Outil de
                              traduction gratuite de site Internet
by FreeWebsiteTranslation.com
                      
                  
   pour chercher sur la page=>




 
                 DOCUMENTS  
                   Index historique ElBAZE  corpus                                                        
Liste des 134 manuscrits   #Manuscrits                

5,010 URLs have been captured for the domain, http://www.michel-elbaze.fr  (archive.org CAPTURATED LIST FILEDOC  (pepsweb)




Ginette et Léon BERTRAND

057

LUNE DE MIEL AVEC UN HEROS

**

LENDEMAINS D'ÉVASION

Journal de Marche du "Capitaine Malgache"

GUERRE 1939 - 1945

Témoignages

NICE -Juillet 1988

Analyse des témoignages

Résistance en Côte d'or

Ecriture : 1945 - 112 pages

POSTFACE de Michel EL BAZE

Après plusieurs tentatives, Léon Bertrand, captif dans "l'inhumaine Poméranie" réussit son évasion et prend le maquis pour former et diriger une Unité de Résistance, la "Compagnie Madagascar" qui s'illustrera en Côte-d'Or,autour de Dijon ;de Juin 1944 au 11 Novembre de cette même année. C'est le Journal de Marche de ce maquis tenu au jour le jour que Ginette, son épouse, nous livre aujourd'hui. Ginette, qui participa à l'action et qui fut citée pour une liaison sous le feu, mais que son époux "fit sauter" en disant :"On raconterait que cette citation vient de moi, parce que je suis amoureux, alors, contente-toi des miennes !" et sans doute aussi de cette constante lune de miel que lui offrait son "Malgache" de mari.

AVANT PROPOS de Ginette BERTRAND

Son pseudonyme de "Malgache" vient du dernier séjour colonial effectué par Léon Bertrand ;à Diégo-Suarez, dont il revint deux jours avant la guerre, veuf avec une petite fille de deux ans. La guerre de 1939/45 devait escamoter ses permissions, et l'expédier sur le front avec son unité le 221ème d'Artillerie Coloniale. Refusant de se replier sans nécessité apparente, il tint, avec un groupe, une position qui leur permit de détruire 48 chars allemands, et il n'a jamais pu comprendre la débâcle de 194O et l'Occupation qui allait suivre. Entourés de S.S., fait prisonnier, ce petit groupe partit à pied vers les camps de Poméranie, à travers la Belgique ;puis la Hollande. Il était facile de s'échapper, mais les Allemands fusillaient aussi facilement les civils surpris à aider un prisonnier, et Léon Bertrand a vite décidé de rentrer tout seul, depuis le territoire allemand. La vie en Stalag devait lui faire retarder son évasion, afin d'aider ses camarades, préparer leurs filières d'évasion, faire soigner les malades, obtenir des conditions de vie moins dures, écouter Radio Londres ;pour eux. Cela paraît simple aujourd'hui, mais à l'époque, il fallait un courage aussi exceptionnel que persévérant, et cette forme de Résistance avait, dans le souvenir de Léon Bertrand, bien plus de valeur que la courte période du Maquis. Réussissant sa 5ème tentative d'évasion ;en 1944, Léon Bertrand ;débarque, dans tous les sens du terme, dans une France dont il ne connaissait pas l'ambiance. Il abandonne vite son idée de rejoindre l'Angleterre, et gagne un maquis des environs de Dijon, où ses parents Francs-Comtois s'étaient fixés. Il ne tarde pas à comprendre que son idéal de soldat voulant libérer son pays serait mieux servi par une petite unité mobile, dirigée et animée par lui-même, la captivité lui ayant donné confiance en ses possibilités d'entraîneur d'hommes. C'est ce récit qu'il vous livre.

Introduction de Léon BERTRAND

Ce témoignage fut écrit immédiatement après la libération. Prismatique, centré sur mes souvenirs personnels, il ne fut pas diffusé. Deux ans ont passé.( Note : Nous sommes en 1947) La Résistance, chaque jour plus déformée, est odieusement calomniée. J'ai cru de mon devoir de présenter sous son vrai jour cette Résistance au combat en faisant revivre heure par heure, jour après jour, la Compagnie F.T.P.F. MADAGASCAR, qui groupait dans son sein des Français de toutes opinions, des Alsaciens-Lorrains déserteurs de l'armée allemande, quelques Russes, quelques Polonais. Je me suis appuyé sur le souvenir de tous, et je suis heureux de pouvoir insérer quelques récits personnels de camarades. Les événements auxquels ils ont été mêlés prennent ainsi un éclairage particulier. Actuellement, tous ont repris le travail, mais, déçus profondément par le non-châtiment des traîtres et des profiteurs, ils sont prêts à répondre " présent " si les libertés républicaines venaient à être attaquées. Dans ce récit, vous les trouverez dépouillés et nus, afin de laisser à ce témoignage son entière valeur historique. Rien n'est caché ni de leurs faiblesses ni de leur héroïsme. La défaillance de quelques-uns pèse peu en regard de l'action de tous. La loi du maquis était dure, stricte, sèche, sans indulgence. La sécheresse de ce récit la situera avec exactitude. Avant de faire revivre le climat du maquis, j'adresserai mon meilleur, mon plus fidèle souvenir à tous mes camarades de captivité du II B et du II D, et particulièrement à ceux qui étaient avec moi au Kommando 135 à ROSNOW, pendant l'hiver 1942-1943. Nous étions là cent-cinquante qui n'avions qu'une âme et qui, coude à coude, faisons face aux geôliers. La maladie et la mort nous avaient visité. La neige et le froid s'unissaient contre nous, mais la radio nous apportait l'appel de la FRANCE libre : " Ici LONDRES… Les Français parlent aux Français ". Que soient remerciés ceux qui nous ont ainsi aidé à tenir dans cette morne, dans cette inhumaine POMERANIE. Je veux placer ici ce sonnet, qui m'a été dédié par mon camarade SINIBALDI, et qui m'a été offert par tous mes camarades la veille de mon départ pour la "STRAFKOMPAGNIE".

SOMMAIRE

LIVRE I

LA MEMOIRE

**

PAGES

- La Compagnie Liberté 7

- Compagnie MADAGASCAR

3O Juin 1944 9

- 2 Juillet - 3 Juillet 1944 1O

- 4 Juillet - 5 Juillet 1944 11

- 8 Juillet 1944 12

- Jean LEVEQUE - Paul ROYER 13

- Roger MARTIN - Albert FORT - Victor SCHWINTE -

9 Juillet 1944 14

- 1O - 11 - 12 - 13 Juillet 1944 15

- 14 -15 - 17 Juillet 1944 16

- 18 - 19 Juillet 1944 17

- 2O - 21 Juillet 1944 18

- 22 - 23 Juillet 1944 19

- 24 - 25 Juillet 1944 2O

- 26 - 27 - 28 Juillet 1944 21

- 29 Juillet 1944 23

- 3O Juillet 1944 25

- 5 Août 1944 27

- 6 Août 1944 28

- 7 - 8 Août 1944 29

- 9 - 1O Août 1944 30

- 11 - 12 - 13 Août 1944 31

- 14 - 15 Août 1944 32

- 16 Août 1944 33

- 17 Août 1944 36

- 18 Août 1944 37

- 19 Août 1944 38

- 20 Août 1944 39

- Proclamation du Commandement des F.F.I.

de BOURGOGNE 46

- 22 Août 1944 48

- 23 - 24 Août 1944 50

- 25 - 26 Août 1944 51

- 27 Août 1944 52

- 28 Août 1944 53

- 29 Août 1944 54

- 30 Août 1944 56

- 31 Août 1944 59

- 1er Septembre 1944 61

- 18 - 19 Août 1944 62

- 2O - 21 Août 1944 63

- 2 Septembre 1944 65

- 3 Septembre 1944 68

- 4 Septembre 1944 69

- 5 - 6 Septembre 1944 70

- 7 Septembre 1944 72

- 8 Septembre 1944 76

- 9 - 10 - 11 Septembre 1944 77

- 12 - 13 - 14 Septembre 1944 78

- 15 Septembre 1944 79

LIVRE II

DOCUMENTS

**

- Résultats des actions contre l'armée allemande 80

- Services Annexes ayant dépendu de l'Unité 81

- Décorations obtenues par les membres de l'Unité,

pendant la durée des combats, de 1939 à 1945 83

- Copie des Attestations de Blessures 90

- Compte-rendu de Gestion de la Compagnie 91

- Liste des membres de la Compagnie 92

- Appendice 95

La mémoire

La mémoire : seul bagage incessible

Jacques ATTALI

Quelques erreurs n'ont pu être évitées. Les unes sont secondaires. (Par exemple, SACHA, le Russe, parlait un allemand minimum appris dans les camps, et communiquait ainsi avec son capitaine MALGACHE. Ce n'était pas toujours clair,. Deux évasions se trouvent contractées en un seul récit, mais comment corriger ? J'ai oublié les détails de la bonne version). D'autres faits sont plus navrants. SACHA pense, à propos de l'exécution des Officiers Russes du poste de BLAISY-BAS, qu'ils étaient sincères et voulaient vraiment gagner un maquis. Malheureusement ils n'ont pas pu convaincre leurs hommes à temps, certains préférant rester sous l'uniforme allemand que risquer les mines de sel. Cet exemple pose le problème des ordres d'exécution demandés par l'Etat-Major F.F.I. dont dépendait la Compagnie MADAGASCAR. (S'il y a eu ensuite exploitation politique, l'évadé et ses hommes ne pouvaient l'imaginer au moment de se battre). Le responsable de cet Etat-Major était un homme intègre et digne de confiance, mais il ne pouvait parfois que transmettre d'autres décisions hiérarchiques sans moyen de doubler l'enquête. Les liaisons étaient prudentes, parfois coupées pendant plusieurs jours. Les Résistants du dernier trimestre avaient durement appris cette méfiance, après l'hécatombe de 1943 décimant une Résistance trop peu secrète. La peur des dénonciations obligeait à des solutions dures. Léon BERTRAND, refusant ou ajournant plusieurs ordres d'exécution, apprenait dans le même temps que les délations étaient souvent le fait de Français apparemment dignes de confiance. (La FRANCE profonde ?...). Qui savait au juste de qui il pouvait répondre comme de lui-même ? Au moins, dans ce contexte troublé, les Russes portant l'uniforme allemand étaient-ils passés au service du Reich, ce que SACHA et bien d'autres n'avaient pas accepté. Par contre, des Allemands qui se sont rendus au Maquis MADAGASCAR ont été prisonniers de guerre, quoique bien encombrants sur la fin, et Léon BERTRAND a tenu à se les faire présenter dans le camp qui les rassemblait, car certaines Unités fusillaient les prisonniers sans autre forme de procès. Les prisonniers du Maquis MADAGASCAR n'avaient d'ailleurs qu'à suivre la flèche indiquant le maquis, sur la route de SOMBERNON : " Achtung ! Terroristes ! ". J'ai travaillé à la liquidation des Affaires de la Résistance à l'Etat-Major, avec mon mari. Nous avons observé la variété énorme des diverses formations dans la clandestinité. Je suis mal placée pour dire que la "COMPAGNIE MADAGASCAR "avait une cohérence, une organisation et une efficacité tranchant sur l'ensemble, mais je peux dire que, s'il ne laissait passer aucune escroquerie morale, Léon BERTRAND n'accablait jamais les " Amateurs débordés ", c'était son mot : - J'étais militaire de carrière, je savais mener une Unité. Les Amateurs ont manqué de Cadres et d'Officiers, à qui la faute Où étaient les uniformes ? Dans la naphtaline. Tu les vois maintenant, plis impeccables et tenues démodées, reprendre leur Tableau d'Avancement là où ils l'avaient laissé tomber en Juin 4O ? Je crois que je peux dire cela, tant d'années ont passé que personne ne se reconnaîtra… De cette lune de miel harassante je garde encore le souvenir du marathon des inaugurations commémoratives, des visages homériques quand un candide venait quémander une attestation d'appartenance à la Compagnie MADAGASCAR, un rouleau de billets de banque à la main et la fleur aux lèvres : - Vous comprenez, la vôtre, ça fait sérieux… et tant d'autres bizarreries humaines… Ici et là, LE MALGACHE recevait une décoration, écoutait lire devant les troupes quelque Citation ponctuelle, et me disait : - J'ai un meilleur texte. C'est un Allemand qui raconte : on prend 1O Français, on les enferme à clef tous nus dans une baraque, on met les chiens policiers autour, et dix minutes après, ils sont en train de se faire des frites ! Il ajoutait de son cru : - Même les Belges n'y arrivaient pas ! Je regrette un peu que son texte soit si sérieux, alors qu'il riait de tant de choses qui m'indignaient encore. Sans doute ce texte fait-il partie de ses devoirs militaires, n'y touchons pas. J'ai rencontré Léon BERTRAND le 13 Septembre 1944, nous nous sommes mariés le 8 Février 1945, plus pour mettre fin aux tracasseries de nos familles respectives que par impatience, et dans l'incertitude complète du lendemain. Sa situation militaire se régularisait dans le désordre, des amis se retrouvaient au départ pour l'INDOCHINE tandis que femme et enfants étaient embarqués par erreur sur un bateau à destination de l'AFRIQUE, le mariage avait au moins le mérite de me rendre majeure, car je n'avais que 19 ans, lui 42, ce qui nous attirait plus d'envieux ou de critiques que d'amis encourageants. Surtout, attendre quoi ? Comment ? Nous avions rêvé une Libération apportant soulagement, joie profonde, possibilité d'entreprendre et rebâtir dans l'efficacité. Ce n'était pas encore le cas : la Libération ne tenait aucune de ses promesses, autant citer Mr MALAGIE : " ... lutte, brutalité, cruauté, égoïsme, arrivisme forcené…/… courants psychiques dans lesquels la FRANCE se débat, difficultés de tous ordres : ravitaillement, finances, reconstruction, etc, au milieu d'une atmosphère de gangstérisme, non seulement rivalités personnelles, marché noir, attentats à main armée, mais lutte plus ou moins hypocrite ou violente des intérêts collectifs ". Bref, le Chanoine KIR nous maria civilement, prêt à " réconcilier nos familles ", idée baroque dont il fallut le dissuader énergiquement. Côté Eglise, le curé ex-pro-allemand né DE COSSE-BRISSAC voulut se blanchir un peu par un beau discours, toutes soutanes retournées. Prévenu in extremis alors que j'avais déjà le pied sur le tapis rouge des grandes pompes dont nous ne voulions pas, j'avançai vers l'autel dans des bruits divers provenant de la sacristie : chaise cassée, projections sourdes, éclats de voix d'une " colère MALGACHE ", sur fond de BACH " Que ma joie demeure ", tandis que le frère jumeau de mon mari détendait la montée à l'autel en murmurant, aussi amusé que moi : - Ne te prends pas les pieds dans le beau tapis, et n'y fais pas d'accrocs, je sens qu'on ne nous fera rien payer ! Nous habitions des lieux étranges, étriqués ou marginaux, en cherchant un logement, tandis que l'Administration Militaire cumulait les décisions contradictoires. Mon mari, sollicitant une permission après cinq années sans congé ni repos, cinq années de luttes encore plus dangereuses en camp de prisonniers qu'au Maquis, reçut une permission de trois mois prenant effet du 2O Mai 1944 au 19 Août 1944, juste le temps de la Résistance, et en bonne logique militaire j'avais épousé un déserteur en uniforme. Affectations successives puis ajournées, congés sans solde ni indemnité pour boucher les trous, il convenait que j'apprenne la règle : - Que devez-vous faire quand vous recevez un ordre ? - Je dois attendre le contre-ordre ! Considéré Adjudant par l'Artillerie Coloniale, il fut " atteint par la limite d'âge ", sans possibilité d'être au tour de départ. J'avoue que ça me convenait pour l'instant. Puis, il fut nommé Capitaine et utilisé à diverses missions dans lesquelles ses qualités d'improvisateur organisé faisaient merveille, mais utiliser les compétences réelles n'est pas le propre de l'armée, c'était anormal. Cinquième Bureau de la 7ème Région, MELUN à l'instruction, FONTAINEBLEAU au sport, CASTRES au matériel, je crois, et je ne sais plus quoi encore, et quand il a démontré partout ses aptitudes, expédition dans une Ecole des Cadres à REGENNES et rétrogradé Lieutenant tout en sortant en tête de ce recyclage bidon. Les décorations pleuvaient par ailleurs. Il s'agissait vraiment de calmer et décourager les vrais héros : une armée doit se composer d'hommes manipulables, qui ne réfléchissent pas et obéissent sans discuter. Les uniformes planqués dans la naphtaline en ressortirent avec avancement et affectations actives. J'appris un autre Article du Code : " La discipline faisant la force principale des Armées, il importe que… " etc. Pour Léon BERTRAND, l'arrière était " un joli bordel ", et les choses intéressantes se passaient à 2OO km de là, au front, où ceux de ses hommes qui s'étaient engagés piétinaient devant BELFORT. Il restait en liaison avec un Officier qui lui avait promis de le réclamer en cas de commandement libre, et il y eut des trous à boucher, car les Allemands s'accrochaient au Rhin. Le courrier de l'ami Officier fut expédié à l'adresse familiale, Laiterie de l'Est, dont nous n'habitions aucune des nombreuses chambres vacantes, tant nous dérangions la bourgeoisie dijonnaise. (Même chose du côté de mes parents, nous étions à la rue et " maudits ", c'était très 1900 !). Le lettre proposant un commandement fut ouverte par ma belle-mère, et délibérément détournée jusqu'à l'Armistice. Nous n'aurions rien su si nous n'avions rencontré son auteur par le plus grand des hasards. Il y eut bien une " colère MALGACHE " dans la cour de la Laiterie, mais c'était trop tard, et ma belle-mère, qui avait viré de bord me déclarait sa bru préférée, me dit très sérieusement : - Dans l'état où il était, il se serait fait tuer. Il en avait assez fait, et puisqu'il n'y en avait que pour les naphtalinards, c'était à eux d'aller un peu au feu. Léon a l'âge de faire encore quelques enfants aussi idéalistes que lui, pour la guerre suivante ! Génération sacrifiée vouée au baby-boom, quant faut y aller, faut y aller ! Dans la pagaille " libérée ", chacun se trouvait un réseau de relations lui convenant. Un médecin Résistant connaissait une infirmière qui s'engageait pour le front et réussit à nous faire louer l'appartement qu'elle laissait, Place des Cordeliers : deux grandes pièces en rez-de-chaussée sur cour, dans un hôtel particulier, portail massif, fenêtre sur rue permettant de voir qui sonne, mais défendue par des barreaux de fer forgé, un lieu idéal pour trier un peu les émissaires de l'adversité. Mais s'il était facile de faire un camp retranché, il restait à y créer notre foyer, et nous n'avions qu'une vague idée de la chose, moi faute d'en avoir un lointain souvenir, chez ma grand'mère, Léon en ayant perdu l'habitude, les séjours coloniaux étant campements au milieu des malles plus qu'installations solides, pour un margy du 2ème R.A.C. Jacques et Jacqueline arrivèrent, enfants de la première femme de mon mari. Jacques avait 14 ans, son père ne s'en occupait pas, mon mari n'avait pu l'emmener à MADAGASCAR puisqu'il n'était pas son fils, et les grands-parents qui l'hébergeaient étaient débordés. Je lui appris à lire en taillant son premier manteau dans une couverture teinte de l'U.S. ARMY. Jacqueline 12 ans, faisait aussi de la couture avec moi, nous avions pris l'initiative risquée de raccourcir les immenses shorts coloniaux qui flottaient en chute libre sur les genoux masculins proéminents, pour faire " la surprise " au grand chef. Content ou pas, s'il voulait encore affubler le reste de son unité de ces shorts démodés pour quelque prise d'armes, nous serions moins ridicules… En fait, au premier essayage du sien, il rit, et renonça aux reconstitutions historiques. D'ailleurs la ruée des inaugurations de monuments se calmait un peu, et il possédait un uniforme correct pour honorer les disparus. Et Jacqueline savait un peu coudre, ce qui me paraissait utile, dans la vie. Comment imaginer l'essor de la confection à tous les prix, venant du monde entier nous ôter l'aiguille de la main ? Les enfants m'appelaient maman, ce qui fit dire à une dame horrifiée, un soir de cirque (le premier cirque à revenir, cirque-colombe annonçant la fin du déluge de fer et de feu) : - A quel âge elle a bien pu les avoir ? La famille prenait figure, joyeuse et vorace. Le MALGACHE me " faisait confiance ", c'est-à-dire planait au-dessus des contingences quotidiennes. Heureusement quelques-uns de ses hommes, restés dans leurs foyers ruraux, le connaissaient et nous ravitaillaient un peu selon leurs possibilités. Pour les légumes des soupes, il suffisait de ramasser les restes des marchés avant balayage, c'est-à-dire il suffisait de disputer ces rebuts à des bonnes Soeurs super vaches qui n'avaient même pas l'excuse de tenir cantine pour des orphelins. Je mettais mes souliers de guerre à semelle de bois pour " faire mon marché ", et j'eus bientôt mon territoire de chasse : un petit coup de pied dans les chevilles, un sourire jusqu'aux oreilles : - Oh ! Pardon, ma Soeur ! Mais vous ramassiez sous " mon " étal, ça vous a échappé. Je suis désolée… Léon BERTRAND apprécia. J'appris qu'il avait été promu Adjudant-Chef en 1940 pour avoir organisé la meilleure cuisine du secteur. J'appris aussi qu'il n'y aurait pas eu de Compagnie MADAGASCAR efficace et toujours sur la brèche, s'il n'avait pas eu la chance de trouver un cuisinier-intendant capable d'assurer tous les repas, tous les en-cas, et le quelque chose de chaud à toute heure du jour et de la nuit. Cet homme précieux aurait voulu se battre aussi, mais LE MALGACHE sut le convaincre de l'importance de sa fonction, dans laquelle il était irremplaçable, sut se priver d'un excellent combattant, et sut mettre à sa disposition les corvées de ravitaillement et les bons de réquisition raisonnables pour assurer un ordinaire correct. J'appris une nouvelle maxime : " Ventre affamé n'a plus de cran ", et " Honni soit qui joue sur les mots ". Les crans de nos ceintures étaient sujet tabou. Un domicile fixe, la bouffe assurée, les jours de pénurie, par les frites à la graisse de cheval de l'ami BOBY, homme de coeur et de ressources, amour toujours, et ballades de maraude ou de cueillettes offertes, (placer la maraude avant la cueillette serait-il un lapsus révélateur ?) côté jardin, c'était sympa et on pouvait attendre que l'avenir émerge, mais côté cour, c'était plutôt panier de crabes et sables mouvants. Je dépasserais le cadre de quelques pages si je sortais ici en détail et chronologiquement ce qui me reste en mémoire de ce temps-là. Je préfère regrouper quelques souvenirs, sans trier date ou importance, et c'est aussi vrai qu'une reconstitution, puisque tout nous arrivait par surprise, dans le désordre. .c.LE TEMPS DU REVOLVER Léon BERTRAND, menacé, tiraillé, utilisé à toutes les sauces, naturalisé rouge, puis blanc, puis assassin, puis fou, ivrogne, danger public, ou porté aux nues, type superman mâtiné de SAINT-VINCENT-DE-PAUL, (" le jarret solide pour déjouer les lacets tendus sur son chemin ", sic, lettre d'admiratrice) Léon BERTRAND fut chargé de liquider en un mois des effets et des fonds de caisse aux plus démunis. Service Social avant la lettre, enquêtes, justificatifs, tenue de stocks, de comptes, archives de reçus, arrivée de nouveaux ballots contenant des armes disparates, alors que toutes celles de la Compagnie MADAGASCAR étaient rendues, le foyer devint hall de gare, avec un défilé dont nous avions hâte de voir la fin. Comme nous étions deux impatients associés, ce fut fait bien, et vite, dans les délais. Dans le même temps, la famille s'occupait de ses affaires, achetait des camions au nom du MALGACHE pour avoir un prix préférentiel, ou se sortait du clos SAINTE-MARIE où étaient internés les collaborateurs trop vite enrichis grâce à cette parenté, et voilà comment mon héros distributeur désintéressé fut déclaré " profiteur " pas si pur que ça. Et qu'est-ce qu'on peut faire contre sa propre famille ? De toutes façons c'est suspect. - Les chiens aboient, l'amour passe ! déclara mon faiseur de proverbes. Il fut décidé de recevoir tout le monde et n'importe qui. Mon mari installa sa petite table-bureau devant la porte, afin de rendre facile la fuite de certains, et me transforma en gorille armé de son revolver. (Ne pas confondre avec un pistolet, c'était un gros revolver à barillet avec lequel je fus entraînée sur des cibles de carton, dans des carrières désertes). Plusieurs signes convenus furent mis au point. Nul ne surveillerait la jeune dame dans l'ombre, je pourrais tirer aux pieds du suspect, ou en haut, ou si nécessaire " dans le buffet ", après avoir compté un nombre de secondes correspondant aux doigts montrés. L'envoyé du Parti Communiste ne posa pas de problème. Econduit, il se retira avec un sourire de pitié : - Vous serez quand même des nôtres, puisque vous étiez F.T.P.F. Mais vous n'aurez jamais d'avancement, alors qu'en signant votre carte du Parti, vous deveniez Commandant Et voilà comment LE MALGACHE fut déclaré communiste. Il en resta coi, sans proverbe ni texte réglementaire pour mon instruction, et ne l'a jamais bien digéré. Mais si vous avez lu la fin du Petit Cirque, vous vous en doutez. Une femme vint pour l'autre bord, le revolver était sous les petits pois que j'écossais. Nous écoutions RADIO-LONDRES quand l'Etat français, qui n'était plus une République, rabâchait " Maréchal, nous voilà ". (Il était bien mal loti, le pauvre !). Donc, nous avions déjà perdu nos illusions à l'heure où les mêmes trépignaient : - Vive DE GAULLE ! L'émissaire en tailleur ignorait que les directives du grand Charles, erreur ou tactique, avaient été désastreuses pour la Résistance. De grands Maquis surpeuplés et fixes, pour en disposer à son heure et sous son commandement, avaient entraîné représailles, pertes inefficaces, et attaques comme celle du VERCORS. Mais les petits Maquis mobiles et le harcèlement efficace en limitant les destructions inutiles, pour ne pas avoir à trop reconstruire, la guérilla type Compagnie MADAGASCAR, ne pouvant amener que la libération du territoire, et non l'accès à l'Elysée, n'étaient pas du goût de tous. En outre, la dame arrivait juste pendant une permission-éclair, mon mari se tapait à l'Ecole des Cadres et ses cours insipides " pour guerre de 1870 ", (? ? ?) mais il apprenait beaucoup de choses de ses condisciples. La dame eut droit à l'histoire du jeune Capitaine qui avait conduit au feu, avec succès et peu de pertes, ses Compagnies successives, du fond de l'AFRIQUE en ITALIE, puis en PROVENCE, en ALSACE, et qui fut expédié à REGENNES pour apprendre à devenir un Officier et se voir rétrogradé Lieutenant. Il en pleurait, encore un à décourager de l'armée, il était trop bon soldat. - Je choisis mes chefs, dit " Léon le Superbe ", et le vôtre ne m'inspire plus rien du tout ! Et il ne fut pas Colonel, car tel était le tarif à Droite. Mais il fut suspecté de militer dans l'Extrême-Droite, ce qui le laissa également sans réplique. Pour recevoir l'envoyé du KREMLIN, je couvais mon revolver sous l'oreiller, car notre second petit garçon venait de partir dans un mini-cercueil comme le premier. Je n'étais pas au meilleur de ma forme, et les couveuses pour prématurés ne pouvant s'obtenir sans caution dont nous n'avions pas le premier centime, furent réservées aux enfants " bien ", de parents riches. Nos fils n'étant que petits-fils de riches, je n'aurais qu'à recommencer, c'est simple. MOSCOU réorganisait son Service de Renseignement, et se déclarait déçu par les membres du Parti Communiste Français qui était un Parti " bourgeois, sur lequel on ne pouvait pas compter ". Nous avions repoussé leur carte, et devenions intéressants. Ils étaient bien renseignés. Nous aurions " la couverture de notre choix, industrie, commerce ou emploi intéressant, dans la région de notre choix, avec les frais de fonctionnement que nous fixerions nous-mêmes ". - Je viens d'en suer pour être libre dans mon pays, dit mon mari, ce n'est pas pour troquer la Croix Gammée contre une faucille et un marteau ! Beau joueur, l'envoyé Russe se déclara ravi de rencontrer un vrai patriote. Puis une conversation suivit. Mon mari voulait savoir si l'appartenance des Russes de son Maquis leur assurait un retour sans problème dans leur pays. Il n'en était rien : évadés ou engagés dans l'armée allemande, ils étaient tous arrêtés, jugés et envoyés en " rééducation ", car ils avaient commis la faute de se laisser prendre par l'ennemi. Il était trop tard pour plusieurs des anciens de la Compagnie, mais Sacha, grâce à sa rééducation après blessure ne partit pas avec les autres, comprit à temps, et revint. La FRANCE reconnaissante lui remit une carte d'apatride. Il s'est fait depuis naturaliser Américain, donc la FRANCE ne financera pas, sans un dossier du tonnerre de DIEU, l'extraction de la balle qui lui reste, tandis que les U.S.A. ne voudront rien entendre pour une balle allemande reçue hors de l'un de leurs Régiments. " A ses fils morts, la Patrie reconnaissante ". Mais pour les vivants, qu'ils se débrouillent ou crèvent. (Ça, c'est de mon cru). Nous avons aussi reçu pas mal de naïfs, un rouleau de billets de banque à la main, d'autres sortant des poches, pour acheter une attestation d'appartenance à la Compagnie MADAGASCAR, qui avait tout de même sa réputation de sérieux. Mon mari leur expliquait patiemment : - Le lendemain de la Libération, j'ai déposé la liste de mes hommes. Inutile d'insister. Mais si jamais je trouve une attestation fausse utilisant le nom de ma Compagnie, cela vous coûtera plus cher que vos rouleaux de papiers ! Je devais alors me rapprocher aimablement en balançant le revolver, ce que je ne trouvais pas nécessaire. Ils achèteraient une autre attestation, et il me semblait que nous vivions mal, ce revolver toujours à portée entre Français. Mais les autres aussi vivaient bizarrement. Autant innover et poser le revolver un peu trop tôt, on verrait bien. DIEU merci, on n'a rien vu. .c.LES CITATIONS Pour les Croix de Guerre, Léon BERTRAND avait sa coquetterie. Comme il avait son franc-parler, on l'arrosait de médailles, que l'un ou l'autre se faisait une joie, ou une corvée, de lui offrir en attendant la remise officielle, et je le vois les jetant dans une boîte de dominos vide, en me disant : - On ne sait jamais, ça peut toujours servir, avec tous ces cons ! Mais je le revois aussi tempêtant contre un texte du genre : " Brave soldat, s'est bravement battu, a bien mérité de la patrie ", et filant à l'Etat-Major, furieux, pour essayer de savoir qui avait pondu cette " merde ", en tous cas pour se la faire enlever. Il entreprit aussi de récupérer des témoignages de ses camarades de captivité, j'en conserve encore qui en disent long sur la trempe de son caractère. Et le résultat ? Quand il a décidé, en 1946, de bénéficier de la Loi de Dégagement des Cadres pour quitter l'armée, il avait trop de titres de guerre pour entrer dans le cadre des personnels à dégager, et a dû en " oublier " sur l'imprimé ! L'Administration Militaire n'avait plus de secrets pour lui, il fut " dégagé sur sa demande ". Un peu avant, nous avions été affectés au Cinquième Bureau, mi-liquidation des affaires de la Résistance, mi-ébauche d'un Service de Renseignement. Léon BERTRAND me mit d'office à son Service personnel, Secrétaire favorisée par l'octroi d'une antique machine à écrire comme seule l'armée peut en trimbaler dans toute l'EUROPE. Mes mains s'y sont musclées ! Et mon éducation poursuivit son cours. Parfois j'étais " prêtée " pour une journée à un Officier sans Secrétaire, et j'appréciai si peu que je menaçai de regagner mes foyers. D'abord j'étais bénévole, ensuite, autant mon mari savait expliquer ce qu'on faisait, pourquoi, et comment je devais trouver la bonne façon de le présenter, autant les autres Officiers étaient vagues, confus, donnant des ordres tantôt pour des illettrés, tantôt pour des Généraux ayant pouvoir de décision, et comme ils le sentaient, ils étaient en permanence penchés sur mon clavier, m'interrompant ou me faisant tout recommencer pour un mot aussi mauvais que le précédent. Rédiger intelligent dans ces conditions était impossible, et taper des inepties me sapait le moral. C'est mon point faible : je ne peux pas supporter d'être commandée par moins capable que moi, et je prends la tangente au moindre relent de médiocrité, d'inefficacité, de mesquinerie, bref de sottise. Cela ne m'a pas trop mal réussi, finalement. La vie est trop courte pour l'accepter ennuyeuse. En attendant, je méditais sur l'art de donner les ordres, tout en admirant sans compter ce mari enlevé de haute lutte : le spectacle, au Cinquième Bureau, répétait à l'échelon régional le prologue entrevu à notre domicile. Nous étions en butte à une furieuse ruée sur les décorations, les places à décrocher, les valises de billets parachutés à répartir ou détourner, certains bijoux récupérés à ne pas restituer, quitte à faire assassiner la jeune convoyeuse. (Mission et ordre de la tuer émanaient du même " chef " politique ; ne précisons pas davantage, à quoi bon ?). J'en oublie, et tant mieux. Léon BERTRAND restait calme, courtois, précis, il posait quelques questions, écoutait, recoupait l'histoire, ajoutait quelques preuves à chaque dossier, puis prenait seul une décision imparable, élégante de netteté. Un baroudeur, une tête brûlée, cet Officier ? Pas plus que le reste des jugements téméraires émis à son propos. J'en retiens qu'il faisait parler, et j'ai pris au Cinquième Bureau quelques leçons de solidité qui m'ont servi pour la vie, en plus de la joie de voir qu'on se ressemblait juste assez pour faire une belle équipe. Un exemple anodin précis : J'ai tapé quantité de Citations pour un fait d'armes qui n'avait engagé que deux Résistants auprès d'un pont. Or, il s'en trouvait une bonne cinquantaine cités pour cet exploit, et nous savions très bien qui était au feu ce jour-là. Mon mari convoquait le proposable, écoutait son histoire, puis proposait une Citation selon ce qui lui était dit, me la faisait taper, faisait signer le texte par l'intéressé, mention manuscrite " sur l'honneur " à la fin (et deux seulement se sont dégonflés, pas plus). A peine la porte refermée, il déchirait la Citation abusive et la jetait au panier. Un jour, il avait encore les morceaux en main quand le candidat est revenu ajouter " une preuve " orale de son boniment, et Léon l'a tranquilisé : - Ta Citation partira comme il convient, tu peux compter sur moi ! Je le regardais, je pensais : " Tu sais drôlement bien mentir, quand tu veux, mais tu sais que je le sais ". Puis je râlais : - Tu pourrais m'économiser la frappe de tout ça, on a d'autres chats à fouetter ! - Justement, je ne sais pas ce qui est important, dans cette avalanche. On n'a pas de temps à perdre avec des escrocs à la Citation, et si on ne les rassure pas, ils iront se la faire faire ailleurs. De quoi s'agit-il ? De mettre de l'ordre ? Mettons-en partout, à toutes les occasions, et mentir aux menteurs, c'est de la légitime défense ! Naturellement, l'épuration débordait sans vergogne toutes les tentatives. Nous faisions le net ici, un autre, Officier ou Résistant correct, faisait le net dans un secteur voisin, mais il n'y avait pas tache d'huile, seulement des yeux isolés sur le bouillon des ambitions grasses. Un jour est arrivée une Citation à mon nom de jeune fille J'avais effectué un signalement improvisé pour une avant-garde dont le téléphone ne marchait plus. J'avais oublié complètement cet incident, d'autant plus que si je me trouvais là, ce jour précis, c'était avec l'envie de me faire tuer, et que la mission reçue, en me rendant utile m'avait probablement sauvé la vie. LE MALGACHE lit, rit, puis me cite à haute voix cérémonieuse comme on parlait alors, (cf. la radio d'époque) et il en sort un dialogue du genre : - D'accord, c'est un fait d'armes précis, daté, réel, tu peux avoir ta Croix de Guerre. Mais si elle sort de ce bureau, tapée par toi, que diront les chiens qui aboient ? - Fous-la au panier, je n'ai aucun mérite ! Et je lui explique pourquoi : - Mais pourquoi ne m'as-tu jamais raconté cette histoire ? - Parce que tu parles toujours de ta guerre, je ne peux pas. Regarde autour de toi : des récits, des hommes. Des femmes, pas de récit, elles sont déjà à faire autre chose. Elles n'ont rien à se prouver. As-tu vu une seule femme dans la queue des candidats au petit ruban ? - Je dois t'ennuyer, à raconter, mais je crois qu'il faut parler. Les gens ne savent pas, et les collabos défigurent tout ! - Tu m'ennuies au-delà du supportable, pas tellement parce que je suis saturée de taxis de la MARNE ou d'histoires de rats au siège de PARIS en 1870, mais parce que tu ne supportes pas un seul verre de vin, et que tu te laisses piéger par des bistrots, comme attraction favorisant la vente, dans des lieux minables. Si je me trouve un jour, avec ton revolver dans un de ces hauts-lieux, je te promets de tirer dans toutes les bouteilles et de faire un joli scandale ! Il me répondit : - Je t'aime ! et vint m'embrasser, un baiser pas comme les autres, un peu désespéré. Je conclus avec " simplicité " : - Je me battrai pour toi contre tous ! Et je repris la frappe des Citations, ou des bordereaux de pièces d'or récupérées en SUISSE, ou de quoi encore, stoppons-là pour le Cinquième Bureau. J'en garde deux souvenirs différents : Le Capitaine REGIS nous fit connaître Pierre CLOSTERMAN. " Le Petit Cirque " est un hommage à son action, qu'il publiait à chaud sous le titre : " Le Grand Cirque ". Mon mari aussi venait de publier une mince brochure, surtout pour couper l'herbe à temps, et rendre accessible à tous la liste de ses hommes, pseudonymes et état-civil exact, numéro d'immatriculation chronologique au Maquis MADAGASCAR, compte-rendu de gestion détaillé. Parer au plus urgent, désamorçer les coups bas, plutôt que raconter le temps du Maquis. Bref, échange de publications, échange de dédicaces, et pourquoi, 44 ans après, la page 264 de son livre est-elle encore marquée ? " C'était trop vrai, on n'avait plus besoin de nous et on nous le fit sentir vite. Suppression de permissions, passages en avion réservés aux Officiers Supérieurs, brimades sans fin, inconscientes mais qui ulcéraient. Je reçus une note du Ministère de l'Air contresignée d'un Général F.F.I., m'annonçant que, par une grande faveur et à titre exceptionnel, on me nommait Lieutenant de Réserve ". Le second bon souvenir est celui de la fin de notre Service au Cinquième Bureau. Je ne sais plus s'il se réorganisait ou si une affectation arrivait, mais il y eut une petite fête entre gens de courage et d'honneur, et à un moment, tout le monde a entonné en choeur " Le Chant des Partisans ". Ce fut un moment d'intense émotion, de communion parfaite. La FRANCE était libre, nos enfants vivraient libres, on ne savait pas de quoi, mais ils se débrouilleraient aussi bien que nous, mieux même, sans les entraves d'une Occupation. La victoire nous montait à la tête, à défaut de champagne, et si, pour l'heure, les grands projets sociaux butaient sur l'os de la pénurie, nous aurions des lendemains ensoleillés. " Chantez, compagnons, " Dans la nuit la Liberté nous écoute. Ce chant, et la sonnerie " Aux Morts " me remueront le plexus solaire jusqu'à ma dernière heure, je crains. .c.LA BARAKA, OU COMMENT RENDRE LES ARMES Il restait, effets et couvertures distribués, une malle pleine d'armes que les gens embarrassés apportaient. Elle était oubliée au fond de la chambre des enfants, tant nous étions occupés tous azimuth, et moi entre autres à élever nos deux premiers bébés, relayée par les grands quand quelque " mission " m'occupait au dehors. Je me mis à rêver que tout sautait, une nuit, en tuant les quatre enfants. Le rêve revint, toujours le même, d'abord de loin en loin, puis plus rapproché, et finalement avec un caractère d'urgence, tous les jours, si bien que je finis par le raconter à mon mari. Il piqua contre moi une " colère MALGACHE décommanda tous ses rendez-vous, sut dans l'heure où livrer les mousquetons, et me mit à l'emballage des grenades qu'il fallait donner au Docteur GREMEAUX, un oculiste qui faisait des recherches sur les explosifs pour la Défense Nationale. J'assurerais cette dernière livraison. Je me revois emballant les grenades dans du journal, comme des oeufs, ou dans des cornets pour les grenades allemandes à manches, posant des tas sur la poussette du garçon, conduisant le tout de la Place des Cordeliers au domicile du Docteur, près de NOTRE-DAME, sur des pavés casse-bras, et me demandant si les ressorts de la poussette allaient tenir le coup. Il me fallut quatre voyages. Le soir, tout était débarrassé, et nous avions les adresses sur lesquelles diriger de nouveaux donateurs. J'étais vidée, j'ai bien dormi. Le lendemain, le Docteur GREMEAUX nous appelle par téléphone, et nous dit : - Il était temps, une des grenades allemandes a explosé pendant que je la descendais dans le puits au bout d'une ficelle. Ces poudres allemandes sont instables en vieillissant, et j'ai dû les secouer un peu à mon insu. Mais de toutes façons, elles n'auraient pas tenu une semaine de plus ! Cette fois, j'ai eu vraiment peur, mais ce n'était pas le moment de perdre les pédales, si je voulais économiser une autre " colère MALGACHE " : j'en pris l'initiative, accusant mon mari médusé de ne rien connaître aux explosifs, de négliger ces histoires d'armement, et de ne même pas rêver utile, avec ses cauchemars de camps de prisonniers. Je me défoulais de ma frousse rétrospective en même temps, et le tout finit entre nous par un fou-rire nerveux, mais par la suite, même 20 ans après, on n'a jamais pu rire en relatant l'incident du rêve. Léon BERTRAND me raconta à cette occasion une autre " colère MALGACHE ", au camp du Maquis : deux jours avant sa mort, POLY avait dit à ses camarades de tente : - Je ne reverrai pas l'ALSACE, il va m'arriver quelque chose ! Mais il avait interdit de répéter ce pressentiment au Capitaine, et quand celui-ci l'apprit, car finalement ses hommes lui disaient beaucoup de choses, il paraît que " ça gueula sec ". Trop tard, hélas, mais c'est une chose banale que sentir venir la mort, dans toutes les armées du monde. Mon mari prenait très au sérieux tout indice, et me disait : - Moi, j'ai toujours su que je reviendrais entier, je n'ai guère de mérite à foncer au feu ! Il a gardé quelque temps le feutre percé d'une balle " 4 centimètres trop haut ", puis nous l'avons jeté. .c.LE RETOUR DES DEPORTES Nous avions épuisé, comme demandé, notre " fonds social ", lorsque les premiers déportés arrivèrent peu à peu. Avec sa liberté profonde vis-à-vis de l'argent, Léon BERTRAND décida : - On va organiser un bal à leur profit ! Une salle fut trouvée, des boissons offertes par des vignerons en mal de bonnes manières pour qu'on oublie leurs lessiveuses pleines de profit, le corps de ballet du théâtre de DIJON fut volontaire pour un intermède en tutu, mon mari recevrait une délégation de déportés en tenues rayées, il avait une autorisation de porter l'uniforme, et toutes ses décorations pour l'occasion. Moi, éternelle cheville ouvrière obscure mais solide, je tiendrais et défendrais la caisse. Le gros revolver fit place à un jouet 6.35, ce qui ne m'enchantait pas, mais puisqu'on vivrait sans tirer, autant l'oublier dans un tiroir à la maison. Des hommes de la Cie MADAGASCAR assureraient l'ordre. Le bal fut un triomphe financier, mais je ne dansai guère pourtant cette fois, j'étais " à peine " enceinte. L'orage surgit soudainement sous la forme de deux Jeep de soldats Américains éméchés. Ils renversèrent le buffet fleuri, buvant et cassant, agressant tout le monde, coursant les femmes à leur portée. J'eus le réflexe de planquer la recette, puis fis alerter mon mari, occupé au fond à remercier le corps de ballet. (Pas fâchée de le distraire de cette soi-disante obligation). Les hommes du service d'ordre en appelaient d'autres en renfort, le Capitaine, en un instant, regroupa et organisa son monde, civils au fond, chaises en défense. Un malheureux déporté n'avait pu se replier à temps, je vis un Américain l'assommer d'un coup de quelque chose sur la tête. Je vis en même temps mon ex-talonneur de rugby le plaquer en grand style, puis le soulever en l'air et lui expédier un upercut de toute la force de son indignation. L'Américain partit à reculon, tomba sur le bord du trottoir, et resta K.O. Les autres, dégrisés et vidés, se sauvaient vers les Jeep et filaient dans la nuit, encore plus vite qu'ils n'étaient venus. Cinq minutes après, la Military Police était là, à croire qu'elle les suivait. Léon leur expliqua la cause de la bagarre, preuve rayée à l'appui, hébétée, un torchon-compresse sur la tête, un regard incrédule pathétique et le corps tremblant encore dans l'habit de malheur trop grand pour lui. Les M.P. chargèrent l'Américain K.O., puis s'éloignèrent à l'écart avec mon mari : l'Américain était mort dans sa chute dont ils voulaient " oublier " les circonstances, sa famille aurait une Citation. (Eux aussi ?) Mon mari devait présenter leurs excuses aux déportés, un don leur serait envoyé. Et comme les Américains ne peuvent parler sans prêcher d'exemple, nous apprîmes qu'eux, gens pragmatiques, mettaient en première ligne leurs prisonniers de droit commun, ceci expliquant cela, tandis que nous, Européens étranges inventeurs du franc de dommages-intérêts qui leur paraissait le comble de l'inconséquence, nous gardions nos voyous bien à l'abri de la guerre, dans nos prisons, et nous faisions tuer à leur place. Tel fut mon premier bal de jeune épousée. .c.LE PREMIER VOYAGE DE NOCES Nous avions alors une jolie petite brune, aujourd'hui infirmière de choc. Elle était née en Août 1948, au temps où se réalisait le grand déménagement de cadavres qui suit toutes guerres. Il était anonyme et discret, mais enfin, la Compagnie MADAGASCAR avait gagné, avec une loterie si je ne me mélange pas les pinceaux, les moyens d'affréter un mini-car pour raccompagner le corps de POLY en ALSACE. Naturellement, je serais du voyage, Léon avait besoin de ma présence. Je dus acheter une panière à linge pour le bébé, car BRAC, le Gitan du Maquis, qui m'avais promis " le plus beau berceau d'osier de toute la FRANCE pour les petits MALGACHE ", n'en finissait pas de terminer son chef-d'oeuvre, que nous n'avons jamais vu. J'allaitais, c'était pratique et rapide. Mon mari prit le volant, relayé quand il voulait par un des camarades qui raccompagnaient POLY. En ALSACE, la famille préparait la cérémonie d'inhumation, avec le Sous-Préfet, les enfants des écoles, les gens du pays, y compris, détail qui m'étonna, un ex-soldat Allemand enrôlé malgré lui, auquel nul ne semblait tenir rancune de n'avoir pas déserté, puis gagné un Maquis, même du type colonie de vacances. Etait-ce une exception ? Une règle locale d'apaisement ? Nous n'avions pas tous les éléments d'appréciation, ni le temps de nous informer, nous ne finissions pas une guerre, mais dix, cents guerres éparpillées sur toute la terre et sur l'EUROPE, en ce qui nous concernait. La cérémonie, émouvante et digne, nous fit grand bien : nous rencontrions des gens courageux qui n'avaient pas calculé le risque en terme de négoce, comme dans la riche BOURGOGNE, et cette ALSACE du retour de ses tués nous avait réservé un accueil plein de chaleur. POLY ne serait pas oublié avant longtemps, nous sentions poindre une sérénité encore étonnée, frileuse, et comme un pardon des parents et des amis du mort. Nous allions pouvoir signer notre armistice personnel, et terminer moralement notre guerre. Changer d'air, s'installer loin de notre zone d'épuration, concrétiserait la paix revenue, mais il nous faudrait attendre encore un peu. Aucune importance, nous n'étions pas à un voyage de noces près. .c.CICATRICES ET MUTATION Mon patchwork de petits souvenirs touche à sa fin, passons vite sur nos courriers et visites amicales. Un grand désir d'oubli s'installait. Un récit de prisonniers de guerre s'intitula " Les Grandes Vacances ", ce qui choqua mon évadé-baroudeur. D'AFRIQUE nous vint une histoire navrante. Mon mari a toujours aimé ses hommes, sans trier la couleur de la peau ou le niveau des études, car : - On a du coeur, ou on n'en a pas, c'est le seul critère ! Aussi fut-il affecté de l'histoire d'un de ses anciens Sénégalais du R.A.C. - Les Français nous ont parqué derrière des barbelés pour nous démobiliser et nous renvoyer dans nos villages, avec un petit pécule et 40 cigarettes. Les premiers, toute leur famille s'est moquée d'eux, alors ils ont prévenu ceux qui étaient encore au camp, et il y a eu les palabres, la révolte. On s'est déculotté et on a montré nos derrières aux Français. On avait combattu ensemble, non ? Alors, tu sais quoi, margy ? Les Officiers Français sur place là-bas ont fait tirer sur nous à balles réelles. Il y a eu des blessés. On a compris, c'est fini, la FRANCE. Mais toi, si tu viens en civil dans mon village avec ta famille, on fera la fête comme tu n'as jamais vu ! D'INDOCHINE, les histoires du genre " Trafic des Piastres " nous sont expliquées bien avant la sortie du livre portant ce titre, livre vite disparu des librairies. Anasthasie la censure aurait-elle encore sévi ? Côté déportés, les Juifs parlent, écrivent, pourchassent leurs bourreaux, et c'est très bien. Mais d'autres peuples ont subi un génocide encore plus implacable, proportionnellement, faute de disposer d'une diaspora équivalente. Nous connaissons surtout celui du peuple des Gitans. Ils ne lisent ni n'écrivent, ils chantent le malheur, donc ils sont voués à l'oubli à plus ou moins brève échéance, mais je rêve que leur musique survive, comme celle des " bois d'ébène " déportés jadis aux AMERIQUES. Nous recevons une invitation gribouillée au crayon sur un papier d'écolier, pour le premier pèlerinage aux SAINTES-MARIES-DE-LA-MER après l'holocauste. Nous sommes englués dans le " ménage du bordel ", nous sommes contaminés par l'ambiance et devenus idiots, ou quoi ? Nous avons longtemps regretté de n'avoir pas été aux SAINTES-MARIES, quitte à faire la route à pied, comme eux. On marchait beaucoup, alors. D'ailleurs, BRAC nous aurait bien trouvé une charrette… Il faut cicatriser les anthrax conjugaux énormes, que je vide avec délice : une vacherie de moins. Il faut guérir ses crises de paludisme, et cette dépression classique du Héros Epuisé. Il faut, côté cour, boucler le compte Profits et Pertes, et commencer autre chose, cesser de vivoter de métiers disparates pour rester disponibles à tous, commencer autre chose avec nos enfants et pour eux, renoncer à l'appel des amis, des destins croisés, des vivants, des blessés, des morts. Albert a sauté sur une mine, nous sommes témoins de son mariage avec son infirmière, lui sur le chariot d'infirme qui ne lui servira pas longtemps, (il est mort) et nous honteux d'être heureux, entier, comme une nouvelle espèce de profiteurs de guerre. Complexe à expulser. Léon BERTRAND obtint un emploi civil dans l'Administration Militaire, un petit poste de comptable, son âge l'empêchait d'être titularisé, mais ses titres lui permettaient d'être engagé comme auxiliaire. Il prit le chemin d'un bureau à des heures régulières, avec l'idée de se faire muter dans le Midi, dès que la première nichée serait autonome. Jacques, menuisier, fit son service puis se maria. Jacqueline, assistante sociale, eut un poste dans l'armée sans rien demander, car il n'était pas question de " piston ". Aussi fut-elle nommée ailleurs qu'à DIJON. Nous pouvions demander une mutation et reprendre nos projets. BORDEAUX humide ? MARSEILLE et son mistral ? Notre fils était asthmatique. NICE ? C'était tellement demandé par les militaires de toutes catégories qu'un auxiliaire ne risquait pas de l'obtenir. Nous avons été mutés à NICE. Ce n'était pas le coup de faveur d'un ami perdu de vue tombant par hasard sur la demande, c'était le coup de dés d'un militaire inconnu jugeant sur pièces, c'est-à-dire sur l'état signalétique, et ayant un poste pourri à pourvoir : un vieux renard plein d'initiatives ferait l'affaire. En effet, mon mari assuma imperturbablement trois fonctions très différentes pour le même salaire, sous les ordres d'une " vieille culotte de peau ". (Je dis ce que j'ai vécu, qui se sent visé se mouche). Système bien établi, Léon BERTRAND fit alors son rapport et demanda " aide et protection " au Général commandant la place, car " il lui était impossible de faire face aux ordres reçus, pour la première fois de sa carrière pourtant bien remplie ". On reçoit un petit comptable si gradé et si décoré, il doit savoir ce qu'il dit. Mon mari fut reçu, invité à choisir celui des trois emplois qui lui convenait le mieux, opta pour les Travaux du Génie, et eut le droit de respirer. L'abusif qui nous avait valu la place à NICE fut muté pour raisons disciplinaires à LILLE, il pourrait compléter sa retraite, poursuivre son ancienneté, et tout le monde fut content. Un certain ordre se rétablissait décidément, et les médailles avaient enfin servi à quelque chose. La suite est une autre histoire, d'une famille comme une autre. Avions-nous trop parlé d'armes, ou était-ce héréditaire Je trouvai un jour notre fils avec une balle de pistolet dans l'épaule, et le fis soigner d'urgence. Nous fûmes convoqués au Commissariat. Notre fils expliqua que la montagne était pleine d'obus, de munitions, d'armes abandonnées, et ces sacrés gamins tapaient sur les culots pour voir ceux qui " partaient ". Mon mari piqua une mini-colère, raconta le nettoyage des alentours minés de son Maquis, s'indigna de la laxité locale. Le commissaire fit apporter une carte à grande échelle et se fit montrer le lieu des principaux dépôts, promettant de les faire nettoyer aussi. Naturellement, mon fils et son copain d'expédition n'ont pas dit s'ils avaient signalé tous les endroits pourvus d'armes, ou seulement ceux qui ne les intéressaient pas, mais les voilà quadragénaires, chargés d'enfants qu'ils adorent, je peux respirer à mon tour. On verra bien pour l'adolescence des petits-fils. Nous avions inventé un Service Social, notre aînée démarrait le modèle suivant, et il fallait envisager la relève salariale, de la retraite proche du chef de famille au jour où la seconde vague des enfants prendrait à son tour son envol : je décidai de me faire diplômer assistante sociale, reçus tous les découragements possibles vu mon âge qui ne permettrait aucune titularisation (je suis restée contractuelle, et c'est tout) et fis, en étudiante, la révolution de 1968. Comparée à 45, c'était cocasse et instructif à la fois. Un certain 17 Novembre 1977, Léon BERTRAND est mort rapidement, heureux d'avoir vu l'Equipe de FRANCE de football gagner son billet pour l'ARGENTINE en accédant à la demi-finale. Il est mort avant qu'elle ne perde, c'est bien. Comme nous sommes gens à pressentiments, rêves et télépathies en ligne directe, je n'ai pas été étonnée du rêve de notre fils peu après le décès de son père : - Ne t'en fais pas, maman ! J'ai vu papa à un petit bureau couvert de dossiers, en train de trier ceux qui pouvaient entrer, ceux qui devaient attendre, et ceux qui devaient redescendre tout de suite sur terre. Il était tellement occupé qu'il a juste eu le temps de me faire un signe amical. Je suis rassuré, tout va bien pour lui ! Alors si tout va bien pour lui, ne vous en faites pas pour moi, il me fera entrer tout droit. Comme c'est mon fils qui a été chargé du message, il aura les mêmes facilités. L'aînée, infirmière, dispose de la petite porte d'entrée réservée au corps médical et signalée comme " Entrée des Fournisseurs ". La cadette est tellement débrouillarde qu'elle sera à l'intérieur quand son père en sera encore à chercher son dossier pour la faire passer. On devrait bien prévoir une petite décoration pour les surdoués du Troisième Type, mais sur terre, rien n'est parfait, ce que j'espère avoir démontré. Enfin, et pour conclure . Si cela m'était permis, j'adresserai cette " Citation " à mon " MALGACHE " de mari:

Ginette BERTRAND

Léon BERTRAND

***

Lendemains d'évasion

Journal de Marche du "Capitaine Malgache"

*

**

La mémoire

DEDICACE

**

Dédié à tous ceux qui ont servi sous mes ordres à la " Compagnie MADAGASCAR ", en souvenir et en témoignage d'amitié, et plus particulièrement à nos morts : Félix ROBLET (Christophe). Vieux vigneron, père de famille, animé d'un profond mépris de la mort, extraordinaire de courage et d'énergie. Paul ROYER (Poly ou Kaufmann). Le meilleur d'entre nous, jeune Alsacien animé d'un violent amour de la FRANCE et du plus pur esprit de sacrifice. Alphonse BOUCHARD (Le Noir). Vieux Résistant de la S.N.C.F., qui n'a pas hésité à quitter les siens pour contribuer à chasser l'envahisseur. Puissent leurs exemples nous aider à continuer à servir.

RETOUR

Pâques ! Dans le ciel clair que la cloche frémisse ; Que le captif s'éveille et quitte sa prison, Qu'il retrouve un instant la réelle maison Où l'honneur de l'amour est la seule justice. Après la part d'effort, d'écueil, de sacrifice, Qu'il prenne saintement, pour croire à la raison, Cette part de bonheur et de chaude moisson Que l'enfant a lié avec un art novice. Qu'il embrasse en pleurant le regard et la voix, Qu'il touche l'avenir dans les jeux d'autrefois, Qu'avec un fier sourire il montre ses chairs vives, Afin que, par son oeuvre éparse à tous les vents, Il atteste au-dessus des luttes collectives La grandeur de la vie aux rêves émouvants.

ROSNOW, 25 Avril 1943.

LA COMPAGNIE

LIBERTE

Quelques jours après ma rentrée d'ALLEMAGNE, j'apprends qu'un maquis stationne à la ferme de SAVRANGE. J'emprunte la voiture du laitier Jean BOEUF et prends contact. SIMONNOT se porte garant pour moi. Je retournerai prendre mon paquetage et apporterai en même temps une somme de 20 000 francs, prélevée sur mes économies, car la caisse du maquis est vide. Je suis chargé d'assurer la discipline intérieure. Alors que l'Unité stationne à MARIGNY, je suis chargé de la capture et de l'exécution d'un membre de la Gestapo. La mission est accomplie en compagnie de DIEUDONNE. Nous prenons l'affût à la nuit tombante. Les heures sont longues, finalement, à l'aurore, des pierres roulent, un bruit de course se fait entendre : - Halte, haut les mains !

Nous le tenons et le conduisons à son domicile. Perquisition, interrogatoire et exécution.

La Compagnie change fréquemment de camp : De SAVRANGE au bois d'AGEY, puis au château de MARIGNY, puis à la vieille ferme de la POURRIE. Un dimanche, GANDILLET, le chef de camp, et DHOCOURT, descendent sans arme pour aller à la ferme voisine. A quelques centaines de mètres du camp, ils sont arrêtés par deux miliciens de VEVEY, armés de revolvers : - Haut les mains ! Tous deux s'exécutent et sont fouillés. Quelques minutes après, CASANOVA et REBOUILLAT descendent du camp, l'un armé de sa mitraillette, l'autre de son revolver et de ses grenades. Ils s'avancent sans méfiance vers le groupe formé par GANDILLET, DHOCOURT et les deux miliciens. Arrivés à quelques mètres, ils essuient le feu des miliciens qui sont près de leurs prisonniers. Ceux-ci n'ont rien tenté pour prévenir ou alerter. CASANOVA est blessé, une balle pénètre dans le bras, suit l'os et se loge dans la poitrine, à deux centimètres du coeur… REBOUILLAT est manqué, il riposte, lance une grenade : un des miliciens blessé à la cuisse reste sur le terrain, l'autre s'échappe. Du camp alerté par les coups de feu, des renforts arrivent et la chasse à l'homme s'organise. Nous sommes treize qui, regroupés près de la camionnette, recevons l'ordre d'aller à VEVEY : " Cerner la maison des D…, tuer tous les habitants et incendier la ferme… ". La camionnette tombe en panne une centaine de mètres plus loin. D'accord avec ROCHET, je décide de ne pas poursuivre la mission avant d'opérer une reconnaissance. A ce moment, des renseignements nous parviennent, transmis par une jeune fille à bicyclette. Trois-cents Allemands alertés occupent VEVEY et nous attendent. Je décide de regagner le camp. Le milicien blessé y est transporté. Il est condamné à mort… CASANOVA part en compagnie de ROCHET et d'une jeune fille à COMMARIN, pour y être soigné. Les explosifs sont enterrés, les sacs bouclés et le camp décroche. Les camions allemands sont signalés. J'exécute le milicien avant de partir. Quelques instants plus tard, les premières rafales allemandes se font entendre. Je m'enfonce sous bois avec le groupe des G.M.R. Nous marchons à la boussole et arrivons à la nuit a proximité du point de rassemblement prévu, où nous stationnons 24 heures. J'étudie sur ma carte la topographie de la région et décide de me rapprocher de la République, où je puis avoir facilement une liaison sur DIJON. A REMILLY-en-MONTAGNE, je regroupe des éléments divers de la Compagnie LIBERTE, j'élimine les tièdes après les avoir désarmés et prends le commandement. (DHOCOURT qui se trouve là n'a pas besoin d'être désarmé, il me remet sa mitraillette et ses chargeurs, et me dit : - J'ai compris ; avec ma jambe, je ne peux rien faire, et je vais me planquer ! Je lui réponds : - Tu as raison, mon vieux ! Je fais connaître à BENE, responsable F.T.P.F., les incidents survenus à la POURRIE et lui annonce que je refuse à servir à nouveau sous les ordres d'incapables. Je me suis évadé dans l'intention de payer ma dette aux Allemands et non pour me faire tuer bêtement. Ce qui serait arrivé si la camionnette n'était pas tombée en panne à la POURRIE, Qu'aurions-nous pu faire à treize contre trois-cents ?

LA COMPAGNIE

MADAGASCAR

**

30 Juin 1944

Je récupère toutes les armes et les munitions ; ceux qui ont peur nous quittent les mains vides. Je laisse aux autres le choix de servir sous mes ordres, ou de rejoindre la Compagnie LIBERTE dès son point de stationnement connu, ce qui ne saurait tarder. Mon groupe prend le nom de " MADAGASCAR ". Je décide de considérer comme déserteur celui qui aura plus de 6 heures d'absence non autorisée : il sera puni de mort. J'exigerai une obéissance passive, immédiate. Ce qu'il me faut, c'est former des cadres et être prêt dès que les armes et les nouvelles recrues arriveront. Parmi les regroupés, Victor MAILLY se révèle particulièrement précieux par sa connaissance des lieux. Je visite avec lui et quelques camarades le Plateau du Télégraphe, et situe l'emplacement de notre futur camp. Pendant ces quelques jours, nous cantonnâmes à REMILLY-en-MONTAGNE, dans une grange appartenant à la famille MAILLY. Le père, glorieux soldat de la guerre de 1914-1918, n'a pas peur du Boche, cependant, c'est un paysan intéressé et âpre au gain. La mère est d'un dévouement et d'une gentillesse sans bornes ; elle est charitable à tous, et chacun de nous garde pieusement son souvenir. Les deux soeurs de Victor sont également très dévouées. La petite Renée, qui connaissait bien tous les sentiers, est venue spontanément avertir des mouvements de troupes allemandes, et nous a transmis plusieurs messages et renseignements apportés par les liaisons. Le plus jeune fils se joindra également à nous, et fera le coup de feu à SAINTE-MARIE. Le camp une fois installé, le contrôle de la Nationale n° 5, de la vallée de l'OUCHE et de la voie ferrée PARIS-DIJON, est facile. Je prends les premières dispositions suivantes : pas de promesses aux recrues ; s'il y a du tabac, ils fumeront. Ils devront se contenter de la nourriture qu'un ravitaillement difficile pourra procurer. Notre but : se battre le plus tôt possible contre l'ennemi. Je n'accepterai aucune liaison au camp, personne ne devant en connaître les accès.

2 Juillet 1944

J'apprends que je suis porté déserteur à la Compagnie LIBERTE. Je prends contact avec BENE à MALAIN ; il est notre responsable régional F.T.P.F. Je lui fais connaître les dispositions que j'ai prises. Je poursuivrai mon action jusqu'au bout, et ne me laisserai pas désarmer. J'ai son approbation.

Je supprime le mot de passe et le remplace par le cri du coucou. Je constitue un réseau d'indicateurs à AGEY, la République et REMILLY. Je choisis FICHOT comme adjoint et lui confie la première mission : reconnaître les postes de liaison des écluses 34 et 37.

Au cours de cette mission, FICHOT prend contact avec des éléments isolés de la Compagnie LIBERTE, et apprend que plusieurs membres capturés par les Allemands du camp de SAINT-JEAN-de-BOEUF, ont été remis en liberté sur l'intervention d'AMIOT, interprète, cafetier à BARBIREY-sur-OUCHE. FICHOT est de retour au camp avec DIEUDONNE, et je donne à celui-ci le commandement du Corps-Franc. Je prends personnellement contact avec VALTI, à la République, et avec Jean BOEUF, qui fait chaque jour la tournée de ramassage du lait, depuis DIJON. Je charge ce dernier de mettre au courant mon beau-frère NAGEL et ma soeur. NAGEL devient mon officier de renseignements et de ravitaillement, et je recevrai chaque jour un minimum : pain, épicerie, légumes, argent, pharmacie. C'est grâce au dévouement de tous que je peux tenir, et que le moral de mes hommes tient aussi. Notre armement n'est constitué que par des mitraillettes, et ne nous permet pas d'entreprendre des actions immédiates contre l'ennemi, ces armes ne peuvent servir que pour la défense immédiate du camp.

3 Juillet 1944

Nous sommes 10 : 5 anciens G.M.R. : SINGEY, FICHOT, LAMARTINECHE, RENOUD-GRAPIN, NEUGNOT. (MALVOISIN a rejoint la Compagnie LIBERTE le 2 Juillet). 4 membres du Corps-Franc : DIEUDONNE, MAILLY Victor, KEGELS Gabriel, FAIVRE René et moi. Je donne à FICHOT l'ordre de récupérer des explosifs à la ferme de la POURRIE. Ce dernier se rend à l'écluse 34 à la tombée de la nuit, il y mange, emprunte une bicyclette, et par le chemin de halage, arrive à LA BUSSIERE, où il apprend que des sentinelles allemandes surveillent notre ancien camp. Il renonce à accomplir sa mission, mais récupère à VEVEY deux revolvers de 12 mm et des cartouches, et songe au retour. Il est 2 h 10 du matin. En reprenant le chemin de halage, il arrive au lieu-dit " LE MARTINET ", à la hauteur d'un dépôt de munitions allemandes, pense aux sentinelles, mais il est trop tard pour faire demi-tour : il faut passer. Au même instant un " Achtung ! " retentit, et, baissant la tête, le nez dans son guidon, il fonce tant qu'il peut. L'Allemand tire, FICHOT est manqué. Les 4 kilomètres qui le séparent de LA BUSSIERE sont parcourus à une vitesse record. FICHOT tombe épuisé pendant quelques minutes sur l'herbe : il l'a échappé belle.

4 Juillet 1944

Notre cantonnement s'établit dans une baraque située au faîte du plateau ; le toit laisse passer le jour, mais nous sommes cependant un peu à l'abri. Un foyer a été installé, le bois ne manque pas, et notre camarade LAMARTINECHE prend la direction de la cuisine. Pendant toute la durée du maquis, il assurera la confection des repas, et souvent une partie des missions de ravitaillement, avec un dévouement absolu, jamais démenti. Il a contribué pour une large part à assurer un peu de bien-être matériel à tous, et n'a jamais ménagé ses efforts ni sa peine.

5 Juillet 1944

Nous sommes loin d'avoir l'appui unanime des populations qui nous entourent, et le nombre de ceux qui mettent la FRANCE au-dessus de tout et même de leur vie, n'est pas très grand. 10 heures : descendu en liaison à la République et sur le point de regagner le camp, je vois s'arrêter une camionnette des P.T.T. Un individu botté et revolver au côté, en descend et se présente : - Aviateur " (MARANGE), résistant traqué en HAUTE-MARNE, dans l'illégalité en COTE-D'OR. Je poursuis depuis plusieurs jours la récupération et la remise en état de mousquetons et de fusils 36, ainsi que de quelques pistolets et grenades. Un stock de 4 000 cartouches environ est constitué. BENE m'adresse à vous, et je viens prendre contact. Le chauffeur de la camionnette se tient à l'écart. Je refrène une forte envie de rire. MARANGE a un peu l'air d'un DON QUICHOTTE : maigre, chaussé de bottes allemandes, coiffé d'un feutre brun dont un des bords relevé d'une façon burlesque, il est pour le moins pittoresque et ne doit pas passer inaperçu. Je le soupçonne de ne pas aimer beaucoup la marche, et d'avoir un certain culot pour réquisitionner une camionnette aux fins d'effectuer une dizaine de kilomètres. - Mon vieux, enchanté de vous connaître, mais il était inutile de venir dans cet équipage, je vous aurais aussi bien reçu si vous étiez venu à pied. Il me répond : - Passant au Puits 15, ces messieurs des P.T.T. étaient en train de réparer une ligne téléphonique coupée par des camarades de la Résistance ; étant pressé, je n'ai pu faire autrement que de leur emprunter leur véhicule et le chauffeur. Ce sont de très braves garçons. Je renvoie la camionnette et son conducteur, ce dernier est averti que sa vie et celle des siens dépendront de son silence. J'incorpore MARANGE. Sa venue est providentielle : si les armes sont bonnes, nous allons pouvoir commencer les embuscades. Au camp, Conseil de Guerre. Examen des dispositions de sécurité, bilan des ressources : il ne reste en caisse que quelques mille francs envoyés par NAGEL. MARANGE s'offre à en trouver. Après son exposé, je lui fais confiance, et le charge d'imposer une contribution volontaire : - à un délateur de LANTENAY, - à une brute germanophile, maire de la commune de PANGES. Pas d'effusion de sang, simple avertissement. 14 heures : départ de la mission : MARANGE, DIEUDONNE, MAILLY et FICHOT, tous armés de mitraillettes. Arrivés à LANTENAY à 16 heures, ils attendent M. X… une demi-heure. Une amende de 2 000 francs est versée. En sortant de la maison du délateur, mes hommes rencontrent dans le village des Allemands, qui continuent leur chemin bien sagement. Ce ne sera pas la seule fois où les troupes allemandes, rencontrant des Résistants en armes, ne les attaqueront pas. A travers bois, la mission se dirige sur PANGES. Elle entre dans le village au moment où une trentaine d'Allemands, venus réparer une ligne téléphonique, en sortaient par un autre chemin. Non sans mal, MARANGE et ses compagnons mettent la main sur le maire. Ce dernier, qui prenait plaisir à se livrer à des voies de fait sur des évadés, est beaucoup moins brillant qu'à son habitude. Il remet à MARANGE 40 000 francs, ceci sans préjudice de sanctions judiciaires pouvant intervenir après la Libération. Il reçoit un avertissement solennel. La mission rentre le 6 Juillet sans autre incident.

8 Juillet 1944

Je décide d'aller à pied, avec MARANGE, prendre possession des armes stockées à CHARMOY. Nous sommes très bien accueillis, et recherchons, puis recensons les armes, qui sont placées dans le fond d'un tombereau et recouvertes de paille. Très heureux du résultat, nous décidons d'aller casser la croûte au café, avant d'entreprendre le retour au camp. A une table du fond, un groupe de cinq jeunes gens vêtus de costumes bleu (golf et blouson), coiffés de casquettes montagnardes, buvaient. Notre première pensée fut : 5 miliciens ! Dans ma musette portée en sautoir autour du cou, mon revolver est prêt à fonctionner, mes grenades également. Je donne l'ordre à MARANGE de dégoupiller une grenade, et d'attaquer immédiatement à la première sommation venue d'en face. (Jean LEVEQUE, qui commandait ce petit groupe, venait, à notre entrée, de faire préparer les mitraillettes à ses camarades). Une fois la commande prise par le patron, un lourd silence s'établit dans la salle. Combien a-t-il duré, 2 minutes, 5 minutes, un quart d'heure… je ne puis préciser. Brusquement, je demande à MARANGE : - Es-tu prêt ? - Oui ! Je proclame alors à haute voix : - Ici la Résistance ! Du fond, la réponse jaillit, hurlée par la tablée : - Ici, la Résistance ! J'annonce alors : - Compagnie du maquis MADAGASCAR, stationné dans la région ; je vous en prie, messieurs, venez à notre table. Jean répond : - Très volontiers ; groupe Franc venant de SAVOIE après l'attaque d'ATTIGNAT-ONCIN par les forces allemandes, le 19 Mai 1944, sans liaison depuis. L'entente est vite établie, ils seront de magnifiques recrues pour l'Unité. Au cours de ce récit, nous les retrouverons tous, toujours présents dans les actions les plus dangereuses ; mais déjà je veux leur rendre l'hommage qu'a mérité leur courage, leur patriotisme, leur mépris du danger, leur fanatique amour de la FRANCE et leur indéfectible foi en la victoire, que tous ont poursuivi jusqu'au bout.

JEAN LEVEQUE

Le chef, 30 ans, énergique, dynamique, est dans la Résistance Active depuis le 1er Janvier 1942. Robuste et de petite taille, il porte dans son clair regard l'âme de la FRANCE invaincue, sa figure respire le courage. Lieutenant F.F.I., il s'engagera à l'armée DE LATTRE de TASSIGNY avec son grade de réserve de sergent-chef, et poursuivra la lutte jusqu'à l'écrasement complet de l'ennemi. Il a été pour moi un fidèle lieutenant, et pour tous un incomparable camarade. 5 Citations, 2 blessures, Médaille de la Résistance. Proposé pour la Croix de la Légion d'Honneur.

PAUL ROYER

21 ans, jeune héros évadé d'ALSACE, en SAVOIE depuis 1942, s'est vaillamment comporté. Trop pur, trop ardent, d'un farouche patriotisme, il fut tué le 2 Septembre à mes côtés, me permettant par son sacrifice d'enlever la voiture de liaison sous le feu, et de venir rechercher le survivant. 3 Citations, Médaille Militaire à titre posthume. Proposé pour la Médaille de la Résistance.

ROGER MARTIN

21 ans, grand et robuste, un peu fou. Alsacien évadé ayant également refusé d'abdiquer, il sert en SAVOIE depuis 1942. Insensible à la peur, il continuera le combat dans la 1ère Armée jusqu'à la victoire. 2 Citations. Proposé pour la Médaille de la Résistance.

ALBERT FORT

20 ans, est né à LADOIX-SERRIGNY (COTE-D'OR). Dès 1941, à dix-sept ans et demi, il participe en HAUTE-SAVOIE à l'attaque de petits postes italiens. Traqué, il s'engage au 159ème R.I.A. à GRENOBLE en Février 1942, déserte en Mars 1942 et rejoint l'A.S. Beau garçon, brun, d'un extraordinaire courage, toujours volontaire pour les missions les plus dangereuses, il a continué à servir dans la 1ère Armée. Grièvement blessé par éclats de mine le 17 Avril 1945 près de PONT-SAINT-LOUIS (ALPES-MARITIMES) (3 fractures de la colonne vertébrale, éclats multiples), il est encore actuellement en traitement à l'hôpital militaire de DIJON. 2 Citations. Médaille Militaire, Médaille de la Résistance. Proposé pour la Croix de la Libération.

VICTOR SCHWINTE

20 ans, est comme ses camarades, un Alsacien évadé, en SAVOIE depuis 1942. Moins dynamique que ses camarades, il poursuit cependant le combat jusqu'à la victoire. 1 Citation, blessure par éclat de balle explosive à l'oeil gauche.

9 Juillet 1944

Retour au camp ; j'éclaire la marche avec LEVEQUE, ROYER, SCHWINTE, FORT et MARTIN. MARANGE suit avec la voiture et les armes à 300 mètres. A la République, deux recrues, MOUCHOT et CONTASSOT, arrivées par l'intermédiaire de BENE, nous attendent. Sans incident, nous revenons au camp. Après le nettoyage des armes et le tri des cartouches, des tirs d'essai ont lieu : de nombreuses cartouches sont défectueuses. Notre puissante offensive est cependant considérablement augmentée, le moral de mes petits épatant. Je rends compte à BENE. L'effectif est de 19 : Moi, groupe FICHOT 5. 7 au Corps-Franc : DIEUDONNE, MAILLY Victor, KEGELS, FAIVRE, DETRE, MOUCHOT, CONTASSOT, RAIMBAUD. 5 Savoyards : LEVEQUE, MARTIN, ROYER, FORT, SCHWINTE. 1 liaison : MARANGE.

10 Juillet 1944

Une mission de sabotage est organisée contre la voie ferrée PARIS-DIJON. Chef de mission DIEUDONNE, membres MOUCHOT, CONTASSOT, RAIMBAUD. Au cours de cette mission, DIEUDONNE décide la capture d'un ingénieur allemand à ANCEY et transgresse mes ordres. (Je ne l'ai su que longtemps après la Libération). Dans la nuit, à ANCEY, rencontre avec une patrouille allemande, combat de rue et poursuite du combat dans la cour d'une ferme à la grenade. Grâce à l'obscurité, les différents groupes allemands se prennent à partie. Plusieurs tués Boches. La mission rentre au complet.

11 Juillet 1944

En liaison chez BENE, notre responsable F.T.P.F., je reçois 16 000 francs et des renseignements. J'ai ordre de désarmer les gendarmes de SOMBERNON qui font du zèle pour détecter les réfractaires et les évadés, s'ils résistent, les tuer. ROYER réquisitionne du tabac.

12 Juillet 1944

Liaison aux écluses 34 et 37 par FICHOT. A PRALON, chez SEGUIN, par MARANGE. Liaison chez la Comtesse de MONTALEMBERT à LA BUSSIERE, par SINGEY. Celle-ci a établi un poste de secours clandestin avec les BARBE de la ferme de la FORET et les PARIZOT.

13 Juillet 1944

Désarmement des gendarmes de SOMBERNON et attaque du Camp de Jeunesse. Ces deux opérations ont lieu simultanément sous les ordres de Jean LEVEQUE, qui en quelques jours est devenu mon second. J'ai une entière confiance en lui. Calme et énergique il dirigera ces deux coups de main, évitera toute effusion de sang et rejoindra le camp dans le courant de la nuit. Les vêtements et équipements saisis au Camp de Jeunesse sont déposés au P.C. Un mousqueton, deux revolvers, une motocyclette, sont saisis à la Gendarmerie. Le groupe FICHOT est renforcé.

14 Juillet 1944

Revue générale des équipements et des armes. Inspection des cantonnements qui forment un dispositif de sécurité. Au Sud : le Corps-Franc, au Centre : les Savoyards, au Nord : P.C. et groupe FICHOT. La discipline est stricte, mais elle est librement consentie. Tous communient dans l'amour de la Patrie et dans l'espérance d'une proche victoire. Le groupe des Savoyards domine tous les autres. Avec l'expérience de plus de deux ans de lutte, chacun de ses membres apporte un extraordinaire courage et un ardent dynamisme. Leur moral est inattaquable. Avec eux tout est possible. C'est une magnifique équipe de jeunes, je n'ai plus d'inquiétude en l'avenir. La lutte est commencée, la vie est belle.

15 Juillet 1944

Les missions de reconnaissance dans la vallée de l'OUCHE et aux environs des postes allemands de SAINT-JEAN-de-BOEUF et de CRUGEY sont spécialement confiées à FICHOT ? Il maintient le contact étroit avec les BOURDILLAT. A 16 heures je reçois l'ordre d'exécuter un couple à VANDENESSE : un ancien chef de Gendarmerie et sa maîtresse, la grande Odette. Mes Savoyards partent, réquisitionnent une camionnette qui passait sur la route, se font conduire, exécutent leur mission. Le gendarme est effondré, la femme est brave : - Viens, il faut payer ! lui dit-elle, et elle l'embrasse avant d'être exécutée. La mission est de retour au camp à 2 heures du matin.

17 Juillet 1944

L'institutrice de VELARS, Mlle JACQUET, Alsacienne, communique à Mr PAQUETTE des renseignements concernant deux soldats allemands alsaciens-lorrains qui désirent s'évader et rejoindre le maquis. (Mlle JACQUET s'est mariée avec l'un d'eux après la Libération). Rendez-vous est pris à l'auberge du RELAI à la CUDE. NEUGNOT conduit la motocyclette. ROYER passe par la cuisine, j'entre par la porte donnant sur la route. Le long du canal plusieurs soldats allemands se promènent. Je m'installe à une table contre le mur près de la fenêtre. Quelques consommateurs jouent au tarots. Les deux Alsaciens sont là, assis, leur fusil et leurs cartouchières pendus au dossier de leur chaise. Le premier, Albert, appelé par le patron, va à la cuisine et laisse ses armes. L'autre attend et le temps passe. Je consulte fréquemment ma montre. Les joueurs sont tout à leur jeu. Enfin, au bout de vingt minutes, le deuxième Alsacien se lève et avance en direction du couloir. Je me lève, avance vivement et m'empare des armes et des cartouchières, à ce moment André se retourne. Je plonge la main dans ma musette et braque mon Canadien : - Haut les mains ! - Ne me tuez pas, je suis Alsacien ! - Vite, en avant, dépêche-toi, direction la cuisine ! Et m'adressant alors aux joueurs : - Que personne ne bouge, vous n'avez rien vu. Ici, la Résistance. Dans la cuisine nos deux déserteurs ne sont pas brillants : - Pitié, chef, ne nous tuez pas ! Je leur donne deux minutes pour se décider : ou ils désertent et viennent avec nous, ou nous les attachons en chemise à un arbre derrière la cour. Nous avons besoin d'armes et d'uniformes allemands. Ils viennent. La moto emmène d'abord les armes et les vestes qui ont été mises dans un sac. Elle revient chercher les déserteurs. Moi et ROYER partons à pied. La moto nous retrouvera sur la route. Le soir, je réquisitionne à SOMBERNON deux vêtements civils pour nos recrues, qui ne sont pas très brillantes. Le joug allemand pèse encore sur eux et ils ont peur que des représailles soient exercées sur leurs familles. Ils croient encore en la puissance de l'armée allemande. Dans quelques semaines ils se rendront compte que l'orgueilleuse Wehrmacht est malade.

18 Juillet 1944

ROYER et DIEUDONNE, en mission à VELARS, se trouvent cernés par des groupes allemands opérant la recherche des déserteurs. Un inconnu met spontanément une moto à leur disposition et ils s'échappent en direction du sanatorium, poursuivis par les Allemands. Ils en seront quitte pour faire du tout terrain et rentreront sain et sauf.

19 Juillet 1944

Nouvel ordre d'exécution d'un couple. ROYER et MARTIN étrennent les uniformes allemands. LEVEQUE et moi sommes en blouson de cuir, tous armés. Nous cernons la maison à la nuit et opérons comme si nous étions de la Gestapo. Nous parlons allemand. La porte s'ouvre, l'homme est en bras de chemise, la femme est couchée. Protestation d'amitié envers l'ALLEMAGNE : -Nous avons fourni des renseignements sur la Résistance, etc, etc… Je coupe court : - Habillez-vous et suivez-nous ! Sur la route, en dehors du village, la comédie change : - Ici, la Résistance ! Tous les deux sont effondrés. Mais ils se reprennent : - Ce que nous avons dit n'est pas vrai, nous avons menti pour ne pas être arrêtés ! La femme s'accroche à mon cou. Après consultation avec LEVEQUE, celui-ci part demander confirmation de l'ordre d'exécution. La veillée est lugubre, la femme surtout est effondrée. Des patrouilles allemandes peuvent passer. Les minutes durent des siècles. LEVEQUE revient, l'ordre est formel. Nous repartons. FORT et ROYER m'arrachent la femme, qui supplie : -Ne me tuez pas, ne me tuez pas ! L'homme, blessé, s'échappe, il se réfugie sous des épineux, nous rampons sous les ronces, nous avons la figure et les mains en sang. Enfin nous le tenons. Nous faisons disparaître les cadavres. Tous me disent : -Chef, ce n'est pas du travail pour nous ! J'explique que nous ne pouvons discuter les ordres et que la mort de deux traîtres épargnera probablement la vie de beaucoup de bons Français. Mais demain je rendrai compte et demanderai que d'autres missions nous soient confiées. La fatigue commence à se faire sentir. Nous couchons tout habillés, prêts à la moindre alerte. Le service de garde est très dur de jour comme de nuit.

20 Juillet 1944

Pour éviter toute méprise, j'interdis aux diverses missions de rentrer de nuit au camp. Cependant, ayant été retardé et devant obligatoirement rejoindre le plus rapidement possible, je regagne le camp en pleine nuit. La sentinelle répond au cri du coucou, mais prend peur et me tire dessus. Je suis manqué et j'engueule cet imbécile qui tire si mal. Un petit poste est installé entre la République et la ferme de la SERREE. Quelques hommes sous les ordres de Jean LEVEQUE, une moto et un gazo sont garés à cet endroit. Du camp, un système de signaux est mis au point et permet de communiquer avec le poste.

21 Juillet 1944

J'effectue avec Jean LEVEQUE une liaison à MEUILLEY, chez Mr JANNIARD. Nous évoquons avec ce dernier l'agression allemande d'ARCENANS et nous informons JANNIARD de nos points de liaison au cas où des isolés se présenteraient à lui. Rentrant par DIJON pour contacter NAGEL, nous tombons en panne à proximité de VOUGEOT et nous nous présentons à un garagiste pour la réparation. Ce dernier nous demande nos papiers : - Voici, ils sont signés DE GAULLE ! et nous sortons nos revolvers. Stupéfait, ce dernier nous regarde et nous dit : - Vous avez un sacré culot ! Très chic, il effectue la réparation et nous repartons. De nouveau en panne sur la route nous sommes rattrapés par le garagiste et sommes définitivement dépannés. Nous couchons à DIJON chez Mr NAGEL. Sa mère n'est rien moins que rassurée lorsqu'elle nous voit arriver : les revolvers et les grenades ne lui inspirent pas confiance. Pierrette, la soeur de NAGEL nous cède sa chambre, elle est dans le bain ainsi que ma petite soeur Suzanne.

22 Juillet 1944

Départ de DIJON à 8 heures. Nous passons par la COTE pour éviter PLOMBIERES. Au croisement de la route de MARSANNAY, un collier de chien (gendarme allemand) monte la garde. Nous ne l'apercevons qu'une fois arrivés à 20 mètres de lui. Je dis à Jean : - Continue et s'il te fait signe , ralentis, je tirerai aussitôt ! Je plonge ma main dans ma musette, portée comme toujours en sautoir autour de mon cou, et saisis mon Colt. Le frisé ne bronche pas et nous regarde passer. Il ne saura jamais que la mort vient de le frôler. Dans GEVREY-CHAMBERTIN nous tombons au milieu d'un convoi allemand arrêté ; nous doublons, prêts à vendre chèrement notre peau. Les hommes du convoi, debout près de leurs véhicules, nous regardent passer avec une morne indifférence. A NUITS-Saint-GEORGES nous prenons la route d'URCY et rentrons en passant par PONT-de-PANY. Ce même jour MOUCHOT et CONTASSOT reconnaissent les postes allemands gardant la voie ferrée entre MALAIN et VELARS. MARANGE situe ceux situés aux environs de BLAISY et de la route du Puits XV.

23 Juillet 1944

VALTI, à la République, est surpris de nuit par des faux Résistants qui lui prennent de l'argent, des vêtements, et le menacent de mort. J'envoie MARANGE, accompagné de LEVEQUE, ROYER, FORT et MARTIN, procéder à l'arrestation des présumés coupables, dont nous possédons le signalement et qui semblent opérer dans la région de POUILLY-en-AUXOIS. Un industriel patriote de POUILLY-en-AUXOIS, Mr CHAUSSIER, confie à MARANGE sa voiture personnelle et lui offre le gîte et le manger ainsi qu'à ses camarades. Pendant toute la période clandestine Mr CHAUSSIER nous rendra de nombreux services, hébergeant de nombreuses fois nos missions et mettant sa voiture à notre entière disposition à chaque occasion. MARANGE arrête deux suspects, BRAC et son neveu. La confrontation à la République ne donne rien. Tous deux plaident non coupable et, sur le rapport détaillé de MARANGE, je relâche BRAC et son neveu et leur fixe une résidence. Après le départ des suspects, LEVEQUE, ROYER et FORT me disent : - Nous n'aurions pas dû les relâcher ! Je leur réponds : - Il n'y avait que deux solutions, ou les tuer ou les relâcher. Il nous est impossible de les monter au camp, où leur présence nécessiterait une garde et serait une source de danger.

24 Juillet 1944

DETRE, au cours d'une mission de ravitaillement, vend plusieurs jambons appartenant à l'Unité. Il disparaît avant d'avoir été jugé. Il est condamné à mort par contumace pour vol au préjudice de l'Unité et pour désertion. Une plainte a été déposée contre lui à la Libération. DETRE n'a pas été retrouvé. A la suite de cet incident, la garde, ainsi que la surveillance des abords du camp sont renforcées. Etant descendu en liaison à la République, VALTI m'avertit qu'il vient de recevoir un coup de téléphone de Mr LALLIGANT. Ce dernier vient d'être attaqué par un inconnu, qui a tiré sur ses enfants. Je prends une mitraillette au petit poste et NEUGNOT m'emmène à moto. A AGEY je rejoins et arraisonne le coupable. Je lui fais prendre place sur le tansad et décide de le confronter avec les LALLIGANT. Dans la montée près de l'église, le prisonnier s'échappe et tire sur NEUGNOT, son revolver dissimulé avait échappé à la fouille. Je tire à mon tour et la poursuite commence. Le fils aîné des LALLIGANT me rejoint, je lui passe mon revolver et nous continuons la poursuite. L'homme est blessé et capturé. Il est porteur de papiers allemands, port d'armes, etc. Il est formellement reconnu par le fils LALLIGANT. Je l'exécute. Les suspects comprendront que les abords du camp ne sont pas favorables à leurs exploits.

25 Juillet 1944

De nouvelles recrues ont été incorporées. Elles ont été dirigées sur l'unité par BENE, de MALAIN, ou par les BOURDILLAT des écluses. (Point de rassemblement à la croix entre BEAUMOTTE et AGEY). Je n'ai accepté que ceux qui m'ont paru dynamiques et ai refusé l'incorporation d'une vingtaine, et notamment de tous ceux qui, à la première question posée : " Que venez-vous faire ? " ont répondu : " Je viens me planquer ! ". Le maquis n'est pas une colonie de vacances. Notre effectif est de 30. Le Corps-Franc comprend deux groupes. Le groupe FICHOT est à nouveau renforcé. Une nouvelle mission de récupération d'armes a lieu à CHARMOY et à PANGES. Elle est effectuée par LELIEVRE et BESSE Raymond. LELIEVRE va devenir un spécialiste du ravitaillement; vêtu comme un paysan de la région, avec son cheval et son tombereau il passera partout sans éveiller de soupçon. BRAC et son neveu se présentent spontanément au petit poste de la République. SINGEY, qui est de garde, les monte directement au camp malgré les ordres. J'accueille les arrivants par ces mots : - Vous tombez bien, je regrettais de vous avoir rendu la liberté, vous êtes de faux Résistants, je vais vous fusiller immédiatement ! Ils deviennent livides. Je réunis un Conseil de Guerre. La défense des accusés est présentée par DIEUDONNE. Celui-ci demande que BRAC et son neveu soient incorporés au Corps-Franc sous son commandement, qu'il en répondra sur sa tête. Je lui accorde satisfaction. Tous deux se conduiront avec courage.

26 Juillet 1944

BENE monte au camp accompagné du responsable aux explosifs. Visite du camp et des dispositions de sécurité. Instruction détaillée sur le maniement des explosifs. Rendez-vous est pris pour le lendemain pour percevoir des explosifs à la vieille ferme de la République, où un stock a été constitué depuis le parachutage de 1943. SEGUIN, de PRALON, en assurera la distribution aux autres groupes de Résistance, qui seront avertis. Je prendrai les mesures de sécurité qui s'imposent. Pour mettre immédiatement en pratique l'instruction qui vient d'être faite, MAILLY et un de ses camarades, puis FICHOT et SINGEY, sont désignés pour couper au plastic chacun un pylône de la ligne de force. Les deux équipes accomplissent leur mission sans incident.

27 Juillet 1944

La distribution d'explosifs a lieu. L'équipe des Savoyards effectue un raid dans la région et rejoint le camp à la nuit. Tout tourne rond.

28 Juillet 1944

Une liaison de DIJON vient recevoir l'instruction sur l'emploi des explosifs pour pouvoir opérer dans DIJON. Pour ne pas la retarder, l'instruction est donnée à la laiterie même de la République. Une demi-heure après l'homme repart, il est 16 heures environ. Il est arrêté un kilomètre plus loin par une patrouille allemande à la recherche du lieutenant MARANDET, des G.M.R. L'homme parle. Quelques minutes plus tard, les ennemis arrivent, une automitrailleuse route de PRALON, un camion sur la route face à la laiterie où nous sommes. J'aperçois par la fenêtre le camion allemand qui s'arrête. Je donne l'alerte et, ouvrant la porte, saute dans la cour. Les Allemands tirent immédiatement dans ma direction. Je me baisse, oblique à droite en courant et enfile le sentier en direction de la BELLE-IDEE. Les Allemands tirent toujours, je me jette dans une haie et, pendant quelques minutes, j'essaie de me rendre compte de la situation. Personne n'est sorti derrière moi. Il me faut rejoindre et alerter le camp. Je reprends ma course, traverse la Route Nationale et prends une ligne qui monte au camp. La fusillade dure toujours. J'arrive au Corps-Franc, rassemble les cinq ou six hommes qui y sont, prends au P.C. mon mousqueton et, avec cette petite troupe, descends en toute hâte en direction de BEAUMOTTE. Le groupe FICHOT et les Savoyards sont déjà descendus, accourant au feu. Pendant ce temps, ceux de mes camarades qui étaient avec moi à la laiterie se sont échappés par la fenêtre et ont été pris à partie par l'automitrailleuse stationnée route de PRALON. Tous s'échappent en direction de la ferme de la SERREE. En passant près du petit poste, Jean LEVEQUE prend une mitraillette et revient au-devant de plusieurs soldats allemands. Abrité par le petit bois, il les ajuste à 30 mètres, en blesse un, mais sa mitraillette s'enraye et il réussit de justesse à leur échapper. Ses camarades sont déjà loin. DIEUDONNE, qui a été entouré de balles et n'a échappé que par miracle à la mort, n'arrêtera sa course qu'à MALAIN, et là il annoncera : - Le MALGACHE est tué ! Depuis ce jour il ne sera plus que l'ombre de lui-même et la peur restera incrustée en lui. Quant aux deux groupes accourus au feu, celui commandé par BAYARD prend position à proximité de la route pour prendre le camion allemand en enfilade, mais au moment d'ouvrir le feu un civil survient, qui leur crie : - Sauve-qui-peut, le MALGACHE est tué ! Le groupe décroche. ROYER et MANU, pendant ce temps, se sont installés face au camion ennemi. L'un dans un petit fossé, l'autre derrière une grosse touffe d'herbes. Une dizaine de frisés sont debout près du camion. ROYER et MANU ouvrent le feu. Aussitôt les Allemands mettent deux fusils-mitrailleurs en batterie. Les balles allemandes encadrent mes petits qui ne reculent pas d'un centimètre et qui, après chaque rafale, tirent à leur tour. Ils voient tomber trois Allemands. L'automitrailleuse allemande est partie à la poursuite des isolés, elle ne trouvera personne. Et tout d'un coup, sans que rien puisse le faire prévoir, ROYER et MARTIN entendent crier en allemand : - Einladen ! Tous les Allemands sautent dans le camion où les morts ont déjà été chargés. Puis ils entendent : - Auffahren ! Et les Allemands se sauvent. Lorsque, avec mes hommes du Corps-Franc, je débouche du sous-bois à proximité de BEAUMOTTE, nous apercevons le camion allemand qui démarre. Cinq minutes après je rejoins ROYER et MARTIN. Au cours de cet accrochage la valeur de mes Savoyards vient de se manifester d'une façon éclatante. LEVEQUE, le chef, revenu seul au combat et ne décrochant qu'une fois son arme enrayée ; ROYER et MARTIN faisant seuls face à l'ennemi et tenant remarquablement alors que le groupe FICHOT avait décroché. Nous réoccupons la République. Je décide de déménager le petit poste, fais enlever le gazo, la tente et les armes, puis nous établissons deux barrages et attendons jusqu'à 22 heures un retour éventuel des Allemands. Pendant cette attente une camionnette est arraisonnée ; elle transportait des moutons, nous en réquisitionnons deux et les enfermons dans une pâture. Nous les abattrons plus tard. Retour au camp. A minuit le groupe FICHOT n'est pas de retour. Il rentre à 3 heures du matin. Réfugié à l'écluse 34 il a appris très tard la fin du combat et FICHOT m'explique dans quelles conditions le décrochage a eu lieu. Il y a une sérieuse engueulade à la clef. Je réunis tous mes hommes. Les Savoyards sont enragés, ils veulent du Boche et une embuscade est décidée pour le lendemain. DIEUDONNE s'offre de nous conduire dans une position idéale, sur la route de SAULIEU, après SOMBERNON. Avant l'attaque allemande MARANGE était parti à DIJON faire réparer une pièce de fusil-mitrailleur dans l'atelier de NAGEL.

29 Juillet 1944

Après quelques heures de repos, branle-bas de combat. Départ par groupe, colonne par un. Nous passons par REMILLY-en-MONTAGNE, et de là, par des chemins de terre et des sous-bois, arrivons au lieu prévu pour l'embuscade. J'effectue une reconnaissance approfondie de la position et des environs en compagnie de LEVEQUE et de ROYER. Nous sommes tous les trois convaincus du mauvais emplacement choisi : pas de vues, pas de chemin de repli camouflé. Je donne l'ordre de décrocher et j'engueule sérieusement DIEUDONNE. Nous sommes de retour au camp à midi. A 14 heures le passage d'un car contenant Allemands et miliciens est signalé en direction SOMBERNON et au-delà. Ce car doit être de retour à DIJON dans la soirée. Je décide d'établir une embuscade immédiatement entre la BELLE-IDEE et la République. Deux groupes y participeront. L'équipe la plus rapprochée de la BELLE-IDEE a pour mission principale l'identification du car, afin d'éviter toute méprise. Dès le car identifié, feu de toutes les armes. Deux hommes en haut d'un arbre lancent les grenades. La deuxième équipe, située 80 mètres plus bas, entre alors en action. Aucun ennemi ne doit rester vivant. Je prends le commandement de la deuxième équipe, mes Savoyards sont à mes côtés, et l'attente commence. Après une heure environ le car arrive, passe le premier barrage, personne ne tire. Croyant avoir affaire à un car civil je donne l'ordre de ne pas tirer et je constate avec stupeur que le car qui passe devant nous est rempli de soldats allemands et de miliciens. Il roule à très vive allure. Plusieurs de ses occupants nous aperçoivent, ils rient, mais le conducteur accélère. Je donne l'ordre du départ, je suis fou furieux. - Pourquoi n'avez-vous pas tiré, nom de Dieu ? C'est la plus belle occasion manquée et rien de semblable ne se reproduira jusqu'à la Libération. Mes petits groupes de tête ont cru que le car transportait des civils et c'est pour cette raison qu'ils n'ont pas tiré. Pour achever le récit de ces deux journées, il me reste à parler de MARANGE. Ce dernier quitte DIJON sa mission accomplie et passe deux barrages de miliciens après PLOMBIERES ; par la petite route, il se dirige sur CHARMOY et apprend qu'un combat a eu lieu la veille à la République ; les paysans lui certifient que le MALGACHE est tué. MARANGE se dirige aussitôt sur la République et fait halte à la ferme de la SERREE ; les JOLY le rassurent et lui affirment que le maquis n'a subi aucune perte. Continuant sa route, notre camarade trouve la ferme abandonnée par VALTI et sa famille. Il monte alors au camp, celui-ci est vide. Une profonde impression le saisit alors, et il se dirige sur REMILLY-en-MONTAGNE, où il apprend avec joie que le maquis tout entier est parti en opérations. Chez MAILLY, une équipe de Boches arrive pour consommer dans la salle du bas. MARANGE se couche sur le plancher pour essayer de surprendre leur conversation et s'endort. Nous le reprenons en passant et rentrons au camp. La surexcitation des hommes est tombée, la fatigue se fait lourdement sentir. J'apprends alors par l'intermédiaire des BOURDILLAT qu'un capitaine anglais et sa troupe de parachutistes séjournent au LEUZEU, au camp LIBERTE. Je décide de m'y rendre pour m'y armer convenablement et pour faire reposer mon équipe. MARANGE et LELIEVRE partent aussitôt en reconnaissance au LEUZEU. Ils sont à motocyclette, mitraillettes en bandoulière, et croisent plusieurs voitures allemandes. Leurs occupants ne manifestent aucun signe d'animosité. Au LEUZEU, MARANGE prend contact. Il participe au jugement de deux miliciens, qui sont condamnés à mort et exécutés. MARANGE a été spécialement chargé du dépouillement des votes par les membres du Conseil de Guerre dont il faisait partie. Parmi les bulletins un seul mentionnait : " Surseoir à l'exécution ". Tous les autres concluaient à la condamnation à mort et exécution immédiate. MARANGE a demandé qui était le membre réticent. Il n'y eut pas de réponse. Le camp fut attaqué deux jours après. Nous faisons mouvement de nuit, à pied, avec armes et bagages. Deux chariots transportent par la route la cuisine et les toiles de tente. Nous traversons un barrage allemand sans encombre. Nous arrivons dans la nuit et nous nous installons dans la ferme abandonnée, sans opposition de la part du commandement de la compagnie LIBERTE. Nous sommes entourés de bois de tous côtés, le seul chemin d'accès carrossable est celui par lequel nous sommes arrivés en provenance de la Nationale n° 5. La compagnie LIBERTE occupe avec ses différents groupes toutes les lisières du bois environnant la ferme et s'étend en outre en profondeur dans les bois. Les Anglais sont en retrait des lisières. Un de mes Alsaciens (TISLER), qui a vu un Anglais à la cuisine, demande à me parler : - Chef, voulez-vous me laisser à cette compagnie ? J'ai eu trop peur sur le plateau de REMILLY. Si vous saviez comme j'ai eu peur ! Je ris : - C'est entendu, mon vieux !

30 Juillet 1944

La position de mon groupe, avec son effectif de 36, a, d'après un article paru dans la presse dijonnaise (" BOURGOGNE COMBATTANTE " du 5 Août 1945) été très gênante pour le groupe LIBERTE, cette position contrariant le plan de défense établi. J'aimerais savoir pourquoi MARANGE, qui était arrivé en liaison la veille, n'avait pas été mis au courant et pourquoi je n'ai appris moi-même que plus d'un an après et par la presse cette particularité. En fait, pour mon Unité, l'engagement du LEUZEU a été le suivant. A 6 heures du matin, un coup de feu : - Quel est le con ?… Quelques secondes après, une rafale de fusil mitrailleur. J'enfile mes souliers; c'est bien ma veine, pour une fois que je m'étais déchaussé pour dormir. Les rafales de F.M. continuent, mes hommes s'apprêtent et s'arment. J'arrive vers la sentinelle et lui demande des renseignements. Cinq miliciens se sont infiltrés sur le terre-plein entre la ferme et la cuisine, maintenant on ne les voit plus. Trois camions sont arrêtés dans le chemin d'accès à 400 mètres. Je décide d'attaquer et de cerner ces cinq hommes, un gosse me suit, ainsi que PORTHOS, de la compagnie LIBERTE ; deux autres rejoignent. Cents mètres plus bas je surgis sur le terre-plein. Les fusils mitrailleurs français tirent sur moi. J'enlève mon chapeau, et hurle : -Ici, le MALGACHE, cessez le feu, bande de cons ! J'avance alors en direction des miliciens cachés. Arrivé à trente mètres d'un buisson on tire sur moi, le petit qui me suit reçoit une balle dans le pied. Je vide mon chargeur en direction du buisson, plus rien ne bouge. La crosse de mon mousqueton est cassée. J'arrache le fusil anglais au blessé et je poursuis. En levant les yeux, j'aperçois à vingt mètres derrière une murée un milicien qui me vise, je tire en épaulant, un corps bondit et retombe. J'avance toujours. Un milicien se sauve devant moi, un coup de feu claque venant de gauche, un nouveau corps tombe. Deux autres miliciens s'échappent dans les ruines, j'épaule, PORTHOS tire avant moi, un milicien est grièvement blessé, l'autre se glisse sous bois, il sera tué par des membres de la compagnie LIBERTE. Je rejoins mon groupe, le milicien blessé hurlera pendant près de deux heures avant d'être achevé. Je dispose mes hommes en tirailleurs et, avec ROYER et LEVEQUE, casse la croûte. Tout à coup, très près, des rafales claquent, des branches coupées tombent à nos côtés. J'ignore si ce sont des amis ou des ennemis qui tirent et ne puis riposter. Je saute sur mon fusil et donne l'ordre de repli. J'établis une ligne de résistance 200 mètres plus loin, perpendiculairement à la crête du bois. Je suis sans liaison avec les éléments de LIBERTE. Au cours d'une reconnaissance, dans un sentier, deux miliciens me mettent en joue. BRAC, qui se trouve derrière moi, tire par-dessus ma tête, loge une balle dans le front du premier, l'autre se sauve. J'ai à peine eu le temps de réaliser et je remercie cordialement BRAC. J'apprendrai quelques heures plus tard que des éléments miliciens s'étaient infiltrés jusqu'à la cuisine, conduits par un membre de la compagnie LIBERTE qui, capturé à URCY par la Milice, avait trahi. D'autres infiltrations avaient eu lieu, mais partout les miliciens sont tombés sur un os. La compagnie LIBERTE, contrairement aux renseignements dont disposait l'assaillant, était formidablement armée, ayant reçu un gros parachutage la veille, et chaque élément assaillant a été accueilli au F.M. Non seulement l'attaque a échoué, mais la compagnie LIBERTE a infligé une dure punition à ces salauds. CALAIS, avec les hommes de son groupe, fit sauter tous les véhicules ennemis au plastic. Dans l'après-midi, et malgré l'opposition de l'état-major de la compagnie LIBERTE, je prends contact avec le capitaine anglais et lui demande des armes, particulièrement des fusils mitrailleurs et des grenades. Ce dernier me répond : - Je suis chargé par mon gouvernement d'accomplir des missions, il me faut un maquis tranquille pour ma défense personnelle. Si vous voulez faire partie de mon maquis, je vous arme ! Je le regarde en face et lui réponds : - Je ne suis pas une nourrice sèche pour un capitaine anglais, je suis Français, je fais la guerre ! MARANGE intervient, sa diplomatie fait merveille et il réussit à obtenir une lettre de recommandation pour le colonel HASTING, chef des missions anglaises en FRANCE et stationné à OUROUX (NIEVRE). LEVEQUE est blessé en désarmant un fusil MAUSER. Il est évacué sur le poste de secours de la Comtesse de MONTALEMBERT. Je suis navré de perdre celui que je considérais comme mon bras droit et en qui je pouvais avoir toute confiance. REBOUILLAT et RONCHONOT m'offrent le commandement d'une compagnie. Je refuse. Je ne suis pas partisan à ce moment d'un rassemblement massif. Les Unités de Résistance doivent être légères et pouvoir se déplacer rapidement. D'autre part, j'ai déjà servi à la compagnie LIBERTE du 6 Juin au 28 Juin 1944. L'emplacement des camps que cette compagnie a successivement occupé ne répond pas aux conditions qui sont les miennes. J'assurerai avec un groupe une mission de protection pour le décrochage qui doit avoir lieu dans la nuit en direction de QUEMILLY. DIEUDONNE est chargé de cette mission avec son groupe. Il inaugura à cette occasion la série malheureuse due à la peur, évidence qui m'échappera encore. Au cours du déplacement de nuit, son groupe, au lieu de couvrir, attaquera un camion du camp LIBERTE et un de mes hommes sera blessé. Il est évacué également sur le poste de secours de la Comtesse de MONTALEMBERT. J'inflige un tour de garde supplémentaire à ses camarades, ainsi qu'un avertissement à DIEUDONNE. Au matin, j'occupe une corne de bois aux environs de QUEMILLY. Tout à fait à une aile du dispositif de la compagnie LIBERTE. Des rafales claquent au loin en direction de CHAMBOEUF. La peur apparaît, je suis entouré : - Chef, il faut partir, nous seront tous tués, il y a au moins 40 camions allemands qui arrivent. J'appelle MARANGE : - Passe-moi tes jumelles ! J'inspecte les environs et la route, pas un camion, pas une âme. Je ris et renvoie tout le monde à son poste. MARANGE est près de moi. Je lui annonce ma volonté formelle de quitter la compagnie LIBERTE et de reprendre ma liberté d'action. Il insiste pour que nous restions quelques jours encore et me promet qu'il obtiendra des armes. Je suis intraitable. Mon Alsacien TISLER vient à nouveau me parler : - Chef, emmenez-moi avec vous, j'aurais plus peur encore dans cette compagnie ! - Bon, viens ! Prise de contact avec REBOUILLAT, qui commande la compagnie LIBERTE. Je lui fais connaître qu'il ne m'est pas possible de rester plus longtemps avec lui, le moral de mon groupe ne me le permettant pas. J'assurerai la reconnaissance de la nouvelle position et, dès l'arrivée des éléments de son Unité, je décrocherai pour me réinstaller dans le secteur REMILLY-AGEY. Je resterai en liaison avec lui et nous convenons d'un secours mutuel. Il me passe deux fusils mitrailleurs français. REBOUILLAT me donne l'itinéraire. Je pars avec mon groupe en éclaireur. Au point de rassemblement prévu tout est normal. La compagnie LIBERTE arrive à son tour. Je donne à mes hommes mes instructions et l'itinéraire que nous allons suivre. Puis je passe l'inspection et prends la tête. Notre matériel de cuisine et les tentes ont été camouflés dans un coin du bois sous un très gros tas de fagots. Des repères ont été faits afin de pouvoir revenir les chercher. Nous coupons à travers bois et nous dirigeons sur l'écluse 34. La pluie a fait son apparition. Outre ses armes et ses munitions, chaque homme porte son équipement de rechange. La charge de chacun dépasse 3O kilos. Le déplacement est très dur. Nous passons par GERGUEIL, la ferme du CHAMP GRILLOT, où nous nous ravitaillons. Deux membres seulement vont jusqu'à la ferme. Le reste du groupe reste sous bois et des sentinelles sont mises en place. Nous stationnons ensuite près de trois jours en lisière du bois situé derrière l'écluse 34. Nous sommes entièrement mouillés. MAILLY, FORT et ROYER partent reconnaître une position susceptible d'être aménagée et défendue et qui offre le maximum de sécurité. FICHOT effectue les corvées de ravitaillement, la famille BOURDILLAT prépare des repas chauds. Un juste hommage doit être rendu à ces vaillants Français qui se sont dépensés sans compter, hébergeant de nombreux patriotes, assurant les liaisons et participant aux combats. La mission de reconnaissance me rend compte des positions visitées. Je pars avec ROYER et fixe mon choix sur le plateau au lieu-dit BOIS MORON. Admirable emplacement avec un à-pic de 80 mètres sur la route REMILLY-AGEY et des vues sur SOMBERNON, REMILLY, AGEY, GRENANT, route du Puits XV, écluse 34, PONT-de-PANY, viaducs et voie ferrée. Pour augmenter la sécurité, je ferai miner tous les sous-bois en direction du hameau de la MONTAGNE, du village de GRENANT, de la ferme du TREMBLOY et de la vallée de l'OUCHE.

5 Août 1944

Le Corps-Franc occupe une extrémité du dispositif et fournit en permanence un guetteur la journée, une sentinelle la nuit. Le groupe FICHOT et le P.C. occupent l'autre extrémité du dispositif et fournissent la même permanence. L'emplacement de trois autres sentinelles est fixé. J'établis les consignes du camp : le cri de la chouette remplace le cri du coucou. Chaque chef de groupe sera personnellement responsable de l'effectif de son groupe, à son défaut le sous-chef de groupe. Interdiction formelle de quitter le camp sans ordre de mission. La tente des Savoyards est très peu éloignée du P.C. ROYER remplace LEVEQUE. Côté FICHOT, la fonction de guetteur sera assurée par l'Alsacien-Lorrain TISLER, déserteur de l'armée allemande. Aucun mouvement ne lui échappera. Lorsqu'il sera de garde la nuit, il me signalera le moindre bruit. Il me réveillera un jour en me disant : - Chef, venez vite, il y a un chien qui aboie ! Je le renvoie à son poste et lui dis : - Si tu me réveilles encore une fois pour rien, je te tuerai ; laisse-moi dormir, nom de Dieu, ce n'est pas si souvent que je le peux !

6 Août 1944

Les sous-bois attenant à la source, et les lignes, sont minés. L'interdiction formelle de s'approcher du camp est notifiée aux maires des diverses communes environnantes, à charge par eux d'avertir leurs administrés. Toute personne trouvée aux abords du camp sera immédiatement passée par les armes. Une corvée part récupérer les toiles de tente. Des bâches sont réquisitionnées pour permettre à chaque groupe d'établir une tente confortable, où tous seront à l'abri de la pluie. De la paille est également réquisitionnée, les râteliers d'armes sont obligatoires. Des recrues arrivent, assez nombreuses ; leur encadrement s'effectue sans à-coup. Un contrôle de garde est établi, chaque chef de groupe prend le quart et participe aux rondes de nuit. La cuisine est installée non loin du P.C. Du matériel est réquisitionné à GRENANT et complète celui qui vient d'être récupéré. LAMARTINECHE dirige la cuisine et la préparation des repas, il prévoit également les besoins de l'unité et établit un ordre d'urgence pour les réquisitions à effectuer. Chaque matin il demande les hommes de corvée qui lui sont nécessaires. Ceux-ci sont pris dans les nouveaux arrivés et spécialement parmi les vieux. LELIEVRE est toujours le spécialiste du ravitaillement avec cheval et tombereau. Café et casse-croûte à 6 h 30. Repas à midi et à 19 heures. Chaque groupe envoie percevoir ses rations à la cuisine. Au fur et à mesure de l'arrivée des recrues la cuisine s'étoffera et un boucher-charcutier y sera affecté en permanence.

7 Août 1944

L'instruction des recrues a lieu dans le cadre du groupe. Elle tend à donner à tous des notions essentielles sur l'emploi des armes et des explosifs, ainsi que la technique de la guerre d'embuscade. Chaque chef de groupe, de section ou de détachement est responsable devant moi de l'instruction de ses hommes et de la discipline. Une armurerie est installée sous une tente. Les munitions, explosifs et armements non distribués y sont stockés sous la surveillance de deux nouveaux G.M.R. du groupe BRIE qui viennent d'être incorporés : GEMCE Jacques et BOUTIN Jean. Ceux-ci sont chargés de préparer les explosifs nécessaires aux diverses missions à la demande des chefs de groupe. Ils effectuent des revues d'armes dans les groupes, assurent la remise en état des armes qui n'ont besoin que de réparations légères. Très dévoués, connaissant bien leur métier, ils ont été pour moi de très précieux auxiliaires. En outre, ils ont présidé aux tirs d'essai effectués au camp et en ont assuré la sécurité d'une façon parfaite.

8 Août 1944

L'activité au camp est fiévreuse, le service de garde et de guet fonctionne sans à-coup. Des consignes sévères interdisent le retour au camp la nuit, à moins de nécessité absolue. Nous sommes survolés à plusieurs reprises par un avion allemand. Afin de faciliter le ravitaillement en pain, le contact est établi avec MAXIME, de GRENANT. Ce dernier fera deux ou trois fournées de pain par semaine et nous lui fournirons la farine. Jean LEVEQUE, dont la jambe est à peine cicatrisée, a rejoint l'unité et reprend son activité. Il part en mission de ravitaillement à BLAISY-BAS avec ROYER, SCHWINTE et MARANGE. Le gazo est capricieux. La mission arrive à BLAISY-BAS à 11 heures. Réquisition d'une motocyclette et d'huile à la fabrique. A midi, LEVEQUE décide de prendre les repas au café-restaurant près de la gare. Mitraillettes à l'épaule, grenades et pistolets au côté, ils entrent dans la salle de l'établissement, où déjà des Boches consomment. Les mitraillettes sont disposées sur la table, ainsi que les grenades. Si les Boches sont sages, la mission le sera également. Les quatre prennent tranquillement leur repas et quittent le restaurant sans que les soldats allemands fassent un seul geste. Eux-mêmes n'ont pas attaqué, car j'avais donné à chaque mission l'ordre formel de ne jamais engager le combat dans un village, à moins d'y être absolument forcé, ceci afin d'éviter les représailles de l'ennemi. Une fois à la voiture, celle-ci ne veut plus marcher et le garagiste doit intervenir. Il effectue la réparation et la mission quitte le village sous le regard passif d'une équipe de Boches qui se gardent prudemment d'intervenir. Retour au camp sans incident. GEORGES et BESSE partent à moto effectuer une distribution de tabac et de ravitaillement à nos blessés au poste de secours. Là, ils apprennent que la Comtesse de MONTALEMBERT, qui a été pour nos blessés d'un dévouement inlassable, est menacée. Ils se rendent au Château de la BUSSIERE, tout est normal et ils font demi-tour. Ils rencontrent alors SINGEY. Celui-ci fait connaître que dans les environs de l'écluse 26 se trouve le nommé CHEVALIER, qui faisait partie des 4 G.M.R. affiliés à la Gestapo et qui avaient trahi leurs camarades. GEORGES se joint à SINGEY et tous deux partent opérer la capture. BESSE revient au camp et m'alerte. Je descends au parc à voitures et rejoins à motocyclette mes deux hommes aux environs de BARBIREY. CHEVALIER, qui vient d'être arrêté, reconnaît avoir été en relations avec la Gestapo ; il désigne BRUGIERE, BON et CHARNAY comme compagnons de trahison et confirme les renseignements que nous connaissions déjà. Il est jugé sur place et condamné à mort. Je laisse à ses deux anciens camarades la possibilité de l'exécuter. Tous deux refusent. Je donne alors l'ordre à CHEVALIER de prendre place pour être exécuté. Il supplie, pleure ; devant sa lâcheté, je le pousse devant moi et l'abats d'une balle dans la nuque. Il tombe, je le retourne et lui donne le coup de grâce. SINGEY fait connaître au maire le plus voisin d'envoyer le plus rapidement possible une corvée chargée d'enterrer sur place le condamné.

9 Août 1944

Je suis pressenti pour exécuter le commandant Guy ALLIZON, soupçonné d'entretenir des relations avec la Gestapo. J'envoie Paul ROYER à DIJON en vélomoteur. Par l'intermédiaire de NAGEL, il prend contact avec FOISSAC, beau-frère du colonel BALLET, sous les ordres duquel s'était trouvé le commandant ALLIZON. FOISSAC se porte garant du patriotisme du commandant ALLIZON. Je rends compte à mon responsable, le commandant BENE, l'ordre d'exécution est annulé. Mon équipe de DIJON, sous les ordres de NAGEL, prépare les réquisitions nécessaires et m'envoie des bulletins de renseignements sur les mouvements des troupes allemandes, ainsi que sur l'activité des miliciens. Je demande la dotation de deux silencieux, afin de pouvoir envoyer sur DIJON une équipe chargée des opérations urgentes contre les traîtres.

10 Août 1944

La compagnie dispose d'un gazo, de plusieurs vélomoteurs et motocyclettes. Les Savoyards partent à MEUILLEY et effectuent une tournée de ravitaillement. Ils approvisionnent l'Unité en vin. Du tabac est également réquisitionné. La ration de vin est fixée à 3/4 de litre par jour. Le tabac est distribué par groupe par les armuriers qui, à compter de ce jour, seront chargés de la gérance du magasin. Un petit stock de chaussures est disponible. Ils en assurent l'échange et portent au cordonnier d'AGEY les chaussures à réparer. Le bourrelier de SOMBERNON est chargé de confectionner des musettes avec de la toile de bâche fournie par l'Unité. Chaque combattant recevra une musette pour porter ses munitions. L'Unité s'achemine vers sa formation définitive, à savoir une formation militaire au combat.

11 Août 1944

L'ordre arrive de s'opposer par tous les moyens à la réquisition par les troupes allemandes de véhicules automobiles. Prévoir également des moyens de transport. CARLEVATTO, gendarme à SOMBERNON, prend contact et indique dans quelles conditions peut être enlevée la traction-avant, garée au transformateur de SOMBERNON. Désirant être incorporé à l'Unité, CARLEVATTO demande à être kidnappé avec la voiture, ceci pour éviter des représailles à sa famille. J'opère l'enlèvement en compagnie de Paul ROYER qui assure la protection à l'extérieur. Un gardien civil tient compagnie au gendarme. Je désarme le gardien, enlève le gendarme et la voiture et regagne le camp. L'opération a duré une demi-heure. L'instruction se poursuit activement dans les groupes. Les missions journalières de ravitaillement s'effectuent sans incident.

12 Août 1944

La traction-avant est revue, de l'essence est réquisitionnée chez des particuliers et la voiture est provisoirement garée à REMILLY-en-MONTAGNE, prête à servir. MARANGE part en mission à BLAISY-BAS et CHARMOY. Il doit effectuer avec Victor SCHWINTE une nouvelle tournée de récupération d'armes.

13 Août 1944

Près d'une murée sur le chemin de PANGES à CHARMOY il rencontre une religieuse, Soeur CAMUS, demeurant à BLAISY-BAS. Celle-ci engage la conversation et informe MARANGE que, parlant couramment le russe, elle a eu plusieurs contacts avec l'officier russe qui commande le poste de garde du tunnel de BLAISY-BAS. Celui-ci a laissé entendre qu'il désirerait vivement quitter l'armée allemande et rejoindre le maquis avec ses hommes et toutes ses armes. MARANGE charge alors Soeur CAMUS de prendre à nouveau contact dans la matinée avec l'officier et plusieurs soldats sympathisants. Un rendez-vous est prévu pour 17 heures sous le Château de BLAISY-HAUT. Victor SCHWINTE revient au camp et me rend compte des tractations en cours. Je décide de me rendre immédiatement à BLAISY, désigne pour m'accompagner Paul ROYER et un Russe nouvellement incorporé, Sacha LIOUTIKOFF. Ce dernier avait été dirigé sur l'Unité par l'intermédiaire du commandant CETRE, qui l'avait connu en prison. Pendant ce temps, MARANGE avait repris contact avec Soeur CAMUS et s'était rendu au rendez-vous. Au moment de mon arrivée, les conversations engagées avec les Russes duraient depuis plus d'une heure. La mise au point de la désertion d'une partie des Russes et l'anéantissement des autres posait de multiples problèmes. La traction-avant est laissée sur la route, je pénètre sous bois avec mes deux hommes, l'officier et sept Russes sont présents. Je réalise immédiatement la disproportion des forces et de l'armement, je suis engagé dans un coupe-gorge, je saisis alors le fusil à répétition du premier soldat russe et, tenant le groupe sous le feu, je charge Sacha de prendre contact. Les Russes semblent dégonflés. Au bout d'un quart d'heure, Sacha revient près de moi et il me dit : - Pas bon ici ! Je le charge de faire connaître à l'officier que le bois est cerné par le maquis et qu'au moindre geste, tous les Russes seront tués. Lui restera là en compagnie de MARANGE, ils continueront les conversations. En principe, l'attaque du poste russe est fixée au lendemain 22 heures. J'aurai alors pu prendre toutes les dispositions et serai prêt à entrer en action avec un groupe solide. Je rentre au camp et prépare l'opération. A 23 h 30, Sacha arrive en bicyclette et m'explique qu'après mon départ, lui et MARANGE ont quitté les Russes, puis ont repris contact dans la soirée au café. Des discussions ont eu lieu entre Russes et l'un de ceux-ci a téléphoné à la Gestapo. Selon toute vraisemblance, des troupes allemandes seront là demain matin. Cependant, après les discussions, mes deux hommes ont réussi par un coup d'audace à enlever le lieutenant russe et son ordonnance. Ceux-ci sont gardés à vue à CHARMOY par MARANGE, avec un revolver qui ne marche plus. Soeur CAMUS a rejoint également CHARMOY. Il ne me reste plus qu'à aller les ramasser, Sacha m'accompagne avec un fusil mitrailleur, la traction-avant tourne rond. Arrivé à CHARMOY, j'embarque tout le monde. Je descends les deux Russes à AGEY, ils sont montés au camp et gardés à vue. Je réveille le curé d'AGEY qui vient avec nous à SAINTE-MARIE, le curé de SAINTE-MARIE est réveillé à son tour et Soeur CAMUS est placée chez les Soeurs de SAINT-VINCENT-de-PAUL qui ont une maison dans cette commune.

14 Août 1944

Retour au camp, il fait jour. Casse-croûte et départ pour MALAIN, où j'ai une entrevue avec BENE : compte-rendu des événements et de l'opération effectuée. Ordre m'est donné de fusiller les deux Russes, l'officier en particulier s'était rendu coupable de nombreux actes de sauvagerie dans la région. Il meurt en lâche, l'ordonnance courageusement. A cette occasion, je rencontre à MALAIN le commandant CETRE, responsable inter-régional aux opérations, qui vient d'arriver. Nous avons deux uniformes allemands de plus et quelques provisions.

15 Août 1944

Les nouvelles sont mauvaises : Les Allemands ont enquêté à BLAISY-BAS, le café a été pillé. Nous avons manqué une superbe opération qui nous aurait permis d'interdire complètement le trafic entre DIJON et PARIS pendant plusieurs semaines, en obstruant complètement le tunnel. De plus, nous aurions récupéré un précieux matériel d'armement. Descendu en liaison à REMILLY, je rencontre ROBLET Félix qui, un fusil mitrailleur sur l'épaule, faisait son entrée au village. Il se présente : - Sergent Christophe, du groupe MORANE. Notre car s'étant trouvé en panne, nous avons fait appel au garagiste de SOMBERNON et un engagement a eu lieu. Je suis resté le dernier, et après quelques détours, j'arrive ici ! - Bien, mon vieux, vous monterez au camp avec moi ! Dans la matinée, une fusillade avait effectivement eu lieu à SOMBERNON, la mission que j'avais envoyé aux renseignements n'était pas encore de retour. Elle arrive quelques instants plus tard et j'apprends qu'au cours de l'engagement, ROBLET, resté seul sur le toit du car, avait arrosé au fusil mitrailleur un groupe allemand, arrachant d'une rafale le bras d'un colonel. Descendu du toit, il avait appuyé son fusil mitrailleur sur le côté et avait tranquillement roulé une cigarette, en attendant le retour des Allemands, puis les avait à nouveau arrosé et dispersé de quelques rafales. Mettant alors son fusil mitrailleur sur l'épaule, il s'était éloigné. Nous remontons au camp et je reçois de BENE l'ordre suivant : - Les Allemands, en représailles de l'enlèvement de l'officier russe et de son ordonnance, et si ceux-ci ne sont pas immédiatement libérés, brûleront BLAISY-HAUT, BLAISY-BAS et CHARMOY. L'effectif probable des forces ennemies devant être engagées dans ces opérations sera de 300. En conséquence, empêcher par tous les moyens les forces allemandes d'opérer ! Je décide de partir le lendemain matin en opération, il m'est impossible de rendre les prisonniers qui sont fusillés. Je fais appeler Jean LEVEQUE et Paul ROYER et leur expose le problème ; je leur fais connaître mes intentions. Moyen de transport : la traction-avant, armement trois fusils mitrailleurs très largement approvisionnés, effectif sept hommes. En aucun cas, n'accepter le combat rangé, procéder par coups de boutoir et décrocher après chaque engagement pour porter l'attaque sur un autre point. Nous devons obtenir ainsi le maximum de résultats. Entraîner ensuite, si possible, le gros de l'ennemi en direction du camp, où il sera reçu comme il convient. Consignes générales pour le camp : état d'alerte. Chaque groupe doit être prêt à marcher au feu, un groupe se tenant en permanence aux lisières en direction de REMILLY, un autre groupe, même dispositif, en direction d'AGEY.

16 Août 1944

Pendant cette journée, au cours d'une reconnaissance, MARANGE est agressé par DIEUDONNE, qui commet une nouvelle méprise. La balle coupe la médaille de SAINTE-THERESE que MARANGE portait au poignet et le blesse légèrement au doigt. Pour l'opération de harcèlement, je choisis Jean LEVEQUE, Paul ROYER, Albert FORT, Roger MARTIN, Sacha LIOUTIKOFF et SCHWINTE, j'accepte également ROBLET, du groupe MORANE, qui est volontaire ; j'assurerai moi-même la direction des opérations. Nous patrouillons dans la région menacée, nous établissons successivement plusieurs barrages, après avoir garé la voiture à proximité pour permettre le décrochage ; pas un Allemand ne se présente. Au cours d'une patrouille, nous crevons à proximité de la route conduisant au camp d'aviation de FROMENTEAU. Les fusils mitrailleurs sont mis en batterie. Deux camions allemands arrivent, ils nous aperçoivent à plus de 100 mètres, font demi-tour sur la route et se sauvent. Le soir tombe, je décide le retour. ROBLET me demande alors de passer à SOMBERNON pour récupérer des armes laissées par ses camarades. Il avait pris rendez-vous chez NIVELLE. J'entre à SOMBERNON tous phares éteints et j'arrête la voiture devant la maison où doit avoir lieu la rencontre. ROBLET prend contact avec un civil et entame la conversation au sujet des armes recueillies. A ce moment, le maire, Mr FOURNIER, arrive et dit : - Messieurs, je vous paie une tournée, si vous partez de suite ! L'homme qui se trouvait avec ROBLET s'efface dès qu'il aperçoit Mr FOURNIER. ROBLET se tournant alors vers le maire, lui répond: - Avec plaisir, à condition que vous buviez avec nous ! Mr NIVELLE sert à boire. Le maire s'en va et les conversations reprennent entre ROBLET et son correspondant. Deux minutes se passent : deux touristes et une camionnette d'Allemands s'arrêtent en face de la maison. Je saute sur mon fusil, enfile le couloir en donnant l'alerte, et fais irruption face aux Allemands. Je n'obéis pas à leurs sommations et m'échappe en direction de l'église. Des trois voitures partent des rafales. Je ne suis pas touché et enfile la ruelle descendant vers le cimetière. Je m'arrête cinq minutes pour faire le point. D'une part, six camarades cernés, d'autre part, le camp à proximité en état d'alerte. Le groupe de REMILLY doit avoir entendu les coups de feu et doit marcher sur SOMBERNON. En conséquence, je me hâte à leur rencontre. A SOMBERNON, la fusillade a repris et je cours ; je trouve enfin CARLEVATTO et six hommes, laisse une liaison et les entraîne en direction de SOMBERNON. Les coups de feu durent toujours. J'ai peur maintenant d'arriver trop tard et suis certain que mes petits ont tenté une sortie. Aux premières maison de SOMBERNON nous rencontrons Jean LEVEQUE qui est blessé. Je lui laisse un homme et prends un sentier pour arriver dans le haut du pays. La fusillade a cessé. Nous arrivons vers la voiture, le combat est fini. Deux cadavres allemands sont allongés dans le fossé, mais ROBLET est très grièvement blessé : une balle lui a perforé les intestins, Sacha, mon Russe, a reçu six balles, deux dans chaque jambe, deux dans le côté. ROYER a été marqué au front par une balle, MARTIN, FORT et SCHWINTE sont sains et saufs. Ils se précipitent vers moi - C'est vous, chef, vous n'êtes pas tué ? Nous n'avions plus d'espoir, nous avons entendu les rafales ennemies aussitôt après votre sortie et nous n'imaginions pas que vous puissiez avoir été manqué, les voitures allemandes se trouvant à moins de dix mètres de la porte ! - J'ai la baraka, ne vous en faites pas. Chargeons vite les blessés et vous m'expliquerez le combat en route ! Je donne à CARLEVATTO l'ordre de retourner au camp avec ses hommes. Nous chargeons ROBLET et Sacha, prenons LEVEQUE et, fusil mitrailleur en batterie, tous phares allumés, la voiture fonce à 100 à l'heure en direction du poste de secours. En passant par LA BUSSIERE, arrêt à la ferme de la FORET, où les blessés sont placés dans une voiture hippo et conduits au poste de secours, pendant qu'en compagnie de ROYER et du Comte de MONTALEMBERT, je vais chercher le docteur de COMMARIN. En cours de route, ROYER m'explique : - Lorsque vous êtes sortis, nous nous sommes précipités derrière vous, mais aussitôt la fusillade a crépité et nous avions la quasi-certitude que nous ne vous reverrions plus. Nous avons mis un fusil mitrailleur en batterie dans le couloir après avoir cadenassé la porte. Puis, nous avons envisagé un moyen de sortie, toutes les lumières ont été éteintes, la fenêtre entr'ouverte sur la cour. Albert lance deux grenades qui éclatent ; ROYER sort aussitôt et Albert lui passe le fusil mitrailleur. ROYER met en batterie et tire : tous les autres sortent, à l'exception de LIOUTIKOFF, qui tient la porte du couloir sous son F.M. ROBLET ouvre à son tour le feu avec son arme automatique et les Allemands sont copieusement arrosés. LIOUTIKOFF en profite et fait irruption par la porte face au couloir, il ouvre le feu, mais son arme s'enraye. Les Allemands s'avancent en sa direction sans tirer, avec l'intention de le faire prisonnier. Sacha attaque alors à coups de poing le premier Allemand qui se présente, celui-ci lui donne un coup de crosse en pleine figure et, une fois à terre, LIOUTIKOFF est arrosé par l'ennemi. Le maquis, qui avait marqué un temps d'arrêt pour ne pas blesser Sacha, reprend son tir. SCHWINTE et MARTIN se précipitent au secours de Sacha et réussissent, en rampant, à le sortir de la zone dangereuse. La réaction ennemi faiblit, mais ROBLET à son tour est grièvement blessé. Dans la nuit, les Fritz ne savent pas à combien d'adversaires ils ont affaire et tout d'un coup, ROYER crie en allemand : - Les Alsaciens, en avant, tuons-les tous ! L'ennemi reflue vers les voitures, s'y précipite et lâche pied, abandonnant deux cadavres dans le fossé. Il est poursuivi par trois démons : LEVEQUE, ROYER et FORT. La dernière voiture ouvre le feu pour se couvrir. LEVEQUE a le côté gauche traversé de part en part. ROYER est légèrement marqué au front par un éclat de balle explosive. Il se précipite avec FORT et, par le sentier près de l'église, tous deux dévalent pour couper la retraite à l'ennemi. Ils arrivent trop tard. Ainsi, une fois encore, mes Savoyards ont été magnifiques. Ils ont mis en fuite un ennemi bien supérieur en nombre et mieux armé. Nous avons cependant trois blessés graves. Nous ramenons le docteur au poste de secours et nous regagnons le camp ; il fait jour. Arrivé au camp, je retrouve la petite équipe sous les ordres de CARLEVATTO ; rentrée depuis peu, celle-ci n'a trouvé au camp que le vieux COURAGEOT et deux jeunes au poste de guet. Les autres avaient abandonné le camp. Je suis dans une colère indescriptible et décidé à tirer sur n'importe quel élément qui se présentera. Je m'explique maintenant le peu d'hommes trouvés pour monter en renfort, et également le chemin que j'ai eu à parcourir pour les trouver. Si mes ordres avaient été exécutés, un barrage aurait pu être établi à la sortie de SOMBERNON, pendant que le renfort conduit par moi, serait arrivé assez tôt pour réduire le nombre des blessés. En outre, tous les Chleus auraient été tués et les voitures détruites. ROYER et FORT viennent vers moi et me disent : - Calme-toi, MALGACHE, on va faire une enquête ! J'y consens.

17 Août 1944

Ce ne fut point sur le champ de bataille que nous jetâmes l'épée, mais pendant la garde solitaire dans les ténèbres, près du gué, les eaux léchaient la rive, le vent de la nuit soufflait. La terreur naquit tout armée et grandit et nous étions en fuite avant même de ne rien savoir de la panique nocturne. 10 heures, les groupes font une timide apparition et regagnent leurs cantonnements respectifs. L'enquête effectuée par ROYER et FORT révèle que le sauve-qui-peut fut dû à un bruit répandu par DIEUDONNE : le camp est cerné, les automitrailleuses allemandes sont là, elles arrivent, il faut partir ! Je fixe un rassemblement général pour 14 heures. Au rassemblement, je relève DIEUDONNE de son commandement de chef du Corps-Franc, je le dégrade devant tous, lui retire ses armes que je jette à terre. Je lui accorde la chance de se racheter en se faisant tuer à la prochaine embuscade. Je lui donne un chef et charge ce dernier de l'exécuter à la moindre défaillance. Pour la dernière fois, je pardonne, à l'avenir je serai impitoyable. Il m'est possible aujourd'hui de retracer cette panique, cette peur collective qui, lorsqu'elle apparaît, souvent sans cause réelle, détruit les meilleures troupes si le chef ne réagit pas immédiatement et vigoureusement. IMBERT Albert, dit Plumeau, de FLEUREY-sur-OUCHE, était de garde au Corps-Franc, lorsque l'engagement de SOMBERNON commença. Les balles allemandes perdues lui sifflèrent aux oreilles, quelques-unes rencontrant une branche, explosèrent, des phares d'auto balayèrent la route. Il n'en fallut pas plus pour que la peur irraisonnée se fasse jour dans sa pauvre cervelle et aussitôt il affirme : - Les automitrailleuses allemandes sont là, nous sommes cernés ! Son chef DIEUDONNE, qui lui aussi a déjà connu la peur à LA REPUBLIQUE, lâche pied immédiatement. Seul du Corps-Franc TRUILLOT refuse énergiquement de partir et IMBERT reviendra le chercher trois ou quatre fois. Le Corps-Franc décrochant, c'est la presque totalité des armes automatiques restant au camp qui disparaît. Les Savoyards sont avec moi. Seul MARANGE essaie d'enrayer la panique. FICHOT, qui a la responsabilité des autres groupes, reste avec une trentaine d'hommes, dont plus de la moitié ne sont pas armés. Il ne lui est pas possible de les maintenir et il suit le mouvement de repli, imposé par DIEUDONNE. Il est difficile d'imaginer peur plus bête. Les automitrailleuses allemandes n'ont existé que dans l'imagination d'IMBERT et de DIEUDONNE. De toute façon, elles n'auraient pu escalader un à-pic de plus de quatre-vingts mètres, ni franchir les sentiers ou lignes minés. Je ne connais que depuis peu de temps le rôle joué par IMBERT Albert. Il est cependant certain que si ses camarades avaient parlé lors de l'enquête faite au camp, Monsieur IMBERT, dit Plumeau, reposerait quelque part dans le bois avec une balle dans la tête. Le même jour partait de DIJON pour OUROUX une mission, composée de mon frère Pierre et de mon beau-frère NAGEL. Ils établissent le contact avec le maquis de MONTSAUCHE, mais ne peuvent percevoir d'armes.

18 Août 1944

CARLEVATTO veillera au camp à l'application stricte des consignes, surtout en mon absence, en particulier au contrôle des départs et des rentrées. Il est responsable sur sa tête si le camp est de nouveau abandonné. L'encadrement est revu. TARLET Victor, alias Baliveau, prend le commandement de la première section ; il a pour adjoint MAILLY Victor et GODE Lucien. CHATELET Julien prend le commandement de la deuxième section avec comme adjoints GEORGES Michel et LELIEVRE. SINGEY prend le commandement de la troisième section avec comme adjoint FICHOT. Paul ROYER remplacera LEVEQUE et commandera en second. Les Savoyards et MARANGE restent à ma disposition, les premiers pour les actions immédiates, le second pour les missions. Très mauvaises nouvelles de notre camarade ROBLET. Son transport à l'hôpital est urgent. Je pars dès réception du message à 16 heures, ROYER et FORT m'accompagnent avec un fusil mitrailleur. Au poste de secours, ROBLET et ses camarades ont été veillés et soignés par la Comtesse de MONTALEMBERT, qui s'imposait de vivre dans les bois pour donner les soins à nos blessés. Son fils, âgé de quelques mois et qu'elle allaitait, avait son berceau au poste de secours également. Le Comte de MONTALEMBERT était dans le bain et a mené à bien plusieurs missions délicates. Rengagé à la Libération dans la 1ère Armée, il continuera le combat jusqu'à la victoire. Les BARBE de la ferme de la FORET et les PARIZOT, d'une ferme voisine, se sont dépensés également sans compter. Depuis très longtemps, leurs fermes étaient un lieu de passage et de refuge pour les Français traqués. Qu'ils soient remerciés pour tous les services qu'ils nous ont rendu, en acceptant d'avance tous les risques. LEVEQUE va bien, Sacha également. KEGELS est convalescent. Notre pauvre camarade ROBLET est très bas. Nous le transportons jusqu'à la sortie du bois sur un brancard. Une voiture hippo l'amène à la traction-avant. Là, nous l'étendons le mieux possible. Fusil-mitrailleur en batterie à l'avant, trajet sans histoire. Arrivé à l'hôpital de POUILLY, ROBLET est immédiatement préparé pour être opéré. Il est admirable de volonté et d'énergie, son courage reste intact. Il désire fumer, je lui allume une cigarette. J'ai malgré tout bon espoir. Au retour, la voiture est garée à mi-hauteur entre REMILLY et le camp, constamment sous le feu des armes automatiques. Le même jour, BRAC, parti dès le matin pour réquisitionner à POUILLY une voiture et un cheval, est revenu au camp avec un pur-sang et une voiture légère. Je lui demande s'il lui reste une lueur de bon sens. Croit-il qu'avec un pareil équipage, les corvées vont passer inaperçues ? Ce qu'il nous faut, c'est un simple cheval de trait et un tombereau comme il en existe des dizaines dans chaque village. Avant de partir évacuer ROBLET, j'avais donné à BRAC l'ordre de remettre au maire de PRALON le cheval et la voiture, ce dernier les fera reconduire à son propriétaire par un de ses administrés. Dans la matinée, COURAGEOT et BESSE sont partis effectuer une nouvelle tournée de récupération d'armes. Par PRALON et MALAIN, ils arrivent à BAULME-la-ROCHE. Visite au fils du maire, qui mettra le lendemain matin un cheval et une voiture à leur disposition pour transporter les armes. COURAGEOT et BESSE se rendent à PANGES. A travers champs BESSE conduit COURAGEOT et, lui montrant une murée, lui dit : - C'est ici ! Tous deux enlèvent des pierres moussues et une plaque de fer apparaît cachant 12 fusils et 3 caisses de cartouches. Ils construisent alors un petit bât et transportent une partie des armes à travers des friches. Ils rejoignent la route de BAULME et par la coursière, descendent au Calvaire, où le matériel doit passer la nuit. Avant d'arriver, BESSE, entendant un bruit de pas, crut voir un Boche. COURAGEOT lui conseille la prudence et tous deux, cachés dans un buisson, attendent, le revolver au poing. C'est un vieux bûcheron qui apparaît et il les aidera à transporter les armes. 19 Août 1944 De bonne heure COURAGEOT et BESSE quittent BAULME-la-ROCHE, les armes dans le fond du tombereau, recouvertes de paille. De BAULME ils rejoignent la route du Puits XV par chemin de terre, puis regagnent le camp par SOMBERNON, la BELLE-IDEE et LA REPUBLIQUE. A la hauteur de la BELLE-IDEE un barrage boche arrête toutes les autos. Il est trop tard pour reculer. Mes deux hommes dégoupillent une grenade, prêts à vendre chèrement leur peau. Mais les Allemands, les prenant pour deux paysans, les laissent passer sans rien leur demander. Dès le barrage franchi, le cheval est mis au trot et ne s'arrête qu'à AGEY. Les armes, transportées au camp sont stockées à l'armurerie, elles seront distribuées suivant les ordres. MARANGE et LELIEVRE réquisitionnent un cheval et une voiture à AGEY. L'équipage sera à la disposition permanente de LELIEVRE pour ses corvées de ravitaillement. FICHOT et JAUMET effectuent une patrouille dans la vallée de l'OUCHE et reconnaissent, à VEVEY, l'emplacement du dépôt de munitions allemand au lieu-dit " LE MARTINET ". Ce dépôt est entouré de fils de fer barbelés, l'effectif du poste est de quatre-vingts ; dix sentinelles, trois fusils-mitrailleurs, deux mitrailleuses lourdes en assurent la garde en permanence. C'est un os trop dur pour nous. BOUCHARD et MOUCHOT effectuent une liaison à DIJON et rapportent un message de NAGEL : " Faire attendre à la sortie de PONT-de-PANY, en direction de SAINTE-MARIE-sur-OUCHE, un convoi composé de quatre tractions CITROEN et d'un camion, qui quittera DIJON le 20 Août 1944 au matin. Il s'agit du Service de dépannage de l'Intendance de Police qui rejoint le maquis. Il est à incorporer à l'Unité ou à diriger sur une autre formation ". J'établis un contact personnel à REMILLY-en-MONTAGNE avec le lieutenant DUPONT, dit Tob, de l'état-major départemental F.F.I. Echange de vues, je lui demande des armes, des munitions et de l'argent. Rendez-vous est pris pour le 21 Août à la croix d'AGEY. Les messages urgents me seront apportés chez MAILLY par Hébert, de SOLES, qui est en liaison permanente avec le P.C. A 19 heures je pars, en emmenant ROYER, Albert FORT et SCHWINTE. Nous visitons nos blessés et leur apportons du tabac. A minuit nous quittons le poste de secours et nous dirigeons sur l'hôpital de POUILLY. Je remets des cigarettes à ROBLET, toujours extraordinaire de courage. Je le trouve très bas. Au retour, raid dans la vallée de l'OUCHE, pas de Chleus, couchons à REMILLY chez MAILLY et rentrons au jour. 20 Août 1944 A PONT-de-PANY avec ROYER, je prends contact avec Mr BERTHET, de l'Intendance de Police ; il a pu s'échapper avec une seule voiture. A la suite d'une trahison les autres n'ont pu partir. Je camoufle sa voiture et ses compagnons dans le parc du Château d'AGEY, puis, après un long échange de vues, je le dirige sur OUROUX. Je ne résiste pas au plaisir de donner la parole à MARTIN Marcel, dit PISTOULET, qui, arrêté par la milice à la suite de la fuite manquée, a rejoint l'Unité quelques jours après. Son témoignage éclaire d'un jour particulier la vie au camp, il est particulièrement savoureux. J'aurais aimé pouvoir insérer les impressions de beaucoup d'autres, trop paresseux, hélas !

**

Au mois d'Août 1944, mon chef, Mr BERTHET, du garage de l'Intendance de Police, me prit à part et me dit : - Mon vieux MARTIN, je connais ton opinion et aussi bien je compte sur toi. Voici : je suis en contact avec un des chefs de la Résistance, qui doit venir sous peu, et auquel je te présenterai. J'ai décidé de lui apporter mon aide et j'ai l'intention de former une équipe de réparation de voitures pour son maquis. Il va falloir équiper les meilleures voitures qui se trouvent dans le garage, faire leurs pleins complets et y charger tout l'outillage et les pièces nécessaires pour les réparations du premier degré. Tu choisiras parmi tes camarades ceux qui veulent venir avec nous ! Après cet entretien, je me suis mis en quête et je trouvai cinq volontaires. Le lendemain, nous oeuvrâmes après les voitures en bon état de marche. Le samedi après-midi, les ateliers étant fermés pour le travail, nous en profitâmes pour nous réunir. Nous avons eu la visite du lieutenant NAGEL, qui fut enchanté de notre choix : cinq voitures CITROEN traction AV, ainsi qu'un camion FORD 23 CV bourré de pièces, d'outillage et de pneus neufs. Trois camions de ce genre étaient stockés, ils appartenaient à la milice. Les deux camions ne pouvant être emmenés seraient mis hors d'usage. Le soir, à ma pension, je trouvai un jeune camarade qui brûlait d'envie de rejoindre le maquis et décidai de l'emmener avec moi. Après avoir préparé nos effets et deux jours de vivres, nous nous rendîmes au garage avant le couvre-feu. Nous préférions coucher là pour ne pas être en retard le lendemain matin. Nous y trouvâmes les deux agents de garde de nuit, ainsi qu'un autre, chauffeur. La présence de ce dernier m'intrigua et je lui demandai comment il se faisait qu'il soit resté au garage. Il me répondit : - N'ayant pu rentrer chez moi avant le couvre-feu, j'ai préféré passer la nuit ici ! Je fus momentanément rassuré. Je choisis pour moi et mon camarade des effets dans un lot qui avait été enlevé au Camp de Jeunesse, et nous allâmes nous coucher dans les voitures en attendant l'arrivée des autres camarades. Le départ était prévu à 5 heures du matin. Le garage était mal aéré ; ne pouvant dormir dans les voitures, nous nous couchâmes à même le ciment, au pied des fenêtres. Vers une heure du matin, nous fûmes surpris par le crépitement d'une mitraillette, et des débris de verre tombèrent sur nous. Croyant en attribuer la cause à la lumière, je fermai l'électricité, et ne pus me rendormir. J'allai au sous-sol jeter un coup d'oeil sur les voitures. Je remarquai une roue à plat à l'avant d'une traction, et, avec l'aide de mon camarade, j'effectuai rapidement le changement de roue (sous le regard d'un chef de la milice qui nous épiait sans que nous le voyions). Le temps me paraissait très long. Le jour approchait et les camarades n'arrivaient pas. Enfin, LAMY, qui devait conduire le camion arrive. Il m'annonce qu'il ne pourra nous suivre parce qu'à l'annonce de son départ, sa mère s'était trouvée mal. Il avait prévenu Mr BERTHET et, d'accord avec lui, ne ferait que sortir le camion de DIJON. Puis survient un mécano, nommé PERRIERE, adjudant d'aviation, qui avait été prompt à acquiescer. Il nous dit en arrivant : - Dites donc, avez-vous vu les gars qui sont couchés sur le trottoir de la Bourse du Travail ? Puis arrive un chauffeur du nom de BIZARRO, qui nous fait la même réflexion. Je leur dis : - Il faut aller vous rendre compte de ce qui se passe ! PERRIERE et LAMY sortent et nous ne les voyons plus revenir. BIZARRO jette un coup d'oeil sur la porte d'entrée et me dit : - Nous sommes vendus, ce sont des miliciens ! Puis : - Tiens, prend ça ! et il me tend un pistolet 6,35 m/m. Je jetai un regard de mépris sur un pareil engin et je regrettai la décision prise la veille, de partir sans armes pour avoir plus de chances de passer les barrages. J'appelai mon camarade Serge : - Prends ton sac et suis-moi ! Au cas de l'envahissement de l'atelier, j'avais préparé une corde d'environ cinq mètres pour atteindre les jardins voisins qui sont en contrebas. Cette corde était attachée en permanence à une fenêtre, j'y conduisis mon camarade, mais la corde avait disparu. Nous étions, hélas ! bien vendus. Je tentai la sortie par derrière, Rue du Transvaal. Trois ou quatre hommes étaient debout, près de la Bourse du Travail. A deux mètres à notre gauche, un milicien était de faction et nous épiait. Passant alors devant lui, je dis à mon camarade : - Pour une fois que nous allons manger sur l'herbe, nous n'avons pas de chance, il pleut ! A peine engagés dans la rue, les miliciens crient à celui de faction : - Arrête-les ! Et aussitôt le milicien crie : - Halte ! Nous allongeâmes le pas. Une deuxième sommation et un coup de sifflet retentit. Alors nous courûmes et enfilâmes la Rue du Chaignot, surpris de n'avoir pas été flingués. Le poids de mon sac et surtout celui de mes quarante-quatre ans me fit perdre du terrain sur mon camarade, et je me jetai dans un chantier de confection de pavés se trouvant au coin de la rue. Hélas ! Des murs de sept à huit mètres de haut, et pas de cachette. J'entendis les miliciens passer. Une petite cabane dans laquelle se trouvaient des briques de mâchefer me parut un refuge et je m'empressai, après m'être débarrassé de mon sac et de ma veste, de boucher l'entrée, qui ne possédait pas de porte, à l'aide des briques en question, lorsque des pas, que j'entendrai longtemps, s'approchèrent et un milicien, l'arme au poing, m'apparut. Il me dit : - Que fais-tu là ? - J'attends le boulot, je travaille sur le chantier ! - Ce n'est pas toi qui sortais du garage ? - Non ! - Tu n'as pas de sac à dos ? - Non ! - Relève voir ta veste ! Hélas ! Celle-ci couvrait mon sac. - Mais c'est toi ! Allez ! Sors de là ! Aussitôt, coup de sifflet et la bande rapplique. - Donne-moi tes poignets. C'est toi qui les étrenne, ce sont celles des gendarmes qui ont filé. Ah ! C'est ça, la police ! Heureusement que nous ne sommes pas pourris comme vous ! - Mon vieux, tu as joué, tu as paumé, il faut payer ! me dit un autre. J'étais résigné et tout surpris de ne pas avoir encore encaissé un coup. M'ayant demandé mon nom et mon adresse, ils me conduisirent à l'entrée des allées du Parc, et me laissèrent là, sous la garde d'un milicien. Les autres partirent aux renseignements chez mon hôtelière, Mme BOUVET, du CHALET. Celle-ci fut accusée d'être au courant de mon départ et de m'avoir fourni des vivres. Mon gardien, contrairement à ce que je pensais, fut très indulgent, il me passa mon bidon pour que je boive. Et comme j'avais des provisions de cigarettes, qui m'avaient été données pour emporter au maquis, il me dit : - Ce sont les cigarettes du bureau de PLOMBIERES, qui a été visité hier ! Je lui répondis : - Vous pouvez les fumer si vous voulez ! Puis un camion allemand passe, chargé d'un matériel hétéroclite ; à sa vue, je lui dis : - Vous pouvez me fusiller, ce qui me console, c'est que les copains se barrent ! Aussitôt, il alla au-devant du camion et il le fit stopper, mais une moto suivait, pilotée par un Allemand et il comprit sa méprise (il croyait que c'étaient les copains du garage qui se sauvaient). Sur ce, il me dit : - Ne t'en fais pas, ils ne vont pas loin et ils reviendront ! Les autres miliciens reviennent, une voiture arrive également. C'étaient les deux chefs de la milice ; l'un portait des lunettes et j'avais déjà eu affaire à eux pour le travail au garage. - Tiens ! C'est donc toi qui voulais voler nos camions, monte et nous allons voir ça ! Ils me conduisirent au garage : - Nous avons arrêté ton camarade ! Mais, à ma grande joie, il y avait erreur, je ne connaissais pas celui qui était là, mon camarade avait donc réussi à s'échapper. Ils me félicitèrent alors ironiquement de notre préparation. Je restai quelques instants sous surveillance et ne savais à quoi attribuer les égards que l'on prenait pour moi. Je dis à mes gardiens : - Inutile de me faire traîner. Fusillez-moi tout de suite ! Sur ce, ils rirent et me dirent : - Le cas est moins grave que cela, puisque vous n'étiez pas armé, car nous avons cherché et n'avons pas découvert d'armes ! Les chefs me font monter en voiture et me conduisent rue Hoche. Ils disent - Tu veux donc être fusillé ? Mais non, mon vieux, nous allons être copains, tu feras nos réparations de voitures. Nous avons déjà recruté des maquisards : cinq dernièrement, et ils sont contents d'être avec nous. Tiens, en voilà un ! Et sur ce, il me montra une tête d'abruti qui faisait une corvée quelconque. Je lui répondis : - Je doute fort que vous ayiez un pareil résultat avec moi, mais ne me comparez tout de même pas à un pareil type ! Je fus gardé à vue au poste de garde, le chef de garage vint me rejoindre et nous y passâmes la journée. Dans l'après-midi, nous eûmes la visite de Mr l'Intendant, qui faisait le nécessaire pour nous faire libérer. Le chauffeur qui l'avait conduit vint au poste et me dit : - Tout va bien, BERTHET est passé avec PERRIERES et PIOT, tu peux te décharger sur lui ! Ce fut alors un grand soulagement pour moi, je pouvais dès lors causer pour mon interrogatoire sans compromettre personne. Malgré l'insistance de Mr l'Intendant CURRIER, les miliciens refusèrent de nous libérer avant de nous avoir interrogé. J'entendis Mr l'Intendant dire : - Alors, c'est non ! Vous savez à qui vous avez affaire, vous ne viendrez plus rien me demander ! Nous fûmes conduits dans une pièce où deux femmes miliciennes étaient occupées à repasser. J'entrai en conversation avec elles pendant que l'on interrogeait mon chef de garage. J'appris que le chef milicien avait reçu un coup de téléphone vers minuit au sujet de notre départ. Je fus introduis à l'interrogatoire après mon chef. Renseignements d'identité d'abord, par un des huit miliciens qui étaient là. Puis l'un d'eux me dit : - Sais-tu ce qu'ils ont fait, tes copains de la Résistance ? J'avais un garçon de cinq ans, ils l'ont coupé en morceaux et l'ont mis devant ma porte ! A quoi je répondis : - Ce n'est pas vrai, des Français n'ont pas pu faire cela. Ce n'étaient pas des Français, mais des maquisards ! La séance s'annonçait bien. Puis des questions me furent posées au sujet de nos intentions. J'expliquai que nous devions rejoindre un groupe F.F.I. pour monter une section de dépannage. J'étais sous les ordres de Mr BERTHET et je ne savais pas du tout où j'allais. J'avais pour consigne de suivre la voiture qui me précédait et qui était celle du chef du convoi. Ils me questionnèrent également sur mes idées politiques : - Mon seul désir, dis-je, est de voir les Boches foutre le camp ! Ils dirent alors : - Nous aussi, mais trop peu nous comprennent. Alors je ne comprends plus ! Tiens, regarde, voici monsieur qui est ingénieur, cet autre qui est directeur d'une firme de carburant, etc… Du reste, tu as été en contact avec nous au garage. Tu as dû remarquer que l'adjudant COQUELLE était chic. Evidemment, cependant, ses hommes nous avaient menacé et nous avaient dit : " Si vous ne travaillez pas pour nous, nous vous y obligerons à coups de mitraillettes ! ". Un des hommes présents reconnut l'exactitude de ce que je disais. Plusieurs me dirent : - Vois-tu, tu as foi en la victoire anglaise, tu ne feras que changer d'occupant ! Et mon interrogatoire se termina sur ces mots. Je passe sur la conduite du chef de poste, lequel m'a fait fumer et boire. Jusqu'à ce jour, j'avais toujours refusé de boire avec un milicien, mais aujourd'hui, au poste, je sentais bien que ce n'était pas pour m'acheter, et que ce milicien sentait déjà la défaite. Il me dit : - Ils peuvent venir, tes copains du maquis, je n'ai rien à me reprocher, je me suis mis là-dedans pour ne pas partir en ALLEMAGNE ! Une voiture de la police vint me chercher et m'emmena au poste où je passai la nuit sur le bat-flanc dans une pièce fermée, d'une inimaginable puanteur. Le lendemain, on me conduisit à Mr l'Intendant de Police, qui me dit : - Après votre coup manqué, l'air de DIJON ne vous vaut plus rien, en représailles, je vous mute à BELFORT, que vous rejoindrez dans les plus brefs délais par n'importe quel moyen, en vélo si vous voulez ! Je lui fis remarquer que, n'étant pas fonctionnaire, je lui devais seulement l'obéissance qu'un employé pouvait avoir pour son directeur, et qu'auparavant, je tenais à aller voir ma femme. Il me répondit : - Nous sommes entièrement d'accord. Votre femme est à CHATILLON ? Sur mon affirmative, il se tourna vers un employé et lui dit : - Il y a pas mal de maquis dans cette région ! Il aurait fallu être niais pour ne pas comprendre. Je l'avisai alors que les miliciens m'avaient pris mon portefeuille et que j'étais sans papier. Il téléphona aussitôt et je pus réclamer mon portefeuille, qui me fut remis. Je retournai à ma pension pour les rassurer, pris quelques affaires, un sac à dos, et la décision de rejoindre le groupe de maquis en vélo. Je ne lui apportais comme appoint que ma bonne volonté. Après plusieurs alertes le long de la route, j'arrivai sans encombre au café DORET, à AGEY, où nous devions être attendus la veille. La convention était de demander le chemin de REMILLY. On m'indiqua bien le chemin, mais ce n'était pas cela que je voulais. En cours de route, je rencontrai un cycliste porteur d'un brassard de la CROIX-ROUGE. Je l'arrêtai et lui confiai l'objet de mes recherches. Il me parut très embarrassé et m'envoya vers le laitier. C'est alors qu'à l'entrée du pays, j'aperçus deux gars, l'un armé d'un fusil mitrailleur et l'autre d'une mitraillette. Je m'approchai alors tout joyeux en leur disant : - Ah ! Vous voilà, c'est de la veine ! (Je sus après que c'étaient nos braves Albert et POLY). Pas plus communicatif que cela, Albert me tint en respect et me demanda : - Qui es-tu ? D'où viens-tu ? Je les mis au courant, et comme ils connaissaient l'histoire, ils me firent confiance. Albert me conduisit chez un habitant où je me défis de mon vélo et, la nuit étant venue, il me monta au camp. En cours de route, je lui fis part de mon étonnement de l'aisance avec laquelle il circulait. Il me répondit : - Il ne faut pas t'en faire, mon vieux, ici, tu es en FRANCE libre, aucun Boche n'a accès, nous sommes les maîtres ! Arrivé au camp, après un bon quart d'heure de marche, je fus conduit à la cuisine où la soupe était déjà servie. Je trouvai dans le chef cuistot une figure de connaissance. J'appris que notre capitaine n'était pas encore rentré, mais ne tarderait pas. J'aperçus un groupe d'hommes entourant un prisonnier. Alors surgit un homme en short, chapeau de feutre mou, une musette sur la poitrine, le regard dur : - Connais-tu ce milicien ? Je répondis par la négative. - Et toi, comment es-tu monté ici ? - C'est votre fusil mitrailleur qui m'a amené, je l'avais rencontré à REMILLY. - Tu as eu de la chance ! Il est probable qu'avec moi tu ne serais pas monté si haut ! J'avais deviné le chef, mais ne sentais pas l'importance de ces paroles. Un des cuisiniers m'accompagna me coucher et resta près de moi jusqu'à minuit, me demandant des renseignements sur ce que j'avais fait et les raisons qui m'amenaient au maquis. Au cours de la conversation, nous nous trouvâmes des amis communs et nous devînmes vite camarades. Le matin, je me trouvai au milieu de gars tous bien jeunes relativement à moi. Ils avaient entendu ma conversation avec le cuisinier, et je ne trouvai que des regards sympathiques. Je les suivis au jus et là, le chef cuistot me dit : - Tu as de la chance que je te connaissais, car tu étais pris pour le chauffeur de l'Intendance qui avait trahi et le capitaine voulait te loger une balle dans la tête ! Il exagérait sûrement, car je vis par la suite que de pareilles décisions n'étaient jamais prises à la légère. Je retournai à la tente où quelques instants après un des lieutenants FIFI vint me demander les renseignements exigés pour mon incorporation et me dit de prendre un nom de guerre. Je me souviens des temps de mon enfance où l'oncle qui m'a élevé m'appelait PISTOULET. Je devins donc PISTOULET, matricule 1414, et j'en suis très fier. Dans le courant de la journée, le capitaine me fit appeler. Il me questionna très longuement sur notre expédition manquée. De mon côté, j'étais assez déçu, car mes points de vue étaient évanouis. Je comptais rejoindre une formation où j'aurais pu apporter mes qualités professionnelles, avec plus de vingt-cinq ans de pratique. Le capitaine me fit part de son regret de ne pouvoir me diriger sur le maquis d'OUROUX comme il l'avait fait pour Mr BERTHET et ses camarades. Ce qu'il lui fallait, c'étaient des hommes pour le baroud. En attendant et vu mon âge, il décida de me verser dans le groupe des artificiers. Je passai ainsi les premiers jours aux corvées de bois, d'eau, de légumes. Je participai à la garde, au guet. Il va de soi que la confiance des missions ne m'était encore pas acquise, et je n'y prenais part que sous la tente quand elles nous étaient relatées par les camarades, de retour. Mon chef de groupe, SANCHO, me racontant l'attaque d'une voiture légère allemande à PONT-de-PANY, me disait : - PISTOULET, tu viendras la prochaine fois, tu verras, on se croirait au cinéma ; si tu savais, quand on voit que le but approche, cela fait une émotion ! Mais je vous en fiche, les jeunes qui entendaient et qui n'y étaient pas allés non plus, protestaient : - C'est à nous, on s'emmerde ici !

**

Patrouilles effectuées sous les ordres de LESAGE Robert et de GEORGES Michel. Un détachement auto est constitué : trois chauffeurs, un mécanicien. La réquisition de deux camionnettes en parfait état est envisagée. DORET et MOUCHOT sont désignés pour opérer plusieurs exécutions sur DIJON, à la suite de la transmission d'une liste de suspects par notre responsable BENE. Tous ceux dont les noms figurent sur la liste doivent être tués. DIDIER Paul, pseudo Stanislas, adjudant-chef d'active, qui avait été incorporé comme chef de groupe, s'est, au cours d'une mission à REMILLY-en-MONTAGNE, livré à du chantage dans plusieurs maisons du village. Il s'est présenté comme étant le nouveau chef de camp et s'est fait remettre du vin en brandissant son revolver. Je l'envoie chercher à son groupe puis, perdant patience, je vais à sa rencontre. Je le trouve au milieu du sentier joignant les postes de garde et lui administre une correction en règle. Je fais appeler son chef de section, TARLET, et l'informe qu'à compter de ce jour Stanislas servira comme deuxième classe ; si sa tenue laisse à désirer, soit en corvée, soit au camp, je tiens à en être immédiatement informé et n'hésiterai pas à le fusiller sur le champ. Mme MORELOT, liaison DIJON-AGEY, remet une cinquantaine d'affiches signées du colonel commandant la région BOURGOGNE et FRANCHE-COMTE. Elle a été arrêtée par deux barrages allemands et s'en tire à bon compte. Au rassemblement général que je provoque, je donne lecture de la proclamation à tous les membres de l'Unité. La voici "in extenso".

GOUVERNEMENT PROVISOIRE

DE LA REPUBLIQUE FRANÇAISE

FORCES FRANÇAISES DE L'INTERIEUR

Commandement Régional de Bourgogne

et de Franche-Comté

_______

Au moment où se livre sur notre sol la bataille décisive dont l'enjeu est pour nous la libération de la FRANCE, il importe que tous les Français prennent conscience de leurs responsabilités, et apportent leur contribution au succès des opérations. Ce manifeste a pour but de situer la position de la Résistance et des F.F.I. Ainsi seront dissipés les malentendus et les équivoques qu'une propagande mensongère a voulu créer pour égarer l'opinion. La Résistance Française est née du refus de la défaite, refus non motivé, qui ne s'appuyait sur aucun raisonnement, aucun intérêt, il venait du plus profond de notre être, du sentiment instinctif que, malgré un tel effondrement, l'honneur du pays pouvait être sauvé. La Résistance Française a pris pour mission de maintenir l'honneur. Elle a groupé tous les hommes pour qui une telle mission paraissait désormais, malgré son apparente inconséquence, la seule raison de vivre. Incarnée par son chef, le général DE GAULLE, la Résistance n'a cessé durant quatre ans de suivre" la voie la plus dure, mais aussi la plus habile, la voie droite " . Aujourd'hui, la Résistance voit se réaliser l'espoir, chimérique alors, de la reprise de la lutte armée contre l'envahisseur. Toutes les forces para-militaires qu'avaient mises sur pied les mouvements de Résistance, se sont unifiées pour constituer les FORCES FRANÇAISES DE L'INTERIEUR. Les F.F.I. constituent une armée régulière, entraînée, disciplinée, encadrée. Elles font partie intégrante de l'armée française. Elles ont pour chef le général KOENIG, le héros de BIR-HAKEIM, et sont placées sous l'autorité du commandement suprême interallié. Les F.F.I. font la guerre. Pour elles, tout est centré autour de cette dure nécessité…, leur mission la plus impérieuse est de s'attaquer au dispositif ennemi : Retarder par tous les moyens l'acheminement des convois routiers ou ferroviaires de l'ennemi. Désorganiser son appareil de liaison et de transmission. Détruire ses dépôts de matériel, de munitions, d'armes et de vivres. Aucun objectif n'est désigné arbitrairement par une initiative locale, mais chaque mission entre dans les cadres d'un plan d'action général, établi depuis plusieurs mois. Les F.F.I. ont également pour mission de pourchasser les Français, traîtres à leur pays : collaborateurs, miliciens, membres de la L.V.F. affiliés à la Gestapo, militants du P.P.F. ou du R.N.P. Ces traîtres sont jugés régulièrement et châtiés comme ils le méritent. Enfin, les F.F.I. s'opposent par tous les moyens au terrorisme, au brigandage, au pillage. Des ordres formels ont été donnés pour que soient passés par les armes, séance tenante, tout individu ou groupe qui s'est rendu coupable d'un de ces délits. C'est à vous, Français, de nous le signaler ! Toute réquisition (sauf chez les collaborateurs notoires ou agents de l'ennemi) est réglée : soit par paiement direct, soit par bons réguliers dûment numérotés, timbrés, et signés conformément à la lettre de service de l'autorité F.F.I. requérante. Les F.F.I. représentent, à l'heure actuelle, la seule autorité française, ayant un pouvoir légal sur l'ensemble du territoire. La population doit donc se considérer comme vivant désormais sous la loi martiale française. En vertu des pouvoirs qui nous sont conférés par le Gouvernement Provisoire de LA REPUBLIQUE, nous exigeons donc que la population obéisse aux directives suivantes : I] l'ensemble de la population française est mobilisé au service de la nation. Elle doit fournir une aide totale aux F.F.I., et pour cela : 1°) Déférer à toutes réquisitions, prestations ou services qui seront demandés. 2°) Fournir tous les renseignements de tous ordres, dont le commandement peut avoir besoin. 3°) Refuser aux autorités d'occupation temporaire toute réquisition, prestation ou service, chaque fois que cela vous est possible. 4°) Refuser d'obéir aux directives données par le pseudo-gouvernement de VICHY. 5°) Observer la discrétion la plus absolue sur ce qu'elle peut savoir de la Résistance. Entre le bavardage inconsidéré et la délation, il n'y a qu'une nuance. L'un et l'autre seront impitoyablement châtiés. " Se taire est un ordre ! ". 6°) Offrir asile ou assistance à tous les membres de la Résistance. 7°) Repérer tous les agents travaillant pour le compte de l'ennemi, les signaler aux F.F.I. au plus tôt. II] Les administrations publiques et les grands services doivent se mettre à l'entière disposition des F.F.I. Les mairies, les postes, les préfectures, les services de transports routiers S.N.C.F. doivent activement ou passivement entraver le fonctionnement des services allemands. Ils doivent fournir aux F.F.I. tous les renseignements qu'ils peuvent obtenir et leur désigner les objectifs qu'éventuellement ils pourront repérer. III] Les forces de police, la gendarmerie, le G.M.R. doivent faciliter la tâche des patriotes. Ils ne doivent pas confondre terroristes et F.F.I. Tout agent de police, gendarme, G.M.R., qui participera à une action contre les F.F.I. sera puni de mort.

Fait le 14 Août 1944.

Le Colonel commandant la Région.

FICHOT, SINGEY, GEORGES, ROYER, MARANGE sont désignés pour afficher dans seize communes avoisinantes cette proclamation. Liaison avec l'état-major départemental. Je n'ai pas encore une confiance absolue et je décide d'attendre la liaison seul debout devant la croix d'AGEY. Je me fais couvrir par deux barrages, l'un à proximité de la ferme de BEAUMOTTE, l'autre à mi-chemin de la croix et d'AGEY. Ordre de laisser passer la ou les voitures, surveiller les conversations qui vont s'engager et, si je lève le bras, tirer à mort dans le tas, tant pis si je suis tué. A 10 heures, la voiture de liaison arrive. Tout est normal, je reçois 100 000 francs et quelques grenades, pas d'armes automatiques. J'adresserai un compte-rendu à l'état-major pour situer avec exactitude mon Unité. (Effectif, organisation, armement, moyens de transport, ravitaillement, missions, liaisons, recrutement, encadrement, résultats obtenus). J'enverrai également un compte-rendu à chaque nouvelle action ou mission. Le commandement fixe officiellement le secteur de l'Unité de GROSBOIS à PONT-DE-PANY et au-delà, consacrant ainsi un état de fait. 22 Août 1944 CHATELET, TAILLEFER et DARMLIGNY effectuent une reconnaissance dans les bois environnants, rien à signaler. FICHOT est chargé avec son groupe d'attaquer et de détruire un camion allemand allant de VEVEY à BARBIREY. Cette attaque aura lieu demain matin au petit jour. Elle est préparée par FICHOT, qui reçoit entière liberté de manoeuvre. Les mines et dispositifs sont en place à 2 heures du matin. FICHOT, malgré une chute douloureuse (entorse au genou gauche) continue à assurer le commandement de la mission. A 4 heures du matin, Mr AMIOT, de BARBIREY, vient de communiquer à FICHOT un important renseignement : - Les Allemands viennent d'être avertis de la présence du barrage ! En conséquence FICHOT donne l'ordre d'enlever les mines et décroche avec tout son personnel. GREE et FORT réquisitionnent à PONT-DE-PANY du tabac, de la viande et la camionnette RENAULT d'un collaborateur notoire, Mr GREBILLE. Ce véhicule est enlevé à proximité de soldats allemands. Il m'est signalé qu'un troupeau de bêtes réquisitionnées par les troupes allemandes est en station à PONT-DE-PANY. J'envoie immédiatement une mission sous les ordres de TARLET. Aux premières rafales de mitraillettes les sentinelles allemandes se sauvent et nos hommes s'emparent de douze bêtes, qui sont mises en pâture à proximité immédiate du camp. Missions diverses exécutées au cours de la journée par FORT, SCHWINTE, SINGEY, MOUCHOT, ROYER, COURAGEOT, LELIEVRE, CARLEVATTO. MARANGE, rentré la veille, est volontaire pour aller à OUROUX contacter le colonel anglais HASTING, chef des services de parachutage, pour essayer d'obtenir des armes automatiques, qui nous font grandement défaut. Il part avec BOUCHARD, en empruntant une voiture et un cheval à Mr LALLIGANT, fermier à BEAUMOTTE. Le chargement est constitué par de la paille et une caisse à claire-voie servant habituellement au transport des petits cochons. Arrivé à SAULIEU, la ville est en alerte, remplie de S.S., plusieurs automitrailleuses allemandes stationnent. MARANGE gare la voiture et s'approche des détachements ennemis. Ceux-ci sont chargés d'assurer la garde et la protection de l'ex-maréchal PETAIN. Les habitants de SAULIEU voient passer le vieux traître. Deux heures plus tard, des éléments F.F.I. venant de MONTSAUCHE arrivent pour attaquer le détachement allemand, c'est trop tard, ils ne peuvent que faire quelques prisonniers parmi les personnalités de la suite de PETAIN. Quelques instants plus tard MARANGE prend contact avec COCO, des F.F.I. de la région, et ce dernier lui passe en communication la proclamation du maréchal gâteux. Dans l'après-midi, départ pour OUROUX. Contact avec le capitaine anglais DENBY. La mission stationne presque deux jours et n'obtient pas d'armes. MARANGE désespère d'obtenir un résultat, lorsqu'à la suite de circonstances heureuses il participe à une mission pour le compte du maquis. Deux agents ennemis étant signalés dans la région, il prend part à une patrouille effectuée en auto. Vers la fin de la mission, il a contact dans un café avec le capitaine Serge, commandant un important maquis F.T.P.F. Ce dernier est charmant, et promet à MARANGE d'essayer de le dépanner. BOUCHARD et MARANGE se rendent au maquis Serge et sont présentés au lieutenant DEDE, commandant d'un autre maquis F.T.P.F. occupant ANNAUT et plusieurs autres localités. Un parachutage doit avoir lieu dans la nuit. Il a lieu, mais un seul avion décharge sa cargaison. Malgré ce contretemps DEDE remet à MARANGE un fusil mitrailleur anglais, 40 chargeurs et plusieurs milliers de cartouches. De retour au maquis Serge, ce dernier remet également un fusil mitrailleur anglais, chargeurs et cartouches à MARANGE et BOUCHARD, qui sont accompagnés jusqu'à SAULIEU. Le retour s'effectue au milieu des convois allemands. Aux environs de POUILLY-EN-AUXOIS la mission tombe dans un barrage F.F.I. Le commandant de l'embuscade, qui dispose d'une trentaine d'hommes, procède à l'interrogatoire de MARANGE et de BOUCHARD. MARANGE répond : - Je transporte deux F.M. et des munitions pour le service de ces armes, pour la compagnie MADAGASCAR ! Pendant ce temps les trente maquisards se mettent en position face à la voiture. Le commandant, après être resté un moment silencieux, déclare : - J'ai besoin d'armes et suis obligé de vous prendre ces deux fusils mitrailleurs ! MARANGE lui répond : - Nous ne venons pas de risquer notre peau pour nous laisser désarmer par les premiers venus ! Et aussitôt, dégoupillant une grenade, il lui dit : - Au moindre geste nous sautons tous les deux ! Pendant ce temps, BOUCHARD saisit dans la voiture un fusil mitrailleur, l'approvisionne et le braque sur le groupe. Devant l'attitude résolue de mes deux hommes le commandant donne l'ordre de laisser passer. MARANGE et BOUCHARD se rendent alors à POUILLY, chez Mr CHAUSSIER, où ils passeront la nuit. La maison est transformée en blockhaus et les deux fusils mitrailleurs sont mis en batterie, un au rez-de-chaussée, servi par Mr CHAUSSIER, l'autre au premier étage, servi par MARANGE et BOUCHARD. La nuit s'écoule sans incident.23 Août 1944 GARNIER Raoul est désigné pour assurer les fonctions de boucher. Deux bovins seront tués chaque semaine parmi les bêtes enlevées aux Allemands. Une fois l'approvisionnement de l'Unité assuré, la viande disponible sera vendue soit à AGEY, soit à REMILLY, à tous les habitants des villages voisins, à la taxe. Paul ROYER, Albert FORT, SCHWINTE réquisitionnent chez des particuliers de l'essence. (Des stocks clandestins avaient été constitués par des paysans de la région lors de la débâcle en 194O, une péniche stationnée aux environs de SAINTE-MARIE-SUR-OUCHE ayant été vidée de son contenu par les riverains). Je dispose de 3OO litres de carburant. DIEUDONNE et FAIVRE, en mauvais état de santé, sont évacués et hébergés par Hébert, de SOLES. Réparation des véhicules au parc par MARTIN Marcel. Un infirmier est chargé du service sanitaire au camp. Il passera chaque matin la visite des malades, qui sont en très petit nombre et qui, à l'exception de DIEUDONNE et FAIVRE, refuseront toujours de se faire évacuer. L'infirmier reçoit l'ordre de me soumettre personnellement les cas graves qu'il rencontrera. 24 Août 1944 J'envoie SINGEY faire émarger aux maires des villages avoisinants une note de service en application des dispositions de la proclamation du colonel commandant les Forces Françaises de la région D. (BOURGOGNE et FRANCHE-COMTE). Je rencontre à PRALON, chez SEGUIN, le commandant Guy ALLISON, commandant départemental F.F.I. Au cours de notre conversation le commandant m'informe des différents lieux de liaison. Les opérations contre les troupes ennemies doivent s'intensifier. De mon côté je fais connaître que j'ai un besoin très urgent d'armes et de munitions. Beaucoup de recrues se présentent que je ne peux accueillir de ce fait seulement. De plus, j'ai des groupes qui ne disposent que d'un armement ridicule. Il est convenu que je percevrai armes et munitions dès que possible. J'aurais aimé une réponse ferme. Cependant la venue du commandant a éclairci la situation et m'a permis de situer les différents secteurs des groupes voisins. Je charge à mon retour M.M. PREVOSTO et Jeannot d'organiser un poste de secours au château d'AGEY. 25 Août 1944 Je prends cette journée pour passer une inspection dans chaque groupe sans avertir et également pour faire le point. MARANGE n'est pas encore rentré d'OUROUX, je n'ai cependant aucune inquiétude à son sujet. Il doit passer et rentrer sain et sauf. Quelques missions s'effectuent. Dans l'après-midi, AMIOT, de BARBIREY, me demande une entrevue à AGEY. Je me rends au rendez-vous en compagnie de Paul ROYER et FICHOT. AMIOT est accompagné d'un civil qui refuse de dire son nom. Celui-ci me demande de reprendre aux Allemands son camion qui vient d'être réquisitionné. Je lui fais comprendre que ce travail ne m'intéresse pas, il lui appartenait de mettre son camion à notre disposition avant. Il me fait alors connaître l'horaire et l'itinéraire suivis par les camions ennemis au camp de SAINT-JEAN-DE-BOEUF. Dans ces conditions, je l'informe que j'établirai une embuscade. Aussitôt, l'inconnu me remet une somme de 20 000 francs, don pour l'Unité. Il donne en outre à FICHOT tous les renseignements complémentaires sur les mouvements des véhicules ennemis. FICHOT est donc chargé de préparer l'embuscade. Aucune date ni aucun autre détail ne sont communiqués à AMIOT et à X…, qui nous quittent. Une colonne allemande passant sur la Route Nationale n° 5 et ayant dépassé la République agresse plusieurs civils travaillant dans les champs. Jeannot, notre infirmier, se rend à la ferme de BEAUMOTTE, où se trouvent les blessés, et en l'absence du médecin leur donne les premiers soins. D'après des renseignements parvenus de DIJON, par l'intermédiaire de NAGEL, il est possible d'enlever les armes stockées à l'Intendance de police de DIJON, rue d'Assas. Sont désignés pour participer à cette opération : BOBEY, MOUCHOT, CONTASSOT et MAILLY Victor. Départ demain matin à 8 h 30. Prendre contact avec l'équipe travaillant sur DIJON et établir minutieusement le rôle de chacun. 26 Août 1944 La mission de récupération d'armes part pour DIJON. LELIEVRE et LESAGE partent au ravitaillement. A 16 heures, FICHOT, SINGEY et GEORGES quittent le camp. Ils vont établir une embuscade sur la route qui mène au camp de SAINT-JEAN-DE-BOEUF. Les trois hommes sont à pied d'oeuvre à 20 heures. FICHOT creuse la route pour pouvoir effectuer la pose des mines. Il est couvert dans chaque direction par un de ses camarades. A 20 h 45 le dispositif est prêt. Un ronflement de moteur se fait entendre, aussitôt tous se dissimulent. Le camion se dirige sur SAINT-JEAN-DE-BOEUF, contrairement à l'itinéraire prévu. Il passe sur le dispositif mais rien ne saute. FICHOT décide d'attendre encore quelques minutes, puis d'aller voir la cause du non-fonctionnement. Arrivé à quelques mètres, nouveau bruit de moteur ; aussitôt tous s'aplatissent une nouvelle fois. Ils ont la joie de voir sauter un camion plein de troupes. La cabine est littéralement broyée. Les Allemands hurlent, mais réagissent, ils tirent de tous les côtés et les projectiles sifflent aux oreilles de mes hommes. Le premier camion allemand a fait demi-tour, et les Allemands se prennent mutuellement à partie pendant que mes hommes décrochent et réussissent à quitter la zone dangereuse. Un camion ennemi détruit, quatre tués, trois morts des suites de leurs blessures et de nombreux blessés. Les 20 000 francs sont bien gagnés. La mission rentre au complet à 7 heures du matin, après avoir séjourné une partie de la nuit dans les bois. A 19 h 30 une autre mission, composée de CHATELET, DIDIER Albert, TRUILLOT Jules et IMBERT Robert, quitte le camp et se dirige vers la voie ferrée PARIS-DIJON. Elle réussit à couper la voie et rentre au complet à 3 heures du matin. Pendant cette journée j'ai donné l'ordre formel à tous les cafés des villages avoisinants de refuser de servir à boire aux membres de l'Unité. Je porte également à la connaissance des chefs de groupe que tous les cafés sont consignés. Le ravitaillement marche sans à-coup. La nourriture et la boisson sont largement suffisantes maintenant. Des sanctions seront prises contre les coupables. 27 Août 1944 1 h 30. MOUCHOT, MAILLY, CONTASSOT et GODE sont de retour. La mission à DIJON a échoué. Au moment où le stock d'armes allait être enlevé, un S.S. et deux miliciens surprirent MOUCHOT qui, tirant à bout portant, tua l'Allemand et un milicien, l'autre se sauva et, poursuivi par MOUCHOT, fut abattu dans la cour. La camionnette qui devait servir au transport d'armes et qui avait été réquisitionnée chez Mr MALTETE a été abandonnée dans la cour de l'Intendance de police. Un homme manque, c'est BOBEY. BESSE et GEORGES partent en mission à PLOMBIERES pour rechercher le traître BRUGIERES, des G.M.R. CHATELET, BRAC, DUCAROUGE et TAILLEFER préparent une embuscade sur la Nationale n° 5 ; ils rentrent dans la nuit sans avoir pu accrocher. ROYER et SCHWINTE effectuent une liaison chez JEANNIARD, à MEUILLEY. LELIEVRE et LESAGE vont en corvée de ravitaillement. Didier Albert et IMBERT Robert font une enquête à FLEUREY. MOUCHOT et IMBERT Albert partent pour effectuer des recherches afin de retrouver BOBEY, disparu à la suite de la mission manquée. GODE et DORET sont chargés d'enlever la voiture de liaison appartenant à l'Intendant de police. Cette voiture nous a été signalée comme ayant été garée à BROCHON. Ils ne la trouvent pas et sont suivis en regagnant le camp et après avoir passé à GEVREY-CHAMBERTIN par quatre jeunes gens, avec qui ils prennent contact à QUEMILLY. Ceux-ci recherchent une liaison. Ce sont : ALADENISE Bernard, BURGUET Yvon, TERRET Noël, LENTZEN Pierre. DORET leur fait connaître qu'il rendra compte et reviendra les chercher le lendemain matin.28 Août 1944 DORET ayant mon accord se rend à QUEMILLY pour retrouver les quatre jeunes gens de CHEVREY-CHAMBERTIN. Il ne les trouve pas, ceux-ci s'étant dirigés sur FLEUREY-SUR-OUCHE. Il les rejoint dans ce pays et les monte au camp. Le matin, une mission est partie pour récupérer de l'armement à PLOMBIERES (GEORGES, BESSE, LAGRANGE et ROBIN). LELIEVRE et LESAGE partent également en réquisition. Lorsque l'équipe de GEVREY arrive au camp, je les interroge. Tous déclarent que, faisant partie d'un petit groupe de résistance sédentaire sous les ordres de LEIBUNDGUT et ce dernier venant d'être arrêté par les Allemands, ils ont jugé plus prudent de prendre le large. Interrogés sur la disposition des forces allemandes dans la région et des dépôts ennemis, ils me signalent l'existence à proximité de GEVREY d'un stock d'essence allemand. Je décide d'envoyer le lendemain matin mon second ROYER Paul à GEVREY pour reconnaître l'emplacement du dépôt et effectuer une reconnaissance complète afin de préparer l'attaque et l'enlèvement d'un stock important de carburant. Un des hommes venant d'arriver l'accompagnera : BURGUET est volontaire. Les quatre recrues sont affectées au groupe commandé par GEORGES. J'effectue une liaison à MALAIN chez BENE, je mets au courant mon responsable F.T.P.F. des divers contacts établis avec l'état-major F.F.I., lui rends compte des sommes que j'ai perçues et des promesses qui m'ont été faites. Il est convenu que mon Unité reste subordonnée à l'état-major F.T.P.F. et qu'elle sera prête comme par le passé à effectuer toutes les missions qui pourraient lui être confiées. C'est grâce à l'organisation F.T.P.F. qu'elle a pu naître et se développer. Le soutien moral qui m'a été fourni en toutes occasions par BENE m'a été particulièrement précieux au cours des très dures journées que nous avons vécues. ROYER, FORT et GREE réquisitionnent une camionnette " MATFORD " à VELARS. Pendant que Mr BOULLANT, garagiste, met cette voiture au point, la mission prend contact avec Mr LOCATELLI, qui signale la présence à la PERGOLA d'un S.D. qui consomme en compagnie d'une femme. ROYER prend contact avec PAQUETTE, qui lui confirme les renseignements de LOCATELLI au cours du repas pris au domicile de PAQUETTE. La réparation de la voiture terminée, mes trois hommes procèdent à l'arrestation de l'homme et de la femme, qui sont embarqués dans la camionnette. De retour de MALAIN, je trouve la camionnette à AGEY. Les papiers saisis sur l'homme ne laissent aucun doute sur son activité. La femme proteste de son innocence, elle est relâchée. L'homme est conduit au camp, où il est exécuté sur le champ. Dans la journée, un message arrive au camp, MARANGE signale son retour, il est à POUILLY, chez CHAUSSIER. Aussitôt, BRAC, DUCAROUGE, AUFRERE et FOLIGUET partent à leur rencontre, les rejoignent à POUILLY. Ils sont de retour au camp à 19 heures. Les fusils mitrailleurs anglais font l'admiration de tous. SCHWINTE reconduit la voiture et le cheval à son propriétaire, Mr LALLIGANT, de la ferme de BEAUMOTTE. Après l'exécution du S.D., une liaison venant de DIJON me transmet un message de mon officier de renseignements NAGEL, qui vient d'établir un contact avec BRANTUS. Un rendez-vous est prévu aux environs de SELONGEY. " Prière de rechercher un terrain de parachutage à proximité du camp et d'en transmettre immédiatement les cotes ". Le message transmis par radio avec les renseignements sera le suivant : " Le MALGACHE est un bon type ". Dès le retour de MARANGE je l'appelle et le mets au courant. Il repartira demain matin et assurera la mission en passant prendre NAGEL à DIJON. J'effectue avec MARANGE une rapide reconnaissance et choisis un terrain aux environs de la ferme de L'OIZEROLLES. Référence carte d'état-major type 1889, révisée en 1913, BEAUNE, n° 125. Centre du terrain : x = 253.3 ; y = 777.4 ; feux de balisage habituels après réception du message. Je vais préparer dès demain une équipe chargée du parachutage. L'écoute de la radio sera assurée par celle-ci en permanence aux heures d'émission. A 20 heures, GARNIER et TAILLEFER descendent à AGEY et procèdent à l'abattage d'une bête choisie dans le lot qui a été enlevé aux Allemands. 29 Août 1944 MARANGE quitte le camp de bonne heure en compagnie de Paul ROYER et de Victor SCHWINTE. Ils se rendent dans la maison de Mr PREVOTO, poste de secours urgent et poste de liaison. Une carte de la région COTE-D'OR et HAUTE-MARNE est installée sur une table et MARANGE établit l'itinéraire qu'il va suivre pour se rendre à SELONGEY. ROYER remontera au camp pour m'en communiquer les détails avant de partir lui-même à GEVREY en compagnie de BURGUET. Pendant ces préparatifs, deux jeunes gens ont été introduits, ils cherchaient le contact avec le maquis et, par l'intermédiaire de l'écluse 34, ils ont été conduits au poste de liaison. Ce sont LEIBUNDGUT et SANVOISIN. L'un d'eux, LEIBUNDGUT, s'adressant à MARANGE qu'il prend pour le chef, lui demande l'autorisation de repartir à GEVREY pour aller chercher ses affaires qu'il a oubliées. MARANGE demande : - Depuis combien de temps appartenez-vous au camp ? - Nous venons d'arriver ! déclare LEIBUNDGUT. - En ce cas, vous devez voir le chef ! Et MARANGE charge ROYER de conduire au camp les deux nouveaux. Comme ceux-ci ont assisté à la préparation de sa mission et que la demande de LEIBUNDGUT lui paraît insolite, il attendra, avant de repartir, que ROYER redescende du camp après y avoir conduit les deux nouveaux. Paul ROYER me les présente et me rend compte des soupçons de MARANGE. J'interroge LEIBUNDGUT, pendant que ROYER interroge SANVOISIN. LEIBUNDGUT m'apprend son arrestation par les Allemands, son odyssée et sa mise en liberté. Il me demande de repartir pour GEVREY, je refuse. Je le laisse libre de circuler dans le camp pour le mettre à l'épreuve et charge SINGEY et BRENOT de ne pas le perdre de vue et de l'abattre immédiatement s'il manifestait l'intention de quitter le camp. Au cours de ce premier interrogatoire, LEIBUNDGUT n'a soufflé mot de la liste en clair trouvée à son domicile par les Allemands. ROYER me rend compte des déclarations de SANVOISIN et part à GEVREY en compagnie de BURGUET. LELIEVRE et LESAGE partent aux corvées de ravitaillement. A midi, ROYER et BURGUET rentrent de GEVREY. ROYER me rend compte qu'ils se sont heurtés à des forces ennemies venues perquisitionner au domicile de tous les membres du petit groupe de GEVREY, les familles de ces derniers ont été pillées. ROYER et BURGUET ont échappé de peu au contact avec les forces ennemies. ROYER et BURGUET accusent formellement LEIBUNDGUT d'avoir trahi, et ROYER me dit - Il faut immédiatement le tuer ! Je refuse et fais appeler l'accusé, et, avant de l'interroger, je demande à SINGEY comment s'est comporté LEIBUNDGUT au cours de la matinée. J'apprends que l'accusé a posé de nombreuses questions au sujet des chemins d'accès, de l'armement, de l'effectif, des postes de garde et des endroits minés. LEIBUNDGUT est interrogé en présence de ROYER. Il explique alors qu'au cours d'une fouille à son domicile, les Allemands ont saisi une liste en clair contenant le nom de tous ses camarades de groupe. Interrogé plus tard par l'ennemi, LEIBUNDGUT, sans avoir été brutalisé, reconnaît que tous ses camarades et lui faisaient partie de la Résistance, il déclare également qu'il a désigné BURGUET comme chef du petit groupe. A ce moment, il a reçu de moi-même une paire de gifles : - Comment, toi, le chef, non seulement tu ne nies pas, mais encore tu reconnais spontanément que tous tes camarades sont résistants et tu désignes un autre à ta place ? Tu es vraiment un beau salaud ! ROYER veut à nouveau exécuter LEIBUNDGUT, je m'y oppose une fois encore et fais arrêter LEIBUNDGUT, qui est conduit sous la tente du groupe FICHOT, les mains et les pieds liés. SINGEY me répondra du prisonnier sur sa tête. ROYER est chargé de procéder à une enquête supplémentaire. Un compte-rendu est envoyé à notre responsable départemental F.T.P.F., BENE, de MALAIN. BESSE quitte le camp et part récupérer du matériel mécanique à BARBIREY. A 15 heures, je quitte le camp en direction de SOUSSEY, P.C. de l'état-major F.F.I. J'ai été convoqué pour percevoir de l'armement et des munitions. J'utilise à cette occasion la camionnette RENAULT, Albert FORT m'accompagne avec un fusil mitrailleur. Je prends en passant à SOLES, Hébert, qui est en liaison constante avec l'état-major. Au presbytère de SOUSSEY, échange du mot de passe, et nous montons à la ferme. A l'état-major, je suis reçu par le commandant Guy ALLIZON, le capitaine PAREME, le capitaine METZ et le lieutenant CORRIDA. Je mets rapidement au courant le commandant de l'affaire LEIBUNDGUT, lui signale que LEIBUNDGUT est en état d'arrestation et gardé sous une tente. Le commandant me donne son approbation pour juger, condamner et exécuter. Il me confirme à cette occasion sa note de service au sujet de la sécurité des maquis, à savoir : " En raison de l'intensification de la guérilla dans le secteur, des nombreux convois ennemis qui le sillonnent, et pour assurer au maximum la protection des maquis, ordre est donné d'exécuter immédiatement les coupables et même les suspects. La vie d'un homme ne compte pas en regard de celles de plus de cent ". (L'organisation F.T.P.F. m'avait déjà fait parvenir les mêmes instructions). Je perçois 45 fusils anglais, 1 carabine à répétition, 10 grenades, 20 vieux fusils, 1 fusil mitrailleur anglais. D'autres groupes perçoivent également des armes. Je proteste avec énergie, cette répartition n'est pas à ma convenance. J'ai surtout besoin d'armes automatiques ou à défaut de munitions pour le service de mes fusils mitrailleurs français. Ce sont les armes automatiques qui, à mon avis, sont seules nécessaires et suffisantes pour obtenir au cours d'une embuscade le résultat recherché : la destruction de l'ennemi. Seules elles ont la puissance de feu nécessaire. De leur nombre dépend la valeur combative d'une Unité. Occupant une position stratégique et isolée de première importance (contrôle de la vallée de l'OUCHE, de la Nationale n° 5, de la route de SAINT-SEINE et de la voie ferrée DIJON-PARIS), le nombre des embuscades que je puis mettre sur pied est fonction de ces armes. Mes hommes sont entraînés, prêts à accomplir toutes les missions à condition d'en avoir les moyens. Je suis obligé de les freiner et ne puis mettre sur pied simultanément une série de barrages constituant une interdiction systématique. J'estime qu'un droit de priorité devrait être réservé à mon Unité. (A titre indicatif, je signale qu'une Unité voisine du P.C., et armée par Mr ZOLL, avait à la libération plus de 50 fusils mitrailleurs non dégraissés). Je fais connaître au commandement les cotes de mon terrain de parachutage au cas où il serait possible d'obtenir directement un avion. Je regagne le camp en laissant Hébert à SOLES. Il est 20 heures, les armes sont stockées à l'armurerie. Elles seront distribuées dans les groupes demain matin. J'envoie DEROU Maurice et MAIRE Joseph donner l'ordre à MARTIN Roger de rejoindre immédiatement l'Unité. 30 Août 1944 Mon petit groupe est devenu une belle Unité, dont l'effectif dépasse la centaine. De plus, j'ai été particulièrement servi par la chance et dispose d'une équipe de cadres magnifiques. Grâce à leur dynamisme et malgré un armement ridiculement insuffisant, l'Unité va pouvoir infliger à l'ennemi plusieurs sévères punitions. EFFECTIF
Deux autres déserteurs : RAGONNOT et RIVOIRE, qui, après avoir signé leur engagement, ont disparu après le combat de la République. Tous deux étaient venus au maquis pour abriter leurs précieuses personnes, mais pas pour redonner à la FRANCE sa grandeur.
BOBEY part en mission et réquisitionne une motocyclette. FORT et LAGRANGE réquisitionnent deux bâches. La petite Renée MAILLY apporte au parc à voitures un message de l'état-major et plusieurs notes de service qui ont été transmises par la jeune PAULETTE Hébert, fille de notre liaison de SOLES. Je descends à AGEY après avoir dîné et contacte Mme MORELOT, venant de DIJON en liaison habituelle. Elle a été de nouveau arrêtée par deux barrages allemands. Elle a été fouillée, mais l'ennemi n'a pas trouvé les documents qui étaient cachés dans la douille de sa selle de bicyclette. Dans la soirée elle effectuera encore une fois le trajet DIJON-AGEY et AGEY-DIJON. Elle tombera malade quelques jours plus tard et devra être hospitalisée à la clinique " GAGNEREAUX ", à DIJON. Cette maladie est consécutive aux fatigues encourues au cours des diverses missions. Avant de regagner le camp, je rencontre à AGEY BENE, mon responsable départemental aux opérations. Celui-ci me fait connaître qu'ayant reçu mon compte-rendu au sujet de LEIBUNDGUT, il vient de procéder au camp à une enquête, après interrogatoire des camarades de LEIBUNDGUT et de ce dernier. Il me charge de réunir rapidement une Cour Martiale et me donne son avis : peine de mort pour LEIBUNDGUT. Je signale à BENE qu'en exécution de notes de service de l'état-major, tous les véhicules de l'Unité reçoivent une immatriculation départementale. La Croix de Lorraine est peinte sur les ailes et une étoile blanche très apparente est également peinte sur la carrosserie. De plus, sur chaque porte, l'écusson de l'Unité sera dessiné : croquis de MADAGASCAR, frappé de la Croix de Lorraine et de l'ancre coloniale qui m'est particulièrement chère. A 17 heures, je réunis et préside un Conseil de Guerre, avec deux chefs de section : SINGEY et ROYER, pour juger LEIBUNDGUT. LEIBUNDGUT comparaît. Il reconnaît une fois encore avoir eu à son domicile une liste en clair contenant les noms de tous les hommes de son groupe, et avoir confirmé aux Allemands ces renseignements sans avoir été ni frappé ni molesté par ceux-ci. Il semble ignorer que le seul fait de détenir une liste en clair est puni de mort. D'autre part, il ne peut expliquer pourquoi il n'a pas, dès son arrivée, révélé ce fait, laissant partir une mission à GEVREY, et n'avouant qu'au retour de cette mission. Le tribunal condamne, à l'unanimité, LEIBUNDGUT à la peine de mort. La sentence est immédiatement exécutable. Le condamné demande alors à être confronté avec ses camarades. Mis en présence de TERRET, BURGUET et LENTZEN, il leur demande de prendre sa défense. Ces derniers lui répondent : - Traître ! Salaud ! Lâche ! La cause est définitivement entendue. ALADENISE ne prend en aucune façon la défense de son chef et ne protestera jamais contre la sentence. Aucune indulgence ne m'est permise. La présence de LEIBUNDGUT au camp serait un sujet d'inquiétude pour tous. De plus, après la panique collective du 16 Août, j'ai le devoir de me montrer intraitable. LEIBUNDGUT demande alors comme faveur de commander le peloton d'exécution et refuse de se recueillir en déclarant qu'il n'est pas croyant. Pour ces corvées d'exécution particulièrement pénibles, je procède moi-même. C'est moi qui ai exécuté LEIBUNDGUT et lui ai donné le coup de grâce. Paul ROYER m'assistait. Dans la soirée j'ai contact à REMILLY-EN-MONTAGNE avec le lieutenant ERNEST, JOFFROY et SEGUIN, résistants de GEVREY-CHAMBERTIN. Ceux-ci sont venus en automobile et ont été chargés par le lieutenant ROGELET, de BEAUNE, d'opérer l'arrestation de LEIBUNDGUT, qui doit être jugé à BEAUNE pour dénonciation de camarades et réquisitions illégales, le lieutenant LEVEQUE ayant signalé au lieutenant ROGELET que LEIBUNDGUT utilisait des bons de réquisition revêtus de la signature de ROGELET. Il est pertinent que le chef de LEIBUNDGUT, Mr RIVIERE, ignorait tout de ce trafic illégal. Je me félicite d'avoir été sans indulgence et je me demande jusqu'à quel point le jeune ALADENISE, qui habitait chez lui, était au courant de son trafic. Ceci expliquerait la position prise par ce dernier, en complet désaccord avec tous ses camarades de GEVREY, après la libération. Je tiens en outre à signaler que dans mon secteur, qui allait à ce moment de GROSBOIS à PONT-DE-PANY, toutes réquisitions illégales étaient punies de mort, et qu'à l'intérieur de la Compagnie le vol d'un simple paquet de tabac était puni de mort. En résumé, si j'avais à recommencer dans les mêmes circonstances le jugement de LEIBUNDGUT, je prononcerais la PEINE DE MORT. Si tous les actes délictueux avaient été sanctionnés avec la même sévérité, il y aurait eu moins de Français dans les geôles allemandes, moins de maquis trahis, moins de Français fusillés par l'ennemi. J'ai exercé mon commandement en soldat, fort d'un passé de 17 ans de services dans l'artillerie coloniale et déjà titulaire à ce moment de la Médaille Militaire et de la Croix de Guerre. Pour en terminer avec l'affaire LEIBUNDGUT, je tiens également à signaler que CIRILLOT, responsable F.T.P.F. mis au courant par Mme CLAUDOT, de BROCHON, des événements survenus, avait donné l'ordre à LEIBUNDGUT de rejoindre le maquis de BEAUNE. Ce dernier n'a pas exécuté cet ordre et s'est dirigé dans une direction opposée. Il savait par le lieutenant LEVEQUE qu'une enquête était ouverte à BEAUNE sur ses agissements ; il est à présumer que le jeune LEIBUNDGUT n'avait aucun désir d'exécuter cet ordre. Notre camarade PISTOULET, dont on a vu l'arrivée mouvementée, nous donne quelques détails sur la vie au camp : " La vie au camp ne me pesait pas. Les premières journées s'usaient à la garde et au guet, heures que je consacrais aussi au gravage de ma pipe. J'avais reçu une médaille de SAINTE-THERESE à mon départ du CHALET, elle me fut d'une grande protection, nous l'avons vu ; aussi bien, je m'ingéniais à la recopier sur ma pipe, en cas de perte. Ensuite, mes fréquentes sorties à REMILLY et à AGEY, et le travail que je devais assurer au parc auto, remplirent mes journées, je participai plusieurs fois à des missions. De temps à autre, quelque événement amenait un peu de nouveau. Un matin, à peine éveillé, j'entendis des cris : - A moi ! Au secours ! Il me tue ! Qu'est-ce qui se passe donc ? Mais devant les rires d'un camarade qui entrait au même instant, je fus rassuré, et j'appris que notre capitaine était en train de faire des éloges à un des nôtres qui s'était bien conduit en mission : il avait bu, ou tout au moins commandé des bouteilles dans un café, et avait délivré un bon signé " MALGACHE ". Ledit bon étant revenu au camp, le capitaine MALGACHE était en train de l'honorer sur le dos de son auteur. Il profita de l'occasion pour nous renouveler au rapport les consignes du camp : six heures d'absence non motivée ; toute présence inopportune dans un café ; le vol, même d'un paquet de tabac ou d'une paire de chaussettes, Tarif : une balle dans la tête ". Les journées passaient vite, nos Alliés étaient là, l'activité au camp grandissait : pas une nuit qui ne fut employée à tendre des mines ; et je me remémore le dépit de notre BALIVEAU au retour, un matin, parce que les Boches n'étaient pas passés par là. Plusieurs exécutions eurent lieu pendant mon séjour au camp. Ayant toujours évité d'y assister, je ne puis les relater. Je me souviens seulement de la condamnation à mort d'un agent de la Gestapo, arrêté à la PERGOLA, un gamin de vingt ans qui ne se rendait pas compte de la gravité de son cas, et me disait : - Dis donc, toi, tu pourrais être mon père, fais donc quelque chose pour moi ...Hélas ! Ceux qu'il a pu faire arrêter et exécuter avaient, eux aussi, un père et une mère. Ma pitié ne fut point pour lui, je n'assistai pas non plus à son exécution. Sur la fin, nous fûmes plusieurs fois en alerte par des fusillades entendues en direction de SOMBERNON, et nous sûmes qu'il s'agissait des convois allemands qui se repliaient et qui tiraient sur tous les bosquets à proximité de la route. Pour les rassurer, le capitaine leur dépêchait quelques-uns de ses élites, qui leur donnaient des jambes à coups de grenades. Plus grands faits à signaler, si ce n'est l'arrivée d'un groupe de prisonniers allemands. Ils se trouvaient étonnés de notre conduite envers eux, et nous disaient : - Vous, nix terroristes, patriotes !

31 Août 1944

TARLET est parti en mission la veille, à 20 heures, avec MOUCHOT, IMBERT Robert et TRUILLOT, armés de 4 mitraillettes, un fusil mitrailleur, 5 grenades. Interdire à un groupe d'Allemands l'accès de FLEUREY, où l'ennemi doit procéder à des réquisitions automobiles. La mission patrouille aux environs de FLEUREY jusqu'à 23 heures. TARLET décide de tendre une embuscade à une patrouille allemande passant tous les soirs sur la route de LANTENAY. A O h 3O décrochage. La mission passe la nuit à FLEUREY. Le lendemain, à 5 heures, le chef décide de regagner le camp avec une voiture automobile qui sera ainsi soustraite aux réquisitions allemandes. La voiture ne pouvant être mise en route est abandonnée. A 8 heures, retour par le canal. A mi-chemin entre FLEUREY et PONT-DE-PANY, TARLET situe un endroit favorable à une embuscade, après l'écluse, sur la grande route. La position est occupée à 9 h 30, l'attente dure jusqu'à 13 h 15. A ce moment une voiture légère et deux camions allemands se présentent, venant de DIJON. MOUCHOT, au fusil mitrailleur, laisse passer les deux camions et ouvre le feu sur la voiture légère, qui, atteinte, stoppe immédiatement : victimes allemandes non dénombrées. A ce moment, le fusil mitrailleur s'enraye. Aussitôt MOUCHOT et IMBERT se replient dans le bois. TARLET reste avec TRUILLOT afin d'aider ce dernier à ramasser les chargeurs et tous deux se replient à leur tour en essuyant les rafales ennemies. Aucune trace des deux camarades. TARLET et TRUILLOT rentrent au camp à 19 h 30. TARLET rend compte. MOUCHOT et IMBERT rejoignent le 1er Septembre à 9 h 30. Interrogés à leur retour, ils expliquent s'être perdus dans le bois, puis avoir été attaqués par des miliciens, et finalement, à la nuit, avoir regagné FLEUREY pour y passer la nuit. Ils sont tous deux avertis pour la dernière fois que si, au cours d'une mission et sans l'ordre de leur chef, ils s'arrêtent pour coucher dans un village, j'appliquerai le tarif prévu pour 6 heures d'absence illégale, c'est-à-dire une balle dans la tête. Je charge tous les chefs de groupe de bien vouloir rappeler une fois encore à leurs hommes cette consigne particulière. La sécurité du camp peut être gravement menacée si, au cours d'une mission, chacun décide de ne rentrer que lorsqu'il lui plaira. Nombreux sont ceux qui, dans les maquis voisins, ont été surpris par une perquisition inopinée et capturés. Dans la plupart des cas leurs langues se délient, les Allemands employant des méthodes d'interrogatoire particulières. Souvent les prisonniers sont obligés de conduire une troupe contre le maquis par des sentiers connus seulement par eux, et l'attaque allemande ayant lieu par surprise est très difficile à neutraliser. Aucune excuse ne sera, à compter d'aujourd'hui, prise en considération, et le coupable sera abattu immédiatement, sans jugement. Départ de FOLLIGUET pour réquisitionner de l'essence. Retour au camp avec une motocyclette réquisitionnée à DIJON. Dans la soirée MARANGE rentre de SELONGEY. Voici la relation de sa mission : Départ de DIJON le 30 au matin, à vélo. Il franchit deux barrages allemands sans difficulté, l'un à hauteur de RUFFEY, l'autre près de SAINT-JULIEN-CLENAY. MARANGE et NAGEL sont sans armes, papiers en règle. A SELONGEY, ils se présentent au chef de secteur. Mauvais jour : le maquis de FONCEGRIVES vient d'être attaqué par les Allemands. Le chef de secteur transmettra leur message à BRANTUS et leur prête une motocyclette pour rentrer. Arrivés à ORVILLE, MARANGE et NAGEL passent la nuit dans un petit hôtel tenu par une brave Lorraine et son petit-fils ; la moto est garée dans une remise attenante à l'établissement. Le matin, impossible de mettre en route ; tous deux s'enferment dans la grange qui donne sur la grand'route où ne cessent de circuler des convois allemands. Une bonne du café scie du bois pendant que, penchés sur la machine, ils essaient de trouver la panne. Brusquement plusieurs Allemands armés de mitraillettes font irruption. NAGEL s'échappe par la porte de derrière, il fait sombre, les Allemands ne l'ont pas vu. MARANGE prend la scie des mains de la petite bonne et se met à scier du bois sans s'occuper de la présence des Allemands. L'un d'eux met la main sur l'épaule de MARANGE, et lui parle ; celui-ci répond en français qu'il ne comprend pas. Voici la suite du récit fait par MARANGE :Je charge MARANGE de porter à NAGEL l'ordre de rejoindre immédiatement, avec les véhicules réquisitionnés à DIJON et les hommes. Ne laisser sur place qu'un minimum indispensable aux liaisons.

1er Septembre 1944

Des tirs réels ont lieu par groupes sous la direction des armuriers. L'installation s'achève, un drapeau bleu, blanc, rouge, flotte sur le camp. A la suite des tirs qui ont lieu, les armuriers procèdent à la remise en état d'armes défectueuses. J'apprends qu'à la sortie de SOMBERNON un écriteau a été installé par les Allemands : il porte en grosses lettres " Achtung ! Terroristes ! " et une flèche noire indique la direction de notre camp. Une nouvelle recrue, infirmier au sanatorium de VELARS, apporte médicaments et pansements. GEORGES et PERREAU partent à la vieille ferme de la République et remontent au camp avec un chariot, deux containers de Plastic et un brancard. Missions de ravitaillement et liaisons, par BOUCHARD, FOLLIGUET, NASSAU, DUCAROUGE, BESSE, LESAGE, KNECHT, Roger ROYER. Reconnaissances dans la vallée de l'OUCHE par SINGEY et FICHOT, contact avec l'écluse 34. Le groupe GEORGES met en place un barrage et décroche dans la nuit. FOLLIGUET part à nouveau pour DIJON. Il réquisitionne la camionnette "5995 DU 4" à la S.I.E.M. Ce véhicule, qui n'est pas en état de marche, est préparé par un mécanicien sympathisant ; une magnéto a été fournie spontanément par "LA PIECE AUTOMOBILE", avenue du Drapeau. Afin de situer l'activité et le climat des agents de DIJON, je donne la parole à FOLLIGUET :

*

**

18 Août 1944

Le garage de l'H.K.P. (Service de roulage allemand, commandé par le sous-officier SCHMITZ Emile) est presque vide, sauf deux superbes camions, qui franchiront demain les barrages allemands ; ils sont chargés du matériel pour aller rejoindre le Maquis. L'ordre que j'attendais depuis longtemps est enfin arrivé et mon complice, " PEPECHE ", s'affaire à une dernière mise au point de son véhicule, tandis que je nettoie un peu celui que je dois enlever avec " MIMILE ", le sous-officier allemand. Je connais mon bon MIMILE, Rhénan d'origine et Français de coeur, mieux que pas mal de Dijonnais qui ont eu l'occasion de boire avec lui dans les divers cafés de la ville, et je suis aussi sûr de lui que de moi-même. Il y a quelque temps, j'ai eu l'occasion de le mettre à l'épreuve : au cours d'une sortie, j'ai réussi à lui subtiliser son pistolet ; il s'en aperçoit le lendemain et s'ouvre à moi en ces termes : - Michel, faire chier moi, mon pétard perdu ; si l'adjudant y voit, moi je vais en prison ! Je le rassure et lui promets que je ferai mon possible pour lui en procurer un autre ; effectivement, le lendemain, je lui présente un 7/65 Mauser. MIMILE n'en croit pas ses yeux et je crois qu'il a envie de m'embrasser tellement il est heureux ! Mais, la joie passée et la tranquillité d'esprit revenue, il me demande comment j'ai pu me procurer cette arme, à quoi je réponds que cela est mon affaire, le principal étant de lui éviter la prison. Il me regarde dans les yeux et me dit : - Je me doutais qui tu étais quand tu es venu ici, car tu n'avais pas des mains de chauffeur, je sais que bientôt tu vas partir rejoindre tes amis, mais je te jure sur ma famille que jamais je ne me servirai de cette arme contre un Français, pas plus que je ne m'en suis servi jusqu'à présent ! Je sens qu'il est sincère, mais malgré tout, je le surveille ; pendant les quelques jours qui suivent, MIMILE m'évite toutes les corvées et se rapproche de plus en plus de moi, au point que nous devenons de très bons amis. Il s'ouvre à moi et me conte sa vie ; je me souviens de son récit : - Quoique je sois sous-officier de la Wehrmacht, je n'ai jamais fraternisé avec mes concitoyens, dont je me suis toujours méfié. Tu peux partir, et même avec un camion, moi je ne sais rien ; tu sais que tu peux avoir confiance en moi, dès aujourd'hui je vais en faire préparer un et, quand tu partiras, tu pourras le prendre sans rien dire à personne. Je vais te donner un laissez-passer en blanc, que tu rempliras. Je ne te demande qu'une chose : c'est de le faire quand je ne serai pas là, et je n'ai qu'un regret, c'est de ne pouvoir t'accompagner ! Depuis, beaucoup de choses se sont passées, il a réussi à faire libérer un camarade qui aurait été pris dans une rafle allemande et milicienne du quartier " Préfecture - rue J.-J. Rousseau " ; de plus, il m'a communiqué tous les renseignements qu'il obtenait et que je transmettais au P.C., si bien que, d'accord avec celui-ci, la décision est prise, et je dois emmener MIMILE…

19 Août 1944

Je roule depuis six heures du matin, pour éviter les soupçons possibles. Il est seize heures, nous devons partir à dix-huit heures et il me tarde de rentrer au garage pour embarquer MIMILE et le matériel. Passant rue du Transvaal devant le garage, j'aperçois les chauffeurs civils devant la porte, et… des " colliers de chiens " ! Un des chauffeurs m'aperçoit et me fait signe, je ralentis, il saute sur le marchepied et me souffle, afin que l'Allemand qui est à côté de moi n'entende pas : - MIMILE vient d'être embarqué par la Gestapo, la Feldgendarmerie nous garde à vue et perquisitionne ses affaires ! Il rejoint ses camarades et je reprends ma route, pas tranquille du tout. Je termine néanmoins mon travail et, au lieu de retourner au garage, je vais avec le camion voir JACQUERON et le mets au courant ; il est dix-neuf heures et PEPECHE, qui ne sait rien, a dû essayer de franchir les barrages… Que faire ? JACQUERON part à bicyclette et me rejoindra au P.C. Arrivé là, je répète mon histoire et demande ce qu'il faut faire, car si je pars, MIMILE n'y coupe pas, et si je rentre au garage, je prends mes risques. Quoi qu'il en soit, il ne faut plus compter partir maintenant, l'heure du rendez-vous est passée depuis longtemps et, du reste, après cette alerte, il ne faut pas compter traverser les barrages, qui doivent avoir mon signalement. Après une délibération assez longue, j'ai ordre de rentrer au garage avec mon véhicule et d'essayer d'avoir des précisions sur l'arrestation et le sort de MIMILE ; je reviendrai demain prendre de nouvelles instructions. J'arrive au garage, range le camion et me prépare à partir quand je m'entends appeler par l'adjudant ; il commence à me poser des questions relatives à l'affaire, auxquelles je réponds avec l'innocence d'un enfant (je crois que j'ai tout intérêt à faire l'idiot). Il n'insiste pas et me dit d'être là le lendemain matin, à cinq heures, et que si je n'y suis pas, il me fera chercher par la Feldgendarmerie. J'ai l'impression que l'air est chargé d'électricité… Je respire un peu une fois dehors et me demande si c'est bien prudent de revenir le lendemain ; je repasse au bureau du P.C., où l'on me conseille d'y aller, d'enlever le camion et l'on me donne un autre itinéraire que je dois suivre, ceci, au cas où MIMILE aurait parlé, car nous connaissons les moyens de persuasion de ces messieurs. En rentrant chez moi, je repasse les événements de la journée et je pense que, décidément, les gars du P.C. ne doutent de rien, surtout que nous sommes sans nouvelles de PEPECHE.

20 Août 1944

J'arrive au garage à huit heures, j'ai oublié de me réveiller. Les camarades me disent que les colliers de chien sont au bureau et que l'on m'a demandé plusieurs fois. Je commence à trouver le terrain brûlant et pense que ces gens-là s'intéressent un peu trop à ma modeste personne. Le rôle de jeune premier dans un film allemand, avec la Gestapo comme metteur en scène, ne me tente réellement pas ; sur cette judicieuse réflexion, je fais demi-tour, et… me trouve face à face avec mon " ami " l'adjudant, accompagné de deux Feldgendarmes, qui m'invitent courtoisement à passer devant. Arrivé dans le bureau, l'adjudant commence un interrogatoire beaucoup plus serré que la veille, je me trouve tout à fait mal à l'aise ; j'ai en effet l'impression qu'il en sait beaucoup plus qu'hier. Tout à coup, la porte s'ouvre brutalement et un officier entre en hurlant. Je profite immédiatement de l'instant d'inattention et prends la poudre d'escampette sans regarder derrière moi ; je me rappelle qu'il y a une petite porte donnant sur une rue latérale qui n'est pas gardée, elle va très bien servir pour cette fois. Après deux-cents mètres d'une course où j'aurais battu un champion, je ralentis et me mets à marcher, je trouve que la vie est belle et me sens léger comme un pinson. J'arrive au P.C., je rends compte et demande à rejoindre immédiatement le groupe, car je suis brûlé à DIJON. Je rejoins MALAIN dans l'après-midi et prends contact avec BIJOU, qui me conduit au camp du MALGACHE, à REMILLY-EN-MONTAGNE. Nous y arrivons à neuf heures du soir, sous une pluie battante. Nous sommes très bien reçus et, après un substantiel repas, nous allons nous allonger sous la tente ; le capitaine MALGACHE étant absent, je ne le verrai que demain.

21 Août 1944

Sept heures, tout le monde au jus (qui est très bon). Je constate que l'ordre, la discipline et la camaraderie sont ici de rigueur, ce qui me donne une impression de sécurité pour l'avenir. Le café avalé, je me présente à la tente du MALGACHE ; quelques hommes sont là, en conversation, je ne sais pas trop bien lequel répond à cet élégant pseudonyme, toutefois, un homme s'avance vers moi, me demande mon nom et me dit : - Je suis le MALGACHE ! Je réalise à l'instant qu'il n'a pas volé son surnom : j'ai devant moi un type à la chevelure aussi noire que rebelle, vêtu d'une chemise kaki toute froissée et d'un short, le tout d'un pittoresque ahurissant. Je n'ai du reste pas le loisir de le détailler plus avant car il m'interroge sur ce qui a été fait à DIJON, ce qui m'est arrivé et comment j'ai rejoint le camp. Les questions sont brèves et sèches, je fais un compte-rendu de ce qui précède ; il ne fait aucun commentaire et je me prépare à me retirer, quand un nouveau est présenté. Ce dernier n'a eu, jusqu'à présent, aucune activité dans la clandestinité. Après l'avoir interrogé, le capitaine lui fait un petit speech dont voici à peu près les termes : - Ne crois pas que tu es arrivé dans un pensionnat de jeunes filles ; tu es ici pour te battre, recevoir des ordres sans les discuter et tu n'attendras pas de remerciements, car on ne sait pas ce que c'est ; d'autre part, au point de vue discipline : défense de sortir du camp sans ordre de mission ; rentrer de mission avant la nuit ; ne pas aller dans les cafés, ne pas se saouler, tenir sa langue à l'extérieur. Ici, nous n'avons pas de prison, la seule punition connue pour une de ces infractions est une balle dans la tête… Tu peux disposer ! Le pauvre bleu se retrouve dehors tout pâle, ne sachant s'il a eu affaire à un fou ou à un pince-sans-rire. Mais il est accroché tout de suite par FIFI, qui s'occupe du service intérieur avec le grade d'adjudant. Celui-ci le met à l'aise et le rassure gentiment, le bleu reprend quelques couleurs. Je m'adapte rapidement à ma nouvelle vie. J'apprends aussi à connaître mieux le MALGACHE qui, sous des airs rébarbatifs, cache un coeur d'or et, s'il nous impose une discipline de fer, c'est pour notre bien, car il aime beaucoup ses hommes. Pendant quelques jours, nous faisons des exercices de tir, intercalés par de nombreuses gardes, de jour et de nuit. Je suis désigné pour partir en mission avec des camarades, nous avons l'ordre d'aller à la rencontre de l'aviateur, qui doit rapporter des armes automatiques. Nous le trouvons au rendez-vous convenu, il est déguisé en paysan. Il conduit une voiture de paille, sous laquelle se trouvent cachés les F.M. anglais. Nous lui faisons escorte jusqu'au camp. Pas d'incident de route. Le soir-même, le capitaine nous prévient que l'essence diminue, je demande à partir afin d'en trouver à DIJON. Je suis de retour le lendemain soir, avec un bidon de cinq litres (pas brillant comme résultat !) et une moto, que j'ai réquisitionnée. La moto subit immédiatement les transformations nécessaires : numéro d'armée, enseigne tricolore, Croix de Lorraine, etc… Le MALGACHE me désigne pour être agent motocycliste de liaison, je suis enchanté de mes nouvelles fonctions et surtout de la confiance qu'il m'accorde. Au cours de la conversation, je lui demande le nombre de véhicules du groupe et lui propose de remonter le garage, car nous avons un grand besoin de matériel roulant ; il accepte ma proposition et me donne carte blanche. Après deux missions couronnées de succès, je rends compte au MALGACHE que j'ai ramené au groupe : deux camionnettes 1 000 kg, un camion 4 tonnes, du matériel, de l'outillage et… MIMILE, qui est sorti des griffes de la Gestapo (sans avoir parlé), et que j'ai récupéré au cours de ma dernière mission. Le climat de DIJON étant de plus en plus mauvais pour moi, je n'y retournerai pas, c'est l'avis du capitaine, et c'est plus prudent. Je prends part à diverses opérations de harcèlement, et nous avons la chance d'en sortir indemnes. Entre-temps, je fais continuellement la liaison entre l'état-major et un de nos groupes. A la ferme de l'OISEROLLE. Deux faits assez particuliers se produisent au cours de ces liaisons : De retour de mission auprès d'Hébert, je suis obligé de suivre une route empruntée par les Allemands en retraite ; je roule à vive allure, la mitraillette prête quand, après un virage, je me trouve à trente mètres d'une colonne hippo allemande qui est arrêtée. Je n'ai pas l'embarras du choix et tire à fond sur les gaz, en pensant à ma mécanique qui a déjà une balle dans le cadre et va certainement en prendre encore d'autres. Toutefois, à la vitesse à laquelle je passe, les Boches n'ont pas le temps de réagir et c'est avec un vif soulagement que je laisse derrière moi cette colonne, sans avoir essuyé un coup de feu. Une autre fois, je passe dans un pays où un homme me fait signe d'arrêter ; il s'approche et me dit qu'il y a cinq Allemands dans une ferme, à peu de distance, la ferme du TREMBLOY. Je le fais monter derrière moi pour m'indiquer le chemin (j'ai l'impression qu'il n'en est pas très heureux et regrette de m'avoir prévenu) ; nous arrivons à deux-cents mètres de la ferme, je laisse ma moto contre un mur et continue à pied. Arrivé devant la grille, je les vois qui se reposent sur leurs sacs ; je les compte afin d'éviter une surprise désagréable, ils sont bien tous là. J'ouvre la porte, la mitraillette braquée, et hurle : - Wer da ? Mes cinq Boches se retournent aussitôt, se lèvent précipitamment, les bras en l'air, ce qu'ils ont de mieux à faire. Je leur fais signe de retourner leurs poches, ce qu'ils font avec la meilleure grâce. Décidément, quand on prend ces gens-là par les sentiments, on en fait ce qu'on veut ! Après m'être assuré qu'ils n'ont pas d'armes, je leur fais remballer leur petit bazar et les oblige à passer devant moi. Je dis à la fermière de cacher les fusils, que nous reviendrons chercher et ramène mes prisonniers au camp. Et c'est enfin le grand jour : Nous apprenons que l'armée française est à PLOMBIERES. Nous avons, en rentrant à DIJON, un dernier accrochage avec des miliciens retranchés dans des bâtiments du boulevard Voltaire.

*

**

Je me permets, en terminant, de remercier au nom de mes camarades et au mien, celui qui, par son exemple, son courage et son autorité, a su nous conduire au combat et souvent à la victoire, en ménageant le plus possible la vie de ses gars, qu'il aimait tant, ce dont il était largement payé en retour, car quel est celui du " Groupe MADAGASCAR " qui n'est pas fier de dire qu'il a servi sous les ordres du " MALGACHE " ?

*

**

NAGEL a rejoint avec ses véhicules ; il vient à L'OISEROLLE avec moi. Le poste de parachutage est installé, le service de guet assuré de jour comme de nuit. Tous attendent impatiemment le message. Deux déserteurs russes sont incorporés : EPHRMOFF Grégory et KOTOF Grégory, soldats magnifiques et disciplinés. Réquisition de tabac à VELARS, par PAQUETTE, qui ramène au camp deux recrues : GRAPPE et MARQUET, employés à la S.N.C.F. D'autres recrues sont également incorporées, en provenance de BENE ou de l'écluse 34. Tous sont interrogés et filtrés. Les suspects ou les tièdes ne sont pas admis. Par note de service diffusée dans les groupes, le port des insignes de grade devient obligatoire. J'effectue une rapide liaison à PRALON, MALAIN et VELARS, puis, au retour, à L'OISEROLLE. Plusieurs véhicules ennemis croisés nous regardent passer sans faire un geste ; les Croix de Lorraine et l'étoile blanche ne leur laissent cependant aucun doute sur notre identité.

2 Septembre 1944

8 heures. SINGEY, FORT, FICHOT, GREE, partent avec la " MATFORD " pour un raid à L'OISEROLLE et la BUSSIERE. Deux fusils mitrailleurs sont installés sur le véhicule ; les Allemands rencontrés prennent le large. L'équipe rentre à 12 h 30 sans avoir pu placer une rafale. A 14 h 30, FORT, DUCAROUGE, GREE, NASSAU-BRIES, SCHWINTE, Joseph MAIRE et PAQUETTE partent pour FLAVIGNEROT avec mission de ramener de la farine. En passant au sanatorium de VELARS ils réquisitionnent des costumes et des chaussures et déposent l'infirmier NASSAU-BRIES pour prendre des médicaments. A CORCELLES, rencontre d'un camion allemand, qui prend la fuite. Roger MARTIN et Victor SCHWINTE retardent la mission et restent à la ferme de FLAVIGNEROT en compagnie de PAQUETTE ; des armes sont laissées à leur disposition. PAQUETTE redescendra le lendemain matin avec une voiture et deux chevaux en ramenant la farine. NASSAU-BRIES est repris au sanatorium par la mission de retour de FLAVIGNEROT. NASSAU, qui était descendu à la CUDE, signale, une fois la camionnette engagée sur le chemin du retour, que deux miliciens membres de la Gestapo sont à la PERGOLA.LELIEVRE, LESAGE, KNECHT, SANVOISIN, DORET, font des corvées de ravitaillement. Mr MARTIN et CARLEVATTO réquisitionnent de l'outillage et un vélomoteur à SOMBERNON. Raymond BESSE va reconnaître à PLOMBIERES le dépôt d'essence et le contenu des wagons stationnés en gare. A midi, je pars avec ROYER en liaison à l'état-major à SOUSSEY, pour essayer d'obtenir des fusils mitrailleurs. Je prends en passant Hébert à SOLES. Avant d'arriver je suis arrêté par un barrage composé de 8 ou 10 hommes qui, debout au milieu de la route, font signe d'arrêter. Les Croix de Lorraine brillent sur les ailes de la traction, une étoile blanche sur le toit, et les portes sont frappées de l'écusson de la compagnie. Je m'arrête, descends de voiture, et j'engueule tous les hommes du groupe. - L'établissement d'un barrage se fait de la façon suivante : tous couchés dans le fossé. Si une voiture apparaît, tirez une salve en l'air dès que le véhicule se trouve à 100 mètres ; si elle ne s'arrête pas, tirez au but avec toutes les armes. J'avais mon fusil mitrailleur en batterie, il m'était facile, une fois arrivé à une dizaine de mètres de vous, de vous faucher tous et de passer. Où est le commandant Guy ? Ici, capitaine MALGACHE ! - Le commandant se trouve dans le village, où une réunion doit avoir lieu, c'est pourquoi toutes les routes sont barrées ! me répondent les hommes. - Bien, merci, et faites attention ! Je repars, trouve le commandant. Ce dernier me dit : - Nous venons d'avoir un terrible coup dur : Jean BOUHEY a été très grièvement blessé par méprise, ainsi que plusieurs occupants de la voiture ! Je laisse le commandant et monte à la ferme. Je ne puis obtenir de fusils mitrailleurs. Je rencontre à la ferme le commandant GUILLET et lui dis : - Est-ce un de tes groupes qui a voulu m'enlever deux fusils mitrailleurs ? Si par hasard c'était cela et qu'un pareil fait vienne à se reproduire, personne ne pourrait m'empêcher de te tuer ! Le commandant GUILLET m'assure qu'aucun de ses groupes n'a pris contact avec ma mission d'OUROUX. - Bien, GUILLET, tu me connais depuis longtemps, et je n'ai pas besoin d'insister ! Et j'ajoute, en riant : - D'ailleurs, vois-tu, si la balle qui t'a effleuré le cuir chevelu avait frappé deux centimètres plus bas, tu aurais eu une belle mort de soldat ! Tout le monde rit. Je fais alors connaître à l'état-major que j'intensifie les embuscades et qu'il serait indispensable qu'une liaison m'avertisse au cas où une mission de l'état-major aurait à traverser ma zone d'action. J'ai interdit toute circulation sur la Nationale n° 5 et dans la vallée de l'OUCHE. Les mines posées ne connaissent ni amis ni ennemis, et mes groupes ont ordre de tirer sur tous les véhicules qui se présentent. Je quitte l'état-major et rejoins mon camp, en laissant Hébert à SOLES. Je passe à REMILLY-EN-MONTAGNE. Quelques minutes après la MATFORD rentre. FORT me rend compte du résultat de la mission et me signale la présence de deux miliciens à la PERGOLA. J'en décide la capture et choisis, parmi les volontaires présents, ROYER, FORT et DUCAROUGE. ROYER a sa mitraillette et six chargeurs, j'ai mon revolver et mes grenades. FORT et DUCAROUGE sont armés chacun d'un fusil mitrailleur anglais neuf, et prennent vingt chargeurs. Pour une fois nous sommes armés magnifiquement, et si l'occasion se présente… Les petits veulent non seulement les miliciens, mais du Boche. La traction tourne rond, AGEY, PONT-DE-PANY sont traversés en trombe ; ralentissement au passage à niveau de PONT-DE-PANY, puis à nouveau plein gaz. Arrivés à hauteur du chemin de FLEUREY-SUR-OUCHE, nous apercevons quatre voitures allemandes stationnées en haut de la côte. Une dizaine de soldats allemands sont debout devant le premier véhicule. Albert demande : - Chef, on allume ? Je réponds : - Oui ! Continuant plein gaz, je stoppe brutalement à 25 mètres des Allemands ; ROYER bondit dans le fossé et tire immédiatement ; DUCAROUGE et Albert, chacun d'un côté de la route, mettent leur F.M. en batterie et ouvrent le feu. La surprise est totale, les dix Allemands sont touchés par les rafales, la première voiture brûle, les Fritz se sont éparpillés dans les champs. A cet endroit la route est encaissée, il nous suffirait de placer chaque F.M. sur un talus pour achever la déroute ennemie. Malheureusement le F.M. servi par DUCAROUGE a son ressort de percussion cassé, Albert n'a plus de chargeurs, et, pendant que je rampe jusqu'à la voiture pour lui passer des munitions, un temps mort se produit. L'ennemi se ressaisit, tire sur nous et tente de nous encercler. Je préviens Albert : - Je joue quitte ou double, je vais essayer d'enlever la voiture et je reviens vous chercher ! Je suis immédiatement debout et j'essuie une rafale ; mon chapeau, troué de balles, roule dans le fossé. Je mets la voiture en marche arrière. La route offre une ligne droite de 200 à 300 mètres, et une trentaine de balles traversent la carrosserie. Je ne suis pas touché. Je gare la voiture dans un chemin creux, prends une musette de chargeurs, et je reviens à pied, quelques coups de feu éclatent encore. J'aperçois Albert venant à ma rencontre, je cours et lui passe un chargeur. Il me dit alors : - POLY et DUCAROUGE sont tués ! - Retournons les chercher… - C'est impossible, chef, on ne peut rien faire ! A ce moment, comme pour lui donner raison, une volée de balles coupe les feuilles au-dessus de nos têtes. Nous courons alors pour rejoindre la voiture : mise en batterie du F.M., et en route direction de PONT-DE-PANY. Au premier tournant nous croisons trois touristes allemandes ; nous sommes en pleine vitesse et ne réalisons pas assez rapidement pour les allumer en passant. Morne retour. Le meilleur de mes petits, un Alsacien sans peur et sans reproche, vient d'être tué face à l'ennemi. Il ne reverra pas sa vieille maman. La Libération ne m'apportera pas la joie sans mélange que j'escomptais, et le souvenir de mon petit restera présent en moi. Que sa maman d'ALSACE, venue déjà plusieurs fois sur sa tombe, soit bien certaine que je partage profondément son deuil. Qu'elle reste fière de son fils, trop pur pour vivre, qui a trouvé une fin héroïque face à l'envahisseur. DUCAROUGE, blessé à l'arcade sourcilière et à la cuisse (nombreux éclats de balles explosives), fait le mort. L'ennemi lui arrache son fusil mitrailleur, ramasse les chargeurs, lui donne un coup de pied dans le ventre et le laisse dans le fossé. Après le départ des Allemands DUCAROUGE se lève, réussit à gagner FLEUREY et rejoint REMILLY-EN-MONTAGNE à bicyclette. Je l'évacue immédiatement à l'hôpital de POUILLY. Au retour, je décide de repartir à la nuit chercher le corps de POLY. Sa perte est douloureusement ressentie par tous ; son courage, sa camaraderie, sa gentillesse sont présents dans le coeur de chacun. Je veux espérer que, contre toute vraisemblance, il a lui aussi échappé à la mort. Nous partons à 20 heures, prenons Roger BOURDILLAT en passant à l'écluse 37, et continuons en direction de FLEUREY par le chemin de halage. Nous traversons PONT-DE-PANY où stationne un fort contingent allemand arrivé à la nuit. L'enquête à FLEUREY est sans résultat. Un cycliste part en reconnaissance à l'endroit où POLY a été tué, le corps n'est pas retrouvé. Triste retour au camp. Au cours de cette journée tragique, une opération audacieuse a eu lieu à DIJON à l'Intendance de police, et a été cette fois couronnée de succès. BOBEY et Pierre PAILLARD ont enlevé quelques paires de souliers et des culottes de cheval, une trentaine de fusils de chasse et de fusils à canon court, et un stock de chevrotines suffisant pour approvisionner ces armes. Les canons courts peuvent être très précieux dans les combats de rue. Je rends compte à l'état-major. Un ordre arrive de l'état-major d'AIGNAY-LE-DUC : " Arrêter AMIOT de BARBIREY ainsi que sa famille, les conduire à AIGNAY ". Je procède à l'arrestation et interroge AMIOT. J'avais eu avec lui plusieurs contacts et j'estime qu'il ne représente aucun danger pour la Résistance. D'autre part, je ne veux pas sacrifier inutilement trois de mes meilleurs petits et un véhicule pour conduire AMIOT à AIGNAY, au moment où les routes sont infestées de convois allemands. En conséquence, je donne à AMIOT l'ordre de ne quitter son domicile sous aucun prétexte. Si au cours d'une visite il n'est pas là, " sa maison sera brûlée et sa famille exécutée ". Je rends compte. Après la Libération, une enquête effectuée n'a apporté aucun fait précis de trahison. Je ne me suis jamais porté garant du patriotisme d'AMIOT, j'expose dans ce récit comment les renseignements qu'il a spontanément fournis ont été exploités par l'Unité. Je suis persuadé qu'il a volé les Allemands. Il appartient à ses accusateurs de faire la preuve qu'il a trahi.

3 Septembre 1944

Le matin, le corps de POLY est retrouvé sur la route par PAQUETTE, revenant de mission. Celui-ci me le signale dès son arrivée, et il est ramené par DUBOIS et BOUCHARD en voiture hippomobile. Une chapelle ardente est installée à REMILLY, dans une maison près de l'église, et notre camarade sera veillé par une garde d'honneur en armes. Il a la poitrine entièrement broyée par une rafale, ainsi que le genou gauche. Un service funèbre est prévu à l'église de REMILLY-EN-MONTAGNE, il sera célébré par le curé d'AGEY. J'envoie un compte-rendu à l'Etat-Major départemental, et un autre à BENE, à MALAIN. Dans l'après-midi, PAQUETTE part en vélo à la ferme de FLAVIGNEROT et donne l'ordre à MARTIN et à SCHWINTE de rejoindre immédiatement l'Unité. Ces deux derniers rejoindront dans la nuit. FOLLIGUET, accompagné de SUTY et de FAITOT part de nouveau à DIJON pour réquisitionner de nouveaux véhicules automobiles. Il me demande l'autorisation d'enlever et de ramener au camp avec les véhicules qu'ils se proposent de réquisitionner le sous-officier allemand Emile SCHMITZ. Autorisation accordée. A DIJON, une première camionnette est prêtée bénévolement, sans bon de réquisition, par un jardinier (ce véhicule a été remis à son propriétaire à la Libération de DIJON). Celui-ci offre une tournée aux hommes et leur souhaite bonne chance. FAITOT est chargé de conduire le véhicule. FOLLIGUET et SUTY se rendent alors chez Mr FERRA, rue du Faubourg-Raines. Ce dernier met également son camion à leur disposition sans exiger de bon de réquisition. (Le véhicule a également été rendu après la Libération). Les camions devaient se rendre au marché pour qu'un contact soit pris avec JACQUERON. Avant de quitter DIJON, FAITOT est remplacé au volant de la camionnette par SUTY. FOLLIGUET conduit le camion et ramène le sous-officier allemand, qui n'est vêtu que d'une combinaison kaki. JACQUERON recommande de sortir de DIJON par TALANT ; les deux véhicules empruntent cet itinéraire et tombent dans un barrage allemand ; ils doivent faire demi-tour devant le nez des Chleuhs et arrivent au camp en empruntant le chemin de halage du canal jusqu'à PONT-DE-PANY. Les véhicules sont immatriculés et reçoivent les insignes réglementaires. Emile SCHMITZ, Rhénan d'origine, Français de coeur, est incorporé à l'Unité. Il sert actuellement comme sous-officier à la Légion Etrangère en INDOCHINE. Je participe dans la soirée à la veillée d'honneur de Paul ROYER.

4 Septembre 1944

Tous les chemins d'accès conduisant à REMILLY sont tenus par des barrages, la garde au camp est renforcée. Tous les disponibles en armes assistent au service funèbre de notre camarade, dont l'éloge est prononcé par Mr le curé d'AGEY. L'église de REMILLY est noire de monde venu de tous les villages avoisinants. De retour au camp, je fais appeler les Chefs de Section. POLY doit être vengé le plus rapidement possible. Je donne à chacun un secteur pour préparer les embuscades. Ne pas laisser les hommes inactifs ni sous l'impression pénible de la présence de la mort. LENTZEN part en mission à GEVREY. GODE, TARLET, Didier, Grégory se rendent à BARBIREY, où un ingénieur allemand du camp de SAINT-JEAN-DE-BOEUF est réfugié chez AMIOT, qui m'a fait prévenir. Lorsque la mission arrive, l'ingénieur disparaît. Retour à 21 heures.

5 Septembre 1944

GODE arrête de bonne heure, à BARBIREY, l'ingénieur allemand. Celui-ci est trouvé porteur d'armes et d'une somme de 80 000 francs. Il s'était rendu célèbre dans le JURA par sa sauvagerie. Il est exécuté. Jean LEVEQUE, à peine guéri, vient de rejoindre son poste ; la balle qui lui avait traversé la poitrine le 16 Août n'est plus qu'un mauvais souvenir. Sa blessure s'est rapidement cicatrisée. Je lui donne connaissance des diverses consignes, lui signale l'emplacement des divers postes de garde et de guet, le présente à tous les chefs de groupe et de section ; en mon absence il commandera en chef et aura NAGEL à sa disposition. MARANGE reste affecté aux missions spéciales. Une embuscade est établie par le groupe GEORGES entre PONT-DE-PANY et la CUDE, plusieurs voitures passent sur les mines et ne sautent pas. Après vérification du dispositif, l'humidité du cordon détonant est constatée. La mission décroche. Deuxième mission entre la BELLE-IDEE et la République. Elle est commandée par Victor MAILLY. A peine en place, une motocyclette allemande arrive : le conducteur est tué, le passager est fait prisonnier. Le groupe rentre au camp avec notre premier prisonnier, blessé, qui sera soigné au poste de secours d'AGEY. La moto est prise. Félicitations. Je fais bloquer 1OO sacs de ciment en provenance de l'armée allemande et, ne pouvant sacrifier deux ou trois de mes hommes pour en assurer la garde, je les vends à un entrepreneur pour 20 000 francs, qui viennent grossir la caisse de l'Unité. A la demande du responsable F.T.P.F. BENE, quatre membres ont été détachés sur DIJON aux opérations ; ce sont : MOUCHOT, CONTASSOT, IMBERT Robert et IMBERT Albert. Ceux-ci ne comptent plus à l'Unité à partir de ce jour. L'installation d'un poste de secours permanent est décidée au château d'AGEY. Le propriétaire met spontanément à la disposition de mes infirmiers Jeannot et Mr PREVOSTO, les locaux nécessaires. Mon frère rejoint l'Unité avec une " SIMCA 8 " réquisitionnée à DIJON et contenant 300 chemises et 150 shorts enlevés à la milice. Ces effets seront distribués dans les groupes avec les brassards F.F.I. ; port obligatoire de l'uniforme pour tous.

6 Septembre 1944

A 4 heures du matin, départ de quatre groupes. Première mission. - TARLET prend position Route Nationale n° 5 entre la BELLE-IDEE et la République, la matinée s'avance et, ne voyant rien venir, TARLET commande le décrochage. A ce moment un camion chargé d'Allemands arrive. Une grenade antichar projetée sous les roues n'éclate pas. Heureusement deux grenades quadrillées éclatent en plein dans le camion, une de celles-ci hache l'arrière de la cabine. Le camion, qui a marqué l'arrêt, est arrosé au fusil mitrailleur, il repart et s'échappe. Un de nos Russes, Gregory EPHRMOFF, servait le fusil mitrailleur et s'est particulièrement distingué. La route est rouge de sang. Les hommes du groupe hurlent leur joie, les Fritz se sont sauvés en hurlant de douleur. Au retour, mes petits sont rattrapés par le curé qui passe à bicyclette. Il vient de rencontrer le camion allemand arrêté un peu avant SOMBERNON. Dix cadavres sont rangés au bord de la route et il déclare : - Quel carnage, mes petits, quel carnage ! Retour au camp à midi, au complet. Une ration de vin supplémentaire est accordée, avec mes cordiales félicitations. Deuxième mission. - LESAGE, DORET, AUFRERE, SUTY, FAITOT, LORGET, FOLLIGUET. Le dispositif est en place au petit jour. Terre-plein face au canal après le passage à niveau de PONT-DE-PANY, en allant sur la CUDE. La mine est mise en place beaucoup trop près du groupe. Un civil à bicyclette arrive, il est arrêté, mis en garde et prié de s'éloigner. A ce moment un bruit de moteur se fait entendre en direction de DIJON. Le civil traverse vivement la route et se jette dans le fossé. Une grosse voiture de tourisme allemande arrive ; DORET, qui est au fusil mitrailleur, ouvre le feu, le pare-brise vole en éclats, en même temps l'avant de la voiture est projeté à un mètre de hauteur par l'éclatement de la mine ; la voiture retombe sur ses roues et exécute une marche arrière à toute vitesse. Ses occupants ouvrent un feu nourri sur le groupe. DORET, qui a été commotionné par l'explosion de la mine, essaie de reprendre son tir. Son arme enrayée ne fonctionne plus. Un camion allemand arrive en renfort, tous les hommes décrochent en courant et se réfugient sous bois. Par une chance extraordinaire pas un seul n'est blessé. Les pertes ennemies ne sont pas dénombrées. Ceci est l'exemple d'une embuscade mal préparée et mal conduite. La mine aurait dû être disposée au moins à 30 mètres du fusil mitrailleur ; DORET n'aurait pas été commotionné, et son arme, très certainement, pas enrayée. Troisième mission. - Vallée de l'OUCHE, FONT-AUX-BIQUES. SINGEY, FICHOT et cinq hommes de leur groupe y prennent part. Un convoi de trois camions se présente à 8 heures. Le premier passe, le deuxième saute, son avant est détruit, il culbute dans le fossé ; le troisième ne s'arrête pas, accélère, et, manquant le virage à SAINTE-MARIE-SUR-OUCHE, il rentre et percute dans un arbre. Le chauffeur du deuxième camion est resté à son volant et est mort écrasé, les trois survivants se rendent. Le corps du chauffeur ne peut être dégagé. Les occupants du camion accidenté se sauvent. Les blessés sont recueillis à la cure. SEGUIN, de PRALON, et AMIOT, de PONT-DE-PANY, venus en liaison au camp et passant par SAINTE-MARIE, saisissent la mitrailleuse allemande du camion accidenté et font prisonniers les quelques blessés légers réfugiés à la cure. Les blessés graves y sont laissés. Venant à la rencontre de nos groupes, je prends contact avec SEGUIN et AMIOT, qui me remettent la mitrailleuse et les prisonniers. Le camion allemand accidenté contient 64 caisses de munitions. Je mets en place deux barrages pour couvrir la corvée chargée de procéder à l'enlèvement des munitions. L'opération est rapidement menée par les hommes de la deuxième mission ; les munitions sont stockées à AGEY, chez Mr et Mme BESANÇON. La mitrailleuse allemande est immédiatement remise en état par l'intermédiaire d'un gefreiter allemand prisonnier, qui nous fait l'instruction. Essayée immédiatement, elle donne satisfaction. Craignant que des représailles ennemies ne soient exercées, je décide d'avancer mon dispositif en direction de SAINTE-MARIE et de PONT-DE-PANY. Un P.C. opérations est installé à AGEY même (poste de secours), un bouchon est établi entre BEAUMOTTE et AGEY, un autre bouchon avant REMILLY-EN-MONTAGNE. Je remonte au camp en compagnie de LEVEQUE et NAGEL, afin de donner des ordres de détail. Une demi-heure après nous sommes alertés par MARANGE, qui tire plusieurs coups de feu. Il demande du renfort et rend compte que SEGUIN et AMIOT viennent de signaler un petit convoi ennemi muni de deux canons de " 37 " remorqués. Ce convoi stationne entre PONT-DE-PANY et SAINTE-MARIE-SUR-OUCHE. Des renforts partent immédiatement. Deux groupes prennent position dans un bois qui occupe le centre du triangle PONT-DE-PANY-la République-carrefour AGEY-SAINTE-MARIE. Deux autres groupes prennent position à l'abri de la murée bordant la route SAINTE-MARIE-AGEY. Tout est prêt pour accueillir l'ennemi. La nuit tombe, le convoi ennemi décroche. Pour le lendemain, je décide de porter tout mon effort sur la vallée de l'OUCHE et d'interdire systématiquement son passage à tous les groupes ou convois ennemis. Les barrages de mines doivent être en place à 7 heures. Je transmets à l'état-major mes comptes-rendus de la journée. Une motocyclette allemande est récupérée à SAINTE-MARIE- SUR-OUCHE par Emile SCHMITZ, elle est conduite au camp. Quatrième mission. - CHATELET et son groupe prennent position au lieu-dit " BOIS DU FOULAY ", presque à l'endroit occupé quelques heures avant par la deuxième mission. Le dispositif n'est en place qu'à 10 heures seulement. Trois touristes allemandes chargées d'officiers passent très vite sur les mines, seule la dernière saute et est détruite. Tir au fusil mitrailleur sur les occupants qui cherchent à se dégager. Quatre officiers sont tués. La mission rentre au complet à 14 heures. Refélicitations-félicitations.

7 Septembre 1944

BESSE et JUSTICE partent le matin à pied pour récupérer du fil téléphonique au Puits XV, tous deux armés. A PRALON, un cheval et une voiture leur sont fournis par le maire. Arrivés au Puits XV, près de la maison où est stocké le matériel téléphonique utilisé par les Allemands, ils en reconnaissent les abords, puis pénètrent dans la maison en passant par le toit. Ils ouvrent la porte de l'intérieur, effectuent le chargement, referment la porte et quittent la maison en repassant par le toit. Ils sont de retour dans l'après-midi et commencent d'installer une ligne téléphonique joignant le camp au P.C. situé à AGEY. Dans la soirée l'installation de la ligne est suspendue en raison des circonstances. Aucune nouvelle du parachutage. L'écoute de la T.S.F. et des messages ne nous apporte pas la bonne nouvelle, personne n'a entendu : " Le MALGACHE est un bon type ". Ayant à ma disposition LEVEQUE et NAGEL, je donne à LEVEQUE la direction des opérations de la journée et le charge d'utiliser NAGEL au mieux. Le camp est en état d'alerte et, pour parer à toute panique, je resterai au camp tant que ma présence ne sera pas nécessaire sur le lieu même des opérations. J'ai d'ailleurs une entière confiance en LEVEQUE et en NAGEL ainsi qu'en mes chefs de groupe. L'engagement proprement dit à SAINTE-MARIE commence à 8 heures du matin ; SINGEY et les hommes de son groupe, venus en reconnaissance dans le village même, sont surpris par trois camions allemands venant de PONT-DE-PANY et qui descendent la côte moteur arrêté. Un homme est tué : BOUCHARD ; le feu est mis à une grange par des balles incendiaires allemandes. TERROT, qui s'était réfugié dans cette grange, réussit à s'échapper. Et brusquement les Allemands décrochent. TARLET contacte SINGEY et prend effectivement la direction des opérations dans ce secteur. Il fait placer tous ses hommes derrière une murée, chacun se confectionnant un créneau. Il affecte à SINGEY le secteur près du cimetière. TARLET aperçoit alors un Allemand à 50 mètres, se dirige vers lui pour le faire prisonnier ; un convoi allemand débouche à ce moment. TARLET s'aplatit et les balles allemandes l'entourent. Plusieurs des hommes crient : - Le chef est tué, il faut partir ! Mais TARLET hurle : - Tirez donc, bande de cons ! Les hommes tirent. Le convoi passé, TARLET s'avance en rampant, quelques coups de feu partent encore de part et d'autre. Il se retourne alors et aperçoit un groupe de Boches debout près de la route. Il fait un magnifique carton et, par petits bonds, rentre derrière le mur d'où tiraient ses hommes. Ce deuxième convoi a été agressif. TARLET a peur d'être tourné ; le groupe SINGEY est à sa gauche, à droite il y a un trou et plus loin deux autres groupes. Mais une accalmie se produit. TARLET quitte à nouveau la position pour essayer de dénombrer le nombre d'ennemis tués. Il fait un prisonnier, et traversant la route, tombe dans un groupe cycliste allemand ; il n'a que le temps de se coucher derrière une meule de paille. Il est dégagé par GODE et ses hommes, qui clouent l'ennemi et lui causent de sérieuses pertes. Il rejoint non sans difficultés la position. Heureusement les Boches tirent mal. Les cyclistes allemands qui se sont réfugiés à l'intérieur du village se regroupent et partent en direction de PONT-DE-PANY. Ils sont pris à partie après le cimetière par le groupe SINGEY, laissent une dizaine des leurs sur le terrain et se sauvent. La majorité revient à SAINTE-MARIE, qui est abandonné de ses habitants. Chaque fois qu'une tête ennemie se montre sur la route ou au-dessus d'un mur, elle est saluée par une rafale. Cependant une garce de femme paraît plusieurs fois sur la route et porte secours à des blessés allemands. Au cours de l'accalmie, NAGEL avait envoyé FOLLIGUET transmettre l'ordre de ne laisser qu'une couverture et de se regrouper vers le château. TARLET, qui a toujours peur d'être tourné, envoie FOLLIGUET rendre compte que les éléments ennemis sont agressifs et qu'en conséquence deux groupes de renfort sont nécessaires. Il ne peut être question de regroupement. FOLLIGUET part aussitôt, traverse la zone dangereuse. Une balle ennemie frappe le cadre de sa moto. Il trouve à AGEY deux groupes qui étaient en réserve et, après accord avec LEVEQUE, les groupes montent dans une camionnette. FOLLIGUET prend le volant. La camionnette tombe en panne à proximité du combat, les hommes rejoignent à pied. LEVEQUE m'envoie un compte-rendu me demandant du renfort et des munitions. Dix minutes plus tard de nouveaux groupes quittent le camp. L'un d'eux renforce le bouchon et prend liaison avec les éléments du PONT- AUX-BIQUES, les deux autres restent en réserve. TARLET met en place les nouveaux arrivés et se couvre solidement sur la droite. Le combat s'est calmé, quelques coups de feu isolés claquent encore de temps à autre. Il est presque 15 heures quand, à la surprise générale, un tissu blanc s'agite derrière un mur du village où une auto vient d'entrer. Tous croient que les Boches veulent se rendre. TARLET se lève et fait signe d'avancer. Il aperçoit alors un civil, puis un autre qui lève sa casquette. Ceux-ci courent et crient : - Cachez-vous ! Les Allemands tirent à nouveau. Les deux civils qui viennent d'échapper se présentent : - Groupe de commandement venant de SOUSSEY. Les Allemands nous envoient vers vous pour vous dire de vous rendre, sans cela ils vont fusiller nos camarades qui ont été faits prisonniers avec la voiture de liaison de l'état-major ! Lorsque TARLET m'a rendu compte, il m'a dit : - Je ne sais si le chef était parmi les deux, mais il aurait bien mérité d'être fusillé pour traverser ainsi une zone de combat ! Mais aussitôt il envoie l'ordre à SINGEY de contourner le village et d'essayer de dégager les prisonniers. Le groupe arrive trop tard, mais fait un prisonnier qu'il ramène. La voiture arraisonnée à SAINTE-MARIE par les Allemands furieux contenait une mission commandée par le lieutenant DUPONT, de l'état-major du commandant Guy ALLIZON. Cette mission se rendait à DIJON pour assurer la liaison et les renseignements et prévoir les possibilités de l'attaque de la ville. Tous les membres avaient des papiers en règle, mais des armes se trouvaient dans le coffre. Dès qu'elles ont été découvertes (à peine quelques minutes après l'envoi des deux hommes), les Allemands fusillèrent ceux qui restaient entre leurs mains. Je dois rappeler qu'au cours d'une liaison récente à l'état-major de SOUSSEY j'avais fait connaître qu'ayant l'intention d'intensifier mon action, aucun véhicule ne devait circuler dans ma zone sans m'avertir. La voiture de l'état-major aurait aussi bien pu sauter sur une de nos mines. TARLET répond aux deux hommes : - Nous nous ferions plutôt tous tuer que de nous rendre ! Et, comme plusieurs Boches ramassaient des armes sur la route, il cria : - Feu ! Il fit ensuite diriger les rescapés sur AGEY, de là ils furent montés au camp et passèrent la nuit sous ma tente. Ils repartirent le lendemain matin pour accomplir leur mission. Après cette alerte, TARLET envoie GODE avec cinq hommes et un F.M. occuper une légère dénivelée un peu en avant et à droite de son dispositif. Tous les hommes se couchent pour échapper aux vues. Une quinzaine d'Allemands, marchant à découvert, s'approchent. A 4O mètres environ, GODE et ses hommes ouvrent le feu ; quelques rescapés se sauvent en hurlant. La ligne principale d'arrêt matérialisée par l'axe de la route AGEY-PONT-DE-PANY est maintenant solidement tenue. L'effectif ayant quitté le camp approche de la centaine, 76 hommes sont engagés. De nouveaux convois sont copieusement arrosés ; les Allemands traversent l'OUCHE et le canal et se sauvent dans le bois. D'autres légers engagements s'étaient produits à proximité du PONT-AUX-BIQUES, une infiltration ennemie en direction du château d'AGEY avait été stoppée. LEVEQUE avait paré à toutes surprises en maintenant un contact étroit avec tous les postes, et avait assuré l'acheminement rapide des renforts et des munitions. En fin de journée, il m'était rendu compte que les munitions pour fusils mitrailleurs français étaient épuisées. Je ne disposais plus que de deux fusils mitrailleurs anglais et de la mitrailleuse légère allemande. En conséquence, une fois la nuit tombée, je donne l'ordre de décrocher. TARLET ramène un prisonnier, SINGEY également, un autre avait été conduit au P.C. Ajoutés aux trois prisonniers de SEGUIN et AMIOT, cela fait six. Le nombre des tués ennemis est élevé : 80 disent les uns, 60 disent les autres ; nous en compterons 30 pour plus de sûreté et rendrons compte à l'état-major. J'appelle LEVEQUE et NAGEL, je les mets au courant de l'état de nos munitions et, après avoir pris leur avis, je décide de replier tout le dispositif sur le camp. J'envoie un S.O.S. à SOUSSEY et fais connaître que le manque de munitions m'oblige à restreindre mon action. Il m'est impossible d'engager mes hommes dans de pareilles conditions. A 23 heures tous les groupes ont réintégré leurs emplacements au camp. Une garde d'honneur veille BOUCHARD. Demain aura lieu à REMILLY la cérémonie funèbre. Pendant cette journée une mission composée de mon frère et de BOBEY, et utilisant la " SIMCA 8 ", est partie de bonne heure pour PERRIGNY, avec ordre de récupérer dans les wagons allemands des effets et des chaussures. Ce jour-là opéraient à PERRIGNY plusieurs groupes de Résistance et les soldats allemands de garde regardaient avec flegme, sans intervenir. Au retour la voiture est arrêtée à PONT-DE-PANY. Les Allemands lui font faire demi-tour et la conduisent au château de BRETONNIERES. Mes deux hommes sont enfermés dans le bâtiment au premier étage. Les troupes qui ont procédé à l'arrestation partent, et ils restent à la garde des sédentaires. La nuit se passe. Le lendemain matin, en regardant par la fenêtre, les prisonniers voient plusieurs soldats allemands qui creusent des trous. BOBEY interroge. Mon frère lui répond : - Ne t'en fais pas, mon vieux, nous allons être fusillés ; si tu es chrétien, fais ta prière ! BOBEY riposte : - Moi, je suis jeune, je ne voudrais pas mourir ! A la fin de la journée ils sont conduits à la Feldgendarmerie, rue Berbisey. Là, ils sont interrogés par l'interprète : - Vous faites partie de la Résistance ? - Non, nous avons été forcés de conduire la voiture et d'exécuter la mission sous menace de mort ! L'interprète, montrant alors la chemise que portait mon frère et qui provenait du lot enlevé à la milice, lui dit : - Et cette chemise, d'où vient-elle ? Mon frère, qui n'est pas patient et qui avait déjà été enfermé par les Allemands, lui répond : - Et merde, je suis Français ! - Bon, monsieur, vous êtes Français, moi je suis Allemand. Nous faisons la guerre, partez, vous êtes libres ! BOBEY remercie, mais mon frère le pousse et lui dit : - Tu n'as rien à dire, viens ! Ils regagneront le camp à pied et y arriveront le 9 au matin. Au cours de la journée du 7 Septembre, une mission a eu lieu à PLOMBIERES : exécution du traître BRUGIERES par GEORGES et BURGUET. Au retour, qui s'effectue à bicyclette, GEORGES, arrêté par deux soldats allemands, tire sur eux : ils se sauvent. A SAINTE-MARIE-SUR-OUCHE GEORGES et BURGUET se joignent aux combattants.

8 Septembre 1944

Personne ne se doute encore que la Libération est si proche. Je désigne plusieurs groupes et les charge de patrouiller dans les environs. Défense absolue d'engager le combat avec des groupes ennemis constitués. Mission : ramasser les isolés allemands et les faire prisonniers. Je fais avertir les maires environnants que j'ai dix prisonniers allemands et que, si une troupe allemande veut prendre des otages, les prisonniers seront fusillés. Mon intention est d'ailleurs de faire le maximum de prisonniers allemands, afin de pouvoir au besoin les échanger contre les miens éventuels. Le groupe de TARLET, en patrouillant dans la région de GISSEY, aperçoit un convoi allemand et, sans tenir compte de mes ordres, fait sauter les premières voitures. DIDIER Paul, dit STANISLAS, attaque de son côté un convoi hippomobile allemand au fusil mitrailleur. L'ennemi, qui a au moins une dizaine de tués, réagit vigoureusement. Mes hommes sont poursuivis dans les bois et entourés. La fusillade fait rage et ils ne doivent leur salut qu'à leur parfaite connaissance du terrain. A leur retour au camp ils ne sont pas félicités et reçoivent l'ordre formel de ne plus quitter le camp. J'ai assisté au service funèbre de BOUCHARD avec une forte délégation de l'Unité. Je reçois dans le courant de l'après-midi : A) En provenance de l'état-major F.F.I., l'ordre de préparer mon Unité à faire mouvement sur DIJON. B) De l'état-major F.T.P.F. l'ordre de faire descendre les Compagnies, Détachements et Groupes en direction de DIJON, à 5 km environ ; rester en outre en liaison constante avec l'Etat-Major militaire régional. Le premier ordre est signé par le commandant Guy ALLIZON. Le deuxième par le colonel SEGUIN. Je me demande un instant si c'est moi qui suis fou ou le commandement. Je ne dispose que d'un approvisionnement en munitions ridicule. Les routes sont encombrées par de très forts convois allemands. D'après des renseignements venant de m'être transmis de DIJON, de nombreux chars et de l'artillerie sont stationnés soit à DIJON, soit dans les environs immédiats. J'envoie un compte-rendu au P.C. à SOUSSEY, en rappelant l'état de mes munitions et que, dans de telles conditions, je refuse d'envoyer mes hommes à la mort. Dès mon ravitaillement complété je serai prêt à exécuter des ordres précis.

9 Septembre 1944

Dans la matinée, cinq prisonniers allemands sont capturés à proximité de la ferme du TREMBLOY par FOLLIGUET, retour de mission. Hébert, de SOLES, me signale la présence de dix chars " TIGRE " à POUILLY. De nombreuses patrouilles battent tous les bois avoisinants. Dans l'après-midi on entend une très forte canonnade qui se poursuivra une partie de la nuit. Quatre déserteurs de l'armée allemande, Alsaciens-Lorrains connus de TISLER, sont recueillis. Dans la journée, de très forts convois ennemis sont passés sur la Route Nationale. J'enrage d'être obligé de limiter mon action. La nuit se passe en état d'alerte. Et le matin, une liaison annonce l'arrivée des troupes françaises à PONT-DE-PANY. J'établis sur-le-champ une liaison et communique au premier officier que je rencontre tous les renseignements que je possède. Je perçois, grâce à l'obligeance de l'un d'eux, 2 000 cartouches françaises pour le service de mes F.M. et, en contrepartie, je lui fais trouver de l'essence à PLOMBIERES. Les troupes françaises établissent un bouchon à PONT-DE-PANY. Dans la soirée, le P.C. du commandant Guy ALLIZON s'établit à la mairie d'AGEY.

10 Septembre 1944

Je livre mes prisonniers à l'état-major F.F.I. à PONT-DE-PANY. J'apprends quelques minutes plus tard que tous doivent être fusillés en représailles. J'interviens personnellement pour empêcher l'exécution du gefreiter allemand qui a été notre instructeur lors de la prise d'une mitrailleuse ennemie à SAINTE-MARIE. Ce sera le seul survivant.

11 Septembre 1944

Ordre est donné de préparer le mouvement sur DIJON. Le poste de parachutage est rappelé. Je fixe les détails ayant trait à la marche sur DIJON en compagnie des chefs de section. La colonne de véhicules se forme à AGEY et rejoint à PONT-DE-PANY le point de rassemblement fixé par l'Etat-Major. De PONT-DE-PANY à DIJON, défilé triomphal et sans histoire. Entrée à DIJON à midi. A 15 heures, la colonne stationne encore boulevard Carnot. L'unité prend part à une action contre quelques isolés et Allemands boulevard Voltaire. Je reconnais les divers cantonnements qui me sont proposés. Aucun n'est possible. En conséquence, je dirige ma colonne au domicile de ma mère. Je trouve des logements chez l'habitant pour tous ceux qui ne sont pas de DIJON et j'installe la popote chez moi. Tous ceux qui ne savent pas où manger seront servis, des tables sont dressées sous la véranda, dans la salle à manger, dans la cuisine. Rassemblement général pour le lendemain à 8 heures.

12 Septembre 1944

L'Etat-Major départemental m'informe que les Unités F.F.I. vont être transformées en Unités régulières. Le commandant Guy me dit : - Je compte sur vous ! Je réserve ma réponse. Au rassemblement, de nombreux membres de l'Unité employés à la S.N.C.F., dans une administration, ou faisant partie de forces de police, me demandent l'autorisation de reprendre leur place ; quelques paysans, soutiens de famille déjà âgés, me font la même demande. Je ne puis refuser d'accueillir ces désirs, d'autant plus que pour certains d'entre eux l'ordre est déjà parvenu de les rendre à la vie civile. De ce fait la moitié de mes cadres disparaît et mon Unité perd son allure. Je rends compte à l'état-major : j'ai assuré dans des conditions difficiles la mise sur pied d'une Unité pour une action de guérilla. Je me trouve maintenant dans l'impossibilité matérielle de procéder à l'instruction et à la préparation aux combats modernes des éléments qui me restent. Les engager dans ces conditions équivaudrait à un suicide collectif. En conséquence, je refuse le commandement qui m'est offert.

13 Septembre 1944

Revue par le général DE LATTRE DE TASSIGNY, qui décore trois hommes de l'Unité.

14 Septembre 1944

Prise de contact avec l'aspirant PADOVANI, de la 1ère D.F.L., qui s'offre de rengager immédiatement et en bloc tous mes éléments dynamiques qui resteront groupés avec leurs cadres et seront équipés et fondus dans le B.M. 5. Les hommes seront munis de toutes les couvertures disponibles. Voici les noms des engagés : FAIVRE René, FORT Albert, LEVEQUE Jean, SCHWINTE Victor, MAILLY Victor, LELIEVRE Charles, BEULET Charles, TARLET Victor, FLORENTIN Robert, SAIGNOUX Gilbert, DORET René, GEORGES Michel, COURAGEOT Henri, BESSE Raymond, KNECHT Marcel, PERREAU Bernard, DUPLUS Robert, ALADENISE Bernard, BURGUET Yvon, TERRET Noël, LENTZEN Pierre, LEFORT Serge, SANVOISIN Robert, GAUTHIER Marcel, PRAUDEL Jacques, SAGLIER Michel, MICHEA Maurice, INNOCENT Guy, BESSE Jean, CORNIAUD Jean, FERRERE Jacques. Parmi tous ces braves qui ont combattu jusqu'à la victoire finale, SEIGNOUX a trouvé une mort glorieuse et FORT Albert est très grièvement blessé. Les autres sont revenus sains et saufs.

15 Septembre 1944

Le licenciement de la Compagnie commence, il se poursuivra dans les jours qui suivent. Mes Russes seront affectés au maquis, les Polonais recevront une affectation. Quelques éléments rejoindront le régiment de BOURGOGNE : MARANGE Emile, MORELOT Jean, DIDIER Paul. Chaque membre perçoit lors du licenciement une somme de 500 francs, la caisse de l'Unité est ainsi liquidée. Vieux soldat de l'artillerie coloniale, j'accepterai jusqu'au 31 Octobre d'assurer un service de sécurité F.F.I. ayant son siège 17 bis, rue Bordet, à DIJON, et je demanderai à reprendre ma place comme volontaire au Corps Expéditionnaire d'EXTREME-ORIENT. La décision ministérielle sanctionnant cette demande fut la suivante : " Demande non accueillie, l'intéressé étant atteint par la limite d'âge. Référence X… Notification N 879/1 de Mr le général commandant la 8ème Région militaire, état-major, 1er bureau, en date du 22 Décembre 1944 ". Cette décision se passe de commentaires.

RESULTATS DES ACTIONS

CONTRE L'ARMEE ALLEMANDE

*

**

Le 10 Juillet 1944, à ANCEY : 2 sous-officiers allemands tués, 2 soldats tués, plusieurs blessés. Le 28 Juillet, à LA REPUBLIQUE : 3 soldats allemands tués, plusieurs blessés. Le 15 Août, à BLAISY-BAS : 1 officier et 1 soldats russes exécutés. Le 16 Août, à SOMBERNON : 3 soldats tués, plusieurs blessés. Le 26 Août, à l'Intendance de police de DIJON : 1 sous-officier allemand tué. Le 27 Août, route d'accès de SAINT-JEAN-DE-BOEUF : 1 camion et 1 remorque détruits, 4 soldats allemands tués, 3 morts des suites de leurs blessures, plusieurs blessés. Le 2 Septembre, Route Nationale n° 5, hauteur de FLEUREY : 5 tués, plusieurs blessés. Le 5 Septembre, Route Nationale n° 5, entre SOMBERNON et LA REPUBLIQUE : 1 tué, 1 motocyclette prise, 1 blessé. Le 6 Septembre, entre PONT-DE-PANY et FLEUREY, au lieu-dit " BOIS DE FOULAY " : 4 officiers tués, plusieurs blessés. Entre SAINTE-MARIE-SUR-OUCHE et GISSEY : 2 camions détruits, 3 prisonniers, 1 tué. Entre LA BELLE-IDEE et LA REPUBLIQUE, attaque à la grenade et au fusil mitrailleur d'un camion rempli d'Allemands : 10 tués, de nombreux blessés. Le 7 Septembre, combat de harcèlement aux environs de SAINTE-MARIE-SUR-OUCHE et à SAINTE-MARIE même : les combats, commencés à 8 heures, se sont terminés à 20 heures, avec trêves passagères. En fin de journée, 7 groupes étaient engagés. Deux camions ont été mis hors d'usage, 64 caisses de cartouches, 1 mitrailleuse allemande ont été saisies ; 30 Allemands tués, nombreux blessés, 6 prisonniers. Le 8 Septembre, attaque d'un convoi hippomobile et automobile, entre SAINTE-MARIE-SUR-OUCHE et GISSEY : 1 camion détruit, 6 chevaux tués, 10 Allemands tués, plusieurs blessés. Le 9 Septembre, ferme du TREMBLOY : 5 prisonniers. Total des pertes ennemies : 81 Allemands tués ; 15 Allemands prisonniers.

COMPAGNIE MADAGASCAR

Services Annexes ayant dépendu de l'Unité

RENSEIGNEMENTS - LIAISONS - REQUISITIONS

MISSIONS DIVERSES

A. - DIJON

1) Eléments constitutifs à mon arrivée à DIJON, le 25 Mai 1944. Rentrant d'ALLEMAGNE, après évasion, j'ai eu immédiatement contact avec des éléments de Résistance par l'intermédiaire de mon beau-frère, Roger NAGEL, entrepreneur de transports, Rue Jehan-de-Marville, à DIJON. Ce dernier, sous-lieutenant de réserve d'aviation, fut blessé par balle à la jambe droite en combat aérien, le 6 Septembre 1939, puis commotionné le 22 Juin 194O (abattu en mission de protection au Nord de RIOM). Après sa démobilisation, il a abandonné son domicile à FAULQUEMONT (MOSELLE) pour rester Français ; de souche Lorraine, il s'est ainsi soustrait au recensement allemand. A DIJON, pendant les années d'Occupation, il a lutté contre l'ennemi, d'abord en liaison avec tous les Lorrains réfugiés dans la région, puis ensuite en liaison étroite avec un groupe de patriotes. Il a été pour moi un auxiliaire particulièrement précieux, me fournissant argent, vivres, renseignements, utilisant le chauffeur Jean BOEUF en liaison journalière DIJON-LA REPUBLIQUE. Celui-ci, employé à la Laiterie de BOURGOGNE, transportait les colis et les déposait chez VALTI, à LA REPUBLIQUE. D'autre part, le domicile de NAGEL était le point d'attache de toutes mes missions à DIJON, avant que je ne lui donne l'ordre de rejoindre l'Unité. 2) Action générale du service fonctionnant à DIJON. - Renseignements indispensables à la bonne exécution des missions à DIJON. - Etablissement et envoi à l'Unité d'un petit stock de vivres, en attendant que fonctionne normalement la réquisition, dans la région où opérait l'Unité. - Recrutement de membres particulièrement dynamiques. - Réquisition sur DIJON des véhicules nécessaires à la formation de la section de transport. - Constitution d'un léger stock de pansements et matériel de première urgence, par achats dans le commerce. - Réquisition de vivres et de matériel au bénéfice des Compagnies de Maquis " LIBERTE ", " MADAGASCAR ", " PERDRIX " et " MORANE ". 3) Liste des membres ayant collaboré avec le lieutenant NAGEL JACQUERON (André), n° mle 8552, né le 8 Mai 1912, à DIJON (COTE-D'OR). (JACQUERON avait déjà de l'action dans la Résistance de l'YONNE, en 1943. Il a pris la direction à DIJON, après que NAGEL eut rejoint la Compagnie). CONDEMINE (André), n° mle 15534, né le 15 Mars 1914, à MARYERIE-HAUCOURT (MARNE). PARMENTIER (Gaston), n° mle 2O511O, né le 2O Novembre 191O, à BARY (OISE). SCHMITZ (Emile), sous-officier allemand anti-nazi. - Actuellement sous-officier à la Légion Etrangère en EXTREME-ORIENT. Incorporé à l'Unité fin Août 1944. FOLIGUET (Michel), né le 21 Novembre 1913. - Incorporé à l'Unité le 23 Août 1944. THEURET (Paul), né le 4 Décembre 1911, à BAULME-LA-ROCHE (COTE-D'OR). - Dit " Sergent Albert ", du groupe de MOSELLE. (Capitaine AUBRY).

B. - POSTES DE RENSEIGNEMENTS

FONCTIONNANT HORS DIJON

LA CUDE. - Mr et Mme POUFFIER, " AUBERGE DU RELAI ".

VELARS-SUR-OUCHE. - Mlle JACQUET, mariée au déserteur alsacien de l'armée allemande, JOST. M. PAQUETTE.

LA REPUBLIQUE. - M. VALTI.

AGEY. - M. le Curé d'AGEY ; M. et Mme DENUIT ; M. et Mme BESANÇON.

GRENANT. - M. Maxime MERCUSOT et sa famille.

VALLEE-DE-L'OUCHE. - Famille BOURDILLAT, Ecluses 34 et 37.

LA BUSSIERE. - Comte et Comtesse de MONTALEMBERG. (En outre, poste de secours pour nos blessés). - Famille PARISOT.

FERME DE LA FORET. - Famille BARBE.

SOLES. - M. HEBERSCHPECHER, cafetier.

CAMMARIN. - Docteur SAULGEOT.

FERME DE LA RENTE-NEUVE. - M. LAURENT.

ESBORDES-LES-VANDENESSE. M. TAINTURIER. (En outre, poste de secours pour les blessés).

REMILLY-EN-MONTAGNE. - Mme et Mlles MAILLY. Mme Lucie JACSON, veuve CADAUT.

PLOMBIERES-LES-DIJON. - Mme MORELOT (Andrée).

PRALON. - M. SEGUIN.

SAINT-VICTOR-SUR-OUCHE. - HOLLNER, Yves (jusqu'au 31 Août 1944).

LIAISONS. - Mme MORELOT (Andrée) ; Mme NAGEL (Suzanne) ; Mlle HEBERTSPECHER ; M. HEBERTSPECHER ; M. Jean BOEUF, chauffeur à la Laiterie de BOURGOGNE.

DECORATIONS OBTENUES

par les membres de l'Unité,

pendant la durée

des combats, de 1939 à 1945.

*

**

BERTRAND (Léon), pseudonyme " LE MALGACHE ", n° mle 228 - 135O. Citation à l'Ordre du Régiment. - Ordre n° 1O55 du 2O Juin 1942 : " Très dévoué, a refusé de suivre ses camarades dans la retraite forcée que les blindés ennemis ont imposée à nos Unités, préférant la mort face à l'ennemi que de se replier ". Médaille Militaire. (Arrêté Ministériel du 21 Fév. 1944). Médaille de la Résistance. (Décret du 24 Avril 1946, Art. 38). Croix de Chevalier de la Légion d'Honneur et Croix de Guerre avec palme. (Décret du 5 Août 1946. J.O. du 3 Septembre 1946, p. 1523). Sont promus ou nommés dans l'Ordre National de la Légion d'Honneur, pour services exceptionnels de guerre, au grade de Chevalier. " Fait prisonnier durant la campagne de FRANCE, en 194O, réussit une audacieuse évasion après plusieurs tentatives infructueuses. Dès son retour en FRANCE, s'est mis au service de la Résistance. Animé des plus belles qualités de chef, a constitué de sa propre initiative la Compagnie MADAGASCAR. Ayant établi dans la région de DIJON sa zone d'activité, parvient à capturer de grandes quantités de matériel à l'ennemi, à lui infliger des pertes sévères au cours d'embuscades soigneusement préparées. A réussi, par d'intelligentes manoeuvres, à disperser d'importantes formations ennemies, faisant quinze prisonniers et tuant quatre-vingt-un soldats et officiers allemands. Admirable entraîneur d'hommes, toujours volontaire pour les missions dangereuses, en toutes circonstances sut faire montre des plus belles qualités militaires et du plus parfait esprit de sacrifice ". LEVEQUE (Jean),pseudonyme " LEVASSEUR ", n° mle 228 - 136O. Citation à l'Ordre du Corps d'Armée : " Officier de maquis calme, courageux, volontaire, énergique, déjà cité, deux fois blessé, a rejoint l'Unité à peine guéri, le 5 Septembre 1944. " Commande, le 7 Septembre 1944, le dispositif avancé. Met en place les différents groupes chargés d'interdire la Vallée-de-l'Ouche aux troupes allemandes. Fait placer deux verrous, neutralisant les infiltrations allemandes en direction d'AGEY. " En cette journée, fait montre de très brillantes qualités militaires, provoquant l'envoi de renforts sur les points sensibles, assurant la liaison et le ravitaillement en munitions. Impose son dynamisme à tous. En fin de journée, 76 hommes sont engagés. Les éléments ennemis en désordre sont refoulés de l'autre côté de la Vallée-de-l'Ouche et se réfugient dans les bois. Plus de 3O Allemands sont tués. L'Unité n'a qu'un des siens tués à l'ennemi. Citation à l'Ordre de la Division. - Gouvernement Militaire de LYON. - Etat-major n° 137 du 28 Juillet 1945. " Jeune officier de valeur et d'une grande bravoure, Résistant de la première heure. " Lors de l'attaque du camp d'ATTIGNAT-ONCIN, le 19 Mai 1944, s'est dévoué pour permettre le repli de ses hommes, causant de lourdes pertes aux Allemands ". Citation à l'Ordre du Régiment. - Ordre général n° 3 du Général KOENIG, ex-commandant F.F.I., en date du 18 Septembre 1945. " Arrivé à l'Unité en Juillet 1944, après avoir servi pendant deux ans et demi dans la Résistance en SAVOIE et HAUTE-SAVOIE, s'est révélé un chef de détachement parfait. " Au cours d'un engagement avec l'ennemi, a été un modèle de bravoure pour ses hommes. A été grièvement blessé à SOMBERNON (COTE-D'OR), le 16 Août 1944 ". Citation à l'Ordre de la Brigade. - Ordre général n° 1O2 du 11 Décembre 1944. - 1ère D.M.I. " Sous-officier qui a fait preuve, au cours de l'avance particulièrement pénible du 2O au 26 Novembre 1944, des plus belles qualités de commandement et de courage, obtenant un excellent rendement de sa section, composée de soldats jeunes et mal entraînés. S'était déjà distingué dans le maquis au cours d'opérations en HAUTE-SAVOIE ". Citation à l'Ordre du Corps d'Armée. - Ordre général n° 212 du 4 Juin 1945. - 1ère D.M.I. " A rempli les fonctions de chef de section durant toute la bataille d'ALSACE. Malgré de violents bombardements et la fatigue générale de ses hommes, les a menés jusqu'à leur objectif qu'ils ont conservé durant trois jours dans des conditions physiques très dures et malgré des pertes sévères ". Médaille de la Résistance. (Décret du 24 Avril 1946). ROYER (Paul), pseudonyme " KAUFMANN ou POLY ", n° mle 228 - 1359. Mort au Champ d'Honneur le 2 Septembre 1944. Citation à l'Ordre du Régiment. - Ordre général n° 3 du Général KOENIG, ex-commandant F.F.I., en date du 18 Septembre 1945. " Au cours d'une agression allemande à SOMBERNON, a poursuivi l'ennemi, l'a chassé, a été légèrement blessé au front par éclat de balle explosive ". Citation à l'Ordre de la Brigade. - Ordre général n° 2O de la 8ème Région Militaire, en date du 15 Août 1945. " Le 28 Juillet 1944, au cours d'une agression allemande, a tenu seul pendant vingt minutes contre un fusil-mitrailleur allemand, a tué plusieurs ennemis et a fait fuir les autres, alors que le groupe voisin, situé à sa droite et commandé par BAYARD venait de décrocher par une fausse manoeuvre ". (Décret du 29 Novembre 1945). La Médaille Militaire est conférée à titre posthume, avec Citation comportant l'attribution de la Croix de Guerre avec palme. " Le 2 Septembre 1944, au cours d'une mission, a participé à l'attaque de trois camions allemands stationnés sur la Route Nationale n° 5, entre PONT-DE-PANY et la CUDE, ouvrant le feu à trente mètres du premier véhicule allemand, a tué plusieurs de ses occupants et a permis la mise en oeuvre de deux armes automatiques. Un fusil-mitrailleur cessant le feu à la suite d'un incident de tir et devant la menace d'encerclement, a continué à combattre, tenant en respect l'ennemi et permettant à son chef d'enlever la voiture de liaison sous le feu. A été tué à son poste, sauvant par son magnifique courage et son esprit d'abnégation son chef et un de ses camarades ". FORT (Albert), pseudonyme " FAVRE ", n° mle 228 - 1358. Citation à l'Ordre de la 1ère Armée Française. - Notification n° 1345 E.M.1. du 17 Janvier 1945. " Vient des maquis de HAUTE-SAVOIE. Volontaire pour toutes les missions dangereuses, a échappé à plusieurs reprises miraculeusement à la mort, n'a jamais faibli, continue à combattre dans les rangs de l'Armée DE LATTRE DE TASSIGNY ". Ordre du Régiment n° 72. Le lieutenant-colonel de METZ, commandant le 2ème R.I.C., Vu l'Article…, etc, porte à la connaissance du Régiment les extraits du JOURNAL OFFICIEL des 1O et 21 Mai 1946. Par Décret en date du 14 Mars 1946, est décoré de la Médaille Militaire, le militaire dont le nom suit : FORT (Albert, Jean), caporal au B.M.5. " Gradé d'un courage exemplaire, volontaire pour toutes les missions dangereuses. Le 17 Avril 1945, a été grièvement blessé par éclats de mines alors qu'il se portait spontanément au secours d'un camarade blessé près de PORT-SAINT-LOUIS, entre MENTON et VINTIMILLE. " Paralysie totale des membres inférieurs ". Cette Citation comporte, en outre, l'attribution de la Croix de Guerre avec palme. TARLET (Victor), pseudonyme " BALIVEAU ", n° mle 228.1386. Citation à l'Ordre de la Brigade. - Ordre général n° 16 de la 8ème Région Militaire. " A attaqué à la grenade un camion chargé d'Allemands. Le lendemain, a participé avec sa section aux combats de harcèlement de SAINTE-MARIE-SUR-OUCHE ; le jour suivant, au cours d'une patrouille, s'est heurté à un fort convoi allemand, a causé de lourdes pertes à l'ennemi et a réussi à décrocher sans perte. Continue à combattre dans les rangs de la 1ère Armée ". Citation à l'Ordre du Corps d'Armée. - Ordre général n° 152 du 22 Février 1945. " Venu des F.F.I. où il s'était déjà distingué, s'est fait remarquer dès son arrivée par son courage réfléchi et ses qualités militaires. Pris à partie par de fortes patrouilles allemandes les 29 et 3O Septembre 1944, dans le bois de SAINT-GEORGES, s'est immédiatement imposé par son sang-froid et son initiative, réussissant à arrêter l'ennemi. S'est à nouveau distingué le 22 Novembre 1944, procédant de nuit, à la tête de son groupe, à la reconnaissance de maisons de GIROMAGNY, à travers les défenses accessoires accumulées par l'ennemi. " Le 23 Novembre 1944 fait, avec son groupe, une quarantaine de prisonniers dans le bois aux environs de LEPUIX-GY ". Citation à l'Ordre de la Division. - Ordre général n° 373 du 9 Mai 1945. " Sous-officier d'élite, d'un calme et d'un courage remarquable, plusieurs fois cité. A été grièvement blessé le 23 Mars 1945 au cours d'une patrouille, se créant un passage à travers un champ de mines ". MARTIN (Roger), pseudonyme " MANU ", n° mle 228 - 1355. Citation à l'Ordre de la 1ère Armée Française. - Notification n° 1346 E.M.1. " Alsacien-Lorrain ayant refusé d'abdiquer, a participé à de multiples actions contre l'ennemi. Brave jusqu'à la témérité, a tenu tête notamment au combat de LA REPUBLIQUE, à un fusil-mitrailleur allemand sans reculer de dix centimètres. Venait des maquis de SAVOIE où il avait deux ans d'action ". Citation à l'Ordre de la Brigade. - Approbation n° 1983 CH en date du 21 Avril 1945, du Général commandant la 1ère Armée. " Excellent pilote de storm-boat, a manifesté les plus belles qualités de sang-froid en assurant, de nuit et sous le feu de l'ennemi, le passage d'un commando lors d'un coup de main effectué sur la rive allemande du RHIN le 17 Mars 1945, dans la région de KEMS. Le 31 Mars 1945, a de nouveau pris part aux opérations de passage du RHIN par l'infanterie d'assaut dans la région de LINGENFELD, malgré les réactions de l'artillerie et des casemates ennemies ". LIOUTIKOFF (Alexandre), pseudonymes " ALEXANDRE " ou " SACHA ". Citation à l'Ordre du Régiment. - Ordre général n° 3 du Général KOENIG, en date du 18 Septembre 1945. " Tireur d'élite au fusil-mitrailleur, toujours volontaire pour les missions dangereuses. Le 16 Août 1944, lors d'une agression allemande à SOMBERNON, a été grièvement blessé faisant face à l'ennemi et continuant à combattre à coups de poing, après avoir eu son fusil-mitrailleur enrayé ". TAILLEFER (Robert), pseudonyme " EDY ", n° mle 228 - 1458. Citation à l'Ordre du Régiment. - Ordre général n° 19 de la 8ème Région. " Au cours des deux premiers engagements auxquels il participait, exposé aux rafales ennemies sur le bord de la route, n'a pas cessé de tirer, a tué et blessé plusieurs ennemis. A effectué ensuite des reconnaissances dangereuses et a rendu un compte exact de ses missions, le 22 Août 1944, et à SAINTE-MARIE le 7 Septembre 1944 ". FLORENTIN (Robert), pseudonyme " NICHON ", n° mle 228 - 139O. Citation à l'Ordre du Régiment. - Ordre général n° 14 de la 8ème Région Militaire. " Jeune maquisard, s'est révélé au feu. A fait preuve d'un grand courage et du plus parfait mépris du danger. Encerclé, le 7 Septembre, à SAINTE-MARIE-SUR-OUCHE, a fait face et a permis le décrochage ".MELINAND (Charles), pseudonyme " CHARLOT ", n° mle 228 - 14O6. Citation à l'Ordre du Régiment. - Ordre général n° 14 de la 8ème Région Militaire. " Au premier engagement auquel il participait, malgré son jeune âge et quoique attaqué par une quinzaine d'Allemands, alors que le fusil-mitrailleur qu'il servait était enrayé, a fait preuve d'un grand courage au cours du repli à découvert. A repris peu après le combat et s'est vaillamment comporté ". FICHOT (Julien), pseudonyme " BAYARD ", n° mle 228 - 1354. Citation à l'Ordre du Régiment. - Ordre général n° 27 de la 8ème Région Militaire. " Le 28 Août 1944, a pris part à l'attaque d'un convoi allemand près de SAINT-JEAN-DE-BOEUF, faisant preuve d'un profond mépris de la mort, a causé des pertes sévères à l'ennemi et détruit un camion ". BOURDILLAT (Roger), agent de liaison n° mle 228 - 1487. Citation à l'Ordre du Régiment. - Ordre général n° 17 de la 8ème Région Militaire. " Membre de la Résistance depuis Mai 1942, agent du groupe local de LANTENAY en 1943. " Avec un sang-froid à toute épreuve, a assuré le transport d'armes et de munitions, hébergé et ravitaillé de nombreux patriotes, dans le plus complet désintéressement, assuré le rassemblement d'un nombre important de maquisards des groupes MADAGASCAR et LIBERTE. " S'est comporté d'une façon remarquable le 18 Juillet 1944 en sauvant un agent de liaison blessé à l'attaque d'ARCEY (COTE-D'OR) et l'a soustrait aux recherches ennemies après vingt-quatre heures d'efforts. " S'est distingué lors de la Libération de SAINTE-MARIE au côté des hommes de la Compagnie MADAGASCAR. " Patriote ardent, au dévouement absolu et digne des plus vifs éloges ". Mme MORELOT, née MARANGE. Citation à l'Ordre du Régiment. - Ordre général n° 3 du Général KOENIG, commandant en chef en ALLEMAGNE, ex-commandant F.F.I., en date du 18 Septembre 1945. " Agent de liaison, a assuré les liaisons de la Compagnie en circulant au milieu des convois ennemis et notamment dans la semaine précédant l'arrivée des troupes Alliées. " Est tombée gravement malade à la suite des fatigues encourues ". MARANGE (Emile), sous-lieutenant. Citation à l'Ordre de la Division. - Ordre général n° 29 de la 8ème Région Militaire, en date du 31 Oct. 1945. " A, le 12 Août 1944, pris contact avec le poste de garde du tunnel de BLAISY-BAS (Russes blancs et Mongols) par l'intermédiaire d'une Soeur, interprète bénévole. A négocié la désertion du poste pour le lendemain 13 Août 1944 à 14 heures. " Averti le 12 Août à 18 heures de la trahison d'un sous-officier russe, a réussi à capturer l'officier chef de poste et son ordonnance, les a gardés pendant 7 heures, n'ayant pour toute arme qu'un revolver inutilisable, et les a remis à son chef, qu'il avait alerté. " A fait preuve, à cette occasion, d'un courage remarquable et d'un sang-froid extraordinaire ". Comtesse de MONTALEMBERT. " Au cours de la période insurrectionnelle Juin-Sept. 1944, s'est dépensée sans compter au bénéfice des blessés de l'Unité, s'imposant de vivre dans un poste de secours installé au milieu des bois, risquant la déportation et la mort ". Citation à l'Ordre de la Division. - Ordre général n° 24 de la 8ème Région Militaire en date du 5-1-1947. Référence n° 6O/P. MAILLY (Victor), pseudonyme " TARZAN ", n° mle 228 - 1365. " Modèle de chef de groupe, brave et dévoué, quoique blessé pendant la campagne 39-4O et réformé 65 %, a participé dès Juin 1944 à la Résistance active à la Compagnie LIBERTE, puis à la Compagnie MADAGASCAR. " A participé à de nombreuses actions contre l'ennemi, lui causant chaque fois des pertes élevées, notamment le 5 Septembre 1944 Route Nationale n° 5 entre la BELLE-IDEE et LA REPUBLIQUE, où il attaquait avec son groupe des éléments motorisés. Les a dispersés, a tué un ennemi, fait 1 prisonnier et s'est emparé d'une motocyclette allemande. " A gardé en toutes circonstances un imperturbable sang-froid et a su insuffler à son groupe un dynamisme extraordinaire. Engagé volontaire pour la durée de la guerre le 16 Septembre 1944 à la 1ère D.F.L. ". GEORGES (Michel), pseudonyme " DON QUICHOTTE ", n° mle 228 - 1399. Ordre général n° 6 du 28-3-1947 : " Gradé jeune et dynamique, s'est signalé plusieurs fois par l'exécution de missions particulièrement périlleuses. " Le 7 Septembre 1944, après une embuscade manquée, a rejoint avec ses hommes les autres groupes de l'Unité à SAINTE-MARIE-SUR-OUCHE, a pris une part active aux combats et contribué à la défaite ennemie ". CHATELET (Julien), pseudonyme " LA GOUPILLE ", n° mle 228 - 1372. Ordre général n° 5, du 28-3-1947 : " Excellent chef de section. Calme et courageux. A dirigé, dans la nuit du 26 au 27 Août 1944, une section de sabotage contre la voie ferrée DIJON-PARIS, a coupé la voie et ramené ses hommes au complet. " Le 7 Septembre 1944, à SAINTE-MARIE-SUR-OUCHE, se distingue à la tête de son groupe en stoppant et mettant en fuite plusieurs groupes ennemis ". GODE (Lucien),pseudonyme " PAULO ", n° mle 228 - 141O. Ordre général n° 5 du 28-3-1946 : " Modèle de chef de groupe, ardent et courageux. Au cours des engagements du 7 Septembre, à SAINTE-MARIE-SUR-OUCHE, a bloqué, à la tête de ses hommes, une forte patrouille allemande qui tentait de couper nos lignes, mettant hors de combat plusieurs ennemis et faisant fuir les autres ". FOLIGUET (Michel), né le 21 Novembre 1913, à BESANÇON. " Le 7 Septembre 1944, à SAINTE-MARIE-SUR-OUCHE, assure la liaison motocycliste avec un mépris absolu du danger, en traversant une zone battue par le feu ennemi. " Le 9 Septembre 1944, au cours d'une liaison, fait seul cinq prisonniers à la ferme du TREMBLOY ".

COPIE DES ATTESTATIONS

DE BLESSURES

*

**

KEGELS (Gabriel), né le 7 Octobre 1918, à PANTIN (SEINE). " A été blessé d'une balle à la jambe, le 3O Juillet 1944. Faisant partie d'un groupe de reconnaissance, il a été blessé par un autre groupe à la suite d'une méprise, au combat de LEUZEU ". Pseudonyme " INTREPIDE ", n° mle 228 - 1358. LEVEQUE (Jean), né le 7 Oct. 1912, à NEVERS (NIEVRE). " A été blessé une première fois d'une balle dans la jambe, au combat du LEUZEU, le 3O Juillet 1944. " Blessé une deuxième fois à SOMBERNON, le 16 Août, a le côté droit traversé par une balle ". Pseudonyme " LEVASSEUR ", n° mle 228 - 136O. LIOUTIKOFF (Alexandre), né le 24 Novembre 1924, à KIEV (U.R.S.S.). " A été blessé le 16 Août au combat de SOMBERNON dans les circonstances suivantes : ayant eu son fusil-mitrailleur enrayé, a attaqué l'ennemi à coups de poing ; il a reçu deux balles dans chaque jambe et deux balles dans le côté gauche ". Pseudonymes : " ALEXANDRE " ou " SACHA ", n° mle 228 - 1368. DUCAROUGE (René, François), né le 9 Juillet 19O6, à MORNAY (SAONE-ET-LOIRE). " A été blessé le 2 Septembre 1944, au cours d'un engagement entre quatre de nos hommes et une trentaine d'Allemands, sur la Route Nationale n° 5, entre PONT-DE-PANY et la CUDE. Atteint d'une balle à l'arcade sourcilière et de nombreux éclats de balle explosive à la cuisse, il fut laissé comme mort sur le terrain ". Pseudonyme : " BRISE-FER ", n° mle 228 - 1358.

COMPTE-RENDU DE GESTION

DE LA COMPAGNIE

*

**

Les sommes suivantes ont été perçues ou récupérées par la Compagnie : Versé par l'organisation F.T.P.F................................... . 16 OOO " Récupéré à PANGES............................................................. 4O OOO " Versé par l'Etat-Major F.F.I. (Cdt Guy ALLIZON)..... 1OO OOO " Saisi sur un ingénieur allemand de SAINT-JEAN- DE-BOEUF................................................................................. 8O OOO " Don anonyme à la Compagnie, pour son action........ 2O OOO " ________ Soit au total, une somme de........................................... 256 OOO " ________ Sur cette somme, les membres de l'Unité ont perçu, à titre d'avance, 124 2OO francs. ; les plus favorisés ont été les mariés pères de famille et les nécessiteux. Sur l'actif, soit 131 8OO francs., une somme de 2O OOO francs. fut remboursée au capitaine MALGACHE, qui l'avait avancé personnellement à la Compagnie LIBERTE, courant Juin 1944. Les frais de mission représentant une somme relativement considérable, dépassant 5O OOO francs. La Compagnie a pris à sa charge les frais d'inhumation de ses deux morts, elle a versé également un secours immédiat à la famille de BOUCHARD, soit, au total, 1O OOO francs. Le disponible, utilisé pour achats de la main à la main, fut de 51 2OO francs. La saisie à PONT-DE-PANY, de 12 bêtes, réquisitionnées par les Allemands, la saisie également de sacs de ciment allemand, vendus par l'Unité, ont permis d'améliorer l'ordinaire.

APPENDICE

**

L'ACTION DU PARTI COMMUNISTE DANS LES F.T.P.F. OU L'ART DE FAIRE TIRER LES MARRONS DU FEU POUR LES MANGER Tardif acteur dans la Résistance française où j'ai simplement essayé de continuer à servir en soldat, j'ai été très fâcheusement impressionné par les ordres d'exécution que je recevais de l'organisation F.T.P.F. J'ai fait une sérieuse étude de ce mouvement et ai le devoir d'exposer les résultats de mon enquête. Au départ les F.T.P.F. étaient les soldats du Front Populaire qui groupait dans son sein tous les Partis de Gauche contre l'Occupant. Or en COTE-D'OR au moment de mon arrivée le Parti Communiste, suivant sa manière habituelle qui est toujours payante, avait noyauté l'Etat-Major et accaparé tous les postes de direction. Il en était résulté une organisation bicéphale : - d'un côté les milices patriotiques, armées et se terrant - d'un autre côté les Maquis F.T.P.F. où les communistes se comptaient sur les doigts et où il fallait se démerder si on voulait des armes. (Aucune des recrues qui sont venues dans mon Maquis ne m'ont dit lorsque je les ai questionnées à leur arrivée : je suis communiste, comme cela se serait passé s'ils l'avaient été). Je suis donc convaincu qu'il a existé au moins un Maquis F.T.P.F. sans communiste : le mien. Comment expliquer cet état de fait ? Très simplement. L'Etat-Major F.T.P.F. appliquait à la lettre les directives du Parti à savoir : Autant que possible aucun élément du Parti ne doit être engagé dans une action dangereuse. La lutte contre l'Occupant est une simple nécessité présente. Il ne faut pas perdre de vue que le but à atteindre est la PRISE DE POUVOIR A LA LIBERATION DU TERRITOIRE. C'est clair et sans équivoque. Ces malins manquaient cependant trop de Cadres pour pouvoir opérer cette prise de pouvoir. Ils ont cependant vigoureusement orchestré leur propagande. Ils ont naturalisé tous les F.T.P.F. et tous les fusillés, tous sont devenus communistes. Ils ont obtenu un succès électoral non négligeable. Et la Vice-Présidence du Conseil a été attribuée à leur grand spécialiste de la clandestinité : le héros international THOREZ. Il est évident qu'aucun Juif, aucun Socialiste, aucun Radical, aucun Républicain, aucun militant de Combat, de Libération, ni d'autres organisations de Résistance n'ont été fusillés seuls l'ont été ceux appartenant au parti des fusillés : au Parti Communiste. " Et voici pourquoi votre fille est muette " disait MOLIERE.

Documents

Ct le CD