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Jacqueline THIRION

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061

LE PRINTEMPS REFLEURIRA

GUERRE 1939 - 1945

Témoignage

NICE - AVRIL 1989

Analyse du témoignage

Résistance - Déportation en Allemagne

Ecriture : 1989 - 74 Pages

POSTFACE de Jean-Louis ARMATI

La Guerre a été un extraordinaire révélateur de la valeur des femmes Déjà entre 1914 et 1918, elles ont supporté tout le poids, à l'arrière du front, de la vie économique et sociale du pays remplaçant dans tous les domaines les hommes mobilisés. De 1940 à 1945 elles ont mené, à l'égal des hommes, les combats de la Résistance, souffert comme eux dans les camps et fait preuve d'une belle énergie. En même temps que d'un ennemi obstiné et puissant, elles se sont libérées de la prépondérance masculine, des entraves d'une société élaborée par et pour les hommes. Elles ont enfin gagné la reconnaissance de leur accessibilité non seulement aux vertus que Gide définit comme "privatives" (dévouement, soumission, fidélité) mais également aux vertus "affirmatives" Dans ce récit pudique qui suggère plus qu'il n'affirme, Jacqueline Alexandre-Thirion fait la somme des souffrances endurées par des femmes dont la foi en un avenir meilleur et le courage forcent le respect et inclinent à l'humilité.

Préface de André AUROUSSEAU

Président-Général de Résistance-Fer

Jacqueline Alexandre, qui sous l'Occupation travaillait à l'Administration civile de Saint-Quentin, a commencé la Résistance avec ses cousins et les F.F de Fonsomme, petite commune de l'Aisne. Elle assurait des missions de liaison, participait à la distribution de tracts et de journaux clandestins et établissait de faux bons de distribution de charbon au profit des Français. Admise à la S.N.C.F. à Hirson en Décembre 1943, alors qu'elle venait d'avoir 20 ans, elle se trouva dans un milieu particulièrement actif sur le plan de la Résistance et put poursuivre son action clandestine. Si les cheminots furent les premiers au combat, la raison en est bien simple. Dès la signature de l'Armistice, ils sont confrontés au problème des prisonniers évadés, puis à celui que pose la fuite des réfugiés politiques, des Juifs, puis des aviateurs Alliés abattus par la Da. Ils constatent que grâce à l'indemnité de guerre mise à la charge de la France, le pays est vidé de sa substance. Ils voient les wagons de charbon destinés à la sidérurgie allemande quitter la France. Ils voient les wagons de pommes de terre et de ravitaillement de toute sorte partir pour l'Allemagne, les usines pillées des meilleures machines-outils, leurs locomotives partir vers le Grand Reich. Ils sont donc les premiers à s'opposer au pillage de l'Occupant. Ils détournent des wagons de vivres, de matériel et c'est à cette occasion qu'est prononcée le 3 Août 1940 - je dis bien le 3 Août 1940 - la première condamnation à mort d'un Sous-Chef de gare par la Kommandantur de Poitiers. Lorsque Jacqueline Alexandre arrive à Hirson, elle est immédiatement contactée par des représentants du Front National. Son nouvel emploi de téléphoniste lui permet en particulier de connaître les échanges de dépêches concernant les mouvements de troupe, les garages où sont rassemblés les trains de matériel et de munitions, où sont formées les rames pour le transport des troupes. Ces renseignements rapidement exploités permettent d'obtenir des bombardements très destructeurs. A ce sujet, je tiens à rappeler ce qu'il fallait d'esprit de sacrifice aux cheminots pour appeler le feu du ciel sur leur lieu de travail et souvent même sur leur lieu de résidence, car beaucoup d'entre eux habitaient dans l'enceinte des chemins de fer, que ce soient les gares ou les dépôts de locomotives. Des milliers d'entre eux sont morts sous les bombardements des Moskitos, des Forteresses Volantes ou sous le feu des canons de 20 mm. des avions Lightning. Ce n'est pas faire offense aux Français de rappeler qu'à cette époque il y en a bien peu qui ont volontairement pris les mêmes risques et fait preuve du même courage. Voici donc notre amie Jacqueline engagée de nouveau dans le combat clandestin. Mais un traître, Winkenden, né d'un père anglais et d'une mère française, qui avait opté pour la France mais souhaitait la victoire de l'Allemagne, avait réussi à s'infiltrer dans la Résistance. Après le bombardement d'un train de munitions et du buffet de la gare d'Hirson où tout un état-major allemand fut exterminé, bombardement suivi 8 jours plus tard du bombardement de la gare d'Aulnoye, Winkenden dénonça au capitaine Baucklock de la Gestapo de Saint-Quentin et fit arrêter le 17 Avril 1944, Jacqueline Alexandre, Robert Leroy, Jean Lechat, Moïse Cavillon. Notre amie se vit reprocher d'être à l'origine des bombardements meurtriers d'Hirson et d'Aulnoye. Le Capitaine Baucklock lui promet la liberté si elle livre les noms de ses complices et donne l'emplacement du poste-émetteur, emplacement qu'elle ne connaît d'ailleurs pas. Finalement elle est condamnée à mort. Le débarquement du 6 Juin devait lui éviter le peloton d'exécution. Embarquée dans un convoi de camions elle fut internée au fort de Romainville. Par la suite, elle devait connaître Neu-Bremm, Ravensbrück, puis le Commando Disciplinaire de Neubrandenburg, ces lieux maudits où, comme l'a si bien dit André Malrraux, "Pour la première fois l'Homme a donné des leçons à l'Enfer". Atteinte du typhus et d'un début de gangrène à la main droite, elle fut admise au "Revier" le 27 Mars 1945. Le 27 Avril au petit matin, toutes les déportées y compris les malades furent conduites à coups de crosse sur la place d'appel. Ensuite notre amie, dans un état que les mots sont impuissants à décrire et que ceux qui n'ont pas connu l'univers concentrationnaire ne peuvent imaginer, se retrouva dans une colonne en route pour une destination inconnue, soutenue et presque portée par Simone, une soeur de misère connue à la prison de Saint-Quentin. Cette colonne se déplaçait difficilement au milieu d'une foule affolée de civils et de soldats qui fuyaient devant l'avance russe. L'Oberaufseherin, qui seule des gardiennes avait conservé son uniforme, abattait les malheureuses qui ne pouvaient plus avancer. Le soir venu Simone et Jacqueline, reculant progressivement, étaient arrivées en queue de colonne. Profitant d'un encombrement et de l'absence de l'Ober remontée vers le milieu de la colonne, Simone poussa notre amie dans un fossé et se coucha sur elle. Puis, la colonne s'étant éloignée, elles purent rejoindre pour la nuit une meule de foin déjà fortement occupée et, le matin venu, une porcherie dans une ferme où se trouvaient déjà de nombreuses femmes russes. C'est de là que deux jours plus tard, le 29 Avril, elles virent arriver les troupes russes mais ne pouvant marcher, il fallait attendre du secours. Le 2 Mai un groupe d'une douzaine de prisonniers de guerre, qui avaient récupéré un petit chariot tiré par deux boeufs, arriva à la ferme. Craignant la contagion, ils ne proposèrent qu'à Simone de l'emmener. Elle refusa. Ce groupe continua donc sa route après avoir laissé du ravitaillement. Le plus jeune, nommé Thirion, réussit à persuader ses camarades de sauver ces deux Françaises abandonnées, dont l'une au moins était vouée à la mort. Une heure plus tard, ce curieux équipage revint. Le chariot, muni cette fois d'un matelas, tint lieu d'ambulance et l'espoir de survivre était de nouveau permis. Le 25 Octobre 1947 le jeune Thirion épousait Mademoiselle Jacqueline Alexandre. Malgré des soins médicaux ininterrompus, notre amie n'a jamais recouvré la santé, et puis la guerre a marqué son passage. Ses camarades des Forces Françaises de l'Intérieur de Fonsomme sont morts en déportation, un de ses cousins âgé de 20 ans a été tué au cours de la libération de Saint-Quentin, le 2ème entré dans la Résistance à l'âge de 15 ans s'était engagé pour la durée de la guerre. Il a été tué en Indochine. Malgré son courage et sa volonté de faire face, elle ne peut assurer normalement son travail et, le 12 Février 1959, le Service Médical de la S.NF. prend la décision de la mettre à la réforme en précisant, prudence administrative oblige : "Réformée pour invalidité ne résultant pas de l'exercice de ses fonctions". Jacqueline Thirion, Caporal de la Résistance Intérieure Française, est décorée de la Croix de Guerre avec Palme, de la Médaille Militaire. Nommée Chevalier de la Légion d'Honneur en Juin 1960, elle est élevée au grade d'Officier par décret du 9 Novembre 1983. Son grade de Caporal et les 23 ans écoulés entre sa nomination de Chevalier et celle d'Officier dans l'Ordre de la Légion d'Honneur, montrent à ceux qui pourraient encore en douter, qu'il n'y a pas que des Colonels à six galons dans la Résistance et qu'elle n'est pas de ceux qui ont obtenu facilement une promotion dans notre Ordre National le plus prestigieux. Ma Chère Jacqueline, tu viens encore de subir des traitements longs et pénibles. Tu l'as fait avec ta détermination habituelle et ton indomptable volonté. Depuis ton retour des camps de la mort, malgré ton état de santé, tu as toujours milité dans les différentes Associations d'Anciens Combattants : Croix de Guerre, Médaillés Militaires, Décorés de la Légion d'Honneur. Tu as montré par ton inlassable activité au service de ces Associations que tu avais conscience que ceux qui sont titulaires de cette prestigieuse décoration qu'est la Légion d'Honneur devaient amplifier le capital d'héroïsme qu'elle représente depuis sa fondation. Ta promotion au grade d'Officier te confère une autorité nouvelle qui par ces temps d'incivisme sera mise à rude épreuve. A mesure que le temps passe et que les témoins de notre combat disparaissent, les Résistants sont de plus en plus les témoins d'attaques qui de sournoises au début s'expriment maintenant au grand jour. A ceux qui revendiquent indûment le titre de déportés, il faut rappeler sans cesse ces vers de Vercors : Le jour Où les peuples Auront compris qui vous étiez Ils mordront la terre De chagrin et de remords Ils l'arroseront De leurs larmes Et ils vous élèveront Des temples Hélas, il ne semble pas que ce jour soit arrivé. On voit au contraire des êtres méprisables : Coluche, Balavoine, Maître Verjès, avoir largement accès à une télévision sans scrupule pour insulter les Veuves, les Anciens Combattants et les Résistants. On voit aussi certains nous reprocher d'avoir pris les armes et d'être ainsi en rébellion contre le pays légal dirigé par le Maréchal Pétain, Chef de l'Etat Français. Mais, lorsque ces censeurs ont été mobilisés après le débarquement des Alliés en Afrique du Nord, le Maréchal Pétain que je sache, était encore Chef de l'Etat Français. Alors, où est la différence avec nous ? - J'en vois une : Au début de l'Occupation, c'est dans l'isolement, dans la solitude de notre conscience que nous, nous avons pris les armes contre l'ennemi et ceci contre toute raison apparente et même contre le sentiment général. Il fallait un certain courage pour le faire ! Notre combat qui a contribué plus particulièrement à la réussite du Débarquement a été reconnu par les plus hautes autorités françaises et alliées et mille six cents de nos camarades ont été décorés pour faits de guerre, dès la Libération : 4 de la Cravate de Commandeur de la Légion d'Honneur 36 de la Rosette d'Officier 127 de la Croix de Chevalier 102 de la Médaille Militaire 550 de la Croix de Guerre 750 de la Médaille de la Résistance 100 de la Rosette de la Résistance Le Général de Gaulle qui pourtant n'était pas prodigue dans l'octroi des distinctions, a cité notre organisation à l'Ordre de l'Armée et lui a attribué la Croix de Guerre avec Palme. Le Général Koenig dont la victoire de Bir Hakeim fit dire à de Gaulle : "Quant à Bir Hakeim, un rayon de gloire renaissante est venu caresser le front sanglant de ses soldats, le monde a reconnu la France" le Général Koenig dis-je, a décoré notre drapeau de la Médaille de la Résistance avec Rosette. Malgré ces distinctions, les cheminots résistants n'ont rien perdu de leur modestie et, la guerre terminée, ils ont simplement repris le travail avec courage pour reconstruire un réseau très éprouvé. Est-il nécessaire de rappeler que le 6 Juin 1944, à la suite des sabotages et des bombardements, les destructions intéressaient déjà : 10143 locomotives à vapeur 124 locomotives électriques 198286 wagons 2412 ponts 43 tunnels Nous n'avons pas profité de notre combat pour revendiquer des grades abusifs. J'ai regardé de nouveau les fiches de nos camarades et j'ai relevé environ : 80 % de Deuxième Classe 12 % de Caporaux Quelques Sous-Officiers 6 % de Sous-Lieutenants, principalement parmi les Déportés. Quant à ceux qui ont eu un grade supérieur à Sous-Lieutenant, il s'agit pratiquement toujours d'Ingénieurs Officiers de Réserve mobilisés en 1939 avec le grade de Lieutenant ou de Capitaine. Nous pouvons donc proclamer bien haut que nous avons eu un comportement responsable, aussi bien après la guerre que pendant notre combat. Comme je le disais tout à l'heure, ta promotion ma Chère Jacqueline, te confère une autorité nouvelle pour défendre notre spécificité et la mémoire de nos frères disparus : 1156 morts sans sépulture dans les camps sur 2480 victimes de l'univers concentrationnaire 554 fusillés et 45 morts dans les prisons des suites des tortures. Pour conclure, je dirai simplement qu'à Résistance-Fer, où nous avons conservé le culte du souvenir et où notre activité sociale est exemplaire, nous sommes fiers de te compter parmi nos camarades de combat et nous proclamons hautement que tu as bien mérité cette Croix d'Officier de la Légion d'Honneur.
Jacqueline Alexandre who worked in the Civil service in Saint Quentin during the occupation, started in the Resistance with her cousins and the F.F. of Fonsomme, a small town in the Aisne. She was taking care of liaison missions, taking part in the distribution of clandestine tracts and newspapers, and making forged coal distribution vouchers to the benefit of the French. Admitted in the SNCF in Hirson in December 1943, while she had just turned twenty, she found herself in a particularly active environment as regards the resistance, and was able to continue her clandestine action. If the railwaymen were the first to join the fight, it is for a very simple reason. Right after the signature of the Armistice they are faced with the problem of runaway prisoners, then to the problem posed by the flight of the political refugees, of the Jews, then of the allied pilots brought down by the DA. They realise that because of the war indemnity levied against France, the country is drained of its substance. They see freight wagons of coal sent to the German steel industry. They see freight wagons of potatoes and of all sorts of supplies leave for Germany, the factories are looted of their best machine-tools, their locomotives going towards the great Reich. So they are among the first to stand up against the looting from the occupying forces. They divert freight wagons of supplies and goods, and it is in this occasion that on the 3rd of august 1940, I repeat the 3rd of august 1940, the first death sentence against a assistant station master by the Kommandantur in Poitiers. When Jacqueline Alexandre gets into Hirson, she is immediately contacted by representatives of the Front National. Her new job as a telephonist gives her the opportunity especially to know the messages exchanged regarding the movements of the troops, the garages where the goods and ammunition trains are gathered, the places where the trains meant to carry the troops are assembled. Those informations rapidly processed helped produce very destructive bombardments. In that respect, I would like to remind the readers of the spirit of sacrifice it took to the railwaymen to call upon their work place the fire from the sky, and very often upon their residence, for many of them lived within the walls of the railways equipments, whether it was in the stations or in the locomotive garages. Thousands of them died under the bombs of the Moskitos, of the Flying Fortress, or under the fire of the 20mm guns of the Lightning aeroplanes. I do not regard it as an offence to the French people bring back to mind the fact that at the time very few willingly took the same risks and showed the same courage. So, here we see our friend Jacqueline involved again in the clandestine fight. A traitor though Winkenden, born from a English father and a French mother but supported the victory of Germany had managed to slip into the Resistance. After the bombing of a train of ammunitions and of the bar at the Hirson station in which all of the German high commandment was exterminated, this bombardment was followed eight days later by the bombing of the Aulnoye station, Winkenden gave up to Captain Baucklock of the St Quentin Gestapo and had the following people arrested on the 17th of April, Jacqueline Alexandre, Robert Leroy, Jean Lechat, Moïse Cavillon. Our friend was reproached with the fact of being the origin of the disastrous bombing of Hirson and Aulnoye. Captain Baucklock promised to her that she would be free if she gives up the names of her accomplices and indicates the location of the radio transmitter, this location she does not know anyway. Eventually she is sentenced to death. The landing of the 6 th of June was to avoid her the firing squad. Taken with a convoy of trucks, she got locked in the Fort de Romainville, afterwards she got to know Neu-Bremm, Ravensbrück, then the disciplinary commandos of Neubrandenburg, those dreadful places where, as Malraux put it, for the first time man taught lessons to Hell. Affected by typhus and gangrene on her right hand she got sent to the "Revier" on the 27 th of march 1945. On the 27th of April at daybreak all the deportees including the sick were led kicked with the butts of the guns on the place of call. Afterwards our friend, in a state that words cannot describe, and that those who have not known the universe of concentration camps cannot imagine, found herself in a column bound for an unknown destination, upheld, almost carried by Simone, a companion of misery that she had met at the prison of Saint Quentin. This column was progressing with difficulty in the midst of a distraught crowd made up of civilians and soldiers who were fleeing in front of the Russian onslaught. The Oberaufseherin who was the only one of the wardens to have kept her uniform would shoot down the poor souls who could not go any further. After nightfall Simone and Jacqueline going gradually backward, had reached the end of the queue. They took advantage of a jam and of the absence if the Ober who had gone up to the middle of the column, Simone pushed our friend in a ditch and lay down on her. Then as the column had moved away from them for the night, they could get to a hay stack which was already heavily populated, and in the morning they got to a pigsty and a farm where many Russians women were already present. It is from this place that two days later, on the 29 ht of April they saw the arrival of the Russian troops, but as they could not walk, they had to wait for some help. On the 2nd of may a group of a dozen war prisoners that had got hold of a small cart drawn by two oxen got to the farm. As they were afraid of contagion, they only asked Simone if she wanted to come along with them. She refused. This group[ therefore continued its way after leaving some supplies. the younger one named Thirion, managed to persuade his companions to save those two forlorn French girls, one of whom was doomed to certain death. One hour later this strange carriage came back, fitted with a mattress, it served as an ambulance, and the hope of surviving was again possible. On the 25 th of October 1947, young Thirion married Mademoiselle Jacqueline Alexandre. Despite the continuous medical treatment, our friend never recovered her health, and war marked its passage. Her comrades from the French Forces died in deportation, one of her cousin died at the age of 20, during the liberation of St Quentin; the second one who had joined the Resistance movement at the age of 15 had enlisted for the whole duration of the war. He got killed in Indochina. Despite her courage, and her will power to go forward, she cannot carry on normally with her work, and on the 12 th of February 1959, the medical service of the SNCF take the decision of discharging her stressing with caution: "discharged because of disabilities not resulting from the practise of her work". Jacqueline Thirion, corporal of the Resistance Intérieure Française, is awarded the Croix de Guerre with palms of the Médaille Militaire. Nominated Chevalier of the Légion d'Honneur in June 1960, she is promoted to the rank of officer by decree on the 9 th of November 1983. Her rank as a corporal and the 23 years that went by between her nomination as chevalier and that of officer of the legion of honour, shows to those who could still be in doubt, that there were not just high ranking colonels in the Resistance, and that she is not amongst those who easily got a promotion in our most prestigious order. My dear Jacqueline, you have again gone through long and painful treatments. You did it with you usual determination and your extraordinary will power. Since you came back from the death camps, and despite your poor health, you have always been active in the various associations of war veterans, Croix de Guerre, Médailles Militaires, Décorés de la Légion d'Honneur. You have shown through your relentless activity at the service of those associations that you realised that those who had received such prestigious decorations as the Légion d'Honneur had as their duty to amplify the capital of heroism that it has represented since its foundation. Your promotion to the rank of officer gives you a new authority, which will be badly put to the test in those days of incivism. As time goes on and as the witnesses of our struggle disappear, the Resistants are more and more often faced with attacks which were covered at the beginning and are now fully expressed. To those who unduly claim the title of deportee, they must endlessly be reminded of those verse from Vercors. The day When the people Understand who you were They will bite the dust Out of sadness and remorse They will water it With their tears And they will erect Temples for you. Unfortunately, it does not seem that this day has come about yet. On the contrary we see despicable beings like Coluche, Balavoine, Maitre Verges having a wide access to an unscrupulous television to insult the widows the Veterans and the Resistants. We also see some people reproaching us with the fact of having taken the arms against the legal country led by the Maréchal Pétain, head of the French state. But, when those censors were mobilised after the landing of the allied troops in north Africa, the Maréchal Pétain was still head of the French State as far as I know. So where was the difference with us ? I can see one : At the beginning of the occupation, It is in complete isolation in the solitude of our conscience that we took the arms against the enemy, and this against any apparent reason, and even against the general feeling. It took a certain courage to do that ! Our fight which contributed more particularly to the success of the landing has been acknowledged by the high French and allied military authorities, and a thousand and six hundreds of our companions were decorated for war deeds right after the liberation : 4 had the Cravate de Commadeur de la Légion d'Honneur. 36 had the Rosette d'Officier. 127 had the Croix de Chevalier. 102 had the Médaille Militaire 550 had the Croix de Guerre. 750 had the Médaille de la Résistance 100 had the Rosette de la Résistance. General de Gaulle who was not prodigious when grating distinctions, nominated our organisation to the Order of the Army, and awarded us the Croix de Guerre with palms. General Koenig whose victory in Bir Hakeim prompted General De Gaulle to say :"When in Bir Hakeim a beam of reviving glory came to flatter the bloody brow of our soldiers, the world recognised France", General Koening I was saying decorated our flag with the medal of the Resistance with a Rosette. Despite those distinctions the Resistant railwaymen, did not lose their modesty, and after the war they simply went back to their work with courage to mend a badly damaged network. Do I have to remind you that on the 6th of June 1944, after the sabotages and the bombardment, the destruction was already affecting : 10143 steam engines. 124 electrical locomotives. 198286 carriages. 2412 bridges. 43 tunnels. We have not taken advantage of our fight to demand undeserved ranks. I have looked again at the files of our comrades, and I have noted about : 80% of private second class. 12% of corporal. Some petty officers. 6% of second lieutenant, mainly among deportees. As for those with a higher rank than second lieutenant, they are most of the time, engineers, officers of the reserve mobilised in 1939, with the rank of lieutenant or captain. So we can proclaim high and loud that we have had a responsible behaviour, after the war as well as during the fighting. As I was saying earlier on my dear Jacqueline, your promotion gives you a new authority to defender specificity, and the memory of our fallen brethren. 1156 Dead without sepulture in the camps out of 2480 victims of the concentration camps. 554 shot down, and 45 dead in the prisons under torture. As a conclusion I would simply say that in Resistance-Fer we have keep on worshipping memory, and our social activity is exemplar. We are proud to have you as our companion of fight, and we proclaim high and loud that you do deserve this Croix d'Officier de la Légion d'Honneur.

Extrait du discours prononcé par Monsieur GERMAIN

Ancien Secrétaire général départemental de l'Office des Anciens Combattants et Victimes de Guerre des ALPES-MARITIMES,

à l'occasion de la remise de la Médaille Militaire et de la

Croix de Guerre avec Palme

à Jacqueline THIRION le 30 Octobre 1960.

**

Les femmes ont toujours montré leur courage. Mais c'est la drôle de guerre qui devait permettre aux femmes de donner la pleine mesure de leur courage dans la Résistance qui pour n'être pas spectaculaire, n'en fut pas moins très efficace, la vraie, celle qui se faisait par idéal pour lutter contre l'Occupant, aidé par la milice, les détracteurs, les collaborateurs et les profiteurs. Ce qui n'empêcha pas de voir certaines de ces personnes, défiler le jour de la Libération avec un brassard et de recevoir grades et décorations alors que leurs victimes étaient encore exterminées dans les camps de la mort. C'est là que l'on trouve Jacqueline, car on modifie ses préférences mais on abdique jamais ses convictions. Et c'est là que l'on trouve Jacqueline THIRION, bien placée, car elle travaille comme téléphoniste dans le même local où sont installés standard français et standard allemand. Elle est en contact permanent avec l'ennemi. Connaissant le trafic, il était facile de relever les transports d'armes et de munitions, d'hommes et de matériel. D'où le bombardement une belle nuit de Mars 1944 d'un train de munitions, des hommes et de l'état-major installé au buffet. Jacqueline est restée à son poste avec les Allemands alors que tous les autres cheminots français étaient partis se réfugier dans les abris, 8 jours plus tard, le même scénario avait lieu à AULNOYE. Arrêtée le 17 Avril 1944, par dénonciation, avec 6 autres cheminots par la Gestapo. Elle ne fit la connaissance de ses complices que le lendemain matin dans la camionnette qui les emmena enchaînés à la prison de SAINT-QUENTIN, où ils furent interrogés, condamnés et déportés. Elle prit d'abord le chemin de ROMAINVILLE. Puis c'est NEU-BREMM, RAVENSBRUCK et NEUBRANDENBURG. Contre l'oppresseur, Jacqueline n'hésita pas à se compromettre, c'est avec son idéal et ses 20 ans qu'elle participa avec les cheminots à faire tout ce qui pouvait retarder l'Occupant sans chercher à savoir qui était le chef de groupe de MARTIGNY, sans chercher à savoir si elle était inscrite avec eux car à cette époque là une seule chose comptait : chasser l'oppresseur et libérer le pays. Déportée, brutalisée, meurtrie dans sa chair, mais avec un moral et une foi à toute épreuve elle est enfin libérée le 29 Avril 45. Rentrée en FRANCE le 22 Mai, il était temps. Jacqueline est épuisée et ne pèse plus que 35 kg. Elle retrouve sa famille mais apprend en même temps la mort d'un cousin, un frère tombé à l'ennemi le jour de la libération de SAINT-QUENTIN, où il meurt dans les bras de la maman de Jacqueline alors que les Américains passent et que les Français acclament les libérateurs. Jacqueline reprend des forces et en Septembre 45, à peine remise, elle doit reprendre son travail à la S.N.C.F., elle fait les 3/8, malgré son récent passé. Elle commence à ressentir les séquelles de son calvaire dans les camps. En 1952, elle est mutée à NICE pour raison de santé, mais l'an dernier la S.N.C.F. lui propose la réforme le 1er Juin 1959, non comme incapable mais pour cause de mauvaise santé, ainsi se termine sa carrière à la S.N.C.F. En 1960, elle a déjà subi 5 opérations, la dernière remonte à 15 jours. Elle supporte toutes ses souffrances grâce aux soins de ses parents, mais aussi à la sollicitude de son mari qui lui aussi a souffert des Allemands, mais cependant dans les moments difficiles je crois que c'est encore elle qui leur remonte le moral. C'est-à-dire que cette Médaille Militaire se trouvera bien placée sur sa poitrine, ainsi que la Croix de Guerre.

TABLE

**

En guise de Préface 10

La Mémoire 107

MON ENFANCE 10

L'INVASION - L'EXODE 11

L'ARMISTICE 11

PASSAGE DE LA LIGNE DE DEMARCATION 12

A LA MAISON OCCUPEE 12

DANS L'ADMINISTRATION 13

HIRSON 14

LA DELATION 15

DEPART DE L'HOTEL DES 4 BOULES 20

ROMAINVILLE 21

DESTINATION INCONNUE 22

NANCY 23

SARREBRUCK 23

NEU-BREMME 24

FURSTENBERG 27

RAVENSBRUCK 27

NEUBRANDENBURG 32

LA COLONNE DES FANTOMES 41

Enfin les Russes !... 42

AVEC les prisonniers de guerre 43

LES AMERICAINS 45

LES ANGLAIS 45

LE RETOUR 46

RETROUVAILLES 50

UN DERNIER MOT 51

EPILOGUE 54

Documents 107

La mémoire

La mémoire : seul bagage incessible

Jacques ATTALI

A la mémoire de mes chers parents décédés

A mon mari

mes enfants

mes petits enfants.

Que l'avenir soit plus doux pour les générations

Qui vont nous succéder

et que leur soient épargnés

Les peines,

les misères

le totalitarisme,

Qu'une paix durable vienne les protéger pour

Qu'ils ne connaissent jamais une infime partie

De l'histoire que je vais essayer de revivre

en écrivant ce récit

.c.MON ENFANCE 1939. Début Septembre 1939, HITLER se déchaîne, envahit la POLOGNE, après avoir fait tant de crimes. La FRANCE et l'ANGLETERRE, voulant venir au secours de la POLOGNE, déclarent la guerre à l'ALLEMAGNE le 3 Septembre 1939, c'est le début, pour nous de la drôle de guerre qui durera jusqu'au 10 Mai 1940. Je suis née à FONSOMME, près de St QUENTIN, en PICARDIE. FONSOMME est un petit village de l'AISNE qui a beaucoup souffert lors de la grande guerre de 1914-1918. C'est là qu'était installée la Grosse BERTHA qui tirait sur PARIS. Maman avait 17 ans à l'époque. J'en ai 16 au début de ce récit. Je ne pensais pas revivre le même calvaire suivi par ma famille. FONSOMME était pendant la guerre 1914-1918 le premier village du Front. Tout le pays devait céder et obéir sous le poids du joug allemand, souffrant du froid, de la faim, des épidémies, notamment de la grippe espagnole qui fit tant de victimes parmi les pauvres civils. Imaginez le désarroi de ma famille, en apprenant l'invasion de la POLOGNE et la déclaration de guerre !... Les souvenirs revinrent en foule cherchant comment faire pour nous éviter, à nous, les jeunes, de connaître ce qu'ils avaient vécu, papa ayant été arrêté et déporté en ALLEMAGNE en 1916. 1940. Hélas, entre vouloir et pouvoir il y a un énorme fossé à franchir. Malgré leur bonne volonté ils ne peuvent éviter les événements suivants l'invasion de la BELGIQUE le 10 Mai 1940. Nous ne sommes qu'à 100 km de la frontière belge, et nous voyons défiler jour et nuit des files interminables de gens, d'enfants, de vieillards. Ils fuient l'envahisseur emportant literie, valises, paquets. Les uns plus favorisés, dans des autos bourrées à bloc, d'autres poussant des voitures d'enfants, chargées et l'enfant à l'intérieur. Des brouettes...Enfin, tout ce qui pouvait rouler. Mes parents questionnaient ceux qui, fatigués, s'arrêtaient pour une courte pause mais tous disaient : - Nous avons les Allemands derrière nous, nous ne voulons pas vivre avec eux, n'attendez pas d'être envahi ! Faites comme nous, partez ! .c.L'INVASION - L'EXODE C'est ainsi que le 17 Mai 1940, mes parents, ne voulant pas revivre le cauchemar de la grande guerre, et voulant me protéger, décident de partir. Nous étions en pleine zone d'un front qui se rapprochait à pas de géant. Et c'est en famille que nous avons tout laissé et qu'avec un minimum de bagages, nous avons également pris la route. Nous n'avions fait que 2 km quand nous avons subi le baptême du feu par des avions ennemis qui traquaient des troupes, à la traîne sur les routes. Troupes mêlées à la cohorte des gens qui fuyaient ; nous en faisions partie. Si nous avions été moins tenaillés par la peur, nous aurions dû faire marche arrière. Mais que faire ? C'était le destin. Nous avons vécu sur la route un véritable calvaire avec les enfants de la famille dont ma petite filleule de 11 mois juchée sur mon porte-bagages avant. Nous étions 6 en vélo,. Une charrette attelée par une bonne jument, POMPONETTE, avec, à son bord, le grand-père invalide unijambiste, et notre vieille tante impotente, qui ne pouvait bouger lors des bombardements. Décrire les scènes d'horreur après les bombardements est impossible, chacun cherchant à sauver sa peau. Quoi de plus humain dans cet exode. La "Cinquième Colonne" faisait son travail de sape, qu'il est impossible de faire revivre. Il faut l'avoir vécu ! Semant tantôt l'espoir, tantôt le plus grand désespoir. Que de misères, que de larmes, que de sang répandu, que de morts innocents dans ce carnage. Jour et nuit, nous avons marché pour arriver enfin dans la SARTHE, où les Allemands nous suivaient de près. Là, nous avons été regroupés à TUFFE, réconfortés par l'accueil et l'apport de victuailles, nos réserves étant épuisées depuis longtemps. Sur la route nous avons même payé pour avoir un peu d'eau pour les enfants, avant d'arriver dans ce département. .c.L'ARMISTICE Deux jours après, nous entendions des bruits courir, disant que PETAIN avait demandé l'Armistice. C'était vrai. Nous pensions avoir un peu de répit, mais l'aviation italienne continuait les bombardements alors que les Allemands avaient cessé. Je l'ai dit au début, souvenirs atroces et épouvantables. Puis les Allemands sont arrivés, conquérant, prenant tout ce qu'ils pouvaient sur leur passage, réquisitionnant blé, bêtes et céréales. C'est ainsi que nous eûmes le chagrin de voir partir notre jument POMPONETTE. Qu'est-elle devenue ? Nous n'en savons rien. Après 2 mois passés entassés à plus de 20 personnes dans une pièce pour dormir la vie devenait intolérable, tant pour les enfants que pour les adultes. C'est ainsi que mon oncle et papa décidèrent de repartir chez nous, pour voir ce qu'il était possible de faire, enfin que cesse cette vie pour notre famille. Nous sommes restés un moment sans nouvelle, puis un jour, un coup de téléphone est arrivé, ils étaient rendus à bon port. Ils essayaient de remettre tout en état pour qu'à notre tour nous puissions retourner au village qui était maintenant situé en Zone Interdite, et ce n'était pas facile de passer. Avec ma tante, maman et les enfants nous avons d'abord regagné PARIS, où nous fûmes hébergés chez une cousine, dans le 18ème Arrondissement. Nous y sommes restés à peu près un mois. Il fallait faire la queue devant les magasins pour se nourrir, le ravitaillement se faisant de plus en plus rare. Je ne vais pas raconter cette malheureuse époque et je passe ici vers notre retour en Zone Interdite..c.PASSAGE DE LA LIGNE DE DEMARCATION Nous avons pris le train vers la fin du mois d'Août 1940, en gare du Nord pour St QUENTIN et sommes arrivées à TERGNIER. Nous avons été obligées de descendre du train, n'ayant pas de laissez-passer pour franchir la ligne de démarcation. Nous arrivions en Zone Interdite. Il nous a fallu chercher des passeurs. Nous en avons trouvé assez rapidement, car moyennant finance ces gens nous faisaient passer la frontière, en franchissant le canal à dos d'homme à JUSSY. Sur l'autre rive nous étions en Zone Interdite. Pas de moyen de locomotion, nous devions continuer à pieds. Environ 50 km de JUSSY à St QUENTIN, et ensuite 11 km pour FONSOMME. Je n'ose pas vous dire dans quel état nous étions, d'abord sales car nous avions passé une nuit cachées dans la paille avant de pouvoir être traversées par les passeurs. C'était entre deux tours de garde des Allemands. Enfin nous avons réussi puisque nous étions sur la route. Nous avions les pieds en sang mais arrivions près du but, et kilomêtre après kilomêtre, nous sommes arrivées devant les premières maisons de FONSOMME. Notre coeur battait. Qu'allions-nous retrouver ? Nous avons continué notre route et nous n'avons pas tardé à apercevoir notre maison. .c.A LA MAISON OCCUPEE Papa était là, et nous attendait. Il vint au devant de nous pour nous dire que notre maison était occupée par un Officier allemand, que nous devions aller en famille à la Kommandantur pour demander le droit d'habiter notre maison. Nous avons été interrogés pour faire connaître le motif de notre départ. La maison avait été réquisitionnée car les habitants étaient partis. Enfin après bien des palabres, le chef de la Kommandantur a décidé que l'Officier garderait une chambre et que nous, nous pourrions habiter le reste de la maison. La vie continua ainsi sous la botte des Occupants. Je ne pouvais reprendre mes études, l'école professionnelle que j'avais quittée en Mai avait été bombardée et détruite. Il me fallait donc trouver du travail. Mon premier travail, c'est Monsieur CORDELETTE, Géomètre, qui me l'a proposé. Je devais recenser les maisons des environs de St QUENTIN et vérifier ensuite avec le plan cadastral. Je faisais jusqu'à cinquante kilomètres par jour en vélo et par tous les temps. C'était très dur. Monsieur CORDELETTE était dans la Résistance, je ne l'ai su que plus tard. Il m'avait bien lancé des pointes, mais je n'y avais pas répondu. En ce temps-là, on se méfiait de tout et de tout le monde. .c.DANS L'ADMINISTRATION Ensuite, j'ai pu entrer dans l'Administration. Le Bureau des Charbons dépendait de la Sous-Préfecture de St QUENTIN, le travail était correct, mais au bout de quelque temps, nous nous aperçûmes que notre Directeur collaborait avec les Allemands. Il les recevait sans rendez-vous et leur faisait livrer du charbon au détriment des civils, c'était une sorte de marché noir organisé. Les civils voyaient donc leur ration diminuer. C'était intolérable ! Un jour avec mon amie Micheline, nous lui avons soustrait une griffe, il en avait deux ou trois, et à notre tour, nous avons fait des bons que nous donnions aux plus démunis. Mais nous risquions d'être découvertes. Rester dans cette atmosphère nous pesait, et nous cherchions à nous en évader, et aussi quelle joie quand nous relevâmes sur le journal deux annonces de concours, l'un pour les P.T.T., l'autre pour la S.N.C.F. Micheline opta pour les P.T.T., moi pour la S.N.C.F. C'était en 1943. Nous avons passé les concours et avons toutes les deux été reçues. Il fallait attendre les résultats, mais notre espoir était grand et ensemble nous avons démissionné du Bureau des Charbons. Micheline n'avait plus que son père qui acceptait assez bien ses décisions. Elle n'avait pas connu sa maman morte quelques mois après sa naissance. Quant à moi, il me fallait dire la vérité à mes parents et je tardais un peu, car si je me retrouvais sans travail, ça ferait vilain. Enfin tout se passa bien, et en même temps Micheline et moi recevions nos affectations. Micheline eut la chance d'être nommée à St QUENTIN et moi, je devais partir pour HIRSON. Il est vrai qu'à cette époque, le personnel masculin faisait défaut, et nous devions vite rejoindre nos postes. Je n'avais que quelques jours devant moi, pour annoncer mon départ à mes parents. Leurs réactions étaient celles que j'attendais, pour eux ce n'était pas drôle de me voir partir en pleine guerre, à 100 km de là. J'avais deux cousins dans la Résistance à FONSOMME, nous avons été élevés ensemble par maman, je les considérais donc comme des frères. Ils m'avaient encouragé à saboter mon travail au bureau des Charbons. Ils me dirent que j'avais fait le bon choix et que je devais partir. A cette époque-là, ils me demandaient aussi des petits services : porter des tracts ou des journaux clandestins, même des messages. Pour moi c'était facile de faire ces petites choses. Je faisais chaque jour la route FONSOMME - St QUENTIN et je pouvais suivre leurs instructions. Mes parents n'ont jamais rien su. .c.HIRSON C'est ainsi que je pris mon service à HIRSON affectée comme téléphoniste en gare ainsi qu'à la circulation des trains. Il y avait deux standards, le Français et l'Allemand dans le même local qu'occupaient les Allemands. Les standards se trouvaient de part et d'autre de la pièce. Les informations étaient à peu près semblables. Les n° des trains, leur destination, les chargements en hommes et en matériels. Il était donc facile de relever les trains de munitions et de troupes, et de passer ces renseignements. En complicité avec le dépôt, à une heure bien déterminée, j'étais appelée et suivant le code du jour, je donnais les renseignements que j'avais pu recueillir. Je ne connaissais pas mes correspondants, à part NORBERT du dépôt. J'avais été contactée par des gars du Front National d'alors, qui n'avait rien de commun avec le Front National actuel de LE PEN. Heureusement, car nous étions tout le contraire. J'ai appris plus tard que ces renseignements, étaient transmis par un poste émetteur-récepteur aux Alliés, mais je n'ai jamais su où se trouvait ce poste, pas plus que les dépôts d'armes. C'est mieux pour l'avenir. Nous avions souvent la visite de l'aviation anglaise. J'ai à mon actif, d'avoir communiqué la présence de plusieurs trains de munitions et d'un Etat-Major allemand, logeant au buffet de la gare. Les Alliés sont venus un soir de Mars 44 bombarder les trains, le buffet et la gare. Je me suis retrouvée ensevelie sous les décombres avec les Allemands qui étaient morts de peur. Je ne sais pourquoi, malgré les explosions, le feu, la fumée, je n'ai pas perdu mon sang-froid. J'ai réussi à me sortir de là par une brèche d'où venait la lueur des explosions. Je n'ai pas demandé mon reste. Les Allemands firent de même, longeant les murs. J'ai quitté cet affreux carnage, m'éloignant de la zone, où tout sautait pour regagner la chambre que j'occupais chez un brave couple de cheminots, à qui j'ai demandé pardon à mon retour, car ils eurent des ennuis à cause de moi. J'étais en bon terme avec les téléphonistes allemandes, nous faisions les 3 huit ensemble, et c'est pendant les nuits, que nous passions ensemble, que j'avais des renseignements plus précis, sur certains convois. L'une s'appelait RUTH, elle était un peu plus distante, l'autre s'appelait REZI, elle parlait beaucoup plus facilement. Elle voulait apprendre le français. Elle m'avait même donné sa photo que la Gestapo a trouvé dans mon sac. Elle me faisait confiance et j'en étais ravie. .c.LA DELATION Mais par une belle journée de printemps, le 17 Avril 44, le soleil brille dans un ciel sans nuage. De tant à autres on voit apparaître dans le ciel, un nuage de petits points brillants, lumineux, sous le soleil d'Avril. Ce sont les Alliés qui sans répit reviennent vers nous,avec les mêmes pensées, les mêmes espoirs : anéantir cette race germaine qui nous oppresse depuis Mai 1940. Il est 14 heures. Il n'y a pas longtemps que je suis réveillée, car je fais le service de nuit. C'est déjà la prochaine, qui est la dernière. J'ai rendez-vous avec une camarade entre 15 h et 15 h 30 pour lui faire mes adieux car j'ai décidé de quitter HIRSON, cette nuit, même avec toutes mes affaires ; ma valise est prête. D'ailleurs, j'ai l'impression que ça sent mauvais ici, et j'ai un poids sur la poitrine qui m'empêche de respirer librement. 15 h. 15. Me voici en gare d'HIRSON. Immédiatement, je vole aux nouvelles car AULNOYE a été bombardée dans les mêmes conditions qu'HIRSON. Vous voyez ce que je veux dire ! En définitive, je remplace ma collègue quelques instants au standard. Comme d'habitude, il y a des Boches en gare et les Feldgendarmes sont là aussi. Je ne prête aucune attention à l'un d'eux qui vient causer à RUTH, la standardiste allemande. Je ne devais comprendre que quelques minutes plus tard. Soudain, la porte s'ouvrit violemment, et je vis apparaître trois solides gaillards, en tenue vert de gris, casquette à tête de mort, armés jusqu'aux dents. Puis un quatrième en civil, un gestapiste, le chef sans doute qui se dirigea vers moi, et me dit en mauvais français : - Vous êtes bien Fraulein Jacqueline Alexandre ? - Oui ! - Vous tout de suite... komme bureau allemand ! Dignement je quitte ma chaise, sous les yeux effarés de RUTH. Je passe devant eux, puis, escortée ainsi, je traverse la gare, sous l'oeil ahuri du chef de gare et des autres cheminots. Ils me firent monter dans une traction-avant noire jusqu'à la Feldgendarmerie. Enfermée ensuite à la cave, avec les rats. Puis ils perquisitionnèrent ma chambre et fouillèrent ma valise. Ils y découvrent une carte d'Etat-Major allemand. Pendant ce temps, je grelottais à la cave, et je sentais les rats me mordiller les souliers. Heureusement, vers 3 heures du matin, j'eus la joie d'avoir la compagnie d'une autre femme, Fernande de CHAUNY, pas très loin de TERGNIER, prise alors qu'elle était en visite chez son beau-frère à MARTIGNY. Elle m'apprit qu'elle n'était pas seule, en plus de son beau-frère, six cheminots avaient été arrêtés et étaient enfermés à l'étage. La dénonciation avait porté ses fruits ! Grâce à cette personne que je ne revis jamais, on vint nous chercher pour nous enfermer au rez-de-chaussée. Plus tard, j'ai appris que c'était WIKENDEN, dit " l'homme à la verrue " qui nous avait vendu. Il s'était introduit dans le groupe en se présentant comme un agent de la R.A.F. Le ver était dans le fruit. Il a même assisté à l'arrestation des six hommes cités plus haut. C'était un homme né de père anglais et de mère française, lui-même naturalisé français. Il s'était engagé dans les Waffen S.S. et a dénoncé des centaines de personnes de l'AISNE du Nord, d'HIRSON, CHATEAU-THIERRY, COMPIEGNE, SOISSONS. C'était un triste sire qui a été arrêté après s'être enfui avec les Allemands, qui se sauvaient vers l'ALLEMAGNE, mais ramené en FRANCE pour y être jugé à AMIENS. Mais revenons à notre récit. Donc, la nuit avec Fernande n'eut pas de suite. A 5 heures du matin, on vint me chercher. On me fit monter dans une camionnette découverte, avec des jeunes hommes menottes aux mains serrées derrière leur dos. Il fallait rester impassible. Aussitôt, nous prîmes la route de St QUENTIN. C'est ainsi que je fis la connaissance de Robert LEROY, de son père, de Jean LECHAT, de Moïse CAVILLON et des autres dont j'ai oublié le nom et je le regrette. Je me nommais à mon tour. Surpris, l'un d'eux répondit : - C'était donc vous ! J'appris ainsi qu'ils étaient du groupe MARTIGNY-LEUZE, et que j'en faisais partie. Nous ne devions pas nous faire voir de nos gardiens, heureusement ils tournaient le dos. Je savais que nous allions sur St QUENTIN car je connaissais la région. Je savais aussi que notre destination était sûrement l'Hôtel des 4 Boules ou, si vous voulez, la prison, mais aussi le siège de la Gestapo, Place Mulhouse. LA PRISON DES 4 BOULES Mes parents furent avertis dans les jours qui suivirent, eux qui ne savaient rien, sont tombés de haut et j'imagine leur désarroi. Nous avons été séparés et mis en cellule chacun de notre côté. Moi, je me suis retrouvée dans une cellule de 3 mètres sur 2 avec 5 autres détenues. Une ancienne était là depuis plus d'un an et nous n'avons jamais su ce qu'elle avait fait, les autres étaient plus ou moins des Résistantes. Je suis partie avant de le savoir. La cellule n'était guère confortable, 3 lits de chaque côté, scellés dans le mur ; une petite table avec un bassin et un robinet, une tinette pour la toilette. Ce n'était pas drôle ! Les anciennes passaient en premier et se mettaient nues pour faire leur toilette, chacune devait en faire autant. Quand les 5 autres furent passées, il me fallait bien le faire moi-même. Il fallait faire taire sa pudeur et son orgueil. Au début, j'avais l'impression d'assister à une séance de voyeurisme, et puis après, je m'y suis habituée. La tinette était vidée tous les matins dans les W.-C. installés à l'étage. Dès le premier mois, je n'ai plus eu de règles. Je les ai eu à nouveau 2 mois après mon retour. La vie à présent était réglée. Réveil le matin à 6 heures. Un bol de café au malt était distribué avec un morceau de pain. A midi, le repas était composé de rutabaga ou de féculents ; le soir, une soupe et un morceau de pain ; comme boisson de l'eau. Les journées passent lentement. C'est ainsi que j'ai appris à jouer aux cartes, malgré l'interdiction. Une ancienne avait fait un jeu de cartes avec un carton récupéré d'un colis. Nous chantions et il y avait le téléphone arabe. Les nouvelles bien souvent fausses, allaient bon train. Quelques jours après mon arrivée, la gardienne est venue m'avertir que je devais aller à l'interrogatoire, Alexandre : " Komme ! ". Une traction-noire attendait dans la cour de la prison et 2 hommes en civil. C'est ainsi encadrée que j'arrivais à la Gestapo de la Place Mulhouse. Interrogée par le Capitaine BAUCKLOC qui était un bel homme blond, l'air sympathique. Il parlait un français impeccable sans accent, j'en suis restée stupéfaite. Je n'en menais pas large car il avait la réputation d'être cruel. Ce premier interrogatoire, a été assez courtois : Identité, questions sur ma famille mais surtout : - … Pour quelles raisons êtes-vous terroriste car vous avez fait périr des Allemands volontairement… C'était vrai, mais pas question d'avouer. - … Avec qui faisiez-vous de la Résistance ? Vous connaissiez Moïse CAVILLON ? Je nie, je nie tout, mais il se fâcha me traitant de sale menteuse. Qu'il savait ce que j'étais capable de faire. - … Si vous parlez, votre affaire sera moins grave. Dites-moi le nom de vos complices, l'endroit où est situé votre poste-émetteur, les dépôts de munitions ! J'ai toujours répondu que je n'étais pas au courant, que je ne savais pas ce qu'il voulait dire, que je ne comprenais pas la raison de ses questions. Il ne se décourageait pas et pendant 2 heures, il m'a posé et reposé les mêmes questions, puis il dit : - … Réfléchissez bien, car vous reviendrez et si vous n'avouez pas, vous serez déportée ou fusillée. Vous avez trop de morts sur la conscience ! - Quelle mort ? - Comment, n'est-ce pas vous qui avez donné les renseignements sur les trains de munitions et la désignation du buffet de la gare d'HIRSON, où des hommes d'élites ont disparu, tués par votre faute ? C'était un Etat-Major au complet et des Officiers supérieurs. Vous êtes une très dangereuse terroriste ! Enfin il sonna, et je retrouvais le chemin de la prison… Mes camarades d'emprisonnement pensaient me voir revenir avec le nez ou un bras cassé, mais, pour cette fois, je n'ai pas été battue ni torturée, simplement menacée. J'espérais à nouveau. Et puis il y a eu le 6 Juin, jour du Débarquement, et nous avons toutes chanté une vibrante MARSEILLAISE, pensant que la guerre serait finie dans un mois et que nous serions libérées. Hélas, la vie en prison continua, pleine d'espoir et de désespoir. Maman venait deux fois par semaine me porter du linge et des gâteries. Mais le linge, après avoir été fouillé, passait. Et pour les gâteries il restait quelques miettes. Elles pouvaient être grasses, celles qui nous gardaient ! J'écrivais sur des bouts de tissus que j'arrachais dans le linge que maman m'apportait. Je mettais ces bouts de tissus dans le fond de ma culotte et je salissais la culotte le plus possible pour qu'elle ne soit pas fouillée. Tout passait, mais maman n'a jamais osé me répondre. Dieu, que j'étais fébrile en fouillant mon linge, et déçue ensuite ! Maman avait peur, elle avait gardé sa peur de la grande guerre, elle avait peur des représailles. J'avais l'espoir de retrouver tous ces messages, lors de mon retour. Maman, par peur, les avait détruits. J'ai bien regretté ce manque de courage, et puis j'ai pardonné. La peur ne se commande pas. Puis j'ai été de nouveau appelée pour un deuxième interrogatoire. Le Capitaine BAUCKLOC m'a reçu en me disant : - Alors Mademoiselle Alexandre, vous avez bien réfléchi, vous allez parler ? Je vous l'ai dit, je n'ai qu'une parole…Si vous dites la vérité aujourd'hui, demain vous serez libre. Sachant que, même si je parlais, rien ne serait changé à mon sort, je suis restée de marbre. - … Dites-moi enfin que vous connaissez Moïse CAVILLON, il a avoué vous connaître. - Non je ne le connais pas ! Je ne sais pas de qui vous voulez parler. - Vous avez un culot terrible ! Dites-moi où est ce poste-émetteur, les munitions, vos complices. Parlez, ou vous aurez une condamnation sans appel !. Ce jour-là, en arrivant devant la Gestapo, j'avais vu maman sur le trottoir. Elle n'était pas seule, mais je n'ai vu qu'elle. Nous avons échangé un long regard, pour elle chargé d'angoisse, pour moi, vif et plein d'espoir, voulant lui donner confiance. Quand je suis sortie, elle n'était plus là. De toute façon, je n'aurais rien pu faire, rien d'autre. La vue de maman m'avait redonné courage pour tenir tête à BAUCKLOC. Quoiqu'il arrive, je ne parlerais pas. Il s'est encore mis en colère, a donné un coup de poing sur la table, mais il n'a pas appelé les tortionnaires. D'un air venimeux, il m'a dit : - Disparaissez de ma vue, vous serez fusillée ! Les gestapistes m'ont ramené à la prison des 4 Boules, et la vie en prison, a repris son train-train monotone. Un matin, il y a eu un départ d'hommes et nous écoutions les noms avec attention. Tout à coup, j'ai entendu FALENTIN Emile. " Présent ! ". D'un bond j'ai grimpé au vasistas et je l'ai appelé : - Mimile, Mimile, c'est moi Jacqueline. Ne t'inquiète pas, la guerre va bientôt finir. On les aura, courage ! Vive la FRANCE ! Une rafale de mitraillette est passée au ras de mes cheveux. Je suis descendue en vitesse, mais mon message était passé. Hélas il est parti par le train du 2 Juillet, et il est mort à NEUENGAMME après sa libération. En-dessous de notre cellule il y avait un prêtre de SOISSONS. Il disait la messe tous les matins et élevait la voix pour que nous puissions tous entendre la messe, en priant pour notre libération. Nous pensions toujours que les Anglais arriveraient à temps pour nous délivrer. Ce prêtre nous a bien aidé, il nous a encouragé à garder le moral et à prier. Il a été déporté lui aussi. Je l'ai revu après mon retour, il est venu faire une conférence sur la déportation au cinéma " LE CARILLON " à St QUENTIN. Je suis allée le voir dans sa loge. Nous nous sommes embrassés, heureux d'être en vie. Il a absolument voulu me présenter au public comme témoin de notre incarcération à la prison des 4 Boules, me remerciant pour avoir chanté dans la cellule et il m'a assuré avoir été réconforté par mes chants joyeux ou patriotiques comme l'étaient les autres détenus. Nous arrivions à chanter tous et toutes en choeur les refrains à la mode en 1944. La prison c'était la promiscuité, mais si nous avions su alors ce qui nous attendait, nous aurions désiré y attendre la fin de la guerre. Le destin veille ! Le 12 Juillet 1944, des bruits de clé fonctionnent à tous les étages, ils nous avertissaient qu'il se passait quelque chose. Effectivement, les bruits de clé se rapprochaient et la porte de la cellule fut ouverte. - Alexandre ! Paquets ! Départ ! .c.DEPART DE L'HOTEL DES 4 BOULES Nous fûmes rassemblés au rez-de-chaussée, et malgré les appels au silence, nous voulûmes faire connaissance. Je comptais trente personnes, parmi elles Simone FRANKINET que je voyais pour la première fois. Elle a été arrêtée, à peu près en même temps que moi. Son frère et son fiancé sont incarcérés également, ils seront déportés par la suite. Seul son frère Marcel est revenu, Simone était de GUISE. Ce n'était pas loin de FONSOMME. C'est ce qui nous a rapproché. Nous ne devions plus nous quitter. Un camion était dans la cour, la gardienne nous appela à tour de rôle, et nous indiqua que nous devions nous installer dans ce camion. Il y avait 3 bancs de bois. C'était suffisant, mais nous emportions valises et paquets, il fallait tout caser. Auparavant, l'on nous avait rendu nos affaires personnelles, sac à main, argent, bijoux, papiers, enfin ce que peut contenir un sac de jeune fille ou de femme. Je constatais, avec satisfaction, que l'on m'avait laissé ma carte S.N.C.F., mon brassard pour circuler librement, et le laissez-passer que j'avais pour circuler de nuit. Le chauffeur essaya de nous parler, il était Français, mais un retentissant "Ruhe ! " coupa court à toute discussion. En quittant la prison de St QUENTIN, l'Allemand qui paraissait être le chef, avait une liste à la main. Il s'adressa à un des gardiens. Ils étaient quatre, fusils-mitrailleurs, casqués, bottés, comme pour un siège. J'avais bien vu des conciliabules au moment du départ, mais je ne pensais pas en être la cause. C'est Suzanne, restauratrice de COMPIEGNE, arrêtée aussi pour Résistance, qui comprenait l'allemand, mais ne l'avait pas signalé, qui nous a averti en cachette, après le départ de la prison. Elle me dit : - Surtout, ne bouge pas, ne fais pas de geste qui pourrait se retourner contre toi, car les ordres donnés aux gardiens sont formels à ton sujet. Si l'un d'eux te voit faire un geste de révolte ou autre, ils ont l'ordre de t'abattre comme un chien galeux. Alors je t'en prie ! Ne bouge pas ! Notre vie serait en danger. Imaginez ma stupéfaction ! J'avais bien eu des gestes rebelles avant de monter dans le camion, mais une telle haine me dépassait. Il est vrai que j'avais la réputation de dangereuse terroriste, et condamnée à être fusillée. Est-ce qu'un ordre déguisé ne suivait pas!.Ce qui ne m'empêcha pas d'entraîner les autres à chanter la MARSEILLAISE, et bien d'autres chants patriotiques, d'écrire des mots pour mes parents, leur indiquant que je partais pour ROMAINVILLE. Tous les mots sont passés par les fentes du camion, et ils sont arrivés. Mes parents purent ainsi avertir de la famille à PARIS et en banlieue, pour me faire porter des colis. Ma famille s'est bien présentée à ROMAINVILLE pour essayer de me voir, mais ils furent refoulés à plusieurs reprises. Le motif : rien pour la fille Alexandre. Les ordres sont formels. .c.ROMAINVILLE Nous sommes arrivées le 12 Juillet, dans la matinée, à ROMAINVILLE. Débarquées dans une cour inondée de soleil, on nous fit mettre en rang, comptées cinq par cinq, et on nous fit entrer dans une grande pièce, meublée de châlits à deux étages. C'était plus confortable qu'à la prison, mais il y avait des punaises. Adieu le sommeil, c'était atroce ! Le réfectoire où nous devions prendre nos repas était aussi une grande pièce avec des tables. Suzanne a été nommée chef de table. Les prisonnières assuraient les différents services. Il fallait aller chercher la nourriture à la cuisine où se trouvait un Officier qui surveillait la distribution des aliments. Les repas étaient composés de purée, ou de pâtes, ou de haricots secs, et du café au lait. Je me rappelle de mon premier repas : ragoût de haricots avec quelques morceaux de viande. Un Officier fait l'appel l'après-midi, pour nous compter. Toujours en rang, cinq par cinq, il y a plusieurs appels dans la journée. C'est par un coup de sifflet que nous sommes averties et nous devons nous mettre au garde-à-vous devant cet Officier, pour être comptées. Ces contrôles, c'est leur préoccupation principale. Les Allemands ont peur, les erreurs se multiplient, alors on nous compte et on nous recompte jusqu'au bon compte. La discipline n'est pas trop sévère. Nous lions connaissance avec d'autres détenues. Nous nous rassemblons par affinité, mais maintenant que nous sommes deux, nous nous sentons plus fortes. Pourtant, Simone est petite, pas très grosse, mais elle est solide et a un moral en or. C'est réconfortant. Contrairement à la prison, nous pouvons nous laver. Il y a de l'eau chaude, c'est agréable de pouvoir enfin se décrasser. Il y a aussi des toilettes, mais pas de porte. Ça ne fait rien, c'est mieux que la tinette. Nous sommes presque libres, puisque nous pouvons nous promener dans la cour et profiter du soleil. Les nouvelles sont rassurantes : les Alliés avancent, bientôt ils seront là. Nous ne partirons peut-être pas. Hélas ! Je ne suis restée que cinq jours à ROMAINVILLE. Le 18 Juillet au matin, appel général. Cinq par cinq, on nous fait mettre en rang, et de nouveau, des camions arrivent pour nous emmener. Nos illusions s'envolent. Cette fois, c'est le grand départ. Nous partons par le pont-levis en chantant " Ce n'est qu'un au-revoir mes soeurs ", chant repris par celles qui restent, mais qui suivront ensuite. Et nous arrivons à la gare de l'Est, encadrées de nombreux gardiens. Chargés de nos bagages et de nos colis de la CROIX-ROUGE, reçus avant le départ de ROMAINVILLE, ils étaient précieux ces colis : sardines, pâtés, pain d'épices, chocolat. Quelques-unes l'avaient déjà ouvert en cours de route. Comme elles ont bien fait ! Nous sommes sur les quais. Un train de voyageurs est là. On nous fait monter, toujours en nous comptant et nous prenons place dans des wagons de troisième classe. Les gardiens sont placés d'un côté et d'autres du wagon, deux dans le couloir. On nous recompte avant le départ. Le compte est bon et des ordres sont donnés, les portières claquent, le train roule. Adieu PARIS ! Adieu la FRANCE ! .c.DESTINATION INCONNUE Nous ne connaissons pas notre destination mais nous savons que nous allons vers l'ALLEMAGNE. Simone et moi ouvrons un colis pour nous restaurer un peu, mais nous voulons économiser de la nourriture pour l'avenir. Nous en aurons peut-être besoin. Le train roule doucement, les voies ne semblent pas très bonnes. La nuit tombe, et bientôt, nous essayons de nous caser pour dormir un peu. Nos gardiens font la noce au bout du wagon. Ils boivent et ils chantent. Nous espérons que ça ne durera pas toute la nuit. Nous pouvons aller aux toilettes sans problème, heureusement, et là il y a une porte,. Les arrêts sont fréquents. Il y a certainement eu des sabotages ou des bombardements. Nous avons été stoppés en pleine nuit, non loin d'une gare. Nos gardiens étaient enfin endormis, et nous les entendions ronfler. Avec Simone, nous nous faufilons jusqu'à la porte du wagon. N'entendant aucun bruit, je descends sur la voie et avance doucement pour reconnaître l'endroit. Un panneau; avec une flèche, indique REIMS. Je me sents pousser des ailes et j'essaie de décider Simone à me suivre, car j'ai tous mes papiers, les cheminots nous aideront. Mais Simone reste sur le marchepied. Elle me fait la morale : - Rends-toi compte si nous sommes reprises, tu sais ce qui nous attend, et puis mon frère et mon fiancé sont toujours à St QUENTIN. Ils peuvent les fusiller, et tes parents tu y penses, tu y penses, eux qui n'ont rien fait peuvent être arrêtés à ta place ! Je crois que cette phrase a fait tilt, car à mon grand regret je me suis calmée. Je suis remontée dans le wagon, et nous avons repris nos places. Les sabotages ne manquaient pas sur la voie ferrée. Nous faisions maint détours pour gagner la frontière. Les cheminots continuaient leur bon travail. Chaque fois que nous devions rebrousser chemin pour cause de sabotage, je leur envoyais une pensée reconnaissante. Comme pour le transport de St QUENTIN à ROMAINVILLE, j'ai écrit tout le temps à mes parents, et je jetais mes messages par la fenêtre. Tous ces messages sont arrivés jusqu'à NANCY, après, il n'y avait plus d'espoir. J'adressais mes pensées les plus reconnaissantes à tous ces cheminots qui ont fait un travail magnifique, sans arrière-pensée, avec tout leur coeur. Ils ne se doutaient pas qu'ils faisaient de la Résistance. Pour eux, c'était normal, c'était ceux qui s'étaient engagés et que l'on déportait ainsi. .c.NANCY Nous avons eu un arrêt en gare de NANCY, et sur le quai d'à côté, un train était garé. Il était plein de jeunes gens habillés en uniforme allemand. Nous n'apprécions guère cela et nous ne nous gênions pas pour leur dire des injures, mais à notre grande stupeur, ils nous répondirent en français, disant que ce n'était pas volontairement qu'ils étaient là, qu'ils étaient Français comme nous, qu'ils avaient été arrêtés et incorporés de force dans l'armée allemande. C'était des Alsaciens-Lorrains, âgés de 17 à 20 ans. Ils nous ont demandé pourquoi nous étions là et où nous allions. Nous n'avions rien à cacher et nous avons vu de la tristesse dans le regard, mais l'un d'eux nous dit : - Votre sort n'est peut-être pas enviable, mais nous, nous savons que nous allons sur le front, c'est la RUSSIE qui nous attend. A la Libération j'ai su qu'il nous avait dit la vérité, et que beaucoup de ces jeunes ont été tués ou fait prisonniers. .c.SARREBRUCK Nous sommes donc arrivés en gare de SARREBRUCK. Vers le 20 Juillet, la gare était en flammes, elle avait été bombardée. C'était presque un réconfort pour nous. Pourtant, nous allions connaître ce qui sera pour nous la vie concentrationnaire à SARREBRUCK. Des camions nous attendaient, les Allemands nous firent monter avec des : - " Los ! Schnell ! Schnell ! ", et nous repartons. .c.NEU-BREMME Le trajet semble assez court car nous arrivons devant un camp avec des barbelés et des baraques en planches. Nos bagages ont été jetés à terre. Chacune se précipite pour récupérer valises et colis, puis on nous fait attendre, debout devant un baraquement. Nous pouvons voir, au centre, un bassin rempli d'eau presque noire. Il fait très chaud, la chaleur nous accable. Un gradé allemand vient se poster près du bassin, non sans nous avoir observé. Il donne un coup de sifflet, et horreur, nous voyons des personnages sortir des baraques, qui n'ont plus rien d'humain, rasés, pieds nus, habillés de guenilles. Ils doivent courir tout autour du bassin, et de leur baraque au bassin, à chaque coup de sifflet. Malheur à celui qui s'arrête ou tombe, le gradé lui saute dessus et le Schlag. On dirait une valse des fantômes. Ils courent, courent et contournent le bassin ; nous autres, nous vivons un cauchemar. C'est hallucinant ! Ils ne sont pas loin de nous. Nous ne pouvons rien tenter. L'un d'entre eux, passant près de nous, nous dit qu'on allait tout nous prendre, de mettre de la nourriture dans la poubelle ; pourra-t-il aller le récupérer ?. Le mot, "on va tout nous prendre", se répète de bouche à oreille, certaines de nos camarades avalent le plus possible de leurs réserves, mais nous, nous restons sans voix. Nous ne pouvions rien avaler. Jacquotte a vu un chien gavé au ventre plein. Il vient de vomir sur le terrain, non loin du bassin, où les prisonniers courent toujours. Un des prisonniers est rattrapé et traîné jusqu'à l'endroit où le chien a rendu. Jeté à terre sur le sol souillé, le gradé l'oblige à avaler le vomissement de la bête. C'est affreux! Nous sommes délivrées de cet horrible spectacle par une petite jeune fille. Nous apprenons qu'elle est Lorraine et a été prise pour servir d'interprète. Elle s'appelle Lisette. Elle nous dit surtout de ne pas nous faire remarquer, ni chercher à aider les pauvres hommes que nous avons vus, ils seraient tués sur le champ et des représailles pour nous. Il y a un peu de toutes les races : Russes, Tchèques, Yougoslaves, Français. Dans ce camp de répression, on doit mourir au bout de quarante jours. Elle nous fait entrer une derrière l'autre, par lettre alphabétique, dans le baraquement qui sert de bureau administratif. On nous prend les colis, tout, tout, tout, et nous n'avons plus que nos vêtements. Nous signons un registre et c'est tout. On nous enferme dans une baraque pour finir la nuit. Nous étions exténués, et nous nous allongeâmes sur le parquet humide. C'était sale et bientôt nous fûmes remplies de puces. Nous n'arrêtions pas de nous gratter. C'était le commencement d'un nouveau sport. Alors, nous fûmes tirées de notre torpeur par des femmes à la voix gutturale, femmes S.S., femmes méchantes qui ne se gênaient pas pour distribuer gifles et coups de poing. C'est l'appel, il pleut. On nous fit mettre cinq par cinq, au garde-à-vous dans la cour, puis, une par une on nous fouille, c'est une grosse Gretchen qui en était chargée. Jusqu'à midi nous sommes restés là, debout, sans bouger, sans manger, sous la pluie ; nous n'en pouvions plus, d'autant plus que nous eûmes droit à la même séance que la veille avec ces pauvres hommes squelettiques ; nous devions nous taire et ne pas crier d'horreurs devant ces atrocités. Lisette nous avait prévenu : - Surtout, restez calmes, ne faites pas voir votre peine ! Les geôliers redoubleraient de cruauté. Parfois un homme était jeté dans le bassin la tête maintenue sous l'eau, le pire c'est que dans cette eau, les prisonniers y lavaient leurs gamelles, la buvaient, et les tinettes, après avoir été vidées, étaient rincées également dans ce bassin. Quelle horreur !. Lisette nous a annoncé qu'un Transport allait partir. C'est certainement pour nous. Le bruit court que nous allons partir pour RAVENSBRUCK . Nous avons fait à NEU-BREMME, la connaissance d'une femme que nous avions d'abord appelé Jésus-Christ, en réalité elle s'appelait Marcelle BRUET et était de la COTE-D'OR. Cette pauvre femme avait une magnifique chevelure noire toute frisée, mais depuis son arrestation, elle avait une épaisse barbe noire, qui encadrait sa figure, elle faisait la risée de certaines. Mais pourquoi être méchant devant ce que fait la nature, elle nous a dit qu'avant d'être arrêtée, elle se rasait tous les jours, en même temps que son mari, les Allemands se sont bien gardés de lui procurer le matériel ou de la faire raser, ils en riaient, mais Marcelle restait de bois devant eux. Départ de NEU-BREMME. Nous sommes le 24 Juillet 1944. La gardienne hurle en distribuant des gifles et des coups de poing, d'un côté et de l'autre. Distribution pour le voyage : un demi pain et un peu de saucisson. On nous prévient de ménager les vivres, car le voyage sera long ; en tout cas, c'est avec soulagement que nous quittons NEU-BREMME. Une gardienne qui nous reprochait notre indiscipline, notre lenteur à exécuter les ordres, nous dit : - Vous allez voir, vous allez être dressées à RAVENSBRUCK. Ce nom n'échappe à aucune, mais le reste de la phrase nous a été traduit par une camarade qui parle allemand, elle essaie d'en savoir plus, et nous avons pu situer ce fameux RAVENSBRUCK, entre BERLIN et la BALTIQUE. Nous allons nous éloigner encore plus de notre pays, mais nous sommes contentes de quitter ces lieux cauchemardesques, ces squelettes déambulants, hagards, roués de coups, déguenillés, affamés, que pouvait-on ajouter à la misère de ces hommes, si, selon le régime du camp, on devait mourir dans les quarante jours. Impossible de voir pire, il faudrait inventer. Lisette nous dit au-revoir et nous souhaite du courage. Des paniers à salades nous attendent pour nous emmener à la gare. Les bâtiments sont détruits, mais les voies sont réparées, nous nous trouvons devant un train de marchandises, où, après avoir été comptées et recomptées par des gardiennes S.S.. Des Roumaines S.S., cravaches à la main, excitant leurs chiens à grands cris, nous font monter et entasser dans les wagons à bestiaux aux cris de : - " Schnell ! Schnell ! Los ! ". On nous pousse à coups de cravaches, c'est dur de grimper dans ces wagons. Sur le sol un peu de paille déjà utilisée ; à l'extrémité du wagon, une tinette. Clac !. Les portes sont fermées, nous essayons de nous installer. De nous asseoir toutes est impossible, on décide de faire par relais, une partie pourra s'asseoir, et l'autre restera debout. Il n'y a pas d'air, rien qu'une lucarne grillagée de barbelés où se sont mises les plus malignes, mais il faudra un tour de rôle pour pouvoir respirer, car en ce mois de Juillet, dans ces wagons surpeuplés, nous sommes une centaine à peu près, les lucarnes sont trop petites et la sensation d'étouffement devint vite insupportable. Il y a eu des crises de nerf, calmées par de grandes gifles. Notre lit de paille est devenu si mince qu'au moindre mouvement, cette paille vole au-dessus de nous, avec la poussière, l'air devient irrespirable, il faut changer, les debout assises, les assises debout, et chacune s'approche à tour de rôle en jouant des pieds et des mains pour respirer une bouffée d'air. La soif commence à se faire sentir, elle aussi. Le demi pain est déjà entamé. Nous roulons doucement, probablement à cause de l'état des voies. La fraîcheur vient avec la nuit, notre respiration forme comme une buée, contre les parois du wagon, les privilégiés près de ces parois peuvent lécher les gouttelettes précieuses. La tinette a été vite remplie et commence à déborder, ce qui restreint encore la place car celles qui sont autour s'écartent de plus en plus. Le lendemain, dans la journée, notre convoi s'immobilisera, les wagons seront ouverts sans ménagement, nous sommes fatiguées, engourdies, l'air bienfaisant pénètre un peu, nous avons l'autorisation d'aller vider la tinette mais les S.S. et les chiens veillent, il ne faut pas s'écarter. Un robinet d'eau le long du ballast, désaltère à demi celles qui peuvent arriver à ce filet qui coule, nous sommes environ cinq cents à six cents femmes à désaltérer, il fallait sauter d'assez haut sur les cailloux roulants et ce n'était pas facile. Aussi certaines d'entre nous n'auront pas la satisfaction de boire un peu d'eau, pas plus que d'autres malades ou personnes trop âgées pour descendre du wagon, et rien pour leur apporter un peu de ce breuvage tant désiré. Par les lucarnes nous avons pu voir les ruines de certaines villes entièrement détruites : FRANCFORT-SUR-LE-MAIN, COBLENCE, BERLIN. Sur des kilomètres, des ruines et des ruines. Sentaient-ils qu'ils n'étaient plus le seul maître à bord..c.FURSTENBERG FURSTENBERG dans le MECKLEMBOURG. Nous sommes le soir du 28 Juillet 1944. Notre train stoppe à nouveau, nous arrivons à FURSTENBERG où nous étions attendues par la relève. Une multitude de S.S. hurlant, chiens hargneux, gardiennes teigneuses, de vraies tigresses. A demi-endormies, courbaturées, ne pouvant plus nous remuer, la réception fut brutale. On nous fit mettre sur "Fünf zu Fünf" et à nouveau le comptage, heureusement le compte était bon du premier coup. Le départ eut lieu dans un paysage de détresse, sol marécageux, des corbeaux par centaines. Le soleil couchant était encore chaud, la soif ne nous laissait plus de répit et nous étions étourdies par les cris de nos bourreaux, les injures que je ne citerais pas. La montée aux enfers se faisait au pas de charge. Le camp n'était pourtant pas très loin, environ 3 à 5 kilomètres. Au passage, nous avons vu les villas des S.S. bien entretenues, envahies par des géraniums de toutes les couleurs. Au bout de cette route, un grand mur vert de gris, un poste de garde, une grande porte, des sentinelles tout le long, puis, passage d'une deuxième porte, celle qui est ceinturée d'une rangée de fils de fer barbelés électriques, celle qui faisait le tour du camp et des miradors éclairés par des projecteurs. A partir de cette porte on nous compte encore au fur et à mesure du passage de cette colonne de femmes déjà épuisées, et nous ne faisions qu'arriver. .c.RAVENSBRUCK Pour la première fois depuis notre départ, nous recevons une louche de soupe avec une Schüssel et une cuillère, qu'il faudra garder précieusement et de nouveau, toujours en rang ,nous attendons debout alors que nous sommes si lasses. Des colonnes de robes rayées rentrent dans le camp. D'autres en sortent. Ce sont les équipes de jour, qui se croisent avec celles de nuit. C'est le Nachtschicht (narchiste), puis les gardiennes nous font mettre en rang devant les douches et on nous appelle, "Fünf zu Fünf", dans un bureau. On nous demande tous nos bijoux, que nous avons et on nous prévient que si nous essayons d'en cacher, nous serons punies ; en même temps, nous devons donner notre identité, notre métier dans le civil. Je laisse ainsi une chaîne en or, avec sa croix, des boucles d'oreilles, une montre ; une gourmette, le tout en or, cadeau reçu lors de ma première communion. Maman m'avait même fait passé lors de mon séjour en prison la bague que j'avais reçue pour mes 20 ans - bijoux de jeune fille que j'ai laissé la rage au coeur. Pour mes vingt ans également j'avais été me faire photographier à St QUENTIN, en Novembre 1943 et je n'ai vu cette photo qu'à mon retour. Nous sommes ensuite passées sous la douche. L'une derrière l'autre nous avons subi une fouille interne, vaginale et rectale, faite par une S.S. la main gantée de caoutchouc, gant qui a servi pour toutes sans aucune désinfection ; j'ai su après qu'elle cherchait des bijoux, je n'étais pas encore assez dégourdie pour savoir cela, en tous cas il y a eu là des bagarres dramatiques, pour celles qui ont été prises. Ensuite, toujours nues, on visita nos cheveux. J'ai eu la chance de ne pas être tondue, Simone, Jacquotte, Lily, non plus, mais Michelle MAGNIEZ qui avait de superbes boucles blondes, a été tondue comme mon genoux et elle sanglotait, ce qui faisait rire nos gardiennes. Nos vêtements avaient été laissés à l'entrée des douches, des détenues en faisaient le tri, lingeries, robes, manteaux, tout était séparé et emporté, puis on nous distribua une chemise pleine de taches, une culotte et une robe civile, mais avec une grande croix de couleur dans le dos, le pire est que la taille n'était pas choisie. J'ai reçu une robe qui s'arrêtait au-dessus du genou et des chaussures avec au moins trois tailles au-dessous, le contraire pour Simone et pour toutes, c'était la même chose. Nous avons été obligées de nous échanger robes et chaussures suivant notre taille, la pauvre Marcelle BRUET, notre "Jésus-Christ", tellement elle avait un beau visage, avait été tondue mais pas rasée. Quelle méchanceté ! Malheureusement pour elle, car elle fut examinée nombre de fois par des médecins qui jugèrent son sort et un jour elle fut emmenée, probablement au Block des expériences. Nous ne l'avons plus revu, nous ne savons pas si elle a été brûlée ou gazée, mais sa mort à RAVENSBRUCK est certaine. Les chefs de Block sont des "Blockovas", elles sont chargées de faire régner l'ordre et la discipline, mais elles ont certains privilèges, notamment sur la nourriture. Il y a des assistantes nommées Stubovas. En général elles ne sont pas bonnes, elles non plus, elles sont choisies parmi les Russes, Polonaises ou Yougoslaves, elles punissent les détenues, coupables ou non et n'hésitent pas à pratiquer la délation aux S.S. rien que pour recevoir une gamelle de soupe supplémentaire. Les moins méchantes, sauf exception, sont les Yougoslaves. Comme nous sommes en quarantaine nous n'avons pas le droit de sortir, nous nous faisons toutes petites, dans notre coin au réfectoire trop petit, exigu et un tabouret pour deux ou trois, ou s'asseoir par terre, mais les allées doivent être libres. Nous pouvons utiliser l'eau des lavabos, bien que la Blockova ait dit qu'elle n'était pas potable. Nous guettons par les fenêtres, les va-et-vient du camp, c'est ainsi qu'en fin de journée, nous voyons revenir des colonnes de travailleuses, certaines des Françaises approchent des fenêtres pour avoir des nouvelles fraîches, mais les gardiennes les font circuler à coups de "Schlag", et les pauvres sont obligées de fuir. C'est ainsi que nous avons fait la connaissance de Geneviève DE GAULLE, elles est venue nous saluer et nous réconforter, elle est toujours restée à RAVENSBRUCK, au Block des tricoteuses, elle était un peu considérée comme otage. Nous apprenions que la vie au camp est terrible et le travail très dur mais on n'a pas le droit d'être malade, les déportées ayant un an de présence sont extrêmement maigres et reçoivent des coups tous les jours. Les gardiennes S.S. tournent sans cesse autour d'elles pour distribuer des raclées, les Russes et les Polonaises ne se gênent pas non plus pour les aider à taper dans le tas des Françaises. Nous voyons aussi des détenues habillées de robes à rayures grises et bleues, elles déchargent du charbon, plus loin elles transportent des sacs sur leur dos. Nous ne voyons pas leurs visages. Une colonne de femmes marchant au pas passent devant nous, elles sont maigres, la plupart sont rasées, elles ont un numéro et un triangle de couleur sur leur robe, en passant devant nous l'une d'elles dit : - Bonjour la FRANCE ! Nous sommes sidérées, ainsi c'est ce que nous allons devenir. Nous avons le réveil très tôt le matin, après, nous recevons un quart de café et un morceau de pain. Un quart de café !... de l'eau noire, chaude, nous le buvons pour nous réchauffer, puis nous allons faire la toilette, mais il faut faire la queue. Il n'y a qu'une dizaine de robinets pour environ 1500 à 2000 femmes, de même pour la queue devant les latrines, il n'y en a que cinq ou six. A midi nous sommes encore là et la soupe est arrivée, ce sont des Russes qui sont allées la chercher aux cuisines, escortées par des Stubovas. Toutes avons faim, on nous distribue une gamelle et une cuillère, et nous ne devons pas la perdre, sous peine de punition. Nous passons l'une derrière l'autre devant les bidons pour recevoir une louche de soupe, quand ce n'est pas un coup de louche simplement, breuvage infect de rutabaga et d'épluchures, mais nous mangeons car il faut tenir. L'après-midi, nous restons dans le Block, quelques-unes ont le courage de chanter et nous reprenons en coeur, mais un " Ruhe ! " nous fait taire et le silence revient. Le lendemain, une Ausfserherin entre dans le Block avec un S.S. et parle avec la Blockova, à part celles qui comprennent l'allemand, les Russes et les Polonaises, nous ne comprenons rien. La Blockova parle en français, nous ne le savions pas. Traduction : - Je viens de recevoir des ordres formels, il faut que je vous les transmette. Si parmi vous il y a des femmes voulant être bien nourries, avoir une chambre seule et des jolies robes, elles peuvent obtenir cela mais il faut être volontaire et suivre l'Officier ici présent qui les emmènera dans un bordel pour Officiers. Nous sommes effarées et nous protestons, nous nous révoltons, disant que nous avions été arrêtées comme des soldats sans uniforme. Nous sommes politiques, nous ne sommes pas des putains. - Ruhe ! Ruhe !… Silence ! crie la Blockova, sinon vous serez punies ! Quelques femmes entourent déjà le S.S. Dieu merci, il n'y a pas de Françaises, nous avons raconté cela aux anciennes qui passent devant notre Block le soir. Elles sont perdues, nous disent-elles, 2 mois avec les Officiers, puis les soldats et après c'est la chambre à gaz. Quelle horreur ! C'est la première fois que l'on entend parler de chambre à gaz. Nous n'allions pas tarder à savoir ce que c'était. Il paraît que nous ne finirions pas la quarantaine car nous ne tarderons pas à partir en Transport. Nous sommes ici depuis le 26 Juillet, on parle de nous faire passer à l'infirmerie. Effectivement le lendemain matin, à la fin de l'appel, nous nous apprêtons pour rentrer dans le Block 23 quand une S.S. crie : - Block 23, défense de bouger, tout le monde en place ! Une Aufseherin et une Stubova nous font remettre en rang, Fünf zu Fünf et au pas de charge nous emmènent devant l'infirmerie, c'est le Revier. La Stubova nous donne l'ordre de nous déshabiller, nous sommes dehors, il est cinq heures du matin, il fait froid. Personne n'ayant bougé, l'Aufseherin s'énerve, hurle, hurle, cravache à la main : - " Schnell ! Schnell ! Franzose ". Elle tape. Vite nous nous exécutons, faisant un paquet de nos hardes, ce n'est pas drôle de voir ces corps nus, grelottant, et les pauvres vieilles essayant de cacher leur nudité, elles pleurent, nous offrant un spectacle lamentable et tout cela sous les regards de soldats perchés sur une hauteur qui nous montrent par leurs gestes que nous sommes au centre de leur conversation. Nous restons ainsi debout jusqu'à midi. Heureusement le soleil nous a gâté de ses rayons. Enfin un homme en blouse blanche arrive, il a plutôt l'air d'un maquignon que d'autres choses, et sans même nous faire rentrer dans le Revier, passe devant chacune de nous, nous fait ouvrir la bouche, regarde les dents et note les bridges et les dents en or sur un registre en face du nom. En voilà un exemple ! Faire dénuder 2000 femmes pour ouvrir la bouche. Debout pendant huit heures... Il faut vraiment être sadique pour faire cela. Il y a 32 ou 33 Block. Je l'ai déjà dit, mais nous avons appris que le Block 32 est le Block des "petits lapins", elles sont survivantes d'expériences pratiquées sur elles, sans être endormies. Beaucoup sont mortes. Il n'y a que quelques survivantes ! Quelques jours après la visite du dentiste nous sommes à nouveau emmenées devant le Revier, motif : visite médicale. Cette fois on nous dit de rester habillées, de ne retirer que la culotte. Nous avons attendu 3 heures, Fünf zu Fünf, nous entrons dans un local occupé par une Allemande en blouse blanche : - Allongez-vous sur la table, écartez les jambes ! Cette phrase est dite en allemand. Ne comprenant pas, la détenue est poussée sur la table, les pieds sont placés dans des cercles métalliques et la doctoresse fait pénétrer dans le vagin un spéculum. Elle est si brutale, que la malheureuse rougit et hurle, l'Allemande la traite de " Hure! " (Putain !) et la fait tomber de la table. Nous y sommes toutes passées. Jeunes, vieilles, 2 religieuses. Six cents femmes de notre convoi sont ainsi visitées, sans aucune asepsie. Cette visite était, paraît-il, pour détecter la syphilis. Pour nous, il semblerait que c'était pour une contamination massive. Nous avons vécu avec cette hantise jusqu'à notre retour, le moral n'était pas au beau fixe. Le 14 Août, après l'appel, la Blockova, nous fait rester sur place. Nous avons peur. Une Ausfsrherinn nous nomme dans l'ordre alphabétique. J'entends mon nom... Nous sommes paraît-il prêtes à partir en Transport, nous allons donc quitter RAVENSBRUCK pour NEUBRANDENBOURG. Nous sommes en colonne dans la cour d'appel quand nous voyons arriver une grande dame qui nous dit s'appeller la Générale LELONG. Elle voulait avoir des nouvelles de sa fille qui n'était pas encore arrivée. Elle pensait qu'elle faisait partie de notre Transport. Mais soudain une horde de Aufseherin s'est jeté sur elle. Elle a pris une raclée magistrale parcequ'il était défendu de parler aux arrivantes. Ensuite elle fut ammenée au Bunker et nous ne l'avons jamais revue. Sa fille, qui était arrivée entre temps n'avait pas revu sa mère lors de notre départ de RAVENSBRUCK. Après nous devons rendre nos robes, chemise, culotte, et passons sous la douche. On nous rend une chemise, une culotte, une robe rayée gris et bleu, un carré blanc pour la tête, c'est le coiffe-tout Kopftuch, c'est l'uniforme des déportées. La robe n'a pas de ceinture. Pour les pieds, nous recevons des "pantines", semelles de bois avec une lanière pour tenir au pied puis on nous remet un triangle rouge et un numéro que nous devons coudre sur la robe, le triangle rouge est orné au centre d'un F pour les Françaises. Je reçois le numéro 47320. Cette fois je ne suis plus qu'une pièce sur le puzzle. Je ne serais plus jamais appelée par mon nom, il me faut apprendre par coeur en allemand mon numéro matricule. Nous passons notre dernière nuit au Block 23. .c.NEUBRANDENBURG Et le 15 Août 44, c'est le grand départ. Nous ne savons pas si nous devons être soulagées ou si nous devons craindre le pire. A la gare de FURSTENBERG nous montons de nouveau dans des wagons à bestiaux. C'est la même comédie qu'à SARREBRUCK, une centaine par wagons, pas d'air, une tinette qui servira moins, et puis nous commençons à prendre l'habitude de nous installer pour le mieux et nous gêner le moins possible. Le voyage n'était pas très long. C'est NEUBRANDENBURG. Nous n'en sommes qu'à 80 km environ et nous arrivons à la nuit, à la gare de NEUBRANDENBURG qui est une succursale de RAVENSBRUCK, au Nord, près de la BALTIQUE. On nous conduit au Block 15, il est neuf. Le Block est disposé comme celui de RAVENSBRUCK. A l'entrée de chaque dortoir, quelques placards réservés aux Blockovas et aux Stubovas. Notre chef de Block, détenue comme nous, est une Yougoslave, journaliste de métier, Madame RIGUEN, en français madame REGENT, c'est elle qui nous accueille et nous parle en français. Le camp n'est pas comparable à RAVENSBRUCK, sauf que l'entourage est fait en double exemplaire, de gros fils de fer barbelés et électrifiés, sur une assez grande hauteur. Il y a des têtes de mort, de place en place, sur ces barbelés, nous savons ce que cela veut dire. J'ai oublié de dire que le Waschraum ou lavabo, et les latrines sont à l'intérieur du camp. Je reviens à la situation du camp : quand nous étions au repos, ce qui était rare, nous pouvions voir un semblant de vie, les trains passaient derrière ; plus au loin, la grande route de STETTIN, (les Russes sont arrivés par NEU STETTIN) ; la route du camp d'aviation, c'est la route de FRIEDLAND. En venant de la gare, nous sommes passées devant les villas des S.S. hommes et femmes, c'était de belles petites villas fleuries, se peut-il que ces villas aient abrité des êtres si inhumains et sadiques, que les bourreaux que nous allions connaître ? Toujours quand nous n'étions pas punies le Dimanche, sur la route qui passait devant le camp, nous apercevions des prisonniers de guerre, avec le K.G. dans le dos, se promener en galante compagnie, mais nous avons essayé maintes fois de leur parler, hélas sans réponse. Un mot ou un sourire nous aurait bien réconforté, nous nous sentions rejetées. A l'entrée du camp, le bureau du Commandant et de l'Oberaufseherin, qui s'appelait ALLIOCHA. De nombreux miradors autour du camp, avec des hommes en armes et des mitraillettes de chaque côté. Ceci en cas d'évasion. Notre Blockova, sans être tolérante, était une vraie partisane, faisant en sorte de ne pas être trop dure avec nous, malgré l'indiscipline de quelques Françaises, c'est bien connu. - Oh ! ces Françaises, disait-elle, elles me feront mourir. Elle avait pris sous sa protection plusieurs d'entre nous, notamment cette jeune de la Marne, Solange RECHARD âgé de 19 ans, qui sortait d'une méningite ; Solange lui doit d'être encore en vie, d'ailleurs elle l'a revue après la guerre, au cours d'un voyage en YOUGOSLAVIE. Le lendemain de notre arrivée : - Aufstehen, Kaffée Holen !, à 4 heures du matin et appel sur la place, moins important qu'à RAVENSBRUCK. Il y a 15 Blok dans le camp, plus le Revier et les cuisines, Fünf zu Fünf, on nous compte et on nous recompte, tandis que les corbeaux tournoient au-dessus de nous, comme des oiseaux de malheur. Après l'appel, les femmes sont réunies en colonne et sortent du camp, d'autres sont désignées pour des travaux à l'intérieur. Pour le moment on ne nous dit rien, il fait beau et nous faisons la reconnaissance du camp, c'est ainsi que nous voyons en face du portail du camp, une ligne de coteaux jaunes barrant la vue, là-haut un bois de sapin, derrière se cache l'aérodrome, nous sommes plus gaies, les anciennes nous regardent étonnées de notre gaieté. - Ah ! vous croyez que vous êtes ici pour vous reposer, vous allez bientôt savoir, à NEUBRANDENBURG on fait surtout du terrassement, été comme hiver, et vous verrez ce que c'est que la neige ! Mais nous avons le moral, le moral assez haut, et nous pensions toutes qu'à Noël nous serions libres, mais ce repos ne dura pas longtemps. Vers la fin Août les corvées commencent. Nous sommes prises après l'appel. Il y a Simone, Jacquotte, Lily aux yeux bleu, Louise BROSSUS, Marcelle JAKSON, Suze, Madeleine, et bien d'autres. L'on nous emmène vers un chemin où nous devions refaire une route, il fait très chaud, nous devons remplir des wagonnets de sable, les pousser sur les rail, et les vider. Nous avons des pelles pour ce travail, et nos mains sont bientôt pleines d'ampoules. C'est en faisant ce travail que, très tôt le matin, nous avions un moment de réconfort en voyant le soleil se lever. C'est un spectacle magnifique, et nos pensées allaient vers les nôtres, qui eux aussi, voyaient le lever du soleil. Après une courte pause, nous reprenions ce travail harassant, et pour nous donner du courage, nous chantions . Germaine AMIOT chantait " O Sole Mio", Lily des chansons d'amour que nous reprenions toutes en choeur, Gabrielle RISTORI, artiste lyrique, femme de Maurice YVAIN, nous chantait des airs d'opérettes. Les journées passaient, ne croyait pas que nous étions libres. Il y avait toujours une Aufseherin et une Lager Polizei pour nous garder. Au moindre arrêt elles nous tombaient dessus, nous continuions à chanter quand même, pourtant le travail est dur, et nous avons des Russes et des Polonaises avec nous, beaucoup plus fortes qui nous bousculent car nous sommes trop lentes à leur goût Fin Août début Septembre, le camp d'aviation a été bombardé. Il était à peu près à cinq kilomètres du camp. Le surlendemain une partie de la colonne du sable est séparée et mise en rang, d'un coup d'oeil je vois que toutes les Françaises sont là. Mais nous rejoignons une autre colonne déjà prête, et nous voila parties. Nous sortons du camp et passons devant les villas de nos bourreaux, puis devant des maisons habitées par des civils ; nous croisons des ménagères, mais toutes se détournent. Il est vrai que nous n'avons pas bonne mine. Nous croisons ensuite des enfants, de jeunes garçons de 5 à 10 ans, ils nous jettent des pierres, nous crachent dessus, nous qui étions prêtes à leur sourire ; nous nous protégeons comme nous pouvons. Que leur a-t-on appris à notre sujet ? Enfin nous arrivons au terrain d'aviation, il n'a pas été loupé, il n'y a plus que des ruines, il nous fallait remettre le sol en état. C'était des aviateurs qui nous commandaient, c'est-à-dire qui nous montraient où il fallait creuser pour récupérer les tuyaux qui certainement servaient à emmener le kérosène, au camp d'aviation. Vu l'odeur, de toute évidence, cela ne nous préoccupait nullement. Les journées se tiraient comme cela, les aviateurs ne nous bousculaient pas. Lorsqu'il a fallu creuser plus loin ,nous étions dans les champs de betteraves, carottes, et nous nous remplissions l'estomac de ces précieux légumes sous l'oeil des aviateurs. Certains de ces aviateurs nous regardaient, on sentait la pitié dans leurs yeux, ils ne s'attendaient pas à avoir des femmes comme terrassiers. Quand il n'y avait de gardienne en vue, il demandait pourquoi nous étions là, certains connaissaient la FRANCE et parlaient français, nous y sommes venus plusieurs jours de suite et chaque fois que le camp d'aviation a été bombardé, ce qui arrivait souvent, mais nous étions contentes d'y venir et surtout de sortir du camp. Certaines de nos camarades se planquaient pour ne pas venir avec nous mais un jour, au retour du terrain, nous apprîmes avec stupéfaction qu'elles avaient été surprises et emmenées dans un autre petit camp à environ 8 kilomètres, la Walbao, situé au milieu de la forêt. Dans ce camp on travaille paraît-il pour des armes nouvelles, ce qui fut confirmé par la suite. C'était la construction des V2, je crois, puis le travail reprit au camp comme avant. Nous fûmes affectées à la Garden Kolone (jardinage,) et là, il fallait piocher, piocher sans répit, sans manger, sans boire. Après il y eut l'agrandissement des cuisines. Le groupe des 4, c'est ainsi que l'on nous nomme Simone, Lily, Jacquotte et moi, fut désigné, ainsi que Germaine CHERON, Solange et bien entendu, Russes et Polonaises, car les Françaises étaient toujours encadrées, plus les gardiennes qui ne nous quittaient pas. Nous avons fait les fondations puis les murs et enfin la toiture. Un jour avec Simone, nous étions à cheval sur une poutre et Jacquotte et Lily nous passaient à bout de bras les poutres à mettre en place. Nous en avons laissé échappé une, et jamais nous avons eu aussi peur, personne n'a été touché et le vieux Meister qui nous dirigeait, nous a crié : - Pass Mal auf, Du, Sabotage !. Nous lui avons fait comprendre que ce n'était pas ça, mais que c'était lourd, il a bougonné, mais n'a rien dit à l'Aufseherin ; nous avons continué en tremblant. Ce vieux Meister ou Polir, n'était pas nazi. Il nous réconfortait en nous disant : - La guerre bientôt finie, S.S. Kaput. Cela nous faisait du bien. Puis, avec Simone, nous avons dû porter des sacs de 50 kilos de ciment sur les mains croisées, nous portions ce ciment à des Polonaises qui faisaient du béton, toujours au pas de course et sous les coups ; nos mains étaient en sang, nous étions fourbues et la nourriture manquait. Il y avait aussi les Appels du matin et du soir, où nous restions trois à quatre heures debout, alors que nous étions exténuées par un travail si dur. Nous avions les pieds meurtris aussi, et nous commencions à nous voûter, puis nous avions le faciès des bagnards que nous avions vu à l'arrivée. Nous sommes revenues à la construction de la cuisine. Le vieux Meister furetait vers les cuisines pour nous obtenir du rab, mais il se faisait rabrouer par la S.S. de service aux cuisines, il marmonnait disant : - " S.S. pas bonne !" Il nous avait demandé nos prénoms, et nous appelait ainsi, quelquefois il se trompait mais ce n'était pas grave, nous avions l'impression que nous existions pour quelqu'un. Nous en étions à la toiture des cuisines, des tuiles passaient de main en main, ce qui devenait difficile. Il y avait un vent glacial, du givre. Nous étions chaussées de pantines et nous risquions de tomber. Sur le toit c'était encore pire, nous étions frigorifiées, peu vêtues, jambes nues, pas de gant, il fallait placer les tuiles, et puis nous perdions nos forces de plus en plus. Certaines avaient de l'avitaminose, nous manquions de sommeil et avec le ventre creux, le moral n'était plus très haut. Puis le Dimanche où nous aurions pu nous reposer au Block, nous étions punies sans savoir pourquoi, soit on nous laissait au milieu du camp après l'Appel, soit on nous mettait de corvée de briques, 4 sur les mains, que nous prenions sur un tas après avoir fait 2 kilomètres et que nous reposions ailleurs, nous ne devions pas les casser et je peux vous dire que celles qui passaient dans les mains des Françaises n'étaient pas intactes à l'arrivée ; nous les balancions avec le peu de force qui nous restait, ce qui fait que nous reprenions le travail le Lundi sans avoir eu de repos. Il y avait deux hommes S.S. au camp, Joseph et Jacob, ils supervisaient les femmes S.S. du Block 3, puis un soir au retour du travail, notre Blockova nous attendait pour nous dire qu'un certain nombre d'entre nous devaient aller au Block 3. Celui-ci avait mauvaise réputation, il était considéré comme un Block de punition et pourtant Frau SHUPPE, l'ancienne Blockova qui était une mégère avait été remplacée par sa suivante, une Française volontaire appelée Georgette, elle était de NANCY et se goinfrait devant les détenues de denrées dénichées on ne sait où. Elle nous reçut d'abord très froidement, elle était secondée par Liliane, ancienne souris grise arrêtée à PARIS pour avoir couché avec un Français, elle parlait français correctement et sans accent, mais nous ne connaissons pas sa nationalité. En tout cas je peux dire déjà que Georgette a été arrêtée quand elle est rentrée à NANCY en 1945, et emprisonnée. Quant à Liliane je n'en sais rien, ces deux femmes étaient aussi odieuses que les S.S. et aussi méchantes. Nous avons été reléguées au fond du Block 3 où on n'y voyait pas bien clair, la discipline était d'enfer, nous n'avions le droit de rien, surtout les Françaises. Il y avait un gros poêle dans le réfectoire et leur bureau était dans un coin, elles étaient toujours là, toujours près de ce poêle qui était toujours rouge, seules quelques privilégiées, mouchardes de surcroît, avaient le droit de s'en approcher. Pourtant quand nous rentrions du travail trempées jusqu'aux os, la chaleur nous aurait fait du bien, nous avions la soupe et ensuite nous devions filer jusqu'à nos châlits et ne plus en bouger. Nous étendions notre robe sur le châlit et quand nous étions allongées et un peu réchauffées une buée s'élevait de nos robes. Nous y avons passé le Noël 1944. Ce n'était déjà pas gai, mais avec ces femmes comme Blockova il nous parut sinistre. Pourtant pour la première fois, nous avons eu de la soupe blanche et un peu de sucre, la soupe blanche était du lait coupé d'eau avec de la semoule, elle n'était pas épaisse mais cela nous changeait tellement de l'ordinaire. Ce soir de Noël, nous avons eu un maigre réconfort, Gabrielle RISTORI a chanté " Minuit Chrétien " et les " 3 Valses ", Sissi aussi a chanté, Germaine AMIOT, " O Sole Mio " et des choeurs ont chanté des chants de Noël. Nous pensions à la FRANCE, à nos familles, à notre liberté. Reviendra-t-elle un jour? Jour après jour, nous nous rendions compte que nos rations diminuaient suivant l'humeur de ces femmes, les rations de pain aussi, enfin la vie était infernale, les punitions pleuvaient pour un oui pour un non. Il faisait très froid dans ce Block, puis chaque toilette devenait impossible, nous étions loin du Waschraum, la dysenterie faisait rage et les latrines toujours occupées, il fallait faire la queue et pas question de se poser derrière un Block dans l'ombre, gare à celle qui était surprise, le Block 3 était très peuplé, Russes, Polonaises, Belges. Cohabitation très difficile, il y avait toutes les classes de la société, bonnes soeurs, nobles, filles de joie, bourgeoises, ouvrières, étudiantes tout cela se mêlait et s'entre-déchirait. Les Polonaises bénéficiaient d'un certain appui en recevant des colis et avaient des poste-clefs aux cuisines, aux magasins de vêtements, bien chaussées, et des bas. Elles faisaient profiter à des compatriotes, et également à Georgette et à Liliane. Pour compléter le tout, les travaux de la cuisine étaient interrompus, Georgette nous fit passer des travaux du jour, au travail de nuit. Il neigeait, et nous pensions aller à l'usine, là, au moins, nous aurions pu avoir un peu de chaleur, hélas, on nous emmena en campagne sur un chantier abandonné, il fallait dégager une route, nous y avons passé des nuits à casser la neige glacée avec des pics et à l'enlever, et il gelait à moins 30 degrés. Nous étions jambes nues et en pantines. Je ne sais plus combien de temps a duré ce cauchemar, ce dont je me souviens, c'est qu'en rentrant le matin, nous nous croisions avec les équipes de jour de l'usine, et nous espérions, après avoir eu le café, pouvoir nous coucher et dormir, et bien non, au Block 3 les Stubovas ouvraient toutes les fenêtres, faisaient des courants d'air et nous empêchaient d'approcher notre châlit. Voilà la vie d'enfer que nous avons connu pendant cet hiver 1944-45. Il faisait pourtant bien froid et je n'ai jamais eu un rhume, mais un affaiblissement et une fatigue générale que je ne peux décrire, nous ne réalisions plus, nous devenions comme des bêtes, nous marchions, nous marchions, les travaux de maçonnerie de la cuisine ont repris, mais fonctionnent au ralenti faute de matériaux. Profitant de l'éloignement des gardiennes, je m'introduisais dans les cuisines pour voler carottes, raves, choux et je partageais avec les Françaises. Si j'avais été prise c'était la mort assurée, et pourtant chaque jour je refaisais la même chose. La solidarité entre Françaises était admirable. Si l'un d'entre nous se faisait voler des rations de pain chacune de nous donnait un morceau de son pain. Je n'ai pas trop donné de détails sur les soupes que l'on nous servait (soupes aux épluchures, aux raves, soupe verte et soupe à la betterave rouge sans sel mais avec une quantité de cumin. La soupe à la betterave rouge je n'ai jamais pu l'avaler malgré ma faim, par contre Simone l'adorait, je lui donnais volontiers la mienne, elle me le rendait lors de la distribution de la soupe verte. Quant au cumin je n'ai plus jamais pu en avaler un grain, je préfère me passer des plats ou du fromage aromatisé au cumin plutôt que de reprendre cette graine. Rien que l'odeur me donne des nausées et je repense à ces jours maudits. Ce sont des petits détails qui remontent à la surface malgré la mémoire défaillante après 45 ans. Par contre je n'insiste pas sur certains sévices subis par nous toutes. Nous étions tellement robotisées que nous les subissions la rage au coeur espérant qu'il y aurait une justice immanente un jour prochain, mais très peu de nos gardiennes ont été retrouvées et les quelques-unes qui ont été jugées n'ont pas eu les punitions que nous espérions car pour reprendre les termes de nos bourreaux : " Les tortures subies étaient pour donner l'exemple. Enfermer femmes et enfants dans les chambres à gaz était un exemple. Le four crématoire pour celles qui ne pouvaient plus travailler était un autre exemple ". Le moral, malgré la vie infernale que nous menions était assez bon et puis chaque nuit, les vagues de bombardiers passaient au-dessus de nous, les alertes, les bruits de bombes, tout cela était bon pour nous. Quand il y avait alerte, nous devions rentrer au Block, à condition d'être dans le camp, beaucoup priaient, j'en faisais partie : je demandais la libération, le retour en FRANCE, mes parents. Les Polonaises se prosternaient, embrassaient le sol, elles pleuraient, certaines Russes aussi, chacune faisait au mieux de sa croyance. Sur les routes nous voyons des colonnes de prisonniers français, encadrés de soldats allemands, ils fuyaient l'est, donc l'avance russe était certaine, des Belges arrêtés tardivement, nous ont appris la libération de PARIS, nous serons libérées c'est certain mais quand, il faut conserver le moral, notre vie au camp devient de plus en plus dure, c'est la grande misère. Nous sommes envahis par des gros poux de corps à croix gammée, la saleté, les maladies. Pourtant nous avons eu la chance de quitter le Block 3 pour le Block 9, nous y avons retrouvé Jeannette PETITFILS, arrêtée avec sa maman mais cette dernière est restée à RAVENSBRUCK et y est morte. Un matin nous sortons du camp en colonne, qu'allons-nous faire ? Nous passons derrière NEUBRANDENBURG, dans un sentier de terre, et nous arrivons. Des outils nous attendent, des pelles, des pioches, nous devons faire des tranchées anti-chars autour de NEUBRANDENBURG sur des kilomètres. Nous creusons, nous creusons, nous avons continué ensuite par des tranchées boyaux comme à la guerre 14/18. Nos gardiennes S.S. ne sont plus que deux, elles ont été remplacées par des soldats de la Wehrmacht. Ce sont des hommes âgés qui nous surveillent et ne sont pas trop méchants avec nous, pourtant ces tranchées nous remontent le moral, car au loin le canon tonne, quelquefois nous en doutons. Ne serait-ce pas notre imagination ? Notre cerveau affaibli réagit-il, répond-il encore ? Nous ne sommes plus normales, notre dégradation est certaine. Comment résister à toutes ces tortures ? Nous faisons peut-être un mauvais rêve, une telle déchéance ne peut exister que dans les cauchemars. Nous sommes début Mars 1945, la Libération viendra-t-elle à temps ? Nous marchons comme des somnambules, mécaniquement, à pas saccadés, les bras tombent lamentablement le long du corps, nous retournons à l'état de bêtes, oui de bêtes, nous gardons encore un peu de dignité entre Françaises, il nous faut tenir malgré nos cerveaux vides ; la faim nous tenaille, l'estomac se tord, Dieu que ça fait mal ; la peau est collée sur les os et puis j'ai une vilaine blessure à la main droite, j'ai reçu un coup de pelle dessus lors des tranchées. Jeannette PETITFILS qui a déjà été hospitalisée a fait une rechute, elle est cadavérique, elle a sûrement le choléra, le teint est presque marron, les yeux sortent des orbites, elle s'est présentée au Revier et a été refoulée, la Blockova a accepté qu'elle reste couchée, elle ne mange plus, c'est une morte vivante. Un soir on apporte la soupe, exceptionnellement c'est de la soupe blanche, Jeannette l'a entendu, allez savoir pourquoi, un semblant de vie l'a fait se lever, prendre sa Schüssel et va voler sa soupe, mais elle a été vue par une Stubova qui lui tombe dessus, elle lui a donné une raclée à coups de poing, de pied, de tabouret. Au milieu du Block, la soupe répandue, elle est affalée dedans, elle est restée par terre, sans connaissance, la Stubova la laisse. Voyant qu'elle ne reprend pas connaissance, deux camarades l'ont ramassé et emmené au Revier. Nous ne l'avons plus revue. Elle est morte. Encore une de notre convoi. Je souffre de ma main, elle est toute noire, je ne travaille plus, je me cache, j'ai de la fièvre. Jacquotte aussi est mal en point, elle a un antrax à la jambe droite, elle ne peut plus marcher. Ce 27 Mars je me décide d'aller au Revier, poussée par Simone, elle m'y accompagne. Pour y être admise, il faut avoir de la fièvre, on me passe le thermomètre, j'ai 40 passés alors je suis admise. J'ai la surprise de trouver Jacquotte devant moi, elle est assise devant la doctoresse russe qui examine sa jambe, allongée sur un banc, la doctoresse prépare un scalpel et s'approche de la jambe de Jacquotte. Quelle horreur, plus elle ouvre, plus le pus coule dans le seau, c'est une infection, ça sent mauvais, Jacquotte est blanche, mais ne bronche pas. Peut-être a-t-elle été soulagée ? Enfin après un semblant de désinfection, et un pansement en papier, on l'amène sur un châlit du Revier. C'est mon tour. La doctoresse regarde ma main et fait la grimace, elle reprend son scalpel et ouvre ma main jusqu'à la moitié du médius, le pus et le sang coule, je tombe dans les pommes car il n'y a pas anesthésie. Après avoir reçu quelques claques, je reviens à moi, ma main est enveloppée avec un pansement de papier, elle regarde mon genou et le pied où il y a deux flegmons qu'elle incise, et puis sans plus, me désigne un lit où Yvette m'emmène. Ce lit est déjà occupé, on pousse un peu la patiente et me voici installée. Je sombre de suite, est-ce la fièvre ? Je n'en sais rien. Je reprends conscience à la nuit, j'ai toujours la compagne à côté de moi. Comme elle ne bouge pas j'en fais autant, et essaye de dormir, ma main me fait mal, ma jambe aussi, et ma tête éclate. Le matin mademoiselle Christine passe pour la température, elle est surprise de me trouver là, mademoiselle Christine est une comtesse polonaise, qui a fait ses études en FRANCE. Elle est très bonne pour les Françaises, la température a encore monté, Melle Christine me donne deux cachets avec un peu d'eau, et me recommande de ne prendre aucun autre médicament que l'on pourrait m'apporter, surtout des pilules roses, c'est un poison, puis elle appelle deux filles de salle, et avec stupeur je vois qu'on soulève la personne couchée auprès de moi. Elle était morte avant que j'arrive, et pas encore enlevée. Je suis comme dans du coton, une certaine torpeur m'envahit, le temps passe ainsi. Le lendemain matin, Christine revient et me pose des compresses sur la tête et la joue : - Vous avez un érysipèle, mais je vous tirerais de là. Je sombre dans une demi inconscience, pourtant tout autour, il n'y a que des plaintes, des appels, des cris, je ne réalise pas. Christine vient me voir plusieurs fois et me donne des remèdes, elle me baigne la tête et la figure avec du permanganate, je ne sais combien de temps cela a duré. J'ai bien cru que ma dernière heure était arrivée, je ne me rendais plus compte de rien, Simone venait pourtant tous les jours regarder par la fenêtre, mais je ne la voyais pas. Enfin la fièvre est tombée, Christine m'a dit que j'étais sauvée. J'ai pu chercher après Jacquotte, elle était derrière moi, mais au milieu, j'ai pu lui parler, elle souffrait atrocement, elle ne pouvait bouger sa jambe, j'avais de la peine de la voir dans cet état. Simone est venue le jour de Pâques, elle me remontait le moral, disant que nous allions bientôt être libérées, d'ailleurs, me dit-elle, regarde sur la route en face de toi, c'est la débâcle, ils se sauvent tous ! . C'était vrai, on voyait des civils et l'armée sur la route derrière le Revier, les uns allant vers l'est, vers les Russes ; les autres, vers les Américains. Le canon tonnait, les avions bombardaient, c'était bientôt la fin. Le froid se rapprochait chaque jour. J'ai terriblement maigri, pourtant mes jambes sont énormes, il paraît que c'est de l'oedème, je ne peux plus me chausser. J'ai la peau cireuse et les yeux creux, enfin le Revier étant plein, on fait sortir celles qui paraissaient tirées d'affaire. J'en fais partie. Je retourne au Block 9. Je retrouve Simone, Lily et Marcelle, elles ne font pas de commentaire. J'ai l'impression de revenir de loin. Le lendemain matin, Simone me traîne avec elle à l'Appel. C'est obligatoire, les malades rentrant au Block vont à l'appel. Je ne tiens pas le coup et je m'effondre, des coups de bottes dans le dos me font reprendre la station debout. Soutenue par Simone et Lily, je tiens, je ne peux plus dire comment, je ne travaille plus et suis devenue "schmutz Stück". Il me faut me cacher car je suis inapte, donc indésirable. Je me suis faite prendre par une ronde, mais je n'ai pas été battue, on a relevé mon numéro, par deux fois cette scène s'est représentée et j'ai été avec d'autres emmenée près du portail pour attendre des camions, venant de RAVENSBRUCK chercher des malades. Simone m'avait supplié de ne pas y aller, mais je n'en pouvais plus. Je croyais que c'était la solution ; heureusement, faute d'essence, les camions ne sont jamais arrivés, et c'est comme ça que j'ai évité de passer à la chambre à gaz. .c.LA COLONNE DES FANTOMES Puis le 27 Avril dans l'après-midi, les femmes de l'usine sont revenues, elles parlaient toutes à la fois, elles avaient croisé sur la route la troupe battant en retraite. Les Alliés arrivaient. Des bruits courent, le camp va être évacué. Avec Simone, nous décidons de ne pas partir. Comment traîner sur la route dans l'état où je suis ! Nous nous cachons dans un placard, mais bientôt on entend des bruits de bottes, et des coups dans le plafond -" Raus ! Raus ! Schnell ! " et des corps tombent du plafond. Nous pensons qu'ils n'ouvriront pas les placards, hélas nous eûmes droit aux " Raus ! Raus ! Schnell ! ", et on nous tira de notre cachette. De nouveau, pour partir, je me tourne de l'autre côté, c'est alors que je reçois une raclée de coups de crosse par les S.S., un coup au bas de la colonne vertébrale m'a fait obéir et Simone, attrapant deux couvertures, m'en couvre d'une et m'entraîne par la main. Il fait bientôt nuit et il pleut. ALIOCHA, l'Aufseherin, armée d'un revolver, tire pour nous faire avancer. La route monte et j'ai les jambes lourdes. Nous avons marché toute la nuit jusqu'à l'aube, où nous avons fait halte pour manger, et nous sommes reparties toute la journée du 28. Il pleuvait toujours. A part l'Aufseherin et ALIOCHA, les autres Aufseherin étaient parties habillées en civil, elles sont parties avec les troupes allemandes vers les Américains, car les troupes venant de l'Est battaient en retraite, les Russes ne devaient plus être bien loin. D'ailleurs le canon tonnait, les obus passaient au-dessus de nous, des civils retardataires couraient. C'était la panique. Je revoyais l'exode de 1940. Je me trouvais vengée. Vers le soir, Simone a attendu que l'Aufseherin soit remontée en haut de la colonne, elle était ivre, elle ne désarmait pas, elle tirait dans le tas pour nous faire avancer, mais Simone au contraire laissait avancer la colonne, et dès que la nuit est tombée, elle m'a poussé dans le fossé, avec ma couverture sur le dos elle s'est allongée près de moi, enveloppée également dans une couverture. Nous étions mouillées, mais l'espoir renaissait. Bientôt nous ne vîmes plus la colonne et cahin-caha, elle me tira du fossé, et doucement nous nous dirigeâmes vers une meule de foin déjà très occupée, nous pûmes quand même nous mettre un peu à l'abri, et au petit matin, nous avons quitté la meule pour nous réfugier dans la ferme qui était devant nous. La maison était pleine, surtout des Russes qui attendaient leurs libérateurs; la grange était également surpeuplée, ainsi que l'étable, mais Simone, toujours débrouillarde, découvrit une porcherie vide, qu'elle nettoya, puis elle alla chercher de la paille fraîche dans la grange, et elle m'y installa. Le pire c'est que nous n'avions rien à manger ni à boire. Simone se mit en quête pour trouver des pissenlits, des racines et un peu d'eau, et nous nous sommes allongées, serrées l'une contre l'autre, et avant de dormir, je bénis le ciel d'avoir toujours eu Simone avec moi, car sans elle je n'aurai pas été loin, elle fut plus qu'une soeur, et ne m'a jamais abandonné à mon sort..c.Enfin les Russes !... Enfin les Russes sont arrivés le 29 Avril. Fatigués, sales et la plupart ivres, ils tiraient leur fusil derrière eux, les déportés russes firent la fête avec eux, et les soldats leur ont tué un cochon, attrapé des poules, enfin tout ce qu'ils pouvaient attraper. Nous avons pu avoir quelques morceaux de viande, mais le cochon n'était pas indiqué pour moi qui avait toujours un reste de choléra. De toute façon je n'aurais pu l'avaler, je n'avais envie que d'un bouillon chaud. Simone put avoir un morceau de poule et elle trouva des briques, du bois et alluma un feu de camp ; elle ramassa de la verdure et fit un bouillon avec des morceaux de poule. C'est ce qui m'a le plus réconforté. Mais nous n'en avions pas fini avec les Russes. Ils n'avaient pas vu de femmes depuis longtemps, il fallut de nouveau se faire toute petite pour ne pas être violées, dans cette ferme où les déportées étaient nombreuses ; certaines étaient consentantes, mais combien durent subir des assauts. Parmi celles qui étaient consentantes il n'y avait pas de Françaises. Subir l'assaut de ces soldats !.. Les femmes n'étaient pourtant que des squelettes ambulants, mais eux ne regardaient pas le physique. Il y eut de nombreuses mortes, elles succombaient sous le nombre. Nous eûmes la chance d'être épargnées, dans notre porcherie, à l'écart. Ces hommes ne paraissaient pas civilisés, et prenaient les femmes comme des bêtes. Russes ou pas, malades ou pas, nous avions retenu le mot de " bolna" qui doit vouloir dire malade en russe, nous n'avons pas eu à l'employer puisque nous n'avons pas été découvertes. J'avais la région lombaire toute noire, de la fièvre, et je souffrais atrocement, Simone ne savait que faire, il aurait fallu un docteur..c.AVEC les prisonniers de guerre Enfin, après avoir passé trois jours affreux à voir défiler nos libérateurs, le 2 Mai 1945, nous eûmes la joie de voir arriver les prisonniers de guerre. Ils se sont arrêtés à la demande de Simone qui mendia un peu de nourriture et de l'aide, ils étaient douze - dix Français et deux Italiens - ils avaient un chariot tiré par deux boeufs et avec du ravitaillement, ils nous ont donné à boire, du pain, du gâteau, enfin nous avons pu mangé un peu, et cela pour la première fois depuis longtemps. Il y avait des vaches qui mangeaient dans le pré, leurs mamelles étaient gonflées, l'un d'eux alla les traire et a rapporté un seau de lait. Nous nous sommes jetées dessus, les prisonniers nous ont posé des questions, d'où l'on venait, pourquoi l'on était là. Simone a tout raconté, et désormais nous pensions être sauvées, ils ont préparé des vivres, du café, du chocolat, et bien embêtés, nous ont dit au-revoir, non sans avoir appelé Simone, pour lui dire, qu'ils aimeraient bien l'emmener, mais que moi je ne pouvais aller avec eux, ils avaient peur de la contagion. Simone a refusé, et a dit qu'elle ne m'abandonnerait pas, cela je l'ai su plus tard, et ils partirent. Quelle ne fut pas notre surprise, quand nous les vîmes revenir, environ une petite heure après, ils avaient changé d'avis, grâce au plus jeune d'entre eux qu'ils avaient recueilli aussi, et bien qu'habillé en K.G. n'était pas un prisonnier de guerre. Je l'expliquerais plus loin. Ce jeune leur avait dit que ce n'était pas humain d'avoir laissé deux Françaises en rade, que l'une d'elles ne rentrerait pas en FRANCE si elle n'était pas soignée, et que ce n'était pas digne des Français. Il faut croire qu'ils ont été convaincus, puisqu'ils ont modifié leur plan. Ils ont installé un matelas au-dessus de leur paquetage pour en faire un genre de civière et ils me prirent dans leurs bras pour m'installer dessus. Nous nous trouvions privilégiées. La première chose faite après fut d'aller chercher des vêtements civils pour nous habiller, de nous laver pour nous débarrasser de la vermine et de nous nourrir. Ils cherchèrent un endroit pour faire halte, et pour nous décrasser. Les maisons étant vides, ils n'eurent que l'embarras du choix, et Simone put prendre un bain, quant à moi, c'est le plus jeune qui s'est occupé de me nettoyer, en faisant attention de ne pas me blesser. Je souffrais de plus en plus, nos cheveux furent lavés et passés au désinfectant pour tuer les poux, nos robes furent brûlées, mais nous voulions garder nos vestes, elles furent bouillies et re-bouillies pour tuer la sale vermine. Nous avons toujours nos vestes et nos Schüssel et le couteau acheté à une ouvrière de l'usine pour trois rations de pain, bref nous étions sauvées, plus de marche à pied, Simone étant assise près de moi, et c'est les prisonniers qui marchaient à notre place. Ils nous donnèrent à manger, ils avaient du beurre, du sucre, du jambon fumé. C'était pour nous le paradis sur terre, nous avons eu du linge propre à mettre sur nos corps meurtris, mais pour les chaussures ce fut une autre histoire. Pas de problème pour Simone, mais moi j'avais un oedème de carence épouvantable, ma jambe droite était plus grosse que mon corps, et une chaussure d'homme de taille quarante quatre, ne pouvait couvrir mon pied. Je suis donc restée pieds nus, mais il ne faisait pas froid, et nous avions des couvertures. Quant au jeune prisonnier évoqué plus haut, c'était un Lorrain arrêté chez lui avec son frère le 12 Décembre 1942, emprisonné à TREVES pour qu'ils jurent sur le drapeau allemand, ce qu'ils ont refusé. Ils sont restés huit mois en prison, et après, ils furent incorporés de force dans l'armée allemande et dirigés tous les deux sur le front. Celui de ce récit fut envoyé sur le front russe, encadré bien entendu par les Allemands. Il a eu les pieds gelés, a été blessé au front le 24 Juin 1944, près de BREST-LITOWSK, évacué du front sur l'hôpital de l'endroit pour y recevoir les premiers soins, évacué ensuite par voitures militaires et emmené à l'hôpital militaire de PRAGUE, pour y être opéré de la clavicule et d'éclats d'obus à l'occiput et dans le bras droit, preuve fournie par les radios. Dès que les médecins de PRAGUE ont jugé qu'il était guéri, il a reçu l'ordre de regagner son unité, ce qu'il n'a pas fait. Profitant de la débâcle tant militaire que civile, il est arrivé jusqu'à NEUSTRELITZ et a eu la chance de rencontrer des prisonniers de guerre français à qui il a appris sa situation, ayant gardé par-devers lui des papiers français et un ruban tricolore ; ceux-ci le prirent en charge et l'habillèrent en prisonnier de guerre. C'est avec regret qu'il a enterré son fusil-mitrailleur, son livret militaire allemand et son uniforme pour ne pas être prisonnier des Russes. Quant à son frère il a été envoyé sur le front italien, a déserté, s'est rendu aux Américains. De là, il a été envoyé en AMERIQUE, gardé au secret le temps de l'enquête, rapatrié en ALGERIE et remis aux autorités françaises. Il a fini la guerre dans la 2ème D.B. et a reçu la Médaille des Evadés. Voilà l'histoire de celui que j'avais d'abord pris pour un jeune prisonnier, les autres n'avaient rien dit, craignant que je le prenne du mauvais côté. C'est alors que je me suis souvenue de la gare de NANCY, et du train voisin du nôtre, occupé par de jeunes Alsaciens-Lorrains. J'ai de ce jour été convaincue qu'il m'avait dit la vérité. Je reviens à mon histoire. Nous étions libres, c'est vrai, mais nous devions compter sur les Russes, ils pillaient tout sur leur passage, même nous, nous en subîmes les conséquences. Ils prenaient aux prisonniers, montres, couteaux, alliances, réveils et même les conserves, et nous les femmes, nous les sentions encore. C'est grâce à nos braves sauveteurs que nous n'avons pas été violées, ils se mirent devant nous pour nous protéger, leur expliquant avec bien du mal, que nous étions des partisans, sortant d'un Konzentration Lager et que nous étions "bolna", dès lors nous n'avions plus qu'une idée, nous échapper de la zone russe pour rejoindre la zone américaine. Ils vendirent le chariot et les boeufs à des Allemands qui nous aidèrent à passer en zone américaine à Priswalt. .c.LES AMERICAINS L'accueil des Américains fut cordial, mais sans plus. Pas question de trouver de la nourriture ou à boire. Nous avons simplement réussi à nous faire prendre en camions qui nous emmenèrent en zone anglaise. .c.LES ANGLAIS Je n'oublierais jamais leur accueil et du fond du coeur, je les remercie. Nous eûmes tout ce qu'il n'était pas possible d'imaginer à ce moment-là : pain blanc, chocolat, chocolat chaud, thé au lait, riz sucré, cigarettes, savons parfumés et bien d'autres gâteries, et surtout des paroles de réconfort et des sourires encourageants. C'était à JESSENITZ. Justement à JESSENITZ il y avait un centre de rassemblement des déportés, il fallait s'y faire recenser. J'eus la surprise d'entendre un déporté parlant français, aussitôt je m'adressais à lui pour savoir s'il n'y avait pas un docteur parmi eux, il me répondit : - Je suis le Docteur CHAUBART et les autorités américaines m'ont nommé Médecin-Chef. Que vous arrive-t-il ? Je ne lui répondis pas, mais relevais ma robe pour lui faire constater ce qui me faisait tant souffrir ; il m'emmena tout de suite sous une tente, où était installé tout un équipement sanitaire, et après désinfection de la région lombaire, m'a ouvert cet énorme abcès que je traînais depuis plus de quinze jours. Il en est sorti un bassin de pus et de sang et je n'ai pas dit un mot, car j'étais soulagée. Coïncidence extraordinaire, ce docteur était un "pays", il était de ORIGNY Ste BENOITE distant d'une quinzaine de kilomètres de FONSOMME. Inutile de vous dire que nous nous sommes embrassés, il a écrit un livre après son retour, j'ai su qu'il avait parlé de moi, dans son livre. Malheureusement quand j'ai voulu avoir ce livre, il était épuisé, je l'ai bien regretté. C'est ainsi qu'après quelques jours de repos, les Anglais nous emmenèrent en camions jusqu'à la frontière hollandaise. Les prisonniers de guerre ne sont pas venus avec nous. J'ai appris qu'on les emmène en avion. Donc à la frontière hollandaise, nous avons changé de train direction de la BELGIQUE. .c.LE RETOUR Vous dire l'accueil que nous avons reçu en gare de BRUXELLES est impossible à raconter. Il y avait des drapeaux français le long du quai. La CROIX-ROUGE était là pour nous distribuer à boire. Nous avons été applaudis, embrassés par les civils qui criaient : - Vive la FRANCE ! Vive les Français ! Nous pleurions de joie, on nous donnait des fleurs de tous les côtés, mais le départ a été donné, et c'est en pleurant que nous avons quitté BRUXELLES, mais, en passant la frontière qui nous séparait de la FRANCE, nous avons observé une minute de silence et chacune s'est recueillie avec soi-même pour remercier Dieu de nous rendre à la FRANCE, de nous ramener à notre famille. Tant d'entre nous sont restées là-bas, brûlées dans les fours ou gazées, il n'y a même pas de tombes pour aller se recueillir. Gloire à ceux et à celles qui ont souffert pour la même cause, pour le même idéal, pour le même pays, pour la FRANCE enfin. Nous nous dirigeons sur LILLE. Partout, tout le long des voies, des drapeaux, des fleurs, des acclamations, des femmes pleuraient, peut-être de nous voir dans l'état où nous étions, mais nous nous en rendions pas compte. Enfin nous arrivâmes à LILLE, où plusieurs trains étaient à quai. Déportés, prisonniers civils, il fallut attendre un certain temps avant de savoir si nous devions descendre là, mais après un long moment, nos convoyeurs sont venus nous dire que le centre de rapatriement de LILLE était complet et que nous allions sur VALENCIENNES où l'on nous attendait. Entre-temps, étant descendue sur le quai, Simone et moi, nous avons la surprise de voir deux quais plus loin, les prisonniers de guerre que nous avions quitté à JESSENITZ. Le plus jeune, celui qui m'avait soigné avec tant de bonté, traversa les voies et vint nous embrasser, eux attendaient de partir pour le camp de LILLE, c'est la dernière fois que je le revis en FRANCE. Donc de nouveau, nous roulions en direction de VALENCIENNES. Effectivement on nous attendait. Nous avons eu un accueil chaleureux, on nous emmena au camp de rapatriement où nous sommes passées devant des docteurs qui ne savaient quoi dire devant nos corps meurtris. Nous avons été radiographiées, ensuite sous la douche, puis de jeunes soldats nous passèrent au D.D.T. pour éventuellement tuer le reste de vermine que nous pouvions encore avoir. Nous n'étions nullement gênées par notre nudité devant ces jeunes, ce n'était rien après ce que nous avions subi, puis après, chacune à notre tour, nous avons dû décliner notre identité, enfin la paperasserie habituelle ; nous avons reçu la Carte de Rapatriée, une prime de trois mille francs. Le bon de transport, pour nous, c'était St QUENTIN, et j'ai oublié de le dire, du linge propre... Après un petit temps de repos, on annonça les heures des trains et les destinations, quand nous entendîmes départ pour AULNOYE à 16 h 40 BUSIGNY-St-QUENTIN nous avions des ailes, et bientôt nous nous sommes retrouvées dans un train, cette fois c'était le bon. AULNOYE, il y avait un arrêt prolongé, je n'ai pu résister et je suis descendue pour me rendre au standard de la gare, où j'ai retrouvé une collègue que je connaissais depuis HIRSON. Quand elle me vit, elle ne m'a pas reconnu, j'ai dû lui dire, que c'était moi, Jacqueline, elle s'est mise à pleurer à chaudes larmes et à m'embrasser de toutes ses forces. Elle me mit ensuite en communication avec le standard de St QUENTIN, où je ne pensais qu'à une chose, faire avertir mes parents. Le message est donc passé. Je suis remontée dans le train en direction de BUSIGNY. Tous les cheminots étaient là, anciens et anciennes collègues. Quelle fête, je n'en revenais pas. Je leur demandais de ne pas pleurer, que j'étais là, peut-être pas très jolie à voir, mais j'avais sauvé ma peau. Quelle ne fut pas ma surprise en revenant vers le train pour retrouver Simone, de m'entendre appeler par mon prénom. C'était François, mon voisin, mon grand-frère qui revenait lui aussi du Stalag, il avait reconnu ma voix et ce n'est que lorsque j'ai crié : " François ! " qu'il m'avoua ne pas m'avoir reconnu. Des embrassades, il y en eut et il est venu s'asseoir avec nous. De BUSIGNY j'ai encore pu téléphoné au standard et j'ai eu la chance d'avoir au bout du fil Monsieur LOUBRY, son chef de gare principal, il savait que j'arrivais mais il était si ému qu'il ne pouvait parler. Enfin il me dit : - Tes parents sont avertis, ils vont venir te chercher en auto. J'ai cru que mon coeur allait s'arrêter de battre, Dieu merci, mes parents étaient vivants et j'allais les revoir. C'est un moment que je n'oublierais jamais. Puis le train continua sa route et j'eus la surprise en arrivant au pont de chemin de fer de FONSOMME, de voir mes amis, des enfants qui m'appelaient et me jetaient des fleurs. - Oui, c'est elle, elle revient ! La même chose en gare de ESSIGNY-LE PETIT, tous pleuraient. J'étais si heureuse. Enfin voici St QUENTIN. Ma tête en dehors de la portière, je scrute les visages. Enfin je découvre mon cher papa. Je l'appelle de toutes mes forces, et je le vois courir, le long du train. Je croyais que ce train ne s'arrêterait jamais, puis je vis maman en pleurs avec ma petite filleule ; Monsieur LOUBRY et Monsieur BRASSET, le patron de maman ; c'est lui qui me souleva du train en m'embrassant, et me passa dans les bras de papa qui pleurait, mais ne pouvait que répéter :- " Ma petite ! Ma petite! ", et enfin je suis dans les bras de maman qui sanglote, elle me palpe :- " Que t'a-t-on fait pour revenir dans cet état ? " C'est moi qui suis obligée de la consoler, de leur dire de ne pas pleurer, que j'étais là et pour toujours. Je ne voudrais pas revivre ce passage. Chacun doit le comprendre, et savoir que sur terre, il n'y a rien de meilleur que ses parents. Je ne veux pas oublier la joie que j'ai eu en serrant dans mes bras ma petite filleule, c'est un peu ma fille, je l'ai élevé depuis sa naissance jusqu'à mon départ pour HIRSON. Comme cet instant a été doux à mon coeur. Enfin nous avons pris la route de FONSOMME tout le village était rassemblé. Simone qui s'était tenue à l'écart au milieu de nos effusions, avait fait la connaissance avec mes parents et je leur ai dit que sans elle, je ne serais peut-être pas là. Donc je vous disais que tout le village nous attendait, la mairie, les monuments étaient pavoisés en mon honneur. C'était la fête. Une petite fille m'apporta des fleurs, je ne savais quoi dire. Ils ont tous voulu me voir, m'embrasser, me toucher. J'aurai bien voulu retrouver ma maison et me reposer, mais une épreuve m'attendait encore. Ma famille était réunie autour de moi et une chose m'inquiétait déjà. Lionel était bien là, mais Marcel où était-il ? Rappelez-vous, je vous ai dit que j'avais deux cousins que je considérais comme mes frères, Résistants depuis 1942. Marcel avait un an de moins que moi et Lionel cinq, nous avons été élevés ensemble. N'y tenant plus, j'ai donc demandé tout haut : - Mais où est Marcel ? Pourquoi n'est-il pas là ? Maman m'a prise de nouveau dans ses bras et elle pleurait, c'est Lionel qui osa me dire pour eux : - Marcel n'est plus, mais il est mort en héros ! Cette fois j'ai éclaté en sanglot, ce n'était pas juste. J'ai su qu'il avait été tué le jour de la Libération, il avait 20 ans. Je ne pourrais jamais l'oublier, et pour que ma peine soit complète, Lionel ajouta : - Moi je pars demain, j'ai signé un engagement, je voudrais aller en Occupation. Malheureusement il est parti pour BORDEAUX, ALGER, et ensuite après une permission, l'INDOCHINE. Il a été tué à 22 ans. Je me suis écartée du sujet mais je reviens sur mon retour. De nouveau très entourée, c'est Simone la première qui vint me réconforter. - Ils ont fait leur devoir pour la FRANCE, Lionel pense qu'il doit agir comme cela, il ne faut pas le contrarier, il t'aime. Oui bien sûr, mais la pilule était amère. J'avais assez souffert. Enfin après cet intermède, les personnes du village continuèrent à venir m'embrasser et me réconforter, puis madame BRASSET, la patronne de maman avait préparé un repas de réception où Simone et moi étions les invitées d'honneur, avec mes parents bien sûr. C'était un nouveau départ, mais Simone n'avait pas pu faire avertir sa maman, et il était trop tard pour qu'elle rentre à guise, elle était inquiète, elle aussi, sur le sort réservé à son frère et à son fiancé. Je peux dire dès maintenant que son frère est rentré dans le même état que nous et que son fiancé est resté là-bas avec tant d'autres de nos camarades, elle l'a appris le lendemain quand nous l'avons accompagné en voiture pour retrouver sa maman. Vous devinez leur joie, égale à la mienne. Au début de mon arrivée, je guettais le retour des déportés, sauf Maurice DALONGEVILLE et Antoine MAROLLE qui ne sont même pas arrivés en ALLEMAGNE, ils sont morts sous les tortures et leurs familles se sont attachées à moi. Chaque jour, ils sont venus me voir pour me gâter et me faire oublier ce cauchemar. Je ne savais pas encore qu'Emile FALENTIN ne reviendrait pas, et qu'il était mort à NEUENGAMME. De sorte que les jours passaient, je n'osais plus sortir. Les parents d'Emile venaient aussi chaque jour, le coeur plein d'espoir, jusqu'à ce qu'ils soient avertis officiellement. Ces pauvres gens ont eu tellement de chagrin, je me sentais riche devant eux. Comment apaiser leur détresse ? Ils ont été admirables, car ils avaient déjà eu tant de peine, à cause de leur fille Blanche, soeur d'Emile, qui avait mené une vie de putain, siégeant comme Secrétaire du Commandant au Bureau de la Kommandantur de FONSOMME, elle faisait trembler le village, c'était la fille qui parlait beaucoup, couchait avec tous les Officiers, se soûlait chaque jour avec eux dans des orgies impossibles à décrire. Elle a fait plus quand elle a vu que tout le village et ses parents ne la regardent plus, elle est partie volontaire en ALLEMAGNE avec Gabrielle MERELLE dont le frère était prisonnier en ALLEMAGNE, Georges MERELLE était un ami de toujours ,depuis l'école, il est rentré après moi, très affaibli, il est venu me voir, il m'a dit : - Je suis content que tu t'en sois tirée ! Il ne me reste plus que toi, je n'ai plus de soeur. Il était miné par la tuberculose. Le jour de sa mort, c'était en Juillet 46 j'étais au bal, il m'a fait chercher, je suis venue de suite. Il m'a dit : - Je ne peux partir sans te dire au-revoir, j'aurai tant voulu vivre. Aide-moi, embrasse-moi ! Je l'ai fait en cachant mes larmes, il est mort dans la soirée. La maman effondrée de douleur m'a fait prévenir aussitôt, et le jour des obsèques, elle a voulu que ce soit moi qui porte une grande croix de roses blanches et que je marche derrière son cercueil. Ces souvenirs la restent gravés, et chaque fois que je retourne à FONSOMME, je vais prier sur les tombes de mes cousins et sur celle de Georges, qui m'appelait ma petite soeur de misère, et puis la vie a repris son cours..c.RETROUVAILLES Je savais que mon Lorrain était rentré le 25 Juillet 45, après être passé au secret, à PARIS, pour vérifier ce qu'il avait déclaré. Ses parents arrêtés comme P.R.O. n'étaient pas encore rentrés, ils ont d'abord été emmenés à ODESSA et sont rentrés vers Septembre 1945. Nous n'avions échangé que quelques lettres, puis la vie m'ayant repris, je n'ai plus écrit, je me sens un peu coupable. Pourtant, au Jour de l'An 1947, j'ai eu la surprise de recevoir une carte de voeux, il n'était pas marié et me demandait ce que j'étais devenue, toujours célibataire ou mariée. J'ai répondu que je n'avais pas d'attache et que s'il désirait me revoir, je serais très heureuse de le présenter à mes parents, car sans lui que serais-je devenue. Il est venu en Mai 47, c'était la pleine période du procès WINKENDEN à AMIENS. Ce WINKENDEN qui m'avait fait arrêter, d'ailleurs j'avais reçu une convocation pour aller témoigner au procès. Comme je n'étais pas seule dans le même cas, nous y allions avec deux voitures de St QUENTIN. J'ai demandé s'il n'y avait pas une place pour un ami, qui m'avait sauvé et c'est ainsi qu'il est venu avec moi pour me voir témoigner à la barre du Palais de Justice d'AMIENS. Quand le Président du Tribunal a demandé à WIKENDEN s'il n'avait pas de remords pour m'avoir fait arrêter et déporter, il répondit : - Heil HITLER ! Si c'était à refaire pour elle, je referais la même chose. Il y a eu du remue-ménage dans les rangs et j'ai cru que j'allais me trouver mal. Enfin il a été condamné à mort et fusillé dans la cour de la prison d'AMIENS. Quant à mon Lorrain nommé Pierre THIRION - je ne l'avais pas encore dit - nous avons retrouvé la tendresse qui avait commencé à naître en ALLEMAGNE. Et puis ce fut l'amour. Il retourna en LORRAINE pour en revenir définitivement en Octobre 47 où nous nous sommes mariés, le 24 Octobre de cette année-là. Jamais je ne pourrais oublier ce qu'il a fait pour Simone et moi. Je lui garderais ma reconnaissance jusqu'à ma mort. D'ailleurs, il est toujours très attentionné et m'a soigné tant de fois depuis notre mariage. Les séquelles de la Déportation sont terribles et inguérissables. Puissent, les jeunes qui liront ce récit, s'unir et s'aimer pour qu'il n'y ait plus jamais de guerre, plus d'horreurs, plus de génocide. Que la paix règne partout dans le monde. Que tout le monde s'aime et se respecte. C'est ainsi que nous garderons la liberté. Liberté si chèrement désirée et retrouvée. Pour finir, je citerai le dernier couplet du chant des Déportés : Puis un jour de notre vie Le Printemps refleurira Liberté, Liberté chérie Je dirais, tu es à moi O terre enfin libre Où je pourrais revivre Aimer, Aimer .c.UN DERNIER MOT J'ajoute un additif à mon récit. Je n'ai pas donné beaucoup de détails sur les sévices subits, mais il ne se passait pas de jour où nous n'étions pas battues à coups de poing, de Schlag ou de bottes, aussi bien pendant les appels qu'au travail, ou même les Dimanche où soi-disant nous étions au repos, ces Dimanche-là étaient tellement rares que l'on ne peut même pas les compter. Je vais vous raconter une anecdote qui m'est arrivée à de nombreuses reprises : Il y avait parmi les femmes S.S. qui en principe étaient âgées de 20 à 40 ans maximum, une Aufseherin qui avait dû prendre un engagement pour la durée de la guerre, elle avait plus de 70 ans et cette sale bête m'avait prise en grippe. Chaque fois que j'avais l'autorisation de traverser le camp pour aller aux latrines, elle sortait de je ne sais où, et elle me poursuivait, sa cape volait au vent et on aurait dit Méphisto, et chaque fois, elle me chopait et me distribuait une volée de coups de bottes aux fesses. J'avais beau essayé de me dégager, mais elle était solide et je ne faisais pas le poids, bien entendu elle m'injuriait et me traitait de tout dans le peu de français qu'elle possédait. La plupart du temps, je devais retourner au travail, sans avoir pu me soulager aux latrines et je devais redemander une autre permission pour y retourner, là c'était une autre musique, l'on me considérait comme tire-au-flanc, et je subissais d'autres violences, manuelles et verbales. Les camarades surveillaient ces opérations de très près, et m'avaient surnommé " Miss coups de pieds au cul ". Cette vieille Aufseherin ne quittait pas le camp et rôdait toujours vers les colonnes de travail pour trouver une victime. Au début, voulant voir si réellement elle s'acharnait sur moi par plaisir, je tentais le diable et demandais les toilettes dès que je l'apercevais dans un coin du camp, et bien, à longue enjambée, elle avait vite fait de me rattraper, j'avais droit à la raclée à coups de bottes. Ceci est un exemple parmi d'autres, et Jacquotte et Simone peuvent en témoigner, car elles craignaient que je me fasse enlever par cette vieille sadique pour me mener devant le Commandant S.S. Une autre anecdote. Nous étions rongées par la vermine et Dieu sait si nous en avions des poux, partout, surtout sous les bras, dans les cheveux, dans les coutures de nos guenilles. Quand il nous arrivait de nous épouiller, nous étions toujours deux dans ce cas-là, nous faisions provision de ces sales bêtes à croix gammée, dans un papier bien serré et le soir au moment de l'appel, nous balancions cette provision dans le dos des Aufseherin, elles ne tardaient pas à se gratter, et cela nous rendait notre gaieté et aussi nous vengeait, mais il ne fallait pas se faire prendre, il fallait choisir son moment et se trouver au premier rang. Pourtant c'était le premier rang qui prenait toujours gifles et coups en premier et n'était pas recherché, sauf pour semer nos poux. Je voudrais encore ajouter quelque chose. J'ai gardé pendant toute ma déportation : une pince à épiler, un petit porte-photo où il y avait d'un côté l'image de Sainte Thérèse de Lisieux et de l'autre côté, la photo de maman. J'ai échappé à toutes les fouilles, en faisant passer dans les rangs déjà fouillés ce petit trésor que j'ai ramené à maman. Le livre de recette a été écrit par Michelle MAGNIEZ. Ne pouvant plus me servir de ma main, ces recettes étaient données par des compagnes. Quand nous avions si faim, elles nous faisaient saliver et nous en arrivions à oublier la demande de notre estomac. Le carnet d'adresses avec le nom des compagnes, qui ne voulaient pas que l'avenir nous sépare, mais la vie en a décidé autrement. Jacquotte n'est pas partie de NEUBRANDENBURG, restée au REVIER à cause de sa jambe toujours infectée elle a été rapatriée par la CROIX-ROUGE et emmenée en SUEDE. La ferme où nous nous étions réfugiées était à une dizaine de km de WARENV. Je voudrais ajouter les mots employés pour nous désigner : Franzose Schweinehund (chien de cochon), Schweinerei (cochonnerie). Les Russes, quand elles ne comprenaient pas, disaient " Nie Pounimoyou " et nous " Niponimaï ". Elles avaient le droit de s'arrêter quand les S.S. n'étaient pas là, alors elle nous disait " Franzose pomalo " mais quand les S.S. pointaient le nez, elles se dépêchaient en nous disant " Davai ! Davai ! ". C'était pas grand-chose, mais nous avons quand même bien souffert de la rudesse des Russes et des Polonaises envers nous. C'est avec les Tchèques et les Yougoslaves que nous nous arrangions le mieux. Que tout ça soit terminé, c'est mieux ainsi. Il nous faut souhaiter de garder la liberté longtemps, longtemps. Ce qui m'a fait le plus de peine au retour sont les questions posées la plupart du temps : -Tu as été violée ? . Etiez-vous bien nourries ? . Qu'est-ce que vous mangiez ? . Le matin vous aviez droit au déjeuner ? , etc…

.c.

EPILOGUE

Janvier 1989.

Documents

Cf le CD