Marcelle FORRER
***
010
L'ATROCE
DÉLATION
Mes
Prisons
GUERRE
1939 - 1945
NICE
- NOVEMBRE 1985
LES
GUERRES DU XXe SIÈCLE
A
TRAVERS LES
TÉMOIGNAGES
ORAUX
**
Collection
Michel El Baze
réalisée dans le cadre de
l'Association Nationale des Croix de Guerre
et
des Croix de la Valeur Militaire
2
Place Grimaldi - 06000
Tél.
0493878677
Récits de
vie des Anciens Combattants,
Résistants,
Internés, Déportés, Prisonniers
**
Pour l'enrichissement de
la
mémoire
collective
Ces
documents peuvent être mis en libre communication
Droits de traduction, de
reproduction et d'adaptation
réservés
pour tous les pays.
Conservateurs :
• Ministère des Anciens
Combattants - Délégation à la Mémoire et à
l'Information Historique - Paris. • Sénat de la
République - Département de la Recherche
Historique de la Bibliothèque - Paris. •
Department of Defense - Department of the Army -
Federal Center of Military History - Washington -
U.S.A. • Imperial War Museum - Departement of
Documents - London - Great Britain. • Bundesarchiv
- Militärarchiv - Freiburg im Breisgau -
Deutschland. • Hôtel National des Invalides -
Musée de l'Armée - Paris. • Conseil Général des
Alpes Maritimes - Cabinet du Président. •
Direction des Archives Départementales des Alpes
Maritimes. • Université de Nice-Sophia Antipolis -
Centre de la Méditerranée Moderne et
Contemporaine. • Ville de Nice - Bibliothèque
Municipale. • Ville de Nice - Cabinet du
Maire-Adjoint aux Anciens Combattants. • Musée de
la Résistance Azuréenne. • Le Témoin.
Analyse du
témoignage
Résistance - Déportation
en Allemagne
Écriture
: 1985 - 65 pages
PRÉFACE DE MICHEL EL BAZE
J'ai vécu l'écriture de ce
récit et je peux dire qu'il a été aussi pénible
à Marcelle FORRER de l'écrire qu'il sera au
lecteur de le lire.
La délation est de tous
les temps.
Mais quand ce mal
frappe sa propre famille, quand une mère dénonce
sa propre fille, nous atteignons l'ignoble.
Ce sont ces malheurs qui
nous touchent le plus dans les témoignages qui
forment cette collection.
On y voit un
jeune homme livrer à l'Allemand son meilleur ami
d'enfance ; un fils dénoncer à la Gestapo le
Réseau de son père; un frère Waffen S.S., gardien
de son propre frère au camp de concentration de
BUCHENWALD; moi-même, je fus dénoncé aux Allemands
avec trois-cents de mes coreligionnaires par mes
camarades de combat.
Les motivations des
délateurs sont diverses.
Ce peut être
l'intérêt,
la jalousie,
la haine,
le racisme.
Mais quel est donc le bas
sentiment qui a amené ce "démon" à dénoncer à la
Gestapo
son propre
enfant,
sa fille !…
Ce témoignage vous
laissera un goût amer.
Mais il fallait
qu'il soit écrit.
Qu'il soit lu.
Pour empêcher
l'oubli.
I saw the writing of this
story and I can tell that it has been as painful
for Marcelle Forrer to write it, as it will be
for the reader to read it. Denouncement run through
ages. But when this ill strikes your own family,
when a mother denounces her own daughter, then
we get to the vilest of things. Those are the misfortunes
that moved us most in the testimonies that make
up this collection. We see a young man giving up
his best friend from childhood to the Germans, a
son giving up to the Gestapo the network of his
father, a brother Waffen S.S., warden of his own
brother in the concentration camp of Buchenwald.
I was myself given up to the Germans with three
hundred of my fellows religionists by my
companions of fight. The motivations of an
informer are various. It can be interest.
Jealousy. Hatred. Racism. But, which vile feeling
can it be that prompts this "Devil" to give up
his own child, his own daughter to the Gestapo. This testimony will leave
you with a bitter taste. But it had to be
written. It had to be read. To prevent oblivion.
POSTFACE de Michel EL BAZE
Née d'un "Démon" qui
l'abandonne à sa naissance pour la réclamer seize
années plus tard aux Autorités Allemandes qui
annexent la Lorraine, Marcelle Forrer est dénoncée
à la Gestapo par ce même Démon.....sa mère, pour
avoir déserté l'Arbeitsdienst et aidé à l'évasion
de prisonniers de guerre Français et de Lorrains
réfractaires. Elle connaît alors les camps et les
prisons de Metz, Schirmeck, Kassel, Leipzig,
Auschwitz, Görlitz, Breslau, Lübeck, Cottbus,
Witten-Anen, Dortmund ! Libérée par les
Américains, prise en charge par les Anglais,
amoindrie, elle retrouve sa France et témoigne,
quarante années plus tard, parce que c'est son
Devoir envers Ceux et Celles qui ne sont pas
revenus.
Born from a "Devil" that
abandons her at her birth to claim her sixteen
years later to the German Authorities which are
annexing the Lorraine area, Marcelle Forrer is
denounced by that very devil... her mother, for
having shunned from Arbeitdienst, and helping
the escape of French war prisoners and of
insubordinate people from Lorraine. She then
gets to know the camps and the prisons of Metz,
Schirmeck, Kassel, Leipzig, Auschwitz, Gorlitz,
Breslau, Lubeck, Cottbus, Witten-Anen, Dortmund
! Freed by the Americans, taken care of by the
English, diminished, she comes back to France,
forty years later and bear witness, because it
is her Duty towards all those that never came
back.
SOMMAIRE
**
PREFACE
*
DEDICACE
*
**
LIVRE
1 - LA MEMOIRE
PAGES
- Née du Démon 1
- Ma grand-mère
- Les temps
heureux 2
- A PEPINVILLE
L'Orphelinat du
"SACRE-COEUR " 3
- A METZ -
L'institution de "SAINT-JOSEPH " 4
- Le bon papa
ZANG 5
- A KAISERSLAUTER
- Nouvel horizon étranger 6
- A SARREBRÜCK -
Bonne d'enfants 7
- A GÖRLITZ 8
- A METZ - Retour
clandestin 9
- L' arrestation
13
- Déportée vers
l'ALLEMAGNE 15
- AUSCHWITZ - Le
camp 17
- En prison -
GÖRLITZ 19
- Premier
jugement 20
- En prison à
BRESLAÜ 21
- Deuxième
jugement 22
- En prison par
LÜBECK 23
- Dans la
forteresse de COTTBUS 24
- Dans la prison
de WITTEN-ANEN
- Libérée ! 26
- Rapatriée ! 27
- Retour à METZ-
Condamnation de Madame ZANG 28
- EPILOGUE 29
LIVRE
II
**
NOTES
ET DOCUMENTS
- La situation
des Lorrains 31
- Andrée FRANÇOIS
46
- Extrait de
Naissance 48
- Carte de
Rapatriée 49
- Certificat de
Libération des camps allemands 50
- Certificat de
Validation des Services, 51
- Médaille
Militaire 52
- Croix de Guerre
53
DÉDICACE
**
Je dédie ce
récit d'abord à mes cinq enfants : Pierre, Mario, Agnès,
Bruno Victor, mais je dois une grande
admiration à notre dévoué Président et ami
Michel EL BAZE lequel consacre un temps précieux
à rassembler nos cruels souvenirs d'un temps
passé qui ne sera jamais oublié de chacun de
nous, anciennes victimes du système de
destruction de la race humaine par le nazisme,
dont les nuits sont souvent hantées par le
souvenir de nos compagnes ou compagnons. Les faits écrits
n'expriment pas à eux seuls le Drame de la
Personne Humaine confrontée à ce monde des camps
nazis. Mais, nous, survivantes et survivants,
nous devons témoigner, c'est notre Devoir car un
lien indestructible nous unit encore à Celles ou
à Ceux qui ne sont pas revenus.
M.
F.
LIVRE I
**
La
Mémoire
Chacun de nous, sur cette terre, a
son destin,
voici
le mien tracé en quelques pages
et
je serais injuste de me plaindre alors que
aujourd'hui
encore, sur toute la planète,
tant
de malheureux subissent encore le despotisme de la
politique des guerres…
NÉE DU
DEMON Ma grand-mère avait deux filles, un ange
et un démon. Lorsque le "démon" atteint l'âge de
quinze ou seize ans elle multipliait les fugues et
les vols dans la caisse du café-restaurant que
dirigeait ma grand-mère. La gravité de ses actes
était telle qu'elle fut conduite en maison de
correction au "BON PASTEUR" à METZ, d'où elle
s'échappa deux ans plus tard pour se retrouver à
NANCY comme ouvrière. Je fus conçue d'une liaison
clandestine du "démon" car elle était toujours
célibataire. C'est chez une dame qui habitait près
de METZ, que je naquis. Mais ma mère refusa de me
reconnaître et c'est une servante de l'Hospice de
"SAINT-NICOLAS" qui signa mon acte de naissance.
Ma mère partit pour l'ANGLETERRE alors que la
Mairie de METZ faisait des recherches pour la
retrouver. A cette époque elle avait vingt ans. MA GRAND-MERE Ma grand-mère fut mise au courant de mon
existence et vint me chercher à l'Hospice. Elle
m'éleva avec mon oncle de sept ans plus âgé que
moi et de ma tante qui avait 13 ans. Les souvenirs
heureux de cette enfance entre ma grand-mère très
travailleuse, aidée de ma tante, sont toujours
présents à ma mémoire. Nous étions mon oncle et
moi les enfants les plus choyés, et heureux de
vivre. J'aurais voulu que "SAINT-NICOLAS" vienne
tous les Dimanche me mettre sur le rebord de la
fenêtre de la cuisine des pains d'épice avec son
image souriante dans sa barbe blanche. Outre l'élevage de porcs, de volaille et
de lapins, ma grand-mère gouvernait un
bar-restaurant-cantine au Fort Militaire de VERNY,
en face de la caserne où j'allais tous les jours
partager les jeux des enfants d'Officiers. J'ai
été heureuse jusqu'à l'âge de six ans. Alors ma
bonne grand-mère fut atteinte d'un cancer de la
matrice et mourut après avoir vendu ses propriétés
et ses terres dont elle partagea le produit entre
ses fils et sa fille ; elle me légua la part de ma
mère qu'elle prit soin de mettre sur un livret de
Caisse d'Epargne ce qui m'obligea d'avoir un
tuteur car mon grand-père avait été abandonné par
son épouse 5 ans avant ma naissance tant il avait
été odieux avec elle. De plus c'était un ivrogne. Je fus reconduite, dès la mort de ma
grand-mère, à l'Hospice "SAINT-NICOLAS" à METZ. LES TEMPS HEUREUX En attendant que mon tuteur ait pu
prendre une décision pour mon avenir, je fus
confiée à une nièce de ma grand-mère, qui se
chargea de placer mon oncle âgé de 13 ans. Elle
l'accompagna à l'Orphelinat de "GUENANGE " chez
les frères et ma tante fut transportée à
l'hôpital. Le chagrin causé par la mort de sa
maman lui causa le désespoir. A 19 ans elle rentra
au Couvent de la "SAINTE-FAMILLE" à METZ où elle
mourut 8 ans plus tard. Elle vint me voir à
l'Orphelinat le jour où je fis ma première
communion et me donna des nouvelles de mon oncle
ALOYS qui était à l'Orphelinat de "GUENANGE". Je
n'ai jamais vu ALOYS car nous ne sortions jamais
de cette institution religieuse retirée en
rase-campagne où l'on ne voyait absolument rien de
ce qui pouvait se passer derrière les murs. La
nièce de la grand-mère obtint de mon tuteur
(employé au bureau de
"BIENFAISANCE-ASSISTANCE-PUBLIQUE" à METZ) la
permission de m'emmener chez elle, à AIX-LES-BAINS
en SAVOIE. Elle était mariée à un Savoyard,
propriétaire d'une grande fabrique de limonade,
eau gazeuse, charbon et bois, ils n'avaient pas
d'enfants. Pendant un an et demi, je vécus donc une
douce et chaleureuse vie de petite Lorraine avec
son fort accent de VERNY entourée des rires de mes
nouveaux cousins de fortune, accueillie et choyée
comme une petite reine car la nièce de ma
grand-mère n'avait pas pu avoir d'enfants. Son
mari fut un papa attentionné pour moi, déjà en
1930 il me conduisait à l'école en voiture.
J'avais une servante qui me faisait faire de
grandes et jolies promenades au bord du lac du
BOURGET et aux alentours. Le Samedi, j'allais chez
la coiffeuse. Je n'aimais pas le fer à friser mais
il fallait que je sois belle, car le Dimanche,
nous partions avec la voiture, manger sur l'herbe
au MONT-REVARD ou bien à CHALES-LES-EAUX,
rejoindre la famille de mon papa d'adoption
temporaire où l'on m'attendait pour un bon goûter
en compagnie des enfants de mon âge de la famille
BUFFET. Tout à coup, j'avais une grande famille
aisée avec une voiture que je ne supportais pas
toujours : quand il y avait beaucoup de virages,
j'avais mal au coeur. A VERNY, chez ma grand-mère,
il n'y avait que le vélo à barre de ALOYS car il
allait loin à l'école et le Dimanche il me mettait
sur la barre et il m'emmenait au bord de la
rivière où il aimait nager. Quel changement ! J'ai
encore de magnifiques photos de ce temps-là, la
seule période dans mes 62 ans de vie qui m'ait
apporté Bonheur et Joie entourée par tous de
beaucoup d'affection.
A PEPINVILLE —
L'ORPHELINAT DU
SACRE-COEUR
En Septembre 1931, mon
tuteur vint à AIX-LES-BAINS mettre fin à ce
bonheur de 16 mois seulement. Je quittais tous ces
gentils cousins, tous ces tontons et tatas qui
m'avaient choyé, gâté et c'est avec de grosses
valises pleines de beaux linges, robes en soie,
manteaux en velours avec col de fourrure en
hermine etc… que je pris le train pour METZ en
compagnie de ce monsieur MAYER, presque sévère,
intransigeant, me défendant de pleurer après cette
douloureuse séparation. Je me trouvai, trois jours
plus tard, dans une grande maison qui ressemblait
à un château féodal où l'on m'expliqua que c'était
naguère le château de PEPIN-LE-BREF, c'est pour
cette raison qu'il portait le nom de PEPINVILLE.
En fait, c'était l'Orphelinat du "SACRE-COEUR"
dirigé par les religieuses où rien me rappelait la
douceur de la famille BUFFET d'AIX-LES-BAINS. Il
se situait entre les villages de RICHEMONT et
UCKANGE entre la MOSELLE et la frontière
luxembourgeoise, en plein champ et bois. Retirée
du monde extérieur, je n'avais comme vêtements que
l'uniforme de l'Orphelinat. Les belles promenades
en montagne savoyarde ont été remplacées par des
promenades toujours semblables du dortoir à la
chapelle, de la chapelle au réfectoire. Prières
interminables : au saut du lit, 30 minutes à
genoux sur le sol. Avant la messe du matin, 45
minutes à genoux par terre. Messe à 6 h un quart
tous les matins, toujours avec défense d'échanger
un seul mot. Après la messe, réfectoire, puis le
petit déjeuner, enfin à 7 h 1/2 récréation dans la
cour avant de se mettre en rang pour regagner les
bancs de l'école (1 seule salle pour tous les
cours avec une seule institutrice, Vendéenne
vieille fille). Il fallait subir les mauvaises
conséquences de ses crises de foie nombreuses à
chaque fin de trimestre. Je ne peux pas compter
les séances de coups de martinet qu'elle
organisait lorsqu'on lui reprochait de faire des
faveurs à ses "chouchoux ". Elle me reprocha un
jour, d'être là par charité, qu'il me fallait
obéir et surtout ne jamais répondre pour me
justifier, et si je l'osais alors, j'avais des
centaines de lignes à copier le soir, au lieu
d'aller en récréation avant le souper. J'appris
plus tard qu'elle était payée, ainsi que la
Direction de l'Orphelinat, 225 francs par mois
somme prélevée sur mon livret de Caisse d'Epargne
que ma grand-mère m'avait laissé. Et pourtant on
me laissait marcher avec des semelles en passoires
parce que j'usais trop vite mes chaussures. Les Dimanche, c'était l'enfer pour moi
car je devais subir quatre offices ce jour-là :
petite messe à 7 heures, grande messe à 10 heures,
vêpres à 14 heures et salut à 18 heures. Tous les
souvenirs de la belle époque surgissaient et les
crises de larmes en plein office étaient
interdites. Celle qui s'endormait était
brutalement réveillée. Dans ce cas, la Soeur nous
faisait mettre debout dans l'allée et me mettait
sur la liste des corvées pour les ménages :
frotter les parquets à la paille de fer, porter
les seaux lourds de nourritures aux cochons de la
ferme de l'Orphelinat. Si j'osais m'expliquer,
c'était une nuit passée au cachot qui était un
cagibi placé sous les escaliers où l'on rangeait
les serpières, les seaux, les balais et qui était
le refuge des souris, lesquelles dégageaient une
odeur nauséabonde. La peur s'emparait de celles
qui étaient punies de cachot. Nous étions donc
toutes réduites à ramper comme des vers de terre
devant ces Soeurs dites de Charité !… Deux grandes orphelines, enfermées depuis
14 années dans ce purgatoire se sont échappées en
escaladant le mur de la cour, un soir d'hiver.
Lorsqu'elles ont été retrouvées et ramenées à
PEPINVILLE, elles ont eu la tête rasée et
passèrent 10 jours et 10 nuits dans les cachots
séparés l'une de l'autre. Pain sec et eau, repas
tous les quatrièmes jours. C'est à l'infirmerie
qu'on les vit, les yeux hagards, pâles, tristes
avec en plus le crâne rasé. Elles n'avaient pas
même l'espoir d'une visite prochaine d'un parent
ou d'une amie. Elles étaient coupées du monde, pas
même une petite lettre de réconfort ne pouvait
leur donner une lueur de bonheur puisqu'elles
n'avaient jamais su qui était leur maman ou leur
papa !… Il nous était défendu de leur parler, et
gare à celle qui se faisait prendre, le cachot
l'attendait, après les coups de martinet. Pas même
un tabouret pour s'asseoir. Les souris se
moquaient bien de notre peur. Il m'est arrivé de
passer 3 jours et 3 nuits ainsi dans le mètre
carré de ce cagibi. En Mai 1940, j'avais seize ans. Un matin,
alors que nous étions dans la cour, nous vîmes
surgir une dizaine de soldats allemands nous
hurlant de nous mettre toutes sur deux rangs.
Après un laps de temps, deux religieuses firent
l'appel de celles qui n'étaient pas Lorraines ou
Alsaciennes. Elles furent regroupées dans un
autocar avec plusieurs religieuses et on ne les
vit plus jamais. Nous avons appris qu'elles
étaient parties avec les réfugiés, en POITOU, dans
un autre Orphelinat ; les Soeurs françaises aussi
ont été expulsées. Les religieuses nous avaient
appris à haïr les Allemands. Il nous était
interdit de prononcer un seul mot en germanique.
Nous ne comprenions pas leurs ordres. A METZ - L'INSTITUTION DE
SAINT-JOSEPH Nous avons quitté PEPINVILLE pour METZ et
l'institution de SAINT-JOSEPH. Il nous est arrivé
de pleurer dans le train. Sans doute la peur,
l'effroi de voir tant de grandes personnes à la
fois. Les Soeurs qui nous défendaient de parler
une autre langue que le français ne pensaient pas
qu'un jour, nous serions entourées de bottes
allemandes. J'y suis restée quatre jours. Enfin ! Je reçus la visite, après 9 ans
de silence, de mon tuteur venu m'annoncer qu'il
partait en hâte avec sa famille pour la DORDOGNE
et que je faisais désormais partie de l'Assistance
Publique Allemande jusqu'à mes 21 ans. Je
m'imaginais rester chez les Soeurs de
"SAINT-JOSEPH" jusqu'à cette date lorsqu'il
m'apprit que ma mère avait demandé l'autorisation
de me voir et, puisqu'elle était Lorraine de
vieille souche, mariée à un Sarrois, les lois
allemandes l'autorisaient de venir me chercher
malgré son certificat de renoncement à me
reconnaître à ma naissance. Quel ne fut pas mon
désarroi. Ma stupeur ! Moi, qui avais toujours
entendu les Soeurs dire que j'étais là par
charité, que personne d'autre qu'elles ne
s'occupait de mon éducation ! Je ne m'attendais
pas à ce qu'une femme inconnue vienne dire soudain
qu'elle est ma mère ! LE BON PAPA ZANG Ainsi je quittais l'uniforme de
l'Orphelinat et je fus conduite chez ma soi-disant
mère dont m'avait parlé ma cousine en SAVOIE. Je
la haïssais avant de la connaître et lorsque je
suis arrivée dans cette maison, je ne demandais
qu'une chose : retourner à PEPINVILLE et je
pleurais. La dame, Assistante Sociale, me fit
alors comprendre qu'elle reviendrait me reprendre
quelques jours plus tard. Je fis ainsi
connaissance de mon beau-père qui m'a tout de
suite mise à l'aise voyant mon désappointement. Je
fus installée dans la chambre de sa fille
Jacqueline et de ma demi-soeur Anne-Marie âgée de
deux ans à l'époque. Il y avait un garçon de huit
ans, issu du premier mariage de mon beau-père.
J'ai eu au moins 40 de fièvre le soir-même, il
paraît que je réclamais mon oncle. Le lendemain
mon beau-père fit les recherches à l'Orphelinat de
"GUENANGE " et demanda à ce que le jeune frère à
ma mère puisse me voir ; le lendemain je vis un
ecclésiastique en soutane et lavette blanche :
c'était l'oncle ALOYS, instituteur au lycée
"SAINT-CLEMENT " à METZ, géré par les frères. Mon beau-père nous emmena alors à METZ,
me fit connaître son bureau à la mairie, à
l'Octroi où il travaillait et l'après-midi, il
nous amena à BORMY dans une maison de retraite et
là, je fis la connaissance de mon grand-père
maternel, bien repentant, disant que si on lui
avait donné la permission de visite à PEPINVILLE
il serait venu tous les mois me voir. Alors
pourquoi ne m'a-t-il pas écrit ? Jamais une
lettre, jamais une visite en neuf ans. J'exprimais à mon oncle et à mon
grand-père le désir d'aller revoir ces familles
savoyardes où j'avais été si heureuse. Mais la
frontière alsacienne-lorraine était fermée et mon
oncle attendait le jour propice pour franchir
cette frontière afin de ne pas être incorporé de
force dans la Wehrmacht. Alors mon beau-père lui
dit : - Chut ! Je t'aiderai. Viens me voir au
marché demain matin ! Ce fut pour moi un
réconfort… Je ressentis un appui solide sentant en
cet homme une grande bonté ; il inspirait la
confiance et la sincérité. J'étais soulagée
d'avoir trouvé un complice et un homme bon. Il
m'avait comprise lorsque je ne voulais pas
embrasser ma mère. D'ailleurs, c'était défendu à
PEPINVILLE d'embrasser. Alors je n'embrassais
personne, sauf mon oncle. Le lendemain, mon oncle vint me chercher
pour aller en ville prétendant que j'avais besoin
d'une robe et d'une paire de chaussures, en fait,
il me conduisit au marché et là, il me donna de
l'argent pour que je puisse m'habiller. Il
m'embrassa en me souhaitant bonne chance. Il
regagnait la zone-libre le soir-même grâce au papa
ZANG (mon beau-père). Il réussit sans contrôle à
passer jusqu'à BLOIS, là, il a pu retrouver un
emploi d'instituteur jusqu'en 1944 où il a rejoint
le Maquis des PYRENEES.
A KAISERSLAUTERN -
NOUVEL HORIZON
ETRANGER
Quelques jours plus tard, je
revis la dame Assistante Sociale qui ayant l'ordre
de me conduire à la Préfecture de METZ, me pria de
prendre mes affaires. Je m'attendais à revoir les
bonnes Soeurs de l'Hospice "SAINT-NICOLAS ", je
disais donc au revoir au bon papa ZANG qui
discutait avec cette dame en allemand. Malgré
l'incompréhension de la langue, j'étais contente
de quitter ma mère, froide, grosse, bougonnante
que je détestais. J'embrassai les enfants ZANG
parce que je les plaignais ; j'appris par la suite
qu'ils étaient bien malheureux avec cette
belle-mère… Après une demi-heure de voyage en
autobus avec cette dame, je me vis déposée Place
Mazelle où une centaine de jeunes filles comme moi
étaient réunies autour d'une estrade d'où l'on
appelait les noms pour remettre à chacune un
livret de travail. Ni les unes, ni les autres ne
savions où nous allions. On nous fit monter dans
les cars, alignées là pour une destination
inconnue, c'était le printemps 1940. Après
quatre-vingts à cents kilomètres de parcours, une
dame responsable appelait deux, cinq ou huit noms
selon ce qui était inscrit sur sa grande feuille. Vint KAISERSLAUTERN. Je fus appelée à mon
tour et accueillie par deux dames très polies mais
ne sachant dire aucun mot de français et moi je ne
connaissais rien de la langue allemande. Je les ai
suivi après qu'elles se soient emparées de mon
livret de travail et de mon carton de linge. Elles
semblaient très sympathiques, un peu grossières,
pour moi qui sortais de lieux stricts et
silencieux, je fus un peu choquée surtout lorsque
j'arrivais à leur domicile : une
pension-restaurant avec jardin, des cochons et des
sentinelles juste à côté. J'ai vite su que c'était
un kommando de prisonniers de guerre français. Mon
travail consistait à faire le ménage, la vaisselle
des pensionnaires car il y avait deux fabriques
dans cette rue un peu campagnarde : celles des
machines à coudre "PFAFF" et une usine de laine.
Il me fallait aussi faire la cuisine pour les six
cochons qui appartenaient aux patronnes, cela me
rappelait mon oncle ALOYS, qui, chaque matin
mettait son tablier bleu avant de partir à l'école
et portait les seaux aux cochons et les grains aux
poules. Après deux mois, je savais un peu
d'allemand, les patronnes m'aimaient beaucoup,
elles m'appelaient "LOTCHE" parce qu'elles ne
savaient pas prononcer Marcelle. Ma paie allait à
l'Assistance Publique sur un livret mais elles me
donnaient de l'argent de poche pour le Dimanche
après-midi ou pour les fêtes. Je reçus aussi un
manteau, un chapeau à la mode et des chaussures.
Elles appréciaient mon dur labeur. J'avais
dix-sept ans et j'étais estimée de tous. Pour la nourriture des cochons, j'allais
avec une charrette au kommando des P.G. récupérer
les épluchures (DIEU sait si elles étaient fines),
en échange, ils avaient droit à un jambon à NOEL,
ce qui ne les consolait pas de leur séparation
d'avec leur famille, là-bas en FRANCE. Dans ces
sacs qu'ils me remplissaient, je trouvais des mots
brefs, mais m'expliquant bien ce que "avide de
liberté veut dire ". Oh ! Comme je les comprenais
bien. Je me mis donc à écrire à ce papa ZANG
là-bas, à son bureau de l'Octroi, lui demandant
d'accueillir au marché celui qui réussirait à
faire les quatre-vingts kilomètres jusqu'à METZ
avec un billet de train correct que j'allais
prendre à la gare comme si c'était pour moi et des
vêtements civils que j'avais trouvé dans le
grenier des patrons. Personne n'avait soupçonné
mes fouilles et mes travaux de couture. A SARREBRÜCK - BONNE D'ENFANTS Vers l'âge de dix-huit ans une dame de la
Préfecture vint me chercher pour me changer de
patrons. Eh ! oui. Ils avaient des doutes mais
aucune preuve. Même les sentinelles ne se
doutaient de rien. Ce fut donc la douloureuse
séparation car j'étais devenue la fille, leur
LOTCHE, de ces deux patronnes qui m'avaient fait
connaître un peu de chaleur humaine et puis je
parlais bien la langue allemande à présent. Ce
n'était pas le pur allemand car elles étaient de
la campagne, de SARREBRÜCK et FRANCFORT, mais cela
m'a bien aidé. J'ai appris : "Schön ist die Liebe,
aber schöner ist die Freiheit ". Elles s'étaient
aperçues que j'étais très novice dans ce que l'on
doit savoir de la vie, alors elles me mettaient en
garde. Le Dimanche, lorsque je sortais seule
pendant trois heures, trois heures, à l'insu du
bureau de l'Assistance Publique à qui elles
devaient rendre des comptes sur mon comportement. En les quittant, je restais avec mon gros
chagrin blottie sans rien dire dans le
compartiment que je partageais avec la dame qui
était venue me reprendre pour une destination
inconnue. Elle vint s'asseoir près de moi et
regarda mes mains qui étaient rugueuses, enflées
pour une jeune fille de dix-huit ans, alors elle
me dit un mot gentil ce qui sécha mes larmes. - Je
vais demander qu'on vous donne un autre travail si
vous aimez les enfants ! Je répondis : - Oui, de
suite ! Surtout que c'était à SARREBRÜCK à
quarante kilomètres de METZ. Je m'installais dans ce nouvel emploi. Ma
chambre était au grenier, une mansarde il y avait,
quatre enfants à garder, soigner et promener, demi
Freiheit… Le premier Dimanche fut pour écrire à
papa ZANG, lequel me répondit très vite disant que
les deux colis étaient arrivés et rangés, ce qui
voulait dire que les prisonniers français qui
s'étaient échappés de KAISERSLAUTERN étaient de
l'autre côté de la frontière en zone-libre, et
puis il me donna de brèves nouvelles. Si les
Lorrains refusaient de s'intégrer de force dans la
Wehrmacht comme c'était obligatoire, c'étaient les
parents qui, arrêtés étaient déportés en
HAUTE-SILESIE, dans les mines de sel. Les
bombardements devenaient fréquents à SARREBRÜCK,
la patronne qui était originaire de HAUTE-SILESIE
obtint de son mari qui était sur le front russe,
la permission de rejoindre ses parents à GÖRLITZ.
Elle était enceinte de trois mois en attendant un
cinquième enfant. J'aimais beaucoup mon nouveau métier et
lorsque j'ai eu droit à une journée de congé, j'ai
pris le train pour METZ et je suis allée au marché
voir mon beau-père. Ah ! Je me souviendrai
toujours de cet appel strident lorsque, toute
heureuse, je traversais l'allée qui m'amenait au
bureau. En me retournant, je reconnus ma mère qui
était installée vendant avec la fille de mon
beau-père les légumes, le miel que le papa ZANG
récoltait dans son jardin. Je remarquais qu'elle
était enceinte ce qui ne l'empêchait pas de
bousculer sa belle-fille en lui criant ce qu'elle
avait à lui dire. Celle-ci apeurée se mit à
pleurer. C'est alors que vint nous rejoindre le
papa ZANG en son uniforme ; il me guida dans un
café tout proche et me pria d'être plus secrète en
lui parlant et surtout dans les lettres que je lui
écrivais ! Ainsi il m'apprit l'existence des gens
odieux qui vendent les amis, les voisins, les
parents à la Gestapo pour être payés il m'apprit
aussi que ALOYS n'étant plus en zone-libre avait
rejoint le Maquis en AVEYRON. Après avoir passé
une demi-heure en compagnie de mon beau-père, je
le laissais à son travail et me dirigeais vers la
gare pour reprendre mon train pour SARREBRÜCK où
la patronne amoncelait les valises pour le départ
qui était fixé pour les jours suivants. Je suis certaine qu'il ignorait que sa
femme faisait partie de ceux qui dénonçaient. Le
jour de mon arrestation, il a été convoqué lui
aussi à la Kommandantur, ma mère l'avait accusé
d'avoir reçu des lettres de moi mais rien n'a été
prouvé. J'ai nié. A GÖRLITZ Nous sommes tous montés dans le train.
Avec nous, une dame du Service de l'Aide aux Mères
qui a fait partie du voyage jusqu'à GÖRLITZ. Moi,
je m'occupais des quatre enfants. Pas facile
pendant un si long voyage. Mais j'étais bien
organisée à présent. Tout se passa bien pour ce
voyage en train. Les seaux pour les cochons de
KAISERSLAUTERN étaient plus faciles à manier que
ces bébés que j'avais peur d'emmaillotter tant ils
étaient fragiles. Nous n'avions pas pris de cours
de puériculture à PEPINVILLE, c'est ainsi que le
jour où j'ai eu mes règles pour la première fois,
j'ai cru mourir d'une hémorragie. On n'osait pas
parler de cela ; les serviettes étaient cachées
sous notre linge qui était posé au pied de notre
lit le Samedi. Nous sommes bien arrivés à GÖRLITZ par
une belle journée de printemps et accueillis par
les parents de la patronne. Là aussi ma chambre
était sous les toits dans un immeuble commercial :
légumes, fruits, sucres, cafés, il y avait de gros
sacs de sucre cristallisé dans la chambre proche
de la mienne et un grand grenier avec de grands
coffres ouverts sans doute à cause de l'odeur de
moisi ou de naphtaline. J'avais très vite gagné la
confiance de ma patronne qui, voyant ma grande
affection pour les enfants et aussi pour la bonne
organisation des travaux de ménage, me confia les
promenades avec les enfants tous les après-midi.
GÖRLITZ est en HAUTE-SILESIE, c'était une petite
ville un peu campagnarde et c'est au cours de ces
promenades que je découvris les Kommandos de
Prisonniers Français, les camps de réfractaires
Alsaciens-Lorrains, Belges, Tchécoslovaques. Je me
fis reconnaître comme Lorraine me trouvant au
travail obligatoire en ALLEMAGNE et je me
proposais d'aider ceux qui le voulaient pour faire
acheminer des lettres aux familles en FRANCE en
zone libre ou en FRANCE occupée. C'est ainsi que
tous les jours ici ou là, je faisais l'échange.
Les lettres que j'envoyais bien cachetées au papa
ZANG à la mairie de METZ : expéditeur : moi bien
sûr… Je leur distribuais un peu de sucre
cristallisé chipé au grenier ; aussi les vêtements
usagés entassés dans ces malles. Ou alors les
tickets de train pour METZ pour ceux qui osaient
faire le voyage, de la POLOGNE à la LORRAINE avec
toutes les embûches rencontrées et les contrôles
fréquents des S.S. dans les gares et les trains.
Le chef du Kommando et un prisonnier français ont
pris le risque eux aussi de vouloir regagner leur
famille, Mrs Adrien LOUGARRE de TOULOUSE et
François de CULOZ (01). Ils étaient si bien
préparés que je leur confiais une lettre pour mon
oncle, pâtissier dans la MEUSE (celui qui faisait
le "SAINT-NICOLAS" chez ma grand-mère).
Heureusement, je ne parlais d'aucun fait réel,
simplement de ma nouvelle situation et de ma
nouvelle adresse, j'ignorais que la MEUSE était
occupée en 1942. Leur voyage s'est bien passé
jusqu'à FRANCFORT, mais une double inspection dans
le train, celle des S.S. a fait qu'ils ont été
arrêtés. Je les ai retrouvés devant le tribunal de
GÖRLITZ en Octobre 43 où je fus jugée la première
fois pour mon évasion personnelle et refus de
rejoindre l'Arbeitsdienst. Nous sommes en Août, Septembre 1942.
J'étais estimée de mes patrons, aimée des quatre
bambins lorsque arriva la convocation pour partir
à l'Arbeitsdienst le 1er Décembre 1942. La
patronne approchait du neuvième mois de sa
grossesse. Je fis mon travail consciencieusement
jusqu'au jour où une aide aux mères vint loger à
la maison, afin de permettre à la patronne de
partir en clinique. Lorsqu'elle me régla mon
salaire avant son départ, avec un serrement de
coeur quand même, je lui laissais croire que ses
enfants seraient soignés jusqu'à son retour de
clinique, mais déjà je nourrissais l'envie de
m'évader à METZ pour ne pas faire cet
Arbeitdienst, un an de travail obligatoire sous
surveillance nazie en apprenant par coeur leurs
fanatiques refrains vêtue de l'uniforme allemand. A METZ - RETOUR CLANDESTIN Le lendemain de son départ, je fis ma
dernière promenade avec les enfants et avertis les
prisonniers des trois camps que je profiterai du
fait que les enfants avaient une garde à la maison
pour prendre le train de nuit pour METZ. J'y
arrivai le lendemain soir. Je n'avais pas réussi à
trouver mon livret de travail, c'était notre
Ausweiss pour circuler en long parcours, la
patronne l'avait bien enfermé, mais la chance
était avec moi puisque je suis descendue en gare
de METZ, sans contrôle, heureuse et gaie. J'avais
mon billet de train en règle. J'ai demandé asile à
une belle-soeur de ma grand-mère qui dirigeait une
fabrique de bière et limonade vis-à-vis de la gare
"Bière et eau gazeuse, GREFF Père et Fils" (depuis
1974 c'est la "BANQUE POPULAIRE" qui y est
installée). Je fus donc très bien accueillie par
ma tante et les cousins GREFF, ils m'appelaient
CECELLE comme ma grand-mère, je me croyais sauvée
et à la veille de passer la frontière pour la
FRANCE libre, là-bas à AIX-LES-BAINS, mais bien
vite ma tante me mit au courant de tous les
détails : il n'y avait plus qu'une "FRANCE occupée
", aussi, je devais me cacher car tout METZ et
alentours étaient "deutchlandenisés" sous les
bottes allemandes. En effet, j'ai pu voir par la
fenêtre, un cortège d'écoliers fanatisés
obligatoirement par les nazis scandant des
chansons allemandes en marchant au pas. Les gens
dans la rue rasaient les murs, personne ne
parlait. Le lendemain, ma tante m'accompagna chez
le papa ZANG, au marché couvert, c'est avec
stupeur et peur à la fois qu'il fit semblant de ne
pas me connaître. Discrètement, il me tira les
oreilles pour avoir eu le toupet de lui faire
parvenir tout ce courrier. Heureusement, leur
voisin avait une fille qui travaillait à la Poste,
au triage, tout s'était passé le mieux possible,
mais plusieurs lettres ne sont pas parties en
FRANCE que je croyais libre. Et quand il apprit
que je venais de quitter mes patrons
clandestinement et sans livret de travail, il leva
les bras au ciel et en patois lorrain, il jura de
toutes sortes. Ma tante m'avait mise la veille au
courant des lois nazies qui faisaient de la
LORRAINE, une pauvre mère qui engloutit ses
enfants dans le feu de l'enfer nazi. De suite le
papa ZANG me conduit au chef de gare de la "DEUTCH
BANHOF" de METZ. Grâce au chef de district,
quelques cheminots et des faux papiers que me
procura le papa ZANG je fus embauchée, mais il me
fallait réussir mon concours pour porter
l'uniforme de cheminot et ainsi je mangeais à la
cantine car il n'était pas question que je fasse
une demande de cartes d'alimentation pour ne pas
susciter l'éveil des contrôles nazis. Il y avait
des dortoirs pour les cheminots au premier quai.
Donc j'ai réussi mon concours car je parlais bien
allemand, à présent. Je n'avais entendu que cette
langue pendant deux ans et demi. J'étais donc
sauvée et puis j'avais retrouvé un peu de famille
chez les GREFF où je rentrais en cachette car il
fallait se méfier de tout le monde, elle ne
s'attendait pas à ce que sa propre nièce (ma mère)
irait dénoncer à la Gestapo qu'elle avait deux
cochons dans sa cave et faisait du marché noir ce
qui était entièrement faux. Le contrôle a été
effectué : cave, garage, appartement : rien de
suspect, et elle n'a pas été ennuyée. Elle apprit
la vérité quelques jours plus tard, elle considéra
sa nièce pire qu'une étrangère. Plus loin, je vous
apprendrai que ma mère a vendu sa propre tante aux
Allemands, leur faisant croire qu'elle faisait du
marché noir et qu'elle élevait deux cochons dans
sa cave, ce qui était fortement punissable, mais
rien n'a été trouvé. Bien sûr, c'était une
calomnie. J'étais donc nommée contrôleuse de
tickets dans les trains avec le bel uniforme de
cheminot, la lampe à carbure et la sacoche.
C'était fin Octobre 1942, l'ambiance des
mécaniciens, contrôleurs et contrôleuses était
bonne et solidaire. J'avais muri tout d'un coup et
je pus constater très vite que les cheminots
étaient tous anti-nazis. J'ai eu la surprise de me
voir prendre le service un jour avec une ancienne
orpheline de PEPINVILLE, quelle joie ces
retrouvailles mais se revoir encore en uniforme !…
Même si celui-là n'est pas le même que celui de
l'Orphelinat !… Je collaborais vite avec eux, bien
que papa ZANG leur avait donné des consignes :
surveiller mon insouciance, etc… Nous passions la
frontière MEURTHE-ET-MOSELLE, belge et
luxembourgeoise. Le tas de charbon était grossi
d'une cachette pour ceux qu'on aidait à passer,
surtout des Lorrains obligés de partir en RUSSIE
dans l'armée allemande (beaucoup ont été portés
disparus parmi les enrôlés de force). Les dépôts de bouteilles chez les "GREFF"
servaient à entasser les familles juives menacées
d'être arrêtées et déportées. J'allais les voir
avec la tante et leur porter de quoi boire et
manger, de l'eau pour la toilette. Je faisais la
liaison entre les Juifs libres cachés chez
d'autres familles porteuses de nouvelles, de
recommandations surtout et de soutien moral qui
était bien bas. Vivant dans les caves sans
confort, séparés de leurs familles manquant
d'hygiène, de nourriture chaude, de lumière.
Inhumains ces jours, ces nuits pour ces innocents.
J'avais connu ces commerçants de la Rue des
Jardins tout près de la cathédrale. Papa ZANG
avait de nombreux amis. Ainsi les THINNES, "PIANOS
ET ORGUES" près de la Rue Serpenoise. Le fils de
ceux-ci se croyait amoureux de moi, les
rendez-vous clandestins se donnaient au bord de la
MOSELLE, furtifs, mais consolants de ne pas voir
la ronde des bottes allemandes. Un amour sérieux
s'installa entre nous deux et nous fit perdre tout
sens de prudence. Une fois, en pleine nuit, j'ai
dû courir pour prendre le service, METZ-TREVES,
lorsque Rue Gambetta à cinquante mètres de la
gare, j'entendis des bruits de bottes allemandes
derrière moi ; je changeais de trottoir et me
croyais seule dans la rue lorsque je fus prise par
le bras. Je me mis à crier : - Papa, papa ! , et
j'eus le réflexe de donner un violent coup de
genou dans le bas-ventre du soldat. Je n'avais pas
envisagé que je venais d'atteindre ses parties
génitales. J'arrivais deux minutes avant le départ
du train, (encore une chance, n'est-ce pas !) il
faisait pourtant froid au dehors, mais je
transpirais à l'étonnement de mes collègues à qui
j'ai raconté cette mésaventure qui me fait bien
rire encore aujourd'hui. J'étais forte alors, je
n'avais pas encore souffert de la faim. Pendant ce service, les voyageurs qui
étaient démunis de tickets ou détenaient des
tickets truqués étaient chanceux car j'étais seule
employée au contrôle. D'habitude, nous étions
deux, même trois. Il fallait faire son travail, ne
pas trop parler comme disait papa ZANG, être
prudente, car partout il y avait des moutons, des
mouchards, des traites donc pour ces voyageurs en
fraude, je fermais simplement les yeux faisant
semblant de poinçonner n'importe quoi, tournant le
dos, cherchant à éternuer. Bref ça marchait bien à
condition qu'il n'y ait pas de contrôle militaire
allemand. Je ne faisais que de petits trajets car
j'étais encore mineure. Le lendemain j'allais voir papa ZANG au
marché. Lui, faisant semblant de me gronder pour
une marchandise non conforme, je lui glissais la
petite bouteille de schnaps au cumin et les
cigarettes que l'on nous avait distribuées à la
cantine. Il les offrait aux réfugiés, aux Juifs ou
aux prisonniers en attente de jugement dans les
caves de la mairie, Rue Chèvremont à METZ. Un jour j'eus un petit compagnon de route
pendant mon service. En effet, le fils de papa
ZANG, Pierrot, qui avait neuf ans allait visiter
sa tante à SARRELOUIS et comme je reprenais le
même train pour le retour, je pus ainsi
l'accompagner et je passais un après-midi
merveilleux avec la soeur de papa ZANG laquelle
regrettait bien que son frère se soit remarié.
C'est alors que Pierrot se confia ouvertement à sa
tante. J'apprenais ainsi que cette mégère, cette
méchante m'avait mise au monde. Je souhaitais une
erreur de la part de mon tuteur et de ma tante
GREFF, lorsqu'elle me racontait toute l'histoire
de ma naissance ; alors j'ai comblé d'affection
Pierrot et sa grande soeur Jacqueline. J'allais
les voir à la sortie de l'école, je les emmenais
en promenade au bord de la MOSELLE où je
retrouvais mon amoureux pendant de courts instants
avant le couvre-feu. Il n'était pas possible de se promener
dans les rues de METZ étroitement surveillées par
la police allemande. Souvent, des cortèges longs
et pénibles à voir défilaient. Les gens avaient
des bébés pleurant dans les bras : les hommes
portaient les valises, tous marchaient en colonne
par cinq. J'ai vu une jeune fille les jambes
ensanglantées, sans doute avait-elle ses règles.
Les mesures d'hygiène étant ignorées de ses
bourreaux, la pauvre fille marchait tant bien que
mal. Spectacle ineffaçable dans mon esprit.
J'étais loin de m'imaginer que bientôt je serai
moi aussi entre leurs mains, ainsi que ma bonne
copine Andrée FRANÇOIS qui faisait partie de la
filière (voir le Livre II de ce récit). Tout se
passa bien entre le travail, ma petite famille,
Pierrot, Jacqueline et son amie Agathe qui
travaillait à la Poste et subtilisait les lettres
passées en fraude pour papa ZANG ou les filières
de Résistants qui passèrent sous le nez des
contrôles nazis. Nous avons évoqué tous ces
souvenirs après la guerre, le jour où ils sont
tous venus témoigner en ma faveur à la Maison
d'Accueil des Déportés et nous nous sommes tous
demandés si c'était un cauchemar. Comment en sommes-nous revenus ? Etre
réuni ! Aujourd'hui encore j'ai du mal à croire
que je suis sortie vivante de cette époque où l'on
avait oublié son propre nom, sa dignité. On ne
s'imaginait plus avoir une autre vie que celle de
l'Enfer S.S. Seul manquait mon amoureux, car il a
été fusillé dans les bois d'ARNAMVILLERS, près de
JOEUF où il s'était caché avec d'autres membres de
sa famille et des coreligionnaires pour rejoindre
les passeurs. Ils ont tous été exécutés sur place.
J'ai retrouvé Andrée FRANÇOIS avec deux béquilles,
avec deux moitiés de pieds seulement. Sa mère est
restée au four crématoire au camp de MATHAUSEN.
Andrée était déjà sur le tas de cadavres lorsqu'un
soldat anglais libérant le camp, vit qu'elle
respirait encore. Elle fut acheminée en SUISSE où
elle fut amputée des deux moitiés des pieds.L'ARRESTATION Un jour je prenais le service de
"METZ-AUDAN-LE-ROMAN " en MEURTHE-ET-MOSELLE, zone
non annexée et française. C'était un train
d'ouvriers s'arrêtant à toutes les gares. Je
faisais le service jusqu'à vingt heures pour le
retour à METZ par SAINTE-MARIE-AUX-CHENES, ligne
frontière entre la zone annexée et la FRANCE. Nous
prenions vers dix heures trente une boisson chaude
au petit café de la gare, lorsque l'on vit surgir
deux agents de la Gestapo, revolver au poing, me
demandant de me lever et de les suivre ainsi que
la religieuse qui se trouvait là, à ma table. Ils
fouillèrent ma sacoche de travail, heureusement ce
jour-là, il n'y avait pas de courrier clandestin à
mettre dans les boîtes aux lettres côté français,
car même le courrier était contrôlé lorsqu'il
était destiné à la FRANCE. C'est pourquoi on le
dissimulait dans les boîtes aux lettres de l'autre
côté lorsqu'on allait en service en zone
française. Je fus donc contrainte de suivre ces
deux agents de la Gestapo avec Soeur Louise de la
Congrégation des Petites Soeurs des Pauvres, elle
avait quelques casse-croûtes, sans doute destinés
à quelques affamés cachés clandestinement dans le
bois pour attendre le mot de passe qui les ferait
passer de l'autre côté, en zone française mais
occupée. C'était le 4 Avril 1943, un lundi de
printemps. On nous invita brutalement à nous asseoir
à l'arrière de la "PEUGEOT" qui nous emmena
toujours entre ces deux agents revolver au poing,
comme si l'on était de viles criminelles. Sans mot
dire, nous sommes arrivées à METZ au siège de la
Gestapo, Rue de Verdun. Conduite dans le bureau
pour l'interrogatoire, quelle ne fut pas ma
surprise, lorsqu'en pleine lumière, je reconnus
face à moi, le macaron nazi sous le revers du
manteau ma soi-disant mère, la femme de papa ZANG,
la belle-mère de Pierrot et Jacqueline ! La fille
de ma grand-mère chérie qui me protégeait du haut
de ciel !… J'avais reçu ordre de ne pas prononcer
une seule parole tant que des questions ne me
seraient pas posées. - C'est à vous madame ZANG !
ordonna l'Officier S.S. assis près du bureau.
C'est alors que ma mère montra une grande page
toute écrite sur laquelle elle m'accusait de
passer des lettres clandestines pour son mari.
Alors la question lui fut posée : - Où sont les
lettres ? Elle répondit : - Je les ai brûlées dans
le poêle à charbon ! Ensuite elle certifia m'avoir
suivi et m'aurait vu en compagnie d'un groupe de
jeunes gens à qui je désignais le chemin vers la
frontière française pendant que je leur remettais
des lettres et des papiers. Il y avait du vrai et
du faux, mais j'étais horrifiée qu'elle soit là
devant moi, donnant le nom de son mari comme
malfaiteur anti-nazi. La colère m'envahit lorsque
vint mon tour de répondre aux questions. Je niais
bien sûr. Mais lorsqu'il m'a fallu déclarer mon
identité je demandai à ces messieurs de s'adresser
à madame ZANG puisqu'elle était ma mère que je
connaissais depuis 1940 seulement. C'est alors
qu'elle bondit vers moi me donna deux gifles que
je ne suis pas prête d'oublier encore aujourd'hui…
Elle souhaitait que notre filiation soit ignorée.
Pour un donneur à la Gestapo allemande comme elle,
tout était bon à prendre !… Grand étonnement des
agents qui adoucirent leur voix et firent sortir
du bureau leur drôle d'agent donneur qu'était
madame ZANG. Elle ne donnait sans doute jamais son
nom de jeune fille. On m'enferma dans une cellule de la cave.
Le lendemain le chef du personnel fut avisé que je
ne reprendrai pas le service car j'étais arrêtée
et on me raccompagna au grand Séminaire en face de
la gare qui servait de prison en attendant le
transport vers les tribunaux ou la déportation en
ALLEMAGNE. A ce moment-là, personne ne savait que
puissent exister des camps de concentration nazis.
On ne les croyait pas aussi brutaux, aussi
inhumains, barbares. On connaissait seulement les
prisons. Dans ma deuxième cellule, nous étions
trois jeunes filles, toutes trois de METZ. L'aînée
était arrêtée parce que dans les lettres qu'elle
écrivait à son fiancé, qui était au front, en
qualité de "malgré nous ", pour sauver sa famille
(il a été pris de force dans l'armée) elle lui
disait de ne pas s'exposer au danger de la guerre
et de rejoindre l'armée russe, nos alliés, en
désertant l'armée allemande. La deuxième revenait
du camp de SCHIRMECK, pour être jugée car elle
avait osé gifler un soldat de la Wehrmacht en
Occupation chez nous et surtout elle hurlait : -
HITLER kaput bientôt, comme en dix-huit, soldats
allemands alle kaput ! C'était grave pour eux, ces
messieurs du Reich… surtout que cela ne se passait
pas bien pour eux en RUSSIE en 43. Première nuit au Séminaire : Un lit en
lattes de bois, une couverture puant le
désinfectant et deux sacs de paille pour trois. Je
n'ai pas pu dormir de toute la nuit. Le lit était
infesté de grosses punaises rouges. On les
écrasait avec les doigts ce qui ne dégageait pas
une bonne odeur. Ma figure était toute boursouflée
des piqûres de ces punaises. Le lendemain, je
passais à l'infirmerie pour contrôle médical et
désinfection des vêtements et lorsque je signalais
que la cellule était infestée de punaises si
grosses, si puantes, ils se mirent à me crier aux
oreilles que c'était moi qui les avait emmenées !
Pendant que mes vêtements passaient à la
désinfection, je répondais à plusieurs questions
sur mes antécédents, maladies enfantines, si
j'étais mariée, si j'étais enceinte. Je répondis
que non. Je passais alors sous la douche et
réussis à m'emparer d'une feuille de papier vierge
et d'un crayon que je dissimulais dans mes cheveux
car je portais le rouleau intérieur avec des
pinces à cheveux. Rhabillée, parfumée à l'odeur de
Crésyl, je montais avec un groupe à l'étage des
premières cellules. Dès que j'ai pu, j'ai écris
tout fin pour en mettre le plus possible à ma
tante GREFF, en termes cachés mais qu'elle a
compris paraît-il pour l'avertir de ce qui venait
de m'arriver et par la lucarne avec ma tranche
fine de pain du midi, je réussis à jeter mon
billet. J'avais marqué "URGENT S.V.P.". La
fabrique était à deux pas du Séminaire et quelle
ne fut pas ma surprise le surlendemain de voir le
camion de livraison stationner sur la place de la
gare juste au pied de la cellule où j'étais. La
lucarne était haute mais nous faisions l'échelle
en restant un pied sur l'épaule de la copine. Le
chauffeur était mon cousin. J'ai pu lui faire
signe discrètement, il me vit et m'assura qu'elle
viendrait me voir. Je ne la revis pas car il n'y
avait pas de parloir pour les "traites à la
patrie" que nous étions voilà ce que m'a répondu
le surveillant de l'étage. Il venait nous ouvrir
les portes pour aller aux lavabos avec un berger
allemand. C'était un ressortissant belge, en
uniforme de S.S., se forçant à parler allemand
qu'il prononçait très mal. Le soir de ma deuxième journée, alors
qu'on surveillait nos literies, je vis notre aînée
se tourner vers la lucarne et prier. Ensuite elle
chanta : - Bonsoir chéri, dormez, soyez sage,
bonsoir chéri, car ta douce image, reste gravée
pour l'éternité dans mon coeur ! , et tous les
soirs nous participions à sa prière. Le chant
était réservé à son fiancé, là-bas au front malgré
lui, dont elle n'avait pas de nouvelles et lui
était si loin de connaître l'arrestation de sa
fiancée. Après la guerre j'ai fait des recherches
à la mairie mais elle ne comptait pas parmi les
rapatriés ou survivants des prisons lorraines.
Elle fut jugée par le tribunal de METZ le jour de
mon départ en déportation pour la HAUTE-SILESIE. DÉPORTÉE VERS L'ALLEMAGNE Le 15 Avril nous avons été plusieurs à
être appelées à nous grouper dans la cour du
Séminaire. Je pouvais voir les fenêtres de ma
famille GREFF, j'entendais le bruit des bouteilles
et je ne pouvais rien dire, pas bouger surtout car
les chiens avaient l'oeil et la gueule sur nous
aussi. Des camions nous transportèrent au Fort de
QUEULEU où une centaine de femmes, d'hommes,
d'enfants et bébés nous rejoignirent dans les
camions, lesquels nous descendaient sur un quai à
la gare de marchandises Rue aux Arènes. Des wagons
à bestiaux formaient un long train et déjà il y
avait du monde qui réclamait à boire. On nous fit
monter dans ces wagons blindés. Des seaux vides
nous étaient distribués un pour dix personnes.
C'étaient des seaux de peinture vides pour les
besoins. Ensuite chacun reçut sa ration de pain et
un bol en fer plein de soupe de rutabaga. Un peu
embêtée, je demandais où j'allais dans ce train,
mais chacun posait la même question et racontait
ce qui lui était arrivé avant ce départ de luxe.
Il était huit heures du matin lorsque nous
quittâmes la LORRAINE sans même réagir tellement
la stupéfaction était grande. Nous sommes arrivées au camp de SCHIRMECK
vers onze heures. Ce sont des fourgons de Police
Allemande qui nous amenèrent au camp. C'était
l'heure de la promenade en rond dans la cour sous
le mirador. Les agents S.S. fusils sur l'épaule
surveillaient la discipline de ces pauvres
squelettes ambulants car plusieurs d'entre eux
étaient là depuis bien avant la guerre pour des
raisons politiques. Lorsque nous sommes descendues
de ces fourgons, le réflexe de ces prisonniers
nous regardant, nous était tellement normal que
les agents se mirent à gueuler, à taper à coups de
crosses de fusils. Plusieurs ont été mis au milieu
du rond et accroupis ils devaient avancer en
sautillant et les mains croisées sur le sommet de
la tête. Les plus faibles n'y arrivant pas
recevaient des coups de bottes de leurs satanés
surveillants S.S. qui gueulaient en plus : -
Schweine Hunde, Kein Essen Heute Mittag ! Répartis
dans les baraques, nous passâmes une nuit de
cauchemar avec ce souvenir du matin. Les cris des
S.S. me résonnaient encore à l'oreille, hélas
qu'attendions-nous de mieux ! Le lendemain matin, très tôt, appel dans
la baraque. Un nouveau groupe venait grossir notre
transport. Des bébés dans les bras de leur mère,
des jeunes filles adolescentes encore. Une d'entre
elles était ballerine, elle nous faisait passer le
temps pendant ce parcours démoralisant. Nous
étions le septième wagon. Déjà depuis METZ, nous
avions repris le même wagon. Tout cela après deux
appels minutieux le premier avant de monter dans
le fourgon roulant vers la gare et le second avant
de monter dans le wagon blindé. KASSEL fut notre prochain arrêt. Même
débarquement sauf que les cellules étaient à
barreaux au lieu de grosse porte pleine. Nous
pouvions bavarder entre nous. C'est là, à KASSEL
qu'une comtesse nous a rejoint parce que son mari,
un Général de la Wehrmacht, avait déserté l'armée
du Reich. C'est elle qui nous a appris à bien
peser nos parloles car il existait parmi les
prisonniers des moutons, des traites, payés par la
Gestapo pour recueillir les aveux que les
interrogatoires n'obtenaient pas. Ces donneurs
portaient le même seau hygiénique que nous,
traités de la même façon, faisant semblant d'être
des Résistants, pleurant même. Mais combien
ont-ils été payés pour traduire aux S.S. tout ce
qu'ils avaient recueilli de témoignages, de
plaintes, de discours. Pour moi, je ne craignais
rien puisque j'étais destinée à la prison de
GÖRLITZ, le prisonnier de guerre français et son
copain avaient été arrêtés pendant leur évasion au
cours d'un contrôle dans le train, à FRANCFORT.
Moi je ne pensais qu'à mon évasion personnelle. La
déclaration de Mme ZANG ne semblait pas être le
cas principal par manque de preuves. Mais sa
déclaration a été inserrée dans le dossier trouvé
à la Gestapo de METZ avec bien d'autres
malchanceux. Des familles entières ont été
déportées à la suite des dénonciations faites par
madame ZANG, beaucoup ne sont plus revenus des
camps ce qui valut à Mme ZANG, après la guerre,
plusieurs confrontations dans les rues de METZ.
Nous en reparlerons plus tard. Notre comtesse
tomba malade : crise d'asthme. On ne pouvait pas
ouvrir le vasistas qui était fermé, bloqué aussi.
C'est bien malade qu'elle continua la route le
surlendemain, pour LEIPZIG alors que notre
terminus était AUSCHWITZ pour le triage du bétail
humain. A chaque arrêt d'autres prisonniers
venaient augmenter le grand nombre que nous étions
déjà dans ces wagons.En gare de LEIPZIG toute une armée de
S.S. vint nous accueillir avec chacun son chien.
Je regardais ces chiens avec l'amour des bêtes
mais pas un n'avait une lueur de pitié dans leur
prunelle. C'était un samedi, nous pouvions voir
quelques instants des gens allant en liberté dans
les rues. C'est au bout de quai que s'effectua
l'appel. Une vingtaine de fourgons nous
attendaient à la sortie du quai. On nous entassa
dans ces véhicules pourtant importants, mais nous
étions devenus si nombreux depuis le départ de
METZ Nous aidions la comtesse à se placer près
d'une lucarne mais elles étaient toutes fermées.
C'est à la prison de cette ville que la comtesse
et moi avons été départagées et séparées. C'est dans une cellule étroite que j'ai
été enfermée toute seule. J'avais juste un sac de
paille et une couverture. Pas de table. Un banc en
bois sur lequel je me suis allongée et j'ai
craqué. J'ai pleuré, pleuré. Je venais de repenser
à mon beau séjour à AIX-LES-BAINS. Les belles
promenades du dimanche. Ma chienne, aussi un
berger allemand comme ceux qui sont venus nous
accueillir en gare de LEIPZIG, avec leurs yeux si
cruels, si méchants. Après cette crise de larmes,
le moral baissait de jour en jour. Nous étions à
notre quatorzième jour de transport. Je souhaitais
arriver à GÖRLITZ très vite pour ne plus avoir à
remonter dans ce wagon cellulaire où l'on nous
entassait au fur et à mesure des étapes pour faire
monter d'autres déportées prenant notre direction.
Pour éviter de me trouver assise sur ce puant
plancher où les seaux hygiéniques trop pleins se
renversaient, je restais debout près de
l'ouverture grillagée, mais je n'étais pas seule à
rechercher cet endroit, nous étions même devenues
égoïstes et acariâtres. AUSCHWITZ : LE CAMP C'était le vert printemps. Nous pouvions
à peine nous rendre compte que les arbres étaient
en fleurs. La comtesse avait peine à rester à
genoux, se moquant bien des mauvaises odeurs. Elle
s'allongea comme elle put et plusieurs firent
comme elle pendant que les jeunes chantaient des
chansons allemandes très tristes, nous faisant
verser de grosses larmes. J'ai retenu : "Mama
schick mir ein Fertchen !" ou "Gott, schick doch
ein Engel zu mir !". Pendant six jours de suite nous n'avions
pas quitté le wagon. Lorsqu'un matin clair, le
ciel bleu, je crois, mais je devais avoir quarante
de fièvre et je ne pouvais même plus avaler ma
salive tellement j'avais mal à la gorge depuis
notre départ de LEIPZIG. Le train entra tout au
long d'un grand camp entre des pelouses toutes
verdoyantes le long de ses rails. C'est sur cette
pelouse en colline que nous fûmes rangés : hommes,
femmes, enfants. Les morts, surtout des femmes et
des enfants dont notre comtesse (c'était la
délivrance pour elle). Contraints de nous
débarrasser de nos cartons, valises, bijoux,
fausses perruques etc… Ce fut la fouille pendant
trois-quarts d'heures. Puis il y eut la
distribution de gamelles de soupe. Comme nous ne
devions pas quitter nos rangs ni nos places je
quémandai juste une gorgée en promettant de la
rendre lorsque j'aurai la mienne. J'avais
l'impression d'étouffer, elle me fit du bien,
cette gorgée car je l'ai tenu dans ma bouche,
c'était chaud, c'était pourtant du chou. Lorsque
ma gamelle me fut tendue je rendis vite à ma
voisine de devant ce qui était promis et je me
forçais à avaler, cette fois, cette eau chaude aux
choux. Je me mis à tousser, à cracher. J'étais
presque soulagée car l'abcès s'étais crevé avec
l'absorption de cette boisson chaude et je
ruisselais de sueur tout en grelottant mais
j'arrivais à avaler ma salive. Enfin ! ! Après le ramassage des gamelles, nouvel
appel. Je fus une des premières, nous étions
dix-sept en tout, à être amenés dans une baraque
pas loin des rails malheureusement. Je compris
qu'ils faisaient un tri car nous formions
plusieurs groupes. Les enfants étaient séparés de
leurs parents sauf si c'étaient des bébés, mais il
en restait si peu. Je me souviens de ce rire
cynique du chef en regardant ces enfants pleurant
: il ne voulait entendre aucun pleur, aucun cri,
malgré ces séparations. Je ne peux plus raconter, même par écrit,
ce que mes oreilles ont entendu pendant ces quatre
jours passés dans ce camp. Pardonnez-moi ; il me
vient l'envie de vomir rien qu'en repensant à ces
souvenirs. Nénamoins j'ai apprécié mon sac de
paille et mon troisième étage, bloc numéro sept
après un transport de presque trois semaines. Je
réalisais alors que nous étions le 5 Mai et que
c'était aujourd'hui mon vingtième anniversaire.
L'idée me vint alors de faire un voeu : le voici :
"Si un jour je sors de cet enfer et que je me
marie, si j'ai une fille, le jour de ses vingt
ans, je la saoule au champagne ! ". Pourquoi une
fille ? Sans doute parce que nous nous trouvions
entre femmes et que je venais d'être témoin,
pendant trois semaines de transport avec beaucoup
de mamans tenant leurs bébés affamés et
déshydratés dans leurs bras et comme nous n'étions
pas nourries elles ne pouvaient avoir du lait aux
seins. J'arrête là ces souvenirs atroces, ce
serait trop douloureux à raconter… Ils hantent mes
nuits très souvent ; j'ai mis cinq ans pour me
réadapter à la vie après ma libération mais jamais
je n'oublierai. J'ai dû m'endormir car l'entrée d'une
gardienne vint annoncer que l'on devait se mettre
sur deux rangs pour la distribution du "Frühstück"
du soir. J'arrivais à avaler, enfin, mais la
fièvre ne me quitta pas ce jour-là. Quatre jours
enfermés dans cette baraque, avec l'audition
bruyante, jours et nuits, des bourreaux pour les
appels, des cris d'enfants. Mes tympans en sont
toujours imprégnés. Sans compter les nuits de
cauchemar… Oublier ? Impossible ! Ceux qui en sont
revenus sont tous comme moi. Il est vrai que nous
sommes revenu anormaux, et il est possible que
l'on rende malheureux ceux qui nous entourent. On
ne peut pas avoir été et ne pas être. Nous ne
sommes plus de vrais hommes, de vraies femmes.
Nous ne sommes que des mutilés à vie, surtout
mentalement. Toutes ces copines mortes là-bas dans
des circonstances atroces usant du peu de souffle
de vie qui leur restait pour dire encore : "Vive
la FRANCE ! Vive DE GAULLE ! ". Quand on pouvait,
on les aidait. Avec ce pain noir on confectionnait
un chapelet afin de les aider à mourir en paix.
Dire qu'elles sont si vite et lâchement oubliées !
Aucun et aucune n'a reçu la Légion d'Honneur à
titre posthume, celle que l'on octroie à Pierre,
Paul, Jacques alors qu'elle devait rester et être
donnée à titre militaire. " MORT POUR LA FRANCE ".
Pas même la Croix de Guerre ou la Médaille
Militaire à titre posthume, à croire qu'ils ont
tout sacrifié pour RIEN. C'est pourquoi j'ai
refusé cette distribution en leur souvenir : la
Légion d'Honneur ! A mon avis, notre chère FRANCE
délaisse ses propres enfants et les oublie trop
facilement. Vous me trouverez amère mais je suis
encore hantée par leur souvenir. Combattre pour la
chère Patrie, en pareille circonstance, loin de la
famille dont elles parlaient tous les jours avec
l'espoir d'un retour en FRANCE. Pour DE GAULLE,
tout en travaillant au-dessus de leur force
physique dans l'espoir de revoir un jour prochain
le sol de cette FRANCE aimée, malgré l'absence de
nouvelles de leur famille puisque le courrier
n'existait pas. Malheureusement plusieurs ont été
déçues à leur retour au foyer ou par les patrons,
les amis, la famille. Je crains d'être trop sévère en ces
lignes mais je parle avec leur souvenir qui me
hante l'esprit. Je vais donc passer au quatrième
jour d'AUSCHWITZ lorsque, après un nouvel appel,
nous sommes montés dans un wagon cellulaire :
direction GÖRLITZ, avec halte à JAOA, camp de
concentration de femmes Tchécoslovaques,
Polonaises, Russes, Ziganes. EN PRISON "GÖRLITZ " L'accueil à GÖRLITZ par des femmes Kapos
n'était pas tellement désagréable puisque nous
sommes passées obligatoirement à l'infirmerie pour
contrôle de poux, de dysenterie ou d'objets que
l'on aurait cachés à AUSCHWITZ. Nous fûmes
dépouillées de nos vêtements civils et nous
endossâmes chemises à rayures en gros coton écru
et la longue robe bleu nuit, enfin, la veste rayée
avec sur le dos : "J.V. = Jungend Verstrafen" que
nous traduisions : "Jeunes Prisonnières ", mais
nous n'en étions pas sûres. La surveillante a
remarqué ma voix faible et hachée, elle me
questionne. Je lui racontai donc qu'un phlegmon
s'était logé là pendant le transport jusqu'à
AUSCHWITZ, elle hocha la tête et je lus enfin une
lueur de pitié dans ses yeux et elle me badigeonna
la gorge avec un pinceau empli de teinture d'iode
et me fit avaler de l'huile de ricin suivie d'un
peu de café (ou ce qui le remplaçait : du malt).
Je fus mise en quarantaine au rez-de-chaussée de
la prison de GÖRLITZ en compagnie d'une
prisonnière tchécoslovaque qui ne connaissait pas
un mot d'allemand et était de vingt-quatre ans mon
aînée. Lorsque je fus appelée le jour suivant
pour la visite médicale d'usage, j'appris avec
stupeur que j'étais enceinte de trois mois. Je
m'aperçevais bien que je n'avais plus mes règles
mais personne parmi les femmes qui faisaient
partie des prisons et du transport ne voyaient
leurs menstruations. Comme j'étais mineure et
célibataire, je dus répondre à un questionnaire
obligatoire, donner le nom du père de l'enfant. Je
répondis que je ne savais plus qui c'était, un ami
cheminot peut-être. Mensonge, puisque le vrai père
était Juif. Je risquais encore de retourner à
AUSCHWITZ en le signalant. La surveillante de la
prison était humaine, tout en faisant son travail
avec ce gros trousseau de grandes clefs à sa
ceinture. Elle n'avait qu'un tablier blouse, noir
à col blanc. Je compris qu'elle était obligée de
faire ce métier. Je changeais de cellule au bout d'un mois
et j'eus droit à avoir un matelas de crin et de
foin. Les rations de soupe étaient plus pleines,
tout cela sans rien dire. Nous étions trois dans
cette nouvelle cellule, cette fois la lucarne
était plus éclairée, on pouvait deviner le soleil
au-dehors. Un samedi matin, alors que nous étions en
plein travail qui consistait à coudre des boutons
sur un carton, une quatrième prisonnière fut
introduite en robe de mariée sans le voile. On la
laissa pleurer son saoul et, lorsque voulant la
mettre en confiance, on la convia à se joindre à
nous, elle nous expliqua la cause de sa venue en
prison. Voulant profiter de liberté et de joie le
jour de son mariage, elle décrocha la photo
d'HITLER, pendue dans l'entrée de sa maison
(chaque famille était obligée d'avoir cette photo)
lorsqu'en plein milieu de repas de noces, quatre
agents de la Gestapo, dans une voiture noire,
venaient arrêter les mariés, la famille et les
personnes présentes. Ils déclarèrent, ces agents,
qu'ils avaient reçu un coup de téléphone leur
disant que le portrait obligatoire avait disparu
pour cette journée de noce: (- Il a déjà fallu le
supporter à la mairie ! disait la jeune mariée).
Le surlendemain, on lui changea ses habits de noce
pour l'uniforme de la prison et elle passa devant
le tribunal quelques jours après. Nous n'avons
jamais su ce qui était advenu de cette réfractaire
au régime nazi. Ils étaient nombreux dans les
prisons et les camps, pourtant ils étaient de
vrais Allemands mais avec des idées contraires au
régime nazi. Les sanctions étaient plus sévères
pour les Allemandes et elles étaient servies les
dernières pour la gamelle. Les Lorraines étaient
mises avec les Allemandes. PREMIER JUGEMENT Les mois passèrent et vint le jour,
c'était le 6 Octobre 43, où mon tour était venu de
me présenter devant le tribunal pour mon évasion
personnelle et mon refus de me présenter à
l'Arbeitsdienst comme la convocation m'y obligeait
en temps que Lorraine. Alors ma surprise fut
grande lorsque je me suis trouvée en face des deux
prisonniers français du Kommando de GÖRLITZ. Ils
déclarèrent tous deux ne pas me connaître mais la
lettre que je leur avais confié, adressée à mon
oncle à LIGNY-EN-BARROIS, zone occupée par l'armée
allemande, en disait long. Je déclarais ne pas les
connaître mais me rappelais avoir confié à un
inconnu, cette lettre, puisqu'il prenait le train
pour METZ-DIJON. Peinés tous deux de me voir
enceinte et en prison, ils voulurent me rassurer
en me déclarant qu'aucune plainte n'était portée
contre eux puisque c'était la première fois qu'ils
s'évadaient. Je fus condamnée à six mois de prison
que j'ai purgé à la prison de GÖRLITZ. Toutes les
surveillantes étaient douces et compréhensives
envers moi. Je n'ai jamais su pourquoi. Il était
interdit de converser entre prisonnières et
surveillantes. Vint le jour de l'accouchement.
L'Aufscherin (Surveillante de la prison) a été
appelée en pleine nuit et je fus descendue à
l'infirmerie. Ensuite un docteur fut appelé. Il
était en uniforme vert lui aussi. Toute la journée
je bus de l'eau entre les douleurs. Le bébé ne se
présentait pas normalement, paraît-il. J'accouchai
d'un garçon mort-né que j'avais prénommé Bernard.
Je n'ai jamais parlé de ce passage de mon
existence tant il m'a marqué, mais il existe dans
mon dossier, alors je suis obligé de revenir à
cette époque douloureuse. EN PRISON A BRESLAU Le 14 Janvier 1944, je fus conduite en
camion cellulaire à BRESLAU dans une grande prison
de six étages bâtie en carré. Je fus amenée dans
la cellule des Françaises au quatrième étage, mais
pendant l'attente au rez-de-chaussée, je pus voir
les cellules des condamnés à mort, crâne rasé,
longue robe gris-blanche, chaîne au pied. Je
remarquais l'une d'entre elles mais il était
défendu de bouger ou de parler et je sus par mes
deux compagnes de cellule que c'était une Lorraine
de SAINT-LOUIS-LES-BITCHES, près de SARREGUEMINES.
Son mari, qui était Lieutenant dans l'aviation
française assurait des liaison entre l'ANGLETERRE
et la FRANCE. Dénoncés tous deux alors qu'il
passait quelques heures à son domicile, ils furent
arrêtés et condamnés à mort. Un paysan les avait
dénoncé à la Milice Française. Mais d'après les
Conventions de Genève, les étrangers pouvaient
être jugés mais non exécutés. Après mon
rapatriement, j'ai eu la joie de la revoir saine
et sauve ainsi que son mari. Nous avions le
privilège de nous réunir grâce à la naissance de
l'Association qu'a créée madame DELMAS et dont la
gestion était confiée à madame Geneviève DE GAULLE
ANTONIOZ, nièce de notre Illustre Général, elle
aussi rescapée des camps nazis. Mlle Andrée
FRANÇOIS était alors notre Présidente-Déléguée
très dévouée, malgré ses infirmités. Mais revenons en Janvier 1944 à la prison
de BRESLAU. Les surveillantes étaient plus
gueulardes et plus sèches que celles de GÖRLITZ.
J'avais l'impression d'être une pestiférée tant
elles criaient des injures de toutes sortes tout
en montant les quatre étages qui m'amenèrent à la
cellule des deux Françaises, l'une Lyonnaise à qui
il arrivait souvent d'avoir des crises d'épilepsie
et l'autre, très jeune, venait de DINARD sur la
côte bretonne, qui ne m'inspirait pas confiance.
Je la jugeais mal et mes premiers contacts furent
froids et brusquement je lui ai posé la question :
- T'es pas un mouton des fois ? Je me rappelle
encore de sa vive réaction, mais j'avais trouvé
suspecte cette complicité entre la Kapo qui
distribuait la soupe et vidait les tinettes et
elle, qui écrivait de petits billets avec une
simple mine de crayon et cela presque tous les
jours. N'osant pas être indiscrète, je la
suspectais à tort. C'est alors qu'elle me mit au
courant de ce courrier qui était destiné à la
Française condamnée à mort que j'avais entrevu à
travers les barreaux de sa cellule. Nous sommes
devenues de grandes amies par la suite et j'ai pu
correspondre avec elle après la guerre grâce à la
CROIX-ROUGE française. Un seul lit pour trois dans cette petite
cellule, nous laissions le lit à la malade et nous
couchions sur nos sacs de paille, par terre sur le
ciment. Les journées semblaient interminables. Les
bombardements fréquents nous valaient d'être
enfermées à double tour dans les cellules. Notre
travail consistait à séparer le duvet de la corne
centrale des plumes d'oies, ou bien à peindre des
soldats de plomb. Comme clarté, la lumière qui
voulait bien passer à travers la lucarne, sous le
plafond. Tous les soirs le travail était pesé,
compté et si un gramme manquait, c'était la
privation de soupe. Pour trois nous n'avions
qu'une tinette et lorsqu'elle était pleine il nous
fallait uriner dans la gamelle. Heureusement, la
vidange se faisait avant la distribution de la
soupe de rutabagas ou de choux, si claire qu'elle
partait en urine aussitôt. Et on en riait
pourtant. Je reçus bientôt une convocation pour me
présenter devant les juges du tribunal de BRESLAU.Les jours s'écoulaient monotones dans
notre carré. On apprenait toutes à nous retenir
d'uriner pour ne pas trop remplir la "tinette" car
la gamelle prenait le goût, mais le pain faisait
tout oublier. Si noir, si mince il semblait bon !
Une quatrième prisonnière vint nous rejoindre,
nous avons alors cessé notre courrier pour la
condamnée de crainte que ce soit un mouton venu
relever quelques détails en vue de ma comparution
prochaine devant le tribunal, et puis elle nous
expliqua, avec un accent vulgaire, qu'elle était
au travail obligatoire à BRESLAU dans une maison
close. Aujourd'hui raconte-t-elle, il est venu un
gars de PANAME (de PARIS), engagé volontaire dans
l'armée allemande, en uniforme schleu, avec le
brassard bleu-blanc-rouge. Il avait quatre jours
de permission, revenu du front russe après la
défaite allemande à STALINGRAD. Aussi, en guise
d'accueil, elle lui a fichu deux grandes baffes et
un coup de pied dans le cul en le dirigeant vers
la sortie. Un quart d'heure seulement s'est écoulé
et un agent de la Gestapo vint la prier de le
suivre. La monotonie s'était soudain égayée et on
était obligées de se pincer le nez pour ne pas
rire trop haut tant ses histoires étaient drôles.
Moi qui avais été élevée chez les religieuses,
dans l'hypocrisie, j'ai été bien dessalée. Il
m'est arrivé de rougir plus d'une fois mais j'en
ai apprise des choses ! Le soir, on rangeait tout
dans un coin et elle nous a dansé les claquettes,
nous, nous chantions "MA BELLE ANTINEA ". C'était
la veille de mon jour de pointage pour me
présenter devant le tribunal, le 3 Mai 1944,
l'avant-veille de mon 21ème anniversaire.DEUXIEME JUGEMENT Très importante, cette grande salle
d'audience et beaucoup de magistrats. Evidemment
la photo du Führer y trônait en grand modèle. Un
interprète vint s'asseoir devant moi alors que je
comprenais bien leurs arguments et leur langage.
La lecture commença. A chaque accusation, on me
gueulait : - Schemen Sie sich nicht ? Ein deutches
Mädel ? (- Vous n'avez pas honte ? Une jeune
Allemande ?). Je n'ai eu droit de réponse que
lorsque l'interprète me demanda : - Pourquoi
avez-vous agi ainsi ? J'ai spontanément répondu :
- Parce que je suis Française !… Je fus condamnée
à dix-huit mois de forteresse à purger dans la
forteresse de COTTBUS. Revenue dans ma cellule, j'avais la tête
rasée, la chemise en coton, la robe longue grise
et la veste rayée avec en plus une paire de
sabots. J'étais ainsi désignée pour le prochain
transport, le 7 Mai suivant. Le 5 Mai tomba un dimanche et par dix
cellules on nous fit descendre dans la cour pour
la promenade où il était défendu de parler entre
soi. Mais notre dernière venue faisait le pitre et
moi j'avais vingt-et-un ans, ce jour-là, je me
suis mise à rire pourtant discrètement. J'ai été
mise au milieu du cercle, les mains croisées sur
la tête et à genoux, tête baissée, mais
j'entendais, tout bas, mais très distinctement,
ces nouvelles allant au fur et à mesure que la
ronde se faisait. Ainsi les Russes avançaient vers
l'ALLEMAGNE. C'était pour moi comme un cadeau
d'anniversaire, cette bonne nouvelle. Je pus faire
comprendre à notre amie condamnée à mort lorsque
nous sommes passées par le rez-de-chaussée, que
l'espoir s'annonçait et notre Ginette d'ajouter :
- Ils l'ont dans le cul la balayette !…
Heureusement tout se passa bien, la surveillante
était très occupée à faire rentrer toutes ses
prisonnières. Le 7 Mai vers sept heures du matin, la
porte s'ouvrit. Les adieux étaient déjà faits et
les promesses de se revoir après la guerre étaient
fermes. Dans la cour le fourgon cellulaire
attendait. Encore ce fourgon cellulaire qui
m'emmena au quai dans un wagon déjà bien rempli.
Il y avait de la paille répandue à terre et des
excréments de chevaux parce que dans ce pays on
prenait cela pour un porte-bonheur. C'étaient les
guerriers à quatre pattes qui avaient occupé ces
wagons. EN PRISON A LÜBECK Prochaine prison, LÜBECK, prison remplie
de prisonnières allemandes, les unes pour
fréquentations sexuelles avec les prisonniers de
guerre français, elles gardaient espoir de les
rejoindre en FRANCE après la guerre. On leur
apprenait le français, quelques mots furtifs en
pensant au fond de soi : "La FRANCE c'est aux
Français, pas aux boches ". Mais on a vite compris
qu'il s'agissait de ceux qui luttaient contre le
régime nazi. Des femmes de grands Généraux
allemands ou d'Officiers étaient parmi elles
disant avoir honte d'être Allemandes. On finit par
comprendre que partout il existait la lutte pour
cette Liberté-Chérie, dans n'importe quelle partie
du monde. Je me suis promise de ne plus critiquer
quoi que ce soit, quelqu'il soit où que ce soit.
Je venais de mûrir en quelque sorte parmi toutes
ces malheureuses. Ainsi, j'ai appris que de
hauts-fonctionnaires allemands ont été fusillés et
des documents emmurés car la défaite allemande
s'accentuait là-bas en RUSSIE. On parlait beaucoup
de DE GAULLE, des Anglais, des Américains
peut-être, mais dans cette grande salle où nous
étions plus de mille femmes, allemandes,
lorraines, ziganes, tchèques, toutes nous avions
l'Espoir. Le soir-même de mon arrivée nous fûmes
acheminées vers les wagons cellulaires, cette fois
avec de vieux bancs de bois mais au moins c'était
plus tolérable, mais pas de souper, pas d'eau. On
nous répondit que BERLIN était bombardé : - Wasser
kaput ! (- Les tuyaux d'eau cassés par les
bombardements !). DANS LA FORTERESSE DE COTTBUS Arrivée à COTTBUS. Forteresse imposante.
Après l'appel à la descente du train, on nous
distribua du pain avec de la margarine, on s'est
dit : "C'est bon signe, les Russes ne sont pas
loin" - une tartine par personne, pas d'eau !
Arrivées à la prison-forteresse, nous étions une
par cellule. Il est vrai que cette bâtisse était
haute. La soupe : une feuille de chou dans un
litre d'eau était la bienvenue après ce voyage. Je
pensais purger mes dix-huit mois dans cette
cellule, en solitaire. Je m'attendais à tout et me
faisais à cette discipline, à la longue, surtout
habituée à celle de PEPINVILLE, quelques années
auparavant, "j'étais branchée" c'est d'ailleurs ce
qui me sauva. Il fallait travailler sur un métier
à tissu de la laine épaisse, puante, écrue et tant
de mètres par jour si l'on voulait sa ration de
soupe. A PEPINVILLE, j'avais été mise à travailler
sur des machines à tricoter "DUBLE", lourdes et
pesantes à manier. Les Soeurs m'avaient choisi
parce que j'étais grande et forte. J'étais donc
presque rôdée avec ce métier en bois et je
m'appliquais à ne jamais être privée de soupe. Le 6 Juin à midi, la prisonnière qui
distribuait la soupe avec sa bouche en accordéon
me glissa à l'oreille que les Américains avaient
débarqué en NORMANDIE. Je n'osais y croire mais
elle aimait bien les Françaises parce que "chéri
Paris", ich gehe auch - (Mon chéri parisien,
j'irai le rejoindre). DANS LA PRISON DE WITTEN-ANEN Fin Juin alors que je m'habituais à cette
installation, je comptais les mois purgés. Grand
rassemblement fut fait et "Schnell ! Schnell !" on
nous pressa de regagner les fourgons cellulaires
qui attendaient dans la cour, de là à la gare avec
chiens S.S., et gueulantes intempestives. Ça
n'allait pas assez vite, les jurons les plus
vulgaires étaient lancés. Entassées dans ces wagons, le train roule
une journée et demi. Il y eut des arrêts pendant
les bombardements, en rase-campagne sans doute,
car on n'entendait ni on ne voyait rien. Enfin,
arrêt à une gare mutilée par les bombes.
"DORTMUND" en WESTPHALIE. Des camions, des
fourgons nous pressèrent telles des sardines en
boîtes mais en peu de temps, une heure peut-être,
nous arrivions au camp de concentration de
WITTEN-ANEN, relié à la prison de DORTMUND qui
était à 60 kilomètres. La baraque des Françaises était la
première à droite, mais après l'appel je fus
dirigée vers le Bloc des Allemandes à côté du Bloc
des Polonaises avec mon n° d'immatriculation 816.
Mes sabots étaient en mauvais état en bois fendu ;
il faisait froid : jamais de chaussettes… jamais
de slip ni de soutien-gorge. La vie était bien
différente. A nouveau 60 à 80 par chambre. Lits
superposés, le sac de paille, la couverture. Etant
plus jeune on me désigna le plus haut. C'est là
que je vis que la maigreur m'avait affaibli. Je
tremblais sur mes jambes en escaladant. Les nuits
sans sommeil, les gémissements des malades, les
dépressives qui avaient peur du lendemain. Les
surveillantes étaient des femmes en uniforme S.S.
avec de belles bottes brillantes et le nerf de
boeuf toujours à la main criant, beuglant lorsque
par colonne de cinq, elles nous emmenaient à la
fabrique située au milieu du camp. Elles étaient
nombreuses ces chiennes et sans coeur. Ce mirador
me faisait penser à la photo d'HITLER dominant le
monde sans sa chanson mais croulant sous
l'oppression, puisque espoir il y avait en moi.
Ces barbelés comme je les ai vu méchants, comparés
aux hauts murs de PEPINVILLE où l'on ne voyait
rien ni personne. Ici on ne voyait rien que champs
de terre, pas même un petit oiseau dans cette
grande nature sans arbres. Les bombardements étaient fréquents à
cents lieues à la ronde. Souvenirs inoubliables,
ces grosses grappes de tous les feux qui
descendaient au loin. Jamais nous ne fûmes
touchés, et puis où serions-nous parties de ce
bout du monde ? Nous travaillions à la chaîne dans
cette fabrique et j'étais assise devant les
fenêtres, lesquelles étaient calfeutrées par une
grande toile noire, dès que la nuit venait ; c'est
un prisonnier de guerre français qui était chargé
de cette besogne. Je me fis vite connaître pour
essayer d'obtenir quelques nouvelles du dehors ;
il n'a pas parlé mais lorsque le lendemain matin
je repris mon travail, je vis une ligne griffonnée
finement me mettant ainsi au courant des
actualités. Il me cachait de bons morceaux de
chiffon pour le nettoyage des machines que nous
faisions fonctionner et j'en profitais pour me
confectionner le soir en cachette, un slip et un
soutien-gorge pour essayer d'avoir un peu chaud
car nous approchions à grand pas de ce rude hiver
1944. Un jour à l'appel je fus déshabillée nue
par l'Aufseherin, on lui avait dit que je m'étais
confectionné cet ensemble tout avec des noeuds. Je
récoltais ainsi quinze jours d'arrêt en plein mois
de Janvier 1945 à la prison de DORTMUND, couchée à
même le ciment avec une couverture seulement, pain
et eau et tous les quatrièmes jours seulement la
gamelle de soupe dans le noir complet du sous-sol.
La surveillante qui ouvrait la porte pour faire
sortir ma tinette, s'était prise de pitié pour
moi, sans doute voyant la guerre bientôt perdue
pour eux. Alors elle m'apportait de la confiture
de tomate avec de fines tranches de pain noir.
C'est elle qui plus tard me conduisit aux
Américains pour que je sois soignée une des
premières mais elle m'a fait promettre qu'en
retour je dise beaucoup de bien d'elle. Sortie de la prison après mes quinze
jours je regagnais le camp à WITTEN, j'avais
maigri, la lumière me faisait mal aux yeux. Une
surprise m'attendait une lettre de papa ZANG, une
lettre avec toute l'affection paternelle que
j'appréciais et puis les femmes de ma chambre
m'avaient gardé du pain pour mon retour, il était
dur mais bon Je n'ai jamais su laquelle m'avait
dénoncé je ne cherchais pas à comprendre. A l'usine il y avait du désordre dans le
travail ce qui voulait dire : ils perdent la
bataille, enfin ! C'est pas trop tôt. La
dysenterie avait gagné notre baraque, on faisait
la queue aux W.C. ou alors, celles qui n'avaient
plus de force pour se relever, salissaient le sac
de paille qui nous servait de matelas. Beaucoup
moururent ainsi et on les aidait à tenir le peu de
souffle qu'elles avaient encore pour dire : "Vive
la FRANCE ! Vive DE GAULLE ! ". On leur joignait
les mains en chantant "LA MARSEILLAISE ", pour un
dernier sourire de leur part. Dire qu'aujourd'hui
tous ceux-là n'ont même pas la Légion d'Honneur à
titre posthume… mortes loin de leurs familles de
la FRANCE en nous laissant pour toujours le
souvenir de leurs souffrances. LIBÉRÉE ! Tous les matins on entendait, vers cinq
heures, des camions entrer ; c'était pour venir
récupérer les cadavres de nos compagnes. Lorsqu'un
matin pendant que nous attendions notre quart de
café quel ne fut pas notre étonnement : ce
n'étaient plus les mêmes uniformes qui ouvraient
les portes des baraques mais les Américains avec
des camions remplis de civières. Ainsi ils nous
font toutes évacuer le camp pour nous transporter
dans les casernes qui étaient transformées en
hôpitaux, où j'ai été soignée 3 mois, aux piqûres,
aux bouillies, au lait en poudre. Hébêtées, sans
forces, nous nous laissions laver, peigner,
désinfecter, piquer mais de nourriture pas
question : du lait en poudre, de la confiture, des
bouillies, de flocons d'avoine sans doute. Les
plus valides se faufilaient sous les tentes ou
dans les camions américains, elles cherchaient du
pain à manger, hélas ! Plus d'une en est morte… Je suis restée trois mois, bien soignée,
nourrie, habillée, dépouillée mais infectée encore
par des furoncles dans le cou. La figure
paraissait encore, j'avais peine à croire que
bientôt nous allions être rapatriées. L'armée
anglaise est venue remplacer l'armée américaine et
aussi la Troupe Française d'Occupation. Nous avons
été habillées par des familles allemandes qui
venaient nous questionner car beaucoup n'avaient
pas de nouvelles de leurs prisonniers ou déportés.
Les mois semblaient longs. Toutes les semaines il
y avait quatre ou cinq camions qui partaient pour
la FRANCE avec les rescapés remis sur pied.
J'avais des problèmes d'infection génitale car non
réglée pendant ces 25 mois de captivité : un
ovaire s'était infecté et impossible d'opérer
parce que trop faible ce n'est qu'en Avril 1946
que l'on a fait faire cette ablation à l'Hôpital
de METZ. C'est lorsque j'ai été par la suite
obligée de reprendre mon travail que cela a été
dur pour moi. Bonne à tout faire pour être logée
et nourrie. Il n'y avait pas de machine à laver,
alors deux fois par semaine ces lourdes
lessiveuses de linge, j'étais seule pour les
porter. J'avais de bons patrons mais ils ne
pouvaient pas comprendre et moi pas parler ni me
plaindre. Nous aurions dû être radieuses mais tout
semblait étranger, nouveau et trop beau. Je me
rappelle que l'appétit manquait chez certains.
J'avais les dents qui bougeaient. Impossible de
manger mon steak, moi qui n'avais même pas connu
un mal de dents jusqu'à vingt ans, une rougeole à
dix ans c'était tout et là il me fallait
réapprendre à manger. Que de fois je me suis
trouvée mal après avoir mangé : étouffement,
douleurs dans le dos et au ventre. RAPATRIÉE ! Le 25 Juillet 1945 j'étais sur la liste
des Françaises pouvant être rapatriées ce jour-là.
Les camions militaires français nous ont embarqué.
Chacune a reçu un colis de trois kilos offert par
l'armée anglaise ou américaine. D'un seul coup
nous avions des ailes. Les camions n'allaient pas
assez vite à notre gré pour revoir enfin la
FRANCE, mais personne ne m'attendait en FRANCE. En
traversant la BELGIQUE nous nous sommes arrêtées
pour manger : comme nous étions bébêtes !… Il y
avait longtemps que cela n'était plus arrivé, se
servir à volonté, manger avec cuillère et
fourchette, avec une serviette blanche ! Il nous a
été interdit de boire de l'alcool et j'avais envie
d'une bonne bière. Néanmoins en me privant j'ai
offert ce sacrifice à celles qui n'ont pas eu la
chance d'être parmi nous mais qui hantaient mon
esprit. Enfin VALENCIENNES ! Quel accueil
émouvant, les hauts-parleurs nous souhaitaient la
bienvenue. La CROIX-ROUGE française aux petits
soins pour chacun de nous. Mais nous n'avions les
yeux que sur ces écriteaux, sur une écriture
française. Tout le monde parlait français autour
de nous, les docteurs nous rassuraient de leur
mieux. Entre copines on se disait : "C'est pas
juste quand même, cette FRANCE chérie elle est à
celles que l'on a laissées mortes en bochie ! ",
et ça faisait mal ce bel accueil, ces assiettes
garnies. Après être passées par plusieurs bureaux
et services médicaux nous avons été conduits dans
une vraie salle à manger, toute fleurie. Un
dortoir avec un bon lit nous attendait ensuite à
l'étage supérieur. La CROIX-ROUGE française nous
distribue des listes de déportées et déportés non
encore entrés, il fallait répondre si on avait
connu l'un ou l'une d'entre eux en donnant des
précisions. La Police nous imposa de nous
présenter au Commissariat du lieu où l'on prenait
résidence car nous étions encore contagieux. Un
carnet de soins gratuits pour une durée d'un an et
une prime de rapatriement de 2 500 Frs. anciens.
Après une bonne nuit de repos à VALENCIENNES, une
carte de rapatrié et un bon de transport furent
distribués à chacun. C'est ainsi que j'ai pris le train me
conduisant à LIGNY-EN-BARROIS chez mon oncle
Alfred le pâtissier (le "SAINT-NICOLAS" de VERNY).
ALOYS est venu nous rejoindre avec sa femme, car
il s'était marié quinze jours avant mon arrivée à
ALBI, dans le TARN, avec une jeune fille
s'occupant de courrier et des vivres pour les
maquisards dont l'oncle ALOYS faisait partie.
Malgré ma joie, les gâteries, il m'était
impossible de faire un repas sans avoir des crises
d'étouffements, ma tante croyant bien faire me
faisait bien manger, bien boire et je ne voulais
pas me priver. Hélas, il a fallu appeler le
docteur de famille. Six semaines après je regagnais METZ et
l'hôpital militaire où je fus soignée et mise en
quarantaine car j'avais les poumons voilés en plus
du reste : furoncles, encore un peu de paralysie
dans les jambes et les bras, etc… RETOUR A METZ Hospitalisée à LEGOUEST, à METZ j'avais
droit à des heures de sortie, j'en profitais pour
contacter papa ZANG que j'allais beaucoup étonner
par ma présence. Je savais qu'il se rendait tous
les dimanche à la messe de dix heures avec ses
trois enfants ; c'est là que j'ai attendu à la
sortie de l'église. Ce fut des instants d'émotions
et de joie sans commentaires. Je m'apprêtais à les
quitter lorsque les enfants m'obligèrent à entrer
à la maison en leur compagnie et papa ZANG, très
fier, me prit par la main. Pierrot, son fils,
partit en avant avertir sa belle-mère qui monta se
cacher au grenier. Celle-ci, me croyant enfin
morte me tournait le dos. Puis nous offrit
l'apéritif. Je n'ai fait aucune allusion,
suppliant papa de ne plus parler du passé et je
pris congé d'eux non sans prendre rendez-vous avec
papa ZANG au marché à une prochaine permission de
sortie. Jacqueline et Pierrot sont venus me voir à
l'hôpital et m'ont appris la naissance d'une autre
petite soeur pendant mon absence. A peu près
guérie, j'attendais d'être envoyée en aérium à
FLAVIGNY et en attendant j'habitais au Centre
d'Accueil Rue du Grand Cerf à METZ où la mairie et
la Maison des Déportés s'occupaient de nos
affaires judiciaires et sociales.CONDAMNATION DE MADAME ZANG En Septembre 1945 je reçus au Centre une
convocation afin de me présenter comme témoin
devant le tribunal militaire ; j'en fais part à
papa ZANG, lui, estimé de tous, chef de filières
de passeurs pendant les trois dernières années il
était honteux et souhaitait que la justice eut
compassion. Pourtant elle a été accablée à
plusieurs reprises par les familles de déportés et
internés portés disparus ou morts qu'elle avait
dénoncé à la Gestapo. Lorsque je me suis
présentée, j'ai demandé simplement à ne pas
comparaître puisque je ne portais pas plainte. Il
y avait tant de monde dans ce hall du tribunal qui
me faisait pitié : ils réclamaient justice contre
cette donneuse à la Gestapo allemande. Elle fut
remise en liberté au bout de huit mois sur les
supplications de son mari, surtout pour ses
enfants. Aujourd'hui, en Septembre 1985, elle est
alitée dans une Maison de Retraite, paralysée,
presqu'aveugle, abandonnée de ses enfants qu'elle
a fait souffrir aussi, alors que papa ZANG estimé
de tous, Résistant et militant avait bien risqué
sa vie. Beaucoup de familles ont été épargnées
grâce à lui, aidé de quatre collègues de l'Octroi
ou de la mairie.
J'ai eu
la chance de revenir de l'Enfer
Concentrationnaire Nazi mais je n'ai rien
oublié.
Cela
nous sera impossible.
Nous
ne serons plus jamais des gens normaux
moralement.
On
ne veut plus en parler.
Que nos
enfants ne connaissent jamais cette
dépravation.
Ni
haine.
Ni
guerre.
Ni
séparation des familles.
Nous
avons pardonné mais le Souvenir reste pour
tous nos chers morts.
Là-bas.
POUR NOTRE FRANCE.
.
LIVRE 2
**
DOCUMENT
Archives
du Colonel Jean MINGASSON
21
Novembre 1940
**
LA SITUATION DES LORRAINS DEPUIS
L'ENTREE
DES
TROUPES ALLEMANDES JUSQU'AU DEBUT
DES
EXPULSIONS MASSIVES
(11
Novembre 1940)
Le 14 Novembre dernier, un communiqué
publié à l'issue du Conseil des Ministres à VICHY,
faisait allusion à l'exode des Lorrains, obligés
par les autorités allemandes de quitter leurs
foyers où ils devaient tout abandonner. Deux jours
plus tard, les journaux donnaient avec de grosses
manchettes, telles que "6000 Lorrains passent tous
les jours en gare de Lyon", quelques précisions
sur ce lamentable exode, insistant sur la belle
attitude patriotique de ces émigrés, qui
arboraient fièrement des cocardes tricolores,
agitaient des drapeaux et semblaient tout heureux
de se trouver en FRANCE libres, loin des Occupants
de leur belle province. Comme ces expulsions vont
se poursuivre encore pendant quelques semaines -
on parle en effet de 150 000 Lorrains qui ont opté
pour la FRANCE dans la seule partie du département
de la MOSELLE et qui ne parlent pas la langue
allemande - il intéressera nos lecteurs de
connaître exactement les conditions dans
lesquelles les Mosellans ont été amenés à se
séparer de la terre natale. LE PLEBISCITE DE LA SARRE EN 1935 Et tout d'abord un petit retour en
arrière. Le 13 Janvier 1935, la population du
territoire de la SARRE devait, par un plébiscite,
se prononcer pour l'une des trois solutions fixées
par le Traité de Versailles et qui devait fixer la
situation politique définitive du BASSIN :
autonomie, retour à l'ALLEMAGNE ou enfin annexion
à la FRANCE. On se rappelle qu'à une immense
majorité, les Sarrois à l'époque se prononcèrent
pour le retour pur et simple au Reich. Pour
assurer l'ordre durant cette période troublée par
différents incidents sanglants, il fut nécessaire
de dépêcher dans la SARRE une Police
internationale spéciale et constituée par des
détachements des armées suédoises, hollandaises,
anglaises et italiennes. (Ce fut la dernière fois
que soldats Anglais et Italiens eurent l'occasion
de fraterniser et certain soir de Décembre 1934,
Mr CARLES, Préfet de la MOSELLE, aujourd'hui
Préfet du Nord, donna à la Préfecture de la
MOSELLE un grand dîner en l'honneur des
états-majors de ces deux armées d'Occupation).
L'ALLEMAGNE, malgré la formidable propagande
qu'elle avait monté en SARRE depuis l'avènement de
Mr HITLER au pouvoir et intensifiée d'une façon
extraordinaire durant les derniers mois qui ont
précédé la mémorable journée du 13 Janvier 1935,
l'ALLEMAGNE ne se sentait nullement sûre du
résultat de cette consultation populaire et,
officieusement, elle avait offert à la FRANCE des
compensations économiques pour le cas où elle
renoncerait au plébiscite. Mais la FRANCE tint
bon, s'en tenant uniquement aux clauses du Traité
de Versailles. Son Gouvernement ne pouvait ignorer
que la FRANCE allait au-devant d'un échec
retentissant. Malgré les bénéfices que, durant quinze
années, les Sarrois avaient retiré de leur
situation tout à fait privilégiée, en ce qui
concerne les échanges économiques du territoire
plébiscitaire tant avec la FRANCE qu'avec
l'ALLEMAGNE, cette population était demeurée
foncièrement allemande dans l'âme, hostile à tout
ce qui était welsche ! La FRANCE n'avait pas su
organiser sa propagande. Très maladroitement, elle
l'avait confié à des gens qui, en 1933, avaient dû
fuir de l'Hitlérie pour des raisons d'ordre
politique et dont beaucoup étaient des
communistes. L'ALLEMAGNE REDOUTAIT LES RESULTATS
D'UN PLEBISCITE EN ALSACE-LORRAINE On aurait pu croire que l'empire allemand
vainqueur de la FRANCE allait s'inspirer de ce
précédent, qui lui avait rapporté en 1935 une
victoire aussi complète qu'inespérée, et, qu'à son
tour, sans attendre la conclusion d'un Traité de
Paix, il allait infliger à la FRANCE une nouvelle
humiliation, en décrétant un plébiscite en
ALSACE-LORRAINE, dont les populations, à en croire
la presse et la radio allemandes, avaient acclamé
la Reichswehr en libératrice. En réalité, dès le début de l'occupation
de la MOSELLE par les troupes allemandes, soit à
partir du 18 Juin, les Lorrains s'étaient figés en
une réserve absolue, qui rappelaient aux très
vieux Messins l'attitude que leurs parents avaient
adopté en 1870, après la capitulation du Maréchal
BAZAINE et l'entrée à METZ des troupes du Prince
FREDERIC-CHARLES. Les Allemands eux-mêmes ne cachaient pas
la déception que leur avait préparé la ville de
METZ aussi bien que les moindres villages du
département. Pas de drapeaux aux fenêtres alors
qu'après le 11 Novembre 1918, les femmes et les
jeunes filles avaient fiévreusement confectionné
des drapeaux et des oriflammes tricolores pour
accueillir dignement leurs libérateurs. Pas de
foule dans les rues de la ville, où seuls rodaient
quelques éléments douteux, venus des bas-quartiers
et de nationalité mal définie. Et cependant les premières semaines de
l'Occupation furent relativement douces, et ce
calme apparent devait continuer tant que
l'autorité militaire assurait l'administration du
département. Aux murs étaient placardées ces
affiches bien connues, apposées dans toute la zone
occupée, rédigées en français, et sur lesquelles
on voit un soldat de la Wehrmacht tenant un petit
Français sur le bras et lui donnant à manger. Dans
les rues, on entendait les indigènes s'entretenir
en français, les Lorrains voyant affluer les
démobilisés Alsaciens-Lorrains remis en liberté
sur l'ordre du Führer pouvaient croire qu'ils
allaient enfin pouvoir reprendre la vie familiale
d'avant-guerre. Cette période de calme n'a duré que
quelques semaines, et dès la fin du mois de
Juillet, la désignation de Mr Joseph BURCKEL comme
Gauleiter pour les districts de la SARRE du
Palatinat et de la LORRAINE devait marquer une
aggravation de la situation. A vrai dire,
l'activité et la brutalité du Gauleiter BURCKEL
n'étaient pas ignorées des Lorrains qui avaient eu
des échos de son savoir-faire en SARRE de 1935 à
1938, puis en AUTRICHE, dont il avait été le
gouverneur jusqu'au moment où la confiance de Mr
HITLER le rappelait dans les Marches de l'Ouest.
La dévalorisation des cours d'échange du franc
français (1 mark : 20 francs) avait été une
première surprise désagréable pour les Lorrains
qui apprirent avec stupéfaction que, dans le
Grand-Duché du LUXEMBOURG, les autorités
allemandes avaient fixé le cours du mark à 12
francs luxembourgeois. Cette dépréciation de la
monnaie devait singulièrement faciliter les achats
massifs par les militaires allemands de
marchandises de toutes sortes, expédiées vers
l'intérieur du Reich par wagons complets ou en
camions soigneusement bâchés. La ruée fut telle
que, durant trois semaines, alors que les magasins
se trouvaient à peu près vidés, la fermeture de
toutes les boutiques fut ordonnée pour permettre
un recensement des stocks.Quand la réouverture fut ordonnée, les
habitants apprirent avec indignation que, pour se
procurer désormais le moindre produit textile, il
leur fallait des bons spéciaux qui ne leur étaient
délivrés qu'après enquête et moyennant paiement
d'un droit. Les journaux français avaient cessé de
paraître à METZ depuis le 14 Juin. Les Allemands
firent paraître deux journaux rédigés en allemand
seulement et qui reproduisaient en allemand
seulement les nombreux avis et règlements
concernant l'organisation de la vie économique.
L'immense majorité des commerçants et des
consommateurs ne comprenant que le français, ces
ordonnances de polices, rédigées bien entendu en
style administratif leur demeuraient le plus
souvent incompréhensibles et ceci était la source
de conflits entre la Police chargée de surveiller
l'application de ces sources et une population qui
ne les comprenait pas ou mal la plupart du temps. Depuis le 29 Juillet, le système des
cartes alimentaires allemand avait été introduit
en LORRAINE. Il contrastait étrangement avec le
régime précédent et la présence de garnisons
nombreuses, toujours affamées, aussi bien que la
désorganisation des moyens de transport accentuait
cette différence. L'Administration commença à mener
campagne contre l'usage de la langue française.
Aux vitrines des magasins, aux murs des bureaux
administratifs, bref, partout furent apposées des
affiches portant les inscriptions suivantes
"Unsere Sprache ist Deutsch" (" Notre langue,
c'est l'allemand "), ou bien encore "Hier wird nur
Deutsch gesprochen" (" Ici on ne parle qu'allemand
") ou enfin "Bist du Deutscher, so sprich Deutsch"
(" Si tu es Allemand, parle allemand "). On fit mieux. Comme toutes les villes,
METZ s'enorgueillit d'un certain nombre de
Monuments, tels que ceux du Maréchal NEY,
reproduisant le héros de la MOSKOWA faisant le
coup de fusil pendant la Retraite de RUSSIE, celui
du Maréchal FABERT avec, sur le socle, cette fière
déclaration : "Si, pour défendre une place que le
roi m'a confiée, il fallait mettre sur la brèche
ma personne, ma famille et tout mon bien, je
n'hésiterais pas un instant à le faire ".
L'ALLEMAGNE impériale avait respecté ces
Monuments, aux pieds desquels défilaient, tous les
jours que DIEU fit de 1871 à Novembre 1918, les
sections de la garde montante avec musique, fifres
et tambours. Par ordre de Mr BURKEL, ces Monuments
furent enlevés de nuit par des équipes de
pompiers. Subirent le même sort les statues ou
Monuments du Roi ALBERT 1er, du Roi SAINT-LOUIS,
de LAFAYETTE, offerts par les Chevaliers de
COLOMB, du Général MANGIN, etc… (Du reste dans
toutes les localités d'ALSACE-LORRAINE, les
Allemands agirent de même : c'est ainsi qu'à
STRASBOURG, non seulement ils enlevèrent la statue
de KLEBER, mais encore firent-ils déterrer les
cendres de l'illustre soldat qui avaient
pieusement été déposées sous le Monument. Ces
restes furent ensuite déposés au cimetière de
KRONENBOURG). Le ridicule ne tue plus en ALLEMAGNE
: tous ceux qui ont visité METZ se rappellent la
fameuse statue du prophète DANIEL adossée au grand
portail de la cathédrale. L'architecte Allemand
auquel GUILLAUME II avait confié l'exécution du
nouveau portrait qui a remplacé celui de BLONDEL,
datant du 18ème siècle, avait, dans un accès de
byzantinisme, donné au prophète DANIEL les traits
du dernier empereur d'ALLEMAGNE, en boursouflant
la lèvre supérieure, de façon à rappeler la
fameuse moustache de GUILLAUME. Des tailleurs de
pierre durent faire sauter à coups de ciseaux
cette simili-moustache. Le Monument étant, comme
toute la cathédrale en pierres jaunes de JAUMONT,
cette taille de moustache tranchait fort sur la
figure de la statue patinée par le temps. La lèvre
"rasée" fut dans la suite recouverte d'un enduit
de façon à donner l'illusion au passant que le
prophète DANIEL n'avait jamais eu la moindre
ressemblance avec GUILLAUME II. Après la chasse à la langue française,
après l'enlèvement des statues, l'Administration
allemande débaptisa toutes les rues pour leur
donner les noms d'hommes célèbres Allemands et, en
particulier de ceux du IIIème Reich ; de telle
sorte que, par leurs noms les rues de toutes les
localités alsaciennes-lorraines se ressemblent
étrangement partout ; il y a une Place ou Rue du
Führer, une Rue Adolf Hitler, une autre qui porte
le nom de Schlageter, fusillé en RHENANIE par les
troupes françaises pour actes de sabotage commis
durant l'Occupation de la Ruhr, etc… A METZ, la Rue du Président Wilson est
devenue la "Bismarckstrasse" et, dans la banlieue,
une localité, une localité qui avait cru devoir
donner le nom du Roi Victor-Emmanuel à une des
principales artères a vu disparaître cette
appellation qui a fait place à la
"Mussolinistrasse". La même manie de supprimer radicalement
tout ce qui rappelle le passé français de la
région a amené les Allemands à germaniser les noms
même des localités, dont beaucoup se terminaient
soit par "ville", comme PLAPPEVILLE qui s'appelle
maintenant "Papolsheim" ou par "ange" (Florange :
Florchingen). On pourrait remplir des pages
entières si l'on voulait simplement donner la
nomenclature très sèche de toutes ces communes
débaptisées, dont la plupart ne riment à rien en
tant que traduction : il y a un petit village près
de METZ qui se nommait JOUY-AUX-ARCHES. L'Annuaire
des Postes allemand le mentionne sous le nom de
Gaudach ! ! Le coût de la vie ne cessant d'augmenter
rapidement en LORRAINE, l'Administration allemande
dut, dès le mois d'Août, consentir à une
augmentation de 80 % des traitements et salaires.
Bien entendu les prix cependant contrôlés, ne
firent que hausser. Cette majoration a rapidement
atteint 100 % de sorte que les bénéficiaires
salariés ne se trouvaient nullement avantagés par
rapport aux salaires et traitements qu'ils
touchaient avant l'arrivée des Allemands. Bien au
contraire. Mais plus lamentable devint la
situation des rentiers, propriétaires de maisons
parfois complètement vides de leurs locataires,
qui étaient partis lors de la mobilisation et dont
les familles s'étaient, dès les premières semaines
de la guerre, réfugiées dans un département de
l'intérieur. Si l'on ajoute que les établissements
de crédit, les Caisses d'Epargne ne versaient à
leurs clients ou déposants que de très maigres
acomptes, largement espacés dans le temps, on
devinera les prodiges d'économie qu'il fallait
réaliser par ces gens qui devaient vivre en marks,
alors qu'ils n'avaient que des revenus en francs
dépréciés, pour acheter les matières alimentaires
les plus indispensables. Entretemps, commençait le reflux des
populations lorraines évacuées en CHARENTE, dans
la VIENNE, etc… au début de Septembre 1939, parce
qu'habitant des localités situées en avant, dans
ou immédiatement derrière la ligne Maginot. Par
une propagande très habile, l'Administration
allemande avait insisté auprès de ces pauvres gens
pour qu'ils regagnent bien vite leurs foyers, avec
tout ce qu'ils avaient pu sauver, les assurant de
toute la sollicitude du Parti National-Socialiste,
de l'aide de l'armée et du Service du Travail
(Arbeitsdienst) pour la reconstruction de leurs
habitations détruites ou endommagées du fait de la
guerre, le défrichement de leurs terres laissées à
l'abandon. Beaucoup se laissèrent prendre au piège
et regagnèrent leur département d'origine.
Evidemment, au début tout alla très bien : des
sections d'infirmiers allemands les accueillirent
avec sollicitude à la descente du train, des repas
chauds leur furent servis, des dames de la
"National Sozialistische Volkshilfe" s'occupèrent
des enfants. Mis en confiance ces cultivateurs, en
tant qu'ils purent rentrer dans leurs villages,
dont beaucoup avaient cruellement souffert par les
bombardements, se remirent au travail et
consacrèrent leurs dernières économies à l'achat
de bétail, de matériel agricole, de semences. De leur côté, les agriculteurs Lorrains
demeurés sur place se firent un devoir de rentrer
les récoltes, aidés très largement par la
main-d'oeuvre militaire allemande, les hommes du
Service du Travail etc… A la campagne surtout, où
le travail pressait, on semblait avoir oublié les
tristesses de l'heure présente pour se consacrer
tout entier à la terre, qui offrait ses riches
récoltes et qui réclamait la préparation des
travaux d'automne. Une ombre d'inquiétude passa cependant
dans maints foyers lorrains quand furent
distribuées vers le 10 Août dernier, des feuilles
de recensement, dont les différentes rubriques
justifiaient les appréhensions des intéressés. Ces
feuilles ou fiches de couleur verte devaient
apparemment servir à l'établissement des cartes
alimentaires définitives. Or, il fallait fournir
des renseignements non seulement individuels, mais
comprenant également le conjoint, les ascendants
paternels et maternels du chef de famille, des
ascendants de sa femme jusqu'au 3ème degré, avec
indication de la religion des dates et lieux de
naissance et de la nationalité de chacune des
personnes entrant en ligne de compte. C'était en
somme une espèce d'embryon d'arbre généalogique
que chaque célibataire ou chaque chef de famille
devait établir dans les 48 heures. Ce qui faisait
surtout tiquer les gens, c'était que
l'Administration exigeait des renseignements sur
la religion de chacun. Or les Juifs 100 % avaient
quitté la LORRAINE depuis quelque temps déjà. Au
début de la guerre, beaucoup d'entre eux avaient
gagné les départements du Centre et du Sud-Ouest.
Ceux qui n'avaient pas réussi en Juin à se mettre
en sûreté avant l'arrivée des Allemands en
LORRAINE avaient, un beau jour, été rassemblés
brutalement et chassés en troupeau au-delà de la
frontière qui sépare les départements de la
MOSELLE et de MEURTHE-ET-MOSELLE. Il y avait, à proprement parler, d'autres
indices qui rendaient vraisemblables une
recrudescence de l'activité annexioniste des
dirigeants du IIIème Reich. Dès le début du mois
d'Août, la frontière douanière franco-allemande,
telle qu'elle existait depuis 1870 jusqu'en 1914
avait été rétablie. Au début, les douaniers
Allemands empêchaient surtout la sortie de devises
étrangères de LORRAINE à destination de l'ancienne
FRANCE, ainsi que la contrebande du courrier
confiée par des habitants de la MOSELLE à des
personnes qui se rendaient en territoire occupé
(le contrôle des laissez-passer était exercé très
rigoureusement par des organes militaires). A
partir du 1er Août, après une tournée d'inspection
de Mr von SCHWERIN-KROSSINCK, Ministre d'Etat des
Finances, venu s'assurer si le cordon douanier
était bien en place, l'ALSACE-LORRAINE était
pratiquement complètement séparée du reste de la
FRANCE : la fermeture était pour ainsi dire
hermétique. INTERDICTION DE TOUTE TRANSACTION SUR
LES IMMEUBLES, DE TOUT
DEMENAGEMENT, DE VENTE DE PARTIES DE MOBILIERS, ETC… Dès l'arrivée des Allemands en MOSELLE,
les biens des israélites avaient été confisqués,
les Juifs chassés de leurs demeures et conduits en
territoire occupé (MEURTHE-ET-MOSELLE), leurs
synagogues incendiées (par exemple : STRASBOURG,
THIONVILLE, DELWRE, SARREGUEMINES, etc…). Mais, de leur côté, les Lorrains "aryens"
également avaient été l'objet de mesures de police
qui auraient dû les mettre en méfiance. C'est
ainsi que les autorités allemandes édictèrent deux
mesures qui devaient supprimer en fait le droit du
propriétaire de disposer de son bien. La première
a interdit toute vente d'immeubles. Interdiction
de grever un immeuble d'hypothèques ou de
servitudes. Puis ce fut l'interdiction de vendre
tout ou partie des mobiliers existants. Etait
également interdit tout déménagement, même à
l'intérieur de la même commune, sauf autorisation
expresse de l'Administration occupante. La vie des Sociétés avait été bien
entendue suspendue dès l'arrivée des Allemands.
Défense fut faite d'apporter aucune modification
dans la constitution des Bureaux ou Comités de ces
Sociétés, qui devaient présenter leur
comptabilité, la liste des membres à des
commissaires spéciaux du Gouvernement, qui étaient
affublés du titre symbolique de
"Stillhaltekommissar" (commissaire d'arrêt). Il
avait à connaître également de l'état des caisses
des fabriques, d'églises, de fondations pieuses
etc… Pour les communications postales dans les
territoires annexés (LORRAINE et ALSACE), les
timbres français furent remplacés par des
vignettes allemandes originaires, à l'effigie de
HINDENBURG, avec la surcharge en caractères
gothiques "Elsass" ou "Lothringen ". LES INCIDENTS DU JOUR DE L'ASSOMPTION
1940 C'est dans cette atmosphère lourde comme
une chape de plomb que les Messins devaient, le 15
Août dernier, commémorer la fête de l'Assomption.
De 1919 à 1939, ils avaient tous les ans participé
à la procession solennelle qui parcourait les rues
de la cité. Aucune manifestation extérieure du culte
n'étant tolérée par les autorités allemandes, les
Messins prirent l'initiative d'honorer d'une autre
manière publique la SAINTE-VIERGE, patronne de la
FRANCE. Durant l'autre guerre, ils avaient formé
le voeu de lui élever une statue sur la Place
Saint-Jacques, en lui demandant seulement de
protéger la ville contre toute destruction. Ce
voeu fut réalisé en tous points. La procession
traditionnelle ne pouvant se dérouler à travers la
ville, les Messins vinrent en foule déposer, aux
pieds de la Statue de la VIERGE, une quantité
innombrable de bouquets et de pots de fleurs.
Comme par hasard, les bouquets étaient aux
couleurs françaises. On vint même déposer une
grande Croix de Lorraine en verdure, avec
l'inscription : "Qui s'y frotte s'y pique ", qui
est la devise de la LORRAINE. Sur l'ordre des
autorités, cette Croix de Lorraine fut enlevée. Le
soir, une foule énorme, dans laquelle on
reconnaissait Mgr HEINTZ, évêque de METZ, vint
prier (comme du reste les fidèles l'avaient fait
durant la journée) et chanter des cantiques en
français aux pieds de la Statue de la VIERGE. Cette manifestation était si importante
que le lendemain la "Metzer Zeitung" en publiait
un cliché avec la légende très anodine : "Comme
tous les ans à pareille date, les habitants de
METZ ont fait leur pèlerinage à la Statue de la
Vierge Mais quelques jours plus tard, le même
cliché était reproduit par la presse d'Outre-Rhin
avec une légende quelque peu modifiée et qu'il
faut savoir apprécier : "Heureux d'être redevenus
Allemands, les Lorrains sont venus remercier la
VIERGE ". Le lendemain, les Allemands en
représailles sans doute, expulsaient l'évêque de
METZ et quantité de Français, originaires des
départements de l'intérieur, mais établis depuis
longtemps en MOSELLE. Comme bien l'on pense, cette
mesure rigoureuse ne fit qu'augmenter les
appréhensions des Lorrains. Cependant, les
journées suivantes se passaient sans apporter de
modification dans la situation. 5 SEPTEMBRE 1940 — PREMIERES
EXPULSIONS EN MASSE - Mais la préparation de l'épuration de la
LORRAINE des éléments Français se poursuivait dans
les bureaux administratifs. Un brouillon de
lettre, dactylographié apparemment par une
employée Lorraine, mais dictée par un
fonctionnaire nettement Allemand, puisqu'au
brouillon il a apporté des corrections manuscrites
en lettres gothiques, est particulièrement
édifiant sous ce rapport. Cette lettre, datée du 9
Juillet dernier, était destinée à Mr IMBT, premier
bourgmestre de METZ. Nous en donnons ci-dessous le
résumé en français : Monsieur le Oberbürgermeister, Ci-joint,
les adresses des associations germanophobes en
Lorraine : 1°- Association nationale des Croix de
guerre (suivent les nom et adresse exactes du
Président). La signification de cette Association
est de grouper tous les titulaires de la Croix de
guerre française et d'autres décorations ou
insignes militaires. Cette association se recrute
surtout parmi les Français venus de l'intérieur. 2°- Fédération nationale des Combattants
volontaires (suivent les nom et adresse du
Président). 3°- Société des Malgré nous (suivent les
nom et adresse du Président). Cette association se
compose surtout des Alsaciens-Lorrains faits
prisonniers de guerre en France pendant la guerre
de 1914-1918, et de ceux qui, volontairement, ont
pris du service en France pour combattre
l'Allemagne. La signification de "Malgré Nous" est
la suivante : c'est à contre-coeur que nous
faisions partie de l'armée allemande. 4°- Société des déportés et incarcérés
politiques d'Ehrenbreitstein (suivent les nom et
adresse du Président avec au surplus la mention
qu'il se trouve actuellement à METZ). Le but de
cette association est de réunir les
Alsaciens-Lorrains de sentiments français qui,
durant la guerre mondiale de 1914-1918, ont été
internés à Ehrenbreitstein et dans d'autres
localités d'Allemagne. Ces gens sont à proprement
parler des fanatiques et des agitateurs et doivent
absolument être rendus inoffensifs. 5°- Le Souvenir Français de la Moselle
(suivent les nom et adresse du Président et du
Vice-Président). Le but principal de cette Société
était le maintien des traditions françaises en
Lorraine. Elle camouflait son activité en
prétendant vouloir s'occuper de l'entretien des
tombes françaises et des cimetières militaires.
Mais, en réalité, il s'agissait surtout d'un
mouvement politique. D'une façon générale, les
membres en sont tous germanophobes. 6°- Société de Secours mutuel et décès de
la Ruhr et Rhénanie. 7°- La Légion Etrangère de la Moselle
(indication du café où se réunissaient les
membres, ainsi que les nom et adresse du
Président). D'autres Sociétés à caractère
politique sont : l'Union des Femmes françaises, le
Poilu de France, le Cercle Messin, l'Association
des anciens sous-officiers de réserve, l'Union
Jeanne-la-Lorraine, les Blessés du Poumon, la
Préparation Militaire, etc… Ce brouillon de lettre, si riche en
détails, quand il s'agit d'en donner sur les
Sociétés compromises et leurs Présidents, est
malheureusement muet sur l'identité de son auteur.
Peut-être s'agit-il d'une de ses nombreuses
lettres anonymes qui, durant les premières
semaines qui suivirent l'entrée des troupes
allemandes, affluèrent dans les bureaux de la
Gestapo. Toujours est-il qu'elle résume bien les
milieux dont les représentants furent arrêtés en
grand nombre le 5 Septembre, de grand matin,
amenés sous escorte dans un camp de rassemblement
sous la surveillance des hommes de la S.S., et
envoyés en convois vers la ligne de démarcation
pour être, de là dirigé en FRANCE libres pour des
raisons de sécurité. Il convient de rappeler
qu'ils étaient autorisés à emporter 50 kgs de
bagages, des provisions de bouche pour trois ou
quatre jours et une somme de 2 000 frs. Le délai
accordé pour faire les préparatifs de voyage, les
adieux aux membres de la famille, variait entre 20
minutes et une demi-heure. Ainsi furent rassemblés et expulsés de
leur ville natale plusieurs milliers de Messins de
toutes les professions, de tout âge, hommes,
femmes et enfants, laïques et prêtres, riches et
pauvres, patrons et ouvriers. Des actions
d'épuration analogues se poursuivirent durant les
journées suivantes dans d'autres localités de la
MOSELLE. LES DECLARATIONS DE Mr BURCKEL A METZ LE 21 SEPTEMBRE
COMMENT ON CREE L'AMBIANCE NECESSAIRE METZ étant ainsi purgé de tous les
éléments que la "Gestapo" considérait comme
susceptibles de troubler l'ordre public ou d'être
des centres de Résistance à la pénétration de la
pensée et de la culture allemandes, rien ne
s'opposait plus à l'entrée solennelle du Gauleiter
BURCKEL. Auparavant cependant, il convenait de
prendre toutes dispositions pour créer une
atmosphère favorable et établir, en LORRAINE même,
des organisations nazies dont les membres étaient
à recruter parmi les gens du pays. Une vaste
propagande avait été organisée dès le mois d'Août
dans le département. Toutes les personnes qui étaient censés
ne pas nourrir des sentiments germanophobes
reçurent à cet effet, à domicile, les formulaires
les invitant à adhérer à la Communauté du Peuple
Allemand (Deutsche Volksgemeinschaft). En donnant
une adhésion, le candidat reconnaissait
expressément qu'il était de sang allemand et qu'il
se réclamait du Führer et du peuple allemand. Il
pouvait étendre cette adhésion à sa femme et à ses
enfants mineurs. La cotisation est minime 2 francs
par mois et 1 franc pour les autres membres de la
même famille. Pensant en être quitte moyennant une
signature et une dépense mensuelle de 2 francs,
maint Lorrain donna son adhésion, espérant avoir
la paix ensuite et pouvoir vaquer tranquillement à
ses affaires. Les naïfs durent vite déchanter :
s'ils étaient jugés digne d'entrer dans cette
formation préparatoire des groupements nazis, ils
recevaient dans la suite l'ordre d'assister le
soir à des cours et des conférences d'initiation
aux principes fondamentaux de la doctrine nazie,
tant au point de vue politique qu'économique et
social. Les Dimanche étaient consacrés à des
marches d'entraînement et des exercices
militaires, et les intéressés étaient prévenus
qu'ils devaient emporter un repas froid. Des cours
de chant en commun figuraient également au
programme. Les présences étaient pointées. La
première absence d'une conférence, d'un cours ou
d'un exercice entraînait une demande
d'explications, la deuxième absence non justifiée
valait au contrevenant un avertissement, et s'il
récidivait une troisième fois, il était
définitivement rayé de la Communauté du Peuple
Allemand et pouvait désormais s'attendre à son
expulsion. Comme il est impossible de concevoir
dans le IIIème Reich un groupement nazi sans
uniforme, les membres de la "Communauté du Peuple
Allemand" devaient, pour les démonstrations
publiques, en défilant en chantant par les rues de
la ville, s'affubler d'un uniforme bien distinct,
comprenant essentiellement un pantalon noir, une
chemise blanche avec col mou et cravate noire, au
bras un brassard rouge avec Croix Gammée. Les femmes étaient embrigadées de la même
façon dans la Deutsche Frauenschaft. Quand aux
tous jeunes, leur dressage a commencé déjà dans
les formations de la Jeunesse Hitlérienne. Par
n'importe quel temps, les gamins sont rassemblés
en uniforme naturellement et prennent part à des
exercices et à des marches militaires. Restait à soigner la décoration de la
ville. Les enseignes françaises avaient été
enlevées dès le début du mois de Juillet. Puis,
les propriétaires de maison furent invités à
remettre les façades de celles-ci en état. Quand
l'un ou l'autre se faisait tirer l'oreille les
travaux étaient exécutés d'office, à ses frais
bien entendu. Enfin, il fallait penser au
pavoisement des maisons. Des drapeaux à Croix
Gammée étaient distribués gratuitement aux
commerçants qui avaient omis d'en acheter, ceux
qui refusaient le cadeau étaient expulsés. Dans
ces conditions, la presse allemande pouvait
hardiment affirmer que les rues de METZ n'étaient
plus qu'une mer de drapeaux. C'est dans ces conditions que Mr Joseph
BURCKEL put faire une entrée triomphale à METZ, le
21 Septembre dernier. A la porte des Allemands, Mr
FORET, Lorrain d'origine, qui avait été Maire de
METZ de 1910 jusqu'à l'entrée des troupes
françaises en 1918 (19 Novembre), lui souhaita la
bienvenue et lui remit quatre clefs des portes de
la ville. Sur la conduite de Mr FORET, il n'y a
pas à perdre un mot, elle se rapproche de celle de
Mr RICKLIN, ancien Député et Président de la 2ème
Chambre du Landtag d'ALSACE-LORRAINE. La principale cérémonie de la journée se
déroula dans le vaste hangar qui servait
précédemment de dépôt aux tramways de METZ et qui
avait été transformé en salle de réunions. C'est
là que, longuement, le Gauleiter développa son
programme, faisant l'apologie du régime nazi, etc…
De toutes ses déclarations, nous retiendrons
seulement celles qui ont trait aux deux points
suivants :
1°) LE PROBLEME DE LA LANGUE
ET
LE STATUT FUTUR DES LORRAINS
" La FRANCE avait transformé
l'ALSACE-LORRAINE en un glacis militaire, qu'elle
se proposait d'utiliser comme une porte de sortie
pour porter ses frontières jusqu'au RHIN, anéantir
le Reich et le morceler en un grand nombre de
petits Etats impuissants. " Mais comme, en fin de
compte, nous voulons la paix, que nous en avons
besoin et que nous la voulons pour toujours, nous
avons pris la précaution de mettre la FRANCE dans
l'obligation de renoncer pour une période d'égale
durée, c'est-à-dire pour l'éternité, à la
réalisation de ses désirs. " Nous le pouvons parce
que nous sommes un peuple de 90 millions, alors
que la FRANCE n'est qu'un peuple de 40 millions,
nous le pouvons parce que le temps est passé où
l'ALLEMAGNE comptait 29 Chefs d'Etats et 25 Partis
politiques, et enfin parce que nous sommes une
communauté indissoluble et partant invincible, qui
ne songe pas à démolir à nouveau ses canons et à
laisser pourrir ses lauriers. Le langage de
l'ALLEMAGNE d'aujourd'hui est tellement imprégné
de l'avenir, il y est ancré si profondément qu'il
a la force d'imposer sa volonté pour les siècles à
venir. " Vous me répliquerez : "Les dés étant
jetés pour l'éternité, il y aurait lieu de lancer
un pont de la paix et de la collaboration ici-même
avec les Français, de façon à pouvoir se
rencontrer à mi-chemin. Et, pour cette raison, il
semble tout indiqué de maintenir le sacro-saint
bilinguisme ". " A ceci, je réponds comme suit :
"La paix entre la FRANCE et nous sera assurée de
la façon la plus sûre si les Français sont mis
dans l'impossibilité, une fois pour toutes, de
s'immiscer dans nos affaires intérieures. Mais
comme les Français ont toujours utilisé ce pont
pour gagner de l'influence chez nous, nous
renonçons pour tout jamais à ce pont. C'est le
Front Allemand qui reste le meilleur pont de la
paix ". " Il n'existe qu'une seule chose claire :
d'un côté l'ALLEMAGNE avec ses Allemands, et de
l'autre côté la FRANCE avec ses Français. Aucun
compromis n'étant admis, notre position dans la
question du bilinguisme est évidente.
2°) SUPPRESSION DE LA FRONTIERE
BILINGUE
" Avec toute l'obstination dont elle
était capable, la FRANCE a poussé la frontière
linguistique vers l'Est, en terre allemande. Le
mobile auquel elle a obéi, c'est que la langue est
la plus forte expression de l'essence même d'un
peuple et que c'est par la langue qu'on arrive le
plus facilement à dominer des êtres étrangers.
Dans ces conditions, l'usage de la langue
française dans une région frontière acquiert une
importance capitale. Se servir de la langue
française, c'est confesser qu'on est Français ou
c'est, pour le moins, affirmer qu'on est prêt à se
porter au secours de la FRANCE. " Si l'on abjecte
qu'il existe à la frontière de nombreux individus
qui ne parlent que le français et qui néanmoins
ont le désir de retourner à l'ALLEMAGNE, je
réponds qu'il sera tenu compte de ce voeu. "
D'accord avec ces Allemands, l'organisation de la
Communauté du Peuple Allemand saura leur trouver
un chemin de retour qui ne m'empêchera pas de
supprimer la frontière linguistique qui n'est
qu'une création artificielle. Dans mon ?**********
et dans toute l'ALLEMAGNE, cette petite fraction
d'Allemands se sentira chez elle. Le seul
sacrifice auquel ils devront consentir, c'est de
contribuer à effacer la frontière linguistique.
Pour cette raison, un échange des populations
devient inévitable ici et là. Il y sera procédé
d'une telle manière qu'il n'en résultera aucun
préjudice économique. Là encore, il ne peut y
avoir qu'une décision très nette.
3°) ALLEMAND OU FRANÇAIS
" Quiconque se trouve placé devant la
décision à prendre, doit se pénétrer de ceci :
"Nous ne mendions pas pour que quelqu'un devienne
Allemand. C'est une grâce et un honneur d'être
Allemand. On n'impose pas une grâce ou un honneur,
ce ne sont que ceux qui en sont dignes qui
l'acquièrent. Mais sache que, quand une fois tu es
devenu l'un des nôtres et que tu t'en montres
fier, alors nous te soutiendrons tous comme un
seul homme. Quand aux tièdes, ils n'ont qu'à
joindre leur moitié allemande à leur moitié
française. Dans tous les cas, cette manière de
procéder est encore plus honorable et plus commode
assurément que de vouloir rester au milieu de nous
". Telles sont les déclarations textuelles,
faites le 21 Septembre à METZ par le Gauleiter
BURCKEL. Elles ne laissent place à aucun doute sur
le sort qui attendait les Lorrains. Au surplus,
une manifestation significative marque la fin de
cette journée. A la tombée de la nuit tous les
drapeaux français qu'on avait pu trouver à METZ
furent brûlés sur la Place du Führer (précédemment
Place de la République). Le brasier fut encore
alimenté par les calots, bérets, uniformes de
Sociétés françaises, livres, brochures,
périodiques et journaux français. Durant cet
immense autodafé, des chants patriotiques furent
exécutés par la foule. Signalons pour terminer une autre
cérémonie burlesque qui se déroula le même jour à
METZ dans la salle de l'Hôtel des Mines. Un membre
des Jeunesses Hitlériennes remit à Mr BURCKEL un
bloc de minette en prononçant l'allocution
suivante : - Je vous remets ce bloc de minerai
lorrain, extrait d'une terre essentiellement
allemande. Je vous prie de bien vouloir prendre
sous votre protection cette terre allemande et ses
habitants qui, comme la terre dont ce bloc est
sorti, sont foncièrement allemands ! UN NOUVEAU MANUEL SCOLAIRE A L'USAGE
DES PETITS LORRAINS Le langage brutal de Mr BURCKEL ne
laissait place à aucun doute et cependant les
Lorrains espéraient toujours qu'ils pourraient
continuer de vivre en paix sur leur terre natale.
Les récoltes avaient été rentrées, les vendanges
faites, les semailles d'automne préparées. Les
enfants des villages, après de longues vacances,
étaient retournés en classe le 1er Octobre. Une
surprise les y attendait. On leur distribua, en
effet, gratuitement une brochure de 32 pages, qui
devait être le premier numéro d'une série de
fascicules destinés à apprendre l'allemand aux
petits Lorrains. Tel est le titre officiel de
cette brochure imprimée à LUDWISCHAFEN et qui
reproduit en allemand le texte français sur lequel
les élèves doivent travailler. Voici à titre
d'échantillon quelques lignes extraites du
chapitre : "EN AVANT VERS L'ALLEMAGNE" (" MARSCH
NACH DEUTSCHLAND ") : "Il y a 22 ans la LORRAINE a
été arrachée à l'ALLEMAGNE démembrée. Des hommes
étrangers devinrent les maîtres du pays volé. La
langue allemande devait être refoulée par tous les
moyens. Dans les écoles, les enfants ne parlaient
à peu près que le français. Dans les familles, on
ne lisait que des journaux français. Les Français
et les Anglais se figuraient que cela devait être
toujours ainsi dans un pays qui est pourtant terre
allemande. " Aveuglés par la haine qu'ils avaient
voué à la nouvelle ALLEMAGNE, redevenue grande et
forte par le travail et l'ordre, ils lui
déclarèrent la guerre… " Aujourd'hui des soldats
Allemands parcourent les villes et villages
lorrains en chantant de joyeuses chansons et en
fraternisant avec la population. " La LORRAINE se
déclare joyeusement pour la Grande ALLEMAGNE et
pour son Führer, etc… " Les petits Lorrains sont
retournés en classe où ils apprendront l'allemand
et chanteront en allemand. La jeunesse lorraine a
commencé un nouveau mouvement : il conduit vers
l'ALLEMAGNE. Les yeux brillent et le coeur bat
plus fort quand on dit : "Nous apprenons
l'allemand ". (On remarquera que dans ces quelques
lignes, reviennent dix fois les mots "ALLEMAGNE"
ou "allemand "). La distribution de cette brochure
et l'enseignement sur lequel elle se basait
marquèrent, par conséquent, au début d'Octobre,
une tendance toute différente de celle si radicale
que Mr BURCKEL avait exprimé à METZ le 21
Septembre. Les Allemands se contenteraient-ils de
germaniser la jeunesse lorraine par l'école,
convaincus que l'interdiction absolue de la langue
française, la fermeture hermétique de la frontière
et le contact quotidien avec les troupes
d'Occupation et les très nombreux fonctionnaires
ou émissaires du Reich amèneraient l'extinction
complète de la langue française. Il y eut un
brusque revirement. Une fois de plus, les éléments
extrémistes, dont Mr BURCKEL est l'un des
Représentants les plus remarquables, devaient
l'emporter ; cependant, la brochure en question
avait été imprimée par les Services de
l'Enseignement Public du chef des Zivilvervaltung,
qui est le même Mr BURCKEL. UNE TOUSSAINT MEMORABLE Le 1er Novembre 1940, furent apposées
dans toutes les communes de la MOSELLE (y compris
les régions bilingues et de langue allemande) de
grandes affiches, format double colombier,
rédigées en allemand et en français, et qui
portaient la signature du Gauleiter BURCKEL.
C'était à proprement parler, une proclamation aux
Lorrains, les informant que l'heure était venue
pour eux de choisir entre l'ALLEMAGNE et la
FRANCE. Ceux d'entre eux qui se décideraient pour
le Reich seraient transférés dans le district de
la WARTHE, les autres seraient les rapatriants à
diriger vers leur ancienne patrie. Il n'y avait que les Lorrains qui avaient
fait l'autre guerre en POLOGNE qui se rappelaient
de la WARTHE, pays désolé où ne poussent que la
pomme de terre et le seigle. Mais aucun de tous
les autres n'a même songé un seul instant à la
situation géographique du district de colonisation
que Mr BURCKEL voulait bien leur assigner. De la proclamation du Gauleiter, ils ne
retenaient qu'une chose : ils avaient une
possibilité de rentrer en FRANCE, tout le reste
importait peu et c'est d'un coeur léger qu'ils ont
abandonné tout leur bien, laissant la terre natale
à la garde de leurs morts et emportant dans leurs
maigres bagages un objet qui leur paraissait
infiniment précieux : un drapeau aux couleurs
françaises. Maintenant qu'ils se retrouvent en terre
libre avec leurs Maires, leurs curés et leurs
instituteurs, il serait intéressant pour chaque
village, de faire établir la narration très
objective et complète des journées que la commune
a vécues pendant cette première quinzaine de
Novembre, c'est-à-dire depuis le moment où la
proclamation fut affichée jusqu'au franchissement
de la ligne de démarcation par le convoi.
L'EXODE SERA-T-IL
LIMITE
A LA REGION DE
LANGUE FRANÇAISE ?
Dans sa proclamation du mois de Novembre,
Mr BURCKEL s'adresse surtout aux populations
rurales de la région de langue française de la
MOSELLE, c'est-à-dire à celles fixées dans un
espace limité à l'Ouest et au Sud par le
département de MEURTHE-ET-MOSELLE, au Nord par la
voie ferrée de LANGUYON à THIONVILLE, puis par la
ligne de THIONVILLE-METZ-BENESTROFF-SARREBOURG,
AVRICOURT. Mais déjà sont arrivés en gare de LYON
des convois comprenant des habitants de la région
bilingue et même des cheminots et des agents des
P.T.T. de la région de langue allemande (FORBACH
et SARREGUEMINES). Dans ces conditions, on peut se demander
si cet exode ou ce transfert de populations sera
limité ou si, au contraire, ce n'est pas toute la
MOSELLE que Mr BURCKEL et ses Services entendent
vider pour y amener des colons allemands venus de
la BESSARABIE, de la DOBROUDJA et de la WOLHYNIE ?
C'est bien possible. Pratiquement, tous les
habitants de la MOSELLE ne sont plus que de
pauvres pions qui sont manoeuvrés par les
dirigeants nazis au gré de leur volonté. Parmi les
émigrés se rencontrent, en effet, les Lorrains qui
pensant pouvoir rester sur le sol natal, avaient
donné leur adhésion, il y a quelques semaines à
peine, à l'organisation de la "Communauté du
Peuple Allemand ". Il y a même, parmi les
rapatriants, pour employer le mot de Mr BURCKEL,
des fonctionnaires et des membres du corps
enseignant, qui avaient apposé leur signature au
bas des trois déclarations qui leur étaient
présentées. Dans la première, ils reconnaissaient que
le Führer, après avoir mené une lutte formidable,
a réparé le crime du Diktat de honte de VERSAILLES
et reconquis l'ALSACE allemande à la Grande
ALLEMAGNE. En conséquence, le signataire adhère au
retour de sa terre natale au Reich et déclare
qu'il remplira sans aucune condition et d'un coeur
joyeux les devoirs lui incombant en tant que
fonctionnaire ou éducateur Allemand. En donnant sa signature à la deuxième
déclaration, le signataire affirme qu'il est
conscient d'avoir à faire du service partout en
ALLEMAGNE où la nécessité de l'Etat l'exigera et
cela conformément aux principes du Reich
national-socialiste. Il ajoute que, sans réserve
il s'engage à remplir les devoirs de sa charge
dans toute résidence de service qui pourra lui
être assignée. Par la signature de la troisième
déclaration enfin, il affirme qu'il s'emploiera
d'une façon active pour le Führer et la Grande
ALLEMAGNE nationale-socialiste, non seulement dans
le service mais encore en dehors de celui-ci. En Novembre 1906, après l'exploit du
cordonnier VOGT, qui, affublé d'un vieil uniforme
de Capitaine Prussien avait réussi à mobiliser un
corps de garde à KOPENICK, à coffrer tout le
personnel de la recette municipale de cette ville,
faubourg de BERLIN et à prendre la fuite avec la
caisse municipale, ce fut un immense éclat de rire
dans toute l'EUROPE et même au Reichstag on parla
de ce Kadavergehorsam de l'armée prussienne. La
discipline et l'obéissance prescrites jadis par
SAINT-IGNACE de LOYOLA à ses religieux (perinde ac
cadaver), limitée sous l'Empire de GUILLAUME II à
l'armée, a depuis fait du progrès. Elle s'étend
maintenant au corps des fonctionnaires, des
membres du corps enseignant et, on peut bien le
dire, à tous les êtres humains qui vivent sous la
dépendance des dirigeants du IIIème Reich.
QU'ADVIENDRA-T-IL
DE LA LORRAINE DE LANGUE FRANÇAISE VIDEE DE SES HABITANTS ?
Il est assez hasardeux de formuler le
moindre pronostic en ce qui concerne le sort que
les autorités allemandes entendent réserver à la
partie de la LORRAINE, dont ils viennent de vider
les villages. Qu'il nous soit simplement permis de
résumer ici quelques informations : Dès le début d'Août dernier les journaux
allemands publiés à METZ, reproduisaient des
études avec statistiques à l'appui sur le
rendement des terres en MOSELLE et dans les
régions avoisinantes du Reich, dans lesquelles il
avait été procédé depuis l'avènement de Mr HITLER
au pouvoir, à un remembrement des terres par les
Services du cadastre. La prédominance de la petite
propriété, le morcellement de la terre tels qu'ils
existent depuis longtemps en MOSELLE auraient pour
conséquence un rendement à l'hectare très
inférieur à celui qu'on note dans le Palatinat et
en RHENANIE par exemple. La petite propriété étant
un obstacle à l'exploitation rationnelle et
intense du sol, doit disparaître et laisser la
place aux très grandes exploitations agricoles
disposant d'un outillage ultra-moderne. Ces
grandes exploitations rurales se rencontrent à
l'heure actuelle déjà dans le pays de la SEILLE,
dont les habitants ont été expulsés. Dans le pays
de CHATEAU-SALINS, par exemple, il y a des fermes
de 150 hectares d'un seul tenant comprenant un
très nombreux cheptel chevalin, bovin et ovin. Or,
il est assez curieux de noter qu'au moment où ces
gros propriétaires terriens ayant refusé d'opter
pour l'ALLEMAGNE, suivirent leurs compatriotes à
la gare où les attendait le train qui devait les
conduire en zone libre - furent l'objet de
pressantes sollicitations de la part des
Représentants de l'Administration allemande.
Ceux-ci leur promirent qu'ils pouvaient rester sur
leurs terres, que personne ne viendrait les
inquiéter, ni eux, ni leurs parents alliés etc…
Bien entendu, les Lorrains firent la sourde
oreille et sont partis avec leurs compatriotes. Le
Reich reconnaissait-il, par cette démarche, qu'il
lui serait difficile sinon impossible d'exploiter
les terres qu'abandonneraient les Lorrains ? Dans les villages évacués le bétail
laissé sur place était soigné par des soldats, des
valets de ferme de la région de langue allemande
de la LORRAINE et même par des membres des
Jeunesses Hitlériennes. Tout cela ne constitue
qu'une mesure de conservation provisoire et très
précaire. Tôt ou tard, il faudra confier la terre
et le bétail à d'autres cultivateurs, à des colons
que l'ALLEMAGNE aura rapatrié de WOLHYNIE, de la
BESSARABIE ou de la DOBROUDJA. Les premiers colons
sont arrivés de BESSARABIE dans un village situé
au Nord de METZ et dont les habitants pratiquaient
sur une grande échelle la culture de la fraise.
Ces Bessarabiens tous chargés de famille ont eu
une première déception : ils comptaient arriver
dans des villages habités et ils n'ont trouvé que
des maisons vidées de leurs propriétaires ou
locataires. De la culture de la fraise, ils ne
comprennent rien, et déjà ils regrettent d'avoir
été transplantés… |