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Docteur Paul FERON
"Gaulliste" à Rabat Guerre 1939 / 1945
Témoignage
RÉSISTANCE
Écriture : 1991 - 50 Pages
**
Réseau
Henri d'Astier
Mission Arthur Richard
1940 - 1942
" Par une sorte
d'obscure prévision de la nature, il se trouvait qu'en
1940, une partie de la génération adulte était,
d'avance, orientée vers l'action clandestine. Entre les
deux guerres, en effet, la jeunesse avait montré
beaucoup de goût pour les histoires de 2ème Bureau, de
service secret, de police, voire de coups de mains et de
complots.
Les livres, les journaux, le théâtre, le cinéma
s'étaient largement consacrés aux aventures de héros
plus ou moins imaginaires qui prodiguaient dans l'ombre
les exploits au service de la patrie.
Cette psychologie allait faciliter le recrutement des
missions spéciales".
Charles de GAULLE
Mémoires de Guerre "Londres"
Avant
Propos du témoin
Vouloir relater des faits remontant à
cinquante ans, en se basant sur la tradition orale et les
récits des acteurs relève de la gageure. En tous cas, cela
fait courir de sérieux risques d'erreurs. Aucune archive à
consulter, comme il se doit pour un Réseau de résistance
qui fut par deux fois démantelé par la police du pouvoir
en place. Tout juste un carnet de rout qui rapporte
quelques anecdotes, de rares coupures ce journaux, des
extraits de récit historique... Cela eut carrément relevé
de la mission impossible si je n'avais réussi à contacter
le fondateur du réseau. Heureusement, surtout, qu'à
l'époque évoquée, nous étions de tout jeunes gens: les
faits ont suffisamment marqué nos mémoires juvéniles pour
qu'ils puissent ressortir aujourd'hui. C'est ce que j'ai
relaté dans les pages qui suivent. Si j'ai pioché un peu
partout dans le récit historique, c'est pour donner à mon
ouvrage une charpente qui permette de mieux se replacer
dans le contexte de l'époque. Puissent les pages qui
suivent rajeunir les Anciens en leur rappelant l'heureux
temps de leur jeunesse, et inciter les générations
montantes à se souvenir des efforts de leurs aînés pour
leur conserver le bien-être et la liberté dont elles
bénéficient de nos jours. Le présent document ne veut être
qu'un compte-rendu d'activités d'un groupe de patriotes
ayant oeuvré dans la Résistance Extra-métropolitaine. Prés
d'un demi siècle après, il n'est pas question de
recueillir les témoignages de tous les protagonistes.
Seuls quelques uns ont pu être contactés et leurs
souvenirs tissés pour le présent récit. Pour tous les
autres, ils ne seront mentionnés que par leurs initiales,
sauf accord de leurs proches pour qu'ils soient nommément
cités, ou s'ils figurent dans des documents officiels ou
historiques. Mon récit ne se veut exhaustif ni des faits,
(voir son titre), ni de l'ensemble des membres du Réseau.
Veuillent bien, ceux qui viendraient à en prendre
connaissance, ne pas s'offusquer s'ils ont été oubliés,
m'en excuser et le cas échéant me mentionner ce qui
pourrait être ajouté pour compléter ce récit, pourvu que
ce soit d'un intérêt général.
POSTFACE
de Michel EL BAZE
Certains faits relatifs aux dernières
guerres pourraient rester à jamais occultés et disparaître
avec leurs témoins.. Nous en avons un exemple avec cet
ouvrage traitant de la Résistance extramétropolitaine en
Algérie et au Maroc, de Juin 1940 au 8 Novembre 1942.
Lorsque Madame Gitta Amiraz-Silber relate, dans "La
Résistance Juive en Algérie", ce qui s'est passé à cette
époque, elle suscite l'admiration et la surprise d'un de
nos contemporains de premier plan, le Premier Ministre
d'Israël Ménahem Begin : - "Nous n'avions que peu
d'informations sur les actes de ces combattants
anonymes... dans la lutte (contre) le joug de l'Allemagne
nazie. Elle a révélé et sauvé de l'oubli la vérité". Un
autre exemple tout aussi marquant au sujet des actions qui
se sont greffées sur le débarquement américain au Maroc :
un officier de l'armée de Vichy, avait, avec d'autres,
pris le parti des Alliés contre les ordres permanents. A
ce titre, il avait reçu mission du Général Béthouard
d'aller prévenir les garnisons de différentes villes de ne
pas s'opposer stupidement aux libérateurs. Un demi siècle
plus tard, bien que Président de l'association regroupant
les officiers ayant accompli les mêmes missions
dangereuses, il ignorait encore que des civils avaient
oeuvré pour la même cause en renseignant les Alliés par le
canal des autorités consulaires américaines. Il fallut,
pour combattre son scepticisme lui fournir des coupures de
journaux de l'époque, des jugements du Tribunal Militaire
où il aura peut-être pu reconnaître certains de ses pairs
Pour conforter la vérité, la détailler ensuite, enfin lui
donner vie, le témoignage du Docteur Paul Féron, est un
merveilleux matériau mis à la disposition des chercheurs
pour l'écriture de l'Histoire de notre Pays.
Table
Avant propos 7
La mémoire 8
Réseau Henri d'Astier
Mission Arthur Richard
La débâcle 9
Le Débarquement 21
Documents 28
*
La
mémoire
La mémoire : seul
bagage incessible
Jacques ATTALI
La
débâcle
Au Maroc, l'armistice de juin 40 fut
ressenti avec les mêmes stupeur et indignation que partout
dans le monde libre. Voire même avec honte. En particulier
pour les Français qui y résidaient (quelques centaines de
mille), risquait de se poser le problème de leur avenir à
long terme en cas de victoire totale du Reich. Les
démonstrations germaniques du début du siècle à Agadir et
à Tanger d'une part; l'alliance "de facto" avec l'Espagne
franquiste qui avait terminé sa guerre civile un an plus
tôt et pouvait être tentée de revendiquer l'élargissement
de sa zone d'influence (et n'allait pas se gêner pour
occuper la ville internationale de Tanger), d'autre part,
pouvaient laisser craindre aux Français de là-bas un sort
identique à celui des Alsaciens et des Lorrains en I871.
Pour l'instant, de nombreux régiments à recrutement local
(Tirailleurs, Zouaves, Spahis...) avaient été pris au
piège au cours de la campagne de France. Ils se trouvaient
donc en captivité avec leur encadrement à forte majorité
français. Des unités de resserve étaient bien en
formation, mais, avec toujours une guerre de retard,
avaient comme par hasard un équipement inadapté à la
guerre moderne. Quelques éléments de l'aviation et de la
marine avaient été repliés sur l'Afrique du Nord. Partout
donc la consternation régnait, accentuée par
l'impossibilité de ne pouvoir faire quoi que ce soit. Dans
l'opinion, deux courants s'étaient créés: les "jusqu'au
boutistes" qui enrageaient de ne pouvoir continuer la
lutte, et les attentistes, qui devaient fournir par la
suite les adeptes de la politique de Vichy. Parmi les
premiers, les seuls qui nous intéressent, certains,
spontanément ou motivés par l'Appel du 18 Juin (qui
n'avait pourtant eu que peu d'audience au Maroc)
réussirent à rejoindre les possessions britanniques pour y
poursuivre le combat. Il faut se rappeler que le Maroc
n'était qu'un Protectorat français en terre d'Islam, et
l'affront que venait d'essuyer la France risquait fort de
se répercuter sur notre prestige auprès des populations
locales dont la pacification totale ne remontait pas à une
dizaine d'années. Une stricte censure était déjà établie
depuis 1939, et la presse n'avait révélé qu'une partie des
conditions d'armistice, celles qui ne pouvaient vraiment
pas être passées sous silence: étendue de la zone occupée,
neutralisation de l'Empire et de la Flotte. Conformément
aux directives d'orientation données en haut lieu, la
relation des divers événements mondiaux continua à être
diffusée, mais présentée évidemment dans un sens favorable
à l'Axe. Les douloureux affrontements de Mers El Kébir
provoquèrent une prise de position carrément hostile aux
Britanniques. Cela se conçoit. Churchill en dit : "Le
malheur, c'est que l'amiral anglais le plus bête a
rencontré le plus bête des amiraux français". Mais cela
n'explique ni n'excuse rien. Néanmoins, par ces médias qui
étaient bien obligés d'en parler, même en termes
malveillants, en partie par les conversations entre
particuliers, il fut connu qu'un certain Général De
Gaulle, Sous Secrétaire d'Etat à la guerre dans un des
derniers gouvernements de la IIIéme République, avait pris
le flambeau de la résistance à l'envahisseur, ce qui ne
fut pas sans réchauffer le coeur de bien des patriotes. La
relation par les médias des diverses péripéties entre le
gouvernement de Vichy, ses possessions outremer, sa
Flotte, et les "dissidents" à la solde de l'impérialisme
britannique fut toujours orientée sous un jour défavorable
à ces derniers, comme il se doit. Il va sans dire que tout
fut mis en oeuvre par les Britanniques (en particulier par
leur "Cavalerie de Saint Georges") et par le Général pour
essayer d'obtenir le ralliement du plus grand nombre
possible de territoires de l'Empire français et d'unités
navales. Il fallut attendre le cours de l'été 40 pour que
cette politique put porter ses fruits, à commencer par
l'Afrique Equatoriale. En ce qui concerne le Maroc, il y
eut les manoeuvres des parlementaires français qui
fuyaient l'avance allemande à bord du Massilia, et
s'étaient arrêtés à Casablanca. Georges Mandel, ancien
ministre des colonies, se paya à son profit une réédition
de l'Appel du 18 Juin. Mais, après avoir pris contact avec
le Consul de Grande Bretagne, il se trouva consigné à bord
du navire qui s'était ensuite éloigné en rade: les
autorités en place, en l'occurrence le général Noguès
n'avaient pas apprécié la machination. Le 28 Juin après
avoir ostensiblement survolé la ville, amerrissait à
l'embouchure de l'oued Bou Regreg, fleuve coulant entre
Rabat et Salé, un hydravion aux cocardes anglaises. Nous
nous rendîmes nombreux sur la berge pour voir ce qui
allait se passer. Déception! : nous ne vîmes rien. Ce
n'est que longtemps après que nous apprîmes qu'à bord se
trouvaient M. Duff Cooper, du Cabinet britannique, et le
Général Gort, Commandant en Chef. N'ayant pu prendre
langue avec Mandel, peut être espéraient-ils avoir plus de
chance avec Noguès ? Impasse de ce coté là également.
Churchill, qui n'a rien réussi à obtenir non plus de
Darlan, finit par reconnaître que le seul à qui il puisse
faire confiance est le Général De Gaulle, même si sa
représentativité et ses atouts ne valent pas ceux des
autres mentionnés ci-dessus. Le soir même, il se décide
enfin à le reconnaître comme "chef de tous les Français
Libres qui se rallient à lui pour la cause alliée". Dans
les jours qui suivirent nous fûmes plusieurs fois
réveillés de bon matin par des tirs de défense contre des
avions qui lâchaient des tracts appelant les populations à
oeuvrer en vue du ralliement du Maroc au camp des Alliés,
puis pour faire connaître l'Appel du Général De Gaulle,
enfin pour présenter des événements de Mers El Kébir une
relation moins tendancieuse que celle donnée par la presse
et la radio. Les commentaires allaient bon train dans les
conversations. Personnellement, faisant un amalgame du
contenu de ces tracts et des informations de la B.B.C., je
rédigeais "mes tracts" où je redressais les mensonges
propagés officiellement. Mes seuls moyens de diffusion
étaient de les recopier à la machine et avec des carbones,
pour aller les glisser dans les boîtes à lettres. Mon
attention fut attirée sur les risques de me faire
identifier par les caractéristiques de ma machine à
écrire. Ce "bricolage" se poursuivit jusqu'au moment où je
fus contacté par le Réseau qui était en train de se
constituer. En Grande Bretagne, le Général De Gaulle
cherchait à rallier le plus possible des militaires
français repliés depuis Narvik ou Dunkerque. Vinrent s'y
joindre ceux qui, en plus de la volonté de se battre
contre l'envahisseur, avaient conscience qu'il fallait le
faire dans le cadre d'un vaste mouvement patriotique, qui
devait devenir, de ce fait la France Libre. Le Général
avait compris qu'il lui fallait, non pas mettre sur pied
une simple légion de volontaires à incorporer dans l'armée
anglaise, mais bel et bien faire le pendant à ce qui était
en train de se mettre en place à Vichy, et montrer ainsi à
la face du monde que c'était bien la France qui continuait
la guerre. Pour les débuts de la France Libre, il n'y eut
que des ralliements d'individus isolés. Peu d'arrivées en
groupes constitués. Citons néanmoins l'ensemble de la
population mâle de l'île de Sein, et l'Ecole de Pilotage
de Morlaix, sous les ordres du Lieutenant Pinot, qui
embarqua sur un langoustier ses 118 élèves, leur
encadrement et quelques autres. Partant du Maroc et de
l'Afrique du Nord, les ralliements purent se faire vers
Gibraltar (voire peut-être Malte ?) avec des avions ou des
unités navales. Les évasions par avion étaient d'autant
plus difficiles que les appareils étaient étroitement
surveillés, voire même mis en panne par ordre de la
hiérarchie. Au Centre d'Instruction de la Chasse à
Oran-la-Sénia, le commandant de la base avait, le 29 juin,
averti le personnel qu'il n'était pas question de
continuer la lutte, et menacé ceux qui passeraient outre
d'être portés déserteurs. Huit appareils se seront
éclipsés en quelques jours ! Le plus célèbre des évadés de
cette époque fut René Mouchotte. Dés le 30 Juin, il
s'envola à l'aube avec un Caudron Goëland et quatre
passagers pour aller se poser à Gibraltar. En trois ans de
chasse dans la R. A. F. , puis dans les Forces Aériennes
Françaises Libres dont il commanda le Groupe Alsace, il
participa à 332 opérations en 408 heures de vol de guerre,
et fut crédité de sept victoires aériennes et de
l'incendie de dix navires. Il fut abattu le 27 Août 42, au
retour de sa troisième mission de la journée. Sa ténacité,
son énergie, son courage, furent la réédition de ceux de
Guyemer un quart de siècle auparavant: D.F.C. britannique;
Compagnon de la Libération. Dans la même journée du 30
Juin, ce fut le tour de Fayolle et Stourm, sur Caudron
Simoun, toujours depuis Oran. Pendant que, depuis
Casablanca et sur Glenn Martin, Francis Lynch arrivait à
Gibraltar, sur un autre Glenn, De Vendeuvre, Du Plessis,
Berger et Weil étaient abattus lors de leur approche par
la D.C.A espagnole. Ce furent les premières pertes de
F.A.F.L. Toujours d'Oran, c'est, le 21 Octobre, le crash
au décollage pour Charasse. En plus d'une blessure, nous
vous laissons imaginer les ennuis qui lui fondirent dessus
! Cela ne l'empêcha pas de récidiver en compagnie
d'Allignol, mais cette fois ci en utilisant le North
American de la commission italienne d'armistice. Satané
culot ! Brière, lui, rejoignit légalement Casablanca d'où
il embarqua pour l'Angleterre. Tout comme le firent
Bouquillard et De Labouchère, qui se mêlérent à des
troupes polonaises qui partaient reprendre le combat. Le
jeune Pascouët, de Rabat, aurait dû être du voyage; il n'a
fait qu'arriver au pied de la passerelle d'embarquement.
Moins connu que René Mouchotte, mais rentrant mieux dans
le cadre de notre récit, mentionnons le cas de Jean
Gabrielli, pilote de chasse et officier d'active dont la
famille habitait Rabat (son frère cadet, Pierre, devait
rejoindre dans les premiers le Réseau qui allait se mettre
en place à l'automne 40). Replié depuis Avord avec son
groupe de chasse, il rejoignit tranquillement Tanger en
touriste, puis Gibraltar. Il y rencontra un de ses amis
qui finira la guerre comme Compagnon de la Libération,
avant de devenir général, nous avons cité le lieutenant
Rémy, de son vrai nom Roger Motte. Jean Gabrielli,
rebaptisé Jacques Garnier, fut rapidement opérationnel
dans le Coastal Command. En 1941, patrouillant en mer
d'Irlande avec un co-équipier d'origine hindoue, il
disparut après avoir engagé le combat contre un parti de
cinq Messerschmitt, dont un, sinon deux furent abattus. On
ne devait plus le revoir. Seul, son gilet de sauvetage Mae
West fut retrouvé plusieurs mois plus tard sur une plage
du sud-ouest de l'Angleterre. Il était crédité de cinq
victoires aériennes, dont trois homologuées. Par voie de
terre, la filière d'évasion passait par Tanger, après
avoir traversé le Maroc espagnol, dont les autorités
n'étaient guère enclines à favoriser, ni même tolérer ce
genre d'odyssée. Du reste, dès le 14 Juin 40, l'Espagne
avait occupé militairement la zone internationale de
Tanger (annexion qui devait se poursuivre jusqu'en I945).
Nous reviendrons par la suite sur les passages par cette
voie. Un dentiste de la banlieue parisienne, mobilisé
comme Capitaine, s'était replié sur Rabat. Au cours de
l'exode, plusieurs membres de sa famille, dont son épouse
et ses deux enfants, avaient été emportés dans la
tourmente. Le pauvre homme était inconsolable: il portait
toujours sur lui leur photographie enchâssée dans un étui
à cigarettes. Il cherchait à en découdre avec
l'envahisseur par n'importe quel moyen. Il tenait le
cabinet d'un confrère retenu ailleurs; mais il profita de
l'opportunité d'aller voir à Tanger un poste qui était
vacant pour y filer et ne s'arrêter qu'en Grande Bretagne.
Nous le localiserons en Tunisie courant 1943. A bord d'un
camion Bedford équipé en cabinet dentaire ultra moderne,
il exerça son art au profit d'un membre du réseau R'Bati,
qui avait rejoint la 1ère Division Française Libre après
avoir affronté, Cour Martiale, Centrale, et élargissement
en Novembre 42. Nous avons cité Louis Leclerc. A cette
époque s'était déjà manifesté un jeune breton habitant
Rabat, et qui joua un rôle prépondérant parmi les
Résistants de l'endroit, nous avons cité Maurice Pascouët
fils. A la déclaration de guerre, âgé de 16 ans 1/2, mais
mesurant un mètre quatre vingt, il avait falsifié son état
civil pour essayer de s'engager dans l'armée. Echec ! En
juin 40, il essaya de partir en Angleterre en se mêlant à
un détachement polonais qui embarquait à Casablanca. Fin
du voyage au pied de la passerelle. Auparavant, il avait
pensé au chemin de fer pour Tanger. Mais il avait eu
l'imprudence de s'ouvrir de son projet à un camarade dont
le père travaillait dans la police, si bien que, le 4
Juillet au matin, l'affaire se termina au Commissariat
Central de Rabat. Récidive quelques jours plus tard, mais,
cette fois, seul. Scénario: en train jusqu'à la ville
frontière d'Arbaoua, sortie de la gare et passage de la
frontière à pied avec l'aide de contrebandiers, et reprise
du train le lendemain à la première station en zone
espagnole. Ce beau programme se termina entre deux
gendarmes. Admonestation, nuit au poste et retour vers
Rabat. Fin avril 41, nouvelle tentative, mais par la voie
administrative. Contre toute attente, surtout en raison de
ses antécédents, Pascouët obtint un visa pour aller à
Tanger passer quelques jours chez un collègue des P.T.T.
Mais il perdit du temps à finir de structurer le Réseau
qu'il avait mis sur pied, donner les consignes, confirmer
les contacts... tant et si bien que la date limite de
validité du visa se trouva atteinte. Une nouvelle demande
fut couronnée de succès, mais le visa n'arriva que le 24
Juin, le jour même de son arrestation, dont nous
reparlerons plus loin. Convenons que ce jeune breton avait
la tête dure, et de la suite dans les idées. De retour
donc à Rabat à l'été 40, Pascouët entrait aux P.T.T. et se
voyait affecté au tri du courrier. Belle place pour
surveiller et intercepter les lettres adressées aux
Commissions d'Armistice, allemandes et italiennes. Les
tentatives de décachetage s'étant révélées dans l'ensemble
difficiles et dangereuses, les plis furent purement et
simplement subtilisés, puis détruits après qu'ils eurent
divulgué leur contenu. Il s'agissait surtout de
dénonciation d'un voisin qui écoutait la B.B.C., ou
d'expression de sympathie vis à vis de l'Axe. Leurs
auteurs furent répertoriés en une liste de collaborateurs
qui fut remise au G 2 (2ème Bureau U.S.) après le
débarquement du 8 Novembre. En Septembre, connaissant les
sentiments patriotiques d'un imprimeur du nom de Jean
Thouret, tous deux se mirent à imprimer des affichettes
collantes avec un logo très sobre (Croix de Lorraine =
France. Puis: Boches + Collaboration = Rutabagas). Pour le
collage, qui devait se faire au cours d'une même nuit dans
différents quartiers de Rabat, Pascouët me chargea de
recruter de jeunes sympathisants à notre cause. Se
joignirent à nous, Pierre Gabrielli, les frères Cayat,
Louis Le Gouée, Martin-Dupont, et d'autres qui ne m'en
voudront pas de les avoir omis. La première expédition eut
lieu dans la nuit du 10 au 11 Novembre. Pascouët réussit à
s'introduire dans l'immeuble de la Direction Générale de
la Police et poussa l'impudence jusqu'à afficher sur le
magnifique bureau de Monsieur le Directeur. L'exploit lui
valut le surnom de "Mickey" sous lequel nous le
désignerons dorénavant pour le différencier de son père
avec lequel il partageait, outre les noms et prénoms, les
mêmes convictions patriotiques, et dont nous allons parler
bientôt. Il y eut plusieurs expéditions de collage
nocturne, et l'une d'elles se solda par un échec car une
pluie matinale avait décollé tout le travail de la nuit
précédente. A la même époque, en plus de l'équipe qui
était chargée du collage des affichettes, les deux
co-fondateurs, Pascouët fils et Thouret avaient recruté
une de leurs amies du nom de Louise Nicolas (dont le mari
avait rallié Londres en Juillet et servait au Bureau
Central de Renseignements et Action : B.C.R.A. : 2ème
Bureau), ainsi que Maurice Pascouët père, chef de service
aux Chemins de Fer du Maroc. Ce dernier, déjà brillant
combattant lors du premier conflit mondial, réussit à
établir un contact épistolaire avec Londres par
l'intermédiaire de Honoré Paluat qui travaillait à la
Chambre de Commerce de Tanger mais se trouvait être
également un honorable correspondant du B.C.R.A. La
récupération après leurs évasions d'aviateurs et autres
militaires qui avaient été arrêtés par les autorités de
Vichy , pour "tentative d'engagement dans une armée
étrangère" ou "tentative de vol d'avion" mena à la
création d'un réseau de "planques" en attendant de pouvoir
les faire partir. Parmi eux, nous relevons les noms de La
Grandiére, BrunswickLeclerc, Cermolace, Morisson, Witmer,
July... les trois derniers participant, pour meubler leurs
loisirs forcés, au collage et à la distribution de tracts.
Le meilleur moyen à l'époque pour rejoindre sans trop de
risques les Armées Alliées avait été imaginé par Pascouët
père. Quelques wagons de marchandises avaient à une
extrémité une niche à chien signalée par un panneau noir
sur lequel on inscrivait à la craie la destination de
l'animal: Chien pour/ Perro para... Une niche fut
modifiée: fond amovible créant un emplacement
supplémentaire où un homme pouvait rester accroupi (lui
souhaitant de ne pas avoir à cohabiter avec un animal trop
encombrant ou hargneux); il lui était remis un crochet
bricolé pour ouvrir la porte de la niche depuis
l'intérieur, car il n'était pas prévu de comité de
réception à l'arrivée. Comme un seul wagon avait été
modifié, il fallait attendre qu'il soit affecté au trajet
vers Tanger, ce que pouvait facilement savoir Pascouët de
par son emploi aux C.F.M. L'embarquement avait lieu à la
gare de marchandises de Rabat Agdal. Le candidat à
l'évasion y était amené par Mickey, pris en charge pas le
père qui l'installait dans la niche avec les instructions
pour le voyage: rien à faire jusqu'à une heure peu avant
l'arrivée à la gare de Tanger, quand le train ralentissait
fortement dans une montée. C'était le moment d'ouvrir la
porte avec le crochet et de sauter dans la nature.
Ensuite, à Dieu va... jusqu'au Consulat d'Angleterre à
Tanger pour transiter sur Gibraltar. Paluat, alors, devait
accuser réception en termes convenus. Ce voyage clandestin
fut utilisé plusieurs fois avec succès, puis fut abandonné
subitement à la suite d'une disparition. L'énigme ne fut
élucidée que longtemps après. Le train avait pris beaucoup
de retard en cours de route, ce qui avait déréglé la
"navigation à l'estime" du passager. Par manque de chance,
il se trouva que le train ralentit fortement vers l'heure
où il aurait dû arriver à destination, si bien que le
débarquement eut lieu en pleine nature et au Maroc
espagnol. Complètement perdu, notre évadé entreprit de
continuer à pied vers Tanger; il fut arrêté à un pont par
les Gardes Civils, et dût croupir dans les geôles
espagnoles jusqu'à fin 43. Sans nouvelles de lui, et
craignant que la combine n'ait été éventée, Pascouët
préféra ne pas prendre de risques inutiles et arrêta cette
filière. En Mai 1941, l'évasion "primaire" d'un militaire
du 1er Régiment de Chasseurs d'Afrique mérite d'être
racontée (nous disons "primaire" car il s'agissait de
passer de l'incarcération à la vie civile, l'évasion
secondaire étant le ralliement à la France Libre). Etienne
July était retenu à la caserne du 1er R. C. A. et une soit
disant "tante" (Madame Nicolas) vint lui rendre visite.
L'évasion fut alors mise au point: lors de la promenade
matinale dans la cour de la caserne, où la surveillance
n'était pas très sévère, il devait simplement se rendre à
un coin retiré du mur d'enceinte, se faire reconnaître par
un signal convenu, "faire le mur" de l'autre coté duquel
Mickey l'attendait avec un vélo. Pas plus difficile que
çà: et un colleur d'affiches de plus. Parallèlement, la
propagande continuait, par tractage et affichage. Ces
manoeuvres "séditieuses" et répétées, en particulier dans
le quartier de la Résidence où se trouvaient les services
gouvernementaux, l'Etat Major et la somptueuse villa du
Général Noguès (tout acquis aux idées vichystes),
irritaient fort ce dernier. Il fut appris après la guerre,
mais on s'en doutait bien à l'époque, qu'il avait donné
des ordres très stricts pour que soit mis fin à ces
provocations. Ce qui amena la rafle de Juin 1941, où les
4/5èmes du réseau furent interceptés (27 membres sur 32).
Procédant par ordre, les services de police recherchèrent
d'abord la source des tracts, et mirent ainsi la main sur
Thouret, l'imprimeur. Au cours d'un interrogatoire musclé,
et devant la menace de représailles sur sa famille, le
malheureux fut bien obligé de reconnaître ses activités et
la participation de fils, puis d'autres membres du Réseau.
Le 24 Juin, vers midi, Mickey fut arrêté à son guichet des
P.T.T. et conduit, menottes aux mains et à pied, à travers
la ville jusqu'au Commissariat Central. Interrogatoire
serré (sur un gamin de 17 ans, çà aurait dû payer). A la
forme des questions qui lui étaient posées, Mickey comprit
que Thouret avait lâché le morceau. Il en fut convaincu
lors de la perquisition à son domicile, quand les
policiers se dirigèrent directement vers les boites à
chaussures rangées dans sa chambre où il avait caché les
plaques ayant servi à confectionner les affichettes, ainsi
qu'un certain nombre d'entre elles. Preuve accablante. Par
chance, tout polarisés qu'ils étaient sur l'enquête des
tracts, et satisfaits de la tournure qu'elle prenait, les
policiers ne s'étaient pas aperçus de la présence, dans
une pièce voisine, à la porte entr'ouverte, de Morisson et
Wittmer, deux aviateurs recherchés pour "tentative de vol
d'avion" et qui étaient hébergés chez les Pascouët.
Faut-il préciser que dès qu'ils eurent compris qui étaient
ces visiteurs, ils se dépêchèrent de filer par la fenêtre
pour aller chercher refuge ailleurs, chez Madame Nicolas
en l'occurrence ? Pour fignoler l'enquête; les policiers
recherchaient à présent les complicités éventuelles, et
les activités de chacun. Impossible de croire Mickey quand
il prétendait avoir diffusé tout seul une telle masse de
tracts; mais pas question de lâcher les noms des
militaires en cavale et dont c'était l'activité
principale. Force lui fut de donner dans l'équipe de
jeunes mentionnés plus haut: après tout, pour eux, ce n
'était jamais qu'une faute vénielle. Pensant faire encore
plus petite la part du feu, Mickey indiqua le nom de
Gabrielli, dont il pensait que le père, Contrôleur Civil
(équivalent de Préfet en France), aurait suffisamment de
poids pour faire relâcher rapidement son fils. Il n'en fut
rien malheureusement. Gabrielli rejoignit les autres
résistants arrêtés. En définitive, à l'exception des
jeunes affectés au collage de tracts, l'ensemble du Réseau
se retrouva sous les verrous. L'enquête, menée avec
diligence selon les instructions données en haut lieu
avait en effet réussi à démasquer tous les membres de la
filière et débusquer les militaires en situation
irrégulière. Incarcération à la prison civile de Rabat,
mélangés avec les droit commun, puis transfert à
Casablanca où nos amis réussirent à se trouver regroupés
en un quartier gaulliste. Instruction pendant tout l'été
par le Capitaine Voituriez, et jugement attendu pour
octobre, novembre. Dans la même prison se trouvait Maître
Guedj, avocat ayant ses entrées au Palais du Sultan et
incarcéré pour avoir correspondu avec son fils Max, pilote
des F.A.F.L. (Max et Félix Guedj, deux héros qui donneront
leur nom à une artère de Casablanca); également un
allemand opposant au régime nazi et qui avait travaillé
pour le S.R. français (on l'avais mis à l'ombre pour le
soustraire aux recherches des Commissions d'Armistice,
puis on l'avait oublié !); l'équipage au grand complet
d'un paquebot transportant de l'or de la Banque de France,
et qui avait puisé dedans pour subvenir à ses besoins.
L'audience est fixée au 28 Octobre 1941. En raison de
l'animosité officielle contre les "gaullistes" il fallait
s'attendre à des verdicts sans complaisance aucune, et
pouvant même aller très loin en sanction des accusations
d'atteinte à la sécurité de l'Etat, surtout en temps de
guerre. Comme il y a une trentaine de prévenus dans le
box, il faut s'attendre à de nombreux incidents
d'audience. Entre autres, Pascouët père prend le tribunal
à partie: "Rappelez vous bien: un jour, c'est vous qui
serez à ma place et moi à la vôtre". Le Commissaire du
Gouvernement, Colonel Laroubine, n'apprécie pas. Jugement
rendu le 30 au soir (voir coupure de presse). Gabrielli et
Mickey, en raison de leur jeune âge, et quelques autres
délinquants primaires bénéficient du sursis et sont
relâchés aussitôt. Les condamnés sont transférés vers la
prison centrale de Port Lyautey. Dans le lot des
condamnés, quelques Marocains, employés de Aillaud, qui
avaient eu le seul tort d'être en contact avec des
militaires cachés chez lui. Vraiment pas de quoi fouetter
un chat. Mais qu'importe: il fallait faire des exemples...
Voilà donc notre jeune Mickey sur le pavé, sans situation,
mais avec charge d'âmes (sa marâtre et ses deux jeunes
frères). Dans un premier temps, les P.T.T. refusent de
reprendre ce pestiféré de gaulliste. Huit jours plus tard,
ils se ravisent. On l'amène, manu militari, devant le chef
du personnel (un personnage à la Dubout) qui lui annonce
son affectation à Ouarzazate, poste disciplinaire de la
Légion Etrangère dans le grand sud Marocain, où il sera
plus facile de le tenir à l'oeil. Transport sous escorte
policière jusqu'à Marrakech, puis embarquement dans
l'autocar pour Ouarzazate. Dans cette villégiature, ce
sont plutôt les distractions qui manquent. En plus de
Mickey, deux autres agents des P.T.T. y sont bannis pour
raisons disciplinaires. Le poste n'est relié au reste du
monde, outre les moyens télécom civils et militaires, que
par un autocar quotidien dont les passagers sont
étroitement contrôlés, au départ comme à l'arrivée. Cette
partie de la haute vallée de l'oued Draa est vraiment
désertique, et il n'est pas question de s'y aventurer à
pied. Une vraie prison naturelle. Des camions benne y
transitent régulièrement, transportant du minerai vers
Marrakech. Mickey songe alors à une évasion comme celles
qu'il mettait sur pied quelques mois auparavant: les
bennes sont équipées dans le fond d'un vaste coffre à
outils où un homme peut facilement tenir. Le tout est de
s'assurer la complicité du chauffeur car la cachette n'est
accessible que lorsque la benne est vide. C'est arrangé
avec l'un d'eux, jeune ancien combattant de la guerre de
14-18 (il a tout juste la quarantaine). Il se charge quand
même auparavant d'assurer un minimum d'aération par
quelques trous percés dans le fond. Heureusement, fin
avril, ce ne sont pas encore les grosses chaleurs, et le
voyage ne sera pas trop pénible. A fond de benne, Mickey
descend donc vers la mine, pour le chargement, puis retour
vers Ouarzazate, d'où, sans s'attarder, le chauffeur file
vers Marrakech . Douze heures de voyage, mais, à
l'arrivée, c'est la liberté sur le quai de la gare. Retour
discret à Rabat où Mickey retrouve sa famille et celles
d'autres condamnés (Thouret, Salmon, entre autres) dans le
plus complet dénuement car tous leurs biens ont été
confisqués à la suite du jugement. Les relations, voire
même les amis leur tournent le dos. Au bout de deux
semaines pendant lesquelles il a logé dans un foyer de
jeunes, comme la police ne s'est pas manifestée auprès de
ses proches, Mickey en déduit qu'il n'est même pas
recherché pour son évasion. Il s'enhardit - la faim chasse
le loup du bois - à rechercher un emploi. Pas question de
s'adresser aux P.T.T. Mais un ami lui trouve, comble
d'ironie, un emploi de gratte papier dans un mouvement de
jeunesse créé depuis l'armistice. Pour un gaulliste, il
faut le faire ! Les Gardes sont l'équivalent des
Compagnons de France en métropole. Modérément engagés sur
le plan idéologique, leur dessein est de rassembler les
jeunes, leur fournir des activités identiques à celles du
scoutisme, mais avec une orientation un peu plus
militaire, car leur objectif occulte est la préparation de
la revanche. Leur encadrement est essentiellement
militaire, avec des officiers provenant surtout des
Chasseurs Alpins et mis en congé d'armistice, tels les
capitaines Th.D., D.F. dont certains s'illustreront par la
suite lors des combats de la Libération. Mickey y est
présenté comme le fils prodigue, repenti de ses erreurs
gaullistes dues à son jeune âge. Mickey propose à ses
chefs de créer une section de Gardes Marins (il avait été
avant la guerre dans une troupe de Scouts Marins dirigée
par son père). L'idée fut retenue et Mickey chargé de lui
donner corps. Il y avait parallèlement une section de
Gardes de l'Air, dirigée comme par hasard par un jeune du
Réseau, et qui s'adonnaient pour l'instant au modélisme.
Premier travail : recruter des volontaires parmi les
Gardes, ce qui fut facile. Ensuite, commencer
l'entraînement à terre et trouver des bateaux, ce qui
l'était moins. Arrière pensée: organiser des croisières le
long de la côte, et un jour, pousser jusqu'à Tanger et
disparaître... Des pourparlers sont en cours avec la
Marine pour le prêt de deux baleinières. Et puis, fin
septembre, tout tombe à l'eau: Mickey est à nouveau mis en
état d'arrestation. Parallèlement, comme on aurait pu s'en
douter, Mickey avait repris ses activités de résistance.
Avant perdu le contact avec Londres par l'intermédiaire de
Paluat qui était en train de moisir dans les geôles
vichystes, il essaye de renouer par le canal du Consulat
Général U.S. à Casablanca, à qui il demande de prévenir
Londres qu'il est à nouveau disponible, et prêt à recréer
un Réseau de résistance. Peu nous importe de savoir si les
Américains ont transmis l'offre à Londres, mais tout porte
à penser qu'ils ont repris l'affaire à leur compte. C'est
normal car ils sont en train de préparer le débarquement
de leurs troupes pour dans quelques mois. Un vice-consul
donne rendez vous à Mickey devant le cimetière européen à
l'entrée de la ville de Rabat, le prend en stop pour le
déposer le plus innocemment du monde en plein centre de la
ville après avoir discuté en cours de trajet. L'Américain
avait promis de transmettre le message à Londres, mais
avait fait savoir également qu'il serait intéressé par
certains renseignements. Le contact à Casablanca serait un
Polonais, et le moyen de reconnaissance les deux moitiés
d'un billet de cinq francs. Mickey reconstituait
rapidement un petit groupe avec moi-même, un nouveau du
nom de J.A., un Belge, et Simone N. , épouse d'un
gaulliste détenu à Port Lyautey. Cette dernière devait
servir de courrier en contact avec le Polonais de
Casablanca, lui transmettre les renseignements et en
recevoir les instructions du Consulat U.S. A la nature des
renseignements demandés, il fut vite compris qu'un
débarquement était en train de se préparer: il fallait
fournir en effet des cartes à grande échelle de toute la
côte Marocaine depuis Port Lyautey jusqu'à Agadir (dans
les 600 Km), et des photographies de toutes les plages,
voies d'accès, etc... Je fournis l'appareil photo (un
Kodak Scoutbox 6 x 9 reçu en cadeau de communion), ainsi
que l'ensemble des cartes topographiques au 1/50000ème
subtilisées à mon père qui avait fait carrière comme
géomètre. Mickey prospectait le nord de la zone jusqu'à
Casablanca, et J.A. s'occupait de tout le reste jusqu'à
Agadir. Tout était terminé pour fin Août, et transmis
immédiatement au Consulat U.S. D'un autre coté, par M.C.,
sympathisant qui travaillait à l'Etat Major (mais qui
était surtout anti-allemand et ne comprenait pas pourquoi
on s'y intéressait), Mickey obtenait régulièrement les
listes secrètes de tout ce qui était envoyé en France. Un
fonctionnaire de la Résidence Générale, de son coté,
faisait état avec fierté de l'effort du Maroc pour fournir
la Métropole en conserves de poisson et charcuterie. Il
était patent que la majeure partie de ces envois était
déroutée vers l'Allemagne. Les troupes soviétiques avaient
du reste découvert des boites de conserve marquées
"Maroc". Les commandements Alliés en avaient été avertis
et menacèrent de bombarder les usines Géo de Fedhala.
Menaces sans suite... En Août, Mickey s'attelait à une
autre entreprise, qui ne concernait pas les Américains: il
s'agissait d'une évasion massive de tous les détenus
gaullistes de la Centrale de Port Lyautey (parmi lesquels
figurait son père). L'opération devait avoir lieu fin
4192, avec le concours de vedettes anglaises (?) qui
auraient évacué tout le monde sur Gibraltar (y compris le
gardien chef, qui était sympathisant; de toutes façons,
après un coup pareil, il aurait mieux valu pour lui ne pas
avoir à donner trop d'explications à ses chefs.) Pour
commencer, il fallait confectionner d'après un dessin une
copie de la clef passe-partout utilisée par les gardiens
pour le quartier des gaullistes. Au second essai, la clef
était au point, et elle fut confiée à N. qui devait la
cacher jusqu'au jour J. A la même époque, Mickey reçut une
information concernant l'installation de D.C.A. pour
protéger la base aérienne de Salé. Une pénétration fut
entreprise avec J.A. vers le 20 Septembre. L'information
était partiellement exacte car des emplacements étaient
préparés, mais les pièces pas encore installées. Un
courrier avec le rapport de cette "visite" et celui sur
les "fournitures" exportées vers la France (tous
renseignements top secrets) fut confié à Simone N. vers le
24 ou 25 Septembre. Elle fut interpellée à sa descente du
train en gare de Casablanca. Le courrier qu'elle
transportait ne laissait aucun doute sur ses activités.
Tant soit peu rudoyée, elle finit par avouer. Ses contacts
et complices furent aussitôt arrêtés et firent
connaissance avec la brigade du commissaire Dubois, chef
de la D.S.T. au Maroc. Interrogatoires sans discontinuer,
mais sans violences physiques, contrairement à ce qui
s'était passé l'année précédente. Mickey ne comprit
qu'après le Débarquement la genèse de ces arrestations.
N., qui détenait la clef des champs, avait un beau soir
mis à exécution, mais à son seul profit, le programme
d'évasion. Ce lui fut chose facile: deux ou trois portes à
ouvrir sans difficulté pour arriver à la cour extérieure,
passer ensuite par la maison du gardien chef, et vive la
liberté. Bien entendu son épouse, qui n'était pas au
courant de son évasion, fut aussitôt mise sous
surveillance car on pensait que l'évadé viendrait la
rejoindre sous peu. En gare de Casablanca, la police ne
mit pas la main sur celui qu'ils recherchaient; mais en
compensation, elle rafla des documents tout aussi
intéressants. Mickey fut incarcéré à la prison civile de
Rabat (il commençait à connaître les lieux) sous
l'inculpation d'organisation d'évasion, en attendant celle
d'espionnage au profit d'une puissance étrangère. Tout
cela risquait de motiver un verdict assez dur si bien
qu'il lui valait mieux chercher à s'évader. Technique
habituelle: grève de la faim pour motiver une
hospitalisation au cours de laquelle la surveillance
risquait d'être moins stricte. Le 8 Novembre 1942, Mickey
entendit bien le bruit des combats, mais il était très
affaibli, presque aveugle, et avec des étourdissements.
Tenu au courant de la situation par un jeune gardien, il
espérait bien être libéré peu après la fin des combats.
C'était compter sans le commissaire Dubois et ses séides.
Dés le 12 Novembre, des soldats américains se présentaient
à la prison pour le libérer: "Sorti depuis hier" leur
fut-il répondu. Le lendemain, tôt le matin, Mickey fut
transféré vers un commissariat de quartier où il fut
enfermé toute la journée et ramené à la prison tard le
soir. Le jour suivant, nouvelle partie de cache-cache, et
ainsi de suite jusqu'au 16 où il réussit à faire savoir à
son père, par l'intermédiaire du jeune gardien, ce qui
était en train de se passer. Précisons que Pascouët père
et les autres gaullistes de la centrale de Port Lyautey
avaient été libérés dés la fin des combats. Le 17 Novembre
au matin, un jeune sous lieutenant U. S. flanqué d'un
immense M.P., et tout deux armés jusqu'aux dents se
présentaient à la porte de la prison, où on leur annonçait
comme précédemment que l'oiseau n'était plus là. Munis
d'un plan de la prison, ils demandaient alors à être
conduits à telle cellule. Mickey y était bien... Retour à
la maison et remise en forme dans les meilleurs délais.
Puis, en coopération avec le jeune officier U.S. qui
appartenait au G.2., dépistage des tenants du régime Vichy
qui risquaient de constituer une cinquième colonne sur les
arrières des armées alliées. A sa sortie de prison,
Pascouët père ne savait pas que son fils était à nouveau
en détention. Il ne l'apprit que par le jeune gardien dont
nous avons parlé plus haut. Il entreprit évidemment de
régulariser les choses au plus vite. Puis il organisa une
filière de départs vers l'Angleterre avec l'aide, assez
tiède il faut bien le dire, du G.2. Les autorités avaient
donné l'ordre aux militaires incarcérés de rejoindre leurs
unités d'origine dés leur élargissement. Les autres,
réservistes pour la plupart, s'attendaient à être
mobilisés d'un moment à l'autre dans une armée issue de
l'armée d'armistice, et aux ordres de Darlan. Perspective
des moins attrayante. Une navette aérienne par Lockheed
Hudson fait une navette quotidienne
Gibraltar-Port-Lyautey. Il fut proposé de faire partir les
anciens internés quand il y aurait de la place. L'occasion
était trop belle, si bien que Pascouët en profita pour y
ajouter les noms de résistants n'ayant jamais été arrêtés.
Un premier regroupement était fait à Rabat, d'où les gens
étaient convoyés par groupe de 4 ou 5 chez une famille de
gaullistes de Port Lyautey. Famille admirable que ces B.
dont un membre servait déjà dans les F.F.L. sous le nom de
O'Cottereau. La quarantaine passée, directeurs d'école,
royalistes et une famille de 6 ou 7 filles, plus un garçon
d'environ dix ans à l'époque, auditeurs assidus de la
B.B.C. dont ils diffusent nouvelles et instructions (ce
qui leur avait valu quelques démêlés avec la police). La
liste d'attente était donc hébergée chez eux, et les
postulants au départ étaient prélevés par un ou deux quand
il y avait de la place sur la navette de Gibraltar. Sans
aucun préavis, et embarquement immédiat dans l'avion dont
les moteurs tournaient déjà. Le système fonctionnait assez
bien, et Pascouët père embarqua vers le 15 Janvier 43, le
dernier des ex-prisonniers, laissant à Mickey la charge de
faire partir à présent les Résistants n'ayant pas connu
les prisons vichystes, mais qui, pour les Américains,
étaient quand même présentés comme d'ex prisonniers. Le 13
Février, Mickey convoyait sur Port Lyautey ce qui devait
être son dernier groupe (en réalité, le premier à ne pas
partir). Car le lendemain, vers 13 heures, visite surprise
du lieutenant U.S. qui avait libéré Mickey quelques
semaines plus tôt. Il l'emmène en jeep, et, en cours de
route, lui annonce qu'il devait partir illico. Faute de
quoi les autorités françaises l'attendaient pour le
remettre à l'ombre le soir même, sous l'inculpation
d'organisation de désertion. Le choix de la décision ne
demande pas longtemps en réflexion. Deux heures plus tard,
Mickey était enfin en territoire britannique. Engagement
dans les Forces Navales Françaises Libres, école de radio
aux U. S. A. , puis missions de guerre dans le Coastal
Command. Le petit groupe qui attendait encore chez le B.
n'est jamais parti, car, pendant la semaine qu'il a passée
à Gibraltar en attendant un convoi pour l'Angleterre
Mickey n'en a vu arriver aucun. Fin de l'épopée de
résistant de Maurice Pascouët fils. En ce qui me concerne,
ayant perdu tout contact avec les Pascouët , et dans
l'impossibilité de rallier la France Libre, force me fut
de suivre le sort des camarades de mon âge: rejoindre
l'Armée d'Afrique de Giraud. Mais revenons à 1940. Vivait
à Rabat un cousin du Général De Gaulle (grand-mère
commune), dont rien à priori ne pouvait indiquer une
parenté avec le "chef rebelle". Mais la rumeur eût bientôt
fait de révéler cette particularité, dont il faut convenir
qu'elle était, en pays vichyste, plutôt lourde à porter
pour un père de six enfants (4 garçons et 2 filles)
employé de l'Administration et nullement porté de prime
abord à une quelconque action subversive. L'eut-il
cherché, qu'il se serait fait rapidement repérer.
D'ailleurs, il prétendait avoir souvent un guetteur sur le
trottoir d'en face, pour surveiller ses visiteurs. Un
véritable piège à conspirateurs ! Ses enfants, tous des
adolescents (l'ainé de ses garçons dut attendre ses 17 ans
pour s'engager dans la 2ème Division Blindée de Leclerc)
se faisaient à l'école des amis ou des ennemis, selon les
opinions des uns ou des autres. Comme j'étais intervenu
violemment lors d'une altercation entre le fils Maillot
Etienne et un jeune tenant du régime en place, M. Maillot
m'invita à lui rendre visite pour me remercier
personnellement. Quoi de plus naturel, en dehors de toute
implication politique ? C'est ainsi que je fis la
connaissance de la famille Maillot, ce qui me permit par
la suite de commenter abondamment les émissions de la
B.B.C. et surtout d'admirer une, puis deux photographies
qui trônaient à la place d'honneur sur la cheminée. L'une
d'elles était le portrait du sous secrétaire d'Etat à la
Guerre nouvellement nommé Général de brigade. L'autre
montrait la prise d'arme du 14 Juillet à Londres. Je n'eus
de cesse de me faire confier ces photos afin d'en
reproduire des tirages qui pourraient être diffusés. Je
réussis dans un premier temps à avoir celle de la prise
d'armes. Mes connaissances en photographie étant des plus
rudimentaires, et préférant ne pas prendre de risques en
m'adressant à un professionnel de la place, je fis
exécuter la besogne par un de mes jeunes amis, pétainiste
mais expert en travaux photo, en lui expliquant qu'un de
mes parents était un des militaires présentant les armes
et pris "presque" dans l'alignement du Général. Le visage
de ce dernier étant peu connu à l'époque, le subterfuge
réussit... et les Maillot se trouvèrent en possession de
nombreuses reproductions de la photo de la prise d'armes.
Restait à en faire autant pour le portrait. Moi, qui
m'étais entraîné entre temps à la mise au point sur dépoli
avec un vieil appareil à double tirage découvert au fond
d'une malle, je me trouvais en mesure de mener l'opération
tout seul. On consentit à me prêter le précieux portrait
pour quelques heures, le temps de la prise de vues. Quels
transports de joie et de fierté chez les Maillot quand ils
eurent en main tous ces portraits du Chef de la France
Libre ! Quel inestimable outil de propagande! Ils
prétendirent prendre à leur charge les frais qui avaient
été entraînés. Et le dévouement à la "cause" ? Par la
suite, ayant découvert un photographe qui pouvait être
favorable à nos idées, on lui confia à exécuter quelques
agrandissements du portrait. Ce qui fut fait, livré et
payé sans commentaire de part ou d'autre: on s'était
compris. Mais le commerçant, voyant le parti qu'il
pourrait tirer d'un tel document s'en fit un exemplaire
qu'il retoucha façon "Studio Harcourt", comme les stars de
cinéma : visage légèrement incliné, atténuation de
quelques rides et détails; mais lamentable résultat, qui
fut bien entendu désavoué par la famille Maillot. Bien
qu'il n'en eut jamais fait état à l'époque, évidemment,
Monsieur Maillot avait des correspondants qui lui
fournissaient à l'occasion des renseignements et des
documents intéressants. C'est ainsi qu'à l'été 42, il
avait une série de vues montrant ce qui se passait dans
les camps de prisonniers russes. Ce qui frappait, c'était
l'état de dénutrition de ces malheureux squelettes
ambulants (images vulgarisées après la libération des
camps nazis). Eh bien, l'état d'esprit des gens était
tellement vicié par Vichy que ces photos furent prises
pour des montages de propagande même par des émigrés
russes restés néanmoins patriotes convaincus ! Après la
Libération du 8 Novembre 42, la famille Maillot put enfin
afficher sa parenté et ses activités au grand jour. C'est
ainsi qu'on apprit qu'elle avait été en relation avec
divers Patriotes qui cherchaient à rallier les F.F.L.,
tels que R.G., A.B., M.C. logés clandestinement chez Mlle
de P. (tous faits qui sont rapportés dans les "Lettres,
notes et carnets" du Général de Gaulle). Madame Maillot
créa la " Famille du Soldat" pour y accueillir les blessés
venus en convalescence à Rabat, et dont la famille était
en France occupée. Et il y en eut ! Pour l'anecdote, il y
passa un militaire de l'Armée de l'Air, un jeune breton du
nom de Ker... qui, pour rallier les F.F.L. s'était engagé
dans l'armée de Vichy, fait affecter au Maroc qu'il
rejoignait par voie maritime. Au passage du détroit de
Gibraltar, quand une vedette britannique passa
suffisamment prés de son bateau, K. se jeta à l'eau pour
la rejoindre. Malheureusement, un autre bâtiment, vichyste
celui là, s'interposa et le récupéra à coups de gaffe.
Mise aux fers, Conseil de Guerre, emprisonnement... puis
libération après le Débarquement du 8 Novembre. Pour en
revenir à Madame Simone Maillot, ses activités de
résistance avaient été partagées avec, entre autres, Mlle
de P. (déjà citée) et Madame Magny. Cette dernière,
professeur agrégé d'histoire et de géographie à Tanger
servit souvent à la transmission de renseignements. Compte
tenu de ses compétences et de son allant, Madame Maillot
fut nommée au Conseil Municipal, puis ensuite au Conseil
du Gouvernement. Le Général de Gaulle, de passage à Rabat,
rendit évidemment visite à la famille Maillot ce qui fut
fixé sur la pellicule. Dans ses "Lettres, notes et
carnets", il donne les appréciations les plus flatteuses
sur la conduite de Mesdames Magny et Maillot, ce qui leur
valut la Médaille de la Résistance, plus la Légion
d'Honneur pour cette dernière. Depuis le printemps 1942,
les reconnaissances aériennes se multipliaient le long des
cotes Marocaines, provoquant l'intervention des groupes de
chasse de Vichy équipés de matériel fatigué et dépourvu de
pièces de rechange. Le 30 Avril, un Lockheed Hudson
survole la base de Casablanca, et s'éloigne dès le
décollage des Curtiss. Le 8 Mai, poursuite au large d'un
chasseur embarqué Fairey Fulmar. Le 29 Août, un Vickers
Wellington est engagé. Pour la seule journée du 2
Septembre, sont interceptés: un Short Sunderland (gros
hydravion anglais) un Wellington et un Hudson. Touché, le
Wellington se crashe au Nord de Safi. A la même époque, le
réseau Arthur Richard photographiait au sol les plages que
les avions reconnaissaient depuis le ciel. Les
photographies terrestres et les cartes topographiques
transitaient par de Consulat U.S. de Casablanca. Le 8
Novembre 1942, date devenue historique, à 2 heures du
matin, heure locale, les forces alliées déclenchaient
l'opération "Torch" qui devait ramener l'Afrique du Nord
Française, puis le reste de l'Empire Français, dans la
guerre aux cotés des Alliés. Dans le même temps,
Montgomery en Egypte avec sa 8ème armée et le concours des
Forces Françaises Libres réglait son compte à l'Afrique du
Nord Italienne. Les turpitudes "roosweltiennes", les
rancunes "churchilliennes" peut-être, écartèrent la France
Combattante de ces opérations, comme si elle n'existait
pas. Les Alliés eurent quand même la psychologie de faire
porter l'effort principal par les forces U.S. (en totalité
en ce qui concerne le Maroc).
Le
Débarquement
Opération
"Torch"
Depuis le printemps 42, les
reconnaissances aériennes se multipliaient le long des
cotes marocaines, provoquant l'intervention des groupes de
chasse de Vichy équipés de matériel fatigué et dépourvu
de, de rechange. Le 30 Avril, un Lockhed Hudson survole la
base de Casablanca, et s'éloigne dés le décollage des
Curtiss. Le 8 Mai, poursuite au large d'un chasseur
embarqué Fairey Fulmar. Le 29 Août, un Vickers Wellington
est engagé. Pour la seule journée du 2 Septembre, sont
interceptés: un Short Sunderland (gros hydravion
anglais)un Wellington et un Hudson. Touché, le Wellington
se crashe au nord de Safi. A la même époque, le réseau
Arthur Richard photographiait au sol les plages que les
avions reconnaissaient depuis le ciel. Les photographies
terrestres et les cartes topographiques transitaient par
de Consulat U.S. de Casablanca. Bien avant, deux missions
avaient été introduites à l'automne 1940, l'une à Agadir,
l'autre prés de Mostaganem, mais rapidement repérées et
neutralisées. Courant 1942, une nouvelle tentative avorta
par la disparition en mer de l'avion transportant
l'enseigne de vaisseau Glamorgan, de son vrai nom
Danielou. Au Maroc, il n'y eut rien de comparable à ce
qu'il y eut en Algérie, où l'entrevue préliminaire de
Messelmoun - Cherchell avait préparé les patriotes à agir
le moment venu.L'élément fondamental des opérations de
non-opposition aux débarquements alliés - les seules
relevant de l'intelligence, du patriotisme et du sens de
la guerre -fut le Général Béthouart, Commandant la
Division de Casablanca. Contacté au début de l'année par
Henri d'Astier de la Vigerie et Jean Rigault et ayant
adhéré sans réserve au mouvement inspiré par le Groupe des
Cinq, il est au courant des opérations à venir. Le samedi
7 Novembre vers 22 heures, il convoque pour une réunion à
l'Etat-Major de la Division ses adjoints directs,
Officiers et civils, tel que le Contrôleur Civil
Gromand.Il y est mis au point les dernières dispositions
de ce que nous appellerons des démarches ou des
interventions, car il ne s'agit pas tellement d'opérations
militaires. Chacun se voit attribuer une mission bien
déterminée. La seule opération menée par une troupe en
armes sera, vers minuit, l'encerclement de la Résidence
Générale de Rabat (ou se trouve le Général Noguès) par une
compagnie du R.I.C.M. du Colonel Magnan. Le R.I.C.M.,
Régiment d'Infanterie Coloniale au Maroc, est le Premier
Régiment de France par les décorations de son drapeau. La
bonne régle veut que le Général Béthouart rende compte aux
chefs d'un rang supérieur au sien de ce qui va se passer,
quand ce ne serait que pour leur éviter de faire fausse
route: - vers 23 heures, l'Amiral Michelier, Commandant
depuis Casablanca la Marine au Maroc reçoit des mains du
Lt-Colonel M une lettre l'informant de l'imminence d'un
débarquement disposant de tels moyens que toute idée de
résistance serait impossible, et même contraire aux
intérêts de la France.Michelier ne veut rien entendre. Son
Deuxième Bureau n'a rien décelé de suspect. Si
débarquement il y a, ce sera tout au plus un commando
auquel il sera fait le même sort qu'à celui de Dieppe
quelques mois auparavant.... - un peu plus tard, une
lettre similaire, et où il est fait appel à son
patriotisme est remise à Noguès par un officier subalterne
qui lui a été dépêché, mais dont la mission reste sans
écho. Par contre Noguès, alerté par cette démarche, la
présence de Marsouins autour de la Résidence et la coupure
de ses standards téléphoniques, réussit quand même à
établir un contact par une ligne du circuit réservé qui -
fatale omission - n'a pas été coupée! Il peut ainsi, vers
une heure du matin, avoir une conversation avec Michelier,
ce qui les conforte tous deux dans leur criminelle
détermination de résistance, conformément aux ordres de
Vichy. Vers deux heures du matin, MM. M et V arrivent de
Casablanca pour remettre à Noguès une lettre du Président
Roosevelt. Le pli est reçu par un officier adjoint; les
émissaires s'entendent annoncer qu'il n'y a pas de
réponse... Dans le même temps, le Général Béthouart a
envoyé des officiers de liaison vers les différents chefs
de garnisons pour les tenir au courant de la situation, et
éviter des combats inutiles. Malheureusement, dés que
Noguès a eu éventé la manoeuvre des officiers patriotes,
il s'est empressé d'envoyer ses séides pour confirmer les
ordres permanents de s'opposer à toute agression. D'où ces
inutiles et meurtriers combats sur les plages, sur mer et
dans les airs. Un beau gâchis! Fait unique au Maroc, mais
plus fréquent ce matin là à Alger: l'arrestation d'un chef
militaire, en l'occurrence le général commandant supérieur
des troupes au Maroc, par des civils,les frères G..et M..,
puis sa mise en sûreté, toute provisoire, à Meknés. Les
débarquements, uniquement de troupes américaines,
commencèrent très tôt dans la nuit du Dimanche 8 Novembre.
Ils eurent lieu de part et d'autre de Casablanca, le plus
grand port du Maroc, qui devait permettre par la suite le
déchargement de matériel pour les opérations à venir. Mais
il n'y avait pas de plage à proximité immédiate, et les
défenses étaient trop importantes, tant par les batteries
côtières que par les pièces de 380 du cuirassé "Jean
Bart". Les troupes U.S. touchèrent donc terre à Safi (200
km au sud de Casablanca), Fedhala (maintenant Mohammédia,
à 20 km au nord), et à Mehdia (100 km encore plus au nord,
avec Port-Lyautey, maintenant Kénitra à 15 km à
l'intérieur) à l'embouchure de l'oued Sebou. Si
l'opposition fut réduite à Safi et nulle à Fedhala (la
garnison obéissant en cela aux ordres du Général
Béthouart), il n'en fut pas de même à Mehdia, où les
opérations furent meurtrières, obligeant le Général
Truscott à faire donner tous les effectifs dont il
disposait. Les difficultés provenaient d'une casbah
surplombant l'embouchure du fleuve, avec une importante
base aérienne sur l'autre rive. Pour prendre les défenses
à revers, le destroyer "Dallas"reçut comme mission de
remonter le fleuve dont le cours tortueux était encombré
de bancs de sable et de bateaux échoués. Après quelques
tâtonnements, le navire réussit pleinement dans sa
mission, sans que ses commandos embarqués aient été
détruits comme ce fut le cas à Alger ou Oran. Il faut dire
qu'à la barre du "Dallas" se trouvait Malvergne,qui
n'était autre que... le pilote du port: il devait donc
connaître le fleuve et ses particularités comme le fond de
sa poche. Contacté par qui il fallait, il était passé à
Tanger, puis Gibraltar quinze jours plus tôt, caché dans
le coffre arrière d'une automobile du Consulat U.S. Mieux
valait prendre ses précautions en cas de contrôle
d'identité. Dans la prison centrale toute proche, les
détenus gaullistes devaient applaudir au bruit des combats
qui allaient bientôt les libérer. A Casablanca, la marine
de Vichy se crut obligée de se donner à plein, surtout
qu'elle bénéficiait de l'appui du cuirassé Jean Bart. Bien
qu'immobilisé à quai, il avait quand même une tourelle
quadruple de 380. Pertes sensibles de part et d'autre.
Toujours la conséquence de la mise en condition vichyste.
On ne peut même pas invoquer l'anglophobie instinctive et
atavique des marins, car il n'y avait en face que des
américains; voilà où nous a menés un stupide maréchalisme.
A Rabat, à part la neutralisation du R.I.C.M. (mais il n'y
eut pas de débarquement à cet endroit précis) et le putsch
manqué contre la Résidence Générale et Noguès, rien
d'autre à signaler qu'un pluie de tracts et le
bombardement des bases aériennes de Rabat et Salé, où
l'aviation fut vite clouée au sol et ses dépôts d'essence
incendiés. Après la réduction du putsch, le général
Béthouart fut évidemment arrêté, ainsi que ses proches
subordonnés. Arrêté également un Contrôleur Civil de la
région de Rabat, Maurice Boniface. Ils passèrent aussitôt
devant une Cour Martiale selon une procédure expéditive
qui les condamna à mort! Toujours pour faire des exemples.
Heureusement, la sentence fut suspendue depuis Alger, mais
cela constitua un forfait de plus à porter au compte du
général Noguès. Béthouart sera nommé par la suite
Compagnon de la Libération. A Bouznika, à mi chemin entre
Rabat et Casablanca, un convoi de quatre petites unités
marchandes arrivant de métropole et escortées par un petit
bâtiment de guerre, fut surpris à l'aube de 8 Novembre.
Les commandants crurent malin d'obéir aux instructions et
précipitèrent leurs navires sur les rochers côtiers,
occasionnant ainsi leur perte ainsi que celle des
cargaisons. Ils auraient quand même pu comprendre que la
victoire était en train de changer de camp ! Les journées
du Dimanche 8 du lundi et du mardi suivants se passèrent
sans événement notable pour les populations civiles. Outre
les tracts mentionnés ci dessus, l'appel du général
Eisenhower avait été reçu à plusieurs reprises sur les
ondes. La teneur en était des plus rassurantes: les Alliés
faisaient savoir qu'ils arrivaient sans intention hostile
vis à vis de la France, mais bien au contraire pour
l'aider à secouer le joug de l'Axe qui l'écrasait depuis
1940. Il était néanmoins dangereux de s'aventurer sur les
routes, la tactique consistant à interdire tout transport,
fut-il civil, sauf s'il était couvert par la Croix Rouge.
Les véhicules qui s'aventuraient hors des villes, et
surtout le long du littoral, risquaient fort de se faire
straffer, comme ce fut le cas au pont suspendu de l'oued
Cherrat (30 Km au sud de Rabat) où un camion civil fut
incendié, et un des occupants périt carbonisé après avoir
cherché refuge sous le pont arrière. Le 11 au matin, tout
se déclenche. Il est enfin convenu un armistice entre les
forces en présence, les chefs vichystes ayant considéré
jusque là que le cessez le feu signé par Darlan à Alger le
8 Novembre ne concernait que lui même. Venu voir son fils
gravement malade, il s'est fait coincer par les
événements, ce qui ne sera pas sans compliquer la
situation par la suite (l'imbroglio d'Alger), même si elle
offre aux Alliés la possibilité de trouver pour l'instant,
en la personne du plus ancien dans le grade le plus élevé,
un interlocuteur soit disant valable. N'oublions quand
même pas qu'ils ont déjà dans leurs impedimenta le général
Giraud, à qui on a promis monts et merveilles. Lui, se
fait des idées et se voyait déjà supplanter Eisenhower,
même si, comme il est de coutume dans l'armée française,
il a encore une guerre de retard. Le seul à être à la
hauteur, le Général De Gaulle, ronge son frein, et il lui
faudra attendre la conférence d'Anfa pour mettre enfin le
pied en Afrique du nord, mais de façon semi-clandestine,
en attendant fin Mai 43 pour venir prendre à Alger la
place qui lui revient de droit. La France est entièrement
occupée, sauf l'enclave de Toulon qui bénéficie d'un
sursis de deux semaines. Cette libération du 8 Novembre
I942 en Afrique du nord n'a rien eu de commun avec ce qui
devait se passer deux ans plus tard en France. La brièveté
des opérations, la ponctualité des lieux de débarquement,
la quasi absence d' action des patriotes (sauf à Alger),
l'équivoque provoquée par Darlan qui se pose en
représentant de Vichy et s'investit des pleins pouvoirs,
l'absence de la France Combattante, mais par contre
l'arrivée de Giraud après un voyage rocambolesque, plus la
mentalité des français d'Afrique du nord (un million de
pétainistes dira plus tard le Général De Gaulle), tout
cela fait que la vie reprend son cours comme auparavant.
Evidemment, on est revenu à l'état de guerre. Déjà, on se
bat à la frontière tunisienne. Il va y avoir une
mobilisation, et les récriminations vont reprendre comme
en 39 contre les affectés spéciaux. Cette mobilisation va
porter sur prés de 30 classes, soit plus de 16 % de la
population. Mais, au fait, pour quoi va-t-on se battre?
L'administration de Vichy et sa propagande, sa mentalité,
sont toujours en place. Heureusement qu'au Maroc,nous
n'avons pas eu à nous frotter à des forces britanniques.
Les américains, eux, furent nos allies de tout temps.
Leurs troupes nous étonnent par leur équipement moderne,
leur jovialité nous rassure, leur marché noir effréné
ramène ramène un semblant de prospérité et permet à
certains de faire des affaires juteuses. Mais la mentalité
vichyste est toujours là. Le Service d'Ordre Légionnaire
(S.O.L.), destiné à devenir la Milice de sinistre mémoire,
se livre toujours à ses activités para-policières et va
jusqu'à tenir une cérémonie de prestation de serment sur
la place publique devant la Cathédrale de Rabat, suivie
d'un défilé au pas cadencé dans les rues de la ville.
Serment à qui? A Pétain, bien sur, à qui il est toujours
fait référence. Si la radio diffuse et si on chante "Vous
n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine", si on entend souvent
"Sambre et MEUSE" et la "Marche lorraine", c'est parce que
ce sont de martiales marches patriotiques et surtout pas
parce que cette dernière est le chant de ralliement de la
France Combattante . Et s'il est question d'aller
guerroyer, savez vous pour qui et pour quoi ? "Pour
Libérer Le Maréchal". Peu importent les deux millions de
prisonniers, les déportés, l'occupation et toutes ses
pesantes contraintes. L'objectif est d'aller au secours de
celui dont le portrait trône encore dans toutes les
administrations et la plupart des foyers. Du reste, son
dauphin tiendra, jusqu'à Noël, et avec la bénédiction des
Alliés, les rênes du pouvoir centralisé à Alger et
s'étendant sur l'ensemble de l'Empire nouvellement libéré.
C'est dire à quel point la propagande vichyste a réussi à
vicier le jugement et gangrener les mentalités. Le seul
point positif à porter à son crédit est que son
embrigadement de la jeunesse dans divers mouvements, soit
préexistants (Scouts, Eclaireurs, Coeurs Vaillants), soit
nouvellement créés (Chantiers de Jeunesse, Gardes)
facilitera son intégration sous les drapeaux, en lui ayant
apporté les premiers rudiments de comportement et
discipline militaires. Et les membres de la Résistance,
dans tout cela ? Nous avons vu qu'à partir d'un courant
minoritaire d'opinion que les vichysois affublaient du
sobriquet de "gaullards", un petit noyau mena des actions
ponctuelles, répétitives, souvent efficaces à court ou
moyen terme, telles que l'évasion de militaires vers
Gibraltar, des missions de renseignement et du travail de
propagande, mais deux fois interrompues par des coups de
filet de la police. Les chefs ayant été incarcérés, ainsi
que les résistants cherchant à rallier les forces alliées,
les sympathisants se noyèrent dans l'anonymat de la foule,
mais sans cesser pour autant la propagande de bouche à
oreille. Ceux qui avaient été incarcérés à la centrale de
Port Lyautey furent évidemment libérés dans les premiers.
La plupart réussit à rejoindre la France Combattante et
mener ainsi le combat auquel ils aspiraient depuis des
années. Leur incarcération et ses motifs leur servant de
références, les Alliés facilitèrent leur départ du Maroc.
Les autres résistants, dépourvus de telles possibilités,
en furent réduits à l'incorporation dans l'Armée
d'Afrique, ex armée de Vichy, à présent aux ordres de
Darlan, puis de Giraud. Certains purent en déserter pour
rejoindre la France Combattante. D'où l'étrange situation
de militaires sous la Croix de Lorraine dont la famille
recevait la visite de gendarmes les recherchant comme
déserteurs ou insoumis.
...certains
"gaullistes" d'Algérie ou du Maroc, mettant à profit
la confusion générale, parvenaient à nous rejoindre
(Charles De Gaulle)
Si les actions des membres d'Arthur Richard n'eurent pas le
retentissement de leurs, homologues de la Résistance en
métropole - dont les faits d'armes, après avoir été
appréciés du Haut Commandement Allié lors des débarquements
de Normandie et de Provence, ont été contés par le détail -,
c'est qu'il s'est agi d'une Résistance extra-métropolitaine,
se passant à distance du théâtre d'opérations européen. Si
ceux du réseau Henri d'Astier eurent deux morts à Alger le
matin du 8 Novembre (le capitaine Pillafort et le lieutenant
Dreyfus) , ceux de la mission Arthur Richard eurent
également leurs héros et leurs martyrs. Le réseau fut
détruit par la rafle de Juin 31, qui amena l'arrestation de
27 de ses membres sur 32 ; mais il se reconstitua grâce au
sursis dont bénéficièrent, en raison de leur âge, de jeunes
résistants qui reprirent le combat clandestin dés que
l'opportunité leur en fut offerte. Maurice Pascouët père fut
libéré,dés après le débarquement du 8 Novembre de la
centrale où il purgeait une peine de dix ans de travaux
forcés pour "atteinte à la sûreté extérieure de l'Etat". Il
rejoignit Londres où il contracta un engagement dans le
B.C.R.A. (2 ème Bureau). Parachuté en France, il fut arrêté
à la suite d'un simple contrôle d'identité. Il avait
évidemment de faux papiers, mais fut démasqué par ses
empreintes digitales archivées depuis sa précédente
arrestation au Maroc en Juin 41. La police politique de
Vichy faisait bien son boulot pour le compte de la Gestapo.
Déporté à Buchenwald, il y mourut début 1945 . Pierre
Gabrielli, membre du même service secret, fut grièvement
blessé (fracture du bassin) lors d'un parachutage. Pour
l'ensemble des membres du " sous réseau Arthur Richard " et
quelques autres Résistants du Maroc, les services rendus à
la Résistance furent récompensés par: Légion d'Honneur:
Pierre Gabrielli, Simone Maillot, Louise Nicolas, Maurice
Pascouët père (Mort pour la France à Buchenwald) Médaille de
la Résistance avec Rosette: Louis Leclerc, Honoré
Paluat, MM. Maurice Pascouët père et fils (cas très rare,
sinon unique dans une même famille), plus Maurice Boniface
et Anna Paolantonacci (de Casablanca) . Médaille de la
Résistance: Lucien Aillaud, Arthur Biau, Henri Boube, Jean
Gabrielli (Mort au Champ d'Honneur), Pierre Gabrielli,
Marcel July, Simone Maillot, Madeleine Magny, Gilbert
Morrisson, Louise Nicolas, Ferdinand Pelet du Planty, Paul
Wittmer, plus Jean Paolantonacci; (de Casablanca ) et le
Capitaine Maurice Prochasson. Un certain nombre de titre de
Combattants volontaires de la Résistance, Médailles
Commémoratives des Services Volontaires dans la France
Libre, Médailles de la France libérée, de la Déportation et
de l'Internement pour faits de Résistance... Le nom de
Maurice Pascouët Père fut donné à une artère du centre de
Rabat: la portion de la Rue Capitaine Petitjean qui longeait
la Banque d'Etat du Maroc jusqu'aprés les Jardins du
Triangle de Vue, et qu'il avait empruntée durant des années
pour se rendre à son travail aux Chemins de Fer Marocains
(bureaux Rue de la République).
*
**
Les membres du réseau de résistance à Rabat n'eurent jamais
entre eux que des contacts par deux, voire trois lors d'un
recrutement. Le cloisonnement y était tel que, même après la
guerre, certains membres se connaissaient sans s'être
reconnus comme membres du même groupe. Ce fut bien une mise
en pratique instinctive de l'esprit des "missions
clandestines" dont parle le Général De Gaulle dans ses
Mémoires de Guerre. Après la guerre, les deux douzaines de
résistants furent regroupés en une "Mission Arthur Richard".
On aurait tout aussi bien pu lui donner le nom de "Mission
Paluat" du nom de l'agent du B.C.R.A. (2ème Bureau Français
Libre) qui résidait à Tanger et servit de correspondant avec
Londres. Il se fit arrêter au protectorat en Juin 41, quand
il s'y aventura au moment ou presque tous les membres du
réseau subissaient le même sort. L'ère administrative étant
ouverte, le réseau fut rattaché, pour sa liquidation, au 3
Réseau Henri d'Astier "qui avait fait du beau travail à
Alger le matin du débarquement". Le Liquidateur National,
Roger Carcassonne - Leduc, après de brillantes actions de
résistance, avait rejoint en 43 le Général De Gaulle qui le
garda à son Etat-Major personnel. Compagnon de la
Libération, il fut pendant des décennies le Président de
"l'Association de la Libération Française du 8 Novembre",
qui ne compte guère plus de 500 membres. Ceux ci se
réunissent solennellement chaque 8 Novembre à l'Arc de
Triomphe de l'Etoile pour le dépôt d'une gerbe. La cérémonie
a lieu en présence de diverses autorités civiles et
militaires, dont les représentants de trois armées alliées.
Elle est suivie d'un apéritif d'honneur dans les salons de
l'Hôtel de Ville de Paris. Le lendemain, pèlerinage rituel à
Colombey-les-Deux Eglises. L'intersection des rues LA
Fayette et Chabrol, dans le Xéme arrondissement de Paris, a
reçu le nom de "Place du 8 novembre 1942"et il doit y être
érigé un monument avec une inscription rappelant les
événements de cette journée. Plus discrète, parce que
comptant moins de membres, l'Association "Ceux du 8
novembre" regroupe les Officiers d'Active ayant joué un rôle
dans le débarquement. Leur mérite fut d'avoir désobéi aux
ordres qu'il leur aurait été si facile d'exécuter
aveuglément. Leur religion étant faite d'avoir à rejoindre
le camp allié, ils eurent le courage d'en prendre les
risques. Après avoir contré les commissions d'armistice, ils
auraient été accusés de trahison en cas d'échec du
débarquement. Ceux là donnèrent vraiment tout leur sens aux
termes de " servitude et grandeur militaire ".
*
**
Avant de conclure ce bref compte-rendu, il peut s'avérer
intéressant de revenir sur ces événements; mais cette fois
avec une vue plus large sur ce que fut, de l'intérieur, la
préparation du débarquement. Les forces de l'Axe n'étaient
présentes que par leurs Commissions d'Armistice,
pointilleuses et vigilantes, mais que les militaires
français s'employèrent généralement à mystifier: camouflage
d'effectifs et de matériels qui devaient aider la reprise
presque immédiate des opérations sur le front de Tunisie.
Pour essayer d'obtenir le ralliement dans le camp allié des
territoires d'Afrique Du Nord, les avances faites au niveau
le plus élevé de la hiérarchie vichyste se heurtèrent à des
fins de non-recevoir. A un niveau un peu moins élevé, le
consensus pour la cause allié se fit entre certains
éléments. C'est ainsi que se constitua le " Groupe des Cinq
" (Henri d'Astier de la Vigerie, Jean Rigault, le Colonel
Van Hecke des Chantiers de Jeunesse, Jacques Tarbé de Saint
Hardouin et Lemaigre-Dubreuil), disposant de "couvertures"
officielles lui permettant de se déplacer facilement, ce qui
lui assura une efficacité des plus appréciables. Ses membres
s'activèrent jusqu'au débarquement. Leur mérite fut d'amener
à leurs vues et coordonner l'action de certains responsables
militaires, tels que les Généraux Béthouart à Casablanca,
Mast à Alger, ainsi que son adjoint le Colonel Jousse. C'est
à lui que l'on doit vraiment la réussite du soulèvement à
Alger: son poste de Commandant de la Place lui permit de
fournir aux patriotes les armes, véhicules, laisser-passer
et brassards leur donnant la possibilité de neutraliser les
autorités vichystes et leurs séides. Parallèlement s'était
constitué un mouvement d'opposition à la politique de Vichy
et ses applications en Algérie. Les juifs natifs de ces
départements venaient de se voir retirer les avantages que
leur avait octroyé 70 ans plus tôt le décret Crémieux:
déchéance de leurs droits civiques, expulsion
d'administration et d'écoles, numerus clausus pour
l'exercice de certaines professions. Par solidarité dans ces
épreuves, ils resserrèrent les liens à l'intérieur de leur
communauté. Ce mouvement eut la sagesse de se tenir dans une
cauteleuse clandestinité qui ne laissa pas soupçonner son
existence, contrairement à ce qui se passa au Maroc. Là, les
résistants, mus uniquement par leur colère et leur
patriotisme, et sans aucune autre nécessité, se livrèrent à
une propagande provocatrice, ce qui amena leurs arrestations
répétées et leur neutralisation. A Alger, les habitués d'une
salle de gymnastique prirent certains risques en ralliant
autour d'eux des jeunes gens, qui étaient évidemment parmi
les plus ardents à vouloir agir. Le nombre d'initiés
éventuellement opérationnels se monta à prés de 1.500.
C'était là un beau vivier dans lequel le Groupe des Cinq et
les militaires qui s'y étaient agrégés purent recruter, le
moment venu, des groupes d'action pour faciliter le
débarquement. Lors de l'entrevue de Cherchell, le plan
d'action, sinon sa date exacte, avait été dévoilé dans ses
grandes lignes. Il fut même remis un pistolet mitrailleur à
un jeune participant, ce qui lui permit, par la suite, de
prouver qu'il n'y avait pas d'affabulation dans ses propos;
tout au plus de l'exagération, car il prétendait avoir un
stock de 500 armes, mais sans préciser qu'il ne s'agissait
que de fusils Lebel modèle I886. Les actions des patriotes à
Alger au matin du 8 Novembre ont été suffisamment décrites
par ailleurs et sortent du cadre du présent exposé. Nous ne
voulons pas conclure sans leur rendre hommage, car, sans
leur action téméraire, les troupes alliées auraient risqué
de se voir clouées sur les plages,voire même repoussées, ce
qui aurait permis à l'Axe de prendre pied plus largement et
plus fortement qu'il ne le fit en Tunisie. Et le cours de la
guerre en eût été changé...
Document
COMPLAINTE
DE L'AVIATEUR
qui n'a pas réussi à
rejoindre Gibraltar
et se retrouve en prison
(sur l'air de "Je tire
ma révérence")
Je tire ma révérence
Et m'en vais sans retard,
Sur les routes de France
De France à Gibraltar.
Mais il faudrait quand même
Pour qu'ce Simoun m'amène,
Il faudrait, j'en ai marre
Que son salaud d'moteur démarre.
J'ai fait le plein d'essence
Et j'ai ôté les cales.
L'hélice tourne et s'élance
Et puis le moteur cale.
J'ai dû quitter la place.
Tout s'tasse, tout passe, tout lasse.
Et j'n'ai pas pu me taire
En m'trouvant d'vant l'commissaire.
Maint'nant je suis en tôle;
Je bouffe des féculents.
Si vous trouvez ça drôle
Tâchez d'en faire autant.
Mais ayez souvenance
Que dans notre douce France
Si nos moteurs sont nuls,
Par contre, on fait de bonnes cellules.
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