Général Jacques SOCKEEL
Général
Robert GIRARD
098
L'opération
"Atlante"
Guerre
d'INDOCHINE
Nice
- Janvier 1992
Analyse des témoignages
Écriture : 1991 - 40 Pages
POSTFACE de Michel EL BAZE
Que deux Généraux de l'Armée
Française s'allient pour confronter leurs mémoires
et éclairer des événements qu'ils ont chacun vécus
en des points différents au cours de la Guerre
d'Indochine, voilà une expérience exceptionnelle
dans notre recueil de témoignages qui mérite
d'être soulignée. D'autant qu'il s'agit de deux
personnalités qui montrent, parce qu'il en est
toujours besoin, leur courage et leur
détermination à dire le vrai naguère, quand il
leur paraissait évident, sur le terrain et même en
campagne que l'autorité supérieures se trompait,
allant jusqu'à dire "non" quand il a fallu et
aujourd'hui encore, par leur apport sans fard à
l'écriture de l'histoire "d'une magnifique
aventure française aux pays lointains". C'est
aussi dans cette esprit, avec cette même rectitude
intellectuelle que la vérité historique dont le
général Girard se fait le défenseur dans son
combat civique, a l'avantage de se vouloir
"ouverte à tous sans formalités ni arrières
pensées", c'est à dire être l'expression naturelle
de chaque membre du monde combattant . Avec lui
nous refusons de la voir présentée comme l'apanage
de quelques uns ou appréciée comme un matériau de
récupération, par quelque "structure" que ce soit.
Introduction du Général Girard
Les témoignages du Général
Jacques Sockeel et du Général Robert Girard sur
l'opération "Atlante", pendant la Guerre
d'Indochine, sont particulièrement significatifs.
Parce qu'ils traitent de la "Période française" de
cette guerre, et dans ses derniers temps, et
qu'ils font entrevoir, à l'opposé de jugements
sommaires, qu'il s'agissait de beaucoup plus
qu'une situation de décolonisation dans une partie
bien limitée de notre planète. Parce que les
auteurs appartiennent à deux générations
successives d'officiers français, qui ont vécu une
même aventure à des niveaux de responsabilité
différents, et selon des expériences distinctes,
pour se retrouver dans une commune vision d'hommes
de terrain. Il apparaît assez clairement que les
responsables français de la Guerre d'Indochine ne
ressentaient pas, en 1953, que l'équilibre des
forces basculait progressivement en notre
défaveur, comme il semble s'avérer
rétrospectivement à la lueur du dénouement de
1954. Il faut préciser en cela, que ces
responsables était en fait des militaires, le
Gouvernement français n'ayant qu'une détermination
vacillante, peu sûr qu'il était de l'opinion
publique en Métropole, travaillée par les soutiens
de l'Internationale communiste, et lasse d'endurer
la guerre depuis 1939. La volonté politique du
Chef du Gouvernement vietnamien allié,
juridiquement indépendant depuis plusieurs années
n'était malheureusement pas plus évidente. Quant
aux Cambodgiens et Laotiens, leur confiance
dépendait forcément de celle montrée par le
partenaire prépondérant, le Viet-Nam. Aux yeux
donc des responsables militaires, portés à compter
d'abord sur les moyens de leur spécificité
(n'est-ce pas Mao-Tse-Toung, d'ailleurs, qui a dit
que la politique était au bout du fusil ?), la
situation s'améliorait avec la mise sur pied en
cours des armées et des administrations nationales
alliées. Si elles n'avaient subi qu'un seul échec
sérieux, la destruction d'une colonne à Cao-Bang
en 1950, les forces du Corps Expéditionnaire
français avaient enregistré des succès notables,
tant dans la reconquête du terrain et des
populations dans le Sud, que dans les batailles
d'unités mobiles ailleurs. Le fait que les forces
sous commandement français comptaient une bonne
moitié de combattants d'origine indochinoise, qui
valaient assurément ceux d'en face, laissait bien
augurer des armées nationales en formation. Il
convient de noter encore que les Officiers du Haut
État-Major, imbus de la supériorité intellectuelle
de la tradition française, et percevant mal la
nature exacte des procédés et possibilités de
l'adversaire, ne pouvaient que cultiver cet
optimisme. Jugement que l'on aurait sans doute
tempéré si l'on avait étudié cet adversaire avec
plus de pénétration et de modestie, ce qui ne
manquait pourtant pas à bien des combattants
expérimentés. Comme le fait remarquablement
découvrir le Général Sockeel, c'est dans ce
contexte, et pour mettre à profit en quelque sorte
le temps de la montée en puissance des forces
nationales alliées, que l'on décida l'Opération
"Atlante", pour réduire l'enclave Viet-Minh du
Lien-Khu V, dite poche de Qui-Nhon, plantée comme
un abcès sur la côte du Centre-Annam. Dans cette
optique, Dien-Bien-Phu n'était qu'un moyen de
fixer les forces adverses du Nord, pour assurer la
liberté d'action de l'effort principal "Atlante",
comme on l'enseigne dans les bonnes écoles de
stratégie. Mais voilà, on ne tint pas assez compte
des capacités largement renforcées des forces de
manoeuvre Viet-Minh, ni de la volonté politique de
leur Gouvernement de jouer le va-tout de la
"Contre-Offensive générale", sentant en France la
situation de plus en plus mûre pour une "véritable
négociation", c'est-à-dire un abandon de la
partie. On chuchotait bien entre combattants du
Corps Expéditionnaire, que le précédent du Camp
retranché de Na San, qui servait de caution à
celui de Dien-Bien-Phu, avait frôlé de justesse la
catastrophe. On disait aussi que les unités
d'intervention Viet-Minh se faisaient précéder et
accompagner d'une logistique de fourmis, passant
pour insaisissable, et pourtant composante
éminemment vulnérable de leur manoeuvre pour un
adversaire tant soit peu souple et imaginatif.
Mais a-t-on jamais vu une Armée attaquer
"logistique en tête" comme le disait une
plaisanterie d'État-Major éculée ? C'est donc dans
ces conditions que fut engagée l'Opération
"Atlante", objet de ces témoignages. Le courage
des combattants ne fut jamais en cause, mais
plutôt une surestimation de la maturité du jeune
État vietnamien et une sous-estimation de
l'adversaire. Le résultat fut là pour le
démontrer, et nul des participants ne peut se
remémorer ces combats, sans revivre leur intensité
dramatique. Le Général Jacques Sockeel, né en
1907, reçut sa première citation au Maroc, en
1925. Depuis 1939, il vécut la guerre de façon
quasi-ininterrompue. A la 1° Division Française
Libre (Italie, France, Allemagne). Pendant huit
années en Indochine, comme Commandant de Secteur,
puis de Groupement Mobile à l'Opération Atlante et
Commandant des éléments de recueil du Groupement
Mobile 100 à la sortie d'An-Khe. Comme Commandant
de Secteur en Algérie. Il totalise 18 citations,
dont 12 avec palme, et a été élevé au rang de
Grand-Officier de la Légion d'Honneur. Le Général
Robert Girard, né en 1923, connut la fin de la II°
Guerre Mondiale. Il a effectué deux séjours de
guerre en Extrême-Orient, l'un comme Chef de
Section de Montagnards indochinois et Commandant
de Quartier en forêt Est du Sud Viet-Nam, l'autre
comme Officier de Renseignement du G 100 et
Commandant temporairement du Commando Bergerol
(Opération Atlante). Il a servi quatre ans pendant
la Guerre d'Algérie, comme Commandant de
Sous-Quartier, puis d'une unité d'intervention. Il
totalise 9 citations, dont 3 avec palme, il est
Commandeur de la Légion d'Honneur. Tous deux sont
issus des Troupes de Marine et Brevetés d'Études
Militaires Supérieures.
**
Le
témoignage du général Jacques Sockeel
est
extrait d'entretiens qu'il a eus avec son cousin,
le
Professeur Michel Verhaeghe, de l'Académie de
Médecine et de Chirurgie.
Ce
dernier avait voulu connaître plus en détail
le
passé du très beau soldat que fut son parent,
et
il en a transcrit la relation pour en instruire la
postérité.
Testimonies
of the General Jacques Sockeel and the General
Robert Girard on the operation Atlante, during the
War of Indochina, are particularly significant.
Because they process the "French Period" of this
war, and in its last times, and they make glimpse,
the summary judgement reverse, that it is acted
far more a situation of décolonisation in a part
well limited of our planet. Because authors belong
to two successive generations of French officers,
that have lived a same adventure to different
responsibility levels, and according to distinct
experiences, to to be found in a common vision of
men of terrain. It appears enough clearly that
French superintendents of the War of Indochina did
not feel, in 1953, that the balance of forces
rocked gradually in our "défaveur", as it seems to
prove retrospectively to the gleam of the result
of 1954. It is necessary to specify in that, that
these superintendents was in fact soldiers, the
French Government having no determination not sure
what was the public opinion in Metropolis, worked
by endorsements of the International communist,
and weary to endure the war since 1939. The
political will of the Chief of the Vietnamese
Government ally, legally independent since several
years was unfortunately more evident. As for
Cambodians and Laotiens, their confidence depended
inevitably on that shown by the preponderant
partner, the Viet-Nam. To eyes therefore of the
responsible soldiers, carried to count of approach
on ways of their spécificity (it is Mao-Tse-Toung,
elsewhere, that has told that the policy was to
the end of the gun ?), the situation improved with
the under way army setting-up and national
administration allies. If they had undergone an
alone serious failure, the destruction of a column
to Cao-Bang in 1950, forces of the French
Expeditionary Corps had recorded notable success,
so in the reconquest of the terrain and
populations in the South, that in battles of
mobile units elsewhere. The fact that forces under
French commandment counted a good half of
combatants of origin indochina, that costed
assuredly these of in face, leash well think of
national armies in training. It invite to note
albeit Officers of the High Headquarters, full of
the intellectual superiority of the French
tradition, and perceiving badly the exact process
nature and possibilities of the adversary, could
only cultivate this optimism. Judgement that the
one would have without temperate doubt if the one
had studied this adversary with more penetration
and modesty, what would not lack nevertheless to
well of experimented combatants. As the fact
remarkably discover by the General Sockeel, it is
in this context, and to put to profit in some
leaves the time of the climbing in national force
power allies, that one decided the Operation
Atlante, to reduce the enclave Viet-Minh by the
Lien-Khu V, told poaches of Qui-Nhon, planted as
an abscess on the coast of the Center-Annam. In
this optic, Dien-Bien-Phu was a means of to fix
adverse forces of the North, to insure the liberty
of action of the main effort Atlante, as one say
in good schools of strategy. But here is, one not
has had enough account of largely strengthened
capacities of forces of manoeuvre Viet-Minh,
neither the political will of their Government to
play goes it-whole from the Against-general
Offensive, feeling in France the situation
increasingly mature for a real negotiation, it is
to tell a desertion of the part. One whispered
between combatants of the Expeditionary Corps,
that the precedent of the trenched Camp of Na San,
that served as caution to that Dien-Bien-Phu, had
brushed precision the catastrophe. One told also
that units of intervention Viet-Minh were made
precede and accompany of a logistics of ants,
passing for unassailable, and nevertheless a thing
eminently vulnerable of their manoeuvre for an
adversary so is little supple and imaginative. But
has-one ever seen an Army to attack logistic in
head as told a joke of old Headquarters ? That is
therefore in these conditions that was committed
the Operation Atlante, object of these
testimonies. The courage of combatants never was
in cause, but rather an overestimate of the
maturity of the young Vietnamese State and one
under-estimation of the adversary. The result was
there to demonstrate it, and null of participants
can not remind these combats, without reliving
their dramatic intensity. The General Jacques
Sockeel, born in 1907, had his first quotation to
Morocco, in 1925. Since 1939, it lived the war of
manner quasi-uninterrupted. To First Free French
Division (Italy, France, Germany). During eight
years in Indochina, as Commander of Sector, then
Mobile Grouping to the Operation Atlante and
Commander of elements of collection of the Mobile
Grouping 100 to the exit of An-Khe. As Commander
of Sector in Algeria. His totals 18 quotations,
whose 12 with palm, and has been raised to the
rank of Great-Officer of the Legion of Honor. The
General Robert Girard, born in 1923, has know the
end of the second World War. He has undertaken two
war stays in Extrême-Orient, on as Chief of
Section of Indochina Highlander and Commander of
Quarter in forest East of the South Viet-Nam, the
other as Officer of Information of the G 100 and
Commander temporarily of the Commando Bergerol
(Operation Atlante). He has served four years
during the War of Algeria, as Commander of
Under-Quarter, then of a unit of intervention. He
totals 9 quotations, whose 3 with palm, he is
Commander of the Legion of Honor. All two are
stemming from Troops of Navy and Patented of
Military Studies Superior.
INTRODUCTION 6
Carte du Centre et Sud Annam 8
La
mémoire 9
L'Opération
"Atlante " 10
La situation générale en
Indochine en Mars 1953 10
Commandement du secteur du
Haut-Donaï 11
Le poste de Tan-Linh 11
Organisation des deux GM 41 et
42 13
Schéma du plan Navarre 13
Le poste de Dak-To tenu par
les
Rhès - Soutien par le GM 42
14
L 'opération " Atlante " 16
Début de l'opération " Atlante
" 17
L'art de Giap dans les
opérations de guérillas 17
Prise de notre premier objectif
Qui-Nhon 19
Les premières difficultés
- Le drame de Dien-Bien-Phu 21
Arrêt de I'opération " Atlante
" 22
Mi-Juin - Le Général Salan
décide
que le G/M 100 doit évacuer
Ankhé 22
24 Juin 1954 - L 'opération
Eglantine
Pleïku 23
Au col du Mang-Yang 24
Je suis contraint de prendre
une décision très grave 25
Je reçois la charge du
commandement
de la totalité des unités
engagées 26
Epilogue personnel
Je ne fus pas inscrit au
tableau d'avancement 27
Poursuite de l'opération
"Eglantine" 28
Premier occrochage au pont de
Dak-Ryunh 28
L'embuscade des Viet-Minhs 29
Opération Eglantine terminée à
Pleïku 31
Une guerre de trop ? 31
L'opération de la dernière
heure
Myosotis 33
Ramener le GM 42 à Ban-Mé-Thuot
33
17 Juillet 1954 34
L'embuscade et la bataille du
Chu-Dreh 34
20 Juillet 1954 37
Cessez-le-feu - Partition du
Vietnam 37
Relation de ces deux derniers
combats
dans la revue historique de
l'armée 38
L'opération
"Eglantine " 41
L'Histoire
du G.M. 100 44
L'ambiance chez les adversaires
en présence 45
L'opération Eglantine - La
sortie d'An-Khé 46
Sur le maintient du moral 47
L'interférence des acteurs
extra-militaires
dans la tactique 48
DOCUMENTS
50
Ordre du jour n° 2 60
Ordre du jour n°3 63
Ordre général n° 59 68
La mémoire
La
mémoire : seul bagage incessible
Jacques
ATTALI
L'Opération "Atlante "
J. SOCKEEL
: Le Général Salan commandait en chef
depuis la mort du Général de Lattre; après en
avoir été l'adjoint, il était tout à fait normal
qu'il le remplaçât: c'était le meilleur Chef que
nous puissions avoir à ce moment là en Indochine.
Arrivant lui-même au terme de son séjour il allait
être remplacé par le Général Navarre. Ce Général
avait un plan: le "Plan Navarre". Il motivait mon
rappel dans la mesure où il comportait la
formation de Groupes Mobiles à base de
montagnards. Ces nouvelles formations devaient
être mises sur pied sur les plateaux, et
constituer un élément important de l'opération
pour la réunification de l'Annam. Il devait
permettre en outre la prise en charge politique et
administrative de l'Annam par le Gouvernement de
S.M. Bao-Daï, comme il I'était déjà de la
Cochinchine, en disposant d'une armée nationale
placée sous son commandement direct; nous y
reviendrons.
La situation générale en Indochine en
Mars 1953
Pour l'instant c'est le
Général Salan qui est encore en poste, et il me
confie le Secteur du Haut-Donai, non loin de
Ba-Mé-Thuot, où allaient être mis sur pied deux
Groupes Mobiles à base de montagnards. C'était le
secteur le plus au sud des plateaux; il comprenait
toute la Province du Darlac, avec pour chef-lieu
Dalat ou résidait sa Majesté Bao-Daï, et où
étaient prises toutes les décisions concernant sa
nouvelle armée. Cette armée nationale, dont nous
avons vu les tout débuts en 1950, comportait dès
l'année suivante entre 65000 et 128000 hommes dont
la moitié de soldats de l'armée régulière; 15000
appelés étaient en instruction sur une première
tranche de 60000 qui était envisagée pour 1953.
Des Ecoles de Cadres avaient été créées, dont une
Ecole d'Officiers à Dalat. Cette évolution était
marquée par l'entrée du Vietnam dans la guerre.
Comme l'avait voulu le Général de Lattre dont la
mort brutale allait malheureusement briser l'élan
qu'il avait su imposer à tous. Toutefois pendant
18 mois les succès remportés par le Général Salan
au Tonkin avaient maintenu l'équilibre partout à
notre avantage, et la vie était redevenue presque
normale en Cochinchine; mais ce ne devait être
qu'un répit. Le Gouvernement Français avait bien
conclu avec le Gouvernement Vietnamien des accords
qui redonnaient à toute l'lndochine sa
souveraineté et son unité; mais on allait vite
revenir aux habitudes passées, agir sans
conviction, et surtout sans oser engager les
moyens politiques ni consentir l'effort militaire
propres à mettre fin à la guerre. La présence
française était bien clairement limitée à la
victoire contre le régime communiste du Viet-Minh,
mais on traînait encore les pieds en ce qui
concerne le transfert des compétences. Grâce à
l'aide chinoise et à celle de l'U.R.S.S. les
Viet-Minh disposaient maintenant de 125000
réguliers formant trois divisions, et des
régiments autonomes provinciaux complétés par
225000 régionaux et guérilleros des forces
populaires. La disparition du général de Lattre
avait entraîné la chute du premier gouvernement
vietnamien, celui du président Tran-Van-Huu, un
homme du Sud, de nationalité française et redevenu
vietnamien; il avait été remplacé par un nouveau
gouvernement présidé par un homme du Nord, très
énergique, le président Nguyen-Van-Tam, qui décida
aussitôt une augmentation des effectifs de l'armée
de 40000 hommes; mais il manquait la volonté de de
Lattre. Telle était la situation très générale en
Indochine alors que la guerre de Corée se
terminait en juillet 1953.
Commandement du secteur du Haut-Donaï
Le secteur du Haut-Donaï
bénéficiait comme sur tous les plateaux d'une
certaine tranquillité, mais restait toujours sous
la menace d'une infiltration Viet-Minh à partir
des bordures de la chaîne Annamitique. Il
convenait par conséquent de s'assurer que tous les
petits postes installés sur les "balcons" entre la
plaine et les plateaux soient bien tenus, que les
garnisons disposent des moyens nécessaires pour
leur propre sécurité mais aussi pour assurer, dans
leurs limites, la possibilité d'effectuer des
patrouilles de reconnaissance, et d'assumer ainsi
complètement leur mission de surveillance et de
recherche de renseignements. Ces postes avaient la
particularité d'être constitués par des partisans
montagnards encadrés par des gendarmes ou des
gardes mobiles français. Les gendarmes n'avaient
évidemment aucune formation pour occuper ces
commandements, mais le plus grand nombre s'y
adaptèrent fort bien, souvent de façon exemplaire,
en recherchant le contact avec les populations
près desquelles ils vivaient. Il me fallait donc
maintenir entre eux une certaine cohésion en
effectuant quelques opérations à leur bénéfice, ce
qui ne s'était jamais fait dans ce secteur des
plus calme. Mais, je n'avais pas de troupes: tout
juste ce qu'il fallait pour la sécurité de Dalat.
Le premier gouvernement vietnamien du président
Huu avait crée autour de sa majesté Bao-Daï
l'embryon d'une garde impériale formée par des
unités d'élites. A mon arrivée elles
représentaient à peu près la valeur d'un régiment
à deux bataillons; c'était le moment de les
aguerrir sans grands risques. Je trouvai une
oreille complaisante chez les Commandants de ces
Unités, tous issus de l'armée française; il ne
s'agissait que de petites opérations de
reconnaissance sur les pourtours, à partir des
postes de couverture. Avec l'accord de Sa Majesté
Bao-Daï je pus ainsi disposer des moyens qui
m'étaient nécessaires, et chacun faisait une bonne
affaire. Je connaissais plusieurs de ces
officiers, et me liai d'amitié avec le Colonel
Tuyen-Duc-Tuyen, commandant la Garde Impériale, et
avec le Général Him, le propre fils du Président
Huu. Colonel de l'armée française, aviateur
sortant de l'Ecole de I'Air de Salon, il avait,
comme son père, abandonné la nationalité française
pour reprendre la nationalité Vietnamienne. Nommé
Général de Division, il était le premier Chef
d'Etat-major général de la nouvelle armée.
Le poste de Tan-Linh
Il n'est d'aucun intérêt de
présenter par le détail tout ce qui s'est passé
pendant ces huit mois de commandement du
Haut-Donaï, mais voici l'histoire du poste de
Tan-Linh, qui mérite d'être racontée. Le village
de Tan-Linh composé de montagnards et d'Annamites,
situé en plaine non loin de la voie ferrée reliant
Saïgon à Phan-Thiet, chef-lieu de la province du
Binh-Thuan, avait même été autrefois anormalement
rattaché à cette province. Dès le début de la
rébellion viet-minh, un poste militaire y avait
été créé par le Commandant du Secteur de
Phan-Thiet, et c'est à ce titre que je l'avais eu
sous ma responsabilité lors de mon premier séjour.
Avant mon retour Tan-Linh ayant été transféré très
normalement au point de vue administratif et
militaire dans la province du Darlac, je retrouvai
donc ce poste sous mon commandement dans le
Secteur dit du Haut-Donaï. Tan-Linh occupe une
position très remarquable, au pied de la chaîne
Annamitique et au sud-est du plateau du Darlac, au
début d'une vaste région marécageuse, la plaine de
la Lagna tributaire du Donaï. Ce nom avait résonné
tragiquement quelques années auparavant en raison
d'une embuscade meurtrière qui, en Mars 1947,
avait anéanti le convoi journalier de Saïgon à
Dalat. Ce fut un des premiers grands succès
Viet-Minh; il avait provoqué beaucoup d'émotion.
.Je me trouvais alors à Phan-Thiet et j'étais
intervenu justement à partir de Tan-Linh dans les
marécages de Lagna pour intercepter les forces
Viet-Minh qui avaient exécuté ce coup de main,
mais elles s'étaient échappées à l'opposé par le
nord-ouest, vers la frontière du Cambodge tout
proche. Cette plaine n'était jusque là connue que
des seuls grands chasseurs d'éléphants, de
buffles, de tigres, qui vivent dans cette zone de
roseaux où serpentent les branches de la Lagna
s'en allant rejoindre le Donaï, I'un des affluents
du Mekong. La position géographique du poste de
Tan-Linh et son village était donc très
intéressante. Depuis longtemps la famille
Desfosse, très métissée, s'y était installée en y
créant un véritable fief; I'aïeul, un grand
Vendéen, y vivait encore. Il s'y était installé à
la fin du siècle dernier comme chasseur
professionnel, un métier lucratif à l'époque;
suivant un tarif bien établi on pouvait y chasser
sur leurs conseils, le tigre, I'éléphant ou le
buffle, ainsi que le gaur, magnifique animal qui
relève de notre auroch. Monsieur Desfosse avait
largement atteint l'âge de la retraite, et son
fils Sous-Officier de réserve avait pris un tel
ascendant sur son village qu'il avait été nommé
Commandant du poste militaire dont il avait
lui-même levé la garnison essentiellement composée
de villageois Moïs, fils et petit-fils des
pisteurs de son père. J'avais entretenu à
plusieurs reprises des relations d'amitié avec ce
garçon hors du commun, et avec sa famille, à la
suite de cette affaire du convoi de Dalat. Le
poste très couleur locale était hérissé de
bambous, avec, comme au moyen-âge, une partie
militaire et une autre où vivaient familles,
enfants et animaux de basse-cour; plus loin des
artisans. Bien entendu j'avais suivi avec beaucoup
d'intérêt le récit des chasses d'antan, et il
m'avait été promis que l'on me ferait tuer un
tigre lorsque je quitterais Phan-Thiet... Mais le
temps me manquait toujours. On y avait même
réalisé un petit terrain d'aviation tout contre le
poste; curieusement c'est à lui que je dois la
vie, comme je te le raconterai. A mon départ de
Phan-Thiet j'étais allé faire mes adieux. Desfosse
avait tué la veille un buffle qu'il avait placé
dans un endroit tel que je ne pouvais manquer de
tuer "mon" tigre; je l'ai abattu d'une balle en
pleine tête... et il orna longtemps le salon de ma
fille ainée Annick. Je retrouvais donc à Dalat ce
garçon, et m'étais plusieurs fois rendu à
Tan-Linh, soucieux que j'étais de donner à son
poste familial un caractère et une valeur
militaires plus solides, car les temps avaient
changé. A contrecoeur, mais pour m'obéir, Desfosse
avait commencé à construire sur la petite colline
qui dominait le village un poste militaire
valable; mais à mon départ du Haut-Donnaï les
travaux furent interrompus ; I'attaque Viet-Minh
de 1954 devait détruire complètement l'ancien
poste, mais aussi la famille Desfosse qui disparut
totalement. J'avais effectué ma dernière visite
par voie fluviale remontant le cours de la Lagna à
partir de son confluent avec le Donaï, voulant
observer dans quelles conditions il était possible
d'utiliser cette voie d'accès; après une longue
navigation dans les méandres de cette immense
plaine, nous étions au poste de Tan-Linh lorsque
la nuit était déjà bien tombée. C'est alors que je
commençais à ressentir de violentes douleurs au
ventre; ces douleurs devinrent insupportables:
manifestement j'avais une crise d'appendicite
aiguë. Il n'était pas question pour moi de
repartir par la piste vers Phan-Thiet, ni par
transports muletiers sans de longs délais, ni par
eau; il fallait m'évacuer d'urgence, et c'est
alors que le petit terrain construit quatre années
plus tôt permit au Morane de liaison du Secteur de
venir me chercher le lendemain matin. J'étais
aussitôt opéré à Dalat par un jeune chirurgien des
Troupes de Marine qui n'était autre que le frère
de mon camarade Buttin qui avait servi avec moi à
Hué. M.VERHAEGHE
- : A la suite de cette intervention
chirurgicale d'urgence, as-tu repris contact
rapidement avec ton Unité ? Quelles ont été tes
actions suivantes ?
Organisation des deux GM 41 et 42
J.Sockeel - : Mon
séjour à l'hôpital ne fut pas très long car
l'opération avait été bien faite, et je fus
rapidement sur pied. Nous étions alors en
Septembre. J'étais arrivé en Mars 1953, et c'est
en Octobre que vont commencer les choses
sérieuses. Comme nous l'avons vu, le plan Navarre
prévoyait la création de 2 GM (Groupes Mobiles).
L'un, le GM 41, sera commandé par le Colonel
Craplet et l'autre -le GM 42-, par moi. En
Octobre, sans attendre l'arrivée de Craplet
j'allai à Ban-Mé-Thuot mettre sur pied ces deux
Groupes. En Novembre, je passai mon commandement
au Colonel vietnamien N'Guyen-Ty, ce qui
illustrait bien la poursuite de notre politique
vis-à-vis d'un Vietnam indépendant. Le Général de
Beaufort avait pris le commandement des plateaux à
Ban-Mé-Thuot dans le but d'assurer le commandement
de l'opération "Atlante", pièce maîtresse des
plans établis par le Général Navarre; ce Général
venait de remplacer en Indochine le Général Salan.
Ainsi, pour marquer ce que devaient être nos
rapports, le Général de Beaufort vint me chercher
à miroute de Dalat pour commencer à m'expliquer
dans le détail ce qu'il attendait de moi et me
préparer intellectuellement à cette opération
audacieuse du plan Navarre. Elle demandait en
effet pour pouvoir se déployer, un engagement
physique total, et une réflexion était
indispensable pour étudier la façon dont elle
serait menée en fonction d'événements difficiles à
prévoir.
Schéma du plan Navarre
Le "Plan Navarre" visait: -
au militaire, à reprendre l'offensive en
affaiblissant l'adversaire pour le contraindre à
la négociation; - au civil, à placer le
gouvernement de S.M. Bao-Daï en situation de
gouverner un Vietnam unifié. Dans un premier
temps: tenir au Tonkin face au corps de bataille
Viet-Minh, afin de pouvoir entreprendre la
conquête et l'unification de tout le territoire de
l'Annam, depuis le Cap Varella (Tuy-Hoa) au sud,
jusqu'à Tourane au centre puis de Dong-Hoï, à Vinh
au nord, tandis que le gouvernement vietnamien en
assurerait avec son armée nationale la
pacification et l'administration Dans un second
temps: constituer un puissant corps de bataille
par récupération des moyens engagés au centre (4
GM) afin de passer à l'offensive décisive au Nord.
Ce plan simple et ambitieux n'était valable que si
le Gouvernement Vietnamien se montrait capable de
prendre seul en charge l'infrastructure
territoriale. L'opération "Atlante" qui devait
démarrer au début de 1954 était chargée de la
partie Annam du plan: j'avais deux mois pour roder
mon outil.
Le poste de Dak-To tenu par les Rhès
- Soutien par le GM 42
L'occasion en fut offerte au
Général de Beaufort à la suite d'un événement
assez étonnant qui s'était passé au nord de la
zone administrée sur les plateaux, au-delà de
Kontum, dans une région très montagneuse située
aux limites de la partie inconnue figurée par une
véritable "tache blanche" au centre de la chaîne
Annamitique, entre le Laos et la province de Hué.
C'est par là que le Chef de Bataillon Tavarez
avait échappé aux Japonais, au moment de leur coup
de force en Mars 1945. Cette région était
contrôlée par le poste administratif le plus
septentrional, celui de Dak-To, dirigé par un
Administrateur de la vieille époque, parlant le
dialecte local, très au contact des populations
dont il avait la confiance; cette population était
composée par l'ethnie Moï des Rhés. Leur habitat
se situait dans un ensemble de vallées qui,
partant de la région de Dak-To, descendait vers le
nord-est en direction de Tourane où elles
rejoignaient la plaine. Ces vallées qui
s'ouvraient largement sur le delta de Tourane
avaient été infiltrées par le Viet-Minh depuis
quelques années. Cette pénétration avait provoqué
des incidents et la colère des montagnards qui
demeuraient très individualistes; cette hostilité
s'était transformée en rébellion ouverte, et les
Rhés avaient demandé assistance. Le Commandement,
saisi cette occasion pour agir "en contre", armant
les Rhés,organisant des milices locales
susceptibles de faire barrage à l'infiltration
Viet-Minh. Je reçus mission d'être le support de
cette action en aidant l'Administrateur avec le GM
42. Les trois Bataillons qui le constituaient
étaient tous composés de montagnards sur le type
du 3ème B.M.E.O. Mais si ces Bataillons n'étaient
pas encore aguerris, c'étaient cependant de bonnes
Unités; pour parfaire leur entraînement il y avait
là une occasion sans grands risques, en réalisant
des déplacements rapides, de jour comme de nuit,
dans des terrains difficiles; cette mission
convenait donc parfaitement, et je me portais
personnellement à Dak-To, auprès de
l'Administrateur qui mit sur pied un Bataillon de
Partisans. M.VERHAEGHE : A
propos de l'ethnie Rhé, je voudrais te faire part
de ma réflexion. J'avoue que je suis tout à fait
étonné que le Commandement Militaire et l'Autorité
Civile, en la personne de son Administrateur,
décident de faire confiance à cette ethnie Rhé
alors que, d'après ce que tu en as dit, elle est
assez peu connue, ou que, en tout cas, elle
n'était pas dans vos "rangs" habituels. Alors?
Faire confiance à la notion de leur rébellion à
l'égard du Viet-Minh?. Faire confiance aussi à
leur fidélité envers votre conception, au point de
les armer et de les former ? Tout cela me paraît
surprenant. Je me permets ensuite une deuxième
réflexion à leur sujet: c'est la rapidité avec
laquelle vous avez pu leur donner une formation,
non pas certes celle des grands guerriers, mais
tout de même une formation suffisante pour que
vous puissiez les intégrer, au moins
partiellement, dans votre dispositif. J. Sockeel : Cette
affaire des Rhés se place dans un ensemble
politique vis-à-vis de la population Moï avec
laquelle, de tous temps, la France a entretenu une
relation pacifique totale: jamais une rébellion,
ni une révolte, sur tous les plateaux montagnards.
Depuis les premiers temps de la colonisation; il
était possible de circuler seul en toute
tranquillité. Comme je te l'ai dit,
I'Administrateur de Dak-To y était très intégré,
audacieux et efficace, parlant leur dialecte et
respectant les coutumes locales. Toutes les
ethnies Moï, les plus anciennes à nos côtés, comme
celle-ci qui était toute nouvelle, avaient
parfaitement admis la tutelle étrangère. Elle
avait fait cesser leurs perpétuelles guerres
tribales et assurait ainsi la paix, y ajoutant les
moyens matériels qui leur manquaient, tout
particulièrement le ravitaillement en choses
essentielles comme le sel, par exemple. Cette
confiance, tout à fait exceptionnelle dans
l'histoire coloniale, était donc solidement
établie, autorisant le Commandement à rechercher
le bénéfice de cette situation inattendue face à
une infiltration viet-minh venant de la région de
Tourane; situation à mettre au crédit d'un
Administrateur absolument remarquable qui
possédait parfaitement le contrôle de sa région,
connaissant chaque village et presque chaque
famille. Lorsque sa proposition parvint au
Commandement, elle n'étonna pas car "I'affaire
Rhé" était déjà connue, et j'en avais moi-même
entendu parler à Hué en t950; elle fut bien
accueillie dans le moment où le Commandement avait
besoin d'une couverture armée dans cette haute
région. C'était cependant préjuger de sa valeur
toute fictive en fait, ainsi que tu l'as compris,
même avec des montagnards comme ceux du B.M.E.O.,
un solide encadrement français est indispensable,
ce ne pouvait être le cas: il eut sans doute fallu
y engager les deux GM (41 et 42). Le Moï laissé à
lui-même se débande, et devient indifférent à une
action qui n'est plus la sienne. Le coût de
l'équipement de ces montagnards Rhés était
cependant bien modeste puisqu'il ne s'agissait que
de doter d'armes légères trois ou quatre milices,
pour un total de 300 à 500 hommes. Aussi, devant
cette opportunité, cet Administrateur sut faire
partager sa confiance par le Commandement et en
obtenir les moyens nécessaires. Mais je t'avoue
bien volontiers que l'affaire était très
improvisée, et son impact militaire pratiquement
nul. Quant à moi je trouvais là une magnifique
occasion d'entraîner le nouveau GM en coordonnant
l'engagement de ses Unités. J'étais cependant
assez inquiet quant à la sécurité de cet
Administrateur qui, très courageusement, s'était
mis à la tête de ses Milices pour une opération de
contact avec tous les villages dans une région
très difficile d'accès, où la position et
l'importance des éléments viet-minh ne nous était
pas connue. Pour le suivre au plus près, j'avais
hâtivement construit, tout en bambou, un petit
poste de surveillance avancée pour des liaisons
radio parfois difficiles. On avait même pu y
réaliser un tout petit terrain pour avions légers,
établi sur un éperon assez étroit; il demandait de
la part de notre pilote des qualités assez
acrobatiques. Pour se poser il prenait le terrain
dans le sens de la montée d'une pente assez
accentuée qui freinait l'avion à l'atterrissage,
tandis qu'au départ l'élan pris sur cette même
pente lui permettait de décoller pour se rétablir
dans la vallée heureu|sement assez profonde en cet
endroit. Je devais retrouver ce pilote au cours
des manoeuvres nationales en France, bien des
années plus tard, et il en parlait encore avec
émotion! L'Administrateur avait fait construire
une piste importante à Dak-To pour le
ravitaillement en armement et en vivres de son
expédition, dont il avait pris lui-même le
commandement. C'est en fait le Général Navarre qui
inaugura le terrain à bord d'un Dakota, |avec la
possibilité de toucher de près cette chaîne
Annamitique qui surplombe toute la bande côtière
de l'Annam, territoire qu'il se proposait de
conquérir et d'unifier au profit du gouvernement
vietnamien en réalisant l'opération Atlante,
première partie de son plan. Ces initiatives
quelquefois assez aventurées du Commandement quant
aux possibilités d'assistance militaire des tribus
montagnardes, ont été largement utilisées dans les
régions montagneuses de l'ouest-Tonkin en bordure
de la Chine. Au centre même de ces zones où le
gouvernement viet-minh s'était replié, des ethnies
importantes, en particulier celle des Muong,
socialement plus avancées que les Moïs furent
totalement engagées en actions de guerre contre
les Viet-Minh avec un encadrement français de
valeur. Cet engagement total et pugnace nous
obligea, après la signature des accords de Genève,
à entreprendre l'évacuation complète de ces
populations au nombre de plusieurs milliers de
personnes, chefs de tribus et curés en tête, car
ils avaient été fortement pénétrés par les
Missions Catholiques. Ils furent réimplantés
précisément dans les terres peu habitées de la
région ouest de Pleïku, très favorables en
particulier à la culture du thé.
L 'opération " Atlante "
La guerre durait depuis plus
de sept ans sans que l'on en voie la fin. Dans
I'esprit du Général en Chef, I'opération se
proposait de faire la preuve qu'un gouvernement
vietnamien était capable de gouverner seul, de
façon directe, le territoire ré-unifié de l'Annam.
Nous occupions la partie nord avec Hué, et la
partie sud avec Nha-Trang. Il restait au "centre"
les provinces de Qui-Nhon et de Quang-Ngaï
toujours contrôlée par le Viet-Minh, où nous ne
pouvions avoir accès que par les armes.
L'intention était donc d'occuper et de nettoyer en
premier ces provinces pour en confier la sécurité
à des Administrateurs vietnamiens, Préfets et
Sous-Préfets, appuyés par l'armée vietnamienne qui
prenait vraiment tournure. Cette opération
exigeait que les forces très importantes dont le
Viet-Minh disposait au Tonkin y demeurent bien
fixées. Dès la fin de 1953, lors de son arrivée,
le nouveau Commandant en Chef dut prendre la
décision, en Novembre, de créer à Dien-Bien-Phu
une base susceptible de s'opposer à une offensive
viet-minh qui se dessinait contre le Laos avec
lequel nous venions de signer un traité
d'assistance. Aussi est-ce initialement pour
protéger le Laos que le camp retranché de
Dien-Bien-Phu fut décidé. Un mois plus tard, à la
fin de Décembre, le camp était pratiquement
investi par les trois Divisions du Général Giap,
et les 12000 hommes qui allaient y être engagés
étaient contraints à accepter la bataille. Cette
situation qui n'était pas prévue, fut au début
fort bien accueillie par le Commandement français.
Les forces Viet-Minh étaient fixées; on allait
pouvoir engager et détruire les Divisions de Giap.
Pour te situer l'état d'esprit des états-majors de
Hanoï, voici deux citations parmi tant d'autres
que j'ai pu relever: La première est celle du
Colonel Buffin, le Chef du 3ème Bureau du Général
Navarre disant: "La seule chose que nous craignons
c'est qu'il (Giap) n'attaque pas Dien-Bien-Phu";.
La seconde est celle du Général Cogny, Commandant
des troupes au Tonkin: "Ce sera la bataille de la
destruction du Corps de Bataille Viet-Minh"...
Début de l'opération " Atlante "
"Atlante" démarrait donc le
24 Janvier 1954 avec 4 GM sous les ordres du
Général de Beaufort; c'était très important, et la
plus forte concentration jamais réalisée en Annam.
Il était sans doute très politique, et aussi très
généreux, d'avoir monté cette opération Atlante
pour illustrer l'indépendance vietnamienne sous
l'autorité du Gouvernement de S. M . Bao-Daï, mais
l'équilibre des forces était sans cesse en notre
défaveur, dans la mesure où les forces
vietnamiennes n'étaient pas encore véritablement
engagées alors que celles du Général Giap se
valorisaient et se renforçaient sans cesse, grâce
à l'aide extrêmement active et efficace des
Chinois. Chaque GM avait reçu sa mission. Celle du
GM 42 était de progresser sur les contreforts Est
de la montagne pour aider le GM Xl qui progressait
en plaine: mes Bataillons montagnards étant les
plus aptes à manoeuvrer en ces terrains
difficiles. Partant de la région de Ban-Mé-Thuot,
et prenant la bretelle qui la reliait à Ninh-Hoa,
j'arrivais au Poste de M'Drak qui était autrefois
sous mon commandement à Ninh-Hoa, puis longeai la
chaîne Annamitique dans sa partie Ouest pour
déboucher, dans cette plaine de Tuy-Hoa qui avait
été I'objectif du Commandant Bouilloc lorsqu'il
descendait du Cap Varella. Le nettoyage de la
plaine de Song-Ba fut réalisé sans incidents car
les Viets, fidèles à leur tactique, avaient
complètement évacué le delta, et je ne découvrais
que les splendeurs naturelles d'une région sauvage
où les tigres étaient seuls maîtres. Au bout de
quelques jours nous étions arrivés au terme de ce
premier engagement, avec un seul blessé, ce fut
l'occasion de découvrir l'hélicoptère comme
nouveau moyen d'évacuation, le premier que je
voyais en opération en Indochine: un Sikorski; ce
nouveau matériel précisait I'escalade réalisée de
part et d'autre, non seulement quant aux
effectifs, mais aussi quant aux moyens utilisés
dans ce qui était devenu une véritable guerre...M.VERHAEGHE : Avant
d'aller plus loin il est encore une autre
réflexion que je voudrais te faire. C'est que
depuis ton premier séjour en Indochine on constate
une aggravation et une accélération progressive
des forces et des luttes des deux côtés, entre les
Français et les Viets. Mais ce qui paraît frappant
dans tout cela c'est que l'on ne voit jamais une
grande bataille rangée. Tu l'as dit d'ailleurs: ce
sont le plus souvent des opérations du genre
"guérilla", de plus en plus fortes et puissantes
sans doute. Ce qui me paraît évident c'est le
talent extraordinaire des Viets, mais surtout des
chefs qui les animent, ce qui vous amène à leur
répondre tout le temps pour essayer de détruire
leurs forces afin de réaliser en quelque sorte une
prévention, mais tu le dis aussi le plus souvent
ils "s'évanouissent"... pour aller vous attaquer
ailleurs. Il me semble qu'il y a vraiment dans ces
opérations de guérilla, j'oserais dire presque une
stratégie tout à fait remarquable de leurs chefs.
L'art de Giap dans les opérations de
guérillas
J. Sockeel: Oui,
ce fut une surprise générale pour tous ceux qui en
étaient restés avant 1940 dans l'idée que
l'Indochinois ne pouvait pas être un bon
militaire; pendant la guerre de 1914-1918 il
n'avait guère été utilisé que comme infirmier, ou
dans des emplois tout à fait secondaires. Cette
conception prévalut longtemps, d'où notre surprise
de découvrir l'efficacité des Viets. Ils
disposaient en outre d'un Général, Giap, qui se
révéla un grand Capitaine dont les conceptions
tactiques et stratégiques sont géniales. Elles
assurèrent souvent la surprise, et dans l'analyse
on ne relève que fort peu d'erreurs dans son
action; celles-ci étant d'ailleurs immédiatement
utilisées pour être à la base d'un succès
ultérieur. Dès les années 1950 la pression
militaire s'intensifia au Tonkin; elle se
manifesta sur les postes du Nord-Tonkin, à la
frontière chinoise, provoquant une évacuation et
le désastre de Cao-Bang, lors de la retraite des
Unités sur Hanoï. Les combats présentaient
habituellement la forme de vastes embuscades,
évoluant par leur importance et pour la première
fois en véritables batailles rangées. A la suite
de ces événements d'une grande gravité le Général
Carpentier avait été remplacé par le Général de
Lattre. C'est à partir de l'arrivée de ce Chef que
les troupes du Corps Expéditionnaire allaient être
"commandées", et que l'on prit conscience de la
valeur des troupes du Viet-Minh et de leur
importance, celle-ci ne faisant que croître avec
les apports et le soutien permanent en matériel
provenant non seulement des Russes, mais aussi des
Chinois. C'est ainsi qu'au Nord-Tonkin le plan
Navarre prévoyait de fixer l'adversaire, et en
particulier les cinq Divisions organiques que Giap
avait mises sur pieds (les 304, 308, 312, 320 et
351), appuyées par toutes les Forces régionales
très nombreuses et très actives. Le Général Giap
avait également su mettre sur pied une "population
en armes". Les chefs vietnamiens et leurs troupes,
qu'elles soient régulières ou régionales, se
révélèrent parmi les meilleures, et nous avions
commis une grosse faute en les sous-estimant. Si
le Nord avait ainsi bénéficié d'un grand Chef
militaire dans son double objectif d'indépendance
et d'unification du territoire, celles du sud
n'eurent jamais cet avantage. De tous les temps
les Vietnamiens du nord et du sud avaient été
profondément divisés, enclins à la guerre civile.
Ils s'étaient affrontés en luttes meurtrières, et
avaient même à l'époque élevé une espèce de
"muraille de Chine" à la hauteur de ce fameux
17ème parallèle que les accords de Genève allaient
définir à nouveau comme frontière entre les deux
républiques vietnamiennes nouvellement créées. Au
centre, c'était toujours la guerre "sans front"
menée par des Unités régulières viet-minh qui
augmentaient sans cesse, avec l'appoint des mêmes
forces régionales si efficaces dans cette guérilla
qui restait tactiquement la forme de guerre conçue
par le Général Giap. C'est ainsi que, en ce qui
nous concerne dans l'opération Atlante, nous
agissions dans un vaste théâtre d'opérations de
400 km de long environ, entre Tourane et le Cap
Varella, sur une largeur de 100 à 200 km, pour une
partie en montagne ou en terrain mouvementé, une
partie en plaine, sans pouvoir accrocher
l'adversaire qui disposait de deux régiments
fortement armés, très aguerris par de nombreux
engagements contre le GM 100. Ce GM 100, formé en
1953 à partir des Unités revenant de Corée,
évoluait au nord des plateaux dans la région de
Pleïku et Ankhé. Il avait toujours subi les
initiatives des deux régiments viets, le 803 et le
108, concentrés dans cette région et extrêmement
mobiles. Même si le GM 100 s'était sorti de ces
affrontements à son avantage, en plusieurs cas il
avait dû subir, et la surprise avait toujours joué
à son détriment. M.
VERHAEGHE : Merci
aussi de m'avoir situé la très mauvaise surprise
que représenta pour les forces françaises la
valeur des Bo-Doï, soldats viet-minhs, et les
moyens d'action de l'ennemi grâce à des forces de
guérilla de plus en plus importantes et
organisées, mais utilisées surtout avec un art
tactique très remarquable par le Général Giap...
Tu commençais à me décrire ta propre action au
début de cette opération Atlante, alors que vous
progressiez sur les contreforts de la montagne au
départ de Ban-Mé-Thuot; pourrais-tu m'en raconter
la suite. J. Sockeel : L'opération
Atlante commençait donc bien, mais à vide et sans
grande efficacité dans la mesure où le Viet-Minh,
selon sa tactique habituelle, s'était complètement
évanoui. Nous ne rencontrions que des difficultés
matérielles de transport, de liaison, de
franchissement de cours d'eau, et d'autres petites
choses de la vie courante en campagne. Le terrain
entre le bassin de Tuy-Hoa que je venais de
parcourir et Qui-Nhon, présentait un relief assez
tourmenté, particulièrement dans la région Ouest
qui m'était impartie, sur les contreforts de la
chaîne Annamitique; en cet endroit elle s'éloigne
davantage de la côte. En bordure de mer et dans la
plaine, évoluait mon ancien GM du Centre Vietnam,
devenu le GM XI. Quant au GM 100 qui devait agir à
partir des plateaux, il avait été lui-même fixé
par les deux régiments viets et empêché de
descendre comme cela était prévu, sur Qui-Nhon; il
fallait donc prévoir que des difficultés allaient
commencer de ce coté, et le Commandement était
assez pressé d'y prendre pied. Le GM 42
progressait dans sa zone, remettant au jour la
vieille route ''Mandarine'' construite au temps
des Empereurs d'Annam, voie routière abandonnée
depuis la création de la RCI parallèle à la voie
ferrée, construite en plaine plus près de la côte,
et qui reliait Hanoï à Saïgon. C'était l'ancienne
"Route Impériale" dont nous dégagions les grosses
dalles de pierre, les petits ponts avec les
pagodons édifiés pour chasser les Génies. Ils
étaient envahis par la jungle; un travail de
bull-dozer qui permettait le passage des camions
et de l'artillerie, toujours en appui des
Bataillons qui fouillaient la montagne. Je n'ai eu
aucun incident sauf quelques petites escarmouches
qui montraient que le Viet-Minh conservait le
contact, sans vouloir s'engager. Le seul événement
fut la visite du Président Pléven, accompagné de
Monsieur de Chevigné, notre Ministre de la Défense
Nationale.
Prise de notre premier objectif :
Qui-Nhon
Après le départ de ces
visiteurs nous étions tout près du premier
objectif, c'est-à-dire de Qui-Nhon, cette ville
complètement rasée dans sa partie européenne
représente un point très important entre Nha-Trang
et Tourane, avec une rade en eau profonde. Après
avoir touché la côte au sud de Qui-Nohn par un
massif escarpé analogue à celui du Cap Varella, la
chaîne Annamitique s'éloigne à nouveau fortement à
l'ouest en s'abaissant, et en dégageant une vaste
plaine très peuplée. L'occupation de Qui-Nhon,
selon le plan Atlante, devait résulter de la
conjonction d'une action terrestre venant de
l'ouest et du sud, et en même temps d'un
débarquement de vive force par la mer. Ce
débarquement avait été confié à l'Amiral
Querville. La coordination de la manoeuvre avait
rassemblé à Nha-Trang au P.C. du Général de
Beaufort commandant Atlante, les commandants des
GM et l'Amiral Querville. Tout devait se dérouler
normalement sauf pour le GM 100 qui, bloqué à
Ankhé, et menacé à Pleïku par la pression des
régiments 108 et 803, ne pouvait remplir sa
mission ouest. Au sud le GM Xl suivait la RCI qui
s'infléchissait à l'ouest pour traverser le massif
côtier montagneux. A l'issue de la séance l'Amiral
Querville me prit à part pour me dire son
inquiétude de l'absence du GM 100, et du danger
que présentait au sud de la baie de Qui-Nhon, le
massif côtier; du moins au début d'une action que
le GM XI, qui suivant l'axe routier, ne pourrait
couvrir qu'avec un retard de 24 heures sur le
débarquement des troupes. Le Général de Beaufort
nous rejoignit pour une nouvelle réunion à trois;
il ne savait trop que faire, lorsque je proposai
pour tenir compte des craintes de l'Amiral, de
laisser mon artillerie, I'antenne chirurgicale, et
mes camions, suivre la RCI derrière le GM Xl sous
la protection d'un Bataillon, et de m'engager
moi-même avec les deux autres le long de la
falaise abrupte longeant la côte jusqu'au débouché
sud de la baie; lui confiant la charge de l'appui
de ses canons avec une frégate qui suivrait notre
progression qui devrait durer deux jours. Nous
primes donc cet accord à trois, et je passai
immédiatement à l'exécution pour m'assurer d'une
journée d'avance. Laissant mon Adjoint avec un
Bataillon, les camions et l'artillerie, sous la
protection du GM Xl, je progressai à pied le long
du littoral. En dehors des difficultés du terrain
qui étaient importantes même pour des troupes
entraînées, je n'eus aucune peine à atteindre la
veille au soir du débarquement la corne nord du
cap montagneux qui dominait la grande baie de
Qui-Nhon. Juste avant d'atteindre notre objectif
nous découvrîmes une petite vallée boisée et peu
profonde, abritant plusieurs grands bâtiments
intacts: c'était une léproserie encore en
fonction. Nous y trouvâmes des docteurs et
infirmiers vietnamiens avec quelques lépreux qui
ne s'étonnèrent pas du tout de nous voir, et qui
ne nous manifestèrent aucune hostilité. De Viet ?
Point ! Donc au soir du deuxième jour nous étions
parvenus à l'endroit souhaité, sans avoir
rencontré de résistance de la part du Viet-Minh:
ni même de présence, si ce n'est quelques petits
engins passifs mais extrêmement dangereux qui nous
valurent quelques blessés. Il s'agissait de pièges
constitués par des trous bien camouflés dans les
rares sentiers en corniche; on y tombait sur des
planches hérissées de flèches pointues qui
causaient de vilaines blessures aux pieds et aux
jambes; des grenades à déclenchement rapide
pouvaient y être rattachées. Ces blessés
bénéficièrent d'une évacuation par mer vers la
frégate toujours attentive à nos besoins. Bien
avant l'aube le calme de la baie fut troublé par
les bruits de moteurs, et au lever du jour
l'immense plage de Qui-Nhon était occupée, tandis
qu'une marée de bateaux plats faisaient la navette
entre le littoral et les bateaux ancrés au large.
Les premières troupes débarquées purent avancer de
4 à 5 kms, occupant en particulier un petit massif
qui domine la plaine, au débouché de la route de
Ankhé: I'adversaire ne s'était manifesté nulle
part. Et alors qu'une menace ennemie se précisait
au sud et dans le massif, nous procédâmes à
quelques actions de nettoyage avant de disposer
l'ensemble du GM 42 dans la Province de Phu-Yen en
soutient de l'administration du gouvernement de
S.M. Bao-Daï, qui en exécution du plan Navarre
avait pris possession des provinces libérées. Pour
terminer je te raconte un petit "incident
télégraphique" qui mit en joie mon GM, ainsi que
tous ceux qui n'appréciaient pas l'arrivée
soudaine d'officiers absents de l'lndochine depuis
le début des hostilités voici huit années, et qui
brusquement trouvaient intérêt à s'y trouver pour
obtenir décorations ou avancement sans grands
risques. Au cours de la réunion de Nha-Trang
j'avais fait la connaissance d'un Colonel du
Train, ami du Général de Beaufort. Cet officier,
étranger jusqu'ici à toutes actions et totalement
inadapté à cette mission, s'était vu confier le
commandement des troupes de débarquement sur la
plage de Qui-Nhon. L'affaire en soi aurait pu être
sérieuse, les Vietnamiens ayant les moyens de s'y
opposer avec les Régiments 108 et 803. Mais en
fait, s'emparant de Kontum et menaçant Pleïku ils
avaient choisi de nous fixer au nord des plateaux
pour limiter notre avance territoriale, et nous
empêcher ultérieurement de disposer de renforts
propres à contre-attaquer au Tonkin, déjouant
ainsi le plan Navarre. Le Général Giap venait en
effet de passer à l'attaque du camp retranché de
Dien-Bien-Phu le 13 Mars 1954, le jour même du
débarquement à Qui-Nhon par un Colonel
"parachuté". J'avais trouvé un peu déplacé le
télégramme de victoire qu'il envoyait à Nha-Trang,
et entrant dans le réseau j'en adressai moi-même
un autre... "Ne peux que confirmer le parfait
déroulement du débarquement sur la plage de
Qui-Nhon, étant sur place depuis la veille!". Me
présentant dans la journée à l'Amiral qui m'avait
envoyé chercher, il était tout sourire...!
Les premières difficultés - Le drame
de Dien-Bien-Phu
"Atlante" était
parvenu à son premier objectif, et nous suivions
les difficultés rencontrées à Dien-Bien-Phu, où le
camp retranché ne semblait pas répondre aux
espérances du Commandement. Il semblait au
contraire vulnérable aux attaques viet-minh, dès
qu'il fut avéré impossible de détruire ces grandes
Unités, contrairement à ce que le Général Navarre
et l'état-major d'Hanoï espéraient. Initialement,
le Commandement français croyait disposer du grand
avantage d'une~ "contre-batterie" sur une
artillerie viet-minh dont il jugeait qu'elle
pouvait être détruite, ou muselée, dès le début;
on se rendit compte rapidement qu'il n'en était
rien. Les canons VM. bien protégés dans des
alvéoles creusées à contre-pente des collines qui
bordaient la cuvette de Dien-Bien-Phu, -très
abondamment pourvus en munitions,-maintenaient
sous leur feu le terrain d'aviation situé au
centre. Ils détruisirent dès le premier jour les
chasseurs Bear-Cat affectés à la défense immédiate
du camp, et le terrain d'aviation, véritable
poumon de la position: son utilisation devint
difficile et bientôt impossible à utiliser. Cette
"contre-batterie" avait été présentée comme source
de succès dans tous les exposés, et on n'imaginait
pas qu'elle ne puisse pas être à l'origine de la
destruction des Divisions rebelles; son
impuissance, une fois reconnue devait conduire le
Commandant de l'artillerie à se suicider. J'avais
bien connu le Colonel Piroth à Hué où il était le
Chef d'état-major du Général Lorillot: c'était un
Officier très rigoureux, artilleur convaincu de la
puissance de son arme; manchot il avait perdu son
bras en 1940. Il choisit de se donner la mort dans
l'abri P.C. du Colonel de Castries. Cet incident
dramatique, bien qu'isolé, laissait présager de
l'échec et du désastre qui allaient suivre. Ce fut
fait le 8 Mai, deux mois après la première
attaque, et bien entendu il ne fut plus question
de poursuivre le plan Atlante qui, à ce moment,
commençait lui-même à subir des revers importants,
non pas sur sa partie côtière du centre, mais sur
les plateaux où le GM 100 avait tout d'abord été
réduit à la défensive; puis il avait dû céder
toute la région au nord de Kontum qui fut occupée
aussitôt par les Viets. Cette situation devenait
dramatique; elle obligea le Gouvernement français
à prendre des dispositions telles que l'on pouvait
imaginer la fin des hostilités, non pas sur un
succès militaire mais sur un échec sanglant. Cette
dernière phase, politique, devait commencer à
Genève le 8 Mai, alors que le silence s'installait
sur Dien-Bien-Phu; elle fut conduite par le
Président Mendés-France qui avait pris la
direction du Gouvernement. Si la guerre finissait
mal, il semblait que cet Homme d'Etat soit capable
de réussir, là où les Gouvernements précédents
avaient échoué, faute de volonté, mais aussi de
souplesse. Il ne m'appartient pas de porter la
moindre critique au plan Navarre; il se montrait
généreux, logique, et en accord avec l'entrée du
Gouvernement Vietnamien dans la guerre. Il semble
toutefois que le "rapport des forces", condition
même de toute guerre, n'ait pas été bien mesuré.
La première phase de "Atlante" se terminait sans
que l'adversaire ait été engagé, ni bien sûr
détruit et cette situation rendait difficile la
seconde, celle qui prévoyant la reconquête
progressive des Provinces vers Hué. Il n'était en
effet pas possible dans ces conditions de laisser
l'Administration, ni la jeune armée vietnamienne,
seules face aux redoutables unités Viet-minh des
Régiments 108-196 et 803 qui avaient paralysé le
GM 100 à Ankhé. Même si les forces du Tonkin
avaient réussi à fixer l'adversaire selon le plan
prévu, il eut fallu manoeuvrer et détruire ces
trois régiments viets avant de poursuivre la
deuxième phase de "Atlante" sur Tourane. Le choc
de Dien-Bien-Phu prenait une résonance
internationale au point de rassembler à Genève les
éléments d'une conférence mondiale; le moral du
Corps Expéditionnaire ne devait pas s'en remettre.
Je ne peux faire ici une analyse complète de ce
conflit qui avait provoqué tant d'espérance, je ne
peux que rester dans le cadre du plan Navarre.
Comment expliquer l'entêtement du commandement à
vouloir considérer jusqu'au bout que Dien-Bien-Phu
restait une opération secondaire de fixation, et
que l'effort principal restait l'opération
Atlante. Comment ne pas comprendre que c'était la
bataille du nord-ouest qu'il fallait gagner à tout
prix ? Il est possible d'imaginer que si Atlante
avait été stoppée avant le débarquement de
Quin-Nhon, pour revenir à l'équilibre de 1953 au
Sud-Annam, il eut été possible de donner au
Général Cogny les moyens nécessaires, avec 4 GM
pour dégager Dien-Bien-Phu de l'extérieur: il n'y
a pas de places imprenables lorsqu'on renonce à
les secourir !
Arrêt de I'opération " Atlante "
J'étais revenu avec le GM 42
dans la région de Pleïku face à Kontum, toujours
occupée par les Viet-Minhs. Les provinces côtières
placées sous l'autorité du nouveau Gouverneur
disposant des troupes vietnamiennes nouvellement
formées étaient administrées dans de bonnes
conditions. Les autres GM avaient rejoint leurs
bases. Le Centre Vietnam récupéra le GM Xl - Le GM
100 était fixé à Ankhé par la pression Viet-Minh.
L'autre GM montagnard, le 41, resté en réserve se
déploya autour de Ban-Mé-Thuot.
Mi-Juin - Le Général Salan
décide que le G/M
100 doit évacuer
Ankhé
C'est dans ce climat
redevenu statique, et comme anesthésié, que le
Général Salan, qui avait remplacé le Général
Navarre rappelé en France, décida que le GM 100
devait évacuer Ankhé pour se regrouper avec les
deux GM 41 et 42 sur les plateaux, entre Pleïku et
Ban-Mé-Thuot dans le but, disait-il, de disposer
d'une masse de manoeuvre, dont il manquait
cruellement pour la couverture de Saïgon. Il vint
lui-même à Pleïku, accompagné du Chef de son 2ème
Bureau, en présence du Général de Beaufort et du
Colonel Buffin qui arrivait de l'état-major du
Général Navarre comme adjoint opérationnel, -et
moi-même- pour nous faire connaître sa décision et
les conditions dans lesquelles nous devrions
l'exécuter. Nous en étions extrêmement surpris car
la situation politique à Genève et à Paris
précisait le pari que le Président Mendès-France
avait fait publiquement de régler l'affaire
Indochinoise avec le représentant de Ho-Chi-Minh,
et le Ministre des Affaires Etrangères de Chine
pour le 20 Juillet 1954. Or nous étions à la
mi-Juin ; il nous paraissait curieux, voire
dangereux, d'engager à nouveau une action
militaire dans le statu-quo du moment, et pour un
bénéfice qui ne semblait pas évident. Bien sûr
cela aurait été nécessaire, si à Ankhé le CM 100
avait subi un véritable siège, et s'il avait été
menacé; mais ce n'était pas le cas. La pression
n'était pas sévère, et on parlait même du
regroupement des Régiments viet-minh 108 et 803 au
repos dans la région sud de Qui-Nhon. Le seul
encerclement provenait de quelques forces
régionales du Régiment 120 qui occupaient certains
points de la route Ankhé-Pleïku. Ankhé disposait
par ailleurs d'un excellent terrain d'aviation que
rien ne menaçait, et son ravitaillement par air ne
donnait lieu à aucune difficulté. Quoiqu'il en
soit l'ordre fut donné, et le Colonel Buffin fut
chargé de l'exécuter, c'est-à-dire d'engager le GM
100 vers Pleïku, tandis que le GM 42 devait
l'attendre à mi-route. Le Général n'était pas sans
savoir que cette décision était cependant
dangereuse, et je reçus en renfort un peloton de
chars légers et un groupement de parachutistes (à
pied) comprenant deux Bataillons: l'un commandé
par le Lieutenant-Colonel Romain-Desfossés un
parachutiste de grande valeur, I'autre un
Bataillon de parachutistes vietnamiens, commandé
par le Commandant Balbin, lui aussi une grande
figure parmi les "Paras" français. Le Général me
prit à part après la fin de notre rencontre, et me
recommanda de ne pas trop exposer son Groupement
de Parachutistes car, me disait-il, c'étaient les
deux seuls Bataillons dont le Corps
Expéditionnaire pouvait encore disposer. Cette
recommandation ne fut pas sans influer sur ma
manoeuvre dans les combats que nous eûmes à mener;
sans cette restriction j'aurais pu utiliser ce
groupement de façon plus efficace, et je pense que
le Commandant Romain-Desfossés m'en a tenu un peu
rigueur; mais je remplis mon contrat. Mission
terminée je rendis au Général Salan le groupement
"Paras" intact, encore qu'il ait très largement
contribué à sa réussite.
24 Juin 1954 - L 'opération Eglantine
: Pleïku
L'opération avait pour nom
de code "Eglantine"; le jour "J": le 24 Juin 1954.
Tout aurait pu se passer effectivement dans de
très bonnes conditions si l'ennemi n'en avait été
prévenu dès le 13 Juin, comme l'indiquent les
archives de Saïgon, ce qui laisse à penser!. le
Général Salan était venu à Pleïku le 19 Juin: il
faut donc supposer que des fuites avaient dû avoir
lieu à Saïgon même. Après le 19 nul ne pouvait
ignorer nos intentions, car c'est un véritable
pont aérien inutile et dangereux qui fut une des
causes du drame, en réalisant un déménagement
complet sur Saïgon et Nha-Trang de la presque
totalité du matériel lourd dont le GM 100
disposait sur sa base, alors qu'il aurait dû être
laissé en place,et détruit au moment du départ .
On en était même arrivé, je crois, à évacuer une
partie de la population qui craignait pour sa
sécurité lorsque le Viet-Minh aurait réoccupé la
place; ce n'était évidemment pas sans valeur
humaine, mais sur le plan tactique c'était la
dernière chose à faire. Le 24 Juin, le GM 100
démarre à 3 heures du matin dans des conditions
incroyables face à la menace V.M. Le Commandant du
GM 100 se contentant de fractionner ses quatre
Bataillons en éléments à pied d'avant-garde et de
couverture des flancs de part et d'autre de la
route, pour assurer au lourd convoi de véhicules,
une sécurité rapprochée. Le convoi routier
comportait, avec le Génie placé en tête, toute
l'artillerie, canons attelés, alors qu'ils
auraient dû être déployés pour moitié afin de
pouvoir intervenir à tout moment en appui d'une
infanterie manoeuvrant largement le terrain, et
progressant par des bonds de 10 km; c'est un
"classique" du déplacement d'un GM en zone
dangereuse. Le drame survint à 15 ou 16 km, dans
un terrain bien préparé et utilisé par la totalité
des Régiments viet-minh 96 et 803 . Ces Unités
particulièrement aguerries avaient monté une
embuscade sur 2 kms: elle fut effroyable. La
totalité de tout ce qui était sur roues fut
détruit, le Commandant du GM blessé et fait
prisonnier son état-major et ses Services
détruits. Seuls purent échapper, en manoeuvrant,
les Bataillons à pied; ils ne purent
contre-attaquer, faute d'un dispositif en
profondeur et d'un appui d'artillerie; et n'eurent
d'autres ressources que de combattre
courageusement pour eux-mêmes, et de se noyer dans
la brousse pour tenter de gagner le poste PK 22 au
pied de la montagne, en relais de celui du col du
Mang-Yang, 6 kms plus loin.
Au col du Mang-Yang
C'est à midi que je fus
prévenu de l'embuscade et du drame, alors que nous
nous trouvions au passage du Song-Bo, à quelques
heures du col du Mang-Yang. Il était prévu que je
devais y arriver le lendemain matin; je décidais
d'y être le soir même afin de recueillir ce qui
pouvait être sauvé, mais aussi pour tenter de
contre-attaquer. Entre ce col du Mang-Yang situé
en pleine montagne et Pleïku, je devais remettre
en état, avec un détachement du génie, un point de
passage obligé très délicat dans la haute vallée
du Song-Ba, (la rivière du delta de Tuy-Hoa) où un
pont avait été détruit dans les mois précédents.
Il nous fallait ensuite l'occuper pour assurer le
bon déroulement du retour; et mon intention était
d'y maintenir précisément en réserve le groupement
parachutiste, tandis que j'aurais poussé moi-même
avec le GM 42 sur le Mang-Yang. L'attaque du GM
100 m'obligea à faire une impasse sur l'occupation
de cette position, ce qui nous vaudrait presque
certainement d'y livrer combat au retour. En
effet, il me fallait disposer de suite du
Groupement Romain-Desfosses pour atteindre au plus
vite PK 22, afin d'être le plus rapidement
possible de l'autre côté du massif, au bénéfice du
GM 100. La moitié de l'artillerie du GM 42 devait
suivre Romain-Desfosses pour une mise en batterie
au Mang-Yang; le reste était en batterie sur
place, pour appuyer la manoeuvre des paras
jusqu'au col, mon intention étant toujours de
contre-attaquer dès que possible. Romain-Desfosses
parvint au PK 22 dans le milieu de l'après-midi,
vers 16 ou 17 heures, réalisant une performance
absolument extraordinaire; moi-même, avec un
Bataillon de montagnards, j'étais au Mang-Yang à
la même heure où toute l'artillerie était
déployée; je rejoignais Romain-Desfosses quelque
temps après, avec le peloton blindé. J'avais déjà
pris contact radio avec le Chef de Bataillon
Muller, seul Officier en état de commander au GM
100; son Bataillon de Coloniaux, le BM 43, une
Unité d'élite, après s'être violemment battue et
avoir perdu plus du tiers de son effectif était
parvenu au PK 22.; Le Commandant Muller me mit au
fait de sa situation: il avait reçu lui-même du
Haut Commandement de Nha-Trang, et du Colonel
Buffin, I'assurance que je me trouverais comme
prévu le lendemain matin au Mang-Yang. Je lui
répondais que j'arrivais de suite et qu'il prenne
avec Romain-Desfosses dispositions pour
contre-attaquer. C'est à ce moment que je saisis
l'ampleur du désastre, lorsque le Commandant
Muller me répondit que c'était impossible; comme
j'insistais il me dit que j'en jugerais moi-même.
C'est ce que je fis en arrivant avec le peloton
blindé, qui immédiatement assura la sécurité entre
PK 22 et le col, sur 6 kms, dans une portion de
route en montagne très sinueuse qui allait devenir
pendant la soirée et la nuit le cordon ombilical
pour tout ce qui pouvait être sauvé du GM 100. Au
PK 22, les Unités arrivaient sans cesse, plus ou
moins en désordre, après une journée de combats.
Je fis moi-même plusieurs navettes, car il fallait
aussi m'assurer que le Viet-Minh n'était pas en
mesure d'attaquer PK 22 où Romain-Desfosses avait
aussitôt réalisé une couverture éloignée en
direction de Ankhé, recueillant les rescapés. Il
me fallait m'assurer également de l'intégrité du
Col, autour duquel le GM 42 était largement
déployé, jusqu'au bas des pentes; les rames de
camions devaient pouvoir circuler librement sous
la protection directe du peloton blindé. C'était
une véritable course contre la montre, car
l'ennemi n'était pas loin et gardait le contact;
je pus le constater au cours de l'une de ces
liaisons où dans ma jeep, avec mon chauffeur et
mon ordonnance, je fus pris sous le feu d'un
fusil-mitrailleur heureusement assez éloigné, mais
qui montrait bien avec les trois balles qui
vinrent se loger dans la carrosserie, que le
danger était toujours là. Mon fidèle Kadéo, assis
derrière moi, avait été touché au ventre; il eut
la chance d'être évacué de suite à PK 22,
bénéficiant de l'hélicoptère du Général de
Beaufort venu se rendre compte lui-même de la
situation. En ma présence cette situation lui fut
précisée par le Commandant Muller qui écartait
toutes possibilités de contre-attaque et de
poursuite vers l'est. J'indiquais ,au Général mes
intentions pour le lendemain: . Regroupement le
lendemain, au Col du Mang-Yang où je demandais à
recevoir par air les matériels nécessaires pour
ré-équiper les Unités du GM 100. Retour à Pleïku
en deux journées, avec certitude d'avoir à livrer
deux ou trois combats sérieux. Outre les moyens
aériens de parachutage du premier jour, il me
faudrait être assuré pour les deux jours suivants
d'une couverture aérienne permanente à partir des
chasseurs de Nha-Trang et des Bear-Cats de
l'Arromanches qui croisait au large de Qui-Nhon.
Le Général de Beaufort approuva l'ensemble de ces
prévisions, m'assurant des appuis aériens...et
évacua mon ordonnance.
Je suis contraint de prendre une
décision très grave
C'est alors que j'eus à
prendre une très grave décision, I'une des plus
graves de ma carrière, faisant un refus
d'obéissance caractérisé. Dans la soirée je reçus
du Général Salan l'ordre de me porter plus à
l'est. Il me fallut répondre que telle avait été
notre intention initiale, en particulier pour
sauver les blessés heureusement en charge de
l'antenne chirurgicale du GM 100 faite prisonnière
en totalité avec ses médecins mais: . que
l'analyse du Commandant Muller m'en avait
dissuadé; . que le Général de Beaufort venu sur
place m'avait approuvé;. et je concluais ce long
exposé télégraphique par l'assurance qu'il était
absolument impossible de poursuivre à l'est, sauf
à compromettre l'ensemble de nos forces.
J'ajoutais que mon intention n'était pas de
pousser vers l'est, mais au contraire de regrouper
toutes les Unités au Mang-Yang et m'assurer le
lendemain des moyens nécessaires pour être en
mesure de livrer bataille avec succès, pour
rejoindre Pleïku. A ce télégramme très explicite
que n'avait sans doute pas encore confirmé le
Général de Beaufort, je reçus en réponse: - "Je
vous donne l'ordre formel de faire ce que je vous
ai prescrit" (signé Général Salan); et je
répondis: - "Je vous réponds formellement NON"
(signé Sockeel). Peu après un hélicoptère se
posait presque en catastrophe à la tombée de la
nuit près de mon PC, au Col du Mang-Yang. Le
Colonel Buffin, commandant "Eglantine" et qui
était donc mon Chef direct, en débarquait; c'est
lui qui en phonie m'avait donné les ordres de
poursuivre plus à l'Est: il avait dû recevoir
lui-même les derniers ordres du Général Salan.
Après lui avoir exposé la situation je concluais à
deux solutions possibles: ou il me laissait mon
commandement, et approuvait mon intention de
manoeuvre ainsi que l'avait fait le Général de
Beaufort, ou il m'en relevait pour l'assurer
lui-même en qualité de Chef des deux groupements
maintenant réunis ! -ce qu'il aurait dû faire
depuis midi !- J'ajoutais que dans ce cas je
restais à sa disposition pour le poste qu'il
voulait bien me confier. A ma grande surprise il
m'assura de sa totale adhésion, me donnant le
commandement de la totalité des Unités,
s'engageant à fournir tous les moyens aériens
demandés. Cela laisse à penser que le Général
Salan avait dû recevoir avant de le dépêcher une
analyse plus fine de la situation où l'arrivée
d'un autre Régiment viet-minh, le 1081 , n'était pas exclue.
Je reçois la charge du commandement
de la totalité
des unités engagées
Confirmé dans ma lourde
charge, je réunis le soir même le Commandant
Romain-Desfosse qui revenait de PK 22 après
l'avoir fait sauter, le Commandant Muller et le
Commandant Guinard du Régiment de Corée qui avait
rejoint tardivement avec deux Bataillons de Corée
et un Bataillon vietnamien. Je voulais étudier de
manière précise avec mon état-major la manoeuvre
des jours suivants, et je leur fis part de la
visite du Colonel Buffin ainsi que de ma prise de
position en réponse aux ordres du Général en Chef.
Tous furent d'accord avec moi pour ne consentir
qu'une journée au Mang-Yang en vue de remise en
ordre des Unités, et pour y recevoir les
ravitaillements nécessaires en vivres,
équipements, armes et munitions, pendant que les
Bataillons du GM 42 couvriraient au plus loin la
position. Ces parachutages étaient importants pour
permettre de ré-équiper et d'armer près de la
moitié de l'effectif des Unités du GM 100, soit
trois Bataillons environ. Le Col du Mang-Yang
présentait heureusement une zone de parachutages
favorable, boisé et couvert d'une jungle épaisse à
l'est, il était à l'ouest très dégagé avec une
vaste prairie en pente douce, large de plus de 500
m, avant de rejoindre plus bas, vers Pleïku, une
zone forestière assez dense dans un relief
tourmenté. Dans la nuit, je recevais confirmation
des moyens promis par le Colonel Buffin qui fit le
maximum pour justifier de sa fonction, et nous
reçûmes le matériel demandé; toutes les mesures
furent prises pour nous assurer d'un appui aérien
massif pour les journées des 27 et 28. J'étais
maintenant certain de l'aide de l'aviation
embarquée sur l'Arromanches, ainsi que de
l'aviation lourde de Nha-Trang et de Tourane;
c'est à cet appui que nous devons le succès de la
seconde partie d"'Eglantine", car le Régiment 108
allait être au rendez -vous
Epilogue personnel:
Je ne fus pas
inscrit au tableau d'avancement
Avant de te situer ces
combats je vais revenir si tu veux bien à mon
fameux télégramme: "Je vous réponds formellement:
NON": je n'en entendis jamais
plus parler... même lorsque, servant en Algérie en
1956, je fus amené à rencontrer le Général Salan à
Paris, de la part du Général Lorillot. Alors qu'il
commandait à son tour en Algérie je le revis
plusieurs fois encore... mais il n'en fut jamais question. Deux mois après ces
derniers combats, je me trouvais à Saïgon en Août
après la signature de Genève, et j'allais voir le
Colonel Gracieux, le Chef d'état-major du Général
Salan, il me prit amicalement le bras et me dit: -
"Voulez-vous voir le Général?" stupidement je
répondis: - "Mon Colonel je serais très heureux de
voir le Général, mais seulement s'il me convoque;
je ne demande pas à le voir". Il me sourit
gentiment, un peu triste! Je ne reçus pas de
convocation. La conséquence en fut ma
non-inscription au Tableau d'avancement du mois de
Décembre, contrairement à ce qui avait été promis.
Seule une de mes plus élogieuses citations à
l'Ordre de l'Armée témoignera de ces événements. M.
VERHAEGHE : Je
suis vraiment frappé par ce qui paraît être une
suprême injustice, et je n'arrive pas à comprendre
le comportement des Chefs en cette circonstance.
Te voici donc chargé d'un Commandement très
difficile, mal engagé, mais il faut terminer cette
opération "Eglantine", si fâcheuse.
Poursuite de l'opération "Eglantine"
J. Sockeel: Me
voilà donc au Col du Mang-Yang, au coeur de la
chaîne annamitique; j'ai récupéré tout ce qui
pouvait être sauvé du GM 100, et il convenait que
les Commandants d'Unités puissent remettre un peu
d'ordre. Tu peux imaginer quelle activité le
modeste Chef de 4ème Bureau du GM 42 a dû déployer
pour réaliser demandes, réceptions et
distributions de l'armement et du ravitaillement
nécessaires à la remise en état de la valeur de
trois Bataillons supplémentaires soit brusquement
une charge totale de 8 Bataillons, dont deux au
moins sont à ré-équiper, et ceci jusqu'aux
vêtements et particulièrement aux chapeaux de
brousse car le soleil n'est pas un allié! La nuit
a dû être très dure pour le Capitaine Romefort; je
ne l'ai jamais revu par la suite mais il fit
preuve ici de rares qualités. Ce fut le lendemain
une véritable éclosion de corolles blanches tout
autour du PC; la confiance était revenue avec
l'accord complet de tous pour les combats à mener
les jours suivants. Les Unités de montagnards
n'étaient pas restées inactives pendant cette
journée et s'étaient mises à la recherche des
renseignements rapprochés; des patrouilles étaient
lancées de tous les côtés en vue d'essayer
d'accrocher quelques éléments viet-minh que nous
savions arriver en marche forcée, entre le
Mang-Yang et Pleïku. L'activité aérienne fut
permanente avec l'avion d'observation
d'artillerie. Quelques contacts avec des éléments
rebelles légers, et des indices nombreux,
donnèrent la certitude que les mouvements des
Viet-Minh étaient importants et qu'ils nous
obligeraient à livrer au moins un, sinon deux
combats sérieux.
Premier occrochage au pont de
Dak-Ryunh
Le premier devait avoir lieu
au point de passage obligé du Song-Bo supérieur,
au niveau du pont plusieurs fois reconstruit et
détruit de Dak-Ryunh; je te l'ai déjà situé à
l'aller, et j'avais initialement décidé d'y
laisser le groupement parachutiste pour m'assurer
de la position. Il faudrait le reconquérir pour
passer car le Viet-Minh ne pouvait pas ne pas s'y
être installé pour la valeur d'au moins un
Bataillon pendant la journée passée au Mang-Yang,
et il disposait là d'un terrain particulièrement
propice à l'embuscade. Dans la nuit les paras
commencèrent leur mouvement avec mission de
prendre le contact, mais sans s'engager davantage.
Disposant de cette base solide, deux Bataillons
allaient manoeuvrer l'adversaire et s'emparer de
la position avec l'appui direct de l'artillerie et
de l'aviation. Avant l'aube du 27 Juin toutes les
Unités progressaient derrière Romain Desfossés,
les Bataillons montagnards déployant une large
toile d'araignée sur les ailes, I'artillerie étant
en place au col du Mang-Yang, les blindés avec mon
PC, et le gros du convoi routier couvert à
l'arrière. Nous étions donc engagés lorsqu'une
grosse explosion retentit derrière nous: c'était
le petit poste du Mang-Yang qui sautait, de même
qu'avait sauté l'avant-veille le poste du PK 22
après notre départ. Ce poste du Mang-Yang était
tenu, comme tous les postes des plateaux, par des
montagnards plus ou moins réguliers encadrés par
des gardes mobiles. Le jour se leva alors que,
comme je l'avais imaginé, le Groupement
parachutiste avait déjà engagé l'adversaire
installé aux avancées Est de Dak-Ryunh La
manoeuvre avait une certaine ampleur par les
déploiements éloignés des Bataillons montagnards
et l'attaque du premier Bataillon de Corée, et du
Bataillon Muller, qui tous deux prenaient leur
revanche car la situation était inversée. L'appui
aérien arrivait avec le jour et les Bear-Cat
commençaient à mitrailler les abords de la
position occupée par les Viet-Minh. Il nous
fallait détruire ce Bataillon VM, ce qui fut fait
avec méthode par les Bataillons du GM 100, presque
sans se presser. L'avion d'observation actionnait
directement l'artillerie: c'était tout simple; la
moitié des pièces étaient attelées, prêtes à faire
mouvement, tandis que l'autre moitié était en
position de tir. La situation était tout le
contraire de celle de la malheureuse journée du 24
Juin: si elle avait pu être engagée suivant ce
schéma, elle aurait pu être un succès pour le GM
100. C'est ainsi que la journée se passa, très
dense. Je voudrais terminer le récit de cette
première phase par un petit incident inhabituel,
qui montre la fraternité et la souplesse d'emploi
des armes lorsque l'occasion s'en présente. En fin
de matinée l'avion d'observation sans lequel
l'artillerie est aveugle demanda l'autorisation
d'aller refaire son plein d'essence à Pleïku. Nous
étions alors en pleine mousson et à l'ouest
l'horizon devenant de plus en plus noir il était
manifeste qu'une tornade se formait et que l'avion
ne pourrait passer au retour; à l'est vers la mer
le ciel était dégagé. Grâce au camion-radio VHF,
j'obtins une liaison en phonie avec le "leader"
des Bear-Cat qui continuaient leur ronde, prêts à
intervenir, je lui expliquais ma situation:
pouvait-il remplacer l'avion d'observation afin de
régler les tirs d'artillerie?. C'est ce qu'il fit,
acceptant cette mission anormale pour un avion de
chasse! Et c'est ainsi qu'ils purent aider à
conclure heureusement cette première bataille de
Dak-Ryunh. Quant aux deux autres Bataillons du
Régiment 108, car c'était bien de lui qu'il
s'agissait, ils avaient pris un peu de retard pour
digérer Ankhé, mais nous allions les retrouver le
lendemain avec, peut-être le 196 ou le 803. La
journée se terminait et nous occupions la position
sans trop de pertes, toujours très "en sûreté"
dans l'éventualité d'une contre-attaque viet-minh.
Prévoyant que la journée du 28 serait sans doute
plus difficile car le terrain très broussailleux
donnait l'initiative aux seuls Viet-Minh, je
décidais de m'assurer de suite d'un solide appui
de manoeuvre ou de recueil, avec un point fort à
partir duquel une contre-attaque pourrait être
lancée. Ce point fut choisi sur un petit relief
situé à 30 km à l'ouest de Dak-Ryunh, non loin du
débouché de la zone dangereuse où, si tu t'en
souviens, j'avais à l'aller établi une base
arrière. Alors que son Groupement Paras n'était
pas très satisfait d'avoir été dans la journée
écarté des combats puisqu'il n'avait comme mission
que de fixer l'adversaire tout au début de la
journée, je demandais au Colonel Romain-Desfossés
de partir immédiatement, en pleine nuit, pour
occuper ce pivot de manoeuvre en vue des combats
du lendemain, ce qu'il fit, je dois le dire, à
regret car il pensait non sans raison qu'il allait
encore une fois être écarté de l'action. En ce qui
me concerne j'obéissais à deux impératifs: le
premier était celui de nous assurer d'une sécurité
plus grande en disposant d'un point d'appui
solide, le cas échéant, à mi-route de Pleïku, le
second était de respecter mon engagement vis-à-vis
du Commandant en Chef.
L'embuscade des Viet-Minhs
Dès l'aube du 28 Juin, nous
faisions mouvement pour l'ultime journée. La
matinée se passa sans encombre dans le même
dispositif que la veille, par bonds successifs,
larges et souples, I'aviation étant prête à un
appui immédiat, les montagnards ratissant très
large: de petits engagements isolés me
confirmaient que l'attaque des Viet-Minh était
proche, et qu'elle serait extrêmement sévère, car
c'était leur dernière possibilité de détruire le
GM 42, et ce qui restait du CM 100. Vers midi,
nous étions à mi-route de Romain-Desfossés dans
une vaste clairière d'environ 500 m sur 100 m. Je
décidais d'y faire halte pour contacter tous mes
éléments dispersés dans la montagne, sans savoir
que c'était le lieu que l'ennemi avait choisi pour
attaquer. Le terrain s'y prêtait, et l'adversaire
avait justement pensé que c'était là que je
devrais moi-même m'arrêter. Bien entendu, sitôt
arrivés, I'artillerie était en position d'appui;
brutalement, selon la caractéristique des
embuscades Viet-Minh, et avec un volume de feu
très dense, ce qui laisse à penser que l'embuscade
avait déjà été préparée depuis plus de 24 heures,
sans doute pendant le ravitaillement par air au
Mang-Yang (I'occupation de Dak-Ryunh n'étant en
quelque sorte qu'un combat secondaire), le
commandement viet-minh avait préparé pour le
surlendemain cet engagement: il pensait qu'il
serait décisif comme l'avait été pour lui celui du
GM 100. L'attaque fut extrêmement violente sur la
clairière, à l'ouest et à l'est sur près d'un
kilomètre. J'étais au centre de ce dispositif avec
les Transmissions commandées par le Lieutenant
Marie qui ne me fit jamais défaut, une partie de
l'artillerie et les blindés. Notre riposte fut à
la mesure de l'attaque: immédiate et violente, car
nous l'attendions à tout moment, avec une densité
de feu exceptionnelle. J'avais entendu
l'expression des artilleurs "débouchant à zéro" :
ce fut ici le cas pour les obusiers de 105 tirant
à l'horizontale dans la jungle qui nous entourait,
au même titre que les fusils mitrailleurs, les
fusils légers et les mortiers; le combat dura avec
cette intensité pendant plus d'une demi-heure, et
comme la veille le Bataillon d'Infanterie de
Marine Muller, les Bataillons du GM 100, et les
Bataillons montagnards furent particulièrement
efficaces. Pour te donner une idée de l'esprit
offensif des Unités et de la quantité d'obus et de
munitions employés, voici une anecdote. Les
véhicules du convoi, très vulnérables sur route,
étaient protégés directement à droite et à gauche
par des Unités non engagés directement. Au début
de l'action on vit un bull-dozer descendre de sa
plate-forme pour dégager de la route les camions
qui brûlaient, atteints par des obus de mortiers
viet-minh, plus loin une petite unité de
l'arrière-garde vida complètement un camion chargé
d'obus de mortiers pour les tirer sur les
Viet-Minh qui venaient au contact; c'est te dire
l'intensité des combats et la pugnacité de tous
ceux du Bataillon chargé de l'arrière-garde.
C'était aussi très caractéristique de ces
engagements moitié en forêt, moitié en terrain peu
couvert. L'action décisive vint de l'aviation qui
larguait sur les flancs une masse de bombes à
parachute extrêmement meurtrières pendant que les
Bear-Cat mitraillaient la brousse parallèlement à
notre position. Aussi soudainement que cela avait
commencé, les tirs cessèrent: les Viet-Minh
décrochaient sans avoir atteint leurs objectifs.
Il ne me restait plus qu'à "nettoyer": le mot
n'est pas aimable, mais dit bien ce qu'il veut
dire. Les Unités fouillèrent tout le terrain pour
recueillir nos blessés, assez peu nombreux
d'ailleurs: pas plus de 50, et les morts: une
vingtaine, ce qui montre l'efficacité de notre
dispositif de protection lointaine et rapprochée,
mais ce qui me permet de penser que sans cet appui
aérien exceptionnel nous aurions pu être
submergés. Quant à I'ennemi, nous pûmes charger
plus d'un camion d'armes récupérées ici et là,
laissant sur place quelques 250 corps de Bo-Doï
sans pouvoir les enterrer comme nous avions
coutume de le faire.
Opération Eglantine terminée à Pleïku
Le combat était
terminé. Il avait donné lieu comme je te l'ai dit
à de véritables faits d'armes, celui du camion
chargé d'obus et d'autres aussi. Certains furent
moins brillants, mais chanceux comme ce conducteur
de pièce d'artillerie qui avec son camion, saisi
d'une panique folle, traversa toute la clairière
pied au plancher: il fut récupéré par les Paras de
Romain-Desfossés qui écoutaient de loin tout ce
tapage! D'autres petits incidents vivent encore
dans la mémoire de ceux qui connurent cette
journée, tel celui de la radio Viet-Minh que l'on
entendait nasiller en phonie et qui prescrivait
aimablement: "Prenez Sockeel vivant"!, ce qui
annonçait de sombres moments au cas où je serais
capturé. Je n'eus en fait, à souffrir que d'une
légère blessure au doigt par un éclat d'obus qui
fractionna I'index de la main gauche. L'action
étant terminée chacun reprit sa position et sa
progression vers le groupement parachutiste qui
nous attendait à une quinzaine de kilomètres
suivant l'engagement sans pouvoir y intervenir :
Ils ne m'en tinrent pas trop rigueur, et c'est
leur infirmier qui me donna les premiers soins. Si
les événements avaient tourné autrement, nous
aurions alors été heureux de trouver auprès d'eux
l'équivalent d'un PK 22. Au soir nous étions
parvenus au bas de la montagne, sur le plateau
dénudé qui s'étendait jusqu'à Pleïku. J'y avais
laissé une petite base arrière gardée par une
Unité territoriale: cette Unité avait entouré de
barbelés un vaste polygone susceptible d'assurer
le déploiement des éléments lourds et l'Antenne
chirurgicale qui se mit à l'ouvrage pendant que
nous allions rendre les honneurs à nos morts qui
furent enterrés sur place: I'opération Eglantine
était terminée. M.
VERHAEGHE : Puis-je te demander à la fin de cette
opération très dure, "mission accomplie" à Pleïku,
et avant de repartir pour le point suivant, si le
Haut Commandement ou tes Chefs directs, ont donné
un témoignage pour reconnaître ta réussite alors
que tu avais dû mener cette opération dans des
conditions tout à fait anormales?
Une guerre de trop ?
J. Sockeel: Oui,
je reçus un télégramme de félicitations de la part
du Général de Beaufort, et plus tard une citation
à l'Ordre de l'Armée, très précise dans son texte,
signée du Général Salan. Mais l'atmosphère du
Corps Expéditionnaire depuis Dien-Bien-Phu, et
l'arrêt de l'opération Atlante, avait bien changé,
cette destruction du GM 100, les menaces qui
pesaient sur Saïgon et éventuellement sur
Ban-Mé-Thuot, créaient une ambiance qui ne prêtait
guère à la congratulation mutuelle: on sentait un
certain flottement dans le Haut Commandement. Et
puis la politique de la France à Genève, bien que
nécessaire, n'incitait pas à l'allégresse. Le plus
grand nombre continuait à voir dans l'action
politique engagée un abandon total; j'estimais
pour ma part qu'il était regrettable de ne pas
avoir su l'engager plus tôt, en 1953 par exemple,
alors que l'équilibre des forces était réalisé
entre les deux parties. Lorsque la lutte pour
l'lndépendance est engagée dans un pays par les
armes, il est difficile de s'y opposer au-delà de
ce qui est nécessaire pour la défense de ses
intérêts immédiats, et de sa dignité; vouloir
poursuivre à tout prix ne fait qu'ajouter des
sacrifices inutiles et compromettre l'avenir à
long terme. Lorsque la politique devient à
l'évidence le seul moyen de régler un problème, et
c'était le cas, vouloir prolonger l'action de
guerre est une folie dangereuse et mortelle. Le
Général Salan, traitant dans ses Mémoires de
l'affaire de Ankhé, déclare avoir pris ses
responsabilités! Alors, quelles sont-elles, sinon
d'avoir consenti des pertes inutiles? et sans
qu'un Tribunal ait eu à en juger. Il aurait à
l'évidence été plus sage, compte tenu de la date
du 20 Juillet avancée par le Gouvernement Français
comme étant celle du cessez-le-feu possible, de
rester sur ses positions sans rechercher la
bagarre . Cette guerre avait pour origine notre
désir louable d'interdire l'indépendance du
Vietnam au seul bénéfice du Gouvernement
Viet-Minh; faute de pouvoir lui en opposer un
autre se réclamant du même objectif, faute de
trouver un gouvernement national disposant des
moyens propres à assurer sa souveraineté sans les
communistes, il nous a fallu nous y substituer en
tant qu'ancienne puissance de tutelle, et nous
engager militairement: à ce jeu, nous ne pouvions
que perdre. Les Américains s'y essayèrent ensuite
avec des moyens plus importants, au bénéfice d'un
gouvernement qui se voulait fort, dans la mesure
où il était débarrassé de toutes séquelles
coloniales, et où il pouvait s'appuyer sur
l'animosité séculaire du Sud contre le Nord; ils
furent eux aussi contraints à l'abandon. Dès lors,
le Viet-Minh, seul parti politique du Nord Vietnam
disposant d'une armée victorieuse aux ordres d'un
chef prestigieux, auréolé de son succès sur nos
armes, bouscula l'armée du Sud malgré la troisième
force qui ayant agi comme un "cheval de Troie" à
l'intérieur de la République du Sud-Vietnam fut
balayée et le seul gouvernement communiste du Nord
fit flotter ses couleurs sur Saïgon. La longue
quête du Viet-Minh était terminée; le Pays était
réunifié, indépendant et ruiné! M.
VERHAEGHE : Après
cette opération, qui est heureusement un succès
remarquable, tu sens venir la date fatidique très
proche maintenant, celle du 20 Juillet, sur
laquelle les hommes politiques ont fait le pari de
régler la situation envers les Viets. Mais y
a-t-il eu pour toi de nouveaux événements
militaires pendant cette période ? J. Sockeel : En
arrivant à Pleïku il semblait que cette tragique
évacuation de Ankhé devait être pour nous le
dernier acte de la guerre. M'étant assuré de
l'évacuation de centaines d'Unités du GM 100 sur
Saïgon par air, -le GM 42 devant rester à Pleïku-
ayant un petit plâtre sur mon doigt, j'obtins
l'autorisation de prendre quelques jours de repos
à Dalat. Nous étions à la fin du mois de Juin
1954.
L'opération de la dernière heure :
Myosotis
Ramener le GM 42
à Ban-Mé-Thuot
Quel ne fut pas mon
étonnement, le 12 Juillet, d'être informé à Dalat
que le GM 42 avait reçu l'ordre de faire mouvement
de Pleïku sur Ban-Mé-Thuot où se trouvait le
commandement des Plateaux, le Général de Beaufort.
Je rejoignis immédiatement Pleïku. Le GM 42 était
déjà engagé, avec le 1er Bataillon de Corée, dans
une zone sensible où la route rejoignait la
montagne dans la haute vallée de L'Ea-Krong,
rivière tributaire du bassin du Mékong. Un petit
poste de partisans montagnards en gardait le pont
avant le défilé du Chu-Dreh; j'y étais le 13.
Entre Ban-Mé-Thuot et Pleïku, la chaîne
Annamitique s'infléchit légèrement vers l'ouest
avec le massif du Chu-Dreh dans un court défilé
très boisé présentant une zone propice aux
embuscades. Pendant trois jours, les Bataillons
montagnards la patrouillèrent sans cesse, mais le
terrain très vallonné, avec une jungle épaisse, ne
permettait pas une fouille rationnelle; aussi je
proposais de disposer de l'aviation pour encadrer
une action de nettoyage complet. Les
renseignements qui avaient conduit le Général de
Beaufort à monter cette opération de renforcement
de Ban-Mé-Thuot faisaient état d'une menace que le
Régiment 803, renforcé par le 810, pouvait faire
peser sur la ville. On signalait précisément
qu'ils se portaient vers le Chu-Dreh pour couper
la route coloniale 14 de Pleïku. En mon absence,
c'était le Chef de Bataillon Guinard, commandant
ce qui restait du Régiment de Corée qui avait pris
le commandement de l'ensemble avec le GM 42; mon
adjolnt, le Commandant Cocquerel, était moins
ancien en grade. L'opération décidée si
soudainement avait pris le nom de code "Myosotis"
et visait uniquement à joindre Ban-Mé-Thuot:
c'était un simple ordre de mouvement, transformé
en "opération" en raison des difficultés possibles
conduisant à manoeuvrer. Sur place, mis au courant
de ces événements, je demandais quels seraient les
appuis aériens susceptibles de m'être accordés en
cas de combat à livrer contre le Régiment 803 qui
pouvait se trouver dans le Chu-Dreh; -ils étaient
incertains et limités: "Vous n'aurez pas d'autres
moyens que les vôtres; il n'est pas possible de
vous donner les renforts aériens dont vous
disposiez pour l'opération Eglantine"... Pas du
tout satisfait de cette situation j'en fis part au
Général de Beaufort, lui proposant à nouveau
d'effectuer une fouille méthodique et complète du
massif avant d'engager le convoi routier vers
Ban-Mé-Thuot avec l'artillerie, ajoutant ma
préférence pour un retour sur Pleïku, mais je ne
pouvais pas toujours dire NON!, d'autant plus que
les contacts avec le Viet-Minh étaient nuls. Très
honnêtement j'avais rendu compte chaque soir au
Général de Beaufort des résultats négatifs des
reconnaissances et tout particulièrement la veille
j'avais signalé qu'un détachement léger sur roues
se rendant à la corvée d'eau s'était trompé
d'itinéraire: au lieu de se rendre au poste voisin
du pont sur L'Ea-Kong au nord, il avait pris la
route 14 au Sud en direction de Ban-Mé-Thuot pour
prendre son eau au-delà du Chu-Dreh, dans un petit
affluent de L'Ea-Kong, au sud du massif. Le
détachement avait donc traversé toute la zone la
plus sensible sur une quinzaine de kilomètres sans
avoir rencontré âmes qui vivent. Le compte-rendu
de cet incident confortait le commandement de
Ban-Mé-Thuot dans la menace du Régiment 803 sur la
ville, et dans sa décision de nous faire venir en
renfort. Quoiqu'il en soit je n'avais plus qu'à
exécuter l'ordre reçu pour le 17 Juillet. A
contre-coeur je passai à l'exécution;
I'enthousiasme n'y était pour personne, en
particulier pour les Coréens. Mon dispositif était
toujours le même: une large couverture en avant et
sur les flancs, progressant par bonds successifs
sous la protection des feux de l'artillerie, le
gros de mon GM avec le convoi sur la route, puis
une arrière-garde. L'artillerie déployée pour
moitié était en mesure d'appuyer l'ensemble avec
l'avion d'observation pour le réglage des tirs.
J'avais remarqué que les attaques des Viet-Minh
avaient lieu en général sur le centre des convois,
visant le P.C. et le Chef, en détruisant les
véhicules plutôt que d'engager les troupes
elles-mêmes. Cette analyse m'avait amené à placer
à l'arrière les éléments que je désirais protéger,
car les arrière-gardes ne subissaient le plus
souvent aucun dommage étant donné leurs
possibilités de manoeuvrer plus facilement, les
combats se déroulant généralement au centre. C'est
ainsi que je donnais au Commandant Guinard le
commandement de l'arrière-garde avec son bataillon
de Corée réduit à deux Compagnies; comme cela
paraissait léger, j'y ajoutais ma propre Section
de protection, petite Unité d'élite, mobile et
très bien armée: elle ne m'avait jamais quitté. Un
autre motif m'avait fait agir; il m'était
personnel et il m'est très pénible à évoquer :
dans cette Section de protection se trouvait le
fils d'un ami très cher, le Sergent Rivier. Ce
garçon s'était engagé après des études assez
médiocres; il devait ensuite à mon avis reprendre
pied à Saint-Maixent pour une carrière militaire
valable: arrivé au Vietnam en 1953, son Père me
l'avait recommandé. Il commandait l'un des trois
groupes de la Section, avec beaucoup d'allant,
trop même. Après l'opération "Eglantine", son
temps de séjour étant terminé, il était inscrit
sur la liste des rapatriables; j'avais bien
précisé avant mon départ pour Dalat, qu'il devait
être dirigé au plus vite sur Saïgon; mais quelle
ne fut pas ma surprise de le retrouver en revenant
le 13 Juillet. Cela explique en partie ma décision
de placer cette Section de protection à l'arrière,
pensant ainsi l'écarter le plus possible de tout
danger; les choses se déroulèrent hélas tout
autrement.
17 Juillet 1954
L'embuscade et la
bataille du Chu-Dreh
L'engagement fut
extrêmement sévère; il devait se terminer par la
destruction totale de l'arrière-garde, et par la
mort du Sergent Rivier; plus de 150 hommes tués ou
faits prisonniers après une lutte acharnée, en
causant à l'ennemi (le Régiment 803) de très
lourdes pertes. Au début de l'opération
"Myosotis", bien avant l'aube, tout se passa très
bien; trop bien à mon avis: on ne signalait rien,
ce qui n'est pas forcément un présage favorable.
Le Bataillon chargé de la protection du côté ouest
dans le massif exécuta mal sa mission, car si la
fouille en avait été complète les Unités du Chef
de Bataillon auraient immanquablement rencontré
les éléments viet-minhs qui s'y étaient installés
depuis la veille en embuscade très importante. Je
lui ai plus tard reproché de n'avoir pas
suffisamment pénétré les pentes du Chu-Dreh, ni
même tenu le sommet; il s'en défendit, et me fit
observer que ce dernier point ne lui avait pas été
précisé, ce qui était vrai... mais tellement
évident dans le cadre de sa mission! Considérant
la voie libre selon le compte-rendu du Chef de
Bataillon, je donnai l'ordre de mouvement aux
blindés et à mon P.C, ainsi qu'à l'artillerie, qui
allait être déployée au sud du massif, où une
batterie était déjà en position, pour couvrir ce
déplacement et ultérieurement l'arrière-garde. Dès
que mon P.C fut en place, à la sortie sud de la
corniche, je fis engager tout le convoi de façon
accélérée. Il venait de passer en totalité, et sur
les 100 mètres de corniche ne roulaient plus que
les derniers camions vides de l'arrière-garde dont
les Unités manoeuvraient à pied. C'est alors que
l'embuscade se déclencha, brutale, au-dessus même
de la corniche, sur mon P.C et à l'arrière sur les
Compagnies du Commandant Guinard qui progressaient
sur les pentes. Nous avions disposé à peu près
d'une demi-heure pour exécuter tous ces mouvements
et c'est aussi le délai qu'il avait fallu aux
Viet-Minhs pour attaquer, en portant leur effort
principal sur l'arrière-garde, ce qui laisse à
penser (au bénéfice du Chef de Bataillon
responsable de la couverture ouest du Chu-Dreh)
qu'ils devaient être assez loin, camouflés sur le
versant opposé du massif, échappant ainsi à la
fouille qui avait dû précéder le déplacement, où
qu'ils s'y étaient repliés lors de son passage.
Deux des véhicules de l'arrière-garde touchés par
des obus de mortiers brûlèrent, bloquant
complètement la route en corniche et interdisant
aux blindes d'intervenir en contre-attaque,
isolant ainsi complètement les combats. Alors que
le Bataillon qui entourait le PC était fortement
attaqué, I'arrière-garde fut submergée par deux
Bataillons viet-minh descendant les pentes du
Chu-Dreh. Pour ajouter à la malchance et à
l'impossibilité où nous étions de contre-attaquer,
I'Officier d'artillerie D.L.O. - (détachement de
liaison et d'observation) dont disposait le
Commandant Guinard fut tué au début de l'action,
alors qu'il réglait les premiers tirs, et l'avion
d'observation d'artillerie était reparti sur
Ban-Mé-Thuot pour "faire de l'essence". Je dis
cela entre guillemets car je fus amené à agir très
durement plus tard vis-à-vis du pilote qui s'était
montré dans cette affaire d'une prudence
"suspecte": au début de l'attaque comme je lui
demandais directement en phonie de descendre près
du sol, il fit valoir son besoin en carburant et
se sauva! Il s'en était fallu de deux camions en
feu, sur une route en corniche empêchant tout
contournement, pour que nous puissions intervenir
directement avec les blindés, et sans doute pour
faire basculer le combat: il n'en fut rien. Aussi
est-il indispensable, pour faire face à de telles
situations imprévisibles, dans un combat engagé
sur un terrain plus difficile, de disposer d'un ~
appui aérien comme pour "Eglantine" le 28 Juin;
nous avions conclu alors qu'il avait été décisif:
pour nous avoir manqué le 17 Juillet au Chu-Dreh
l'avantage fut à l'adversaire. Alors que les
chasseurs de Nha-Trang intervenaient enfin avec
des bombes au napalm l'après-midi était déjà
avancée, et dans les fumées qui s'élevèrent
au-dessus des arbres l'arrière-garde à qui j'avais
prescrit de rompre le combat et de se diluer à
l'est fut pratiquement décimée. Il me restait à
sauver l'essentiel du GM 42 avec artillerie et
blindés qui m'avaient beaucoup aidé, non pas pour
une contre-attaque impossible du fait du terrain,
mais pour nous maintenir simplement sur place avec
le Bataillon du centre, fortement attaqué par un
Bataillon du 810 en renforcement du 803, comme il
fut confirmé. Il fut contraint de rompre le combat
en laissant sur le terrain de nombreux tués et
blessés: cela ne compensait pas nos pertes.
J'arrivais donc en fin de soirée à sortir de la
zone mais sans trop m'éloigner, car j'espérais
toujours que les éléments du malheureux Bataillon
de Corée pourraient nous retrouver. Comme le camp
se montait nous fûmes rejoints par un petit
commando de recherche de renseignements
appartement au GM 100 à An-Khé; il circulait en
brousse au moment de son évacuation et n'avait pas
été attaqué, mais il avait suivi de loin les
combats, se maintenant dans la montagne. Ce
commando était composé de montagnards commandés
par le Lieutenant Vitasse, un Officier tout à fait
remarquable qui réussissait à rallier enfin après
plus de 20 jours de brousse; lui-même était
légèrement blessé. Son arrivée était
providentielle, dans la mesure où il m'indiqua que
des mouvements importants se faisaient tout autour
de nous, au débouché de la montagne: je serais
certainement attaqué dans la nuit par le gros du
Régiment 810 qui n'avait été qu'en partie engagé
avec le 803 au Chu-Dreh. Je pris immédiatement la
décision de lever le camp à peine ébauché, et de
repartir en pleine nuit en direction de
Ban-Mé-Thuot sans attendre le jour; pour masquer
notre départ, les véhicules furent poussés à la
main, tous feux éteints sur la route. Bien m'en a
pris d'ailleurs car une heure ou deux plus tard la
position était attaquée en force par le Viet-Minh:
c'était à lui cette fois de trouver la place vide.
J'étais en sûreté à 15 km de là, de l'autre côté
du petit affluent de l'Ea-Krong (I'affluent de la
corvée d'eau), dans la zone d'influence de
Ban-Mé-Thuot où je ne courais aucun risque. Voilà
rapidement esquissée cette bataille du 17 Juillet,
dite "Bataille du Chu-Dreh" où je perdis les
derniers éléments du 1er Bataillon du Régiment de
Corée, et aussi le fils de mon meilleur ami.M.VERHAEGHE : L'opération
"Myosotis" était donc terminée, mais hélas à quel
prix ! J'ai retenu que tu en avais fait la
critique avant qu'elle ne soit commencée; tu
estimais que, à quelques jours du cessez-le-feu,
elle ne semblait pas s'imposer et qu'elle n'était
pas sans risques. Si l'on admet de prévoir des
sacrifices inévitables et importants dans le cadre
d'une vaste opération offensive type "Atlante", il
paraît en revanche beaucoup plus discutable
d'engager de gros moyens pour des opérations
dissociées, locales, et dont la nécessité pouvait
paraître douteuse. Ces réflexions m'amènent à te
poser le problème dont tu m'as souvent parlé,
celui de l'étude critique des difficultés et des
échecs, lorsque tout est terminé. Pour les deux
opérations "Eglantine", puis "Myosotis", y a-t-il
eu enquête? Et éventuellement sanctions ? J. Sockeel : Tu
touches là à l'un des points sensibles qui ont
toujours marqué ma conception de la responsabilité
du Chef dans un engagement armé, et je t'en ai
souvent parlé. Tout jeune, et à mes débuts dans la
hiérarchie avant la guerre, j'avais toujours
considéré qu'une action militaire ayant entraîné
des pertes moyennes ou importantes devait relever
d'une Commission d'enquête, voire d'un Tribunal
Militaire. C'est la coutume dans la Marine où
quiconque perd son Bâtiment passe devant un
Tribunal maritime, que ce soit par sa faute ou
non, pour qu'un jugement le sanctionne; il devrait
en être de même dans l'Armée de Terre. Après
certains échecs je me suis toujours très bien
trouvé d'être jugé par mes Pairs après une
enquête, et je regrette qu'il n'en ait pas
toujours été ainsi; un simple rapport sur les
faits ne saurait être jugé suffisant. Voilà pour
ce qui concerne ma philosophie personnelle. Sur le
plan particulier des combats qui viennent de se
succéder, il est bien évident que la
responsabilité initiale, celle d'avoir fait
évacuer Ankhé, incombe au Général Salan. Pour le
premier combat, la responsabilité de la manoeuvre
incombe au Commandant du GM 100, pour avoir engagé
son groupement sans l'articulation convenable, et
surtout sans l'appui de feu de son artillerie.
Pour le deuxième, c'est ma responsabilité d'un
refus d'obéissance à un ordre, ordre qui s'est
révélé ultérieurement mauvais et dangereux. Ils
auraient dû tous deux faire l'objet d'une enquête
ou d'une présentation devant un Tribunal, il n'en
a rien été. Enfin pour le troisième combat, celui
du Chu-Dreh, il a été sanctionné pour la décision
mais pas dans l'exécution. Pour la décision, dans
la mesure où le Général Salan, jugeant que l'ordre
donné par le Général de Beaufort du mouvement du
GM 42 et du 1er Bataillon de Corée, leur
enjoignant d'aller de Pleïku sur Ban-Mé-Thuot
était inutile et dangereux, releva le jour même le
Général de son commandement: il avait d'ailleurs
déjà quitté son poste lorsque j'arrivais à
Ban-Mé-Thuot le 18 Juillet. Voilà un cas de
sanction précise touchant à la tête. Si je la
trouve juste, je regrette que l'exécution de ma
manoeuvre n'ait pas été analysée plus finement.
Dans un long rapport, j'exprimais au Commandement
mes réticences initiales sur l'opération
"Myosotis" sans appui aérien, et j'indiquais
l'attitude du Commandant de Bataillon chargé de la
couverture ouest, en y joignant son propre
compte-rendu, signalant cependant l'éventualité
d'un repli des Forces viet-minhs lors de son
passage afin d'assurer la surprise et la réussite
de leur embuscade, et je concluais en demandant
qu'une Commission d'enquête soit constituée pour
en juger . J'ajoutais qu'il serait normal de
relier les deux opérations: "Eglantine" et
"Myosotis", et que la Commission devrait avoir à
connaître des deux affaires. Il n'en fut jamais
question et comme je te l'ai dit, le Genéral Salan
que je revis à plusieurs reprises par la suite, en
France et en Algérie et souvent longuement, ne
m'en parla pas. En ce qui concerne le Chef de
Bataillon commandant le 8ème Bataillon de
Montagnards, je devais le retrouver en France bien
des années plus tard, à Sissonne lorsque je
commandais la 14ème Brigade Mécanisée; il avait
été fortement retardé dans son avancement. Je lui
demandai de servir loyalement dans le cadre de
notre nouvelle mission de temps de paix, avec des
Cadres encore sous le choc des événements qui
avaient marqué la fin du conflit algérien; il le
fit, et fut inscrit au tableau d'avancement, alors
que depuis le Chu-Dreh il en avait été
systèmatiquement écarté. M
VERHAEGHE : Vous
arriviez à la date fatidique du 20 Juillet.
Comment avez-vous vécu cet événement?. Que
devenait ta position et as-tu rempli encore de
nouvelles missions d'ordre militaire ou peut-être
civil?
20 Juillet 1954
Cessez-le-feu -
Partition du Vietnam
J. Sockeel : Le
Colonel Buffin m'avait rejoint dans la nuit sur ma
dernière position de repli; je l'accueillis sans
aménité. Le lendemain, le 18 Juillet, j'étais à
Ban-Mé-Thuot, déployé à une quinzaine de
kilomètres, en couverture face au nord-est, et en
liaison avec le GM 41 qui n'avait pas bougé. Les
menaces viet-minhs se faisaient toujours sentir,
autorisant les craintes du Commandement d'une
éventuelle contre-offensive sur l'axe Ban-Mé-Thuot
- Dalat-Saïgon. Mais si le programme était beau,
les moyens manquaient cependant au Viet-Minh pour
le réaliser. Enfin le 20 Juillet, comme prévu, M.
Mendès-France conclut un accord avec le
représentant de Ho-Chi-Minh, M. Tran-Van-Don et le
Ministre des Affaires Etrangères de Chine,
Chou-En-Laï. Ils signèrent à Genève le
cessez-le-feu consacrant la partition: le Tonkin
au nord, I'Annam et la Cochinchine au sud; les
deux Républiques du Nord-Vietnam et du
Sud-Vietnam, étaient séparées par le 17ème
parallèle, légèrement au sud de Dong-Hoï. Il fut
accueilli avec soulagement par les uns, avec
fureur par les autres; la fureur venait surtout du
camp de ceux qui ne s'étaient jamais beaucoup
engagés.
Relation de ces deux derniers combats
dans la revue historique de l'armée
Une grande satisfaction, la
dernière avant de clore le récit de 8 ans de
guerre et de ces deux derniers combats, fut de
voir s'encadrer dans ma guitoune la grande
silhouette du Commandant Guinard, considéré comme
mort; avec un rare courage il avait combattu tout
le jour et réussi à s'échapper avec un petit
groupe des siens. Après deux jours d'errance dans
la brousse, il venait de nous rejoindre. La joie
était réciproque; il me la témoigna, marquant son
estime et sa reconnaissance pour ce que j'avais pu
faire pour ses Unités en me nommant "lère Classe
du Régiment de Corée", honneur que je partage avec
des chefs illustres comme le Général Mac Arthur et
le Maréchal Juin; nous ne sommes que cinq au
total. Bien des années plus tard, lorsque je fus
amené à écrire pour la Revue Historique de l'Armée
le récit de ces deux combats absolument inattendus
et presque inexplicables, car rien de sérieux ne
les justifiait après la défaite de Dien-Bien-Phu,
cette Revue m'adressa un petit chèque que
j'envoyais à l'Amicale des Anciens de Corée, me
considérant toujours comme l'un des leurs. Je fus
nommé Membre Honoraire de leur Association Le
récit que j'ai adressé à cette très officielle
Revue au sujet des deux opérations "Eglantine" et
"Myosotis" est beaucoup plus rigoureux et
"technique" que les souvenirs que j'ai pu évoquer
avec toi; j'avais pu les reconstituer grâce à des
cartes et à des documents, des ordres, des
rapports, que mon ancien Chef du 3ème Bureau du GM
42, le Capitaine Bourcier, avait conservés, et
c'est donc à eux qu'il est bon de se référer pour
l'exactitude des faits et des dates car ma mémoire
n'est plus aussi fidèle. Tu pourras constater la
différence très marquée entre mes deux relations.
Dans la première qui est très officielle je me
tiens à une grande objectivité sans porter de
jugement ni indiquer mes réactions intimes; dans
la seconde qui est plus directe et que je fais
avec toi, je laisse s'exprimer mes sentiments: ils
s'émoussent un peu avec le temps, mais ils
demeurent. Aussi est-il bon, comme je te l'ai dit
plus haut, de ne retenir que la version "Service
Historique" pour la stricte exactitude des
événements. M.VERHAEGHE : Peux-tu
me dire maintenant quelles sont tes dernières
journées, et tes dernières heures peut-être, en
Indochine au terme de ces huit années qui sans
aucun doute t'ont profondément marqué pour toute
la vie ? J. Sockeel : Me
voici donc à Ban-Mé-Thuot, la paix revenue, le
cessez-le-feu étant effectif dans notre région le
ler Août 1954; il me reste quelques mois à passer
en Indochine avant de rejoindre la France. Je
m'attachai à libérer le maximum de nos Montagnards
pour qu'ils puissent regagner leurs villages dans
de bonnes conditions, après avoir obtenu les
récompenses qui s'imposaient; je m'attachai aussi
à marquer le souvenir de ces deux derniers combats
tant auprès du P. K. 22 sur la route de Ankhé et
au Chu-Dreh, par de petites stèles qui
témoignaient du courage des combattants, en y
associant l'adversaire: espérant ainsi que ces
monuments pourraient demeurer dans l'avenir à
l'attention des passants. Celui du Chu-Dreh
existerait toujours, mais celui de Ankhé n'aurait
pas résisté à I'agrandissement de la route par une
division sud-Coréenne. Je t'ai dit que la région
de Pleïku avait été très fortement pénétrée par
les Missionnaires Catholiques; une organisation
très importante avec un Séminaire existait à
Kontum sous l'autorité d'un Evêque des Missions
Etrangères, Monseigneur Seitz. Comme j'allais l'y
saluer à la suite du départ du Viet-Minh qui avait
occupé Kontum comme nous l'avons vu pendant
l'opération Atlante, je lui dis mon désir de
construire une église à Pleïku en place de la
modeste chapelle couverte de chaume. Je disposais
encore de quelques moyens en matériel du Génie:
ciment, ferrailles... et aussi de crédits. Je
proposais à Monseigneur Seitz d'édifier
"Notre-Dame de la Paix"; ce qui fut fait, et nous
en posâmes conjointement la première pierre .
Terminée en 1955 avant notre départ, elle fut
détruite par un bombardement en 1974. Voilà les
petites occupations auxquelles je me livrais en
attendant le retour. Je terminerai par le récit
d'un dernier incident, d'une aventure
"touristique". Nous étions au mois de Février
1955; j'allais quitter définitivement le Vietnam,
et nous étions convenus avec Monseigneur Seitz que
j'irais lui faire mes adieux à Kontum. Je
disposais à Ban-Mé-Thuot d'un "Cesna", petit avion
d'observation avec lequel je me rendis à Kontum.
Avant d'atterrir, et disposant encore de deux
bonnes heures avant le rendez-vous fixé, je
décidais d'aller plus au nord pour survoler Dak-To
dont je t'ai parlé lors de l'affaire des Rhés,
puis poussais un peu plus loin encore, mais les
cartes n'allaient pas au-delà. Personne ne s'était
encore rendu dans ces régions montagneuses très
difficiles d'accès entre Kontum et, plus au nord
la route est-ouest qui traversant la chaîne
reliait Quang-Tri en Annam, à Savannhaket au Laos.
J'estimais avoir le temps de survoler ces régions
avant l'audience. Au-dessus de cette région
absolument inconnue il était fascinant
d'apercevoir un habitat assez clairsemé dans un
relief tourmenté; alors qu'en pays Montagnard les
villages étaient rassemblés le plus souvent près
des points d'eau, c'est-à-dire dans les fonds, les
rares villages que je survolais se trouvaient au
contraire sur les sommets; de profondes saignées
rougeâtres dans la verdure, témoignaient du chemin
suivi depuis toujours par les femmes qui
remontaient l'eau nécessaire à leur vie: c'est
l'une des observations les plus remarquables que
je recueillais. Quant aux villages entourés d'une
palissade de bambous, ils étaient formés de
paillotes sur pilotis assez longues, comme celles
de nos montagnards. Cette exploration captivante
me fit oublier l'heure, et nous nous trouvions
complètement perdus ! Le brouillard s'était élevé
dans les vallées, nivelant les reliefs, nous
contraignant à nous décaler vers l'ouest pour
rechercher les plateaux laotiens au pied du
massif. Le niveau d'essence baissant
dangereusement, mon pilote cherchait à se poser.
Au-dessous de nous on retrouvait les aspects très
caractéristiques des plateaux, la forêt claire
avec les grandes étendues d"herbe parsemées
d'arbres où il paraissait possible d'atterrir sans
trop casser l'appareil, quand... brusquement... et
là tu reconnaîtras mon "fil rouge", cette fameuse
chance qui me protège depuis si longtemps, nous
survolions un petit poste militaire avec un
terrain d'aviation: c'était un des postes laotiens
les plus proches des nôtres, au sud-est de la
plaine des Joncs; on se posa sans encombre, et le
Sous-Officier qui commandait voulut bien nous
donner l'essence nécessaire. Je pus ainsi me
trouver au rendez-vous avec un peu de retard, mais
à temps cependant pour stopper l'alerte générale
"air" qui venait d'être déclenchée! Le mois de
Février 1955 marquait la date réglementaire pour
la fin de mon troisième séjour. J'aurais pu, comme
beaucoup le firent, passer mes dernières semaines
aux ruines de Angkor, ou à Hong-Kong, voire même
au Japon, mais mon état général ne me le permit
pas. La date de mon départ arrivant, mon chauffeur
et mon ordonnance, un montagnard lui aussi qui
avait été blessé au Many-Yang, me conduisirent à
Saïgon; I'un et l'autre n'avaient jamais cessé de
veiller sur moi pendant ces deux dernières années.
L'Ordonnance avait été nommé Sergent, et l'autre
Caporal Chef; tous deux s'appelaient Kadéo, bien
qu'ils ne soient pas du même village mais de la
même ethnie Rahdé. S'il m'était possible un jour,
ce qui est bien peu vraisemblable, de me rendre
sur ces plateaux montagnards, je ne manquerai pas
d'aller dans le village du Sergent dont j'espère
qu'il est devenu le Chef, pour boire la jarre
comme dans toutes les fêtes, avec les sacrifices
d'animaux ainsi que le veut une vieille coutume:
c'est le calumet de la paix chez les Moïs. Cette
jarre est un grand récipient en terre cuite où
l'on dépose par couches successives du riz mal
décortiqué et des herbes fraîches arrosées d'eau;
ce mélange fermente et produit une espèce de bière
aigrelette assez agréable que l'on boit en
aspirant à l'aide de fins roseaux. Ainsi se
terminait pour moi ce conflit commencé huit années
plus tôt en 1946 dans l'indifférence Nationale
générale, mais dans l'enthousiasme des exécutants
en ce qu'il concernait une armée de métier engagée
dans une sorte d'expédition lointaine. Il se
terminait dans l'amertume, après des désastres
retentissants. Nous laissions la place aux
Américains qui surgissaient de partout sous forme
de "conseillers techniques", dans la partie du
Vietnam que nous leur laissions libre, tandis que
les Soviétiques et les Chinois s'installaient au
nord.
Général (C.R.) Robert Girard alors
Lieutenant et
Officier
de renseignement à l'Etat Major du GM 100
L'opération "Eglantine "
Evacuation
d'An-Khé le 24 juin 1954
Précisions
pour l'histoire du GM 100 et réflexions
à
l'appui du texte du Général Sockeel
Selon mes études l'ordre
de bataille de l'Interzone 5 était ainsi vers la
mi-juin 1954 : - Régiment 803 : au sud d'An-Khé -
Groupement 810 (ex-Régiment 108 après dédoublement
pour créer le Régiment 96. Partie vers le
Mang-Yang partie plus au nord vers Bato (Quang
Ngai) - Régiment 96 (nouvellement créé ) au
nord-est d'An-Khé - Régiment régional 120 (autour
d'An-Khé) D'après les pisteurs que j'envoyais
régulièrement en exploration et en liaison vers PK
22, les VM contrôlaient la RC 19 à l'ouest à
partir de PK 15 . Selon les possibilités de
l'ennemi, exposées au Général Salan à An-Khé le 19
juin, le 96 et le 803 étaient en mesure de tendre
une embuscade au GM 100 sur préavis de quelques
jours, le groupement 810 (ex Rgt 108 ) ayant
besoin de 2 ou 3 jours supplémentaires. Or le plan
d'évacuation d'An-Khé était prévu de commencer par
un pont aérien précédant de plusieurs jours la
sortie du GM 100. Réponse du Général Salan -" Il
faudra leur passer sur le ventre" Précisions du
Colonel Buffin -"Surtout emportez avec vous les
matériels critiques : bétonnières et matériel pour
pont de bateaux " Instructions qui furent, au
moins dans le dispositif de départ, et
malheureusement, respectées. Alors qu'une sortie
par la brousse, sans matériel lourd, aurait pris
l'ennemi à contre pied. Je confirme que dispositif
du GM 100 se voulait une sorte de hérisson mobile
les véhicules et canons attelés se suivant de près
et le personnel à pied progressant tout autour
(sur la route, car par la brousse l'allure eût été
trop lente). Aucun dispositif de reconnaissance
(sauf avion léger) ni aucune mise en batterie
d'armes lourdes. L'idéal pour l'adversaire,
pouvant ainsi utiliser tranquillement et à fond sa
considérable puissance de feu à courte portée . En
contraste avec l'esprit manoeuvrier du Lieutenant
Colonel Sockeel dans la suite de l'opération.
Voilà ce que j'ai pu observer moi-même lors du
combat du 24 juin : Je me trouvais dans la colonne
PC, entourée par le TDKQ, derrière le Colonel et
l'Officier 3° Bureau Dès l'ouverture généralisée
du feu de cette vaste embuscade, les hommes du
TDKQ se volatilisèrent. J'ai regroupé quelques
hommes de la CCAS autour d'un scout-car radio armé
d'une mitrailleuse. Liaison perdue très vite avec
l'avant. La mitrailleuse s'étant enrayée par
échauffement irrémédiable, j'ai conduit mon équipe
improvisée sur une petite butte voisine. Après 7
assauts viets, restant avec 4 hommes et mon seul
pistolet mitrailleur à son dernier chargeur, la
compagnie Louizos du 2/Corée est arrivée à me
dégager, mais n'a pu pousser plus loin. Idem pour
le Commando Bergerol dont j'ai vu le capitaine
Humbert Claude tomber, frappé au front en criant
"En avant Bergerol". J'ai alors appelé nos 3
bataillons à la radio (le Commandant du Groupe
d'artillerie était mort dès le début, alors que je
le portais grièvement blessé, vers un véhicule).
Le Cdt Muller a signalé qu'il avait perdu une part
de son effectif et s'était regroupé hors de la
masse. Le I/Corée, qui était pratiquement intact,
a essayé de s'engager en soutien du II/Corée, mais
la brousse l'a empêché de manoeuvrer.J'ai indiqué
alors au Chef de Bataillon Kleinmann,du II/Corée
qu'il restait l'Officier le plus élevé en grade du
G.M. 100 en mesure de commander. A ce moment
l'aviation est intervenue avec une force accrue
(B26 en version mitrailleurs), mais il n'a pas été
possible de dégager la route et encore moins de
continuer la progression. Avant la fin du jour, en
accord je crois avec Nha-Trang, la décision a été
prise de détruire canons et véhicules et de
rejoindre PK 22 par la brousse. Les blessés
intransportables sont restés sur place avec le
Médecin-Commandant Warmé-Janville. J'ai ramassé
des isolés de la CCS, des blessés pouvant marcher
et, toute la nuit j'ai ouvert le passage avec mon
poignard (une ancienne baillonnette allemande), et
sans doute grâce à l'entraînement d'un séjour
précédant de brousse au 3/22° RIC, j'ai pu ramener
mon détachement à PK 22, arrivant le premier de
ceux du même genre et ai rendu compte au Cdt
Muller. J'ai été amené à participer au combat du
28 juin, à la tête du commando Bergerol. Je me
souviens que nous avions entendu à la radio un
ordre viet, à peu près celui-ci "Ils sont arrêtés,
avancez, courez et attaquez dans la foulée".
Faisant feu de toutes nos armes en forêt
clairsemée, nous avons haché nos assaillants qui
s'élançaient sans préparation ni soutien d'armes
lourdes. Les corps de ceux tombés devant mon
dispositif provenaient des Groupement 810, arrivés
sans doute à marches forcées. L'un de nos
adversaires à réussi avant de mourir, à lancer une
grenade incendiaire sur un camion derrière nous,
qui a pris feu Comme il était chargé de caisses de
munitions, sous la menace de mon pistolet
mitrailleur, j'ai obligé le conducteur à remonter
à bord et à éloigner le plus possible sa bombe
roulante.
QUELQUES REFLEXIONS
1°) L'opération "
Eglantine " illustre bien la situation générale du
Corps expéditionnaire, l'espèce de mur
intellectuel et affectif qui séparait le Haut
Commandant et ses inspirateurs de ceux qui
oeuvraient au contact de l'ennemi. Les uns drapés
dans leurs certitudes et un indéracinable
sentiment de supériorité face à des gens qui ne
sont pas passés par nos écoles ou l'équivalent.
Les autres rendus plus circonspects et
pragmatiques par le contact des faits, essayant de
s'adapter à un adversaire valeureux et compétent,
mais ayant aussi ses faiblesses, et généralement
amers de n'être pas entendus ni même interrogés
(et au moins autant de voir tomber bêtement les
camarades). Les responsables paraissaient avoir
été désignés plus en fonction du fait qu'ils
étaient connus du Général Cdt en chef que pour une
véritable compétence. Le Colonel Barrou alternait
entre le souvenir des chevauchées marocaines et
une conception stéréotypée du style Légion,
bulldozer ou béton. Le renseignement " la
renseignerie " disait-il, l'agaçait quelques peu
sauf pour l'affaire de Plei-Rinh, où j'avais pu le
persuader de s'attaquer, sans ordre, à la base
avancée V.M.de Dak Bot en cours de constitution ;
d'où la réaction de l'adversaire et le "de quoi
vous mélez-vous?" de l'Etat Major. Le Général de
Beaufort, je peux en témoigner, ne nous a jamais
donné comme ordre que des points de destination,
et aucune idée de manoeuvre n'y transparaissait.
2/ L'opération "Atlante", sur laquelle s'est
greffée "Eglantine" avait été manifestement montée
comme une manoeuvre face à un adversaire
négligeable, et les réactions possibles de
l'ennemi n'avaient pas été sérieusement
envisagées. Au déclenchement, on ne savait pas où
se trouvaient les forces de manoeuvres ( Chu Luc)
du Lien Khu V . Le Commandement, après l'attaque
adverse passant par Kontum, n'a su que déplacer
ses pions, en perdant rapidement l'initiatrive. Il
n'a pas compris, ou voulu comprendre que l'ennemi
était en fait vulnérable par sa logistique,
indispensable pour une manoeuvre de force, au lieu
de chercher, en une fausse interprétation de la
doctrine napoléonienne et de Clausewitz, l'éternel
affrontement décisif. Or le Viet Minh n'y
consentait que lorsqu'il était sûr de gagner
(selon sa méthode de pensée qui excluait toute
idée d'hypothèses et de variantes) ; ses
possibilités de manoeuvre et d'esquive dépassant
de loin celles de nos GM, liés à leur artillerie
tractée, donc aux quelques routes existantes. 3 -
Le refus du Lt Colonel Sockeel de pousser à l'Est
à partir de PK 22, s'il a ôté toute chance d'être
récupérés à quelques rescapés, a sauvé l'ensemble
de ses moyens d'un second désastre 4 - Il est
dommage que l'on n'ait jamais ouvert d'enquête à
la suite des échecs subis, la vérité et la justice
y auraient gagné, et cela aurait pu éclairer le
jugement du haut commandement. 5 - Je pense aussi
que de notre côté, la conduite politique de la
guerre d'Indochine a été encore plus faible que la
conduite militaire Le Viet-Minh (doctrine lénino-
maoïste oblige) avait besoin d'une guerre pour
établir son emprise sur le pays . Le gouvernement
Bao-Daï était bien trop faible par lui même étant
en trop étroite tutelle des autorités françaises
pour dégager une force politique équivalente .
Encore aurait-il fallu coordonner véritablement
une action politique réfléchie et une véritable
stratégie militaire. Le Général de Lattre semblait
l'avoir compris ou entrevu, mais l'aurait-il pu,
alors que le Gouvernement français ne savait pas
lui même ce qu'il voulait exactement? Les
Américains ont commis les même erreurs, y compris
celle d'imposer une stratégie opérationnelle où
l'effort principal revenait à leurs moyens
aériens, moyens qu'ils ont retiré ensuite sans que
l'Armée sud-vietnamienne se réorganise en fonction
de la situation ainsi créée. Il n'empêche, et je
ne crois pas que cela ne soit qu'une consolation,
sans doute avons-nous fixé là-bas une part de la
capacité offensive du monde communiste, pendant
que s'amorçait chez lui un inévitable phénomène
d'usure interne . Mais le prix en a été très
lourd, en particulier pour les malheureux
Indochinois. Et pour nous ce fut la fin, sans
honte, d'une magnifique aventure française aux
pays lointains.
Général
(C.R.) Robert Girard
alors
Lieutenant et
Chef
du 2e Bureau du GM 100
Essai d'enseignement à partir de
L'Histoire
du G.M. 100
(Groupement Mobile 100)
L'histoire du GM lOO a
été narrée de façon fort vivante par M. Bernard
Fall dans son ouvrage "L'Indochine 1946 - 1962",
mais l'auteur a dû recourir à des sources orales
ou documentaires dont l'objectivité n'est pas
toujours apparente. C'est pourquoi vont être
maintenant rapidement évoquées les conditions du
combat et les opérations qui fourniront la matière
historique de cette étude. Le G.M. 100 combattit
sur une zone de 100 sur 150 km, située
sensiblement au centre du Viet-Nam Terrain assez
plat et découvert, peuplé de "Moïs" assez bien
disposés envers nous, bordé à 1'Est par la chaîne
annamitique, boisée et sans villages Au-delà de
cette chaîne une étroite bande côtière peuplée de
Vietnamiens contrôlés par l'adversaire. Sur le
.plateau, une route nord-sud avec quelques
bretelles vers la côte, quelques villes à
l'intérieur. L'adversaire est l'Interzone V"
viet-minh, en place depuis 1945, disposant de 2,
puis 3 Régiments de manoeuvre couverts par des
régionaux. Il a déjà effectué plusieurs incursions
sur les plateaux Le GM 100 dispose d'un
Etat-Major, d'une C.C.S. d'une unité de
Transmissions, de 3 Bataillons d'Infanterie ( I°/
et II °/Corée, B.M. du 43° R.I.C. ) d'un groupe
d'artillerie (II/10° R.A.C.). Il bénéficia souvent
d'un Escadron de chars légers, et parfois d'un
petit commando d'éclairage. Créé en Novembre 1953,
il arrive sur les Plateaux en Décembre, en vue de
l'opération "Atlante". Celle-ci vise la conquête
de l'Interzone V, pour "assainir le Sud du 18°
parallèle" La 1ère phase de cette opération,
conquête de la province Sud de l'Interzone V,
entamée le 20 Janvier 1954, se déroule sans
rencontrer autre chose qu'une faibIe résistance (6
GM engagés de notre côté). Mais l'ennemi réagit
bientôt: Attaquant au Nord de l'Interzone, ses
régiments 108 et 803 menacent notre position de
Kontum presque sans défense. Le 30 Janvier le
G.M.100 est envoyé en hâte vers cette localité,
d'où il n'est pas en mesure cependant d'empêcher
l'ennemi de la déborder par le Sud-Est. Alors,
commence un jeu de cache-cache parfois sanglant,
avec un adversaire qui se moque des routes tandis
que la lourdeur de nos moyens nous y lie. Kontum
est évacué sur ordre le 6 février, puis c'est
toute une suite de "mouvements browniens" autour
de Pleïku menacé à son tour, marqués en
particulier par le dur combat de Plei-Rinh. Entre
temps, le plan "Atlante" est exécuté
imperturbablement, et passe à la 2ème phase: des
éléments amis débarquent à Qui-Nhon. Le G.M 100
est envoyé vers An-Khé, en vue d'établir
ultérieurement la liaison avec Qui-Nhon. Il
parvient le 9 avril, non sans combattre. L'ennemi
marque une pause et organise ses communication.
Peu après, notre offensive s'arrête, pendant que
le Viét-Minh reprend la sienne; il déborde
progressivement nos forces amarrées à des môles
isolés. Le G.M. 100 tient donc le camp retranché
.d'An-Khé investi par un adversaire qui ne dispose
sans doute pas des munitions nécessaires pour une
action de force contre la position Le 19 Juin, le
Commandement fait connaître sa décision de
récupérer le G.M. 100 en abandonnant An-Khé.
Pendant 4 jours les stocks de la place sont
évacués par avion. Le 24 Juin, le G.M. prend
l'unique route vers Pleïku. Vers 14 heures il est
assailli dans un col par les .Régiments 96 et 803;
gêné par ses nombreux véhicules et par une
formation peu favorable à la manoeuvre, le G.M.
perd le combat: le P.C. est pratiquement anéanti,
un tiers des effectifs hors de combat, le matériel
lourd détruit ou perdu, ce qui reste des unités
contourne le dispositif ennemi par la brousse au
cours de la nuit. Ayant atteint les éléments de
recueil, la colonne pourra s'ouvrir le chemin de
Pleïku. Cette place sera conservée jusqu'au
cessez-le-feu du ler Août, non sans de nouveaux
combats.
L'ambiance chez les adversaires en
présence
Le Viet-Mihn, lui, est
renseigné sur nos projets, les indices ne lui
manquent pas, et il dispose d'un bon service de
renseignement à Nha-Trang, P.C. de l'opération
Atlante. Au début de la manoeuvre, abandonnant du
terrain dans le Sud, il laisse nos lourdes. unités
s'engager lentement au rythme de la réfection des
routes. Il attaque ensuite, toutes forces de
manoeuvre réunies, dans le Nord, et menace
rapidement nos arrières. Pris de court, le
Commandement français prélève le G.M. 100,
jusqu'ici chargé de I'effort principal et l'envoie
essayer de contenir la poussée ennemie en occupant
les points menacés. Il en fut de même devant
chaque poussée offensive de l'adversaire. Si bien
que le Général viet-minh Giap put en conclure":
"L'ennemi concentrait ses forces pour une
occupation rapide de notre V° Interzone libre, le
voilà réduit à les disperser pour parer à nos
coups". Dans les modalités de la manoeuvre, le
Viet-Minh gardait sa liberté d'action par ses
unités régionales fonctionnant comme organes de
renseignement, en plus des unités spécialisées.
Dans ce domaine nous lui étions bien inférieurs,
nos moyens de renseignement à courte portée
étaient en particulier très faibles (un crédit de
200 partisans demandés à cet effet par le G.M. 100
vers Février fut accordé en Juin!) De plus, les
unités ennemies étaient aptes à se déplacer
partout, tandis que la mobilité tactique des
notres était très réduite. Ainsi les Régiments de
l'Interzone V pouvaient presque toujours engager
le combat quand ils le jugeaient utile et sur le
terrain jugé favorable. Un net exemple est celui
du combat de Plei-Rinh: Le G.M.100 avait reçu
comme très souvent un point de destination au lieu
de mission, et son Commandant avait jugé de son
devoir de détruire une importante base logistique
avancée ennemie qui se trouvait à sa portée. Après
une violente réaction de l'adversaire, le Cdt de
G.M. fut désavoué, la route d'invasion des
plateaux resta ainsi ouverte : Même les occasions
de reprendre notre liberté d'action furent
manquées.
L'opération Eglantine - La sortie
d'An-Khé
Des trois régiments ennemis,
le 108 est vers Ba-To (nord de l'Interzone V), le
803 a des éléments devant Tuy-Hoa, le 96 est dans
la région d'An-Khé. Les régionaux gravitent dans
les intervalles. L'opération d'évacuatlon d'
An-Khé est prévue autour des 24 et 25 Juin en
quatre temps: - Evacuation des dépôts par avion -
Sortie du G.M.100 par la route de Pleïku -
Jonction avec un groupement de recueil - Repli de
l'ensemble vers Pleïku. Apparemment la décision
prise est cohérente et semble donc juste : Le
commandement estime que le secret sera divulgué
dès le début des opérations, c'est-à-dire le 20
Juin. Le Régiment 108 n'aura pas le temps de
joindre ses forces à celles du Régiment 96. En
tout état de cause, le Régiment 803 est fixé
devant Tuy-Hoa. Un Régiment seul ne peut empêcher
le G.M. 100 de passer. Les événements, cependant
démentirent cette conclusion : Si le Régiment 108
ne put intervenir que le 28 Juin, et seulement
gêner la fin de repli, le Régiment 803 avait
manifestement le gros de ses forces plus près d'
An-Khé et put. donc participer aux combats du 24
Juin où le G.M. 100 perdit sa substance. C'est
pourtant l'annonce de la mise en route du Régiment
108 qui fit avancer d'un jour le départ du G.M.
100, retenu pour le 25, et fit ainsi doubler la
première étape: Pour aller plus vite, le G.M.
s'engagea d'un bloc, sans éclairage valable, et
donna les yeux fermés dans la nasse qui lui était
tendue. Mal engagé, le combat fut désastreux. La
manoeuvre apparemment saine a donc échoué.
Pourtant, aucun "impondérable" n'est intervenu,
simplement certains éléments n'ont pas été
appréciés à leur juste valeur faute d'imagination,
en particulier l'aptitude de l'ennemi à se
renseigner, à donner le change et à attaquer par
surprise. Lorsque fut préparée la sortie d'An-Khé,
il n'aurait pas été bien difficile d'arriver à une
meilleure prise de conscience du problème pour peu
que celle-ci ait été recherchée; Alors seraient
apparus : La grande liberté d'action de l'ennemi
et sa grande capacité à être renseigné, aussi une
mesure exacte des délais qui le liaient; le fait
d'être accompagné de ses 200 véhicules obligeait
le G M. à employer le seul itinéraire routier
praticable et lui interdisait toute manoeuvre de
quelque envergure. L'imagination aurait pu
proposer alors trois solutions possibles : - soit
abandonner les stocks accumulés à .An-Khé en les
détruisant et sortir immédiatement par la route
avant que l'ennemi n'ait pu mettre son dispositif
d'interception en place. -soit évacuer par air le
stocks et 1e maximum de matériel lourd de détruire
le reste et quitter le camp retranché par la
brousse, l'ennemi ne sachant alors. où il pourrait
nous intercepter. - soit monter une manoeuvre de
déception faisant croire que nous rejoignons la
tête de pont de Qui-Nhon et partir vers Pleïku. La
première solution paraissant assez sûre ( elle
avait joué avec succcès, mais de justesse à la
sortie de Kontum) cependant la difficulté de
détruire les stocks de munitions et de vivres en
un très court délai faisait prévoir que le
Viet-Minh pourrait en récupérer une bonne partie
ce qui lui serait d'une aide inappréciable. La
troisième solution dans l'ambiance du moment,
aurait eu peu de chances d'abuser l'ennemi
parceque le repli vers Qui-Nohn n'était en fait
guère possilble. La deuxième solution aurait été
la meilleure; le potentiel aérien était suffisant
pour ne laisser sur le terrain que les camions,
faciles à incendier et dont beaucoup étaient près
de la réforme: on aurait pu transporter par air
air les armes lourdes et les véhicules légers
ainsi que le personnel non indispensable au
combat. Les unités seraient surement passées par
la brousse (il fallut bien le faire le soir du 24
Juin et dans les pires conditions). C'était s'en
tirer au meilleur prix, et recupérer une unité en
état de combattre comme le voulait le
commandement.
Sur le maintient du moral
Le caractère d'âpreté des
combats futurs et les progrès de l'arme
psychologique nécessiteront un intérêt particulier
pour la conservation du moral de la troupe. Liddel
Hart a observé que " la perte de toute espérance
décide de l'issue d'une guerre bien plus que celle
des vies humaines". C'est dans un même esprit que
Giap a déclaré que "le travail politique est l'âme
de l'Armée". L'endoctrinement des troupes
viet-minh est assez connu pour qu'il soit
suffisant de le mentionner. Le G.M.100 se trouvait
dans une situation différente: chacun sentait plus
ou moins nettement que la guerre d'Indochine
prenait une mauvaise tournure, encore plus après
Dien-Bien-Phu. Cependant, on peut dire que le
moral se maintint jusqu'à l'armistice. Quel était
donc le ressort qui protégea les Européens du
désespoir et les Autochtones de répondre aux
sollicitations du Viet-minh? Si chez les uns, il y
avait le dévouement à la Patrie, même ingrate, et
chez les autres la fidélité, le dénominateur
commun était le sens de l'honneur. La preuve en
est dans le comportement d'une unité autochtone
qui se battit bravement pendant de longs mois loin
du Sud-Vietnam natal et malgré la promesse qui lui
avait été faite d'un court exil; au lendemain du
cessez-le-feu, estimant leur devoir accompli, les
hommes de cette unité quittèrent Pleïku en bon
ordre pour leur village; il ne fut pas difficile
de leur représenter que la longueur du chemin à
faire à pied.méritait d'attendre un convoi de
camions. Puisque l'idéal dont nous nous réclamions
exclut l'endoctrinement totalitaire, il conviendra
donc de cultiver soigneusement ce sens de
l'honneur qui est un des meilleurs ressorts du
soldat, au moins égal au patriotisme dans les
circonstances du combat. Chaque combattant doit
craindre de manquer à l'honneur de son unité et au
sien propre, c'est ainsi que se surmontent
l'angoisse et le désespoir.
L'interférence
des acteurs extra-militaires dans la tactique
L'aspect idéologique et
l'extension en surface des conflits à venir, quand
ce ne sera pas l'interférence de la guerre
subversive, amèneront le chef militaire à tenir
compte de plus en plus dans ses décisions des
facteurs extra-militaires. Ces problèmes furent
aussi ceux du commandant du GM 100 Pratiquement
seul représentant de l'autorité dans les régions
où il eut à intervenir. Il eut deux préoccupations
dans le domaine extra-militaire. D'abord, en vue
de sa propre sécurité, contre-battre l'action des
éléments propagande et renseignements qui tenaient
lieu d'avant-garde à l'ennemi; tâche relativement
simple en face d'une population montagnarde assez
mal disposée envers l'envahisseur vietnamien mais
qui dut être accomplie bien que le tableau
d'effectifs n'eût pas prévu ce genre d'activité.
Ensuite, en dehors de toute préoccupation
idéologique, il dut faire face aux problèmes que
posait la population prise dans le flux et le
reflux des opérations : Au début
d"Atlante",'problèmes posés par la population
catholique de Cung-Son, heureuse d'être libérée du
Viet-Minh, mais sans organisation administrative
et dans le plus complet dénuement. Ensuite,
problèmes particulièrement aigüs lors des
évacuations de Kontum et An-Khé, une proportion
inattendue des habitants ayant demandé à nous
suivre. Si les choses se passèrent sans encombre à
Kontum, il est probable que la journée employée à
An-Khé pour évacuer des habitants par avion permit
au Viet-Minh de parfaire son dispositif
d'interception de nos troupes. La question est si
importante qu'il apparait nécessaire de voir dans
les Etats-Majors une branche nouvelle chargée de
l'étudier, afin tout simplement de rendre l'acte
tactique possible, ou encore de ne pas agir envers
les populations dans un sens différent de celui
prévu par les instances politiques. La chose n'en
est que plus nécessaire dans des situations à
dominante subversive, mais il y aurait là matière
particulière pour une autre étude.
DOCUMENTS
**
S.F. 72.843, le 30 mars 1954
Groupement mobile
n°100
Etat-Major
Ordre du jour n° 2
Le colonel, commandant, le
Groupement mobile n°100 adresse à toutes les
unités placées sous son commandement, lors de
l'attaque du bivouac de Pl Rinh par le T.D. 803
pendant la nuit du 21 au 22 mars 1954 le
témoignage de son entière satisfaction pour leur
magnifique tenue au feu. Pendant trois heures de
combat acharné, sévèrement attaqué jusqu'au corps
à corps par un ennemi nombreux, fanatique, mordant
et courageux puissamment appuyé par un bataillon
lourd particulièrement efficace, le G.M. 100
renforcé des chars du capitaine Doucet commandant
le 3/5°cuirassiers, des commandos et gardes
montagnards du capitaine Vitasse et du lieutenant
Gardinet et des éléments de protection de l'unité
de transport de la 3/I C.T./V.M. provisoirement
adaptée, a infliger au T.D. 803 son premier et
sanglant échec et détruit la réputation
d'invincibilité dont il se parait. Ce régiment
Chuluc était au matin contraint au repli talonné
par nos détachements de poursuite, subissant de
lourdes pertes qui peuvent être évaluées à plus de
600 tués ou blessés, laissant sur le terrain entre
nos mains 42 cadavres, allant cacher dans ses
repaires sous de puissants harcèlements
d'artillerie et d'aviation les restes de ses
unités de choc ayant mené l'assaut. Nous avons
subi des pertes cruelles mais minimes en
comparaison de celles de l'adversaire. 35 tués
dont un officier, 176 blessés dont 12 officiers
est le tribut que nous avons payé à la victoire.
Mais nous avons l'honneur et la grande fierté que
pas un des nôtres n'a reculé d'un pas, que nos
positions sous un déluge de fer sont restées
intactes, et que de nos mains, après la défaite du
Régiment 108 à La Pit le 24 février 1954,
l'invincible et insaisissable 803 a connu l'échec
et la honte de laisser sur le terrain une partie
de ses morts et blessés, de l'armement et de
l'équipement. A vous, commandos, gardes
montagnards, fantassins, artilleurs, cavaliers et
conducteurs du train qui avez su repousser avec un
admirable et souriant courage ce furieux assaut,
je dis ma fierté, ma confiance affectueuse et
totale et ma foi dans l'avenir et dans la
Victoire. Le droit du port de l'insigne du G.M 100
est accordé par le colonel commandant le
groupement mobile n° 100 aux équipages du 3/5°
cuirassiers et aux officiers, sous-officiers et
blessés des Unités ayant participé au combat de Pl
Rinh le 22 mars 1954.
Le colonel Barrou
Commandant
le groupement n° 100
Destinataires:
-
S.O.P. (2 ex.)
|
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-
1° de Corée ( 5 ex.)
|
|
-
2° de Corée (5 ex.)
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-
B.M. 45° R.I.C. (5 ex.)
|
à diffuser à
trois reprises au rapport d'Unité.
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-
2/10° R.A.C. (3 ex.)
|
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-
3/5° cuirassiers (2 ex.)
|
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-
C.C.S (2 ex.)
|
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-
Commandos Vitasse (3 ex.)
|
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-
Section montagnarde Lt Cardinet (2 ex.)
|
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-
Section du train - 3/1 C.T. /V.N. (2
ex.)
|
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S.P. 72.843
le 6 avril 1954
|
Groupement
mobile n°100
-----------------------
Etat-Major
----------
|
Ordre du jour n°3
Le 4 avril 1954, à 15 heures 30 à P.K 14
sur la R.C. 19, au retour d'une liaison sur
An-Khé, deux compagnies d'arrière garde du 1er
bataillon de Corée tombèrent dans une puissante
embuscade, tendue par le Bataillon régulier 19/108
et le Tieu Doan indépendant 30 appuyé d'une partie
du Bataillon lourd du 108. Les 2 compagnies amies,
soutenues par l'artillerie et par les chars du
Royal Pologne, faisant feux de toutes leurs armes
avec leur coutumière vaillance, arrivaient à se
regrouper et faisaient front héroïquement contre
un adversaire nombreux et mordant en subissant des
pertes mais creusant dans les rangs des rebelles,
qui se ruaient à l'assaut à 5 reprises, de
sanglants sillons. Alors que la nuit approchait et
que les munitions s'épuisaient, les renforts du
G.M. 100, poussés en hâte au bruit de la
fusillade, marchèrent au canon et par une action
vigoureuse et hardie de leur camarades, rejettant
et mettant en fuite les rebelles, qui devaient
laisser 58 tués sur le terrain même du combat,
puis, pris à partie à nouveau par l'artillerie et
la chasse, subissaient encore de graves dégâts.
Après deux durs combats le G.M 100 restait à 19
heures 30 maître du terrain, ramassait ses blessés
et ses morts, et de nuit, en ordre malgré les
harcèlements, se repliait sur le bivouac presque
vide de P.E. 22, rejoint par les derniers éléments
à 21 heures 30. Dès le lendemain à l'aube, le 2°
Corée repartait aux résultats et fouillait le
terrain, où 24 nouveaux cadavres et de l'armement
devaient encore être retrouvés. L'échec du Viet
Minh était total et sanglant. Cette chaude affaire
coûtait au G.M.100; 25 tués dont 1 officier, 56
blessés dont 4 officiers et 7 disparus. Les
rebelles perdaient 82 tués dénombrés, 2 blessés
prisonniers, un important armement et emmenaient
dans leur repaire de nombreux tués et blessés,
tant par nos armes que par l'artillerie et
l'aviation, dont les résultats observés.mais pas
dénombrés auraient été particulièrement payants.
C'est le 2° graves échecs, après celui de la
P.I.T, que le régiment Chu Luc 108 essuie du
G.M.100. Les pertes qu'il a subie de ce fait sont
comparable à celles infligés au T.D. 803 au combat
de Plei Rinh le 22 mars 1954. Une fois de plus,
dans un heurt farouche et sans pitié, nous avons
battu les Chu Luc et retourné, par notre
solidarité et notre camaraderie de combat, une
situation difficile qui, sans l'énergie et la
bravoure de tous, blindés - Artilleurs et
fantassins, aurait du fournir un important succès
aux rebelles. L'issue victorieuse de ce combat mal
engagé consacre la solidité, le courage et
l'aptitude manoeuvrière de nos Unités. Le colonel,
commandant le groupement mobile n°100 exprime à
tous les acteurs de ce dur combat son entière
satisfaction et sa grande fierté.
Le colonel Barrou
Commandant
le Groupement Mobile n°100
Référence:
Lettre n°100/CAB/CC/CH du Général
commandant en chef en Indochine, en date
du 28.2.54 S.P. 75.007, le 14 août 1954. |
Groupement
opérationnel
des Plateaux
centre
-------------------
Etat-major -
1er bureau
-------------------
n° 1.940/Gopo
|
Ordre général n° 59
Le général de brigade de
Beaufort
commandant
le groupement opérationnel
des
plateaux centre
"A
l'ordre de la division"
Cite
- Girard, Robert -
lieutenant - Etat-Major du G.M.100 "Officier de
renseignement du G.M.100, s'est donné en entier à
sa tâche. Payant d'exemple en tête de ses
informateurs et partisans montagnards, a poussé
d'audacieuses reconnaissances en zone rebelle
notamment sur la piste de l'Ea Ur (Plateaux
Centre) le 6 janvier 1954, dans la région de
Kontum les 2 et 5 février 1954, autour de la
plantation de la P.I.T., le 12 février 1954. Au
cours des combats de Plei Ya Xoh, le 17 février
1954, de la P.I.T le 24 février 1954, de Plei-Rinh
le 22 mars 1954, s'est porté en plein combat pour
recueillir les documents et identifier les Unités
rebelles assaillantes. A toujours fait preuve au
feu d'une tranquille et souriante bravoure" Cette
citation comporte l'attribution de la croix de
guerre des théâtres d'opérations extérieurs avec
étoile d'argent.
Signé:
De
Beaufort.
-----------------------------
Extrait certifié conforme:
Forces
terrestres du sud Viet-Nam
Groupement
mobile n°100
Etat-Major
- 1er Bureau
S.P.
72.843, le 21 août 1954
Le
colonel Masse, commandant
le
groupement mobile n)100
P.O.
le chef de bataillon Florentin, chef d'E.M.
|