Maurice PELLISSIER
056
D'une Guerre à l'autre
GUERRE 1939 - 1945
Témoignage
NICE -JUIN 1988
Analyse du témoignage
Libérer Bourges
Résistance
Ecriture : 1985 - 40 pages
POSTFACE de Michel EL
BAZE
Après avoir participé
en Belgique à la première grande bataille de chars
de la guerre, Maurice Pellissier embarque le 29
Mai 1940 à Dunkerque pour Folkestone et de là,
réembarque à Southampton pour... Cherbourg où il
retrouve la France en pleine débâcle. La Guerre
est finie ! Commence la Résistance avec le
Groupement Servois des F.F du Cher-Est qui sévit
autour de Bourges jusqu'à la Libération du Pays.
Quand au style de ce témoignage, le lecteur en
jugera selon sa sensibilité politique. Reste un
récit peut-être dur mais d'une ardente sincérité,
sans doute importante pour l'Historien.
INTRODUCTION DU
TEMOIN
Bouleversé, oui je
suis bouleversé à la lecture des carnets de guerre
14-18, que mon frère vient de me faire découvrir
et que mon père a rédigé en Suisse, revenant
d'être prisonnier. Pantelant d'émotion et
d'admiration, j'ai lu avec passion ces pages
simples et d'un style direct, sans emphase.
Officier de carrière, capitaine d'infanterie sorti
de St Cyr, mon père fut mobilisé dès les premiers
jours de 1914, et aussi loin que remonte ma
mémoire, il semble bien me souvenir de ce jour
marquant, où à quatre ans, je me suis trouvé sur
la bonne jument Léda, assis devant mon père me
faisant faire le tour de la place St Césaire en
Arles, au moment où il s'apprêtait à partir. Et je
riais, et je battais des mains, insouciant, ne
sachant pas que ce jour fatidique allait débuter
une guerre horrible, guerre qui fut appelée
"Grande Guerre". Que de souffrances et quelle
hécatombe dès le début de ces combats où nos
soldats inadaptés, en bleu horizon, encombrés de
lourds paquetages, furent fauchés par cette arme
terrible qui faisait son apparition, sur les
champs de bataille… la mitrailleuse, répandant une
nappe de balles sur nos hommes et tuant nos
officiers, stupidement habillés d'habits voyants
et du fameux pantalon rouge si visible dans les
plaines. Si mon père se souvenait avec tant de
force de cette fameuse journée du 20 Août 1914 où
il fut douloureusement blessé devant Dieuze puis
prisonnier par la suite avec son ambulance,
moi-même je garde en mémoire la date terrible du
10 mai, non ce n'est pas ce que vous croyez ! Ce
n'est pas le jour où un fantoche socialiste a
accédé à la présidence de la France pour la mettre
plus bas que terre. Non il s'agit du 10 Mai 1940,
date de l'invasion de la Belgique par les
Allemands, et le commencement d'une terrible
aventure pour moi. Mais je reviendrai plus tard
là-dessus. Comme l'écrivait mon père, il pensait
très souvent à sa femme Odette, notre mère, dans
ses épouvantables heures et aussi à ses trois
fils. Trois fils dont, s'il nous voit de La Haut,
il peut être très fier. Des fils qui ont formé une
grande famille au service de la Patrie. Nous
étions trois garçons dont les deux premiers se
suivaient de près, faisant pratiquement des études
parallèles. Le premier Georges eut une adolescence
remarquablement marquée par une préparation
intensive à l'entrée de l'Ecole de St Cyr où il
réussira sans difficulté. Sorti officier, et après
une très bonne carrière militaire, ponctuée par la
guerre du Rif où il participa, il fut officier de
renseignement clandestin pendant la Résistance, ce
qui lui valut d'être arrêté et déporté de 1943 à
1945 terminant sa carrière militaire comme
général. Mais je pense qu'il mettra également sur
papier les faits marquants de sa vie militaire et
ses souffrances de déporté. Le second fils Robert,
était tout aussi brillant que l'aîné. Surdoué avec
une mémoire prodigieuse, il apprenait facilement
tout et se présentant au concours de l'Institut
National Agronomique, il y est reçu d'emblée, sort
comme Ingénieur Agronome et voulant se
spécialiser, il effectue pendant deux ans un
séjour à l'Ecole des Eaux et Forêts de Nancy. Il
fit une carrière presque complète à Grenoble, pays
de montagnes, de forêts et de lacs. Si je parle,
hélas, de lui au passé, c'est parce que,
conservateur-adjoint des Eaux et Forêts, un
stupide accident de voiture devait le ravir à
l'affection des siens. Ce "Monsieur" était un
sportif accompli, passionné de montagne,
tennisman, skieur émérite. En pleine forme, il a
fallu une tragédie idiote pour qu'il disparaisse
après une carrière formidable marquée, elle aussi,
par la guerre pendant laquelle il était commandant
de réserve. Et le troisième c'était moi, Maurice,
nettement plus jeune que mes frères, j'étais le
petit dernier qui aurait dû être, selon mon père
une "fille", mais j'étais bel et bien un garçon
normalement constitué, et je vais maintenant
m'attacher à vous raconter, sans prétention, les
différents épisodes de ma vie que je découperai en
plusieurs tranches, celles qui m'ont marquées .
N'étant pas du genre "flon-flon", ni "moi-je"
comme on en a beaucoup vu sur le petit écran, j'ai
longtemps attendu avant d'écrire quelques lignes
sur ma vie et surtout sur "ma guerre". Puis j'ai
assisté à une scandaleuse émission de T.V., cet
été sur la Libération, émission qui m'a
complètement écoeuré… ... Les F.T.P. ont délivré
la France à eux tout seuls, ils ont tout fait !! .
Et les autres !. Il fallait que la vérité soit
rétablie pour l'édification de nos enfants et pour
la gloire de notre Patrie, car ces vantards ont
vite oublié le pacte Germano-Soviétique du début,
ni qu'ils ont pris le train en marche quand
Staline a retourné sa veste. Aussi me suis-je
décidé à écrire, la lecture des récits de combats
de mon père m'ayant d'autant plus poussé. Dans
l'état de déliquescence actuel de la France, et
devant la perte des valeurs morales de ce pays, il
fallait que je me conforte avec ces quelques
lignes sur la défense réelle de la Patrie face à
l'Occupant au cours de ce qu'on a appelé par la
suite "la Seconde Guerre Mondiale". Le récit qui
va suivre ne sera pas complet car "ma machine à
remonter le temps ", ma mémoire, est quelque peu
défaillante plus de quarante ans après ces
événements. Cependant quelques faits m'ont
terriblement marqué et je pense les reconstituer.
Je dédie ces pages sincères à la mémoire et en
hommage à mon père, et à mon frère Robert.
SOMMAIRE
**
INTRODUCTION
ENTREE DANS LA VIE MILITAIRE
- Ma
guerre ou 45 jours de guerre ouverte contre les
nazis
10 Mai
1940 7
- 13
Mai 1940 - MERDORE 9
-
DUNKERQUE 28 Mai 1940 3
-
Période transitoire 18
- Ma
Résistance 20
- La
fin de ma vie militaire 27
-
Epilogue 28
LA MEMOIRE
La mémoire : seul bagage incessible
Jacques ATTALI
INTRODUCTION
Bouleversé, oui je
suis bouleversé à la lecture des carnets de guerre
14-18, que mon frère vient de me faire découvrir
et que mon père a rédigé en Suisse, revenant
d'être prisonnier. Pantelant d'émotion et
d'admiration, j'ai lu avec passion ces pages
simples et d'un style direct, sans emphase.
Officier de carrière, capitaine d'infanterie sorti
de St Cyr, mon père fut mobilisé dès les premiers
jours de 1914, et aussi loin que remonte ma
mémoire, il semble bien me souvenir de ce jour
marquant, où à quatre ans, je me suis trouvé sur
la bonne jument Léda, assis devant mon père me
faisant faire le tour de la place St Césaire en
Arles, au moment
où il s'apprêtait à partir. Et je riais, et je
battais des mains, insouciant, ne sachant pas que
ce jour fatidique allait débuter une guerre
horrible, guerre qui fut appelée "Grande Guerre".
Que de souffrances et quelle hécatombe dès le
début de ces combats où nos soldats inadaptés, en
bleu horizon, encombrés de lourds paquetages,
furent fauchés par cette arme terrible qui faisait
son apparition, sur les champs de bataille… la
mitrailleuse, répandant une nappe de balles sur
nos hommes et tuant nos officiers, stupidement
habillés d'habits voyants et du fameux pantalon
rouge si visible dans les plaines. Si mon père se
souvenait avec tant de force de cette fameuse
journée du 20 Août 1914 où il fut douloureusement
blessé devant Dieuze puis prisonnier par la suite
avec son ambulance, moi-même je garde en mémoire
la date terrible du 10 mai, non ce n'est pas ce
que vous croyez ! Ce n'est pas le jour où un
fantoche socialiste a accédé à la présidence de la
France pour la mettre plus bas que terre. Non il
s'agit du 10 Mai 1940, date de l'invasion de la
Belgique par les Allemands, et le commencement
d'une terrible aventure pour moi. Mais je
reviendrai plus tard là-dessus. Comme l'écrivait
mon père, il pensait très souvent à sa femme
Odette, notre mère, dans ses épouvantables heures
et aussi à ses trois fils. Trois fils dont, s'il
nous voit de La Haut, il peut être très fier. Des
fils qui ont formé une grande famille au service
de la Patrie. Nous étions trois garçons dont les
deux premiers se suivaient de près, faisant
pratiquement des études parallèles. Le premier
Georges eut une adolescence remarquablement
marquée par une préparation intensive à l'entrée
de l'Ecole de St Cyr où il réussira sans
difficulté. Sorti officier, et après une très
bonne carrière militaire, ponctuée par la guerre
du Rif où il participa, il fut officier de
renseignement clandestin pendant la Résistance, ce
qui lui valut d'être arrêté et déporté de 1943 à
1945 terminant sa carrière militaire comme
général. Mais je pense qu'il mettra également sur
papier les faits marquants de sa vie militaire et
ses souffrances de déporté. Le second fils Robert,
était tout aussi brillant que l'aîné. Surdoué avec
une mémoire prodigieuse, il apprenait facilement
tout et se présentant au concours de l'Institut
National Agronomique , il y est reçu d'emblée,
sort comme Ingénieur Agronome et voulant se
spécialiser, il effectue pendant deux ans un
séjour à l'Ecole des Eaux et Forêts de Nancy. Il
fit une carrière presque complète à Grenoble, pays
de montagnes, de forêts et de lacs. Si je parle,
hélas, de lui au passé, c'est parce que,
conservateur-adjoint des Eaux et Forêts, un
stupide accident de voiture devait le ravir à
l'affection des siens. Ce "Monsieur" était un
sportif accompli, passionné de montagne,
tennisman, skieur émérite. En pleine forme, il a
fallu une tragédie idiote pour qu'il disparaisse
après une carrière formidable marquée, elle aussi,
par la guerre pendant laquelle il était commandant
de réserve. Et le troisième c'était moi, Maurice,
nettement plus jeune que mes frères, j'étais le
petit dernier qui aurait dû être, selon mon père
une "fille", mais j'étais bel et bien un garçon
normalement constitué, et je vais maintenant
m'attacher à vous raconter, sans prétention, les
différents épisodes de ma vie que je découperai en
plusieurs tranches, celles qui m'ont marquées .
N'étant pas du genre "flon-flon", ni "moi-je"
comme on en a beaucoup vu sur le petit écran, j'ai
longtemps attendu avant d'écrire quelques lignes
sur ma vie et surtout sur "ma guerre". Puis j'ai
assisté à une scandaleuse émission de T.V., cet
été sur la Libération, émission qui m'a
complètement écoeuré… ... Les F.T.P. ont délivré
la France à eux tout seuls, ils ont tout fait !! .
Et les autres !. Il fallait que la vérité soit
rétablie pour l'édification de nos enfants et pour
la gloire de notre Patrie, car ces vantards ont
vite oublié le pacte Germano-Soviétique du début,
ni qu'ils ont pris le train en marche quand
Staline a retourné sa veste. Aussi me suis-je
décidé à écrire, la lecture des récits de combats
de mon père m'ayant d'autant plus poussé. Dans
l'état de déliquescence actuel de la France, et
devant la perte des valeurs morales de ce pays, il
fallait que je me conforte avec ces quelques
lignes sur la défense réelle de la Patrie face à
l'Occupant au cours de ce qu'on a appelé par la
suite "la Seconde Guerre Mondiale". Le récit qui
va suivre ne sera pas complet car "ma machine à
remonter le temps", ma mémoire, est quelque peu
défaillante plus de quarante ans après ces
évènements. Cependant quelques faits m'ont
terriblement marqué et je pense les reconstituer.
Je dédie ces pages sincères à la mémoire et en
hommage à mon père, et à mon frère Robert, ces
pages que j'intitulerai :
"D'UNE GUERRE A L'AUTRE"
ENTRÉE DANS LA VIE MILITAIRE
Mes études furent
beaucoup moins brillantes que celles de mes
frères. De retour de guerre, l'Occupation en
Allemagne commençait et mon père fut envoyé dans
un régiment occupant la Rhénanie à Essen. L'époque
était difficile, on sortait d'un cauchemar et
n'ayant pas encore terminé mon secondaire, je fus
installé dans une institution religieuse les
"Lazaristes" à Lyon où j'étais demi-pensionnaire,
ayant la chance d'être hébergé et suivi par une
grand-mère, et ma tante et marraine à la Demi
Lune, banlieue lyonnaise. C'est ainsi que dans cet
établissement aux principes religieux très
stricts, je fis ma Troisième, ma Seconde et ma
Première pour arriver jusqu'au Bac. Il faut dire
que mon esprit n'était pas tellement porté vers
les études, subissant ainsi le contrecoup de la
période agitée de la guerre. Cependant, encouragé
par les "Lazzos", je parvins à réussir mon Bac et
je me trouvais ainsi en fin de période secondaire.
Pendant ce temps-là mon père quittait la Ruhr et
était affecté comme Chef de Bataillon dans un
régiment d'infanterie à Besançon. Me voici donc à
Besançon avec mes parents, mes frères faisant leur
carrière de leur côté. Mais nous étions en
1929-1930, en pleine période de réorganisation, la
vie était dure et les débouchés difficiles. Assez
insouciant (et inconscient) je courais les bals,
et sauteries et ne savais toujours pas ce que
j'allais faire. Mon père me prend un jour à part
et me met en face de la situation car il fallait
se décider à faire un métier. C'est alors qu'il me
dit : - Ecoute ! Engage-toi dans l'armée, c'est de
famille, et après tout… adjudant ce n'est pas si
mal que ça ! Aujourd'hui après mes aventures, j'ai
toujours cette phrase en mémoire ! J'ai donc
préparé mon B.P.M.E. pour pouvoir m'engager par
devancement d'appel le 20 Avril 1931 à un bureau
de recrutement de Besançon. Le 26 Avril 1931
j'étais envoyé au 5ème Bataillon de Dragons Portés
(5ème B.D.P.) à Lyon où je débarquais un beau jour
au fort Lamotte. Le 5ème B.D.P. était commandé par
le Cel de St Lanmer, assez sympathique ; sachant
que j'étais fils d'officier, il m'inscrivit
aussitôt au peloton d'Elèves-Brigadiers. Après des
classes très pénibles sous la coupe d'un "margi
chef" nommé chef Avalée, très sévère et
intransigeant, je prenais le premier contact avec
des engins chenillés Citroën, type croisière
jaune, et très vite passionné par ces mécaniques,
j'ai passé mon permis de conduire militaire pour
être totalement au service de ces véhicules.
J'étais nommé brigadier le 18 Octobre 1931 et
comme j'étais dans les premiers, presque
immédiatement brigadier-chef le 20 Octobre 1931.
J'étais donc sur le bon chemin pour être… adjudant
! Mais muni de mon Bac je pouvais mieux faire et
j'appris qu'il existait une solution pour
"grimper" plus dans l'armée. Les sous-officiers
pouvaient accéder à une Ecole pour devenir
officier, Ecole où l'on préparait les "E.O.A.",
soit à Saumur pour la cavalerie, dont je faisais
partie, soit à St Maixent pour l'infanterie. C'est
au 5ème B.D.P. que je devais connaître, deux
officiers remarquables ; le lieutenant De
Bandreuil, un as de la moto vainqueur de nombreux
concours tous terrains en moto avec side-car,
véhicule que j'appris à conduire. Puis le
lieutenant Sainte Marie Perrin, un cavalier
formidable, racé et spécialiste des cross et
courses de haie, à cheval. Je devais le retrouver
et en parlerai par la suite. J'étais donc
adjudant-chef et j'ai commencé à mener une
carrière parallèle avec un camarade appelé
Desrippes et qui, nommé aussi brigadier-chef,
allait préparer le concours d'entrée aux E.O.A. de
Saumur. Dès cet instant, dès cette date du 20
Octobre 1931, je ressortais mes bouquins mes
cahiers, mes notes du Bac pour potasser ce fameux
concours d'entrée à Saumur. Mais pour le faire il
fallait être sous-officier et nous n'étions, mon
camarade et moi que brigadiers-chefs, et c'est,
piaffant d'impatience que nous attendions notre
galon de sous-officier de carrière. Nous espérions
que cela n'allait pas tarder, lorsque tout à coup
nous apprenons que le Ministre Daladier venait de
stopper subitement l'avancement et la nomination
des sous-officiers. Stupéfaits, mon camarade
Desrippes et moi, avons été terriblement déçus.
Trois ans, oui trois ans nous sommes restés de
1931 à 1934, sur le carreau, continuant à préparer
Saumur sans pouvoir se présenter. Pendant cette
période d'attente, je continuais à m'initier à
tous les secrets de la vie militaire, et à toutes
ses servitudes. Nous partions assez souvent, soit
sur nos autochenilles, soit en camions pour des
manoeuvres, ou des tirs. Et je me souviens des
instants pénibles où, tout le long de notre
trajet, les gens nous montraient le poing, nous
insultaient en criant : "A bas l'armée !", nous
crachaient dessus. C'était déjà la montée du Front
Populaire, qui devait nous amener aux événements
de 1936, et peu d'années après, vers une guerre
abominable où l'armée, si mal considérée, devait
partir en lambeaux en 1940. Ivre de fureur je ne
pouvais répliquer qu'en leur faisant un "bras
d'honneur" Et depuis ce temps-là, je suis devenu
ce que l'on appelle aujourd'hui : "un
anticommuniste primaire !" Mais on n'arrête pas le
destin, et vint un beau jour où, Daladier ayant
signé un nouveau décret, j'étais nommé Maréchal
des Logis de carrière le 5 Septembre 1936. Tout
heureux, Desrippes et moi, nous avons postulé pour
le concours de Saumur. Nous partons tous les deux
à Evreux, en stage de préparation à l'Ecole, où
pendant quelques mois, dans la même chambre, nous
"bûchons" tous les jours, souvent jusqu'à 1 h du
matin. Nous avions un instructeur très dur, très
sévère qui s'appelait le capitaine Lambert ; nous
le subissions avec résignation, mais l'on peut
bien dire que c'est grâce à lui que nous avons
réussi le concours. Admissible à l'écrit, reçu à
l'oral c'est avec une joie indicible que je suis
admis à Saumur en qualité d'élève-officier de
cavalerie par Journal Officiel du 7 Septembre
1937. Il faut dire que j'étais d'autant plus
heureux, qu'au cours de mes sorties dansantes de
sous-officier célibataire, j'ai connu une jeune
fille, charmante d'origine Ardéchoise, qui
travaillait comme secrétaire à Lyon et qui devint
mon épouse. Très vite naissait un fils Jacques et
cette nouvelle responsabilité m'aiguillonnait
d'autant plus pour le cours de mes études. Je
quitte donc le 5ème B.D.P. et suis pris en compte
comme E.O.A. à l'Ecole de cavalerie de Saumur où
je suis Aspirant. Je fais l'apprentissage
véritable du métier d'officier de cavalerie et
aussi de l'arme blindée. De nombreux cours, de
nombreuses fatigues jalonnent cette période, où je
suis mis "en selle" par un écuyer formidable, mais
sévère, le lieutenant Margot qui devait par la
suite être le "grand dieu" du Cadre Noir, un
cavalier remarquable à qui je dois pas mal de
succès dans les concours hippiques que j'ai fait
par la suite. Sorti comme sous-lieutenant dans un
rang moyen, le 15 Septembre 1938, je demande à
être affecté au 18ème Dragons à Reims où j'arrive
avec ma femme et mon fils le 7 Avril 1939. 2ème
classe, brigadier, brigadier-chef, Maréchal des
Logis, Saumur, Aspirant et sous-lieutenant.
J'étais content de moi ! ! J'avais perdu Desrippes
de vue et je commençais mon métier d'officier dans
un régiment d'élite et une ville, capitale du
champagne, très agréable. Mais hélas, cela ne
devait pas durer longtemps. Le bruit des bottes
hitlériennes, retentissait dans toute l'Europe, le
"fou" Allemand vociférait devant des foules
extasiées par le nazisme. Pendant ce temps la
France, profondément déprimée par les menées
antimilitaristes de la Gauche, se posait
maladroitement des questions. Hitler de plus en
plus menaçant, prend les Sudètes, envahit la
Tchécoslovaquie et la Pologne avec son armée, sa
Wehrmacht déjà bien équipée. Je passe rapidement
sur tout ceci jusqu'au jour où l'Angleterre puis
la France, déclarent la guerre contre l'Allemagne.
On est en Septembre 1939. Dès lors je ne me
faisais pas d'illusions, nous irions rapidement au
"casse-pipe" et j'étais terriblement inquiet pour
ma femme et mon fils. Il fallait que la France se
renforce: son armement était terriblement en
retard, nous avions surtout peu d'aviation et peu
de chars, et nous allions avoir en face une
puissance super-armée, riche en avions de tous
modèles avec des Panzers dangereux et puissants.
Le Commandement Français décide donc de renforcer
son armée en construisant des chars à outrance et
en formant des unités dites "Divisions Légères
Mécaniques" (D.L.M.) qui seront le fer de lance
des armées lancées au-devant des troupes nazies.
Fort de mes connaissances mécaniques et de mon
savoir en ce qui concerne les véhicules blindés à
chenilles, je suis affecté au C.O.M.C. à
Fontevrault, près de Saumur, le 24 Avril 1939. Là
je devrai former tous les éléments susceptibles de
servir dans des unités de chars, très rude tâche à
laquelle je m'applique avec résolution. Nous
avions reçu des blindés flambant neufs, et en
particulier un char lourd, dont je dois parler car
ce fut sa carapace qui m'a sauvé la vie plus tard.
C'était un SOMUA, fabriqué dans les ateliers de
Rueil, avec un gros blindage, un moteur
super-puissant et chenillé d'une façon
remarquable. Facile à conduire, avec un simple
volant, c'était un monstre orgueilleux, armé d'un
canon de 37 m/m et d'une mitrailleuse rapide.
Trois hommes d'équipage, un gradé, chef de char
dans la tourelle, un brigadier-radio et un
conducteur. Il marchait allègrement sur les routes
à près de 50 Kms heure. Il avait une belle
tourelle et une porte sur le côté gauche. C'est
ainsi que je formais les premiers éléments de ce
qui devait devenir la 3ème D.L.M. Nous étions dans
la période de ce qu'on appelait "la drôle de
guerre". Les adversaires s'observaient, et pendant
que nous nous équipions avec rage, il n'y avait
que quelques patrouilles qui s'accrochaient dans
l'Est de la France et nous occupions et
renforcions la ligne Maginot qui, hélas, devait
faire piètre figure devant les Allemands. Mon
métier d'instructeur terminé, je suis cette fois
affecté au 2ème régiment de cuirassiers le 1er
Janvier 1940. Voilà la 3ème D.L.M. formée, et nous
étions encadrés par la 1ère et la 2ème D.L.M. :
divisions légères formées de Somua et de chars
plus légers Hotchkiss, qui devaient constituer la
base même de l'armée du Général Blanchard. Cette
1ère armée Blanchard devait par la suite jouer un
rôle très important dans cette courte guerre. En
vertu d'accords que la France avait passés avec
les Alliés et la Belgique nous devions être prêts
à voler au secours de cette Belgique, si les
Allemands violaient (une nouvelle fois) sa
neutralité. C'étaient nos D.L.M. qui auraient l'
"honneur" de se porter au secours de ce peuple,
dont nous espérions qu'il saurait aussi défendre,
par les armes, leur propre honneur. Hélas ! Nous
avions mis nos meubles dans un garde-meuble à
Reims et ma femme et mon fils étaient partis
attendre à la campagne en Ardèche, la suite des
événements. Quant à moi, j'avais pris le
commandement d'un peloton de chars Somua et le
régiment était regroupé dans une ville du Nord, à
proximité de la frontière belge, un charmant
village appelé Candry. Et ce 2ème Cuirassiers,
était sous les ordres d'un colonel remarquable,
devenu général par la suite, qui se nommait Du
Vigier et que je n'oublierai jamais.
MA GUERRE
Ou 45 Jours de guerre ouverte
contre les Nazis
Nous étions donc comme
on dit "Aux Armées", répartis dans ce village de
Candry. Mon escadron était commandé par le
capitaine De Banfort (devenu général par la suite)
un officier solide, froid et très compétent. Notre
régiment était encadré par d'autres unités
mécanisées; un des escadrons nous entourant était
commandé par le Capitaine Sainte Marie Perrin,
dont j'ai parlé et qui se démenait superbement au
milieu de ses chars légers Hotchkiss. Nous
entendions de fortes mauvaises nouvelles à la
radio: les hordes allemandes, commençaient à
submerger l'Europe et nous sentions que notre
moment approchait. Nous mettions activement nos
chars en état : tension des chenilles, réglage des
moteurs, pleins d'essence et d'huile, provisions
de munitions. J'ai lu sur les récits de guerre de
mon père, qu'avant de partir pour le combat, il
s'était consacré à la Vierge Marie et qu'il avait
longuement prié. Curieusement, et sans le savoir,
de mon côté, je m'étais mis sous la sauvegarde de
la Vierge, lui promettant un voyage à Lourdes si
je m'en tirais, pèlerinage que je fis par la
suite, car elle m'a toujours protégé…
10 MAI 194O
Nous logions mon
peloton et moi-même, dans une belle villa à
Candry, entourée d'un beau jardin. Mon équipage de
chars était dans les chambres voisines. Il faut
dire que la notion d' "équipage" a joué un grand
rôle dans nos unités. L'équipage, c'étaient trois
hommes soudés, réunis par une même pensée "Bien
servir son char" et au cours des journées qui
suivent, nous formions un seul Corps d'autant
mieux que j'avais un brigadier-chef-radio, et un
conducteur épatants. Le matin du 10 Mai 1940, vers
6 h, je suis réveillé par de sourdes explosions et
des ronronnements de moteurs, innombrables. Je me
précipite dehors, il faisait un temps merveilleux,
un soleil éclatant un ciel pur et bleu… et dans ce
ciel, des nuées et des nuées d'avions, et de
planeurs, des avions laissant de grandes traces
blanches dans le ciel, des avions… à croix gammées
! J'ai su ce jour-là que la Belgique était à
nouveau violée et que les Allemands avaient
commencé une offensive d'envergure en attaquant le
canal Albert et les forts environnants. Ils
avaient en même temps bombardé tous les aérodromes
français, belges, clouant ainsi, dès le départ, au
sol, de nombreux avions. Notre aviation qui était
déjà bien pauvre en appareils, subissait ainsi un
coup sévère. Un motard amène une convocation de
tous les officiers au Poste de Commandement du
colonel, je m'habille et m'équipe en vitesse et
saute dans le side-car du motard. Au P.C., le
colonel nous explique le "topo" : - Les forces
allemandes ayant attaqué le canal Albert, les
D.L.M., en vertu des accords passés avec la
Belgique, doivent se porter le plus rapidement
possible au-devant des nazis et les attendre sur
une ligne Wawre-Gembloux (tout à fait théorique
d'ailleurs car tout est plat !), afin d'effectuer
une mission retardatrice. - Si j'ai bien compris,
nos blindés doivent servir de boucliers, pendant
que les autres s'organisent tant bien que mal ? -
Mission de sacrifice, mais encore heureux qu'on ne
nous ait pas donné l'ordre de nous faire tuer sur
place ! - En route, les moteurs tournent, nous
sommes prêts à partir. Notre colonne s'ébranle et
nous fonçons vers la frontière belge. Nous sommes
poursuivis par les clameurs enthousiastes des
habitants et paysans de la région. Afin d'être
plus libre de mes mouvements et pour pouvoir
suivre la colonne de chars, j'ai décidé de prendre
une moto side-car tandis que mon brigadier-chef
s'occupait de mon Somua. Nous marchons à toute
allure, toujours dominés par les avions allemands
qui, imperturbablement, filent vers le Nord et la
mer. Nous sommes littéralement portés par une
foule de Belges qui nous applaudissent et nous
encouragent : - Allez-y les Français !… Vive la
France ! etc. Mon side-car commence à se remplir
de tablettes de chocolat, de cigarettes et
bouteilles de bière. Nous avions eu cette journée
épuisante du 10 Mai et nous cantonnons, très
fatigués, dans un village belge, tandis que
retentissent toujours les sourdes explosions des
bombardements sur le canal Albert. J'allais me
reposer lorsque tout à coup mon brigadier-chef
accourt tout essoufflé et me dit : - Venez voir
mon lieutenant ! Je vais avec lui jusqu'à la
mairie et j'entre dans une salle où se trouvaient
quelques paysans autour d'une table, je m'approche
et je vois sur la table un cadavre de civil,
couvert de sang. On me dit : - C'est un type de la
5ème Colonne qui venait d'être parachuté, nous
l'avons eu à la chevrotine ! Possible - mais
c'était "mon premier cadavre" - Le lendemain 11
Mai, nous nous remettons en route à l'aube et
suivons les chemins de Belgique. Les civils
encombrent la route avec leur "barda", mais ils
sont de moins en moins nombreux, par contre nous
voyons venir vers nous des tas de militaires
Belges, des "chasseurs Ardennais", poussant leurs
bicyclettes, hâves, fatigués qui nous disent : -
On est fichus, les forts ont sauté le canal Albert
est débordé ! N'importe, nous avons une mission à
remplir et nous sommes le 12 Mai 1940. Ce fut
notre premier contact avec l'ennemi et nos chars
valeureux firent merveille, ce qui me permit
d'appuyer et de dégager un peloton de mon escadron
pris à parti par d'autres chars Panzers qui
n'insistèrent pas. Ils devaient "tâter" leurs
adversaires. Après cette alerte, nous nous
reposons quelques heures et nous arrivons à l'aube
en vue d'un village qui s'inscrit en lettres de
feu dans ma mémoire.
13 MAI 1940 - MERDORE
Merdore est un petit
village charmant, orné de petites villas fleuries
comme on en voit beaucoup en Belgique, avec une
grande place au milieu et une belle église avec
son cimetière attenant. Toutes ces maisons forment
un groupe compact et très vert, et mon capitaine
De Beaufort, nous donne l'ordre de répartir nos
chars, face à une grande plaine de blés coupés qui
s'étend à perte de vue. J'ai réintégré mon engin
et guidé mon peloton le long d'une ligne de grands
arbres qui nous dissimulent très bien. Nous
mettons en marche arrière pour pouvoir dégager
rapidement et les tourelles sont tournées vers la
plaine, prêtes à entrer en action. Bizarrement,
nous n'avions pas encore subi d'attaque aérienne,
probablement que les Allemands devaient être
occupés à bombarder le Nord de la France. Il est 9
h et nous mangeons rapidement des sandwichs,
étreints par une angoisse sourde tant il est
pénible de ne pas savoir ce qui vous attend ! A ma
droite se tenait un autre peloton du 2ème Cuir,
qui était commandé par le sous-lieutenant De
Presles, un colosse, fonceur et batailleur. Il
était environ 10 h, lorsque tout à coup, nous
commençons à subir une véritable trombe
d'artillerie ennemie. Pendant plus de deux heures,
les obus éclatent dans tous les sens, flambant les
arbres, brûlant les maisons. J'étais inquiet,
surtout pour mon char, car un coup au but pouvait,
au moins, nous décheniller, et un char avec
chenilles endommagées devient très vulnérable. Je
pensais que c'était une préparation d'artillerie,
présageant une attaque et notre capitaine à la
radio nous avait prévenus : - Attention, soyez
vigilants, on va être attaqués ! De concert avec
mon équipage, je décide alors de n'employer que ma
mitrailleuse au début, et de me servir de mon
canon en dernier ressort, le chef de char étant
servant de ces pièces. Il était à peu près midi,
lorsque je vois dans la lunette de ma
mitrailleuse, des colonnes compactes de "fourmis
noires", dans la plaine face à nous, accompagnées
de "gros scarabées sombres" ; ce sont les Panzers
ennemis. - Hausse, 1500, feu ! De tous côtés
éclate un immense feu d'artifice, très meurtrier.
Ma bande est engagée, je tire, je tire. Au loin je
vois s'écrouler des silhouettes ; mais aveuglé par
la fumée, je ne pense plus à rien, je ne pense pas
que je suis en train de tirer, je tire, je tire
dans ce combat à mort. Des flammes, des
explosions, le bruit des éclats sur mon char fait
sonner sa carapace, je n'y vois plus, à demi
asphyxiés par les gaz. Notre position devient vite
intenable et l'ennemi, malgré ses pertes,
approches rapidement… Je vois que nous allons être
débordés et j'espère un ordre de repli qui,
heureusement, vient du capitaine. Le radio entend
: "Tous à la place du village", puis plus rien car
l'antenne et l'appareil radio viennent de sauter.
Moteur en marche et au moment où mon char
s'ébranle, je vois sur ma droite un Somua, foncer
dans la plaine en crachant le feu. Je charge mon
canon et tire rapidement mes obus sur les Panzers
que je voyais arriver sur notre pauvre char qui,
tout à coup explose et se met à flamber. C'était
mon camarade De Presle, qui n'acceptant pas
l'ordre de repli et poussé par son esprit fonceur,
s'est porté au-devant des boches se sacrifiant
inutilement. Fallait-il faire cela ? Je ne crois
pas, car il était responsable de ses hommes
d'équipage qu'il amenait à la mort inutilement.
Quant à moi, je me suis toujours attaché à
préserver le plus possible mon équipage qui m'a
suivi jusqu'au bout. Nous étions toujours en
pleine bataille. Mon char avançait et bientôt nous
sommes arrivés sur la place du Village ; l'Eglise
et de nombreuses maisons flambaient. Je voyais
d'autres chars de l'escadron qui se regroupaient
et j'aperçois parmi eux le char du capitaine. Ma
radio étant fichue comment prendre des ordres ?
J'ouvre la porte de mon engin et je fonce vers le
char du capitaine qui entr'ouvre sa porte et me
dit : - On se replie. Suivez-nous ! Je repars en
vitesse au milieu de flammes et de sifflements et
je m'écroule dans le fond du char, à moitié
évanoui ! ! Je venais de participer à ce que l'on
a appelé : "LA PREMIERE GRANDE BATAILLE DE CHARS
DE LA GUERRE" Cette bataille était un baptême du
feu terrible pour moi mais elle me valut, aussi,
une palme à ma Croix de Guerre. Plus tard j'ai lu
un livre sur ce combat, et j'ai su ainsi qui se
trouvait en face de moi le capitaine... "Ernst Von
Jungenfeld" - commandant une unité de Panzers et
qui, décrivant cette bataille disait : - Ici on ne
fait grâce à personne, on est là pour tuer, on est
là pour gagner ! (- Die erste Panzerschlacht !).
Lire cela après coup, ça vous donne un sacré
frisson ! Les combats racontés par beaucoup
d'auteurs, on peut dire que je les ai vécus
"en-dedans", en plein dedans ! A ce moment-là le
général Billotte, commandant le 1er Groupe
d'Armées, dont nous dépendions, déclarait : - Il
faut s'attendre que la Belgique soit le théâtre
principal de l'effort allemand, et la sagesse
commande d'envisager le pire, nous devons être
résolus à nous battre à fond ! C'est bien ça ! A
la suite de cette bataille, le général Hoepner le
chef du Corps ennemi qui nous était opposé, disait
: - Le Corps de Cavalerie a pleinement rempli sa
mission de couverture en Belgique. Il a continué à
se battre jusqu'à l'épuisement total de ses
moyens… -"Cette bataille dite de Gembloux malgré
son côté défensif n'en fut pas moins une vraie
bataille menée résolument de part et d'autre pour
se solder en définitive par un échec pour le 16ème
Corps Blindé allemand, échec reconnue par l'ennemi
lui-même !" Ainsi s'exprimait le Maréchal Juin, en
nous rendant hommage ! Mais revenons à la suite de
ces combats, qui s'échelonnèrent du 12 au 22 Mai
1940, et qui furent très durs pour nous. Après
avoir roulés (ou plutôt "chenillés") un long
moment, je reviens peu à peu à moi ; la
ventilation de notre blindé se fait mieux et tous
les gaz accumulés sont évacués. Nous sommes en fin
d'après-midi du 22 Mai et nous arrivons près d'un
grand bois de sapins touffus sous lesquels nous
sommes bien camouflés. Nous descendons de nos
chars, et constatons les dégâts. Ils sont
terribles ! Les blindages ont beaucoup souffert
des armes antichars allemands, mais ils n'ont pas
été percés. Mon engin a ainsi de belles blessures
mais les chenilles sont intactes et le moteur
tourne rond. Je vais trouver mon capitaine, et
nous faisons le compte de nos pertes… De Presle,
hélas ! et quelques blindés en moins, soit
endommagés, soit détruits. J'apprends également la
fin sublime du capitaine Sainte Marie Perrin qui
commandait un escadron léger de chars Hotchkiss et
dont j'ai parlé plus haut. Il était à ma gauche
durant la bataille, mais il a été submergé par le
gros de l'attaque des Panzers allemands. Encerclé,
resté presque seul sur le terrain, il est descendu
de son char, s'est accoudé à l'avant, a allumé une
cigarette. Et la mort le prendra ainsi,
merveilleux geste de chevalerie ! Je rejoins mon
équipage et nous apprêtons à passer la nuit dans
le bois. Tout à coup, nous sommes assourdis par
d'énormes ronflements accompagnés de bruits de
sirènes terrifiants. C'est ainsi que j'ai appris à
connaître les Stukas ennemis, semant la terreur
avec une énorme sirène fixée sur le train
d'atterrissage. C'est vraiment impressionnant et
nous nous précipitons sous nos chars pour nous
protéger. Mais les Stukas attaquent le village de
Hamet, proche de nous, où doivent se trouver des
unités françaises. Tout explose, tout brûle et
c'est dans cet enfer que nous nous enroulons dans
notre toile de tente, sous notre blindé, pour
essayer de se reposer. Depuis ce jour-là, les
Stukas n'ont pas cessé de nous survoler et nous
marchons avec d'extrêmes précautions, camouflés au
maximum. Nous avons continué le long des routes -
heureusement encore suivis par notre escadron de
ravitaillement et nos citernes d'essence - Le
colonel nous tenait au courant de la situation qui
n'était pas brillante : l'armée belge s'épuisait
encore à retarder l'avance allemande, nous
faisions de même gardant très peu de contact avec
les Panzers mais néanmoins en essaimant la plupart
de nos chars sur les routes, les équipages
continuant à pied. C'est ainsi que le 26 Mai, une
DLM était réduite à peine à 15 chars ! Un soir
nous avons atteint le village belge de Pervez où
nous avons cantonné, toujours accompagnés des
sourdes explosions des bombardements. Le lendemain
à midi, nous étions (les officiers) rassemblés
dans une grande maison bourgeoise couverte par de
grands arbres verts. Notre popote était bien
installée et nous mangions dans une immense salle
commune. Pour une fois le repas était consistant.
Nous discutions des événements avec le colonel,
lorsque tout à coup, un bruit énorme et formidable
nous envahit. Ce sont les Stukas qui bombardent
notre village, ayant certainement repérés nos
quelques chars. J'avoue que j'ai du mal à avaler
maintenant car tout saute autour de nous, l'Eglise
tout à coup se met à flamber et nous sommes de
plus en plus inquiets, mais le colonel
imperturbable mange son dessert et j'échange un
coup d'oeil inquiet avec mon voisin. Et une
explosion plus forte retentit, au ras de la
maison, les fenêtres éclatent, et des milliers
d'éclats de vitres, tombent sur la table et sur
nos assiettes. Réflexion du colonel Du Vigier : -
Tiens elle n'est pas tombée loin celle-là ! Servez
le café ! - Chapeau mon colonel ! L'attaque étant
terminée nous retournons, auprès de nos unités. On
nous apprend que la situation est de plus en plus
mauvaise et que Lord Gort, chef du Corps
Expéditionnaire anglais, entame sa retraite en
direction de Dunkerque, opération appelée :
"Dynamo". L'armée belge épuisée, exangue se bat
sur le front de la Lys, avec d'énormes
disproportions de moyens avec l'ennemi, le moral
est à zéro mais malgré tout l'armée belge tiendra
4 jours sur le front de la Lys… On est le 26 Mai.
Et il y a de surcroît, une masse énorme de
réfugiés coincés entre la ligne de feu et la
frontière française. Nous continuons notre action
retardatrice, laissant peu à peu nos chars,
bientôt nous n'en aurons plus et il faudra se
résoudre à se retirer à pied. Le Général Prioux
vient de prendre le commandement de la 1ère armée,
ou du moins ce qu'il en reste. Le capitaine
m'annonce que notre mission est bientôt terminée,
et que nous nous trouvons dans une immense poche,
encerclés par l'armée allemande, et que nous
devons nous résoudre à faire retraite en direction
de Dunkerque pour essayer de se tirer de ce
guêpier. Le soir du 26 Mai 1940, nous arrivons
dans les faubourgs de Dunkerque. Des flammes, des
flammes. Tout brûle, les vastes cuves d'essence,
les maisons, les Eglises le port et c'est devant
cette vision d'apocalypse que nous abordons
Dunkerque, en file indienne. Nous sommes le 26 Mai
et il est près de 21 h. Nous sommes épuisés de nos
marches, et notre tension nerveuse, devant cette
catastrophe, n'arrange pas les choses. Le
capitaine nous annonce que nous allons être
dirigés sur Bray-Dunes, à côté de Malo-les-Bains
où l'on doit être embarqué. C'est très aléatoire,
mais les Anglais, eux, ont déjà amorcé leur
rembarquement. Nous repartons donc à la "queue leu
leu", au milieu des incendies et des débris de
toutes sortes.
DUNKERQUE 28 MAI 1940
Nous longeons donc les
maisons en ruines, je passe à côté d'un Anglais
qui se reposait à l'abri d'un porche, et… qui
jouait tranquillement un air d'harmonica ! Le
flegme classique ! Je continue à marcher dans la
nuit, quand je marche sur quelque chose de mou et
de blanc. Je me baisse et regarde de plus près
mais horreur ! C'est la moitié d'un bras coupé au
coude et je le lâche rapidement ! Enfin nous
arrivons dans la nuit du 26 au 27 Mai sur la plage
de Bray-Dunes où nous nous répartissons tant bien
que mal à travers des monceaux de ruines, très
hautes et propices pour bien se protéger. J'étais
toujours avec mon équipage qui me suivait
fidèlement. Vers minuit nous essayons de camper
dans des trous de sable profonds, la nuit est
noire dominée par toutes les flammes lointaines
des incendies et les explosions incessantes des
tirs d'artillerie. A quelques centaines de mètres
de nous, une grande masse claire nous tire l'oeil
car elle est entourée de flammes. C'est un moderne
hôpital sanatorium de Bray-Dunes, dont toute une
aile est en feu, bombardée par les boches malgré
la Croix-Rouge dessinée sur le toit. Ce sont bien
des barbares ! Car il y aura dans cet hôpital de
nombreux morts et blessés. Roulés dans nos toiles
de tente, nous passons une nuit épouvantable,
quoique heureusement la mer, très proche, est
calme et sans vagues. Le lendemain matin 28 Mai,
nous sommes "réveillés" à l'aube par le fracas des
explosions qui reprennent de plus belles, et par
le sifflement continu des balles. Ce sont les
bombardiers légers allemands et les Stukas qui
nous harcèlent constamment ainsi que les Anglais
qui, à proximité, poursuivent leur embarquement.
Les rafales de mitrailleuses des avions allemands
pointillent horriblement la plage faisant de
nombreux morts et blessés. Nos hommes et moi-même,
sommes planqués dans les dunes, profondément
enterrés dans le sable. Le spectacle au petit jour
est terrifiant. Sur une mer plate, des centaines
de bateaux de toutes sortes, de tout "calibre"
encerclent en avant de la plage, zigzaguant à
travers des tas d'épaves, bateaux et barques
coulés, bidons et objets divers… On est en pleine
opération de rembarquement et je dois dire que
tandis que nous attendions des ordres et que nous
guettions le large pour voir "nos" bateaux, les
Anglais, eux, disposés en rang d'oignons sur la
plage voisine, embarquaient "tranquillement" sur
des unités qui s'éloignaient rapidement vers les
côtes anglaises. Tant pis pour nous. J'ai assisté
à certains épisodes pendant cet embarquement, qui
ne sont certainement pas en faveur du "Fair Play"
anglais ! Toute cette journée terrible du 28 Mai
nous avons subi les attaques en piqué des Stukas.
Nous avons déploré tout le long de ce repli
l'absence totale de l'aviation française, jamais
une cocarde tricolore dans un ciel parsemé de
croix gammées. Nous avons su par la suite que nos
aviateurs se battaient courageusement dans le ciel
de France avec le peu d'avions qui leur restait,
et surtout après l'invraisemblable manière dont
notre ministre socialiste Pierre Cot s'était
occupé de notre défense aérienne. Nous avions
encore quelques armes, moi mon pistolet et nos
hommes avaient récupéré quelques FM en bon état ;
quelques postes-radios aussi. C'est ainsi que nous
apprîmes que l'armée belge avait capitulé à 4 h du
matin ce 28 Mai. Cet événement fut révélé à la
radio à 8 h 30 par Paul Raynaud qui était loin de
ses "rodomontades". "Nous vaincrons parce que nous
sommes les plus forts"… Tu parles ! Le long des
plages, ce ne fut qu'un cri. Le Roi des Belges, le
Roi félon ! Il a trahi les Alliés etc… Mais il
faut bien reconnaître qu'avec le recul du temps
dans l'Histoire, le roi Léopold avec son armée
avait bien résisté jusqu'aux limites de sa
puissance de feu, assez minable. On était
évidemment loin de la noble attitude adoptée par
son père le Roi Chevalier Albert en 1914. Cette
journée du 28 Mai fut interminable pour nous.
Constamment survolés par l'aviation ennemie,
constamment mitraillés, nous restions tapis dans
nos trous, attendant le moment d'embarquer. Nous
assistons à un ballet fantastique d'embarcations
de tous modèles, chargeant des hommes, repassant à
toute vitesse sous les coups allemands. Il fait
heureusement un temps splendide… un temps de
baignade. Je suis presque somnolent lorsqu'un
Stuka, plus bas que les autres fonce sur nous en
crachant, sa mitraille traçant un sillon sanglant
parmi nous. Un sous-officier à côté de moi, fou de
rage, se redresse, saisit un FM et se met à tirer
follement contre l'avion qui s'en va. Stupeur !
Une grosse fumée noire sort du Stuka qui perd de
l'altitude et va s'abattre en flammes au large de
Dunkerque. Un hourra de joie et d'admiration
parcourt nos rangs, car ce coup est vraiment
exceptionnel et nous soulève le coeur de plaisir !
Le soir descend, il est près de 18 h lorsque nous
voyons passer devant nous un torpilleur français,
orgueilleux, magnifique, surchargé de troupes.
C'est le "Sirocco", belle unité qui sera hélas
torpillée, coulant avec près de 300 morts le 30
Mai 1940 ! Nous sommes toujours le 28 Mai et il
est près de 20 h lorsque nous recevons enfin
l'ordre de nous rassembler pour embarquer sur un
cargo, quelque peu rouillé, nommé "Le Douaisien".
Tous les éléments encore disponibles de notre DLM,
montent sur ce cargo après avoir pataugé dans le
sable mouillé, et, mon équipage et moi, sommes
transférés dans la cale où dans le noir complet
nous nous entassons à la lueur de quelques
briquets. Il est tard dans la nuit lorsque nous
entendons les machines se mettre en route et le
cargo prendre le large en haletant : - Ce bateau
est bourré, sans aucune défense… quelle proie pour
les boches ! Epuisés par cette longue attente,
nous somnolons, toujours à fond de cale lorsque
soudain une violente explosion retentit vers
l'avant et nous entendons aussitôt le mugissement
de l'eau s'engouffrant à l'avant. Je jette un coup
d'oeil sur ma montre : il est minuit et nous
sommes en train de couler… C'est aussitôt
l'affolement, des cris, des coups de pied dans
tous les sens, on me marche dessus et le bateau
prend un gîte considérable. Tout le monde se rue
vers les sorties et je me trouve littéralement
porté sur le pont avec mes deux compagnons. Oui le
cargo a heurté une mine magnétique qui, explosant,
a détruit tout l'avant, et nous coulons. J'ai beau
essayé de me retenir, je me trouve précipité dans
l'eau où de nombreux hommes pataugent. Quel bain
de mer ! Je sais à peine nager et je bois une
bonne tasse, mais j'arrive à m'accrocher à une
épave, sorte de cage à poules, qui me permet de…
survivre. Il y eut de nombreux morts et blessés de
notre DLM et quelques noyés moins chanceux que
moi. 6 heures, oui 6 heures je suis resté dans une
eau calme… et délicieuse ! 6 heures, de minuit à 6
h du matin où l'aube naissante découvrait un
spectacle tragique. Tandis que l'aviation ennemie
continuait ses piqués meurtriers, nous vîmes
passer à notre proximité un gros navire qui,
lentement se dirigeait sur Dunkerque, revenant à
vide d'Angleterre. C'était un mouilleur de mines
français qui eut la bonne idée de se mettre en
panne et de recueillir la plupart d'entre nous.
Nous étions le 29 Mai à 6 h du matin. Et c'est
ainsi que nous sommes arrivés une nouvelle fois,
dans un Dunkerque détruit, à moitié déserté et
toujours flambant de toutes ses flammes !
Maintenant c'est la recherche des rares bateaux
qui restent pour repartir, et toujours avec mes
hommes, je parcours désespérément les quais au
milieu des détritus de tous calibres. Il faut
absolument repartir pour ne pas tomber aux mains
de l'ennemi. C'est ainsi que nous tombons sur une
espèce de grosse barque de pêcheur, à moteur qui
revient d'Angleterre. Ce type, un Boulonnais est
un type formidable, et compétent. Nous embarquons
et faisons ainsi le trajet Dunkerque à Folkestone
dans une cale qui empestait le poisson, mais
qu'importe on s'en était tiré! Nous arrivions à la
fin du mois de Mai, et nous abordons l'Angleterre
à Folkestone et en prenant pied sur terre, la
première chose qui me frappe, c'est de voir le
calme et de constater le silence qui régnait sur
cette côte, nous qui sortions d'un véritable enfer
! A peine débarqués, la police militaire
britannique nous prend toutes nos armes et ce
n'est pas sans une certaine amertume que nos
hommes lâchent leurs FM ou fusils. Moi-même je
proteste et demande à garder mon arme, étant
officier, demande à laquelle on accède de mauvaise
grâce. Nous grimpons dans des camions et nous
roulons à travers une campagne verdoyante ; je
suis de nouveau frappé par le calme, il y a même
des Anglais qui jouent tranquillement au tennis,
sans se douter qu'ils seraient bientôt sous une
cascade de feu et de fer et survolés par V1 et V2
! Nous arrivons aux environs de Southampton, où
nous transitons quelques jours dans un camp de
toile. On nous sert du thé et nous mangeons des
oeufs au bacon. Il y a aussi quelques hommes de la
3ème DLM, regroupés, mais j'ai perdu de vue mon
capitaine, et mon colonel, peut-être sont-ils dans
un autre convoi ? Nous sommes de nouveau embarqués
dans des camions et conduits au port de
Southampton où nous montons dans un paquebot
réquisitionné… destination France! Nous étions
début Juin et le temps toujours magnifique et
après un voyage sans histoire, nous débarquons en
rade de Cherbourg où nous retrouvons la canonnade
et l'aviation ennemie. Nous allons être regroupés
dans un camp au Sud de Cherbourg alors que nous
apprenons que les Allemands se présentent aux
faubourgs Est de la ville. En hâte, des unités
disparates sont reconstituées, tous les véhicules
que nous trouvons : blindés, AM Panhard, motos
sont rapidement revus, rafistolés et les pleins
d'essence refaits. Nous sommes maintenant un
groupe important, genre groupe de reconnaissance
et l'on nous affecte comme chef, un capitaine de
réserve d'un certain âge, brave type mais sans
connaissances militaires. L'avance allemande est
proche et nous devons repartir en colonne le long
des routes, direction le Sud de la France vers la
Loire. Pour plus de commodité, j'avais "touché"
une moto Norton qui me permettait de suivre la
colonne plus facilement en serrefile, tandis que
le capitaine prenait la tête. Et nous voici partis
cahin-caha, pleins d'inquiétude sur notre sort
futur, mais j'avais toujours conservé mes deux
hommes d'équipage avec moi. Le mois de Juin était
largement entamé, et nous filions toujours par les
petites routes. On allait aborder un village,
lorsque soudain ma moto crachotte et le moteur
s'arrête. Je me planque dans le fossé, car les
avions allemands traînaient toujours dans le ciel
et je regarde mon moteur, grippé, bougies
encrassées, c'était la catastrophe d'autant plus
que le convoi avait filé et que je me retrouvais
tout seul. J'allais repartir à pied vers le
village, lorsque j'ai entendu de nombreux coups de
feu et de canon léger. Cela dura une bonne
demi-heure, puis plus rien. C'était notre convoi
qui était tombé sur une forte unité allemande
installée dans le village et nous nous étions
faits piéger. On était en fin d'après-midi, et je
me posais des questions. Que faire ? Devais-je
aller vers le village et tomber sur l'ennemi au
risque d'être fait prisonnier ? C'était
impensable. Aussi abandonnant mon engin inutile,
je décidai de filer à pied, vers le Sud, espérant
récupérer une autre unité française combattante.
J'ai beaucoup marché, à travers la campagne,
passant par les petites routes en direction du
Sud. Nous étions dans une pagaille indescriptible.
D'énormes convois de réfugiés civils fuyant
l'avance allemande, des charrettes, des
camionnettes, des tas de véhicules où se mélaient
confusément des camions militaires bourrés de
troupes et plus tristement à voir, des militaires
à pied, débraillés, pieds nus, avec les souliers
attachés autour du cou ; une véritable armée en
déroute ayant abandonné toute dignité, en même
temps que ses armes ! Toutes ces colonnes
pitoyables étaient survolées par l'aviation
allemande qui, sans pitié, lâchait ses rafales de
mitrailleuse, et nous nous précipitions à chaque
fois dans les fossés. Ayant conservé mon uniforme,
je continuais à marcher, cherchant de village en
village à me raccrocher à une unité bien
constituée. En cours de route, chaque fois que je
voyais quelques hommes corrects, groupés autour
d'un gradé et d'une mitrailleuse ou FM, ayant
l'air de guetter l'ennemi, je m'approchais pour
regarder le n° de leur régiment, sur leur col.
Chaque fois c'était un régiment de cavalerie ! Les
cavaliers seuls essayaient encore de résister,
hélas inutilement, mais l'on peut bien dire que
dans cette courte guerre, seule la cavalerie
"avait sauvé l'honneur de la France". Après de
courts moments de repos, j'arrivais le matin du 24
Juin 1940 à l'entrée d'un village appelé Sainte
Maure de Touraine. Ayant miraculeusement échappé
aux patrouilles allemandes qui ramassaient sur la
route tout ce qui avait l'allure militaire,
complètement épuisé, je me pose à nouveau des
questions. Je suis trop fatigué pour y répondre.
Je suis à proximité d'une immense ferme, une
propriété agricole importante où je me présente,
toujours en uniforme, presque à quatre pattes ! Je
suis réconforté par la fermière et sa fille dont
le mari est déjà prisonnier. Cet accueil est
chaleureux au possible et je passerai cette
journée du 24 Juin dans la grange attenante,
enfoui dans la paille, où je dors lourdement ! Le
lendemain 25 Juin je suis réveillé par la jeune
fermière qui m'apporte un casse-croûte et je sens
qu'elle voudrait bien que je remplace son mari
prisonnier mais j'ai d'autres choses à penser qu'à
la… bagatelle, et je lui demande simplement à
faire un brin de toilette. Elle me conduit donc
auprès d'un lavoir où je profite largement de
l'eau fraîche. J'avais terminé lorsque je vois
accourir vers moi les deux femmes échevelées et
hurlantes… - La guerre est finie… La guerre est
finie, le Maréchal Pétain vient de demander
l'Armistice, on l'a entendu à la Radio ! On était
le 25 Juin et j'ignorais encore qu'un certain
Général De Gaulle avait déjà lancé un appel à la
Résistance le 18 Juin. Mais j'étais heureux d'être
délivré d'un terrible cauchemar et de pouvoir
enfin circuler plus librement pour rechercher les
restes de mon unité. Et je pensais maintenant
qu'étant vivant et libre, je pourrais encore être
utile à mon pays. J'ai donc décidé de repartir à
la recherche de mon unité dont je me doutais
qu'elle était descendue vers le Sud, Sud-Ouest de
la France. Je laisse donc mon uniforme et la
fermière me donne un vêtement civil de son mari,
et me propose une bicyclette en très bon état.
J'accepte avec gratitude et la remercie
énormément. Pourvu d'un abondant casse-croûte, je
prends donc la route. On m'avait donné une carte
Michelin ,ce qui me permettait de descendre vers
le Midi par des petites routes, car toutes les
voies de communications étaient plus ou moins
bloquées, et le flot des réfugiés et les débris de
l'armée, encombraient cette partie de la France.
Et là j'ouvre une parenthèse. Beaucoup de gens ont
critiqué Pétain d'avoir demandé l'Armistice et
l'arrêt des combats. Il fallait continuer la
guerre disaient-ils. Mais ces beaux parleurs
n'étaient pas sur les routes, ces gens n'avaient
pas subi les bombardements en piqué, ni les
mitraillades des avions allemands, qui ont fait
tant de morts et de blessés. Oui, il fallait
arrêter ce massacre, il fallait stopper des
souffrances rendues inutiles. L'armée française
était en lambeaux, beaucoup de soldats étaient
déjà prisonniers, d'autres sans chefs. Le
gouvernement français s'était replié sur Bordeaux
et commençait à embarquer sur le "Massilia". Il
fallait se résigner à subir la défaite et qui
d'autre que Pétain pouvait le faire ? Auréolé par
sa gloire de vainqueur de Verdun, Maréchal de
France ayant encore assez de poids pour discuter
avec l'adversaire. Si un général réfugié à Londres
appelait à la Résistance et à la poursuite de la
lutte, il fallait aussi quelqu'un de valable pour
arrêter le combat, rude tâche pour un vieillard de
80 ans, dont la voix brisée se faisait entendre à
la radio. Bien entendu il n'était pas question de
le suivre dans ses actes futurs… Carte en main, je
file sur les routes en vélo ; j'arrive au Sud de
Lyon et j'en profite pour me diriger vers Annonay
ce qui me permet d'arriver à Darvézieux, où
j'embrasse ma femme et mon fils ; puis après une
journée de repos, je reprends la route ; de
village en village, de mairie en mairie où je me
renseigne, je file vers le Sud-Ouest. En effet
j'ai appris que de nombreuses unités encore assez
bien constituées se trouvent en Dordogne, dans les
environs de Nontron… … Et c'est ainsi qu'avec ma
vaillante bicyclette, j'arrive à Javerlhac où je
trouve enfin un régiment de cavalerie en pleine
reconstitution : c'était le 12ème Cuirassiers
commandé par le Colonel De Vernejoul. Je me
présente aussitôt à lui, et pendant de longs
moments je lui raconte toute mon odyssée, me
mettant immédiatement à ses ordres. Et c'est avec
un ouf de soulagement et de contentement que je
rendosse à nouveau l'uniforme et que je prends le
commandement d'un peloton au 12ème Cuir. Nous
sommes en pleine période de réorganisation. La
France panse ses plaies. Le 15 Sept. 1940, je suis
nommé lieutenant par J.O. du 9/9/1940. Nous
entrons dans la période que j'appellerai
"transitoire" mais où des événements graves se
produisent et m'amènent vers la dernière partie de
"Ma Guerre"
Période transitoire
Cette période
transitoire est une période trouble pour la
France. Battue, humiliée elle était véritablement
à genoux devant le vainqueur. Pétain discutait des
conditions de l'Armistice et s'installait à Vichy
avec quelques fidèles. Les Allemands occupent une
bonne moitié du pays fixant une ligne de
démarcation passant à hauteur de Moulins et
formant alors une zone occupée et une autre dite
"libre". C'est ainsi que je fus affecté au 7ème
Régiment de Chasseurs à cheval à Nîmes où je suis
adjoint administratif en date du 1/11/1940. Ce
régiment était commandé par un brave type, le
colonel Schott, qui s'est tout de suite efforcé de
reconstituer une unité compacte. Une unité formée
d'escadrons pourvus… de bicyclettes, de très peu
de véhicules et encore moins d'armes. Le 28
Février 1941, je suis donc "autorisé à faire
partie de l'armée de l'Armistice". C'est ainsi que
pendant quelque temps, je suis placé à la tête
d'un escadron cycliste avec quelques jeunes
engagés dans cette armée. Nous sortions dans les
garrigues et faisions surtout du sport. J'avais eu
la chance que l'on m'affecte une jument
magnifique, "Céleste", avec laquelle dès le début
je me suis tout de suite entendu. C'était un
véritable "coup de foudre" et je profitais de
cette période inactive pour faire et gagner de
nombreux concours hippiques, principalement dans
les arènes de Nîmes et j'eus même, suprême
bonheur, la chance de gagner le championnat de
France du cheval d'armes avec cette merveilleuse
monture. Nous habitions dans une grande avenue à
Nîmes, dite avenue de Camargue et devant chez nous
stationnait, toute une compagnie d'ambulances
allemandes, et à proximité, il y avait une boîte
de nuit, bordel, d'où les boches sortaient ivres
toute la nuit en gueulant… charmant ! Car la zone
dite "libre" ne l'était plus. Violant les
conditions d'Armistice, l'ennemi avait envahi
cette zone et nous avons été submergés par la
Wehrmacht. Le colonel nous a réuni, officiers et
sous-officiers dans son bureau et tristement nous
a dit : - Rentrez chez vous et mettez-vous en
civil, il n'y a plus d'armée de l'Armistice ! Et
c'est la mort dans l'âme que je suis parti en
abandonnant ma bonne jument Céleste. Elle a dû
faire le bonheur d'un officier boche. J'aurais pu
la "flinguer" avant mon départ. Mais je n'en ai
pas eu le courage. Envoyé en congé d'Armistice le
28/11/1942, j'ai continué à habiter Nîmes sous la
coupe complète de l'occupant. Et je rongeais mon
frein ! Et je me posais à nouveau des questions !
Qu'allais-je faire ? Mon épouse attendait notre
fille Michèle qui devait naître le 19 Décembre.
1942. Titulaire d'une petite solde et désoeuvré,
j'essayais de m'occuper, particulièrement dans les
services de la Croix-Rouge, où je faisais ce que
je pouvais pour aider les familles en détresse. On
était le 1er Mars 1943, et c'est alors que mon
destin continua à jouer. Pour moi cette période
transitoire était terminée, et j'allais me lancer
dans une autre aventure qui m'a amené jusqu'à la
libération de la France. Aventure que j'ai appelé
"Ma Résistance".
MA RÉSISTANCE
A la mémoire du Lieutenant-colonel
Servois (Capitaine Duret)
disparu après la guerre, à la suite
d'une longue maladie.
En hommage à Madame Servois, son
épouse,
qui a repris courageusement le
flambeau du Souvenir,
au milieu des anciens F.F.I., du
Groupement Cher-Est.
Si j'ai appelé cette partie de ma vie, "Ma
Résistance" c'est, comme je l'ai dis plus haut,
parce que cet été 1984, j'ai été indigné et
scandalisé par une émission T.V. sur la Libération.
Tous ces événements ont été honteusement exploités
au profit de la Gauche… Ils ont tout fait ces
"cocos-là" - nous qui étions essentiellement
apolitiques et surtout patriotes, nous ne comptions
pas… de la crotte de bique ! Et l'on montrait
uniquement, que d'anciens F.T.P., membres du P.C.,
venant se vanter devant les caméras… Il fallait que,
je me défoule en rétablissant la vérité, ne
serait-ce que pour nos enfants, et en l'honneur de
mon maquis, bien constitué ; style militaire, et
toutes opinions confondues. Et la suite de mon récit
prouvera que seul, le Cher-Est, était véritablement
"Combattant de la Résistance". Nous étions en Mars
1943, et je continuais à me morfondre à Nîmes où,
démobilisé, je m'occupais vaguement, après la
naissance de ma fille Michèle en Décembre 1942.
C'est alors que je suis contacté un jour par un
monsieur sympathique à l'allure énergique, qui me
dit : - Je suis le Cdt Gangneron et j'appartiens à
l'O.R.A. (Organisation de Résistance de l'Armée).
Chargé d'organiser la Résistance chez les anciens
militaires, le Cdt Gangneron me propose de me
joindre à lui pour l'aider à cette rude tâche de
recrutement. Bien entendu, j'ai accepté avec
enthousiasme car, traumatisé par 1940, les boches…
m'écoeuraient ! Le commandant ne m'a pas caché que
ce serait long et dangereux. QU'IMPORTE ! Il
m'indique alors tout un secteur à mettre sur "pied
de Résistance" : le Cher-Est avec Bourges au centre.
Il me fallait une situation d'emprunt dans cette
région pour y travailler au mieux, dans la
clandestinité. J'ai cherché, et j'ai trouvé un
emploi dans une Société dite "S.F.C.R." - Société
Française de Carburant de Remplacement - qui n'était
ni plus, ni moins, qu'une entreprise de charbon de
bois pour gazogènes… et j'étais chargé des
Transports, un grand mot pour quelques camions
pourris ! Cette Société était dirigée par un homme
âgé, plus ou moins... "vaseux", qui allait très
souvent à la Kommandantur de Bourges, (trop souvent
à mon gré) mais assez efficace, pour obtenir des
Ausweiss, très utiles pour les déplacements de nuit.
Dès mon entrée à la S.F.C.R., j'ai pu recruter le
sous-directeur Mr Guillon qui, totalement gagné à
notre cause, devait être sous-lieutenant, chef de
groupe. Puis vinrent, Moussy, Le Gourvez et bien
d'autres éléments efficaces formant le fond même du
maquis Cher-Est. Tout ce printemps 1943 fut
essentiel, car je battais la campagne en prenant
prudemment des contacts. Ma femme et mes enfants
s'étaient installés à Torteron, un petit village
proche de l'usine. Fin Avril, je fis la connaissance
d'un ex-officier de carrière, cavalier plein de
flamme et plein d'allure, le lieutenant De la Taille
qui, étant capitaine, devait par la suite se faire
tuer devant Royan. Désormais le groupe s'étoffait,
je pris le pseudonyme de: "Pelluet" et De la Taille:
"Petit". Le maquis Cher-Est était formé. Nous
continuons donc à battre la campagne, rencontrant
nos futurs maquisards au coin des bois, cherchant
des futurs terrains de parachutages pour les armes.
C'était une tâche exaltante, mais terriblement
dangereuse et nous apprîmes, De la Taille et moi,
que nous étions recherchés par la Gestapo, car nous
avions été dénoncés à Bourges par un interprète
tchécoslovaque, appelé Bénis, qui fut condamné pour
ce geste à la prison, à la Libération ( cf. annexe).
Nous avons échappé tout juste à cette arrestation
car on nous recherchait activement. Et nous entrons
à ce moment-là en pleine clandestinité. Ma femme et
mes enfants avaient déménagé et se trouvaient dans
une maisonnette à Jouet-sous-l'Aubois. Le grand jeu
commençait. Je dois dire qu'à ce moment-là, j'avais
des relations plus qu'amicales avec les gendarmes du
coin, très compréhensifs, et se doutant de ce que je
faisais, me donnaient des renseignements en douce,
sur ce qui se passait dans la région. Début Avril
1943, je reçois un message qui me convoque à Beffes,
village proche de Jouet-sous-l'Aubois où j'habitais.
Je devais me rendre au château de Beffes, où je
devais me présenter de la part du Cdt Gangneron, à
un officier rentrant de captivité. Je pris donc ma
moto que j'utilisais pour mes tournées, et je suis
parti à Beffes, arrivant dans une grande propriété
familiale, nichée dans les arbres. Je me suis trouvé
alors en présence d'un homme, encore jeune, grand,
mince au profil d'aigle. Avec dans les yeux, une
flamme intérieure brûlante, fascinante… Je venais de
faire la connaissance du capitaine Servois, un
cavalier, un chef avec lequel nous allons accomplir
de grandes choses au service de la France. Le
capitaine Servois me raconte alors qu'il avait reçu
du Cdt Gangneron chef de l'O.R.A. dans le Cher, la
mission d'organiser le secteur Est de Bourges.
Rapatrié sanitaire, encore sous le coup de sa
captivité, le capitaine Servois me dit avoir déjà
pris contact avec De la Taille, et me demande si
"j'en suis". Mon groupe dans la région était bien
constitué, et c'est totalement que je me suis mis
aux ordres de ce "monsieur" avec lequel je devais
former un tandem unique jusqu'à la Libération. En
effet, après mise en place d'un premier dispositif,
le capitaine me fit l'honneur de me prendre comme
adjoint, et nous étions : le Capitaine Duret et le
Lieutenant "Pellnet" , Combattants de la Résistance,
apolitiques et patriotes ! Les prises de contact
sont toujours faites autour de nous. C'est avec Mr
Lannes (ex-officier d'aviation) garagiste à Nérondes
et qui faisait partie du groupe "Vengeance" ; il
avait formé un groupe de résistants, ce qui lui
valut plus tard d'être arrêté et déporté… il ne
reviendra pas. Il surveillait la voie ferrée
Bourges-Nevers et De la Taille s'occupait du secteur
Bangy, Fourchambault. Le groupement Cher-Est
s'étoffe de plus en plus. Deux équipes sont formées
pour récupérer les parachutages, une à Torteron,
l'autre à Nérondes et deux terrains préparés pour
que les avions britanniques puissent larguer dans
les meilleures conditions, armes, munitions… et
cigarettes ! Hélas, nous apprenons vers la
mi-Février 1944 que le Cdt Gangneron a été arrêté et
déporté. Il en reviendra et terminera sa carrière
comme général. Le groupement se constituait
maintenant de plusieurs maquis, à Bangy, à Meneton
Couture, La Guerche, Marseilles-les-Aubigny,
Sancergues, Couy, aux Bordes à Villéquiers. Tous
bien commandés - nous avions installé notre P.C., le
Commandant Servois (car il avait été nommé) et
moi-même capitaine, dans une belle maison bourgeoise
au milieu de la forêt à La Charnaye - les
propriétaires étaient des gens charmants, assez âgés
mais entièrement acquis à la Résistance, et la
maîtresse du lieu faisait une excellente cuisine, ce
qui était plutôt réconfortant ! De ce P.C. nous
avons rayonné dans toute cette partie du Cher,
guettant les convois allemands qui se déplaçaient
sur les axes Bourges-Nevers, La Charete. Nous avions
récupéré pas mal de Citroën traction avant,
réparties dans les groupes et aménagées pour les
embuscades. Lunettes arrières cassées, trépieds
installés pour les FM, marchepieds pour sauter en
voltige dans les voitures. En effet le "travail"
consistait à aller se mettre en lisière des forêts
face aux deux Routes Nationales. Les véhicules en
marche arrière, moteur tournant au ralenti, et nous
entendions au loin, à quelques centaines de mètres,
les convois allemands défiler à petite allure sur
ces routes. Grosses masses noires sous les reflets
de la lune. Au coup de sifflet, tous nos FM, se
mettaient à cracher ensemble sur les boches, les
surprenant à chaque fois ; 2ème coup de sifflet,
cessez-le-feu, et dégagement pendant que l'on
entendait au loin les imprécations, hurlements de
l'ennemi et que se déclenchaient leurs premiers
coups de feu et de mortiers ! Mais nous étions loin
déjà ce qui limitait les pertes. Pendant ce temps,
des groupes de villages se constituèrent dans chaque
commune et un Centre de Recrutement s'installa "au
Lassey" d'Etrechy, chez Mlle Marguerite Barral.
D'autre part nous avions la possibilité de
recueillir les parachutistes Alliés, perdus dans la
nature qui furent hébergés et dirigés sur une
filière d'évasion par Mlle Pernot, femme admirable
qui fut arrêtée et mourut en déportation. Si j'ai
appelé cette partie de ma vie, "MA RESISTANCE"
c'est, comme je l'ai dit plus haut, parce que cet
été 1984, j'ai été indigné et scandalisé par une
émission T.V. sur la Libération. Tous ces événements
ont été honteusement exploités au profit de la
gauche… Ils ont tout fait ces "cocos-là" - nous qui
étions essentiellement apolitiques et surtout
patriotes, nous ne comptions pas… de la crotte de
bique ! Et l'on montrait uniquement, que d'anciens
F.T.P., membres du P.C., venant se vanter devant les
caméras… Il fallait que je me défoule en
rétablissant la vérité, ne serait-ce que pour nos
enfants, et en l'honneur de mon maquis, bien
constitué ; style militaire, et toutes opinions
confondues. Et la suite de mon récit prouvera que
seul, le Cher Est, était véritablement "combattant
de la Résistance". Nous étions en Mars 1943, et je
continuais à me morfondre à Nimes où, démobilisé, je
m'occupais vaguement, après la naissance de ma fille
Michèle en Décembre 1942. C'est alors que je suis
contacté un jour par un monsieur sympathique à
l'allure énergique, qui me dit : - Je suis le Cdt
Gangneron et j'appartiens à l'O.R.A. (Organisation
de Résistance de l'Armée). Chargé d'organiser la
Résistance chez les anciens militaires, le Cdt
Gangneron me propose de me joindre à lui pour
l'aider à cette rude tâche de recrutement. Bien
entendu, j'ai accepté avec enthousiasme car,
traumatisé par 194O, les boches… m'écoeuraient ! Nos
effectifs se renforçaient chaque jour. Nous
recevions beaucoup de jeunes qui, désignés au S.T.O.
en Allemagne, se refusaient à partir et nous les
équipions au mieux, braves gars de toutes opinions,
toujours parfaits, étant bien encadrés. Pendant ce
temps un dénommé Georges Marchais, une huile du
P.C., était en Allemagne chez Messerschmidt où il
participait à la construction des avions qui
devaient nous taper dessus. Il était parti au S.T.O.
! - Lui ! Je dois dire que nous avions comme voisins
des groupes F.T.P. "Résistants", mais dont le
travail consistait surtout à attaquer les bureaux de
tabac, les banques et à piller les fermes. Nous
n'étions pas particulièrement "copains"… et mon
"anticommunisme primaire" jouait alors ! Nous avons
eu l'exemple d'une brigade F.T.P. dite de "La
Gironde" qui a laissé dans le Cher des souvenirs peu
agréables ! D'ailleurs nos chefs, constamment en
relation radio avec Londres, savaient que le B.C.R.
anglais, ne voulait plus parachuter d'armes aux
F.T.P., étant donné l'usage qu'ils en faisaient.
Seuls nous, F.F.I. du Cher- Est, avions le privilège
de recevoir des parachutages. Les autres furieux,
cherchaient à nous voler nos armes et la suite le
prouve… Le Cdt Servois m'appelle un jour et me dit :
- Il y a quelques caisses d'armes, dans un entrepôt
à l'Est de Nevers, j'ai trouvé un chauffeur qui, de
notre côté, veut bien aller les chercher avec son
gros tracteur à 4 roues motrices. Voulez-vous
l'accompagner ? J'avoue que je n'étais pas très
chaud, car Nevers fourmillait d'Allemands, et… se
balader dans la ville au milieu d'eux avec des
armes… c'était pas évident ! Enfin c'était un ordre.
Je suis donc parti avec ce tracteur… les fesses
serrées ! Nous avons chargé quatre caisses d'armes
et de munitions dans un entrepôt de Nevers et nous
sommes revenus à travers la ville, toujours avec la
trouille de rencontrer une patrouille allemande.
Puis, tout heureux d'être passés au travers, nous
nous sommes arrêtés en pleine forêt où j'avais
repéré une grande bâtisse inhabitée, une grange
remplie de paille. Nous avons déchargé nos caisses,
soigneusement enfouies, et sommes repartis, le coeur
soulagé ! ! Deux jours plus tard, je reprenais la
route avec une voiture et un gars pour chercher ces
fameuses caisses...
Déception
-
Il n'y avait plus rien dans la paille éparpillée. Le
chauffeur m'avait trahi auprès des F.T.P. à qui il
avait tout raconté - et ceux-ci s'étaient empressés
de les voler, vexés de n'avoir plus d'armes - Quand
je pense après coup que si j'avais été pris avec ces
armes, j'étais fusillé sur le champ !
Voilà
"leur Résistance" !
Le Cdt Servois était furieux et savait désormais
qu'il fallait prendre des précautions contre eux. En
Août 1944, les attaques de convois allemands, les
sabotages de voies ferrées redoublèrent, tandis que
les parachutages se multipliaient sur le terrain de
"La Chomette" chez Mr Lemain, près de Villequiers.
Et à chaque parachutage, nous étions obligés de
mettre un groupe d'hommes autour du terrain avec des
FM - non pas contre les Allemands, en pleine
débandade ...
Mais
contre les F.T.P. -
Alors ils viennent aujourd'hui se vanter de leurs
hauts faits à la T.V. !
Laissez-moi
rire -
Nous avions changé de poste de commandement et nous
nous trouvions dans une grande ferme, en plein Berry
où les paysans nous avaient accueillis avec joie.
Nous continuions nos actions avec activité et nous
étions en réunion avec le Cdt Servois, pendant que
les femmes préparaient le repas - des femmes
"tondues", très jeunes, que nous avions accepté,
plutôt par charité, et aussi en signe de
désapprobation, car nous étions totalement opposés à
cette pratique dégradante des F.T.P. (toujours eux
!). Il y avait d'autres moyens plus dignes de
montrer à ces femmes, le tort qu'elles avaient eu de
donner leurs "fesses" aux boches. Nous discutions
donc, lorsque un cri retentit, alerte ! Nous nous
précipitons sur nos armes, lorsque nous voyons
arriver à toute vitesse dans la ferme cinq ou six
Jeeps, maculées de poussière - Elles étaient montées
par de grands gaillards en tenue de commando, armés
jusqu'aux dents ! C'étaient douze parachutistes
S.A.S. anglais qui venaient renforcer nos actions de
guérilla. Ils étaient commandés par le lieutenant
Davidson un grand rouquin, très sympathique. Nous
étions au mois de Juin et nous recevions de plus en
plus de parachutages d'armes, dont je m'occupais le
mieux possible. Lorsque le 12 Août, à l'appel du
Général Koenig, les F.F.I. du Cher reçurent l'ordre
d'intensifier nos attaques… Nous étions prêts ! Nous
avions été "chapeautés" par un chef important, très
compétent "Mr De Voguë" dans le civil, mais un
magnifique "colonel Colomb", auprès de nous. Pendant
tout ce mois d'Août nous avons porté des attaques
incessantes contre les colonnes allemandes, leur
infligeant des pertes sévères. Le 25 Août, deux
groupes de paras français, venant de Normandie,
firent leur jonction avec nos F.F.I. à la
"Chaumette" de Villequiers. Le 5 Septembre, capturé
par l'ennemi au carrefour Bourges-Vierzon, l'un des
nôtres, un vrai résistant, le sergent Monnet fut
fusillé. Le 14 Septembre lors du déminage du pont de
l'Allier au Guetin, le lieutenant Mulot et
l'adjudant Cognet furent tués et d'autres camarades
grièvement blessés. Nous étions en pleine libération
du territoire, et nous y avons cru un peu trop vite…
… En effet un jour le Cdt Servois me convoque et me
dit : - Mettez votre uniforme, votre brassard F.F.I.
et prenez vos armes, nous partons pour la libération
de Bourges ! Nous disposions à ce moment-là d'une
bonne voiture "Celtaquatre" Renault, dans laquelle
nous montons, le commandant et moi, en grand
uniforme ! Direction Bourges. C'est moi qui
conduisait et, l'oeil aux aguets, nous filions en
plein jour sur la Route Nationale. Tout à coup,
j'aperçois au loin environ 1500 m, un immense convoi
de véhicules et blindés de toutes sortes : - M… ce
sont des boches ! et je freine brutalement. Le Cdt
et moi nous ouvrons nos portières, et nous
précipitons dans le champ d'à-côté… et par un
miracle extraordinaire, j'avais eu la chance de
m'arrêter à hauteur d'une immense haie, la seule
existant dans le paysage ! Nous nous mettons à
ramper derrière elle au plus vite, tandis qu'au loin
éclatent les hurlements des boches et commencent à
retentir les premières rafales de mitrailleuses
lourdes. Nous rampions avec ardeur, les tripes
nouées et nous étions poursuivis par un feu
infernal, mais heureusement imprécis. Essouflés,
trempés… verdâtres, nous nous retrouvions le Cdt et
moi, au P.C. le soir même. C'est ainsi que fut notre
première tentative de la libération de Bourges, mais
je frémis rétrospectivement en pensant au sort que
nous aurions eu, pris les armes à la main ! C'est
ainsi aussi que nous perdîmes notre Celtaquatre, et
aussi pour la nième fois… ma trousse de toilette !
Les Allemands étaient complètement désemparés,
vaincus, fichus et c'est avec plaisir que j'appris
qu'à partir du 1er Octobre les F.F.I. du Cher-Est,
devenaient le "8ème Groupe de Reconnaissance". Le
8ème Groupe de Reconnaissance (8ème G.R.) était
désormais une unité militaire, fruit de nos efforts
pour la rendre comme telle. Elle avait pour chef le
Général Bertrand, et pour terminer la libération de
la France, nous étions envoyés devant Royan, près de
St Georges de Didonne, devant une immense poche
tenue par les boches qui s'accrochaient encore… et
je pensais à Dunkerque où j'étais dans… la position
inverse ! ! Nous avons donc continué à harceler les
Allemands devant Royan, bientôt aidés par des
éléments de la Division Leclerc. C'est à cette
époque que mon ami, le Capitaine De la Taille,
devait se faire tuer en tentant d'explorer un
terrain miné. Sautant sur une mine il devait être
recueilli par les ennemis. Nous avions installé
notre P.C. à Pons, charmante petite ville des
Charentes où nous occupions un bel immeuble. C'est
là que quelques jours plus tard nous reçûmes le
corps de De la Taille sur un brancard que les
Allemands eurent la correction d'orner de feuilles
de laurier. Nous lui fîmes des funérailles
émouvantes dans le petit cimetière de Pons.
Honneur
et Gloire à ce beau chevalier combattant !
C'était pratiquement pour nous la fin de la
Résistance, car les boches retraitant dans tous les
sens, se repliaient vers l'Est tandis que beaucoup
d'autres étaient prisonniers.
Quelle
jouissance après Mai 1940 et Dunkerque !
Et
nous étions désormais pour notre Histoire, à nous
:
Le
Groupement Cher-Est et 8ème G.R. -
Le conflit 1939-1945 commençait à s'achever. Après
la Libération de Paris par la 2ème Division Blindée
de Leclerc, l'armée allemande eut un dernier sursaut
dans l'hiver, dans l'Est de la France. Les débris de
la Wehrmacht, avec ses dernières réserves sous le
commandement de von Runstedt, se sont battus
désespérément dans la région de Bastogne où les
Américains eurent de très sévères pertes, dans la
neige et le froid. Le Groupement 8ème G.R. est
incorporé dans un régiment de cavalerie, qui se
nomme le 12ème Régiment de Chasseurs, commandé par
le Colonel Rougier qui fut toujours favorable à la
Résistance. Le 12ème Régiment de Chasseurs deviendra
alors une unité de grande valeur introduite dans la
1ère Armée "Rhin et Danube" du Général De Lattre de
Tassigny. Titulaire dans mon grade de capitaine en
Mars 1945, j'ai pris le commandement d'un escadron
de blindés légers et d'A.M. Panhard… Nous avions
aussi gardé, les meilleures de nos tractions avant
Citroën, encore marquées du signe F.F.I.… Puis c'est
l'Occupation en Allemagne d'abord en Sarre, puis à
Feldhausen et enfin à Biberach dans le Wurtenberg.
Le 12ème Régiment de Chasseurs était devenu le 12ème
Dragons et était commandé par le Colonel De
Segonzac. On était en Juillet 1946. C'était à notre
tour de pratiquer une Occupation chez les Allemands
que je voulais, pour ma part, dure, sévère, mais
juste. Le 9 Août 1946, j'étais muté dans une unité
d'A.F.N. à Médéa. C'est ainsi que, embarqué à
Marseille le 13/8/1946, j'ai fini par découvrir la
magnifique ville d'Alger et son port ensoleillé.
J'ai pris alors un escadron de spahis au 1er R.S.A.
et j'ai eu des contacts avec les troupes d'Afrique
du Nord, que je ne connaissais pas. Là aussi j'ai
fait beaucoup de cheval, montant des petits chevaux
arabes, dits "Barbes", étonnants de vigueur et de
combativité, mais avec un sale caractère. Je n'ai
pas eu à me plaindre, à cette époque-là, du
comportement de mes spahis Algériens. Très dévoués,
consciencieux mais assez "vicieux", ils sentaient la
main qui les tenaient ; bien encadrés, ils étaient
vraiment biens. Hélas ! Il a fallu que, rongés par
la politique et la propagande nationaliste, tout
bascule après une horrible guerre, et des monuments
d'incompréhension et de lâchage ! Enfin le grand
jour pour moi est arrivé.
La fin de
ma vie militaire
Dégagé des cadres en
vertu de l'Art. 12 de la loi du 5 Avril 1946,
j'étais rayé des contrôles le 10 Octobre. 1946.
Embarqué à Alger je rentrai dans la métropole et
je fus alors mis en position de retraite et rayé
des contrôles de l'Armée Active le 10 Octobre.
1956. Mon retour à la vie civile en ce temps-là,
ne fut pas particulièrement facile. Je ne
percevais plus qu'une pension de retraite et
j'étais encore suffisamment jeune et actif pour ne
pas rester sans rien faire… et avec deux enfants à
charge. Après quelques longs mois de piétinements
et de recherches, j'eus enfin la grande chance
d'être embauché comme chef de service
administratif, dans une grande et célèbre société
d'automobiles.
Et j'ai
passé encore vingt-six ans sous le signe du
double chevron
… Mais ceci est une autre histoire.
ÉPILOGUE
Ainsi s'achève ce
document que je veux sans prétention littéraire,
et le reflet exact des quelques épisodes qui ont
marqué ma vie militaire, et surtout cette guerre
39-45. Depuis dix ans j'ai pris ma retraite et,
retiré à Cannes, je profite du climat merveilleux
de la Côte-d'Azur. Malade, âgé, j'essaye encore de
"surnager" (comme à Dunkerque). Je me dis que
depuis 1940… je fais du "rab de vie".
Et cela me remonte le
moral ! -
Sur cette Côte, je ne suis pas le seul à en profiter
et quand je vois des gros boches de ma génération,
s'empiffrer et boire des bières aux terrasses de la
Croisette, une bouffée de colère et de haine me
monte au coeur. Bénéficiant d'un mark à trois
francs, faut-il que je contemple sereinement ces
individus, peut-être anciens gardiens de camps, S.S.
tueurs de Juifs et d'Enfants ( Oradour ! ), de
Résistants ? Non, je ne peux le faire, ils nous ont
fait trop de mal ! Pardonner ? Peut-être… Oublier ?
jamais ! Trop d'horreurs et de souffrances sont
entre nous et si comme le disait un grand comique,
aujourd'hui disparu : "Entre deux guerres, on est
copains !", mes souvenirs restent à jamais ancrés en
moi. Je garde dans mon "intérieur", le spectacle
horrible du char de De Presle, brûlant devant moi
avec son équipage… Et je pense aussi aux tortures
que j'aurai subies dans la Résistance avant d'être
fusillé.
Oublier
cela ? Jamais ! Quand mon père est parti en 1914,
il a dû se dire :
- Je
pars à la guerre mais au moins mes fils ne la
feront pas !
Et ils
l'ont faite !
Quand
moi-même je suis parti en 1940, j'ai pensé :
- Bon
je pars mais mon fils ne la fera pas !
Et mon
fils l'a faite…
Trois
ans dans les paras, dans l'impossible guerre
d'Algérie.
Malheureusement
cette guerre a été enlaidie par la politique.
Déformée
par la plaie communiste, on apprend, plus de
quarante ans après, certains épisodes honteux.
C'est ainsi que se plaide actuellement en France,
un procès qui met en cause un ancien ministre
communiste aujourd'hui disparu, trafiquant de
pneus à la Libération.
Ce type, déporté politique à Buchenwald, responsable
de ses compagnons dans le camp, était chargé avec la
"bénédiction" des S.S. de faire le tri parmi ces
gens… et il avait désigné pour le four tous ceux qui
n'étaient pas de son bord !
Ignoble
!
Et l'on apprend longtemps après le rôle peu
glorieux, joué par ce parti anti-français.
Maintenant on décore de la Légion d'Honneur une
chanteuse antimilitariste. Et combien d'anciens
combattants, de résistants, combien de mutilés
attendent encore cette Croix, juste récompense de
leurs sacrifices ? Dois-je comparer ma poitrine,
ornée de cette "Croix des Braves", gagnée dans les
plaines de Belgique et à Dunkerque… avec la poitrine
aux seins mous et vieillissants d'une chanteuse
gauchiste ? Nous sommes aujourd'hui sous un régime
de Gauche. La France, ridiculisée, bafouée, endettée
jusqu'à l'an 2000 est en-dessous de tout, elle qui,
autrefois caracolait en tête du peloton des nations
occidentales. Elle devient insignifiante sous
l'égide d'un Président, entêté dans ses convictions.
Nous autres, Anciens Combattants vieillis sous le
drapeau tricolore, sommes effrayés par cette
dégradation. Aujourd'hui, on ne peut pas exprimer
une opinion, autre que celle de Gauche, sans se
faire traiter de… fasciste, nazi, raciste… hitlérien
! Hitlérien ? Moi, avec mon passé militaire ?
Charmant
!
Ce couplet politique étant terminé… je concluerai
ces mémoires en disant que j'ai actuellement un
petit fils de 15 ans - encore à l'abri de la
pourriture politique - Sera-t-il épargné ? Sera-t-il
loin d'une épouvantable guerre qui serait nucléaire
?
Un grand homme a dit :
- Non plus jamais ça !
Mais quel sera l'avenir ?
Documents
Cf le CD
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