Jacqueline THIRION
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061
LE
PRINTEMPS REFLEURIRA
GUERRE
1939 - 1945
Témoignage
NICE
- AVRIL 1989
Analyse
du témoignage
Résistance - Déportation
en Allemagne
Ecriture
: 1989 - 74 Pages
POSTFACE de Jean-Louis ARMATI
La Guerre a été un
extraordinaire révélateur de la valeur des femmes
Déjà entre 1914 et 1918, elles ont supporté tout
le poids, à l'arrière du front, de la vie
économique et sociale du pays remplaçant dans tous
les domaines les hommes mobilisés. De 1940 à 1945
elles ont mené, à l'égal des hommes, les combats
de la Résistance, souffert comme eux dans les
camps et fait preuve d'une belle énergie. En même
temps que d'un ennemi obstiné et puissant, elles
se sont libérées de la prépondérance masculine,
des entraves d'une société élaborée par et pour
les hommes. Elles ont enfin gagné la
reconnaissance de leur accessibilité non seulement
aux vertus que Gide définit comme "privatives"
(dévouement, soumission, fidélité) mais également
aux vertus "affirmatives" Dans ce récit pudique
qui suggère plus qu'il n'affirme, Jacqueline
Alexandre-Thirion fait la somme des souffrances
endurées par des femmes dont la foi en un avenir
meilleur et le courage forcent le respect et
inclinent à l'humilité.
Préface de André AUROUSSEAU
Président-Général de
Résistance-Fer
Jacqueline Alexandre,
qui sous l'Occupation travaillait à
l'Administration civile de Saint-Quentin, a
commencé la Résistance avec ses cousins et les F.F
de Fonsomme, petite commune de l'Aisne. Elle
assurait des missions de liaison, participait à la
distribution de tracts et de journaux clandestins
et établissait de faux bons de distribution de
charbon au profit des Français. Admise à la
S.N.C.F. à Hirson en Décembre 1943, alors qu'elle
venait d'avoir 20 ans, elle se trouva dans un
milieu particulièrement actif sur le plan de la
Résistance et put poursuivre son action
clandestine. Si les cheminots furent les premiers
au combat, la raison en est bien simple. Dès la
signature de l'Armistice, ils sont confrontés au
problème des prisonniers évadés, puis à celui que
pose la fuite des réfugiés politiques, des Juifs,
puis des aviateurs Alliés abattus par la Da. Ils
constatent que grâce à l'indemnité de guerre mise
à la charge de la France, le pays est vidé de sa
substance. Ils voient les wagons de charbon
destinés à la sidérurgie allemande quitter la
France. Ils voient les wagons de pommes de terre
et de ravitaillement de toute sorte partir pour
l'Allemagne, les usines pillées des meilleures
machines-outils, leurs locomotives partir vers le
Grand Reich. Ils sont donc les premiers à
s'opposer au pillage de l'Occupant. Ils détournent
des wagons de vivres, de matériel et c'est à cette
occasion qu'est prononcée le 3 Août 1940 - je dis
bien le 3 Août 1940 - la première condamnation à
mort d'un Sous-Chef de gare par la Kommandantur de
Poitiers. Lorsque Jacqueline Alexandre arrive à
Hirson, elle est immédiatement contactée par des
représentants du Front National. Son nouvel emploi
de téléphoniste lui permet en particulier de
connaître les échanges de dépêches concernant les
mouvements de troupe, les garages où sont
rassemblés les trains de matériel et de munitions,
où sont formées les rames pour le transport des
troupes. Ces renseignements rapidement exploités
permettent d'obtenir des bombardements très
destructeurs. A ce sujet, je tiens à rappeler ce
qu'il fallait d'esprit de sacrifice aux cheminots
pour appeler le feu du ciel sur leur lieu de
travail et souvent même sur leur lieu de
résidence, car beaucoup d'entre eux habitaient
dans l'enceinte des chemins de fer, que ce soient
les gares ou les dépôts de locomotives. Des
milliers d'entre eux sont morts sous les
bombardements des Moskitos, des Forteresses
Volantes ou sous le feu des canons de 20 mm. des
avions Lightning. Ce n'est pas faire offense aux
Français de rappeler qu'à cette époque il y en a
bien peu qui ont volontairement pris les mêmes
risques et fait preuve du même courage. Voici donc
notre amie Jacqueline engagée de nouveau dans le
combat clandestin. Mais un traître, Winkenden, né
d'un père anglais et d'une mère française, qui
avait opté pour la France mais souhaitait la
victoire de l'Allemagne, avait réussi à
s'infiltrer dans la Résistance. Après le
bombardement d'un train de munitions et du buffet
de la gare d'Hirson où tout un état-major allemand
fut exterminé, bombardement suivi 8 jours plus
tard du bombardement de la gare d'Aulnoye,
Winkenden dénonça au capitaine Baucklock de la
Gestapo de Saint-Quentin et fit arrêter le 17
Avril 1944, Jacqueline Alexandre, Robert Leroy,
Jean Lechat, Moïse Cavillon. Notre amie se vit
reprocher d'être à l'origine des bombardements
meurtriers d'Hirson et d'Aulnoye. Le Capitaine
Baucklock lui promet la liberté si elle livre les
noms de ses complices et donne l'emplacement du
poste-émetteur, emplacement qu'elle ne connaît
d'ailleurs pas. Finalement elle est condamnée à
mort. Le débarquement du 6 Juin devait lui éviter
le peloton d'exécution. Embarquée dans un convoi
de camions elle fut internée au fort de
Romainville. Par la suite, elle devait connaître
Neu-Bremm, Ravensbrück, puis le Commando
Disciplinaire de Neubrandenburg, ces lieux maudits
où, comme l'a si bien dit André Malrraux, "Pour la
première fois l'Homme a donné des leçons à
l'Enfer". Atteinte du typhus et d'un début de
gangrène à la main droite, elle fut admise au
"Revier" le 27 Mars 1945. Le 27 Avril au petit
matin, toutes les déportées y compris les malades
furent conduites à coups de crosse sur la place
d'appel. Ensuite notre amie, dans un état que les
mots sont impuissants à décrire et que ceux qui
n'ont pas connu l'univers concentrationnaire ne
peuvent imaginer, se retrouva dans une colonne en
route pour une destination inconnue, soutenue et
presque portée par Simone, une soeur de misère
connue à la prison de Saint-Quentin. Cette colonne
se déplaçait difficilement au milieu d'une foule
affolée de civils et de soldats qui fuyaient
devant l'avance russe. L'Oberaufseherin, qui seule
des gardiennes avait conservé son uniforme,
abattait les malheureuses qui ne pouvaient plus
avancer. Le soir venu Simone et Jacqueline,
reculant progressivement, étaient arrivées en
queue de colonne. Profitant d'un encombrement et
de l'absence de l'Ober remontée vers le milieu de
la colonne, Simone poussa notre amie dans un fossé
et se coucha sur elle. Puis, la colonne s'étant
éloignée, elles purent rejoindre pour la nuit une
meule de foin déjà fortement occupée et, le matin
venu, une porcherie dans une ferme où se
trouvaient déjà de nombreuses femmes russes. C'est
de là que deux jours plus tard, le 29 Avril, elles
virent arriver les troupes russes mais ne pouvant
marcher, il fallait attendre du secours. Le 2 Mai
un groupe d'une douzaine de prisonniers de guerre,
qui avaient récupéré un petit chariot tiré par
deux boeufs, arriva à la ferme. Craignant la
contagion, ils ne proposèrent qu'à Simone de
l'emmener. Elle refusa. Ce groupe continua donc sa
route après avoir laissé du ravitaillement. Le
plus jeune, nommé Thirion, réussit à persuader ses
camarades de sauver ces deux Françaises
abandonnées, dont l'une au moins était vouée à la
mort. Une heure plus tard, ce curieux équipage
revint. Le chariot, muni cette fois d'un matelas,
tint lieu d'ambulance et l'espoir de survivre
était de nouveau permis. Le 25 Octobre 1947 le
jeune Thirion épousait Mademoiselle Jacqueline
Alexandre. Malgré des soins médicaux
ininterrompus, notre amie n'a jamais recouvré la
santé, et puis la guerre a marqué son passage. Ses
camarades des Forces Françaises de l'Intérieur de
Fonsomme sont morts en déportation, un de ses
cousins âgé de 20 ans a été tué au cours de la
libération de Saint-Quentin, le 2ème entré dans la
Résistance à l'âge de 15 ans s'était engagé pour
la durée de la guerre. Il a été tué en Indochine.
Malgré son courage et sa volonté de faire face,
elle ne peut assurer normalement son travail et,
le 12 Février 1959, le Service Médical de la S.NF.
prend la décision de la mettre à la réforme en
précisant, prudence administrative oblige :
"Réformée pour invalidité ne résultant pas de
l'exercice de ses fonctions". Jacqueline Thirion,
Caporal de la Résistance Intérieure Française, est
décorée de la Croix de Guerre avec Palme, de la
Médaille Militaire. Nommée Chevalier de la Légion
d'Honneur en Juin 1960, elle est élevée au grade
d'Officier par décret du 9 Novembre 1983. Son
grade de Caporal et les 23 ans écoulés entre sa
nomination de Chevalier et celle d'Officier dans
l'Ordre de la Légion d'Honneur, montrent à ceux
qui pourraient encore en douter, qu'il n'y a pas
que des Colonels à six galons dans la Résistance
et qu'elle n'est pas de ceux qui ont obtenu
facilement une promotion dans notre Ordre National
le plus prestigieux. Ma Chère Jacqueline, tu viens
encore de subir des traitements longs et pénibles.
Tu l'as fait avec ta détermination habituelle et
ton indomptable volonté. Depuis ton retour des
camps de la mort, malgré ton état de santé, tu as
toujours milité dans les différentes Associations
d'Anciens Combattants : Croix de Guerre, Médaillés
Militaires, Décorés de la Légion d'Honneur. Tu as
montré par ton inlassable activité au service de
ces Associations que tu avais conscience que ceux
qui sont titulaires de cette prestigieuse
décoration qu'est la Légion d'Honneur devaient
amplifier le capital d'héroïsme qu'elle représente
depuis sa fondation. Ta promotion au grade
d'Officier te confère une autorité nouvelle qui
par ces temps d'incivisme sera mise à rude
épreuve. A mesure que le temps passe et que les
témoins de notre combat disparaissent, les
Résistants sont de plus en plus les témoins
d'attaques qui de sournoises au début s'expriment
maintenant au grand jour. A ceux qui revendiquent
indûment le titre de déportés, il faut rappeler
sans cesse ces vers de Vercors : Le jour Où les
peuples Auront compris qui vous étiez Ils mordront
la terre De chagrin et de remords Ils l'arroseront
De leurs larmes Et ils vous élèveront Des temples
Hélas, il ne semble pas que ce jour soit arrivé.
On voit au contraire des êtres méprisables :
Coluche, Balavoine, Maître Verjès, avoir largement
accès à une télévision sans scrupule pour insulter
les Veuves, les Anciens Combattants et les
Résistants. On voit aussi certains nous reprocher
d'avoir pris les armes et d'être ainsi en
rébellion contre le pays légal dirigé par le
Maréchal Pétain, Chef de l'Etat Français. Mais,
lorsque ces censeurs ont été mobilisés après le
débarquement des Alliés en Afrique du Nord, le
Maréchal Pétain que je sache, était encore Chef de
l'Etat Français. Alors, où est la différence avec
nous ? - J'en vois une : Au début de l'Occupation,
c'est dans l'isolement, dans la solitude de notre
conscience que nous, nous avons pris les armes
contre l'ennemi et ceci contre toute raison
apparente et même contre le sentiment général. Il
fallait un certain courage pour le faire ! Notre
combat qui a contribué plus particulièrement à la
réussite du Débarquement a été reconnu par les
plus hautes autorités françaises et alliées et
mille six cents de nos camarades ont été décorés
pour faits de guerre, dès la Libération : 4 de la
Cravate de Commandeur de la Légion d'Honneur 36 de
la Rosette d'Officier 127 de la Croix de Chevalier
102 de la Médaille Militaire 550 de la Croix de
Guerre 750 de la Médaille de la Résistance 100 de
la Rosette de la Résistance Le Général de Gaulle
qui pourtant n'était pas prodigue dans l'octroi
des distinctions, a cité notre organisation à
l'Ordre de l'Armée et lui a attribué la Croix de
Guerre avec Palme. Le Général Koenig dont la
victoire de Bir Hakeim fit dire à de Gaulle :
"Quant à Bir Hakeim, un rayon de gloire
renaissante est venu caresser le front sanglant de
ses soldats, le monde a reconnu la France" le
Général Koenig dis-je, a décoré notre drapeau de
la Médaille de la Résistance avec Rosette. Malgré
ces distinctions, les cheminots résistants n'ont
rien perdu de leur modestie et, la guerre
terminée, ils ont simplement repris le travail
avec courage pour reconstruire un réseau très
éprouvé. Est-il nécessaire de rappeler que le 6
Juin 1944, à la suite des sabotages et des
bombardements, les destructions intéressaient déjà
: 10143 locomotives à vapeur 124 locomotives
électriques 198286 wagons 2412 ponts 43 tunnels
Nous n'avons pas profité de notre combat pour
revendiquer des grades abusifs. J'ai regardé de
nouveau les fiches de nos camarades et j'ai relevé
environ : 80 % de Deuxième Classe 12 % de Caporaux
Quelques Sous-Officiers 6 % de Sous-Lieutenants,
principalement parmi les Déportés. Quant à ceux
qui ont eu un grade supérieur à Sous-Lieutenant,
il s'agit pratiquement toujours d'Ingénieurs
Officiers de Réserve mobilisés en 1939 avec le
grade de Lieutenant ou de Capitaine. Nous pouvons
donc proclamer bien haut que nous avons eu un
comportement responsable, aussi bien après la
guerre que pendant notre combat. Comme je le
disais tout à l'heure, ta promotion ma Chère
Jacqueline, te confère une autorité nouvelle pour
défendre notre spécificité et la mémoire de nos
frères disparus : 1156 morts sans sépulture dans
les camps sur 2480 victimes de l'univers
concentrationnaire 554 fusillés et 45 morts dans
les prisons des suites des tortures. Pour
conclure, je dirai simplement qu'à Résistance-Fer,
où nous avons conservé le culte du souvenir et où
notre activité sociale est exemplaire, nous sommes
fiers de te compter parmi nos camarades de combat
et nous proclamons hautement que tu as bien mérité
cette Croix d'Officier de la Légion d'Honneur.
Jacqueline
Alexandre who worked in the Civil service in Saint
Quentin during the occupation, started in the
Resistance with her cousins and the F.F. of
Fonsomme, a small town in the Aisne. She was
taking care of liaison missions, taking part in
the distribution of clandestine tracts and
newspapers, and making forged coal distribution
vouchers to the benefit of the French. Admitted in
the SNCF in Hirson in December 1943, while she had
just turned twenty, she found herself in a
particularly active environment as regards the
resistance, and was able to continue her
clandestine action. If the railwaymen were the
first to join the fight, it is for a very simple
reason. Right after the signature of the Armistice
they are faced with the problem of runaway
prisoners, then to the problem posed by the flight
of the political refugees, of the Jews, then of
the allied pilots brought down by the DA. They
realise that because of the war indemnity levied
against France, the country is drained of its
substance. They see freight wagons of coal sent to
the German steel industry. They see freight wagons
of potatoes and of all sorts of supplies leave for
Germany, the factories are looted of their best
machine-tools, their locomotives going towards the
great Reich. So they are among the first to stand
up against the looting from the occupying forces.
They divert freight wagons of supplies and goods,
and it is in this occasion that on the 3rd of
august 1940, I repeat the 3rd of august 1940, the
first death sentence against a assistant station
master by the Kommandantur in Poitiers. When
Jacqueline Alexandre gets into Hirson, she is
immediately contacted by representatives of the
Front National. Her new job as a telephonist gives
her the opportunity especially to know the
messages exchanged regarding the movements of the
troops, the garages where the goods and ammunition
trains are gathered, the places where the trains
meant to carry the troops are assembled. Those
informations rapidly processed helped produce very
destructive bombardments. In that respect, I would
like to remind the readers of the spirit of
sacrifice it took to the railwaymen to call upon
their work place the fire from the sky, and very
often upon their residence, for many of them lived
within the walls of the railways equipments,
whether it was in the stations or in the
locomotive garages. Thousands of them died under
the bombs of the Moskitos, of the Flying Fortress,
or under the fire of the 20mm guns of the
Lightning aeroplanes. I do not regard it as an
offence to the French people bring back to mind
the fact that at the time very few willingly took
the same risks and showed the same courage. So,
here we see our friend Jacqueline involved again
in the clandestine fight. A traitor though
Winkenden, born from a English father and a French
mother but supported the victory of Germany had
managed to slip into the Resistance. After the
bombing of a train of ammunitions and of the bar
at the Hirson station in which all of the German
high commandment was exterminated, this
bombardment was followed eight days later by the
bombing of the Aulnoye station, Winkenden gave up
to Captain Baucklock of the St Quentin Gestapo and
had the following people arrested on the 17th of
April, Jacqueline Alexandre, Robert Leroy, Jean
Lechat, Moïse Cavillon. Our friend was reproached
with the fact of being the origin of the
disastrous bombing of Hirson and Aulnoye. Captain
Baucklock promised to her that she would be free
if she gives up the names of her accomplices and
indicates the location of the radio transmitter,
this location she does not know anyway. Eventually
she is sentenced to death. The landing of the 6 th
of June was to avoid her the firing squad. Taken
with a convoy of trucks, she got locked in the
Fort de Romainville, afterwards she got to know
Neu-Bremm, Ravensbrück, then the disciplinary
commandos of Neubrandenburg, those dreadful places
where, as Malraux put it, for the first time man
taught lessons to Hell. Affected by typhus and
gangrene on her right hand she got sent to the
"Revier" on the 27 th of march 1945. On the 27th
of April at daybreak all the deportees including
the sick were led kicked with the butts of the
guns on the place of call. Afterwards our friend,
in a state that words cannot describe, and that
those who have not known the universe of
concentration camps cannot imagine, found herself
in a column bound for an unknown destination,
upheld, almost carried by Simone, a companion of
misery that she had met at the prison of Saint
Quentin. This column was progressing with
difficulty in the midst of a distraught crowd made
up of civilians and soldiers who were fleeing in
front of the Russian onslaught. The Oberaufseherin
who was the only one of the wardens to have kept
her uniform would shoot down the poor souls who
could not go any further. After nightfall Simone
and Jacqueline going gradually backward, had
reached the end of the queue. They took advantage
of a jam and of the absence if the Ober who had
gone up to the middle of the column, Simone pushed
our friend in a ditch and lay down on her. Then as
the column had moved away from them for the night,
they could get to a hay stack which was already
heavily populated, and in the morning they got to
a pigsty and a farm where many Russians women were
already present. It is from this place that two
days later, on the 29 ht of April they saw the
arrival of the Russian troops, but as they could
not walk, they had to wait for some help. On the
2nd of may a group of a dozen war prisoners that
had got hold of a small cart drawn by two oxen got
to the farm. As they were afraid of contagion,
they only asked Simone if she wanted to come along
with them. She refused. This group[ therefore
continued its way after leaving some supplies. the
younger one named Thirion, managed to persuade his
companions to save those two forlorn French girls,
one of whom was doomed to certain death. One hour
later this strange carriage came back, fitted with
a mattress, it served as an ambulance, and the
hope of surviving was again possible. On the 25 th
of October 1947, young Thirion married
Mademoiselle Jacqueline Alexandre. Despite the
continuous medical treatment, our friend never
recovered her health, and war marked its passage.
Her comrades from the French Forces died in
deportation, one of her cousin died at the age of
20, during the liberation of St Quentin; the
second one who had joined the Resistance movement
at the age of 15 had enlisted for the whole
duration of the war. He got killed in Indochina.
Despite her courage, and her will power to go
forward, she cannot carry on normally with her
work, and on the 12 th of February 1959, the
medical service of the SNCF take the decision of
discharging her stressing with caution:
"discharged because of disabilities not resulting
from the practise of her work". Jacqueline
Thirion, corporal of the Resistance Intérieure
Française, is awarded the Croix de Guerre with
palms of the Médaille Militaire. Nominated
Chevalier of the Légion d'Honneur in June 1960,
she is promoted to the rank of officer by decree
on the 9 th of November 1983. Her rank as a
corporal and the 23 years that went by between her
nomination as chevalier and that of officer of the
legion of honour, shows to those who could still
be in doubt, that there were not just high ranking
colonels in the Resistance, and that she is not
amongst those who easily got a promotion in our
most prestigious order. My dear Jacqueline, you
have again gone through long and painful
treatments. You did it with you usual
determination and your extraordinary will power.
Since you came back from the death camps, and
despite your poor health, you have always been
active in the various associations of war
veterans, Croix de Guerre, Médailles Militaires,
Décorés de la Légion d'Honneur. You have shown
through your relentless activity at the service of
those associations that you realised that those
who had received such prestigious decorations as
the Légion d'Honneur had as their duty to amplify
the capital of heroism that it has represented
since its foundation. Your promotion to the rank
of officer gives you a new authority, which will
be badly put to the test in those days of
incivism. As time goes on and as the witnesses of
our struggle disappear, the Resistants are more
and more often faced with attacks which were
covered at the beginning and are now fully
expressed. To those who unduly claim the title of
deportee, they must endlessly be reminded of those
verse from Vercors. The day When the people
Understand who you were They will bite the dust
Out of sadness and remorse They will water it With
their tears And they will erect Temples for you.
Unfortunately, it does not seem that this day has
come about yet. On the contrary we see despicable
beings like Coluche, Balavoine, Maitre Verges
having a wide access to an unscrupulous television
to insult the widows the Veterans and the
Resistants. We also see some people reproaching us
with the fact of having taken the arms against the
legal country led by the Maréchal Pétain, head of
the French state. But, when those censors were
mobilised after the landing of the allied troops
in north Africa, the Maréchal Pétain was still
head of the French State as far as I know. So
where was the difference with us ? I can see one :
At the beginning of the occupation, It is in
complete isolation in the solitude of our
conscience that we took the arms against the
enemy, and this against any apparent reason, and
even against the general feeling. It took a
certain courage to do that ! Our fight which
contributed more particularly to the success of
the landing has been acknowledged by the high
French and allied military authorities, and a
thousand and six hundreds of our companions were
decorated for war deeds right after the liberation
: 4 had the Cravate de Commadeur de la Légion
d'Honneur. 36 had the Rosette d'Officier. 127 had
the Croix de Chevalier. 102 had the Médaille
Militaire 550 had the Croix de Guerre. 750 had the
Médaille de la Résistance 100 had the Rosette de
la Résistance. General de Gaulle who was not
prodigious when grating distinctions, nominated
our organisation to the Order of the Army, and
awarded us the Croix de Guerre with palms. General
Koenig whose victory in Bir Hakeim prompted
General De Gaulle to say :"When in Bir Hakeim a
beam of reviving glory came to flatter the bloody
brow of our soldiers, the world recognised
France", General Koening I was saying decorated
our flag with the medal of the Resistance with a
Rosette. Despite those distinctions the Resistant
railwaymen, did not lose their modesty, and after
the war they simply went back to their work with
courage to mend a badly damaged network. Do I have
to remind you that on the 6th of June 1944, after
the sabotages and the bombardment, the destruction
was already affecting : 10143 steam engines. 124
electrical locomotives. 198286 carriages. 2412
bridges. 43 tunnels. We have not taken advantage
of our fight to demand undeserved ranks. I have
looked again at the files of our comrades, and I
have noted about : 80% of private second class.
12% of corporal. Some petty officers. 6% of second
lieutenant, mainly among deportees. As for those
with a higher rank than second lieutenant, they
are most of the time, engineers, officers of the
reserve mobilised in 1939, with the rank of
lieutenant or captain. So we can proclaim high and
loud that we have had a responsible behaviour,
after the war as well as during the fighting. As I
was saying earlier on my dear Jacqueline, your
promotion gives you a new authority to defender
specificity, and the memory of our fallen
brethren. 1156 Dead without sepulture in the camps
out of 2480 victims of the concentration camps.
554 shot down, and 45 dead in the prisons under
torture. As a conclusion I would simply say that
in Resistance-Fer we have keep on worshipping
memory, and our social activity is exemplar. We
are proud to have you as our companion of fight,
and we proclaim high and loud that you do deserve
this Croix d'Officier de la Légion d'Honneur.
Extrait du discours prononcé par
Monsieur GERMAIN
Ancien Secrétaire général
départemental de l'Office des Anciens
Combattants et Victimes de Guerre des
ALPES-MARITIMES,
à
l'occasion de la remise de la Médaille Militaire
et de la
Croix
de Guerre avec Palme
à
Jacqueline THIRION le 30 Octobre 1960.
**
Les femmes ont toujours
montré leur courage. Mais c'est la drôle de guerre
qui devait permettre aux femmes de donner la
pleine mesure de leur courage dans la Résistance
qui pour n'être pas spectaculaire, n'en fut pas
moins très efficace, la vraie, celle qui se
faisait par idéal pour lutter contre l'Occupant,
aidé par la milice, les détracteurs, les
collaborateurs et les profiteurs. Ce qui n'empêcha
pas de voir certaines de ces personnes, défiler le
jour de la Libération avec un brassard et de
recevoir grades et décorations alors que leurs
victimes étaient encore exterminées dans les camps
de la mort. C'est là que l'on trouve Jacqueline,
car on modifie ses préférences mais on abdique
jamais ses convictions. Et c'est là que l'on
trouve Jacqueline THIRION, bien placée, car elle
travaille comme téléphoniste dans le même local où
sont installés standard français et standard
allemand. Elle est en contact permanent avec
l'ennemi. Connaissant le trafic, il était facile
de relever les transports d'armes et de munitions,
d'hommes et de matériel. D'où le bombardement une
belle nuit de Mars 1944 d'un train de munitions,
des hommes et de l'état-major installé au buffet.
Jacqueline est restée à son poste avec les
Allemands alors que tous les autres cheminots
français étaient partis se réfugier dans les
abris, 8 jours plus tard, le même scénario avait
lieu à AULNOYE. Arrêtée le 17 Avril 1944, par
dénonciation, avec 6 autres cheminots par la
Gestapo. Elle ne fit la connaissance de ses
complices que le lendemain matin dans la
camionnette qui les emmena enchaînés à la prison
de SAINT-QUENTIN, où ils furent interrogés,
condamnés et déportés. Elle prit d'abord le chemin
de ROMAINVILLE. Puis c'est NEU-BREMM, RAVENSBRUCK
et NEUBRANDENBURG. Contre l'oppresseur, Jacqueline
n'hésita pas à se compromettre, c'est avec son
idéal et ses 20 ans qu'elle participa avec les
cheminots à faire tout ce qui pouvait retarder
l'Occupant sans chercher à savoir qui était le
chef de groupe de MARTIGNY, sans chercher à savoir
si elle était inscrite avec eux car à cette époque
là une seule chose comptait : chasser l'oppresseur
et libérer le pays. Déportée, brutalisée, meurtrie
dans sa chair, mais avec un moral et une foi à
toute épreuve elle est enfin libérée le 29 Avril
45. Rentrée en FRANCE le 22 Mai, il était temps.
Jacqueline est épuisée et ne pèse plus que 35 kg.
Elle retrouve sa famille mais apprend en même
temps la mort d'un cousin, un frère tombé à
l'ennemi le jour de la libération de
SAINT-QUENTIN, où il meurt dans les bras de la
maman de Jacqueline alors que les Américains
passent et que les Français acclament les
libérateurs. Jacqueline reprend des forces et en
Septembre 45, à peine remise, elle doit reprendre
son travail à la S.N.C.F., elle fait les 3/8,
malgré son récent passé. Elle commence à ressentir
les séquelles de son calvaire dans les camps. En
1952, elle est mutée à NICE pour raison de santé,
mais l'an dernier la S.N.C.F. lui propose la
réforme le 1er Juin 1959, non comme incapable mais
pour cause de mauvaise santé, ainsi se termine sa
carrière à la S.N.C.F. En 1960, elle a déjà subi 5
opérations, la dernière remonte à 15 jours. Elle
supporte toutes ses souffrances grâce aux soins de
ses parents, mais aussi à la sollicitude de son
mari qui lui aussi a souffert des Allemands, mais
cependant dans les moments difficiles je crois que
c'est encore elle qui leur remonte le moral.
C'est-à-dire que cette Médaille Militaire se
trouvera bien placée sur sa poitrine, ainsi que la
Croix de Guerre.
TABLE
**
En guise de Préface 10
MON ENFANCE 10
L'INVASION -
L'EXODE 11
L'ARMISTICE 11
PASSAGE DE LA
LIGNE DE DEMARCATION 12
A LA MAISON
OCCUPEE 12
DANS
L'ADMINISTRATION 13
HIRSON 14
LA DELATION 15
DEPART DE L'HOTEL
DES 4 BOULES 20
ROMAINVILLE 21
DESTINATION
INCONNUE 22
NANCY 23
SARREBRUCK 23
NEU-BREMME 24
FURSTENBERG 27
RAVENSBRUCK 27
NEUBRANDENBURG 32
LA COLONNE DES
FANTOMES 41
Enfin les Russes
!... 42
AVEC les
prisonniers de guerre 43
LES AMERICAINS 45
LES ANGLAIS 45
LE RETOUR 46
RETROUVAILLES 50
UN DERNIER MOT 51
EPILOGUE 54
La mémoire
La
mémoire : seul bagage incessible
Jacques ATTALI
A
la mémoire de mes chers parents décédés
A
mon mari
mes
enfants
mes
petits enfants.
Que
l'avenir soit plus doux pour les générations
Qui
vont nous succéder
et
que leur soient épargnés
Les
peines,
les
misères
le
totalitarisme,
Qu'une
paix durable vienne les protéger pour
Qu'ils
ne connaissent jamais une infime partie
De
l'histoire que je vais essayer de revivre
en
écrivant ce récit
.c.MON
ENFANCE 1939. Début Septembre 1939, HITLER se
déchaîne, envahit la POLOGNE, après avoir fait
tant de crimes. La FRANCE et l'ANGLETERRE, voulant
venir au secours de la POLOGNE, déclarent la
guerre à l'ALLEMAGNE le 3 Septembre 1939, c'est le
début, pour nous de la drôle de guerre qui durera
jusqu'au 10 Mai 1940. Je suis née à FONSOMME, près
de St QUENTIN, en PICARDIE. FONSOMME est un petit
village de l'AISNE qui a beaucoup souffert lors de
la grande guerre de 1914-1918. C'est là qu'était
installée la Grosse BERTHA qui tirait sur PARIS.
Maman avait 17 ans à l'époque. J'en ai 16 au début
de ce récit. Je ne pensais pas revivre le même
calvaire suivi par ma famille. FONSOMME était
pendant la guerre 1914-1918 le premier village du
Front. Tout le pays devait céder et obéir sous le
poids du joug allemand, souffrant du froid, de la
faim, des épidémies, notamment de la grippe
espagnole qui fit tant de victimes parmi les
pauvres civils. Imaginez le désarroi de ma
famille, en apprenant l'invasion de la POLOGNE et
la déclaration de guerre !... Les souvenirs
revinrent en foule cherchant comment faire pour
nous éviter, à nous, les jeunes, de connaître ce
qu'ils avaient vécu, papa ayant été arrêté et
déporté en ALLEMAGNE en 1916. 1940. Hélas, entre
vouloir et pouvoir il y a un énorme fossé à
franchir. Malgré leur bonne volonté ils ne peuvent
éviter les événements suivants l'invasion de la
BELGIQUE le 10 Mai 1940. Nous ne sommes qu'à 100
km de la frontière belge, et nous voyons défiler
jour et nuit des files interminables de gens,
d'enfants, de vieillards. Ils fuient l'envahisseur
emportant literie, valises, paquets. Les uns plus
favorisés, dans des autos bourrées à bloc,
d'autres poussant des voitures d'enfants, chargées
et l'enfant à l'intérieur. Des brouettes...Enfin,
tout ce qui pouvait rouler. Mes parents
questionnaient ceux qui, fatigués, s'arrêtaient
pour une courte pause mais tous disaient : - Nous
avons les Allemands derrière nous, nous ne voulons
pas vivre avec eux, n'attendez pas d'être envahi !
Faites comme nous, partez ! .c.L'INVASION
- L'EXODE C'est ainsi que le 17 Mai 1940, mes
parents, ne voulant pas revivre le cauchemar de la
grande guerre, et voulant me protéger, décident de
partir. Nous étions en pleine zone d'un front qui
se rapprochait à pas de géant. Et c'est en famille
que nous avons tout laissé et qu'avec un minimum
de bagages, nous avons également pris la route.
Nous n'avions fait que 2 km quand nous avons subi
le baptême du feu par des avions ennemis qui
traquaient des troupes, à la traîne sur les
routes. Troupes mêlées à la cohorte des gens qui
fuyaient ; nous en faisions partie. Si nous avions
été moins tenaillés par la peur, nous aurions dû
faire marche arrière. Mais que faire ? C'était le
destin. Nous avons vécu sur la route un véritable
calvaire avec les enfants de la famille dont ma
petite filleule de 11 mois juchée sur mon
porte-bagages avant. Nous étions 6 en vélo,. Une
charrette attelée par une bonne jument,
POMPONETTE, avec, à son bord, le grand-père
invalide unijambiste, et notre vieille tante
impotente, qui ne pouvait bouger lors des
bombardements. Décrire les scènes d'horreur après
les bombardements est impossible, chacun cherchant
à sauver sa peau. Quoi de plus humain dans cet
exode. La "Cinquième Colonne" faisait son travail
de sape, qu'il est impossible de faire revivre. Il
faut l'avoir vécu ! Semant tantôt l'espoir, tantôt
le plus grand désespoir. Que de misères, que de
larmes, que de sang répandu, que de morts
innocents dans ce carnage. Jour et nuit, nous
avons marché pour arriver enfin dans la SARTHE, où
les Allemands nous suivaient de près. Là, nous
avons été regroupés à TUFFE, réconfortés par
l'accueil et l'apport de victuailles, nos réserves
étant épuisées depuis longtemps. Sur la route nous
avons même payé pour avoir un peu d'eau pour les
enfants, avant d'arriver dans ce département. .c.L'ARMISTICE Deux jours après, nous entendions des
bruits courir, disant que PETAIN avait demandé
l'Armistice. C'était vrai. Nous pensions avoir un
peu de répit, mais l'aviation italienne continuait
les bombardements alors que les Allemands avaient
cessé. Je l'ai dit au début, souvenirs atroces et
épouvantables. Puis les Allemands sont arrivés,
conquérant, prenant tout ce qu'ils pouvaient sur
leur passage, réquisitionnant blé, bêtes et
céréales. C'est ainsi que nous eûmes le chagrin de
voir partir notre jument POMPONETTE. Qu'est-elle
devenue ? Nous n'en savons rien. Après 2 mois
passés entassés à plus de 20 personnes dans une
pièce pour dormir la vie devenait intolérable,
tant pour les enfants que pour les adultes. C'est
ainsi que mon oncle et papa décidèrent de repartir
chez nous, pour voir ce qu'il était possible de
faire, enfin que cesse cette vie pour notre
famille. Nous sommes restés un moment sans
nouvelle, puis un jour, un coup de téléphone est
arrivé, ils étaient rendus à bon port. Ils
essayaient de remettre tout en état pour qu'à
notre tour nous puissions retourner au village qui
était maintenant situé en Zone Interdite, et ce
n'était pas facile de passer. Avec ma tante, maman
et les enfants nous avons d'abord regagné PARIS,
où nous fûmes hébergés chez une cousine, dans le
18ème Arrondissement. Nous y sommes restés à peu
près un mois. Il fallait faire la queue devant les
magasins pour se nourrir, le ravitaillement se
faisant de plus en plus rare. Je ne vais pas
raconter cette malheureuse époque et je passe ici
vers notre retour en Zone Interdite..c.PASSAGE
DE LA LIGNE DE DEMARCATION Nous avons pris le train vers la fin du
mois d'Août 1940, en gare du Nord pour St QUENTIN
et sommes arrivées à TERGNIER. Nous avons été
obligées de descendre du train, n'ayant pas de
laissez-passer pour franchir la ligne de
démarcation. Nous arrivions en Zone Interdite. Il
nous a fallu chercher des passeurs. Nous en avons
trouvé assez rapidement, car moyennant finance ces
gens nous faisaient passer la frontière, en
franchissant le canal à dos d'homme à JUSSY. Sur
l'autre rive nous étions en Zone Interdite. Pas de
moyen de locomotion, nous devions continuer à
pieds. Environ 50 km de JUSSY à St QUENTIN, et
ensuite 11 km pour FONSOMME. Je n'ose pas vous
dire dans quel état nous étions, d'abord sales car
nous avions passé une nuit cachées dans la paille
avant de pouvoir être traversées par les passeurs.
C'était entre deux tours de garde des Allemands.
Enfin nous avons réussi puisque nous étions sur la
route. Nous avions les pieds en sang mais
arrivions près du but, et kilomêtre après
kilomêtre, nous sommes arrivées devant les
premières maisons de FONSOMME. Notre coeur
battait. Qu'allions-nous retrouver ? Nous avons
continué notre route et nous n'avons pas tardé à
apercevoir notre maison. .c.A LA
MAISON OCCUPEE Papa était là, et nous attendait. Il vint
au devant de nous pour nous dire que notre maison
était occupée par un Officier allemand, que nous
devions aller en famille à la Kommandantur pour
demander le droit d'habiter notre maison. Nous
avons été interrogés pour faire connaître le motif
de notre départ. La maison avait été
réquisitionnée car les habitants étaient partis.
Enfin après bien des palabres, le chef de la
Kommandantur a décidé que l'Officier garderait une
chambre et que nous, nous pourrions habiter le
reste de la maison. La vie continua ainsi sous la
botte des Occupants. Je ne pouvais reprendre mes
études, l'école professionnelle que j'avais
quittée en Mai avait été bombardée et détruite. Il
me fallait donc trouver du travail. Mon premier
travail, c'est Monsieur CORDELETTE, Géomètre, qui
me l'a proposé. Je devais recenser les maisons des
environs de St QUENTIN et vérifier ensuite avec le
plan cadastral. Je faisais jusqu'à cinquante
kilomètres par jour en vélo et par tous les temps.
C'était très dur. Monsieur CORDELETTE était dans
la Résistance, je ne l'ai su que plus tard. Il
m'avait bien lancé des pointes, mais je n'y avais
pas répondu. En ce temps-là, on se méfiait de tout
et de tout le monde. .c.DANS
L'ADMINISTRATION Ensuite, j'ai pu entrer dans
l'Administration. Le Bureau des Charbons dépendait
de la Sous-Préfecture de St QUENTIN, le travail
était correct, mais au bout de quelque temps, nous
nous aperçûmes que notre Directeur collaborait
avec les Allemands. Il les recevait sans
rendez-vous et leur faisait livrer du charbon au
détriment des civils, c'était une sorte de marché
noir organisé. Les civils voyaient donc leur
ration diminuer. C'était intolérable ! Un jour
avec mon amie Micheline, nous lui avons soustrait
une griffe, il en avait deux ou trois, et à notre
tour, nous avons fait des bons que nous donnions
aux plus démunis. Mais nous risquions d'être
découvertes. Rester dans cette atmosphère nous
pesait, et nous cherchions à nous en évader, et
aussi quelle joie quand nous relevâmes sur le
journal deux annonces de concours, l'un pour les
P.T.T., l'autre pour la S.N.C.F. Micheline opta
pour les P.T.T., moi pour la S.N.C.F. C'était en
1943. Nous avons passé les concours et avons
toutes les deux été reçues. Il fallait attendre
les résultats, mais notre espoir était grand et
ensemble nous avons démissionné du Bureau des
Charbons. Micheline n'avait plus que son père qui
acceptait assez bien ses décisions. Elle n'avait
pas connu sa maman morte quelques mois après sa
naissance. Quant à moi, il me fallait dire la
vérité à mes parents et je tardais un peu, car si
je me retrouvais sans travail, ça ferait vilain.
Enfin tout se passa bien, et en même temps
Micheline et moi recevions nos affectations.
Micheline eut la chance d'être nommée à St QUENTIN
et moi, je devais partir pour HIRSON. Il est vrai
qu'à cette époque, le personnel masculin faisait
défaut, et nous devions vite rejoindre nos postes.
Je n'avais que quelques jours devant moi, pour
annoncer mon départ à mes parents. Leurs réactions
étaient celles que j'attendais, pour eux ce
n'était pas drôle de me voir partir en pleine
guerre, à 100 km de là. J'avais deux cousins dans
la Résistance à FONSOMME, nous avons été élevés
ensemble par maman, je les considérais donc comme
des frères. Ils m'avaient encouragé à saboter mon
travail au bureau des Charbons. Ils me dirent que
j'avais fait le bon choix et que je devais partir.
A cette époque-là, ils me demandaient aussi des
petits services : porter des tracts ou des
journaux clandestins, même des messages. Pour moi
c'était facile de faire ces petites choses. Je
faisais chaque jour la route FONSOMME - St QUENTIN
et je pouvais suivre leurs instructions. Mes
parents n'ont jamais rien su. .c.HIRSON C'est ainsi que je pris mon service à
HIRSON affectée comme téléphoniste en gare ainsi
qu'à la circulation des trains. Il y avait deux
standards, le Français et l'Allemand dans le même
local qu'occupaient les Allemands. Les standards
se trouvaient de part et d'autre de la pièce. Les
informations étaient à peu près semblables. Les n°
des trains, leur destination, les chargements en
hommes et en matériels. Il était donc facile de
relever les trains de munitions et de troupes, et
de passer ces renseignements. En complicité avec
le dépôt, à une heure bien déterminée, j'étais
appelée et suivant le code du jour, je donnais les
renseignements que j'avais pu recueillir. Je ne
connaissais pas mes correspondants, à part NORBERT
du dépôt. J'avais été contactée par des gars du
Front National d'alors, qui n'avait rien de commun
avec le Front National actuel de LE PEN.
Heureusement, car nous étions tout le contraire.
J'ai appris plus tard que ces renseignements,
étaient transmis par un poste émetteur-récepteur
aux Alliés, mais je n'ai jamais su où se trouvait
ce poste, pas plus que les dépôts d'armes. C'est
mieux pour l'avenir. Nous avions souvent la visite
de l'aviation anglaise. J'ai à mon actif, d'avoir
communiqué la présence de plusieurs trains de
munitions et d'un Etat-Major allemand, logeant au
buffet de la gare. Les Alliés sont venus un soir
de Mars 44 bombarder les trains, le buffet et la
gare. Je me suis retrouvée ensevelie sous les
décombres avec les Allemands qui étaient morts de
peur. Je ne sais pourquoi, malgré les explosions,
le feu, la fumée, je n'ai pas perdu mon
sang-froid. J'ai réussi à me sortir de là par une
brèche d'où venait la lueur des explosions. Je
n'ai pas demandé mon reste. Les Allemands firent
de même, longeant les murs. J'ai quitté cet
affreux carnage, m'éloignant de la zone, où tout
sautait pour regagner la chambre que j'occupais
chez un brave couple de cheminots, à qui j'ai
demandé pardon à mon retour, car ils eurent des
ennuis à cause de moi. J'étais en bon terme avec
les téléphonistes allemandes, nous faisions les 3
huit ensemble, et c'est pendant les nuits, que
nous passions ensemble, que j'avais des
renseignements plus précis, sur certains convois.
L'une s'appelait RUTH, elle était un peu plus
distante, l'autre s'appelait REZI, elle parlait
beaucoup plus facilement. Elle voulait apprendre
le français. Elle m'avait même donné sa photo que
la Gestapo a trouvé dans mon sac. Elle me faisait
confiance et j'en étais ravie. .c.LA
DELATION Mais par une belle journée de printemps,
le 17 Avril 44, le soleil brille dans un ciel sans
nuage. De tant à autres on voit apparaître dans le
ciel, un nuage de petits points brillants,
lumineux, sous le soleil d'Avril. Ce sont les
Alliés qui sans répit reviennent vers nous,avec
les mêmes pensées, les mêmes espoirs : anéantir
cette race germaine qui nous oppresse depuis Mai
1940. Il est 14 heures. Il n'y a pas longtemps que
je suis réveillée, car je fais le service de nuit.
C'est déjà la prochaine, qui est la dernière. J'ai
rendez-vous avec une camarade entre 15 h et 15 h
30 pour lui faire mes adieux car j'ai décidé de
quitter HIRSON, cette nuit, même avec toutes mes
affaires ; ma valise est prête. D'ailleurs, j'ai
l'impression que ça sent mauvais ici, et j'ai un
poids sur la poitrine qui m'empêche de respirer
librement. 15 h. 15. Me voici en gare d'HIRSON.
Immédiatement, je vole aux nouvelles car AULNOYE a
été bombardée dans les mêmes conditions qu'HIRSON.
Vous voyez ce que je veux dire ! En définitive, je
remplace ma collègue quelques instants au
standard. Comme d'habitude, il y a des Boches en
gare et les Feldgendarmes sont là aussi. Je ne
prête aucune attention à l'un d'eux qui vient
causer à RUTH, la standardiste allemande. Je ne
devais comprendre que quelques minutes plus tard.
Soudain, la porte s'ouvrit violemment, et je vis
apparaître trois solides gaillards, en tenue vert
de gris, casquette à tête de mort, armés jusqu'aux
dents. Puis un quatrième en civil, un gestapiste,
le chef sans doute qui se dirigea vers moi, et me
dit en mauvais français : - Vous êtes bien
Fraulein Jacqueline Alexandre ? - Oui ! - Vous
tout de suite... komme bureau allemand ! Dignement
je quitte ma chaise, sous les yeux effarés de
RUTH. Je passe devant eux, puis, escortée ainsi,
je traverse la gare, sous l'oeil ahuri du chef de
gare et des autres cheminots. Ils me firent monter
dans une traction-avant noire jusqu'à la
Feldgendarmerie. Enfermée ensuite à la cave, avec
les rats. Puis ils perquisitionnèrent ma chambre
et fouillèrent ma valise. Ils y découvrent une
carte d'Etat-Major allemand. Pendant ce temps, je
grelottais à la cave, et je sentais les rats me
mordiller les souliers. Heureusement, vers 3
heures du matin, j'eus la joie d'avoir la
compagnie d'une autre femme, Fernande de CHAUNY,
pas très loin de TERGNIER, prise alors qu'elle
était en visite chez son beau-frère à MARTIGNY.
Elle m'apprit qu'elle n'était pas seule, en plus
de son beau-frère, six cheminots avaient été
arrêtés et étaient enfermés à l'étage. La
dénonciation avait porté ses fruits ! Grâce à
cette personne que je ne revis jamais, on vint
nous chercher pour nous enfermer au
rez-de-chaussée. Plus tard, j'ai appris que
c'était WIKENDEN, dit " l'homme à la verrue " qui
nous avait vendu. Il s'était introduit dans le
groupe en se présentant comme un agent de la
R.A.F. Le ver était dans le fruit. Il a même
assisté à l'arrestation des six hommes cités plus
haut. C'était un homme né de père anglais et de
mère française, lui-même naturalisé français. Il
s'était engagé dans les Waffen S.S. et a dénoncé
des centaines de personnes de l'AISNE du Nord,
d'HIRSON, CHATEAU-THIERRY, COMPIEGNE, SOISSONS.
C'était un triste sire qui a été arrêté après
s'être enfui avec les Allemands, qui se sauvaient
vers l'ALLEMAGNE, mais ramené en FRANCE pour y
être jugé à AMIENS. Mais revenons à notre récit.
Donc, la nuit avec Fernande n'eut pas de suite. A
5 heures du matin, on vint me chercher. On me fit
monter dans une camionnette découverte, avec des
jeunes hommes menottes aux mains serrées derrière
leur dos. Il fallait rester impassible. Aussitôt,
nous prîmes la route de St QUENTIN. C'est ainsi
que je fis la connaissance de Robert LEROY, de son
père, de Jean LECHAT, de Moïse CAVILLON et des
autres dont j'ai oublié le nom et je le regrette.
Je me nommais à mon tour. Surpris, l'un d'eux
répondit : - C'était donc vous ! J'appris ainsi
qu'ils étaient du groupe MARTIGNY-LEUZE, et que
j'en faisais partie. Nous ne devions pas nous
faire voir de nos gardiens, heureusement ils
tournaient le dos. Je savais que nous allions sur
St QUENTIN car je connaissais la région. Je savais
aussi que notre destination était sûrement l'Hôtel
des 4 Boules ou, si vous voulez, la prison, mais
aussi le siège de la Gestapo, Place Mulhouse. LA PRISON
DES 4 BOULES Mes parents furent avertis dans les jours
qui suivirent, eux qui ne savaient rien, sont
tombés de haut et j'imagine leur désarroi. Nous
avons été séparés et mis en cellule chacun de
notre côté. Moi, je me suis retrouvée dans une
cellule de 3 mètres sur 2 avec 5 autres détenues.
Une ancienne était là depuis plus d'un an et nous
n'avons jamais su ce qu'elle avait fait, les
autres étaient plus ou moins des Résistantes. Je
suis partie avant de le savoir. La cellule n'était
guère confortable, 3 lits de chaque côté, scellés
dans le mur ; une petite table avec un bassin et
un robinet, une tinette pour la toilette. Ce
n'était pas drôle ! Les anciennes passaient en
premier et se mettaient nues pour faire leur
toilette, chacune devait en faire autant. Quand
les 5 autres furent passées, il me fallait bien le
faire moi-même. Il fallait faire taire sa pudeur
et son orgueil. Au début, j'avais l'impression
d'assister à une séance de voyeurisme, et puis
après, je m'y suis habituée. La tinette était
vidée tous les matins dans les W.-C. installés à
l'étage. Dès le premier mois, je n'ai plus eu de
règles. Je les ai eu à nouveau 2 mois après mon
retour. La vie à présent était réglée. Réveil le
matin à 6 heures. Un bol de café au malt était
distribué avec un morceau de pain. A midi, le
repas était composé de rutabaga ou de féculents ;
le soir, une soupe et un morceau de pain ; comme
boisson de l'eau. Les journées passent lentement.
C'est ainsi que j'ai appris à jouer aux cartes,
malgré l'interdiction. Une ancienne avait fait un
jeu de cartes avec un carton récupéré d'un colis.
Nous chantions et il y avait le téléphone arabe.
Les nouvelles bien souvent fausses, allaient bon
train. Quelques jours après mon arrivée, la
gardienne est venue m'avertir que je devais aller
à l'interrogatoire, Alexandre : " Komme ! ". Une
traction-noire attendait dans la cour de la prison
et 2 hommes en civil. C'est ainsi encadrée que
j'arrivais à la Gestapo de la Place Mulhouse.
Interrogée par le Capitaine BAUCKLOC qui était un
bel homme blond, l'air sympathique. Il parlait un
français impeccable sans accent, j'en suis restée
stupéfaite. Je n'en menais pas large car il avait
la réputation d'être cruel. Ce premier
interrogatoire, a été assez courtois : Identité,
questions sur ma famille mais surtout : - … Pour
quelles raisons êtes-vous terroriste car vous avez
fait périr des Allemands volontairement… C'était
vrai, mais pas question d'avouer. - … Avec qui
faisiez-vous de la Résistance ? Vous connaissiez
Moïse CAVILLON ? Je nie, je nie tout, mais il se
fâcha me traitant de sale menteuse. Qu'il savait
ce que j'étais capable de faire. - … Si vous
parlez, votre affaire sera moins grave. Dites-moi
le nom de vos complices, l'endroit où est situé
votre poste-émetteur, les dépôts de munitions !
J'ai toujours répondu que je n'étais pas au
courant, que je ne savais pas ce qu'il voulait
dire, que je ne comprenais pas la raison de ses
questions. Il ne se décourageait pas et pendant 2
heures, il m'a posé et reposé les mêmes questions,
puis il dit : - … Réfléchissez bien, car vous
reviendrez et si vous n'avouez pas, vous serez
déportée ou fusillée. Vous avez trop de morts sur
la conscience ! - Quelle mort ? - Comment,
n'est-ce pas vous qui avez donné les
renseignements sur les trains de munitions et la
désignation du buffet de la gare d'HIRSON, où des
hommes d'élites ont disparu, tués par votre faute
? C'était un Etat-Major au complet et des
Officiers supérieurs. Vous êtes une très
dangereuse terroriste ! Enfin il sonna, et je
retrouvais le chemin de la prison… Mes camarades
d'emprisonnement pensaient me voir revenir avec le
nez ou un bras cassé, mais, pour cette fois, je
n'ai pas été battue ni torturée, simplement
menacée. J'espérais à nouveau. Et puis il y a eu
le 6 Juin, jour du Débarquement, et nous avons
toutes chanté une vibrante MARSEILLAISE, pensant
que la guerre serait finie dans un mois et que
nous serions libérées. Hélas, la vie en prison
continua, pleine d'espoir et de désespoir. Maman
venait deux fois par semaine me porter du linge et
des gâteries. Mais le linge, après avoir été
fouillé, passait. Et pour les gâteries il restait
quelques miettes. Elles pouvaient être grasses,
celles qui nous gardaient ! J'écrivais sur des
bouts de tissus que j'arrachais dans le linge que
maman m'apportait. Je mettais ces bouts de tissus
dans le fond de ma culotte et je salissais la
culotte le plus possible pour qu'elle ne soit pas
fouillée. Tout passait, mais maman n'a jamais osé
me répondre. Dieu, que j'étais fébrile en
fouillant mon linge, et déçue ensuite ! Maman
avait peur, elle avait gardé sa peur de la grande
guerre, elle avait peur des représailles. J'avais
l'espoir de retrouver tous ces messages, lors de
mon retour. Maman, par peur, les avait détruits.
J'ai bien regretté ce manque de courage, et puis
j'ai pardonné. La peur ne se commande pas. Puis
j'ai été de nouveau appelée pour un deuxième
interrogatoire. Le Capitaine BAUCKLOC m'a reçu en
me disant : - Alors Mademoiselle Alexandre, vous
avez bien réfléchi, vous allez parler ? Je vous
l'ai dit, je n'ai qu'une parole…Si vous dites la
vérité aujourd'hui, demain vous serez libre.
Sachant que, même si je parlais, rien ne serait
changé à mon sort, je suis restée de marbre. - …
Dites-moi enfin que vous connaissez Moïse
CAVILLON, il a avoué vous connaître. - Non je ne
le connais pas ! Je ne sais pas de qui vous voulez
parler. - Vous avez un culot terrible ! Dites-moi
où est ce poste-émetteur, les munitions, vos
complices. Parlez, ou vous aurez une condamnation
sans appel !. Ce jour-là, en arrivant devant la
Gestapo, j'avais vu maman sur le trottoir. Elle
n'était pas seule, mais je n'ai vu qu'elle. Nous
avons échangé un long regard, pour elle chargé
d'angoisse, pour moi, vif et plein d'espoir,
voulant lui donner confiance. Quand je suis
sortie, elle n'était plus là. De toute façon, je
n'aurais rien pu faire, rien d'autre. La vue de
maman m'avait redonné courage pour tenir tête à
BAUCKLOC. Quoiqu'il arrive, je ne parlerais pas.
Il s'est encore mis en colère, a donné un coup de
poing sur la table, mais il n'a pas appelé les
tortionnaires. D'un air venimeux, il m'a dit : -
Disparaissez de ma vue, vous serez fusillée ! Les
gestapistes m'ont ramené à la prison des 4 Boules,
et la vie en prison, a repris son train-train
monotone. Un matin, il y a eu un départ d'hommes
et nous écoutions les noms avec attention. Tout à
coup, j'ai entendu FALENTIN Emile. " Présent ! ".
D'un bond j'ai grimpé au vasistas et je l'ai
appelé : - Mimile, Mimile, c'est moi Jacqueline.
Ne t'inquiète pas, la guerre va bientôt finir. On
les aura, courage ! Vive la FRANCE ! Une rafale de
mitraillette est passée au ras de mes cheveux. Je
suis descendue en vitesse, mais mon message était
passé. Hélas il est parti par le train du 2
Juillet, et il est mort à NEUENGAMME après sa
libération. En-dessous de notre cellule il y avait
un prêtre de SOISSONS. Il disait la messe tous les
matins et élevait la voix pour que nous puissions
tous entendre la messe, en priant pour notre
libération. Nous pensions toujours que les Anglais
arriveraient à temps pour nous délivrer. Ce prêtre
nous a bien aidé, il nous a encouragé à garder le
moral et à prier. Il a été déporté lui aussi. Je
l'ai revu après mon retour, il est venu faire une
conférence sur la déportation au cinéma " LE
CARILLON " à St QUENTIN. Je suis allée le voir
dans sa loge. Nous nous sommes embrassés, heureux
d'être en vie. Il a absolument voulu me présenter
au public comme témoin de notre incarcération à la
prison des 4 Boules, me remerciant pour avoir
chanté dans la cellule et il m'a assuré avoir été
réconforté par mes chants joyeux ou patriotiques
comme l'étaient les autres détenus. Nous arrivions
à chanter tous et toutes en choeur les refrains à
la mode en 1944. La prison c'était la promiscuité,
mais si nous avions su alors ce qui nous
attendait, nous aurions désiré y attendre la fin
de la guerre. Le destin veille ! Le 12 Juillet
1944, des bruits de clé fonctionnent à tous les
étages, ils nous avertissaient qu'il se passait
quelque chose. Effectivement, les bruits de clé se
rapprochaient et la porte de la cellule fut
ouverte. - Alexandre ! Paquets ! Départ ! .c.DEPART
DE L'HOTEL DES 4 BOULES Nous fûmes rassemblés au rez-de-chaussée,
et malgré les appels au silence, nous voulûmes
faire connaissance. Je comptais trente personnes,
parmi elles Simone FRANKINET que je voyais pour la
première fois. Elle a été arrêtée, à peu près en
même temps que moi. Son frère et son fiancé sont
incarcérés également, ils seront déportés par la
suite. Seul son frère Marcel est revenu, Simone
était de GUISE. Ce n'était pas loin de FONSOMME.
C'est ce qui nous a rapproché. Nous ne devions
plus nous quitter. Un camion était dans la cour,
la gardienne nous appela à tour de rôle, et nous
indiqua que nous devions nous installer dans ce
camion. Il y avait 3 bancs de bois. C'était
suffisant, mais nous emportions valises et
paquets, il fallait tout caser. Auparavant, l'on
nous avait rendu nos affaires personnelles, sac à
main, argent, bijoux, papiers, enfin ce que peut
contenir un sac de jeune fille ou de femme. Je
constatais, avec satisfaction, que l'on m'avait
laissé ma carte S.N.C.F., mon brassard pour
circuler librement, et le laissez-passer que
j'avais pour circuler de nuit. Le chauffeur essaya
de nous parler, il était Français, mais un
retentissant "Ruhe ! " coupa court à toute
discussion. En quittant la prison de St QUENTIN,
l'Allemand qui paraissait être le chef, avait une
liste à la main. Il s'adressa à un des gardiens.
Ils étaient quatre, fusils-mitrailleurs, casqués,
bottés, comme pour un siège. J'avais bien vu des
conciliabules au moment du départ, mais je ne
pensais pas en être la cause. C'est Suzanne,
restauratrice de COMPIEGNE, arrêtée aussi pour
Résistance, qui comprenait l'allemand, mais ne
l'avait pas signalé, qui nous a averti en
cachette, après le départ de la prison. Elle me
dit : - Surtout, ne bouge pas, ne fais pas de
geste qui pourrait se retourner contre toi, car
les ordres donnés aux gardiens sont formels à ton
sujet. Si l'un d'eux te voit faire un geste de
révolte ou autre, ils ont l'ordre de t'abattre
comme un chien galeux. Alors je t'en prie ! Ne
bouge pas ! Notre vie serait en danger. Imaginez
ma stupéfaction ! J'avais bien eu des gestes
rebelles avant de monter dans le camion, mais une
telle haine me dépassait. Il est vrai que j'avais
la réputation de dangereuse terroriste, et
condamnée à être fusillée. Est-ce qu'un ordre
déguisé ne suivait pas!.Ce qui ne m'empêcha pas
d'entraîner les autres à chanter la MARSEILLAISE,
et bien d'autres chants patriotiques, d'écrire des
mots pour mes parents, leur indiquant que je
partais pour ROMAINVILLE. Tous les mots sont
passés par les fentes du camion, et ils sont
arrivés. Mes parents purent ainsi avertir de la
famille à PARIS et en banlieue, pour me faire
porter des colis. Ma famille s'est bien présentée
à ROMAINVILLE pour essayer de me voir, mais ils
furent refoulés à plusieurs reprises. Le motif :
rien pour la fille Alexandre. Les ordres sont
formels. .c.ROMAINVILLE Nous sommes arrivées le 12 Juillet, dans
la matinée, à ROMAINVILLE. Débarquées dans une
cour inondée de soleil, on nous fit mettre en
rang, comptées cinq par cinq, et on nous fit
entrer dans une grande pièce, meublée de châlits à
deux étages. C'était plus confortable qu'à la
prison, mais il y avait des punaises. Adieu le
sommeil, c'était atroce ! Le réfectoire où nous
devions prendre nos repas était aussi une grande
pièce avec des tables. Suzanne a été nommée chef
de table. Les prisonnières assuraient les
différents services. Il fallait aller chercher la
nourriture à la cuisine où se trouvait un Officier
qui surveillait la distribution des aliments. Les
repas étaient composés de purée, ou de pâtes, ou
de haricots secs, et du café au lait. Je me
rappelle de mon premier repas : ragoût de haricots
avec quelques morceaux de viande. Un Officier fait
l'appel l'après-midi, pour nous compter. Toujours
en rang, cinq par cinq, il y a plusieurs appels
dans la journée. C'est par un coup de sifflet que
nous sommes averties et nous devons nous mettre au
garde-à-vous devant cet Officier, pour être
comptées. Ces contrôles, c'est leur préoccupation
principale. Les Allemands ont peur, les erreurs se
multiplient, alors on nous compte et on nous
recompte jusqu'au bon compte. La discipline n'est
pas trop sévère. Nous lions connaissance avec
d'autres détenues. Nous nous rassemblons par
affinité, mais maintenant que nous sommes deux,
nous nous sentons plus fortes. Pourtant, Simone
est petite, pas très grosse, mais elle est solide
et a un moral en or. C'est réconfortant.
Contrairement à la prison, nous pouvons nous
laver. Il y a de l'eau chaude, c'est agréable de
pouvoir enfin se décrasser. Il y a aussi des
toilettes, mais pas de porte. Ça ne fait rien,
c'est mieux que la tinette. Nous sommes presque
libres, puisque nous pouvons nous promener dans la
cour et profiter du soleil. Les nouvelles sont
rassurantes : les Alliés avancent, bientôt ils
seront là. Nous ne partirons peut-être pas. Hélas
! Je ne suis restée que cinq jours à ROMAINVILLE.
Le 18 Juillet au matin, appel général. Cinq par
cinq, on nous fait mettre en rang, et de nouveau,
des camions arrivent pour nous emmener. Nos
illusions s'envolent. Cette fois, c'est le grand
départ. Nous partons par le pont-levis en chantant
" Ce n'est qu'un au-revoir mes soeurs ", chant
repris par celles qui restent, mais qui suivront
ensuite. Et nous arrivons à la gare de l'Est,
encadrées de nombreux gardiens. Chargés de nos
bagages et de nos colis de la CROIX-ROUGE, reçus
avant le départ de ROMAINVILLE, ils étaient
précieux ces colis : sardines, pâtés, pain
d'épices, chocolat. Quelques-unes l'avaient déjà
ouvert en cours de route. Comme elles ont bien
fait ! Nous sommes sur les quais. Un train de
voyageurs est là. On nous fait monter, toujours en
nous comptant et nous prenons place dans des
wagons de troisième classe. Les gardiens sont
placés d'un côté et d'autres du wagon, deux dans
le couloir. On nous recompte avant le départ. Le
compte est bon et des ordres sont donnés, les
portières claquent, le train roule. Adieu PARIS !
Adieu la FRANCE ! .c.DESTINATION INCONNUE Nous ne connaissons pas notre destination
mais nous savons que nous allons vers l'ALLEMAGNE.
Simone et moi ouvrons un colis pour nous restaurer
un peu, mais nous voulons économiser de la
nourriture pour l'avenir. Nous en aurons peut-être
besoin. Le train roule doucement, les voies ne
semblent pas très bonnes. La nuit tombe, et
bientôt, nous essayons de nous caser pour dormir
un peu. Nos gardiens font la noce au bout du
wagon. Ils boivent et ils chantent. Nous espérons
que ça ne durera pas toute la nuit. Nous pouvons
aller aux toilettes sans problème, heureusement,
et là il y a une porte,. Les arrêts sont
fréquents. Il y a certainement eu des sabotages ou
des bombardements. Nous avons été stoppés en
pleine nuit, non loin d'une gare. Nos gardiens
étaient enfin endormis, et nous les entendions
ronfler. Avec Simone, nous nous faufilons jusqu'à
la porte du wagon. N'entendant aucun bruit, je
descends sur la voie et avance doucement pour
reconnaître l'endroit. Un panneau; avec une
flèche, indique REIMS. Je me sents pousser des
ailes et j'essaie de décider Simone à me suivre,
car j'ai tous mes papiers, les cheminots nous
aideront. Mais Simone reste sur le marchepied.
Elle me fait la morale : - Rends-toi compte si
nous sommes reprises, tu sais ce qui nous attend,
et puis mon frère et mon fiancé sont toujours à St
QUENTIN. Ils peuvent les fusiller, et tes parents
tu y penses, tu y penses, eux qui n'ont rien fait
peuvent être arrêtés à ta place ! Je crois que
cette phrase a fait tilt, car à mon grand regret
je me suis calmée. Je suis remontée dans le wagon,
et nous avons repris nos places. Les sabotages ne
manquaient pas sur la voie ferrée. Nous faisions
maint détours pour gagner la frontière. Les
cheminots continuaient leur bon travail. Chaque
fois que nous devions rebrousser chemin pour cause
de sabotage, je leur envoyais une pensée
reconnaissante. Comme pour le transport de St
QUENTIN à ROMAINVILLE, j'ai écrit tout le temps à
mes parents, et je jetais mes messages par la
fenêtre. Tous ces messages sont arrivés jusqu'à
NANCY, après, il n'y avait plus d'espoir.
J'adressais mes pensées les plus reconnaissantes à
tous ces cheminots qui ont fait un travail
magnifique, sans arrière-pensée, avec tout leur
coeur. Ils ne se doutaient pas qu'ils faisaient de
la Résistance. Pour eux, c'était normal, c'était
ceux qui s'étaient engagés et que l'on déportait
ainsi. .c.NANCY Nous avons eu un arrêt en gare de NANCY,
et sur le quai d'à côté, un train était garé. Il
était plein de jeunes gens habillés en uniforme
allemand. Nous n'apprécions guère cela et nous ne
nous gênions pas pour leur dire des injures, mais
à notre grande stupeur, ils nous répondirent en
français, disant que ce n'était pas volontairement
qu'ils étaient là, qu'ils étaient Français comme
nous, qu'ils avaient été arrêtés et incorporés de
force dans l'armée allemande. C'était des
Alsaciens-Lorrains, âgés de 17 à 20 ans. Ils nous
ont demandé pourquoi nous étions là et où nous
allions. Nous n'avions rien à cacher et nous avons
vu de la tristesse dans le regard, mais l'un d'eux
nous dit : - Votre sort n'est peut-être pas
enviable, mais nous, nous savons que nous allons
sur le front, c'est la RUSSIE qui nous attend. A
la Libération j'ai su qu'il nous avait dit la
vérité, et que beaucoup de ces jeunes ont été tués
ou fait prisonniers. .c.SARREBRUCK Nous sommes donc arrivés en gare de
SARREBRUCK. Vers le 20 Juillet, la gare était en
flammes, elle avait été bombardée. C'était presque
un réconfort pour nous. Pourtant, nous allions
connaître ce qui sera pour nous la vie
concentrationnaire à SARREBRUCK. Des camions nous
attendaient, les Allemands nous firent monter avec
des : - " Los ! Schnell ! Schnell ! ", et nous
repartons. .c.NEU-BREMME Le trajet semble assez court car nous
arrivons devant un camp avec des barbelés et des
baraques en planches. Nos bagages ont été jetés à
terre. Chacune se précipite pour récupérer valises
et colis, puis on nous fait attendre, debout
devant un baraquement. Nous pouvons voir, au
centre, un bassin rempli d'eau presque noire. Il
fait très chaud, la chaleur nous accable. Un gradé
allemand vient se poster près du bassin, non sans
nous avoir observé. Il donne un coup de sifflet,
et horreur, nous voyons des personnages sortir des
baraques, qui n'ont plus rien d'humain, rasés,
pieds nus, habillés de guenilles. Ils doivent
courir tout autour du bassin, et de leur baraque
au bassin, à chaque coup de sifflet. Malheur à
celui qui s'arrête ou tombe, le gradé lui saute
dessus et le Schlag. On dirait une valse des
fantômes. Ils courent, courent et contournent le
bassin ; nous autres, nous vivons un cauchemar.
C'est hallucinant ! Ils ne sont pas loin de nous.
Nous ne pouvons rien tenter. L'un d'entre eux,
passant près de nous, nous dit qu'on allait tout
nous prendre, de mettre de la nourriture dans la
poubelle ; pourra-t-il aller le récupérer ?. Le
mot, "on va tout nous prendre", se répète de
bouche à oreille, certaines de nos camarades
avalent le plus possible de leurs réserves, mais
nous, nous restons sans voix. Nous ne pouvions
rien avaler. Jacquotte a vu un chien gavé au
ventre plein. Il vient de vomir sur le terrain,
non loin du bassin, où les prisonniers courent
toujours. Un des prisonniers est rattrapé et
traîné jusqu'à l'endroit où le chien a rendu. Jeté
à terre sur le sol souillé, le gradé l'oblige à
avaler le vomissement de la bête. C'est affreux!
Nous sommes délivrées de cet horrible spectacle
par une petite jeune fille. Nous apprenons qu'elle
est Lorraine et a été prise pour servir
d'interprète. Elle s'appelle Lisette. Elle nous
dit surtout de ne pas nous faire remarquer, ni
chercher à aider les pauvres hommes que nous avons
vus, ils seraient tués sur le champ et des
représailles pour nous. Il y a un peu de toutes
les races : Russes, Tchèques, Yougoslaves,
Français. Dans ce camp de répression, on doit
mourir au bout de quarante jours. Elle nous fait
entrer une derrière l'autre, par lettre
alphabétique, dans le baraquement qui sert de
bureau administratif. On nous prend les colis,
tout, tout, tout, et nous n'avons plus que nos
vêtements. Nous signons un registre et c'est tout.
On nous enferme dans une baraque pour finir la
nuit. Nous étions exténués, et nous nous
allongeâmes sur le parquet humide. C'était sale et
bientôt nous fûmes remplies de puces. Nous
n'arrêtions pas de nous gratter. C'était le
commencement d'un nouveau sport. Alors, nous fûmes
tirées de notre torpeur par des femmes à la voix
gutturale, femmes S.S., femmes méchantes qui ne se
gênaient pas pour distribuer gifles et coups de
poing. C'est l'appel, il pleut. On nous fit mettre
cinq par cinq, au garde-à-vous dans la cour, puis,
une par une on nous fouille, c'est une grosse
Gretchen qui en était chargée. Jusqu'à midi nous
sommes restés là, debout, sans bouger, sans
manger, sous la pluie ; nous n'en pouvions plus,
d'autant plus que nous eûmes droit à la même
séance que la veille avec ces pauvres hommes
squelettiques ; nous devions nous taire et ne pas
crier d'horreurs devant ces atrocités. Lisette
nous avait prévenu : - Surtout, restez calmes, ne
faites pas voir votre peine ! Les geôliers
redoubleraient de cruauté. Parfois un homme était
jeté dans le bassin la tête maintenue sous l'eau,
le pire c'est que dans cette eau, les prisonniers
y lavaient leurs gamelles, la buvaient, et les
tinettes, après avoir été vidées, étaient rincées
également dans ce bassin. Quelle horreur !.
Lisette nous a annoncé qu'un Transport allait
partir. C'est certainement pour nous. Le bruit
court que nous allons partir pour RAVENSBRUCK .
Nous avons fait à NEU-BREMME, la connaissance
d'une femme que nous avions d'abord appelé
Jésus-Christ, en réalité elle s'appelait Marcelle
BRUET et était de la COTE-D'OR. Cette pauvre femme
avait une magnifique chevelure noire toute frisée,
mais depuis son arrestation, elle avait une
épaisse barbe noire, qui encadrait sa figure, elle
faisait la risée de certaines. Mais pourquoi être
méchant devant ce que fait la nature, elle nous a
dit qu'avant d'être arrêtée, elle se rasait tous
les jours, en même temps que son mari, les
Allemands se sont bien gardés de lui procurer le
matériel ou de la faire raser, ils en riaient,
mais Marcelle restait de bois devant eux. Départ
de NEU-BREMME. Nous sommes le 24 Juillet 1944. La
gardienne hurle en distribuant des gifles et des
coups de poing, d'un côté et de l'autre.
Distribution pour le voyage : un demi pain et un
peu de saucisson. On nous prévient de ménager les
vivres, car le voyage sera long ; en tout cas,
c'est avec soulagement que nous quittons
NEU-BREMME. Une gardienne qui nous reprochait
notre indiscipline, notre lenteur à exécuter les
ordres, nous dit : - Vous allez voir, vous allez
être dressées à RAVENSBRUCK. Ce nom n'échappe à
aucune, mais le reste de la phrase nous a été
traduit par une camarade qui parle allemand, elle
essaie d'en savoir plus, et nous avons pu situer
ce fameux RAVENSBRUCK, entre BERLIN et la
BALTIQUE. Nous allons nous éloigner encore plus de
notre pays, mais nous sommes contentes de quitter
ces lieux cauchemardesques, ces squelettes
déambulants, hagards, roués de coups, déguenillés,
affamés, que pouvait-on ajouter à la misère de ces
hommes, si, selon le régime du camp, on devait
mourir dans les quarante jours. Impossible de voir
pire, il faudrait inventer. Lisette nous dit
au-revoir et nous souhaite du courage. Des paniers
à salades nous attendent pour nous emmener à la
gare. Les bâtiments sont détruits, mais les voies
sont réparées, nous nous trouvons devant un train
de marchandises, où, après avoir été comptées et
recomptées par des gardiennes S.S.. Des Roumaines
S.S., cravaches à la main, excitant leurs chiens à
grands cris, nous font monter et entasser dans les
wagons à bestiaux aux cris de : - " Schnell !
Schnell ! Los ! ". On nous pousse à coups de
cravaches, c'est dur de grimper dans ces wagons.
Sur le sol un peu de paille déjà utilisée ; à
l'extrémité du wagon, une tinette. Clac !. Les
portes sont fermées, nous essayons de nous
installer. De nous asseoir toutes est impossible,
on décide de faire par relais, une partie pourra
s'asseoir, et l'autre restera debout. Il n'y a pas
d'air, rien qu'une lucarne grillagée de barbelés
où se sont mises les plus malignes, mais il faudra
un tour de rôle pour pouvoir respirer, car en ce
mois de Juillet, dans ces wagons surpeuplés, nous
sommes une centaine à peu près, les lucarnes sont
trop petites et la sensation d'étouffement devint
vite insupportable. Il y a eu des crises de nerf,
calmées par de grandes gifles. Notre lit de paille
est devenu si mince qu'au moindre mouvement, cette
paille vole au-dessus de nous, avec la poussière,
l'air devient irrespirable, il faut changer, les
debout assises, les assises debout, et chacune
s'approche à tour de rôle en jouant des pieds et
des mains pour respirer une bouffée d'air. La soif
commence à se faire sentir, elle aussi. Le demi
pain est déjà entamé. Nous roulons doucement,
probablement à cause de l'état des voies. La
fraîcheur vient avec la nuit, notre respiration
forme comme une buée, contre les parois du wagon,
les privilégiés près de ces parois peuvent lécher
les gouttelettes précieuses. La tinette a été vite
remplie et commence à déborder, ce qui restreint
encore la place car celles qui sont autour
s'écartent de plus en plus. Le lendemain, dans la
journée, notre convoi s'immobilisera, les wagons
seront ouverts sans ménagement, nous sommes
fatiguées, engourdies, l'air bienfaisant pénètre
un peu, nous avons l'autorisation d'aller vider la
tinette mais les S.S. et les chiens veillent, il
ne faut pas s'écarter. Un robinet d'eau le long du
ballast, désaltère à demi celles qui peuvent
arriver à ce filet qui coule, nous sommes environ
cinq cents à six cents femmes à désaltérer, il
fallait sauter d'assez haut sur les cailloux
roulants et ce n'était pas facile. Aussi certaines
d'entre nous n'auront pas la satisfaction de boire
un peu d'eau, pas plus que d'autres malades ou
personnes trop âgées pour descendre du wagon, et
rien pour leur apporter un peu de ce breuvage tant
désiré. Par les lucarnes nous avons pu voir les
ruines de certaines villes entièrement détruites :
FRANCFORT-SUR-LE-MAIN, COBLENCE, BERLIN. Sur des
kilomètres, des ruines et des ruines.
Sentaient-ils qu'ils n'étaient plus le seul maître
à bord..c.FURSTENBERG FURSTENBERG dans le MECKLEMBOURG. Nous
sommes le soir du 28 Juillet 1944. Notre train
stoppe à nouveau, nous arrivons à FURSTENBERG où
nous étions attendues par la relève. Une multitude
de S.S. hurlant, chiens hargneux, gardiennes
teigneuses, de vraies tigresses. A demi-endormies,
courbaturées, ne pouvant plus nous remuer, la
réception fut brutale. On nous fit mettre sur
"Fünf zu Fünf" et à nouveau le comptage,
heureusement le compte était bon du premier coup.
Le départ eut lieu dans un paysage de détresse,
sol marécageux, des corbeaux par centaines. Le
soleil couchant était encore chaud, la soif ne
nous laissait plus de répit et nous étions
étourdies par les cris de nos bourreaux, les
injures que je ne citerais pas. La montée aux
enfers se faisait au pas de charge. Le camp
n'était pourtant pas très loin, environ 3 à 5
kilomètres. Au passage, nous avons vu les villas
des S.S. bien entretenues, envahies par des
géraniums de toutes les couleurs. Au bout de cette
route, un grand mur vert de gris, un poste de
garde, une grande porte, des sentinelles tout le
long, puis, passage d'une deuxième porte, celle
qui est ceinturée d'une rangée de fils de fer
barbelés électriques, celle qui faisait le tour du
camp et des miradors éclairés par des projecteurs.
A partir de cette porte on nous compte encore au
fur et à mesure du passage de cette colonne de
femmes déjà épuisées, et nous ne faisions
qu'arriver. .c.RAVENSBRUCK Pour la première fois depuis notre
départ, nous recevons une louche de soupe avec une
Schüssel et une cuillère, qu'il faudra garder
précieusement et de nouveau, toujours en rang
,nous attendons debout alors que nous sommes si
lasses. Des colonnes de robes rayées rentrent dans
le camp. D'autres en sortent. Ce sont les équipes
de jour, qui se croisent avec celles de nuit.
C'est le Nachtschicht (narchiste), puis les
gardiennes nous font mettre en rang devant les
douches et on nous appelle, "Fünf zu Fünf", dans
un bureau. On nous demande tous nos bijoux, que
nous avons et on nous prévient que si nous
essayons d'en cacher, nous serons punies ; en même
temps, nous devons donner notre identité, notre
métier dans le civil. Je laisse ainsi une chaîne
en or, avec sa croix, des boucles d'oreilles, une
montre ; une gourmette, le tout en or, cadeau reçu
lors de ma première communion. Maman m'avait même
fait passé lors de mon séjour en prison la bague
que j'avais reçue pour mes 20 ans - bijoux de
jeune fille que j'ai laissé la rage au coeur. Pour
mes vingt ans également j'avais été me faire
photographier à St QUENTIN, en Novembre 1943 et je
n'ai vu cette photo qu'à mon retour. Nous sommes
ensuite passées sous la douche. L'une derrière
l'autre nous avons subi une fouille interne,
vaginale et rectale, faite par une S.S. la main
gantée de caoutchouc, gant qui a servi pour toutes
sans aucune désinfection ; j'ai su après qu'elle
cherchait des bijoux, je n'étais pas encore assez
dégourdie pour savoir cela, en tous cas il y a eu
là des bagarres dramatiques, pour celles qui ont
été prises. Ensuite, toujours nues, on visita nos
cheveux. J'ai eu la chance de ne pas être tondue,
Simone, Jacquotte, Lily, non plus, mais Michelle
MAGNIEZ qui avait de superbes boucles blondes, a
été tondue comme mon genoux et elle sanglotait, ce
qui faisait rire nos gardiennes. Nos vêtements
avaient été laissés à l'entrée des douches, des
détenues en faisaient le tri, lingeries, robes,
manteaux, tout était séparé et emporté, puis on
nous distribua une chemise pleine de taches, une
culotte et une robe civile, mais avec une grande
croix de couleur dans le dos, le pire est que la
taille n'était pas choisie. J'ai reçu une robe qui
s'arrêtait au-dessus du genou et des chaussures
avec au moins trois tailles au-dessous, le
contraire pour Simone et pour toutes, c'était la
même chose. Nous avons été obligées de nous
échanger robes et chaussures suivant notre taille,
la pauvre Marcelle BRUET, notre "Jésus-Christ",
tellement elle avait un beau visage, avait été
tondue mais pas rasée. Quelle méchanceté !
Malheureusement pour elle, car elle fut examinée
nombre de fois par des médecins qui jugèrent son
sort et un jour elle fut emmenée, probablement au
Block des expériences. Nous ne l'avons plus revu,
nous ne savons pas si elle a été brûlée ou gazée,
mais sa mort à RAVENSBRUCK est certaine. Les chefs
de Block sont des "Blockovas", elles sont chargées
de faire régner l'ordre et la discipline, mais
elles ont certains privilèges, notamment sur la
nourriture. Il y a des assistantes nommées
Stubovas. En général elles ne sont pas bonnes,
elles non plus, elles sont choisies parmi les
Russes, Polonaises ou Yougoslaves, elles punissent
les détenues, coupables ou non et n'hésitent pas à
pratiquer la délation aux S.S. rien que pour
recevoir une gamelle de soupe supplémentaire. Les
moins méchantes, sauf exception, sont les
Yougoslaves. Comme nous sommes en quarantaine nous
n'avons pas le droit de sortir, nous nous faisons
toutes petites, dans notre coin au réfectoire trop
petit, exigu et un tabouret pour deux ou trois, ou
s'asseoir par terre, mais les allées doivent être
libres. Nous pouvons utiliser l'eau des lavabos,
bien que la Blockova ait dit qu'elle n'était pas
potable. Nous guettons par les fenêtres, les
va-et-vient du camp, c'est ainsi qu'en fin de
journée, nous voyons revenir des colonnes de
travailleuses, certaines des Françaises approchent
des fenêtres pour avoir des nouvelles fraîches,
mais les gardiennes les font circuler à coups de
"Schlag", et les pauvres sont obligées de fuir.
C'est ainsi que nous avons fait la connaissance de
Geneviève DE GAULLE, elles est venue nous saluer
et nous réconforter, elle est toujours restée à
RAVENSBRUCK, au Block des tricoteuses, elle était
un peu considérée comme otage. Nous apprenions que
la vie au camp est terrible et le travail très dur
mais on n'a pas le droit d'être malade, les
déportées ayant un an de présence sont extrêmement
maigres et reçoivent des coups tous les jours. Les
gardiennes S.S. tournent sans cesse autour d'elles
pour distribuer des raclées, les Russes et les
Polonaises ne se gênent pas non plus pour les
aider à taper dans le tas des Françaises. Nous
voyons aussi des détenues habillées de robes à
rayures grises et bleues, elles déchargent du
charbon, plus loin elles transportent des sacs sur
leur dos. Nous ne voyons pas leurs visages. Une
colonne de femmes marchant au pas passent devant
nous, elles sont maigres, la plupart sont rasées,
elles ont un numéro et un triangle de couleur sur
leur robe, en passant devant nous l'une d'elles
dit : - Bonjour la FRANCE ! Nous sommes sidérées,
ainsi c'est ce que nous allons devenir. Nous avons
le réveil très tôt le matin, après, nous recevons
un quart de café et un morceau de pain. Un quart
de café !... de l'eau noire, chaude, nous le
buvons pour nous réchauffer, puis nous allons
faire la toilette, mais il faut faire la queue. Il
n'y a qu'une dizaine de robinets pour environ 1500
à 2000 femmes, de même pour la queue devant les
latrines, il n'y en a que cinq ou six. A midi nous
sommes encore là et la soupe est arrivée, ce sont
des Russes qui sont allées la chercher aux
cuisines, escortées par des Stubovas. Toutes avons
faim, on nous distribue une gamelle et une
cuillère, et nous ne devons pas la perdre, sous
peine de punition. Nous passons l'une derrière
l'autre devant les bidons pour recevoir une louche
de soupe, quand ce n'est pas un coup de louche
simplement, breuvage infect de rutabaga et
d'épluchures, mais nous mangeons car il faut
tenir. L'après-midi, nous restons dans le Block,
quelques-unes ont le courage de chanter et nous
reprenons en coeur, mais un " Ruhe ! " nous fait
taire et le silence revient. Le lendemain, une
Ausfserherin entre dans le Block avec un S.S. et
parle avec la Blockova, à part celles qui
comprennent l'allemand, les Russes et les
Polonaises, nous ne comprenons rien. La Blockova
parle en français, nous ne le savions pas.
Traduction : - Je viens de recevoir des ordres
formels, il faut que je vous les transmette. Si
parmi vous il y a des femmes voulant être bien
nourries, avoir une chambre seule et des jolies
robes, elles peuvent obtenir cela mais il faut
être volontaire et suivre l'Officier ici présent
qui les emmènera dans un bordel pour Officiers.
Nous sommes effarées et nous protestons, nous nous
révoltons, disant que nous avions été arrêtées
comme des soldats sans uniforme. Nous sommes
politiques, nous ne sommes pas des putains. - Ruhe
! Ruhe !… Silence ! crie la Blockova, sinon vous
serez punies ! Quelques femmes entourent déjà le
S.S. Dieu merci, il n'y a pas de Françaises, nous
avons raconté cela aux anciennes qui passent
devant notre Block le soir. Elles sont perdues,
nous disent-elles, 2 mois avec les Officiers, puis
les soldats et après c'est la chambre à gaz.
Quelle horreur ! C'est la première fois que l'on
entend parler de chambre à gaz. Nous n'allions pas
tarder à savoir ce que c'était. Il paraît que nous
ne finirions pas la quarantaine car nous ne
tarderons pas à partir en Transport. Nous sommes
ici depuis le 26 Juillet, on parle de nous faire
passer à l'infirmerie. Effectivement le lendemain
matin, à la fin de l'appel, nous nous apprêtons
pour rentrer dans le Block 23 quand une S.S. crie
: - Block 23, défense de bouger, tout le monde en
place ! Une Aufseherin et une Stubova nous font
remettre en rang, Fünf zu Fünf et au pas de charge
nous emmènent devant l'infirmerie, c'est le
Revier. La Stubova nous donne l'ordre de nous
déshabiller, nous sommes dehors, il est cinq
heures du matin, il fait froid. Personne n'ayant
bougé, l'Aufseherin s'énerve, hurle, hurle,
cravache à la main : - " Schnell ! Schnell !
Franzose ". Elle tape. Vite nous nous exécutons,
faisant un paquet de nos hardes, ce n'est pas
drôle de voir ces corps nus, grelottant, et les
pauvres vieilles essayant de cacher leur nudité,
elles pleurent, nous offrant un spectacle
lamentable et tout cela sous les regards de
soldats perchés sur une hauteur qui nous montrent
par leurs gestes que nous sommes au centre de leur
conversation. Nous restons ainsi debout jusqu'à
midi. Heureusement le soleil nous a gâté de ses
rayons. Enfin un homme en blouse blanche arrive,
il a plutôt l'air d'un maquignon que d'autres
choses, et sans même nous faire rentrer dans le
Revier, passe devant chacune de nous, nous fait
ouvrir la bouche, regarde les dents et note les
bridges et les dents en or sur un registre en face
du nom. En voilà un exemple ! Faire dénuder 2000
femmes pour ouvrir la bouche. Debout pendant huit
heures... Il faut vraiment être sadique pour faire
cela. Il y a 32 ou 33 Block. Je l'ai déjà dit,
mais nous avons appris que le Block 32 est le
Block des "petits lapins", elles sont survivantes
d'expériences pratiquées sur elles, sans être
endormies. Beaucoup sont mortes. Il n'y a que
quelques survivantes ! Quelques jours après la
visite du dentiste nous sommes à nouveau emmenées
devant le Revier, motif : visite médicale. Cette
fois on nous dit de rester habillées, de ne
retirer que la culotte. Nous avons attendu 3
heures, Fünf zu Fünf, nous entrons dans un local
occupé par une Allemande en blouse blanche : -
Allongez-vous sur la table, écartez les jambes !
Cette phrase est dite en allemand. Ne comprenant
pas, la détenue est poussée sur la table, les
pieds sont placés dans des cercles métalliques et
la doctoresse fait pénétrer dans le vagin un
spéculum. Elle est si brutale, que la malheureuse
rougit et hurle, l'Allemande la traite de " Hure!
" (Putain !) et la fait tomber de la table. Nous y
sommes toutes passées. Jeunes, vieilles, 2
religieuses. Six cents femmes de notre convoi sont
ainsi visitées, sans aucune asepsie. Cette visite
était, paraît-il, pour détecter la syphilis. Pour
nous, il semblerait que c'était pour une
contamination massive. Nous avons vécu avec cette
hantise jusqu'à notre retour, le moral n'était pas
au beau fixe. Le 14 Août, après l'appel, la
Blockova, nous fait rester sur place. Nous avons
peur. Une Ausfsrherinn nous nomme dans l'ordre
alphabétique. J'entends mon nom... Nous sommes
paraît-il prêtes à partir en Transport, nous
allons donc quitter RAVENSBRUCK pour
NEUBRANDENBOURG. Nous sommes en colonne dans la
cour d'appel quand nous voyons arriver une grande
dame qui nous dit s'appeller la Générale LELONG.
Elle voulait avoir des nouvelles de sa fille qui
n'était pas encore arrivée. Elle pensait qu'elle
faisait partie de notre Transport. Mais soudain
une horde de Aufseherin s'est jeté sur elle. Elle
a pris une raclée magistrale parcequ'il était
défendu de parler aux arrivantes. Ensuite elle fut
ammenée au Bunker et nous ne l'avons jamais revue.
Sa fille, qui était arrivée entre temps n'avait
pas revu sa mère lors de notre départ de
RAVENSBRUCK. Après nous devons rendre nos robes,
chemise, culotte, et passons sous la douche. On
nous rend une chemise, une culotte, une robe rayée
gris et bleu, un carré blanc pour la tête, c'est
le coiffe-tout Kopftuch, c'est l'uniforme des
déportées. La robe n'a pas de ceinture. Pour les
pieds, nous recevons des "pantines", semelles de
bois avec une lanière pour tenir au pied puis on
nous remet un triangle rouge et un numéro que nous
devons coudre sur la robe, le triangle rouge est
orné au centre d'un F pour les Françaises. Je
reçois le numéro 47320. Cette fois je ne suis plus
qu'une pièce sur le puzzle. Je ne serais plus
jamais appelée par mon nom, il me faut apprendre
par coeur en allemand mon numéro matricule. Nous
passons notre dernière nuit au Block 23. .c.NEUBRANDENBURG Et le 15 Août 44, c'est le grand départ.
Nous ne savons pas si nous devons être soulagées
ou si nous devons craindre le pire. A la gare de
FURSTENBERG nous montons de nouveau dans des
wagons à bestiaux. C'est la même comédie qu'à
SARREBRUCK, une centaine par wagons, pas d'air,
une tinette qui servira moins, et puis nous
commençons à prendre l'habitude de nous installer
pour le mieux et nous gêner le moins possible. Le
voyage n'était pas très long. C'est
NEUBRANDENBURG. Nous n'en sommes qu'à 80 km
environ et nous arrivons à la nuit, à la gare de
NEUBRANDENBURG qui est une succursale de
RAVENSBRUCK, au Nord, près de la BALTIQUE. On nous
conduit au Block 15, il est neuf. Le Block est
disposé comme celui de RAVENSBRUCK. A l'entrée de
chaque dortoir, quelques placards réservés aux
Blockovas et aux Stubovas. Notre chef de Block,
détenue comme nous, est une Yougoslave,
journaliste de métier, Madame RIGUEN, en français
madame REGENT, c'est elle qui nous accueille et
nous parle en français. Le camp n'est pas
comparable à RAVENSBRUCK, sauf que l'entourage est
fait en double exemplaire, de gros fils de fer
barbelés et électrifiés, sur une assez grande
hauteur. Il y a des têtes de mort, de place en
place, sur ces barbelés, nous savons ce que cela
veut dire. J'ai oublié de dire que le Waschraum ou
lavabo, et les latrines sont à l'intérieur du
camp. Je reviens à la situation du camp : quand
nous étions au repos, ce qui était rare, nous
pouvions voir un semblant de vie, les trains
passaient derrière ; plus au loin, la grande route
de STETTIN, (les Russes sont arrivés par NEU
STETTIN) ; la route du camp d'aviation, c'est la
route de FRIEDLAND. En venant de la gare, nous
sommes passées devant les villas des S.S. hommes
et femmes, c'était de belles petites villas
fleuries, se peut-il que ces villas aient abrité
des êtres si inhumains et sadiques, que les
bourreaux que nous allions connaître ? Toujours
quand nous n'étions pas punies le Dimanche, sur la
route qui passait devant le camp, nous apercevions
des prisonniers de guerre, avec le K.G. dans le
dos, se promener en galante compagnie, mais nous
avons essayé maintes fois de leur parler, hélas
sans réponse. Un mot ou un sourire nous aurait
bien réconforté, nous nous sentions rejetées. A
l'entrée du camp, le bureau du Commandant et de
l'Oberaufseherin, qui s'appelait ALLIOCHA. De
nombreux miradors autour du camp, avec des hommes
en armes et des mitraillettes de chaque côté. Ceci
en cas d'évasion. Notre Blockova, sans être
tolérante, était une vraie partisane, faisant en
sorte de ne pas être trop dure avec nous, malgré
l'indiscipline de quelques Françaises, c'est bien
connu. - Oh ! ces Françaises, disait-elle, elles
me feront mourir. Elle avait pris sous sa
protection plusieurs d'entre nous, notamment cette
jeune de la Marne, Solange RECHARD âgé de 19 ans,
qui sortait d'une méningite ; Solange lui doit
d'être encore en vie, d'ailleurs elle l'a revue
après la guerre, au cours d'un voyage en
YOUGOSLAVIE. Le lendemain de notre arrivée : -
Aufstehen, Kaffée Holen !, à 4 heures du matin et
appel sur la place, moins important qu'à
RAVENSBRUCK. Il y a 15 Blok dans le camp, plus le
Revier et les cuisines, Fünf zu Fünf, on nous
compte et on nous recompte, tandis que les
corbeaux tournoient au-dessus de nous, comme des
oiseaux de malheur. Après l'appel, les femmes sont
réunies en colonne et sortent du camp, d'autres
sont désignées pour des travaux à l'intérieur.
Pour le moment on ne nous dit rien, il fait beau
et nous faisons la reconnaissance du camp, c'est
ainsi que nous voyons en face du portail du camp,
une ligne de coteaux jaunes barrant la vue,
là-haut un bois de sapin, derrière se cache
l'aérodrome, nous sommes plus gaies, les anciennes
nous regardent étonnées de notre gaieté. - Ah !
vous croyez que vous êtes ici pour vous reposer,
vous allez bientôt savoir, à NEUBRANDENBURG on
fait surtout du terrassement, été comme hiver, et
vous verrez ce que c'est que la neige ! Mais nous
avons le moral, le moral assez haut, et nous
pensions toutes qu'à Noël nous serions libres,
mais ce repos ne dura pas longtemps. Vers la fin
Août les corvées commencent. Nous sommes prises
après l'appel. Il y a Simone, Jacquotte, Lily aux
yeux bleu, Louise BROSSUS, Marcelle JAKSON, Suze,
Madeleine, et bien d'autres. L'on nous emmène vers
un chemin où nous devions refaire une route, il
fait très chaud, nous devons remplir des wagonnets
de sable, les pousser sur les rail, et les vider.
Nous avons des pelles pour ce travail, et nos
mains sont bientôt pleines d'ampoules. C'est en
faisant ce travail que, très tôt le matin, nous
avions un moment de réconfort en voyant le soleil
se lever. C'est un spectacle magnifique, et nos
pensées allaient vers les nôtres, qui eux aussi,
voyaient le lever du soleil. Après une courte
pause, nous reprenions ce travail harassant, et
pour nous donner du courage, nous chantions .
Germaine AMIOT chantait " O Sole Mio", Lily des
chansons d'amour que nous reprenions toutes en
choeur, Gabrielle RISTORI, artiste lyrique, femme
de Maurice YVAIN, nous chantait des airs
d'opérettes. Les journées passaient, ne croyait
pas que nous étions libres. Il y avait toujours
une Aufseherin et une Lager Polizei pour nous
garder. Au moindre arrêt elles nous tombaient
dessus, nous continuions à chanter quand même,
pourtant le travail est dur, et nous avons des
Russes et des Polonaises avec nous, beaucoup plus
fortes qui nous bousculent car nous sommes trop
lentes à leur goût Fin Août début Septembre, le
camp d'aviation a été bombardé. Il était à peu
près à cinq kilomètres du camp. Le surlendemain
une partie de la colonne du sable est séparée et
mise en rang, d'un coup d'oeil je vois que toutes
les Françaises sont là. Mais nous rejoignons une
autre colonne déjà prête, et nous voila parties.
Nous sortons du camp et passons devant les villas
de nos bourreaux, puis devant des maisons habitées
par des civils ; nous croisons des ménagères, mais
toutes se détournent. Il est vrai que nous n'avons
pas bonne mine. Nous croisons ensuite des enfants,
de jeunes garçons de 5 à 10 ans, ils nous jettent
des pierres, nous crachent dessus, nous qui étions
prêtes à leur sourire ; nous nous protégeons comme
nous pouvons. Que leur a-t-on appris à notre sujet
? Enfin nous arrivons au terrain d'aviation, il
n'a pas été loupé, il n'y a plus que des ruines,
il nous fallait remettre le sol en état. C'était
des aviateurs qui nous commandaient, c'est-à-dire
qui nous montraient où il fallait creuser pour
récupérer les tuyaux qui certainement servaient à
emmener le kérosène, au camp d'aviation. Vu
l'odeur, de toute évidence, cela ne nous
préoccupait nullement. Les journées se tiraient
comme cela, les aviateurs ne nous bousculaient
pas. Lorsqu'il a fallu creuser plus loin ,nous
étions dans les champs de betteraves, carottes, et
nous nous remplissions l'estomac de ces précieux
légumes sous l'oeil des aviateurs. Certains de ces
aviateurs nous regardaient, on sentait la pitié
dans leurs yeux, ils ne s'attendaient pas à avoir
des femmes comme terrassiers. Quand il n'y avait
de gardienne en vue, il demandait pourquoi nous
étions là, certains connaissaient la FRANCE et
parlaient français, nous y sommes venus plusieurs
jours de suite et chaque fois que le camp
d'aviation a été bombardé, ce qui arrivait
souvent, mais nous étions contentes d'y venir et
surtout de sortir du camp. Certaines de nos
camarades se planquaient pour ne pas venir avec
nous mais un jour, au retour du terrain, nous
apprîmes avec stupéfaction qu'elles avaient été
surprises et emmenées dans un autre petit camp à
environ 8 kilomètres, la Walbao, situé au milieu
de la forêt. Dans ce camp on travaille paraît-il
pour des armes nouvelles, ce qui fut confirmé par
la suite. C'était la construction des V2, je
crois, puis le travail reprit au camp comme avant.
Nous fûmes affectées à la Garden Kolone
(jardinage,) et là, il fallait piocher, piocher
sans répit, sans manger, sans boire. Après il y
eut l'agrandissement des cuisines. Le groupe des
4, c'est ainsi que l'on nous nomme Simone, Lily,
Jacquotte et moi, fut désigné, ainsi que Germaine
CHERON, Solange et bien entendu, Russes et
Polonaises, car les Françaises étaient toujours
encadrées, plus les gardiennes qui ne nous
quittaient pas. Nous avons fait les fondations
puis les murs et enfin la toiture. Un jour avec
Simone, nous étions à cheval sur une poutre et
Jacquotte et Lily nous passaient à bout de bras
les poutres à mettre en place. Nous en avons
laissé échappé une, et jamais nous avons eu aussi
peur, personne n'a été touché et le vieux Meister
qui nous dirigeait, nous a crié : - Pass Mal auf,
Du, Sabotage !. Nous lui avons fait comprendre que
ce n'était pas ça, mais que c'était lourd, il a
bougonné, mais n'a rien dit à l'Aufseherin ; nous
avons continué en tremblant. Ce vieux Meister ou
Polir, n'était pas nazi. Il nous réconfortait en
nous disant : - La guerre bientôt finie, S.S.
Kaput. Cela nous faisait du bien. Puis, avec
Simone, nous avons dû porter des sacs de 50 kilos
de ciment sur les mains croisées, nous portions ce
ciment à des Polonaises qui faisaient du béton,
toujours au pas de course et sous les coups ; nos
mains étaient en sang, nous étions fourbues et la
nourriture manquait. Il y avait aussi les Appels
du matin et du soir, où nous restions trois à
quatre heures debout, alors que nous étions
exténuées par un travail si dur. Nous avions les
pieds meurtris aussi, et nous commencions à nous
voûter, puis nous avions le faciès des bagnards
que nous avions vu à l'arrivée. Nous sommes
revenues à la construction de la cuisine. Le vieux
Meister furetait vers les cuisines pour nous
obtenir du rab, mais il se faisait rabrouer par la
S.S. de service aux cuisines, il marmonnait disant
: - " S.S. pas bonne !" Il nous avait demandé nos
prénoms, et nous appelait ainsi, quelquefois il se
trompait mais ce n'était pas grave, nous avions
l'impression que nous existions pour quelqu'un.
Nous en étions à la toiture des cuisines, des
tuiles passaient de main en main, ce qui devenait
difficile. Il y avait un vent glacial, du givre.
Nous étions chaussées de pantines et nous
risquions de tomber. Sur le toit c'était encore
pire, nous étions frigorifiées, peu vêtues, jambes
nues, pas de gant, il fallait placer les tuiles,
et puis nous perdions nos forces de plus en plus.
Certaines avaient de l'avitaminose, nous manquions
de sommeil et avec le ventre creux, le moral
n'était plus très haut. Puis le Dimanche où nous
aurions pu nous reposer au Block, nous étions
punies sans savoir pourquoi, soit on nous laissait
au milieu du camp après l'Appel, soit on nous
mettait de corvée de briques, 4 sur les mains, que
nous prenions sur un tas après avoir fait 2
kilomètres et que nous reposions ailleurs, nous ne
devions pas les casser et je peux vous dire que
celles qui passaient dans les mains des Françaises
n'étaient pas intactes à l'arrivée ; nous les
balancions avec le peu de force qui nous restait,
ce qui fait que nous reprenions le travail le
Lundi sans avoir eu de repos. Il y avait deux
hommes S.S. au camp, Joseph et Jacob, ils
supervisaient les femmes S.S. du Block 3, puis un
soir au retour du travail, notre Blockova nous
attendait pour nous dire qu'un certain nombre
d'entre nous devaient aller au Block 3. Celui-ci
avait mauvaise réputation, il était considéré
comme un Block de punition et pourtant Frau
SHUPPE, l'ancienne Blockova qui était une mégère
avait été remplacée par sa suivante, une Française
volontaire appelée Georgette, elle était de NANCY
et se goinfrait devant les détenues de denrées
dénichées on ne sait où. Elle nous reçut d'abord
très froidement, elle était secondée par Liliane,
ancienne souris grise arrêtée à PARIS pour avoir
couché avec un Français, elle parlait français
correctement et sans accent, mais nous ne
connaissons pas sa nationalité. En tout cas je
peux dire déjà que Georgette a été arrêtée quand
elle est rentrée à NANCY en 1945, et emprisonnée.
Quant à Liliane je n'en sais rien, ces deux femmes
étaient aussi odieuses que les S.S. et aussi
méchantes. Nous avons été reléguées au fond du
Block 3 où on n'y voyait pas bien clair, la
discipline était d'enfer, nous n'avions le droit
de rien, surtout les Françaises. Il y avait un
gros poêle dans le réfectoire et leur bureau était
dans un coin, elles étaient toujours là, toujours
près de ce poêle qui était toujours rouge, seules
quelques privilégiées, mouchardes de surcroît,
avaient le droit de s'en approcher. Pourtant quand
nous rentrions du travail trempées jusqu'aux os,
la chaleur nous aurait fait du bien, nous avions
la soupe et ensuite nous devions filer jusqu'à nos
châlits et ne plus en bouger. Nous étendions notre
robe sur le châlit et quand nous étions allongées
et un peu réchauffées une buée s'élevait de nos
robes. Nous y avons passé le Noël 1944. Ce n'était
déjà pas gai, mais avec ces femmes comme Blockova
il nous parut sinistre. Pourtant pour la première
fois, nous avons eu de la soupe blanche et un peu
de sucre, la soupe blanche était du lait coupé
d'eau avec de la semoule, elle n'était pas épaisse
mais cela nous changeait tellement de l'ordinaire.
Ce soir de Noël, nous avons eu un maigre
réconfort, Gabrielle RISTORI a chanté " Minuit
Chrétien " et les " 3 Valses ", Sissi aussi a
chanté, Germaine AMIOT, " O Sole Mio " et des
choeurs ont chanté des chants de Noël. Nous
pensions à la FRANCE, à nos familles, à notre
liberté. Reviendra-t-elle un jour? Jour après
jour, nous nous rendions compte que nos rations
diminuaient suivant l'humeur de ces femmes, les
rations de pain aussi, enfin la vie était
infernale, les punitions pleuvaient pour un oui
pour un non. Il faisait très froid dans ce Block,
puis chaque toilette devenait impossible, nous
étions loin du Waschraum, la dysenterie faisait
rage et les latrines toujours occupées, il fallait
faire la queue et pas question de se poser
derrière un Block dans l'ombre, gare à celle qui
était surprise, le Block 3 était très peuplé,
Russes, Polonaises, Belges. Cohabitation très
difficile, il y avait toutes les classes de la
société, bonnes soeurs, nobles, filles de joie,
bourgeoises, ouvrières, étudiantes tout cela se
mêlait et s'entre-déchirait. Les Polonaises
bénéficiaient d'un certain appui en recevant des
colis et avaient des poste-clefs aux cuisines, aux
magasins de vêtements, bien chaussées, et des bas.
Elles faisaient profiter à des compatriotes, et
également à Georgette et à Liliane. Pour compléter
le tout, les travaux de la cuisine étaient
interrompus, Georgette nous fit passer des travaux
du jour, au travail de nuit. Il neigeait, et nous
pensions aller à l'usine, là, au moins, nous
aurions pu avoir un peu de chaleur, hélas, on nous
emmena en campagne sur un chantier abandonné, il
fallait dégager une route, nous y avons passé des
nuits à casser la neige glacée avec des pics et à
l'enlever, et il gelait à moins 30 degrés. Nous
étions jambes nues et en pantines. Je ne sais plus
combien de temps a duré ce cauchemar, ce dont je
me souviens, c'est qu'en rentrant le matin, nous
nous croisions avec les équipes de jour de
l'usine, et nous espérions, après avoir eu le
café, pouvoir nous coucher et dormir, et bien non,
au Block 3 les Stubovas ouvraient toutes les
fenêtres, faisaient des courants d'air et nous
empêchaient d'approcher notre châlit. Voilà la vie
d'enfer que nous avons connu pendant cet hiver
1944-45. Il faisait pourtant bien froid et je n'ai
jamais eu un rhume, mais un affaiblissement et une
fatigue générale que je ne peux décrire, nous ne
réalisions plus, nous devenions comme des bêtes,
nous marchions, nous marchions, les travaux de
maçonnerie de la cuisine ont repris, mais
fonctionnent au ralenti faute de matériaux.
Profitant de l'éloignement des gardiennes, je
m'introduisais dans les cuisines pour voler
carottes, raves, choux et je partageais avec les
Françaises. Si j'avais été prise c'était la mort
assurée, et pourtant chaque jour je refaisais la
même chose. La solidarité entre Françaises était
admirable. Si l'un d'entre nous se faisait voler
des rations de pain chacune de nous donnait un
morceau de son pain. Je n'ai pas trop donné de
détails sur les soupes que l'on nous servait
(soupes aux épluchures, aux raves, soupe verte et
soupe à la betterave rouge sans sel mais avec une
quantité de cumin. La soupe à la betterave rouge
je n'ai jamais pu l'avaler malgré ma faim, par
contre Simone l'adorait, je lui donnais volontiers
la mienne, elle me le rendait lors de la
distribution de la soupe verte. Quant au cumin je
n'ai plus jamais pu en avaler un grain, je préfère
me passer des plats ou du fromage aromatisé au
cumin plutôt que de reprendre cette graine. Rien
que l'odeur me donne des nausées et je repense à
ces jours maudits. Ce sont des petits détails qui
remontent à la surface malgré la mémoire
défaillante après 45 ans. Par contre je n'insiste
pas sur certains sévices subis par nous toutes.
Nous étions tellement robotisées que nous les
subissions la rage au coeur espérant qu'il y
aurait une justice immanente un jour prochain,
mais très peu de nos gardiennes ont été retrouvées
et les quelques-unes qui ont été jugées n'ont pas
eu les punitions que nous espérions car pour
reprendre les termes de nos bourreaux : " Les
tortures subies étaient pour donner l'exemple.
Enfermer femmes et enfants dans les chambres à gaz
était un exemple. Le four crématoire pour celles
qui ne pouvaient plus travailler était un autre
exemple ". Le moral, malgré la vie infernale que
nous menions était assez bon et puis chaque nuit,
les vagues de bombardiers passaient au-dessus de
nous, les alertes, les bruits de bombes, tout cela
était bon pour nous. Quand il y avait alerte, nous
devions rentrer au Block, à condition d'être dans
le camp, beaucoup priaient, j'en faisais partie :
je demandais la libération, le retour en FRANCE,
mes parents. Les Polonaises se prosternaient,
embrassaient le sol, elles pleuraient, certaines
Russes aussi, chacune faisait au mieux de sa
croyance. Sur les routes nous voyons des colonnes
de prisonniers français, encadrés de soldats
allemands, ils fuyaient l'est, donc l'avance russe
était certaine, des Belges arrêtés tardivement,
nous ont appris la libération de PARIS, nous
serons libérées c'est certain mais quand, il faut
conserver le moral, notre vie au camp devient de
plus en plus dure, c'est la grande misère. Nous
sommes envahis par des gros poux de corps à croix
gammée, la saleté, les maladies. Pourtant nous
avons eu la chance de quitter le Block 3 pour le
Block 9, nous y avons retrouvé Jeannette
PETITFILS, arrêtée avec sa maman mais cette
dernière est restée à RAVENSBRUCK et y est morte.
Un matin nous sortons du camp en colonne,
qu'allons-nous faire ? Nous passons derrière
NEUBRANDENBURG, dans un sentier de terre, et nous
arrivons. Des outils nous attendent, des pelles,
des pioches, nous devons faire des tranchées
anti-chars autour de NEUBRANDENBURG sur des
kilomètres. Nous creusons, nous creusons, nous
avons continué ensuite par des tranchées boyaux
comme à la guerre 14/18. Nos gardiennes S.S. ne
sont plus que deux, elles ont été remplacées par
des soldats de la Wehrmacht. Ce sont des hommes
âgés qui nous surveillent et ne sont pas trop
méchants avec nous, pourtant ces tranchées nous
remontent le moral, car au loin le canon tonne,
quelquefois nous en doutons. Ne serait-ce pas
notre imagination ? Notre cerveau affaibli
réagit-il, répond-il encore ? Nous ne sommes plus
normales, notre dégradation est certaine. Comment
résister à toutes ces tortures ? Nous faisons
peut-être un mauvais rêve, une telle déchéance ne
peut exister que dans les cauchemars. Nous sommes
début Mars 1945, la Libération viendra-t-elle à
temps ? Nous marchons comme des somnambules,
mécaniquement, à pas saccadés, les bras tombent
lamentablement le long du corps, nous retournons à
l'état de bêtes, oui de bêtes, nous gardons encore
un peu de dignité entre Françaises, il nous faut
tenir malgré nos cerveaux vides ; la faim nous
tenaille, l'estomac se tord, Dieu que ça fait mal
; la peau est collée sur les os et puis j'ai une
vilaine blessure à la main droite, j'ai reçu un
coup de pelle dessus lors des tranchées. Jeannette
PETITFILS qui a déjà été hospitalisée a fait une
rechute, elle est cadavérique, elle a sûrement le
choléra, le teint est presque marron, les yeux
sortent des orbites, elle s'est présentée au
Revier et a été refoulée, la Blockova a accepté
qu'elle reste couchée, elle ne mange plus, c'est
une morte vivante. Un soir on apporte la soupe,
exceptionnellement c'est de la soupe blanche,
Jeannette l'a entendu, allez savoir pourquoi, un
semblant de vie l'a fait se lever, prendre sa
Schüssel et va voler sa soupe, mais elle a été vue
par une Stubova qui lui tombe dessus, elle lui a
donné une raclée à coups de poing, de pied, de
tabouret. Au milieu du Block, la soupe répandue,
elle est affalée dedans, elle est restée par
terre, sans connaissance, la Stubova la laisse.
Voyant qu'elle ne reprend pas connaissance, deux
camarades l'ont ramassé et emmené au Revier. Nous
ne l'avons plus revue. Elle est morte. Encore une
de notre convoi. Je souffre de ma main, elle est
toute noire, je ne travaille plus, je me cache,
j'ai de la fièvre. Jacquotte aussi est mal en
point, elle a un antrax à la jambe droite, elle ne
peut plus marcher. Ce 27 Mars je me décide d'aller
au Revier, poussée par Simone, elle m'y
accompagne. Pour y être admise, il faut avoir de
la fièvre, on me passe le thermomètre, j'ai 40
passés alors je suis admise. J'ai la surprise de
trouver Jacquotte devant moi, elle est assise
devant la doctoresse russe qui examine sa jambe,
allongée sur un banc, la doctoresse prépare un
scalpel et s'approche de la jambe de Jacquotte.
Quelle horreur, plus elle ouvre, plus le pus coule
dans le seau, c'est une infection, ça sent
mauvais, Jacquotte est blanche, mais ne bronche
pas. Peut-être a-t-elle été soulagée ? Enfin après
un semblant de désinfection, et un pansement en
papier, on l'amène sur un châlit du Revier. C'est
mon tour. La doctoresse regarde ma main et fait la
grimace, elle reprend son scalpel et ouvre ma main
jusqu'à la moitié du médius, le pus et le sang
coule, je tombe dans les pommes car il n'y a pas
anesthésie. Après avoir reçu quelques claques, je
reviens à moi, ma main est enveloppée avec un
pansement de papier, elle regarde mon genou et le
pied où il y a deux flegmons qu'elle incise, et
puis sans plus, me désigne un lit où Yvette
m'emmène. Ce lit est déjà occupé, on pousse un peu
la patiente et me voici installée. Je sombre de
suite, est-ce la fièvre ? Je n'en sais rien. Je
reprends conscience à la nuit, j'ai toujours la
compagne à côté de moi. Comme elle ne bouge pas
j'en fais autant, et essaye de dormir, ma main me
fait mal, ma jambe aussi, et ma tête éclate. Le
matin mademoiselle Christine passe pour la
température, elle est surprise de me trouver là,
mademoiselle Christine est une comtesse polonaise,
qui a fait ses études en FRANCE. Elle est très
bonne pour les Françaises, la température a encore
monté, Melle Christine me donne deux cachets avec
un peu d'eau, et me recommande de ne prendre aucun
autre médicament que l'on pourrait m'apporter,
surtout des pilules roses, c'est un poison, puis
elle appelle deux filles de salle, et avec stupeur
je vois qu'on soulève la personne couchée auprès
de moi. Elle était morte avant que j'arrive, et
pas encore enlevée. Je suis comme dans du coton,
une certaine torpeur m'envahit, le temps passe
ainsi. Le lendemain matin, Christine revient et me
pose des compresses sur la tête et la joue : -
Vous avez un érysipèle, mais je vous tirerais de
là. Je sombre dans une demi inconscience, pourtant
tout autour, il n'y a que des plaintes, des
appels, des cris, je ne réalise pas. Christine
vient me voir plusieurs fois et me donne des
remèdes, elle me baigne la tête et la figure avec
du permanganate, je ne sais combien de temps cela
a duré. J'ai bien cru que ma dernière heure était
arrivée, je ne me rendais plus compte de rien,
Simone venait pourtant tous les jours regarder par
la fenêtre, mais je ne la voyais pas. Enfin la
fièvre est tombée, Christine m'a dit que j'étais
sauvée. J'ai pu chercher après Jacquotte, elle
était derrière moi, mais au milieu, j'ai pu lui
parler, elle souffrait atrocement, elle ne pouvait
bouger sa jambe, j'avais de la peine de la voir
dans cet état. Simone est venue le jour de Pâques,
elle me remontait le moral, disant que nous
allions bientôt être libérées, d'ailleurs, me
dit-elle, regarde sur la route en face de toi,
c'est la débâcle, ils se sauvent tous ! . C'était
vrai, on voyait des civils et l'armée sur la route
derrière le Revier, les uns allant vers l'est,
vers les Russes ; les autres, vers les Américains.
Le canon tonnait, les avions bombardaient, c'était
bientôt la fin. Le froid se rapprochait chaque
jour. J'ai terriblement maigri, pourtant mes
jambes sont énormes, il paraît que c'est de
l'oedème, je ne peux plus me chausser. J'ai la
peau cireuse et les yeux creux, enfin le Revier
étant plein, on fait sortir celles qui
paraissaient tirées d'affaire. J'en fais partie.
Je retourne au Block 9. Je retrouve Simone, Lily
et Marcelle, elles ne font pas de commentaire.
J'ai l'impression de revenir de loin. Le lendemain
matin, Simone me traîne avec elle à l'Appel. C'est
obligatoire, les malades rentrant au Block vont à
l'appel. Je ne tiens pas le coup et je m'effondre,
des coups de bottes dans le dos me font reprendre
la station debout. Soutenue par Simone et Lily, je
tiens, je ne peux plus dire comment, je ne
travaille plus et suis devenue "schmutz Stück". Il
me faut me cacher car je suis inapte, donc
indésirable. Je me suis faite prendre par une
ronde, mais je n'ai pas été battue, on a relevé
mon numéro, par deux fois cette scène s'est
représentée et j'ai été avec d'autres emmenée près
du portail pour attendre des camions, venant de
RAVENSBRUCK chercher des malades. Simone m'avait
supplié de ne pas y aller, mais je n'en pouvais
plus. Je croyais que c'était la solution ;
heureusement, faute d'essence, les camions ne sont
jamais arrivés, et c'est comme ça que j'ai évité
de passer à la chambre à gaz. .c.LA COLONNE DES FANTOMES Puis le 27 Avril dans l'après-midi, les
femmes de l'usine sont revenues, elles parlaient
toutes à la fois, elles avaient croisé sur la
route la troupe battant en retraite. Les Alliés
arrivaient. Des bruits courent, le camp va être
évacué. Avec Simone, nous décidons de ne pas
partir. Comment traîner sur la route dans l'état
où je suis ! Nous nous cachons dans un placard,
mais bientôt on entend des bruits de bottes, et
des coups dans le plafond -" Raus ! Raus ! Schnell
! " et des corps tombent du plafond. Nous pensons
qu'ils n'ouvriront pas les placards, hélas nous
eûmes droit aux " Raus ! Raus ! Schnell ! ", et on
nous tira de notre cachette. De nouveau, pour
partir, je me tourne de l'autre côté, c'est alors
que je reçois une raclée de coups de crosse par
les S.S., un coup au bas de la colonne vertébrale
m'a fait obéir et Simone, attrapant deux
couvertures, m'en couvre d'une et m'entraîne par
la main. Il fait bientôt nuit et il pleut.
ALIOCHA, l'Aufseherin, armée d'un revolver, tire
pour nous faire avancer. La route monte et j'ai
les jambes lourdes. Nous avons marché toute la
nuit jusqu'à l'aube, où nous avons fait halte pour
manger, et nous sommes reparties toute la journée
du 28. Il pleuvait toujours. A part l'Aufseherin
et ALIOCHA, les autres Aufseherin étaient parties
habillées en civil, elles sont parties avec les
troupes allemandes vers les Américains, car les
troupes venant de l'Est battaient en retraite, les
Russes ne devaient plus être bien loin. D'ailleurs
le canon tonnait, les obus passaient au-dessus de
nous, des civils retardataires couraient. C'était
la panique. Je revoyais l'exode de 1940. Je me
trouvais vengée. Vers le soir, Simone a attendu
que l'Aufseherin soit remontée en haut de la
colonne, elle était ivre, elle ne désarmait pas,
elle tirait dans le tas pour nous faire avancer,
mais Simone au contraire laissait avancer la
colonne, et dès que la nuit est tombée, elle m'a
poussé dans le fossé, avec ma couverture sur le
dos elle s'est allongée près de moi, enveloppée
également dans une couverture. Nous étions
mouillées, mais l'espoir renaissait. Bientôt nous
ne vîmes plus la colonne et cahin-caha, elle me
tira du fossé, et doucement nous nous dirigeâmes
vers une meule de foin déjà très occupée, nous
pûmes quand même nous mettre un peu à l'abri, et
au petit matin, nous avons quitté la meule pour
nous réfugier dans la ferme qui était devant nous.
La maison était pleine, surtout des Russes qui
attendaient leurs libérateurs; la grange était
également surpeuplée, ainsi que l'étable, mais
Simone, toujours débrouillarde, découvrit une
porcherie vide, qu'elle nettoya, puis elle alla
chercher de la paille fraîche dans la grange, et
elle m'y installa. Le pire c'est que nous n'avions
rien à manger ni à boire. Simone se mit en quête
pour trouver des pissenlits, des racines et un peu
d'eau, et nous nous sommes allongées, serrées
l'une contre l'autre, et avant de dormir, je bénis
le ciel d'avoir toujours eu Simone avec moi, car
sans elle je n'aurai pas été loin, elle fut plus
qu'une soeur, et ne m'a jamais abandonné à mon
sort..c.Enfin les Russes !... Enfin les Russes sont arrivés le 29
Avril. Fatigués, sales et la plupart ivres, ils
tiraient leur fusil derrière eux, les déportés
russes firent la fête avec eux, et les soldats
leur ont tué un cochon, attrapé des poules, enfin
tout ce qu'ils pouvaient attraper. Nous avons pu
avoir quelques morceaux de viande, mais le cochon
n'était pas indiqué pour moi qui avait toujours un
reste de choléra. De toute façon je n'aurais pu
l'avaler, je n'avais envie que d'un bouillon
chaud. Simone put avoir un morceau de poule et
elle trouva des briques, du bois et alluma un feu
de camp ; elle ramassa de la verdure et fit un
bouillon avec des morceaux de poule. C'est ce qui
m'a le plus réconforté. Mais nous n'en avions pas
fini avec les Russes. Ils n'avaient pas vu de
femmes depuis longtemps, il fallut de nouveau se
faire toute petite pour ne pas être violées, dans
cette ferme où les déportées étaient nombreuses ;
certaines étaient consentantes, mais combien
durent subir des assauts. Parmi celles qui étaient
consentantes il n'y avait pas de Françaises. Subir
l'assaut de ces soldats !.. Les femmes n'étaient
pourtant que des squelettes ambulants, mais eux ne
regardaient pas le physique. Il y eut de
nombreuses mortes, elles succombaient sous le
nombre. Nous eûmes la chance d'être épargnées,
dans notre porcherie, à l'écart. Ces hommes ne
paraissaient pas civilisés, et prenaient les
femmes comme des bêtes. Russes ou pas, malades ou
pas, nous avions retenu le mot de " bolna" qui
doit vouloir dire malade en russe, nous n'avons
pas eu à l'employer puisque nous n'avons pas été
découvertes. J'avais la région lombaire toute
noire, de la fièvre, et je souffrais atrocement,
Simone ne savait que faire, il aurait fallu un
docteur..c.AVEC les prisonniers de
guerre Enfin, après avoir passé trois jours
affreux à voir défiler nos libérateurs, le 2 Mai
1945, nous eûmes la joie de voir arriver les
prisonniers de guerre. Ils se sont arrêtés à la
demande de Simone qui mendia un peu de nourriture
et de l'aide, ils étaient douze - dix Français et
deux Italiens - ils avaient un chariot tiré par
deux boeufs et avec du ravitaillement, ils nous
ont donné à boire, du pain, du gâteau, enfin nous
avons pu mangé un peu, et cela pour la première
fois depuis longtemps. Il y avait des vaches qui
mangeaient dans le pré, leurs mamelles étaient
gonflées, l'un d'eux alla les traire et a rapporté
un seau de lait. Nous nous sommes jetées dessus,
les prisonniers nous ont posé des questions, d'où
l'on venait, pourquoi l'on était là. Simone a tout
raconté, et désormais nous pensions être sauvées,
ils ont préparé des vivres, du café, du chocolat,
et bien embêtés, nous ont dit au-revoir, non sans
avoir appelé Simone, pour lui dire, qu'ils
aimeraient bien l'emmener, mais que moi je ne
pouvais aller avec eux, ils avaient peur de la
contagion. Simone a refusé, et a dit qu'elle ne
m'abandonnerait pas, cela je l'ai su plus tard, et
ils partirent. Quelle ne fut pas notre surprise,
quand nous les vîmes revenir, environ une petite
heure après, ils avaient changé d'avis, grâce au
plus jeune d'entre eux qu'ils avaient recueilli
aussi, et bien qu'habillé en K.G. n'était pas un
prisonnier de guerre. Je l'expliquerais plus loin.
Ce jeune leur avait dit que ce n'était pas humain
d'avoir laissé deux Françaises en rade, que l'une
d'elles ne rentrerait pas en FRANCE si elle
n'était pas soignée, et que ce n'était pas digne
des Français. Il faut croire qu'ils ont été
convaincus, puisqu'ils ont modifié leur plan. Ils
ont installé un matelas au-dessus de leur
paquetage pour en faire un genre de civière et ils
me prirent dans leurs bras pour m'installer
dessus. Nous nous trouvions privilégiées. La
première chose faite après fut d'aller chercher
des vêtements civils pour nous habiller, de nous
laver pour nous débarrasser de la vermine et de
nous nourrir. Ils cherchèrent un endroit pour
faire halte, et pour nous décrasser. Les maisons
étant vides, ils n'eurent que l'embarras du choix,
et Simone put prendre un bain, quant à moi, c'est
le plus jeune qui s'est occupé de me nettoyer, en
faisant attention de ne pas me blesser. Je
souffrais de plus en plus, nos cheveux furent
lavés et passés au désinfectant pour tuer les
poux, nos robes furent brûlées, mais nous voulions
garder nos vestes, elles furent bouillies et
re-bouillies pour tuer la sale vermine. Nous avons
toujours nos vestes et nos Schüssel et le couteau
acheté à une ouvrière de l'usine pour trois
rations de pain, bref nous étions sauvées, plus de
marche à pied, Simone étant assise près de moi, et
c'est les prisonniers qui marchaient à notre
place. Ils nous donnèrent à manger, ils avaient du
beurre, du sucre, du jambon fumé. C'était pour
nous le paradis sur terre, nous avons eu du linge
propre à mettre sur nos corps meurtris, mais pour
les chaussures ce fut une autre histoire. Pas de
problème pour Simone, mais moi j'avais un oedème
de carence épouvantable, ma jambe droite était
plus grosse que mon corps, et une chaussure
d'homme de taille quarante quatre, ne pouvait
couvrir mon pied. Je suis donc restée pieds nus,
mais il ne faisait pas froid, et nous avions des
couvertures. Quant au jeune prisonnier évoqué plus
haut, c'était un Lorrain arrêté chez lui avec son
frère le 12 Décembre 1942, emprisonné à TREVES
pour qu'ils jurent sur le drapeau allemand, ce
qu'ils ont refusé. Ils sont restés huit mois en
prison, et après, ils furent incorporés de force
dans l'armée allemande et dirigés tous les deux
sur le front. Celui de ce récit fut envoyé sur le
front russe, encadré bien entendu par les
Allemands. Il a eu les pieds gelés, a été blessé
au front le 24 Juin 1944, près de BREST-LITOWSK,
évacué du front sur l'hôpital de l'endroit pour y
recevoir les premiers soins, évacué ensuite par
voitures militaires et emmené à l'hôpital
militaire de PRAGUE, pour y être opéré de la
clavicule et d'éclats d'obus à l'occiput et dans
le bras droit, preuve fournie par les radios. Dès
que les médecins de PRAGUE ont jugé qu'il était
guéri, il a reçu l'ordre de regagner son unité, ce
qu'il n'a pas fait. Profitant de la débâcle tant
militaire que civile, il est arrivé jusqu'à
NEUSTRELITZ et a eu la chance de rencontrer des
prisonniers de guerre français à qui il a appris
sa situation, ayant gardé par-devers lui des
papiers français et un ruban tricolore ; ceux-ci
le prirent en charge et l'habillèrent en
prisonnier de guerre. C'est avec regret qu'il a
enterré son fusil-mitrailleur, son livret
militaire allemand et son uniforme pour ne pas
être prisonnier des Russes. Quant à son frère il a
été envoyé sur le front italien, a déserté, s'est
rendu aux Américains. De là, il a été envoyé en
AMERIQUE, gardé au secret le temps de l'enquête,
rapatrié en ALGERIE et remis aux autorités
françaises. Il a fini la guerre dans la 2ème D.B.
et a reçu la Médaille des Evadés. Voilà l'histoire
de celui que j'avais d'abord pris pour un jeune
prisonnier, les autres n'avaient rien dit,
craignant que je le prenne du mauvais côté. C'est
alors que je me suis souvenue de la gare de NANCY,
et du train voisin du nôtre, occupé par de jeunes
Alsaciens-Lorrains. J'ai de ce jour été convaincue
qu'il m'avait dit la vérité. Je reviens à mon
histoire. Nous étions libres, c'est vrai, mais
nous devions compter sur les Russes, ils pillaient
tout sur leur passage, même nous, nous en subîmes
les conséquences. Ils prenaient aux prisonniers,
montres, couteaux, alliances, réveils et même les
conserves, et nous les femmes, nous les sentions
encore. C'est grâce à nos braves sauveteurs que
nous n'avons pas été violées, ils se mirent devant
nous pour nous protéger, leur expliquant avec bien
du mal, que nous étions des partisans, sortant
d'un Konzentration Lager et que nous étions
"bolna", dès lors nous n'avions plus qu'une idée,
nous échapper de la zone russe pour rejoindre la
zone américaine. Ils vendirent le chariot et les
boeufs à des Allemands qui nous aidèrent à passer
en zone américaine à Priswalt. .c.LES AMERICAINS L'accueil des Américains fut cordial,
mais sans plus. Pas question de trouver de la
nourriture ou à boire. Nous avons simplement
réussi à nous faire prendre en camions qui nous
emmenèrent en zone anglaise. .c.LES ANGLAIS Je n'oublierais jamais leur accueil et du
fond du coeur, je les remercie. Nous eûmes tout ce
qu'il n'était pas possible d'imaginer à ce
moment-là : pain blanc, chocolat, chocolat chaud,
thé au lait, riz sucré, cigarettes, savons
parfumés et bien d'autres gâteries, et surtout des
paroles de réconfort et des sourires
encourageants. C'était à JESSENITZ. Justement à
JESSENITZ il y avait un centre de rassemblement
des déportés, il fallait s'y faire recenser. J'eus
la surprise d'entendre un déporté parlant
français, aussitôt je m'adressais à lui pour
savoir s'il n'y avait pas un docteur parmi eux, il
me répondit : - Je suis le Docteur CHAUBART et les
autorités américaines m'ont nommé Médecin-Chef.
Que vous arrive-t-il ? Je ne lui répondis pas,
mais relevais ma robe pour lui faire constater ce
qui me faisait tant souffrir ; il m'emmena tout de
suite sous une tente, où était installé tout un
équipement sanitaire, et après désinfection de la
région lombaire, m'a ouvert cet énorme abcès que
je traînais depuis plus de quinze jours. Il en est
sorti un bassin de pus et de sang et je n'ai pas
dit un mot, car j'étais soulagée. Coïncidence
extraordinaire, ce docteur était un "pays", il
était de ORIGNY Ste BENOITE distant d'une
quinzaine de kilomètres de FONSOMME. Inutile de
vous dire que nous nous sommes embrassés, il a
écrit un livre après son retour, j'ai su qu'il
avait parlé de moi, dans son livre.
Malheureusement quand j'ai voulu avoir ce livre,
il était épuisé, je l'ai bien regretté. C'est
ainsi qu'après quelques jours de repos, les
Anglais nous emmenèrent en camions jusqu'à la
frontière hollandaise. Les prisonniers de guerre
ne sont pas venus avec nous. J'ai appris qu'on les
emmène en avion. Donc à la frontière hollandaise,
nous avons changé de train direction de la
BELGIQUE. .c.LE RETOUR Vous dire l'accueil que nous avons reçu
en gare de BRUXELLES est impossible à raconter. Il
y avait des drapeaux français le long du quai. La
CROIX-ROUGE était là pour nous distribuer à boire.
Nous avons été applaudis, embrassés par les civils
qui criaient : - Vive la FRANCE ! Vive les
Français ! Nous pleurions de joie, on nous donnait
des fleurs de tous les côtés, mais le départ a été
donné, et c'est en pleurant que nous avons quitté
BRUXELLES, mais, en passant la frontière qui nous
séparait de la FRANCE, nous avons observé une
minute de silence et chacune s'est recueillie avec
soi-même pour remercier Dieu de nous rendre à la
FRANCE, de nous ramener à notre famille. Tant
d'entre nous sont restées là-bas, brûlées dans les
fours ou gazées, il n'y a même pas de tombes pour
aller se recueillir. Gloire à ceux et à celles qui
ont souffert pour la même cause, pour le même
idéal, pour le même pays, pour la FRANCE enfin.
Nous nous dirigeons sur LILLE. Partout, tout le
long des voies, des drapeaux, des fleurs, des
acclamations, des femmes pleuraient, peut-être de
nous voir dans l'état où nous étions, mais nous
nous en rendions pas compte. Enfin nous arrivâmes
à LILLE, où plusieurs trains étaient à quai.
Déportés, prisonniers civils, il fallut attendre
un certain temps avant de savoir si nous devions
descendre là, mais après un long moment, nos
convoyeurs sont venus nous dire que le centre de
rapatriement de LILLE était complet et que nous
allions sur VALENCIENNES où l'on nous attendait.
Entre-temps, étant descendue sur le quai, Simone
et moi, nous avons la surprise de voir deux quais
plus loin, les prisonniers de guerre que nous
avions quitté à JESSENITZ. Le plus jeune, celui
qui m'avait soigné avec tant de bonté, traversa
les voies et vint nous embrasser, eux attendaient
de partir pour le camp de LILLE, c'est la dernière
fois que je le revis en FRANCE. Donc de nouveau,
nous roulions en direction de VALENCIENNES.
Effectivement on nous attendait. Nous avons eu un
accueil chaleureux, on nous emmena au camp de
rapatriement où nous sommes passées devant des
docteurs qui ne savaient quoi dire devant nos
corps meurtris. Nous avons été radiographiées,
ensuite sous la douche, puis de jeunes soldats
nous passèrent au D.D.T. pour éventuellement tuer
le reste de vermine que nous pouvions encore
avoir. Nous n'étions nullement gênées par notre
nudité devant ces jeunes, ce n'était rien après ce
que nous avions subi, puis après, chacune à notre
tour, nous avons dû décliner notre identité, enfin
la paperasserie habituelle ; nous avons reçu la
Carte de Rapatriée, une prime de trois mille
francs. Le bon de transport, pour nous, c'était St
QUENTIN, et j'ai oublié de le dire, du linge
propre... Après un petit temps de repos, on
annonça les heures des trains et les destinations,
quand nous entendîmes départ pour AULNOYE à 16 h
40 BUSIGNY-St-QUENTIN nous avions des ailes, et
bientôt nous nous sommes retrouvées dans un train,
cette fois c'était le bon. AULNOYE, il y avait un
arrêt prolongé, je n'ai pu résister et je suis
descendue pour me rendre au standard de la gare,
où j'ai retrouvé une collègue que je connaissais
depuis HIRSON. Quand elle me vit, elle ne m'a pas
reconnu, j'ai dû lui dire, que c'était moi,
Jacqueline, elle s'est mise à pleurer à chaudes
larmes et à m'embrasser de toutes ses forces. Elle
me mit ensuite en communication avec le standard
de St QUENTIN, où je ne pensais qu'à une chose,
faire avertir mes parents. Le message est donc
passé. Je suis remontée dans le train en direction
de BUSIGNY. Tous les cheminots étaient là, anciens
et anciennes collègues. Quelle fête, je n'en
revenais pas. Je leur demandais de ne pas pleurer,
que j'étais là, peut-être pas très jolie à voir,
mais j'avais sauvé ma peau. Quelle ne fut pas ma
surprise en revenant vers le train pour retrouver
Simone, de m'entendre appeler par mon prénom.
C'était François, mon voisin, mon grand-frère qui
revenait lui aussi du Stalag, il avait reconnu ma
voix et ce n'est que lorsque j'ai crié : "
François ! " qu'il m'avoua ne pas m'avoir reconnu.
Des embrassades, il y en eut et il est venu
s'asseoir avec nous. De BUSIGNY j'ai encore pu
téléphoné au standard et j'ai eu la chance d'avoir
au bout du fil Monsieur LOUBRY, son chef de gare
principal, il savait que j'arrivais mais il était
si ému qu'il ne pouvait parler. Enfin il me dit :
- Tes parents sont avertis, ils vont venir te
chercher en auto. J'ai cru que mon coeur allait
s'arrêter de battre, Dieu merci, mes parents
étaient vivants et j'allais les revoir. C'est un
moment que je n'oublierais jamais. Puis le train
continua sa route et j'eus la surprise en arrivant
au pont de chemin de fer de FONSOMME, de voir mes
amis, des enfants qui m'appelaient et me jetaient
des fleurs. - Oui, c'est elle, elle revient ! La
même chose en gare de ESSIGNY-LE PETIT, tous
pleuraient. J'étais si heureuse. Enfin voici St
QUENTIN. Ma tête en dehors de la portière, je
scrute les visages. Enfin je découvre mon cher
papa. Je l'appelle de toutes mes forces, et je le
vois courir, le long du train. Je croyais que ce
train ne s'arrêterait jamais, puis je vis maman en
pleurs avec ma petite filleule ; Monsieur LOUBRY
et Monsieur BRASSET, le patron de maman ; c'est
lui qui me souleva du train en m'embrassant, et me
passa dans les bras de papa qui pleurait, mais ne
pouvait que répéter :- " Ma petite ! Ma petite! ",
et enfin je suis dans les bras de maman qui
sanglote, elle me palpe :- " Que t'a-t-on fait
pour revenir dans cet état ? " C'est moi qui suis
obligée de la consoler, de leur dire de ne pas
pleurer, que j'étais là et pour toujours. Je ne
voudrais pas revivre ce passage. Chacun doit le
comprendre, et savoir que sur terre, il n'y a rien
de meilleur que ses parents. Je ne veux pas
oublier la joie que j'ai eu en serrant dans mes
bras ma petite filleule, c'est un peu ma fille, je
l'ai élevé depuis sa naissance jusqu'à mon départ
pour HIRSON. Comme cet instant a été doux à mon
coeur. Enfin nous avons pris la route de FONSOMME
tout le village était rassemblé. Simone qui
s'était tenue à l'écart au milieu de nos
effusions, avait fait la connaissance avec mes
parents et je leur ai dit que sans elle, je ne
serais peut-être pas là. Donc je vous disais que
tout le village nous attendait, la mairie, les
monuments étaient pavoisés en mon honneur. C'était
la fête. Une petite fille m'apporta des fleurs, je
ne savais quoi dire. Ils ont tous voulu me voir,
m'embrasser, me toucher. J'aurai bien voulu
retrouver ma maison et me reposer, mais une
épreuve m'attendait encore. Ma famille était
réunie autour de moi et une chose m'inquiétait
déjà. Lionel était bien là, mais Marcel où
était-il ? Rappelez-vous, je vous ai dit que
j'avais deux cousins que je considérais comme mes
frères, Résistants depuis 1942. Marcel avait un an
de moins que moi et Lionel cinq, nous avons été
élevés ensemble. N'y tenant plus, j'ai donc
demandé tout haut : - Mais où est Marcel ?
Pourquoi n'est-il pas là ? Maman m'a prise de
nouveau dans ses bras et elle pleurait, c'est
Lionel qui osa me dire pour eux : - Marcel n'est
plus, mais il est mort en héros ! Cette fois j'ai
éclaté en sanglot, ce n'était pas juste. J'ai su
qu'il avait été tué le jour de la Libération, il
avait 20 ans. Je ne pourrais jamais l'oublier, et
pour que ma peine soit complète, Lionel ajouta : -
Moi je pars demain, j'ai signé un engagement, je
voudrais aller en Occupation. Malheureusement il
est parti pour BORDEAUX, ALGER, et ensuite après
une permission, l'INDOCHINE. Il a été tué à 22
ans. Je me suis écartée du sujet mais je reviens
sur mon retour. De nouveau très entourée, c'est
Simone la première qui vint me réconforter. - Ils
ont fait leur devoir pour la FRANCE, Lionel pense
qu'il doit agir comme cela, il ne faut pas le
contrarier, il t'aime. Oui bien sûr, mais la
pilule était amère. J'avais assez souffert. Enfin
après cet intermède, les personnes du village
continuèrent à venir m'embrasser et me
réconforter, puis madame BRASSET, la patronne de
maman avait préparé un repas de réception où
Simone et moi étions les invitées d'honneur, avec
mes parents bien sûr. C'était un nouveau départ,
mais Simone n'avait pas pu faire avertir sa maman,
et il était trop tard pour qu'elle rentre à guise,
elle était inquiète, elle aussi, sur le sort
réservé à son frère et à son fiancé. Je peux dire
dès maintenant que son frère est rentré dans le
même état que nous et que son fiancé est resté
là-bas avec tant d'autres de nos camarades, elle
l'a appris le lendemain quand nous l'avons
accompagné en voiture pour retrouver sa maman.
Vous devinez leur joie, égale à la mienne. Au
début de mon arrivée, je guettais le retour des
déportés, sauf Maurice DALONGEVILLE et Antoine
MAROLLE qui ne sont même pas arrivés en ALLEMAGNE,
ils sont morts sous les tortures et leurs familles
se sont attachées à moi. Chaque jour, ils sont
venus me voir pour me gâter et me faire oublier ce
cauchemar. Je ne savais pas encore qu'Emile
FALENTIN ne reviendrait pas, et qu'il était mort à
NEUENGAMME. De sorte que les jours passaient, je
n'osais plus sortir. Les parents d'Emile venaient
aussi chaque jour, le coeur plein d'espoir,
jusqu'à ce qu'ils soient avertis officiellement.
Ces pauvres gens ont eu tellement de chagrin, je
me sentais riche devant eux. Comment apaiser leur
détresse ? Ils ont été admirables, car ils avaient
déjà eu tant de peine, à cause de leur fille
Blanche, soeur d'Emile, qui avait mené une vie de
putain, siégeant comme Secrétaire du Commandant au
Bureau de la Kommandantur de FONSOMME, elle
faisait trembler le village, c'était la fille qui
parlait beaucoup, couchait avec tous les
Officiers, se soûlait chaque jour avec eux dans
des orgies impossibles à décrire. Elle a fait plus
quand elle a vu que tout le village et ses parents
ne la regardent plus, elle est partie volontaire
en ALLEMAGNE avec Gabrielle MERELLE dont le frère
était prisonnier en ALLEMAGNE, Georges MERELLE
était un ami de toujours ,depuis l'école, il est
rentré après moi, très affaibli, il est venu me
voir, il m'a dit : - Je suis content que tu t'en
sois tirée ! Il ne me reste plus que toi, je n'ai
plus de soeur. Il était miné par la tuberculose.
Le jour de sa mort, c'était en Juillet 46 j'étais
au bal, il m'a fait chercher, je suis venue de
suite. Il m'a dit : - Je ne peux partir sans te
dire au-revoir, j'aurai tant voulu vivre.
Aide-moi, embrasse-moi ! Je l'ai fait en cachant
mes larmes, il est mort dans la soirée. La maman
effondrée de douleur m'a fait prévenir aussitôt,
et le jour des obsèques, elle a voulu que ce soit
moi qui porte une grande croix de roses blanches
et que je marche derrière son cercueil. Ces
souvenirs la restent gravés, et chaque fois que je
retourne à FONSOMME, je vais prier sur les tombes
de mes cousins et sur celle de Georges, qui
m'appelait ma petite soeur de misère, et puis la
vie a repris son cours..c.RETROUVAILLES Je savais que mon Lorrain était rentré le
25 Juillet 45, après être passé au secret, à
PARIS, pour vérifier ce qu'il avait déclaré. Ses
parents arrêtés comme P.R.O. n'étaient pas encore
rentrés, ils ont d'abord été emmenés à ODESSA et
sont rentrés vers Septembre 1945. Nous n'avions
échangé que quelques lettres, puis la vie m'ayant
repris, je n'ai plus écrit, je me sens un peu
coupable. Pourtant, au Jour de l'An 1947, j'ai eu
la surprise de recevoir une carte de voeux, il
n'était pas marié et me demandait ce que j'étais
devenue, toujours célibataire ou mariée. J'ai
répondu que je n'avais pas d'attache et que s'il
désirait me revoir, je serais très heureuse de le
présenter à mes parents, car sans lui que
serais-je devenue. Il est venu en Mai 47, c'était
la pleine période du procès WINKENDEN à AMIENS. Ce
WINKENDEN qui m'avait fait arrêter, d'ailleurs
j'avais reçu une convocation pour aller témoigner
au procès. Comme je n'étais pas seule dans le même
cas, nous y allions avec deux voitures de St
QUENTIN. J'ai demandé s'il n'y avait pas une place
pour un ami, qui m'avait sauvé et c'est ainsi
qu'il est venu avec moi pour me voir témoigner à
la barre du Palais de Justice d'AMIENS. Quand le
Président du Tribunal a demandé à WIKENDEN s'il
n'avait pas de remords pour m'avoir fait arrêter
et déporter, il répondit : - Heil HITLER ! Si
c'était à refaire pour elle, je referais la même
chose. Il y a eu du remue-ménage dans les rangs et
j'ai cru que j'allais me trouver mal. Enfin il a
été condamné à mort et fusillé dans la cour de la
prison d'AMIENS. Quant à mon Lorrain nommé Pierre
THIRION - je ne l'avais pas encore dit - nous
avons retrouvé la tendresse qui avait commencé à
naître en ALLEMAGNE. Et puis ce fut l'amour. Il
retourna en LORRAINE pour en revenir
définitivement en Octobre 47 où nous nous sommes
mariés, le 24 Octobre de cette année-là. Jamais je
ne pourrais oublier ce qu'il a fait pour Simone et
moi. Je lui garderais ma reconnaissance jusqu'à ma
mort. D'ailleurs, il est toujours très attentionné
et m'a soigné tant de fois depuis notre mariage.
Les séquelles de la Déportation sont terribles et
inguérissables. Puissent, les jeunes qui liront ce
récit, s'unir et s'aimer pour qu'il n'y ait plus
jamais de guerre, plus d'horreurs, plus de
génocide. Que la paix règne partout dans le monde.
Que tout le monde s'aime et se respecte. C'est
ainsi que nous garderons la liberté. Liberté si
chèrement désirée et retrouvée. Pour finir, je
citerai le dernier couplet du chant des Déportés :
Puis un jour de notre vie Le Printemps refleurira
Liberté, Liberté chérie Je dirais, tu es à moi O
terre enfin libre Où je pourrais revivre Aimer,
Aimer .c.UN DERNIER MOT J'ajoute un additif à mon récit. Je n'ai
pas donné beaucoup de détails sur les sévices
subits, mais il ne se passait pas de jour où nous
n'étions pas battues à coups de poing, de Schlag
ou de bottes, aussi bien pendant les appels qu'au
travail, ou même les Dimanche où soi-disant nous
étions au repos, ces Dimanche-là étaient tellement
rares que l'on ne peut même pas les compter. Je
vais vous raconter une anecdote qui m'est arrivée
à de nombreuses reprises : Il y avait parmi les
femmes S.S. qui en principe étaient âgées de 20 à
40 ans maximum, une Aufseherin qui avait dû
prendre un engagement pour la durée de la guerre,
elle avait plus de 70 ans et cette sale bête
m'avait prise en grippe. Chaque fois que j'avais
l'autorisation de traverser le camp pour aller aux
latrines, elle sortait de je ne sais où, et elle
me poursuivait, sa cape volait au vent et on
aurait dit Méphisto, et chaque fois, elle me
chopait et me distribuait une volée de coups de
bottes aux fesses. J'avais beau essayé de me
dégager, mais elle était solide et je ne faisais
pas le poids, bien entendu elle m'injuriait et me
traitait de tout dans le peu de français qu'elle
possédait. La plupart du temps, je devais
retourner au travail, sans avoir pu me soulager
aux latrines et je devais redemander une autre
permission pour y retourner, là c'était une autre
musique, l'on me considérait comme tire-au-flanc,
et je subissais d'autres violences, manuelles et
verbales. Les camarades surveillaient ces
opérations de très près, et m'avaient surnommé "
Miss coups de pieds au cul ". Cette vieille
Aufseherin ne quittait pas le camp et rôdait
toujours vers les colonnes de travail pour trouver
une victime. Au début, voulant voir si réellement
elle s'acharnait sur moi par plaisir, je tentais
le diable et demandais les toilettes dès que je
l'apercevais dans un coin du camp, et bien, à
longue enjambée, elle avait vite fait de me
rattraper, j'avais droit à la raclée à coups de
bottes. Ceci est un exemple parmi d'autres, et
Jacquotte et Simone peuvent en témoigner, car
elles craignaient que je me fasse enlever par
cette vieille sadique pour me mener devant le
Commandant S.S. Une autre anecdote. Nous étions
rongées par la vermine et Dieu sait si nous en
avions des poux, partout, surtout sous les bras,
dans les cheveux, dans les coutures de nos
guenilles. Quand il nous arrivait de nous
épouiller, nous étions toujours deux dans ce
cas-là, nous faisions provision de ces sales bêtes
à croix gammée, dans un papier bien serré et le
soir au moment de l'appel, nous balancions cette
provision dans le dos des Aufseherin, elles ne
tardaient pas à se gratter, et cela nous rendait
notre gaieté et aussi nous vengeait, mais il ne
fallait pas se faire prendre, il fallait choisir
son moment et se trouver au premier rang. Pourtant
c'était le premier rang qui prenait toujours
gifles et coups en premier et n'était pas
recherché, sauf pour semer nos poux. Je voudrais
encore ajouter quelque chose. J'ai gardé pendant
toute ma déportation : une pince à épiler, un
petit porte-photo où il y avait d'un côté l'image
de Sainte Thérèse de Lisieux et de l'autre côté,
la photo de maman. J'ai échappé à toutes les
fouilles, en faisant passer dans les rangs déjà
fouillés ce petit trésor que j'ai ramené à maman.
Le livre de recette a été écrit par Michelle
MAGNIEZ. Ne pouvant plus me servir de ma main, ces
recettes étaient données par des compagnes. Quand
nous avions si faim, elles nous faisaient saliver
et nous en arrivions à oublier la demande de notre
estomac. Le carnet d'adresses avec le nom des
compagnes, qui ne voulaient pas que l'avenir nous
sépare, mais la vie en a décidé autrement.
Jacquotte n'est pas partie de NEUBRANDENBURG,
restée au REVIER à cause de sa jambe toujours
infectée elle a été rapatriée par la CROIX-ROUGE
et emmenée en SUEDE. La ferme où nous nous étions
réfugiées était à une dizaine de km de WARENV. Je
voudrais ajouter les mots employés pour nous
désigner : Franzose Schweinehund (chien de
cochon), Schweinerei (cochonnerie). Les Russes,
quand elles ne comprenaient pas, disaient " Nie
Pounimoyou " et nous " Niponimaï ". Elles avaient
le droit de s'arrêter quand les S.S. n'étaient pas
là, alors elle nous disait " Franzose pomalo "
mais quand les S.S. pointaient le nez, elles se
dépêchaient en nous disant " Davai ! Davai ! ".
C'était pas grand-chose, mais nous avons quand
même bien souffert de la rudesse des Russes et des
Polonaises envers nous. C'est avec les Tchèques et
les Yougoslaves que nous nous arrangions le mieux.
Que tout ça soit terminé, c'est mieux ainsi. Il
nous faut souhaiter de garder la liberté
longtemps, longtemps. Ce qui m'a fait le plus de
peine au retour sont les questions posées la
plupart du temps : -Tu as été violée ? .
Etiez-vous bien nourries ? . Qu'est-ce que vous
mangiez ? . Le matin vous aviez droit au déjeuner
? , etc…
.c.
EPILOGUE
Janvier 1989.
Documents
Cf le CD
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