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Liste des 134 manuscrits   #Manuscrits                

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Capitaine Jean Armandi

141

Si la guerre est longue,

je serai officier...

Guerre 1939 - 1945

Guerre d'Indochine

Guerre d'Algérie

Nice - Août 1995

Analyse du témoignage

Écriture : 1991 - Édition Mai 1995 - 180 pages

POSTFACE de Michel EL BAZE

"Lorsque dans notre Pays

on parle de Courage et de Grandeur,

c'est vers les Croix de Guerre

que se tournent les regards",

déclarait le Maréchal Juin.

Sans doute aurait-il porté son regard plus particulièrement sur Jean Armandi s'il avait connu son odyssée au service de ce Pays qu'il a choisi pour être le sien : la France. On reste ébahi à la lecture de ce témoignage d'une aventure exceptionnelle sereinement décidée qui ajoute une pierre de taille au Monument de la Mémoire. Campagne de France en 1940, cité à l'Ordre de l'Armée. Prisonnier, il s'évade pour s'engager dans la Résistance. Arrêté, condamné par le Tribunal Militaire de Lyon, il en sort pour retourner dans la clandestinité.De nouveau arrêté, torturé par la Gestapo, il s'évade pour, encore, rejoindre l'Armée de l'Ombre. Pour préparer ses futures missions sur l'Allemagne, il reçoit une formation de parachutiste à Ringway, en Écosse.Mais la guerre est finie, alors, en Allemagne occupée, Armandi apporte ses compétences à une antenne du Contre Espionnage installée à Wildbad. Dès 1951 en Indochine, il combat les Viêts. Captif à Dien Bien Phu il ne réussira pas, cette fois, sa tentative d'évasion. 1955 Action Psychologique dans les Mechtas de l'Algérois et de Kabylie et, une fois de plus, une dernière fois, emprisonné pour sa participation active au Putsch des Généraux. Croyez-vous que ce destin extraordinaire aurait pu s'accomplir s'il n'avait bénéficié de la complicité de la connivence du soutien sans défaillance d'Irène, sa Reine !..

"When people talk about courage and greatness

in our country,

they referring to the Croix de Guerre

first and foremost"

Stated Maréchal Juin.

No doubt he would have looked more particularly towards Jean Armandi, had he known his odyssey for this country which he had chosen as his own : France. One remains amazed when reading this account of an exceptional adventure, serenely decided and which adds a corner stone to the monument of memory. Campaign of France, promoted to the Order of the Army. Taken prisoner, he manages to escape and joins the Resistance movement. Arrested, condemned by the military tribunal in Lyons, he leaves to go back to clandestinely. Once again he is arrested and tortured by the Gestapo, he escapes once more to go back to the Army of Shadow. To prepare for his future missions in Germany ,he is trained as a parachutist in Ringway, England. War being over, then, in occupied Germany, Armandi offers his skills to an antenna of the counter intelligence service located in Wildbad. As early as 1951, he fights against the Viets. Taken prisoner in Dien Bien Phu, he will not be able to escape then. 1955 : Pschycological action in the Mechtas of the regions of Algiers and Kabylia, and once more, the last time though he is sent to prison, for taking part in the attempted coup of the Generals in Algiers. Do you think that this incredible life story would have been possible had he not had the complicity, the unfailing support of Irène, his Queen !

PROLOGUE

En prologue à mes souvenirs de guerre, je me présente. Mon Grand Père paternel était un ouvrier piémontais travaillant à Nice avant 1860. Garibaldien (j'ai encore un portrait de ce Niçois), grand admirateur de Cavour, mon Grand Père garda sa nationalité italienne. Son épouse m'est inconnue. Né Italien, mon Père le resta pour ne pas faire 3 ans de service militaire. Apprenti typographe à 12 ans, travailleur, intelligent, il progressa et à 50 ans, lors de ma naissance, il était directeur d'une imprimerie. D'un premier mariage il eut 2 fils et, après le décès de sa femme, épousa ma mère sa cadette de 15 ans. Ma Mère naquit à Vintimille de parents paysans. À 18 ans elle vint travailler en France, bonne d'enfants, dans une famille juive allemande ayant une fille et un garçon. Né le 10 janvier 1916 à Monaco, j'y fus élevé sainement mais de façon sévère, spartiate, sans câlins ni bisous. César, mon frère aîné, s'engagea pour la guerre en 1917, Flavius, notre frère intermédiaire, décéda cette même année et je restais seul fils à la maison. J'allais à l'école publique tenue par des Frères. Après le Certificat d'Études, je suivis un an de cours complémentaire mais, déjà frondeur, m'étant heurté à un "Cher Frère", je ne voulus plus continuer et en septembre 1929 débutais apprenti électricien. À l'Entreprise ou j'entrais, à Monaco Ville, il y avait 3 ouvriers et 3 apprentis dont moi. Chaque jour, les apprentis passaient à l'atelier pour prendre le matériel : appareils, tubes, fils nécessaires au travail pour le porter à dos sur les chantiers. Les saignées pour encastrer les tubes nous étaient dévolues, au marteau et au burin. Le travail était de 8 heures, six jours par semaine. Mon salaire d'apprenti pendant deux ans, fut de un franc par jour (1 centime actuel), un petit casse-croûte coûtait 1,25 francs. J'étudiais l'électricité sous toutes ses formes et à 16 ans, j'entrais dans l'Entreprise Barbey comme monteur installateur de tableaux : voyants et sonneries d'hôtels. À 17 ans, M. Champion, constructeur réparateur de postes de T.S.F., m'accepta chez lui ou j'appris un minimum de dépannage de ce qui allait devenir la radio. Un an plus tard, en 1934 : la crise. Champion licencie, je deviens ouvrier d'entretien à l'Hôtel Bristol. Cette même année, je demande ma naturalisation Française, car né à l'étranger de père étranger. Mon frère aîné , né à Nice, était déjà Français. Mon Père m'approuve. En mars 1935, je m'engage pour 3 ans au 6ème Dragons Monté (je croyais motorisé), à Paris. La vie y était assez rude pour les "bleus" : une permission de sortie du soir par semaine et le dimanche, abreuvoir des chevaux à 14 heures avant le quartier libre. Au vu de mes connaissances électriques je fus envoyé, après mes classes à cheval, suivre un stage : radio et téléphonie, à Versailles, puis un autre de Chef de Poste radio à Verdun et je fus nommé brigadier. Je suivis ensuite un stage de chiffre à Latour Maubourg. À deux ans de service, le 1° avril 1937, j'étais nommé brigadier chef, avancement exceptionnel pour cette unité à 75 % d'Engagés. Mars 1938, mon Père hémiplégique, s'affaiblissait et en fin de contrat, je revins à Monaco. En août j'entrais au Service de Garde de la S.B.M.. En allant prendre mon travail je m'arrêtais souvent à la Brasserie Albert 1er. Simone, la "patronne" me suggéra de m'occuper de sa fille, Jacqueline, revenant de Grande Bretagne. Cette jeune personne avait dans sa malle un journal de Paris avec ma photo en première page ! À Noël précédent l'Armée avait remplacé les transporteurs des Halles en grève, "Paris-Soir" m'avait inclus dans son reportage. Le jour de Noël 1938 mon Père décédait. Les suggestions de Simone, la photo,... le destin; en mars 1939 j'épousais Jacqueline. Six mois plus tard c'était la guerre.
In prologue to my souvenirs of war, I following. My Great paternal Father was a worker piémontais working to Nice before 1860. Garibaldien (I have again a portrait of this Niçois), great admirer of Cavour, my Great Father kept his Italian nationality. He marries is me unknown. Born Italian, my Father remained it to does not make 3 years military service. Apprentice typographer to 12 years, laborer, intelligent, he progressed and to 50 years, during my birth, he was director of a press. From first marriage he had 2 son and, after the death of his woman, married my mother his cadette of 15 years. My Mother was born in Vintimille of working family. To 18 years she came to work in France, maid of children, in a German Jewish family having a girl and a boy. Born 10 January 1916 to Monaco, I was raised there healthily but severe manner, Spartan, without fabulously neither kisses. César, my older brother, is committed for the war in 1917, Flavius, our intermediate brother, deceased this same year and I remained alone son to the house. Iwent to the public school appearance by Brothers. After the Certificate of Studies, I followed a complementary course year but, already critical, being knocked to an Dear Brother, I no longer wanted to continue and in September 1929 began apprentice electrician. To the Enterprise wehre I entered, to Monaco City, there were 3 workers and 3 apprentices whose me. Each day, the apprentice passed to the workshop to take the equipment: machines, tubes, necessary son for the work to carry it to back on yards. The saignées to armour tubes us were for us, to the hammer and to the burin. The work was 8 hours, six days by week. My salary of apprentice during two years, was a Franc per day (1 current cent), a small snack costed 1.25 Francs. I studied the electricity under all its forms and to 16 years, I entered in the Enterprise Barbey as fitter editor of tables : clairvoyants and ringings of hotels. To 17 years, Mr. Champion, constructive repairer of positions of T.S.F., accepted me at him wehre I learnt a minimum of repairing of what was going to become the radio. A later year, in 1934 : the crisis. Champion dismisses, I become labor of maintenance to the Hotel Bristol. This same year, I ask my French naturalization, because born to the foreign father foreigner. My older brother, born to Nice, was already French. My Father approves me. In March 1935, I am commit for 3 years to 6ème Climbed Dragons (I believed motorized), to Paris. The life there was enough rough for the blue : a permission of exit of the evening by week and Sunday, trink for horses to 14 hours before the free quarter. To see my electrical knowledge I was sent, after my classes to horse, to follow an internship : radio and téléphonie, to Versailles, then an other of Chief of radio Position to Verdun and I was appointed corporal. I followed then an internship of figure to Latour Maubourg. To two years of service, 1 April 1937, I was appointed chief corporal, exceptional furtherance for this unit to 75% of Committed. Mars 1938, my Father hémiplégique, is weakened and in fine of contract, I return to Monaco. In August I entered to the Service of Ward of the S.B.M.. In to be going to take my work I stopped me often to the Brewery Albert 1st. Simone, supports it, suggested me to occupy to her girl, Jacqueline, returning Great Britain. This youth person had in her trunk a newspaper of Paris with my photograph in first page ! To preceding Christmas the Army had replaced carriers of Halles in strike, Paris-Soir had me included in its reporting. The day of Christmas 1938 my Father deceased. Suggestions of Simone, the photo,... the destiny in March 1939 I married Jacqueline.Six month later it was the war.

PRÉAMBULE

J'ai écrit ces souvenirs de 1939/1945, de mémoire : Confortée par mes citations (en annexe) et le livre "La 29ème D.I.A. au combat " pour 1939/1940. En les confrontant avec ceux de Reine, ma compagne des jours de bonheur et de malheur, des heures d'espoir et de désespoir pour 1943/1945. Avec l'aide de Roger Lechner pour 1941/1942. Aymé a d'abord continué avec le Réseau Bertin/Radio Patrie. Le dénommé Prat lui a appris à manier plastic, gélinite, allumeurs, etc., mais, voulant plus d'activités, il adhérera au Réseau Gallia dépendant de Buckmaster, la branche française de l'I.S. Sa mère, veuve était responsable surveillante du cimetière de Monaco où de beaux et riches tombeaux ont des cryptes avec porte d'accès. Il y entreposera armes, explosifs, documents. Après le débarquement de Provence, il sera désigné pour accueillir et guider les troupes alliées lors de leur approche de la Principauté. Sa brillante conduite et le travail effectué dans la Résistance lui vaudront d'être l'un des très rares monégasques titulaire de la Croix de Guerre. J'aurai du écrire plus tôt. Roland Provence m'aurait servi de mémoire annexe. Il a été ravi à mon estime, mon affection en 1981. J'ai cherché d'autres collègues : Félix Vérani perdu de vue en 1945 à Paris. Où est-il ? Notre co-évadé de 1940 : Guintrand est décédé ainsi que Chirouze, le braco de Lamastre. Eldin le Pasteur et De Pecker, épicier à Antibes, tous deux Brigadiers Chefs du GRD nous ont quittés. En 1972 j'avais rencontré Barthélémy établi boucher à St Tropez, il n'y est plus. Bennati a récolté 20 ans de prison en 1948 pour attaques à main armé. Il les a finis au cimetière. Jove est décédé fin 1948, Dan en 90. Friend et Fourt ont été arrêtés en 1944, exécutés, m'a dit Maud. Petit Paul a pris son dernier envol en 1980. Maud, ex Nanette : Louise Le Mab mariée après guerre avec un médecin vit à Paris. Elle vient nous voir chaque été avec ses petits enfants. Si quelqu'un trouvait une erreur ou un oubli; je m'en excuse. J'ai 76 ans et la mémoire "flanche". Elle a été altérée par : a/ agression en 1945 à Paris, retrouvé amnésique, plaie à la tête, dans le métro b/ Assommé en mars 1952 en opération, 2 jours amnésiques à l'hôpital d'Hanoï c/ Mauvaise arrivée au cours d'un saut à Blida. Trois heures d'amnésie à l'hôpital en 1958.
I have written these souvenirs of 1939/ 1945, of memory: Confortée by my quotations (in annex) and delivers it 29ème D.I.A. to the combat for 1939/ 1940. In confronting them with these of Reine, my companion of happiness and misfortune days, hours of hope and desperation for 1943/ 1945. With the assistance of Roger Lechner for 1941/ 1942. Aymé has approach continued with the System Bertin/ Homeland Radio. The named Prat has learnt it to handle plastic, gélinite, igniters, etc., but, wanting more activities, it will adhere to the System Gallia depending Buckmaster, the French branch of the I.S. His mother, widow was responsible surveillante of the cemetery of Monaco where beautiful and rich tombs have crypts with door of access. It will store there arms, explosives, documents. After the landing of Provence, he will be designated to welcome and guide troops allied during their approach of the Principality. His brilliant conduct and the work undertaken in the Resistance will cost him to be one the very rare incumbent Monacans of the Cross of War. I will have to write him earlier. Roland Provence would have served me as memory annexes. It has been delighted to my esteem, my fondness in 1981. I have sought others colleagues: Félix Vérani lost of view in 1945 to Paris. Where is-it ? Our co-fugitive of 1940 : Guintrand is deceased as well as Chirouze, the braco of Lamastre. Eldin the Parson and Pecker, grocer to Antibes, all two Chief Corporals of the GRD have left us. In 1972 I had met established Barthélémy to clog to St Tropez, he no longer there is. Bennati has harvested 20 prison years in 1948 for hand attacks armed. He has finished them to the cemetery. Jove is deceased end 1948, Dan in 90. Friend and Fourt have been stopped in 1944, executed, has told me Maud. Petit Paul has taken his last takeoff in 1980. Maud, ex Nanette : Louise Le Mab married after war with a physician lives to Paris. It comes to see us each Summer with her small children. If someone found an error or an oblivion I excuse me. I have 76 years and the memory flinchs. It has been altered by: a/ aggression in 1945 to Paris, found amnésique, sore to the head, in the metro. b/ Stunned in March 1952 in use, 2 days amnésiques to the hospital of Hanoï. c/ Bad arrival in the course of a jump to Blida. Three hours of amnesia to the hospital in 1958.

La mémoire

La mémoire : seul bagage incessible

Jacques ATTALI

1939 - 1940

La drôle de guerre

Ma captivité

Mon évasion

C'était le dimanche 27 Août 1939. Au stade Louis II de Monaco se déroulaient les finales des jeux Olympiques Universitaires. J'étais l'annonceur. J'appelais les participants aux différentes épreuves, j'indiquais au public les résultats et ce qui allait se passer sur tel point du stade : concours, courses, match de volley, de basket ou de football. Vers 17 heures je reçus un message à communiquer aux spectateurs :Je le lus au micro puis me rappelant que j'avais ce numéro 7, je dis à mon voisin speaker en Anglais : - Vous parlerez aussi en français et allais chez moi boucler mon sac. Après trois ans dans la cavalerie (à cheval). Brigadier-chef A.D.L., j'avais été libéré en Mars 38 avec un paquetage de mobilisation type sous-officier. J'aurai dû être nommé maréchal des logis dans les réserves mais avais été oublié.. Depuis près de 6 mois j'étais marié et vivais avec ma femme, chez ma mère. Pleurs des femmes, sourire fanfaron de ma part : je reviendrai avec des décorations et si cette guerre dure comme la précédente, je finirai officier ! Peut-être pas 5 galons mais 4 probables... (je n'en eus que la moitié, et à titre provisoire : ASSIMILÉ) Vers 20 heures un train m'emmenait à Tarascon ou je devais me présenter au centre mobilisateur numéro 15. J'y fus le lendemain matin et j'appris que j'étais affecté "brigadier trompette" à l'Escadron Moto du G.R.D.I. 34. Képi à galon d'argent, barrette de brigadier-chef sur la veste de combat ; je regimbais et sortis mon livret militaire portant ma nomination : Brigadier chef en Mars 37 et la mention : "A perçu à sa libération son paquetage de mobilisation". Il était aussi porté que le brigadier-chef avait reçu un certificat de bonne conduite ! Mais le scribe de service ne voulait rien entendre, le ton montait. Un Capitaine, rappelé, 45 ans environ attiré par le bruit, trancha. - Venez brigadier-chef, je suis votre capitaine, je manque de gradés. J'allais faire voir mes talents de pilote moto et side-car, en suite de quoi je fus envoyé réquisitionner tout ce qui a 2 ou 3 roues, marque Terrot, passerait sur le pont de Beaucaire à Tarascon ! C'était amusant et triste. Les gens à qui nous enlevions leurs biens, criaient, hurlaient, pleuraient. Le propriétaire d'un Side Terrot tout neuf m'offrit une somme équivalente à celle de son engin ! J'avais 3 conducteurs avec moi, dès que nous eûmes 4 machines nous rentrames au CM. Nous fiment la même chose l'après midi. D'autres équipes en faisaient autant sur d'autres routes. Il s'avéra bientôt que nous ne trouverions pas les 49 side-cars 500 Terrot nécessaires et nous reçumes l'ordre de ramener des 202 Peugeot ! Des camions requis arrivaient avec leur chauffeur. Au premier retour de la réquisition je fis une entrée très remarquée au C.M, franchissant le portail en panier levé et faisant un 8 dans la cour, sourires et... engueulade. Mais je me rattrapais auprès du capitaine en remuant des conducteurs de camions qui faisaient de l'obstruction. Notre matériel véhicules au complet (avec les 202) j'héritais d'un groupe de combat du 4eme peloton, Lieutenant Veyrac, banquier dans le civil. Le capitaine commandant l'escadron était un industriel. Les tracteurs Douge de Besançon ; brave homme, toujours calme et gai, prisonnier en 14/18. J'avais un groupe de combat, un side mais pas de conducteur. Un jour d'école de conduite dans la cour, une ballade en colonne jusqu'à Avignon et en avant vers la frontière Italienne. Seul sur ma machine, j'eus droit à une charge de munitions dans le panier. Dans l'Estérel un side prit feu et j'eus droit à un peu plus de munitions, près de 300 kilos au total. Deux nuits sur la plage de Cagnes et en route pour remonter le Var afin de rejoindre la Division, la 29ème D.I. Alpine. La guerre venait d'être déclarée. Notre Division était constituée par une demi brigade de chasseurs alpins : 24 et 25ème (Villefranche et Menton) d'active et le 65ème de réserve, du 3ème R.I.A. (Hyères) et du 112ème R.I.A. (origine inconnue pour moi). L'artillerie était composée du 94ème R.A.M, artillerie de montagne à dos de mulets et du 294 (réservistes), également à dos de mulets et charrettes tirées par des mules. Mon escadron faisait partie du G.R.D.I 34, Groupe de Reconnaissance Divisionnaire d'Infanterie, composé en outre d'un escadron de mitrailleuses porté sur camions, d'un escadron à cheval (mais oui) et d'un escadron hors rang de commandement. Dans la plaine du Var, mon side surchargé plia son cadre au tunnel de Chaudan et je faillis terminer la guerre sur la voie ferrée en contrebas. Déchargé, bricolé, j'amenais l'engin à Guillaume où 2 jours plus tard arrivèrent des renforts. Grange, un M.d.L. séminariste prit mon groupe et je fus affecté au groupe d'estafettes, motos solos du M.d.L. Chaland qui prit les fonctions de fourrier. Ce groupe, motos 350 Terrot, était composé de braves types : Chirouze, Sandra, Gillet, Vidal, Arcangelo, B... de Ramatuelle dont le nom m'échappe et des Marseillais : Bennati, Capoduro Maria et d'autres que j'ai oubliés. Ces Marseillais formaient une équipe assez soudée, ayant déjà une mauvaise réputation. Le capitaine m'annonçant ma nouvelle affectation me dit : - Cogne, bastonne, tu ne les feras obéir qu'en t'imposant. C'est pour ça que je n'y ai pas mis Grange. Entendu, je m'imposais ! Je fis connaissance avec ces gars, vis leur motos et ordonnais : - Nettoyage, lavage, je veux les voir impeccables. Bennati me répondit : - Je ne suis pas laveur de voitures. J'étais prévenu, c'était un souteneur, le meneur des Marseillais. Je répliquais : - Toi comme les autres, je regarderai bien ta bécane. Un "merde", très retentissant, sorti de sa bouche. Avant qu'il ne l'ait refermé mon poing droit lui arrivait au creux de l'estomac. J'y avais mis toute mon énergie. Il se plia en avant. Je le redressais d'un uppercut et il s'écroula. Je le poursuivis très méchamment de coups de pieds aux côtes et tandis qu'à 4 pattes il se relevait, je lui en donnais un dernier dans les fesses. Il fut atteint à l'entre jambes et s'écroula en gémissant. Deux de ses collègues firent mine de s'approcher, je leur dis "au boulot' et ils firent demi-tour. J'ordonnai à Bennati : - Debout, lave ta moto où je recommence !. Lentement, gémissant, il se leva et dés qu'il put parler dit : - Ma première balle sera pour toi ! Je répondis : - C'est entendu, mais en attendant, lave ta moto ! Il la lava ; je m'étais imposé devant ses amis stupéfaits. Le Lieutenant-colonel Landriau commandant le GRD était un ancien officier Légion ayant eu son heure de gloire au Levant. Une de ses premières notes stipula que "Groupe de Reconnaissance" signifiait : aller devant la Division. En conséquence, nous sommes allés sur les Pics avec nos engins. Tirant, poussant, portant, nous sommes allés au dessus du lac d'Allos avec nos machines. Il n'y avait pas de route, un sentier muletier jusqu'au lac, parfois trop étroit pour les side-cars qu'il fallait porter, une sente jusqu'au sommet où seules nos motos purent monter à 2600 mètres et plus. L'escadron à cheval du Capitaine Pinsard s'arrêta peu après le lac, l'escadron mitrailleuse ne put y arriver que le matériel à dos d'homme. Après Guillaume, Saint André les Alpes, une halte à Châteaudouble et nous primes le train, aux Arcs, fin novembre, pour la Marne. Notre escadron cantonna à Pargny sur Saulx, au bord du canal de la Marne au Rhin. Brigadier-chef ADL, j'avais droit à la popote sous officiers . Le capitaine, bon enfant, fit faire popote commune officiers, sous-officiers et les 2 brigadiers-chefs ADL . L'encadrement de l'Escadron est composé de : - Lieutenant Bornet ,1er Peloton (active sur Gnome Rhône), - Lieutenant Jourdan, 2e Peloton (202 Peugeot), - Lieutenant Reynaud 3° Peloton et - Lieutenant Veyrac 4° Peloton (3° et 4° sur Side Terrot 500) . Des sous-officiers - M.d.L. Ayala, active, faisant fonction d'Adjudant d'Escadron, et des Réservistes M.d.L. Chefs Pinaud, Pichot, Etienne, X ..., M.d.L. Casalis, Chalan, Escudier, Grange, de Montredon, Y... Z... (nom oublié), le Brigadier Chef De Pecker et moi . Début janvier 1940, laissant mes collègues aux exercices de traversée du canal, gelé, j'allais faire un stage de 3 semaines au Corps Franc du Lieutenant Agnelly, Lieutenant Joseph Darnand, adjoint. Fin janvier je revenais à temps pour partir avec l'escadron en Alsace. Une nuit glaciale et nous débarquions au petit jour par moins 30° à Brulange. Il fallut chauffer les blocs moteur à la lampe à souder pour les dégeler et remorquer les motos pour faire tourner les moteurs. Nous prîmes position à Merlebach, l'échelon arrière s'installant à Faulquemont. Gardes, patrouilles, embuscades, le train train de la drôle de guerre, pas un seul contact avec l'ennemi. Les seuls coups de fusils tirés à l'escadron le furent sur des lapins. Je n'arrêtais pas de râler, j'étais parti faire la guerre, je voulais avoir la croix de guerre et je faisais du "travail de garnison". Fin mars Repli au repos à Passavant la Rochère, Haute Saône ; dans ce bourg c'était la belle vie, logés chez l'habitant nous étions choyés par ceux-ci. La verrerie occupait de très nombreuses filles, peu farouches parait-il. Ma femme était venue me rejoindre, je n'ai pas eu l'occasion d'apprécier. 10 mai Nous apprenons l'invasion de la Belgique. Le 17. Alerte, départ dans la soirée, escadron moto en tête, tous feux éteints. Les autres suivront, plus lentement. Nous devons aller à Péronne "colmater une brèche, réduire une poche"... Au jour, à Tergnier, 400 Km dans la nuit tous feux éteints, nous avons le spectacle, le premier, d'un bombardement, la gare est détruite. Nous ne sommes jamais arrivés à Péronne. Depuis Tergnier, nous nous frayons la route à travers des colonnes de civils, fuyant vers le sud accompagnés de centaines de soldats. A 20 Km de Péronne ils nous disent que les Allemands y sont. D'autres affirment qu'ils ne sont qu'à 2 ou 3 Km de nous. Je vais demander au capitaine si je dois continuer à ouvrir la route avec mes motards. Le lieutenant du 1er Peloton veut continuer quand arrive un lieutenant Légion avec une demi douzaine de side-cars, il nous précédait avec la même mission et avait subi le feu d'A.M. allemandes, 2 Km au Nord. Il faisait partie de l'Escadron Moto du GRD 9, Division Nord Africaine venant de l'île de France. Ayala part vers l'arrière pour avoir des ordres. Nous établissons des liaisons latérales avec les légionnaires et avec le PC d'un bataillon de réservistes bretons. Au soir le P.C. de l'Escadron est à Marchelepot, les Pelotons sont à Fresnes-Mazancourt, Misery, Saint Christ, Pargny (il y a 8 communes de ce nom) . Nous devons tenir les ponts de Saint Christ et Pargny et barrer la R.N. 17 . Depuis Passavant j'avais un adjoint, le Brigadier-chef Provence, originaire de Troyes, travaillant depuis une douzaine d'années à Paris dont il avait pris l'accent et la gouaille. Dès notre arrivée dans la Somme, et même depuis l'Oise, nous récupérions toutes sortes d'armes abandonnées par des fuyards de l'armée qui était en Belgique. Le PC escadron hérita d'un canon de 25 avec son tracteur et de 2 camions. En 48 heures, 6 de mes hommes eurent 1 FM sur leur motos, presque tous des pistolets. J'eus une mitraillette à crosse bois (MAT 39 ?). Le groupe d'Estafettes était devenu un groupe de combat, presque un Groupe Franc dont j'étais fier. Nous fimes des coups de main, parfois très hasardeux. Roland Provence et moi partions chacun avec 3 hommes vers un village occupé par l'ennemi et faisions mine de l'attaquer avec 3 FM sur 2 côtés. Branle bas de combat chez l'Allemand et nous nous repliions en douce pensant qu'ils montaient une contre attaque. Il nous est arrivé de les voir "allumer" un autre village tenu par leurs collègues. De temps à autre nous vimes des A.M se diriger vers Marchelepot. Les mitrailleuses les stoppèrent à distance. Provence imagina d'aller placer des mines au bord de la route reliées par une ficelle à un homme couché dans le fossé de l'autre côté. En tirant sur la ficelle il pouvait amener la mine sous les roues d'une A.M... Le capitaine s'y opposa mais, en fin d'après midi, nous entendîmes une explosion et vîmes une A.M arrêtée à 600 m environ. Cet animal de Provence voulait avoir la croix de guerre avant moi ! Il était allé seul essayer son truc. Il fallut aller le chercher pendant que les Allemands s'enfuyaient. Nous n'avions pas le monopole des coups de main, les pelotons faisaient comme nous. Dans une reconnaissance disparut le Pasteur Eldin, brigadier-chef lui aussi : Prisonnier. Je perdis un bien charmant camarade. Le 2ème Peloton était monté sur 202 Peugeot. Le tireur FM debout, à travers le toit ouvrant, avait son arme sur le toit. Le 23 mai. Notre Capitaine, apprit que 2 chars étaient arrêtés à 700/800 mètres. Il envoya voir une 202. Elle fut engagée en marche arrière sur un chemin très étroit. Seule la tête du chef de bord dépassait du toit. Cet homme aperçut des chars à 300 mètres mais continua sa progression et il vit les tanks partir. Le 25 L'Escadron "mitraille" bloquait un char et s'emparait des occupants. Le Feldwebel, chef de bord ,dit que l'avant-veille il avait fait demi-tour devant un tank français, type inconnu ! Ces 202 étaient peintes, glaces incluses en camouflage. Il n'avait pas réalisé que c'était une petite voiture en marche arrière. Le 23 mai Les servants du canon de 25 récupéré, en position sur la RN 17, virent arriver un side-car allemand. Ils tirèrent de trop loin, plus de 200 m. Atteint à la roue du panier, l'engin alla au fossé. Les 2 occupants s'enfuirent, l'un d'eux traînant la patte. Deux hommes allèrent à leur poursuite. Parti en liaison avec l'E.M. j'arrivais à ce moment sur ma moto. Rapidement je rejoignis B..., le cuisinier, le plus avancé. Il criait en Provençal : - T'arrestèrass t'arrestèrass pas, banditt ! Mais sans oser trop approcher du fuyard qui avait un pistolet à la main. J'allais jusqu'à cet homme le bousculant au freinage avec la roue avant. Il jeta son pistolet, je le fis monter derrière moi, ce fut le motif de ma première citation. J'avais ma croix de guerre, le premier du G.R.D. ! B... prit pour lui le pistolet. Le prisonnier déclara appartenir à la "Division des Spectres" commandée par un "Général Rommel"?? Nous arrêtions des soldats français fuyards (de Belgique) très souvent encore armés et mes voyous, mes nervis, se révélèrent des chefs ! Ils prenaient 10 ou 12 hommes, souvent des gradés, parfois des sous-officiers, à leurs ordres. Pistolet à la ceinture, ils jouaient les terreurs, obligeant les fuyards à tenir une position. Le 27 mai. Un de mes gars, Capoduro, était avec 2 de ses "esclaves" en liaison à la charnière avec les Bretons. Dans l'après midi nous avons vu un caporal "esclave" arriver sur la moto de Capo qui l'envoyait nous prévenir que les 3 officiers voulaient replier la compagnie. Le capitaine me dit d'aller voir et régler la chose... Bennati qui m'avait promis sa première balle me dit : - Capo, c'est mon pote, je viens avec toi ! J'eus un soupçon, failli dire non mais, par bravade, je le fis monter derrière moi. Il fallait économiser l'essence... et s'il me tirait pendant que je roulerai (très vite), il risquait très gros dans la course. En chemin nous eûmes droit à un tir d'artillerie roulant. Bennati cramponné à moi jurait que j'étais fou et me demandait d'arrêter. J'accélérais, nous passâmes. En arrivant, nous vîmes notre ami dans la rue un pistolet dans chaque main, empêchant les 3 officiers qu'il avait désarmés de sortir du garage où il les avaient enfermés. Deux adjudants d'active (les officiers étaient des instituteurs réservistes) prenaient ses ordres. J'allais voir les officiers, pris leurs papiers, les menaçais du Tribunal Militaire. Ils se résignèrent à tenir leurs rôles. Bennati me dit qu'il voulait rester pour épauler son ami, j'acquiesçais. Il me tendit la main : - Tu es un homme, je m'en souviendrai ! Il s'en est souvenu en 48, c'est une autre histoire, dirait Kipling. Cette traversée du tir allemand se sut ainsi que mes ordres aux officiers. Le lieutenant-colonel me convoqua, me félicita et j'eus une 2ème citation... Le 4 (ou 5) juin Au cours d'une reconnaissance à Hyencourt, précédant un camion portant 8 ou 10 soldats, je vis un homme armé en travers de la rue. Je crus à un légionnaire , mais il me mit en joue et tira. Demi tour au frein, pleins gaz, à plat ventre sur ma moto et zigzags. Un choc sur la tête me fit aplatir encore plus. Le camion qui était à 100/120 mètres derrière moi fit vite demi tour. Constat à l'arrivée : une éraflure de balle sur le casque, une balle dans le sac. "as de carreau" fixé sur le porte-bagages, et une 3ème bloquée dans les ailettes du moteur. Ce n'était pas mon jour. Un homme du camion, un réserviste, l'Abbé Lantelme, fut tué ; notre premier mort. Ce jour là arrivèrent les chasseurs Alpins. Des "Brêles" avaient été portés par les autobus de la TCRP ! Par la plate-forme arrière, seul accès, les bêtes étaient montées et avaient tourné entre les banquettes. Version 1940 des taxis de la Marne.Le comble fut l'arrivée de nos artilleurs avec leurs mulets dans les plaines de la Somme face aux chars Allemands. Une monstruosité. Les hommes devaient débâter, mettre en batterie, tirer. Pour le repli il fallait 8 à 10 minutes avant que la bête chargée puisse prendre la route. Les artilleurs firent très vaillament leur devoir. Parfois ils ne purent démonter leurs pièces et "débouchèrent à zéro", tir direct sur les chars ou les troupes Allemandes, avant de faire sauter leurs canons. Des années plus tard, lisant l'histoire de 1939/1940, j'appris que les Allemands avaient marqué un temps d'arrêt sur la Somme par manque de carburant ! Je compris pourquoi notre petit escadron avait pu tenir un front de 5 Km pendant 8 jours, alors que la Division avec ses 9 Bataillons avait lâché après nous avoir relevés. Car la D.I.A. à peine mise sur ses positions devait commencer à se replier, débordée à droite et à gauche. Après notre folle semaine pratiquement sans dormir, nous eûmes 24 heures pour souffler et nous avions une nouvelle mission : couvrir le repli ! Un peloton (ou 1/2) moto et (ou) l'équivalent de l'escadron mitraille, prenait la place des compagnies de fantassins, à la tombée de la nuit et "amusait" l'ennemi pendant que les Alpins retraitaient, à pied bien sûr. Après avoir fait "pan pan" toute la nuit nous les rejoignions au petit jour alors qu'ils reprenaient une position. Souvent nous fûmes insultés, traités de planqués parce que nous étions motorisés. Dans la journée nous subissions des attaques de la Luftwaffe. Les piqués des stukas étaient très impressionnants avec leurs sirènes déchirant les tympans. Nous en étions paralysés. Un après midi dans le cimetière de Champien, attendant d'aller relever l'Infanterie pour son repli, une de ces attaques fondit sur nous. J'étais allongé sur le ventre entre 2 tombes lorsque je sentis un coup sur mon casque et une voix me dit : " retourne-toi, un cavalier doit regarder la mort en face ! " C'était le Rat Blanc, le Lieutenant Colonel Landriau commandant le GRD qui allait marchant nonchalamment de l'un à l'autre son stick à la main. Je me levais, saluais : - Très bien, ne reste pas debout, couche-toi sur le dos. Et il continua, raide, droit, à petit pas vers un autre homme. Cet officier, avait les cheveux blanc neige, la moustache aux longues extrémités et une "mouche" au menton, le tout aussi très blanc d'où le surnom de "Rat Blanc". Le 6 Juin. La grange où étaient les motos de mon groupe reçut un obus incendiaire. Toutes nos motos et nos paquetages fixés dessus brûlèrent. Par chance lors de ce bombardement, j'étais allé au lavoir me raser. Je sauvais donc ma trousse de toilette. Le 7 Juin. Capoduro fut blessé et évacué. Cette nuit-là je fis le repli avec 2 de mes hommes à l'arrière du camions munitions, plate-forme non bâchée, assis sur les caisses de cartouches. Nous avons traversé Lagny en flammes, c'était hallucinant. Nous avancions au pas avec les flammes à 2 ou 3 mètres du camion. A un moment, nous avons du dégager, à la pelle, des morceaux de charpente en feu tombes sur la route entre le camion nous précédant et le notre. Pétoche, pétoche... Le soir du 8 Juin. Nous avons la défense du Pont de Verberie. La route qui y conduit est pleine de civils en fuite. Comment tirer pour défendre l'accès au pont ? Des sapeurs sont là pour le faire sauter, ils disparaîtront avant notre repli ! mais d'autres le feront sauter. En attendant cela nous avons vu arriver l'Escadron Pinsard. D'où sort-il ? Nous ne l'avions pas vu depuis la Haute Saône. Ils avaient rejoint le GRD sur des camions et comme nous ils s'étaient battus dans le repli. Les chevaux très maigres faisaient peine à voir. On ne pouvait plus les desseller, le dos n'étant qu'une plaie, les couvertures sous selle adhéraient à la chair vive. Le lendemain je récupérais un camion Renault abandonné, d'un modèle que je connaissais bien en ayant eu des identiques pendant mon service militaire. J'embarquais là dessus mes hommes et quelques autres. Mais c'était MON camion et je mis Vidal comme conducteur tandis que j'étais chef de bord ! ce camion avait une panne chronique, la pompe à essence désamorçait. Il fallait ouvrir le capot et pomper à la main. Ce pouvait être toutes les 5 minutes ou au bout de 2 heures. La nuit, près de Fleurines, en forêt de Halatte pannes à répétition. Je décide de rouler capot ouvert et de rester sur l'aile pour pouvoir pomper sans retard. Le Maréchal des logis De Segonzac prend ma place à côté du conducteur. Bombardement d'artillerie, Segonzac est blessé, évacué. Le moteur refuse de repartir. Il était 2 ou 3 heures du matin. Mon "ami" le chef Pineau qui était à l'arrière dit qu'il faut partir à pied. Je refuse, discussion animée, brutale. Je fais partir mes hommes avec lui et cherche la panne dans le noir. Nouveau tir d'artillerie, je me glisse sous le camion et dors. Au jour je trouve : 13 éclats d'obus avaient touché la cabine du camion. L'un d'eux avait coupé le fil du contact d'allumage. Réparation vite faite, je pars au volant à la recherche de l'escadron. A Fleurines je rencontre Faudier, un Brigadier chef des Spahis avec qui j'avais, en 36, suivi le stage d'opérateur radio Il était à moitié ivre mais avait à manger et boire. En début d'après midi, je retrouve l'escadron. Le capitaine à qui je me présente, tout fier, me dit que je suis sous le coup d'aller au Tribunal Militaire, le Chef Pineau ayant rédigé un motif de punition pour "refus d'obéissance en temps de guerre" ! Discussions, explications et motif de ma 3ème citation au grand désespoir de Pineau qui dut la transcrire et la transmettre. C'était son emploi. Toujours des combats retardateurs et le matin du 12 juin nous arrivons près de Paris. Le Raincy, Chelles, La Marne, terrains de manoeuvres et de chasse aux filles quand j'avais 20 ans au 6ème de Dragons. Près du Pont de Neuilly, nous recevons l'ordre de détruire toutes les embarcations pouvant servir à l'ennemi pour franchir la Marne. Le pont ferroviaire doit sauter, il y a une chambre à mine ! Nous avons replié en laissant le Pont intact et beaucoup de bois cassé à la place des bateaux... Nous continuons ces combats retardateurs en nous méfiant de la 5ème colonne... Tous les prêtres, toutes les religieuses, tous les pompiers sont suspects. Nous perdons un temps fou dans cette pantalonnade. Sur les routes ce n'est pas la rigolade. Quelques charrettes à cheval surchargées, mais surtout des colonne de gens à pied se dirigeant vers le sud, traînant, portant des enfants, poussant un chariot ou une voiture d'enfant avec des hardes fixées dessus. Leur détresse nous frappe mais nous ne pouvons rien pour ces milliers de personnes qui nous entourent, encombrent les routes, gênant nos mouvements. Quelle tristesse de devoir les repousser hors des chemins qu'ils obstruent. Depuis Chelles j'ai hérité d'une moto Gnome Rhône, type armée, au guidon tordu qui a été séparée de son panier très accidenté. Je fais le pilotage de l'escadron à travers la foule qui bloque tous les croisements, tous les carrefours. Le 13 juin je vais en liaison au PC de la DIA. J'en reviens avec l'ordre pour le GRD de s'installer en couverture près de Brunoy, au contact à l'ouest avec une autre DI, (la 24ème peut-être). En fin d'après midi la DIA (ce qu'il en reste), replie. Le GRD est laissé en arrière garde, c'est l'habitude. On replie toujours. "L'Armée de la Loire" nous attend, est-ce celle de l'an II ? Au nord de la Capitale on nous avait déjà dit que l'Armée de Paris nous attendait... Elle ne nous a pas attendus, Paris ayant été déclarée "ville ouverte" elle s'est repliée avant nous. La veille quand j'étais au PC de la DIA, j'ai entendu le Commandant Petetin dire qu'elle s'était volatilisée ! Baroud le soir, la nuit, repli le matin, nous arrivons au château de Marcilly en Villette. Nous manquions d'essence. Pas d'appros par l'armée, les pompes civiles vides, nous vidions les réservoirs des véhicules abandonnés en panne. Ils étaient nombreux. Le Père Douge ayant entendu dire que dans une caserne d'Orléans il y avait des camions citernes pleins, abandonnés, me dit d'aller voir. J'emmenais Vidal avec moi, mon conducteur P.L. Nous sommes arrivés à une caserne, nous avons vu des camions mais... il y avait des Allemands autour ! Des coups de feu et nous rentrons bredouilles. Dommage me dit le capitaine, tu aurais encore eu une citation et la Médaille Militaire. Je crois que nous avons passé la Loire à Jargeau. Je crois parce que la fatigue dépassait nos forces, notre volonté. La nuit nous roulions comme des somnambules. Le jour il fallait combattre. Les pelotons partaient épauler les Alpins, par ci, ou les artilleurs par là, (ils devaient démonter les pièces et rebâter les mulets). C'était incessant. Mon groupe désormais commandé par Provence avec ses 6 FM était à toutes les sauces. Seul motard solo de l'escadron, je roulais sans arrêt. A chaque halte, les hommes s'écroulaient ivres de fatigue, le ventre très souvent vide. Depuis notre arrivée sur la Somme nous n'avions plus de ravitaillement organisé, nous avions reçu l'ordre de vivre sur le pays. Dans la Somme et l'Oise c'était facile, dans les fermes abandonnées nous trouvions facilement à manger, du lait à volonté. Il suffisait de traire; le pain nous arrivait de Paris. Depuis le contournement de la Capitale, les colonnes de réfugiés étaient passées avant nous. Il n'y avait plus de boulanger dans les agglomérations, le stock de l'intendance était moisi. Les roulantes où il ne restait que 2 cuisiniers ne faisaient plus que du jus ou une soupe avec des légumes que les hommes arrachaient dans les champs. Nous dévalisions tout ce qui était à notre portée. Le vin n'a jamais manqué, les caves étant systématiquement pillées. La fatigue et la faim sont les gros souvenirs de cette deuxième décade de juin. Le 17 nous apprenons la demande d'armistice avec un sentiment de rage et, il faut le dire, de soulagement. Les officiers et sous officiers sont atterrés, la troupe soupire. Dans la nuit du 17 au 18, le PC escadron s'installe à Lamothe Beuvron. Au jour je vais en liaison avec le ler peloton en position au nord du bourg. Je tombe au carrefour sur une AM Allemande, drapeau blanc sur la tourelle. Deux Allemands à pied, fusil en bandoulière me font signe de m'arrêter sur le côté. Je lance la moto sur eux après avoir fait mine de me garer et pars en courant. Je rejoins le capitaine à qui je raconte le fait. Il me sourit tristement et balbutie : - C'est fini. Nous avons ordre de déposer les armes. Il pleure, moi aussi. Il faut obéir... Nous ne serons pas prisonniers, nous allons nous faire démobiliser... Nous partons laissant nos armes et nos véhicules sur la place. En avant colonne par 3 conduits par nos officiers, nous sommes groupés par unités, de plus en plus nombreux, la colonne des Alpins, des Cavaliers, des Artilleurs s'étend sur des kilomètres. Au début, nous avons un Allemand sur le côté gauche tous les 100 ou 150 m. Après une douzaine de Km, c'est un Allemand de chaque côté tous les 20 m. Nous sommes prisonniers ! Le ler jour rien à manger, j'apprends à Provence à arracher les oignons et à les manger crus. Nous finissons dans un pré entouré de barbelés. Au soir, toute la nuit, des camions phares allumés, sentinelles debout dessus montent la garde. Je rêve d'évasion. Le lendemain à la Ferté Saint Aubin, je sors du convoi, me glisse dans une maison. Les occupants : 2 couples crient, hurlent, pour que je sorte... Sur la route, vers Orléans, des impacts de balles. Celles tirées il y a 3 jours par des avions à cocardes vert, blanc, rouge : des Caproni ! Un jour encore et nous arrivons à Orléans par le pont ferroviaire. Les Allemands ont enlevé une voie et les camions circulent. Il fait chaud sur la route, nous manquons d'eau. A la sortie d'Orléans des Belges, avec une tonne, vendent l'eau 10 F le litre. Ils se font conspuer, bagarre, les mercantis sont ensevelis sous le nombre, la tonne est vidée gratis.Enfin nous arrivons à Pithiviers, où nous sommes enfermés au centre mobilisateur. Nous avons un toit et un "sac à viande". Nourriture légère mais nous pouvons "commercer" avec des habitants qui nous vendent, à travers la clôture de barbelés, des plaques de pain d'épices de 3 Kg. Nous apprenons "Rauss", crié par les sentinelles quand nous sommes trop nombreux près des barbelés. Certains habitants procurent, dans le dos des Allemands, des vêtements, mais il faut payer. Roland Provence ne veut pas encore partir et il n'a pas d'argent. J'en parle avec Félix Vérani, un instituteur de Beausoleil. Il est d'accord. Lui aussi n'a pas le sou mais un de ses collègues, du Var, en a beaucoup. Il nous équipera si nous l'emmenons. Fin juillet. Darnand qui était prisonnier avec nous, s'évade. Il passera ostensiblement devant le camp, en civil bien sûr. C'est un message : Faites comme moi. Je décide le départ pour la nuit noire de la nouvelle lune : 4 août. J'en parle à mon Capitaine Douge. Il m'approuve. Lui est trop vieux, déjà prisonnier en 1917, il pense ne pas rester très longtemps en captivité. Il me donne l'adresse d'un cousin directeur de l'usine Métadier à Tours avec un mot de recommandation très élogieux. J'ai repéré un trou dans le grillage d'enceinte. Une sentinelle passe devant et va se retourner plus de 100 m après. Souvent elle s'arrête là pour faire causette avec celle qui vient en face. Suivant les hommes de garde il y a 2 à 4 minutes pour passer la clôture et aller se coucher dans un champ de blé à 40/50 mètres. 22 heures, nuit noire. La sentinelle disparaît à 30 mètres, je passe le premier, mes collègues suivent à chaque passage de la sentinelle. Nous avançons jusqu'à environ 600 mètres en bordure d'un chemin. Nous dormons et à 08 heures nous nous dirigeons vers Pithiviers, passant fièrement, séparés, devant le camp. Roland au courant de notre départ nous attendait. Il nous voit, tourne le dos et fais de grands signes des bras. Nous allons à l'église attendre midi, heure du train pour Tours. C'est dimanche nous entendrons 2 messes. Arrivée à Tours en fin d'après midi, la gare est bondée de réfugiés attendant un train pour rentrer chez eux. Il vaut mieux rester parmi eux toute la nuit. Il y a un contrôle Allemand à la sortie. Je suis seul à avoir une pièce d'identité : mon permis de conduire de Monaco sur lequel j'ai ajouté "Italien" après la date et lieu de naissance. Contrôle distrait et je reviens chercher mes collègues par le buffet non surveillé. Je reverrai ça 2 ans plus tard. A l'usine "Produits Méta" le directeur, M. Perrin , nous accueille très chaleureusement, s'enquiert de nos besoins et téléphone à son épouse à Bléré la Croix pour qu'elle nous reçoive et prépare un repas. Mme Perrin et sa très jolie fille Marie France sont vraiment très gentilles. Nous faisons un vrai repas, le premier depuis notre départ de la Haute Saône, près de 3 mois ! Elles ont dans le garage, au milieu, un obus Allemand non éclaté, entré par une petite fenêtre. Il est tordu mais intact. Vérani et moi le portons dans une mare, le jardinier le recouvrira provisoirement de terre et pierres. Ce jardinier nous conduira à travers Bléré et des champs jusqu'en zone libre, 2 Km environ. Nous continuons vers Sublaine et Loche où nous prendrons un train. Après une halte à Lyon entre 2 trains surchargés, roulant à 30 à l'heure nous sommes le surlendemain mercredi 7 août sur la côte. Ma mère a reçu la carte officielle, lui annonçant que j'étais prisonnier. Elle n'est pas surprise de me voir et affirme qu'elle m'attendait ayant prié Sainte Rita de m'aider. Ma femme est à Saint Germain en Laye chez "Mémère". Une vieille dame qui l'a élevée étant enfant. Une fiesta a été prévue au Cannet des Maures par notre collègue, fils du garde champêtre de ce lieu. Il s'appelait, je crois Guintrand. Le 11 août j'y vais avec Vérani. Dans l'après midi, la femme du boucher, M. Barthélémy nous dit que le fils de son mari, fils d'un premier lit, qu'elle a élevé à la mort de la mère est à Pithiviers. Elle demande mon aide pour aller le chercher . Elle a une 201 et une réserve d'essence suffisante pour l'aller retour. J'accepte mais j'irai chercher ma femme en attendant qu'il sorte du camp. Vérani veut venir avec nous, c'est d'accord il pourra être utile. Le 12. A 4 heures du matin nous partons, nous relayant, Mme Barthélémy et moi au volant. La RN7 est vide jusqu'à Moulins. Nous mettons le cap à l'ouest, le soir nous sommes à Sublaines, nous couchons dans une grange. Tôt, le mardi 13, en route, Bléré, Tours, Pithiviers et en début d'après midi nous sommes au camp. Un parloir a été installé à l'entrée, on peut communiquer avec les prisonniers à travers 2 barrières séparées de 2 m. Au milieu, il y a des sentinelles Allemandes. A la place de Barthélémy nous voyons un dénommé Ferréro de Beausoleil. Nous parlons en Monégasque. Notre "client" est parti la veille avec deux amis, chez une tante à Paris. Je vois aussi mon capitaine à qui je confirme la bonne santé, de son cousin, de la famille etc. etc. Il comprend la qualité de la filière évasion. Nous prenons le train pour Paris ou nous arrivons à l'heure du couvre feu. Nous logeons près de la gare dans un hôtel. Le lendemain Vérani reste à l'hôtel, Mme Barthélémy va chercher les évadés et moi mon épouse. Nous nous retrouvons le soir avec nos collègues évadés. Le 15. Direction zone "nono", nous sommes maintenant 7 sur la 201, heureusement décapotable. A Lyon, Barthélémy fils qui a pris le volant coule une bielle. Nous confions la carriole à la SNCF et prenons le train. Ma mère a quand même été étonnée de me voir revenir avec ma femme. Elle en parle à l'épicier, au boucher, etc., et toute la Condamine apprend mon odyssée. Une femme vient me voir et me propose de l'argent pour aller chercher son mari Charly B... Musicien de l'Opéra, prisonnier à Gien. J'ai repris mon travail à la S.B.M, Vérani, instituteur en vacances jusqu'à la rentrée scolaire, ira et ramènera le collègue. Nous retrouverons Vérani et Provence, évadé du train qui l'amenait en Allemagne, dans la Résistance. Au retour de notre expédition, je suis allé me présenter à Nice, Caserne Rusca où je suis reçu par le Commandant Petetin, chef d'État Major de la 29ème Division. Interrogé, j'ai raconté évasion etc. Il rédige aussitôt le texte d'une citation... La 4ème qui ne sera pas homologuée et m'envoie à Orange me faire démobiliser. Vers la mi décembre. Des bruits courent sur une invasion possible de Nice par les Italiens. J'avais revu Darnand à Nice. Il était le Chef Départemental de la Légion des Anciens Combattants. I1 m'y avait fait adhérer mais j'avais très nettement dit que je n'étais pas prêt à repartir me battre pour les fuyards de Belgique, ni pour ceux qui avaient dit qu'il valait mieux être Allemand vivant que Français mort et qui se sont faits faire prisonniers sans vouloir combattre. Darnand m'appelle, il confirme les bruits et me dit vouloir résister. Malgré mes déclarations, j'aurai un groupe de combat... Emplacement Eze, sur la Moyenne Corniche, aux 3 ponts. Je fais connaissance avec 3 anciens du Corps franc dont un tireur FM, j'aurai en plus Vérani et un agent de Police de Monaco. Maurice Boni, fils d'un entrepreneur Travaux Publics nous fournira des explosifs. I1 y avait d'autres groupes prévus. Rien ne s'est passé. Ouf !

1941 - 1942

Les Juifs

La Résistance

Mes prisons

Jove

6 mois tranquille et en juillet, un matin, peu après 07 heures, quittant mon service au Casino je vois, à environ 1/3 de mille, une barque très chargée avec 2 personnes agitant des vêtements : détresse ! J'ai la surveillance d'un pointu de 5 mètres appartenant à M. Marquet, ancien Maire. Je le prends et vais voir. Sur la barque 3 couples et 5 enfants. Je prends les femmes et les enfants, le bateau allégé peut être écopé par les hommes et je le remorque au port. Ce sont des Juifs fuyant l'Italie, ils ont, disent-ils, acheté le bateau à Vintimille. Sur le quai on nous entoure, des bonnes volontés vont s'occuper des "naufragés", je vais me coucher mais.. Quelques jours plus tard un dénommé Prat, m'embauche pour aider des Juifs. Je ne peux pas résister... J'ai mis un doigt dans un engrenage, un autre, un autre encore. Je fais des choses peu orthodoxe Ma situation à la S.B.M devient très difficile, je suis en butte aux brimades et vexations de mon Chef de service, très "État Français ", anti Juif. Un dénommé Bertin, rue Pastorelli à Nice me contacte. Il me dira après guerre que c'était le réseau Radio Patrie. Je fais des enquêtes (idiotes). Je rencontre chez lui Marion très mystérieux et Achard jeune bavard. Marion m'envoie récupérer à Lympia un poste émetteur dans un appartement vide. Je le ramène chez Bertin qui explose : J'ai du être suivi je vais le compromettre, etc..... Ce poste pourrait servir, je suis un ancien opérateur : pas question, c'est trop dangereux... Bertin m'avait donné un pseudo "Abeille ", j'entraîne avec moi Roger Lechner, il continuera sous le pseudo "Ayme", jusqu'à la fin de la guerre. Un des rares Monégasques, il faut le souligner, ses mérites seront reconnus par la Croix de guerre.Je n'ai jamais mis ma femme au courant de mes activités, je veux la tenir à l'écart, c'est trop dangereux. Mais elle est intriguée, inquiète de mes allées et venues, de mes absences, nous avons des scènes de ménage. Je dors peu, pas souvent à la maison, mon travail s'en ressent. Je triche dans mes gardes de nuit. Un vol a été commis dans un local de la SBM, je suis suspecté, interrogé par la Police. Je veux tout arrêter et quitte la SBM en décembre 1941. La gendarmerie recrute. On fait miroiter la possibilité de passer Officier, mes titres de guerre donnent des points de bonification. Je mets mon nez dans des livres de droit, ça doit servir. En février je suis à l'école de Gendarmerie de Romans. Chaque semaine, examen, notes, je suis toujours dans les 2 ou 3 premiers. Je joue au rugby sport roi à Romans, pratiqué par le Commandant de l'École et je suis plutôt bien vu. Début mars. Un quidam vient me voir, l'homologue de Bertin dans la Drôme a eu mon nom. Je suis chargé de surveiller 2 collègues dont un qui détient les plans d'un fort de Savoie. Son père était le casernier. Je dois les récupérer. Pour camoufler le vol je prends ses cigarettes (je ne fume pas). Fouille générale, les plans bien à plat entre 2 couvertures ne sont pas vus, mais j'ai des cigarettes et tous savent que j'ai cédé les miennes, ce que je fais systématiquement à chaque distribution. Le maréchal des Logis chef Baurés, adjudant de discipline, avec qui j'ai eu des mots, m'accuse. Il est pro Allemand, anti-Juif et des mouchards ont dit que j'étais contre les méthodes du gouvernement et qu'après Montoire je n'avais plus confiance en Pétain Je ne m'en suis jamais caché ni à l'école ni en ville. Baurès fait état de mes relations antigouvernementales : un Bar Hôtel où loge ma femme. Je dis encore plus ma façon de penser : Prison. Le 15 mars je suis au fort Montluc à Lyon. Actes et propos pouvant porter atteinte à la sûreté de l'État, vol probable de cigarettes. J'ai toujours nié le vol, le "volé" n'a jamais parlé des plans que j'ai pu faire disparaître. J'ai 26 ans, un peu naïf, je mesure 1,81 m, pèse 79/80 Kg, je joue 2ème ligne au rugby. Ce qui m'arrive m'assomme, je frôle la dépression. J'insulte le Procureur qui m'interroge, Pétain, le gouvernement, mes nerfs lâchent, je ne me contrôle plus. Je clame mon indignation devant les "Misères" faites aux Juifs et les lâches compromissions de Laval... On a trouvé dans mes affaires un livre "C'est Pétain qu'il nous faut" écrit par un dénommé Hervé et j'ai mis des notes anti Pétain ! Fin avril jugement, les cigarettes ont disparu de l'accusation mais tout ce que j'ai dit aux interrogatoires est amplifié. Une jeune avocate est commise d'office pour me défendre. Le tribunal militaire est présidé par le Chef d'Escadron Descours qui adhérera un an plus tard à la Résistance et sera, en 1944, chef militaire de la région de l'Ain à l'Isère dont le Vercors hélas bien triste. Bref interro d'identité et lecture de l'acte d'accusation essentiellement constitué par le témoignage Baurés, conforté par mes sottes paroles face au Procureur. Verdict 6 mois de prison. Mon passage devant le tribunal n'a duré que 20 minutes. L'avocate constituée d'office a simplement dit : - Je demande le sursis, l'indulgence du tribunal. Début mai. J'écris à Darnand demandant son aide. Vers le 10 mai transfert au camp de Mauzac en Dordogne. Nous sommes enchaînés par 3. Les dangereux au milieu. Je suis classé dangereux; j'ai déjà une évasion à mon actif en 1940 ! Deux nuits de route nous sommes par 6 dans des compartiments de 3ème classe, 2 gendarmes vont et viennent dans le couloir. Ils nous conduisent enchaînés aux toilettes, très commode pour celui du milieu. Le camp de Mauzac est la prison militaire du Cherche-Midi repliée depuis mai 1940. Nous mettrons 2 nuits et un jour pour y parvenir. A Montluc la nourriture était légère, la faim permanente. Pour la route nous avons eu : Le soir environ 100 gr de pain et une portion "Vache qui rit", le lendemain midi même pain et un demi boudin; soir pain et petit suisse, rien les 2 matins. A Mauzac le ravitaillement était très triste : Le matin un roux d'oignon dans de l'eau, une tranche de pain 225 gr (théorique) pour la journée. Midi et soir 1/2 gamelle (1/2 litre) de topinambours carottes et rutabagas cuits à l'eau. Tous les détenus étaient très affaiblis certains ne pouvaient monter les 4 marches menant aux chambrées qu'à 4 pattes. Nous étions logés dans des baraques crées pour des réfugiés espagnols, 44 par chambre, 2 robinets, un chiotte 2 places. Personne ne se lavait, douche 1 fois par semaine non surveillée, nous y étions 15 ou 20 sur un millier de détenus. Seule hygiène obligatoire crâne rasé chaque semaine. Mi-juin. Je suis victime du vol de mes chaussures. Les "matons" rient lorsque je me plains. C'est la loi de la jungle: débrouille-toi trouve les . Je suspecte un prisonnier, je fouille ses affaires, trouve mon bien, il survient à ce moment, explication devant témoins et je l'allonge pour le compte : plus de 10 mn K.O. Un gardien est alerté, nous interroge, semonce. Le lendemain le "Maton chef" nous rassemble et je dois raconter mon histoire. Il déclare que je serai chef de baraque et que je devrai faire respecter l'ordre. Sitôt parti le précédent "chef" vient me chercher querelle. Au sol lui aussi. Je précise de suite que je n'étais pas très fort mais les autres étaient tous très faibles. Certains échangeaient leur ration de pain contre des cigarettes (nous avions droit à la ration militaire, double de celle des civils) je faisais l'inverse. D'aucuns étaient là depuis 2 ans ! Dans une baraque, proche de celle où j'étais, il y avaient des "huiles" : des aviateurs écossais, le Commandant Breuillac futur Général F.F.L., Pierre Bloch futur député. Ils avaient de la nourriture à volonté. Deux rangs de barbelés nous séparaient, il était interdit de s'en approcher. J'ai un jour lancé quelques mots d'anglais à un grand roux et il m'a donné une boîte de sardines. Je suis souvent revenu le voir mais sans grand succès. Le 29 juin. Fin d'après midi, avant le repas (18 heures), je suis appelé chez les "Matons" : Remise de peine, je vais être libéré : Merci Darnand. Le greffe : il m'est rendu mon alliance, ma chevalière, 10 francs, mes papiers d'identité, et je suis mis hors du camp avec un bon de transport pour Périgueux. Un gardien me dit d'aller voir le Père Cipière, il m'aiderait à continuer ma route. A la gare, attendant le train, je me pèse : 59 Kg, habillé, chaussé soit 57 nu ! j'ai perdu 23 Kg en 104 jours, je ne le crois pas, le lendemain même résultat en gare de Périgueux La bonne du Père Cipière me donne un morceau de pain et de fromage, m'indique un asile de nuit, me dit de revenir le lendemain. Je vais à l'asile vers 22 heures. A minuit je me lève et sors. Je me gratte, gratte, je ne peux plus tenir. Je vais marcher, marcher... A la gare je me déshabille et élimine quelques poux et puces en secouant violemment mes vêtements plusieurs fois. Je me gratte moins et dors en salle d'attente. A 9 heures je vois le Père, il me donne 25 F et m'indique le service de la Préfecture qui me délivrera le bon de transport pour Romans. Je me gratte encore et après un somptueux repas à 15 F, je mets chevalière et alliance au Mont de Piété. Le B.G, (Bordeaux Genève), est à 22 heures. Je vais à l'Hôtel Europe et nu, pendant des heures j'examine tous les plis, replis, coutures de mes vêtements. Poux et puces finissent dans le lavabo. Lavé, frotté, savonné je passe de la Marie Rose sur tous mes poils. Rien sur la tête, toujours la "boule à zéro ". A Romans j'apprends que ma femme travaille à La Chapelle en Vercors. Mon vélo et une malle sont dans un meublé. La Chapelle ce n'est pas loin, une cinquantaine de Km, en 2 bonnes heures j'y serai... Parti à 11 heures, j'arriverai après 18 heures, ayant gravi les côtes à pied, sauf deux accroché à des camions. Je me souviendrai des Grands Goulets. Ma femme et moi redescendons le lendemain à Romans et logeons au meublé. Je tourne 20, 30,40 km à la ronde pour trouver du travail, je vais jusqu'à St Fons. Référence ?... vos derniers mois ? : La Prison : Revenez le mois prochain.Le 29 juillet. Le reçois une assignation à résidence à Suze la Rousse. Je suis déprimé, à bout de ressources, physiquement, moralement et matériellement. Un inspecteur goguenard me dit que j'y retrouverai mes amis Communistes !! Je m'insurge vite, silence sinon retour en prison. Seul le Préfet qui a signé l'Arrêté peut l'annuler. Je pars furieux à Valence le voir. Un huissier me rit au nez et me montre la sortie. Pendant qu'il parle au suivant j'entre dans le bureau du Préfet, je montre mon arrêté : "sortez" et il appelle l'huissier. Je ne me contrôle plus, je soulève la partie vers moi de son bureau et la renverse sur mon interlocuteur. L'huissier plus deux personnes, puis des agents me maîtrisent. Poste de police, prison de Valence. Je fréquente la faune des prisons, voleurs, fraudeurs, faussaires, meurtriers. Tous sont sûrs de réussir un coup à leur libération. La prison n'arrange rien. Le jour nous sommes en "atelier", une vingtaine de détenus dans une pièce de 40 m2. Nous n'avons rien à faire, nous parlons à volonté. A 16h30 soupe et à 17h dortoir. Nous sommes par 12 dans une pièce de 30/32 m2. Les lits sont accouplés par 2 il y a 30 cm entre 2 couples de lit, 1 mètre entre les lits d'en face. Il n'y a qu'une fenêtre d'environ 1 m2. On étouffe. Le pire ce sont les punaises. Les châlits en fer sont remplis de ces bestioles. Dès que nous sommes enfermés et jusqu'à la nuit nous secouons les ferrailles et embrochons les punaises avec un clou. Mon voisin de lit est Tchèque. Une nuit je l'entends agiter ses mâchoires. Il a un saucisson volé qu'il mange en cachette. Je lui fais la morale, il m'injurie, nous nous battons, il tombe sur un angle de lit, il est assommé, sa tête saigne. Les Matons appelés mettent de l'ordre : le blessé à l'infirmerie, moi au "mitard". Verdict du lendemain : 12 jours chacun de cachot, cellule sans lumière, un bat flanc, une cruche, une tinette. Tous les matins on sort la tinette, remplit la cruche d'eau, et perçoit un bout de pain. Nourriture normale un jour sur 4, mais on a droit à la messe du Dimanche ! Le 9ème jour, Tribunal. Un avocat commis d'office, un vieux de 14/18 lit mes citations, demande l'acquittement ou au moins le sursis. Verdict : 6 mois avec sursis, merci l'Ancien. Une heure après je suis libre. Nous sommes je crois le 12 juillet.Mon épouse lasse de mes frasques est revenue à Monaco. Je retrouve mon vélo et vais à Lamastre voir l'ami Chirouse. Il me nourrit et me trouve une place aux cuisines de l'Hôtel du Commerce. Je mangerai à ma faim, plutôt je baffre. Il n'y a aucune restriction, viande, laitages, je me goinfre. Le chef de cuisine est une femme très vexante, un peu avec moi, énormément avec une autre femme qui fait un peu de tout. Plongeur, je refuse de faire autre chose que le matériel de cuisine. Je m'impose à la chef qui se venge sur la souillon. Je prends sa défense et menace la chef. C'est la fille qui est renvoyée. Nous sommes fin août et je suis requinqué, je sors à la chef tout mon répertoire de méchancetés et d'insultes puis vais dire au patron que je m'en vais. Début septembre je reviens à Monaco où, pour manger, je subis ma belle-mère avec qui travaille ma femme. Le réseau se rappelle à moi et me fait faire des bricoles. J'ai retrouvé avec grand plaisir Aymé (Lechner), Adet (Boni) et ma grande bleue où je me glisse tous les jours avec plus de plaisir. L'ami Provence est aux Milles ou il s'occupe d'un camp de réfugiés polonais. Après son évasion d'un train il était inopportun de rester travailler à Paris. Darnand que je vais remercier m'incite très fortement à adhérer au S.O.L. dont il est le chef. Je demande à réfléchir, il insiste, je vais revenir... Jamais ! Six mois plus tard, le S.O.L. deviendra "La Milice" Fin septembre (début octobre ?) Dumoulin agent de police a Monaco vient me voir. Il me propose de faire partie d'un groupe préparant l'évasion d'aviateurs anglais détenus au fort de la Drette. Armé d'une lampe torche et d'un sifflet, mon rôle sera le guet vers l'est, sur le CD 46, dans le virage à 200 mètres de la Grande Corniche et, éventuellement, ramener à Monaco quelqu'un sur mon vélo. Le coup bien monté, sera fait, bien fait, je ne verrai personne. Le 15 octobre. Le docteur Van de P... néerlandais me demande d'aller le voir. Je l'avais connu dans l'aide aux Juifs et ensuite lui avait dit mon adhésion à un réseau. Pénétrant dans son bureau à l'heure indiquée je tique. Il y a là un inspecteur de police de Monaco, chargé du contrôle des cartes d'identité. Il s'appelle Friend, son accent est très fortement british, en réalité Australien. Intrigué je l'écoute. C'est lui qui voulait me rencontrer. Il parle de mes ennuis qu'il connaît bien à Monaco, à Romans, etc. Enfin il vient au but en me demandant si j'étais opérateur radio. Ouf ! Il me propose de travailler en tant que tel dans un réseau anglais. Il met le point sur les risques qui m'attendent, j'accepte. Nous allons ensemble dans un petit Tea Room où nous attend Jove (Jupiter). Un homme grand et fort d'une quarantaine d'années. Lui aussi parle des risques et me propose 3.000 F par mois pour être à temps plein à son service. All right. Il n'a pas de poste radio mais j'aurai d'autres choses très sérieuses à faire en attendant. All right. Il me laisse libre une quinzaine pour trouver une "couverture" me permettant de voyager. Cela me laisse perplexe. Jove, je l'apprendrai ultérieurement, s'appelait Giovetti. Il arrivait de Grande Bretagne. Père Corse, mère Anglaise, il était parfaitement bilingue. Pilote, mobilisé dans l'aviation française il appartenait à l'I.S. avant guerre. En 1941, à Bordeaux il avait subtilisé des plans à la Marine. Il était parti à Londres 6 mois auparavant et revenu depuis 2 semaines. Il avait totale confiance en moi, au point de me dire, en mai 1943, son nom et l'adresse de sa femme en France au cas où... Depuis le ler octobre j'étais aux "Compagnons de France ". Je donnais des cours d'électricité au collège des Broussailles à Cannes. Nous étions nourris, logés, vêtus : short et chemise bleue, béret, cape pour l'hiver. Pas de salaire, une petite indemnité. Ma femme travaillait chez sa mère (Brasserie Albert ler à Monaco) donc pas de souci financier pour elle et indépendance financière pour moi. Je revis le Dr Van de P. il me suggéra d'aller au garage Melchiore où il me recommanda. Ses propriétaires achetaient des autos pour les Allemands, des grosses américaines. Je serai pris si je pouvais en trouver... Van de P. m'indiqua à Antibes un de ses amis qui en avait une sur cales, affaire conclue pour la bonne cause. Je reçus un certificat d'embauche et un Ausweiss valable 3 mois pour rechercher des voitures dans toute la France, j'avais ma "couverture" Il y avait 3 frères Melchiore : Seuls les 2 plus âgés trafiquèrent avec les Allemands et surtout l'aîné. En janvier 1944 il fêta son milliard en banque. A cette occasion, il donna un banquet de 500 couverts. Chaque invité reçu un cadeau : 5 Louis d'or. A la libération, les 2 frères durent fuir en Italie en abandonnant tout. Le plus jeune ne fut pratiquement pas inquiété, il a toujours un garage à Monaco. Roland Provence avait sa femme Yolande à Cannes. Nous nous rencontrions très souvent. Avant mon embauche par Jove nous avions envisagé de partir en Angleterre. Je lui avais fait part de mes futures activités. Il voulait que je le présente à Jove mais j'hésitais n'ayant pas dû lui en parler. Je n'avais rien dit de ces activités à ma femme par sécurité tant pour elle que pour moi. Roland était sûr. Il était le seul à qui je pouvais me confier. Ma femme allait tous les 6/8 mois voir "mémère". Pourquoi ? N'avait-elle pas là-bas une liaison avec qui elle aurait pu parler ? Doute. Début Novembre. Je partis reconnaître un terrain indiqué par mon "patron", c'était sur le plateau des Millevaches. Je trouvais que ce lieu ne correspondait pas aux normes prescrites. Je fis à Jove un rapport qui lui plut. Il avait déjà vu ce terrain et m'avait envoyé pour me juger. J'eus pour pseudonyme : Eugène. 8 novembre. Débarquement allié en AFN, Roland vient me voir tout excité, le 10. Un de ses Polonais a un parent marin sur un cargo qui doit venir à Nice charger du ciment le 13 et partir le 14 pour Sète. Ce marin pourrait faire monter une dizaine d'hommes sur le bateau. En mer nous aurions détourné le navire vers Alger. Tout simple... Le 11 les Allemands envahissaient la zone "nono", les Italiens avançaient jusqu'au Var. Tous les bateaux étaient bloqués à quai. Finie l'aventure en mer. Je fis 2 liaisons vers Lyon et Toulouse, contrôlé à la gare Perrache, je retins qu'il fallait pouvoir dire où on allait, donc prévoir l'alibi. A Toulouse je vis que la sortie, où les entrées, au buffet, n'étaient pas contrôlées, comme à Tours en 1940. Les S.S. ou les Feldgendarmes avaient consigne de surveiller les sorties, pas le buffet qui donnait sur les quais et l'extérieur. D'autres liaisons me firent rencontrer d'autres personnes que je devrais oublier aussitôt. Jove ;logeait rue du Congrès à Nice avec sa nièce : Nanette. En réalité sa secrétaire venue comme lui d'Angleterre. Elle était de petite taille et très sûre d'elle. Malgré nos réserves, nous sympathisâmes. J'avais plus souvent affaire à elle qu'à Jupin lequel voyageait beaucoup.

1943

Clandestinité - Gestapo

Évasion

En janvier 1943, ma femme partit encore à St Germain. Nous habitions toujours chez ma mère, rue Grimaldi, où je suis né. Le 27 janvier (fête patronale Monégasque). Sortant, descendant l'escalier, j'aperçus en bas 2 hommes regardant les boîtes à lettres. Ils se retournèrent et au même instant, je vis un carabinier Italien sur le trottoir. Sans réfléchir, instinctivement, lorsque un des civils me demanda : M. A... je réponds là au ler étage. Ils montèrent, j'enfourchais mon vélo, toujours laissé dans l'entrée et pédalais vite, vite. Deux ou trois jours après mon esquive de la Police Italienne, ma mère reçoit sa visite, peu avant minuit. Elle est laissée, fin janvier, en chemise de nuit, sur le palier, tandis que l'appartement est fouillé. Pas en vain, ma mère prendra froid, mal soignée, elle deviendra tuberculeuse. Ma nièce demeurant à Marseille vint chercher une valise de vêtements et je devins un proscrit, un clandestin. De temps à autre j'envoyais une carte, de villes différentes, signée du nom de ma mère : Bosio, ou bien j'écrivais à Riri. Celle que j'ai toujours considérée comme ma soeur, 6 mois de moins que moi, élevés ensemble, nous étions toujours ensemble soit chez sa mère fleuriste au rez-de-chaussée, soi chez moi au ler étage. Italienne, elle était secrétaire au Consulat d'Italie. Je reparlerai d'elle. Depuis décembre il fallait chercher des terrains en partant d'autres données. Les Lysander venaient d'Alger (et bientôt de Corse) il fallait des terrains plus près de la Méditerranée. Je connus le restaurant l'Escargot, place Ampère à Lyon. J'allai y porter ou prendre des paquets, du courrier départ ou arrivée. En mars je reçus un paquet informe enveloppé de journaux. Je ne connaissais pas celui qui me le remit. Je devais avoir la revue "Signal" à la main et le pan de la cravate sur l'épaule...? Je rejoignis Jove à Toulouse. Il était en surveillance devant la gare. L'un derrière l'autre nous allâmes à l'Hôtel Moulin Bayard, notre point de chute habituel. Le paquet contenait 3 millions en billets bleus ! À cette époque un instituteur ou un agent de police gagnait 1.000 F par mois, 10 F actuels... Lors de l'arrivée des Allemands le camp des réfugiés des Milles avait été liquidé. Provence était sans travail. Je parlais de lui à Jove. Rencontre, exposé des vues et motifs, quelques jours plus tard Roland était embauché. Mission initiale : relevé des implantations Italiennes. Je lui avais présenté mes amis et collègues dont Vérani qu'il avait connu à Pithiviers et hélas "Alex". Roland, gaillard de 1,84m, était un calme. Sa devise : T comme tranquille, tranquille comme Baptiste. Le pseudonyme Baptiste vint tout naturellement à la bouche de Jupin. Né en 14 à Troyes sa famille avait subi l'occupation de la Grande Guerre. Il se disait disciple de Jaurès mais n'était affilié à aucun parti. "Alex" était le frère d'un collègue du 6ème Dragons, Luco de G..., tous deux de Cannes. Il était le filleul de Xavier Vallat Commissaire aux Affaires Juives. Par lui il avait obtenu la gestion d'un commerce saisi, le "Bottier Joseph", avenue de la Victoire (Jean Médecin) à Nice. Cette boutique avait du rendement, deux vendeuses servaient les clients. Le passage continuel de ceux-ci en faisait une excellente boîte aux lettres. Provence avait trouvé un emploi d'agent immobilier lui permettant des déplacements officiels. Il avait subtilisé quelques feuilles de papier à en-tête de sa boîte pour me faire un certificat d'emploi, ma couverture Monégasque devenant bientôt caduque. Je continuais à faire des liaisons et connaître des membres du Réseau : "Dan" (Abel Argote) à Bordeaux, "Tom" et le gendarme Gilson à La Réole. Fourt et Bondon " Petit Paul" à Lons le Saunier, à Périgueux "P'tit chef" René Séguy. À Nice le Dr Rosenberg "le Dentiste" et autres dont j'oublie les noms. Entre deux liaisons j'arpentais des terrains pour d'éventuels atterrissages clandestins. Jeunesse et Montagne, organisation gouvernementale organisait des Meetings d'aviation légère. Pour mes reconnaissances de terrains, j'allais avec la tenue des Compagnons que j'avais gardée et disait être de Jeunesse et Montagne, ça marchait bien. À Mende dans un restaurant, je connus l'Architecte Départemental et fis pendant deux jours, en sa compagnie, le tour de tous les terrains possibles des Causses. J'ai toujours aimé monter des canulars, mon "travail" m'y aidait. J'étais plus souvent dans un train que dans ma chambre de Cannes. Un soir de décembre j'arrivais à la nuit, près de la Côte St André, dans une auberge isolée. Avec beaucoup de réticences, la patronne, jeune veuve de 33/35 ans finit par m'accepter à dîner et coucher. Je parlais de mon travail d'agent immobilier : recherche de vastes propriétés. Elle m'indiqua un terrain ayant servi pour un meeting aérien en 1938. Le lendemain j'allais voir, c'était idéal : Il devint terrain de la Luftwaffe deux mois après. C'est l'actuel Aérodrome de St Geoirs. En avril j'allais à Lyon chercher un émetteur radio, grosse valise de 70 cm de long pesant une douzaine de kilos. En l'ouvrant on avait une valise de soins électriques pouvant fonctionner mais, en tournant un bouton à l'envers, on dévoilait un émetteur. C'était un technicien lyonnais qui avait conçu cet ensemble. Il était délicat à manier et je n'ai jamais pu réaliser une liaison correcte avec Londres. Je devais remettre cette valise à René Séguy en gare de Périgueux. Il n'en voulut pas, "trop lourde pour son vélo", (surtout trop dangereuse en cas de contrôle), je dus la porter à Sarlande, chez lui, où je devais venir m'en servir. Baptiste bien en place à Nice, nommé chef du Réseau Sud Est, Jove voulait aller au calme. Je partis en Dordogne la prospectant du nord au sud, d'est en ouest pour trouver un domicile pour le PC. Jupin m'accompagnait parfois mais malgré sa volonté et sa force physique il ne pouvait pas souvent me suivre à bicyclette. À Sarlande où j'habitais épisodiquement, j'étais logé chez la mère de Séguy, propriétaire d'un restaurant avec quelques chambres. Petit chef, grand coureur de jupons avait beaucoup de maîtresses, trop. Pour se débarrasser des plus encombrantes il me présenta à une postière et à une restauratrice de Périgueux. Eva, femme de Séguy en connaissait quelques unes, pour compenser elle me fit des avances sans que le mari paraisse gêné... Je refusais le tout, non par vertu mais pour ma tranquillité d'esprit. Je n'arrivais pas à obtenir un bon rendement de mon émetteur. Il n'était pas piloté par quartz et l'accord sur la fréquence imposée variait sans cesse. J'étais trop tracassé pour joindre le plaisir au devoir. Le 15 mai il y eut le passage du cinéma ambulant. Séguy m'avait. annoncé, pour ce soir là, la venue d'une institutrice de Jumilhac chez qui il pensait que je pourrais emmener mon poste radio qui lui faisait tant peur. Cette jeune femme était veuve. Son mari avait géré à Sarlande un garage appartenant à Seguy. Voulant récupérer la poudre d'obus abandonnés en 1940, Raymond Meynard, ce garagiste, en avait fait exploser un. Le garage détruit, lui décédé, sa veuve qui avait une fille de 5 semaines était partie dans un poste très isolé, Puyger de Jumilhac avec logement, où elle pensait faire des économies pour payer les dettes occasionnées par l'explosion. Son école desservait 4 ou 5 hameaux très dispersés. Séguy, pressé de me voir partir suggérait, sourire égrillard, que j'aille pianoter chez cette jeune femme. Connaissance, bla bla, nous y allons 3 jours plus tard Séguy, sa femme et moi. Très bon repas, l'institutrice accepte mon travail chez elle. Au retour Eva perce un pneu, le mari emmènera le vélo et moi la femme... (j'aurai fait l'inverse). Le surlendemain je partis à Lyon chercher un nouveau poste émetteur, valise B2 de Londres. J'établis chez Mme Meynard, l'institutrice de Puyger, ma première liaison. Début juillet. Jupin s'installe avec Nanette à Saint Yrieix dans une villa avec jardin, située à l'écart du bourg au dessus de la gare, au Bost Saint Hilaire. Quittant avec grand plaisir Sarlande, Séguy, sa femme, je pris pension à l'Hôtel des Voyageurs. Pour tous, je suis le fiancé de la jeune fille des bois : Nanette. Je ne fais plus que très peu de voyages. Pébarthe, de Bordeaux, apporte son courrier à Périgueux à Melle Beausoleil, garagiste. Baptiste vient à Saint Yrieix tous les 15 jours ainsi que Delebarre du Nord (Le Cateau). Dan, ancien champion de boxe, assure la plupart des liaisons. Baptiste s'intéresse à l'institutrice, qui ne lui accorde que des sourires. Fin juin. Le patron me demande d'aller chercher son chien en pension à Arzacq, près de Pau. À l'aller, entre 2 trains, à Toulouse je vois ma photo, agrandie, dans une vitrine, place Wilson ! Il y a quelques semaines j'ai fait tirer des photos d'identité. C'est l'une d'elle agrandie, qui est en vitrine, j'ai droit à 2 agrandissements. Emporté par l'euphorie, j'en fais faire 2 d'une autre pose, pour envoyer à ma mère et ma femme, je prends le tout au retour. Triste idée. Fin juillet. Code spécial et quartz étant arrivés, je commence mes vacations chez "Claude" pseudo de Mme Meynard. Mes premiers rendez-vous radio ont lieu à 23 heures et le couvre feu est de 21 heures à 6 heures. Je passe donc les nuits à l'école discutant devant un verre de lait (depuis Noël je ne bois plus d'alcool). Dans la journée je suis près de ma "fiancée". J'aide à coder courrier et archives. Je n'ai pas de code, Jupin prépare les grilles et je transpose, travail long et fastidieux demandant beaucoup d'attention. Je connais maintenant, comme Nanette, pratiquement tout sur le réseau. Dan nous propose un radio, réfugié Espagnol, ancien des Brigades Rouges. Je dois le tester et le mettre à ma place. Je resterai au PC dont le travail s'accroît chaque jour tout en étant radio disponible au cas où. Pendant les quelques semaines passées à Saint Yrieix, Jupin tenait à faire 3 rounds de boxe chaque matin. C'était avec Dan, s'il était de passage, mais le plus souvent avec moi. Au cours de mes 3 années (35/38) au 6ème de Dragons, un appelé m'avait initié aux haltères et surtout à la "Savate", j'y ai adjoint le " noble art " Nous avons Jove, Nanette et moi plusieurs cartes d'alimentation mais nous manquons de cartes d'identité de rechange. "Alex" peut en avoir, j'irai au rendez-vous pour les prendre. Le 4 août. Je suis à la terrasse du Cyrano à Limoges en tenue de compagnon. Saint Yrieix est à 1 heure de train de Limoges, je reviendrai dans la soirée. Un homme jeune m'aborde, nous nous asseyons. Il me demande l'argent, 5.000 F pour 10 cartes, mais au lieu des cartes il sort un pistolet et dans mon dos j'entends : Police Allemande, haut les mains ! I Ils sont deux derrière moi, armés. Une traction avant nous amène impasse Tivoli, (devenue Saint Exupéry), siège de la Gestapo avec l'Hôtel Moderne. Le premier homme disparaît, les deux autres me disent être des officiers de l'Abwehr (contre espionnage). Alex a tout raconté : je suis radio, j'ai échappé aux Italiens après m'être évadé de prison. L'un des deux hommes qui parait le chef parle très bien français, l'autre hésite beaucoup. Questions... Où est ma résidence ? Je sais que je dois tenir 24 heures pour que les collègues inquiets déménagent. Je dis Arsacq. Ils ne me croient pas, je ne suis pas venu de si loin sans bagages avec des chaussures de cycliste Je tiens bon, je ne sais rien sur le réseau, ni sur les identités des membres. Je suis radio sans poste, je fais des courses. Pendant que le chef m'interroge calmement, patiemment, l'adjoint a pris mes papiers, y compris la carte d'alimentation renouvelée il y a 5/6 jours à Saint Yrieix. Il va dans une autre pièce avec un homme interprète. Il revient 20 ou 30 minutes plus tard et me demande si je suis venu en vélo ou si je l'ai laissé à l'Hôtel des Voyageurs... Je dis que cette carte m'a été donnée, peine perdue, ils ont téléphoné, ils savent ! Je crois être resté impassible mais je suis atterré. Jupin est parti ce matin, à son retour il n'y aura pas le signal : voie libre, mais Nanette, les archives... Il est plus de 18 heures, ils n'iront à Saint Yrieix que demain, quelqu'un dira que je fréquentais la fille du bois. Ils le savent peut-être déjà et des collabos avertis pour la surveiller. Les idées tournent, tournent dans ma tête... Je devais reprendre le train à 19 heures, arriver à Saint Yrieix à 20 heures. La villa est près de la gare, je devais remettre les cartes avant d'aller à mon hôtel. Pourvu que Nanette, ne me voyant pas, flaire le danger et s'en aille. Elle a son vélo, elle pourrait aller à Sarlande. C'est facile, c'est certain, elle le fera mais pourvu qu'elle ne soit pas suivie... Je n'entends plus ce que disent les interrogateurs, ils parlent entre eux, ils sont satisfaits. Le chef me rend ma montre "pour compter les heures qui me restent à vivre, demain je serai fusillé", le ton est très gentil, même quand je refuse de signer ma déposition, (?) je ne comprends pas ce qui est inscrit, c'est en allemand. On me donne un casse croûte et un Feldwebel m'attache à un radiateur par des menottes : bonne nuit. Au matin mes interrogateurs s'étonnent que j'ai dormi, me posent encore quelques questions et partent pour Saint Yrieix. À 14 heures ils reviennent souriants, ils ont trouvé mon poste, à l'hôtel, et ils ont arrêté Nanette. Ils ramènent des kilos de papiers, archives tous codés et veulent le code : Je l'ignore. C'est le second qui m'interroge avec l'aide de l'interprète. Le chef doit être avec Nanette. Mon inquisiteur passe ainsi près de 4 heures avec moi posant très souvent la même question. Par exemple d'où j'émettais, je réponds, de ma chambre avec fil d'antenne pendant par la fenêtre. Toutes mes affaires, sauf le vélo, ont été ramenées et sont dans la pièce. Tout sera fouillé en détails. Je demande à prendre la trousse de toilette et un costume, c'est accordé, je vois là mes agrandissements photos... après mon évasion ils seront diffusés dans toute la France : "Wanted".. Je couche dans une cellule en sous-sol. Le lendemain matin encore interrogatoire. Les deux de l'Abwehr recommencent tout et insistent sur les identités de Dan, Baptiste et autres de Nice, j'apprendrai ainsi qu'ils ont aussi été arrêtés le 4 août. Un 3ème Allemand Meyer, je saurai plus tard qu'il est de la Gestapo, assiste et pose des questions, aidé par l'interprète. Pendant une pause je bavarde avec celui-ci. "Alex" nous aurait vendus pour 20.000 F et dit tout ce qu'il savait ! Mes interrogateurs savent que nous sommes un réseau I.S., dirigé par des Anglais venant de Londres comme Nanette. Il conclut : l'Abwehr sait tout comme Londres sait tout ce qui se dit ici ! interloqué je reste coi. Plus tard je me demanderai si c'est un avertissement. De cet homme j'apprendrai que deux investigateurs spécialisés ont passé la nuit à lire le livre que j'avais à la main "Autant en emporte le vent" 850 pages. Ils n'ont pas trouvé le code qu'ils espéraient... Je suis enfermé dans une cellule de l'ex caserne des chasseurs, Chabert , en haut de Limoges. J'y resterai 3 jours. Je suis ensuite amené à la caserne des Dragons, au centre ville et mis dans une cellule, des locaux disciplinaires contiguë à celle où est Nanette. Un trou existant dans le mur de séparation nous permet de communiquer. Elle ne m'en veut pas pour la carte d'alimentation trouvée sur moi, Jove était bien parti la veille. Nous parlons d'Alex qu'elle avait vu une fois. Elle est sûre que nous nous évaderons et me promet, shocking !, une blague à tabac faite avec la peau des testicules d'Alex ! La cellule est étroite, 1 m environ, j'ai de longues jambes, je monte en cheminée jusqu'au plafond, j'y réussis plusieurs fois. À la nuit j'essaierai de crever le plafond pour m'enfuir. Une sentinelle entre à l'improviste et me surprend en l'air. La Gestapo est alertée, passage à tabac par "Meyer" et je suis amené à ce qui était la salle de police. Nous sommes là une douzaine de détenus, dormant sur un bat-flanc de 8m. Pas d'eau, une tinette pour tous. Nous sortons tous les matins faire une petite toilette et boire l'eau qui coule sur les pissotières. À la stupéfaction des sentinelles nous applaudissons au passage des trolley bus qui apparaissent par dessus les murs de la cour : 2 gaules et 4 roues (Catroux). Avec un codétenu, un gitan nommé Sparapan nous parlons d'évasion. Il a un plan très simple : c'est un sous officier qui vient seul le matin dans la courette ouvrir notre porte, 2 ou 3 soldats gardent l'extérieur et surveillent la toilette et les pissotières. Sparapan se dit capable d'assommer un homme d'un coup de poing à la tempe. Il sortira le premier et frappera; nous escaladerons le mur sur lequel il y a deux fils de barbelés. C'est faisable, j'accepte. Il connaît Naegelen Préfet de Strasbourg replié à Périgueux, nous aurons des papiers . Au matin suivant, il cogne, l'Allemand trébuche mais ne tombe pas et porte la main à son pistolet, je m'avance vers lui les bras à moitié levés tandis que Sparapan escalade le mur. Les sentinelles arrivent, nous enferment. Une heure plus tard arrive le fameux Meyer. L'Unter Offizier me désigne - C'est ce chien qui m'a attaqué quand j'ai voulu tirer sur le fuyard !. Je ne parle pas allemand, je connais quelques mots et parviens souvent à comprendre le sens des phrases. Interrogé je dis avoir levé les bras en signe de reddition non d'attaque, je suis très ferme dans mes réponses. Meyer, perplexe semble admettre que le sous off a paniqué autant que j'ai eu peur du pistolet. Ouf !. L'après midi je suis transféré à la prison française du champ de foire. Dans les locaux militaires, prison de la Gestapo, nous étions "nourris" par la Croix Rouge. Un bol de bouillon et 2 pommes de terre grosse comme un oeuf (petit) à midi, idem le soir. J'y suis resté, je crois, 10 jours, je n'ai jamais rien eu d'autre. À la prison civile du champ de foire, nous étions nourris par la cuisine interne, même régime que les droits communs. C'était léger mais mieux qu'à Montluc et Mauzac. Le lendemain alors que je suis pour une fouille des locaux, sur le balcon devant les cellules, je vois arriver Nanette. Elle est enfermée à l'étage inférieur dans la cellule verticalement sous la mienne ! Mes prisons antérieures m'ont appris quelques trucs. En décousant le surjet qui borde les couvertures on a 10 à 12 m de fil, tressé à 3 voilà une bonne ficelle. Par ma fenêtre je descends un papier qui va battre sur la sienne. Liaison établie. Je suis seul pour peu de temps. Après 5 ou 6 jours arrivent deux compagnons mais je suis aussi pris en mains par les S.S. de la Gestapo Les interrogatoires deviennent plus durs. Je suis frappé sur tout le corps, très peu à la tête. Au 4ème interrogatoire S.S., je suis menotté à un tuyau de chauffage les bras très au dessus de la tête. Un Feldwebel me "caresse" les genoux avec une gummi, matraque en caoutchouc. Si je plie les genoux, je reste pendu par les mains. Quand ils me libèrent je m'écroule, je ne peux plus marcher. On me ramène jusqu'à une cellule où je suis seul. Je reste allongé, incapable de bouger jusqu'au lendemain. J'ai encore très mal mais je me force à marcher. Sur le mur le prédécesseur a gravé, VOULOIR, au dessous, TENIR, j'y vais de mon mot : AGIR. Meyer fait le tour des cellules, se moque des inscriptions et me demande : - Qu'attendez-vous pour agir ? Le débarquement en Italie vient d'avoir lieu ce qui suscite beaucoup d'excitation, certains voient les Alliés en France dans 15 jours, c'est pourquoi je réponds à Meyer : J'attends que les US soient à la frontière, j'irai à leur rencontre. Toujours mes fanfaronnades. Je repars à des interrogatoires. Au cours de l'un d'eux je suis pendu au plafond, au lustre par les menottes et les coups de gummi pleuvent. Une femme est là, qui rit de mes grimaces. Je gigote très fort, le lustre lâche et je tombe. Je dis alors ce que je rumine depuis quelques jours : - Le "dentiste" est le nom donné à un homme qui a toute la dentition du haut en or, je ne sais pas son adresse mais il va souvent dans un bar proche de la place Masséna à Nice Tout est faux mais si j'étais transféré il y aurait une possibilité d'évasion... Je le fais savoir à Nanette afin qu'elle ne me contredise pas. Cela lui déplaît : - Il ne faut rien dire ! Je fais connaissance avec la baignoire. Menottes, mains dans le dos, deux S.S. me plongent la tête sous l'eau. Je suis plongé 2 ou 3 fois puis maintenu jusqu'à ce que, asphyxié, je ne me débatte plus. Le 8 octobre. Je pars pour mon 14 ème interrogatoire, 3 de 1'Abwehr 10 de la Gestapo ont eu lieu. Alors que les questions n'ont pas encore commencé, branle bas chez les SS. Tous partent très rapidement, j'entends "Maquis Ussel", sans doute une opération contre un maquis. Je reste sous la surveillance de l'interprète. Le téléphone sonne dans la pièce voisine, il va répondre. Je vais à la fenêtre, l'ouvre et saute dans la cour, 3 mètres environ. Je cours au mur d'enceinte haut de 2 mètres, l'escalade et saute sur un boulevard. Un agent de police fait les cent pas : protection contre les attentats. Il se retourne surpris, crie halte, met la main à l'étui pistolet. Je cours, cours, le boulevard descend vers la Gare Bénédictins. Un pékin semble vouloir m'arrêter mais descend du trottoir. J'arrive à hauteur de la gare et la contourne. Une porte ouverte me permet d'entrer sur les voies par derrière. Une rame en manoeuvre passe, je grimpe et respire un peu. L'agent ne m'a pas poursuivi, sa mission était de surveiller les abords pas de courir après un évadé. J'apprendrai plus tard qu'il n'a pas été inquiété. À l'arrêt de la rame je descends après avoir quitté ma veste grise que j'ai roulée en boule sous mon tricot bleu marine. Je demande à un cheminot en bleu de chauffe où est le vestiaire des mécaniciens. Interloqué il pose des questions, je finis par dire que je viens de m'évader et que je voudrais échanger mon beau costume fil à fil gris contre des bleus. Il n'hésite pas et m'amène dans une maison à l'écart, lieu de repos des mécaniciens. Deux hommes sont là, ils m'interrogent l'air inquiet, un troisième arrive et dit que les S.S. fouillent la gare. On commence à me croire, j'essaie de les convaincre d'avertir quelqu'un à Ussel d'une possible attaque contre un ou des maquis. Mon costume finit au fond d'une armoire et vêtu de bleus, je suis amené par un collègue près d'un tas de scories. Mon compagnon est armé il doit me tuer si j'appelle des Allemands ! Trois d'entre eux viennent à 20/25 mètres de nous pendant que nous chargeons les scories et s'éloignent. Nous revenons au lieu de repos où on me fait manger. Par des collègues policiers ils savent maintenant qu'effectivement il y a eu évasion de la Gestapo Nous discutons où aller, je pense à l'institutrice de Puyger, une voie ferrée passe à 7/8 Km de l'école, aux Mines d'Or. Il n'y a que des bois à traverser. Le 10, un dimanche, un an moins 5 jours que Jove m'a promis des risques, je monterai sur une loco, à la place d'un apprenti mécanicien. La Résistance Fer existe. C'est un train de marchandises surchargé, poussif. Dans la côte des mines il ralentit et je saute, saluts en me relevant rendus par un triple coup de sifflet de la loco. Il est midi mais je n'ai pas faim. La veille au soir celui qui paraissait être le chef m'a tendu une boite de 5 litres de compote de pommes : - Mange, prends des forces, si tu ne l'as pas finie tu ne partiras pas. j'ai mangé, je n'en mangerai jamais plus. La veille ,j'ai bien pris en mémoire une carte Michelin, je sais par coeur la direction à suivre : Sud ouest jusqu'à la route Saint Yrieix - Le Chalard, la traverser, et ouest jusqu'à une piste blanche et encore Sud ouest vers Puyger. J'ai toujours ma montre, la montre Oméga de mon père, le soleil brille, le cap est facile à déterminer. Je marche une branche à la main, canne et éventuellement arme. Vers 14 heures j'aperçois l'école, j'arrive en sifflotant un petit air qui annonçait toujours mon arrivée. Yvonne la jeune fille qui gardait Colette, la fille de l'institutrice, est au bord du chemin avec le bébé. Elle court à la maison en criant :"Monsieur Jean, Monsieur Jean." Embrassades voire larmes, je raconte mon histoire et apprends qu'il y a dans la maison un maquisard en convalescence. Yvonne part à Jumilhac où sont ses parents, poussera à Sarlande prévenir Séguy que je suis là sans papiers, sans argent, sans vêtements (le pantalon bleu m'arrive à mi-mollet). Yvonne couchera chez ses parents, Claude dans son lit et moi pacha, dans le grand lit de celle-ci. Le maquisard à une paillasse dans un réduit. C'est la détente totale, je ne dors pas, je sombre. Je viens de passer 48 heures d'énervement impossible. Je ne suis plus traqué mais dans un havre avec des ... UNE AMIE. C'est énorme, je m'anéantis. Au matin, petit déjeuner au lit, à l'heure de la récréation de l'école. À ce moment arrive Eva Séguy, elle monte à la chambre, m'accuse d'être caché là depuis le 4 août, elle est très grossière, insultante pour "Claude" et moi. J'essaie de me faire entendre, elle n'admet rien. Son mari est parti depuis le 5 août et si je n'étais pas là j'étais avec lui. Elle ne me sera d'aucune utilité. Mon hôtesse n'a que peu de ressources mais elle se démène, me donne des couvertures avec lesquelles le tailleur de Jumilhac, chez qui je me glisse de nuit, fera un blouson et un pantalon. "Violette" chef maquisard du coin, alerté se dérobe tant pour me fournir une carte d'identité que pour venir avec moi et deux hommes habillés en gendarmes pour délivrer Nanette. Sarlandie, un instituteur de Sarrazac, ami de Claude fournira cartes d'identité et d'alimentation. Je vais à Périgueux voir Naegelen, je lui parle de Sparapan, il m'écoute gentiment mais me dit ne rien pouvoir faire, normal. En prison, les Allemands m'ont appris que ma femme est enceinte. J'ai feint l'indifférence disant que je ne l'avais pas revue depuis l'arrivée des Italiens en novembre à Monaco, c'était évidemment pour la mettre hors de mon circuit. J'écris par l'intermédiaire de Riri à qui je donne une adresse à Bordeaux. Elle confirme en réponse que ma femme est enceinte, qu'elle doit accoucher fin novembre, début décembre. Encore un coup pour moi, je ne l'ai pas vue depuis janvier quand elle est allée à Saint Germain, 10 bons mois. Rien ne freinera plus mes désirs de l'été, exacerbés par la cohabitation. J'aurai tenu 3 semaines, jusqu'au ler novembre, puis... Reine et moi... Pendant cette période de vie à Puyger je suis allé voir si les Allemands avaient laissé quelque chose, vêtements ou vélo à la villa de Jupin. Les portes étaient fermées mais j'ai pu m'introduire par le fenestron de la souillarde. Il n'y avait rien d'intéressant sauf que la porte principale et celle de la cuisine donnant sur l'extérieur étaient piégées ! Une grenade quadrillée était posée contre chaque porte, dégoupillées, posées en équilibre sur la cuillère... Ne sachant comment avertir le propriétaire de la villa, j'ai indiqué le fait à Sarlandie (où à Violette ?) Le 7 Novembre. Yvonne, la jeune bonne nous dit que la veille, au bal (clandestin), le fils du boulanger, le milicien, lui a parlé des insoumis que sa patronne recevait ! Le jeune maquisard, guéri, est parti, il a du parler. La milice va venir, il faut partir. Le soir je vais à Saint Yrieix, rode autour de l'Hôtel des Voyageurs, je ne peux pas réclamer mon vélo et vole celui d'un gendarme qui vient d'entrer. La fillette sur un vélo, un petit bagage sur l'autre nous allons coucher à La Coquille. Le lendemain nous allons déposer le bébé chez les parents de Reine (anagramme et abrégé d'Irène, pour moi ce sera désormais son nom). Nous allons à La Réole, voir Tom. Il nous reçoit gentiment, et nous couchons chez lui. Il ne sait pas où est Jove, peut-être dans l'est. C'est peut-être chez Fourt ou par lui que je pourrai le joindre, nous partons pour Lons le Saunier. Nous y arrivons le 10. Fourt est très évasif. Nous couchons sur place à l'hôtel. Le lendemain Fourt me dit avoir pu contacter le Patron Il me donne 2.000 F et ordre de me laisser pousser la barbe. J'ai rasé la moustache pour moins ressembler à mes photos. C'est le 11 novembre qui n'est plus férié. À Lyon je vais me faire faire une permanente ! J'ai mission de rencontrer Pebarthe à Bordeaux début janvier. Ma Reine ira rejoindre Jove pour lui servir de secrétaire. En attendant elle va courageusement chercher des vêtements à Puyger. Je l'attends Hôtel Terminus à Thiviers. Son logement de l'école a été occupé, elle y trouve des boites de conserves vides, des bouteilles, etc. Rien n'a été volé. Nous couchons à Thiviers. Dans la nuit des cris, des coups de feu, course dans le couloir. Nous sommes très inquiets. Au matin nous saurons que le Comte Saint Pierre a été exécuté par le maquis. Nous partons sur la pointe des pieds, sous l'oeil d'un gendarme accoudé au comptoir. Mi-décembre. Je pars vers la Côte, de nuit. J'entre à Monaco en contrefaisant ma silhouette et vais chez moi récupérer le reliquat de mes vêtements; ma mère, ma femme et son bébé sont là. Je fais l'idiot, ne dis mot sur le lardon et repars au jour. Entre Monaco et Nice, je suis dans un wagon avec l'équipe de Basket de l'ASM, mon ancienne équipe. Il y a là Rocca, Franco, Richelmi etc. Je nie être J.A., mon collier ne les trompe pas et ils se moquent de moi. Nous passons Reine et moi un triste réveillon à Périgueux où stationnent les "Cosaques", des Waffen S.S. Russes. Le 3 janvier. Nous devons nous séparer à Bordeaux. Le B.G. l'emmènera vers Lons et Jupin. Je reste à Bordeaux, chargé de missions spéciales... Je n'aurai de contact qu'avec Pébarthe tantôt dans une rue, tantôt dans une autre. I1 me parait franc comme un cheval qui recule... il m'apprend que Serrano, le radio Espagnol a aussi été arrêté. J'ai un nouveau pseudo : JIM.

1944

Missions spéciales - Radio

La présence de Reine va me manquer. J'ai toujours droit à 3.000 F par mois. Pébarthe me les donne d'avance le 3 janvier 1944. Ma mission est simple : trouver des renseignements sur les activités allemandes. Je vis dans un hôtel minable, je ne fais qu'un repas le soir, me contentant de pain et sucre à midi, d'un café noir le matin. Je m'intéresse au port pétrolier, compte les péniches, inscrit leurs noms et leur tonnage. Venant là tous les jours, je bavarde avec les lamaneurs. Je ne sais pas quoi trouver d'autre, je broie du noir. Un jour sur les quais je vois des marins italiens. Je les suis, nous arrivons dans un bar de Bacalan où il y en a d'autres. Parlant couramment l'italien, je bavarde avec eux. Ils sont sur des cargos, je reviens plusieurs fois les voir. L'un de ces cargos doit partir pour le Japon avec des tonnes de mercure. J'ai le jour et l'heure du départ. Je fais un rapport à Pébarthe mais, me méfiant de lui, j'envoie un double à Reine. (Malgré l'interdiction et le danger nous sommes restés en correspondance). Bien m'en a pris, Pébarthe s'est attribué l'information. Londres a été avisé, un sous marin attendait le cargo à l'embouchure de la Gironde. Je "pleure" avec les marins Italiens qui me l'apprennent. Reine furieuse en voyant le rapport de Pébarthe sort ma lettre. Ma côte remonte même si Jove est mécontent de nos liaisons. Dans ces bars de Bacalan, fin février, j'ai connu un ouvrier de la Base Sous marine, sympathie d'idées, il me fera entrer un soir à la Base. Je suis au rendez-vous, à la relève de minuit, j'attends, il ne vient pas. Il y a le couvre feu... Je repars vers le centre de Bordeaux, où je loge, en longeant les grilles des quais. Il y a une sentinelle tous les 100 mètres. Au début, je suis avec des ouvriers sortant de la Base, les sentinelles ont l'habitude, nul ne dit rien. Peu à peu le groupe, étiré, se disperse, aux Chartons, je suis seul. Une sentinelle me dévisage et crie - Funker ! nicht kaput ? C'était un des soldats qui nous gardaient à Limoges, un brave type qui donnait des nouvelles et faisait des commissions. Il dit en quelques secondes que j'ai été porté mort. Son cri a alerté le poste à 10 mètres de là. Un Unter Officier parait, braque une torche et lui aussi me reconnaît, c'est celui de l'évasion de Sparapan. Ils sont de l'autre côté des grilles, il faut ouvrir les portes avec les clés qui sont au poste. Je pars en courant à travers les rues noires. A mon hôtel je ne peux pas dormir, je suis affolé, paniqué. A 6 heures je prends le train pour Périgueux et vais voir les parents de Reine. Ils m'avancent l'argent afin de prendre Ie train pour Lons, revoir Reine et Jove. Je ne vois pas Jove, il me fait dire par Reine de repartir à Bordeaux, ma situation va changer. Réconforté par la gentillesse, la tendresse de mon amie et les promesses du Patron. Je repars. Quatre jours après elle est à Bordeaux pour travailler avec moi. Je respire mieux.. Je ne suis plus subordonné à Pébarthe, il ne sera que ma boite à lettres. Maintenant je serai vraiment chargé de missions spéciales au sud-ouest d'une ligne : Nantes - Perpignan pour commencer. Ça s'élargira vite. Notre vie, à Reine et à moi sera vite organisée. Nous avons loué une chambre et cuisine, c'est moins onéreux que l'hôtel, nous avons deux soldes et mangeons ce qui nous plaît. La compagnie, la nourriture, je suis à nouveau moi-même. Un jour par quinzaine nous allons voir sa fille et ramenons des provisions. Nous sommes inquiets pour les frères de Reine. Maurice 25 ans est dans un maquis de Dordogne sud, Robert, pas encore 18 ans, dans un maquis proche du Limousin.Anecdote : Un jour allant voir des cousins de Reine près de Bergerac nous sommes arrêtés par les gendarmes en limite Gironde - Dordogne, sur ce territoire; contrôle du disque blanc à l'arrière des vélos et des papiers. Ma C.I. est au nom de Jean Aimard (j'en ai marre). Elle porte le tampon de la Mairie de Francs, commune très voisine, en Gironde. Le chef gendarme me demande si je suis parent avec un de ses adjoints, originaire lui aussi de Francs... je crois que oui, mais... je ne repasserai plus par là de quelque temps. J'ai eu des missions à La Rochelle et au port de La Palice. Dans les Landes, confirmation de l'installation d'une station TSF grande puissance à Laboueyre, liaison avec les navires en Atlantique. Je vais à Saint Paul les Dax, voir un collègue radio de 36/38 C..., sous chef de gare. Je le tâte, peut-être pourrait-il me renseigner ou me faire connaître quelqu'un qui me renseignerait sur le trafic ferroviaire. Je dois vite changer mon approche, il est pétainiste, pro allemand. Il disparaîtra à la libération. Au retour nous nous arrêtons dans une ferme pour ravitailler. La fermière n'a rien, rien, même pas des oeufs. Pendant que nous discutons, une voiture allemande s'arrête et charge deux quarantainiers (13 douzaines d'oeufs). Merci beaucoup ma "bonne dame". Au nord de Bordeaux, au poteau d'Yvrac je vois des antennes peu courantes, je le dis, l'écris croquis à l'appui. Au retour de courrier, demande de précisions. C'est un centre de détection d'approche d'avions encore inconnu à Londres, pas le système radar, la station d'Yvrac. Mi-mai. Mission hors du périmètre initial : Le PC de la Panzer 10 a disparu ! I1 pourrait être dans un château, le long de la Loire en ayant camouflé ses totems. Comment, comment le retrouver ? I1 faudra voir la grosse densité des rames de fils téléphoniques ou le disque sur poteau indiquant un PC... D'Orléans nous descendons la Loire en visitant tous les châteaux, 100 à 120 Km par jour en zig zag et Reine en herborisant. Rien, rien jusqu'à Tours. A Azay le Rideau (le Brûlé) la joviale patronne de l'auberge dit qu'il y a beaucoup d'officiers allemands et des tanks à 1'"Ile Bouchard". Allons y, nous voyons beaucoup de monde de l'autre côté de la Vienne. Nous sommes sur une petite plage, à Tavant je crois, avec des baigneurs. I1 est interdit de circuler sur l'autre rive, je décide d'y aller, en amoureux, ça peut passer mais Reine ne sait pas nager et la Vienne aurait 6 à 8 m de profondeur. Je la fais s'accrocher à mes épaules et l'emmène, nous sommes trop bas au bord de l'eau, nous ne voyons rien. Au retour, commentaires et mots désagréables des témoins sur mon inconscience. Il y a un loueur de barques, victoire, debout sur la plate. Je vois des véhicules avec un disque de PC divisionnaire. Tour à vélo, mais on ne s'approche pas du lieu, c'est bouché à 500 m. Les rames de fil qui convergent indiquent un gros PC. Un va et vient d'estafettes motos en confirme l'importance. Hurrah, la Panzer 10 est localisée. Je fais mon rapport et reçois une nouvelle mission : Il y aurait au Pouldu (Finistère) un mur défensif énorme. On l'appellerait "Mur de Bretagne" ! Je trouve cela farfelu. Il existe un bourg "Mur de Bretagne" mais il est dans les Côtes du Nord. Le Pouldu étant en zone interdite, il faut un laisser passer spécial pour y accéder. Je demande confirmation de la mission. Avant son arrivée je reçois une nouvelle mission tout aussi facile et simple : Central téléphonique du Mans, lignes téléphoniques aériennes et souterraines, moyens éventuels de défense, possibilités d'investissement ! avec au passage : Localiser le standard du PC d'armées basé au Mans. Tout simplement. Nous sommes le 2 juin 1944. Le 3. Au matin nous prenons le train après avoir vu y embarquer nos vélos, nous devrons changer de train à Saint Pierre des Corps. Nous arrivons l'après-midi dans cette gare et cherchons nos vélos. Le wagon bagages a été décroché par erreur à Poitiers, il arrivera dans 2 ou 3 heures... La gare de Saint Pierre n'existe plus, bombardée il y a quelques jours, des voies ont été remises en service. Le soir, nous subissons un bombardement par des avions à Croix de Lorraine. Nous nous écartons pour la nuit que nous passons dans un poste d'aiguillage, "Poste U". Au matin, le 4 juin toujours pas de vélos. Recherches, réclamations, sans les vélos nous serons très handicapés. La mission était qualifiée de très urgente, nous partons, nous verrons au retour si nos bécanes sont là. L'après-midi nous montons sur un train de marchandises, le seul en direction du Mans. Il nous arrête à Ecommoy. La voie est coupée. Nous passerons la nuit dans un petit hôtel, prés de la voie ferrée non loin de la gare. Il n'y a pas de fenêtre à la chambre, une simple lucarne. Par sécurité je regarde toujours s'il y a une possibilité de fuite. Je monte sur une chaise, glisse mon regard et j'aperçois un monstre, caché de part et d'autre, bien visible de ma lucarne. C'est une locomotive à laquelle est attelée une énorme charrue. Cet engin a été prévu pour arracher les voies ferrées en cas de débarquement. Nul ne savait ou elle était terrée. En mars/avril je l'avais cherchée dans les Charentes où elle avait été signalée. En vain. Le 5. Un car nous amène au Mans. Nous suivons les rames de fils pour voir la convergence, c'est-à-dire le lieu du standard téléphonique allemand. Des kilomètres à pied. Je crois savoir, demain la confirmation. Dans la nuit les sirènes d'alerte et le bruit d'un bombardement lointain. Au petit jour nouvelle alerte, il faut aller aux abris et ça dure 2 heures environ, interdiction de sortir, la défense passive veille. On bavarde Certains, ayant écouté la TSF, ("la radio" n'est pas encore utilisée), ont appris le débarquement allié. Des colonnes U.S. déferleraient dans plusieurs directions. Me souvenant des débarquements d'AFN et d'Italie je pense que c'est de l'intoxication. Un de mes voisins d'abri est ingénieur PTT, il a l'air d'être "bien pensant". Je me jette au feu et lui dévoile une partie de ma mission : le plan du Central, il sourit, c'est facile. Fin d'alerte, il part me disant de l'attendre. Je mets Reine en surveillance à distance. Il revient avec des plans, ma mission est presque réussie. Je passe voir la structure du Central, non fortifié, sans défenses apparentes, prends quelques notes et nous partons avant l'arrivée des Alliés... Un tour a la gare au cas où nos vélos... Pas plus de vélos que de trains, nous quittons la ville du pont en X, à pieds. A la sortie une camionnette nous prend jusqu'à Ecommoy. Je vais risquer un regard, la loco est toujours là et... MARCHE ! Nous sommes sur une Nationale en direction de Château du Loir. Un car paraissant surchargé va nous dépasser, je fais de grands signes pour l'arrêter, en vain, le car continue sa route assez lentement. Il est à 250/300 m de nous quand j'entends des avions derrière nous, ils arrivent dans l'axe de la route. Je pousse Reine au fossé et me jette dessus. Je me suis retourné, "un cavalier doit voir la mort en face", m'avait dit le Rat Blanc. Au dessus de nos têtes, très bas, du rase mottes, je vois, dans un grondement énorme, passer deux monomoteurs à étoile blanche. Ils tirent, il y a des balles traçantes. Je les vois frapper le car qui va s'immobiliser sur la berme gauche, l'avant dans le fossé. Ce doit être un carnage. Je me souviens avoir entendu dire le matin, dans l'abri, que les U.S. avaient interdit tout mouvement sur les grandes routes du Nord de la Loire. Leurs avions tireraient sur les véhicules en mouvement. C'est la guerre, horrible, atroce. Nous n'allons pas vers le car. A 100 m en arrière il y avait une petite route allant vers La Flèche, nous irons par là. Nous coucherons dans une grange, près de Mayet. Nous n'avons pas de bagages, juste un petit sac à dos avec un minimum de choses, trousse de toilette, slips, chaussettes de rechange. Le 7. Nos chaussures cyclistes font mal et s'usent, nous faisons une dizaine de Km sur la poutre d'un trinqueballe, passons la Loire à Langeais et arrivons le soir à Azay où nous étions récemment. L'aubergiste, une brave femme de 45/50 ans nous demande sans malice si nous avons trouvé à l'ïle Bouchard les Allemands que je recherchais. Nous avions trop parlé, elle avait compris ! Le 8. Une camionnette SNCF nous prend à son bord. C'est un plateau 302 bâché. Nous sommes à l'arrière avec des sacs de sel, nous bavardons avec les deux hommes assis devant. Leur mission est le ravitaillement des cantines cheminots. Ils ne se cachent pas d'être de Résistance Fer. Je les félicite mais me tais, tant sur mes activités que sur mes rapports avec leurs collègues de Limoges. On ne sait jamais. Ils vont vers Parthenay et sont dotés d'un magnifique Ausweiss. A Loudun panne de pompe à eau. Il y a là un atelier auto allemand, des SS. Au vu de l'ordre de mission ils vont faire le dépannage, prélevant la pièce sur la voiture d'un médecin. La réparation se termine de nuit. Nous dînons et couchons là. Le 9. Nous continuons ensemble jusqu'à Saint Loup sur Thouet. Il y a une gare mais pas de train. Sur les quais, en plein soleil, des tonnes de beurre fondent attendant un transport. Il y aurait des trains entre Poitiers et Bordeaux. Nous allons à Poitiers en stop divers. Nous aurons un train pour Bordeaux le lendemain à 7 heures. Il faudra le prendre à la halte Saint Benoît à 9 km. Nous y allons passer la nuit. Hurrah, au matin le train est là à l'heure. Nous serons à Bordeaux le 10 juin à midi. Les vélos sont perdus. Rapport, courrier, attente des ordres. Enfin arrive une lettre de Jupin me demandant de le rejoindre à Lyon "pour le coup de collier final". Bien que la lettre fut personnelle j'emmenais Reine. Le BG est bloqué, il le sera souvent, nous prenons la voie par Toulouse Nîmes. Il faudra changer à Tarascon où nous arrivons en milieu d'après-midi, nous n'aurons un train qu'à 2 heures du matin. Rester à la gare est dangereux : contrôles; nous prenons une chambre dans un hôtel situé à 20 m. Réveillés à 1 heure nous nous préparons tranquillement et au moment de quitter la chambre, sirènes : Alerte. A la rue nous sommes poussés dans un abri. Il est déjà plein. Pas possible, ils devaient dormir là. Le comble c'est une dame à cheveux gris avec une casserole émail rouge sur la tête en guise de casque ! Le 20 juin. Nous sommes rue Jeanne d'Arc à Montchat et, très grosse surprises, aux côtés de Jupin nous voyons Nanette ! Maintenant c'est Maud, elle nous raconte son exploit. Les Allemands semblaient l'avoir oubliée à Limoges lorsqu'un jour de janvier 1944, elle apprit qu'elle serait prochainement transférée en Allemagne. Elle avait assez de connaissances pour simuler une crise d'appendicite. Elle fut admise à l'hôpital de Limoges, sous bonne garde. Les Religieuses qui géraient l'hôpital furent complices, médecins et chirurgiens français également. Quelques jours d'observation et pour retarder le transfert : opération. Cette opération fut exécutée un après-midi de mauvais temps du début février. Au cours de la nuit qui suivit, alerte aux avions tout le monde aux abris, les gardes aussi, que redouter d'une femme qui a eu le ventre ouvert 6 heures plus tôt ? La Mère Supérieure vint voir Nanette, l'aida à s'habiller et se chausser, lui posa sa cape de fourrure sur le dos et la conduisit dehors où elle dut enjamber un petit mur pour ne pas passer devant la grand porte. Nanette connaissait quelqu'un à Limoges. Trois heures de marche dans la neige avant de trouver l'asile ! Un peu de repos, changement de couleur de cheveux, de nouveaux habits et elle partit pour Lyon, 15 jours de remise en forme et elle reprenait son poste près du Patron, ce qui avait libéré ma chère Reine ! La surprise fut complétée par la présence d'Abel Argote, DAN il nous conta ses évasions : En liaison à Nice il est arrêté devant la porte de Baptiste. Il nie le connaître, le réseau, tout, et Alex ne le connaît pas... Doute, mais il est gardé, transfert vers l'Allemagne. En gare de Dijon changement de train. Ils sont 10 détenus gardés par six SS. Ils franchissent des voies et passent le long d'un convoi de travailleurs pour l'Allemagne. Dan a 33 ans, c'est un sportif, ancien champion d'Europe de boxe, 80 Kg, il entretient régulièrement sa forme. Une bourrade au soldat qui est près de lui, fonce à travers les volontaires du travail, attrape une rame en manoeuvre (comme moi) et disparaît. Sans papiers, sans argent, il parle avec un cheminot et lui dit qu'il était dans le convoi de travailleurs, étant allé chercher à manger, le convoi est parti sans lui. L'homme lui conseille d'aller à la Gendarmerie : " ils sont compréhensifs ". Il y va et il est remis aux Allemands ! Persistant dans ses dires il est classé insoumis au STO. Mis dans un convoi il arrive à Paris, caserne de la Pépinière. Ils sont là une quarantaine laissés peu après midi au milieu de la cour. Une sentinelle fait des ronds devant eux. Dan sort du paquet de ses collègues et donne des ordres. Il fait mettre les gens en rangs et les compte et recompte, la sentinelle s'est approchée. Il lui dit : - C'est pour la nourriture, je vais leur chercher a manger En petit nègre Hispano Allemand. Il va vers la porte où un Caporal allemand parle avec un civil, s'approchant par derrière du gradé il dit avoir son frère dans la cour et vouloir le voir. "Nein, nein" , et il est repoussé dehors ! A Paris il a des amis, il est sauvé et rejoint Jove. Le trio d'évadés est bien joyeux, le moral est au plus haut, la forme excellente, l'ennemi va nous subir. Jupin m'informe des instructions de Londres après mon évasion : Par sécurité : exécution ! Il avait des preuves de mon silence, les adresses de sa femme, Fourt, Tom, etc., et n'avait pas voulu appliquer la sentence... Jove me présente mon nouveau poste "Antinomy", arrivé la veille de Londres. C'est une belle valise de 50 cm de long. L'émetteur est plus puissant que le précédent. Il y a 3 jeux de quartz, 2 de jour, un de nuit, un code Q très spécial. Le soir même je réalise la première liaison. Elle sera suivie de très nombreuses, jusqu'à 8 heures par jour. Le PC est dans une petite villa de la rue Jeanne d'Arc non loin de l'usine de carburateurs Zénith et d'un hôpital. A l'arrière il y a un petit jardin d'environ 200 m2. J'ai trouvé une échelle, l'ai placée au fond du jardin contre le mur qui fait plus de 2m; derrière il y a un autre jardin, en cas d'alerte nous pourrions nous échapper par là. L'organisation du PC est la suivante : Jove, reçoit tout le courrier, trie ce qui va partir par valise ou par radio et va en ville voir des correspondants. Maud chiffre, déchiffre, frappe des télégrammes, Claude (Reine) tape aussi du courrier, fait à manger. Dan est le plus souvent en liaisons lointaines. Le trafic ferroviaire de la région est intense. A lui seul, c'est 8 a 10 télégrammes quotidiens. Entre 2 émissions j'aide à chiffrer et déchiffrer. Mon travail devient vite harassant. Je commence la matin à 5 heures par le "TRAM". Londres envoie "en l'air" des séries de télégrammes. Les correspondants à l'écoute prennent ceux qui les concernent, désignés par un indicatif propre. La transmission est lente. On accuse réception au cours d'une vacation de l'après-midi. Il y a longtemps que je n'ai pas manipulé et j'ai perdu le rythme, ma cadence n'est pas rapide ce qui entraîne de plus longues vacations. Heureusement à Londres les opératrices sont très patientes. Petit à petit je reprends la main, le poignet s'assouplit, je fais moins de fautes. A la mi-juillet j'ai la cadence. Le nombre des messages augmente chaque jour. J'arrive, au mépris de toute prudence, à "pianoter" 5 à 6 heures quotidiennes. Les messages concernant le trafic ferroviaire ne peuvent attendre. Nous avons jour après jour le relevé et les prévisions du triage de Lyon : tout passe par radio. Les RS sur les rampes de V1, et bientôt V2, qui arrivent tous les 3 ou 4 jours sont en grande partie expédiés aussi par radio. Deux fois par mois départ du courrier, des plans, par valise. Vers le 20 juillet. Une de ces valises doit être acheminée très vite. Dan est dans le Nord, Claude à Bordeaux (je conterai son odyssée), Jupin pense que je suis seul à qui il peut faire confiance pour porter ce courrier à Pont de Dore dans le Puy de Dôme. Je quitterai le train à Thiers, je dois donc amener un vélo. La mallette contenant environ 3 Kg de plans sur le porte-bagages, je me dirige vers Perrache. Je suis pris, surpris, dans un "entonnoir" d'agents de police et de miliciens. J'ai des papiers Marseillais au nom de Jean Mainard, né à Menton (plus d'archives), représentant, en traitement à Lyon pour syphilis. Je ne suis donc pas bon pour aller travailler en Allemagne mais il y a le courrier. Je discute, je dois prendre le train sinon c'est une journée de travail perdue. Les agents ne peuvent me laisser repartir sans 1‘accord du "2 ficelles" milicien qui est à 20 m de là. Je vais le voir, parle, discute encore. Je suis apparemment en règle mais ma C.I. n'étant pas Lyonnaise, je dois aller au poste pour confirmation de l'authenticité des papiers qu'il me rend. Je le remercie ostensiblement, reviens en arrière avec un grand sourire, salue gentiment les agents, enfourche mon vélo et au revoir. Le Chef Milicien très entouré ne peut pas me voir. J'ai un peu imité Dan, j'ai un peu refait le coup avec les Italiens, je suis heureux, fier. Il ne peut plus rien m'arriver, je m'en sortirai toujours...Parenthèse. La personne rencontrée à P.de Dore était un homme de 35/40 ans, as de 1‘aviation civile. En 1941 ou 1942, parti de France avec un hydravion, il avait forcé le blocus de Djibouti. C'était une vedette du gouvernement Pétain ! Le soir, retour à Lyon pour une vacation de nuit sur un quartz de jour, travaillant en doubleur de fréquence toujours très mauvaise. Sur les 3 quartz reçus, un seul a assuré toutes les liaisons. Je continuerai jusqu'à fin août en assumant, la dernière décade, jusqu'à 8 heures d'émissions quotidiennes sur ce même cristal. Délirant ! Il fait très chaud dans la villa, surtout devant le poste. Je prends 3 ou 4 douches par jour dans le jardin, au jet d'eau. Nous avons maintenant un maquis, dans l'Ain, à notre disposition pour des parachutages ou des atterrissages. Une bonne centaine d'hommes encadrés par des officiers et des sous officiers d'active. C'était du solide, ils l'ont prouvé. Des étudiants en médecine de Lyon, amis de Nanette, les avaient mis en rapport avec Jove. Je n'ai connu que Sermonnard "Le Coq" dont la mère avait une fabrique de soutiens-gorge. C'est Le Coq qui nous avait fourni les certificats de soins pour syphilis. Jupin avait fait livrer des Sten et des fusils ainsi que des tenues : Vestes et pantalons bleus à nos maquisards. Les cadres officiers et sous officiers étaient des anciens chasseurs, ils en furent ravis. Le tout était arrivé dans un parachutage près de Pont de Vaux. Le même jour par la même voie, début juillet, nous avions été bien ravitaillés : des armes de poing et des Sten, des vivres : Sucre, café, un costume pour moi mais la veste n'avait pas de poches extérieures, 2 pipes truquées pouvant recevoir un message dans le tuyau, (elles m‘échurent), 2 brosses à vêtement tout aussi truquées, 2 paires de chaussures à talon cache-document, et 2 valises en peau, à double fond. C'est avec une de ces valises à double fond que Reine partit à la mi-juillet chercher du courrier à Bordeaux. Les transports ferroviaires sont désorganisés, Dan ne peut aller à Bordeaux où il est trop connu, Jupin ne veut pas que Pébarthe connaisse le lieu du PC. Cette liaison intéresse Reine, elle verrait sa fille et ramènerait quelques vêtements et bricoles laissés chez ses parents Le G.B., est hors service, il faut transiter par Nîmes ,Toulouse. En 2 petites journées elle est à Périgueux et Bordeaux. Au retour les choses se compliquent. 40 Km après Bordeaux la voie est coupée, un train de munitions saute sur un pont, (feu d'artifice du 14 juillet ?..), halte à Langon. A la nuit le train ne peut repartir, il faut trouver un gîte. En route elle a lié connaissance avec deux couples qui vont dans le Vercors. En gare de Langon ils se dévoilent, ils ont des papiers allemands. Les autorités les font escorter à un hôtel, ils emmènent avec eux Reine et ses bagages. Dans l'hôtel qui se dit complet, des gens non déclarés sont éjectés et "Claude" a une chambre. Comme bagages elle a la valise double fond, une autre de vêtements et un petit poste T.S.F. enveloppé dans une couverture. Le lendemain, un dimanche, la voie ferrée n'est pas rétablie. Elle va à la gendarmerie voir Gilson, un de nos correspondants en titre mais clandestin. Elle se fait connaître. Il est inquiet mais la garde dans sa famille pour la nuit. Lundi toujours pas de train, Gilson l'a met dans une camionnette pour La Réole. Là elle monte dans un train de marchandises, sur un wagon de charbon vide. Un peu avant Montauban, alerte, évacuation du train à plus de 300 m (avec trois colis), fin d'alerte le train va jusqu'à Toulouse. La nuit se passe dans un cinéma faisant office de dortoir. Mardi elle trouve un train pour Nîmes et... au delà. Il s'arrête à Villeneuve les Avignons. Longue attente dans le train en pleine chaleur de juillet puis transbordement en car jusqu'au centre d'Avignon. Un couple est parti à pied, Reine bonne âme a promis de s'occuper de leurs bagages. Elle est là sur une place avec plusieurs colis, quand il y a aubade de sirènes : alerte aérienne. Elle ne peut bouger et attend stoïque. Le couple revient, il a trouvé un charbonnier qui, après avoir livré sa marchandise, retourne à Porte les Valence. Elle dormira dans une salle commune. La couverture qui enveloppe le poste lui servira pour dormir sur l'estrade. Le mercredi elle aura un train pour Lyon où elle trouvera Maud dans la villa vide, nous sommes partis pour un atterrissage clandestin. Depuis le début juillet nous voyons souvent un Commandant de l'Armée de l'Air : Bondon "Petit Paul". Il avait monté un Sous-réseau Air avec des aviateurs, couvrant toute la France. Lors de l'atterrissage, décrit ci-après qui eut lieu près de Pont de Vaux, il partit pour Londres. C'était la première fois que je participais à une de ces opérations. Nous sommes restés à l'écoute des messages de la BBC jusqu'à la confirmation que c'était bien pour ce soir là sur le terrain reconnu depuis 3 semaines par Jupin et Dan. Nous avions réétudié le terrain, de jour, pour être sûrs de ne pas faire d'impairs de nuit. La soirée s'est passée dans une ferme où nous devions revenir après l'opération. A la nuit noire nous étions en place, posant 5 lampes torches en L pour guider le pilote de l'appareil. Dès que nous l'entendîmes, nous allumâmes les lampes de balisage et Jove placé à l'angle du L avec une torche dirigée vers l'avion faisait en permanence une lettre en morse. C'était le signal de reconnaissance précisant au pilote que nous étions bien le comité de réception prévu. Moins de 5 minutes après le Lysander était arrêté au sol. Deux hommes descendirent et nous remirent 2 sacs (20/25 kg) de courrier, Petit Paul monta. Il s'est écoulé moins de 3 minutes entre le moment où les roues de l'avion ont touché le sol et le moment où elles l'ont quitté. C'était du travail bien fait, propre, net. Je n'ai jamais su qui étaient les deux hommes arrivés cette nuit-là. Quelques mots avec Jupin, directeur de l'opération et ils disparurent dans la nuit tandis que nous allions faire bombance à la ferme. Fin juillet. Londres décida de me gratifier, honneur, d'un code. Je choisis une phrase de "La mort du loup" , de Vigny :
Gémir, pleurer, prier est également lâche Fais énergiquement ta longue et lourde tâche Dans la voix où le sort a voulu t'appeler Puis, après, comme moi, souffre et meurt sans parler.
Début août. C'était accepté, je n'eus jamais à m'en servir. Comme mon unique quartz, le code de Jove assurait tout le trafic. Fin juillet également je reçus par parachutage un nouveau poste. Les parachutages étaient devenus routine, nous partions à midi et étions de retour le lendemain, notre maquis assurait protection et ramassage du matériel. Ce 2ème poste, fonctionnant sur batteries, pouvait servir pour assurer des liaisons pendant les déplacements. Nos Réseaux Air et Fer avaient pris beaucoup d'importance aux yeux de Londres et il ne fallait pas d'interruption. Ce poste était, je crois, de type C5, il comportait 2 parties grosses comme une boîte de 1 Kg de sucre. Je reçus aussi un ensemble électrogène.. Je détaille : Un support de vélo permettant à une personne de pédaler en chambre, sur place, une dynamo Lucas 12 V, se fixant sous la selle en haut de la fourche arrière avec un galet appuyant sur le pneu; une batterie 12 Volts et un convertisseur 12 V continu/110 alternatif; un chargeur grosse puissance. Ceci avait été rendu nécessaire pour deux raisons. Primo, à la suite des bombardements alliés le courant était souvent coupé de longues heures. Secundo, raison majeure, la détection radio allemande après avoir repéré une émission clandestine, avait des difficultés pour la localiser en ville. Les occupants faisaient alors couper l'électricité, quartier par quartier pendant cinq minutes. Si le poste arrêtait d'émettre, le secteur était reconnu, des voitures s'y installaient. L'émetteur localisé dans un groupe de maisons, une approche plus fine se faisait avec un opérateur en civil, un casque sous le chapeau relié à un récepteur orientable placé dans une mallette. Il arrivait ainsi devant la porte de l'émetteur. En pianotant sur la batterie entretenue par le chargeur, j'évitais les coupures de courant, mais la batterie n'étant pas de très forte capacité, il fallait qu'entre 5 et 8 minutes un "forçat" vienne pédaler. Cela m'advint deux fois fin août, Jove et Dan pédalèrent chacun 5 à 6 mn. Peu avant la lune d'août, nous fûmes prévenus du retour imminent de Petit Paul. L'atterrissage aurait lieu avec le S.O.E. (Spécial Opérations Exécutive) maître d'oeuvre principal. J'y allais en spectateur. Le terrain, situé à une quinzaine de Km de Tournus (S et L) me parut, lors de la reconnaissance de l'après-midi, peu conforme aux normes qui nous étaient imposées, mais c'était le S.O.E qui décidait, une ligne électrique et une rame téléphone, établies en V, coupaient ce terrain. Attente dans une ferme, à 20 heures la BBC passe le message espéré et à 22 heures nous allons sur le terrain. Je trouve qu'il y a beaucoup de monde. Ce n'est pas notre maquis basé dans l'Ain qui assure la sécurité, nous ne sommes que spectateurs réceptionnistes. Toutes ces personnes sur le terrain avaient leur utilité, tous les poteaux électriques ou PTT avaient été coupés à ras du sol, fils et bouts de bois emportés au loin, le terrain était impeccable à 23 heures. Le balisage était différent de celui que nous avions utilisé, il y avait, je crois, neuf lampes. Vers minuit, un avion bimoteur, de la U.S Air Force, un Locked Hudson se pose, sort de la piste et coupe les moteurs. Moins de 2 minutes après un deuxième avion, identique, se pose et prend la position de départ, lui aussi coupe les moteurs. Les deux équipages et une dizaine de personnes descendent, Petit Paul est parmi eux. Le S.O.E. sert le champagne à tout le monde, en donne une caisse par avion. Un quart d'heure s'est écoulé, les avions repartent. C'est ébouriffant, ahurissant. Après avoir remis au Comité d'accueil les nouveaux venus pour les ventiler, les 3 officiers du S.O.E., un français absolument bilingue et 2 anglo-saxons également bilingues disparaissent. Jupin et moi étions restés jusque là avec eux, nous allons voir notre ami qui est avec les arrivants auprès du chef réceptionniste. A ma très grande stupéfaction, je le reconnais, c'est le Lieutenant qui, à l'école de Gendarmerie de Romans, était mon chef de Section. C'est lui qui avait établi et signé mon acte d'accusation. Sous le pseudo de "Condé" il s'était retourné au vent de l'histoire... Paul revenait avec une mission précise, suivre les Allemands dans leur retraite, replier avec eux jusqu'au fond de la Germanie. Ne connaissant pas le radio qui lui était affecté pour cette opération à gros risques, il avait mis comme condition que j'accepte de partir avec lui, Jove héritant du nouvel opérateur. Jupin a grogné, rechigné mais a fini par s'incliner et j'ai accepté. Il fallait attendre mon remplaçant et Paul pensait qu'il était inutile de partir tant que les avant-gardes alliés ne seraient pas à 40/50 Km de Lyon. Vers le 24 août, (à 24 heures près). Un matin je pris comme d'habitude le Tram et un peu avant 08 heures ouvris mon poste attendant l'appel de Londres. C'était la procédure, ne pas me dévoiler tant que je n'avais pas un opérateur en face. Une petite minute avant 08 heures j'entendis l'appel et répondis. Surprise le correspondant annonça N QRX QBS : pas de vacations ce jour... Le patron pensa et tous avec lui, qu'avec l'avance très rapide des Alliés venant du Sud, il devait y avoir des embouteillages dans la vallée du Rhône et d'autres priorités. Aux environs de Lyon les F.F.I. faisaient feu partout, Villeurbanne dont nous dépendions était pratiquement encerclé, Paul commençait à parler départ. Le lendemain même scénario, à 5 heures Tram, peu de choses et à 8 heures : N QRX. Jupin grogna, il y avait plus de 20 télégrammes chiffrés en instance d'envoi. Il me demanda d'appeler et d'insister, je dus sortir les notes d'utilisation de la radio. Le clandestin ne doit jamais appeler le premier. Il doit attendre les appels de la Centrale de Londres. C'étaient très net. Le soir, bien entendu, nous écoutions la BBC et les messages qu'elle diffusait. A notre très grande stupéfaction nous avons entendu tout au début :"Oh, Jupiter, que de messages vous attendent !" Ce fut répété en fin d'émission. Au réveil le Tram, Jupin, Maud tous étaient là et on décode une phrase : "pourquoi ne répondez-vous plus ?" Jove me regarde de travers, le petit déjeuner est très silencieux. A 08 heures, j'entends encore l'indicatif et N QRX, je m'insurge et "pompe, pompe" , j'annonce 10 télégrammes. J'entends alors 2 postes : L'un dit toujours N QRX et l'autre plus faible, légèrement décalé : envoyez. Je fignole le réglage récepteur mais il y avait une superposition des correspondants. J'envoie des messages un peu à l'aveuglette, pratiquement "en l'air". Une heure de piano et je donne QRX à 10 heures, avec le code Q spécial. A 10 heures tout va bien, nouveaux QRX toutes les heures paires. Une heure d'émission chaque fois. Dan et Claude sont à 50 m de part et d'autre de la maison guettant l'arrivée de la Gonio. Quelques jours plus tard nous avons trouvé l'explication. Les F.F.I. encerclant Villeurbanne et Montchat, les Allemands ne pouvaient y introduire leurs voitures gonio. Ayant repéré ma seule fréquence, relevé ma série d'indicatifs, ils étaient entrés dans le circuit pour me faire taire ! ils ont par la suite très souvent brouillé ma fréquence réception mais Londres recevait mes télégrammes. Ce même jour arrive, en fin d'après-midi, "Belzébuth" mon radio remplaçant. C'est un homme d'une quarantaine d'années, chafouin, lunettes, l'air craintif, peureux même. Il est très bon opérateur, c'est un professionnel. Pendant 24 heures nous faisons ensemble les vacations et je pars avec Paul emmenant mon petit poste émetteur. Nous allons d'abord chez lui à Lons le Saunier, je fais deux vacations et nous continuons notre route cahin caha. Paul ne peut pas faire de longs Km en vélo, les routes sont encombrées de soldats et de collabos en fuite, les transports en commun inexistants, c'est une pagaille monstre, pire peut-être que l'exode de 1940 dans l'autre sens. Nous dépassons Besançon et arrivons à Rioz où il a des parents. Là, mon poste tombe en panne, le tube d'amplification est défaillant. C'est un modèle inconnu à Rioz, je reviens à Besançon avec Paul. Les Allemands ne nous regardent pas, les Fifi. nous font peur. je continue, traverse les premières lignes et arrive à trouver un Capitaine US Signal Corps : Les transmissions. Il regarde ma lampe et dédaigneux laisse tomber : This is English, no US. Je dois revenir à Lyon. Ça va très vite, camion US puis F.F.L. Quand j'arrive il y a encore des ponts qui sautent, des tireurs isolés sur les toits, c'est, je crois bien, le 3 septembre. Paul est resté à Lons, chez lui, attendant mon retour. A Montchat étonnement mais Jupin est très content, Belzébuth n'a pas réussi une seule vacation en 3 jours, il n'a pas pu régler le récepteur...??? Le patron l'a renvoyé. Cet homme était très dur, il n'admettait aucune défaillance. Une anecdote pour l'illustrer : Vers le 10/12 août une liaison est impérative vers Bordeaux. Les trains sont encore plus aléatoires que lors du voyage de Claude. Il faut envisager une semaine par trajet, soit une quinzaine aller retour. Un des jeunes toubibs propose d'utiliser une jeune femme très sportive, habituée à parcourir de très longues distances sur sa bicyclette. Elle dit pouvoir faire l'aller retour en 6 jours. Deux fois 450 Km par les routes bossues et tordues du Massif Central, Jove est d'accord. Le 6ème jour elle n'est pas là. Elle n'arrivera qu'au soir du septième et nous la verrons le lendemain matin. Le patron prend la mallette qu'elle apporte et sans un mot la congédie. Elle n'a pas tenu parole, il ne la reverra jamais. Il est heureux que Belzébuth n'ai pas fait son travail. En sortant pour aller aux provisions, le jour de son renvoi, Reine aperçut l'homme aux écouteurs et à la mallette. Au bout de la rue un fourgon de la Wehrmacht avec antenne mobile sur le toit était arrêté... Avec mon retour signifiant en grande partie l'échec de la mission Petit Paul, et la libération de Lyon en sus, Jupin pensa tout de suite prendre la mission de Paul à son compte. Il avait malheureusement eu à faire avec les "Milices Patriotiques". Étant allé benoîtement à la Préfecture demander un laisser passer pour la traction avant qu'il achetait, il se vit traiter de collabo en fuite. Aucun de nous n'avait des papiers attestant notre appartenance aux Services Secrets de sa Majesté... qui en avait ? Porteur d'une carte d'identité au nom de Népomucène Niepce, il fut accusé de faux, ce qui était bien vrai, d'utilisation très frauduleuse d'identité, d'appropriation d'un nom illustre... L'un de ses interlocuteurs était un Niepce, descendant direct de Nicephore ! En attendant que les services alliés fassent le nécessaire pour le faire reconnaître, il fut ramené sous escorte rue Jeanne d'Arc. Ses gardiens voulurent désarmer notre arsenal et réussirent à loger une balle dans un pied de Dan. J'étais arrivé le lendemain de ces faits. Jove était reconnu, les gardiens étaient repartis avec quelques provisions de munitions. Nous n'avons pu partir de suite, il y avait le réseau à mettre en veilleuse, des formalités à remplir, des papiers à renouveler, des autorités à voir. Le Major A.J. Thomas vint nous saluer. C'était le correspondant à Londres de Jove. Discussions, explications et feu vert pour la mission sur les arrières allemands, mais il y avait un changement, nous devions passer par la Suisse pour entrer en Allemagne. Laissant Dan à ses pansements nous allons le 8 septembre aux Condamines, à Lons, chez Petit Paul. Il y a du lait, des fromages (Bel), des légumes mais pas de viande. Nous tuons un mouton, une balle dans la tête, vite fait. Il fallait le dépecer, Reine savait. Elle nous apprit à décoller la peau avec une pompe à vélo et à séparer les morceaux. De là nous allons aux Rousses. Jupin est tout heureux de nous y conduire au volant de sa traction avant. Petit Paul (vexé) ne viendra pas. Nous logeons Jupin, Maud, Reine et moi dans un hôtel où nous attendons les nouveaux papiers nécessaires. Les habitants nous montrent un charnier d'une vingtaine de leurs parents, massacrés par des Waffen S.S. Russes qui ont arraché les dents en or. Les journées d'attente sont longues, nous écrivons, jouons aux cartes, Maud dit la bonne aventure. Je n'ai jamais cru à la valeur de ces choses, mais un après-midi je me laisse faire. Maud étale les cartes, en retourne, pâlit, s'arrête, les brouille et dit : je me suis trompée. Elle recommence, je vois qu'elle tire des cartes noires, des piques, elle s'arrête à nouveau et renvoie la séance après le thé. Elle n'a jamais plus essayé de lire les cartes devant moi... J'en ris toujours. Elle aussi, aujourd'hui. Au bout d'une semaine, mission annulée, j'en suis content. Paul parlait allemand mais n'était plus avec nous, que pouvions-nous faire, nous quatre qui ne parlions pas cette langue ? Repos, allez chez vous, attendez les instructions. Reine et moi allons à Bordeaux chez notre ancienne logeuse, la mère Guipouy à qui nous pouvons enfin révéler nos activités. La pauvre femme se demandait si nous étions des clandestins ou des provocateurs collabos. Nous allons bien sûr souvent chez les parents de Reine voir sa fille, ses frères sont toujours en guerre, Maurice, sergent chef au 126 R.I et Robert avec son maquis à Marennes. Il y a toujours des nids d'Allemands à Royan, Cognac et aussi rive gauche de la Gironde, au Verdon. En décembre nous apprenons que des éléments de la 2ème D.B. vont arriver pour donner l'assaut à ces poches. Un Régiment Légion est prévu à Bordeaux et des affiches ignobles couvrent la ville on y lit : "Commerçants attention, fermez, barricadez vos magasins, les VOYOUS de l'armée d'Afrique arrivent". Bordeaux qui en 1940 a accueilli, sur le pont de pierre, les Allemands avec des fleurs et le drapeau nazi sur l'hôtel de ville, rejette nos soldats ! L'offensive Von Runsteedt annule le déplacement des troupes. C'est dommage. La guerre continue hors du territoire français, la clandestinité est terminée pour nous. Après ces 3 mois de repos passés à attendre une nouvelle mission pour le service de Sa Majesté, nous allons être transférés aux services de notre Pays. Nous sommes inquiets pour l'avenir. Aurons nous des chefs aussi capables que Jupin qui était un professionnel du travail clandestin. Il avait su nous inculquer le devoir du silence dans tous les actes de tous les jours. Grâce à cette discipline bien acquise, respectée (et les évasions), notre réseau n'a eu que 5% de pertes. C'est peu, très peu comparé à ce que nous voyons et entendons dire dans ce Bordelais qui n'était pourtant pas une région de grande Résistance. Après guerre nous apprendrons que des réseaux français ont eu des pertes de 80% (C.N.D.) et même 90% (Alliance).

1945

D.G.E.R.

S.A.A.R.F.

Spécial Allied Airbone Reconnaissance Force

B. DOC 9000

Au mois de janvier. Nous sommes affectés à la D.G.E.R. à Paris, les Anglais nous ont transférés à l'Armée française avec nos grades d'assimilation. Reine est : chargée de mission de 3ème classe, assimilée sous lieutenant. Maud est chargée de mission de lère classe, assimilée capitaine et je suis chargé de mission 2ème classe, assimilation lieutenant. Je suis désormais en tenue avec une barrette 2 galons, j'ai une carte d'identité militaire à mon vrai nom, délivrée par le 45ème Régiment de Transmissions, le brigadier chef de Cavalerie de 1939/1940 finira la guerre officier dans une autre arme. Ma fanfaronnade d'août 1939 est presque réalisée. Nous avons maintenant une solde militaire, 3.500 F pour Reine, près de 5.000 pour moi, abondance. Nous mangeons dans les mess officiers, beaux, bons, bien ravitaillés, très peu onéreux, nous avons des chambres conventionnées dans des hôtels type 2 étoiles. Avec nos soldes nous renforçons vite nos garde-robes bien maigres. L'armée est l'enfant chéri de la Nation (pas pour longtemps), le métro est gratuit en uniforme. Partout, dans tous les magasins, nous sommes accueillis avec empressement. Nous allons aux Galeries Lafayette faire des achats pour Colette, la fillette de Reine. La vendeuse nous voyant (en uniforme tous les 2, avec nos décorations) indécis sur des articles ersatz dit : "ce n'est pas pour vous !". Elle part à la réserve et nous ramène des articles en coton et en laine d'avant guerre. À la caisse on ne veut pas de nos points textiles. C'est beau la Victoire ! Reine est affecté Rédactrice au Cabinet du Directeur des Services Techniques. Je vais aux Transmissions, il y a pléthore d'opérateurs sous-lieutenants et, avec 2 collègues, je suis mis au Service des achats et approvisionnements. Je tourne tout Paris avec une fourgonnette ou en moto, je vais même me couvrir, non pas de gloire mais de honte, en allant à Cherbourg chercher 5 tonnes de fil de cuivre. Ils devront prendre le train, le chef de dépôt US, me dit ce sera prêt demain; le lendemain il me tend une lettre de voiture, c'est chargé. Je vois 5 tonnes et signe sans lire. Il était inscrit Iron (fer) et non Wire (cuivre). À l'arrivée, imaginez les félicitations. Je suis perturbé. C'est toujours la guerre et il me démange d'être encore dans le coup. En mars on demande des volontaires pour être parachutés en missions de libération des prisonniers. Je m'inscris. L'unité, formée en Grande Bretagne, s'appellera S.A.A.R.F. Spécial Allied Airbone Reconnaissance Force. Réunion préalable avant départ en Angleterre, nous sommes 45 retenus après qu'il nous ait été précisé qu'il y aurait beaucoup de pertes, sans doute 75% ! Je décide que je serai dans les 25% de survivants. Na ! Le niveau est dans l'ensemble très relevé, avocats, notaires, directeur d'assurances et aussi deux tueurs très sympas. Presque tous ont été soit prisonniers de guerre, évadés ou libérés en tant que pères de famille nombreuse tel Coq, avocat en Conseil d'État, père de 4 enfants. Jupin est resté à Paris. Avec Maud ils s'occupent de la liquidation du réseau, des veuves, des décorations. Mon adhésion à cette mission inquiète Jupin. La veille de mon départ pour l'Angleterre il me remet une lettre pour le Major A.J. Thomas. Un Dakota nous pose à Croydon, je demande l'officier de sécurité et lui remets la lettre. Le camp de rassemblement est à Stains, une quarantaine de Km de Londres. Nous rencontrons là une cinquantaine de collègues de plusieurs nationalités : 6/8 anglais, autant de U.S., 6 belges dont 2 femmes, une quinzaine de polonais, 2 norvégiens et 2 néerlandais. La grosse majorité est donc française, nous avons tous des grades d'officiers, sous-lieutenant à capitaine. S.A.A.R.F. est directement aux ordres du S.H.A.E.F., Suprem Head Quarter Allied Expeditionnary Forces, commandé par Eisenhover. Nous gardons nos uniformes avec les badges Free French Forces en haut de la manche et plus bas ceux de SHAEF et SAARF. La boutade est : Free French pour les filles,. SHAEF pour les Allemands? SAARF pour la gloire. L'unité est commandée par un Général britannique : Nichols spécialiste, paraît-il, des coups fourrés, ancien des L.R.D.G., Long Range Desert Groupe, une référence. Un Major anglais est responsable des " métèques ", tous ceux non français. Il y a un médecin commandant français : Grand George, son rôle nous échappe. Notre Squadron Leader est le Commandant Jacques Foccart, future éminence grise du Général de Gaulle. Il me confie que sa famille a des attaches à Monaco où son oncle fut aumônier de l'hôpital. La mission est précisée. Nous serons largués par stick de 3 dont un radio, près ou dans des camps de prisonniers. Nous ferons parachuter des armes et une ou deux sections de S.A.S. But officiel : Éviter le transfert des camps ou leur extermination lors de l'avance alliée, but réel créer des îlots de trouble sur les arrières allemands. Nous serons parachutés en tenue, avec un ordre de mission, Croix Rouge émanant du SHAEF signé personnellement par Eisenhover. Nous apprenons à bien connaître les rouages et détails de la Wehrmacht et des S.S., le fonctionnement des camps de prisonniers et de déportés. Nous faisons connaissance de l'armement individuel ou léger allié ainsi que du similaire allemand. Presque tous les Français, au moins les 2/3, parlent allemand, pas un l'anglais ! Seul à bredouiller quelques mots, je suis promu interprète, pourtant Iron et Wire... Foccart m'apprend que sur intervention des Services de sa Majesté je serai second ou leader de team. Je ne serai pas astreint aux 2 heures de lecture au son quotidiennes. Des équipes se forment au gré des sympathies. Il en sera tenu compte mais il faut un germanisant par team. J'ai retrouvé Marcel Desfossés, connu en 35 quand je faisais mon stage d'opérateur radio à Versailles. Il se raccroche à moi, ne me quitte pas. Mes sympathies vont vers Taillebout, P'tit Louis parisien gouailleur, spécialiste d'attentats en tous genres. Il est aussi évadé de la Gestapo. Son radio de la clandestinité, Pierre, l'a suivi et formera équipe avec lui, tous deux parlent la langue de Goethe. Le team est agréé. Pour être parachutés il faut avoir suivi un stage de parachutiste. Mi-avril nous allons à Ringway en Écosse. Il n'y a que les Français, certains sont déjà passés par là, des radios surtout, mais veulent revenir. Nous y arrivons un dimanche soir. Dès le lundi matin nous passons d'un agrès à l'autre, nous faisons des roulés boulés. Une journée : 8 heures d'enfer. Mardi même travail, nous avons mal partout, l'un de nous arrête, il ne sera plus avec nous. Mercredi il y en a une demi douzaine qui parlent d'en faire autant mais continuent. Au mess nous nous cramponnons à la table pour nous asseoir, nous avons mal partout, le dos, les muscles, les os sont très douloureux. Nous avons bien subi plus de 3 semaines de P.T. (Physical Training), mais ce n'était pas aussi intense. À la fin du repas de midi nous apprenons que nous ferons un saut de ballon captif l'après-midi. C'est un soulagement de ne pas reprendre l'entraînement au sol. Mieux vaut le risque du saut que la torture physique. P'tit Louis, Pierre et moi nous nous précipitons et avec Desfossés qui ne me quitte toujours pas, serons du premier stick. Nous prenons place par 4 avec un sous officier largueur dans la nacelle, nous montons à 120 m. Il y a 2 autres ballons captifs avec un même équipage. P'tit Louis me dit "à toi l'honneur". Je suis le premier à la porte, la gorge serrée. "Action Station"... GO. Je tombe, tombe, je bascule, les pieds remontent, j'agite les bras pour essayer de me redresser. Je veux voir ma mort ! Tout doucement je me sent relever, tirer vers le haut par les suspentes, je vois arriver le sol et me fais sermonner par l'officier D.Z. (Drop Zone) : - Les bras, comme un oiseau... pas ploum (plumes), ça ne sert qu'à faire mal.Le lendemain matin, jeudi, saut de Dakota à 250 m. Un seul parachute dorsal, pas de ventral. Il est donc inutile de monter plus haut Rotations accélérées, économies de carburant. L'après-midi ballon à 150 m avec leg bag, sac de 30 Kg attaché à une jambe. Dès l'ouverture du parachute il faut le laisser glisser au bout d'une corde de 4m. Délesté du sac on arrive normalement. Cette journée malgré les 2 sauts est une journée de repos. Le soir nous allons boire une (?) bière au Pub, situé à l'extérieur du camp. Une grande salle avec balcon en bois à l'étage. Des paras ou apprentis paras de toutes nationalités boivent bière sur bière. Quelques uns, rares, dansent avec des WACS, les auxiliaires féminines de l'armée. P'tit Louis a essayé d'en séduire une, sans un mot d'anglais, dès la dimanche soir. Le lundi il confie "on ne peut pas leur faire un doigt de cour, elles ont des culottes black out". La prude et prudente Albion faisait porter, sous la jupe de ses filles, des culottes descendant jusqu'au genou ou elles étaient serrées par un élastique. Le pub fermait à 22, pardon 10 heures p.m., mais peu après 9 heures une dispute entre 2 ou 3 individus dégénère en bagarre générale : Polaks contre British, Scandinaves contre Flahutes, ou inversement. Nul ne sait pourquoi, simple plaisir de se battre, de se défouler. Les WACS sortent, très prudemment nous en faisons autant. Le vendredi matin Dakota avec leg bag. Nous sommes tous très heureux mais dormons dès la fin du saut. À 14 heures, 2 heures post méridian briefing : ce soir. nous serons largués de nuit, en civil, sans papiers, sans argent entre 50 et 80 Km de Londres. Nous devrons rejoindre au plus vite Stains. La police du comté sera alertée sur l'arrivée possible de Paras ennemis. J'écris à Reine : Quand tu recevras ce mot je serai breveté para. Je te télégraphierai de retour au camp. Le télégramme arrivera 3 jours après la lettre. Je dois être largué sur une bande de terre entre un canal et une route, à 50 Km au nord de Londres, favorisé, il en faut. Dans le Whitney je n'en mène pas large, sortie par la trappe : un cercle de 80 cm de diamètre. Pour l'éjection il faut s'asseoir jambes pendantes dos à la marche de l'appareil. Au "GO" il faudra se propulser dans le vide et croiser les bras devant la figure. Il est arrivé à certains de recevoir la carlingue en pleine tête ! Lumière rouge...verte : "GO". Je saute d'environ 1000 pieds, 300 mètres. Parachute ouvert, j'ai le temps sous la pleine lune de bien voir le paysage. M... Zut, je vois le canal qui brille sous moi, j'y vais, j'y vais. La main sur le boîtier qui libère le parachute. J'attends le moment où les pieds vont entrer dans l'eau pour le larguer. Boum, je suis assommé et me réveille endolori sur une petite route goudronnée qui brillait, brillait sous la lune. Saut de nuit, émotion, crispation, je n'étais pas arrivé d'aplomb. Je plie le parachute, le glisse derrière une haie et pars vers le Sud Ouest pour trouver, si mon largage a été correct, une route direction Sud, vers Londres. J'arrive sur cette voie un peu après minuit. Je suis très attentif à tous les bruits. Après l/2 heure de marche je traverse un village. Alors que je suis au milieu du bourg arrive derrière moi un camion ferraillant. Je fais signe, c'est un camion chargé de bidons de lait qui s'entrechoquent. Le conducteur, bon gros père réformé pour une jambe plus courte est heureux de pouvoir bavarder, bien que la discussion ne soit pas aisée entre son accent Cockney et mon mauvais anglais. Je dis être Free French venu au village voir une fille. Cela semble l'émoustiller, il voudrait des détails. I dont... Vers 3 heures nous sommes à Londres. Une heure de marche et je suis à Victoria Station. Train à 7 heures, j'arrive à Stains, sans billet, shocking, pour le petit déjeuner. Je suis le premier mais accusé d'avoir triché avec le camion. Certains collègues n'arriveront que 48 heures plus tard dont P'tit Louis qui affirme avoir dormi 24 heures dans une grange avant de prendre la route : 90 Km. D'aucuns seront récupérés dans des postes de police... Tous nos collègues d'autres nationalités ont disparu. Où ? nul ne sait, sans doute déjà largués en Germanie. Nous continuons à être réveillés chaque matin par un Quarter Master qui entre dans la chambre en criant Pi Ti Sir et il y a les entraînements : tirs, parcours du combattant où on rampe bien plat, une mitrailleuse tire à balles réelles 50 cm au dessus de nous. Le 6 mai. C'était la St Jean, notre team perçoit le paquetage de saut. Stand by à l9 heures, attente, à 20 heures mission annulée. Deux autres teams qui étaient avec nous partent. Le lendemain, 7 mai, Foccart me convoque : je suis rappelé d'urgence à Paris, cause d'annulation de notre départ. Je ne suis pas content et le lui dit ouvertement. Rien à faire, je dois aller au bureau transit passagers à Londres, pour avoir une place. Dans la matinée message de Reine : "ne t'inquiète pas, Jupin à tout arrangé", je ne comprends pas... À Londres j'apprends la nouvelle, demain 8 mai Armistice. Je veux voir ça à Londres, pas sur un bateau. Je demande donc une place pour le 9 ou le l0. Ce sera le l0, à 08 heures, à Portsmouth. Je passe la journée du 8 à Londres avec Pamela, une jeune infirmière de l9 ans, Désfossés fréquente sa mère. Big Ben n'arrête pas de carillonner. Partout c'est du délire, où est le flegme British ?? Tous les pub sont complets, la bière coule à flots, la foule rit, chante. Nous entendons : "Go to Buckingham", la masse humaine nous entraîne, c'est du jamais vu. L'esplanade devant le Palais Royal est noire de monde, tous crient : - We want George, G.E.O.R.G.E. En épelant, hurlant chaque lettre et en avançant vers les grilles. Les parterres de fleurs, les pelouses sont piétinés (shocking, indeed). Les Horses Guards bousculés, embrassés par des centaines de femmes en perdent leur bonnet à poil. Environ toutes les 30 minutes, le Roi parait au balcon, la foule pousse 3 Hurrah et s'écoule laissant la place à une nouvelle vague humaine. Nous l'avons vu ce matin, nous l'avons revu le soir, la marée humaine ne s'est pas arrêtée. Passant devant les pub nous sommes interpelés : "Come in, drink with me boy. Ho, Free French, good lascar". Ça se répète l0 fois. J'ai eu trop d'accolades et de bières. Nous nous réfugions à Hyde Park. Les orateurs prédicateurs habituels montés sur une caisse, n'ont pas d'auditeurs, ils sont bousculés, renversés par des farandoles de femmes, de filles, de militaires, de civils chantant, hurlant. Nous cherchons refuge, les jambes très lasses, au Cumberland, un grand hôtel face à Marble Arch. Là aussi le calme est relatif, même le personnel habituellement stylé, discret, parle haut et fort. Nous dînons quand même et bien, puis, bonne nuit, Pamela est "on duty", je rentre tard à Stains. Je suis très heureux d'être resté, la guerre 14/18 était celle des Français, celle qui vient de finir était celle des Anglais. Ils l'ont gagnée en payant très cher de leur sang, de leur vie. Le 9 mai. Je reviens à Londres prendre le train pour Portsmouth. La ville est dans un état incroyable de saleté, recouverte de papiers, d'ordures. Des pochards par dizaines, hommes et femmes dorment dans les shelters, les abris du "TUB" qui est dans un état épouvantable. Je n'aurai jamais cru cela possible. J'embarque à bord d'un L.C.I. Américain avec 2 boîtes de rations U.S. Je suis seul passager, pas de cabine, pas de bar. La journée est longue. Nous arrivons au Havre de nuit, Jeep jusqu'à la gare, train. Le lendemain 11 mai je suis à Paris. Je retrouve ma Reine. Elle m'explique son message. Lors de notre affectation à Paris, venant des services de Sa Majesté nous avons longuement été interrogés par le Contre Espionnage. Tout fier j'ai tout raconté : 1939/1940, évasion, la Résistance : Ah, quels motifs ? les Juifs... L'École de Gendarmerie, Montluc, Mauzac ma libération (très suspecte) grâce à Darnand. Valence, Limoges évasion de la Gestapo (encore) le coup avec les Italiens et celui avec la Milice. Il y en a trop, enquête, tout est reconnu vrai. Et c'est bien noté dans mon dossier. Mais je suis proposé officier et un fonctionnaire lit que j'ai été condamné par le T.M. de Lyon : Pas d'officier ayant eu une condamnation ! je suis recherché pour être licencié. Reine, à la Direction Technique, a appris la chose et alerté Jove. Tout est remis en place mais l'ordre de rapatriement a continué sa route. Il m'a sans doute sauvé la vie. Quelques semaines plus tard, rencontrant Foccart à la D.G.E.R, j'ai des nouvelles de SAARF. Il n'y aurait que 7 français plus moi survivants dont Coq que je retrouverai en 1961 après le putsch. Mektoub. Les services transmissions de la DGER ont pris possession d'un grand immeuble Bd Lannes, siège, jusqu'en août 1944, de la Kriegs Marine. Il y a un grand garage souterrain à deux entrées et une piscine entre la bâtisse et le boulevard. Dès les beaux jours nous sommes quelques uns à bronzer tout autour et nous baigner, en slip de bain comme à Reuilly ou à Molitor. Au bout de 8 jours INTERDICTION. Des voisins d'en face se sont plaints, nous les offusquons, passe pour les Allemands à qui ils ne pouvaient rien dire, mais pour les Français : holà. Il nous est recommandé de ne pas sortir du garage avant 8 heures et de rentrer nos véhicules avant 20 heures. Nous faisons trop de bruit.. Nous traînons à Paris. Reine est toujours en place et je cherche un bon poste. La solde tombe, tout va bien. Vérani a fait son apparition, il est occupé à la boîte mais il oublie tout, les rendez-vous, son numéro de téléphone, etc. J'ai aussi retrouvé Roland Provence, dans un bien triste état, malgré 3 mois d'hôpital, arrêté, je l'ai dit, le 4 août, il avait été emprisonné à Turin par l'OVRA, le pendant de la Gestapo. Torturé, matraqué il était resté enchaîné jusqu'à la capitulation Badoglio. Il est alors transféré en France, Lyon, Belfort d'où il s'évade. Ses jambes sont devenues des poteaux, il en souffrira jusqu'à sa mort à Nice en août 1981. Mon pauvre Ami ! Nous recevons des décorations, Reine a la Croix de Guerre, la Médaille de la Résistance et une Lettre de félicitations des Services Anglais, signée Montgomery. Ma Croix de guerre s'enrichit d'une étoile de vermeil et d'une palme qui arrive avec la Médaille Militaire, la médaille de la Résistance et la KMC, décoration anglaise (remise sur le Croiseur Devonshire en 1947). Tout cela s'arrose très copieusement. En juin 1945 je viens en Principauté. Pendant que je suis chez ma mère, ma femme arrive. Elle me pose une question sur notre avenir. Je réponds une seule phrase : - Demande le divorce, sinon je le ferai. Nous n'échangeons pas un mot de plus. Mon plus gros étonnement, ce jour là est d'apprendre que je suis recherché pour un vol de vélo, commis en 1943 près de chez moi. Je circule innocemment dans les rues alors que je peux être arrêté ! Je vais voir Maître J.C Marquet pour cette affaire. Appel, acquitté, je demande au même avocat de s'occuper de mon divorce. Il ne voudra aucun honoraire ni pour une cause ni pour l'autre. Revenant à Monaco, entre les 2 jugements, nous lui avons porté 2 canards bien gras, élevage des parents de Reine. Il me dira, en 1947, que ne sachant les plumer à l'eau chaude, il avait passé deux après-midi avec sa soeur, munis d'une pince à épiler pour arracher les duvets. Le divorce sera prononcé en faveur de celle qui l'a demandé. Je suis condamné aux dépens et à une pension. Ma femme paiera les frais qui m'incombent et ne demandera jamais la pension. Honnêteté, elle savait moralement ne pas y avoir droit. Dont acte. Mi juin il m'est proposé d'aller au B. DOC 9000 à Wildbad (40 Km Est de Baden) Reine pourrait venir avec moi. Le B. DOC est une antenne du Contre Espionnage en liaison avec le War Room (Anglais), je passe des tests au Service Chiffre où on s'aperçoit que je connais tous les systèmes utilisés et que j'ai de bonnes notions de cryptographie. J'ai, en 1937, suivi un stage, il me sert. Je serai donc le Chef des Services Radio et Chiffre. Reine va apprendre le chiffre. Elle nous a vu travailler à Lyon, elle est bonne en math, elle aime les mots croisés, elle veut venir. En six semaines elle a tout avalé, transposition, substitution, codes, dictionnaires à 4 ou 5 chiffres. Tout. Elle viendra à Wildbad. Le 2 août je fais connaissance avec mon équipe : 3 radios issus de la clandestinité, assimilés sous lieutenant. 4 chiffreurs : un sous lieutenant d'active, une fille sergent PFAT venant d'Alger, un sergent F.F.I. et Reine. Il y a déjà au B. DOC une chiffreuse d'une trentaine d'années, (ou plus), elle ne s'est jamais intégrée à nous. Le 4 août fin d'après-midi départ. C'est une date pour moi : 4 août 1940 évasion de Pithiviers, 4 août 1943 arrestation à Limoges. À la gare de l'Est une foule énorme attend le train pour Strasbourg. Il va falloir se battre, avec 2 radios jeunes et sportifs, je vais attendre le train à contre voie, 50 mètres avant les quais pour y monter. Mes deux gars resteront de garde devant la porte de 2 compartiments, tandis que j'écrirai à la craie rouge prévue : "Réservé Services Spéciaux". Nous ne serons que 4 au lieu de 8 par compartiment, nous pourrons dormir. À Wildbad la vie, les roulements sont vite organisés. Les radios très qualifiés font un travail impeccable. Au chiffre il y a souvent des difficultés. Parfois ce sont les orages qui nous valent des messages tronqués à 20 ou 30 %, il y a des nuits de recherche que je partage avec l'opérateur de service, parfois les messages du War Room contiennent des mots en anglais ou en allemand et même des abréviations allemandes. On s'y habitue. Mais il y a les messages des antennes disséminées en Allemagne et les pays de l'Est, (sauf URSS). Ce sont souvent des casse-tête. Nous sommes logés dans un hôtel de luxe. Reine et moi avons une chambre de 30 m2 avec salle de bains. Nourriture excellente, personnel impeccable, orchestre tous les soirs. Le service de santé de la Première Armée est aussi dans cette ville d'eau, réception de part et d'autre, bal deux fois par semaine. J'apprends à danser... Seule ombre, notre chef le Colonel Gérard Dubot, tête Von Stroheim, monocle, pense avoir droit de cuissage. Reine et Christiane, notre PFAT chiffreuse, l'envoient très vite voir ailleurs. Notre chiffreuse antérieurement en place ira souvent à sa table. Le sous lieutenant d'active me déplaît. Prisonnier en 1940, il aurait dit être homme de troupe pour pouvoir s'évader. Mais il a passé la guerre à Kiel, à 400 m de Strasbourg... Mi septembre je fais une bêtise : un des radios n'a pas reçu sa solde de juillet et août, je réclame, rien. Je ne peux le laisser aller à Paris, un autre radio est souffrant, Chris a aussi des ennuis administratifs. Je pars, train de nuit, au matin je suis à la direction à Paris. Tout s'arrange vite mais il manque la date de naissance d'un enfant du radio. Je rédige un court message. Il faudra qu'il passe au chiffre, à la régulation, avant d'être transmis à Wilbad et l'inverse au retour, il ne peut être classé urgent, il faudra 2 jours. Je veux avoir la réponse et ne peux rester si longtemps. Je monte à la station radio, fais voir le message à l'opérateur de service et chiffre devant lui avec mon code personnel. Cet opérateur connaissait mon poste à Wildbad et mon radio, nous nous connaissions tous à la boîte, prenant nos repas au mess, nous rencontrant dans les couloirs. Il a encore les habitudes de la clandestinité, en marge des lois et règlements, il envoie le message. À l'arrivée c'est la vieille bique, qui le reçoit : indéchiffrable ! Le sous lieutenant qui me remplace confirme. Reine en entend parler et devant les collègues stupéfaits le déchiffre. Un quart d'heure après elle code de même la réponse. Les opérateurs de ce jour là, à Paris, étaient prévenus. Dès l'arrivée d'un message B. DOC : m'appeler. L'après-midi la solde de mon radio est ordonnancée je reprends le train À l'arrivée, dans le bureau du Colonel, je reçois la plus grande volée de réprimandes de ma vie. Mes oreilles en ont longtemps vibré, celles de ma Reine aussi hélas. Quelques jours plus tard arrive une nouvelle qui me laisse groggy. Le sous lieutenant, rattrape le retard dû à la captivité. Il va être nommé lieutenant à dater de 1941. Il sera plus ancien que moi, donc le chef. Reine et moi demandons une permission pour Paris où nous nous faisons démobiliser.

EZE AOÛT 1991

D'autres épisodes de guerre viendront agrémenter ma vie, mais, comme disait Kipling, c'est une autre histoire.

NOVEMBRE 1945 / NOVEMBRE 1951

DE L'ALLEMAGNE A L'INDOCHINE

Redevenus civils, Reine, ses frères et moi cherchons une situation. Nous montons une entreprise de transports mais l'entente n'étant pas parfaite nous nous séparons. Reine me suit avec sa fille à Monaco où elle trouve un poste de Secrétaire de Direction à EFRAMO. Après avoir été quelques mois responsable d'un magasin "RADIOFONOLA", j'entre dans une entreprise de confection masculine "SMARTEX" montée par les Patrons de Reine: Samy Gattégno et Marc Saltiel . En juin 1946 j'ai été nommé sous-lieutenant et dois en septembre 1947 effectuer une période de Réserve, Mission D.G.E.R. où je retrouve des collègues radios : Antoine, Bougon, Casnat, etc..... SMARTEX tourne à plein et je deviens l'homme de confiance des patrons. Printemps 1950 L'affaire change de mains. Pinhas, le nouveau propriétaire, veut développer la production, la qualité décline. Février 1951. Nouvelle période de Réserve à Cercottes, Camp Spécial S.D.E.C.E. (ex DGER). Interdit de saut pour hernies inguinales, je me dérobe aux exercices. Le Chef du Service Action, Capitaine Morlane, me réprimande tout en me proposant de partir en Indochine pour monter une Centrale Transmissions identique à celle que j'avais créée au B.DOC en 1945. En juin, tandis que l'avenir de SMARTEX s'assombrit, un Adjoint de Morlane vient me reproposer de partir en Indo pour 6 mois (ou plus), poste garanti au retour. Je devrai partir anonymement comme ORSA pour un séjour normal de 27 mois. Si ma Centrale fonctionne bien je serai rapatrié "sanitaire", si je le désire. L'usine me semblant condamnée, en août j'accepte ces propositions et le 15 septembre je rejoins Fréjus attendant le départ. Je me lie d'amitié avec le Lieutenant de l'ABC de LA Houssaye et Pierre Moslard Capitaine du Train. Celui-ci grand, sec, figure triste est un très joyeux compagnon. Nous avons le même goût des canulars qui vont bien nous divertir surtout au détriment des connaissances de la plage et... de leurs familles. Le 22 octobre de cette année 1951, nous embarquons sur l'AURIGA, vieux paquebot italien affrété par les Messageries Maritimes. Seul Officier parlant couramment la langue de Dante, je deviens l'Interprète du bord. Parmi les passagers une cinquantaine de civils en 2° classe , 170 Officiers, 176 filles P.F.A.T. ou C.A.F.A.E.O., 250 sous-officiers, 750 Hommes de troupe. Moslard ayant fait remarquer qu'il manque un pavillon dit de courtoisie dans le gréement, nous en confectionnons un avec trois slips féminins fournis par une complice. Les couleurs bien avivées par du bleu de méthylène et du mercurochrome, 3 jours après le départ, je vais, de nuit, accrocher notre emblème au plus haut du mât d'artimon. Au matin scandale quand nous passons dans le canal de Suez devant l'Hôpital Francais d'Ismailia. Quotidiennement je prenais à la station radio les informations et les diffusais à midi sur la sonorisation du bord. Le 4 novembre je relevais la commémoration des Journées Rouges d'Octobre à Moscou . Ce 4 novembre, fête italienne, (Armistice 14/18), amplis et hauts parleurs avaient été pris par l'Équipage pour un bal au foyer et je ne pus annoncer les nouvelles. Me promenant avec Moslard, des questions nous furent posées sur le silence radio. Pierre répondit que nous fêtions les Journées Rouges... et il exhiba 3 roubles disant qu'ils étaient le reliquat de sa dernière solde en URSS où nous nous étions connus. Nul à bord, comme à Fréjus où nous avions déjà lancé cette blague, ne nous a demandé si nous parlions le russe. Il y avait à bord 4 Capitaines Para. A l'embarquement, en tenue, nous avions évoqué mon passé, le vrai. Buttner me demanda quelle prochaine blague nous mijotions, des indiscrétions féminines ayant révélé les auteurs du "Pavillon de Courtoisie", Vincent dit que nous étions très culottés. Notre bateau avait une panne à chaque voyage, perte d'hélice ou autre, pour nous un moteur s'arrêta, l'autre tournant au ralentit nous dérivâmes cinq jours à 2 noeuds dans l'Océan Indien en attendant la réparation. En arrivant au Cap Saint Jacques nous avons embarqué 2 Équipes de protection armées pour remonter la Rivière de Saïgon . Avec elles il y avait Bougon .Il m'attendait pour être mon Adjoint et éventuellement mon successeur

1951 -1953

De Saïgon à Dien Bien Phu

Dès les premiers jours de vie à Saïgon, des collègues me prévinrent : Les premiers 6 mois de séjour on s'étonne de tout 2ème 6 mois on ne s'étonne plus de rien 3ème 6 mois on étonne les autres 4ème 6 mois on s'étonne soi-même. À l'arrivée à Saïgon, tous les officiers furent logés au Camp des Mares. Moslard et moi avons vu dans les 4 ou 5 jours partir tous nos collègues, nous restions... L'intendance avait remis dès le ler jour une bonne avance sur solde et nous avons commencé à découvrir la ville. La vie était calme et douce, la guerre semblait loin, très loin, c'était la cité de l'amusement : théâtre, cabarets, beuglants, salles de jeux, dancings avec taxis girls, bordels de 300 filles, 4 piscines, tout pour le plaisir. Nous commencions à trouver le temps long quand, après 15 jours, nous avons été convoqués chez le Général Commandant les FTSV. Très étonnés de cet honneur nous l'avons été encore plus par l'apostrophe brutale de ce grand chef : Nous étions des saboteurs de l'armée, de son moral, notre attitude sur l'Auriga était inqualifiable ! Les rapports du colonel commandant d'armes du bord et l'officier S.M. avaient l'appui d'une dizaine de lettres d'officiers indignés par la présence de communistes venant certainement en Indo pour détourner la troupe de ses devoirs. S'il n'avait connu un Général Moslard dont le fils était probablement mon camarade nous aurions été réexpédiés en France par le premier avion. Il avait fait enquêter, il connaissait tout notre passé mais il devait sévir : pas de compagnie du Train Légion pour mon ami mais une muletière, pour moi, un séjour dans une unité para pour être jugé, donc pas de services spéciaux. Il nous a semblé que le général et son Chef d'État major avaient autant de peine que nous à garder leur sérieux. Moslard partit pour le Tonkin et je rejoignis la BAPS, (base aéroportée sud ) à Ba kéo, près de l'aéroport de Saïgon. Le Lieutenant colonel Château Jobert "Conan ", un ancien d'Angleterre me reçut avec le sourire : - Salut coco, pas la peine de faire un numéro, on est au courant. Buttner était là, il avait raconté l'Auriga. Dès le lendemain j'allais faire des sauts dits d'entretien pour avoir la solde à l'air, boni égal à la moitié de la solde de base, attribué aussi aux aviateurs et aux marins en mer. Je pus faire une délégation de 120.000 F par mois à ma femme, aucun toubib n'avait regardé mes hernies et je n'en parlais pas. Il y avait à la BAPS une compagnie de garde composée de Cambodgiens, cadres européens. Chaque semaine, avec une compagnie prélevée sur les différents services de la base, elle participait à des opérations dans le delta. À plusieurs reprises, j'eus le commandement d'une section, curieusement chaque fois que Conan venait avec nous, pour me juger ? Au cours d'une des sorties hebdomadaires, je fus arrêté par un arroyo de 18/20 mètres de large, profond de 4/5 mètres. Deux sous officiers bons nageurs et moi soutenions les moins bons pour la traversée. Après 2 aller retour j'escortais un garçon qui "savait nager en piscine", appuyé sur un gros rondin de bois. Au milieu de l'arroyo des cris :"le chef, le chef", me retournant je vis 2 mètres en arrière, des bulles. Je plongeais attrapais un bras et tirais le Sergent chef Dupouy à la berge. En repartant je vis le rondin seul sur l'eau.. Deux Européens, un Vietnamien et moi avons plongé en vain, l'eau vaseuse ne permettait pas 5 cm de visibilité. C.R. par radio, ordre de rester sur place avec quelques hommes, le reste de la section continuant la progression avec Dupouy. Trois heures après une barge de la marine est arrivée, munie de gaffes ils ont croché le cadavre. Je fus très affecté par cette mort, mon premier homme décédé, noyé près de moi bon nageur. À Saïgon je rencontrais R... le neveu de Roger Simon, un Monégasque collègue de la Résistance, cet homme, haut fonctionnaire m'invita à plusieurs reprises et me fit goûter à l'opium. Nous étions servis par une très belle Eurasienne. Il fallait aspirer lentement en une seule bouffée la pipe préparée, ce n'est pas facile, j'y arrivais à la 4ème mais m'arrêtais après la 6ème. Je n'avais pas atteint le Nirvana et je repris ma bonne bouffarde avec du tabac français. Nous étions deux "Pronto" à la BAPS, le Lieutenant Capmas et moi, un de trop; mon collègue, plus ancien, étant bien en cour avec l'E.M. Para je devais partir. Conan affirmant que je serai plus à ma place dans la troupe que dans les services bureaucratiques de la DGSE je fus affecté aux commandos d'intervalle du Tonkin. L'éventuel rapatriement anticipé s'éloignait. Le 21 janvier 1952. Moslard me reçut à l'aéroport de Gia Lam et mit une Jeep avec chauffeur à ma disposition pour le temps que je passerai à Hanoï. Les commandos d'intervalle, dits "noirs", avaient le Chef de Bataillon Fourcade à leur tête. Ils étaient destinés à patrouiller entre et en avant des postes du delta, la ligne de Lattre. L'effectif théorique était : 1 lieutenant, 4 sous-officiers, 1 radio européen. La troupe comprenait de 100 à 150 supplétifs vietnamiens, peu rétribués, mal vêtus vivant surtout de rapines. J'arrivais le 24 janvier au commando 15 qui m'était attribué, j'avais eu 2 prédécesseurs tués en 3 mois ! L'encadrement était très réduit : 1 sergent malade, drogué, un jeune caporal chef de 19 ans, 1 caporal radio, 2 caporaux vietnamiens. La troupe était lamentable physiquement et moralement, mal entraînée, mal vêtue. En plus de 3 F.M., l'armement comprenait 50 mitraillettes, 50 fusils, 3 carabines U.S., pas de grenades, peu de minutions. Un Dodge 6x6 sans conducteur, un poste C9 graphie phonie, 3 SCR 300 phonie était tout le matériel disponible. L'unité était logée dans un fortin triangulaire en briques de 50 m de côté situé à Thuong Lap à mi-chemin entre Vinh Yen et Viétri. Il était défendu par une quinzaine de supplétifs, aussi nuls que ceux du commando, commandés par un C/C réunionnais ivrogne. Dans l'épaisseur des murs des pièces de lOx5m servaient de logement à la troupe, les cadres disposaient de pièces individuelles de 2,5x5 m. J'effectuais une prise en mains très rude. Je commençais par une course à pied de 5 km chaque matin. Le premier jour je courus en tête, seul un caporal, ancien tirailleur tonkinois, de 40 ans me suivit, (j'en avais 36). Le Caporal chef Rapaille et le radio, Mussy, arrivèrent 3 minutes plus tard, le reste dans la demi-heure; le sergent n'avait parcouru que 50 m. Dès le surlendemain je fis partir le vieux caporal en tête et suivis en queue avec une MAT lâchant de petites rafales dans les talons des traînards. En 15 jours, sauf le sergent inapte, tout mon monde fit le parcours en moins de 30 minutes. Je renvoyais 5 hommes pour incapacité physique et, ayant trouvé une caisse noire tenue par le sergent, je donnais des primes pour améliorer l'ordinaire. Je fis venir des munitions et, après le cross, chaque matin, tir à toutes les armes dans toutes les positions, lancer de grenades, progression en rampant sous des tirs à balles réelles bloqués à 1 m de hauteur, etc. Dès que mes "sportifs" eurent réussi le cross en 30 mn j'alternais cette course avec des marches de 25/30 km. J'avais commandé à Hanoï des tenues, noires, à 25 piastres pièce. Pour les payer, j'allais avec une vingtaine de mes meilleurs "guerriers" à une dizaine de km en zone viet chercher 2 buffles que je vendis à Michaud, le chevillard de Hanoï, 1500 piastres pièce, c'était la coutume. J'allais presque chaque jour de plus en plus loin avec de plus en plus d'hommes. Lors d'une de ces sorties j'interceptais 2 femmes portant chacune 15 kilos de thé de Chine, qu'elles allaient vendre à Hanoï. C'était de la contrebande, je les taxais de 1/3 et leur promis le libre passage ultérieur si elles m'apportaient des renseignements. Le thé fut vendu 2000 "yat" (piastres). L'armée m'accordait 7 piastres jour par homme, je leur en donnais le double, vêtus, nourris, c'était un pactole. Avec 2 buffles de plus je donnais une 2ème tenue, "Cu Nao" (marron), à mes hommes. Fin février je reçus un sergent para, de trop grande taille pour être pris pour un Vietnamien; il garda comme moi le béret rouge. Il était avec moi depuis une dizaine de jours quand je l'envoyais avec une section contrôler un village proche. Ses hommes revinrent le soir sans lui. Interrogés par Le Van Tai, dit Panka, le caporal ex-tirailleur, il résultait que le sous-officier les avait placés en 2 groupes de part et d'autre du village et y était entré avec un seul homme. Ils avaient entendu des coups de feu, le sergent crier "mort aux cons" (!?), une rafale et le silence. Après 2 heures d'attente, paniqués, ils étaient revenus. Au lever du jour suivant j'avais encerclé le village et à l'aube j'entrepris la fouille. "Cum Biet" Cum Biet (je ne sais rien) était le dire de tous les villageois mais Garnier le sergent drogué et Panka firent parler une femme en menaçant ses gosses et nous avons trouvé les corps tués par balles et tailladés au couteau. J'avais, la veille, envoyé au secteur un C.R. de la disparition du sergent et de mes buts du lendemain. Ayant trouvé des documents et 300 000 piastres, j'en informais mes supérieurs. Je reçus l'ordre d'amener à Vinh Yen tous les mâles de 15 ans et plus, après avoir brûlé le village. J'y amenais aussi une femme malade et une très jolie fille atteinte d'un trachome, qui la rendait aveugle, pour y être soignées. Je reçus, selon la coutume, 1% soit 3000 yat pour ma caisse noire. J'appris le lendemain que Garnier en avait subtilisé le double, il dut les verser à la caisse. Deux collègues célèbres ayant été assassinés par des anciens viets qu'ils avaient engagés, l'ordre arriva de nous séparer de ceux que nous avions. Ils étaient fichés, je dus me séparer de 7 de mes gars, les meilleurs du commando, trois repartirent chez eux, quatre s'engagèrent dans les paras, je les conduisis moi-même à Hanoï, j'en revis un à Dien Bien Phu au 2/1 R.C.P. Nous continuions nos patrouilles toujours plus loin en zone viet, sans incident. Début mars. Revenant d'une de ces sorties je fus pris de coliques, je dus faire un premier arrêt dans un bosquet, puis un deuxième arrêt très pressant dans une bambuseraie et je me réveillais à l'hôpital Lanessan à Hanoï. J'avais été assommé pendant que j'étais accroupi. Mussy et Van Taï dirent avoir entendu une galopade puis s'être approchés pour me trouver K.O. J'avais été amené à Vinh Yen puis à Hanoï; à ma sortie du coma je parlais de Jove et de Gestapo, le lendemain je reconnus Moslard. J'ai toujours pensé que c'était un Viet isolé, caché, qui m'avait assommé, Fourcade soutenant que c'était un de mes gars. Qui sait ? Quelques jours après mon retour à Thuong Lap, le radio dont le poste était en écoute permanente entendit un appel de mon collègue de l'ouest, secteur de Vietri. Il était bloqué par des Viets et demandait l'appui de la chasse. La réponse était mauvaise, pas de visibilité. Les faits se passaient à une vingtaine de km de là dont 16/17 sur piste. J'avais une section. en alerte permanente au pied du 6x6, départ immédiat et, en route, le radio annonça notre arrivée. Moins d'une heure après, j'étais près de mon collègue, les Viets venaient de décrocher, peut-être à l'écoute de mon poste ? Remerciements, bla bla, je lui parle d'un tuyau donné par mes "théières " : des camions viets circulent jusqu'à la Rivière Claire, au nord ouest de chez lui. Il en a aussi eu vent mais ne peut y aller, son effectif a été très affaibli par la libération d'une trentaine d'ex Viets. Si je veux tenter l'aventure, il me servira de recueil à mi-chemin. OK. La sortie se déroule sans incident et je reviens après avoir aperçu aux jumelles 3 camions dont un GMC avec immatriculation de notre armée, sans doute une récupération de Cao Bang. Sur mon C.R j'indiquais l'emplacement précis où les camions avaient disparu, dans un bois, à proximité de la rivière. Le bac devait être là pour un passage vers l'autre rive. J'étais joyeux mais une hernie inguinale me faisait mal. Au retour de cette "promenade", le secteur m'envoya tenir un piton sur la route Vinh Yen - Vietri, des passages viets étant possibles au pied de ce piton, par le village qui y était accolé. Cette façon de procéder me parut bizarre mais : exécution. ! J'emmenais tout mon monde, déplacement en camion, le sergent malade (drogué) pouvait être utile en statique et je ne voulais plus le laisser au poste où j'avais eu un incident à régler au retour de l'expédition à laquelle il n'avait pas participé. À mon arrivée au commando après les présentations du personnel, il m'avait aussi présenté un gamin de 13/14 ans qui vivait dans le poste depuis mes 2 prédécesseurs dont il était le serviteur, c'était paraît-il assez courant pour les officiers ou les sous-officiers d'avoir un gamin serviteur. Le commandant adjoint de Fourcade qui m'avait amené là, vieux colonial, ne parut pas offusqué et je me tus. Ce gamin, Be Con en vietnamien, s'était plaint d'avoir été violé tant par le sergent que par le Réunionnais chef de poste, tous deux pris de boisson. Ces deux individus affirmaient que le gamin était consentant. Qui croire ? Le Bé Con n'était pas un innocent; à mon. arrivée il avait énuméré ses mérites : - C'est moi connaisse laver, cirer, nettoyer, graisser l'arme, faire lit, etc.." Il avait terminé par : - Moi bien sucer, mon lieutenant "thiet" (mort) pas aimer casser "ke dit ", c'est mon lieutenant dire quoi vouloir. C'est mon pataugas qu'il reçut dans les fesses. Je compris (par Van Tai) que le litige venait du non paiement du prix demandé pour l'acte. J'avais fortement sermonné les 2 gradés, les menaçant de cassation, leur avait fait verser chacun 15 piastres au garçon et 100 à la caisse pour ivresse. La position organisée sur le piton, un avant poste à l'est avec Van Taï et un à l'ouest avec Rapaille, je vis venir vers moi Tuc un des Viets que j'avais libérés. Rejeté, par sa famille il venait me demander de le reprendre. Il avait un oeil au noir, des contusions sur tout le corps, c'était mon meilleur tireur FM et j'acquiesçais mais en le laissant dans l'immédiat sous la surveillance proche du sergent. Vers 22 heures cris, coups de feu et ses hommes ramènent Rapaille mourant. Tuc interpréta : il y avait des hommes armés au village voisin où le caporal chef s'était aventuré. Tuc ajouta : - C'est là cousins pour moi, tous Dzu Kich (partisans armés) eux vouloir tuer moi. J'envoyais Garnier avec un groupe prendre la place de Rapaille mais avant de s'approcher du village, ils furent l'objet de coups de fusils. Je demandais, par radio un tir d'artillerie entre le village et le piton : explosifs et incendiaires : cris, flammes. Au jour j'allais au résultat, pas un seul villageois mais 3 cadavres dont un cousin de Tuc. Celui-ci alla vers une mare, s'y immergea puis indiqua un endroit où creuser. À plus d'un mètre de profondeur il y avait un petit tunnel partant en siphon de la mare. Deux hommes avec 2 fusils s'y trouvaient. J'y fis mettre les cadavres et reboucher. Je nommais Tuc caporal avec un nouveau nom et Van Taï caporal chef. Au retour un T.O. m'attendait au poste me convoquant à Hanoï. J'y allais tout guilleret pensant recevoir des félicitations mais Fourcade très sombre me dit que mes canulars étaient de trop en territoire d'opérations : les Viets n'avaient pas de camions ! Je repartis très vexé après avoir acheté un appareil photo avec télé objectif. Je repris le chemin précédent, photographiais un "G.M.C buisson" et envoyais à mon chef le rouleau non développé. Le retour de cette nouvelle expédition fut très pénible, une hernie débordait, je fis les derniers km sur un buffle. Au premier poste atteint, un toubib me fit un spica compressif, je pus marcher et ramener mon 6x6 et, bien sûr, mes hommes. Quarante huit heures après j'étais convoqué à Hanoï où je trouvais une ambiance glaciale avant d'être conduit par l'adjoint de Fourcade dans le bureau d'un général. Se soulevant à moitié celui-ci dit : - Vous êtes un visionnaire, il n'y a pas de camions sur la rivière Claire, insistez et vous connaîtrez les arrêts les plus durs, disposez ! Je regardais éberlué mon guide : le film n'était pas bon ? il sourit : - Oui, très bon, viens prendre un verre. C'était un conflit avec les aviateurs qui n'avaient jamais vu ou photographié des véhicules. Ils niaient leur existence. Pour des questions de carrière le "Poireau" (général) leur faisait confiance, se taisait. Peu apte à des compromissions je fis état de mes hernies et allais en consultation à l'hôpital, j'y entrais le 30 mars et fus opéré le ler avril. Prenant prétexte des 3 mois d'inaptitude OPS qui suivraient l'opération chirurgicale des 2 hernies, je demandais ma mutation pour les transmissions aéroportées. Avis favorable, élogieux de Fourcade et ce fut accordé. Trois semaines plus tard je sortis de Lanessan recueilli par Moslard à la Muletière. Mon ami était un seigneur dans sa base de Bach Mal, jointive au 2ème aérodrome de Hanoï. À part l'adjoint, le Lieutenant Vieillet, tout le personnel était marocain. Moslard élevé au Maroc parlait, discutait avec ses hommes dans leur langue, il était aimé de tous. À la 805, numéro de cette compagnie, il y avait table ouverte en permanence, j'y ai rencontré de curieux spécimens humains. Si son commandant montait toujours de très bons canulars, il aimait aussi se servir de citations bibliques qui mettaient souvent ses interlocuteurs dans l'embarras et réjouissaient les habitués. Tous les 2 ou 3 mois méchoui "à la marocaine", cuit dans un four en terre, quel régal. La solitude assez bien supportée avec la vie nouvelle à Saïgon puis avec l'activité du commando commençait à me peser. Des collègues dont les épouses étaient dans l'enseignement, avaient été rejoints par elles à Hanoï. Je l'écrivis à Reine qui décida d'en faire autant. Elle demanda sa réintégration à l'E.N. avec affectation au Tonkin. Ce fut accordé pour la rentrée d'octobre. Lorsque l'adjoint de Fourcade m'avait amené au commando 15 j'avais été très surpris de voir la route Hanoï - Phuc Yen s'arrêter net devant le vide d'une rivière, sans aucune protection, une petite route repartait un peu en arrière pour aller franchir le cours d'eau 25 m plus loin. Sur l'autre rive il y avait le même dispositif, c'était pour tromper le Ma Koui... Ce génie malfaisant courait toujours sans trop faire attention et hop, il tombait dans la rivière ! j'en appris bien d'autres sur le Ma Koui. Dans tous les villages, clos par des haies denses de bambous il y avait une très belle porte d'entrée fort bien décorée, mais elle était bien barricadée, nul ne pouvait passer par là, même pas le Ma Koui ! Il y avait plus loin une petite porte masquée par une chicane utilisée par tous mais on espérait que le Ma Koui ne la verrait pas ! À Hanoï il était assez fréquent de voir une femme traverser une rue en se jetant à ras devant un véhicule en marche et se retourner ensuite avec un très grand sourire. Le Ma Koui qui la suivait avait probablement été écrasé par la voiture. Les conducteurs européens juraient, les Vietnamiens souriaient, complices. La femme n'était pas toujours évitée mais après une brève enquête la prévôté, au courant du Ma Koui, innocentait le conducteur. J'arrivais à l'EM des TAPN fin avril, le Capitaine Vincent (de l'Auriga) commandait les Trans. Il y avait 3 lieutenants Rossi, Fabri, et Bougon évincé du G.C.M.A pour alcoolisme. Vincent terrifiait ses adjoints, mes collègues très surpris de le voir gentil avec moi le furent encore plus de ma désinvolture à son égard. Vincent me présenta au Colonel commandant les TAPN qui ne m'accorda qu'un bref bonjour. Son adjoint, le Lieutenant colonel Ducourneau fut cordial. À midi à la popote il me reçut à sa table et posa des questions idiotes mais nécessitant quelque réflexion. Je m'en sortis bien et il fut très agréable. Je prévins Vincent : j'étais opérateur dépanneur radio. J'avais dirigé une centrale de transmission mais je n'avais que des idées sur le travail d'un "pronto". Bougon en sachant encore moins que moi, Vincent nous fit travailler. Je m'intéressais à cette instruction tandis que Bougon rechignait. Fin mai, début juin, je demandais à participer à une opération dite "kangourou". Commandée par Ducourneau elle mettait en oeuvre 4 bataillons para, Rossi en était le pronto, j'y allais en doublure, Ducourneau me témoigna sa satisfaction, m'accordant l'autorisation d'y participer malgré mon exemption pour convalescence. Juillet fut très morose, victime d'une amibiase je me traînais sans forces de ma chambre à la popote où régnait une chaude ambiance surtout chez les Tringlots de la CRA, l'un d'eux, jeune marié, y amenait sa jeune épouse; Paul et Blanche Bouchard sont aujourd'hui à la retraite à Saint Paul. En août, rétabli, Vincent m'envoya au C.I.T.A.P.I pendant quelques jours pour voir son fonctionnement et le renseigner sur les causes des très mauvais résultats obtenus par les apprentis opérateurs radio. Mon rapport simple, direct, mettait en cause mon collègue le Lieutenant S. et le commandant du CITAPI. S... ne savait ni organiser son travail, ni défendre ses stagiaires qui devaient vivre et travailler dans des paillotes percées, pourries, étant de surcroît surchargés de gardes et de corvées. Les 3 sergents instructeurs étaient des incapables, rebut d'autres unités. La réaction de Ducourneau fut très vive. Le commandant du CITAPI et le lieutenant furent relevés et le poste m'échut dès le ler septembre. Le 27 septembre, Reine arrivant à Saïgon avec sa fille, je demandais d'aller à sa rencontre. Vincent, très chic, m'y envoya en mission. Le 28 Moslard nous réceptionnait à l'aéroport d'Hanoi. Nous eûmes 2 chambres quai Guillemoto, vue sur le Fleuve Rouge. Le ler octobre Reine était à son poste au Lycée Rollande. En 1935 j'avais débuté mon stage d'opérateur radio le lundi 6 octobre, en 1952 je débutais mon ler stage en tant que directeur de l'instruction le lundi 6 octobre. J'avais obtenu des tentes pour loger les stagiaires et servir de salles de cours, les instructeurs déficients étaient mutés. Mon nouveau personnel était là dès le ler octobre. En tête Antoine un de mes collègues de la mission 47 en Autriche, il avait rengagé avec le grade de Sergent Chef. Atteint du trachome, inapte 0PS, il fut le grand bienvenu. Compétent, travailleur, sérieux, il était l'adjoint idéal. Le Sergent Chef Antic et le Sergent Gravil vinrent compléter mon équipe. Le ler stage était composé de 25 légionnaires dont un Sergent, Penna et le Caporal Montalbano. Vincent m'avait dit : - Ayez l'air méchant, soyez dès le ler jour très dur, vous serez écouté, respecté, vous n'aurez pas à sévir par la suite. Je décidais donc, pour l'exemple, de punir fortement la 1ère faute. Le caporal arrivé 10 minutes en retard après 24 heures de permission fut la victime : 8 jours de prison, soit 8 jours de solde retenue. Je n'ai plus puni de légionnaires pendant les 4 mois du stage. Après tests et tri 20 hommes suivirent les stages d'opérateurs radio, graphie ou phonie, 3 devinrent monteurs fils. En plus de la portion centrale à Ha Dong, où j'étais, le CITAPI avait 2 compagnies d'instruction militaire basées sur les bords du Fleuve Rouge, à une douzaine de km au Nord. Les lignes téléphoniques établies sur la route longeant le fleuve et sur celle Hanoï - Ha Dong, 10 km, étaient coupées presque quotidiennement. Les réparations devenaient du travail pratique pour mes apprentis. L'un d'eux ,Kramskov en dépannage avec un Dodge le long du fleuve voulut tirer sur un pique-boeuf. Revenant vers le véhicule, le doigt encore sur la détente, il heurta le pare-brise, un coup partit frappant le conducteur vietnamien à la cuisse. Le voyant s'évanouir le légionnaire prit le volant et le ramena à la Base. Touché à la fémorale, le garçon, vidé de son sang était mort en route. Enquête de la Prévôté, Kramskov fut arrêté. J'allais voir le juge et discutais, mon gars serait condamné avec sursis, inutile de le garder en prison., je me portais garant et il me fut confié à condition de le mettre à l'écart de ses camarades. Le même jour j'avais reçu les clefs d'un logement, le rez-de chaussée d'une villa. Je le laissais à la garde de Kramskov avant de "retaper" ce logement. Ses collègues lui portaient à manger, pour me remercier, spontanément, ils me proposèrent de faire le travail de remise en état. Un était maçon, un autre électricien, un 3ème plombier. En 2 dimanches, s'y mettant tous et surtout Kramskov tous les jours, j'eus un logement impeccable. J'installais une réserve d'eau de 1200 litres sur le toit de la boyerie ce qui nous permit des douches à volonté, luxe à Hanoï. Huit semaines après les Légionnaires, débuta un stage de "Marsouins ", j'avais fait le tri sur une soixantaine de jeunes arrivés en renfort, j'en gardais 18 dont René Pregnon. Ce dernier, à la retraite à Nice, s'est distingué en tant que Sergent armes lourdes à Dien Bien Phu. Comme pour les légionnaires j'en punis un la première semaine, allais en chercher 2 chez les Prévots où ils cuvaient leur vin et j'eus le plaisir de les voir accepter la discipline, après que j'eus donné une raclée, avec mes béquilles, à une forte tête. Le 30 octobre, 2 jours avant la fin de mon interdiction de saut consécutive à l'opération herniaire, j'étais allé "descendre en marche" d'un avion. M'intéressant plus à 3 Vietnamiens accrochés entre eux et hurlant, qu'à mon arrivée au sol, j'avais eu un fracas de la jambe gauche : 10 semaines de plâtre, d'où les béquilles. Sur le 4x4 Dodge avec lequel je faisais la navette Hanoï - Ha Dong je m'exerçais à conduire, c'est-à-dire faire les doubles débrayages avec une seule jambe, c'est de la gymnastique. La méthode très dure d'instruction que je fis appliquer par mes sous-officiers, (nous étions en guerre), me valut des félicitations pour le résultat. En quittant Ha Dong mes élèves étaient aussi compétents que des radios ayant 2 ans d'expérience. Et pourtant... Les Légionnaires avaient commencé, les Marsouins presque fini, les Vietnamiens venus après les Légionnaires terminèrent la construction d'un centre "en dur" : 2 dortoirs de 20 hommes, 2 salles de cours, un magasin. Chaque semaine, 2 GMC avec 5 ou 6 hommes (fils et phonistes) allaient à Son Tay extraire des briques des ruines des anciennes usines Bréguet. Le dimanche j'emmenais, en récompense, les bons élèves en zone vietnamienne ramasser des bambous. Les mauvais restaient à travailler avec Antoine. Au retour chaque camion (8 à 10 hommes) avait droit à une bouteille de Pernod. Le lendemain Antoine ou Antic allaient échanger les bambous contre du ciment. Il y avait sur le camp, le sable pour le mortier et le bois pour les charpentes. À l'intendance je récupérais des bidons carrés servant à l'approvisionnement en farine. Hauts 40 cm, ayant 25 cm de côté, découpés, aplatis j'avais des tôles de 1m x O,40. Montées comme des ardoises j'en fis des toitures étanches. Cette réussite fut payée le prix du sang. Un capitaine de tirailleurs algériens tenant un poste à 40 km dans le sud m'avait proposé d'aller prendre des bambous devant son poste ce qui lui dégagerait les vues. Un dimanche, au volant du Dodge, Reine à côté de moi, 3 GMC avec 1 FM en position sur le toit, 8 hommes par camion nous y sommes allés. Sur le bord de la route des cadavres, l'auto mitrailleuse qui nous précédait de 2 ou 3 minutes, attaquée, avait riposté. Au poste, accueil chaleureux; à midi les camions étaient presque pleins. Après le casse-croûte offert par les tirailleurs, mes gars repartirent chercher le reliquat abattu. Explosion, une mine, un Vietnamien Dinh Van Son avait les 2 jambes broyées, le Caporal Laporte des éclats aux cuisses et à la poitrine. Un médecin arriva d'un poste voisin. Voyant Reine s'occuper des blessés, il se fit aider par elle pour finir de couper les chairs broyées de Dinh. C'est ainsi que ma femme coupa des jambes d'homme ! Laporte, des éclats dans les poumons fut rapatrié, soigné il revint en Indo un an après. Dinh après un court séjour à l'hôpital d'Hanoi fut évacué sur Saïgon. Récupéré par l'Entraide Para en 1991, il vit à Besançon avec sa famille. Le Général Caillaud m'a alerté, Dinh ne connaissait qu'un nom français : Armandi. Reine et moi l'avons revu avec émotion. Le CR sur 2 hommes blessés serait passé dans l'indifférence si je n'avais écrit que la mine était à moins de 100 m du poste. Ducourneau fit d'aigres commentaires et il y eut des sanctions pour les tirailleurs qui s'étaient laisser poser des mines sous le nez. Dinh était un garçon sympathique, rieur, travailleur, ceinture noire de judo. Il faisait partie des quelques paras vietnamiens mis à ma disposition : chauffeurs, magasiniers, secrétaire, hommes de service. Mon prédécesseur n'en avait pas. Le commandant du CITAPI, le Chef d"Escadron Klein, voulait avoir le plus haut mât des couleurs du Tonkin, il en fit confectionner un de 18 mètres en tuyaux de chauffage. Le chef du casernement le tordit 2 fois en essayant de le hisser. Le chef du service auto 1 fois. Ce qui provoquait rires, railleries, et... arrosages. Bougon affecté pour ordre au CITAPI, sans aucune précision de poste à tenir, lança l'idée qu'étant le plus railleur, je devais essayer; je m'exécutais. Je fis emmailloter le mât par des bambous ficelés avec du fil téléphonique, puis monter une chèvre en bambous de 18 m de hauteur, sur quoi fut fixée une poulie, le câble d'un treuil de GMC passant par là, frappé presque au sommet, hissa le mât. Les haubans et bas-haubans tendus, Dinh assuré par la drisse était monté tout en haut pour déficeler les bambous. Sûr de lui, se tenant au sommet par ses seules jambes croisées, il nous salua avec de larges mouvements de bras. Ducourneau vint pour l'inauguration, Klein fit mon éloge en se défendant de m'avoir imposé ce travail, fait par moi pour répondre au défi de Bougon (rapatrié pour éthylisme en mai 53 nul n'osant lui confier un poste ou une mission. Quand j'étais arrivé 18 mois auparavant il ne buvait pas d'alcool ! Il revint en 54 caporal chef légion et disparut présumé déserteur, attiré par une fille...) Début janvier 53 je vis arriver un jeune capitaine para qui se présenta : Delors successeur de Vincent. N'ayant reçu aucune note sur ce changement, je refusais, poliment, de lui présenter le centre. Le surlendemain une note de service sur ce remplacement me parvenait. Delors se faisait annoncer et je le reçus correctement. Lui et Ducourneau, mis au courant de la chose la citèrent en exemple. Début juin Ducourneau vint présenter mon successeur le Lieutenant Walter à qui il dit que sa tâche serait lourde à assurer après mes résultats de 8 mois d'instruction. Je fis rejaillir l'honneur sur mes adjoints et exposais le cas d'Antoine, prochainement rapatriable, au colonel qui me promit de s'en occuper. Mi-juin je revins aux TAPN avec Delors. Les Lieutenants Legrand et Lathière y remplaçaient Rossi et Fabry. Nous étions alternativement d'alerte avec le personnel chiffre, radio, fil, nécessaire. Je revivais, avec les permanences à l'état-major, "la vie de garnison". Notre logement comportait une pièce de 12x6 m, séjour et chambre à coucher, une pièce de 20 m2 avec bureau ministre pour la fille et une kitchenette que j'avais aménagée sous l'escalier du ler étage. À ce niveau logeaient un couple infirmière et lieutenant d'état-major, ainsi qu'un capitaine du Génie. La villa a un jardinet large, 2m sur le devant, au Nord, et sur le côté Est. À l'Ouest un passage pour véhicule menant vers l'arrière où se trouvent garages et "boyerie". Notre service est assuré par une Thi Haï, fille n° 2. Il n'y a pas de fille n°l, le Ma Koui la prendrait ! La première née s'appelle donc n°2, c'est elle qui est chargée, dans la vie vietnamienne, du travail de la maison. (La suivante Thi Ba, n°3, s'occupe des enfants). Thi Haï a une quarantaine d'années. Nous lui donnons un salaire "généreux" : 600 piastres par mois, elle loge à la boyerie. Son mari, relieur à la bibliothèque municipale, vient chaque semaine passer son jour de congé avec elle et fait notre lessive. À 150 m de la villa il y a un mess de garnison. Par téléphone (gentillesse Vincent) Reine demande les menus du jour et les fait agrémenter à sa guise. Thi Haï avec un ensemble bouthéon (plats superposés) va quérir notre pitance. Ayant 2 pièces à sa disposition, Thi Haï prend des "élèves" : 1 ou 2 jeunes filles qui font tout le travail. Elle ne leur donne pas un centime, la nourriture seulement, se réservant la couture et le repassage. Une collègue a donné à Reine un couple de chatons siamois (conméo). Cet animal est considéré par les indigènes comme étant un génie maléfique, Thi Haï et ses élèves en ont peur. Nous avons assuré, juré que leurs parents avaient été exorcisés et que nous avions fait de même avec les petits. Thi Haï a accepté de leur préparer et donner à manger ce qui de toutes façons lui attirera leurs bonnes grâces. Elle leur apporte donc la nourriture d'un air très digne, s'incline en posant leur ke bat (gamelle, assiette) devant eux, mais sursaute si l'un d'eux miaule et se signe. Nous avons acheté à un marchand ambulant un singe haut de 50 cm. Il est gris souris avec l'abdomen bleu ciel. Sur le côté Est de la villa j'ai tendu du Nord au Sud un fil de fer à 2 m de hauteur. Bouzou (singe) a un collier de chien à la ceinture d'où part une chaînette qui, à l'autre extrémité coulisse sur le fil de fer, il peut donc aller de la rue à la boyerie. C'est un goinfre, si on lui donne des bananes il s'en remplit la bouche, les joues gonflent, il en enfourne encore tant et plus, puis petit à petit les avale. Il a une kebat pour l'eau, il boit et renverse tout le reliquat avec le bol. Bouzou est quelquefois admis à la maison pour distraire des amis de passage mais gare aux bêtises ! Couegnas le vétérinaire de La Muletière aime jouer avec lui. Un jour il vient prendre un verre avant d'aller à une réception, il est en "grand blanc" : Veste, pantalon, chemise, chaussures blancs. Reine le sert et il prend Bouzou sur ses genoux. Attention, rappelle ma femme "oui, oui, je lui tiens les mains" répond notre ami, mais Bouzou est un quadrumane, il allonge une jambe, prend le verre et le renverse sur le Grand Blanc. Pas de réception ce jour là. Reine aime les fleurs, elle en achète aux ambulants qui passent. Thi Haï n'est pas contente : "c'est Madame trop payer". Alors Reine choisit, prend les fleurs, Thi Haï s'accroupit face à la marchande, discute. Cela peut durer 10, parfois 20 minutes et elle paie le tiers, voire le quart du prix demandé. Tous les collègues de Reine l'avaient prévenue : les Vietnamiens sont voleurs, tous les domestiques volent ! Reine a donné les clefs, toutes les clefs, à Thi Haï, elle devenait responsable, nous n'avons jamais rien eu de volé. Les dimanches où je n'étais pas de service, nous allions soit à La Muletière soit dans une des compagnies du CITAPI, le long du Fleuve Rouge. Nous y amenions Maïthé, Denise ou Mme Longaven, une assistante sociale, très souvent, dès le samedi après-midi pour y passer la soirée. Chez Courcet une partie de cartes occupait la soirée. Chez Godard musique et sonneries de clairon par un Vietnamien capable de jouer la retraite "Empire~ ou autre. Ce musicien également coiffeur faisait 3 ou 4 "soleils" à la barre fixe avant toute coupe ou rasage. Lors de notre installation dans le logement attribué nous avons "pendu la crémaillère". 36 personnes y participèrent devant un buffet installé dans la pièce principale : des infirmières, des secrétaires, des collègues de Reine avec leur mari, des amis. Parmi eux Pierre de la Houssaye en rupture de traitement à l'Hôpital Lanessan. Il avait amené une infirmière du service qui de temps à autre lui rappelait sa blessure à la fémorale, s'arrêtant de danser il marchait sur les mains, jambes en l'air "pour rétablir la circulation". La nuit, dans la ville calme, nous entendions, au loin, le canon. La guerre était au portes de Hanoï, nous ne savions pas ce que serait demain donc nous vivions le moment présent au maximum. Nous eûmes quelques soirées mémorables, après l'une d'elles passée au "Club", nous nous sommes retrouvés à l'heure du couvre-feu chez nous avec les collègues : 3 femmes et 4 lieutenants, musique, on danse on a chaud. Tournées de "gnacsoda" (cognac), à la 3ème je sers à l'ami Ducarme un verre de Nuoc Mam soda, bien dosé pour la teinte. C'est un Basque, tout en dansant un fandango il avale une très grosse gorgée qui repart très vite sur le carrelage et la robe de sa cavalière... Une autre fois, avec de La Houssaye, vers 5 heures, nous décidons d'aller manger une phô, la soupe populaire très revigorante. Nous sommes 6 sur la Jeep conduite par Pierre. Atteint d'une très forte conjonctivite, de nuit, il ne voyait pas grand chose. À Hanoï les avenues sont très larges, il roulait au centre et tournait au commandement : à droite, (ou à gauche) toute. Nous avons trouvé un marchand de soupe ouvrant sa boutique, nous installions une table et des bancs en travers du boulevard lorsqu'on vit une fenêtre s'éclairer : corvée de femmes, allez quérir le quidam ! Et un capitaine arriva avec elles : "Capitaine Baur", c'était le fils du grand comédien, mort en déportation. Nous vivions "les nuits angoissées de Hanoï", titre de Paris Match ces jours-là. Début septembre. Opération "Brochet", après 2 ans de séjour j'étais enfin seul responsable des transmissions d'une opération. Le GAP commandé par Fourcade, récemment promu lieutenant colonel avait le Capitaine Botella pour B3 et l'ami Bouchard pour le B4. La troupe de manoeuvre était composée de 4 bataillons, les prestigieux ler et 2ème B. E.P. Le ler B.P.C , en fin de séjour et le 5ème Para vietnamien, nouvellement formé par le changement d'appellation du 3ème BPC rapatriable en janvier 1954. La mission consistait à "grenouiller" de part et d'autre du canal des bambous pour déloger, faire exploser le régiment VM 42 qui y était implanté, l'expulser en périphérie où 3 GM l'auraient anéanti... Ca c'était la théorie. Fourcade, esprit commando, était plus souvent voltigeur de pointe qu'au milieu de son PC. Il me fit exécuter des petits coups de main sans rapport avec le travail du pronto. J'en cite un : Le guetteur dans le clocher d'une église signale 3 personnes sur une diguette à 300/350 mètres de nous. L'une d'elles, accroupie pourrait être en train de poser une mine. Fourcade m'envoie avec 2 sous-officiers des Trans et 4 hommes voir la chose. Mouvement débordant large, nous revenons et attrapons 3 femmes... innocentes que je fais fouiller en vain. Le guetteur, par Talkie Walkie, me dirige vers le lieu où elles avaient été vues. Les femmes s'engagent sur la diguette suivies chacune par un Para à 3 mètres, mitraillette pointée dans le dos. À un point où rien ne semblait anormal, celle qui était en tête fait un saut en avant. Son surveillant, surpris, par réflexe, tire. La femme retombe en arrière et fait exploser une mine. Le reste sera l'affaire du "curieux", l'O.R. du ler BEP, l'une des femmes avouera qu'elles avaient laisser tomber des mines dans la rizière en nous voyant arriver. Le régiment 42 nul ne l'a vu. Les G.M. auraient arraisonné 200 de ses membres. Nous avons arrêtés une douzaine de Dzu Kich en armes, trouvé des caches de matériel : explosifs, munitions mais surtout, en 3 semaines, nous avons perdu une bonne centaine de paras sur des mines. Les mines étaient posées de nuit sur des diguettes par lesquelles nos gars étaient passés la veille. Le PC, comme les bataillons, pataugeait chaque jour dans la rizière, évitant les diguettes. Un jour le commandant des Trans de l'opération me fait appeler, il est furieux de ne pas m'entendre en phonie directement, tous nos messages passant en graphie. Un poste du ler BEP situé entre lui et moi assure ce jour-là, en phonie, le relais et il pose des questions péjoratives sur notre matériel et la valeur du personnel. Je crois reconnaître dans le relayeur la voix germanique d'un de mes anciens stagiaires. Je donne mon indicatif personnel : - AMI. - Vouei, vouei, ici MLR. C'est bien mon Muller : - Dis au "gross" pronto que je n'ai pas un poste sur GMC mais du léger à dos d'homme, nous progressons dans la rizière, de l'eau jusqu'au ventre, il doit comprendre. Le légionnaire transmet : - Le pronto il est dans la merde, allez voir, les couilles dans l'eau, vous comprendrez. Silence radio et plus une seule demande de cette autorité. Les BEP toujours les plus fonceurs, les plus méprisants du danger, sont les plus touchés. Quotidiennement je reçois la longue liste des blessés et des morts que je fais coder et expédier à l'EM des TAPN. Un jour j'y vois le nom de Montalbano, "mon" caporal légion. Reine ira le voir à l'hôpital et il expliquera : son pied s'était posé sur une pointe en bambou empoisonnée, bien camouflée qui avait traversé le pataugas. Stop, immobilisation en attendant infirmiers et démineurs, sous ces bambous il y avait souvent des mines. Notre ami a souffert longtemps de sa blessure qui ne guérissait pas. Sept mois après, Montal sautait à Dien Bien Phu avec une botte et une pantoufle... Sa blessure a fini par guérir en marchant pieds nus sur les 400 (ou 500) Km de la captivité. Il est maintenant ingénieur en Dordogne, il va bien et nous nous voyons souvent.Estienne le toubib du ler BEP a eu les jambes brisées en allant secourir un blessé victime d'un piège semblable au cours de la même opération Brochet. Pour les opérations terrestres nous avions des porteurs, des P.I.M., pour la plupart des anciens Viets. Aux TAPN nous en avions 2 douzaines. Bien nourris, bien logés ils faisaient toutes les corvées, même à l'extérieur par 2, 3 ou 4, sous la surveillance théorique d'un para. Ils étaient tous volontaires pour participer aux OPE, il y avait une prime et des "pourboires". Le jour du départ de "Brochet" l'un d'eux me dit : - C'est moi toujours, toujours porter sac lieutenant. De toute l'opération il resta à ma botte préparant, surveillant mes affaires avec un soin jaloux. Tous les officiers en avait un à sa disposition ainsi que les chefs de poste radio qui leur faisaient porter, soit le sac, soit le poste. Il leur arrivait de répondre au micro... Souvent ces hommes libérés, voulant rester avec leurs gardiens, s'engageaient dans leur unité. En opération on en a vu remplacer des tireurs de FM ou de mortiers blessés. D'après les statistiques il n'y avait pas 1% de ces hommes qui s'évadaient. À Dien Bien Phu il y avait plus d'un millier de ces PIM. Une bonne moitié a été tuée en allant récupérer les parachutages de vivres et de munitions. Les survivants, après avoir été coolies de basses besognes, notamment l'enlèvement des centaines de cadavres en putréfaction qui obstruaient les tranchées, ont été "liquidés" par les Viets, leurs frères. Fin septembre cette très pénible opération Brochet, prenait fin et nous sommes revenus à Hanoï attendant la prochaine. Je recommençais à vivre la vie de garnison, mais d'une garnison au coeur de la guerre. Rien de commun avec celle insouciante de Saïgon, nous vivions l'atmosphère de guerre; nous étions, civils et militaires, au courant de toutes les OPS en cours. Les civils, en assez petit nombre étaient des enseignants, des ingénieurs de l'électricité, de l'hydraulique, des Ponts et Chaussées, etc, quelques commerçants, des aviateurs. La Compagnie Aigle Azur avait une vingtaine de C47 (Dakota) travaillant à prix fort pour l'armée, et il y avait la mécanique au sol, les secrétaires, etc., mais les militaires dominaient très largement. À Saïgon officiers et sous-officiers sortaient en civil, à Hanoï très rarement. Il y avait 2 cinémas, 2 dancings et une boîte de nuit "Le Club", mais pas les immenses centres de jeux comme le "Grand Monde", 2 à 3000 joueurs ou les bordels type "parc à buffle", de 300/400 filles. En plus de l'État-major assez réduit des TAPN, 6 bataillons paras dont 2 de légion avaient leur base à Hanoï mais ils n'y venaient que pour 8/10 jours afin de "remettre à niveau" les unités qui avaient passé 2 à 3 mois en opérations, souvent à plus de 600 Km (voire 1000 dans le sud) de là. Ces 8/10 jours "ça dégageait". Oubliées les fatigues, les souffrances, les copains laissés sous un peu de terre à un carrefour de piste. Les blessés, à l'hôpital, n'étaient jamais oubliés, les collègues allaient les voir, parfois les faisant sortir en fraude pour boire un verre en ville. La rue Paul Bert était le centre européen de la ville, le Bar Normandy était le rendez-vous des légionnaires. Au bord du petit lac, une grande brasserie était le lieu de rencontre des militaires du delta venant en mission à Hanoï. On y allait à l'heure de l'apéritif ou du café. On retrouvait des camarades perdus de vue depuis des mois, les nouvelles des uns et des autres étaient retransmises. On étonnait les nouveaux en criant à peine assis : - Boy, tous les boys à la terrasse. Les serveurs prenaient la commande : bière, café ou "niac" soda, (cognac) et au moment de payer - Boy, ke bout Le garçon apportait l'addition avec un bout de crayon : On la signait et on partait. On reviendrait payer, la confiance régnait. Elle régnait tout autant chez les marchandes ambulantes qui s'installaient quotidiennement à l'entrée des cantonnements. Surnommé "Mère casse-bitte", elles faisaient crédit à la troupe européenne. En fin de mois on les voyait venir trouver l'adjudant de casernement, une douzaine de ke bout à la main : - C'est lui pas payer. Rassemblement général et l'adjudant clamait : - Il y a 3 "Empereur ", un "Vincent Auriol", (Président de la République), 2 "Monseigneurs", dépêchons. Et tous, sauf hélas ceux qui étaient restés sur la piste, payaient. La confiance régnait chez "le Chinois", nom donné à tous les principaux commerçants. Les femmes allaient y faire leurs achats et payaient quand la solde était virée. Tous savaient que l'européen était honnête.
Ma fin de séjour arrivant, avec l'accord de Reine, je demandais une prolongation qui fut accordée.

Novembre 1953 - Mai 1954

Dien Bien Phu

Tragédie en trois actes

Ce qui suit n'est pas l'histoire de Dien Bien Phu, ni celle du 5ème B.P.V.N., mais ce qu'a vu un ‘Pronto" entre novembre 1953 et Mai 1954. Acte I Novembre. Ducourneau prépare avant son départ un grosse opération, Capmas en sera le Com-Trans. Je fus invité au dernier briefing le 19, j'y appris que je serai le "Pronto" du Général Gilles chargé de la première phase. L'Opération Castor, débuterait le lendemain, "s'il ne pleuvait", Bigeard a écrit : "Que n'a-t-il plu ce jour là" . Hélas, il ne pleuvait pas à Dien Bien Phu. Le 20 Novembre, le G.A.P.1 commandé par le Lieutenant Colonel Fourcade sautait dans la cuvette. Après avoir tourné au-dessus, en avion PC, presque toute la journée, Gilles et son équipe, dont j'étais, sautaient le 21. Comme prévu Capmas dirigera les Transmissions, Legrand (Kiki), Pronto du GAP, fait creuser, organiser les abris, je m'occupe des installations téléphone et des groupes électrogènes. Lors du briefing, Gilles avait donné son accord pour la prise de Dien Bien Phu, mais avait clairement dit qu'il ne pourrait pas le garder, ce qu'il ne voulait d'ailleurs pas. Le 8 décembre De Castries le remplaçait; nous rentrions à Hanoï où des soucis de logement m'attendaient, nous étions expulsés... Gilles promit de s'en occuper. Dès le lendemain il me dit ne rien pouvoir faire; la villa étant convoitée par le Général Cogny, son supérieur, pour y loger sa maîtresse, les occupants de l'étage étant rapatriés depuis 8 jours, je restais seul à expulser. Il me promit un bon logement pour fin Janvier et entre-temps, j'eus deux chambres à l'hôtel, près du Lycée de Reine. Anecdote J'avais organisé et prévu mon départ pour le 12 Décembre, le 11, un sergent venait avec six Sénégalais pour occuper les lieux; mon pistolet au poing je le renvoyais à ses supérieurs. Le 12, des hommes de la 342 C.T., ma compagnie, vinrent démonter ce qui avait été installé un an auparavant par les Légionnaires, laissant tout à refaire. Acte II Le 14 décembre Le Capitaine Botella de l'EM des TAPN me communiquait mon détachement au 5ème BPVN, dont il prenait le commandement. Nous devions rejoindre cette unité le lendemain, mais je ne serai qu'intérimaire, pour 3 mois, un officier vietnamien, actuellement en stage, devait arriver le 10 mars 1954. La veille, au nord de Dien Bien Phu, ce bataillon, avec le P.C. du Sous Groupement Para, était tombé dans une très grande embuscade; 120 hommes avaient péri, pour la plupart dans la jungle en feu; à peu près autant étaient assez sérieusement blessés et évacués sur Hanoï . L'E.M. de ce bataillon aurait décroché un peu trop vite, de façon anarchique, suivant des ordres très contradictoires du commandant du sous GAP. Résultat : la mise hors TAP des cadres de ces deux États Majors... Un peu après nous arrivèrent le Capitaine Tholly et les Lieutenants Dutel et Rondeau. Botella, pied noir ombrageux, grièvement blessé lors du saut sur la France le 6 juin 1944, avait une jambe raccourcie de 9 cm. Cela lui valait le surnom de "Diable boiteux"; volontaire, il avait fait une longue rééducation et était capable d'effectuer des marches de 30 à 40 Km. Cet homme très courageux était très susceptible, il admettait beaucoup de certains mais rien de beaucoup d'autres. Tholly, après 48 heures, fut prié d'aller s'occuper de la base arrière à Hanoï au lieu du poste d'adjoint qui demeura vacant. Dutel, dont le franc parler lui avait déplu, fut muté dans une autre unité et Rondeau prit la 1ère Compagnie. Le Ba Wan avait besoin d'une très sérieuse réorganisation. Cette unité avait été formée à la fin de l'été précédent par la transformation du 3ème BCCP, arrivant en fin de séjour en 5ème BPVN, des cadres et hommes de troupe vietnamiens devant remplacer progressivement les Français tués ou rapatriables. Cet échange était très lent, l'armée vietnamienne ne pouvant fournir les cadres nécessaires, surtout dans des Unités de pointe comme les Paras. Entre le 15 et le 25 Décembre. Le renfort arrive comprenait 5 officiers, une dizaine de sous-officiers européens et 150 hommes de troupe vietnamiens. Un sous-Lieutenant vietnamien, Pham Van Phu, (ancien sergent formé dans une de nos unités), s'était distingué dans la fournaise du 13 Décembre alors que des Européens avaient lâché pied, il fut nommé lieutenant et prit le 1er janvier 1954 le commandement de la 2ème Compagnie. La section Trans dont j'allais m'occuper, n'avait que 2 chefs de poste (radiographie) européens et du personnel vietnamien que j'avais formé au Citapi d'où la "priorité" qui m'avait été donnée pour le détachement. Pour la phase délicate de réorganisation et de reprise en main, le Bataillon fut placé sur le P.A. (point d'appui) Anne-Marie. Une moitié travaillera à sa mise en défense, abris, tranchées, réseau de barbelés, l'autre moitié fera des sorties d'éclairage au Nord et à l'Est pour aguerrir les nouveaux arrivés (et même les anciens). Au cours d'une O.P.E. vers le sud, nous aurons 2 tués dans un accrochage. C'était le 10 Janvier, mon anniversaire. Les 25 et 26 Janvier. Nous revenions à Hanoï fêter le Têt, Nouvel An vietnamien. J'arrivais juste pour installer la famille dans une petite villa située dans l'enceinte des TAPN. Nous occupions le rez-de-chaussée, le Commandant Bloch, chef d'état major de Gilles avait le 1er étage. A partir du 1er Février. 2 compagnies et un embryon de PC, dont je suis, assure, avec des tirailleurs algériens, la garde du terrain d'aviation de Gia Lam. Le reste du bataillon est à la B.A. (base arrière) du Protectorat, il fera des patrouilles le long du Fleuve Rouge. Il y aura chaque semaine des permutations entre B.A. et Gia Lam. Le 11 mars. Les "Bigeard" prennent notre place sur le terrain. Nous regroupons tout le monde à la base arrière où toutes les revues possibles sont effectuées. Loc, le pronto vietnamien, arrive, c'est un frère des écoles chrétiennes, bien doux, bien gentil, perdu chez les paras où il échoue, involontairement, à cause de son mauvais classement à la sortie des E.O.R. (les 1er vont au Train, on y a une Jeep et le cantonnement est toujours dans une ville). Je lui présente le personnel de la section. Il prend le matériel en compte, puis j'explique à ce débutant ses responsabilités militaires et humaines : Il a des droits mais aussi de gros devoirs envers ses hommes, chose jamais apprise dans les écoles de l'armée vietnamienne. Il paraït affolé, terrorisé même par mes dires. Nam, caporal chef, garçon calme et très intelligent, originaire de la même province du sud que lui ne paraît pas l'admettre. Lac, mon ordonnance aux dents laquées noires, venu à la maison pour m'aider à monter un surpresseur d'eau en profite pour me dire : - Loc c'est pas para, lui même chose crapaud. Le 13 après-midi. Nam et Lac viennent me demander de rester, ils n'avaient pas confiance, peur même d'aller en opération avec lui Le BPVN ayant été déclaré "Bon OPS", nous ferons demain un saut de bataillon, c'est-à-dire tout le monde, pour travailler, mettre au point dans chaque compagnie le regroupement à l'arrivée au sol. Ce même 13 mars, en fin d'après-midi, je rencontre Combaneyre, Lieutenant du 8ème Choc, unité restée à Dien Bien Phu pour les interventions. Malade, rapatriable début Avril il a été envoyé à l'hôpital, et il s'est arrêté à l'EM des TAPN demander la date de son départ pour la France. Les nouvelles qu'il apporte de Dien Bien Phu sont pessimistes, l'artillerie viet tire à vue sur les avions au sol depuis les collines entourant la place. Ceux qui y étaient basés sont détruits, ceux qui s'y posent sont arrosés d'obus après 30 secondes d'arrêt; il paraît vraiment heureux d'avoir pu sortir de là. Dans la soirée vers 22 heures, le Commandant Bloch, mon voisin du dessus, rentrant chez lui, frappe à ma porte : - Préparez votre sac, demain le Ba Wan saute à Dien Bien Phu. Intrigué, je vais faire un tour à l'EM distant de 60 m, Delors est là, il fait la grimace, me montre les T.O., l'attaque viet sur "Béatrice" considérée comme perdue, l'ordre de mise en route du 5ème. Le 14 mars Le rassemblement était prévu pour 7 heures, j'y suis à 6 heures, seul, mais il y a un message me convoquant au Com. Trans. FTNV. Un capitaine et un lieutenant m'attendaient, suite à la chute de "Béatrice" l'O.B.T. est compromis Il faut en faire parvenir un autre. Ce document très secret ne peut être acheminé que par un officier de l'arme Trans. Me voilà donc chargé de l'affaire. Taille et poids d'un annuaire téléphonique. Le capitaine me serre longuement les mains, le lieutenant essuie une larme : Je vais à la mort ! je me vois dans l'obligation de les réconforter, le monde à l'envers. Retour à la B.A. une Jeep d'avance sur Botella, je lui dis "jamais deux sans trois"... Il était B3 pour la prise le 20-XI, repartis et revenus ensemble le 15-XII, nous reprendrons l'avion une 3ème fois pour Dien Bien Phu. Il n'a pas été encore prévenu, un message clos l'attend sur son bureau, il ne sait encore rien. Un regard sombre mêlé d'un demi sourire me parvient : - Encore et toujours des blagues ? J'explique, il passe un coup de fil et fonce aux TAPN dont il revient avec un capitaine au calot de l'A.B.C.. A sa descente de Jeep il est furieux, je ris intérieurement, c'est le moment d'en sortir une : - Mon détachement est terminé, j'ai passé mes consignes à Loc, je n'ai pas besoin d'aller à Dien Bien Phu... Sa colère tombe, il me regarde atterré : - Ne m'abandonnez pas, Loc n'a jamais vu une OPE, Courcet (commandant la CCS) muté doit passer ses consignes à Delobel arrivé hier et c'est ce capitaine non breveté qui devrait être mon adjoint, venez, vous rentrerez dans 2 ou 3 jours. Il avait marché, je lui montrais l'OBT et nous rîmes ensemble. Acte III Embarquement dans les avions à 11 heures, j'aurai la place de l'adjoint, à la porte de l'avion leader pour être le premier au sol, prendre liaison avec le PC de Castries, afin de savoir où nous diriger après avoir assuré le regroupement des compagnies. Sur le terrain d'aviation j'apprends que la DZ est sous le feu ennemi (Combaneyre l'avait dit), nous pouvons donc être pris pour cible en l'air; pour limiter ce temps de descente nous serons largués entre 110 et 120 mètres. Lourd, 80 kg, chargé le ventral inutile à ces hauteurs de largage, je demande à ne pas le prendre : refusé, cela en démoraliserait trop. Dans l'avion, Lac, porteur du poste C10 est derrière moi suivi du toubib Rouault qui me dit : - Ne t'inquiète pas, je te suivrais des yeux, si tu as un ennui je me servirais du poste. Gentil, il ne s'occupera pas de ma blessure en priorité. Lumière rouge, le vert : GO... Dès l'ouverture du "piège", je largue le ventral et commence à me dégrafer; à l'atterrissage je suis libre du harnais, cours vers le radio et prends le poste avant qu'il ait fini son dégrafage. Rouault a fait comme moi et arrive en courant : - OK Toubib, compte tes clients. J'appelle le Gono, c'est un opérateur du GAP qui répond le premier : - OK AMI (mon indicatif personnel) LGD va vers vous. Et, sous les obus de mortier qui tombent, je vois arriver "Kiki", mon collègue Legrand (LGD). Il vient prendre l'OBT et m'indiquer le lieu de regroupement du Ba Wan au sud de D3 et D4. J'y cours avec le Chef Pierraggi, largué derrière Rouault, chargé des fumigènes signalant le point du regroupement tandis que Botella, clopin-clopant, va, sans se presser sous les obus, voir Langlais le commandant du G.A.P. J'ai touché le sol peu avant 15 heures. La CCS et la première compagnie sont aussi arrivées, en suivant, au même endroit, près du terrain d'aviation ,mais des tirs de DCA arrivant vers eux, les aviateurs arrêtent le largage. Ils le poursuivront plus au sud. La 4 sautera au nord-est d'"Isabelle", la 2 et la 3 à l'ouest de ce P.A. d'où des km à parcourir et retards pour le regroupement général, avant d'aller vers 18 heures nous installer sur Éliane 4. Sur la première DZ, où j'atterris, nous avons eu de la casse par les obus VM, surtout dans la section mortiers, 2 chefs de pièce sont tués, une dizaine de servants blessés. - Sur l'emplacement il y a des abris A dit l'adjoint de Langlais. Laissant 3 morts au pied des D, nous traînons avec nous une trentaine de blessés, certains graves; ils nous ont empêchés de nous esclaffer en voyant les abris installés par le BT2 : une dizaine de trous pouvant contenir un Thaï mais pas un Européen. Ils ne sont recouverts que de kefen et de 5 cm de terre, la tranchée qui les relie ne fait pas plus de 1,50 m de profondeur et le côté Est d'E4 qui nous est dévolu, fait face aux Viets qui tirent sur toute tête qui dépasse de la tranchée. La nuit arrivant à 19 heures, tous officiers, sous-officiers, hommes de troupe, pelle-bêche à la main, nous creusons. A Rouault qui grognait j'ai répondu : - Tais-toi et creuse". Mais il y avait les blessés que l'A.C. avait refoulés, débordée depuis les bombardements de la veille qui l'avaient en partie détruite et mise à l'air libre. De nuit "Jules" a décortiqué le genou d'un homme à la lueur de 2 torches pratiquant l'amputation sous légère anesthésie locale ! Notre médecin était l'homme des actes impossibles, il l'avait démontré le 13-XII : Un sous-lieutenant ayant reçu une balle dans la gorge s'étouffait, le sang allant dans les poumons. Rouault fit une trachéotomie : une entaille dans la trachée par laquelle il fit passer un tuyau, en l'occurrence un garrot, le blessé put respirer. Pendant les 2 heures de brancardage pour le ramener à l'A.C., le toubib l'accompagna, lui soutenant la tête dans la bonne position. Dans la nuit, sous la pluie tombant par intermittence, nous entendons la canonnade qui secoue "Gabrielle" et le 5/7 RTA ainsi que la riposte de nos artilleurs qui paraît bien faible. Vers 22 heures, les abris étant assez améliorés, les pelles-bêches s'arrêtent. Tandis que le Patron reste en écoute radio, je sombre dans le sommeil pour le remplacer à 1 heure. Loc et Ty sous-lieutenant (avocat?) chef de la section de protection du PC doivent me relever à 5 heures mais ... Le 15. A 4 heures le sous chef du GAP, S...P... ordonne la mise en route immédiate du bataillon, nous devons être à 5 heures en bas du piton, au bord de la Nam Youm pour partir en contre-attaque sur "Gabrielle". Des guides nous attendrons sur le pont enjambant la rivière. Botella pique une nouvelle crise de colère, me dit brièvement l'ordre de marche qu'il prévoit et me laissant face aux commandants de compagnies, part avec Pierraggi (scribe) et un radio C10, dire ce qu'il pense à Langlais. A l'arrivée sur E 4, la veille, dès l'emplacement des commandants de compagnies reconnus j'avais fait tirer par Hoang, le caporal filiste et ses hommes, des lignes vers eux. Cela me permit de dialoguer directement avec mes camarades. Gaven, la 3ème compagnie, grogne, jure qu'il ne partira pas, profère des insultes pour Langlais qui nous fait "le coup de l'invité", son adjoint qui nous a envoyés sur E4, où lui et ses hommes ont creusé jusqu'à minuit pour avoir des emplacements de combat corrects. Il n'oublie pas Botella "jambe de laine", qui se laisse faire et moi qui aurait mieux fait de dormir que d'écouter la radio ! je suis d'accord mais ... - Tu seras la tête de colonne en bas du piton à 5 heures, salut !. Selon les ordres, Ty suivra avec sa section, je serai derrière lui avec les radios; le toubib et ses infirmiers leur emboîteront le pas en attendant l'arrivée de notre chef. Martinais la 4, Phu la 2 et Rondeau la 1ère, suivront dans cet ordre. Martinais ronchonne un peu, Phu doit être au garde à vous lorsqu'il me répond : - Reçu, je pars. Rondeau, un peu moins grossier est presque aussi grognon que Gaven. Rouault qui a opéré, pansé, soigné jusqu'à minuit soupire, il a trouvé à la sortie de son abri un obus de 60 non éclaté, il pense que c'est moi qui l'ait posé et sourit peu convaincu de mes dénégations, j'ai une telle réputation de farceur ! (cf. Livre "Médecins au combat", Pygmalion). Au passage de la Nam Young, nous trouvons Botella mais pas les guides. Après 30 minutes de hurlements dans les C10, 2 légionnaires arrivent. Nous cheminons lentement dans les tranchées très étroites; il y a 5 km à parcourir, nous en avons fait les 3/4 lorsque le jour se lève et qu'un tir d'artillerie nous tombe dessus. La colonne est arrêtée. Les hommes de Ty s'entassent devant nous; Gaven ne répond pas à la radio, (nous apprendrons que son poste a reçu un éclat d'obus, le radio est blessé). Botella s'énerve. Il veut envoyer Loc vers l'avant pour voir, savoir, mais il faut sortir de la tranchée pour dépasser les gars arrêtés, entassés; le sous-lieutenant a peur, il éclate en sanglots. Je croise le regard du Patron, il a un rictus qui voudrait être un sourire, je lui souris, saute dehors et cours vers l'avant. C'est Ty en personne qui bloque, Gaven est déjà loin, la tranchée est finie, il faut partir à découvert et le sous-lieutenant a peur lui aussi, comme l'autre, des obus qui tombent de ci, de là. Je distribue bourrades, coups de pieds et de poings, avec comme pièce à conviction mon pistolet dont j'assène de grands coups, pour faire avancer cette section bouchon. Lorsque Botella peut enfin me rejoindre nous progressons en courant de trous en trous poussant devant nous ceux qui s'attardent. Phu, voyant l'arrêt, a cherché aussi à comprendre, il est sorti de la tranchée, entraînant, poussant ses hommes; il a dépassé Martinais encore dedans, derrière les infirmiers et il est arrivé à notre hauteur. C'est un chef de guerre, il nous aide par des cris, des insultes à pousser tout en avant. Nous rejoignons Martin, lieutenant du BEP, et sa compagnie. "Loulou", blessé à un bras est calme, décidé, paraissant insouciant malgré sa blessure et les obus. Quel exemple pour ses hommes. Gaven est aussi très calme quand nous le rejoignons, au point de trouver un moment pour s'excuser de son accès d'humeur lors de mon appel de 4 heures, quel brave type. Avec les légionnaires nous rassemblons dans des trous d'obus, des amorces de tranchées, abris précaires, des tirailleurs qui peuvent s'échapper de "Gabrielle". Deux chars sont arrivés ils se placent entre nous et les Viets; leur présence attire les coups de l'ennemi, ils ripostent tant et plus. Un capitaine du 5/7, blessé a ramené une centaine de survivants vers nous, je lui demande des nouvelles de Sanselme, un lieutenant, le seul de l'unité que je connaissais :"mourant" (il survivra). Les tirs d'artillerie se sont arrêtés et nous revenons tristement vers E4, Botella allant, au passage, "remercier" Langlais pour le coup bas qui nous a été asséné. Nous avons mis plus de 2 heures pour arriver au pied de "Gabrielle" alors qu'il y avait, permanents depuis 4 mois, 2 bataillons paras d'intervention ayant systématiquement reconnu tous les itinéraires pour aller vite et en sécurité vers tous les P.A. basés près du terrain d'aviation; ils n'auraient pas mis plus d'une 1/2 heure pour être sur "Gabrielle" et contre attaquer. Peut-être aurait-on pu les faire partir 2 ou 3 heures plus tôt, mais c'est l'indécision de l'E M de Castries qui serait en cause... Dans cette histoire qui ne redore pas le blason du Ba Wan, le toubib a récolté une dizaine de "clients" blessés assez légers. Lorsqu'il nous rejoint, notre chef a un sourire pour nous expliquer que c'était l'adjoint (S...P...) ayant remplacé celui mis hors TAP après la triste affaire du 13/XII qui était coupable d'avoir engagé une unité non préparée dans une OPE mal coordonnée. Martin avait reçu l'ordre de partir mais pas de nous fournir des guides. C'est en entendant nos réclamations radio qu'il avait envoyé 2 hommes, partant devant "au canon". Ty qui, à part la veille, à l'atterrissage n'avait jamais entendu siffler une balle, avait fait le reste. Pour l'exemple, Botella veut frapper fort, il demande pour nos 2 sous-lieutenants l'exécution, ou tout au moins qu'ils soient dégradés et utilisés comme coolies avec les P.I.M.. Le Commandement ne va pas si loin, ils seront dégradés et envoyés 2ème classe dans une compagnie. Ce sera le cas pour Ty, il sera tué 48 heures après. Loc, incapable de se servir d'une arme, sera confié au Chef Franck, chargé des approvisionnements. C'est un travail dangereux d'aller sur la DZ où arrivent les colis de vivres et munitions et de les ramener. Nous organisons la défense du flanc Est d'E4 très exposé aux vues des Viets. Nos "Nha Qués", champions de la pelle-bêche vont très vite pour faire une vraie tranchée sur les cotés Nord-Est et Sud-Est qui aura 2 mètres de profondeur, 0,60 m de large. On pourra brancarder en sécurité (à peu près). Par des trous larges, 50 cm, haut de 80 cm, nous faisons creuser des grottes; la terre est argileuse, il n'y a pas de cailloux, ça tient et ne s'effrite pas. Après un seuil de 25/30 cm en hauteur et largeur, 4 marches vers le bas de 25 cm, le haut sera aussi gratté sur environ 10 cm. Cela peut représenter un couloir long de 4 m, haut de 1,90 m. Sa largeur sera de 80 cm à la base, jusqu'à 0,50 de haut, puis élargie de 60 cm de part et d'autre jusqu'au plafond; cela fera des banquettes qui nous servirons pour poser, à l'entrée, le central téléphonique, les postes radio C9 et C10. Plus loin ce sera des sièges et nos couchettes (Botella et moi). Des grottes presque similaires seront creusées pour loger Rouault et les infirmiers, les transmetteurs, la section mortier et pour finir celle de Franck, Pierraggi et autres, distantes entre elles de 2 ou 3 mètres, elles seront reliées en Avril par un boyau de 60 cm de large, 70 de haut. Sur nos tètes 6 à 8 m de terre, sauf coup d'embrasure, nous sommes à l'abri des obus. Seul officier du PC et de la CCS, je me démène beaucoup pour faire activer la finition des abris. Notre bataillon aura la double mission de défense sur la position et d'intervention par compagnie dans des contre-attaques. Les premières nuits nous sommes très inquiets. Les commandants de compagnie ont fait le maximum pour organiser défensivement le secteur qui leur est attribué mais, échaudés par la mauvaise progression du 15 vers Gabrielle, nous nous demandons quel sera le comportement de nos petits gars sous un bombardement tel que celui que nous avons vu tomber ce jour-là. Botella me fait part d'une inquiétude supplémentaire : Nos artilleurs n'ont plus assez de munitions, le stock, insuffisant, a été tiré les 13 et 14 (le colonel responsable, très honnête, s'est suicidé), nous allons vivre au jour le jour des parachutages de plus en plus aléatoires. Le 16 Mauvaise nouvelle dès le matin, des obus sont tombés sur l'Antenne, la salle radio et plusieurs abris pour blessés sont à ciel ouvert. L'après-midi, réconfort : le 6ème BPC arrive, le moral remonte très haut, Bigeard n'est pas un chef habitué à laisser exécuter ses hommes, nous nous en sortirons. Ce bataillon s'installera aussi sur E4 mais au sud-ouest, bien moins exposé que nous. Le 18 L'A.C. est encore touché par les obus viets, la salle de triage des blessés est le lieu d'un carnage. Le 19 Delobel arrive, la permanence PC est plus facile mais 3 jours après, blessé, il part à l'Antenne, nous ne le reverrons jamais. Ce même jour, le 5ème est amputé de 2 compagnies : la 1ère de Rondeau s'installe sur Huguette 6" en bout de la piste d'aviation, la 4 de Martinais sur "Dominique" en soutien des tirailleurs du 3/3. Gaven s'étalera un peu plus. Phu restera seul en réserve OPS et donne un très sérieux coup de main pour tendre un large réseau de barbelés (8 à 10 m) devant nous, face aux Viets. Il est inconcevable que cela n'ait été fait les mois précédents alors que le Viet n'était pas encore installé. Le travail ne peut se faire que de nuit, sous peine de mort subite. Après cela, la Section Protection du PC qui n'a plus qu'un sergent comme chef, sera ventilé dans les compagnies en remplacement des pertes, sauf Decloux et 4 Vietnamiens laissés à Franck. La vie s'organise pour tenir, durer : Les nuits calmes, (il y en a...), Botella prend la permanence avec un radio et son ordonnance, agent de liaison, Phuc. Je lui succède avec un autre radio et Lac jusqu'à 5 heures puis Rouault, "Jules le sanguinaire"; le "toubib des pitons", ayant pitié de notre misère, assure avec Pierraggi la fin de la nuit. La Section Trans, amenuisée, ne comprend plus que Meyer, Faure, Nam, radios; Mao filiste; les autres sont allés chez Rondeau et Martinais. Le personnel infirmier ne comprend plus qu'un Européen et 2 Vietnamiens, les autres sont aussi allés en renfort des compagnies. La section mortier du Chef Métais perdra en 2 semaines les 3/4 de son effectif sous l'effet des contrebatteries. Il ne restera que 4 survivants et 1 seul tube de 80. Si la CCS très réduite n'a plus que moi pour officier, le PC du Ba Wan l'est encore plus : Dédé (indicatif radio de Botella), le Chef Pierraggi, secrétaire à tout faire et... moi encore. Le 25 Mars Le Sous-Lieutenant Canton, un rescapé des camps de déportation, qui semblait invulnérable, reçoit une balle en plein front sur le Mont Chauve où il était en embuscade de nuit. Le 28 Arrive Bizard, l'officier adjoint prévu, qui a été breveté Para la veille mais Rondeau, ayant été gravement blessé au cours d'une OPE de dégagement de sa position, Bizard le remplacera devenant le commandant du PA qui, en plus de sa compagnie, comprend une trentaine de Légionnaires. Le Sous-Lieutenant Kim Can s'étant particulièrement distingué lors de cette opération est autorisé à porter les galons de Lieutenant. Il sera tué le 2 mai. Le 29 Mars Martinais reçoit mission d'aller avec sa compagnie forte de 90 hommes, maintenant aguerris, renforcée par une section de mortiers de la Légion, relever, sur "Dominique I", le 3/3 RTA. Ce bataillon est squelettique. Il a environ l'effectif de 2 compagnies (au lieu de 5), 3 officiers seulement et une dizaine de sous-officiers, en majorité Algériens. Ces hommes rapatriables en Mars, auraient du quitter Dien Bien Phu en Février mais il n'y avait plus la possibilité de les embarquer sans avoir une grosse casse: personnel et matériel, le terrain d'aviation étant sous le feu des Viets. Les hommes sont fatigués, ils "n'en veulent plus", il n'y a pas les cadres nécessaires pour les "regonfler". Il faudrait les mettre à l'abri, au repos (où ?) avant que, comme les Thaïs, ils ne désertent. Dans l'après-midi de ce 29 mars, les armes automatiques enlevées (prématurément) de leurs emplacements, les sacs bouclés, les "Turcos" sont prêts à partir quand une attaque V.M. se déclenche, Dl reçoit le feu d'une quarantaine de canons ennemis. L'ordre de repli, insensé sous le bombardement est annulé. Le Commandant du 3/3 le dit par radio à ses adjoints (au PC Ba Wan nous sommes à l'écoute) qui ne peuvent répercuter l'ordre, les postes de leurs subordonnés sont fermés ! Les tirailleurs voyant les paras continuer leur progression, monter vers eux, abandonnent leurs positions et déboulent vers la plaine. Martinais qui a reçu les mêmes ordres que leur chef, veut les arrêter, en vain; il est obligé, ainsi que, hurle ce chef dans la radio, de faire tirer sur eux par les hommes de sa compagnie pour qu'ils rebroussent chemin. C'est trop tard. Les Viets arrivés en haut du piton occupent les emplacements abandonnés, il n'y a rien ni personne pour les arrêter. Ils contournent le piton par le Nord-Ouest vide de ses occupants et encerclent Martinais, ses 90 "Nha Quès", une trentaine de tirailleurs qu'il a récupérés et la section légion. C'est une marée humaine qui va les submerger après un combat au corps à corps, à 20 contre 1, qui durera plus d'une heure. La 4ème Compagnie du 5ème BPVN n'existe plus. Il a fallu le sacrifice d'un régiment VM pour l'anéantir. Lors de la reconstitution des batailles, au cours de la captivité, les pertes viets seront connues : 450 morts, un millier de blessés sur 2.000 attaquants. Quelques dizaines de tirailleurs, les premiers à avoir fui, iront se terrer dans les grottes qui existent le long des berges de la rivière, c'est le début de ce qui sera appelé les "rats de la Nam Youm", des hommes qui ne voudront plus combattre et ne sortiront de leurs tanières que pour faire de la rapine : vivres et vins (vinogel). Le 30 mars Les Lieutenants Gaven et Marqués de la 3ème Compagnie sont tués. Les hommes du BT 2 ayant déserté en masse abandonnant le P.A Anne Marie, que nous avions si bien aménagé en Janvier, des officiers sont disponibles. Nous recevons le Lieutenant Guilleminot dont le frère avait commandé une de nos compagnies et le Sous-Lieutenant Makoviak, un vétéran d'lndo, 3ème séjour, il sera l'un des rares à pouvoir s'évader de la captivité. Le Sous-Lieutenant Thélot, adjoint de Bizard meurt aussi ce 30 mars. Certains disent "c'est la vie", la mort qui nous oublie si peu en fait, hélas, partie; la liste est déjà trop longue des sous-officiers et hommes de troupe Européens ou Vietnamiens dont j'envoie par radio l'avis de décès. C'est une composante de la routine, des tracas, ennuis, soucis quotidiens. Le soldat doit combattre mais comme tout être vivant, il doit manger, boire, dormir, chose peu facile dans des abris trop petits, surpeuplés, au milieu du tumulte de ceux qui vont et viennent, avec orchestre de bouches à feu et fracas d'arrivée d'obus de toute sorte, de tous calibres. Dès la première heure d'arrivée d'une troupe en un lieu, un problème se pose : la possibilité d'évacuer proprement, ce qui fut ingurgité... Les feuillées, tel est leur nom, très impropre à Dien Bien Phu où il ne reste pas un arbre, pas une plante et, évidemment, pas une feuille, furent installées les premiers jours derrière 3 toiles de tente, en plein air, mais trop d'hommes seront tués en ces lieux. Le Toubib responsable sanitaire nous donna la bonne solution de ce problème capital : Dans un abri large, aéré, ventilé, creuser des "Hollandaises". On commence par un trou initial de 40 cm de diamètre, cylindrique sur une profondeur de 50/60 cm et, ensuite, descendre le creusement en élargissant en forme de bombonne. Nos petits gabarits "Nha Qué" font merveille : 2 m de profondeur, 1,50 m à la base. Les mouches ne sachant pas "spiraler" pour monter resteront dans le fond. Le 10 avril Langlais et Bigeard décident de reprendre E1 (de Castries les laisse faire...), le 6ème BPC est lancé (ce qu'il en reste). Au prix de très sérieuses pertes, il prend la position mais il faut le relever. Le 2/1 RCP est envoyé pour ce faire. Nous suivons toujours à la radio nos collègues qui se font matraquer sans arrêt par l'artillerie VM. Les gars d'en face sont sans doute vexés d'avoir été refoulés à 10 contre 1 et ils veulent reprendre la position. Tirs et attaques viets se succèdent sans interruption. Le 11 vers midi Il faut contre attaquer pour sauver ce qui reste des Chasseurs de "Bréche". Une compagnie du BEP conduite par Martin, la Compagnie de Phu, renforcée par la moitié de la 3 du 5ème, seront de la "fête". (l'autre moitié 40/45 hommes reste en défense (!) de E4. Les Légionnaires conscients d'aller au "casse pipes" progressent en chantant l'hymne du 1er BEP. Phu voudrait en faire autant mais le Ba Wan n'a encore jamais eu de chant propre alors, ce garçon brillant, énergique, ordonne aux cadres "Phap" de chanter la Marseillaise ! Une dizaine de nos "Nha Qués" la connaît (à peu près) et on voit, on entend une Unité de Paras "Vietnamiens" aller se faire tuer au son (approximatif) de l'hymne national français. Nos pertes seront de plus de la moitié de l'effectif engagé mais les survivants tiendront jusqu'au lendemain. Cet acte vaudra à Phu d'être nommé capitaine, et, ajouté à ceux de Martinais, de Bizard, vaudront à notre bataillon d'être enfin appelé le 5ème Para, Ba Wan n'est plus un surnom péjoratif. Cela se passait le 11 avril, dimanche des Rameaux. Le 18 avril le Sous-Lieutenant Gourdesse détaché chez nous venant du BT2 est grièvement blessé, évacué. Le 21 Botella est nommé commandant. Il dit m'avoir proposé capitaine, il n'y aura jamais de suite. Je l'ai déjà dit, les approvisionnements ne viennent pas seuls sur E4, il faut aller chercher le nécessaire en bout de DZ, au début de la piste d'aviation, puis au fur et à mesure du rétrécissement de la "peau de chagrin", au PA central, cela bien sûr sous les coups des artilleurs d'en face. Dans la nuit des équipes de "Tringlots" dont il faut louer le courage et l'abnégation, dirigent des P.I.M., récupèrent, trient, stockent, distribuent, aux pieds des pitons, suivant les demandes des Unités (et des avoirs). Les bénéficiaires emportent à dos d'homme en passant par des points à découvert sur lesquels les Viets s'acharnent. Le ravitaillement en vivres est pour tous à base de riz. Nos hommes sont à 90% au début, 80% à la fin, (après les renforts parachutés) des Vietnamiens mais tous, européens ou pas, mangent du riz à chaque repas. La boîte de "singe" ("corned beef" en français) individuelle est chez nous pour deux ! c'est le seul agrément du riz avec quelques oignons mais nous aurons thé, café, cigarettes à volonté jusqu'à la fin, le sucre à peu près aussi. Nos mortiers de 81 sont très souvent, sur ordre du G.A.P., appelés à tirer dans le talweg en bas d'E4. Les munitions qui nous sont attribuées, insuffisantes, et le Chef Franck mettant un point d'honneur aux "appros", va souvent, en plein jour, en quête du nécessaire, accomplissant des prodiges d'audace, entraînant l'ex sous-Lieutenant Loc. Le 24 avril Ce sous- officier de 25 ans, solide, rieur, est atteint par des éclats aux chevilles en traversant la Nam Youm. Il arrive vers nous en larmes, sanglote et s'écroule : mort, une crise de nerfs ayant sans doute provoqué un infarctus ! "Jules" n'était pas là, il n'y avait qu'un infirmier vietnamien, Pierraggi et moi. Je n'avais à cette époque aucune connaissance sur le massage cardiaque. Métais, Pierraggi, Ducloux (3 fois blessé) alterneront pour le remplacer conduits par Loc assez regonflé au contact et à l'entrain de Franck. Je dois aussi dire que Loc, "à ses moments perdus", entre deux prières, a creusé un trou de 2 m2 qu'il utilise pour cuire notre riz en plus du travail de ramassage, c'est aussi son abri personnel. Le soir, par le C 9, nous écoutons les nouvelles diffusées à Hanoï par "Radio Hirondelle", la voix officielle de l'Armée. Nous sommes effarés par les énormités, les fausses nouvelles sur Dien Bien Phu et nous sourions, elles doivent être les mêmes en France, elles rassurent nos familles. Comme il faut peu de chose pour faire rire des hommes s'apprêtant à mourir, nous nous esclaffons en début d'émission lors du générique du feuilleton "les Mystères de Paris" : "vous qui êtes à l'abri, écoutez les drames de Paris", nous étions dans un abri et pour le drame... qui pouvait mieux dire. Nous recevons du courrier parachuté mais nous ne pouvons pas en expédier, ni même envoyer des télégrammes privés, toutefois Reine saura toujours que je suis vivant, en exercice de mes fonctions, par Delors ou le Commandant Bloch qui lui diront presque chaque jour avoir signé un ou des T.O. de décès. Les derniers jours, Desfossés, mon vieux compagnon de SAARF, responsable des liaisons Hanoï - Dien Bien Phu lui offrira de m'appeler par le radiotéléphone spécial, elle refusera avec raison. Le ravitaillement de "Huguette 6" encerclée, est devenue impossible; dans la nuit du 17 au 18 avril Bizard reçoit l'ordre de l'abandonner. Les Paras du 8ème essaieront de l'aider, mais ils ne pourront aller à moins de 400 m de lui, des tranchées viets fortement occupées l'interdisent. Bizard a, avec lui, 70 hommes de notre 1ère Compagnie, soldats aguerris maintenant et une trentaine de Légionnaires dont deux officiers. Le 18 avril, dimanche de Pâques, il fera la sortie direction Sud, vers les amis. Les hommes auront un sac de sable de 6 à 8 kg pendu devant et derrière en guise de pare-balles, leur arme et rien d'autre. A l'aube, au signal prévu, tous sortent en même temps, courant, hurlant, tirant, ils franchissent les deux lignes de Viets surpris, attendant l'attaque venant du Sud après avoir vu la mise en place des Paras du 8ème Choc. Bizard, sans arme, courait au milieu des hommes, son missel à la main (!) les encourageant. Il a ramené les 4/5ème de la garnison de "Huguette 6". Bel exploit consigné dans la citation accompagnant la Rosette de la Légion d'Honneur attribuée à ce capitaine de 29 ans. Nous avons eu depuis notre arrivée des petites pluies. A partir de fin Avril ce sera des pluies de mousson en avance qui détremperont tout, transformant les tranchées en canaux. En 14/18 nos anciens avaient du bois et pouvaient poser des caillebotis. A Dien Bien Phu nous n'avons rien et pataugeons dans la boue, même dans les abris. Les combats continuent. Nos "Nha Qués" se sont aguerris, accoutumés; ils sont maintenant de vrais soldats, des Paras qui se battent courageusement. Il y eut quelques faiblesses à la 3 après les décès de Canton, Gaven, Marqués. Cela s'est aussi produit ailleurs. Les Viets, par haut-parleurs, incitent à ne plus combattre, à déserter; cette propagande est faite en plusieurs langues : allemand, arabe, espagnol et italien avec, bien sûr, le vietnamien et le français. Quelques Légionnaires, quelques Arabes se laissent prendre, un flottement apparaît chez les Vietnamiens de nos bataillons (tous les bataillons paras sont "jaunis" à 40%). Bréchignac réagit très fort. Botella l'imite : 3 gars du 2/1 RCP, 2 de chez nous qui ne voulaient plus combattre, sont déposés, ficelés, dans les barbelés pendant 24 heures. Les Viets les prenant sans doute pour des tués ne leur tirent pas dessus, combiné avec les harangues de Pham Van Phu cela suffira pour qu'il n'y ait plus que des hommes voulant se battre. A l'écoute de nos hommes, de nos amis, nos frères des Unités d'intervention, les bataillons paras principalement, où nous nous connaissons tous, colos, métros, légionnaires, très intensément liés, nous sommes anxieux, nous frémissons, subissons. Il est très dur de les entendre sans pouvoir les aider; nous reconnaissons très souvent leurs voix (certains comme Clédic parlent en breton, d'autres en anglais voire en arabe comme Botella !). Nous voudrions aller les rejoindre, ce serait moins oppressant dans l'action que de rester calmes en écoutant les plus mauvaises nouvelles, du moins le paraître pour rassurer ceux qui sont autour de nous ou ceux qui, ne pouvant écouter toutes les fréquences, voudraient savoir. Botella donne l'exemple,. Il est parfait avec souvent un mot gai pour détendre et rire de nos malheurs. "Jules" ne laisse rien paraître, il va chaque jour dans les compagnies soigner les blessés, les réconforter, les stimuler. J'essaie d'être impassible, indifférent même en recevant des objets, des papiers, de l'argent ayant appartenu à nos morts. Je consigne les détails pour écrire à leur famille ! cela ne se fera jamais... Nous devenons routiniers. Tous les matins, Lac descend à la rivière et remonte un jerrican d'eau. Nous prenons chacun un casque lourd du liquide et toilette de chat. Tous les 3 ou 4 jours, si le Viet le permet, ablutions à la rivière. Nous n'avons que la tenue de combat du saut, avec la transpiration elle sent et devient raide. Nous sommes arrivés avec un slip et une paire de chaussettes de rechange, on lave quand on peut, l'abri est très parfumé quand nous nous déchaussons. Chaque matin Botella va prendre le café avec ses collègues des autres bataillons paras; Rouault, va à l'A.C chercher des médicaments et fait le tour des compagnies. Je ne descends au PC du GAP que 1'après-midi (en même temps qu'à la rivière), voir les hommes de la 342 Trans, ma compagnie dont je suis détaché au Ba Wan. Legrand a reçu un géophone qu'il me confie. C'est une sorte de central téléphone à 6 lignes. En bout des lignes, des micros sensibles; avec Mao et Lac je suis allé les placer en avant des barbelés, dont deux au fond du talweg où les Viets viennent chaque nuit creuser des tranchées d'approche. A l'écoute Meyer, Faure, et Nam manipulant les clés pour localiser les terrassiers. Nam et Lac traduisent les ordres entendus et le mortier ou les "lance patates" (mortier de 60) tirent dessus. Les fils des micros sont très souvent coupés et juste avant le jour il faut aller réparer. Curieusement, lorsque cela se produit dans le talweg, Mao ne sait plus faire une épissure, sauf si je l'accompagne ! En plus des 3 officiers et de 3 sous-officiers du BT2 nous recevons des renforts parachutés, des Européens, je ne les vois jamais. A la réunion quotidienne, au GAP, Botella les répartit dans les compagnies et donne la liste à Pierraggi qui note. Ces renforts seront très faibles (chiffre in fine) non conformes aux dires de la B.A. Je fais parfois leur connaissance lorsqu'ils viennent, comme les anciens, un bras ou une jambe plâtrés, à moins qu'il n'ait un "turban" saignant sur le crâne, demander à rejoindre leurs camarades au combat. Tous préfèrent retourner, tenir une arme, que rester à l'Antenne, Rouault en garde quelques uns 2 ou 3 jours avant de les autoriser à repartir. Devant Verdun il y a eu le cri "Debout les morts", à Dien Bien Phu il est inutile, les "morts" ne se couchent pas. Ceux de la Marne, Verdun, Ypres, etc... pouvaient être ramenés à l'arrière, ici il n'y a pas d'arrière. A fin mars "La casse" est telle dans nos 4 bataillons Paras qu'enfin Hanoï s'est décidé à nous envoyer des renforts. Dans la 1ère semaine d'Avril sont arrivés le II/1 RCP de Bréchignac, dans la 2ème décade le 2ème B.E.P., mais c'est trop tard, ils ne viennent que pour combler les vides, arrivés comme nous, ou le 6ème, nous aurions pu tenir la piste d'aviation pour les largages. Actuellement, les hommes et le matériel sont lâchés sur les superstructures du PC central ou chez les Viets mais je n'ai, bien sur, pas à juger les chefs (qui commandent de très loin). Vers mi-Avril Métais n'ayant plus qu'un seul mortier dont les tirs sont essentiellement dirigés sur le talweg où, chaque nuit, progressent les tranchées viets, propose de creuser une galerie avec au bout une cheminée axée sur les coordonnées du tir pour battre le talweg ! C'est accepté, les 4 ou 5 Nungs qui restent, creusent jour et nuit. La galerie d'environ 5 m de long sera terminée par une pièce d'environ 5 m2, haute de 2 m. La cheminée, d'un mètre de diamètre aura aussi plus de 5 m de hauteur. Les tirs, souvent de nuit, se feront sans que les Viets voient la flamme de départ et donc nous ne recevrons plus de contre batterie. Fin mars Langlais, Bigeard et le Capitaine Bourgois, son adjoint, viennent près de notre PC voir les positions viets des pitons d'en face : le chauve et le fictif. Nous levons la tête hors de la tranchée et Bourgois s'écroule une balle dans la tête . Devant la carence de certains adjoints, de Castries a nommé Langlais chef des opérations, Bigeard devenant le Patron des Paras. Bruno lance un ordre du jour :"Il y a 12 000 rationnaires, mais nous ne sommes que 2 500 combattants. Nous avons faim mais tant qu'il y aura un oignon ou une demi-boule de riz, nous devons nous battre !" Le 20 avril Au matin sur le C10 une voix demande à parler au Pronto : j'écoute. La voix, l'accent chantent dans ma tête, je réponds en italien : - Parla Sergio ! Le Caporal Légion Montalbano (le 1er homme que j'ai puni), était arrivé dans la nuit avec toujours une botte et une pantoufle à son pied blessé à l'opération Brochet. Il avait vu Reine, la veille, et elle lui avait confié une bouteille de Pernod. Ce boiteux sera nommé sergent au feu et il fera la marche de la captivité (500 km) avec le pied malade. Il ne boîte plus et il est l'un de mes meilleurs amis. Gros dormeur, je manque de sommeil, veillant chaque nuit de 1 à 5 heures. Je pouvais, quand nous n'avions pas d'hommes impliqués, dormir avant, depuis 21 heures, et le matin de 5 à 7. Au lever du jour il devenait impossible de rester allongé. Toute la matinée j'avais la responsabilité du PC, des liaisons avec les compagnies. Dédé revenait entre 11 heures et midi, ramenant les nouvelles des chefs. Après le repas un peu de sieste, si les VM nous laissaient tranquilles, leurs attaques étaient le plus souvent en fin d'après-midi ou en soirée. A partir du 30 avril cette sieste devint impossible, les bombardements permanents, surtout des "120 Retard" faisant vibrer continuellement le piton. 2 mai Des trombes d‘eau font penser aux pluies de mousson. Dans les tranchées l'eau monte entre chevilles et mollets. La nuit, des parachutages ont lieu au milieu des rafales de vent. Le 1er BPC est ainsi largué dans la tourmente; nous voyons des hommes passer 30 à 40 m au - dessus de nos têtes, allant d‘ouest en est pour atterrir chez les Viets... avant l'arrêt de ces parachutages démentiels. Quelqu'un est allé à l'Antenne chirurgicale dire que les Paras ne pouvant être largués, "Bruno" demande des volontaires. Les couches (il n'y a plus de lits) se vident : borgnes, manchots, béquillards, arrivent, c'est la cour des miracles en marche. Le "spectacle" devient dantesque lorsqu'au milieu de nos hommes nous voyons des "rats de la Nam Youm" cherchant leur ex-unité pour, à nouveau, se battre. 3 mai Dédé nous confie qu'une partie de la garnison va tenter une sortie, dirigée par Langlais, vers le Sud. Le BEP (depuis le 21 avril le 1er et le 2ème ayant eu de très fortes pertes n'en forment plus qu'un, plus petit), et le BPVN, sacrifiés, doivent couvrir le départ pendant 24 heures. Après advienne que pourra, nous aurons toute liberté de manoeuvre... Le BEP a encore 300 hommes, nous moins de 200 : La 4 a disparu, la 1ère avec Bizard une trentaine d‘hommes . La 2 de Phu après "la Marseillaise" environ 50 hommes. La 3 commandée maintenant par Guilleminot a le plus fort effectif environ 70. Pour la CCS Pierraggi, Métais, Ponat, Decloux, 5 transmetteurs, 2 infirmiers, 2 filistes, les Nungs, des mortiers 4 et 6. Nous n'avons pas reçu de renforts vietnamiens. La B.A. nous en a annoncés, nous ne les avons pas vus. Étaient-ils tous dans les 2 Dak qui ont dû faire un demi-tour après un début de largage ? 5 mai La sortie de la garnison est annulée, jugée trop coûteuse en vies humaines, nous subirons le sort commun. Botella me remet officiellement une demi-feuille de papier signée de Castries. C'est le texte de la citation m'accordant la Légion d'Honneur. J'en suis heureux mais le "Poireau" aurait pu, pour une fois, sortir de son abri et faire le tour des récipiendaires : Bizard et moi au Ba Wan, une dizaine dans les autres Unités. Mon Chef me dit qu'il a fait une demande pour que je sois intégré dans "l'active". Cela restera dans quelque dossier avec la proposition de capitaine... 6 mai Les tirs de 120 à charge creuse qui faisaient trembler le piton redoublent. L'après-midi un nouvel instrument est dans 1'orchestre : "les orgues de Staline". Douze tubes groupés crachant ensemble, c'est hallucinant ! Dans la soirée vers 23 heures, les Viets sont dans nos barbelés, ils s'infiltrent à travers la 3 vers le sommet de E4. Nos amis du 2/1 se battent au corps à corps. Il y a là le Lieutenant Dutel et le sous-Lieutenant Potier, dit "Sa Blondeur"; nous les écoutons anxieux à la radio. Une section du BEP arrive commandée par le Lieutenant Roux pour appuyer la 3 de Guilleminot qui a refermé le trou par lequel sont passés les Viets. Bruno nous demande de faire tirer le mortier dans le talweg. Réponse de Dédé : - Je viens de téléphoner à Hanoï pour avoir le nécessaire, dès réception j'exécute. Bruno reprend : - Compris, en attendant lance toutes tes unités de réserve en contre-attaque, ciao. Nous nous regardons, je bats le rappel de ceux déjà énumérés : Métais et ses Nungs, Decloux (3 fois blessé) Loc (!), les radios, les 2 filistes. Dans l'abri PC nous avons 5 ou 6 blessés, il y en a autant dans les autres, nous devons donc laisser les 2 infirmiers à Rouault. Je me lève, boucle mon ceinturon et dis : - A moi la der. Dédé me prend par la main : - Non, Métais suffira, reste avec moi. Il est minuit, par le boyau tous nos hommes sont là, Métais pousse dehors les Nungs, sort, se redresse et un obus explose devant lui, ses hommes qui le précédaient sont tués. Rouault et Pierraggi rentrent Métais vivant mais les jambes broyées et le déposeront au fond de l'abri avec les autres blessés dont le sous-Lieutenant Latanne, gravement atteint aux jambes. La dernière contre-attaque est mort-née mais les Nungs et leur chef ont servi de bouclier à l'entrée de l'abri PC. Nous leur devons d'être sans blessure. Destin. Les seules mitraillettes restant à la CCS sont maintenant éparpillées dans la boue de la tranchée ou dans les barbelés, nous n'avons plus, au PC, que les pistolets des officiers. Toutes les autres armes et grenades, nous les avions données dans les compagnies. Vers 4 heures. L'attaque V M est toute axée sur E3 pour rejoindre les premiers combattants infiltrés au sommet de E4 . Notre 3e Compagnie et le renfort Légion sont submergés. Le combat est très violent au dessus de nos têtes où nos frères se battent au corps a corps contre des masses arrivant l'une après l'autre en enjambant les cadavres. Il ne nous reste qu'a attendre . Les heures sont très longues à rester calmes dans l'expectative tandis que de nouveaux blessés viennent se réfugier près de nous . Peu après la sortie de Métais, Rouault nous suggéra de le laisser avec les blessés et de nous replier vers Bruno. Botella s'y opposa et nous demanda de rester avec les dits blessés pour les réconforter et entretenir leur moral par notre présence. Bien que préférant la lutte, je le soutins; nos hommes restèrent pour aider et soigner les blessés.Environ une heure avant le grand jour, Dédé appela Langlais pour lui dire notre "A Dieu". Il s'excusa de n'avoir pu mieux faire avec le 5ème BPVN. L'émotion l'étouffa, les Viets étant certainement à l'écoute, je lui pris le micro, dis un salut aux collègues et amis. Ne sachant comment conclure, je lançais le "Pour les Paras hip, hip, hip, hurrah", conté par quelques historiens : Langlais, etc. J'entamais la destruction des postes radios. Dédé ne le voulait pas de crainte de représailles envers les blessés, je sortis les châssis de leurs boîtiers, les rendis inutilisables et remis en place, apparemment en état; ma caméra, nos jumelles, reçoivent des balles, puis mon colt "Rimless", donné par Jove en 1943 est jeté par pièces détachées dans la boue, le plus loin possible et nous attendons. Au petit jour un Bo Doï arrive vers nous dans la tranchée. Il a un masque en tissu sur le nez et la bouche, un drapeau blanc au bout d'un fusil. Pierraggi et moi sommes dehors devant l'abri, il nous voit, appelle des collègues qui arrivent en nombre, tous le masque sur les voies respiratoires. Nous essayons de dire qu'il y a des blessés dans les abris :"Cum biet, divé". Bousculés nous prenons le chemin des vaincus, des captifs. Nous avions été parachutés pour être tués ou prisonniers.

ÉPILOGUE

Après notre libération des camps viets, j'ai aidé Botella pour la "liquidation" du BPVN de Dien Bien Phu (immédiatement reconstitué à Hanoï ) : Décorations, promotions, lettres à des familles de morts ou disparus. Peu pressé de rentrer puisque j'étais en famille, je suis resté à ce poste après le départ du commandant, ce qui m'a permis d'avoir des doubles ou des brouillons du travail effectué jusqu'au 30 novembre 1954. Il fallait régler avec la B.A. le différend quant aux effectifs réels du bataillon à Dien Bien Phu. Notre chiffre global était de 642 alors que l'arrière avançait celui de 705. Nous étions d'accord sur les 566 Paras du 14 mars, pas sur les renforts indiqués. Botella s'appuyait sur les T.O. archives des T.A.P. pour renforcer nos mémoires (concordantes) et dire 86 personnes alors que la B.A. en avançait 139. Peut-être avait-on compté 2 fois les Dak qui n'avaient pas largué Les Capitaines Tholly et Roigt, Commandant la B.A. et Chef des Services Administratifs, sont venus à Saïgon pour éclaircir les comptes. Botella fut très froid avec eux et il les renvoya très brutalement lorsqu'il apprit qu'une quinzaine d'officiers : 3 Européens et une douzaine de Vietnamiens étaient restés très confortablement au Protectorat. Botella a dû leur faire une belle réputation, je n'ai pas vu le nom de l'un d'entre eux dans les tableaux d'effectifs des Unités d'Algérie. Parti avec Datin du 6ème à Haïphong récupérer les cantines des survivants, je n'ai pas vu Tholly et Roigt et n'ai pas pu les remercier et leur faire transmettre à d'Audeville et consorts (les Français restés à Hanoï), les remerciements qui s'imposaient pour ne s'être jamais inquiétés de Reine et des 3 ou 4 autres épouses d'officiers et sous-officiers vivant à Hanoï . Pour terminer. Le 30 novembre j'arrêtais de travailler pour la liquidation du 5ème. Il y avait ce jour-là 82 survivants dont 15 Vietnamiens. Parmi eux 3 grands blessés (invalides). Il y avait quelques évadés, Pham Van Phu en tête, rencontré dans les rues de Saigon. Il me donna le chiffre de 5, mais l'armée vietnamienne n'a jamais voulu préciser ou donner les noms : Sécurité.

VERDICT : 642 PARAS ONT SAUTE A DIEN BIEN PHU

82 SONT RETOURNES CHEZ EUX

SOIT SUR 8 : 7 MORTS, 1 SURVIVANT...

Mai à Décembre 1954

Captif des Viets

- Laï daï, laï daï ! (venez). Les soldats Viets crient, braquant leurs armes pour que nous sortions. Nous essayons de dire qu'il y a des blessés incapables de bouger. - Cum biet, cum biet (je ne comprend pas). Dès que nous sommes dehors, les canons de leurs armes dans le dos c'est : - Di vè, di vè (partez), mao len (vite). Ces mots nous les comprenons tous, ce sont les mots que tout Français apprenait le premier jour de son arrivée en Indochine. Di vè pour les petits cireurs qui tournait autour des "Phap", le marchand de petits objets harcelant les clients à la terrasse des cafés. Mao len pour tous : le serveur du Café, le cyclo pousse, tous, tous. Ces Vietnamiens si gentils, si attachants étaient lymphatiques, trop pour nos tempéraments. "Cum biet" le refrain du moto-pousse de Saigon ou du cyclo d'Hanoi. Il fallait connaître l'itinéraire du lieu ou nous voulions aller sinon notre conducteur tournait en rond... Di vè, mao len, cela s'adressera de longs jours à nous les captifs, les perdants de Dien Bien Phu. Les Bo Doi (soldats Viets) nous font partir vers le Nord Est par la tranchée en marchant sur les cadavres, on ne peut faire autrement et ceux qui nous poussent ne font aucune distinction entre leurs frères et les nôtres, il en sera encore ainsi bien après avoir traversé nos barbelés par une brèche. Nous comprenons leur hâte : ils ont peur que nos artilleurs pilonnent la position pour la reconquérir... 300 mètres après le bas du piton (Éliane 4) leur ardeur se calme et nous continuons assez paisiblement vers Ban Him Lan. Botella, Rouault et moi nous nous trouvons séparés des sous officiers et des hommes de troupe. Nous ne portons pas de galons et pourtant nos gardiens nous dirigent vers une grotte ou il n'y a que des officiers ! Nous vidons nos poches : papiers, argent, bagues, montres nous sont retirés et nous partons vers l'Est nord-est poussés, "Mao Len", par nos gardiens... Vers 17/18 heures, j'arrive dans une clairière avec une trentaine d'Officiers, presque tous inconnus, sans Botella ni Rouault. Nous y resterons la nuit sans rien à manger ou boire. Le 8 nous marchons vers le Nord-Est, intégrés dans une longue colonne d'officiers, sous-officiers, hommes de troupe européens exclusivement. Je marche à côté de Le Guéré, Lieutenant du 1er R.C.P., nous parlons évasion. Il dit connaître les pistes Méo, tribus vivant sur les hauteurs. J'ai une boussole-bracelet, fixée sur la jambe, au dessus du genou, un embryon de carte au 1/1OOOOOO cachée dans les renforts de mon pantalon et 3OOO piastres roulées dans les manches retroussées de la veste. Ces piastres ne m'appartenaient pas, c'était celles trouvées sur les morts du bataillon, stockées au P.C. avec leurs alliances, montres, etc... Au cours de la dernière nuit, nous nous les étions partagées en rêvant tous d'évasion. En fin d'après midi, à un détour propice de la piste nous sautons dans la forêt et nous nous éloignons. La nuit qui vient vite est claire. Nous dirigeant sur les étoiles nous avançons vers le Sud Sud-Est, marche dure, pénible à travers bois, lianes et obstacles naturels : rochers, trous... Depuis 48 heures je n'ai rien mangé, rien bu après avoir été sous alimenté depuis six semaines. Je suis bientôt à bout de souffle et de forces tandis que Le Guéré semble frais et dispos. Nous faisons une halte mais il bruine, nous grelottons et repartons. Encore une halte, encore froid, marchons. Après le lever du soleil : stop. Je m'écroule et dors. Vers midi (boussole et soleil) mon camarade me réveille. Je dois avoir dormi 3 heures. En route ! Un peu plus tard nous trouvons une piste qui semble axée sur notre sens de marche. Nous la suivons et vers 16/17 heures nous entendons des voix. Avançant très prudemment nous apercevons un village. Je suis exténué. Le Guéré suggère d'aller nous ravitailler, ça devrait aller mieux après. Les villageois nous reçoient avec des sourires. Nous demandons à manger, j'exibe quelques piastres et une soupe se prépare, du riz cuit. Il y a un ruisseau, nous buvons et nous nous lavons... Nous passons de l'eau sur la tête et le torse, nous trempons longtemps nos pieds et... à la soupe ! Pendant que nous mangeons 4 hommes armés nous tombent dessus : nous sommes repris. Le Chef de ce groupe fait rendre les piastres que j'ai données, me demande si le compte est exact, les recompte et les empoche puis... en route. En moins de deux heures nous rejoignons des collègues, tous officiers. Les 10/11/12 mai nous restons dans ce camp provisoire assez bien organisé Certains sont cuisiniers et dans de grandes poêles, des pairols, font cuire du riz, rien d'autre. Des médecins tentent de donner des soins mais ils sont démunis de tout, ils lavent les plaies à l'eau du ruisseau, essaient de nettoyer les pansements pour les remettre et apportent un peu de réconfort essentiellement verbal. Le ruisseau nous permet un semblant de nettoyage avec de la cendre. Nous sommes tous à la même enseigne : veste et pantalon de combat, pallabrousse aux pieds, un slip, quelques uns un tricot de peau. J'ai une casquette sur la tête, certains un chapeau de brousse, quelques Paras leur béret mais la plupart sont tête nue. Le 13 mai des groupes d'une quarantaine d'individus sont formés par les Can Bo (Cadres) pour prendre la route. À part Élise le Pronto, guadeloupéen, de Bigeard je ne connais personne dans le groupe où je suis. Nous avançons en colonne, portant les ustensiles de cuisine, mélangés à des Bo DOI, brancardant un blessé. Alors que je suis porteur, j'ai une crise de tachycardie, chose fréquente depuis mon enfance mais je n'en ai jamais eu d'aussi violente, je demande à être relevé et je m'écroule. Mon coeur doit battre à 180/200 coups minute. Les collègues passent indifférents auprès de cet homme qui halète, la queue de colonne arrive tandis que deux Bo Doi me secouent, crient, donnent des coups de crosse. ÉLISE qui était bon dernier s'arrête, me prend la main :"Lève toi et marche sinon tu crèveras là". Il me tire, me pousse, je marche et le coeur reprend enfin son rythme normal. Mais je me sens très faible et reste en queue avec Élise jusqu'à la halte du soir. Le 14 la route est très pénible. Nous grimpons une colline parfois à quatre pattes tandis qu'à une dizaine de mètres, sur le côté, des centaines d'hommes et de femmes réparent la piste éboulée. Vers le milieu de l'après midi nous arrivons au sommet et reprenons la piste. Nous sommes au Col des Méos disent certains officiers. À un carrefour avec une autre piste nous croisons une colonne de Vietnamiens, nous cherchons, eux et nous, une tête connue. Mao, le filiste, est là, il s'avance vers moi, ébauche un salut que j'arrête - On a dû te dire qu'il n'y a plus d'officiers, tu ne dois plus me saluer. Il se raidit au garde à vous "oui mon lieutenant". Je lui tapote l'épaule et lui dit "Courage". Il sort un paquet enveloppé de plastique, il y a du riz, me le tend : - C'est peut-être mon lieutenant un peu faim ? Je le remercie, lui donne l'accolade et pars vite très ému. Peu avant la tombée de la nuit nous rejoignons une autre colonne ou il y a Botella, Bigeard, Langlais, des aumôniers, des aviateurs, Dujon le Pronto du G.O.N.O., Péraud, Camus, Schoendorfer du S.C.A. etc.... Nous nous racontons les faits de la semaine écoulée. Bigeard, Bréchignac et quelques autres ont été filmés et ont participé à la critique sur boite à sable des diverses attaques Viets et de nos contre attaques. 15 mai. À partir de ce jour nous serons transportés en camion, des 4X4 Molotova gabarit intermédiaire entre Dodge et G.M.C.. Ils sont bâchés. Dans chaque véhicule 3 fûts d'essence vides, une douzaine de prisonniers accroupis au sol tandis que deux Bo Doi restent assis sur le hayon. Nous ne roulerons que de nuit et comprendrons pourquoi nos aviateurs ne les ont jamais vus : chaque camion est un buisson ambulant et chaque soldat Viet Minh a sur son casque en latanier 2 ou 3 petites branches... Ces véhicules avancent à 10/15 Km heure soit sur une piste normale soit en sous-bois. Dans ce dernier cas les cimes des arbres se touchent et nos buissons se fondent. Si c'est dans une bambuseraie, les sommets des bambous ont été rapprochés et liés formant une voûte ! Sur les routes (pistes) tous les Km, un homme, souvent âgé, est posté avec un vieux fusil; s'il entend l'approche d'avions il tire un coup de feu et le convoi, roulant tous feux éteints s'arrête. Les Bo DOI nous mettent en joue. Le convoi repart lorsque le bruit des avions a disparu. Avant le lever du jour le convoi s'arrête en forêt. Si nous sommes arrivés par une piste visible du ciel, après que tous les camions sauf un soient entrés à l'abri des vues aériennes, les Bo DOI, avec des branches, effacent les traces d'accès au bois. Le camion resté dehors fait des allers et retours pour rétablir la continuité des traces en ligne et va un peu plus loin dans le bois en passant sur des branches posées au sol. La photo aérienne ne révélera pas les camions camouflés dans le sous bois. Les Colonels Langlais et Trinquand sont des vétérans d'Indochine, ils reconnaissent certains paysages, sites ou monts souvent confirmés par les Pères Guidon et Guérit, missionnaires dans la région avant d'échouer à Dien Bien Phu. Ils nous indiqueront le passage de Son La, Tuyen Quang et la Rivière Claire.Après 4 ou 5 nuits de route, lors d'un franchissement de rivière nous descendons des camions, les véhicules passent seuls sur des bacs paraissant en limite de charge. Notre groupe de prisonniers passera en deux fois, accroupis, serrés les uns sur les autres, les Bo Doi debout autour de nous. De l'autre côté nous attendons dans l'obscurité. Je pense que c'est une occasion d'évasion, les Bo Doi semblent très occupés à surveiller les bacs, je m'éloigne et atteint un bois très proche, pas plus de 10 mètres. Je progresse dans le sous bois et lorsque les voix criardes des Bo Doi deviennent faibles je vais vers la rivière. Tous les chemins mènent à Rome, toutes les rivières doivent conduire au Fleuve Rouge qui passe à Viètri et Hanoï. À 5/6 KM heure, 50 KM par nuit dans 5 ou 6 jours je serai... La lune est à son dernier quartier, elle apparaît en haut des arbres au moment où j'arrive au bord de la rivière. Je distingue des bois échoués, j'en prends un d'environ 1,50 mètre de long ayant 18/20 cm de diamètre et entre dans l'eau qui n'est pas très froide. En nageant je m'habitue vite. J'ai depuis l'âge de 16 ans participé à des compétitions de natation, vitesse pure et water-polo, à 20 ans, en stage à Verdun, j'ai plongé dans les violents remous de la Meuse et ramené un homme qui se noyait. Je n'imaginais pas ce que pouvaient être les rapides. Appuyé sur le billot par les avant - bras, j'avançais attentif à ce qui pouvait se passer mais vite, très vite, la vitesse s'accélère. Je ne dirige plus rien, je suis emporté, des vagues me submergent. Je reste quelques secondes sous l'eau reprenant ma respiration en refaisant surface et, après avoir fait de 10 à 20 fois le ludion (je n'ai pas compté), tout redevient calme. J'ai perdu ma casquette mais je suis toujours bien cramponné à mon billot. La rivière devient large, par moment mes pieds raclent le sol, je reprends confiance. Une demi-heure ou une heure passent ainsi et il me semble que le ciel s'éclaircit : je vais devoir m'arrêter. Je n'en ai pas le temps, la rivière redevient étroite, les rives plus hautes, le courant très fort. J'ai repris mes plongées inopinées roulé dans des vagues très grosses, dans un courant encore plus violent, les immersions sont de plus en plus longues. Un choc, je lâchais mon bout de bois, heurtais plusieurs fois des corps durs : rochers ou arbres ? J'avalais de l'eau sans pouvoir reprendre ma respiration. La Gestapo ! Ils ne m'ont pas noyé mais là c'est fini ! Je paniquais, me débattis encore plus. Nouveau choc, ma main gauche attrape quelque chose. Je m'y cramponne : c'est une branche qui pend d'un arbuste. Je tiens bon, la tête hors de l'eau, soufflant, toussant, crachant, vidé, anéanti. La rive est trop haute pour me hisser dessus, un petit jour blafard me permet de distinguer celle d'en face tout aussi haute. Me tirant de branche en branche dans le courant toujours fort, j'avance péniblement de quelques dizaines de mètres et trouve un endroit pour sortir. Je m'affale à plat ventre, la tête sur les bras croisés. Au loin des bruits, un chien, des voix. Un petit bruit de branches, je me lève et voit arriver à 5 mètres de moi deux hommes armés : Laï Daï ! J'avance le canon d'un fusil dans le dos, je commence à avoir l'habitude, c'est la 3° fois. Nous remontons le long de la rivière, trébuchant, tombant. Mes gardes, des Dzu Kich, n'ont pas un, geste, simplement le même ordre parfois accompagné d'un petit coup dans le dos : Di Vè. Le soleil est très haut quand je rejoins mes compagnons. Ils avalent leur riz, certains ont l'air narquois en me voyant, la plupart baissent la tête. Un Bo Doi nous conduit vers un personnage important que j'avais aperçu 2 ou 3 fois en route. Il félicite, me semble-t-il, les Dzu Kich, demande mon nom, mon grade, l'unité, donne des ordres puis s'intéresse à moi : - Pourquoi êtes vous parti ? (son français est très correct). Nous avons des gardes le long de toutes les rivières et de toutes les routes, tout départ est voué à l'échec. Un gradé du convoi et deux Bo Doi arrivent. J'ai l'impression qu'ils se font très fortement sermonner, ils ont l'air contrits et restent muets. L'interrogateur se tourne à nouveau vers moi : - Comment nous avez vous quittés ?" Je le dis simplement, nouvelle diatribe vers les gardes qui repartent l'air penaud tandis que le chef me dit : - Ne recommencez pas, ça finirait mal pour vous, attendez la clémence de notre vénéré Président Ho Chi Minh, vous êtes maintenant dans le camp de la paix, tout départ vers les fauteurs de guerre est une désertion, dites le bien à vos camarades, et il me renvoie. Je raconte mon aventure, Élise est sceptique, d'autres qui ont vu des rapides en Haute Région me croient. L'idée d'évasion condamnée par quelques uns reste présente pour un grand nombre. Avec Guilleminot et Élise nous échafaudons des plans, Guilleminot, qui a vécu chez les Thaïs pense que vers l'aval, il ne devrait plus y avoir de rapides et il préconise un radeau fait de 3 fagots de 6 à 8 bambous auquel nous serions arrimés. Des années plus tard, lisant les récits d'évasions ayant échoué, j'ai compris combien nous étions naïfs et que le Can Bô avait hélas raison. Mais... si c'était à refaire je le referais. Ça discute ferme mais sans décision. Je suis dans le même camion que Péraud, Camus, Dujon, Schoendorfer et Élise. Deux jours après mon aventure Péraud veut tenter de partir, Schoendorfer l'accompagnera. Les Viets prendront des mesures accrues de sécurité, en conséquence Dujon, Élise et moi partirons simultanément. Camus, malade, n'aurait pas la force de suivre, il a des rouleaux de pellicule des derniers jours de Dien Bien Phu. Il en confie 2 ou 3 à chacun de nous. Notre départ s'effectuera pendant que les camions rouleront, Péraud le premier Schoendorfer suivra puis Élise, Dujon et moi. Les Bo Doi ont toujours, comme le faisaient nos Vietnamiens dès qu'ils s'asseyaient, les yeux fermés. Après environ deux heures de route, nos gardiens somnolent, les têtes ballottent. Péraud soulève la bâche latérale côté droit et sort, Schoendorfer le suit mais accroche une branche du camouflage qui revient fortement en claquant vers la cabine. Le camion stoppe, les Bo Doi nous mettent en joue, des bruits, des cris, une course, un coup de feu, un second et Schoendorfer revient bousculé par les soldats. Nous sommes ficelés, 3 par 3, par les coudes tirés en arrière. Au jour semonce par le chef de convoi, le chef de bord dit que Péraud a été abattu. Pas de commentaires mais nous faisons tous très grise mine, nous espérons tous que c'est faux, que c'est de l'intox de dissuasion mais nul ne reverra jamais ce garçon courageux et rieur. Péraud était à Saïgon en instance de rapatriement quand il apprit le 14 mars le clash de la veille à Bien Bien Phu, un "scoop" à ne pas manquer : avion stop pour Hanoï et le 16, il saute avec les "Bigeard". Adieu l'Ami. Nous sommes mis à poil, tous nos vêtements sont fouillés très sérieusement ainsi que les camions. Les piastres que j'avais roulées dans les manches sont découvertes ainsi que la boussole et la carte : Can Bô et Bo Doi jubilent. Chaque soir nous sommes ficelés pour continuer la route. Une redistribution des groupes est opérée et un matin le convoi ne comprendra que 3 camions. Les officiers supérieurs et les S.C.A. ne sont plus avec nous, nous restons 42. Le surlendemain, le 27 mai, je crois, nous arrivons de nuit à destination, un camp auquel on accède en passant sous un porche en bambou. Les camions restent dehors et au passage le Père Guérit lit l'inscription en vietnamien : "Tribunal Central Militaire du Viet Nam. Toute tentative de fuite sera punie de 10 ans de Prison. Nous sommes coupés en deux groupes, celui ou je suis, 17 hommes, va dans une grande baraque de 60/70 M2/. Elle est en bois de fer qui émousse les couteaux, une seule porte et deux ouvertures d'un demi mètre carré munies de barreaux, des grands bat-flancs pour se coucher. Nous y trouvons un européen cheveux gris, grosse barbe grise, la tête (très sale) de Moustaki, très mal vêtu. Il reste couché et grogne quand l'un de nous essaie de lui parler. Au jour il répondra a quelques questions : il est Français, civil, enfermé depuis des mois, plus d'un an. Il dit s'appeler Hugner, venir du Sud ou il était dentiste. Interrogé sur les possibilités d'évasion il dit "folie, folie" et à notre surprise ajoute. - Ne me dites rien, je ne veux rien entendre, je répéterai tout aux Viets. Nous nous détournons tous. Des Can Bô viennent avec du papier, des plumes, de l'encre, nous devons écrire notre curriculum vitae, c'est pour prévenir nos familles et nous authentifier près d'elles... puéril ! Certains regimbent, d'autres disent qu'il faut collaborer pour être libérés un jour. Georges, Capitaine de la 13 DBLE met de l'ordre : donner l'état civil, le grade et l'unité au moment de la capture, rien d'autre. Nous avons appris les premiers jours de marche que le lieutenant du B1 n'avait détruit aucun papier. L'ordre de bataille des unités est tombé intact entre les mains des Viets. Weinberger (3/3 REI) et moi renchérissons très fortement (nous avons lui et moi connu les prisons nazis et parlons en anciens des prisons), nous devons coûte que coûte tenir ferme et faire face aux exigences viets. Je précise une date : au moins jusqu'à Noël. Des pourparlers d'armistice sont en cours à Genève et la France ayant perdu son fer de lance, Paras et Légion, à Dien Bien Phu, devra céder. Il faut aussi penser que si nous nous rallions directement aux vues et désirs des Viets nous ne seront pas crus, il faut des mois pour modifier l'état d'esprit des gens... Pour l'heure nous sommes tous en bonne santé, nous ne devons pas capituler, notre honneur est en jeu. Je dis avoir parlé avec le Toubib Pédoussaut libéré fin 1952 (c'est faux, je l'avais simplement croisé dans un couloir) et que les Viets n'avaient admis les "conversions" qu'après un an de discussions. Nos palabres durent deux jours puis, de plus ou moins bon gré, l'ensemble accepte, (il y a des contre, surtout un aviateur) de rester indifférent aux avances et insinuations de nos gardiens. Lors de la fouille un ORSA avait été trouvé porteur d'une carte du parti communiste, il s'y était inscrit avant le départ en Indo (dixit) comme sauvegarde. En réalité, traité comme traître, il a été très malmené. Nous n'avons pas de soucis (!), de contingences matérielles. La nourriture nous est apportée midi et soir : un bol de riz et quelques liserons d'eau, il y a un point d'eau pour la toilette (!), des latrines propres pour le jour et une tinette pour la nuit. Nous sommes enfermés dans la baraque chaque soir et le jour nous sommes dans une sorte de cour située dans un grand cirque de calcaires. Nous sommes astreints à des travaux que nous faisons volontiers en guise d'exercices physiques. Chaque équipe de 4 ou 5 hommes creuse un trou de 0,80 à 1 mètre de diamètre pour aller en boucher un à 10 ou 15 mètres de là. La terre est transportée sur une sorte de brancard par deux hommes. Quand le trou est bouché, on en creuse un autre pour combler le précédent. Un Bo Doi rieur, toujours le même, fusil à la bretelle est commis à la surveillance allant d'une équipe à l'autre. Nous lui avons appris à siffler "un petit navire", ravi il n'arrête pas et nous signale ainsi son approche. Dans son dos, nous déterrons des racines de manioc, bon complément de nourriture. Je peine pour en manger (je n'ai jamais pu avaler du tapioca), mais il y a un pimentier qu'ÉLISE surveille et me réserve les fruits qui font passer le manioc. Quelques uns d'entre nous, pas tous, sommes souvent interrogés la nuit dans une baraque à l'entrée du camp devant l'effigie d'Ho Chi Minh. Pourquoi suis-je venu en Indo ? Quelle est ma carrière ? Quelles furent mes Unités ? mes emplois? les opérations auxquelles j'ai participé, etc... Je me minimise, je ne suis pas de carrière mais un réserviste rappelé, sorti du rang par la Résistance. En Indo je n'ai fait que former des opérateurs radios et filistes et si j'étais au Ba Wan ce n'était que pour 3 mois pour monter la section Trans avec comme personnel mes anciens stagiaires, ils sont prisonniers, vous pouvez vérifier. Les interrogatoires portent aussi sur le chiffre, les codes... Là je n'y connais rien, c'est réservé à des spécialistes triés sur le volet. Le système de transmission par fragmentation, l'AZ 13, j'en ai entendu parler mais jamais vu un de ces appareils, je suis prêt à le jurer sur le portrait d'Ho Chi Minh qui est devant moi. Les "Spécialistes" qui m'interrogent ne sont visiblement pas convaincus et me le font comprendre par une volée de coups de bâton.Une fois je suis interrogé avec Georges par deux nouveaux, totalement inconnus, sur les activités (brutalités) colonialistes : viols, vols, incendies, tortures, etc.. Nous nous insurgeons : nous étions dans la Résistance contre le Nazisme, alliés avec les Russes. Nous nous sommes battus pour défendre la liberté, pas pour asservir. D'ailleurs moi simple radio qui ai souffert la torture de la Gestapo je me suis juré que jamais personne, devant moi, ne serait humilié, avili, j'ai toujours traité les prisonniers en humains. Les interrogateurs se regardent sans rien dire, ils semblent étonnés. Je me lance alors dans une diatribe sur nos conditions de détention, la Convention de Genève, les droits de l'homme, etc.... Mes vis à vis semblent surpris, ils écoutent sans rien dire paraissant de plus en plus étonnés et très attentifs. J'en profite pour dénoncer la cruauté mentale des gardiens. Pourquoi avoir enlevé les alliances, parfois de force ? Georges est célibataire, suite à un accident je ne porte jamais aucune bague, alliance ou chevalière. Je ne plaide donc pas pour moi mais pour mes camarades, je peux le dire, le clamer très fort, c'est un vol et surtout une atteinte morale. À bout de souffle et surtout d'arguments je me tais. Il y a un silence puis conclusion des Viets : nous allons en référer à nos supérieurs. Je lâche alors, au hasard, une nouvelle flèche : - Faites un bon compte - rendu, veillez à ce qu'il soit transmis très haut. Ma femme enseignante à Hanoï fréquente des collègues de Giap et même des membres de sa famille. À mon retour je dirai tout pour qu'il sache tout. Nous sommes reconduits très gentiment par les Bo Doi, qui, pour une fois, la seule, éclairent notre chemin... Georges et moi nous nous entendions déjà très bien, je l'avais très fortement soutenu lors d'une discussion sur la collaboration. Cet interrogatoire nous rapproche, il raconte à nos compagnons, quelque peu effarés, mes dires, ma véhémence. Certains, toujours les mêmes, critiquent, mon Ami les fait taire. Au cours d'un autre interrogatoire avec Weinberger, l'autre "Allié" des Russes en 39/45, je scandalise le Can Bô du jour qui cite l'Humanité qu'il nous remet (1952/1953) en disant que ce n'est qu'un petit journal de polémique. Son tirage, dis-je, est le 1/4 des grands journaux de province et le 1/10 de ceux de Paris. Un de ses collègues vient en renfort, ils ne peuvent me croire. Il faut quand même tuer le temps, avec Georges nous rassemblons près de 200 contre - pèteries que nous inscrivons sur du papier bambou subtilisé aux gardiens Ce papier, très fin, de teinte bistre, ressemble à du papier hygiénique, il se déchire sous la plume, l'encre s'étale comme sur du buvard, (j'en ai conservé). Fin juin, le prisonnier ancien, très faible, tombe malade : fièvre, délire. Nous alertons le Bo Doi qui en appelle un autre et un Can Bô vient, regarde le malade, hausse les épaules et s'en va. Georges, bon Samaritain, s'occupe de lui, éponge son front, le fait boire, reste au maximum près de lui. Un peu honteux de le laisser seul s'occuper de ce pauvre hère, je viens l'aider. Dès qu'il reprend connaissance, Georges l'oblige à manger du riz délayé dans de l'eau, nous le soutenons, le portons à la tinette. Peu à peu il reprend quelques forces et nous raconte son histoire en nous demandant de ne pas la répéter. En 1942/1945, il était pro Allemand, membre cadre du P.P.F.. À la libération il avait fui en Suisse d'où, en 1946, il s'était engagé à la Légion sous le nom de Hugner pour continuer son idée de combat contre le communisme et être réhabilité. Après Bel Abbès, Saïgon. Il a des connaissances médicales ce qui lui vaut d'être infirmier, assistant dentaire à l'Hôpital. En 1948 la Légion retrouve son nom : Péchard, ses antécédents et le renvoi en France pour l'exclure. Il sera très certainement arrêté, jugé, condamné mais, sur le bateau, il retrouve une connaissance, cuisinier à bord. Celui-ci le cache, le nourrit et il refait le voyage vers l'Indo ou il débarque clandestinement. Ses connaissances médicales et dentaires vont lui permettre de s'installer dentiste à Phan Tiet, petite ville de la Cochinchine, dans une zone non contrôlée par nos troupes. Il reste Français et fait passer des renseignements au 2° Bureau. Les Viets l'apprennent peut-être, en tout cas l'accusent, l'arrêtent et le font venir à Cho Chu : 90 jours de marche, 1 500 kilomètres. Il y est depuis deux ans. Le 13 juillet. Le Can Bô nous annonce la fête du lendemain : Fête Mondiale de l'Indépendance des Hommes. Nous essayons de dire que c'est notre Fête Nationale, d'expliquer comment, pourquoi. Nous sommes rabroués : C'est une Fête Internationale, nous n'avons pas le droit de l'accaparer : point. Grâce à la bienveillance du Général Giap qui fait appliquer la politique de clémence du Président Ho Chi Minh, nous aurons droit à un repas de fête. Notre pitance consistant en une ké bat (bol) de riz deux fois par jour avec quelques liserons d'eau, un jour sur deux, le 14 juillet nous aurons le riz, les liserons d'eau et du canard (con vit), la grosseur d'un dé à coudre et une cuillérée à café de jus. Dujon, Élise et moi rêvons toujours d'évasion. Nous pensions être au Sud Ouest de la chaîne montagneuse du Tam Dao, (alors que nous étions au Nord) et j'aurai vite retrouvé les terres ou j'avais promené le Commando 15 en février/mars 1952, au pied de la station d'altitude nommée Tam Dao. J'avais décidé le départ pour le 4 août un peu par superstition un peu parce que ce serait le dernier quartier de la lune donc soirée sombre. Mais... le 24 juillet nous sommes appelés à prendre la route vers le camp N°1 : Dujon, de Chapotin, Weinberger, Itney le pilote cafardeux qu'il fallait secouer en permanence, Liaboeuf et moi. Péchard me prend par la main : - Si vous vous évadez (tous les Officiers se tutoient, le vouvoiement lui est réservé), ou si vous êtes libérés, pensez à moi, ne m'abandonnez pas, dites à la France où je suis. Je lui serre la main et réponds : - C'est promis, parole d'Officier, je m'occuperai de toi. (tutoiement pour la circonstance). Les connaissances médicales de cet homme nous ont rendu service. Certains avaient une mycose entre les orteils. Péchard fit brûler un bout de tissus de coton, flamme étouffée, le coton incadescent continua de fumer. En faisant passer cette fumée entre les orteils tenus un peu au dessus, les mycoses disparurent. Un petit gradé et deux Bo Doi bien gentils nous escorteront. Nous camperons en route dans des villages, nos gardiens paient la nourriture, nous achètent des bananes, les buffles nous regardent passer sans charger, c'est la route des vacances. Dujon et Weinberger seraient bien d'accord pour fausser compagnie à nos guides mais Itney nous gêne. Le 29. Nous rencontrons un "rallié", un Italien déserteur de la Légion. Il nous avait été précisé l'interdiction de parler avec des Européens si nous en rencontrions, mais celui-ci chantonne en italien et je lui adresse la parole dans sa langue que le Bo Doi ne comprend pas. Le gradé me bouscule pour m'éloigner mais je me sens devenu fort, le "rallié" vient de m'apprendre la signature, la veille, de l'Armistice et pour continuer, je repousse le gardien. Les mitraillettes s'arment, Dujon m'invective et me voilà les coudes liés dans le dos. Le cas était prévu : les Bo Doi avaient du fil téléphonique de campagne dans leur sac. L'un d'eux me tiendra en laisse, l'extrémité enroulée sur son poignet. Au passage à gué d'un cours d'eau, sautant de pierre en pierre, j'attends que mon gardien arrive sur une pierre pour sauter sur la rive d'en face. Entraîné par la laisse le Bo Doi perd l'équilibre et prend le bain. Je suis frappé sous l'oeil contrit de mes compagnons, seul Itney me critique. Un peu plus loin nous croisons une dizaine de collègues trottinant avec une charge de riz. Le Camp N°1 est à deux heures de là. Je leur dis la nouvelle et ils partent en courant malgré leur charge pour aller très vite l'annoncer au camp. À l'arrivée nous sommes répartis dans différents groupes. Avec Dujon je suis placé avec des collègues de Dien Bien Phu dont Dutel. Je n'ai pas de souvenirs spécifiques de la quinzaine de jours passés là, sauf que la nourriture était supérieure à celle de Cho Chu avec de la viande de buffle (pas trop) tous les 3/4 jours, cause de nombreuses coliques parceque trop grasse pour des organismes fatigués. J'étais en bonne forme et participais activement à toutes les corvées. C'est ainsi que j'appris à brancarder un malade en trottinant au rythme du tressautement du brancard provoqué par la flexibilité des bambous le composant. La technique était bien au point : 4 hommes avaient le brancard sur les épaules, 5 ou 6 suivaient, tous les 200 ou 300 mètres, sans un mot, sans un geste, un des suiveur prenait place sous le brancard. Nous portions ainsi un homme à environ 8 KM à l'heure sur des distances de 10 à 15 Km. Un après midi, 27 d'entre nous, (29 dit Stien dans son livre), sont rassemblés pour être libérés... Nous nous regardons : Bizarre, suspect, il n'y a que des hommes qui doivent être classés dans les plus mauvais sujets. Le Commandant Ducasse émet l'idée rassurante que les Viets veulent se débarrasser au plus vite de ceux qui mettraient la pagaille... Drouin, l'un de nos compagnons du groupe est malade, nous le brancardons tandis que Pouget qui le veillait antérieurement, continuera ses soins. Dujon est le seul avec moi des anciens de Cho Chu. Les pieds nus, il peine à suivre... Après 3 heures de marche, environ, nous arrivons juste avant la nuit, dans un petit camp très bien installé mais l'escorte s'est renforcée et les Bo Doi ont réarmé les mitraillettes : Nous attendons la liquidation. Deux nuits, deux longs jours se passent à ne rien faire, nous ne pouvons pas sortir de ce camp. Les Bo Doi nerveux, très nombreux, sont sur le qui vive, ils semblent en permanence prêts à faire feu. Au milieu de la 3° nuit, réveil assez brutal, nous pensons tous que c'est la fin. Stupéfaction ! Can Bô et Bo Doi sourient, les chargeurs des Mat sont repliés. Nous buvons un bouillon et en route ! Je suis bien vite en queue de peloton avec Dujon malade qui peine beaucoup. Je l'aide, le tire, le porte, il faut faire des haltes. Les Bo Doi nous laissent seuls sur une ancienne route dotée de bornes kilométriques aux inscriptions effacées. Nous en comptons 10 avant de rejoindre en fin d'après midi nos collègues, sans rien manger. Le lendemain Dujon va mieux, ses pieds enveloppés de chiffons, nous continuons notre route. J'ai été chargé de tirer une chèvre naine, son bouc la suit pas à pas, ce sera pour nos repas. Dans un bourg, Tuyen Quang sans doute, Dujon et moi sommes encore interrogés sur l'AZ13 et le chiffre. Coups et menaces : - Vos camarades s'en vont, (effectivement la colonne passe sous la fenêtre), vous, vous restez !" Un de mes interrogateurs me dit avoir fait des études en France et être ingénieur de Centrale, je lui réponds que je ne suis qu'un primaire, mais je me souviens d'avoir lu quelque chose dans "Sciences et Vie" sur le procédé de fragmentation des fréquences, c'était l'hiver 1951, en cherchant dans les bibliothèques, il trouvera l'article. Il comprend que je me moque de lui, me lance deux "baffes", dit, "nous nous reverrons" et m'envoie rejoindre mes camarades. Notre groupe, réuni avec tous les autres du Camp N°1 retrouvé, arrive dans un camp plein de tombes fraîches de la veille. Nous y restons 4 jours, nos cuisiniers reçoivent un peu plus de riz, de sel, de liserons, de viande pour nous "retaper". Des collègues reçoivent du courrier, les Pères Stilhe et Jeandel un colis contenant le nécessaire pour dire la messe, Botella un petit paquet de produit pour faire repousser les cheveux en instance à Hanoï depuis avril. Je suis appelé pour percevoir un colis de 3 kg, je dois en faire l'inventaire en 3 exemplaires sous l'oeil très soupçonneux du Can Bô. Il contient des vivres, des médicaments et une lettre de ma femme datée de 3 jours ! Je remets les médicaments à Rouault pour la collectivité et les vivres à Dutel, distributeur de la nourriture du groupe pour les répartir dans celui-ci... J'ai gardé une tablette de chocolat et la partage avec Kiki Legrand qui ne fait pas partie du groupe où je suis. Le kraft d'emballage (2 M2) va servir aux camarades à rouler nombre cigares (j'ai arrêté de fumer le 7 mai). La lettre de ma femme précise qu'elle s'est mise à la disposition de l'Office du Prisonnier à Hanoï ) Chargée de faire partir un sac de courrier pour le Camp N°1, elle a ajouté un colis pour moi. J'apprendrai à ma libération que les médicaments ont été fournis par Thuriez ancien Chef de la 1° Antenne Chirurgicale de Dien Bien Phu, sa femme enseignait à Hanoï avec la mienne. L'un de ces médicaments, la Téramycine je crois, était encore inconnu de nos collègues médecins mais il y avait la notice d'utilisation et Rouault m'a affirmé qu'un malade avait été sauvé par ces médicaments. Nous partons vers le Fleuve Rouge, vers la liberté. Retardé encore par le "Centralien", j'arrive au Camp des festivités de la Libération bien après la fin des agapes. Je réussis à faire raser ma barbe de 4 mois pour me présenter propre à ma femme et à la nuit j'embarque sur un L.C.M.. La route est longue mais joyeuse jusqu'à Hanoï ou j'arrive le 3 à 2 heures du matin. Rouault au courant de mes retards successifs, arrivé dans la soirée, ne m'ayant pas vu au Camp précédant la liberté, est resté inquiet à m'attendre tenant compagnie à ma femme. J'aurais dû aller, comme tous, à l'hôpital mais le toubib chef, sur l'affirmation de bonne santé, bonne forme émise par "Jules" me laisse partir avec Reine. Douche, repas froid, effets propres, mais "nazu fin", ma femme dit que je sens mauvais, l'odeur aigre de la "bacade", la pâtée des cochons dans son Périgord. Redouche, friction à l'alcool, rien n'y fait. Il faudra 4 jours de nourriture européenne pour que l'odeur disparaisse totalement. Alors que la plupart de mes collègues n'ont rien à dire, nous sommes quelques uns à qui le B2 demande des compte rendus sur notre séjour chez les Viets, les questions qui nous ont été posées, nos réponses, le comportement de Untel et de Tel autre. Je n'ai à répondre que sur deux collègues, je le fais le plus honnêtement possible, en minimisant les faiblesses. Ceux qui nous posent les questions ne peuvent comprendre nos misères et l'état de déficience morale d'hommes qui ont subi l'enfer de Dien Bien Phu, la défaite et les conditions inhumaines de la captivité. J'ai des discussions avec l'Intendance, voulant m'imputer 50 piastres (500 F), pour une table de cuisine "détériorée" alors que tous les meubles prêtés, que nous rendons, iront dès leur réintégration finir sur un bûcher au centre de la citadelle J'ai, dans mes comptes-rendus, parlé de Péchard - Hugner mais je crois qu'il n'intéressait personne. La ville d'Hanoï est triste, triste... Pour nous, c'est bien sûr une débauche de bons repas, de soirées au Club ,mais voir les Vietnamiens, qui avaient été nos alliés, nos employés, essayer de fuir vers Saïgon est atroce. Certains sont partis abandonnant tout, d'autres ont sorti sur le trottoir leurs meubles, leurs bibelots, et les vendent au plus offrant. Dans tous les quartiers on assiste à une grande et sinistre braderie. Nous ne pouvons même pas acheter, nous partirons par avion avec 40 Kg de bagages par personne, nous laisserons des objets, par exemple une très belle cloche en bronze, ornée de dragons en relief qui avait été offerte à Reine, 25 Kg de trop. Voyage en Dakota C 47, c'est à dire version militaire transport de matériel. Nous sommes en famille, une douzaine de collègues "Pim", Reine, Colette, la chatte. Cette pauvre bête était affolée par le bruit des moteurs, la différence de pression en altitude lui faisait mal aux oreilles. Elle allait gémissante de l'un à l'autre et s'oublia sur les genoux de Desmons. Saïgon était surpeuplée de Vietnamiens et d'Européens, civils et militaires, toutes les chambres disponibles autrefois étaient occupées par 2 ou 3 personnes. Il fut proposé à Reine et à Colette une natte dans un dortoir et pour moi un lit Picot dans les couloirs du Camp des Mares. Mateille, le Directeur monégasque du 4 étoiles "Le Majestic" nous accorde une chambre pour deux nuits. Reine demande son affectation au Lycée Chasseloup Laubat ce qui nous vaut une chambre, petite, étroite mais en nous serrant nous pouvons y loger.Je retrouvais avec grand plaisir Antoine, revenu en 2° séjour avec le grade de Sous Lieutenant, occupant le poste pour lequel j'étais venu en Indo. Avec au moins autant de plaisir je revis le Sergent Serge Montalbano rescapé lui aussi de la captivité, malgré 400 Km de marche avec son pied blessé. Pierre Moslard est aussi à Saïgon ou il a ramené les reliquats des deux Muletières d'Hanoï. Il va les liquider après avoir démontré aux cerveaux de l'État Major que le rapatriement des brêles coûtera le double de l'achat en France de ces mêmes animaux. Il fallait y penser, mais l'avoir clamé avec impertinence lui coûtera sa Légion d'Honneur. À son cantonnement de Cholon il y a une chaloupe de 7 mètres de long, mue par un moteur de GMC, baptisée "Pitalugua". Il nous invite avec "mon frère" Élise. Après un somptueux repas nous faisons une promenade sur le Mékong jusqu'à la "Pointe des Blagueurs" tout au long d'agglomérations de sampans renforcés par des bottes de bambous afin de pouvoir encore flotter. Le soir de cette promenade, après avoir été trempé jusqu'aux os par un orage, nous avons pris un taxi, la nouveauté à Saïgon : une 4 CV Renault. Moslard, Élise et moi, tous 3 d'un bon 1,80 mètre, nous nous y sommes entassés avec Reine et Colette sur nos genoux pour aller dîner à l'Arc En Ciel. À ce restaurant il y avait aussi du nouveau : toutes les glaces extérieures avaient reçu un grillage de protection et un cerbère contrôlait la double porte d'entrée. En repartant Reine a emporté un gros pot de plantes vertes, le gardien l'a regardée sortir sans rien dire. Elle est revenue 20 secondes plus tard et l'a remis en place sous l'oeil indifférent du préposé au contrôle... À Saïgon la vie, en septembre 1954, a peu changé par rapport aux mois que j'y avais passés. Il y a un peu plus de monde, civils ou militaires, Européens ou Vietnamiens. Les civils sont des réfugiés, les militaires sont dans des États Majors pléthoriques. En 1950/1/951, de Lattre avait tout réduit au strict minimum. Sous Navarre, pour se donner de l'importance, chaque chef, du général au lieutenant ayant un bureau, avait agrandi son entourage. Le repli des États Majors du Nord n'avait fait qu'aggraver la situation. Tout ce monde surenchérissait de désir de vivre, de besoin de plaisirs, de jouissance. Tous les Mess étaient pleins, tant en ville qu'en périphérie, tous les restaurants avaient relevé leurs tarifs de même que les cyclo et moto - pousses, pourtant concurrencés par les taxis 4 CV. Les chambres d'hôtel étaient introuvables, bien que leur prix ait doublé. Je l'ai constaté au "Majestic" pour la chambre que j'avais eue en 1952 lors de l'arrivée de Reine avec la même chambre attribuée par faveur en septembre 1954. En 1951 la guerre semblait très loin de Saïgon, en 1954 la ville en était débarrassée. Le Général Hinh Chef d'État Major de l'Armée Vietnamienne, chaque fois qu'une invitation officielle ne l'accaparait pas, passait ses soirées au champagne, avec son épouse, jolie blonde européenne, dans la salle de danse du Cabaret Club. L'Armée de la République Démocratique du Viet Nam préparait, à l'abri de l'armistice, la continuation de la guerre; l'Armée Française préparait son départ; l'Armée de BAO DAï préparait la défaite à venir, ses conseillers techniques U.S. préparaient l‘arrivée de leur Armée. Tout le monde préparait quelque chose. Les Binh Xuyen, Armée dans l'Armée, préparaient des dizaines de fumeries d'opium, des bordels de 200 filles, la "Maffia" Corse s'occupait des restaurants et de la centaine de salles de jeux. Dans ce tumulte, ce brouhaha, cette folie de vivre dans le plaisir et la jouissance, je cherchais ma voie. Pas pressé de quitter ce pays, puisque j'étais en famille, je devins l'Officier liquidateur du 5° BPVN. Botella me confia tous les dossiers qu'il avait entamés, notamment le suivi des décorations Vietnamiennes. C'est ainsi que je fis connaissance des pertes exactes du Ba Wan, bataille de Dien Bien Phu et captivité cumulées : Sur 642 hommes ayant soit sauté le 14 mars soit affectés par la suite, nous n'étions revenus, au 1/11/54, que 82... 7 disparus sur 8. Seuls 5 Vietnamiens avaient été rendus par la clémence de Ho Chi Minh, tous grands blessés et deux s'étaient évadés dont Phan Van Phu tant recherché le 8 mai par l'ennemi. Tant au Mess Central qu'à la piscine ou j'allais chaque jour, je rencontrais et parlais avec des Officiers de la Commission Internationale d'Armistice, Canadiens et Hindous. L'un de ceux ci me dit qu'il partait à Hanoï pour concertation d'une dizaine de jours avec ses collègues du Nord. Je lui parlais de Péchard et lui demandais de bien vouloir se renseigner sur lui. À son retour il m'affirma que l'intéressé était en liberté à Hanoï ou il désirait s'installer, mais qu'il ne voulait, (ou ne pouvait) pas encore revenir en France. Reine ayant quelques ennuis physiques fut hospitalisée en octobre à l'Hôpital Grall pendant 3 semaines, essentiellement pour y subir des examens. À sa sortie elle eut droit à une quinzaine de repos et nous décidâmes alors notre retour en France où les soins éventuels seraient certainement mieux adaptés à son état. Ayant appris que tous les ex Prisonniers des Viets avaient droit à un séjour de remise en forme, tous frais payés avec leur famille, je choisis d'aller au Cap Saint Jacques, petit paradis au Sud de la Cochinchine en attendant notre départ pour la France. Nous fûmes logés dans un hôtel sur la plage tenu par une parente de Bougon. Elle n'avait aucune nouvelle de lui...
Le 2 décembre 1954, accompagnés par Antoine, nous embarquions sur le "Clément Ader "paquebot tout neuf. Retardés par une tempête en Méditerranée nous sommes arrivés à Marseille le 25 après un réveillon improvisé à bord. L'aventure Indochinoise était terminée.

Janvier 1955 - Juin 1956

En Métropole

À mon retour en France, le 25 décembre 1954 J'eus droit à un congé de Fin de Campagne de 4 mois, sous statut, se terminant le 24 avril 1955. Avec Reine nous avions envisagé de rejoindre son frère installé en.i.Guyane ; i.Botella m'avait bien dit être allé à l'E.M. des T.A.P. demander mon intégration promise ài. Dien Bien Phu, mais je n'y croyais pas. Mi-mars, un télégramme me convoque à la B.E.T.A.P. à PAU. Pas pressé, j'y vais 3 jours plus tard. Le Chef d'E.M., le.i.Commandant Renon dit : - Allez passer la visite médicale, le colonel a signé pour vous, le dossier était urgent, il est reparti. - Quel dossier, quel colonel ? -Votre dossier d'intégration, le Colonel Lefort qui vous connaît a fait le nécessaire. -Lefort ? Toto ? Nous avions participé ensemble avant guerre à des compétitions moto... La Direction des Trans avait demandé mon dossier d'intégration, Lefort s'étant renseigné à Paris et auprès de Delors, qui venait de lui être affecté, avait fait établir mon dossier et, pour accélérer, avait signé pour moi. Si je m'insurgeais, Lefort serait sanctionné, je m'inclinais : destin ! Renon ajouta qu'au vu du dossier, Toto avait demandé mon affectation chez lui, à Pau. Le 15 avril je recevais l'avis d'intégration avec le grade de lieutenant à zéro jour de grade mais dispensé de stage probatoire, affecté à la B.E.T.A.P. à compter du 25 avril 1955. Je retrouvais quelques bons collègues d'Indo : Courcet qui avait échappé de justesse à Dien Bien Phu, Le Guère mon camarade d'évasion manquée, Dutel, etc... En octobre Reine à un poste à Pau et nous vivons la vie de garnison. Je fais peu de transmissions mais beaucoup d'instruction guérilla pour les jeunes cadres qui partent en Algérie. Au printemps 1956, Lefort est remplacé par le Colonel Convert qui impose des causeries aux officiers. Je me vis infliger la Guerre et l'Action Psychologique. N'ayant aucune idée sur le sujet, je demandais au Père Jeandel, Aumônier des T.A.P., ex prisonnier des Viets, avec qui j'avais gardé de très bonnes relations, de m'indiquer quelques ouvrages, il était professeur de mathématiques. et de psychologie. En réponse il me demanda d'aller d'urgence au Cabinet du Ministre de la Guerre voir le Cdt Dadillon spécialiste de la question. Cet officier m'expliqua qu'il mettait en place à Alger, un Bureau d'Action Psychologique pour lequel je lui étais recommandé. Ne connaissant rien à la Psycho, rien des Arabes, connu pour mon caractère chez les Viets, j'avais le profil idéal !
Pourquoi pas ? C'était du nouveau, en avant pour la Psycho et l'Algérie.

Juillet 1955 / Avril 1961

En Algérie

Le 1er juillet 1955, je me présentais au Bureau d'Action Psychologique, jusque là sous le direction du Général Tabouis. Sa principale activité consistait à distribuer des bonbons aux troupes qui débarquaient en Algérie. Dadillon voulait une activité plus sérieuse, plus efficace, inspirée des idées publicitaires, voire de propagande marxiste, comme nous l'avions connue dans les camps Viêt Minh. Le Chef de Service était le Lieutenant Colonel Faugas, le Commandant Bruges son Adjoint. Notre équipe était composée des Capitaines Auboin, Guidon, Guyomard, Martinais, Stien, Tomasi, du Lieutenant La Croix Vaubois et moi, tous du premier au dernier, anciens prisonniers des Viets. Nous étions rattaches au Cabinet Militaire du Résident Robert Lacoste dont le Chef était le Colonel Ducourneau ex Commandant des T.A.P. à Hanoï. Nous avons d'abord étudié la différence entre Action Psy dirigée vers nos troupes et civils alliés et la guerre tournée contre l'adversaire. En pays musulman il ne fallait pas heurter les croyances, les moeurs et les coutumes et si nous n'avons pas appris tout le Coran et les "Hadit", nous avons eu des notions précieuses et très précises, par des arabisants, des A.M.M. et par un grand ethnologue Jean Servier, celui qui connaît le mieux le Maghreb, pour y avoir vécu en nomade pendant des années. Il était dans les Aurès quand eurent lieu les premiers coups de feu contre les époux Monnerot . Avec des professeurs qualifiés, nous avons appris le B.A. BA de la psychologie. Nous avons suivi des cours au C.R.E.S.A. puis, en équipe de deux, nous sommes allés voir en Kabylie comment se passait les opérations et les modifications à y apporter. J'étais avec Martinais ancien du Ba Wan. Horrifiés par l'impréparation à la guérilla de ceux que nous visitions, et bien que ce ne fut pas notre rôle, nous sommes allés en patrouille avec de jeunes sous-lieutenants pour leur communiquer un peu notre expérience.Septembre. Reine me rejoint, elle a un poste à Bab El Oued, dans la Casbah. Nous avons trouvé un domicile à Hydra, sur les hauteurs d'Alger. En novembre. Ayant fait une synthèse de nos différents rapports, nous définissons notre doctrine, but, moyens. Elle obtint fin décembre l'aval de Lacoste et de Salan, Général Commandant en Chef. Le 27 janvier 1957. Jour mémorable pour moi, Massu entrait ses Paras à Alger pour briser la grève et nous partions pour l'Opération "Pilote". Elle allait se dérouler dans le Département du Chélif, de Cherchel à Ténès au bord de la Méditerranée, à Téniet El Had sur les montagnes de l'Ouarsenis au sud. C'est là que j'allais avec un Officier des A.M.M. comme Adjoint. Nous étions tous en équipe avec un arabisant, l'"Officier Itinérant d'Action Psychologique", notre titre, étant le Chef. Mon coéquipier était le Capitaine Collignon, j'étais chargé de lui inculquer la Psycho. Notre "mariage" fut assez bref mais sans heurts. Le Commandant du Secteur voulut nous intégrer dans ses subordonnés, je réagis fort et violemment. Ducourneau répercuta sur Salan et ce Colonel, de Cockborne, dut s'incliner et admettre que les "Missi Dominici", dotés d'Ordres de Mission signés Lacoste et Salan ne dépendaient pas de lui, mais pouvaient le requérir ! Ancien d'Indo et de Corée cet homme avait des vues bizarres. La musique du 5ème R.I., le Régiment de Paris, était sous ses ordres, 40 hommes premiers prix de Conservatoire. Il jugea ne pas avoir besoin d'une musique et fit de ces appelés sans autre instruction qu'une formation commune de base, le Commando du Secteur ! Pour parfaire il plaça à leur tête un capitaine ayant plus de connaissances administratives que de guérilla. Une semaine après le "Commando" était accroché, le capitaine porté disparu et une douzaine d'hommes blessés. Je fis un rapport très virulent. Dans nos instructions, il nous avait été recommandé de dire, prôner, faire admettre par tous les moyens que l'Algérie était Française. Je fis faire des inscriptions à la peinture blanche, avec des lettres de 2 à 3 mètres de haut, sur des flancs de montagne sombres, visibles à plus de 10 km. Critiqué par des notables civils qui jugeaient que c'était de la provocation, j'en fis faire dans le bourg et même sur la façade d'un commerçant d'idées pro F.L.N.. Des rapports contre moi, des plaintes, arrivèrent chez Ducourneau qui les rejeta et j'amplifiai mes actes. Collignon suivait à petits pas, un peu effrayé par mes audaces. Chacune de nos équipes avait eu l'attribution d'un véhicule, une 203 plateau bâché avec un conducteur européen. J'en étais le principal utilisateur, laissant Collignon palabrer avec les indigènes locaux; je partais avec le conducteur voir les différentes unités, prêcher la bonne parole, tant à nos hommes que, de mechta en douar, aux civils, sans aucune escorte. Début mars. De Cockborne me demanda, avec les formes, d'aller passer une soirée dans un poste isolé dont le Chef, un jeune lieutenant, paraissait terrorisé, à bout de nerfs. J'y fus déposé par hélico, une opération nécessitant deux compagnies serait montée le lendemain pour me récupérer, assurer une relève partielle et amener le ravitaillement du mois ! Ainsi isolés on comprenais le peu de moral des occupants du poste. Le Lieutenant H... en question, était comme moi de l'Arme Trans. Ses deux sous-officiers n'avaient aucune confiance en lui, la quinzaine d'hommes de troupe était très apeurés. À 50 mètres du poste vivait un petit fonctionnaire Kabyle nommé Mazzari, prétendant être apparenté à Mazarin ! Avec deux femmes et 4 enfants il restait enfermé dans une mechta bien close. J'allais le voir, parler avec lui. Instituteur de l'École Normale d'Alger, salaire 1/3 de celui d'un Européen, il avait quitté l'enseignement pour les Eaux et Forêts, où, avant novembre 1954, il pouvait se faire nourrir par les fellahs. Il était cause de la panique du poste, affirmant avoir vu à 2 reprises des patrouilles F.L.N. passer à proximité, 8 à 10 hommes, avec des mules; ils avaient perdu des paquets, vides de cigarettes. Je lui rappelai que les Fellaghas ne fumaient pas, coupant, à cette époque, le nez des fumeurs. C'était des équipes du 11ème Choc en nomadisation, vêtus en indigènes. Dès le début de la nuit, les sentinelles tirèrent. Laissant le lieutenant terré, tremblant, j'allais près de l'une d'elles, me fis expliquer devant un sous officier le pourquoi des tirs. Le garçon dit avoir entendu des bruits... J'expliquais que les Fels ne faisaient pas de bruit, ce qu'il entendait, c'était des oiseaux de nuit ou du gibier, voire des chiens de Mazzari en quête de nourriture. Je restai à ce poste toute la nuit avec les sentinelles successives ayant la visite des sous-officiers mais pas du lieutenant. Au jour je le revis anxieux, énervé, à la limite de la crise de nerfs. Il était impossible de lui expliquer ce qu'il devait faire, sa relève était impérative. Un mois après le poste attaqué perdait un sergent - chef et dix hommes. Mazzari s'était replié 48 heures avant... Avait-il éte prévenu ? Fin mars. Laissant Collignon seul, je fus envoyé à Cherchel remplacer Auboin qui s'était noyé et son Adjoint A.M.M. muté. La vie dans ce Secteur était plus agréable, malgré la tension existant entre le colonel commandant l'École d'Officiers de Réserve et le colonel commandant le Secteur près de qui je vivais. Ce dernier, Lecointre, dit Napoléon, ne pouvait donner d'ordres à l'École : État dans l'État. Auboin avait créé 2 écoles primaires d'une classe avec des appelés instituteurs dans des villages protégés par l'Armée. J'en installais d'autres où je créais, avec l'aide d'anciens militaires français, des groupes d'autodéfense armés de fusils de chasse déposés par les Pieds Noirs à la Mairie de Cherchel. Fin avril. J'en avais formé 6, cela fit "Tilt" chez Faugas. Le 5 mai. Je reçu l'ordre d'amener tous mes groupes à Alger pour le défilé du 8 mai. Je les rassemblais dans la journée du 6 avec une quinzaine de volontaires supplémentaires issus des mines de Bréa. Ils allaient former un début de Harka que j'emmenais en opération à 3 reprises. Le matin mes gars reçurent une tenue de treillis, des bérets de toile et des pataugas. L'après midi du 6 et le matin du 7 j'essayais de leur apprendre à marcher au pas, colonne par trois. J'expliquais que dans la musique, il y avait une grosse caisse rythmant la marche par un gros coup au moment où le pied gauche devait toucher le sol. Pour la répétition, avec les "chibanis" en tête, mon chauffeur tapait sur un chaudron avec un gourdin tandis que je hurlais : 1, 2. Ce ne fut pas triste ! Le 7 au soir, je dînais au Saint Georges, invité, avec des commandants de compagnies devant défiler le lendemain. Deux Bretons discutaient très fort. Après le repas, au bar, ils en vinrent aux mains : le lendemain le Capitaine Antic défilait en tête de la Garde du Bachaga Boualem avec un bandeau sur l'oeil, le Lieutenant Le Pen avait encore ses 2 yeux intacts. Le 8 mai. À 10 heures ma troupe était à Alger prête à défiler. J'appris alors que mes hommes seraient nourris à midi (13 heures) à la caserne des Zouaves mais ils devraient amener leur couvert, assiette et fourchette. Ils avaient tous un couteau et rien d'autre. J'alertais Reine qui courut les souks de Bab El Oued pour acheter le nécessaire. Pour la parade un miracle eut lieu. Mes gars me suivirent, marchant à peu près au pas, l'arme à la bretelle. Ce fut un triomphe. Les spectateurs applaudissant très fort, plus fort pour mes hommes que pour toute autre troupe. Une véritable ovation. En 1956, pour cause d'insécurité, les troupes indigènes avaient été dissoutes et les Pieds Noirs voyaient des volontaires venant à nos côtés. L'Action Psy était en marche, la fraternisation de 1958 amorcée. Mes Harkis avaient des fusils mais l'armée ne pouvait pas fournir des munitions de chasse. J'écumais les armuriers d'Alger achetant toutes les cartouches à chevrotines disponibles. Le G.G. payait. À la même époque je reçu l'ordre de trouver un logement pour des équipes féminines médico-sociales. Je louais une villa meublée, destinée avant 1954 aux touristes vacanciers. Elle était proche du P.C. Secteur, lui-même ancien Camp de Vacances au bord de la plage. Peu après arrivèrent le Personnel et le Matériel et je fus informé de la Mission médico-sociale des équipes.. Les 2 premières fonctionnèrent dans mon secteur à titre expérimental. Chaque équipe comprenait un médecin du Contingent, une "Infirmière", en réalité une P.F.A.T., ayant eu 4 ou 5 semaines de cours de secourisme, une interprète (des filles arabes sorties de prison, où elles étaient pour des peccadilles de collusion avec le F.L.N., volontaires pour ce travail). Un conducteur européen du contingent, ayant comme le médecin, appris à se servir d'un poste GRC9 en phonie, le tout monté sur un Dodge 4X4 débâché. Pour les premières sorties, afin de donner confiance aux équipages, je les accompagnais dans les douars ou groupes de mechtas dont les routes d'accès pouvaient ne pas leur paraître assez sûres. J'alternais d'une équipe à l'autre pendant 3 semaines, puis, espaçais ma présence à une fois sur 3 ou 4 sorties. Sur place, les équipes organisaient une consultation médicale, distribuaient des boites de lait pour les nourrissons, incitaient les mères à nettoyer et tenir propres leurs bébés. À la seconde visite imprévue, les femmes dont les petits étaient propres, recevaient une layette. Dès la 3ème visite, toujours à l'improviste, les mères venaient au devant de l'équipe, leur bébé fesses en l'air, pour montrer la propreté. La consultation médicale s'étendait bien sur aux adultes, hommes et femmes. À toutes les visites que je faisais avec mes équipes, j'y allais d'un petit discours politique en faveur de l'Algérie Française. Pendant les 3 mois : juin, juillet, août 1957 de ma présence dans le Secteur, jamais une équipe n'a eu d'ennuis avec les H.L.L.. Dans les douars ces garçons et filles sans armes, à part le conducteur, étaient en sécurité, protégés par les femmes très intéressées par leur venue. Il est arrivé à plusieurs reprises que ces équipes passent la nuit dans des douars, invitées par les Indigènes. L'une d'elles procéda, une nuit, à un accouchement laborieux. Cette fois la, par hasard, le toubib était un dentiste ignorant tout de l'obstétrique. Depuis Cherchel un spécialiste conseilla, dirigea l'opération par radio, tout se passa fort bien et mes gars revinrent avec des cadeaux. Cela m'obligeait à parcourir le Secteur en prenant parfois de sérieux risques. Mes collègues et moi l'avions admis au départ lorsque nous avions émis le principe que notre présence seule, sans escorte, était pour les populations, la mentalité arabe, plus impressionnante qu'avec 20 ou 30 hommes armés. C'est dans ces conditions que notre camarade récemment arrive à Ténès : Portman, disparut. Auboin, mon regretté prédécesseur avait mis en place quelques postes de sécurité : de nombreux charbonniers travaillaient sur des fours toujours à proximité d'une route pour pouvoir charger aisément leurs produits. Pour l'acheminement de leur marchandise ils devaient avoir un bon de transport. Auboin avait obtenu d'être le distributeur de ces bons. Je continuais et les remettais moyennant quelques renseignements. Ils nous protégèrent sur ces routes simplement en restant travailler près de leur four, si aucun homme armé n'était dans les parages. Dans le cas contraire ils s'absentaient et... je faisais un prompt demi-tour. J'ai des souvenirs cocasses de cette période. Dès la mise en place des équipes Médico Sociales, il fallut leur fournir le matériel nécessaire, entre autres les layettes. J'allais dans le plus grand magasin spécialisé d'Alger et en demandais 200. Tête de la vendeuse éberluée de voir un Lieutenant Para passer une telle commande. Elle m'amena prestement vers la Directrice, tout aussi abasourdie, se demandant si je n'étais pas un peu dérangé. Cela dépassait son entendement : un Officier des Troupes d'Assaut voulant acheter des layettes en grosse quantité ! Je dus exhiber mes Ordres de Mission qu'elle vérifia auprès du G.G. avant de m'en accorder 10. Le reste fut livré après que ce premier achat eut été réglé... Le C.R.E.S.A. mettait à disposition de ceux d'entre nous qui le désiraient, un ensemble cinéma sonore et un groupe électrogène d'alimentation avec de très beaux films d'éducation sanitaire réalisés par Walt Dysney. Je ne pouvais faire de projections de jour, mais je me servais de la sonorisation pour mes discours dans les douars. J'ai un organe verbal puissant mais celui de mes jeunes interprètes arabes n'avait pas beaucoup d'ampleur. - Pour être sûr de la traduction je les enregistrais.- Je tenais pour nécessaire que nos arguments soient entendus dans toutes les maisons du douar ou les H.L.L. pouvaient être terrés. Nous devions faire des comptes-rendus d'utilisation et, pour conserver mon amplificateur, je les fis très scrupuleusement pendant un trimestre mais en marquant projection là ou il n'y avait que de la sonorisation, après quoi j'appris que j'allais recevoir la Médaille d'Argent de l'Académie de Médecine ! ! J'en ai toujours honte. J'arrêtai immédiatement et rendis le matériel au C.R.E.S.A. La Médaille n'est jamais sortie de son étui et je n'ai jamais demandé à l'autorité militaire l'autorisation de la porter. Fin juin. Faugas me demanda mon avis sur Dutel qui arrivait précédé d'une réputation de "grosse tête", peu disposé à venir dans notre équipe. Je soutins très fort mon collègue et proposais de le recevoir et le piloter les premiers jours. Dutel devant être nomme capitaine le 1er juillet, Faugas hésita et je dus insister arguant de notre amitié. Le jour de l'arrivée de mon camarade, nous apprenions le massacre de Melouza / Mechta Casbah : 200 habitants du douar acquis à Messali Hadj, le M.N.A. rival du F.L.N., avaient été exécutés, femmes et enfants, tous y étaient passés. Dutel et moi, sous la main à Alger, avons été envoyés pour voir et tirer des enseignements. Nous allons dans la cohorte d'Officiels : Généraux, préfets, journalistes, avions, hélicos. Nous subissons les discours et devons revenir par voie de terre. Le soir nous nous arrêtons à M'Sila chez le Gouverneur qui nous semble vivre avec quelques années de retard. Le lendemain matin visite à l'Escadron du 8ème Spahi, la garnison de la ville. Beau cantonnement, 2 gazelles dans la cour du quartier, un capitaine évasif et un chef d'escadrons. Nous apprenons que les hommes vivent consignés, il n'y a des sorties qu'avec 2 ou 3 A.M.. Je critique très fort, essaie d'expliquer qu'il ne faut pas laisser le bourg aux Fels mais au contraire imposer notre présence, sortir, parler, discuter. Trop risqué, déclare le commandant qui, incidemment, dit qu'il y a ce jour là Marché, 3000 personnes seront sur la place. Il faudrait, ajoute-t-il, une centaine de militaires pour s'aventurer là dedans. Je ne dis rien mais... je vais voir ça ! Suivi à 5 ou 6 pas par Dutel abasourdi, répétant :"Janot, fais pas le con," nous avons traversé en long et en large la foule, étonnée de voir ces deux officiers en béret rouge et tenue camouflée, s'arrêter pour voir un étalage, sourire à un bébé, répondre à des saluts. Mon ami me croyait devenu fou. C'était une bravade, mais je pensais jouer sur l'effet de surprise. Il m'a suivi très courageusement pendant plus d'une heure. À mi-chemin du retour vers le 8ème, "Scoumoune", nous avons rencontré 3 A.M. qui venaient à notre secours ! Le commandant avait été informé de notre "folie" par la Police Locale indigène, peu ou prou sympathisante du F.L.N.. Il nous avait envoyé chercher tandis que l'Escadron se mettait en alerte maximum. Nous eûmes des mots très vifs, je lui dis avoir été cavalier et avoir servi aux ordres d'officiers supérieurs nettement plus braves et décidés. En suite de quoi nous sommes allés voir le Général Commandant la Division de Bordj Bou Arréridj. Je lui ai fait part de mon opinion sur l'inertie de ses troupes, l'incitant à aller voir sur place les bêtises de l'Administrateur et secouer les militaires. J'avais bien entendu, pour être reçu, présenté mes Ordres de Mission Lacoste / Salan. Devant ces 2 lieutenants qui osaient donner des conseils, voire des ordres mais qui étaient des Missi Dominici, le général resta muet, apparemment abasourdi devant cette Armée nouvelle. À la sortie du bureau du "Poireau", Dutel me dit : - Si l'Action Psy, c'est la possibilité d'engueuler les généraux, je marche ! Il fut affecté au lieu-dit "5 Palmiers" à une vingtaine de km au sud de Ténès où il resta 3 ans et reçu les Palmes Académiques, ce qui était très bien pour cet ancien normalien. Les plaintes d'officiers supérieurs s'étaient accumulées sur moi. À Téniet, de Cockborne s'était plaint de ne pouvoir me donner d'ordres alors que j'enfreignais ses directives de sécurité. "Napoléon" en avait fait autant à Cherchel ajoutant que je lui créais des difficultés avec d'autres colonels : le commandant d'une unité de Sénégalais, que j'avais critiqué pour sa passivité devant certaines exactions de ses hommes; le colonel commandant l'École des Officiers de Réserve, parce que j'arrivais sans prévenir, sans escorte, sur des terrains où ses élèves montaient des embuscades que je déjouais tant elles étaient puériles; je m'étais permis de demander à des officiers instructeurs où ils avaient reçu leur formation, les incitant à aller suivre un stage de contre guérilla à la B.E.T.A.P.. Le Général de Brébisson, commandant la division, m'avait demandé d'aller le voir à Orléansville pour me faire la leçon. Poliment mais très fermement, je lui avais dit d'aller... voir Salan. Des colonels Paras se plaignirent. À l'Action Psy nous disposions d'un petit hélicoptère Bell, 2 places. En juin devant être à Blida pour effectuer mes sauts d'entretien avant 7 heures du matin, l'ouverture de route tardive m'obligeait à coucher à l'hôtel sur place la veille, j'avais demandé 5 jours de suite la disposition de l'hélico. Il me posait sur le terrain près de l'embarquement et me récupérait sur la D.Z., après le saut. C'était incongru, les colonels et généraux, dont Massu, venaient en voiture et un lieutenant disposait d'un hélico ! Le Colonel Faugas m'informait de ces doléances, le Colonel Ducourneau quittant le G.G., ne pouvant plus nous soutenir, 3 collègues et moi avons demandé notre mutation. Un poste de Lieutenant de Transmissions étant libre à la B.A.P. en formation à Blida j'y fus affecté. J'eus droit à une citation de "paquetage" et, dans mes notes, très bonnes, l'appréciation "n'utilise pas assez les subtilités de la langue française". Le 1er octobre 1957. Je rejoignis ma nouvelle Unité. Elle s'installait sur un terrain de 25 hectares sous tentes et 4 ou 5 bâtiments préfabriqués. Tout était à faire : chemins, logements, adductions d'eau et d'électricité, évacuation des sanitaires, etc.... La B.A.P. était composée d'un État Major avec une C.C.S., une C.T., comprenant une section de pliage de parachutes et un C.E.S. dont une partie permanente à Phillippeville, 2 C.R.A., des C.I.. Les cuisines étaient prévues pour livrer 3000 repas par service. Dépendant de la C.C.S., comme la Section de Garde, 60 hommes, j'avais une grosse Section Radio, près de 40 hommes, une équipe chiffre - régulation 6 hommes et 15 filistes centralistes. Le matériel était prévu pour dédoubler la B.A.P. en une Base Aéroportée mobile. Tout cela sur le T.E.D.. J'eus de suite le matériel mais il fallut plus d'un an pour avoir tout le personnel. Mon premier travail fut de relier par téléphone, sur des supports improvisés avec des centraux de campagne, l'E.M. et les différents P.C. de Compagnies. Je les alimentais par groupes électrogènes. Nous n'avions pas de crédits, donc, système D, en avant. Les poteaux béton pour l'installation électrique nous avaient été livrés mais les crédits pour leur mise en place étaient à venir... Nous avions des prisonniers, ils creusèrent les trous et avec le matériel des C.R.A., grues, élévateurs, je mis en place une centaine de poteaux de 12 mètres; j'y accrochai mes lignes téléphoniques. Le Commandant Duquay avec une vingtaine de Paras, construisait des logements pour la troupe, je lui volais le ciment pour faire tenir les poteaux. Le matériel prévu pour installer une Base Mobile était dans des caisses, prêt à être embarqué dans des Nord 2 501. Les véhicules : 2 Jeeps, 4 Dodges et 4 G.M.C., avaient été équipés pour recevoir les postes radio en moins d'une heure. Chaque mois, exercice de mise en service, essais, remise en caisses, le personnel était bien entraîné. J'avais mis en place, pour l'entraînement permanent des radios graphistes et des chiffreurs, une liaison avec notre détachement de Phillippeville. Les radiosphonistes participaient à de petites opérations hebdomadaires dans le Secteur et, avec les graphistes, avaient tous les jeudis un réseau d'instruction mais, tous, donnaient la main à tous les travaux d'installation. Les filistes en travaux pratiques permanents étaient toujours prêts à démarrer. Anecdotes :
A - Les bobines de fil téléphone étaient livrées avec une étiquette, "1 mile", mesure anglaise de 1609 mètres. En tirant une ligne le long d'une route dotée de borne kilo et hectométriques, Pacca découvre que les bobines ne contiennent que 1500 mètres de fil. Je fais un rapport, le Capitaine de l'E.R.M.T. l'annote : c'est un "puriste" et classe. Quelques jours plus tard, je rencontre le Commandant des Trans du C. A. d'Alger et lui en parle. Il demande mon rapport et ordonne une vérification. Je m'y attendais et avais fait conserver 3 bobines dans leur emballage d'origine. Un matin sous les yeux de deux commandants et du Capitaine de l'E.R.M.T., démonstration concluante. Je reçus 5 bobines en dédommagement de la perte sur la cinquantaine que j'avais perçues et le Capitaine de l'E.R.M.T. alla finir son séjour à Tombouctou. J'appris par la suite qu'il y avait eu des sanctions à tous les échelons jusqu'à Paris ce qui n'arrangea pas ma Côte d'Amour à la Direction Générale des Transmissions, mon nom ayant été mentionné dans tous les rapports, je m'en aperçus en 1961 et 1965. B- Sur le Livret Militaire d'un appelé, je lis profession : peintre. On lui donne un pinceau, de la peinture mais il refuse de monter, même sur un tabouret, il a le vertige. Explication : il était peintre sur foulards... Il avait passé les tests paras en rampant sur la plate forme à 12 mètres du sol. Fort de cette volonté je l'engageais à vaincre le vertige. Il y réussit très bien, peignant en fin de séjour les antennes à 10 mètres du sol.
Reine avait été admise professeur de C.E.G. et, à la rentrée 1957, elle eut un poste à Blida ou nous logeâmes. Sa classe était composée de filles de 12 à 14 ans ayant souffert de la grève imposée par la terreur du F.L.N.. Elle organisa une consultation de nourrissons dans son école, aidée par un médecin du contingent que j'avais convaincu d'effectuer ce travail. Ce fut auprès de la population un très gros succès. Des femmes, arabes bien sûr, que je ne connaissais pas, soulevaient leur haïk pour me saluer... En fin d'année scolaire, les résultats de ces élèves dépassèrent toutes les espérances. Il y avait, au Nord de Blida, sur la route de la B.A.P., un bidonville abritant 20 familles. Au printemps 1958, je voulus le faire disparaître. Je demandai son aide à Faugas. Elle me fut accordée à condition que j'aille moi-même jusqu'au bout de l'affaire. Je décidais, avec quelques menaces persuasives, un propriétaire terrien de donner 5000 mètres de terrain inculte en face de la Base Aérienne. Faugas mit à ma disposition un maçon maître d'oeuvre et les matériaux nécessaires pour construire les 20 maisons de 40 à 60 mètres carrés, selon l'importance de la famille. Je réunis les chefs de famille pour leur expliquer le projet. Ils travailleraient, dirigés par le maçon, pour construire une maison dont ils seraient propriétaires. Je précisais que, de toutes façons, le bidonville serait brûlé et eux, bien sûr, expulsés. L'accord fut vite conclu et 48 heures après, le chantier démarrait. Chaque maison eut un carré de jardin. Trois points d'eau furent installés et une très grosse fosse septique posée. Précédemment ils n'avaient qu'un seul point d'eau à prés de 100 mètres et pas de fosse. Un dimanche matin d'août, 6 camions de la B.A.P., avec une douzaine de mes gars, déménagèrent tout le monde et les pompiers mirent le feu au bidonville. J'omis une chose capitale : Faire une inauguration officielle avec Tam Tam, Autorités Civiles et Militaires, Presse. Tout fut fait dans le silence et la discrétion. J'avais mis un Chef de Village, un ancien militaire. Il mena tout son monde de main de maître. Certains enfants de l'ex bidon ville allaient à l'école de Reine ce qui ne gâta rien pour la propagande française. Septembre 1958. Nous devons faire de la publicité pour de Gaulle, nous croyions encore en sa parole et nous ferons, je ferai tout, pour faire voter OUI. Mes gars ont confectionné un panneau lumineux dont les lettres ont un mètre de haut. Il sera apposé sur un pylône métallique, à 15 mètres de hauteur sur la route Alger - Oran. J'ai 2 ensembles très puissants de sonorisation. J'en monte un sur un Command Car, un groupe électrogène sur la remorque et pendant 15 jours je parcours le Djebel diffusant un enregistrement effectué, en arabe, par les Services de Faugas. Tous ceux ayant vécu cette période savent que ce fut un immense succès : 95% de votants. On voyait la très longue procession des femmes en blanc descendant de la montagne pour venir voter à Blida. Le Chef de "mon village" me rendit compte : - Sont tous voté oui, mon lieutenant, c'était tous présents (sic). Nous avions loué à l'année, une maisonnette à Fouka Marine, 25 Km au Nord de Blida. Du pas de la porte à la mer : 6 mètres en surplomb de 2 mètres. Nous y passions tous les jours de repos, pendant les vacances scolaires, Reine et sa fille y demeuraient en permanence. Le dimanche, des collègues venaient passer la journée en famille. Reine et Colette s'étaient vite intégrées dans la communauté Pied Noir, je le fus aussi grâce au Club de Plongée local dont je m'occupais très activement. J'avais acheté un hors bord et faisait faire des tours, de 10/15 minutes sur ski nautique, aux jeunes camarades de Colette. À plusieurs reprises la Base a été en alerte 12 heures, 2 fois 6 heures, c'est à dire décollage, personnel et matériel, dans les avions, 6 heures après le "Top" Ces alertes nous entretenaient l'esprit opérationnel mais nous menions une vie calme de garnison, coupée par quelques sorties dans le Djebel avec une des compagnies improvisées de la B.A.P., pour des opérations de maintien de l'ordre. Nous avons revu notre ami Pierre Moslard. Il est en haute Kabylie mais descend de temps à autre à Alger voir Michèle, une jeune femme connue à Hanoï. Un dimanche, ils viennent nous montrer la "Beaulieu" que Pierre a acheté pour partir bientôt, tous deux, en permission. Quelques jours plus tard un appel téléphonique nous informe de la présence de Pierre à l'Hôpital de Tizi Ouzou. Nous y allons aussitôt emmenant Michèle. Notre ami nous sourit et dit : - Il ne fallait pas vous déranger. Il n'avait que 3 balles dans le ventre ! Nous repartons un peu rassurés, mais le surlendemain, il était mort. Il aura sur son cercueil la Légion d'Honneur qu'il aurait dû avoir en Indo mais qui lui fut refusée pour avoir démontré l'absurdité du repli très onéreux, hors de la valeur d'un animal, de ses brêles en France. Le climat de confiance Armée Pieds-noirs se détériore. Il y a eu des morts à Alger quand les gendarmes du Colonel Desbrosses ont tiré sur la foule; les Paras se sont interposés évitant le massacre. Il y a eu les barricades. Les Paras servant encore de tampon, la population fait confiance aux bérets rouges ou verts mais plus du tout aux généraux, surtout après le limogeage de Salan et Challe. Début 1961. Le F.L.N., battu partout, organise des manifs dans les quartiers périphériques d'Alger. Les C.R.S. laissent faire, fraternisent parfois. La colère gronde dans nos cadres. Depuis 1958, sur ordre du Gouvernement, nous avions affirmé, promis, juré que l'Algérie resterait Française. Le Général Vésinet, Commandant le Corps d'Armée d'Alger, a fait une tournée des Secteurs. Fin février, nous sommes 200 officiers à Blida pour l'entendre dire que lui, Compagnon de la Libération, a été reçu par de Gaulle, lequel lui avait affirmé qu'il garderait l'Algérie... mais nous n'avons plus confiance.
En décembre 60, mes gars trébuchant sur des marches d'escalier laissent tomber une caisse de plus de 100 Kg. J'étais très près de celui qui a lâché, un angle de la caisse tombe sur mon pied gauche. J'avais des chaussures de ville, grosse douleur. Le médecin de service met un anesthésiant local, veut me plâtrer. Je refuse et l'orteil cassé, le 4ème du pied gauche, se ressoude de travers. Début mars hôpital et amputation du dit orteil. Le Colonel Lavergne, Commandant du Secteur, vient voir un ami et fait le tour des officiers. Il voit la fiche avec mon nom sur le lit : - Ah, Armandi, de la B.A.P., vous êtes toujours activiste ? Quelqu'un parmi nos collègues a "mouffeté", nous sommes assez nombreux à penser, dire vouloir garder l'Algérie Française; les opposant se taisent très prudemment. Nous saurons, lors du putsch, que le principal gaulliste est le Sous-Lieutenant Commercon, il finira Aide de Camp du Général Ailleret avec qui il périra dans un accident d'aviation.
Début avril nous apprenons qu'un Chef F.L.N. a été reçu secrètement par de Gaulle pour discuter du départ de nos troupes alors qu'elle ne trouvent plus de résistance en opérations. Le 3 ou 4 avril1961. Je sors avec une Compagnie de Marche de la B.A.P. crapahuter au Sud de Blida. Mes gars tombent sur 2 hommes endormis dans un bouquet de lentisques. Bonne prise : ils ont 700000 francs (anciens) et une serviette de documents. Il y aura des citations pour 3 Paras et moi. Je suis en plus proposé pour la rosette de la Légion d'Honneur. J'estime que c'est exagéré, le dis, refuse de signer le mémoire. Le Colonel Le Bourhis, Chef de Corps, me sermonne et je crois comprendre que c'est un cadeau d'adieu, je serai capitaine le 1er juillet et n'aurai plus ma place à la B.A.P., ni probablement aux Paras. Quelques jours plus tard Jean Auriolle, Lieutenant du C.E.S., m'incite à inviter 2 collègues le lendemain soir. Il y aura saut de nuit et il ne veut pas de ces enquiquineurs... Au cours de cette soirée, jouant aux cartes, nous trouverons que la séance de sauts dure bien longtemps. Le surlendemain Clédic, un ancien de Dien Bien Phu, capitaine, Commandeur de la Légion d'Honneur, m'informe vers 17 heures de l'arrivée des Généraux Challe, Salan, Jouhaux au cours du saut de nuit et me dit que la B.A.P. formera 2 Compagnies qui, vers 22 heures, marcheront sur Alger où nous retrouverons les Commandos de Chasse, le R.E.P. et un Régiment blindé. Briefing à 20 heures mais secret total avant le départ. Je dois prévoir des opérateurs radios et des centralistes en plus des équipages desservant les compagnies, ils seront peut être nécessaires pour remplacer des titulaires récalcitrants du Corps d'Armée d'Alger. Je donne mes ordres et, aux sous-officiers qui posent des questions, je réponds que nous allons recevoir de Gaulle. Je rentre chez moi revêtir la tenue convenable. Reine s'inquiète, je lui réponds : - Je vais faire la plus grosse connerie de ma vie, je le sais, mais je dois y aller. Il n'est pas dans mes habitudes d'employer, surtout à la maison, devant la fille, des mots grossiers, cela l'inquiète encore plus. Pendant le rapide casse croûte, je dis quelques mots sur l'affaire, je ne crois pas à sa réussite, l‘Algérie n‘a que 3 semaines de carburant véhicules et si Paris ferme le robinet nous devrons capituler. Peu avant 20 heures je suis près de mes hommes; une Jeep radio est en panne, il faut monter un châssis sur une autre, nous nous affairons et je manque le "Briefing", peu important, je sais l'essentiel. Dans la colonne vers Alger je n'ai aucune fonction, je suis dans une 2 CV et dors, ayant passé la nuit précédente de permanence au P.C. du Secteur. Parti vers 22 heures, le convoi, par une route détournée, se dirige sur Alger. Peu avant minuit nous sommes arrêtés sur le boulevard du Front de Mer, devant la Préfecture, par une Compagnie Républicaine de Sécurité (C.R.S.). En tête de notre formation, la 203 des Commandants Vailly et Penduff, je suis juste derrière. Nos commandants descendent de leur voiture, je les suis à 6 pas, tandis que la Compagnie Clédic, arrêtée à nous toucher, "gicle" des camions de part et d'autreLa C.R.S. est sur 3 rangs, en travers de la route, son chef devant. Vailly dit quelques mots, Penduff porte la main au pistolet, j'en fais autant, mais le Chef C.R.S. va vers une voiture garée sur le côté et je l'entends nettement dire à son supérieur : - Ici Iroquois, je suis investi par une très forte unité Para, je me replie ! Clédic, après avoir envahi la Préfecture, vient me dire d'aller occuper la Station Radio et le Central Téléphonique qui sont dans l'immeuble. Je poste l'Adjudant Skrodsky (un évadé de Dien Bien Phu) à la Station où un civil falot dit oui à tout ce que nous ordonnons, en s'inclinant chaque fois ; le Sergent Thieulin veillera sur le Central où il n'y a personne, ils ont chacun 4 de nos gars pour éventuellement les aider. Mes sous-officiers ont pour consigne de ne laisser passer aucun message de qui que ce soit. Trois minutes plus tard je rends compte et j'ai une nouvelle mission : Occuper le Central Téléphonique du Q.G. d'Alger. Quatre femmes opératrices sont en poste. Je leur donne les mêmes consignes qu'à la Préfecture et laisse 3 hommes en surveillance, tandis que je m'installe dans le bureau voisin du Chef de Centre avec un Secrétaire. Je n'ai plus qu'a prendre note de tous les messages qui arrivent ou dont la transmission vers l'extérieur est demandée. On apprend qu'au dessus du Central Téléphonique il y a une Station d'Écoutes fonctionnant en permanence. Le Lieutenant Caron est désigné pour aller voir; au passage il me demande de l'accompagner pour éventuellement arrêter les enregistrements. Dans une grande pièce nous apercevons une dizaine de magnétophones en service. À l'entrée, une jeune femme en chemise de nuit, un peignoir léger par dessus, met les bras en croix, son peignoir s'entrouvre, nous démontrant qu'elle est bien faite et elle dit comme à Verdun : - On ne passe pas ! Caron rit, lui prend un poignet, la repousse gentiment et nous entrons pour arrêter le tout. Nous aurions dû trouver là, un lieutenant et 3 sous-officiers des Transmissions du Corps d'Armée d'Alger, mais, ayant appris notre présence, ils s'étaient courageusement éclipsés après avoir réveillé une secrétaire. Vers 2 heures je prends l'initiative de laisser passer 2 messages : L'un adressé à un Colonel des F.F.A., l'avis de décès de son fils, l'autre provenant du Centre de lancement de Régane, un message météo. Aux environs de 6 heures arrive un capitaine furieux, outré de me voir dans son bureau que je ne veux pas lui céder. Il se dit sympathisant, je l'envoie à Fort l'Empereur voir Vailly. Sur un coup de fil de celui-ci, à 7 heures, je lui laisserai la place sous la surveillance d'un lieutenant de l'A.B.C.,dont l'Unité nous remplace. Avec mes gars je rejoins Fort l'Empereur où la B.A.P. est réunie. Vers 16 heures nous repartons pour Blida avec une vingtaine de généraux et colonels prisonniers ! Dès le retour et le lendemain, discussions, rires aux éclats, chacun racontant ses "faits d'armes". Mosconi, une jambe dans le plâtre et des béquilles, suivi d'Auriolle et de 2 sous-officiers entrant au Mess des Officiers de Gendarmerie, signifiant au Colonel Desbrosses et à son État Major, qu'ils étaient prisonniers. Il n'y a pas eu un murmure de ces officiers qui avaient fait tirer sur les Civils d'Alger. Ceux qui avaient des armes les remirent de bon gré. Le Sergent Chef Vorelli avait été envoyé, avec un groupe de Paras (des plieurs de parachute), dire à "quelques gendarmes" qui étaient avec "des véhicules" sur le grand parc de stationnement, qu'ils étaient prisonniers. Notre sous-officier, un pied noir athlétique, ancien du 5ème Ba Wan à Dien Bien Phu, arrivant sur place, hurle : - Tous vos officiers, colonels et commandants, sont prisonniers. Vous êtes encercles par les Paras, descendez sans armes, venez vers l'entrée. Et il voit arriver des dizaines et des dizaines de gendarmes. Un peu surpris, mais pas démonté pour autant, il demande que les Commandants d'Unité viennent au devant, vers lui et se présentent. Cinq capitaines arrivent : 3 commandent un Escadron blindé, 2 ont des Compagnies d'Intervention portées. Il y a là plus de 400 hommes ! Vorelli, impavide, leur donne l'ordre de remonter dans leurs véhicules avec interdiction absolue d'en descendre. Au jour ils auront des ordres ! En début d'après midi de ce samedi 22 avril. Je suis appelé par le Commandant Vailly. Il me dit que le Colonel Lavergne, Commandant le Secteur de Blida, s'est retranché avec 2 Compagnies de Tirailleurs et les hommes d'une Batterie d'Artillerie dans la Caserne du centre ville. Il est hors de question d'effectuer une attaque en force, nous devons investir les lieux par ruse, "en souplesse". Pour mon travail je vais souvent au P.C. Secteur, je suis celui qui le connaît le mieux, je suis donc désigné pour entrer en tête et signifier aux officiers présents qu'ils sont prisonniers. La caserne est entourée de hauts murs de 5 ou 6 mètres. Il faudra entrer par le grand portail donnant sur une rue très animée, donc sans combat. Ce portail est cadenassé, une Section de Tirailleurs en assure la garde. Dans la cour, face au portail, un F.M. est en batterie, à 35/40 mètres, prêt à tirer en permanence. Il faut le neutraliser. Le plan prévu est le suivant : Caron, seul sur une Jeep, se présentera au poste gardant l'entrée, porteur d'un gros pli "très urgent, très secret", à remettre en mains propres au Colonel. Normalement le portail s'ouvrira pour le laisser passer. Dès qu'il sera dans les vantaux il appuiera du pied gauche sur un bouton camouflé qui coupera le contact, la Jeep immobilisée, empêchera le portail de se refermer. Deux coups de démarreur ne remettront pas le moteur en route et, tenant toujours son pli à la main, il descendra du véhicule. Clédic, posté dans la rue près de l'entrée de la caserne, donnera le signal "En Avant" à une rame de 5 G.M.C. arrêtée à environ 30 mètres de là. Je suis dans le premier camion, conduit par un sergent chef, nous devons percuter la Jeep vide pour l'envoyer vers le F.M.. Tout se passe comme prévu. Les servants du F.M., affolés par ce véhicule lancé sur eux, s'échappent et vont se réfugier dans un bâtiment, mon bahut tourne à droite, les hommes qui le montent sautent à terre et bouclent le P.C. ou je pénètre seul. Les autres camions entrés au touche touche derrière le mien, se répartissent à droite et à gauche, nos hommes se postent devant les ouvertures de tous les bâtiments y compris le poste de police. À l'intérieur du P.C., le bruit, les cris des Tirailleurs du Poste et du F.M. alertent les occupants. Je vais en premier au Bureau du Colonel Lavergne lui demander poliment de rester dans son bureau et se considérer comme prisonnier. Il regarde par la fenêtre, voit les Paras, sourit et dit : - Nous en reparlerons. J'entre chez son adjoint, le Colonel de Froment, il parait atterré, demande : - Qu'allez-vous faire de nous ? Et s'effondre dans son fauteuil. Dans le couloir, arrive mon collègue transmetteur Nivelet, à qui j'ai rendu maints services, il croise les bras et dit : - C'est une surprise bien désagréable. Les autres officiers du P.C. restent dans leurs bureaux, seul le Capitaine Philippe, un Légionnaire, ex Dien Bien Phu, un bon camarade réagit : - Depuis quand les lieutenants arrêtent-ils les officiers supérieurs ?, dit-il d'un air menaçant et il ajoute mezzo voce, fais pas le con, arrête, n'en fais pas plus. Clédic et Penduff entrent alors et je pars, mission terminée. Le Colonel Lavergne s'engage à ne rien tenter, à ne donner aucun ordre à ses subordonnés. Il lui est fait confiance. Il pourra donc aller et venir du P.C. au Mess où il loge, ainsi que ses adjoints. Le Colonel Le Bourhis, Commandant la B.A.P. prendra provisoirement la place du Commandant de Secteur, 2 de nos officiers assureront avec lui une permanence. Une Section Para occupe le Poste de Police et assurera la garde de la Caserne, les Tirailleurs consignés dans leurs chambrées. Pour les autres Paras, retour vers 19 heures à la B.A.P.. Peu après le colonel commandant la Base Aérienne nous appelle au secours : des dizaines d'hommes de troupe ont saccagé Mess et Foyer; ivres, ils bloquent les officiers après avoir pillé un magasin d'armes, la compagnie des Commandos Air qui doit assurer la garde et la sécurité est désarmée, enfermée dans ses locaux ! Il y a 3000 rationnaires sur cette Base, un grand nombre d'hommes surexcités par des meneurs et l'alcool, disent vouloir aller occuper la ville, le Secteur et tous les points sensibles... Une centaine de Paras sont vite rassemblés et en route, conduits par Penduff et Clédic. Je suis de la sortie avec quelques Radios P.R.C.10. À la Base Aérienne les grilles sont fermées. Dans la nuit, on aperçoit et entend 2 ou 300 individus avinés, brandissant des armes dont ils n'ont peut-être pas la maîtrise. Nos camions arrêtés sur la route, devant ces grilles, nos gars sautent dans le fossé, assez profond, du côté opposé. Clédic me dit : - Dégage les camions, reste là, silence total, attends moi. Si on nous canarde, tu fais tirer une salve en l'air par dessus les grilles, s'ils ne partent pas alors tire dedans ! Et il s'en va avec Penduff, tous deux seuls, sans armes, vers les insurgés. Nos deux officiers demandent le retrait des gens qui sont là et l'ouverture des grilles, faute de quoi, nos hommes donneront l'assaut. Quelques instants de silence, d'hébétude chez les braillards, puis des cris : - Les Paras vont attaquer. C'est la débandade des excités, certains jettent leur arme, sans doute pour courir plus vite. Penduff va voir les officiers de la Base; Clédic et 2 sous-officiers vont, guidés par 2 hommes de l'Air qu'ils tiennent par les oreilles (sic), libérer la Compagnie de Garde qui reprend des armes et le contrôle de la Base. Deux heures après l'appel au secours des Aviateurs nous sommes de retour chez nous. Toutes nos missions se sont accomplies dans l'ordre, en silence, sans une seule égratignure. Nous sommes fiers de nos Paras, ce ne sont pourtant pas des combattants aguerris, mais du Personnel Technique, n'ayant que la formation militaire de base. Ils obéissent aux ordres des sous-officiers qu'ils aiment, tous soldats chevronnés, presque tous anciens d'Indo. Leur passé en impose aux hommes qui les suivent sans broncher. Les sous-officiers ont eux aussi l'habitude d'exécuter en toute confiance ce que demandent leurs officiers qui les ont souvent conduits aux combats, et, en plus, leur opinions convergent; ils n'ont pas envie de perdre l'Algérie après l'Indochine. Deux jours dans l'expectative puis Challe se rend, c'est l'écroulement. Le Capitaine Lancery et le Lieutenant Scott qui sont restés neutres, nous demandent de rester chez nous. Auriolle qui logeait à la B.A.P., vient vivre avec moi. Nous ne savons que faire, à qui demander conseil : Vailly est en fuite, LE Bourhis et Penduff invisibles. Clédic est aussi perplexe que nous. Il nous faudrait l'avis de personnes ayant du recul. Je pense au Commandant Barthou, des Transmissions de la 10ème D.P.. La B.A.P. est indépendante des 2 Divisions Paras mais si la 25ème est dans le Constantinois nous sommes très près quotidiennement de la 10ème. Le D.M.T. dirigé par le Lieutenant Ferry est implanté en face de nous et le Mess de l'E.M.10 vient de s'installer en bordure Ouest de notre camp. J'y vais à l'heure du repas. Barthou suggère de disparaître quelques jours en attendant la suite, Ferry m'invite à aller chez lui. Oui, mais Auriolle ? "Ton Ami est le mien" et, au milieu de l'après midi, nous arrivons à son domicile, tout en haut de la Casbah d'Alger, dans un très vieux bâtiment militaire. Nanette, épouse de Jacques Ferry, pied noir rieuse, nous embrasse, nous présente leurs 3 enfants dont l'ainé, Jean Jacques, a 11 ans et nous conduit à notre chambre : pièce au plafond très bas, pas plus de 1,10 mètre sous barrots. C'était autrefois le logement d'esclaves. Nous y passerons 2 nuits. Nos journées sont occupées à écouter la radio et jouer avec les gamins. Les Appelés de diverses Unités n'ayant pas pris part au putsch, surexcités par le discours de de Gaulle, voulaient exécuter tous les putschistes. Repris en main par leurs supérieurs, ils se sont calmés : nous pouvons revenir à Blida, Auriolle bien sûr chez moi. Le lendemain une note du P.C. Secteur nous enjoint de rester aux arrêts à notre domicile, prêts à partir en tenue N°1 avec une cantine d'affaires personnelles (voir annexe). La nouvelle se répand dans Blida (téléphone arabe). Des inconnus arrivent une bouteille sous le bras pour nous dire : Au revoir, ils boivent un verre et s'en vont; d'autres les suivent. Nous recevons ainsi (Auriolle et moi), une trentaine de bouteilles. Dans le petit jardin de 30 mètres carrés, devant la maison, on "tape l'anisette' avec tous. Deux de mes anciens Harkis arrivent, ce faisant, ils sont chaleureusement accueillis par nos visiteurs. Ils viennent demander ce qu'ils doivent faire. Sur les 120 que j'avais recrutés en 1957, ils ne sont plus que 18 ! Tous les autres sont morts ! Je ne vois que 2 solutions : une que je préconise, partir au plus vite en métropole avec la famille ou l'autre que je réfute : déserter avec les armes, même celles de collègues, et passer chez les Fels, sinon leur famille sera massacrée. Ils m'assurent qu'ils prendront et préconiseront la première. Je leur donne l'accolade et ils s'en vont tandis qu'une Jeep vient dans le crépuscule nous chercher Auriolle et moi. Nous nous retrouvons avec Le Bourhis, Penduff, Clédic, Mosconi, dans la Brigade de Gendarmerie de Souma à une douzaine de kilomètres de Blida. Le chef de cette brigade qui n'a été prévenu qu'à notre arrivée, est affolé. Il dépêche ses hommes dans des Unités voisines pour chercher des lits Picots, des vivres, des boissons. Les femmes des gendarmes, presque toutes pieds noirs, s'empressent pour nous servir. Le Gendarme Leveille dit être de notre bord, il connaît les Breffeilh, des collègues amis de Reine. Il part les voir pour qu'ils préviennent nos familles. Après une nuit assez correcte et un copieux petit déjeuner offert par les épouses de nos gardiens, un petit car nous amène à Maison Carrée, sous la surveillance du seul Chef de Brigade. Dans une caserne entourée de barbelés très denses, nous retrouvons des officiers du 18ème R.C.P. et du 1er R.E.P.. La chanson en vogue est celle de PIAF, "Je ne regrette rien...", des collègues modifient les paroles et toute la soirée, les façades éclairées à giorno par des projecteurs, cette chanson retentit dans les étages avec en alternance le "Boudin" des Légionnaires, demain c'est "Camerone", leur fête. Au matin de ce 30 avril. Des cars de l'Armée de l'Air nous emmènent à l'Aéroport de Maison Blanche sous grosse escorte de gendarmes. Les cars s'arrêtent devant le hall d'embarquement, un officier aviateur fait débarquer nos cantines et dit que nous devons attendre là d'être transférés par avions militaires à Paris. Cars et gendarmes s'en vont, nous laissant seuls, sans surveillance ! Nous attendons, nous promenant de long en large jusqu'à midi où arrive un sous-officier de l'Air nous invitant à aller vers les appareils. Nous refusons, 1° de porter nous-mêmes nos cantines, 2°, de partir sans avoir mangé. Les Aviateurs sont très ennuyés, ils téléphonent à droite, à gauche et peu avant 14 heures, des hommes de troupe arrivent comme porteurs de nos bagages. Entre temps les Équipages des Nord 2501 qui doivent nous emmener se cotisent et nous offrent sandwiches et bières. Vers 15 heures nous décollons. L'arrivée a lieu à Villacoublay. Des Dodges armés de mitrailleuses longent la piste, des cars attendent. Un lieutenant-colonel de Gendarmerie, breveté Para, assisté de 3 officiers et d'une douzaine de sous-officiers, est au pied de l'appareil. Il toise les lieutenants descendus les premiers, qui oublient de le saluer, mais suffoque en voyant Le Bourhis : - Mon co...mon colonel, vous ici !", il ne peut en dire plus, se retourne vers ses adjoints, écartez vous, laissez passer le Colonel. Et il les envoie prendre, porter nos cantines. Le Bourhis avait été son chef pendant la Campagne de 43/45, de l'Algérie aux Vosges. Au sortir de l'avion suivant, un Officier Légion, le Capitaine Branca l'apostrophe avec l'accent Pied Noir : - Oh Tonton !, à moi tu me fais mettre la mitraillette ? Et ce brave colonel de gendarmerie, tombe dans les bras de son neveu, une petite larme à l'oeil tandis que ses adjoints se détournent et s'écartent encore plus. Sous forte escorte de motards, des cars de la Garde, 2 gendarmes à l'avant, 2 à l'arrière, nous conduisent au Fort de L'est. Un grand colonel de Spahis, en tenue "ouahad" avec double burnous rouge et blanc nous reçoit. C'est lui qui nous salue réglementairement au fur et à mesure que nous entrons dans un bâtiment où il se tient et se présente : - Colonel Giraud fils du Général, je suis ici à ce poste pour une question géographique d'affectation, mais moralement avec vous, depuis le début ". Des hommes de troupe s'affairent en tous sens pour amener, installer du mobilier; un repas était prêt aux cuisines, des appelés nous servent de façon impeccable. Certains de ces serveurs très stylés portent un titre de Comte ou de Marquis... ces jeunes du contingent sont des "planqués" des États Majors de Paris. Le lendemain, 1er mai. Des Officiers d'Intendance viennent voir si nous désirons des avances de solde ! Des sous-officiers sont mis à notre disposition pour effectuer en ville les achats qui peuvent nous être nécessaires ! Le 4 mai. Les capitaines et lieutenants avons été transférés au Fort de Nogent où les visites de famille et d'amis furent autorisées. Le Central Téléphonique mis à notre disposition nous permit de communiquer en Algérie. Seule de Blida à avoir le téléphone, Reine faisait le relais vers les autres épouses. Les gendarmes qui nous gardaient, faisant les cent pas sur le haut des murs du Fort, après nous avoir vu jouer au volley, chanter, rire et pour beaucoup pratiquer le Close Combat, dirent que leur garde ne servait à rien, les chargeurs des mitraillettes repliés, ils firent la chasse aux escargots. Dès les premiers jours, il y eut de nombreux malades. Un fourgon avec un gendarme amenait les consultants à l'Hôpital Bégin, ils se répandaient dans les divers services sans surveillance et revenaient par leurs propres moyens le soir ou le lendemain. Auriolle participa à 2 meetings parachutistes et j'allais voir le Salon Nautique et les 6 heures de Paris. Un adjudant-chef de Gendarmerie vint pour nous interroger sur nos activités durant les 4 jours du Putsch. J'étais le premier par ordre alphabétique sur la liste. Je refusais, ainsi que les suivants, de répondre à ses questions, exigeant la venue d'un officier de grade supérieur au mien pour accepter de répondre. Un capitaine vint et dit qu'il n'avait pas le temps d'interroger une vingtaine de lieutenants. Il nous demanda de rédiger un C.R. détaillé. Certains étalèrent assez complaisamment leurs actions, d'autres furent très brefs, un sous-lieutenant, fils d'amiral, écrivit : " Aux ordres de mes supérieurs ". Me souvenant du peu de droit que j'avais appris à l'École de Gendarmerie en 1942 : "Il appartient à la justice de prouver qu'un prévenu est coupable", je minimisais mon action, la réduisant à la protection des installations Radio et Téléphone d'Alger et oubliais de parler du Secteur de Blida. Nos communications téléphoniques étaient certainement écoutées mais notre courrier n'était pas contrôlé, nous pouvions avoir toutes les nouvelles voulues et c'est ainsi que j'appris l'ordre de silence absolu sur nos actions, donné à mes hommes par Skrodsky et Pacca. Deux appelés, Pieds Noirs, avaient promis d'exécuter celui ou ceux qui, enfreignant cet ordre, "baveraient sur le lieutenant". Est-ce cela ou plutôt, ce que je crois, mes hommes m'aimaient-ils, il n'y eut aucun mouchardage sur mes actions ou mes paroles. Le 20 juin (ou le 21 ? ), je fus convoqué devant un Général, Mast, je crois. Il fut très étonné de me voir avec l'insigne Para d'Angleterre à Croix de Lorraine et plus encore de savoir que je l'avais eu sous les ordres de Foccart. Il me demanda si je l'avais sollicité pour m'aider à sortir de là. Ma réponse le stupéfia : - Je n'ai commis aucune faute, je ne me sens coupable de rien, je pense ne mériter aucune sanction. Il lut mon C.R., regarda mes décorations, les confronta avec des doubles insérés dans mon dossier et déclara que je méritais 90 jours de forteresse mais, qu'étant donné mon passé, 60 suffiraient. (Voir annexe) Entre temps, la citation du début avril et la Rosette de la Légion d'Honneur. étaient allées au panier.L'après midi je sortis pour aller à la Dir. Trans. chercher une affectation. J'eus une "prise de bec" avec le Commandant du Premier Bureau, refusant les postes offerts au Mans ou à Épinal, exigeant une affectation dans une ville de Faculté du Midi et partis en claquant la porte. Le Capitaine Pouget, un des 27 parias mis à l'écart par les Viets pour ne pas être libérés, était venu me voir à Nogent et proposé son aide éventuelle. J'allais le lendemain le trouver à l'E.M. A.L.A.T. où il tenait le 3° Bureau. Il parla de moi à son général, en termes assez élogieux, sans doute, pour que celui-ci appelle au téléphone son collègue des transmissions et je fus affecté au G.R.E.T. à Bordeaux. Ma mère qui avait passé l'hiver avec nous à Blida était revenue à Monaco. Je m'y dirigeai pour la rassurer sur mon sort et allais me présenter à ma nouvelle Unité où j'exigeai un mois de permission en Algérie. Je passais ce mois à Fouka très occupé par des plongées sous marines, un peu de ski nautique et de très bonnes soirées avec des Pieds Noirs. J'avais signalé mon arrivée à la Gendarmerie de Blida, précisant que je serais le plus souvent au cabanon à Fouka. Bien m'en avait pris. Quatre jours avant mon départ, je reçu une note me convoquant d'urgence au C.A. d'Alger. J'allais le lendemain voir le Lieutenant Colonel La Hitte, son rédacteur. Il me reçut très sèchement, me dit que je n'avais pas le droit d'être sur "le sol Algérien" et qu'il allait me faire mettre dans un avion "pour la France". Je fis la moue, souris et répondis ironiquement que l'Algérie étant encore "sol français", nous disions habituellement la "métropole". Il me parut décontenancé, j'ajoutais ne pas être venu clandestinement, mais avec une permission régulière pour préparer mon déménagement et que j'avais signalé à la Gendarmerie mon arrivée. Comme il me paraissait gêné je lui montrais mon billet d'avion, pris 8 jours plus tôt, pour le surlendemain et, moqueur, souriant, je dis qu'il me ferait faire des économies s'il m'expédiait par avion militaire. Ce colonel paraissait ébahi par mes dires. Il fit vérifier par un adjoint ma déclaration à la Gendarmerie. En attendant la réponse, il me demanda sur un ton plus avenant qu'elles étaient mes activités. Je lui précisais que la principale avait été des plongées à Cherchel avec le Club de Fouka, à la demande du Service Archéologique de Monsieur de Lassus Saint Genès, gaulliste très connu. Cette déclaration qu'il pouvait aussi faire vérifier et la réponse positive de la Gendarmerie, lui firent prendre un ton cordial. Il me dit avoir été prévenu de ma présence "illicite" par le Colonel de Froment du Secteur de Blida. Ce même de Froment, lors du procès de mes camarades de la B.A.P., était témoin à charge, il s'indigna de mon absence et me réclama au banc des accusés. C'était trop tard... ANECDOTES PARACHUTISTES - En Indo les largages furent, à ma connaissance, toujours corrects. À Pau l'escadrille de Pont Long nous posait dans des mouchoirs de poche, telle la pelouse du Château Guerlain. En Algérie j'ai vécu des largages périlleux. Septembre 1958. Des sauts sont organisés un peu partout sur le territoire Algérien pour démontrer la force, les possibilités de notre Armée, face aux Fellaghas. Je suis désigné avec mon collègue Césarini et une centaine d'hommes pour effectuer ces démonstrations dans le sud Orannais. Un matin, plafond bas, les 3 Nord 2501 qui nous emmènent tournent en rond à basse altitude espérant une éclaircie. Le pilote de l'avion leader dans lequel je suis, aperçoit un terrain qui lui semble être notre D.Z.. Placés à la porte, Césarini et moi avons eu en mains la photo aérienne du lieu prévu, voyons bien, et nous ne sommes pas d'accord. Je vais le dire, le navigateur est péremptoire : c'est là, la photo que vous avez en mémoire était à l'envers ! La formation prend de l'altitude en faisant un grand cercle et : "Go". Nous atterrissons à 200 mètres d'un Poste, dans un terrain de cailloux énormes. Il y aura une vingtaine de blessés. Du Poste accourent un capitaine et des militaires ahuris : "Que venez-vous faire ?". Nous n'étions qu'à 20 km du Poste prévu pour nous recevoir.... Quelques jours plus tard, pour la Saint Michel, saut en mer devant Cherchel. "Napoléon", qui a organisé la réception, m'a demandé d'y être et nous a invités Reine, sa fille et moi, aux diverses manifestations prévues. Le largage aura lieu par 1/2 avion. Au premier passage, les Paras arrivent sur les rochers du bord de mer, il y aura une dizaine de blessés. Rectification pour le second passage dont je suis et nous amerrirons à 600 mètres du rivage, bien loin des spectateurs ! En 1959, saut de manoeuvre dans la plaine du Chélif. Je suis à la porte tribord de mon avion pour la première et la seule fois de ma carrière (plus de 200 sauts) J'hésite à partir au signal vert : nous sommes encore loin de la D.Z.. Deux ou trois secondes passent, le largueur à qui j'ai fait voir le terrain secoue la tête, crie : Go en me tapant sur l'épaule , j'y vais. La D.Z. était un beau champ labouré, situé dans une dépression précédée d'un plateau rocheux et arboré, la dominant d'une vingtaine de mètres. J'atterris contre la paroi du plateau à une douzaine de mètres de hauteur et dégringole jusqu'en bas, freiné dans ma chute par des arbustes qui accrochent les suspentes de mon parachute. Les hommes qui me suivaient, vont sur le D.Z.. Ceux de la porte bâbord sont partis au vert et une dizaine d'entre eux arrivés sur le plateau sont blessés. À 210/220 km heure, vitesse de largage, deux secondes représentent 120 mètres et mon retard a été bénéfique pour mes suivants directs En 1960, un autre saut de manoeuvre a lieu sur une D.Z. aussi large que courte, 600 mètres environ, largage par 1/2 stick. C'est correct en longueur mais pas latéralement, les hommes vont finir dans les vignes à la grande colère du propriétaire. Des Paras arrivent sur les fils de fer supportant la vigne, il y a des blessés. Palau, un de mes gars, opérateur C 10, manque d'être empalé sur un des piquets soutenant les fils de fer. Ces piquets, en Algérie, sont en fer, du T de 30 mm. L'un d'eux est passé entre sa veste et le sac du parachute fixé sur son dos. Des contusions sans gravité. Il y en a eu d'autres dont j'ai eu écho, mais n'y ayant pas assisté, je n'en parlerai pas.

Été 1961 - Automne 1965

Bordeaux

République Fédérale Allemande

Fin de Carrière

Après le Putsch j'étais persuadé que, sauf nouveaux cas extraordinaires, ma carrière militaire était sans issue et je ne voulait pas la continuer en végétant dans une triste ville de garnison mais je voulais une possibilité pour Colette de continuer ses études en Faculté. J'avais fait un calcul simplet. Depuis avril j'étais le premier au tableau d'avancement, je devais donc être nommé en juillet. Sept mois plus tard, je donnerais ma démission et aurais une retraite de Capitaine après avoir "rongé mes ongles" moins d'un an. Pendant ce temps je chercherais une situation de rechange. N'ayant jamais été calculateur je m'étais bien trompé. Dans les Transmissions il n'y eut aucune nomination en juillet ni en octobre et je n'eus mon troisième galon qu'au mois de janvier 1992. Il me fallait attendre l'été pour démissionner. J'étais allé voir "Dan" mon Collègue du Réseau Jove. Gaulliste, il me tourna le dos; d'autres, Fragnaud, Soult, etc... en firent autant. Dès mars l'exode des Pieds Noirs vint compliquer l'espoir de trouver une situation tandis que je "mangeais la gamelle" au G.R.E.T..Reine n'ayant pas voulu adhérer au Syndicat C.G.T., rencontra dans l'enseignement de très grosses embûches. Nous étions heureusement très unis, malgré un moral assez bas, aggravé au printemps 1962 par le départ de Colette pour rejoindre un garçon (Willy) au Maroc en abandonnant ses études. Je continuais donc au G.R.E.T. cherchant une sortie. C'était une Unité de cloportes ayant à sa tête le Chef de Bataillon B..., ivrogne, prévaricateur et couard. Je fus mis à l'écart, jouant les utilités, fui par les Collègues. En septembre 1962. Je fus chargé de réduire un trou énorme dans l‘Ordinaire de la Troupe. Il avait été causé par une très mauvaise gestion et surtout les excès du Chef de Corps. C'était un défi sous contrôle de l'Intendance. Je le relevai, fus réglementairement draconien et réussis au détriment des amitiés de B... Printemps 1963. Je créais un Centre d'Instruction, B1 Paris précisa que ce ne pouvait être considéré comme "Temps de Commandement", mais il le fut pour mon successeur... Début 1964. Je dis à B... que je refuserais de saluer le Général Katz, le "boucher d'Oran" devant venir visiter le G.R.E.T.. Je fus envoyé 3 jours en mission/vacances Après l'Algérie, l'ami Ferry avait été affecté à Fribourg en R.F.A.. En avril de cette année 1964, il me suggéra de le rejoindre; son colonel, qui l'estimait beaucoup, appuya ma demande. B... ne fit aucune objection et ma mutation au 53ème B.T. se fit très rapidement, le 1er mai j'étais à Fribourg. Je fus très bien reçu à tous les échelons, le Général Lavergne, ex Secteur de Blida, sourit et me serra la main ! Ferry, deux autres Capitaines Para et des sous-officiers m'ayant connu en Indo et en Algérie avaient énormément vanté mes mérites (Carte de dissolution 60 C.T.).J'eus droit à une première "mission impossible" au Valdahon en France. Merci les Adjoints, elle fut réussie, notre Colonel, Perrin, fut ravi. En août j'héritai du Capitaine U.S. Peter Schmidt. Avec lui et mes bons sous-officiers, je réussis une manoeuvre technique de 72 heures jugée impossible par les spécialistes U.S., Perrin exulta. En septembre Reine me rejoignit, elle eut un poste à Fribourg. En novembre, guerre du "Réduit Breton" aux ordres de Ducourneau. J'avais l'équivalent de deux Compagnies : réussite, félicitations. À Bordeaux j'avais pratiqué la voile, dériveur et croisière et m'étais inscrit aux Équipages de Course Croisière de l'Armée. En janvier 1965 notre assemblée eut lieu au Salon Nautique de Paris, un "pot" la clôtura. Un Chef de Service de Jeunesse et Sports était présent, il émit le voeu de voir des officiers venir le renforcer. Je me présentai, énumérai les Centres ou j'avais servi et il m'engagea à demander le bénéfice des dispositions permettant aux officiers de quitter l'Armée pour être intégrés dans l'Éducation Nationale. Grosse opposition de Perrin voulant me garder et... du B1, mais les amis que je m'étais crées à Bordeaux intervinrent, me réclamèrent. Je passai faire un pied de nez au Commandant du B.1 et laissant ma pauvre Reine à Fribourg, où elle m'avait bien peu vu, allai suivre le stage probatoire de 3 mois, de mars à juin, à Bordeaux : Merci Gombert, merci Beaugency, Gérard et autres. En septembre déménagement de Fribourg à Bordeaux ou j'étais affecté C.T.R. voile. J'avais quitté l'école à 13 ans, je finissais ma vie active professeur

Rigueur de la justice en 1942 :

- Dans une cour de gendarmerie 100 kg de fil de cuivre, volés par des Gitans, traînaient depuis avant guerre. Le Chef de Brigade nommé en 1941 manquait de papeterie. Il en vendit 15 kg à un ferrailleur et acheta ce qu'il estimait lui falloir, facture à l'appui : 3 ans de prison. - Il existait avant guerre des pièces en nickel de 5, 10 et 25 centimes percées d'un trou central, périmées, retirées de la circulation. Un soldat, 2ème classe, employé chez le fourrier de sa compagnie, en vit 8 dans un tiroir et les prit : 6 mois de prison. - À l'automne 1944 j'ai recherché le Maréchal des Logis Chef Baurés pour lui demander des comptes sur mes malheurs de 1942. Moins avisé que le lieutenant que j'avais retrouvé en Haute Saône avec le pseudonyme "Condé", il avait été tué lors de l'attaque d'un maquis R.I.P.. En 1988 j'apprenais pouvoir demander une solde pour la période de détention par les Allemands en 1943. J'obtins en mars 1989 cette solde soit... 36 F, auxquels, je ne sais pourquoi, sont venus s'ajouter une prime de démobilisation : 10 F. Soit au total : 46F !!!