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Liste des 134 manuscrits   #Manuscrits                

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RUGGÉRI Sauveur

BELLOT Louis

RABOUILLE Jean

FLORY François

FUSSINGER Gérald

035

Nous...les évadés !..

GUERRE 1939-1945

NICE - Mai 1987

Analyse des témoignages

Ecriture : 1986 - 60 pages

POSTFACE de Michel EL BAZE

Décider de s'évader et réussir à recouvrer la Liberté après tant et tant d'aventures dans un pays hostile, tel est l'exploit accompli par nos quatre Témoins, chacun en un lieu et à des époques différentes alors qu'ils étaient prisonniers de guerre aux mains des Allemands. Facile, diront d'aucuns ! Voir ! Encore fallait-il avoir le courage de se réveiller, de se lever… et de partir…

EN GUISE D'INTRODUCTION

***

Depuis un mois déjà sur les bords de la MEUSE Le temps passe gaiement et ne semble pas long. Les journées et les nuits sont toutes délicieuses Point n'est besoin de lit, d'oreiller, d'édredon. Le printemps à TROUSSEZ donne une vie nouvelle Et pare la forêt de multiples couleurs Pendant que les humains à l'âme si cruelle Répandent d'un conflit les terribles horreurs. L'harmonieux concert de la nature en fête Parfois s'interrompant de crainte, emplit les coeurs Et dans l'azur si bleu c'est la mort qui s'apprête Dans le vrombissement saccadé des moteurs. Hommes, femmes, enfants rassemblant leur courage Attendent anxieux mais pourtant résignés Que des oiseaux de proie soit fini le carnage Pour pleurer sur leurs morts et soigner leurs blessés Dans le cantonnement tous les soldats s'apprêtent Car il faut dès ce soir partir plus loin encore : Des troupes alliées, ils aident la retraite Bloquant de l'ennemi le formidable effort. Aussitôt arrivé au point qu'il faut défendre Chacun creuse son trou, se cache de son mieux. La consigne est mourir plutôt que de se rendre Est-il pour un soldat rien de plus glorieux. Et là pendant 3 jours et 3 nuits l'on surveille Guettant le moindre bruit, inspectant l'horizon. Lorsqu'un guetteur s'endort l'autre le réveille Et tous deux dans la nuit songent à la maison. Le Boche est parvenu à quelques kilomètres, Le danger est pressant, nul n'a d'illusion. Et chaque instant il peut près de nous apparaître Et de tous les côtés toussent tous les canons. La gloire cette fois n'est point notre partage : Un ordre de repli vient de nous parvenir. En plein midi on part, tout le monde est en nage, Conservant et laissant de très bons souvenirs. Tout le long du chemin nous rencontrons sans cesse Des pauvres évacués, le cortège piteux : Enfants, femmes, vieillards ,trébuchant de faiblesse

S'enfuyant apeurés, tristes, silencieux

" Quel mal avez-vous fait exilés lamentables "

Si ce n'est d'habiter un pays envié ? De ce crime innocent vous êtes les coupables Et vous devez ainsi durement expier. Malgré votre abandon, malgré votre souffrance Conservez bon espoir, faites crédit à DIEU. Vous reviendrez un jour dans votre douce FRANCE Dignes de nos soldats et de tous vos aïeux. Nous voici de nouveau dans un petit village, Il se nomme PAGNY ,nous ne l'oublierons pas. Car c'est dans cet endroit malgré notre jeune âge Que nous devons de peu échapper au trépas. Vers onze heures du soir, écrasés de fatigue, Nous succombons enfin au sommeil tentateur Lorsque les Allemands en ferraille prodigue Mirent fin au repos pourtant réparateur. C'en est fait, nous voila dans la grande bagarre, Pendant toute la nuit sous le bombardement. Aussi bien que l'on peut des éclats on se gare Tressaillant au bruit sourd du lointain grondement. Chaque départ de coup, chaque feu par rafale, Fait courber tous les dos, fait palpiter les coeurs. Est-ce déjà pour nous la minute fatale Ou bien de cet enfer sortirons nous vainqueurs

Fernand BALANDIER

Kommando 641 Stalag XI A

La mémoire

La mémoire : seul bagage incessible

Jacques ATTALI

RUGGÉRI Sauveur

***

Évadé de Guerre !..

12 JUIN 1988 Le devoir numéro un des prisonniers est de fausser compagnie à leurs gardiens. Récit de captivité et de guerre de Sauveur RUGGERI, né le 5 Janvier 1918 à RIPOSTO - SICILE - ITALIE. Emigré en FRANCE où mes parents travaillaient déjà depuis 1920 à NICE. J'ai fréquenté l'école, très peu, 3 ans de 6 à 9 ans, où j'ai fait connaissance d'un maître qui m'a donné les premiers rudiments de la langue française, lequel se nommait Commandant Jean ALLEGRE, Ecole BARLA. Après divers métiers j'ai fait le coiffeur pour hommes jusqu'en 1938 où j'ai été mobilisé au 12ème Chasseurs à Cheval, à SEDAN dans les ARDENNES, dans la cavalerie, où mes Officiers, tous des nobles, m'ont appris le rude métier des armes ainsi que la discipline qui était de rigueur dans ces Régiments. En 1939 où la drôle de guerre nous a fait balader dans tous les coins de FRANCE, de SEDAN à LONGWY en passant par THIONVILLE, LONLAVILLE et frontière du LUXEMBOURG, j'ai été volontaire dans les Corps-Francs où je me suis retrouvé à SEDAN pour rentrer en BELGIQUE à VENDRESSE le 10 Mai 1940. Dans la nuit du 13 au 14 Mai nous arrivons, venant de BELGIQUE, après un premier affrontement très pénible avec les Allemands, avec nos chevaux devant les chars nous nous trouvons sur les hauteurs au sud de MEZIERES - SAINT-MARCEAU, de là nous apercevons un véritable brasier. SEDAN et les villages des alentours flambent. Un grondement terrible emplit nos oreilles, ce sont les canons qui tirent principalement du côté de SEDAN des vagues de bombardiers géants allemands, traversent le ciel et lancent des espèces d'entonnoirs qui font un bruit de sirène; l'alerte au gaz est donnée, on enfile les masques et on court dans toutes les directions. Nous arrivons à SY près de Chênes, nous installons le cantonnement, les chevaux sont dessellés, chose qui n'a pas été faite depuis le 10 Mai. On soigne les bêtes certaines ont la peau du dos qui part en lambeaux, le ciel flambe. Peu de temps après notre Capitaine, le Comte Richard de MAZIN, fait appeler tous ses Sous-Officiers, l'air grave, il nous félicite pour notre belle conduite en BELGIQUE et fait remarquer à quelques-uns qu'ils ne sont pas rasés, oui mon vieux Lannes de l'Assistance Publique, je me rappelle qu'un matin à la caserne au rassemblement notre Lieutenant, De FOMBELLE, t'a fait marcher à pied jusqu'au champ de manoeuvre. Vers minuit l'ordre du départ est donnée les colonnes se mettent en route en direction de SEDAN, tout au long du parcours des morts et des blessés encombrent la route. Le ciel semble flambé. Le 14 nous arrivons au point que nous devons défendre, VENDRESSE, à 20 km de SEDAN, nous mettons pied à terre, chacun prépare tout le nécessaire pour combattre à pied. Nous nous rendons à pied à l'autre bout du village où des tranchées ont été creusées pendant l'hiver, nous recevons un ordre: " Montez 100 mètres plus haut et faites face à l'est! " On voit arriver des chars ennemis. Des spahis en position sur notre droite se replient en laissant des morts sur le terrain, des chevaux sans cavalier galopent en tous sens, un seul canon de 25, nous n'avons aucun moyen de nous protéger. Encore un ordre: " Repliez-vous en vitesse ! ". Ainsi commence une suite de replis mais tous les jours nous avons un accrochage avec les Allemands qui nous ont emmené jusqu'à PERONNE (SOMME) où le Régiment a subi des pertes mais retardant avec succès l'avance des Allemands. D'ailleurs le Régiment a eu une citation pour l'action qu'il a eue de tous temps. Moi-même j'ai eu droit à la Médaille Commémorative des Batailles de la Somme. Ensuite, après des marches forcées nous arrivons à VENDRESSE près de la BELGIQUE où nous abandonnons nos chevaux qui étaient de plus en plus meurtris. Beaucoup de cavaliers ont pleuré de ce fait, moi-même j'étais très attaché à ma jument qui avait un nom charmant " Coquette " que j'ai dû abandonner mourante après avoir essuyé plusieurs rafales de mitraillettes de ces fameux MESSERSHMIT qui après tourné sur nos têtes en rond piquaient dans un sifflement qui faisait mal aux oreilles, lâchaient leurs mitrailles et remontaient dans leur ronde infernale. Ensuite nous nous dirigeons vers la BASSE-NORMANDIE. Je ne me souviens pas très bien de l'itinéraire car nous marchions la nuit. Après VEULES-LES-ROSES nous sommes encerclés vers le 6 Juin à SAINT-VALERY-EN-CAUX. Sachez que du 10 Mai au 12 Juin 1940 date à laquelle j'ai été fait prisonnier avec la plupart de mes camarades, j'ai maigri de 16 kg. Là a commencé la longue marche qui nous a conduit pour la plupart en ALLEMAGNE - où j'ai compris avant tout qu'il ne fallait pas rester prisonnier. Je savais que tous les chemins mènent à ROME, tous les évadés peuvent se mettre à dos le Saint-Siège - si mon récit doit être mis à l'index ce serait dommage mais ce ne serait pas la première fois que les Siciliens s'opposeraient aux Romains. RECIT D'EVASION Fait prisonnier le 12 Juin 1940 à SAINT-VALERY-EN-CAUX après 9 ou 10 jours de marche forcée nous arrivons à AIX-LA-CHAPELLE. Je décide de m'évader avec l'aide et la complicité de Monsieur Henri BERTRAND de BRUXELLES. Je passe la frontière à EBESTAL. Je poursuis et arrive à MOUSCRON frontière belge chez Madame LEPERS HIBON, café-bar 4 Place de la Station, Mouscron, Belgique. Cette dame m'a envoyé chez Monsieur OMER-BOISSEL - café des Cuirrassiers - qui m'a permis de passer la frontière belge en compagnie de sa femme jusqu'à TOURCOING, puis je suis passé chez Monsieur Pierre CAMUS 39 Avenue Charles Lomont à ALBERT, SOMME. J'ai pris un autobus pour AMIENS où, à la descente je suis arrêté par les Allemands. N'ayant aucun papier, je déclare être Italien et n'avoir que 19 ans. Le gradé qui m'a interrogé n'a pas voulu me croire et m'a menacé de me faire passer devant un tribunal allemand pour avoir voulu passer la zone interdite, dite Zone Rouge, j'ai avoué que j'étais un prisonnier évadé alors il m'a envoyé avec d'autres prisonniers à la Citadelle de DOULLENS militairement gardée où je suis resté enfermé 10 mois. Je couchais dans la cellule de VIOLETTE-NOZIERRES et je devins le coiffeur du camp, mes deux premiers clients étant Victor BRUSA et PORCEL Joseph, cela m'a permis de connaître l'adresse de Madame RENALDO Saint-Germain qui avec l'aide de Monsieur TEMPEZ, Maire de DOULLENS, fournissait tout le nécessaire à tous ceux qui voulaient s'évader. Cette dame a obtenu la Médaille des Passeurs et a eu un beau-frère de 18 ans fusillé par les Allemands. Grâce à mon métier de coiffeur elle m'a fait avoir un faux laissez-passer lequel m'a permis à nouveau de m'évader le 4 Juillet 1944 dénoncé par Monsieur José CLOVIS, ancien Conseiller Municipal. Moi je savais car j'avais appris avant tout le monde que mon chemin et que mon but étaient la liberté et surtout la COTE-D'AZUR mais je ne savais pas que pour avoir la Médaille des Evadés il fallait attendre si longtemps. Quant à la Croix de Guerre cela a été très vite car elle m'a été décernée le 12 Juin 1940.

BELLOT Louis

***

Mon évasion

**

J'ai reçu la Médaille des Evadés par le Général Ct la Place de NANCY

devant le Palais du Gouvernement

en 1950

*

**

Le 25 Août 1939, à 2 heures du matin, 2 soldats m'apportent une feuille de route, je dois rejoindre de suite la caserne FOREY-CURIAL à TOUL, par le premier train. J'habite à NANCY, 15 rue du Haut-Bourgeois 54000. Alors, que je n'avais été que soldat de 1ère classe, à monter la garde, à ne faire que des corvées, à la fin de mon service de 18 mois, le planton du bureau, avait inscrit sur mon livret: Ouvrier Chimiste, Maître Artificier. C'est sans doute pour cela, que je fus appelé sitôt, avant la déclaration de guerre. A mon arrivée à la caserne, on ne m'attendait même pas, on ne m'habillait pas, j'avais tout de même droit à la cantine. Je m'ennuyais énormément, voilà que des maires de petits villages, viennent réclamer des hommes pour le battage des moissons, et travaux des champs. Je me présente comme volontaire, et me voilà embarqué de suite, pour la ferme du Paquis des Agneaux chez Mr POIRSON, territoire de TOUL, puis chez le maire Mr CHAUDOT, commune de ROSIERES en HAYE. La saison est de suite hivernale, les chevaux de l'armée, étant mal abrités contre les intempéries, meurent en séries. Les récoltes sont compromises, il pleut, il gèle, il neige, je n'ai vraiment pas le filon. Pour les fêtes de la TOUSSAINT, je reviens à TOUL, je suis affecté à la caserne BAUTZEN 20ème B.O.A. On me fait travailler à l'atelier Z, on y fabrique des masques à gaz. Je fais de la manutention à l'arsenal, un petit train nous emmène dans les forts, aux alentours de TOUL, il y a 17 forts, on charge des munitions, on en décharge, c'est un travail pénible. Puis je monte la garde, à l'entrée de la caserne, par les gros froids. NOEL est là 1939. Des poilus veulent organiser une récréation au réfectoire, pour faire plaisir aux officiers, alors ; j'en profite pour déclamer une chansonnette militaire, qui a fait plaisir aux gradés. Puis voici le Nouvel An 1940. On demande des volontaires, pour les aciéries de POMPEY, les Arabes font grève, ils travaillent dans de très mauvaises conditions, ils sont mal nourris, et mal logés. Je loge dans leur réduit, nous sommes sous le contrôle de l'armée, avec les Affectés Spéciaux. Nous chargeons d'énormes poutrelles de fer, sur des wagons plats, qui sont dirigés vers la ligne MAGINOT. Après 3 mois de ce travail, je suis rappelé à la caserne. Je fais partie du poste de garde, situé au fort St Michel. Une ancienne casemate de 1914 a été aménagée, pour y loger les officiers. Ils sont à l'abri des bombes lancées par les avions d'HITLER, il y a la 5ème Colonne, des parachutistes descendent dans la nuit et s'infiltrent dans les ouvrages militaires. Je prends la faction quand tombe la nuit. Nous sommes 4 sentinelles et un chef de poste. Nous montons la garde pendant 2 heures à tour de rôle. Nous surveillons la casemate où sont le Ct GUYOT, le capitaine LALEVIE de FRAIZE, (VOSGES) Le Ct est de NANCY (MEURTHE-ET-MOSELLE). Dans le jour, je travaille au mess des sous-officiers à nettoyer les tables. Le 14 Juin 1940, nous sommes au réfectoire. Le capitaine nous conseille de quitter la caserne, en emportant avec nous le strict minimum, et de prendre la route de COLOMBEY-LES-BELLES vers NEUFCHATEAU, et de rester groupés en attendant un soi-disant pique-nique. Nous voilà sur la route encombrée de civils, avec des chariots à chevaux, des convois militaires, qui fuient les divisions blindées S.S. Des convois de la CROIX-ROUGE qui essaient de remonter, vers l'ennemi. C'est une véritable débâcle, nous n'avons pas de chefs pour nous guider, c'est un sauve-qui-peut, car les avions italiens en profitent, pour nous mitrailler. Il y a des morts, et beaucoup de blessés. Sur la route, des bombes ont creusé d'énormes trous au carrefour des routes stratégiques. Je suis fait prisonnier sur la route de DIJON, à 10 kms de LANGRES, à CHASSIGNY. Des motards S.S. nous ramènent à LANGRES, pour nous enfermer dans les Halles. Puis ensuite dans une immense caserne où nous sommes des dizaines de milles, militaires de toutes armes. Du 15 Juin 1940 au 15 Août 1940, les NAZIS, nous font prendre le train à LANGRES . Nous aidons les spécialistes S.S. à réparer les voies, à reboucher les trous de bombes etc. Le 15 Août après midi, tous les P.G. sont embarqués dans des wagons à bestiaux, 60 par wagon. Sur le quai, il y a beaucoup de sentinelles en armes, et de nombreuses mitrailleuses. Nous ignorons où l'on nous dirige. Après 4 jours et 4 nuits, nous débarquons à KREMS, en AUTRICHE. Nous avions des biscuits à grignoter, pour le voyage, nous défilons dans la ville, nous avons l'air très misérables. Nous arrivons sur un immense plateau, nous sommes 100000, nos tenues sont passées à l'étuve, nous attendons tout nus dehors: un véritable troupeau de cochons. Des patrons viennent chercher des P.G. pour l'Arbeit, je choisis la culture, espérant mieux pouvoir me sauver vers la FRANCE. Je fais partie d'un convoi de 100 gars pour une carrière, dans la montagne du TYROL, le village se nomme KLEIN-REFLING, non loin de LINZ-STEIR. C'est un kommando, construit pour les jeunes S.S. Ces baraques sont grillagées de gros fils de fer barbelés, les fenêtres sont barricadées. La carrière est à 1 km. Il y a une équipe de jour, et une équipe de nuit. De 6 heures le matin à 6 heures le soir. A midi les sentinelles nous ramènent à la baraque, pour avaler une pitance, et le travail reprend à 1 heure. Le chemin est tortueux, c'est pénible à marcher vite, nous avons aux pieds des galoches de bois. Le travail dans la journée se fait pendant 15 jours. Le travail de nuit, c'est de 6 h le soir, jusqu'à 6 h le matin. A minuit, un arrêt 1/4 d'heure pour avaler un breuvage à peine chaud, c'est un énorme récipient d'eau chaude, dans laquelle a été jeté un pain de margarine. Nous chargeons d'énormes blocs de pierre sur des wagonnets plats, que l'on roule, jusqu'à un concasseur. Une fois concassée, avec des pelles, nous jetons cette pavasse, sur des wagons plats, cette pierraille est dirigée pour construire des autostrades. Ce chantier est au-dessus de l'affluent du DANUBE, l'INN. Dès les premiers jours, je fais une réflexion à des P.G., je leur dis de ne pas se montrer courageux. Ils me répondent: - Les Marks serviront à nous payer de la confiture, du beurre, de la bière! Ainsi, je n'ai jamais été leur copain. Aussitôt, chef S.S. et chefs civils, m'ont fait dire par leur interprète, que j'étais un fainéant et un saboteur, l'interprète était Alsacien, il se nommait DEKER et était boulanger à St Dié, il se sentait heureux, d'être toujours parmi ces chefs. Lui-même préférait ceux qui mettaient de l'ardeur dans le travail. A table, ils étaient récompensés par les chefs qui leur apportaient du rabiot, c'était comme un bon point, comme lorsqu'ils allaient à l'école. Plus tard nous avons eu un autre homme de confiance. Il s'appelait PASDELOUP, instituteur à MONTRARD, il était responsable de 1000 P.G. A l'Alsacien il lui a dit: - Il faudra rendre des comptes, quand nous rentrerons en FRANCE! Ce P.G. PASDELOUP, par son comportement vis-à-vis des NAZIS, a dû nous quitter, pour aller en prison dans un camp disciplinaire. Par un après-midi, au mois de Juin 1942, la montagne s'est écroulée, sur notre chantier, ce fut comme un bruit de tonnerre, la roche glissait et tombait sur le chantier, écrasant le chantier, quelques camarades furent blessés, et renvoyés en FRANCE, d'autres rentrèrent en FRANCE pour avoir dégager des ouvriers. Moi je m'en suis tiré en dévalant et en me roulant en boules, en essayant d'éviter les gros blocs qui comme moi dégringolaient vers la rivière l'INN. J'avais le dos meurtri, et en remontant, j'étais dans une colère folle, alors, je me suis mis à invectiver, les responsables civils et NAZIS, je hurlais: - HITLER NIX GUT! et en leur faisant des gestes grossiers. Ils ont dû penser que j'étais devenu fou. En 1942, je suis envoyé dans une sablière, à RASCHAFEN-BEI- BRAUNAU, les camions de cailloux et sables, sont emmenés à l'usine d'aluminium GUEURING, construite dans une forêt de sapins, elle n'est qu'à 4 kms. Des soldats alsaciens, ont revêtu, certains par force la tenue S.S., ils font de l'exercice, avant de partir sur le front russe. J'essaie de leur causer, certains osent répondre: - Croyez pas qu'ils nous ont attrapé facilement, et puis, se cacher, il y a les représailles sur la famille. Et beaucoup sont déportés au camp de la mort du Strutoff de NARSWILLER, en ALSACE! Un matin - A la caserne à LANGRES, les P.G. sont en rang dans la cour. Le grand NAZI, demande aux Juifs de sortir des rangs. - Les Alsaciens-Lorrains, qui veulent rentrer chez eux, sortez des rangs! Ceux-là le regretteront d'avoir accepté, car ils seront sous le commandement allemand. Des sous-off. français, acceptent de nous emmener au travail, ils remplacent les soldats nazis, au chantier c'est la même chose. Un matin, je ne me présente pas sur les rangs, c'est rapporté de suite au poste de garde du camp. Je suis jeté en prison. Cachot pour 2 jours. A la sablière, je quitte le chantier, pour donner, une raie de chocolat, et plusieurs cigarettes, à 2 pauvres gars, tout déguenillés qui passaient par là, pour ce geste, je suis appelé: "le Soviet". Ce devait être 2 jeunes Russes, puisqu'il y avait un camp de réfugiés Russes. Une note a été affichée à l'intérieur, dans la cour: les P. de G. doivent obéir, et non pas désobéir aux Autorités Allemandes. Travaillant de nuit, étant à la carrière dans la montagne, c'était l'hiver, par moins 30°, je suis allé me réfugier dans une cabane, ce devait être une cabane de gardiens, j'avais froid, je tombais de sommeil, je m'y suis endormi. Je fus réveillé par une sentinelle, je lui ai dit: - Sers-toi de ton fusil si tu veux! Il m'a ramené doucement sur le chantier, où les autres P.G. se réchauffaient en travaillant dur. Cette sentinelle n'a rien dit au poste de garde du camp. Je m'amusais à transformer quelques refrains, avec des paroles contre le régime NAZI. Cela nous passait le temps. Il y avait des perquisitions de temps en temps dans nos lits, ayant trouvé quelques feuilles, ils ont demandé au responsable alsacien, ancien garçon de café à PARIS, de leur dire, ce qu'il y avait d'écrit, il a répondu sèchement: - C'est la MARSEILLAISE! Un matin ce gars s'est évadé, mais il fut repris, et il fut changé de camp. L'hiver 1943. Je quitte l'ancien monastère, transformé en camp de P.G. Je suis dans un kommando, baraques en bois, il y fait très froid. L'usine d'aluminium est toute proche; près de nous est le camp barbelé de P.G. Italiens, puis le camp barbelé de soldats Allemands, punis pour désobéissance dans l'armée, il y a aussi un camp de réfugiés Russes, à part femmes invalides et enfants, tout le monde doit aller à l'Arbeit aux fours d'aluminiums. C'est vraiment: "Marche ou crève". Je continue à ne pas me montrer courageux, en incitant comme je peux, dans le langage que j'ai appris étant P.G., qu'ils soient Italiens, Russes, NAZIS-anti-hitlériens, à plutôt saboter, quand ils le peuvent. Ces soldats NAZIS savent qu'ici, c'est le camp disciplinaire, avant de partir sur le front russe. Le contremaître Louis, brave Autrichien, prendra ma défense, quand la Gestapo de l'usine, cherchait à me connaître. Le chef "Polir" Karl, surveillant, m'avertissait, quand j'étais absent de mon poste, en disant: - BELLOT hartung! car il y avait la police de l'usine. Ce Karl me disait: - Pourquoi toi, pas prendre vélo, et repartir en FRANCE! Il était naïf, mais brave. Un jour qu'il faisait un beau soleil dehors, je suis sorti abandonnant le four d'alu… Je me suis assis, et je respirais de l'air pur, vient à passer un ingénieur S.S. qui m'a dit en bon français: - Oh! Mais vous n'êtes pas à NICE ici! Et aussitôt un Polir venait me chercher. Comme je travaillais en dépit du bon sens, j'étais un peu bousculé par le responsable du four, on s'est même attrapé tous les deux à la gorge, mais cela n'allait pas plus loin. Enfin des camarades de ma baraque, m'ont mis en garde en me disant: - BELLOT, il serait temps que tu arrêtes ton comportement! Ils avaient constaté, qu'il se tramait quelque chose contre moi. J'ai fait allusion que j'allais disparaître, celui qui était notre interprète a répondu: - Tu vas agir tout comme un gars, qui fait sa 1ère communion J'ai teint mon pantalon en noir. Avec des cigarettes, une tablette de chocolat, j'obtenais une veste, le béret je l'avais déjà. Un matin, il faisait encore nuit, début Janvier 1944, je rentre à l'usine, et je ressorts aussi vite, j'étais satisfait de mon comportement, depuis mon arrivée dans tous ces camps en AUTRICHE. Je ne me souciais pas du trajet je pensais au petit bonheur la chance. Je savais que mes deux chefs de l'usine, seraient ravis, que je me sois envolé. Dans la baraque de bois, une sentinelle venait fermer la lumière à 9 h le soir. Un P.G. avait enduit la clanche de la porte d'entrée de merde, pour faire rire la chambrée. Le gars en avait plein les doigts, tout le monde a bien ri. Ma couchette était juste en face, il m'a vu rire, et il m'a pris pour le coupable, il m'a arraché de ma paillasse, et m'a traîné au poste. J'étais tout déguenillé, en savates dans la neige, ils m'ont emmené dans un véritable cachot c'était profond et tout noir. Sur le parcours de 1 km, ils m'ont bousculé, mais sans me frapper, mais je devais avancer très vite, c'était pénible, car je patinais. J'y suis demeuré 2 jours et 2 nuits, dans ce réduit puant, le W.C. c'était une grosse casserole. Les P.G. de la baraque, s'étaient faits du souci, ils ignoraient ce que j'étais devenu. Début 1944,en Janvier, j'ai décidé de m'évader. Dans l'espoir de revoir la FRANCE, j'ai pris un billet de train à SIMBACH, j'avais traversé la petite ville de BRANAU s/INN, où est né HITLER. Le pont sépare les 2 villes. Je prends mon billet pour MUNICH, dans le wagon il y a des civils français, qui possèdent la carte de frontalier, parmi eux, il y a des trafiquants, qui vivent de marché noir, puis il y a des soldats S.S. permissionnaires etc. J'arrive jusqu'à SAVERNE en ALSACE, sans aucun contrôle. Ici c'est le terminus. Une sentinelle est sur le quai, avec un employé S.N.C.F. Le contrôleur dit à la sentinelle: - Je m'occupe de lui! Je l'entends dire à l'employé: - Vous n'allez tout de même pas le faire payer! Car depuis MUNICH, je voyage sans billet. Il me fait entrer dans son bureau, il a l'habitude, il vient lui- même, mettre à l'aise les voyageurs qui débarquent ici à SAVERNE. Tout d'abord, il me conseille de ne plus porter de béret, la Gestapo arrête tous ceux qui en portent, ils reconnaissaient ainsi la Résistance aux NAZIS, beaucoup ont été déportés. Nous nous quittons, et il me dit: - Nous allons vers la victoire! Je monte dans le train pour METZ, il fait nuit. Sans le savoir, je me trouve dans un wagon 1ère classe le contrôleur m'en fait la remarque, et me dit: - Je vous reverrai à la prochaine gare! Mais il m'a oublié. A METZ je sors dans la ville, un petit hôtel se présente, j'y prends un petit repas, et je loue une chambre pour la nuit. Au repas, à ma table, il y a un client que je connais bien, c'est un ancien coureur cycliste de NANCY, lui, ne me connaît pas. Il sait que je suis un P.G., il connaît bien toute la clientèle, et même la patronne. A 2 heures du matin, on frappe à ma porte. - Polizeï! Ouvrez! Ce sont 2 inspecteurs de la Gestapo, accompagnés d'un chien berger, ils m'emmènent dans un séminaire, en plein centre de la ville, il y a d'abord une cour, avec un va-et-vient infernal, qui vont en tous sens, j'y vois des femmes, mélangées aux hommes, jeunes et moins jeunes je pense qu'il vient d'y avoir une rafle, dans la ville. C'est plein de longs couloirs, de chambres qui servent de bureaux. Je suis mélangé à toute cette foule, il n'y a pas de sentinelles, je ressorts bien tranquillement, et je vais vers la gare. Je m'entends appelé: - Allo! Monsieur! C'est 2 jeunes S.T.O. qui veulent sortir, ils sont bloqués à la grille, je prends 2 billets de quai, et les voilà libres. Un peu plus tard, nous sommes emmenés par un passeur, qui devait attendre des évadés, ils nous mènent, dans une maison bombardée, il y a là d'autres Résistants. Nous sommes à l'abri, au chaud. On peut s'étendre, midi et le soir, ils nous font des frites, et même un petit bifteck. Ils nous mèneront tous les 3, au premier train à 5 heures, ils nous donnent notre billet. A PAGNY-SUR- MOSELLE, il y a le contrôle, c'est la ligne de démarcation. Les Résistants nous attendent dans un autre wagon, ayant passé au contrôle. Nous descendons, il fait nuit noire. Nous entendons: - Par ici les gars! Nous suivons ce passeur, et nous entendons d'autres appels, ce sont les vrais passeurs, ils sont trahis ; nous doutons encore un peu. Nous sommes en plein champ, à plusieurs reprises, il nous fait nous coucher, d'après lui, il y a non loin de là, des sentinelles S.S. Après 1 km nous voilà à ARNAVILLE, il nous dit: - A présent vous êtes en FRANCE! Il a loué là au bord du chemin, une bicoque, il a dû agir ainsi pendant toute la guerre, à rançonner les P.G. Ses paroles sont: - Donnez-moi tout ce que vous avez! Et puis il vend une carte pour pouvoir voyager. C'est pourtant l'individu MONNET, le coureur cycliste de NANCY, qui mangeait face à moi, dans le petit restaurant de l'hôtel de METZ. Nous quittons ce traître faux passeur. Nous prenons un billet à la gare d'ARNAVILLE, un contrôleur polizeï, avec une lampe de poche contrôle les billets, nous filons vers les soufflets, j'ouvre la portière gauche, et je m'accroupis sur le marchepied, je vois le polizeï passer avec sa lampe, pour aller à l'autre wagon, je reviens m'asseoir, le train est arrêté, nous sommes à PONT-A-MOUSSON. Les 2 gars sont descendus sur les voies, dans la nuit noire, je ne les reverrai plus, ils allaient dans le centre de la FRANCE. Me voilà à NANCY, les quais sont déserts, aucune trace de soldats nazis. Rue de Serres, je lis sur une porte, "MAISON POUR SECOURS", par un petit judas, une Soeur m'envoie place d'Aliance, j'arrive à une énorme porte cochère, derrière la préfecture, la porte est à demi-ouverte, dans la lumière, j'aperçois des uniformes de soldats S.S., c'est un poste de sentinelles, dans la nuit dehors, je n'ai pas été vu, heureux pour moi, que la porte était entr'ouverte. Mais pourquoi! Cette religieuse m'avait envoyé à cette adresse, alors! que la maison du P.G., se trouvait dans la même rue à 100 mètres. Dans la matinée, je me présente à la maison du P.G., tout de suite, on me fournit la carte pour passer la ligne de démarcation à CHALON-SUR- SAONE, je vais me présenter près du Directeur où j'étais employé. Il ne me dit même pas de m'asseoir. Il me dit: - Mon devoir serait de vous livrer aux autorités allemandes! Il reçoit souvent des gradés NAZIS dans son bureau, ils fument et trinquent ensemble. Ce Directeur se nomme Louis NUSSBAUM, il est Alsacien, pendant la guerre 1914, il était lieutenant dans l'armée allemande. Au printemps 1944, il a fait arrêter le Président-Directeur-Général de la Société "COOP", qui est un Résistant de 1ère heure. La Gestapo l'a fait mettre en prison à la Maison d'Arrêt "CHARLES III" à NANCY, il allait être déporté, mais il fut libéré par le grand chef de la police de NANCY, Monsieur LUNOT. En nous rendant depuis la baraque, jusqu'à l'usine j'ai aperçu un employé de bureau de la Maison "COOP", où je travaillais à NANCY, qui se promenait en touriste en AUTRICHE, il devait, je pense faire partie de la 5ème Colonne, en 1939 il était entré comme chanteur à l'Opéra de Paris. A la Société "COOP", je l'avais vu chanter dans les kermesses "COOP", il s'appelait VAUTRIN. Dès le 1er jour à mon arrivée chez moi, rue du Haut-Bourgeois n° 15, j'avais la visite de la Gestapo, j'étais absent, les voisins ont répondu que j'étais P.G. en ALLEMAGNE, ils ont répondu: - Non, Mr BELLOT est en FRANCE ici! Le lendemain c'était les G.M.R. de Pétain. Je voyageais déjà vers la ligne de démarcation, à CHALON-SUR-SAONE. Le policier contrôleur en voyant ma carte: - Oh! Mais elle est toute neuve! J'ai craint qu'il ne me fasse descendre au bureau. A LYON, je n'ai pas réussi à trouver du travail, ils avaient peur d'être inquiétés. Je suis parti à la campagne dans le village de CORBELIN ISERE, à la limite de la SAVOIE, tout près des montagnes du VERCORS, j'entendais le grondement de la mitraille. A CORBELIN je fus embauché dans une industrie, qui fabriquait des parachutes pour l'armée, pour les nazis. J'obtenais un salaire de misère à faire le manoeuvre, en dehors de l'usine de soieries. Je n'ai jamais pénétré en dedans. Il y avait 3 patrons. Il y en avait un qui me reprochait de manquer d'activité, et j'étais déjà très déficient. Sa femme à ce patron m'a dit un jour: - Vous faites un travail de bagnard! Elle avait du sentiment. Son mari redoutait le débarquement des Américains, et disait: - Pourvu que ces sauvages n'arrivent pas en FRANCE! C'était à l'Entreprise (BROSSE) ET Cie. Dans l'année 1944, j'ai travaillé dans 10 Maisons au village de CORBELIN. C'était plutôt la culture, je faisais 12 h par jour, j'y mangeais presque à ma faim. J'ai travaillé chez le curé, chez un lieutenant de réserve qui gérait une petite ferme. Il s'appelait Monsieur MOUFLET. Pour une partie du village je n'étais pas estimé de me trouver là. Je n'avais pas droit au colis Pétain distribué par le président DELPHIN. Au débarquement ce clan Pétain a déchanté. Il y avait un noyau de Résistance au village, il y avait souvent des escarmouches contre la milice. La nuit des avions lâchaient du matériel, étaient guidés par des torches lumineuses, il y avait là, un immense terrain non cultivable. Début Février 1945, je me suis fait démobilisé à GRENOBLE. L'armée m'a remis un papier, signifiant: "Soldat BELLOT Louis démobilisé et rentrant dans ses foyers, à ses risques et périls, à NANCY - MEURTHE-ET- MOSELLE". En me présentant à la Société "COOP", j'apprends que le Directeur alsacien NUSSBAUM, avait été chassé séance tenante, dès la sortie de prison de notre Directeur-P.D.G. Marcel BROT. Il y a 7 ans, je suis allé en convalescence pour 1 mois au CANNET. Propriété qui avait été donnée pendant la guerre 1914, pour y soigner les blessés. A présent tout le monde peut y venir. La Direction me donne le n° de chambre, nous sommes 2. J'ouvre la porte, je suis très surpris, il y a là, le traître passeur de METZ. Voilà 35 ans que cela s'était passé. Je redescends à la Direction pour m'expliquer, mais il ne veut pas rentrer dans ces détails, ils ont déjà eu des ennuis avec lui. C'est un dur, un héros, c'est un grand déporté qui a souffert dans les camps NAZIS. Il a dû agir près de la Gestapo, contre les résistants de la Maison du P.G. à NANCY, qui ont été déportés, et sont allés mourir en ALLEMAGNE. Ce voyou, était inquiété, il était soupçonné par ces résistants de METZ et NANCY, il s'est vengé. Dans la chambre, il n'a pas dû me reconnaître, alors ; je n'ai fait allusion à rien. C'est le vrai bambocheur, il me raconte qu'il a fait la conquête de 300 femmes. Il est grand, allure sportive, beau garçon. Ici il drague, il fait la noce. Il en a les moyens, tout lui est gratuit. Comme il ne m'a pas reconnu, il se permet de me montrer sa carte de déporté, il a du 120 %, il se porte comme un chêne. Pendant la guerre, il a vécu comme un roi, et il est choyé par la FRANCE qu'il a si bien trahi. Il a fait construire une belle maison à 10 km de NANCY, à FLAVIGNY-SUR-MOSELLE près de la MOSELLE, mais à l'écart du village. Une nuit il est revenu ivre, les voisins n'avaient pas verrouillé leur porte. Un était malentendant, l'autre était aveugle, il a accroché sa veste dans leur armoire. Le lendemain il se plaignait à la Direction, qu'on lui avait dérobé sa veste, avec le portefeuille contenant 1500,00 Frs et tous ses papiers. La Direction m'a demandé, si j'étais au courant, j'ai répondu que c'était un triste sire, ils étaient de mon avis. J'ai appris qu'il était allé à la police de CANNES, j'aurais voulu savoir, s'il ne m'avait pas soupçonné, mais le planton, n'a pas voulu me laisser entrer. Comme je partageais sa chambre, j'ignorais ce qu'il avait pu raconter. Deux jours plus tard, le voisin sourd venait dans notre chambre, demandant si nous connaissions cette veste, c'était bien sa veste, il a simplement dit: - Merci! Il n'est même pas allé à la Direction, pour les mettre au courant. A la délivrance de son camp de déportés les Américains ont dû être surpris, à le voir si bien portant, parmi les autres camarades.

FLORY François

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Mon évasion

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Rappelé à l'activité le 27 Août 1939.

Affecté à la Compagnie de Commandement de la

2e/demie Brigade de Chasseurs Alpins.

Arrivé au Corps le 28 Août 1939.

Fait partie du Corps Expéditionnaire de Norvège du 26 Avril 1940 au 22 Mai

1940.

Fait prisonnier à St Valéry-en-Cause le 12 Juin 1940.

Interné au camp de Béthune (P.d.C.).

Evadé le 22 Juillet 1940.

Démobilisé le 16 Août 1940 à Hyères.

Rayé des contrôles le 19 Août 1940.

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Le 12 Juin 1940 au matin le reste de notre section avec le lieutenant quelques sous-officiers et chasseurs avons été faits prisonniers par surprise par un officier et un soldat allemand en side-car. Nous avons su par la suite que nous étions encerclés par l'ennemi, notre but était de toucher le port de St Valéry-en-Cause pour rejoindre l'Angleterre, mais hélas les Allemands l'avaient occupé quelques heures avant. Après ma capture j'ai été conduit à pieds par étape jusqu'à Béthune dans le Pas-de-Calais après de longs et terribles jours de marche en passant par les camps de Doullens et St Paul. Je suis arrivé au début juillet au camp de Béthune. C'est de là que nous nous sommes évadés. C'est en compagnie de 3 camarades que nous avons décidé de partir. Le mardi de chaque semaine nous avions la visite de gens du pays qui nous apportaient des colis de nourriture, mes 3 camarades et moi avions une brave femme qui tous les mardi nous apportait un petit colis. Elle dissimulait chaque fois au fond des colis quelques effets civils, les colis n'étaient pas fouillés, nous étions trop nombreux. Par des bruits qui circulaient dans le camp nous devions être libres pour le 14 Juillet, nous avons patienté jusqu'à cette date. Après quelques jours de réflexions et de mise au point définitive pour notre évasion nous avons décidé de partir le 22 Juillet au matin. C'est donc ce matin-là que nous nous sommes évadés. Nous étions parqués le jour dans le stade municipal de Béthune, le soir les Allemands nous faisaient descendre dans un stand de tir couvert qui se trouvait en contrebas du stade, il y avait là de la paille nous y passions la nuit, c'est dans cette paille que nous cachions nos effets civils, mes trois camarades et moi couchions presque au-dessous d'un trou d'obus fait dans le mur du stand de tir, c'est par ce trou en faisant la courte échelle que nous sommes partis. Le 22 au matin, comme les jours précédents, deux Allemands descendaient nous réveiller, nous avons attendu qu'ils remontent dans le stade pour grimper l'un après l'autre et sauter dehors en passant par ce trou. C'est moi le premier, étant le plus léger qui suis passé et ai sauté dehors. A ma grande surprise et celle de mes compagnons une sentinelle allemande se trouvait en dehors du camp, nous sommes restés quelques instants accroupis dans l'entonnoir formé par l'éclatement de l'obus qui avait troué le mur, profitant que la sentinelle nous tournait le dos nous avons fait un bond dans un bosquet à quelques mètres du camp et de là, en nous dissimulant d'un buisson à l'autre nous nous sommes éloignés du camp. La première partie de notre évasion était réussie. Nous sommes allés chez la dame qui nous avait procuré les effets, elle nous avait indiqué sa demeure, nous l'avons bien trouvée c'était à quelques cents mètres du stade, elle nous a fait manger et nous a guidé pour sortir de la ville, nous avions aussi un peu d'argent, nous étions aussi munis d'une carte du Département, que nous avions demandée, carte qui se trouve au verso des calendriers P.T.T. Par la suite à chaque nouveau Département nous demandions une carte aux habitants ce qui nous permettait de tracer à l'avance par les petites routes départementales notre chemin vers le Sud-Est. Nous ne traversions que les petits villages pour rencontrer le moins d'Allemands. Le soir venu nous demandions asile dans les fermes, nous étions toujours bien accueillis. Nous avons traversé, toujours à pieds, les Départements du Pas-de-Calais, de la Somme, de l'Oise, de l'Aisne, de la Marne, de l'Aube, de la Côte-d'Or, et de la Saône-et-Loire. Dans l'Oise nous avons fait expédier par des aimables personnes qui nous ont hébergé une nuit, une carte postale à nos familles, elle a pu à temps parvenir à mon épouse quelques jours avant que le courrier soit coupé entre les deux zones. Nous avons continué à marcher, marcher,. Chaque jour nous approchions petit à petit de notre but qui était la région de Chalon-sur-Saône, région où nous pensions traverser la ligne de démarcation. Nous étions chaque jour plus nerveux en pensant à ce passage de la ligne de démarcation qui devait nous donner la liberté. La dernière étape que nous avons faite nous a conduit avec de bons renseignements à quelques kilomètres de la Saône, lieu où nous devions traverser la nuit même la rivière à la nage. Un agriculteur nous a indiqué l'endroit exact et favorable pour traverser. Nous sommes restés dans un bosquet jusqu'à la nuit sur la berge. La lune brillait et nous gênait pour nous mettre à l'eau, nous avons attendu après minuit que l'ombre soit sur la rivière, à ce moment-là nous nous sommes déshabillés, nous avons attaché nos vêtements sur la tête et tout doucement, nous nous sommes mis à l'eau, nous avons nagé sans trop faire de bruit dans l'eau les grands arbres bordant la rivière faisaient ombre sur l'eau ce qui nous a rassuré un peu. Nous n'étions pas au bout de nos émotions, en effet, en plein milieu de la rivière, un de mes camarades perdit ses habits attachés sur sa tête, ils glissèrent dans l'eau et en se mouillant, firent poids, devinrent comme une pierre autour de son cou, il faillit couler. Nous l'avons soutenu, il dégagea la ficelle et les habits mouillés, mais ceux-ci coulèrent au fond. Pour éviter qu'il nous arrive le même accident nous avons lâché nos habits dans l'eau. Nous arrivions enfin sur l'autre côte de la rivière. Nous étions libres. Nous nous sommes embrassés tous les quatre de joie. Nous n'avions même plus le souci de penser que nous étions tous les quatre totalement dévêtus. Notre premier souci était de fuir cet endroit encore trop proche des Allemands et de trouver de quoi se vêtir. Nous avons couru dans les prés vers une maison isolée pas très loin de nous, là nous avons tapé et appelé nous dissimulant sous l'escalier, une personne a entrouvert la porte, nous lui avons expliqué dans l'ombre notre situation, elle nous a envoyé de quoi nous vêtir sommairement, nous nous sommes présentés et très aimablement elle nous a offert du lait chaud et le grenier pour passer la nuit. Le lendemain matin,par des voisins, elle nous a procuré des effets. Nous nous sommes présentés au poste de gendarmerie, côté zone libre, nous leur avons rendu compte de notre situation. Encore militaire ils nous ont délivré des papiers nous permettant de rejoindre Bourg-en-Bresse. De là, nous avons été dirigés sur Lyon. Le lendemain nous prenions le train pour rentrer dans nos foyers, j'ai été démobilisé à Hyères (Var) le 16 Août 1940. Notre évasion avait parfaitement réussie.

RABOUILLE Jean

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Mon évasion

Né à Nanterre le 23/12/1911

incorporé au 204 R1 à Auxerre CA2

agent de liaison - clairon -

Fait prisonnier à Toul le 21 Juin 1940

dirigé ensuite sur Nancy - Châlons-sur-Marne - Reims et

départ pour l'Allemagne Stalag 1V C à Wistriz - Teplitz (frontière Tchèque).

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Neuf mois que je suis en Allemagne. Neuf mois de préparation minutieuse. Je travaille dans une usine où l'on fabrique des baraques à Tetchen Bodenbach (Sudètes) la date du départ était fixée depuis longtemps déjà, c'était décidé pour le 16 Juillet 1941. Il avait fallu réunir le nécessaire afin de réussir ; habillement civil propre, insigne de l'Arbeitfront et vivres; jusqu'au talon de mes chaussures que j'avais creusés pour servir de cachette aux marks nécessaires au voyage. Cinq heures du matin, tout le monde dort encore dans la baraque qui nous sert de dortoir, les sentinelles dorment elles aussi. Nous sommes éveillés un camarade et moi depuis déjà quelque temps, car nous avions décidé tous deux de tenter notre chance. Nous nous habillons sans bruit avec les effets civils que nous avions cachés sous nos paillasses et nous les recouvrons de nos effets militaires. Nous rassemblons nos petites affaires personnelles tout en laissant les choses qui auraient pu attirer l'attention. A sept heures c'est le départ pour le travail, et arrivons à la scierie. Sans perdre de temps nous serrons la main de quelques bons camarades et nous filons chercher notre sac de route que nous avions dissimulé dans une baraque abandonnée, c'est l'affaire de quelques minutes et nous nous débarrassons de notre tenue de prisonnier et filons directement à la gare de Teschen où nous prenons nos billets sans être inquiétés. Je suis sourd-muet et boiteux, mon camarade parle pour moi, car il connait l'allemand, nous allons jusqu'à Mittel-Bron ensuite nous reprenons le train jusqu'à Dresde. Là il y a affluence, même la cohue, nous avons de la peine à trouver l'express pour Leipzig. Enfin nous y sommes. Dans le compartiment nos voisins nous scrutent, mon insigne a l'air de les rassurer, quant à mon camarade qui est Israélite, il n'en est pas de même, il a le tort d'enlever sa casquette et laisse voir ses cheveux bruns et très frisés. Une Allemande le regarde de plus près, elle se lève précipitamment en hurlant : " Yude ! Yude ! " et veut me prendre à témoins. Je ne bronche pas, heureusement nous arrivons à Leipzig, et nous nous perdons dans la foule. Nous reprenons un autre train pour Erfurt. En cours de route il faut changer, mais hélas, nous avons une heure à attendre, nous nous résignons à sortir de la gare car nous restons seuls sur le quai. Nous arrivons près du portillon: des employés, des soldats, des gendarmes sont de l'autre côté, comment faire ? Tant pis on ne peut plus reculer, notre havresac sur le dos, moi boitant, nous sortons. On nous regarde de la tête aux pieds, heureusement nous ne sommes pas fripés, nos chaussures sont propres. Enfin dehors, quel soupir !… La sueur nous coule, nous marchons un peu et nous nous concertons : que faire, continuer à pieds, nous avons pourtant nos billets pour Erfurt ; nous nous asseyons un peu, les gens nous regardent et l'idée qu'il faut repasser le portillon nous hante mais on se décide, personne !… Nous nous mêlons à un groupe et peu de temps après, nous roulions à nouveau. Nous arrivons à Erfurt vers 18 h. Le train pour Francfort part " 3 h. plus tard : nous allons faire un tour en ville. Nous revenons vers la gare et nous nous dissimulons dans des coins sombres. Nous tirons des marks de nos talons pour prendre nos billets, puis nous cassons la croûte, cela va mieux. Nous envisageons l'avenir avec plus de confiance et nous pensons à la tête de nos sentinelles qui à cette heure se sont aperçues de notre évasion, cela nous rend joyeux, mais nous pensons aussi aux copains, qui, eux vont subir le contrecoup pendant quelques jours. Le train arrive, il est bourré. Nous nous casons difficilement dans le couloir. J'ai à côté de moi un marin qui n'a pas le sourire, je n'ai qu'une peur, c'est qu'il m'adresse la parole. Nous roulons la nuit avec des arrêts de temps à autre. Nous passons à Francfort via Mayence où nous arrivons au petit jour, nous sommes le 17. Nous ne sommes plus bien frais la barbe a poussé et nous allons prendre un café au buffet. Nous avisons une table paraissant libre, nous y étions attablés lorsqu'un officier allemand prend place à nos côtés et finit le café qu'il avait laissé quelques instants, les regards se croisent ! Que va-t-il faire ? Ses yeux se posent sur l'insigne de l' Arbeitfront que je portais à la boutonnière et son regard se fait moins dur, nous prenons des airs dégagés et finissons notre tasse. Nous partons aux renseignements pour l'heure du prochain train, je reste seul sur le banc, un soldat passe et se met à m'injurier, il n'était pas dans son état normal, d'après ce que je comprenais il était furieux que je sois en civil et lui en militaire. Je le regardais d'un air un peu hébété et un petit attroupement commençait à se former, je me rappelle tout à coup que je suis pour le moment sourd-muet. J'articule des sons inintelligibles en montrant ma bouche et mes oreilles. Le Fritz en était tout confus il s'est excusé en me disant : " Ach so ! ". C'était le seul moyen de me débarrasser de lui et des curieux. Le copain avait été témoin de la scène, et après il en a bien ri, mais sur le moment j'ai eu peur. Nous ne tardons pas à reprendre le train en direction de Sarrebruck. Dans le compartiment il y avait deux Sarrois qui parlent français, ils ont l'air sympathique, je décide d'entrer en relation avec eux, car la frontière est proche, et il faut la passer. Je griffonne quelques mots sur le blanc d'un journal et j'attire l'attention de l'un d'eux pour qu'il lise, car il y a aussi des Allemands et il faut se méfier. Il sort dans le couloir je le suis, nous disons quelques mots, il ne peut nous être d'aucun secours car il descend à la station prochaine, il me dit toutefois qu'il faut être prudent car au passage de l'ex-frontière, il faut souvent montrer ses papiers. Nous arrivons à Sarrebruck, tout le monde descend. Il est environ midi. En sortant de la gare, nous avons l'impression que les gens devinent qui nous sommes et nous nous attendons à être appréhendés à chaque pas. Toujours ces regards soupçonneux qui nous scrutent et nous avons nettement l'impression que l'on nous suit. Où aller maintenant ? Où est la frontière? Nous sommes fatigués, nous nous écartons du centre de la ville pour voir si l'on est suivi, mais personne. Nous cherchons notre direction, nous voyons enfin un car allant à Metz par St Avold. Nous suivons la route où il a disparu et nous quittons Sarrebruck. Nous apercevons les casemates et les dents de dragons constituant la ligne Siegfried. Nous nous arrêtons dans un petit bois pour nous reposer et nous restaurer. La nuit tombe. La voie ferrée est près de nous, un train de wagons-citernes passe, une odeur de vin s'en dégage, pas de doute, il vient de France, en suivant la ligne en sens inverse nous sommes sur la bonne voie. Nous escaladons le talus et de traverses en traverses, nous marchons ainsi pendant un temps indéfini, nous n'en pouvons plus et espéront avoir passé le poste-frontière. Nous nous endormons à l'abri d'un boqueteau, tout est calme, mais une bande de lumière rougeâtre que nous voyons un peu plus loin nous inquiète un peu, tant pis, nous dormons ! Le petit jour et la fraîcheur nous réveillent ainsi que les aboiements qui ne doivent pas être ceux d'un Pékinois… Nous risquons un oeil ! Stupeur, nous avions dormi à 100 m à peine du poste, les lumières que nous avions vues n'étaient autres que celles de la barrière fermant la route, nous entendons les éclats de voix des Fritz; il s'agit de partir au plus vite, et en rampant de buissons en buissons, nous nous éloignons et rejoignons la route plus loin. Ouf ! La chance est pour nous. Nous passons Forbach, nous sommes le 18. Nous décidons de prendre le car pour Metz . Après avoir fait une toilette sommaire, nous traversons St Avold et nous voyons des prisonniers français entassés dans des camions, pauvres gars, je les plains, moi qui roule vers la liberté. Nous approchons de Metz, je me rappelle que j'ai cantonné quelques jours dans un petit village en 39, hélas les noms ont changé, ils sont rédigés en allemand. On descend quelques kilomètres avant Metz afin de retrouver ce hameau et les gens qui m'hébergeaient, étant sûr qu'ils nous accueilleraient et nous indiqueraient une filière pour passer en France, hélas tout l'après-midi nous marchons, mais les villages se succédant et se ressemblant je m'y perds. Les Boches qui occupent les fermes nous traitent de Polacks au passage, enfin, exténués, nous décidons de passer la nuit à la belle étoile faute de trouver l'asile tant espéré. Au lever du jour, le 19 on repart mais cette fois par la première route qui va à Metz,. Près d'un ruisseau nous faisons notre toilette, nous en avons sérieusement besoin. Maintenant il va falloir faire vite car les havresacs se vident et les biscuits diminuent. Nous marchons jusqu'à Metz redevenue allemande et nous voyons des instructeurs nazis éduquer à leur manière les jeunes Lorrains dont nous en avons retrouvé beaucoup au Centre Démobilisateur. Ils avaient fait comme nous ? Nous traversons la ville, plus nous approchons de la frontière, moins nous sommes rassurés. En voulant éviter un passage à niveau, nous voulons passer sous un pont, nous nous trouvons nez à nez avec une sentinelle figée là. Sans perdre la tête mon camarade s'écrie : - Nous nous sommes trempés, il faut passer par le passage à niveau ! En allemand , bien entendu, je lui réponds : - Ya woll ! le Fritz ne nous a rien dit, il n'était pas fin quand même ! Un peu plus loin nous nous renseignons auprès d'un paysan cultivant son champ, mon camarade engage la conversation en allemand pour lui demander notre route, au bout de quelques phrases où il cherchait ses mots, il nous répond tout bonnement : - Dites donc, les gars, si l'on parlait français on se comprendrait mieux ! Il ne s'était pas trompé, lui !… Nous prenons la route d'Ars. Après nous longeons la Moselle jusqu'à un village frontalier voisin de Pagny, la première personne que l'on rencontre c'est un douanier allemand avec un molosse en laisse cela promettait ! Je pars seul en reconnaissance dans le pays, pas beaucoup de civils mais en revanche il y avait pas mal de douaniers, je rentre dans un café et écoute la conversation,. Il y a un chantier de travailleurs étrangers dans le village, enfin, risquant le tout pour le tout, je m'adresse à la patronne, elle m'emmène dans une pièce d'arrière-boutique et appelle un consommateur, nous discutons quelques minutes et nous décidons de passer le Dimanche qui devait être le lendemain, je crois. Je viens rechercher mon camarade resté à l'entrée du pays et nous voilà installés dans une chambrée avec quelques ouvriers du chantier, nous prenons nos repas ensemble et dormons. Le lendemain 20 Juillet nous nous préparons fébrilement. On doit passer en promeneurs. Nous nous séparons de nos havresacs et n'emportons que le strict minimum dans nos poches afin de ne pas être repérés par les douaniers qui guettent sur les hauteurs. Au moment de partir il y a hésitation, les gars ne sont pas rassurés pour nous accompagner, mon camarade a une pièce de 10 Frs en or il la promet à celui qui nous accompagnera, un se décide et en route ! Sans se presser, par les sentiers, en s'arrêtant de temps à autre, faisant semblant de cueillir des fleurs, nous allions notre bonhomme de chemin, quelles minutes ! C'étaient les plus difficiles de l'étape que nous accomplissions, notre guide avait plus peur que nous, enfin nous arrivons à un lieu-dit " Les baraques ". Ça y est nous sommes passés sans encombre quel soulagement ! Nous disons adieu à notre guide, mon camarade lui remet la pièce, et quelques minutes après nous sommes à Pagny sur Moselle. La joie nous envahit, le plus dur est fait maintenant, nous n'avons plus que la ligne de démarcation à passer. Nous prenons le train pour Nancy où l'on arrive dans l'après-midi. Je veux aller directement à Paris, les cheminots me déconseillent car nous sommes en zone rouge et il vaut mieux se faire démobiliser avant. Nous passons la nuit à Nancy dans un hôtel, l'on nous dit que la Gestapo fait souvent des rondes dans les hôtels, tant pis, un bon lit c'est tentant, depuis le temps ! Et puis nous risquons moins que de passer la nuit dehors. Le copain ne dort pas beaucoup et chaque pas dans l'escalier le fait sursauter croyant entendre les Boches, quant à moi, je dors. Le 21 au matin nous prenons le train pour Besançon; le trajet est assez long. Le train ayant eu du retard nous passons la nuit dedans. Arrivés à Besançon le 22 Juillet nous nous renseignons où est la ligne de démarcation et l'on décide de la passer à Champagnole. Nous prenons donc un tortillard qui conduit à cette dernière ville. En cours de route, j'avise mon voisin, un bon pépère, et lui demande comment cela se passe à l'arrivée, au terminus; il nous dit que les Allemands sont à la sortie de la gare et qu'ils demandent les papiers, sans hésiter une seconde on descend à la première gare qui est Ars-La-Montagne, ouf on a encore eu chaud ! Nous sommes les seuls voyageurs qui descendons, le chef de gare est su×~le quai tout seul, nous lui racontons nos péripéties, la ligne est à quelques centaines de mètres. Quelques minutes après il est en civil, un outil sur l'épaule, nous demande de le suivre, il va nous passer ! Quel brave homme. Nous le suivons à distance, il nous quitte pour reconnaître le terrain, nous l'apercevons qui nous fait signe, nous avons 100 mètres à faire à découvert, nous avons presque battu un record de vitesse pour les parcourir. Encore 50 mètres et nous sommes en zone libre, nous le remercions chaleureusement et nous fonçons droit devant nous, la nuit tombait, nous entendons au loin une horloge, c'est Poligny et son drapeau français qui flotte sur la gendarmerie, nous sommes tellement heureux que mon camarade et moi nous nous embrassons et pleurons de joie! Après c'est Lons-le-Saunier, ensuite Bourg-en-Bresse. Nous sommes bien reçus partout, c'était en 1941. Une fois démobilisé je vais passer deux jours chez les parents de mon camarade. Je décide de revenir à Paris, je suis impatient d'annoncer la bonne nouvelle aux miens, je veux passer par Chalon-sur-Saône, pour franchir la ligne. Je donne 200 Frs à un sale type qui me remet entre les mains des Fritz, je défile dans Châlon encadré par deux Feldgrau, cette fois c'est bien fini, je ne reverrai pas Paris de sitôt, je le pense. Les gens me regardent passer. Fausser compagnie à mes gardiens il ne faut pas y songer, je n'irai pas bien loin. Arrivé à la Kommandantur je passe à la fouille et à l'interrogatoire, je me suis ressaisi, six Fritz sont devant moi, ils me questionnent par le truchement d'un interprète, la date de ma démobilisation les tracassent, c'est trop récent, je leur dis que je reviens de Syrie, ils regardent les photos que j'avais sur moi, ils échangent des calembours, s'ils les retournaient ils verraient au verso le cachet de la censure du Stalag, c'est trop bête, j'avais pensé à tout sauf à cela enfin tout m'est rendu, quel soulagement. Je suis conduit dans une cellule de la prison. Au bout de trois jours j'en sors après avoir versé 300 Frs d'amende et je suis reconduit en zone libre. Le soir même je repasse, il faisait un orage terrible je me perds, et tout à coup un faisceau de lumière et trois fusils qui me couchent en joue, pas de chance, je reprends la même direction que 4 jours avant mais cette fois aggravation du cas ; car j'avais sur moi une fausse carte d'identité qu'un ex-prisonnier m'avait fait avant de repasser, c'est à nouveau l'interrogatoire pour savoir qui me l'avait procurée, ils n'ont rien su et le soir je recouchais en cellule avec des compagnons d'infortune, cette fois j'y suis resté une semaine, n'ayant plus d'argent pour payer l'amende et c'est de nouveau le rejet en zone libre. Cette fois je suis moins impatient et attends un Ausweiss d'un habitant du pays pour passer par le train, l'inconvénient c'est que le titulaire a dix ans de plus que moi. En sortant de la gare de Chalon c'est " l'épluchage " je présente mes papiers, le Fritz me scrute avec insistance, j'ai beau me faire le plus vieux possible, il tique un peu, enfin il me redonne les papiers, avec le traditionnel " Gut " cette fois, ça y est, j'ai passé, heureusement car l'on m'avait promis que si je me faisais reprendre on me fusillerait, ils nous disaient aussi en Allemagne pour éviter les évasions, histoire de rigolade, ils l'auraient peut-être fait, les salauds. C'est l'arrivée à Paris, le métro, la maison, tous les siens, que l'on retrouve et la joie d'être libre… J'ai encore échappé trois fois au S.T.O., je ne tenais pas du tout à retourner là-bas. Pendant les journées d'insurrection, je faisais partie du groupe " Vengeance ".

Récit certifié véridique.

Fait à Paris le 21 Novembre 1946.

R.J.

P.S. : Mon camarade d'évasion s'appelle ESKENAZI Maurice, huissier à Paris, 5 Avenue de la République.

FUSSINGER Gérald

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Un jour

parmi dix-sept

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Il pouvait être 6 h du soir. L'orage se déclencha. De gris qu'il était le ciel devint noir et la pluie se mit à tomber drue et serrée. A de rares intervalles, les éclairs zébraient les nues, pénétrant de leur blanche lueur jusqu'au plus touffu du bois où s'étaient réfugiés les deux hommes. Que faisaient-ils dans ce bois, à cette heure et sous la pluie. Un habitant de la région ne s'y serait certes pas trompé à voir leur accoutrement. L'un assez grand portait avec certain souci decoquetterie une tenue kakie, anglaise sans doute, composée d'un blouson serré à la taille et d'une culotte longue dont le bas était ajusté dans de petites guêtres de forte toile de couleur claire. Des souliers éculés et tout percés témoignaient d'un usage plus que forcé dans une arme dont le seul mode de locomotion est le "train onze". Des souliers de biffin à n'en pas douter. L'ensemble était complété par un calot posé crânement sur le côté gauche de la tête. Cet homme avait les traits pâles et tirés, le visage marqué par la fatigue et les privations. Un pli soucieux barrait son front et toute sa physionomie exprimait le découragement. Pourtant il avait l'air énergique et sa position devait être bien mauvaise pour qu'un tel souci apparaisse sur son visage. Quel âge pouvait-il avoir 23 ou 24 ans à peu près. Son compagnon paraissait plus âgé de 3 ou 4 années. Pourtant une personne curieuse qui aurait pu les questionner aurait été surprise de constater que le premier nommé était l'aîné d'un printemps et venait d'attaquer bravement sa 24ème année. Le second personnage de cette histoire était petit, trapu, rouge de visage et noir de poil. Il paraissait jouir d'une santé éclatante et semblait moins marqué par la fatigue que son camarade. Il était vêtu d'une vareuse empruntée à l'armée belge, une de ces vestes kakies à nombreuses poches et si pratique. Un pantalon de même étoffe abritait de courtes et solides cuisses et venait s'emmagasiner à 25 cm du tronc dans des housseaux de cuir noir qui depuis bien longtemps n'avaient pas vu le cirage. Une solide paire de brodequins à semelle très épaisse attestait que cet homme avait su mieux se débrouiller que son compagnon avant d'entreprendre son aventure. Sous le calot, posé sur sa tête, sans aucun souci, sinon celui de la protéger d'un refroidissement, on pouvait voir à l'expression du visage que tout ne marchait pas comme sur des roulettes. Il regardait obstinément en l'air en grommelant : - Vache de flotte, va ! A ce moment la pluie se mit à redoubler et avec elle les jurons. "Quelle chiotte, quelle poisse" ! Le passant ne s'y fut plus trompé. Il s'agissait de deux Français deux soldats, deux prisonniers. Que faisaient-ils à 25 km de l'ancienne frontière allemande ? Pour le savoir il suffit de reporter notre lecteur à quelques jours de là, dans un kommando situé à l'est de TREVES. Nous allons résumer succinctement les faits pour vous permettre de mieux comprendre ce récit. C'était un soir comme tous les autres soirs. Les prisonniers revenaient du travail et en passant devant le bureau du gardien, prenaient le courrier qui leur était destiné. L'un d'eux, le premier personnage de ce récit venait justement de recevoir une carte et il interrompait à chaque instant sa lecture par de brèves exclamations. "Ah le veinard, ah le cocu. Sacré Roland, il a réussi". Puis d'un seul coup, pris d'une crise de folie il s'écria: - Je fous le camp, qui c'est qui s'barre avec moi. Et quelque temps après c'était le départ, l'évasion avec tous ses risques et l'espoir de la réussite, cet espoir qui soutient les prisonniers et leur permet d'accomplir des exploits. A la suite de nombreuses aventures et maints déboires ils en étaient arrivés à ce point où commence notre récit. - Y a pas de bon sang, il faut qu'on trouve une planque, s'écria le plus grand, celui qui avait décidé de l'entreprise. Et de ramasser tous deux leurs affaires en continuant de ronchonner. Oh ce fut vite fait. Pour le plus grand que nous appellerons désormais FUFU puisque c'est ainsi que le prénommait son compagnon le barda se composait d'un sac de toile primitivement destiné à contenir de la farine et transformé en sac tyrolien avec de vieilles ficelles et de bouts de courroie. Le second n'était embarrassé que de deux musettes dont l'une bien plate avait sans doute dû contenir les vivres. Ils jetèrent un coup d'oeil sur quelques carottes qui traînaient à leurs pieds et FUFU dit en s'adressant à son compagnon : - Si tu as encore faim, BOUBOULE, te gêne pas ! BOUBOULE, sans rien répondre ramassa une carotte et après l'avoir sommairement essuyée sur sa manche, l'ingurgita en deux bouchées. Puis, les équipements chargés, ce fut le départ. Il s'agissait surtout de trouver un abri et ce dans le plus bref délai car la pluie maintenant traversait la voûte épaisse formée par les sapins et menaçait de rendre nos amis semblables à deux rescapés d'un naufrage en mer. Ils s'élevèrent, d'abord le petit suivant le plus grand qui semblait être le guide, puis hésitèrent en voyant un sentier régulièrement entretenu. Mais la décision fut vite prise, un coup d'oeil à droite, un coup d'oeil à gauche, personne, en avant et de continuer leur route. Après 300 mètres environ de montée, ils devinrent plus circonspects. Le terrain était foulé de nombreux pas, le bois était plus clair et on apercevait un peu plus haut un monticule entouré de barbelés. Une casemate de la ligne siegfried. Etait-elle gardée ? là était le hic et il s'agissait d'être prudent. La pluie est mauvaise conseillère. Il y avait là-haut un abri, alors nos deux amis n'hésitèrent pas et franchirent en se courbant les derniers mètres qui les séparaient du fortin. Quelle joie, quelle délivrance, l'endroit était désert. Là, à gauche, l'entrée de la casemate, la porte en est fermée, mais devant il y a une tranchée et dans cette tranchée un petit recoin où l'on ne sera pas trop mal, et là, à terre que voient-ils donc qui les rendent si joyeux. Du papier goudronné. En deux minutes, un toit fut posé, un abri assuré. Et voilà nos deux gars, serrés l'un contre l'autre, recroquevillés sur eux-mêmes et faisant leur possible pour éviter les quelques gouttes d'eau qui passent au travers de la mince toiture. FUFU a retiré de son sac une vieille pelisse garnie d'un col de fourrure mangée aux mites et l'a posée sur leurs genoux. Il l'avait prise la veille sur un épouvantail à moineaux et se flatte aujourd'hui de sa trouvaille. Au bout d'un moment il rompit le silence que seul, venait troubler le bruit de l'eau tombant toujours aussi drue. - Mon vieux BOUBOULE, nous voilà mal partis. Si cette flotte continue à tomber nous ne pourrons pas démarrer et nous n'avons plus qu'un jour de vivres. J'ai fait le point sur la carte et je crois savoir où nous sommes. Sauf erreur de ma part, si nous pouvons marcher cette nuit, nous serons en LORRAINE demain au petit jour et certainement sauvés. Mais nous avons encore la BLIES à traverser. Si Dieu ne nous abandonne pas. Suivi en enfer, nous réussirons. Il le faut, ce serait trop bête de se faire reprendre après quatre nuits de liberté. Ainsi parlait FUFU, et BOUBOULE se contentait d'approuver. Un drôle de gars, ce BOUBOULE, un Normand peu bavard et vieilli avant l'âge, mais tenace aussi et qui ne craignait pas les kilomètres. Il avait une foi aveugle en son camarade et l'aurait, je crois, suivi en enfer. Depuis quelque temps déjà la pluie se faisait moins violente et l'on apercevait dans le ciel quelques trouées bleues. Les nuages filaient bas et à une allure vertigineuse. Depuis longtemps déjà le tonnerre s'était tu. BOUBOULE hasarda timidement sa tête hors de l'abri et toute sa face s'éclaira d'un large sourire. "J'crois bien que ça va se tasser ! " dit-il à son ami et aussitôt de sortir et de s'étirer, le peu de confort de la cache lui ayant laissé les reins tout endoloris. FUFU plus sage attendit encore quelques minutes et sortit lui aussi en se frictionnant les reins. - Bon Dieu de bon Dieu, quelle vie de chiens vivement que ça finisse ! C'était son habitude. Il gueulait toujours après la vie et ne trouvait rien de plus beau qu'elle. Toute sa jeunesse avait été bercée de romans d'aventures et il était aujourd'hui dans son élément. Il ne voulait voir que le côté le plus beau de ses péripéties et ronchonnait après toutes ces petites choses, ces petites souffrances, ces mille petits détails qu'un auteur oublie de mentionner dans son livre : une branche qui vous cingle l'oeil et vous rend borgne pendant 2 h, l'arbre qu'on encadre dans l'obscurité et le souvenir qu'emporte votre nez de la collision, etc. C'était un exalté qui retrouvait tout son sang-froid dans l'action et qui se fatiguait plus la journée à attendre dans un bois que la nuit à arpenter les plaines et les forêts peuplées de danger. Aussi n'avait-il pratiquement pas fermé l'oeil depuis le départ à l'encontre de son compagnon qui aurait dormi sur un canon en action. On était en Septembre et la nuit venait assez tard. Ils durent attendre 20 h avant de se remettre en route. Après avoir consulté sa montre précieusement enfermée dans une boîte métallique, le verre s'étant cassé dans une chute dès la première nuit, FUFU donna le signal du départ. La nuit n'était pas encore complètement descendue et l'oeil pouvait distinguer les objets d'assez loin. Sac et musettes solidement arrimés dans le dos, nos deux amis prirent en sens inverse le chemin parcouru dans les sapins et après quelques minutes de marche parvinrent au bas de la rapide descente, à l'orée du bois. Un chemin en contrebas longeait les arbres et avant de s'y laisser glisser, nos évadés jetèrent un coup d'oeil circulaire sur le paysage. On devinait à droite un village dont les murs blancs faisaient contraste avec le fond sombre des collines environnantes. Droit devant, la plaine, une plaine vallonnée qui s'élevait en direction du Sud. A gauche des bois encore. Aucun bruit ne troublait la sérénité du lieu, si ce n'est quelques aboiements de chiens, là-bas, dans les fermes. Mais c'était assez loin et nullement dangereux. Nos deux gaillards descendirent dans le chemin, prenant bien garde de ne pas faire de bruit et s'engagèrent dans la plaine. Des jurons étouffés se firent entendre. - Quelle chiotte, disait FUFU. J'ai déjà les pieds à la sauce. - Mon vieux, ça c'est pas le pot. On va en baver ! ! -C'est aussi mon avis ! Cette conversation se faisait à voix basse, comme s'ils avaient craint une oreille indiscrète dans le voisinage, et il en était ainsi depuis le départ. C'était naturel, instinctif, ces hommes étaient constamment sur le qui-vive et observaient les règles de la prudence la plus absolue. FUFU disait souvent à son compagnon : " Vivement qu'on soit libres que je puisse gueuler un bon coup ". Ils se souvenaient tous deux d'une étape précédente où ils avaient failli se faire prendre pour un toussotement malencontreux mal étouffé. Ils avançaient d'un bon pas, aussi vite que le permettait l'état du terrain et ils ne semblaient plus fatigués. L'herbe étant humide bien vite pantalons et chaussures furent détrempés. Une ouïe fine eut entendu le plouf plouf que faisaient les chaussures à chaque pas des pauvres gars. Au bout de dix minutes de marche, ils s'arrêtèrent, prêtant l'oreille, puis marchèrent en direction d'un murmure que seule une oreille exercée et attentive pouvait percevoir. De l'eau était là, coulant presque goutte à goutte d'une anfractuosité de rocher. De l'eau que l'on pourrait recueillir dans un quart, de l'eau que l'on pourrait boire, quelle aubaine. Car aussi paradoxal que cela puisse paraître, FUFU et BOUBOULE trempés des pieds jusqu'aux genoux, la veste humide, crevaient de soif. Ils n'avaient pu se procurer un récipient, au départ, et force leur était d'atteindre un point d'eau pour se désaltérer. Ornières, ruisseaux, sources, ils avaient bu n'importe quelle flotte. Que de fois avaient-ils maudit la nature de terrains trop arides ou l'attente trop longue de la nuit qui tardait à venir, la nuit qui permettait de boire, de trouver de l'eau fraîche qui revigorait le corps, la langue desséchée par l'effort et calmait la brûlure des yeux gonflés d'insomnie. BOUBOULE tira son quart de sa musette et le tendit à la source qui s'égouttait plutôt qu'elle ne coulait. Enfin le récipient fut plein et en moins de deux ingurgité. Quel soupir de satisfaction poussa notre ami.! FUFU à son tour imita son ami. Il but, lui, à petites gorgées se délectant à chaque rasade. Mal lui en prit, car l'eau ayant eu le temps de se déposer, la dernière gorgée fut une lampée de sable. - Saloperie, Bon Dieu de merde, etc, fut le refrain habituel qui salua cette nouvelle mésaventure. Bah on ne meurt pas pour si peu et puis l'heure n'était plus aux lamentations et FUFU avait autre chose à faire. Il venait de sortir son mouchoir et il tirait de ce dernier, avec mille précautions, un petit instrument dont un profane eut été bien embarrassé de dire le nom. C'était, composé d'un couvercle d'étui de savon à barbe, d'une rondelle de bois, d'un bout d'épingle et d'une aiguille taillée dans une lame de rasoir mécanique, une boussole bien primitive il est vrai. Le verre se trouvait avec, mais il n'était pas ajusté, car il ne permettait pas de lire correctement la nuit. C'est à cet engin que nos amis devaient de ne pas s'écarter de la bonne route. Elle leur donnait d'ailleurs bien du souci car elle n'était pas toujours disposée à tourner et il fallait parfois que FUFU la secoue, la tape légèrement sur sa paume pour que la lame aimantée prenne la direction supposée Nord. Il est vrai qu'il y avait d'autres points de repère. La lune par exemple. C'est surtout avec elle que FUFU se dirigeait. Il l'avait bien étudiée et il corrigeait son angle de marche au fur et à mesure que le temps s'écoulait. La carte ne servait en principe que la journée. De mémoire la nuit on notait certains détails et le lendemain on faisait un point approximatif. Sachant par exemple qu'à 10 h on avait traversé une grande route, qu'a 1 h on avait laissé une assez grosse agglomération à notre droite etc… On cherchait le lendemain, sur la carte, quel village se trouvait à environ 12 kms d'une grande route traversée et on avait à peu près le chemin parcouru. La lune ce soir était de sortie et la visibilité mauvaise. Heureusement que les deux côtés de l'aiguille n'étaient pas biseautés de même façon permettant de se renseigner au toucher. FUFU s'orienta donc et constata que le vent venait d'Ouest, indication précieuse et qui lui servirait. Il dit tout joyeux à BOUBOULE : - Renifle vieux frère on sent déjà l'air de FRANCE dans 8 ou 9 h on sera chez nous. C'est vrai qu'il y a cette satanée BLIES à traverser. C'était leur souci à tous deux et elle les avait déjà bien retardés. Ils l'avaient traversée dans une précédente étape et FUFU avait été tout surpris de la retrouver sur sa route. Ils avaient mais en vain tenté de la passer de nouveau. Indécis, perdu FUFU avait alors décidé de gagner les bois et d'attendre le jour qui permettrait de lire la carte. Il avait cette fois bien étudié son plan et il était à peu près sûr de la direction à prendre. Ils repartirent donc, plus gonflés que jamais, tournant presque le dos au vent, c'est-à-dire en direction de l'Est. Ils tenaient en effet à rencontrer au plus tôt l'objet de leur inquiétude. Ils s'arrêtaient de temps à autre pour écouter, prêtant l'oreille, soit pour s'assurer de la bonne direction. Seul le vent qui bruissait dans les buissons donnait un semblant de vie au morne paysage que traversaient nos évadés. Après s'être élevés ainsi pendant une heure ils arrivèrent au point culminant de l'ondulation herbeuse où venait de s'accomplir la première partie de l'étape. Le terrain descendait alors en une déclivité plus rapide que nos deux lascars eurent bien vite parcourue. Les difficultés commencèrent en bas. Il y avait en effet une route à traverser avant d'arriver sur une voie ferrée, le cauchemar de BOUBOULE, et après seulement se trouvait la BLIES. L'opération qui consistait à traverser la route n'était pas dangereuse. On s'approchait prudemment, on écoutait et hop au galop et sur la pointe des pieds. Tout se passa très bien. La voie ferrée était là, tout près. Tapis dans les buissons, nos deux gaillards, toute ouïe, toutes oreilles se mirent à observer le terrain à parcourir. Ainsi que je vous l'ai déjà dit la lune ce soir était masquée par de vilains cumulus. Par bonheur, la voute n'en était par moment pas très épaisse et une pâle clarté filtrait au travers des nues qui parfois même poussaient l'obligeance jusqu'à laisser entre eux un espace suffisant pour permettre à Dame-Lune de jeter un coup d'oeil à sa voisine, la terre. On pouvait alors distinguer plus nettement la ligne de chemin de fer signalée au loin vers le Sud par de petites lueurs fixes, des signaux ou des postes de garde aux abords d'un village. On entendait les plaques de signalisation et les fils grincer au vent. Là-bas, vers le village, une sonnette grelottait dans la nuit. Pas d'autres bruits, rien d'anormal. En avant, mais avec prudence, courbés, nos deux amis s'avancèrent, tout le corps en éveil près à la fuite ou à la résistance. Un fossé assez profond et broussailleux longeait la voie. Très peu d'eau, tout va bien. FUFU en tête, nos deux gars sont maintenant sur le talus de la ligne. Ils arrivèrent enfin au faîte et prudemment jetèrent un coup d'oeil. Tout paraissait normal. - Attention BOUBOULE, il y a des fils. - Oui, oui, murmura BOUBOULE. - Fais pas comme hier, tint encore à préciser FUFU qui malgré la situation ne put s'empêcher de sourire en se remémorant la nuit précédente. Ils avaient traversé cette même ligne entre un poste et une gare. Comme ce soir FUFU avait averti son compagnon : - Attention aux fils ! - Oui, oui , et au même instant, bring, bring les deux pieds dans le réseau et les signaux qui sonnaient la ferraille. Un frisson avait parcouru l'échine de FUFU. - Oh c'que t'es con, fais attention aux autres. - Oui, oui , et rebelote bring, bring, ding, ding, les panneaux. Cela avait provoqué une fuite éperdue qui s'était terminée par un magnifique plat ventre dans un champ de betteraves et une crise de fou rire une fois le danger écarté. Mais BOUBOULE cette fois écarquilla bien les yeux et tout se passa sans incident. La ligne traversée, un autre fossé semblable au premier fut franchi et ce fut la plaine, humide, spongieuse qui laissait deviner la proximité de l'eau… En effet, quelques centaines de mètres plus loin, nos amis arrivèrent sur les bords de la BLIES. Force leur fut de s'arrêter avant de prendre une décision. Ils se regardaient embarrassés. Pour un os cela en était un. La rivière avait à cet endroit une largeur approximative de 20 mètres. Les eaux presque dormantes attestaient une assez grande profondeur. Ici impossible de passer, une seule solution s'offrait à nos amis, suivre le cours d'eau en priant Dieu de leur faire découvrir un endroit guéable ou un pont. Longeant la rive droite de la BLIES ils continuèrent leur marche. Le vent avait faibli et seules quelques rides frissonnaient encore à la surface des eaux, leur donnant un semblant de vie et la faisant paraître moins sinistre. Qu'y-a-t-il en effet de plus lugubre que des eaux dormantes, noires et sans fond, quand vous êtes à minuit dans un pays où tout vous est hostile et que la pensée de la mort, depuis bientôt une semaine, habite votre crâne et vous fait voir du danger même où il n'y en a pas. Rien ne pouvait déplaire d'avantage à nos amis. Ils durent bientôt ralentir leur marche et prêter d'avantage encore attention à ce qui se passait alentour. Un village se trouvait sur la droite. Circonstance heureuse la BLIES semblait s'en éloigner légèrement. Ils arrivèrent bientôt en vue d'une route et, Dieu merci, un pont traversait le cours d'eau. Courbés en deux ils arrivèrent à hauteur de la route et prêtèrent l'oreille. Pas de bruit, le pont ne devait pas être gardé. - Tu es prêt BOUBOULE… - Oui… - Allez, à fond…! Grand dieu, qu'il paraissait long et comme il résonnait sous chaque pas. Enfin ils arrivèrent au bout. Vite, dans les herbes à droite. Ouf la BLIES était traversée. Ils en pleuraient de joie et ne pouvaient s'empêcher d'extérioriser leur bonheur. - Chouette BOUBOULE, c'que j'suis content. - Ah mon vieux, on les aura, répondit l'interpellé, tiens, comme ça et de taper la paume de sa main sur son autre main refermée en un geste que la bienséance m'empêche ici de traduire (écrit en 1943. Maintenant j'aurais écrit : " Ils l'ont dans le cul "). Autre époque autres moeurs. Il en gloussait l'ami BOUBOULE et il en poussait des : " Ah vieux frère, ça y est ! ! ". Hélas, s'ils avaient su !.. Ils se trouvaient dans une plaine marécageuse, coupée de fondrières, de plaques d'eau, de ruisselets et ils durent, dès les premiers pas effectués sur ce terrain, utiliser des planches qui se trouvaient sur les trous. La progression ne se faisait pas sans difficultés. A gauche se trouvaient des montagnes dont la masse sombre se détachait vaguement dans l'obscurité. A droite était la BLIES. Il fallait obligatoirement continuer droit devant soi. C'était la seule route envisageable. Les émotions donnent soif et nos évadés en firent l'expérience. Ils durent à plusieurs reprises prélever de l'eau dans les trous qu'ils trouvaient à chacun de leur pas. C'était une eau fade et croupie mais qui coulait quand même additionnée de sucre. A la guerre comme à la guerre, au diable les microbes, si tout continuait à bien aller. Ce serait bientôt le repos, la bonne nourriture, l'espoir était là. Ils arrivèrent bientôt sur un village qu'il fallut traverser, ce qui fut relativement facile. Ce pays était divisé en deux parties, reliées entre elles par une rue où sur une centaine de mètres une seule maison était bâtie. Nos deux lascars s'approchèrent lentement, avec leur prudence habituelle et observèrent. Une auto passa, tous phares allumés, mais il eut fallu un oeil averti pour deviner nos compagnons collés au sol. Ils se préparaient à bondir quand des pas se firent entendre sur la route. Retenant leur souffle, ils virent passer à deux pas d'eux une personne qui était loin de se douter de l'émotion qu'elle provoquait. Quand elle se fut éloignée, ils passèrent sans rencontrer d'autres difficultés. Le vent s'était calmé et le ciel s'était un peu éclairci, ce qui permettait de distinguer les environs. Nos amis longeaient maintenant les dernières maisons du village et furent bientôt sur un terrain recouvert de mâchefer. Des tas de charbons leur barraient la roue, une usine se devinait tout près. L'endroit était dangereux et il s'agissait d'en sortir au plus vite. Heureusement que les chiens étaient rares en ALLEMAGNE. Ils eurent encore une route à traverser et bientôt ce furent des terres labourées, des champs de betteraves et de pommes de terre qu'ils eurent à parcourir. Le sol était lourd et la marche difficile. La direction empruntée était Sud, Sud-Est et FUFU s'évertuait à respecter la ligne droite. Ils ne tenaient en effet aucun compte des chemins qu'ils pouvaient rencontrer au cours de leurs pérégrinations. Ils ne contournaient que les obstacles vraiment infranchissables ou par trop dangereux. Les clôtures en barbelés, les haies, les petits ruisseaux, tout était traversé au plus direct car la nuit ne facilite pas l'orientation. Jusqu'à présent cette méthode s'était montrée excellente et il n'y avait aucune raison de ne pas continuer à agir ainsi. Ils marchèrent ainsi pendant près de deux heures ayant eu une seule difficulté pour franchir une petite rivière, à proximité d'un hameau. Ils traversèrent sur un petit pont de pierre, dans un jardin où ils eurent soin de prendre quelques légumes au passage. (Je me souviens que nous étions passés sous une fenêtre entrebâillée qui nous permit d'entendre de sonores ronflements, "dormez en paix les petits, FUFU veille sur votre sommeil."). Vers une heure du matin FUFU, qui marchait le nez au vent, le regard fixé sur un petit carré de ciel clair juste en face de lui, poussa un cri de joie. Ils étaient au pied d'une colline qu'il leur fallait gravir. La confiance était en eux, tout marchait à merveille et la fatigue n'avait plus prise sur nos amis. - Regarde BOUBOULE ! Dieu nous indique la route ! Une étoile filante venait de traverser le ciel, juste en direction de la FRANCE. Depuis leur départ nos évadés s'étaient mis sous la protection de Dieu et FUFU l'athée, même pas baptisé, FUFU qui n'avait dans sa jeunesse jamais fait une prière, plus peut-être que BOUBOULE, pourtant Normand, avait une foi absolue en la Providence. Il avait la certitude de réussir, et plus que sur ses moyens intellectuels et physiques, il comptait sur l'aide de Dieu. Il avait sans doute raison car toujours la chance fut avec lui durant son long voyage. Le terrain que parcouraient maintenant nos évadés était vallonné, herbeux, parsemé de boqueteaux et coupé de chemins. Le ciel était clair, sauf à l'Ouest où une grande bande noire annonçait encore de la pluie ce qui rendait FUFU soucieux. Si le beau temps pouvait durer jusqu'à l'aube peut-être trouveraient-ils un abri sûr qui leur permettrait de finir la nuit et de prendre du repos. Brusquement il leur fut interdit de continuer leur route. Une barrière se dressait devant eux, un grillage haut de trois mètres suivi de quelques rangées moins élevées de barbelés et là, devant leur nez, une pancarte ainsi rédigée : " Achtung ! Minengefahr ! "." Attention danger mines ". Le coup fut rude pour eux et ils se perdirent en conjectures. La ligne Siegfried ou la frontière? - Cela prouve que nous sommes sur la bonne route, mais comment passer ? A ton avis BOUBOULE qu'allons-nous faire ? Escalader ou bien voir s'il n'y a pas une chicane quelque part ? - Ben, j'sais pas moi. Qu'est-ce que tu veux faire ? - Hum ! Escalader, on risque de se faire sauter la gueule ! Contourner jusqu'à une route, on risque de tomber sur un passage gardé. C'est moche. Bah ! Longeons toujours un peu sur la gauche et si on ne trouve rien d'ici un quart d'heure on escaladera. Ce qui fut dit fut fait et comble de chance après quelques minutes de marche, la route était libre. Ils foncèrent dans la plaine qui s'ouvrait devant eux, heureux d'avoir échappé à un nouveau danger. Ils remarquèrent quelques trous sur l'origine desquels ils ne pouvaient se tromper. Bien que vieux de deux années et tapissés d'herbe ils reconnurent des trous d'obus dans ces excavations, " Certainement du 155!", disait FUFU qui se souvenait en avoir balancé aux Schleus avec la complicité de braves artilleurs. Allons il y avait du bon et on serait bientôt en LORRAINE. Ainsi pensaient-ils et avec juste raison. Mais… Le paysage changea encore d'aspect et ils parcoururent de nouveau des terrains labourés fraîchement, quelques champs de pommes de terre. Une belle route droite allait, elle aussi, en direction du Sud. Pourquoi ne pas la prendre ? " pensa FUFU euphorique, oubliant toute prudence. En marchant sur la banquette on ne fait pas trop de bruit et l'allure est plus aisée. - Tiens une maison, à 50 m de la route! Soyons quand même prudents, et changeons de côté. Mais il y a une pancarte. FUFU voudrait bien savoir où il se trouve et suivi de son copain, il décide d'aller se rendre compte et traversant la route à pas de loups s'approchent, s'arrêtent et, ah !, mon Dieu, sans se retourner détalent comme des voleurs. Qu'avaient-ils donc vu qui leur avait causé une telle frayeur ?" Kriegsgefangenenlager " portait le tableau. Camp de prisonniers de guerre. Quelle chance qu'aucun gardien ne se fut trouvé là à ce moment. - Tu te rends compte BOUBOULE où on mettait les pieds, dit en riant FUFU une fois le danger écarté. Et tous les deux de s'esclaffer : - On sort d'en prendre et on ne tient pas à y retourner, riposta BOUBOULE et son ami d'approuver : - T'as raison mon pote ! Continuant leur route, ils distinguèrent un village sur la droite. Dans les champs des charrues abandonnées gisaient. Au jour la vie reprendrait, les paysans retourneraient à leurs champs, à leur travail sans se douter que dans la nuit leur terre avait été foulée, piétinée, que leur charrue avait servi de siège à des prisonniers en cavale. Et il en était ainsi chaque nuit de mai à septembre où des milliers de Français arpentaient les routes de l'ALLEMAGNE à la poursuite de cette chère liberté si mal défendue, et tant regrettée. On devinait plutôt qu'on ne voyait une grande ligne noire devant soi, dans l'axe de la route et après un quart d'heure de marche, nos amis reconnurent une forêt. Ils en eurent bientôt atteint la lisière et avant d'y pénétrer FUFU décida de prendre un peu de repos. Tapis dans un buisson ils restèrent ainsi dix minutes, reprenant de nouvelles forces et se confiant leurs espoirs. FUFU surtout était optimiste et à son avis, ils seraient au petit jour en LORRAINE. BOUBOULE s'emballait moins facilement, en bon Normand qu'il était, mais il avait une grande confiance en son ami. Ils ne faisaient même plus attention aux mille bruits de la forêt. Au début de leur aventure, ils avaient bien eu quelques petits frissons, provoqués par les cris les plus divers de la faune sylvestre et que leurs nerfs fatigués réceptionnaient au centuple, transmettant dans tout le corps une secousse que même les individus les mieux trempés ressentent à l'approche du danger, ce qu'on appelle le frisson d'angoisse. Quelle impression étrange que ce phénomène qui vous étreint la nuque, vous parcourt le dos d'une onde glaciale, vous paralyse les jambes et vous cloue sur place, les yeux dilatés et la bouche prête à lâcher un hurlement de peur.) Nos amis s'y étaient vite faits et le chant du grand duc ce sinistre appel qui évoque un cri de possédé, le rauque aboiement du renard qui détale sous votre nez en hurlant de peur ne leur causait plus qu'un trouble très vite réprimé. Les dix minutes écoulés nos évadés se relevèrent, ajustèrent leurs équipements et pénétrèrent dans la forêt. On entendit les branches craquer, les feuilles bruisser et une minute après nos compagnons ressortirent. - Prenons la route, dit FUFU, c'est trop difficile de se frayer un passage là-dedans, on risque de se paumer. - Oui, mais ce n'est peut-être pas prudent ! rétorqua BOUBOULE. - Viens quand même ! ! Et l'un suivant l'autre, ils gagnèrent la route distante d'environ 50 mètres. Ils s'étaient proposés de la suivre à distance, dans le bois de façon à éviter toutes mauvaises rencontres, mais la forêt était trop touffue et force leur était de suivre l'artère goudronnée qui s'enfonçait dans le bois. Ils marchaient sur le bas-côté, avançant avec circonspection. La direction était bonne, Sud, Sud-Est et l'allure aisée. Ils firent ainsi deux ou trois kilomètres sans être inquiétés. Tout à coup une grosse masse blanche apparut sur le bas-côté de la route et ils purent se rendre compte que l'objet de leur émoi était une grosse borne en pierre. - La frontière ! dit FUFU et il se pencha pour lire. Un nom était inscrit il était illisible mais il déchiffra dessous 5 kms. Hum ! Décidément BOUBOULE était pessimiste ce soir. Se doutait-il déjà du calvaire qui les attendait un peu plus loin ? Mais l'entrain de FUFU lui rendit bien vite sa gaieté. Ils continuèrent leur route le coeur empli d'espoir. Ils faisaient des projets, imaginant déjà l'accueil qui leur serait réservé en LORRAINE. Ils en avaient tellement entendu de ces récits d'évasions où les malchanceux repris vantaient le courage, la cordialité des Alsaciens-Lorrains. Ils se voyaient déjà devant une table bien garnie, des visages souriants les regardant curieusement. Cette perspective leur donna des forces et l'allure s'en ressentit, les mètres s'ajoutaient aux mètres à une cadence accélérée. Le bois fut bientôt traversé et ce fut de nouveau la plaine. La route obliquant sur l'Ouest, ils prirent la sage décision de continuer vers le Sud en marchant dans les champs. Le terrain devenait plus accidenté à mesure qu'ils avançaient. Les cultures se faisaient rares, quelques réseaux de barbelés entravaient quelquefois le passage et des blockaus hérissaient chaque monticule que nos gars contournaient. Ils étaient dans une vallée où serpentait un ruisselet quand les appréhensions de FUFU se réalisèrent. Cela commença par un brouillard léger qui les enveloppa comme un linceul en masquant complètement le détail des objets environnant. Le vent soufflait toujours et une dernière fois, FUFU sortit son mouchoir, à tâtons s'assura qu'il venait toujours de l'Ouest et se plaçant résolument face au Sud dit à son copain : - Vieux frère, prend le vent et en avant. Fais confiance à mon grand nez ! - Heureusement que t'as ton grand pif, sans lui nous n'en serions pas là. En effet à chaque moment FUFU vantait son nez, qui disait-il, valait le flair d'un chien policier. Après avoir, d'un geste machinal ajusté leur barda, nos amis repartirent toujours l'un suivant l'autre, FUFU en tête, flairant le vent. Pourvu qu'il ne tourne pas, ne s'arrête pas, ce serait bien notre veine. Ils marchaient de nouveau dans des terres cultivées, sur un terrain relativement plat. Le brouillard s'était légèrement dissipé pour faire place à la pluie qui cinglait rageusement le visage des pauvres bougres. Ils avaient de nombreux champs de betteraves à traverser et c'était pour eux un véritable cauchemar. La terre alourdie collait à leurs semelles et les feuilles remplies d'eau se déversaient sur leurs chaussures détrempées. Ils rencontraient parfois de petites buttes de terre qu'il leur fallait escalader à quatre pattes tellement la glaise était glissante. Les sacs et les musettes gonflés d'eau leur semblaient de plomb et rendaient la marche plus pénible. Après un quart d'heure de ce régime nos deux amis n'en pouvaient plus et devaient faire des efforts surhumains pour aller de l'avant. Où était l'optimisme des premières heures ? De temps en temps FUFU s'arrêtait pour sentir le vent. La pluie frappait ses yeux et se mêlait aux larmes de rage qui ruisselaient le long de ses joues hâves. Une pensée heurtait ses tempes et venait mourir sur ses lèvres. Tenir ! Marcher ! Marche, marche, et les pas s'ajoutaient aux pas. Marche, marche et toujours plus lourde la terre collait aux semelles et l'eau glacée descendait le long de la nuque, suivait l'échine et venait se perdre dans les chaussures. Les lacets détrempés craquaient, les coutures craquaient, craquait aussi le courage de nos deux gars déjà tant éprouvés lors des premiers jours de fuite. De champs de betteraves en champs de pommes de terre, nos amis arrivèrent dans une vallée où l'on sentait la présence d'un village. Les chemins de terre étaient plus nombreux, ils traversaient quelques vergers, dont certains étaient clos, mille indices laissaient présager la proche rencontre d'un lieu habité. Ils n'en pouvaient plus, leurs jambes tétanisées refusaient de les porter et seul l'espoir d'être enfin en LORRAINE les soutenait. - Nous allons enfin avoir un renseignement ! murmura FUFU à son copain qui n'eut même pas le courage de lui répondre. Ils descendaient maintenant un chemin qu'ils s'étaient empressés d'emprunter. Il était alors environ 3 h du matin et avec le temps de chien qu'il faisait, ils ne risquaient pas de mauvaises rencontres. Après 300 mètres de marche, ils ralentirent leur allure, les premières maisons étant apparues à un détour de la route. Une rude émotion serrait la gorge de nos évadés, ils allaient savoir. Ils distinguaient maintenant la plaque indicatrice à 10 m, à 5 m, à 2 mètres et FUFU s'appuya sur elle pour mieux lire. Un nom noir sur jaune dansait devant ses yeux : " PEPENKUM " et en dessous deux mots, deux terribles mots : " KREIS HOMBOURG Un haut-le-corps secoua le corps de notre héros en même temps qu'un sanglot amenait les larmes à ses yeux. - KREIS HOMBOURG !, KREIS HOMBOURG.! Foutus, BOUBOULE, on est foutu. J'ai dû me tromper, mon vieux mon grand nez n'a servi à rien. Et déja s'excusant ! - Pardonne-moi BOUBOULE, ma boussole n'est pas bien bonne ou je suis un imbécile, pardonnes-moi de t'avoir mis dans ce pétrin. Son copain ne comprennait pas, alors FUFU entreprit de lui rafraîchir la mémoire… - Souviens-toi, il y a trois jours nous avons cheminé vers HOMBOURG et KREIS HOMBOURG signifie que nous sommes dans le même district. Nous avons dû tourner en rond, on est foutu. C'est fini la belle aventure. BOUBOULE n'osait croire. Il avait tellement eu confiance en son copain. Puis la réalité lui apparut. Les "Polizei", la prison, le stalag et des jours et des jours de captivité. - Peut-être te trompes-tu ? , hasarda le Normand qui comme tous les gens de sa race était particulièrement têtu. - Sans cette vache de flotte je pourrais lire la carte, mais va te faire fiche. Ecoute, éloignons-nous du village et cherchons dans la campagne un coin où l'on pourra craquer une allumette. Ils refirent donc en sens inverse une partie du chemin parcouru et après dix minutes de marche arrivèrent à un pont qui enjambait une petite rivière. D'un commun accord nos amis s'arrêtèrent animés par une même pensée. Là, sous ce pont, peut-être serait-il possible de lire la carte ! ! Evidemment il y avait la rivière mais n'étaient-ils pas trempés jusqu'aux os. Sans plus tergiverser ils pénétrèrent dans l'onde glacée. Ils avaient de l'eau jusqu'au ventre lorsqu'ils s'arrêtèrent sous la voûte ruisselante. Péniblement FUFU sortit sa précieuse carte enfouie sur sa poitrine, tout contre son coeur, avec une photo. L'extérieur en était détrempé et cela ne laissait pas de l'inquiéter. BOUBOULE de son côté sortait des allumettes qu'il avait extraite d'une boîte en fer enfouie dans une de ses musettes. Avec d'infinies précautions, de ses doigts gourds il s'empara d'un petit bâtonnet souffré et crac, une petite flamme éclaira de sa pâle lueur cette scène étrange. Bien vite FUFU se repéra, une autre allumette, nous y voilà, HOMBOURG, encore une autre, puis une autre et rien pas de PEPENKUM. Encore une ! Les yeux fatigués ne voient plus l'eau qui tombe de la voûte, fait une tâche qui va s'élargissant sur la carte. Le frottoir de la boîte d'allumettes est lui aussi devenu humide. C'est fini et c'est à FUFU le mot de la fin: Merde ! L'eau maintenant est plus froide, le barda plus lourd et le corps fait mal, si mal. Ils sont de nouveau sur la route, des loques plus que des hommes spectres vivants et ruisselants qui se dirigent vers le village. Là-bas il y a des humains, du feu, à manger peut-être. Pauvres fous qui avaient cru à la liberté. - Que comptes-tu faire FUFU ? BOUBOULE ne veut pas réfléchir et s'en remet à celui qu'il a choisi pour guide qui en deux mots lui expose son point de vue. - Nous allons taper à la première porte venue. Dans l'état où nous sommes, si nous ne nous rendons pas nous risquons de crever dans un bref délai. La pluie peut durer plusieurs jours et nous n'avons plus rien à bouffer. On va peut-être nous casser la gueule, mais tenant à ma peau je ne veux pas casser ma pipe, malade sur un lit d'hôpital. BOUBOULE était Normand je l'ai déjà dit et tout son être se révoltait à la pensée de se rendre. Jusqu'alors, il avait suivi son copain sans discuter, mais ça non, il ne le pouvait pas. La pensée de revoir la sale gueule des nazis qui ne manqueraient pas de le tourner en ridicule lui faisait bouillir le sang dans les veines. Il n'avait pas la philosophie de son ami. - Non, non et non. Je ne veux pas me rendre ! - Comme tu veux, BOUBOULE, tiens voilà la carte, la boussole, bonne chance mon vieux. BOUBOULE regarda son copain, puis allongea la main pour prendre les objets que lui tendait FUFU. Il n'acheva pas son geste et s'effondra sur le proche talus pleurant comme un gosse : - Tu sais bien que tout seul, je ne saurais pas me diriger, disait-il entre deux sanglots, ce n'était pas la peine d'avoir tant marché. Et il criait ses espérances perdues. Tout son être semblait anéanti sous le poids de la fatalité qui les arrêtait au seuil de la liberté. Le spectacle d'une telle douleur rendit à FUFU son sang-froid. Il était le responsable, il avait promis et était si sûr de lui. Peut-être tomberaient-ils chez de braves gens qui les prendraient en pitié. Il fit part de ses pensées à son frère de souffrance, lui communiquant l'espoir bien faible qu'il avait encore de s'en tirer. BOUBOULE en avait pris son parti : - On est foutu, allons ! Ils se dirigèrent donc vers la première maison en vue. C'était une ferme comme on en voit dans le PALATINAT. Habitation coquette avec hélas l'inévitable tas de fumier devant la porte. Le coeur anxieux FUFU martela l'huis à coups de poing et ils attendirent une réponse qui ne vint pas. Ils n'osèrent récidiver. - Allons voir plus loin, émit le responsable de l'aventure et ils se portèrent vers l'habitation la plus proche. Même scène et toujours pas de réponse, leur anxiété redoubla. - Allons voir derrière, nous trouverons peut-être quelqu'un. Et de joindre le geste à la parole. Aucun bruit ne se faisait entendre. Alors FUFU appela : Ho ! Darin , (Ho ! là-dedans). On entendit un murmure de voix au premier étage et une fenêtre s'ouvrit. - Was ist los ! , lança une grosse voix. Une conversation s'engagea alors en allemand. - Ici deux prisonniers de guerre français, nous sommes mouillés, nous avons faim. Mon camarade est malade, nous nous rendons. Un corps s'était penché que l'on devinait de blanc habillé et à ses côtés une autre personne, la femme sans doute. Ils semblaient se concerter et des bribes de conversations arrivaient aux oreilles de nos deux amis dont le coeur battait violemment dans leur poitrine oppressée d'angoisse. Ils attendaient le verdict, la gorge sèche. La voix, de nouveau se fit entendre et bonheur immense, c'était l'espoir ; c'était la vie qui descendait de cette fenêtre. La chaleur de nouveau habitait les corps transis et grelottants, les chaussures paraissaient plus légères, les sacs moins lourds, la vie redevenait belle. Mais qu'étaient-ce donc que ces paroles magiques ? - Non, disait le paysan, ne vous rendez pas, continuez. Dans une heure vous serez en LORRAINE. Et dans un murmure : Evitez la route, suivez la rivière jusqu'a un petit pont. Ensuite marchez sur le Sud. Vous trouverez un village où on vous recevra. Bonne chance. - Que Dieu vous bénisse. Gott ihnen segnen. Danke, danke, s'écria FUFU. Et sans plus attendre, n'osant croire à tant de magnanimité, craignant que le brave homme ne se ravise, ils détalèrent comme des lapins. - Tu vois BOUBOULE, je le sentais. Faut jamais désespérer. Mon instinct me le disait. La chance est avec nous. Je ne m'étais pas trompé, on réussira. L'interpellé frétillait en marchant. - Chouette disait-il, mais j'ai eu chaud, je me voyais déjà repris par ces corniauds. Ainsi parlant ils arrivèrent à la sortie du village qu'ils quittèrent pour gagner la rivière que l'on devinait sur la gauche. Après quelques minutes de marche ils arrivèrent à un petit pont et, suivant les conseils du paysan allemand, foncèrent droit sur le Sud. La pluie avait cessé mais le froid devenait plus vif transperçant nos deux gaillards trempés jusqu'à la peau. Qu'importe. Ils avaient la quasi certitude de trouver un havre où ils pourraient se sécher et casser une bonne croûte. Ils marchaient à vive allure malgré la fatigue. Les jambes leur faisaient mal, les muscles étaient durs comme du bois, le froid et l'humidité rendaient chaque mouvement plus pénible. Ils trébuchaient parfois, s'affalant de tout leur long dans la glaise mais ils se relevaient, les dents serrées, tout leur être tendu vers la liberté qu'ils entrevoyaient plus proche. Après une heure de marche ils rencontrèrent une route, un chemin plutôt qui lui aussi descendait sur le Sud. Nos amis s'y engagèrent pensant en toute logique qu'au bout de cette voie ils trouveraient un village. Ils n'avaient pas fait 300 mètres que l'attention de FUFU fut attirée par une pancarte qui se dressait sur la gauche du chemin. Curieux de nature, il s'en approcha et péniblement déchiffra : " Achtung " en-dessous en grosses lettres : " Frontière à 300 m ". Cette inscription étant sur le côté sud du panneau cela signifiait que la frontière était passée. Ils étaient enfin en terre française. Française pour eux et pour beaucoup malgré l'occupation, malgré l'annexion. Le danger n'était certes pas éloigné car ils trouveraient là encore beaucoup d'ennemis, mais ils pourraient s'adresser à la population et la chance aidant, ils trouveraient certainement des braves gens pour faciliter leur tâche. Ils tombèrent dans les bras l'un de l'autre, émus jusqu'aux larmes ne sachant dire que ce mot: Enfin ! ! Ils restèrent deux ou trois minutes ainsi, discutant sur la conduite à tenir, puis d'un commun accord, décidèrent de suivre la route jusqu'au village, qu'ils ne manqueraient pas de rencontrer, non loin de là. En effet après un quart d'heure de marche ils franchirent un petit pont dont le garde-fou était encore peint aux couleurs françaises. Ce fut une joie pour eux de revoir notre emblème et cela galvanisa leur courage. Les premiers pas sur la terre française les avaient transformés et ce n'étaient plus des loques humaines qui se traînaient quelques heures auparavant mais deux gaillards décidés qui fonçaient vers le salut. A cents mètres de là se devinaient les premières maisons de la bourgade. Ils avancèrent résolument dans leur direction, se promettant de frapper à la première porte venue. En arrivant à la hauteur des premières habitations ils eurent une déception. La guerre était passée par là et ce n'était partout que toits crevés, murs soufflés, fenêtres arrachées. Un silence de mort régnait sur ces ruines et faisait paraître plus sinistre ce désolant paysage. Nos amis allaient-ils au devant d'une nouvelle déception ? FUFU avait repris son masque soucieux, d'autant plus que la pluie s'était remise à tomber. Il fit part de ses impressions à BOUBOULE. - Ecoute lui disait-il, si tout le village est dans le même état nous ferons une flambée dans ces ruines pour nous sécher et pour la croûte nous irons rapiner dans les champs. Mais avant d'en arriver là explorons entièrement le pays ! Et de nouveau, ils repartirent à la recherche d'un indice de vie, d'un bruit, d'une lueur, attestant une présence humaine. Ils discernèrent sur leur gauche, un édifice à peu près intact dans lequel, en approchant, ils reconnurent une chapelle. Ils pensèrent trouver là une personne qui puisse les héberger car il n'est pas d'exemple à ma connaissance d'un prêtre ayant livré des évadés. Hélas, là encore, ils ne furent pas chanceux et ils eurent beau faire un tapage de tous les diables, le silence seul répondit à leurs appels. Déçus ils continuèrent leurs investigations quand leur attention fut attirée par un rai de lumière filtrant au travers des volets d'une maison voisine. Ils s'approchèrent avec circonspection. Cette partie du bourg était intacte et ils percevaient des cliquetis de chaînes remuées, le souffle des bêtes dans les étables et les mille bruits nocturnes qui s'échappaient des maisons peuplées d'un nombreux bétail. Prudemment FUFU parcourut les derniers mètres le séparant de la fenêtre, avançant sur la pointe des pieds et retenant sa respiration, il colla un oeil sur la fente du volet. Le spectacle qu'il vit devait être bien intéressant car il ne semblait pas pressé de se retirer et son ami qui s'était approché, frétillait d'impatience. Au bout d'une minute d'observation, FUFU se redressa lentement et se retourna vers BOUBOULE qui interrogea dans un souffle. - Alors ! ! - Je ne sais pas exactement. J'ai vu une femme âgée qui était assise, occupée à je ne sais quelle besogne. J'en ai vu une autre plus jeune et je crois avoir vu un soldat allemand. Pas rassurant ! Qu'allons-nous faire ? - Je vais voir ! Et BOUBOULE, à son tour, regarda. Lui ne fut pas bien sûr qu'il s'agissait d'un soldat. On entendait parler en allemand mais il était difficile de comprendre un seul mot de la conversation car la fenêtre était close. Ils s'éloignèrent de quelques mètres, indécis, revinrent vers cette lumière qui à leurs yeux symbolisait l'espoir, la vie. Soudain la porte s'ouvrit, découpant un grand carré blanc dans la nuit d'encre et une silhouette d'homme s'encadra un instant dans la lumière vive, projetant une ombre immense sur la chaussée luisante. Le coeur battant, nos amis n'eurent que le temps de se coller au mur, le souffle court, craignant par un geste de déceler leur présence. - Guten Nacht. Bis Morgen ! furent les seules paroles qu'ils entendirent, alors qu'un pas lourd s'éloignait dans la nuit, et que l'huis se refermait aussi doucement qu'il s'était ouvert. Nos évadés attendirent quelques minutes puis FUFU frappa discrètement sur la porte. La réponse se faisant attendre, il récidiva tapant plus fort. Il n'y eut encore aucun bruit à l'intérieur de la maison que nos évadés auraient pu croire déserte s'ils n'avaient pu se rendre compte de visu, quelques minutes auparavant de la présence d'au moins deux personnes, la troisième venant de partir, à l'instant même. En désespoir de cause FUFU se résigna à appeler doucement d'abord et en allemand : - Machen Sie die Tür auf, bitte, hier sind zwei Französischegefangenen ! Pas plus de réponse ! Alors notre Français répéta ses appels dans sa langue maternelle suppliant presque: - Ouvrez la porte s'il vous plaît à deux prisonniers français évadés. Nous sommes exténués, nous avons faim ! Hélas toujours le silence. Les habitants se méfiaient et nos amis étaient désespérés. Pourtant, à un moment ils entendirent distinctement une fenêtre s'ouvrir au-dessus de leur tête et BOUBOULE le signala à son copain qui implora encore, la tête levée vers la croisée: - Ayez confiance. Ouvrez ! Ils entendirent le claquement d'une porte qui se referme puis plus rien. Longtemps encore, ils attendirent, ne pouvant se résoudre à quitter cette demeure. Il y avait près d'un quart d'heure qu'ils étaient là, quand doucement la porte tourna sur ses gonds. Le regard tendu, ne sachant encore ce qui allait se passer, nos amis observèrent le tableau qui s'offrait à leurs yeux éblouis. Ils discernèrent un couloir, à droite une porte donnant sur une pièce éclairée et dans l'ombre du vestibule, ils distinguèrent une femme qui maintenait la porte ouverte. - Entrez ! dit une voix douce, dans un murmure. Minute poignante pour nos amis, minute que jamais ils n'oublieraient. Timidement, comme des malfaiteurs pris en faute, ils pénétrèrent dans l'humble demeure d'un paysan lorrain. La porte se referma sur eux et ils se retrouvèrent en pleine lumière devant trois paires d'yeux qui les regardaient curieusement. Un silence long comme un siècle marqua le premier contact de nos amis avec les premiers civils français qu'ils voyaient depuis trois ans. Il y avait là deux vieillards et une jeune femme d'une trentaine d'années qui examinaient nos évadés de la tête aux pieds et semblaient peu rassurés par l'aspect de nos deux compères. Il est vrai que ceux-ci ne payaient pas de mine. Les vêtements détrempés leur collaient au corps, s'égouttant sur le plancher où une large tache ne tarda pas à se former. Les cheveux pendaient lamentablement sur leurs visages creusés par l'effort. Des barbes de quatre jours achevaient de donner une expression farouche aux physionomies habituellement sympathiques de nos amis. FUFU le premier rompit le silence, s'adressant en allemand à la plus jeune des femmes. - Schprechen Sie Französisch? - Oui, un peu, lui répondit-elle en hésitant. - Alors vous n'avez rien à craindre. Nous sommes deux évadés et nous pouvons facilement vous le prouver. Et joignant le geste à la parole il sortit de son portefeuille, bien enveloppés, ses papiers de prisonnier, imités en cela par BOUBOULE qui étala sur la table le total de ses papiers et toutes ses photographies. La jeune femme jeta un coup d'oeil sur tout cela et nos amis constatèrent avec joie que plus l'examen se prolongeait, plus son visage semblait se rasséréner. Pour dissiper définitivement tout soupçon FUFU sortit encore sa carte mouillée, l'étala sur la table et se saisissant d'un couteau indiqua brièvement le chemin parcouru, constatant que PEPENKUM bien que loin de HOMBOURG en dépendait. Il apprit que le village où ils se trouvaient s'appelait GUIDERKIRCH. Tout le monde s'était groupé autour de lui et l'écoutait attentivement. La glace était définitivement rompue et les braves gens ne doutèrent plus qu'ils avaient affaire à des évadés et non à des agents allemands camouflés. Ils prièrent nos amis de s'asseoir, de se mettre à l'aise. Le grand-père s'activa autour du feu mettant de grosses bûches dans le fourneau alsacien qui tenait une place imposante dans un des angles de la pièce. On leur servit un café au lait bouillant et d'immenses parts de tarte aux quetsches s'empilèrent sous leurs narines dilatées de convoitise. Entre deux bouchées FUFU expliquait leurs mésaventures, leurs espoirs… Il parlait moitié en français, moitié en allemand. Quand à BOUBOULE il se contentait d'engloutir tout ce qu'on lui présentait et toute sa face exprimait une jubilation intense. Comme FUFU s'étonnait d'avoir trouvé leurs hôtes encore debouts à pareille heure, il était près de 5 h du matin, la jeune femme leur fit voir dans un coin de nombreux paniers de prunes dénoyautées. C'était l'époque des conserves, des confitures et la coutume dans ces campagnes voulait que l'on fasse ce travail à la veillée, en commun avec des amis. Et avec un sourire, se saisissant d'une corbeille elle la présenta à nos deux héros qui y plongèrent leurs mains à plusieurs reprises, faisant honneur à ces fruits délicieux. Ils se sentaient maintenant si heureux, l'estomac garni à côté d'un feu pétillant, l'esprit momentanément dégagé de tous soucis. Ils auraient bien voulu aller se reposer, car leurs paupières étaient lourdes de sommeil, de fatigue accumulée, mais ils devaient satisfaire à toutes les questions que leur posaient leurs bienfaiteurs. Ils résistèrent ainsi encore quelque temps, puis FUFU se leva et demanda au grand-père, s'il pouvait lui réserver une petite place dans le foin. Le brave homme marqua une légère hésitation que nos amis comprirent, l'aide aux évadés étant punie de mort, puis il fit signe à nos deux camarades de le suivre. La jeune femme leur dit d'attendre un peu, s'absenta quelques minutes, puis revint les bras chargés de linge sec que nos amis s'empressèrent de changer contre leurs uniformes détrempés. Ils souhaitèrent ensuite une bonne nuit aux braves femmes en les remerciant encore, puis firent signe au vieillard qu'ils étaient près à lui emboîter le pas. S'éclairant d'une lampe tempête, celui-ci les fit grimper sur une échelle dressée contre le mur de la grange. A quelques mètres au-dessus était entreposé le foin, dont l'épaisse couche formait un tapis moëlleux, sous les pas lourds de nos amis. - Installez-vous là , dit le grand-père, et surtout ne craignez rien, surtout ne faites pas de bruit car on doit vous ignorer. Demain vous aurez à manger. Dormez bien ! Et après s'être assuré que nos deux gaillards étaient confortablement installés il disparut aux yeux de nos évadés. Quand à nos héros, s'il avait été possible de les voir, vous n'auriez aperçu que deux têtes émergeant du tas de foin, deux têtes souriantes aux yeux clos et s'il vous avait été permis d'écouter, vous n'auriez entendu qu'un bruit d'orgues qui à intervalles réguliers venait troubler le silence de cette nuit mouvementée. Vaincus par la fatigue et les émotions BOUBOULE et FUFU ronflaient à poings fermés.

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Ainsi que je l'ai déjà dit cette histoire fut écrite peu de temps après mon évasion. Un soir, dans ma petite chambre de CHAMALIERES. Ne trouvant pas le sommeil, hanté par le souvenir de cette folle nuit où l'espoir, le désespoir, l'épuisement et la joie avaient marqué mon âme de leur terrible empreinte, j'ai éprouvé le besoin de revivre, devant une feuille blanche toutes ces émotions et ce fut " UN JOUR PARMI 17 " que plus tard je transmis à un journaliste en mal de copie. Quelque temps après, me trouvant dans le tramway avec un copain ancien prisonnier celui-ci me dit : - Tu as vu, le journal publie un récit passionnant, un gars qui s'appelle comme toi l'a écrit. Surpris je lui demandai le titre de ce récit : - " UN JOUR PARMI 17 " ! me répondit-il. - Mais c'est moi, m'écriai-je. J'étais étonné car je ne lisais pas ce journal et le gars dut m'emmener chez lui pour me faire lire ce récit, écrit un soir de cafard et transmis à un copain journaliste, simplement pour lui faire plaisir.