colis Pétain
distribué par le président DELPHIN. Au
débarquement ce clan Pétain a déchanté. Il y avait
un noyau de Résistance au village, il y avait
souvent des escarmouches contre la milice. La nuit
des avions lâchaient du matériel, étaient guidés
par des torches lumineuses, il y avait là, un
immense terrain non cultivable. Début Février
1945, je me suis fait démobilisé à GRENOBLE.
L'armée m'a remis un papier, signifiant: "Soldat
BELLOT Louis démobilisé et rentrant dans ses
foyers, à ses risques et périls, à NANCY -
MEURTHE-ET- MOSELLE". En me présentant à la
Société "COOP", j'apprends que le Directeur
alsacien NUSSBAUM, avait été chassé séance
tenante, dès la sortie de prison de notre
Directeur-P.D.G. Marcel BROT. Il y a 7 ans, je
suis allé en convalescence pour 1 mois au CANNET.
Propriété qui avait été donnée pendant la guerre
1914, pour y soigner les blessés. A présent tout
le monde peut y venir. La Direction me donne le n°
de chambre, nous sommes 2. J'ouvre la porte, je
suis très surpris, il y a là, le traître passeur
de METZ. Voilà 35 ans que cela s'était passé. Je
redescends à la Direction pour m'expliquer, mais
il ne veut pas rentrer dans ces détails, ils ont
déjà eu des ennuis avec lui. C'est un dur, un
héros, c'est un grand déporté qui a souffert dans
les camps NAZIS. Il a dû agir près de la Gestapo,
contre les résistants de la Maison du P.G. à
NANCY, qui ont été déportés, et sont allés mourir
en ALLEMAGNE. Ce voyou, était inquiété, il était
soupçonné par ces résistants de METZ et NANCY, il
s'est vengé. Dans la chambre, il n'a pas dû me
reconnaître, alors ; je n'ai fait allusion à rien.
C'est le vrai bambocheur, il me raconte qu'il a
fait la conquête de 300 femmes. Il est grand,
allure sportive, beau garçon. Ici il drague, il
fait la noce. Il en a les moyens, tout lui est
gratuit. Comme il ne m'a pas reconnu, il se permet
de me montrer sa carte de déporté, il a du 120 %,
il se porte comme un chêne. Pendant la guerre, il
a vécu comme un roi, et il est choyé par la FRANCE
qu'il a si bien trahi. Il a fait construire une
belle maison à 10 km de NANCY, à
FLAVIGNY-SUR-MOSELLE près de la MOSELLE, mais à
l'écart du village. Une nuit il est revenu ivre,
les voisins n'avaient pas verrouillé leur porte.
Un était malentendant, l'autre était aveugle, il a
accroché sa veste dans leur armoire. Le lendemain
il se plaignait à la Direction, qu'on lui avait
dérobé sa veste, avec le portefeuille contenant
1500,00 Frs et tous ses papiers. La Direction m'a
demandé, si j'étais au courant, j'ai répondu que
c'était un triste sire, ils étaient de mon avis.
J'ai appris qu'il était allé à la police de
CANNES, j'aurais voulu savoir, s'il ne m'avait pas
soupçonné, mais le planton, n'a pas voulu me
laisser entrer. Comme je partageais sa chambre,
j'ignorais ce qu'il avait pu raconter. Deux jours
plus tard, le voisin sourd venait dans notre
chambre, demandant si nous connaissions cette
veste, c'était bien sa veste, il a simplement dit:
- Merci! Il n'est même pas allé à la Direction,
pour les mettre au courant. A la délivrance de son
camp de déportés les Américains ont dû être
surpris, à le voir si bien portant, parmi les
autres camarades.
FLORY
François
***
Mon
évasion
**
Rappelé à l'activité le 27
Août 1939.
Affecté à la
Compagnie de Commandement de la
2e/demie Brigade
de Chasseurs Alpins.
Arrivé au Corps
le 28 Août 1939.
Fait partie du
Corps Expéditionnaire de Norvège du 26 Avril 1940
au 22 Mai
1940.
Fait prisonnier à
St Valéry-en-Cause le 12 Juin 1940.
Interné au camp
de Béthune (P.d.C.).
Evadé le 22
Juillet 1940.
Démobilisé le 16
Août 1940 à Hyères.
Rayé des
contrôles le 19 Août 1940.
*
**
Le 12 Juin 1940 au matin le reste de
notre section avec le lieutenant quelques
sous-officiers et chasseurs avons été faits
prisonniers par surprise par un officier et un
soldat allemand en side-car. Nous avons su par la
suite que nous étions encerclés par l'ennemi,
notre but était de toucher le port de St
Valéry-en-Cause pour rejoindre l'Angleterre, mais
hélas les Allemands l'avaient occupé quelques
heures avant. Après ma capture j'ai été conduit à
pieds par étape jusqu'à Béthune dans le
Pas-de-Calais après de longs et terribles jours de
marche en passant par les camps de Doullens et St
Paul. Je suis arrivé au début juillet au camp de
Béthune. C'est de là que nous nous sommes évadés.
C'est en compagnie de 3 camarades que nous avons
décidé de partir. Le mardi de chaque semaine nous
avions la visite de gens du pays qui nous
apportaient des colis de nourriture, mes 3
camarades et moi avions une brave femme qui tous
les mardi nous apportait un petit colis. Elle
dissimulait chaque fois au fond des colis quelques
effets civils, les colis n'étaient pas fouillés,
nous étions trop nombreux. Par des bruits qui
circulaient dans le camp nous devions être libres
pour le 14 Juillet, nous avons patienté jusqu'à
cette date. Après quelques jours de réflexions et
de mise au point définitive pour notre évasion
nous avons décidé de partir le 22 Juillet au
matin. C'est donc ce matin-là que nous nous sommes
évadés. Nous étions parqués le jour dans le stade
municipal de Béthune, le soir les Allemands nous
faisaient descendre dans un stand de tir couvert
qui se trouvait en contrebas du stade, il y avait
là de la paille nous y passions la nuit, c'est
dans cette paille que nous cachions nos effets
civils, mes trois camarades et moi couchions
presque au-dessous d'un trou d'obus fait dans le
mur du stand de tir, c'est par ce trou en faisant
la courte échelle que nous sommes partis. Le 22 au
matin, comme les jours précédents, deux Allemands
descendaient nous réveiller, nous avons attendu
qu'ils remontent dans le stade pour grimper l'un
après l'autre et sauter dehors en passant par ce
trou. C'est moi le premier, étant le plus léger
qui suis passé et ai sauté dehors. A ma grande
surprise et celle de mes compagnons une sentinelle
allemande se trouvait en dehors du camp, nous
sommes restés quelques instants accroupis dans
l'entonnoir formé par l'éclatement de l'obus qui
avait troué le mur, profitant que la sentinelle
nous tournait le dos nous avons fait un bond dans
un bosquet à quelques mètres du camp et de là, en
nous dissimulant d'un buisson à l'autre nous nous
sommes éloignés du camp. La première partie de
notre évasion était réussie. Nous sommes allés
chez la dame qui nous avait procuré les effets,
elle nous avait indiqué sa demeure, nous l'avons
bien trouvée c'était à quelques cents mètres du
stade, elle nous a fait manger et nous a guidé
pour sortir de la ville, nous avions aussi un peu
d'argent, nous étions aussi munis d'une carte du
Département, que nous avions demandée, carte qui
se trouve au verso des calendriers P.T.T. Par la
suite à chaque nouveau Département nous demandions
une carte aux habitants ce qui nous permettait de
tracer à l'avance par les petites routes
départementales notre chemin vers le Sud-Est. Nous
ne traversions que les petits villages pour
rencontrer le moins d'Allemands. Le soir venu nous
demandions asile dans les fermes, nous étions
toujours bien accueillis. Nous avons traversé,
toujours à pieds, les Départements du
Pas-de-Calais, de la Somme, de l'Oise, de l'Aisne,
de la Marne, de l'Aube, de la Côte-d'Or, et de la
Saône-et-Loire. Dans l'Oise nous avons fait
expédier par des aimables personnes qui nous ont
hébergé une nuit, une carte postale à nos
familles, elle a pu à temps parvenir à mon épouse
quelques jours avant que le courrier soit coupé
entre les deux zones. Nous avons continué à
marcher, marcher,. Chaque jour nous approchions
petit à petit de notre but qui était la région de
Chalon-sur-Saône, région où nous pensions
traverser la ligne de démarcation. Nous étions
chaque jour plus nerveux en pensant à ce passage
de la ligne de démarcation qui devait nous donner
la liberté. La dernière étape que nous avons faite
nous a conduit avec de bons renseignements à
quelques kilomètres de la Saône, lieu où nous
devions traverser la nuit même la rivière à la
nage. Un agriculteur nous a indiqué l'endroit
exact et favorable pour traverser. Nous sommes
restés dans un bosquet jusqu'à la nuit sur la
berge. La lune brillait et nous gênait pour nous
mettre à l'eau, nous avons attendu après minuit
que l'ombre soit sur la rivière, à ce moment-là
nous nous sommes déshabillés, nous avons attaché
nos vêtements sur la tête et tout doucement, nous
nous sommes mis à l'eau, nous avons nagé sans trop
faire de bruit dans l'eau les grands arbres
bordant la rivière faisaient ombre sur l'eau ce
qui nous a rassuré un peu. Nous n'étions pas au
bout de nos émotions, en effet, en plein milieu de
la rivière, un de mes camarades perdit ses habits
attachés sur sa tête, ils glissèrent dans l'eau et
en se mouillant, firent poids, devinrent comme une
pierre autour de son cou, il faillit couler. Nous
l'avons soutenu, il dégagea la ficelle et les
habits mouillés, mais ceux-ci coulèrent au fond.
Pour éviter qu'il nous arrive le même accident
nous avons lâché nos habits dans l'eau. Nous
arrivions enfin sur l'autre côte de la rivière.
Nous étions libres. Nous nous sommes embrassés
tous les quatre de joie. Nous n'avions même plus
le souci de penser que nous étions tous les quatre
totalement dévêtus. Notre premier souci était de
fuir cet endroit encore trop proche des Allemands
et de trouver de quoi se vêtir. Nous avons couru
dans les prés vers une maison isolée pas très loin
de nous, là nous avons tapé et appelé nous
dissimulant sous l'escalier, une personne a
entrouvert la porte, nous lui avons expliqué dans
l'ombre notre situation, elle nous a envoyé de
quoi nous vêtir sommairement, nous nous sommes
présentés et très aimablement elle nous a offert
du lait chaud et le grenier pour passer la nuit.
Le lendemain matin,par des voisins, elle nous a
procuré des effets. Nous nous sommes présentés au
poste de gendarmerie, côté zone libre, nous leur
avons rendu compte de notre situation. Encore
militaire ils nous ont délivré des papiers nous
permettant de rejoindre Bourg-en-Bresse. De là,
nous avons été dirigés sur Lyon. Le lendemain nous
prenions le train pour rentrer dans nos foyers,
j'ai été démobilisé à Hyères (Var) le 16 Août
1940. Notre évasion avait parfaitement réussie.
RABOUILLE
Jean
***
Mon
évasion
Né à Nanterre le
23/12/1911
incorporé au 204
R1 à Auxerre CA2
agent de liaison
- clairon -
Fait prisonnier à
Toul le 21 Juin 1940
dirigé ensuite
sur Nancy - Châlons-sur-Marne - Reims et
départ pour
l'Allemagne Stalag 1V C à Wistriz - Teplitz
(frontière Tchèque).
*
**
Neuf mois que je suis en
Allemagne. Neuf mois de préparation minutieuse. Je
travaille dans une usine où l'on fabrique des
baraques à Tetchen Bodenbach (Sudètes) la date du
départ était fixée depuis longtemps déjà, c'était
décidé pour le 16 Juillet 1941. Il avait fallu
réunir le nécessaire afin de réussir ; habillement
civil propre, insigne de l'Arbeitfront et vivres;
jusqu'au talon de mes chaussures que j'avais
creusés pour servir de cachette aux marks
nécessaires au voyage. Cinq heures du matin, tout
le monde dort encore dans la baraque qui nous sert
de dortoir, les sentinelles dorment elles aussi.
Nous sommes éveillés un camarade et moi depuis
déjà quelque temps, car nous avions décidé tous
deux de tenter notre chance. Nous nous habillons
sans bruit avec les effets civils que nous avions
cachés sous nos paillasses et nous les recouvrons
de nos effets militaires. Nous rassemblons nos
petites affaires personnelles tout en laissant les
choses qui auraient pu attirer l'attention. A sept
heures c'est le départ pour le travail, et
arrivons à la scierie. Sans perdre de temps nous
serrons la main de quelques bons camarades et nous
filons chercher notre sac de route que nous avions
dissimulé dans une baraque abandonnée, c'est
l'affaire de quelques minutes et nous nous
débarrassons de notre tenue de prisonnier et
filons directement à la gare de Teschen où nous
prenons nos billets sans être inquiétés. Je suis
sourd-muet et boiteux, mon camarade parle pour
moi, car il connait l'allemand, nous allons
jusqu'à Mittel-Bron ensuite nous reprenons le
train jusqu'à Dresde. Là il y a affluence, même la
cohue, nous avons de la peine à trouver l'express
pour Leipzig. Enfin nous y sommes. Dans le
compartiment nos voisins nous scrutent, mon
insigne a l'air de les rassurer, quant à mon
camarade qui est Israélite, il n'en est pas de
même, il a le tort d'enlever sa casquette et
laisse voir ses cheveux bruns et très frisés. Une
Allemande le regarde de plus près, elle se lève
précipitamment en hurlant : " Yude ! Yude ! " et
veut me prendre à témoins. Je ne bronche pas,
heureusement nous arrivons à Leipzig, et nous nous
perdons dans la foule. Nous reprenons un autre
train pour Erfurt. En cours de route il faut
changer, mais hélas, nous avons une heure à
attendre, nous nous résignons à sortir de la gare
car nous restons seuls sur le quai. Nous arrivons
près du portillon: des employés, des soldats, des
gendarmes sont de l'autre côté, comment faire ?
Tant pis on ne peut plus reculer, notre havresac
sur le dos, moi boitant, nous sortons. On nous
regarde de la tête aux pieds, heureusement nous ne
sommes pas fripés, nos chaussures sont propres.
Enfin dehors, quel soupir !… La sueur nous coule,
nous marchons un peu et nous nous concertons : que
faire, continuer à pieds, nous avons pourtant nos
billets pour Erfurt ; nous nous asseyons un peu,
les gens nous regardent et l'idée qu'il faut
repasser le portillon nous hante mais on se
décide, personne !… Nous nous mêlons à un groupe
et peu de temps après, nous roulions à nouveau.
Nous arrivons à Erfurt vers 18 h. Le train pour
Francfort part " 3 h. plus tard : nous allons
faire un tour en ville. Nous revenons vers la gare
et nous nous dissimulons dans des coins sombres.
Nous tirons des marks de nos talons pour prendre
nos billets, puis nous cassons la croûte, cela va
mieux. Nous envisageons l'avenir avec plus de
confiance et nous pensons à la tête de nos
sentinelles qui à cette heure se sont aperçues de
notre évasion, cela nous rend joyeux, mais nous
pensons aussi aux copains, qui, eux vont subir le
contrecoup pendant quelques jours. Le train
arrive, il est bourré. Nous nous casons
difficilement dans le couloir. J'ai à côté de moi
un marin qui n'a pas le sourire, je n'ai qu'une
peur, c'est qu'il m'adresse la parole. Nous
roulons la nuit avec des arrêts de temps à autre.
Nous passons à Francfort via Mayence où nous
arrivons au petit jour, nous sommes le 17. Nous ne
sommes plus bien frais la barbe a poussé et nous
allons prendre un café au buffet. Nous avisons une
table paraissant libre, nous y étions attablés
lorsqu'un officier allemand prend place à nos
côtés et finit le café qu'il avait laissé quelques
instants, les regards se croisent ! Que va-t-il
faire ? Ses yeux se posent sur l'insigne de l'
Arbeitfront que je portais à la boutonnière et son
regard se fait moins dur, nous prenons des airs
dégagés et finissons notre tasse. Nous partons aux
renseignements pour l'heure du prochain train, je
reste seul sur le banc, un soldat passe et se met
à m'injurier, il n'était pas dans son état normal,
d'après ce que je comprenais il était furieux que
je sois en civil et lui en militaire. Je le
regardais d'un air un peu hébété et un petit
attroupement commençait à se former, je me
rappelle tout à coup que je suis pour le moment
sourd-muet. J'articule des sons inintelligibles en
montrant ma bouche et mes oreilles. Le Fritz en
était tout confus il s'est excusé en me disant : "
Ach so ! ". C'était le seul moyen de me
débarrasser de lui et des curieux. Le copain avait
été témoin de la scène, et après il en a bien ri,
mais sur le moment j'ai eu peur. Nous ne tardons
pas à reprendre le train en direction de
Sarrebruck. Dans le compartiment il y avait deux
Sarrois qui parlent français, ils ont l'air
sympathique, je décide d'entrer en relation avec
eux, car la frontière est proche, et il faut la
passer. Je griffonne quelques mots sur le blanc
d'un journal et j'attire l'attention de l'un d'eux
pour qu'il lise, car il y a aussi des Allemands et
il faut se méfier. Il sort dans le couloir je le
suis, nous disons quelques mots, il ne peut nous
être d'aucun secours car il descend à la station
prochaine, il me dit toutefois qu'il faut être
prudent car au passage de l'ex-frontière, il faut
souvent montrer ses papiers. Nous arrivons à
Sarrebruck, tout le monde descend. Il est environ
midi. En sortant de la gare, nous avons
l'impression que les gens devinent qui nous sommes
et nous nous attendons à être appréhendés à chaque
pas. Toujours ces regards soupçonneux qui nous
scrutent et nous avons nettement l'impression que
l'on nous suit. Où aller maintenant ? Où est la
frontière? Nous sommes fatigués, nous nous
écartons du centre de la ville pour voir si l'on
est suivi, mais personne. Nous cherchons notre
direction, nous voyons enfin un car allant à Metz
par St Avold. Nous suivons la route où il a
disparu et nous quittons Sarrebruck. Nous
apercevons les casemates et les dents de dragons
constituant la ligne Siegfried. Nous nous arrêtons
dans un petit bois pour nous reposer et nous
restaurer. La nuit tombe. La voie ferrée est près
de nous, un train de wagons-citernes passe, une
odeur de vin s'en dégage, pas de doute, il vient
de France, en suivant la ligne en sens inverse
nous sommes sur la bonne voie. Nous escaladons le
talus et de traverses en traverses, nous marchons
ainsi pendant un temps indéfini, nous n'en pouvons
plus et espéront avoir passé le poste-frontière.
Nous nous endormons à l'abri d'un boqueteau, tout
est calme, mais une bande de lumière rougeâtre que
nous voyons un peu plus loin nous inquiète un peu,
tant pis, nous dormons ! Le petit jour et la
fraîcheur nous réveillent ainsi que les aboiements
qui ne doivent pas être ceux d'un Pékinois… Nous
risquons un oeil ! Stupeur, nous avions dormi à
100 m à peine du poste, les lumières que nous
avions vues n'étaient autres que celles de la
barrière fermant la route, nous entendons les
éclats de voix des Fritz; il s'agit de partir au
plus vite, et en rampant de buissons en buissons,
nous nous éloignons et rejoignons la route plus
loin. Ouf ! La chance est pour nous. Nous passons
Forbach, nous sommes le 18. Nous décidons de
prendre le car pour Metz . Après avoir fait une
toilette sommaire, nous traversons St Avold et
nous voyons des prisonniers français entassés dans
des camions, pauvres gars, je les plains, moi qui
roule vers la liberté. Nous approchons de Metz, je
me rappelle que j'ai cantonné quelques jours dans
un petit village en 39, hélas les noms ont changé,
ils sont rédigés en allemand. On descend quelques
kilomètres avant Metz afin de retrouver ce hameau
et les gens qui m'hébergeaient, étant sûr qu'ils
nous accueilleraient et nous indiqueraient une
filière pour passer en France, hélas tout
l'après-midi nous marchons, mais les villages se
succédant et se ressemblant je m'y perds. Les
Boches qui occupent les fermes nous traitent de
Polacks au passage, enfin, exténués, nous décidons
de passer la nuit à la belle étoile faute de
trouver l'asile tant espéré. Au lever du jour, le
19 on repart mais cette fois par la première route
qui va à Metz,. Près d'un ruisseau nous faisons
notre toilette, nous en avons sérieusement besoin.
Maintenant il va falloir faire vite car les
havresacs se vident et les biscuits diminuent.
Nous marchons jusqu'à Metz redevenue allemande et
nous voyons des instructeurs nazis éduquer à leur
manière les jeunes Lorrains dont nous en avons
retrouvé beaucoup au Centre Démobilisateur. Ils
avaient fait comme nous ? Nous traversons la
ville, plus nous approchons de la frontière, moins
nous sommes rassurés. En voulant éviter un passage
à niveau, nous voulons passer sous un pont, nous
nous trouvons nez à nez avec une sentinelle figée
là. Sans perdre la tête mon camarade s'écrie : -
Nous nous sommes trempés, il faut passer par le
passage à niveau ! En allemand , bien entendu, je
lui réponds : - Ya woll ! le Fritz ne nous a rien
dit, il n'était pas fin quand même ! Un peu plus
loin nous nous renseignons auprès d'un paysan
cultivant son champ, mon camarade engage la
conversation en allemand pour lui demander notre
route, au bout de quelques phrases où il cherchait
ses mots, il nous répond tout bonnement : - Dites
donc, les gars, si l'on parlait français on se
comprendrait mieux ! Il ne s'était pas trompé, lui
!… Nous prenons la route d'Ars. Après nous
longeons la Moselle jusqu'à un village frontalier
voisin de Pagny, la première personne que l'on
rencontre c'est un douanier allemand avec un
molosse en laisse cela promettait ! Je pars seul
en reconnaissance dans le pays, pas beaucoup de
civils mais en revanche il y avait pas mal de
douaniers, je rentre dans un café et écoute la
conversation,. Il y a un chantier de travailleurs
étrangers dans le village, enfin, risquant le tout
pour le tout, je m'adresse à la patronne, elle
m'emmène dans une pièce d'arrière-boutique et
appelle un consommateur, nous discutons quelques
minutes et nous décidons de passer le Dimanche qui
devait être le lendemain, je crois. Je viens
rechercher mon camarade resté à l'entrée du pays
et nous voilà installés dans une chambrée avec
quelques ouvriers du chantier, nous prenons nos
repas ensemble et dormons. Le lendemain 20 Juillet
nous nous préparons fébrilement. On doit passer en
promeneurs. Nous nous séparons de nos havresacs et
n'emportons que le strict minimum dans nos poches
afin de ne pas être repérés par les douaniers qui
guettent sur les hauteurs. Au moment de partir il
y a hésitation, les gars ne sont pas rassurés pour
nous accompagner, mon camarade a une pièce de 10
Frs en or il la promet à celui qui nous
accompagnera, un se décide et en route ! Sans se
presser, par les sentiers, en s'arrêtant de temps
à autre, faisant semblant de cueillir des fleurs,
nous allions notre bonhomme de chemin, quelles
minutes ! C'étaient les plus difficiles de l'étape
que nous accomplissions, notre guide avait plus
peur que nous, enfin nous arrivons à un lieu-dit "
Les baraques ". Ça y est nous sommes passés sans
encombre quel soulagement ! Nous disons adieu à
notre guide, mon camarade lui remet la pièce, et
quelques minutes après nous sommes à Pagny sur
Moselle. La joie nous envahit, le plus dur est
fait maintenant, nous n'avons plus que la ligne de
démarcation à passer. Nous prenons le train pour
Nancy où l'on arrive dans l'après-midi. Je veux
aller directement à Paris, les cheminots me
déconseillent car nous sommes en zone rouge et il
vaut mieux se faire démobiliser avant. Nous
passons la nuit à Nancy dans un hôtel, l'on nous
dit que la Gestapo fait souvent des rondes dans
les hôtels, tant pis, un bon lit c'est tentant,
depuis le temps ! Et puis nous risquons moins que
de passer la nuit dehors. Le copain ne dort pas
beaucoup et chaque pas dans l'escalier le fait
sursauter croyant entendre les Boches, quant à
moi, je dors. Le 21 au matin nous prenons le train
pour Besançon; le trajet est assez long. Le train
ayant eu du retard nous passons la nuit dedans.
Arrivés à Besançon le 22 Juillet nous nous
renseignons où est la ligne de démarcation et l'on
décide de la passer à Champagnole. Nous prenons
donc un tortillard qui conduit à cette dernière
ville. En cours de route, j'avise mon voisin, un
bon pépère, et lui demande comment cela se passe à
l'arrivée, au terminus; il nous dit que les
Allemands sont à la sortie de la gare et qu'ils
demandent les papiers, sans hésiter une seconde on
descend à la première gare qui est
Ars-La-Montagne, ouf on a encore eu chaud ! Nous
sommes les seuls voyageurs qui descendons, le chef
de gare est su×~le quai tout seul, nous lui
racontons nos péripéties, la ligne est à quelques
centaines de mètres. Quelques minutes après il est
en civil, un outil sur l'épaule, nous demande de
le suivre, il va nous passer ! Quel brave homme.
Nous le suivons à distance, il nous quitte pour
reconnaître le terrain, nous l'apercevons qui nous
fait signe, nous avons 100 mètres à faire à
découvert, nous avons presque battu un record de
vitesse pour les parcourir. Encore 50 mètres et
nous sommes en zone libre, nous le remercions
chaleureusement et nous fonçons droit devant nous,
la nuit tombait, nous entendons au loin une
horloge, c'est Poligny et son drapeau français qui
flotte sur la gendarmerie, nous sommes tellement
heureux que mon camarade et moi nous nous
embrassons et pleurons de joie! Après c'est
Lons-le-Saunier, ensuite Bourg-en-Bresse. Nous
sommes bien reçus partout, c'était en 1941. Une
fois démobilisé je vais passer deux jours chez les
parents de mon camarade. Je décide de revenir à
Paris, je suis impatient d'annoncer la bonne
nouvelle aux miens, je veux passer par
Chalon-sur-Saône, pour franchir la ligne. Je donne
200 Frs à un sale type qui me remet entre les
mains des Fritz, je défile dans Châlon encadré par
deux Feldgrau, cette fois c'est bien fini, je ne
reverrai pas Paris de sitôt, je le pense. Les gens
me regardent passer. Fausser compagnie à mes
gardiens il ne faut pas y songer, je n'irai pas
bien loin. Arrivé à la Kommandantur je passe à la
fouille et à l'interrogatoire, je me suis
ressaisi, six Fritz sont devant moi, ils me
questionnent par le truchement d'un interprète, la
date de ma démobilisation les tracassent, c'est
trop récent, je leur dis que je reviens de Syrie,
ils regardent les photos que j'avais sur moi, ils
échangent des calembours, s'ils les retournaient
ils verraient au verso le cachet de la censure du
Stalag, c'est trop bête, j'avais pensé à tout sauf
à cela enfin tout m'est rendu, quel soulagement.
Je suis conduit dans une cellule de la prison. Au
bout de trois jours j'en sors après avoir versé
300 Frs d'amende et je suis reconduit en zone
libre. Le soir même je repasse, il faisait un
orage terrible je me perds, et tout à coup un
faisceau de lumière et trois fusils qui me
couchent en joue, pas de chance, je reprends la
même direction que 4 jours avant mais cette fois
aggravation du cas ; car j'avais sur moi une
fausse carte d'identité qu'un ex-prisonnier
m'avait fait avant de repasser, c'est à nouveau
l'interrogatoire pour savoir qui me l'avait
procurée, ils n'ont rien su et le soir je
recouchais en cellule avec des compagnons
d'infortune, cette fois j'y suis resté une
semaine, n'ayant plus d'argent pour payer l'amende
et c'est de nouveau le rejet en zone libre. Cette
fois je suis moins impatient et attends un
Ausweiss d'un habitant du pays pour passer par le
train, l'inconvénient c'est que le titulaire a dix
ans de plus que moi. En sortant de la gare de
Chalon c'est " l'épluchage " je présente mes
papiers, le Fritz me scrute avec insistance, j'ai
beau me faire le plus vieux possible, il tique un
peu, enfin il me redonne les papiers, avec le
traditionnel " Gut " cette fois, ça y est, j'ai
passé, heureusement car l'on m'avait promis que si
je me faisais reprendre on me fusillerait, ils
nous disaient aussi en Allemagne pour éviter les
évasions, histoire de rigolade, ils l'auraient
peut-être fait, les salauds. C'est l'arrivée à
Paris, le métro, la maison, tous les siens, que
l'on retrouve et la joie d'être libre… J'ai encore
échappé trois fois au S.T.O., je ne tenais pas du
tout à retourner là-bas. Pendant les journées
d'insurrection, je faisais partie du groupe "
Vengeance ".
Récit certifié véridique.
Fait
à Paris le 21 Novembre 1946.
R.J.
P.S. : Mon camarade
d'évasion s'appelle ESKENAZI Maurice, huissier à
Paris, 5 Avenue de la République.
FUSSINGER Gérald
**
Un jour
parmi
dix-sept
*
**
Il pouvait être 6 h du soir.
L'orage se déclencha. De gris qu'il était le ciel
devint noir et la pluie se mit à tomber drue et
serrée. A de rares intervalles, les éclairs
zébraient les nues, pénétrant de leur blanche
lueur jusqu'au plus touffu du bois où s'étaient
réfugiés les deux hommes. Que faisaient-ils dans
ce bois, à cette heure et sous la pluie. Un
habitant de la région ne s'y serait certes pas
trompé à voir leur accoutrement. L'un assez grand
portait avec certain souci decoquetterie une tenue
kakie, anglaise sans doute, composée d'un blouson
serré à la taille et d'une culotte longue dont le
bas était ajusté dans de petites guêtres de forte
toile de couleur claire. Des souliers éculés et
tout percés témoignaient d'un usage plus que forcé
dans une arme dont le seul mode de locomotion est
le "train onze". Des souliers de biffin à n'en pas
douter. L'ensemble était complété par un calot
posé crânement sur le côté gauche de la tête. Cet
homme avait les traits pâles et tirés, le visage
marqué par la fatigue et les privations. Un pli
soucieux barrait son front et toute sa physionomie
exprimait le découragement. Pourtant il avait
l'air énergique et sa position devait être bien
mauvaise pour qu'un tel souci apparaisse sur son
visage. Quel âge pouvait-il avoir 23 ou 24 ans à
peu près. Son compagnon paraissait plus âgé de 3
ou 4 années. Pourtant une personne curieuse qui
aurait pu les questionner aurait été surprise de
constater que le premier nommé était l'aîné d'un
printemps et venait d'attaquer bravement sa 24ème
année. Le second personnage de cette histoire
était petit, trapu, rouge de visage et noir de
poil. Il paraissait jouir d'une santé éclatante et
semblait moins marqué par la fatigue que son
camarade. Il était vêtu d'une vareuse empruntée à
l'armée belge, une de ces vestes kakies à
nombreuses poches et si pratique. Un pantalon de
même étoffe abritait de courtes et solides cuisses
et venait s'emmagasiner à 25 cm du tronc dans des
housseaux de cuir noir qui depuis bien longtemps
n'avaient pas vu le cirage. Une solide paire de
brodequins à semelle très épaisse attestait que
cet homme avait su mieux se débrouiller que son
compagnon avant d'entreprendre son aventure. Sous
le calot, posé sur sa tête, sans aucun souci,
sinon celui de la protéger d'un refroidissement,
on pouvait voir à l'expression du visage que tout
ne marchait pas comme sur des roulettes. Il
regardait obstinément en l'air en grommelant : -
Vache de flotte, va ! A ce moment la pluie se mit
à redoubler et avec elle les jurons. "Quelle
chiotte, quelle poisse" ! Le passant ne s'y fut
plus trompé. Il s'agissait de deux Français deux
soldats, deux prisonniers. Que faisaient-ils à 25
km de l'ancienne frontière allemande ? Pour le
savoir il suffit de reporter notre lecteur à
quelques jours de là, dans un kommando situé à
l'est de TREVES. Nous allons résumer succinctement
les faits pour vous permettre de mieux comprendre
ce récit. C'était un soir comme tous les autres
soirs. Les prisonniers revenaient du travail et en
passant devant le bureau du gardien, prenaient le
courrier qui leur était destiné. L'un d'eux, le
premier personnage de ce récit venait justement de
recevoir une carte et il interrompait à chaque
instant sa lecture par de brèves exclamations. "Ah
le veinard, ah le cocu. Sacré Roland, il a
réussi". Puis d'un seul coup, pris d'une crise de
folie il s'écria: - Je fous le camp, qui c'est qui
s'barre avec moi. Et quelque temps après c'était
le départ, l'évasion avec tous ses risques et
l'espoir de la réussite, cet espoir qui soutient
les prisonniers et leur permet d'accomplir des
exploits. A la suite de nombreuses aventures et
maints déboires ils en étaient arrivés à ce point
où commence notre récit. - Y a pas de bon sang, il
faut qu'on trouve une planque, s'écria le plus
grand, celui qui avait décidé de l'entreprise. Et
de ramasser tous deux leurs affaires en continuant
de ronchonner. Oh ce fut vite fait. Pour le plus
grand que nous appellerons désormais FUFU puisque
c'est ainsi que le prénommait son compagnon le
barda se composait d'un sac de toile primitivement
destiné à contenir de la farine et transformé en
sac tyrolien avec de vieilles ficelles et de bouts
de courroie. Le second n'était embarrassé que de
deux musettes dont l'une bien plate avait sans
doute dû contenir les vivres. Ils jetèrent un coup
d'oeil sur quelques carottes qui traînaient à
leurs pieds et FUFU dit en s'adressant à son
compagnon : - Si tu as encore faim, BOUBOULE, te
gêne pas ! BOUBOULE, sans rien répondre ramassa
une carotte et après l'avoir sommairement essuyée
sur sa manche, l'ingurgita en deux bouchées. Puis,
les équipements chargés, ce fut le départ. Il
s'agissait surtout de trouver un abri et ce dans
le plus bref délai car la pluie maintenant
traversait la voûte épaisse formée par les sapins
et menaçait de rendre nos amis semblables à deux
rescapés d'un naufrage en mer. Ils s'élevèrent,
d'abord le petit suivant le plus grand qui
semblait être le guide, puis hésitèrent en voyant
un sentier régulièrement entretenu. Mais la
décision fut vite prise, un coup d'oeil à droite,
un coup d'oeil à gauche, personne, en avant et de
continuer leur route. Après 300 mètres environ de
montée, ils devinrent plus circonspects. Le
terrain était foulé de nombreux pas, le bois était
plus clair et on apercevait un peu plus haut un
monticule entouré de barbelés. Une casemate de la
ligne siegfried. Etait-elle gardée ? là était le
hic et il s'agissait d'être prudent. La pluie est
mauvaise conseillère. Il y avait là-haut un abri,
alors nos deux amis n'hésitèrent pas et
franchirent en se courbant les derniers mètres qui
les séparaient du fortin. Quelle joie, quelle
délivrance, l'endroit était désert. Là, à gauche,
l'entrée de la casemate, la porte en est fermée,
mais devant il y a une tranchée et dans cette
tranchée un petit recoin où l'on ne sera pas trop
mal, et là, à terre que voient-ils donc qui les
rendent si joyeux. Du papier goudronné. En deux
minutes, un toit fut posé, un abri assuré. Et
voilà nos deux gars, serrés l'un contre l'autre,
recroquevillés sur eux-mêmes et faisant leur
possible pour éviter les quelques gouttes d'eau
qui passent au travers de la mince toiture. FUFU a
retiré de son sac une vieille pelisse garnie d'un
col de fourrure mangée aux mites et l'a posée sur
leurs genoux. Il l'avait prise la veille sur un
épouvantail à moineaux et se flatte aujourd'hui de
sa trouvaille. Au bout d'un moment il rompit le
silence que seul, venait troubler le bruit de
l'eau tombant toujours aussi drue. - Mon vieux
BOUBOULE, nous voilà mal partis. Si cette flotte
continue à tomber nous ne pourrons pas démarrer et
nous n'avons plus qu'un jour de vivres. J'ai fait
le point sur la carte et je crois savoir où nous
sommes. Sauf erreur de ma part, si nous pouvons
marcher cette nuit, nous serons en LORRAINE demain
au petit jour et certainement sauvés. Mais nous
avons encore la BLIES à traverser. Si Dieu ne nous
abandonne pas. Suivi en enfer, nous réussirons. Il
le faut, ce serait trop bête de se faire reprendre
après quatre nuits de liberté. Ainsi parlait FUFU,
et BOUBOULE se contentait d'approuver. Un drôle de
gars, ce BOUBOULE, un Normand peu bavard et
vieilli avant l'âge, mais tenace aussi et qui ne
craignait pas les kilomètres. Il avait une foi
aveugle en son camarade et l'aurait, je crois,
suivi en enfer. Depuis quelque temps déjà la pluie
se faisait moins violente et l'on apercevait dans
le ciel quelques trouées bleues. Les nuages
filaient bas et à une allure vertigineuse. Depuis
longtemps déjà le tonnerre s'était tu. BOUBOULE
hasarda timidement sa tête hors de l'abri et toute
sa face s'éclaira d'un large sourire. "J'crois
bien que ça va se tasser ! " dit-il à son ami et
aussitôt de sortir et de s'étirer, le peu de
confort de la cache lui ayant laissé les reins
tout endoloris. FUFU plus sage attendit encore
quelques minutes et sortit lui aussi en se
frictionnant les reins. - Bon Dieu de bon Dieu,
quelle vie de chiens vivement que ça finisse !
C'était son habitude. Il gueulait toujours après
la vie et ne trouvait rien de plus beau qu'elle.
Toute sa jeunesse avait été bercée de romans
d'aventures et il était aujourd'hui dans son
élément. Il ne voulait voir que le côté le plus
beau de ses péripéties et ronchonnait après toutes
ces petites choses, ces petites souffrances, ces
mille petits détails qu'un auteur oublie de
mentionner dans son livre : une branche qui vous
cingle l'oeil et vous rend borgne pendant 2 h,
l'arbre qu'on encadre dans l'obscurité et le
souvenir qu'emporte votre nez de la collision,
etc. C'était un exalté qui retrouvait tout son
sang-froid dans l'action et qui se fatiguait plus
la journée à attendre dans un bois que la nuit à
arpenter les plaines et les forêts peuplées de
danger. Aussi n'avait-il pratiquement pas fermé
l'oeil depuis le départ à l'encontre de son
compagnon qui aurait dormi sur un canon en action.
On était en Septembre et la nuit venait assez
tard. Ils durent attendre 20 h avant de se
remettre en route. Après avoir consulté sa montre
précieusement enfermée dans une boîte métallique,
le verre s'étant cassé dans une chute dès la
première nuit, FUFU donna le signal du départ. La
nuit n'était pas encore complètement descendue et
l'oeil pouvait distinguer les objets d'assez loin.
Sac et musettes solidement arrimés dans le dos,
nos deux amis prirent en sens inverse le chemin
parcouru dans les sapins et après quelques minutes
de marche parvinrent au bas de la rapide descente,
à l'orée du bois. Un chemin en contrebas longeait
les arbres et avant de s'y laisser glisser, nos
évadés jetèrent un coup d'oeil circulaire sur le
paysage. On devinait à droite un village dont les
murs blancs faisaient contraste avec le fond
sombre des collines environnantes. Droit devant,
la plaine, une plaine vallonnée qui s'élevait en
direction du Sud. A gauche des bois encore. Aucun
bruit ne troublait la sérénité du lieu, si ce
n'est quelques aboiements de chiens, là-bas, dans
les fermes. Mais c'était assez loin et nullement
dangereux. Nos deux gaillards descendirent dans le
chemin, prenant bien garde de ne pas faire de
bruit et s'engagèrent dans la plaine. Des jurons
étouffés se firent entendre. - Quelle chiotte,
disait FUFU. J'ai déjà les pieds à la sauce. - Mon
vieux, ça c'est pas le pot. On va en baver ! !
-C'est aussi mon avis ! Cette conversation se
faisait à voix basse, comme s'ils avaient craint
une oreille indiscrète dans le voisinage, et il en
était ainsi depuis le départ. C'était naturel,
instinctif, ces hommes étaient constamment sur le
qui-vive et observaient les règles de la prudence
la plus absolue. FUFU disait souvent à son
compagnon : " Vivement qu'on soit libres que je
puisse gueuler un bon coup ". Ils se souvenaient
tous deux d'une étape précédente où ils avaient
failli se faire prendre pour un toussotement
malencontreux mal étouffé. Ils avançaient d'un bon
pas, aussi vite que le permettait l'état du
terrain et ils ne semblaient plus fatigués.
L'herbe étant humide bien vite pantalons et
chaussures furent détrempés. Une ouïe fine eut
entendu le plouf plouf que faisaient les
chaussures à chaque pas des pauvres gars. Au bout
de dix minutes de marche, ils s'arrêtèrent,
prêtant l'oreille, puis marchèrent en direction
d'un murmure que seule une oreille exercée et
attentive pouvait percevoir. De l'eau était là,
coulant presque goutte à goutte d'une
anfractuosité de rocher. De l'eau que l'on
pourrait recueillir dans un quart, de l'eau que
l'on pourrait boire, quelle aubaine. Car aussi
paradoxal que cela puisse paraître, FUFU et
BOUBOULE trempés des pieds jusqu'aux genoux, la
veste humide, crevaient de soif. Ils n'avaient pu
se procurer un récipient, au départ, et force leur
était d'atteindre un point d'eau pour se
désaltérer. Ornières, ruisseaux, sources, ils
avaient bu n'importe quelle flotte. Que de fois
avaient-ils maudit la nature de terrains trop
arides ou l'attente trop longue de la nuit qui
tardait à venir, la nuit qui permettait de boire,
de trouver de l'eau fraîche qui revigorait le
corps, la langue desséchée par l'effort et calmait
la brûlure des yeux gonflés d'insomnie. BOUBOULE
tira son quart de sa musette et le tendit à la
source qui s'égouttait plutôt qu'elle ne coulait.
Enfin le récipient fut plein et en moins de deux
ingurgité. Quel soupir de satisfaction poussa
notre ami.! FUFU à son tour imita son ami. Il but,
lui, à petites gorgées se délectant à chaque
rasade. Mal lui en prit, car l'eau ayant eu le
temps de se déposer, la dernière gorgée fut une
lampée de sable. - Saloperie, Bon Dieu de merde,
etc, fut le refrain habituel qui salua cette
nouvelle mésaventure. Bah on ne meurt pas pour si
peu et puis l'heure n'était plus aux lamentations
et FUFU avait autre chose à faire. Il venait de
sortir son mouchoir et il tirait de ce dernier,
avec mille précautions, un petit instrument dont
un profane eut été bien embarrassé de dire le nom.
C'était, composé d'un couvercle d'étui de savon à
barbe, d'une rondelle de bois, d'un bout d'épingle
et d'une aiguille taillée dans une lame de rasoir
mécanique, une boussole bien primitive il est
vrai. Le verre se trouvait avec, mais il n'était
pas ajusté, car il ne permettait pas de lire
correctement la nuit. C'est à cet engin que nos
amis devaient de ne pas s'écarter de la bonne
route. Elle leur donnait d'ailleurs bien du souci
car elle n'était pas toujours disposée à tourner
et il fallait parfois que FUFU la secoue, la tape
légèrement sur sa paume pour que la lame aimantée
prenne la direction supposée Nord. Il est vrai
qu'il y avait d'autres points de repère. La lune
par exemple. C'est surtout avec elle que FUFU se
dirigeait. Il l'avait bien étudiée et il
corrigeait son angle de marche au fur et à mesure
que le temps s'écoulait. La carte ne servait en
principe que la journée. De mémoire la nuit on
notait certains détails et le lendemain on faisait
un point approximatif. Sachant par exemple qu'à 10
h on avait traversé une grande route, qu'a 1 h on
avait laissé une assez grosse agglomération à
notre droite etc… On cherchait le lendemain, sur
la carte, quel village se trouvait à environ 12
kms d'une grande route traversée et on avait à peu
près le chemin parcouru. La lune ce soir était de
sortie et la visibilité mauvaise. Heureusement que
les deux côtés de l'aiguille n'étaient pas
biseautés de même façon permettant de se
renseigner au toucher. FUFU s'orienta donc et
constata que le vent venait d'Ouest, indication
précieuse et qui lui servirait. Il dit tout joyeux
à BOUBOULE : - Renifle vieux frère on sent déjà
l'air de FRANCE dans 8 ou 9 h on sera chez nous.
C'est vrai qu'il y a cette satanée BLIES à
traverser. C'était leur souci à tous deux et elle
les avait déjà bien retardés. Ils l'avaient
traversée dans une précédente étape et FUFU avait
été tout surpris de la retrouver sur sa route. Ils
avaient mais en vain tenté de la passer de
nouveau. Indécis, perdu FUFU avait alors décidé de
gagner les bois et d'attendre le jour qui
permettrait de lire la carte. Il avait cette fois
bien étudié son plan et il était à peu près sûr de
la direction à prendre. Ils repartirent donc, plus
gonflés que jamais, tournant presque le dos au
vent, c'est-à-dire en direction de l'Est. Ils
tenaient en effet à rencontrer au plus tôt l'objet
de leur inquiétude. Ils s'arrêtaient de temps à
autre pour écouter, prêtant l'oreille, soit pour
s'assurer de la bonne direction. Seul le vent qui
bruissait dans les buissons donnait un semblant de
vie au morne paysage que traversaient nos évadés.
Après s'être élevés ainsi pendant une heure ils
arrivèrent au point culminant de l'ondulation
herbeuse où venait de s'accomplir la première
partie de l'étape. Le terrain descendait alors en
une déclivité plus rapide que nos deux lascars
eurent bien vite parcourue. Les difficultés
commencèrent en bas. Il y avait en effet une route
à traverser avant d'arriver sur une voie ferrée,
le cauchemar de BOUBOULE, et après seulement se
trouvait la BLIES. L'opération qui consistait à
traverser la route n'était pas dangereuse. On
s'approchait prudemment, on écoutait et hop au
galop et sur la pointe des pieds. Tout se passa
très bien. La voie ferrée était là, tout près.
Tapis dans les buissons, nos deux gaillards, toute
ouïe, toutes oreilles se mirent à observer le
terrain à parcourir. Ainsi que je vous l'ai déjà
dit la lune ce soir était masquée par de vilains
cumulus. Par bonheur, la voute n'en était par
moment pas très épaisse et une pâle clarté
filtrait au travers des nues qui parfois même
poussaient l'obligeance jusqu'à laisser entre eux
un espace suffisant pour permettre à Dame-Lune de
jeter un coup d'oeil à sa voisine, la terre. On
pouvait alors distinguer plus nettement la ligne
de chemin de fer signalée au loin vers le Sud par
de petites lueurs fixes, des signaux ou des postes
de garde aux abords d'un village. On entendait les
plaques de signalisation et les fils grincer au
vent. Là-bas, vers le village, une sonnette
grelottait dans la nuit. Pas d'autres bruits, rien
d'anormal. En avant, mais avec prudence, courbés,
nos deux amis s'avancèrent, tout le corps en éveil
près à la fuite ou à la résistance. Un fossé assez
profond et broussailleux longeait la voie. Très
peu d'eau, tout va bien. FUFU en tête, nos deux
gars sont maintenant sur le talus de la ligne. Ils
arrivèrent enfin au faîte et prudemment jetèrent
un coup d'oeil. Tout paraissait normal. -
Attention BOUBOULE, il y a des fils. - Oui, oui,
murmura BOUBOULE. - Fais pas comme hier, tint
encore à préciser FUFU qui malgré la situation ne
put s'empêcher de sourire en se remémorant la nuit
précédente. Ils avaient traversé cette même ligne
entre un poste et une gare. Comme ce soir FUFU
avait averti son compagnon : - Attention aux fils
! - Oui, oui , et au même instant, bring, bring
les deux pieds dans le réseau et les signaux qui
sonnaient la ferraille. Un frisson avait parcouru
l'échine de FUFU. - Oh c'que t'es con, fais
attention aux autres. - Oui, oui , et rebelote
bring, bring, ding, ding, les panneaux. Cela avait
provoqué une fuite éperdue qui s'était terminée
par un magnifique plat ventre dans un champ de
betteraves et une crise de fou rire une fois le
danger écarté. Mais BOUBOULE cette fois écarquilla
bien les yeux et tout se passa sans incident. La
ligne traversée, un autre fossé semblable au
premier fut franchi et ce fut la plaine, humide,
spongieuse qui laissait deviner la proximité de
l'eau… En effet, quelques centaines de mètres plus
loin, nos amis arrivèrent sur les bords de la
BLIES. Force leur fut de s'arrêter avant de
prendre une décision. Ils se regardaient
embarrassés. Pour un os cela en était un. La
rivière avait à cet endroit une largeur
approximative de 20 mètres. Les eaux presque
dormantes attestaient une assez grande profondeur.
Ici impossible de passer, une seule solution
s'offrait à nos amis, suivre le cours d'eau en
priant Dieu de leur faire découvrir un endroit
guéable ou un pont. Longeant la rive droite de la
BLIES ils continuèrent leur marche. Le vent avait
faibli et seules quelques rides frissonnaient
encore à la surface des eaux, leur donnant un
semblant de vie et la faisant paraître moins
sinistre. Qu'y-a-t-il en effet de plus lugubre que
des eaux dormantes, noires et sans fond, quand
vous êtes à minuit dans un pays où tout vous est
hostile et que la pensée de la mort, depuis
bientôt une semaine, habite votre crâne et vous
fait voir du danger même où il n'y en a pas. Rien
ne pouvait déplaire d'avantage à nos amis. Ils
durent bientôt ralentir leur marche et prêter
d'avantage encore attention à ce qui se passait
alentour. Un village se trouvait sur la droite.
Circonstance heureuse la BLIES semblait s'en
éloigner légèrement. Ils arrivèrent bientôt en vue
d'une route et, Dieu merci, un pont traversait le
cours d'eau. Courbés en deux ils arrivèrent à
hauteur de la route et prêtèrent l'oreille. Pas de
bruit, le pont ne devait pas être gardé. - Tu es
prêt BOUBOULE… - Oui… - Allez, à fond…! Grand
dieu, qu'il paraissait long et comme il résonnait
sous chaque pas. Enfin ils arrivèrent au bout.
Vite, dans les herbes à droite. Ouf la BLIES était
traversée. Ils en pleuraient de joie et ne
pouvaient s'empêcher d'extérioriser leur bonheur.
- Chouette BOUBOULE, c'que j'suis content. - Ah
mon vieux, on les aura, répondit l'interpellé,
tiens, comme ça et de taper la paume de sa main
sur son autre main refermée en un geste que la
bienséance m'empêche ici de traduire (écrit en
1943. Maintenant j'aurais écrit : " Ils l'ont dans
le cul "). Autre époque autres moeurs. Il en
gloussait l'ami BOUBOULE et il en poussait des : "
Ah vieux frère, ça y est ! ! ". Hélas, s'ils
avaient su !.. Ils se trouvaient dans une plaine
marécageuse, coupée de fondrières, de plaques
d'eau, de ruisselets et ils durent, dès les
premiers pas effectués sur ce terrain, utiliser
des planches qui se trouvaient sur les trous. La
progression ne se faisait pas sans difficultés. A
gauche se trouvaient des montagnes dont la masse
sombre se détachait vaguement dans l'obscurité. A
droite était la BLIES. Il fallait obligatoirement
continuer droit devant soi. C'était la seule route
envisageable. Les émotions donnent soif et nos
évadés en firent l'expérience. Ils durent à
plusieurs reprises prélever de l'eau dans les
trous qu'ils trouvaient à chacun de leur pas.
C'était une eau fade et croupie mais qui coulait
quand même additionnée de sucre. A la guerre comme
à la guerre, au diable les microbes, si tout
continuait à bien aller. Ce serait bientôt le
repos, la bonne nourriture, l'espoir était là. Ils
arrivèrent bientôt sur un village qu'il fallut
traverser, ce qui fut relativement facile. Ce pays
était divisé en deux parties, reliées entre elles
par une rue où sur une centaine de mètres une
seule maison était bâtie. Nos deux lascars
s'approchèrent lentement, avec leur prudence
habituelle et observèrent. Une auto passa, tous
phares allumés, mais il eut fallu un oeil averti
pour deviner nos compagnons collés au sol. Ils se
préparaient à bondir quand des pas se firent
entendre sur la route. Retenant leur souffle, ils
virent passer à deux pas d'eux une personne qui
était loin de se douter de l'émotion qu'elle
provoquait. Quand elle se fut éloignée, ils
passèrent sans rencontrer d'autres difficultés. Le
vent s'était calmé et le ciel s'était un peu
éclairci, ce qui permettait de distinguer les
environs. Nos amis longeaient maintenant les
dernières maisons du village et furent bientôt sur
un terrain recouvert de mâchefer. Des tas de
charbons leur barraient la roue, une usine se
devinait tout près. L'endroit était dangereux et
il s'agissait d'en sortir au plus vite.
Heureusement que les chiens étaient rares en
ALLEMAGNE. Ils eurent encore une route à traverser
et bientôt ce furent des terres labourées, des
champs de betteraves et de pommes de terre qu'ils
eurent à parcourir. Le sol était lourd et la
marche difficile. La direction empruntée était
Sud, Sud-Est et FUFU s'évertuait à respecter la
ligne droite. Ils ne tenaient en effet aucun
compte des chemins qu'ils pouvaient rencontrer au
cours de leurs pérégrinations. Ils ne
contournaient que les obstacles vraiment
infranchissables ou par trop dangereux. Les
clôtures en barbelés, les haies, les petits
ruisseaux, tout était traversé au plus direct car
la nuit ne facilite pas l'orientation. Jusqu'à
présent cette méthode s'était montrée excellente
et il n'y avait aucune raison de ne pas continuer
à agir ainsi. Ils marchèrent ainsi pendant près de
deux heures ayant eu une seule difficulté pour
franchir une petite rivière, à proximité d'un
hameau. Ils traversèrent sur un petit pont de
pierre, dans un jardin où ils eurent soin de
prendre quelques légumes au passage. (Je me
souviens que nous étions passés sous une fenêtre
entrebâillée qui nous permit d'entendre de sonores
ronflements, "dormez en paix les petits, FUFU
veille sur votre sommeil."). Vers une heure du
matin FUFU, qui marchait le nez au vent, le regard
fixé sur un petit carré de ciel clair juste en
face de lui, poussa un cri de joie. Ils étaient au
pied d'une colline qu'il leur fallait gravir. La
confiance était en eux, tout marchait à merveille
et la fatigue n'avait plus prise sur nos amis. -
Regarde BOUBOULE ! Dieu nous indique la route !
Une étoile filante venait de traverser le ciel,
juste en direction de la FRANCE. Depuis leur
départ nos évadés s'étaient mis sous la protection
de Dieu et FUFU l'athée, même pas baptisé, FUFU
qui n'avait dans sa jeunesse jamais fait une
prière, plus peut-être que BOUBOULE, pourtant
Normand, avait une foi absolue en la Providence.
Il avait la certitude de réussir, et plus que sur
ses moyens intellectuels et physiques, il comptait
sur l'aide de Dieu. Il avait sans doute raison car
toujours la chance fut avec lui durant son long
voyage. Le terrain que parcouraient maintenant nos
évadés était vallonné, herbeux, parsemé de
boqueteaux et coupé de chemins. Le ciel était
clair, sauf à l'Ouest où une grande bande noire
annonçait encore de la pluie ce qui rendait FUFU
soucieux. Si le beau temps pouvait durer jusqu'à
l'aube peut-être trouveraient-ils un abri sûr qui
leur permettrait de finir la nuit et de prendre du
repos. Brusquement il leur fut interdit de
continuer leur route. Une barrière se dressait
devant eux, un grillage haut de trois mètres suivi
de quelques rangées moins élevées de barbelés et
là, devant leur nez, une pancarte ainsi rédigée :
" Achtung ! Minengefahr ! "." Attention danger
mines ". Le coup fut rude pour eux et ils se
perdirent en conjectures. La ligne Siegfried ou la
frontière? - Cela prouve que nous sommes sur la
bonne route, mais comment passer ? A ton avis
BOUBOULE qu'allons-nous faire ? Escalader ou bien
voir s'il n'y a pas une chicane quelque part ? -
Ben, j'sais pas moi. Qu'est-ce que tu veux faire ?
- Hum ! Escalader, on risque de se faire sauter la
gueule ! Contourner jusqu'à une route, on risque
de tomber sur un passage gardé. C'est moche. Bah !
Longeons toujours un peu sur la gauche et si on ne
trouve rien d'ici un quart d'heure on escaladera.
Ce qui fut dit fut fait et comble de chance après
quelques minutes de marche, la route était libre.
Ils foncèrent dans la plaine qui s'ouvrait devant
eux, heureux d'avoir échappé à un nouveau danger.
Ils remarquèrent quelques trous sur l'origine
desquels ils ne pouvaient se tromper. Bien que
vieux de deux années et tapissés d'herbe ils
reconnurent des trous d'obus dans ces excavations,
" Certainement du 155!", disait FUFU qui se
souvenait en avoir balancé aux Schleus avec la
complicité de braves artilleurs. Allons il y avait
du bon et on serait bientôt en LORRAINE. Ainsi
pensaient-ils et avec juste raison. Mais… Le
paysage changea encore d'aspect et ils
parcoururent de nouveau des terrains labourés
fraîchement, quelques champs de pommes de terre.
Une belle route droite allait, elle aussi, en
direction du Sud. Pourquoi ne pas la prendre ? "
pensa FUFU euphorique, oubliant toute prudence. En
marchant sur la banquette on ne fait pas trop de
bruit et l'allure est plus aisée. - Tiens une
maison, à 50 m de la route! Soyons quand même
prudents, et changeons de côté. Mais il y a une
pancarte. FUFU voudrait bien savoir où il se
trouve et suivi de son copain, il décide d'aller
se rendre compte et traversant la route à pas de
loups s'approchent, s'arrêtent et, ah !, mon Dieu,
sans se retourner détalent comme des voleurs.
Qu'avaient-ils donc vu qui leur avait causé une
telle frayeur ?" Kriegsgefangenenlager " portait
le tableau. Camp de prisonniers de guerre. Quelle
chance qu'aucun gardien ne se fut trouvé là à ce
moment. - Tu te rends compte BOUBOULE où on
mettait les pieds, dit en riant FUFU une fois le
danger écarté. Et tous les deux de s'esclaffer : -
On sort d'en prendre et on ne tient pas à y
retourner, riposta BOUBOULE et son ami d'approuver
: - T'as raison mon pote ! Continuant leur route,
ils distinguèrent un village sur la droite. Dans
les champs des charrues abandonnées gisaient. Au
jour la vie reprendrait, les paysans
retourneraient à leurs champs, à leur travail sans
se douter que dans la nuit leur terre avait été
foulée, piétinée, que leur charrue avait servi de
siège à des prisonniers en cavale. Et il en était
ainsi chaque nuit de mai à septembre où des
milliers de Français arpentaient les routes de
l'ALLEMAGNE à la poursuite de cette chère liberté
si mal défendue, et tant regrettée. On devinait
plutôt qu'on ne voyait une grande ligne noire
devant soi, dans l'axe de la route et après un
quart d'heure de marche, nos amis reconnurent une
forêt. Ils en eurent bientôt atteint la lisière et
avant d'y pénétrer FUFU décida de prendre un peu
de repos. Tapis dans un buisson ils restèrent
ainsi dix minutes, reprenant de nouvelles forces
et se confiant leurs espoirs. FUFU surtout était
optimiste et à son avis, ils seraient au petit
jour en LORRAINE. BOUBOULE s'emballait moins
facilement, en bon Normand qu'il était, mais il
avait une grande confiance en son ami. Ils ne
faisaient même plus attention aux mille bruits de
la forêt. Au début de leur aventure, ils avaient
bien eu quelques petits frissons, provoqués par
les cris les plus divers de la faune sylvestre et
que leurs nerfs fatigués réceptionnaient au
centuple, transmettant dans tout le corps une
secousse que même les individus les mieux trempés
ressentent à l'approche du danger, ce qu'on
appelle le frisson d'angoisse. Quelle impression
étrange que ce phénomène qui vous étreint la
nuque, vous parcourt le dos d'une onde glaciale,
vous paralyse les jambes et vous cloue sur place,
les yeux dilatés et la bouche prête à lâcher un
hurlement de peur.) Nos amis s'y étaient vite
faits et le chant du grand duc ce sinistre appel
qui évoque un cri de possédé, le rauque aboiement
du renard qui détale sous votre nez en hurlant de
peur ne leur causait plus qu'un trouble très vite
réprimé. Les dix minutes écoulés nos évadés se
relevèrent, ajustèrent leurs équipements et
pénétrèrent dans la forêt. On entendit les
branches craquer, les feuilles bruisser et une
minute après nos compagnons ressortirent. -
Prenons la route, dit FUFU, c'est trop difficile
de se frayer un passage là-dedans, on risque de se
paumer. - Oui, mais ce n'est peut-être pas prudent
! rétorqua BOUBOULE. - Viens quand même ! ! Et
l'un suivant l'autre, ils gagnèrent la route
distante d'environ 50 mètres. Ils s'étaient
proposés de la suivre à distance, dans le bois de
façon à éviter toutes mauvaises rencontres, mais
la forêt était trop touffue et force leur était de
suivre l'artère goudronnée qui s'enfonçait dans le
bois. Ils marchaient sur le bas-côté, avançant
avec circonspection. La direction était bonne,
Sud, Sud-Est et l'allure aisée. Ils firent ainsi
deux ou trois kilomètres sans être inquiétés. Tout
à coup une grosse masse blanche apparut sur le
bas-côté de la route et ils purent se rendre
compte que l'objet de leur émoi était une grosse
borne en pierre. - La frontière ! dit FUFU et il
se pencha pour lire. Un nom était inscrit il était
illisible mais il déchiffra dessous 5 kms. Hum !
Décidément BOUBOULE était pessimiste ce soir. Se
doutait-il déjà du calvaire qui les attendait un
peu plus loin ? Mais l'entrain de FUFU lui rendit
bien vite sa gaieté. Ils continuèrent leur route
le coeur empli d'espoir. Ils faisaient des
projets, imaginant déjà l'accueil qui leur serait
réservé en LORRAINE. Ils en avaient tellement
entendu de ces récits d'évasions où les
malchanceux repris vantaient le courage, la
cordialité des Alsaciens-Lorrains. Ils se voyaient
déjà devant une table bien garnie, des visages
souriants les regardant curieusement. Cette
perspective leur donna des forces et l'allure s'en
ressentit, les mètres s'ajoutaient aux mètres à
une cadence accélérée. Le bois fut bientôt
traversé et ce fut de nouveau la plaine. La route
obliquant sur l'Ouest, ils prirent la sage
décision de continuer vers le Sud en marchant dans
les champs. Le terrain devenait plus accidenté à
mesure qu'ils avançaient. Les cultures se
faisaient rares, quelques réseaux de barbelés
entravaient quelquefois le passage et des blockaus
hérissaient chaque monticule que nos gars
contournaient. Ils étaient dans une vallée où
serpentait un ruisselet quand les appréhensions de
FUFU se réalisèrent. Cela commença par un
brouillard léger qui les enveloppa comme un
linceul en masquant complètement le détail des
objets environnant. Le vent soufflait toujours et
une dernière fois, FUFU sortit son mouchoir, à
tâtons s'assura qu'il venait toujours de l'Ouest
et se plaçant résolument face au Sud dit à son
copain : - Vieux frère, prend le vent et en avant.
Fais confiance à mon grand nez ! - Heureusement
que t'as ton grand pif, sans lui nous n'en serions
pas là. En effet à chaque moment FUFU vantait son
nez, qui disait-il, valait le flair d'un chien
policier. Après avoir, d'un geste machinal ajusté
leur barda, nos amis repartirent toujours l'un
suivant l'autre, FUFU en tête, flairant le vent.
Pourvu qu'il ne tourne pas, ne s'arrête pas, ce
serait bien notre veine. Ils marchaient de nouveau
dans des terres cultivées, sur un terrain
relativement plat. Le brouillard s'était
légèrement dissipé pour faire place à la pluie qui
cinglait rageusement le visage des pauvres
bougres. Ils avaient de nombreux champs de
betteraves à traverser et c'était pour eux un
véritable cauchemar. La terre alourdie collait à
leurs semelles et les feuilles remplies d'eau se
déversaient sur leurs chaussures détrempées. Ils
rencontraient parfois de petites buttes de terre
qu'il leur fallait escalader à quatre pattes
tellement la glaise était glissante. Les sacs et
les musettes gonflés d'eau leur semblaient de
plomb et rendaient la marche plus pénible. Après
un quart d'heure de ce régime nos deux amis n'en
pouvaient plus et devaient faire des efforts
surhumains pour aller de l'avant. Où était
l'optimisme des premières heures ? De temps en
temps FUFU s'arrêtait pour sentir le vent. La
pluie frappait ses yeux et se mêlait aux larmes de
rage qui ruisselaient le long de ses joues hâves.
Une pensée heurtait ses tempes et venait mourir
sur ses lèvres. Tenir ! Marcher ! Marche, marche,
et les pas s'ajoutaient aux pas. Marche, marche et
toujours plus lourde la terre collait aux semelles
et l'eau glacée descendait le long de la nuque,
suivait l'échine et venait se perdre dans les
chaussures. Les lacets détrempés craquaient, les
coutures craquaient, craquait aussi le courage de
nos deux gars déjà tant éprouvés lors des premiers
jours de fuite. De champs de betteraves en champs
de pommes de terre, nos amis arrivèrent dans une
vallée où l'on sentait la présence d'un village.
Les chemins de terre étaient plus nombreux, ils
traversaient quelques vergers, dont certains
étaient clos, mille indices laissaient présager la
proche rencontre d'un lieu habité. Ils n'en
pouvaient plus, leurs jambes tétanisées refusaient
de les porter et seul l'espoir d'être enfin en
LORRAINE les soutenait. - Nous allons enfin avoir
un renseignement ! murmura FUFU à son copain qui
n'eut même pas le courage de lui répondre. Ils
descendaient maintenant un chemin qu'ils s'étaient
empressés d'emprunter. Il était alors environ 3 h
du matin et avec le temps de chien qu'il faisait,
ils ne risquaient pas de mauvaises rencontres.
Après 300 mètres de marche, ils ralentirent leur
allure, les premières maisons étant apparues à un
détour de la route. Une rude émotion serrait la
gorge de nos évadés, ils allaient savoir. Ils
distinguaient maintenant la plaque indicatrice à
10 m, à 5 m, à 2 mètres et FUFU s'appuya sur elle
pour mieux lire. Un nom noir sur jaune dansait
devant ses yeux : " PEPENKUM " et en dessous deux
mots, deux terribles mots : " KREIS HOMBOURG Un
haut-le-corps secoua le corps de notre héros en
même temps qu'un sanglot amenait les larmes à ses
yeux. - KREIS HOMBOURG !, KREIS HOMBOURG.! Foutus,
BOUBOULE, on est foutu. J'ai dû me tromper, mon
vieux mon grand nez n'a servi à rien. Et déja
s'excusant ! - Pardonne-moi BOUBOULE, ma boussole
n'est pas bien bonne ou je suis un imbécile,
pardonnes-moi de t'avoir mis dans ce pétrin. Son
copain ne comprennait pas, alors FUFU entreprit de
lui rafraîchir la mémoire… - Souviens-toi, il y a
trois jours nous avons cheminé vers HOMBOURG et
KREIS HOMBOURG signifie que nous sommes dans le
même district. Nous avons dû tourner en rond, on
est foutu. C'est fini la belle aventure. BOUBOULE
n'osait croire. Il avait tellement eu confiance en
son copain. Puis la réalité lui apparut. Les
"Polizei", la prison, le stalag et des jours et
des jours de captivité. - Peut-être te trompes-tu
? , hasarda le Normand qui comme tous les gens de
sa race était particulièrement têtu. - Sans cette
vache de flotte je pourrais lire la carte, mais va
te faire fiche. Ecoute, éloignons-nous du village
et cherchons dans la campagne un coin où l'on
pourra craquer une allumette. Ils refirent donc en
sens inverse une partie du chemin parcouru et
après dix minutes de marche arrivèrent à un pont
qui enjambait une petite rivière. D'un commun
accord nos amis s'arrêtèrent animés par une même
pensée. Là, sous ce pont, peut-être serait-il
possible de lire la carte ! ! Evidemment il y
avait la rivière mais n'étaient-ils pas trempés
jusqu'aux os. Sans plus tergiverser ils
pénétrèrent dans l'onde glacée. Ils avaient de
l'eau jusqu'au ventre lorsqu'ils s'arrêtèrent sous
la voûte ruisselante. Péniblement FUFU sortit sa
précieuse carte enfouie sur sa poitrine, tout
contre son coeur, avec une photo. L'extérieur en
était détrempé et cela ne laissait pas de
l'inquiéter. BOUBOULE de son côté sortait des
allumettes qu'il avait extraite d'une boîte en fer
enfouie dans une de ses musettes. Avec d'infinies
précautions, de ses doigts gourds il s'empara d'un
petit bâtonnet souffré et crac, une petite flamme
éclaira de sa pâle lueur cette scène étrange. Bien
vite FUFU se repéra, une autre allumette, nous y
voilà, HOMBOURG, encore une autre, puis une autre
et rien pas de PEPENKUM. Encore une ! Les yeux
fatigués ne voient plus l'eau qui tombe de la
voûte, fait une tâche qui va s'élargissant sur la
carte. Le frottoir de la boîte d'allumettes est
lui aussi devenu humide. C'est fini et c'est à
FUFU le mot de la fin: Merde ! L'eau maintenant
est plus froide, le barda plus lourd et le corps
fait mal, si mal. Ils sont de nouveau sur la
route, des loques plus que des hommes spectres
vivants et ruisselants qui se dirigent vers le
village. Là-bas il y a des humains, du feu, à
manger peut-être. Pauvres fous qui avaient cru à
la liberté. - Que comptes-tu faire FUFU ? BOUBOULE
ne veut pas réfléchir et s'en remet à celui qu'il
a choisi pour guide qui en deux mots lui expose
son point de vue. - Nous allons taper à la
première porte venue. Dans l'état où nous sommes,
si nous ne nous rendons pas nous risquons de
crever dans un bref délai. La pluie peut durer
plusieurs jours et nous n'avons plus rien à
bouffer. On va peut-être nous casser la gueule,
mais tenant à ma peau je ne veux pas casser ma
pipe, malade sur un lit d'hôpital. BOUBOULE était
Normand je l'ai déjà dit et tout son être se
révoltait à la pensée de se rendre. Jusqu'alors,
il avait suivi son copain sans discuter, mais ça
non, il ne le pouvait pas. La pensée de revoir la
sale gueule des nazis qui ne manqueraient pas de
le tourner en ridicule lui faisait bouillir le
sang dans les veines. Il n'avait pas la
philosophie de son ami. - Non, non et non. Je ne
veux pas me rendre ! - Comme tu veux, BOUBOULE,
tiens voilà la carte, la boussole, bonne chance
mon vieux. BOUBOULE regarda son copain, puis
allongea la main pour prendre les objets que lui
tendait FUFU. Il n'acheva pas son geste et
s'effondra sur le proche talus pleurant comme un
gosse : - Tu sais bien que tout seul, je ne
saurais pas me diriger, disait-il entre deux
sanglots, ce n'était pas la peine d'avoir tant
marché. Et il criait ses espérances perdues. Tout
son être semblait anéanti sous le poids de la
fatalité qui les arrêtait au seuil de la liberté.
Le spectacle d'une telle douleur rendit à FUFU son
sang-froid. Il était le responsable, il avait
promis et était si sûr de lui. Peut-être
tomberaient-ils chez de braves gens qui les
prendraient en pitié. Il fit part de ses pensées à
son frère de souffrance, lui communiquant l'espoir
bien faible qu'il avait encore de s'en tirer.
BOUBOULE en avait pris son parti : - On est foutu,
allons ! Ils se dirigèrent donc vers la première
maison en vue. C'était une ferme comme on en voit
dans le PALATINAT. Habitation coquette avec hélas
l'inévitable tas de fumier devant la porte. Le
coeur anxieux FUFU martela l'huis à coups de poing
et ils attendirent une réponse qui ne vint pas.
Ils n'osèrent récidiver. - Allons voir plus loin,
émit le responsable de l'aventure et ils se
portèrent vers l'habitation la plus proche. Même
scène et toujours pas de réponse, leur anxiété
redoubla. - Allons voir derrière, nous trouverons
peut-être quelqu'un. Et de joindre le geste à la
parole. Aucun bruit ne se faisait entendre. Alors
FUFU appela : Ho ! Darin , (Ho ! là-dedans). On
entendit un murmure de voix au premier étage et
une fenêtre s'ouvrit. - Was ist los ! , lança une
grosse voix. Une conversation s'engagea alors en
allemand. - Ici deux prisonniers de guerre
français, nous sommes mouillés, nous avons faim.
Mon camarade est malade, nous nous rendons. Un
corps s'était penché que l'on devinait de blanc
habillé et à ses côtés une autre personne, la
femme sans doute. Ils semblaient se concerter et
des bribes de conversations arrivaient aux
oreilles de nos deux amis dont le coeur battait
violemment dans leur poitrine oppressée
d'angoisse. Ils attendaient le verdict, la gorge
sèche. La voix, de nouveau se fit entendre et
bonheur immense, c'était l'espoir ; c'était la vie
qui descendait de cette fenêtre. La chaleur de
nouveau habitait les corps transis et grelottants,
les chaussures paraissaient plus légères, les sacs
moins lourds, la vie redevenait belle. Mais
qu'étaient-ce donc que ces paroles magiques ? -
Non, disait le paysan, ne vous rendez pas,
continuez. Dans une heure vous serez en LORRAINE.
Et dans un murmure : Evitez la route, suivez la
rivière jusqu'a un petit pont. Ensuite marchez sur
le Sud. Vous trouverez un village où on vous
recevra. Bonne chance. - Que Dieu vous bénisse.
Gott ihnen segnen. Danke, danke, s'écria FUFU. Et
sans plus attendre, n'osant croire à tant de
magnanimité, craignant que le brave homme ne se
ravise, ils détalèrent comme des lapins. - Tu vois
BOUBOULE, je le sentais. Faut jamais désespérer.
Mon instinct me le disait. La chance est avec
nous. Je ne m'étais pas trompé, on réussira.
L'interpellé frétillait en marchant. - Chouette
disait-il, mais j'ai eu chaud, je me voyais déjà
repris par ces corniauds. Ainsi parlant ils
arrivèrent à la sortie du village qu'ils
quittèrent pour gagner la rivière que l'on
devinait sur la gauche. Après quelques minutes de
marche ils arrivèrent à un petit pont et, suivant
les conseils du paysan allemand, foncèrent droit
sur le Sud. La pluie avait cessé mais le froid
devenait plus vif transperçant nos deux gaillards
trempés jusqu'à la peau. Qu'importe. Ils avaient
la quasi certitude de trouver un havre où ils
pourraient se sécher et casser une bonne croûte.
Ils marchaient à vive allure malgré la fatigue.
Les jambes leur faisaient mal, les muscles étaient
durs comme du bois, le froid et l'humidité
rendaient chaque mouvement plus pénible. Ils
trébuchaient parfois, s'affalant de tout leur long
dans la glaise mais ils se relevaient, les dents
serrées, tout leur être tendu vers la liberté
qu'ils entrevoyaient plus proche. Après une heure
de marche ils rencontrèrent une route, un chemin
plutôt qui lui aussi descendait sur le Sud. Nos
amis s'y engagèrent pensant en toute logique qu'au
bout de cette voie ils trouveraient un village.
Ils n'avaient pas fait 300 mètres que l'attention
de FUFU fut attirée par une pancarte qui se
dressait sur la gauche du chemin. Curieux de
nature, il s'en approcha et péniblement déchiffra
: " Achtung " en-dessous en grosses lettres : "
Frontière à 300 m ". Cette inscription étant sur
le côté sud du panneau cela signifiait que la
frontière était passée. Ils étaient enfin en terre
française. Française pour eux et pour beaucoup
malgré l'occupation, malgré l'annexion. Le danger
n'était certes pas éloigné car ils trouveraient là
encore beaucoup d'ennemis, mais ils pourraient
s'adresser à la population et la chance aidant,
ils trouveraient certainement des braves gens pour
faciliter leur tâche. Ils tombèrent dans les bras
l'un de l'autre, émus jusqu'aux larmes ne sachant
dire que ce mot: Enfin ! ! Ils restèrent deux ou
trois minutes ainsi, discutant sur la conduite à
tenir, puis d'un commun accord, décidèrent de
suivre la route jusqu'au village, qu'ils ne
manqueraient pas de rencontrer, non loin de là. En
effet après un quart d'heure de marche ils
franchirent un petit pont dont le garde-fou était
encore peint aux couleurs françaises. Ce fut une
joie pour eux de revoir notre emblème et cela
galvanisa leur courage. Les premiers pas sur la
terre française les avaient transformés et ce
n'étaient plus des loques humaines qui se
traînaient quelques heures auparavant mais deux
gaillards décidés qui fonçaient vers le salut. A
cents mètres de là se devinaient les premières
maisons de la bourgade. Ils avancèrent résolument
dans leur direction, se promettant de frapper à la
première porte venue. En arrivant à la hauteur des
premières habitations ils eurent une déception. La
guerre était passée par là et ce n'était partout
que toits crevés, murs soufflés, fenêtres
arrachées. Un silence de mort régnait sur ces
ruines et faisait paraître plus sinistre ce
désolant paysage. Nos amis allaient-ils au devant
d'une nouvelle déception ? FUFU avait repris son
masque soucieux, d'autant plus que la pluie
s'était remise à tomber. Il fit part de ses
impressions à BOUBOULE. - Ecoute lui disait-il, si
tout le village est dans le même état nous ferons
une flambée dans ces ruines pour nous sécher et
pour la croûte nous irons rapiner dans les champs.
Mais avant d'en arriver là explorons entièrement
le pays ! Et de nouveau, ils repartirent à la
recherche d'un indice de vie, d'un bruit, d'une
lueur, attestant une présence humaine. Ils
discernèrent sur leur gauche, un édifice à peu
près intact dans lequel, en approchant, ils
reconnurent une chapelle. Ils pensèrent trouver là
une personne qui puisse les héberger car il n'est
pas d'exemple à ma connaissance d'un prêtre ayant
livré des évadés. Hélas, là encore, ils ne furent
pas chanceux et ils eurent beau faire un tapage de
tous les diables, le silence seul répondit à leurs
appels. Déçus ils continuèrent leurs
investigations quand leur attention fut attirée
par un rai de lumière filtrant au travers des
volets d'une maison voisine. Ils s'approchèrent
avec circonspection. Cette partie du bourg était
intacte et ils percevaient des cliquetis de
chaînes remuées, le souffle des bêtes dans les
étables et les mille bruits nocturnes qui
s'échappaient des maisons peuplées d'un nombreux
bétail. Prudemment FUFU parcourut les derniers
mètres le séparant de la fenêtre, avançant sur la
pointe des pieds et retenant sa respiration, il
colla un oeil sur la fente du volet. Le spectacle
qu'il vit devait être bien intéressant car il ne
semblait pas pressé de se retirer et son ami qui
s'était approché, frétillait d'impatience. Au bout
d'une minute d'observation, FUFU se redressa
lentement et se retourna vers BOUBOULE qui
interrogea dans un souffle. - Alors ! ! - Je ne
sais pas exactement. J'ai vu une femme âgée qui
était assise, occupée à je ne sais quelle besogne.
J'en ai vu une autre plus jeune et je crois avoir
vu un soldat allemand. Pas rassurant !
Qu'allons-nous faire ? - Je vais voir ! Et
BOUBOULE, à son tour, regarda. Lui ne fut pas bien
sûr qu'il s'agissait d'un soldat. On entendait
parler en allemand mais il était difficile de
comprendre un seul mot de la conversation car la
fenêtre était close. Ils s'éloignèrent de quelques
mètres, indécis, revinrent vers cette lumière qui
à leurs yeux symbolisait l'espoir, la vie. Soudain
la porte s'ouvrit, découpant un grand carré blanc
dans la nuit d'encre et une silhouette d'homme
s'encadra un instant dans la lumière vive,
projetant une ombre immense sur la chaussée
luisante. Le coeur battant, nos amis n'eurent que
le temps de se coller au mur, le souffle court,
craignant par un geste de déceler leur présence. -
Guten Nacht. Bis Morgen ! furent les seules
paroles qu'ils entendirent, alors qu'un pas lourd
s'éloignait dans la nuit, et que l'huis se
refermait aussi doucement qu'il s'était ouvert.
Nos évadés attendirent quelques minutes puis FUFU
frappa discrètement sur la porte. La réponse se
faisant attendre, il récidiva tapant plus fort. Il
n'y eut encore aucun bruit à l'intérieur de la
maison que nos évadés auraient pu croire déserte
s'ils n'avaient pu se rendre compte de visu,
quelques minutes auparavant de la présence d'au
moins deux personnes, la troisième venant de
partir, à l'instant même. En désespoir de cause
FUFU se résigna à appeler doucement d'abord et en
allemand : - Machen Sie die Tür auf, bitte, hier
sind zwei Französischegefangenen ! Pas plus de
réponse ! Alors notre Français répéta ses appels
dans sa langue maternelle suppliant presque: -
Ouvrez la porte s'il vous plaît à deux prisonniers
français évadés. Nous sommes exténués, nous avons
faim ! Hélas toujours le silence. Les habitants se
méfiaient et nos amis étaient désespérés.
Pourtant, à un moment ils entendirent
distinctement une fenêtre s'ouvrir au-dessus de
leur tête et BOUBOULE le signala à son copain qui
implora encore, la tête levée vers la croisée: -
Ayez confiance. Ouvrez ! Ils entendirent le
claquement d'une porte qui se referme puis plus
rien. Longtemps encore, ils attendirent, ne
pouvant se résoudre à quitter cette demeure. Il y
avait près d'un quart d'heure qu'ils étaient là,
quand doucement la porte tourna sur ses gonds. Le
regard tendu, ne sachant encore ce qui allait se
passer, nos amis observèrent le tableau qui
s'offrait à leurs yeux éblouis. Ils discernèrent
un couloir, à droite une porte donnant sur une
pièce éclairée et dans l'ombre du vestibule, ils
distinguèrent une femme qui maintenait la porte
ouverte. - Entrez ! dit une voix douce, dans un
murmure. Minute poignante pour nos amis, minute
que jamais ils n'oublieraient. Timidement, comme
des malfaiteurs pris en faute, ils pénétrèrent
dans l'humble demeure d'un paysan lorrain. La
porte se referma sur eux et ils se retrouvèrent en
pleine lumière devant trois paires d'yeux qui les
regardaient curieusement. Un silence long comme un
siècle marqua le premier contact de nos amis avec
les premiers civils français qu'ils voyaient
depuis trois ans. Il y avait là deux vieillards et
une jeune femme d'une trentaine d'années qui
examinaient nos évadés de la tête aux pieds et
semblaient peu rassurés par l'aspect de nos deux
compères. Il est vrai que ceux-ci ne payaient pas
de mine. Les vêtements détrempés leur collaient au
corps, s'égouttant sur le plancher où une large
tache ne tarda pas à se former. Les cheveux
pendaient lamentablement sur leurs visages creusés
par l'effort. Des barbes de quatre jours
achevaient de donner une expression farouche aux
physionomies habituellement sympathiques de nos
amis. FUFU le premier rompit le silence,
s'adressant en allemand à la plus jeune des
femmes. - Schprechen Sie Französisch? - Oui, un
peu, lui répondit-elle en hésitant. - Alors vous
n'avez rien à craindre. Nous sommes deux évadés et
nous pouvons facilement vous le prouver. Et
joignant le geste à la parole il sortit de son
portefeuille, bien enveloppés, ses papiers de
prisonnier, imités en cela par BOUBOULE qui étala
sur la table le total de ses papiers et toutes ses
photographies. La jeune femme jeta un coup d'oeil
sur tout cela et nos amis constatèrent avec joie
que plus l'examen se prolongeait, plus son visage
semblait se rasséréner. Pour dissiper
définitivement tout soupçon FUFU sortit encore sa
carte mouillée, l'étala sur la table et se
saisissant d'un couteau indiqua brièvement le
chemin parcouru, constatant que PEPENKUM bien que
loin de HOMBOURG en dépendait. Il apprit que le
village où ils se trouvaient s'appelait
GUIDERKIRCH. Tout le monde s'était groupé autour
de lui et l'écoutait attentivement. La glace était
définitivement rompue et les braves gens ne
doutèrent plus qu'ils avaient affaire à des évadés
et non à des agents allemands camouflés. Ils
prièrent nos amis de s'asseoir, de se mettre à
l'aise. Le grand-père s'activa autour du feu
mettant de grosses bûches dans le fourneau
alsacien qui tenait une place imposante dans un
des angles de la pièce. On leur servit un café au
lait bouillant et d'immenses parts de tarte aux
quetsches s'empilèrent sous leurs narines dilatées
de convoitise. Entre deux bouchées FUFU expliquait
leurs mésaventures, leurs espoirs… Il parlait
moitié en français, moitié en allemand. Quand à
BOUBOULE il se contentait d'engloutir tout ce
qu'on lui présentait et toute sa face exprimait
une jubilation intense. Comme FUFU s'étonnait
d'avoir trouvé leurs hôtes encore debouts à
pareille heure, il était près de 5 h du matin, la
jeune femme leur fit voir dans un coin de nombreux
paniers de prunes dénoyautées. C'était l'époque
des conserves, des confitures et la coutume dans
ces campagnes voulait que l'on fasse ce travail à
la veillée, en commun avec des amis. Et avec un
sourire, se saisissant d'une corbeille elle la
présenta à nos deux héros qui y plongèrent leurs
mains à plusieurs reprises, faisant honneur à ces
fruits délicieux. Ils se sentaient maintenant si
heureux, l'estomac garni à côté d'un feu
pétillant, l'esprit momentanément dégagé de tous
soucis. Ils auraient bien voulu aller se reposer,
car leurs paupières étaient lourdes de sommeil, de
fatigue accumulée, mais ils devaient satisfaire à
toutes les questions que leur posaient leurs
bienfaiteurs. Ils résistèrent ainsi encore quelque
temps, puis FUFU se leva et demanda au grand-père,
s'il pouvait lui réserver une petite place dans le
foin. Le brave homme marqua une légère hésitation
que nos amis comprirent, l'aide aux évadés étant
punie de mort, puis il fit signe à nos deux
camarades de le suivre. La jeune femme leur dit
d'attendre un peu, s'absenta quelques minutes,
puis revint les bras chargés de linge sec que nos
amis s'empressèrent de changer contre leurs
uniformes détrempés. Ils souhaitèrent ensuite une
bonne nuit aux braves femmes en les remerciant
encore, puis firent signe au vieillard qu'ils
étaient près à lui emboîter le pas. S'éclairant
d'une lampe tempête, celui-ci les fit grimper sur
une échelle dressée contre le mur de la grange. A
quelques mètres au-dessus était entreposé le foin,
dont l'épaisse couche formait un tapis moëlleux,
sous les pas lourds de nos amis. - Installez-vous
là , dit le grand-père, et surtout ne craignez
rien, surtout ne faites pas de bruit car on doit
vous ignorer. Demain vous aurez à manger. Dormez
bien ! Et après s'être assuré que nos deux
gaillards étaient confortablement installés il
disparut aux yeux de nos évadés. Quand à nos
héros, s'il avait été possible de les voir, vous
n'auriez aperçu que deux têtes émergeant du tas de
foin, deux têtes souriantes aux yeux clos et s'il
vous avait été permis d'écouter, vous n'auriez
entendu qu'un bruit d'orgues qui à intervalles
réguliers venait troubler le silence de cette nuit
mouvementée. Vaincus par la fatigue et les
émotions BOUBOULE et FUFU ronflaient à poings
fermés.
*
**
Ainsi que je l'ai déjà dit
cette histoire fut écrite peu de temps après mon
évasion. Un soir, dans ma petite chambre de
CHAMALIERES. Ne trouvant pas le sommeil, hanté par
le souvenir de cette folle nuit où l'espoir, le
désespoir, l'épuisement et la joie avaient marqué
mon âme de leur terrible empreinte, j'ai éprouvé
le besoin de revivre, devant une feuille blanche
toutes ces émotions et ce fut " UN JOUR PARMI 17 "
que plus tard je transmis à un journaliste en mal
de copie. Quelque temps après, me trouvant dans le
tramway avec un copain ancien prisonnier celui-ci
me dit : - Tu as vu, le journal publie un récit
passionnant, un gars qui s'appelle comme toi l'a
écrit. Surpris je lui demandai le titre de ce
récit : - " UN JOUR PARMI 17 " ! me répondit-il. -
Mais c'est moi, m'écriai-je. J'étais étonné car je
ne lisais pas ce journal et le gars dut m'emmener
chez lui pour me faire lire ce récit, écrit un
soir de cafard et transmis à un copain
journaliste, simplement pour lui faire plaisir. |