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                   Index historique ElBAZE  corpus                                                        
Liste des 134 manuscrits   #Manuscrits                

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Marcelle FORRER

***

010

L'ATROCE DÉLATION

Mes Prisons

GUERRE 1939 - 1945

NICE - NOVEMBRE 1985

LES GUERRES DU XXe SIÈCLE

A TRAVERS LES

TÉMOIGNAGES ORAUX

**

Collection Michel El Baze

réalisée dans le cadre de l'Association Nationale des Croix de Guerre

et des Croix de la Valeur Militaire

2 Place Grimaldi - 06000

Tél. 0493878677

Récits de vie des Anciens Combattants,

Résistants, Internés, Déportés, Prisonniers

**

Pour l'enrichissement de la

mémoire collective

Ces documents peuvent être mis en libre communication

Droits de traduction, de reproduction et d'adaptation

réservés pour tous les pays.

Conservateurs :

• Ministère des Anciens Combattants - Délégation à la Mémoire et à l'Information Historique - Paris. • Sénat de la République - Département de la Recherche Historique de la Bibliothèque - Paris. • Department of Defense - Department of the Army - Federal Center of Military History - Washington - U.S.A. • Imperial War Museum - Departement of Documents - London - Great Britain. • Bundesarchiv - Militärarchiv - Freiburg im Breisgau - Deutschland. • Hôtel National des Invalides - Musée de l'Armée - Paris. • Conseil Général des Alpes Maritimes - Cabinet du Président. • Direction des Archives Départementales des Alpes Maritimes. • Université de Nice-Sophia Antipolis - Centre de la Méditerranée Moderne et Contemporaine. • Ville de Nice - Bibliothèque Municipale. • Ville de Nice - Cabinet du Maire-Adjoint aux Anciens Combattants. • Musée de la Résistance Azuréenne. • Le Témoin.

Analyse du témoignage

Résistance - Déportation en Allemagne

Écriture : 1985 - 65 pages

PRÉFACE DE MICHEL EL BAZE

J'ai vécu l'écriture de ce récit et je peux dire qu'il a été aussi pénible à Marcelle FORRER de l'écrire qu'il sera au lecteur de le lire.

La délation est de tous les temps.

Mais quand ce mal frappe sa propre famille, quand une mère dénonce sa propre fille, nous atteignons l'ignoble.

Ce sont ces malheurs qui nous touchent le plus dans les témoignages qui forment cette collection.

On y voit un jeune homme livrer à l'Allemand son meilleur ami d'enfance ; un fils dénoncer à la Gestapo le Réseau de son père; un frère Waffen S.S., gardien de son propre frère au camp de concentration de BUCHENWALD; moi-même, je fus dénoncé aux Allemands avec trois-cents de mes coreligionnaires par mes camarades de combat.

Les motivations des délateurs sont diverses.

Ce peut être l'intérêt,

la jalousie,

la haine,

le racisme.

Mais quel est donc le bas sentiment qui a amené ce "démon" à dénoncer à la Gestapo

son propre enfant,

sa fille !…

Ce témoignage vous laissera un goût amer.

Mais il fallait qu'il soit écrit.

Qu'il soit lu.

Pour empêcher l'oubli.

I saw the writing of this story and I can tell that it has been as painful for Marcelle Forrer to write it, as it will be for the reader to read it. Denouncement run through ages. But when this ill strikes your own family, when a mother denounces her own daughter, then we get to the vilest of things. Those are the misfortunes that moved us most in the testimonies that make up this collection. We see a young man giving up his best friend from childhood to the Germans, a son giving up to the Gestapo the network of his father, a brother Waffen S.S., warden of his own brother in the concentration camp of Buchenwald. I was myself given up to the Germans with three hundred of my fellows religionists by my companions of fight. The motivations of an informer are various. It can be interest. Jealousy. Hatred. Racism. But, which vile feeling can it be that prompts this "Devil" to give up his own child, his own daughter to the Gestapo. This testimony will leave you with a bitter taste. But it had to be written. It had to be read. To prevent oblivion.

POSTFACE de Michel EL BAZE

Née d'un "Démon" qui l'abandonne à sa naissance pour la réclamer seize années plus tard aux Autorités Allemandes qui annexent la Lorraine, Marcelle Forrer est dénoncée à la Gestapo par ce même Démon.....sa mère, pour avoir déserté l'Arbeitsdienst et aidé à l'évasion de prisonniers de guerre Français et de Lorrains réfractaires. Elle connaît alors les camps et les prisons de Metz, Schirmeck, Kassel, Leipzig, Auschwitz, Görlitz, Breslau, Lübeck, Cottbus, Witten-Anen, Dortmund ! Libérée par les Américains, prise en charge par les Anglais, amoindrie, elle retrouve sa France et témoigne, quarante années plus tard, parce que c'est son Devoir envers Ceux et Celles qui ne sont pas revenus.
Born from a "Devil" that abandons her at her birth to claim her sixteen years later to the German Authorities which are annexing the Lorraine area, Marcelle Forrer is denounced by that very devil... her mother, for having shunned from Arbeitdienst, and helping the escape of French war prisoners and of insubordinate people from Lorraine. She then gets to know the camps and the prisons of Metz, Schirmeck, Kassel, Leipzig, Auschwitz, Gorlitz, Breslau, Lubeck, Cottbus, Witten-Anen, Dortmund ! Freed by the Americans, taken care of by the English, diminished, she comes back to France, forty years later and bear witness, because it is her Duty towards all those that never came back.

SOMMAIRE

**

PREFACE

*

DEDICACE

*

**

LIVRE 1 - LA MEMOIRE

PAGES

- Née du Démon 1

- Ma grand-mère

- Les temps heureux 2

- A PEPINVILLE

L'Orphelinat du "SACRE-COEUR " 3

- A METZ - L'institution de "SAINT-JOSEPH " 4

- Le bon papa ZANG 5

- A KAISERSLAUTER - Nouvel horizon étranger 6

- A SARREBRÜCK - Bonne d'enfants 7

- A GÖRLITZ 8

- A METZ - Retour clandestin 9

- L' arrestation 13

- Déportée vers l'ALLEMAGNE 15

- AUSCHWITZ - Le camp 17

- En prison - GÖRLITZ 19

- Premier jugement 20

- En prison à BRESLAÜ 21

- Deuxième jugement 22

- En prison par LÜBECK 23

- Dans la forteresse de COTTBUS 24

- Dans la prison de WITTEN-ANEN

- Libérée ! 26

- Rapatriée ! 27

- Retour à METZ- Condamnation de Madame ZANG 28

- EPILOGUE 29

LIVRE II

**

NOTES ET DOCUMENTS

- La situation des Lorrains 31

- Andrée FRANÇOIS 46

- Extrait de Naissance 48

- Carte de Rapatriée 49

- Certificat de Libération des camps allemands 50

- Certificat de Validation des Services, 51

- Médaille Militaire 52

- Croix de Guerre 53

DÉDICACE

**

Je dédie ce récit d'abord à mes cinq enfants : Pierre, Mario, Agnès, Bruno Victor, mais je dois une grande admiration à notre dévoué Président et ami Michel EL BAZE lequel consacre un temps précieux à rassembler nos cruels souvenirs d'un temps passé qui ne sera jamais oublié de chacun de nous, anciennes victimes du système de destruction de la race humaine par le nazisme, dont les nuits sont souvent hantées par le souvenir de nos compagnes ou compagnons. Les faits écrits n'expriment pas à eux seuls le Drame de la Personne Humaine confrontée à ce monde des camps nazis. Mais, nous, survivantes et survivants, nous devons témoigner, c'est notre Devoir car un lien indestructible nous unit encore à Celles ou à Ceux qui ne sont pas revenus.

M. F.

LIVRE I

**

La Mémoire

Chacun de nous, sur cette terre, a son destin,

voici le mien tracé en quelques pages

et je serais injuste de me plaindre alors que

aujourd'hui encore, sur toute la planète,

tant de malheureux subissent encore le despotisme de la politique des guerres…

NÉE DU DEMON Ma grand-mère avait deux filles, un ange et un démon. Lorsque le "démon" atteint l'âge de quinze ou seize ans elle multipliait les fugues et les vols dans la caisse du café-restaurant que dirigeait ma grand-mère. La gravité de ses actes était telle qu'elle fut conduite en maison de correction au "BON PASTEUR" à METZ, d'où elle s'échappa deux ans plus tard pour se retrouver à NANCY comme ouvrière. Je fus conçue d'une liaison clandestine du "démon" car elle était toujours célibataire. C'est chez une dame qui habitait près de METZ, que je naquis. Mais ma mère refusa de me reconnaître et c'est une servante de l'Hospice de "SAINT-NICOLAS" qui signa mon acte de naissance. Ma mère partit pour l'ANGLETERRE alors que la Mairie de METZ faisait des recherches pour la retrouver. A cette époque elle avait vingt ans. MA GRAND-MERE Ma grand-mère fut mise au courant de mon existence et vint me chercher à l'Hospice. Elle m'éleva avec mon oncle de sept ans plus âgé que moi et de ma tante qui avait 13 ans. Les souvenirs heureux de cette enfance entre ma grand-mère très travailleuse, aidée de ma tante, sont toujours présents à ma mémoire. Nous étions mon oncle et moi les enfants les plus choyés, et heureux de vivre. J'aurais voulu que "SAINT-NICOLAS" vienne tous les Dimanche me mettre sur le rebord de la fenêtre de la cuisine des pains d'épice avec son image souriante dans sa barbe blanche. Outre l'élevage de porcs, de volaille et de lapins, ma grand-mère gouvernait un bar-restaurant-cantine au Fort Militaire de VERNY, en face de la caserne où j'allais tous les jours partager les jeux des enfants d'Officiers. J'ai été heureuse jusqu'à l'âge de six ans. Alors ma bonne grand-mère fut atteinte d'un cancer de la matrice et mourut après avoir vendu ses propriétés et ses terres dont elle partagea le produit entre ses fils et sa fille ; elle me légua la part de ma mère qu'elle prit soin de mettre sur un livret de Caisse d'Epargne ce qui m'obligea d'avoir un tuteur car mon grand-père avait été abandonné par son épouse 5 ans avant ma naissance tant il avait été odieux avec elle. De plus c'était un ivrogne. Je fus reconduite, dès la mort de ma grand-mère, à l'Hospice "SAINT-NICOLAS" à METZ. LES TEMPS HEUREUX En attendant que mon tuteur ait pu prendre une décision pour mon avenir, je fus confiée à une nièce de ma grand-mère, qui se chargea de placer mon oncle âgé de 13 ans. Elle l'accompagna à l'Orphelinat de "GUENANGE " chez les frères et ma tante fut transportée à l'hôpital. Le chagrin causé par la mort de sa maman lui causa le désespoir. A 19 ans elle rentra au Couvent de la "SAINTE-FAMILLE" à METZ où elle mourut 8 ans plus tard. Elle vint me voir à l'Orphelinat le jour où je fis ma première communion et me donna des nouvelles de mon oncle ALOYS qui était à l'Orphelinat de "GUENANGE". Je n'ai jamais vu ALOYS car nous ne sortions jamais de cette institution religieuse retirée en rase-campagne où l'on ne voyait absolument rien de ce qui pouvait se passer derrière les murs. La nièce de la grand-mère obtint de mon tuteur (employé au bureau de "BIENFAISANCE-ASSISTANCE-PUBLIQUE" à METZ) la permission de m'emmener chez elle, à AIX-LES-BAINS en SAVOIE. Elle était mariée à un Savoyard, propriétaire d'une grande fabrique de limonade, eau gazeuse, charbon et bois, ils n'avaient pas d'enfants. Pendant un an et demi, je vécus donc une douce et chaleureuse vie de petite Lorraine avec son fort accent de VERNY entourée des rires de mes nouveaux cousins de fortune, accueillie et choyée comme une petite reine car la nièce de ma grand-mère n'avait pas pu avoir d'enfants. Son mari fut un papa attentionné pour moi, déjà en 1930 il me conduisait à l'école en voiture. J'avais une servante qui me faisait faire de grandes et jolies promenades au bord du lac du BOURGET et aux alentours. Le Samedi, j'allais chez la coiffeuse. Je n'aimais pas le fer à friser mais il fallait que je sois belle, car le Dimanche, nous partions avec la voiture, manger sur l'herbe au MONT-REVARD ou bien à CHALES-LES-EAUX, rejoindre la famille de mon papa d'adoption temporaire où l'on m'attendait pour un bon goûter en compagnie des enfants de mon âge de la famille BUFFET. Tout à coup, j'avais une grande famille aisée avec une voiture que je ne supportais pas toujours : quand il y avait beaucoup de virages, j'avais mal au coeur. A VERNY, chez ma grand-mère, il n'y avait que le vélo à barre de ALOYS car il allait loin à l'école et le Dimanche il me mettait sur la barre et il m'emmenait au bord de la rivière où il aimait nager. Quel changement ! J'ai encore de magnifiques photos de ce temps-là, la seule période dans mes 62 ans de vie qui m'ait apporté Bonheur et Joie entourée par tous de beaucoup d'affection.

A PEPINVILLE —

L'ORPHELINAT DU SACRE-COEUR

En Septembre 1931, mon tuteur vint à AIX-LES-BAINS mettre fin à ce bonheur de 16 mois seulement. Je quittais tous ces gentils cousins, tous ces tontons et tatas qui m'avaient choyé, gâté et c'est avec de grosses valises pleines de beaux linges, robes en soie, manteaux en velours avec col de fourrure en hermine etc… que je pris le train pour METZ en compagnie de ce monsieur MAYER, presque sévère, intransigeant, me défendant de pleurer après cette douloureuse séparation. Je me trouvai, trois jours plus tard, dans une grande maison qui ressemblait à un château féodal où l'on m'expliqua que c'était naguère le château de PEPIN-LE-BREF, c'est pour cette raison qu'il portait le nom de PEPINVILLE. En fait, c'était l'Orphelinat du "SACRE-COEUR" dirigé par les religieuses où rien me rappelait la douceur de la famille BUFFET d'AIX-LES-BAINS. Il se situait entre les villages de RICHEMONT et UCKANGE entre la MOSELLE et la frontière luxembourgeoise, en plein champ et bois. Retirée du monde extérieur, je n'avais comme vêtements que l'uniforme de l'Orphelinat. Les belles promenades en montagne savoyarde ont été remplacées par des promenades toujours semblables du dortoir à la chapelle, de la chapelle au réfectoire. Prières interminables : au saut du lit, 30 minutes à genoux sur le sol. Avant la messe du matin, 45 minutes à genoux par terre. Messe à 6 h un quart tous les matins, toujours avec défense d'échanger un seul mot. Après la messe, réfectoire, puis le petit déjeuner, enfin à 7 h 1/2 récréation dans la cour avant de se mettre en rang pour regagner les bancs de l'école (1 seule salle pour tous les cours avec une seule institutrice, Vendéenne vieille fille). Il fallait subir les mauvaises conséquences de ses crises de foie nombreuses à chaque fin de trimestre. Je ne peux pas compter les séances de coups de martinet qu'elle organisait lorsqu'on lui reprochait de faire des faveurs à ses "chouchoux ". Elle me reprocha un jour, d'être là par charité, qu'il me fallait obéir et surtout ne jamais répondre pour me justifier, et si je l'osais alors, j'avais des centaines de lignes à copier le soir, au lieu d'aller en récréation avant le souper. J'appris plus tard qu'elle était payée, ainsi que la Direction de l'Orphelinat, 225 francs par mois somme prélevée sur mon livret de Caisse d'Epargne que ma grand-mère m'avait laissé. Et pourtant on me laissait marcher avec des semelles en passoires parce que j'usais trop vite mes chaussures. Les Dimanche, c'était l'enfer pour moi car je devais subir quatre offices ce jour-là : petite messe à 7 heures, grande messe à 10 heures, vêpres à 14 heures et salut à 18 heures. Tous les souvenirs de la belle époque surgissaient et les crises de larmes en plein office étaient interdites. Celle qui s'endormait était brutalement réveillée. Dans ce cas, la Soeur nous faisait mettre debout dans l'allée et me mettait sur la liste des corvées pour les ménages : frotter les parquets à la paille de fer, porter les seaux lourds de nourritures aux cochons de la ferme de l'Orphelinat. Si j'osais m'expliquer, c'était une nuit passée au cachot qui était un cagibi placé sous les escaliers où l'on rangeait les serpières, les seaux, les balais et qui était le refuge des souris, lesquelles dégageaient une odeur nauséabonde. La peur s'emparait de celles qui étaient punies de cachot. Nous étions donc toutes réduites à ramper comme des vers de terre devant ces Soeurs dites de Charité !… Deux grandes orphelines, enfermées depuis 14 années dans ce purgatoire se sont échappées en escaladant le mur de la cour, un soir d'hiver. Lorsqu'elles ont été retrouvées et ramenées à PEPINVILLE, elles ont eu la tête rasée et passèrent 10 jours et 10 nuits dans les cachots séparés l'une de l'autre. Pain sec et eau, repas tous les quatrièmes jours. C'est à l'infirmerie qu'on les vit, les yeux hagards, pâles, tristes avec en plus le crâne rasé. Elles n'avaient pas même l'espoir d'une visite prochaine d'un parent ou d'une amie. Elles étaient coupées du monde, pas même une petite lettre de réconfort ne pouvait leur donner une lueur de bonheur puisqu'elles n'avaient jamais su qui était leur maman ou leur papa !… Il nous était défendu de leur parler, et gare à celle qui se faisait prendre, le cachot l'attendait, après les coups de martinet. Pas même un tabouret pour s'asseoir. Les souris se moquaient bien de notre peur. Il m'est arrivé de passer 3 jours et 3 nuits ainsi dans le mètre carré de ce cagibi. En Mai 1940, j'avais seize ans. Un matin, alors que nous étions dans la cour, nous vîmes surgir une dizaine de soldats allemands nous hurlant de nous mettre toutes sur deux rangs. Après un laps de temps, deux religieuses firent l'appel de celles qui n'étaient pas Lorraines ou Alsaciennes. Elles furent regroupées dans un autocar avec plusieurs religieuses et on ne les vit plus jamais. Nous avons appris qu'elles étaient parties avec les réfugiés, en POITOU, dans un autre Orphelinat ; les Soeurs françaises aussi ont été expulsées. Les religieuses nous avaient appris à haïr les Allemands. Il nous était interdit de prononcer un seul mot en germanique. Nous ne comprenions pas leurs ordres. A METZ - L'INSTITUTION DE SAINT-JOSEPH Nous avons quitté PEPINVILLE pour METZ et l'institution de SAINT-JOSEPH. Il nous est arrivé de pleurer dans le train. Sans doute la peur, l'effroi de voir tant de grandes personnes à la fois. Les Soeurs qui nous défendaient de parler une autre langue que le français ne pensaient pas qu'un jour, nous serions entourées de bottes allemandes. J'y suis restée quatre jours. Enfin ! Je reçus la visite, après 9 ans de silence, de mon tuteur venu m'annoncer qu'il partait en hâte avec sa famille pour la DORDOGNE et que je faisais désormais partie de l'Assistance Publique Allemande jusqu'à mes 21 ans. Je m'imaginais rester chez les Soeurs de "SAINT-JOSEPH" jusqu'à cette date lorsqu'il m'apprit que ma mère avait demandé l'autorisation de me voir et, puisqu'elle était Lorraine de vieille souche, mariée à un Sarrois, les lois allemandes l'autorisaient de venir me chercher malgré son certificat de renoncement à me reconnaître à ma naissance. Quel ne fut pas mon désarroi. Ma stupeur ! Moi, qui avais toujours entendu les Soeurs dire que j'étais là par charité, que personne d'autre qu'elles ne s'occupait de mon éducation ! Je ne m'attendais pas à ce qu'une femme inconnue vienne dire soudain qu'elle est ma mère ! LE BON PAPA ZANG Ainsi je quittais l'uniforme de l'Orphelinat et je fus conduite chez ma soi-disant mère dont m'avait parlé ma cousine en SAVOIE. Je la haïssais avant de la connaître et lorsque je suis arrivée dans cette maison, je ne demandais qu'une chose : retourner à PEPINVILLE et je pleurais. La dame, Assistante Sociale, me fit alors comprendre qu'elle reviendrait me reprendre quelques jours plus tard. Je fis ainsi connaissance de mon beau-père qui m'a tout de suite mise à l'aise voyant mon désappointement. Je fus installée dans la chambre de sa fille Jacqueline et de ma demi-soeur Anne-Marie âgée de deux ans à l'époque. Il y avait un garçon de huit ans, issu du premier mariage de mon beau-père. J'ai eu au moins 40 de fièvre le soir-même, il paraît que je réclamais mon oncle. Le lendemain mon beau-père fit les recherches à l'Orphelinat de "GUENANGE " et demanda à ce que le jeune frère à ma mère puisse me voir ; le lendemain je vis un ecclésiastique en soutane et lavette blanche : c'était l'oncle ALOYS, instituteur au lycée "SAINT-CLEMENT " à METZ, géré par les frères. Mon beau-père nous emmena alors à METZ, me fit connaître son bureau à la mairie, à l'Octroi où il travaillait et l'après-midi, il nous amena à BORMY dans une maison de retraite et là, je fis la connaissance de mon grand-père maternel, bien repentant, disant que si on lui avait donné la permission de visite à PEPINVILLE il serait venu tous les mois me voir. Alors pourquoi ne m'a-t-il pas écrit ? Jamais une lettre, jamais une visite en neuf ans. J'exprimais à mon oncle et à mon grand-père le désir d'aller revoir ces familles savoyardes où j'avais été si heureuse. Mais la frontière alsacienne-lorraine était fermée et mon oncle attendait le jour propice pour franchir cette frontière afin de ne pas être incorporé de force dans la Wehrmacht. Alors mon beau-père lui dit : - Chut ! Je t'aiderai. Viens me voir au marché demain matin ! Ce fut pour moi un réconfort… Je ressentis un appui solide sentant en cet homme une grande bonté ; il inspirait la confiance et la sincérité. J'étais soulagée d'avoir trouvé un complice et un homme bon. Il m'avait comprise lorsque je ne voulais pas embrasser ma mère. D'ailleurs, c'était défendu à PEPINVILLE d'embrasser. Alors je n'embrassais personne, sauf mon oncle. Le lendemain, mon oncle vint me chercher pour aller en ville prétendant que j'avais besoin d'une robe et d'une paire de chaussures, en fait, il me conduisit au marché et là, il me donna de l'argent pour que je puisse m'habiller. Il m'embrassa en me souhaitant bonne chance. Il regagnait la zone-libre le soir-même grâce au papa ZANG (mon beau-père). Il réussit sans contrôle à passer jusqu'à BLOIS, là, il a pu retrouver un emploi d'instituteur jusqu'en 1944 où il a rejoint le Maquis des PYRENEES.

A KAISERSLAUTERN -

NOUVEL HORIZON ETRANGER

Quelques jours plus tard, je revis la dame Assistante Sociale qui ayant l'ordre de me conduire à la Préfecture de METZ, me pria de prendre mes affaires. Je m'attendais à revoir les bonnes Soeurs de l'Hospice "SAINT-NICOLAS ", je disais donc au revoir au bon papa ZANG qui discutait avec cette dame en allemand. Malgré l'incompréhension de la langue, j'étais contente de quitter ma mère, froide, grosse, bougonnante que je détestais. J'embrassai les enfants ZANG parce que je les plaignais ; j'appris par la suite qu'ils étaient bien malheureux avec cette belle-mère… Après une demi-heure de voyage en autobus avec cette dame, je me vis déposée Place Mazelle où une centaine de jeunes filles comme moi étaient réunies autour d'une estrade d'où l'on appelait les noms pour remettre à chacune un livret de travail. Ni les unes, ni les autres ne savions où nous allions. On nous fit monter dans les cars, alignées là pour une destination inconnue, c'était le printemps 1940. Après quatre-vingts à cents kilomètres de parcours, une dame responsable appelait deux, cinq ou huit noms selon ce qui était inscrit sur sa grande feuille. Vint KAISERSLAUTERN. Je fus appelée à mon tour et accueillie par deux dames très polies mais ne sachant dire aucun mot de français et moi je ne connaissais rien de la langue allemande. Je les ai suivi après qu'elles se soient emparées de mon livret de travail et de mon carton de linge. Elles semblaient très sympathiques, un peu grossières, pour moi qui sortais de lieux stricts et silencieux, je fus un peu choquée surtout lorsque j'arrivais à leur domicile : une pension-restaurant avec jardin, des cochons et des sentinelles juste à côté. J'ai vite su que c'était un kommando de prisonniers de guerre français. Mon travail consistait à faire le ménage, la vaisselle des pensionnaires car il y avait deux fabriques dans cette rue un peu campagnarde : celles des machines à coudre "PFAFF" et une usine de laine. Il me fallait aussi faire la cuisine pour les six cochons qui appartenaient aux patronnes, cela me rappelait mon oncle ALOYS, qui, chaque matin mettait son tablier bleu avant de partir à l'école et portait les seaux aux cochons et les grains aux poules. Après deux mois, je savais un peu d'allemand, les patronnes m'aimaient beaucoup, elles m'appelaient "LOTCHE" parce qu'elles ne savaient pas prononcer Marcelle. Ma paie allait à l'Assistance Publique sur un livret mais elles me donnaient de l'argent de poche pour le Dimanche après-midi ou pour les fêtes. Je reçus aussi un manteau, un chapeau à la mode et des chaussures. Elles appréciaient mon dur labeur. J'avais dix-sept ans et j'étais estimée de tous. Pour la nourriture des cochons, j'allais avec une charrette au kommando des P.G. récupérer les épluchures (DIEU sait si elles étaient fines), en échange, ils avaient droit à un jambon à NOEL, ce qui ne les consolait pas de leur séparation d'avec leur famille, là-bas en FRANCE. Dans ces sacs qu'ils me remplissaient, je trouvais des mots brefs, mais m'expliquant bien ce que "avide de liberté veut dire ". Oh ! Comme je les comprenais bien. Je me mis donc à écrire à ce papa ZANG là-bas, à son bureau de l'Octroi, lui demandant d'accueillir au marché celui qui réussirait à faire les quatre-vingts kilomètres jusqu'à METZ avec un billet de train correct que j'allais prendre à la gare comme si c'était pour moi et des vêtements civils que j'avais trouvé dans le grenier des patrons. Personne n'avait soupçonné mes fouilles et mes travaux de couture. A SARREBRÜCK - BONNE D'ENFANTS Vers l'âge de dix-huit ans une dame de la Préfecture vint me chercher pour me changer de patrons. Eh ! oui. Ils avaient des doutes mais aucune preuve. Même les sentinelles ne se doutaient de rien. Ce fut donc la douloureuse séparation car j'étais devenue la fille, leur LOTCHE, de ces deux patronnes qui m'avaient fait connaître un peu de chaleur humaine et puis je parlais bien la langue allemande à présent. Ce n'était pas le pur allemand car elles étaient de la campagne, de SARREBRÜCK et FRANCFORT, mais cela m'a bien aidé. J'ai appris : "Schön ist die Liebe, aber schöner ist die Freiheit ". Elles s'étaient aperçues que j'étais très novice dans ce que l'on doit savoir de la vie, alors elles me mettaient en garde. Le Dimanche, lorsque je sortais seule pendant trois heures, trois heures, à l'insu du bureau de l'Assistance Publique à qui elles devaient rendre des comptes sur mon comportement. En les quittant, je restais avec mon gros chagrin blottie sans rien dire dans le compartiment que je partageais avec la dame qui était venue me reprendre pour une destination inconnue. Elle vint s'asseoir près de moi et regarda mes mains qui étaient rugueuses, enflées pour une jeune fille de dix-huit ans, alors elle me dit un mot gentil ce qui sécha mes larmes. - Je vais demander qu'on vous donne un autre travail si vous aimez les enfants ! Je répondis : - Oui, de suite ! Surtout que c'était à SARREBRÜCK à quarante kilomètres de METZ. Je m'installais dans ce nouvel emploi. Ma chambre était au grenier, une mansarde il y avait, quatre enfants à garder, soigner et promener, demi Freiheit… Le premier Dimanche fut pour écrire à papa ZANG, lequel me répondit très vite disant que les deux colis étaient arrivés et rangés, ce qui voulait dire que les prisonniers français qui s'étaient échappés de KAISERSLAUTERN étaient de l'autre côté de la frontière en zone-libre, et puis il me donna de brèves nouvelles. Si les Lorrains refusaient de s'intégrer de force dans la Wehrmacht comme c'était obligatoire, c'étaient les parents qui, arrêtés étaient déportés en HAUTE-SILESIE, dans les mines de sel. Les bombardements devenaient fréquents à SARREBRÜCK, la patronne qui était originaire de HAUTE-SILESIE obtint de son mari qui était sur le front russe, la permission de rejoindre ses parents à GÖRLITZ. Elle était enceinte de trois mois en attendant un cinquième enfant. J'aimais beaucoup mon nouveau métier et lorsque j'ai eu droit à une journée de congé, j'ai pris le train pour METZ et je suis allée au marché voir mon beau-père. Ah ! Je me souviendrai toujours de cet appel strident lorsque, toute heureuse, je traversais l'allée qui m'amenait au bureau. En me retournant, je reconnus ma mère qui était installée vendant avec la fille de mon beau-père les légumes, le miel que le papa ZANG récoltait dans son jardin. Je remarquais qu'elle était enceinte ce qui ne l'empêchait pas de bousculer sa belle-fille en lui criant ce qu'elle avait à lui dire. Celle-ci apeurée se mit à pleurer. C'est alors que vint nous rejoindre le papa ZANG en son uniforme ; il me guida dans un café tout proche et me pria d'être plus secrète en lui parlant et surtout dans les lettres que je lui écrivais ! Ainsi il m'apprit l'existence des gens odieux qui vendent les amis, les voisins, les parents à la Gestapo pour être payés il m'apprit aussi que ALOYS n'étant plus en zone-libre avait rejoint le Maquis en AVEYRON. Après avoir passé une demi-heure en compagnie de mon beau-père, je le laissais à son travail et me dirigeais vers la gare pour reprendre mon train pour SARREBRÜCK où la patronne amoncelait les valises pour le départ qui était fixé pour les jours suivants. Je suis certaine qu'il ignorait que sa femme faisait partie de ceux qui dénonçaient. Le jour de mon arrestation, il a été convoqué lui aussi à la Kommandantur, ma mère l'avait accusé d'avoir reçu des lettres de moi mais rien n'a été prouvé. J'ai nié. A GÖRLITZ Nous sommes tous montés dans le train. Avec nous, une dame du Service de l'Aide aux Mères qui a fait partie du voyage jusqu'à GÖRLITZ. Moi, je m'occupais des quatre enfants. Pas facile pendant un si long voyage. Mais j'étais bien organisée à présent. Tout se passa bien pour ce voyage en train. Les seaux pour les cochons de KAISERSLAUTERN étaient plus faciles à manier que ces bébés que j'avais peur d'emmaillotter tant ils étaient fragiles. Nous n'avions pas pris de cours de puériculture à PEPINVILLE, c'est ainsi que le jour où j'ai eu mes règles pour la première fois, j'ai cru mourir d'une hémorragie. On n'osait pas parler de cela ; les serviettes étaient cachées sous notre linge qui était posé au pied de notre lit le Samedi. Nous sommes bien arrivés à GÖRLITZ par une belle journée de printemps et accueillis par les parents de la patronne. Là aussi ma chambre était sous les toits dans un immeuble commercial : légumes, fruits, sucres, cafés, il y avait de gros sacs de sucre cristallisé dans la chambre proche de la mienne et un grand grenier avec de grands coffres ouverts sans doute à cause de l'odeur de moisi ou de naphtaline. J'avais très vite gagné la confiance de ma patronne qui, voyant ma grande affection pour les enfants et aussi pour la bonne organisation des travaux de ménage, me confia les promenades avec les enfants tous les après-midi. GÖRLITZ est en HAUTE-SILESIE, c'était une petite ville un peu campagnarde et c'est au cours de ces promenades que je découvris les Kommandos de Prisonniers Français, les camps de réfractaires Alsaciens-Lorrains, Belges, Tchécoslovaques. Je me fis reconnaître comme Lorraine me trouvant au travail obligatoire en ALLEMAGNE et je me proposais d'aider ceux qui le voulaient pour faire acheminer des lettres aux familles en FRANCE en zone libre ou en FRANCE occupée. C'est ainsi que tous les jours ici ou là, je faisais l'échange. Les lettres que j'envoyais bien cachetées au papa ZANG à la mairie de METZ : expéditeur : moi bien sûr… Je leur distribuais un peu de sucre cristallisé chipé au grenier ; aussi les vêtements usagés entassés dans ces malles. Ou alors les tickets de train pour METZ pour ceux qui osaient faire le voyage, de la POLOGNE à la LORRAINE avec toutes les embûches rencontrées et les contrôles fréquents des S.S. dans les gares et les trains. Le chef du Kommando et un prisonnier français ont pris le risque eux aussi de vouloir regagner leur famille, Mrs Adrien LOUGARRE de TOULOUSE et François de CULOZ (01). Ils étaient si bien préparés que je leur confiais une lettre pour mon oncle, pâtissier dans la MEUSE (celui qui faisait le "SAINT-NICOLAS" chez ma grand-mère). Heureusement, je ne parlais d'aucun fait réel, simplement de ma nouvelle situation et de ma nouvelle adresse, j'ignorais que la MEUSE était occupée en 1942. Leur voyage s'est bien passé jusqu'à FRANCFORT, mais une double inspection dans le train, celle des S.S. a fait qu'ils ont été arrêtés. Je les ai retrouvés devant le tribunal de GÖRLITZ en Octobre 43 où je fus jugée la première fois pour mon évasion personnelle et refus de rejoindre l'Arbeitsdienst. Nous sommes en Août, Septembre 1942. J'étais estimée de mes patrons, aimée des quatre bambins lorsque arriva la convocation pour partir à l'Arbeitsdienst le 1er Décembre 1942. La patronne approchait du neuvième mois de sa grossesse. Je fis mon travail consciencieusement jusqu'au jour où une aide aux mères vint loger à la maison, afin de permettre à la patronne de partir en clinique. Lorsqu'elle me régla mon salaire avant son départ, avec un serrement de coeur quand même, je lui laissais croire que ses enfants seraient soignés jusqu'à son retour de clinique, mais déjà je nourrissais l'envie de m'évader à METZ pour ne pas faire cet Arbeitdienst, un an de travail obligatoire sous surveillance nazie en apprenant par coeur leurs fanatiques refrains vêtue de l'uniforme allemand. A METZ - RETOUR CLANDESTIN Le lendemain de son départ, je fis ma dernière promenade avec les enfants et avertis les prisonniers des trois camps que je profiterai du fait que les enfants avaient une garde à la maison pour prendre le train de nuit pour METZ. J'y arrivai le lendemain soir. Je n'avais pas réussi à trouver mon livret de travail, c'était notre Ausweiss pour circuler en long parcours, la patronne l'avait bien enfermé, mais la chance était avec moi puisque je suis descendue en gare de METZ, sans contrôle, heureuse et gaie. J'avais mon billet de train en règle. J'ai demandé asile à une belle-soeur de ma grand-mère qui dirigeait une fabrique de bière et limonade vis-à-vis de la gare "Bière et eau gazeuse, GREFF Père et Fils" (depuis 1974 c'est la "BANQUE POPULAIRE" qui y est installée). Je fus donc très bien accueillie par ma tante et les cousins GREFF, ils m'appelaient CECELLE comme ma grand-mère, je me croyais sauvée et à la veille de passer la frontière pour la FRANCE libre, là-bas à AIX-LES-BAINS, mais bien vite ma tante me mit au courant de tous les détails : il n'y avait plus qu'une "FRANCE occupée ", aussi, je devais me cacher car tout METZ et alentours étaient "deutchlandenisés" sous les bottes allemandes. En effet, j'ai pu voir par la fenêtre, un cortège d'écoliers fanatisés obligatoirement par les nazis scandant des chansons allemandes en marchant au pas. Les gens dans la rue rasaient les murs, personne ne parlait. Le lendemain, ma tante m'accompagna chez le papa ZANG, au marché couvert, c'est avec stupeur et peur à la fois qu'il fit semblant de ne pas me connaître. Discrètement, il me tira les oreilles pour avoir eu le toupet de lui faire parvenir tout ce courrier. Heureusement, leur voisin avait une fille qui travaillait à la Poste, au triage, tout s'était passé le mieux possible, mais plusieurs lettres ne sont pas parties en FRANCE que je croyais libre. Et quand il apprit que je venais de quitter mes patrons clandestinement et sans livret de travail, il leva les bras au ciel et en patois lorrain, il jura de toutes sortes. Ma tante m'avait mise la veille au courant des lois nazies qui faisaient de la LORRAINE, une pauvre mère qui engloutit ses enfants dans le feu de l'enfer nazi. De suite le papa ZANG me conduit au chef de gare de la "DEUTCH BANHOF" de METZ. Grâce au chef de district, quelques cheminots et des faux papiers que me procura le papa ZANG je fus embauchée, mais il me fallait réussir mon concours pour porter l'uniforme de cheminot et ainsi je mangeais à la cantine car il n'était pas question que je fasse une demande de cartes d'alimentation pour ne pas susciter l'éveil des contrôles nazis. Il y avait des dortoirs pour les cheminots au premier quai. Donc j'ai réussi mon concours car je parlais bien allemand, à présent. Je n'avais entendu que cette langue pendant deux ans et demi. J'étais donc sauvée et puis j'avais retrouvé un peu de famille chez les GREFF où je rentrais en cachette car il fallait se méfier de tout le monde, elle ne s'attendait pas à ce que sa propre nièce (ma mère) irait dénoncer à la Gestapo qu'elle avait deux cochons dans sa cave et faisait du marché noir ce qui était entièrement faux. Le contrôle a été effectué : cave, garage, appartement : rien de suspect, et elle n'a pas été ennuyée. Elle apprit la vérité quelques jours plus tard, elle considéra sa nièce pire qu'une étrangère. Plus loin, je vous apprendrai que ma mère a vendu sa propre tante aux Allemands, leur faisant croire qu'elle faisait du marché noir et qu'elle élevait deux cochons dans sa cave, ce qui était fortement punissable, mais rien n'a été trouvé. Bien sûr, c'était une calomnie. J'étais donc nommée contrôleuse de tickets dans les trains avec le bel uniforme de cheminot, la lampe à carbure et la sacoche. C'était fin Octobre 1942, l'ambiance des mécaniciens, contrôleurs et contrôleuses était bonne et solidaire. J'avais muri tout d'un coup et je pus constater très vite que les cheminots étaient tous anti-nazis. J'ai eu la surprise de me voir prendre le service un jour avec une ancienne orpheline de PEPINVILLE, quelle joie ces retrouvailles mais se revoir encore en uniforme !… Même si celui-là n'est pas le même que celui de l'Orphelinat !… Je collaborais vite avec eux, bien que papa ZANG leur avait donné des consignes : surveiller mon insouciance, etc… Nous passions la frontière MEURTHE-ET-MOSELLE, belge et luxembourgeoise. Le tas de charbon était grossi d'une cachette pour ceux qu'on aidait à passer, surtout des Lorrains obligés de partir en RUSSIE dans l'armée allemande (beaucoup ont été portés disparus parmi les enrôlés de force). Les dépôts de bouteilles chez les "GREFF" servaient à entasser les familles juives menacées d'être arrêtées et déportées. J'allais les voir avec la tante et leur porter de quoi boire et manger, de l'eau pour la toilette. Je faisais la liaison entre les Juifs libres cachés chez d'autres familles porteuses de nouvelles, de recommandations surtout et de soutien moral qui était bien bas. Vivant dans les caves sans confort, séparés de leurs familles manquant d'hygiène, de nourriture chaude, de lumière. Inhumains ces jours, ces nuits pour ces innocents. J'avais connu ces commerçants de la Rue des Jardins tout près de la cathédrale. Papa ZANG avait de nombreux amis. Ainsi les THINNES, "PIANOS ET ORGUES" près de la Rue Serpenoise. Le fils de ceux-ci se croyait amoureux de moi, les rendez-vous clandestins se donnaient au bord de la MOSELLE, furtifs, mais consolants de ne pas voir la ronde des bottes allemandes. Un amour sérieux s'installa entre nous deux et nous fit perdre tout sens de prudence. Une fois, en pleine nuit, j'ai dû courir pour prendre le service, METZ-TREVES, lorsque Rue Gambetta à cinquante mètres de la gare, j'entendis des bruits de bottes allemandes derrière moi ; je changeais de trottoir et me croyais seule dans la rue lorsque je fus prise par le bras. Je me mis à crier : - Papa, papa ! , et j'eus le réflexe de donner un violent coup de genou dans le bas-ventre du soldat. Je n'avais pas envisagé que je venais d'atteindre ses parties génitales. J'arrivais deux minutes avant le départ du train, (encore une chance, n'est-ce pas !) il faisait pourtant froid au dehors, mais je transpirais à l'étonnement de mes collègues à qui j'ai raconté cette mésaventure qui me fait bien rire encore aujourd'hui. J'étais forte alors, je n'avais pas encore souffert de la faim. Pendant ce service, les voyageurs qui étaient démunis de tickets ou détenaient des tickets truqués étaient chanceux car j'étais seule employée au contrôle. D'habitude, nous étions deux, même trois. Il fallait faire son travail, ne pas trop parler comme disait papa ZANG, être prudente, car partout il y avait des moutons, des mouchards, des traites donc pour ces voyageurs en fraude, je fermais simplement les yeux faisant semblant de poinçonner n'importe quoi, tournant le dos, cherchant à éternuer. Bref ça marchait bien à condition qu'il n'y ait pas de contrôle militaire allemand. Je ne faisais que de petits trajets car j'étais encore mineure. Le lendemain j'allais voir papa ZANG au marché. Lui, faisant semblant de me gronder pour une marchandise non conforme, je lui glissais la petite bouteille de schnaps au cumin et les cigarettes que l'on nous avait distribuées à la cantine. Il les offrait aux réfugiés, aux Juifs ou aux prisonniers en attente de jugement dans les caves de la mairie, Rue Chèvremont à METZ. Un jour j'eus un petit compagnon de route pendant mon service. En effet, le fils de papa ZANG, Pierrot, qui avait neuf ans allait visiter sa tante à SARRELOUIS et comme je reprenais le même train pour le retour, je pus ainsi l'accompagner et je passais un après-midi merveilleux avec la soeur de papa ZANG laquelle regrettait bien que son frère se soit remarié. C'est alors que Pierrot se confia ouvertement à sa tante. J'apprenais ainsi que cette mégère, cette méchante m'avait mise au monde. Je souhaitais une erreur de la part de mon tuteur et de ma tante GREFF, lorsqu'elle me racontait toute l'histoire de ma naissance ; alors j'ai comblé d'affection Pierrot et sa grande soeur Jacqueline. J'allais les voir à la sortie de l'école, je les emmenais en promenade au bord de la MOSELLE où je retrouvais mon amoureux pendant de courts instants avant le couvre-feu. Il n'était pas possible de se promener dans les rues de METZ étroitement surveillées par la police allemande. Souvent, des cortèges longs et pénibles à voir défilaient. Les gens avaient des bébés pleurant dans les bras : les hommes portaient les valises, tous marchaient en colonne par cinq. J'ai vu une jeune fille les jambes ensanglantées, sans doute avait-elle ses règles. Les mesures d'hygiène étant ignorées de ses bourreaux, la pauvre fille marchait tant bien que mal. Spectacle ineffaçable dans mon esprit. J'étais loin de m'imaginer que bientôt je serai moi aussi entre leurs mains, ainsi que ma bonne copine Andrée FRANÇOIS qui faisait partie de la filière (voir le Livre II de ce récit). Tout se passa bien entre le travail, ma petite famille, Pierrot, Jacqueline et son amie Agathe qui travaillait à la Poste et subtilisait les lettres passées en fraude pour papa ZANG ou les filières de Résistants qui passèrent sous le nez des contrôles nazis. Nous avons évoqué tous ces souvenirs après la guerre, le jour où ils sont tous venus témoigner en ma faveur à la Maison d'Accueil des Déportés et nous nous sommes tous demandés si c'était un cauchemar. Comment en sommes-nous revenus ? Etre réuni ! Aujourd'hui encore j'ai du mal à croire que je suis sortie vivante de cette époque où l'on avait oublié son propre nom, sa dignité. On ne s'imaginait plus avoir une autre vie que celle de l'Enfer S.S. Seul manquait mon amoureux, car il a été fusillé dans les bois d'ARNAMVILLERS, près de JOEUF où il s'était caché avec d'autres membres de sa famille et des coreligionnaires pour rejoindre les passeurs. Ils ont tous été exécutés sur place. J'ai retrouvé Andrée FRANÇOIS avec deux béquilles, avec deux moitiés de pieds seulement. Sa mère est restée au four crématoire au camp de MATHAUSEN. Andrée était déjà sur le tas de cadavres lorsqu'un soldat anglais libérant le camp, vit qu'elle respirait encore. Elle fut acheminée en SUISSE où elle fut amputée des deux moitiés des pieds.L'ARRESTATION Un jour je prenais le service de "METZ-AUDAN-LE-ROMAN " en MEURTHE-ET-MOSELLE, zone non annexée et française. C'était un train d'ouvriers s'arrêtant à toutes les gares. Je faisais le service jusqu'à vingt heures pour le retour à METZ par SAINTE-MARIE-AUX-CHENES, ligne frontière entre la zone annexée et la FRANCE. Nous prenions vers dix heures trente une boisson chaude au petit café de la gare, lorsque l'on vit surgir deux agents de la Gestapo, revolver au poing, me demandant de me lever et de les suivre ainsi que la religieuse qui se trouvait là, à ma table. Ils fouillèrent ma sacoche de travail, heureusement ce jour-là, il n'y avait pas de courrier clandestin à mettre dans les boîtes aux lettres côté français, car même le courrier était contrôlé lorsqu'il était destiné à la FRANCE. C'est pourquoi on le dissimulait dans les boîtes aux lettres de l'autre côté lorsqu'on allait en service en zone française. Je fus donc contrainte de suivre ces deux agents de la Gestapo avec Soeur Louise de la Congrégation des Petites Soeurs des Pauvres, elle avait quelques casse-croûtes, sans doute destinés à quelques affamés cachés clandestinement dans le bois pour attendre le mot de passe qui les ferait passer de l'autre côté, en zone française mais occupée. C'était le 4 Avril 1943, un lundi de printemps. On nous invita brutalement à nous asseoir à l'arrière de la "PEUGEOT" qui nous emmena toujours entre ces deux agents revolver au poing, comme si l'on était de viles criminelles. Sans mot dire, nous sommes arrivées à METZ au siège de la Gestapo, Rue de Verdun. Conduite dans le bureau pour l'interrogatoire, quelle ne fut pas ma surprise, lorsqu'en pleine lumière, je reconnus face à moi, le macaron nazi sous le revers du manteau ma soi-disant mère, la femme de papa ZANG, la belle-mère de Pierrot et Jacqueline ! La fille de ma grand-mère chérie qui me protégeait du haut de ciel !… J'avais reçu ordre de ne pas prononcer une seule parole tant que des questions ne me seraient pas posées. - C'est à vous madame ZANG ! ordonna l'Officier S.S. assis près du bureau. C'est alors que ma mère montra une grande page toute écrite sur laquelle elle m'accusait de passer des lettres clandestines pour son mari. Alors la question lui fut posée : - Où sont les lettres ? Elle répondit : - Je les ai brûlées dans le poêle à charbon ! Ensuite elle certifia m'avoir suivi et m'aurait vu en compagnie d'un groupe de jeunes gens à qui je désignais le chemin vers la frontière française pendant que je leur remettais des lettres et des papiers. Il y avait du vrai et du faux, mais j'étais horrifiée qu'elle soit là devant moi, donnant le nom de son mari comme malfaiteur anti-nazi. La colère m'envahit lorsque vint mon tour de répondre aux questions. Je niais bien sûr. Mais lorsqu'il m'a fallu déclarer mon identité je demandai à ces messieurs de s'adresser à madame ZANG puisqu'elle était ma mère que je connaissais depuis 1940 seulement. C'est alors qu'elle bondit vers moi me donna deux gifles que je ne suis pas prête d'oublier encore aujourd'hui… Elle souhaitait que notre filiation soit ignorée. Pour un donneur à la Gestapo allemande comme elle, tout était bon à prendre !… Grand étonnement des agents qui adoucirent leur voix et firent sortir du bureau leur drôle d'agent donneur qu'était madame ZANG. Elle ne donnait sans doute jamais son nom de jeune fille. On m'enferma dans une cellule de la cave. Le lendemain le chef du personnel fut avisé que je ne reprendrai pas le service car j'étais arrêtée et on me raccompagna au grand Séminaire en face de la gare qui servait de prison en attendant le transport vers les tribunaux ou la déportation en ALLEMAGNE. A ce moment-là, personne ne savait que puissent exister des camps de concentration nazis. On ne les croyait pas aussi brutaux, aussi inhumains, barbares. On connaissait seulement les prisons. Dans ma deuxième cellule, nous étions trois jeunes filles, toutes trois de METZ. L'aînée était arrêtée parce que dans les lettres qu'elle écrivait à son fiancé, qui était au front, en qualité de "malgré nous ", pour sauver sa famille (il a été pris de force dans l'armée) elle lui disait de ne pas s'exposer au danger de la guerre et de rejoindre l'armée russe, nos alliés, en désertant l'armée allemande. La deuxième revenait du camp de SCHIRMECK, pour être jugée car elle avait osé gifler un soldat de la Wehrmacht en Occupation chez nous et surtout elle hurlait : - HITLER kaput bientôt, comme en dix-huit, soldats allemands alle kaput ! C'était grave pour eux, ces messieurs du Reich… surtout que cela ne se passait pas bien pour eux en RUSSIE en 43. Première nuit au Séminaire : Un lit en lattes de bois, une couverture puant le désinfectant et deux sacs de paille pour trois. Je n'ai pas pu dormir de toute la nuit. Le lit était infesté de grosses punaises rouges. On les écrasait avec les doigts ce qui ne dégageait pas une bonne odeur. Ma figure était toute boursouflée des piqûres de ces punaises. Le lendemain, je passais à l'infirmerie pour contrôle médical et désinfection des vêtements et lorsque je signalais que la cellule était infestée de punaises si grosses, si puantes, ils se mirent à me crier aux oreilles que c'était moi qui les avait emmenées ! Pendant que mes vêtements passaient à la désinfection, je répondais à plusieurs questions sur mes antécédents, maladies enfantines, si j'étais mariée, si j'étais enceinte. Je répondis que non. Je passais alors sous la douche et réussis à m'emparer d'une feuille de papier vierge et d'un crayon que je dissimulais dans mes cheveux car je portais le rouleau intérieur avec des pinces à cheveux. Rhabillée, parfumée à l'odeur de Crésyl, je montais avec un groupe à l'étage des premières cellules. Dès que j'ai pu, j'ai écris tout fin pour en mettre le plus possible à ma tante GREFF, en termes cachés mais qu'elle a compris paraît-il pour l'avertir de ce qui venait de m'arriver et par la lucarne avec ma tranche fine de pain du midi, je réussis à jeter mon billet. J'avais marqué "URGENT S.V.P.". La fabrique était à deux pas du Séminaire et quelle ne fut pas ma surprise le surlendemain de voir le camion de livraison stationner sur la place de la gare juste au pied de la cellule où j'étais. La lucarne était haute mais nous faisions l'échelle en restant un pied sur l'épaule de la copine. Le chauffeur était mon cousin. J'ai pu lui faire signe discrètement, il me vit et m'assura qu'elle viendrait me voir. Je ne la revis pas car il n'y avait pas de parloir pour les "traites à la patrie" que nous étions voilà ce que m'a répondu le surveillant de l'étage. Il venait nous ouvrir les portes pour aller aux lavabos avec un berger allemand. C'était un ressortissant belge, en uniforme de S.S., se forçant à parler allemand qu'il prononçait très mal. Le soir de ma deuxième journée, alors qu'on surveillait nos literies, je vis notre aînée se tourner vers la lucarne et prier. Ensuite elle chanta : - Bonsoir chéri, dormez, soyez sage, bonsoir chéri, car ta douce image, reste gravée pour l'éternité dans mon coeur ! , et tous les soirs nous participions à sa prière. Le chant était réservé à son fiancé, là-bas au front malgré lui, dont elle n'avait pas de nouvelles et lui était si loin de connaître l'arrestation de sa fiancée. Après la guerre j'ai fait des recherches à la mairie mais elle ne comptait pas parmi les rapatriés ou survivants des prisons lorraines. Elle fut jugée par le tribunal de METZ le jour de mon départ en déportation pour la HAUTE-SILESIE. DÉPORTÉE VERS L'ALLEMAGNE Le 15 Avril nous avons été plusieurs à être appelées à nous grouper dans la cour du Séminaire. Je pouvais voir les fenêtres de ma famille GREFF, j'entendais le bruit des bouteilles et je ne pouvais rien dire, pas bouger surtout car les chiens avaient l'oeil et la gueule sur nous aussi. Des camions nous transportèrent au Fort de QUEULEU où une centaine de femmes, d'hommes, d'enfants et bébés nous rejoignirent dans les camions, lesquels nous descendaient sur un quai à la gare de marchandises Rue aux Arènes. Des wagons à bestiaux formaient un long train et déjà il y avait du monde qui réclamait à boire. On nous fit monter dans ces wagons blindés. Des seaux vides nous étaient distribués un pour dix personnes. C'étaient des seaux de peinture vides pour les besoins. Ensuite chacun reçut sa ration de pain et un bol en fer plein de soupe de rutabaga. Un peu embêtée, je demandais où j'allais dans ce train, mais chacun posait la même question et racontait ce qui lui était arrivé avant ce départ de luxe. Il était huit heures du matin lorsque nous quittâmes la LORRAINE sans même réagir tellement la stupéfaction était grande. Nous sommes arrivées au camp de SCHIRMECK vers onze heures. Ce sont des fourgons de Police Allemande qui nous amenèrent au camp. C'était l'heure de la promenade en rond dans la cour sous le mirador. Les agents S.S. fusils sur l'épaule surveillaient la discipline de ces pauvres squelettes ambulants car plusieurs d'entre eux étaient là depuis bien avant la guerre pour des raisons politiques. Lorsque nous sommes descendues de ces fourgons, le réflexe de ces prisonniers nous regardant, nous était tellement normal que les agents se mirent à gueuler, à taper à coups de crosses de fusils. Plusieurs ont été mis au milieu du rond et accroupis ils devaient avancer en sautillant et les mains croisées sur le sommet de la tête. Les plus faibles n'y arrivant pas recevaient des coups de bottes de leurs satanés surveillants S.S. qui gueulaient en plus : - Schweine Hunde, Kein Essen Heute Mittag ! Répartis dans les baraques, nous passâmes une nuit de cauchemar avec ce souvenir du matin. Les cris des S.S. me résonnaient encore à l'oreille, hélas qu'attendions-nous de mieux ! Le lendemain matin, très tôt, appel dans la baraque. Un nouveau groupe venait grossir notre transport. Des bébés dans les bras de leur mère, des jeunes filles adolescentes encore. Une d'entre elles était ballerine, elle nous faisait passer le temps pendant ce parcours démoralisant. Nous étions le septième wagon. Déjà depuis METZ, nous avions repris le même wagon. Tout cela après deux appels minutieux le premier avant de monter dans le fourgon roulant vers la gare et le second avant de monter dans le wagon blindé. KASSEL fut notre prochain arrêt. Même débarquement sauf que les cellules étaient à barreaux au lieu de grosse porte pleine. Nous pouvions bavarder entre nous. C'est là, à KASSEL qu'une comtesse nous a rejoint parce que son mari, un Général de la Wehrmacht, avait déserté l'armée du Reich. C'est elle qui nous a appris à bien peser nos parloles car il existait parmi les prisonniers des moutons, des traites, payés par la Gestapo pour recueillir les aveux que les interrogatoires n'obtenaient pas. Ces donneurs portaient le même seau hygiénique que nous, traités de la même façon, faisant semblant d'être des Résistants, pleurant même. Mais combien ont-ils été payés pour traduire aux S.S. tout ce qu'ils avaient recueilli de témoignages, de plaintes, de discours. Pour moi, je ne craignais rien puisque j'étais destinée à la prison de GÖRLITZ, le prisonnier de guerre français et son copain avaient été arrêtés pendant leur évasion au cours d'un contrôle dans le train, à FRANCFORT. Moi je ne pensais qu'à mon évasion personnelle. La déclaration de Mme ZANG ne semblait pas être le cas principal par manque de preuves. Mais sa déclaration a été inserrée dans le dossier trouvé à la Gestapo de METZ avec bien d'autres malchanceux. Des familles entières ont été déportées à la suite des dénonciations faites par madame ZANG, beaucoup ne sont plus revenus des camps ce qui valut à Mme ZANG, après la guerre, plusieurs confrontations dans les rues de METZ. Nous en reparlerons plus tard. Notre comtesse tomba malade : crise d'asthme. On ne pouvait pas ouvrir le vasistas qui était fermé, bloqué aussi. C'est bien malade qu'elle continua la route le surlendemain, pour LEIPZIG alors que notre terminus était AUSCHWITZ pour le triage du bétail humain. A chaque arrêt d'autres prisonniers venaient augmenter le grand nombre que nous étions déjà dans ces wagons.En gare de LEIPZIG toute une armée de S.S. vint nous accueillir avec chacun son chien. Je regardais ces chiens avec l'amour des bêtes mais pas un n'avait une lueur de pitié dans leur prunelle. C'était un samedi, nous pouvions voir quelques instants des gens allant en liberté dans les rues. C'est au bout de quai que s'effectua l'appel. Une vingtaine de fourgons nous attendaient à la sortie du quai. On nous entassa dans ces véhicules pourtant importants, mais nous étions devenus si nombreux depuis le départ de METZ Nous aidions la comtesse à se placer près d'une lucarne mais elles étaient toutes fermées. C'est à la prison de cette ville que la comtesse et moi avons été départagées et séparées. C'est dans une cellule étroite que j'ai été enfermée toute seule. J'avais juste un sac de paille et une couverture. Pas de table. Un banc en bois sur lequel je me suis allongée et j'ai craqué. J'ai pleuré, pleuré. Je venais de repenser à mon beau séjour à AIX-LES-BAINS. Les belles promenades du dimanche. Ma chienne, aussi un berger allemand comme ceux qui sont venus nous accueillir en gare de LEIPZIG, avec leurs yeux si cruels, si méchants. Après cette crise de larmes, le moral baissait de jour en jour. Nous étions à notre quatorzième jour de transport. Je souhaitais arriver à GÖRLITZ très vite pour ne plus avoir à remonter dans ce wagon cellulaire où l'on nous entassait au fur et à mesure des étapes pour faire monter d'autres déportées prenant notre direction. Pour éviter de me trouver assise sur ce puant plancher où les seaux hygiéniques trop pleins se renversaient, je restais debout près de l'ouverture grillagée, mais je n'étais pas seule à rechercher cet endroit, nous étions même devenues égoïstes et acariâtres. AUSCHWITZ : LE CAMP C'était le vert printemps. Nous pouvions à peine nous rendre compte que les arbres étaient en fleurs. La comtesse avait peine à rester à genoux, se moquant bien des mauvaises odeurs. Elle s'allongea comme elle put et plusieurs firent comme elle pendant que les jeunes chantaient des chansons allemandes très tristes, nous faisant verser de grosses larmes. J'ai retenu : "Mama schick mir ein Fertchen !" ou "Gott, schick doch ein Engel zu mir !". Pendant six jours de suite nous n'avions pas quitté le wagon. Lorsqu'un matin clair, le ciel bleu, je crois, mais je devais avoir quarante de fièvre et je ne pouvais même plus avaler ma salive tellement j'avais mal à la gorge depuis notre départ de LEIPZIG. Le train entra tout au long d'un grand camp entre des pelouses toutes verdoyantes le long de ses rails. C'est sur cette pelouse en colline que nous fûmes rangés : hommes, femmes, enfants. Les morts, surtout des femmes et des enfants dont notre comtesse (c'était la délivrance pour elle). Contraints de nous débarrasser de nos cartons, valises, bijoux, fausses perruques etc… Ce fut la fouille pendant trois-quarts d'heures. Puis il y eut la distribution de gamelles de soupe. Comme nous ne devions pas quitter nos rangs ni nos places je quémandai juste une gorgée en promettant de la rendre lorsque j'aurai la mienne. J'avais l'impression d'étouffer, elle me fit du bien, cette gorgée car je l'ai tenu dans ma bouche, c'était chaud, c'était pourtant du chou. Lorsque ma gamelle me fut tendue je rendis vite à ma voisine de devant ce qui était promis et je me forçais à avaler, cette fois, cette eau chaude aux choux. Je me mis à tousser, à cracher. J'étais presque soulagée car l'abcès s'étais crevé avec l'absorption de cette boisson chaude et je ruisselais de sueur tout en grelottant mais j'arrivais à avaler ma salive. Enfin ! ! Après le ramassage des gamelles, nouvel appel. Je fus une des premières, nous étions dix-sept en tout, à être amenés dans une baraque pas loin des rails malheureusement. Je compris qu'ils faisaient un tri car nous formions plusieurs groupes. Les enfants étaient séparés de leurs parents sauf si c'étaient des bébés, mais il en restait si peu. Je me souviens de ce rire cynique du chef en regardant ces enfants pleurant : il ne voulait entendre aucun pleur, aucun cri, malgré ces séparations. Je ne peux plus raconter, même par écrit, ce que mes oreilles ont entendu pendant ces quatre jours passés dans ce camp. Pardonnez-moi ; il me vient l'envie de vomir rien qu'en repensant à ces souvenirs. Nénamoins j'ai apprécié mon sac de paille et mon troisième étage, bloc numéro sept après un transport de presque trois semaines. Je réalisais alors que nous étions le 5 Mai et que c'était aujourd'hui mon vingtième anniversaire. L'idée me vint alors de faire un voeu : le voici : "Si un jour je sors de cet enfer et que je me marie, si j'ai une fille, le jour de ses vingt ans, je la saoule au champagne ! ". Pourquoi une fille ? Sans doute parce que nous nous trouvions entre femmes et que je venais d'être témoin, pendant trois semaines de transport avec beaucoup de mamans tenant leurs bébés affamés et déshydratés dans leurs bras et comme nous n'étions pas nourries elles ne pouvaient avoir du lait aux seins. J'arrête là ces souvenirs atroces, ce serait trop douloureux à raconter… Ils hantent mes nuits très souvent ; j'ai mis cinq ans pour me réadapter à la vie après ma libération mais jamais je n'oublierai. J'ai dû m'endormir car l'entrée d'une gardienne vint annoncer que l'on devait se mettre sur deux rangs pour la distribution du "Frühstück" du soir. J'arrivais à avaler, enfin, mais la fièvre ne me quitta pas ce jour-là. Quatre jours enfermés dans cette baraque, avec l'audition bruyante, jours et nuits, des bourreaux pour les appels, des cris d'enfants. Mes tympans en sont toujours imprégnés. Sans compter les nuits de cauchemar… Oublier ? Impossible ! Ceux qui en sont revenus sont tous comme moi. Il est vrai que nous sommes revenu anormaux, et il est possible que l'on rende malheureux ceux qui nous entourent. On ne peut pas avoir été et ne pas être. Nous ne sommes plus de vrais hommes, de vraies femmes. Nous ne sommes que des mutilés à vie, surtout mentalement. Toutes ces copines mortes là-bas dans des circonstances atroces usant du peu de souffle de vie qui leur restait pour dire encore : "Vive la FRANCE ! Vive DE GAULLE ! ". Quand on pouvait, on les aidait. Avec ce pain noir on confectionnait un chapelet afin de les aider à mourir en paix. Dire qu'elles sont si vite et lâchement oubliées ! Aucun et aucune n'a reçu la Légion d'Honneur à titre posthume, celle que l'on octroie à Pierre, Paul, Jacques alors qu'elle devait rester et être donnée à titre militaire. " MORT POUR LA FRANCE ". Pas même la Croix de Guerre ou la Médaille Militaire à titre posthume, à croire qu'ils ont tout sacrifié pour RIEN. C'est pourquoi j'ai refusé cette distribution en leur souvenir : la Légion d'Honneur ! A mon avis, notre chère FRANCE délaisse ses propres enfants et les oublie trop facilement. Vous me trouverez amère mais je suis encore hantée par leur souvenir. Combattre pour la chère Patrie, en pareille circonstance, loin de la famille dont elles parlaient tous les jours avec l'espoir d'un retour en FRANCE. Pour DE GAULLE, tout en travaillant au-dessus de leur force physique dans l'espoir de revoir un jour prochain le sol de cette FRANCE aimée, malgré l'absence de nouvelles de leur famille puisque le courrier n'existait pas. Malheureusement plusieurs ont été déçues à leur retour au foyer ou par les patrons, les amis, la famille. Je crains d'être trop sévère en ces lignes mais je parle avec leur souvenir qui me hante l'esprit. Je vais donc passer au quatrième jour d'AUSCHWITZ lorsque, après un nouvel appel, nous sommes montés dans un wagon cellulaire : direction GÖRLITZ, avec halte à JAOA, camp de concentration de femmes Tchécoslovaques, Polonaises, Russes, Ziganes. EN PRISON "GÖRLITZ " L'accueil à GÖRLITZ par des femmes Kapos n'était pas tellement désagréable puisque nous sommes passées obligatoirement à l'infirmerie pour contrôle de poux, de dysenterie ou d'objets que l'on aurait cachés à AUSCHWITZ. Nous fûmes dépouillées de nos vêtements civils et nous endossâmes chemises à rayures en gros coton écru et la longue robe bleu nuit, enfin, la veste rayée avec sur le dos : "J.V. = Jungend Verstrafen" que nous traduisions : "Jeunes Prisonnières ", mais nous n'en étions pas sûres. La surveillante a remarqué ma voix faible et hachée, elle me questionne. Je lui racontai donc qu'un phlegmon s'était logé là pendant le transport jusqu'à AUSCHWITZ, elle hocha la tête et je lus enfin une lueur de pitié dans ses yeux et elle me badigeonna la gorge avec un pinceau empli de teinture d'iode et me fit avaler de l'huile de ricin suivie d'un peu de café (ou ce qui le remplaçait : du malt). Je fus mise en quarantaine au rez-de-chaussée de la prison de GÖRLITZ en compagnie d'une prisonnière tchécoslovaque qui ne connaissait pas un mot d'allemand et était de vingt-quatre ans mon aînée. Lorsque je fus appelée le jour suivant pour la visite médicale d'usage, j'appris avec stupeur que j'étais enceinte de trois mois. Je m'aperçevais bien que je n'avais plus mes règles mais personne parmi les femmes qui faisaient partie des prisons et du transport ne voyaient leurs menstruations. Comme j'étais mineure et célibataire, je dus répondre à un questionnaire obligatoire, donner le nom du père de l'enfant. Je répondis que je ne savais plus qui c'était, un ami cheminot peut-être. Mensonge, puisque le vrai père était Juif. Je risquais encore de retourner à AUSCHWITZ en le signalant. La surveillante de la prison était humaine, tout en faisant son travail avec ce gros trousseau de grandes clefs à sa ceinture. Elle n'avait qu'un tablier blouse, noir à col blanc. Je compris qu'elle était obligée de faire ce métier. Je changeais de cellule au bout d'un mois et j'eus droit à avoir un matelas de crin et de foin. Les rations de soupe étaient plus pleines, tout cela sans rien dire. Nous étions trois dans cette nouvelle cellule, cette fois la lucarne était plus éclairée, on pouvait deviner le soleil au-dehors. Un samedi matin, alors que nous étions en plein travail qui consistait à coudre des boutons sur un carton, une quatrième prisonnière fut introduite en robe de mariée sans le voile. On la laissa pleurer son saoul et, lorsque voulant la mettre en confiance, on la convia à se joindre à nous, elle nous expliqua la cause de sa venue en prison. Voulant profiter de liberté et de joie le jour de son mariage, elle décrocha la photo d'HITLER, pendue dans l'entrée de sa maison (chaque famille était obligée d'avoir cette photo) lorsqu'en plein milieu de repas de noces, quatre agents de la Gestapo, dans une voiture noire, venaient arrêter les mariés, la famille et les personnes présentes. Ils déclarèrent, ces agents, qu'ils avaient reçu un coup de téléphone leur disant que le portrait obligatoire avait disparu pour cette journée de noce: (- Il a déjà fallu le supporter à la mairie ! disait la jeune mariée). Le surlendemain, on lui changea ses habits de noce pour l'uniforme de la prison et elle passa devant le tribunal quelques jours après. Nous n'avons jamais su ce qui était advenu de cette réfractaire au régime nazi. Ils étaient nombreux dans les prisons et les camps, pourtant ils étaient de vrais Allemands mais avec des idées contraires au régime nazi. Les sanctions étaient plus sévères pour les Allemandes et elles étaient servies les dernières pour la gamelle. Les Lorraines étaient mises avec les Allemandes. PREMIER JUGEMENT Les mois passèrent et vint le jour, c'était le 6 Octobre 43, où mon tour était venu de me présenter devant le tribunal pour mon évasion personnelle et mon refus de me présenter à l'Arbeitsdienst comme la convocation m'y obligeait en temps que Lorraine. Alors ma surprise fut grande lorsque je me suis trouvée en face des deux prisonniers français du Kommando de GÖRLITZ. Ils déclarèrent tous deux ne pas me connaître mais la lettre que je leur avais confié, adressée à mon oncle à LIGNY-EN-BARROIS, zone occupée par l'armée allemande, en disait long. Je déclarais ne pas les connaître mais me rappelais avoir confié à un inconnu, cette lettre, puisqu'il prenait le train pour METZ-DIJON. Peinés tous deux de me voir enceinte et en prison, ils voulurent me rassurer en me déclarant qu'aucune plainte n'était portée contre eux puisque c'était la première fois qu'ils s'évadaient. Je fus condamnée à six mois de prison que j'ai purgé à la prison de GÖRLITZ. Toutes les surveillantes étaient douces et compréhensives envers moi. Je n'ai jamais su pourquoi. Il était interdit de converser entre prisonnières et surveillantes. Vint le jour de l'accouchement. L'Aufscherin (Surveillante de la prison) a été appelée en pleine nuit et je fus descendue à l'infirmerie. Ensuite un docteur fut appelé. Il était en uniforme vert lui aussi. Toute la journée je bus de l'eau entre les douleurs. Le bébé ne se présentait pas normalement, paraît-il. J'accouchai d'un garçon mort-né que j'avais prénommé Bernard. Je n'ai jamais parlé de ce passage de mon existence tant il m'a marqué, mais il existe dans mon dossier, alors je suis obligé de revenir à cette époque douloureuse. EN PRISON A BRESLAU Le 14 Janvier 1944, je fus conduite en camion cellulaire à BRESLAU dans une grande prison de six étages bâtie en carré. Je fus amenée dans la cellule des Françaises au quatrième étage, mais pendant l'attente au rez-de-chaussée, je pus voir les cellules des condamnés à mort, crâne rasé, longue robe gris-blanche, chaîne au pied. Je remarquais l'une d'entre elles mais il était défendu de bouger ou de parler et je sus par mes deux compagnes de cellule que c'était une Lorraine de SAINT-LOUIS-LES-BITCHES, près de SARREGUEMINES. Son mari, qui était Lieutenant dans l'aviation française assurait des liaison entre l'ANGLETERRE et la FRANCE. Dénoncés tous deux alors qu'il passait quelques heures à son domicile, ils furent arrêtés et condamnés à mort. Un paysan les avait dénoncé à la Milice Française. Mais d'après les Conventions de Genève, les étrangers pouvaient être jugés mais non exécutés. Après mon rapatriement, j'ai eu la joie de la revoir saine et sauve ainsi que son mari. Nous avions le privilège de nous réunir grâce à la naissance de l'Association qu'a créée madame DELMAS et dont la gestion était confiée à madame Geneviève DE GAULLE ANTONIOZ, nièce de notre Illustre Général, elle aussi rescapée des camps nazis. Mlle Andrée FRANÇOIS était alors notre Présidente-Déléguée très dévouée, malgré ses infirmités. Mais revenons en Janvier 1944 à la prison de BRESLAU. Les surveillantes étaient plus gueulardes et plus sèches que celles de GÖRLITZ. J'avais l'impression d'être une pestiférée tant elles criaient des injures de toutes sortes tout en montant les quatre étages qui m'amenèrent à la cellule des deux Françaises, l'une Lyonnaise à qui il arrivait souvent d'avoir des crises d'épilepsie et l'autre, très jeune, venait de DINARD sur la côte bretonne, qui ne m'inspirait pas confiance. Je la jugeais mal et mes premiers contacts furent froids et brusquement je lui ai posé la question : - T'es pas un mouton des fois ? Je me rappelle encore de sa vive réaction, mais j'avais trouvé suspecte cette complicité entre la Kapo qui distribuait la soupe et vidait les tinettes et elle, qui écrivait de petits billets avec une simple mine de crayon et cela presque tous les jours. N'osant pas être indiscrète, je la suspectais à tort. C'est alors qu'elle me mit au courant de ce courrier qui était destiné à la Française condamnée à mort que j'avais entrevu à travers les barreaux de sa cellule. Nous sommes devenues de grandes amies par la suite et j'ai pu correspondre avec elle après la guerre grâce à la CROIX-ROUGE française. Un seul lit pour trois dans cette petite cellule, nous laissions le lit à la malade et nous couchions sur nos sacs de paille, par terre sur le ciment. Les journées semblaient interminables. Les bombardements fréquents nous valaient d'être enfermées à double tour dans les cellules. Notre travail consistait à séparer le duvet de la corne centrale des plumes d'oies, ou bien à peindre des soldats de plomb. Comme clarté, la lumière qui voulait bien passer à travers la lucarne, sous le plafond. Tous les soirs le travail était pesé, compté et si un gramme manquait, c'était la privation de soupe. Pour trois nous n'avions qu'une tinette et lorsqu'elle était pleine il nous fallait uriner dans la gamelle. Heureusement, la vidange se faisait avant la distribution de la soupe de rutabagas ou de choux, si claire qu'elle partait en urine aussitôt. Et on en riait pourtant. Je reçus bientôt une convocation pour me présenter devant les juges du tribunal de BRESLAU.Les jours s'écoulaient monotones dans notre carré. On apprenait toutes à nous retenir d'uriner pour ne pas trop remplir la "tinette" car la gamelle prenait le goût, mais le pain faisait tout oublier. Si noir, si mince il semblait bon ! Une quatrième prisonnière vint nous rejoindre, nous avons alors cessé notre courrier pour la condamnée de crainte que ce soit un mouton venu relever quelques détails en vue de ma comparution prochaine devant le tribunal, et puis elle nous expliqua, avec un accent vulgaire, qu'elle était au travail obligatoire à BRESLAU dans une maison close. Aujourd'hui raconte-t-elle, il est venu un gars de PANAME (de PARIS), engagé volontaire dans l'armée allemande, en uniforme schleu, avec le brassard bleu-blanc-rouge. Il avait quatre jours de permission, revenu du front russe après la défaite allemande à STALINGRAD. Aussi, en guise d'accueil, elle lui a fichu deux grandes baffes et un coup de pied dans le cul en le dirigeant vers la sortie. Un quart d'heure seulement s'est écoulé et un agent de la Gestapo vint la prier de le suivre. La monotonie s'était soudain égayée et on était obligées de se pincer le nez pour ne pas rire trop haut tant ses histoires étaient drôles. Moi qui avais été élevée chez les religieuses, dans l'hypocrisie, j'ai été bien dessalée. Il m'est arrivé de rougir plus d'une fois mais j'en ai apprise des choses ! Le soir, on rangeait tout dans un coin et elle nous a dansé les claquettes, nous, nous chantions "MA BELLE ANTINEA ". C'était la veille de mon jour de pointage pour me présenter devant le tribunal, le 3 Mai 1944, l'avant-veille de mon 21ème anniversaire.DEUXIEME JUGEMENT Très importante, cette grande salle d'audience et beaucoup de magistrats. Evidemment la photo du Führer y trônait en grand modèle. Un interprète vint s'asseoir devant moi alors que je comprenais bien leurs arguments et leur langage. La lecture commença. A chaque accusation, on me gueulait : - Schemen Sie sich nicht ? Ein deutches Mädel ? (- Vous n'avez pas honte ? Une jeune Allemande ?). Je n'ai eu droit de réponse que lorsque l'interprète me demanda : - Pourquoi avez-vous agi ainsi ? J'ai spontanément répondu : - Parce que je suis Française !… Je fus condamnée à dix-huit mois de forteresse à purger dans la forteresse de COTTBUS. Revenue dans ma cellule, j'avais la tête rasée, la chemise en coton, la robe longue grise et la veste rayée avec en plus une paire de sabots. J'étais ainsi désignée pour le prochain transport, le 7 Mai suivant. Le 5 Mai tomba un dimanche et par dix cellules on nous fit descendre dans la cour pour la promenade où il était défendu de parler entre soi. Mais notre dernière venue faisait le pitre et moi j'avais vingt-et-un ans, ce jour-là, je me suis mise à rire pourtant discrètement. J'ai été mise au milieu du cercle, les mains croisées sur la tête et à genoux, tête baissée, mais j'entendais, tout bas, mais très distinctement, ces nouvelles allant au fur et à mesure que la ronde se faisait. Ainsi les Russes avançaient vers l'ALLEMAGNE. C'était pour moi comme un cadeau d'anniversaire, cette bonne nouvelle. Je pus faire comprendre à notre amie condamnée à mort lorsque nous sommes passées par le rez-de-chaussée, que l'espoir s'annonçait et notre Ginette d'ajouter : - Ils l'ont dans le cul la balayette !… Heureusement tout se passa bien, la surveillante était très occupée à faire rentrer toutes ses prisonnières. Le 7 Mai vers sept heures du matin, la porte s'ouvrit. Les adieux étaient déjà faits et les promesses de se revoir après la guerre étaient fermes. Dans la cour le fourgon cellulaire attendait. Encore ce fourgon cellulaire qui m'emmena au quai dans un wagon déjà bien rempli. Il y avait de la paille répandue à terre et des excréments de chevaux parce que dans ce pays on prenait cela pour un porte-bonheur. C'étaient les guerriers à quatre pattes qui avaient occupé ces wagons. EN PRISON A LÜBECK Prochaine prison, LÜBECK, prison remplie de prisonnières allemandes, les unes pour fréquentations sexuelles avec les prisonniers de guerre français, elles gardaient espoir de les rejoindre en FRANCE après la guerre. On leur apprenait le français, quelques mots furtifs en pensant au fond de soi : "La FRANCE c'est aux Français, pas aux boches ". Mais on a vite compris qu'il s'agissait de ceux qui luttaient contre le régime nazi. Des femmes de grands Généraux allemands ou d'Officiers étaient parmi elles disant avoir honte d'être Allemandes. On finit par comprendre que partout il existait la lutte pour cette Liberté-Chérie, dans n'importe quelle partie du monde. Je me suis promise de ne plus critiquer quoi que ce soit, quelqu'il soit où que ce soit. Je venais de mûrir en quelque sorte parmi toutes ces malheureuses. Ainsi, j'ai appris que de hauts-fonctionnaires allemands ont été fusillés et des documents emmurés car la défaite allemande s'accentuait là-bas en RUSSIE. On parlait beaucoup de DE GAULLE, des Anglais, des Américains peut-être, mais dans cette grande salle où nous étions plus de mille femmes, allemandes, lorraines, ziganes, tchèques, toutes nous avions l'Espoir. Le soir-même de mon arrivée nous fûmes acheminées vers les wagons cellulaires, cette fois avec de vieux bancs de bois mais au moins c'était plus tolérable, mais pas de souper, pas d'eau. On nous répondit que BERLIN était bombardé : - Wasser kaput ! (- Les tuyaux d'eau cassés par les bombardements !). DANS LA FORTERESSE DE COTTBUS Arrivée à COTTBUS. Forteresse imposante. Après l'appel à la descente du train, on nous distribua du pain avec de la margarine, on s'est dit : "C'est bon signe, les Russes ne sont pas loin" - une tartine par personne, pas d'eau ! Arrivées à la prison-forteresse, nous étions une par cellule. Il est vrai que cette bâtisse était haute. La soupe : une feuille de chou dans un litre d'eau était la bienvenue après ce voyage. Je pensais purger mes dix-huit mois dans cette cellule, en solitaire. Je m'attendais à tout et me faisais à cette discipline, à la longue, surtout habituée à celle de PEPINVILLE, quelques années auparavant, "j'étais branchée" c'est d'ailleurs ce qui me sauva. Il fallait travailler sur un métier à tissu de la laine épaisse, puante, écrue et tant de mètres par jour si l'on voulait sa ration de soupe. A PEPINVILLE, j'avais été mise à travailler sur des machines à tricoter "DUBLE", lourdes et pesantes à manier. Les Soeurs m'avaient choisi parce que j'étais grande et forte. J'étais donc presque rôdée avec ce métier en bois et je m'appliquais à ne jamais être privée de soupe. Le 6 Juin à midi, la prisonnière qui distribuait la soupe avec sa bouche en accordéon me glissa à l'oreille que les Américains avaient débarqué en NORMANDIE. Je n'osais y croire mais elle aimait bien les Françaises parce que "chéri Paris", ich gehe auch - (Mon chéri parisien, j'irai le rejoindre). DANS LA PRISON DE WITTEN-ANEN Fin Juin alors que je m'habituais à cette installation, je comptais les mois purgés. Grand rassemblement fut fait et "Schnell ! Schnell !" on nous pressa de regagner les fourgons cellulaires qui attendaient dans la cour, de là à la gare avec chiens S.S., et gueulantes intempestives. Ça n'allait pas assez vite, les jurons les plus vulgaires étaient lancés. Entassées dans ces wagons, le train roule une journée et demi. Il y eut des arrêts pendant les bombardements, en rase-campagne sans doute, car on n'entendait ni on ne voyait rien. Enfin, arrêt à une gare mutilée par les bombes. "DORTMUND" en WESTPHALIE. Des camions, des fourgons nous pressèrent telles des sardines en boîtes mais en peu de temps, une heure peut-être, nous arrivions au camp de concentration de WITTEN-ANEN, relié à la prison de DORTMUND qui était à 60 kilomètres. La baraque des Françaises était la première à droite, mais après l'appel je fus dirigée vers le Bloc des Allemandes à côté du Bloc des Polonaises avec mon n° d'immatriculation 816. Mes sabots étaient en mauvais état en bois fendu ; il faisait froid : jamais de chaussettes… jamais de slip ni de soutien-gorge. La vie était bien différente. A nouveau 60 à 80 par chambre. Lits superposés, le sac de paille, la couverture. Etant plus jeune on me désigna le plus haut. C'est là que je vis que la maigreur m'avait affaibli. Je tremblais sur mes jambes en escaladant. Les nuits sans sommeil, les gémissements des malades, les dépressives qui avaient peur du lendemain. Les surveillantes étaient des femmes en uniforme S.S. avec de belles bottes brillantes et le nerf de boeuf toujours à la main criant, beuglant lorsque par colonne de cinq, elles nous emmenaient à la fabrique située au milieu du camp. Elles étaient nombreuses ces chiennes et sans coeur. Ce mirador me faisait penser à la photo d'HITLER dominant le monde sans sa chanson mais croulant sous l'oppression, puisque espoir il y avait en moi. Ces barbelés comme je les ai vu méchants, comparés aux hauts murs de PEPINVILLE où l'on ne voyait rien ni personne. Ici on ne voyait rien que champs de terre, pas même un petit oiseau dans cette grande nature sans arbres. Les bombardements étaient fréquents à cents lieues à la ronde. Souvenirs inoubliables, ces grosses grappes de tous les feux qui descendaient au loin. Jamais nous ne fûmes touchés, et puis où serions-nous parties de ce bout du monde ? Nous travaillions à la chaîne dans cette fabrique et j'étais assise devant les fenêtres, lesquelles étaient calfeutrées par une grande toile noire, dès que la nuit venait ; c'est un prisonnier de guerre français qui était chargé de cette besogne. Je me fis vite connaître pour essayer d'obtenir quelques nouvelles du dehors ; il n'a pas parlé mais lorsque le lendemain matin je repris mon travail, je vis une ligne griffonnée finement me mettant ainsi au courant des actualités. Il me cachait de bons morceaux de chiffon pour le nettoyage des machines que nous faisions fonctionner et j'en profitais pour me confectionner le soir en cachette, un slip et un soutien-gorge pour essayer d'avoir un peu chaud car nous approchions à grand pas de ce rude hiver 1944. Un jour à l'appel je fus déshabillée nue par l'Aufseherin, on lui avait dit que je m'étais confectionné cet ensemble tout avec des noeuds. Je récoltais ainsi quinze jours d'arrêt en plein mois de Janvier 1945 à la prison de DORTMUND, couchée à même le ciment avec une couverture seulement, pain et eau et tous les quatrièmes jours seulement la gamelle de soupe dans le noir complet du sous-sol. La surveillante qui ouvrait la porte pour faire sortir ma tinette, s'était prise de pitié pour moi, sans doute voyant la guerre bientôt perdue pour eux. Alors elle m'apportait de la confiture de tomate avec de fines tranches de pain noir. C'est elle qui plus tard me conduisit aux Américains pour que je sois soignée une des premières mais elle m'a fait promettre qu'en retour je dise beaucoup de bien d'elle. Sortie de la prison après mes quinze jours je regagnais le camp à WITTEN, j'avais maigri, la lumière me faisait mal aux yeux. Une surprise m'attendait une lettre de papa ZANG, une lettre avec toute l'affection paternelle que j'appréciais et puis les femmes de ma chambre m'avaient gardé du pain pour mon retour, il était dur mais bon Je n'ai jamais su laquelle m'avait dénoncé je ne cherchais pas à comprendre. A l'usine il y avait du désordre dans le travail ce qui voulait dire : ils perdent la bataille, enfin ! C'est pas trop tôt. La dysenterie avait gagné notre baraque, on faisait la queue aux W.C. ou alors, celles qui n'avaient plus de force pour se relever, salissaient le sac de paille qui nous servait de matelas. Beaucoup moururent ainsi et on les aidait à tenir le peu de souffle qu'elles avaient encore pour dire : "Vive la FRANCE ! Vive DE GAULLE ! ". On leur joignait les mains en chantant "LA MARSEILLAISE ", pour un dernier sourire de leur part. Dire qu'aujourd'hui tous ceux-là n'ont même pas la Légion d'Honneur à titre posthume… mortes loin de leurs familles de la FRANCE en nous laissant pour toujours le souvenir de leurs souffrances. LIBÉRÉE ! Tous les matins on entendait, vers cinq heures, des camions entrer ; c'était pour venir récupérer les cadavres de nos compagnes. Lorsqu'un matin pendant que nous attendions notre quart de café quel ne fut pas notre étonnement : ce n'étaient plus les mêmes uniformes qui ouvraient les portes des baraques mais les Américains avec des camions remplis de civières. Ainsi ils nous font toutes évacuer le camp pour nous transporter dans les casernes qui étaient transformées en hôpitaux, où j'ai été soignée 3 mois, aux piqûres, aux bouillies, au lait en poudre. Hébêtées, sans forces, nous nous laissions laver, peigner, désinfecter, piquer mais de nourriture pas question : du lait en poudre, de la confiture, des bouillies, de flocons d'avoine sans doute. Les plus valides se faufilaient sous les tentes ou dans les camions américains, elles cherchaient du pain à manger, hélas ! Plus d'une en est morte… Je suis restée trois mois, bien soignée, nourrie, habillée, dépouillée mais infectée encore par des furoncles dans le cou. La figure paraissait encore, j'avais peine à croire que bientôt nous allions être rapatriées. L'armée anglaise est venue remplacer l'armée américaine et aussi la Troupe Française d'Occupation. Nous avons été habillées par des familles allemandes qui venaient nous questionner car beaucoup n'avaient pas de nouvelles de leurs prisonniers ou déportés. Les mois semblaient longs. Toutes les semaines il y avait quatre ou cinq camions qui partaient pour la FRANCE avec les rescapés remis sur pied. J'avais des problèmes d'infection génitale car non réglée pendant ces 25 mois de captivité : un ovaire s'était infecté et impossible d'opérer parce que trop faible ce n'est qu'en Avril 1946 que l'on a fait faire cette ablation à l'Hôpital de METZ. C'est lorsque j'ai été par la suite obligée de reprendre mon travail que cela a été dur pour moi. Bonne à tout faire pour être logée et nourrie. Il n'y avait pas de machine à laver, alors deux fois par semaine ces lourdes lessiveuses de linge, j'étais seule pour les porter. J'avais de bons patrons mais ils ne pouvaient pas comprendre et moi pas parler ni me plaindre. Nous aurions dû être radieuses mais tout semblait étranger, nouveau et trop beau. Je me rappelle que l'appétit manquait chez certains. J'avais les dents qui bougeaient. Impossible de manger mon steak, moi qui n'avais même pas connu un mal de dents jusqu'à vingt ans, une rougeole à dix ans c'était tout et là il me fallait réapprendre à manger. Que de fois je me suis trouvée mal après avoir mangé : étouffement, douleurs dans le dos et au ventre. RAPATRIÉE ! Le 25 Juillet 1945 j'étais sur la liste des Françaises pouvant être rapatriées ce jour-là. Les camions militaires français nous ont embarqué. Chacune a reçu un colis de trois kilos offert par l'armée anglaise ou américaine. D'un seul coup nous avions des ailes. Les camions n'allaient pas assez vite à notre gré pour revoir enfin la FRANCE, mais personne ne m'attendait en FRANCE. En traversant la BELGIQUE nous nous sommes arrêtées pour manger : comme nous étions bébêtes !… Il y avait longtemps que cela n'était plus arrivé, se servir à volonté, manger avec cuillère et fourchette, avec une serviette blanche ! Il nous a été interdit de boire de l'alcool et j'avais envie d'une bonne bière. Néanmoins en me privant j'ai offert ce sacrifice à celles qui n'ont pas eu la chance d'être parmi nous mais qui hantaient mon esprit. Enfin VALENCIENNES ! Quel accueil émouvant, les hauts-parleurs nous souhaitaient la bienvenue. La CROIX-ROUGE française aux petits soins pour chacun de nous. Mais nous n'avions les yeux que sur ces écriteaux, sur une écriture française. Tout le monde parlait français autour de nous, les docteurs nous rassuraient de leur mieux. Entre copines on se disait : "C'est pas juste quand même, cette FRANCE chérie elle est à celles que l'on a laissées mortes en bochie ! ", et ça faisait mal ce bel accueil, ces assiettes garnies. Après être passées par plusieurs bureaux et services médicaux nous avons été conduits dans une vraie salle à manger, toute fleurie. Un dortoir avec un bon lit nous attendait ensuite à l'étage supérieur. La CROIX-ROUGE française nous distribue des listes de déportées et déportés non encore entrés, il fallait répondre si on avait connu l'un ou l'une d'entre eux en donnant des précisions. La Police nous imposa de nous présenter au Commissariat du lieu où l'on prenait résidence car nous étions encore contagieux. Un carnet de soins gratuits pour une durée d'un an et une prime de rapatriement de 2 500 Frs. anciens. Après une bonne nuit de repos à VALENCIENNES, une carte de rapatrié et un bon de transport furent distribués à chacun. C'est ainsi que j'ai pris le train me conduisant à LIGNY-EN-BARROIS chez mon oncle Alfred le pâtissier (le "SAINT-NICOLAS" de VERNY). ALOYS est venu nous rejoindre avec sa femme, car il s'était marié quinze jours avant mon arrivée à ALBI, dans le TARN, avec une jeune fille s'occupant de courrier et des vivres pour les maquisards dont l'oncle ALOYS faisait partie. Malgré ma joie, les gâteries, il m'était impossible de faire un repas sans avoir des crises d'étouffements, ma tante croyant bien faire me faisait bien manger, bien boire et je ne voulais pas me priver. Hélas, il a fallu appeler le docteur de famille. Six semaines après je regagnais METZ et l'hôpital militaire où je fus soignée et mise en quarantaine car j'avais les poumons voilés en plus du reste : furoncles, encore un peu de paralysie dans les jambes et les bras, etc… RETOUR A METZ Hospitalisée à LEGOUEST, à METZ j'avais droit à des heures de sortie, j'en profitais pour contacter papa ZANG que j'allais beaucoup étonner par ma présence. Je savais qu'il se rendait tous les dimanche à la messe de dix heures avec ses trois enfants ; c'est là que j'ai attendu à la sortie de l'église. Ce fut des instants d'émotions et de joie sans commentaires. Je m'apprêtais à les quitter lorsque les enfants m'obligèrent à entrer à la maison en leur compagnie et papa ZANG, très fier, me prit par la main. Pierrot, son fils, partit en avant avertir sa belle-mère qui monta se cacher au grenier. Celle-ci, me croyant enfin morte me tournait le dos. Puis nous offrit l'apéritif. Je n'ai fait aucune allusion, suppliant papa de ne plus parler du passé et je pris congé d'eux non sans prendre rendez-vous avec papa ZANG au marché à une prochaine permission de sortie. Jacqueline et Pierrot sont venus me voir à l'hôpital et m'ont appris la naissance d'une autre petite soeur pendant mon absence. A peu près guérie, j'attendais d'être envoyée en aérium à FLAVIGNY et en attendant j'habitais au Centre d'Accueil Rue du Grand Cerf à METZ où la mairie et la Maison des Déportés s'occupaient de nos affaires judiciaires et sociales.CONDAMNATION DE MADAME ZANG En Septembre 1945 je reçus au Centre une convocation afin de me présenter comme témoin devant le tribunal militaire ; j'en fais part à papa ZANG, lui, estimé de tous, chef de filières de passeurs pendant les trois dernières années il était honteux et souhaitait que la justice eut compassion. Pourtant elle a été accablée à plusieurs reprises par les familles de déportés et internés portés disparus ou morts qu'elle avait dénoncé à la Gestapo. Lorsque je me suis présentée, j'ai demandé simplement à ne pas comparaître puisque je ne portais pas plainte. Il y avait tant de monde dans ce hall du tribunal qui me faisait pitié : ils réclamaient justice contre cette donneuse à la Gestapo allemande. Elle fut remise en liberté au bout de huit mois sur les supplications de son mari, surtout pour ses enfants. Aujourd'hui, en Septembre 1985, elle est alitée dans une Maison de Retraite, paralysée, presqu'aveugle, abandonnée de ses enfants qu'elle a fait souffrir aussi, alors que papa ZANG estimé de tous, Résistant et militant avait bien risqué sa vie. Beaucoup de familles ont été épargnées grâce à lui, aidé de quatre collègues de l'Octroi ou de la mairie.

J'ai eu la chance de revenir de l'Enfer Concentrationnaire Nazi mais je n'ai rien oublié.

Cela nous sera impossible.

Nous ne serons plus jamais des gens normaux moralement.

On ne veut plus en parler.

Que nos enfants ne connaissent jamais cette dépravation.

Ni haine.

Ni guerre.

Ni séparation des familles.

Nous avons pardonné mais le Souvenir reste pour tous nos chers morts.

Là-bas.

POUR NOTRE FRANCE.

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LIVRE 2

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DOCUMENT

Archives du Colonel Jean MINGASSON

21 Novembre 1940

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LA SITUATION DES LORRAINS DEPUIS L'ENTREE

DES TROUPES ALLEMANDES JUSQU'AU DEBUT

DES EXPULSIONS MASSIVES

(11 Novembre 1940)

Le 14 Novembre dernier, un communiqué publié à l'issue du Conseil des Ministres à VICHY, faisait allusion à l'exode des Lorrains, obligés par les autorités allemandes de quitter leurs foyers où ils devaient tout abandonner. Deux jours plus tard, les journaux donnaient avec de grosses manchettes, telles que "6000 Lorrains passent tous les jours en gare de Lyon", quelques précisions sur ce lamentable exode, insistant sur la belle attitude patriotique de ces émigrés, qui arboraient fièrement des cocardes tricolores, agitaient des drapeaux et semblaient tout heureux de se trouver en FRANCE libres, loin des Occupants de leur belle province. Comme ces expulsions vont se poursuivre encore pendant quelques semaines - on parle en effet de 150 000 Lorrains qui ont opté pour la FRANCE dans la seule partie du département de la MOSELLE et qui ne parlent pas la langue allemande - il intéressera nos lecteurs de connaître exactement les conditions dans lesquelles les Mosellans ont été amenés à se séparer de la terre natale. LE PLEBISCITE DE LA SARRE EN 1935 Et tout d'abord un petit retour en arrière. Le 13 Janvier 1935, la population du territoire de la SARRE devait, par un plébiscite, se prononcer pour l'une des trois solutions fixées par le Traité de Versailles et qui devait fixer la situation politique définitive du BASSIN : autonomie, retour à l'ALLEMAGNE ou enfin annexion à la FRANCE. On se rappelle qu'à une immense majorité, les Sarrois à l'époque se prononcèrent pour le retour pur et simple au Reich. Pour assurer l'ordre durant cette période troublée par différents incidents sanglants, il fut nécessaire de dépêcher dans la SARRE une Police internationale spéciale et constituée par des détachements des armées suédoises, hollandaises, anglaises et italiennes. (Ce fut la dernière fois que soldats Anglais et Italiens eurent l'occasion de fraterniser et certain soir de Décembre 1934, Mr CARLES, Préfet de la MOSELLE, aujourd'hui Préfet du Nord, donna à la Préfecture de la MOSELLE un grand dîner en l'honneur des états-majors de ces deux armées d'Occupation). L'ALLEMAGNE, malgré la formidable propagande qu'elle avait monté en SARRE depuis l'avènement de Mr HITLER au pouvoir et intensifiée d'une façon extraordinaire durant les derniers mois qui ont précédé la mémorable journée du 13 Janvier 1935, l'ALLEMAGNE ne se sentait nullement sûre du résultat de cette consultation populaire et, officieusement, elle avait offert à la FRANCE des compensations économiques pour le cas où elle renoncerait au plébiscite. Mais la FRANCE tint bon, s'en tenant uniquement aux clauses du Traité de Versailles. Son Gouvernement ne pouvait ignorer que la FRANCE allait au-devant d'un échec retentissant. Malgré les bénéfices que, durant quinze années, les Sarrois avaient retiré de leur situation tout à fait privilégiée, en ce qui concerne les échanges économiques du territoire plébiscitaire tant avec la FRANCE qu'avec l'ALLEMAGNE, cette population était demeurée foncièrement allemande dans l'âme, hostile à tout ce qui était welsche ! La FRANCE n'avait pas su organiser sa propagande. Très maladroitement, elle l'avait confié à des gens qui, en 1933, avaient dû fuir de l'Hitlérie pour des raisons d'ordre politique et dont beaucoup étaient des communistes. L'ALLEMAGNE REDOUTAIT LES RESULTATS D'UN PLEBISCITE EN ALSACE-LORRAINE On aurait pu croire que l'empire allemand vainqueur de la FRANCE allait s'inspirer de ce précédent, qui lui avait rapporté en 1935 une victoire aussi complète qu'inespérée, et, qu'à son tour, sans attendre la conclusion d'un Traité de Paix, il allait infliger à la FRANCE une nouvelle humiliation, en décrétant un plébiscite en ALSACE-LORRAINE, dont les populations, à en croire la presse et la radio allemandes, avaient acclamé la Reichswehr en libératrice. En réalité, dès le début de l'occupation de la MOSELLE par les troupes allemandes, soit à partir du 18 Juin, les Lorrains s'étaient figés en une réserve absolue, qui rappelaient aux très vieux Messins l'attitude que leurs parents avaient adopté en 1870, après la capitulation du Maréchal BAZAINE et l'entrée à METZ des troupes du Prince FREDERIC-CHARLES. Les Allemands eux-mêmes ne cachaient pas la déception que leur avait préparé la ville de METZ aussi bien que les moindres villages du département. Pas de drapeaux aux fenêtres alors qu'après le 11 Novembre 1918, les femmes et les jeunes filles avaient fiévreusement confectionné des drapeaux et des oriflammes tricolores pour accueillir dignement leurs libérateurs. Pas de foule dans les rues de la ville, où seuls rodaient quelques éléments douteux, venus des bas-quartiers et de nationalité mal définie. Et cependant les premières semaines de l'Occupation furent relativement douces, et ce calme apparent devait continuer tant que l'autorité militaire assurait l'administration du département. Aux murs étaient placardées ces affiches bien connues, apposées dans toute la zone occupée, rédigées en français, et sur lesquelles on voit un soldat de la Wehrmacht tenant un petit Français sur le bras et lui donnant à manger. Dans les rues, on entendait les indigènes s'entretenir en français, les Lorrains voyant affluer les démobilisés Alsaciens-Lorrains remis en liberté sur l'ordre du Führer pouvaient croire qu'ils allaient enfin pouvoir reprendre la vie familiale d'avant-guerre. Cette période de calme n'a duré que quelques semaines, et dès la fin du mois de Juillet, la désignation de Mr Joseph BURCKEL comme Gauleiter pour les districts de la SARRE du Palatinat et de la LORRAINE devait marquer une aggravation de la situation. A vrai dire, l'activité et la brutalité du Gauleiter BURCKEL n'étaient pas ignorées des Lorrains qui avaient eu des échos de son savoir-faire en SARRE de 1935 à 1938, puis en AUTRICHE, dont il avait été le gouverneur jusqu'au moment où la confiance de Mr HITLER le rappelait dans les Marches de l'Ouest. La dévalorisation des cours d'échange du franc français (1 mark : 20 francs) avait été une première surprise désagréable pour les Lorrains qui apprirent avec stupéfaction que, dans le Grand-Duché du LUXEMBOURG, les autorités allemandes avaient fixé le cours du mark à 12 francs luxembourgeois. Cette dépréciation de la monnaie devait singulièrement faciliter les achats massifs par les militaires allemands de marchandises de toutes sortes, expédiées vers l'intérieur du Reich par wagons complets ou en camions soigneusement bâchés. La ruée fut telle que, durant trois semaines, alors que les magasins se trouvaient à peu près vidés, la fermeture de toutes les boutiques fut ordonnée pour permettre un recensement des stocks.Quand la réouverture fut ordonnée, les habitants apprirent avec indignation que, pour se procurer désormais le moindre produit textile, il leur fallait des bons spéciaux qui ne leur étaient délivrés qu'après enquête et moyennant paiement d'un droit. Les journaux français avaient cessé de paraître à METZ depuis le 14 Juin. Les Allemands firent paraître deux journaux rédigés en allemand seulement et qui reproduisaient en allemand seulement les nombreux avis et règlements concernant l'organisation de la vie économique. L'immense majorité des commerçants et des consommateurs ne comprenant que le français, ces ordonnances de polices, rédigées bien entendu en style administratif leur demeuraient le plus souvent incompréhensibles et ceci était la source de conflits entre la Police chargée de surveiller l'application de ces sources et une population qui ne les comprenait pas ou mal la plupart du temps. Depuis le 29 Juillet, le système des cartes alimentaires allemand avait été introduit en LORRAINE. Il contrastait étrangement avec le régime précédent et la présence de garnisons nombreuses, toujours affamées, aussi bien que la désorganisation des moyens de transport accentuait cette différence. L'Administration commença à mener campagne contre l'usage de la langue française. Aux vitrines des magasins, aux murs des bureaux administratifs, bref, partout furent apposées des affiches portant les inscriptions suivantes "Unsere Sprache ist Deutsch" (" Notre langue, c'est l'allemand "), ou bien encore "Hier wird nur Deutsch gesprochen" (" Ici on ne parle qu'allemand ") ou enfin "Bist du Deutscher, so sprich Deutsch" (" Si tu es Allemand, parle allemand "). On fit mieux. Comme toutes les villes, METZ s'enorgueillit d'un certain nombre de Monuments, tels que ceux du Maréchal NEY, reproduisant le héros de la MOSKOWA faisant le coup de fusil pendant la Retraite de RUSSIE, celui du Maréchal FABERT avec, sur le socle, cette fière déclaration : "Si, pour défendre une place que le roi m'a confiée, il fallait mettre sur la brèche ma personne, ma famille et tout mon bien, je n'hésiterais pas un instant à le faire ". L'ALLEMAGNE impériale avait respecté ces Monuments, aux pieds desquels défilaient, tous les jours que DIEU fit de 1871 à Novembre 1918, les sections de la garde montante avec musique, fifres et tambours. Par ordre de Mr BURKEL, ces Monuments furent enlevés de nuit par des équipes de pompiers. Subirent le même sort les statues ou Monuments du Roi ALBERT 1er, du Roi SAINT-LOUIS, de LAFAYETTE, offerts par les Chevaliers de COLOMB, du Général MANGIN, etc… (Du reste dans toutes les localités d'ALSACE-LORRAINE, les Allemands agirent de même : c'est ainsi qu'à STRASBOURG, non seulement ils enlevèrent la statue de KLEBER, mais encore firent-ils déterrer les cendres de l'illustre soldat qui avaient pieusement été déposées sous le Monument. Ces restes furent ensuite déposés au cimetière de KRONENBOURG). Le ridicule ne tue plus en ALLEMAGNE : tous ceux qui ont visité METZ se rappellent la fameuse statue du prophète DANIEL adossée au grand portail de la cathédrale. L'architecte Allemand auquel GUILLAUME II avait confié l'exécution du nouveau portrait qui a remplacé celui de BLONDEL, datant du 18ème siècle, avait, dans un accès de byzantinisme, donné au prophète DANIEL les traits du dernier empereur d'ALLEMAGNE, en boursouflant la lèvre supérieure, de façon à rappeler la fameuse moustache de GUILLAUME. Des tailleurs de pierre durent faire sauter à coups de ciseaux cette simili-moustache. Le Monument étant, comme toute la cathédrale en pierres jaunes de JAUMONT, cette taille de moustache tranchait fort sur la figure de la statue patinée par le temps. La lèvre "rasée" fut dans la suite recouverte d'un enduit de façon à donner l'illusion au passant que le prophète DANIEL n'avait jamais eu la moindre ressemblance avec GUILLAUME II. Après la chasse à la langue française, après l'enlèvement des statues, l'Administration allemande débaptisa toutes les rues pour leur donner les noms d'hommes célèbres Allemands et, en particulier de ceux du IIIème Reich ; de telle sorte que, par leurs noms les rues de toutes les localités alsaciennes-lorraines se ressemblent étrangement partout ; il y a une Place ou Rue du Führer, une Rue Adolf Hitler, une autre qui porte le nom de Schlageter, fusillé en RHENANIE par les troupes françaises pour actes de sabotage commis durant l'Occupation de la Ruhr, etc… A METZ, la Rue du Président Wilson est devenue la "Bismarckstrasse" et, dans la banlieue, une localité, une localité qui avait cru devoir donner le nom du Roi Victor-Emmanuel à une des principales artères a vu disparaître cette appellation qui a fait place à la "Mussolinistrasse". La même manie de supprimer radicalement tout ce qui rappelle le passé français de la région a amené les Allemands à germaniser les noms même des localités, dont beaucoup se terminaient soit par "ville", comme PLAPPEVILLE qui s'appelle maintenant "Papolsheim" ou par "ange" (Florange : Florchingen). On pourrait remplir des pages entières si l'on voulait simplement donner la nomenclature très sèche de toutes ces communes débaptisées, dont la plupart ne riment à rien en tant que traduction : il y a un petit village près de METZ qui se nommait JOUY-AUX-ARCHES. L'Annuaire des Postes allemand le mentionne sous le nom de Gaudach ! ! Le coût de la vie ne cessant d'augmenter rapidement en LORRAINE, l'Administration allemande dut, dès le mois d'Août, consentir à une augmentation de 80 % des traitements et salaires. Bien entendu les prix cependant contrôlés, ne firent que hausser. Cette majoration a rapidement atteint 100 % de sorte que les bénéficiaires salariés ne se trouvaient nullement avantagés par rapport aux salaires et traitements qu'ils touchaient avant l'arrivée des Allemands. Bien au contraire. Mais plus lamentable devint la situation des rentiers, propriétaires de maisons parfois complètement vides de leurs locataires, qui étaient partis lors de la mobilisation et dont les familles s'étaient, dès les premières semaines de la guerre, réfugiées dans un département de l'intérieur. Si l'on ajoute que les établissements de crédit, les Caisses d'Epargne ne versaient à leurs clients ou déposants que de très maigres acomptes, largement espacés dans le temps, on devinera les prodiges d'économie qu'il fallait réaliser par ces gens qui devaient vivre en marks, alors qu'ils n'avaient que des revenus en francs dépréciés, pour acheter les matières alimentaires les plus indispensables. Entretemps, commençait le reflux des populations lorraines évacuées en CHARENTE, dans la VIENNE, etc… au début de Septembre 1939, parce qu'habitant des localités situées en avant, dans ou immédiatement derrière la ligne Maginot. Par une propagande très habile, l'Administration allemande avait insisté auprès de ces pauvres gens pour qu'ils regagnent bien vite leurs foyers, avec tout ce qu'ils avaient pu sauver, les assurant de toute la sollicitude du Parti National-Socialiste, de l'aide de l'armée et du Service du Travail (Arbeitsdienst) pour la reconstruction de leurs habitations détruites ou endommagées du fait de la guerre, le défrichement de leurs terres laissées à l'abandon. Beaucoup se laissèrent prendre au piège et regagnèrent leur département d'origine. Evidemment, au début tout alla très bien : des sections d'infirmiers allemands les accueillirent avec sollicitude à la descente du train, des repas chauds leur furent servis, des dames de la "National Sozialistische Volkshilfe" s'occupèrent des enfants. Mis en confiance ces cultivateurs, en tant qu'ils purent rentrer dans leurs villages, dont beaucoup avaient cruellement souffert par les bombardements, se remirent au travail et consacrèrent leurs dernières économies à l'achat de bétail, de matériel agricole, de semences. De leur côté, les agriculteurs Lorrains demeurés sur place se firent un devoir de rentrer les récoltes, aidés très largement par la main-d'oeuvre militaire allemande, les hommes du Service du Travail etc… A la campagne surtout, où le travail pressait, on semblait avoir oublié les tristesses de l'heure présente pour se consacrer tout entier à la terre, qui offrait ses riches récoltes et qui réclamait la préparation des travaux d'automne. Une ombre d'inquiétude passa cependant dans maints foyers lorrains quand furent distribuées vers le 10 Août dernier, des feuilles de recensement, dont les différentes rubriques justifiaient les appréhensions des intéressés. Ces feuilles ou fiches de couleur verte devaient apparemment servir à l'établissement des cartes alimentaires définitives. Or, il fallait fournir des renseignements non seulement individuels, mais comprenant également le conjoint, les ascendants paternels et maternels du chef de famille, des ascendants de sa femme jusqu'au 3ème degré, avec indication de la religion des dates et lieux de naissance et de la nationalité de chacune des personnes entrant en ligne de compte. C'était en somme une espèce d'embryon d'arbre généalogique que chaque célibataire ou chaque chef de famille devait établir dans les 48 heures. Ce qui faisait surtout tiquer les gens, c'était que l'Administration exigeait des renseignements sur la religion de chacun. Or les Juifs 100 % avaient quitté la LORRAINE depuis quelque temps déjà. Au début de la guerre, beaucoup d'entre eux avaient gagné les départements du Centre et du Sud-Ouest. Ceux qui n'avaient pas réussi en Juin à se mettre en sûreté avant l'arrivée des Allemands en LORRAINE avaient, un beau jour, été rassemblés brutalement et chassés en troupeau au-delà de la frontière qui sépare les départements de la MOSELLE et de MEURTHE-ET-MOSELLE. Il y avait, à proprement parler, d'autres indices qui rendaient vraisemblables une recrudescence de l'activité annexioniste des dirigeants du IIIème Reich. Dès le début du mois d'Août, la frontière douanière franco-allemande, telle qu'elle existait depuis 1870 jusqu'en 1914 avait été rétablie. Au début, les douaniers Allemands empêchaient surtout la sortie de devises étrangères de LORRAINE à destination de l'ancienne FRANCE, ainsi que la contrebande du courrier confiée par des habitants de la MOSELLE à des personnes qui se rendaient en territoire occupé (le contrôle des laissez-passer était exercé très rigoureusement par des organes militaires). A partir du 1er Août, après une tournée d'inspection de Mr von SCHWERIN-KROSSINCK, Ministre d'Etat des Finances, venu s'assurer si le cordon douanier était bien en place, l'ALSACE-LORRAINE était pratiquement complètement séparée du reste de la FRANCE : la fermeture était pour ainsi dire hermétique. INTERDICTION DE TOUTE TRANSACTION SUR LES IMMEUBLES, DE TOUT DEMENAGEMENT, DE VENTE DE PARTIES DE MOBILIERS, ETC… Dès l'arrivée des Allemands en MOSELLE, les biens des israélites avaient été confisqués, les Juifs chassés de leurs demeures et conduits en territoire occupé (MEURTHE-ET-MOSELLE), leurs synagogues incendiées (par exemple : STRASBOURG, THIONVILLE, DELWRE, SARREGUEMINES, etc…). Mais, de leur côté, les Lorrains "aryens" également avaient été l'objet de mesures de police qui auraient dû les mettre en méfiance. C'est ainsi que les autorités allemandes édictèrent deux mesures qui devaient supprimer en fait le droit du propriétaire de disposer de son bien. La première a interdit toute vente d'immeubles. Interdiction de grever un immeuble d'hypothèques ou de servitudes. Puis ce fut l'interdiction de vendre tout ou partie des mobiliers existants. Etait également interdit tout déménagement, même à l'intérieur de la même commune, sauf autorisation expresse de l'Administration occupante. La vie des Sociétés avait été bien entendue suspendue dès l'arrivée des Allemands. Défense fut faite d'apporter aucune modification dans la constitution des Bureaux ou Comités de ces Sociétés, qui devaient présenter leur comptabilité, la liste des membres à des commissaires spéciaux du Gouvernement, qui étaient affublés du titre symbolique de "Stillhaltekommissar" (commissaire d'arrêt). Il avait à connaître également de l'état des caisses des fabriques, d'églises, de fondations pieuses etc… Pour les communications postales dans les territoires annexés (LORRAINE et ALSACE), les timbres français furent remplacés par des vignettes allemandes originaires, à l'effigie de HINDENBURG, avec la surcharge en caractères gothiques "Elsass" ou "Lothringen ". LES INCIDENTS DU JOUR DE L'ASSOMPTION 1940 C'est dans cette atmosphère lourde comme une chape de plomb que les Messins devaient, le 15 Août dernier, commémorer la fête de l'Assomption. De 1919 à 1939, ils avaient tous les ans participé à la procession solennelle qui parcourait les rues de la cité. Aucune manifestation extérieure du culte n'étant tolérée par les autorités allemandes, les Messins prirent l'initiative d'honorer d'une autre manière publique la SAINTE-VIERGE, patronne de la FRANCE. Durant l'autre guerre, ils avaient formé le voeu de lui élever une statue sur la Place Saint-Jacques, en lui demandant seulement de protéger la ville contre toute destruction. Ce voeu fut réalisé en tous points. La procession traditionnelle ne pouvant se dérouler à travers la ville, les Messins vinrent en foule déposer, aux pieds de la Statue de la VIERGE, une quantité innombrable de bouquets et de pots de fleurs. Comme par hasard, les bouquets étaient aux couleurs françaises. On vint même déposer une grande Croix de Lorraine en verdure, avec l'inscription : "Qui s'y frotte s'y pique ", qui est la devise de la LORRAINE. Sur l'ordre des autorités, cette Croix de Lorraine fut enlevée. Le soir, une foule énorme, dans laquelle on reconnaissait Mgr HEINTZ, évêque de METZ, vint prier (comme du reste les fidèles l'avaient fait durant la journée) et chanter des cantiques en français aux pieds de la Statue de la VIERGE. Cette manifestation était si importante que le lendemain la "Metzer Zeitung" en publiait un cliché avec la légende très anodine : "Comme tous les ans à pareille date, les habitants de METZ ont fait leur pèlerinage à la Statue de la Vierge Mais quelques jours plus tard, le même cliché était reproduit par la presse d'Outre-Rhin avec une légende quelque peu modifiée et qu'il faut savoir apprécier : "Heureux d'être redevenus Allemands, les Lorrains sont venus remercier la VIERGE ". Le lendemain, les Allemands en représailles sans doute, expulsaient l'évêque de METZ et quantité de Français, originaires des départements de l'intérieur, mais établis depuis longtemps en MOSELLE. Comme bien l'on pense, cette mesure rigoureuse ne fit qu'augmenter les appréhensions des Lorrains. Cependant, les journées suivantes se passaient sans apporter de modification dans la situation. 5 SEPTEMBRE 1940  PREMIERES EXPULSIONS EN MASSE - Mais la préparation de l'épuration de la LORRAINE des éléments Français se poursuivait dans les bureaux administratifs. Un brouillon de lettre, dactylographié apparemment par une employée Lorraine, mais dictée par un fonctionnaire nettement Allemand, puisqu'au brouillon il a apporté des corrections manuscrites en lettres gothiques, est particulièrement édifiant sous ce rapport. Cette lettre, datée du 9 Juillet dernier, était destinée à Mr IMBT, premier bourgmestre de METZ. Nous en donnons ci-dessous le résumé en français : Monsieur le Oberbürgermeister, Ci-joint, les adresses des associations germanophobes en Lorraine : 1°- Association nationale des Croix de guerre (suivent les nom et adresse exactes du Président). La signification de cette Association est de grouper tous les titulaires de la Croix de guerre française et d'autres décorations ou insignes militaires. Cette association se recrute surtout parmi les Français venus de l'intérieur. 2°- Fédération nationale des Combattants volontaires (suivent les nom et adresse du Président). 3°- Société des Malgré nous (suivent les nom et adresse du Président). Cette association se compose surtout des Alsaciens-Lorrains faits prisonniers de guerre en France pendant la guerre de 1914-1918, et de ceux qui, volontairement, ont pris du service en France pour combattre l'Allemagne. La signification de "Malgré Nous" est la suivante : c'est à contre-coeur que nous faisions partie de l'armée allemande. 4°- Société des déportés et incarcérés politiques d'Ehrenbreitstein (suivent les nom et adresse du Président avec au surplus la mention qu'il se trouve actuellement à METZ). Le but de cette association est de réunir les Alsaciens-Lorrains de sentiments français qui, durant la guerre mondiale de 1914-1918, ont été internés à Ehrenbreitstein et dans d'autres localités d'Allemagne. Ces gens sont à proprement parler des fanatiques et des agitateurs et doivent absolument être rendus inoffensifs. 5°- Le Souvenir Français de la Moselle (suivent les nom et adresse du Président et du Vice-Président). Le but principal de cette Société était le maintien des traditions françaises en Lorraine. Elle camouflait son activité en prétendant vouloir s'occuper de l'entretien des tombes françaises et des cimetières militaires. Mais, en réalité, il s'agissait surtout d'un mouvement politique. D'une façon générale, les membres en sont tous germanophobes. 6°- Société de Secours mutuel et décès de la Ruhr et Rhénanie. 7°- La Légion Etrangère de la Moselle (indication du café où se réunissaient les membres, ainsi que les nom et adresse du Président). D'autres Sociétés à caractère politique sont : l'Union des Femmes françaises, le Poilu de France, le Cercle Messin, l'Association des anciens sous-officiers de réserve, l'Union Jeanne-la-Lorraine, les Blessés du Poumon, la Préparation Militaire, etc… Ce brouillon de lettre, si riche en détails, quand il s'agit d'en donner sur les Sociétés compromises et leurs Présidents, est malheureusement muet sur l'identité de son auteur. Peut-être s'agit-il d'une de ses nombreuses lettres anonymes qui, durant les premières semaines qui suivirent l'entrée des troupes allemandes, affluèrent dans les bureaux de la Gestapo. Toujours est-il qu'elle résume bien les milieux dont les représentants furent arrêtés en grand nombre le 5 Septembre, de grand matin, amenés sous escorte dans un camp de rassemblement sous la surveillance des hommes de la S.S., et envoyés en convois vers la ligne de démarcation pour être, de là dirigé en FRANCE libres pour des raisons de sécurité. Il convient de rappeler qu'ils étaient autorisés à emporter 50 kgs de bagages, des provisions de bouche pour trois ou quatre jours et une somme de 2 000 frs. Le délai accordé pour faire les préparatifs de voyage, les adieux aux membres de la famille, variait entre 20 minutes et une demi-heure. Ainsi furent rassemblés et expulsés de leur ville natale plusieurs milliers de Messins de toutes les professions, de tout âge, hommes, femmes et enfants, laïques et prêtres, riches et pauvres, patrons et ouvriers. Des actions d'épuration analogues se poursuivirent durant les journées suivantes dans d'autres localités de la MOSELLE. LES DECLARATIONS DE Mr BURCKEL A METZ LE 21 SEPTEMBRE COMMENT ON CREE L'AMBIANCE NECESSAIRE METZ étant ainsi purgé de tous les éléments que la "Gestapo" considérait comme susceptibles de troubler l'ordre public ou d'être des centres de Résistance à la pénétration de la pensée et de la culture allemandes, rien ne s'opposait plus à l'entrée solennelle du Gauleiter BURCKEL. Auparavant cependant, il convenait de prendre toutes dispositions pour créer une atmosphère favorable et établir, en LORRAINE même, des organisations nazies dont les membres étaient à recruter parmi les gens du pays. Une vaste propagande avait été organisée dès le mois d'Août dans le département. Toutes les personnes qui étaient censés ne pas nourrir des sentiments germanophobes reçurent à cet effet, à domicile, les formulaires les invitant à adhérer à la Communauté du Peuple Allemand (Deutsche Volksgemeinschaft). En donnant une adhésion, le candidat reconnaissait expressément qu'il était de sang allemand et qu'il se réclamait du Führer et du peuple allemand. Il pouvait étendre cette adhésion à sa femme et à ses enfants mineurs. La cotisation est minime 2 francs par mois et 1 franc pour les autres membres de la même famille. Pensant en être quitte moyennant une signature et une dépense mensuelle de 2 francs, maint Lorrain donna son adhésion, espérant avoir la paix ensuite et pouvoir vaquer tranquillement à ses affaires. Les naïfs durent vite déchanter : s'ils étaient jugés digne d'entrer dans cette formation préparatoire des groupements nazis, ils recevaient dans la suite l'ordre d'assister le soir à des cours et des conférences d'initiation aux principes fondamentaux de la doctrine nazie, tant au point de vue politique qu'économique et social. Les Dimanche étaient consacrés à des marches d'entraînement et des exercices militaires, et les intéressés étaient prévenus qu'ils devaient emporter un repas froid. Des cours de chant en commun figuraient également au programme. Les présences étaient pointées. La première absence d'une conférence, d'un cours ou d'un exercice entraînait une demande d'explications, la deuxième absence non justifiée valait au contrevenant un avertissement, et s'il récidivait une troisième fois, il était définitivement rayé de la Communauté du Peuple Allemand et pouvait désormais s'attendre à son expulsion. Comme il est impossible de concevoir dans le IIIème Reich un groupement nazi sans uniforme, les membres de la "Communauté du Peuple Allemand" devaient, pour les démonstrations publiques, en défilant en chantant par les rues de la ville, s'affubler d'un uniforme bien distinct, comprenant essentiellement un pantalon noir, une chemise blanche avec col mou et cravate noire, au bras un brassard rouge avec Croix Gammée. Les femmes étaient embrigadées de la même façon dans la Deutsche Frauenschaft. Quand aux tous jeunes, leur dressage a commencé déjà dans les formations de la Jeunesse Hitlérienne. Par n'importe quel temps, les gamins sont rassemblés en uniforme naturellement et prennent part à des exercices et à des marches militaires. Restait à soigner la décoration de la ville. Les enseignes françaises avaient été enlevées dès le début du mois de Juillet. Puis, les propriétaires de maison furent invités à remettre les façades de celles-ci en état. Quand l'un ou l'autre se faisait tirer l'oreille les travaux étaient exécutés d'office, à ses frais bien entendu. Enfin, il fallait penser au pavoisement des maisons. Des drapeaux à Croix Gammée étaient distribués gratuitement aux commerçants qui avaient omis d'en acheter, ceux qui refusaient le cadeau étaient expulsés. Dans ces conditions, la presse allemande pouvait hardiment affirmer que les rues de METZ n'étaient plus qu'une mer de drapeaux. C'est dans ces conditions que Mr Joseph BURCKEL put faire une entrée triomphale à METZ, le 21 Septembre dernier. A la porte des Allemands, Mr FORET, Lorrain d'origine, qui avait été Maire de METZ de 1910 jusqu'à l'entrée des troupes françaises en 1918 (19 Novembre), lui souhaita la bienvenue et lui remit quatre clefs des portes de la ville. Sur la conduite de Mr FORET, il n'y a pas à perdre un mot, elle se rapproche de celle de Mr RICKLIN, ancien Député et Président de la 2ème Chambre du Landtag d'ALSACE-LORRAINE. La principale cérémonie de la journée se déroula dans le vaste hangar qui servait précédemment de dépôt aux tramways de METZ et qui avait été transformé en salle de réunions. C'est là que, longuement, le Gauleiter développa son programme, faisant l'apologie du régime nazi, etc… De toutes ses déclarations, nous retiendrons seulement celles qui ont trait aux deux points suivants :

1°) LE PROBLEME DE LA LANGUE

ET LE STATUT FUTUR DES LORRAINS

" La FRANCE avait transformé l'ALSACE-LORRAINE en un glacis militaire, qu'elle se proposait d'utiliser comme une porte de sortie pour porter ses frontières jusqu'au RHIN, anéantir le Reich et le morceler en un grand nombre de petits Etats impuissants. " Mais comme, en fin de compte, nous voulons la paix, que nous en avons besoin et que nous la voulons pour toujours, nous avons pris la précaution de mettre la FRANCE dans l'obligation de renoncer pour une période d'égale durée, c'est-à-dire pour l'éternité, à la réalisation de ses désirs. " Nous le pouvons parce que nous sommes un peuple de 90 millions, alors que la FRANCE n'est qu'un peuple de 40 millions, nous le pouvons parce que le temps est passé où l'ALLEMAGNE comptait 29 Chefs d'Etats et 25 Partis politiques, et enfin parce que nous sommes une communauté indissoluble et partant invincible, qui ne songe pas à démolir à nouveau ses canons et à laisser pourrir ses lauriers. Le langage de l'ALLEMAGNE d'aujourd'hui est tellement imprégné de l'avenir, il y est ancré si profondément qu'il a la force d'imposer sa volonté pour les siècles à venir. " Vous me répliquerez : "Les dés étant jetés pour l'éternité, il y aurait lieu de lancer un pont de la paix et de la collaboration ici-même avec les Français, de façon à pouvoir se rencontrer à mi-chemin. Et, pour cette raison, il semble tout indiqué de maintenir le sacro-saint bilinguisme ". " A ceci, je réponds comme suit : "La paix entre la FRANCE et nous sera assurée de la façon la plus sûre si les Français sont mis dans l'impossibilité, une fois pour toutes, de s'immiscer dans nos affaires intérieures. Mais comme les Français ont toujours utilisé ce pont pour gagner de l'influence chez nous, nous renonçons pour tout jamais à ce pont. C'est le Front Allemand qui reste le meilleur pont de la paix ". " Il n'existe qu'une seule chose claire : d'un côté l'ALLEMAGNE avec ses Allemands, et de l'autre côté la FRANCE avec ses Français. Aucun compromis n'étant admis, notre position dans la question du bilinguisme est évidente.

2°) SUPPRESSION DE LA FRONTIERE BILINGUE

" Avec toute l'obstination dont elle était capable, la FRANCE a poussé la frontière linguistique vers l'Est, en terre allemande. Le mobile auquel elle a obéi, c'est que la langue est la plus forte expression de l'essence même d'un peuple et que c'est par la langue qu'on arrive le plus facilement à dominer des êtres étrangers. Dans ces conditions, l'usage de la langue française dans une région frontière acquiert une importance capitale. Se servir de la langue française, c'est confesser qu'on est Français ou c'est, pour le moins, affirmer qu'on est prêt à se porter au secours de la FRANCE. " Si l'on abjecte qu'il existe à la frontière de nombreux individus qui ne parlent que le français et qui néanmoins ont le désir de retourner à l'ALLEMAGNE, je réponds qu'il sera tenu compte de ce voeu. " D'accord avec ces Allemands, l'organisation de la Communauté du Peuple Allemand saura leur trouver un chemin de retour qui ne m'empêchera pas de supprimer la frontière linguistique qui n'est qu'une création artificielle. Dans mon ?********** et dans toute l'ALLEMAGNE, cette petite fraction d'Allemands se sentira chez elle. Le seul sacrifice auquel ils devront consentir, c'est de contribuer à effacer la frontière linguistique. Pour cette raison, un échange des populations devient inévitable ici et là. Il y sera procédé d'une telle manière qu'il n'en résultera aucun préjudice économique. Là encore, il ne peut y avoir qu'une décision très nette.

3°) ALLEMAND OU FRANÇAIS

" Quiconque se trouve placé devant la décision à prendre, doit se pénétrer de ceci : "Nous ne mendions pas pour que quelqu'un devienne Allemand. C'est une grâce et un honneur d'être Allemand. On n'impose pas une grâce ou un honneur, ce ne sont que ceux qui en sont dignes qui l'acquièrent. Mais sache que, quand une fois tu es devenu l'un des nôtres et que tu t'en montres fier, alors nous te soutiendrons tous comme un seul homme. Quand aux tièdes, ils n'ont qu'à joindre leur moitié allemande à leur moitié française. Dans tous les cas, cette manière de procéder est encore plus honorable et plus commode assurément que de vouloir rester au milieu de nous ". Telles sont les déclarations textuelles, faites le 21 Septembre à METZ par le Gauleiter BURCKEL. Elles ne laissent place à aucun doute sur le sort qui attendait les Lorrains. Au surplus, une manifestation significative marque la fin de cette journée. A la tombée de la nuit tous les drapeaux français qu'on avait pu trouver à METZ furent brûlés sur la Place du Führer (précédemment Place de la République). Le brasier fut encore alimenté par les calots, bérets, uniformes de Sociétés françaises, livres, brochures, périodiques et journaux français. Durant cet immense autodafé, des chants patriotiques furent exécutés par la foule. Signalons pour terminer une autre cérémonie burlesque qui se déroula le même jour à METZ dans la salle de l'Hôtel des Mines. Un membre des Jeunesses Hitlériennes remit à Mr BURCKEL un bloc de minette en prononçant l'allocution suivante : - Je vous remets ce bloc de minerai lorrain, extrait d'une terre essentiellement allemande. Je vous prie de bien vouloir prendre sous votre protection cette terre allemande et ses habitants qui, comme la terre dont ce bloc est sorti, sont foncièrement allemands ! UN NOUVEAU MANUEL SCOLAIRE A L'USAGE DES PETITS LORRAINS Le langage brutal de Mr BURCKEL ne laissait place à aucun doute et cependant les Lorrains espéraient toujours qu'ils pourraient continuer de vivre en paix sur leur terre natale. Les récoltes avaient été rentrées, les vendanges faites, les semailles d'automne préparées. Les enfants des villages, après de longues vacances, étaient retournés en classe le 1er Octobre. Une surprise les y attendait. On leur distribua, en effet, gratuitement une brochure de 32 pages, qui devait être le premier numéro d'une série de fascicules destinés à apprendre l'allemand aux petits Lorrains. Tel est le titre officiel de cette brochure imprimée à LUDWISCHAFEN et qui reproduit en allemand le texte français sur lequel les élèves doivent travailler. Voici à titre d'échantillon quelques lignes extraites du chapitre : "EN AVANT VERS L'ALLEMAGNE" (" MARSCH NACH DEUTSCHLAND ") : "Il y a 22 ans la LORRAINE a été arrachée à l'ALLEMAGNE démembrée. Des hommes étrangers devinrent les maîtres du pays volé. La langue allemande devait être refoulée par tous les moyens. Dans les écoles, les enfants ne parlaient à peu près que le français. Dans les familles, on ne lisait que des journaux français. Les Français et les Anglais se figuraient que cela devait être toujours ainsi dans un pays qui est pourtant terre allemande. " Aveuglés par la haine qu'ils avaient voué à la nouvelle ALLEMAGNE, redevenue grande et forte par le travail et l'ordre, ils lui déclarèrent la guerre… " Aujourd'hui des soldats Allemands parcourent les villes et villages lorrains en chantant de joyeuses chansons et en fraternisant avec la population. " La LORRAINE se déclare joyeusement pour la Grande ALLEMAGNE et pour son Führer, etc… " Les petits Lorrains sont retournés en classe où ils apprendront l'allemand et chanteront en allemand. La jeunesse lorraine a commencé un nouveau mouvement : il conduit vers l'ALLEMAGNE. Les yeux brillent et le coeur bat plus fort quand on dit : "Nous apprenons l'allemand ". (On remarquera que dans ces quelques lignes, reviennent dix fois les mots "ALLEMAGNE" ou "allemand "). La distribution de cette brochure et l'enseignement sur lequel elle se basait marquèrent, par conséquent, au début d'Octobre, une tendance toute différente de celle si radicale que Mr BURCKEL avait exprimé à METZ le 21 Septembre. Les Allemands se contenteraient-ils de germaniser la jeunesse lorraine par l'école, convaincus que l'interdiction absolue de la langue française, la fermeture hermétique de la frontière et le contact quotidien avec les troupes d'Occupation et les très nombreux fonctionnaires ou émissaires du Reich amèneraient l'extinction complète de la langue française. Il y eut un brusque revirement. Une fois de plus, les éléments extrémistes, dont Mr BURCKEL est l'un des Représentants les plus remarquables, devaient l'emporter ; cependant, la brochure en question avait été imprimée par les Services de l'Enseignement Public du chef des Zivilvervaltung, qui est le même Mr BURCKEL. UNE TOUSSAINT MEMORABLE Le 1er Novembre 1940, furent apposées dans toutes les communes de la MOSELLE (y compris les régions bilingues et de langue allemande) de grandes affiches, format double colombier, rédigées en allemand et en français, et qui portaient la signature du Gauleiter BURCKEL. C'était à proprement parler, une proclamation aux Lorrains, les informant que l'heure était venue pour eux de choisir entre l'ALLEMAGNE et la FRANCE. Ceux d'entre eux qui se décideraient pour le Reich seraient transférés dans le district de la WARTHE, les autres seraient les rapatriants à diriger vers leur ancienne patrie. Il n'y avait que les Lorrains qui avaient fait l'autre guerre en POLOGNE qui se rappelaient de la WARTHE, pays désolé où ne poussent que la pomme de terre et le seigle. Mais aucun de tous les autres n'a même songé un seul instant à la situation géographique du district de colonisation que Mr BURCKEL voulait bien leur assigner. De la proclamation du Gauleiter, ils ne retenaient qu'une chose : ils avaient une possibilité de rentrer en FRANCE, tout le reste importait peu et c'est d'un coeur léger qu'ils ont abandonné tout leur bien, laissant la terre natale à la garde de leurs morts et emportant dans leurs maigres bagages un objet qui leur paraissait infiniment précieux : un drapeau aux couleurs françaises. Maintenant qu'ils se retrouvent en terre libre avec leurs Maires, leurs curés et leurs instituteurs, il serait intéressant pour chaque village, de faire établir la narration très objective et complète des journées que la commune a vécues pendant cette première quinzaine de Novembre, c'est-à-dire depuis le moment où la proclamation fut affichée jusqu'au franchissement de la ligne de démarcation par le convoi.

L'EXODE SERA-T-IL LIMITE

A LA REGION DE LANGUE FRANÇAISE ?

Dans sa proclamation du mois de Novembre, Mr BURCKEL s'adresse surtout aux populations rurales de la région de langue française de la MOSELLE, c'est-à-dire à celles fixées dans un espace limité à l'Ouest et au Sud par le département de MEURTHE-ET-MOSELLE, au Nord par la voie ferrée de LANGUYON à THIONVILLE, puis par la ligne de THIONVILLE-METZ-BENESTROFF-SARREBOURG, AVRICOURT. Mais déjà sont arrivés en gare de LYON des convois comprenant des habitants de la région bilingue et même des cheminots et des agents des P.T.T. de la région de langue allemande (FORBACH et SARREGUEMINES). Dans ces conditions, on peut se demander si cet exode ou ce transfert de populations sera limité ou si, au contraire, ce n'est pas toute la MOSELLE que Mr BURCKEL et ses Services entendent vider pour y amener des colons allemands venus de la BESSARABIE, de la DOBROUDJA et de la WOLHYNIE ? C'est bien possible. Pratiquement, tous les habitants de la MOSELLE ne sont plus que de pauvres pions qui sont manoeuvrés par les dirigeants nazis au gré de leur volonté. Parmi les émigrés se rencontrent, en effet, les Lorrains qui pensant pouvoir rester sur le sol natal, avaient donné leur adhésion, il y a quelques semaines à peine, à l'organisation de la "Communauté du Peuple Allemand ". Il y a même, parmi les rapatriants, pour employer le mot de Mr BURCKEL, des fonctionnaires et des membres du corps enseignant, qui avaient apposé leur signature au bas des trois déclarations qui leur étaient présentées. Dans la première, ils reconnaissaient que le Führer, après avoir mené une lutte formidable, a réparé le crime du Diktat de honte de VERSAILLES et reconquis l'ALSACE allemande à la Grande ALLEMAGNE. En conséquence, le signataire adhère au retour de sa terre natale au Reich et déclare qu'il remplira sans aucune condition et d'un coeur joyeux les devoirs lui incombant en tant que fonctionnaire ou éducateur Allemand. En donnant sa signature à la deuxième déclaration, le signataire affirme qu'il est conscient d'avoir à faire du service partout en ALLEMAGNE où la nécessité de l'Etat l'exigera et cela conformément aux principes du Reich national-socialiste. Il ajoute que, sans réserve il s'engage à remplir les devoirs de sa charge dans toute résidence de service qui pourra lui être assignée. Par la signature de la troisième déclaration enfin, il affirme qu'il s'emploiera d'une façon active pour le Führer et la Grande ALLEMAGNE nationale-socialiste, non seulement dans le service mais encore en dehors de celui-ci. En Novembre 1906, après l'exploit du cordonnier VOGT, qui, affublé d'un vieil uniforme de Capitaine Prussien avait réussi à mobiliser un corps de garde à KOPENICK, à coffrer tout le personnel de la recette municipale de cette ville, faubourg de BERLIN et à prendre la fuite avec la caisse municipale, ce fut un immense éclat de rire dans toute l'EUROPE et même au Reichstag on parla de ce Kadavergehorsam de l'armée prussienne. La discipline et l'obéissance prescrites jadis par SAINT-IGNACE de LOYOLA à ses religieux (perinde ac cadaver), limitée sous l'Empire de GUILLAUME II à l'armée, a depuis fait du progrès. Elle s'étend maintenant au corps des fonctionnaires, des membres du corps enseignant et, on peut bien le dire, à tous les êtres humains qui vivent sous la dépendance des dirigeants du IIIème Reich.

QU'ADVIENDRA-T-IL DE LA LORRAINE DE LANGUE FRANÇAISE VIDEE DE SES HABITANTS ?

Il est assez hasardeux de formuler le moindre pronostic en ce qui concerne le sort que les autorités allemandes entendent réserver à la partie de la LORRAINE, dont ils viennent de vider les villages. Qu'il nous soit simplement permis de résumer ici quelques informations : Dès le début d'Août dernier les journaux allemands publiés à METZ, reproduisaient des études avec statistiques à l'appui sur le rendement des terres en MOSELLE et dans les régions avoisinantes du Reich, dans lesquelles il avait été procédé depuis l'avènement de Mr HITLER au pouvoir, à un remembrement des terres par les Services du cadastre. La prédominance de la petite propriété, le morcellement de la terre tels qu'ils existent depuis longtemps en MOSELLE auraient pour conséquence un rendement à l'hectare très inférieur à celui qu'on note dans le Palatinat et en RHENANIE par exemple. La petite propriété étant un obstacle à l'exploitation rationnelle et intense du sol, doit disparaître et laisser la place aux très grandes exploitations agricoles disposant d'un outillage ultra-moderne. Ces grandes exploitations rurales se rencontrent à l'heure actuelle déjà dans le pays de la SEILLE, dont les habitants ont été expulsés. Dans le pays de CHATEAU-SALINS, par exemple, il y a des fermes de 150 hectares d'un seul tenant comprenant un très nombreux cheptel chevalin, bovin et ovin. Or, il est assez curieux de noter qu'au moment où ces gros propriétaires terriens ayant refusé d'opter pour l'ALLEMAGNE, suivirent leurs compatriotes à la gare où les attendait le train qui devait les conduire en zone libre - furent l'objet de pressantes sollicitations de la part des Représentants de l'Administration allemande. Ceux-ci leur promirent qu'ils pouvaient rester sur leurs terres, que personne ne viendrait les inquiéter, ni eux, ni leurs parents alliés etc… Bien entendu, les Lorrains firent la sourde oreille et sont partis avec leurs compatriotes. Le Reich reconnaissait-il, par cette démarche, qu'il lui serait difficile sinon impossible d'exploiter les terres qu'abandonneraient les Lorrains ? Dans les villages évacués le bétail laissé sur place était soigné par des soldats, des valets de ferme de la région de langue allemande de la LORRAINE et même par des membres des Jeunesses Hitlériennes. Tout cela ne constitue qu'une mesure de conservation provisoire et très précaire. Tôt ou tard, il faudra confier la terre et le bétail à d'autres cultivateurs, à des colons que l'ALLEMAGNE aura rapatrié de WOLHYNIE, de la BESSARABIE ou de la DOBROUDJA. Les premiers colons sont arrivés de BESSARABIE dans un village situé au Nord de METZ et dont les habitants pratiquaient sur une grande échelle la culture de la fraise. Ces Bessarabiens tous chargés de famille ont eu une première déception : ils comptaient arriver dans des villages habités et ils n'ont trouvé que des maisons vidées de leurs propriétaires ou locataires. De la culture de la fraise, ils ne comprennent rien, et déjà ils regrettent d'avoir été transplantés…