Général GIRARD Robert
092
Commandant
de Sous-Quartier
Guerre d'Algérie
Nice - Juillet 1991
Analyse du témoignage
Écriture :
1991 - 20 Pages
Préface de Jean Louis
Armati
Le Général Robert
Girard, Président de l'Amicale des Troupes de
Marine pour la Région de Nice, a bien voulu
témoigner : il relate ici l'expérience qu'il a
vécu comme commandant de Sous - Quartier en Grande
Kabylie, pendant la guerre d'Algérie. Capitaine à
l'époque des faits, Robert Girard disposait pour
assurer la sécurité d'une zone assez étendue,
d'une Compagnie d'Infanterie Coloniale implantée à
Zouatna et d'une Section Administrative Spéciale
(S.A.S), chargée plus précisément d'améliorer le
sort des populations civiles vivant sur ce
territoire (Administrations, soins,
instruction....), les progrès dans ces différents
domaines étant liés aux résultats obtenus en
matière de sécurité, grâce aux opérations de la
6ème Compagnie. Ce court récit de campagne nous
montre comment l'objectif de pacification a été
atteint.
General
Robert Girard, chairman of the friendship circle
of the Navy troops in the Nice area, accepted to
testify and tell us about his experience as Sub
Quarter Commander in Greater Kabylia during the
Algerian war. He was a captain during the
events, Robert Girard had at his disposal to
ensure the security in a fairly wide area of a
Colonial Infantry Regiment based in Zouatana and
of an special administrative section whose duty
was to improve the life of the civilian
populations living on that territory
(administration, health, education). The
improvements in those fields being linked to the
results achieved in the field of security thanks
to the operations of the 6th Company. This short
account of his campaign shows us how this
objective of pacification was reached.
La mémoire
La mémoire : seul bagage incessible
Jacques ATTALI
Liminaire
J'avais été rapatrié
d'Indochine en 1955, éprouvé physiquement par deux
séjours effectués en brousse, où j'avais connu la
contre-guérilla et les batailles implacables des
derniers temps. Portant la secrète blessure de
ceux qui avaient donné beaucoup d'eux-mêmes dans
ce pays attachant. Après l'émotion des
retrouvailles familiales et de faire la
connaissance d'un petit garçon né entre temps, je
fus affecté à Fréjus, vaste ensemble de six camps
où s'entraînaient et se préparaient au départ les
unités des Troupes Coloniales, qui devaient par la
suite reprendre le nom de Troupes de Marine. Je
fus pris alors de fortes crises d'asthme, dues, je
le sus plus tard, à la présence d'amibes dans les
poumons, faisant néanmoins de mon mieux pour
accomplir ma tâche au Bureau Instruction. L'Algérie était en 1956
depuis deux ans en proie à une rébellion que le
contexte historique rendait assez prévisible, et
mon départ pour ce territoire devenait de plus en
plus probable. Alors l'idée me vint, pour sortir
de mes difficultés de santé, d'y demander une
affectation en montagne. Je fus affecté à la
Demi-Brigade du 1er Régiment d'Infanterie
Coloniale, dépendant (on n'était pas à l'époque à
une bizarrerie près) de la 27ème Division Alpine. J'arrivai début Février
1957, Capitaine de l'année précédente, et reçus le
commandement de la 6ème Compagnie, alors sur le
plateau de Médea. Nous étions cantonnés dans une
ferme où l'on produisait un vin rosé renommé. Ma
santé allait mieux, et très vite nous dûmes
quitter cet endroit relativement calme pour la
Grande Kabylie, sous-secteur de Palestro. Lieu
connu parce que l'année précédente une unité de
rappelés s'était laissée surprendre et avait subi
de lourdes pertes.
I. Découverte du
sous-quartier
Je reçus la
responsabilité du sous-quartier de Guerrouma,
région montagneuse allant de l'oued Isser à 200m
d'altitude jusqu'à une ligne de crêtes culminant à
près de 2 000 m. La population y était
relativement dense, bien que le terrain présentât
maintes surfaces rocheuses et arides, parsemées de
lambeaux de forêt, de versants plantés d'oliviers
ou pauvrement cultivés à la houe. Les villages se
trouvaient près des sources, repérables grâce à la
présence de peupliers d'Italie; les plus favorisés
bénéficiaient d'une arrivée d'eau en surplomb, qui
en faisait de véritables petites oasis. Les
chèvres, moutons et vaches ajoutaient quelques
ressources. La population, d'origine kabyle,
parlait arabe, les maisons étaient carrées, bâties
en terre et couvertes de tuiles romaines
fabriquées sur place. La vie y était simple, à peu
près celle décrite par le poète latin Virgile, la
nourriture à base de galettes, d'huile, de lait et
d'oignons. Comme le pays ne pouvait nourrir tous
ses enfants, beaucoup des hommes allaient
travailler en France métropolitaine. Il y avait eu
quelques emplois dans des mines de zinc et plomb,
dont l'exploitation, fort primitive et insalubre,
était arrêtée. C'est précisément dans les
locaux de la laverie de minerai que l'on m'assigna
de stationner, évidemment dans un fond de vallée
en bordure nord du territoire à contrôler. Nous
relevâmes une Compagnie du Nème Régiment
d'Infanterie, assez peu encadrée, et qui avait
pris le parti de surveiller seulement le terrain
avoisinant. Il en résultait que le reste du
sous-quartier, une dizaine de kilomètres en tous
sens si je me souviens bien, se trouvait sous
l'emprise de l'organisation rebelle. Les cadres de
celle-ci s'appuyaient sur des bandes armées
locales, tandis que les Katibas (compagnies) y
séjournaient souvent. La population était coupée
de tout contact avec ce qui pouvait évoquer
l'autorité française, la misère y était intense,
aggravée par les prélèvements des fellagahs. La
route n'allait pas plus loin que la laverie de
minerai. Selon les récits des Anciens (annales
vivantes des villages), on n'avait pas vu passer
de militaires depuis l'époque de la conquête, et
certains hameaux n'avaient jamais été visités par
des Européens. Pour achever la description, le
Poste était jouxté par une S.A.S. (Section
Administrative Spéciale) dirigée par le Capitaine
R…, ancien des Affaires Indigènes du Maroc,
entouré de quelques Moghaznis, dont le gradé,
originaire du pays, A…, très à l'aise avec les
Français d'origine, manifestait un attachement
sincère à notre cause.
II. Reprise de
l'initiative sur le terrain
Ma Compagnie, forte de
120 hommes environ, était à base d'appelés, dont
une vingtaine mutés par mesure disciplinaire pour
avoir manifesté à Paris contre la guerre
d'Algérie. Ceux-ci devaient cependant se conduire
très bien en opérations. Souvent, j'expliquais
qu'il s'agissait pour nous de rétablir la paix,
pour que les dirigeants politiques puissent
décider d'un avenir qui permette aux Algériens de
toutes origines de vivre ensemble dans la dignité.
Moyennant quoi, il fallait détruire ou capturer
les bandes armées et isoler la population de
l'emprise du F.L.N. Dans cet esprit, toute
brutalité envers la population était sévèrement
proscrite, et notre infirmier transportait deux
musettes d'urgence : l'opérationnelle, pour les
blessures, et la "pacification" pour les soins aux
villageois. L'encadrement se composait d'un
Lieutenant d'active, combattant confirmé, d'un ou
deux Aspirants de Réserve nantis comme c'est
normal de plus de bonne volonté que d'expérience,
d'un solide noyau de Sous-Officiers de carrière,
anciens d'"Indo", et de Sous-Officiers du
contingent solidement chaperonnés par leurs
anciens. Aussitôt en place,
j'entrepris de remplir la mission qui m'était
confiée, sinon explicitement, au moins en allant
de soi : reprendre le contrôle du terrain et des
habitants. Avec le Capitaine de la S.A.S., nous
unîmes nos efforts, lui pour rétablir
l'administration et améliorer le sort de la
population, moi pour rendre la chose possible. Nos
actions s'appuyaient ainsi mutuellement. Pendant
que nos premières sorties cherchaient à rétablir
le contact avec les villages les plus proches,
nous organisions notre vie. D'abord en aménageant
et nettoyant les locaux et en améliorant les
défenses du Poste, que je considérais comme une
base opérationnelle et non comme une forteresse
assiégée. C'est ainsi que je fis établir une fosse
à ordures qui nous mette à l'abri des mouches et
entrepris la destruction des rats dont les
sarabandes nocturnes étaient insupportables. Je
fis construire un petit blockhaus en un point qui
contrôlait les alentours du Poste, bien protégé
par barbelés, mines et pièges éclairants, pour
améliorer la défense et économiser le personnel de
vigilance. Ce relativement long préambule n'était
pas inutile pour mieux situer le cadre de nos
opérations. Il serait fastidieusement long
d'énumérer les sorties que nous faisions de jour
et de nuit, embuscades, contrôles de villages ou
raids à distance. La règle était qu'une partie au
moins de la Compagnie se trouvait en permanence à
l'extérieur. Seulement, de loin en loin, il y
avait journée de repos pour tous, destinée aux
inévitables travaux d'entretien et de propreté,
revues de matériel… et récupération physique. Nous
recevions le ravitaillement par véhicules escortés
chaque semaine environ, la cuisine était préparée
sur des "roulantes"; j'étais très exigeant sur la
qualité et l'hygiène de la préparation, le mauvais
cuisinier étant prévenu que en cas de défaillance,
il irait en section porter les munitions de
fusil-mitrailleur. Nous reçûmes deux mulets pour
porter les impedimenta et notre modeste appui
mobile (mortier de 60) lors des sorties
importantes. A poste fixe, nous avions un mortier
de 81. Chaque fois que possible, nous sortions
"sur renseignement", venu de la rumeur locale, de
documents récupérés, plus rarement de prisonniers
ou de l'échelon supérieur. Voici
quelques opérations-type : - On nous a signalé le
passage d'éléments adverses allant du
Constantinois vers l'Algérois, ou la présence
d'une Katiba venue appuyer les responsables
locaux. Après la tombée de la nuit, une section
sort, prenant au départ une fausse direction pour
tromper les guetteurs éventuels, puis va s'établir
en souricière sur une piste qui pourrait être
utilisée par les fellagahs. Au bout de quelques
heures, retour au Poste, souvent sans rien à
signaler, parfois avec un agent de liaison
capturé, ou après une fusillade avec une
avant-garde, le plus souvent sans pertes de notre
côté. - Un village relativement
important n'a pas encore été contrôlé, on y
signale une O.P.A. (Organisation
Politico-Administrative). Départ à la nuit avancée
avec un maximum de discrétion, approche par
itinéraire détourné et mise en place de
l'encerclement, parfois assez serré, parfois sous
forme de "bouchons" sur les itinéraires
avoisinants. Au lever du soleil, entrée dans
l'agglomération, visite des maisons et
rassemblement des hommes. Après vérification des
identités, ceux figurant sur les listes du secteur
sont emmenés comme suspects et dirigés
ultérieurement sur Palestro. Souvent le scénario
se complique, échange de coups de feu avec des
éléments armés, interception de fuyards (il
fallait faire les sommations avant d'ouvrir le feu
les premiers, car nous étions sous le régime du
maintien de l'ordre), découverte d'une cache avec
munitions et documents; voire comme une fois la
brusque arrivée d'une nappe de brouillard montant
de la vallée qui nous rendit aveugles en plein
jour. Nous en profitions pour haranguer la
population et dispenser quelques médicaments.
Beaucoup d'enfants, peut-être par
sous-alimentation, mangeaient de la terre, et se
contaminaient ainsi en parasites intestinaux. - A côté de ce travail
systématique, je décidais parfois de pousser
jusqu'aux limites non encore atteintes du
sous-quartier. Il fallait pour cela agir avec le
gros de la Compagnie pendant deux ou trois jours,
ne s'arrêtant que pour manger ou prendre quelques
heures de sommeil. L'effet psychologique sur les
habitants était certain. Toutefois, il fallait
dans le compte-rendu atténuer la profondeur du
déplacement, la hiérarchie répugnant aux aventures
! - Participation à une grande
opération: nous y partions sans enthousiasme. Nous
savions que vu le manque habituel de discrétion
dans les préparatifs, nous tomberions sur un
terrain vide. Il y eut quand même des exceptions,
ou des incidents imprévus, comme le jour où un
observateur aérien zélé dirigea sur nous un tir
d'artillerie, alors que nous étions à
l'emplacement prescrit, inutile de s'étendre sur
les propos échangés à la radio ! Pendant ce temps, il avait
été décidé de construire une piste menant à un
balcon naturel d'où l'on pouvait diriger son
regard et ses pas sur une vaste étendue. Les
travaux se faisaient de jour, sous protection, et
le soir tout le monde rejoignait un éperon facile
à défendre. Les tireurs du F.L.N. venaient alors
harceler de leurs feux, jusqu'au jour où quelques
obus de mortier transformés en mines à
télécommande parvinrent à les écoeurer. Cette vie
demandait de gros efforts physiques, mais la
jeunesse aidant, chacun les acceptait de bon
coeur, ou au moins sans trop récriminer, en dépit
d'un confort plus que sommaire et de sautes de
températures fréquentes. Lorsqu'il fait beau,
c'est aussi un magnifique spectacle que de
s'endormir sous un ciel étoilé.
III. Extension du
contrôle et de la pacification
Aux alentours de
Pâques, je quittai le Poste de la laverie de
minerai, avec le gros de l'effectif, pour une
opération d'envergure, qui devait se conclure pour
nous par un transfert au bout de la nouvelle
piste. A force de "casser les pieds" de mes
supérieurs, j'avais obtenu que deux sections
d'Africains, jusqu'ici détachées à la garde de
dépôts, rejoignent la maison-mère, forte d'alors
du nombre inhabituel de six sections de combat. En
attendant leur retour à la vie opérationnelle,
elles garderaient notre ancien stationnement.
Comme il fallait s'y attendre, les bandes armées
avaient déguerpi, ce qui facilitait notre nouvelle
tâche. Je choisis comme base avancée un village où
la population était assez favorable (certains
indices ne trompent pas un bon observateur) et
entrepris d'apprivoiser les villages désormais à
bonne portée. Les Européens ne s'y étaient guère
aventurés jusqu'ici, l'administration y étant
exercée autrefois par le relais de caïds locaux,
non sans arbitraire disaient les mauvaises
langues. Le Commandement me prescrivit de créer le
nouveau Poste à Zouatna, d'où l'on avait de si
belles vues, ce qui sur le plan de l'agrément me
convenait fort bien. On éleva une murette au
bulldozer et l'on monta des tentes. Le système fut
complété par un blockhaus en maçonnerie à l'angle
le plus haut et une soute à munitions renforcée de
traverses de chemin de fer récupérées entre deux
convois en ces lieux lointains où circulent les
transports en commun. Plus tard arriva un canon de
75, arme encore excellente pour intervenir à vue.
Nous reçûmes aussi une voûte pour four à pain en
acier, qui permit de faire de temps à autre
croissants et pâtisserie, en plus d'excellentes
boules de pain de campagne. Deux cochons, non
déclarés à l'Intendance, dans un édicule discret,
permettaient de ne rien perdre des déchets de
cuisine. La S.A.S. rejoignit à son tour, et je ne
me souviens plus à quel moment nous rouvrîmes
l'école, où un soldat de bonne volonté dispensait
les rudiments de calcul, lecture et écriture avec
des résultats étonnants.Un dernier mot sur le
village de Zouatna : selon les Anciens, cette
agglomération avait été créée autrefois pour y
réunir les enfants que les Janissaires d'Alger
avaient engendrés en dépit de leur règlement. Les
traits de visage de leurs descendants et la
présence des ruines d'un fort Turc donnaient
vraisemblance à ce récit. L'eau y était moins
lourde à l'estomac que celle de la région des
mines, mais elle devait se faire rare en été,
heureusement, nous pûmes aller capter une ancienne
source perdue, dont les habitants du village
profitèrent grandement. En revanche, malgré le
D.D.T., nous ne pûmes nous débarrasser des puces
ramassées pendant nos errances, on en trouvait
même dans le sol sableux du Poste. Les deux
sections africaines s'habituèrent assez vite au
pays et aux opérations. Il n'y eut aucun problème
de cohabitation avec les appelés, le Français
n'étant pas foncièrement raciste (en dépit de ce
que l'on voudrait faire croire en 1990), et
l'exemple en cela étant donné par les gradés. Il y
eut même une fête africaine, au tam-tam, où tout
le monde participa. Bien vite, nous apprîmes le
retour des fellagahs par une série d'égorgements
nocturnes dans les villages, sur des gens dont
beaucoup n'avaient eu aucune relation avec nous.
Cette forme de cruauté sur un être humain, traité
comme le mouton du sacrifice, a été un des moyens
de terrorisme préférés du F.L.N. De tels actes
indignaient nos soldats, et il n'était pas besoin
de stimuler leur allant. Des coups de main heureux
nous permirent d'envoyer vers Palestro un certain
nombre de suspects, et la population sembla plus
tranquille. Parallèlement, nous distribuâmes du
blé pour pallier la demi-famine que nous avions
découverte. Le calme progressant, nous pûmes avec
la S.A.S. décider de faire revivre le marché du
Souk Tleta, au bord de l'oued. Désormais, chaque
semaine, des gens venus parfois de loin pouvaient
échanger leurs produits sous notre protection et
se livrer à ce rite qu'est l'échange de nouvelles
des uns et des autres à grand renfort
d'invocations d'Allah. La religion était une
donnée forte de la vie locale. Elle était très
ostensiblement observée, assemblée dans les
modestes mosquées de village et jeûne du Ramadan,
avec un formalisme certain. Il existait une
Zaouia, siège d'une confrérie maraboutique. Les
femmes circulaient dévoilées, et la monogamie
imposée par la pauvreté leur offrait une influence
réelle. Les efforts de nos services de propagande
pour promouvoir la condition de la femme n'étaient
pas sans effets; on put rencontrer au long des
pistes des maris à pied stimulant le bourricot qui
portait leur épouse ! A cette époque l'on créa des
unités d'hélicoptères d'assaut. Séduit par cette
nouvelle possibilité d'agir vite et par surprise,
j'avais aménagé une aire de poser près du Poste et
entraîné mon unité, qui devint une habituée de ce
genre de manoeuvre. Je pourrais encore en citer
trois. L'une eut pour objectif une bande armée
stationnant dans un village bordant une forêt. Aux
ordres du Chef de Bataillon, nous étions chargés
de l'action principale. Nous enlevâmes le village
d'un seul élan… il était vide. Je demandai alors à
fouiller la forêt, et l'on me prescrivit de le
faire en remontant le terrain en pente. Cela ne me
plaisait guère, mais je dus me plier à ces
modalités. Une des sections ainsi engagées fut
prise à partie par un F.M. pendant que plus haut,
un autre élément avec qui je me trouvais, était
soumis lui aussi au feu. Après une brève
préparation à l'arme automatique, j'entraînai la
section du haut à l'assaut, ce qui provoqua le
décrochage en chaîne de l'ennemi. La section
d'en-bas avait perdu un Sergent africain tué et
plusieurs blessés. Je reçus l'ordre de terminer
l'opération et de faire évacuer les victimes,
alors que j'insistais pour "aller aux résultats".
Finalement, revenus plus tard sur les lieux, nous
trouvâmes des corps de nos adversaires laissés sur
le terrain, mais leurs armes n'y étaient plus. Le
Sergent tué était le "Marabout" du Bataillon, et
je dus garder les Africains quelque temps au
Poste, craignant des représailles sur les
villageois. Une autre opération héliportée visait
un petit chef local, Guerroumi Guerroudj si je me
souviens bien, qui nous avait échappé jusqu'ici.
Localisé dans un village, j'obtins en une heure la
mise à disposition d'aéronefs. La petite bande fut
en partie capturée après avoir été manoeuvrée
entre nos "sticks", son chef put encore
s'échapper, mais blessé il disparut du paysage.
Enfin une opération assez semblable à la
précédente permit de capturer l'organisation d'une
ville de la bande côtière, Fort de l'Eau, venue se
réfugier dans la montagne. A un moment donné, je
me trouvai seul sur le point dominant le paysage,
l'hélicoptère de renfort étant tombé en panne,
avec le radio et un harki. Comme l'adversaire se
dirigeait vers nous pour échapper au bouclage,
nous nous agitâmes pour faire nombre, et
finalement il reflua. J'avais recruté en effet
plusieurs harkis, avec l'assurance qu'ils avaient
demandé que la France ne quitterait pas l'Algérie,
ce que l'on nous demandait sans doute sincèrement,
de certifier. On sait ce qu'il en advint et je
ressentis plus tard un grave tourment de
conscience en apprenant que certains ainsi
recrutés avaient été égorgés après les Accords
d'Evian. L'ambiance s'améliorant, je pus récupérer
une dizaine de fusils sur la promesse, tenue, de
"passer l'éponge". Je ne m'en étais pas trop
vanté, n'ayant pas la notoriété médiatique qui
puisse protéger du blâme éventuel. Un village
proche du Poste était en cours d'organisation pour
passer en autodéfense, lorsqu'une incursion
malencontreuse vint tout arrêter. Une unité
mobile, sans ordre ni contact préalable était
venue encercler ce village et commençait à arrêter
des gens suspectés autrefois d'avoir aidé la
rébellion. Furieux, j'arrivai au pas de course
suivi de deux sections, et il s'en fallut de peu
que le chef d'en face, au demeurant fort
prétentieux, et moi-même n'en venions aux mains !
Conflit entre troupes dites de secteur et troupes
d'intervention, et entre armes aux fortes et
différentes traditions. Nos chefs, prudents,
conclurent par un : torts partagés.
IV. Le départ
Vers l'automne arriva
un ordre de mutation, qui m'envoyait vers une
autre destination sur la terre d'Algérie. On
envoya successivement deux Capitaines pour me
relever, mais étant du modèle "boeuf bien nourri",
ils peinaient par trop en montagne. Enfin un
troisième put s'adapter au modèle caprin, beaucoup
plus convenable. Je quittai alors ce paysage et
cette population, difficiles mais attachants,
ainsi que les gens de mon unité, auxquels m'avait
lié une véritable fraternité de vie et de combat.
J'avais fait de mon mieux pour remplir la mission,
que je ressentais comme visant à garder ce coin de
terre dans la mouvance française avec
l'assentiment de ses habitants. Plus tard, un
autre point de vue prévalut. Mais peut-être en
parle-t-on encore parfois dans les gourbis ? Référence : Fête du 14
Juillet 1957. Poste de Zouatna dit 636
Chant de guerre
de la 6ème Compagnie du 2/Ième
R.I.C.
(Air de la Madelon) Refrain A la 6e au poste de
la mort lente Sans flotte avec la poussière et les
gradés Je vous assure, c'est une vie excitante Et
nous allons vous le prouver, vous le prouver
Ecoutez donc la bien triste histoire D'un pauvre
Marsouin vivant à Zouatna Et dont les temps
garderont la mémoire A ZOUATNA (ter)Couplet Au caporal à notre
grand capitaine Ils ont pour nous de touchantes
attentions Ils savent d'ailleurs que tous les
troufions les aiment C'est pour cela que pleuvent
les opérations Vous aimeriez savoir, pourquoi l'on
a le cafard Mais comme nous sommes des vrais Vous
ne le saurez jamais Remarque :
Ce texte
"Chant de Guerre de la 6ème Compagnie du 2/Ième
R.I.C." m'a été remis par un Sous-Officier. Il
l'avait composé à l'occasion du 14 Juillet, où
nous avions organisé une festivité à la mesure
de nos moyens. Une chorale improvisée en avait
donné la première et unique audition. Il me
tient lieu de la citation pour laquelle j'avais
été proposé par le Chef de Bataillon, refusée
par le Colonel qui avait pour principe de ne pas
décerner de récompense avant un an de séjour
sous ses ordres (principe qui n'aurait pas dû
favoriser un zèle prématuré !). Si je me
souviens il y était question d'armes récupérées,
de caches saisies, de souci de la population, et
d'ardeur opérationnelle. On m'y traitait aussi
de fin manoeuvrier.
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