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Général Jacques SOCKEEL

Général Robert GIRARD

098

L'opération "Atlante"

Guerre d'INDOCHINE

Nice - Janvier 1992

Analyse des témoignages

Écriture : 1991 - 40 Pages

POSTFACE de Michel EL BAZE

Que deux Généraux de l'Armée Française s'allient pour confronter leurs mémoires et éclairer des événements qu'ils ont chacun vécus en des points différents au cours de la Guerre d'Indochine, voilà une expérience exceptionnelle dans notre recueil de témoignages qui mérite d'être soulignée. D'autant qu'il s'agit de deux personnalités qui montrent, parce qu'il en est toujours besoin, leur courage et leur détermination à dire le vrai naguère, quand il leur paraissait évident, sur le terrain et même en campagne que l'autorité supérieures se trompait, allant jusqu'à dire "non" quand il a fallu et aujourd'hui encore, par leur apport sans fard à l'écriture de l'histoire "d'une magnifique aventure française aux pays lointains". C'est aussi dans cette esprit, avec cette même rectitude intellectuelle que la vérité historique dont le général Girard se fait le défenseur dans son combat civique, a l'avantage de se vouloir "ouverte à tous sans formalités ni arrières pensées", c'est à dire être l'expression naturelle de chaque membre du monde combattant . Avec lui nous refusons de la voir présentée comme l'apanage de quelques uns ou appréciée comme un matériau de récupération, par quelque "structure" que ce soit.

Introduction du Général Girard

Les témoignages du Général Jacques Sockeel et du Général Robert Girard sur l'opération "Atlante", pendant la Guerre d'Indochine, sont particulièrement significatifs. Parce qu'ils traitent de la "Période française" de cette guerre, et dans ses derniers temps, et qu'ils font entrevoir, à l'opposé de jugements sommaires, qu'il s'agissait de beaucoup plus qu'une situation de décolonisation dans une partie bien limitée de notre planète. Parce que les auteurs appartiennent à deux générations successives d'officiers français, qui ont vécu une même aventure à des niveaux de responsabilité différents, et selon des expériences distinctes, pour se retrouver dans une commune vision d'hommes de terrain. Il apparaît assez clairement que les responsables français de la Guerre d'Indochine ne ressentaient pas, en 1953, que l'équilibre des forces basculait progressivement en notre défaveur, comme il semble s'avérer rétrospectivement à la lueur du dénouement de 1954. Il faut préciser en cela, que ces responsables était en fait des militaires, le Gouvernement français n'ayant qu'une détermination vacillante, peu sûr qu'il était de l'opinion publique en Métropole, travaillée par les soutiens de l'Internationale communiste, et lasse d'endurer la guerre depuis 1939. La volonté politique du Chef du Gouvernement vietnamien allié, juridiquement indépendant depuis plusieurs années n'était malheureusement pas plus évidente. Quant aux Cambodgiens et Laotiens, leur confiance dépendait forcément de celle montrée par le partenaire prépondérant, le Viet-Nam. Aux yeux donc des responsables militaires, portés à compter d'abord sur les moyens de leur spécificité (n'est-ce pas Mao-Tse-Toung, d'ailleurs, qui a dit que la politique était au bout du fusil ?), la situation s'améliorait avec la mise sur pied en cours des armées et des administrations nationales alliées. Si elles n'avaient subi qu'un seul échec sérieux, la destruction d'une colonne à Cao-Bang en 1950, les forces du Corps Expéditionnaire français avaient enregistré des succès notables, tant dans la reconquête du terrain et des populations dans le Sud, que dans les batailles d'unités mobiles ailleurs. Le fait que les forces sous commandement français comptaient une bonne moitié de combattants d'origine indochinoise, qui valaient assurément ceux d'en face, laissait bien augurer des armées nationales en formation. Il convient de noter encore que les Officiers du Haut État-Major, imbus de la supériorité intellectuelle de la tradition française, et percevant mal la nature exacte des procédés et possibilités de l'adversaire, ne pouvaient que cultiver cet optimisme. Jugement que l'on aurait sans doute tempéré si l'on avait étudié cet adversaire avec plus de pénétration et de modestie, ce qui ne manquait pourtant pas à bien des combattants expérimentés. Comme le fait remarquablement découvrir le Général Sockeel, c'est dans ce contexte, et pour mettre à profit en quelque sorte le temps de la montée en puissance des forces nationales alliées, que l'on décida l'Opération "Atlante", pour réduire l'enclave Viet-Minh du Lien-Khu V, dite poche de Qui-Nhon, plantée comme un abcès sur la côte du Centre-Annam. Dans cette optique, Dien-Bien-Phu n'était qu'un moyen de fixer les forces adverses du Nord, pour assurer la liberté d'action de l'effort principal "Atlante", comme on l'enseigne dans les bonnes écoles de stratégie. Mais voilà, on ne tint pas assez compte des capacités largement renforcées des forces de manoeuvre Viet-Minh, ni de la volonté politique de leur Gouvernement de jouer le va-tout de la "Contre-Offensive générale", sentant en France la situation de plus en plus mûre pour une "véritable négociation", c'est-à-dire un abandon de la partie. On chuchotait bien entre combattants du Corps Expéditionnaire, que le précédent du Camp retranché de Na San, qui servait de caution à celui de Dien-Bien-Phu, avait frôlé de justesse la catastrophe. On disait aussi que les unités d'intervention Viet-Minh se faisaient précéder et accompagner d'une logistique de fourmis, passant pour insaisissable, et pourtant composante éminemment vulnérable de leur manoeuvre pour un adversaire tant soit peu souple et imaginatif. Mais a-t-on jamais vu une Armée attaquer "logistique en tête" comme le disait une plaisanterie d'État-Major éculée ? C'est donc dans ces conditions que fut engagée l'Opération "Atlante", objet de ces témoignages. Le courage des combattants ne fut jamais en cause, mais plutôt une surestimation de la maturité du jeune État vietnamien et une sous-estimation de l'adversaire. Le résultat fut là pour le démontrer, et nul des participants ne peut se remémorer ces combats, sans revivre leur intensité dramatique. Le Général Jacques Sockeel, né en 1907, reçut sa première citation au Maroc, en 1925. Depuis 1939, il vécut la guerre de façon quasi-ininterrompue. A la 1° Division Française Libre (Italie, France, Allemagne). Pendant huit années en Indochine, comme Commandant de Secteur, puis de Groupement Mobile à l'Opération Atlante et Commandant des éléments de recueil du Groupement Mobile 100 à la sortie d'An-Khe. Comme Commandant de Secteur en Algérie. Il totalise 18 citations, dont 12 avec palme, et a été élevé au rang de Grand-Officier de la Légion d'Honneur. Le Général Robert Girard, né en 1923, connut la fin de la II° Guerre Mondiale. Il a effectué deux séjours de guerre en Extrême-Orient, l'un comme Chef de Section de Montagnards indochinois et Commandant de Quartier en forêt Est du Sud Viet-Nam, l'autre comme Officier de Renseignement du G 100 et Commandant temporairement du Commando Bergerol (Opération Atlante). Il a servi quatre ans pendant la Guerre d'Algérie, comme Commandant de Sous-Quartier, puis d'une unité d'intervention. Il totalise 9 citations, dont 3 avec palme, il est Commandeur de la Légion d'Honneur. Tous deux sont issus des Troupes de Marine et Brevetés d'Études Militaires Supérieures.

*

**

Le témoignage du général Jacques Sockeel

est extrait d'entretiens qu'il a eus avec son cousin,

le Professeur Michel Verhaeghe, de l'Académie de Médecine et de Chirurgie.

Ce dernier avait voulu connaître plus en détail

le passé du très beau soldat que fut son parent,

et il en a transcrit la relation pour en instruire la postérité.

Testimonies of the General Jacques Sockeel and the General Robert Girard on the operation Atlante, during the War of Indochina, are particularly significant. Because they process the "French Period" of this war, and in its last times, and they make glimpse, the summary judgement reverse, that it is acted far more a situation of décolonisation in a part well limited of our planet. Because authors belong to two successive generations of French officers, that have lived a same adventure to different responsibility levels, and according to distinct experiences, to to be found in a common vision of men of terrain. It appears enough clearly that French superintendents of the War of Indochina did not feel, in 1953, that the balance of forces rocked gradually in our "défaveur", as it seems to prove retrospectively to the gleam of the result of 1954. It is necessary to specify in that, that these superintendents was in fact soldiers, the French Government having no determination not sure what was the public opinion in Metropolis, worked by endorsements of the International communist, and weary to endure the war since 1939. The political will of the Chief of the Vietnamese Government ally, legally independent since several years was unfortunately more evident. As for Cambodians and Laotiens, their confidence depended inevitably on that shown by the preponderant partner, the Viet-Nam. To eyes therefore of the responsible soldiers, carried to count of approach on ways of their spécificity (it is Mao-Tse-Toung, elsewhere, that has told that the policy was to the end of the gun ?), the situation improved with the under way army setting-up and national administration allies. If they had undergone an alone serious failure, the destruction of a column to Cao-Bang in 1950, forces of the French Expeditionary Corps had recorded notable success, so in the reconquest of the terrain and populations in the South, that in battles of mobile units elsewhere. The fact that forces under French commandment counted a good half of combatants of origin indochina, that costed assuredly these of in face, leash well think of national armies in training. It invite to note albeit Officers of the High Headquarters, full of the intellectual superiority of the French tradition, and perceiving badly the exact process nature and possibilities of the adversary, could only cultivate this optimism. Judgement that the one would have without temperate doubt if the one had studied this adversary with more penetration and modesty, what would not lack nevertheless to well of experimented combatants. As the fact remarkably discover by the General Sockeel, it is in this context, and to put to profit in some leaves the time of the climbing in national force power allies, that one decided the Operation Atlante, to reduce the enclave Viet-Minh by the Lien-Khu V, told poaches of Qui-Nhon, planted as an abscess on the coast of the Center-Annam. In this optic, Dien-Bien-Phu was a means of to fix adverse forces of the North, to insure the liberty of action of the main effort Atlante, as one say in good schools of strategy. But here is, one not has had enough account of largely strengthened capacities of forces of manoeuvre Viet-Minh, neither the political will of their Government to play goes it-whole from the Against-general Offensive, feeling in France the situation increasingly mature for a real negotiation, it is to tell a desertion of the part. One whispered between combatants of the Expeditionary Corps, that the precedent of the trenched Camp of Na San, that served as caution to that Dien-Bien-Phu, had brushed precision the catastrophe. One told also that units of intervention Viet-Minh were made precede and accompany of a logistics of ants, passing for unassailable, and nevertheless a thing eminently vulnerable of their manoeuvre for an adversary so is little supple and imaginative. But has-one ever seen an Army to attack logistic in head as told a joke of old Headquarters ? That is therefore in these conditions that was committed the Operation Atlante, object of these testimonies. The courage of combatants never was in cause, but rather an overestimate of the maturity of the young Vietnamese State and one under-estimation of the adversary. The result was there to demonstrate it, and null of participants can not remind these combats, without reliving their dramatic intensity. The General Jacques Sockeel, born in 1907, had his first quotation to Morocco, in 1925. Since 1939, it lived the war of manner quasi-uninterrupted. To First Free French Division (Italy, France, Germany). During eight years in Indochina, as Commander of Sector, then Mobile Grouping to the Operation Atlante and Commander of elements of collection of the Mobile Grouping 100 to the exit of An-Khe. As Commander of Sector in Algeria. His totals 18 quotations, whose 12 with palm, and has been raised to the rank of Great-Officer of the Legion of Honor. The General Robert Girard, born in 1923, has know the end of the second World War. He has undertaken two war stays in Extrême-Orient, on as Chief of Section of Indochina Highlander and Commander of Quarter in forest East of the South Viet-Nam, the other as Officer of Information of the G 100 and Commander temporarily of the Commando Bergerol (Operation Atlante). He has served four years during the War of Algeria, as Commander of Under-Quarter, then of a unit of intervention. He totals 9 quotations, whose 3 with palm, he is Commander of the Legion of Honor. All two are stemming from Troops of Navy and Patented of Military Studies Superior.

INTRODUCTION 6

Carte du Centre et Sud Annam 8

La mémoire 9

L'Opération "Atlante " 10

La situation générale en Indochine en Mars 1953 10

Commandement du secteur du Haut-Donaï 11

Le poste de Tan-Linh 11

Organisation des deux GM 41 et 42 13

Schéma du plan Navarre 13

Le poste de Dak-To tenu par les

Rhès - Soutien par le GM 42 14

L 'opération " Atlante " 16

Début de l'opération " Atlante " 17

L'art de Giap dans les opérations de guérillas 17

Prise de notre premier objectif

Qui-Nhon 19

Les premières difficultés

- Le drame de Dien-Bien-Phu 21

Arrêt de I'opération " Atlante " 22

Mi-Juin - Le Général Salan décide

que le G/M 100 doit évacuer Ankhé 22

24 Juin 1954 - L 'opération Eglantine

Pleïku 23

Au col du Mang-Yang 24

Je suis contraint de prendre

une décision très grave 25

Je reçois la charge du commandement

de la totalité des unités engagées 26

Epilogue personnel

Je ne fus pas inscrit au tableau d'avancement 27

Poursuite de l'opération "Eglantine" 28

Premier occrochage au pont de Dak-Ryunh 28

L'embuscade des Viet-Minhs 29

Opération Eglantine terminée à Pleïku 31

Une guerre de trop ? 31

L'opération de la dernière heure

Myosotis 33

Ramener le GM 42 à Ban-Mé-Thuot 33

17 Juillet 1954 34

L'embuscade et la bataille du Chu-Dreh 34

20 Juillet 1954 37

Cessez-le-feu - Partition du Vietnam 37

Relation de ces deux derniers combats

dans la revue historique de l'armée 38

L'opération "Eglantine " 41

Quelques réflexions 42

L'Histoire du G.M. 100 44

L'ambiance chez les adversaires en présence 45

L'opération Eglantine - La sortie d'An-Khé 46

Sur le maintient du moral 47

L'interférence des acteurs extra-militaires

dans la tactique 48

DOCUMENTS 50

Ordre du jour n° 2 60

Ordre du jour n°3 63

Ordre général n° 59 68

La mémoire

La mémoire : seul bagage incessible

Jacques ATTALI

L'Opération "Atlante "

J. SOCKEEL : Le Général Salan commandait en chef depuis la mort du Général de Lattre; après en avoir été l'adjoint, il était tout à fait normal qu'il le remplaçât: c'était le meilleur Chef que nous puissions avoir à ce moment là en Indochine. Arrivant lui-même au terme de son séjour il allait être remplacé par le Général Navarre. Ce Général avait un plan: le "Plan Navarre". Il motivait mon rappel dans la mesure où il comportait la formation de Groupes Mobiles à base de montagnards. Ces nouvelles formations devaient être mises sur pied sur les plateaux, et constituer un élément important de l'opération pour la réunification de l'Annam. Il devait permettre en outre la prise en charge politique et administrative de l'Annam par le Gouvernement de S.M. Bao-Daï, comme il I'était déjà de la Cochinchine, en disposant d'une armée nationale placée sous son commandement direct; nous y reviendrons.

La situation générale en Indochine en Mars 1953

Pour l'instant c'est le Général Salan qui est encore en poste, et il me confie le Secteur du Haut-Donai, non loin de Ba-Mé-Thuot, où allaient être mis sur pied deux Groupes Mobiles à base de montagnards. C'était le secteur le plus au sud des plateaux; il comprenait toute la Province du Darlac, avec pour chef-lieu Dalat ou résidait sa Majesté Bao-Daï, et où étaient prises toutes les décisions concernant sa nouvelle armée. Cette armée nationale, dont nous avons vu les tout débuts en 1950, comportait dès l'année suivante entre 65000 et 128000 hommes dont la moitié de soldats de l'armée régulière; 15000 appelés étaient en instruction sur une première tranche de 60000 qui était envisagée pour 1953. Des Ecoles de Cadres avaient été créées, dont une Ecole d'Officiers à Dalat. Cette évolution était marquée par l'entrée du Vietnam dans la guerre. Comme l'avait voulu le Général de Lattre dont la mort brutale allait malheureusement briser l'élan qu'il avait su imposer à tous. Toutefois pendant 18 mois les succès remportés par le Général Salan au Tonkin avaient maintenu l'équilibre partout à notre avantage, et la vie était redevenue presque normale en Cochinchine; mais ce ne devait être qu'un répit. Le Gouvernement Français avait bien conclu avec le Gouvernement Vietnamien des accords qui redonnaient à toute l'lndochine sa souveraineté et son unité; mais on allait vite revenir aux habitudes passées, agir sans conviction, et surtout sans oser engager les moyens politiques ni consentir l'effort militaire propres à mettre fin à la guerre. La présence française était bien clairement limitée à la victoire contre le régime communiste du Viet-Minh, mais on traînait encore les pieds en ce qui concerne le transfert des compétences. Grâce à l'aide chinoise et à celle de l'U.R.S.S. les Viet-Minh disposaient maintenant de 125000 réguliers formant trois divisions, et des régiments autonomes provinciaux complétés par 225000 régionaux et guérilleros des forces populaires. La disparition du général de Lattre avait entraîné la chute du premier gouvernement vietnamien, celui du président Tran-Van-Huu, un homme du Sud, de nationalité française et redevenu vietnamien; il avait été remplacé par un nouveau gouvernement présidé par un homme du Nord, très énergique, le président Nguyen-Van-Tam, qui décida aussitôt une augmentation des effectifs de l'armée de 40000 hommes; mais il manquait la volonté de de Lattre. Telle était la situation très générale en Indochine alors que la guerre de Corée se terminait en juillet 1953.

Commandement du secteur du Haut-Donaï

Le secteur du Haut-Donaï bénéficiait comme sur tous les plateaux d'une certaine tranquillité, mais restait toujours sous la menace d'une infiltration Viet-Minh à partir des bordures de la chaîne Annamitique. Il convenait par conséquent de s'assurer que tous les petits postes installés sur les "balcons" entre la plaine et les plateaux soient bien tenus, que les garnisons disposent des moyens nécessaires pour leur propre sécurité mais aussi pour assurer, dans leurs limites, la possibilité d'effectuer des patrouilles de reconnaissance, et d'assumer ainsi complètement leur mission de surveillance et de recherche de renseignements. Ces postes avaient la particularité d'être constitués par des partisans montagnards encadrés par des gendarmes ou des gardes mobiles français. Les gendarmes n'avaient évidemment aucune formation pour occuper ces commandements, mais le plus grand nombre s'y adaptèrent fort bien, souvent de façon exemplaire, en recherchant le contact avec les populations près desquelles ils vivaient. Il me fallait donc maintenir entre eux une certaine cohésion en effectuant quelques opérations à leur bénéfice, ce qui ne s'était jamais fait dans ce secteur des plus calme. Mais, je n'avais pas de troupes: tout juste ce qu'il fallait pour la sécurité de Dalat. Le premier gouvernement vietnamien du président Huu avait crée autour de sa majesté Bao-Daï l'embryon d'une garde impériale formée par des unités d'élites. A mon arrivée elles représentaient à peu près la valeur d'un régiment à deux bataillons; c'était le moment de les aguerrir sans grands risques. Je trouvai une oreille complaisante chez les Commandants de ces Unités, tous issus de l'armée française; il ne s'agissait que de petites opérations de reconnaissance sur les pourtours, à partir des postes de couverture. Avec l'accord de Sa Majesté Bao-Daï je pus ainsi disposer des moyens qui m'étaient nécessaires, et chacun faisait une bonne affaire. Je connaissais plusieurs de ces officiers, et me liai d'amitié avec le Colonel Tuyen-Duc-Tuyen, commandant la Garde Impériale, et avec le Général Him, le propre fils du Président Huu. Colonel de l'armée française, aviateur sortant de l'Ecole de I'Air de Salon, il avait, comme son père, abandonné la nationalité française pour reprendre la nationalité Vietnamienne. Nommé Général de Division, il était le premier Chef d'Etat-major général de la nouvelle armée.

Le poste de Tan-Linh

Il n'est d'aucun intérêt de présenter par le détail tout ce qui s'est passé pendant ces huit mois de commandement du Haut-Donaï, mais voici l'histoire du poste de Tan-Linh, qui mérite d'être racontée. Le village de Tan-Linh composé de montagnards et d'Annamites, situé en plaine non loin de la voie ferrée reliant Saïgon à Phan-Thiet, chef-lieu de la province du Binh-Thuan, avait même été autrefois anormalement rattaché à cette province. Dès le début de la rébellion viet-minh, un poste militaire y avait été créé par le Commandant du Secteur de Phan-Thiet, et c'est à ce titre que je l'avais eu sous ma responsabilité lors de mon premier séjour. Avant mon retour Tan-Linh ayant été transféré très normalement au point de vue administratif et militaire dans la province du Darlac, je retrouvai donc ce poste sous mon commandement dans le Secteur dit du Haut-Donaï. Tan-Linh occupe une position très remarquable, au pied de la chaîne Annamitique et au sud-est du plateau du Darlac, au début d'une vaste région marécageuse, la plaine de la Lagna tributaire du Donaï. Ce nom avait résonné tragiquement quelques années auparavant en raison d'une embuscade meurtrière qui, en Mars 1947, avait anéanti le convoi journalier de Saïgon à Dalat. Ce fut un des premiers grands succès Viet-Minh; il avait provoqué beaucoup d'émotion. .Je me trouvais alors à Phan-Thiet et j'étais intervenu justement à partir de Tan-Linh dans les marécages de Lagna pour intercepter les forces Viet-Minh qui avaient exécuté ce coup de main, mais elles s'étaient échappées à l'opposé par le nord-ouest, vers la frontière du Cambodge tout proche. Cette plaine n'était jusque là connue que des seuls grands chasseurs d'éléphants, de buffles, de tigres, qui vivent dans cette zone de roseaux où serpentent les branches de la Lagna s'en allant rejoindre le Donaï, I'un des affluents du Mekong. La position géographique du poste de Tan-Linh et son village était donc très intéressante. Depuis longtemps la famille Desfosse, très métissée, s'y était installée en y créant un véritable fief; I'aïeul, un grand Vendéen, y vivait encore. Il s'y était installé à la fin du siècle dernier comme chasseur professionnel, un métier lucratif à l'époque; suivant un tarif bien établi on pouvait y chasser sur leurs conseils, le tigre, I'éléphant ou le buffle, ainsi que le gaur, magnifique animal qui relève de notre auroch. Monsieur Desfosse avait largement atteint l'âge de la retraite, et son fils Sous-Officier de réserve avait pris un tel ascendant sur son village qu'il avait été nommé Commandant du poste militaire dont il avait lui-même levé la garnison essentiellement composée de villageois Moïs, fils et petit-fils des pisteurs de son père. J'avais entretenu à plusieurs reprises des relations d'amitié avec ce garçon hors du commun, et avec sa famille, à la suite de cette affaire du convoi de Dalat. Le poste très couleur locale était hérissé de bambous, avec, comme au moyen-âge, une partie militaire et une autre où vivaient familles, enfants et animaux de basse-cour; plus loin des artisans. Bien entendu j'avais suivi avec beaucoup d'intérêt le récit des chasses d'antan, et il m'avait été promis que l'on me ferait tuer un tigre lorsque je quitterais Phan-Thiet... Mais le temps me manquait toujours. On y avait même réalisé un petit terrain d'aviation tout contre le poste; curieusement c'est à lui que je dois la vie, comme je te le raconterai. A mon départ de Phan-Thiet j'étais allé faire mes adieux. Desfosse avait tué la veille un buffle qu'il avait placé dans un endroit tel que je ne pouvais manquer de tuer "mon" tigre; je l'ai abattu d'une balle en pleine tête... et il orna longtemps le salon de ma fille ainée Annick. Je retrouvais donc à Dalat ce garçon, et m'étais plusieurs fois rendu à Tan-Linh, soucieux que j'étais de donner à son poste familial un caractère et une valeur militaires plus solides, car les temps avaient changé. A contrecoeur, mais pour m'obéir, Desfosse avait commencé à construire sur la petite colline qui dominait le village un poste militaire valable; mais à mon départ du Haut-Donnaï les travaux furent interrompus ; I'attaque Viet-Minh de 1954 devait détruire complètement l'ancien poste, mais aussi la famille Desfosse qui disparut totalement. J'avais effectué ma dernière visite par voie fluviale remontant le cours de la Lagna à partir de son confluent avec le Donaï, voulant observer dans quelles conditions il était possible d'utiliser cette voie d'accès; après une longue navigation dans les méandres de cette immense plaine, nous étions au poste de Tan-Linh lorsque la nuit était déjà bien tombée. C'est alors que je commençais à ressentir de violentes douleurs au ventre; ces douleurs devinrent insupportables: manifestement j'avais une crise d'appendicite aiguë. Il n'était pas question pour moi de repartir par la piste vers Phan-Thiet, ni par transports muletiers sans de longs délais, ni par eau; il fallait m'évacuer d'urgence, et c'est alors que le petit terrain construit quatre années plus tôt permit au Morane de liaison du Secteur de venir me chercher le lendemain matin. J'étais aussitôt opéré à Dalat par un jeune chirurgien des Troupes de Marine qui n'était autre que le frère de mon camarade Buttin qui avait servi avec moi à Hué. M.VERHAEGHE - : A la suite de cette intervention chirurgicale d'urgence, as-tu repris contact rapidement avec ton Unité ? Quelles ont été tes actions suivantes ?

Organisation des deux GM 41 et 42

J.Sockeel - : Mon séjour à l'hôpital ne fut pas très long car l'opération avait été bien faite, et je fus rapidement sur pied. Nous étions alors en Septembre. J'étais arrivé en Mars 1953, et c'est en Octobre que vont commencer les choses sérieuses. Comme nous l'avons vu, le plan Navarre prévoyait la création de 2 GM (Groupes Mobiles). L'un, le GM 41, sera commandé par le Colonel Craplet et l'autre -le GM 42-, par moi. En Octobre, sans attendre l'arrivée de Craplet j'allai à Ban-Mé-Thuot mettre sur pied ces deux Groupes. En Novembre, je passai mon commandement au Colonel vietnamien N'Guyen-Ty, ce qui illustrait bien la poursuite de notre politique vis-à-vis d'un Vietnam indépendant. Le Général de Beaufort avait pris le commandement des plateaux à Ban-Mé-Thuot dans le but d'assurer le commandement de l'opération "Atlante", pièce maîtresse des plans établis par le Général Navarre; ce Général venait de remplacer en Indochine le Général Salan. Ainsi, pour marquer ce que devaient être nos rapports, le Général de Beaufort vint me chercher à miroute de Dalat pour commencer à m'expliquer dans le détail ce qu'il attendait de moi et me préparer intellectuellement à cette opération audacieuse du plan Navarre. Elle demandait en effet pour pouvoir se déployer, un engagement physique total, et une réflexion était indispensable pour étudier la façon dont elle serait menée en fonction d'événements difficiles à prévoir.

Schéma du plan Navarre

Le "Plan Navarre" visait: - au militaire, à reprendre l'offensive en affaiblissant l'adversaire pour le contraindre à la négociation; - au civil, à placer le gouvernement de S.M. Bao-Daï en situation de gouverner un Vietnam unifié. Dans un premier temps: tenir au Tonkin face au corps de bataille Viet-Minh, afin de pouvoir entreprendre la conquête et l'unification de tout le territoire de l'Annam, depuis le Cap Varella (Tuy-Hoa) au sud, jusqu'à Tourane au centre puis de Dong-Hoï, à Vinh au nord, tandis que le gouvernement vietnamien en assurerait avec son armée nationale la pacification et l'administration Dans un second temps: constituer un puissant corps de bataille par récupération des moyens engagés au centre (4 GM) afin de passer à l'offensive décisive au Nord. Ce plan simple et ambitieux n'était valable que si le Gouvernement Vietnamien se montrait capable de prendre seul en charge l'infrastructure territoriale. L'opération "Atlante" qui devait démarrer au début de 1954 était chargée de la partie Annam du plan: j'avais deux mois pour roder mon outil.

Le poste de Dak-To tenu par les Rhès - Soutien par le GM 42

L'occasion en fut offerte au Général de Beaufort à la suite d'un événement assez étonnant qui s'était passé au nord de la zone administrée sur les plateaux, au-delà de Kontum, dans une région très montagneuse située aux limites de la partie inconnue figurée par une véritable "tache blanche" au centre de la chaîne Annamitique, entre le Laos et la province de Hué. C'est par là que le Chef de Bataillon Tavarez avait échappé aux Japonais, au moment de leur coup de force en Mars 1945. Cette région était contrôlée par le poste administratif le plus septentrional, celui de Dak-To, dirigé par un Administrateur de la vieille époque, parlant le dialecte local, très au contact des populations dont il avait la confiance; cette population était composée par l'ethnie Moï des Rhés. Leur habitat se situait dans un ensemble de vallées qui, partant de la région de Dak-To, descendait vers le nord-est en direction de Tourane où elles rejoignaient la plaine. Ces vallées qui s'ouvraient largement sur le delta de Tourane avaient été infiltrées par le Viet-Minh depuis quelques années. Cette pénétration avait provoqué des incidents et la colère des montagnards qui demeuraient très individualistes; cette hostilité s'était transformée en rébellion ouverte, et les Rhés avaient demandé assistance. Le Commandement, saisi cette occasion pour agir "en contre", armant les Rhés,organisant des milices locales susceptibles de faire barrage à l'infiltration Viet-Minh. Je reçus mission d'être le support de cette action en aidant l'Administrateur avec le GM 42. Les trois Bataillons qui le constituaient étaient tous composés de montagnards sur le type du 3ème B.M.E.O. Mais si ces Bataillons n'étaient pas encore aguerris, c'étaient cependant de bonnes Unités; pour parfaire leur entraînement il y avait là une occasion sans grands risques, en réalisant des déplacements rapides, de jour comme de nuit, dans des terrains difficiles; cette mission convenait donc parfaitement, et je me portais personnellement à Dak-To, auprès de l'Administrateur qui mit sur pied un Bataillon de Partisans. M.VERHAEGHE : A propos de l'ethnie Rhé, je voudrais te faire part de ma réflexion. J'avoue que je suis tout à fait étonné que le Commandement Militaire et l'Autorité Civile, en la personne de son Administrateur, décident de faire confiance à cette ethnie Rhé alors que, d'après ce que tu en as dit, elle est assez peu connue, ou que, en tout cas, elle n'était pas dans vos "rangs" habituels. Alors? Faire confiance à la notion de leur rébellion à l'égard du Viet-Minh?. Faire confiance aussi à leur fidélité envers votre conception, au point de les armer et de les former ? Tout cela me paraît surprenant. Je me permets ensuite une deuxième réflexion à leur sujet: c'est la rapidité avec laquelle vous avez pu leur donner une formation, non pas certes celle des grands guerriers, mais tout de même une formation suffisante pour que vous puissiez les intégrer, au moins partiellement, dans votre dispositif. J. Sockeel : Cette affaire des Rhés se place dans un ensemble politique vis-à-vis de la population Moï avec laquelle, de tous temps, la France a entretenu une relation pacifique totale: jamais une rébellion, ni une révolte, sur tous les plateaux montagnards. Depuis les premiers temps de la colonisation; il était possible de circuler seul en toute tranquillité. Comme je te l'ai dit, I'Administrateur de Dak-To y était très intégré, audacieux et efficace, parlant leur dialecte et respectant les coutumes locales. Toutes les ethnies Moï, les plus anciennes à nos côtés, comme celle-ci qui était toute nouvelle, avaient parfaitement admis la tutelle étrangère. Elle avait fait cesser leurs perpétuelles guerres tribales et assurait ainsi la paix, y ajoutant les moyens matériels qui leur manquaient, tout particulièrement le ravitaillement en choses essentielles comme le sel, par exemple. Cette confiance, tout à fait exceptionnelle dans l'histoire coloniale, était donc solidement établie, autorisant le Commandement à rechercher le bénéfice de cette situation inattendue face à une infiltration viet-minh venant de la région de Tourane; situation à mettre au crédit d'un Administrateur absolument remarquable qui possédait parfaitement le contrôle de sa région, connaissant chaque village et presque chaque famille. Lorsque sa proposition parvint au Commandement, elle n'étonna pas car "I'affaire Rhé" était déjà connue, et j'en avais moi-même entendu parler à Hué en t950; elle fut bien accueillie dans le moment où le Commandement avait besoin d'une couverture armée dans cette haute région. C'était cependant préjuger de sa valeur toute fictive en fait, ainsi que tu l'as compris, même avec des montagnards comme ceux du B.M.E.O., un solide encadrement français est indispensable, ce ne pouvait être le cas: il eut sans doute fallu y engager les deux GM (41 et 42). Le Moï laissé à lui-même se débande, et devient indifférent à une action qui n'est plus la sienne. Le coût de l'équipement de ces montagnards Rhés était cependant bien modeste puisqu'il ne s'agissait que de doter d'armes légères trois ou quatre milices, pour un total de 300 à 500 hommes. Aussi, devant cette opportunité, cet Administrateur sut faire partager sa confiance par le Commandement et en obtenir les moyens nécessaires. Mais je t'avoue bien volontiers que l'affaire était très improvisée, et son impact militaire pratiquement nul. Quant à moi je trouvais là une magnifique occasion d'entraîner le nouveau GM en coordonnant l'engagement de ses Unités. J'étais cependant assez inquiet quant à la sécurité de cet Administrateur qui, très courageusement, s'était mis à la tête de ses Milices pour une opération de contact avec tous les villages dans une région très difficile d'accès, où la position et l'importance des éléments viet-minh ne nous était pas connue. Pour le suivre au plus près, j'avais hâtivement construit, tout en bambou, un petit poste de surveillance avancée pour des liaisons radio parfois difficiles. On avait même pu y réaliser un tout petit terrain pour avions légers, établi sur un éperon assez étroit; il demandait de la part de notre pilote des qualités assez acrobatiques. Pour se poser il prenait le terrain dans le sens de la montée d'une pente assez accentuée qui freinait l'avion à l'atterrissage, tandis qu'au départ l'élan pris sur cette même pente lui permettait de décoller pour se rétablir dans la vallée heureu|sement assez profonde en cet endroit. Je devais retrouver ce pilote au cours des manoeuvres nationales en France, bien des années plus tard, et il en parlait encore avec émotion! L'Administrateur avait fait construire une piste importante à Dak-To pour le ravitaillement en armement et en vivres de son expédition, dont il avait pris lui-même le commandement. C'est en fait le Général Navarre qui inaugura le terrain à bord d'un Dakota, |avec la possibilité de toucher de près cette chaîne Annamitique qui surplombe toute la bande côtière de l'Annam, territoire qu'il se proposait de conquérir et d'unifier au profit du gouvernement vietnamien en réalisant l'opération Atlante, première partie de son plan. Ces initiatives quelquefois assez aventurées du Commandement quant aux possibilités d'assistance militaire des tribus montagnardes, ont été largement utilisées dans les régions montagneuses de l'ouest-Tonkin en bordure de la Chine. Au centre même de ces zones où le gouvernement viet-minh s'était replié, des ethnies importantes, en particulier celle des Muong, socialement plus avancées que les Moïs furent totalement engagées en actions de guerre contre les Viet-Minh avec un encadrement français de valeur. Cet engagement total et pugnace nous obligea, après la signature des accords de Genève, à entreprendre l'évacuation complète de ces populations au nombre de plusieurs milliers de personnes, chefs de tribus et curés en tête, car ils avaient été fortement pénétrés par les Missions Catholiques. Ils furent réimplantés précisément dans les terres peu habitées de la région ouest de Pleïku, très favorables en particulier à la culture du thé.

L 'opération " Atlante "

La guerre durait depuis plus de sept ans sans que l'on en voie la fin. Dans I'esprit du Général en Chef, I'opération se proposait de faire la preuve qu'un gouvernement vietnamien était capable de gouverner seul, de façon directe, le territoire ré-unifié de l'Annam. Nous occupions la partie nord avec Hué, et la partie sud avec Nha-Trang. Il restait au "centre" les provinces de Qui-Nhon et de Quang-Ngaï toujours contrôlée par le Viet-Minh, où nous ne pouvions avoir accès que par les armes. L'intention était donc d'occuper et de nettoyer en premier ces provinces pour en confier la sécurité à des Administrateurs vietnamiens, Préfets et Sous-Préfets, appuyés par l'armée vietnamienne qui prenait vraiment tournure. Cette opération exigeait que les forces très importantes dont le Viet-Minh disposait au Tonkin y demeurent bien fixées. Dès la fin de 1953, lors de son arrivée, le nouveau Commandant en Chef dut prendre la décision, en Novembre, de créer à Dien-Bien-Phu une base susceptible de s'opposer à une offensive viet-minh qui se dessinait contre le Laos avec lequel nous venions de signer un traité d'assistance. Aussi est-ce initialement pour protéger le Laos que le camp retranché de Dien-Bien-Phu fut décidé. Un mois plus tard, à la fin de Décembre, le camp était pratiquement investi par les trois Divisions du Général Giap, et les 12000 hommes qui allaient y être engagés étaient contraints à accepter la bataille. Cette situation qui n'était pas prévue, fut au début fort bien accueillie par le Commandement français. Les forces Viet-Minh étaient fixées; on allait pouvoir engager et détruire les Divisions de Giap. Pour te situer l'état d'esprit des états-majors de Hanoï, voici deux citations parmi tant d'autres que j'ai pu relever: La première est celle du Colonel Buffin, le Chef du 3ème Bureau du Général Navarre disant: "La seule chose que nous craignons c'est qu'il (Giap) n'attaque pas Dien-Bien-Phu";. La seconde est celle du Général Cogny, Commandant des troupes au Tonkin: "Ce sera la bataille de la destruction du Corps de Bataille Viet-Minh"...

Début de l'opération " Atlante "

"Atlante" démarrait donc le 24 Janvier 1954 avec 4 GM sous les ordres du Général de Beaufort; c'était très important, et la plus forte concentration jamais réalisée en Annam. Il était sans doute très politique, et aussi très généreux, d'avoir monté cette opération Atlante pour illustrer l'indépendance vietnamienne sous l'autorité du Gouvernement de S. M . Bao-Daï, mais l'équilibre des forces était sans cesse en notre défaveur, dans la mesure où les forces vietnamiennes n'étaient pas encore véritablement engagées alors que celles du Général Giap se valorisaient et se renforçaient sans cesse, grâce à l'aide extrêmement active et efficace des Chinois. Chaque GM avait reçu sa mission. Celle du GM 42 était de progresser sur les contreforts Est de la montagne pour aider le GM Xl qui progressait en plaine: mes Bataillons montagnards étant les plus aptes à manoeuvrer en ces terrains difficiles. Partant de la région de Ban-Mé-Thuot, et prenant la bretelle qui la reliait à Ninh-Hoa, j'arrivais au Poste de M'Drak qui était autrefois sous mon commandement à Ninh-Hoa, puis longeai la chaîne Annamitique dans sa partie Ouest pour déboucher, dans cette plaine de Tuy-Hoa qui avait été I'objectif du Commandant Bouilloc lorsqu'il descendait du Cap Varella. Le nettoyage de la plaine de Song-Ba fut réalisé sans incidents car les Viets, fidèles à leur tactique, avaient complètement évacué le delta, et je ne découvrais que les splendeurs naturelles d'une région sauvage où les tigres étaient seuls maîtres. Au bout de quelques jours nous étions arrivés au terme de ce premier engagement, avec un seul blessé, ce fut l'occasion de découvrir l'hélicoptère comme nouveau moyen d'évacuation, le premier que je voyais en opération en Indochine: un Sikorski; ce nouveau matériel précisait I'escalade réalisée de part et d'autre, non seulement quant aux effectifs, mais aussi quant aux moyens utilisés dans ce qui était devenu une véritable guerre...M.VERHAEGHE : Avant d'aller plus loin il est encore une autre réflexion que je voudrais te faire. C'est que depuis ton premier séjour en Indochine on constate une aggravation et une accélération progressive des forces et des luttes des deux côtés, entre les Français et les Viets. Mais ce qui paraît frappant dans tout cela c'est que l'on ne voit jamais une grande bataille rangée. Tu l'as dit d'ailleurs: ce sont le plus souvent des opérations du genre "guérilla", de plus en plus fortes et puissantes sans doute. Ce qui me paraît évident c'est le talent extraordinaire des Viets, mais surtout des chefs qui les animent, ce qui vous amène à leur répondre tout le temps pour essayer de détruire leurs forces afin de réaliser en quelque sorte une prévention, mais tu le dis aussi le plus souvent ils "s'évanouissent"... pour aller vous attaquer ailleurs. Il me semble qu'il y a vraiment dans ces opérations de guérilla, j'oserais dire presque une stratégie tout à fait remarquable de leurs chefs.

L'art de Giap dans les opérations de guérillas

J. Sockeel: Oui, ce fut une surprise générale pour tous ceux qui en étaient restés avant 1940 dans l'idée que l'Indochinois ne pouvait pas être un bon militaire; pendant la guerre de 1914-1918 il n'avait guère été utilisé que comme infirmier, ou dans des emplois tout à fait secondaires. Cette conception prévalut longtemps, d'où notre surprise de découvrir l'efficacité des Viets. Ils disposaient en outre d'un Général, Giap, qui se révéla un grand Capitaine dont les conceptions tactiques et stratégiques sont géniales. Elles assurèrent souvent la surprise, et dans l'analyse on ne relève que fort peu d'erreurs dans son action; celles-ci étant d'ailleurs immédiatement utilisées pour être à la base d'un succès ultérieur. Dès les années 1950 la pression militaire s'intensifia au Tonkin; elle se manifesta sur les postes du Nord-Tonkin, à la frontière chinoise, provoquant une évacuation et le désastre de Cao-Bang, lors de la retraite des Unités sur Hanoï. Les combats présentaient habituellement la forme de vastes embuscades, évoluant par leur importance et pour la première fois en véritables batailles rangées. A la suite de ces événements d'une grande gravité le Général Carpentier avait été remplacé par le Général de Lattre. C'est à partir de l'arrivée de ce Chef que les troupes du Corps Expéditionnaire allaient être "commandées", et que l'on prit conscience de la valeur des troupes du Viet-Minh et de leur importance, celle-ci ne faisant que croître avec les apports et le soutien permanent en matériel provenant non seulement des Russes, mais aussi des Chinois. C'est ainsi qu'au Nord-Tonkin le plan Navarre prévoyait de fixer l'adversaire, et en particulier les cinq Divisions organiques que Giap avait mises sur pieds (les 304, 308, 312, 320 et 351), appuyées par toutes les Forces régionales très nombreuses et très actives. Le Général Giap avait également su mettre sur pied une "population en armes". Les chefs vietnamiens et leurs troupes, qu'elles soient régulières ou régionales, se révélèrent parmi les meilleures, et nous avions commis une grosse faute en les sous-estimant. Si le Nord avait ainsi bénéficié d'un grand Chef militaire dans son double objectif d'indépendance et d'unification du territoire, celles du sud n'eurent jamais cet avantage. De tous les temps les Vietnamiens du nord et du sud avaient été profondément divisés, enclins à la guerre civile. Ils s'étaient affrontés en luttes meurtrières, et avaient même à l'époque élevé une espèce de "muraille de Chine" à la hauteur de ce fameux 17ème parallèle que les accords de Genève allaient définir à nouveau comme frontière entre les deux républiques vietnamiennes nouvellement créées. Au centre, c'était toujours la guerre "sans front" menée par des Unités régulières viet-minh qui augmentaient sans cesse, avec l'appoint des mêmes forces régionales si efficaces dans cette guérilla qui restait tactiquement la forme de guerre conçue par le Général Giap. C'est ainsi que, en ce qui nous concerne dans l'opération Atlante, nous agissions dans un vaste théâtre d'opérations de 400 km de long environ, entre Tourane et le Cap Varella, sur une largeur de 100 à 200 km, pour une partie en montagne ou en terrain mouvementé, une partie en plaine, sans pouvoir accrocher l'adversaire qui disposait de deux régiments fortement armés, très aguerris par de nombreux engagements contre le GM 100. Ce GM 100, formé en 1953 à partir des Unités revenant de Corée, évoluait au nord des plateaux dans la région de Pleïku et Ankhé. Il avait toujours subi les initiatives des deux régiments viets, le 803 et le 108, concentrés dans cette région et extrêmement mobiles. Même si le GM 100 s'était sorti de ces affrontements à son avantage, en plusieurs cas il avait dû subir, et la surprise avait toujours joué à son détriment. M. VERHAEGHE : Merci aussi de m'avoir situé la très mauvaise surprise que représenta pour les forces françaises la valeur des Bo-Doï, soldats viet-minhs, et les moyens d'action de l'ennemi grâce à des forces de guérilla de plus en plus importantes et organisées, mais utilisées surtout avec un art tactique très remarquable par le Général Giap... Tu commençais à me décrire ta propre action au début de cette opération Atlante, alors que vous progressiez sur les contreforts de la montagne au départ de Ban-Mé-Thuot; pourrais-tu m'en raconter la suite. J. Sockeel : L'opération Atlante commençait donc bien, mais à vide et sans grande efficacité dans la mesure où le Viet-Minh, selon sa tactique habituelle, s'était complètement évanoui. Nous ne rencontrions que des difficultés matérielles de transport, de liaison, de franchissement de cours d'eau, et d'autres petites choses de la vie courante en campagne. Le terrain entre le bassin de Tuy-Hoa que je venais de parcourir et Qui-Nhon, présentait un relief assez tourmenté, particulièrement dans la région Ouest qui m'était impartie, sur les contreforts de la chaîne Annamitique; en cet endroit elle s'éloigne davantage de la côte. En bordure de mer et dans la plaine, évoluait mon ancien GM du Centre Vietnam, devenu le GM XI. Quant au GM 100 qui devait agir à partir des plateaux, il avait été lui-même fixé par les deux régiments viets et empêché de descendre comme cela était prévu, sur Qui-Nhon; il fallait donc prévoir que des difficultés allaient commencer de ce coté, et le Commandement était assez pressé d'y prendre pied. Le GM 42 progressait dans sa zone, remettant au jour la vieille route ''Mandarine'' construite au temps des Empereurs d'Annam, voie routière abandonnée depuis la création de la RCI parallèle à la voie ferrée, construite en plaine plus près de la côte, et qui reliait Hanoï à Saïgon. C'était l'ancienne "Route Impériale" dont nous dégagions les grosses dalles de pierre, les petits ponts avec les pagodons édifiés pour chasser les Génies. Ils étaient envahis par la jungle; un travail de bull-dozer qui permettait le passage des camions et de l'artillerie, toujours en appui des Bataillons qui fouillaient la montagne. Je n'ai eu aucun incident sauf quelques petites escarmouches qui montraient que le Viet-Minh conservait le contact, sans vouloir s'engager. Le seul événement fut la visite du Président Pléven, accompagné de Monsieur de Chevigné, notre Ministre de la Défense Nationale.

Prise de notre premier objectif : Qui-Nhon

Après le départ de ces visiteurs nous étions tout près du premier objectif, c'est-à-dire de Qui-Nhon, cette ville complètement rasée dans sa partie européenne représente un point très important entre Nha-Trang et Tourane, avec une rade en eau profonde. Après avoir touché la côte au sud de Qui-Nohn par un massif escarpé analogue à celui du Cap Varella, la chaîne Annamitique s'éloigne à nouveau fortement à l'ouest en s'abaissant, et en dégageant une vaste plaine très peuplée. L'occupation de Qui-Nhon, selon le plan Atlante, devait résulter de la conjonction d'une action terrestre venant de l'ouest et du sud, et en même temps d'un débarquement de vive force par la mer. Ce débarquement avait été confié à l'Amiral Querville. La coordination de la manoeuvre avait rassemblé à Nha-Trang au P.C. du Général de Beaufort commandant Atlante, les commandants des GM et l'Amiral Querville. Tout devait se dérouler normalement sauf pour le GM 100 qui, bloqué à Ankhé, et menacé à Pleïku par la pression des régiments 108 et 803, ne pouvait remplir sa mission ouest. Au sud le GM Xl suivait la RCI qui s'infléchissait à l'ouest pour traverser le massif côtier montagneux. A l'issue de la séance l'Amiral Querville me prit à part pour me dire son inquiétude de l'absence du GM 100, et du danger que présentait au sud de la baie de Qui-Nhon, le massif côtier; du moins au début d'une action que le GM XI, qui suivant l'axe routier, ne pourrait couvrir qu'avec un retard de 24 heures sur le débarquement des troupes. Le Général de Beaufort nous rejoignit pour une nouvelle réunion à trois; il ne savait trop que faire, lorsque je proposai pour tenir compte des craintes de l'Amiral, de laisser mon artillerie, I'antenne chirurgicale, et mes camions, suivre la RCI derrière le GM Xl sous la protection d'un Bataillon, et de m'engager moi-même avec les deux autres le long de la falaise abrupte longeant la côte jusqu'au débouché sud de la baie; lui confiant la charge de l'appui de ses canons avec une frégate qui suivrait notre progression qui devrait durer deux jours. Nous primes donc cet accord à trois, et je passai immédiatement à l'exécution pour m'assurer d'une journée d'avance. Laissant mon Adjoint avec un Bataillon, les camions et l'artillerie, sous la protection du GM Xl, je progressai à pied le long du littoral. En dehors des difficultés du terrain qui étaient importantes même pour des troupes entraînées, je n'eus aucune peine à atteindre la veille au soir du débarquement la corne nord du cap montagneux qui dominait la grande baie de Qui-Nhon. Juste avant d'atteindre notre objectif nous découvrîmes une petite vallée boisée et peu profonde, abritant plusieurs grands bâtiments intacts: c'était une léproserie encore en fonction. Nous y trouvâmes des docteurs et infirmiers vietnamiens avec quelques lépreux qui ne s'étonnèrent pas du tout de nous voir, et qui ne nous manifestèrent aucune hostilité. De Viet ? Point ! Donc au soir du deuxième jour nous étions parvenus à l'endroit souhaité, sans avoir rencontré de résistance de la part du Viet-Minh: ni même de présence, si ce n'est quelques petits engins passifs mais extrêmement dangereux qui nous valurent quelques blessés. Il s'agissait de pièges constitués par des trous bien camouflés dans les rares sentiers en corniche; on y tombait sur des planches hérissées de flèches pointues qui causaient de vilaines blessures aux pieds et aux jambes; des grenades à déclenchement rapide pouvaient y être rattachées. Ces blessés bénéficièrent d'une évacuation par mer vers la frégate toujours attentive à nos besoins. Bien avant l'aube le calme de la baie fut troublé par les bruits de moteurs, et au lever du jour l'immense plage de Qui-Nhon était occupée, tandis qu'une marée de bateaux plats faisaient la navette entre le littoral et les bateaux ancrés au large. Les premières troupes débarquées purent avancer de 4 à 5 kms, occupant en particulier un petit massif qui domine la plaine, au débouché de la route de Ankhé: I'adversaire ne s'était manifesté nulle part. Et alors qu'une menace ennemie se précisait au sud et dans le massif, nous procédâmes à quelques actions de nettoyage avant de disposer l'ensemble du GM 42 dans la Province de Phu-Yen en soutient de l'administration du gouvernement de S.M. Bao-Daï, qui en exécution du plan Navarre avait pris possession des provinces libérées. Pour terminer je te raconte un petit "incident télégraphique" qui mit en joie mon GM, ainsi que tous ceux qui n'appréciaient pas l'arrivée soudaine d'officiers absents de l'lndochine depuis le début des hostilités voici huit années, et qui brusquement trouvaient intérêt à s'y trouver pour obtenir décorations ou avancement sans grands risques. Au cours de la réunion de Nha-Trang j'avais fait la connaissance d'un Colonel du Train, ami du Général de Beaufort. Cet officier, étranger jusqu'ici à toutes actions et totalement inadapté à cette mission, s'était vu confier le commandement des troupes de débarquement sur la plage de Qui-Nhon. L'affaire en soi aurait pu être sérieuse, les Vietnamiens ayant les moyens de s'y opposer avec les Régiments 108 et 803. Mais en fait, s'emparant de Kontum et menaçant Pleïku ils avaient choisi de nous fixer au nord des plateaux pour limiter notre avance territoriale, et nous empêcher ultérieurement de disposer de renforts propres à contre-attaquer au Tonkin, déjouant ainsi le plan Navarre. Le Général Giap venait en effet de passer à l'attaque du camp retranché de Dien-Bien-Phu le 13 Mars 1954, le jour même du débarquement à Qui-Nhon par un Colonel "parachuté". J'avais trouvé un peu déplacé le télégramme de victoire qu'il envoyait à Nha-Trang, et entrant dans le réseau j'en adressai moi-même un autre... "Ne peux que confirmer le parfait déroulement du débarquement sur la plage de Qui-Nhon, étant sur place depuis la veille!". Me présentant dans la journée à l'Amiral qui m'avait envoyé chercher, il était tout sourire...!

Les premières difficultés - Le drame de Dien-Bien-Phu

"Atlante" était parvenu à son premier objectif, et nous suivions les difficultés rencontrées à Dien-Bien-Phu, où le camp retranché ne semblait pas répondre aux espérances du Commandement. Il semblait au contraire vulnérable aux attaques viet-minh, dès qu'il fut avéré impossible de détruire ces grandes Unités, contrairement à ce que le Général Navarre et l'état-major d'Hanoï espéraient. Initialement, le Commandement français croyait disposer du grand avantage d'une~ "contre-batterie" sur une artillerie viet-minh dont il jugeait qu'elle pouvait être détruite, ou muselée, dès le début; on se rendit compte rapidement qu'il n'en était rien. Les canons VM. bien protégés dans des alvéoles creusées à contre-pente des collines qui bordaient la cuvette de Dien-Bien-Phu, -très abondamment pourvus en munitions,-maintenaient sous leur feu le terrain d'aviation situé au centre. Ils détruisirent dès le premier jour les chasseurs Bear-Cat affectés à la défense immédiate du camp, et le terrain d'aviation, véritable poumon de la position: son utilisation devint difficile et bientôt impossible à utiliser. Cette "contre-batterie" avait été présentée comme source de succès dans tous les exposés, et on n'imaginait pas qu'elle ne puisse pas être à l'origine de la destruction des Divisions rebelles; son impuissance, une fois reconnue devait conduire le Commandant de l'artillerie à se suicider. J'avais bien connu le Colonel Piroth à Hué où il était le Chef d'état-major du Général Lorillot: c'était un Officier très rigoureux, artilleur convaincu de la puissance de son arme; manchot il avait perdu son bras en 1940. Il choisit de se donner la mort dans l'abri P.C. du Colonel de Castries. Cet incident dramatique, bien qu'isolé, laissait présager de l'échec et du désastre qui allaient suivre. Ce fut fait le 8 Mai, deux mois après la première attaque, et bien entendu il ne fut plus question de poursuivre le plan Atlante qui, à ce moment, commençait lui-même à subir des revers importants, non pas sur sa partie côtière du centre, mais sur les plateaux où le GM 100 avait tout d'abord été réduit à la défensive; puis il avait dû céder toute la région au nord de Kontum qui fut occupée aussitôt par les Viets. Cette situation devenait dramatique; elle obligea le Gouvernement français à prendre des dispositions telles que l'on pouvait imaginer la fin des hostilités, non pas sur un succès militaire mais sur un échec sanglant. Cette dernière phase, politique, devait commencer à Genève le 8 Mai, alors que le silence s'installait sur Dien-Bien-Phu; elle fut conduite par le Président Mendés-France qui avait pris la direction du Gouvernement. Si la guerre finissait mal, il semblait que cet Homme d'Etat soit capable de réussir, là où les Gouvernements précédents avaient échoué, faute de volonté, mais aussi de souplesse. Il ne m'appartient pas de porter la moindre critique au plan Navarre; il se montrait généreux, logique, et en accord avec l'entrée du Gouvernement Vietnamien dans la guerre. Il semble toutefois que le "rapport des forces", condition même de toute guerre, n'ait pas été bien mesuré. La première phase de "Atlante" se terminait sans que l'adversaire ait été engagé, ni bien sûr détruit et cette situation rendait difficile la seconde, celle qui prévoyant la reconquête progressive des Provinces vers Hué. Il n'était en effet pas possible dans ces conditions de laisser l'Administration, ni la jeune armée vietnamienne, seules face aux redoutables unités Viet-minh des Régiments 108-196 et 803 qui avaient paralysé le GM 100 à Ankhé. Même si les forces du Tonkin avaient réussi à fixer l'adversaire selon le plan prévu, il eut fallu manoeuvrer et détruire ces trois régiments viets avant de poursuivre la deuxième phase de "Atlante" sur Tourane. Le choc de Dien-Bien-Phu prenait une résonance internationale au point de rassembler à Genève les éléments d'une conférence mondiale; le moral du Corps Expéditionnaire ne devait pas s'en remettre. Je ne peux faire ici une analyse complète de ce conflit qui avait provoqué tant d'espérance, je ne peux que rester dans le cadre du plan Navarre. Comment expliquer l'entêtement du commandement à vouloir considérer jusqu'au bout que Dien-Bien-Phu restait une opération secondaire de fixation, et que l'effort principal restait l'opération Atlante. Comment ne pas comprendre que c'était la bataille du nord-ouest qu'il fallait gagner à tout prix ? Il est possible d'imaginer que si Atlante avait été stoppée avant le débarquement de Quin-Nhon, pour revenir à l'équilibre de 1953 au Sud-Annam, il eut été possible de donner au Général Cogny les moyens nécessaires, avec 4 GM pour dégager Dien-Bien-Phu de l'extérieur: il n'y a pas de places imprenables lorsqu'on renonce à les secourir !

Arrêt de I'opération " Atlante "

J'étais revenu avec le GM 42 dans la région de Pleïku face à Kontum, toujours occupée par les Viet-Minhs. Les provinces côtières placées sous l'autorité du nouveau Gouverneur disposant des troupes vietnamiennes nouvellement formées étaient administrées dans de bonnes conditions. Les autres GM avaient rejoint leurs bases. Le Centre Vietnam récupéra le GM Xl - Le GM 100 était fixé à Ankhé par la pression Viet-Minh. L'autre GM montagnard, le 41, resté en réserve se déploya autour de Ban-Mé-Thuot.

Mi-Juin - Le Général Salan

décide que le G/M 100 doit évacuer Ankhé

C'est dans ce climat redevenu statique, et comme anesthésié, que le Général Salan, qui avait remplacé le Général Navarre rappelé en France, décida que le GM 100 devait évacuer Ankhé pour se regrouper avec les deux GM 41 et 42 sur les plateaux, entre Pleïku et Ban-Mé-Thuot dans le but, disait-il, de disposer d'une masse de manoeuvre, dont il manquait cruellement pour la couverture de Saïgon. Il vint lui-même à Pleïku, accompagné du Chef de son 2ème Bureau, en présence du Général de Beaufort et du Colonel Buffin qui arrivait de l'état-major du Général Navarre comme adjoint opérationnel, -et moi-même- pour nous faire connaître sa décision et les conditions dans lesquelles nous devrions l'exécuter. Nous en étions extrêmement surpris car la situation politique à Genève et à Paris précisait le pari que le Président Mendès-France avait fait publiquement de régler l'affaire Indochinoise avec le représentant de Ho-Chi-Minh, et le Ministre des Affaires Etrangères de Chine pour le 20 Juillet 1954. Or nous étions à la mi-Juin ; il nous paraissait curieux, voire dangereux, d'engager à nouveau une action militaire dans le statu-quo du moment, et pour un bénéfice qui ne semblait pas évident. Bien sûr cela aurait été nécessaire, si à Ankhé le CM 100 avait subi un véritable siège, et s'il avait été menacé; mais ce n'était pas le cas. La pression n'était pas sévère, et on parlait même du regroupement des Régiments viet-minh 108 et 803 au repos dans la région sud de Qui-Nhon. Le seul encerclement provenait de quelques forces régionales du Régiment 120 qui occupaient certains points de la route Ankhé-Pleïku. Ankhé disposait par ailleurs d'un excellent terrain d'aviation que rien ne menaçait, et son ravitaillement par air ne donnait lieu à aucune difficulté. Quoiqu'il en soit l'ordre fut donné, et le Colonel Buffin fut chargé de l'exécuter, c'est-à-dire d'engager le GM 100 vers Pleïku, tandis que le GM 42 devait l'attendre à mi-route. Le Général n'était pas sans savoir que cette décision était cependant dangereuse, et je reçus en renfort un peloton de chars légers et un groupement de parachutistes (à pied) comprenant deux Bataillons: l'un commandé par le Lieutenant-Colonel Romain-Desfossés un parachutiste de grande valeur, I'autre un Bataillon de parachutistes vietnamiens, commandé par le Commandant Balbin, lui aussi une grande figure parmi les "Paras" français. Le Général me prit à part après la fin de notre rencontre, et me recommanda de ne pas trop exposer son Groupement de Parachutistes car, me disait-il, c'étaient les deux seuls Bataillons dont le Corps Expéditionnaire pouvait encore disposer. Cette recommandation ne fut pas sans influer sur ma manoeuvre dans les combats que nous eûmes à mener; sans cette restriction j'aurais pu utiliser ce groupement de façon plus efficace, et je pense que le Commandant Romain-Desfossés m'en a tenu un peu rigueur; mais je remplis mon contrat. Mission terminée je rendis au Général Salan le groupement "Paras" intact, encore qu'il ait très largement contribué à sa réussite.

24 Juin 1954 - L 'opération Eglantine : Pleïku

L'opération avait pour nom de code "Eglantine"; le jour "J": le 24 Juin 1954. Tout aurait pu se passer effectivement dans de très bonnes conditions si l'ennemi n'en avait été prévenu dès le 13 Juin, comme l'indiquent les archives de Saïgon, ce qui laisse à penser!. le Général Salan était venu à Pleïku le 19 Juin: il faut donc supposer que des fuites avaient dû avoir lieu à Saïgon même. Après le 19 nul ne pouvait ignorer nos intentions, car c'est un véritable pont aérien inutile et dangereux qui fut une des causes du drame, en réalisant un déménagement complet sur Saïgon et Nha-Trang de la presque totalité du matériel lourd dont le GM 100 disposait sur sa base, alors qu'il aurait dû être laissé en place,et détruit au moment du départ . On en était même arrivé, je crois, à évacuer une partie de la population qui craignait pour sa sécurité lorsque le Viet-Minh aurait réoccupé la place; ce n'était évidemment pas sans valeur humaine, mais sur le plan tactique c'était la dernière chose à faire. Le 24 Juin, le GM 100 démarre à 3 heures du matin dans des conditions incroyables face à la menace V.M. Le Commandant du GM 100 se contentant de fractionner ses quatre Bataillons en éléments à pied d'avant-garde et de couverture des flancs de part et d'autre de la route, pour assurer au lourd convoi de véhicules, une sécurité rapprochée. Le convoi routier comportait, avec le Génie placé en tête, toute l'artillerie, canons attelés, alors qu'ils auraient dû être déployés pour moitié afin de pouvoir intervenir à tout moment en appui d'une infanterie manoeuvrant largement le terrain, et progressant par des bonds de 10 km; c'est un "classique" du déplacement d'un GM en zone dangereuse. Le drame survint à 15 ou 16 km, dans un terrain bien préparé et utilisé par la totalité des Régiments viet-minh 96 et 803 . Ces Unités particulièrement aguerries avaient monté une embuscade sur 2 kms: elle fut effroyable. La totalité de tout ce qui était sur roues fut détruit, le Commandant du GM blessé et fait prisonnier son état-major et ses Services détruits. Seuls purent échapper, en manoeuvrant, les Bataillons à pied; ils ne purent contre-attaquer, faute d'un dispositif en profondeur et d'un appui d'artillerie; et n'eurent d'autres ressources que de combattre courageusement pour eux-mêmes, et de se noyer dans la brousse pour tenter de gagner le poste PK 22 au pied de la montagne, en relais de celui du col du Mang-Yang, 6 kms plus loin.

Au col du Mang-Yang

C'est à midi que je fus prévenu de l'embuscade et du drame, alors que nous nous trouvions au passage du Song-Bo, à quelques heures du col du Mang-Yang. Il était prévu que je devais y arriver le lendemain matin; je décidais d'y être le soir même afin de recueillir ce qui pouvait être sauvé, mais aussi pour tenter de contre-attaquer. Entre ce col du Mang-Yang situé en pleine montagne et Pleïku, je devais remettre en état, avec un détachement du génie, un point de passage obligé très délicat dans la haute vallée du Song-Ba, (la rivière du delta de Tuy-Hoa) où un pont avait été détruit dans les mois précédents. Il nous fallait ensuite l'occuper pour assurer le bon déroulement du retour; et mon intention était d'y maintenir précisément en réserve le groupement parachutiste, tandis que j'aurais poussé moi-même avec le GM 42 sur le Mang-Yang. L'attaque du GM 100 m'obligea à faire une impasse sur l'occupation de cette position, ce qui nous vaudrait presque certainement d'y livrer combat au retour. En effet, il me fallait disposer de suite du Groupement Romain-Desfosses pour atteindre au plus vite PK 22, afin d'être le plus rapidement possible de l'autre côté du massif, au bénéfice du GM 100. La moitié de l'artillerie du GM 42 devait suivre Romain-Desfosses pour une mise en batterie au Mang-Yang; le reste était en batterie sur place, pour appuyer la manoeuvre des paras jusqu'au col, mon intention étant toujours de contre-attaquer dès que possible. Romain-Desfosses parvint au PK 22 dans le milieu de l'après-midi, vers 16 ou 17 heures, réalisant une performance absolument extraordinaire; moi-même, avec un Bataillon de montagnards, j'étais au Mang-Yang à la même heure où toute l'artillerie était déployée; je rejoignais Romain-Desfosses quelque temps après, avec le peloton blindé. J'avais déjà pris contact radio avec le Chef de Bataillon Muller, seul Officier en état de commander au GM 100; son Bataillon de Coloniaux, le BM 43, une Unité d'élite, après s'être violemment battue et avoir perdu plus du tiers de son effectif était parvenu au PK 22.; Le Commandant Muller me mit au fait de sa situation: il avait reçu lui-même du Haut Commandement de Nha-Trang, et du Colonel Buffin, I'assurance que je me trouverais comme prévu le lendemain matin au Mang-Yang. Je lui répondais que j'arrivais de suite et qu'il prenne avec Romain-Desfosses dispositions pour contre-attaquer. C'est à ce moment que je saisis l'ampleur du désastre, lorsque le Commandant Muller me répondit que c'était impossible; comme j'insistais il me dit que j'en jugerais moi-même. C'est ce que je fis en arrivant avec le peloton blindé, qui immédiatement assura la sécurité entre PK 22 et le col, sur 6 kms, dans une portion de route en montagne très sinueuse qui allait devenir pendant la soirée et la nuit le cordon ombilical pour tout ce qui pouvait être sauvé du GM 100. Au PK 22, les Unités arrivaient sans cesse, plus ou moins en désordre, après une journée de combats. Je fis moi-même plusieurs navettes, car il fallait aussi m'assurer que le Viet-Minh n'était pas en mesure d'attaquer PK 22 où Romain-Desfosses avait aussitôt réalisé une couverture éloignée en direction de Ankhé, recueillant les rescapés. Il me fallait m'assurer également de l'intégrité du Col, autour duquel le GM 42 était largement déployé, jusqu'au bas des pentes; les rames de camions devaient pouvoir circuler librement sous la protection directe du peloton blindé. C'était une véritable course contre la montre, car l'ennemi n'était pas loin et gardait le contact; je pus le constater au cours de l'une de ces liaisons où dans ma jeep, avec mon chauffeur et mon ordonnance, je fus pris sous le feu d'un fusil-mitrailleur heureusement assez éloigné, mais qui montrait bien avec les trois balles qui vinrent se loger dans la carrosserie, que le danger était toujours là. Mon fidèle Kadéo, assis derrière moi, avait été touché au ventre; il eut la chance d'être évacué de suite à PK 22, bénéficiant de l'hélicoptère du Général de Beaufort venu se rendre compte lui-même de la situation. En ma présence cette situation lui fut précisée par le Commandant Muller qui écartait toutes possibilités de contre-attaque et de poursuite vers l'est. J'indiquais ,au Général mes intentions pour le lendemain: . Regroupement le lendemain, au Col du Mang-Yang où je demandais à recevoir par air les matériels nécessaires pour ré-équiper les Unités du GM 100. Retour à Pleïku en deux journées, avec certitude d'avoir à livrer deux ou trois combats sérieux. Outre les moyens aériens de parachutage du premier jour, il me faudrait être assuré pour les deux jours suivants d'une couverture aérienne permanente à partir des chasseurs de Nha-Trang et des Bear-Cats de l'Arromanches qui croisait au large de Qui-Nhon. Le Général de Beaufort approuva l'ensemble de ces prévisions, m'assurant des appuis aériens...et évacua mon ordonnance.

Je suis contraint de prendre une décision très grave

C'est alors que j'eus à prendre une très grave décision, I'une des plus graves de ma carrière, faisant un refus d'obéissance caractérisé. Dans la soirée je reçus du Général Salan l'ordre de me porter plus à l'est. Il me fallut répondre que telle avait été notre intention initiale, en particulier pour sauver les blessés heureusement en charge de l'antenne chirurgicale du GM 100 faite prisonnière en totalité avec ses médecins mais: . que l'analyse du Commandant Muller m'en avait dissuadé; . que le Général de Beaufort venu sur place m'avait approuvé;. et je concluais ce long exposé télégraphique par l'assurance qu'il était absolument impossible de poursuivre à l'est, sauf à compromettre l'ensemble de nos forces. J'ajoutais que mon intention n'était pas de pousser vers l'est, mais au contraire de regrouper toutes les Unités au Mang-Yang et m'assurer le lendemain des moyens nécessaires pour être en mesure de livrer bataille avec succès, pour rejoindre Pleïku. A ce télégramme très explicite que n'avait sans doute pas encore confirmé le Général de Beaufort, je reçus en réponse: - "Je vous donne l'ordre formel de faire ce que je vous ai prescrit" (signé Général Salan); et je répondis: - "Je vous réponds formellement NON" (signé Sockeel). Peu après un hélicoptère se posait presque en catastrophe à la tombée de la nuit près de mon PC, au Col du Mang-Yang. Le Colonel Buffin, commandant "Eglantine" et qui était donc mon Chef direct, en débarquait; c'est lui qui en phonie m'avait donné les ordres de poursuivre plus à l'Est: il avait dû recevoir lui-même les derniers ordres du Général Salan. Après lui avoir exposé la situation je concluais à deux solutions possibles: ou il me laissait mon commandement, et approuvait mon intention de manoeuvre ainsi que l'avait fait le Général de Beaufort, ou il m'en relevait pour l'assurer lui-même en qualité de Chef des deux groupements maintenant réunis ! -ce qu'il aurait dû faire depuis midi !- J'ajoutais que dans ce cas je restais à sa disposition pour le poste qu'il voulait bien me confier. A ma grande surprise il m'assura de sa totale adhésion, me donnant le commandement de la totalité des Unités, s'engageant à fournir tous les moyens aériens demandés. Cela laisse à penser que le Général Salan avait dû recevoir avant de le dépêcher une analyse plus fine de la situation où l'arrivée d'un autre Régiment viet-minh, le 1081 , n'était pas exclue.

Je reçois la charge du commandement

de la totalité des unités engagées

Confirmé dans ma lourde charge, je réunis le soir même le Commandant Romain-Desfosse qui revenait de PK 22 après l'avoir fait sauter, le Commandant Muller et le Commandant Guinard du Régiment de Corée qui avait rejoint tardivement avec deux Bataillons de Corée et un Bataillon vietnamien. Je voulais étudier de manière précise avec mon état-major la manoeuvre des jours suivants, et je leur fis part de la visite du Colonel Buffin ainsi que de ma prise de position en réponse aux ordres du Général en Chef. Tous furent d'accord avec moi pour ne consentir qu'une journée au Mang-Yang en vue de remise en ordre des Unités, et pour y recevoir les ravitaillements nécessaires en vivres, équipements, armes et munitions, pendant que les Bataillons du GM 42 couvriraient au plus loin la position. Ces parachutages étaient importants pour permettre de ré-équiper et d'armer près de la moitié de l'effectif des Unités du GM 100, soit trois Bataillons environ. Le Col du Mang-Yang présentait heureusement une zone de parachutages favorable, boisé et couvert d'une jungle épaisse à l'est, il était à l'ouest très dégagé avec une vaste prairie en pente douce, large de plus de 500 m, avant de rejoindre plus bas, vers Pleïku, une zone forestière assez dense dans un relief tourmenté. Dans la nuit, je recevais confirmation des moyens promis par le Colonel Buffin qui fit le maximum pour justifier de sa fonction, et nous reçûmes le matériel demandé; toutes les mesures furent prises pour nous assurer d'un appui aérien massif pour les journées des 27 et 28. J'étais maintenant certain de l'aide de l'aviation embarquée sur l'Arromanches, ainsi que de l'aviation lourde de Nha-Trang et de Tourane; c'est à cet appui que nous devons le succès de la seconde partie d"'Eglantine", car le Régiment 108 allait être au rendez -vous

Epilogue personnel:

Je ne fus pas inscrit au tableau d'avancement

Avant de te situer ces combats je vais revenir si tu veux bien à mon fameux télégramme: "Je vous réponds formellement: NON": je n'en entendis jamais plus parler... même lorsque, servant en Algérie en 1956, je fus amené à rencontrer le Général Salan à Paris, de la part du Général Lorillot. Alors qu'il commandait à son tour en Algérie je le revis plusieurs fois encore... mais il n'en fut jamais question. Deux mois après ces derniers combats, je me trouvais à Saïgon en Août après la signature de Genève, et j'allais voir le Colonel Gracieux, le Chef d'état-major du Général Salan, il me prit amicalement le bras et me dit: - "Voulez-vous voir le Général?" stupidement je répondis: - "Mon Colonel je serais très heureux de voir le Général, mais seulement s'il me convoque; je ne demande pas à le voir". Il me sourit gentiment, un peu triste! Je ne reçus pas de convocation. La conséquence en fut ma non-inscription au Tableau d'avancement du mois de Décembre, contrairement à ce qui avait été promis. Seule une de mes plus élogieuses citations à l'Ordre de l'Armée témoignera de ces événements. M. VERHAEGHE : Je suis vraiment frappé par ce qui paraît être une suprême injustice, et je n'arrive pas à comprendre le comportement des Chefs en cette circonstance. Te voici donc chargé d'un Commandement très difficile, mal engagé, mais il faut terminer cette opération "Eglantine", si fâcheuse.

Poursuite de l'opération "Eglantine"

J. Sockeel: Me voilà donc au Col du Mang-Yang, au coeur de la chaîne annamitique; j'ai récupéré tout ce qui pouvait être sauvé du GM 100, et il convenait que les Commandants d'Unités puissent remettre un peu d'ordre. Tu peux imaginer quelle activité le modeste Chef de 4ème Bureau du GM 42 a dû déployer pour réaliser demandes, réceptions et distributions de l'armement et du ravitaillement nécessaires à la remise en état de la valeur de trois Bataillons supplémentaires soit brusquement une charge totale de 8 Bataillons, dont deux au moins sont à ré-équiper, et ceci jusqu'aux vêtements et particulièrement aux chapeaux de brousse car le soleil n'est pas un allié! La nuit a dû être très dure pour le Capitaine Romefort; je ne l'ai jamais revu par la suite mais il fit preuve ici de rares qualités. Ce fut le lendemain une véritable éclosion de corolles blanches tout autour du PC; la confiance était revenue avec l'accord complet de tous pour les combats à mener les jours suivants. Les Unités de montagnards n'étaient pas restées inactives pendant cette journée et s'étaient mises à la recherche des renseignements rapprochés; des patrouilles étaient lancées de tous les côtés en vue d'essayer d'accrocher quelques éléments viet-minh que nous savions arriver en marche forcée, entre le Mang-Yang et Pleïku. L'activité aérienne fut permanente avec l'avion d'observation d'artillerie. Quelques contacts avec des éléments rebelles légers, et des indices nombreux, donnèrent la certitude que les mouvements des Viet-Minh étaient importants et qu'ils nous obligeraient à livrer au moins un, sinon deux combats sérieux.

Premier occrochage au pont de Dak-Ryunh

Le premier devait avoir lieu au point de passage obligé du Song-Bo supérieur, au niveau du pont plusieurs fois reconstruit et détruit de Dak-Ryunh; je te l'ai déjà situé à l'aller, et j'avais initialement décidé d'y laisser le groupement parachutiste pour m'assurer de la position. Il faudrait le reconquérir pour passer car le Viet-Minh ne pouvait pas ne pas s'y être installé pour la valeur d'au moins un Bataillon pendant la journée passée au Mang-Yang, et il disposait là d'un terrain particulièrement propice à l'embuscade. Dans la nuit les paras commencèrent leur mouvement avec mission de prendre le contact, mais sans s'engager davantage. Disposant de cette base solide, deux Bataillons allaient manoeuvrer l'adversaire et s'emparer de la position avec l'appui direct de l'artillerie et de l'aviation. Avant l'aube du 27 Juin toutes les Unités progressaient derrière Romain Desfossés, les Bataillons montagnards déployant une large toile d'araignée sur les ailes, I'artillerie étant en place au col du Mang-Yang, les blindés avec mon PC, et le gros du convoi routier couvert à l'arrière. Nous étions donc engagés lorsqu'une grosse explosion retentit derrière nous: c'était le petit poste du Mang-Yang qui sautait, de même qu'avait sauté l'avant-veille le poste du PK 22 après notre départ. Ce poste du Mang-Yang était tenu, comme tous les postes des plateaux, par des montagnards plus ou moins réguliers encadrés par des gardes mobiles. Le jour se leva alors que, comme je l'avais imaginé, le Groupement parachutiste avait déjà engagé l'adversaire installé aux avancées Est de Dak-Ryunh La manoeuvre avait une certaine ampleur par les déploiements éloignés des Bataillons montagnards et l'attaque du premier Bataillon de Corée, et du Bataillon Muller, qui tous deux prenaient leur revanche car la situation était inversée. L'appui aérien arrivait avec le jour et les Bear-Cat commençaient à mitrailler les abords de la position occupée par les Viet-Minh. Il nous fallait détruire ce Bataillon VM, ce qui fut fait avec méthode par les Bataillons du GM 100, presque sans se presser. L'avion d'observation actionnait directement l'artillerie: c'était tout simple; la moitié des pièces étaient attelées, prêtes à faire mouvement, tandis que l'autre moitié était en position de tir. La situation était tout le contraire de celle de la malheureuse journée du 24 Juin: si elle avait pu être engagée suivant ce schéma, elle aurait pu être un succès pour le GM 100. C'est ainsi que la journée se passa, très dense. Je voudrais terminer le récit de cette première phase par un petit incident inhabituel, qui montre la fraternité et la souplesse d'emploi des armes lorsque l'occasion s'en présente. En fin de matinée l'avion d'observation sans lequel l'artillerie est aveugle demanda l'autorisation d'aller refaire son plein d'essence à Pleïku. Nous étions alors en pleine mousson et à l'ouest l'horizon devenant de plus en plus noir il était manifeste qu'une tornade se formait et que l'avion ne pourrait passer au retour; à l'est vers la mer le ciel était dégagé. Grâce au camion-radio VHF, j'obtins une liaison en phonie avec le "leader" des Bear-Cat qui continuaient leur ronde, prêts à intervenir, je lui expliquais ma situation: pouvait-il remplacer l'avion d'observation afin de régler les tirs d'artillerie?. C'est ce qu'il fit, acceptant cette mission anormale pour un avion de chasse! Et c'est ainsi qu'ils purent aider à conclure heureusement cette première bataille de Dak-Ryunh. Quant aux deux autres Bataillons du Régiment 108, car c'était bien de lui qu'il s'agissait, ils avaient pris un peu de retard pour digérer Ankhé, mais nous allions les retrouver le lendemain avec, peut-être le 196 ou le 803. La journée se terminait et nous occupions la position sans trop de pertes, toujours très "en sûreté" dans l'éventualité d'une contre-attaque viet-minh. Prévoyant que la journée du 28 serait sans doute plus difficile car le terrain très broussailleux donnait l'initiative aux seuls Viet-Minh, je décidais de m'assurer de suite d'un solide appui de manoeuvre ou de recueil, avec un point fort à partir duquel une contre-attaque pourrait être lancée. Ce point fut choisi sur un petit relief situé à 30 km à l'ouest de Dak-Ryunh, non loin du débouché de la zone dangereuse où, si tu t'en souviens, j'avais à l'aller établi une base arrière. Alors que son Groupement Paras n'était pas très satisfait d'avoir été dans la journée écarté des combats puisqu'il n'avait comme mission que de fixer l'adversaire tout au début de la journée, je demandais au Colonel Romain-Desfossés de partir immédiatement, en pleine nuit, pour occuper ce pivot de manoeuvre en vue des combats du lendemain, ce qu'il fit, je dois le dire, à regret car il pensait non sans raison qu'il allait encore une fois être écarté de l'action. En ce qui me concerne j'obéissais à deux impératifs: le premier était celui de nous assurer d'une sécurité plus grande en disposant d'un point d'appui solide, le cas échéant, à mi-route de Pleïku, le second était de respecter mon engagement vis-à-vis du Commandant en Chef.

L'embuscade des Viet-Minhs

Dès l'aube du 28 Juin, nous faisions mouvement pour l'ultime journée. La matinée se passa sans encombre dans le même dispositif que la veille, par bonds successifs, larges et souples, I'aviation étant prête à un appui immédiat, les montagnards ratissant très large: de petits engagements isolés me confirmaient que l'attaque des Viet-Minh était proche, et qu'elle serait extrêmement sévère, car c'était leur dernière possibilité de détruire le GM 42, et ce qui restait du CM 100. Vers midi, nous étions à mi-route de Romain-Desfossés dans une vaste clairière d'environ 500 m sur 100 m. Je décidais d'y faire halte pour contacter tous mes éléments dispersés dans la montagne, sans savoir que c'était le lieu que l'ennemi avait choisi pour attaquer. Le terrain s'y prêtait, et l'adversaire avait justement pensé que c'était là que je devrais moi-même m'arrêter. Bien entendu, sitôt arrivés, I'artillerie était en position d'appui; brutalement, selon la caractéristique des embuscades Viet-Minh, et avec un volume de feu très dense, ce qui laisse à penser que l'embuscade avait déjà été préparée depuis plus de 24 heures, sans doute pendant le ravitaillement par air au Mang-Yang (I'occupation de Dak-Ryunh n'étant en quelque sorte qu'un combat secondaire), le commandement viet-minh avait préparé pour le surlendemain cet engagement: il pensait qu'il serait décisif comme l'avait été pour lui celui du GM 100. L'attaque fut extrêmement violente sur la clairière, à l'ouest et à l'est sur près d'un kilomètre. J'étais au centre de ce dispositif avec les Transmissions commandées par le Lieutenant Marie qui ne me fit jamais défaut, une partie de l'artillerie et les blindés. Notre riposte fut à la mesure de l'attaque: immédiate et violente, car nous l'attendions à tout moment, avec une densité de feu exceptionnelle. J'avais entendu l'expression des artilleurs "débouchant à zéro" : ce fut ici le cas pour les obusiers de 105 tirant à l'horizontale dans la jungle qui nous entourait, au même titre que les fusils mitrailleurs, les fusils légers et les mortiers; le combat dura avec cette intensité pendant plus d'une demi-heure, et comme la veille le Bataillon d'Infanterie de Marine Muller, les Bataillons du GM 100, et les Bataillons montagnards furent particulièrement efficaces. Pour te donner une idée de l'esprit offensif des Unités et de la quantité d'obus et de munitions employés, voici une anecdote. Les véhicules du convoi, très vulnérables sur route, étaient protégés directement à droite et à gauche par des Unités non engagés directement. Au début de l'action on vit un bull-dozer descendre de sa plate-forme pour dégager de la route les camions qui brûlaient, atteints par des obus de mortiers viet-minh, plus loin une petite unité de l'arrière-garde vida complètement un camion chargé d'obus de mortiers pour les tirer sur les Viet-Minh qui venaient au contact; c'est te dire l'intensité des combats et la pugnacité de tous ceux du Bataillon chargé de l'arrière-garde. C'était aussi très caractéristique de ces engagements moitié en forêt, moitié en terrain peu couvert. L'action décisive vint de l'aviation qui larguait sur les flancs une masse de bombes à parachute extrêmement meurtrières pendant que les Bear-Cat mitraillaient la brousse parallèlement à notre position. Aussi soudainement que cela avait commencé, les tirs cessèrent: les Viet-Minh décrochaient sans avoir atteint leurs objectifs. Il ne me restait plus qu'à "nettoyer": le mot n'est pas aimable, mais dit bien ce qu'il veut dire. Les Unités fouillèrent tout le terrain pour recueillir nos blessés, assez peu nombreux d'ailleurs: pas plus de 50, et les morts: une vingtaine, ce qui montre l'efficacité de notre dispositif de protection lointaine et rapprochée, mais ce qui me permet de penser que sans cet appui aérien exceptionnel nous aurions pu être submergés. Quant à I'ennemi, nous pûmes charger plus d'un camion d'armes récupérées ici et là, laissant sur place quelques 250 corps de Bo-Doï sans pouvoir les enterrer comme nous avions coutume de le faire.

Opération Eglantine terminée à Pleïku

Le combat était terminé. Il avait donné lieu comme je te l'ai dit à de véritables faits d'armes, celui du camion chargé d'obus et d'autres aussi. Certains furent moins brillants, mais chanceux comme ce conducteur de pièce d'artillerie qui avec son camion, saisi d'une panique folle, traversa toute la clairière pied au plancher: il fut récupéré par les Paras de Romain-Desfossés qui écoutaient de loin tout ce tapage! D'autres petits incidents vivent encore dans la mémoire de ceux qui connurent cette journée, tel celui de la radio Viet-Minh que l'on entendait nasiller en phonie et qui prescrivait aimablement: "Prenez Sockeel vivant"!, ce qui annonçait de sombres moments au cas où je serais capturé. Je n'eus en fait, à souffrir que d'une légère blessure au doigt par un éclat d'obus qui fractionna I'index de la main gauche. L'action étant terminée chacun reprit sa position et sa progression vers le groupement parachutiste qui nous attendait à une quinzaine de kilomètres suivant l'engagement sans pouvoir y intervenir : Ils ne m'en tinrent pas trop rigueur, et c'est leur infirmier qui me donna les premiers soins. Si les événements avaient tourné autrement, nous aurions alors été heureux de trouver auprès d'eux l'équivalent d'un PK 22. Au soir nous étions parvenus au bas de la montagne, sur le plateau dénudé qui s'étendait jusqu'à Pleïku. J'y avais laissé une petite base arrière gardée par une Unité territoriale: cette Unité avait entouré de barbelés un vaste polygone susceptible d'assurer le déploiement des éléments lourds et l'Antenne chirurgicale qui se mit à l'ouvrage pendant que nous allions rendre les honneurs à nos morts qui furent enterrés sur place: I'opération Eglantine était terminée. M. VERHAEGHE : Puis-je te demander à la fin de cette opération très dure, "mission accomplie" à Pleïku, et avant de repartir pour le point suivant, si le Haut Commandement ou tes Chefs directs, ont donné un témoignage pour reconnaître ta réussite alors que tu avais dû mener cette opération dans des conditions tout à fait anormales?

Une guerre de trop ?

J. Sockeel: Oui, je reçus un télégramme de félicitations de la part du Général de Beaufort, et plus tard une citation à l'Ordre de l'Armée, très précise dans son texte, signée du Général Salan. Mais l'atmosphère du Corps Expéditionnaire depuis Dien-Bien-Phu, et l'arrêt de l'opération Atlante, avait bien changé, cette destruction du GM 100, les menaces qui pesaient sur Saïgon et éventuellement sur Ban-Mé-Thuot, créaient une ambiance qui ne prêtait guère à la congratulation mutuelle: on sentait un certain flottement dans le Haut Commandement. Et puis la politique de la France à Genève, bien que nécessaire, n'incitait pas à l'allégresse. Le plus grand nombre continuait à voir dans l'action politique engagée un abandon total; j'estimais pour ma part qu'il était regrettable de ne pas avoir su l'engager plus tôt, en 1953 par exemple, alors que l'équilibre des forces était réalisé entre les deux parties. Lorsque la lutte pour l'lndépendance est engagée dans un pays par les armes, il est difficile de s'y opposer au-delà de ce qui est nécessaire pour la défense de ses intérêts immédiats, et de sa dignité; vouloir poursuivre à tout prix ne fait qu'ajouter des sacrifices inutiles et compromettre l'avenir à long terme. Lorsque la politique devient à l'évidence le seul moyen de régler un problème, et c'était le cas, vouloir prolonger l'action de guerre est une folie dangereuse et mortelle. Le Général Salan, traitant dans ses Mémoires de l'affaire de Ankhé, déclare avoir pris ses responsabilités! Alors, quelles sont-elles, sinon d'avoir consenti des pertes inutiles? et sans qu'un Tribunal ait eu à en juger. Il aurait à l'évidence été plus sage, compte tenu de la date du 20 Juillet avancée par le Gouvernement Français comme étant celle du cessez-le-feu possible, de rester sur ses positions sans rechercher la bagarre . Cette guerre avait pour origine notre désir louable d'interdire l'indépendance du Vietnam au seul bénéfice du Gouvernement Viet-Minh; faute de pouvoir lui en opposer un autre se réclamant du même objectif, faute de trouver un gouvernement national disposant des moyens propres à assurer sa souveraineté sans les communistes, il nous a fallu nous y substituer en tant qu'ancienne puissance de tutelle, et nous engager militairement: à ce jeu, nous ne pouvions que perdre. Les Américains s'y essayèrent ensuite avec des moyens plus importants, au bénéfice d'un gouvernement qui se voulait fort, dans la mesure où il était débarrassé de toutes séquelles coloniales, et où il pouvait s'appuyer sur l'animosité séculaire du Sud contre le Nord; ils furent eux aussi contraints à l'abandon. Dès lors, le Viet-Minh, seul parti politique du Nord Vietnam disposant d'une armée victorieuse aux ordres d'un chef prestigieux, auréolé de son succès sur nos armes, bouscula l'armée du Sud malgré la troisième force qui ayant agi comme un "cheval de Troie" à l'intérieur de la République du Sud-Vietnam fut balayée et le seul gouvernement communiste du Nord fit flotter ses couleurs sur Saïgon. La longue quête du Viet-Minh était terminée; le Pays était réunifié, indépendant et ruiné! M. VERHAEGHE : Après cette opération, qui est heureusement un succès remarquable, tu sens venir la date fatidique très proche maintenant, celle du 20 Juillet, sur laquelle les hommes politiques ont fait le pari de régler la situation envers les Viets. Mais y a-t-il eu pour toi de nouveaux événements militaires pendant cette période ? J. Sockeel : En arrivant à Pleïku il semblait que cette tragique évacuation de Ankhé devait être pour nous le dernier acte de la guerre. M'étant assuré de l'évacuation de centaines d'Unités du GM 100 sur Saïgon par air, -le GM 42 devant rester à Pleïku- ayant un petit plâtre sur mon doigt, j'obtins l'autorisation de prendre quelques jours de repos à Dalat. Nous étions à la fin du mois de Juin 1954.

L'opération de la dernière heure : Myosotis

Ramener le GM 42 à Ban-Mé-Thuot

Quel ne fut pas mon étonnement, le 12 Juillet, d'être informé à Dalat que le GM 42 avait reçu l'ordre de faire mouvement de Pleïku sur Ban-Mé-Thuot où se trouvait le commandement des Plateaux, le Général de Beaufort. Je rejoignis immédiatement Pleïku. Le GM 42 était déjà engagé, avec le 1er Bataillon de Corée, dans une zone sensible où la route rejoignait la montagne dans la haute vallée de L'Ea-Krong, rivière tributaire du bassin du Mékong. Un petit poste de partisans montagnards en gardait le pont avant le défilé du Chu-Dreh; j'y étais le 13. Entre Ban-Mé-Thuot et Pleïku, la chaîne Annamitique s'infléchit légèrement vers l'ouest avec le massif du Chu-Dreh dans un court défilé très boisé présentant une zone propice aux embuscades. Pendant trois jours, les Bataillons montagnards la patrouillèrent sans cesse, mais le terrain très vallonné, avec une jungle épaisse, ne permettait pas une fouille rationnelle; aussi je proposais de disposer de l'aviation pour encadrer une action de nettoyage complet. Les renseignements qui avaient conduit le Général de Beaufort à monter cette opération de renforcement de Ban-Mé-Thuot faisaient état d'une menace que le Régiment 803, renforcé par le 810, pouvait faire peser sur la ville. On signalait précisément qu'ils se portaient vers le Chu-Dreh pour couper la route coloniale 14 de Pleïku. En mon absence, c'était le Chef de Bataillon Guinard, commandant ce qui restait du Régiment de Corée qui avait pris le commandement de l'ensemble avec le GM 42; mon adjolnt, le Commandant Cocquerel, était moins ancien en grade. L'opération décidée si soudainement avait pris le nom de code "Myosotis" et visait uniquement à joindre Ban-Mé-Thuot: c'était un simple ordre de mouvement, transformé en "opération" en raison des difficultés possibles conduisant à manoeuvrer. Sur place, mis au courant de ces événements, je demandais quels seraient les appuis aériens susceptibles de m'être accordés en cas de combat à livrer contre le Régiment 803 qui pouvait se trouver dans le Chu-Dreh; -ils étaient incertains et limités: "Vous n'aurez pas d'autres moyens que les vôtres; il n'est pas possible de vous donner les renforts aériens dont vous disposiez pour l'opération Eglantine"... Pas du tout satisfait de cette situation j'en fis part au Général de Beaufort, lui proposant à nouveau d'effectuer une fouille méthodique et complète du massif avant d'engager le convoi routier vers Ban-Mé-Thuot avec l'artillerie, ajoutant ma préférence pour un retour sur Pleïku, mais je ne pouvais pas toujours dire NON!, d'autant plus que les contacts avec le Viet-Minh étaient nuls. Très honnêtement j'avais rendu compte chaque soir au Général de Beaufort des résultats négatifs des reconnaissances et tout particulièrement la veille j'avais signalé qu'un détachement léger sur roues se rendant à la corvée d'eau s'était trompé d'itinéraire: au lieu de se rendre au poste voisin du pont sur L'Ea-Kong au nord, il avait pris la route 14 au Sud en direction de Ban-Mé-Thuot pour prendre son eau au-delà du Chu-Dreh, dans un petit affluent de L'Ea-Kong, au sud du massif. Le détachement avait donc traversé toute la zone la plus sensible sur une quinzaine de kilomètres sans avoir rencontré âmes qui vivent. Le compte-rendu de cet incident confortait le commandement de Ban-Mé-Thuot dans la menace du Régiment 803 sur la ville, et dans sa décision de nous faire venir en renfort. Quoiqu'il en soit je n'avais plus qu'à exécuter l'ordre reçu pour le 17 Juillet. A contre-coeur je passai à l'exécution; I'enthousiasme n'y était pour personne, en particulier pour les Coréens. Mon dispositif était toujours le même: une large couverture en avant et sur les flancs, progressant par bonds successifs sous la protection des feux de l'artillerie, le gros de mon GM avec le convoi sur la route, puis une arrière-garde. L'artillerie déployée pour moitié était en mesure d'appuyer l'ensemble avec l'avion d'observation pour le réglage des tirs. J'avais remarqué que les attaques des Viet-Minh avaient lieu en général sur le centre des convois, visant le P.C. et le Chef, en détruisant les véhicules plutôt que d'engager les troupes elles-mêmes. Cette analyse m'avait amené à placer à l'arrière les éléments que je désirais protéger, car les arrière-gardes ne subissaient le plus souvent aucun dommage étant donné leurs possibilités de manoeuvrer plus facilement, les combats se déroulant généralement au centre. C'est ainsi que je donnais au Commandant Guinard le commandement de l'arrière-garde avec son bataillon de Corée réduit à deux Compagnies; comme cela paraissait léger, j'y ajoutais ma propre Section de protection, petite Unité d'élite, mobile et très bien armée: elle ne m'avait jamais quitté. Un autre motif m'avait fait agir; il m'était personnel et il m'est très pénible à évoquer : dans cette Section de protection se trouvait le fils d'un ami très cher, le Sergent Rivier. Ce garçon s'était engagé après des études assez médiocres; il devait ensuite à mon avis reprendre pied à Saint-Maixent pour une carrière militaire valable: arrivé au Vietnam en 1953, son Père me l'avait recommandé. Il commandait l'un des trois groupes de la Section, avec beaucoup d'allant, trop même. Après l'opération "Eglantine", son temps de séjour étant terminé, il était inscrit sur la liste des rapatriables; j'avais bien précisé avant mon départ pour Dalat, qu'il devait être dirigé au plus vite sur Saïgon; mais quelle ne fut pas ma surprise de le retrouver en revenant le 13 Juillet. Cela explique en partie ma décision de placer cette Section de protection à l'arrière, pensant ainsi l'écarter le plus possible de tout danger; les choses se déroulèrent hélas tout autrement.

17 Juillet 1954

L'embuscade et la bataille du Chu-Dreh

L'engagement fut extrêmement sévère; il devait se terminer par la destruction totale de l'arrière-garde, et par la mort du Sergent Rivier; plus de 150 hommes tués ou faits prisonniers après une lutte acharnée, en causant à l'ennemi (le Régiment 803) de très lourdes pertes. Au début de l'opération "Myosotis", bien avant l'aube, tout se passa très bien; trop bien à mon avis: on ne signalait rien, ce qui n'est pas forcément un présage favorable. Le Bataillon chargé de la protection du côté ouest dans le massif exécuta mal sa mission, car si la fouille en avait été complète les Unités du Chef de Bataillon auraient immanquablement rencontré les éléments viet-minhs qui s'y étaient installés depuis la veille en embuscade très importante. Je lui ai plus tard reproché de n'avoir pas suffisamment pénétré les pentes du Chu-Dreh, ni même tenu le sommet; il s'en défendit, et me fit observer que ce dernier point ne lui avait pas été précisé, ce qui était vrai... mais tellement évident dans le cadre de sa mission! Considérant la voie libre selon le compte-rendu du Chef de Bataillon, je donnai l'ordre de mouvement aux blindés et à mon P.C, ainsi qu'à l'artillerie, qui allait être déployée au sud du massif, où une batterie était déjà en position, pour couvrir ce déplacement et ultérieurement l'arrière-garde. Dès que mon P.C fut en place, à la sortie sud de la corniche, je fis engager tout le convoi de façon accélérée. Il venait de passer en totalité, et sur les 100 mètres de corniche ne roulaient plus que les derniers camions vides de l'arrière-garde dont les Unités manoeuvraient à pied. C'est alors que l'embuscade se déclencha, brutale, au-dessus même de la corniche, sur mon P.C et à l'arrière sur les Compagnies du Commandant Guinard qui progressaient sur les pentes. Nous avions disposé à peu près d'une demi-heure pour exécuter tous ces mouvements et c'est aussi le délai qu'il avait fallu aux Viet-Minhs pour attaquer, en portant leur effort principal sur l'arrière-garde, ce qui laisse à penser (au bénéfice du Chef de Bataillon responsable de la couverture ouest du Chu-Dreh) qu'ils devaient être assez loin, camouflés sur le versant opposé du massif, échappant ainsi à la fouille qui avait dû précéder le déplacement, où qu'ils s'y étaient repliés lors de son passage. Deux des véhicules de l'arrière-garde touchés par des obus de mortiers brûlèrent, bloquant complètement la route en corniche et interdisant aux blindes d'intervenir en contre-attaque, isolant ainsi complètement les combats. Alors que le Bataillon qui entourait le PC était fortement attaqué, I'arrière-garde fut submergée par deux Bataillons viet-minh descendant les pentes du Chu-Dreh. Pour ajouter à la malchance et à l'impossibilité où nous étions de contre-attaquer, I'Officier d'artillerie D.L.O. - (détachement de liaison et d'observation) dont disposait le Commandant Guinard fut tué au début de l'action, alors qu'il réglait les premiers tirs, et l'avion d'observation d'artillerie était reparti sur Ban-Mé-Thuot pour "faire de l'essence". Je dis cela entre guillemets car je fus amené à agir très durement plus tard vis-à-vis du pilote qui s'était montré dans cette affaire d'une prudence "suspecte": au début de l'attaque comme je lui demandais directement en phonie de descendre près du sol, il fit valoir son besoin en carburant et se sauva! Il s'en était fallu de deux camions en feu, sur une route en corniche empêchant tout contournement, pour que nous puissions intervenir directement avec les blindés, et sans doute pour faire basculer le combat: il n'en fut rien. Aussi est-il indispensable, pour faire face à de telles situations imprévisibles, dans un combat engagé sur un terrain plus difficile, de disposer d'un ~ appui aérien comme pour "Eglantine" le 28 Juin; nous avions conclu alors qu'il avait été décisif: pour nous avoir manqué le 17 Juillet au Chu-Dreh l'avantage fut à l'adversaire. Alors que les chasseurs de Nha-Trang intervenaient enfin avec des bombes au napalm l'après-midi était déjà avancée, et dans les fumées qui s'élevèrent au-dessus des arbres l'arrière-garde à qui j'avais prescrit de rompre le combat et de se diluer à l'est fut pratiquement décimée. Il me restait à sauver l'essentiel du GM 42 avec artillerie et blindés qui m'avaient beaucoup aidé, non pas pour une contre-attaque impossible du fait du terrain, mais pour nous maintenir simplement sur place avec le Bataillon du centre, fortement attaqué par un Bataillon du 810 en renforcement du 803, comme il fut confirmé. Il fut contraint de rompre le combat en laissant sur le terrain de nombreux tués et blessés: cela ne compensait pas nos pertes. J'arrivais donc en fin de soirée à sortir de la zone mais sans trop m'éloigner, car j'espérais toujours que les éléments du malheureux Bataillon de Corée pourraient nous retrouver. Comme le camp se montait nous fûmes rejoints par un petit commando de recherche de renseignements appartement au GM 100 à An-Khé; il circulait en brousse au moment de son évacuation et n'avait pas été attaqué, mais il avait suivi de loin les combats, se maintenant dans la montagne. Ce commando était composé de montagnards commandés par le Lieutenant Vitasse, un Officier tout à fait remarquable qui réussissait à rallier enfin après plus de 20 jours de brousse; lui-même était légèrement blessé. Son arrivée était providentielle, dans la mesure où il m'indiqua que des mouvements importants se faisaient tout autour de nous, au débouché de la montagne: je serais certainement attaqué dans la nuit par le gros du Régiment 810 qui n'avait été qu'en partie engagé avec le 803 au Chu-Dreh. Je pris immédiatement la décision de lever le camp à peine ébauché, et de repartir en pleine nuit en direction de Ban-Mé-Thuot sans attendre le jour; pour masquer notre départ, les véhicules furent poussés à la main, tous feux éteints sur la route. Bien m'en a pris d'ailleurs car une heure ou deux plus tard la position était attaquée en force par le Viet-Minh: c'était à lui cette fois de trouver la place vide. J'étais en sûreté à 15 km de là, de l'autre côté du petit affluent de l'Ea-Krong (I'affluent de la corvée d'eau), dans la zone d'influence de Ban-Mé-Thuot où je ne courais aucun risque. Voilà rapidement esquissée cette bataille du 17 Juillet, dite "Bataille du Chu-Dreh" où je perdis les derniers éléments du 1er Bataillon du Régiment de Corée, et aussi le fils de mon meilleur ami.M.VERHAEGHE : L'opération "Myosotis" était donc terminée, mais hélas à quel prix ! J'ai retenu que tu en avais fait la critique avant qu'elle ne soit commencée; tu estimais que, à quelques jours du cessez-le-feu, elle ne semblait pas s'imposer et qu'elle n'était pas sans risques. Si l'on admet de prévoir des sacrifices inévitables et importants dans le cadre d'une vaste opération offensive type "Atlante", il paraît en revanche beaucoup plus discutable d'engager de gros moyens pour des opérations dissociées, locales, et dont la nécessité pouvait paraître douteuse. Ces réflexions m'amènent à te poser le problème dont tu m'as souvent parlé, celui de l'étude critique des difficultés et des échecs, lorsque tout est terminé. Pour les deux opérations "Eglantine", puis "Myosotis", y a-t-il eu enquête? Et éventuellement sanctions ? J. Sockeel : Tu touches là à l'un des points sensibles qui ont toujours marqué ma conception de la responsabilité du Chef dans un engagement armé, et je t'en ai souvent parlé. Tout jeune, et à mes débuts dans la hiérarchie avant la guerre, j'avais toujours considéré qu'une action militaire ayant entraîné des pertes moyennes ou importantes devait relever d'une Commission d'enquête, voire d'un Tribunal Militaire. C'est la coutume dans la Marine où quiconque perd son Bâtiment passe devant un Tribunal maritime, que ce soit par sa faute ou non, pour qu'un jugement le sanctionne; il devrait en être de même dans l'Armée de Terre. Après certains échecs je me suis toujours très bien trouvé d'être jugé par mes Pairs après une enquête, et je regrette qu'il n'en ait pas toujours été ainsi; un simple rapport sur les faits ne saurait être jugé suffisant. Voilà pour ce qui concerne ma philosophie personnelle. Sur le plan particulier des combats qui viennent de se succéder, il est bien évident que la responsabilité initiale, celle d'avoir fait évacuer Ankhé, incombe au Général Salan. Pour le premier combat, la responsabilité de la manoeuvre incombe au Commandant du GM 100, pour avoir engagé son groupement sans l'articulation convenable, et surtout sans l'appui de feu de son artillerie. Pour le deuxième, c'est ma responsabilité d'un refus d'obéissance à un ordre, ordre qui s'est révélé ultérieurement mauvais et dangereux. Ils auraient dû tous deux faire l'objet d'une enquête ou d'une présentation devant un Tribunal, il n'en a rien été. Enfin pour le troisième combat, celui du Chu-Dreh, il a été sanctionné pour la décision mais pas dans l'exécution. Pour la décision, dans la mesure où le Général Salan, jugeant que l'ordre donné par le Général de Beaufort du mouvement du GM 42 et du 1er Bataillon de Corée, leur enjoignant d'aller de Pleïku sur Ban-Mé-Thuot était inutile et dangereux, releva le jour même le Général de son commandement: il avait d'ailleurs déjà quitté son poste lorsque j'arrivais à Ban-Mé-Thuot le 18 Juillet. Voilà un cas de sanction précise touchant à la tête. Si je la trouve juste, je regrette que l'exécution de ma manoeuvre n'ait pas été analysée plus finement. Dans un long rapport, j'exprimais au Commandement mes réticences initiales sur l'opération "Myosotis" sans appui aérien, et j'indiquais l'attitude du Commandant de Bataillon chargé de la couverture ouest, en y joignant son propre compte-rendu, signalant cependant l'éventualité d'un repli des Forces viet-minhs lors de son passage afin d'assurer la surprise et la réussite de leur embuscade, et je concluais en demandant qu'une Commission d'enquête soit constituée pour en juger . J'ajoutais qu'il serait normal de relier les deux opérations: "Eglantine" et "Myosotis", et que la Commission devrait avoir à connaître des deux affaires. Il n'en fut jamais question et comme je te l'ai dit, le Genéral Salan que je revis à plusieurs reprises par la suite, en France et en Algérie et souvent longuement, ne m'en parla pas. En ce qui concerne le Chef de Bataillon commandant le 8ème Bataillon de Montagnards, je devais le retrouver en France bien des années plus tard, à Sissonne lorsque je commandais la 14ème Brigade Mécanisée; il avait été fortement retardé dans son avancement. Je lui demandai de servir loyalement dans le cadre de notre nouvelle mission de temps de paix, avec des Cadres encore sous le choc des événements qui avaient marqué la fin du conflit algérien; il le fit, et fut inscrit au tableau d'avancement, alors que depuis le Chu-Dreh il en avait été systèmatiquement écarté. M VERHAEGHE : Vous arriviez à la date fatidique du 20 Juillet. Comment avez-vous vécu cet événement?. Que devenait ta position et as-tu rempli encore de nouvelles missions d'ordre militaire ou peut-être civil?

20 Juillet 1954

Cessez-le-feu - Partition du Vietnam

J. Sockeel : Le Colonel Buffin m'avait rejoint dans la nuit sur ma dernière position de repli; je l'accueillis sans aménité. Le lendemain, le 18 Juillet, j'étais à Ban-Mé-Thuot, déployé à une quinzaine de kilomètres, en couverture face au nord-est, et en liaison avec le GM 41 qui n'avait pas bougé. Les menaces viet-minhs se faisaient toujours sentir, autorisant les craintes du Commandement d'une éventuelle contre-offensive sur l'axe Ban-Mé-Thuot - Dalat-Saïgon. Mais si le programme était beau, les moyens manquaient cependant au Viet-Minh pour le réaliser. Enfin le 20 Juillet, comme prévu, M. Mendès-France conclut un accord avec le représentant de Ho-Chi-Minh, M. Tran-Van-Don et le Ministre des Affaires Etrangères de Chine, Chou-En-Laï. Ils signèrent à Genève le cessez-le-feu consacrant la partition: le Tonkin au nord, I'Annam et la Cochinchine au sud; les deux Républiques du Nord-Vietnam et du Sud-Vietnam, étaient séparées par le 17ème parallèle, légèrement au sud de Dong-Hoï. Il fut accueilli avec soulagement par les uns, avec fureur par les autres; la fureur venait surtout du camp de ceux qui ne s'étaient jamais beaucoup engagés.

Relation de ces deux derniers combats dans la revue historique de l'armée

Une grande satisfaction, la dernière avant de clore le récit de 8 ans de guerre et de ces deux derniers combats, fut de voir s'encadrer dans ma guitoune la grande silhouette du Commandant Guinard, considéré comme mort; avec un rare courage il avait combattu tout le jour et réussi à s'échapper avec un petit groupe des siens. Après deux jours d'errance dans la brousse, il venait de nous rejoindre. La joie était réciproque; il me la témoigna, marquant son estime et sa reconnaissance pour ce que j'avais pu faire pour ses Unités en me nommant "lère Classe du Régiment de Corée", honneur que je partage avec des chefs illustres comme le Général Mac Arthur et le Maréchal Juin; nous ne sommes que cinq au total. Bien des années plus tard, lorsque je fus amené à écrire pour la Revue Historique de l'Armée le récit de ces deux combats absolument inattendus et presque inexplicables, car rien de sérieux ne les justifiait après la défaite de Dien-Bien-Phu, cette Revue m'adressa un petit chèque que j'envoyais à l'Amicale des Anciens de Corée, me considérant toujours comme l'un des leurs. Je fus nommé Membre Honoraire de leur Association Le récit que j'ai adressé à cette très officielle Revue au sujet des deux opérations "Eglantine" et "Myosotis" est beaucoup plus rigoureux et "technique" que les souvenirs que j'ai pu évoquer avec toi; j'avais pu les reconstituer grâce à des cartes et à des documents, des ordres, des rapports, que mon ancien Chef du 3ème Bureau du GM 42, le Capitaine Bourcier, avait conservés, et c'est donc à eux qu'il est bon de se référer pour l'exactitude des faits et des dates car ma mémoire n'est plus aussi fidèle. Tu pourras constater la différence très marquée entre mes deux relations. Dans la première qui est très officielle je me tiens à une grande objectivité sans porter de jugement ni indiquer mes réactions intimes; dans la seconde qui est plus directe et que je fais avec toi, je laisse s'exprimer mes sentiments: ils s'émoussent un peu avec le temps, mais ils demeurent. Aussi est-il bon, comme je te l'ai dit plus haut, de ne retenir que la version "Service Historique" pour la stricte exactitude des événements. M.VERHAEGHE : Peux-tu me dire maintenant quelles sont tes dernières journées, et tes dernières heures peut-être, en Indochine au terme de ces huit années qui sans aucun doute t'ont profondément marqué pour toute la vie ? J. Sockeel : Me voici donc à Ban-Mé-Thuot, la paix revenue, le cessez-le-feu étant effectif dans notre région le ler Août 1954; il me reste quelques mois à passer en Indochine avant de rejoindre la France. Je m'attachai à libérer le maximum de nos Montagnards pour qu'ils puissent regagner leurs villages dans de bonnes conditions, après avoir obtenu les récompenses qui s'imposaient; je m'attachai aussi à marquer le souvenir de ces deux derniers combats tant auprès du P. K. 22 sur la route de Ankhé et au Chu-Dreh, par de petites stèles qui témoignaient du courage des combattants, en y associant l'adversaire: espérant ainsi que ces monuments pourraient demeurer dans l'avenir à l'attention des passants. Celui du Chu-Dreh existerait toujours, mais celui de Ankhé n'aurait pas résisté à I'agrandissement de la route par une division sud-Coréenne. Je t'ai dit que la région de Pleïku avait été très fortement pénétrée par les Missionnaires Catholiques; une organisation très importante avec un Séminaire existait à Kontum sous l'autorité d'un Evêque des Missions Etrangères, Monseigneur Seitz. Comme j'allais l'y saluer à la suite du départ du Viet-Minh qui avait occupé Kontum comme nous l'avons vu pendant l'opération Atlante, je lui dis mon désir de construire une église à Pleïku en place de la modeste chapelle couverte de chaume. Je disposais encore de quelques moyens en matériel du Génie: ciment, ferrailles... et aussi de crédits. Je proposais à Monseigneur Seitz d'édifier "Notre-Dame de la Paix"; ce qui fut fait, et nous en posâmes conjointement la première pierre . Terminée en 1955 avant notre départ, elle fut détruite par un bombardement en 1974. Voilà les petites occupations auxquelles je me livrais en attendant le retour. Je terminerai par le récit d'un dernier incident, d'une aventure "touristique". Nous étions au mois de Février 1955; j'allais quitter définitivement le Vietnam, et nous étions convenus avec Monseigneur Seitz que j'irais lui faire mes adieux à Kontum. Je disposais à Ban-Mé-Thuot d'un "Cesna", petit avion d'observation avec lequel je me rendis à Kontum. Avant d'atterrir, et disposant encore de deux bonnes heures avant le rendez-vous fixé, je décidais d'aller plus au nord pour survoler Dak-To dont je t'ai parlé lors de l'affaire des Rhés, puis poussais un peu plus loin encore, mais les cartes n'allaient pas au-delà. Personne ne s'était encore rendu dans ces régions montagneuses très difficiles d'accès entre Kontum et, plus au nord la route est-ouest qui traversant la chaîne reliait Quang-Tri en Annam, à Savannhaket au Laos. J'estimais avoir le temps de survoler ces régions avant l'audience. Au-dessus de cette région absolument inconnue il était fascinant d'apercevoir un habitat assez clairsemé dans un relief tourmenté; alors qu'en pays Montagnard les villages étaient rassemblés le plus souvent près des points d'eau, c'est-à-dire dans les fonds, les rares villages que je survolais se trouvaient au contraire sur les sommets; de profondes saignées rougeâtres dans la verdure, témoignaient du chemin suivi depuis toujours par les femmes qui remontaient l'eau nécessaire à leur vie: c'est l'une des observations les plus remarquables que je recueillais. Quant aux villages entourés d'une palissade de bambous, ils étaient formés de paillotes sur pilotis assez longues, comme celles de nos montagnards. Cette exploration captivante me fit oublier l'heure, et nous nous trouvions complètement perdus ! Le brouillard s'était élevé dans les vallées, nivelant les reliefs, nous contraignant à nous décaler vers l'ouest pour rechercher les plateaux laotiens au pied du massif. Le niveau d'essence baissant dangereusement, mon pilote cherchait à se poser. Au-dessous de nous on retrouvait les aspects très caractéristiques des plateaux, la forêt claire avec les grandes étendues d"herbe parsemées d'arbres où il paraissait possible d'atterrir sans trop casser l'appareil, quand... brusquement... et là tu reconnaîtras mon "fil rouge", cette fameuse chance qui me protège depuis si longtemps, nous survolions un petit poste militaire avec un terrain d'aviation: c'était un des postes laotiens les plus proches des nôtres, au sud-est de la plaine des Joncs; on se posa sans encombre, et le Sous-Officier qui commandait voulut bien nous donner l'essence nécessaire. Je pus ainsi me trouver au rendez-vous avec un peu de retard, mais à temps cependant pour stopper l'alerte générale "air" qui venait d'être déclenchée! Le mois de Février 1955 marquait la date réglementaire pour la fin de mon troisième séjour. J'aurais pu, comme beaucoup le firent, passer mes dernières semaines aux ruines de Angkor, ou à Hong-Kong, voire même au Japon, mais mon état général ne me le permit pas. La date de mon départ arrivant, mon chauffeur et mon ordonnance, un montagnard lui aussi qui avait été blessé au Many-Yang, me conduisirent à Saïgon; I'un et l'autre n'avaient jamais cessé de veiller sur moi pendant ces deux dernières années. L'Ordonnance avait été nommé Sergent, et l'autre Caporal Chef; tous deux s'appelaient Kadéo, bien qu'ils ne soient pas du même village mais de la même ethnie Rahdé. S'il m'était possible un jour, ce qui est bien peu vraisemblable, de me rendre sur ces plateaux montagnards, je ne manquerai pas d'aller dans le village du Sergent dont j'espère qu'il est devenu le Chef, pour boire la jarre comme dans toutes les fêtes, avec les sacrifices d'animaux ainsi que le veut une vieille coutume: c'est le calumet de la paix chez les Moïs. Cette jarre est un grand récipient en terre cuite où l'on dépose par couches successives du riz mal décortiqué et des herbes fraîches arrosées d'eau; ce mélange fermente et produit une espèce de bière aigrelette assez agréable que l'on boit en aspirant à l'aide de fins roseaux. Ainsi se terminait pour moi ce conflit commencé huit années plus tôt en 1946 dans l'indifférence Nationale générale, mais dans l'enthousiasme des exécutants en ce qu'il concernait une armée de métier engagée dans une sorte d'expédition lointaine. Il se terminait dans l'amertume, après des désastres retentissants. Nous laissions la place aux Américains qui surgissaient de partout sous forme de "conseillers techniques", dans la partie du Vietnam que nous leur laissions libre, tandis que les Soviétiques et les Chinois s'installaient au nord.

Général (C.R.) Robert Girard alors Lieutenant et

Officier de renseignement à l'Etat Major du GM 100

L'opération "Eglantine "

Evacuation d'An-Khé le 24 juin 1954

Précisions pour l'histoire du GM 100 et réflexions

à l'appui du texte du Général Sockeel

Selon mes études l'ordre de bataille de l'Interzone 5 était ainsi vers la mi-juin 1954 : - Régiment 803 : au sud d'An-Khé - Groupement 810 (ex-Régiment 108 après dédoublement pour créer le Régiment 96. Partie vers le Mang-Yang partie plus au nord vers Bato (Quang Ngai) - Régiment 96 (nouvellement créé ) au nord-est d'An-Khé - Régiment régional 120 (autour d'An-Khé) D'après les pisteurs que j'envoyais régulièrement en exploration et en liaison vers PK 22, les VM contrôlaient la RC 19 à l'ouest à partir de PK 15 . Selon les possibilités de l'ennemi, exposées au Général Salan à An-Khé le 19 juin, le 96 et le 803 étaient en mesure de tendre une embuscade au GM 100 sur préavis de quelques jours, le groupement 810 (ex Rgt 108 ) ayant besoin de 2 ou 3 jours supplémentaires. Or le plan d'évacuation d'An-Khé était prévu de commencer par un pont aérien précédant de plusieurs jours la sortie du GM 100. Réponse du Général Salan -" Il faudra leur passer sur le ventre" Précisions du Colonel Buffin -"Surtout emportez avec vous les matériels critiques : bétonnières et matériel pour pont de bateaux " Instructions qui furent, au moins dans le dispositif de départ, et malheureusement, respectées. Alors qu'une sortie par la brousse, sans matériel lourd, aurait pris l'ennemi à contre pied. Je confirme que dispositif du GM 100 se voulait une sorte de hérisson mobile les véhicules et canons attelés se suivant de près et le personnel à pied progressant tout autour (sur la route, car par la brousse l'allure eût été trop lente). Aucun dispositif de reconnaissance (sauf avion léger) ni aucune mise en batterie d'armes lourdes. L'idéal pour l'adversaire, pouvant ainsi utiliser tranquillement et à fond sa considérable puissance de feu à courte portée . En contraste avec l'esprit manoeuvrier du Lieutenant Colonel Sockeel dans la suite de l'opération. Voilà ce que j'ai pu observer moi-même lors du combat du 24 juin : Je me trouvais dans la colonne PC, entourée par le TDKQ, derrière le Colonel et l'Officier 3° Bureau Dès l'ouverture généralisée du feu de cette vaste embuscade, les hommes du TDKQ se volatilisèrent. J'ai regroupé quelques hommes de la CCAS autour d'un scout-car radio armé d'une mitrailleuse. Liaison perdue très vite avec l'avant. La mitrailleuse s'étant enrayée par échauffement irrémédiable, j'ai conduit mon équipe improvisée sur une petite butte voisine. Après 7 assauts viets, restant avec 4 hommes et mon seul pistolet mitrailleur à son dernier chargeur, la compagnie Louizos du 2/Corée est arrivée à me dégager, mais n'a pu pousser plus loin. Idem pour le Commando Bergerol dont j'ai vu le capitaine Humbert Claude tomber, frappé au front en criant "En avant Bergerol". J'ai alors appelé nos 3 bataillons à la radio (le Commandant du Groupe d'artillerie était mort dès le début, alors que je le portais grièvement blessé, vers un véhicule). Le Cdt Muller a signalé qu'il avait perdu une part de son effectif et s'était regroupé hors de la masse. Le I/Corée, qui était pratiquement intact, a essayé de s'engager en soutien du II/Corée, mais la brousse l'a empêché de manoeuvrer.J'ai indiqué alors au Chef de Bataillon Kleinmann,du II/Corée qu'il restait l'Officier le plus élevé en grade du G.M. 100 en mesure de commander. A ce moment l'aviation est intervenue avec une force accrue (B26 en version mitrailleurs), mais il n'a pas été possible de dégager la route et encore moins de continuer la progression. Avant la fin du jour, en accord je crois avec Nha-Trang, la décision a été prise de détruire canons et véhicules et de rejoindre PK 22 par la brousse. Les blessés intransportables sont restés sur place avec le Médecin-Commandant Warmé-Janville. J'ai ramassé des isolés de la CCS, des blessés pouvant marcher et, toute la nuit j'ai ouvert le passage avec mon poignard (une ancienne baillonnette allemande), et sans doute grâce à l'entraînement d'un séjour précédant de brousse au 3/22° RIC, j'ai pu ramener mon détachement à PK 22, arrivant le premier de ceux du même genre et ai rendu compte au Cdt Muller. J'ai été amené à participer au combat du 28 juin, à la tête du commando Bergerol. Je me souviens que nous avions entendu à la radio un ordre viet, à peu près celui-ci "Ils sont arrêtés, avancez, courez et attaquez dans la foulée". Faisant feu de toutes nos armes en forêt clairsemée, nous avons haché nos assaillants qui s'élançaient sans préparation ni soutien d'armes lourdes. Les corps de ceux tombés devant mon dispositif provenaient des Groupement 810, arrivés sans doute à marches forcées. L'un de nos adversaires à réussi avant de mourir, à lancer une grenade incendiaire sur un camion derrière nous, qui a pris feu Comme il était chargé de caisses de munitions, sous la menace de mon pistolet mitrailleur, j'ai obligé le conducteur à remonter à bord et à éloigner le plus possible sa bombe roulante.

QUELQUES REFLEXIONS

1°) L'opération " Eglantine " illustre bien la situation générale du Corps expéditionnaire, l'espèce de mur intellectuel et affectif qui séparait le Haut Commandant et ses inspirateurs de ceux qui oeuvraient au contact de l'ennemi. Les uns drapés dans leurs certitudes et un indéracinable sentiment de supériorité face à des gens qui ne sont pas passés par nos écoles ou l'équivalent. Les autres rendus plus circonspects et pragmatiques par le contact des faits, essayant de s'adapter à un adversaire valeureux et compétent, mais ayant aussi ses faiblesses, et généralement amers de n'être pas entendus ni même interrogés (et au moins autant de voir tomber bêtement les camarades). Les responsables paraissaient avoir été désignés plus en fonction du fait qu'ils étaient connus du Général Cdt en chef que pour une véritable compétence. Le Colonel Barrou alternait entre le souvenir des chevauchées marocaines et une conception stéréotypée du style Légion, bulldozer ou béton. Le renseignement " la renseignerie " disait-il, l'agaçait quelques peu sauf pour l'affaire de Plei-Rinh, où j'avais pu le persuader de s'attaquer, sans ordre, à la base avancée V.M.de Dak Bot en cours de constitution ; d'où la réaction de l'adversaire et le "de quoi vous mélez-vous?" de l'Etat Major. Le Général de Beaufort, je peux en témoigner, ne nous a jamais donné comme ordre que des points de destination, et aucune idée de manoeuvre n'y transparaissait. 2/ L'opération "Atlante", sur laquelle s'est greffée "Eglantine" avait été manifestement montée comme une manoeuvre face à un adversaire négligeable, et les réactions possibles de l'ennemi n'avaient pas été sérieusement envisagées. Au déclenchement, on ne savait pas où se trouvaient les forces de manoeuvres ( Chu Luc) du Lien Khu V . Le Commandement, après l'attaque adverse passant par Kontum, n'a su que déplacer ses pions, en perdant rapidement l'initiatrive. Il n'a pas compris, ou voulu comprendre que l'ennemi était en fait vulnérable par sa logistique, indispensable pour une manoeuvre de force, au lieu de chercher, en une fausse interprétation de la doctrine napoléonienne et de Clausewitz, l'éternel affrontement décisif. Or le Viet Minh n'y consentait que lorsqu'il était sûr de gagner (selon sa méthode de pensée qui excluait toute idée d'hypothèses et de variantes) ; ses possibilités de manoeuvre et d'esquive dépassant de loin celles de nos GM, liés à leur artillerie tractée, donc aux quelques routes existantes. 3 - Le refus du Lt Colonel Sockeel de pousser à l'Est à partir de PK 22, s'il a ôté toute chance d'être récupérés à quelques rescapés, a sauvé l'ensemble de ses moyens d'un second désastre 4 - Il est dommage que l'on n'ait jamais ouvert d'enquête à la suite des échecs subis, la vérité et la justice y auraient gagné, et cela aurait pu éclairer le jugement du haut commandement. 5 - Je pense aussi que de notre côté, la conduite politique de la guerre d'Indochine a été encore plus faible que la conduite militaire Le Viet-Minh (doctrine lénino- maoïste oblige) avait besoin d'une guerre pour établir son emprise sur le pays . Le gouvernement Bao-Daï était bien trop faible par lui même étant en trop étroite tutelle des autorités françaises pour dégager une force politique équivalente . Encore aurait-il fallu coordonner véritablement une action politique réfléchie et une véritable stratégie militaire. Le Général de Lattre semblait l'avoir compris ou entrevu, mais l'aurait-il pu, alors que le Gouvernement français ne savait pas lui même ce qu'il voulait exactement? Les Américains ont commis les même erreurs, y compris celle d'imposer une stratégie opérationnelle où l'effort principal revenait à leurs moyens aériens, moyens qu'ils ont retiré ensuite sans que l'Armée sud-vietnamienne se réorganise en fonction de la situation ainsi créée. Il n'empêche, et je ne crois pas que cela ne soit qu'une consolation, sans doute avons-nous fixé là-bas une part de la capacité offensive du monde communiste, pendant que s'amorçait chez lui un inévitable phénomène d'usure interne . Mais le prix en a été très lourd, en particulier pour les malheureux Indochinois. Et pour nous ce fut la fin, sans honte, d'une magnifique aventure française aux pays lointains.

Général (C.R.) Robert Girard

alors Lieutenant et

Chef du 2e Bureau du GM 100

Essai d'enseignement à partir de

L'Histoire du G.M. 100

(Groupement Mobile 100)

L'histoire du GM lOO a été narrée de façon fort vivante par M. Bernard Fall dans son ouvrage "L'Indochine 1946 - 1962", mais l'auteur a dû recourir à des sources orales ou documentaires dont l'objectivité n'est pas toujours apparente. C'est pourquoi vont être maintenant rapidement évoquées les conditions du combat et les opérations qui fourniront la matière historique de cette étude. Le G.M. 100 combattit sur une zone de 100 sur 150 km, située sensiblement au centre du Viet-Nam Terrain assez plat et découvert, peuplé de "Moïs" assez bien disposés envers nous, bordé à 1'Est par la chaîne annamitique, boisée et sans villages Au-delà de cette chaîne une étroite bande côtière peuplée de Vietnamiens contrôlés par l'adversaire. Sur le .plateau, une route nord-sud avec quelques bretelles vers la côte, quelques villes à l'intérieur. L'adversaire est l'Interzone V" viet-minh, en place depuis 1945, disposant de 2, puis 3 Régiments de manoeuvre couverts par des régionaux. Il a déjà effectué plusieurs incursions sur les plateaux Le GM 100 dispose d'un Etat-Major, d'une C.C.S. d'une unité de Transmissions, de 3 Bataillons d'Infanterie ( I°/ et II °/Corée, B.M. du 43° R.I.C. ) d'un groupe d'artillerie (II/10° R.A.C.). Il bénéficia souvent d'un Escadron de chars légers, et parfois d'un petit commando d'éclairage. Créé en Novembre 1953, il arrive sur les Plateaux en Décembre, en vue de l'opération "Atlante". Celle-ci vise la conquête de l'Interzone V, pour "assainir le Sud du 18° parallèle" La 1ère phase de cette opération, conquête de la province Sud de l'Interzone V, entamée le 20 Janvier 1954, se déroule sans rencontrer autre chose qu'une faibIe résistance (6 GM engagés de notre côté). Mais l'ennemi réagit bientôt: Attaquant au Nord de l'Interzone, ses régiments 108 et 803 menacent notre position de Kontum presque sans défense. Le 30 Janvier le G.M.100 est envoyé en hâte vers cette localité, d'où il n'est pas en mesure cependant d'empêcher l'ennemi de la déborder par le Sud-Est. Alors, commence un jeu de cache-cache parfois sanglant, avec un adversaire qui se moque des routes tandis que la lourdeur de nos moyens nous y lie. Kontum est évacué sur ordre le 6 février, puis c'est toute une suite de "mouvements browniens" autour de Pleïku menacé à son tour, marqués en particulier par le dur combat de Plei-Rinh. Entre temps, le plan "Atlante" est exécuté imperturbablement, et passe à la 2ème phase: des éléments amis débarquent à Qui-Nhon. Le G.M 100 est envoyé vers An-Khé, en vue d'établir ultérieurement la liaison avec Qui-Nhon. Il parvient le 9 avril, non sans combattre. L'ennemi marque une pause et organise ses communication. Peu après, notre offensive s'arrête, pendant que le Viét-Minh reprend la sienne; il déborde progressivement nos forces amarrées à des môles isolés. Le G.M. 100 tient donc le camp retranché .d'An-Khé investi par un adversaire qui ne dispose sans doute pas des munitions nécessaires pour une action de force contre la position Le 19 Juin, le Commandement fait connaître sa décision de récupérer le G.M. 100 en abandonnant An-Khé. Pendant 4 jours les stocks de la place sont évacués par avion. Le 24 Juin, le G.M. prend l'unique route vers Pleïku. Vers 14 heures il est assailli dans un col par les .Régiments 96 et 803; gêné par ses nombreux véhicules et par une formation peu favorable à la manoeuvre, le G.M. perd le combat: le P.C. est pratiquement anéanti, un tiers des effectifs hors de combat, le matériel lourd détruit ou perdu, ce qui reste des unités contourne le dispositif ennemi par la brousse au cours de la nuit. Ayant atteint les éléments de recueil, la colonne pourra s'ouvrir le chemin de Pleïku. Cette place sera conservée jusqu'au cessez-le-feu du ler Août, non sans de nouveaux combats.

L'ambiance chez les adversaires en présence

Le Viet-Mihn, lui, est renseigné sur nos projets, les indices ne lui manquent pas, et il dispose d'un bon service de renseignement à Nha-Trang, P.C. de l'opération Atlante. Au début de la manoeuvre, abandonnant du terrain dans le Sud, il laisse nos lourdes. unités s'engager lentement au rythme de la réfection des routes. Il attaque ensuite, toutes forces de manoeuvre réunies, dans le Nord, et menace rapidement nos arrières. Pris de court, le Commandement français prélève le G.M. 100, jusqu'ici chargé de I'effort principal et l'envoie essayer de contenir la poussée ennemie en occupant les points menacés. Il en fut de même devant chaque poussée offensive de l'adversaire. Si bien que le Général viet-minh Giap put en conclure": "L'ennemi concentrait ses forces pour une occupation rapide de notre V° Interzone libre, le voilà réduit à les disperser pour parer à nos coups". Dans les modalités de la manoeuvre, le Viet-Minh gardait sa liberté d'action par ses unités régionales fonctionnant comme organes de renseignement, en plus des unités spécialisées. Dans ce domaine nous lui étions bien inférieurs, nos moyens de renseignement à courte portée étaient en particulier très faibles (un crédit de 200 partisans demandés à cet effet par le G.M. 100 vers Février fut accordé en Juin!) De plus, les unités ennemies étaient aptes à se déplacer partout, tandis que la mobilité tactique des notres était très réduite. Ainsi les Régiments de l'Interzone V pouvaient presque toujours engager le combat quand ils le jugeaient utile et sur le terrain jugé favorable. Un net exemple est celui du combat de Plei-Rinh: Le G.M.100 avait reçu comme très souvent un point de destination au lieu de mission, et son Commandant avait jugé de son devoir de détruire une importante base logistique avancée ennemie qui se trouvait à sa portée. Après une violente réaction de l'adversaire, le Cdt de G.M. fut désavoué, la route d'invasion des plateaux resta ainsi ouverte : Même les occasions de reprendre notre liberté d'action furent manquées.

L'opération Eglantine - La sortie d'An-Khé

Des trois régiments ennemis, le 108 est vers Ba-To (nord de l'Interzone V), le 803 a des éléments devant Tuy-Hoa, le 96 est dans la région d'An-Khé. Les régionaux gravitent dans les intervalles. L'opération d'évacuatlon d' An-Khé est prévue autour des 24 et 25 Juin en quatre temps: - Evacuation des dépôts par avion - Sortie du G.M.100 par la route de Pleïku - Jonction avec un groupement de recueil - Repli de l'ensemble vers Pleïku. Apparemment la décision prise est cohérente et semble donc juste : Le commandement estime que le secret sera divulgué dès le début des opérations, c'est-à-dire le 20 Juin. Le Régiment 108 n'aura pas le temps de joindre ses forces à celles du Régiment 96. En tout état de cause, le Régiment 803 est fixé devant Tuy-Hoa. Un Régiment seul ne peut empêcher le G.M. 100 de passer. Les événements, cependant démentirent cette conclusion : Si le Régiment 108 ne put intervenir que le 28 Juin, et seulement gêner la fin de repli, le Régiment 803 avait manifestement le gros de ses forces plus près d' An-Khé et put. donc participer aux combats du 24 Juin où le G.M. 100 perdit sa substance. C'est pourtant l'annonce de la mise en route du Régiment 108 qui fit avancer d'un jour le départ du G.M. 100, retenu pour le 25, et fit ainsi doubler la première étape: Pour aller plus vite, le G.M. s'engagea d'un bloc, sans éclairage valable, et donna les yeux fermés dans la nasse qui lui était tendue. Mal engagé, le combat fut désastreux. La manoeuvre apparemment saine a donc échoué. Pourtant, aucun "impondérable" n'est intervenu, simplement certains éléments n'ont pas été appréciés à leur juste valeur faute d'imagination, en particulier l'aptitude de l'ennemi à se renseigner, à donner le change et à attaquer par surprise. Lorsque fut préparée la sortie d'An-Khé, il n'aurait pas été bien difficile d'arriver à une meilleure prise de conscience du problème pour peu que celle-ci ait été recherchée; Alors seraient apparus : La grande liberté d'action de l'ennemi et sa grande capacité à être renseigné, aussi une mesure exacte des délais qui le liaient; le fait d'être accompagné de ses 200 véhicules obligeait le G M. à employer le seul itinéraire routier praticable et lui interdisait toute manoeuvre de quelque envergure. L'imagination aurait pu proposer alors trois solutions possibles : - soit abandonner les stocks accumulés à .An-Khé en les détruisant et sortir immédiatement par la route avant que l'ennemi n'ait pu mettre son dispositif d'interception en place. -soit évacuer par air le stocks et 1e maximum de matériel lourd de détruire le reste et quitter le camp retranché par la brousse, l'ennemi ne sachant alors. où il pourrait nous intercepter. - soit monter une manoeuvre de déception faisant croire que nous rejoignons la tête de pont de Qui-Nhon et partir vers Pleïku. La première solution paraissant assez sûre ( elle avait joué avec succcès, mais de justesse à la sortie de Kontum) cependant la difficulté de détruire les stocks de munitions et de vivres en un très court délai faisait prévoir que le Viet-Minh pourrait en récupérer une bonne partie ce qui lui serait d'une aide inappréciable. La troisième solution dans l'ambiance du moment, aurait eu peu de chances d'abuser l'ennemi parceque le repli vers Qui-Nohn n'était en fait guère possilble. La deuxième solution aurait été la meilleure; le potentiel aérien était suffisant pour ne laisser sur le terrain que les camions, faciles à incendier et dont beaucoup étaient près de la réforme: on aurait pu transporter par air air les armes lourdes et les véhicules légers ainsi que le personnel non indispensable au combat. Les unités seraient surement passées par la brousse (il fallut bien le faire le soir du 24 Juin et dans les pires conditions). C'était s'en tirer au meilleur prix, et recupérer une unité en état de combattre comme le voulait le commandement.

Sur le maintient du moral

Le caractère d'âpreté des combats futurs et les progrès de l'arme psychologique nécessiteront un intérêt particulier pour la conservation du moral de la troupe. Liddel Hart a observé que " la perte de toute espérance décide de l'issue d'une guerre bien plus que celle des vies humaines". C'est dans un même esprit que Giap a déclaré que "le travail politique est l'âme de l'Armée". L'endoctrinement des troupes viet-minh est assez connu pour qu'il soit suffisant de le mentionner. Le G.M.100 se trouvait dans une situation différente: chacun sentait plus ou moins nettement que la guerre d'Indochine prenait une mauvaise tournure, encore plus après Dien-Bien-Phu. Cependant, on peut dire que le moral se maintint jusqu'à l'armistice. Quel était donc le ressort qui protégea les Européens du désespoir et les Autochtones de répondre aux sollicitations du Viet-minh? Si chez les uns, il y avait le dévouement à la Patrie, même ingrate, et chez les autres la fidélité, le dénominateur commun était le sens de l'honneur. La preuve en est dans le comportement d'une unité autochtone qui se battit bravement pendant de longs mois loin du Sud-Vietnam natal et malgré la promesse qui lui avait été faite d'un court exil; au lendemain du cessez-le-feu, estimant leur devoir accompli, les hommes de cette unité quittèrent Pleïku en bon ordre pour leur village; il ne fut pas difficile de leur représenter que la longueur du chemin à faire à pied.méritait d'attendre un convoi de camions. Puisque l'idéal dont nous nous réclamions exclut l'endoctrinement totalitaire, il conviendra donc de cultiver soigneusement ce sens de l'honneur qui est un des meilleurs ressorts du soldat, au moins égal au patriotisme dans les circonstances du combat. Chaque combattant doit craindre de manquer à l'honneur de son unité et au sien propre, c'est ainsi que se surmontent l'angoisse et le désespoir.

L'interférence des acteurs extra-militaires dans la tactique

L'aspect idéologique et l'extension en surface des conflits à venir, quand ce ne sera pas l'interférence de la guerre subversive, amèneront le chef militaire à tenir compte de plus en plus dans ses décisions des facteurs extra-militaires. Ces problèmes furent aussi ceux du commandant du GM 100 Pratiquement seul représentant de l'autorité dans les régions où il eut à intervenir. Il eut deux préoccupations dans le domaine extra-militaire. D'abord, en vue de sa propre sécurité, contre-battre l'action des éléments propagande et renseignements qui tenaient lieu d'avant-garde à l'ennemi; tâche relativement simple en face d'une population montagnarde assez mal disposée envers l'envahisseur vietnamien mais qui dut être accomplie bien que le tableau d'effectifs n'eût pas prévu ce genre d'activité. Ensuite, en dehors de toute préoccupation idéologique, il dut faire face aux problèmes que posait la population prise dans le flux et le reflux des opérations : Au début d"Atlante",'problèmes posés par la population catholique de Cung-Son, heureuse d'être libérée du Viet-Minh, mais sans organisation administrative et dans le plus complet dénuement. Ensuite, problèmes particulièrement aigüs lors des évacuations de Kontum et An-Khé, une proportion inattendue des habitants ayant demandé à nous suivre. Si les choses se passèrent sans encombre à Kontum, il est probable que la journée employée à An-Khé pour évacuer des habitants par avion permit au Viet-Minh de parfaire son dispositif d'interception de nos troupes. La question est si importante qu'il apparait nécessaire de voir dans les Etats-Majors une branche nouvelle chargée de l'étudier, afin tout simplement de rendre l'acte tactique possible, ou encore de ne pas agir envers les populations dans un sens différent de celui prévu par les instances politiques. La chose n'en est que plus nécessaire dans des situations à dominante subversive, mais il y aurait là matière particulière pour une autre étude.

DOCUMENTS

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S.F. 72.843, le 30 mars 1954

Groupement mobile n°100

Etat-Major

Ordre du jour n° 2

Le colonel, commandant, le Groupement mobile n°100 adresse à toutes les unités placées sous son commandement, lors de l'attaque du bivouac de Pl Rinh par le T.D. 803 pendant la nuit du 21 au 22 mars 1954 le témoignage de son entière satisfaction pour leur magnifique tenue au feu. Pendant trois heures de combat acharné, sévèrement attaqué jusqu'au corps à corps par un ennemi nombreux, fanatique, mordant et courageux puissamment appuyé par un bataillon lourd particulièrement efficace, le G.M. 100 renforcé des chars du capitaine Doucet commandant le 3/5°cuirassiers, des commandos et gardes montagnards du capitaine Vitasse et du lieutenant Gardinet et des éléments de protection de l'unité de transport de la 3/I C.T./V.M. provisoirement adaptée, a infliger au T.D. 803 son premier et sanglant échec et détruit la réputation d'invincibilité dont il se parait. Ce régiment Chuluc était au matin contraint au repli talonné par nos détachements de poursuite, subissant de lourdes pertes qui peuvent être évaluées à plus de 600 tués ou blessés, laissant sur le terrain entre nos mains 42 cadavres, allant cacher dans ses repaires sous de puissants harcèlements d'artillerie et d'aviation les restes de ses unités de choc ayant mené l'assaut. Nous avons subi des pertes cruelles mais minimes en comparaison de celles de l'adversaire. 35 tués dont un officier, 176 blessés dont 12 officiers est le tribut que nous avons payé à la victoire. Mais nous avons l'honneur et la grande fierté que pas un des nôtres n'a reculé d'un pas, que nos positions sous un déluge de fer sont restées intactes, et que de nos mains, après la défaite du Régiment 108 à La Pit le 24 février 1954, l'invincible et insaisissable 803 a connu l'échec et la honte de laisser sur le terrain une partie de ses morts et blessés, de l'armement et de l'équipement. A vous, commandos, gardes montagnards, fantassins, artilleurs, cavaliers et conducteurs du train qui avez su repousser avec un admirable et souriant courage ce furieux assaut, je dis ma fierté, ma confiance affectueuse et totale et ma foi dans l'avenir et dans la Victoire. Le droit du port de l'insigne du G.M 100 est accordé par le colonel commandant le groupement mobile n° 100 aux équipages du 3/5° cuirassiers et aux officiers, sous-officiers et blessés des Unités ayant participé au combat de Pl Rinh le 22 mars 1954.

Le colonel Barrou

Commandant le groupement n° 100

Destinataires:

- S.O.P. (2 ex.)


- 1° de Corée ( 5 ex.)


- 2° de Corée (5 ex.)


- B.M. 45° R.I.C. (5 ex.)

à diffuser à trois reprises au rapport d'Unité.

- 2/10° R.A.C. (3 ex.)


- 3/5° cuirassiers (2 ex.)


- C.C.S (2 ex.)


- Commandos Vitasse (3 ex.)


- Section montagnarde Lt Cardinet (2 ex.)


- Section du train - 3/1 C.T. /V.N. (2 ex.)


S.P. 72.843 le 6 avril 1954

Groupement mobile n°100

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Etat-Major

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Ordre du jour n°3

Le 4 avril 1954, à 15 heures 30 à P.K 14 sur la R.C. 19, au retour d'une liaison sur An-Khé, deux compagnies d'arrière garde du 1er bataillon de Corée tombèrent dans une puissante embuscade, tendue par le Bataillon régulier 19/108 et le Tieu Doan indépendant 30 appuyé d'une partie du Bataillon lourd du 108. Les 2 compagnies amies, soutenues par l'artillerie et par les chars du Royal Pologne, faisant feux de toutes leurs armes avec leur coutumière vaillance, arrivaient à se regrouper et faisaient front héroïquement contre un adversaire nombreux et mordant en subissant des pertes mais creusant dans les rangs des rebelles, qui se ruaient à l'assaut à 5 reprises, de sanglants sillons. Alors que la nuit approchait et que les munitions s'épuisaient, les renforts du G.M. 100, poussés en hâte au bruit de la fusillade, marchèrent au canon et par une action vigoureuse et hardie de leur camarades, rejettant et mettant en fuite les rebelles, qui devaient laisser 58 tués sur le terrain même du combat, puis, pris à partie à nouveau par l'artillerie et la chasse, subissaient encore de graves dégâts. Après deux durs combats le G.M 100 restait à 19 heures 30 maître du terrain, ramassait ses blessés et ses morts, et de nuit, en ordre malgré les harcèlements, se repliait sur le bivouac presque vide de P.E. 22, rejoint par les derniers éléments à 21 heures 30. Dès le lendemain à l'aube, le 2° Corée repartait aux résultats et fouillait le terrain, où 24 nouveaux cadavres et de l'armement devaient encore être retrouvés. L'échec du Viet Minh était total et sanglant. Cette chaude affaire coûtait au G.M.100; 25 tués dont 1 officier, 56 blessés dont 4 officiers et 7 disparus. Les rebelles perdaient 82 tués dénombrés, 2 blessés prisonniers, un important armement et emmenaient dans leur repaire de nombreux tués et blessés, tant par nos armes que par l'artillerie et l'aviation, dont les résultats observés.mais pas dénombrés auraient été particulièrement payants. C'est le 2° graves échecs, après celui de la P.I.T, que le régiment Chu Luc 108 essuie du G.M.100. Les pertes qu'il a subie de ce fait sont comparable à celles infligés au T.D. 803 au combat de Plei Rinh le 22 mars 1954. Une fois de plus, dans un heurt farouche et sans pitié, nous avons battu les Chu Luc et retourné, par notre solidarité et notre camaraderie de combat, une situation difficile qui, sans l'énergie et la bravoure de tous, blindés - Artilleurs et fantassins, aurait du fournir un important succès aux rebelles. L'issue victorieuse de ce combat mal engagé consacre la solidité, le courage et l'aptitude manoeuvrière de nos Unités. Le colonel, commandant le groupement mobile n°100 exprime à tous les acteurs de ce dur combat son entière satisfaction et sa grande fierté.

Le colonel Barrou

Commandant le Groupement Mobile n°100

Référence: Lettre n°100/CAB/CC/CH du Général commandant en chef en Indochine, en date du 28.2.54 S.P. 75.007, le 14 août 1954.

Groupement opérationnel

des Plateaux centre

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Etat-major - 1er bureau

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n° 1.940/Gopo

Ordre général n° 59

Le général de brigade de Beaufort

commandant le groupement opérationnel

des plateaux centre

"A l'ordre de la division"

Cite

- Girard, Robert - lieutenant - Etat-Major du G.M.100 "Officier de renseignement du G.M.100, s'est donné en entier à sa tâche. Payant d'exemple en tête de ses informateurs et partisans montagnards, a poussé d'audacieuses reconnaissances en zone rebelle notamment sur la piste de l'Ea Ur (Plateaux Centre) le 6 janvier 1954, dans la région de Kontum les 2 et 5 février 1954, autour de la plantation de la P.I.T., le 12 février 1954. Au cours des combats de Plei Ya Xoh, le 17 février 1954, de la P.I.T le 24 février 1954, de Plei-Rinh le 22 mars 1954, s'est porté en plein combat pour recueillir les documents et identifier les Unités rebelles assaillantes. A toujours fait preuve au feu d'une tranquille et souriante bravoure" Cette citation comporte l'attribution de la croix de guerre des théâtres d'opérations extérieurs avec étoile d'argent.

Signé:

De Beaufort.

----------------------------- Extrait certifié conforme:

Forces terrestres du sud Viet-Nam

Groupement mobile n°100

Etat-Major - 1er Bureau

S.P. 72.843, le 21 août 1954

Le colonel Masse, commandant

le groupement mobile n)100

P.O. le chef de bataillon Florentin, chef d'E.M.