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Louis BELLOT

***

062

Ma vie.

Ma Guerre

GUERRE 1939-1945

Témoignage

NICE - Septembre 1989

Analyse du témoignage

Captivité - Evasion

Ecriture : 1989 - Pages 105

POSTFACE de Jean-Louis ARMATI

Les tranches de vie de Louis Bellot, nous font passer par de saisissants contrastes depuis les temps difficiles de ce début de siècle à la retraite heureuse et dorée de ses 86 ans. Ce témoignage s'articule en quatre parties correspondant chacune à une époque : La petite enfance, jusqu'à l'âge de 13 ans. C'est celle où Louis Bellot, confié par "l'Assistance Publique" à une famille pauvre de Lorraine vit heureux chez les braves gens qui l'ont recueilli et cela malgré la pauvreté. L'affection que cette famille lui témoigne compensera la pénurie de biens matériels. L'adolescence, de l'âge de 13 ans au service militaire est sans doute la période la plus difficile parce que placé dans une ferme et exploité par des gens sans scrupules, le jeune Louis, de 4 heures du matin à 21 heures, soit pendant 17 heures chaque jour, six jours par semaine est employé aux travaux les plus pénibles et les plus sales. Sa guerre, il la vit "drôlement" sans jamais combattre mais en retrouvant les travaux des champs d'abord puis en abandonnant le combat avant de l'avoir connu en subissant la loi du vainqueur dans les kommandos d'Autriche, en s'évadant enfin peu avant la fin de la guerre avec une facilité et une simplicité déconcertantes. La quatrième et dernière période, car l'auteur ne nous dit rien des quelques 25 ans de vie active qui succèdent à la guerre est celle de la retraite paisible et heureuse si différente d'une jeunesse misérable. La simplicité du ton, le naturel et la fraîcheur du style, donnent à ce témoignage sans fard, son accent de sincérité et d'authenticité, sa véritable dimension humaine.Table

**

Ma première jeunesse 8

ADIEU MA VIE D'ENFANT 23

MA GUERRE 52

MA RETRAITE 72

La mémoire

La mémoire : seul bagage incessible

Jacques ATTALI

.c.Ma première jeunesse;

Je suis venu au monde à la Maison de Secours dirigée par des Soeurs, Rue des 4 Eglises à NANCY. Mon père s'appelait Arsène BELLOT, ma mère Rosine DUPONT. Ils étaient employés comme Journaliers, ils n'avaient pas d'emploi fixe, c'était plutôt la misère. Ma mère m'a mis au monde le 13 Février 1903. De cette Maison de Secours, je fus transféré à l'Hospice des Enfants Assistés St Stanislas, Rue St Dizier à NANCY. C'était l'Assistance Publique. J'étais Pupille de l'Etat. J'avais 15 jours, lorsque une maman de 6 enfants s'est présentée à l'Orphelinat et a dit à la Soeur : - Je choisis ce Bébé Rose ! Elle a pris le train, c'était de vilains wagons, noircis de fumée que crachait la locomotive à charbon. Elle voyageait en 2ème classe, banquette en bois jusqu'à la gare de VARANGEVILLE à 12 km, ensuite elle me portait pendant 5 km, dans un village de 800 habitants en pleine campagne, toute blanche de neige, l'hiver, en LORRAINE est très rigoureux. A HARAUCOURT par DOMBASLE-SUR-MEURTHE. Cette brave dame avait son dernier né qui était âgé de 4 mois, alors, elle m'a nourri au sein pendant quelque temps, quelle chance que j'avais. Son mari était invalide, il boîtait de naissance, ce qui ne l'a pas empêché de faire son service militaire pendant 5 ans, au 17ème Chasseurs à cheval à EPINAL. L'aîné des enfants, âgé de 15 ans, était placé à 12 ans pour travailler dans la culture des céréales. Le 2ème avait 12 ans et était également dans une ferme à COURBESSEAUX, tout petit village de 200 habitants. Dans ce petit village fut livré une grande bataille au corps à corps, à la baïonnette, dès les premiers mois de la grande guerre 1914, pendant les chaleurs d'Août et Septembre. Le 3ème fils avait 7 ans. A 12 ans, tout comme ses frères, il travaillait chez les cultivateurs. A l'âge de 19 ans, il était appelé sous les drapeaux, puis fut envoyé à la bataille de VERDUN où il devait être tué, il avait 20 ans. Ainsi cette pauvre maman avait 3 fils mobilisés à cette guerre atroce, de 1914. Le 4ème fils, qui avait mon âge, fut mobilisé à la guerre 1940 et fut fait prisonnier en ALLEMAGNE. Le 5ème mourut dès l'âge de 6 ans, ainsi que leur soeur également à 6 ans, je me souviens qu'elle me prenait par la main et m'emmenait à l'école maternelle, j'avais 3 ans, et je la voyais grande. La maîtresse qui nous gardait, s'appelait CLARISSE, c'était une jeune fille du village. Elle faisait teinter la cloche à 8 h moins le 1/4. La soeur de lait, entrait en classe avec les petites de 6 ans. Elle se nommait ZOELIE. Ces gens à qui l'Etat m'avait confié, s'étaient mariés en 1885, lui avait 29 ans, travaillait comme manoeuvre à tout faire chez les gens, il ne gagnait presque rien, elle avait 18 ans, elle était bonne à tout faire, chez des châtelains du village qui possédait une voiture carrosse à chevaux, puis en 1906, avait déjà la voiture carrosse à moteur, à 6 places. Avec ses patrons, elle avait 17 ans, ils l'avaient emmené avec eux par le train à DEAUVILLE, mais elle, avait beaucoup de travail et peu de loisirs, elle n'a pas connu DEAUVILLE. La Préfecture payait à cette brave maman, quelques sous par mois, et cela jusqu'à ce que j'atteigne l'âge de 13 ans, car après cet âge, l'Etat ne payait plus, il fallait donc rendre le Pupille, ou alors, le garder jusqu'à sa majorité à 21 ans, mais à condition de pouvoir lui donner un salaire, qui serait versé sur un livret de Caisse d'Epargne, jusqu'à 21 ans. La Préfecture habillait l'enfant jusqu'à 13 ans, ces habits et chaussures étaient offerts par des dons à l'Etat, rien n'était essayé, tout m'allait, comme un tablier à une vache. Je n'ai jamais connu les beaux petits costumes à culottes courtes, toujours des pantalons longs, pèlerines à capuchon de filles, cela me rendait honteux, les autres enfants se moquaient de moi, ils portaient de jolis costumes de marin, avec de jolis chapeaux de paille fine, et le ruban portant le nom de grands bateaux. Moi mes chapeaux étaient déjà des chapeaux d'hommes à grosse paille, ils étaient trop grands, et étaient très durs, sur ma petite tête, j'avais l'impression de porter une casserole, qui n'avait pas de queue, il tournoyait sur ma tête. Les chaussures, les sabots galoches de bois, l'hiver les vrais sabots de bois pour marcher dans la boue. J'ai 6 ans, je commence à écrire à l'encre, j'apprends le Ba Be Bi Bo Bu, à compter, la géographie, la FRANCE, ses départements, à connaître les oiseaux, et puis l'on chante des chansons patriotiques : Jeanne d'Arc, Le Drapeau aux Trois Couleurs, Où t'en vas-tu soldat de France, Il était un petit navire, La Marseillaise, etc… Le logement de ces braves gens très pauvres, se composait au rez-de-chaussée, d'une pièce cuisine de 12m2, un petit réduit qui contenait un semblant de lit, qui contenait une énorme paillasse en toile de sac, elle était remplie de feuilles de maïs, sur laquelle s'allongeait Victor le 2ème fils. Il avait été placé à l'âge de 12 ans pour les travaux à la ferme. Lorsque j'avais l'âge de 15 jours, lui était déjà parti, mais aussitôt qu'il a atteint 18 ans, il quittait la ferme, et était embauché dans une immense usine, Les Soudières Solway et Cie, et il reprenait son plumard, après des journées de dur travail de 6 heures le matin, jusqu'à 6 heures le soir, il avait 4 km à faire à pied, aller-et-retour, soit 8 km, je me rappelle il gagnait 2 Frs par jour. Le frère aîné Emile, qui avait 18 ans, à mon arrivée, travaillait dans les Salines et Mines de Sel, à 5 km du village, je l'ai aperçu quand il venait de temps en temps dire un petit bonjour à ses père et mère, il vivait déjà avec une fille qui était enceinte d'un autre homme, il s'est donc marié. A la naissance, c'était un garçon appelé René, et c'est la grand'mère qui l'a élevé. Le dernier des fils s'appelait André, il était âgé de 4 mois, nous couchions ensemble, nous allions à l'école tous les deux, la maternelle à 3 ans, puis à 6 ans l'école primaire jusqu'à 13 ans. J'étais placé dans cette famille paysanne très laborieuse, et très pauvre. Je suis demeuré dans cette famille jusqu'à l'âge de 13 ans. A 6 ans je suis en classe, avec une jolie maîtresse de 18 ans, elle débute comme institutrice, elle se nomme Suzanne CHEVASSUS, née dans le JURA. Je commence à écrire à l'encre de petites dictées, à écrire au tableau à la craie. Ba Be Bi Bo Bu, je fais des chiffres. La maîtresse me récompense en distribuant des bons points. Le Jeudi il n'y a pas d'école, la mère nourrice fait la grosse lessive, car elle lave et raccommode en plus des siens, le linge de quelques garçons de culture pour gagner quelques sous. Tout ce linge est mis dans la lessiveuse, chargée sur une brouette, elle traîne la brouette et je pousse un peu, jusqu'au lavoir qui est à 400 mètres. Elle me donne les chaussettes, je les savonne et je les brosse, je ne suis pas grand mais le lavoir est très bas. Ma présence permet à toutes les laveuses de poser des questions à la nourrice. - Mais qu'est-ce que c'est donc ce petit gamin là, Marie ? Alors ; c'est presque toujours le même refrain tous les Jeudi. Elle explique qui je suis. Au printemps je vais dans le champ. Je fais des trous et y mets une pomme de terre. Puis quelques grains de haricots dans d'autres petits trous, puis des graines de betteraves également dans de petits trous, je recouvre tous ces trous d'un peu de terre, et je tasse en mettant le pied dessus. Tous les Jeudi, et toutes les vacances sont employés à aider les vieux parents, à faire de petits travaux, et cela m'amuse, et me plaît beaucoup. Encore enfant, je vais faire les courses, soit à l'épicerie, le charcutier, le lait, le beurre, il y a 2 grosses fermes où il y a beaucoup de vaches, alors, je vais tantôt chez une, tantôt chez l'autre. L'une, c'est le Maire du village, il y a un joli perroquet, il s'appelle JACQUOT, je lui parle, nous nous connaissons, c'est rigolo. Il y a 3 grandes filles, elles sont contentes de me voir, et elles aiment me faire chanter ce petit refrain -"Louizon zon zon, le Clairon au Cul, Trou du Cul de Cochon", et elles éclatent de rire. Puis, elles me questionnent : - Qui c'est ta bonne amie ? J'ai déjà 5 ans, et je réponds : - C'est la Claire XENARD ! Et dans tout le village les gens s'amusent avec moi, peut-être que je jouais avec cette petite camarade plus qu'avec les autres. Dans la campagne, il y avait beaucoup d'occasions à se trouver mélangés. Il y avait les cueillettes des fruits de toutes sortes, la récolte du houblon, les moissons, les vendanges. Aller glaner les épis, que les cultivateurs laissaient dans les champs, peut-être pour en faire cadeau aux pauvres. Les grandes vacances en Août et Septembre c'était les récoltes de pommes de terre, betteraves, haricots, il y avait beaucoup de travail, c'était surtout pour les gros cultivateurs qui employaient ces bons vieux, en les exploitant, du matin au soir, pour quelques sous. Les épis de blé que je glanais, étaient battus au fléau, et je portais le grain chez le boulanger, et il nous donnait de la farine en échange. Cette farine servait à faire des tartes, des brioches, à l'occasion de la fête du village qui avait lieu en Septembre. Pour la fête j'avais toujours quelques économies, je pouvais faire quelques tours sur le manège des chevaux de bois. De lancer des pelotes sur le jeu des Tontiches et je gagnais quelques noisettes. Je me payais des berlingots et du nougat, j'étais heureux. J'avais gagné ces quelques sous en allant chercher un paquet de tabac pour le riche cultivateur, qui était voisin du logement misérable que nous habitions. La chambre à l'étage, était dans le grenier, près du foin, de la paille et des fagots de bois, il y avait beaucoup de souris ; au rez-de-chaussée, c'était de gros rats ; il y avait bien une grosse ratière, mais ils faisaient beaucoup de dégâts, dans les pommes de terre et carottes, etc. Je gagnais quelques sous, en portant des assiettes de pissenlit, chez les gens, puis à garder les vaches dans les champs, surtout en Septembre. Dès l'âge de 7 ans, je conduisais 8 vaches laitières dans les prés, la patronne me donnait dans une musette des tranches de lard fondus, un récipient de fromage blanc, et une bouteille de piquette, de 10 heures le matin jusqu'à 5 heures le soir. Je ne prenais pas souci de les garder, c'était d'immenses prairies, elles se gardaient pour ainsi dire elles-mêmes, ces vaches de toutes couleurs. Toutes les vaches étaient mélangées à d'autres petits troupeaux, nous étions 1/2 douzaine de gamins, et même des gamines à les surveiller, pour quelques sous. Notre plus grand souci, était d'arracher, et de voler des pommes de terre. Nous creusions un petit trou, ramassions du bois mort, allumions ce bois, pour obtenir un brasier et y mettions les patates qui cuisaient sous la cendre, et on se régalait. Nous jouions à toutes sortes de jeux, surtout à sauter à saute-moutons. Un jour une vache m'a mangé mon gilet et mon béret, toute la bande à bien ri, il y en a qui disaient, si c'est une vache qui est enceinte, elle risque de faire un petit veau, qui sera habillé d'un gilet, et coiffé d'un béret, dès sa naissance. La semaine de Pâques, je jouais de la crécelle dans les rues, à plusieurs, chaque groupe avait sa rue. On agitait la crécelle, ou brouet, genre de caisse en bois, avec de petits marteaux à l'intérieur, et en tournant une manivelle, cela donnait une forte résonance, puis il fallait dire en chantant : "Au premier coup, réveillez-vous". Pour le deuxième coup ; un peu plus tard, on chantait. "Au 2ème coup : habillez-vous", et à l'heure de l'Office. Au 3ème coup : "Sortez de chez vous". On nous faisait croire que les cloches de l'église, étaient parties dans les airs, pour aller à ROME et pour y être bénies. Après les fêtes de Pâques, j'allais quêter chez les habitants de la rue, où j'avais avec ma crécelle, averti les gens de se rendre à la messe j'obtenais quelques sous, mais les gens préféraient donner des oeufs. Lorsque l'on entendait à nouveau sonner les cloches, qui revenaient, soi-disant de ROME, il y avait une grande joie dans tout le village, tous les parents avaient répandu des oeufs de Pâques en sucre ou en chocolat dans leur jardin, soit sur les salades, soit sur des choux, où même sur la terre ; des voisins qui eux n'avaient pas d'enfants, en avaient aussi semé, et étaient contents de nous voir chercher et ramasser toutes ces sucreries. Souvent les Dimanche après-midi, pendant les belles saisons, j'allais voir les jeunes gens, et des pères de famille, jouer aux quilles. Ils m'embauchaient pour remettre les quilles debout, et je leur renvoyais les énormes boules. Elles avaient 2 trous, un pour mettre le pouce, l'autre pour y mettre les 4 autres doigts, les joueurs étaient contents de mon travail, et il me payait avec de petits sous en bronze, mais jamais de pièces de 10 sous en argent, ils n'étaient pas riches et étaient avares. Et puis il y avait le catéchisme, j'allais à l'église 2 fois par semaine, pour préparer la Première Communion, dès l'âge de 7 ans, jusqu'à l'âge de 11 ans. Je me levais plus tôt, il fallait être avec le Prêtre, à 7 heures du matin, il y avait des cantiques à apprendre avec l'harmonium, soit en latin, soit en français. J'ai dû être Servant de Messe pendant 3 ans les Dimanche, pour l'Office du matin, puis l'après-midi les Vêpres, là, je m'y ennuyais, surtout pendant les beaux après-midi d'été, j'aurais préféré aller jouer, ou aller au jeu de quilles. Tous les ans au mois de Juin, des reposoirs étaient construits, un sur la place du village près de l'église, puis un autre dans la rue principale. Les gens s'étaient transformés en cantonniers pour nettoyer les rues, qui étaient très sales, par les crottes des vaches, des chevaux, des troupeaux de moutons, et même un troupeau de cochons, un gardien soufflait dans une corne, et les habitants lâchaient leurs cochons, devant les maisons, où il y avait toujours un tas de fumier, et même une fosse de purin, les caniveaux étaient noirs de purin, alors les cochons labouraient tous ces fumiers, ils se roulaient dans toute cette fange, après, ils ressemblaient à des sangliers. Le gardien les emmenait dans les champs, et avec leur groin, ils creusaient la terre, pour y trouver des tubercules, il y avait un gros chien noir pour les rassembler, ces sales cochons. Devant chaque demeure, sur tout le long du parcours, d'un reposoir à l'autre, les gens étaient allés dans le bois couper des branches, et chacun avait construit comme une haie, de ces ramures de toutes tailles, c'était superbe,toute la population était catholique fervente, et le Prêtre en était heureux. Etant Servant de Messe, avec d'autres gamins, nous formions une procession, nous portions chacun une petite corbeille, pleine de pétales de fleurs, de toutes les couleurs, et nous les jetions en pluie, sur tout le parcours, suivis de tous les habitants, et en chantant des cantiques, à chaque reposoir, le Curé nous bénissait, en levant les bras au ciel, comme s'il nous acclamait. C'était magnifique. Je n'y ai jamais vu, les maîtres et maîtresses d'école assister à toutes les fêtes d'églises, cependant, mon dernier instituteur avait 3 belles petites filles âgées entre 9 et 13 ans, je ne les ai jamais vu se préparer, à venir apprendre le catéchisme, en vue de faire la 1ère Communion. Toutes sont mortes très jeunes, ainsi que leur maman. Le père mon maître très sévère, je l'ai vu devenir vieillard, il aurait voulu faire de moi, un maître d'école, si il n'y avait pas eu, cette maudite guerre de 1914-1918. Il s'appelait Mr MARTIN. Lorsque j'ai fait ma 1ère Communion j'avais 11 ans, au mois de Juin 1914, quelques mois avant la déclaration de la guerre le 2 Août 1914. Ce fut pour moi un grand jour de fête, par une journée ensoleillée, ciel bleu. Tous les camarades avaient revêtu, un beau petit costume à culotte courte. Moi, le plus petit de la bande, je portais un pantalon long en drap, depuis l'âge de 4 ans, la Préfecture ne m'habillait qu'en pantalon long, une veste qui n'était pas à ma taille, j'ai toujours eu honte, en me comparant aux autres, j'en souffrais, sans le laisser voir, surtout devant ces braves gens qui m'avaient un peu recueilli, ils ne s'en rendaient pas compte, que j'étais plutôt minable auprès des autres gamins. Comme cette pèlerine qui m'avait été donnée à 8 ans et qui a toujours été la même, tous les hivers jusqu'à 12 ans elle était grande, j'étais très mal à l'aise car c'était avec un capuchon de fille. Les copains, leurs capuchons étaient pointus, et le mien était tout rond avec des franges, cela les amusait de me faire des réflexions, et comme de tous temps, j'étais questionné. -" Pourquoi que tu t'appelles BELLOT, et non pas DARDAINE, comme tes autres frères ? ", je ne savais jamais bien répondre, et cela me rendait très triste. Et encore beaucoup plus tard, j'ai souvent entendu par des gens, cette réflexion : -" Louis tu as… " ou " Vous avez l'air triste " : j'aurais tant voulu ressembler, aux autres jeunes gens. Comme ces paroles que j'entendais, alors que j'étais déjà un homme : "- Mon pauvre petit, tu ne seras donc jamais heureux ! ". Le Destin était ainsi, je l'acceptais, il n'aurait pas fallu m'apitoyer, je voulais tant me sentir un homme comme les autres. Tous les communiants, nous sommes réunis sur la place près de l'église, garçons et filles, le Prêtre, les gens du village. Le Bedeau est en tête avec sa belle tenue colorée, grand chapeau, avec sa crosse épée, nous conduit à l'église. Nous chantons le Veni Creator, puis : "Oh Saint Hôtel, qu'environnent les Anges" . Je porte un cierge, j'ai un brassard, un chapelet et un petit livre de messe, tout cela a été prêté par des voisins, car on n'aurait pas eu les moyens de les acheter. A la maison pour la circonstance, la mère nourrice a invité sa soeur Christine et sa fille Delphine avec son mari. Il y a les frères de lait Victor, René, puis André, qui lui est aussi communiant. Pour le repas, je ne serai pas avec eux, un camarade d'école m'a invité chez ses parents, il y avait beaucoup de monde très joyeux. Je me rappelle du champagne que je buvais pour la 1ère fois, puis je me suis bien régalé, avec de la bonne brioche et des oeufs à la neige. Un mois plus tard, c'était la Confirmation. Cela se passait à SENONCOURT, à 5 km de HARAUCOURT, après avoir traversé le village de BUISSONCOURT. Les communiants de 6 villages étaient venus, nous étions nombreux. L'Evêque de NANCY, Monseigneur RUCH, nous a bénis, il a posé quelques questions. A mon copain, il a demandé qui était le Pape, il a répondu PIE-XI. Je n'aurais pas su lui répondre. Cet Evêque était un bel homme, je l'ai revu 2 mois plus tard, il avait revêtu la tenue militaire de Capitaine. Au mois d'Août, la LORRAINE était déjà envahie par l'Infanterie bavaroise. Il était Capitaine de la CROIX-ROUGE Française, ils étaient cantonnés, dans la commune d'HARAUCOURT, il venait d'y avoir quelques escarmouches avec les Boches, à une dizaine de kms, et un gars du village y avait trouver la mort, les brancardiers l'ont fait porter au patelin, et le Capitaine Meur RUCH, lui fit une petite messe, et je fus choisi pour servir, et nous avons accompagné la dépouille au cimetière à 1 km. Je connaissais bien ce jeune homme, il se nommait Victor CAFAXE. Le Capitaine m'a donné 5 sous, c'était beaucoup. Il y avait la Salle Jeanne d'Arc, les Prêtres y faisaient jouer des pièces de théâtre. Elle servait aussi de salle de gymnastique, car il y avait une belle section de jeunes gens de 10 à 20 ans, ils partaient faire des concours dans certaines villes. Ils avaient une belle tenue, maillot blanc, culotte courte blanche, bas noirs, béret blanc, et patins blancs, et puis une clique de tambour et clairons pour les faire défiler au pas, en traversant les villages. Quel dommage pour moi, je n'étais pas autorisé à en faire partie, par crainte d'accidents à la gym. Toute cette belle société a disparu, par suite de la guerre, la majorité avaient l'âge d'aller au Régiment, et sont allés mourir au Champ d'Honneur. Après être demeuré pendant 1 an à apprendre à lire et à compter avec la maîtresse Suzanne CHEVASSUS, je change de classe, je suis avec Mr Richard, un gros homme qui était logé dans l'école. Les après-midi, il s'endormait sur son bureau, aussi les plus grands en profitaient pour faire du chahut. Le fils du Maire, gros cultivateur, était allé jusqu'à lui tirer le pan de sa chemise, hors de son pantalon, quelle rigolade dans la classe. L'instituteur. Il nous réunit près de son bureau, pour une lecture, chacun avait son livre en main, tout à coup je me sens mal à l'aise, je vomis sur mon livre, il se met à hurler : - Espèce de sale individu, dégoûtant personnage, insolent moineau, foutez-moi le camp dans la cour ! Cet incident a dû l'empêcher de s'endormir. A la récréation il fumait la pipe, et cela le faisait cracher, c'en était dégoûtant, le tabac était devenu une drogue. Il n'a profité de sa retraite que quelques mois. Je suis à présent dans la classe avec les grands gamins de 10 à 13 ans. Nous avons comme maître Mr MARTIN, il était logé dans l'école. J'étais mis tout au fond de la classe. J'ai eu, mais rarement, des voisins à ma table, des Pupilles de l'Assistance Publique, il y en avait 4 dans la même maison, chez Mme THOMAS ; cette femme faisait l'appariteur, avec un tambour, elle parcourait les rues. A chaque arrêt, elle tapait les baguettes sur le tambour, puis elle déclamait ce qui était sur son papier : -" Avis ! Défense d'aller cueillir des pissenlits, à partir du 1er Avril ". -" Avis : Les habitants devront ramasser des pierres, les mettre sur les chemins vicinaux". -" Avis : Les casseurs de pierres seront payés par mètres cubes, par l'agent VOYER" etc. Les Pupilles de l'Etat confiés chez elle, étaient très malheureux, tous ceux que j'y ai vu, n'ont connu que la souffrance, la misère, elle les prenait de 6 à 13 ans mais c'était pour les employer aux sales travaux agricoles. Jamais aucun n'est apparu au catéchisme, à l'église, aux fêtes de Pâques, de Pentecôte, Noël, enfin tout ce qui concernait la paroisse. Ceux qui quelquefois venaient à l'école, ils étaient sales, déguenillés, ils étaient déjà fatigués d'être levés de bonne heure pour travailler ; certains, d'être tant maltraités, étaient déjà plutôt voyous, je me rappelle que certains me faisaient peur, tellement il y avait de la révolte dans leur regard, et les habitants les maudissaient plutôt, alors, qu'il aurait fallu leur apporter un peu d'affection. C'était le contraire. S'il y avait un incendie dans un village, tous disaient : -" Mais c'est encore un sale gamin de l'Assistance Publique ". Oui ! Peut-être y en a-t-il eu, par vengeance, contre leurs patrons qui les traitaient en esclaves. Je revois ces pauvres gars, je me rappelle de leur nom : ANCEY, DUCHENE avec sa jambe de bois, SCHMITT qui aussitôt 13 ans, livrait des sacs de charbons, STEIGER qui avait tellement souffert, était tout débiscaillé, de souffrir de rhumatisme, et a fini en vendant des lacets, installé sur un trottoir en ville, il vivotait dans un biboui mal famé. Par contre d'autres ont été bien traités, ainsi moi-même ; placé dans cette famille indigente, dès ma naissance jusqu'à 13 ans, j'étais considéré comme faisant partie de la famille, et cela à tout point de vue, j'ai bien fréquenté l'école, j'ai obtenu mon Certificat d'Etudes ; tous les ans, j'étais récompensé à la remise des prix, félicité par les maîtres et le Maire, c'était toujours dans une très belle ambiance avec la population, on recevait un peu de gâterie. Puis un livre. Un autre placé dès l'âge de 6 ans, dans une petite exploitation, s'est marié avec la fille, puis il est devenu un riche cultivateur, il se nommait : Jean VOGEL. Un autre Emile ZINC, s'est marié avec une fille du village, en sortant du service militaire, il avait appris le métier de maçon, et a construit sa maison, et en a construit beaucoup d'autres. La bonne de la grande ferme voisine, d'où j'étais placé, était de l'Assistance. Son patron était resté célibataire, il menait joyeuse vie, toujours habillé comme un hobereau, il allait surveiller ses domestiques dans les champs, avec un cheval pur-sang, attelé à une voiture à 2 roues. Tous les Samedi il se rendait à la ville faire bombance. Puis il a mis enceinte sa jeune bonne, et elle a tout obtenu à l'héritage. Elle a eu un beau grand fils, qui n'a pas continué la culture, la grande cour a été transformée en grand jardin, fleurs et gazons, les bâtiments sont devenus de belles maisons très accueillantes. Lui s'est établi Pâtissier dans la grande ville. La ferme avait été bombardée par des obus allemands et avait été démolie. Cette brave mère nourrice était allée chercher un autre enfant à l'Orphelinat, il avait 3 ans et se nommait Alfred MULLER, mais elle ne l'a gardé qu'un an, elle avait trop de travail avec lui, car il faisait toujours pipi au lit, elle qui peinait tant du matin au soir, pour pouvoir faire bouillir la marmite de la grande famille. Lorsqu'elle l'a redonné à l'Assistance, j'ai eu un gros chagrin, les premières nuits, je sanglotais une nuit, ces bons vieux, en m'entendant, m'ont dit : - Si tu pleures, on te remmène aussi à la Moire Cornette ! et comme j'avais peur des Chères Soeurs, je me suis tu. Mais elle est revenue avec un autre petit, il avait 2 ans, il se nommait Jules GILBERT. C'est moi qui lui ai appris à marcher et à parler, on avait acheté une voiture pour enfants, genre de gros panier en osier, campé sur 4 roues en fer, pendant les belles saisons, l'enfant était dedans, nous partions dans les champs, tous les outils dans la charrette, et elle se trouvait souvent pleine de carottes, patates, choux, navets, salades, betteraves rouges, etc. Cet enfant devait être rendu, dès le début du mois d'Août 1914, à la Préfecture car la guerre faisait déjà des ravages, dans les campagnes en LORRAINE. Au mois de Juin 1914, l'école avec la municipalité, me récompensait avec 3 autres élèves, en nous invitant à faire une petite excursion dans les VOSGES, à PLOMBIERES LES BAINS, où les riches se rendaient pour y faire des cures, ou à côté à VITTEL, CONTREXEVILLE, BAINS LES BAINS, etc. Un char à banc nous prenait au village, un domestique du Maire, conduisait un gros cheval, et il nous emmenait à VARANGEVILLE, la gare est à 5 km. Il y avait le maître Mr MARTIN et sa femme qui aimait beaucoup me taquiner, plus que les autres élèves, cela lui faisait plaisir, et à moi aussi. Dans des wagons en bois, ainsi que les banquettes, nous filons vers les VOSGES, la locomotive crache sa noire fumée de charbon, nous roulons à l'allure d'un coureur cycliste. Premier arrêt DOMBASLE-SUR-MEURTHE avec ses immenses usines chimiques de soude caustique, et fabrication de sel blanc raffiné pour la cuisine, 2ème arrêt à BLAINVILLE-SUR-MEURTHE, grand centre de triage S.N.C.F., 3ème arrêt LUNEVILLE, joli château copié sur celui de VERSAILLES, faïencerie réputée en ces temps-là, grande fabrique de wagons S.N.C.F. Il fait une journée splendide, le ciel est bleu, le soleil brille, nous sommes tous joyeux. Arrêt à CHARMES, nous voilà dans les VOSGES, puis VINCEY, THAON, pays des tissages, filatures, papeteries, scieries, confitureries, etc. Nous apercevons un hangar, dedans il y a 2 énormes dirigeables, c'est un terrain militaire, c'est le chef-lieu EPINAL. Ces dirigeables servaient pour faire les grandes manoeuvres, l'Etat-Major était dedans, à 500 mètres de hauteur et pouvait mieux diriger les combats, de tous ces soldats en uniformes de toutes couleurs, qui faisaient semblant de se faire la guerre, afin d'être prêts, si une vraie guerre éclatait. Tous les ans j'y ai vu les fantassins à culottes rouges, veste bleue, les artilleurs le pantalon avec des bandes rouges, tenue bleue très foncée. Les hussards montés sur des pur-sang arabes, les cavaliers, pantalon rouge avec guêtres noires jusqu'au genoux, vestes à bouton couleur argenté, la veste teinte bleu ciel, très ajustée sur le corps, ils étaient fiers sur leur canasson. Puis les cuirassiers, montés sur de plus gros chevaux, car les hommes étaient très robustes, et pesaient presque 100 kg. Le double de mon corps, moi, ne faisant que 50 kg. On les voyait de très loin ces gars, ils étaient revêtus, d'une énorme cuirasse en cuivre, et le casque également, ils étaient repérables à plus de 10 km de distance, tellement le soleil les faisait briller ; après le casque pendait une belle crinière rousse, un grand sabre pendait le long de sa jambe, puis il tenait une grande lance verticalement. Je les ai vus une seule fois défiler en jouant de la trompette, ils traversaient le village, un peu avant la guerre 1914. Ils venaient de LUNEVILLE et se rendaient à NANCY, au plateau de MALZEVILLE. Il y avait une revue de toutes les garnisons du 20ème Corps. Le Tzar Nicolas de Russie était invité, puis Raymond POINCARE, Président de la République Française. A cette époque dans les écoles, on nous faisait chanter que des chants patriotiques. Dans la maison, les vieux nous chantaient très souvent des cantiques, ou la messe en latin. Le Dimanche matin le grand-père lisait tout haut les exploits de FILLETTE, c'était un journal pour enfants, ils y étaient abonnés, ainsi que le journal LE PELERIN. La grand-mère l'écoutait, tout en préparant la popote de midi. Elle ne savait ni lire, ni écrire. C'est très souvent qu'il s'arrêtait en lisant, il était près à pleurer de certains passages qu'il lisait, il avait un coeur tendre. Je me rappelle toujours qu'étant encore tout petit, il me mettait sur ses genoux et me faisait sauter, tout en chantant : A Cheval dragon, A Cheval dragon, A Cheval dragon, puis il ouvrait ses 2 jambes, cela me plaisait, par contre avec son vrai fils André, jamais il ne l'a pris sur ses genoux, j'ai souvent vu lui flanquer des coups de ceinturon, il devait être têtu, d'ailleurs à l'école, il a obtenu des beaux bonnets d'âne, l'école ne lui plaisait pas, il a toujours continué à écrire comme les petits gosses. J'avais 4 ans, en été pendant la moisson des blés, ils m'avaient emmené avec eux j'étais haut comme 3 pommes, les blés étaient hauts de 1,20 m. Le grand-père fauchait tout autour de cet immense champ de blé, pour faire un passage à la faucheuse lieuse. Je me suis égaré, j'ai aperçu la route et suis parti vers le village en courant, et surtout en pleurant, j'étais comme un abandonné. Le fils Victor me prenait par la main les Dimanche matin, à la belle saison, et il m'emmenait à la campagne ou dans les bois, il n'a jamais choisi son frère André. Nous allions aux escargots, aux asperges de bois, aux fraises des bois, aux jonquilles, aux noisettes, etc. Nous repassions par un petit village et dans un café, il me payait un verre de cassis, j'étais vraiment gâté, nous faisions jusqu'à 10 km. Cela surtout lorsqu'il avait de 18 à 21 ans, moi, j'avais de 6 à 9 ans. René celui qui fut tué à 20 ans à VERDUN, aux fêtes de la Pentecôte, m'avait payé l'entrée d'une boutique où l'on regardait, pour cinq sous, dans des grosses lunettes qui grossissaient énormément des images, cela m'avait beaucoup impressionné, on y voyait des drames, de la bande à BONNOT, dont les journaux en parlaient beaucoup, puis des vues sur les horreurs de la guerre, nous étions en l'année 1915, j'avais 12 ans, René en avait 18. Il m'emmenait le soir, à la belle saison pour se baigner à la rivière, à la MEURTHE, lui nageait, moi je me mouillais les pieds. Il était lui aussi très gentil avec moi, il m'achetait des bonbons. Heureusement qu'il a eu l'occasion de profiter un peu, d'instants bien courts de sa vie. Une jeune locataire du dessous l'avait attiré chez elle, son mari travaillait la nuit, à la filature, elle s'appelait Henriette, elle n'avait que 20 ans. Comme il a bien fait de goûter aux plaisirs, avec cette femme. Nous sommes le 2 Août 1914. Guillaume l'Empereur des Boches, nous déclare la guerre, l'Infanterie bavaroise est déjà entrée sur le territoire, jusqu'à 15 km, ils se faufilent dans les moissons qui ne sont pas encore fauchées. On voit défiler dans les habitants des villages envahis avec des troupeaux, des chariots, où sont assis des personnes âgés, mélangés avec des enfants, enfouis dans des meubles de fortune, tout ce monde s'en va sans savoir où, on a tant ouï-dire que ces Bavarois commettaient des atrocités, déjà à la guerre de 1870. L'armée du 20ème Corps de LORRAINE les arrête, c'est la bataille du Grand Couronné, il y a des luttes corps à corps à la baïonnette, notre artillerie avec les canons d'obus 75 les fait reculer sur leur territoire. Tous ces petits villages de LORRAINE sont beaucoup démolis, les habitants, un bon nombre, ont voulu retourner pour reprendre leur vie, l'armée fournit des baraques en tôle pour abriter les gens et les bêtes. Nous sommes en Septembre 1914. Jour et nuit l'armée française est en déroute, c'est la retraite de MERHANGE, les Boches avaient su attirer en pays annexé nos soldats pleins d'ardeurs, tous croyaient aller facilement à BERLIN. Hélas ! les 4 années de guerre atroce se sont passées sur le sol français. Je revois tous ces Régiments de toutes armes reculer vers NANCY-TOUL-PONT-A-MOUSSON, talonnés par le Kronprinz, qui croyait déjà à la victoire. Je vais sur mes 12 ans, la méchante femme, cultivatrice qui martyrise les enfants que lui confie l'Orphelinat, en les faisant travailler dès l'âge de 7 ans, à de sales et rudes besognes, parcourt les rues avec son tambour. Elle braille. - Avis ! Tous les hommes jeunes et âgés non mobilisables, doivent se présenter à la Mairie. Tous ceux qui peuvent travailler sont mobilisés pour enterrer tous les soldats qui sont morts, afin d'éviter le choléra par les mouches et la grande chaleur. Et puis voilà que les Boches envoient des obus, des maisons reçoivent des projectiles, des incendies éclatent, c'est la panique ; le cultivateur voisin attelle 4 chevaux à un gros chariot et avec ma famille nourricière, nous grimpons dessus avec des voisins et nous nous dirigeons vers St NICOLAS DE PORT, distant de 6 km. La route directe nous est barrée par l'armée, nous devons passer par le village de BUISSONCOURT, LENONCOURT, ART-SUR-MEURTHE, nous sommes écartés de la zone de combat. Un petit fortin répond à l'artillerie ennemie, notre village était dans la ligne de tir français et boche. Nous débarquons à St NICOLAS, nous logeons chez Tante Christine, qui est la soeur de la grand-mère nourrice, nous venions chez elle, toujours pour les fêtes de Pentecôte. Elle venait nous rendre visite, surtout pour la fête du patelin à HARAUCOURT, elle était toujours accompagnée d'une de ses filles qui se nommait Delphine, son mari et leur gamin de 10 ans. Cette tante avait 9 enfants et était veuve. Elle avait 6 fils appelés sous les drapeaux. J'aimais venir lui rendre visite à St NICOLAS, elle nous mettait des paillasses par terre, et c'est les cloches de la basilique qui nous réveillaient, car nous venions surtout, lorsqu'il y avait des fêtes d'église. Toutes les cloches faisaient un joyeux carillon. Il y avait une énorme cloche, appelée le Bourdon, elle pesait 20 tonnes, on l'entendait à la fin de la messe, pour les grandes fêtes. Nous voilà chez elle, considérés en évacués, la ville nous trouve vite un logement rez-de-chaussée. C'est tout près d'un tissage, filature. Je vais à l'école laïque, ici il y a deux sortes d'école, en face il y a une école libre catholique. La ville est divisée, les laïques ne fraternisent pas avec ceux qui sont pour l'église, je trouve cela bizarre. Il y a deux fanfares, une laïque et l'autre chrétienne. Mon nouveau maître est Mr VERON, lui aussi est évacué d'AUDUN-LE-ROMAN, la guerre a démoli son patelin dans la MEUSE. Près de VERDUN. Nous sommes à la fin Septembre. Les combats font encore rage à une vingtaine de km. Sur le Port du Canal, les soldats de la CROIX-ROUGE, les brancardiers sont débordés, tellement il y a de blessés. La salle des fêtes, tous les hôpitaux sont pleins, les trains sont emplis de soldats mourants, alors ils sont obligés de les déposer sur le Port du Canal, en attendant de pouvoir les descendre dans les péniches, ils sont là exposés sous le soleil, personne pour nous empêcher de voir ce spectacle atroce, les mouches couvrent leurs blessures béantes, les Boches sont mélangés aux Français. On en voit mourir de trop graves blessures, ils sont dans le coma. Mais voilà que des obus allemands tombent sur la ville, les bons vieux prennent peur et ils décident de partir en direction de la capitale de la LORRAINE, NANCY. La nuit tombe et un orage éclate, le tonnerre se mélange aux bruits de l'éclatement des obus. Le petit Jules GILBERT est mis dans la charrette en osier, cet enfant sera redonné à l'Orphelinat, en arrivant le lendemain matin à NANCY. Nous nous sommes arrêtés à LANEUVEVILLE DEVANT NANCY. Des gens qui nous ont reconnu, en passant, se sont écriés : - Mais ! Où est-ce que vous allez donc braves gens ? Et nous avons couché chez le vendeur de bidons d'huile et de Savons de Marseille, et même des harengs frais. Nous étions de ses clients. Nous voilà à la ville, on constate qu'elle a été bombardée. La grand-mère porte l'enfant aux Enfants Assistés. Elle pouvait aussi bien se débarrasser de moi, en même temps, je pense qu'elle a besoin des quelques francs que lui paie l'Etat, et comme il ne lui reste plus que 17 mois à me garder, l'Etat, me reprenant dès l'âge de 13 ans. Le Conseil Municipal de la ville est débordé avec tous les réfugiés qui arrivent d'une centaine de villages. Tout est complet partout. Nous sommes installés dans les bâtiments des colonies scolaires de GENTILLY, en dehors de l'agglomération. De la paille est étendue sur le ciment à terre, et les familles se débrouillent chacune à sa façon pour se reposer. Cela dure 8 jours, cette vie de clochards. Tout le monde est rempli de poux, nous sommes nourris à la Soupe Populaire. On nous déménage pour être hébergés à la caserne MOLITOR, Rue Blandan, les soldats sont à la guerre ; nous prenons leur place. Notre chambre est au 4ème étage, il y a 30 lits par chambrée. Les femmes sont mises à part, dans d'autres chambrées. Ce sont des femmes réfugiées, qui font la popote dans les grandes cuisines militaires. Nous mangeons les morceaux, que l'on ne peut donner aux poilus, qui sont sur le front. C'est-à-dire les bas morceaux, le foie, le mou, la tête, les pieds. Les enfants qui n'ont pas l'âge de 13 ans vont à l'école GRAFFIGNY. Cela ne dure pas longtemps, la guerre ne se fait plus en LORRAINE, impossible à l'ennemi de passer. Il y a 17 forts tout autour de NANCY, plus des redoutes et canons antiaériens. Les Boches s'acharnent en ARGONNE, dans la SOMME, les VOSGES. Nous revenons à St NICOLAS DE PORT. Nous trouvons un logement au 2ème étage, le grand-père maudira comme dans cette caserne MOLITOR, les escaliers, ses jambes sont très mauvaises. Etant pendant 3 semaines dans le quartier militaire, un jeune avait créé une petite chanson. Je me rappelle d'un couplet. Un jour ce jeune s'est penché à la fenêtre du 4ème étage, il a tombé et s'est tué. C'est à la caserne MOLITOR Que les réfugiés sont réunis Dans de belles chambres où l'on dort Et où ils sont très bien nourris La guerre est une chose bien triste Que de familles sont malheureuses Combien de mères deviennent grises En pensant à leurs pauvres vieux Mauvais Prussiens vous serez châtiés D'avoir commis toutes vos lâchetés. Nous voilà donc de nouveau habitants de St NICOLAS. André et moi avons 12 ans et demi, avec son père nous devons retourner à HARAUCOURT pendant une semaine. Son père, s'il veut être payé pour les travaux des champs qu'il avait entrepris avant la débâcle, doit arracher les pommes de terre et les betteraves. Les éclats d'obus, avec les Schrapnels, ont beaucoup transpercé des betteraves, des alouettes ont été massacrées dans leurs nids. Le soir nous retrouvons l'ancien logis, nous nous couchons comme des clochards, la literie a disparu, soit le vol, soit dans de petites tranchées creusées par les soldats, nous n'avons rien récupéré. Ce n'était ni de la soie, ni de fines toiles, mais c'était leurs biens, de ces pauvres vieux. Pour les dommages de guerre, ils étaient trop pauvres, ils ont été oubliés, et cependant ils avaient 3 jeunes fils, qui défendaient la FRANCE. Tous ceux qui étaient aisés ou riches n'ont pas été oubliés dans le scandale des Régions Libérées. L'hiver nous allons dans la forêt pour ramener du bois mort, avec une brouette et la charrette en osier. C'est l'hiver, le froid est rigoureux. Nous allons aussi piocher dans les déchets de l'usine à gaz, pour ramasser quelques morceaux de coke. Nous subissons toutes sortes de privations, dès le premier hiver 1914-1915, je vais avec une gamelle récolter des restes de la tambouille des soldats, les patates sont cuites à la graisse de boeuf, ça a un goût de suif. Je viens de passer mon Certificat d'Etudes, je vais avoir 13 ans. J'ai la joie de voir arriver en poilu le fils qui a 19 ans, René, il vient de terminer ses classes, il obtient une permission de 8 jours. Puis il rejoindra son Régiment, et ira se faire tuer à VERDUN. Puis un peu plus tard, c'est Victor, le 2ème fils qui arrive, sa maman lui ouvre, l'embrasse et se met à pleurer. J'entends encore son fils lui dire : - Si tu pleures, je m'en retourne de suite ! Pour la pauvre mère, c'est dur de retenir ses larmes, elle est si triste d'avoir perdu à la guerre son gamin d'à peine 20 ans. Nous sommes en Février 1915, j'ai 13 ans. La mère m'emmène voir le maître à l'école, lui dire que je quitte la classe, je lui dis : - Au revoir, je vais aller travailler, c'est l'Etat qui me reprend, mon gain sera placé à la Caisse d'Epargne. Un matin je suis encore au lit, la mère vient d'aller chercher son lait, près de la laitière qui passe tous les matins, avec sa voiture attelée de deux chevaux. Elle me dit : - La laitière veut bien te remmener avec elle, pour aller travailler dans sa ferme, mais je te garde encore 3 jours. Bien sûr je suis content, puisque pour pouvoir vivre il faut travailler pour gagner des sous. Son dernier fils qui a eu 13 ans, est placé depuis 3 mois chez le boulanger d'en face, et il est content. Moi Pupille de l'Etat, je n'ai droit qu'au travail agricole.

.c.ADIEU MA VIE D'ENFANT;

J'ai 13 ans. Nous sommes le 16 Février 1916. Je fais connaissance de la laitière, la fille de la ferme où je vais travailler aux travaux agricoles, soigner les bêtes, mais plutôt les chevaux. Je connais tous ces travaux qui m'attendent, depuis tout petit, j'ai eu le loisir de contempler tous les cultivateurs dans mon ancien village. Cette fille ne me dit pas un mot. Je monte près d'elle dans la grosse voiture attelée de 2 jeunes chevaux. Il fait froid, il tombe une pluie, neige fondante. Elle me donne une vitre à tenir, car elle se casserait dans le chaos. Je n'ai pas de gants, j'ai les mains gelées. C'est à LUPCOURT qu'elle m'emmène, en passant par VILLE-EN-VERMOIS, à 6 km. Je connais vaguement le coin, tout le long du parcours, cette fille ne me pose pas de question, elle n'est vraiment pas curieuse pour me connaître. Elle a l'air de s'intéresser à lire le journal, je vois le PETIT PARISIEN, l'ECHO DE PARIS, le MATIN. Nous arrivons à LUPCOURT, il n'y a que 100 habitants. La voiture entre dans la cour de la ferme. Patrons et domestiques sont réunis pour me voir débarquer. Pas d'applaudissements, je devine plutôt de la désillusion à me voir si petit, pour faire de si pénibles travaux agricoles. La fille Joséphine m'appelle le Gosse. Si j'avais été un chien, j'aurais été mieux accueilli, j'aurais même eu droit, peut-être, à des caresses. Le patron est un homme obèse, un gros ventre flasque qui pend sur les cuisses, retenu par des courroies. Il a des grandes moustaches qui lui tombent sur le menton, c'est écoeurant à le voir manger, il est atteint d'hydropisie, ses pieds, ses jambes sont énormes, il ne bouge que chaussé d'énormes sabots. La patronne est un peu rondouillarde, elle ressemble à une Chère Soeur. Avant les repas, elle fait le signe de croix et récite le Bénédicité. C'est elle qui dirige tout le travail, le vieux étant impotent. Il y a une écurie avec 20 chevaux, je suis présenté à 2 commis, je logerai avec eux, dans un réduit, c'était un box à poulains. Mon lit est une énorme caisse emplie de paille, par-dessus il y a une sale paillasse. Il y a ce qu'on ose appeler des draps, que la troupe qui cantonnait dans les granges ont laissées à l'occasion d'une alerte. Les soldats venant du combat y viennent se reposer. Pour eux c'est un demi repos, ils sont là 2 jours, 4 jours, quelquefois une semaine, c'est déjà plus rare. C'est souvent la nuit qu'ils doivent précipitamment repartir sur le front, qui n'est qu'à 20 km. Depuis mon arrivée, j'ai vécu avec toutes les sortes de poilus de FRANCE, de toutes nos colonies, puis les Américains en été 1917. Les Anglais sont venus également au printemps 1917. Ils ont construit sur les terrains de la ferme que j'y avais tant labourés, un immense aérodrome pour gros avions de bombardement. Jusqu'après l'Armistice le 11 Novembre 1918, je me suis trouvé mélangé avec les pauvres poilus. Dès mon arrivée, je mets des chaussures de soldats à mes pieds, ils en laissent toujours, et pendant toute la guerre, je m'habillerai en poilu français, américain ou anglais. A l'écurie je suis seul dans ma caisse de paille ; après le repas du soir, je viens m'y étendre, il y a près de moi 2 commis qui sont assis et qui discutent. C'est très mal éclairé, l'électricité ne viendra que 10 ans plus tard, pour l'instant, c'est une lampe tempête à pétrole que l'on trimbale dans tous les coins. Je suis bien triste, je ne peux m'empêcher de pleurer. J'ai perdu ma 2ème maman. Dans la ferme il y a un fils, ils est absent, il est à la guerre, sur le front, qui est à 20 km de NANCY, il a 21 ans. Il sera tué à 22 ans, dans un corps à corps, au BOIS LE PRETRE, près de PONT-A-MOUSSON. Je me rappelle qu'un soldat cycliste est venu pour annoncer sa mort à ses parents. Aussitôt il fut attelé un cheval au TILBURY et elle est partie, sa maman, pour le revoir, avant qu'il ne soit enseveli. J'avais eu l'occasion de le voir à sa 1ère permission, c'était un beau grand jeune homme ; à table, il racontait ses exploits contre les Boches. J'ai travaillé avec lui aux travaux des champs, il me parlait gentiment. Il était comme sa soeur Joséphine. Assez gentils. Sa soeur ne me gâtait pas. Je n'étais qu'un pauvre gosse. Les derniers mois avant sa mort, il avait reçu une blessure à la jambe, il était à l'hôpital de BAYON. Je suis allé conduire en voiture sa maman pour le voir, j'ai dételé le cheval dans l'écurie d'une amie à elle. J'ai soigné le dada, j'étais invité à manger chez ces gens. La maman est restée près de son fils, je l'ai aperçu au moment du retour. C'était en plein hiver, il faisait très froid, les routes étaient enneigées, j'y ai vu une voiture mais à moteur, qui était dans le fossé, ce devait être une voiture militaire, car il n'y en avait pas d'autres, pendant cette guerre. Ce fils à son retour au combat, m'avait dit : - Louis ! Tu prendras bien soin de mes petits poulains. Et je ne devais plus le revoir. Ce fut atroce pour la maman et sa soeur. C'est lui qui devait à son retour de la guerre, continuer à faire marcher le train de culture. Dans mon pucier, à l'écurie, je couche seul, l'autre commis habite le village, ses parents tiennent un café. Il va se coucher chez lui, il a 19 ans, il devrait être mobilisé, mais il n'était pas bon pour le service, il sera appelé plus tard, mais il n'ira pas au combat. Le patron vient nous réveiller à 4 heures du matin, ou bien c'est la patronne. - Debout messieurs ! Il est l'heure. Je dois monter l'échelle pour aller au grenier à foin. Je le fais tomber en le secouant pour chasser la poussière, puis le partager à chaque cheval, dans leur râtelier. Ensuite on me donne une étrille et une brosse, je passe l'étrille sur tout le corps des chevaux, ils doivent prendre cela pour des caresses, puis ensuite la brosse, il fait très sombre, j'ai encore sommeil. J'ai du mal à gratter le dos des bêtes, je suis trop petit. Un commis vient me montrer son étrille, en me disant : - Regarde les poux qu'il y a dessus ! Puis il souffle fort et je reçois toute cette sale poussière dans les yeux, je suis aveuglé, mais tous ont bien ri. Il y a 2 hommes, c'est des déchets. Il y a là aussi le berger de la ferme, j'apprends qu'il est le 1er commis. C'est l'homme de confiance. En plus de son troupeau de 130 moutons, il s'occupe des travaux de culture. Il fait ses rapports à la patronne. A 5 heures du matin, après avoir fait boire les chevaux, je leur distribue de l'avoine. Nous allons boire un verre d'ersatz de café sucré à la saccharine. C'est la guerre, nous sommes rationnés. C'est le matin du 17 Février 1916 Le jour commence à se lever. Il est près de 6 heures. Nous revenons à la cuisine. Nous mangeons quelques tartines de fromage camembert, qui n'était plus vendable à l'épicerie et que l'on donne à la laitière, et pour faire descendre, on boit un verre de piquette. J'attelle 4 chevaux et j'accompagne Mr Jules CONTE, qui lui tiendra la charrue, et moi avec un fouet je fais avancer les chevaux. J'ai froid aux pieds, aux mains, aux oreilles, il gèle, je ne me réchauffe pas, quand je peux enfiler mes mains dans les cuisses d'un cheval, cela fait du bien. Mr CONTE est un réfugié de SORNEVILLE, son village a été démoli. A 101/2 nous revenons à la ferme, les chevaux doivent manger, afin de pouvoir retourner à la charrue à une heure de l'après-midi. Je dois refaire tomber du foin pour le mettre dans le râtelier, puis les détacher pour qu'ils aillent à l'abreuvoir. Ce genre de travail sera répété tous les jours, matin, midi et le soir, pendant les 6 années que j'ai dû travailler dans cette ferme appelée la Ferme du Château. Il y a 25 vaches laitières, il y a souvent des naissances de petits veaux, c'est un homme qu'on appelle Marcaire qui s'occupe seul du troupeau, pour leur donner 3 fois par jour à manger des betteraves coupées en tranches fines, mélangées à de la menue paille arrosée de sel. Il doit les traire matin et soir, cet homme se nomme Benjamin, il est Italien. Le berger se nomme Abel FRIAND, c'est un grand fort gaillard, qui était mobilisé en 1914 et dès les premières batailles, il fut blessé à la main, ses doigts ne fonctionnaient plus, il était réformé. J'étais embauché par lui, à la bergerie, pour la castration des petits agneaux, tous les ans au printemps, il en naissait une centaine. Je devais me tenir appuyé debout contre un poteau, le berger me mettait l'agneau entre les bras, et je lui maintenais les 4 pattes. Il lui ouvrait la bourse et c'est avec les dents qu'il lui retirait les testicules, puis il mettait ensuite un alcool spécial, et fermait la bourse, en la pressant entre ses 2 mains, et il leur coupait en même temps un long bout de la queue, un vrai travail de bourreaux, l'agneau je le reposais non pas à terre, mais sur le fumier, qui était serré à dur, car tout le troupeau se déplaçait continuellement sur ses crottes, mélangées de paille. C'était enlevé, tout ce fumier, une fois par an, le couper en tranches à la hache, c'était un énorme travail. Où je posais l'agneau, il ne bougeait plus, il subissait toute cette chirurgie sans le moindre cri de douleur. Avec les tas de fumier, celui des vaches, celui des chevaux, et puis les moutons et les fosses à purin que je devais pomper dans un énorme tonneau à purin, j'étais toujours dans la bouse et le pipi, c'était très dur à pomper, rien ne fonctionnait bien, ni la pompe, ni la vanne du tonneau, quand je voulais l'ouvrir, je me faisais arroser mes guenilles qui pourrissaient sur mon petit corps. J'étais rongé par les poux de tête et les poux sur tout le corps, je n'étais qu'une plaie ; avec le froid, j'avais des crevasses plein les mains, des engelures aux pieds et aux oreilles. Souvent des soldats me disaient : - Mais tu es trop jeune et trop petit pour accomplir ces durs et sales travaux. Je ne savais quoi leur répondre. Lorsque je causais avec des poilus, la patronne venait me dire que j'étais employé pour travailler, et seulement là pour travailler, après être levé depuis 4 heures du matin, et les grands mois d'été levé à 3 heures du matin, et ne finir la journée qu'à 9 heures du soir. C'était le bagne. J'ai eu l'audace un jour d'écrire à la Préfecture à NANCY, je me plaignais des mauvaises conditions, dont nous étions traités chez les patrons cultivateurs. Je n'ai jamais vu l'Inspecteur venir nous rendre visite, nous sommes placés là, comme si nous étions punis de nous être mal conduits, alors qu'il n'y a rien à nous reprocher. J'ai reçu une réponse. Elle disait : " Si tu recommences à te plaindre, tu iras en Maison de Correction. C'est la prison. Ce n'est pas de cette façon que l'on peut obtenir de bons sujets dans la vie ". Nous sommes au mois de Juin 1917. Par une belle matinée ensoleillée, je vois arriver 2 nouveaux enfants de l'Assistance Publique, il y a une fillette de 13 ans, elle s'appelle Suzanne TOURAIDE, puis le gamin de 13 ans est vêtu d'un tout petit costume de marin en coutil, culotte courte, très belle petite veste, puis le joli chapeau en paille fine, avec le ruban Jean BART de la marine. Il se nomme André GEOFFROY, il avait été évacué dès le début de la guerre, à ALGER. Dans ma grosse caisse de paille, moitié pourrie, je ne dormirai plus seul, nous coucherons ensemble. Il n'est pas plus grand, ni plus fort que moi, déjà à peine débarqué, il est déjà désigné pour aller cet après-dîner faner le foin coupé, avec un râteau C'est un vrai bambin. Aussitôt après le repas de midi, il découvre une roue en fer et avec un morceau de bois, il se met à courir avec cette roue qu'il pousse avec son bâton. On ne peut croire qu'avec sa belle petite tenue, il va vite connaître l'enfer. L'après-midi il fait très chaud à manier le râteau jusqu'au soir, je le vois souffrir, il a soif, il débute et il faut suivre la cadence des autres, même la petite bonne est embauchée. Nous sommes 6. Le travail est toujours très pressant, car si il arrive un orage, tout ce qu'on aura fait, il faudra le recommencer aussitôt que le soleil se montrera, puis le fourrage est toujours moins bon et il y a tant d'autres travaux à faire. Les patrons ont si peur de ne pas venir riches, pourtant ils ne nous paient pas grand chose. Ce gamin je l'ai revu beaucoup plus tard, il avait 30 ans, il s'était marié et avait un enfant. Il devait se suicider, en mettant son corps entre des tampons de wagons. Il avait attrapé de gros rhumes les hivers à la ferme, et jamais il n'a été soigné, puisque c'était : " Marche ou crève ", il était atteint de léthargie, les sinusites étaient tournées en humeur. Il faisait tenir son pantalon en velours, qu'il avait ramassé des poilus, avec un fil de fer, qui était toujours trop serré, cela l'empêchait de respirer. Il chantait des refrains militaires, que lui avaient appris les gens qui l'avaient recueilli jusqu'à l'âge de 13 ans. Le premier Noël passé à la ferme, il avait été invité le soir chez les patrons ; me trouvant dans la cour, je l'entendais chanter. Je n'étais pas invité, je les boudais depuis un certain temps. Moi, à mon 1er Noël, la patronne me dit : - Si tu viens ce soir à la Messe de Minuit, je te ferai un chocolat. En revenant, une assiette creuse emplie de gros pain, baignait dans le chocolat, le pain avait épongé le chocolat, j'ai avalé cela sans aucun plaisir, j'étais seul sur la grande table. Eux ont fait un bon Réveillon de Noël. Je me rappelle mon premier hiver. Il y avait un manège, trois chevaux y étaient attelés et comme ils tournaient pendant des heures, on leur mettait des oeillères sur les yeux. Le travail consistait à engrener toutes les moissons récoltées, seigle, orge, avoine, petits pois secs, petites féveroles. Cela nous occupait les mois d'hiver. Et puis on nous envoyait couper des branches au bord des ruisseaux, c'était souvent des saules, ces branches étaient mises en fagots. Mais voilà, j'avais encore l'âge où l'on pense encore à s'amuser. Il y avait des grandes plaques de glace, alors je m'amusais à patiner, oubliant que je devais travailler. Or, le berger, tout en surveillant son troupeau, était désigné pour nous surveiller. Le soir il m'a amené près de la patronne, il a fait son rapport, elle s'est mise en colère et m'a flanqué une grande gifle, qui m'envoya contre le buffet. J'ai toujours détesté ce berger. Il se goinfrait, et était souvent entre deux vins, et devenait violent. J'ai entre 15 et 16 ans, en 1918. Il paraît que je peux conduire une charrue. C'est la petite bonne Suzanne, qui est désignée pour fouetter les 4 chevaux, moi je maintiens les bras de la charrue pour tracer des sillons droits. Elle aime partir au champ et revenir à l'écurie et être assise sur un cheval. Tous les matins j'attelle les 2 chevaux à la voiture de la laitière, elle part à 6 h 1/2 distribuer le lait à St NICOLAS DE PORT. Certains Dimanche en hiver, je pars avec elle. Je porte du lait chez les gens, beaucoup ont préparé leur casserole et j'y verse la quantité de lait demandé. A 10 h 1/2 la tournée est finie, mais ces rares Dimanche, je ne repars pas avec elle. Je vais passer la journée chez les bons vieux. Leur fils André, avec un de ses copains, m'emmènent au cinéma. Cela ne me distrait pas, je suis tellement fatigué que je m'endors, et lorsque la salle rit d'un bon coeur, cela me réveille, puis je remets ça. Le soir après le repas, je reprends le chemin de retour à la ferme dans la nuit. J'ai souvent peur, dans le calme de la nuit, je ne rencontre pas âme qui vive, il me faut traverser le premier village de VILLE EN VERMOIS, un ruisseau profond longe la rue sur toute l'étendue de ce sale patelin, et comme je n'ai pas une bonne vue, c'est très scabreux. Puis en arrivant à LUPCOURT, c'est dangereux aussi, une rue tortueuse mène à la ferme, c'est encombré de charrues, de herses, de fumiers, de fosses à purin, c'est la guerre, toutes les lumières sont interdites, de peur des avions ennemis qui viennent repérer les camps d'aviation, et les ouvrages militaires, et dépôt de munitions. A VILLE EN VERMOIS, il y a le camp de petits avions de chasse. Il y a là l'escadrille CIGOGNE, l'avion le VIEUX CHARLES, c'est l'appareil de l'As des As le grand héros GUYNEMER, j'ai eu la joie de toucher son appareil, je le revois monter dans son zinc. Un mécanicien devait faire tourner l'hélice à la main, puis dès que le moteur ronflait, c'était le départ sur les lignes ennemies, toutes proches, et il allait chercher la bagarre dans le ciel, et lui, comme tous ses copains de l'escadrille, se mitraillaient, cela souvent au-dessus de nos têtes puisque tous les habitants de ces petits villages travaillaient dans les champs. C'était presque beau à voir ces combats, ces petits avions tournoyaient tels des hirondelles pour pouvoir mieux se mitrailler. Il y avait toujours de la casse, soit : qu'il piquait du nez en tourbillonnant comme une feuille morte et allait s'écraser sur le sol, ou blessé il pouvait aller atterrir dans ses lignes, si l'avion était encore potable. Sur les terres où j'ai tant labouré et semé des céréales, les Anglais viennent de construire un immense aérodrome. Entre les 3 petits hameaux, AZELOT, BURTHECOURT, et LUPCOURT, il est séparé de 4 km du petit camp d'aviation de GUYNEMER. Des milliers d'Hindous des colonies anglaises travaillent à aplanir le terrain. Début 1917, de gros avions de bombardements s'élèvent lentement dans le ciel, ils tournoient au-dessus de nos têtes, pour prendre assez de hauteurs. La frontière n'étant qu'à 20 km, ils ne peuvent se trouver assez hauts dans le ciel, pour ne pas être déjà pris dans le tir des canons ennemis trop tôt. Ces gros avions sont lents et sont une cible facile, ils n'atteignent pas tous leur but de pouvoir bombarder la RHÜR et des villes allemandes, certains ne rejoignent plus la FRANCE, d'autres arrivent à tomber dans nos lignes, mais hélas ! toujours avec fracas. J'en ai vécu de ces drames affreux. A son tour, cet aérodrome d'avions anglais était souvent bombardé la nuit. Avec toujours des victimes et des hangars d'avions démolis. Jusqu'à la fin de la guerre, j'ai toujours eu peur, c'était encore la zone de combat, mais seulement par la présence des avions boches, jour et nuit. Ils venaient lancer leurs bombes, et les canons de tous les forts leur tiraient dessus, et tous les projectiles retombaient comme une pluie de fer. Dans le jour, rien pour se mettre à l'abri. La nuit, j'étais rassuré, car je me trouvais en dessous d'une grosse meule de foin, c'était le grenier. Des obus entiers retombaient sans avoir éclaté, ils faisaient un bruit lugubre en retombant, cela me semblait long, je tendais le dos de peur, peut-être va-t-il me tomber sur la tête. J'avais toujours envie de me mettre sous un cheval, mais si le cheval venait à être tué, j'aurais été tué écrasé. Ces braves chevaux eux, ne connaissaient pas la peur, pendant ce temps ils se reposaient, je m'imaginais qu'ils étaient contents. Le berger se met un jour à sortir la poudre d'un gros obus, il décide d'y mettre le feu, il allume son briquet, la poudre doit sans doute produire des émanations invisibles, la flamme n'était pas encore sur la poudre qu'elle éclatait, lui brûlant toute sa moustache, ses cils et sourcils, et les cheveux visibles, il a vraiment l'air bizarre, j'ai presque envie de rire mais lui, est plutôt vexé, les patrons ne le reconnaissaient pas, et il s'est fait un peu réprimandé. Je viens d'avoir 17 ans. Je suis invité au mariage de Victor, celui qui aimait tant m'emmener faire la cueillette de fraises ou de noisettes dans les bois. Il est rentré de la guerre, il est resté soldat pendant 7 années, 3 ans pour accomplir son service militaire, puis les 4 ans de guerre soit : 7 ans. Il ne m'a pas oublié, je suis toujours pour lui un peu comme un frère. Enfin je suis vêtu d'un modeste costume genre toile de sac, la facture est envoyée à la Préfecture, les patrons s'en tirent bien, il n'y a aucun contrôle, c'est mon argent puisqu'il paraît que les quelques sous que je gagne sont mis sur un livret que je toucherai à 21 ans. Nous sommes réunis tous les invités, une quinzaine, avant de passer à la mairie ; j'ai comme cavalière une nièce elle se nomme Gabrielle, elle n'est pas un ange. C'est elle qui sert la messe dans son hameau, à GELLENONCOURT 50 habitants. On me fait asseoir près d'elle, elle a 17 ans, elle est très forte, je me sens mal à l'aise, c'est la 1ère fois que je suis près d'une fille, j'ai 17 ans, je me sens encore un gars pas dégourdi, je n'ai jamais de contacts qu'auprès des animaux de la ferme, au village personne ne m'invite à pénétrer dans un foyer. A un moment, croyant faire plaisir à cette fille, je lui pose ma main sur la cuisse, aussitôt je reçois une grande gifle devant tout le monde, je me serais mis dans un trou de souris, j'avais honte, elle a dû avoir peur que je la viole, moi l'innocent. Seul le grand-père nourricier, pour me consoler, a dit : - Oh ! Gabrielle, ce n'est pas gentil d'agir ainsi. Entre les familles il était prévu que je marierais avec elle en sortant du service militaire, elle m'a brodé mes initiales sur une pochette. C'était une cousine et la famille. Le lendemain la noce se faisait chez les parents de la mariée, en pleine campagne dans une belle maison isolée à 5 km. Nous étions une bonne vingtaine. C'était par une journée magnifique, en Juin tout était fleuri, un soleil radieux et avec le chant des oiseaux, surtout le chant de l'alouette, je me sentais vraiment heureux de vivre. La journée se passa agréablement, cette Gabrielle je l'avais plutôt oublié. Vers 4 heures de l'après-midi, je fus désigné pour la reconduire dans son patelin de 50 âmes à GELLENONCOURT, j'ai eu la chance que 2 autres jeunes filles ont décidé de faire bande avec nous, l'une était la soeur de la mariée, elle était jalouse et me reprochait d'avoir choisi comme cavalière cette énorme Gabrielle dont j'étais si ennuyé que l'on me l'ait collé. Cette soeur s'appelait Clémence, elle était assez jolie, avec un beau teint frais, je l'aurais préféré. Ses parents avaient même désiré qu'après mon service militaire, ainsi que celui du cadet André qui avait mon âge, ils ne feraient qu'une noce, comme il y avait encore une autre soeur qui se nommait Jeanne par conséquent, moi, j'épouserais Clémence, et le dernier né de la famille qui m'avait recueilli, André, épouserait Jeanne. Hélas ! les années passèrent et aucun mariage ne se fit. J'ai repris le dur travail des champs, à la ferme, voilà bientôt 2 ans que l'Armistice de la guerre 1914 a été signée. La fête foraine de NANCY bat son plein, j'ai une envie folle d'aller la visiter. C'est le mois de Juin, les fêtes de la Pentecôte, je ne suis invité nulle part, c'est Dimanche, ça y est, je me décide, il est 1 heure de l'après-midi, le soleil brille, je pars en douce seul, sur la grande route, après 1 km, les pieds me font souffrir, elles sont un peu juste mes chaussures, j'enlève mes chaussettes pour être plus à l'aise, et je les cache sous une betterave. Ce sont les chaussettes et chaussures, que j'avais hérité pour la noce de Victor. Autrement, mes chaussettes sont de vieux linges qui enveloppent mes pieds, appelés chaussettes russes, et les godillots, que les poilus oublient chaque fois qu'ils ont une alerte, pour retourner au combat. J'ai 12 km à parcourir pour arriver dans cette fête foraine qui bat son plein. Je suis enchanté, tellement c'est beau, toutes ces pantomimes, ces parades, afin d'inciter à faire rentrer les gens. Je parcours les 4 grandes allées de 500 mètres chacune, je contemple un peu tout, avec une main dans la poche de mon pantalon, dans la main je sers une pièce de 20 sous. Tous les Dimanche je reçois cette grosse somme, je crains même de ne pas avoir assez pour me payer un demi de bière. J'ai cru bien faire en demandant un demi bock, croyant ne payer que la moitié, ils se sont mis à rire, ils ont vite compris par mon allure que je sortais de ma campagne de TRIFOUILLY LES OIES. J'arrive à la ferme, il est 8 heures du soir, j'ai marché en tout 26 km, j'ai l'impression de m'être bien diverti. La patronne me dit : - D'où viens-tu ? - Je reviens de la foire à NANCY. - Fallait me le dire, je t'aurais donné une pièce de cent sous. Je n'ai jamais vu venir dans ma poche cette pièce. A présent j'ai 18 ans. C'est moi qui soigne les 2 jeunes chevaux que j'attelle à la voiture de laiterie pour la fille Joséphine. J'ignore si elle a remarqué que ces chevaux ont un beau poil brillant, je leur fais leur toilette, je les nourris bien, plutôt en cachette, de l'avoine, du bon foin, je pense qu'elle doit en être fière de les conduire. Je sors cet attelage de la cour de la ferme, elle est assise dans la voiture, et voilà que je prends l'audace de monter sur le marchepied, et me mets à l'embrasser, il fait nuit, je suis surpris, elle ne me dispute pas. J'en suis devenu amoureux, depuis mon arrivée voilà 5 ans, la nature m'a changé, je suis heureux en la voyant, c'est la seule femme que je peux contempler, si bien qu'elle a fait naître en moi l'Amour. J'ignore si elle s'en aperçoit que je l'aime. Je suis plein d'audace, je guette à 5 heures le matin lorsque sa maman sort pour aller à l'abreuvoir, pour retirer la crème qui est dans les brocs, où le lait est mis dans l'eau froide toute la nuit. Aussitôt je bondis dans la cuisine et me dirige vers la chambre où dort encore Joséphine, il fait nuit, je me penche sur le lit et je l'embrasse, elle me dit : - Va-t-en vite, Louis ! Elle dit cela gentiment. Alors ! Je reviens à l'écurie le coeur content. Quant à elle, j'ignore ce qu'elle pense, je ne suis qu'un gosse, elle qui est tant courtisée par des vrais beaux gars, des Officiers, des fils de riches cultivateurs, car c'est vraiment une belle grande fille et puis elle a des cousins, beaux jeunes gens, dont un voudrait bien l'épouser. J'en suis même un peu jaloux, je les vois la caresser, comme ils sont heureux. Je suis surpris, elle ne me dit pas de ne plus venir l'embrasser sur son lit à 5 heures du matin, elle est vraiment gentille. Elle aurait pu se fâcher, le dire à ses parents, pensant que je pouvais la menacer pour pouvoir la violer, quel scandale vis-à-vis de l'Assistance Publique, qui aurait pu me punir comme un voyou. Elle a même changé de chambre, j'ignore pourquoi, le désir est trop fort, je continue à venir l'embrasser puisque cela se passe toujours bien. Hélas ! Un matin que la maman, à 4 heures le matin vient nous dire qu'il est l'heure de se lever, le vieux commis, qui est encore saoul tellement il a bu du vin rouge, il répond à la patronne : - Madame MILLER ! Je vous emmerde et vous me faites ch… ! Ce petit fumier baise votre fille ! Et elle est repartie à la cuisine sans rien répondre. Il faisait nuit noire, je me trouvais dans la cour, il guettait dans la cour l'occasion de me flanquer 2 énormes gifles. Je crois que sur le moment si j'avais eu une fourche dans les mains, je la lui aurais planté dans le ventre, à ce méchant ivrogne. Ainsi dans le village le bruit a couru que je couchais avec Joséphine. Ah ! si cela avait pu être vrai, elle m'aurait appris à faire l'Amour. Je vais sur 19 ans, j'ai l'occasion de me trouver assis près d'elle, dans la voiture de laiterie. Je l'embrasse et je passe ma main sous sa robe, je touche sa cuisse tout cela d'une audace très timide. Elle ne se fâche pas, elle me dit : - Allons Louis, soit raisonnable ! Cela a suffi, je me suis trouvé tout penaud, elle disait cela d'un ton plutôt gentil. Après être rentrée de la distribution du lait à ses clients, aussitôt elle venait aider à rentrer les foins, à conduire une faneuse, une racleuse, à faner avec un râteau. Aux moissons elle aidait à ramasser les gerbes, elle faisait même marcher la faucheuse lieuse, c'est moi qui conduisais les 4 chevaux qui tiraient cette grosse machine. Elle était vraiment une fille courageuse. Les secousses qu'elle ressentait, étant assise sur le siège en fer de cette machine, lui avaient occasionné des bleus sur son corps. Par un beau Dimanche matin, me trouvant près d'elle dans la voiture de lait, je crois rêver, elle soulève sa jupe très haut afin de me montrer les bleus qu'elle avait sur le haut de ses cuisses, ces bleus étaient plutôt noirs, puis ensuite elle me montra ceux qu'elle avait sur ses seins. Mais j'ai deviné que ces bleus étaient des suçons, après une partie d'amour, elle me considérait toujours comme un grand enfant. La ferme avec toutes les bêtes, et le matériel, va être vendue, le fils étant mort à la guerre, la fille n'a pas voulu se marier avec un cultivateur, elle a choisi un Commandant, ils habitent une belle grande villa, avec un beau grand jardin. Je quitte cette campagne, et je suis accepté d'être employé chez un marchand de vins en gros. Je reviens à l'endroit où nous habitions il y a 7 ans, les fenêtres donnaient juste en face de ce marchand de vins, j'allais à l'école avec les 2 fils. Mon travail consiste à rincer des fûts en bois, puis de les remplir de vin rouge, et un livreur les emmène chez le client, dans des cafés aux environs. Je livre aussi de tout petits fûts, avec un haquet, dans la petite ville, et je ramasse quelques pourboires. Je commence le travail à 6 heures le matin, 1/2 h de repos pour le petit déjeuner. A midi il y a 1 heure pour le repas, jusqu'à 1 heure. Je suis en pension chez ces braves vieux qui m'avaient recueilli, j'ai retrouvé un peu la vie de famille. En quittant à 6 h mon travail, je vais chez l'épicier COOP à côté. Je fais le magasinier, à ranger les paquets, empiler les bouteilles, et vider des caisses de sardines, etc. Je mange avec les gérants, et il me donne 2 francs, et je rentre chez les bons vieux, il est 9 heures. J'ai 20 ans. Cette nouvelle vie dure pendant 16 mois. Je viens d'avoir 20 ans, j'ai passé le Conseil de Révision, je suis reconnu bon pour faire un soldat. Un Capitaine me dit : - Dans quelle arme voulez-vous servir ? Je réponds : - Dans n'importe quelle arme, et n'importe où ! Je suis tellement heureux de faire mon service militaire. Nous sommes début Avril 1923, voilà que le facteur me donne ma feuille de route. Je suis affecté au 20ème B.O.A. au Port d'AUBERVILLIERS, c'est PARIS, je suis vraiment comblé. PARIS la Ville Lumière. La vieille maman sort avec moi jusqu'au bout du couloir, nous nous quittons et elle se met à pleurer, lui n'était pas venu, il était trop ému. Ce pauvre vieux. Je me rends à la gare de VARANGEVILLE, sur le quai, je vois deux beaux grands jeunes gens, je les connais de les voir souvent dans le bourg où je travaille, l'un est préparateur en pharmacie, l'autre est le fils d'un commerçant, on ne s'est jamais adressé la parole, ils fréquentaient l'école privée, moi j'allais à l'école laïque, elles sont en face l'une de l'autre. Ils fréquentaient le patronage, j'aurais préféré aller à leur école, c'était plus la vraie camaraderie. Je ne peux tout de même pas me mettre seul, dans un compartiment, j'aurais l'air sauvage. Je les aborde et timidement, j'ose demander où ils vont. L'un répond : - Au 20ème B.O.A. AUBERVILLIERS ! Alors, nous voyageons ensemble, l'un descend à ROMILLY SUR SEINE, celui qui vient dans la même caserne que moi, m'a lâché dans la gare de l'Est. Il pleut, je demande pour me rendre au fort, la receveuse me répond : - Attendez le 152 ! Je perds mes semelles de chaussures, je suis mouillé, le pantalon de velours, la veste, enfin tout sera jeté à la poubelle. Les autres doivent réexpédier leurs effets chez leurs parents. Les patrons marchands de vin m'ont laissé partir sans un sou, c'est des rapaces. Ainsi pour le Nouvel An, nous étions 5 employés, j'ai passé devant la glace, la patronne a donné une enveloppe aux 4 autres, quant à moi, elle a osé dire : - Toi on te reverra ! De 13 à 20 ans, cela fait 7 Nouvel An, sans aucune récompense, sans jamais de repos, ni Dimanche, ni fêtes, ni vacances. Une moyenne de travail de 90 heures par semaine, pendant les trois mois d'été, lever à 3 heures le matin jusqu'à 9 heures le soir. Arrêt à midi jusqu'à 1 heure. Certaines journées par les grandes chaleurs, je parcours 50 km par jour dans les mottes de terre, je conduis soit 1 rouleau, soit une herse pour écraser les mottes, les 4 chevaux que je dois suivre vont très vite parce qu'ils sont piqués par les moustiques, les taons, je les plains, ils souffrent, ils ont du sang partout. Et malgré tout, le sommeil me gagne, le soleil, la chaleur, la grande fatigue, je risque de me faire écraser, je chamboule comme si j'étais soûl d'avoir bu, j'ose quelquefois placer mon pied sous le pied d'un cheval, mais la terre n'est pas molle, cela me fait mal, me réveille, et je m'en prends au pauvre cheval, en lui donnant un coup de fouet. J'ai 20 ans, à l'âge de 21 ans, je pourrai touché l'argent de mes 7 années de dur labeur. Je me rappelle que Joséphine, la fille de la ferme, m'avait dit un jour : - Louis ! Quand tu seras soldat, je t'enverrai des mandats. Un photographe est venu à la caserne j'en profite, j'envoie ma photo à Joséphine et je reçois 20 francs en l'honneur de son fils, elle est mariée depuis un an. Ce fut le 1er mandat, ce fut aussi le dernier, il y eut bien un 2ème fils, mais j'étais bien oublié. Depuis la date où je fus invité au mariage de Victor, les parents de la mariée Lucienne avaient décidé que j'étais le fiancé de sa soeur Clémence, je lui plaisais et elle me plaisait, mais de 17 ans jusqu'à 19 ans, je ne l'ai revu que rarement, quelquefois un après-midi en automne, si j'obtenais quelques heures de détente, elle venait rendre visite à sa soeur Lucienne, et avec son mari Victor, avaient plaisir de m'inviter avec eux. Ils habitaient près des parents adoptifs. J'étais assis près de ma fiancée, je me sentais heureux, j'avais 19 ans, elle 18 ans, j'osais poser ma main sur sa cuisse, j'étais comblé, elle ne me flanquait pas une gifle, elle était plutôt souriante, ainsi, nous pensions à notre mariage après le service militaire. A la caserne tous les mois, elle m'envoyait un petit mandat avec une lettre gentille. Je me faisais un peu d'argent, en lavant les treillis de plusieurs soldats, et avec le pécule de l'armée, tous les 15 jours, j'avais un peu d'argent de poche. Dans la chambrée nous sommes 24, mon voisin de lit est justement le gars de chez moi, ROUSSEL le préparateur pharmacien, avec lequel j'avais voyagé dans le train. Lui est bâti en athlète, il avait passé son B.P.M.E. il était rôdé pour l'exercice, la plupart avaient fait la préparation militaire. Nous allons à un stand de tir au fort St DENIS, à plusieurs km de notre fort. Ceux qui auront bien tiré auront droit à une permission de 24 heures, c'est-à-dire le Samedi après-midi, le Dimanche, et être rentré le Lundi pour 7 heures du matin à l'appel. C'est à peine si je savais me servir de ce fusil appelé mousqueton. La 1ère balle, la détente me fit mal à l'épaule, tellement il y a du recul, je saignais à la joue, j'étais en colère, alors, j'ai tiré en fermant les yeux, en me raidissant plutôt d'avoir peur, en pressant sur la gâchette, d'ailleurs la permission je m'en moquais. Pour moi, c'était avoir le droit de sortir dans PARIS, dont j'avais tant entendu parlé, de toutes les beautés qu'on y découvrait. J'ai voulu voir surtout cette Tour EIFFEL, la SEINE, voir tout cela, surtout à pied, je pars dans l'inconnu, en m'efforçant de me diriger le plus droit possible. Cette promenade m'a enchanté, enfin je venais de découvrir la capitale. Quand je comparais la campagne où je venais de vivre pendant 20 ans, dans ces hameaux de paysans, ce village de 100 habitants, ces maisons plutôt délabrées, avec chacune leur tas de fumier, leurs basses de purin. Je venais de découvrir un paradis. Je remerciais ceux qui avaient été si gentils de me faire un aussi beau cadeau, de m'envoyer à PANAME. Voilà 15 jours que je suis arrivé à la caserne, un gars de la chambrée s'est attrapé avec un autre, il a reçu un coup de poing et il a l'oeil au beurre noir, il n'ose plus sortir, il me demande si je veux bien aller chez sa tante, qui habite PARIS, Rue de Tolbiac. Je suis très content, il m'a bien préparé le plan, j'ai pris le métro, j'ai eu à changer et Avenue d'Italie, je prends la Rue Tolbiac, et j'arrive à un bel immeuble avec ascenseur, des escaliers en marbre avec chaque marche recouverte de velours, avec une belle tringle de cuivre. C'est vraiment du grand luxe. C'est 1000 fois plus beau que où j'avais vécu jusqu'à 20 ans. La tante m'a bien reçu, elle m'a préparé un bon petit repas, puis m'a donné un peu de linge pour son petit neveu Georges, aussi nous sommes demeurés de vrais copains avec son neveu. Le courrier est distribué le matin, il faut se mettre en rang dans la cour, et si l'on est appelé, il faut en prenant sa lettre, faire le salut militaire. Il y a 2 mois que je suis là, j'ouvre ma lettre, c'est de la future fiancée. Elle est sèche. " Louis, tout est fini entre nous, rends-moi mes lettres, et mes photos ". Je suis un peu abasourdi sur le coup. Je n'ai jamais répondu à sa lettre. Ce devait être la soeur mariée, puis ses parents, qui ont dû lui dire que je n'avais pas d'avenir, pas de métier, et puis on ignorait tout de ma famille. Alors, elle a épousé un camarade d'école, ils se voyaient tous les jours, ils se sont fréquentés et se sont aimés, ils dansaient ensemble à l'occasion des fêtes. Puis il avait un métier, il était maçon. Je me suis fait inscrire pour le Peloton de Brigadier et Sous-Officier. Nous sommes une 1/2 douzaine, l'entraînement est très dur. J'apprends le canon de 75, le fusil LEBEL à démonter, à remonter. Puis l'exercice, et maniement d'armes dans la cour, j'en bave mais cela me plaît. Avec une douzaine de gars, me voilà muté à PONT DE CLAIX, près de GRENOBLE, c'est une annexe de dépôts d'obus, de masques à gaz, de bouteilles à gaz, et fabrique de gaz asphyxiants, surtout l'ypérite, qui a tant fait mourir des poilus pendant la guerre 1914. Je continue le Peloton, je suis envoyé à LYON au fort LAMOTHE. Dans la cour devant de nombreux Officiers je commande une section en armes, et je dois pouvoir amener cette section, exactement en rang, devant la tribune de tous ces grands Officiers. Je suis reçu avec succès. Je serai nommé Soldat de 1ère Classe, mais je remplirai les fonctions de Maréchal des Logis, sans jamais avoir touché la paie. Alors ! je ne rempilerai pas à ma libération car je voulais en faire mon métier. Dans cette annexe du dépôt de munitions, de chimie à produire des gaz asphyxiants, je suis souvent désigné Chef de Poste. Il y a dans l'usine une baraque en dur, je suis responsable, j'ai 4 sentinelles, simples soldats, chacun doit prendre la garde dans une guérite, armé d'un fusil et cartouches, je les accompagne pour les mettre en faction dans cette guérite. Toutes les 2 heures, je dois faire la relève et j'amène une nouvelle sentinelle. Il y a le mot de passe, donné tous les soirs, par le bureau du Capitaine soit : De Gaulle, Pétain etc. Celui qui monte la garde doit le savoir, c'est lui qui laissera passer les rondes de nuit. Il laisse passer si le mot correspond à celui que connaît la sentinelle. Puisque je fais les fonctions de Maréchal des Logis, moi à mon tour, je dois faire des rondes dans tout l'immense parc à munitions, et cela 4 fois toutes les nuits. J'ai une espèce d'horloge appelé Mouchard, il y a une douzaine d'endroits dans l'usine, où je dois me servir de cette horloge, je l'applique contre ces gros boutons et une lettre s'imprime à mon appareil, si bien que je suis obligé de me présenter à tous les contrôles, je ne peux pas en oublier. Car demain le bureau doit contrôler si les rondes ont bien été effectuées. J'ai une lanterne, il y a un vieux chien qui m'accompagne, mais j'ai l'impression qu'il est encore plus froussard que moi. Je fais donc le Chef de Poste 15 jours par mois. Les autres jours je suis désigné à faire des gros et sales travaux, manipuler des caisses pleines de munitions, de dérouiller des obus, de peindre des bouteilles à gaz asphyxiants, il y a des bretelles que le poilu s'accrochera sur le dos, et dans une guerre, il ira lâcher les gaz dans une tranchée ennemie. Drôle de récompense pour moi, d'avoir voulu suivre le Peloton. Je suis Soldat de 1ère Classe, les simples bidasses se moquent de moi. Plusieurs qui ont suivi les Pelotons sont nommés Brigadier et finiront leur service comme Maréchal des Logis. J'aurai la joie de les voir, avec une belle tenue et un beau képi, puis ils mangeront au mess des Sous-Officiers, les veinards. Le Capitaine annonce que nous allons avoir une permission. Je pars pour 15 jours à NANCY, je vais les passer dans la famille des bons vieux. Je dois me présenter en tenue à la Gendarmerie, faire signer ma perme. Puis je vais me présenter à mon employeur, je travaille 12 jours, ils donneront l'argent à ces braves vieux. Je reviens vers GRENOBLE. Le Samedi et un Dimanche, 3 copains décident de partir à la montagne, je me joins à eux, cette promenade me plaît. De GRENOBLE nous prenons un petit train qui nous amène à URIAGE LES BAINS, au pied du Massif de BELLEDONNE, haut de 3000 mètres. Il est 3 h de l'après-midi et il fait très beau, début Août. Nous venons de gravir 1500 mètres, la nuit tombe, voilà un chalet qui abrite quelques vaches. Les patrons nous offrent une collation. Puis nous passons la nuit sur le grenier à foin au-dessus des vaches. Le gars PIOGE décide de partir, il est 5 heures du matin. Nous quittons l'endroit en douce sans avertir, je n'ai rien dit, mais ce procédé ne me plaît guère, nous aurions sûrement dégusté un bon café crème, alors que nous n'avons pas apporté grand-chose, je le trouve un peu filou, ce gars PIOGE. Voilà un endroit dangereux à traverser, c'est une immense pente enneigée, et dans le bas à 500 mètres il y a un grand lac. GABY, le Titi Parisien, avance le premier et aussitôt après avoir fait 2 mètres, il tombe sur le derrière, et dégringole la pente, heureux pour lui, il a un bâton qu'il tient fermement entre ses jambes, ce bâton s'enfonce un peu dans cette neige durcie et permet de le freiner, il n'avait pas perdu son sang-froid, nous pouvons le saisir, et nous en avons été quitte pour la peur. BELLEDONNE. On aperçoit la croix en haut du Massif, cela paraît si près, nous empruntons un chemin de pierrailles, mais nous ne sommes pas outillés, ni chaussés pour ce genre de sport, nous n'avançons que très péniblement, alors adieu l'ascension pour le sommet, et nous rejoignons notre caserne, bien contents de ces belles journées en plein air pur. J'obtiens une permission de 8 jours, le gars dont j'étais allé chez sa tante à PARIS, m'invite à les passer avec lui, Rue de Tolbiac. Cela me plaît énormément ; je suis nourri, j'ai ma chambre, je possède quelque argent, je me balade dans PARIS. Un soir je me trouve dans un théâtre, et à la sortie, j'en profite pour connaître un peu PANAME la nuit. Quand je veux reprendre le métro, je suis surpris, la grille est fermée, ignorant qu'il ne roulait pas toute la nuit. Je crois prendre la bonne direction pour rentrer à pied, j'ai retrouvé la maison après 4 heures du matin, des Agents Hirondelles m'avaient indiqué un peu la route, à un certain endroit sur une place, je fus accosté par un personnage un peu spécial, puis plus tard par un individu à l'allure louche qui me demandait du feu, j'étais toujours en habit de soldat. Lui, le copain Georges, menait la grande vie : beau costume, l'air distingué, le vrai gigolo, allait dans les grands dancings danser le tango, il ramenait toujours une femme dans son lit, il prenait beaucoup de rendez-vous avec de jolies Parisiennes. Il décide un soir de m'emmener avec lui, c'était aussi un dancing, il s'appelait OLYMPIA, moi qui n'étais jamais allé dans un bal, je n'étais pas à mon aise, seul comme soldat, je ne me suis pas amusé, alors que lui attablé avec des cocottes, il s'en payait une bonne tranche. J'entendais l'orchestre chanter ce refrain de la guerre 1914 : Chez nous y a des Bananes Y en a plein la Cabane Car c'est un fruit qui plaît par-dessus tout A toutes les femmes de chez nous… etc. Pour moi mon plaisir, vouloir connaître les beautés de la capitale, j'ai vu la VILLETTE et ses abattoirs, le Marché des Halles, etc. Je viens de passer 8 jours de vacances, qui me laisseront de charmants souvenirs. Me voilà à la gare de LYON, je reprends le train pour PONT DE CLAIX à 4 km après GRENOBLE. De mon compartiment, par la fenêtre, je vois sur le quai une belle jeune fille, habillée à la Parisienne, elle fait les cent pas en contemplant les wagons, on devine qu'elle cherche une personne qui lui inspire confiance, pour voyager dans le même compartiment, elle se décide à monter. Elle choisit d'entrer où je suis assis. Elle se place en face de moi. Je n'ose pas croire qu'elle m'a choisi, moi, simple petit soldat, sans tenue de fantaisie. Nous sommes déjà passés LYON, la nuit est là, elle n'a pas l'air de vouloir descendre, j'ose lui demander jusque où elle va. Elle doit descendre du train, encore bien après moi. Nous sommes dans la pénombre, le sommeil la gagne, elle tend ses jambes vers ma banquette, je me sens heureux en pensant : " Ainsi c'est moi qu'elle a choisi, c'est donc que ma frimousse de bébé cadum a l'air de lui plaire ". Je saisis à tâtons ses belles jambes dans mes mains, elle ne dit rien, cela lui fait plaisir, peut-être s'endort-elle, moi je continue à lui caresser les jambes, dommage que j'oublie de l'embrasser, avec moi, elle est sûre de ne pas être violée, quelle confiance en moi. Nous arrivons à échanger quelques mots, si bien qu'elle est ravie de me donner son adresse, moi je n'ai pas dû lui donner la mienne, elle m'aurait certainement écrit, moi, j'ai égaré la sienne. En arrivant dans le camp, j'apprends qu'un camarade ayant suivi le Peloton avec moi, Georges PREVOST, a été volontaire pour travailler à l'usine de gaz d'ypérite, il serait mal en point. Je m'empresse d'aller lui rendre visite. Je lui dis : - Bonjour Géo ! Il me répond : - C'est toi mon P'tit BELLOT ! Il ne voit déjà plus clair, il a respiré des gaz, avec l'intention d'obtenir une convalescence. Il me dit : - Tu vas aller voir ma petite Dédé, tu lui diras que je serai bientôt près d'elle pour longtemps. C'est la fille d'un grand restaurant réputé, il était amoureux fou de cette jeune demoiselle, il m'invitait quelquefois à y venir manger en sa compagnie. Il m'aimait bien, il était grand et m'emmenait promener à GRENOBLE, en mettant une main sur mon épaule, il me payait quelques gâteaux que nous dégustions dans une pâtisserie. Il fréquentait les beaux dancings, habillé en belle tenue de fantaisie, son père était ingénieur à ASNIERES près de PARIS. Après 2 jours d'agonie, mais sans souffrir, il mourait. J'ai assisté à son enterrement à GRENOBLE, j'y ai vu ses parents, son frère. Cette fille Dédé du restaurant, était présente tout en noir. Soixante années plus tard, j'ai revu cette Dédé. Elle était devenue veuve, avait été mariée à un dentiste. Je fus très surpris, elle m'avoua qu'elle n'avait jamais aimé ce beau jeune soldat, mon copain Georges PREVOST. Je ne pouvais m'imaginer une pareille chose. Voilà déjà 10 mois que je suis soldat, je suis appelé au bureau du Capitaine DARDENNE, il me fait lire un imprimé. Je suis muté à la caserne BAYARD à GRENOBLE. Je deviens responsable de la réparation du matériel de guerre, à l'atelier de constructions mécaniques, Mr MIARD, Cours Bériat à GRENOBLE. Je devrai donner un compte-rendu toutes les semaines, si le travail est bien ou mal fait. Les gros cylindres à ypérite doivent être nettoyés, dedans et extérieurement, et subir des pressions hydrauliques, et air comprimé. Le patron me dit : - Si tu veux travailler, je te payerai comme manoeuvre, s'il vient un Officier, tu vas au W.-C. enlever tes bleus. Je lui réponds d'accord. Je gagne 20 francs par jour, le matin, j'ai le petit déjeuner par la patronne. Midi et soir, je mange dans les restaurants. Je sors de la caserne le matin à 7 heures, et ne rentre que le soir pour l'appel à 9 heures. Un Dimanche après-midi que je me promenais avec les gars civils de l'atelier, j'ai oublié que j'étais militaire, ma capote était déboutonnée, mon ceinturon pendait, arrive le service en ville. Un Maréchal des Logis, avec 2 soldats, ils surveillent pour faire respecter la discipline. De plus, j'oublie de les saluer. Cela fera 2 motifs qui viendront sur le bureau du Colonel. Il y a un rapport un matin à 9 h. J'entends : " Le soldat BELLOT est puni de 8 jours de Salle de Police " qui se changent en 15 jours de prison. Ce n'est pas grave pour moi, tous les matins je quitte la caserne comme avant à 7 h et ne rentre que le soir à 9 heures. Seul le lit est dur, car ce n'est qu'une planche inclinée avec une couverture. Après mes 18 mois accomplis, je quitte l'armée avec le Diplôme de Bon Soldat. J'ai un camarade qui vient d'être démobilisé, il a un an de plus que moi. Il est Corse et se nomme Roger SINIBALDI. Il se faisait appeler Roger de TORANDE, il avait beaucoup d'audace, de culot ; en me quittant, il me fait cadeau de sa caisse à paquetage, puis de sa veste un peu fantaisie. Il avait une petite amie, il l'avait connu dans un bal musette Le Clair de Lune GRENOBLE. C'était au bord de la rivière l'ISERE. Moi je n'y ai jamais mis les pieds, d'ailleurs je n'aurais pas osé y entrer, et puis la danse ne me disait rien. Il veut que je lui rende visite à cette fille, il en fait beaucoup d'éloges. Elle est bonne, chez des gens aisés, ça y est, j'obtiens un rendez-vous. Elle m'invite à venir dans son village en SAVOIE, pour me présenter à ses parents. Je suis bien accueilli. Après le repas, la maman me dit : - J'espère que vous ne ferez pas comme les autres, que vous vous marierez. Elle en a déjà eu d'autres, c'est une rôdeuse. Ce bal musette avait une très mauvaise renommée. Pendant que je travaillais pour l'armée, chez le patron Mr MIARD, je passais 4 fois par jour devant la fenêtre, où se trouvait une jeune fille, assise à coudre, et bien sûr j'ai dû lui plaire, je suis plutôt gêné, elle s'est arrangée pour que je sorte avec elle, un Dimanche après-midi, je n'ai pas osé dire non. Nous sortons dans la rue, sans aucun but. Tout à coup on entend siffler et appeler, c'était son grand frère qui est venu la prendre par le bras, pour la ramener à la maison, à moi il ne m'a rien dit. Un autre Dimanche après-midi, je rentre dans un cinéma, il fait noir, lorsque je vois clair, je suis assis près d'une jeune fille, quel succès mais c'est un pur hasard. On est arrivé tout de même à se parler, à sortir ensemble dans la rue. Elle me donne son adresse, moi la mienne je reçois une lettre me disant : " Je veux bien être votre amie, mais pas jusqu'à devenir votre béguin ". L'aventure s'arrêtera là. Un copain m'invite à venir passer une perme de 24 heures chez lui dans son petit village de montagne à MAGLAND, HAUTE-SAVOIE. Lui est électricien. Je prends le train de GRENOBLE jusqu'à ANNECY. Je dois attendre la correspondance à 4 h du matin, il n'est que 9 heures du soir. Un poilu me dit : - Viens avec moi, à pied ce n'est pas loin ! Une fois chez lui, il me fait entrer dans l'écurie et me montre un tas de paille, où je peux m'étendre. Je pense : " C'est bien le roi des paysans, ce gars-là ". Je dors, quand tout à coup, j'entends crier : - Soldat, soldat, levez-vous vite, le train est en gare ! J'ai la capote pleine de paille je me lave un peu dans le train. J'arrive à MAGLAND, je trouve la maison du gars. Sa maman me reçoit bien, elle me sert un bon bol de café au lait, avec la motte de beurre. C'est la fête au village, je suis invité au repas de midi, avec toute sa famille. L'après-midi, ils m'emmènent au bal, j'essaye de danser un fox-trot. C'est une fille du village, la voilà qui a le béguin pour moi. Le Comité de la Fête a offert des sandwichs, la nuit est venue, je dois reprendre le train, pour être présent à 7 h du matin à la caserne. Cette petite danseuse est mariée et son mari est au service militaire. Elle ne me lâche pas, elle envisage même de m'emmener passer la nuit avec elle, ainsi elle m'a amené devant la maison de ses parents, quel audace, je prenais déjà peur, en pensant à ses parents, entendant du bruit, et voyant un soldat avec leur fille, elle s'est ravisée mais elle me désirait, et moi pas du tout, j'aurais été incapable, je l'ai embrassé sur les joues et adieu. Cela se passait à la mi-Juin 1924. Nous sommes à la fin Juillet 1924 Un copain fait le charretier dans le camp, il a 2 chevaux à entretenir, nous parlons un peu de travaux des champs, comme il me croit cultivateur, il m'invite à aller passer 24 heures dans la ferme chez ses parents. Je prends le train de GRENOBLE-ROMANS, c'est un petit village après St MARCELLIN, à St HILAIRE St NAZAIRE. A pied je prends la route, il y a plusieurs km, je suis rattrapé par une voiture tirée par un cheval. L'homme qui conduit s'arrête, me demande où je vais, je lui réponds : - Chez BELLET, cultivateur ! Il me fait monter près de lui. Il n'a pas l'air enchanté que je me rende chez les BELLET. Il me fait entrer chez lui, je m'asseois, il m'apporte un casse-croûte avec un verre de vin. Vraiment quel brave homme. Puis il me dit : - Le facteur ne va pas tarder de passer, il t'emmènera chez BELLET, en empruntant les traverses. Ce brave homme ne comprenait pas que le copain ne soit pas venu m'attendre au train, car c'était compliqué pour trouver le petit hameau où il habitait. Il était 8 heures le soir, fin Juillet, il rentrait de faucher les moissons. J'ai pris part au repas du soir en famille. Son père était là, sa maman, puis sa soeur, je l'ai trouvé très jolie, elle avait à peine 20 ans. J'ai réalisé, comme il avait cru que j'étais cultivateur, c'était dans l'espoir de faire connaissance avec cette soeur. Il avait déjà fait venir avant moi d'autres soldats, peut-être n'ont-ils pas plu à la soeur. Dans la conversation, j'ai lâché que je n'étais pas cultivateur, si bien que je n'intéressais plus personne, je devais leur paraître un profiteur. J'ai repris le train seul, je venais de passer une journée, à mon avis très agréable. Je reçois une lettre de PARIS, c'est du copain corse SINIBALDI, qui se faisait appeler Roger de TORANDE, et qui était arrivé à revêtir la tenue d'un Adjudant, et qui allait chez les gens, qui le prenaient vraiment pour un Sous-Officier du camp de PONT DE CLAIX, il avait beaucoup de cran, c'était un vrai Corse. Dans sa lettre, il me dit que je pourrai bientôt le voir faire du cinéma. Il est gentil puisque quand je serai démobilisé, je viendrai passer une dizaine de jours auprès de lui. Ça y est, je suis de la classe, je suis de la quille. Nous sommes au mois de Septembre 1924. Mes 18 mois sont finis, je ne me suis pas ennuyé au Régiment, j'ai trouvé de bons camarades, je leur plaisais à tous. On m'appelait le bébé cadum, je n'étais pas flétri, n'ayant jamais abusé de quoi que ce soit. Je me rappellerai longtemps de l'enterrement du Père CENT, tous baptisés d'un surnom, le soir on est allé tous à la procession pour aller jeter le cercueil, dans la rivière le DRAC. Chacun tenait une bougie allumée. Je suis allé à la Caisse d'Epargne, j'ai touché 1200 francs, j'avais travaillé 7 années pour obtenir cette somme, sans jamais de vacances, ni de Dimanches, avec une moyenne de 12 heures par jour de travail. Je me suis fait faire un costume sur mesure, des chaussures, chemise, cravate et chapeau. Les gars me disent que je ressemble à un marchand de fromages. Il me reste un peu d'argent de poche. C'est le jour du départ, je suis au bureau du Capitaine avec quelques gars, on va nous remettre le Diplôme de Bon Soldat. Tout à coup, le gars, René POULAIN, crie : - Sacré bande de croquants ! Le Capitaine lui dit : - Voulez-vous répéter ce que vous venez de dire ? Et il répète une 2ème fois. Le Poste de Garde est appelé et l'Officier commande : - Emmenez-moi cet homme en prison ! Pour l'humilier, il s'arrange pour qu'il fasse le chemin, en même temps que nous, qui sommes libérés. Il nous voit franchir la grande grille, et lui rentre dans la prison on a même oublié de lui faire un adieu, tant pis pour lui. A LYON nous nous quittons, mes bons amis Jean BROSSARD et Georges LAURENS. BROSSARD demeure à LYON ses parents sont industriels, LAURENS prend le train pour VALENCE, il est coureur cycliste. Moi je monte à PARIS, je tombe avec un gars qui est lui aussi démobilisé. Nous arrivons à la gare de LYON ce gars me conduit vers la gare du Nord, car il doit monter dans le Nord. Nous déposons nos caisses à paquetage à la consigne, je ne récupérerai jamais la mienne, j'ai perdu le ticket, dommage j'avais dedans de bons souvenirs. Ce gars nous fait entrer dans un luxueux restaurant au 1er étage, il répète toujours : - Oh ! mais il faut savoir nager. Il est tout joyeux et très dégourdi. Nous sommes servis par un garçon noir, en bel habit noir. Tout est luxueux, l'on est servi comme des rois, à la fin du repas, ce mec appelle le jeune chasseur pour chercher des cigares, quelle drôle d'idée, c'est un petit noceur. Nous demandons l'addition, nous payons chacun la moitié, on allait se lever, mais le Nègre nous dit : - Messieurs, vous me devez 10 % sur cette somme ! Mes économies fondent comme de la neige au soleil. Je quitte ce drôle de fêtard, je prends le métro, j'arrive à l'adresse du copain corse Roger SINIBALDI, me voilà chez un Avocat, Rue d'Amsterdam, c'est son oncle, c'est là que le coffre-fort lui est ouvert facilement, cet oncle téléphone à son neveu. Je dois me rendre au stade ANASTASIE, où il s'y trouve. Je m'y rends, c'est Rue Pelleport. Dans cette rue, il a sa chambre à l'hôtel, je viendrai y coucher. Lui, je ne l'y vois pas beaucoup, il doit mener une drôle de vie, car un jour, je me suis trouvé avec lui chez son oncle, qui lui a fait cette réflexion : - Roger que fais-tu de ta vie, mais où passes-tu tes nuits ? Il a gardé le secret il était beau, il portait beau, il avait la figure d'un jeune noceur, il devait abuser des boîtes de nuit. Ce stade ANASTASIE se trouvait sur les communes de BELLEVILLE, MENILMONTANT, ce qui me faisait penser au chanteur fantaisiste Maurice CHEVALIER, j'y ai vu la maison où il était né, quartier pauvre. On entre dans ce stade, c'est une cour où des sportifs pratiquent l'entraînement. Nous entrons dans la salle de restaurant, c'est simple, sans trop de luxe, c'est surtout pour les athlètes. Il y a une grande salle d'entraînement, avec un ring. Je me trouve donc chez les boxeurs. J'ai l'occasion d'en voir à l'entraînement. J'y vois même de grandes vedettes, le géant basque PAOLINO, des grands Noirs, SIKI, Jacques WALKER, MOLINA, etc. Je me régale à les voir se battre, je suis là comme chez moi, l'ami Roger me dit : - Tu prends tes repas ici et tu vas te coucher à l'hôtel. Je n'ai aucun souci à me faire, il me fait même cadeau d'un pardessus, c'est début Octobre, il commence à faire frais. Pourquoi il est venu atterrir chez ces boxeurs, je ne l'y vois pas s'entraîner, il m'avait fait allusion que je le verrais jouer dans des films, il ne m'en parle pas, il garde les secrets. Et puis il y a aussi une belle salle de danse, j'y vois les Titis de BELLEVILLE, danser avec de jolies midinettes, je regarde surtout cette vie parisienne, me plaît à contempler, je ne danse pas, la musique d'accordéon me plaît beaucoup puisque c'est un bal musette, je mène vraiment là une vie de château. Je viens de passer 2 semaines très agréables, aux frais de la princesse. Il me faut prendre souci de rentrer, espérer pouvoir retravailler chez mon marchand de vins en gros. Je me présente, bien sûr, ils me font la réflexion que les autres bidasses sont revenus depuis 15 jours. Je reste chez le marchand de vins pendant 6 mois. J'envisage de m'embaucher dans une usine, je les vois finir leurs journées à 1 heure de l'après-midi, ainsi ils ont tous les après-midi de libre. Je vais à la direction, je suis accepté, il y a 4000 ouvriers dans cette fabrique. Le matin à 6 heures, j'arrive, le grand chef me dit : - Vous pouvez repartir, on n'a plus besoin de vous, je suis désolé. Le patron marchand de vins, qui va à la chasse avec les Directeurs de l'usine, a été vexé de mon départ de chez lui, par un coup de téléphone, a mal renseigné le Chef du Personnel. Au retour, sur mon chemin, il y a une grande saline, il se fait là, la fabrication du sel de table, puis la mine qui exploite le sel gemme. Me voilà embauché. Je commence dès demain, à 5 heures du matin. Je descends à deux cents mètres, dans une espèce de cage. Je dois charger des blocs de sel gemme, dans des wagonnets ; dans mes 8 heures, il me faut en remplir 12. Les mineurs percent des trous profonds, dans la montagne de sel, à l'aide de longs vilebrequins et y mettent des cartouches de dynamite. Cela produit un air irrespirable à l'éclatement, le manque d'air me fait chavirer, j'ai la tête lourde, je demande au chef pour changer à l'air libre, il m'envoie au bureau me faire régler. Dans la cour, je croise un chef qui me connaît, il m'embauche chez lui, à la fabrication du sel fin. Il faut retirer le sel avec des grands râteaux et en faire des tas, ensuite le charger dans des brouettes tombereaux. Elles sont très lourdes à porter. Je vais les culbuter dans d'immenses coffres. Des employés le mettent en paquets. C'est un travail très dur, au-dessus de mes forces, je sers les dents. Mais, comme l'on dit, le vin est tiré, il faut le boire. Je change de service, c'est toujours dans le sel. Je fais fonctionner une essoreuse, je la remplis d'eau bouillante salée, cette eau arrive directement de sondages qui se trouvent dans la campagne, par des conduites jusqu'à l'usine. Cette essoreuse pivote à grande vitesse, il ne reste plus que le sel que je fais tomber sur une large courroie, qui l'emmène directement au magasin. Je fais les trois huit, une semaine de 4 heures du matin à midi, puis de midi à 8 heures le soir et de 8 h à 4 h du matin. Je serais peut-être demeuré là jusqu'à la retraite, mais en dehors du travail, il y a beaucoup de temps de loisirs et je me trouve en contact avec d'autres jeunes gens et avec eux je m'ennuie, leur distraction c'est fumer, et fréquenter les sales bistrots. Je vais voir à la grande ville de NANCY, je voudrais sortir de l'ornière. Je me présente dans une maison. C'est le Téléphone Privé National, j'ignore ce que c'est, tant pis je me paie d'audace. Je suis blackboulé, il faut des diplômes. Je m'adresse dans la plus grande épicerie de la ville, me voilà embauché, il faut un caviste. Je commence le lendemain, je mets les vins qui sont dans des fûts, en litres, je prépare les commandes des vins pour le livreur. Je m'occupe de mettre le beurre en paquets de 500 grammes et 250 gr., aidé d'une belle petite jeune fille. Au bout d'un certain temps de présence, cette fille me dit : - Au début, je ne pouvais pas vous voir, tandis qu'à présent vous m'êtes sympathique. Je pense : " Qu'est-ce qui lui prend ? ". Il y en a d'autres, puisque c'est un grand laboratoire, il y a une dizaine de gars, puis une femme, ils ont tous des tenues blanches de pâtissiers, avec une toque sur la tête. Cette jeune femme qui aide les pâtissiers me fait passer un petit mot par un collègue. Elle me demande si je veux bien l'attendre ce soir à la sortie. Je suis très surpris, je ne la connais pas. Nous voilà dehors, en m'approchant, elle se met à pleurer, j'apprends qu'elle est en instance de divorce, elle a un enfant de 6 ans. Elle me demande si je veux bien venir ce soir au Théâtre de l'Opéra, je lui dis : - Oui ! Pour moi c'est une aubaine, découvrir ce si beau théâtre où je ne serais jamais allé. On y joue " Les cloches de CORNEVILLE ". Je suis ravi d'entendre de si belles voix, chanter de si beaux airs. Cette dame avait été séduite, à cause de mes bonnes couleurs. Ce n'est pas étonnant qu'étant soldat, certains m'appelaient " le poupon rose ". Ma santé était restée intacte, n'ayant jamais bamboché ni femme, ni tabac, ni alcools. Elle s'appelle Mariette, je la reverrai à Noël, dans sa famille, j'y suis venu avec des gâteaux et quelques bouteilles. C'est aujourd'hui Dimanche, je me décide à aller dire bonjour à mes bons petits vieux à St NICOLAS, c'est à 12 km, j'ai fait préparé un colis par le chef de l'épicerie des produits POTIN, où je travaille. Ils sont très heureux de m'accueillir et je m'efforcerai de venir les gâter, jusqu'à ce qu'ils me quittent pour le grand voyage. J'y étais reçu comme leur vrai fils. Ils disaient à leur famille, nous avons aujourd'hui la visite de Notre Louis dommage qu'ils ne m'avaient pas appris à leur dire : bonjour papa, maman. Alors je disais : " Grand-père, grand-mère ". Sur mon chemin, c'est la fête au village de la MADELEINE, c'est à 2 km, j'y viens me promener. Il y a le bal, je me permets d'y entrer, manière de voir l'ambiance. Qu'est-ce que je vois, Clémence, la jeune fille qui était ma fiancée à mon départ au Régiment, elle se trouve là avec toute sa famille, ils ont dans ce patelin oncle et tante. Je ne peux me dérober. Je ne fais allusion à rien, ni elle non plus, je me sens même obligé de l'inviter à danser, moi qui n'y connais rien, la musique, je ne la comprends pas, à moins qu'une marche militaire, pour suivre la cadence. Enfin, je la tiens par la taille, je copie un peu sur les autres couples, et j'ai plutôt l'air d'un guignol à ressort. Je décide de m'en retourner me coucher, aussitôt elle va dire à sa famille : "Je pars avec Louis, j'irai me coucher chez ma soeur". C'est cette soeur dont j'avais été invité au mariage. Ils habitent près des bons vieux, au n° 12 - n° 14 et n° 16, qui est l'aîné de la famille. Ils sont vraiment tous demeurés en famille. Je suis abasourdi par l'audace de Clémence, revenir dans la nuit, faire 2 km avec moi, elle est peut-être heureuse de m'accompagner, moi je me sens plutôt malheureux je la considère un peu comme une fofolle, puisqu'elle m'avait plaqué si brutalement. Et puis elle a son chéri, le maçon avec qui elle va bientôt se marier. Je me sens refroidi, en songeant à tout cela. Tout le long de la route, je n'ai même pas eu l'envie de l'embrasser, j'étais plutôt encombré avec elle. Nous arrivons, elle entre chez sa soeur, bonne nuit, et je rentre chez les bons vieux. A mes débuts dans la capitale de la LORRAINE je me trouve un peu seul, j'ai envie de faire partie d'une Amicale, d'un club, je trouve l'Amicale DIDION, c'est une Société de Gymnastique, je suis accepté ; 2 fois par semaine je viens après 8 heures le soir, pour préparer un concours dans la région, c'est une amicale laïque, cela aurait pu être aussi bien un gymnase dans un patronage d'école libre, c'était pour moi la même chose. Je me distrais, nous participons à beaucoup de concours. Pour le 14 Juillet, il y a un concours à PARIS, à l'occasion d'une exposition coloniale, je crois 1929. C'est à VINCENNES, il y a en même temps un 100 mètres en natation, puis plongeon car j'ai appris à nager et à plonger. Maintenant je vis avec Mariette, la petite divorcée de la pâtisserie, notre logement se trouve en dessous du logement de sa maman et de sa soeur, qui a 2 petits enfants. C'est un peu la vie de famille. Nous préparons un concours de gym pour ALGER, pour assister au Centenaire de la prise d'ALGER. Nous prenons le bateau à MARSEILLE, la traversée a duré 32 heures, la mer était démontée, nous avons tous été malades, voyage de 15 jours. Le bateau se nomme le VALDIVIA. Sales, nous dormons sur des hamacs. Nous avons été invités au Palais du Gouverneur, gâteaux et champagne, j'ai nagé 100 mètres dans la mer, dans l'eau salée, cela me changeait. On me fait passer le concours, un petit Brevet de Moniteur, je suis reçu. Pendant 2 ans, c'est moi qui dois préparer et présenter les gars. Je forme une section, et je la fais évoluer devant un jury, j'obtiens des prix d'excellence. Puis je me verrai décerner le Diplôme des Sports par le Ministre Hypolite DUCOS. Je fais partie de la chorale ALSACE-LORRAINE, j'apprends un peu à chanter, mais je ne connais rien au solfège, je me joins aux chanteurs sous les kiosques, mais je m'arrange pour être un peu caché. Je fais le figurant au Théâtre de l'Opéra, je vois les artistes dans les coulisses, je suis gâté, je me rattrape du temps où j'étais jeune homme, toujours avec les animaux, et dans le fumier, je gagne 5 francs par séance. Je deviens même chanteur avec les choristes professionnels, mais on me met derrière eux, je ne suis jamais en mesure. J'ai fréquenté beaucoup d'opérettes, d'opéras comiques, de grands opéras, j'ai retenu des refrains de presque tous. Cette jeune maman Mariette est très courageuse, après son travail à la biscuiterie, elle est ouvreuse au Théâtre de l'Opéra de NANCY de 1200 places, même salle que l'Opéra de Paris, en plus petit. Elle place les gens dans les 1ères galeries, il est minuit quand elle quitte, et elle doit reprendre son travail avant 8 heures le matin. Cela a dû la fatiguer, les Docteurs l'envoient au sana de LAY St CHRISTOPHE, après 6 mois, ils la ramènent comme étant guérie net, c'était plutôt parce qu'elle était condamnée, elle avait servi de cobaye, 2 mois plus tard elle mourait de la phtisie galopante. L'enfant est retourné chez sa grand-mère il devait devenir instituteur, Sous-Lieutenant pendant la guerre 1940 et fait prisonnier en ALLEMAGNE. Son père était Comptable chez GALLE. Six mois se sont passés, je me trouve dans un tramway, je demande à la receveuse si elle a des pièces de 50 centimes, elle m'en donne une poignée, cela allège sa sacoche, je lui échange avec un billet. Je les mets dans une bouteille, c'est une tirelire pour le gamin, qui a 12 ans, en 1930. Il va à l'Ecole Supérieure, et à midi, il vient manger avec moi. Un peu plus tard, je retombe sur cette receveuse, j'essaye de lui causer, j'ai même l'audace de lui demander si on pourrait se voir. Elle répond catégoriquement : - Vous êtes trop jeune pour moi, je porte un chapeau. Alors je me découvre, pensant qu'en lui montrant mon crâne dégarni, elle va me juger plus vieux. Elle continue à distribuer ses tickets, elle doit descendre de voiture pour changer la perche, après les fils électriques, elle a dû réfléchir, avant de remonter, elle me lance d'une voix ferme : - Ce soir à 8 heures Place de la Croix de Bourgogne ! Au premier abord, quand je lui avais demandé un rendez-vous, elle me répondit : - J'ai 2 enfants. Aussitôt je réponds : - Même si vous en aviez 4, pour moi cela ne changerait rien. Cette maman ne me déplaît pas. Je suis sur la place pour le rendez-vous, je vois venir au loin deux femmes, je pense : " Elle n'a pas osé venir seule, elle est accompagnée d'une amie ". C'est sa fille qui va sur ses 14 ans. Nous allons dans un cinéma. Ainsi c'est moi qui ai eu le courage de demander un rendez-vous, je me sens presque devenu un vrai bonhomme. Le film je n'y prête pas beaucoup d'attention, je me sers près d'elle, elle est gentille, je la devine déjà amoureuse, puisque j'ose la caresser, cela ne lui déplaît pas, peut-être me gardera-t-elle, je me sens heureux. La fille elle, croque son sachet de bonbons. Je les accompagne jusqu'à leur domicile, j'ai même le droit de visiter l'appartement. Je rentre seul dans mon logement, je suis fier de moi, c'est moi-même qui viens de faire sa conquête, je deviens tout de même dégourdi. Ma belle fille, sa maman et moi à CHAMONIX. Le 2ème enfant est âgé de 10 ans, il va en classe. Leur maman se nomme Simone, elle était mariée à un Italien, un véritable scélérat que j'ai bien connu, pour l'avoir souvent rencontré les Samedi en ville, il était au bras d'une femme et moi, je donnais le bras à Simone, son ancienne femme, ils étaient en instance de divorce, plus tard elle devait être obligée d'aller le reconnaître à la morgue, il s'était suicidé. Ce chenapan n'avait jamais aimé sa femme, déjà depuis le jour de leur mariage. Il n'a jamais aimé ses enfants. La fille s'appelait Vilma, le fils René. Avec cette maman, j'allais devenir un papa, hélas ! cela n'a pas réussi, elle a dû entrer dans une clinique. Je lui fais quitter le tramway, elle est Aide-Comptable dans la Maison où je suis employé. Je fais suivre des cours à la fille, à l'école PIGIER. Elle rentre aussi dans les bureaux où je travaille. Le gamin fera l'apprenti-cuisinier dans un hôtel-restaurant. Puis il entra à la S.N.C.F. et il deviendra Chef. Avant de venir habiter dans la ville de NANCY je suis invité au mariage d'André, le dernier né de la famille qui m'avait élevé jusqu'à l'âge de 13 ans. J'ai 23 ans, lui 231/2. On me donne comme cavalière la soeur de la mariée, elle se nomme Marguerite. Je me comporte toujours comme un enfant de choeur. Elle est bonne chez des ingénieurs qui habitent une belle villa, je ne me doute de rien, on se promène, c'est elle qui me conduit, nous arrivons devant cette maison, elle se permet de m'y faire entrer, je ne suis pas rassuré. Elle me montre la cuisine, elle doit être au courant que ses patrons arriveront plus tard, il est 7 heures du soir, de l'argent traîne sur le buffet, je suis très ennuyé, pourquoi m'être laissé envoûté par cette gamine qui ne doit pas être à son premier coup d'essai. A présent je suis au 1er étage, dans sa chambre, je crois que j'ai tout visité, mais elle a autre chose derrière la tête, c'est trop haut pour que je saute par la fenêtre, je me compare à un cambrioleur, à présent les patrons sont rentrés, j'ai enlevé mes chaussures que je pose sur la fenêtre. Pan ! un coup de vent, la fenêtre n'étant pas fermée, le vent fait tomber une chaussure, j'entends parler en-dessous, c'est la patronne qui dit : - Je vais voir pourquoi ce bruit. Mais sa bonne a pris les devants, elle vient vite et elle me voit caché derrière le paravent, elle me dit : - Pourquoi te cacher, on voit tes pieds qui dépassent. Oh ! que je suis donc mal à l'aise, pourquoi m'avoir fait connaître cette fille dégourdie, mais d'une drôle de façon, elle redescend et raconte qu'elle avait mis un livre sur la fenêtre et que le vent l'a fait tomber, bien sûr ils sont loin de se douter qu'il y a un bonhomme au-dessus d'eux. La nuit se passe sans dormir, elle est allongée près de moi, mais je l'ignore, elle m'a trop mis dans l'embarras. Dès le petit jour je pars tout tremblant en passant devant la chambre des patrons, elle est descendue m'ouvrir, elle ne doit pas être contente de moi. Incroyable mais vrai, à midi je suis à table avec les bons vieux, tout à coup arrive en colère la mère de cette fille, elle crie : - Espèce de sale petit fumier, qu'est-ce que vous avez fait à ma fille ? Ainsi, c'était déjà découvert, je pense : " Cette fille a dû être vexée de mon comportement, elle est capable de m'avoir fait passer à l'avoir violé ". Un peu plus tard, elle devint serveuse dans un café-restaurant, elle a connu un client, jeune voyou, elle se sauve avec lui en emportant la caisse. Elle se trouve enceinte, elle accouche dans un train, et cache l'enfant sous une banquette. Qu'a dû penser sa maman, de sa fille. Après enquête elle fut arrêtée. En 1938, la fille de ma nouvelle compagne se marie. Il vient de finir son service à l'armée, ce jeune homme qu'elle a connu dans un bal où nous étions allés avec sa maman. Elle est contente de ce soldat, il danse bien, il a de belles dents blanches, il habite près de LYON, dans une maison de 17 pièces, elle raconte tout cela à sa maman. Elle se nomme Vilma. Elle le revoit tant qu'elle veut, puisque sa caserne n'est qu'à 10 minutes. Il se nomme Georges BORELLY Sous-Officier. Nous décidons pendant nos vacances de partir pour quelques jours, pour connaître l'endroit où il vit. Nous partons tous les 4. La maman ses 2 enfants et moi-même. Son père retraité de mécanicien à la S.N.C.F. a acheté cette maison de 17 pièces, dans un petit village dans l'ISERE, à 80 km de LYON. C'est un hameau LA BARDELIERE à CORBELIN, près la Tour du Pin. C'est une très belle campagne, nous visitons la ville de GRENOBLE, cela nous a fait une belle excursion. Le fiancé est près de sa fiancée Vilma. Le mariage se fait à NANCY, ensuite ils vont vivre à LYON, car comme son père, il est à la S.N.C.F. Apprenti sur les locomotives. Je suis appelé pour accomplir une période dans l'armée de 21 jours, je me rends à EPINAL, puis on nous emmène par le train participer aux grandes manoeuvres au camp de MAILLY, en CHAMPAGNE. On fait des tirs de nuit au canon de 75. Je me suis fait une entorse, repos plusieurs jours. Dans l'épicerie POTIN après 2 ans 1/2, je suis renvoyé, j'avais eu l'audace de dire que je voulais un salaire plus élevé, cela a déplu à la direction, je devais être content d'avoir un emploi très bien payé. - Nous vous réglons votre compte, et nous souhaitons que vous ne trouviez pas de travail. Pour eux je n'étais plus qu'un chien galeux. Je touchais le S.M.I.C., 10 h par jour. En effet j'ai eu bien du mal de retrouver un emploi, il m'a fallu aller en banlieue à 4 km, je suis embauché dans une immense cartonnerie. Je fais les 3 fois 8 heures par 24 heures. Je travaille à la fabrication de cartons de toutes les couleurs, il sert à confectionner toutes sortes de boîtes qui sont livrées dans les grands magasins de confection, PRINTEMPS, SAMARITAINE etc. Puis je suis nommé Chef d'Equipe, j'obtiens 5 sous de plus à l'heure. Ce n'est pas le rêve à accepter une responsabilité, il y a trop de mauvais garnements qui se fichent du boulot. Après 6 mois je me fais régler. Je trouve un emploi de caviste à la SANAL. Maison d'alimentation. Il y a 2 ans que je travaille là, quand un jour je rencontre un ancien employé de la Maison POTIN. Il me dit : - Je suis Sous-inspecteur à la COOP, c'est bien, il y a toutes sortes d'avantages. Viens à la COOP ! Je vais me présenter à la COOP, je suis embauché de suite, dans le Service des Vins et Liqueurs. Je gagne 200 francs de plus par mois, tous les ans j'aurai droit à 15 jours de vacances, une retraite d'assurée à 65 ans. Je toucherai à la fin de l'année une gratification, soit le 1/5ème de mon salaire et après 5 ans de présence, mon salaire sera double. Puis au bout de 10 ans, il sera 2 fois doublé, c'est la participation aux bénéfices. On peut suivre des cours gratuits à l'Ecole Sup. C'est les matins avant de venir au travail. Je viendrai une heure en retard, et cette heure d'absence, me sera payée double. Il y a 3 professeurs, français, comptabilité, arithmétique, correspondance. Pour tous les achats au magasin, on a droit à une ristourne de 5 %. Après 1 an de présence, j'obtiens 15 jours de vacances. Je resterai dans cette grande famille COOP pendant 37 ans 1/2. Je touche une retraite COOP, tous les mois, c'est la Caisse de Prévoyance Allocations Vieillesse. Tous ces avantages étaient obtenus, dès la création de la Coopérative en 1920, dès la fin de la guerre 1914. Les employés qui ont suivi des cours sont récompensés par un voyage de 3 jours à STRASBOURG, croisières sur le RHIN, visite de la ville, hôtel de luxe, sa cathédrale etc. Les enfants des employés COOP, sont envoyés dans des colonies scolaires pendant un mois, à OLERON, BOYARDVILLE, GERARDMER. A chaque naissance, une layette est distribuée. La Sté COOP possède 5 hôtels dans tous les coins de FRANCE. Côte d'Azur, Ile d'Oléron, Pyrénées Orientales, Bretagne, Vannes.

.c.MA GUERRE;

En 1938-1939. La FRANCE vient de faire la mobilisation. Nous avons la ligne MAGINOT au bord du RHIN, l'ALLEMAGNE construit de l'autre côté du RHIN, sa ligne SIEGFRIED, elle défie l'armée française, car le Traité de Versailles lui interdit de s'approcher du RHIN. Il y a l'accord de MUNICH, et tout a l'air de s'arranger entre la FRANCE, l'ANGLETERRE et le Reich. Hélas, un an plus tard HITLER nous déclare la guerre. Nous sommes le 25 Août 1939. La veille au soir, c'était la St Louis, nous avions fêté cela. Le lendemain à 2 heures du matin, nous sommes réveillés, on vient de sonner, c'est 2 soldats qui me tendent un ordre de mobilisation, je dois me rendre immédiatement, par le train, à TOUL, à la caserne FOREY CURIAL. Me voilà arrivé au bureau du Capitaine, lui ne m'attendait pas, si bien que je reste une semaine sans être habillé en poilu, j'ai droit aux repas, mais je m'ennuie beaucoup, car je dois tout de même demeurer dans la caserne. Voilà des Maires de plusieurs communes qui viennent réclamer des soldats, pour leurs travaux agricoles, leurs employés ont été mobilisés. Voilà 8 jours que je suis là, je viens d'endosser la tenue militaire. Je me présente volontaire pour les travaux agricoles. Je ne vais pas loin, c'est sur le territoire de TOUL, à la Ferme du Paquis des Agneaux, chez Mr POIRSON. C'est tout près du terrain des avions de chasse de combat. Il n'y a que quelques avions, puisque on n'avait pas prévu que nous allions avoir la guerre, ainsi c'est pareil pour tout, en ce qui concerne le matériel qui aurait servi à nous défendre contre HITLER. A la ferme, j'aide au battage des moissons, à l'arrache des betteraves, aux vendanges. L'hiver est précoce, le mois de Septembre 1939 a été très pluvieux et plutôt froid, les récoltes ne sont pas agréables à faire. J'assiste à voir des chevaux attachés à tous les vents, on les laisse mourir de froid. Je n'ai pas à me plaindre de me trouver à ces travaux agricoles, c'est la guerre déjà depuis le 2 Septembre, et les camarades qui sont dans la zone de combat, sont beaucoup plus à plaindre, ils ont froid et il y a de nombreuses escarmouches avec les nazis qui les harcèlent sans arrêt. D'ailleurs, les Français, soldats au front, sont considérés en combattants, et ils touchent un pécule, pour zone de combat. J'ai donc travaillé chez deux agriculteurs, après Mr POIRSON, je suis allé chez le Maire de ROSIERES en HAYE Mr CHAUDOT. Après les fêtes de la TOUSSAINT je reviens à la caserne BAUTZEN Route Nationale de Paris. Je suis au 14ème B.O.A. Nous prenons les places des chasseurs à pied qui eux sont allés sur le front. Je suis désigné pour être au poste de garde. Au bord de la route, il y a un chef de poste, avec 4 sentinelles. Nous montons la garde pendant deux heures chacun, la nuit comme le jour, c'est un peu une vie d'abruti. Il faut faire les cent pas avec le fusil sur l'épaule, je ne sais même pas ce qu'il faut défendre, je n'ai aucune consigne. Je dois saluer, en présentant mon fusil, si un Officier rentre à la caserne. Certains Officiers n'aiment pas que je les salue. Par contre il vient de passer une voiture, il y a dedans un Officier, la voiture s'arrête, le gradé descend et se dirige au poste de garde. Il a dit : - Votre sentinelle ne m'a pas présenté les armes ! Enfin tout s'est bien passé. La sentinelle doit reconnaître si il passe une voiture militaire. On parle beaucoup qu'il existe une 5ème Colonne, ce sont des traîtres à la FRANCE, qui préfèrent la victoire de HITLER. C'est pour cela qu'il y aura la grande débâcle en Mai et Juin 1940. Des avions nazis viennent laisser tomber des bombes, un peu partout en FRANCE. On parle beaucoup de parachutistes nazis, qui se laissent tomber vers les ouvrages de l'armée. Nos Officiers iront se mettre à l'abri dans une casemate du fort St MICHEL. Ce fort est situé sur un mamelon de 400 mètres de hauteur, à 10 minutes de la caserne. Nous voici arrivés aux fêtes de fin d'année, des gars décident de faire une petite fête le soir de Noël en y invitant les Officiers. Je m'inscris pour une chansonnette militaire, ce sera de circonstance. J'ai choisi un refrain, où je vais avoir l'occasion de me montrer en vrai bidasse, je suis tellement mal habillé, je vais leur faire pitié de si mal représenter un combattant de cette drôle de guerre. Il paraît qu'ils ont été enchantés, et pour me récompenser, ils vont me faire entrer au bureau du Major, j'ignore ce que cela représente comme travail. En tous les cas, aucun n'est venu me féliciter, je ne les ai pas revus, pendant quelque temps, mes chefs. Pour me récompenser, je suis envoyé pour ces mois d'hiver de grand froid, aux aciéries de POMPEY. Il faut aller remplacer les Arabes qui refusent de travailler. Ils logent dans des réduits de cochons, ils ont froid, ils souffrent de la faim car ils s'alimentent très mal. C'est un travail très pénible qui aurait convenu à des bagnards. Nous devons charger des poutrelles de fer, encore toutes chaudes, on voit sortir ces rails encore rouges, de dedans les grands fours. Nous empoignons avec des moufles, ces ferrailles à une dizaine de poilus comme moi, nous grimpons un plan incliné jusqu'à hauteur d'un wagon plat, et nous jetons ces barres. Elles sont destinées à la ligne MAGINOT, qui ne servira à rien, pour arrêter HITLER, puisque son armée viendra par derrière, et fera prisonnier tous les poilus qui attendaient l'ennemi, en regardant en face d'eux. Après 3 mois de ce dur labeur, sous le commandement de l'armée où il y avait une grande discipline, car avec nous, il y avait des Affectés Spéciaux, mobilisés pour les travaux en usine. Certains ne se montrant pas assez courageux, furent envoyés directement dans la zone de combat, après avoir revêtu la tenue militaire. Me voilà rentré de nouveau à la caserne BAUTZEN Route de Paris. Je pense que le refrain que j'ai chanté à Noël devant mes Officiers, n'a pas dû leur plaire, ils n'ont jamais cherché à me voir, moi je les voyais beaucoup, eux n'ont pas essayé de me connaître. Je recommence à monter la garde la nuit, je suis une sentinelle qui doit surveiller mes Officiers, qui dorment dans la casemate au fort St MICHEL. A tour de rôle, nous montons la garde pendant 2 heures. Nous sommes à 4 et un Sous-Officier, dans le poste. Une nuit, un gars qui monte la garde pénètre comme un fou dans le poste de garde. Il est affolé. Il crie : - Il y a un parachutiste nazi, qui vient de tomber dans les arbres, il a même laissé tomber son mégot allumé. Avec notre chef, nous allons voir, mais il n'y a rien, le mégot de cigarette, c'était un ver luisant, le bruit, cela était dû sûrement à un écureuil dans les branches. Arrive mon tour de garde, je m'installe dans la voiture du Commandant GUYOT, la portière n'étant pas fermée, le fusil est mis debout contre la voiture. Nous sommes au mois de Mai, il fait doux, tout est calme, sans le vouloir je m'assoupis. Tout à coup j'entends du bruit, je suis un peu affolé, au lieu de crier : " Halte là ! Qui vive ! " c'est ce que j'avais appris à l'exercice en suivant les pelotons, lorsque je faisais mon service militaire à mon active, quand j'avais 20 ans, je crie : - Qu'est-ce que tu fous là ! Je m'entends répondre : - Ta gueule ! J'ai pas le mot. C'est un jeune Lieutenant qui rentre de faire la bombance, il est tard et il rejoint la casemate des Officiers. Nous sommes le 10 Mai. HITLER vient d'envoyer des avions un peu partout sur la FRANCE, et ils laissent tomber des bombes un peu partout, il y a beaucoup de civils tués et blessés. J'apprends que où j'habite à NANCY, des maisons sont démolies dans le quartier, Rue du Haut-Bourgeois. Avec un vélo, je fais les 20 km pour aller me rendre compte des dégâts, car ma femme Simone est là, avec René son fils de 18 ans. Je constate que les maisons voisines de l'immeuble où ils se trouvent, se sont écroulées, les gens étaient à l'abri dans des caves. Je constate que le n° 15 où j'habite est resté intact. Ma femme et le fils se sont sauvés aussitôt par le train, pour se rendre à LYON chez sa fille Vilma, qui habite en plein centre de la ville. Je reviens à ma caserne, je suis rassuré sur leur sort. HITLER a profité d'un temps très beau pour nous rappeler que nous sommes bien en guerre, tout semblait si calme, nous commencions à nous croire en vacances. Après ces alertes, je suis envoyé monter la garde, dans un grand dépôt d'essence près de TOUL. Nous sommes le 14 Juin 1940. Je suis au réfectoire avec tous les copains, il est 11 heures le matin. Le Capitaine arrive, il se nomme LALEVEE, instituteur dans les VOSGES. Il nous dit : - Faites un petit paquet, n'emportez avec vous que le strict minimum, à la sortie de la caserne, il vous sera remis à chacun un fusil et des cartouches. Nous sommes très surpris d'apprendre cela, il paraît que HITLER se trouve déjà dans les ARDENNES, et avance avec ses tanks, sans trop trouver de Résistance. Nous voilà lâchés sur la route, ou plutôt en débandades, l'Officier avait dit : - Nous nous retrouverons tout près du village de COLOMBEY LES BELLES, pour un soi-disant repos, mais on a jamais vu arriver nos Officiers, peut-être étant bien au courant de la triste situation de notre armée, sont-ils allés directement à leur domicile, c'était aussi bien que d'être fait prisonnier. J'ai vu que beaucoup de camarades sont partis chez eux, il y avait des copains qui avaient leur voiture à la caserne, puisque c'était une drôle de guerre, et les copains en profitaient pour rentrer chez eux, il n'y avait aucune discipline, surtout sans Officier. Déjà en passant près de la gare à TOUL, des bombes tombaient et faisaient des victimes, puis sur la route, des avions allemands et italiens mitraillaient tous les civils et soldats, tout le long de la route. Cela devenait un carnage. La route était encombrée de chariots, de convois militaires, qui se dégageaient difficilement. Certains Officiers, braves et courageux, mettaient leurs sections à installer mitrailleuses ou canons, pour essayer de freiner l'ennemi, mais dans toute cette débandade, cela ne servait pas à grand-chose. Dans le village de COLOMBEY, nous venons d'accomplir 20 km, il fait chaud. Je constate que nous sommes encore une dizaine avec un Sous-Officier. Certains se sont sauvés n'importe où, il y en a qui ont eu l'idée de rentrer dans des maisons abandonnées, et ont revêtu des tenues civiles, voir des habits de paysans, et avec soit un râteau ou n'importe quel outil, ils ne seront pas inquiétés par les S.S. et ne seront pas fait prisonniers, c'était des malins. Je laisse ma section et je m'en vais seul sur la route, puisque nous sommes abandonnés à notre triste sort, je voudrais ne pas être fait prisonnier si bêtement, me sauver pour ne pas être pris me semble déjà de la bravoure. J'entends le Sous-Officier me crier " Je te porte déserteur ", je réponds " C'est une retraite, c'est un sauve-qui-peut ". Je me suis mis dans la tête de vouloir aller vers DIJON, je me sens attiré par ma famille qui est à LYON, j'ignore comment je pourrais y arriver. Me voilà sur la Route Nationale de DIJON à 15 km de LANGRES. Je viens de passer sur un passage à niveau, je constate que la voie vient d'être sectionnée, ainsi la 5ème Colonne agit pour nous faire livrer à l'armée d'HITLER. Je vois venir au loin une colonne de troupes motorisées Je pense que ce doit être plutôt des Polonais, je ne peux croire que ça puisse être les S.S. d'HITLER entrer si profondément sur notre territoire. Ils avancent à 60 km à l'heure, ce sont des tanks, mais ce sont bien les Allemands. Je suis attrapé par un S.S. qui s'est penché en dehors du tank et il me prend par le col de ma veste. Le tank s'arrête, une minute pour me désarmer, me fouiller et ils me crient " Raouste ! ". Aussitôt c'est un soldat S.S. qui me montre le chemin pour aller à la ville de LANGRES, c'est-à-dire être rassemblés, tous les prisonniers dans les Halles de la ville. Nous sommes vite des milliers, le Marché est archicomble, nous sommes trop nombreux, ils vont nous mettre dans une immense caserne, dont les bâtiments sont tous vides, les poilus étant envoyés sur le front, dont beaucoup sont déjà aussi fait prisonniers, depuis les départements du Nord, ARDENNES, MEUSE, MEURTHE-ET-MOSELLE, MOSELLE, VOSGES, etc. Toutes ces régions sont envahies par l'ennemi, l'armée française est partout encerclée, les chefs qui essayent de résister seront vite anéantis à vouloir combattre et avec leurs troupes qui n'ont plus le moral, je les verrai arriver tous ces pauvres poilus, hirsutes, affreux à voir, ils sont très fatigués, sales, mourant de faim et de soif. Ils sont presque heureux d'être fait prisonniers. Surtout qu'on annonce que l'Armistice vient d'être signé. Je fus fait prisonnier à CHASSIGNY, petit village du plateau de LANGRES. C'était le 15 Juin. L'Armistice est signé le 18 Juin. Dans la caserne, les soldats P. de G. sont tellement heureux que ce soit fini qu'ils balancent tout leur fourniment dans la cour. Mais il faudra vite déchanter, car le Général DE GAULLE annonce : - Nous venons de perdre une bataille, mais nous n'avons pas perdu la guerre. Tout le monde devra reprendre le combat, il devra faire de la Résistance contre HITLER, partout où ils se trouveront, même étant Prisonnier de Guerre en ALLEMAGNE, et tous ceux qui sont en FRANCE qui n'ont pas été pris, devront faire partie des comités formés pour faire la Résistance. Dans la cour, le Commandant crie : - Rassemblement ! Les chefs S.S. nous disent : - Vous serez chez vous pour le 15 Août 1940. L'armée allemande s'en va sur l'ANGLETERRE et elle sera vite anéantie ; l'armée anglaise encore plus vite que la FRANCE. La date du 15 Août, c'est dans 2 mois. Pendant ces 2 mois, je suis embrigadé avec une cinquantaine de P. G. comme moi. Tous les jours, nous prenons le train jusqu'à CHALINDREY. Nous allons reboucher les trous creusés par les bombes sur les voies, aider aux réparations des voies, des gares. Le 15 Août est arrivé, mais ils ne nous renvoient pas chez nous. Non, les boches nous font tous sortir de la caserne, et en rang, nous emmènent à la gare de LANGRES. Là, sur les quais, il y a beaucoup de mitrailleuses, des wagons marchandises sont prêts pour nous recevoir, on y est poussés comme de véritables bestiaux, nous nous trouvons à 60 gars par wagons, serrés comme des harengs, ni chaises ni bancs pour s'asseoir. C'est le plancher nu sans paille, il n'est même pas question de pouvoir s'allonger, on s'asseoie comme on peut sur le plancher, et ce voyage va durer 4 jours et 4 nuits. Ils nous ont distribué quelques biscuits, pour boire il y aura plusieurs arrêts en route, de l'eau nous sera distribué par des dames allemandes de la CROIX-ROUGE. Pour la question d'hygiène ce ne fut pas beau pendant ce triste voyage. Certains, aux arrêts, ont pu se soulager entre les wagons. Pour uriner quelques-uns, avec leur couteau, ont pu faire quelques trous à travers le plancher du wagon, ou après les parois, les volets qui étaient bien fermés et grillagés. Nous étions pour ainsi dire, assez mal en point au moment du débarquement à la gare de KREMS, près de VIENNE capitale de l'AUTRICHE. Nous traversons la ville et grimpons sur une colline, pour arriver sur un immense plateau, d'où on aperçoit les Monts de Bohème. Il y a sur ce plateau un immense camp entouré d'une haute rangée de fils barbelés de 2,50 m. L'entrée est bien gardée, sur la porte on y lit : " Camp pour le travail ". Ils nous coupent les cheveux, nous font déshabiller, nos affaires passent dans des machines où elles seront nettoyées car nous sommes dévorés par toutes sortes de poux. Nous sommes pendant quelques heures dehors tout nus, la température est douce, nous sommes le 20 Août 1940. On nous distribue à chacun une plaque, où il y a un n° le mien est 37408. Ils nous photographient avec ce numéro, qui est inscrit à la craie sur une ardoise, nous la tenons sur notre poitrine. Ils gardent cette photo avec eux. Des patrons viennent chercher des P. de G., nous sommes répartis en kommando, ces photos sont remises à chaque Poste de Garde S.S., qui seront responsables de chaque kommando. Ils sont chargés de compter tous les jours, si ils ont bien toujours les P. G. qu'ils doivent garder. Un Officier S.S. crie : - Les Alsaciens qui demeurent pour le Grand Reich, sortez des rangs ! Ceux qui optent pour la FRANCE, restez dans les rangs !… Ensuite : … Tous ceux qui sont Juifs, sortez des rangs ! Parmi eux, un poilu juif est demeuré dans le rang. Je l'ai revu ce gars, qui a fait le voyage de LANGRES à KREMS en AUTRICHE avec nous. Nous avons été ravitaillés en eau potable, plusieurs fois, je me rappelle du village de REVIGNY, c'était la frontière, c'était des dames de la CROIX-ROUGE qui nous servaient de l'eau. Nous avions tous le cafard, car nous ignorions vers quel destin ces Boches nous emmenaient. Le copain juif, je l'ai revu dans un kommando, à KREMS. Il faisait partie d'une centaine de camarades, que des patrons Autrichiens étaient venus chercher pour nous emmener dans la montagne du TYROL. Dans les cabanes de ce kommando, il devint mon compagnon de lit. Mon bât-flanc était au-dessus du sien. Je l'ai eu avec moi pour travailler dans la montagne, pendant près de 3 ans. Il s'appelait CARRASSO. C'est beaucoup plus tard qu'ils découvrirent qu'il était Juif, alors, ils se mirent à le bousculer dans le travail. Je me rappelle lorsqu'un jour, un peu excédé, il leur lança : - Après tout, je suis un homme ! Et enfin il disparut du kommando. J'ignore ce qui advint de lui par la suite. Je demande à aller travailler dans une ferme, pensant pouvoir mieux me sauver vers la FRANCE. Mais non ! Je fais partie d'un groupe de 100. Nous reprenons le train, qui nous emmène au TYROL, dans la montagne. C'est près de STYR, LINZ, et nous débarquons dans un petit village au pied de la montagne, et au bord de l'affluent du DANUBE, l'INN, à KLEIN REFLING. Nous grimpons pendant 500 mètres et arrivons dans un kommando. Ce sont des baraques en bois, ce petit camp avait été construit comme tant d'autres dans le Reich et l'AUTRICHE, spécialement pour la Jeunesse Hitlérienne, ils étaient entraînés non pas avec des fusils, mais avec des pelles et des bêches, c'était le travail par la joie. Ils étaient dressés en vrais nazis. En face se trouvait un autre grand bâtiment en bois, où étaient logés des Italiens fascistes de MUSSOLINI, dit : le DUCE, ami de HITLER. Il nous avait lui aussi déclaré la guerre à la FRANCE, plus tard il sera pendu par les antifascistes italiens, son copain HITLER devra se suicider dans les sous-sols du Reichtag à BERLIN. Ici le travail consiste à exploiter une carrière dans la montagne. C'est un grand chantier, des civils font sauter à la dynamite des blocs de pierres. Nous, P. de G., nous cassons ces blocs avec des masses, puis on les charge sur des plateaux plats qu'on amène jusqu'à un concasseur, ces petits blocs sont renversés dans le concasseur, après être réduits en petites pierres. Nous remplissons des petits wagonnets que l'on amène devant des grands wagons du chemin de fer, il faut les pelleter sur ces wagons plats, qui sont dirigés vers le Grand Reich, pour construire des autostrades. Je dis aux camarades P. G. de ne pas se montrer trop courageux, ils me répondent que cela leur permet de pouvoir s'acheter de la confiture, du beurre et de la bière, tout cela n'est que des ersatz pas fameux. Les S.S. ont su que j'avais excité les gars à montrer moins d'ardeur au boulot. Ils envoient le Dolmeitcher, interprète alsacien, me dire que je suis considéré comme un saboteur ; alors, par mon manque de courage à l'Arbeit, je resterai pendant ma captivité un saboteur, puis je serai appelé le Soviet. Au mois de Juillet 1941, j'ai déjà passé un hiver au TYROL. Il y a eu beaucoup de neige, nous avons été bloqués pendant 4 jours dans le camp. Puis arrive le gros froid, il gèle à moins 30°. Cette neige, il faut la couper en blocs, il faut faire des petits chemins pour sortir et pouvoir aller dégager le chantier, afin de reprendre le travail. La gare fait appel aux P. G. pour aller la dégager, ainsi que les voies sur 500 mètres. Nous chargeons ces pains de neige durcis sur des wagons plats, et nous allons les décharger en les jetant dans le ravin bordant la voie, où ils dégringolent dans la rivière l'INN, affluent du DANUBE. Cette rivière est couverte de gros blocs de glace, qui viennent de ce beau DANUBE, il y a un fort courant, sans quoi cette rivière serait gelée complètement. Des copains tombent dans les pommes par ce froid sibérien. Le travail dans la carrière à la montagne, se fait pendant 15 jours, de 6 heures le matin jusqu'à 6 heures le soir. A midi, nous rentrons à la baraque pour ingurgiter une mauvaise tambouille et à 1 heure, nous reprenons le chemin pour retourner à l'Arbeit, la sentinelle nous compte si il n'en manque pas à l'appel. Plusieurs fois par jour nous sommes bien comptés, si il se trouve un P. G. blessé ou malade, le Poste de Garde en est avisé. Puis il y a le travail de nuit pendant 15 jours. Nous changeons tous les 15 jours. L'équipe de nuit vient à 6 heures le soir relever les P. G. qui rentrent au bercail. Et cela va durer pendant 2 années à faire ce travail de bagnard. Au mois de Juin 1942, à 3 heures de l'après-midi, il fait très chaud sur le chantier, nous travaillons torse nu. A un certain moment, quelques petites pierres tombent sur notre chantier, puis aussitôt, dans un bruit de tonnerre, c'est le haut de notre montagne qui se décroche pour venir s'abattre sur notre chantier. Nous entendons crier : " Sauve-qui-peut ! ". L'endroit où nous travaillons est au bord du ravin qui surplombe la rivière l'INN, nous dégringolons cette pente en même temps que les moellons, les parpaings qui nous suivent à toute vitesse. Les petits moellons arrivent à nous rouler sur le corps, en nous meurtrissant les chairs. Près de moi, je vois le P. G. TABONI qui vient d'être coincé par un gros parpaing, il a la tête sous cette roche, j'ai l'impression que sa tête vient d'éclater. Il sera même considéré comme mort par un Docteur, mais non, il sera tout de même sauvé après avoir été soigné pendant un séjour de 6 mois, dans un hôpital. Il sera rendu à sa famille, mais il aura perdu complètement la mémoire. Il y aura de graves blessés, parmi les civils autrichiens, qui se trouvaient dans le haut de la montagne. Plusieurs P. G. qui les ont dégagés de dedans les roches, où ils étaient coincés, seront rapatriés en FRANCE pour les avoir sauvés. Pour moi, je suis couvert de bosses qui disparaitront assez vite, en me laissant des éraflures. Je remonte la pente ; en haut se trouvaient les autorités civiles et militaires, ils me virent arriver, ressemblant à un fou. Je suis tellement affolé que je m'en prends à toute cette tribu. Je leur crie " HITLER nix-gut ! ", puis en accompagnant mes cris par des gestes grossiers vis-à-vis d'eux, ils sont très surpris de mon comportement, ils ne me font aucune reproche. Je me dis en moi-même : " Ils sont bien de mon avis à penser comme moi, car eux aussi, je devine qu'ils n'aiment pas HITLER ". Après cette catastrophe, je change de kommando, je suis envoyé près de BRANAU/s/INN, dans une sablière pour extraire du sable, ainsi que des cailloux. Tout cela est transporté dans une grande usine d'aluminium qui se trouve à 3 km, en pleine forêt de sapins. C'est l'usine GUÖRING, grand chef nazi, copain de HITLER. Mon chantier se trouve sur le territoire de HITLER, puisqu'il est né ici, à BRAUNAU/s/INN, j'ai même l'occasion de voir la maison où est né ce monstre. Ainsi que la caserne où il avait accompli son service militaire, avant d'être mobilisé pour la guerre de 1914, pendant laquelle il fut blessé et revint de la guerre sain et sauf. Tantôt, je travaille dans le sable, tantôt je roule des wagonnets remplis de cailloux. Sur une petite voie, je pousse ces wagonnets et les renverse, si bien que le tas de cailloux devient une petite montagne. Je suis à 6 mètres de hauteur, j'ai poussé un peu trop fort, le wagonnet a culbuté dans le bas. Cela a fait beaucoup de bruit. Le patron arrive de son bureau, en hurlant : " Toi sclaffen ! " puis autre chose que je n'ai pas compris, alors ! cela m'a mis en colère ; moi aussi, je l'ai invectivé. Nous avons avec toute une équipe remonté l'engin en haut du tas de cailloux. L'hiver au mois de Février 1942-43, je vois passer sur la route qui est toute proche de mon chantier, deux grands gars, qui ont l'air très malheureux, plutôt déguenillés. Ce doit être deux jeunes civils russes, qui doivent se sauver du camp de barbelés, qui est tout près de l'usine GUÖRING. Il y a là une grande quantité de familles russes, avec leurs enfants, petits et grands, ils sont tous bien mal en point, la faim, le manque d'hygiène, etc. Je descends de mon tas de cailloux, j'ai sur moi quelques cigarettes et une raie de chocolat, je viens pour leur donner. C'est l'hiver, il a tombé de la neige. La baraque de bois qui servait de W.-C. venait d'être déplacée sur un autre trou, l'ancien trou n'avait pas été bien recouvert, la neige recouvrant tout cela, voilà que je tombe dans cette fosse, jusqu'à mi ventre. C'est ces deux gars qui m'ont retiré de ma triste situation, ils ont poussé un petit cri, en faisant : - Ho ! Ils ont pris mes cigarettes et ma raie de chocolat qui étaient restées intactes. Moi je suis très mal en point, il y a plus bas un ruisseau, je descends m'y nettoyer comme je peux, mais j'ai froid, alors, je prends de l'audace, je viens me sécher comme je peux dans le bureau du patron, je tombe bien, il est absent. Mes fringues vont sentir la merde pendant très longtemps, je leur trouve même comme un goût de rhum. Enfin personne ne me fait de réflexion, c'est donc que je ne suis pas répugnant. Depuis ce jour l'équipe de civils travaillant avec nous, les P. G., je serai appelé le Soviet, ils ont su que les 2 gars à qui j'avais donné des cigarettes étaient deux Russes. Le lendemain était affichée dans mon nouveau kommando une note, spécifiant que tout prisonnier de guerre est désarmé, il doit l'obéissance aux vainqueurs et n'a aucun droit de quitter l'endroit où il est, soit au chantier, soit dans les camps. A mon premier chantier à la montagne, j'étais surnommé le Saboteur. Je m'efforçais de freiner l'ardeur des P. G. au travail, les responsables S.S. me faisaient envoyer l'interprète alsacien DECKER, pour me dire que j'étais un fainéant et cela devait durer tout le temps que je me trouvais P. G. en AUTRICHE. Mon nouveau camp, où nous sommes presque 1000 P. G., est un monastère, d'où les moines furent expulsés par le régime nazi. Les chefs nazis demandent aux Sous-Officiers P. G. français si ils veulent servir avec eux, afin de ne pas s'ennuyer, ils toucheront une prime. Si bien que ce sera un Sous-Officier qui va nous emmener au travail à la sablière, ce Français remplace le gardien S.S. qui nous y emmenait. Un matin à 6 heures, je ne me trouve pas sur les rangs, ce P. G. français ne vient pas m'appeler, il va tout de suite faire son rapport au Poste de Garde du camp. Aussitôt, c'est un S.S. qui est envoyé pour me chercher et m'emmener dans la prison du camp, qui a été construite dans le milieu de la cour. J'y demeure 2 jours. Le régime, quelques pommes de terre cuites, mais froides. J'ai faim, je les trouve bonnes. Dans ce camp il y a des P. G., qui sortent pour aller travailler en ville, ils ont été choisis d'après leur métier. Surtout des traiteurs en charcuterie, des bouchers, des électriciens, coiffeurs, etc. des tailleurs d'habits. Ils ont tous la belle vie. Ils sont bien considérés par les civils et les chefs nazis. Ils nous rendent jaloux à les voir dévorer tout ce qu'ils rapportent pour eux faire des grands repas, mais entre eux, ils préfèrent s'empiffrer à en être malades que d'essayer de faire partager à ceux qui n'ont rien, et qui travaillent dur. Le gars P. G., qui m'a fait mettre en prison, est un Parisien, il se nomme CUMINET. Je change encore de camp, me voilà dans un kommando de baraques en bois. Je suis envoyé là pour aller travailler à l'usine d'aluminium qui est à 1 km. Il y a près de nous le camp des soldats allemands, qui sont punis pour avoir désobéi au régime d'HITLER. Ils sont maltraités dans leur camp. Je les vois tous les jours partir en rang à l'usine, les chefs les forcent à chanter, mais ils n'ont pas le coeur à chanter. Nous sommes en hiver 1942 et 43. Ils doivent par des grands froids, se coucher à plat ventre dans la neige, pendant un bon moment, et il faudra chanter pour aller à l'usine, où le travail est très pénible, l'air est polluée par les émanations des gaz qui sortent des fours du métal en fusion, l'aluminium. C'est un contraste de notre camp, nous nous dirigeons au travail nous-même sans être embrigadés par des gardiens. Alors que ces soldats nazis sont martyrisés, soit dans leur camp, soit pour se rendre à l'Arbeit, soit dans l'usine, ils doivent déjà savoir qu'ensuite ils iront dans la bagarre, pour mourir sur le front russe, les grands froids. Prisonnier des Soviets, ils n'ont plus aucun espoir de revoir leur famille. Près de nos baraques, il y a le camp de barbelés où sont enfermés les soldats P. G. italiens. Ils se voient entre eux, à travers ces barbelés, ils se regardent plutôt méchamment, ils étaient des amis au début de la guerre pour combattre la FRANCE, et tout ce monde est envoyé, comme moi, comme nous Français, à cette usine pour travailler dans les fours de métal en fusion. Puis il y a ce grand camp de civils réfugiés de RUSSIE, des familles entières avec leurs enfants, ils sont très malheureux, ils ont froid et ils ne reçoivent pas beaucoup de nourriture, beaucoup mourront avant de connaître la victoire. Les jeunes gens, encore valides dans ce camp de Russes, viennent aussi travailler à l'usine. Quel hasard, je retrouve les deux gars à qui je leur avais donné une cigarette et une raie de chocolat, ils sont heureux à nous revoir. Tout ce monde Russes, Italiens, nazis, P. G. français, nous employons, quand l'occasion se présente la même langue, c'est-à-dire nous parlons quelques mots d'allemand. Il y aura même un jour une circonstance qu'un civil responsable de l'usine nous prendra en photo, avec ces deux Russes. Par un soir d'hiver, début Février 1943, je suis allongé sur mon grabat. Il est 9 heures, une sentinelle S.S. vient pour éteindre la lumière. Je ne suis pas mis au courant de ce qu'il va arriver, c'est une farce qui vient d'être faite, par un P. G. de la chambrée. Le Boche arrive pour éteindre et, qui sait, va peut-être nous souhaiter de passer une bonne nuit les petits, il peut quelquefois y en avoir des braves, aussi chez les Allemands. Hélas ! la farce consistait à avoir enduit la clenche de la porte de merde fraîche, ce S.S. ouvre la porte, il est furieux, il contemple sa main en colère. Mais je n'ai pas de chance, je me trouve juste en face de la porte, son regard se porte directement sur moi, et comme je rigole comme tous les autres, pour lui, je suis le fautif. De colère, il me jette hors de ma paillasse et je dois le suivre pour aller au Poste de Garde, pour me montrer à ses chefs, je peux prendre ma capote de soldat autrichien, mes savates ; comme je couche avec mon froc pour avoir chaud, me voilà un peu habillé. Il n'y a pas eu d'enquête, c'était pour eux, moi qui étais le fautif. Les autres P. G. ont dit que celui qui avait fait cette farce aurait dû se dénoncer et ne pas me laisser punir à sa place. Je sais que lorsque je suis rentré de prison, il s'est excusé, il avait souffert beaucoup plus que moi moralement. Ce S.S. a ordre de m'emmener illico, à la prison du monastère, mais pas celle où j'ai déjà été enfermé 2 jours, non ce sera dans un cachot, au-dehors de ce monastère. Il y a un km à faire depuis ma baraque. Au cachot, il fait très froid, le chemin est couvert de neige. J'ai du mal à tenir debout, aux pieds je n'ai que des savates, je patine comme si j'avais des skis. Ce S.S. est plutôt en colère, il n'arrête pas de vociférer, de crier : " Guemma ! Guemma ! ". Je pense que cela veut dire : " Schnell ! Plus vite ! ". Il a son fusil, mais il me pousse plutôt avec son bras, alors qu'il pourrait me donner des coups de crosse de son fusil, dans mon dos. J'aurais eu dans toute ma captivité beaucoup d'occasions d'être bousculé assez rudement, mais cela ne s'est jamais produit, alors que souvent, je m'y attendais, d'après mon comportement, dans le travail. A part une seule fois, étant au four d'aluminium, le Polir, responsable, m'a un peu poussé en criant un peu fort, on s'est attrapés par la gorge tous les deux, comme si on voulait s'étrangler. Mais non, aussitôt, la colère s'apaise. Lui prend peur d'être puni, il pense aussi au front russe alors qu'il est civil, mais tout de même sous l'autorité militaire. Quant à moi, je me sentais plutôt heureux de n'être pas considéré comme un mouton, je me rebiffais après le régime nazi. Me voilà jeté dans un cachot profond, très sombre, il n'y a qu'un tout petit larmier, grand comme une ardoise d'écolier, pour donner un semblant de lumière, si on se met le visage à côté. Contre un mur, il y a des planches inclinées, avec des couvertures de chiens toutes humides. Il se trouve un gars P. G., il est du Nord, il chante, il est heureux, il préfère se trouver là, plutôt que d'aller à l'Arbeit. Son refrain est : "Elle s'appelle Françoise" "C'est une Silloise"… etc. Le régime est des pommes de terre cuites, mais froide tous les 24 heures, les W.-C. sont un seau qu'il faut vider tous les jours. Ce cachot est situé en-dessous de l'infirmerie. Il y a un prêtre ; au-dessus de nos têtes se trouve un genre de petit larmier, c'est sans doute pour l'égoût de la salle d'infirmerie. Ce prêtre a dû faire desceller cette plaque et il peut faire passer des victuailles aux P. G. qui sont en-dessous, il y a des bougies qui sont les bienvenues dans cette tombe. Il y a plusieurs prêtres parmi ces camps de P. G. français, ils se seront montrés tous bien courageux vis-à-vis des P. G., ils ont toujours agi contre le régime nazi. Ils étaient en contact avec les prêtres des villages, ainsi qu'avec les Soeurs. Certains de ces prêtres et Soeurs étaient vendus par des gens du pays, des voisins qui travaillaient pour HITLER. Des enfants enrôlés dans le régime des Jeunesses Nazis faisaient déporter leurs parents, parce qu'ils n'étaient pas d'accord avec leurs enfants pour tendre le bras en criant : " Heil HITLER ! ". J'ai eu l'occasion en passant devant le camp de barbelés, où étaient les soldats italiens, de pouvoir leur balancer quelques cigarettes, ainsi que dans le camp des soldats ayant désobéi à HITLER, c'était inimaginable de les voir se ruer pour ramasser ces cigarettes. Ils en souffraient énormément du manque de tabac. Ce n'était pas mon cas puisque je ne fumais pas, tous ces gars avaient un grand cafard, moi, j'évitais toujours le plus possible d'être atteint de cette maladie. Je restais confiant pour l'avenir. Dans l'usine, le travail aux fours du métal en fusion est très dur, l'on est revêtu de sacs pour se protéger le corps, aux mains je porte des moufles, aux pieds des sandales recouvertes de bandes en toile de sac. Avec d'énormes massues, il faut crever la carapace qui recouvre le métal, et aussitôt une ouverture faite, un gros tuyau est jeté dans ce trou et le métal est pompé dans un énorme chaudron, monté sur une charrette, et cette charrette emmène ce métal liquide dans un atelier où il sera mis en lingots. Je me permets d'aller dehors un instant pour respirer un peu d'air pur. Vient à passer un Officier ingénieur, il est surpris de me voir dehors et me fait rentrer, en me disant : - Vous n'êtes pas à NICE ici ! Lui connaissait certainement NICE. Moi, j'en avais entendu parler de cette COTE-D'AZUR, je ne pensais pas que j'y viendrais vivre à ma retraite. A présent, je suis employé à aider à réparer des fours qui ne sont plus en état de fonctionner, je suis avec des P. G. Italiens, Russes civils. Je manque vraiment de courage, je passe mon temps à me déplacer d'un chantier à l'autre comme si j'avais le pouvoir de freiner le travail de tous, c'est souvent le chef qui m'avertit qu'il y a danger pour moi, car je me suis fait repérer par la Gestapo de l'usine. Ce chef me dit : - BELLOT attention ! C'est un brave, il se nomme Karl. Il est de BERLIN. Un autre chef est brave pour moi, c'est le gros Louis, il est Autrichien, il est le grand responsable, il est allé avec la Gestapo pour me défendre. Ces deux chefs ont dû être contents lorsqu'ils ont appris que je m'étais sauvé et ne m'ont plus revu. C'est par un matin de la 1ère quinzaine de Janvier 1944 que j'ai décidé de ne pas rentrer dans l'usine. J'avais teint en noir mon pantalon kaki, j'ai obtenu une veste d'un civil, avec quelques barres de chocolat. J'ai toujours mon béret basque. La gare de SIMBACH est à 4 km, après avoir traversé la petite ville où est né HITLER à BRAUNAU/s/INN, je traverse en passant le pont sur l'INN à SIMBACH et j'arrive à la gare. Je prends mon billet, je me trouve mélangé dans le compartiment avec des soldats S.S., des civils, et même des civils français volontaires pour travailler en ALLEMAGNE. Je ne parle à personne, j'arrive à MUNICH, la ville a été bombardée, la gare est mal en point. Je prends un billet pour SAVERNE en ALSACE. C'est la gare terminus. Sur le quai se trouve une sentinelle, il vient vers moi, arrive près de lui un employé S.N.C.F., puis le chef de gare. Il dit au Boche : - Laisse ! Je m'en occupe, et dit à son employé, tu ne vas tout de même pas le faire payer ! Car mon billet n'était valable que jusqu'à STRASBOURG. Le chef me fait entrer dans son bureau et me dit que je ne devais pas garder mon béret sur la tête, car les Allemands sont au courant que les Résistants se reconnaissent par le port d'un béret, et la Gestapo les arrête les envoie à la mort au camp du STRUTHOF qui est en ALSACE, près de SCHIRMECK. Je reprends le train pour SARREBOURG, dans cette gare, il y a de nombreux soldats Allemands de toutes les armes, ils vont en permission, d'autres en reviennent. C'est vraiment une grande pagaille, je m'aperçois que c'est vraiment la guerre, à voir tous ces soldats ennemis. Je reprends un train, il est 9 heures du soir, il fait nuit noire. Arrive le contrôleur, il me dit : - Monsieur, vous êtes dans un wagon 1ère classe ! Je réponds : - Excusez-moi, il fait tellement nuit que je n'ai pas pu voir si je me trouvais en 1ère classe ! Il répond : - Bon, je vous reverrai tout à l'heure à la prochaine gare ! Je suis arrivé à la gare de METZ, le contrôleur je ne l'ai plus revu. Il avait compris que j'étais un P. G. qui voulait rejoindre la FRANCE. En gare de METZ, dès que je me trouve dehors des quais, j'entends appeler : - Monsieur, nous n'avons pas de billet de quai, procurez-nous en afin de pouvoir sortir ! C'est 2 jeunes S.T.O. qui se sauvent, tous les trois nous sommes recueillis par des passeurs Résistants. Ils nous amènent à un endroit plutôt caché, c'est un immeuble qui a été bombardé. Ils y ont installé des paillasses, ils font cuire des frites. Et tous les matins, avec leurs P. G. qui s'évadent, ils leur prennent des billets et les font mettre dans un wagon, pendant qu'eux se mettent dans un autre wagon. Lorsque le train arrive à la ligne de démarcation, à la gare de PAGNY-SUR-MOSELLE, les Allemands font un contrôle, il faut descendre et après avoir été contrôlé, on doit remonter dans un autre wagon plus en avant, les passeurs Résistants nous attendent, mais ils ne nous verront plus à la descente du train. Nous entendons crier : - Par ici les gars ! Il fait nuit noire, mais nous sommes accueillis par un traître, un faux passeur. Nous entendons bien des appels, dans cette cohue, c'est sûrement nos passeurs qui ne comprennent pas pourquoi nous n'arrivons pas près d'eux, alors que nous avons bien nos billets. Ils ne soupçonnent pas que nous venons d'être emmenés par ce voyou. Ils doivent être très ennuyés, ils devaient nous présenter à la Maison du P. G. à NANCY, qui sont aussi des Résistants et qui devaient nous remettre tous les papiers nécessaires pour être tranquille à tous les points de vue. Ces Résistants de la Maison du P. G. de NANCY seront emmenés dans les camps nazis et n'en reviendront pas, c'est encore ce faux passeur qui les a vendus à la Gestapo. Avec ce chenapan, nous voilà en plein champ, dans la nature, de temps en temps, il nous crie : - Couchez-vous les gars ! Les postes ennemis pourraient nous voir. Je me dis en moi-même : " Tout cela n'est peut-être que du chiqué, il n'y a aucun risque, tout est bien trop calme dans cette nuit, il est 5 heures du matin en hiver 1944 ". Enfin ce mec nous crie : - Ça y est mes potes, vous êtes à présent en FRANCE ! Vous venez de passer la ligne de démarcation, vous voilà à ARNAVILLE ! Il a loué ici, ou plutôt les Boches lui livrent cette petite bicoque au bord d'une petite route, qui mène à la gare d'ARNAVILLE. Sa femme est là, il nous offre une petite soupe. Puis il nous dit d'un ton sec : - Donnez-moi tout ce que vous avez ! En somme, il rafle tous les P. de G. qu'il recueille à tous les trains. Que doit-il avoir ramassé pendant toute cette guerre, je comprends qu'il ait pu se faire bâtir une belle maison après la guerre, dans une belle contrée, où l'air est très pur puisqu'à cet endroit, il y a un préventorium, FLAVIGNY-SUR-MOSELLE, à 12 km de la capitale de la LORRAINE, à NANCY. Beaucoup de ces P. G. revenaient en FRANCE avec de nombreux marks, ce faux passeur raflait tout, montres, enfin tout ce qu'ils avaient sur eux. Ils étaient tellement contents de se trouver en FRANCE que c'est de bon coeur qu'ils donnaient tout ce qu'ils avaient. Ils ne se doutaient pas des difficultés qu'ils allaient encore devoir rencontrer. Il les faisait reprendre par la Gestapo, partout où ils pouvaient se trouver, puisqu'il travaillait pour eux, avec eux. Il nous dit : - Maintenant, il vous faut une carte d'identité pour pouvoir voyager ! Nous n'acceptons rien, il faut encore payer, nous n'avons plus confiance avec ce sale type. Nous prenons le train, nous payons notre billet, nous voilà dans le train. Après quelques minutes, nous apercevons un contrôleur gendarme nazi dans le train, nous sommes dans le noir, il a une lampe électrique pour pouvoir contrôler. Alors nous nous dirigeons vers les soufflets du wagon, les deux jeunes ouvrent la portière à droite, moi celle de gauche, à ce moment nous arrivons à la grand gare de PONT-A-MOUSSON. On voit le contrôleur passer avec sa lampe. Dans l'autre wagon, je viens reprendre ma place, je m'étais accroupi sur le marchepied. Le train démarre, j'entends crier mes deux copains " Ne nous laissez pas ! Ne nous laissez pas ! " presque en pleurant, ils n'ont pas dû voir passer le contrôleur, ils étaient descendus sur les voies. Il n'était plus question que je descende pour me jeter dans la gueule du loup. Que sont-ils devenus dans cette nuit, dans toute cette gare au milieu de toutes ces voies ? Ils ne pouvaient plus s'en sortir, il leur fallait déjà pouvoir se diriger vers la gare qu'on ne pouvait pas apercevoir, ils étaient tout jeunes à peine 20 ans. J'arrive sans encombre à la gare de NANCY, il n'y a aucune sentinelle nazie. Entre METZ et PAGNY-SUR-MOSELLE, nos Résistants nous avaient fait monter sur le toit du wagon, nous étions à plat ventre mais il y a eu des instants où la lune, entre des nuages, nous éclairait et au passage, dans un petite gare, on pouvait nous apercevoir, ils ont crié pour que nous redescendions. Ils n'étaient pas sûrs que le contrôle à PAGNY-SUR-MOSELLE se passerait bien. A NANCY je me dirige chez moi, par la Rue de Serros. Dans la nuit, je vois un judas éclairé, ce sont des Soeurs. A tout hasard, je me renseigne, elle me dit de m'adresser Place d'Alliance, où l'on recueille les P. G. Je m'y rends et je vois par un grand portail entrebâillé des soldats nazis, c'est un Poste de Garde de la Kommandantur, c'est l'état-major des Boches qui est près de la Préfecture. Heureux pour moi que ce portail était entrebâillé, sans quoi j'étais fait comme un rat. Je ne m'explique pas pourquoi ces Soeurs m'envoyaient à la Gestapo. Enfin j'arrive chez moi, ma femme était là, à tout hasard je lui avais écrit un mot, depuis mon camp en AUTRICHE, lui faisant part que si j'avais de la chance, je pourrais arriver à NANCY à telle date. Ainsi elle y a cru, elle n'a pas hésité à prendre le train depuis la Tour du Pin dans l'ISERE, à ses risques et périls car c'était toujours la vraie guerre, les gares surtout n'étaient pas sûres, même les voies, la Résistance française faisait sa bonne guerre contre les nazis. Les trains n'étaient pas chauffés. Après 4 années d'absence, voilà que nous nous retrouvions, nous étions très heureux de nous étreindre, après tant d'épisodes tragiques, depuis le début de cette terrible guerre. Le lendemain, je me rends à la Maison du Prisonnier, j'obtiens une carte d'identité, puis des tickets qui me permettront d'obtenir de la nourriture. En me présentant à la COOP où je travaillais, grande maison d'alimentation, j'avais espéré qu'ils me remettraient un colis d'épicerie. Non ! puisque la Secrétaire me dit : - A présent que vous êtes rentré, je vous supprime le colis car la Direction nous faisait parvenir de temps en temps un colis à tous les P. G. COOP. C'est dommage car nous comptions beaucoup là-dessus, pour pouvoir nous nourrir quelques jours. Surtout que je devais avoir droit à un litre d'huile. J'ai pu toucher assez vite quelque marchandise avec mes tickets de rationnement à la mairie. Cette Secrétaire m'autorise à me présenter au Directeur, il me reconnaît mais contrairement à ce que je m'attendais, il reste surpris de me voir arriver, il ne me serre pas la main, il est plutôt mécontent. Il me dit : - Mon devoir serait de vous livrer aux autorités allemandes ! Il cherche plutôt à connaître de quelle façon j'ai pu passer la ligne de démarcation. Il se nomme Louis NUSSBAUM. A la guerre de 1914-1918, il a porté l'uniforme d'Officier allemand, il était Alsacien, il fut enrôlé à combattre contre la FRANCE. A présent, dans son bureau, il fraternise avec les Officiers nazis, ils fument des cigares, c'est la belle vie. C'est lui qui désigne tous les gars, jeunes qui travaillent à l'entrepôt, pour les expédier en ALLEMAGNE comme S.T.O., il ne s'en prive pas, il aime faire plaisir à nos ennemis qui viennent de gagner une bataille, mais ne gagneront pas la guerre, il préférait les aider au lieu de les combattre. Il continue à trahir. Il fait arrêter par la Gestapo le P.D.G. de l'immense Coopérative, qui a 1000 magasins, et est représentée dans 12 départements. C'est les Coopérateurs de LORRAINE. Ce P.D.G. se nomme Marcel BROT, il le fait mettre à la prison CHARLES III. Avec l'espoir que ce héros, qui défend son pays, sera envoyé dans les camps de la mort en ALLEMAGNE. Le lendemain de mon entrevue avec ce triste Alsacien, j'ai reçu à la maison la visite de la Gestapo, j'étais absent, ils se sont adressés à des voisins d'où j'habite, en demandant après Monsieur BELLOT. Ces voisins ont répondu que j'étais P. G. en ALLEMAGNE. " Mais non ! Mr BELLOT est ici en FRANCE ". Heureusement que ces voisins ne m'ont pas vendu. Ils sont repartis, mais le surlendemain, j'ai la visite de G.M.R., c'est la milice à PETAIN et ils repartent encore bredouilles. Quelle chance que j'ai. Puisque j'ai une carte d'identité qui me permet de pouvoir voyager, nous nous dépêchons d'aller prendre le 1er train pour partir à LYON. Le train s'arrête à CHALON-SUR-SAONE pour un contrôle, c'est la ligne de démarcation. Le contrôleur nazi me fait la réflexion, en voyant ma carte : - Oh ! mais elle est toute neuve ! Avec ma femme nous ne crânons pas, nous pensons " Ce type va au moins nous faire des ennuis ". Enfin, tout se passe bien. J'ai appris que le grand patron des COOP a été libéré de la prison CHARLES III. C'est grâce au grand Chef de la Police de NANCY, Mr LUNOT, qui a fait les démarches comme patriote. Aussitôt libéré, le P.D.G. Marcel BROT mettait à la porte séance tenante ce Chef de Service alsacien. Je suis à LYON, nous logeons chez ma belle fille, je cherche du travail, je suis accepté dans un atelier, constructions mécaniques. Comme je ne connais rien dans ce travail, je suis employé plutôt à nettoyer l'atelier, les machines, aider les mécaniciens, cela me plaît, j'aurai, nous aurons notre nourriture d'assurée. Je me présente le lendemain matin. Le patron me dit : - J'ai réfléchi, puisque vous avez travaillé dans une maison d'alimentation, j'en ai parlé à mon ami qui est responsable aux Docks de l'Alimentation, vous irez vous présenter ! Je m'adresse donc au bureau et c'est convenu, vous pourrez venir demain matin. Le lendemain je me présente pour travailler, mais c'est le même refrain que l'autre chef de l'atelier. (Le responsable me dit : - Nous n'avons pas besoin de vous ! Nous le regrettons ! Veuillez nous en excuser !). Il y a à LYON un entrepôt (COOP) d'alimentation, j'y vais voir au culot. J'apprends par des employés qu'il y a au bureau Monsieur LEVY, Directeur à l'U.C.L. de NANCY, du Service Mercerie, Ménage. Moi je le connaissais, mais lui pas du tout, je ne l'ai pas vu. J'étais surpris qu'il se trouve ici à ce COOP de LYON. Mais si il se trouvait là, c'est parce qu'il était Juif, par conséquent, il se cachait pour ne pas être déporté en ALLEMAGNE, dans un camp de la mort. Avec ma femme Simone, nous quittons LYON, nous prenons le train pour nous rendre dans l'ISERE, chez les beaux parents de ma belle fille. Il y a ici beaucoup de neige, nous sommes début Février 1944. Ma femme vivait plutôt dans cette contrée, depuis qu'elle avait dû partir de NANCY, à cause des bombardements, sa fille et son mari venaient la retrouver tous les week-ends, avec leur fille. Le papa, n'ayant pas été fait P. G., il était revenu à la maison depuis le 18 Juin 1940. La petite fille Michèle allait déjà sur ses trois ans, lorsque je suis revenu de l'AUTRICHE. Ma femme allait de temps en temps aider à faire de menus travaux chez les paysans, car ici c'était la vraie campagne, presque tous de petits exploitants agricoles, il y avait une usine de soieries importante, on y fabriquait des parachutes pour les Allemands. Ce petit village s'appelait CORBELIN, il se composait d'une dizaine de petits hameaux. Nous étions logés dans le hameau appelé la BARDELIERE, à 2 km du centre où étaient la mairie, les écoles, les quelques petits commerçants. Simone était sollicitée pour aller fabriquer des pâtes, chez quelques croquants du coin, elle était de temps en temps récompensée par un peu de beurre, mais pas d'argent. La vie était très dure et cependant, ici c'est un vrai pays de COCAGNE, il y a absolument de tout. Les légumes, les fruits, l'huile, le vin, le tabac, la viande par des abattages clandestins en dehors du contrôle ennemi, mais toutes ces denrées sont réservées au marché noir. Avec de l'argent, on peut obtenir facilement tout ce qu'on veut. Il y a tellement de gens qui en possèdent de l'argent. Ce n'est pas notre cas, nous sommes complètement démunis. Tous ces croquants des campagnes en profitent pour s'enrichir. Les guerres, c'est souvent comme ça. Il y a aussi les scandales des régions libérées. Les petits qui étaient pauvres et qui ont tout perdu ont été oubliés, si bien qu'ils se trouvent dans la misère. Mais ceux qui possédaient déjà, qui avaient des biens démolis, ils se sont retrouvés avec de belles maisons, de beaux bâtiments agricoles et autres. Je vais m'adresser à cette usine de soieries, je suis accepté pour des travaux de manoeuvre, je serai payé mais en-dessous du tarif légal. Il y a dans cette industrie 3 familles patrons. Mon travail a dû paraître pénible à la femme d'un patron, qui m'a dit un jour : - Monsieur, vous faites là un travail de bagnard ! J'ai répondu : - Il le faut afin de pouvoir manger un peu pour vivre ! Au bout de 4 mois, je quitte ces drôles de patrons qui désirent plutôt la victoire de HITLER. Je me suis disputé, j'ai préféré partir. Je trouve à être employé dans une dizaine de petits exploitants, je suis nourri, avec un petit salaire. Le travail est très dur aussi. Je commence à 6 heures du matin jusqu'à midi, je reprends à 2 heures jusqu'à 8 heures le soir. La belle saison est venue, par les nuits claires on entend les avions anglais qui tournent dans les airs repérant les signaux de la Résistance. Ces avions viennent larguer du matériel de guerre. Les Résistants combattent les nazis, non loin de là où je me trouve, dans les montagnes toutes proches du VERCORS. Je suis même employé chez le curé pour bêcher son jardin, ainsi que chez les Soeurs. Chez un Officier qui n'a pas été fait P. de G., et qui a loué une petite ferme. C'est le Lieutenant MOUFLET, il travaille, ainsi que sa femme et moi aussi. Nous piochons des pommes de terre, bêchons des betteraves, faire les foins, etc. Je participerai aux moissons, aux vendanges, aux travaux du tabac, la récolte des fruits, des noix pour faire de l'huile, etc. Nous voilà au mois d'Avril 1944. Simone et moi décidons de nous marier, nous prenons un petit train de campagne qui nous amène à LYON, nous allons nous présenter à la mairie de la Place Jean Macé. Nous vivions ensemble depuis 13 ans. Au mois de Juillet, nous nous trouvions à être venus à LYON pour le 14 Juillet. Des vagues d'avions de bombardement américains viennent lancer des bombes sur la ville, pour démolir les voies et la Kommandantur. Nous prenons peur car ces bombes tombent plutôt sur les immeubles, il y a beaucoup de morts. Nous revenons à notre campagne dans l'ISERE, nous voyons beaucoup de jeunes gens de 17 à 20 ans, qui vont se présenter à la Résistance dans le VERCORS. Ce sont des braves, ils chantent, hélas ! beaucoup ne reviendront plus, les Allemands sont trop forts en matériel et en hommes, ils seront mitraillés sans arrêt jusqu'à la fin de la guerre. Nous sommes au mois de Janvier 1945. Je vais me faire démobiliser à GRENOBLE. Ils me remettent un paquet me spécifiant que je vais à NANCY, à mes risques et périls, je suis un rapatrié isolé. Je vais de suite me présenter pour travailler à ma Maison COOP. Mais comme il n'y a pas beaucoup de produits alimentaires qui arrivent à l'entrepôt, ni les vins, alors il n'y a pas de travail. Je vais me présenter à la grande Direction, l'on me propose la gérance d'un magasin, mais je n'ai pas l'argent qu'il faut verser. Je ne peux accepter. Je suis recommandé au nouveau Directeur de l'entrepôt et me vois confier la réception des marchandises. Je fais ce travail pendant 2 années, ensuite je reprends le travail que je faisais avant de partir à la guerre. Je remplissais des fûts de vins. Ma femme avait obtenu un emploi au bureau. Nous nous faisons muter au Service Mercerie et Comptabilité, cela nous rapproche de la maison, nous sommes à 5 minutes. Mes trois dernières années avant la retraite, je travaille à l'économat. Je dois livrer des articles de bureau dans tous les services c'est le filon. C'est déjà le commencement de ma retraite, je me balade, en allant me montrer par plaisir à tous ceux qui n'ont connu, ils n'en reviennent pas que je sois si pistonné. Ma femme est obligée de quitter son travail, pour raison de santé. Elle est reconnue inapte, elle devra rester à la maison, elle a le coeur fatigué. Elle se fait opérer d'une hernie. Elle est opérée dans la clinique de la Ste Enfance. Quand je viens la voir, après l'opération, elle me dit : - Ils m'ont charcuté, je suis fichue ! Pendant 12 jours, la fièvre ne descend pas. Je suis au travail, la clinique me téléphone en disant : - Rentrez de suite à la maison, on vous ramène votre femme ! Je ne peux y croire, elle était si mal au point, encore la veille. Je reviens à la maison, j'aperçois la voiture, elle est dedans, je vois son visage très pâle, bien sûr, elle est morte. C'est moi et le chauffeur qui la montons au 3ème étage. Ils ont osé la ramener morte de la clinique à la maison. Une jeune Soeur accompagnait le convoi funèbre, je la questionne, elle répond - On vous expliquera ! C'était pour moi un spectacle pénible, en la portant dans les escaliers, avec son visage couleur cire qui allait de gauche à droite, car c'était difficile à porter dans des escaliers tournants. Il fallait manipuler le brancard, tout comme si il y avait au-dessus un objet quelconque. Arrivés dans la chambre, nous l'étendons sur le lit. Le chauffeur est parti sans dire un mot, la Soeur, je ne l'ai pas revu. Ils respectaient la consigne de la clinique, surtout : bouche cousue. J'ai dû aller avertir son Docteur pour venir constater le décès de sa cliente, qu'il avait fait envoyer dans cette maudite clinique. Il n'a pas été surpris que je lui apprenne qu'elle était morte. Il s'en doutait, c'était un Juif, très riche, il était assisté de deux jeunes médecins, c'est une jeune femme qui s'est dérangée. Il était très réputé. A l'église, le prêtre a fait un petit discours pour la morte, il a fait pleurer les enfants et moi-même, en retraçant sa vie de brave maman, abandonnée par son mari italien, avec 2 enfants, un triste sire que j'ai bien connu. Il devait se suicider et c'est encore sa femme, devenue la mienne, qui devait aller à la morgue pour reconnaître que ce macchabée était bien son ancien époux. Il a fallu avec René, son grand fils, que nous allions déménager et mettre le logement convenablement en propre état, pour le propriétaire. Il vivait avec une jeune femme. Avec ce bandit de mari et père de ces deux enfants, elle avait tenu à CLOUANGE en MOSELLE un café-bar, dans lesquels se réunissaient la musique et les joueurs de football le Dimanche, mais lui ne l'aidait pas, elle devait se faire aider à servir par des braves clients. Elle devait quitter ce café, c'était trop pour elle, et elle revint à NANCY, dans la ville où elle était née. Elle y prit un commerce d'alimentation, et avec ses deux enfants qu'elle rhabillait elle-même, les mettre à l'école, sans jamais être aidé par son monstre italien, c'était plutôt la misère. Beaucoup de clients achetaient à crédit, mais ne la payaient jamais. Et ces clients achetaient dans d'autres épiceries, et avaient l'audace de passer devant son magasin, comme pour la narguer, avec leurs marchandises achetées chez les concurrents. Avant qu'elle ne meure, cette brave maman avait dit sur son lit de mort : - N'oubliez jamais ce que Louis a fait pour vous ! Je ne possédais rien, mais j'ai voulu que ses enfants aient un peu comme une arme pour pouvoir affronter la vie. Plus tard ils se sont mariés, ils nous invitaient souvent et n'oubliaient pas leur maman et moi-même, ils nous rendaient souvent visite. Ils habitaient LYON. Elle aura eu la joie d'assister aux beaux mariages de ses deux enfants, ainsi que de ses deux petits enfants avant de nous quitter. Les enfants ont voulu qu'elle repose près d'eux, à LYON, au cimetière de la Rue du Repos. Ce cimetière touche le fort LAMOTHE, où j'étais venu faire un stage de trois semaines lorsque je faisais mon service militaire, j'avais 20 ans. J'étais venu dans ce fort pour passer les examens, suivre les Pelotons de Brigadier et de Maréchal des Logis. Je fus reçu aux 2 pelotons, devant de nombreux haut gradés, réunis dans la grande cour de la caserne. A l'église, le jour de son enterrement, pour assister à la messe, elle n'a pas eu beaucoup de monde du Personnel des COOP, là où nous travaillons tous les deux. Elle n'était pas syndiquée. Nous n'étions pas syndiqués, si bien que tous ont respecté la consigne des délégués des différents syndicats. Par contre, il y avait présent le P.D.G., le Directeur Financier, le Directeur Commercial et quelques autres grands responsables. Toutes ces personnes représentaient tous les coopérateurs de NANCY et de LORRAINE. Dans son tombeau de 3 places, sa fille est allée la rejoindre, 15 ans plus tard.

.c.MA RETRAITE;

Je viens d'avoir 65 ans, je quitte la Maison COOP où je fus employé pendant 37 années. A mon départ nous sommes réunis à une vingtaine, il y a le P.D.G., le Directeur Financier, patron de ma femme, mon chef et tous les autres, des responsables de différents services. Ils m'ont fait cadeau d'un beau vélo, avec lequel je vais faire de belles balades dans les campagnes que j'ai connues dans ma jeunesse. Je dois déménager, le propriétaire a vendu mon appartement. J'ai trouvé un logement dans un village de retraités, à St NICOLAS DE PORT. C'est un petit village, spécialement construit par le Député JACSON, sur un terrain qui appartient à l'hôpital. C'est un village de l'Etat. Propriété privée, défense d'entrer à toute personne étrangère. Il y a 3 mois que j'habite dans ce village, en face de moi vient s'installer dans le logement de l'autre côté de la rue une dame, qui sort de l'hôpital. Elle était soignée au Service des Dépressifs, le Docteur a jugé qu'elle était rétablie. Nous arrivons à échanger quelques mots, un marchand ambulant passe avec sa voiture pour vendre un peu de tout. Elle y vient acheter son pain, viande et laitage, si bien que nous arrivons à faire connaissance. Je vais lui chercher des fleurs dans les prés, cela me permet de venir frapper à sa porte. Elle me reçoit gentiment, il nous arrive d'aller nous promener dans la belle campagne fleurie, d'y cueillir des fruits. Cela lui plaît, elle a repris goût à la vie. C'est une maman qui, à la mort de son mari, s'est effondrée. Ses enfants l'ont fait placer aussitôt à l'hôpital, avec les malades mentaux, elle y est demeurée 30 mois, sans avoir jamais la visite de ses 4 enfants, tous mariés. Drôle de mentalité ses enfants. A Noël, je l'ai emmené à la messe de minuit du bourg, à la cathédrale où est venue Jeanne d'ARC, depuis son village natal de DOMREMY, à 80 km de St NICOLAS DE PORT. Cette soirée lui a plu énormément. Nous avons fait un petit repas en rentrant. Nous avons quitté ce village retraite, qui s'appelait D.I.P.A.I. (Défense des Intérêts des Personnes Agées et Infirmes). Nous sommes venus à NANCY, capitale de la LORRAINE, dans un petit appartement. La Maison COOP, où j'étais employé, possédait 5 hôtels, je lui ai fait connaître tous les cinq. Quel changement de vie pour cette maman, délaissée par ses 4 grands enfants. Elle possédait une vieille maison de ses beaux parents, il y exerçait le métier de charron, il y avait de grandes dépendances, l'atelier mécanique, puis un jardin. Dans cette maison, ses 4 enfants y venaient à certaines fêtes, ils y organisaient des noubas, en faisant de bons repas, pendant que leur maman souffrait d'être enfermée chez les malades mentaux, elle ne se trouvait éloignée d'eux que d'un km. De véritables bourreaux. Ils ont laissé cette maison complètement délabrée, toutes les pièces étaient devenues dégoûtantes, la cuisine et tout son matériel dans un état épouvantable, d'ordures repoussantes. C'est eux qui auraient dû être mis chez les fous. Cette maison fut vendue cinq millions de centimes, qu'il a fallu qu'elle partage en cinq ; ses 4 enfants et elle. A l'Hôtel COOP de la COTE-D'AZUR, nous y sommes venus 2 fois. C'est la Corniche d'Or, à MIRAMAR de l'ESTEREL. Les gérants étaient très gentils, ils nous offraient la plus belle chambre, avec un prix inférieur. Je les avais mis au courant de la situation de ma compagne de l'Automne de la Vie. Excursion à PARIS, nous mangeons au restaurant de la Télé, BUTTE-CHAUMONT, assistons Revue 14 Juillet, feux d'artifice à VINCENNES, etc. Depuis cet endroit, nous partions en excursion de la journée, des cars de luxe nous emmenaient visiter l'ITALIE, avec des arrêts à MENTON, MONACO, VINTIMILLE, puis SAN REMO, puis en bateau aux Iles de Lérins, en car à HIERES, St TROPEZ, St RAPHAEL, par la route du littoral méditerranéen. Ainsi que par le petit train de Provence qui nous emmenait jusqu'à DIGNE, toute la HAUTE-PROVENCE, ce train nous grimpait jusqu'à 1000 mètres, en passant par de nombreuses petites gares stratégiques. Nous allons à l'Hôtel COOP de l'Ile d'Oléron, St TROJAN nous visitons en car cette immense île, nous dégustons des huîtres chez les producteurs. Toujours en car, nous visitons, sur la Côte, à ROCHEFORT, etc. Nous allons à l'Hôtel COOP, à VANNES, chef-lieu de la BRETAGNE. Nous logeons dans un grand immeuble, qui avait servi pour recevoir les blessés, pendant la guerre 1914-1918, c'est dans une pinède, à 50 mètres de la mer. De là partent des petits bateaux pour touristes, on visite les îles, avec arrêt dans les plus importantes, surtout l'Ile aux Moines, il faut attendre, si on veut y pénétrer à pied que la mer se soit retirée, ou alors il y a un bac qui nous y amène. Il y a de belles promenades dans l'île, il s'y trouve un grand couvent avec un immense jardin, des plages et des baigneurs. Il fait un beau temps, nous prenons aussi des petits bains. Nous allons visiter les dolmens tant réputés à voir, ces énormes roches alignées dans la campagne, mises là sans doute par les hommes, là est le mystère. Puis la presqu'île de QUIBERON. La COTE SAUVAGE, c'est beau à contempler. Nous y descendons en allant assez loin lorsque la mer se retire. Il y a des pique-niques dans les Cavernes des Roches, puis aussi des amoureux. On y entend le grondement de la mer au loin, imitant le tonnerre ou le rugissement d'un lion. Un énorme bateau emmène les touristes dans l'Ile BELLE-ILE-EN-MER. Depuis la chambre à l'hôtel, de notre lit on découvrait dans le soleil levant des îles au lointain, puis de petits clochers dans la clarté de l'horizon. Je ne connaissais pas encore la GRECE, plus tard, j'ai constaté que c'était aussi beau par les journées ensoleillées. Bien sûr ce n'est pas la GRECE Antique avec son PARTHENON, ses stades olympiques, ses théâtres. Nous voyageons vers PERPIGNAN, de là nous prenons un train qui nous monte à la chaîne de montagne du CANIGOU, en passant par le fort du Mont St LOUIS. L'Hôtel COOP est à FORMIGUERES, nous sommes à 1300 mètres de hauteur, un car nous prend à la gare pour nous y emmener. Le chauffeur nous dit : - Mais que venez-vous faire ? Il n'y a pas de neige ! En effet, nous voilà arrivés à Noël sans neige. Je lui réponds : - Nous ferons du patin à roulettes ! Mais pour le Nouvel An, la neige est venue, il y a beaucoup de skieurs, les routes sont enneigées, une fois dégagées, on peut tout de même se promener. Nous empruntons même des pistes de skis, ce sont des routes faites pour ceux qui montent dans le haut, vers les champs de skis. Nous allons en excursion par le Col de PUYMORENS, à la Principauté de ANDORRE, nous rentrons sur le territoire de l'ESPAGNE. Par la Tour de CAROL, BOURG MADAME, en revenant, nous nous arrêtons à FONT ROMEU, c'est un endroit où les grands sportifs viennent pour s'y entraîner à l'air, qui y est très pur. Nous allons séjourner 3 semaines dans un studio appartenant aux COOP, dans les VOSGES, près du lac de GERARDMER, nous nous promenons, en faisant le tour du lac à pied et en faire le tour sur l'eau en pédalo. Nous faisons des pique-niques. Depuis NANCY, nous voyageons par le train jusqu'à GERET, près de PERPIGNAN, entre le BOULOU et AMELIE-LES-BAINS, le Col du PERTHUS à la frontière d'ESPAGNE est tout proche, nous allons faire quelques emplettes en ESPAGNE avec un car régulier. Avec ce car, nous sommes allés visiter les fameuses caves de BYRRH puis celles de BANYULS-SUR-MER, un vin apéritif, qui sont à la frontière aussi d'ESPAGNE, PORT-BOU. Depuis GERET, le car d'excursion nous emmène au carnaval de NICE pendant 4 jours nous sommes dans un grand hôtel, tout près de la plage, pour l'aller, nous visitons St TROPEZ. Je vois un écriteau sur lequel est écrit " Domaine de la Jansonne " pour personnes âgées. Retraité, je vais me renseigner. Les conditions me plaisent, si l'on est malade, il y a infirmerie, Docteur, pour être soigné sur place, on a droit à une femme de ménage. On prend le repas de midi, mais celui du soir n'est pas obligatoire. Aussitôt revenu dans mon logement, à NANCY, je fais le nécessaire pour avertir mon propriétaire, et lui donner mon congé. Je commande un container à la S.N.C.F., mes meubles sont mis dedans, et je fais expédier le tout à NICE. Nous avions quitté le village retraite, et étions en appartement à NANCY. Cet appartement, c'était une reprise avec les meubles, cela nous arrangeait bien, nous n'avions pas grand-chose. Les locataires nous disant : - Vous n'avez même pas besoin de voir le propriétaire, il est au courant.Nous, nous partons pour PANTIN, je suis employé à la S.N.C.F. et je suis muté à la gare de PANTIN. Alors nous nous installons aussitôt, nous y passons une bonne nuit. Le lendemain matin, on y frappe à la porte. C'est le propriétaire avec un architecte. Il me dit : - Mais qu'est-ce que vous faites ici vous ? Je lui réponds : - Votre ancien locataire m'a dit que vous aviez été d'accord pour le changement, et j'allais tout de même aller vous voir. - Eh bien ! Vous vous êtes mis dans de beaux draps, me dit-il. L'architecte réplique : - Non, c'est votre ancien locataire qui s'est mis dans de beaux draps. Est-ce que vous êtes mariés ? Je réponds : - Je suis veuf, et cette dame aussi, et nous vivons ensemble pour nous adoucir la vie. Il a convoqué l'ancien locataire et sa femme, et nous sommes allés voir un huissier. J'avais versé 5 000,00 francs anciens et j'ai retouché la moitié de la somme, pour cela en me gardant comme locataire, je m'occuperais de la cour et des plates-bandes, et irais 2 fois par semaine bricoler dans son jardin et tondre la pelouse. Il me payera au S.M.I.C. Nous étions contents que tout cela se passe bien. Nous y sommes demeurés 5 ans. L'ancien locataire n'avait pas été muté, je les ai revus, ils étaient effondrés car ils étaient bien estimés. Les propriétaires avaient été gentils, pour eux, pour le propriétaire, ils avaient très mal agi envers lui. C'est pour cela qu'il les a mis à l'huissier. Nous venions de quitter le village retraite et venions habiter dans cette maison, Rue du Docteur Liébault, Nabécor, n° 2. Propriétaire, Monsieur MONTPELLIER, ancien Sous-Préfet de BRIEY en LORRAINE : MEURTHE-ET-MOSELLE, et habitant au 42 Avenue de la Malgrange, à JARVILLE-LA-MALGRANGE, près NANCY. Avec Marcel, nous prenons le train et arrivons à NICE, pour le jour du 1er Mai 1975. Une Niçoise lui offre un bouquet de fleurs. Nous demeurons à la Jansonne pendant 9 mois, un petit car est mis à la disposition des retraités pour aller à la ville, 2 fois par jour. Nous quittons, c'est un peu trop cher. Je loue un studio à NICE, car à la Jansonne, c'est un peu cher pour nous, c'est trop juste pour nos retraites. Nous habitons près de la belle cathédrale russe, où le fils du Tsar de Russie, NICOLAS II, est mort. Cette cathédrale fut construite en sa mémoire, et à côté est construit une chapelle. Il y avait beaucoup de riches Russes qui sont venus vivre à la COTE-D'AZUR, ils occupaient de beaux sites qui dominaient la mer, en ce temps-là vers 1900, il y avait encore des grands champs d'orangers, de citrons, de fleurs, ces coins leur appartenaient. C'est pour cela qu'on y trouve un Boulevard Impérial, le Boulevard Tzarewich, etc. Ils y avaient un immense château, où ils organisaient des grandes fêtes. Vers CIMIEZ, cité romaine. Il y a un grand cimetière russe où sur les tombes, on peut y lire les plus grands noms de la Cour Impériale de Russie. Près de ce cimetière russe se trouve le cimetière anglais, c'est la même chose, on peut y lire les plus grands noms de la Cour d'Angleterre. C'est tous ces gens illustres qui ont fait la renommée de la COTE-D'AZUR, par suite de son climat, le soleil, la mer, les collines aussi avec les pins, sapins et les fleurs. Le bord de mer appelé la BAIE DES ANGES, sur 7 km, c'est la PROMENADE DES ANGLAIS. Sur les hauteurs de NICE, ils ont construit un grand palais, les plus grandes autorités y ont séjourné très longtemps, beaucoup de noms de rues leur ont été donnés, toute une colline était à eux. Il y a aussi la Rue Gustave de SUEDE, pour rappeler son long passage à NICE, où il a surtout créé un grand stade de tennis. Cette maman de 4 enfants doit aller voir la Doctoresse, elle se plaignait d'une douleur à l'aine. Elle lui a donné un médicament beaucoup trop fort. C'était dangereux, elle ne devait en prendre que 25 gouttes, or elle lui en fait prendre 50 gouttes. Aussitôt elle tombe dans les pommes, son coeur flanche, je lui masse le coeur car elle meurt. Enfin, elle est ranimée. Plus tard, elle me demande de lui en faire prendre une seconde fois, elle espère que cela irait peut-être mieux. Cela se reproduit comme la 1ère fois. Cela a dû lui occasionner un trou dans l'estomac, un autre Docteur découvre qu'elle a l'estomac abîmé. Le médicament était un produit très dangereux, je me suis renseigné. Le Docteur l'a faite entrer à la clinique du BELVEDERE et les chirurgiens, après l'avoir examiné, doivent l'opérer de l'estomac, puis elle sera dirigée à l'hôpital PASTEUR. Ensuite, elle revient à la maison. Elle reprend confiance à la vie. Elle se fait même faire une robe sur mesure, mais elle maigrit, ses forces l'abandonnent, et après 5 mois, elle mourra, sans avoir souffert. Dans son délire, elle a toujours appelé son père, jamais sa maman. Elle décédait le 26 Octobre 1979. Je suis allé l'accompagner à sa dernière demeure par la route, avec le convoi mortuaire, en traversant toute la FRANCE, de NICE à VARANGEVILLE, près de NANCY, dans le cimetière où est enterré son mari. J'ai trouvé là à l'église ses 4 enfants, j'aurais aimé qu'il y eut une assistance nombreuse à son enterrement, mais ils m'en ont empêché. Ils auraient été trop vexés de leur mauvaise conduite envers leur maman, à avoir à remercier tous les gens présents à la cérémonie. Ils étaient bien connus. Même jusqu'à la mort de leur mère, ils se seront toujours mal conduits. Je me suis enfui sans les saluer, et à l'office, je me trouvais loin derrière eux. Après avoir vécu seul pendant 6 mois, j'avais eu la surprise de recevoir une lettre recommandée avec accusé de réception. Ils me réclamaient surtout de l'argent, ils ont fait certaines démarches en ce sens. Ils ne se sont même pas occupés du cercueil, du grand voyage de la dépouille de la maman, etc, etc. De véritables enfants voyous. D'ailleurs, la maman ne voulait jamais plus en entendre parler, elle les maudissait. Sur la fin, elle aurait désiré avoir la visite de sa petite fille. J'ai donc envoyé l'argent nécessaire pour que l'enfant vienne avec sa mère. Ils ne sont pas venus, avec l'argent, ils sont allés se promener dans le département du LOT. Le père, la mère et l'enfant, pendant que la grand-mère mourait. Ne même pas lui apporter cette joie de voir sa petite fille. Leur lettre recommandée, je l'ai jeté à la poubelle, car je les attends toujours de pied ferme. Ils devront reconnaître, en comparant ma conduite envers leur maman, et leur conduite qu'ils ont eu envers cette très brave femme, que fut leur maman. Elle a pu s'exclamer avant de mourir - Avec cet homme, Monsieur BELLOT, j'ai vécu 11 années de bonheur ! Certaines personnes présentes connaissaient ses enfants. Nous avons réalisé de beaux et grands voyages, les 7 Perles de la Méditerranée, en venant en voiture depuis NANCY prendre un bateau sur la COTE-D'AZUR à CANNES. L'ESPAGNE, BARCELONE, les BALEARES promenades dans la ville dans une petite voiture attelée à un cheval. La TUNISIE, BIZERTE, Ile de CAPRI, PALERME, la SICILE, GENES, le VESUVE, POMPEI, NAPLES. Plusieurs excursions en car de luxe à VENISE, la YOUGOSLAVIE, etc. Par avion, nous allons à FRANCFORT, HAMBOURG, la Mer BALTIQUE. Par avion, nous allons à MOSCOU, nous logeons dans un hôtel de 3000 chambres. Tout près du KREMLIN, que nous visitons, nous assistons à la relève de la garde, devant le Mausolée de Lénine, sur la Place-Rouge. Nous voyons une pièce de théâtre, de la danse au Bolchoï à une soirée au Cirque de Moscou, etc. Puis l'avion nous emmène à LENINGRAD, au bord de la NEVA. Nous visitons St PAUL, au bord du fleuve, beaucoup de musées datant du temps des Tzars NICOLAS. Nous allons au Golfe de FINLANDE, nous sommes demeurés 8 jours en RUSSIE, nous avons vu le musée français qui rappelle NAPOLEON pendant la guerre en RUSSIE, avec ses troupes, pendant le terrible hiver. Le passage de la rivière la BEREZINA, par les chevaux et les canons, sur la glace. C'était la retraite, la vraie débâcle par les soldats de l'An II. Nous allons pendant une belle saison, l'année suivante, faire une croisière, organisée par la Cie PAQUET, sur le paquebot AZUR. Nous traversons quatre mers et arrivons par la Mer NOIRE à ODESSA, c'est la Côte-d'Azur de la RUSSIE. Nous sommes admirablement reçus par les autorités soviétiques, musique par une grande fanfare, de la danse, toutes sortes de boissons, gâteaux. Nous goûtons à la vodka, qui est offerte dans tous les repas que nous avons participé dans toute la RUSSIE. Nous visitons le sous-marin d'où serait partie la Révolution de 1917. Nous visitons YALTA. Les Accords de Yalta, signés par le Représentant de l'AMERIQUE, ROOSEVELT ou EISENHOWER, par Winston CHURCHILL pour l'ANGLETERRE, par STALINE pour la RUSSIE, pour la FRANCE elle fut oubliée volontairement. On y voit la chaise qui est restée vide. C'était la place de DE GAULLE, le plus grand Vainqueur de la guerre 1939-1945. Lui qui a repris le combat, quand PETAIN et son Gouvernement venaient de signer l'Armistice. Elle est souriante dans le salon du paquebot Cie PAQUET moi, je portai des moustaches. Aussitôt la FRANCE a entendu DE GAULLE proclamer à la radio : " Français, Françaises, nous avons perdu une bataille, mais nous n'avons pas perdu la guerre… ". Pendant toutes ces années de guerre, de Juin 1940 jusqu'à la date du 8 Mai 1945, ce Général a dirigé ou a participé à toutes les batailles. Depuis l'ANGLETERRE, pas toujours d'accord avec le 1er Ministre anglais, puisque il y a même eu des combats entre soldats anglais et français, les Anglais ne reconnaissant pas la FRANCE DE GAULLE qui, lui, devait lutter contre l'armée de PETAIN, qui agissait en traître contre la FRANCE, pour PETAIN c'était DE GAULLE qui était le traître. Il devait être même puni de mort d'avoir désobéi au Gouvernement PETAIN, ce Général qui, comme Jeanne d'ARC, voulait sauver la FRANCE de l'hitlérisme, qui n'aurait plus existé cette FRANCE, après avoir enduré de terribles souffrances. Ce Général se déplaçait partout dans toutes nos colonies, il a nommé des chefs qui sont devenus des grands chefs, qui sont arrivé à lever une armée dans nos colonies. Celui qui devint le Général LECLERC, toujours sous les ordres du Général DE GAULLE, qui devait livrer de nombreuses batailles depuis nos lointaines colonies contre leurs frères français, qui étaient demeurés fidèles à PETAIN, leurs chefs luttant contre les ordres de DE GAULLE. Puis il y avait, en plus de l'armée d'HITLER, à combattre contre les Italiens, alliés d'HITLER. Beaucoup de Français, avaient à leurs risques et périls, pu rejoindre par l'ESPAGNE le continent africain, et être enrôlés dans l'armée LECLERC qui fut appelée la 2ème Division Blindée. Cette vaillante armée est parvenue à aller faire flotter le drapeau français à STRASBOURG, à BERLIN et jusqu'au nid d'aigle du chef nazi, Adolf HITLER, qui était venu se mettre à l'abri, avec son ami Eva BRAUN et son état-major dans les sous-sols du Reichtag, à BERLIN. Ce Général DE GAULLE était le chef de la Résistance française, ils ont beaucoup participé à la victoire finale, des armes de toutes sortes, venant d'ANGLETERRE par avions, étaient lâchés en parachutes, à certains endroits en FRANCE. Toujours la nuit, ces avions étaient dirigés par des signaux lumineux agités par des Résistants, et l'avion n'avait plus qu'à laisser tomber son matériel et des hommes, devenus des chefs, formés en ANGLETERRE par DE GAULLE. C'est grâce à ce grand homme, qui par son énergie, qui n'a pas toujours écouté les ordres des Alliés, que nous avons arrivé à chasser, à écraser le Grand Reich allemand. Mais ces drôles d'Alliés n'ont pas reconnu DE GAULLE pour la signature à YALTA. Les Américains n'étaient venus pour nous aider à la guerre de 1914-1918, qu'en 1917. Ils sont venus pour retirer les marrons du feu, car il a fallu les payer en or, alors que la FRANCE était à genoux. A cette guerre 1939-1945. Nous étions en guerre depuis Septembre 1939, ils sont arrivés en Juin 1944. Ils se sont crus les grands vainqueurs, c'était surtout grâce à la grande Résistance française, dirigée par les grands chefs fidèles à DE GAULLE qui, depuis 3 années déjà, luttaient contre l'envahisseur. L'AMERIQUE, après nous avoir démoli nos villes et nos villages, et tué beaucoup de civils français, éprouvait le désir de s'implanter en FRANCE, en y créant des industries, des commerces de toutes sortes. Mais DE GAULLE, toujours grâce à lui, les a expulsé, nous devenions une colonie. C'était leur façon de venir nous délivrer bien tard, mais avec l'intention de venir s'enrichir à notre détriment. La FRANCE, notre territoire, était pour eux un champ de bataille, ils repoussaient l'ennemi, mais en écrasant tout sur leur passage, pourquoi s'en faire puisqu'ils seront encore payés de leur drôle de guerre. C'est DE GAULLE qui les a chassé et il s'est dépêché de les payer le plus vite possible pour qu'ils nous fichent la paix. Ils n'ont été pour lui que des profiteurs de notre douce FRANCE. Avec Marcelle, nous profitons que la Maison COOP, où je fus employé pendant 37 ans, organise un voyage à BERLIN en 1972. Nous sommes venus par le train, c'est pour les fêtes du 1er Mai à BERLIN-EST, de l'autre côté du Mur de la Honte. C'est le commandement russe qui organise le défilé des travailleurs allemands. Ils sont 1 million à défiler, tous ceux qui sont valides doivent défiler. Femmes, enfants, hommes, tous ceux qui peuvent marcher. Ils ont chacun dans les mains une petite branche, un peu comme à la Fête des Rameaux. Ils défilent sur une douzaine de rangs, dans un grand silence. C'est triste. Ils n'éprouvent aucune joie et on les comprend, ils se sentent comme des prisonniers, la plupart sont divisés de leur famille, qui se trouve dans l'autre partie de BERLIN, séparé par ce mur bien gardé par des mitrailleuses. Il n'y a pas de musique, aucun n'a envie de chanter. Je suis sur le bord du trottoir avec Marcelle. Tout à coup, nous sommes happés par des gars qui nous entraînent avec eux, ils nous remettent un petit rameau, et ils sont contents et nous aussi. La dislocation se fait sur une immense place, où aura lieu cet après-midi une fête organisée par les Russes. Tout ce monde est content de pouvoir rentrer dans leur bercail, ils se sentent libres. L'après-midi, ils ne viendront pas pour assister à la fête, aux chants des chorales militaires. Il y aura surtout le monde paysan, venu des villages voisins de BERLIN. Nous, en touristes libres, nous viendrons à la fête pour écouter leur musique, les chants militaires. C'est une kermesse, on peut déguster des boissons, manger des saucisses. Avec le car fourni par les Russes, nous visitons BERLIN-EST. Nous nous arrêtons un instant devant l'ancien Reichtag où se trouve enseveli HITLER, GOEBBELS, avec toute leur famille et d'autres de la clique du Führer Adolf. C'est un énorme monticule recouvert de gazon. Puis nous venons visiter le BERLIN-OUEST, il est sous la coupe des Alliés, les Russes exceptés. Nous visitons le zoo qui est superbe, mais c'est un BERLIN reconstruit après la guerre 1945. Puisque tout BERLIN fut démoli, d'abord par les avions de bombardement, puis ensuite par les canon des Américains, des Anglais, des Français, le BERLIN-EST fut surtout écrasé par les Russes et fut reconstruit par eux, avec de larges avenues, comme à MOSCOU. Américains et Russes se sont chicanés pendant de longs mois, les Russes avaient bloqué tout BERLIN. La moitié de la ville a dû être ravitaillée par les avions américains, en vivres et en charbon, afin de ne pas laisser mourir tous ces habitants du BERLIN-OUEST. Pour pouvoir traverser la ville, nous étions contrôlés, et ce contrôle était très sévère. De nombreux civils allemands furent mitraillés pour avoir essayé de traverser, pour venir voir leur famille. Ils étaient départagés, depuis que la ville était coupée en 2 zones : zone russe, zone américaine. Ces 2 géants se méprisaient. Nous sommes allés en croisière sur un paquebot de la Cie PAQUET, nous avons visité la GRECE, le PARTHENON, les Théâtres Antiques Romains. Nous avons vu le Stade Olympique, d'où est partie la flamme olympique, portée par un athlète qui courut pendant 42 km le marathon. Nous sommes allés au Canal de CORINTHE, nous sommes allés à ISTAMBOUL en TURQUIE, nous avons vu des villes entières, de vestiges romains. Nous sommes allés sur le territoire asiatique, en passant par le grand pont qui traverse la Mer NOIRE. Par avion et par bateau, nous sommes allés visiter l'EGYPTE, ALEXANDRIE, le CAIRE, les fameuses Pyramides. Nous avons un peu longé la rivière, le NIL. Partout nous avons été très bien reçus, des fêtes étaient organisées à notre intention. Par la mer, nous sommes allés visiter le pays de Jésus, JERUSALEM, nous avons emprunté les rues tortueuses du Chemin de Croix, l'endroit où il est né, NAZARETH, le Mont des OLIVIERS, la Mer MORTE, le JOURDAIN. C'est un vrai coin de paradis. La nature, tous ses champs couverts de fruits et légumes, de fleurs. Les belles maisons, avec beaucoup de solariums sur les toits, c'est un contraste d'avec ce que nous avons découvert en EGYPTE, ils ont un siècle de retard pour ce qui est de leur campagne, et encore beaucoup de mal logés. Nous sommes allés, Marcelle et moi, passer la Semaine Sainte en ITALIE, à ROME. Nous avons assisté à la messe au VATICAN, avons visité l'intérieur du VATICAN. Avec le car, on est allé à la Résidence, où les Papes viennent y passer leur vacance, à CASTEL GANDOLFO. Nous nous arrêtons au grand stade magnifique, construit par le Duce MUSSOLINI, le dictateur de l'ITALIE, ami d'Adolf HITLER. MUSSOLINI fut pendu par les Italiens, lui aussi était un monstre. La visite de la ville de ROME nous a enchanté, ainsi que d'autres villes de l'ITALIE. Après la mort de cette brave maman, je suis désemparé. Je me retrouve encore une fois bien seul. Je dois lutter pour continuer à vivre. Je vais me reposer au CANNET, près de CANNES, dans une maison qui avait été construite par un mécène, pour y recevoir les blessés de la guerre 1914-1918. Ils y étaient soignés, puis ensuite repartaient sur le front. Cette propriété devint une résidence pour les anciens combattants, alors comme ancien combattant de la guerre 1939-1945. Je fus accepté pour venir m'y reposer pendant 1 mois. C'était aussitôt les fêtes de fin d'année. Cette maison au CANNET, ou plutôt le SUPER CANNES, est très bien située sur une hauteur, avec un immense parc, des arbres de toutes sortes, des fleurs, des bassins, des jets d'eaux. Cette propriété se trouve en-dessous de la superbe villa de la BEGUM, mariée à ce riche pacha, il avait choisi cette fille, qui était très jolie, et qui avait été reine de la plus belle femme d'EUROPE. C'est pour elle qu'il avait construit cette immense et magnifique propriété. Je suis allé me promener tout autour. J'ai vu la BEGUM plusieurs fois dans d'autres occasions, surtout dans les salles des fêtes du CANNET, des kermesses, pour distribuer et venir en aide aux nécessiteux de sa ville. Tout ce qu'on appelle le SUPER CANNES est habité par des milliardaires étrangers, possédant des yacks. Dans cette pension de famille où je me trouve, tous les invalides de guerre y viennent s'y reposer pendant plusieurs mois. Mais tous les retraités assurés sociaux y ont droit aussi. Quelle ne fut pas ma surprise, lorsque la Direction m'a indiqué ma chambre, en y entrant il y avait déjà un homme, c'est des chambres à 2 lits. Ce type, je le reconnais ; c'est pourtant ce voyou de faux passeur de METZ, PAGNY SUR MOSELLE. Je retourne aussi vite à la Direction que je ne pourrai pas vivre à partager la chambre avec lui. Ils me répondent - Nous avons déjà eu des ennuis avec ce client, il a fallu enlever celui qui partageait la chambre avec lui. Alors ! Tâchez de vous arranger ensemble, nous ne pouvons plus intervenir. Il n'a pas l'air de me reconnaître, si bien que j'évite de lui dire que je le connais bien, et pendant 1 mois je serai pour lui un étranger qu'il n'a jamais vu. Notre dernière entrevue de près de 40 ans, il y a longtemps qu'il m'a oublié. Il sort en ville tous les soirs, il rentre tard plutôt éméché, il a de nombreux rendez-vous avec des femmes. Il me montre sa carte de Déporté, dans un camp en ALLEMAGNE, je n'en reviens pas. Ainsi, lui qui a fait déporter des Résistants passeurs français, qui sont allés mourir en ALLEMAGNE, est devenu un déporté lui-même, pour la FRANCE, il est considéré comme un héros. Il touche la plus forte retraite que l'on puisse donner à cette catégorie de déporté. Ils n'ont donc pas vu qu'il se portait comme un chêne, à son arrivée en FRANCE. Il devait y avoir un contraste, en le comparant avec les déportés malades, mourants, squelettiques, et dont beaucoup touchent une retraite moins forte que la sienne. C'est bien la vraie crapule. Un jour il rentre très tard, il est saoul, je ne l'ai pas entendu rentrer. Lorsqu'il s'est levé dans la matinée, il est allé directement à la Direction se plaindre qu'on lui avait volé sa veste, avec son portefeuille qui renfermait tous ses papiers, ainsi qu'une somme de 150 000 anciens francs. A moi, il ne m'en a pas fait allusion. A midi, en me rendant à la salle du restaurant, la patronne me dit : - C'est vous Mr BELLOT qui avez pris la veste de votre voisin de lit ? J'ai répondu : - Cet homme est fou ! en portant ma main sur ma tempe, puis elle a bien ri, elle ne portait aucune attention à la plainte de ce monstre, elle le détestait. Il est allé porter plainte au bureau de la Police à CANNES. J'attendais de pied ferme, étant prêt à leur dire ce qu'était ce chenapan. Je m'y suis rendu moi-même à la Police, le planton ne m'a pas autorisé à rentrer. Dommage, je supposais que cet individu devait me soupçonner, puisqu'il n'y avait que moi dans sa chambre. Au bout de 2 jours, un homme, de la chambre voisine qui est sourd, et partage la pièce avec un aveugle, vient frapper à ma porte. Il me dit : - Ce n'est pas à vous ce portefeuille, avec toutes ces pièces d'identité, que je viens de trouver dans la poche d'une veste, qui ne nous appartient pas. Tout de suite je reconnais le nom MONNET, il avait entré dans leur chambre, qui n'était pas fermée à clef, et avait accroché sa veste dans leur vestiaire, ces 2 hommes n'ont rien vu ni entendu. Ensuite il a dû ressortir pour rechercher son chapeau, qu'il avait laissé en bas sur un fauteuil puis il est remonté, mais sans se tromper de chambre. Il ne m'a fait allusion de rien, comme si j'étais resté ignorant de toute cette histoire. J'avais connu ce grand gaillard coureur cycliste MONNET. Lui ne me connaissait pas, j'aimais aller voir les arrivées de courses en vélo, il gagnait souvent. Je devais le revoir en 1944, pendant la guerre à PAGNY SUR MOSELLE, dépouiller les P. de G. Après guerre je l'ai revu, il tenait un magasin de cycles et motos, puis ensuite un café-comptoir. Il m'a montré la belle maison, qu'il a fait construire près de NANCY à FLAVIGNY SUR MOSELLE. Il avait la photo sur lui, c'est un endroit que je connais très bien, au bord d'une belle rivière poissonneuse, la MOSELLE. Mon séjour d'un mois s'est tout de même bien passé, malgré la présence de ce triste gars, comme voisin de lit, dans ma chambre, il partait tous les jours pour aller bringuer dans la ville de CANNES. Voilà déjà bientôt 6 mois que Marcelle m'a quitté. Je me fais inscrire pour assister à un repas, avec les Alsaciens, c'est à la VICTORINE, c'est l'endroit où les artistes de cinéma viennent y tourner des films. Nous sommes au mois de Mars 1980. Le repas, c'est une bonne choucroute garnie. Je me trouve à une table, à ma gauche, il y a 6 femmes, j'ai devant moi une dame et à ma droite, j'ai 2 hommes, c'est 2 Alsaciens. J'essaye de causer avec ma voisine d'en face, c'est très difficile d'obtenir une conversation, tellement il y a de bruit. La musique invite à la danse, je lui demande si elle veut faire une danse, elle dit " Oui ! ". Nous dansons, elle est contente de son cavalier. Il est l'heure de partir, nous sortons ensemble, je l'emmène visiter la Jansonne, où j'avais résider pendant 9 mois avec la maman Marcelle. Nous nous sommes même assis sur un fauteuil, en attendant l'arrivée du bus. Je suis allé la reconduire chez elle, elle tient un meublé. Je lui ai plu, elle m'a plu, je venais la voir tous les jours, et je l'aidais quelque peu à faire ses chambres. Elle est venue voir où j'habitais. Plus tard je louais un studio, dans son immeuble, j'ai déménagé. La porte de mon logement est juste en face du sien. Elle a revendu son meublé, la voilà tout comme moi en retraite. C'est une brave maman, elle a 5 enfants une dizaine de petits enfants, une 1/2 douzaine d'arrière-petits-enfants. Il y a une fille qui habite la COTE-D'AZUR, pas loin de NICE, avec son mari et 3 grands enfants. Je fais la connaissance à l'occasion d'un Dimanche, où cette fille nous a invité à un repas. Puis plus tard, elle m'emmène à PARIS, où je fais la connaissance des 4 autres enfants qui habitent tout autour de PARIS. Comme je porte le prénom de Louis, je suis appelé le Papylou, je deviens leur grand-père. Je serai par la suite invité chez chacun. Ils ont organisé une grande fête, tous réunis, ils étaient 30 de la même famille. Je suis dans l'album de famille. Cette maman se nomme Marguerite TUTIN. Nous avons aussi déjà fait de beaux voyages ensemble. Plusieurs fois la GRECE, les Iles BALEARES, TUNISIE, l'ALGERIE, le PORTUGAL, la CORSE, l'ITALIE, la YOUGOSLAVIE, etc. Nous sommes déjà inscrits pour aller en THAILANDE, BANGKOK, par avion, début Novembre 1988. Il me revient en mémoire que nous sommes allés visiter la POLOGNE, VARSOVIE, KRACOVIE, et surtout le fameux camp de déportés d'AUSCHWITZ, c'est quelque chose d'atroce à voir. Des milliers de vieillards handicapés ont passé dans le four crématoire après avoir enduré de terribles souffrances d'être maltraités de toutes sortes, la faim, les terribles hivers dans des baraques, sur une espèce de paillasse, encore ceux qui en avaient une. Elles étaient salies, contaminées par ceux qui avaient passé dessus avant eux, par les excréments de ces humains qui souffraient de la dysenterie. Et puis ces milliers de petits enfants de tout âge qui ont subi le même sort. On y voit une montagne de toutes sortes d'appareils chirurgicaux, jambes, bras, ceintures, corsets, etc. Et bien sûr des tas de petites chaussures pour tout âge. Des monceaux de dentiers, l'or ayant été récupéré par les nazis, après avoir vu les fours crématoires, on sort de ce camp plutôt malade. Cette maman de 5 enfants adore d'aller nager dans la mer, à la belle saison, elle s'y amuse tous les jours, elle aime surtout nager sur le dos. Je suis moins courageux qu'elle pour nager. Il paraît que l'eau de mer fait du bien à son arthrose. Nous sommes inscrits dans un club de jeux de Scrabble. Elle se débrouille mieux que moi, pour retenir des mots qui rapportent des points, je dois dire qu'elle s'en donne la peine. C'est un grand passe-temps pour elle, je ne regrette pas de lui avoir montré ce jeu qui est très instructif. Nous connaissons toute la COTE-D'AZUR, à 200 km à la ronde, en partant de NICE. En payant une adhésion dans un club, qui compte les 36 provinces de FRANCE, on choisit un programme qui nous plaît, et nous faisons une excursion de la journée en car, ou en bateau sur la mer, jusqu'à SAN REMO en ITALIE, St TROPEZ en FRANCE, les Iles de LERINS, etc. La retraite a vraiment du bon à tous les âges, dans les clubs, on peut s'amuser à danser, sans même connaître les vrais pas de danse, la musique nous fait gigoter, on vit heureux comme de jeunes insouciants. Nous dansons surtout la Danse du Canard. Nous nous payons des petits séjours d'un mois, dans des résidences qui appartiennent à nos retraités, c'est surtout aux alentours de PARIS, ce qui fait que tous ses enfants et petits enfants peuvent venir nous voir, et même manger dans la salle de restaurant, avec nous, alors tout. Alors, tout le monde est heureux. Dans ces résidences pour retraités 3ème âge, il y a tout pour se distraire, toutes sortes de jeux, même des grandes fêtes y sont organisées jusqu'à la danse, et la soirée se termine par une bonne soupe à l'oignon. La danse qui nous plaît le mieux, c'est la Danse du Canard, c'est rigolo, elle sert de gymnastique. Cette brave maman vient de subir l'opération du cancer de la thyroïde, tout s'est bien passé, elle est suivie par ses Docteurs. Elle est très courageuse pour lutter contre toutes les petites misères de la vie. Pour son genou, les chirurgiens voulaient l'opérer, elle a refusé. Un Docteur la soigne pour son arthrose, et elle marche de mieux en mieux, elle aime beaucoup marcher, ce qui est très bon pour le coeur et les jambes. Moi je me suis fait opérer de la cataracte à l'oeil droit, tout s'est bien passé, avec mes lunettes, je vois mieux et de loin. Je pense, d'après ce succès, me faire opérer l'oeil gauche. J'ai dû subir presque en même temps l'opération de la prostate. Et après quelques mois d'handicap, je suis redevenu un homme presque neuf, je n'ai pas à me plaindre. D'après mon âge, je suis plutôt un homme gâté pour continuer à vivre une merveilleuse retraite, toujours à la COTE-D'AZUR. Peut-être plus tard, si Dieu nous prête vie, nous envisagerons d'aller vivre dans une résidence pour 3ème âge, vers PARIS dans la campagne, non loin de ses enfants et petits-enfants. Pour l'anniversaire de leur maman et mamie, nous allons nous réunir non loin de la capitale. Nous serons 40. Ce sera pour fêter ses 80 ans. Au mois de Mai 1988. J'espère qu'il y en aura encore beaucoup d'autres, de ces réunions d'anniversaire. J'ai déjà assisté à 3 mariages de trois de ses petites-filles. En ce moment il y a déjà trois petits-fils qui sont en âge de se marier, ils ont de 22 à 24 ans. Alors, j'espère pouvoir être présent à leur mariage. Que de belles photos à mettre dans l'album de famille. Puisque je suis un ancien combattant de la guerre 1939 à 1945, je suis invité avec MAGUY, ma compagne de l'automne de la vie, à un repas dans les collines de la ville, à CASTAGNIERS. Il y aura des notables, il sera remis par le Préfet des documents à 40 anciens combattants et je serai parmi ceux-là. J'aurai tout de même obtenu quelques récompenses dans ma drôle de vie. Diplôme d'Etat remis par le Ministre des Sports, avec Médaille. Diplôme de Chevalier du Mérite Agricole par le Ministre de l'Agriculture. Diplôme des Anciens Combattants Prisonniers de Guerre, avec la Médaille, remis par le Général commandant la Place à NANCY. Je me permets de dire tout cela afin de pouvoir comparer avec le passé de ce voyou qui fut mon père, qui dès ma naissance m'abandonnait à l'Assistance Publique, et abandonnant sa femme qui était ma mère. C'était la misère au Foyer. Elle a accouché du bébé que j'étais, à la Maison de Secours, dirigée par des Soeurs de la Charité. Son mari, celui qui était mon père, pendant ce temps, menait une vie de débauche avec une autre femme, il s'est débarrassé de sa femme et de son enfant, sans jamais chercher à nous revoir. Dès sa sortie de la Maison de Secours, elle l'a revu, mais déjà avec sa nouvelle femme, il a même voulu la battre, il a demandé le divorce, sitôt que je venais de naître. En ce temps l'Assistance Publique réclamait la somme de 12 francs anciens, pour pouvoir retirer l'enfant que j'étais. Elle n'a jamais pu payer. Sa maman qui était ma grand-mère, était pauvre et indigente, et comme sa fille qui était ma maman, étaient toutes les deux sans emploi. Et les hivers étaient très rudes en LORRAINE, ils n'avaient même pas les moyens d'acheter du chauffage. Pas de gaz ni d'électricité, la neige durait pendant des mois, je songe à cette triste vie qu'elle a dû subir et elle n'avait que 27 ans. Lui, son ex-mari, mon père, j'espère qu'il a bien mérité de souffrir sur cette terre. Bambocheur, fainéant, je dirai même crapule, il était venu dans ce village de LORRAINE que je connais très bien, pour y avoir vécu toute mon enfance, au petit village d'HARAUCOURT près de DOMBASLE SUR MEURTHE, lui est venu d'un village de la LORRAINE annexée à NIDERHOFF-MOSELLE. Il est allé à l'école allemande, et a fait son service militaire dans l'armée du Grand Reich. J'ignore d'après son âge qu'il avait à ma naissance, si il a fait la guerre de 1914-18 contre la FRANCE. Son nom n'est pas allemand, puisque il se nommait BELLOT, et que ce nom est dans le dictionnaire. BELLOT, petit homme, beau et gentil, inscrit dans le LAROUSSE. Ce village, où il rencontra la fille qui devint maman, ma maman, s'appelle SOMMERVILLER, avec le village où je fus placé, chez de très pauvres gens, les terres des 2 communes étaient plutôt mélangées. HARAUCOURT avait des vignobles, et des houblonnières, sur les terrains de SOMMERVILLER. Ce n'était qu'à 3 km de la commune où je suis demeuré, jusqu'à l'âge de 13 ans. Cette fille a très bien pu travailler à cueillir les raisins et le houblon, ainsi nous vivions tout près l'un de l'autre, mais nous l'ignorions et nous ne pouvions pas nous connaître. J'étais abandonné à l'Assistance, elle n'avait plus aucun droit sur moi. Cette maman n'a pas pu payer les 12 francs à l'Etat. Je n'ai appris tout cela qu'à l'âge de 84 ans. Leur mariage, leur séparation, il est allé vivre à la ville de LUNEVILLE, la mairie m'a répondu qu'il avait complètement disparu. Ainsi pour une modique somme de 12 francs, je fus abandonné à la D.D.A.S.S. Puisque je n'ai pas connu une vraie maman, j'ai passé ma vie, d'abord avec une maman délaissée avec un enfant de 6 ans. Elle est morte à 36 ans. J'avais 30 ans. J'ai fait la connaissance plus tard d'une maman, délaissée avec 2 enfants, de 10 et 14 ans. Elle est morte, elle aussi d'une opération à l'âge de 67 ans. Ses dernières paroles : " Je suis fichue , ils m'ont charcuté ! ". Moi, j'avais 64 ans. Je suis en retraite, je rencontre une maman placée chez les malades mentaux par ses 4 enfants 3 filles et un garçon. La maman n'a jamais plus voulu en entendre parler, de ses mauvais enfants. Après 11 années de bonheur, elle mourait d'un cancer, elle avait l'âge de 67 ans. Moi, 77 ans. Je me retrouvais encore une fois orphelin, je n'ai pas eu d'enfants, j'aurais dû en avoir 2, mais le destin en avait décidé autrement. Voilà 8 ans que j'ai rencontré cette brave maman et grand-maman de 80 ans. Me voilà dans ma 86ème année, mon plus grand désir serait de pouvoir retourner en LORRAINE, revoir ces villages où j'ai passé mon enfance jusqu'à l'âge de 13 ans. Puis pouvoir montrer à ma compagne la ferme, l'écurie des chevaux, c'était l'endroit où je couchais dans un lit de paille, hachée par les souris pendant près de 7 ans, les toiles qui servaient de drap étaient plutôt pourries. J'y ai été dévoré par les poux appelés totos, par les poilus de la guerre 1914. Mon corps n'était plus qu'une plaie. Mes cheveux étaient remplis de poux de tête, et puis j'ai encore connu d'autres poux appelés je crois, morpions. Je n'ai su le vrai nom, j'avais déjà 17 ans. Pourquoi ne jamais avoir eu la visite d'un Contrôleur-Inspecteur de l'Assistance Publique. C'est ces hommes là qui étaient très bien payés, puisqu'ils étaient de hauts fonctionnaires de l'Etat, qui auraient pu empêcher que beaucoup de ces jeunes gens, ne deviennent pas des voyous, puisqu'ils se vengeaient comme ils pouvaient, à force de subir des mauvais traitements. Les bêtes étaient mieux soignées que tous ces malheureux jeunes gens, qui n'avaient pas le droit de se plaindre, car ils risquaient la Maison de Correction, les Camps de Redressement, qu'ils ne méritaient pas si les fonctionnaires chargés de les surveiller devaient aller sur place, les voir dans les mauvaises conditions qu'ils subissaient, s'occuper un peu de tous ces exploitants, exploitants de jeunes gens abandonnés, à travailler de 12 à 14 heures par jour pour quelques francs, et qu'à leur majorité à 21 ans, ils avaient un livret de Caisse d'Epargne, où il y avait de 10,00 Fr. à 12,00 Fr., de quoi se rhabiller enfin convenablement. Heureusement que pendant la guerre 1914 à 1918, on pouvait s'habiller, avec ce que laissaient nos pauvres poilus. Vestes, capotes, gros souliers, soit français, américains et anglais. J'avais 85 ans, je me suis engagé pour courir un cross organisé par le journal NICE-MATIN. Il fallait courir 10 km dans un endroit très difficile, des buttes, des forêts, le parcours était réputé le plus dur de FRANCE, par les vrais coureurs spécialistes de cross. Je l'ai terminé, mais j'ai souffert d'un mollet, je m'étais fait un claquage. J'étais content de ma résistance à avoir couru ces 10 km. Mon coeur était encore bon. Je viens d'écrire mes mémoires de la guerre 1939-1945. J'ai porté mes récits de ma guerre, prisonnier en AUTRICHE, pendant 4 années. Il paraît que nous sommes une quarantaine à avoir apporté nos récits de guerre au Président des Anciens Combattants de l'Association Nationale des Croix de Guerre et de la Valeur Militaire. Nos récits ont été imprimés et envoyés à PARIS, aux archives de l'Histoire, Hôtel National des Invalides. Le Samedi 15 Mai, je suis invité par des hommes de valeur militaire, avec ma compagne, à un repas à CASTAGNIERS, dans les collines niçoises. Le Préfet sera là pour nous féliciter, ainsi que quelques Généraux. Depuis un certain temps, ma vue a beaucoup baissé. Je suis allé consulter, à l'occasion d'un séjour près de PARIS, à VERRIERES LE BUISSON, près d'ANTONY, un spécialiste pour les yeux à l'hôpital des Quinze-Vingt à PARIS. Après examen, il a jugé que je devais me faire opérer de la cataracte. En revenant à NICE, je me suis fait opérer de l'oeil droit. Cette opération a très bien réussi, et plus tard, il sera question de m'opérer de la cataracte de l'oeil gauche. Lorsque je me suis réveillé de mon opération, j'ai éprouvé des ennuis de vessie, celle-ci s'était bloquée, j'ai beaucoup souffert de ne plus pouvoir uriner. J'ai appelé une infirmière, elle m'a conseillé d'avaler des cachets pour me faire dormir. Mais il fallait que j'avale encore du liquide, alors que ma vessie était déjà prête à éclater. Je souffrais énormément, je suis allé dans leur bureau pour que l'on appelle un Docteur. Il est tout de même venu un étudiant je pense, il m'a mis une sonde très délicatement, il connaissait très bien ce genre d'opération. Je suis soulagé, mais au matin, cette sonde on me l'enlève. Si bien que me voilà revenu au même point, je souffre de la vessie. J'appelle, mais il n'y a pas de Docteur. C'est 2 infirmières, qui ne sont pas habituées à ce genre de travail, elles me font beaucoup souffrir, je suis plein de sang, enfin me voilà soulagé. Au matin, ma sonde est encore enlevée. Le Docteur m'autorise à quitter la clinique, vers le soir, ma compagne vient pour me ramener à la maison. Je lui dis que je recommence à souffrir de la vessie. Il va falloir que je me rende chez un Docteur, elle est ennuyée. Elle me dit - Mais qu'est-ce que je vais faire de toi, dans un cas pareil ? Elle prend une décision énergique, elle téléphone à l'oculiste qui m'avait opéré, et qui n'est jamais venue me rendre visite, comme elle me l'avait promis. Elle lui explique dans quelles conditions je suis sorti de la clinique. L'oculiste répond : - Il faut tout de suite retourner à la clinique, je vous envoie un Docteur spécialiste. Nous prenons vite un taxi, et après un petit quart d'heure, me voilà dans les mains du spécialiste. Je souffre un peu, mais je vais être délivré. Je dois pendant un mois garder cette sonde. Je serai opéré ensuite de la prostate. Après être demeuré pendant 10 jours à la clinique, je reviens à la maison. MAGUY est déjà une bonne infirmière pour moi. Mais le Docteur-Chirurgien me fait venir une infirmière diplômée, elle viendra pendant 2 mois à la maison, pour me faire un pansement tous les soirs. Je désespérais car cette ouverture ne se cicatrisait pas, il a fallu que je retourne plusieurs fois voir le spécialiste pour me recoudre, la guérison fut longue, mais j'étais aussi très fatigué, par suite des 2 opérations coup sur coup. Toutes ces interventions m'ont redonné le plaisir de vouloir vivre ma retraite en bonne santé, puisque je vois beaucoup mieux, c'est autrement agréable à me promener, et je n'ai plus d'ennuis pour me rendre au petit coin. Je suis presque un homme neuf. Avec ma compagne MAGUY, nous sommes allés faire un séjour de 2 semaines dans une maison de retraite à MASSY PALAISEAU, près d'ANTONY, banlieue de PARIS. Elle vient d'avoir 80 ans. Ses 5 enfants ont voulu à cette occasion lui faire une belle fête, car en même temps c'était la Fête des Mamans. Ses 3 petites-filles sont des mamans, ses trois filles tout d'abord des mamans bien sûr. Les petites-filles ont aussi des enfants. Si bien que nous étions près de 40, à cette réunion de famille. Ce fut une belle grande fête, tout ce monde était joyeux de se retrouver tous réunis. Tout ce monde est arrivé en voiture, entre 11 heures et 1 heure de l'après-midi. On avait l'impression de tourner un film à la campagne. Nous débarquions tout comme des artistes, chacun à la descente de voiture était filmé, par une caméra qui nous filmait pendant 50 mètres jusqu'à l'arrivée à la salle de restaurant. C'était dans une ancienne grande ferme de cultivateurs, cela donnait l'impression de rentrer dans la cour du Château de VERSAILLES. Il y avait de gros pavés, une belle porte tout comme l'entrée d'un musée. Chacune et chacun avait revêtu ses plus beaux habits pour la circonstance. Anniversaire de la mamie, anniversaire de plusieurs enfants et Fête des Mamans. Le soleil était au rendez-vous, un vrai ciel bleu de COTE-D'AZUR, toutes sortes d'oiseaux qui chantaient pour nous accueillir, sans oublier les belles hirondelles qui virevoltaient au-dessus de nos têtes. Cette réunion avait lieu dans les environs de MEAUX, après avoir passé près de SOISSONS. Cette grande réunion familiale fut vraiment bien réussie. Tout ce monde pourra revivre ces instants merveilleux grâce à cette caméra. La date d'anniversaire tombait bien pour les 80 ans de mamie, car la nature était en fête. Les campagnes étaient jolies. Les champs de blé qui semblaient se sauver, tellement le vent les faisait onduler, on y voyait des champs de toutes les couleurs, ressemblant à des échantillons de tissus de toutes sortes de couleurs. Pendant les 15 jours que nous avons vécus à la Résidence de la Retraite pour Cadres, nous avons été très bien traités. Tous les matins, on nous apportait notre petit déjeuner copieux dans la chambre, au restaurant les repas étaient très bien servis, les menus étaient très bons et très changeants. Nous y avons fait de très bonnes nuits, nous ne nous levions qu'à 8 heures et demi. Une vraie vie de pacha. Tous les jours, les matins, j'allais faire des promenades dans un immense parc, et je chantais pour accompagner les oiseaux. Il y avait un grand lac avec de grandes bandes de poissons rouges. C'était un beau spectacle à les voir, lorsque le soleil éclairait l'eau, cela ressemblait à un miroir, d'où l'on pouvait distinguer de grandes taches rouges, qu'étaient les poissons. Plusieurs après-midi, nous nous sommes promenés, avec MAGUY et sa fille Monique, et d'autres jours avec sa petite-fille Elisabeth et ses 2 petits-enfants Nicolas et Stéphanie. Puis un jour, elle nous a emmené voir sa maison qu'elle fait construire à FORGES LES BAINS dans la vraie campagne. Elle a voulu fêter les 80 ans de sa mamie, en nous payant un petit souper dans un restaurant de campagne, c'était un coin de paradis, ce restaurant avec un jardin superbe. MAGUY a envie de connaître l'ORIENT, elle fait les démarches pour effectuer ce grand voyage vers HONG-KONG non loin de la CHINE, dans le mois de Novembre, où le climat est moins chaud. Elle est en pourparlers avec les prix. Il y aurait de grandes différences de prix à discuter entre plusieurs agences. Si ce voyage s'accomplit, nous aurions l'occasion de revoir des anciens collègues de la Coopérative, où j'étais employé en LORRAINE. Ma compagne MAGUY a dû décliner à l'agence qu'elle n'était pas en assez bonne condition pour effectuer ce long voyage en THAILANDE. Il m'a fallu le faire seul, la chambre fut partagée par un responsable de l'agence FILCOOP. J'ai visité le pays dans tous les sens, mais je n'ai jamais eu le coeur gai, bien sûr j'ai appris bien des choses sur les coutumes de ces lointains pays d'ASIE. J'y ai dégusté beaucoup de fruits directement des arbres, bananes, noix de coco, pamplemousses, etc, etc. J'ai vu des habitants émigrés des guerres du VIET-NAM, CAMBODGE, LAOS, etc, vivant comme des bestiaux en pleine jungle, beaucoup ne sont même pas civilisés, lorsque j'ai visité, le temps était froid et pluvieux, c'était à 1000 mètres, au Nord de la THAILANDE, ils étaient à tous les vents et grelottaient. Lorsqu'il fait chaud, ils vivent avec ce qui pousse dans la forêt, et si il fait froid, eh bien ils meurent tout simplement, ils ne sont pas reconnus habitants de la THAILANDE. Par bateau nous sommes allés jusqu'à la Mer de CHINE, appelée dans une île, la Mer de CORAIL. On découvre ces coraux par le fond du bateau qui est verré, sous nos pieds, tout comme le Commandant COUSTEAU. Je me suis baigné dans cette mer. Les marchés sur les canaux se font en barques, chacun apporte fruits et légumes qui poussent sans cesse, par l'humidité et la chaleur. C'est pittoresque. Nous sommes allés au TRIANGLE D'OR, c'est l'endroit des trois frontières : la BIRMANIE, le LAOS et la THAILANDE. C'est de là que part le plus grand trafic de drogue, d'opium, pour tous pays. J'ai vu le fleuve le MEKONG, long de 4 800 km. Dans nos excursions en car, notre animateur était un petit Chinois qui parlait bien le français, il nous a appris beaucoup de choses sur la THAILANDE et ses pays voisins, le LAOS, BIRMANIE. Nous avons visité beaucoup de temples superbes, il y en avait de très anciens. Certains étaient recouverts d'or. Des anciens temples servent de petites montagnes où les singes vivent en liberté. Il y en a des centaines et des centaines. Ils traversent la route où passent de nombreuses voitures, car ils vont d'un temple à l'autre sans se soucier du danger de la route. Ils n'ont pas peur, ils sont voleurs, les dames doivent se méfier de leur sac à main, de leur collier, ils attrapent tout. Beaucoup de chiens vivent avec eux. C'est les singes qui pouillent les chiots. Ces singes sont venus de la jungle toute proche, ça pullule. Il y en a à tous les immeubles, ils rentrent dans les appartements. On visite un troupeau d'éléphants dans la jungle, les cornacs les font travailler à manipuler des troncs d'arbres. Il y a la rivière KOUAILLE, on la traverse sur une passerelle branlante, tout comme dans les films de TARZAN chez les singes. Chaque touriste achète une dizaine de bananes, que l'on distribue aux éléphants. On monte à 2 personnes sur leur dos, et on fait un petit dans la jungle. Le cornac conduit, placé vers la tête. Nous visitons des tribus de gens non civilisés, qui ne sont pas habitants de THAILANDE. Tout était en fleurs dans des coins de la forêt, au Nord du pays. C'est des coins de paradis, tellement c'est beau, on voit des papillons de toutes couleurs gros comme des oiseaux. On voit des Bonzes partout, ils ne font rien que de prier, leur nourriture est offerte par les gens du pays. Partout dans les hôtels-restaurants, des jeunes filles cambodgiennes, chinoises, enfin de toutes les races qui se trouvent dans ce pays, vous accueillent en vous saluant, elles joignent leurs mains et elles s'inclinent, elles vous épinglent une fleur à la boutonnière, puis vous servent un verre d'orangeade. Je leur trouve à toutes une figure de Chinoises, elles ont l'air très douces. Je suis monté sur un pousse-pousse vélo, le gars pédale nous sommes 40, chacun son pousse-pousse. Ils nous emmènent à 2 km. Nous sommes invités à un théâtre, l'on doit se déchausser, nous nous asseyons par terre sur la moquette, un repas thaïlandais nous est servi. Sur la scène, il y a de belles jeunes filles du pays, elles dansent, elles sont gracieuses et l'on prend plaisir à les contempler. C'était vraiment un beau spectacle. La ville c'est le BANGKOK de fête la nuit, beaucoup d'animation beaucoup de vendeurs d'objets de toutes sortes. Nous avons visité une fabrique de soie, depuis lever à soie, l'on voit tout le travail jusqu'à la finition en bas, dessous féminins, etc. Une fabrique d'objets en argent, très beau travail. Une fabrique de petits parapluies, ombrelles. Une fabrique de sacs en cuir. Tous les articles sont ensuite présentés dans de beaux magasins, où nous attendent des jolies filles du pays. On nous offre une boisson, elles nous épinglent un bouton de rose à la boutonnière. Après il faut acheter, nous sommes suivis par les vendeuses, elles talonnent le client. Moi je n'achète rien, cela m'ennuie d'être suivi ; à chaque magasin je m'efforce de retrouver la sortie, je sors, et je repère la troupe lorsque elle revient dans le car. Ce voyage me laisse de beaux souvenirs de ces pays lointains d'ASIE. Dommage qu'à quelques jours du départ j'ai dû faire ce voyage seul, MAGUY était trop mal en point pour accomplir toutes les visites, excursions en THAILANDE. J'ai eu 85 ans voilà 6 mois. Une fête est donnée par la ville de NICE, et le Conseil Général du département. Cela se passe dans un nouveau parc appelé PARC DU CHATEAU DES 2 ROIS. Il y a un lac, où les enfants peuvent se baigner sans danger, il y a des jets d'eau qui les arrosent et ils s'en paient à coeur joie. Une course est organisée, c'est un cross pour ceux qui veulent éprouver la résistance de leur coeur. Je me fais inscrire, puisqu'il n'y a pas de temps limité pour l'arrivée devant les tribunes de contrôle. Le départ a lieu à 10 heures. D'après les responsables, je suis le plus âgé de tout le lot. Il y a de tous les âges, des athlètes professionnels, des vétérans de 50 à 78 ans. Dès le départ tout le lot, comme les chevaux de course, ils foncent à toute allure. Moi je reste sage, l'essentiel pour moi est de contrôler mon coeur, en espérant pouvoir terminer en assez bonne forme. Les kracks n'ont mis qu'une 1/2 heure pour accomplir les 12 km du parcours. Moi je terminerai après 1 heure 40 minutes, il y a 4 km avec des escaliers sur 500 mètres de montée. C'est un parcours assez dur. Mais puisque j'ai soin de ménager ma monture, je suis sûr de pouvoir finir. On ne croit pas à ma victoire, le C.R.S. en mobylette ne m'a pas vu. Il dit au 1er contrôle de ravitaillement : - Vous pouvez remballer, il n'y a plus de coureurs ! Tout à coup ils me voient débusquer d'une montée, cachée par des taillis. Ils sont très surpris que je sois encore dans la course. Ils veulent me combler d'oranges, de citrons, d'eau minérale. Je n'ai envie de rien, je n'ai jamais trop forcé, je n'ai encore pas sué. Après 8 km, c'est un responsable de la course, qui vient me demander si j'abandonne. Je lui réponds : - Lorsque je prends le départ, je vais jusqu'au bout ! Maintenant, c'est un agent en mobylette qui vient m'accompagner jusqu'à l'arrivée, en me montrant le chemin. Il est à une dizaine de mètres devant moi, je lui dis : - Je crois que j'arriverai pour le repas de midi ! Il est surpris. Je n'ai plus que 2 km à trottiner, j'arrive à midi moins 20. Des chefs C.R.S. me crient : - Allez, maintenant foncez vite vers le podium ! Le micro de la tribune annonce : - Applaudissez-le bien fort ! C'est le vétéran âgé de 85 ans. Alors, c'est sous les applaudissements nourris que je termine le cross de 12 km. Il y avait un buffet bien garni de bonnes choses, et du bon champagne. Je suis appelé pour monter à la tribune, pour recevoir les récompenses et félicitations. Je reviens à la maison pour chercher ma compagne MAGUY, car l'après-midi il y a une fête dans le parc, suivi encore d'un buffet très bien garni. Je ne regrette pas d'avoir participé à ce cross.

Peut-être plus tard, une autre année, si le parcours était diminué de moitié, il faut être sage.

Documents

Cf le CD