Capitaine Jean Armandi
141
Si la
guerre est longue,
je
serai officier...
Guerre
1939 - 1945
Guerre
d'Indochine
Guerre
d'Algérie
Nice -
Août 1995
Analyse du témoignage
Écriture : 1991 - Édition
Mai 1995 - 180 pages
POSTFACE
de Michel EL BAZE
"Lorsque dans notre Pays
on
parle de Courage et de Grandeur,
c'est
vers les Croix de Guerre
que
se tournent les regards",
déclarait
le Maréchal Juin.
Sans doute aurait-il porté
son regard plus particulièrement sur Jean Armandi
s'il avait connu son odyssée au service de ce Pays
qu'il a choisi pour être le sien : la France. On reste ébahi à la lecture de ce
témoignage d'une aventure exceptionnelle
sereinement décidée qui ajoute une pierre de
taille au Monument de la Mémoire. Campagne de France en 1940, cité à
l'Ordre de l'Armée. Prisonnier, il s'évade pour s'engager
dans la Résistance. Arrêté, condamné par le
Tribunal Militaire de Lyon, il en sort pour
retourner dans la clandestinité.De nouveau arrêté, torturé par la
Gestapo, il s'évade pour, encore, rejoindre
l'Armée de l'Ombre. Pour préparer ses futures missions sur
l'Allemagne, il reçoit une formation de
parachutiste à Ringway, en Écosse.Mais la guerre est finie, alors, en
Allemagne occupée, Armandi apporte ses compétences
à une antenne du Contre Espionnage installée à
Wildbad. Dès 1951 en Indochine, il combat les
Viêts. Captif à Dien Bien Phu il ne réussira pas,
cette fois, sa tentative d'évasion. 1955 Action Psychologique dans les
Mechtas de l'Algérois et de Kabylie et, une fois
de plus, une dernière fois, emprisonné pour sa
participation active au Putsch des Généraux. Croyez-vous que ce destin extraordinaire
aurait pu s'accomplir s'il n'avait bénéficié de la
complicité de la connivence du soutien sans
défaillance d'Irène, sa Reine !..
"When
people talk about courage and greatness
in our country,
they referring to the Croix de
Guerre
first and foremost"
Stated Maréchal Juin.
No doubt he
would have looked more particularly towards Jean
Armandi, had he known his odyssey for this
country which he had chosen as his own : France. One remains amazed when
reading this account of an exceptional
adventure, serenely decided and which adds a
corner stone to the monument of memory. Campaign of France,
promoted to the Order of the Army. Taken
prisoner, he manages to escape and joins the
Resistance movement. Arrested, condemned by the
military tribunal in Lyons, he leaves to go back
to clandestinely. Once again he is arrested
and tortured by the Gestapo, he escapes once
more to go back to the Army of Shadow. To prepare for his future
missions in Germany ,he is trained as a
parachutist in Ringway, England. War being over, then, in
occupied Germany, Armandi offers his skills to
an antenna of the counter intelligence service
located in Wildbad. As early as 1951, he
fights against the Viets. Taken prisoner in Dien
Bien Phu, he will not be able to escape then. 1955 : Pschycological
action in the Mechtas of the regions of Algiers
and Kabylia, and once more, the last time though
he is sent to prison, for taking part in the
attempted coup of the Generals in Algiers. Do you think that this
incredible life story would have been possible
had he not had the complicity, the unfailing
support of Irène, his Queen !
PROLOGUE
En prologue à mes souvenirs de guerre, je
me présente. Mon Grand Père paternel était un ouvrier
piémontais travaillant à Nice avant 1860.
Garibaldien (j'ai encore un portrait de ce
Niçois), grand admirateur de Cavour, mon Grand
Père garda sa nationalité italienne. Son épouse
m'est inconnue. Né Italien, mon Père le resta pour
ne pas faire 3 ans de service militaire. Apprenti
typographe à 12 ans, travailleur, intelligent, il
progressa et à 50 ans, lors de ma naissance, il
était directeur d'une imprimerie. D'un premier
mariage il eut 2 fils et, après le décès de sa
femme, épousa ma mère sa cadette de 15 ans. Ma Mère naquit à Vintimille de parents
paysans. À 18 ans elle vint travailler en France,
bonne d'enfants, dans une famille juive allemande
ayant une fille et un garçon. Né le 10 janvier 1916 à Monaco, j'y fus
élevé sainement mais de façon sévère, spartiate,
sans câlins ni bisous. César, mon frère aîné,
s'engagea pour la guerre en 1917, Flavius, notre
frère intermédiaire, décéda cette même année et je
restais seul fils à la maison. J'allais à l'école
publique tenue par des Frères. Après le Certificat
d'Études, je suivis un an de cours complémentaire
mais, déjà frondeur, m'étant heurté à un "Cher
Frère", je ne voulus plus continuer et en
septembre 1929 débutais apprenti électricien. À
l'Entreprise ou j'entrais, à Monaco Ville, il y
avait 3 ouvriers et 3 apprentis dont moi. Chaque
jour, les apprentis passaient à l'atelier pour
prendre le matériel : appareils, tubes, fils
nécessaires au travail pour le porter à dos sur
les chantiers. Les saignées pour encastrer les
tubes nous étaient dévolues, au marteau et au
burin. Le travail était de 8 heures, six jours par
semaine. Mon salaire d'apprenti pendant deux ans,
fut de un franc par jour (1 centime actuel), un
petit casse-croûte coûtait 1,25 francs. J'étudiais
l'électricité sous toutes ses formes et à 16 ans,
j'entrais dans l'Entreprise Barbey comme monteur
installateur de tableaux : voyants et sonneries
d'hôtels. À 17 ans, M. Champion, constructeur
réparateur de postes de T.S.F., m'accepta chez lui
ou j'appris un minimum de dépannage de ce qui
allait devenir la radio. Un an plus tard, en 1934
: la crise. Champion licencie, je deviens ouvrier
d'entretien à l'Hôtel Bristol. Cette même année,
je demande ma naturalisation Française, car né à
l'étranger de père étranger. Mon frère aîné , né à
Nice, était déjà Français. Mon Père m'approuve. En mars 1935, je m'engage pour 3 ans au
6ème Dragons Monté (je croyais motorisé), à Paris.
La vie y était assez rude pour les "bleus" : une
permission de sortie du soir par semaine et le
dimanche, abreuvoir des chevaux à 14 heures avant
le quartier libre. Au vu de mes connaissances électriques je
fus envoyé, après mes classes à cheval, suivre un
stage : radio et téléphonie, à Versailles, puis un
autre de Chef de Poste radio à Verdun et je fus
nommé brigadier. Je suivis ensuite un stage de
chiffre à Latour Maubourg. À deux ans de service,
le 1° avril 1937, j'étais nommé brigadier chef,
avancement exceptionnel pour cette unité à 75 %
d'Engagés. Mars 1938, mon Père hémiplégique,
s'affaiblissait et en fin de contrat, je revins à
Monaco. En août j'entrais au Service de Garde de
la S.B.M.. En allant prendre mon travail je
m'arrêtais souvent à la Brasserie Albert 1er.
Simone, la "patronne" me suggéra de m'occuper de
sa fille, Jacqueline, revenant de Grande Bretagne.
Cette jeune personne avait dans sa malle un
journal de Paris avec ma photo en première page !
À Noël précédent l'Armée avait remplacé les
transporteurs des Halles en grève, "Paris-Soir"
m'avait inclus dans son reportage. Le jour de Noël 1938 mon Père décédait.
Les suggestions de Simone, la photo,... le destin;
en mars 1939 j'épousais Jacqueline. Six mois plus tard c'était la guerre.
In prologue to my
souvenirs of war, I following. My Great paternal Father
was a worker piémontais working to Nice before
1860. Garibaldien (I have again a portrait of
this Niçois), great admirer of Cavour, my Great
Father kept his Italian nationality. He marries
is me unknown. Born Italian, my Father
remained it to does not make 3 years military
service. Apprentice typographer to 12 years,
laborer, intelligent, he progressed and to 50
years, during my birth, he was director of a
press. From first marriage he had 2 son and,
after the death of his woman, married my mother
his cadette of 15 years. My Mother was born in
Vintimille of working family. To 18 years she
came to work in France, maid of children, in a
German Jewish family having a girl and a boy. Born 10 January 1916 to
Monaco, I was raised there healthily but severe
manner, Spartan, without fabulously neither
kisses. César, my older brother, is committed
for the war in 1917, Flavius, our intermediate
brother, deceased this same year and I remained
alone son to the house. Iwent to the public
school appearance by Brothers. After the Certificate of
Studies, I followed a complementary course year
but, already critical, being knocked to an Dear
Brother, I no longer wanted to continue and in
September 1929 began apprentice electrician. To
the Enterprise wehre I entered, to Monaco City,
there were 3 workers and 3 apprentices whose me.
Each day, the apprentice passed to the workshop
to take the equipment: machines, tubes,
necessary son for the work to carry it to back
on yards. The saignées to armour tubes us were
for us, to the hammer and to the burin. The work
was 8 hours, six days by week. My salary of
apprentice during two years, was a Franc per day
(1 current cent), a small snack costed 1.25
Francs. I studied the electricity under all its
forms and to 16 years, I entered in the
Enterprise Barbey as fitter editor of tables :
clairvoyants and ringings of hotels. To 17 years, Mr. Champion,
constructive repairer of positions of T.S.F.,
accepted me at him wehre I learnt a minimum of
repairing of what was going to become the radio.
A later year, in 1934 : the crisis. Champion
dismisses, I become labor of maintenance to the
Hotel Bristol. This same year, I ask my French
naturalization, because born to the foreign
father foreigner. My older brother, born to
Nice, was already French. My Father approves me. In March 1935, I am commit
for 3 years to 6ème Climbed Dragons (I believed
motorized), to Paris. The life there was enough
rough for the blue : a permission of exit of the
evening by week and Sunday, trink for horses to
14 hours before the free quarter. To see my electrical
knowledge I was sent, after my classes to horse,
to follow an internship : radio and téléphonie,
to Versailles, then an other of Chief of radio
Position to Verdun and I was appointed corporal.
I followed then an internship of figure to
Latour Maubourg. To two years of service, 1
April 1937, I was appointed chief corporal,
exceptional furtherance for this unit to 75% of
Committed. Mars 1938, my Father
hémiplégique, is weakened and in fine of
contract, I return to Monaco. In August I
entered to the Service of Ward of the S.B.M.. In to be going to take my
work I stopped me often to the Brewery Albert
1st. Simone, supports it, suggested me to occupy
to her girl, Jacqueline, returning Great
Britain. This youth person had in her trunk a
newspaper of Paris with my photograph in first
page ! To preceding Christmas the Army had
replaced carriers of Halles in strike,
Paris-Soir had me included in its reporting. The day of Christmas 1938
my Father deceased. Suggestions of Simone, the
photo,... the destiny in March 1939 I married
Jacqueline.Six month later it was the war.
PRÉAMBULE
J'ai écrit ces souvenirs de
1939/1945, de mémoire : Confortée par mes
citations (en annexe) et le livre "La 29ème D.I.A.
au combat " pour 1939/1940. En les confrontant
avec ceux de Reine, ma compagne des jours de
bonheur et de malheur, des heures d'espoir et de
désespoir pour 1943/1945. Avec l'aide de Roger Lechner pour
1941/1942. Aymé a d'abord continué avec le Réseau
Bertin/Radio Patrie. Le dénommé Prat lui a appris
à manier plastic, gélinite, allumeurs, etc., mais,
voulant plus d'activités, il adhérera au Réseau
Gallia dépendant de Buckmaster, la branche
française de l'I.S. Sa mère, veuve était
responsable surveillante du cimetière de Monaco où
de beaux et riches tombeaux ont des cryptes avec
porte d'accès. Il y entreposera armes, explosifs,
documents. Après le débarquement de Provence, il
sera désigné pour accueillir et guider les troupes
alliées lors de leur approche de la Principauté.
Sa brillante conduite et le travail effectué dans
la Résistance lui vaudront d'être l'un des très
rares monégasques titulaire de la Croix de Guerre. J'aurai du écrire plus tôt. Roland
Provence m'aurait servi de mémoire annexe. Il a
été ravi à mon estime, mon affection en 1981. J'ai
cherché d'autres collègues : Félix Vérani perdu de
vue en 1945 à Paris. Où est-il ? Notre co-évadé de
1940 : Guintrand est décédé ainsi que Chirouze, le
braco de Lamastre. Eldin le Pasteur et De Pecker,
épicier à Antibes, tous deux Brigadiers Chefs du
GRD nous ont quittés. En 1972 j'avais rencontré
Barthélémy établi boucher à St Tropez, il n'y est
plus. Bennati a récolté 20 ans de prison en 1948
pour attaques à main armé. Il les a finis au
cimetière. Jove est décédé fin 1948, Dan en 90.
Friend et Fourt ont été arrêtés en 1944, exécutés,
m'a dit Maud. Petit Paul a pris son dernier envol
en 1980. Maud, ex Nanette : Louise Le Mab mariée
après guerre avec un médecin vit à Paris. Elle
vient nous voir chaque été avec ses petits
enfants. Si quelqu'un trouvait une erreur ou un
oubli; je m'en excuse. J'ai 76 ans et la mémoire
"flanche". Elle a été altérée par : a/ agression
en 1945 à Paris, retrouvé amnésique, plaie à la
tête, dans le métro b/ Assommé en mars 1952 en
opération, 2 jours amnésiques à l'hôpital d'Hanoï
c/ Mauvaise arrivée au cours d'un saut à Blida.
Trois heures d'amnésie à l'hôpital en 1958.
I have written these
souvenirs of 1939/ 1945, of memory: Confortée by
my quotations (in annex) and delivers it 29ème
D.I.A. to the combat for 1939/ 1940. In
confronting them with these of Reine, my
companion of happiness and misfortune days,
hours of hope and desperation for 1943/ 1945. With the assistance of
Roger Lechner for 1941/ 1942. Aymé has approach
continued with the System Bertin/ Homeland
Radio. The named Prat has learnt it to handle
plastic, gélinite, igniters, etc., but, wanting
more activities, it will adhere to the System
Gallia depending Buckmaster, the French branch
of the I.S. His mother, widow was responsible
surveillante of the cemetery of Monaco where
beautiful and rich tombs have crypts with door
of access. It will store there arms, explosives,
documents. After the landing of Provence, he
will be designated to welcome and guide troops
allied during their approach of the
Principality. His brilliant conduct and the work
undertaken in the Resistance will cost him to be
one the very rare incumbent Monacans of the
Cross of War. I will have to write him
earlier. Roland Provence would have served me as
memory annexes. It has been delighted to my
esteem, my fondness in 1981. I have sought
others colleagues: Félix Vérani lost of view in
1945 to Paris. Where is-it ? Our co-fugitive of
1940 : Guintrand is deceased as well as
Chirouze, the braco of Lamastre. Eldin the
Parson and Pecker, grocer to Antibes, all two
Chief Corporals of the GRD have left us. In 1972
I had met established Barthélémy to clog to St
Tropez, he no longer there is. Bennati has
harvested 20 prison years in 1948 for hand
attacks armed. He has finished them to the
cemetery. Jove is deceased end 1948, Dan in 90.
Friend and Fourt have been stopped in 1944,
executed, has told me Maud. Petit Paul has taken
his last takeoff in 1980. Maud, ex Nanette :
Louise Le Mab married after war with a physician
lives to Paris. It comes to see us each Summer
with her small children. If someone found an error
or an oblivion I excuse me. I have 76 years and
the memory flinchs. It has been altered by: a/
aggression in 1945 to Paris, found amnésique,
sore to the head, in the metro. b/ Stunned in
March 1952 in use, 2 days amnésiques to the
hospital of Hanoï. c/ Bad arrival in the course
of a jump to Blida. Three hours of amnesia to
the hospital in 1958.
La mémoire
La mémoire : seul bagage incessible
Jacques ATTALI
1939 - 1940
La drôle
de guerre
Ma
captivité
Mon
évasion
C'était le dimanche 27 Août 1939. Au
stade Louis II de Monaco se déroulaient les
finales des jeux Olympiques Universitaires.
J'étais l'annonceur. J'appelais les participants
aux différentes épreuves, j'indiquais au public
les résultats et ce qui allait se passer sur tel
point du stade : concours, courses, match de
volley, de basket ou de football. Vers 17 heures je reçus un message à
communiquer aux spectateurs :Je le lus au micro puis
me rappelant que j'avais ce numéro 7, je dis à mon
voisin speaker en Anglais : - Vous parlerez aussi
en français et allais chez moi boucler mon sac.
Après trois ans dans la cavalerie (à cheval).
Brigadier-chef A.D.L., j'avais été libéré en Mars
38 avec un paquetage de mobilisation type
sous-officier. J'aurai dû être nommé maréchal des
logis dans les réserves mais avais été oublié.. Depuis près de 6 mois j'étais marié et
vivais avec ma femme, chez ma mère. Pleurs des
femmes, sourire fanfaron de ma part : je
reviendrai avec des décorations et si cette guerre
dure comme la précédente, je finirai officier !
Peut-être pas 5 galons mais 4 probables... (je
n'en eus que la moitié, et à titre provisoire :
ASSIMILÉ) Vers 20 heures un train m'emmenait à
Tarascon ou je devais me présenter au centre
mobilisateur numéro 15. J'y fus le lendemain matin
et j'appris que j'étais affecté "brigadier
trompette" à l'Escadron Moto du G.R.D.I. 34. Képi
à galon d'argent, barrette de brigadier-chef sur
la veste de combat ; je regimbais et sortis mon
livret militaire portant ma nomination : Brigadier
chef en Mars 37 et la mention : "A perçu à sa
libération son paquetage de mobilisation". Il
était aussi porté que le brigadier-chef avait reçu
un certificat de bonne conduite ! Mais le scribe
de service ne voulait rien entendre, le ton
montait. Un Capitaine, rappelé, 45 ans environ
attiré par le bruit, trancha. - Venez
brigadier-chef, je suis votre capitaine, je manque
de gradés. J'allais faire voir mes talents de
pilote moto et side-car, en suite de quoi je fus
envoyé réquisitionner tout ce qui a 2 ou 3 roues,
marque Terrot, passerait sur le pont de Beaucaire
à Tarascon ! C'était amusant et triste. Les gens à qui nous enlevions leurs
biens, criaient, hurlaient, pleuraient. Le
propriétaire d'un Side Terrot tout neuf m'offrit
une somme équivalente à celle de son engin !
J'avais 3 conducteurs avec moi, dès que nous eûmes
4 machines nous rentrames au CM. Nous fiment la
même chose l'après midi. D'autres équipes en
faisaient autant sur d'autres routes. Il s'avéra
bientôt que nous ne trouverions pas les 49
side-cars 500 Terrot nécessaires et nous reçumes
l'ordre de ramener des 202 Peugeot ! Des camions
requis arrivaient avec leur chauffeur. Au premier retour de la réquisition je
fis une entrée très remarquée au C.M, franchissant
le portail en panier levé et faisant un 8 dans la
cour, sourires et... engueulade. Mais je me
rattrapais auprès du capitaine en remuant des
conducteurs de camions qui faisaient de
l'obstruction. Notre matériel véhicules au complet
(avec les 202) j'héritais d'un groupe de combat du
4eme peloton, Lieutenant Veyrac, banquier dans le
civil. Le capitaine commandant l'escadron était
un industriel. Les tracteurs Douge de Besançon ;
brave homme, toujours calme et gai, prisonnier en
14/18. J'avais un groupe de combat, un side mais
pas de conducteur. Un jour d'école de conduite
dans la cour, une ballade en colonne jusqu'à
Avignon et en avant vers la frontière Italienne.
Seul sur ma machine, j'eus droit à une charge de
munitions dans le panier. Dans l'Estérel un side
prit feu et j'eus droit à un peu plus de
munitions, près de 300 kilos au total. Deux nuits sur la plage de Cagnes et en
route pour remonter le Var afin de rejoindre la
Division, la 29ème D.I. Alpine. La guerre venait
d'être déclarée. Notre Division était constituée
par une demi brigade de chasseurs alpins : 24 et
25ème (Villefranche et Menton) d'active et le
65ème de réserve, du 3ème R.I.A. (Hyères) et du
112ème R.I.A. (origine inconnue pour moi).
L'artillerie était composée du 94ème R.A.M,
artillerie de montagne à dos de mulets et du 294
(réservistes), également à dos de mulets et
charrettes tirées par des mules. Mon escadron
faisait partie du G.R.D.I 34, Groupe de
Reconnaissance Divisionnaire d'Infanterie, composé
en outre d'un escadron de mitrailleuses porté sur
camions, d'un escadron à cheval (mais oui) et d'un
escadron hors rang de commandement. Dans la plaine du Var, mon side surchargé
plia son cadre au tunnel de Chaudan et je faillis
terminer la guerre sur la voie ferrée en
contrebas. Déchargé, bricolé, j'amenais l'engin à
Guillaume où 2 jours plus tard arrivèrent des
renforts. Grange, un M.d.L. séminariste prit mon
groupe et je fus affecté au groupe d'estafettes,
motos solos du M.d.L. Chaland qui prit les
fonctions de fourrier. Ce groupe, motos 350
Terrot, était composé de braves types : Chirouze,
Sandra, Gillet, Vidal, Arcangelo, B... de
Ramatuelle dont le nom m'échappe et des
Marseillais : Bennati, Capoduro Maria et d'autres
que j'ai oubliés. Ces Marseillais formaient une
équipe assez soudée, ayant déjà une mauvaise
réputation. Le capitaine m'annonçant ma nouvelle
affectation me dit : - Cogne, bastonne, tu ne les
feras obéir qu'en t'imposant. C'est pour ça que je
n'y ai pas mis Grange. Entendu, je m'imposais ! Je
fis connaissance avec ces gars, vis leur motos et
ordonnais : - Nettoyage, lavage, je veux les voir
impeccables. Bennati me répondit : - Je ne suis
pas laveur de voitures. J'étais prévenu, c'était
un souteneur, le meneur des Marseillais. Je
répliquais : - Toi comme les autres, je regarderai
bien ta bécane. Un "merde", très retentissant,
sorti de sa bouche. Avant qu'il ne l'ait refermé
mon poing droit lui arrivait au creux de
l'estomac. J'y avais mis toute mon énergie. Il se
plia en avant. Je le redressais d'un uppercut et
il s'écroula. Je le poursuivis très méchamment de
coups de pieds aux côtes et tandis qu'à 4 pattes
il se relevait, je lui en donnais un dernier dans
les fesses. Il fut atteint à l'entre jambes et
s'écroula en gémissant. Deux de ses collègues
firent mine de s'approcher, je leur dis "au
boulot' et ils firent demi-tour. J'ordonnai à Bennati : - Debout, lave ta
moto où je recommence !. Lentement, gémissant, il
se leva et dés qu'il put parler dit : - Ma
première balle sera pour toi ! Je répondis : -
C'est entendu, mais en attendant, lave ta moto !
Il la lava ; je m'étais imposé devant ses amis
stupéfaits. Le Lieutenant-colonel Landriau commandant
le GRD était un ancien officier Légion ayant eu
son heure de gloire au Levant. Une de ses
premières notes stipula que "Groupe de
Reconnaissance" signifiait : aller devant la
Division. En conséquence, nous sommes allés sur
les Pics avec nos engins. Tirant, poussant,
portant, nous sommes allés au dessus du lac
d'Allos avec nos machines. Il n'y avait pas de
route, un sentier muletier jusqu'au lac, parfois
trop étroit pour les side-cars qu'il fallait
porter, une sente jusqu'au sommet où seules nos
motos purent monter à 2600 mètres et plus.
L'escadron à cheval du Capitaine Pinsard s'arrêta
peu après le lac, l'escadron mitrailleuse ne put y
arriver que le matériel à dos d'homme. Après Guillaume, Saint André les Alpes,
une halte à Châteaudouble et nous primes le train,
aux Arcs, fin novembre, pour la Marne. Notre
escadron cantonna à Pargny sur Saulx, au bord du
canal de la Marne au Rhin. Brigadier-chef ADL, j'avais droit à la
popote sous officiers . Le capitaine, bon enfant,
fit faire popote commune officiers, sous-officiers
et les 2 brigadiers-chefs ADL . L'encadrement de l'Escadron est composé
de : - Lieutenant Bornet ,1er Peloton (active sur
Gnome Rhône), - Lieutenant Jourdan, 2e Peloton
(202 Peugeot), - Lieutenant Reynaud 3° Peloton et
- Lieutenant Veyrac 4° Peloton (3° et 4° sur Side
Terrot 500) . Des sous-officiers - M.d.L. Ayala,
active, faisant fonction d'Adjudant d'Escadron, et
des Réservistes M.d.L. Chefs Pinaud, Pichot,
Etienne, X ..., M.d.L. Casalis, Chalan, Escudier,
Grange, de Montredon, Y... Z... (nom oublié), le
Brigadier Chef De Pecker et moi . Début janvier 1940, laissant mes
collègues aux exercices de traversée du canal,
gelé, j'allais faire un stage de 3 semaines au
Corps Franc du Lieutenant Agnelly, Lieutenant
Joseph Darnand, adjoint. Fin janvier je revenais à temps pour
partir avec l'escadron en Alsace. Une nuit
glaciale et nous débarquions au petit jour par
moins 30° à Brulange. Il fallut chauffer les blocs
moteur à la lampe à souder pour les dégeler et
remorquer les motos pour faire tourner les
moteurs. Nous prîmes position à Merlebach,
l'échelon arrière s'installant à Faulquemont.
Gardes, patrouilles, embuscades, le train train de
la drôle de guerre, pas un seul contact avec
l'ennemi. Les seuls coups de fusils tirés à
l'escadron le furent sur des lapins. Je n'arrêtais
pas de râler, j'étais parti faire la guerre, je
voulais avoir la croix de guerre et je faisais du
"travail de garnison". Fin mars Repli au repos à Passavant la
Rochère, Haute Saône ; dans ce bourg c'était la
belle vie, logés chez l'habitant nous étions
choyés par ceux-ci. La verrerie occupait de très
nombreuses filles, peu farouches parait-il. Ma
femme était venue me rejoindre, je n'ai pas eu
l'occasion d'apprécier. 10 mai Nous apprenons l'invasion de la
Belgique. Le 17. Alerte, départ dans la soirée,
escadron moto en tête, tous feux éteints. Les
autres suivront, plus lentement. Nous devons aller
à Péronne "colmater une brèche, réduire une
poche"... Au jour, à Tergnier, 400 Km dans la nuit
tous feux éteints, nous avons le spectacle, le
premier, d'un bombardement, la gare est détruite.
Nous ne sommes jamais arrivés à Péronne. Depuis
Tergnier, nous nous frayons la route à travers des
colonnes de civils, fuyant vers le sud accompagnés
de centaines de soldats. A 20 Km de Péronne ils
nous disent que les Allemands y sont. D'autres
affirment qu'ils ne sont qu'à 2 ou 3 Km de nous.
Je vais demander au capitaine si je dois continuer
à ouvrir la route avec mes motards. Le lieutenant
du 1er Peloton veut continuer quand arrive un
lieutenant Légion avec une demi douzaine de
side-cars, il nous précédait avec la même mission
et avait subi le feu d'A.M. allemandes, 2 Km au
Nord. Il faisait partie de l'Escadron Moto du GRD
9, Division Nord Africaine venant de l'île de
France. Ayala part vers l'arrière pour avoir des
ordres. Nous établissons des liaisons latérales
avec les légionnaires et avec le PC d'un bataillon
de réservistes bretons. Au soir le P.C. de l'Escadron est à
Marchelepot, les Pelotons sont à
Fresnes-Mazancourt, Misery, Saint Christ, Pargny
(il y a 8 communes de ce nom) . Nous devons tenir
les ponts de Saint Christ et Pargny et barrer la
R.N. 17 . Depuis Passavant j'avais un adjoint, le
Brigadier-chef Provence, originaire de Troyes,
travaillant depuis une douzaine d'années à Paris
dont il avait pris l'accent et la gouaille. Dès notre arrivée dans la Somme, et même
depuis l'Oise, nous récupérions toutes sortes
d'armes abandonnées par des fuyards de l'armée qui
était en Belgique. Le PC escadron hérita d'un
canon de 25 avec son tracteur et de 2 camions. En
48 heures, 6 de mes hommes eurent 1 FM sur leur
motos, presque tous des pistolets. J'eus une
mitraillette à crosse bois (MAT 39 ?). Le groupe
d'Estafettes était devenu un groupe de combat,
presque un Groupe Franc dont j'étais fier. Nous
fimes des coups de main, parfois très hasardeux.
Roland Provence et moi partions chacun avec 3
hommes vers un village occupé par l'ennemi et
faisions mine de l'attaquer avec 3 FM sur 2 côtés.
Branle bas de combat chez l'Allemand et nous nous
repliions en douce pensant qu'ils montaient une
contre attaque. Il nous est arrivé de les voir
"allumer" un autre village tenu par leurs
collègues. De temps à autre nous vimes des A.M se
diriger vers Marchelepot. Les mitrailleuses les
stoppèrent à distance. Provence imagina d'aller
placer des mines au bord de la route reliées par
une ficelle à un homme couché dans le fossé de
l'autre côté. En tirant sur la ficelle il pouvait
amener la mine sous les roues d'une A.M... Le
capitaine s'y opposa mais, en fin d'après midi,
nous entendîmes une explosion et vîmes une A.M
arrêtée à 600 m environ. Cet animal de Provence
voulait avoir la croix de guerre avant moi ! Il
était allé seul essayer son truc. Il fallut aller
le chercher pendant que les Allemands
s'enfuyaient. Nous n'avions pas le monopole des coups
de main, les pelotons faisaient comme nous. Dans
une reconnaissance disparut le Pasteur Eldin,
brigadier-chef lui aussi : Prisonnier. Je perdis
un bien charmant camarade. Le 2ème Peloton était monté sur 202
Peugeot. Le tireur FM debout, à travers le toit
ouvrant, avait son arme sur le toit. Le 23 mai. Notre Capitaine, apprit que 2 chars
étaient arrêtés à 700/800 mètres. Il envoya voir
une 202. Elle fut engagée en marche arrière sur un
chemin très étroit. Seule la tête du chef de bord
dépassait du toit. Cet homme aperçut des chars à
300 mètres mais continua sa progression et il vit
les tanks partir. Le 25 L'Escadron "mitraille" bloquait un char
et s'emparait des occupants. Le Feldwebel, chef de
bord ,dit que l'avant-veille il avait fait
demi-tour devant un tank français, type inconnu !
Ces 202 étaient peintes, glaces incluses en
camouflage. Il n'avait pas réalisé que c'était une
petite voiture en marche arrière. Le 23 mai Les servants du canon de 25 récupéré, en
position sur la RN 17, virent arriver un side-car
allemand. Ils tirèrent de trop loin, plus de 200
m. Atteint à la roue du panier, l'engin alla au
fossé. Les 2 occupants s'enfuirent, l'un d'eux
traînant la patte. Deux hommes allèrent à leur
poursuite. Parti en liaison avec l'E.M. j'arrivais
à ce moment sur ma moto. Rapidement je rejoignis
B..., le cuisinier, le plus avancé. Il criait en
Provençal : - T'arrestèrass t'arrestèrass pas,
banditt ! Mais sans oser trop approcher du fuyard
qui avait un pistolet à la main. J'allais jusqu'à
cet homme le bousculant au freinage avec la roue
avant. Il jeta son pistolet, je le fis monter
derrière moi, ce fut le motif de ma première
citation. J'avais ma croix de guerre, le premier
du G.R.D. ! B... prit pour lui le pistolet. Le
prisonnier déclara appartenir à la "Division des
Spectres" commandée par un "Général Rommel"?? Nous arrêtions des soldats français
fuyards (de Belgique) très souvent encore armés et
mes voyous, mes nervis, se révélèrent des chefs !
Ils prenaient 10 ou 12 hommes, souvent des gradés,
parfois des sous-officiers, à leurs ordres.
Pistolet à la ceinture, ils jouaient les terreurs,
obligeant les fuyards à tenir une position. Le 27 mai. Un de mes gars, Capoduro, était avec 2 de
ses "esclaves" en liaison à la charnière avec les
Bretons. Dans l'après midi nous avons vu un
caporal "esclave" arriver sur la moto de Capo qui
l'envoyait nous prévenir que les 3 officiers
voulaient replier la compagnie. Le capitaine me
dit d'aller voir et régler la chose... Bennati qui
m'avait promis sa première balle me dit : - Capo,
c'est mon pote, je viens avec toi ! J'eus un
soupçon, failli dire non mais, par bravade, je le
fis monter derrière moi. Il fallait économiser
l'essence... et s'il me tirait pendant que je
roulerai (très vite), il risquait très gros dans
la course. En chemin nous eûmes droit à un tir
d'artillerie roulant. Bennati cramponné à moi
jurait que j'étais fou et me demandait d'arrêter.
J'accélérais, nous passâmes. En arrivant, nous
vîmes notre ami dans la rue un pistolet dans
chaque main, empêchant les 3 officiers qu'il avait
désarmés de sortir du garage où il les avaient
enfermés. Deux adjudants d'active (les officiers
étaient des instituteurs réservistes) prenaient
ses ordres. J'allais voir les officiers, pris
leurs papiers, les menaçais du Tribunal Militaire.
Ils se résignèrent à tenir leurs rôles. Bennati me
dit qu'il voulait rester pour épauler son ami,
j'acquiesçais. Il me tendit la main : - Tu es un
homme, je m'en souviendrai ! Il s'en est souvenu
en 48, c'est une autre histoire, dirait Kipling. Cette traversée du tir allemand se sut
ainsi que mes ordres aux officiers. Le
lieutenant-colonel me convoqua, me félicita et
j'eus une 2ème citation... Le 4 (ou 5) juin Au cours d'une reconnaissance à
Hyencourt, précédant un camion portant 8 ou 10
soldats, je vis un homme armé en travers de la
rue. Je crus à un légionnaire , mais il me mit en
joue et tira. Demi tour au frein, pleins gaz, à
plat ventre sur ma moto et zigzags. Un choc sur la
tête me fit aplatir encore plus. Le camion qui
était à 100/120 mètres derrière moi fit vite demi
tour. Constat à l'arrivée : une éraflure de balle
sur le casque, une balle dans le sac. "as de
carreau" fixé sur le porte-bagages, et une 3ème
bloquée dans les ailettes du moteur. Ce n'était
pas mon jour. Un homme du camion, un réserviste,
l'Abbé Lantelme, fut tué ; notre premier mort. Ce jour là arrivèrent les chasseurs
Alpins. Des "Brêles" avaient été portés par les
autobus de la TCRP ! Par la plate-forme arrière,
seul accès, les bêtes étaient montées et avaient
tourné entre les banquettes. Version 1940 des
taxis de la Marne.Le comble fut l'arrivée de nos artilleurs
avec leurs mulets dans les plaines de la Somme
face aux chars Allemands. Une monstruosité. Les
hommes devaient débâter, mettre en batterie,
tirer. Pour le repli il fallait 8 à 10 minutes
avant que la bête chargée puisse prendre la route.
Les artilleurs firent très vaillament leur devoir.
Parfois ils ne purent démonter leurs pièces et
"débouchèrent à zéro", tir direct sur les chars ou
les troupes Allemandes, avant de faire sauter
leurs canons. Des années plus tard, lisant l'histoire
de 1939/1940, j'appris que les Allemands avaient
marqué un temps d'arrêt sur la Somme par manque de
carburant ! Je compris pourquoi notre petit
escadron avait pu tenir un front de 5 Km pendant 8
jours, alors que la Division avec ses 9 Bataillons
avait lâché après nous avoir relevés. Car la
D.I.A. à peine mise sur ses positions devait
commencer à se replier, débordée à droite et à
gauche. Après notre folle semaine pratiquement
sans dormir, nous eûmes 24 heures pour souffler et
nous avions une nouvelle mission : couvrir le
repli ! Un peloton (ou 1/2) moto et (ou)
l'équivalent de l'escadron mitraille, prenait la
place des compagnies de fantassins, à la tombée de
la nuit et "amusait" l'ennemi pendant que les
Alpins retraitaient, à pied bien sûr. Après avoir
fait "pan pan" toute la nuit nous les rejoignions
au petit jour alors qu'ils reprenaient une
position. Souvent nous fûmes insultés, traités de
planqués parce que nous étions motorisés. Dans la journée nous subissions des
attaques de la Luftwaffe. Les piqués des stukas
étaient très impressionnants avec leurs sirènes
déchirant les tympans. Nous en étions paralysés.
Un après midi dans le cimetière de Champien,
attendant d'aller relever l'Infanterie pour son
repli, une de ces attaques fondit sur nous.
J'étais allongé sur le ventre entre 2 tombes
lorsque je sentis un coup sur mon casque et une
voix me dit : " retourne-toi, un cavalier doit
regarder la mort en face ! " C'était le Rat Blanc,
le Lieutenant Colonel Landriau commandant le GRD
qui allait marchant nonchalamment de l'un à
l'autre son stick à la main. Je me levais, saluais
: - Très bien, ne reste pas debout, couche-toi sur
le dos. Et il continua, raide, droit, à petit pas
vers un autre homme. Cet officier, avait les cheveux blanc
neige, la moustache aux longues extrémités et une
"mouche" au menton, le tout aussi très blanc d'où
le surnom de "Rat Blanc". Le 6 Juin. La grange où étaient les motos de mon
groupe reçut un obus incendiaire. Toutes nos motos
et nos paquetages fixés dessus brûlèrent. Par
chance lors de ce bombardement, j'étais allé au
lavoir me raser. Je sauvais donc ma trousse de
toilette. Le 7 Juin. Capoduro fut blessé et évacué. Cette
nuit-là je fis le repli avec 2 de mes hommes à
l'arrière du camions munitions, plate-forme non
bâchée, assis sur les caisses de cartouches. Nous
avons traversé Lagny en flammes, c'était
hallucinant. Nous avancions au pas avec les
flammes à 2 ou 3 mètres du camion. A un moment,
nous avons du dégager, à la pelle, des morceaux de
charpente en feu tombes sur la route entre le
camion nous précédant et le notre. Pétoche,
pétoche... Le soir du 8 Juin. Nous avons la défense du Pont de
Verberie. La route qui y conduit est pleine de
civils en fuite. Comment tirer pour défendre
l'accès au pont ? Des sapeurs sont là pour le
faire sauter, ils disparaîtront avant notre repli
! mais d'autres le feront sauter. En attendant
cela nous avons vu arriver l'Escadron Pinsard.
D'où sort-il ? Nous ne l'avions pas vu depuis la
Haute Saône. Ils avaient rejoint le GRD sur des
camions et comme nous ils s'étaient battus dans le
repli. Les chevaux très maigres faisaient peine à
voir. On ne pouvait plus les desseller, le dos
n'étant qu'une plaie, les couvertures sous selle
adhéraient à la chair vive. Le lendemain je récupérais un camion
Renault abandonné, d'un modèle que je connaissais
bien en ayant eu des identiques pendant mon
service militaire. J'embarquais là dessus mes
hommes et quelques autres. Mais c'était MON camion
et je mis Vidal comme conducteur tandis que
j'étais chef de bord ! ce camion avait une panne
chronique, la pompe à essence désamorçait. Il
fallait ouvrir le capot et pomper à la main. Ce
pouvait être toutes les 5 minutes ou au bout de 2
heures. La nuit, près de Fleurines, en forêt de
Halatte pannes à répétition. Je décide de rouler
capot ouvert et de rester sur l'aile pour pouvoir
pomper sans retard. Le Maréchal des logis De
Segonzac prend ma place à côté du conducteur.
Bombardement d'artillerie, Segonzac est blessé,
évacué. Le moteur refuse de repartir. Il était 2 ou 3 heures du matin. Mon
"ami" le chef Pineau qui était à l'arrière dit
qu'il faut partir à pied. Je refuse, discussion
animée, brutale. Je fais partir mes hommes avec
lui et cherche la panne dans le noir. Nouveau tir
d'artillerie, je me glisse sous le camion et dors.
Au jour je trouve : 13 éclats d'obus avaient
touché la cabine du camion. L'un d'eux avait coupé
le fil du contact d'allumage. Réparation vite
faite, je pars au volant à la recherche de
l'escadron. A Fleurines je rencontre Faudier, un
Brigadier chef des Spahis avec qui j'avais, en 36,
suivi le stage d'opérateur radio Il était à moitié
ivre mais avait à manger et boire. En début
d'après midi, je retrouve l'escadron. Le capitaine
à qui je me présente, tout fier, me dit que je
suis sous le coup d'aller au Tribunal Militaire,
le Chef Pineau ayant rédigé un motif de punition
pour "refus d'obéissance en temps de guerre" !
Discussions, explications et motif de ma 3ème
citation au grand désespoir de Pineau qui dut la
transcrire et la transmettre. C'était son emploi. Toujours des combats retardateurs et le
matin du 12 juin nous arrivons près de Paris. Le
Raincy, Chelles, La Marne, terrains de manoeuvres
et de chasse aux filles quand j'avais 20 ans au
6ème de Dragons. Près du Pont de Neuilly, nous
recevons l'ordre de détruire toutes les
embarcations pouvant servir à l'ennemi pour
franchir la Marne. Le pont ferroviaire doit
sauter, il y a une chambre à mine ! Nous avons
replié en laissant le Pont intact et beaucoup de
bois cassé à la place des bateaux... Nous continuons ces combats retardateurs
en nous méfiant de la 5ème colonne... Tous les
prêtres, toutes les religieuses, tous les pompiers
sont suspects. Nous perdons un temps fou dans
cette pantalonnade. Sur les routes ce n'est pas la rigolade.
Quelques charrettes à cheval surchargées, mais
surtout des colonne de gens à pied se dirigeant
vers le sud, traînant, portant des enfants,
poussant un chariot ou une voiture d'enfant avec
des hardes fixées dessus. Leur détresse nous
frappe mais nous ne pouvons rien pour ces milliers
de personnes qui nous entourent, encombrent les
routes, gênant nos mouvements. Quelle tristesse de
devoir les repousser hors des chemins qu'ils
obstruent. Depuis Chelles j'ai hérité d'une moto
Gnome Rhône, type armée, au guidon tordu qui a été
séparée de son panier très accidenté. Je fais le
pilotage de l'escadron à travers la foule qui
bloque tous les croisements, tous les carrefours.
Le 13 juin je vais en liaison au PC de la DIA.
J'en reviens avec l'ordre pour le GRD de
s'installer en couverture près de Brunoy, au
contact à l'ouest avec une autre DI, (la 24ème
peut-être). En fin d'après midi la DIA (ce qu'il
en reste), replie. Le GRD est laissé en arrière
garde, c'est l'habitude. On replie toujours.
"L'Armée de la Loire" nous attend, est-ce celle de
l'an II ? Au nord de la Capitale on nous avait
déjà dit que l'Armée de Paris nous attendait...
Elle ne nous a pas attendus, Paris ayant été
déclarée "ville ouverte" elle s'est repliée avant
nous. La veille quand j'étais au PC de la DIA,
j'ai entendu le Commandant Petetin dire qu'elle
s'était volatilisée ! Baroud le soir, la nuit,
repli le matin, nous arrivons au château de
Marcilly en Villette. Nous manquions d'essence.
Pas d'appros par l'armée, les pompes civiles
vides, nous vidions les réservoirs des véhicules
abandonnés en panne. Ils étaient nombreux. Le Père
Douge ayant entendu dire que dans une caserne
d'Orléans il y avait des camions citernes pleins,
abandonnés, me dit d'aller voir. J'emmenais Vidal
avec moi, mon conducteur P.L. Nous sommes arrivés
à une caserne, nous avons vu des camions mais...
il y avait des Allemands autour ! Des coups de feu
et nous rentrons bredouilles. Dommage me dit le
capitaine, tu aurais encore eu une citation et la
Médaille Militaire. Je crois que nous avons passé la Loire à
Jargeau. Je crois parce que la fatigue dépassait
nos forces, notre volonté. La nuit nous roulions
comme des somnambules. Le jour il fallait
combattre. Les pelotons partaient épauler les
Alpins, par ci, ou les artilleurs par là, (ils
devaient démonter les pièces et rebâter les
mulets). C'était incessant. Mon groupe désormais
commandé par Provence avec ses 6 FM était à toutes
les sauces. Seul motard solo de l'escadron, je
roulais sans arrêt. A chaque halte, les hommes
s'écroulaient ivres de fatigue, le ventre très
souvent vide. Depuis notre arrivée sur la Somme
nous n'avions plus de ravitaillement organisé,
nous avions reçu l'ordre de vivre sur le pays.
Dans la Somme et l'Oise c'était facile, dans les
fermes abandonnées nous trouvions facilement à
manger, du lait à volonté. Il suffisait de traire;
le pain nous arrivait de Paris. Depuis le
contournement de la Capitale, les colonnes de
réfugiés étaient passées avant nous. Il n'y avait
plus de boulanger dans les agglomérations, le
stock de l'intendance était moisi. Les roulantes
où il ne restait que 2 cuisiniers ne faisaient
plus que du jus ou une soupe avec des légumes que
les hommes arrachaient dans les champs. Nous
dévalisions tout ce qui était à notre portée. Le
vin n'a jamais manqué, les caves étant
systématiquement pillées. La fatigue et la faim
sont les gros souvenirs de cette deuxième décade
de juin. Le 17 nous apprenons la demande
d'armistice avec un sentiment de rage et, il faut
le dire, de soulagement. Les officiers et sous
officiers sont atterrés, la troupe soupire. Dans
la nuit du 17 au 18, le PC escadron s'installe à
Lamothe Beuvron. Au jour je vais en liaison avec
le ler peloton en position au nord du bourg. Je
tombe au carrefour sur une AM Allemande, drapeau
blanc sur la tourelle. Deux Allemands à pied,
fusil en bandoulière me font signe de m'arrêter
sur le côté. Je lance la moto sur eux après avoir
fait mine de me garer et pars en courant. Je
rejoins le capitaine à qui je raconte le fait. Il
me sourit tristement et balbutie : - C'est fini.
Nous avons ordre de déposer les armes. Il pleure,
moi aussi. Il faut obéir... Nous ne serons pas
prisonniers, nous allons nous faire démobiliser...
Nous partons laissant nos armes et nos véhicules
sur la place. En avant colonne par 3 conduits par
nos officiers, nous sommes groupés par unités, de
plus en plus nombreux, la colonne des Alpins, des
Cavaliers, des Artilleurs s'étend sur des
kilomètres. Au début, nous avons un Allemand sur
le côté gauche tous les 100 ou 150 m. Après une
douzaine de Km, c'est un Allemand de chaque côté
tous les 20 m. Nous sommes prisonniers ! Le ler jour rien à manger, j'apprends à
Provence à arracher les oignons et à les manger
crus. Nous finissons dans un pré entouré de
barbelés. Au soir, toute la nuit, des camions
phares allumés, sentinelles debout dessus montent
la garde. Je rêve d'évasion. Le lendemain à la Ferté Saint Aubin, je
sors du convoi, me glisse dans une maison. Les
occupants : 2 couples crient, hurlent, pour que je
sorte... Sur la route, vers Orléans, des impacts
de balles. Celles tirées il y a 3 jours par des
avions à cocardes vert, blanc, rouge : des Caproni
! Un jour encore et nous arrivons à Orléans par le
pont ferroviaire. Les Allemands ont enlevé une
voie et les camions circulent. Il fait chaud sur
la route, nous manquons d'eau. A la sortie
d'Orléans des Belges, avec une tonne, vendent
l'eau 10 F le litre. Ils se font conspuer,
bagarre, les mercantis sont ensevelis sous le
nombre, la tonne est vidée gratis.Enfin nous arrivons à Pithiviers, où nous
sommes enfermés au centre mobilisateur. Nous avons
un toit et un "sac à viande". Nourriture légère
mais nous pouvons "commercer" avec des habitants
qui nous vendent, à travers la clôture de
barbelés, des plaques de pain d'épices de 3 Kg.
Nous apprenons "Rauss", crié par les sentinelles
quand nous sommes trop nombreux près des barbelés.
Certains habitants procurent, dans le dos des
Allemands, des vêtements, mais il faut payer.
Roland Provence ne veut pas encore partir et il
n'a pas d'argent. J'en parle avec Félix Vérani, un
instituteur de Beausoleil. Il est d'accord. Lui
aussi n'a pas le sou mais un de ses collègues, du
Var, en a beaucoup. Il nous équipera si nous
l'emmenons. Fin juillet. Darnand qui était prisonnier
avec nous, s'évade. Il passera ostensiblement
devant le camp, en civil bien sûr. C'est un
message : Faites comme moi. Je décide le départ
pour la nuit noire de la nouvelle lune : 4 août.
J'en parle à mon Capitaine Douge. Il m'approuve.
Lui est trop vieux, déjà prisonnier en 1917, il
pense ne pas rester très longtemps en captivité.
Il me donne l'adresse d'un cousin directeur de
l'usine Métadier à Tours avec un mot de
recommandation très élogieux. J'ai repéré un trou
dans le grillage d'enceinte. Une sentinelle passe
devant et va se retourner plus de 100 m après.
Souvent elle s'arrête là pour faire causette avec
celle qui vient en face. Suivant les hommes de
garde il y a 2 à 4 minutes pour passer la clôture
et aller se coucher dans un champ de blé à 40/50
mètres. 22 heures, nuit noire. La sentinelle
disparaît à 30 mètres, je passe le premier, mes
collègues suivent à chaque passage de la
sentinelle. Nous avançons jusqu'à environ 600
mètres en bordure d'un chemin. Nous dormons et à
08 heures nous nous dirigeons vers Pithiviers,
passant fièrement, séparés, devant le camp. Roland
au courant de notre départ nous attendait. Il nous
voit, tourne le dos et fais de grands signes des
bras. Nous allons à l'église attendre midi,
heure du train pour Tours. C'est dimanche nous
entendrons 2 messes. Arrivée à Tours en fin
d'après midi, la gare est bondée de réfugiés
attendant un train pour rentrer chez eux. Il vaut
mieux rester parmi eux toute la nuit. Il y a un
contrôle Allemand à la sortie. Je suis seul à
avoir une pièce d'identité : mon permis de
conduire de Monaco sur lequel j'ai ajouté
"Italien" après la date et lieu de naissance.
Contrôle distrait et je reviens chercher mes
collègues par le buffet non surveillé. Je reverrai
ça 2 ans plus tard. A l'usine "Produits Méta" le directeur,
M. Perrin , nous accueille très chaleureusement,
s'enquiert de nos besoins et téléphone à son
épouse à Bléré la Croix pour qu'elle nous reçoive
et prépare un repas. Mme Perrin et sa très jolie
fille Marie France sont vraiment très gentilles.
Nous faisons un vrai repas, le premier depuis
notre départ de la Haute Saône, près de 3 mois !
Elles ont dans le garage, au milieu, un obus
Allemand non éclaté, entré par une petite fenêtre.
Il est tordu mais intact. Vérani et moi le portons
dans une mare, le jardinier le recouvrira
provisoirement de terre et pierres. Ce jardinier
nous conduira à travers Bléré et des champs
jusqu'en zone libre, 2 Km environ. Nous continuons
vers Sublaine et Loche où nous prendrons un train.
Après une halte à Lyon entre 2 trains surchargés,
roulant à 30 à l'heure nous sommes le surlendemain
mercredi 7 août sur la côte. Ma mère a reçu la carte officielle, lui
annonçant que j'étais prisonnier. Elle n'est pas
surprise de me voir et affirme qu'elle m'attendait
ayant prié Sainte Rita de m'aider. Ma femme est à
Saint Germain en Laye chez "Mémère". Une vieille
dame qui l'a élevée étant enfant. Une fiesta a été
prévue au Cannet des Maures par notre collègue,
fils du garde champêtre de ce lieu. Il s'appelait,
je crois Guintrand. Le 11 août j'y vais avec
Vérani. Dans l'après midi, la femme du boucher, M.
Barthélémy nous dit que le fils de son mari, fils
d'un premier lit, qu'elle a élevé à la mort de la
mère est à Pithiviers. Elle demande mon aide pour
aller le chercher . Elle a une 201 et une réserve
d'essence suffisante pour l'aller retour.
J'accepte mais j'irai chercher ma femme en
attendant qu'il sorte du camp. Vérani veut venir
avec nous, c'est d'accord il pourra être utile. Le 12. A 4 heures du matin nous partons, nous
relayant, Mme Barthélémy et moi au volant. La RN7
est vide jusqu'à Moulins. Nous mettons le cap à
l'ouest, le soir nous sommes à Sublaines, nous
couchons dans une grange. Tôt, le mardi 13, en
route, Bléré, Tours, Pithiviers et en début
d'après midi nous sommes au camp. Un parloir a été
installé à l'entrée, on peut communiquer avec les
prisonniers à travers 2 barrières séparées de 2 m.
Au milieu, il y a des sentinelles Allemandes. A la
place de Barthélémy nous voyons un dénommé Ferréro
de Beausoleil. Nous parlons en Monégasque. Notre
"client" est parti la veille avec deux amis, chez
une tante à Paris. Je vois aussi mon capitaine à
qui je confirme la bonne santé, de son cousin, de
la famille etc. etc. Il comprend la qualité de la
filière évasion. Nous prenons le train pour Paris
ou nous arrivons à l'heure du couvre feu. Nous
logeons près de la gare dans un hôtel. Le
lendemain Vérani reste à l'hôtel, Mme Barthélémy
va chercher les évadés et moi mon épouse. Nous
nous retrouvons le soir avec nos collègues évadés. Le 15. Direction zone "nono", nous sommes
maintenant 7 sur la 201, heureusement décapotable.
A Lyon, Barthélémy fils qui a pris le volant coule
une bielle. Nous confions la carriole à la SNCF et
prenons le train. Ma mère a quand même été étonnée de me
voir revenir avec ma femme. Elle en parle à
l'épicier, au boucher, etc., et toute la Condamine
apprend mon odyssée. Une femme vient me voir et me
propose de l'argent pour aller chercher son mari
Charly B... Musicien de l'Opéra, prisonnier à
Gien. J'ai repris mon travail à la S.B.M, Vérani,
instituteur en vacances jusqu'à la rentrée
scolaire, ira et ramènera le collègue. Nous
retrouverons Vérani et Provence, évadé du train
qui l'amenait en Allemagne, dans la Résistance. Au retour de notre expédition, je suis
allé me présenter à Nice, Caserne Rusca où je suis
reçu par le Commandant Petetin, chef d'État Major
de la 29ème Division. Interrogé, j'ai raconté
évasion etc. Il rédige aussitôt le texte d'une
citation... La 4ème qui ne sera pas homologuée et
m'envoie à Orange me faire démobiliser. Vers la mi décembre. Des bruits courent
sur une invasion possible de Nice par les
Italiens. J'avais revu Darnand à Nice. Il était le
Chef Départemental de la Légion des Anciens
Combattants. I1 m'y avait fait adhérer mais
j'avais très nettement dit que je n'étais pas prêt
à repartir me battre pour les fuyards de Belgique,
ni pour ceux qui avaient dit qu'il valait mieux
être Allemand vivant que Français mort et qui se
sont faits faire prisonniers sans vouloir
combattre. Darnand m'appelle, il confirme les
bruits et me dit vouloir résister. Malgré mes
déclarations, j'aurai un groupe de combat...
Emplacement Eze, sur la Moyenne Corniche, aux 3
ponts. Je fais connaissance avec 3 anciens du
Corps franc dont un tireur FM, j'aurai en plus
Vérani et un agent de Police de Monaco. Maurice
Boni, fils d'un entrepreneur Travaux Publics nous
fournira des explosifs. I1 y avait d'autres
groupes prévus. Rien ne s'est passé. Ouf !
1941 - 1942
Les Juifs
La
Résistance
Mes
prisons
Jove
6 mois tranquille et en juillet, un
matin, peu après 07 heures, quittant mon service
au Casino je vois, à environ 1/3 de mille, une
barque très chargée avec 2 personnes agitant des
vêtements : détresse ! J'ai la surveillance d'un
pointu de 5 mètres appartenant à M. Marquet,
ancien Maire. Je le prends et vais voir. Sur la
barque 3 couples et 5 enfants. Je prends les
femmes et les enfants, le bateau allégé peut être
écopé par les hommes et je le remorque au port. Ce
sont des Juifs fuyant l'Italie, ils ont,
disent-ils, acheté le bateau à Vintimille. Sur le
quai on nous entoure, des bonnes volontés vont
s'occuper des "naufragés", je vais me coucher
mais.. Quelques jours plus tard un dénommé Prat,
m'embauche pour aider des Juifs. Je ne peux pas
résister... J'ai mis un doigt dans un engrenage,
un autre, un autre encore. Je fais des choses peu
orthodoxe Ma situation à la S.B.M devient très
difficile, je suis en butte aux brimades et
vexations de mon Chef de service, très "État
Français ", anti Juif. Un dénommé Bertin, rue Pastorelli à Nice
me contacte. Il me dira après guerre que c'était
le réseau Radio Patrie. Je fais des enquêtes
(idiotes). Je rencontre chez lui Marion très
mystérieux et Achard jeune bavard. Marion m'envoie
récupérer à Lympia un poste émetteur dans un
appartement vide. Je le ramène chez Bertin qui
explose : J'ai du être suivi je vais le
compromettre, etc..... Ce poste pourrait servir,
je suis un ancien opérateur : pas question, c'est
trop dangereux... Bertin m'avait donné un pseudo
"Abeille ", j'entraîne avec moi Roger Lechner, il
continuera sous le pseudo "Ayme", jusqu'à la fin
de la guerre. Un des rares Monégasques, il faut le
souligner, ses mérites seront reconnus par la
Croix de guerre.Je n'ai jamais mis ma femme au courant de
mes activités, je veux la tenir à l'écart, c'est
trop dangereux. Mais elle est intriguée, inquiète
de mes allées et venues, de mes absences, nous
avons des scènes de ménage. Je dors peu, pas
souvent à la maison, mon travail s'en ressent. Je
triche dans mes gardes de nuit. Un vol a été
commis dans un local de la SBM, je suis suspecté,
interrogé par la Police. Je veux tout arrêter et
quitte la SBM en décembre 1941. La gendarmerie
recrute. On fait miroiter la possibilité de passer
Officier, mes titres de guerre donnent des points
de bonification. Je mets mon nez dans des livres
de droit, ça doit servir. En février je suis à
l'école de Gendarmerie de Romans. Chaque semaine,
examen, notes, je suis toujours dans les 2 ou 3
premiers. Je joue au rugby sport roi à Romans,
pratiqué par le Commandant de l'École et je suis
plutôt bien vu. Début mars. Un quidam vient me voir,
l'homologue de Bertin dans la Drôme a eu mon nom.
Je suis chargé de surveiller 2 collègues dont un
qui détient les plans d'un fort de Savoie. Son
père était le casernier. Je dois les récupérer.
Pour camoufler le vol je prends ses cigarettes (je
ne fume pas). Fouille générale, les plans bien à
plat entre 2 couvertures ne sont pas vus, mais
j'ai des cigarettes et tous savent que j'ai cédé
les miennes, ce que je fais systématiquement à
chaque distribution. Le maréchal des Logis chef
Baurés, adjudant de discipline, avec qui j'ai eu
des mots, m'accuse. Il est pro Allemand, anti-Juif
et des mouchards ont dit que j'étais contre les
méthodes du gouvernement et qu'après Montoire je
n'avais plus confiance en Pétain Je ne m'en suis
jamais caché ni à l'école ni en ville. Baurès fait
état de mes relations antigouvernementales : un
Bar Hôtel où loge ma femme. Je dis encore plus ma
façon de penser : Prison. Le 15 mars je suis au fort Montluc à
Lyon. Actes et propos pouvant porter atteinte à la
sûreté de l'État, vol probable de cigarettes. J'ai
toujours nié le vol, le "volé" n'a jamais parlé
des plans que j'ai pu faire disparaître. J'ai 26
ans, un peu naïf, je mesure 1,81 m, pèse 79/80 Kg,
je joue 2ème ligne au rugby. Ce qui m'arrive
m'assomme, je frôle la dépression. J'insulte le
Procureur qui m'interroge, Pétain, le
gouvernement, mes nerfs lâchent, je ne me contrôle
plus. Je clame mon indignation devant les
"Misères" faites aux Juifs et les lâches
compromissions de Laval... On a trouvé dans mes
affaires un livre "C'est Pétain qu'il nous faut"
écrit par un dénommé Hervé et j'ai mis des notes
anti Pétain ! Fin avril jugement, les cigarettes
ont disparu de l'accusation mais tout ce que j'ai
dit aux interrogatoires est amplifié. Une jeune
avocate est commise d'office pour me défendre. Le
tribunal militaire est présidé par le Chef
d'Escadron Descours qui adhérera un an plus tard à
la Résistance et sera, en 1944, chef militaire de
la région de l'Ain à l'Isère dont le Vercors hélas
bien triste. Bref interro d'identité et lecture de
l'acte d'accusation essentiellement constitué par
le témoignage Baurés, conforté par mes sottes
paroles face au Procureur. Verdict 6 mois de
prison. Mon passage devant le tribunal n'a duré
que 20 minutes. L'avocate constituée d'office a
simplement dit : - Je demande le sursis,
l'indulgence du tribunal. Début mai. J'écris à Darnand demandant
son aide. Vers le 10 mai transfert au camp de
Mauzac en Dordogne. Nous sommes enchaînés par 3.
Les dangereux au milieu. Je suis classé dangereux;
j'ai déjà une évasion à mon actif en 1940 ! Deux
nuits de route nous sommes par 6 dans des
compartiments de 3ème classe, 2 gendarmes vont et
viennent dans le couloir. Ils nous conduisent
enchaînés aux toilettes, très commode pour celui
du milieu. Le camp de Mauzac est la prison militaire
du Cherche-Midi repliée depuis mai 1940. Nous
mettrons 2 nuits et un jour pour y parvenir. A
Montluc la nourriture était légère, la faim
permanente. Pour la route nous avons eu : Le soir
environ 100 gr de pain et une portion "Vache qui
rit", le lendemain midi même pain et un demi
boudin; soir pain et petit suisse, rien les 2
matins. A Mauzac le ravitaillement était très
triste : Le matin un roux d'oignon dans de l'eau,
une tranche de pain 225 gr (théorique) pour la
journée. Midi et soir 1/2 gamelle (1/2 litre) de
topinambours carottes et rutabagas cuits à l'eau.
Tous les détenus étaient très affaiblis certains
ne pouvaient monter les 4 marches menant aux
chambrées qu'à 4 pattes. Nous étions logés dans
des baraques crées pour des réfugiés espagnols, 44
par chambre, 2 robinets, un chiotte 2 places.
Personne ne se lavait, douche 1 fois par semaine
non surveillée, nous y étions 15 ou 20 sur un
millier de détenus. Seule hygiène obligatoire
crâne rasé chaque semaine. Mi-juin. Je suis victime du vol de mes
chaussures. Les "matons" rient lorsque je me
plains. C'est la loi de la jungle: débrouille-toi
trouve les . Je suspecte un prisonnier, je fouille
ses affaires, trouve mon bien, il survient à ce
moment, explication devant témoins et je l'allonge
pour le compte : plus de 10 mn K.O. Un gardien est
alerté, nous interroge, semonce. Le lendemain le
"Maton chef" nous rassemble et je dois raconter
mon histoire. Il déclare que je serai chef de
baraque et que je devrai faire respecter l'ordre.
Sitôt parti le précédent "chef" vient me chercher
querelle. Au sol lui aussi. Je précise de suite
que je n'étais pas très fort mais les autres
étaient tous très faibles. Certains échangeaient
leur ration de pain contre des cigarettes (nous
avions droit à la ration militaire, double de
celle des civils) je faisais l'inverse. D'aucuns
étaient là depuis 2 ans ! Dans une baraque, proche
de celle où j'étais, il y avaient des "huiles" :
des aviateurs écossais, le Commandant Breuillac
futur Général F.F.L., Pierre Bloch futur député.
Ils avaient de la nourriture à volonté. Deux rangs
de barbelés nous séparaient, il était interdit de
s'en approcher. J'ai un jour lancé quelques mots
d'anglais à un grand roux et il m'a donné une
boîte de sardines. Je suis souvent revenu le voir
mais sans grand succès. Le 29 juin. Fin d'après midi, avant le
repas (18 heures), je suis appelé chez les
"Matons" : Remise de peine, je vais être libéré :
Merci Darnand. Le greffe : il m'est rendu mon
alliance, ma chevalière, 10 francs, mes papiers
d'identité, et je suis mis hors du camp avec un
bon de transport pour Périgueux. Un gardien me dit
d'aller voir le Père Cipière, il m'aiderait à
continuer ma route. A la gare, attendant le train,
je me pèse : 59 Kg, habillé, chaussé soit 57 nu !
j'ai perdu 23 Kg en 104 jours, je ne le crois pas,
le lendemain même résultat en gare de Périgueux La
bonne du Père Cipière me donne un morceau de pain
et de fromage, m'indique un asile de nuit, me dit
de revenir le lendemain. Je vais à l'asile vers 22
heures. A minuit je me lève et sors. Je me gratte,
gratte, je ne peux plus tenir. Je vais marcher,
marcher... A la gare je me déshabille et élimine
quelques poux et puces en secouant violemment mes
vêtements plusieurs fois. Je me gratte moins et
dors en salle d'attente. A 9 heures je vois le
Père, il me donne 25 F et m'indique le service de
la Préfecture qui me délivrera le bon de transport
pour Romans. Je me gratte encore et après un
somptueux repas à 15 F, je mets chevalière et
alliance au Mont de Piété. Le B.G, (Bordeaux
Genève), est à 22 heures. Je vais à l'Hôtel Europe
et nu, pendant des heures j'examine tous les plis,
replis, coutures de mes vêtements. Poux et puces
finissent dans le lavabo. Lavé, frotté, savonné je
passe de la Marie Rose sur tous mes poils. Rien
sur la tête, toujours la "boule à zéro ". A Romans j'apprends que ma femme
travaille à La Chapelle en Vercors. Mon vélo et
une malle sont dans un meublé. La Chapelle ce
n'est pas loin, une cinquantaine de Km, en 2
bonnes heures j'y serai... Parti à 11 heures,
j'arriverai après 18 heures, ayant gravi les côtes
à pied, sauf deux accroché à des camions. Je me
souviendrai des Grands Goulets. Ma femme et moi redescendons le lendemain
à Romans et logeons au meublé. Je tourne 20, 30,40
km à la ronde pour trouver du travail, je vais
jusqu'à St Fons. Référence ?... vos derniers mois
? : La Prison : Revenez le mois prochain.Le 29 juillet. Le reçois une assignation
à résidence à Suze la Rousse. Je suis déprimé, à
bout de ressources, physiquement, moralement et
matériellement. Un inspecteur goguenard me dit que
j'y retrouverai mes amis Communistes !! Je
m'insurge vite, silence sinon retour en prison.
Seul le Préfet qui a signé l'Arrêté peut
l'annuler. Je pars furieux à Valence le voir. Un
huissier me rit au nez et me montre la sortie.
Pendant qu'il parle au suivant j'entre dans le
bureau du Préfet, je montre mon arrêté : "sortez"
et il appelle l'huissier. Je ne me contrôle plus,
je soulève la partie vers moi de son bureau et la
renverse sur mon interlocuteur. L'huissier plus
deux personnes, puis des agents me maîtrisent.
Poste de police, prison de Valence. Je fréquente la faune des prisons,
voleurs, fraudeurs, faussaires, meurtriers. Tous
sont sûrs de réussir un coup à leur libération. La
prison n'arrange rien. Le jour nous sommes en
"atelier", une vingtaine de détenus dans une pièce
de 40 m2. Nous n'avons rien à faire, nous parlons
à volonté. A 16h30 soupe et à 17h dortoir. Nous
sommes par 12 dans une pièce de 30/32 m2. Les lits
sont accouplés par 2 il y a 30 cm entre 2 couples
de lit, 1 mètre entre les lits d'en face. Il n'y a
qu'une fenêtre d'environ 1 m2. On étouffe. Le pire
ce sont les punaises. Les châlits en fer sont
remplis de ces bestioles. Dès que nous sommes
enfermés et jusqu'à la nuit nous secouons les
ferrailles et embrochons les punaises avec un
clou. Mon voisin de lit est Tchèque. Une nuit je
l'entends agiter ses mâchoires. Il a un saucisson
volé qu'il mange en cachette. Je lui fais la
morale, il m'injurie, nous nous battons, il tombe
sur un angle de lit, il est assommé, sa tête
saigne. Les Matons appelés mettent de l'ordre : le
blessé à l'infirmerie, moi au "mitard". Verdict du
lendemain : 12 jours chacun de cachot, cellule
sans lumière, un bat flanc, une cruche, une
tinette. Tous les matins on sort la tinette,
remplit la cruche d'eau, et perçoit un bout de
pain. Nourriture normale un jour sur 4, mais on a
droit à la messe du Dimanche ! Le 9ème jour,
Tribunal. Un avocat commis d'office, un vieux de
14/18 lit mes citations, demande l'acquittement ou
au moins le sursis. Verdict : 6 mois avec sursis,
merci l'Ancien. Une heure après je suis libre.
Nous sommes je crois le 12 juillet.Mon épouse lasse de mes frasques est
revenue à Monaco. Je retrouve mon vélo et vais à
Lamastre voir l'ami Chirouse. Il me nourrit et me
trouve une place aux cuisines de l'Hôtel du
Commerce. Je mangerai à ma faim, plutôt je baffre.
Il n'y a aucune restriction, viande, laitages, je
me goinfre. Le chef de cuisine est une femme très
vexante, un peu avec moi, énormément avec une
autre femme qui fait un peu de tout. Plongeur, je
refuse de faire autre chose que le matériel de
cuisine. Je m'impose à la chef qui se venge sur la
souillon. Je prends sa défense et menace la chef.
C'est la fille qui est renvoyée. Nous sommes fin
août et je suis requinqué, je sors à la chef tout
mon répertoire de méchancetés et d'insultes puis
vais dire au patron que je m'en vais. Début septembre je reviens à Monaco où,
pour manger, je subis ma belle-mère avec qui
travaille ma femme. Le réseau se rappelle à moi et
me fait faire des bricoles. J'ai retrouvé avec
grand plaisir Aymé (Lechner), Adet (Boni) et ma
grande bleue où je me glisse tous les jours avec
plus de plaisir. L'ami Provence est aux Milles ou
il s'occupe d'un camp de réfugiés polonais. Après
son évasion d'un train il était inopportun de
rester travailler à Paris. Darnand que je vais remercier m'incite
très fortement à adhérer au S.O.L. dont il est le
chef. Je demande à réfléchir, il insiste, je vais
revenir... Jamais ! Six mois plus tard, le S.O.L.
deviendra "La Milice" Fin septembre (début octobre ?) Dumoulin
agent de police a Monaco vient me voir. Il me
propose de faire partie d'un groupe préparant
l'évasion d'aviateurs anglais détenus au fort de
la Drette. Armé d'une lampe torche et d'un
sifflet, mon rôle sera le guet vers l'est, sur le
CD 46, dans le virage à 200 mètres de la Grande
Corniche et, éventuellement, ramener à Monaco
quelqu'un sur mon vélo. Le coup bien monté, sera
fait, bien fait, je ne verrai personne. Le 15 octobre. Le docteur Van de P...
néerlandais me demande d'aller le voir. Je l'avais
connu dans l'aide aux Juifs et ensuite lui avait
dit mon adhésion à un réseau. Pénétrant dans son
bureau à l'heure indiquée je tique. Il y a là un
inspecteur de police de Monaco, chargé du contrôle
des cartes d'identité. Il s'appelle Friend, son
accent est très fortement british, en réalité
Australien. Intrigué je l'écoute. C'est lui qui
voulait me rencontrer. Il parle de mes ennuis
qu'il connaît bien à Monaco, à Romans, etc. Enfin
il vient au but en me demandant si j'étais
opérateur radio. Ouf ! Il me propose de travailler
en tant que tel dans un réseau anglais. Il met le
point sur les risques qui m'attendent, j'accepte.
Nous allons ensemble dans un petit Tea Room où
nous attend Jove (Jupiter). Un homme grand et fort
d'une quarantaine d'années. Lui aussi parle des
risques et me propose 3.000 F par mois pour être à
temps plein à son service. All right. Il n'a pas
de poste radio mais j'aurai d'autres choses très
sérieuses à faire en attendant. All right. Il me
laisse libre une quinzaine pour trouver une
"couverture" me permettant de voyager. Cela me
laisse perplexe. Jove, je l'apprendrai ultérieurement,
s'appelait Giovetti. Il arrivait de Grande
Bretagne. Père Corse, mère Anglaise, il était
parfaitement bilingue. Pilote, mobilisé dans
l'aviation française il appartenait à l'I.S. avant
guerre. En 1941, à Bordeaux il avait subtilisé des
plans à la Marine. Il était parti à Londres 6 mois
auparavant et revenu depuis 2 semaines. Il avait
totale confiance en moi, au point de me dire, en
mai 1943, son nom et l'adresse de sa femme en
France au cas où... Depuis le ler octobre j'étais aux
"Compagnons de France ". Je donnais des cours
d'électricité au collège des Broussailles à
Cannes. Nous étions nourris, logés, vêtus : short
et chemise bleue, béret, cape pour l'hiver. Pas de
salaire, une petite indemnité. Ma femme
travaillait chez sa mère (Brasserie Albert ler à
Monaco) donc pas de souci financier pour elle et
indépendance financière pour moi. Je revis le Dr Van de P. il me suggéra
d'aller au garage Melchiore où il me recommanda.
Ses propriétaires achetaient des autos pour les
Allemands, des grosses américaines. Je serai pris
si je pouvais en trouver... Van de P. m'indiqua à
Antibes un de ses amis qui en avait une sur cales,
affaire conclue pour la bonne cause. Je reçus un
certificat d'embauche et un Ausweiss valable 3
mois pour rechercher des voitures dans toute la
France, j'avais ma "couverture" Il y avait 3
frères Melchiore : Seuls les 2 plus âgés
trafiquèrent avec les Allemands et surtout l'aîné.
En janvier 1944 il fêta son milliard en banque. A
cette occasion, il donna un banquet de 500
couverts. Chaque invité reçu un cadeau : 5 Louis
d'or. A la libération, les 2 frères durent fuir en
Italie en abandonnant tout. Le plus jeune ne fut
pratiquement pas inquiété, il a toujours un garage
à Monaco. Roland Provence avait sa femme Yolande à
Cannes. Nous nous rencontrions très souvent. Avant
mon embauche par Jove nous avions envisagé de
partir en Angleterre. Je lui avais fait part de
mes futures activités. Il voulait que je le
présente à Jove mais j'hésitais n'ayant pas dû lui
en parler. Je n'avais rien dit de ces activités à
ma femme par sécurité tant pour elle que pour moi.
Roland était sûr. Il était le seul à qui je
pouvais me confier. Ma femme allait tous les 6/8
mois voir "mémère". Pourquoi ? N'avait-elle pas
là-bas une liaison avec qui elle aurait pu parler
? Doute. Début Novembre. Je partis reconnaître un
terrain indiqué par mon "patron", c'était sur le
plateau des Millevaches. Je trouvais que ce lieu
ne correspondait pas aux normes prescrites. Je fis
à Jove un rapport qui lui plut. Il avait déjà vu
ce terrain et m'avait envoyé pour me juger. J'eus
pour pseudonyme : Eugène. 8 novembre. Débarquement allié en AFN,
Roland vient me voir tout excité, le 10. Un de ses
Polonais a un parent marin sur un cargo qui doit
venir à Nice charger du ciment le 13 et partir le
14 pour Sète. Ce marin pourrait faire monter une
dizaine d'hommes sur le bateau. En mer nous
aurions détourné le navire vers Alger. Tout
simple... Le 11 les Allemands envahissaient la
zone "nono", les Italiens avançaient jusqu'au Var.
Tous les bateaux étaient bloqués à quai. Finie l'aventure en mer. Je fis 2 liaisons vers Lyon et Toulouse,
contrôlé à la gare Perrache, je retins qu'il
fallait pouvoir dire où on allait, donc prévoir
l'alibi. A Toulouse je vis que la sortie, où les
entrées, au buffet, n'étaient pas contrôlées,
comme à Tours en 1940. Les S.S. ou les
Feldgendarmes avaient consigne de surveiller les
sorties, pas le buffet qui donnait sur les quais
et l'extérieur. D'autres liaisons me firent rencontrer
d'autres personnes que je devrais oublier
aussitôt. Jove ;logeait rue du Congrès à Nice avec
sa nièce : Nanette. En réalité sa secrétaire venue
comme lui d'Angleterre. Elle était de petite
taille et très sûre d'elle. Malgré nos réserves,
nous sympathisâmes. J'avais plus souvent affaire à
elle qu'à Jupin lequel voyageait beaucoup.
1943
Clandestinité
- Gestapo
Évasion
En janvier 1943, ma femme
partit encore à St Germain. Nous habitions
toujours chez ma mère, rue Grimaldi, où je suis
né. Le 27 janvier (fête patronale Monégasque).
Sortant, descendant l'escalier, j'aperçus en bas 2
hommes regardant les boîtes à lettres. Ils se
retournèrent et au même instant, je vis un
carabinier Italien sur le trottoir. Sans
réfléchir, instinctivement, lorsque un des civils
me demanda : M. A... je réponds là au ler étage.
Ils montèrent, j'enfourchais mon vélo, toujours
laissé dans l'entrée et pédalais vite, vite. Deux
ou trois jours après mon esquive de la Police
Italienne, ma mère reçoit sa visite, peu avant
minuit. Elle est laissée, fin janvier, en chemise
de nuit, sur le palier, tandis que l'appartement
est fouillé. Pas en vain, ma mère prendra froid,
mal soignée, elle deviendra tuberculeuse. Ma nièce
demeurant à Marseille vint chercher une valise de
vêtements et je devins un proscrit, un clandestin.
De temps à autre j'envoyais une carte, de villes
différentes, signée du nom de ma mère : Bosio, ou
bien j'écrivais à Riri. Celle que j'ai toujours
considérée comme ma soeur, 6 mois de moins que
moi, élevés ensemble, nous étions toujours
ensemble soit chez sa mère fleuriste au
rez-de-chaussée, soi chez moi au ler étage.
Italienne, elle était secrétaire au Consulat
d'Italie. Je reparlerai d'elle. Depuis décembre il fallait chercher des
terrains en partant d'autres données. Les Lysander
venaient d'Alger (et bientôt de Corse) il fallait
des terrains plus près de la Méditerranée. Je connus le restaurant l'Escargot, place
Ampère à Lyon. J'allai y porter ou prendre des
paquets, du courrier départ ou arrivée. En mars je
reçus un paquet informe enveloppé de journaux. Je
ne connaissais pas celui qui me le remit. Je
devais avoir la revue "Signal" à la main et le pan
de la cravate sur l'épaule...? Je rejoignis Jove à
Toulouse. Il était en surveillance devant la gare.
L'un derrière l'autre nous allâmes à l'Hôtel
Moulin Bayard, notre point de chute habituel. Le
paquet contenait 3 millions en billets bleus ! À
cette époque un instituteur ou un agent de police
gagnait 1.000 F par mois, 10 F actuels... Lors de l'arrivée des Allemands le camp
des réfugiés des Milles avait été liquidé.
Provence était sans travail. Je parlais de lui à
Jove. Rencontre, exposé des vues et motifs,
quelques jours plus tard Roland était embauché.
Mission initiale : relevé des implantations
Italiennes. Je lui avais présenté mes amis et
collègues dont Vérani qu'il avait connu à
Pithiviers et hélas "Alex". Roland, gaillard de
1,84m, était un calme. Sa devise : T comme
tranquille, tranquille comme Baptiste. Le
pseudonyme Baptiste vint tout naturellement à la
bouche de Jupin. Né en 14 à Troyes sa famille
avait subi l'occupation de la Grande Guerre. Il se
disait disciple de Jaurès mais n'était affilié à
aucun parti. "Alex" était le frère d'un collègue
du 6ème Dragons, Luco de G..., tous deux de
Cannes. Il était le filleul de Xavier Vallat
Commissaire aux Affaires Juives. Par lui il avait
obtenu la gestion d'un commerce saisi, le "Bottier
Joseph", avenue de la Victoire (Jean Médecin) à
Nice. Cette boutique avait du rendement, deux
vendeuses servaient les clients. Le passage
continuel de ceux-ci en faisait une excellente
boîte aux lettres. Provence avait trouvé un emploi d'agent
immobilier lui permettant des déplacements
officiels. Il avait subtilisé quelques feuilles de
papier à en-tête de sa boîte pour me faire un
certificat d'emploi, ma couverture Monégasque
devenant bientôt caduque. Je continuais à faire des liaisons et
connaître des membres du Réseau : "Dan" (Abel
Argote) à Bordeaux, "Tom" et le gendarme Gilson à
La Réole. Fourt et Bondon " Petit Paul" à Lons le
Saunier, à Périgueux "P'tit chef" René Séguy. À
Nice le Dr Rosenberg "le Dentiste" et autres dont
j'oublie les noms. Entre deux liaisons j'arpentais des
terrains pour d'éventuels atterrissages
clandestins. Jeunesse et Montagne, organisation
gouvernementale organisait des Meetings d'aviation
légère. Pour mes reconnaissances de terrains,
j'allais avec la tenue des Compagnons que j'avais
gardée et disait être de Jeunesse et Montagne, ça
marchait bien. À Mende dans un restaurant, je
connus l'Architecte Départemental et fis pendant
deux jours, en sa compagnie, le tour de tous les
terrains possibles des Causses. J'ai toujours aimé
monter des canulars, mon "travail" m'y aidait.
J'étais plus souvent dans un train que dans ma
chambre de Cannes. Un soir de décembre j'arrivais
à la nuit, près de la Côte St André, dans une
auberge isolée. Avec beaucoup de réticences, la
patronne, jeune veuve de 33/35 ans finit par
m'accepter à dîner et coucher. Je parlais de mon
travail d'agent immobilier : recherche de vastes
propriétés. Elle m'indiqua un terrain ayant servi
pour un meeting aérien en 1938. Le lendemain
j'allais voir, c'était idéal : Il devint terrain
de la Luftwaffe deux mois après. C'est l'actuel
Aérodrome de St Geoirs. En avril j'allais à Lyon chercher un
émetteur radio, grosse valise de 70 cm de long
pesant une douzaine de kilos. En l'ouvrant on
avait une valise de soins électriques pouvant
fonctionner mais, en tournant un bouton à
l'envers, on dévoilait un émetteur. C'était un
technicien lyonnais qui avait conçu cet ensemble.
Il était délicat à manier et je n'ai jamais pu
réaliser une liaison correcte avec Londres. Je
devais remettre cette valise à René Séguy en gare
de Périgueux. Il n'en voulut pas, "trop lourde
pour son vélo", (surtout trop dangereuse en cas de
contrôle), je dus la porter à Sarlande, chez lui,
où je devais venir m'en servir. Baptiste bien en place à Nice, nommé chef
du Réseau Sud Est, Jove voulait aller au calme. Je
partis en Dordogne la prospectant du nord au sud,
d'est en ouest pour trouver un domicile pour le
PC. Jupin m'accompagnait parfois mais malgré sa
volonté et sa force physique il ne pouvait pas
souvent me suivre à bicyclette. À Sarlande où j'habitais épisodiquement,
j'étais logé chez la mère de Séguy, propriétaire
d'un restaurant avec quelques chambres. Petit
chef, grand coureur de jupons avait beaucoup de
maîtresses, trop. Pour se débarrasser des plus
encombrantes il me présenta à une postière et à
une restauratrice de Périgueux. Eva, femme de
Séguy en connaissait quelques unes, pour compenser
elle me fit des avances sans que le mari paraisse
gêné... Je refusais le tout, non par vertu mais
pour ma tranquillité d'esprit. Je n'arrivais pas à
obtenir un bon rendement de mon émetteur. Il
n'était pas piloté par quartz et l'accord sur la
fréquence imposée variait sans cesse. J'étais trop
tracassé pour joindre le plaisir au devoir. Le 15 mai il y eut le passage du cinéma
ambulant. Séguy m'avait. annoncé, pour ce soir là,
la venue d'une institutrice de Jumilhac chez qui
il pensait que je pourrais emmener mon poste radio
qui lui faisait tant peur. Cette jeune femme était
veuve. Son mari avait géré à Sarlande un garage
appartenant à Seguy. Voulant récupérer la poudre
d'obus abandonnés en 1940, Raymond Meynard, ce
garagiste, en avait fait exploser un. Le garage
détruit, lui décédé, sa veuve qui avait une fille
de 5 semaines était partie dans un poste très
isolé, Puyger de Jumilhac avec logement, où elle
pensait faire des économies pour payer les dettes
occasionnées par l'explosion. Son école desservait
4 ou 5 hameaux très dispersés. Séguy, pressé de me
voir partir suggérait, sourire égrillard, que
j'aille pianoter chez cette jeune femme.
Connaissance, bla bla, nous y allons 3 jours plus
tard Séguy, sa femme et moi. Très bon repas,
l'institutrice accepte mon travail chez elle. Au
retour Eva perce un pneu, le mari emmènera le vélo
et moi la femme... (j'aurai fait l'inverse). Le
surlendemain je partis à Lyon chercher un nouveau
poste émetteur, valise B2 de Londres. J'établis
chez Mme Meynard, l'institutrice de Puyger, ma
première liaison. Début juillet. Jupin s'installe avec
Nanette à Saint Yrieix dans une villa avec jardin,
située à l'écart du bourg au dessus de la gare, au
Bost Saint Hilaire. Quittant avec grand plaisir
Sarlande, Séguy, sa femme, je pris pension à
l'Hôtel des Voyageurs. Pour tous, je suis le
fiancé de la jeune fille des bois : Nanette. Je ne
fais plus que très peu de voyages. Pébarthe, de
Bordeaux, apporte son courrier à Périgueux à Melle
Beausoleil, garagiste. Baptiste vient à Saint
Yrieix tous les 15 jours ainsi que Delebarre du
Nord (Le Cateau). Dan, ancien champion de boxe,
assure la plupart des liaisons. Baptiste
s'intéresse à l'institutrice, qui ne lui accorde
que des sourires. Fin juin. Le patron me demande d'aller
chercher son chien en pension à Arzacq, près de
Pau. À l'aller, entre 2 trains, à Toulouse je vois
ma photo, agrandie, dans une vitrine, place Wilson
! Il y a quelques semaines j'ai fait tirer des
photos d'identité. C'est l'une d'elle agrandie,
qui est en vitrine, j'ai droit à 2
agrandissements. Emporté par l'euphorie, j'en fais
faire 2 d'une autre pose, pour envoyer à ma mère
et ma femme, je prends le tout au retour. Triste
idée. Fin juillet. Code spécial et quartz étant
arrivés, je commence mes vacations chez "Claude"
pseudo de Mme Meynard. Mes premiers rendez-vous
radio ont lieu à 23 heures et le couvre feu est de
21 heures à 6 heures. Je passe donc les nuits à
l'école discutant devant un verre de lait (depuis
Noël je ne bois plus d'alcool). Dans la journée je
suis près de ma "fiancée". J'aide à coder courrier
et archives. Je n'ai pas de code, Jupin prépare
les grilles et je transpose, travail long et
fastidieux demandant beaucoup d'attention. Je
connais maintenant, comme Nanette, pratiquement
tout sur le réseau. Dan nous propose un radio,
réfugié Espagnol, ancien des Brigades Rouges. Je
dois le tester et le mettre à ma place. Je
resterai au PC dont le travail s'accroît chaque
jour tout en étant radio disponible au cas où. Pendant les quelques semaines passées à
Saint Yrieix, Jupin tenait à faire 3 rounds de
boxe chaque matin. C'était avec Dan, s'il était de
passage, mais le plus souvent avec moi. Au cours
de mes 3 années (35/38) au 6ème de Dragons, un
appelé m'avait initié aux haltères et surtout à la
"Savate", j'y ai adjoint le " noble art " Nous avons Jove, Nanette et moi plusieurs
cartes d'alimentation mais nous manquons de cartes
d'identité de rechange. "Alex" peut en avoir,
j'irai au rendez-vous pour les prendre. Le 4 août. Je suis à la terrasse du
Cyrano à Limoges en tenue de compagnon. Saint
Yrieix est à 1 heure de train de Limoges, je
reviendrai dans la soirée. Un homme jeune
m'aborde, nous nous asseyons. Il me demande
l'argent, 5.000 F pour 10 cartes, mais au lieu des
cartes il sort un pistolet et dans mon dos
j'entends : Police Allemande, haut les mains ! I
Ils sont deux derrière moi, armés. Une traction
avant nous amène impasse Tivoli, (devenue Saint
Exupéry), siège de la Gestapo avec l'Hôtel
Moderne. Le premier homme disparaît, les deux
autres me disent être des officiers de l'Abwehr
(contre espionnage). Alex a tout raconté : je suis
radio, j'ai échappé aux Italiens après m'être
évadé de prison. L'un des deux hommes qui parait
le chef parle très bien français, l'autre hésite
beaucoup. Questions... Où est ma résidence ? Je
sais que je dois tenir 24 heures pour que les
collègues inquiets déménagent. Je dis Arsacq. Ils
ne me croient pas, je ne suis pas venu de si loin
sans bagages avec des chaussures de cycliste Je
tiens bon, je ne sais rien sur le réseau, ni sur
les identités des membres. Je suis radio sans
poste, je fais des courses. Pendant que le chef
m'interroge calmement, patiemment, l'adjoint a
pris mes papiers, y compris la carte
d'alimentation renouvelée il y a 5/6 jours à Saint
Yrieix. Il va dans une autre pièce avec un homme
interprète. Il revient 20 ou 30 minutes plus tard
et me demande si je suis venu en vélo ou si je
l'ai laissé à l'Hôtel des Voyageurs... Je dis que
cette carte m'a été donnée, peine perdue, ils ont
téléphoné, ils savent ! Je crois être resté
impassible mais je suis atterré. Jupin est parti
ce matin, à son retour il n'y aura pas le signal :
voie libre, mais Nanette, les archives... Il est
plus de 18 heures, ils n'iront à Saint Yrieix que
demain, quelqu'un dira que je fréquentais la fille
du bois. Ils le savent peut-être déjà et des
collabos avertis pour la surveiller. Les idées
tournent, tournent dans ma tête... Je devais
reprendre le train à 19 heures, arriver à Saint
Yrieix à 20 heures. La villa est près de la gare,
je devais remettre les cartes avant d'aller à mon
hôtel. Pourvu que Nanette, ne me voyant pas,
flaire le danger et s'en aille. Elle a son vélo,
elle pourrait aller à Sarlande. C'est facile,
c'est certain, elle le fera mais pourvu qu'elle ne
soit pas suivie... Je n'entends plus ce que disent
les interrogateurs, ils parlent entre eux, ils
sont satisfaits. Le chef me rend ma montre "pour
compter les heures qui me restent à vivre, demain
je serai fusillé", le ton est très gentil, même
quand je refuse de signer ma déposition, (?) je ne
comprends pas ce qui est inscrit, c'est en
allemand. On me donne un casse croûte et un
Feldwebel m'attache à un radiateur par des
menottes : bonne nuit. Au matin mes interrogateurs
s'étonnent que j'ai dormi, me posent encore
quelques questions et partent pour Saint Yrieix. À
14 heures ils reviennent souriants, ils ont trouvé
mon poste, à l'hôtel, et ils ont arrêté Nanette.
Ils ramènent des kilos de papiers, archives tous
codés et veulent le code : Je l'ignore. C'est le
second qui m'interroge avec l'aide de
l'interprète. Le chef doit être avec Nanette. Mon
inquisiteur passe ainsi près de 4 heures avec moi
posant très souvent la même question. Par exemple
d'où j'émettais, je réponds, de ma chambre avec
fil d'antenne pendant par la fenêtre. Toutes mes
affaires, sauf le vélo, ont été ramenées et sont
dans la pièce. Tout sera fouillé en détails. Je
demande à prendre la trousse de toilette et un
costume, c'est accordé, je vois là mes
agrandissements photos... après mon évasion ils
seront diffusés dans toute la France : "Wanted"..
Je couche dans une cellule en sous-sol. Le lendemain matin encore interrogatoire.
Les deux de l'Abwehr recommencent tout et
insistent sur les identités de Dan, Baptiste et
autres de Nice, j'apprendrai ainsi qu'ils ont
aussi été arrêtés le 4 août. Un 3ème Allemand
Meyer, je saurai plus tard qu'il est de la
Gestapo, assiste et pose des questions, aidé par
l'interprète. Pendant une pause je bavarde avec
celui-ci. "Alex" nous aurait vendus pour 20.000 F
et dit tout ce qu'il savait ! Mes interrogateurs
savent que nous sommes un réseau I.S., dirigé par
des Anglais venant de Londres comme Nanette. Il
conclut : l'Abwehr sait tout comme Londres sait
tout ce qui se dit ici ! interloqué je reste coi.
Plus tard je me demanderai si c'est un
avertissement. De cet homme j'apprendrai que deux
investigateurs spécialisés ont passé la nuit à
lire le livre que j'avais à la main "Autant en
emporte le vent" 850 pages. Ils n'ont pas trouvé
le code qu'ils espéraient... Je suis enfermé dans
une cellule de l'ex caserne des chasseurs, Chabert
, en haut de Limoges. J'y resterai 3 jours. Je
suis ensuite amené à la caserne des Dragons, au
centre ville et mis dans une cellule, des locaux
disciplinaires contiguë à celle où est Nanette. Un
trou existant dans le mur de séparation nous
permet de communiquer. Elle ne m'en veut pas pour
la carte d'alimentation trouvée sur moi, Jove
était bien parti la veille. Nous parlons d'Alex
qu'elle avait vu une fois. Elle est sûre que nous
nous évaderons et me promet, shocking !, une
blague à tabac faite avec la peau des testicules
d'Alex ! La cellule est étroite, 1 m environ, j'ai
de longues jambes, je monte en cheminée jusqu'au
plafond, j'y réussis plusieurs fois. À la nuit
j'essaierai de crever le plafond pour m'enfuir.
Une sentinelle entre à l'improviste et me surprend
en l'air. La Gestapo est alertée, passage à tabac
par "Meyer" et je suis amené à ce qui était la
salle de police. Nous sommes là une douzaine de
détenus, dormant sur un bat-flanc de 8m. Pas
d'eau, une tinette pour tous. Nous sortons tous
les matins faire une petite toilette et boire
l'eau qui coule sur les pissotières. À la
stupéfaction des sentinelles nous applaudissons au
passage des trolley bus qui apparaissent par
dessus les murs de la cour : 2 gaules et 4 roues
(Catroux). Avec un codétenu, un gitan nommé
Sparapan nous parlons d'évasion. Il a un plan très
simple : c'est un sous officier qui vient seul le
matin dans la courette ouvrir notre porte, 2 ou 3
soldats gardent l'extérieur et surveillent la
toilette et les pissotières. Sparapan se dit
capable d'assommer un homme d'un coup de poing à
la tempe. Il sortira le premier et frappera; nous
escaladerons le mur sur lequel il y a deux fils de
barbelés. C'est faisable, j'accepte. Il connaît
Naegelen Préfet de Strasbourg replié à Périgueux,
nous aurons des papiers . Au matin suivant, il
cogne, l'Allemand trébuche mais ne tombe pas et
porte la main à son pistolet, je m'avance vers lui
les bras à moitié levés tandis que Sparapan
escalade le mur. Les sentinelles arrivent, nous
enferment. Une heure plus tard arrive le fameux
Meyer. L'Unter Offizier me désigne - C'est ce
chien qui m'a attaqué quand j'ai voulu tirer sur
le fuyard !. Je ne parle pas allemand, je connais
quelques mots et parviens souvent à comprendre le
sens des phrases. Interrogé je dis avoir levé les
bras en signe de reddition non d'attaque, je suis
très ferme dans mes réponses. Meyer, perplexe
semble admettre que le sous off a paniqué autant
que j'ai eu peur du pistolet. Ouf !. L'après midi
je suis transféré à la prison française du champ
de foire. Dans les locaux militaires, prison de la
Gestapo, nous étions "nourris" par la Croix Rouge.
Un bol de bouillon et 2 pommes de terre grosse
comme un oeuf (petit) à midi, idem le soir. J'y
suis resté, je crois, 10 jours, je n'ai jamais
rien eu d'autre. À la prison civile du champ de
foire, nous étions nourris par la cuisine interne,
même régime que les droits communs. C'était léger
mais mieux qu'à Montluc et Mauzac. Le lendemain
alors que je suis pour une fouille des locaux, sur
le balcon devant les cellules, je vois arriver
Nanette. Elle est enfermée à l'étage inférieur
dans la cellule verticalement sous la mienne ! Mes
prisons antérieures m'ont appris quelques trucs.
En décousant le surjet qui borde les couvertures
on a 10 à 12 m de fil, tressé à 3 voilà une bonne
ficelle. Par ma fenêtre je descends un papier qui
va battre sur la sienne. Liaison établie. Je suis seul pour peu de temps. Après 5
ou 6 jours arrivent deux compagnons mais je suis
aussi pris en mains par les S.S. de la Gestapo Les
interrogatoires deviennent plus durs. Je suis
frappé sur tout le corps, très peu à la tête. Au
4ème interrogatoire S.S., je suis menotté à un
tuyau de chauffage les bras très au dessus de la
tête. Un Feldwebel me "caresse" les genoux avec
une gummi, matraque en caoutchouc. Si je plie les
genoux, je reste pendu par les mains. Quand ils me
libèrent je m'écroule, je ne peux plus marcher. On
me ramène jusqu'à une cellule où je suis seul. Je
reste allongé, incapable de bouger jusqu'au
lendemain. J'ai encore très mal mais je me force à
marcher. Sur le mur le prédécesseur a gravé,
VOULOIR, au dessous, TENIR, j'y vais de mon mot :
AGIR. Meyer fait le tour des cellules, se moque
des inscriptions et me demande : -
Qu'attendez-vous pour agir ? Le débarquement en
Italie vient d'avoir lieu ce qui suscite beaucoup
d'excitation, certains voient les Alliés en France
dans 15 jours, c'est pourquoi je réponds à Meyer :
J'attends que les US soient à la frontière, j'irai
à leur rencontre. Toujours mes fanfaronnades. Je repars à des interrogatoires. Au cours
de l'un d'eux je suis pendu au plafond, au lustre
par les menottes et les coups de gummi pleuvent.
Une femme est là, qui rit de mes grimaces. Je
gigote très fort, le lustre lâche et je tombe. Je
dis alors ce que je rumine depuis quelques jours :
- Le "dentiste" est le nom donné à un homme qui a
toute la dentition du haut en or, je ne sais pas
son adresse mais il va souvent dans un bar proche
de la place Masséna à Nice Tout est faux mais si
j'étais transféré il y aurait une possibilité
d'évasion... Je le fais savoir à Nanette afin
qu'elle ne me contredise pas. Cela lui déplaît : -
Il ne faut rien dire ! Je fais connaissance avec la baignoire.
Menottes, mains dans le dos, deux S.S. me plongent
la tête sous l'eau. Je suis plongé 2 ou 3 fois
puis maintenu jusqu'à ce que, asphyxié, je ne me
débatte plus. Le 8 octobre. Je pars pour mon 14 ème
interrogatoire, 3 de 1'Abwehr 10 de la Gestapo ont
eu lieu. Alors que les questions n'ont pas encore
commencé, branle bas chez les SS. Tous partent
très rapidement, j'entends "Maquis Ussel", sans
doute une opération contre un maquis. Je reste
sous la surveillance de l'interprète. Le téléphone
sonne dans la pièce voisine, il va répondre. Je
vais à la fenêtre, l'ouvre et saute dans la cour,
3 mètres environ. Je cours au mur d'enceinte haut
de 2 mètres, l'escalade et saute sur un boulevard.
Un agent de police fait les cent pas : protection
contre les attentats. Il se retourne surpris, crie
halte, met la main à l'étui pistolet. Je cours,
cours, le boulevard descend vers la Gare
Bénédictins. Un pékin semble vouloir m'arrêter
mais descend du trottoir. J'arrive à hauteur de la
gare et la contourne. Une porte ouverte me permet
d'entrer sur les voies par derrière. Une rame en
manoeuvre passe, je grimpe et respire un peu.
L'agent ne m'a pas poursuivi, sa mission était de
surveiller les abords pas de courir après un
évadé. J'apprendrai plus tard qu'il n'a pas été
inquiété. À l'arrêt de la rame je descends après
avoir quitté ma veste grise que j'ai roulée en
boule sous mon tricot bleu marine. Je demande à un
cheminot en bleu de chauffe où est le vestiaire
des mécaniciens. Interloqué il pose des questions,
je finis par dire que je viens de m'évader et que
je voudrais échanger mon beau costume fil à fil
gris contre des bleus. Il n'hésite pas et m'amène
dans une maison à l'écart, lieu de repos des
mécaniciens. Deux hommes sont là, ils
m'interrogent l'air inquiet, un troisième arrive
et dit que les S.S. fouillent la gare. On commence
à me croire, j'essaie de les convaincre d'avertir
quelqu'un à Ussel d'une possible attaque contre un
ou des maquis. Mon costume finit au fond d'une
armoire et vêtu de bleus, je suis amené par un
collègue près d'un tas de scories. Mon compagnon
est armé il doit me tuer si j'appelle des
Allemands ! Trois d'entre eux viennent à 20/25
mètres de nous pendant que nous chargeons les
scories et s'éloignent. Nous revenons au lieu de
repos où on me fait manger. Par des collègues
policiers ils savent maintenant qu'effectivement
il y a eu évasion de la Gestapo Nous discutons où
aller, je pense à l'institutrice de Puyger, une
voie ferrée passe à 7/8 Km de l'école, aux Mines
d'Or. Il n'y a que des bois à traverser. Le 10, un
dimanche, un an moins 5 jours que Jove m'a promis
des risques, je monterai sur une loco, à la place
d'un apprenti mécanicien. La Résistance Fer
existe. C'est un train de marchandises surchargé,
poussif. Dans la côte des mines il ralentit et je
saute, saluts en me relevant rendus par un triple
coup de sifflet de la loco. Il est midi mais je
n'ai pas faim. La veille au soir celui qui
paraissait être le chef m'a tendu une boite de 5
litres de compote de pommes : - Mange, prends des
forces, si tu ne l'as pas finie tu ne partiras
pas. j'ai mangé, je n'en mangerai jamais plus. La veille ,j'ai bien pris en mémoire une
carte Michelin, je sais par coeur la direction à
suivre : Sud ouest jusqu'à la route Saint Yrieix -
Le Chalard, la traverser, et ouest jusqu'à une
piste blanche et encore Sud ouest vers Puyger.
J'ai toujours ma montre, la montre Oméga de mon
père, le soleil brille, le cap est facile à
déterminer. Je marche une branche à la main, canne
et éventuellement arme. Vers 14 heures j'aperçois
l'école, j'arrive en sifflotant un petit air qui
annonçait toujours mon arrivée. Yvonne la jeune
fille qui gardait Colette, la fille de
l'institutrice, est au bord du chemin avec le
bébé. Elle court à la maison en criant :"Monsieur
Jean, Monsieur Jean." Embrassades voire larmes, je
raconte mon histoire et apprends qu'il y a dans la
maison un maquisard en convalescence. Yvonne part
à Jumilhac où sont ses parents, poussera à
Sarlande prévenir Séguy que je suis là sans
papiers, sans argent, sans vêtements (le pantalon
bleu m'arrive à mi-mollet). Yvonne couchera chez
ses parents, Claude dans son lit et moi pacha,
dans le grand lit de celle-ci. Le maquisard à une
paillasse dans un réduit. C'est la détente totale,
je ne dors pas, je sombre. Je viens de passer 48
heures d'énervement impossible. Je ne suis plus
traqué mais dans un havre avec des ... UNE AMIE.
C'est énorme, je m'anéantis. Au matin, petit
déjeuner au lit, à l'heure de la récréation de
l'école. À ce moment arrive Eva Séguy, elle monte
à la chambre, m'accuse d'être caché là depuis le 4
août, elle est très grossière, insultante pour
"Claude" et moi. J'essaie de me faire entendre,
elle n'admet rien. Son mari est parti depuis le 5
août et si je n'étais pas là j'étais avec lui.
Elle ne me sera d'aucune utilité. Mon hôtesse n'a
que peu de ressources mais elle se démène, me
donne des couvertures avec lesquelles le tailleur
de Jumilhac, chez qui je me glisse de nuit, fera
un blouson et un pantalon. "Violette" chef
maquisard du coin, alerté se dérobe tant pour me
fournir une carte d'identité que pour venir avec
moi et deux hommes habillés en gendarmes pour
délivrer Nanette. Sarlandie, un instituteur de
Sarrazac, ami de Claude fournira cartes d'identité
et d'alimentation. Je vais à Périgueux voir
Naegelen, je lui parle de Sparapan, il m'écoute
gentiment mais me dit ne rien pouvoir faire,
normal. En prison, les Allemands m'ont appris que
ma femme est enceinte. J'ai feint l'indifférence
disant que je ne l'avais pas revue depuis
l'arrivée des Italiens en novembre à Monaco,
c'était évidemment pour la mettre hors de mon
circuit. J'écris par l'intermédiaire de Riri à qui
je donne une adresse à Bordeaux. Elle confirme en
réponse que ma femme est enceinte, qu'elle doit
accoucher fin novembre, début décembre. Encore un
coup pour moi, je ne l'ai pas vue depuis janvier
quand elle est allée à Saint Germain, 10 bons
mois. Rien ne freinera plus mes désirs de l'été,
exacerbés par la cohabitation. J'aurai tenu 3
semaines, jusqu'au ler novembre, puis... Reine et
moi... Pendant cette période de vie à Puyger je
suis allé voir si les Allemands avaient laissé
quelque chose, vêtements ou vélo à la villa de
Jupin. Les portes étaient fermées mais j'ai pu
m'introduire par le fenestron de la souillarde. Il
n'y avait rien d'intéressant sauf que la porte
principale et celle de la cuisine donnant sur
l'extérieur étaient piégées ! Une grenade
quadrillée était posée contre chaque porte,
dégoupillées, posées en équilibre sur la
cuillère... Ne sachant comment avertir le
propriétaire de la villa, j'ai indiqué le fait à
Sarlandie (où à Violette ?) Le 7 Novembre. Yvonne, la jeune bonne
nous dit que la veille, au bal (clandestin), le
fils du boulanger, le milicien, lui a parlé des
insoumis que sa patronne recevait ! Le jeune
maquisard, guéri, est parti, il a du parler. La
milice va venir, il faut partir. Le soir je vais à
Saint Yrieix, rode autour de l'Hôtel des
Voyageurs, je ne peux pas réclamer mon vélo et
vole celui d'un gendarme qui vient d'entrer. La
fillette sur un vélo, un petit bagage sur l'autre
nous allons coucher à La Coquille. Le lendemain
nous allons déposer le bébé chez les parents de
Reine (anagramme et abrégé d'Irène, pour moi ce
sera désormais son nom). Nous allons à La Réole,
voir Tom. Il nous reçoit gentiment, et nous
couchons chez lui. Il ne sait pas où est Jove,
peut-être dans l'est. C'est peut-être chez Fourt
ou par lui que je pourrai le joindre, nous partons
pour Lons le Saunier. Nous y arrivons le 10. Fourt
est très évasif. Nous couchons sur place à
l'hôtel. Le lendemain Fourt me dit avoir pu
contacter le Patron Il me donne 2.000 F et ordre
de me laisser pousser la barbe. J'ai rasé la
moustache pour moins ressembler à mes photos.
C'est le 11 novembre qui n'est plus férié. À Lyon
je vais me faire faire une permanente ! J'ai mission de rencontrer Pebarthe à
Bordeaux début janvier. Ma Reine ira rejoindre
Jove pour lui servir de secrétaire. En attendant
elle va courageusement chercher des vêtements à
Puyger. Je l'attends Hôtel Terminus à Thiviers.
Son logement de l'école a été occupé, elle y
trouve des boites de conserves vides, des
bouteilles, etc. Rien n'a été volé. Nous couchons
à Thiviers. Dans la nuit des cris, des coups de
feu, course dans le couloir. Nous sommes très
inquiets. Au matin nous saurons que le Comte Saint
Pierre a été exécuté par le maquis. Nous partons
sur la pointe des pieds, sous l'oeil d'un gendarme
accoudé au comptoir. Mi-décembre. Je pars vers la Côte, de
nuit. J'entre à Monaco en contrefaisant ma
silhouette et vais chez moi récupérer le reliquat
de mes vêtements; ma mère, ma femme et son bébé
sont là. Je fais l'idiot, ne dis mot sur le lardon
et repars au jour. Entre Monaco et Nice, je suis
dans un wagon avec l'équipe de Basket de l'ASM,
mon ancienne équipe. Il y a là Rocca, Franco,
Richelmi etc. Je nie être J.A., mon collier ne les
trompe pas et ils se moquent de moi. Nous passons Reine et moi un triste
réveillon à Périgueux où stationnent les
"Cosaques", des Waffen S.S. Russes. Le 3 janvier. Nous devons nous séparer à
Bordeaux. Le B.G. l'emmènera vers Lons et Jupin.
Je reste à Bordeaux, chargé de missions
spéciales... Je n'aurai de contact qu'avec
Pébarthe tantôt dans une rue, tantôt dans une
autre. I1 me parait franc comme un cheval qui
recule... il m'apprend que Serrano, le radio
Espagnol a aussi été arrêté. J'ai un nouveau
pseudo : JIM.
1944
Missions
spéciales - Radio
La présence de Reine va me manquer. J'ai
toujours droit à 3.000 F par mois. Pébarthe me les
donne d'avance le 3 janvier 1944. Ma mission est
simple : trouver des renseignements sur les
activités allemandes. Je vis dans un hôtel
minable, je ne fais qu'un repas le soir, me
contentant de pain et sucre à midi, d'un café noir
le matin. Je m'intéresse au port pétrolier, compte
les péniches, inscrit leurs noms et leur tonnage.
Venant là tous les jours, je bavarde avec les
lamaneurs. Je ne sais pas quoi trouver d'autre, je
broie du noir. Un jour sur les quais je vois des
marins italiens. Je les suis, nous arrivons dans
un bar de Bacalan où il y en a d'autres. Parlant
couramment l'italien, je bavarde avec eux. Ils
sont sur des cargos, je reviens plusieurs fois les
voir. L'un de ces cargos doit partir pour le Japon
avec des tonnes de mercure. J'ai le jour et
l'heure du départ. Je fais un rapport à Pébarthe
mais, me méfiant de lui, j'envoie un double à
Reine. (Malgré l'interdiction et le danger nous
sommes restés en correspondance). Bien m'en a
pris, Pébarthe s'est attribué l'information.
Londres a été avisé, un sous marin attendait le
cargo à l'embouchure de la Gironde. Je "pleure"
avec les marins Italiens qui me l'apprennent. Reine furieuse en voyant le rapport de
Pébarthe sort ma lettre. Ma côte remonte même si
Jove est mécontent de nos liaisons. Dans ces bars
de Bacalan, fin février, j'ai connu un ouvrier de
la Base Sous marine, sympathie d'idées, il me fera
entrer un soir à la Base. Je suis au rendez-vous,
à la relève de minuit, j'attends, il ne vient pas.
Il y a le couvre feu... Je repars vers le centre
de Bordeaux, où je loge, en longeant les grilles
des quais. Il y a une sentinelle tous les 100
mètres. Au début, je suis avec des ouvriers
sortant de la Base, les sentinelles ont
l'habitude, nul ne dit rien. Peu à peu le groupe,
étiré, se disperse, aux Chartons, je suis seul.
Une sentinelle me dévisage et crie - Funker !
nicht kaput ? C'était un des soldats qui nous
gardaient à Limoges, un brave type qui donnait des
nouvelles et faisait des commissions. Il dit en
quelques secondes que j'ai été porté mort. Son cri
a alerté le poste à 10 mètres de là. Un Unter
Officier parait, braque une torche et lui aussi me
reconnaît, c'est celui de l'évasion de Sparapan.
Ils sont de l'autre côté des grilles, il faut
ouvrir les portes avec les clés qui sont au poste.
Je pars en courant à travers les rues noires. A
mon hôtel je ne peux pas dormir, je suis affolé,
paniqué. A 6 heures je prends le train pour
Périgueux et vais voir les parents de Reine. Ils
m'avancent l'argent afin de prendre Ie train pour
Lons, revoir Reine et Jove. Je ne vois pas Jove,
il me fait dire par Reine de repartir à Bordeaux,
ma situation va changer. Réconforté par la
gentillesse, la tendresse de mon amie et les
promesses du Patron. Je repars. Quatre jours après
elle est à Bordeaux pour travailler avec moi. Je
respire mieux.. Je ne suis plus subordonné à Pébarthe, il
ne sera que ma boite à lettres. Maintenant je
serai vraiment chargé de missions spéciales au
sud-ouest d'une ligne : Nantes - Perpignan pour
commencer. Ça s'élargira vite. Notre vie, à Reine et à moi sera vite
organisée. Nous avons loué une chambre et cuisine,
c'est moins onéreux que l'hôtel, nous avons deux
soldes et mangeons ce qui nous plaît. La
compagnie, la nourriture, je suis à nouveau
moi-même. Un jour par quinzaine nous allons voir
sa fille et ramenons des provisions. Nous sommes
inquiets pour les frères de Reine. Maurice 25 ans
est dans un maquis de Dordogne sud, Robert, pas
encore 18 ans, dans un maquis proche du Limousin.Anecdote : Un jour allant voir des
cousins de Reine près de Bergerac nous sommes
arrêtés par les gendarmes en limite Gironde -
Dordogne, sur ce territoire; contrôle du disque
blanc à l'arrière des vélos et des papiers. Ma
C.I. est au nom de Jean Aimard (j'en ai marre).
Elle porte le tampon de la Mairie de Francs,
commune très voisine, en Gironde. Le chef gendarme
me demande si je suis parent avec un de ses
adjoints, originaire lui aussi de Francs... je
crois que oui, mais... je ne repasserai plus par
là de quelque temps. J'ai eu des missions à La Rochelle et au
port de La Palice. Dans les Landes, confirmation
de l'installation d'une station TSF grande
puissance à Laboueyre, liaison avec les navires en
Atlantique. Je vais à Saint Paul les Dax, voir un
collègue radio de 36/38 C..., sous chef de gare.
Je le tâte, peut-être pourrait-il me renseigner ou
me faire connaître quelqu'un qui me renseignerait
sur le trafic ferroviaire. Je dois vite changer
mon approche, il est pétainiste, pro allemand. Il
disparaîtra à la libération. Au retour nous nous arrêtons dans une
ferme pour ravitailler. La fermière n'a rien,
rien, même pas des oeufs. Pendant que nous
discutons, une voiture allemande s'arrête et
charge deux quarantainiers (13 douzaines d'oeufs).
Merci beaucoup ma "bonne dame". Au nord de Bordeaux, au poteau d'Yvrac je
vois des antennes peu courantes, je le dis,
l'écris croquis à l'appui. Au retour de courrier,
demande de précisions. C'est un centre de
détection d'approche d'avions encore inconnu à
Londres, pas le système radar, la station d'Yvrac. Mi-mai. Mission hors du périmètre initial
: Le PC de la Panzer 10 a disparu ! I1 pourrait
être dans un château, le long de la Loire en ayant
camouflé ses totems. Comment, comment le retrouver
? I1 faudra voir la grosse densité des rames de
fils téléphoniques ou le disque sur poteau
indiquant un PC... D'Orléans nous descendons la
Loire en visitant tous les châteaux, 100 à 120 Km
par jour en zig zag et Reine en herborisant. Rien,
rien jusqu'à Tours. A Azay le Rideau (le Brûlé) la
joviale patronne de l'auberge dit qu'il y a
beaucoup d'officiers allemands et des tanks à
1'"Ile Bouchard". Allons y, nous voyons beaucoup
de monde de l'autre côté de la Vienne. Nous sommes
sur une petite plage, à Tavant je crois, avec des
baigneurs. I1 est interdit de circuler sur l'autre
rive, je décide d'y aller, en amoureux, ça peut
passer mais Reine ne sait pas nager et la Vienne
aurait 6 à 8 m de profondeur. Je la fais
s'accrocher à mes épaules et l'emmène, nous sommes
trop bas au bord de l'eau, nous ne voyons rien. Au
retour, commentaires et mots désagréables des
témoins sur mon inconscience. Il y a un loueur de
barques, victoire, debout sur la plate. Je vois
des véhicules avec un disque de PC divisionnaire.
Tour à vélo, mais on ne s'approche pas du lieu,
c'est bouché à 500 m. Les rames de fil qui
convergent indiquent un gros PC. Un va et vient
d'estafettes motos en confirme l'importance.
Hurrah, la Panzer 10 est localisée. Je fais mon rapport et reçois une
nouvelle mission : Il y aurait au Pouldu
(Finistère) un mur défensif énorme. On
l'appellerait "Mur de Bretagne" ! Je trouve cela
farfelu. Il existe un bourg "Mur de Bretagne" mais
il est dans les Côtes du Nord. Le Pouldu étant en
zone interdite, il faut un laisser passer spécial
pour y accéder. Je demande confirmation de la
mission. Avant son arrivée je reçois une nouvelle
mission tout aussi facile et simple : Central
téléphonique du Mans, lignes téléphoniques
aériennes et souterraines, moyens éventuels de
défense, possibilités d'investissement ! avec au
passage : Localiser le standard du PC d'armées
basé au Mans. Tout simplement. Nous sommes le 2
juin 1944. Le 3. Au matin nous prenons le train
après avoir vu y embarquer nos vélos, nous devrons
changer de train à Saint Pierre des Corps. Nous
arrivons l'après-midi dans cette gare et cherchons
nos vélos. Le wagon bagages a été décroché par
erreur à Poitiers, il arrivera dans 2 ou 3
heures... La gare de Saint Pierre n'existe plus,
bombardée il y a quelques jours, des voies ont été
remises en service. Le soir, nous subissons un
bombardement par des avions à Croix de Lorraine.
Nous nous écartons pour la nuit que nous passons
dans un poste d'aiguillage, "Poste U". Au matin,
le 4 juin toujours pas de vélos. Recherches,
réclamations, sans les vélos nous serons très
handicapés. La mission était qualifiée de très
urgente, nous partons, nous verrons au retour si
nos bécanes sont là. L'après-midi nous montons sur
un train de marchandises, le seul en direction du
Mans. Il nous arrête à Ecommoy. La voie est
coupée. Nous passerons la nuit dans un petit
hôtel, prés de la voie ferrée non loin de la gare.
Il n'y a pas de fenêtre à la chambre, une simple
lucarne. Par sécurité je regarde toujours s'il y a
une possibilité de fuite. Je monte sur une chaise,
glisse mon regard et j'aperçois un monstre, caché
de part et d'autre, bien visible de ma lucarne.
C'est une locomotive à laquelle est attelée une
énorme charrue. Cet engin a été prévu pour
arracher les voies ferrées en cas de débarquement.
Nul ne savait ou elle était terrée. En mars/avril
je l'avais cherchée dans les Charentes où elle
avait été signalée. En vain. Le 5. Un car nous amène au Mans. Nous
suivons les rames de fils pour voir la
convergence, c'est-à-dire le lieu du standard
téléphonique allemand. Des kilomètres à pied. Je
crois savoir, demain la confirmation. Dans la nuit les sirènes d'alerte et le
bruit d'un bombardement lointain. Au petit jour
nouvelle alerte, il faut aller aux abris et ça
dure 2 heures environ, interdiction de sortir, la
défense passive veille. On bavarde Certains, ayant
écouté la TSF, ("la radio" n'est pas encore
utilisée), ont appris le débarquement allié. Des
colonnes U.S. déferleraient dans plusieurs
directions. Me souvenant des débarquements d'AFN
et d'Italie je pense que c'est de l'intoxication.
Un de mes voisins d'abri est ingénieur PTT, il a
l'air d'être "bien pensant". Je me jette au feu et
lui dévoile une partie de ma mission : le plan du
Central, il sourit, c'est facile. Fin d'alerte, il
part me disant de l'attendre. Je mets Reine en
surveillance à distance. Il revient avec des
plans, ma mission est presque réussie. Je passe
voir la structure du Central, non fortifié, sans
défenses apparentes, prends quelques notes et nous
partons avant l'arrivée des Alliés... Un tour a la
gare au cas où nos vélos... Pas plus de vélos que
de trains, nous quittons la ville du pont en X, à
pieds. A la sortie une camionnette nous prend
jusqu'à Ecommoy. Je vais risquer un regard, la
loco est toujours là et... MARCHE ! Nous sommes
sur une Nationale en direction de Château du Loir.
Un car paraissant surchargé va nous dépasser, je
fais de grands signes pour l'arrêter, en vain, le
car continue sa route assez lentement. Il est à
250/300 m de nous quand j'entends des avions
derrière nous, ils arrivent dans l'axe de la
route. Je pousse Reine au fossé et me jette
dessus. Je me suis retourné, "un cavalier doit
voir la mort en face", m'avait dit le Rat Blanc.
Au dessus de nos têtes, très bas, du rase mottes,
je vois, dans un grondement énorme, passer deux
monomoteurs à étoile blanche. Ils tirent, il y a
des balles traçantes. Je les vois frapper le car
qui va s'immobiliser sur la berme gauche, l'avant
dans le fossé. Ce doit être un carnage. Je me
souviens avoir entendu dire le matin, dans l'abri,
que les U.S. avaient interdit tout mouvement sur
les grandes routes du Nord de la Loire. Leurs
avions tireraient sur les véhicules en mouvement.
C'est la guerre, horrible, atroce. Nous n'allons
pas vers le car. A 100 m en arrière il y avait une
petite route allant vers La Flèche, nous irons par
là. Nous coucherons dans une grange, près de
Mayet. Nous n'avons pas de bagages, juste un petit
sac à dos avec un minimum de choses, trousse de
toilette, slips, chaussettes de rechange. Le 7. Nos chaussures cyclistes font mal
et s'usent, nous faisons une dizaine de Km sur la
poutre d'un trinqueballe, passons la Loire à
Langeais et arrivons le soir à Azay où nous étions
récemment. L'aubergiste, une brave femme de 45/50
ans nous demande sans malice si nous avons trouvé
à l'ïle Bouchard les Allemands que je recherchais.
Nous avions trop parlé, elle avait compris ! Le 8. Une camionnette SNCF nous prend à
son bord. C'est un plateau 302 bâché. Nous sommes
à l'arrière avec des sacs de sel, nous bavardons
avec les deux hommes assis devant. Leur mission
est le ravitaillement des cantines cheminots. Ils
ne se cachent pas d'être de Résistance Fer. Je les
félicite mais me tais, tant sur mes activités que
sur mes rapports avec leurs collègues de Limoges.
On ne sait jamais. Ils vont vers Parthenay et sont
dotés d'un magnifique Ausweiss. A Loudun panne de
pompe à eau. Il y a là un atelier auto allemand,
des SS. Au vu de l'ordre de mission ils vont faire
le dépannage, prélevant la pièce sur la voiture
d'un médecin. La réparation se termine de nuit.
Nous dînons et couchons là. Le 9. Nous continuons ensemble jusqu'à
Saint Loup sur Thouet. Il y a une gare mais pas de
train. Sur les quais, en plein soleil, des tonnes
de beurre fondent attendant un transport. Il y
aurait des trains entre Poitiers et Bordeaux. Nous
allons à Poitiers en stop divers. Nous aurons un
train pour Bordeaux le lendemain à 7 heures. Il
faudra le prendre à la halte Saint Benoît à 9 km.
Nous y allons passer la nuit. Hurrah, au matin le
train est là à l'heure. Nous serons à Bordeaux le
10 juin à midi. Les vélos sont perdus. Rapport, courrier, attente des ordres.
Enfin arrive une lettre de Jupin me demandant de
le rejoindre à Lyon "pour le coup de collier
final". Bien que la lettre fut personnelle
j'emmenais Reine. Le BG est bloqué, il le sera
souvent, nous prenons la voie par Toulouse Nîmes.
Il faudra changer à Tarascon où nous arrivons en
milieu d'après-midi, nous n'aurons un train qu'à 2
heures du matin. Rester à la gare est dangereux :
contrôles; nous prenons une chambre dans un hôtel
situé à 20 m. Réveillés à 1 heure nous nous
préparons tranquillement et au moment de quitter
la chambre, sirènes : Alerte. A la rue nous sommes
poussés dans un abri. Il est déjà plein. Pas
possible, ils devaient dormir là. Le comble c'est
une dame à cheveux gris avec une casserole émail
rouge sur la tête en guise de casque ! Le 20 juin. Nous sommes rue Jeanne d'Arc
à Montchat et, très grosse surprises, aux côtés de
Jupin nous voyons Nanette ! Maintenant c'est Maud,
elle nous raconte son exploit. Les Allemands
semblaient l'avoir oubliée à Limoges lorsqu'un
jour de janvier 1944, elle apprit qu'elle serait
prochainement transférée en Allemagne. Elle avait
assez de connaissances pour simuler une crise
d'appendicite. Elle fut admise à l'hôpital de
Limoges, sous bonne garde. Les Religieuses qui
géraient l'hôpital furent complices, médecins et
chirurgiens français également. Quelques jours
d'observation et pour retarder le transfert :
opération. Cette opération fut exécutée un
après-midi de mauvais temps du début février. Au
cours de la nuit qui suivit, alerte aux avions
tout le monde aux abris, les gardes aussi, que
redouter d'une femme qui a eu le ventre ouvert 6
heures plus tôt ? La Mère Supérieure vint voir
Nanette, l'aida à s'habiller et se chausser, lui
posa sa cape de fourrure sur le dos et la
conduisit dehors où elle dut enjamber un petit mur
pour ne pas passer devant la grand porte. Nanette
connaissait quelqu'un à Limoges. Trois heures de
marche dans la neige avant de trouver l'asile ! Un
peu de repos, changement de couleur de cheveux, de
nouveaux habits et elle partit pour Lyon, 15 jours
de remise en forme et elle reprenait son poste
près du Patron, ce qui avait libéré ma chère Reine
! La surprise fut complétée par la présence d'Abel
Argote, DAN il nous conta ses évasions : En liaison à Nice il est arrêté devant la
porte de Baptiste. Il nie le connaître, le réseau,
tout, et Alex ne le connaît pas... Doute, mais il
est gardé, transfert vers l'Allemagne. En gare de
Dijon changement de train. Ils sont 10 détenus
gardés par six SS. Ils franchissent des voies et
passent le long d'un convoi de travailleurs pour
l'Allemagne. Dan a 33 ans, c'est un sportif,
ancien champion d'Europe de boxe, 80 Kg, il
entretient régulièrement sa forme. Une bourrade au
soldat qui est près de lui, fonce à travers les
volontaires du travail, attrape une rame en
manoeuvre (comme moi) et disparaît. Sans papiers,
sans argent, il parle avec un cheminot et lui dit
qu'il était dans le convoi de travailleurs, étant
allé chercher à manger, le convoi est parti sans
lui. L'homme lui conseille d'aller à la
Gendarmerie : " ils sont compréhensifs ". Il y va
et il est remis aux Allemands ! Persistant dans
ses dires il est classé insoumis au STO. Mis dans
un convoi il arrive à Paris, caserne de la
Pépinière. Ils sont là une quarantaine laissés peu
après midi au milieu de la cour. Une sentinelle
fait des ronds devant eux. Dan sort du paquet de
ses collègues et donne des ordres. Il fait mettre
les gens en rangs et les compte et recompte, la
sentinelle s'est approchée. Il lui dit : - C'est
pour la nourriture, je vais leur chercher a manger
En petit nègre Hispano Allemand. Il va vers la
porte où un Caporal allemand parle avec un civil,
s'approchant par derrière du gradé il dit avoir
son frère dans la cour et vouloir le voir. "Nein,
nein" , et il est repoussé dehors ! A Paris il a
des amis, il est sauvé et rejoint Jove. Le trio
d'évadés est bien joyeux, le moral est au plus
haut, la forme excellente, l'ennemi va nous subir. Jupin m'informe des instructions de
Londres après mon évasion : Par sécurité :
exécution ! Il avait des preuves de mon silence,
les adresses de sa femme, Fourt, Tom, etc., et
n'avait pas voulu appliquer la sentence... Jove me présente mon nouveau poste
"Antinomy", arrivé la veille de Londres. C'est une
belle valise de 50 cm de long. L'émetteur est plus
puissant que le précédent. Il y a 3 jeux de
quartz, 2 de jour, un de nuit, un code Q très
spécial. Le soir même je réalise la première
liaison. Elle sera suivie de très nombreuses,
jusqu'à 8 heures par jour. Le PC est dans une
petite villa de la rue Jeanne d'Arc non loin de
l'usine de carburateurs Zénith et d'un hôpital. A
l'arrière il y a un petit jardin d'environ 200 m2.
J'ai trouvé une échelle, l'ai placée au fond du
jardin contre le mur qui fait plus de 2m; derrière
il y a un autre jardin, en cas d'alerte nous
pourrions nous échapper par là. L'organisation du
PC est la suivante : Jove, reçoit tout le
courrier, trie ce qui va partir par valise ou par
radio et va en ville voir des correspondants. Maud
chiffre, déchiffre, frappe des télégrammes, Claude
(Reine) tape aussi du courrier, fait à manger. Dan
est le plus souvent en liaisons lointaines. Le
trafic ferroviaire de la région est intense. A lui
seul, c'est 8 a 10 télégrammes quotidiens. Entre 2
émissions j'aide à chiffrer et déchiffrer. Mon
travail devient vite harassant. Je commence la
matin à 5 heures par le "TRAM". Londres envoie "en
l'air" des séries de télégrammes. Les
correspondants à l'écoute prennent ceux qui les
concernent, désignés par un indicatif propre. La
transmission est lente. On accuse réception au
cours d'une vacation de l'après-midi. Il y a
longtemps que je n'ai pas manipulé et j'ai perdu
le rythme, ma cadence n'est pas rapide ce qui
entraîne de plus longues vacations. Heureusement à
Londres les opératrices sont très patientes. Petit
à petit je reprends la main, le poignet
s'assouplit, je fais moins de fautes. A la
mi-juillet j'ai la cadence. Le nombre des messages
augmente chaque jour. J'arrive, au mépris de toute
prudence, à "pianoter" 5 à 6 heures quotidiennes.
Les messages concernant le trafic ferroviaire ne
peuvent attendre. Nous avons jour après jour le
relevé et les prévisions du triage de Lyon : tout
passe par radio. Les RS sur les rampes de V1, et
bientôt V2, qui arrivent tous les 3 ou 4 jours
sont en grande partie expédiés aussi par radio.
Deux fois par mois départ du courrier, des plans,
par valise. Vers le 20 juillet. Une de ces valises
doit être acheminée très vite. Dan est dans le
Nord, Claude à Bordeaux (je conterai son odyssée),
Jupin pense que je suis seul à qui il peut faire
confiance pour porter ce courrier à Pont de Dore
dans le Puy de Dôme. Je quitterai le train à
Thiers, je dois donc amener un vélo. La mallette
contenant environ 3 Kg de plans sur le
porte-bagages, je me dirige vers Perrache. Je suis
pris, surpris, dans un "entonnoir" d'agents de
police et de miliciens. J'ai des papiers
Marseillais au nom de Jean Mainard, né à Menton
(plus d'archives), représentant, en traitement à
Lyon pour syphilis. Je ne suis donc pas bon pour
aller travailler en Allemagne mais il y a le
courrier. Je discute, je dois prendre le train
sinon c'est une journée de travail perdue. Les
agents ne peuvent me laisser repartir sans
1‘accord du "2 ficelles" milicien qui est à 20 m
de là. Je vais le voir, parle, discute encore. Je
suis apparemment en règle mais ma C.I. n'étant pas
Lyonnaise, je dois aller au poste pour
confirmation de l'authenticité des papiers qu'il
me rend. Je le remercie ostensiblement, reviens en
arrière avec un grand sourire, salue gentiment les
agents, enfourche mon vélo et au revoir. Le Chef
Milicien très entouré ne peut pas me voir. J'ai un
peu imité Dan, j'ai un peu refait le coup avec les
Italiens, je suis heureux, fier. Il ne peut plus
rien m'arriver, je m'en sortirai toujours...Parenthèse. La personne rencontrée à P.de
Dore était un homme de 35/40 ans, as de 1‘aviation
civile. En 1941 ou 1942, parti de France avec un
hydravion, il avait forcé le blocus de Djibouti.
C'était une vedette du gouvernement Pétain ! Le soir, retour à Lyon pour une vacation
de nuit sur un quartz de jour, travaillant en
doubleur de fréquence toujours très mauvaise. Sur
les 3 quartz reçus, un seul a assuré toutes les
liaisons. Je continuerai jusqu'à fin août en
assumant, la dernière décade, jusqu'à 8 heures
d'émissions quotidiennes sur ce même cristal.
Délirant ! Il fait très chaud dans la villa,
surtout devant le poste. Je prends 3 ou 4 douches
par jour dans le jardin, au jet d'eau. Nous avons maintenant un maquis, dans
l'Ain, à notre disposition pour des parachutages
ou des atterrissages. Une bonne centaine d'hommes
encadrés par des officiers et des sous officiers
d'active. C'était du solide, ils l'ont prouvé. Des
étudiants en médecine de Lyon, amis de Nanette,
les avaient mis en rapport avec Jove. Je n'ai
connu que Sermonnard "Le Coq" dont la mère avait
une fabrique de soutiens-gorge. C'est Le Coq qui
nous avait fourni les certificats de soins pour
syphilis. Jupin avait fait livrer des Sten et des
fusils ainsi que des tenues : Vestes et pantalons
bleus à nos maquisards. Les cadres officiers et
sous officiers étaient des anciens chasseurs, ils
en furent ravis. Le tout était arrivé dans un
parachutage près de Pont de Vaux. Le même jour par
la même voie, début juillet, nous avions été bien
ravitaillés : des armes de poing et des Sten, des
vivres : Sucre, café, un costume pour moi mais la
veste n'avait pas de poches extérieures, 2 pipes
truquées pouvant recevoir un message dans le
tuyau, (elles m‘échurent), 2 brosses à vêtement
tout aussi truquées, 2 paires de chaussures à
talon cache-document, et 2 valises en peau, à
double fond. C'est avec une de ces valises à double
fond que Reine partit à la mi-juillet chercher du
courrier à Bordeaux. Les transports ferroviaires
sont désorganisés, Dan ne peut aller à Bordeaux où
il est trop connu, Jupin ne veut pas que Pébarthe
connaisse le lieu du PC. Cette liaison intéresse
Reine, elle verrait sa fille et ramènerait
quelques vêtements et bricoles laissés chez ses
parents Le G.B., est hors service, il faut
transiter par Nîmes ,Toulouse. En 2 petites
journées elle est à Périgueux et Bordeaux. Au
retour les choses se compliquent. 40 Km après
Bordeaux la voie est coupée, un train de munitions
saute sur un pont, (feu d'artifice du 14 juillet
?..), halte à Langon. A la nuit le train ne peut
repartir, il faut trouver un gîte. En route elle a
lié connaissance avec deux couples qui vont dans
le Vercors. En gare de Langon ils se dévoilent,
ils ont des papiers allemands. Les autorités les
font escorter à un hôtel, ils emmènent avec eux
Reine et ses bagages. Dans l'hôtel qui se dit
complet, des gens non déclarés sont éjectés et
"Claude" a une chambre. Comme bagages elle a la
valise double fond, une autre de vêtements et un
petit poste T.S.F. enveloppé dans une couverture. Le lendemain, un dimanche, la voie ferrée
n'est pas rétablie. Elle va à la gendarmerie voir
Gilson, un de nos correspondants en titre mais
clandestin. Elle se fait connaître. Il est inquiet
mais la garde dans sa famille pour la nuit. Lundi
toujours pas de train, Gilson l'a met dans une
camionnette pour La Réole. Là elle monte dans un
train de marchandises, sur un wagon de charbon
vide. Un peu avant Montauban, alerte, évacuation
du train à plus de 300 m (avec trois colis), fin
d'alerte le train va jusqu'à Toulouse. La nuit se
passe dans un cinéma faisant office de dortoir. Mardi elle trouve un train pour Nîmes
et... au delà. Il s'arrête à Villeneuve les
Avignons. Longue attente dans le train en pleine
chaleur de juillet puis transbordement en car
jusqu'au centre d'Avignon. Un couple est parti à
pied, Reine bonne âme a promis de s'occuper de
leurs bagages. Elle est là sur une place avec
plusieurs colis, quand il y a aubade de sirènes :
alerte aérienne. Elle ne peut bouger et attend
stoïque. Le couple revient, il a trouvé un
charbonnier qui, après avoir livré sa marchandise,
retourne à Porte les Valence. Elle dormira dans
une salle commune. La couverture qui enveloppe le
poste lui servira pour dormir sur l'estrade. Le
mercredi elle aura un train pour Lyon où elle
trouvera Maud dans la villa vide, nous sommes
partis pour un atterrissage clandestin. Depuis le début juillet nous voyons
souvent un Commandant de l'Armée de l'Air : Bondon
"Petit Paul". Il avait monté un Sous-réseau Air
avec des aviateurs, couvrant toute la France. Lors
de l'atterrissage, décrit ci-après qui eut lieu
près de Pont de Vaux, il partit pour Londres.
C'était la première fois que je participais à une
de ces opérations. Nous sommes restés à l'écoute
des messages de la BBC jusqu'à la confirmation que
c'était bien pour ce soir là sur le terrain
reconnu depuis 3 semaines par Jupin et Dan. Nous
avions réétudié le terrain, de jour, pour être
sûrs de ne pas faire d'impairs de nuit. La soirée
s'est passée dans une ferme où nous devions
revenir après l'opération. A la nuit noire nous
étions en place, posant 5 lampes torches en L pour
guider le pilote de l'appareil. Dès que nous
l'entendîmes, nous allumâmes les lampes de
balisage et Jove placé à l'angle du L avec une
torche dirigée vers l'avion faisait en permanence
une lettre en morse. C'était le signal de
reconnaissance précisant au pilote que nous étions
bien le comité de réception prévu. Moins de 5
minutes après le Lysander était arrêté au sol.
Deux hommes descendirent et nous remirent 2 sacs
(20/25 kg) de courrier, Petit Paul monta. Il s'est
écoulé moins de 3 minutes entre le moment où les
roues de l'avion ont touché le sol et le moment où
elles l'ont quitté. C'était du travail bien fait,
propre, net. Je n'ai jamais su qui étaient les
deux hommes arrivés cette nuit-là. Quelques mots
avec Jupin, directeur de l'opération et ils
disparurent dans la nuit tandis que nous allions
faire bombance à la ferme. Fin juillet. Londres décida de me
gratifier, honneur, d'un code. Je choisis une
phrase de "La mort du loup" , de Vigny :
Gémir, pleurer, prier est
également lâche Fais énergiquement ta longue et
lourde tâche Dans la voix où le sort a voulu
t'appeler Puis, après, comme moi, souffre et
meurt sans parler.
Début août. C'était accepté,
je n'eus jamais à m'en servir. Comme mon unique
quartz, le code de Jove assurait tout le trafic. Fin juillet également je reçus par
parachutage un nouveau poste. Les parachutages
étaient devenus routine, nous partions à midi et
étions de retour le lendemain, notre maquis
assurait protection et ramassage du matériel. Ce
2ème poste, fonctionnant sur batteries, pouvait
servir pour assurer des liaisons pendant les
déplacements. Nos Réseaux Air et Fer avaient pris
beaucoup d'importance aux yeux de Londres et il ne
fallait pas d'interruption. Ce poste était, je
crois, de type C5, il comportait 2 parties grosses
comme une boîte de 1 Kg de sucre. Je reçus aussi
un ensemble électrogène.. Je détaille : Un support
de vélo permettant à une personne de pédaler en
chambre, sur place, une dynamo Lucas 12 V, se
fixant sous la selle en haut de la fourche arrière
avec un galet appuyant sur le pneu; une batterie
12 Volts et un convertisseur 12 V continu/110
alternatif; un chargeur grosse puissance. Ceci
avait été rendu nécessaire pour deux raisons.
Primo, à la suite des bombardements alliés le
courant était souvent coupé de longues heures.
Secundo, raison majeure, la détection radio
allemande après avoir repéré une émission
clandestine, avait des difficultés pour la
localiser en ville. Les occupants faisaient alors
couper l'électricité, quartier par quartier
pendant cinq minutes. Si le poste arrêtait
d'émettre, le secteur était reconnu, des voitures
s'y installaient. L'émetteur localisé dans un
groupe de maisons, une approche plus fine se
faisait avec un opérateur en civil, un casque sous
le chapeau relié à un récepteur orientable placé
dans une mallette. Il arrivait ainsi devant la
porte de l'émetteur. En pianotant sur la batterie
entretenue par le chargeur, j'évitais les coupures
de courant, mais la batterie n'étant pas de très
forte capacité, il fallait qu'entre 5 et 8 minutes
un "forçat" vienne pédaler. Cela m'advint deux
fois fin août, Jove et Dan pédalèrent chacun 5 à 6
mn. Peu avant la lune d'août, nous fûmes
prévenus du retour imminent de Petit Paul.
L'atterrissage aurait lieu avec le S.O.E. (Spécial
Opérations Exécutive) maître d'oeuvre principal.
J'y allais en spectateur. Le terrain, situé à une
quinzaine de Km de Tournus (S et L) me parut, lors
de la reconnaissance de l'après-midi, peu conforme
aux normes qui nous étaient imposées, mais c'était
le S.O.E qui décidait, une ligne électrique et une
rame téléphone, établies en V, coupaient ce
terrain. Attente dans une ferme, à 20 heures la
BBC passe le message espéré et à 22 heures nous
allons sur le terrain. Je trouve qu'il y a
beaucoup de monde. Ce n'est pas notre maquis basé
dans l'Ain qui assure la sécurité, nous ne sommes
que spectateurs réceptionnistes. Toutes ces
personnes sur le terrain avaient leur utilité,
tous les poteaux électriques ou PTT avaient été
coupés à ras du sol, fils et bouts de bois
emportés au loin, le terrain était impeccable à 23
heures. Le balisage était différent de celui que
nous avions utilisé, il y avait, je crois, neuf
lampes. Vers minuit, un avion bimoteur, de la U.S
Air Force, un Locked Hudson se pose, sort de la
piste et coupe les moteurs. Moins de 2 minutes
après un deuxième avion, identique, se pose et
prend la position de départ, lui aussi coupe les
moteurs. Les deux équipages et une dizaine de
personnes descendent, Petit Paul est parmi eux. Le
S.O.E. sert le champagne à tout le monde, en donne
une caisse par avion. Un quart d'heure s'est
écoulé, les avions repartent. C'est ébouriffant,
ahurissant. Après avoir remis au Comité d'accueil
les nouveaux venus pour les ventiler, les 3
officiers du S.O.E., un français absolument
bilingue et 2 anglo-saxons également bilingues
disparaissent. Jupin et moi étions restés jusque
là avec eux, nous allons voir notre ami qui est
avec les arrivants auprès du chef réceptionniste.
A ma très grande stupéfaction, je le reconnais,
c'est le Lieutenant qui, à l'école de Gendarmerie
de Romans, était mon chef de Section. C'est lui
qui avait établi et signé mon acte d'accusation.
Sous le pseudo de "Condé" il s'était retourné au
vent de l'histoire... Paul revenait avec une
mission précise, suivre les Allemands dans leur
retraite, replier avec eux jusqu'au fond de la
Germanie. Ne connaissant pas le radio qui lui
était affecté pour cette opération à gros risques,
il avait mis comme condition que j'accepte de
partir avec lui, Jove héritant du nouvel
opérateur. Jupin a grogné, rechigné mais a fini
par s'incliner et j'ai accepté. Il fallait
attendre mon remplaçant et Paul pensait qu'il
était inutile de partir tant que les avant-gardes
alliés ne seraient pas à 40/50 Km de Lyon. Vers le 24 août, (à 24 heures près). Un
matin je pris comme d'habitude le Tram et un peu
avant 08 heures ouvris mon poste attendant l'appel
de Londres. C'était la procédure, ne pas me
dévoiler tant que je n'avais pas un opérateur en
face. Une petite minute avant 08 heures j'entendis
l'appel et répondis. Surprise le correspondant
annonça N QRX QBS : pas de vacations ce jour... Le
patron pensa et tous avec lui, qu'avec l'avance
très rapide des Alliés venant du Sud, il devait y
avoir des embouteillages dans la vallée du Rhône
et d'autres priorités. Aux environs de Lyon les
F.F.I. faisaient feu partout, Villeurbanne dont
nous dépendions était pratiquement encerclé, Paul
commençait à parler départ. Le lendemain même scénario, à 5 heures
Tram, peu de choses et à 8 heures : N QRX. Jupin
grogna, il y avait plus de 20 télégrammes chiffrés
en instance d'envoi. Il me demanda d'appeler et
d'insister, je dus sortir les notes d'utilisation
de la radio. Le clandestin ne doit jamais appeler
le premier. Il doit attendre les appels de la
Centrale de Londres. C'étaient très net. Le soir,
bien entendu, nous écoutions la BBC et les
messages qu'elle diffusait. A notre très grande
stupéfaction nous avons entendu tout au début
:"Oh, Jupiter, que de messages vous attendent !"
Ce fut répété en fin d'émission. Au réveil le
Tram, Jupin, Maud tous étaient là et on décode une
phrase : "pourquoi ne répondez-vous plus ?" Jove
me regarde de travers, le petit déjeuner est très
silencieux. A 08 heures, j'entends encore
l'indicatif et N QRX, je m'insurge et "pompe,
pompe" , j'annonce 10 télégrammes. J'entends alors
2 postes : L'un dit toujours N QRX et l'autre plus
faible, légèrement décalé : envoyez. Je fignole le
réglage récepteur mais il y avait une
superposition des correspondants. J'envoie des
messages un peu à l'aveuglette, pratiquement "en
l'air". Une heure de piano et je donne QRX à 10
heures, avec le code Q spécial. A 10 heures tout
va bien, nouveaux QRX toutes les heures paires.
Une heure d'émission chaque fois. Dan et Claude
sont à 50 m de part et d'autre de la maison
guettant l'arrivée de la Gonio. Quelques jours
plus tard nous avons trouvé l'explication. Les
F.F.I. encerclant Villeurbanne et Montchat, les
Allemands ne pouvaient y introduire leurs voitures
gonio. Ayant repéré ma seule fréquence, relevé ma
série d'indicatifs, ils étaient entrés dans le
circuit pour me faire taire ! ils ont par la suite
très souvent brouillé ma fréquence réception mais
Londres recevait mes télégrammes. Ce même jour arrive, en fin d'après-midi,
"Belzébuth" mon radio remplaçant. C'est un homme
d'une quarantaine d'années, chafouin, lunettes,
l'air craintif, peureux même. Il est très bon
opérateur, c'est un professionnel. Pendant 24
heures nous faisons ensemble les vacations et je
pars avec Paul emmenant mon petit poste émetteur.
Nous allons d'abord chez lui à Lons le Saunier, je
fais deux vacations et nous continuons notre route
cahin caha. Paul ne peut pas faire de longs Km en
vélo, les routes sont encombrées de soldats et de
collabos en fuite, les transports en commun
inexistants, c'est une pagaille monstre, pire
peut-être que l'exode de 1940 dans l'autre sens. Nous dépassons Besançon et arrivons à
Rioz où il a des parents. Là, mon poste tombe en
panne, le tube d'amplification est défaillant.
C'est un modèle inconnu à Rioz, je reviens à
Besançon avec Paul. Les Allemands ne nous
regardent pas, les Fifi. nous font peur. je
continue, traverse les premières lignes et arrive
à trouver un Capitaine US Signal Corps : Les
transmissions. Il regarde ma lampe et dédaigneux
laisse tomber : This is English, no US. Je dois
revenir à Lyon. Ça va très vite, camion US puis
F.F.L. Quand j'arrive il y a encore des ponts qui
sautent, des tireurs isolés sur les toits, c'est,
je crois bien, le 3 septembre. Paul est resté à
Lons, chez lui, attendant mon retour. A Montchat étonnement mais Jupin est très
content, Belzébuth n'a pas réussi une seule
vacation en 3 jours, il n'a pas pu régler le
récepteur...??? Le patron l'a renvoyé. Cet homme
était très dur, il n'admettait aucune défaillance.
Une anecdote pour l'illustrer : Vers le 10/12 août une liaison est
impérative vers Bordeaux. Les trains sont encore
plus aléatoires que lors du voyage de Claude. Il
faut envisager une semaine par trajet, soit une
quinzaine aller retour. Un des jeunes toubibs
propose d'utiliser une jeune femme très sportive,
habituée à parcourir de très longues distances sur
sa bicyclette. Elle dit pouvoir faire l'aller
retour en 6 jours. Deux fois 450 Km par les routes
bossues et tordues du Massif Central, Jove est
d'accord. Le 6ème jour elle n'est pas là. Elle
n'arrivera qu'au soir du septième et nous la
verrons le lendemain matin. Le patron prend la
mallette qu'elle apporte et sans un mot la
congédie. Elle n'a pas tenu parole, il ne la
reverra jamais. Il est heureux que Belzébuth n'ai
pas fait son travail. En sortant pour aller aux
provisions, le jour de son renvoi, Reine aperçut
l'homme aux écouteurs et à la mallette. Au bout de
la rue un fourgon de la Wehrmacht avec antenne
mobile sur le toit était arrêté... Avec mon retour signifiant en grande
partie l'échec de la mission Petit Paul, et la
libération de Lyon en sus, Jupin pensa tout de
suite prendre la mission de Paul à son compte. Il
avait malheureusement eu à faire avec les "Milices
Patriotiques". Étant allé benoîtement à la
Préfecture demander un laisser passer pour la
traction avant qu'il achetait, il se vit traiter
de collabo en fuite. Aucun de nous n'avait des
papiers attestant notre appartenance aux Services
Secrets de sa Majesté... qui en avait ? Porteur
d'une carte d'identité au nom de Népomucène
Niepce, il fut accusé de faux, ce qui était bien
vrai, d'utilisation très frauduleuse d'identité,
d'appropriation d'un nom illustre... L'un de ses
interlocuteurs était un Niepce, descendant direct
de Nicephore ! En attendant que les services
alliés fassent le nécessaire pour le faire
reconnaître, il fut ramené sous escorte rue Jeanne
d'Arc. Ses gardiens voulurent désarmer notre
arsenal et réussirent à loger une balle dans un
pied de Dan. J'étais arrivé le lendemain de ces
faits. Jove était reconnu, les gardiens étaient
repartis avec quelques provisions de munitions.
Nous n'avons pu partir de suite, il y avait le
réseau à mettre en veilleuse, des formalités à
remplir, des papiers à renouveler, des autorités à
voir. Le Major A.J. Thomas vint nous saluer.
C'était le correspondant à Londres de Jove.
Discussions, explications et feu vert pour la
mission sur les arrières allemands, mais il y
avait un changement, nous devions passer par la
Suisse pour entrer en Allemagne. Laissant Dan à ses pansements nous allons
le 8 septembre aux Condamines, à Lons, chez Petit
Paul. Il y a du lait, des fromages (Bel), des
légumes mais pas de viande. Nous tuons un mouton,
une balle dans la tête, vite fait. Il fallait le
dépecer, Reine savait. Elle nous apprit à décoller
la peau avec une pompe à vélo et à séparer les
morceaux. De là nous allons aux Rousses. Jupin est
tout heureux de nous y conduire au volant de sa
traction avant. Petit Paul (vexé) ne viendra pas.
Nous logeons Jupin, Maud, Reine et moi dans un
hôtel où nous attendons les nouveaux papiers
nécessaires. Les habitants nous montrent un
charnier d'une vingtaine de leurs parents,
massacrés par des Waffen S.S. Russes qui ont
arraché les dents en or. Les journées d'attente
sont longues, nous écrivons, jouons aux cartes,
Maud dit la bonne aventure. Je n'ai jamais cru à
la valeur de ces choses, mais un après-midi je me
laisse faire. Maud étale les cartes, en retourne,
pâlit, s'arrête, les brouille et dit : je me suis
trompée. Elle recommence, je vois qu'elle tire des
cartes noires, des piques, elle s'arrête à nouveau
et renvoie la séance après le thé. Elle n'a jamais
plus essayé de lire les cartes devant moi... J'en
ris toujours. Elle aussi, aujourd'hui. Au bout d'une semaine, mission annulée,
j'en suis content. Paul parlait allemand mais
n'était plus avec nous, que pouvions-nous faire,
nous quatre qui ne parlions pas cette langue ?
Repos, allez chez vous, attendez les instructions.
Reine et moi allons à Bordeaux chez notre ancienne
logeuse, la mère Guipouy à qui nous pouvons enfin
révéler nos activités. La pauvre femme se
demandait si nous étions des clandestins ou des
provocateurs collabos. Nous allons bien sûr
souvent chez les parents de Reine voir sa fille,
ses frères sont toujours en guerre, Maurice,
sergent chef au 126 R.I et Robert avec son maquis
à Marennes. Il y a toujours des nids d'Allemands à
Royan, Cognac et aussi rive gauche de la Gironde,
au Verdon. En décembre nous apprenons que des
éléments de la 2ème D.B. vont arriver pour donner
l'assaut à ces poches. Un Régiment Légion est
prévu à Bordeaux et des affiches ignobles couvrent
la ville on y lit : "Commerçants attention,
fermez, barricadez vos magasins, les VOYOUS de
l'armée d'Afrique arrivent". Bordeaux qui en 1940
a accueilli, sur le pont de pierre, les Allemands
avec des fleurs et le drapeau nazi sur l'hôtel de
ville, rejette nos soldats ! L'offensive Von Runsteedt annule le
déplacement des troupes. C'est dommage. La guerre continue hors du territoire
français, la clandestinité est terminée pour nous.
Après ces 3 mois de repos passés à attendre une
nouvelle mission pour le service de Sa Majesté,
nous allons être transférés aux services de notre
Pays. Nous sommes inquiets pour l'avenir. Aurons nous des chefs aussi capables que
Jupin qui était un professionnel du travail
clandestin. Il avait su nous inculquer le devoir
du silence dans tous les actes de tous les jours.
Grâce à cette discipline bien acquise, respectée
(et les évasions), notre réseau n'a eu que 5% de
pertes. C'est peu, très peu comparé à ce que nous
voyons et entendons dire dans ce Bordelais qui
n'était pourtant pas une région de grande
Résistance. Après guerre nous apprendrons que des
réseaux français ont eu des pertes de 80% (C.N.D.)
et même 90% (Alliance).
1945
D.G.E.R.
S.A.A.R.F.
Spécial
Allied Airbone Reconnaissance Force
B. DOC
9000
Au mois de janvier. Nous sommes affectés
à la D.G.E.R. à Paris, les Anglais nous ont
transférés à l'Armée française avec nos grades
d'assimilation. Reine est : chargée de mission de
3ème classe, assimilée sous lieutenant. Maud est
chargée de mission de lère classe, assimilée
capitaine et je suis chargé de mission 2ème
classe, assimilation lieutenant. Je suis désormais
en tenue avec une barrette 2 galons, j'ai une
carte d'identité militaire à mon vrai nom,
délivrée par le 45ème Régiment de Transmissions,
le brigadier chef de Cavalerie de 1939/1940 finira
la guerre officier dans une autre arme. Ma
fanfaronnade d'août 1939 est presque réalisée.
Nous avons maintenant une solde militaire, 3.500 F
pour Reine, près de 5.000 pour moi, abondance.
Nous mangeons dans les mess officiers, beaux,
bons, bien ravitaillés, très peu onéreux, nous
avons des chambres conventionnées dans des hôtels
type 2 étoiles. Avec nos soldes nous renforçons
vite nos garde-robes bien maigres. L'armée est
l'enfant chéri de la Nation (pas pour longtemps),
le métro est gratuit en uniforme. Partout, dans
tous les magasins, nous sommes accueillis avec
empressement. Nous allons aux Galeries Lafayette
faire des achats pour Colette, la fillette de
Reine. La vendeuse nous voyant (en uniforme tous
les 2, avec nos décorations) indécis sur des
articles ersatz dit : "ce n'est pas pour vous !".
Elle part à la réserve et nous ramène des articles
en coton et en laine d'avant guerre. À la caisse
on ne veut pas de nos points textiles. C'est beau
la Victoire ! Reine est affecté Rédactrice au Cabinet
du Directeur des Services Techniques. Je vais aux
Transmissions, il y a pléthore d'opérateurs
sous-lieutenants et, avec 2 collègues, je suis mis
au Service des achats et approvisionnements. Je
tourne tout Paris avec une fourgonnette ou en
moto, je vais même me couvrir, non pas de gloire
mais de honte, en allant à Cherbourg chercher 5
tonnes de fil de cuivre. Ils devront prendre le
train, le chef de dépôt US, me dit ce sera prêt
demain; le lendemain il me tend une lettre de
voiture, c'est chargé. Je vois 5 tonnes et signe
sans lire. Il était inscrit Iron (fer) et non Wire
(cuivre). À l'arrivée, imaginez les félicitations.
Je suis perturbé. C'est toujours la guerre et il
me démange d'être encore dans le coup. En mars on demande des volontaires pour
être parachutés en missions de libération des
prisonniers. Je m'inscris. L'unité, formée en
Grande Bretagne, s'appellera S.A.A.R.F. Spécial
Allied Airbone Reconnaissance Force. Réunion
préalable avant départ en Angleterre, nous sommes
45 retenus après qu'il nous ait été précisé qu'il
y aurait beaucoup de pertes, sans doute 75% ! Je
décide que je serai dans les 25% de survivants. Na
! Le niveau est dans l'ensemble très relevé,
avocats, notaires, directeur d'assurances et aussi
deux tueurs très sympas. Presque tous ont été soit
prisonniers de guerre, évadés ou libérés en tant
que pères de famille nombreuse tel Coq, avocat en
Conseil d'État, père de 4 enfants. Jupin est resté à Paris. Avec Maud ils
s'occupent de la liquidation du réseau, des
veuves, des décorations. Mon adhésion à cette
mission inquiète Jupin. La veille de mon départ
pour l'Angleterre il me remet une lettre pour le
Major A.J. Thomas. Un Dakota nous pose à Croydon, je demande
l'officier de sécurité et lui remets la lettre. Le
camp de rassemblement est à Stains, une
quarantaine de Km de Londres. Nous rencontrons là
une cinquantaine de collègues de plusieurs
nationalités : 6/8 anglais, autant de U.S., 6
belges dont 2 femmes, une quinzaine de polonais, 2
norvégiens et 2 néerlandais. La grosse majorité
est donc française, nous avons tous des grades
d'officiers, sous-lieutenant à capitaine.
S.A.A.R.F. est directement aux ordres du
S.H.A.E.F., Suprem Head Quarter Allied
Expeditionnary Forces, commandé par Eisenhover.
Nous gardons nos uniformes avec les badges Free
French Forces en haut de la manche et plus bas
ceux de SHAEF et SAARF. La boutade est : Free
French pour les filles,. SHAEF pour les Allemands?
SAARF pour la gloire. L'unité est commandée par un Général
britannique : Nichols spécialiste, paraît-il, des
coups fourrés, ancien des L.R.D.G., Long Range
Desert Groupe, une référence. Un Major anglais est
responsable des " métèques ", tous ceux non
français. Il y a un médecin commandant français :
Grand George, son rôle nous échappe. Notre
Squadron Leader est le Commandant Jacques Foccart,
future éminence grise du Général de Gaulle. Il me
confie que sa famille a des attaches à Monaco où
son oncle fut aumônier de l'hôpital. La mission
est précisée. Nous serons largués par stick de 3
dont un radio, près ou dans des camps de
prisonniers. Nous ferons parachuter des armes et
une ou deux sections de S.A.S. But officiel :
Éviter le transfert des camps ou leur
extermination lors de l'avance alliée, but réel
créer des îlots de trouble sur les arrières
allemands. Nous serons parachutés en tenue, avec
un ordre de mission, Croix Rouge émanant du SHAEF
signé personnellement par Eisenhover. Nous
apprenons à bien connaître les rouages et détails
de la Wehrmacht et des S.S., le fonctionnement des
camps de prisonniers et de déportés. Nous faisons
connaissance de l'armement individuel ou léger
allié ainsi que du similaire allemand. Presque
tous les Français, au moins les 2/3, parlent
allemand, pas un l'anglais ! Seul à bredouiller
quelques mots, je suis promu interprète, pourtant
Iron et Wire... Foccart m'apprend que sur
intervention des Services de sa Majesté je serai
second ou leader de team. Je ne serai pas astreint
aux 2 heures de lecture au son quotidiennes. Des équipes se forment au gré des
sympathies. Il en sera tenu compte mais il faut un
germanisant par team. J'ai retrouvé Marcel
Desfossés, connu en 35 quand je faisais mon stage
d'opérateur radio à Versailles. Il se raccroche à
moi, ne me quitte pas. Mes sympathies vont vers
Taillebout, P'tit Louis parisien gouailleur,
spécialiste d'attentats en tous genres. Il est
aussi évadé de la Gestapo. Son radio de la
clandestinité, Pierre, l'a suivi et formera équipe
avec lui, tous deux parlent la langue de Goethe.
Le team est agréé. Pour être parachutés il faut avoir suivi
un stage de parachutiste. Mi-avril nous allons à
Ringway en Écosse. Il n'y a que les Français,
certains sont déjà passés par là, des radios
surtout, mais veulent revenir. Nous y arrivons un
dimanche soir. Dès le lundi matin nous passons
d'un agrès à l'autre, nous faisons des roulés
boulés. Une journée : 8 heures d'enfer. Mardi même
travail, nous avons mal partout, l'un de nous
arrête, il ne sera plus avec nous. Mercredi il y
en a une demi douzaine qui parlent d'en faire
autant mais continuent. Au mess nous nous
cramponnons à la table pour nous asseoir, nous
avons mal partout, le dos, les muscles, les os
sont très douloureux. Nous avons bien subi plus de
3 semaines de P.T. (Physical Training), mais ce
n'était pas aussi intense. À la fin du repas de
midi nous apprenons que nous ferons un saut de
ballon captif l'après-midi. C'est un soulagement
de ne pas reprendre l'entraînement au sol. Mieux
vaut le risque du saut que la torture physique.
P'tit Louis, Pierre et moi nous nous précipitons
et avec Desfossés qui ne me quitte toujours pas,
serons du premier stick. Nous prenons place par 4
avec un sous officier largueur dans la nacelle,
nous montons à 120 m. Il y a 2 autres ballons
captifs avec un même équipage. P'tit Louis me dit
"à toi l'honneur". Je suis le premier à la porte,
la gorge serrée. "Action Station"... GO. Je tombe,
tombe, je bascule, les pieds remontent, j'agite
les bras pour essayer de me redresser. Je veux
voir ma mort ! Tout doucement je me sent relever,
tirer vers le haut par les suspentes, je vois
arriver le sol et me fais sermonner par l'officier
D.Z. (Drop Zone) : - Les bras, comme un oiseau...
pas ploum (plumes), ça ne sert qu'à faire mal.Le lendemain matin, jeudi, saut de Dakota
à 250 m. Un seul parachute dorsal, pas de ventral.
Il est donc inutile de monter plus haut Rotations
accélérées, économies de carburant. L'après-midi
ballon à 150 m avec leg bag, sac de 30 Kg attaché
à une jambe. Dès l'ouverture du parachute il faut
le laisser glisser au bout d'une corde de 4m.
Délesté du sac on arrive normalement. Cette journée malgré les 2 sauts est une
journée de repos. Le soir nous allons boire une
(?) bière au Pub, situé à l'extérieur du camp. Une
grande salle avec balcon en bois à l'étage. Des
paras ou apprentis paras de toutes nationalités
boivent bière sur bière. Quelques uns, rares,
dansent avec des WACS, les auxiliaires féminines
de l'armée. P'tit Louis a essayé d'en séduire une,
sans un mot d'anglais, dès la dimanche soir. Le
lundi il confie "on ne peut pas leur faire un
doigt de cour, elles ont des culottes black out".
La prude et prudente Albion faisait porter, sous
la jupe de ses filles, des culottes descendant
jusqu'au genou ou elles étaient serrées par un
élastique. Le pub fermait à 22, pardon 10 heures
p.m., mais peu après 9 heures une dispute entre 2
ou 3 individus dégénère en bagarre générale :
Polaks contre British, Scandinaves contre
Flahutes, ou inversement. Nul ne sait pourquoi,
simple plaisir de se battre, de se défouler. Les
WACS sortent, très prudemment nous en faisons
autant. Le vendredi matin Dakota avec leg bag.
Nous sommes tous très heureux mais dormons dès la
fin du saut. À 14 heures, 2 heures post méridian
briefing : ce soir. nous serons largués de nuit,
en civil, sans papiers, sans argent entre 50 et 80
Km de Londres. Nous devrons rejoindre au plus vite
Stains. La police du comté sera alertée sur
l'arrivée possible de Paras ennemis. J'écris à
Reine : Quand tu recevras ce mot je serai breveté
para. Je te télégraphierai de retour au camp. Le
télégramme arrivera 3 jours après la lettre. Je
dois être largué sur une bande de terre entre un
canal et une route, à 50 Km au nord de Londres,
favorisé, il en faut. Dans le Whitney je n'en mène
pas large, sortie par la trappe : un cercle de 80
cm de diamètre. Pour l'éjection il faut s'asseoir
jambes pendantes dos à la marche de l'appareil. Au
"GO" il faudra se propulser dans le vide et
croiser les bras devant la figure. Il est arrivé à
certains de recevoir la carlingue en pleine tête !
Lumière rouge...verte : "GO". Je saute d'environ
1000 pieds, 300 mètres. Parachute ouvert, j'ai le
temps sous la pleine lune de bien voir le paysage.
M... Zut, je vois le canal qui brille sous moi,
j'y vais, j'y vais. La main sur le boîtier qui
libère le parachute. J'attends le moment où les
pieds vont entrer dans l'eau pour le larguer.
Boum, je suis assommé et me réveille endolori sur
une petite route goudronnée qui brillait, brillait
sous la lune. Saut de nuit, émotion, crispation,
je n'étais pas arrivé d'aplomb. Je plie le
parachute, le glisse derrière une haie et pars
vers le Sud Ouest pour trouver, si mon largage a
été correct, une route direction Sud, vers
Londres. J'arrive sur cette voie un peu après
minuit. Je suis très attentif à tous les bruits.
Après l/2 heure de marche je traverse un village.
Alors que je suis au milieu du bourg arrive
derrière moi un camion ferraillant. Je fais signe,
c'est un camion chargé de bidons de lait qui
s'entrechoquent. Le conducteur, bon gros père
réformé pour une jambe plus courte est heureux de
pouvoir bavarder, bien que la discussion ne soit
pas aisée entre son accent Cockney et mon mauvais
anglais. Je dis être Free French venu au village
voir une fille. Cela semble l'émoustiller, il
voudrait des détails. I dont... Vers 3 heures nous
sommes à Londres. Une heure de marche et je suis à
Victoria Station. Train à 7 heures, j'arrive à
Stains, sans billet, shocking, pour le petit
déjeuner. Je suis le premier mais accusé d'avoir
triché avec le camion. Certains collègues
n'arriveront que 48 heures plus tard dont P'tit
Louis qui affirme avoir dormi 24 heures dans une
grange avant de prendre la route : 90 Km. D'aucuns
seront récupérés dans des postes de police... Tous
nos collègues d'autres nationalités ont disparu.
Où ? nul ne sait, sans doute déjà largués en
Germanie. Nous continuons à être réveillés chaque
matin par un Quarter Master qui entre dans la
chambre en criant Pi Ti Sir et il y a les
entraînements : tirs, parcours du combattant où on
rampe bien plat, une mitrailleuse tire à balles
réelles 50 cm au dessus de nous. Le 6 mai. C'était la St Jean, notre team
perçoit le paquetage de saut. Stand by à l9
heures, attente, à 20 heures mission annulée. Deux
autres teams qui étaient avec nous partent. Le lendemain, 7 mai, Foccart me convoque
: je suis rappelé d'urgence à Paris, cause
d'annulation de notre départ. Je ne suis pas
content et le lui dit ouvertement. Rien à faire,
je dois aller au bureau transit passagers à
Londres, pour avoir une place. Dans la matinée
message de Reine : "ne t'inquiète pas, Jupin à
tout arrangé", je ne comprends pas... À Londres
j'apprends la nouvelle, demain 8 mai Armistice. Je
veux voir ça à Londres, pas sur un bateau. Je
demande donc une place pour le 9 ou le l0. Ce sera
le l0, à 08 heures, à Portsmouth. Je passe la journée du 8 à Londres avec
Pamela, une jeune infirmière de l9 ans, Désfossés
fréquente sa mère. Big Ben n'arrête pas de
carillonner. Partout c'est du délire, où est le
flegme British ?? Tous les pub sont complets, la
bière coule à flots, la foule rit, chante. Nous
entendons : "Go to Buckingham", la masse humaine
nous entraîne, c'est du jamais vu. L'esplanade
devant le Palais Royal est noire de monde, tous
crient : - We want George, G.E.O.R.G.E. En
épelant, hurlant chaque lettre et en avançant vers
les grilles. Les parterres de fleurs, les pelouses
sont piétinés (shocking, indeed). Les Horses
Guards bousculés, embrassés par des centaines de
femmes en perdent leur bonnet à poil. Environ
toutes les 30 minutes, le Roi parait au balcon, la
foule pousse 3 Hurrah et s'écoule laissant la
place à une nouvelle vague humaine. Nous l'avons
vu ce matin, nous l'avons revu le soir, la marée
humaine ne s'est pas arrêtée. Passant devant les
pub nous sommes interpelés : "Come in, drink with
me boy. Ho, Free French, good lascar". Ça se
répète l0 fois. J'ai eu trop d'accolades et de
bières. Nous nous réfugions à Hyde Park. Les
orateurs prédicateurs habituels montés sur une
caisse, n'ont pas d'auditeurs, ils sont bousculés,
renversés par des farandoles de femmes, de filles,
de militaires, de civils chantant, hurlant. Nous
cherchons refuge, les jambes très lasses, au
Cumberland, un grand hôtel face à Marble Arch. Là
aussi le calme est relatif, même le personnel
habituellement stylé, discret, parle haut et fort.
Nous dînons quand même et bien, puis, bonne nuit,
Pamela est "on duty", je rentre tard à Stains. Je
suis très heureux d'être resté, la guerre 14/18
était celle des Français, celle qui vient de finir
était celle des Anglais. Ils l'ont gagnée en
payant très cher de leur sang, de leur vie. Le 9 mai. Je reviens à Londres prendre le
train pour Portsmouth. La ville est dans un état
incroyable de saleté, recouverte de papiers,
d'ordures. Des pochards par dizaines, hommes et
femmes dorment dans les shelters, les abris du
"TUB" qui est dans un état épouvantable. Je
n'aurai jamais cru cela possible. J'embarque à bord d'un L.C.I. Américain
avec 2 boîtes de rations U.S. Je suis seul
passager, pas de cabine, pas de bar. La journée
est longue. Nous arrivons au Havre de nuit, Jeep
jusqu'à la gare, train. Le lendemain 11 mai je
suis à Paris. Je retrouve ma Reine. Elle
m'explique son message. Lors de notre affectation
à Paris, venant des services de Sa Majesté nous
avons longuement été interrogés par le Contre
Espionnage. Tout fier j'ai tout raconté :
1939/1940, évasion, la Résistance : Ah, quels
motifs ? les Juifs... L'École de Gendarmerie,
Montluc, Mauzac ma libération (très suspecte)
grâce à Darnand. Valence, Limoges évasion de la
Gestapo (encore) le coup avec les Italiens et
celui avec la Milice. Il y en a trop, enquête,
tout est reconnu vrai. Et c'est bien noté dans mon
dossier. Mais je suis proposé officier et un
fonctionnaire lit que j'ai été condamné par le
T.M. de Lyon : Pas d'officier ayant eu une
condamnation ! je suis recherché pour être
licencié. Reine, à la Direction Technique, a
appris la chose et alerté Jove. Tout est remis en
place mais l'ordre de rapatriement a continué sa
route. Il m'a sans doute sauvé la vie. Quelques
semaines plus tard, rencontrant Foccart à la
D.G.E.R, j'ai des nouvelles de SAARF. Il n'y
aurait que 7 français plus moi survivants dont Coq
que je retrouverai en 1961 après le putsch.
Mektoub. Les services transmissions de la DGER ont
pris possession d'un grand immeuble Bd Lannes,
siège, jusqu'en août 1944, de la Kriegs Marine. Il
y a un grand garage souterrain à deux entrées et
une piscine entre la bâtisse et le boulevard. Dès
les beaux jours nous sommes quelques uns à bronzer
tout autour et nous baigner, en slip de bain comme
à Reuilly ou à Molitor. Au bout de 8 jours
INTERDICTION. Des voisins d'en face se sont
plaints, nous les offusquons, passe pour les
Allemands à qui ils ne pouvaient rien dire, mais
pour les Français : holà. Il nous est recommandé
de ne pas sortir du garage avant 8 heures et de
rentrer nos véhicules avant 20 heures. Nous
faisons trop de bruit.. Nous traînons à Paris. Reine est toujours
en place et je cherche un bon poste. La solde
tombe, tout va bien. Vérani a fait son apparition,
il est occupé à la boîte mais il oublie tout, les
rendez-vous, son numéro de téléphone, etc. J'ai aussi retrouvé Roland Provence, dans
un bien triste état, malgré 3 mois d'hôpital,
arrêté, je l'ai dit, le 4 août, il avait été
emprisonné à Turin par l'OVRA, le pendant de la
Gestapo. Torturé, matraqué il était resté enchaîné
jusqu'à la capitulation Badoglio. Il est alors
transféré en France, Lyon, Belfort d'où il
s'évade. Ses jambes sont devenues des poteaux, il
en souffrira jusqu'à sa mort à Nice en août 1981.
Mon pauvre Ami ! Nous recevons des décorations, Reine a la
Croix de Guerre, la Médaille de la Résistance et
une Lettre de félicitations des Services Anglais,
signée Montgomery. Ma Croix de guerre s'enrichit
d'une étoile de vermeil et d'une palme qui arrive
avec la Médaille Militaire, la médaille de la
Résistance et la KMC, décoration anglaise (remise
sur le Croiseur Devonshire en 1947). Tout cela
s'arrose très copieusement. En juin 1945 je viens en Principauté.
Pendant que je suis chez ma mère, ma femme arrive.
Elle me pose une question sur notre avenir. Je
réponds une seule phrase : - Demande le divorce,
sinon je le ferai. Nous n'échangeons pas un mot de
plus. Mon plus gros étonnement, ce jour là est
d'apprendre que je suis recherché pour un vol de
vélo, commis en 1943 près de chez moi. Je circule
innocemment dans les rues alors que je peux être
arrêté ! Je vais voir Maître J.C Marquet pour
cette affaire. Appel, acquitté, je demande au même
avocat de s'occuper de mon divorce. Il ne voudra
aucun honoraire ni pour une cause ni pour l'autre.
Revenant à Monaco, entre les 2 jugements, nous lui
avons porté 2 canards bien gras, élevage des
parents de Reine. Il me dira, en 1947, que ne
sachant les plumer à l'eau chaude, il avait passé
deux après-midi avec sa soeur, munis d'une pince à
épiler pour arracher les duvets. Le divorce sera
prononcé en faveur de celle qui l'a demandé. Je
suis condamné aux dépens et à une pension. Ma
femme paiera les frais qui m'incombent et ne
demandera jamais la pension. Honnêteté, elle
savait moralement ne pas y avoir droit. Dont acte. Mi juin il m'est proposé d'aller au B.
DOC 9000 à Wildbad (40 Km Est de Baden) Reine
pourrait venir avec moi. Le B. DOC est une antenne
du Contre Espionnage en liaison avec le War Room
(Anglais), je passe des tests au Service Chiffre
où on s'aperçoit que je connais tous les systèmes
utilisés et que j'ai de bonnes notions de
cryptographie. J'ai, en 1937, suivi un stage, il
me sert. Je serai donc le Chef des Services Radio
et Chiffre. Reine va apprendre le chiffre. Elle
nous a vu travailler à Lyon, elle est bonne en
math, elle aime les mots croisés, elle veut venir.
En six semaines elle a tout avalé, transposition,
substitution, codes, dictionnaires à 4 ou 5
chiffres. Tout. Elle viendra à Wildbad. Le 2 août je fais connaissance avec mon
équipe : 3 radios issus de la clandestinité,
assimilés sous lieutenant. 4 chiffreurs : un sous
lieutenant d'active, une fille sergent PFAT venant
d'Alger, un sergent F.F.I. et Reine. Il y a déjà
au B. DOC une chiffreuse d'une trentaine d'années,
(ou plus), elle ne s'est jamais intégrée à nous. Le 4 août fin d'après-midi départ. C'est
une date pour moi : 4 août 1940 évasion de
Pithiviers, 4 août 1943 arrestation à Limoges. À
la gare de l'Est une foule énorme attend le train
pour Strasbourg. Il va falloir se battre, avec 2
radios jeunes et sportifs, je vais attendre le
train à contre voie, 50 mètres avant les quais
pour y monter. Mes deux gars resteront de garde
devant la porte de 2 compartiments, tandis que
j'écrirai à la craie rouge prévue : "Réservé
Services Spéciaux". Nous ne serons que 4 au lieu
de 8 par compartiment, nous pourrons dormir. À Wildbad la vie, les roulements sont
vite organisés. Les radios très qualifiés font un
travail impeccable. Au chiffre il y a souvent des
difficultés. Parfois ce sont les orages qui nous
valent des messages tronqués à 20 ou 30 %, il y a
des nuits de recherche que je partage avec
l'opérateur de service, parfois les messages du
War Room contiennent des mots en anglais ou en
allemand et même des abréviations allemandes. On
s'y habitue. Mais il y a les messages des antennes
disséminées en Allemagne et les pays de l'Est,
(sauf URSS). Ce sont souvent des casse-tête. Nous sommes logés dans un hôtel de luxe.
Reine et moi avons une chambre de 30 m2 avec salle
de bains. Nourriture excellente, personnel
impeccable, orchestre tous les soirs. Le service
de santé de la Première Armée est aussi dans cette
ville d'eau, réception de part et d'autre, bal
deux fois par semaine. J'apprends à danser...
Seule ombre, notre chef le Colonel Gérard Dubot,
tête Von Stroheim, monocle, pense avoir droit de
cuissage. Reine et Christiane, notre PFAT
chiffreuse, l'envoient très vite voir ailleurs.
Notre chiffreuse antérieurement en place ira
souvent à sa table. Le sous lieutenant d'active me déplaît.
Prisonnier en 1940, il aurait dit être homme de
troupe pour pouvoir s'évader. Mais il a passé la
guerre à Kiel, à 400 m de Strasbourg... Mi septembre je fais une bêtise : un des
radios n'a pas reçu sa solde de juillet et août,
je réclame, rien. Je ne peux le laisser aller à
Paris, un autre radio est souffrant, Chris a aussi
des ennuis administratifs. Je pars, train de nuit,
au matin je suis à la direction à Paris. Tout
s'arrange vite mais il manque la date de naissance
d'un enfant du radio. Je rédige un court message.
Il faudra qu'il passe au chiffre, à la régulation,
avant d'être transmis à Wilbad et l'inverse au
retour, il ne peut être classé urgent, il faudra 2
jours. Je veux avoir la réponse et ne peux rester
si longtemps. Je monte à la station radio, fais
voir le message à l'opérateur de service et
chiffre devant lui avec mon code personnel. Cet
opérateur connaissait mon poste à Wildbad et mon
radio, nous nous connaissions tous à la boîte,
prenant nos repas au mess, nous rencontrant dans
les couloirs. Il a encore les habitudes de la
clandestinité, en marge des lois et règlements, il
envoie le message. À l'arrivée c'est la vieille
bique, qui le reçoit : indéchiffrable ! Le sous
lieutenant qui me remplace confirme. Reine en
entend parler et devant les collègues stupéfaits
le déchiffre. Un quart d'heure après elle code de
même la réponse. Les opérateurs de ce jour là, à
Paris, étaient prévenus. Dès l'arrivée d'un
message B. DOC : m'appeler. L'après-midi la solde
de mon radio est ordonnancée je reprends le train
À l'arrivée, dans le bureau du Colonel, je reçois
la plus grande volée de réprimandes de ma vie. Mes
oreilles en ont longtemps vibré, celles de ma
Reine aussi hélas. Quelques jours plus tard arrive une
nouvelle qui me laisse groggy. Le sous lieutenant,
rattrape le retard dû à la captivité. Il va être
nommé lieutenant à dater de 1941. Il sera plus
ancien que moi, donc le chef. Reine et moi
demandons une permission pour Paris où nous nous
faisons démobiliser.
EZE AOÛT 1991
D'autres épisodes de
guerre viendront agrémenter ma vie, mais, comme
disait Kipling, c'est une autre histoire.
NOVEMBRE 1945 / NOVEMBRE 1951
DE
L'ALLEMAGNE A L'INDOCHINE
Redevenus civils, Reine, ses frères et
moi cherchons une situation. Nous montons une
entreprise de transports mais l'entente n'étant
pas parfaite nous nous séparons. Reine me suit avec sa fille à Monaco où
elle trouve un poste de Secrétaire de Direction à
EFRAMO. Après avoir été quelques mois responsable
d'un magasin "RADIOFONOLA", j'entre dans une
entreprise de confection masculine "SMARTEX"
montée par les Patrons de Reine: Samy Gattégno et
Marc Saltiel . En juin 1946 j'ai été nommé
sous-lieutenant et dois en septembre 1947
effectuer une période de Réserve, Mission D.G.E.R.
où je retrouve des collègues radios : Antoine,
Bougon, Casnat, etc..... SMARTEX tourne à plein et je deviens
l'homme de confiance des patrons. Printemps 1950
L'affaire change de mains. Pinhas, le nouveau
propriétaire, veut développer la production, la
qualité décline. Février 1951. Nouvelle période de Réserve
à Cercottes, Camp Spécial S.D.E.C.E. (ex DGER).
Interdit de saut pour hernies inguinales, je me
dérobe aux exercices. Le Chef du Service Action, Capitaine
Morlane, me réprimande tout en me proposant de
partir en Indochine pour monter une Centrale
Transmissions identique à celle que j'avais créée
au B.DOC en 1945. En juin, tandis que l'avenir de SMARTEX
s'assombrit, un Adjoint de Morlane vient me
reproposer de partir en Indo pour 6 mois (ou
plus), poste garanti au retour. Je devrai partir
anonymement comme ORSA pour un séjour normal de 27
mois. Si ma Centrale fonctionne bien je serai
rapatrié "sanitaire", si je le désire. L'usine me semblant condamnée, en août
j'accepte ces propositions et le 15 septembre je
rejoins Fréjus attendant le départ. Je me lie
d'amitié avec le Lieutenant de l'ABC de LA
Houssaye et Pierre Moslard Capitaine du Train.
Celui-ci grand, sec, figure triste est un très
joyeux compagnon. Nous avons le même goût des
canulars qui vont bien nous divertir surtout au
détriment des connaissances de la plage et... de
leurs familles. Le 22 octobre de cette année 1951, nous
embarquons sur l'AURIGA, vieux paquebot italien
affrété par les Messageries Maritimes. Seul
Officier parlant couramment la langue de Dante, je
deviens l'Interprète du bord. Parmi les passagers
une cinquantaine de civils en 2° classe , 170
Officiers, 176 filles P.F.A.T. ou C.A.F.A.E.O.,
250 sous-officiers, 750 Hommes de troupe. Moslard ayant fait remarquer qu'il manque
un pavillon dit de courtoisie dans le gréement,
nous en confectionnons un avec trois slips
féminins fournis par une complice. Les couleurs
bien avivées par du bleu de méthylène et du
mercurochrome, 3 jours après le départ, je vais,
de nuit, accrocher notre emblème au plus haut du
mât d'artimon. Au matin scandale quand nous
passons dans le canal de Suez devant l'Hôpital
Francais d'Ismailia. Quotidiennement je prenais à la station
radio les informations et les diffusais à midi sur
la sonorisation du bord. Le 4 novembre je relevais
la commémoration des Journées Rouges d'Octobre à
Moscou . Ce 4 novembre, fête italienne, (Armistice
14/18), amplis et hauts parleurs avaient été pris
par l'Équipage pour un bal au foyer et je ne pus
annoncer les nouvelles. Me promenant avec Moslard, des questions
nous furent posées sur le silence radio. Pierre
répondit que nous fêtions les Journées Rouges...
et il exhiba 3 roubles disant qu'ils étaient le
reliquat de sa dernière solde en URSS où nous nous
étions connus. Nul à bord, comme à Fréjus où nous
avions déjà lancé cette blague, ne nous a demandé
si nous parlions le russe. Il y avait à bord 4 Capitaines Para. A
l'embarquement, en tenue, nous avions évoqué mon
passé, le vrai. Buttner me demanda quelle
prochaine blague nous mijotions, des indiscrétions
féminines ayant révélé les auteurs du "Pavillon de
Courtoisie", Vincent dit que nous étions très
culottés. Notre bateau avait une panne à chaque
voyage, perte d'hélice ou autre, pour nous un
moteur s'arrêta, l'autre tournant au ralentit nous
dérivâmes cinq jours à 2 noeuds dans l'Océan
Indien en attendant la réparation. En arrivant au Cap Saint Jacques nous
avons embarqué 2 Équipes de protection armées pour
remonter la Rivière de Saïgon . Avec elles il y
avait Bougon .Il m'attendait pour être mon Adjoint
et éventuellement mon successeur
1951 -1953
De Saïgon
à Dien Bien Phu
Dès les premiers jours de vie à Saïgon,
des collègues me prévinrent : Les premiers 6 mois
de séjour on s'étonne de tout 2ème 6 mois on ne
s'étonne plus de rien 3ème 6 mois on étonne les
autres 4ème 6 mois on s'étonne soi-même. À l'arrivée à Saïgon, tous les officiers
furent logés au Camp des Mares. Moslard et moi
avons vu dans les 4 ou 5 jours partir tous nos
collègues, nous restions... L'intendance avait
remis dès le ler jour une bonne avance sur solde
et nous avons commencé à découvrir la ville. La
vie était calme et douce, la guerre semblait loin,
très loin, c'était la cité de l'amusement :
théâtre, cabarets, beuglants, salles de jeux,
dancings avec taxis girls, bordels de 300 filles,
4 piscines, tout pour le plaisir. Nous commencions
à trouver le temps long quand, après 15 jours,
nous avons été convoqués chez le Général
Commandant les FTSV. Très étonnés de cet honneur
nous l'avons été encore plus par l'apostrophe
brutale de ce grand chef : Nous étions des
saboteurs de l'armée, de son moral, notre attitude
sur l'Auriga était inqualifiable ! Les rapports du
colonel commandant d'armes du bord et l'officier
S.M. avaient l'appui d'une dizaine de lettres
d'officiers indignés par la présence de
communistes venant certainement en Indo pour
détourner la troupe de ses devoirs. S'il n'avait
connu un Général Moslard dont le fils était
probablement mon camarade nous aurions été
réexpédiés en France par le premier avion. Il
avait fait enquêter, il connaissait tout notre
passé mais il devait sévir : pas de compagnie du
Train Légion pour mon ami mais une muletière, pour
moi, un séjour dans une unité para pour être jugé,
donc pas de services spéciaux. Il nous a semblé
que le général et son Chef d'État major avaient
autant de peine que nous à garder leur sérieux. Moslard partit pour le Tonkin et je
rejoignis la BAPS, (base aéroportée sud ) à Ba
kéo, près de l'aéroport de Saïgon. Le Lieutenant
colonel Château Jobert "Conan ", un ancien
d'Angleterre me reçut avec le sourire : - Salut
coco, pas la peine de faire un numéro, on est au
courant. Buttner était là, il avait raconté
l'Auriga. Dès le lendemain j'allais faire des
sauts dits d'entretien pour avoir la solde à
l'air, boni égal à la moitié de la solde de base,
attribué aussi aux aviateurs et aux marins en mer.
Je pus faire une délégation de 120.000 F par mois
à ma femme, aucun toubib n'avait regardé mes
hernies et je n'en parlais pas. Il y avait à la BAPS une compagnie de
garde composée de Cambodgiens, cadres européens.
Chaque semaine, avec une compagnie prélevée sur
les différents services de la base, elle
participait à des opérations dans le delta. À
plusieurs reprises, j'eus le commandement d'une
section, curieusement chaque fois que Conan venait
avec nous, pour me juger ? Au cours d'une des sorties hebdomadaires,
je fus arrêté par un arroyo de 18/20 mètres de
large, profond de 4/5 mètres. Deux sous officiers
bons nageurs et moi soutenions les moins bons pour
la traversée. Après 2 aller retour j'escortais un
garçon qui "savait nager en piscine", appuyé sur
un gros rondin de bois. Au milieu de l'arroyo des
cris :"le chef, le chef", me retournant je vis 2
mètres en arrière, des bulles. Je plongeais
attrapais un bras et tirais le Sergent chef Dupouy
à la berge. En repartant je vis le rondin seul sur
l'eau.. Deux Européens, un Vietnamien et moi avons
plongé en vain, l'eau vaseuse ne permettait pas 5
cm de visibilité. C.R. par radio, ordre de rester
sur place avec quelques hommes, le reste de la
section continuant la progression avec Dupouy.
Trois heures après une barge de la marine est
arrivée, munie de gaffes ils ont croché le
cadavre. Je fus très affecté par cette mort, mon
premier homme décédé, noyé près de moi bon nageur. À Saïgon je rencontrais R... le neveu de
Roger Simon, un Monégasque collègue de la
Résistance, cet homme, haut fonctionnaire m'invita
à plusieurs reprises et me fit goûter à l'opium.
Nous étions servis par une très belle Eurasienne.
Il fallait aspirer lentement en une seule bouffée
la pipe préparée, ce n'est pas facile, j'y
arrivais à la 4ème mais m'arrêtais après la 6ème.
Je n'avais pas atteint le Nirvana et je repris ma
bonne bouffarde avec du tabac français. Nous étions deux "Pronto" à la BAPS, le
Lieutenant Capmas et moi, un de trop; mon
collègue, plus ancien, étant bien en cour avec
l'E.M. Para je devais partir. Conan affirmant que
je serai plus à ma place dans la troupe que dans
les services bureaucratiques de la DGSE je fus
affecté aux commandos d'intervalle du Tonkin.
L'éventuel rapatriement anticipé s'éloignait. Le 21 janvier 1952. Moslard me reçut à
l'aéroport de Gia Lam et mit une Jeep avec
chauffeur à ma disposition pour le temps que je
passerai à Hanoï. Les commandos d'intervalle, dits "noirs",
avaient le Chef de Bataillon Fourcade à leur tête.
Ils étaient destinés à patrouiller entre et en
avant des postes du delta, la ligne de Lattre.
L'effectif théorique était : 1 lieutenant, 4
sous-officiers, 1 radio européen. La troupe
comprenait de 100 à 150 supplétifs vietnamiens,
peu rétribués, mal vêtus vivant surtout de
rapines. J'arrivais le 24 janvier au commando 15
qui m'était attribué, j'avais eu 2 prédécesseurs
tués en 3 mois ! L'encadrement était très réduit :
1 sergent malade, drogué, un jeune caporal chef de
19 ans, 1 caporal radio, 2 caporaux vietnamiens.
La troupe était lamentable physiquement et
moralement, mal entraînée, mal vêtue. En plus de 3
F.M., l'armement comprenait 50 mitraillettes, 50
fusils, 3 carabines U.S., pas de grenades, peu de
minutions. Un Dodge 6x6 sans conducteur, un poste
C9 graphie phonie, 3 SCR 300 phonie était tout le
matériel disponible. L'unité était logée dans un
fortin triangulaire en briques de 50 m de côté
situé à Thuong Lap à mi-chemin entre Vinh Yen et
Viétri. Il était défendu par une quinzaine de
supplétifs, aussi nuls que ceux du commando,
commandés par un C/C réunionnais ivrogne. Dans
l'épaisseur des murs des pièces de lOx5m servaient
de logement à la troupe, les cadres disposaient de
pièces individuelles de 2,5x5 m. J'effectuais une
prise en mains très rude. Je commençais par une
course à pied de 5 km chaque matin. Le premier
jour je courus en tête, seul un caporal, ancien
tirailleur tonkinois, de 40 ans me suivit, (j'en
avais 36). Le Caporal chef Rapaille et le radio,
Mussy, arrivèrent 3 minutes plus tard, le reste
dans la demi-heure; le sergent n'avait parcouru
que 50 m. Dès le surlendemain je fis partir le
vieux caporal en tête et suivis en queue avec une
MAT lâchant de petites rafales dans les talons des
traînards. En 15 jours, sauf le sergent inapte,
tout mon monde fit le parcours en moins de 30
minutes. Je renvoyais 5 hommes pour incapacité
physique et, ayant trouvé une caisse noire tenue
par le sergent, je donnais des primes pour
améliorer l'ordinaire. Je fis venir des munitions
et, après le cross, chaque matin, tir à toutes les
armes dans toutes les positions, lancer de
grenades, progression en rampant sous des tirs à
balles réelles bloqués à 1 m de hauteur, etc. Dès
que mes "sportifs" eurent réussi le cross en 30 mn
j'alternais cette course avec des marches de 25/30
km. J'avais commandé à Hanoï des tenues, noires, à
25 piastres pièce. Pour les payer, j'allais avec
une vingtaine de mes meilleurs "guerriers" à une
dizaine de km en zone viet chercher 2 buffles que
je vendis à Michaud, le chevillard de Hanoï, 1500
piastres pièce, c'était la coutume. J'allais
presque chaque jour de plus en plus loin avec de
plus en plus d'hommes. Lors d'une de ces sorties
j'interceptais 2 femmes portant chacune 15 kilos
de thé de Chine, qu'elles allaient vendre à Hanoï.
C'était de la contrebande, je les taxais de 1/3 et
leur promis le libre passage ultérieur si elles
m'apportaient des renseignements. Le thé fut vendu
2000 "yat" (piastres). L'armée m'accordait 7
piastres jour par homme, je leur en donnais le
double, vêtus, nourris, c'était un pactole. Avec 2
buffles de plus je donnais une 2ème tenue, "Cu
Nao" (marron), à mes hommes. Fin février je reçus un sergent para, de
trop grande taille pour être pris pour un
Vietnamien; il garda comme moi le béret rouge. Il
était avec moi depuis une dizaine de jours quand
je l'envoyais avec une section contrôler un
village proche. Ses hommes revinrent le soir sans
lui. Interrogés par Le Van Tai, dit Panka, le
caporal ex-tirailleur, il résultait que le
sous-officier les avait placés en 2 groupes de
part et d'autre du village et y était entré avec
un seul homme. Ils avaient entendu des coups de
feu, le sergent crier "mort aux cons" (!?), une
rafale et le silence. Après 2 heures d'attente,
paniqués, ils étaient revenus. Au lever du jour
suivant j'avais encerclé le village et à l'aube
j'entrepris la fouille. "Cum Biet" Cum Biet (je ne
sais rien) était le dire de tous les villageois
mais Garnier le sergent drogué et Panka firent
parler une femme en menaçant ses gosses et nous
avons trouvé les corps tués par balles et
tailladés au couteau. J'avais, la veille, envoyé au secteur un
C.R. de la disparition du sergent et de mes buts
du lendemain. Ayant trouvé des documents et 300
000 piastres, j'en informais mes supérieurs. Je
reçus l'ordre d'amener à Vinh Yen tous les mâles
de 15 ans et plus, après avoir brûlé le village.
J'y amenais aussi une femme malade et une très
jolie fille atteinte d'un trachome, qui la rendait
aveugle, pour y être soignées. Je reçus, selon la
coutume, 1% soit 3000 yat pour ma caisse noire.
J'appris le lendemain que Garnier en avait
subtilisé le double, il dut les verser à la
caisse. Deux collègues célèbres ayant été
assassinés par des anciens viets qu'ils avaient
engagés, l'ordre arriva de nous séparer de ceux
que nous avions. Ils étaient fichés, je dus me
séparer de 7 de mes gars, les meilleurs du
commando, trois repartirent chez eux, quatre
s'engagèrent dans les paras, je les conduisis
moi-même à Hanoï, j'en revis un à Dien Bien Phu au
2/1 R.C.P. Nous continuions nos patrouilles toujours
plus loin en zone viet, sans incident. Début mars.
Revenant d'une de ces sorties je fus pris de
coliques, je dus faire un premier arrêt dans un
bosquet, puis un deuxième arrêt très pressant dans
une bambuseraie et je me réveillais à l'hôpital
Lanessan à Hanoï. J'avais été assommé pendant que
j'étais accroupi. Mussy et Van Taï dirent avoir
entendu une galopade puis s'être approchés pour me
trouver K.O. J'avais été amené à Vinh Yen puis à
Hanoï; à ma sortie du coma je parlais de Jove et
de Gestapo, le lendemain je reconnus Moslard. J'ai
toujours pensé que c'était un Viet isolé, caché,
qui m'avait assommé, Fourcade soutenant que
c'était un de mes gars. Qui sait ? Quelques jours après mon retour à Thuong
Lap, le radio dont le poste était en écoute
permanente entendit un appel de mon collègue de
l'ouest, secteur de Vietri. Il était bloqué par
des Viets et demandait l'appui de la chasse. La
réponse était mauvaise, pas de visibilité. Les
faits se passaient à une vingtaine de km de là
dont 16/17 sur piste. J'avais une section. en
alerte permanente au pied du 6x6, départ immédiat
et, en route, le radio annonça notre arrivée.
Moins d'une heure après, j'étais près de mon
collègue, les Viets venaient de décrocher,
peut-être à l'écoute de mon poste ? Remerciements,
bla bla, je lui parle d'un tuyau donné par mes
"théières " : des camions viets circulent jusqu'à
la Rivière Claire, au nord ouest de chez lui. Il
en a aussi eu vent mais ne peut y aller, son
effectif a été très affaibli par la libération
d'une trentaine d'ex Viets. Si je veux tenter
l'aventure, il me servira de recueil à mi-chemin.
OK. La sortie se déroule sans incident et je
reviens après avoir aperçu aux jumelles 3 camions
dont un GMC avec immatriculation de notre armée,
sans doute une récupération de Cao Bang. Sur mon
C.R j'indiquais l'emplacement précis où les
camions avaient disparu, dans un bois, à proximité
de la rivière. Le bac devait être là pour un
passage vers l'autre rive. J'étais joyeux mais une
hernie inguinale me faisait mal. Au retour de cette "promenade", le
secteur m'envoya tenir un piton sur la route Vinh
Yen - Vietri, des passages viets étant possibles
au pied de ce piton, par le village qui y était
accolé. Cette façon de procéder me parut bizarre
mais : exécution. ! J'emmenais tout mon monde,
déplacement en camion, le sergent malade (drogué)
pouvait être utile en statique et je ne voulais
plus le laisser au poste où j'avais eu un incident
à régler au retour de l'expédition à laquelle il
n'avait pas participé. À mon arrivée au commando après les
présentations du personnel, il m'avait aussi
présenté un gamin de 13/14 ans qui vivait dans le
poste depuis mes 2 prédécesseurs dont il était le
serviteur, c'était paraît-il assez courant pour
les officiers ou les sous-officiers d'avoir un
gamin serviteur. Le commandant adjoint de Fourcade
qui m'avait amené là, vieux colonial, ne parut pas
offusqué et je me tus. Ce gamin, Be Con en
vietnamien, s'était plaint d'avoir été violé tant
par le sergent que par le Réunionnais chef de
poste, tous deux pris de boisson. Ces deux
individus affirmaient que le gamin était
consentant. Qui croire ? Le Bé Con n'était pas un
innocent; à mon. arrivée il avait énuméré ses
mérites : - C'est moi connaisse laver, cirer,
nettoyer, graisser l'arme, faire lit, etc.." Il
avait terminé par : - Moi bien sucer, mon
lieutenant "thiet" (mort) pas aimer casser "ke dit
", c'est mon lieutenant dire quoi vouloir. C'est
mon pataugas qu'il reçut dans les fesses. Je
compris (par Van Tai) que le litige venait du non
paiement du prix demandé pour l'acte. J'avais fortement sermonné les 2 gradés,
les menaçant de cassation, leur avait fait verser
chacun 15 piastres au garçon et 100 à la caisse
pour ivresse. La position organisée sur le piton, un
avant poste à l'est avec Van Taï et un à l'ouest
avec Rapaille, je vis venir vers moi Tuc un des
Viets que j'avais libérés. Rejeté, par sa famille
il venait me demander de le reprendre. Il avait un
oeil au noir, des contusions sur tout le corps,
c'était mon meilleur tireur FM et j'acquiesçais
mais en le laissant dans l'immédiat sous la
surveillance proche du sergent. Vers 22 heures
cris, coups de feu et ses hommes ramènent Rapaille
mourant. Tuc interpréta : il y avait des hommes
armés au village voisin où le caporal chef s'était
aventuré. Tuc ajouta : - C'est là cousins pour
moi, tous Dzu Kich (partisans armés) eux vouloir
tuer moi. J'envoyais Garnier avec un groupe
prendre la place de Rapaille mais avant de
s'approcher du village, ils furent l'objet de
coups de fusils. Je demandais, par radio un tir
d'artillerie entre le village et le piton :
explosifs et incendiaires : cris, flammes. Au jour
j'allais au résultat, pas un seul villageois mais
3 cadavres dont un cousin de Tuc. Celui-ci alla
vers une mare, s'y immergea puis indiqua un
endroit où creuser. À plus d'un mètre de
profondeur il y avait un petit tunnel partant en
siphon de la mare. Deux hommes avec 2 fusils s'y
trouvaient. J'y fis mettre les cadavres et
reboucher. Je nommais Tuc caporal avec un nouveau
nom et Van Taï caporal chef. Au retour un T.O. m'attendait au poste me
convoquant à Hanoï. J'y allais tout guilleret
pensant recevoir des félicitations mais Fourcade
très sombre me dit que mes canulars étaient de
trop en territoire d'opérations : les Viets
n'avaient pas de camions ! Je repartis très vexé
après avoir acheté un appareil photo avec télé
objectif. Je repris le chemin précédent,
photographiais un "G.M.C buisson" et envoyais à
mon chef le rouleau non développé. Le retour de
cette nouvelle expédition fut très pénible, une
hernie débordait, je fis les derniers km sur un
buffle. Au premier poste atteint, un toubib me fit
un spica compressif, je pus marcher et ramener mon
6x6 et, bien sûr, mes hommes. Quarante huit heures après j'étais
convoqué à Hanoï où je trouvais une ambiance
glaciale avant d'être conduit par l'adjoint de
Fourcade dans le bureau d'un général. Se soulevant
à moitié celui-ci dit : - Vous êtes un
visionnaire, il n'y a pas de camions sur la
rivière Claire, insistez et vous connaîtrez les
arrêts les plus durs, disposez ! Je regardais
éberlué mon guide : le film n'était pas bon ? il
sourit : - Oui, très bon, viens prendre un verre.
C'était un conflit avec les aviateurs qui
n'avaient jamais vu ou photographié des véhicules.
Ils niaient leur existence. Pour des questions de
carrière le "Poireau" (général) leur faisait
confiance, se taisait. Peu apte à des compromissions je fis état
de mes hernies et allais en consultation à
l'hôpital, j'y entrais le 30 mars et fus opéré le
ler avril. Prenant prétexte des 3 mois
d'inaptitude OPS qui suivraient l'opération
chirurgicale des 2 hernies, je demandais ma
mutation pour les transmissions aéroportées. Avis
favorable, élogieux de Fourcade et ce fut accordé. Trois semaines plus tard je sortis de
Lanessan recueilli par Moslard à la Muletière. Mon
ami était un seigneur dans sa base de Bach Mal,
jointive au 2ème aérodrome de Hanoï. À part
l'adjoint, le Lieutenant Vieillet, tout le
personnel était marocain. Moslard élevé au Maroc
parlait, discutait avec ses hommes dans leur
langue, il était aimé de tous. À la 805, numéro de cette compagnie, il y
avait table ouverte en permanence, j'y ai
rencontré de curieux spécimens humains. Si son
commandant montait toujours de très bons canulars,
il aimait aussi se servir de citations bibliques
qui mettaient souvent ses interlocuteurs dans
l'embarras et réjouissaient les habitués. Tous les
2 ou 3 mois méchoui "à la marocaine", cuit dans un
four en terre, quel régal. La solitude assez bien supportée avec la
vie nouvelle à Saïgon puis avec l'activité du
commando commençait à me peser. Des collègues dont
les épouses étaient dans l'enseignement, avaient
été rejoints par elles à Hanoï. Je l'écrivis à
Reine qui décida d'en faire autant. Elle demanda
sa réintégration à l'E.N. avec affectation au
Tonkin. Ce fut accordé pour la rentrée d'octobre. Lorsque l'adjoint de Fourcade m'avait
amené au commando 15 j'avais été très surpris de
voir la route Hanoï - Phuc Yen s'arrêter net
devant le vide d'une rivière, sans aucune
protection, une petite route repartait un peu en
arrière pour aller franchir le cours d'eau 25 m
plus loin. Sur l'autre rive il y avait le même
dispositif, c'était pour tromper le Ma Koui... Ce
génie malfaisant courait toujours sans trop faire
attention et hop, il tombait dans la rivière !
j'en appris bien d'autres sur le Ma Koui. Dans
tous les villages, clos par des haies denses de
bambous il y avait une très belle porte d'entrée
fort bien décorée, mais elle était bien
barricadée, nul ne pouvait passer par là, même pas
le Ma Koui ! Il y avait plus loin une petite porte
masquée par une chicane utilisée par tous mais on
espérait que le Ma Koui ne la verrait pas ! À
Hanoï il était assez fréquent de voir une femme
traverser une rue en se jetant à ras devant un
véhicule en marche et se retourner ensuite avec un
très grand sourire. Le Ma Koui qui la suivait
avait probablement été écrasé par la voiture. Les
conducteurs européens juraient, les Vietnamiens
souriaient, complices. La femme n'était pas
toujours évitée mais après une brève enquête la
prévôté, au courant du Ma Koui, innocentait le
conducteur. J'arrivais à l'EM des TAPN fin avril, le
Capitaine Vincent (de l'Auriga) commandait les
Trans. Il y avait 3 lieutenants Rossi, Fabri, et
Bougon évincé du G.C.M.A pour alcoolisme. Vincent
terrifiait ses adjoints, mes collègues très
surpris de le voir gentil avec moi le furent
encore plus de ma désinvolture à son égard.
Vincent me présenta au Colonel commandant les TAPN
qui ne m'accorda qu'un bref bonjour. Son adjoint,
le Lieutenant colonel Ducourneau fut cordial. À
midi à la popote il me reçut à sa table et posa
des questions idiotes mais nécessitant quelque
réflexion. Je m'en sortis bien et il fut très
agréable. Je prévins Vincent : j'étais opérateur
dépanneur radio. J'avais dirigé une centrale de
transmission mais je n'avais que des idées sur le
travail d'un "pronto". Bougon en sachant encore
moins que moi, Vincent nous fit travailler. Je
m'intéressais à cette instruction tandis que
Bougon rechignait. Fin mai, début juin, je demandais à
participer à une opération dite "kangourou".
Commandée par Ducourneau elle mettait en oeuvre 4
bataillons para, Rossi en était le pronto, j'y
allais en doublure, Ducourneau me témoigna sa
satisfaction, m'accordant l'autorisation d'y
participer malgré mon exemption pour
convalescence. Juillet fut très morose, victime d'une
amibiase je me traînais sans forces de ma chambre
à la popote où régnait une chaude ambiance surtout
chez les Tringlots de la CRA, l'un d'eux, jeune
marié, y amenait sa jeune épouse; Paul et Blanche
Bouchard sont aujourd'hui à la retraite à Saint
Paul. En août, rétabli, Vincent m'envoya au
C.I.T.A.P.I pendant quelques jours pour voir son
fonctionnement et le renseigner sur les causes des
très mauvais résultats obtenus par les apprentis
opérateurs radio. Mon rapport simple, direct,
mettait en cause mon collègue le Lieutenant S. et
le commandant du CITAPI. S... ne savait ni
organiser son travail, ni défendre ses stagiaires
qui devaient vivre et travailler dans des
paillotes percées, pourries, étant de surcroît
surchargés de gardes et de corvées. Les 3 sergents
instructeurs étaient des incapables, rebut
d'autres unités. La réaction de Ducourneau fut
très vive. Le commandant du CITAPI et le
lieutenant furent relevés et le poste m'échut dès
le ler septembre. Le 27 septembre, Reine arrivant à Saïgon
avec sa fille, je demandais d'aller à sa
rencontre. Vincent, très chic, m'y envoya en
mission. Le 28 Moslard nous réceptionnait à
l'aéroport d'Hanoi. Nous eûmes 2 chambres quai
Guillemoto, vue sur le Fleuve Rouge. Le ler octobre Reine était à son poste au
Lycée Rollande. En 1935 j'avais débuté mon stage
d'opérateur radio le lundi 6 octobre, en 1952 je
débutais mon ler stage en tant que directeur de
l'instruction le lundi 6 octobre. J'avais obtenu
des tentes pour loger les stagiaires et servir de
salles de cours, les instructeurs déficients
étaient mutés. Mon nouveau personnel était là dès
le ler octobre. En tête Antoine un de mes
collègues de la mission 47 en Autriche, il avait
rengagé avec le grade de Sergent Chef. Atteint du
trachome, inapte 0PS, il fut le grand bienvenu.
Compétent, travailleur, sérieux, il était
l'adjoint idéal. Le Sergent Chef Antic et le
Sergent Gravil vinrent compléter mon équipe. Le
ler stage était composé de 25 légionnaires dont un
Sergent, Penna et le Caporal Montalbano. Vincent
m'avait dit : - Ayez l'air méchant, soyez dès le
ler jour très dur, vous serez écouté, respecté,
vous n'aurez pas à sévir par la suite. Je décidais
donc, pour l'exemple, de punir fortement la 1ère
faute. Le caporal arrivé 10 minutes en retard
après 24 heures de permission fut la victime : 8
jours de prison, soit 8 jours de solde retenue. Je
n'ai plus puni de légionnaires pendant les 4 mois
du stage. Après tests et tri 20 hommes suivirent
les stages d'opérateurs radio, graphie ou phonie,
3 devinrent monteurs fils. En plus de la portion centrale à Ha Dong,
où j'étais, le CITAPI avait 2 compagnies
d'instruction militaire basées sur les bords du
Fleuve Rouge, à une douzaine de km au Nord. Les
lignes téléphoniques établies sur la route
longeant le fleuve et sur celle Hanoï - Ha Dong,
10 km, étaient coupées presque quotidiennement.
Les réparations devenaient du travail pratique
pour mes apprentis. L'un d'eux ,Kramskov en
dépannage avec un Dodge le long du fleuve voulut
tirer sur un pique-boeuf. Revenant vers le
véhicule, le doigt encore sur la détente, il
heurta le pare-brise, un coup partit frappant le
conducteur vietnamien à la cuisse. Le voyant
s'évanouir le légionnaire prit le volant et le
ramena à la Base. Touché à la fémorale, le garçon,
vidé de son sang était mort en route. Enquête de
la Prévôté, Kramskov fut arrêté. J'allais voir le
juge et discutais, mon gars serait condamné avec
sursis, inutile de le garder en prison., je me
portais garant et il me fut confié à condition de
le mettre à l'écart de ses camarades. Le même jour
j'avais reçu les clefs d'un logement, le rez-de
chaussée d'une villa. Je le laissais à la garde de
Kramskov avant de "retaper" ce logement. Ses
collègues lui portaient à manger, pour me
remercier, spontanément, ils me proposèrent de
faire le travail de remise en état. Un était
maçon, un autre électricien, un 3ème plombier. En
2 dimanches, s'y mettant tous et surtout Kramskov
tous les jours, j'eus un logement impeccable.
J'installais une réserve d'eau de 1200 litres sur
le toit de la boyerie ce qui nous permit des
douches à volonté, luxe à Hanoï. Huit semaines après les Légionnaires,
débuta un stage de "Marsouins ", j'avais fait le
tri sur une soixantaine de jeunes arrivés en
renfort, j'en gardais 18 dont René Pregnon. Ce
dernier, à la retraite à Nice, s'est distingué en
tant que Sergent armes lourdes à Dien Bien Phu.
Comme pour les légionnaires j'en punis un la
première semaine, allais en chercher 2 chez les
Prévots où ils cuvaient leur vin et j'eus le
plaisir de les voir accepter la discipline, après
que j'eus donné une raclée, avec mes béquilles, à
une forte tête. Le 30 octobre, 2 jours avant la fin de
mon interdiction de saut consécutive à l'opération
herniaire, j'étais allé "descendre en marche" d'un
avion. M'intéressant plus à 3 Vietnamiens
accrochés entre eux et hurlant, qu'à mon arrivée
au sol, j'avais eu un fracas de la jambe gauche :
10 semaines de plâtre, d'où les béquilles. Sur le
4x4 Dodge avec lequel je faisais la navette Hanoï
- Ha Dong je m'exerçais à conduire, c'est-à-dire
faire les doubles débrayages avec une seule jambe,
c'est de la gymnastique. La méthode très dure d'instruction que je
fis appliquer par mes sous-officiers, (nous étions
en guerre), me valut des félicitations pour le
résultat. En quittant Ha Dong mes élèves étaient
aussi compétents que des radios ayant 2 ans
d'expérience. Et pourtant... Les Légionnaires
avaient commencé, les Marsouins presque fini, les
Vietnamiens venus après les Légionnaires
terminèrent la construction d'un centre "en dur" :
2 dortoirs de 20 hommes, 2 salles de cours, un
magasin. Chaque semaine, 2 GMC avec 5 ou 6 hommes
(fils et phonistes) allaient à Son Tay extraire
des briques des ruines des anciennes usines
Bréguet. Le dimanche j'emmenais, en récompense,
les bons élèves en zone vietnamienne ramasser des
bambous. Les mauvais restaient à travailler avec
Antoine. Au retour chaque camion (8 à 10 hommes)
avait droit à une bouteille de Pernod. Le
lendemain Antoine ou Antic allaient échanger les
bambous contre du ciment. Il y avait sur le camp,
le sable pour le mortier et le bois pour les
charpentes. À l'intendance je récupérais des
bidons carrés servant à l'approvisionnement en
farine. Hauts 40 cm, ayant 25 cm de côté,
découpés, aplatis j'avais des tôles de 1m x O,40.
Montées comme des ardoises j'en fis des toitures
étanches. Cette réussite fut payée le prix du
sang. Un capitaine de tirailleurs algériens
tenant un poste à 40 km dans le sud m'avait
proposé d'aller prendre des bambous devant son
poste ce qui lui dégagerait les vues. Un dimanche,
au volant du Dodge, Reine à côté de moi, 3 GMC
avec 1 FM en position sur le toit, 8 hommes par
camion nous y sommes allés. Sur le bord de la
route des cadavres, l'auto mitrailleuse qui nous
précédait de 2 ou 3 minutes, attaquée, avait
riposté. Au poste, accueil chaleureux; à midi les
camions étaient presque pleins. Après le
casse-croûte offert par les tirailleurs, mes gars
repartirent chercher le reliquat abattu.
Explosion, une mine, un Vietnamien Dinh Van Son
avait les 2 jambes broyées, le Caporal Laporte des
éclats aux cuisses et à la poitrine. Un médecin
arriva d'un poste voisin. Voyant Reine s'occuper
des blessés, il se fit aider par elle pour finir
de couper les chairs broyées de Dinh. C'est ainsi
que ma femme coupa des jambes d'homme ! Laporte,
des éclats dans les poumons fut rapatrié, soigné
il revint en Indo un an après. Dinh après un court
séjour à l'hôpital d'Hanoi fut évacué sur Saïgon.
Récupéré par l'Entraide Para en 1991, il vit à
Besançon avec sa famille. Le Général Caillaud m'a
alerté, Dinh ne connaissait qu'un nom français :
Armandi. Reine et moi l'avons revu avec émotion.
Le CR sur 2 hommes blessés serait passé dans
l'indifférence si je n'avais écrit que la mine
était à moins de 100 m du poste. Ducourneau fit
d'aigres commentaires et il y eut des sanctions
pour les tirailleurs qui s'étaient laisser poser
des mines sous le nez. Dinh était un garçon
sympathique, rieur, travailleur, ceinture noire de
judo. Il faisait partie des quelques paras
vietnamiens mis à ma disposition : chauffeurs,
magasiniers, secrétaire, hommes de service. Mon
prédécesseur n'en avait pas. Le commandant du CITAPI, le Chef
d"Escadron Klein, voulait avoir le plus haut mât
des couleurs du Tonkin, il en fit confectionner un
de 18 mètres en tuyaux de chauffage. Le chef du
casernement le tordit 2 fois en essayant de le
hisser. Le chef du service auto 1 fois. Ce qui
provoquait rires, railleries, et... arrosages.
Bougon affecté pour ordre au CITAPI, sans aucune
précision de poste à tenir, lança l'idée qu'étant
le plus railleur, je devais essayer; je
m'exécutais. Je fis emmailloter le mât par des
bambous ficelés avec du fil téléphonique, puis
monter une chèvre en bambous de 18 m de hauteur,
sur quoi fut fixée une poulie, le câble d'un
treuil de GMC passant par là, frappé presque au
sommet, hissa le mât. Les haubans et bas-haubans
tendus, Dinh assuré par la drisse était monté tout
en haut pour déficeler les bambous. Sûr de lui, se
tenant au sommet par ses seules jambes croisées,
il nous salua avec de larges mouvements de bras.
Ducourneau vint pour l'inauguration, Klein fit mon
éloge en se défendant de m'avoir imposé ce
travail, fait par moi pour répondre au défi de
Bougon (rapatrié pour éthylisme en mai 53 nul
n'osant lui confier un poste ou une mission. Quand
j'étais arrivé 18 mois auparavant il ne buvait pas
d'alcool ! Il revint en 54 caporal chef légion et
disparut présumé déserteur, attiré par une
fille...) Début janvier 53 je vis arriver un jeune
capitaine para qui se présenta : Delors successeur
de Vincent. N'ayant reçu aucune note sur ce
changement, je refusais, poliment, de lui
présenter le centre. Le surlendemain une note de
service sur ce remplacement me parvenait. Delors
se faisait annoncer et je le reçus correctement.
Lui et Ducourneau, mis au courant de la chose la
citèrent en exemple. Début juin Ducourneau vint présenter mon
successeur le Lieutenant Walter à qui il dit que
sa tâche serait lourde à assurer après mes
résultats de 8 mois d'instruction. Je fis
rejaillir l'honneur sur mes adjoints et exposais
le cas d'Antoine, prochainement rapatriable, au
colonel qui me promit de s'en occuper. Mi-juin je revins aux TAPN avec Delors.
Les Lieutenants Legrand et Lathière y remplaçaient
Rossi et Fabry. Nous étions alternativement
d'alerte avec le personnel chiffre, radio, fil,
nécessaire. Je revivais, avec les permanences à
l'état-major, "la vie de garnison". Notre logement
comportait une pièce de 12x6 m, séjour et chambre
à coucher, une pièce de 20 m2 avec bureau ministre
pour la fille et une kitchenette que j'avais
aménagée sous l'escalier du ler étage. À ce niveau
logeaient un couple infirmière et lieutenant
d'état-major, ainsi qu'un capitaine du Génie. La
villa a un jardinet large, 2m sur le devant, au
Nord, et sur le côté Est. À l'Ouest un passage
pour véhicule menant vers l'arrière où se trouvent
garages et "boyerie". Notre service est assuré par
une Thi Haï, fille n° 2. Il n'y a pas de fille
n°l, le Ma Koui la prendrait ! La première née
s'appelle donc n°2, c'est elle qui est chargée,
dans la vie vietnamienne, du travail de la maison.
(La suivante Thi Ba, n°3, s'occupe des enfants).
Thi Haï a une quarantaine d'années. Nous lui
donnons un salaire "généreux" : 600 piastres par
mois, elle loge à la boyerie. Son mari, relieur à
la bibliothèque municipale, vient chaque semaine
passer son jour de congé avec elle et fait notre
lessive. À 150 m de la villa il y a un mess de
garnison. Par téléphone (gentillesse Vincent)
Reine demande les menus du jour et les fait
agrémenter à sa guise. Thi Haï avec un ensemble
bouthéon (plats superposés) va quérir notre
pitance. Ayant 2 pièces à sa disposition, Thi Haï
prend des "élèves" : 1 ou 2 jeunes filles qui font
tout le travail. Elle ne leur donne pas un
centime, la nourriture seulement, se réservant la
couture et le repassage. Une collègue a donné à Reine un couple de
chatons siamois (conméo). Cet animal est considéré
par les indigènes comme étant un génie maléfique,
Thi Haï et ses élèves en ont peur. Nous avons
assuré, juré que leurs parents avaient été
exorcisés et que nous avions fait de même avec les
petits. Thi Haï a accepté de leur préparer et
donner à manger ce qui de toutes façons lui
attirera leurs bonnes grâces. Elle leur apporte
donc la nourriture d'un air très digne, s'incline
en posant leur ke bat (gamelle, assiette) devant
eux, mais sursaute si l'un d'eux miaule et se
signe. Nous avons acheté à un marchand ambulant
un singe haut de 50 cm. Il est gris souris avec
l'abdomen bleu ciel. Sur le côté Est de la villa
j'ai tendu du Nord au Sud un fil de fer à 2 m de
hauteur. Bouzou (singe) a un collier de chien à la
ceinture d'où part une chaînette qui, à l'autre
extrémité coulisse sur le fil de fer, il peut donc
aller de la rue à la boyerie. C'est un goinfre, si
on lui donne des bananes il s'en remplit la
bouche, les joues gonflent, il en enfourne encore
tant et plus, puis petit à petit les avale. Il a
une kebat pour l'eau, il boit et renverse tout le
reliquat avec le bol. Bouzou est quelquefois admis
à la maison pour distraire des amis de passage
mais gare aux bêtises ! Couegnas le vétérinaire de
La Muletière aime jouer avec lui. Un jour il vient
prendre un verre avant d'aller à une réception, il
est en "grand blanc" : Veste, pantalon, chemise,
chaussures blancs. Reine le sert et il prend
Bouzou sur ses genoux. Attention, rappelle ma
femme "oui, oui, je lui tiens les mains" répond
notre ami, mais Bouzou est un quadrumane, il
allonge une jambe, prend le verre et le renverse
sur le Grand Blanc. Pas de réception ce jour là. Reine aime les fleurs, elle en achète aux
ambulants qui passent. Thi Haï n'est pas contente
: "c'est Madame trop payer". Alors Reine choisit,
prend les fleurs, Thi Haï s'accroupit face à la
marchande, discute. Cela peut durer 10, parfois 20
minutes et elle paie le tiers, voire le quart du
prix demandé. Tous les collègues de Reine
l'avaient prévenue : les Vietnamiens sont voleurs,
tous les domestiques volent ! Reine a donné les
clefs, toutes les clefs, à Thi Haï, elle devenait
responsable, nous n'avons jamais rien eu de volé. Les dimanches où je n'étais pas de
service, nous allions soit à La Muletière soit
dans une des compagnies du CITAPI, le long du
Fleuve Rouge. Nous y amenions Maïthé, Denise ou
Mme Longaven, une assistante sociale, très
souvent, dès le samedi après-midi pour y passer la
soirée. Chez Courcet une partie de cartes occupait
la soirée. Chez Godard musique et sonneries de
clairon par un Vietnamien capable de jouer la
retraite "Empire~ ou autre. Ce musicien également
coiffeur faisait 3 ou 4 "soleils" à la barre fixe
avant toute coupe ou rasage. Lors de notre installation dans le
logement attribué nous avons "pendu la
crémaillère". 36 personnes y participèrent devant
un buffet installé dans la pièce principale : des
infirmières, des secrétaires, des collègues de
Reine avec leur mari, des amis. Parmi eux Pierre
de la Houssaye en rupture de traitement à
l'Hôpital Lanessan. Il avait amené une infirmière
du service qui de temps à autre lui rappelait sa
blessure à la fémorale, s'arrêtant de danser il
marchait sur les mains, jambes en l'air "pour
rétablir la circulation". La nuit, dans la ville
calme, nous entendions, au loin, le canon. La
guerre était au portes de Hanoï, nous ne savions
pas ce que serait demain donc nous vivions le
moment présent au maximum. Nous eûmes quelques
soirées mémorables, après l'une d'elles passée au
"Club", nous nous sommes retrouvés à l'heure du
couvre-feu chez nous avec les collègues : 3 femmes
et 4 lieutenants, musique, on danse on a chaud.
Tournées de "gnacsoda" (cognac), à la 3ème je sers
à l'ami Ducarme un verre de Nuoc Mam soda, bien
dosé pour la teinte. C'est un Basque, tout en
dansant un fandango il avale une très grosse
gorgée qui repart très vite sur le carrelage et la
robe de sa cavalière... Une autre fois, avec de La
Houssaye, vers 5 heures, nous décidons d'aller
manger une phô, la soupe populaire très
revigorante. Nous sommes 6 sur la Jeep conduite
par Pierre. Atteint d'une très forte
conjonctivite, de nuit, il ne voyait pas grand
chose. À Hanoï les avenues sont très larges, il
roulait au centre et tournait au commandement : à
droite, (ou à gauche) toute. Nous avons trouvé un
marchand de soupe ouvrant sa boutique, nous
installions une table et des bancs en travers du
boulevard lorsqu'on vit une fenêtre s'éclairer :
corvée de femmes, allez quérir le quidam ! Et un
capitaine arriva avec elles : "Capitaine Baur",
c'était le fils du grand comédien, mort en
déportation. Nous vivions "les nuits angoissées de
Hanoï", titre de Paris Match ces jours-là. Début septembre. Opération "Brochet",
après 2 ans de séjour j'étais enfin seul
responsable des transmissions d'une opération. Le
GAP commandé par Fourcade, récemment promu
lieutenant colonel avait le Capitaine Botella pour
B3 et l'ami Bouchard pour le B4. La troupe de
manoeuvre était composée de 4 bataillons, les
prestigieux ler et 2ème B. E.P. Le ler B.P.C , en
fin de séjour et le 5ème Para vietnamien,
nouvellement formé par le changement d'appellation
du 3ème BPC rapatriable en janvier 1954. La
mission consistait à "grenouiller" de part et
d'autre du canal des bambous pour déloger, faire
exploser le régiment VM 42 qui y était implanté,
l'expulser en périphérie où 3 GM l'auraient
anéanti... Ca c'était la théorie. Fourcade, esprit
commando, était plus souvent voltigeur de pointe
qu'au milieu de son PC. Il me fit exécuter des
petits coups de main sans rapport avec le travail
du pronto. J'en cite un : Le guetteur dans le
clocher d'une église signale 3 personnes sur une
diguette à 300/350 mètres de nous. L'une d'elles,
accroupie pourrait être en train de poser une
mine. Fourcade m'envoie avec 2 sous-officiers des
Trans et 4 hommes voir la chose. Mouvement
débordant large, nous revenons et attrapons 3
femmes... innocentes que je fais fouiller en vain.
Le guetteur, par Talkie Walkie, me dirige vers le
lieu où elles avaient été vues. Les femmes
s'engagent sur la diguette suivies chacune par un
Para à 3 mètres, mitraillette pointée dans le dos.
À un point où rien ne semblait anormal, celle qui
était en tête fait un saut en avant. Son
surveillant, surpris, par réflexe, tire. La femme
retombe en arrière et fait exploser une mine. Le
reste sera l'affaire du "curieux", l'O.R. du ler
BEP, l'une des femmes avouera qu'elles avaient
laisser tomber des mines dans la rizière en nous
voyant arriver. Le régiment 42 nul ne l'a vu. Les G.M.
auraient arraisonné 200 de ses membres. Nous avons
arrêtés une douzaine de Dzu Kich en armes, trouvé
des caches de matériel : explosifs, munitions mais
surtout, en 3 semaines, nous avons perdu une bonne
centaine de paras sur des mines. Les mines étaient
posées de nuit sur des diguettes par lesquelles
nos gars étaient passés la veille. Le PC, comme
les bataillons, pataugeait chaque jour dans la
rizière, évitant les diguettes. Un jour le
commandant des Trans de l'opération me fait
appeler, il est furieux de ne pas m'entendre en
phonie directement, tous nos messages passant en
graphie. Un poste du ler BEP situé entre lui et
moi assure ce jour-là, en phonie, le relais et il
pose des questions péjoratives sur notre matériel
et la valeur du personnel. Je crois reconnaître
dans le relayeur la voix germanique d'un de mes
anciens stagiaires. Je donne mon indicatif
personnel : - AMI. - Vouei, vouei, ici MLR. C'est
bien mon Muller : - Dis au "gross" pronto que je
n'ai pas un poste sur GMC mais du léger à dos
d'homme, nous progressons dans la rizière, de
l'eau jusqu'au ventre, il doit comprendre. Le
légionnaire transmet : - Le pronto il est dans la
merde, allez voir, les couilles dans l'eau, vous
comprendrez. Silence radio et plus une seule
demande de cette autorité. Les BEP toujours les plus fonceurs, les
plus méprisants du danger, sont les plus touchés.
Quotidiennement je reçois la longue liste des
blessés et des morts que je fais coder et expédier
à l'EM des TAPN. Un jour j'y vois le nom de
Montalbano, "mon" caporal légion. Reine ira le
voir à l'hôpital et il expliquera : son pied
s'était posé sur une pointe en bambou empoisonnée,
bien camouflée qui avait traversé le pataugas.
Stop, immobilisation en attendant infirmiers et
démineurs, sous ces bambous il y avait souvent des
mines. Notre ami a souffert longtemps de sa
blessure qui ne guérissait pas. Sept mois après,
Montal sautait à Dien Bien Phu avec une botte et
une pantoufle... Sa blessure a fini par guérir en
marchant pieds nus sur les 400 (ou 500) Km de la
captivité. Il est maintenant ingénieur en
Dordogne, il va bien et nous nous voyons souvent.Estienne le toubib du ler BEP a eu les
jambes brisées en allant secourir un blessé
victime d'un piège semblable au cours de la même
opération Brochet. Pour les opérations terrestres nous
avions des porteurs, des P.I.M., pour la plupart
des anciens Viets. Aux TAPN nous en avions 2
douzaines. Bien nourris, bien logés ils faisaient
toutes les corvées, même à l'extérieur par 2, 3 ou
4, sous la surveillance théorique d'un para. Ils
étaient tous volontaires pour participer aux OPE,
il y avait une prime et des "pourboires". Le jour
du départ de "Brochet" l'un d'eux me dit : - C'est
moi toujours, toujours porter sac lieutenant. De
toute l'opération il resta à ma botte préparant,
surveillant mes affaires avec un soin jaloux. Tous
les officiers en avait un à sa disposition ainsi
que les chefs de poste radio qui leur faisaient
porter, soit le sac, soit le poste. Il leur
arrivait de répondre au micro... Souvent ces
hommes libérés, voulant rester avec leurs
gardiens, s'engageaient dans leur unité. En
opération on en a vu remplacer des tireurs de FM
ou de mortiers blessés. D'après les statistiques
il n'y avait pas 1% de ces hommes qui s'évadaient. À Dien Bien Phu il y avait plus d'un
millier de ces PIM. Une bonne moitié a été tuée en
allant récupérer les parachutages de vivres et de
munitions. Les survivants, après avoir été coolies
de basses besognes, notamment l'enlèvement des
centaines de cadavres en putréfaction qui
obstruaient les tranchées, ont été "liquidés" par
les Viets, leurs frères. Fin septembre cette très pénible
opération Brochet, prenait fin et nous sommes
revenus à Hanoï attendant la prochaine. Je
recommençais à vivre la vie de garnison, mais
d'une garnison au coeur de la guerre. Rien de
commun avec celle insouciante de Saïgon, nous
vivions l'atmosphère de guerre; nous étions,
civils et militaires, au courant de toutes les OPS
en cours. Les civils, en assez petit nombre
étaient des enseignants, des ingénieurs de
l'électricité, de l'hydraulique, des Ponts et
Chaussées, etc, quelques commerçants, des
aviateurs. La Compagnie Aigle Azur avait une
vingtaine de C47 (Dakota) travaillant à prix fort
pour l'armée, et il y avait la mécanique au sol,
les secrétaires, etc., mais les militaires
dominaient très largement. À Saïgon officiers et
sous-officiers sortaient en civil, à Hanoï très
rarement. Il y avait 2 cinémas, 2 dancings et une
boîte de nuit "Le Club", mais pas les immenses
centres de jeux comme le "Grand Monde", 2 à 3000
joueurs ou les bordels type "parc à buffle", de
300/400 filles. En plus de l'État-major assez
réduit des TAPN, 6 bataillons paras dont 2 de
légion avaient leur base à Hanoï mais ils n'y
venaient que pour 8/10 jours afin de "remettre à
niveau" les unités qui avaient passé 2 à 3 mois en
opérations, souvent à plus de 600 Km (voire 1000
dans le sud) de là. Ces 8/10 jours "ça dégageait".
Oubliées les fatigues, les souffrances, les
copains laissés sous un peu de terre à un
carrefour de piste. Les blessés, à l'hôpital,
n'étaient jamais oubliés, les collègues allaient
les voir, parfois les faisant sortir en fraude
pour boire un verre en ville. La rue Paul Bert
était le centre européen de la ville, le Bar
Normandy était le rendez-vous des légionnaires. Au
bord du petit lac, une grande brasserie était le
lieu de rencontre des militaires du delta venant
en mission à Hanoï. On y allait à l'heure de
l'apéritif ou du café. On retrouvait des camarades
perdus de vue depuis des mois, les nouvelles des
uns et des autres étaient retransmises. On
étonnait les nouveaux en criant à peine assis : -
Boy, tous les boys à la terrasse. Les serveurs
prenaient la commande : bière, café ou "niac"
soda, (cognac) et au moment de payer - Boy, ke
bout Le garçon apportait l'addition avec un bout
de crayon : On la signait et on partait. On
reviendrait payer, la confiance régnait. Elle
régnait tout autant chez les marchandes ambulantes
qui s'installaient quotidiennement à l'entrée des
cantonnements. Surnommé "Mère casse-bitte", elles
faisaient crédit à la troupe européenne. En fin de
mois on les voyait venir trouver l'adjudant de
casernement, une douzaine de ke bout à la main : -
C'est lui pas payer. Rassemblement général et
l'adjudant clamait : - Il y a 3 "Empereur ", un
"Vincent Auriol", (Président de la République), 2
"Monseigneurs", dépêchons. Et tous, sauf hélas
ceux qui étaient restés sur la piste, payaient. La
confiance régnait chez "le Chinois", nom donné à
tous les principaux commerçants. Les femmes
allaient y faire leurs achats et payaient quand la
solde était virée. Tous savaient que l'européen
était honnête.
Ma fin de séjour arrivant,
avec l'accord de Reine, je demandais une
prolongation qui fut accordée.
Novembre 1953 - Mai 1954
Dien Bien Phu
Tragédie
en trois actes
Ce qui suit n'est pas
l'histoire de Dien Bien Phu, ni celle du 5ème
B.P.V.N., mais ce qu'a vu un ‘Pronto" entre
novembre 1953 et Mai 1954. Acte I Novembre. Ducourneau prépare avant son
départ un grosse opération, Capmas en sera le
Com-Trans. Je fus invité au dernier briefing le
19, j'y appris que je serai le "Pronto" du Général
Gilles chargé de la première phase. L'Opération
Castor, débuterait le lendemain, "s'il ne
pleuvait", Bigeard a écrit : "Que n'a-t-il plu ce
jour là" . Hélas, il ne pleuvait pas à Dien Bien
Phu. Le 20 Novembre, le G.A.P.1 commandé par
le Lieutenant Colonel Fourcade sautait dans la
cuvette. Après avoir tourné au-dessus, en avion
PC, presque toute la journée, Gilles et son
équipe, dont j'étais, sautaient le 21. Comme prévu
Capmas dirigera les Transmissions, Legrand (Kiki),
Pronto du GAP, fait creuser, organiser les abris,
je m'occupe des installations téléphone et des
groupes électrogènes. Lors du briefing, Gilles
avait donné son accord pour la prise de Dien Bien
Phu, mais avait clairement dit qu'il ne pourrait
pas le garder, ce qu'il ne voulait d'ailleurs pas. Le 8 décembre De Castries le remplaçait;
nous rentrions à Hanoï où des soucis de logement
m'attendaient, nous étions expulsés... Gilles
promit de s'en occuper. Dès le lendemain il me dit
ne rien pouvoir faire; la villa étant convoitée
par le Général Cogny, son supérieur, pour y loger
sa maîtresse, les occupants de l'étage étant
rapatriés depuis 8 jours, je restais seul à
expulser. Il me promit un bon logement pour fin
Janvier et entre-temps, j'eus deux chambres à
l'hôtel, près du Lycée de Reine. Anecdote J'avais organisé et prévu mon départ pour
le 12 Décembre, le 11, un sergent venait avec six
Sénégalais pour occuper les lieux; mon pistolet au
poing je le renvoyais à ses supérieurs. Le 12, des
hommes de la 342 C.T., ma compagnie, vinrent
démonter ce qui avait été installé un an
auparavant par les Légionnaires, laissant tout à
refaire. Acte II Le 14 décembre Le Capitaine Botella de
l'EM des TAPN me communiquait mon détachement au
5ème BPVN, dont il prenait le commandement. Nous
devions rejoindre cette unité le lendemain, mais
je ne serai qu'intérimaire, pour 3 mois, un
officier vietnamien, actuellement en stage, devait
arriver le 10 mars 1954. La veille, au nord de
Dien Bien Phu, ce bataillon, avec le P.C. du Sous
Groupement Para, était tombé dans une très grande
embuscade; 120 hommes avaient péri, pour la
plupart dans la jungle en feu; à peu près autant
étaient assez sérieusement blessés et évacués sur
Hanoï . L'E.M. de ce bataillon aurait décroché un
peu trop vite, de façon anarchique, suivant des
ordres très contradictoires du commandant du sous
GAP. Résultat : la mise hors TAP des cadres de ces
deux États Majors... Un peu après nous arrivèrent le Capitaine
Tholly et les Lieutenants Dutel et Rondeau.
Botella, pied noir ombrageux, grièvement blessé
lors du saut sur la France le 6 juin 1944, avait
une jambe raccourcie de 9 cm. Cela lui valait le
surnom de "Diable boiteux"; volontaire, il avait
fait une longue rééducation et était capable
d'effectuer des marches de 30 à 40 Km. Cet homme
très courageux était très susceptible, il
admettait beaucoup de certains mais rien de
beaucoup d'autres. Tholly, après 48 heures, fut
prié d'aller s'occuper de la base arrière à Hanoï
au lieu du poste d'adjoint qui demeura vacant.
Dutel, dont le franc parler lui avait déplu, fut
muté dans une autre unité et Rondeau prit la 1ère
Compagnie. Le Ba Wan avait besoin d'une très
sérieuse réorganisation. Cette unité avait été
formée à la fin de l'été précédent par la
transformation du 3ème BCCP, arrivant en fin de
séjour en 5ème BPVN, des cadres et hommes de
troupe vietnamiens devant remplacer
progressivement les Français tués ou rapatriables.
Cet échange était très lent, l'armée vietnamienne
ne pouvant fournir les cadres nécessaires, surtout
dans des Unités de pointe comme les Paras. Entre le 15 et le 25 Décembre. Le renfort
arrive comprenait 5 officiers, une dizaine de
sous-officiers européens et 150 hommes de troupe
vietnamiens. Un sous-Lieutenant vietnamien, Pham
Van Phu, (ancien sergent formé dans une de nos
unités), s'était distingué dans la fournaise du 13
Décembre alors que des Européens avaient lâché
pied, il fut nommé lieutenant et prit le 1er
janvier 1954 le commandement de la 2ème Compagnie.
La section Trans dont j'allais m'occuper, n'avait
que 2 chefs de poste (radiographie) européens et
du personnel vietnamien que j'avais formé au
Citapi d'où la "priorité" qui m'avait été donnée
pour le détachement. Pour la phase délicate de
réorganisation et de reprise en main, le Bataillon
fut placé sur le P.A. (point d'appui) Anne-Marie.
Une moitié travaillera à sa mise en défense,
abris, tranchées, réseau de barbelés, l'autre
moitié fera des sorties d'éclairage au Nord et à
l'Est pour aguerrir les nouveaux arrivés (et même
les anciens). Au cours d'une O.P.E. vers le sud,
nous aurons 2 tués dans un accrochage. C'était le
10 Janvier, mon anniversaire. Les 25 et 26 Janvier. Nous revenions à
Hanoï fêter le Têt, Nouvel An vietnamien.
J'arrivais juste pour installer la famille dans
une petite villa située dans l'enceinte des TAPN.
Nous occupions le rez-de-chaussée, le Commandant
Bloch, chef d'état major de Gilles avait le 1er
étage. A partir du 1er Février. 2 compagnies et
un embryon de PC, dont je suis, assure, avec des
tirailleurs algériens, la garde du terrain
d'aviation de Gia Lam. Le reste du bataillon est à
la B.A. (base arrière) du Protectorat, il fera des
patrouilles le long du Fleuve Rouge. Il y aura
chaque semaine des permutations entre B.A. et Gia
Lam. Le 11 mars. Les "Bigeard" prennent notre
place sur le terrain. Nous regroupons tout le
monde à la base arrière où toutes les revues
possibles sont effectuées. Loc, le pronto
vietnamien, arrive, c'est un frère des écoles
chrétiennes, bien doux, bien gentil, perdu chez
les paras où il échoue, involontairement, à cause
de son mauvais classement à la sortie des E.O.R.
(les 1er vont au Train, on y a une Jeep et le
cantonnement est toujours dans une ville). Je lui
présente le personnel de la section. Il prend le
matériel en compte, puis j'explique à ce débutant
ses responsabilités militaires et humaines : Il a
des droits mais aussi de gros devoirs envers ses
hommes, chose jamais apprise dans les écoles de
l'armée vietnamienne. Il paraït affolé, terrorisé
même par mes dires. Nam, caporal chef, garçon
calme et très intelligent, originaire de la même
province du sud que lui ne paraît pas l'admettre.
Lac, mon ordonnance aux dents laquées noires, venu
à la maison pour m'aider à monter un surpresseur
d'eau en profite pour me dire : - Loc c'est pas
para, lui même chose crapaud. Le 13 après-midi. Nam et Lac viennent me
demander de rester, ils n'avaient pas confiance,
peur même d'aller en opération avec lui Le BPVN
ayant été déclaré "Bon OPS", nous ferons demain un
saut de bataillon, c'est-à-dire tout le monde,
pour travailler, mettre au point dans chaque
compagnie le regroupement à l'arrivée au sol. Ce
même 13 mars, en fin d'après-midi, je rencontre
Combaneyre, Lieutenant du 8ème Choc, unité restée
à Dien Bien Phu pour les interventions. Malade,
rapatriable début Avril il a été envoyé à
l'hôpital, et il s'est arrêté à l'EM des TAPN
demander la date de son départ pour la France. Les
nouvelles qu'il apporte de Dien Bien Phu sont
pessimistes, l'artillerie viet tire à vue sur les
avions au sol depuis les collines entourant la
place. Ceux qui y étaient basés sont détruits,
ceux qui s'y posent sont arrosés d'obus après 30
secondes d'arrêt; il paraît vraiment heureux
d'avoir pu sortir de là. Dans la soirée vers 22
heures, le Commandant Bloch, mon voisin du dessus,
rentrant chez lui, frappe à ma porte : - Préparez
votre sac, demain le Ba Wan saute à Dien Bien Phu.
Intrigué, je vais faire un tour à l'EM distant de
60 m, Delors est là, il fait la grimace, me montre
les T.O., l'attaque viet sur "Béatrice" considérée
comme perdue, l'ordre de mise en route du 5ème. Le 14 mars Le rassemblement était prévu
pour 7 heures, j'y suis à 6 heures, seul, mais il
y a un message me convoquant au Com. Trans. FTNV.
Un capitaine et un lieutenant m'attendaient, suite
à la chute de "Béatrice" l'O.B.T. est compromis Il
faut en faire parvenir un autre. Ce document très
secret ne peut être acheminé que par un officier
de l'arme Trans. Me voilà donc chargé de
l'affaire. Taille et poids d'un annuaire
téléphonique. Le capitaine me serre longuement les
mains, le lieutenant essuie une larme : Je vais à
la mort ! je me vois dans l'obligation de les
réconforter, le monde à l'envers. Retour à la B.A.
une Jeep d'avance sur Botella, je lui dis "jamais
deux sans trois"... Il était B3 pour la prise le
20-XI, repartis et revenus ensemble le 15-XII,
nous reprendrons l'avion une 3ème fois pour Dien
Bien Phu. Il n'a pas été encore prévenu, un
message clos l'attend sur son bureau, il ne sait
encore rien. Un regard sombre mêlé d'un demi
sourire me parvient : - Encore et toujours des
blagues ? J'explique, il passe un coup de fil et
fonce aux TAPN dont il revient avec un capitaine
au calot de l'A.B.C.. A sa descente de Jeep il est
furieux, je ris intérieurement, c'est le moment
d'en sortir une : - Mon détachement est terminé,
j'ai passé mes consignes à Loc, je n'ai pas besoin
d'aller à Dien Bien Phu... Sa colère tombe, il me
regarde atterré : - Ne m'abandonnez pas, Loc n'a
jamais vu une OPE, Courcet (commandant la CCS)
muté doit passer ses consignes à Delobel arrivé
hier et c'est ce capitaine non breveté qui devrait
être mon adjoint, venez, vous rentrerez dans 2 ou
3 jours. Il avait marché, je lui montrais l'OBT et
nous rîmes ensemble. Acte III Embarquement dans les avions à 11 heures,
j'aurai la place de l'adjoint, à la porte de
l'avion leader pour être le premier au sol,
prendre liaison avec le PC de Castries, afin de
savoir où nous diriger après avoir assuré le
regroupement des compagnies. Sur le terrain
d'aviation j'apprends que la DZ est sous le feu
ennemi (Combaneyre l'avait dit), nous pouvons donc
être pris pour cible en l'air; pour limiter ce
temps de descente nous serons largués entre 110 et
120 mètres. Lourd, 80 kg, chargé le ventral
inutile à ces hauteurs de largage, je demande à ne
pas le prendre : refusé, cela en démoraliserait
trop. Dans l'avion, Lac, porteur du poste C10 est
derrière moi suivi du toubib Rouault qui me dit :
- Ne t'inquiète pas, je te suivrais des yeux, si
tu as un ennui je me servirais du poste. Gentil,
il ne s'occupera pas de ma blessure en priorité. Lumière rouge, le vert : GO... Dès
l'ouverture du "piège", je largue le ventral et
commence à me dégrafer; à l'atterrissage je suis
libre du harnais, cours vers le radio et prends le
poste avant qu'il ait fini son dégrafage. Rouault
a fait comme moi et arrive en courant : - OK
Toubib, compte tes clients. J'appelle le Gono,
c'est un opérateur du GAP qui répond le premier :
- OK AMI (mon indicatif personnel) LGD va vers
vous. Et, sous les obus de mortier qui tombent, je
vois arriver "Kiki", mon collègue Legrand (LGD).
Il vient prendre l'OBT et m'indiquer le lieu de
regroupement du Ba Wan au sud de D3 et D4. J'y
cours avec le Chef Pierraggi, largué derrière
Rouault, chargé des fumigènes signalant le point
du regroupement tandis que Botella,
clopin-clopant, va, sans se presser sous les obus,
voir Langlais le commandant du G.A.P. J'ai touché
le sol peu avant 15 heures. La CCS et la première
compagnie sont aussi arrivées, en suivant, au même
endroit, près du terrain d'aviation ,mais des tirs
de DCA arrivant vers eux, les aviateurs arrêtent
le largage. Ils le poursuivront plus au sud. La 4
sautera au nord-est d'"Isabelle", la 2 et la 3 à
l'ouest de ce P.A. d'où des km à parcourir et
retards pour le regroupement général, avant
d'aller vers 18 heures nous installer sur Éliane
4. Sur la première DZ, où j'atterris, nous
avons eu de la casse par les obus VM, surtout dans
la section mortiers, 2 chefs de pièce sont tués,
une dizaine de servants blessés. - Sur l'emplacement il y a des abris A
dit l'adjoint de Langlais. Laissant 3 morts au
pied des D, nous traînons avec nous une trentaine
de blessés, certains graves; ils nous ont empêchés
de nous esclaffer en voyant les abris installés
par le BT2 : une dizaine de trous pouvant contenir
un Thaï mais pas un Européen. Ils ne sont
recouverts que de kefen et de 5 cm de terre, la
tranchée qui les relie ne fait pas plus de 1,50 m
de profondeur et le côté Est d'E4 qui nous est
dévolu, fait face aux Viets qui tirent sur toute
tête qui dépasse de la tranchée. La nuit arrivant
à 19 heures, tous officiers, sous-officiers,
hommes de troupe, pelle-bêche à la main, nous
creusons. A Rouault qui grognait j'ai répondu : -
Tais-toi et creuse". Mais il y avait les blessés
que l'A.C. avait refoulés, débordée depuis les
bombardements de la veille qui l'avaient en partie
détruite et mise à l'air libre. De nuit "Jules" a
décortiqué le genou d'un homme à la lueur de 2
torches pratiquant l'amputation sous légère
anesthésie locale ! Notre médecin était l'homme
des actes impossibles, il l'avait démontré le
13-XII : Un sous-lieutenant ayant reçu une balle
dans la gorge s'étouffait, le sang allant dans les
poumons. Rouault fit une trachéotomie : une
entaille dans la trachée par laquelle il fit
passer un tuyau, en l'occurrence un garrot, le
blessé put respirer. Pendant les 2 heures de
brancardage pour le ramener à l'A.C., le toubib
l'accompagna, lui soutenant la tête dans la bonne
position. Dans la nuit, sous la pluie tombant par
intermittence, nous entendons la canonnade qui
secoue "Gabrielle" et le 5/7 RTA ainsi que la
riposte de nos artilleurs qui paraît bien faible.
Vers 22 heures, les abris étant assez améliorés,
les pelles-bêches s'arrêtent. Tandis que le Patron
reste en écoute radio, je sombre dans le sommeil
pour le remplacer à 1 heure. Loc et Ty
sous-lieutenant (avocat?) chef de la section de
protection du PC doivent me relever à 5 heures
mais ... Le 15. A 4 heures le sous chef du GAP,
S...P... ordonne la mise en route immédiate du
bataillon, nous devons être à 5 heures en bas du
piton, au bord de la Nam Youm pour partir en
contre-attaque sur "Gabrielle". Des guides nous
attendrons sur le pont enjambant la rivière.
Botella pique une nouvelle crise de colère, me dit
brièvement l'ordre de marche qu'il prévoit et me
laissant face aux commandants de compagnies, part
avec Pierraggi (scribe) et un radio C10, dire ce
qu'il pense à Langlais. A l'arrivée sur E 4, la
veille, dès l'emplacement des commandants de
compagnies reconnus j'avais fait tirer par Hoang,
le caporal filiste et ses hommes, des lignes vers
eux. Cela me permit de dialoguer directement avec
mes camarades. Gaven, la 3ème compagnie, grogne,
jure qu'il ne partira pas, profère des insultes
pour Langlais qui nous fait "le coup de l'invité",
son adjoint qui nous a envoyés sur E4, où lui et
ses hommes ont creusé jusqu'à minuit pour avoir
des emplacements de combat corrects. Il n'oublie
pas Botella "jambe de laine", qui se laisse faire
et moi qui aurait mieux fait de dormir que
d'écouter la radio ! je suis d'accord mais ... -
Tu seras la tête de colonne en bas du piton à 5
heures, salut !. Selon les ordres, Ty suivra avec
sa section, je serai derrière lui avec les radios;
le toubib et ses infirmiers leur emboîteront le
pas en attendant l'arrivée de notre chef.
Martinais la 4, Phu la 2 et Rondeau la 1ère,
suivront dans cet ordre. Martinais ronchonne un
peu, Phu doit être au garde à vous lorsqu'il me
répond : - Reçu, je pars. Rondeau, un peu moins
grossier est presque aussi grognon que Gaven. Rouault qui a opéré, pansé, soigné
jusqu'à minuit soupire, il a trouvé à la sortie de
son abri un obus de 60 non éclaté, il pense que
c'est moi qui l'ait posé et sourit peu convaincu
de mes dénégations, j'ai une telle réputation de
farceur ! (cf. Livre "Médecins au combat",
Pygmalion). Au passage de la Nam Young, nous trouvons
Botella mais pas les guides. Après 30 minutes de
hurlements dans les C10, 2 légionnaires arrivent.
Nous cheminons lentement dans les tranchées très
étroites; il y a 5 km à parcourir, nous en avons
fait les 3/4 lorsque le jour se lève et qu'un tir
d'artillerie nous tombe dessus. La colonne est
arrêtée. Les hommes de Ty s'entassent devant nous;
Gaven ne répond pas à la radio, (nous apprendrons
que son poste a reçu un éclat d'obus, le radio est
blessé). Botella s'énerve. Il veut envoyer Loc
vers l'avant pour voir, savoir, mais il faut
sortir de la tranchée pour dépasser les gars
arrêtés, entassés; le sous-lieutenant a peur, il
éclate en sanglots. Je croise le regard du Patron,
il a un rictus qui voudrait être un sourire, je
lui souris, saute dehors et cours vers l'avant.
C'est Ty en personne qui bloque, Gaven est déjà
loin, la tranchée est finie, il faut partir à
découvert et le sous-lieutenant a peur lui aussi,
comme l'autre, des obus qui tombent de ci, de là.
Je distribue bourrades, coups de pieds et de
poings, avec comme pièce à conviction mon pistolet
dont j'assène de grands coups, pour faire avancer
cette section bouchon. Lorsque Botella peut enfin
me rejoindre nous progressons en courant de trous
en trous poussant devant nous ceux qui
s'attardent. Phu, voyant l'arrêt, a cherché aussi
à comprendre, il est sorti de la tranchée,
entraînant, poussant ses hommes; il a dépassé
Martinais encore dedans, derrière les infirmiers
et il est arrivé à notre hauteur. C'est un chef de
guerre, il nous aide par des cris, des insultes à
pousser tout en avant. Nous rejoignons Martin,
lieutenant du BEP, et sa compagnie. "Loulou",
blessé à un bras est calme, décidé, paraissant
insouciant malgré sa blessure et les obus. Quel
exemple pour ses hommes. Gaven est aussi très
calme quand nous le rejoignons, au point de
trouver un moment pour s'excuser de son accès
d'humeur lors de mon appel de 4 heures, quel brave
type. Avec les légionnaires nous rassemblons dans
des trous d'obus, des amorces de tranchées, abris
précaires, des tirailleurs qui peuvent s'échapper
de "Gabrielle". Deux chars sont arrivés ils se
placent entre nous et les Viets; leur présence
attire les coups de l'ennemi, ils ripostent tant
et plus. Un capitaine du 5/7, blessé a ramené une
centaine de survivants vers nous, je lui demande
des nouvelles de Sanselme, un lieutenant, le seul
de l'unité que je connaissais :"mourant" (il
survivra). Les tirs d'artillerie se sont arrêtés
et nous revenons tristement vers E4, Botella
allant, au passage, "remercier" Langlais pour le
coup bas qui nous a été asséné. Nous avons mis
plus de 2 heures pour arriver au pied de
"Gabrielle" alors qu'il y avait, permanents depuis
4 mois, 2 bataillons paras d'intervention ayant
systématiquement reconnu tous les itinéraires pour
aller vite et en sécurité vers tous les P.A. basés
près du terrain d'aviation; ils n'auraient pas mis
plus d'une 1/2 heure pour être sur "Gabrielle" et
contre attaquer. Peut-être aurait-on pu les faire
partir 2 ou 3 heures plus tôt, mais c'est
l'indécision de l'E M de Castries qui serait en
cause... Dans cette histoire qui ne redore pas le
blason du Ba Wan, le toubib a récolté une dizaine
de "clients" blessés assez légers. Lorsqu'il nous
rejoint, notre chef a un sourire pour nous
expliquer que c'était l'adjoint (S...P...) ayant
remplacé celui mis hors TAP après la triste
affaire du 13/XII qui était coupable d'avoir
engagé une unité non préparée dans une OPE mal
coordonnée. Martin avait reçu l'ordre de partir
mais pas de nous fournir des guides. C'est en
entendant nos réclamations radio qu'il avait
envoyé 2 hommes, partant devant "au canon". Ty
qui, à part la veille, à l'atterrissage n'avait
jamais entendu siffler une balle, avait fait le
reste. Pour l'exemple, Botella veut frapper
fort, il demande pour nos 2 sous-lieutenants
l'exécution, ou tout au moins qu'ils soient
dégradés et utilisés comme coolies avec les
P.I.M.. Le Commandement ne va pas si loin, ils
seront dégradés et envoyés 2ème classe dans une
compagnie. Ce sera le cas pour Ty, il sera tué 48
heures après. Loc, incapable de se servir d'une
arme, sera confié au Chef Franck, chargé des
approvisionnements. C'est un travail dangereux
d'aller sur la DZ où arrivent les colis de vivres
et munitions et de les ramener. Nous organisons la défense du flanc Est
d'E4 très exposé aux vues des Viets. Nos "Nha
Qués", champions de la pelle-bêche vont très vite
pour faire une vraie tranchée sur les cotés
Nord-Est et Sud-Est qui aura 2 mètres de
profondeur, 0,60 m de large. On pourra brancarder
en sécurité (à peu près). Par des trous larges, 50
cm, haut de 80 cm, nous faisons creuser des
grottes; la terre est argileuse, il n'y a pas de
cailloux, ça tient et ne s'effrite pas. Après un
seuil de 25/30 cm en hauteur et largeur, 4 marches
vers le bas de 25 cm, le haut sera aussi gratté
sur environ 10 cm. Cela peut représenter un
couloir long de 4 m, haut de 1,90 m. Sa largeur
sera de 80 cm à la base, jusqu'à 0,50 de haut,
puis élargie de 60 cm de part et d'autre jusqu'au
plafond; cela fera des banquettes qui nous
servirons pour poser, à l'entrée, le central
téléphonique, les postes radio C9 et C10. Plus
loin ce sera des sièges et nos couchettes (Botella
et moi). Des grottes presque similaires seront
creusées pour loger Rouault et les infirmiers, les
transmetteurs, la section mortier et pour finir
celle de Franck, Pierraggi et autres, distantes
entre elles de 2 ou 3 mètres, elles seront reliées
en Avril par un boyau de 60 cm de large, 70 de
haut. Sur nos tètes 6 à 8 m de terre, sauf coup
d'embrasure, nous sommes à l'abri des obus. Seul
officier du PC et de la CCS, je me démène beaucoup
pour faire activer la finition des abris. Notre bataillon aura la double mission de
défense sur la position et d'intervention par
compagnie dans des contre-attaques. Les premières
nuits nous sommes très inquiets. Les commandants
de compagnie ont fait le maximum pour organiser
défensivement le secteur qui leur est attribué
mais, échaudés par la mauvaise progression du 15
vers Gabrielle, nous nous demandons quel sera le
comportement de nos petits gars sous un
bombardement tel que celui que nous avons vu
tomber ce jour-là. Botella me fait part d'une
inquiétude supplémentaire : Nos artilleurs n'ont
plus assez de munitions, le stock, insuffisant, a
été tiré les 13 et 14 (le colonel responsable,
très honnête, s'est suicidé), nous allons vivre au
jour le jour des parachutages de plus en plus
aléatoires. Le 16 Mauvaise nouvelle dès le matin, des
obus sont tombés sur l'Antenne, la salle radio et
plusieurs abris pour blessés sont à ciel ouvert.
L'après-midi, réconfort : le 6ème BPC arrive, le
moral remonte très haut, Bigeard n'est pas un chef
habitué à laisser exécuter ses hommes, nous nous
en sortirons. Ce bataillon s'installera aussi sur
E4 mais au sud-ouest, bien moins exposé que nous. Le 18 L'A.C. est encore touché par les
obus viets, la salle de triage des blessés est le
lieu d'un carnage. Le 19 Delobel arrive, la permanence PC
est plus facile mais 3 jours après, blessé, il
part à l'Antenne, nous ne le reverrons jamais. Ce
même jour, le 5ème est amputé de 2 compagnies : la
1ère de Rondeau s'installe sur Huguette 6" en bout
de la piste d'aviation, la 4 de Martinais sur
"Dominique" en soutien des tirailleurs du 3/3.
Gaven s'étalera un peu plus. Phu restera seul en
réserve OPS et donne un très sérieux coup de main
pour tendre un large réseau de barbelés (8 à 10 m)
devant nous, face aux Viets. Il est inconcevable
que cela n'ait été fait les mois précédents alors
que le Viet n'était pas encore installé. Le
travail ne peut se faire que de nuit, sous peine
de mort subite. Après cela, la Section Protection
du PC qui n'a plus qu'un sergent comme chef, sera
ventilé dans les compagnies en remplacement des
pertes, sauf Decloux et 4 Vietnamiens laissés à
Franck. La vie s'organise pour tenir, durer : Les
nuits calmes, (il y en a...), Botella prend la
permanence avec un radio et son ordonnance, agent
de liaison, Phuc. Je lui succède avec un autre
radio et Lac jusqu'à 5 heures puis Rouault, "Jules
le sanguinaire"; le "toubib des pitons", ayant
pitié de notre misère, assure avec Pierraggi la
fin de la nuit. La Section Trans, amenuisée, ne
comprend plus que Meyer, Faure, Nam, radios; Mao
filiste; les autres sont allés chez Rondeau et
Martinais. Le personnel infirmier ne comprend plus
qu'un Européen et 2 Vietnamiens, les autres sont
aussi allés en renfort des compagnies. La section
mortier du Chef Métais perdra en 2 semaines les
3/4 de son effectif sous l'effet des
contrebatteries. Il ne restera que 4 survivants et
1 seul tube de 80. Si la CCS très réduite n'a plus
que moi pour officier, le PC du Ba Wan l'est
encore plus : Dédé (indicatif radio de Botella),
le Chef Pierraggi, secrétaire à tout faire et...
moi encore. Le 25 Mars Le Sous-Lieutenant Canton, un
rescapé des camps de déportation, qui semblait
invulnérable, reçoit une balle en plein front sur
le Mont Chauve où il était en embuscade de nuit. Le 28 Arrive Bizard, l'officier adjoint
prévu, qui a été breveté Para la veille mais
Rondeau, ayant été gravement blessé au cours d'une
OPE de dégagement de sa position, Bizard le
remplacera devenant le commandant du PA qui, en
plus de sa compagnie, comprend une trentaine de
Légionnaires. Le Sous-Lieutenant Kim Can s'étant
particulièrement distingué lors de cette opération
est autorisé à porter les galons de Lieutenant. Il
sera tué le 2 mai. Le 29 Mars Martinais reçoit mission
d'aller avec sa compagnie forte de 90 hommes,
maintenant aguerris, renforcée par une section de
mortiers de la Légion, relever, sur "Dominique I",
le 3/3 RTA. Ce bataillon est squelettique. Il a
environ l'effectif de 2 compagnies (au lieu de 5),
3 officiers seulement et une dizaine de
sous-officiers, en majorité Algériens. Ces hommes
rapatriables en Mars, auraient du quitter Dien
Bien Phu en Février mais il n'y avait plus la
possibilité de les embarquer sans avoir une grosse
casse: personnel et matériel, le terrain
d'aviation étant sous le feu des Viets. Les hommes
sont fatigués, ils "n'en veulent plus", il n'y a
pas les cadres nécessaires pour les "regonfler".
Il faudrait les mettre à l'abri, au repos (où ?)
avant que, comme les Thaïs, ils ne désertent. Dans
l'après-midi de ce 29 mars, les armes automatiques
enlevées (prématurément) de leurs emplacements,
les sacs bouclés, les "Turcos" sont prêts à partir
quand une attaque V.M. se déclenche, Dl reçoit le
feu d'une quarantaine de canons ennemis. L'ordre
de repli, insensé sous le bombardement est annulé.
Le Commandant du 3/3 le dit par radio à ses
adjoints (au PC Ba Wan nous sommes à l'écoute) qui
ne peuvent répercuter l'ordre, les postes de leurs
subordonnés sont fermés ! Les tirailleurs voyant
les paras continuer leur progression, monter vers
eux, abandonnent leurs positions et déboulent vers
la plaine. Martinais qui a reçu les mêmes ordres
que leur chef, veut les arrêter, en vain; il est
obligé, ainsi que, hurle ce chef dans la radio, de
faire tirer sur eux par les hommes de sa compagnie
pour qu'ils rebroussent chemin. C'est trop tard.
Les Viets arrivés en haut du piton occupent les
emplacements abandonnés, il n'y a rien ni personne
pour les arrêter. Ils contournent le piton par le
Nord-Ouest vide de ses occupants et encerclent
Martinais, ses 90 "Nha Quès", une trentaine de
tirailleurs qu'il a récupérés et la section
légion. C'est une marée humaine qui va les
submerger après un combat au corps à corps, à 20
contre 1, qui durera plus d'une heure. La 4ème
Compagnie du 5ème BPVN n'existe plus. Il a fallu
le sacrifice d'un régiment VM pour l'anéantir.
Lors de la reconstitution des batailles, au cours
de la captivité, les pertes viets seront connues :
450 morts, un millier de blessés sur 2.000
attaquants. Quelques dizaines de tirailleurs, les
premiers à avoir fui, iront se terrer dans les
grottes qui existent le long des berges de la
rivière, c'est le début de ce qui sera appelé les
"rats de la Nam Youm", des hommes qui ne voudront
plus combattre et ne sortiront de leurs tanières
que pour faire de la rapine : vivres et vins
(vinogel). Le 30 mars Les Lieutenants Gaven et
Marqués de la 3ème Compagnie sont tués. Les hommes
du BT 2 ayant déserté en masse abandonnant le P.A
Anne Marie, que nous avions si bien aménagé en
Janvier, des officiers sont disponibles. Nous
recevons le Lieutenant Guilleminot dont le frère
avait commandé une de nos compagnies et le
Sous-Lieutenant Makoviak, un vétéran d'lndo, 3ème
séjour, il sera l'un des rares à pouvoir s'évader
de la captivité. Le Sous-Lieutenant Thélot,
adjoint de Bizard meurt aussi ce 30 mars. Certains
disent "c'est la vie", la mort qui nous oublie si
peu en fait, hélas, partie; la liste est déjà trop
longue des sous-officiers et hommes de troupe
Européens ou Vietnamiens dont j'envoie par radio
l'avis de décès. C'est une composante de la
routine, des tracas, ennuis, soucis quotidiens. Le
soldat doit combattre mais comme tout être vivant,
il doit manger, boire, dormir, chose peu facile
dans des abris trop petits, surpeuplés, au milieu
du tumulte de ceux qui vont et viennent, avec
orchestre de bouches à feu et fracas d'arrivée
d'obus de toute sorte, de tous calibres. Dès la
première heure d'arrivée d'une troupe en un lieu,
un problème se pose : la possibilité d'évacuer
proprement, ce qui fut ingurgité... Les feuillées,
tel est leur nom, très impropre à Dien Bien Phu où
il ne reste pas un arbre, pas une plante et,
évidemment, pas une feuille, furent installées les
premiers jours derrière 3 toiles de tente, en
plein air, mais trop d'hommes seront tués en ces
lieux. Le Toubib responsable sanitaire nous donna
la bonne solution de ce problème capital : Dans un
abri large, aéré, ventilé, creuser des
"Hollandaises". On commence par un trou initial de
40 cm de diamètre, cylindrique sur une profondeur
de 50/60 cm et, ensuite, descendre le creusement
en élargissant en forme de bombonne. Nos petits
gabarits "Nha Qué" font merveille : 2 m de
profondeur, 1,50 m à la base. Les mouches ne
sachant pas "spiraler" pour monter resteront dans
le fond. Le 10 avril Langlais et Bigeard décident
de reprendre E1 (de Castries les laisse faire...),
le 6ème BPC est lancé (ce qu'il en reste). Au prix
de très sérieuses pertes, il prend la position
mais il faut le relever. Le 2/1 RCP est envoyé
pour ce faire. Nous suivons toujours à la radio
nos collègues qui se font matraquer sans arrêt par
l'artillerie VM. Les gars d'en face sont sans
doute vexés d'avoir été refoulés à 10 contre 1 et
ils veulent reprendre la position. Tirs et
attaques viets se succèdent sans interruption. Le 11 vers midi Il faut contre attaquer
pour sauver ce qui reste des Chasseurs de
"Bréche". Une compagnie du BEP conduite par
Martin, la Compagnie de Phu, renforcée par la
moitié de la 3 du 5ème, seront de la "fête".
(l'autre moitié 40/45 hommes reste en défense (!)
de E4. Les Légionnaires conscients d'aller au
"casse pipes" progressent en chantant l'hymne du
1er BEP. Phu voudrait en faire autant mais le Ba
Wan n'a encore jamais eu de chant propre alors, ce
garçon brillant, énergique, ordonne aux cadres
"Phap" de chanter la Marseillaise ! Une dizaine de
nos "Nha Qués" la connaît (à peu près) et on voit,
on entend une Unité de Paras "Vietnamiens" aller
se faire tuer au son (approximatif) de l'hymne
national français. Nos pertes seront de plus de la
moitié de l'effectif engagé mais les survivants
tiendront jusqu'au lendemain. Cet acte vaudra à
Phu d'être nommé capitaine, et, ajouté à ceux de
Martinais, de Bizard, vaudront à notre bataillon
d'être enfin appelé le 5ème Para, Ba Wan n'est
plus un surnom péjoratif. Cela se passait le 11
avril, dimanche des Rameaux. Le 18 avril le Sous-Lieutenant Gourdesse
détaché chez nous venant du BT2 est grièvement
blessé, évacué. Le 21 Botella est nommé commandant. Il
dit m'avoir proposé capitaine, il n'y aura jamais
de suite. Je l'ai déjà dit, les approvisionnements
ne viennent pas seuls sur E4, il faut aller
chercher le nécessaire en bout de DZ, au début de
la piste d'aviation, puis au fur et à mesure du
rétrécissement de la "peau de chagrin", au PA
central, cela bien sûr sous les coups des
artilleurs d'en face. Dans la nuit des équipes de
"Tringlots" dont il faut louer le courage et
l'abnégation, dirigent des P.I.M., récupèrent,
trient, stockent, distribuent, aux pieds des
pitons, suivant les demandes des Unités (et des
avoirs). Les bénéficiaires emportent à dos d'homme
en passant par des points à découvert sur lesquels
les Viets s'acharnent. Le ravitaillement en vivres
est pour tous à base de riz. Nos hommes sont à 90%
au début, 80% à la fin, (après les renforts
parachutés) des Vietnamiens mais tous, européens
ou pas, mangent du riz à chaque repas. La boîte de
"singe" ("corned beef" en français) individuelle
est chez nous pour deux ! c'est le seul agrément
du riz avec quelques oignons mais nous aurons thé,
café, cigarettes à volonté jusqu'à la fin, le
sucre à peu près aussi. Nos mortiers de 81 sont
très souvent, sur ordre du G.A.P., appelés à tirer
dans le talweg en bas d'E4. Les munitions qui nous
sont attribuées, insuffisantes, et le Chef Franck
mettant un point d'honneur aux "appros", va
souvent, en plein jour, en quête du nécessaire,
accomplissant des prodiges d'audace, entraînant
l'ex sous-Lieutenant Loc. Le 24 avril Ce sous- officier de 25 ans,
solide, rieur, est atteint par des éclats aux
chevilles en traversant la Nam Youm. Il arrive
vers nous en larmes, sanglote et s'écroule : mort,
une crise de nerfs ayant sans doute provoqué un
infarctus ! "Jules" n'était pas là, il n'y avait
qu'un infirmier vietnamien, Pierraggi et moi. Je
n'avais à cette époque aucune connaissance sur le
massage cardiaque. Métais, Pierraggi, Ducloux (3
fois blessé) alterneront pour le remplacer
conduits par Loc assez regonflé au contact et à
l'entrain de Franck. Je dois aussi dire que Loc,
"à ses moments perdus", entre deux prières, a
creusé un trou de 2 m2 qu'il utilise pour cuire
notre riz en plus du travail de ramassage, c'est
aussi son abri personnel. Le soir, par le C 9,
nous écoutons les nouvelles diffusées à Hanoï par
"Radio Hirondelle", la voix officielle de l'Armée.
Nous sommes effarés par les énormités, les fausses
nouvelles sur Dien Bien Phu et nous sourions,
elles doivent être les mêmes en France, elles
rassurent nos familles. Comme il faut peu de chose
pour faire rire des hommes s'apprêtant à mourir,
nous nous esclaffons en début d'émission lors du
générique du feuilleton "les Mystères de Paris" :
"vous qui êtes à l'abri, écoutez les drames de
Paris", nous étions dans un abri et pour le
drame... qui pouvait mieux dire. Nous recevons du courrier parachuté mais
nous ne pouvons pas en expédier, ni même envoyer
des télégrammes privés, toutefois Reine saura
toujours que je suis vivant, en exercice de mes
fonctions, par Delors ou le Commandant Bloch qui
lui diront presque chaque jour avoir signé un ou
des T.O. de décès. Les derniers jours, Desfossés,
mon vieux compagnon de SAARF, responsable des
liaisons Hanoï - Dien Bien Phu lui offrira de
m'appeler par le radiotéléphone spécial, elle
refusera avec raison. Le ravitaillement de "Huguette 6"
encerclée, est devenue impossible; dans la nuit du
17 au 18 avril Bizard reçoit l'ordre de
l'abandonner. Les Paras du 8ème essaieront de
l'aider, mais ils ne pourront aller à moins de 400
m de lui, des tranchées viets fortement occupées
l'interdisent. Bizard a, avec lui, 70 hommes de
notre 1ère Compagnie, soldats aguerris maintenant
et une trentaine de Légionnaires dont deux
officiers. Le 18 avril, dimanche de Pâques, il
fera la sortie direction Sud, vers les amis. Les
hommes auront un sac de sable de 6 à 8 kg pendu
devant et derrière en guise de pare-balles, leur
arme et rien d'autre. A l'aube, au signal prévu,
tous sortent en même temps, courant, hurlant,
tirant, ils franchissent les deux lignes de Viets
surpris, attendant l'attaque venant du Sud après
avoir vu la mise en place des Paras du 8ème Choc.
Bizard, sans arme, courait au milieu des hommes,
son missel à la main (!) les encourageant. Il a
ramené les 4/5ème de la garnison de "Huguette 6".
Bel exploit consigné dans la citation accompagnant
la Rosette de la Légion d'Honneur attribuée à ce
capitaine de 29 ans. Nous avons eu depuis notre arrivée des
petites pluies. A partir de fin Avril ce sera des
pluies de mousson en avance qui détremperont tout,
transformant les tranchées en canaux. En 14/18 nos
anciens avaient du bois et pouvaient poser des
caillebotis. A Dien Bien Phu nous n'avons rien et
pataugeons dans la boue, même dans les abris. Les combats continuent. Nos "Nha Qués" se
sont aguerris, accoutumés; ils sont maintenant de
vrais soldats, des Paras qui se battent
courageusement. Il y eut quelques faiblesses à la
3 après les décès de Canton, Gaven, Marqués. Cela
s'est aussi produit ailleurs. Les Viets, par
haut-parleurs, incitent à ne plus combattre, à
déserter; cette propagande est faite en plusieurs
langues : allemand, arabe, espagnol et italien
avec, bien sûr, le vietnamien et le français.
Quelques Légionnaires, quelques Arabes se laissent
prendre, un flottement apparaît chez les
Vietnamiens de nos bataillons (tous les bataillons
paras sont "jaunis" à 40%). Bréchignac réagit très
fort. Botella l'imite : 3 gars du 2/1 RCP, 2 de
chez nous qui ne voulaient plus combattre, sont
déposés, ficelés, dans les barbelés pendant 24
heures. Les Viets les prenant sans doute pour des
tués ne leur tirent pas dessus, combiné avec les
harangues de Pham Van Phu cela suffira pour qu'il
n'y ait plus que des hommes voulant se battre. A l'écoute de nos hommes, de nos amis,
nos frères des Unités d'intervention, les
bataillons paras principalement, où nous nous
connaissons tous, colos, métros, légionnaires,
très intensément liés, nous sommes anxieux, nous
frémissons, subissons. Il est très dur de les
entendre sans pouvoir les aider; nous
reconnaissons très souvent leurs voix (certains
comme Clédic parlent en breton, d'autres en
anglais voire en arabe comme Botella !). Nous
voudrions aller les rejoindre, ce serait moins
oppressant dans l'action que de rester calmes en
écoutant les plus mauvaises nouvelles, du moins le
paraître pour rassurer ceux qui sont autour de
nous ou ceux qui, ne pouvant écouter toutes les
fréquences, voudraient savoir. Botella donne
l'exemple,. Il est parfait avec souvent un mot gai
pour détendre et rire de nos malheurs. "Jules" ne
laisse rien paraître, il va chaque jour dans les
compagnies soigner les blessés, les réconforter,
les stimuler. J'essaie d'être impassible,
indifférent même en recevant des objets, des
papiers, de l'argent ayant appartenu à nos morts.
Je consigne les détails pour écrire à leur famille
! cela ne se fera jamais... Nous devenons routiniers. Tous les
matins, Lac descend à la rivière et remonte un
jerrican d'eau. Nous prenons chacun un casque
lourd du liquide et toilette de chat. Tous les 3
ou 4 jours, si le Viet le permet, ablutions à la
rivière. Nous n'avons que la tenue de combat du
saut, avec la transpiration elle sent et devient
raide. Nous sommes arrivés avec un slip et une
paire de chaussettes de rechange, on lave quand on
peut, l'abri est très parfumé quand nous nous
déchaussons. Chaque matin Botella va prendre le
café avec ses collègues des autres bataillons
paras; Rouault, va à l'A.C chercher des
médicaments et fait le tour des compagnies. Je ne
descends au PC du GAP que 1'après-midi (en même
temps qu'à la rivière), voir les hommes de la 342
Trans, ma compagnie dont je suis détaché au Ba
Wan. Legrand a reçu un géophone qu'il me
confie. C'est une sorte de central téléphone à 6
lignes. En bout des lignes, des micros sensibles;
avec Mao et Lac je suis allé les placer en avant
des barbelés, dont deux au fond du talweg où les
Viets viennent chaque nuit creuser des tranchées
d'approche. A l'écoute Meyer, Faure, et Nam
manipulant les clés pour localiser les
terrassiers. Nam et Lac traduisent les ordres
entendus et le mortier ou les "lance patates"
(mortier de 60) tirent dessus. Les fils des micros
sont très souvent coupés et juste avant le jour il
faut aller réparer. Curieusement, lorsque cela se
produit dans le talweg, Mao ne sait plus faire une
épissure, sauf si je l'accompagne ! En plus des 3 officiers et de 3
sous-officiers du BT2 nous recevons des renforts
parachutés, des Européens, je ne les vois jamais.
A la réunion quotidienne, au GAP, Botella les
répartit dans les compagnies et donne la liste à
Pierraggi qui note. Ces renforts seront très
faibles (chiffre in fine) non conformes aux dires
de la B.A. Je fais parfois leur connaissance
lorsqu'ils viennent, comme les anciens, un bras ou
une jambe plâtrés, à moins qu'il n'ait un "turban"
saignant sur le crâne, demander à rejoindre leurs
camarades au combat. Tous préfèrent retourner,
tenir une arme, que rester à l'Antenne, Rouault en
garde quelques uns 2 ou 3 jours avant de les
autoriser à repartir. Devant Verdun il y a eu le cri "Debout
les morts", à Dien Bien Phu il est inutile, les
"morts" ne se couchent pas. Ceux de la Marne,
Verdun, Ypres, etc... pouvaient être ramenés à
l'arrière, ici il n'y a pas d'arrière. A fin mars "La casse" est telle dans nos 4
bataillons Paras qu'enfin Hanoï s'est décidé à
nous envoyer des renforts. Dans la 1ère semaine
d'Avril sont arrivés le II/1 RCP de Bréchignac,
dans la 2ème décade le 2ème B.E.P., mais c'est
trop tard, ils ne viennent que pour combler les
vides, arrivés comme nous, ou le 6ème, nous
aurions pu tenir la piste d'aviation pour les
largages. Actuellement, les hommes et le matériel
sont lâchés sur les superstructures du PC central
ou chez les Viets mais je n'ai, bien sur, pas à
juger les chefs (qui commandent de très loin). Vers mi-Avril Métais n'ayant plus qu'un
seul mortier dont les tirs sont essentiellement
dirigés sur le talweg où, chaque nuit, progressent
les tranchées viets, propose de creuser une
galerie avec au bout une cheminée axée sur les
coordonnées du tir pour battre le talweg ! C'est
accepté, les 4 ou 5 Nungs qui restent, creusent
jour et nuit. La galerie d'environ 5 m de long
sera terminée par une pièce d'environ 5 m2, haute
de 2 m. La cheminée, d'un mètre de diamètre aura
aussi plus de 5 m de hauteur. Les tirs, souvent de
nuit, se feront sans que les Viets voient la
flamme de départ et donc nous ne recevrons plus de
contre batterie. Fin mars Langlais, Bigeard et le
Capitaine Bourgois, son adjoint, viennent près de
notre PC voir les positions viets des pitons d'en
face : le chauve et le fictif. Nous levons la tête
hors de la tranchée et Bourgois s'écroule une
balle dans la tête . Devant la carence de certains adjoints,
de Castries a nommé Langlais chef des opérations,
Bigeard devenant le Patron des Paras. Bruno lance
un ordre du jour :"Il y a 12 000 rationnaires,
mais nous ne sommes que 2 500 combattants. Nous
avons faim mais tant qu'il y aura un oignon ou une
demi-boule de riz, nous devons nous battre !" Le 20 avril Au matin sur le C10 une voix
demande à parler au Pronto : j'écoute. La voix,
l'accent chantent dans ma tête, je réponds en
italien : - Parla Sergio ! Le Caporal Légion
Montalbano (le 1er homme que j'ai puni), était
arrivé dans la nuit avec toujours une botte et une
pantoufle à son pied blessé à l'opération Brochet.
Il avait vu Reine, la veille, et elle lui avait
confié une bouteille de Pernod. Ce boiteux sera
nommé sergent au feu et il fera la marche de la
captivité (500 km) avec le pied malade. Il ne
boîte plus et il est l'un de mes meilleurs amis. Gros dormeur, je manque de sommeil,
veillant chaque nuit de 1 à 5 heures. Je pouvais,
quand nous n'avions pas d'hommes impliqués, dormir
avant, depuis 21 heures, et le matin de 5 à 7. Au
lever du jour il devenait impossible de rester
allongé. Toute la matinée j'avais la
responsabilité du PC, des liaisons avec les
compagnies. Dédé revenait entre 11 heures et midi,
ramenant les nouvelles des chefs. Après le repas
un peu de sieste, si les VM nous laissaient
tranquilles, leurs attaques étaient le plus
souvent en fin d'après-midi ou en soirée. A partir
du 30 avril cette sieste devint impossible, les
bombardements permanents, surtout des "120 Retard"
faisant vibrer continuellement le piton. 2 mai Des trombes d‘eau font penser aux
pluies de mousson. Dans les tranchées l'eau monte
entre chevilles et mollets. La nuit, des
parachutages ont lieu au milieu des rafales de
vent. Le 1er BPC est ainsi largué dans la
tourmente; nous voyons des hommes passer 30 à 40 m
au - dessus de nos têtes, allant d‘ouest en est
pour atterrir chez les Viets... avant l'arrêt de
ces parachutages démentiels. Quelqu'un est allé à
l'Antenne chirurgicale dire que les Paras ne
pouvant être largués, "Bruno" demande des
volontaires. Les couches (il n'y a plus de lits)
se vident : borgnes, manchots, béquillards,
arrivent, c'est la cour des miracles en marche. Le
"spectacle" devient dantesque lorsqu'au milieu de
nos hommes nous voyons des "rats de la Nam Youm"
cherchant leur ex-unité pour, à nouveau, se
battre. 3 mai Dédé nous confie qu'une partie de
la garnison va tenter une sortie, dirigée par
Langlais, vers le Sud. Le BEP (depuis le 21 avril
le 1er et le 2ème ayant eu de très fortes pertes
n'en forment plus qu'un, plus petit), et le BPVN,
sacrifiés, doivent couvrir le départ pendant 24
heures. Après advienne que pourra, nous aurons
toute liberté de manoeuvre... Le BEP a encore 300
hommes, nous moins de 200 : La 4 a disparu, la
1ère avec Bizard une trentaine d‘hommes . La 2 de
Phu après "la Marseillaise" environ 50 hommes. La
3 commandée maintenant par Guilleminot a le plus
fort effectif environ 70. Pour la CCS Pierraggi,
Métais, Ponat, Decloux, 5 transmetteurs, 2
infirmiers, 2 filistes, les Nungs, des mortiers 4
et 6. Nous n'avons pas reçu de renforts
vietnamiens. La B.A. nous en a annoncés, nous ne
les avons pas vus. Étaient-ils tous dans les 2 Dak
qui ont dû faire un demi-tour après un début de
largage ? 5 mai La sortie de la garnison est
annulée, jugée trop coûteuse en vies humaines,
nous subirons le sort commun. Botella me remet
officiellement une demi-feuille de papier signée
de Castries. C'est le texte de la citation
m'accordant la Légion d'Honneur. J'en suis heureux
mais le "Poireau" aurait pu, pour une fois, sortir
de son abri et faire le tour des récipiendaires :
Bizard et moi au Ba Wan, une dizaine dans les
autres Unités. Mon Chef me dit qu'il a fait une demande
pour que je sois intégré dans "l'active". Cela
restera dans quelque dossier avec la proposition
de capitaine... 6 mai Les tirs de 120 à charge creuse qui
faisaient trembler le piton redoublent.
L'après-midi un nouvel instrument est dans
1'orchestre : "les orgues de Staline". Douze tubes
groupés crachant ensemble, c'est hallucinant !
Dans la soirée vers 23 heures, les Viets sont dans
nos barbelés, ils s'infiltrent à travers la 3 vers
le sommet de E4. Nos amis du 2/1 se battent au
corps à corps. Il y a là le Lieutenant Dutel et le
sous-Lieutenant Potier, dit "Sa Blondeur"; nous
les écoutons anxieux à la radio. Une section du
BEP arrive commandée par le Lieutenant Roux pour
appuyer la 3 de Guilleminot qui a refermé le trou
par lequel sont passés les Viets. Bruno nous demande de faire tirer le
mortier dans le talweg. Réponse de Dédé : - Je
viens de téléphoner à Hanoï pour avoir le
nécessaire, dès réception j'exécute. Bruno reprend
: - Compris, en attendant lance toutes tes unités
de réserve en contre-attaque, ciao. Nous nous
regardons, je bats le rappel de ceux déjà énumérés
: Métais et ses Nungs, Decloux (3 fois blessé) Loc
(!), les radios, les 2 filistes. Dans l'abri PC
nous avons 5 ou 6 blessés, il y en a autant dans
les autres, nous devons donc laisser les 2
infirmiers à Rouault. Je me lève, boucle mon ceinturon et dis :
- A moi la der. Dédé me prend par la main : - Non,
Métais suffira, reste avec moi. Il est minuit, par
le boyau tous nos hommes sont là, Métais pousse
dehors les Nungs, sort, se redresse et un obus
explose devant lui, ses hommes qui le précédaient
sont tués. Rouault et Pierraggi rentrent Métais
vivant mais les jambes broyées et le déposeront au
fond de l'abri avec les autres blessés dont le
sous-Lieutenant Latanne, gravement atteint aux
jambes. La dernière contre-attaque est mort-née
mais les Nungs et leur chef ont servi de bouclier
à l'entrée de l'abri PC. Nous leur devons d'être
sans blessure. Destin. Les seules mitraillettes restant à la CCS
sont maintenant éparpillées dans la boue de la
tranchée ou dans les barbelés, nous n'avons plus,
au PC, que les pistolets des officiers. Toutes les
autres armes et grenades, nous les avions données
dans les compagnies. Vers 4 heures. L'attaque V M est toute
axée sur E3 pour rejoindre les premiers
combattants infiltrés au sommet de E4 . Notre 3e
Compagnie et le renfort Légion sont submergés. Le
combat est très violent au dessus de nos têtes où
nos frères se battent au corps a corps contre des
masses arrivant l'une après l'autre en enjambant
les cadavres. Il ne nous reste qu'a attendre . Les
heures sont très longues à rester calmes dans
l'expectative tandis que de nouveaux blessés
viennent se réfugier près de nous . Peu après la sortie de Métais, Rouault
nous suggéra de le laisser avec les blessés et de
nous replier vers Bruno. Botella s'y opposa et
nous demanda de rester avec les dits blessés pour
les réconforter et entretenir leur moral par notre
présence. Bien que préférant la lutte, je le
soutins; nos hommes restèrent pour aider et
soigner les blessés.Environ une heure avant le grand jour,
Dédé appela Langlais pour lui dire notre "A Dieu".
Il s'excusa de n'avoir pu mieux faire avec le 5ème
BPVN. L'émotion l'étouffa, les Viets étant
certainement à l'écoute, je lui pris le micro, dis
un salut aux collègues et amis. Ne sachant comment
conclure, je lançais le "Pour les Paras hip, hip,
hip, hurrah", conté par quelques historiens :
Langlais, etc. J'entamais la destruction des postes
radios. Dédé ne le voulait pas de crainte de
représailles envers les blessés, je sortis les
châssis de leurs boîtiers, les rendis
inutilisables et remis en place, apparemment en
état; ma caméra, nos jumelles, reçoivent des
balles, puis mon colt "Rimless", donné par Jove en
1943 est jeté par pièces détachées dans la boue,
le plus loin possible et nous attendons. Au petit jour un Bo Doï arrive vers nous
dans la tranchée. Il a un masque en tissu sur le
nez et la bouche, un drapeau blanc au bout d'un
fusil. Pierraggi et moi sommes dehors devant
l'abri, il nous voit, appelle des collègues qui
arrivent en nombre, tous le masque sur les voies
respiratoires. Nous essayons de dire qu'il y a des
blessés dans les abris :"Cum biet, divé".
Bousculés nous prenons le chemin des vaincus, des
captifs. Nous avions été parachutés pour être tués
ou prisonniers.
ÉPILOGUE
Après notre
libération des camps viets, j'ai aidé Botella
pour la "liquidation" du BPVN de Dien Bien Phu
(immédiatement reconstitué à Hanoï ) :
Décorations, promotions, lettres à des familles
de morts ou disparus. Peu pressé de rentrer
puisque j'étais en famille, je suis resté à ce
poste après le départ du commandant, ce qui m'a
permis d'avoir des doubles ou des brouillons du
travail effectué jusqu'au 30 novembre 1954. Il fallait régler avec la
B.A. le différend quant aux effectifs réels du
bataillon à Dien Bien Phu. Notre chiffre global
était de 642 alors que l'arrière avançait celui
de 705. Nous étions d'accord sur les 566 Paras
du 14 mars, pas sur les renforts indiqués.
Botella s'appuyait sur les T.O. archives des
T.A.P. pour renforcer nos mémoires
(concordantes) et dire 86 personnes alors que la
B.A. en avançait 139. Peut-être avait-on compté
2 fois les Dak qui n'avaient pas largué Les Capitaines Tholly et
Roigt, Commandant la B.A. et Chef des Services
Administratifs, sont venus à Saïgon pour
éclaircir les comptes. Botella fut très froid
avec eux et il les renvoya très brutalement
lorsqu'il apprit qu'une quinzaine d'officiers :
3 Européens et une douzaine de Vietnamiens
étaient restés très confortablement au
Protectorat. Botella a dû leur faire une belle
réputation, je n'ai pas vu le nom de l'un
d'entre eux dans les tableaux d'effectifs des
Unités d'Algérie. Parti avec Datin du 6ème à
Haïphong récupérer les cantines des survivants,
je n'ai pas vu Tholly et Roigt et n'ai pas pu
les remercier et leur faire transmettre à
d'Audeville et consorts (les Français restés à
Hanoï), les remerciements qui s'imposaient pour
ne s'être jamais inquiétés de Reine et des 3 ou
4 autres épouses d'officiers et sous-officiers
vivant à Hanoï . Pour terminer. Le 30
novembre j'arrêtais de travailler pour la
liquidation du 5ème. Il y avait ce jour-là 82
survivants dont 15 Vietnamiens. Parmi eux 3
grands blessés (invalides). Il y avait quelques
évadés, Pham Van Phu en tête, rencontré dans les
rues de Saigon. Il me donna le chiffre de 5,
mais l'armée vietnamienne n'a jamais voulu
préciser ou donner les noms : Sécurité.
VERDICT : 642 PARAS ONT SAUTE A DIEN
BIEN PHU
82 SONT RETOURNES CHEZ EUX
SOIT SUR 8 : 7 MORTS, 1
SURVIVANT...
Mai à Décembre 1954
Captif des
Viets
- Laï daï, laï daï ! (venez). Les soldats
Viets crient, braquant leurs armes pour que nous
sortions. Nous essayons de dire qu'il y a des
blessés incapables de bouger. - Cum biet, cum biet
(je ne comprend pas). Dès que nous sommes dehors,
les canons de leurs armes dans le dos c'est : - Di
vè, di vè (partez), mao len (vite). Ces mots nous
les comprenons tous, ce sont les mots que tout
Français apprenait le premier jour de son arrivée
en Indochine. Di vè pour les petits cireurs qui
tournait autour des "Phap", le marchand de petits
objets harcelant les clients à la terrasse des
cafés. Mao len pour tous : le serveur du Café, le
cyclo pousse, tous, tous. Ces Vietnamiens si
gentils, si attachants étaient lymphatiques, trop
pour nos tempéraments. "Cum biet" le refrain du
moto-pousse de Saigon ou du cyclo d'Hanoi. Il
fallait connaître l'itinéraire du lieu ou nous
voulions aller sinon notre conducteur tournait en
rond... Di vè, mao len, cela s'adressera de longs
jours à nous les captifs, les perdants de Dien
Bien Phu. Les Bo Doi (soldats Viets) nous font
partir vers le Nord Est par la tranchée en
marchant sur les cadavres, on ne peut faire
autrement et ceux qui nous poussent ne font aucune
distinction entre leurs frères et les nôtres, il
en sera encore ainsi bien après avoir traversé nos
barbelés par une brèche. Nous comprenons leur hâte
: ils ont peur que nos artilleurs pilonnent la
position pour la reconquérir... 300 mètres après le bas du piton (Éliane
4) leur ardeur se calme et nous continuons assez
paisiblement vers Ban Him Lan. Botella, Rouault et
moi nous nous trouvons séparés des sous officiers
et des hommes de troupe. Nous ne portons pas de
galons et pourtant nos gardiens nous dirigent vers
une grotte ou il n'y a que des officiers ! Nous
vidons nos poches : papiers, argent, bagues,
montres nous sont retirés et nous partons vers
l'Est nord-est poussés, "Mao Len", par nos
gardiens... Vers 17/18 heures, j'arrive dans une
clairière avec une trentaine d'Officiers, presque
tous inconnus, sans Botella ni Rouault. Nous y
resterons la nuit sans rien à manger ou boire. Le 8 nous marchons vers le Nord-Est,
intégrés dans une longue colonne d'officiers,
sous-officiers, hommes de troupe européens
exclusivement. Je marche à côté de Le Guéré,
Lieutenant du 1er R.C.P., nous parlons évasion. Il
dit connaître les pistes Méo, tribus vivant sur
les hauteurs. J'ai une boussole-bracelet, fixée
sur la jambe, au dessus du genou, un embryon de
carte au 1/1OOOOOO cachée dans les renforts de mon
pantalon et 3OOO piastres roulées dans les manches
retroussées de la veste. Ces piastres ne
m'appartenaient pas, c'était celles trouvées sur
les morts du bataillon, stockées au P.C. avec
leurs alliances, montres, etc... Au cours de la
dernière nuit, nous nous les étions partagées en
rêvant tous d'évasion. En fin d'après midi, à un
détour propice de la piste nous sautons dans la
forêt et nous nous éloignons. La nuit qui vient
vite est claire. Nous dirigeant sur les étoiles
nous avançons vers le Sud Sud-Est, marche dure,
pénible à travers bois, lianes et obstacles
naturels : rochers, trous... Depuis 48 heures je
n'ai rien mangé, rien bu après avoir été sous
alimenté depuis six semaines. Je suis bientôt à
bout de souffle et de forces tandis que Le Guéré
semble frais et dispos. Nous faisons une halte
mais il bruine, nous grelottons et repartons.
Encore une halte, encore froid, marchons. Après le
lever du soleil : stop. Je m'écroule et dors. Vers
midi (boussole et soleil) mon camarade me
réveille. Je dois avoir dormi 3 heures. En route !
Un peu plus tard nous trouvons une piste qui
semble axée sur notre sens de marche. Nous la
suivons et vers 16/17 heures nous entendons des
voix. Avançant très prudemment nous apercevons un
village. Je suis exténué. Le Guéré suggère d'aller
nous ravitailler, ça devrait aller mieux après.
Les villageois nous reçoient avec des sourires.
Nous demandons à manger, j'exibe quelques piastres
et une soupe se prépare, du riz cuit. Il y a un
ruisseau, nous buvons et nous nous lavons... Nous
passons de l'eau sur la tête et le torse, nous
trempons longtemps nos pieds et... à la soupe !
Pendant que nous mangeons 4 hommes armés nous
tombent dessus : nous sommes repris. Le Chef de ce
groupe fait rendre les piastres que j'ai données,
me demande si le compte est exact, les recompte et
les empoche puis... en route. En moins de deux
heures nous rejoignons des collègues, tous
officiers. Les 10/11/12 mai nous restons dans ce
camp provisoire assez bien organisé Certains sont
cuisiniers et dans de grandes poêles, des pairols,
font cuire du riz, rien d'autre. Des médecins
tentent de donner des soins mais ils sont démunis
de tout, ils lavent les plaies à l'eau du
ruisseau, essaient de nettoyer les pansements pour
les remettre et apportent un peu de réconfort
essentiellement verbal. Le ruisseau nous permet un
semblant de nettoyage avec de la cendre. Nous
sommes tous à la même enseigne : veste et pantalon
de combat, pallabrousse aux pieds, un slip,
quelques uns un tricot de peau. J'ai une casquette
sur la tête, certains un chapeau de brousse,
quelques Paras leur béret mais la plupart sont
tête nue. Le 13 mai des groupes d'une quarantaine
d'individus sont formés par les Can Bo (Cadres)
pour prendre la route. À part Élise le Pronto,
guadeloupéen, de Bigeard je ne connais personne
dans le groupe où je suis. Nous avançons en
colonne, portant les ustensiles de cuisine,
mélangés à des Bo DOI, brancardant un blessé.
Alors que je suis porteur, j'ai une crise de
tachycardie, chose fréquente depuis mon enfance
mais je n'en ai jamais eu d'aussi violente, je
demande à être relevé et je m'écroule. Mon coeur
doit battre à 180/200 coups minute. Les collègues
passent indifférents auprès de cet homme qui
halète, la queue de colonne arrive tandis que deux
Bo Doi me secouent, crient, donnent des coups de
crosse. ÉLISE qui était bon dernier s'arrête, me
prend la main :"Lève toi et marche sinon tu
crèveras là". Il me tire, me pousse, je marche et
le coeur reprend enfin son rythme normal. Mais je
me sens très faible et reste en queue avec Élise
jusqu'à la halte du soir. Le 14 la route est très pénible. Nous
grimpons une colline parfois à quatre pattes
tandis qu'à une dizaine de mètres, sur le côté,
des centaines d'hommes et de femmes réparent la
piste éboulée. Vers le milieu de l'après midi nous
arrivons au sommet et reprenons la piste. Nous
sommes au Col des Méos disent certains officiers.
À un carrefour avec une autre piste nous croisons
une colonne de Vietnamiens, nous cherchons, eux et
nous, une tête connue. Mao, le filiste, est là, il
s'avance vers moi, ébauche un salut que j'arrête -
On a dû te dire qu'il n'y a plus d'officiers, tu
ne dois plus me saluer. Il se raidit au garde à
vous "oui mon lieutenant". Je lui tapote l'épaule
et lui dit "Courage". Il sort un paquet enveloppé
de plastique, il y a du riz, me le tend : - C'est
peut-être mon lieutenant un peu faim ? Je le
remercie, lui donne l'accolade et pars vite très
ému. Peu avant la tombée de la nuit nous
rejoignons une autre colonne ou il y a Botella,
Bigeard, Langlais, des aumôniers, des aviateurs,
Dujon le Pronto du G.O.N.O., Péraud, Camus,
Schoendorfer du S.C.A. etc.... Nous nous racontons
les faits de la semaine écoulée. Bigeard,
Bréchignac et quelques autres ont été filmés et
ont participé à la critique sur boite à sable des
diverses attaques Viets et de nos contre attaques. 15 mai. À partir de ce jour nous serons
transportés en camion, des 4X4 Molotova gabarit
intermédiaire entre Dodge et G.M.C.. Ils sont
bâchés. Dans chaque véhicule 3 fûts d'essence
vides, une douzaine de prisonniers accroupis au
sol tandis que deux Bo Doi restent assis sur le
hayon. Nous ne roulerons que de nuit et
comprendrons pourquoi nos aviateurs ne les ont
jamais vus : chaque camion est un buisson ambulant
et chaque soldat Viet Minh a sur son casque en
latanier 2 ou 3 petites branches... Ces véhicules
avancent à 10/15 Km heure soit sur une piste
normale soit en sous-bois. Dans ce dernier cas les
cimes des arbres se touchent et nos buissons se
fondent. Si c'est dans une bambuseraie, les
sommets des bambous ont été rapprochés et liés
formant une voûte ! Sur les routes (pistes) tous
les Km, un homme, souvent âgé, est posté avec un
vieux fusil; s'il entend l'approche d'avions il
tire un coup de feu et le convoi, roulant tous
feux éteints s'arrête. Les Bo DOI nous mettent en
joue. Le convoi repart lorsque le bruit des avions
a disparu. Avant le lever du jour le convoi
s'arrête en forêt. Si nous sommes arrivés par une
piste visible du ciel, après que tous les camions
sauf un soient entrés à l'abri des vues aériennes,
les Bo DOI, avec des branches, effacent les traces
d'accès au bois. Le camion resté dehors fait des
allers et retours pour rétablir la continuité des
traces en ligne et va un peu plus loin dans le
bois en passant sur des branches posées au sol. La
photo aérienne ne révélera pas les camions
camouflés dans le sous bois. Les Colonels Langlais et Trinquand sont
des vétérans d'Indochine, ils reconnaissent
certains paysages, sites ou monts souvent
confirmés par les Pères Guidon et Guérit,
missionnaires dans la région avant d'échouer à
Dien Bien Phu. Ils nous indiqueront le passage de
Son La, Tuyen Quang et la Rivière Claire.Après 4 ou 5 nuits de route, lors d'un
franchissement de rivière nous descendons des
camions, les véhicules passent seuls sur des bacs
paraissant en limite de charge. Notre groupe de
prisonniers passera en deux fois, accroupis,
serrés les uns sur les autres, les Bo Doi debout
autour de nous. De l'autre côté nous attendons
dans l'obscurité. Je pense que c'est une occasion
d'évasion, les Bo Doi semblent très occupés à
surveiller les bacs, je m'éloigne et atteint un
bois très proche, pas plus de 10 mètres. Je
progresse dans le sous bois et lorsque les voix
criardes des Bo Doi deviennent faibles je vais
vers la rivière. Tous les chemins mènent à Rome,
toutes les rivières doivent conduire au Fleuve
Rouge qui passe à Viètri et Hanoï. À 5/6 KM heure,
50 KM par nuit dans 5 ou 6 jours je serai... La
lune est à son dernier quartier, elle apparaît en
haut des arbres au moment où j'arrive au bord de
la rivière. Je distingue des bois échoués, j'en
prends un d'environ 1,50 mètre de long ayant 18/20
cm de diamètre et entre dans l'eau qui n'est pas
très froide. En nageant je m'habitue vite. J'ai
depuis l'âge de 16 ans participé à des
compétitions de natation, vitesse pure et
water-polo, à 20 ans, en stage à Verdun, j'ai
plongé dans les violents remous de la Meuse et
ramené un homme qui se noyait. Je n'imaginais pas
ce que pouvaient être les rapides. Appuyé sur le
billot par les avant - bras, j'avançais attentif à
ce qui pouvait se passer mais vite, très vite, la
vitesse s'accélère. Je ne dirige plus rien, je
suis emporté, des vagues me submergent. Je reste
quelques secondes sous l'eau reprenant ma
respiration en refaisant surface et, après avoir
fait de 10 à 20 fois le ludion (je n'ai pas
compté), tout redevient calme. J'ai perdu ma
casquette mais je suis toujours bien cramponné à
mon billot. La rivière devient large, par moment
mes pieds raclent le sol, je reprends confiance.
Une demi-heure ou une heure passent ainsi et il me
semble que le ciel s'éclaircit : je vais devoir
m'arrêter. Je n'en ai pas le temps, la rivière
redevient étroite, les rives plus hautes, le
courant très fort. J'ai repris mes plongées
inopinées roulé dans des vagues très grosses, dans
un courant encore plus violent, les immersions
sont de plus en plus longues. Un choc, je lâchais
mon bout de bois, heurtais plusieurs fois des
corps durs : rochers ou arbres ? J'avalais de
l'eau sans pouvoir reprendre ma respiration. La
Gestapo ! Ils ne m'ont pas noyé mais là c'est fini
! Je paniquais, me débattis encore plus. Nouveau
choc, ma main gauche attrape quelque chose. Je m'y
cramponne : c'est une branche qui pend d'un
arbuste. Je tiens bon, la tête hors de l'eau,
soufflant, toussant, crachant, vidé, anéanti. La
rive est trop haute pour me hisser dessus, un
petit jour blafard me permet de distinguer celle
d'en face tout aussi haute. Me tirant de branche
en branche dans le courant toujours fort, j'avance
péniblement de quelques dizaines de mètres et
trouve un endroit pour sortir. Je m'affale à plat
ventre, la tête sur les bras croisés. Au loin des
bruits, un chien, des voix. Un petit bruit de
branches, je me lève et voit arriver à 5 mètres de
moi deux hommes armés : Laï Daï ! J'avance le
canon d'un fusil dans le dos, je commence à avoir
l'habitude, c'est la 3° fois. Nous remontons le
long de la rivière, trébuchant, tombant. Mes
gardes, des Dzu Kich, n'ont pas un, geste,
simplement le même ordre parfois accompagné d'un
petit coup dans le dos : Di Vè. Le soleil est très
haut quand je rejoins mes compagnons. Ils avalent
leur riz, certains ont l'air narquois en me
voyant, la plupart baissent la tête. Un Bo Doi
nous conduit vers un personnage important que
j'avais aperçu 2 ou 3 fois en route. Il félicite,
me semble-t-il, les Dzu Kich, demande mon nom, mon
grade, l'unité, donne des ordres puis s'intéresse
à moi : - Pourquoi êtes vous parti ? (son français
est très correct). Nous avons des gardes le long
de toutes les rivières et de toutes les routes,
tout départ est voué à l'échec. Un gradé du convoi
et deux Bo Doi arrivent. J'ai l'impression qu'ils
se font très fortement sermonner, ils ont l'air
contrits et restent muets. L'interrogateur se
tourne à nouveau vers moi : - Comment nous avez
vous quittés ?" Je le dis simplement, nouvelle
diatribe vers les gardes qui repartent l'air
penaud tandis que le chef me dit : - Ne
recommencez pas, ça finirait mal pour vous,
attendez la clémence de notre vénéré Président Ho
Chi Minh, vous êtes maintenant dans le camp de la
paix, tout départ vers les fauteurs de guerre est
une désertion, dites le bien à vos camarades, et
il me renvoie. Je raconte mon aventure, Élise est
sceptique, d'autres qui ont vu des rapides en
Haute Région me croient. L'idée d'évasion
condamnée par quelques uns reste présente pour un
grand nombre. Avec Guilleminot et Élise nous
échafaudons des plans, Guilleminot, qui a vécu
chez les Thaïs pense que vers l'aval, il ne
devrait plus y avoir de rapides et il préconise un
radeau fait de 3 fagots de 6 à 8 bambous auquel
nous serions arrimés. Des années plus tard, lisant
les récits d'évasions ayant échoué, j'ai compris
combien nous étions naïfs et que le Can Bô avait
hélas raison. Mais... si c'était à refaire je le
referais. Ça discute ferme mais sans décision. Je suis dans le même camion que Péraud,
Camus, Dujon, Schoendorfer et Élise. Deux jours
après mon aventure Péraud veut tenter de partir,
Schoendorfer l'accompagnera. Les Viets prendront
des mesures accrues de sécurité, en conséquence
Dujon, Élise et moi partirons simultanément.
Camus, malade, n'aurait pas la force de suivre, il
a des rouleaux de pellicule des derniers jours de
Dien Bien Phu. Il en confie 2 ou 3 à chacun de
nous. Notre départ s'effectuera pendant que les
camions rouleront, Péraud le premier Schoendorfer
suivra puis Élise, Dujon et moi. Les Bo Doi ont
toujours, comme le faisaient nos Vietnamiens dès
qu'ils s'asseyaient, les yeux fermés. Après
environ deux heures de route, nos gardiens
somnolent, les têtes ballottent. Péraud soulève la
bâche latérale côté droit et sort, Schoendorfer le
suit mais accroche une branche du camouflage qui
revient fortement en claquant vers la cabine. Le
camion stoppe, les Bo Doi nous mettent en joue,
des bruits, des cris, une course, un coup de feu,
un second et Schoendorfer revient bousculé par les
soldats. Nous sommes ficelés, 3 par 3, par les
coudes tirés en arrière. Au jour semonce par le
chef de convoi, le chef de bord dit que Péraud a
été abattu. Pas de commentaires mais nous faisons
tous très grise mine, nous espérons tous que c'est
faux, que c'est de l'intox de dissuasion mais nul
ne reverra jamais ce garçon courageux et rieur.
Péraud était à Saïgon en instance de rapatriement
quand il apprit le 14 mars le clash de la veille à
Bien Bien Phu, un "scoop" à ne pas manquer : avion
stop pour Hanoï et le 16, il saute avec les
"Bigeard". Adieu l'Ami. Nous sommes mis à poil, tous nos
vêtements sont fouillés très sérieusement ainsi
que les camions. Les piastres que j'avais roulées
dans les manches sont découvertes ainsi que la
boussole et la carte : Can Bô et Bo Doi jubilent.
Chaque soir nous sommes ficelés pour continuer la
route. Une redistribution des groupes est opérée
et un matin le convoi ne comprendra que 3 camions.
Les officiers supérieurs et les S.C.A. ne sont
plus avec nous, nous restons 42. Le surlendemain, le 27 mai, je crois,
nous arrivons de nuit à destination, un camp
auquel on accède en passant sous un porche en
bambou. Les camions restent dehors et au passage
le Père Guérit lit l'inscription en vietnamien :
"Tribunal Central Militaire du Viet Nam. Toute
tentative de fuite sera punie de 10 ans de Prison.
Nous sommes coupés en deux groupes, celui ou je
suis, 17 hommes, va dans une grande baraque de
60/70 M2/. Elle est en bois de fer qui émousse les
couteaux, une seule porte et deux ouvertures d'un
demi mètre carré munies de barreaux, des grands
bat-flancs pour se coucher. Nous y trouvons un
européen cheveux gris, grosse barbe grise, la tête
(très sale) de Moustaki, très mal vêtu. Il reste
couché et grogne quand l'un de nous essaie de lui
parler. Au jour il répondra a quelques questions :
il est Français, civil, enfermé depuis des mois,
plus d'un an. Il dit s'appeler Hugner, venir du
Sud ou il était dentiste. Interrogé sur les
possibilités d'évasion il dit "folie, folie" et à
notre surprise ajoute. - Ne me dites rien, je ne
veux rien entendre, je répéterai tout aux Viets.
Nous nous détournons tous. Des Can Bô viennent
avec du papier, des plumes, de l'encre, nous
devons écrire notre curriculum vitae, c'est pour
prévenir nos familles et nous authentifier près
d'elles... puéril ! Certains regimbent, d'autres
disent qu'il faut collaborer pour être libérés un
jour. Georges, Capitaine de la 13 DBLE met de
l'ordre : donner l'état civil, le grade et l'unité
au moment de la capture, rien d'autre. Nous avons appris les premiers jours de
marche que le lieutenant du B1 n'avait détruit
aucun papier. L'ordre de bataille des unités est
tombé intact entre les mains des Viets. Weinberger
(3/3 REI) et moi renchérissons très fortement
(nous avons lui et moi connu les prisons nazis et
parlons en anciens des prisons), nous devons coûte
que coûte tenir ferme et faire face aux exigences
viets. Je précise une date : au moins jusqu'à
Noël. Des pourparlers d'armistice sont en cours à
Genève et la France ayant perdu son fer de lance,
Paras et Légion, à Dien Bien Phu, devra céder. Il
faut aussi penser que si nous nous rallions
directement aux vues et désirs des Viets nous ne
seront pas crus, il faut des mois pour modifier
l'état d'esprit des gens... Pour l'heure nous
sommes tous en bonne santé, nous ne devons pas
capituler, notre honneur est en jeu. Je dis avoir
parlé avec le Toubib Pédoussaut libéré fin 1952
(c'est faux, je l'avais simplement croisé dans un
couloir) et que les Viets n'avaient admis les
"conversions" qu'après un an de discussions. Nos
palabres durent deux jours puis, de plus ou moins
bon gré, l'ensemble accepte, (il y a des contre,
surtout un aviateur) de rester indifférent aux
avances et insinuations de nos gardiens. Lors de la fouille un ORSA avait été
trouvé porteur d'une carte du parti communiste, il
s'y était inscrit avant le départ en Indo (dixit)
comme sauvegarde. En réalité, traité comme
traître, il a été très malmené. Nous n'avons pas de soucis (!), de
contingences matérielles. La nourriture nous est
apportée midi et soir : un bol de riz et quelques
liserons d'eau, il y a un point d'eau pour la
toilette (!), des latrines propres pour le jour et
une tinette pour la nuit. Nous sommes enfermés
dans la baraque chaque soir et le jour nous sommes
dans une sorte de cour située dans un grand cirque
de calcaires. Nous sommes astreints à des travaux
que nous faisons volontiers en guise d'exercices
physiques. Chaque équipe de 4 ou 5 hommes creuse
un trou de 0,80 à 1 mètre de diamètre pour aller
en boucher un à 10 ou 15 mètres de là. La terre
est transportée sur une sorte de brancard par deux
hommes. Quand le trou est bouché, on en creuse un
autre pour combler le précédent. Un Bo Doi rieur,
toujours le même, fusil à la bretelle est commis à
la surveillance allant d'une équipe à l'autre.
Nous lui avons appris à siffler "un petit navire",
ravi il n'arrête pas et nous signale ainsi son
approche. Dans son dos, nous déterrons des racines
de manioc, bon complément de nourriture. Je peine
pour en manger (je n'ai jamais pu avaler du
tapioca), mais il y a un pimentier qu'ÉLISE
surveille et me réserve les fruits qui font passer
le manioc. Quelques uns d'entre nous, pas tous,
sommes souvent interrogés la nuit dans une baraque
à l'entrée du camp devant l'effigie d'Ho Chi Minh.
Pourquoi suis-je venu en Indo ? Quelle est ma
carrière ? Quelles furent mes Unités ? mes
emplois? les opérations auxquelles j'ai participé,
etc... Je me minimise, je ne suis pas de carrière
mais un réserviste rappelé, sorti du rang par la
Résistance. En Indo je n'ai fait que former des
opérateurs radios et filistes et si j'étais au Ba
Wan ce n'était que pour 3 mois pour monter la
section Trans avec comme personnel mes anciens
stagiaires, ils sont prisonniers, vous pouvez
vérifier. Les interrogatoires portent aussi sur le
chiffre, les codes... Là je n'y connais rien,
c'est réservé à des spécialistes triés sur le
volet. Le système de transmission par
fragmentation, l'AZ 13, j'en ai entendu parler
mais jamais vu un de ces appareils, je suis prêt à
le jurer sur le portrait d'Ho Chi Minh qui est
devant moi. Les "Spécialistes" qui m'interrogent
ne sont visiblement pas convaincus et me le font
comprendre par une volée de coups de bâton.Une fois je suis interrogé avec Georges
par deux nouveaux, totalement inconnus, sur les
activités (brutalités) colonialistes : viols,
vols, incendies, tortures, etc.. Nous nous
insurgeons : nous étions dans la Résistance contre
le Nazisme, alliés avec les Russes. Nous nous
sommes battus pour défendre la liberté, pas pour
asservir. D'ailleurs moi simple radio qui ai
souffert la torture de la Gestapo je me suis juré
que jamais personne, devant moi, ne serait
humilié, avili, j'ai toujours traité les
prisonniers en humains. Les interrogateurs se
regardent sans rien dire, ils semblent étonnés. Je
me lance alors dans une diatribe sur nos
conditions de détention, la Convention de Genève,
les droits de l'homme, etc.... Mes vis à vis
semblent surpris, ils écoutent sans rien dire
paraissant de plus en plus étonnés et très
attentifs. J'en profite pour dénoncer la cruauté
mentale des gardiens. Pourquoi avoir enlevé les
alliances, parfois de force ? Georges est
célibataire, suite à un accident je ne porte
jamais aucune bague, alliance ou chevalière. Je ne
plaide donc pas pour moi mais pour mes camarades,
je peux le dire, le clamer très fort, c'est un vol
et surtout une atteinte morale. À bout de souffle
et surtout d'arguments je me tais. Il y a un
silence puis conclusion des Viets : nous allons en
référer à nos supérieurs. Je lâche alors, au
hasard, une nouvelle flèche : - Faites un bon
compte - rendu, veillez à ce qu'il soit transmis
très haut. Ma femme enseignante à Hanoï fréquente
des collègues de Giap et même des membres de sa
famille. À mon retour je dirai tout pour qu'il
sache tout. Nous sommes reconduits très gentiment
par les Bo Doi, qui, pour une fois, la seule,
éclairent notre chemin... Georges et moi nous nous
entendions déjà très bien, je l'avais très
fortement soutenu lors d'une discussion sur la
collaboration. Cet interrogatoire nous rapproche,
il raconte à nos compagnons, quelque peu effarés,
mes dires, ma véhémence. Certains, toujours les
mêmes, critiquent, mon Ami les fait taire. Au cours d'un autre interrogatoire avec
Weinberger, l'autre "Allié" des Russes en 39/45,
je scandalise le Can Bô du jour qui cite
l'Humanité qu'il nous remet (1952/1953) en disant
que ce n'est qu'un petit journal de polémique. Son
tirage, dis-je, est le 1/4 des grands journaux de
province et le 1/10 de ceux de Paris. Un de ses
collègues vient en renfort, ils ne peuvent me
croire. Il faut quand même tuer le temps, avec
Georges nous rassemblons près de 200 contre -
pèteries que nous inscrivons sur du papier bambou
subtilisé aux gardiens Ce papier, très fin, de
teinte bistre, ressemble à du papier hygiénique,
il se déchire sous la plume, l'encre s'étale comme
sur du buvard, (j'en ai conservé). Fin juin, le prisonnier ancien, très
faible, tombe malade : fièvre, délire. Nous
alertons le Bo Doi qui en appelle un autre et un
Can Bô vient, regarde le malade, hausse les
épaules et s'en va. Georges, bon Samaritain,
s'occupe de lui, éponge son front, le fait boire,
reste au maximum près de lui. Un peu honteux de le
laisser seul s'occuper de ce pauvre hère, je viens
l'aider. Dès qu'il reprend connaissance, Georges
l'oblige à manger du riz délayé dans de l'eau,
nous le soutenons, le portons à la tinette. Peu à
peu il reprend quelques forces et nous raconte son
histoire en nous demandant de ne pas la répéter. En 1942/1945, il était pro Allemand,
membre cadre du P.P.F.. À la libération il avait
fui en Suisse d'où, en 1946, il s'était engagé à
la Légion sous le nom de Hugner pour continuer son
idée de combat contre le communisme et être
réhabilité. Après Bel Abbès, Saïgon. Il a des
connaissances médicales ce qui lui vaut d'être
infirmier, assistant dentaire à l'Hôpital. En 1948
la Légion retrouve son nom : Péchard, ses
antécédents et le renvoi en France pour l'exclure.
Il sera très certainement arrêté, jugé, condamné
mais, sur le bateau, il retrouve une connaissance,
cuisinier à bord. Celui-ci le cache, le nourrit et
il refait le voyage vers l'Indo ou il débarque
clandestinement. Ses connaissances médicales et
dentaires vont lui permettre de s'installer
dentiste à Phan Tiet, petite ville de la
Cochinchine, dans une zone non contrôlée par nos
troupes. Il reste Français et fait passer des
renseignements au 2° Bureau. Les Viets
l'apprennent peut-être, en tout cas l'accusent,
l'arrêtent et le font venir à Cho Chu : 90 jours
de marche, 1 500 kilomètres. Il y est depuis deux
ans. Le 13 juillet. Le Can Bô nous annonce la
fête du lendemain : Fête Mondiale de
l'Indépendance des Hommes. Nous essayons de dire
que c'est notre Fête Nationale, d'expliquer
comment, pourquoi. Nous sommes rabroués : C'est
une Fête Internationale, nous n'avons pas le droit
de l'accaparer : point. Grâce à la bienveillance
du Général Giap qui fait appliquer la politique de
clémence du Président Ho Chi Minh, nous aurons
droit à un repas de fête. Notre pitance consistant
en une ké bat (bol) de riz deux fois par jour avec
quelques liserons d'eau, un jour sur deux, le 14
juillet nous aurons le riz, les liserons d'eau et
du canard (con vit), la grosseur d'un dé à coudre
et une cuillérée à café de jus. Dujon, Élise et moi rêvons toujours
d'évasion. Nous pensions être au Sud Ouest de la
chaîne montagneuse du Tam Dao, (alors que nous
étions au Nord) et j'aurai vite retrouvé les
terres ou j'avais promené le Commando 15 en
février/mars 1952, au pied de la station
d'altitude nommée Tam Dao. J'avais décidé le
départ pour le 4 août un peu par superstition un
peu parce que ce serait le dernier quartier de la
lune donc soirée sombre. Mais... le 24 juillet
nous sommes appelés à prendre la route vers le
camp N°1 : Dujon, de Chapotin, Weinberger, Itney
le pilote cafardeux qu'il fallait secouer en
permanence, Liaboeuf et moi. Péchard me prend par
la main : - Si vous vous évadez (tous les
Officiers se tutoient, le vouvoiement lui est
réservé), ou si vous êtes libérés, pensez à moi,
ne m'abandonnez pas, dites à la France où je suis.
Je lui serre la main et réponds : - C'est promis,
parole d'Officier, je m'occuperai de toi.
(tutoiement pour la circonstance). Les
connaissances médicales de cet homme nous ont
rendu service. Certains avaient une mycose entre
les orteils. Péchard fit brûler un bout de tissus
de coton, flamme étouffée, le coton incadescent
continua de fumer. En faisant passer cette fumée
entre les orteils tenus un peu au dessus, les
mycoses disparurent. Un petit gradé et deux Bo Doi bien
gentils nous escorteront. Nous camperons en route
dans des villages, nos gardiens paient la
nourriture, nous achètent des bananes, les buffles
nous regardent passer sans charger, c'est la route
des vacances. Dujon et Weinberger seraient bien
d'accord pour fausser compagnie à nos guides mais
Itney nous gêne. Le 29. Nous rencontrons un "rallié", un
Italien déserteur de la Légion. Il nous avait été
précisé l'interdiction de parler avec des
Européens si nous en rencontrions, mais celui-ci
chantonne en italien et je lui adresse la parole
dans sa langue que le Bo Doi ne comprend pas. Le
gradé me bouscule pour m'éloigner mais je me sens
devenu fort, le "rallié" vient de m'apprendre la
signature, la veille, de l'Armistice et pour
continuer, je repousse le gardien. Les
mitraillettes s'arment, Dujon m'invective et me
voilà les coudes liés dans le dos. Le cas était
prévu : les Bo Doi avaient du fil téléphonique de
campagne dans leur sac. L'un d'eux me tiendra en
laisse, l'extrémité enroulée sur son poignet. Au
passage à gué d'un cours d'eau, sautant de pierre
en pierre, j'attends que mon gardien arrive sur
une pierre pour sauter sur la rive d'en face.
Entraîné par la laisse le Bo Doi perd l'équilibre
et prend le bain. Je suis frappé sous l'oeil
contrit de mes compagnons, seul Itney me critique.
Un peu plus loin nous croisons une dizaine de
collègues trottinant avec une charge de riz. Le
Camp N°1 est à deux heures de là. Je leur dis la
nouvelle et ils partent en courant malgré leur
charge pour aller très vite l'annoncer au camp. À l'arrivée nous sommes répartis dans
différents groupes. Avec Dujon je suis placé avec
des collègues de Dien Bien Phu dont Dutel. Je n'ai
pas de souvenirs spécifiques de la quinzaine de
jours passés là, sauf que la nourriture était
supérieure à celle de Cho Chu avec de la viande de
buffle (pas trop) tous les 3/4 jours, cause de
nombreuses coliques parceque trop grasse pour des
organismes fatigués. J'étais en bonne forme et
participais activement à toutes les corvées. C'est
ainsi que j'appris à brancarder un malade en
trottinant au rythme du tressautement du brancard
provoqué par la flexibilité des bambous le
composant. La technique était bien au point : 4
hommes avaient le brancard sur les épaules, 5 ou 6
suivaient, tous les 200 ou 300 mètres, sans un
mot, sans un geste, un des suiveur prenait place
sous le brancard. Nous portions ainsi un homme à
environ 8 KM à l'heure sur des distances de 10 à
15 Km. Un après midi, 27 d'entre nous, (29 dit
Stien dans son livre), sont rassemblés pour être
libérés... Nous nous regardons : Bizarre, suspect,
il n'y a que des hommes qui doivent être classés
dans les plus mauvais sujets. Le Commandant
Ducasse émet l'idée rassurante que les Viets
veulent se débarrasser au plus vite de ceux qui
mettraient la pagaille... Drouin, l'un de nos
compagnons du groupe est malade, nous le
brancardons tandis que Pouget qui le veillait
antérieurement, continuera ses soins. Dujon est le
seul avec moi des anciens de Cho Chu. Les pieds
nus, il peine à suivre... Après 3 heures de
marche, environ, nous arrivons juste avant la
nuit, dans un petit camp très bien installé mais
l'escorte s'est renforcée et les Bo Doi ont réarmé
les mitraillettes : Nous attendons la liquidation.
Deux nuits, deux longs jours se passent à ne rien
faire, nous ne pouvons pas sortir de ce camp. Les
Bo Doi nerveux, très nombreux, sont sur le qui
vive, ils semblent en permanence prêts à faire
feu. Au milieu de la 3° nuit, réveil assez brutal,
nous pensons tous que c'est la fin. Stupéfaction !
Can Bô et Bo Doi sourient, les chargeurs des Mat
sont repliés. Nous buvons un bouillon et en route
! Je suis bien vite en queue de peloton avec Dujon
malade qui peine beaucoup. Je l'aide, le tire, le
porte, il faut faire des haltes. Les Bo Doi nous
laissent seuls sur une ancienne route dotée de
bornes kilométriques aux inscriptions effacées.
Nous en comptons 10 avant de rejoindre en fin
d'après midi nos collègues, sans rien manger. Le
lendemain Dujon va mieux, ses pieds enveloppés de
chiffons, nous continuons notre route. J'ai été
chargé de tirer une chèvre naine, son bouc la suit
pas à pas, ce sera pour nos repas. Dans un bourg, Tuyen Quang sans doute,
Dujon et moi sommes encore interrogés sur l'AZ13
et le chiffre. Coups et menaces : - Vos camarades
s'en vont, (effectivement la colonne passe sous la
fenêtre), vous, vous restez !" Un de mes
interrogateurs me dit avoir fait des études en
France et être ingénieur de Centrale, je lui
réponds que je ne suis qu'un primaire, mais je me
souviens d'avoir lu quelque chose dans "Sciences
et Vie" sur le procédé de fragmentation des
fréquences, c'était l'hiver 1951, en cherchant
dans les bibliothèques, il trouvera l'article. Il
comprend que je me moque de lui, me lance deux
"baffes", dit, "nous nous reverrons" et m'envoie
rejoindre mes camarades. Notre groupe, réuni avec tous les autres
du Camp N°1 retrouvé, arrive dans un camp plein de
tombes fraîches de la veille. Nous y restons 4
jours, nos cuisiniers reçoivent un peu plus de
riz, de sel, de liserons, de viande pour nous
"retaper". Des collègues reçoivent du courrier,
les Pères Stilhe et Jeandel un colis contenant le
nécessaire pour dire la messe, Botella un petit
paquet de produit pour faire repousser les cheveux
en instance à Hanoï depuis avril. Je suis appelé
pour percevoir un colis de 3 kg, je dois en faire
l'inventaire en 3 exemplaires sous l'oeil très
soupçonneux du Can Bô. Il contient des vivres, des
médicaments et une lettre de ma femme datée de 3
jours ! Je remets les médicaments à Rouault pour
la collectivité et les vivres à Dutel,
distributeur de la nourriture du groupe pour les
répartir dans celui-ci... J'ai gardé une tablette
de chocolat et la partage avec Kiki Legrand qui ne
fait pas partie du groupe où je suis. Le kraft
d'emballage (2 M2) va servir aux camarades à
rouler nombre cigares (j'ai arrêté de fumer le 7
mai). La lettre de ma femme précise qu'elle s'est
mise à la disposition de l'Office du Prisonnier à
Hanoï ) Chargée de faire partir un sac de courrier
pour le Camp N°1, elle a ajouté un colis pour moi.
J'apprendrai à ma libération que les médicaments
ont été fournis par Thuriez ancien Chef de la 1°
Antenne Chirurgicale de Dien Bien Phu, sa femme
enseignait à Hanoï avec la mienne. L'un de ces
médicaments, la Téramycine je crois, était encore
inconnu de nos collègues médecins mais il y avait
la notice d'utilisation et Rouault m'a affirmé
qu'un malade avait été sauvé par ces médicaments. Nous partons vers le Fleuve Rouge, vers
la liberté. Retardé encore par le "Centralien",
j'arrive au Camp des festivités de la Libération
bien après la fin des agapes. Je réussis à faire
raser ma barbe de 4 mois pour me présenter propre
à ma femme et à la nuit j'embarque sur un L.C.M..
La route est longue mais joyeuse jusqu'à Hanoï ou
j'arrive le 3 à 2 heures du matin. Rouault au
courant de mes retards successifs, arrivé dans la
soirée, ne m'ayant pas vu au Camp précédant la
liberté, est resté inquiet à m'attendre tenant
compagnie à ma femme. J'aurais dû aller, comme
tous, à l'hôpital mais le toubib chef, sur
l'affirmation de bonne santé, bonne forme émise
par "Jules" me laisse partir avec Reine. Douche, repas froid, effets propres, mais
"nazu fin", ma femme dit que je sens mauvais,
l'odeur aigre de la "bacade", la pâtée des cochons
dans son Périgord. Redouche, friction à l'alcool,
rien n'y fait. Il faudra 4 jours de nourriture
européenne pour que l'odeur disparaisse
totalement. Alors que la plupart de mes collègues
n'ont rien à dire, nous sommes quelques uns à qui
le B2 demande des compte rendus sur notre séjour
chez les Viets, les questions qui nous ont été
posées, nos réponses, le comportement de Untel et
de Tel autre. Je n'ai à répondre que sur deux
collègues, je le fais le plus honnêtement
possible, en minimisant les faiblesses. Ceux qui
nous posent les questions ne peuvent comprendre
nos misères et l'état de déficience morale
d'hommes qui ont subi l'enfer de Dien Bien Phu, la
défaite et les conditions inhumaines de la
captivité. J'ai des discussions avec l'Intendance,
voulant m'imputer 50 piastres (500 F), pour une
table de cuisine "détériorée" alors que tous les
meubles prêtés, que nous rendons, iront dès leur
réintégration finir sur un bûcher au centre de la
citadelle J'ai, dans mes comptes-rendus, parlé de
Péchard - Hugner mais je crois qu'il n'intéressait
personne. La ville d'Hanoï est triste, triste...
Pour nous, c'est bien sûr une débauche de bons
repas, de soirées au Club ,mais voir les
Vietnamiens, qui avaient été nos alliés, nos
employés, essayer de fuir vers Saïgon est atroce.
Certains sont partis abandonnant tout, d'autres
ont sorti sur le trottoir leurs meubles, leurs
bibelots, et les vendent au plus offrant. Dans
tous les quartiers on assiste à une grande et
sinistre braderie. Nous ne pouvons même pas
acheter, nous partirons par avion avec 40 Kg de
bagages par personne, nous laisserons des objets,
par exemple une très belle cloche en bronze, ornée
de dragons en relief qui avait été offerte à
Reine, 25 Kg de trop. Voyage en Dakota C 47, c'est
à dire version militaire transport de matériel.
Nous sommes en famille, une douzaine de collègues
"Pim", Reine, Colette, la chatte. Cette pauvre
bête était affolée par le bruit des moteurs, la
différence de pression en altitude lui faisait mal
aux oreilles. Elle allait gémissante de l'un à
l'autre et s'oublia sur les genoux de Desmons. Saïgon était surpeuplée de Vietnamiens et
d'Européens, civils et militaires, toutes les
chambres disponibles autrefois étaient occupées
par 2 ou 3 personnes. Il fut proposé à Reine et à
Colette une natte dans un dortoir et pour moi un
lit Picot dans les couloirs du Camp des Mares.
Mateille, le Directeur monégasque du 4 étoiles "Le
Majestic" nous accorde une chambre pour deux
nuits. Reine demande son affectation au Lycée
Chasseloup Laubat ce qui nous vaut une chambre,
petite, étroite mais en nous serrant nous pouvons
y loger.Je retrouvais avec grand plaisir Antoine,
revenu en 2° séjour avec le grade de Sous
Lieutenant, occupant le poste pour lequel j'étais
venu en Indo. Avec au moins autant de plaisir je
revis le Sergent Serge Montalbano rescapé lui
aussi de la captivité, malgré 400 Km de marche
avec son pied blessé. Pierre Moslard est aussi à Saïgon ou il a
ramené les reliquats des deux Muletières d'Hanoï.
Il va les liquider après avoir démontré aux
cerveaux de l'État Major que le rapatriement des
brêles coûtera le double de l'achat en France de
ces mêmes animaux. Il fallait y penser, mais
l'avoir clamé avec impertinence lui coûtera sa
Légion d'Honneur. À son cantonnement de Cholon il
y a une chaloupe de 7 mètres de long, mue par un
moteur de GMC, baptisée "Pitalugua". Il nous
invite avec "mon frère" Élise. Après un somptueux
repas nous faisons une promenade sur le Mékong
jusqu'à la "Pointe des Blagueurs" tout au long
d'agglomérations de sampans renforcés par des
bottes de bambous afin de pouvoir encore flotter.
Le soir de cette promenade, après avoir été trempé
jusqu'aux os par un orage, nous avons pris un
taxi, la nouveauté à Saïgon : une 4 CV Renault.
Moslard, Élise et moi, tous 3 d'un bon 1,80 mètre,
nous nous y sommes entassés avec Reine et Colette
sur nos genoux pour aller dîner à l'Arc En Ciel. À
ce restaurant il y avait aussi du nouveau : toutes
les glaces extérieures avaient reçu un grillage de
protection et un cerbère contrôlait la double
porte d'entrée. En repartant Reine a emporté un
gros pot de plantes vertes, le gardien l'a
regardée sortir sans rien dire. Elle est revenue
20 secondes plus tard et l'a remis en place sous
l'oeil indifférent du préposé au contrôle... À Saïgon la vie, en septembre 1954, a peu
changé par rapport aux mois que j'y avais passés.
Il y a un peu plus de monde, civils ou militaires,
Européens ou Vietnamiens. Les civils sont des
réfugiés, les militaires sont dans des États
Majors pléthoriques. En 1950/1/951, de Lattre
avait tout réduit au strict minimum. Sous Navarre,
pour se donner de l'importance, chaque chef, du
général au lieutenant ayant un bureau, avait
agrandi son entourage. Le repli des États Majors
du Nord n'avait fait qu'aggraver la situation.
Tout ce monde surenchérissait de désir de vivre,
de besoin de plaisirs, de jouissance. Tous les
Mess étaient pleins, tant en ville qu'en
périphérie, tous les restaurants avaient relevé
leurs tarifs de même que les cyclo et moto -
pousses, pourtant concurrencés par les taxis 4 CV.
Les chambres d'hôtel étaient introuvables, bien
que leur prix ait doublé. Je l'ai constaté au
"Majestic" pour la chambre que j'avais eue en 1952
lors de l'arrivée de Reine avec la même chambre
attribuée par faveur en septembre 1954. En 1951 la guerre semblait très loin de
Saïgon, en 1954 la ville en était débarrassée. Le
Général Hinh Chef d'État Major de l'Armée
Vietnamienne, chaque fois qu'une invitation
officielle ne l'accaparait pas, passait ses
soirées au champagne, avec son épouse, jolie
blonde européenne, dans la salle de danse du
Cabaret Club. L'Armée de la République Démocratique du
Viet Nam préparait, à l'abri de l'armistice, la
continuation de la guerre; l'Armée Française
préparait son départ; l'Armée de BAO DAï préparait
la défaite à venir, ses conseillers techniques
U.S. préparaient l‘arrivée de leur Armée. Tout le
monde préparait quelque chose. Les Binh Xuyen,
Armée dans l'Armée, préparaient des dizaines de
fumeries d'opium, des bordels de 200 filles, la
"Maffia" Corse s'occupait des restaurants et de la
centaine de salles de jeux. Dans ce tumulte, ce
brouhaha, cette folie de vivre dans le plaisir et
la jouissance, je cherchais ma voie. Pas pressé de
quitter ce pays, puisque j'étais en famille, je
devins l'Officier liquidateur du 5° BPVN. Botella
me confia tous les dossiers qu'il avait entamés,
notamment le suivi des décorations Vietnamiennes.
C'est ainsi que je fis connaissance des pertes
exactes du Ba Wan, bataille de Dien Bien Phu et
captivité cumulées : Sur 642 hommes ayant soit
sauté le 14 mars soit affectés par la suite, nous
n'étions revenus, au 1/11/54, que 82... 7 disparus
sur 8. Seuls 5 Vietnamiens avaient été rendus par
la clémence de Ho Chi Minh, tous grands blessés et
deux s'étaient évadés dont Phan Van Phu tant
recherché le 8 mai par l'ennemi. Tant au Mess Central qu'à la piscine ou
j'allais chaque jour, je rencontrais et parlais
avec des Officiers de la Commission Internationale
d'Armistice, Canadiens et Hindous. L'un de ceux ci
me dit qu'il partait à Hanoï pour concertation
d'une dizaine de jours avec ses collègues du Nord.
Je lui parlais de Péchard et lui demandais de bien
vouloir se renseigner sur lui. À son retour il
m'affirma que l'intéressé était en liberté à Hanoï
ou il désirait s'installer, mais qu'il ne voulait,
(ou ne pouvait) pas encore revenir en France. Reine ayant quelques ennuis physiques fut
hospitalisée en octobre à l'Hôpital Grall pendant
3 semaines, essentiellement pour y subir des
examens. À sa sortie elle eut droit à une
quinzaine de repos et nous décidâmes alors notre
retour en France où les soins éventuels seraient
certainement mieux adaptés à son état. Ayant
appris que tous les ex Prisonniers des Viets
avaient droit à un séjour de remise en forme, tous
frais payés avec leur famille, je choisis d'aller
au Cap Saint Jacques, petit paradis au Sud de la
Cochinchine en attendant notre départ pour la
France. Nous fûmes logés dans un hôtel sur la
plage tenu par une parente de Bougon. Elle n'avait
aucune nouvelle de lui...
Le 2 décembre 1954,
accompagnés par Antoine, nous embarquions sur le
"Clément Ader "paquebot tout neuf. Retardés par
une tempête en Méditerranée nous sommes arrivés
à Marseille le 25 après un réveillon improvisé à
bord. L'aventure Indochinoise
était terminée.
Janvier 1955 - Juin 1956
En Métropole
À mon retour en France, le 25 décembre
1954 J'eus droit à un congé de Fin de Campagne de
4 mois, sous statut, se terminant le 24 avril
1955. Avec Reine nous avions envisagé de rejoindre
son frère installé en.i.Guyane ; i.Botella m'avait
bien dit être allé à l'E.M. des T.A.P. demander
mon intégration promise ài. Dien Bien Phu, mais je
n'y croyais pas. Mi-mars, un télégramme me convoque à la
B.E.T.A.P. à PAU. Pas pressé, j'y vais 3 jours
plus tard. Le Chef d'E.M., le.i.Commandant Renon
dit : - Allez passer la visite médicale, le
colonel a signé pour vous, le dossier était
urgent, il est reparti. - Quel dossier, quel
colonel ? -Votre dossier d'intégration, le Colonel
Lefort qui vous connaît a fait le nécessaire.
-Lefort ? Toto ? Nous avions participé ensemble
avant guerre à des compétitions moto... La Direction des Trans avait demandé mon
dossier d'intégration, Lefort s'étant renseigné à
Paris et auprès de Delors, qui venait de lui être
affecté, avait fait établir mon dossier et, pour
accélérer, avait signé pour moi. Si je
m'insurgeais, Lefort serait sanctionné, je
m'inclinais : destin ! Renon ajouta qu'au vu du
dossier, Toto avait demandé mon affectation chez
lui, à Pau. Le 15 avril je recevais l'avis
d'intégration avec le grade de lieutenant à zéro
jour de grade mais dispensé de stage probatoire,
affecté à la B.E.T.A.P. à compter du 25 avril
1955. Je retrouvais quelques bons collègues
d'Indo : Courcet qui avait échappé de justesse à
Dien Bien Phu, Le Guère mon camarade d'évasion
manquée, Dutel, etc... En octobre Reine à un poste à Pau et nous
vivons la vie de garnison. Je fais peu de
transmissions mais beaucoup d'instruction guérilla
pour les jeunes cadres qui partent en Algérie. Au printemps 1956, Lefort est remplacé
par le Colonel Convert qui impose des causeries
aux officiers. Je me vis infliger la Guerre et
l'Action Psychologique. N'ayant aucune idée sur le
sujet, je demandais au Père Jeandel, Aumônier des
T.A.P., ex prisonnier des Viets, avec qui j'avais
gardé de très bonnes relations, de m'indiquer
quelques ouvrages, il était professeur de
mathématiques. et de psychologie. En réponse il me
demanda d'aller d'urgence au Cabinet du Ministre
de la Guerre voir le Cdt Dadillon spécialiste de
la question. Cet officier m'expliqua qu'il mettait en
place à Alger, un Bureau d'Action Psychologique
pour lequel je lui étais recommandé. Ne
connaissant rien à la Psycho, rien des Arabes,
connu pour mon caractère chez les Viets, j'avais
le profil idéal !
Pourquoi pas ? C'était du
nouveau, en avant pour la Psycho et l'Algérie.
Juillet 1955 / Avril 1961
En Algérie
Le 1er juillet 1955, je me présentais au
Bureau d'Action Psychologique, jusque là sous le
direction du Général Tabouis. Sa principale
activité consistait à distribuer des bonbons aux
troupes qui débarquaient en Algérie. Dadillon
voulait une activité plus sérieuse, plus efficace,
inspirée des idées publicitaires, voire de
propagande marxiste, comme nous l'avions connue
dans les camps Viêt Minh. Le Chef de Service était
le Lieutenant Colonel Faugas, le Commandant Bruges
son Adjoint. Notre équipe était composée des
Capitaines Auboin, Guidon, Guyomard, Martinais,
Stien, Tomasi, du Lieutenant La Croix Vaubois et
moi, tous du premier au dernier, anciens
prisonniers des Viets. Nous étions rattaches au
Cabinet Militaire du Résident Robert Lacoste dont
le Chef était le Colonel Ducourneau ex Commandant
des T.A.P. à Hanoï. Nous avons d'abord étudié la différence
entre Action Psy dirigée vers nos troupes et
civils alliés et la guerre tournée contre
l'adversaire. En pays musulman il ne fallait pas
heurter les croyances, les moeurs et les coutumes
et si nous n'avons pas appris tout le Coran et les
"Hadit", nous avons eu des notions précieuses et
très précises, par des arabisants, des A.M.M. et
par un grand ethnologue Jean Servier, celui qui
connaît le mieux le Maghreb, pour y avoir vécu en
nomade pendant des années. Il était dans les Aurès
quand eurent lieu les premiers coups de feu contre
les époux Monnerot . Avec des professeurs
qualifiés, nous avons appris le B.A. BA de la
psychologie. Nous avons suivi des cours au C.R.E.S.A.
puis, en équipe de deux, nous sommes allés voir en
Kabylie comment se passait les opérations et les
modifications à y apporter. J'étais avec Martinais
ancien du Ba Wan. Horrifiés par l'impréparation à
la guérilla de ceux que nous visitions, et bien
que ce ne fut pas notre rôle, nous sommes allés en
patrouille avec de jeunes sous-lieutenants pour
leur communiquer un peu notre expérience.Septembre. Reine me rejoint, elle a un
poste à Bab El Oued, dans la Casbah. Nous avons
trouvé un domicile à Hydra, sur les hauteurs
d'Alger. En novembre. Ayant fait une synthèse de
nos différents rapports, nous définissons notre
doctrine, but, moyens. Elle obtint fin décembre
l'aval de Lacoste et de Salan, Général Commandant
en Chef. Le 27 janvier 1957. Jour mémorable pour
moi, Massu entrait ses Paras à Alger pour briser
la grève et nous partions pour l'Opération
"Pilote". Elle allait se dérouler dans le
Département du Chélif, de Cherchel à Ténès au bord
de la Méditerranée, à Téniet El Had sur les
montagnes de l'Ouarsenis au sud. C'est là que
j'allais avec un Officier des A.M.M. comme
Adjoint. Nous étions tous en équipe avec un
arabisant, l'"Officier Itinérant d'Action
Psychologique", notre titre, étant le Chef. Mon
coéquipier était le Capitaine Collignon, j'étais
chargé de lui inculquer la Psycho. Notre "mariage"
fut assez bref mais sans heurts. Le Commandant du Secteur voulut nous
intégrer dans ses subordonnés, je réagis fort et
violemment. Ducourneau répercuta sur Salan et ce
Colonel, de Cockborne, dut s'incliner et admettre
que les "Missi Dominici", dotés d'Ordres de
Mission signés Lacoste et Salan ne dépendaient pas
de lui, mais pouvaient le requérir ! Ancien d'Indo
et de Corée cet homme avait des vues bizarres. La
musique du 5ème R.I., le Régiment de Paris, était
sous ses ordres, 40 hommes premiers prix de
Conservatoire. Il jugea ne pas avoir besoin d'une
musique et fit de ces appelés sans autre
instruction qu'une formation commune de base, le
Commando du Secteur ! Pour parfaire il plaça à
leur tête un capitaine ayant plus de connaissances
administratives que de guérilla. Une semaine après
le "Commando" était accroché, le capitaine porté
disparu et une douzaine d'hommes blessés. Je fis
un rapport très virulent. Dans nos instructions, il nous avait été
recommandé de dire, prôner, faire admettre par
tous les moyens que l'Algérie était Française. Je
fis faire des inscriptions à la peinture blanche,
avec des lettres de 2 à 3 mètres de haut, sur des
flancs de montagne sombres, visibles à plus de 10
km. Critiqué par des notables civils qui jugeaient
que c'était de la provocation, j'en fis faire dans
le bourg et même sur la façade d'un commerçant
d'idées pro F.L.N.. Des rapports contre moi, des
plaintes, arrivèrent chez Ducourneau qui les
rejeta et j'amplifiai mes actes. Collignon suivait
à petits pas, un peu effrayé par mes audaces. Chacune de nos équipes avait eu
l'attribution d'un véhicule, une 203 plateau bâché
avec un conducteur européen. J'en étais le
principal utilisateur, laissant Collignon palabrer
avec les indigènes locaux; je partais avec le
conducteur voir les différentes unités, prêcher la
bonne parole, tant à nos hommes que, de mechta en
douar, aux civils, sans aucune escorte. Début mars. De Cockborne me demanda, avec
les formes, d'aller passer une soirée dans un
poste isolé dont le Chef, un jeune lieutenant,
paraissait terrorisé, à bout de nerfs. J'y fus
déposé par hélico, une opération nécessitant deux
compagnies serait montée le lendemain pour me
récupérer, assurer une relève partielle et amener
le ravitaillement du mois ! Ainsi isolés on
comprenais le peu de moral des occupants du poste.
Le Lieutenant H... en question, était comme moi de
l'Arme Trans. Ses deux sous-officiers n'avaient
aucune confiance en lui, la quinzaine d'hommes de
troupe était très apeurés. À 50 mètres du poste
vivait un petit fonctionnaire Kabyle nommé
Mazzari, prétendant être apparenté à Mazarin !
Avec deux femmes et 4 enfants il restait enfermé
dans une mechta bien close. J'allais le voir,
parler avec lui. Instituteur de l'École Normale
d'Alger, salaire 1/3 de celui d'un Européen, il
avait quitté l'enseignement pour les Eaux et
Forêts, où, avant novembre 1954, il pouvait se
faire nourrir par les fellahs. Il était cause de
la panique du poste, affirmant avoir vu à 2
reprises des patrouilles F.L.N. passer à
proximité, 8 à 10 hommes, avec des mules; ils
avaient perdu des paquets, vides de cigarettes. Je
lui rappelai que les Fellaghas ne fumaient pas,
coupant, à cette époque, le nez des fumeurs.
C'était des équipes du 11ème Choc en nomadisation,
vêtus en indigènes. Dès le début de la nuit, les sentinelles
tirèrent. Laissant le lieutenant terré, tremblant,
j'allais près de l'une d'elles, me fis expliquer
devant un sous officier le pourquoi des tirs. Le
garçon dit avoir entendu des bruits...
J'expliquais que les Fels ne faisaient pas de
bruit, ce qu'il entendait, c'était des oiseaux de
nuit ou du gibier, voire des chiens de Mazzari en
quête de nourriture. Je restai à ce poste toute la
nuit avec les sentinelles successives ayant la
visite des sous-officiers mais pas du lieutenant.
Au jour je le revis anxieux, énervé, à la limite
de la crise de nerfs. Il était impossible de lui
expliquer ce qu'il devait faire, sa relève était
impérative. Un mois après le poste attaqué perdait
un sergent - chef et dix hommes. Mazzari s'était
replié 48 heures avant... Avait-il éte prévenu ? Fin mars. Laissant Collignon seul, je fus
envoyé à Cherchel remplacer Auboin qui s'était
noyé et son Adjoint A.M.M. muté. La vie dans ce
Secteur était plus agréable, malgré la tension
existant entre le colonel commandant l'École
d'Officiers de Réserve et le colonel commandant le
Secteur près de qui je vivais. Ce dernier,
Lecointre, dit Napoléon, ne pouvait donner
d'ordres à l'École : État dans l'État. Auboin
avait créé 2 écoles primaires d'une classe avec
des appelés instituteurs dans des villages
protégés par l'Armée. J'en installais d'autres où
je créais, avec l'aide d'anciens militaires
français, des groupes d'autodéfense armés de
fusils de chasse déposés par les Pieds Noirs à la
Mairie de Cherchel. Fin avril. J'en avais formé 6, cela fit
"Tilt" chez Faugas. Le 5 mai. Je reçu l'ordre d'amener tous
mes groupes à Alger pour le défilé du 8 mai. Je
les rassemblais dans la journée du 6 avec une
quinzaine de volontaires supplémentaires issus des
mines de Bréa. Ils allaient former un début de
Harka que j'emmenais en opération à 3 reprises. Le
matin mes gars reçurent une tenue de treillis, des
bérets de toile et des pataugas. L'après midi du 6 et le matin du 7
j'essayais de leur apprendre à marcher au pas,
colonne par trois. J'expliquais que dans la
musique, il y avait une grosse caisse rythmant la
marche par un gros coup au moment où le pied
gauche devait toucher le sol. Pour la répétition,
avec les "chibanis" en tête, mon chauffeur tapait
sur un chaudron avec un gourdin tandis que je
hurlais : 1, 2. Ce ne fut pas triste ! Le 7 au soir, je dînais au Saint Georges,
invité, avec des commandants de compagnies devant
défiler le lendemain. Deux Bretons discutaient
très fort. Après le repas, au bar, ils en vinrent
aux mains : le lendemain le Capitaine Antic
défilait en tête de la Garde du Bachaga Boualem
avec un bandeau sur l'oeil, le Lieutenant Le Pen
avait encore ses 2 yeux intacts. Le 8 mai. À 10 heures ma troupe était à
Alger prête à défiler. J'appris alors que mes
hommes seraient nourris à midi (13 heures) à la
caserne des Zouaves mais ils devraient amener leur
couvert, assiette et fourchette. Ils avaient tous
un couteau et rien d'autre. J'alertais Reine qui
courut les souks de Bab El Oued pour acheter le
nécessaire. Pour la parade un miracle eut lieu.
Mes gars me suivirent, marchant à peu près au pas,
l'arme à la bretelle. Ce fut un triomphe. Les
spectateurs applaudissant très fort, plus fort
pour mes hommes que pour toute autre troupe. Une
véritable ovation. En 1956, pour cause
d'insécurité, les troupes indigènes avaient été
dissoutes et les Pieds Noirs voyaient des
volontaires venant à nos côtés. L'Action Psy était
en marche, la fraternisation de 1958 amorcée. Mes Harkis avaient des fusils mais
l'armée ne pouvait pas fournir des munitions de
chasse. J'écumais les armuriers d'Alger achetant
toutes les cartouches à chevrotines disponibles.
Le G.G. payait. À la même époque je reçu l'ordre de
trouver un logement pour des équipes féminines
médico-sociales. Je louais une villa meublée,
destinée avant 1954 aux touristes vacanciers. Elle
était proche du P.C. Secteur, lui-même ancien Camp
de Vacances au bord de la plage. Peu après arrivèrent le Personnel et le
Matériel et je fus informé de la Mission
médico-sociale des équipes.. Les 2 premières
fonctionnèrent dans mon secteur à titre
expérimental. Chaque équipe comprenait un médecin
du Contingent, une "Infirmière", en réalité une
P.F.A.T., ayant eu 4 ou 5 semaines de cours de
secourisme, une interprète (des filles arabes
sorties de prison, où elles étaient pour des
peccadilles de collusion avec le F.L.N.,
volontaires pour ce travail). Un conducteur
européen du contingent, ayant comme le médecin,
appris à se servir d'un poste GRC9 en phonie, le
tout monté sur un Dodge 4X4 débâché. Pour les premières sorties, afin de
donner confiance aux équipages, je les
accompagnais dans les douars ou groupes de mechtas
dont les routes d'accès pouvaient ne pas leur
paraître assez sûres. J'alternais d'une équipe à
l'autre pendant 3 semaines, puis, espaçais ma
présence à une fois sur 3 ou 4 sorties. Sur place,
les équipes organisaient une consultation
médicale, distribuaient des boites de lait pour
les nourrissons, incitaient les mères à nettoyer
et tenir propres leurs bébés. À la seconde visite imprévue, les femmes
dont les petits étaient propres, recevaient une
layette. Dès la 3ème visite, toujours à
l'improviste, les mères venaient au devant de
l'équipe, leur bébé fesses en l'air, pour montrer
la propreté. La consultation médicale s'étendait
bien sur aux adultes, hommes et femmes. À toutes
les visites que je faisais avec mes équipes, j'y
allais d'un petit discours politique en faveur de
l'Algérie Française. Pendant les 3 mois : juin,
juillet, août 1957 de ma présence dans le Secteur,
jamais une équipe n'a eu d'ennuis avec les H.L.L..
Dans les douars ces garçons et filles sans armes,
à part le conducteur, étaient en sécurité,
protégés par les femmes très intéressées par leur
venue. Il est arrivé à plusieurs reprises que ces
équipes passent la nuit dans des douars, invitées
par les Indigènes. L'une d'elles procéda, une
nuit, à un accouchement laborieux. Cette fois la,
par hasard, le toubib était un dentiste ignorant
tout de l'obstétrique. Depuis Cherchel un
spécialiste conseilla, dirigea l'opération par
radio, tout se passa fort bien et mes gars
revinrent avec des cadeaux. Cela m'obligeait à parcourir le Secteur
en prenant parfois de sérieux risques. Mes
collègues et moi l'avions admis au départ lorsque
nous avions émis le principe que notre présence
seule, sans escorte, était pour les populations,
la mentalité arabe, plus impressionnante qu'avec
20 ou 30 hommes armés. C'est dans ces conditions
que notre camarade récemment arrive à Ténès :
Portman, disparut. Auboin, mon regretté prédécesseur avait
mis en place quelques postes de sécurité : de
nombreux charbonniers travaillaient sur des fours
toujours à proximité d'une route pour pouvoir
charger aisément leurs produits. Pour
l'acheminement de leur marchandise ils devaient
avoir un bon de transport. Auboin avait obtenu
d'être le distributeur de ces bons. Je continuais
et les remettais moyennant quelques
renseignements. Ils nous protégèrent sur ces
routes simplement en restant travailler près de
leur four, si aucun homme armé n'était dans les
parages. Dans le cas contraire ils s'absentaient
et... je faisais un prompt demi-tour. J'ai des souvenirs cocasses de cette
période. Dès la mise en place des équipes Médico
Sociales, il fallut leur fournir le matériel
nécessaire, entre autres les layettes. J'allais
dans le plus grand magasin spécialisé d'Alger et
en demandais 200. Tête de la vendeuse éberluée de
voir un Lieutenant Para passer une telle commande.
Elle m'amena prestement vers la Directrice, tout
aussi abasourdie, se demandant si je n'étais pas
un peu dérangé. Cela dépassait son entendement :
un Officier des Troupes d'Assaut voulant acheter
des layettes en grosse quantité ! Je dus exhiber
mes Ordres de Mission qu'elle vérifia auprès du
G.G. avant de m'en accorder 10. Le reste fut livré
après que ce premier achat eut été réglé... Le C.R.E.S.A. mettait à disposition de
ceux d'entre nous qui le désiraient, un ensemble
cinéma sonore et un groupe électrogène
d'alimentation avec de très beaux films
d'éducation sanitaire réalisés par Walt Dysney. Je
ne pouvais faire de projections de jour, mais je
me servais de la sonorisation pour mes discours
dans les douars. J'ai un organe verbal puissant
mais celui de mes jeunes interprètes arabes
n'avait pas beaucoup d'ampleur. - Pour être sûr de
la traduction je les enregistrais.- Je tenais pour
nécessaire que nos arguments soient entendus dans
toutes les maisons du douar ou les H.L.L.
pouvaient être terrés. Nous devions faire des comptes-rendus
d'utilisation et, pour conserver mon
amplificateur, je les fis très scrupuleusement
pendant un trimestre mais en marquant projection
là ou il n'y avait que de la sonorisation, après
quoi j'appris que j'allais recevoir la Médaille
d'Argent de l'Académie de Médecine ! ! J'en ai
toujours honte. J'arrêtai immédiatement et rendis
le matériel au C.R.E.S.A. La Médaille n'est jamais
sortie de son étui et je n'ai jamais demandé à
l'autorité militaire l'autorisation de la porter. Fin juin. Faugas me demanda mon avis sur
Dutel qui arrivait précédé d'une réputation de
"grosse tête", peu disposé à venir dans notre
équipe. Je soutins très fort mon collègue et
proposais de le recevoir et le piloter les
premiers jours. Dutel devant être nomme capitaine
le 1er juillet, Faugas hésita et je dus insister
arguant de notre amitié. Le jour de l'arrivée de
mon camarade, nous apprenions le massacre de
Melouza / Mechta Casbah : 200 habitants du douar
acquis à Messali Hadj, le M.N.A. rival du F.L.N.,
avaient été exécutés, femmes et enfants, tous y
étaient passés. Dutel et moi, sous la main à
Alger, avons été envoyés pour voir et tirer des
enseignements. Nous allons dans la cohorte
d'Officiels : Généraux, préfets, journalistes,
avions, hélicos. Nous subissons les discours et
devons revenir par voie de terre. Le soir nous
nous arrêtons à M'Sila chez le Gouverneur qui nous
semble vivre avec quelques années de retard. Le
lendemain matin visite à l'Escadron du 8ème Spahi,
la garnison de la ville. Beau cantonnement, 2
gazelles dans la cour du quartier, un capitaine
évasif et un chef d'escadrons. Nous apprenons que
les hommes vivent consignés, il n'y a des sorties
qu'avec 2 ou 3 A.M.. Je critique très fort, essaie
d'expliquer qu'il ne faut pas laisser le bourg aux
Fels mais au contraire imposer notre présence,
sortir, parler, discuter. Trop risqué, déclare le
commandant qui, incidemment, dit qu'il y a ce jour
là Marché, 3000 personnes seront sur la place. Il
faudrait, ajoute-t-il, une centaine de militaires
pour s'aventurer là dedans. Je ne dis rien mais...
je vais voir ça ! Suivi à 5 ou 6 pas par Dutel
abasourdi, répétant :"Janot, fais pas le con,"
nous avons traversé en long et en large la foule,
étonnée de voir ces deux officiers en béret rouge
et tenue camouflée, s'arrêter pour voir un
étalage, sourire à un bébé, répondre à des saluts.
Mon ami me croyait devenu fou. C'était une
bravade, mais je pensais jouer sur l'effet de
surprise. Il m'a suivi très courageusement pendant
plus d'une heure. À mi-chemin du retour vers le 8ème,
"Scoumoune", nous avons rencontré 3 A.M. qui
venaient à notre secours ! Le commandant avait été
informé de notre "folie" par la Police Locale
indigène, peu ou prou sympathisante du F.L.N.. Il
nous avait envoyé chercher tandis que l'Escadron
se mettait en alerte maximum. Nous eûmes des mots
très vifs, je lui dis avoir été cavalier et avoir
servi aux ordres d'officiers supérieurs nettement
plus braves et décidés. En suite de quoi nous
sommes allés voir le Général Commandant la
Division de Bordj Bou Arréridj. Je lui ai fait
part de mon opinion sur l'inertie de ses troupes,
l'incitant à aller voir sur place les bêtises de
l'Administrateur et secouer les militaires.
J'avais bien entendu, pour être reçu, présenté mes
Ordres de Mission Lacoste / Salan. Devant ces 2
lieutenants qui osaient donner des conseils, voire
des ordres mais qui étaient des Missi Dominici, le
général resta muet, apparemment abasourdi devant
cette Armée nouvelle. À la sortie du bureau du "Poireau", Dutel
me dit : - Si l'Action Psy, c'est la possibilité
d'engueuler les généraux, je marche ! Il fut
affecté au lieu-dit "5 Palmiers" à une vingtaine
de km au sud de Ténès où il resta 3 ans et reçu
les Palmes Académiques, ce qui était très bien
pour cet ancien normalien. Les plaintes d'officiers supérieurs
s'étaient accumulées sur moi. À Téniet, de
Cockborne s'était plaint de ne pouvoir me donner
d'ordres alors que j'enfreignais ses directives de
sécurité. "Napoléon" en avait fait autant à
Cherchel ajoutant que je lui créais des
difficultés avec d'autres colonels : le commandant
d'une unité de Sénégalais, que j'avais critiqué
pour sa passivité devant certaines exactions de
ses hommes; le colonel commandant l'École des
Officiers de Réserve, parce que j'arrivais sans
prévenir, sans escorte, sur des terrains où ses
élèves montaient des embuscades que je déjouais
tant elles étaient puériles; je m'étais permis de
demander à des officiers instructeurs où ils
avaient reçu leur formation, les incitant à aller
suivre un stage de contre guérilla à la
B.E.T.A.P.. Le Général de Brébisson, commandant la
division, m'avait demandé d'aller le voir à
Orléansville pour me faire la leçon. Poliment mais
très fermement, je lui avais dit d'aller... voir
Salan. Des colonels Paras se plaignirent. À
l'Action Psy nous disposions d'un petit
hélicoptère Bell, 2 places. En juin devant être à
Blida pour effectuer mes sauts d'entretien avant 7
heures du matin, l'ouverture de route tardive
m'obligeait à coucher à l'hôtel sur place la
veille, j'avais demandé 5 jours de suite la
disposition de l'hélico. Il me posait sur le
terrain près de l'embarquement et me récupérait
sur la D.Z., après le saut. C'était incongru, les
colonels et généraux, dont Massu, venaient en
voiture et un lieutenant disposait d'un hélico !
Le Colonel Faugas m'informait de ces doléances, le
Colonel Ducourneau quittant le G.G., ne pouvant
plus nous soutenir, 3 collègues et moi avons
demandé notre mutation. Un poste de Lieutenant de
Transmissions étant libre à la B.A.P. en formation
à Blida j'y fus affecté. J'eus droit à une
citation de "paquetage" et, dans mes notes, très
bonnes, l'appréciation "n'utilise pas assez les
subtilités de la langue française". Le 1er octobre 1957. Je rejoignis ma
nouvelle Unité. Elle s'installait sur un terrain
de 25 hectares sous tentes et 4 ou 5 bâtiments
préfabriqués. Tout était à faire : chemins,
logements, adductions d'eau et d'électricité,
évacuation des sanitaires, etc.... La B.A.P. était composée d'un État Major
avec une C.C.S., une C.T., comprenant une section
de pliage de parachutes et un C.E.S. dont une
partie permanente à Phillippeville, 2 C.R.A., des
C.I.. Les cuisines étaient prévues pour livrer
3000 repas par service. Dépendant de la C.C.S.,
comme la Section de Garde, 60 hommes, j'avais une
grosse Section Radio, près de 40 hommes, une
équipe chiffre - régulation 6 hommes et 15
filistes centralistes. Le matériel était prévu
pour dédoubler la B.A.P. en une Base Aéroportée
mobile. Tout cela sur le T.E.D.. J'eus de suite le
matériel mais il fallut plus d'un an pour avoir
tout le personnel. Mon premier travail fut de
relier par téléphone, sur des supports improvisés
avec des centraux de campagne, l'E.M. et les
différents P.C. de Compagnies. Je les alimentais
par groupes électrogènes. Nous n'avions pas de
crédits, donc, système D, en avant. Les poteaux
béton pour l'installation électrique nous avaient
été livrés mais les crédits pour leur mise en
place étaient à venir... Nous avions des
prisonniers, ils creusèrent les trous et avec le
matériel des C.R.A., grues, élévateurs, je mis en
place une centaine de poteaux de 12 mètres; j'y
accrochai mes lignes téléphoniques. Le Commandant
Duquay avec une vingtaine de Paras, construisait
des logements pour la troupe, je lui volais le
ciment pour faire tenir les poteaux. Le matériel
prévu pour installer une Base Mobile était dans
des caisses, prêt à être embarqué dans des Nord 2
501. Les véhicules : 2 Jeeps, 4 Dodges et 4
G.M.C., avaient été équipés pour recevoir les
postes radio en moins d'une heure. Chaque mois,
exercice de mise en service, essais, remise en
caisses, le personnel était bien entraîné. J'avais
mis en place, pour l'entraînement permanent des
radios graphistes et des chiffreurs, une liaison
avec notre détachement de Phillippeville. Les
radiosphonistes participaient à de petites
opérations hebdomadaires dans le Secteur et, avec
les graphistes, avaient tous les jeudis un réseau
d'instruction mais, tous, donnaient la main à tous
les travaux d'installation. Les filistes en
travaux pratiques permanents étaient toujours
prêts à démarrer. Anecdotes :
A - Les bobines de fil
téléphone étaient livrées avec une étiquette, "1
mile", mesure anglaise de 1609 mètres. En tirant
une ligne le long d'une route dotée de borne
kilo et hectométriques, Pacca découvre que les
bobines ne contiennent que 1500 mètres de fil.
Je fais un rapport, le Capitaine de l'E.R.M.T.
l'annote : c'est un "puriste" et classe.
Quelques jours plus tard, je rencontre le
Commandant des Trans du C. A. d'Alger et lui en
parle. Il demande mon rapport et ordonne une
vérification. Je m'y attendais et avais fait
conserver 3 bobines dans leur emballage
d'origine. Un matin sous les yeux de deux
commandants et du Capitaine de l'E.R.M.T.,
démonstration concluante. Je reçus 5 bobines en
dédommagement de la perte sur la cinquantaine
que j'avais perçues et le Capitaine de
l'E.R.M.T. alla finir son séjour à Tombouctou.
J'appris par la suite qu'il y avait eu des
sanctions à tous les échelons jusqu'à Paris ce
qui n'arrangea pas ma Côte d'Amour à la
Direction Générale des Transmissions, mon nom
ayant été mentionné dans tous les rapports, je
m'en aperçus en 1961 et 1965. B- Sur le Livret Militaire
d'un appelé, je lis profession : peintre. On lui
donne un pinceau, de la peinture mais il refuse
de monter, même sur un tabouret, il a le
vertige. Explication : il était peintre sur
foulards... Il avait passé les tests paras en
rampant sur la plate forme à 12 mètres du sol.
Fort de cette volonté je l'engageais à vaincre
le vertige. Il y réussit très bien, peignant en
fin de séjour les antennes à 10 mètres du sol.
Reine avait été admise
professeur de C.E.G. et, à la rentrée 1957, elle
eut un poste à Blida ou nous logeâmes. Sa classe
était composée de filles de 12 à 14 ans ayant
souffert de la grève imposée par la terreur du
F.L.N.. Elle organisa une consultation de
nourrissons dans son école, aidée par un médecin
du contingent que j'avais convaincu d'effectuer ce
travail. Ce fut auprès de la population un très
gros succès. Des femmes, arabes bien sûr, que je
ne connaissais pas, soulevaient leur haïk pour me
saluer... En fin d'année scolaire, les résultats
de ces élèves dépassèrent toutes les espérances. Il y avait, au Nord de Blida, sur la
route de la B.A.P., un bidonville abritant 20
familles. Au printemps 1958, je voulus le faire
disparaître. Je demandai son aide à Faugas. Elle
me fut accordée à condition que j'aille moi-même
jusqu'au bout de l'affaire. Je décidais, avec
quelques menaces persuasives, un propriétaire
terrien de donner 5000 mètres de terrain inculte
en face de la Base Aérienne. Faugas mit à ma
disposition un maçon maître d'oeuvre et les
matériaux nécessaires pour construire les 20
maisons de 40 à 60 mètres carrés, selon
l'importance de la famille. Je réunis les chefs de
famille pour leur expliquer le projet. Ils
travailleraient, dirigés par le maçon, pour
construire une maison dont ils seraient
propriétaires. Je précisais que, de toutes façons,
le bidonville serait brûlé et eux, bien sûr,
expulsés. L'accord fut vite conclu et 48 heures
après, le chantier démarrait. Chaque maison eut un
carré de jardin. Trois points d'eau furent
installés et une très grosse fosse septique posée.
Précédemment ils n'avaient qu'un seul point d'eau
à prés de 100 mètres et pas de fosse. Un dimanche
matin d'août, 6 camions de la B.A.P., avec une
douzaine de mes gars, déménagèrent tout le monde
et les pompiers mirent le feu au bidonville.
J'omis une chose capitale : Faire une inauguration
officielle avec Tam Tam, Autorités Civiles et
Militaires, Presse. Tout fut fait dans le silence
et la discrétion. J'avais mis un Chef de Village,
un ancien militaire. Il mena tout son monde de
main de maître. Certains enfants de l'ex bidon
ville allaient à l'école de Reine ce qui ne gâta
rien pour la propagande française. Septembre 1958. Nous devons faire de la
publicité pour de Gaulle, nous croyions encore en
sa parole et nous ferons, je ferai tout, pour
faire voter OUI. Mes gars ont confectionné un
panneau lumineux dont les lettres ont un mètre de
haut. Il sera apposé sur un pylône métallique, à
15 mètres de hauteur sur la route Alger - Oran.
J'ai 2 ensembles très puissants de sonorisation.
J'en monte un sur un Command Car, un groupe
électrogène sur la remorque et pendant 15 jours je
parcours le Djebel diffusant un enregistrement
effectué, en arabe, par les Services de Faugas.
Tous ceux ayant vécu cette période savent que ce
fut un immense succès : 95% de votants. On voyait
la très longue procession des femmes en blanc
descendant de la montagne pour venir voter à
Blida. Le Chef de "mon village" me rendit compte :
- Sont tous voté oui, mon lieutenant, c'était tous
présents (sic). Nous avions loué à l'année, une
maisonnette à Fouka Marine, 25 Km au Nord de
Blida. Du pas de la porte à la mer : 6 mètres en
surplomb de 2 mètres. Nous y passions tous les
jours de repos, pendant les vacances scolaires,
Reine et sa fille y demeuraient en permanence. Le
dimanche, des collègues venaient passer la journée
en famille. Reine et Colette s'étaient vite
intégrées dans la communauté Pied Noir, je le fus
aussi grâce au Club de Plongée local dont je
m'occupais très activement. J'avais acheté un hors
bord et faisait faire des tours, de 10/15 minutes
sur ski nautique, aux jeunes camarades de Colette. À plusieurs reprises la Base a été en
alerte 12 heures, 2 fois 6 heures, c'est à dire
décollage, personnel et matériel, dans les avions,
6 heures après le "Top" Ces alertes nous
entretenaient l'esprit opérationnel mais nous
menions une vie calme de garnison, coupée par
quelques sorties dans le Djebel avec une des
compagnies improvisées de la B.A.P., pour des
opérations de maintien de l'ordre. Nous avons revu notre ami Pierre Moslard.
Il est en haute Kabylie mais descend de temps à
autre à Alger voir Michèle, une jeune femme connue
à Hanoï. Un dimanche, ils viennent nous montrer la
"Beaulieu" que Pierre a acheté pour partir
bientôt, tous deux, en permission. Quelques jours
plus tard un appel téléphonique nous informe de la
présence de Pierre à l'Hôpital de Tizi Ouzou. Nous
y allons aussitôt emmenant Michèle. Notre ami nous
sourit et dit : - Il ne fallait pas vous déranger.
Il n'avait que 3 balles dans le ventre ! Nous
repartons un peu rassurés, mais le surlendemain,
il était mort. Il aura sur son cercueil la Légion
d'Honneur qu'il aurait dû avoir en Indo mais qui
lui fut refusée pour avoir démontré l'absurdité du
repli très onéreux, hors de la valeur d'un animal,
de ses brêles en France. Le climat de confiance Armée Pieds-noirs
se détériore. Il y a eu des morts à Alger quand
les gendarmes du Colonel Desbrosses ont tiré sur
la foule; les Paras se sont interposés évitant le
massacre. Il y a eu les barricades. Les Paras
servant encore de tampon, la population fait
confiance aux bérets rouges ou verts mais plus du
tout aux généraux, surtout après le limogeage de
Salan et Challe. Début 1961. Le F.L.N., battu partout,
organise des manifs dans les quartiers
périphériques d'Alger. Les C.R.S. laissent faire,
fraternisent parfois. La colère gronde dans nos
cadres. Depuis 1958, sur ordre du Gouvernement,
nous avions affirmé, promis, juré que l'Algérie
resterait Française. Le Général Vésinet,
Commandant le Corps d'Armée d'Alger, a fait une
tournée des Secteurs. Fin février, nous sommes 200
officiers à Blida pour l'entendre dire que lui,
Compagnon de la Libération, a été reçu par de
Gaulle, lequel lui avait affirmé qu'il garderait
l'Algérie... mais nous n'avons plus confiance.
En décembre 60, mes gars
trébuchant sur des marches d'escalier laissent
tomber une caisse de plus de 100 Kg. J'étais
très près de celui qui a lâché, un angle de la
caisse tombe sur mon pied gauche. J'avais des
chaussures de ville, grosse douleur. Le médecin
de service met un anesthésiant local, veut me
plâtrer. Je refuse et l'orteil cassé, le 4ème du
pied gauche, se ressoude de travers. Début mars
hôpital et amputation du dit orteil. Le Colonel
Lavergne, Commandant du Secteur, vient voir un
ami et fait le tour des officiers. Il voit la
fiche avec mon nom sur le lit : - Ah, Armandi,
de la B.A.P., vous êtes toujours activiste ?
Quelqu'un parmi nos collègues a "mouffeté", nous
sommes assez nombreux à penser, dire vouloir
garder l'Algérie Française; les opposant se
taisent très prudemment. Nous saurons, lors du
putsch, que le principal gaulliste est le
Sous-Lieutenant Commercon, il finira Aide de
Camp du Général Ailleret avec qui il périra dans
un accident d'aviation.
Début avril nous apprenons
qu'un Chef F.L.N. a été reçu secrètement par de
Gaulle pour discuter du départ de nos troupes
alors qu'elle ne trouvent plus de résistance en
opérations. Le 3 ou 4 avril1961. Je sors avec une
Compagnie de Marche de la B.A.P. crapahuter au Sud
de Blida. Mes gars tombent sur 2 hommes endormis
dans un bouquet de lentisques. Bonne prise : ils
ont 700000 francs (anciens) et une serviette de
documents. Il y aura des citations pour 3 Paras et
moi. Je suis en plus proposé pour la rosette de la
Légion d'Honneur. J'estime que c'est exagéré, le
dis, refuse de signer le mémoire. Le Colonel Le
Bourhis, Chef de Corps, me sermonne et je crois
comprendre que c'est un cadeau d'adieu, je serai
capitaine le 1er juillet et n'aurai plus ma place
à la B.A.P., ni probablement aux Paras. Quelques jours plus tard Jean Auriolle,
Lieutenant du C.E.S., m'incite à inviter 2
collègues le lendemain soir. Il y aura saut de
nuit et il ne veut pas de ces enquiquineurs... Au
cours de cette soirée, jouant aux cartes, nous
trouverons que la séance de sauts dure bien
longtemps. Le surlendemain Clédic, un ancien de Dien
Bien Phu, capitaine, Commandeur de la Légion
d'Honneur, m'informe vers 17 heures de l'arrivée
des Généraux Challe, Salan, Jouhaux au cours du
saut de nuit et me dit que la B.A.P. formera 2
Compagnies qui, vers 22 heures, marcheront sur
Alger où nous retrouverons les Commandos de
Chasse, le R.E.P. et un Régiment blindé. Briefing
à 20 heures mais secret total avant le départ. Je
dois prévoir des opérateurs radios et des
centralistes en plus des équipages desservant les
compagnies, ils seront peut être nécessaires pour
remplacer des titulaires récalcitrants du Corps
d'Armée d'Alger. Je donne mes ordres et, aux
sous-officiers qui posent des questions, je
réponds que nous allons recevoir de Gaulle. Je
rentre chez moi revêtir la tenue convenable. Reine
s'inquiète, je lui réponds : - Je vais faire la
plus grosse connerie de ma vie, je le sais, mais
je dois y aller. Il n'est pas dans mes habitudes
d'employer, surtout à la maison, devant la fille,
des mots grossiers, cela l'inquiète encore plus.
Pendant le rapide casse croûte, je dis quelques
mots sur l'affaire, je ne crois pas à sa réussite,
l‘Algérie n‘a que 3 semaines de carburant
véhicules et si Paris ferme le robinet nous
devrons capituler. Peu avant 20 heures je suis près de mes
hommes; une Jeep radio est en panne, il faut
monter un châssis sur une autre, nous nous
affairons et je manque le "Briefing", peu
important, je sais l'essentiel. Dans la colonne vers Alger je n'ai aucune
fonction, je suis dans une 2 CV et dors, ayant
passé la nuit précédente de permanence au P.C. du
Secteur. Parti vers 22 heures, le convoi, par une
route détournée, se dirige sur Alger. Peu avant
minuit nous sommes arrêtés sur le boulevard du
Front de Mer, devant la Préfecture, par une
Compagnie Républicaine de Sécurité (C.R.S.). En
tête de notre formation, la 203 des Commandants
Vailly et Penduff, je suis juste derrière. Nos
commandants descendent de leur voiture, je les
suis à 6 pas, tandis que la Compagnie Clédic,
arrêtée à nous toucher, "gicle" des camions de
part et d'autreLa C.R.S. est sur 3 rangs, en travers de
la route, son chef devant. Vailly dit quelques
mots, Penduff porte la main au pistolet, j'en fais
autant, mais le Chef C.R.S. va vers une voiture
garée sur le côté et je l'entends nettement dire à
son supérieur : - Ici Iroquois, je suis investi
par une très forte unité Para, je me replie !
Clédic, après avoir envahi la Préfecture, vient me
dire d'aller occuper la Station Radio et le
Central Téléphonique qui sont dans l'immeuble. Je
poste l'Adjudant Skrodsky (un évadé de Dien Bien
Phu) à la Station où un civil falot dit oui à tout
ce que nous ordonnons, en s'inclinant chaque fois
; le Sergent Thieulin veillera sur le Central où
il n'y a personne, ils ont chacun 4 de nos gars
pour éventuellement les aider. Mes sous-officiers
ont pour consigne de ne laisser passer aucun
message de qui que ce soit. Trois minutes plus
tard je rends compte et j'ai une nouvelle mission
: Occuper le Central Téléphonique du Q.G. d'Alger.
Quatre femmes opératrices sont en poste. Je leur
donne les mêmes consignes qu'à la Préfecture et
laisse 3 hommes en surveillance, tandis que je
m'installe dans le bureau voisin du Chef de Centre
avec un Secrétaire. Je n'ai plus qu'a prendre note
de tous les messages qui arrivent ou dont la
transmission vers l'extérieur est demandée. On apprend qu'au dessus du Central
Téléphonique il y a une Station d'Écoutes
fonctionnant en permanence. Le Lieutenant Caron
est désigné pour aller voir; au passage il me
demande de l'accompagner pour éventuellement
arrêter les enregistrements. Dans une grande pièce
nous apercevons une dizaine de magnétophones en
service. À l'entrée, une jeune femme en chemise de
nuit, un peignoir léger par dessus, met les bras
en croix, son peignoir s'entrouvre, nous
démontrant qu'elle est bien faite et elle dit
comme à Verdun : - On ne passe pas ! Caron rit,
lui prend un poignet, la repousse gentiment et
nous entrons pour arrêter le tout. Nous aurions dû
trouver là, un lieutenant et 3 sous-officiers des
Transmissions du Corps d'Armée d'Alger, mais,
ayant appris notre présence, ils s'étaient
courageusement éclipsés après avoir réveillé une
secrétaire. Vers 2 heures je prends l'initiative de
laisser passer 2 messages : L'un adressé à un
Colonel des F.F.A., l'avis de décès de son fils,
l'autre provenant du Centre de lancement de
Régane, un message météo. Aux environs de 6 heures arrive un
capitaine furieux, outré de me voir dans son
bureau que je ne veux pas lui céder. Il se dit
sympathisant, je l'envoie à Fort l'Empereur voir
Vailly. Sur un coup de fil de celui-ci, à 7
heures, je lui laisserai la place sous la
surveillance d'un lieutenant de l'A.B.C.,dont
l'Unité nous remplace. Avec mes gars je rejoins
Fort l'Empereur où la B.A.P. est réunie. Vers 16
heures nous repartons pour Blida avec une
vingtaine de généraux et colonels prisonniers ! Dès le retour et le lendemain,
discussions, rires aux éclats, chacun racontant
ses "faits d'armes". Mosconi, une jambe dans le
plâtre et des béquilles, suivi d'Auriolle et de 2
sous-officiers entrant au Mess des Officiers de
Gendarmerie, signifiant au Colonel Desbrosses et à
son État Major, qu'ils étaient prisonniers. Il n'y
a pas eu un murmure de ces officiers qui avaient
fait tirer sur les Civils d'Alger. Ceux qui
avaient des armes les remirent de bon gré. Le Sergent Chef Vorelli avait été envoyé,
avec un groupe de Paras (des plieurs de
parachute), dire à "quelques gendarmes" qui
étaient avec "des véhicules" sur le grand parc de
stationnement, qu'ils étaient prisonniers. Notre
sous-officier, un pied noir athlétique, ancien du
5ème Ba Wan à Dien Bien Phu, arrivant sur place,
hurle : - Tous vos officiers, colonels et
commandants, sont prisonniers. Vous êtes encercles
par les Paras, descendez sans armes, venez vers
l'entrée. Et il voit arriver des dizaines et des
dizaines de gendarmes. Un peu surpris, mais pas
démonté pour autant, il demande que les
Commandants d'Unité viennent au devant, vers lui
et se présentent. Cinq capitaines arrivent : 3
commandent un Escadron blindé, 2 ont des
Compagnies d'Intervention portées. Il y a là plus
de 400 hommes ! Vorelli, impavide, leur donne
l'ordre de remonter dans leurs véhicules avec
interdiction absolue d'en descendre. Au jour ils
auront des ordres ! En début d'après midi de ce samedi 22
avril. Je suis appelé par le Commandant Vailly. Il
me dit que le Colonel Lavergne, Commandant le
Secteur de Blida, s'est retranché avec 2
Compagnies de Tirailleurs et les hommes d'une
Batterie d'Artillerie dans la Caserne du centre
ville. Il est hors de question d'effectuer une
attaque en force, nous devons investir les lieux
par ruse, "en souplesse". Pour mon travail je vais
souvent au P.C. Secteur, je suis celui qui le
connaît le mieux, je suis donc désigné pour entrer
en tête et signifier aux officiers présents qu'ils
sont prisonniers. La caserne est entourée de hauts
murs de 5 ou 6 mètres. Il faudra entrer par le
grand portail donnant sur une rue très animée,
donc sans combat. Ce portail est cadenassé, une
Section de Tirailleurs en assure la garde. Dans la
cour, face au portail, un F.M. est en batterie, à
35/40 mètres, prêt à tirer en permanence. Il faut
le neutraliser. Le plan prévu est le suivant :
Caron, seul sur une Jeep, se présentera au poste
gardant l'entrée, porteur d'un gros pli "très
urgent, très secret", à remettre en mains propres
au Colonel. Normalement le portail s'ouvrira pour
le laisser passer. Dès qu'il sera dans les vantaux
il appuiera du pied gauche sur un bouton camouflé
qui coupera le contact, la Jeep immobilisée,
empêchera le portail de se refermer. Deux coups de
démarreur ne remettront pas le moteur en route et,
tenant toujours son pli à la main, il descendra du
véhicule. Clédic, posté dans la rue près de
l'entrée de la caserne, donnera le signal "En
Avant" à une rame de 5 G.M.C. arrêtée à environ 30
mètres de là. Je suis dans le premier camion,
conduit par un sergent chef, nous devons percuter
la Jeep vide pour l'envoyer vers le F.M.. Tout se
passe comme prévu. Les servants du F.M., affolés
par ce véhicule lancé sur eux, s'échappent et vont
se réfugier dans un bâtiment, mon bahut tourne à
droite, les hommes qui le montent sautent à terre
et bouclent le P.C. ou je pénètre seul. Les autres
camions entrés au touche touche derrière le mien,
se répartissent à droite et à gauche, nos hommes
se postent devant les ouvertures de tous les
bâtiments y compris le poste de police. À
l'intérieur du P.C., le bruit, les cris des
Tirailleurs du Poste et du F.M. alertent les
occupants. Je vais en premier au Bureau du Colonel
Lavergne lui demander poliment de rester dans son
bureau et se considérer comme prisonnier. Il
regarde par la fenêtre, voit les Paras, sourit et
dit : - Nous en reparlerons. J'entre chez son
adjoint, le Colonel de Froment, il parait atterré,
demande : - Qu'allez-vous faire de nous ? Et
s'effondre dans son fauteuil. Dans le couloir,
arrive mon collègue transmetteur Nivelet, à qui
j'ai rendu maints services, il croise les bras et
dit : - C'est une surprise bien désagréable. Les
autres officiers du P.C. restent dans leurs
bureaux, seul le Capitaine Philippe, un
Légionnaire, ex Dien Bien Phu, un bon camarade
réagit : - Depuis quand les lieutenants
arrêtent-ils les officiers supérieurs ?, dit-il
d'un air menaçant et il ajoute mezzo voce, fais
pas le con, arrête, n'en fais pas plus. Clédic et
Penduff entrent alors et je pars, mission
terminée. Le Colonel Lavergne s'engage à ne rien
tenter, à ne donner aucun ordre à ses subordonnés.
Il lui est fait confiance. Il pourra donc aller et
venir du P.C. au Mess où il loge, ainsi que ses
adjoints. Le Colonel Le Bourhis, Commandant la
B.A.P. prendra provisoirement la place du
Commandant de Secteur, 2 de nos officiers
assureront avec lui une permanence. Une Section
Para occupe le Poste de Police et assurera la
garde de la Caserne, les Tirailleurs consignés
dans leurs chambrées. Pour les autres Paras,
retour vers 19 heures à la B.A.P.. Peu après le colonel commandant la Base
Aérienne nous appelle au secours : des dizaines
d'hommes de troupe ont saccagé Mess et Foyer;
ivres, ils bloquent les officiers après avoir
pillé un magasin d'armes, la compagnie des
Commandos Air qui doit assurer la garde et la
sécurité est désarmée, enfermée dans ses locaux !
Il y a 3000 rationnaires sur cette Base, un grand
nombre d'hommes surexcités par des meneurs et
l'alcool, disent vouloir aller occuper la ville,
le Secteur et tous les points sensibles... Une
centaine de Paras sont vite rassemblés et en
route, conduits par Penduff et Clédic. Je suis de
la sortie avec quelques Radios P.R.C.10. À la Base
Aérienne les grilles sont fermées. Dans la nuit,
on aperçoit et entend 2 ou 300 individus avinés,
brandissant des armes dont ils n'ont peut-être pas
la maîtrise. Nos camions arrêtés sur la route,
devant ces grilles, nos gars sautent dans le
fossé, assez profond, du côté opposé. Clédic me
dit : - Dégage les camions, reste là, silence
total, attends moi. Si on nous canarde, tu fais
tirer une salve en l'air par dessus les grilles,
s'ils ne partent pas alors tire dedans ! Et il
s'en va avec Penduff, tous deux seuls, sans armes,
vers les insurgés. Nos deux officiers demandent le
retrait des gens qui sont là et l'ouverture des
grilles, faute de quoi, nos hommes donneront
l'assaut. Quelques instants de silence, d'hébétude
chez les braillards, puis des cris : - Les Paras
vont attaquer. C'est la débandade des excités,
certains jettent leur arme, sans doute pour courir
plus vite. Penduff va voir les officiers de la
Base; Clédic et 2 sous-officiers vont, guidés par
2 hommes de l'Air qu'ils tiennent par les oreilles
(sic), libérer la Compagnie de Garde qui reprend
des armes et le contrôle de la Base. Deux heures après l'appel au secours des
Aviateurs nous sommes de retour chez nous. Toutes
nos missions se sont accomplies dans l'ordre, en
silence, sans une seule égratignure. Nous sommes
fiers de nos Paras, ce ne sont pourtant pas des
combattants aguerris, mais du Personnel Technique,
n'ayant que la formation militaire de base. Ils
obéissent aux ordres des sous-officiers qu'ils
aiment, tous soldats chevronnés, presque tous
anciens d'Indo. Leur passé en impose aux hommes
qui les suivent sans broncher. Les sous-officiers
ont eux aussi l'habitude d'exécuter en toute
confiance ce que demandent leurs officiers qui les
ont souvent conduits aux combats, et, en plus,
leur opinions convergent; ils n'ont pas envie de
perdre l'Algérie après l'Indochine. Deux jours dans l'expectative puis Challe
se rend, c'est l'écroulement. Le Capitaine Lancery
et le Lieutenant Scott qui sont restés neutres,
nous demandent de rester chez nous. Auriolle qui
logeait à la B.A.P., vient vivre avec moi. Nous ne
savons que faire, à qui demander conseil : Vailly
est en fuite, LE Bourhis et Penduff invisibles.
Clédic est aussi perplexe que nous. Il nous
faudrait l'avis de personnes ayant du recul. Je
pense au Commandant Barthou, des Transmissions de
la 10ème D.P.. La B.A.P. est indépendante des 2
Divisions Paras mais si la 25ème est dans le
Constantinois nous sommes très près
quotidiennement de la 10ème. Le D.M.T. dirigé par
le Lieutenant Ferry est implanté en face de nous
et le Mess de l'E.M.10 vient de s'installer en
bordure Ouest de notre camp. J'y vais à l'heure du
repas. Barthou suggère de disparaître quelques
jours en attendant la suite, Ferry m'invite à
aller chez lui. Oui, mais Auriolle ? "Ton Ami est
le mien" et, au milieu de l'après midi, nous
arrivons à son domicile, tout en haut de la Casbah
d'Alger, dans un très vieux bâtiment militaire.
Nanette, épouse de Jacques Ferry, pied noir
rieuse, nous embrasse, nous présente leurs 3
enfants dont l'ainé, Jean Jacques, a 11 ans et
nous conduit à notre chambre : pièce au plafond
très bas, pas plus de 1,10 mètre sous barrots.
C'était autrefois le logement d'esclaves. Nous y
passerons 2 nuits. Nos journées sont occupées à
écouter la radio et jouer avec les gamins. Les Appelés de diverses Unités n'ayant
pas pris part au putsch, surexcités par le
discours de de Gaulle, voulaient exécuter tous les
putschistes. Repris en main par leurs supérieurs,
ils se sont calmés : nous pouvons revenir à Blida,
Auriolle bien sûr chez moi. Le lendemain une note du P.C. Secteur
nous enjoint de rester aux arrêts à notre
domicile, prêts à partir en tenue N°1 avec une
cantine d'affaires personnelles (voir annexe). La
nouvelle se répand dans Blida (téléphone arabe).
Des inconnus arrivent une bouteille sous le bras
pour nous dire : Au revoir, ils boivent un verre
et s'en vont; d'autres les suivent. Nous recevons
ainsi (Auriolle et moi), une trentaine de
bouteilles. Dans le petit jardin de 30 mètres
carrés, devant la maison, on "tape l'anisette'
avec tous. Deux de mes anciens Harkis arrivent, ce
faisant, ils sont chaleureusement accueillis par
nos visiteurs. Ils viennent demander ce qu'ils
doivent faire. Sur les 120 que j'avais recrutés en
1957, ils ne sont plus que 18 ! Tous les autres
sont morts ! Je ne vois que 2 solutions : une que
je préconise, partir au plus vite en métropole
avec la famille ou l'autre que je réfute :
déserter avec les armes, même celles de collègues,
et passer chez les Fels, sinon leur famille sera
massacrée. Ils m'assurent qu'ils prendront et
préconiseront la première. Je leur donne
l'accolade et ils s'en vont tandis qu'une Jeep
vient dans le crépuscule nous chercher Auriolle et
moi. Nous nous retrouvons avec Le Bourhis,
Penduff, Clédic, Mosconi, dans la Brigade de
Gendarmerie de Souma à une douzaine de kilomètres
de Blida. Le chef de cette brigade qui n'a été
prévenu qu'à notre arrivée, est affolé. Il dépêche
ses hommes dans des Unités voisines pour chercher
des lits Picots, des vivres, des boissons. Les
femmes des gendarmes, presque toutes pieds noirs,
s'empressent pour nous servir. Le Gendarme
Leveille dit être de notre bord, il connaît les
Breffeilh, des collègues amis de Reine. Il part
les voir pour qu'ils préviennent nos familles.
Après une nuit assez correcte et un copieux petit
déjeuner offert par les épouses de nos gardiens,
un petit car nous amène à Maison Carrée, sous la
surveillance du seul Chef de Brigade. Dans une
caserne entourée de barbelés très denses, nous
retrouvons des officiers du 18ème R.C.P. et du 1er
R.E.P.. La chanson en vogue est celle de PIAF, "Je
ne regrette rien...", des collègues modifient les
paroles et toute la soirée, les façades éclairées
à giorno par des projecteurs, cette chanson
retentit dans les étages avec en alternance le
"Boudin" des Légionnaires, demain c'est
"Camerone", leur fête. Au matin de ce 30 avril. Des cars de
l'Armée de l'Air nous emmènent à l'Aéroport de
Maison Blanche sous grosse escorte de gendarmes.
Les cars s'arrêtent devant le hall d'embarquement,
un officier aviateur fait débarquer nos cantines
et dit que nous devons attendre là d'être
transférés par avions militaires à Paris. Cars et
gendarmes s'en vont, nous laissant seuls, sans
surveillance ! Nous attendons, nous promenant de
long en large jusqu'à midi où arrive un
sous-officier de l'Air nous invitant à aller vers
les appareils. Nous refusons, 1° de porter
nous-mêmes nos cantines, 2°, de partir sans avoir
mangé. Les Aviateurs sont très ennuyés, ils
téléphonent à droite, à gauche et peu avant 14
heures, des hommes de troupe arrivent comme
porteurs de nos bagages. Entre temps les Équipages
des Nord 2501 qui doivent nous emmener se cotisent
et nous offrent sandwiches et bières. Vers 15
heures nous décollons. L'arrivée a lieu à Villacoublay. Des
Dodges armés de mitrailleuses longent la piste,
des cars attendent. Un lieutenant-colonel de
Gendarmerie, breveté Para, assisté de 3 officiers
et d'une douzaine de sous-officiers, est au pied
de l'appareil. Il toise les lieutenants descendus
les premiers, qui oublient de le saluer, mais
suffoque en voyant Le Bourhis : - Mon co...mon
colonel, vous ici !", il ne peut en dire plus, se
retourne vers ses adjoints, écartez vous, laissez
passer le Colonel. Et il les envoie prendre,
porter nos cantines. Le Bourhis avait été son chef
pendant la Campagne de 43/45, de l'Algérie aux
Vosges. Au sortir de l'avion suivant, un Officier
Légion, le Capitaine Branca l'apostrophe avec
l'accent Pied Noir : - Oh Tonton !, à moi tu me
fais mettre la mitraillette ? Et ce brave colonel
de gendarmerie, tombe dans les bras de son neveu,
une petite larme à l'oeil tandis que ses adjoints
se détournent et s'écartent encore plus. Sous forte escorte de motards, des cars
de la Garde, 2 gendarmes à l'avant, 2 à l'arrière,
nous conduisent au Fort de L'est. Un grand colonel
de Spahis, en tenue "ouahad" avec double burnous
rouge et blanc nous reçoit. C'est lui qui nous
salue réglementairement au fur et à mesure que
nous entrons dans un bâtiment où il se tient et se
présente : - Colonel Giraud fils du Général, je
suis ici à ce poste pour une question géographique
d'affectation, mais moralement avec vous, depuis
le début ". Des hommes de troupe s'affairent en tous
sens pour amener, installer du mobilier; un repas
était prêt aux cuisines, des appelés nous servent
de façon impeccable. Certains de ces serveurs très
stylés portent un titre de Comte ou de Marquis...
ces jeunes du contingent sont des "planqués" des
États Majors de Paris. Le lendemain, 1er mai. Des Officiers
d'Intendance viennent voir si nous désirons des
avances de solde ! Des sous-officiers sont mis à
notre disposition pour effectuer en ville les
achats qui peuvent nous être nécessaires ! Le 4 mai. Les capitaines et lieutenants
avons été transférés au Fort de Nogent où les
visites de famille et d'amis furent autorisées. Le
Central Téléphonique mis à notre disposition nous
permit de communiquer en Algérie. Seule de Blida à
avoir le téléphone, Reine faisait le relais vers
les autres épouses. Les gendarmes qui nous
gardaient, faisant les cent pas sur le haut des
murs du Fort, après nous avoir vu jouer au volley,
chanter, rire et pour beaucoup pratiquer le Close
Combat, dirent que leur garde ne servait à rien,
les chargeurs des mitraillettes repliés, ils
firent la chasse aux escargots. Dès les premiers jours, il y eut de
nombreux malades. Un fourgon avec un gendarme
amenait les consultants à l'Hôpital Bégin, ils se
répandaient dans les divers services sans
surveillance et revenaient par leurs propres
moyens le soir ou le lendemain. Auriolle participa
à 2 meetings parachutistes et j'allais voir le
Salon Nautique et les 6 heures de Paris. Un adjudant-chef de Gendarmerie vint pour
nous interroger sur nos activités durant les 4
jours du Putsch. J'étais le premier par ordre
alphabétique sur la liste. Je refusais, ainsi que
les suivants, de répondre à ses questions,
exigeant la venue d'un officier de grade supérieur
au mien pour accepter de répondre. Un capitaine vint et dit qu'il n'avait
pas le temps d'interroger une vingtaine de
lieutenants. Il nous demanda de rédiger un C.R.
détaillé. Certains étalèrent assez complaisamment
leurs actions, d'autres furent très brefs, un
sous-lieutenant, fils d'amiral, écrivit : " Aux
ordres de mes supérieurs ". Me souvenant du peu de
droit que j'avais appris à l'École de Gendarmerie
en 1942 : "Il appartient à la justice de prouver
qu'un prévenu est coupable", je minimisais mon
action, la réduisant à la protection des
installations Radio et Téléphone d'Alger et
oubliais de parler du Secteur de Blida. Nos communications téléphoniques étaient
certainement écoutées mais notre courrier n'était
pas contrôlé, nous pouvions avoir toutes les
nouvelles voulues et c'est ainsi que j'appris
l'ordre de silence absolu sur nos actions, donné à
mes hommes par Skrodsky et Pacca. Deux appelés,
Pieds Noirs, avaient promis d'exécuter celui ou
ceux qui, enfreignant cet ordre, "baveraient sur
le lieutenant". Est-ce cela ou plutôt, ce que je
crois, mes hommes m'aimaient-ils, il n'y eut aucun
mouchardage sur mes actions ou mes paroles. Le 20 juin (ou le 21 ? ), je fus convoqué
devant un Général, Mast, je crois. Il fut très
étonné de me voir avec l'insigne Para d'Angleterre
à Croix de Lorraine et plus encore de savoir que
je l'avais eu sous les ordres de Foccart. Il me
demanda si je l'avais sollicité pour m'aider à
sortir de là. Ma réponse le stupéfia : - Je n'ai
commis aucune faute, je ne me sens coupable de
rien, je pense ne mériter aucune sanction. Il lut
mon C.R., regarda mes décorations, les confronta
avec des doubles insérés dans mon dossier et
déclara que je méritais 90 jours de forteresse
mais, qu'étant donné mon passé, 60 suffiraient.
(Voir annexe) Entre temps, la citation du début
avril et la Rosette de la Légion d'Honneur.
étaient allées au panier.L'après midi je sortis pour aller à la
Dir. Trans. chercher une affectation. J'eus une
"prise de bec" avec le Commandant du Premier
Bureau, refusant les postes offerts au Mans ou à
Épinal, exigeant une affectation dans une ville de
Faculté du Midi et partis en claquant la porte. Le Capitaine Pouget, un des 27 parias mis
à l'écart par les Viets pour ne pas être libérés,
était venu me voir à Nogent et proposé son aide
éventuelle. J'allais le lendemain le trouver à
l'E.M. A.L.A.T. où il tenait le 3° Bureau. Il
parla de moi à son général, en termes assez
élogieux, sans doute, pour que celui-ci appelle au
téléphone son collègue des transmissions et je fus
affecté au G.R.E.T. à Bordeaux. Ma mère qui avait passé l'hiver avec nous
à Blida était revenue à Monaco. Je m'y dirigeai
pour la rassurer sur mon sort et allais me
présenter à ma nouvelle Unité où j'exigeai un mois
de permission en Algérie. Je passais ce mois à
Fouka très occupé par des plongées sous marines,
un peu de ski nautique et de très bonnes soirées
avec des Pieds Noirs. J'avais signalé mon arrivée à la
Gendarmerie de Blida, précisant que je serais le
plus souvent au cabanon à Fouka. Bien m'en avait
pris. Quatre jours avant mon départ, je reçu une
note me convoquant d'urgence au C.A. d'Alger.
J'allais le lendemain voir le Lieutenant Colonel
La Hitte, son rédacteur. Il me reçut très
sèchement, me dit que je n'avais pas le droit
d'être sur "le sol Algérien" et qu'il allait me
faire mettre dans un avion "pour la France". Je
fis la moue, souris et répondis ironiquement que
l'Algérie étant encore "sol français", nous
disions habituellement la "métropole". Il me parut
décontenancé, j'ajoutais ne pas être venu
clandestinement, mais avec une permission
régulière pour préparer mon déménagement et que
j'avais signalé à la Gendarmerie mon arrivée.
Comme il me paraissait gêné je lui montrais mon
billet d'avion, pris 8 jours plus tôt, pour le
surlendemain et, moqueur, souriant, je dis qu'il
me ferait faire des économies s'il m'expédiait par
avion militaire. Ce colonel paraissait ébahi par
mes dires. Il fit vérifier par un adjoint ma
déclaration à la Gendarmerie. En attendant la
réponse, il me demanda sur un ton plus avenant
qu'elles étaient mes activités. Je lui précisais
que la principale avait été des plongées à
Cherchel avec le Club de Fouka, à la demande du
Service Archéologique de Monsieur de Lassus Saint
Genès, gaulliste très connu. Cette déclaration
qu'il pouvait aussi faire vérifier et la réponse
positive de la Gendarmerie, lui firent prendre un
ton cordial. Il me dit avoir été prévenu de ma
présence "illicite" par le Colonel de Froment du
Secteur de Blida. Ce même de Froment, lors du
procès de mes camarades de la B.A.P., était témoin
à charge, il s'indigna de mon absence et me
réclama au banc des accusés. C'était trop tard... ANECDOTES
PARACHUTISTES - En Indo les largages furent, à ma
connaissance, toujours corrects. À Pau
l'escadrille de Pont Long nous posait dans des
mouchoirs de poche, telle la pelouse du Château
Guerlain. En Algérie j'ai vécu des largages
périlleux. Septembre 1958. Des sauts sont organisés
un peu partout sur le territoire Algérien pour
démontrer la force, les possibilités de notre
Armée, face aux Fellaghas. Je suis désigné avec
mon collègue Césarini et une centaine d'hommes
pour effectuer ces démonstrations dans le sud
Orannais. Un matin, plafond bas, les 3 Nord 2501
qui nous emmènent tournent en rond à basse
altitude espérant une éclaircie. Le pilote de
l'avion leader dans lequel je suis, aperçoit un
terrain qui lui semble être notre D.Z.. Placés à
la porte, Césarini et moi avons eu en mains la
photo aérienne du lieu prévu, voyons bien, et nous
ne sommes pas d'accord. Je vais le dire, le
navigateur est péremptoire : c'est là, la photo
que vous avez en mémoire était à l'envers ! La
formation prend de l'altitude en faisant un grand
cercle et : "Go". Nous atterrissons à 200 mètres
d'un Poste, dans un terrain de cailloux énormes.
Il y aura une vingtaine de blessés. Du Poste
accourent un capitaine et des militaires ahuris :
"Que venez-vous faire ?". Nous n'étions qu'à 20 km
du Poste prévu pour nous recevoir.... Quelques jours plus tard, pour la Saint
Michel, saut en mer devant Cherchel. "Napoléon",
qui a organisé la réception, m'a demandé d'y être
et nous a invités Reine, sa fille et moi, aux
diverses manifestations prévues. Le largage aura
lieu par 1/2 avion. Au premier passage, les Paras
arrivent sur les rochers du bord de mer, il y aura
une dizaine de blessés. Rectification pour le
second passage dont je suis et nous amerrirons à
600 mètres du rivage, bien loin des spectateurs ! En 1959, saut de manoeuvre dans la plaine
du Chélif. Je suis à la porte tribord de mon avion
pour la première et la seule fois de ma carrière
(plus de 200 sauts) J'hésite à partir au signal
vert : nous sommes encore loin de la D.Z.. Deux ou
trois secondes passent, le largueur à qui j'ai
fait voir le terrain secoue la tête, crie : Go en
me tapant sur l'épaule , j'y vais. La D.Z. était
un beau champ labouré, situé dans une dépression
précédée d'un plateau rocheux et arboré, la
dominant d'une vingtaine de mètres. J'atterris
contre la paroi du plateau à une douzaine de
mètres de hauteur et dégringole jusqu'en bas,
freiné dans ma chute par des arbustes qui
accrochent les suspentes de mon parachute. Les
hommes qui me suivaient, vont sur le D.Z.. Ceux de
la porte bâbord sont partis au vert et une dizaine
d'entre eux arrivés sur le plateau sont blessés. À
210/220 km heure, vitesse de largage, deux
secondes représentent 120 mètres et mon retard a
été bénéfique pour mes suivants directs En 1960, un autre saut de manoeuvre a
lieu sur une D.Z. aussi large que courte, 600
mètres environ, largage par 1/2 stick. C'est
correct en longueur mais pas latéralement, les
hommes vont finir dans les vignes à la grande
colère du propriétaire. Des Paras arrivent sur les
fils de fer supportant la vigne, il y a des
blessés. Palau, un de mes gars, opérateur C 10,
manque d'être empalé sur un des piquets soutenant
les fils de fer. Ces piquets, en Algérie, sont en
fer, du T de 30 mm. L'un d'eux est passé entre sa
veste et le sac du parachute fixé sur son dos. Des
contusions sans gravité. Il y en a eu d'autres dont j'ai eu écho,
mais n'y ayant pas assisté, je n'en parlerai pas.
Été 1961 - Automne 1965
Bordeaux
République
Fédérale Allemande
Fin de
Carrière
Après le Putsch j'étais persuadé que,
sauf nouveaux cas extraordinaires, ma carrière
militaire était sans issue et je ne voulait pas la
continuer en végétant dans une triste ville de
garnison mais je voulais une possibilité pour
Colette de continuer ses études en Faculté. J'avais fait un calcul simplet. Depuis
avril j'étais le premier au tableau d'avancement,
je devais donc être nommé en juillet. Sept mois
plus tard, je donnerais ma démission et aurais une
retraite de Capitaine après avoir "rongé mes
ongles" moins d'un an. Pendant ce temps je
chercherais une situation de rechange. N'ayant
jamais été calculateur je m'étais bien trompé.
Dans les Transmissions il n'y eut aucune
nomination en juillet ni en octobre et je n'eus
mon troisième galon qu'au mois de janvier 1992. Il
me fallait attendre l'été pour démissionner. J'étais allé voir "Dan" mon Collègue du
Réseau Jove. Gaulliste, il me tourna le dos;
d'autres, Fragnaud, Soult, etc... en firent
autant. Dès mars l'exode des Pieds Noirs vint
compliquer l'espoir de trouver une situation
tandis que je "mangeais la gamelle" au G.R.E.T..Reine n'ayant pas voulu adhérer au
Syndicat C.G.T., rencontra dans l'enseignement de
très grosses embûches. Nous étions heureusement
très unis, malgré un moral assez bas, aggravé au
printemps 1962 par le départ de Colette pour
rejoindre un garçon (Willy) au Maroc en
abandonnant ses études. Je continuais donc au G.R.E.T. cherchant
une sortie. C'était une Unité de cloportes ayant à
sa tête le Chef de Bataillon B..., ivrogne,
prévaricateur et couard. Je fus mis à l'écart,
jouant les utilités, fui par les Collègues. En septembre 1962. Je fus chargé de
réduire un trou énorme dans l‘Ordinaire de la
Troupe. Il avait été causé par une très mauvaise
gestion et surtout les excès du Chef de Corps.
C'était un défi sous contrôle de l'Intendance. Je
le relevai, fus réglementairement draconien et
réussis au détriment des amitiés de B... Printemps 1963. Je créais un Centre
d'Instruction, B1 Paris précisa que ce ne pouvait
être considéré comme "Temps de Commandement", mais
il le fut pour mon successeur... Début 1964. Je dis à B... que je
refuserais de saluer le Général Katz, le "boucher
d'Oran" devant venir visiter le G.R.E.T.. Je fus
envoyé 3 jours en mission/vacances Après l'Algérie, l'ami Ferry avait été
affecté à Fribourg en R.F.A.. En avril de cette
année 1964, il me suggéra de le rejoindre; son
colonel, qui l'estimait beaucoup, appuya ma
demande. B... ne fit aucune objection et ma
mutation au 53ème B.T. se fit très rapidement, le
1er mai j'étais à Fribourg. Je fus très bien reçu à tous les
échelons, le Général Lavergne, ex Secteur de
Blida, sourit et me serra la main ! Ferry, deux
autres Capitaines Para et des sous-officiers
m'ayant connu en Indo et en Algérie avaient
énormément vanté mes mérites (Carte de dissolution
60 C.T.).J'eus droit à une première "mission
impossible" au Valdahon en France. Merci les
Adjoints, elle fut réussie, notre Colonel, Perrin,
fut ravi. En août j'héritai du Capitaine U.S.
Peter Schmidt. Avec lui et mes bons
sous-officiers, je réussis une manoeuvre technique
de 72 heures jugée impossible par les spécialistes
U.S., Perrin exulta. En septembre Reine me rejoignit, elle eut
un poste à Fribourg. En novembre, guerre du
"Réduit Breton" aux ordres de Ducourneau. J'avais
l'équivalent de deux Compagnies : réussite,
félicitations. À Bordeaux j'avais pratiqué la voile,
dériveur et croisière et m'étais inscrit aux
Équipages de Course Croisière de l'Armée. En
janvier 1965 notre assemblée eut lieu au Salon
Nautique de Paris, un "pot" la clôtura. Un Chef de
Service de Jeunesse et Sports était présent, il
émit le voeu de voir des officiers venir le
renforcer. Je me présentai, énumérai les Centres
ou j'avais servi et il m'engagea à demander le
bénéfice des dispositions permettant aux officiers
de quitter l'Armée pour être intégrés dans
l'Éducation Nationale. Grosse opposition de Perrin
voulant me garder et... du B1, mais les amis que
je m'étais crées à Bordeaux intervinrent, me
réclamèrent. Je passai faire un pied de nez au
Commandant du B.1 et laissant ma pauvre Reine à
Fribourg, où elle m'avait bien peu vu, allai
suivre le stage probatoire de 3 mois, de mars à
juin, à Bordeaux : Merci Gombert, merci Beaugency, Gérard et
autres. En septembre déménagement de Fribourg à
Bordeaux ou j'étais affecté C.T.R. voile. J'avais quitté l'école à 13 ans, je
finissais ma vie active professeur
Rigueur de la
justice en 1942 :
- Dans une
cour de gendarmerie 100 kg de fil de cuivre,
volés par des Gitans, traînaient depuis avant
guerre. Le Chef de Brigade nommé en 1941
manquait de papeterie. Il en vendit 15 kg à un
ferrailleur et acheta ce qu'il estimait lui
falloir, facture à l'appui : 3 ans de prison. - Il existait avant guerre
des pièces en nickel de 5, 10 et 25 centimes
percées d'un trou central, périmées, retirées de
la circulation. Un soldat, 2ème classe, employé
chez le fourrier de sa compagnie, en vit 8 dans
un tiroir et les prit : 6 mois de prison. - À l'automne 1944 j'ai
recherché le Maréchal des Logis Chef Baurés pour
lui demander des comptes sur mes malheurs de
1942. Moins avisé que le lieutenant que j'avais
retrouvé en Haute Saône avec le pseudonyme
"Condé", il avait été tué lors de l'attaque d'un
maquis R.I.P.. En 1988
j'apprenais pouvoir demander une solde pour la
période de détention par les Allemands en
1943. J'obtins en mars 1989 cette solde
soit... 36 F, auxquels, je ne sais pourquoi,
sont venus s'ajouter une prime de démobilisation :
10 F. Soit au total : 46F !!!
|