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Docteur Paul FERON
"Gaulliste" à Rabat Guerre 1939 / 1945
Témoignage
RÉSISTANCE
Écriture : 1991 - 50 Pages

**

Réseau Henri d'Astier
Mission Arthur Richard
1940 - 1942

" Par une sorte d'obscure prévision de la nature, il se trouvait qu'en 1940, une partie de la génération adulte était, d'avance, orientée vers l'action clandestine. Entre les deux guerres, en effet, la jeunesse avait montré beaucoup de goût pour les histoires de 2ème Bureau, de service secret, de police, voire de coups de mains et de complots.
Les livres, les journaux, le théâtre, le cinéma s'étaient largement consacrés aux aventures de héros plus ou moins imaginaires qui prodiguaient dans l'ombre les exploits au service de la patrie.
Cette psychologie allait faciliter le recrutement des missions spéciales".
Charles de GAULLE
Mémoires de Guerre "Londres"


Avant Propos du témoin

Vouloir relater des faits remontant à cinquante ans, en se basant sur la tradition orale et les récits des acteurs relève de la gageure. En tous cas, cela fait courir de sérieux risques d'erreurs. Aucune archive à consulter, comme il se doit pour un Réseau de résistance qui fut par deux fois démantelé par la police du pouvoir en place. Tout juste un carnet de rout qui rapporte quelques anecdotes, de rares coupures ce journaux, des extraits de récit historique... Cela eut carrément relevé de la mission impossible si je n'avais réussi à contacter le fondateur du réseau. Heureusement, surtout, qu'à l'époque évoquée, nous étions de tout jeunes gens: les faits ont suffisamment marqué nos mémoires juvéniles pour qu'ils puissent ressortir aujourd'hui. C'est ce que j'ai relaté dans les pages qui suivent. Si j'ai pioché un peu partout dans le récit historique, c'est pour donner à mon ouvrage une charpente qui permette de mieux se replacer dans le contexte de l'époque. Puissent les pages qui suivent rajeunir les Anciens en leur rappelant l'heureux temps de leur jeunesse, et inciter les générations montantes à se souvenir des efforts de leurs aînés pour leur conserver le bien-être et la liberté dont elles bénéficient de nos jours. Le présent document ne veut être qu'un compte-rendu d'activités d'un groupe de patriotes ayant oeuvré dans la Résistance Extra-métropolitaine. Prés d'un demi siècle après, il n'est pas question de recueillir les témoignages de tous les protagonistes. Seuls quelques uns ont pu être contactés et leurs souvenirs tissés pour le présent récit. Pour tous les autres, ils ne seront mentionnés que par leurs initiales, sauf accord de leurs proches pour qu'ils soient nommément cités, ou s'ils figurent dans des documents officiels ou historiques. Mon récit ne se veut exhaustif ni des faits, (voir son titre), ni de l'ensemble des membres du Réseau. Veuillent bien, ceux qui viendraient à en prendre connaissance, ne pas s'offusquer s'ils ont été oubliés, m'en excuser et le cas échéant me mentionner ce qui pourrait être ajouté pour compléter ce récit, pourvu que ce soit d'un intérêt général.

POSTFACE de Michel EL BAZE

Certains faits relatifs aux dernières guerres pourraient rester à jamais occultés et disparaître avec leurs témoins.. Nous en avons un exemple avec cet ouvrage traitant de la Résistance extramétropolitaine en Algérie et au Maroc, de Juin 1940 au 8 Novembre 1942. Lorsque Madame Gitta Amiraz-Silber relate, dans "La Résistance Juive en Algérie", ce qui s'est passé à cette époque, elle suscite l'admiration et la surprise d'un de nos contemporains de premier plan, le Premier Ministre d'Israël Ménahem Begin : - "Nous n'avions que peu d'informations sur les actes de ces combattants anonymes... dans la lutte (contre) le joug de l'Allemagne nazie. Elle a révélé et sauvé de l'oubli la vérité". Un autre exemple tout aussi marquant au sujet des actions qui se sont greffées sur le débarquement américain au Maroc : un officier de l'armée de Vichy, avait, avec d'autres, pris le parti des Alliés contre les ordres permanents. A ce titre, il avait reçu mission du Général Béthouard d'aller prévenir les garnisons de différentes villes de ne pas s'opposer stupidement aux libérateurs. Un demi siècle plus tard, bien que Président de l'association regroupant les officiers ayant accompli les mêmes missions dangereuses, il ignorait encore que des civils avaient oeuvré pour la même cause en renseignant les Alliés par le canal des autorités consulaires américaines. Il fallut, pour combattre son scepticisme lui fournir des coupures de journaux de l'époque, des jugements du Tribunal Militaire où il aura peut-être pu reconnaître certains de ses pairs Pour conforter la vérité, la détailler ensuite, enfin lui donner vie, le témoignage du Docteur Paul Féron, est un merveilleux matériau mis à la disposition des chercheurs pour l'écriture de l'Histoire de notre Pays.

Table

Avant propos 7

La mémoire 8

Réseau Henri d'Astier

Mission Arthur Richard

La débâcle 9

Le Débarquement 21

Opération "Torch"

Documents 28

*

La mémoire

La mémoire : seul bagage incessible

Jacques ATTALI

La débâcle

Au Maroc, l'armistice de juin 40 fut ressenti avec les mêmes stupeur et indignation que partout dans le monde libre. Voire même avec honte. En particulier pour les Français qui y résidaient (quelques centaines de mille), risquait de se poser le problème de leur avenir à long terme en cas de victoire totale du Reich. Les démonstrations germaniques du début du siècle à Agadir et à Tanger d'une part; l'alliance "de facto" avec l'Espagne franquiste qui avait terminé sa guerre civile un an plus tôt et pouvait être tentée de revendiquer l'élargissement de sa zone d'influence (et n'allait pas se gêner pour occuper la ville internationale de Tanger), d'autre part, pouvaient laisser craindre aux Français de là-bas un sort identique à celui des Alsaciens et des Lorrains en I871. Pour l'instant, de nombreux régiments à recrutement local (Tirailleurs, Zouaves, Spahis...) avaient été pris au piège au cours de la campagne de France. Ils se trouvaient donc en captivité avec leur encadrement à forte majorité français. Des unités de resserve étaient bien en formation, mais, avec toujours une guerre de retard, avaient comme par hasard un équipement inadapté à la guerre moderne. Quelques éléments de l'aviation et de la marine avaient été repliés sur l'Afrique du Nord. Partout donc la consternation régnait, accentuée par l'impossibilité de ne pouvoir faire quoi que ce soit. Dans l'opinion, deux courants s'étaient créés: les "jusqu'au boutistes" qui enrageaient de ne pouvoir continuer la lutte, et les attentistes, qui devaient fournir par la suite les adeptes de la politique de Vichy. Parmi les premiers, les seuls qui nous intéressent, certains, spontanément ou motivés par l'Appel du 18 Juin (qui n'avait pourtant eu que peu d'audience au Maroc) réussirent à rejoindre les possessions britanniques pour y poursuivre le combat. Il faut se rappeler que le Maroc n'était qu'un Protectorat français en terre d'Islam, et l'affront que venait d'essuyer la France risquait fort de se répercuter sur notre prestige auprès des populations locales dont la pacification totale ne remontait pas à une dizaine d'années. Une stricte censure était déjà établie depuis 1939, et la presse n'avait révélé qu'une partie des conditions d'armistice, celles qui ne pouvaient vraiment pas être passées sous silence: étendue de la zone occupée, neutralisation de l'Empire et de la Flotte. Conformément aux directives d'orientation données en haut lieu, la relation des divers événements mondiaux continua à être diffusée, mais présentée évidemment dans un sens favorable à l'Axe. Les douloureux affrontements de Mers El Kébir provoquèrent une prise de position carrément hostile aux Britanniques. Cela se conçoit. Churchill en dit : "Le malheur, c'est que l'amiral anglais le plus bête a rencontré le plus bête des amiraux français". Mais cela n'explique ni n'excuse rien. Néanmoins, par ces médias qui étaient bien obligés d'en parler, même en termes malveillants, en partie par les conversations entre particuliers, il fut connu qu'un certain Général De Gaulle, Sous Secrétaire d'Etat à la guerre dans un des derniers gouvernements de la IIIéme République, avait pris le flambeau de la résistance à l'envahisseur, ce qui ne fut pas sans réchauffer le coeur de bien des patriotes. La relation par les médias des diverses péripéties entre le gouvernement de Vichy, ses possessions outremer, sa Flotte, et les "dissidents" à la solde de l'impérialisme britannique fut toujours orientée sous un jour défavorable à ces derniers, comme il se doit. Il va sans dire que tout fut mis en oeuvre par les Britanniques (en particulier par leur "Cavalerie de Saint Georges") et par le Général pour essayer d'obtenir le ralliement du plus grand nombre possible de territoires de l'Empire français et d'unités navales. Il fallut attendre le cours de l'été 40 pour que cette politique put porter ses fruits, à commencer par l'Afrique Equatoriale. En ce qui concerne le Maroc, il y eut les manoeuvres des parlementaires français qui fuyaient l'avance allemande à bord du Massilia, et s'étaient arrêtés à Casablanca. Georges Mandel, ancien ministre des colonies, se paya à son profit une réédition de l'Appel du 18 Juin. Mais, après avoir pris contact avec le Consul de Grande Bretagne, il se trouva consigné à bord du navire qui s'était ensuite éloigné en rade: les autorités en place, en l'occurrence le général Noguès n'avaient pas apprécié la machination. Le 28 Juin après avoir ostensiblement survolé la ville, amerrissait à l'embouchure de l'oued Bou Regreg, fleuve coulant entre Rabat et Salé, un hydravion aux cocardes anglaises. Nous nous rendîmes nombreux sur la berge pour voir ce qui allait se passer. Déception! : nous ne vîmes rien. Ce n'est que longtemps après que nous apprîmes qu'à bord se trouvaient M. Duff Cooper, du Cabinet britannique, et le Général Gort, Commandant en Chef. N'ayant pu prendre langue avec Mandel, peut être espéraient-ils avoir plus de chance avec Noguès ? Impasse de ce coté là également. Churchill, qui n'a rien réussi à obtenir non plus de Darlan, finit par reconnaître que le seul à qui il puisse faire confiance est le Général De Gaulle, même si sa représentativité et ses atouts ne valent pas ceux des autres mentionnés ci-dessus. Le soir même, il se décide enfin à le reconnaître comme "chef de tous les Français Libres qui se rallient à lui pour la cause alliée". Dans les jours qui suivirent nous fûmes plusieurs fois réveillés de bon matin par des tirs de défense contre des avions qui lâchaient des tracts appelant les populations à oeuvrer en vue du ralliement du Maroc au camp des Alliés, puis pour faire connaître l'Appel du Général De Gaulle, enfin pour présenter des événements de Mers El Kébir une relation moins tendancieuse que celle donnée par la presse et la radio. Les commentaires allaient bon train dans les conversations. Personnellement, faisant un amalgame du contenu de ces tracts et des informations de la B.B.C., je rédigeais "mes tracts" où je redressais les mensonges propagés officiellement. Mes seuls moyens de diffusion étaient de les recopier à la machine et avec des carbones, pour aller les glisser dans les boîtes à lettres. Mon attention fut attirée sur les risques de me faire identifier par les caractéristiques de ma machine à écrire. Ce "bricolage" se poursuivit jusqu'au moment où je fus contacté par le Réseau qui était en train de se constituer. En Grande Bretagne, le Général De Gaulle cherchait à rallier le plus possible des militaires français repliés depuis Narvik ou Dunkerque. Vinrent s'y joindre ceux qui, en plus de la volonté de se battre contre l'envahisseur, avaient conscience qu'il fallait le faire dans le cadre d'un vaste mouvement patriotique, qui devait devenir, de ce fait la France Libre. Le Général avait compris qu'il lui fallait, non pas mettre sur pied une simple légion de volontaires à incorporer dans l'armée anglaise, mais bel et bien faire le pendant à ce qui était en train de se mettre en place à Vichy, et montrer ainsi à la face du monde que c'était bien la France qui continuait la guerre. Pour les débuts de la France Libre, il n'y eut que des ralliements d'individus isolés. Peu d'arrivées en groupes constitués. Citons néanmoins l'ensemble de la population mâle de l'île de Sein, et l'Ecole de Pilotage de Morlaix, sous les ordres du Lieutenant Pinot, qui embarqua sur un langoustier ses 118 élèves, leur encadrement et quelques autres. Partant du Maroc et de l'Afrique du Nord, les ralliements purent se faire vers Gibraltar (voire peut-être Malte ?) avec des avions ou des unités navales. Les évasions par avion étaient d'autant plus difficiles que les appareils étaient étroitement surveillés, voire même mis en panne par ordre de la hiérarchie. Au Centre d'Instruction de la Chasse à Oran-la-Sénia, le commandant de la base avait, le 29 juin, averti le personnel qu'il n'était pas question de continuer la lutte, et menacé ceux qui passeraient outre d'être portés déserteurs. Huit appareils se seront éclipsés en quelques jours ! Le plus célèbre des évadés de cette époque fut René Mouchotte. Dés le 30 Juin, il s'envola à l'aube avec un Caudron Goëland et quatre passagers pour aller se poser à Gibraltar. En trois ans de chasse dans la R. A. F. , puis dans les Forces Aériennes Françaises Libres dont il commanda le Groupe Alsace, il participa à 332 opérations en 408 heures de vol de guerre, et fut crédité de sept victoires aériennes et de l'incendie de dix navires. Il fut abattu le 27 Août 42, au retour de sa troisième mission de la journée. Sa ténacité, son énergie, son courage, furent la réédition de ceux de Guyemer un quart de siècle auparavant: D.F.C. britannique; Compagnon de la Libération. Dans la même journée du 30 Juin, ce fut le tour de Fayolle et Stourm, sur Caudron Simoun, toujours depuis Oran. Pendant que, depuis Casablanca et sur Glenn Martin, Francis Lynch arrivait à Gibraltar, sur un autre Glenn, De Vendeuvre, Du Plessis, Berger et Weil étaient abattus lors de leur approche par la D.C.A espagnole. Ce furent les premières pertes de F.A.F.L. Toujours d'Oran, c'est, le 21 Octobre, le crash au décollage pour Charasse. En plus d'une blessure, nous vous laissons imaginer les ennuis qui lui fondirent dessus ! Cela ne l'empêcha pas de récidiver en compagnie d'Allignol, mais cette fois ci en utilisant le North American de la commission italienne d'armistice. Satané culot ! Brière, lui, rejoignit légalement Casablanca d'où il embarqua pour l'Angleterre. Tout comme le firent Bouquillard et De Labouchère, qui se mêlérent à des troupes polonaises qui partaient reprendre le combat. Le jeune Pascouët, de Rabat, aurait dû être du voyage; il n'a fait qu'arriver au pied de la passerelle d'embarquement. Moins connu que René Mouchotte, mais rentrant mieux dans le cadre de notre récit, mentionnons le cas de Jean Gabrielli, pilote de chasse et officier d'active dont la famille habitait Rabat (son frère cadet, Pierre, devait rejoindre dans les premiers le Réseau qui allait se mettre en place à l'automne 40). Replié depuis Avord avec son groupe de chasse, il rejoignit tranquillement Tanger en touriste, puis Gibraltar. Il y rencontra un de ses amis qui finira la guerre comme Compagnon de la Libération, avant de devenir général, nous avons cité le lieutenant Rémy, de son vrai nom Roger Motte. Jean Gabrielli, rebaptisé Jacques Garnier, fut rapidement opérationnel dans le Coastal Command. En 1941, patrouillant en mer d'Irlande avec un co-équipier d'origine hindoue, il disparut après avoir engagé le combat contre un parti de cinq Messerschmitt, dont un, sinon deux furent abattus. On ne devait plus le revoir. Seul, son gilet de sauvetage Mae West fut retrouvé plusieurs mois plus tard sur une plage du sud-ouest de l'Angleterre. Il était crédité de cinq victoires aériennes, dont trois homologuées. Par voie de terre, la filière d'évasion passait par Tanger, après avoir traversé le Maroc espagnol, dont les autorités n'étaient guère enclines à favoriser, ni même tolérer ce genre d'odyssée. Du reste, dès le 14 Juin 40, l'Espagne avait occupé militairement la zone internationale de Tanger (annexion qui devait se poursuivre jusqu'en I945). Nous reviendrons par la suite sur les passages par cette voie. Un dentiste de la banlieue parisienne, mobilisé comme Capitaine, s'était replié sur Rabat. Au cours de l'exode, plusieurs membres de sa famille, dont son épouse et ses deux enfants, avaient été emportés dans la tourmente. Le pauvre homme était inconsolable: il portait toujours sur lui leur photographie enchâssée dans un étui à cigarettes. Il cherchait à en découdre avec l'envahisseur par n'importe quel moyen. Il tenait le cabinet d'un confrère retenu ailleurs; mais il profita de l'opportunité d'aller voir à Tanger un poste qui était vacant pour y filer et ne s'arrêter qu'en Grande Bretagne. Nous le localiserons en Tunisie courant 1943. A bord d'un camion Bedford équipé en cabinet dentaire ultra moderne, il exerça son art au profit d'un membre du réseau R'Bati, qui avait rejoint la 1ère Division Française Libre après avoir affronté, Cour Martiale, Centrale, et élargissement en Novembre 42. Nous avons cité Louis Leclerc. A cette époque s'était déjà manifesté un jeune breton habitant Rabat, et qui joua un rôle prépondérant parmi les Résistants de l'endroit, nous avons cité Maurice Pascouët fils. A la déclaration de guerre, âgé de 16 ans 1/2, mais mesurant un mètre quatre vingt, il avait falsifié son état civil pour essayer de s'engager dans l'armée. Echec ! En juin 40, il essaya de partir en Angleterre en se mêlant à un détachement polonais qui embarquait à Casablanca. Fin du voyage au pied de la passerelle. Auparavant, il avait pensé au chemin de fer pour Tanger. Mais il avait eu l'imprudence de s'ouvrir de son projet à un camarade dont le père travaillait dans la police, si bien que, le 4 Juillet au matin, l'affaire se termina au Commissariat Central de Rabat. Récidive quelques jours plus tard, mais, cette fois, seul. Scénario: en train jusqu'à la ville frontière d'Arbaoua, sortie de la gare et passage de la frontière à pied avec l'aide de contrebandiers, et reprise du train le lendemain à la première station en zone espagnole. Ce beau programme se termina entre deux gendarmes. Admonestation, nuit au poste et retour vers Rabat. Fin avril 41, nouvelle tentative, mais par la voie administrative. Contre toute attente, surtout en raison de ses antécédents, Pascouët obtint un visa pour aller à Tanger passer quelques jours chez un collègue des P.T.T. Mais il perdit du temps à finir de structurer le Réseau qu'il avait mis sur pied, donner les consignes, confirmer les contacts... tant et si bien que la date limite de validité du visa se trouva atteinte. Une nouvelle demande fut couronnée de succès, mais le visa n'arriva que le 24 Juin, le jour même de son arrestation, dont nous reparlerons plus loin. Convenons que ce jeune breton avait la tête dure, et de la suite dans les idées. De retour donc à Rabat à l'été 40, Pascouët entrait aux P.T.T. et se voyait affecté au tri du courrier. Belle place pour surveiller et intercepter les lettres adressées aux Commissions d'Armistice, allemandes et italiennes. Les tentatives de décachetage s'étant révélées dans l'ensemble difficiles et dangereuses, les plis furent purement et simplement subtilisés, puis détruits après qu'ils eurent divulgué leur contenu. Il s'agissait surtout de dénonciation d'un voisin qui écoutait la B.B.C., ou d'expression de sympathie vis à vis de l'Axe. Leurs auteurs furent répertoriés en une liste de collaborateurs qui fut remise au G 2 (2ème Bureau U.S.) après le débarquement du 8 Novembre. En Septembre, connaissant les sentiments patriotiques d'un imprimeur du nom de Jean Thouret, tous deux se mirent à imprimer des affichettes collantes avec un logo très sobre (Croix de Lorraine = France. Puis: Boches + Collaboration = Rutabagas). Pour le collage, qui devait se faire au cours d'une même nuit dans différents quartiers de Rabat, Pascouët me chargea de recruter de jeunes sympathisants à notre cause. Se joignirent à nous, Pierre Gabrielli, les frères Cayat, Louis Le Gouée, Martin-Dupont, et d'autres qui ne m'en voudront pas de les avoir omis. La première expédition eut lieu dans la nuit du 10 au 11 Novembre. Pascouët réussit à s'introduire dans l'immeuble de la Direction Générale de la Police et poussa l'impudence jusqu'à afficher sur le magnifique bureau de Monsieur le Directeur. L'exploit lui valut le surnom de "Mickey" sous lequel nous le désignerons dorénavant pour le différencier de son père avec lequel il partageait, outre les noms et prénoms, les mêmes convictions patriotiques, et dont nous allons parler bientôt. Il y eut plusieurs expéditions de collage nocturne, et l'une d'elles se solda par un échec car une pluie matinale avait décollé tout le travail de la nuit précédente. A la même époque, en plus de l'équipe qui était chargée du collage des affichettes, les deux co-fondateurs, Pascouët fils et Thouret avaient recruté une de leurs amies du nom de Louise Nicolas (dont le mari avait rallié Londres en Juillet et servait au Bureau Central de Renseignements et Action : B.C.R.A. : 2ème Bureau), ainsi que Maurice Pascouët père, chef de service aux Chemins de Fer du Maroc. Ce dernier, déjà brillant combattant lors du premier conflit mondial, réussit à établir un contact épistolaire avec Londres par l'intermédiaire de Honoré Paluat qui travaillait à la Chambre de Commerce de Tanger mais se trouvait être également un honorable correspondant du B.C.R.A. La récupération après leurs évasions d'aviateurs et autres militaires qui avaient été arrêtés par les autorités de Vichy , pour "tentative d'engagement dans une armée étrangère" ou "tentative de vol d'avion" mena à la création d'un réseau de "planques" en attendant de pouvoir les faire partir. Parmi eux, nous relevons les noms de La Grandiére, BrunswickLeclerc, Cermolace, Morisson, Witmer, July... les trois derniers participant, pour meubler leurs loisirs forcés, au collage et à la distribution de tracts. Le meilleur moyen à l'époque pour rejoindre sans trop de risques les Armées Alliées avait été imaginé par Pascouët père. Quelques wagons de marchandises avaient à une extrémité une niche à chien signalée par un panneau noir sur lequel on inscrivait à la craie la destination de l'animal: Chien pour/ Perro para... Une niche fut modifiée: fond amovible créant un emplacement supplémentaire où un homme pouvait rester accroupi (lui souhaitant de ne pas avoir à cohabiter avec un animal trop encombrant ou hargneux); il lui était remis un crochet bricolé pour ouvrir la porte de la niche depuis l'intérieur, car il n'était pas prévu de comité de réception à l'arrivée. Comme un seul wagon avait été modifié, il fallait attendre qu'il soit affecté au trajet vers Tanger, ce que pouvait facilement savoir Pascouët de par son emploi aux C.F.M. L'embarquement avait lieu à la gare de marchandises de Rabat Agdal. Le candidat à l'évasion y était amené par Mickey, pris en charge pas le père qui l'installait dans la niche avec les instructions pour le voyage: rien à faire jusqu'à une heure peu avant l'arrivée à la gare de Tanger, quand le train ralentissait fortement dans une montée. C'était le moment d'ouvrir la porte avec le crochet et de sauter dans la nature. Ensuite, à Dieu va... jusqu'au Consulat d'Angleterre à Tanger pour transiter sur Gibraltar. Paluat, alors, devait accuser réception en termes convenus. Ce voyage clandestin fut utilisé plusieurs fois avec succès, puis fut abandonné subitement à la suite d'une disparition. L'énigme ne fut élucidée que longtemps après. Le train avait pris beaucoup de retard en cours de route, ce qui avait déréglé la "navigation à l'estime" du passager. Par manque de chance, il se trouva que le train ralentit fortement vers l'heure où il aurait dû arriver à destination, si bien que le débarquement eut lieu en pleine nature et au Maroc espagnol. Complètement perdu, notre évadé entreprit de continuer à pied vers Tanger; il fut arrêté à un pont par les Gardes Civils, et dût croupir dans les geôles espagnoles jusqu'à fin 43. Sans nouvelles de lui, et craignant que la combine n'ait été éventée, Pascouët préféra ne pas prendre de risques inutiles et arrêta cette filière. En Mai 1941, l'évasion "primaire" d'un militaire du 1er Régiment de Chasseurs d'Afrique mérite d'être racontée (nous disons "primaire" car il s'agissait de passer de l'incarcération à la vie civile, l'évasion secondaire étant le ralliement à la France Libre). Etienne July était retenu à la caserne du 1er R. C. A. et une soit disant "tante" (Madame Nicolas) vint lui rendre visite. L'évasion fut alors mise au point: lors de la promenade matinale dans la cour de la caserne, où la surveillance n'était pas très sévère, il devait simplement se rendre à un coin retiré du mur d'enceinte, se faire reconnaître par un signal convenu, "faire le mur" de l'autre coté duquel Mickey l'attendait avec un vélo. Pas plus difficile que çà: et un colleur d'affiches de plus. Parallèlement, la propagande continuait, par tractage et affichage. Ces manoeuvres "séditieuses" et répétées, en particulier dans le quartier de la Résidence où se trouvaient les services gouvernementaux, l'Etat Major et la somptueuse villa du Général Noguès (tout acquis aux idées vichystes), irritaient fort ce dernier. Il fut appris après la guerre, mais on s'en doutait bien à l'époque, qu'il avait donné des ordres très stricts pour que soit mis fin à ces provocations. Ce qui amena la rafle de Juin 1941, où les 4/5èmes du réseau furent interceptés (27 membres sur 32). Procédant par ordre, les services de police recherchèrent d'abord la source des tracts, et mirent ainsi la main sur Thouret, l'imprimeur. Au cours d'un interrogatoire musclé, et devant la menace de représailles sur sa famille, le malheureux fut bien obligé de reconnaître ses activités et la participation de fils, puis d'autres membres du Réseau. Le 24 Juin, vers midi, Mickey fut arrêté à son guichet des P.T.T. et conduit, menottes aux mains et à pied, à travers la ville jusqu'au Commissariat Central. Interrogatoire serré (sur un gamin de 17 ans, çà aurait dû payer). A la forme des questions qui lui étaient posées, Mickey comprit que Thouret avait lâché le morceau. Il en fut convaincu lors de la perquisition à son domicile, quand les policiers se dirigèrent directement vers les boites à chaussures rangées dans sa chambre où il avait caché les plaques ayant servi à confectionner les affichettes, ainsi qu'un certain nombre d'entre elles. Preuve accablante. Par chance, tout polarisés qu'ils étaient sur l'enquête des tracts, et satisfaits de la tournure qu'elle prenait, les policiers ne s'étaient pas aperçus de la présence, dans une pièce voisine, à la porte entr'ouverte, de Morisson et Wittmer, deux aviateurs recherchés pour "tentative de vol d'avion" et qui étaient hébergés chez les Pascouët. Faut-il préciser que dès qu'ils eurent compris qui étaient ces visiteurs, ils se dépêchèrent de filer par la fenêtre pour aller chercher refuge ailleurs, chez Madame Nicolas en l'occurrence ? Pour fignoler l'enquête; les policiers recherchaient à présent les complicités éventuelles, et les activités de chacun. Impossible de croire Mickey quand il prétendait avoir diffusé tout seul une telle masse de tracts; mais pas question de lâcher les noms des militaires en cavale et dont c'était l'activité principale. Force lui fut de donner dans l'équipe de jeunes mentionnés plus haut: après tout, pour eux, ce n 'était jamais qu'une faute vénielle. Pensant faire encore plus petite la part du feu, Mickey indiqua le nom de Gabrielli, dont il pensait que le père, Contrôleur Civil (équivalent de Préfet en France), aurait suffisamment de poids pour faire relâcher rapidement son fils. Il n'en fut rien malheureusement. Gabrielli rejoignit les autres résistants arrêtés. En définitive, à l'exception des jeunes affectés au collage de tracts, l'ensemble du Réseau se retrouva sous les verrous. L'enquête, menée avec diligence selon les instructions données en haut lieu avait en effet réussi à démasquer tous les membres de la filière et débusquer les militaires en situation irrégulière. Incarcération à la prison civile de Rabat, mélangés avec les droit commun, puis transfert à Casablanca où nos amis réussirent à se trouver regroupés en un quartier gaulliste. Instruction pendant tout l'été par le Capitaine Voituriez, et jugement attendu pour octobre, novembre. Dans la même prison se trouvait Maître Guedj, avocat ayant ses entrées au Palais du Sultan et incarcéré pour avoir correspondu avec son fils Max, pilote des F.A.F.L. (Max et Félix Guedj, deux héros qui donneront leur nom à une artère de Casablanca); également un allemand opposant au régime nazi et qui avait travaillé pour le S.R. français (on l'avais mis à l'ombre pour le soustraire aux recherches des Commissions d'Armistice, puis on l'avait oublié !); l'équipage au grand complet d'un paquebot transportant de l'or de la Banque de France, et qui avait puisé dedans pour subvenir à ses besoins. L'audience est fixée au 28 Octobre 1941. En raison de l'animosité officielle contre les "gaullistes" il fallait s'attendre à des verdicts sans complaisance aucune, et pouvant même aller très loin en sanction des accusations d'atteinte à la sécurité de l'Etat, surtout en temps de guerre. Comme il y a une trentaine de prévenus dans le box, il faut s'attendre à de nombreux incidents d'audience. Entre autres, Pascouët père prend le tribunal à partie: "Rappelez vous bien: un jour, c'est vous qui serez à ma place et moi à la vôtre". Le Commissaire du Gouvernement, Colonel Laroubine, n'apprécie pas. Jugement rendu le 30 au soir (voir coupure de presse). Gabrielli et Mickey, en raison de leur jeune âge, et quelques autres délinquants primaires bénéficient du sursis et sont relâchés aussitôt. Les condamnés sont transférés vers la prison centrale de Port Lyautey. Dans le lot des condamnés, quelques Marocains, employés de Aillaud, qui avaient eu le seul tort d'être en contact avec des militaires cachés chez lui. Vraiment pas de quoi fouetter un chat. Mais qu'importe: il fallait faire des exemples... Voilà donc notre jeune Mickey sur le pavé, sans situation, mais avec charge d'âmes (sa marâtre et ses deux jeunes frères). Dans un premier temps, les P.T.T. refusent de reprendre ce pestiféré de gaulliste. Huit jours plus tard, ils se ravisent. On l'amène, manu militari, devant le chef du personnel (un personnage à la Dubout) qui lui annonce son affectation à Ouarzazate, poste disciplinaire de la Légion Etrangère dans le grand sud Marocain, où il sera plus facile de le tenir à l'oeil. Transport sous escorte policière jusqu'à Marrakech, puis embarquement dans l'autocar pour Ouarzazate. Dans cette villégiature, ce sont plutôt les distractions qui manquent. En plus de Mickey, deux autres agents des P.T.T. y sont bannis pour raisons disciplinaires. Le poste n'est relié au reste du monde, outre les moyens télécom civils et militaires, que par un autocar quotidien dont les passagers sont étroitement contrôlés, au départ comme à l'arrivée. Cette partie de la haute vallée de l'oued Draa est vraiment désertique, et il n'est pas question de s'y aventurer à pied. Une vraie prison naturelle. Des camions benne y transitent régulièrement, transportant du minerai vers Marrakech. Mickey songe alors à une évasion comme celles qu'il mettait sur pied quelques mois auparavant: les bennes sont équipées dans le fond d'un vaste coffre à outils où un homme peut facilement tenir. Le tout est de s'assurer la complicité du chauffeur car la cachette n'est accessible que lorsque la benne est vide. C'est arrangé avec l'un d'eux, jeune ancien combattant de la guerre de 14-18 (il a tout juste la quarantaine). Il se charge quand même auparavant d'assurer un minimum d'aération par quelques trous percés dans le fond. Heureusement, fin avril, ce ne sont pas encore les grosses chaleurs, et le voyage ne sera pas trop pénible. A fond de benne, Mickey descend donc vers la mine, pour le chargement, puis retour vers Ouarzazate, d'où, sans s'attarder, le chauffeur file vers Marrakech . Douze heures de voyage, mais, à l'arrivée, c'est la liberté sur le quai de la gare. Retour discret à Rabat où Mickey retrouve sa famille et celles d'autres condamnés (Thouret, Salmon, entre autres) dans le plus complet dénuement car tous leurs biens ont été confisqués à la suite du jugement. Les relations, voire même les amis leur tournent le dos. Au bout de deux semaines pendant lesquelles il a logé dans un foyer de jeunes, comme la police ne s'est pas manifestée auprès de ses proches, Mickey en déduit qu'il n'est même pas recherché pour son évasion. Il s'enhardit - la faim chasse le loup du bois - à rechercher un emploi. Pas question de s'adresser aux P.T.T. Mais un ami lui trouve, comble d'ironie, un emploi de gratte papier dans un mouvement de jeunesse créé depuis l'armistice. Pour un gaulliste, il faut le faire ! Les Gardes sont l'équivalent des Compagnons de France en métropole. Modérément engagés sur le plan idéologique, leur dessein est de rassembler les jeunes, leur fournir des activités identiques à celles du scoutisme, mais avec une orientation un peu plus militaire, car leur objectif occulte est la préparation de la revanche. Leur encadrement est essentiellement militaire, avec des officiers provenant surtout des Chasseurs Alpins et mis en congé d'armistice, tels les capitaines Th.D., D.F. dont certains s'illustreront par la suite lors des combats de la Libération. Mickey y est présenté comme le fils prodigue, repenti de ses erreurs gaullistes dues à son jeune âge. Mickey propose à ses chefs de créer une section de Gardes Marins (il avait été avant la guerre dans une troupe de Scouts Marins dirigée par son père). L'idée fut retenue et Mickey chargé de lui donner corps. Il y avait parallèlement une section de Gardes de l'Air, dirigée comme par hasard par un jeune du Réseau, et qui s'adonnaient pour l'instant au modélisme. Premier travail : recruter des volontaires parmi les Gardes, ce qui fut facile. Ensuite, commencer l'entraînement à terre et trouver des bateaux, ce qui l'était moins. Arrière pensée: organiser des croisières le long de la côte, et un jour, pousser jusqu'à Tanger et disparaître... Des pourparlers sont en cours avec la Marine pour le prêt de deux baleinières. Et puis, fin septembre, tout tombe à l'eau: Mickey est à nouveau mis en état d'arrestation. Parallèlement, comme on aurait pu s'en douter, Mickey avait repris ses activités de résistance. Avant perdu le contact avec Londres par l'intermédiaire de Paluat qui était en train de moisir dans les geôles vichystes, il essaye de renouer par le canal du Consulat Général U.S. à Casablanca, à qui il demande de prévenir Londres qu'il est à nouveau disponible, et prêt à recréer un Réseau de résistance. Peu nous importe de savoir si les Américains ont transmis l'offre à Londres, mais tout porte à penser qu'ils ont repris l'affaire à leur compte. C'est normal car ils sont en train de préparer le débarquement de leurs troupes pour dans quelques mois. Un vice-consul donne rendez vous à Mickey devant le cimetière européen à l'entrée de la ville de Rabat, le prend en stop pour le déposer le plus innocemment du monde en plein centre de la ville après avoir discuté en cours de trajet. L'Américain avait promis de transmettre le message à Londres, mais avait fait savoir également qu'il serait intéressé par certains renseignements. Le contact à Casablanca serait un Polonais, et le moyen de reconnaissance les deux moitiés d'un billet de cinq francs. Mickey reconstituait rapidement un petit groupe avec moi-même, un nouveau du nom de J.A., un Belge, et Simone N. , épouse d'un gaulliste détenu à Port Lyautey. Cette dernière devait servir de courrier en contact avec le Polonais de Casablanca, lui transmettre les renseignements et en recevoir les instructions du Consulat U.S. A la nature des renseignements demandés, il fut vite compris qu'un débarquement était en train de se préparer: il fallait fournir en effet des cartes à grande échelle de toute la côte Marocaine depuis Port Lyautey jusqu'à Agadir (dans les 600 Km), et des photographies de toutes les plages, voies d'accès, etc... Je fournis l'appareil photo (un Kodak Scoutbox 6 x 9 reçu en cadeau de communion), ainsi que l'ensemble des cartes topographiques au 1/50000ème subtilisées à mon père qui avait fait carrière comme géomètre. Mickey prospectait le nord de la zone jusqu'à Casablanca, et J.A. s'occupait de tout le reste jusqu'à Agadir. Tout était terminé pour fin Août, et transmis immédiatement au Consulat U.S. D'un autre coté, par M.C., sympathisant qui travaillait à l'Etat Major (mais qui était surtout anti-allemand et ne comprenait pas pourquoi on s'y intéressait), Mickey obtenait régulièrement les listes secrètes de tout ce qui était envoyé en France. Un fonctionnaire de la Résidence Générale, de son coté, faisait état avec fierté de l'effort du Maroc pour fournir la Métropole en conserves de poisson et charcuterie. Il était patent que la majeure partie de ces envois était déroutée vers l'Allemagne. Les troupes soviétiques avaient du reste découvert des boites de conserve marquées "Maroc". Les commandements Alliés en avaient été avertis et menacèrent de bombarder les usines Géo de Fedhala. Menaces sans suite... En Août, Mickey s'attelait à une autre entreprise, qui ne concernait pas les Américains: il s'agissait d'une évasion massive de tous les détenus gaullistes de la Centrale de Port Lyautey (parmi lesquels figurait son père). L'opération devait avoir lieu fin 4192, avec le concours de vedettes anglaises (?) qui auraient évacué tout le monde sur Gibraltar (y compris le gardien chef, qui était sympathisant; de toutes façons, après un coup pareil, il aurait mieux valu pour lui ne pas avoir à donner trop d'explications à ses chefs.) Pour commencer, il fallait confectionner d'après un dessin une copie de la clef passe-partout utilisée par les gardiens pour le quartier des gaullistes. Au second essai, la clef était au point, et elle fut confiée à N. qui devait la cacher jusqu'au jour J. A la même époque, Mickey reçut une information concernant l'installation de D.C.A. pour protéger la base aérienne de Salé. Une pénétration fut entreprise avec J.A. vers le 20 Septembre. L'information était partiellement exacte car des emplacements étaient préparés, mais les pièces pas encore installées. Un courrier avec le rapport de cette "visite" et celui sur les "fournitures" exportées vers la France (tous renseignements top secrets) fut confié à Simone N. vers le 24 ou 25 Septembre. Elle fut interpellée à sa descente du train en gare de Casablanca. Le courrier qu'elle transportait ne laissait aucun doute sur ses activités. Tant soit peu rudoyée, elle finit par avouer. Ses contacts et complices furent aussitôt arrêtés et firent connaissance avec la brigade du commissaire Dubois, chef de la D.S.T. au Maroc. Interrogatoires sans discontinuer, mais sans violences physiques, contrairement à ce qui s'était passé l'année précédente. Mickey ne comprit qu'après le Débarquement la genèse de ces arrestations. N., qui détenait la clef des champs, avait un beau soir mis à exécution, mais à son seul profit, le programme d'évasion. Ce lui fut chose facile: deux ou trois portes à ouvrir sans difficulté pour arriver à la cour extérieure, passer ensuite par la maison du gardien chef, et vive la liberté. Bien entendu son épouse, qui n'était pas au courant de son évasion, fut aussitôt mise sous surveillance car on pensait que l'évadé viendrait la rejoindre sous peu. En gare de Casablanca, la police ne mit pas la main sur celui qu'ils recherchaient; mais en compensation, elle rafla des documents tout aussi intéressants. Mickey fut incarcéré à la prison civile de Rabat (il commençait à connaître les lieux) sous l'inculpation d'organisation d'évasion, en attendant celle d'espionnage au profit d'une puissance étrangère. Tout cela risquait de motiver un verdict assez dur si bien qu'il lui valait mieux chercher à s'évader. Technique habituelle: grève de la faim pour motiver une hospitalisation au cours de laquelle la surveillance risquait d'être moins stricte. Le 8 Novembre 1942, Mickey entendit bien le bruit des combats, mais il était très affaibli, presque aveugle, et avec des étourdissements. Tenu au courant de la situation par un jeune gardien, il espérait bien être libéré peu après la fin des combats. C'était compter sans le commissaire Dubois et ses séides. Dés le 12 Novembre, des soldats américains se présentaient à la prison pour le libérer: "Sorti depuis hier" leur fut-il répondu. Le lendemain, tôt le matin, Mickey fut transféré vers un commissariat de quartier où il fut enfermé toute la journée et ramené à la prison tard le soir. Le jour suivant, nouvelle partie de cache-cache, et ainsi de suite jusqu'au 16 où il réussit à faire savoir à son père, par l'intermédiaire du jeune gardien, ce qui était en train de se passer. Précisons que Pascouët père et les autres gaullistes de la centrale de Port Lyautey avaient été libérés dés la fin des combats. Le 17 Novembre au matin, un jeune sous lieutenant U. S. flanqué d'un immense M.P., et tout deux armés jusqu'aux dents se présentaient à la porte de la prison, où on leur annonçait comme précédemment que l'oiseau n'était plus là. Munis d'un plan de la prison, ils demandaient alors à être conduits à telle cellule. Mickey y était bien... Retour à la maison et remise en forme dans les meilleurs délais. Puis, en coopération avec le jeune officier U.S. qui appartenait au G.2., dépistage des tenants du régime Vichy qui risquaient de constituer une cinquième colonne sur les arrières des armées alliées. A sa sortie de prison, Pascouët père ne savait pas que son fils était à nouveau en détention. Il ne l'apprit que par le jeune gardien dont nous avons parlé plus haut. Il entreprit évidemment de régulariser les choses au plus vite. Puis il organisa une filière de départs vers l'Angleterre avec l'aide, assez tiède il faut bien le dire, du G.2. Les autorités avaient donné l'ordre aux militaires incarcérés de rejoindre leurs unités d'origine dés leur élargissement. Les autres, réservistes pour la plupart, s'attendaient à être mobilisés d'un moment à l'autre dans une armée issue de l'armée d'armistice, et aux ordres de Darlan. Perspective des moins attrayante. Une navette aérienne par Lockheed Hudson fait une navette quotidienne Gibraltar-Port-Lyautey. Il fut proposé de faire partir les anciens internés quand il y aurait de la place. L'occasion était trop belle, si bien que Pascouët en profita pour y ajouter les noms de résistants n'ayant jamais été arrêtés. Un premier regroupement était fait à Rabat, d'où les gens étaient convoyés par groupe de 4 ou 5 chez une famille de gaullistes de Port Lyautey. Famille admirable que ces B. dont un membre servait déjà dans les F.F.L. sous le nom de O'Cottereau. La quarantaine passée, directeurs d'école, royalistes et une famille de 6 ou 7 filles, plus un garçon d'environ dix ans à l'époque, auditeurs assidus de la B.B.C. dont ils diffusent nouvelles et instructions (ce qui leur avait valu quelques démêlés avec la police). La liste d'attente était donc hébergée chez eux, et les postulants au départ étaient prélevés par un ou deux quand il y avait de la place sur la navette de Gibraltar. Sans aucun préavis, et embarquement immédiat dans l'avion dont les moteurs tournaient déjà. Le système fonctionnait assez bien, et Pascouët père embarqua vers le 15 Janvier 43, le dernier des ex-prisonniers, laissant à Mickey la charge de faire partir à présent les Résistants n'ayant pas connu les prisons vichystes, mais qui, pour les Américains, étaient quand même présentés comme d'ex prisonniers. Le 13 Février, Mickey convoyait sur Port Lyautey ce qui devait être son dernier groupe (en réalité, le premier à ne pas partir). Car le lendemain, vers 13 heures, visite surprise du lieutenant U.S. qui avait libéré Mickey quelques semaines plus tôt. Il l'emmène en jeep, et, en cours de route, lui annonce qu'il devait partir illico. Faute de quoi les autorités françaises l'attendaient pour le remettre à l'ombre le soir même, sous l'inculpation d'organisation de désertion. Le choix de la décision ne demande pas longtemps en réflexion. Deux heures plus tard, Mickey était enfin en territoire britannique. Engagement dans les Forces Navales Françaises Libres, école de radio aux U. S. A. , puis missions de guerre dans le Coastal Command. Le petit groupe qui attendait encore chez le B. n'est jamais parti, car, pendant la semaine qu'il a passée à Gibraltar en attendant un convoi pour l'Angleterre Mickey n'en a vu arriver aucun. Fin de l'épopée de résistant de Maurice Pascouët fils. En ce qui me concerne, ayant perdu tout contact avec les Pascouët , et dans l'impossibilité de rallier la France Libre, force me fut de suivre le sort des camarades de mon âge: rejoindre l'Armée d'Afrique de Giraud. Mais revenons à 1940. Vivait à Rabat un cousin du Général De Gaulle (grand-mère commune), dont rien à priori ne pouvait indiquer une parenté avec le "chef rebelle". Mais la rumeur eût bientôt fait de révéler cette particularité, dont il faut convenir qu'elle était, en pays vichyste, plutôt lourde à porter pour un père de six enfants (4 garçons et 2 filles) employé de l'Administration et nullement porté de prime abord à une quelconque action subversive. L'eut-il cherché, qu'il se serait fait rapidement repérer. D'ailleurs, il prétendait avoir souvent un guetteur sur le trottoir d'en face, pour surveiller ses visiteurs. Un véritable piège à conspirateurs ! Ses enfants, tous des adolescents (l'ainé de ses garçons dut attendre ses 17 ans pour s'engager dans la 2ème Division Blindée de Leclerc) se faisaient à l'école des amis ou des ennemis, selon les opinions des uns ou des autres. Comme j'étais intervenu violemment lors d'une altercation entre le fils Maillot Etienne et un jeune tenant du régime en place, M. Maillot m'invita à lui rendre visite pour me remercier personnellement. Quoi de plus naturel, en dehors de toute implication politique ? C'est ainsi que je fis la connaissance de la famille Maillot, ce qui me permit par la suite de commenter abondamment les émissions de la B.B.C. et surtout d'admirer une, puis deux photographies qui trônaient à la place d'honneur sur la cheminée. L'une d'elles était le portrait du sous secrétaire d'Etat à la Guerre nouvellement nommé Général de brigade. L'autre montrait la prise d'arme du 14 Juillet à Londres. Je n'eus de cesse de me faire confier ces photos afin d'en reproduire des tirages qui pourraient être diffusés. Je réussis dans un premier temps à avoir celle de la prise d'armes. Mes connaissances en photographie étant des plus rudimentaires, et préférant ne pas prendre de risques en m'adressant à un professionnel de la place, je fis exécuter la besogne par un de mes jeunes amis, pétainiste mais expert en travaux photo, en lui expliquant qu'un de mes parents était un des militaires présentant les armes et pris "presque" dans l'alignement du Général. Le visage de ce dernier étant peu connu à l'époque, le subterfuge réussit... et les Maillot se trouvèrent en possession de nombreuses reproductions de la photo de la prise d'armes. Restait à en faire autant pour le portrait. Moi, qui m'étais entraîné entre temps à la mise au point sur dépoli avec un vieil appareil à double tirage découvert au fond d'une malle, je me trouvais en mesure de mener l'opération tout seul. On consentit à me prêter le précieux portrait pour quelques heures, le temps de la prise de vues. Quels transports de joie et de fierté chez les Maillot quand ils eurent en main tous ces portraits du Chef de la France Libre ! Quel inestimable outil de propagande! Ils prétendirent prendre à leur charge les frais qui avaient été entraînés. Et le dévouement à la "cause" ? Par la suite, ayant découvert un photographe qui pouvait être favorable à nos idées, on lui confia à exécuter quelques agrandissements du portrait. Ce qui fut fait, livré et payé sans commentaire de part ou d'autre: on s'était compris. Mais le commerçant, voyant le parti qu'il pourrait tirer d'un tel document s'en fit un exemplaire qu'il retoucha façon "Studio Harcourt", comme les stars de cinéma : visage légèrement incliné, atténuation de quelques rides et détails; mais lamentable résultat, qui fut bien entendu désavoué par la famille Maillot. Bien qu'il n'en eut jamais fait état à l'époque, évidemment, Monsieur Maillot avait des correspondants qui lui fournissaient à l'occasion des renseignements et des documents intéressants. C'est ainsi qu'à l'été 42, il avait une série de vues montrant ce qui se passait dans les camps de prisonniers russes. Ce qui frappait, c'était l'état de dénutrition de ces malheureux squelettes ambulants (images vulgarisées après la libération des camps nazis). Eh bien, l'état d'esprit des gens était tellement vicié par Vichy que ces photos furent prises pour des montages de propagande même par des émigrés russes restés néanmoins patriotes convaincus ! Après la Libération du 8 Novembre 42, la famille Maillot put enfin afficher sa parenté et ses activités au grand jour. C'est ainsi qu'on apprit qu'elle avait été en relation avec divers Patriotes qui cherchaient à rallier les F.F.L., tels que R.G., A.B., M.C. logés clandestinement chez Mlle de P. (tous faits qui sont rapportés dans les "Lettres, notes et carnets" du Général de Gaulle). Madame Maillot créa la " Famille du Soldat" pour y accueillir les blessés venus en convalescence à Rabat, et dont la famille était en France occupée. Et il y en eut ! Pour l'anecdote, il y passa un militaire de l'Armée de l'Air, un jeune breton du nom de Ker... qui, pour rallier les F.F.L. s'était engagé dans l'armée de Vichy, fait affecter au Maroc qu'il rejoignait par voie maritime. Au passage du détroit de Gibraltar, quand une vedette britannique passa suffisamment prés de son bateau, K. se jeta à l'eau pour la rejoindre. Malheureusement, un autre bâtiment, vichyste celui là, s'interposa et le récupéra à coups de gaffe. Mise aux fers, Conseil de Guerre, emprisonnement... puis libération après le Débarquement du 8 Novembre. Pour en revenir à Madame Simone Maillot, ses activités de résistance avaient été partagées avec, entre autres, Mlle de P. (déjà citée) et Madame Magny. Cette dernière, professeur agrégé d'histoire et de géographie à Tanger servit souvent à la transmission de renseignements. Compte tenu de ses compétences et de son allant, Madame Maillot fut nommée au Conseil Municipal, puis ensuite au Conseil du Gouvernement. Le Général de Gaulle, de passage à Rabat, rendit évidemment visite à la famille Maillot ce qui fut fixé sur la pellicule. Dans ses "Lettres, notes et carnets", il donne les appréciations les plus flatteuses sur la conduite de Mesdames Magny et Maillot, ce qui leur valut la Médaille de la Résistance, plus la Légion d'Honneur pour cette dernière. Depuis le printemps 1942, les reconnaissances aériennes se multipliaient le long des cotes Marocaines, provoquant l'intervention des groupes de chasse de Vichy équipés de matériel fatigué et dépourvu de pièces de rechange. Le 30 Avril, un Lockheed Hudson survole la base de Casablanca, et s'éloigne dès le décollage des Curtiss. Le 8 Mai, poursuite au large d'un chasseur embarqué Fairey Fulmar. Le 29 Août, un Vickers Wellington est engagé. Pour la seule journée du 2 Septembre, sont interceptés: un Short Sunderland (gros hydravion anglais) un Wellington et un Hudson. Touché, le Wellington se crashe au Nord de Safi. A la même époque, le réseau Arthur Richard photographiait au sol les plages que les avions reconnaissaient depuis le ciel. Les photographies terrestres et les cartes topographiques transitaient par de Consulat U.S. de Casablanca. Le 8 Novembre 1942, date devenue historique, à 2 heures du matin, heure locale, les forces alliées déclenchaient l'opération "Torch" qui devait ramener l'Afrique du Nord Française, puis le reste de l'Empire Français, dans la guerre aux cotés des Alliés. Dans le même temps, Montgomery en Egypte avec sa 8ème armée et le concours des Forces Françaises Libres réglait son compte à l'Afrique du Nord Italienne. Les turpitudes "roosweltiennes", les rancunes "churchilliennes" peut-être, écartèrent la France Combattante de ces opérations, comme si elle n'existait pas. Les Alliés eurent quand même la psychologie de faire porter l'effort principal par les forces U.S. (en totalité en ce qui concerne le Maroc).

Le Débarquement

Opération "Torch"

Depuis le printemps 42, les reconnaissances aériennes se multipliaient le long des cotes marocaines, provoquant l'intervention des groupes de chasse de Vichy équipés de matériel fatigué et dépourvu de, de rechange. Le 30 Avril, un Lockhed Hudson survole la base de Casablanca, et s'éloigne dés le décollage des Curtiss. Le 8 Mai, poursuite au large d'un chasseur embarqué Fairey Fulmar. Le 29 Août, un Vickers Wellington est engagé. Pour la seule journée du 2 Septembre, sont interceptés: un Short Sunderland (gros hydravion anglais)un Wellington et un Hudson. Touché, le Wellington se crashe au nord de Safi. A la même époque, le réseau Arthur Richard photographiait au sol les plages que les avions reconnaissaient depuis le ciel. Les photographies terrestres et les cartes topographiques transitaient par de Consulat U.S. de Casablanca. Bien avant, deux missions avaient été introduites à l'automne 1940, l'une à Agadir, l'autre prés de Mostaganem, mais rapidement repérées et neutralisées. Courant 1942, une nouvelle tentative avorta par la disparition en mer de l'avion transportant l'enseigne de vaisseau Glamorgan, de son vrai nom Danielou. Au Maroc, il n'y eut rien de comparable à ce qu'il y eut en Algérie, où l'entrevue préliminaire de Messelmoun - Cherchell avait préparé les patriotes à agir le moment venu.L'élément fondamental des opérations de non-opposition aux débarquements alliés - les seules relevant de l'intelligence, du patriotisme et du sens de la guerre -fut le Général Béthouart, Commandant la Division de Casablanca. Contacté au début de l'année par Henri d'Astier de la Vigerie et Jean Rigault et ayant adhéré sans réserve au mouvement inspiré par le Groupe des Cinq, il est au courant des opérations à venir. Le samedi 7 Novembre vers 22 heures, il convoque pour une réunion à l'Etat-Major de la Division ses adjoints directs, Officiers et civils, tel que le Contrôleur Civil Gromand.Il y est mis au point les dernières dispositions de ce que nous appellerons des démarches ou des interventions, car il ne s'agit pas tellement d'opérations militaires. Chacun se voit attribuer une mission bien déterminée. La seule opération menée par une troupe en armes sera, vers minuit, l'encerclement de la Résidence Générale de Rabat (ou se trouve le Général Noguès) par une compagnie du R.I.C.M. du Colonel Magnan. Le R.I.C.M., Régiment d'Infanterie Coloniale au Maroc, est le Premier Régiment de France par les décorations de son drapeau. La bonne régle veut que le Général Béthouart rende compte aux chefs d'un rang supérieur au sien de ce qui va se passer, quand ce ne serait que pour leur éviter de faire fausse route: - vers 23 heures, l'Amiral Michelier, Commandant depuis Casablanca la Marine au Maroc reçoit des mains du Lt-Colonel M une lettre l'informant de l'imminence d'un débarquement disposant de tels moyens que toute idée de résistance serait impossible, et même contraire aux intérêts de la France.Michelier ne veut rien entendre. Son Deuxième Bureau n'a rien décelé de suspect. Si débarquement il y a, ce sera tout au plus un commando auquel il sera fait le même sort qu'à celui de Dieppe quelques mois auparavant.... - un peu plus tard, une lettre similaire, et où il est fait appel à son patriotisme est remise à Noguès par un officier subalterne qui lui a été dépêché, mais dont la mission reste sans écho. Par contre Noguès, alerté par cette démarche, la présence de Marsouins autour de la Résidence et la coupure de ses standards téléphoniques, réussit quand même à établir un contact par une ligne du circuit réservé qui - fatale omission - n'a pas été coupée! Il peut ainsi, vers une heure du matin, avoir une conversation avec Michelier, ce qui les conforte tous deux dans leur criminelle détermination de résistance, conformément aux ordres de Vichy. Vers deux heures du matin, MM. M et V arrivent de Casablanca pour remettre à Noguès une lettre du Président Roosevelt. Le pli est reçu par un officier adjoint; les émissaires s'entendent annoncer qu'il n'y a pas de réponse... Dans le même temps, le Général Béthouart a envoyé des officiers de liaison vers les différents chefs de garnisons pour les tenir au courant de la situation, et éviter des combats inutiles. Malheureusement, dés que Noguès a eu éventé la manoeuvre des officiers patriotes, il s'est empressé d'envoyer ses séides pour confirmer les ordres permanents de s'opposer à toute agression. D'où ces inutiles et meurtriers combats sur les plages, sur mer et dans les airs. Un beau gâchis! Fait unique au Maroc, mais plus fréquent ce matin là à Alger: l'arrestation d'un chef militaire, en l'occurrence le général commandant supérieur des troupes au Maroc, par des civils,les frères G..et M.., puis sa mise en sûreté, toute provisoire, à Meknés. Les débarquements, uniquement de troupes américaines, commencèrent très tôt dans la nuit du Dimanche 8 Novembre. Ils eurent lieu de part et d'autre de Casablanca, le plus grand port du Maroc, qui devait permettre par la suite le déchargement de matériel pour les opérations à venir. Mais il n'y avait pas de plage à proximité immédiate, et les défenses étaient trop importantes, tant par les batteries côtières que par les pièces de 380 du cuirassé "Jean Bart". Les troupes U.S. touchèrent donc terre à Safi (200 km au sud de Casablanca), Fedhala (maintenant Mohammédia, à 20 km au nord), et à Mehdia (100 km encore plus au nord, avec Port-Lyautey, maintenant Kénitra à 15 km à l'intérieur) à l'embouchure de l'oued Sebou. Si l'opposition fut réduite à Safi et nulle à Fedhala (la garnison obéissant en cela aux ordres du Général Béthouart), il n'en fut pas de même à Mehdia, où les opérations furent meurtrières, obligeant le Général Truscott à faire donner tous les effectifs dont il disposait. Les difficultés provenaient d'une casbah surplombant l'embouchure du fleuve, avec une importante base aérienne sur l'autre rive. Pour prendre les défenses à revers, le destroyer "Dallas"reçut comme mission de remonter le fleuve dont le cours tortueux était encombré de bancs de sable et de bateaux échoués. Après quelques tâtonnements, le navire réussit pleinement dans sa mission, sans que ses commandos embarqués aient été détruits comme ce fut le cas à Alger ou Oran. Il faut dire qu'à la barre du "Dallas" se trouvait Malvergne,qui n'était autre que... le pilote du port: il devait donc connaître le fleuve et ses particularités comme le fond de sa poche. Contacté par qui il fallait, il était passé à Tanger, puis Gibraltar quinze jours plus tôt, caché dans le coffre arrière d'une automobile du Consulat U.S. Mieux valait prendre ses précautions en cas de contrôle d'identité. Dans la prison centrale toute proche, les détenus gaullistes devaient applaudir au bruit des combats qui allaient bientôt les libérer. A Casablanca, la marine de Vichy se crut obligée de se donner à plein, surtout qu'elle bénéficiait de l'appui du cuirassé Jean Bart. Bien qu'immobilisé à quai, il avait quand même une tourelle quadruple de 380. Pertes sensibles de part et d'autre. Toujours la conséquence de la mise en condition vichyste. On ne peut même pas invoquer l'anglophobie instinctive et atavique des marins, car il n'y avait en face que des américains; voilà où nous a menés un stupide maréchalisme. A Rabat, à part la neutralisation du R.I.C.M. (mais il n'y eut pas de débarquement à cet endroit précis) et le putsch manqué contre la Résidence Générale et Noguès, rien d'autre à signaler qu'un pluie de tracts et le bombardement des bases aériennes de Rabat et Salé, où l'aviation fut vite clouée au sol et ses dépôts d'essence incendiés. Après la réduction du putsch, le général Béthouart fut évidemment arrêté, ainsi que ses proches subordonnés. Arrêté également un Contrôleur Civil de la région de Rabat, Maurice Boniface. Ils passèrent aussitôt devant une Cour Martiale selon une procédure expéditive qui les condamna à mort! Toujours pour faire des exemples. Heureusement, la sentence fut suspendue depuis Alger, mais cela constitua un forfait de plus à porter au compte du général Noguès. Béthouart sera nommé par la suite Compagnon de la Libération. A Bouznika, à mi chemin entre Rabat et Casablanca, un convoi de quatre petites unités marchandes arrivant de métropole et escortées par un petit bâtiment de guerre, fut surpris à l'aube de 8 Novembre. Les commandants crurent malin d'obéir aux instructions et précipitèrent leurs navires sur les rochers côtiers, occasionnant ainsi leur perte ainsi que celle des cargaisons. Ils auraient quand même pu comprendre que la victoire était en train de changer de camp ! Les journées du Dimanche 8 du lundi et du mardi suivants se passèrent sans événement notable pour les populations civiles. Outre les tracts mentionnés ci dessus, l'appel du général Eisenhower avait été reçu à plusieurs reprises sur les ondes. La teneur en était des plus rassurantes: les Alliés faisaient savoir qu'ils arrivaient sans intention hostile vis à vis de la France, mais bien au contraire pour l'aider à secouer le joug de l'Axe qui l'écrasait depuis 1940. Il était néanmoins dangereux de s'aventurer sur les routes, la tactique consistant à interdire tout transport, fut-il civil, sauf s'il était couvert par la Croix Rouge. Les véhicules qui s'aventuraient hors des villes, et surtout le long du littoral, risquaient fort de se faire straffer, comme ce fut le cas au pont suspendu de l'oued Cherrat (30 Km au sud de Rabat) où un camion civil fut incendié, et un des occupants périt carbonisé après avoir cherché refuge sous le pont arrière. Le 11 au matin, tout se déclenche. Il est enfin convenu un armistice entre les forces en présence, les chefs vichystes ayant considéré jusque là que le cessez le feu signé par Darlan à Alger le 8 Novembre ne concernait que lui même. Venu voir son fils gravement malade, il s'est fait coincer par les événements, ce qui ne sera pas sans compliquer la situation par la suite (l'imbroglio d'Alger), même si elle offre aux Alliés la possibilité de trouver pour l'instant, en la personne du plus ancien dans le grade le plus élevé, un interlocuteur soit disant valable. N'oublions quand même pas qu'ils ont déjà dans leurs impedimenta le général Giraud, à qui on a promis monts et merveilles. Lui, se fait des idées et se voyait déjà supplanter Eisenhower, même si, comme il est de coutume dans l'armée française, il a encore une guerre de retard. Le seul à être à la hauteur, le Général De Gaulle, ronge son frein, et il lui faudra attendre la conférence d'Anfa pour mettre enfin le pied en Afrique du nord, mais de façon semi-clandestine, en attendant fin Mai 43 pour venir prendre à Alger la place qui lui revient de droit. La France est entièrement occupée, sauf l'enclave de Toulon qui bénéficie d'un sursis de deux semaines. Cette libération du 8 Novembre I942 en Afrique du nord n'a rien eu de commun avec ce qui devait se passer deux ans plus tard en France. La brièveté des opérations, la ponctualité des lieux de débarquement, la quasi absence d' action des patriotes (sauf à Alger), l'équivoque provoquée par Darlan qui se pose en représentant de Vichy et s'investit des pleins pouvoirs, l'absence de la France Combattante, mais par contre l'arrivée de Giraud après un voyage rocambolesque, plus la mentalité des français d'Afrique du nord (un million de pétainistes dira plus tard le Général De Gaulle), tout cela fait que la vie reprend son cours comme auparavant. Evidemment, on est revenu à l'état de guerre. Déjà, on se bat à la frontière tunisienne. Il va y avoir une mobilisation, et les récriminations vont reprendre comme en 39 contre les affectés spéciaux. Cette mobilisation va porter sur prés de 30 classes, soit plus de 16 % de la population. Mais, au fait, pour quoi va-t-on se battre? L'administration de Vichy et sa propagande, sa mentalité, sont toujours en place. Heureusement qu'au Maroc,nous n'avons pas eu à nous frotter à des forces britanniques. Les américains, eux, furent nos allies de tout temps. Leurs troupes nous étonnent par leur équipement moderne, leur jovialité nous rassure, leur marché noir effréné ramène ramène un semblant de prospérité et permet à certains de faire des affaires juteuses. Mais la mentalité vichyste est toujours là. Le Service d'Ordre Légionnaire (S.O.L.), destiné à devenir la Milice de sinistre mémoire, se livre toujours à ses activités para-policières et va jusqu'à tenir une cérémonie de prestation de serment sur la place publique devant la Cathédrale de Rabat, suivie d'un défilé au pas cadencé dans les rues de la ville. Serment à qui? A Pétain, bien sur, à qui il est toujours fait référence. Si la radio diffuse et si on chante "Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine", si on entend souvent "Sambre et MEUSE" et la "Marche lorraine", c'est parce que ce sont de martiales marches patriotiques et surtout pas parce que cette dernière est le chant de ralliement de la France Combattante . Et s'il est question d'aller guerroyer, savez vous pour qui et pour quoi ? "Pour Libérer Le Maréchal". Peu importent les deux millions de prisonniers, les déportés, l'occupation et toutes ses pesantes contraintes. L'objectif est d'aller au secours de celui dont le portrait trône encore dans toutes les administrations et la plupart des foyers. Du reste, son dauphin tiendra, jusqu'à Noël, et avec la bénédiction des Alliés, les rênes du pouvoir centralisé à Alger et s'étendant sur l'ensemble de l'Empire nouvellement libéré. C'est dire à quel point la propagande vichyste a réussi à vicier le jugement et gangrener les mentalités. Le seul point positif à porter à son crédit est que son embrigadement de la jeunesse dans divers mouvements, soit préexistants (Scouts, Eclaireurs, Coeurs Vaillants), soit nouvellement créés (Chantiers de Jeunesse, Gardes) facilitera son intégration sous les drapeaux, en lui ayant apporté les premiers rudiments de comportement et discipline militaires. Et les membres de la Résistance, dans tout cela ? Nous avons vu qu'à partir d'un courant minoritaire d'opinion que les vichysois affublaient du sobriquet de "gaullards", un petit noyau mena des actions ponctuelles, répétitives, souvent efficaces à court ou moyen terme, telles que l'évasion de militaires vers Gibraltar, des missions de renseignement et du travail de propagande, mais deux fois interrompues par des coups de filet de la police. Les chefs ayant été incarcérés, ainsi que les résistants cherchant à rallier les forces alliées, les sympathisants se noyèrent dans l'anonymat de la foule, mais sans cesser pour autant la propagande de bouche à oreille. Ceux qui avaient été incarcérés à la centrale de Port Lyautey furent évidemment libérés dans les premiers. La plupart réussit à rejoindre la France Combattante et mener ainsi le combat auquel ils aspiraient depuis des années. Leur incarcération et ses motifs leur servant de références, les Alliés facilitèrent leur départ du Maroc. Les autres résistants, dépourvus de telles possibilités, en furent réduits à l'incorporation dans l'Armée d'Afrique, ex armée de Vichy, à présent aux ordres de Darlan, puis de Giraud. Certains purent en déserter pour rejoindre la France Combattante. D'où l'étrange situation de militaires sous la Croix de Lorraine dont la famille recevait la visite de gendarmes les recherchant comme déserteurs ou insoumis.

...certains "gaullistes" d'Algérie ou du Maroc, mettant à profit la confusion générale, parvenaient à nous rejoindre (Charles De Gaulle)

Si les actions des membres d'Arthur Richard n'eurent pas le retentissement de leurs, homologues de la Résistance en métropole - dont les faits d'armes, après avoir été appréciés du Haut Commandement Allié lors des débarquements de Normandie et de Provence, ont été contés par le détail -, c'est qu'il s'est agi d'une Résistance extra-métropolitaine, se passant à distance du théâtre d'opérations européen. Si ceux du réseau Henri d'Astier eurent deux morts à Alger le matin du 8 Novembre (le capitaine Pillafort et le lieutenant Dreyfus) , ceux de la mission Arthur Richard eurent également leurs héros et leurs martyrs. Le réseau fut détruit par la rafle de Juin 31, qui amena l'arrestation de 27 de ses membres sur 32 ; mais il se reconstitua grâce au sursis dont bénéficièrent, en raison de leur âge, de jeunes résistants qui reprirent le combat clandestin dés que l'opportunité leur en fut offerte. Maurice Pascouët père fut libéré,dés après le débarquement du 8 Novembre de la centrale où il purgeait une peine de dix ans de travaux forcés pour "atteinte à la sûreté extérieure de l'Etat". Il rejoignit Londres où il contracta un engagement dans le B.C.R.A. (2 ème Bureau). Parachuté en France, il fut arrêté à la suite d'un simple contrôle d'identité. Il avait évidemment de faux papiers, mais fut démasqué par ses empreintes digitales archivées depuis sa précédente arrestation au Maroc en Juin 41. La police politique de Vichy faisait bien son boulot pour le compte de la Gestapo. Déporté à Buchenwald, il y mourut début 1945 . Pierre Gabrielli, membre du même service secret, fut grièvement blessé (fracture du bassin) lors d'un parachutage. Pour l'ensemble des membres du " sous réseau Arthur Richard " et quelques autres Résistants du Maroc, les services rendus à la Résistance furent récompensés par: Légion d'Honneur: Pierre Gabrielli, Simone Maillot, Louise Nicolas, Maurice Pascouët père (Mort pour la France à Buchenwald) Médaille de la Résistance avec Rosette: Louis Leclerc, Honoré Paluat, MM. Maurice Pascouët père et fils (cas très rare, sinon unique dans une même famille), plus Maurice Boniface et Anna Paolantonacci (de Casablanca) . Médaille de la Résistance: Lucien Aillaud, Arthur Biau, Henri Boube, Jean Gabrielli (Mort au Champ d'Honneur), Pierre Gabrielli, Marcel July, Simone Maillot, Madeleine Magny, Gilbert Morrisson, Louise Nicolas, Ferdinand Pelet du Planty, Paul Wittmer, plus Jean Paolantonacci; (de Casablanca ) et le Capitaine Maurice Prochasson. Un certain nombre de titre de Combattants volontaires de la Résistance, Médailles Commémoratives des Services Volontaires dans la France Libre, Médailles de la France libérée, de la Déportation et de l'Internement pour faits de Résistance... Le nom de Maurice Pascouët Père fut donné à une artère du centre de Rabat: la portion de la Rue Capitaine Petitjean qui longeait la Banque d'Etat du Maroc jusqu'aprés les Jardins du Triangle de Vue, et qu'il avait empruntée durant des années pour se rendre à son travail aux Chemins de Fer Marocains (bureaux Rue de la République).

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Les membres du réseau de résistance à Rabat n'eurent jamais entre eux que des contacts par deux, voire trois lors d'un recrutement. Le cloisonnement y était tel que, même après la guerre, certains membres se connaissaient sans s'être reconnus comme membres du même groupe. Ce fut bien une mise en pratique instinctive de l'esprit des "missions clandestines" dont parle le Général De Gaulle dans ses Mémoires de Guerre. Après la guerre, les deux douzaines de résistants furent regroupés en une "Mission Arthur Richard". On aurait tout aussi bien pu lui donner le nom de "Mission Paluat" du nom de l'agent du B.C.R.A. (2ème Bureau Français Libre) qui résidait à Tanger et servit de correspondant avec Londres. Il se fit arrêter au protectorat en Juin 41, quand il s'y aventura au moment ou presque tous les membres du réseau subissaient le même sort. L'ère administrative étant ouverte, le réseau fut rattaché, pour sa liquidation, au 3 Réseau Henri d'Astier "qui avait fait du beau travail à Alger le matin du débarquement". Le Liquidateur National, Roger Carcassonne - Leduc, après de brillantes actions de résistance, avait rejoint en 43 le Général De Gaulle qui le garda à son Etat-Major personnel. Compagnon de la Libération, il fut pendant des décennies le Président de "l'Association de la Libération Française du 8 Novembre", qui ne compte guère plus de 500 membres. Ceux ci se réunissent solennellement chaque 8 Novembre à l'Arc de Triomphe de l'Etoile pour le dépôt d'une gerbe. La cérémonie a lieu en présence de diverses autorités civiles et militaires, dont les représentants de trois armées alliées. Elle est suivie d'un apéritif d'honneur dans les salons de l'Hôtel de Ville de Paris. Le lendemain, pèlerinage rituel à Colombey-les-Deux Eglises. L'intersection des rues LA Fayette et Chabrol, dans le Xéme arrondissement de Paris, a reçu le nom de "Place du 8 novembre 1942"et il doit y être érigé un monument avec une inscription rappelant les événements de cette journée. Plus discrète, parce que comptant moins de membres, l'Association "Ceux du 8 novembre" regroupe les Officiers d'Active ayant joué un rôle dans le débarquement. Leur mérite fut d'avoir désobéi aux ordres qu'il leur aurait été si facile d'exécuter aveuglément. Leur religion étant faite d'avoir à rejoindre le camp allié, ils eurent le courage d'en prendre les risques. Après avoir contré les commissions d'armistice, ils auraient été accusés de trahison en cas d'échec du débarquement. Ceux là donnèrent vraiment tout leur sens aux termes de " servitude et grandeur militaire ".

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Avant de conclure ce bref compte-rendu, il peut s'avérer intéressant de revenir sur ces événements; mais cette fois avec une vue plus large sur ce que fut, de l'intérieur, la préparation du débarquement. Les forces de l'Axe n'étaient présentes que par leurs Commissions d'Armistice, pointilleuses et vigilantes, mais que les militaires français s'employèrent généralement à mystifier: camouflage d'effectifs et de matériels qui devaient aider la reprise presque immédiate des opérations sur le front de Tunisie. Pour essayer d'obtenir le ralliement dans le camp allié des territoires d'Afrique Du Nord, les avances faites au niveau le plus élevé de la hiérarchie vichyste se heurtèrent à des fins de non-recevoir. A un niveau un peu moins élevé, le consensus pour la cause allié se fit entre certains éléments. C'est ainsi que se constitua le " Groupe des Cinq " (Henri d'Astier de la Vigerie, Jean Rigault, le Colonel Van Hecke des Chantiers de Jeunesse, Jacques Tarbé de Saint Hardouin et Lemaigre-Dubreuil), disposant de "couvertures" officielles lui permettant de se déplacer facilement, ce qui lui assura une efficacité des plus appréciables. Ses membres s'activèrent jusqu'au débarquement. Leur mérite fut d'amener à leurs vues et coordonner l'action de certains responsables militaires, tels que les Généraux Béthouart à Casablanca, Mast à Alger, ainsi que son adjoint le Colonel Jousse. C'est à lui que l'on doit vraiment la réussite du soulèvement à Alger: son poste de Commandant de la Place lui permit de fournir aux patriotes les armes, véhicules, laisser-passer et brassards leur donnant la possibilité de neutraliser les autorités vichystes et leurs séides. Parallèlement s'était constitué un mouvement d'opposition à la politique de Vichy et ses applications en Algérie. Les juifs natifs de ces départements venaient de se voir retirer les avantages que leur avait octroyé 70 ans plus tôt le décret Crémieux: déchéance de leurs droits civiques, expulsion d'administration et d'écoles, numerus clausus pour l'exercice de certaines professions. Par solidarité dans ces épreuves, ils resserrèrent les liens à l'intérieur de leur communauté. Ce mouvement eut la sagesse de se tenir dans une cauteleuse clandestinité qui ne laissa pas soupçonner son existence, contrairement à ce qui se passa au Maroc. Là, les résistants, mus uniquement par leur colère et leur patriotisme, et sans aucune autre nécessité, se livrèrent à une propagande provocatrice, ce qui amena leurs arrestations répétées et leur neutralisation. A Alger, les habitués d'une salle de gymnastique prirent certains risques en ralliant autour d'eux des jeunes gens, qui étaient évidemment parmi les plus ardents à vouloir agir. Le nombre d'initiés éventuellement opérationnels se monta à prés de 1.500. C'était là un beau vivier dans lequel le Groupe des Cinq et les militaires qui s'y étaient agrégés purent recruter, le moment venu, des groupes d'action pour faciliter le débarquement. Lors de l'entrevue de Cherchell, le plan d'action, sinon sa date exacte, avait été dévoilé dans ses grandes lignes. Il fut même remis un pistolet mitrailleur à un jeune participant, ce qui lui permit, par la suite, de prouver qu'il n'y avait pas d'affabulation dans ses propos; tout au plus de l'exagération, car il prétendait avoir un stock de 500 armes, mais sans préciser qu'il ne s'agissait que de fusils Lebel modèle I886. Les actions des patriotes à Alger au matin du 8 Novembre ont été suffisamment décrites par ailleurs et sortent du cadre du présent exposé. Nous ne voulons pas conclure sans leur rendre hommage, car, sans leur action téméraire, les troupes alliées auraient risqué de se voir clouées sur les plages,voire même repoussées, ce qui aurait permis à l'Axe de prendre pied plus largement et plus fortement qu'il ne le fit en Tunisie. Et le cours de la guerre en eût été changé...

Document

COMPLAINTE DE L'AVIATEUR

qui n'a pas réussi à rejoindre Gibraltar

et se retrouve en prison

(sur l'air de "Je tire ma révérence")

Je tire ma révérence

Et m'en vais sans retard,

Sur les routes de France

De France à Gibraltar.

Mais il faudrait quand même

Pour qu'ce Simoun m'amène,

Il faudrait, j'en ai marre

Que son salaud d'moteur démarre.

J'ai fait le plein d'essence

Et j'ai ôté les cales.

L'hélice tourne et s'élance

Et puis le moteur cale.

J'ai dû quitter la place.

Tout s'tasse, tout passe, tout lasse.

Et j'n'ai pas pu me taire

En m'trouvant d'vant l'commissaire.

Maint'nant je suis en tôle;

Je bouffe des féculents.

Si vous trouvez ça drôle

Tâchez d'en faire autant.

Mais ayez souvenance

Que dans notre douce France

Si nos moteurs sont nuls,

Par contre, on fait de bonnes cellules.