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Cdt Jean Bonnet

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118

Ma dernière mission

Guerre 1939 - 1945

Témoignage

Nice - Septembre 1993

Analyse du témoignage

Écriture : 1992 - 29 Pages

Le 16 juin 1940

Dernière mission du Potez 63-11 n° 415

du Groupe Aérien d'Observation 510

POSTFACE de Michel EL BAZE

Jean Bonnet, actuellement vice-président de la Section de Haute Savoie est l'un des rares membre de notre association qui ait répondu à mon appel, pourtant réitéré lors de toutes nos réunions nationales et rappelé par notre Revue depuis 8 années. Est-ce à dire que les Croix de Guerre, que les décorés de la Valeur Militaire n'aient rien à dire ? Je crois plutôt que les actes qu'ils ont accompli, attestés par leurs citations leurs paraissent "ordinaires" et que dès lors ils pensent, qu'ayant fait leur devoir, ils n'ont rien à ajouter. Les historiens, les chercheurs estiment qu'ils ont tort et moi je suis navré de voir cette collection appauvrie par l'absence de ces matériaux issus de la mémoire encore vivante mais pour combien de temps encore ? Merci à Jean Bonnet d'avoir répondu à mon exorde l'année dernière à Thonon les Bains en souhaitant de plus nombreuses prises de conscience avant que, lassé par tant d'indifférence moi aussi je n'abandonne.

La mémoire

La mémoire : seul bagage incessible

Jacques ATTALI

Le Potez 63-11 no 415 du G.A.O. 510 avait décollé du terrain d'aviation de Romorantin (Loir-et-Cher ), le 16 Juin 1940 à 6 heures 30

Vol à l'altitude :

1500 - 2000 m. (pas de possibilité de voler plus haut à cause de la visibilité nécessaire pour l'observation (souvent à 500 mètres).

Reconnaissance à vue sur l'itinéraire :

Romorantin - Dourdan - Rambouillet - Nogent-le-Roi - Brezolles et Senonches-la-Loupe.

Nature et sens :

- Estimer l'importance des éléments ennemis ou blindés ? - Situer éventuellement, la queue des colonnes amies (transports par camions) - Lester un message dans la vallée du Loir devant le château de Montigny-le-Ganelon situé à 11 km au sud de Chateaudun. (Extrait cahier de travail aérien du G.A.O 510 - pièce G 8840).
Il faut préciser que ce jour-là, le P.C. du Général Hering, commandant l'Armée de Paris, se trouvait dans ce château et le P.C. du Général Gransard, commandant le Xe Corps d'Armée (2ème D.L.M - R.I.C.M. 26ème T.T. Sénégalais - 8ème R.T.T. et 4ème R.T.T.), se tenait au Prieuré, commune de Douy à 4 km du château.
Appareil :

Potez 63-11 n° 415.

Équipage :

- Lieutenant Guy Roulland, observateur de l'Armée de Terre - Division blindée (D.B.); - Adjudant-Chef André Girard, pilote au G.A.O. 510; - Caporal Jean Bonnet, mitrailleur (radio) en renfort du G.A.O. 2/520 (Forces aériennes 20 au G.A.O. 510, le 2 juin - un des seuls mitrailleurs survivants du G.A.O 2/520, Unité qui n'avait plus d'avions opérationnels).
Historique Le 15 juin le G.A.O, est cantonné dans le secteur de Romorantin (Loir-et-Cher), à 100 Km au sud du Camp de Bouard, Commune de Baignolet (Eure-et-Loir) où il avait passé deux jours après une halte à Evreux. Vers 22 heures, après le repas, le commandant réunit le personnel navigant disponible pour donner un aperçu de la situation : elle n'est pas bonne : nos forces terrestres sont en pleine retraite; l'aviation de chasse, ce qu'il en reste, ne peut plus satisfaire la couverture de nos missions et l'ennemi vient de traverser Paris, ville déclarée "ouverte". A l'état-major des forces aériennes, l'on parle déjà d'armistice et d'une intervention du Maréchal Pétain; il faut que ces missions courageuses se fassent pour donner des renseignements utiles au commandement de la Xème Armée : évaluer la situation tactique et savoir s'il faut poursuivre notre repli vers le sud, si nous avons le temps de franchir la Loire avant que les ponts ne sautent.. L'ordre est donné : Décollage de l'avion n° 415 à 6 h. 30, demain matin. À l'époque, j'étais "caporal" dans l'Armée de l'Air, engagé par devancement d'appel pour m'avancer dans mes études !... et j'avais été contraint en raison de l'offensive allemande, de quitter le peloton d'élèves officiers de réserve sur la Base aérienne d'Avord, les cours ayant été supprimés et les affectations en renfort dans les unités opérationnelles rapidement exécutées, sans discernement du degré d'instruction pour le personnel navigant !... C'est la guerre et tout est bon !. Je rejoignis rapidement la base de Toulouse-Marignane pour un entraînement succinct sur Potez 63-11, avions récemment sortis d'usine. Ce stage terminé en quinze jours, me voici bombardé "mitrailleur- bombardier-radio" avec un galon de caporal du personnel navigant (P.N) et en promesse celui de sergent dans quelques semaines et "bon" pour le Front de l'Est !. J'ai été nommé sergent le 14 juin 1940, mais je l'ai appris en 1943 étant en captivité en Allemagne, d'ailleurs durant ce triste passage de ma guerre ça n'aurait rien change à ma situation sauf peut-être pour la suite de mon aventure Outre-Rhin !: un séjour plus dur et sûrement une évasion à un moment plus propice, plus difficile (Médaille des Évadés "Guerre 1939-1945"). Dans mon escadrille j'étais donc considéré comme un sous-officier du Personnel Navigant avec toutes ses prérogatives !.... Pour revenir à cette mission du 16 juin, je n'avais pas été désigné pour faire partie de l'équipage du Potez 415, étant donné que ce n'était pas mon tour de service, rentré de mission le 14 juin, mais le tour du sergent-chef D...; il était indisponible ayant une forte rage de dents, joue enflée et vraiment inapte à assurer la défense d'un avion. Par contre, je ne demandais pas mieux de le remplacer n'ayant que le pressentiment du combattant victorieux ! J'étais jeune et heureux de pouvoir faire encore un "carton" car, à 21 ans, j'avais déjà goutté le vrai combat aérien, le baptême du feu : le 14 juin 1940 au sud de Chartres, avec le Capitaine Voiturier, pilote valeureux, et son courageux observateur de l'Armée de Terre, le Lieutenant Talabardon, j'étais le mitrailleur-radio de son avion. Effectivement, avec cet équipage et mon avion n° 415, à ce même poste de mitrailleur-arrière, assis sur la selle, souvent debout en état d'alerte, la tête tournant sans cesse de bas en haut et de gauche à droite pour surveiller partout dans le ciel, et surtout, en regardant de face un soleil bien présent en cette période d'été et qui se faisait le premier complice de l'ennemi. C'est pour cela que j'étais porteur d'une paire de lunettes qui n'avait "qu'un seul verre bien fumé", à mon oeil droit, et pas de verre à gauche afin de pouvoir fermer un oeil et avoir de cette façon une bonne vision dans le soleil ou hors du soleil, et ainsi par ce système, déjouer la manoeuvre de l'adversaire, qui lui, attaque toujours sa proie ‘le soleil dans le c.l"... et ça n'a pas manqué : un Messerschmitt 109, heureux de surprendre, frétille de joie au loin, dans le soleil et hop... lance une attaque en "piqué arrière"; il décroche de haut, entre dans un nimbo-stratus, ressort et est rapidement près de notre avion, mais grâce à mes lunettes je l'avais vu malgré le soleil gênant, matinal, chaud déjà, bien de saison et perfide... Je ne suis donc pas ébloui, mon verre fumé nous avait laissé notre chance de survivre à son attaque classique. Je vois encore l'avion de chasse se cambrer devant moi à une distance vulnérable : je tire avec ma Mac 12,5 que j'épaule, collimateur à zéro, un chargeur plus un demi (125 balles environ), sans trouver les difficultés souvent rencontrées en exercices de tir pour changer le chargeur "camembert"; en plus, par plaisir, je lance en même temps une bonne rafale de la mitrailleuse fixe 7,5 placée au dessous de l'avion, sous mon siège, et qui fonctionne par pression du pied droit sur une pédale au plancher. Le Messerschmitt semble en avoir pris un coup car il passe sous l'avion et mon pilote comme moi, nous ne l'avons plus revu, pourtant il était à une distance qui me semblait si rapprochée que j'ai bien pu distinguer le pilote, mais nous volions en rase-de-mottes au-dessus d'une immense forêt !. Notre survie nous la devons à deux choses : 1.- À notre entraînement et aux conseils donnés par nos anciens, qui avaient aussi été instruits par les combattants de 1916, 1917 et 1918, et je me souviens un peu de leurs récits et méthodes encore valables : - en vol, s'exercer continuellement à tourner la tête, l'attaque venant toujours dans le soleil; - avoir confiance en son "leader" ou en son pilote pour le mitrailleur; - savoir qu'isolé, un avion d'observation est une cible fragile; - utiliser son armement et ne tirer que si on distingue bien l'ennemi, voir le fuselage et ne pas oublier d'estimer la correction; en mission d'observation ne jouer que la défensive dans la fuite afin de ramener le renseignement recueilli, si la mission a pu être remplie, sinon juger au mieux l'ampleur du sacrifice... pour parer à l'attaque surtout ne pas se cacher dans les nuages trop longtemps, piquer faire du rase-mottes le mieux possible en sautant les obstacles et ne voler en ligne droite que quelques secondes... enfin perdre l'adversaire par des zigzags et des sauts-de-mouton; - Rejoindre le terrain de départ dès que l'on peut en économisant le carburant... - Enfin, se servir de la radio que si c'est absolument nécessaire, être bref et précis avec la couverture de chasse... si nous en avons une... et avec ses camarades d'équipage. 2.- À la modification d'une paire de lunettes de soleil et aussi : au départ nous nous étions attachés le pilote et moi, par les deux bras, dos à dos et seulement séparés par une plaque de blindage; ces "attaches" sont deux simples "ficelles" pas trop tendues; le pilote savait ce qu'il devait faire en cas d'attaque : je lance alors la transmission "ficelle" : "bras en avant" les fils se tendent et signalent au pilote la manoeuvre à faire pour perdre l'agresseur, soit virage à gauche ou à droite, soit piquer ou grimper et dans ce cas c'était l'amorce rapide d'un piqué suivi d'un rase-mottes et zigzags afin de perdre l'adversaire plus rapide que nous. L'astuce a fonctionné et mon pilote a basculé sur un layon de la forêt que nous survolions. Ces "moyens du bord" méritent la Médaille de l'Aéronautique !. Enfin sauvés ! dans les deux sens du mot. Le Messerschmitt 109 a disparu. Ce qu'il est devenu, personne ne le saura jamais mais il a dû recevoir une bonne giclée pour avoir abandonné son attaque... à moins d'un incident... Pour une fois l'Interphone fonctionne et sur le chemin du retour, je donne à mes deux camarades bien vivants, des explications sur ce rapide combat : le Messerschmitt 109 a dû être surpris de notre subite réaction, sa rafale bien tirée comme nous allons le voir plus loin, a été désajustée par le "coup de manche à balai" de notre capitaine-pilote qui a bien appliqué la manoeuvre étudiée ensemble en cas d'attaque par l'arrière; le chasseur allemand n'avait pas prévu cette réaction pensant tomber sur une proie facile !. Pour ramener nos renseignements, but de la mission, le pilote après avoir survolé à très basse altitude un layon d'une grande forêt à la hauteur et même plus bas que certains sapins, a pu reprendre son cap de retour. Notre adversaire, s'il n'a pas été abattu, a dû se faire gratifier une victoire qui ne sera qu'une "mention bien" pour nous, car il est vrai, il n'y a pas assez de preuve pour "une palme" à notre Croix de Guerre... Plus tard, le 5 octobre 1946, une "étoile de vermeil" y a été ajoutée, pour régularisation : les renseignements transmis ont permis de ne faire sauter les premiers ponts sur la Loire à Orléans que le 16 juin 1945 au soir et à Blois le lendemain matin. Ainsi, nous avions participé au sauvetage d'une grande partie du Xème Corps d'Armée en retraite et au sauvetage de nombreux civils en exode. Par contre, nous, nous sommes bien rentres à Romorantin avec les traces des pruneaux tirés par le Messerschmitt 109, trois dans le siège blindé du pilote, un vrai miracle : la veste du pantalon percé à hauteur de la jambe avec la trace d'une balle, la peau de ma cuisse droite un peu rougie sur deux centimètres, par son frottement... seulement, la chance était encore bien avec nous et cela grâce à notre "transmission-ficelle". On faisait bien la guerre avec le système D et avec une carte Michelin achetée au bureau de tabac du coin !. À cette époque la radio et l'Interphone (laringophone) n'étaient pas au point et les messages lestés étaient d'usage courant dans l'aviation d'observation. Reprenant le récit de cette "dernière mission sur Potez 63-11", je pense qu'avant de partir pour une mission de guerre n°1, je remettais réglementairement mes affaires personnels, portefeuille, argent, etc... au Fourrier du Groupe et je me souviens qu'il me fit remarquer que l'un de mes lacets de souliers était cass". Il me dit : - Mais, je n'en ai plus !, alors je lui répondis en riant : - Hitler, va sûrement m'en fournir un !. J'ai toujours regretté d'avoir remis ces objets parce que dans la cantine renvoyée à ma mère par l'Armée en novembre 1940, alors en captivité Outre-Rhin, il manquait tous les objets de valeur dont une montre et l'argent. Il est certain qu'au cours de cette aventure, j'aurais pu ne pas être capturé, car n'avoir ni argent ni papiers d'identité, c'est un handicap certain qui m'a conduit à être plus facilement fait prisonnier. Ce manque de moyens atteint le moral. Mes camarades d'équipage avaient conservé leurs affaires personnelles et par la suite, les Allemands dans la joie de leur victoire les leur avaient laissés. La guerre est finie ! disaient-ils !... Je n'avais que ma médaille d'identité militaire, mais pour l'argent, mon officier m'a bien aidé et je l'ai remboursé en 1945. Par ailleurs, non sans révolte, deux mois après ma capture, quand j'ai été interné au Stalag XIA à Limburg-undder-Lahn, je me suis fait prendre mon manteau de cuir du personnel navigant lors d'une importante opération sanitaire (douche, désinfection et vaccination) suivie d'une fouille complète avec tonte du crâne à zéro, remise d'habits propres avec, cousu sur le pantalon et la veste d'uniforme de l'Armée Française, un "P.G." de 30x30 cm peint sur une étoffe blanche et ensuite prise d'une véritable photo anthropométrique de face et profil et la remise d'une carte matricule portant un numéro et empreintes digitales en guise de cadeau d'incorporation pour les travaux forcés. Je signale que le 3 mai 1945, lors de la prise de la Ville d'Innsbruck en Autriche, le prisonnier évadé Jean Bonnet, devenu officier dans l'U.S. Army (Counter Intellligence Corps), a récupéré son manteau P.N. en cuir sur un Allemand, mais en avril 1945 , ce jour là il faisait chaud... et le moral était solide et au beau fixe. Pour reprendre mon récit, le 16 juin l'équipage est rassemblé. Dernière recommandation du mécanicien au pilote concernant les moteurs. Le commandant présent, donne des instructions à l'officier-observateur et met sa voiture à notre disposition pour nous conduire de notre cantonnement sur le terrain de Romorantin. Notre Potez est rangé près des hangars bombardés le 10 mai et l'on y voit un camion militaire jonché sur le toit d'un bâtiment... les bombes utilisées devaient être puissantes...! Nous prenons place dans l'avion pour cette mission qui devait être la dernière. Mise en position de combat : L'interphone fonctionne; pour la radio, elle est là en figuration, elle devait marcher plus tard mais les récepteurs au sol n'ont jamais été livrés et les mauvaises langues disaient "fabriqués"!... Nous avons des messages lestés... Les moteurs tournent normalement, les compte-tours affichent les tours que le pilote essaie de synchroniser avec les deux manettes de gaz, car les moteurs sont indépendants; donc pour décoller, sans être embarqué mortellement au pire et avec un tête-à-queue au moindre, il ne faut pas être pilote de monomoteurs !. Mon matériel de tir semble bien armé. Les cales retirées l'avion roule sur l'herbe encore humide et décolle sans trop de zigzags pour arriver à l'altitude de 500 mètres. Au bout de dix minutes, l'interphone a appelé : "Allô ! Allô ! Girard : montez altitude 1000. Cap Nord-Est direction Orléans-Artenay-Touzy et essayer de survoler la route nationale... Terminé !" : ce message lancé par l'observateur est bien entendu car l'avion prend cette direction et monte... Les routes sont bondées de réfugiés et de militaires faisant route vers le Sud. C'est le désordre, les troupes sont mélangées avec les réfugiés : ces gens semblent avoir peur de notre appareil qui vole bien bas... mais je savais déjà que tout avion était considéré comme ennemi en raison de la rareté des avions à cocardes françaises depuis plus de huit jours et pour cause.. hélas !. Après quelques minutes de vol, disparition des réfugies sur les routes, mais apparition de quelques véhicules blindés allemands à travers les champs, sur les routes et les chemins... Plus en avant encore, des camions tractant des cyclistes se tenant par une main à trois barres en acier, soit ainsi dix-huit hommes de suite opérationnels par véhicule; des chariots avec canons et bagages tirés par 4 chevaux et de l'infanterie à pied... manches déjà retroussées... une véritable invasion, mais peu de véhicules blindés... encore des troupes allemandes à la sortie de Rambouillet-Étampes, sur la route nationale 20. Point d'avions. Si, en voilà un, qui passe au loin.... Le ciel est clair, pas de D.C.A., rien... nous survolons la route d'Étampes pour prendre la direction de Dreux, alors... c'est le signal : ces convois sont composés de camions munis de tourelles de D.C.A. armées par quatre mitrailleuses jumellées et d'un collimateur assez rustique (plusieurs cercles). Ils nous tirent et je vois encore ces balles traçantes qui nous cherchaient, et moi le mitrailleur, que faire ?... alors vengeur, sacrifie pour autant, je donne du pied une pression sur la pédale de plancher qui fait cracher la mitrailleuse fixe de 7,5... le pilote réalise et prend enfin de l'altitude en zigzags et semble rebrousser chemin. Nous, à ce moment, il semble que nous sommes sains et saufs, ce qui peut sembler ou paraître impossible en raison du tir plus que nourri de ces véhicules… la "phonie" crépite : "R.A.S. retour maintenant mission message lesté... à vous ! R.A.S. Girard - R.A.S. Bonnet !... R.A.S. terminé !". Après environ cinq minutes : - Ici Girard, pression d'huile moteur gauche zéro,. doit couper un moteur - signal incendie allumé - vais chercher à me poser train rentré - attention... L'avion tournoie, je pense que le pilote cherche un champ bien dégagé pour "crasher" le Potez et sans hésitation, après un tour de piste et une belle descente, l'avion glisse sur un grand champ de blé en épis encore verts... sauf, en fin de course : un choc qui me laisse entre les mains la mitrailleuse sortie de son support et qui m'égratigne assez profondément le petit doigt gauche. Ouf !.. Nous nous en sommes bien tirés !. Plus vite qu'à l'exercice, tout l'équipage est dehors en pleins champs dans des blés à hauteur des épaules. L'huile du réservoir du moteur gauche percé par une balle coulait encore et s'était répandue sur le moteur et le fuselage; l'atterrissage a évité l'incendie et avec un seul moteur le Potez ne va pas bien loin, tant il est vrai qu'avec deux moteurs ne tournant pas au même nombre de tours, il est déséquilibré !. On se congratule tristement, puis on fait rapidement le point sur cette situation délicate : il faut rejoindre Romorantin, mais comment ? pour l'instant "pedibus cum jambis"... et on regarde nos cartes... il y a peu d'espoir de rejoindre Romorantin car il faut traverser la Loire. Nous sommes en pleine campagne et nous ne voyons personne, pourtant on entend un bruissement : ce sont des voix provenant du cortège de réfugiés empruntant une route allant vers le sud à environ deux cents mètres de nous. Nous sommes bien camouflés au centre d'une grande pièce de blé très haut et presque mûr. D'après le pilote et le lieutenant, nous avons encore une courte journée d'avance sur la progression allemande et il convient de ne pas tarder pour traverser la Loire, avant que les ponts ne sautent. Il est 7 heures 40, ce 16 mai 1940. Maintenant il est grand temps d'appliquer nos consignes : détruire l'avion. Il fut alors décidé de mettre le feu aux deux réservoirs de carburant en utilisant le seul papier que nous ayons, une carte Michelin du nord de la France qui ne pouvait plus nous servir pour rejoindre notre unité en mouvement vers le Sud (par la suite, cette carte nous a bien manqué). Exécution immédiate. Nous n'avons pas de temps à perdre et bien que le briquet de l'Adjudant Chef Girard ait bien fonctionné, c'est comme si nous avions allumé deux bougies !. Alors voyant cela, je pense à la Mac, ma mitrailleuse qui m'avait un peu écorché un doigt lors du choc de fin d'atterrissage. Avec son support brisé, elle était encore à sa place. Ne pensant pas au danger, les réservoirs étant allumés, je fonce chercher cette arme, m'étant souvenu que j'avais composé mes chargeurs par séries : une balle incendiaire, deux perforantes et une traçante. Sur ordre du Lieutenant, j'ai donc mis en joue l'avion, à 15 mètres, prenant pour cible principale les deux réservoirs déjà allumés : de grandes flammes, une colonne de fumée, crépitement sinistre du feu, explosions de munitions et encore imprudent, je jette dans le brasier la mitrailleuse et son chargeur. L'avion est détruit à 80 % et rien ne semble être récupérable par l'ennemi, sauf "bon pour la ferraille".... Maintenant, il faut franchir le fleuve... Mais, dans les quelques minutes qui ont suivi la destruction du Potez 63.11, nous avons eu la visite de deux officiers d'infanterie du grade de lieutenant; ils avaient l'air de battre en retraite et étaient venus avec une petite voiture Fiat; ils viennent "par curiosité" se rendre compte de notre situation; interrogés, ils nous donnent notre position, en échange nous donnons celle de l'ennemi, mais du coup ils se sauvent comme des "dératés" après avoir refusé de nous prendre, disant qu'il n'y avait pas assez de place (avec moi, ce ne se serait pas passé ainsi !), alors nous voici abandonnés à notre sort sachant seulement par eux que nous sommes près de Neuville-aux-Bois et que nous avons plus de 30 km à faire à pied pour joindre Orléans... et que pour retrouver notre unité, il faudra traverser la Loire... Notre pilote y avait bien pensé mais il n'a pu le faire, ne pouvant reprendre de l'altitude avec un seul moteur. La route départementale 97 est proche et nous la rejoignons équipés de nos combinaisons, casques et parachutes "Lemercier 200" (coussin rond qui s'accroche un harnais et se porte à la main). Notre lieutenant qui avait le commandement hiérarchique, déclara que nous en manquions au G.A.O., que c'était très difficile à s'en procurer et que nous devions les ramener, mais l'adjudant chef et moi-même, vu la situation, voulions les détruire en les jetant dans le brasier de l'avion et ne garder que nos armes... nous avons obtempéré à son ordre. Disciplinés, nous rejoignons de suite la route nationale proche bondée de réfugiés, lesquels en nous voyant marcher à travers champs avec notre accoutrement, furent pris de peur; alors un individu furieux se détacha d'un groupe de réfugiés; il se disait être un ancien combattant de 14-18 et nous baptisa immédiatement parachutistes allemands, 5ème colonne... C'est avec beaucoup de peine que nous sommes arrivés à prouver notre qualité d'aviateurs français venant d'être abattus, en montrant nos plaques d'identité militaire suspendues à notre cou. De suite, un attroupement hostile se forma et comme nous sentions que la situation allait en empirant et que ça allait mal tourner pour nous trois, car ils parlaient de nous fusiller... Voyant ainsi notre dernière heure arriver, alors de suite et de concert, nous nous sommes mélangés discrètement à la foule, abandonnant nos casques de cuir mais toujours en conservant nos parachutes, ceux-ci pouvant heureusement être confondus avec un colis à main; moi, je voyais aussi disparaître mes camarades dans la foule car j'étais encore bloqué et interloqué par notre accusateur qui heureusement n'était pas armé mais certain d'avoir décelé des ennemis. Dans cette situation délicate, il n'y avait qu'une solution et c'est revolver au poing que je suis sorti du groupe formé par ce patriote et que j'ai pu rejoindre mes camarades qui n'avaient perçu ma mauvaise situation !.. Enfin rassemblés, nous nous sommes mis d'accord pour quitter la grande route et prendre le premier chemin sur notre gauche qui allait dans la forêt sans penser trop à cet épisode : la rencontre de la peur sur terre après l'avoir surmontée dans le ciel du 16 juin 1940 !. Arrivés sur une petite colline nous abandonnons enfin nos parachutes, nous ne gardons que nos vestes de cuir qui recouvrent nos uniformes et nous camouflons nos revolvers le mieux possible afin de nous donner une allure un peu moins militaire. Pas encore trop fatigués, nous poursuivons notre chemin en direction de la ville d'Orléans avec l'aide du soleil et d'une carte Michelin 1939 car les poteaux indicateurs et les bornes kilométriques avaient été détruites afin de ne pas renseigner l'ennemi !. Notre officier ouvrait la marche et nous formions souvent deux groupes... Il faisait très chaud et avions soif, il était midi en ce mémorable jour. Nous pensions arriver sur les bords du fleuve avant la nuit. En traversant la forêt, le calme était très relatif et de mauvaise augure; nous entendions souvent les détonations des bombes de stukas, des coups de feu et des rafales de fusils-mitrailleurs en provenance du secteur d'Orléans. Enfin, nous arrivons sur une route nationale et à nouveau nous tombons sur les réfugiés et des militaires, sans armes, en retraite désorganisée. Un camion de notre Armée de Terre s'arrête, alors nous demandons au chauffeur de bien vouloir nous prendre, il veut bien et alors c'est à 20 km à l'heure que nous nous dirigeons vers Orléans à travers les réfugiés. Arrivés à un carrefour de route, nous entendons des coups de feu et des cris : "Les Boches... les Boches..." et c'est la panique; nous devons abandonner notre véhicule bloqué par des gens hurlants et terrifiés. Rapidement notre officier nous fait emprunter un chemin forestier. Après quelques kilomètres de marche à travers les arbres, nous rentrons dans ce qui semblait être une grande exploitation agricole évacuée, il faisait encore très chaud. Déjà, dans cette ferme, des troupes en retraite étaient passées car un certain désordre tranchait avec la bonne tenue générale. Comme nous cherchions à étancher notre soif provoquée par toutes ces émotions, après avoir bien cherché nous trouvons deux bouteilles de cidre. Heureux aussi de trouver un puits, mais nous ne pouvons pas tirer d'eau, le mécanisme de levage a été saboté. Un peu reposés et désaltérés, nous reprenons notre marche afin d'atteindre Orléans avant les Allemands repérés lors de notre survol du matin à plus de 100 km de l'endroit où nous étions actuellement, la dernière alerte ne pouvant être qu'un croisement de route occupé par des parachutistes ennemis ou des éléments de la 5ème colonne ?... Les circonstances étant, nous décidons de cacher nos armes dans cette propriété déjà pillée avec l'espoir de revenir plus tard les récupérer. Nous trouvons encore trois bouteilles de cidre et une musette. Je suis chargé de porter ce ravitaillement étant le plus jeune. Il est midi. Le point fait par le lieutenant donne la distance de 20 km pour atteindre La Loire à l'est Orléans, et en avant.. marche. Vers 16 heures nous y sommes. Nous voyons devant nous un pont de chemin de fer. Sur les berges du fleuve, plus de barques, elles sont amarrées en face sur l'autre rive ou coulées. Comme je veux le traverser à la nage dans le courant (200 mètres) afin de ramener une barque, le lieutenant me le déconseille disant que c'est un fleuve dangereux à cause des tourbillons et que surtout nous ne devons pas nous séparer. Soudain l'adjudant-chef nous fait signe de nous cacher dans les roseaux de la berge : effectivement, nous voyons quatre soldats avec des casques anglais avancer lentement sur le pont, ils semblaient avoir un fusil et porter de très gros colis... des soldats anglais ?...pas possible... Français ?....Canadiens, non, ne seraient-ils pas des Allemands déguisés en Anglais qui empêcheraient les Français de faire sauter ce pont ?... De sa place sur la berge, le lieutenant estime mieux que moi la situation, il appartient à l'armée de terre et il est officier observateur en avion. Des Stuka viennent lancer des bombes, qui tombent de l'autre côté de ce pont, mais il y aussi, pas bien loin, le Pont Joffre : est-il encore praticable ?... notre but étant encore celui de rejoindre notre G.A.O., certainement déjà replié de la région de Romorantin.. Nous reprenons notre longue marche sur le bord du fleuve en espérant encore trouver une barque pour le traverser, mais toujours rien. Vers 16 heures (16 juin), les tirs d'artillerie et de mitrailleuses reprennent ainsi que le passage d'avions "mouchards", nous en déduisons donc un changement de situation, ce qui n'est pas impossible. Le front se serait-t-il stabilisé sur la Loire ?. Par prudence, nous empruntons un chemin situé à mi-hauteur sur un coteau planté de vignes pour arriver enfin en face de ce pont routier qui était bien caché par des fumigènes qui semblaient être entretenus. La bataille reprit après un passage de Stuka, des tirs d'artillerie, de mousquetons et de mitrailleuses, ce qui nous faisait penser que l'infanterie allemande était présente. Vers 15 heures 30, un bruit terrible, des détonations, notre pont venait-il de sauter ? La fumée cachait la rive du fleuve. Afin de passer ce mauvais moment, notre chef nous fait pénétrer dans le jardin d'un pavillon assez coquet, naturellement abandonné comme toutes les habitations que nous rencontrons depuis notre atterrissage. La porte de cette villa était entrouverte, l'évacuation avait été précipitée car le portail du garage donnant sur le jardin était aussi grand ouvert ainsi qu'une fenêtre. Nous entrons pour nous reposer et surtout pour trouver à manger. Après avoir fait le tour des lieux nous adoptons trois des quatre lits qui meublaient notre refuge. Nous trouvions encore de l'eau au robinet de la cuisine mais pas d'électricité; un réchaud à alcool qui fonctionnait, des allumettes, du vin, des bocaux à conserves pleins et même des biscuits de guerre... Le propriétaire devait être un gendarme en retraite nommé Moreau, étant donné les photos encadrées et les tableaux pendus ornant le dessus d'une cheminée. Nous voilà donc installés et en train de nous restaurer comme au café du coin et de tirer des plans pour rejoindre, suivant les circonstances, soit la ville de Rennes, garnison de notre groupe aérien en temps de paix ou le front français afin de retrouver notre unité... Nous avions le moral, mais il faut le dire vite car fatigués, nous tombions de sommeil et nous nous endormons malgré les bruits sporadiques d'une bataille qui semblait être engagée pour le passage de la Loire par les armées ennemies. Vers 21 heures, encore un bruit terrible, une explosion mais comme il faisait sombre et ne voyant rien nous essayons de dormir. Enfin ce n'est que vers une heure du matin (17 juin ) que le calme revient. Peut-être un 'cessez le feu ? Il y avait bien dans la cuisine un poste radio, mais pas de courant électrique. C'est vers 2 heures du matin que nous entendons des bruits de pas dans le jardin; je sors avec le pilote : qui est-ce ? C'est une charmante demoiselle d'environ dix-huit printemps qui cherchait à se cacher. Nous ayant entendu parler en français et nous devinant dans 1'obscurité, elle se rassura. Heureuse, elle nous dit à voix basse que les Allemands venaient d'arriver près du pont routier avec des voitures à chevaux, des motos, des bicyclettes et des véhicules blindés. Elle nous rejoint dans le pavillon et nous donne encore quelques renseignements sur ce qu'elle avait vu et entendu, puis naturellement participe à notre souper préparé avec ce que nous avions pu trouver dans la cuisine et la cave. Notre équipage ainsi renforcé va donc paraître un peu moins suspect aux yeux des Allemands. Juliette, c'est le prénom de notre compagne, était arrivée de Paris par un autobus de la Ville avec d'autres réfugiés de son quartier, elle avait entendu des bombardements mais maintenant son car était bloqué au bord du fleuve, près du pont, pas loin d'ici... le pont Joffre. Débarquée dans la nuit avec sa mère, elle venait de perdre celle-ci dans la foule des réfugiés, elle était apeurée par les Allemands qui réglementaient déjà la circulation et refoulaient les réfugiés vers le Nord. Nous étions donc bien à l'entrée nord-ouest d'Orléans. La nuit était noire, chaude, lugubre avec un brin de lune, ce qui allait nous donner demain une rude et triste journée. Juliette nous disait que les Allemands interdisaient l'entrée du pont aux réfugiés mais qu'ils les guidaient assez courtoisement vers le chemin du retour, la direction sud étant interdite... et ils disaient en français : "Guerre finie contre vous, rentrez maison. England kaput !". De ces renseignements, nous en déduirons que notre plan de fuite devait être celui étudié pour rejoindre les familles de nos camarades à Rennes, et pour notre compagne de retourner à Paris afin de retrouver sa mère, ce qui se réalisa (confirmation par lettre de mes parents reçue en novembre 1940 au Stalag XIIÀ à Limbourg). Pour nous, une grande et longue aventure était commencée. Notre départ est fixé pour le lendemain matin bien après le lever du jour, afin d'être bien visibles et de ressembler le plus possible à des réfugiés retournant en Bretagne. Il est vrai nous n'entendions plus de tirs d'armes ni d'explosions, par contre un bruit continu de roulement de convois à chevaux sur les pavés provenant de la grande avenue voisine. Il était plus de trois heures du matin à la montre du lieutenant; cet officier, observateur en avion, avait été affecté au Groupe Aérien d'Observation, détaché d'une Division Blindée (DB.) et avait, comme notre pilote, l'adjudant-chef, sa famille à Rennes. Mes gradés étaient très satisfaits de la solution : celle de rentrer chez eux... quant à moi, célibataire, je suivais fidèlement cet "ordre" malgré un désir de liberté et une tendance accentuée d'aller vers le Sud. Ma résistance à l'envahisseur allemand commença-t-elle donc ce jour, à cette heure ?... Alors vers 4 heures du matin (17 juin)..., pas trop content, je vais faire une nouvelle reconnaissance avec l'adjudant-chef. Cette mission faisait suite à une reconnaissance exécutée par le lieutenant dans le jardin : il avait entendu des Allemands parler entre eux derrière le garage de notre refuge; là, une sortie donnait sur un petit chemin qui semblait rejoindre une avenue importante de la ville, itinéraire choisi par l'armée allemande. La nuit étant assez noire et la lune était dans son dernier quartier, je rampe le premier sur ce chemin et me place à environ cinq pas devant mon camarade. Nous ne progressons que très lentement afin de nous poster derrière les bornes en pierre qui limitaient cette voie donnant sur ce qui nous semblait être une grande avenue. Nos yeux s'étaient déjà habitués à percer la nuit : des voitures à chevaux stationnaient sur la gauche de cette route qui conduisait, nous le pensions, vers le fleuve; des soldats discutaient entre eux à quelques mètres de nous. Ma connaissance scolaire de la langue allemande allait enfin me servir car à les entendre, ils parlaient un patois proche du suisse-allemand : c'étaient des Bavarois. Soudain, une sentinelle qui était en faction, commence une ronde, heureusement, par miracle, elle ne traverse que notre chemin, alors nous nous replions lentement et rentrons rendre compte. Immédiatement des dispositions sont prises pour partir dans la matinée en direction de Rennes afin d'essayer de retrouver des amis et voir ce que nous allons pouvoir entreprendre. Nous ne pensions pas du tout à une capture, n'en ayant même pas le pressentiment. Moi le Savoyard, vu la situation, je n'avais qu'à suivre et obéir à mes supérieurs et leurs faire confiance, car j'avais toujours en tête cet esprit de "solidarité d'équipage" pratiqué par les aviateurs, ainsi que ce bon moral existant dans le personnel navigant en cette période, malgré l'adversité. Par contre, je me disais qu'en me sauvant seul en direction de la Suisse, j'aurais plus de chance de rejoindre ma Haute-Savoie et d'examiner ma situation, pour vraisemblablement continuer la lutte : gagner l'Angleterre, comme le fit mon cousin germain le Sergent pilote de chasse Jean Chardon, dont les parents habitaient à Anières près de Genève. Aviateur dans les Forces Française Libres, il est mort pour la France à 22 ans, en combat aérien, lors de la Bataille d'Angleterre en 1941. Bref, je sortis encore trois fois, mais seul afin d'écouter les conversations de ces soldats et surtout essayer d'entendre des nouvelles : Paroles triomphalistes diverses dont la prise de Paris et une avant-garde signalée aux portes de Chambéry, ce qui me dicta ma dernière sortie de soldat téméraire, (j'avais l'uniforme toujours sous la veste de cuir), cet acte instinctif qui a bien failli me coûter la vie et qui aurait pu aussi nuire à mes camarades, car à nouveau caché derrière une borne du fameux chemin, une sentinelle m'a frôlé au cours de sa ronde; avec la nuit et l'ombre produite par de hauts arbres, elle ne devait pas me voir... J'ai enfin gardé mon sang froid et suis resté de marbre malgré une émotivité naturelle et une résignation salvatrice de liquider cette sentinelle par étranglement afin de sauver nos vies et sauvegarder nos Libertés.. C'était la guerre et le choix instinctif ne m'aurait pas laissé un temps de réflexion, mais enfin la chance nous a sourit dans ces inoubliables instants et c'est en rampant que je suis rentré prudemment renseigner mes supérieurs. Ce repos forcé n'avait été que de courte durée. Le jour levé, suite à mes renseignements et à ceux de Juliette, nous décidons de sortir "très à l'aise" de notre refuge et de reprendre la route vers la Bretagne en deux groupes, mais cette fois un peu mieux déguisés; pour cela nous avons trouvé l'habillement complémentaire dans les armoires du pavillon et avons conservé nos vestes d'aviateur "très civiles" tout en gardant en-dessous nos uniformes afin qu'en cas de capture, nous soyons encore dans les conventions de Genève. En ce qui me concerne, je luttais toujours contre cette envie de m'évader du groupe afin de passer le fleuve et je chassais de mon esprit cette pensée pour que la discipline militaire prédomine, et c'est ainsi que le caporal sergent mitrailleur en avion auteur de ce récit, poursuivit sa route vers la Bretagne, avec ses camarades de combat. Braves et vaillants, nous ne tardons pas à nous faufiler en pleine ville d'Orléans à travers les convois hippomobiles allemands en marche ou alignés le long des trottoirs et aussi d'accepter, grâce à notre amie, les sourires de soldats ennemis... C'est donc ainsi, que tranquillement nous traversons cette ville mutilée et déserte où déjà, sans attendre, les premières consignes de l'occupant étaient placardées, des affiches en couleurs : "Populations abandonnées faites confiance aux soldats allemands" et d'autres menaçantes : "Tout pilleur sera passé par les armes" et encore d'autres qui communiquent aux habitants de la ville les premiers ordres de l'Occupant, dont : "Tout soldat français se trouvant en territoire occupé doit se présenter immédiatement dans la cour de la Mairie avec les armes qu'il possède; l'hébergement de ceux-ci par la population est puni de mort". Alors ainsi, c'est en traversant la ville que l'adjudant-chef qui avait gardé son revolver malgré les ordres, en profita pour le mettre pièces par pièces dans les corbeilles à fleurs qui se trouvaient sur les fenêtres d'immeubles bordant notre route et le lieutenant et moi de vider nos poches des papiers compromettants, sauf les cartes routières très utiles, les poteaux indicateurs ayant été en grande partie détruits par la compagnie spéciale génie placée en arrière-garde. Avec la direction donnée par le soleil et en demandant confirmation de notre direction aux habitants, nous arrivions assez facilement à bien nous orienter, surtout que nous traversions des départements où la population était en grande partie restée sur place. L'ennemi venait donc de prendre cette grande ville d'Orléans sans combat : "Pauvre France...à qui donnes-tu tes bons de tabac !", disait mon grand-père François Chardon en 1871 à la défaite de Lisaine, alors qu'il servait sous les ordres du Général Bourbaki ! Le lieutenant qui avait arraché une carte détaillée de la région dans le calendrier des Postes trouvé dans notre dernière résidence, nous guida vers l'Ouest en direction de Morée, le département de la Sarthe et la ville du Mans. Nous rencontrions peu de réfugiés, quelques soldats français, mais par contre des side-cars et motards allemands qui roulaient rapidement en direction du sud ainsi que leurs camions de ravitaillement. Ce n'était pas une des routes d'invasion, ces départements étaient déjà considérés comme territoires occupés; les commerces étaient ouverts. Nous étions donc le 17 Juin 1940, il était environ 9 heures du matin. Nous ne poursuivions notre marche en direction du Mans que par le chemin le plus direct, et pour l'instant avec un petite groupe de réfugiés qui retournaient vers le nord-ouest, d'ailleurs ils nous quittèrent vers 11 heures pour une direction plus au nord-est. Pour nous, que faire d'autre ?... Continuer ensuite vers Laval et rejoindre Rennes, ville de garnison de mes compagnons, où ils pensent pouvoir se faire héberger. Fatigués de marcher, nous nous arrêtons dans un café pour nous désaltérer. Là, un camion allemand ayant à son bord deux simples soldats s'arrête et ceux-ci s'installant dans ce café de village, demandent une bouteille de bière qu'ils payent en argent bien de chez nous et nous invitent très correctement à prendre un verre avec eux. Ils avaient sans doute des consignes de relations publiques ?. Jouant le rôle du réfugié, nous acceptons et ils nous disent que la guerre était finie... Courageux et peu timides, nous demandons au chauffeur de nous prendre jusqu'au Mans où ils nous disaient se rendre pour prendre une livraison de pommes de terre, c'était un gros camion-benne; ils parlent entre eux : d'accord, alors ils nous disent que, comme il n'avaient pas le droit de nous transporter, qu'il ne fallait pas nous faire voir et qu'ils nous feraient descendre à l'entrée de la ville du Mans. Voyage sans histoire par une route désertique, peu de réfugiés sur les routes, mais de nombreux convois allemands. C'est à Saint-Calais que nous étions monté dans ce camion-benne de l'armée allemande et ils nous débarquent à environ 11 km du Mans en nous souhaitant "Glückliche Reise !", et aussi en s'excusant, disant qu'ils se méfient de la police militaire (nous aussi)... Nous les remercions et nous reprenons notre marche à travers un gros village dont les habitants étaient très accueillants. Là, sans un centime, je dois faire un emprunt au lieutenant pour m'acheter un pantalon de travail à 40 fr afin de paraître un peu moins militaire, alors je donne le miens à notre compagne qui avait sa robe déchirée Dans une ferme hospitalière, avec une trousse de toilette complète trouvée chez le gendarme, nous nous rasons et c'est dans une présentation correcte que nous allons à la Mairie de ce bourg appelé Changé. Le Maire, très sympathique, nous fait donner par son garde-champêtre, ainsi qu'aux autres réfugiés, du pain et du beurre et nous héberge pour la nuit. Nous dormons donc dans une grange, sur le foin. Nuit très calme malgré des soldats français en retraite, bien ravitaillés (surtout en vin rouge) qui viennent faire du chambard vers deux heures du matin Cette grange avait été réquisitionnée par la Mairie comme centre d'accueil. Ce 18 Juin vers six heures du matin, nous prenons le café toujours servi par le garde-champêtre qui nous raconte les derniers bruits et potins, et nous dit entre autres, que les Allemands de la Kommandantur voisine mise en place hier, devaient rencontrer le Maire vers dix heures... alors de suite nous quittons les lieux et reprenons notre route pour Le Mans. Une route départementale sauvage et triste nous conduit dans un faubourg de la Préfecture de la Sarthe, c'est alors, qu'après une marche de plus de cinq kilomètres, nous tombons "en beauté", en descendant une petite cote après un étroit virage, sur un barrage allemand : un soldat de la circulation routière avec sa palette bicolore à la main, nous laissa tranquillement approcher (pas moyen de s'enfuir), et nous montra sur le bord de la route un parc à bestiaux cerné de fils barbelés, comme les bords de cette route bien choisie et qui servait merveilleusement bien de centre de rassemblement pour le contrôle routier : Papier bitte ?... Que répondre à... Soldat français ?... Oui. Kriegsgefangene : prisonnier de guerre... Après quelques heures nous étions plus de deux cents prisonniers de l'Armée Française. Les officiers étaient rassemblés, les sous-officiers aussi et un peu plus loin les hommes de troupe et après les civils. C'est ainsi que l'équipage du Potez 63111 n° 415 se sépara, pas trop brutalement, avec la courtoisie du vainqueur satisfait, qui a bien voulu nous laisser le temps d'échanger entre nous, nos dernières impressions et nos sentiments.Nous nous sommes jamais revus et pourtant. Tous bien vivants à la Libération en 1945, seulement une courte correspondance a été établie jusqu'en 1960 et après plus rien... Notre compagne a été libérée de suite, elle a profité d'un autobus réquisitionné pour le retour des réfugiés de la région parisienne. Porteuse de messages verbaux pour nos familles, je sais qu'elle a bien rempli sa mission. Le 18 juin vers 18h.oo nous marchions bien encadré vers la captivité : le Quartier Cavaignac au Mans pour un mois de séjour, ensuite le Camp d'Auvours proche, et en septembre 1940 des convois pour les camps d'Allemagne étaient organisés, j'en étais, ainsi que mes deux compagnons., mais j'ai été le seul à être interné en Allemagne, au Stalag XIIA à Limburg-and-der-Lahn (Hesse).

Ainsi finit ce début d'aventures.