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L'oeuvre de Michel El Baze: Les guerres du XXe siècle à travers les témoignages oraux   





Jean Mingasson

Mon action au

Dépôt des Militaires Isolés d'Oran

Du 13 Août 1940 au 11 Novembre 1942

Colonel Tostain

Mon action

lors du débarquement des troupes américaines

à Oran en Novembre 1942

Colonel G. Mignotte

8 NOVEMBRE 1942

LA MOBILISATION EN A.F.N.


GUERRE 1939 - 1945


Analyse des témoignages

Écriture : 1942 - Édition Déc 1992- 57 Pages

POSTFACE DE MiCHEL EL BAZE

Le 13 Août 1940, par décision du Général Poupinel commandant le 19ème Corps d'Armée, le Chef de Bataillon Mingasson (alors Capitaine), Officier adjoint du Colonel, commandant la 4ème Demi-Brigade de Tirailleurs Algériens stationnée au Maroc, prenait le commandement du Dépôt des Militaires Isolés d'Oran - DI.. Voici son témoignage, écrit en Décembre 1942 que m'a remis sa veuve, que je publie en ce cinquantième anniversaire, après bien des hésitations, il faut le dire, tant me parait aujourd'hui énorme la sottise de certains que ce fougueux artisan de cette résistance extra-métropolitaine ne put, hélas, pas toujours contrecarrer, ni même empêcher l'envoi de volontaires français ou arabes sur le front de l'Est, jusqu'au 4 Novembre 1942. Suit le témoignage que le Colonel Tostain, Chef d'État- major du Général Boisseau commandant la division d'Oran, écrivit en Décembre 1945 et aussi celui plus récent, du Colonel G. Mignotte qui parait donner un point de vue différent des tristes événements qui accompagnèrent le débarquement anglo-américain du 8 Novembre 1942 en Afrique du Nord. Nul doute que le chercheur trouvera là matière à réflexion, surtout s'il consulte aussi les témoignages de Georges Le Nen paru dans cette collection sous le n° 9 et celui de Jean L'Hostis, n°108.
13 August 1940, by decision of the General Poupinel ordering 19th Body of Army, the Chief of Battalion Mingasson (then Captain), Officer attaches to the Colonel, ordering 4th Half-Brigade of Algerian Tirailleurs parked to Morocco, took the commandment of the Isolated Soldier Deposit of Oran-DI.. Here is his testimony, written in December 1942 that has me given his widow, that I publish in this fiftieth birthday, after many hesitations, it is necessary to tell it, so dressed me huge today the stupidity of some that this fiery artisan of this extra-metropolitan resistance could not, hélas, always however counter, even to prevent the French or Arab volunteer dispatch on the East front until the 4 November 1942. Follows the testimony that the Colonel Tostain, Chief of State-major of the General Boisseau ordering the division of Oran, wrote in December 1945 and also that more recent, the Colonel G. Mignotte that dressed to give a point of different view of the sad events that accompanied the Anglo-American landing of 8 November 1942 in North Africa.Null doubts that the seeker will find there matter in reflection, especially if he consults also testimonies of Georges Le Nen appeared in this collection under N°9 and that of Jean L'Hostis, N°108.



Jean Mingasson

Mon action au

Dépôt des Militaires Isolés d'Oran

Du 13 Août 1940 au 11 Novembre 1942



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La démobilisation - Le moral des soldats français et indigènes
Dès l'Armistice la démobilisation fut décrétée et par milliers des soldats français et indigènes affluaient sur le D.M.I. d'Oran. La défaite avait déjà fait sentir son action sur la discipline et ces hommes qui quelques jours avant représentaient encore les défenseurs de la patrie n'étaient plus qu'un troupeau ne voulant plus se conformer aux ordres les plus élémentaires de la discipline. Leur tenue était déplorable. L'action des Officiers était à peu près nulle et leurs bagages comprenaient surtout des objets et matériels dérobés à l'État. Devant une pareille horde des mesures immédiates s'imposaient, et grâce au Général Charbonneau commandant à l'époque la Division d'Oran l'action du Commandant du D.M.I. était renforcée. En effet et afin de mettre fin à de pareils agissements, le Général autorisait de faire enfermer à l'ancienne prison civile d'Oran tout militaire qui enfreindrait les ordres. Il va sans dire qu'en peu de temps cet établissement reçut de nombreux clients. Par ce geste énergique l'ordre fut vite rétabli et les détachements savaient, avant leur arrivée au D.M.I. d'Oran qu'il valait mieux pour eux d'avoir à se plier à la discipline. Devant cet état de choses dû à la défaite, le personnel du D.M.I. eut tôt fait de se rendre compte de son devoir et la haine de l'envahisseur ne fit que grandir à sa vue. N'acceptant pas l'Armistice, ce personnel devint pour le Commandant du D.M.I. un véritable moyen d'action. 

Le personnel du D.M.I. - Son action Le Général Charbonneau et l'État-major de la Division d'Oran
En 1940 le personnel du D.M.I. ne comprenait que quelques sous-officiers. Si ce personnel était peu nombreux il était en revanche décidé et bien trempé. Le Commandant de cette formation sentait dès lors qu'il pouvait avoir confiance en lui et agir avec lui en toute communion de pensée. Il organisa donc un Service de Renseignements qui devait lui permettre de l'aider dans la tâche qu'il s'était volontairement imposé. Le but de cette tâche était (évidemment dans une toute petite sphère) de nuire le plus possible à l'action des Commissions d'Armistice Italo-Allemande en Afrique du Nord. Grâce au patriotisme du Général Charbonneau, du Colonel Tostain, chef d'État-major et de quelques Officiers de l'État-major de la Division, l'action du Commandant du D.M.I. fut laissée complètement libre et tout renseignement pouvant intéresser le Commandement était immédiatement fourni. Ces renseignements étaient toujours donnés verbalement au 2ème Bureau de la Division qui pouvait dès lors les exploiter.

Le Bureau M.A.
 En fin 1940 ou commencement 1941, le 2ème Bureau se scindait et le Capitaine Forest alors adjoint du Commandant du 2ème Bureau en prenait la direction. Le Commandant du D.M.I. faisait alors pression auprès de l'État-major de la Division afin que le Lieutenant Schellemberg du 1er R.T.A. (sortant du Centre des Études Germaniques de Strasbourg) détaché à la Commission de Port soit affecté au bureau M.A. en qualité d'adjoint du Capitaine Forest. Satisfaction était donnée et le Lieutenant Schellemberg était affecté. Avec une pareille recrue le bureau M.A. ne pouvait que prendre de l'importance tout au moins en ce qui concernait l'action allemande sur le territoire de la Division d'Oran. En 1941 débarquait à Oran un jeune sous-lieutenant de Réserve, un prêtre (obligé de quitter son diocèse sous la menace allemande) le Sous-Lieutenant Cordier. Dès son débarquement, cet Officier s'est présenté au Commandant du D.M.I. pour son affectation. Après s'être entretenu longuement avec lui le Commandant du R.M.I. décidait de le présenter au chef d'État-major afin d'obtenir de lui son affectation au bureau M.A. La parfaite connaissance de l'Italie par cet Officier qui en plus en parlait à peu près couramment la langue le faisait désigner automatiquement comme second adjoint du Capitaine Forest. Satisfaction était à nouveau donnée. Le bureau M.A. était donc on ne peut mieux outillé pour mener contre les Italo-Allemands la lutte qui allait s'engager. Donc sans que cela ne soit écrit nulle part le bureau M.A. et le D.M.I. travaillaient en étroite collaboration et dans le même but. Les relations entre ces 2 Services étaient étroitement liées.

Les relations du D.M.I. avec les Commissions de Contrôle
 Le D.M.I. fut certainement durant les mois qui suivirent l'Armistice la formation qui eut le plus affaire aux Commissions de contrôle italiennes. A chaque embarquement ou débarquement, des Officiers de la Marine Militaire Italienne contrôlaient tous les mouvements et pointaient d'une façon rigoureuse le nombre de passagers. Devant ce fait, il restait au Commandant du D.M.I. de prendre position : être aimable vis-à-vis d'eux ou être franchement désagréable et distant. Après avoir étudié pendant quelques jours les personnages et devant l'autoritarisme et la morgue qu'ils employaient le Commandant du D.M.I. décida d'être désagréable. Une lutte sourde s'engagea dès lors et toutes les ruses furent employées pour les tromper. C'est ainsi que de nombreux militaires embarqués clandestinement à Marseille débarquaient à Oran sans que la Commission de contrôle n'y voit goutte. Il est particulièrement agréable à l'ancien Commandant du D.M.I. de rendre à ce sujet hommage à la marine marchande qui a vraiment compris son devoir et qui est restée uniquement française.

Arrivée de soi-disant déserteurs allemands
Au début 1941 une trentaine de déserteurs allemands débarquaient à Oran. Ces hommes avaient normalement embarqué à Marseille et dirigés sur l'Algérie comme travailleurs. Ils étaient donc conduits au D.M.I. L'attention était aussitôt attirée sur ces drôles de travailleurs qui pour la plupart étaient bien vêtus et possédaient de l'argent. Ils furent tous rassemblés, fouillés, et mis aux locaux disciplinaires. En fait de travailleurs ces Allemands faisaient partie de la 5ème Colonne, et étaient venus en Algérie avec des pièces en règle grâce à la complicité de sombres individus à la solde de l'Allemagne. Le bureau M.A. s'occupa immédiatement d'eux et les fit mettre en lieux sûrs. Leur chef, un dénommé Puchta était Adjudant de l'armée bavaroise. Après de longs interrogatoires, Puchta finit par avouer qu'il était venu en Algérie pour travailler pour son pays. Il fut décidé de faire disparaître cet homme et sous prétexte de tentative de fuite alors qu'il était conduit pour un nouvel interrogatoire de la prison militaire au bureau M.A., il profita d'un encombrement de rue pour essayer de s'enfuir. Il fut abattu d'un coup de revolver par un sous-officier chef de détachement de conduite. Les autres furent envoyés au Sud de Colomb-Béchar et firent parler d'eux à la suite de tentatives d'évasion. L'épilogue de cette affaire se termina devant la Cour Martiale d'Oran. Un autre Allemand fit également beaucoup parler de lui; il s'agissait d'un nommé Miclo. Le Capitaine Forest qui avait l'intention de le faire disparaître avait demandé au Commandant du D.M.I. d'organiser cette disparition. La chose était rendue d'autant plus difficile du fait que cet homme était réclamé par le gouvernement du Reich. Il fut donc décidé, d'accord avec le Commandant et le second Capitaine d'un cargo mixte que Miclo embarquerait à telle date et qu'il n'arriverait pas à Marseille, ces deux Officiers de la marine marchande se chargeant de le faire disparaître en gardant par ailleurs toute la responsabilité de leur acte, quoi qu'il arrive. A notre grande stupéfaction, le Capitaine Forest, le moment venu décidait qu'il ne pouvait donner suite à cette affaire, donnant comme prétexte qu'Alger s'y opposait. On sentait par ailleurs qu'il ne voulait rien dire. Ce brusque revirement de sa part étonna toutes les personnes qui travaillaient avec lui, attendu que personne n'ignorait que Miclo connaissait pas mal de choses sur le bureau M.A. et le D.M.I. De ce jour la confiance ne régna plus entre le Capitaine Forest et le D.M.I.

Relations avec les Polonais
Dès l'Armistice de nombreux Officiers et soldats polonais qui s'étaient battus avec les Divisions polonaises en France arrivaient clandestinement en Afrique du Nord. Ces militaires interrogés d'abord par les services du Port étaient ensuite dirigés sur le D.M.I. Sur la demande du Commandant du D.M.I. un sous-lieutenant polonais, monsieur Polanski avait été détaché au D.M.I. afin de recueillir directement à chaque arrivée de navire ses compatriotes. Le Comte de Respecki, alors Consul à Oran, s'occupa d'eux, avant qu'il fut mis en résidence surveillée. Il fut remplacé par le Capitaine Szewalski. Les Officiers étaient dirigés sur Mascara et les hommes de troupe sur Saïda où ils étaient en demi-liberté. Le Capitaine Szewalski travaillait en étroite collaboration avec le bureau M.A. et le D.M.I. et il était un excellent agent de renseignements parlant couramment l'allemand et le russe. C'est ainsi qu'il découvrit un jour un Allemand se disant officier-aviateur polonais et il demanda à ce que cet homme disparaisse le plus rapidement possible. Il fut exécuté au D.M.I. par des Officiers polonais et des sous-officiers français. Ceci fut fait d'accord avec le bureau M.A. Loin de leur pays, sans nouvelles de leurs familles, les Polonais aimaient le D.M.I. où ils étaient compris et où ils puisaient de nouvelles forces morales. Ils aimaient à dire que là ils étaient vraiment dans leur deuxième patrie : la France. Leurs nombreuses attentions prouvent sans commentaire leur attachement pour leurs camarades français du D.M.I.

 Le camouflage des archives du Bureau M.A.
Au cours du 2ème semestre de 1942 et sur ordre des Allemands, les bureaux M.A. étaient dissous et remplacés par des bureaux S.M. Craignant un contrôle inopiné des Commissions d'Armistice, le Capitaine Forest vint demander au Commandant du D.M.I. s'il pouvait mettre en lieu sûr les archives secrètes ou confidentielles de son service. Satisfaction fut accordée au Capitaine Forest, et une chambre fut mise à sa disposition. N'ayant plus confiance en cet Officier depuis quelques mois le Commandant du D.M.I. prenait toutes garanties auprès de lui ne voulant pas se rendre responsable de la garde de ces archives. Le Capitaine Forest fit mettre un verrou de sûreté à la port et un cadenas. Ces pièces restèrent donc au D.M.I. jusqu'à l'arrivée des Américains. 

Noyautage du D.M.I.
Il fallait s'attendre, après plus de deux ans de lutte journalière que les pro-boches ou les collaborationnistes d'Oran aient l'oeil fixé sur le D.M.I. Du reste, ni le Commandant de cette formation, ni ses subordonnés n'avaient caché leur haine pour l'Allemand et l'Italien, ni leur mépris pour les hommes qui collaboraient avec eux. Nous étions donc traités de gaullistes et de nombreuses lettres anonymes pleuvaient sur le D.M.I. Notre action n'en restait malgré cela pas moins énergique, mais il fallait se méfier sachant que nous ne serions pas soutenus, et ce surtout depuis l'arrivée du Général Boisseau. La Légion Française des Combattants et les S.O.L. en particulier avaient l'oeil sur le D.M.I. et ce qu'il y a de plus triste à dire, c'est que les ennemis connus du Commandant du D.M.I. appartenant à ces organisations étaient tous d'anciens Officiers d'active en retraite. Afin de pouvoir prendre pied au D.M.I. l'organisation de recrutement des volontaires pour la Légion Tricolore fit pression sur l'État-major de la Division, afin que ces volontaires soient mis en subsistance au D.M.I. Tous les prétextes furent bons pour refuser l'hébergement de ces volontaires. Hélas lorsque des volontaires appartenaient à l'armée ils devaient forcément y venir. Dès ce jour, l'action d'un monsieur Lavail, Capitaine de Réserve et principal Sergent recruteur de la Légion Tricolore se fit sentir. Cet individu surpris au D.M.I. faisant la propagande auprès de militaires de passage fut mis à la porte par le Commandant du D.M.I. avec prière de ne plus y mettre les pieds. Il adressa d'ailleurs le lendemain une lettre d'excuse. (Lavail a été condamné en 1944 par le Tribunal d'Armée d'Alger à une quinzaine d'années de travaux forcés de réclusion). Puis plusieurs employés civils appartenant tous à la L.F.C. ou aux S.O.L. furent imposés. Un en particulier, détaché par l'Intendance, fut certainement à l'origine de certaines lettres anonymes. Un adjoint administratif (ayant grade de Capitaine) fut également affecté par Vichy et contrairement à toutes circulaires en vigueur fut nommé au Commandement de cette formation au départ du chef de bataillon Mingasson.

Le débarquement américain du 8 novembre
A l'alerte, le Commandant du D.M.I. qui en plus était Commandant d'Armes du Château-Neuf recevait l'ordre de mettre en état de défense ce quartier. Il était également chargé de la défense de l'État-major et du bureau de garnison. Il avait à sa disposition deux sections de pionniers indochinois et environ 250 militaires de passage. Il possédait 800 fusils, une dizaine de mitrailleuses et autant de F.M. Il avait environ 30 000 cartouches. Ce matériel et ces munitions, dit matériel de défense de place avait été placé au D.M.I. afin qu'il ne tombe pas aux mains d'éléments pro-allemands (S.O.L.) et selon les instructions d'un Général vraiment français : le Général Arlabosse . Les militaires de passage étaient armés et divisés en 5 sections : - 2 sections sous les ordres du Capitaine Drouet, adjoint au Commandant du D.M.I. allaient prendre position à la ferme Aloudja (Est d'Oran) en situation d'attente. Le Capitaine Drouet avait du reste travaillé à la préparation du débarquement; - 2 sections étaient mises à la disposition du 2ème Zouaves; - 1 section restait à la défense du Château-Neuf. Le 8, vers 11 heures, un gradé des S.O.L. se présentait au Commandant du D.M.I. et le priait, sur un ton des plus autoritaires, d'avoir à lui livrer une centaine de fusils, des mitrailleuses et des F.M. Refus formel lui fut opposé. Une demi-heure après ordre était donné par la Division d'avoir à remettre aux S.O.L. l'armement et les munitions demandés. En plus, le Parc d'Artillerie d'Oran (situé à l'intérieur du Château-Neuf) remettait également, sur ordre de la Division, un important armement en armes individuelles et collectives aux S.O.L. Donc, le Général Boisseau, armait de son propre chef des francs-tireurs connus comme pro-boches. Le 9, le Général faisait appeler le Commandant du D.M.I. et l'informait d'avoir à prendre toutes dispositions pour tenir dans le Château-Neuf . Le Général ajoutait que les gaullistes étaient avec les Américains et qu'ils ne capituleraient jamais devant des gens qui étaient tous des "traîtres". Le 10 au soir, le Général faisait placer un groupe de combat en haut d'un escalier reliant son hôtel au bureau de garnison, avec ordre d'empêcher par les armes l'accès de son domicile à tout élément américain ou gaulliste qui tenterait de passer dans cette voie d'accès. Donc sa position très nette de lutter jusqu'au bout contre les Américains était prise. Le 11, vers midi, les premiers éléments américains entrèrent à Oran. Vers 13 heures le pavillon blanc flottait sur le Château-Neuf, de nombreux chars américains se trouvaient Place d'Armes et les équipages causaient avec des civils, lorsque tout à coup une violente fusillade partait des maisons entourant la Place d'Armes. Le Commandant du D.M.I. recevait du Colonel Hopponot (Légion Tricolore) qui avait remplacé dès le début des opérations le Colonel Tostain comme chef d'État-major l'ordre d'avoir à faire sonner le "cessez-le-feu". Le Commandant du D.M.I. accompagné du Lieutenant Truchi et de deux clairons indochinois montait sur la terrasse de la caserne et faisait sonner le "cessez-le-feu". En arrivant sur la terrasse, ils virent un S.O.L. qui du 4ème étage de la dernière maison de la Rue du Cercle Militaire faisait feu avec un F.M. en direction du Boulevard Clémenceau. Dès que ce S.O.L. entendit la sonnerie il retourna son arme en direction des clairons et tira sans aucun scrupule sur des soldats français. Les balles passèrent près, mais sans heureusement toucher personne. Vers 14 heures des parlementaires américains entrèrent à Château-Neuf et étaient immédiatement conduits auprès du Général Boisseau. Le Commandant du D.M.I. a pu assister en compagnie d'Officiers de l'État-major par une fenêtre donnant dans le jardin de l'Hôtel de la Division au premier contact entre les Américains et le Général Boisseau. Les Américains attendaient dans le jardin quand le Général sortit de son Hôtel par la grande porte. Il était en tenue; un Officier américain s'avança vers lui et en s'inclinant lui tendit la main; le Général Boisseau la lui serra. Cependant grande fut notre stupéfaction lorsqu'on vit arriver quelques instants après des domestiques du Général porteurs de grands plateaux avec des boissons rafraîchissantes, alors qu'aucun pourparlers n'était encore engagé. Ce geste fut sévèrement critiqué par plusieurs Officiers qui ne pouvaient admettre qu'un Général qui s'était battu avec tant d'acharnement, offre à boire à ceux qu'il considérait comme être des ennemis, sous les balles duquel, par sa faute, une dizaine d'Officiers et de nombreux sous-officiers et soldats venaient de trouver la mort.

Conclusions

Les jours qui suivirent le débarquement américain d'Oran furent vraiment pénibles pour les braves gens qui depuis l'Armistice avaient tout fait (au risque d'être emprisonnés) dans l'espoir de pouvoir reprendre la lutte.Une des premières mesures que fit le Général et sûrement sur les conseils du Capitaine Forest, qui fut son mauvais génie, fut de faire immédiatement dissoudre le D.M.I. d'accord avec l'Intendance. Le D.M.I. placé sous le commandement de l'Adjoint Administratif Barthe était rattaché au Dépôt du 2ème Zouaves. De ce fait tous les Officiers étaient mutés et quelques jours après, le personnel restant se plaignait des agissements à leur égard, de leur nouveau chef. Avait-il reçu des ordres ou était-il lui-même pro-allemand ? L'avenir seul le dira ! Puisse, un jour, Dieu rendre justice à des gens qui ont lutté pendant plus de deux ans pour que vive la France et qui ont été brisés par un Général sans caractère qui leur a préféré des S.O.L. à la solde de l'Allemagne.

Oran, Décembre 1942

Punition de 15 jours d'arrêt de rigueur infligée par le Général Boisseau au Chef de Bataillon Mingasson au lendemain du débarquement américain du 8 Novembre 1942 en Afrique du Nord :Notes du Colonel Mingasson
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Alger, le 8 Mars 1945

Activité pro-allemande et antinationale

de plusieurs autorités militaires et d'officiers français au moment du débarquement des Alliés en novembre 1942.

Contribution à une éventuelle et hypothétique épuration


Général D.
Prévenu le 7 Novembre 1942 des débarquements alliés sur la côte marocaine a déclaré au Général Béthouart qu'il marchait avec les Alliés. Dans la nuit, a changé d'avis et a rédigé l'ordre général ci-joint ordonnant la lutte à outrance. A été le responsable de centaines de morts (Officiers, sous-officiers et soldats) en particulier, un Bataillon du 6ème Régiment de Tirailleurs Marocains a été massacré. N'a pas eu le courage le 10 Novembre à 22 heures de faire cesser la tuerie inutile alors qu'il était couvert par les ordres de la Résidence. Était encore à la remorque de l'Amiral MICHELIER dont il attendit la décision de faire cesser le feu jusqu'au 11 Novembre 7 heures et ne donna l'ordre d'arrêter l'effusion de sang que devant la menace de l'aviation américaine sur Casablanca. Actuellement Commandant Supérieur des Troupes du Maroc.
Général H.
Prévenu le 7 Novembre 1942 des débarquements alliés sur la côte marocaine et sollicité par le Général Béthouart qui lui envoya un pli personnel à 15 h 15 par le Capitaine de Lardemelle, de se mettre du côté des Alliés, a donné son accord puis, changeant d'avis dans la nuit a donné l'ordre de la lutte à outrance pour la résistance contre les Américains. N'a donné l'ordre de cesser le combat que devant la menace de l'aviation américaine. A été de 1940 à 42 fidèle et zélé propagandiste de la mystique de Vichy. Actuellement Commandant du 19ème Corps d'Armée et décoré par les Américains.
Général D.
Chef d'État-major du précédent. Épousait toutes ses idées. Était particulièrement violent contre les Alliés et les Gaullistes. Nommé Général par le Général de Gaulle.
Général D.
Commandant la Division de Meknès. Sollicité également le 7 Novembre 1942 par le Général Béthouart de se mettre du côté des Alliés, le lendemain a changé d'avis et a fait arrêter des Officiers suspects de gaullisme, en particulier, le Lieutenant de Marcilly qui convoyait le Général LASCROUX arrêté (et actuellement inculpé). Actuellement Gouverneur Militaire de Metz.
Général C.
Chef de la Délégation française auprès de la Commission allemande du Maroc à Casablanca. Plat valet des Allemands avec lesquels il vivait en particulière amitié. Attitude absolument odieuse au moment du débarquement. Protège et prévient les Officiers allemands. Réclame des ordres écrits pour procéder à leur arrestation, finalement empêche cette arrestation et, lui-même, se charge d'assurer leur fuite sur le Maroc Espagnol et la mise en lieu sûr des grosses sommes d'argent dont ils disposaient. A fait montre plus tard de la même platitude exagérée à l'égard des Américains. A été nommé Général par le Général de Gaulle. A été mis pendant un mois en non-activité (instance d'épuration) puis récupéré. Commande actuellement une Division d'Infanterie.
Colonel E.
Chef d'État-major du précédent. A participé à tous les actes de son chef et en particulier a prévenu lui-même le Général allemand Von Wulisch que "le coup Béthouart est manqué". Attitude odieuse à tous égards et indigne d'un Officier français.
Général B.
Chef d'État-major des Troupes du Maroc. A mis tous ses efforts à contrecarrer les efforts alliés et ceux des patriotes pour empêcher l'effusion du sang. Attitude particulièrement odieuse. A fait échouer l'action du Régiment d'Infanterie Coloniale du Maroc qui devait réduire la Résidence à l'impuissance en prévenant le Général Leyer et le Général de Vernejoul et en faisant marcher les automitrailleuses au secours de Noguès. Nommé Général par le Général de Gaulle.
Général D.
De sentiments vichystes notoirement connus. Réactionnaire très confirmé. A livré bataille à Oran contre les Américains en Novembre 1942. Il n'a pas tenu à lui que les Alliés ne soient jetés à la mer tant il a mis de vigueur dans ses attaques.
Colonel P.
 Ancien Commandant du I.R.T.M. A facilité comme Colonel la propagande pour la Légion Tricolore dans son Régiment malgré les recommandations du Général Béthouart. A combattu contre les Américains malgré l'ordre Béthouart en laissant assassiner par un tirailleur l'Officier américain parlementaire descendu à terre en tenue avec la Croix de Guerre de France pour montrer qu'il avait combattu en 1914-18 à nos côtés. A ensuite, techniquement, fait massacrer son Régiment à la Kasbah de Médhya en l'engageant sans appui de feu en terrain découvert. De l'avis de tous les témoins du I.R.T.M. s'est montré totalement défaillant au cours des journées des 9 et 10 Novembre. A par la suite montré une platitude exagérée dans la recherche de l'affection des Américains après le débarquement.
 Lieutenant-colonel A.
Attitude particulièrement odieuse de la part d'un Officier français. A organisé une diffa dans son bataillon en l'honneur des Officiers allemands de la Commission allemande de Casablanca. Plat valet des nazis, pro-allemand. Nommé Colonel par le Général de Gaulle.
Lieutenant-colonel K.
Pro-allemand notoire, marié à une Suissesse allemande. Sympathisant absolu des théories nazies. Était sous-chef de la Commission d'armistice de Fédahla. Ne cachait pas ses préférences, ce qui lui a valu de l'avancement et d'être actuellement placé dans un haut état-major.
Amiral R.
Commandait la Marine au Maroc à Casablanca. A pris le 8 Novembre 1942 à 4 heures la direction des opérations contre les Américains, prenant même sous ses ordres les troupes de terre. Porte une responsabilité écrasante dans l'effusion de sang des 3 jours de bataille. Le 10 Novembre à 19 h reçoit l'ordre formel de faire cesser les hostilités. Se retranche derrière un traître l'Amiral MICHELIER et malgré les insistances pressantes de tous les Officiers envoyés par le Général Béthouart refuse de faire arrêter le combat. Le feu cessera malgré lui. Notoirement hostile aux gaullistes et aux patriotes. A été décoré par les Américains.
Capitaine de Frégate S.
Chef du Service des Renseignements de la Marine (Casablanca), constamment en liaison avec Vichy (Cabinet Laval) s'opposait de tout son pouvoir au débarquement américain. Ame de toute u
ne propagande néfaste dans la Marine au Maroc. C
apitaine de Vaisseau M. Chef du 2ème Bureau de l'Amiral Michelier. A transmis à Vichy en Octobre 1942, une dénonciation contre le Général Béthouart et les éléments sympathisants envers le débarquement américain. A fait tout ce qu'il a pu pour favoriser à l'extrême la Commission allemande au Maroc. S'est montré pro-allemand et pro-vichyste d'une manière éhontée ainsi que le Capitaine de Frégate SIMON, même après le débarquement américain.
Général de V. A montré depuis 1940 des sentiments pro-allemands. N'a jamais manqué de rassembler ses cadres pour glorifier le régime de Vichy. Réactionnaire dans l'âme. Commandant une Division Blindée à Oran au début de 1943 a promis de "tuer de Gaulle de ses propres mains" s'il venait en Afrique. En 1944 a rassemblé ses Officiers pour déclarer ouvertement qu'avec sa Division, il irait délivrer le Maréchal qui "restait notre chef"

Tableau chronologique de l'action exercée depuis 1940

en faveur de la Résistance par le Commandant Mingasson Jean, commandant actuellement le 191ème Bataillon de Pionniers.

Année 1940 Le Commandant Mingasson (alors Commandant du D.M.I. d'ORAN) faisait affecter au bureau M.A. d'Oran le Lieutenant Schellenberg sortant du Centre des Études Germaniques de Strasbourg (actuellement Capitaine à la Résidence Générale de Tunis) et le Lieutenant Cordier (prêtre sortant du Séminaire de Rome) obligé de quitter son diocèse sur la menace allemande. Ces deux Officiers ont été des membres très actifs de la Résistance à Oran - Tous deux de l'Association du 8 Novembre (Abbé Cordier - Médaille de la Résistance). Années 1940 - 41 - 42 Réception à Oran de nombreux militaires embarqués clandestinement à Marseille ou à Port-Vendres malgré contrôle à bord des Commissions d'Armistice. Nombreux furent dirigés sur Gibraltar via Maroc espagnol avec fausses pièces d'identité et par intermédiaire de Consuls (Français passant pour ressortissants Belges ou Hollandais). Années 1940 - 41 - 42 Arrivée clandestine à Oran de nombreux militaires appartenant aux Divisions polonaises ayant combattu sur le front français. Organisation avec Capitaine polonais Szewalski de leur accueil fraternel au D.M.I. - Sur ordre de Vichy les Officiers étaient internés à Saïda et les hommes de troupe à Méchéria. Affaire de leur évasion manquée à Port-aux-Poules (le Commandant Mingasson au courant de cette affaire organisa le départ d'une vingtaine de soldats polonais en subsistance au D.M.I. afin qu'ils rejoignent leurs camarades à Port-aux-Poules. Exécution clandestine dans un local du D.M.I. d'un Allemand se disant Polonais qui s'était mêlé aux autres Polonais et qui était réclamé par le Reich. Organisation de l'évasion en Angleterre via Gibraltar de deux Officiers polonais (Capitaine Szewalski et Lieutenant Polanski) partis la veille du débarquement leur mission terminée. Année 1941 Organisation de l'évasion d'un Officier Supérieur anglais attaché à la Légation de son pays à Bruxelles. Se trouvait en Afrique du Nord au moment de l'Armistice. Arrêté et interné au D.M.I. d'Oran. A pu rejoindre Gibraltar via Maroc espagnol. Année 1941 Arrivée à Oran d'une vingtaine de soi-disant déserteurs allemands venus à Oran comme travailleurs. Découverte de leur mission. Noyautage des éléments allemands de la Légion Étrangère et organisation d'une 5ème Colonne en Oranie. Exécution clandestine de leur chef. Année 1941 Camouflage au D.M.I. d'environ 700 fusils, d'une vingtaine de mitrailleuses et autant de F.M. ainsi que de 30 000 cartouches. Cet armement ne fut jamais découvert par les Commissions d'Armistice malgré de nombreuses visites. Années 1941 - 42 Participation du Commandant Mingasson à différentes réunions clandestines en vue de préparer le débarquement allié en Afrique du Nord. Liaison très étroite avec les représentants des U.S.A. à Oran (Mr Raunts). Année 1942 C'est au D.M.I. d'Oran que les archives très secrètes du bureau M.A. devenu bureau S.M. par ordre de Vichy furent cachées par crainte de contrôle inopiné des Commissions d'armistice. 
                                 NOTA
Les renseignements ci-dessus ont été donnés par le Commandant Mingasson qui cite comme témoins de son action : - le R.P. Dominicain Théry demeurant à Oran 2, Square Garbet (chez Monsieur Ribeton); - Commandant Jobelot des Services Spéciaux actuellement en service en France (probablement à Paris). Ces deux personnes sont les parrains du Chef de Bataillon Mingasson pour son admission à l'Association du 8 Novembre; - le Colonel breveté Tostain ancien chef d'État-major de la Division d'Oran (chef militaire du mouvement de Résistance du département d'Oran de 1940 au débarquement allié). Le Colonel Tostain est actuellement Commandant Militaire du département de Seine-et-Oise à Versailles; - le Sous-Lieutenant d'active Martinez André actuellement à la mission des contrôles de l'Armée d'Afrique à Alger; - le Chef de Bataillon Henri d'Astier de la Vigerie actuellement Commandant des Commandos de France sur le front est.

Certifié conforme

Le Colonel Bosviel, commandant les Troupes de la Base Militaire d'Alger

Paris, le 10 Février 1945

Considérations sur la rénovation morale de l'armée


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Archives du Colonel Mingasson

La rénovation morale de l'armée s'impose à l'évidence, comme celle des grands corps de l'État et cette nécessité apparut clairement quand on voulut l'amalgamer aux Forces Françaises de l'Intérieur. Le même problème s'était posé pour l'Armée d'Afrique lorsqu'on tenta sa fusion avec les Forces Françaises Libres. Proclamée par le Gouvernement, prescrite par la loi en 1943, cette fusion ne se réalise pas, attestant une fois encore, la prééminence des forces morales dans la conduite des hommes. Dans cette conjoncture, en effet, deux courants de force s'affrontent et pour les fondre, un ordre ne suffit point. Il y faudrait bien autre chose. Les F.F.L. viennent du grand large, soulevées par la foi du Général de Gaulle et par un souffle immense de liberté, elles sont assurées de la vérité qu'elles portent en elles. Constituées de volontaires animés d'un même idéal, elles forment un bloc compact enflammé par une haine commune de l'ennemi. Elles sont l'armée de la France et c'est pourquoi elles accueillent avec une aisance marquée les F.F.I., cette autre armée de la France. L'Armée d'Afrique, elle, est fille de l'Armée de l'Armistice, de cette armée mercenaire dont le sentiment national a été perverti par un pouvoir de trahison, armée où s'est anémié le sens traditionnel de l'ennemi qu'un Haut-Commandement servile s'est acharné à détruire, armée qu'on veut réduire à une passive obéissance pour mieux servir le dessein de l'ennemi. On ne dira jamais trop l'influence nocive d'un Maurras sur une élite des Officiers de l'Armée de l'Armistice qui croient, selon lui, qu'il ne convient plus de penser par soi-même, qu'on doit se féliciter de n'avoir plus à le faire, trop heureux qu'un chef prestigieux veuille bien s'en charger pour tous. C'est ainsi que cette armée s'enferme progressivement dans un conformisme étroit, qu'elle reste indifférente aux appels de la conscience nationale et aux réalités que commande l'intérêt du pays et qu'elle se résigne enfin à une aveugle soumission au Maréchal l'homme providentiel qui s'est donné à la France. C'est pourquoi l'Armée de l'Armistice, instruite et disciplinée, se battra courageusement contre tout adversaire que le Commandement lui désignera qu'il soit Allemand ou Italien, Anglais, Américain ou même Français, qu'il s'agisse de Français Libres ou de patriotes d'Afrique du Nord. Sans doute, depuis 1942, l'Armée d'Afrique s'est-elle transformée sous l'influence d'événements considérables et par l'incorporation aussi de nombreux évadés de France et d'éléments métropolitains après la Libération. Mais alors qu'il eut fallu réaliser une rénovation morale vigoureuse que seul pouvait entreprendre un Commandement patriote, animé d'une foi ardente, l'armée fut laissée volontairement dans une pénible confusion, maintenue artificieusement loin de la vérité qui accuse, trompée par un Haut-Commandement condamné à mentir pour couvrir sa faute. Les progrès ont été lents, à la mesure des chefs qu'on lui a donnés ou laissés. Pour comprendre cette situation, il faut se souvenir que l'Armée d'Afrique n'est pas rentrée spontanément dans la guerre aux côtés des Alliés et que si l'immense majorité des cadres et de la troupe le souhaitait, sincèrement, sans rien oser d'ailleurs pour y parvenir, le Haut-Commandement, lui, n'a pas su préparer cet événement, ni le vouloir, ni même l'accepter et que, en définitive, s'il l'a subi, ce n'est pas sans y avoir fait, au préalable, une sanglante opposition. Car pendant qu'il lance l'Armée d'Afrique contre les Alliés en Algérie et au Maroc, il accueille les Allemands en Tunisie et il leur livre Tunis et Bizerte. Et sans la Résistance qui le neutralise à Alger, il allait entraîner la France dans une guerre contre elle-même avec l'appui inévitable des Allemands. Or, ce Haut-Commandement qui, dans ces circonstances, a montré aussi bien, son insuffisance intellectuelle en négligeant de prévoir et de préparer une éventualité certaine, que son insuffisance morale en éludant ses propres responsabilités, a été maintenu en place, et tient encore aujourd'hui des leviers essentiels. Certes, il aurait pu reconnaître au moins l'immense service rendu par la Résistance qui avait permis son tardif redressement, mais son insuffisance morale qui l'avait conduit à trahir les devoirs de sa charge, le conduisit aussi à nier sa propre faute et " pour sauver la face et maintenir intact le dogme de sa propre infaillibilité ", il dénonça " la rébellion des patriotes " et réprouva publiquement l'action de la Résistance. Les Officiers qui avaient participé à cette action furent chassés de l'Armée et les plus " compromis " n'y sont point rentrés ou demeurent encore sans commandement. Tous les patriotes du 8 Novembre 1942 furent persécutés et lorsque la mobilisation les appela sous les drapeaux on les isola soigneusement dans des corps spéciaux où on les obligea à servir sous le drapeau de l'étranger. Plus tard, lorsque les évadés de France rejoignirent l'Afrique du Nord pour combattre, on écarta avec le même soin tous ceux qui étaient suspects d'attachement à l'idéal de la Résistance.
AINSI, VOLONTAIREMENT, POUR SAUVEGARDER UN ESPRIT FAVORABLE Á LA POLITIQUE DE VICHY ET AU MAINTIEN EN PLACE D'HOMMES COMPROMIS, ON PRIVE SYSTÉMATIQUEMENT L'ARMÉE D'UN ÉLÉMENT ARDENT QUI AURAIT PU Y FAVORISER LE DÉVELOPPEMENT D'UNE MYSTIQUE POPULAIRE ET NATIONALE QU'ON REDOUTAIT. DES LORS, IL S'ÉTABLISSAIT EN FAIT UNE SORTE DE COMPLICITÉ TACITE, ENTRE CE HAUT-COMMANDEMENT COUPABLE ET LES HOMMES FIDÈLES A VICHY, POUR S'UNIR DANS UN MÊME EFFORT AFIN DE CRÉER DANS L'ARMÉE UN SENTIMENT D'HOSTILITÉ ENVERS LA RÉSISTANCE.

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L'arrivée du Général de Gaulle en Afrique du Nord fut un grand espoir pour les patriotes. On allait enfin chasser de l'armée, ces hommes qui pourrissaient la Libération. Leurs responsabilités étaient claires, elles étaient évidentes. Et cette évidence suffisait, pensait-on, sinon pour les châtier, du moins pour les chasser. Mais bientôt, à la stupeur de tous, des principes sûrs étaient sacrifiés aux manoeuvres de la politique. C'est dans ces conditions, qu'une ordonnance d'Août 1943 instituait une Commission d'enquête " chargée, était-il dit, d'établir les conditions dans lesquelles les forces armées de l'Axe ont pu pénétrer en Tunisie en Novembre 1942 et de déterminer les responsabilités encourues par les autorités civiles et militaires au cours de ces événements". Cette décision, évidemment, était insuffisante, c'était le fruit d'un compromis. " S'il est vrai, en effet, exposait une note sur ce sujet, remise au Commissaire à la Justice en Septembre 1943, que les forces de l'Axe n'ont rencontré aucune opposition pour pénétrer en Tunisie, il est vrai aussi que les Alliés durent, au même moment, briser la résistance des forces françaises pour débarquer en Algérie et au Maroc. Il est vrai encore que les Alliés ne purent maîtriser rapidement cette résistance qu'avec le concours des patriotes contre lesquels le Commandement français n'hésita pas à engager ses troupes ". " Si donc, poursuivait-elle, en Tunisie, on observe essentiellement inaction et passivité, ailleurs on constate action positive et lutte fratricide. L'équivoque a trop duré, concluait-elle, elle a partiellement découragé l'élément sain et ardent de la population et est sans aucun doute, la cause principale du malaise qui règne dans ce pays. Cette situation ne saurait se prolonger ". En vain, les Résistants purent multiplier leurs démarches, la décision du Gouvernement n'était qu'une velléité, qu'un artifice destiné à calmer les impatiences et à voiler sa faiblesse. En fait, on redoutait de frapper le Commandement par crainte de mécontenter l'Armée et non seulement, l'enquête ne fut pas élargie, mais celle qu'on avait ordonné fut soigneusement étouffée. PAR FAIBLESSE, ON SACRIFIAIT L'ARMÉE POUR SAUVER DES CHEFS INDIGNES D'ELLE. Plus tard, une Commission d'épuration qui elle aussi, devenait gênante, était finalement supprimée. Ses dossiers étaient dispersés et quelquefois remis à ceux-là même qui devaient être frappés. Dans le même temps, on cachait à la foule cette comédie sinistre en invoquant le prétexte de la Défense Nationale, et la censure militaire couvrait le mensonge et proscrivait la vérité.

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Et cette situation, déjà insupportable en 1943, est toujours actuelle en 1945. Or est-il imaginable que l'intérêt du pays puisse exiger le maintien dans l'Armée, aux postes les plus élevés, d'hommes qui n'ont point, ils l'ont montré, les qualités intellectuelles et morales auxquelles se reconnaît un chef ? Leur insuffisance à cet égard, aussi bien que leur indignité ne leur ôtent-elles pas le prestige sur quoi se fonde l'autorité ? Et que peut-on attendre d'hommes, qui, dans des circonstances décisives pour le pays ont été inférieurs à leur tâche et n'ont pas su dominer les événements ? Faudra-t-il une nouvelle expérience et une nouvelle carence pour asseoir un jugement que l'Histoire a déjà porté ? Sommes-nous donc si dépourvus, qu'il faille, contre la morale et la raison, garder au service de l'État des hommes que l'Histoire a jugé et que l'opinion fustigera quand elle sera renseignée ? Cette pensée serait injurieuse pour l'armée tout entière et pour le pays. Et croit-on que l'Armée Rouge aurait montré la solidité et la cohésion que l'on sait, sans l'énergique épuration de son Commandement avant la guerre ? Est-il possible aussi, que des hommes dont le crédit repose sur le mensonge puissent tenir de hauts emplois avec la sérénité, l'indépendance d'esprit et l'autorité nécessaires ? Mais les forces morales ne sont-elles pas essentielles et les chefs de guerre ne savent-ils pas que la machine ne vaut que par l'Homme, comme la technique ne vaut que par l'intelligence et le caractère ? Et le peuple aussi peut-il être assuré que ces hommes qui, par intérêt, stupidité ou lâcheté, ont sacrifié la vie de ses enfants, ne puissent demain, au combat, répandre leur sang pour s'acquérir simplement un surcroît de gloire ? Puis encore, quelle faute politique et quelle erreur psychologique que de vouloir contre le bon sens, honorer des hommes indignes et tenir en disgrâce ceux qui sont dignes. Existerait-il enfin une Raison d'État pour couvrir le crime ? En existerait-il une autre pour châtier, contre toute justice, et en dépit de principes longtemps affirmés, de bons Français qui seraient simplement coupables d'avoir voulu empêcher le crime ?
Ces considérations sont trop graves pour qu'on puisse les éluder par de simples formules d'opportunité. Elles mettent en cause le régime lui-même car il est bien évident que le peuple ne saurait s'associer à une politique qui consisterait à rénover le pays par ceux qui l'ont trahi. C'est pourquoi il importe de faire toute la lumière sur les événements d'Afrique du Nord qui ont une incidence directe sur la situation présente, et pour cela, d'instituer une Commission d'enquête chargée de déterminer : - d'une part, les responsabilités du Commandement pour son action contre les Alliés et les patriotes; - d'autre part, les réparations dues aux hommes qui, dans ces conjonctures, ont accepté les plus grands risques pour sauvegarder les intérêts supérieurs du pays, et qui, pour l'avoir fait, ont été ou sont encore persécutés.

Décembre 1945

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Colonel Tostain

Mon action lors du débarquement des troupes américaines à Oran en Novembre 1942

La préparation du débarquement américain a été poursuivie à Oran par un groupe de Résistants constitué à ses débuts par Mr Henri d'Astier de la Vigerie qui était alors Lieutenant de Réserve à l'État-major de la Division d'Oran où je l'avais affecté dès son arrivée en Afrique du Nord. Lorsque cette organisation eut pris figure, le Lieutenant Henri d'Astier me mit au courant de son activité et me demanda de prendre la direction des opérations qui pourraient éventuellement se dérouler à Oran, ce que j'acceptai. Dès lors, c'est grâce à la protection que lui assurait mon autorité de Chef d'État-major de la Division que cette organisation put se maintenir et se développer. Je pris progressivement, une part de plus en plus directe aux travaux de ce groupe. Lorsque Henri d'Astier quitta Oran, j'en pris effectivement la direction et, avec le père Théry, en fus l'animateur incontesté. Par une élémentaire prudence, je n'étais connu que d'un petit nombre de conjurés dont les principaux étaient le R.P. Théry, le Commandant Jobelot, le Commandant Duvoisin, le Lieutenant Cordier, tous les trois de mon état-major, Mr Carcassonne (Capitaine Leduc), les Consuls des U.S.A. à Oran, Mrs Brown et Knight, le Commandant Mingasson. Je rencontrais les membres civils chez Madame Ribeton, où habitait le père Théry. Quant aux militaires, tout simplement dans mon bureau de Chef d'État-major. Cependant, dès le milieu de 1942, ma situation était devenue délicate : j'étais taxé de gaullisme par les collaborateurs locaux et dénoncé comme tel à mon chef, le Général Arlabosse, qui heureusement me couvrait de sa bienveillance personnelle. Il fut muté au début d'Octobre et remplacé par le Général Boisseau, que je ne connaissais pas. Je ne sais dans quelle mesure il fut renseigné sur ma réputation politique mais, jusqu'aux événements de Novembre il me garda la confiance que m'avait témoigné son prédécesseur, et je continuai mon activité clandestine en vue d'événements que, dès lors, on pressentait prochains. Mes projets d'action étaient dictés par la situation militaire qui était la suivante La marine nationale qui formait un élément important de la défense d'Oran, était entièrement dévouée aux ordres du Gouvernement de Vichy. Depuis que le Capitaine de Vaisseau Robert, avait été éliminé, je n'avais pu me créer aucune intelligence dans la flotte. Aucun espoir n'existait de la voir se ranger du côté des Alliés. Quant à l'Armée de Terre, la plupart des chefs de corps affichaient un loyalisme total aux directives du Maréchal. Quant à ceux qui n'extériorisaient pas au même point leurs sentiments, sans doute obéiraient-ils, sans discuter, aux ordres quels qu'ils soient, qui leur seraient donnés par leurs chefs. Mais on ne pouvait attendre qu'ils reconnaissent une autorité insurrectionnelle quelconque et acquiescent à ses ordres. (En fait, aucune défection, ni même aucune objection ne s'est produite quand les ordres ont été donnés de combattre les Alliés). Il était assuré que l'Armée de Terre ne ferait, dans son ensemble, aux Alliés un accueil amical que si le Général lui-même en donnait l'ordre une fois éliminés les plus sectaires des cadres supérieurs. J'insiste sur ce que ma situation de simple chef d'État-major, démuni de toute autorité réglementaire était absolument différente de celle des chefs militaires de la Résistance à Alger et au Maroc (Généraux Mast et Béthouart), qui exerçaient un commandement personnel direct. La solidité des troupes et leur discipline facilitaient leur tâche, alors qu'elles jouaient au contraire contre mon intervention personnelle. En raison de l'intérêt primordial qui s'attachait, pour le présent et l'avenir, à réaliser entre les deux armées une entente et une fraternisation immédiates, j'étais conduit nécessairement à tout mettre en oeuvre pour que mon chef entre dans mes vues et accepte le plan d'action déjà préparé et convenu. Si je ne pouvais réaliser ce projet, le seul résultat que je puisse espérer atteindre était de désorganiser la Résistance au débarquement, en paralysant le Commandement, en arrêtant avant l'alerte les autorités militaires et civiles dont l'hostilité était à craindre et en s'emparant du réseau des transmissions. A la faveur du flottement créé par ces mesures, je pouvais escompter que les Alliés occuperaient Oran, sans difficultés majeures, avant que les éléments adverses aient pu se ressaisir. Sans doute, dans ces conditions des combats locaux étaient-ils inévitables, mais cette Résistance serait sporadique et pourrait être attribuée à des initiatives personnelles. L'accueil fait aux troupes alliées ne prendrait pas l'allure d'une Résistance générale voulue et conduite par les autorités françaises. Un tel résultat était très important, si inférieur qu'il fut à une fraternisation générale. Il valait la peine de le préparer au prix même d'opérations d'allure insurrectionnelle. J'avais donc envisagé cette double action. Pour gagner le Général à mes vues, je ne pouvais compter que sur une action personnelle prolongée, dont nos entretiens quotidiens me fournissaient l'occasion. Malgré la prudence que j'étais contraint d'observer, je pense que j'aurais réussi si le débarquement avait été plus tardif. Mais, en fait, dans les premiers jours de Novembre, je n'estimais pas pouvoir encore me découvrir et lorsque la date du débarquement fut fixée, je décidai d'essayer d'entraîner le Général dans la soirée du 7. Quant aux mesures qui devaient entrer en jeu si cette ultime démarche restait infructueuse, j'avais décidé que les opérations politiques et policières qu'elles comportaient seraient effectuées non par l'armée à qui il me paraissait inopportun de les confier, mais par des groupes civils pour lesquels des armes devaient être apportées par nos Alliés, avant le débarquement. Ces armes n'arrivèrent d'ailleurs pas. Le rôle de la troupe devait se borner à assurer pendant la matinée du 8 l'ordre dans la ville et la protection de ces commandos civils. J'avais prévu de confier cette mission, à des éléments blindés du 2ème Chasseurs. Leur apparition dans les rues d'Oran aurait suffi à maintenir en respect les S.O.L. qui auraient été tentés de bouger. Pour actionner le 2ème Chasseurs, je n'espérais pas avoir barre sur le Colonel, commandant le Régiment. Je comptais le faire actionner par le Colonel Touzet du Vigier, commandant la Brigade de Cavalerie d'Oranie sur laquelle il avait une très grosse influence personnelle. Depuis plusieurs mois je l'avais averti de mes sentiments et il m'avait promis son concours, sans évidemment que les modalités de l'action aient été étudiées dans leur détail et que rien naturellement n'eut été écrit. Mon plan d'action s'est trouvé bousculé pour deux raisons : 1° - J'ai été amené à pratiquer dès le 6 Novembre, près du Général Boisseau, la démarche décisive dont j'ai parlé plus haut. Revenu le Vendredi matin 6 Novembre d'Alger, où j'étais allé prendre les ordres du Général Mast (qui ne m'avait d'ailleurs donné aucune instruction), j'eus l'occasion, le même jour, vers 15 heures, d'avoir avec le Général, un entretien où il exprima avec tant de netteté et de flamme son espoir de reprendre la lutte contre l'Allemagne que je me décidai à le mettre immédiatement en arrivant, au courant des prochains événements, pour enlever son assentiment et son concours. Cette démarche a pu sembler téméraire et il est vrai que je ne l'ai pas faite sans émotion. Je prie que l'on veuille bien considérer que ceux qui la condamnent, n'ont pas les éléments suffisants pour apprécier l'opportunité ou l'imprudence de cette démarche. Ils ne savent pas l'ambiance vraiment pathétique qui avait été créée par cette conversation, ambiance que je n'étais pas assuré de pouvoir recréer à un autre moment. Ils ne savent pas non plus jusqu'à quel point j'étais déjà fondé à me croire éclairé sur les sentiments profonds du Général Boisseau, depuis un mois que je m'appliquais à les découvrir au cours des entretiens prolongés que, comme chef d'État-major, j'avais journellement avec lui. En ce qui concerne du moins l'ambiance que j'évoque, le Commandant Duvoisin devant qui la scène s'est passée ne me démentira pas. Il a entièrement partagé mon sentiment. Les risques d'une telle démarche, j'en mesurais bien la gravité en cas d'insuccès. Si j'ai estimé justifié de les prendre c'est que j'étais fondé à juger minimes les chances d'échec et capital l'intérêt du succès probable. Et, de ce fait, j'en avais bien jugé. Les faits infirment les critiques qu'une frayeur rétrospective a inspiré à certains, à propos de cette initiative. Le Général Boisseau n'a pris à la suite de cette conversation aucune disposition particulière, aucune mesure d'alerte. Il n'a pas prévenu ses chefs ni l'Amiral commandant à Oran, ni le Général commandant le C.A. à Alger Il ne m'a pas fait arrêter. Il est resté perplexe et sans doute torturé d'hésitation, faisant semblant de ne pas me croire et m'assurant que je prenais mes rêves pour des réalités. Il a d'ailleurs persisté dans cette attitude négative pendant toute la journée du 7, bien que divers indices et notamment des rapports sur mes occupations dans la soirée du 6 lui aient enlevé tous ses doutes sur la réalité de mon action. J'ai appris, récemment, que le Général Boisseau a, pour expliquer son attitude prétendu attribuer à l'ébriété la passion que j'ai apporté dans cet entretien. Je proteste avec la dernière énergie contre cette odieuse affirmation. Comme si, quand on joue une pareille partie, il n'est pas naturel d'être véhément, nécessaire d'être pressant, explicable d'être ému, sans avoir eu recours à l'alcool. J'y ai mis tout mon coeur, sans arrière-pensée ni trop habile prudence. Je l'ai donc quitté, déçu certes de n'avoir pas obtenu l'adhésion immédiate que j'espérais, mais tranquille, persuadé qu'il ne dirait rien et confiant que ses réflexions et son patriotisme l'amèneraient à se rendre à mes instances. C'est en toute liberté d'esprit et avec une aisance absolue que j'ai mis au courant de mon intervention et de l'espoir que j'en retirerais les principaux de mes collaborateurs au cours de la réunion tenue chez moi le 6 au soir et à laquelle assistèrent, notamment, Mrs Carcassonne, Jobelot, Commandant Duvoisin, R.P. Théry et Mr Knight. Aucun, certainement, ne s'est mépris sur le sens et les raisons de mon intervention et n'a pensé un instant que j'avais pu agir par peur ou duplicité. Le Commandant Duvoisin, partageait d'ailleurs entièrement ma sécurité morale. 2° - Malgré l'espoir que je nourrissais, d'entraîner le Général Boisseau, je ne négligeai point de préparer les opérations préventives à effectuer dans la nuit du 7 au 8, pour le cas où le Général ne se rangerait pas finalement à mes projets. A cet effet, j'avais dans l'après-midi du Vendredi 6, immédiatement après ma démarche près du Général, téléphoné au Colonel du Vigier, en inspection à Tlemcen, pour le convoquer à mon bureau. Il ne se méprit pas sur la nature de cette convocation et nous prîmes rendez-vous pour le lendemain Samedi à 15 heures. Il fut exact, mais à mon extrême surprise et à mon amer désappointement, après 3 heures passées de discussion pénible, il conclut en me refusant son concours, se basant pour s'en excuser sur les considérations dont le moins que l'on puisse dire est qu'il aurait pu s'en aviser trois mois plus tôt : envahissement de la France, habitude de la discipline… En vain lui ai-je proposé de m'effacer devant son ancienneté et de lui laisser le commandement, s'il ne voulait point se ranger aux ordres d'un camarade plus jeune. En vain lui ai-je demandé de faire avec moi, près du Général Boisseau, une démarche à laquelle son concours aurait donné plus de poids. Refusant de se mêler plus longtemps à cette affaire, il est reparti le soir même pour Mascara et le surlendemain, il menait à la bataille contre les Alliés, l'important groupement qui dans la journée du 8 avait été constitué à ses ordres. Cette défection, contre laquelle je n'étais pas prémuni parce que je n'avais pas imaginé qu'elle put se produire, bousculât toutes mes prévisions. Me privant sans rémission des éléments sur lesquels je croyais pouvoir, assurément, faire fond, elle me laissait la perspective de voir le lendemain mes groupes civils isolés et peut-être attaqués et réduits par les formations mêmes qui devaient les protéger. De plus, je pouvais craindre, j'étais même certain que certains, parmi ces groupes qui n'étaient même pas armés convenablement, envisageraient, sans enthousiasme, cette situation par trop différente de celle qui avait été admise. Dans ces conditions, les opérations prévues ne seraient certainement qu'imparfaitement réalisées. Elles risqueraient d'être inopérantes, et même de procurer, sous forme de troubles civils, des difficultés nouvelles. Je décidai donc de supprimer entièrement ces actions. Cette décision rencontra un acquiescement général. Aucune initiative personnelle ne l'a transgressé. A la vérité, malgré ces modifications apportées aux prévisions initiales, je conservais le plus grand espoir. Le Général Boisseau n'avait toujours pris aucune mesure, et il n'était plus croyable que cette attitude négative fut à base d'incrédulité. Il paraissait donc engagé dans une attitude favorable aux Alliés et dès lors gravement compromis, vis-à-vis des autorités gouvernementales. Il me paraissait dès lors assuré que ses hésitations seraient levées dans un sens favorable quand le développement des événements l'empêcherait de temporiser davantage. Mais quand, dès l'alerte, je suis venu prendre mon poste à la Division, j'ai été sévèrement déçu. Le Général était décidé à résister aux Alliés. A la demande qu'il m'adressa au sujet de mon attitude future, je répondis néanmoins que je restais à ses ordres. Je sais que certains ont par intérêt ou passion, présenté cette décision comme une lâcheté. Je prétends que mon attitude était la seule qui fut courageuse et judicieuse. La seule sécurité certaine, mais aussi la seule lâcheté aurait consisté, comme il m'était si facile de le faire (et comme d'autres l'ont fait ailleurs) à rejoindre avant ou dès l'alerte, les premières troupes américaines débarquées aux Andalouses ou à Arzew, m'assurant ainsi un refuge certain, même en cas d'échec de l'opération. L'habileté aurait consisté à me séparer du Général aussi spectaculairement que possible. Je n'y risquais rien. Aucun tribunal ne pouvait me juger sans incriminer aussi le Général Boisseau, lui-même qui, en fait, pendant 36 heures avait été solidaire de mon action. A la vérité, il ne pouvait me traduire devant un tribunal. S'il m'avait, néanmoins, fait arrêter, il m'aurait procuré ainsi et à bon compte la couronne de martyr après le succès du débarquement. Par contre, en cas d'échec, emprisonné ou non, mon cas était clair et fâcheux. Rester près du Général, c'était accepter sans espoir de profit personnel d'aucune sorte une situation affreusement pénible, mais privé comme je l'étais de tout moyen d'action, c'était la condition nécessaire d'une action personnelle possible. Or, je voulais à tout prix pouvoir saisir, l'occasion d'intervenir pour faire cesser le combat. Dans mon esprit cette occasion s'offrirait sans doute, lorsque le Général serait assuré (et il le serait forcément quelques heures plus tard) que ce débarquement était bien une action de force capable de justifier la rentrée de l'Afrique du Nord dans la guerre et non comme il le croyait peut-être à l'aube du 8 Novembre une simple action de commando, devant laquelle il eut été pour lui, désastreux de céder. Malheureusement, sous nos yeux, la tentative de forcement direct du port d'Oran, opérée contrairement aux avis que j'avais donnés à ce propos, par la marine alliée, se traduisit par un désastre total qui n'était pas de nature à encourager un hésitant. Impressionné peut-être par le spectacle des bâtiments alliés brûlant et explosant dans le port et de leurs équipages massacrés, engagé par sa décision initiale, soutenu dans cette résolution par les Officiers farouchement anglophobes, dont il s'était entouré et qui ne le quittaient point, le Général a maintenu et aggravé ses ordres. Et cependant mon attitude a porté ses fruits. Parce que présent, j'ai pu faire modifier les ordres donnés pour l'engagement du groupement du Vigier et éviter que la garnison de Mascara comprenant tout un Régiment de Chasseurs d'Afrique et 2 groupes d'artillerie ne débouche dès l'après-midi du 8 Novembre dans le flanc des troupes américaines en route d'Arzew sur Oran. M'appuyant sur des considérations tactiques dont nul mieux que moi ne sentait la faiblesse, j'ai pu faire prescrire qu'au lieu de courir à l'ennemi directement par Dublineau ainsi que le Général l'avait d'abord décidé, ces forces seraient dirigées sur Bel-Abbès. Les délais accessoires à l'exécution de ce mouvement retardaient de 24 heures au moins leur engagement. De fait elles ne furent point engagées. Or, un combat engagé dès le 8 après-midi par ces forces sérieuses aurait pu avoir les conséquences les plus graves, d'autant plus graves que le Commandement américain à Oran, a fait preuve de beaucoup de lenteur et d'irrésolution . Ce résultat, par son importance, justifierait, s'il en était besoin, la décision que j'avais prise le matin. Il prouve, quoiqu'on ait pu en dire, qu'elle était aussi pertinente que désintéressée. Il marqua d'ailleurs la fin de mon action. Dès le 8 au soir, j'étais entièrement supplanté dans mes fonctions et pratiquement exclu des conseils du Général.

La fin des hostilités semblait d'ailleurs imminente, puisqu'elles avaient déjà cessé à Alger. Il n'en fut rien et je ne pus qu'assister dès lors, libre, mais neutralisé, à la fin de cette bataille insensée qui se traîna jusqu'au surlendemain midi. Elle se terminait en même temps qu'arrivait enfin d'Alger l'ordre de cesser le feu.




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Colonel G. Mignotte

8 NOVEMBRE 1942

LA MOBILISATION EN A.F.N.

On ne saurait continuer à passer sous silence l'anniversaire du 8 Novembre 1942. C'est ce jour-là qu'une armée américaine et un détachement anglais ont débarqué en Afrique du Nord. C'était le premier acte d'un processus qui s'est achevé à la libération de la France. Les soldats des U.S.A. qui arrivaient n'étaient pas prêts pour le combat : ils avaient besoin d'être organisés et entraînés. Les Allemands réagirent immédiatement et il n'est pas certain qu'ils n'auraient pas réussi à rejeter les Anglo-Saxons à la mer s'ils avaient pu prendre le contact avec ces combattants néophytes ne disposant pas encore de la totalité de leurs moyens. Ce fut grâce à une armée française que les troupes de l'Axe, amenées en renfort avec le maximum de moyens de transport (air, mer, terre), ont été stoppées en Tunisie. Et cependant les seules troupes françaises tolérées en A.F.N. par les conventions de l'Armistice (120 000 hommes dont 20 000 sans armes) avaient une mission de maintien de l'ordre et de protection des côtes de l'Atlantique et de la Méditerranée qui les absorbaient presque entièrement. L'action clandestine Cette armée française, providentielle pour les Alliés, était le résultat d'une mobilisation clandestine ordonnée par le Général Weygand, avec l'accord du Gouvernement de Vichy. C'était, d'ailleurs, le Général Revers, Directeur du Cabinet de l'Amiral Darlan, qui supervisait et transmettait les subsides indispensables pour préparer l'équipement des bases d'opérations. Le Général Revers devait, en 1943, devenir le chef de l'Organisation de Résistance de l'Armée (O.R.A.). La préparation de la mobilisation clandestine en Algérie a commencé en Février 1941. A l'origine, un "Central" à Alger et trois "Bureaux d'Études" respectivement à Oran, Alger, Constantine. Les chefs de ces bureaux d'études étaient des Officiers d'active qui quittèrent l'uniforme et eurent les pleins pouvoirs pour choisir les quatre ou cinq collaborateurs immédiats et tous les correspondants, civils ou militaires, fonctionnaires ou de professions privées, qui étaient nécessaires. Ceux-ci n'avaient connaissance que de la partie de l'organisation qui les concernait. Le chef du B.E. et ses adjoints étaient prévenus qu'en cas de fuite ou de découverte de leur travail clandestin ou d'incident quelconque, ils seraient énergiquement désavoués par le commandement. Ce serait pour eux l'arrestation, le jugement et la condamnation. Il ne fallait pas donner à l'ennemi le moindre motif d'aggraver les conditions d'Armistice avant que nous ne soyons prêts à reprendre le combat avec l'aide d'Alliés. La mobilisation de 1942 Le 13 Novembre à 20 heures, l'ordre de mobilisation était donné, le jour J étant le 14 à 0 heure. Le plan d'emploi, pièce-maîtresse indiquant les opérations qui avaient été préparées, était mis en application : - les Officiers de réserve nécessaires recevaient l'ordre individuel de rejoindre immédiatement l'unité qu'ils auraient à encadrer ; - sept classes de réservistes de souche européenne (21 600) étaient rappelées impérativement par voie d'affiches et devaient rejoindre un corps de troupe de leur arme où avaient été stockés clandestinement des équipements sous l'oeil complice des chefs de corps qui s'ingéniaient à ne rien voir ; - une levée de 13 000 Musulmans anciens soldats eut lieu selon les règles qui leur étaient propres ; - les propriétaires de véhicules nécessaires aux troupes en campagne recevaient l'ordre de réquisition leur enjoignant de livrer sans délai leur voiture ou leur camion à une Commission de réquisition ; - les services techniques sortaient de leurs cachettes - qui étaient aussi bien le foudre à vin d'un viticulteur, que le faux plancher d'un confessionnal d'église, ou d'un poulailler de fermier ou d'une porcherie d'éleveur - mitrailleuses, F.M., pistolets, canons de 25 et de 47, même des canons de 75 et les munitions nécessaires pour toutes ces armes. Pendant deux mois et demi les troupes, placées sous le commandement du Général Juin, se battirent furieusement. Malgré leur infériorité numérique, elles stoppèrent l'ennemi qui ne put jamais pénétrer en Algérie où les Anglo-Saxons se complétaient et s'organisaient. A l'exclusion d'une brigade britannique, qui opéra le long de la côte, ils ne s'engagèrent en Tunisie que le 3 Février 1943. Ce sont donc des combattants français que personne n'attendait qui ont permis aux Américains d'avoir le temps nécessaire pour se mettre en condition de combattre. L'effort de guerre en A.F.N. Si les Américains mirent en ligne quelques 90 000 hommes durant les deux derniers mois de la campagne et les Britanniques, qui arrivèrent progressivement à 120 000, l'Armée d'Afrique engagea 70 000 combattants dès le début. Après l'Armistice du 12 Mai 1943 qui homologua la défaite des Italo-Allemands (ils avaient perdu 270 000 hommes, tués, blessés ou prisonniers) de nouveaux rappels eurent lieu en A.F.N. : au total 27 classes, des hommes de 19 à 45 ans, soit 175 000 furent incorporés. L'élan était donné. Des volontaires, non touchés par des rappels, s'engageaient. Des milliers d'évadés de France arrivaient par l'Espagne. Des Divisions d'infanterie et des Divisions blindées purent être constituées et armées par les U.S.A. grâce au Général Giraud qui avait plaidé notre cause. Les combattants de Koenig, qui s'étaient distingués héroïquement en Libye dans les rangs de l'armée britannique, s'intégraient dans l'armée française et formaient la 1ère D.F.L. après avoir été complétés par des rappelés d'A.F.N. et des évadés de France. Il en fut de même pour la 2ème D.B. qui a été rassemblée autour du petit noyau de héros du Fezzan. Après la Sicile, la Corse et la glorieuse campagne d'Italie, où les troupes du Général Juin firent merveille, il y eut le débarquement de Provence et la marche au Rhin en passant par Dijon. On retrouvait dans la grande armée de libération ceux qui avaient été mobilisés d'office le 14 Novembre 1942. Mais ils n'étaient plus seuls. Nombreux étaient les volontaires qui avaient rejoint en A.F.N. ou en cours de route. Particulièrement des milliers de vrais résistants qui, après avoir été des combattants de l'ombre, revêtirent l'uniforme pour combattre au grand jour sous les plis du drapeau tricolore. Tous réunis dans la fraternité d'arme ils formaient la Première Armée Française, l'armée du Général de Lattre : Rhin et Danube. Il faut que cesse l'ostracisme qui a frappé ceux qui, en Afrique du Nord, ont préparé l'épée de la revanche et combattu dans des conditions dignes des soldats de l'An II. Ils ont été injustement censurés par le silence sous prétexte qu'ils n'avaient pas le label de qualité qui était alors à l'ordre du jour. Le lecteur de ce témoignage sera peut-être surpris d'apprendre que 16,35 % des Pieds-Noirs, chiffre jamais atteint même en 1914-18, furent rappelés sous les armes alors qu'en France seuls les volontaires ont été incorporés. Il y a eu 2 156 combattants Français de souche européenne ou musulmane qui sont tombés au champ d'honneur au cours de la campagne de Tunisie. Ne serait-ce pas réparer une injustice en rendant désormais un pieux hommage à leur mémoire à l'occasion de l'anniversaire du 8 Novembre 1942.

Le débarquement allié en a.f.n.

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Le colonel Mignotte qui, alors qu'il était capitaine, fut appelé en février 1941 par le général Koeltz (commandant la XIXe Région militaire (Algérie) pour lui demander d'entrer dans une organisation que créait le général Weygand pour préparer une mobilisation clandestine en vue d'une reprise des hostilités contre l'Axe. C'est ainsi que, pendant vingt et un mois, ayant abandonné son uniforme, il devint le chef d'un "Bureau d'Études" qui devait opérer dans le Département de Constantine. Il n'était qu'un rouage dans une organisation, dirigée d'Alger, qui s'étendait sur le Maroc, l'Algérie et la Tunisie. Il était aussi l'un des plus importants du fait de la position géographique de son secteur derrière la frontière tunisienne. Compte tenu de ses activités clandestines avant le débarquement des Alliés, le colonel Mignotte est un témoin de cette époque. Il possède des documents pour le prouver. Le rédacteur, qui eut l'honneur de servir sous ses ordres pendant la campagne de Tunisie, le remercie respectueusement d'avoir bien voulu l'autoriser à publier son témoignage, ci-après.

J.A. Lloret, 13 Janvier 1984

Il est, pour le moins, assez curieux que personne ne se soit demandé d'où provenaient les troupes françaises qui ont combattu en Tunisie, puis en Italie, avant de débarquer sur la terre de France. Ou plutôt, la majorité de nos compatriotes ont été convaincus par une habile propagande que ce sont exclusivement des troupes gaullistes qui combattaient aux côtés des Alliés. Ce qui est inexact. Les troupes se réclamant de la France Libre se composaient des combattants qui entouraient Leclerc et des rescapés de la brigade Koenig. Au total, environ 5 000 hommes. Les uns et les autres ont d'ailleurs, par leur vaillance dans les combats, par leur dédain des risques d'une dissidence, mérité qu'on les admire et qu'on leur rende hommage. Leur rôle dans la campagne de Tunisie fut modeste. Ce fut celui d'un détachement français dans le cadre de la 8e Armée britannique qui n'est intervenue dans le sud-tunisien qu'à partir du 20 mars 1943. Mais avant d'en arriver là, il y avait eu le débarquement des Alliés. Un premier échelon de seulement 75 000 hommes qui avaient besoin d'être regroupés et mis en condition avant d'être engagés dans le combat, ce qui ne put avoir lieu qu'au début de février. La vérité, c'est qu'avaient été créés secrètement, sous le nom conventionnel de "Bureau d'Études", de véritables centres de mobilisation qui avaient reconstitué les fichiers, rédigé des ordres d'appel individuel, établi la liste et les tableaux d'effectifs des unités et services à mettre sur pied en cas de reprise des opérations, pris en charge tous les dépôts de matériel, d'armes, de munitions, de vivres camouflés. Des bases capables de ravitailler un corps d'armée en campagne avaient été préparées à Guelma, Souk-Ahras, à proximité de la frontière tunisienne .
Organisation clandestine
Cette organisation clandestine avait été voulue par le maréchal Pétain qui avait, à cet effet, désigné le général Weygand avec des pouvoirs de proconsul en Afrique du Nord. Quand ce dernier, qui était suspect aux Allemands, dut brutalement quitter son poste, le maréchal, pour le remplacer, désigna en toute connaissance de cause, le général Juin qui continua l'oeuvre de son prédécesseur et dressa personnellement les plans d'opération dans les hypothèses possibles d'une occupation allemande de la Tunisie. En juillet 1942, le maréchal avait envoyé le général Revers en mission officielle à Constantine. Le but réel de ce voyage était de se rendre compte sur place de l'état de préparation de la mobilisation, et surtout comment le chef du "Bureau d'Études" du Constantinois avait envisagé l'équipement de la base arrière pour combattre éventuellement en Tunisie. A noter que le général Revers était alors à Vichy le directeur du cabinet de l'amiral Darlan et qui, en 1943, après l'arrestation du général Verneau, devint le chef de l'O.R.A. (Organisation Résistance Armée) et, de 1946 à 1950, fut le chef d'état-major de l'Armée française. Revenons aux préparatifs secrets. Les Américains, en la personne du consul Murphy, étaient au courant de ces préparatifs, les approuvaient et laissaient supposer qu'ils adapteraient leur débarquement à notre dispositif qui les couvrirait pendant qu'ils se regrouperaient. Ils pourraient ainsi, sans coup férir, prendre pied en Afrique du Nord simultanément à Oran, Alger, Bône et Bizerte. Les forces de l'Axe n'auraient pas le temps d'intervenir, toute l'A.F.N. serait tenue par les Alliés. S'il en avait été ainsi, peut-être que la guerre se serait achevée un an plus tôt. Il avait été entendu avec les Alliés que l'Armée d'Afrique devait s'opposer à toute tentative de débarquement sous une forme ou une autre, quel que soit l'agresseur s'il n'y avait pas entente préalable. Mais, encouragés par des officiers de haut grade qui, par ambition, se sont joints à un groupe de factieux, trahissant la confiance que le général Juin leur accordait, les Américains se fièrent à ces intrigants (qui d'ailleurs n'avaient encore eu aucun contact avec Londres). Ils débarquèrent sans prévenir ceux qui, dans l'ombre, avaient travaillé à leur profit dans l'espoir d'une action commune pour la défaite de l'Allemagne et la libération de la France. Les chefs des unités stationnées au Maroc, à Alger et à Oran ont appliqué les instructions qui leur avaient été données. Au début de l'affaire ils ont pu croire à un simulacre pour tester la réaction allemande dans une éventualité de débarquement. Mais très vite, devant l'acharnement meurtrier des arrivants, ils ne comprirent plus rien. Et comme il ne fallait pas donner aux Allemands un motif de s'installer en Afrique du Nord (ce qu'ils regrettaient de ne pas avoir fait en 1940, surtout après le refus formel de Pétain de livrer les bases du littoral méditerranéen), les combats se prolongèrent pendant trois jours.
La faute
La faute, aux conséquences douloureuses, de la valse-hésitation, faut-il faire face à l'Est ou face à l'Ouest ? en revient au président Roosevelt qui avait fait de Murphy son représentant personnel, laissant même le général Eisenhower dans l'ignorance de ce qui avait été préparé. Les troupes qui prenaient pied sur la terre d'Afrique, précédées de leur énorme puissance de feu, croyaient avoir des Allemands en face d'elles. Incroyable, mais vrai! Hélas, quatre jours avaient été perdus. Les Allemands en avaient profité pour amener, par air et par mer, d'importants renforts de troupes et un puissant matériel. Et chose qui aurait pu être catastrophique, le 9 novembre, un ordre téléphoné d'Alger, paraissant émaner du responsable du Corps d'Armée qui était le général Koeltz, prescrivait de détruire tous les documents concernant les "Bureaux d'Études". C'est-à-dire tout ce qui avait été préparé par le service secret de mobilisation. Les chefs clandestins des départements d'Alger et d'Oran commencèrent ce travail de destruction. Ce qui devait compromettre la rapidité de leur mobilisation. Le chef du "Bureau d'Études" du Constantinois suspectait la loyauté mais sans preuve, d'un lieutenant-colonel qui avait, pendant plusieurs mois, fait partie de l'équipe dirigeante de l'organisation secrète. Trouvant anormal l'ordre de destruction et ayant eu vent que ce lieutenant-colonel avait été vu avec les éléments douteux qui retenaient le général Juin prisonnier dans sa villa, ainsi que le général Koeltz, ce responsable de la mobilisation prit sur lui de rendre cet ordre inopérant. Il le diffusa aux initiés en ajoutant un indice qui voulait dire qu'il était nul et transmis sous la contrainte. Le général Welvert, commandant la division de Constantine, mis confidentiellement au courant, approuva le subterfuge. Le 11 novembre, le chef d'E.-M. de la division, prenant officiellement sous sa coupe le "Bureau d'Études" mais qui ignorait les dessous de l'affaire et avait prescrit l'envoi de l'ordre de destruction, adressait un télégramme annulant… son ordre qui n'avait pas été exécuté. Le voile s'était déchiré avec l'occupation de la Zone Libre. La France rentrait ouvertement dans la guerre par le truchement de l'Armée d'Afrique. Ce sont les "pieds-noirs" et leurs compatriotes métropolitains évadés de France qui, les premiers, ont été conviés à reprendre le combat. Ils ont répondu avec ardeur ! Pendant plus de deux mois ce sont eux et les troupes indigènes, appuyés sur leur gauche le long du littoral par un détachement anglais, qui ont supporté et ont contenu les forces allemandes et italiennes qui avaient débarqué pendant que les Américains s'organisaient posément et en sécurité, loin de la ligne de feu.
Héroïques
Et si l'équipement avait été à la hauteur des effectifs - il y a eu soixante mille combattants français en ligne sans préjudice des services de l'arrière - la nouvelle Armée d'Afrique aurait pu rejeter les Allemands à la mer avant qu'ils aient eu le loisir de se renforcer. Hélas, sans chars et sans antichars, sans aviation, sans armes automatiques légères, avec une artillerie dérisoire, les Français livrés à eux-mêmes ont dû se limiter à une défensive audacieuse et même agressive. C'était une mission de sacrifice qui a eu d'heureux résultats puisque quand les Américains se sont risqués en Tunisie, à partir de février, l'ennemi était ralenti sinon stoppé dans sa progression vers l'Ouest. Il avait dû rassembler de puissants moyens pour pouvoir percer le front où les Français résistaient avec ténacité au prix de lourdes pertes. Quand les Américains ont commencé à s'engager sérieusement en Tunisie, le 1er février 1943, ce fut précisément sur les instances du général Welvert qui fit valoir qu'un bataillon tenait toujours, bien qu'encerclé par l'ennemi. C'était le 1er bataillon du 3e zouaves. Et quand le 17 février, les Américains connurent la panique à Sbeïtla, déconcertés par l'attaque allemande de nuit, ils songèrent sérieusement à se replier en abandonnant même Tébessa. Ils n'étaient pas du tout aguerris et, habitués aux grands espaces, ils ne trouvaient aucun intérêt à la conservation de telle ou telle portion de terrain. A ce sujet, le colonel Mignotte rapporte la scène suivante racontée par le général Koeltz qui commandait le corps d'armée français : Alerté par Welvert, le général Juin arrive peu après au P.C. américain. Il trouve le général Fredendall assis sur une caisse, dans un bureau vide, déjà déménagé ! Juin adjure son collègue américain de suspendre son repli. Il lui dit :Mais Fredendall ne veut rien entendre. A bout d'arguments techniques, le général Juin a recours alors aux arguments sentimentaux :
- Si, vous, Américains, avec votre matériel tout neuf, ne voulez pas défendre Tébessa, je retirerai la division de Constantine placée sous votre contrôle et avec mes soldats français nous mettrons baïonnette au canon et nous nous ferons tuer jusqu'au dernier pour garder Tébessa !
Visiblement ému, le général Fredendall jure alors de ne pas abandonner la place . A dater de ce moment, nous avons reçu des mines en quantité et nous pouvions, en cas de besoin, espérer un soutien d'artillerie et d'aviation. Les Américains commençaient leur apprentissage de combattants, ils firent de rapides progrès. Audacieux à l'extrême, allant jusqu'à la témérité, leur inexpérience leur valut parfois des pertes sévères au cours de leurs premiers combats. Comme ils se déplaçaient avec une puissance de feu considérable, nous nous sentîmes rassurés ; nous étions peu armés, les vêtements étaient souvent en loques, quelques indigènes combattaient pieds nus, leurs chaussures devenues inutilisables mais nous avions une âme de vainqueurs. Il est incontestable que ce sont les troupes d'Afrique qui ont eu le rôle principal en Tunisie, de novembre 1942 à janvier 1943. Le général Juin, qui avait préparé cette armée d'A.F.N. et l'avait orientée pendant la campagne, estime que sans les mesures prises par les Français:
La gloire
Cette campagne, au cours de laquelle l'armée allemande perdit deux cent soixante-dix mille hommes, tués, blessés ou prisonniers, a nettement influé sur la suite de la guerre. Outre la diminution des effectifs ennemis, elle a redonné confiance aux futurs combattants d'Italie en ramenant la gloire sur nos drapeaux qui avaient dû s'incliner en 1940. Elle a réconcilié, dans la fraternité des combats, les Français et les Anglo-Saxons : la confiance a été rétablie loin des intrigues de Londres et de Vichy et désormais une nouvelle armée française va poursuivre à travers l'Italie sa marche vers la victoire finale. Malgré ces magnifiques résultats aucune manifestation ne marque l'anniversaire du 8 novembre, date de la rentrée dans la guerre de l'armée française. Pire que cela, à partir du 30 mai 1943, les anciens combattants de l'armée Juin furent considérés comme suspects sinon comme réprouvés. La sale politique pour la conquête du pouvoir avait repris ses droits alors que pendant les six mois de campagne nous avons peiné au coude à coude, fraternellement unis avec un seul objectif : vaincre l'occupant de notre pays. L'amitié qui s'était établie entre nous n'a connu aucune faille et si quelques indigènes se sont laissé entraîner dans les rangs des gaullistes qui venaient, les combats terminés, les inciter à changer de camp, avec des promesses de grade et d'argent - comme s'il n'y avait pas eu qu'une seule catégorie de Français ! - les combattants de Tunisie sont restés fidèles à leur drapeau. Pourquoi faut-il que les échos de cette épopée si bénéfique pour la libération future de la France aient été, pour des raisons politiques - certains disent raison d'État - noyés dans un brouillard de silence. Il est incontestable que le 8 novembre 1942 est la date où des troupes françaises ont été reconstituées par une mobilisation régulière, rappelant sous les drapeaux les hommes en âge de combattre, volontaires ou non. La campagne de Tunisie a coûté à l'armée d'A.F.N. deux mille cent cinquante-six tués et dix mille deux cent soixante-seize blessés. Elle a donné une base de départ d'où les mêmes combattants ont pu s'élancer pour libérer la Corse, prendre une part efficace dans la campagne d'Italie et débarquer en Provence, le 14 août 1944. Si les campagnes de Tunisie et d'Italie n'avaient affaibli les armées allemandes et si la 1re armée française (Rhin et Danube) n'avaient créé un deuxième front, il n'est pas prouvé que le débarquement du 6 juin, en Normandie, aurait pu avoir lieu. C'est l'Armée d'Afrique "l'Armée Giraud", reconstituée secrètement par Weygand, puis Juin, qui a été l'ossature de l'Armée Française victorieuse en Tunisie et en Italie et, par suite, de l'armée de débarquement en Provence. A ce débarquement prirent part 180 000 Français d'A.F.N. ou évadés de France à travers l'Espagne, 240 000 indigènes d'A.F.N. et 8 000 combattants de la France Libre. C'était la première armée française commandée par le général de Lattre. Mais il ne saurait être question d'étiquette entre combattants pour une même cause : les balles ennemies ne sont pas racistes. Vouloir attribuer à tel ou tel clan le mérite de la victoire ne peut être que mensonge et injustice. Il faut hisser sur le même pavois tous ceux qui se sont retrouvés dans la 1re armée française : les hommes de Koenig, ceux de la campagne de Tunisie, les volontaires évadés de France et les volontaires qui ont rejoint en marche, qu'ils soient issus de la Résistance ou poussés par l'éveil du sentiment patriotique.


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