GABRIEL MAZIER
alias Capitaine François
100
Un
officier d'occasion
dans
le Haut Pays niçois
Guerre
1939 / 1945
Nice
- Mars 1992
Analyse du témoignage
Résistance ;dans le haut
pays niçois
Écriture : 1989 - 115
Pages
Avant propos du témoin
J'ai beaucoup hésité à
écrire ce récit : tant de choses ont déjà été
écrites sur la Résistance et par des gens bien
mieux informés que moi : si je me décide
cependant, c'est pour un certain nombre de raisons
que je voudrais vous faire partager. Tout d'abord
pour satisfaire ceux qui m'ont aidé pendant cette
période troublée, et qui m'ont demandé de le faire
: ils étaient peu nombreux, ils le sont de moins
en moins et pour ceux qui restent je sais qu'ils
seront heureux de revivre à travers ce récit
quelques moments exaltants de leur jeunesse
courageuse. Ensuite, il y a l'envie de faire
connaître aux plus jeunes ce qu'a été cette
période de l'histoire de notre région qui fait
maintenant partie de notre patrimoine à tous. Je
crois, enfin, pourquoi ne pas le dire, qu'un
moment arrive un jour dans la vie d'un homme, où
il veut, sans doute par besoin, faire son propre
bilan. Pour beaucoup de ceux que j'ai connus à
cette époque, la Résistance a apporté les grades,
les honneurs, l'argent rien de tout cela pour moi,
et pourtant je suis satisfait d'avoir accompli ce
que vous allez lire. A tort ou à raison, vous
jugerez...
PrÉsentation du Docteur Gaston
Bernard
On a beaucoup épilogué sur
la réalité de l'appui apporté par la Résistante
intérieure aux armées alliées au cours de la
dernière guerre. Le déroulement des opérations qui
suivirent le débarquement en Provence du 15 août
1944 illustre pourtant de façon éclatante
l'efficacité de cet appui, aussi bien la rapidité
de la progression alliée vers le Nord que la
libération anticipée de Nice et de la quasi
totalité des Alpes Maritimes. C'est à l'action
d'agents intrépides comme "cet officier
d'occasion" que le Haut Pays Niçois dut d'être
libéré avec plusieurs mois d'avance sur les plans
alliés. C'est grâce à l'implantation des maquis,
que ces Résistants organisèrent dans nos
montagnes, que les troupes libératrices purent
avancer si vite le long de la route des Alpes vers
Grenoble, Lyon puis Dijon. C'est à l'action de ses
semblables dans les réseaux urbains, que Nice fut
purgée, intacte, de ses occupants, le 28 août
1944, moins de deux semaines après le débarquement
du Dramont. Le récit que vous allez lire ne
prétend pourtant pas à la justification
stratégique : il raconte simplement au jour le
jour, la vie d'un agent français parachuté en
Provence fin 1943, pour préparer le débarquement
au Sud et la reconquête de la France occupée. Cet
agent, qui fut l'une des grandes figures, pourtant
méconnue, de la Résistance dans le Haut Pays
Niçois avait fait parler de lui sous le nom de
guerre de "Capitaine François". Celui qui fut son
chef à l'époque, le Général J. Lecuyer, dit Sapin,
a bien voulu préfacer ces souvenirs.
One has
a lot epilogue on the reality of the support
brought by the interior resistant to armies allied
in the course of the last war. The operations that
followed the landing in Provence of 15 August 1944
illustrates nevertheless vivid manner the
efficiency of this support, the rapidity of the
progression allied to the North as well as the
anticipated liberation of Nice and the quasi
totality of Maritimes Alpes. It is to the action
of intrepid agents as this "officer of
opportunity" that the High Country Niçois had to
be liberated with several months of advance on
plans allied. It is thanks to the implantation of
the maquis, that these Resistants organized in our
mountains, that liberating troops could advance so
rapidly the long of the road of Alpes to Grenoble,
Lyon then Dijon. It is to the action of its
similar in urban systems, that Nice was purged,
intact, its occupants, 28 August 1944, less of two
weeks after the landing of the Dramont. The
account that you are going to read does not claim
nevertheless to the strategic justification : it
tells simply to the day the day, the life of a
French agent parachuted in Provence in end 1943,
to prepare the landing to the South and the
reconquest of France occupied. This agent, that
was one the great figures, nevertheless
misunderstood, the Resistance in the High Country
Niçois had made speak it under the war name of
"Captain François". This who was his chief in the
period, the General J. Lecuyer, tells "Sapin", has
well wanted to preface these souvenirs.
PRÉFACE DU GÉNÉRAL J. LÉCUYER, ALIAS SAPIN
Les circonstances ont voulu
que pendant les heures et les années sombres de
l'occupation, j'ai rencontré des hommes et des
femmes sortant du commun, mais j'affirme qu'aucun
-ou aucune- n'arrivait au niveau de François
(c'est sous ce nom que j'ai connu l'auteur du
récit qui suit) pour le courage, l'audace et
l'efficacité qu'il montrait en toutes
circonstances, et la confiance qu'il inspirait (au
moins à ceux qui étaient de son côté !!). Son
rayonnement était tel que ceux qu'il recrutait le
suivaient "les yeux fermés", sûrs qu'ils étaient,
qu'avec lui, on " s'en sortirait " toujours.
Certes, comme tous les combattants et les chefs
exceptionnels, il était "rugueux", difficile à "
manipuler", toujours à l'extrême limite du
raisonnable - quand ce n'était pas nettement au
delà ! - mais inspirant une telle confiance à ses
hommes que le déraisonnable devenait possible...
et se réalisait. Je peux affirmer que les pages
qu'il a écrites sont l'expression de l'exacte
vérité, sans forfanterie, sans exagération, malgré
leur caractère parfois irréel ! J'ajoute que par
modestie il n'a même pas tout dit ! Bravo François
! Je t'ai retrouvé à toutes les pages !
Circumstances
have wanted that during hours and years of the
sink occupation, I have met men and women exiting
the common, but I assert that none arrived to the
level François (it is under this name that I have
known the author of the account that follows) for
the courage, the audacity and the efficiency that
he would show in all circumstances, and the
confidence that he inspired (at least to these
they were his side !!). His radiation was such
that these that he recruited followed him closed
eyes, sure that they were, that with him, one in
would exit always. Indeed, as all combatants and
exceptional chiefs, he was rugged, difficult for
manipulate, always to the extreme limits the
reasonable - when this was not clearly to far ! -
but inspiring a such confidence to his men that
the unreasonable became possible... and realized.
I can assert that pages that he has written are
the expression of the exact truth, without
forfanterie, without exaggeration, despite their
sometimes unreal character ! I add that by modesty
he has not even all tells ! Bravo François! I have
found you to all pages !
POSTFACE de M. Charles GINésy
Président du Conseil
Général des Alpes-Maritimes
Sénateur-Maire
de Péone-Valberg
Après un demi-siècle,
Monsieur Gabriel Mazier témoigne. Pourquoi avoir
attendu si longtemps ? La réponse se résume en
trois mots : pudeur, message, souvenir : - Pudeur,
car l'auteur est un modeste. Il appartient à cette
race d'"hommes tranquilles" que les circonstances
transforment en héros. Il a le sentiment de
n'avoir fait que son devoir. Il ne pense pas que
son comportement mérite d'être mis en lumière. Il
est discret de nature... et c'est tout à son
honneur. - Message, car les enseignements du passé
demeurent d'actualité. Le temps s'écoule, mais
l'Histoire encourage à la réflexion. Il est donc
utile de rappeler et d'expliquer, afin que
l'expérience serve. - Souvenir, car les nombreux
camarades de combat, qui ont sacrifié leur vie
pour leur Pays, ont droit à la considération des
autres. Les anciens ne les oublient pas. Les
jeunes comprendront mieux le prix de la Paix, sa
fragilité et ses exigences. Ils seront
reconnaissants à leurs aînés. Grand merci à
Gabriel Mazier d'avoir franchi le pas. Il m'offre
l'occasion de rappeler son rôle héroïque, sous le
nom de "Capitaine François". Après un entraînement
intensif à la guerre secrète, en Afrique du Nord,
au sein du célèbre "Bataillon de choc du
Commandant Gambiez", il est parachuté en Provence
fin 1943. C'est un chef dans toute l'acception du
terme, "rugueux", mais subjuguant ses hommes qui
le suivent les yeux fermés. Grâce à "cet officier
d'occasion ", le Haut Pays Niçois
est libéré avec plusieurs mois d'avance sur les
plans alliés. Gabriel Mazier, avec beaucoup de
pudeur, nous fournit un exemple. Simplement, mais
indéniablement, il donne une leçon de patriotisme
et de courage. Il engage à la vigilance. Ainsi, il
continue à se battre pour la France: la plume est
sa nouvelle arme. Il a compris, avec Platon, que
"ce sont les Hommes, et non les pierres, qui font
le rempart de la Cité".
After a
half-century, Sir Gabriel Mazier testifies. Why to
have waited so long ? The reply summarizes in
three words: modesty, message, souvenir : -
Modesty, because the author is a modest. he
belongs to this tranquil man race that
circumstances transform in hero. He has the
sentiment to have made only his duty. He does not
think that his behavior deserves to be put in
light. He is discrete of nature... and that is all
to his honor. - Message, because enseignements of
the past reside current events. The time flows,
but the History encourages the reflection. It is
therefore useful to remind and to explain, in
order that the experience serves. - Souvenir,
because the numerous comrades of combat, that have
sacrificed their life for their Country, have
straight to the consideration of others. The
ancient do not forget them. Youths will understand
better the price of the Peace, its fragility and
its demands. They will be grateful to their old.
Great thank you to Gabriel Mazier to have crossed.
He offers me the opportunity to remind his heroic
role, under the name of Captain François. After an
intensive training to the secret war, in North
Africa, in the breast of the famous Battalion of
shock of the Commander Gambiez, he is parachuted
in Provence at the end of 1943. He is a chief in
all the meaning of the term, rugged, but
subjugating his men that follow him eyes closed.
Thanks to this "officer of opportunity", the High
Country Niçois is liberated with several months of
advance on plans allied. Gabriel Mazier, with a
lot of modesty, provides us an example. Simply,
but undeniably, he gives a patriotism and courage
lesson. He commits to the vigilance. Thus, he
continues to fight for France : the feather is his
new arm. It has understood, with Platon, that this
are Men, and non stones, that make the rampart of
the City.
TABLE
PREFACES
9
Avant
propos 11
L'entraînement à la guerre
secrète 12
LE
PREMIER "CHOC" 12
LES
"FAUSSES BARBES" 13
ENTRAINEMENT
AU SABOTAGE 14
DES
PARTENAIRES D'ENTRAINEMENT
INVOLONTAIRES
14
APPRENDRE
A TUER 15
"COLLABORATEURS"
15
ENTRAINEMENT
AU SAUT EN PARACHUTE 16
"Joseph
CABOT" 17
L'APPRENTISSAGE
DES TRANSMISSIONS 17
L'ATTENTE
DU DEPART 18
Le
brevet de parachutiste
décerné
à Gabriel Mazier 21
Parachutage en métropole
et premières opérations
dans la Drôme 22
ARRIVEE
A DIEULEFIT 23
BRACONNAGE
ET CHAMPIGNONS
POUR
SURVIVRE 24
MISSIONS
DELICATES 25
JE
FAIS DERAILLER UN TRAIN MILITAIRE 25
UN
DERAILLEMENT MANQUE 27
Installation à Puget
Théniers 32
LA
RENCONTRE D'UN ANCIEN CAMARADE
ME
CONDUIT A PUGET-THENIERS 32
RETOUR
DANS LA DROME
POUR
"LIQUIDATION" 33
RETOUR
ET INSTALLATION
A
PUGET-THENIERS 34
LES
LIAISONS RADIO AVEC ALGER 35
ARRETE
PAR ERREUR ET POUR PEU DE TEMPS 36
PREMIER
PARACHUTAGE
AU
PLATEAU DE DINA 16 JANVIER 1944 36
JE
NE SUIS PAS SEUL A ORGANISER DES PARACHUTAGES
DINA 38
LA
REUNION DE COORDINATION DE SAPIN 39
HERCULE
40
RECRUTEMENT,
ENTRETIEN,
INSTRUCTION
DU MAQUIS 40
IMPRUDENCE
ET DENONCIATION 41
La guerre des embuscades
48
L'ATTAQUE
SURPRISE DE NOTRE REFUGE 48
REPLI
STRATEGIQUE ET MORT DE CABOT 49
A LA
RECHERCHE D'UN ABRI 49
AU
LIEU DE M'AIDER ON ME CHASSE
ET
ON ME DENONCE 50
ENFIN,
DES BRAVES GENS! 51
LE
MAQUIS DE COLMARS-LES-ALPES 53
BARCELONNETTE
54
ENLEVEMENT
IMPROVISE 55
EXECUTIONS
SOMMAIRES A SAINT-ANDRE 56
L'ASSASSINAT
COLLECTIF DE
ST
JULIEN DU VERDON 57
In
Memoriam! - LES FUSILLES
DE
ST JULIEN DU VERDON - 11 juin 1944) 57
Du maquis de Beuil à la
libération
de Puget-Théniers 65
DESTRUCTION
DU PONT DU PRA D'ASTIER 66
DEMINAGE
VERS VALBERG 66
DESTRUCTION
DU PONT DE BERTHEOU
- 8
JUILLET 1944 67
DES
SORTES DE COURS MARTIALES 68
EXECUTION
D'UN MOUCHARD 69
REDDITION
DE PUGET-THENIERS 70
Dernières
opérations 79
LE
BANCAIRON 79
NETTOYAGE
EN AVAL DE LA MESCLA
- LA
BATAILLE DE LEVENS 81
EPILOGUE
85
Documents
86
La mémoire
La
mémoire : seul bagage incessible
Jacques
ATTALI
CHAPITRE
PREMIER
L'entraînement
à
la guerre secrète
La campagne de Tunisie
s'achevait. Nous étions en Mai 1943, les troupes
de Montgomery avaient rejoint les Américains
débarqués au Maroc et à Oran en Novembre
précédent. Les Allemands et les Italiens
quittaient l'Afrique du Nord. J'avais participé
avec les Corps Francs d'Afrique à la libération de
Bizerte et n'avais plus qu'une idée, celle de
prendre part, au plus tôt, à la reconquête de la
Métropole que j'avais quittée en 1941. J'avais
appris que le Général Giraud;mettait sur pied, à
Alger, une unité spéciale destinée à préparer le
terrain au futur débarquement et je m'étais
aussitôt porté volontaire. Comme ancien de la
Garde Républicaine et parce que j'avais eu la
chance de pouvoir me distinguer dans les combats
de Tunisie, j'obtins sans trop de mal
l'autorisation de mes chefs et rejoignis Alger. Le
Général Giraud, qui voulait connaître
personnellement chacune de ses recrues, m'avait
reçu brièvement à son PC au Palais d'Eté.
LE PREMIER "CHOC"
La constitution de cette
unité spéciale appelée "Premier Bataillon de Choc"
avait été confiée au Commandant Gambiez, venu de
France par l'Espagne; le recrutement en était
hétéroclite, du 2ème classe au capitaine en
passant par les spécialistes sous-officiers les
plus divers. Tous, bien entendu, étaient
volontaires. L'appellation "Bataillon" ne doit pas
faire illusion : elle n'était là que pour
l'administration. L'instruction qu'on nous y
dispensait n'avait pas grand chose à voir avec
celle du soldat de base. On y enseignait l'art de
s'infiltrer au milieu des troupes ennemies, celui
du sabotage des voies de chemin de fer,
l'élimination en silence des sentinelles, le judo
et le close-combat. Le parachute était roi,
l'éducation physique poussée au plus haut niveau,
le parcours du combattant au menu de tous les
jours. On y apprenait à manier les explosifs les
plus variés et à tirer vite avec toutes sortes
d'armes. L'expérience que j'avais acquise
précédemment me valut d'être choisi comme
instructeur après quelques jours, puis, très vite,
on m'affecta au Service de Renseignements et
d'Action, plus connu sous le nom de
"Fausses-Barbes", qui était rattaché au B.C.R.A.
(Bureau Central de Renseignements et d'Action)
organisme de la France libre installé à Londres en
octobre 1943, puis disposant d'une antenne à Alger
dès 1944. Il eut la charge de coordonner et
d'équiper la Résistance Française. LES
"FAUSSES BARBES" Aux
"Fausses-Barbes", l'entraînement prit une
intensité exceptionnelle. Nous étions bouclés dans
un ancien camping, "Le Club des Pins", en bordure
de la route qui va d'Alger à Cherchell, près de
Sidi Ferruch;et de Staouéli. Il y avait là, comme
au Premier Choc, un assortiment de volontaires
venus de tous les horizons, des combattants de
toutes les armes et de toutes les unités qui
avaient été dissoutes après les combats de
Tunisie. L'instruction nous était donnée par des
spécialistes alliés, anglais pour le sabotage et
le combat rapproché à l'arme blanche, américains
pour le saut en parachute et le maniement des
armes de toutes natures, y compris des armes
allemandes que nous allions être amenés à
rencontrer sur nos futurs terrains d'opérations.
Le sabotage des locomotives nous avait été
enseigné au cours d'un stage spécialisé à
Sainte-Barbe du Tlélat: nous étions capables, à la
fin, de pousser la pression d'une chaudière et de
manoeuvrer une machine en marche avant ou arrière,
de la lancer sur un convoi pour le faire dérailler
ou encore de l'aiguiller sur une voie de garage
pour la détruire. Nous avions également appris à
manoeuvrer les différents types de motrices
diesel, notamment les michelines. Pour les avions,
nous avions aussi fait un stage spécialisé, au
camp d'aviation d'Oran, a Sénia, où on nous avait
appris à mettre en route un moteur de
Messerschmidt et à faire décoller un avion pour en
sauter en parachute s'il fallait s'échapper
rapidement d'un territoire ennemi. L'attaque des
sentinelles et l'élimination silencieuse des
gêneurs faisaient l'objet d'un entraînement
particulièrement poussé: tous les jours nous nous
exercions sur des mannequins de façon à obtenir le
maximum de rapidité dans l'exécution des coups de
poignard ou de tranchet, des manchettes ou des
coups de pied. Quand le travail sur mannequins
était au point, nous nous entraînions entre nous,
ce qui n'allait pas, bien entendu, sans provoquer
quelques accidents tant nous y mettions d'ardeur.
Je me souviens de celui survenu à mon ami
Blanc;dont j'avais brisé une clavicule en
ripostant à un étranglement, de celui aussi arrivé
au Capitaine Teri parce qu'il avait gardé une
seconde de trop une grenade d'exercice dans la
main droite qui fut arrachée : ce patriote de
grand courage devait d'ailleurs perdre, un peu
plus tard, une jambe dans les combats des
Ardennes. Ces grenades d'exercice, un instructeur
Anglais nous avait appris à les fabriquer: il
suffisait d'une noix de plastic dans laquelle on
plaçait un détonateur relié à une mèche lente de
10 cm qui brûlait en 10 secondes, le tout enrobé
de Chatterton : la mise à feu s'effectuait à
l'aide d'un allumeur à friction sur un simple
frottoir de boîte d'allumettes; ces engins
étaient, en principe, inoffensifs, tympans mis à
part, car ne projetant aucun éclat métallique : il
fallait pourtant éviter de les garder trop
longtemps en main!ENTRAINEMENT
AU SABOTAGE Nous nous
entraînions aussi beaucoup aux combats à l'arme
blanche et au lancer du poignard où nous étions
devenus assez adroits car il nous fallait réussir
80 % des lancers pour avoir droit à la permission
de spectacle à Alger. Je doit dire que, par la
suite, je ne me suis jamais servi du jet de
poignard en combat réel car c'est une chose de le
faire à l'exercice quant on en a 25 dans son
carquois et une autre de lancer la seule que l'on
possède pour stopper un adversaire déterminé à
vous tuer! Nos instructeurs tenaient souvent le
rôle de l'ennemi à abattre: ils assuraient, par
exemple, la garde d'un pont ou d'un bâtiment que
nous devions fictivement détruire; il fallait,
pour cela, d'abord les réduire au silence; nos
poignards de bois étaient enduits d'un colorant
qui laissait des traces sur nos "victimes" et la
convention voulait que celles-ci, si elles étaient
atteintes à un endroit vital, ne devaient pas
donner l'alerte; plus rarement, l'attaque se
faisait à l'arme à feu qui était alors chargée à
blanc. Ces sentinelles attaquées se défendaient
bien entendu avec acharnement: elles disposaient
notamment de matraques de la M.P. (Military
Police, Police Militaire des Armées Alliées)
également enduites de colorant traceur, ce qui
permettait de décider, après le combat, de qui
l'avait gagné. La destruction des bâtiments était
simulée par des feux de bengale et le vol de
documents "secrets" par l'apposition d'étiquettes
dans leur cachette supposée, fond de tiroir ou
intérieur de porte. Avec le temps, notre
entraînement prit une tournure plus réaliste et on
nous demanda d'opérer sur des personnels non
avertis, à l'Etat-Major d'Alger, par exemple, qui
était cantonné à l'Hôtel Aletti ou encore au camp
d'aviation d'Oran... ou dans divers P C. Nous
opérions alors en civil, comme l'auraient fait des
agents ennemis: on nous débarquait sur le Côte,
seuls ou par deux, en un point plus ou moins
éloigné de l'objectif; il m'est arrivé, par
exemple, d'être largué, en pleine nuit, avec mon
radio, à cinquante kilomètres d'Alger que nous
avons dû ensuite rallier en auto-stop, chargé de
l'équipement radio nécessaire aux liaisons
prévues: cette fois là, nous nous étions installés
dans un appartement à louer, tout près de la
caserne d'Orléans et du centre de détection des
émetteurs clandestins, qui ne nous a jamais
détectés; nous n'étions quand même pas très
tranquilles, craignant toujours de voir arriver
les agents de la Défense du Territoire alertés par
nos activités de ravitaillement ou par notre
consommation d'électricité. Une autre fois, au
cours d'une opération nocturne simulant le
sabotage d'avions au sol à l'aérodrome d'Oran, je
manquais être pris par une patrouille dont le
faisceau d'une torche passa à moins d'un mètre de
moi, alors que je rampais sous l'aile d'un avion
pour coller mon étiquette sur un réservoir. Les
responsables de la surveillance des appareils
reçurent le lendemain un sérieux savon car leur
négligence aurait pu avoir des conséquences très
sérieuses si le sabotage avait été réel. Je
suppose que le Service de Garde en tira les
conséquences. DES
PARTENAIRES D'ENTRAINEMENT INVOLONTAIRES Bien
sûr, nous avions sur nous un pli cacheté,
indiquant notre mission et notre identité, qui
pouvait être ouvert par un officier supérieur,
mais de telles missions étaient pourtant
extrêmement dangereuses car le personnel de
protection était armé et parfaitement en droit de
nous tirer dessus. Le danger, je dois le dire, ne
nous arrêtait pas; nous avions même mis au point,
entre nous, des expéditions "privées" pour
lesquelles les indigènes de la Casbah nous
servaient de partenaires involontaires. A
plusieurs, souvent à trois, nous "empruntions" une
voiture de l'Armée que nous remettions en place
après usage et nous allions à Bal-el-Oued où nous
simulions l'ivresse dans des ruelles mal famées:
l'un de nous laissait dépasser un portefeuille de
sa poche, ce qui attirait immanquablement
l'attention d'un quelconque voyou qui ne tardait
pas à subtiliser le portefeuille après nous avoir
abordés pour offrir ses services: c'était alors le
moment d'agir et toute la gamme de notre
entraînement y passait: judo, close-combat,
savate, et tant mieux s'il y avait de la
résistance! Nous nous défoulions ainsi tout en
améliorant notre entraînement: nous apprenions à
mieux apprécier la force d'un coup ou l'efficacité
d'une prise. Comme nous portions l'uniforme de
l'Armée Américaine, la Military Police finit par
se montrer curieuse et entreprit de nous
identifier; ce n'est que d'extrême justesse que
nous échappâmes, un jour à l'embuscade qu'elle
nous avait tendue, en filant à bord d'une de ses
voitures. Il y eut une enquête qui n'aboutit
jamais car, officiellement, nous y avions eu la
prudence, tout à notre souci d'être de bons
agents, de sortir clandestinement à travers une
brèche de barbelés!
APPRENDRE A TUER
Il fallait aussi nous
apprendre à tuer. Pour cela nos instructeurs nous
demandaient d'attraper des chats errants que nous
devions étrangler ou assommer, si possible sans
nous faire griffer, ce qui n'était pas facile;
j'avais imaginé d'utiliser des morceaux de filets
de pêche comme on en trouvait facilement sur les
quais du port à Alger: je les tendais en travers
d'une ruelle et les copains servaient de
rabatteurs; ensuite on mettait le chat dans un sac
qu'on tapait contre un mur jusqu'à ce qu'il ne
donne plus signe de vie. Nous arrivions ainsi en
une soirée à en tuer plusieurs dont nous alignions
les cadavres devant la porte de notre instructeur
qui n'a jamais compris comment nous faisions pour
lui présenter des mains indemnes d'égratignures.
Avec les moutons que nous devions égorger, c'était
plus facile, et en plus nous pouvions les faire
rôtir et les manger."COLLABORATEURS" On
nous demanda même, vers la fin de notre
entraînement de passer à la pratique de guerre et
de supprimer des collaborateurs notoires, qu'on ne
pouvait, pour une raison ou une autre, faire
passer en jugement. On nous donnait le nom et
l'adresse ainsi qu'un Colt 45 ou un poignard,
selon le cas, pour les exécuter. Bien entendu,
nous étions libres de refuser et ceux qui
acceptaient n'allaient pas toujours au bout de
leur mission, car il arrivait qu'on leur enjoigne
en cours de route de revenir immédiatement au
camp: mais ceux-là avaient prouvé leur
détermination et étaient réellement prêts à tout.
Nous étions entraînés au tir avec toutes les armes
possibles et très intensivement au tir instinctif
au pistolet: nous le pratiquions dans des salles
spécialement aménagées qui étaient plongées dans
une obscurité totale: un bref éclair lumineux nous
permettait seulement d'apercevoir l'objectif, une
tête à une fenêtre, par exemple et il fallait
tirer aussitôt. Nous pratiquions encore des
épreuves d'endurance, de longues marches sur des
sentiers de montagne, où nous devions porter de
lourdes charges comme celles que nous aurions plus
tard à transporter lorsque nous serions en France
occupée et qu'il nous faudrait mettre en sûreté,
par exemple, les armes et les équipements
parachutés. Nous apprenions aussi de cette façon,
à mieux apprécier les efforts que nous pourrions
exiger de ceux que nous recruterions pour ce
travail.
ENTRAINEMENT AU SAUT EN PARACHUTE
L'entraînement
parachutiste se poursuivait parallèlement: outre
la séance quotidienne de pliage des parachutes, il
y avait ce que nous appelions "la roulette" et qui
consistait à descendre, accrochés à une poulie, le
long d'un filin tendu obliquement du sommet d'un
arbre, où l'on grimpait par une échelle, jusqu'au
sol; au coup de sifflet, il fallait lâcher la
poulie et se laisser tomber en pleine vitesse pour
atterrir en roulé-boulé, avant, arrière ou
latéral. Un bon tiers d'entre nous se fit des
entorses et, pour ma part, quelques jours avant
mon premier saut d'avion, je me luxai les deux
épaules en me prenant maladroitement les pieds
dans une racine : quelques massages et des
compresses chaudes me permirent quand même d'être
en forme pour le grand jour. Le premier saut en
parachute, quelle aventure! Nous étions dix-sept
ce jour-là, bien décidés à impressionner ceux qui
nous observaient du sol: nos instructeurs, le
toubib et les infirmiers, mais aussi l'Etat-Major
et une bonne partie de la garnison américaine. Au
moment du saut, au signal de l'un d'entre nous,
nous avons entonné, tous ensemble, "Les couilles
de mon grand-père..." et ces dix sept braillards,
gueulant en choeur, à trois-quatre cents mètres en
l'air, impressionnèrent beaucoup les spectateurs;
un officier américain prit même un porte-voix pour
nous crier "Very good, Frenchies!". Le soir, nous
étions reçus par les Américains et ce baptême du
parachute fut particulièrement réussi: ils avaient
reconstitué la cabine d'un avions de transport
avec la porte de saut, et il nous fallait "sauter"
plusieurs fois: comme à chaque fois nous devions
ingurgiter un verre de whisky ou de muscadet, je
laisse à penser dans quel état nous étions en fin
de soirée! Je n'ai jamais su, en ce qui me
concerne, comment je me suis retrouvé le
lendemain, enroulé dans ma moustiquaire avec un
mal de crâne carabiné et une solide gueule de
bois. Il me fallut pourtant bien participer à la
séance de "décrassage" quotidienne, y compris le
plongeons de quatre mètres dans la piscine et les
cent mètres de nage libre. Les sauts se
poursuivirent, soit en automatique, c'est-à-dire à
ouverture commandée de l'avion par une sangle,
soit en sauts libres où nous déclenchions
l'ouverture à une altitude convenue. Nous n'avions
pas de parachute ventral de réserve et l'un de nos
instructeurs anglais se tua sous nos yeux parce
que son parachute s'était mis en torche mais ce
fut le seul pépin pendant tout notre entraînement,
même s'il y eut aussi une jambe cassée et
plusieurs entorses de la cheville ; ceux qui en
étaient victimes étaient d'ailleurs au désespoir
car cela retardait leur départ en mission. Les
sauts de nuit étaient les plus impressionnants.
Ils nous mettaient dans les conditions de saut que
nous rencontrerions en mission. Le balisage au sol
reproduisait celui que nous aurions à mettre en
place pour nos réceptions de parachutage futurs;
trois feux en ligne et un quatrième
perpendiculaire à l'un des bouts, chacun distant
de cinquante mètres, l'ensemble formant un "L"
dont le petit côté indiquait à l'avion sa
direction de dégagement. Un opérateur au sol muni
d'une lampe électrique, envoyait en morse une
lettre convenue d'avance avec l'équipage, "R" par
exemple, point, trait, point. Le largage des colis
ou du passager n'était effectué qu'après
identification du code. "Joseph
CABOT"C'est pendant cette période de saut
en conditions réelles qu'on nous demanda, à
chacun, de choisir un opérateur-radio qui serait
notre équipier. Ces opérateurs suivaient un
entraînement spécialisé parallèle au nôtre et nous
les rencontrions aux repas et aux moments de
détente. J'avais déjà sympathisé avec un garçon de
22 ans, venu des Chantiers de Jeunesse et qui
avait fait l'Ecole des Arts et Métiers
d'Aix-en-Provence. Il était très compétent et le
stage de radio qu'il suivait lui paraissait
facile. Il s'appelait Joseph Cabot;et nous étions
très vite devenus amis: au point qu'il refusa de
partir avec un autre lorsqu'une petite infection
due à un éclat reçu à la cheville en Tunisie me
valut quelques jours d'hôpital. Je lui avait
appris à braconner et il m'accompagnait lorsque
j'allais poser des collets dans le périmètre du
camp ou pêcher à la grenade au bord de mer, vers
trois-quatre heures du matin; la technique
consistait alors, après avoir appâté avec des
restes de la cuisine, à jeter à l'eau une grenade
d'exercice lestée d'une pierre; ensuite, en une
vingtaine de plongées, nous remontions plusieurs
kilos de poisson qui amélioraient l'ordinaire. Ces
petites expéditions nous avaient appris à nous
connaître et nous étions devenus inséparables.
Nous avons donc effectué ensemble le stage dit "de
sécurité" qui avait lieu dans un camp désaffecté
des "Chantiers de Jeunesse", à Chréa, près de
Blida; l'un des objectifs était d'accroître la
cohérence de ces équipes de deux, tout en les
entraînant à la vie dans la clandestinité. Nous
avions déjà adopté nos noms de guerre et nous
apprîmes à oublier les vrais. On nous apprit aussi
à nous déplacer de nuit à la boussole, dans les
bois, à nous guider sur les étoiles, à connaître
les heures où se levait la lune et la durée des
périodes où sa lumière pourrait nous guider sur
des sentiers difficiles: il fallait connaître les
lunaisons à l'avance de façon à établir nos
itinéraires et profiter au maximum de l'éclairage
de la lune. Pour bien entrer ces connaissances
dans nos têtes, on nous posait des colles du type:
"A 19 heures, la lune est au premier jour de son
dernier quartier, de quelle durée d'éclairage
disposez-vous jusqu'au matin ? Même question pour
le jour d'après ?".L'APPRENTISSAGE
DES TRANSMISSIONS Nous
apprenions aussi à nous grimer, à porter de
fausses barbes, et plus seulement au figuré, des
perruques, des moustaches, à simuler la surdité,
la boiterie, à déjouer une filature, à reconnaître
un individu signalé en observant le lobe de son
oreille (les Anglais utilisent la photographie de
l'oreille autant que les empreintes digitales).
Nous apprenions le "chiffre", les différentes
techniques de codage et de décodage des messages
que nous aurions à utiliser; c'était au chef de
l'équipe parachutée que revenaient ces opérations,
le radio, lui ne transmettait que des messages
codés où seuls apparaissaient en clair l'adresse
du destinataire et les groupes de lettres de début
et de fin de message. Ceci prenait beaucoup de
temps et nous obligeait parfois à conserver sur
nous des documents qui, en opération, pourraient
être compromettants; on nous apprit donc à rédiger
au plus court les messages pour l'organisation de
parachutages; nous répétions les formules pour
parvenir à les transmettre de plus en plus vite et
limiter ainsi le risque de se faire repérer par
les radiogoniomètres ennemis. L'ATTENTE
DU DÉPART Vint le
moment où nous fûmes mis en "alerte permanente";
nous devions être prêts à partir dans la journée
pour notre mission en France occupée. Il y eut de
nombreuses fausses alertes avant le vrai départ.
Pour certaines d'entre elles, même, on laissait
l'exercice se poursuivre jusqu'à nous faire
installer dans l'avion, parachute sur le dos,
paquetage au complet, armes et bagages, avant de
nous annoncer que le départ était remis et que
nous rentrions au camp. Ces faux-départs, je
l'appris par la suite, étaient destinés à éprouver
notre discrétion car le secret du voyage devait
être gardé jusqu'au bout et j'ai connu un type qui
a été renvoyé dans son Unité d'origine pour avoir
parlé à ses parents de son prochain départ pour la
Métropole. J'avais dû, pour ce départ, prendre
quelques dispositions personnelles. Ma solde
serait remise à l'un de mes oncles qui habitait
Cherchell;et qui la verserait sur un carnet de
Caisse d'Epargne à mon nom. Mes deux fils, René et
Marius, âgés de 10 et 6 ans, seraient pris en
charge par l'Armée Anglaise. On m'avait promis
qu'en cas de malheur ils seraient élevés en
Angleterre et recevraient chacun 500 livres à leur
majorité. L'Armée Française, elle, ne leur
garantissait que le montant symbolique de la
pension de "Fils de Tué", et encore j'avais dû
marchander! Bref, toutes ces dispositions dûment
enregistrées devant notaire et sur papier timbré,
j'était prêt à la grande aventure.
CHAPITRE
II
Parachutage en métropole et premières
opérations
dans
la Drôme
L'aventure devait
commencer dans la nuit du 20 au 21 octobre 1943.
Nous avions embarqué, Cabot et moi, seuls
passagers d'un bimoteur Halifax, où nous
attendions l'ordre d'avoir à débarquer comme c'en
était devenu l'habitude, avec le retour au
cantonnement, la restitution de notre argent
français, de notre beau petit Colt 32, avec la
remise en magasin du parachute, de la boussole de
poche et de tout l'équipement. Au lieu de cela,
les moteurs se mirent à vrombir et l'un de nos
instructeurs, le Major Searl, monta dans la cabine
pour nous annoncer qu'il nous accompagnait une
dernière fois, mais que là nous sauterions sans
lui. Le temps d'échanger un regard avec Cabot et
l'avion roulait déjà sur la piste puis décollait
vers le Nord, en direction de la France occupée.
L'avion changeait constamment de cap pour tromper
les écoutes radio de l'ennemi: nous volions tantôt
vers l'Ouest et Gibraltar, tantôt vers Marseille
ou Gênes et ce fut à l'Ouest de Toulon finalement,
que nous avons atteint la côte. Nous avions une
envie folle de fumer car nous avions dû, avant de
partir, nous débarrasser de nos cigarettes
américaines par élémentaire prudence. Nous nous
tenions, Cabot et moi, accroupis au bord de la
trappe de saut: c'était nouveau pour nous car
jusqu'alors, à l'entraînement sur les bimoteurs
Douglas, nous sautions sur le côté par la porte
d'embarquement. Nous attendions le feu vert, mais
l'attente se prolongeait: le pilote ne repérait
pas les signaux prévus au sol et repartait vers la
mer pour refaire le point à partir d'une grande
ville identifiable. Nous survolions à nouveau
Toulon où la D.C.A. ennemie nous repéra et nous
prit à parti. Ce fut un beau feu d'artifice, mais
les impacts sur la paroi de la cabine nous
disaient que nous étions un peu trop dans leur
ligne de mire; une explosion plus forte suivie
d'une violente lueur nous apprit que l'avion avait
été atteint; il se mit à tanguer et à faire du
saute-mouton. Le moteur gauche, je l'appris plus
tard, avait été touché de plein fouet par un obus
de 37, le mécanicien avait pu couper à temps son
alimentation pour éviter le feu. Le pilote
réussissait, tant bien que mal à rétablir
l'équilibre ; nous volions au ras des vagues que
nous pouvions apercevoir assis au bord de la
trappe de saut. Il avait tout de même fallu
larguer par celle-ci tout ce qui n'était pas
indispensable pour pouvoir reprendre le cap avec
une altitude suffisante: c'est ainsi que nous
avons perdu nos valises, nos vêtements de rechange
et les documents qui devaient nous permettre de
justifier, une fois débarqués, de notre identité
d'emprunt. Heureusement, on avait pu conserver les
trois tonnes de matériel destiné à nos amis au sol
de même que les réservoirs d'aile. Et puis nous
étions toujours vivants et l'avion, après un large
virage en mer, pouvait reprendre le cap de
Dieulefit;dans la Drôme;où nous étions attendus.
Toute cette alerte s'était déroulée dans le calme
et l'équipage avait appliqué comme à l'exercice
les consignes de sécurité. Le Major Searl avait
pris la peine de nous rassurer par des paroles
encourageantes pour notre mission et vers trois
heures du matin, nous atteignions finalement
l'endroit prévu pour notre parachutage, un plateau
de 1 350 mètres d'altitude, huit kilomètres à
l'est de Dieulefit. Nous étions à nouveau
accroupis au bord de la trappe de saut, Cabot;d'un
côté, moi de l'autre, regardant vers l'arrière,
avec entre nous ce trou noir d'un peu plus d'un
mètre de diamètre, au fond duquel 500 mètres plus
bas se devinait le pays où nous étions attendus.
Au feu vert, je m'appuyai énergiquement des deux
mains au rebord de la trappe et poussai vers le
trou pour éviter d'accrocher le gros sac dorsal du
parachute. Je me retrouvai, tournoyant dans l'air
froid de la nuit puis une brusque secousse
m'avertit que mon parachute venait de s'ouvrir. Au
sol, la lumière d'une explosion m'apprit que le
parachute d'un des containers apportant les
explosifs n'avait pas fonctionné. Je réalisai
aussi que ma descente m'éloignait du plateau où
nous avions rendez-vous: le vent m'entraînait le
long d'une vallée où alternaient les champs et les
petits bois et j'était déjà bien au dessous de
l'altitude prévue: peut-être cela, d'ailleurs,
m'avait-il sauvé la vie car l'avion nous avait
largué bien bas et j'aurais fort bien pu m'écraser
en prenant contact plus haut sur le plateau.
J'atterris à la limite d'une petite clairière et
eus beaucoup de mal à décrocher ma voilure de
l'arbre où elle s'était accrochée; je la camouflai
de mon mieux avec mon harnais et ma belle
combinaison de saut en faisant tomber dessus un
vieux pan de muraille qui se trouvait aux
environs. Il me fallait maintenant rejoindre le
comité de réception en remontant sur le plateau:
j'y mis plus d'une heure et fus accueilli par un
"Halte, Haut les mains!" de l'une des sentinelles
qui surveillaient les abords du lieu de
parachutage. Apparemment l'équipe ne s'attendait
pas à voir débarquer un civil chaussé de souliers
de ville, au beau milieu de leur travail de
récupération. Ils ne connaissaient pas "Edouard"
avec qui j'avais rendez-vous et je crus bien faire
de crier son nom pour l'appeler; cela me valu un
bon coup de canon de mitraillette dans les côtes
car la consigne était au silence. Edouard;ne tarda
pas à se montrer et nous pûmes nous serrer la
main; il n'avait pas fait connaître son pseudo
d'Alger à ses amis: il avait quitté l'entraînement
un mois avant moi et c'était sa première
"réception". Je dois dire qu'il eut du mal à me
reconnaître: j'avais reçu, avant de partir, un
coup de cep de vigne sur le visage au cours d'une
bagarre avec des arabes à Staouéli: ça me faisait
un superbe cocard à l'oeil droit, qui, ajouté au
feutre civil posé de travers sur ma tête, me
rendait très différent du militaire qu'il avait
connu. Une fois réunis, nous avons cherché Cabot:
personne ne savait où était passé mon radio et il
fallut partir sans lui.
ARRIVÉE A DIEULEFIT
Edouard;, qui était le
chef de l'expédition, renvoya chacun chez soi ou à
son travail à Dieulefit. La plupart rentrèrent à
vélo, quelques-uns à pied et moi dans une vieille
camionnette censée rouler pour le meunier du pays.
Elle transportait des sacs de son où nous avions
camouflé quelques armes du parachutage, des Sten
en particulier, pour montrer aux copains qu'elles
étaient bien arrivées. Le trajet se déroula sans
incident et nous nous sommes retrouvés chez
l'ancien Maire du pays, Monsieur V... qui
dirigeait le Groupe des Résistants de Dieulefit.
J'eus la bonne surprise d'y voir Cabot, mon radio
disparu, attablé devant une énorme tranche de
jambon: il était venu à pied depuis l'endroit où
il avait atterri poussé par le vent, une vallée en
contrebas du plateau prévu, comme cela m'était
arrivé. Au lieu de remonter, il avait jugé plus
expéditif de rejoindre Dieulefit en suivant
tranquillement la route. Il s'était fait
reconnaître en utilisant le mot de passe. Inutile
de dire que la soirée qui suivit cette longue
journée donna lieu à des réjouissances dignement
arrosées; Cabot et moi étions les héros du jour,
chacun voulut nous inviter, qui à dîner, qui à
déjeuner, ce qui donna lieu pendant quelques jours
à un va et vient qui aurait pu finir par nous
faire repérer; heureusement, ce pays ne comptait
pas le moindre mouchard, ce que je devais aussi
vérifier plus tard. Le Maire en exercice, pourtant
choisi par Vichy se tint toujours lui-même de
notre côté. BRACONNAGE
ET CHAMPIGNONS POUR SURVIVRE Les
jours suivants, je commençai mes reconnaissances
dans les environs à la recherche de terrains
possibles de parachutage; j'avais emprunté une
paire de bottes, une vieille veste de chasse et
une casquette et je passai mes journées à
parcourir les bois et les collines. Je ne tardai
pas à découvrir que la région était fort
giboyeuse; il y avait notamment beaucoup de lapins
de garenne et cela me donna, en ces temps de
restriction, l'idée d'en faire le commerce; car il
devenait urgent de reconstituer, pour mon radio et
moi-même la garde-robe que nous avions perdue en
mer. A défaut de tickets de textile, il nous
fallait au moins avoir de l'argent pour ces
achats. L'idée m'en était venue lorsque, dans le
grenier de mon hôte, j'avais trouvé quelques
"bourses", ces filets que l'on place aux sorties
des terriers avant d'y introduire un furet; dans
un pays occupé, où les armes à feu étaient
interdites, ce type de chasse me parut la
meilleure solution. Mon hôte réussit à me procurer
un furet que je payai deux mille francs, ce qui se
révéla un excellent placement; les nombreux lapins
de garenne que j'attrapai de cette manière me
fournirent une appréciable monnaie d'échange, avec
laquelle je pus même m'acheter une bicyclette. Le
lait nécessaire à la nourriture du furet m'était
donné par les chèvres de la petite ferme où
j'étais hébergé; tous les matins je partais à
l'aventure muni d'un sac et d'un panier pour les
champignons que je trouvais en chemin. Avec cet
attirail, je passais un peu partout sans trop
attirer l'attention; de temps en temps, des amis
m'accompagnaient qui connaissaient la région et
m'indiquaient les endroits où trouver de nouveaux
terriers; nous en profitions, bien entendu, pour
repérer les caches possibles où se réfugier, dans
le cas où les Allemands ou la Milice procéderaient
à un ratissage systématique. Parfois, nous
rencontrions d'autres chercheurs de champignons ou
des gens qui relevaient leurs pièges; un modèle de
piège très utilisé dans la région pour les oiseaux
était la "lèche": cela consiste en une pierre
plate tenue en équilibre par un système de trois
bâtonnets que la grive fait tomber, s'assommant du
même coup, en voulant picorer l'appât qui est
dessous. Certains paysans du coin posaient jusqu'à
cinquante de ces "lèches". Ces sorties me
permettaient de garder la forme et d'offrir
souvent à mes hôtes le plat de résistance de leur
repas, ceci sans jeu de mot. Une fois, je dus
passer deux nuits à la belle étoile pour attendre
que mon furet ressorte, car il s'était endormi
après avoir saigné un lapin. Il les attrapait en
leur sautant à la tête et je l'avais appelé "Tape
à l'Oeil". Il était extrêmement combatif et les
lapins se précipitaient souvent dans les bourses
avec mon furet encore accroché à leurs flancs, des
griffes et des dents. Je le regrettai beaucoup
quand je dus quitter Dieulefit. La
liaison radio avec Alger fonctionnait parfaitement
grâce à la compétence de mon ami Cabot et nous
exécutions régulièrement les missions dont on nous
chargeait: organisation de parachutages de
matériel sur les plateaux des environs, mise à
l'abri des armes, groupées selon leur type et avec
leurs munitions, sabotages, livraisons d'armes aux
maquis voisins: le tout dans l'attente du jour,
tant espéré, où nous passerions à l'action les
armes à la main. Dans nos messages, les lieux de
parachutages, étaient localisés d'après la Carte
Michelin, procédé simple et efficace que les
Allemands n'ont jamais découvert: on envoyait par
exemple le message suivant: "Arma Mich. 8h. Grasse
R comme Raoul. 26-7 Sud Grasse Pforzheim - La
burne criait comme un sourd - 30 une fois - 3
heures - B comme Bernard." Le premier mot situait
la région retenue pour la réception des armes
(arma) ou des hommes (homo), la localisation du
terrain était indiquée d'après la distance et la
direction: les coordonnées de l'endroit étaient
précisées par une lettre (pour le parallèle) et un
chiffre (pour le méridien); pour tromper les
écoutes ennemies, mon alphabet personnel
commençait à "L" et l'enchaînement de mes chiffres
à "11", le terrain était désigné par un nom de
ville allemande et la phrase en code était celle
qui passerait à 19 heures dans les messages
"personnels" de la B.B.C. le soir, juste avant le
parachutage; enfin les chiffres de la fin du
message indiquaient le nombre de colis attendus et
s'il y avait un ou plusieurs containers. Une fois
le message passé sur la B.B.C., il nous restait
environ trois heures pour nous rendre au terrain
et le baliser; c'était parfois un peu court pour
réunir l'équipe de réception, sortir discrètement
du village et porter au terrain les moyens de
balisage. MISSIONS
DELICATES Parachutages
mis à part, nous n'avions pas grand chose à faire;
quelques missions ponctuelles que nous donnait
Alger;rompaient seules les quasi-vacances que nous
passions, Cabot et moi, dans les environs de
Dieulefit. Des messages nous parvenaient
concernant des personnages suspects ou des
traîtres à surveiller tel celui-ci: "A titre
renseignement, vous signalons qu'ancien
international de football Alexandre V... dit Alex,
repris de justice, est agent de la Gestapo. Est
considéré comme dangereux par suite relations avec
milieu sportif région Sud. Les agents placés à
proximité doivent veiller à son exécution". Une
autre fois, je fus directement alerté au sujet
d'un officier retraité de l'Armée Française,
employé aux archives de la Préfecture de
Marseille; son travail lui permettait de repérer
les officiers, comme lui à la retraite, absents de
leur domicile et suspectés à ce titre, d'avoir
pris le maquis: il les faisait arrêter à leur
retour chez eux et bon nombre furent déportés,
plusieurs torturés et exécutés. Le traître le fut
également: on le retrouva étranglé dans son
fauteuil de la Préfecture: j'avais trouvé une
tenue de Garde Républicain auprès d'un de mes
anciens camarades, j'avais même le portefeuille
pour les documents confidentiels et l'équipement
réglementaire, du pistolet au képi; ainsi déguisé
je pouvais entrer et sortir à ma guise de la
Préfecture; au bout de trois jours, j'avais trouvé
mon client et profitais d'un moment où il était
seul dans son bureau pour le faire passer de vie à
trépas; je sortis ensuite sans être inquiété le
moins du monde.
JE FAIS DERAILLER UN TRAIN MILITAIRE
D'autres missions suivirent:
le déraillement d'un train de permissionnaires
allemands que j'organisai vaut la peine d'être
raconté. Ce train devait se rendre de Valence à
Marseille et le message qui fixait ma mission
disait: "Veiller à la destruction avec les moyens
à votre disposition". Je mis très peu de temps à
réunir le matériel nécessaire qui tenait
facilement dans une musette: un demi kilo de
plastic, deux mètres de cordon détonant, deux
allumeurs électriques, un rouleau de Chatterton,
une pile et trente mètres de fil électrique
double, au total le volume de deux kilos de sucre.
Je me rendis à Valence;en train, ma musette au
fond d'un vieux sac à provisions où j'avais
rajouté des pommes de terre et deux raves. A
Valence, j'arrivai sans difficulté à l'endroit que
j'avais prévu pour le sabotage et y camouflai mon
matériel. Je me préoccupai ensuite de connaître
l'heure à laquelle passerait le train: pas
question bien sûr de m'adresser à la gare. Je pris
contact avec l'un de nos correspondants sur place
qui accepta de faire le guet et de me prévenir
lorsque le convoi arriverait. Comme ces trains
restaient habituellement une demi-heure en gare
avant de repartir, je devais avoir le temps, avec
le vélo qu'il m'avait prêté, d'atteindre l'endroit
de l'embuscade et de monter mon installation.
J'avais eu l'occasion, au cours de mes
reconnaissances, de lier amitié avec un vieux
bonhomme chargé de la garde de ces voies que
j'avais amadoué avec quelques cigarettes. Par
chance, il était de garde lorsqu'on me prévint de
l'entrée de mon train en gare: il était sans
méfiance et je l'endormis d'une manchette bien
appliquée, ce qui lui éviterait plus tard des
questions indiscrètes sur les circonstances du
sabotage et sur sa propre responsabilité dans
l'événement. Je le ligotai, le bâillonnai, puis
installai mon dispositif à quelques dizaines de
mètre de sa cabine. J'avais décidé de m'en tenir
au procédé le plus simple: faire sauter un mètre
de rail à l'entrée d'une courbe pour faire
dérailler le train qui, à cet endroit, était lancé
à soixante à l'heure. L'élément important était
que, dix mètres plus loin, le train devait
franchir un pont surplombant une petite route. Les
fils du détonateur passaient sous le rail et
rejoignaient à vingt mètres de là la murette d'un
aqueduc qui devait me servir d'abri. Tout se passa
comme je l'avais prévu, l'explosion enlevant un
bon morceau de rail au moment où la locomotive
allait s'engager sur le pont, la fit basculer sur
la route en contre bas, entraînant avec elle
quatre des cinq wagons remplis de permissionnaires
allemands. Les autres wagons se couchèrent sur la
voie et se chevauchèrent: ce fut une belle
catastrophe! Je ne m'attardai quand même pas à
contempler la réussite de mon guet-apens. Je
récupérai le fil du détonateur, le jetai en boule
dans un puisard de l'aqueduc et me dirigeai
ensuite vers les débris du train pour voir les
dégâts de plus près. Les vieux wagons de bois qui
composaient le convoi s'étaient brisés et les
fragments de planches avaient agi comme autant
d'épées tranchantes transperçant les corps, morts
et blessés confondus, la vision était terrible.
Entre-temps, la nuit était tombée et les seules
lueurs émanaient de la loco renversée dont le
foyer commençait à mettre le feu aux wagons. C'est
alors que je me pris malencontreusement le pied
dans un fil de signalisation des voies, je tombai
de tout mon long et mes mains plongèrent dans le
corps d'un Allemand que l'accident avait
pratiquement coupé en deux. La sensation fut
effroyable, mes mains que je portai machinalement
au visage étaient chaudes et gluantes et j'eus
envie de vomir. Je ne tardai pas, pourtant, à
réaliser que je tenais là la façon la plus simple
de quitter les lieux sans me faire suspecter. Je
me barbouillai de sang de plus belle, de la tête
aux pieds, retroussant même mon pantalon pour
m'enduire les jambes et je restai immobile, non
sans pousser des gémissements quand j'entendais
bouger autour de moi. Des sauveteurs finirent par
arriver et je fus mis sur une civière avec mille
précautions. J'entendais mes brancardiers qui
disaient: "Doucement, c'est un Français!". Avec
d'autres blessés qui, eux étaient inconscients, on
m'emmena à l'hôpital où on me laissa dans le hall
d'entrée. Apercevant alors l'inscription
"Toilettes", je me levai, repliai ma civière et me
dirigeai en boitillant vers cet endroit. J'y
trouvai de l'eau, du salon, bref de quoi me
nettoyer. Trois minutes plus tard, j'étais
transformé, assez présentable en tous cas pour
pouvoir quitter l'hôpital par la grande porte où,
dans le va-et-vient des arrivées d'ambulances je
passai inaperçu. Il faisait grand jour lorsque
j'arrivai chez mon complice d'où je rejoignis
ensuite Dieulefit, la tête encore pleine des
péripéties de cette nuit d'horreur. Les Allemands
annoncèrent que l'accident avait fait trois cent
soixante et une victimes, tuées ou blessées, et
j'étais content du bilan. Le plus dur pour moi fut
de taire mon rôle dans cette affaire quand on
évoqua devant moi ce sabotage et que mes amis
m'interrogeaient sur ce que j'avais bien pu faire
pendant les quatre jours où je les avais quittés. UN
DÉRAILLEMENT MANQUÉ Je
participai peu de temps après, avec cinq camarades
à un autre déraillement aux abords, cette fois, de
la gare de Montélimar: il s'agissait d'un convoi
transportant du matériel, mais il fallait essayer
de ne pas atteindre les cheminots français qui
conduisaient la locomotive; dans la catastrophe de
Valence, le mécanicien, le chauffeur et même le
chef de train avaient été tués et l'opinion
publique s'en était émue d'autant plus qu'il nous
était impossible d'expliquer notre geste et les
difficultés qu'il créait à l'ennemi. Les Allemands
ne se privaient pas, eux, de condamner bruyamment
les terroristes assassins, suivis par la radio et
la presse de Vichy. Aussi, voulions-nous essayer à
Montélimar, de faire dérailler le train sans
détruire la loco: nos charges de plastic avaient
été disposées sur plus de cent mètres de rail;
l'explosion eut bien lieu après le passage de la
loco, mais le résultat fut décevant et seuls deux
wagons déraillèrent. L'accident causa quand même
un mort de notre côté, un jeune type de vingt
quatre ans qui avait voulu observer l'explosion et
fut tué net par les projections de ballast. Il
fallut déguerpir en vitesse en portant notre
malheureux camarade, mais les Allemands étaient
sur leurs gardes et passaient, accompagnés de
chiens, la région au peigne fin. Ils fouillaient
toutes les maisons et mirent le feu à trois
d'entre elles proches du lieu de l'attentat, dont
les occupants furent arrêtés. Il devenait
dangereux dans ces conditions de transporter le
corps et nous le cachâmes provisoirement dans une
carrière voisine, sous des éboulis. Le retour à
Dieulefit, où on nous croyait perdus, dura une
bonne semaine; entre-temps nous avions quand même
pu faire transporter le corps de notre ami et le
faire enterrer décemment. Cela n'avait d'ailleurs
pas été sans mal et j'avais dû menacer tant le
carrier qui avait fait le transport que le
fossoyeur pour obtenir qu'ils nous aident. Nous
avions tous assisté à la mise en terre, la gorge
serrée, puis nous nous étions séparés en convenant
de garder le secret sur cette mort, car il fallait
éviter que les parents de ce jeune soient arrêtés.
Ils ne furent informés que quelques mois plus
tard, au moment de la Libération. Pendant mon
absence, mon radio avait reçu d'Alger un message
me concernant qui, une fois déchiffré disait à peu
près ceci: "Même mission. Vous demandons vous
installer dans le Var, les Basses-Alpes ou les
Alpes-Maritimes. Félicitations. Bon travail". Dès
le lendemain, c'était le 12 décembre 1943, je pris
le train pour Nice. J'étais maintenant muni de
tous les papiers nécessaires: cartes de travail,
tickets d'alimentation et d'habillement, tous
fournis par la Résistance. Ce voyage restait tout
de même un risque car il y avait de nombreux
contrôles, et je portais mon inséparable petit
Colt. J'étais vêtu d'une magnifique canadienne
faite par un petit fourreur de Montélimar avec les
peaux des lapins que j'avais attrapés. Tout se
passa sans incident, et je débarquai peu après sur
la Côte, ma petite valise à la main.
CHAPITRE
III
Installation à
Puget
Théniers
A Nice, je savais où
aller: on m'avait donné l'adresse d'un petit hôtel
tenu par quelqu'un de Montélimar que connaissait
un de mes amis et qui servait de boite aux
lettres. Il s'agissait d'une brave dame qui put me
loger dans une chambre de bonne, un peu à l'écart,
et me demanda seulement de ne pas me faire
remarquer, notamment la nuit, car les Allemands
surveillaient l'endroit qui servait d'hôtel de
passe à beaucoup de leurs compatriotes. Je dus me
faire aussi discret que possible et tout se passa
bien.
LA RENCONTRE D'UN ANCIEN CAMARADE ME
CONDUIT A PUGET-THENIERS
Je devais pourtant
trouver un point de chute moins exposé. Le bord de
mer et la zone frontière étaient à éviter ce qui
ne me laissait guère de choix dans le département.
Le destin, une fois de plus, vint à mon aide: je
tombai dans une rue de Nice, sur un de mes anciens
camarades de la Garde Républicaine, nommé
Terraillon, que je n'avais pas revu, et pour
cause, depuis 1941. Il me salua de mon vrai nom,
mais je mis un doigt sur mes lèvres pour l'inciter
à la prudence. Je l'entraînai dans un bistrot tout
proche où j'avais vu fréquenter des gendarmes;
j'appris qu'il était affecté à la Brigade de
Puget-Théniers, à soixante kilomètres de Nice,
puis, à la question qu'il me posa à son tour, sur
ce que je devenais, je décidai à lui dire la
vérité. "Je descends du ciel". Je le vis pâlir, il
se leva pour partir, mais je le retins par la
manche et l'obligeai à se rasseoir pour m'écouter:
"Tout d'abord, lui dis-je il est trop tard pour te
dégonfler. Tu peux me dénoncer, mais fais
attention, écoute bien ce que je vais dire au
téléphone" et là dessus, je composai un numéro
bidon et dis quelques mots à mon interlocuteur de
hasard qui dut être bien étonné. "Allo Marcel,
c'est Maurice, je te signale la rencontre d'un
vieux camarade, Terraillon qui est gendarme à
Puget-Théniers et à qui je dois rendre visite
demain"; ce pauvre Terraillon était devenu blême,
et je le tranquillisai en l'assurant que je
n'avais nulle envie de le compromettre, mais que
j'avais besoin de pouvoir me recommander de lui,
en sa qualité de chef de la Brigade de
Puget-Théniers, au cas où je serais l'objet d'un
contrôle dans le train qui reliait Nice à cette
ville. Nous finîmes par convenir qu'avant tout
voyage sur cette ligne, je l'avertirai par
téléphone du déplacement envisagé. Le lieu de mon
installation venait donc, grâce à ce pauvre
Terraillon de se décider fortuitement. Je quittai
mon "camarade" bien décidé à lui rendre visite dès
le lendemain. Je dois dire que malgré ses
réticences initiales, il devint par la suite un
bon résistant, sans pour autant prendre une part
active aux opérations; peut-être s'était-il senti
trop "mouillé" pour rester neutre ? Il faut dire
que dans la Gendarmerie aux ordres de Vichy,
nombreux étaient ceux qui se refusèrent à prendre
parti, et cela jusqu'au dénouement; il y eut
heureusement des exceptions: à Dieulefit, par
exemple, la brigade au complet était de notre côté
et quand elle procédait, la nuit à des contrôles
routiers, c'était pour nous avertir des opérations
organisées contre nous par la Gestapo. Je partis
donc pour Puget-Théniers;par le "Train du Sud" et
y arrivai sans incident: j'avais trouvé un alibi à
ce voyage, j'étais à la recherche de coupe de bois
de chauffage à acheter pour en organiser
l'exploitation, le transport et la vente. C'est
sous cette couverture que j'entamai mes contacts
dans les cafés de Puget-Théniers, puis au
restaurant chez Madame Corporandy, qui malgré les
restrictions, put me servir du jambon et de la
tome du pays avec du pain et quelques olives. Tout
en mangeant, je remarquai quatre hommes qui
discutaient à la table voisine. Quoiqu'à voix
basse et en provençal, je compris qu'ils parlaient
de moi et s'interrogeaient sur les raisons de ma
présence (j'appris par la suite qu'ils me
croyaient un agent de la Gestapo); comme l'un deux
restait seul à la fin du repas, je lui offris un
café qu'il accepta; j'en profitai pour lui dire
qu'il me semblait que lui et ses amis parlaient
inconsidérément et qu'ils risquaient de graves
ennuis, ce à quoi il me répondit que c'était là
leur manière de protester contre la vie que
l'occupation leur faisait mener et que si
l'occasion s'en présentait, ils n'hésiteraient pas
à combattre les armes à la main; ils n'avaient
encore que des couteaux, mais ils s'en seraient
servis contre moi si j'avais fait mine de vouloir
les contrôler; je lui dis, en lui montrant mon
colt et deux grenades que j'avais sur moi, que je
pouvais arranger la question de l'armement ; je
lui expliquai que j'étais en réalité à
Puget-Théniers pour constituer un groupe de
réception de parachutages et il m'offrit ses
services pour recruter avec un ami la douzaine
d'hommes nécessaire. Je fis bientôt connaissance
de cet ami: il s'appelait Casimiri, était Corse,
et m'assura que lui et sa famille se mettraient
entièrement à ma disposition; il ajouta qu'il
n'hésiterait pas à me faire la peau s'il
découvrait que je lui avais menti.
RETOUR DANS LA DROME POUR
"LIQUIDATION"
Les chose se
présentaient donc bien pour ma mission dans les
Alpes-Maritimes et je devais maintenant compléter
mon organisation: il fallait que je retourne à
Nice résilier ma chambre et aussi que je revienne
quelques jours dans la Drôme pour arranger le
déménagement de notre radio et ramener du
matériel. J'annonçai donc à mes nouveaux amis que
je devais m'absenter une dizaine de jours, mais
que je serai de retour pour Noël et que je leur
montrerai alors les armes et les explosifs dont je
pouvais disposer. Ils étaient quand même un peu
inquiets de s'être engagés si ouvertement devant
quelqu'un dont ils ne savaient rien; de mon côté,
il me fallait bien leur faire confiance mais je
craignais qu'ils n'aient la langue trop longue et
ne trahissent mes fonctions clandestines; aussi,
je leur dis, comme à Terraillon que mon réseau
était au courant de mes contacts à Puget-Théniers
et qu'ils avaient, par conséquent, intérêt à ne
rien dire. Nous nous sommes séparés dans ce
contexte de dissuasion réciproque et l'un de mes
nouveaux amis, qui était garagiste, voulut bien
m'emmener à Nice dans sa camionnette à gazogène.
J'y réglai mes affaires à l'hôtel puis repartis
pour Montélimar par le train de nuit; le voyage
s'effectua sans ennui malgré deux contrôles dont
l'un par la Feldgendarmerie: comme je me tenais
dans le couloir, j'étais allé chaque fois à leur
rencontre en présentant mon billet et personne ne
me demanda autre chose. A mon arrivée à Dieulefit,
je constatai une certaine agitation chez mes amis;
Edouard;m'en donna la raison: ils avaient arrêté
quatre de leurs nouvelles recrues qu'ils
suspectaient ne pas être francs du collier et on
attendait impatiemment mon avis sur la conduite à
tenir. Ces types, des jeunes de 20-25 ans,
s'étaient présentés un mois et demi plus tôt, pour
servir dans la Résistance et on les avait acceptés
mais, quelques temps après, on avait signalé des
vols dans la région, à la Caisse d'Epargne de
Dieulefit, puis à l'usine de tissage; là on avait
volé des pièces de drap que les hommes d'Edouard
avaient fini par découvrir, cachées dans une
grange; une embuscade y avait été tendue et deux
de nos nouvelles recrues s'y étaient fait prendre;
leur interrogatoire avait fait découvrir qu'eux et
leurs camarades n'étaient nullement des jeunes
Français résistants, mais des Allemands qui
avaient étudié en France pour trois d'entre eux et
un type de la Milice pour le quatrième. Ils
avaient été envoyés rejoindre le maquis dans le
but de le discréditer en commettant des vols et
diverses exactions; ils devaient aussi, bien sûr,
renseigner la Gestapo sur nos plans d'action. Un
tribunal avait été constitué, qui les avait jugés
et condamnés à mort, mais il fallait les exécuter!
C'est à ce moment que j'arrivai à Dieulefit: on
discutait beaucoup de la méthode à utiliser, s'il
fallait ou non informer la population, s'il
fallait un ou plusieurs pelotons d'exécution
etc... etc... Je proposai que l'on tire au sort
ceux d'entre nous qui feraient office de bourreau:
on le fit à pile ou face et Edouard et moi fûmes
désignés. Des fosses avaient été creusées au fond
d'une écurie: les condamnés furent amenés, un à
un, les yeux bandés au bord de la fosse où on les
fit s'agenouiller avant de leur tirer chacun une
balle de pistolet dans la nuque, ils ne dirent
mot. Nos gars assistèrent dix par dix, pour
l'exemple, à chacune de ces quatre exécutions. Ce
terrible devoir accompli, nous avons bu quelques
bouteilles pour essayer d'effacer, l'espace d'une
soirée, les souvenirs de cette tragédie. A
quelques jours de là, nous perdîmes l'un des
nôtres, Angal victime de ses bavardages; il avait
raconté à la fille des gens qui l'hébergeaient
qu'il était un parachutiste en mission et toutes
sortes d'histoires concernant notre activité; il
avait dû ensuite s'absenter trois semaines pour
raison de service et la fille, se croyant
abandonnée, avait tout raconté à son entourage; il
y avait là malheureusement un mouchard qui
s'empressa d'informer la Gestapo et notre héros
fut cueilli à son retour. Il mourut en
déportation. Comme nous ignorions s'il avait parlé
sous la torture après avoir été arrêté et qu'il
connaissait notre code radio, cette arrestation
hâta notre départ à Cabot et à moi.
RETOUR ET
INSTALLATION A PUGET-THENIERS
Sachant que je devais
partir un camarade de Montélimar, ancien
International de Rugby, nommé P... me proposa de
nous emmener avec la voiture à gazogène qu'il
possédait. Il fit le "plein" de charbon de bois
pour le kilométrage que je lui avais annoncé (mais
sans lui dire notre destination); un de ses amis,
fils de l'ancien Maire de Montélimar, Meunier,
nous accompagnait: c'est lui qui avait obtenu
l'indispensable Ausweiss où figuraient nos noms
d'emprunt: nous étions censés être des acheteurs
de bois et de bétail pour les troupes
d'occupation. Le voyage se passa sans incident; il
y eut bien un contrôle de routine près de
Draguignan, mais nos papiers en règle nous
valurent le salut des gendarmes. Le soir, nous
arrivions à Puget-Théniers où j'étais de retour,
comme promis, pour Noël. Cabot avait été largué en
route, un peu avant; il valait mieux que nous
n'ayons pas l'air de nous connaître: il se
présenterait comme un étudiant en mauvaise santé
venu à Puget-Théniers pour trouver le bon air et
une nourriture plus riche que ne l'offrait la
ville. Les derniers épisodes de notre vie
clandestine dans la Drôme m'avaient rendu plus
prudent que jamais: la plus petite indiscrétion
risquait de mettre en péril l'ensemble de notre
organisation. Personne n'est sûr de pouvoir tenir
sous la torture: il fallait donc en dire le moins
possible et être prêt à ne jamais se laisser
capturer vivant; pour ma part, j'avais toujours à
portée de main les armes et les grenades pour
riposter à une attaque surprise; l'avenir montra à
quel point j'avais raison. Cabot trouva, avec mon
aide, à se faire héberger au hameau de Léouvé, à
quelques kilomètres de Puget-Théniers, dans la
montagne, par la famille Daniel, dont le père
était des nôtres. En ce qui me concerne, je logeai
à Puget-Théniers chez Madame Corporandi qui, tout
le temps que dura mon séjour, veilla avec sa fille
Thalie, à ce que je ne manque de rien et prit soin
de moi lorsque je dus garder la chambre pour une
bronchite, puis à la suite d'un accident de moto
(je m'était endormi après plusieurs nuits de
veille); c'est elle qui fit venir le docteur
Rebufel qui me soigna sans poser de questions.
Grâce à ces deux femmes courageuses j'eus
toujours, en outre, une bonne bouteille à
disposition pour garder le moral. Comme nous
devions nous rencontrer assez souvent nous avions
mis au point un système de correspondance avec
échange de messages codés dans des boites de
pastilles Valda que nous cachions près d'une borne
kilométrique: l'échange de messages avait lieu
deux fois par semaine. J'achetai en outre pour mes
déplacements une moto Gnôme-Rhône d'occasion; elle
devait me servir notamment au transport des
batteries d'accus destinées à l'alimentation des
postes radio que nous utilisions pour les liaisons
avec Alger. LES
LIAISONS RADIO AVEC ALGER Nous
aurions pu fonctionner sur le courant du secteur,
mais cela risquait de nous trahir car les services
de repérage radiogonio allemands utilisaient des
coupures de courant sélectives pendant une
émission pour en localiser l'origine, et dans
l'heure qui suivait, des voitures équipées de
radio-goniomètres venaient patrouiller dans le
coin et par recoupement, déterminaient la position
de l'émetteur clandestin. L'alimentation par
batterie leur compliquait le travail, d'autant que
nous émettions, alternativement, depuis des
endroits différents; j'avais trois postes
émetteurs-récepteurs qu'on pouvait facilement
camoufler et dont je changeais souvent
l'emplacement: il m'est arrivé d'en avoir un à
Léouvé, le second à Entrevaux et le troisième à
Sallagriffon, dans le Haut-Esteron. On peut
imaginer ce que cette dispersion et ces
changements continuels d'emplacements nous
imposaient comme trajets! Il n'était pas toujours
possible, ni prudent, d'utiliser la moto et nous
avons souvent dû, Cabot et moi, faire des marches
de plusieurs heures dans la nuit... lestés d'une
batterie dans le sac à dos et d'une ou plusieurs
pommes de terre bouillies dans l'estomac, pour
être à l'écoute au rendez-vous de la vacation de
huit heures. Parfois, nous devions même marcher
toute la nuit et mon pauvre Cabot n'était pas
souvent à la fête. La recharge de ces batteries
était assurée par les frères Joseph et Louis
Casalengo, garagistes à Puget-Théniers; ils
s'arrangeaient pour que j'aie toujours des
batteries chargées à proximité des lieux
d'émission. Nos activités finirent cependant par
alerter les Allemands, et vers la mi-avril, Alger
nous informa de la présence de voitures de
repérage gonio et je dus prendre des mesures en
vue de leur interception au cas où l'une d'elles
se présenterait aux environs de Puget-Théniers;:
nous avions leur signalement et j'installai deux
postes d'observation à Plan-du-Var et à Entrevaux,
qui devaient me prévenir par le central
téléphonique de Puget-Théniers qui était avec
nous: je pouvais ainsi leur tendre une embuscade
dans le quart d'heure suivant. Cet ensemble de
précautions porta ses fruits et, jusqu'à la mort
de Cabot, aucune émission ne dut être annulée.
ARRETE PAR ERREUR ET POUR PEU DE
TEMPS
Mais il ne suffisait pas
d'échanger des messages avec Alger: je devais
aussi, bien entendu effectuer les missions qui
m'étaient demandées; parfois, pour cela, je devais
quitter mes montagnes, pas toujours sans risque,
comme on va le voir. Le 14 janvier, un radio
d'Alger me demande de contacter une dame D...
"Villa Solange Mariel, rue de Liège, au Cannet.
Mot de passe: vous venez de la part de John connu
comme Arsène, alias Valentin et ami de Fred". Il
s'agissait de dire à cette dame que nous
acceptions sa collaboration sur la recommandation
de deux de ses amis John et Fred. Contact pris et
nos affaires réglées, j'étais allé à Nice terminer
la soirée; il était dix heures et je me promenai
tranquillement Avenue de la Victoire lorsque je
fus repéré par une patrouille mixte: Gestapo -
Police Française, à qui ma tête ne revenait pas.
Les deux policiers français m'emmenaient au
Commissariat pour contrôle d'identité lorsque,
heureusement, profitant d'une ruelle obscure, un
peu avant la rue Gioffredo, je pus me débarrasser
d'eux: deux coups de manchette les endormirent
dans leur pèlerine: il n'était pas question de
risquer un examen approfondi de mes faux papiers,
et à l'époque, avec mon entraînement au
close-combat, c'était un jeu pour moi, les mains
libres, de me débarrasser des deux hommes trop
confiants. J'en profitais pour leur prendre leurs
pistolets. J'appris par la suite, que j'avais été
arrêté par erreur car je ressemblais à un homme
recherché par la Gestapo. Deux jours plus tard, je
regagnai mon P.C. par le train du Sud, en évitant
quand même de le prendre à la gare qui était
surveillée, et en descendant aussi, un peu avant
Puget-Théniers. PREMIER
PARACHUTAGE AU PLATEAU DE DINA 16 JANVIER 1944 Bien
entendu, il fallait aussi mettre sur pied les
comités de réception pour les parachutages
d'hommes et de matériel, prévoir les cachettes
pour le stockage des armes, les planques pour le
personnel, la nourriture, les papiers, etc.. Cela
nécessitait des quantités de contacts dans la
région et donc de nombreux déplacements: nous
n'avions certes pas le temps de nous ennuyer. Dès
janvier 1944, j'étais en mesure d'organiser mon
premier parachutage de matériel: j'avais choisi un
terrain plat de 300 mètres sur 100, situé en
pleine montagne, sur le plateau de Dina, il
fallait compter deux bonnes heures de marche pour
s'y rendre, de jour, par un sentier muletier; pour
le trajet de nuit par clair de lune, je comptais
deux heures et demi. Cela nous laissait tout juste
le temps du balisage après l'émission B.B.C. de 19
heures qui diffusait le message annonçant
l'opération. Le balisage prenait du temps: il
fallait compter les pas, orienter le "L" de
réception, placer les brûlots et les allumer,
préparer les brûlots de rechange etc... sans
compter les patrouilles à organiser pour dépister
une embuscade toujours possible aux abords du
terrain. Cela s'était produit dans un maquis de
Haute-Savoie, où tous les Résistants venus pour le
parachutage avaient été tués (les hommes
parachutés, par contre, s'étaient tirés d'affaire
pour avoir atterri hors du terrain prévu!). Le
premier parachutage sur Dina eut lieu dans la nuit
du 16 au 17 janvier 1944; à 19 heures le message
attendu était passé par la B.B.C. "Les Français
parlent aux Français... Messages personnels...
J'adore la dinde et la pièce de pogne..." Nous
l'avions choisi avec les amis de Dieulefit et je
leur avais promis que ce serait le premier message
que j'enverrai; eux aussi devaient être à
l'écoute. A Puget-Théniers, la douzaine de gars de
mon "Comité de Réception" se réunit en silence à
l'entrée du cimetière, ils étaient prêts à
m'accompagner sans savoir où, mais ils ne
voulaient pas que je sois armé; j'acceptai de
laisser mon petit Colt et nous partîmes, moi
devant; la lune était presque à son dernier
quartier, le ciel était clair, le trajet dura deux
heures trois-quarts. Arrivés en haut, je demandai
qu'on réveille le berger propriétaire du terrain,
Salvatico, pour qu'il soit lui aussi dans le bain.
Vers 23 heures, le balisage était en place et les
lampes de signalisation prêtes à l'emploi lorsque
nous entendîmes, vers le Sud, le bruit d'un moteur
de Halifax: quand j'estimai qu'il était à 500
mètres de nous, je commençai les signaux lumineux
de reconnaissance, la lettre "R" en morse, que
j'étais, avec le pilote, le seul à connaître;
point - trait - point; je continuait jusqu'à ce
qu'il réponde; après quoi, l'avion qui volait au
dessus de nous à environ 500 mètres, effectua un
large virage à droite au dessus du Var, puis
revint vers nous pour larguer sur mon balisage,
dont le petit côté du "L" lui indiquait, vers
l'Ouest, sa direction de sortie. Ce fut absolument
parfait, les neuf containers d'armes, de munitions
et d'explosifs arrivèrent à bon port, quelques
colis mis à part qui tombèrent une centaine de
mètres trop loin; les hommes étaient émerveillés
de voir s'épanouir les corolles des parachutes,
d'entendre claquer l'ouverture des voilures,
quelques uns pourtant avaient un peu peur de
recevoir un colis sur la tête. L'avion revenait au
dessus du terrain qu'il éclairait de ses phares
pour un dernier salut et reprenait la direction du
Sud, vers Blida, d'où il venait. J'eus une pensée
émue pour ces braves équipages de la R.A.F., tous
volontaires pour ces missions de ravitaillement
des F.F.I. et dont beaucoup ne revenaient pas. Il
fallait maintenant organiser le stockage de tout
ce matériel et les heures qui suivirent furent
occupées à creuser des fosses dans la bergerie
sous le fumier des moutons, pour y enfouir les
containers; non sans en avoir fait l'inventaire et
retiré les armes et le matériel dont nous avions
besoin tout de suite. Je n'avais pas eu à
insister, après le succès de cette livraison, pour
récupérer mon Colt 32. Il n'y eut pas, comme nous
le craignions, de patrouilles allemandes pour nous
déranger dans notre travail. Bref, tout se passa
le mieux du monde et notre courte absence de
Puget-Théniers ne fut pas trop remarquée. Bien
entendu, je demandai une discrétion absolue: les
hommes devaient s'abstenir de tout bavardage ou
vantardise d'avoir participé à l'opération; y
compris de bavardages en famille, avec les enfants
ouvrant grandes leurs oreilles et racontant tout
ça à l'école; d'autant que j'étais un peu leur
Zorro et qu'ils seraient tout fiers de raconter
mes exploits, s'ils en entendaient parler. Je
n'oubliais pas que nous étions constamment sous la
menace d'une dénonciation et ce premier
parachutage dans la région n'allait pas manquer de
mobiliser les Allemands et les mouchards qui les
renseignaient, notamment parmi les Italiens
fascistes, nombreux à cette époque à
Puget-Théniers. Il fallait aussi se méfier de tout
le monde et j'étais armé en permanence: outre mon
petit Colt, que je portais dans une poche
intérieure spéciale de mon pantalon, sur l'aine
droite; j'avais toujours, pendue à l'épaule, une
musette garnie de trois grenades, de deux
chargeurs de rechange pour le pistolet et d'une
bombe Gammon à ceux qui me questionnaient sur le
contenu, je répondais que c'était mon casse-croûte
pour les chantiers car je jouais toujours au
marchand de bois de chauffage et le camion-plateau
que j'avais acheté, stationnait souvent sur la
place. Les gendarmes, chapitrés, je suppose, par
mon ami Terraillon avaient admis ma présence, mais
il valait quand même mieux ne pas leur donner
l'occasion d'intervenir.
JE NE SUIS
PAS SEUL A ORGANISER DES PARACHUTAGES
SUR DINA
Les choses se
compliquèrent lorsque je découvris que je n'étais
pas le seul à utiliser le plateau de Dina pour des
parachutages. C'était la conséquence de la
rivalité qui opposait les différents mouvements de
Résistance, tant à Londres qu'à Alger ou en
Métropole, mais les retombées sur le terrain
furent catastrophiques. Voici comment je découvris
le pot-aux-roses: J'avais entendu dans la nuit,
les passages répétés d'un avion au dessus de Puget
et, au matin, je cherchais à me renseigner quand
j'aperçus une magnifique paire de brodequins de
l'armée Anglaise aux pieds d'un homme que je ne
connaissais pas; je m'arrangeai pour le coincer
dans l'arrière boutique du coiffeur et lui
enfonçai mon Colt dans les côtes: il ne fit pas de
difficultés pour admettre qu'il était un Résistant
et que ses souliers provenaient bien du récent
parachutage. Je le laissai partir, bien décidé à
ne plus demander de parachutages sur Dina. Les
Allemands n'avaient pas non plus perdu de temps:
le même jour, ils étaient sur le plateau,
découvraient le matériel parachuté, tuaient l'un
des gars qui le gardait et réquisitionnaient
quarante types de Puget-Théniers et des environs
avec des mulets pour descendre le tout, plusieurs
tonnes, à Rigaud, où attendaient leurs camions. Ce
fut une grave perte et un échec pour l'ensemble de
la Résistance dans la Région. On découvrit que
l'argent parachuté (on a parlé de trois millions)
avait aussi disparu mais que les Allemands n'y
étaient pour rien: selon toutes probabilités,
c'était un membre peu délicat du Comité de
Réception qui l'avait détourné à son profit. Un de
ces "réceptionnaires" fut d'ailleurs fusillé peu
après par les Allemands pour avoir été trouvé
porteur de souliers neufs provenant du
parachutage. L'argent disparu ne fut pas perdu
pour tout le monde et, si la Résistance locale
n'en vit pas la couleur, on peut penser qu'il dût
être "recyclé" avec profit.
LA RÉUNION DE COORDINATION DE SAPIN
Cette suite
d'embrouilles montrait la nécessité d'une
coordination des différents mouvements de
Résistance dans la région. Je reçus, sur ces
entrefaites, une invitation à me rendre à Nice à
une réunion de "Responsables" prévue à cette
effet. Elle émanait d'un chef régional de l'ORA
que je ne connaissais pas et m'était transmise par
un Capitaine Régis qui, venant de Digne, n'avait
rien trouvé de mieux pour me contacter que de
questionner la gendarmerie de Puget-Théniers. Il
connaissait cependant notre phrase de
reconnaissance "Angèle et Marie sont les filles
d'un ami"; réponse: "Je les connais" et finit par
me trouver: il m'indiqua le motif et les
coordonnées du rendez-vous. Des contacts radio
avec Alger me confirmèrent que tout était en ordre
et je me rendis quelques jours plus tard à cette
convocation. Le rendez-vous était au 2 de la rue
de Russie, deuxième étage, fin février. La réunion
avait pour but de mettre de l'ordre entre les
différents mouvements de Résistance des
Alpes-Maritimes (MUR, ORA, F.T.P., etc...) Sapin
représentait l'ORA et je compris qu'il faudrait
passer par lui à l'avenir pour se procurer les
armes, munitions et explosifs dont j'avais besoin:
il n'avait pas l'air plus à l'aise que moi au
milieu de cette fine équipe. La plupart des
assistants étaient des politiques plus que de
véritables combattants; j'étais le seul à être
venu armé et c'est tout juste si on ne me demanda
pas de laisser mon Colt au vestiaire; ils étaient
tous en règle avec la Loi, vrais papiers, alibis
indestructibles et position assise: je savais,
moi, que si j'étais pris, les raisons de me
fusiller ne manqueraient pas: terroriste, espion
parachuté, trafiquant d'armes, saboteur... Je ne
me sentais pas à ma place et je filai dès que je
le pus; j'avais dû quand même accepter de mettre
mon installation radio à la disposition de Sapin
pour l'ensemble des communications de la Région
Sud (ORA/R2) ce qui devait par la suite nous
donner, à Cabot et à moi, un travail considérable:
dans les deux mois qui suivirent plus de 150
messages furent échangés (voir annexe ) qui
concernaient parfois des équipes installées très
loin de nous, à Marseille, Aix-en-Provence ou
parfois même Toulouse. On convint que les liaisons
avec Sapin s'effectueraient par le Central
téléphonique de Puget-Théniers où j'avais des
complicités, et je repris le premier train pour
mes montagnes, bien décidé à n'en plus
redescendre. Je recommençai, dès mon retour, mes
prospections à la recherche de nouveaux terrains
de parachutage: celui qui était à proximité de
Roquesteron, "Torino" en code, fut servi dès les
jours suivants à la suite du message personnel:
"Ce soir, il y aura battue au sanglier, soyez au
rendez-vous". D'autres suivirent. HERCULE Peu après arriva d'Alger
"Hercule", vêtu comme un prince, qui m'avait été
annoncé par message radio; il était là, me dit-il,
pour essayer de coordonner sur place (encore un!)
les activités des différents groupes de Résistance
mais sa mission fut écourtée par un message du 26
mars signé Constant qui annonçait l'arrestation
d'un de ses correspondants et lui enjoignait de
rentrer à Alger via l'Espagne. On annonçait, en
même temps, la suspension temporaire de tout
parachutage; ainsi disparut Hercule dont le court
séjour fut marqué d'imprudences qui mirent en
danger notre sécurité. Notre vie à Cabot et à moi,
pendant la période qui suivit fut extrêmement
occupée; mise à part l'organisation continuelle de
parachutages sur des terrains qu'il fallait
reconnaître, faire homologuer sur un nom de code,
puis équiper d'un Comité Local de Réception, nous
faisions donc office de Central Radio pour les
liaisons de la région Sud avec Alger et Londres;
de plus, je devais penser à recruter les hommes
nécessaires aux opérations prévues au moment du
débarquement tant attendu. RECRUTEMENT,
ENTRETIEN, INSTRUCTION DU MAQUIS Ce
n'était pas facile à l'époque, de trouver des
jeunes susceptibles de devenir rapidement des
combattants aguerris. Heureusement, il y avait le
S.T.O. (Service du Travail Obligatoire créé en
1941): lorsque j'apprenais qu'un jeune était
convoqué pour le travail obligatoire en Allemagne,
j'allais voir ses parents et tentais de les
convaincre qu'il valait mieux pour leur fils
rester dans les maquis de la région, quitte à être
hors la Loi, que de partir en Allemagne, avec le
risque de périr sous les bombardements. Beaucoup
se laissaient convaincre. Mais ce n'était pas tout
de recruter les hommes; il fallait ensuite les
héberger, les nourrir, les entraîner. La
nourriture surtout posait des problèmes.
J'arrivais bien à trouver chez les cultivateurs
des environs quelques oeufs, des pommes de terre,
des lentilles ou des haricots, mais pour la viande
il fallait l'acheter au marché noir des abattages
clandestins et les éleveurs nous la vendaient au
prix fort. L'argent manquait souvent pour payer
tous ces achats et mes demandes à Alger restaient
sans suite. Pour le pain, j'avais convaincu deux
boulangers de Puget, Marius Autran et Emile
Raybaud de me fournir chaque nuit, quelques
miches. Je devais passer les prendre vers
trois-quatre heures du matin avec un grand sac que
je portais ensuite à la sortie du village, dans
une cachette où une corvée venait les chercher. De
temps à autre, j'avais des cartes de pain que je
donnais à mes fournisseurs: je les achetais à Nice
chez une boulangère dont je tairai le nom, qui me
vendait 900 francs la carte de faux tickets (et
qui eut le culot, à la Libération, de me demander
une attestation de Résistance!). Un qui m'aida
vraiment fut l'Inspecteur chargé des réquisitions
Jules C...; il passait dans les hameaux et
prélevait pour nous la dîme sur ces réquisitions,
alors qu'il aurait pu comme beaucoup d'autres, la
vendre au marché noir. Il fallait aussi que je
m'occupe de l'hébergement de mon radio et cela
aussi coûtait: en général 20 francs par jour après
de longues discussions et sous condition qu'il
aide au travail des champs. Je devais enfin penser
à l'instruction de mes recrues pour l'utilisation
des armes et des explosifs: cela non plus n'était
pas facile, car le jour chacun avait son travail
et la nuit ce n'était possible que si l'épouse
était d'accord; pour cela il fallait la mettre
dans le secret et tout le monde à Puget finissait
par être au courant de nos activités, ce qui ne
laissait pas de m'inquiéter, mais comment faire
autrement ? Ces dames voulaient profiter de
l'aubaine des parachutages qui pensaient-elles,
devaient m'apporter à profusion, le chocolat, les
conserves et les cigarettes, sans compter la toile
des parachutes si utile pour faire des culottes,
des chemisiers et autres combinaisons. Je freinais
au maximum ces demandes qui pouvaient nous trahir,
mais il fallait bien de temps en temps, lâcher du
lest!
IMPRUDENCE ET DÉNONCIATION
Sans compter que les
femmes de nos recrues avaient parfois l'impression
que notre clandestinité était une sorte de jeu qui
ne devait pas faire négliger, par leur mari, les
tâches domestiques plus immédiates. L'une d'elles
fut même, ainsi, indirectement responsable de
l'arrestation du sien: elle avait obtenu de lui
qu'il revienne à la maison pour labourer un lopin
de terre et y planter des pommes de terre: il
avait gardé sur lui une grenade et un Colt qu'une
voisine lui vit cacher: il fut dénoncé, on
l'arrêta avec dix autres le 29 avril, mais lui
seul fut emmené par la Gestapo à Nice, à l'Hôtel
Ermitage, où il fut torturé, mais ne parla pas,
selon le témoignage d'un voisin de cellule qui le
vit revenir des interrogatoires, mains sanglantes
et ongles arrachés; il devait mourir le 11 juin,
fusillé avec d'autres résistants à St Julien du
Verdon, en dépit des assurances qu'un ami,
Inspecteur de Police, avait données à sa femme. Il
s'appelait Nonce Casimiri et avait été mon premier
contact à mon arrivée à Puget-Théniers. Les
dénonciations, maintenant que nous devenions plus
nombreux dans la région, commençaient à devenir
une sérieuse menace pour notre sécurité. Il y
avait à l'époque à Puget-Théniers une importante
colonie Italienne, encore dominée par l'idéologie
fasciste, dont les espions étaient très actifs
pour renseigner la Gestapo sur nos faits et
gestes. L'administration française s'en mêlait
aussi en procédant à des contrôles fiscaux chez
les commerçants suspectés d'approvisionner le
maquis, ce qui valut notamment des ennuis à un ami
résistant, Monsieur Grac qui tenait une
quincaillerie. Je trouvai amusant d'évoquer ces
mesures dans un message personnel à la B.B.C. pour
un parachutage: "Le contrôleur n'a pas trouvé les
comptes en règles". Compte-tenu de ce climat de
méfiance, l'arrestation de Casimiri me décida à
faire prendre le maquis à mon groupe; je
connaissais les moyens employés par la Gestapo
pour confesser ses prisonniers et personne ne
pouvait être sûr que notre ami, qui savait tout
sur nos activités, saurait leur résister: la
prudence imposait de disparaître de
Puget-Théniers. Nous nous sommes installés sur la
rive droite du Var, 3 km en aval environ, au
quartier du Breuil: de là nous pouvions continuer
à suivre ce qui se passait à Puget et la maison de
Casimiri nous servait de poste avancé, ses volets
fermés ne s'ouvrant qu'en cas de visites
dangereuses, soit-disant pour donner le jour au
salon où on les faisait entrer. Nous avions
prévenu Alger des risques de dénonciation et
d'actions offensives des Allemands: fin avril un
de nos derniers messages disait "le 29 avril,
opération menée contre nous par 200 G.M.R. et
Police d'Etat a amené l'arrestation de Casimiri.
Recherches sont activement poussées pour nous et
poste émetteur dans la région. Sommes à l'abri
pour quelques jours. Boîte Casimiri annulée:
confirmer. A suivre. Adieu". Notre dernier message
fut envoyé par Cabot le 1er mai. "Prévenons
Perpendiculaire" Sommes définitivement brûlés.
Attendons urgence vos instructions par R.D.D.
Sommes victimes de dénonciation anonyme. Ne
désespérons pas de connaître auteur. Amitiés". Et
ce fut la catastrophe du 3 mai 1944.
CHAPITRE
IV
La guerre des embuscades
Le 2 mai, tard dans la
soirée, je quittai notre refuge pour descendre à
Puget-Théniers assurer le ravitaillement en pain:
j'avais distribué tout ce qui me restait à la
douzaine de jeunes gens qui constituaient, en deux
cantonnements, mon petit maquis et il fallait
réapprovisionner. Je prévins que je ne rentrerai
qu'au petit matin et installai un tour de garde. A
mon arrivée au village, les rues étaient désertes,
mais une porte qui se ferma sur mon passage
m'avertit que les choses n'étaient pas comme
d'habitude: je redoublai d'attention et de
prudence: aux amis que j'allais rencontrer, je
mentis même délibérément en leur disant que notre
groupe allait quitter le pays devenu maintenant
trop dangereux. Je ne m'attardai pas et, les pains
dans mon grand sac à dos, je repris aussitôt la
route: il était quand même quatre heures du matin
quand je passai le pont sur le Var, mon Colt dans
la main droite, une torche dans l'autre. L'ATTAQUE
SURPRISE DE NOTRE REFUGEJ'avais à peine
fait cent mètres qu'un bruit m'alerta: la torche
que je braquai découvrit un gendarme, un chef que
je connaissais et qui était plutôt de notre côté:
il parut surpris de me voir, rengaina son arme et
m'assura qu'il n'était là que pour nous prévenir
d'une possible offensive des Allemands: je lui
répondis que c'était parfaitement inutile car nous
étions sur nos gardes et l'engageai à rentrer chez
lui plutôt que de se compromettre inutilement au
milieu de la nuit, et en uniforme, avec le risque
de se faire descendre par l'un des nôtres qui
aurait la détente facile. Je ne sais pas s'il
suivit mon conseil; pour moi, je repris ma route,
mais n'allai pas loin; entendant à nouveau du
bruit, je plongeai sur le bas côté et ma torche
éclaira... un superbe hérisson en quête de
nourriture; un coup de pied le fait mettre en
boule et je l'emporte dans ma musette bien décidé
à en faire un bon civet. J'arrivai bientôt à la
masure qui nous servait de refuge: tout allait
bien, ma sentinelle était en faction: elle avait
aperçu à deux reprises les lumières de ma torche,
je lui racontai mes rencontres et pour m'amuser un
peu je posai le hérisson à côté d'un gars qui
dormait, riant à l'avance de sa tête au réveil,
puis me couchai et ne tardai pas à m'endormir.
Tout d'un coup, à moitié réveillé par les
promenades du hérisson dans la paille où nous
couchions, j'entendis du bruit dans la cave au
dessous, où nous avions entreposé le contenu du
dernier parachutage: on parlait Français avec un
accent d'outre-Rhin: "Foilà les armes! Où sont les
hommes ? Parlez vite schnell". Celui qu'on
interrogeait devait être ma sentinelle qui s'était
endormie. Nous étions certainement encerclés par
les Boches; je bousculai Cabot pour le réveiller,
non sans avoir mis la main sur la bouche; je lui
mimai un casque à pointe sur la tête pour lui
faire comprendre que nous avions des visiteurs,
mais déjà, on frappait brutalement à la porte:
"Ouvrez, Police, sortez les mains en l'air...".
Sans réveiller les trois autres qui, couchés, ne
risquaient pas trop d'être touchés, je fis signe à
Cabot d'ouvrir la porte et lançai deux grenades,
une de chaque côté, sur les types de la Gestapo
qui ouvraient le feu; ils filèrent sans demander
leur reste. J'allai ensuite à la fenêtre d'où je
vis monter vers nous des gendarmes accompagnés
d'hommes en civil qui avaient l'air de diriger
l'opération: la Gestapo. C'est sur eux que je
commençai à tirer à la Sten: un premier agent
s'écroula, son pistolet à la main, un second qui
lui portait secours s'affaissa à son tour en
hurlant. Un des gendarmes français en uniforme,
que j'avais évité de toucher, prit ses jambes à
son cou en direction du village, peut-être pour
chercher du renfort. L'alerte était provisoirement
passée.REPLI
STRATÉGIQUE ET MORT DE CABOT Il
n'était pas question de résister sur place: nous
ignorions les effectifs de l'attaquant et les
réserves dont il disposait; j'ordonnai donc à mes
gars de me suivre en n'emportant que l'essentiel
et m'engageai sur le sentier qui vers l'Est menait
à un bois voisin, non sans avoir au préalable
mitraillé les fourrés environnants. Cabot suivait
puis trois autres. Je dus m'arrêter un moment et
fis passer Cabot devant: mon pistolet avait glissé
de ma poche trouée dans le bas de ma culotte "de
golf" et je devais le récupérer. Cabot portait en
vrac, dans ses bras, avec nos archives, son
pistolet, une grenade défensive dégoupillée et une
bombe Gammon à percussion: elle lui échappa alors
qu'il venait de passer devant moi et explosa dans
ses pieds; mon pauvre radio fut projeté à
plusieurs mètres en l'air avant de retomber dans
mes bras, déchiqueté, ses vêtements en lambeaux.
La grenade américaine dégoupillée qu'il tenait
l'instant d'avant, roulait sur le sentier, je
plongeai sur le côté, mais ne pus éviter d'être
atteint: Cabot, lui, était bien mort, couché sur
le dos et regardant le ciel de son regard sans
vie, je lui fermai les yeux, des yeux de vingt
trois ans, recouvris son visage d'un mouchoir,
puis le fouillai rapidement pour emporter dans ma
musette son pistolet et les documents qu'il
portait. Les trois autres, pensant à une attaque,
s'étaient enfuis. Je retournai m'embusquer
quelques mètres en arrière prêt à intercepter les
poursuivants éventuels: je craignais surtout que
la Gestapo ne nous prenne en chasse avec des
chiens: mais ils ne devaient pas en avoir et rien
ne se passa. La rapidité et l'efficacité de la
riposte avaient visiblement découragé nos
adversaires. Je cachai tant bien que mal la
dépouille de mon pauvre ami sous un éboulis et
commençai à camoufler ce que je ne pouvais emmener
quand, d'un coup, je fus pris de nausées, vomis et
perdis connaissance. A LA RECHERCHE D'UN ABRI J'émergeai de mon
évanouissement une heure et demi plus tard et me
trouvai pissant dans mon pantalon sans pouvoir
m'arrêter; j'avais très mal à la poitrine et du
sang mêlé de bulles s'écoulait de mon sein droit,
l'oeil du même côté était douloureux, mais j'étais
bien décidé à m'en sortir; de là où j'étais, je
voyais la route de Digne à Nice, le long du Var et
les ponts qui étaient gardés: il fallait pourtant
que je traverse si je voulais trouver du secours
et brouiller ma piste. Je m'allégeai au maximum,
ne gardant que mon petit Colt avec trois chargeurs
de rechange, deux grenades plus le Herstal de mon
pauvre Cabot. Je camouflai la mitraillette Sten
sous de grosses pierres ainsi que les chargeurs en
repérant bien l'endroit où je la laissais; puis,
tantôt marchant, tantôt me laissant glisser dans
les fourrés et les éboulis, je me rapprochai du
fleuve. J'y arrivai seulement le soir après toute
une journée de souffrance; je pus enfin boire et
me baigner le visage: j'avais la fièvre, mon oeil
coulait toujours, ma poitrine aussi, je sentais ma
figure toute tuméfiée. Peu à peu, je parvins à me
dévêtir, je mis mes affaires dans les jambes de
mon pantalon que je fermai aux deux bouts et je me
laissai aller dans l'eau; elle était froide, car
provenant de la fonte des neiges; je trouvai une
branche d'arbre pour m'aider à flotter et
commençai la traversée; j'étais à environ 150
mètres en aval du pont du Fraget;. Je tremblais de
froid et de fièvre, mais je finis par arriver de
l'autre côté et réussis à grimper la rive qui
était abrupte à cet endroit. Je me rhabillai, non
sans m'être frotté d'herbes pour me sécher et me
réchauffer un peu, puis traversai la route. Je
reconnus peu après une petite ferme où j'étais
passé la veille de l'attaque et où on m'avait
vendu une oie. Les deux femmes qui m'ouvrirent la
porte furent effrayées à ma vue: il faut dire que
je ne devais pas être beau à voir, avec mon oeil
sanguinolent, mon visage criblé d'éclats, tout
couvert de sang séché et mes vêtements trempés.
Pour cette raison et aussi parce qu'elles avaient
peur des représailles si elles m'accueillaient,
elles me refusèrent même l'abri où elles gardaient
deux chèvres. En les quittant, je leur dis que je
cherchais à rejoindre Nice pour égarer les
recherches au cas où on reviendrait les interroger
car elles l'avaient déjà été à mon sujet selon ce
qu'elles me dirent. On leur avait aussi enlevé
leur poste de radio. Je connaissais, non loin de
là, une grange dont la porte était toujours
ouverte. Je m'y rendis aussi vite que je le pus
pour passer la nuit; à l'étage il y avait du foin
dont je me recouvris et je m'endormis aussitôt.
L'ouverture de la porte me réveilla; c'était le
propriétaire qui venait prendre du foin: en le
voyant armé d'une fourche à trois dents, je
préférai ne pas courir de risques et je sortis de
ma cachette en exhibant mon pistolet et en lui
demandant de lâcher sa fourche. Il ne fut pas plus
surpris que ça: "on vous croyait vers chez les
Magnan" me dit-il; ce qui montrait qu'il avait
parlé aux voisines: il me confirma que les
Allemands me cherchaient, qu'ils surveillaient
tous les hameaux des environs et ne doutaient pas
de finir par me prendre.
AU LIEU DE M'AIDER ON ME CHASSE ET ON
ME DÉNONCE
Je lui racontai mon
histoire, mais quand je lui demandai d'aller
récupérer le portefeuille de Cabot;que j'avais
oublié dans sa veste, il refusa catégoriquement,
craignant qu'on ne le vit. Je n'insistai pas, lui
racontai, comme aux deux femmes, que je devais
rentrer à Nice et que je comptais passer le fleuve
au moyen du câble qui servait, un peu en aval, à
transporter le bois de chauffage. Bien me prit de
ne pas me confier à lui car il s'empressa, dès mon
départ, d'envoyer sa femme à Puget-Théniers
raconter aux Allemands ce que je venais de lui
dire: des patrouilles furent envoyées qui
fouillèrent les environs sans me découvrir; je
n'étais pourtant pas allé loin, et je restai tout
l'après-midi allongé dans un champ de haute
luzerne, à vingt mètres parfois de ceux qui me
cherchaient. Heureusement qu'ils n'avaient pas de
chiens. J'attendis la nuit pour reprendre ma
progression à la recherche de soins et de
nourriture; j'empruntai des voies impossibles,
évitant les sentiers connus et les routes qui
étaient gardées; je marchai une grande partie de
la nuit, me dirigeant vers Puget-Rostang;par le
collet des Aubrics (voir photo page précédente);
je pensais trouver de l'aide chez des gens qui
nous prêtaient leurs ânes pour le transport du
matériel parachuté. Quand j'arrivai chez eux, je
vis par les fentes des volets d'où filtrait de la
lumière quatre braves G.M.R. qui jouaient à la
belote et je décidai d'attendre le propriétaire à
l'écurie où il ne manquerait pas de venir soigner
ses bêtes au matin. Je passai la nuit couché dans
la paille près d'un des bourricots qui me
communiquait un peu de sa chaleur; quand son
maître vint le chercher pour l'amener à
l'abreuvoir, je lui saisis le poignet en lui
fermant la bouche de l'autre main; je crus qu'il
allait s'évanouir de frayeur à ma vue; quand il
eut récupéré, il me proposa d'aller me réfugier
dans une petite ferme qu'il avait à l'écart du
village où il me promit de m'apporter à manger
dans la matinée. Je fis semblant d'accepter,
sachant d'avance, à son attitude, qu'il me
laisserait tomber dès qu'il le pourrait, tant sa
trouille était intense. Je décidai alors de monter
à Auvare, un village perché dans la montagne, au
dessus de Puget-Rostang, où habitait un certain
Marius Astier qui, quelques semaines avant,
m'avait abordé à la foire de Puget-Théniers pour
me dire: "Je sais ce que vous faites alors, en cas
de besoin, vous pouvez m'adresser des gens qui
auraient à se cacher quelques jours, on trouvera
toujours à leur donner à manger". A quoi j'avais
répondu, car nous étions dans un café plein de
monde, que je ne comprenais pas à quoi il faisait
allusion, mais que je ne l'en remerciais pas moins
de son offre. Il me paraissait maintenant tout
indiqué pour me recueillir et j'arrivais chez lui,
le soir du 5 mai, soixante heures environ après
avoir été blessé. Quand il vint m'ouvrir, je vis
son visage se décomposer; je n'ai jamais vu,
depuis, blêmir un homme aussi vite. "J'ai des
enfants me dit-il, vous devez partir, on vous
recherche de partout". Je lui rappelai l'offre
qu'il m'avait faite, mais rien n'y fit; il refusa
même de me donner l'assiette de soupe aux choux
dont je sentais la bonne odeur et qui m'était si
nécessaire. ENFIN, DES
BRAVES GENS! Je repartis donc et allai quitter le
village lorsque j'entendis qu'on m'appelait:
c'était l'institutrice, Raymonde Peyron, qui ayant
entendu la conversation, me dit qu'elle avait
honte pour son voisin et me donna du lait chaud:
elle entama même un jambon pour m'en donner un
morceau à emporter et me fit cadeau d'une
bouteille d'alcool rhumé apporté par son mari qui
était membre d'un réseau F.T.P.; elle me guida
ensuite jusqu'au départ du chemin de la Croix et
m'indiqua la route à suivre pour rejoindre, de
l'autre côté de la Roudoule, au Villars-la-Croix,
la maison du médecin général Martin, militaire à
la retraite, qui, elle en était sûre, pourrait me
soigner et m'héberger le temps nécessaire.
J'espérais seulement que le pont suspendu qui
enjambait les gorges ne serait pas gardé. Il ne
l'était pas et j'arrivai vers minuit chez ce
médecin qui me reçut à bras ouverts, examina mes
blessures, pansa les plaies apparentes et mit sa
maison à ma disposition, bref me redonna courage.
Je profitai de son offre et partis me coucher,
mais au petit matin, je filai en douce car je ne
voulais pas qu'il eût le moindre ennui à cause de
moi. Je redescendis dans la vallée, repassai en
sens inverse le pont suspendu et allai à Léouvé
chez Denis Fournier, qui avait hébergé Cabot et
connaissait déjà la triste nouvelle: je lui
racontai la suite à mi-voix; de son côté, il
m'apprit que les trois gars qui m'avaient
abandonné au moment des explosions avaient été
aperçu dans les environs. Il m'indiqua le chemin
qu'ils avaient pris et je partis à leur recherche;
je les trouvai, en milieu de journée, dans une
grange de la Mayola où ils étaient allés dans
l'espoir que Salvatico, le berger du plateau de
Dina, leur donnerait quelque chose à manger; ils
étaient tranquillement en train de bavarder et mon
apparition leur causa une grande frayeur car ils
pensaient que j'avais été tué, comme Cabot, par
les explosions qu'ils attribuaient d'ailleurs à
des grenades lancées par les Boches. J'avais, tout
le long du chemin, pensé à ce que je leur dirai
quand je les aurai trouvés, mais le seul reproche
que je pouvais leur faire était d'avoir eu la
trouille: je leur en fis honte et leur dis combien
il était important, au combat, de pouvoir compter
sur ses camarades surtout lorsqu'on était blessé.
Là dessus nous avons organisé un méchoui avec un
mouton que nous avait procuré Salvatico (je lui
donnai 150 francs) et que je tuai; le mouton tué,
nous le fîmes rôtir devant le feu, enfilé sur une
branche de mélèze, et arrosé sans arrêt d'un peu
d'eau salée que nous passions avec la queue du
mouton au bout d'une baguette de noisetier; malgré
l'absence de vin et de fourchettes, ce fut un
inoubliable festin. J'en profitai pour remonter le
moral de mes jeunes qui se demandaient quand
finirait, pour eux, cette vie de hors-la-Loi: je
leur rappelai la promesse qui m'avait été faite,
que l'été 1944 verrait la fin de l'épreuve pour la
France occupée. C'étaient de braves gosses et ils
étaient à nouveau prêts maintenant à reprendre le
combat. Salvatico avait prévenu nos amis dans la
vallée que j'étais sain et sauf et nous sommes
restés chez lui les deux jours suivants où les
restes de mouton furent mis à toutes les sauces,
parfois agrémentés de haricots blancs ou de pommes
de terre. La nuit, le froid nous engourdissait
encore car il n'y avait pas beaucoup de paille
dans la bergerie que nous partagions avec une
centaine de moutons, séparés d'eux seulement par
une barrière de bois; nous étions envahis par leur
odeur et par leurs bêlements, ils s'agitaient tout
le nuit, entrechoquaient leurs cornes, les
femelles mettaient bas, un beau vacarme au milieu
duquel il nous fallait arriver à dormir car les
prochaines journées pouvaient être pleines de
mauvaises surprises. Les chiens, qui nous
gardaient avec le troupeau, aboyaient aussi sans
arrêt, contre les bêtes qui tentaient de
s'attaquer aux moutons, les renards, les
belettes... Nous avions un tour de garde que nous
passions à écouter, la nuit, les bruits des
vallées environnantes; dans la journée, nous
faisions des reconnaissances pour déceler un
éventuel encerclement et explorer les sentiers de
repli. Je comptais quand même que nos amis d'en
bas, au courant de notre situation, nous
préviendraient en cas d'alerte. Il fallait aussi
penser à reprendre nos activités. J'envisageai de
me rendre de l'autre côté du Var, vers Entrevaux,
chez les frères Fagès qui m'avaient offert l'asile
dans leur propriété quelques semaines auparavant.
J'y avais même fait un essai de transmission
radio, mais la haute chaîne de montagne qui
dominait l'endroit au Sud ne laissait passer
aucune émission et j'avais dû y renoncer. Pour se
réfugier, par contre, c'était l'idéal: l'accès à
la propriété était très difficile, les bois tout
proches offraient de bons refuges et, de plus, on
pouvait de là-bas surveiller la route Nice-Digne
et déceler toute activité anormale. Je décidai
donc de quitter le plateau de Dina (nous étions le
10 mai) et conseillai à mes jeunes d'en faire
autant: bien m'en prit d'ailleurs car, le
lendemain de notre départ, la bergerie de
Salvatico;fut fouillée, puis incendiée. Une fois
de plus, j'avais été trahi. La police était venu
perquisitionner dans ma chambre à Puget-Théniers,
mais elle ne trouva pas grand chose à se mettre
sous la dent, si ce n'est ma veste en peaux de
lapins qu'on aperçut ensuite à diverses reprises à
Nice, sur les épaules de l'un des Inspecteurs de
police venus perquisitionner. Je me rendis à
Entrevaux. Je passai quelques jours chez les
frères Fagès à poursuivre ma convalescence:
c'étaient des purs qui se dépensaient sans compter
pour la bonne cause: je les revois encore, dans
leur cuisine, en train de moudre du blé mêlé
d'orge, dans une sorte de grand moulin à café,
pour donner à leur bouillon de betterave un peu
plus de consistance. Nous mangions des escargots,
mais le sel manquait et c'était plutôt dur à
avaler: heureusement, je savais braconner et en
quelques jours je réussis à prendre trois beaux
lièvres au collet qui furent les bienvenus sur
notre table. Je reprenais tout doucement
l'entraînement physique et les contacts avec la
Résistance: la mort de Cabot et la perte de notre
matériel radio me privaient des liaisons avec
Alger, mais je réussis à envoyer des émissaires à
l'Etat-Major Résistance Régional qui venait de
s'installer à la maison forestière de Ratery, à
l'Est de Colmars-les-Alpes, sur la route du Col de
Champs. Le "Commandant Sapin", qui le dirigeait,
me fit savoir qu'il était heureux de me savoir
vivant et qu'il comptait que je reprendrais
bientôt du service; ça ne traîna pas: très vite,
on me demanda de rejoindre le maquis qui
fonctionnait là-bas entre Colmars et le lac
d'Allos;sous les ordres d'un ancien élève de Sapin
à Saint-Cyr, qui se faisait appeler Bertrand.LE MAQUIS
DE COLMARS-LES-ALPES J'y
arrivai début juin et entrepris aussitôt d'étoffer
ses effectifs. Je réussis notamment à recruter
tous les gendarmes de Colmars ce qui nous donna un
encadrement précieux pour les jeunes réfractaires
du S.T.O. et ce maquis devint rapidement un petit
centre d'instruction réputé. J'entraînai les
jeunes au tir et à l'utilisation d'explosifs; pour
ceux-ci j'avais du mal à recruter des volontaires;
la destruction des ponts et des voies de
communication était pourtant capitale pour notre
action, mais les jeunes préféraient les armes: je
me souvient encore d'un message que m'avait fait
parvenir Malherbe qui était le chef de l'O.R.A.
pour les Alpes Maritimes, au dos d'un billet de la
loterie nationale: "envoyez-nous des armes, nous
n'avons que faire des explosifs". Le moment venu,
il n'y aurait que moi dans la région pour faire
sauter les ponts. J'avais reconnu à proximité un
beau terrain de parachutage au Col des Champs avec
plusieurs accès et facile à défendre ou à évacuer
en cas d'alerte; les liaisons avec les villes,
Nice, Digne ou Barcelonnette;n'étaient pas
difficiles. Alger nous envoya deux spécialistes
radio dont Alexandre qui avait "travaillé" dans le
Vaucluse et dans les Bouches-du-Rhône avant d'être
affecté chez nous et l'action reprit comme je
l'avais menée avant les événements de début mai:
nous préparions notre revanche. Un jour où je
voulais donner une leçon de prudence à nos
gendarmes, je m'approchai silencieusement de la
gendarmerie de Colmars, et y pénétrai brusquement
l'arme au poing; il y avait là, outre le chef et
deux gendarmes que je connaissais, et à qui je fis
la leçon, un gars en civil qui s'enfuit à mon
entrée en sautant par la fenêtre: je demandai qui
il était, et j'appris que c'était un sous-officier
pilote d'aviation qui s'était trouvé en permission
en France au moment du débarquement allié
d'Afrique du Nord, en novembre 1942 et qui se
planquait depuis; il pouvait faire mon affaire et
je demandai au chef de le faire revenir: il
s'appelait Robert Lagoute et fut vite d'accord
pour aider le maquis; il fut convenu qu'il
resterait à Colmars dans sa famille, et que je lui
transmettrai les consignes par la Gendarmerie. Le
système devait très bien fonctionner. Il y avait
souvent beaucoup de monde au P.C. de Sapin, la
plupart étaient de jeunes sous-lieutenants, ses
anciens élèves de Saint-Cyr: trois d'entre eux
étaient venus avec lui de Marseille pour
constituer son Etat-Major (Carlin, Betemps et
Granier): on y trouvait aussi les chefs des maquis
des environs: Davin, de l'Ubaye, Silve et
Dautremer, de Seyne-les-Alpes, Bourdilleau, de
Colmars. Une fille, Nicole Chauvet servait de
"chiffreuse" et on voyait parfois la fiancée de
Silve qui habitait Seyne. Cela faisait beaucoup de
monde à nourrir, mais mettait de l'animation au
camp. BARCELONNETTE Nous étions encore à
Ratery lorsqu'on apprit les détails de la mort
tragique vers le 18 juin, du Commissaire de
Police, Geay, de Barcelonnette, qui avait
largement participé à la Résistance lorsque nous y
étions; il n'avait pas voulu nous suivre lors du
coup de main des Allemands sur la ville, désirant
continuer à assumer ses fonctions. Arrêté par la
Gestapo sur dénonciation d'un résident Italien,
dont on verra plus loin qu'il expia son acte, nous
n'en avions plus de nouvelles lorsque, repassant
par Barcelonnette au début août le fossoyeur du
cimetière nous fit savoir qu'il était mort après
avoir été torturé; je fis exhumer le cadavre pour
en être sûr: les dix ongles avaient été arrachés
et les yeux crevés, mais on en a eu la preuve par
la suite, il n'avait pas parlé. Il avait été
fusillé avec quelques autres dans la cour du Lycée
où une plaque rappelle ce sacrifice. Il faut
saluer de pareils héros. Ceci me rappelle d'autres
épisodes qui eurent lieu dans l'Ubaye au moment du
coup de main allemand sur Barcelonnette: quelques
jours avant, alors que je me rendais à
Entrevaux;en voiture et que je dévalai une côte,
moteur coupé pour économiser l'essence, nous
étions tombés nez-à-nez avec deux Allemands à moto
armés de fusils; je fus le premier à réagir,
tirant sur eux avec le Colt, mais je les manquai:
ceci n'empêcha pas le chef de jeter son fusil et
d'ordonner à son acolyte d'en faire autant; nous
avions maintenant deux prisonniers qu'il
s'agissait de mettre en lieu sûr, et je les fis
emmener à la Gendarmerie de Barcelonnette avec
l'idée de m'en servir de monnaie d'échange, le
moment venu. Le lendemain matin, venant les
interroger et les trouvant menottes aux poignets,
j'engueulai les gendarmes qui avaient agi au
mépris des lois de la guerre qui veulent qu'on
n'enchaîne jamais un prisonnier en uniforme. Le
sous-officier allemand qui comprenait le français
me remercia de mon intervention et m'apprit, du
même coup, que leurs troupes venues de
Gap;s'apprêtaient à occuper Barcelonnette: j'en
avertis Sapin;pour qu'il prenne ses dispositions
et donnai l'ordre aux gendarmes d'avoir à remettre
leurs prisonniers au premier officier allemand qui
entrerait en ville, ce qui fut fait. (en fait, ils
furent remis à l'Etat-Major allemand qui s'était
installé à l'Hôtel du Nord); mais nos prisonniers
avaient raconté l'histoire des menottes et le
commandant allemand de la place donna
immédiatement l'ordre de libérer les quinze à
vingt suspects qui avaient été arrêtés sur la
dénonciation du même Italien, responsable de la
mort de Geay. ENLÈVEMENT
IMPROVISÉ Les Allemands
occupaient encore Barcelonnette;lorsque j'appris
que deux des nôtres se trouvaient encore à
l'hôpital et risquaient des représailles; ils
avaient eu, Granier dit Nicole, une blessure à
l'aine, l'autre Dautremer dit Dauge, le bras droit
déchiqueté qu'il avait fallu désarticuler à
l'épaule. Je décidai de les enlever de l'hôpital:
je réquisitionnai un cheval et une charrette que
je chargeai de sacs de paille et, avec un copain
sûr, bien armés tous les deux, hue cocotte! Mais
grosse déception: l'un de nos blessés, Nicole,
s'était déjà envolé avec l'aide d'une infirmière
qu'il connaissait bien, et l'autre Dauge, bien
soigné aussi par sa future femme, préféra se
conformer à l'avis de son médecin qui craignait
une hémorragie et refusa catégoriquement qu'on le
transporte. J'avais bonne mine! Ne voulant quand
même pas avoir organisé l'expédition pour rien, je
me rendis chez le mouchard Italien dont on m'avait
donné l'adresse; je le trouvai allongé sur son lit
à l'heure de la sieste; il n'eut pas le temps de
saisir son pistolet tant mon entrée avait été
brutale; je résistai à l'envie de le descendre,
car je voulais qu'il soit jugé. Il fut bâillonné
et ligoté en un tour de main, puis ramené au P.C.
de Ratery au milieu des sacs de paille. Il fut
régulièrement jugé le lendemain selon la loi
martiale et condamné à mort par quatre voix sur
cinq: il avait pu être défendu par un homme
intègre qui avait essayé d'atténuer sa
responsabilité en accusant les gouvernements
totalitaires d'encourager la délation pour se
maintenir au pouvoir. Il fut fusillé, muni des
derniers sacrements, après avoir signé ses aveux,
par un peloton de maquisards. Celui qui le
commandait me demanda de lui prêter mon Colt pour
le coup de grâce. Entre-temps, le débarquement
allié avait eu lieu le 6 juin en Normandie, et la
guérilla généralisée avait été déclenchée dans
toute la région R2 par le message "Méfiez-vous du
Toréador" qui voulait dire "Allez-y sans vous
préoccuper du reste". Nous étions d'accord avec le
principe: encore fallait-il ne rien abandonner de
notre prudence car l'ennemi se montrerait
maintenant acculé et sans pitié.
EXÉCUTIONS
SOMMAIRES A SAINT-ANDRE
Début juin, j'avais dû
me rendre à Avignon avec trois complices pour
enlever à l'hôpital (décidément!) deux de nos
amis, André et sa femme, qui risquaient d'y être
arrêtés. Tout se passa sans difficulté jusqu'au
moment de franchir le barrage allemand qui
contrôlait la sortie de la ville: nous l'avions
passé le matin, sans histoire, mais au retour,
avec deux passagers en plus, la sentinelle se
montra intriguée et curieuse; voyant la tournure
que prenaient les événements, je m'arrangeai, en
accélérant, pour faire le plus de fumée possible,
puis avec un bel ensemble, nous avons jeté chacun
par notre vitre une grenade américaine: j'entendis
crier "Achtung!" et je démarrai en trombe: nous
étions déjà à bonne distance quand elles
explosèrent. Nous sortîmes de la ville sans autre
histoire et prîmes la route d'Apt. Le soir, via
Manosque, nous étions à Vinon-sur-Verdon;où nous
attendait le produit d'un parachutage destiné aux
Alpes-Maritimes dont il fallait organiser le
transport. Le lendemain matin, nous reprenions la
route de Barcelonnette et en fin de matinée, nous
étions à Saint-André-les -Alpes: un autre barrage,
celui-ci fait de troncs d'arbres en travers de la
route, nous attendait, mais il avait été mis en
place par les maquisards du coin qui prenaient
leurs précautions. Ils avaient eu la veille, nous
dirent-ils, une petite escarmouche qui leur avait
valu de faire deux prisonniers, actuellement
gardés au frais à la gendarmerie du village. Les
Résistants de la région étaient commandés par un
ancien élève de Sapin à Saint-Cyr, Jean-Louis V.,
chef d'une compagnie de F.T.P. et d'une
intrépidité inouïe, quoique un peu "craqué" comme
le montre la suite. Il tint absolument à fêter
notre passage et nous offrit un bon repas; nous
parlâmes de choses et d'autres puis, me rappelant
les prisonniers qu'il avait faits la veille, et
sachant que Sapin en avait besoin comme monnaie
d'échange, je lui demandai s'il accepterait de
nous les confier: il me fit une réponse vague puis
quitta la table en me disant qu'il en avait pour
un quart d'heure; il revint, en effet, rapidement
avec une bonne bouteille qu'il nous fit déguster;
puis vint l'heure du départ et je reparlai des
prisonniers à Jean-Louis en soulignant le prix
qu'y accordait Sapin; il me répondit froidement:
"Tu les trouveras à la gendarmerie, ils sont
raides, je les ai nettoyés", et il ajouta "Tu
diras à Sapin que, s'il a besoin de prisonniers il
les fasse lui-même, moi j'ai assumé les miens". Je
le traitai de salaud, alors il dégaina son
pistolet et me dit: "Répète!"; je vis dans ses
yeux qu'il était prêt à tuer et lui tournai le
dos: je l'entendis encore me dire: "Fous le camp,
fondu ou je te crève"; c'était moi pourtant qui
lui avais appris à se servir des explosifs et le
pistolet dont il m'avait menacé était le Colt que
je lui avais remis quelques jours avant; il
m'avait même parlé du fils qu'il attendait; mais
c'était un paranoïaque et rien ne devait résister
à son orgueil (peut-être aussi avions-nous tous un
peu trop bu, et supportait-il particulièrement mal
l'alcool!). Il trouva, en tout cas, peu après, une
mort à son image: il était à moto le 5 juillet
dans les lacets qui, du col des Robines,
descendent sur Barrême, quand il aperçut une
colonne allemande qui montait: il aurait eu tout
le temps de faire demi-tour: au lieu de cela, il
se mit en embuscade à un virage avec son équipier
et ouvrit le feu le premier; il réussit à faire
une vingtaine de victimes, mais il fût finalement
atteint lui aussi et achevé à la baïonnette: ce
sont des Allemands que nous avions capturés qui
nous racontèrent l'histoire quelques temps après.
Certains parleront d'une mort héroïque: je dis moi
que ce fut un suicide inutile, à ne pas donner en
exemple: on ne court pas au devant de la mort
quand on peut encore être utile à une équipe. L'ASSASSINAT COLLECTIF DE
ST JULIEN DU VERDONNotre récit de la fin
des deux prisonniers allemands à Saint-André jeta
la consternation à l'Etat-Major de Sapin où le
commandant de la zone Sud pour l'ORA, le colonel
Zeller, effectuait une visite d'inspection. Nous
étions le 10 juin, le débarquement de Normandie
était en train de réussir et les Allemands bien
décidés à nettoyer leurs arrières: notre rôle à
nous, était de gêner au maximum les mouvements de
leurs troupes; nous y réussîmes en interrompant la
route Nice-Digne par la destruction du
Pont-de-Gueydan; l'embuscade avait tué onze
Allemands; leur riposte ne se fit pas attendre:
neuf otages furent tirés de la prison de Nice dans
la nuit du 10 au 11 juin; on leur demanda
d'emporter leurs affaires et leurs papiers en leur
racontant qu'ils allaient être libérés; ils furent
embarqués dans une camionnette et un petit convoi
prit la route de Castellane. Arrivé à Saint-Julien
du Verdon, le convoi s'arrêta, on les fit
débarquer dans un petit champ au bord de la route
et on les abattit, tous les neuf à la mitraillette
alors qu'ils s'enfuyaient en courant,
croyaient-ils, vers la liberté...
In Memoriam!
LES
FUSILLES DE ST JULIEN DU VERDON
(11
juin 1944)
-Adam
Jacques, 23 ans, étudiant, Nice - AUBE Césaire, 17
ans, lycéen, Nice - BARDO Georges, 48 ans, agent
d'assurances, Nice - CAMPAN Gilbert, 17 ans,
lycéen, Nice - CASIMIRI Nonce, 45 ans, agent
P.T.T., Puget-Théniers - DEMONCEAU Roger, 18 ans,
lycéen, Nice - GALLO Francis, 18 ans, lycéen, Nice
- MAGNAN Aimé, 30 ans) cultivateurs
- MAGNAN Roger, 21 ans)
Puget-Théniers
Le détail de cette
horrible exécution m'a été raconté par le curé
Isnard dont l'église était proche, et qui se
rendit sur les lieux, alerté par les rafales de
mitraillettes; deux des victimes avaient survécu
quelques heures et il avait pu les faire porter
dans son église; c'était Adam, un F.T.P. des
Basses-Alpes étudiant à Nice, et l'un des frères
Magnan, Aimé, l'autre Roger avait été tué sur le
coup. Ils déclarèrent au curé que ceux qui les
avaient exécutés n'étaient pas des Allemands, mais
des miliciens déguisés qui parlaient français
entre eux. Je venais d'arriver à Colmars quand,
par le téléphone arabe, on nous informa de ce
drame, et je vins aussitôt à Saint-Julien pour
tenter d'identifier les victimes; il fallut
d'abord les exhumer et les laver car on avait
hâtivement recouvert les corps de terre: nous
pleurions de rage et de douleur en le faisant; il
y avait là trois de mes hommes: Nonce Casimiri;qui
avait été arrêté le 29 avril à Puget-Théniers, et
les deux frères Magnan Aimé et Roger, également de
Puget-Théniers. Il y avait Adam que j'avais connu
lorsqu'il était venu prendre livraison à
Puget-Rostang, du matériel qui avait été parachuté
pour son maquis sur Dina, une belle nuit d'avril.
Leur groupe était dirigé par un lieutenant à la
retraite nommé Antomarchi. Il y avait aussi cinq
élèves du Lycée Masséna de Nice qui avaient décidé
un jour de rejoindre la Résistance du côté de
Levens mais qui, n'ayant aucune adresse, avaient
fini par revenir et s'étaient fait intercepter au
retour. Les deux autres étaient des otages que je
ne connaissais pas, mais qui ne méritaient pas non
plus une pareille mort. Le curé Isnard;prévint les
familles et je retournai à mon poste à Colmars,
bien décidé à ne pas laisser ces morts impunies:
j'avais avec moi des parents proches des victimes,
le fils de Casimiri et un frère Magnan; leur
douleur était immense et ils auraient été
capables, à ce moment, d'exercer les vengeances
les plus atroces: on ne devait malheureusement
jamais identifier (ou vouloir identifier ?) les
assassins qui, plus de quarante ans après, n'ont
toujours pas reçu leur châtiment! Quel que soit le
prix dont il fallait les payer, les sabotages des
voies de communication de l'ennemi devaient
pourtant continuer: il fallait interdire aux
Allemands d'amener leurs renforts vers le Nord et
la route Digne-Nice était un des axes qu'ils
utilisaient: nous devions donc la rendre
impraticable; nous devions aussi penser à
interdire l'accès de nos refuges de la montagne;
les mois de juin et juillet furent occupés à
réaliser ces objectifs.
CHAPITRE
V
Du maquis de Beuil
à
la libération
de
Puget-Théniers
Nous nous étions implantés
dans le quadrilatère que limitent les vallées du
haut Verdon, du moyen Var et de la Vésubie; la
plupart des localités de la périphérie étaient
encore aux mains des Allemands, mais ils n'osaient
pas s'aventurer dans les montagnes: il faut dire
que, faute de pouvoir amener du matériel lourd, ce
qui nécessitait la maîtrise de routes difficiles
pour les camions, ils en étaient réduits à
envoyer, sur les sentiers, des colonnes, très
vulnérables, de fantassins: il aurait, en effet,
suffit d'atteindre le premier de la file avec un
bon Mauser à lunette pour arrêter leur
progression, car ils devaient redescendre le
blessé avant de continuer, comme ils le faisaient
toujours quand l'un des leurs était blessé en
début d'opération. Le risque, pour nous, était de
nous laisser encercler, et nous devions, pour
l'éviter, être constamment en alerte. Nos liaisons
sur le terrain laissaient malheureusement beaucoup
à désirer: faute de téléphone de campagne et les
lignes des P.T.T. étant constamment surveillées,
il fallait utiliser des estafettes à pied ce qui,
bien sûr, ralentissait notre vitesse de manoeuvre.
La vie sur les hauteurs était quand même plus
facile pour nous que ne l'avait été celle des
vallées, que ce soit à Puget-Théniers ou à
Barcelonnette; nos terrains de parachutage étaient
relativement peu menacés: nous en avions au Col
des Champs, au Lac d'Allos, au plateau de
Dina;près de Puget-Théniers et, plus tard, au
plateau de Saint-Jean Baptiste près du Beuil. Vers
la mi-juillet, je fus envoyé de Ratery vers la
région de Beuil-Valberg, avec la mission de
contrôler les voies d'accès du Var moyen et de la
route Digne-Nice vers les plateaux du Haut-Pays,
par les vallées du Cians, de Daluis, de la
Tinée;et de la Vésubie. J'arrivai le 14 juillet
dans mon nouveau secteur où je fus reçu à bras
ouverts: les gens avaient entendu parler de moi à
la suite des événements de début mai à
Puget-Théniers et je n'eus pas de peine à recruter
la trentaine de volontaires qu'il me fallait pour
les opérations prévues. Il faut dire que la
victoire, qui paraissait proche, accroissait le
zèle des paysans: Guillaumes avait fêté le matin
"son premier 14 juillet d'après guerre", un peu
tôt d'ailleurs car les Allemands allaient y
revenir. Je m'installai avec mon P.C. à l'Hôtel du
Cians sur la proposition du propriétaire, dont les
quatre fils d'ailleurs voulurent aussi s'engager à
mes côtés.DESTRUCTION
DU PONT DU PRA D'ASTIER Le
travail commença très vite: il fallait, avant
tout, compléter notre système de défense en
faisant sauter à nouveau le Pont du Pra d'Astier,
sur le Cians, que j'avais détruit une première
fois en juin, mais que les Allemands avaient,
depuis, fait réparer: ils avaient fait poser des
poutres en bois par une équipe locale requise
d'office et ils surveillaient ce pont maintenant
jour et nuit à partir d'un poste de garde installé
dans la seule maison du coin. Je m'étais rendu
compte qu'ils tiraient au mortier sur tout
mouvement suspect, déclenchant régulièrement des
avalanches de pierres, ce qui rendait l'approche
du pont singulièrement dangereuse. Une nuit où la
lune était à son dernier quartier, je pris six
volontaires équipés d'un armement léger,
j'emportai des explosifs et des grenades
incendiaires et nous partîmes vers le Pra
d'Astier, déchaussés pour ne faire aucun bruit.
Arrivés à proximité du pont, Nino, un de mes
hommes s'approcha silencieusement de la sentinelle
qui le gardait et nous en débarrassa d'un coup de
dague; je plaçai alors mes cartouches de plastic
contre les piliers de bois du pont, munies de deux
détonateurs à retardement, l'un de 15 minutes,
l'autre en recours de 30 minutes. J'ajoutai pour
le spectacle une bombe incendiaire éclairante. Le
poste de garde allemand était cent mètres plus
bas. Nous nous repliâmes sans plus de bruit qu'à
l'arrivée, en remontant quelques lacets de route
jusqu'à un point d'où nous pouvions voir le pont
et nous attendîmes l'explosion, dans ce fond de
vallée, fut fantastique: des débris vinrent tomber
jusque près de nous, l'incendie se déclencha
aussitôt, sa lueur était aveuglante en raison du
magnésium de la grenade éclairante. Les Allemands
réveillés en sursaut sortirent en courant: leurs
silhouettes se découpaient en ombre chinoise, mais
nous étions trop loin pour les atteindre avec les
Sten. Nous nous sommes rechaussés, et à neuf
heures du matin, nous étions de retour à Beuil:
l'expédition avait duré douze heures. A Beuil, ce
furent les embrassades, l'orgueil du succès, on
nous fêta en héros, et chacun aurait voulu avoir
participé à l'opération. Je pus quand même me
reposer un peu avant le repas de midi (au cours
duquel on nous servit du ragoût de mouton aux
lentilles), mais mon après-midi allait être très
occupé, car j'avais prévu de m'occuper d'un champ
de mines que l'ennemi avait installé sur la route,
au dessous de Valberg et qui empêchait toute
circulation entre Beuil et cette station. DEMINAGE
VERS VALBERG Je m'y
rendis aussitôt fini le déjeuner. Le champ
comportait quatorze mines, neuf "Tellerminen"
(mines plates en forme d'assiettes) et cinq mines
"Vélo", ces dernières particulièrement sensibles
car surmontées d'un petit champignon d'où le
percuteur se libérait au moindre choc, passage
d'un piéton ou d'un animal; il fallait pour les
désamorcer, replacer une goupille pour fixer le
détonateur; en guise de goupilles, j'utilisai des
épingles de sûreté, mais il me fallut tout
l'après-midi pour venir à bout de ces cinq mines
"Vélo". Je négligeai provisoirement les
"Tellerminen" destinées aux véhicules et qui
n'étaient dangereuses qu'à partir d'une pression
de trois cents kilos; il y avait, alors, rupture
d'une goupille en alliage étain-plomb qui libérait
le détonateur. J'avais placé quelques hommes sur
les hauteurs environnantes pour empêcher qu'on
approche: les autres étaient à proximité pour me
voir opérer et me montrer qu'ils n'avaient pas
peur. Je commençai à frotter le bout de mes doigts
sur un rocher, longuement, pour leur donner la
sensibilité maximum. Je vérifiai ensuite que mes
vêtements ne risquaient pas de me gêner ou
d'accrocher quoi que ce soit, que les lacets de
mes souliers ne traînaient pas. J'accrochai alors
des ficelles aux barbelés qui délimitaient le
champ de mines de façon à matérialiser des
couloirs de la largeur de mes épaules, que je
devais parcourir en rampant d'une extrémité à
l'autre: il y avait dix couloirs pour les cinq
mètres de large que faisait la route. Puis je
commençai mon exercice de reptation qui me prit
une bonne partie de l'après-midi, refixant les
détonateurs des mines "Vélo" à l'aide de mes
épingles de sûreté, à mesure que j'en rencontrai.
Chaque fois, j'expliquais aux assistants ce que je
faisais. A la fin, je me relevai et me promenai de
long en large sur le champ de mines où restaient
encore les neuf "Tellerminen": j'avais vu notre
instructeur anglais le faire lors de notre
entraînement au "Club des Pins" à Staouéli;:
apparemment ma démonstration n'avait pas rassuré
l'assistance qui me croyait devenu fou et s'était
mise à plat ventre dans le fossé, verte de
trouille. J'ouvris une discrète chicane dans le
barrage de barbelés pour me permettre de passer à
pied. Je l'utilisai dès le lendemain pour me
rendre à Daluis sur une moto qu'on avait mise à me
disposition: nous avons quand même fait attention
à ne pas passer sur les "Tellerminen". DESTRUCTION DU PONT DE
BERTHEOU - 8 JUILLET 1944 On m'avait, en effet,
fait savoir qu'on comptait sur moi pour détruire
le pont de Daluis (en fait le pont de Berthéou),
situé dans une épingle à cheveux, entre Daluis et
l'embranchement de la route de Villeplane); un
commando était déjà sur place à contrôler les
abords. Il ne me restait que trois kilos
d'explosifs que je répartis en trois paquets
disposés sur la clé de voûte de l'arche centrale
dans des trous que j'avais fait creuser. Avant la
mise à feu, je m'assurai que tous ceux qui étaient
sur la rive opposée avaient été avertis qu'on
allait détruire le pont, et j'avais fait placer de
grosses pierres en travers de la route pour
dissuader d'éventuels automobilistes de poursuivre
leur route. Je reliai mes charges avec du cordon
détonnant et fixai à la dernière un mètre de
cordon Bickford que j'allumai. J'avais 100
secondes pour aller me mettre à l'abri en hurlant:
"Couchez-vous, ça brûle!" Le travail fut parfait,
la brèche mesurait onze mètres et l'arche centrale
avait été coupée à ses deux extrémités, à l'aplomb
des deux piliers. Au moment où nous allions
quitter les lieux, un bruit de moteur nous avertit
de l'approche du petit car qui faisait le service
Nice-Valberg et qui arrivait de Nice. On cria aux
voyageurs et au chauffeur de descendre et de nous
rejoindre par le fond du ravin. J'envoyai un
motocycliste à Guillaumes pour essayer de trouver
un moyen de transport pour tout ce monde; en
attendant, je fis procéder à un contrôle
d'identité des passagers. J'étais assis sur un
rocher un peu au dessus et je supervisai les
opérations lorsque je m'aperçus qu'une femme et
une fillette avaient échappé au contrôle. Je
demandai sa carte à cette passagère, son lieu de
naissance me frappa car Mur-de-Barrez dans
l'Aveyron n'est pas une grande ville et j'y suis
né. Son nom de femme mariée, Madame Edekins;ne me
disait rien; je crus d'abord à un faux, puis je
découvris que c'était une cousine de ma mère dont
j'avais entendu parler, mais que je n'avais jamais
vue. Je lui dis qui j'étais et je me promis
d'aller la voir le soir même à son chalet de
Valberg. J'y rencontrai son fils, Paul, sorti
major de Centrale et qui cherchait à entrer dans
un maquis; sa mère me le confia et il fut engagé
aussitôt. Je les quittai très tard et rentrai à
Beuil;malgré le couvre-feu qu'en tant que patron
du coin, j'aurais dû respecter. Sapin me demanda
peu après d'organiser dans mon secteur, que
j'avais maintenant bien en mains, l'installation
de l'Etat-Major de la région R2 qu'il dirigeait
pour l'ORA (Organisation de Résistance de
l'Armée); je dus pour cela réquisitionner toutes
les bergeries et granges des environs de Beuil,
Valberg et Péone. La vie continuait autour de nous
et il y avait dans les hôtels de Valberg plusieurs
couples d'estivants venus de Nice respirer le bon
air de la montagne et complètement indifférents à
nos activités. Nous avions vu arriver des
personnes à garder à vue comme la femme et la
fille d'Agnelli, le Maire collaborateur de
Guillaumes, que nous voulions juger. DES SORTES DE COURS
MARTIALES Tout ce monde devait être nourri et mes
hommes passaient leurs nuits à parcourir les
villages de la région à la recherche d'un
difficile ravitaillement qu'il fallait ensuite
rapporter à dos d'hommes lorsque les ânes ou les
mules faisaient défaut. Ces déplacements nous
donnaient parfois l'occasion de mettre la main sur
des suspects; c'est ainsi que mes hommes
arrêtèrent une épicière de Touët, la veuve Ribuot,
qui avait été surprise téléphonant à son gendre,
milicien, des renseignements confidentiels sur
l'emplacement de maquis, nos effectifs, notre
armement et le nom de tous les imprudents qui,
chez nous, n'avaient pas cru nécessaire de prendre
un nom de guerre. Je l'avais déjà interpellée
quelques jours avant, mais avais dû la relâcher
faute de preuves; cette fois, le doute n'était
plus permis et nous pûmes montrer que son gendre
Gegoff, milicien, était en relation avec "Willy",
l'homme de la Gestapo à Puget-Théniers, qui avait
tant cherché à me capturer; outre son magasin à
Touët, elle faisait aussi l'épicerie ambulante,
parcourant la région avec une charrette à âne et
personne ne se méfiait d'elle. Nous avions réuni
maintenant assez de témoignages pour un procès en
règle et elle fut amenée aux Amignons où nous
gardions aussi la famille Agnelli; la procès
pourtant n'eut jamais lieu: la veuve Ribuot devait
passer mystérieusement (?) de vie à trépas dans la
nuit qui suivit son arrestation. Il y eut
plusieurs autres cas de ce genre, mais je veillai
personnellement chaque fois à ce que les
accusations soient bien étayées par des
témoignages et à ce que les accusés aient droit à
une véritable défense avant un jugement impartial;
des sortes de Cours Martiales furent instituées
dans ce but: elles nous permettaient de donner une
suite légale aux plaintes et aux accusations qui
nous parvenaient, maintenant que nous
représentions dans la région l'autorité de la
République. Le premier en date de ces procès
d'exception fut celui d'un nommé Campana, de
Guillaumes, qui nous avait été amené par
quelques-uns de ses concitoyens; ceux-ci
l'accusaient d'écrire des lettres de dénonciation
mettant en cause aussi bien les jeunes
réfractaires au S.T.O. que les commerçants qui
approvisionnaient le maquis. Le dénonciateur avait
été piégé avec la complicité d'un postier, la
boîte aux lettres où la nuit il postait ses
dénonciations était régulièrement vidée avant
qu'il vienne et ses lettres recopiées avec leur
adresse avant de les laisser partir. Notre
tribunal avait donc toutes les preuves de ces
dénonciations et l'accusé fut condamné à mort
malgré les plaidoiries de deux avocats qui avaient
accepté de le défendre, un maquisard père de
famille comme l'accusé et un représentant de la
population de Guillaumes. Il fit des aveux
complets. EXÉCUTION
D'UN MOUCHARD J'avais
accepté que le curé de Valberg l'assiste dans ses
derniers moments, mais je n'avais pas pensé qu'il
viendrait le matin de l'exécution comme en
procession, accompagné d'enfants de choeur en
surplis blanc dont l'un portant un crucifix aussi
haut que lui et d'une foule de paroissiens. Cette
manifestation politico-religieuse me parut
déplacée et je me dépêchai d'en terminer: je
demandai un volontaire pour former le peloton
d'exécution et le commander: ce fut un
sous-officier de réserve, Siméoni, qui recruta à
son tour six volontaires et l'exécution eut lieu
dans des conditions dites "réglementaires".
Campana mourut les yeux fixés sur le crucifix. Le
chef du peloton m'emprunta mon pistolet pour le
coup de grâce. Le supplicié fut ensuite porté en
terre par les mêmes qui l'avaient exécuté. On
l'enterra à l'entrée du cimetière de Beuil pour
frapper les imaginations et montrer la
détermination des Responsables de la Résistance
Locale. J'ai toujours regretté que l'enfant de
choeur qui portait la croix ne l'ait pas brandie
devant le peloton d'exécution en demandant la
grâce du condamné: il l'aurait probablement
obtenue, et l'image d'une église charitable y
aurait certainement gagné, mais c'était trop
demander à un enfant, et ni le curé, ni aucun des
assistants n'en avait eu le courage. Le même jour
dans l'après-midi (c'était le 20 ou 21 juillet),
je dus retourner dans les gorges de Daluis où une
de nos patrouilles avait été prise à partie par
deux mitrailleuses que les Allemands avaient
installées en surplomb du pont que nous avions
détruit vers le Col de Roua. Il y avait eu deux
blessés dont l'un n'avait pas pu se replier, il
était resté étendu immobile, entre deux tunnels et
on pensait qu'il était peut-être mort, on ne
savait que faire et on m'attendait pour prendre
une décision. De Beuil, je me fis conduire sur les
lieux à moto par Siméoni, le même sous-officier
qui venait de commander le peloton d'exécution.
Nous descendîmes à fond de train. Arrivés dans les
gorges, il y avait sous le dernier tunnel encore
abrité, quelques camarades qui palabraient sur les
mesures à prendre. Je les traitai de dégonflés de
laisser ce pauvre type au milieu de la route, à
quoi ils répondirent: "Tu ne vois pas qu'il est
mort!". J'avais une excellente paire de jumelles
et j'observai le blessé: je reconnus mon ami, le
sous-lieutenant Pyra (de Bois-Fleury); du sang
s'écoulait d'une blessure à la gorge; je pouvais
voir son oeil droit ce qui me donna une idée:
j'appelai Pyra et lui criai: "Pyra, si tu
m'entends, ferme les yeux et ouvre les aussitôt",
ce qu'il fit: il était donc vivant et tout-à-fait
conscient, mais il fallait le soigner d'urgence;
j'avais le nécessaire sur la moto, mais encore
fallait-il le sortir de là, et les Allemands
continuaient, de temps en temps, à lâcher des
rafales de mitrailleuse entre les deux tunnels.
Pyra, lui, était protégé par un angle mort, je
décidai de le traîner jusqu'au tunnel suivant et
l'en informai: "Nous allons te sortir de là en te
tirant vers l'autre tunnel, d'accord ? Si oui, tu
fermes les yeux" ce qu'il fit à nouveau. Alors
Siméoni et moi avons pris notre élan, couru
jusqu'à Pyra, l'avons saisi aux épaules par son
treillis et avons réussi à atteindre l'autre
tunnel en moins de dix secondes. Ceux qui nous
regardaient applaudirent au résultat. Je donnai
aussitôt à boire à Pyra et tamponnai tant bien que
mal la blessure qu'il avait au cou. Apparemment,
la rafale n'avait atteint ni l'artère, ni les
vertèbres. Je désinfectai la plaie au marc du pays
et appliquai un pansement compressif. Pyra avait
perdu beaucoup de sang, et à l'importance de la
flaque sur le sol, j'évaluai l'hémorragie à un
litre environ: il n'était donc pas en état de
courir avec nous, et je décidai d'attendre la nuit
pour revenir; j'en informai ceux qui nous
attendaient et leur demandai aussi de faire venir
une camionnette pour ramener le blessé. Ainsi fut
fait, et la nuit tombée, je chargeai Pyra sur mes
épaules à la manière des pompiers, Siméoni restant
en réserve, prêt à le tirer en courant si j'étais
tombé. Tout se passa bien: Pyra fut placé sur une
civière, recouvert d'une couverture et emmené en
lieu sûr en camionnette. Je ne devais le revoir
qu'à la fin de l'année 1945, à son départ pour
l'Indochine où il servit comme Officier de
Cavalerie. RÉDDITION
DE PUGET-THENIERS Vint le débarquement en Provence du 15
août 1944. Les Allemands envoyaient des renforts
et plus que jamais la Résistance devait interdire
les passages routiers stratégiques. Sur la grande
route des Alpes qui menait de Digne à la mer,
Puget-Théniers constituait un point d'appui de
l'ennemi et ordre me fut donné, avec mon ami
"Rodolphe" qui avait en charge l'ensemble des
vallées du haut-pays, de nous emparer de cette
petite ville. Il y avait là une garnison allemande
d'une trentaine d'hommes surveillés par un type de
la Gestapo nommé Willy dont j'ai parlé plus haut.
Je connaissais bien Puget-Théniers pour y avoir
pratiquement passé les six premiers mois de
l'année; j'avais sur place de nombreux amis qui ne
demandaient qu'à nous aider: l'un deux, le
boulanger, Francis Autran grâce à qui j'avais pu,
naguère approvisionner mon maquis cultivait
tranquillement son jardin à la Roche d'Abeille; à
notre arrivée: on convint qu'il retournerait à
Puget-Théniers pour avertir nos amis d'avoir à
faire courir le bruit que la ville était
complètement encerclée par les maquisards; il
devait aussi trouver un volontaire pour annoncer
aux Allemands que nous leur laisserions la vie
sauve s'ils déposaient les armes. Nous comptions
que la récente nouvelle du débarquement (nous
étions le 16 août) les convaincrait de la vanité
de toute résistance. Ainsi fut fait et Francis
s'acquitta fort bien de sa mission: c'est Cagnoni,
un lieutenant des Eaux et Forêts qui alla
expliquer la situation à l'officier qui commandait
la petite garnison; il s'était fait accompagner
par un ami, Gaby Fabre, qui intervint à temps,
pour désarmer un soldat qui faisait mine de
résister. Il ne fallut pas longtemps pour
persuader les autres qu'il valait mieux se rendre.
Entre-temps, nous étions descendus au Planet;et
les deux gradés vinrent au devant de nous, sur la
route de Nice, pour discuter de leur reddition:
toute la garnison, vingt huit hommes, dont
beaucoup de Polonais enrôlés de force, se rendit
ce jour là à mon ancien, le commandant Rodolphe,
alias de Lestang Labrousse. Les prisonniers furent
désarmés, mais on laissa leur pistolet aux deux
gradés; on parqua tout le monde dans la grande
salle du restaurant Rancurel où ils avaient déjà
installé leurs quartiers; des sentinelles furent
placées à toutes les issues de la ville, le
central téléphonique occupé et la population
invitée à nous livrer au plus tôt Willy, l'homme
de la Gestapo qui devait se cacher quelque part;
on ne devait malheureusement pas mettre la main
dessus, car l'hôtelière chez qui il logeait, Mme
Corporandi en avait une telle peur, qu'elle lui
avait facilité la fuite et se refusa à nous
fournir aucun renseignement sur la façon dont il
avait quitté la ville. C'est elle, d'ailleurs, qui
s'était opposée par crainte de représailles, au
cours des derniers mois, à ce qu'on tente quoi que
ce soit contre lui. Même sans la capture de Willy,
l'atmosphère à Puget-Théniers était à
l'allégresse: tous se retrouvaient, naturellement,
du côté des vainqueurs du jour et se sentaient
l'âme résistante. On en profitait, il est vrai,
pour régler des querelles personnelles et une
partie de la population accusait l'autre de
collaboration. Les dénonciations furent
innombrables et je dus calmer le jeu en exigeant
des dépositions écrites et signées adressées au
Procureur de la République, ce qui donna à
réfléchir. Les gendarmes de la Brigade, dont le
comportement n'avait pas toujours été sans
ambiguïté, furent laissés en observation. J'avais
personnellement gardé une grande méfiance à
l'égard de certains d'entre eux que je soupçonnais
d'avoir guidé les Allemands lors de l'attaque de
notre refuge, au début mai, puis de leur avoir
livré du matériel entreposé dans une cave où je
faisais l'instruction de mes jeunes recrues, mais
je n'avais pas suffisamment de preuves et le
moment des règlements de comptes n'était pas
encore arrivé; mieux valait, pour l'instant,
feindre l'harmonie d'une population toute entière
rangée derrière ses libérateurs; et puis, j'aurais
tellement préféré à l'époque, croire que chacun
avait fait son devoir! L'Eglise, elle, ne se
souciait pas trop de réunir des preuves pour
décréter que cette libération, obtenue le
lendemain de la fête de l'Assomption, était une
manifestation de l'amour que portait la Mère de
Dieu à la Ville de Puget-Théniers. Un pèlerinage
solennel fut organisé en l'honneur de Notre Dame
de la Roudoule et il se renouvelle depuis, chaque
année au 15 août au sanctuaire érigé à cette
intention sur la route qui monte, derrière
Puget-Théniers vers les Gorges de la Roudoule. Qui
se souvenait, ce 16 août 1944, que le pauvre
Joseph Cabot, mon radio, mon ami, s'était vu
refuser l'accès de sa dépouille à l'Eglise
paroissiale, qu'on ne lui avait pas accordé le
moindre linceul et qu'il avait été enseveli, tout
nu, entre quatre planches mal jointes, par les
cantonniers municipaux, le 5 mai de cette même
année ?
Les victimes de la
résistance
dans la région de Puget-Théniers
- BONNET Jean,
73 ans, cultivateur, exécuté à la Penne le 3 mai
1944 - CABOT Joseph,
27 ans, ingénieur, mort le 3 mai 1944, près de
Puget-Théniers (le radio de "François") - CHARVINFélicien, 25 ans,
cultivateur, exécuté à la Penne le 3 mai 1944 - MASSIERA Albert,
33 ans, cultivateur, exécuté à Rigaud le 17
juillet 1944 - MASSIERA Julien,
27 ans, bûcheron, exécuté à Puget-Rostang le 4
avril 1944
CHAPITRE
VI
Dernières opérations
et
retour à
la
guerre en uniforme
Une fois acquise la
libération de Puget-Théniers, qui consolidait
celle déjà obtenue dans le Haut-Var et le pays de
Beuil, il fallait mettre à profit notre victoire
pour hâter le nettoyage de l'arrière-pays et
aider, si possible, à la libération de Nice. LE
BANCAIRON Le nettoyage
des vallées fut fait dans les deux jours suivants:
le 17 août la petite garnison (40 hommes) de
Saint-Martin Vésubie se rendait au groupe Foatta
et le 18 août, c'était le tour de celle de l'usine
hydro-électrique du Bancairon dans la Basse-Tinée.
Les Allemands de la Tinée;s'y étaient regroupés
pour mieux résister au harcèlement des maquis;
c'était une garnison hétérogène composée de
gardes-frontières et des effectifs des petits
postes de la Haute-Tinée qui s'y étaient repliés.
D'après mes informations, ils étaient peu désireux
de se battre maintenant que les Alliés avaient
débarqué en Provence. Néanmoins, placés comme ils
l'étaient, à une quinzaine de kilomètres de la
Mescla, ces Allemands empêchaient toute liaison
par la vallée et il fallait bien les neutraliser.
Sapin me demanda de m'en occuper et, dès le 16
août, des tireurs étaient postés sur les hauteurs
alentours pour les encercler et s'opposer à tout
repli. Je me rendis sur place le 18 août,
accompagné d'un gendarme en uniforme arborant deux
fanions tricolores sur les ailes. René
Giauffret;suivait dans sa "traction" avec quelques
uns de mes hommes, solidement armés, dont l'un, un
alsacien, Jean Bottin, dit "Siméoni" pour me
servir d'interprète. J'étais bien décidé à obtenir
la reddition plutôt que de risquer des morts
inutiles par une attaque en force. Arrivés aux
grilles de l'usine, je descendis de voiture,
enlevai ostensiblement mon pistolet que je jetai
sur le siège avant pendant que les deux
sentinelles braquaient leurs fusils-mitrailleurs.
Je leur demandai, avec l'aide de mon "interprète"
de prévenir leurs officiers que je désirais
discuter les conditions d'une reddition. Le
message fut transmis et après une demi-heure
qu'ils passèrent, je suppose, à décider de la
conduite à tenir, les trois officiers responsables
de la garnison sortirent de l'usine pour me dire
qu'ils étaient, effectivement, prêts à se rendre
mais qu'ils ne le feraient qu'à des officiers
alliés en uniforme. Il fallait que j'en réfère à
Sapin et je demandai à René Giauffret de me
ramener à Puget-Théniers. Un gendarme restait en
otage. Je pus convaincre Sapin, à peine revenu de
son expédition chez les Américains qu'il était
allé informer des zones que nous contrôlions: il
viendrait au Bancairon;recevoir la reddition. Elle
eut lieu le lendemain, 19 août. Sapin s'était
revêtu d'un semblant d'uniforme, composé d'un
pantalon et d'une chemise kaki provenant d'un
parachutage, auxquels il avait ajouté des galons
de commandant. Il arriva dans la voiture de René
Giauffret qui emportait trois volontaires armés:
"Mimi" Mariucci, Gabriel Fabre;et Gamet. Leur
voiture avait eu un pneu et l'aile avant perforés
par balle à Malaussène en revenant à
Puget-Théniers la veille. Les autocars de Cadopi
avaient été réquisitionnés pour ramener les
prisonniers. Le protocole de reddition fut signé
par les trois officier allemands: leur honneur
était sauf, s'étant rendus, croyaient-ils à un
officier des troupes régulières, débarquées peu
avant, même si la vue de nos véhicules de
transport pût ensuite leur laisser quelques
doutes! La garnison rendue comportait, outre les
officiers, 78 sous-officiers et soldats, plus 6
chiens policiers. Nous héritions aussi de
plusieurs tonnes de vivres, cadeau
particulièrement apprécié en cette période de
vaches maigres, sans compter les armes et les
munitions. Les officiers gardèrent leur pistolet
comme le stipule la Convention de Genève. Nos
prisonniers furent embarqués dans les autocars
emmenés à cet effet et, par la Mescla et la vallée
du Var, emmenés d'abord à Puget-Théniers pour que
la population puisse prendre part à notre fierté,
puis à Beuil où ils rejoignirent ceux que nous
avions faits le 15 août à Puget-Théniers. Je me
souviens qu'à l'arrêt que nous avions fait à Touêt
sur Var, pour fêter notre succès à l'Hôtel Paul,
un courageux client de l'établissement se proposa
de "descendre tous ces salauds à la mitraillette":
à ma réponse qu'il y avait mieux à faire avec les
Allemands qui n'étaient pas encore prisonniers et
qu'il aurait sa mitraillette s'il venait avec
nous, il disparut sans insister. C'était une
époque où l'on prenait vite la mesure du véritable
courage. NETTOYAGE
EN AVAL DE LA MESCLA — LA BATAILLE DE LEVENS Une
fois obtenue la reddition du Bancairon, il restait
encore d'importants secteurs de résistance
allemande aux environs de Levens qui visaient à
protéger les voies de repli possibles de
l'occupant par la Vésubie, la Ligurie et le
Piémont;qu'ils tenaient encore. La nuit suivant
leur reddition au Bancairon, ils avaient fait
sauter une autre usine hydro-électronique au Plan
du Var. Pour moi, je reçus instruction de nettoyer
la vallée jusqu'à Saint-Martin du Var. L'objectif
était double: 1° Eviter la destruction du pont
Charles-Albert, par lequel pouvaient arriver les
Américains (les autres ponts avaient déjà été tous
détruits: ceux de Saint-Laurent et de la
Manda;l'avaient été conjointement par les
Allemands et par la Résistance. Quant au pont
Durandy, au confluant de la Vésubie, nous l'avions
fait sauter auparavant pour protéger notre réduit)
2° S'opposer à l'envoi de renforts allemands sur
Levens et la Roquette;par la vallée du Var: ces
villages avaient été libérés ainsi que
Saint-Martin-du Var par les F.T.P. le 17 août. Le
premier objectif fut atteint sans difficulté et je
fis une dizaine de prisonniers en nettoyant
Saint-Martin-du-Var et en interceptant un peloton
cycliste des Waffen SS qui patrouillait aux
environs du pont Charles-Albert. J'eus moins de
chance avec la tentative sur Levens. La Résistance
occupait Plan-du-Var depuis le 15 août et Malherbe
y avait installé son P.C.; nous avions même posté
une sentinelle en uniforme allemand à l'entrée du
pont (détruit) sur la Vésubie pour dissuader les
Allemands qui tenaient encore le cimetière de
Levens au dessus de nous, de nous tirer à la
mitrailleuse: il s'agissait d'un alsacien
incorporé de force dans la Wehrmacht et que
"Rodolphe" le chef du maquis de Beuil avait
adopté. Je patrouillai la région en camionnette,
mais le coin était loin d'être tranquille car les
Allemands préparaient leur contre-attaque vers la
Roquette et Levens. J'en fis d'ailleurs
l'expérience car, au cours d'une de ces
patrouilles "motorisées", notre camionnette fut
prise sous le tir et mon cousin Edekins fut
grièvement touché à la cuisse et au bras: je dus
pendant près d'une heure, comprimer l'artère
fémorale de mes deux pouces en attendant qu'on
vienne nous secourir. Sur ces entrefaites, le
groupe Rodolphe auquel j'étais rattaché, fut
chargé d'appuyer la Résistance locale pour chasser
définitivement les Allemands de Levens; notre
attaque sur la Roquette;et Levens commença dans la
nuit du 24 au 25 août. J'étais chargé de contrôler
le débouché du sentier qui monte du Plan du Var et
j'avais derrière mon groupe une compagnie des
F.F.I. pour assurer mon repli. Nous commençions à
explorer le terrain sur les hauteurs; j'avais
laissé passer sans les tirer deux allemands en
side-car lorsque Noël Cadopi que j'avais envoyé en
estafette à un de mes adjoints, Rossi le
garde-forestier, se trouva nez-à-nez avec une
patrouille ennemie: sa mitraillette s'enraya et il
était à deux doigts d'être proprement fusillé
lorsque je pus le délivrer en les prenant à revers
et en descendant la demi-douzaine d'Allemands de
la patrouille; ceci à la mitraillette, une Mauser
puissante et précise que j'avais récupérée au
Bancairon. Nous eûmes moins de chance quelques
minutes après: la compagnie qui devait assurer nos
arrières s'était repliée sans crier gare et nous
sommes tombés inopinément sur un autre groupe
d'Allemands: le secteur qui contrôlait le début du
chemin vers Plan du Var en grouillait
littéralement. Nous ne pûmes nous échapper qu'en
sautant dans les fourrés qui bordaient le chemin
et en essayant, tant bien que mal de nous éloigner
de ce point chaud. Certains membres de mon équipe
restèrent cachés toute la journée sans bouger,
entendant les Allemands à leur recherche; les
autres purent descendre vers la Vésubie par la
falaise, s'aidant à l'occasion de leurs ceinturons
mis bout à bout; c'est au cours de cette descente
que Lucien se blessa grièvement: sa fracture de la
colonne vertébrale devait entraîner sa mort
quelques années plus tard. Nous avons fini par
nous regrouper à Plan-du-Var pendant que les
Américains qui étaient arrivés entre-temps sur
l'autre rive, bombardaient les positions
allemandes que nous avions vainement attaquées, et
dont Malherbe leur avait indiqué l'emplacement.
Suivit une brève période d'accalmie au cours de
laquelle pourtant, l'Hôtel Cassini, qui nous
hébergeait, fut très endommagé par l'explosion
d'une grenade Gammon maladroitement manipulée par
un jeune médecin du groupe Lorrain. Le récit du
Sous-lieutenant Cavenago André, dans le livre de
Sapin "Méfiez-vous du Toréador" (page 350) décrit
fidèlement cet accident: "Nous sommes dans la
fameuse salle à manger où Sedan, un jeune médecin
de la compagnie Lorrain manipule une grenade
Gammon en expliquant que, du moment où le capuchon
n'est pas dévissé et que la tresse qui entoure le
col n'est pas déroulée, le percuteur ne peut pas
agir et on peut taper dessus "comme on veut". Je
suis en train de lui dire: "Méfiez-vous, Toubib,
avec ces engins, il ne faut pas s'amuser..."
lorsque Lorrain vient me chercher en me demandant
de l'accompagner pour ramener quelques fûts
d'essences. Nous partons dans une traction avant
et nous sommes à peine parvenus au Pont Durandy, à
quelques cent mètres de l'Hôtel, qu'une violente
explosion retentit. Demi-tour immédiat. "A
l'hôtel, le spectacle est atroce, du sang partout,
le médecin déchiqueté, Dubeau, Merlin, blessés
sont évacués sur l'hôpital de Puget-Théniers,
ainsi que Imbert et Bacle. Je demeurais le seul
responsable de la zone Tinée-Vésubie.
ÉPILOGUE
Le lendemain, 27 août
1944, au soir, les Américains franchissaient le
Var sur un pont de fortune à Saint-Laurent. Les
Résistants avaient définitivement libéré Levens et
l'insurrection éclatait à Nice qui était libérée
le lendemain par ses propres efforts. Sapin
installait son Etat-Major à l'Hôtel Atlantic. Je
ne l'y avais pas suivi, préférant d'abord
récupérer les quatre hommes que j'avais laissés au
dessous de Plan-du-Var, puis, lorsqu'ils nous
eurent rejoints, poursuivre avec mon groupe les
actions de harcèlement contre les Allemands
réfugiés dans la Haute-Vésubie et qui étaient en
train de préparer un réduit frontalier autour de
l'Authion;(qu'ils tiendront jusqu'en avril 1945).
Je dus, malgré tout, rejoindre Grasse pour faire
fonction d'instructeur dans le centre que Sapin
avait organisé pour les éléments hétéroclites qui
nous rejoignaient maintenant chaque jour ou nous
avaient rejoints ces dernières semaines. Sapin
voulait en former des "Bataillons Réguliers" qui,
plus tard, seraient intégrés à l'armée De Lattre
de Tassigny. Granier, Tilly et Dautremer étaient
instructeurs avec moi. L'aventure était terminée.
Le métier militaire reprenait ses droits. J'avais
été nommé Lieutenant "deux galons" et ma
nomination figurait au Journal Officiel de la
République. On m'affecta au 141e régiment
d'infanterie à Aubagne, puis à Digne où je fis à
nouveau fonction d'instructeur de tir et de
minage-déminage. Je fus ensuite muté à Marseille
comme responsable de la Compagnie nourricière du
141e et finalement à Strasbourg au Régiment des
"Diables Rouges" où je restai jusqu'à ma
nomination de Capitaine et mon départ en
Indochine, le 1er juillet 1951. Je ne le savais
pas encore, mais ces trois galons allaient être
mon bâton de maréchal. La grande aventure avait
duré moins de deux ans... mais quelles années!
Elles avaient marqué ma vie à jamais et il faut
bien dire que les habitudes de cette vie libre et
dangereuse que j'avais acquises n'étaient
peut-être pas la meilleure préparation à mon
intégration dans la hiérarchie militaire. Peu
importe. Je m'étais bien amusé! |