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: Saturday, June 27th, 2015 
             


L'oeuvre de Michel El Baze: Les guerres du XXe siècle à travers les témoignages oraux   

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Capitaine GASTON Roger
Je choisis le maquis

GUERRE d’ALGERIE
Lien extérieur: TAMELAHT

 


POSTFACE de Michel EL BAZE

  Troublé dès 1958 par la politique de la Métropole en Algérie, le Capitaine Gaston Roger engagé volontaire évadé de guerre résistant Officier de la Légion d’Honneur prend le maquis avec ses Harkis contre son Pays. Les Pieds noirs vibreront à la lecture du douloureux témoignage de ce patriote désemparé à qui ils adresseront, j’en suis sûr, leurs affectueuses pensées.   Disturbed from 1958 by the policy of the Metropolis in Algeria, the Captain Gaston Roger committed volunteer fugitive of war resistant Officer of the Legion of Honor takes the maquis with his Harkis against his Country. Black Feet will vibrate to the perusal of the painful testimony of this leaves patriot to who they address, I am sure, their affectionate thinks.   Beunruhigt seit 1958 durch die Politik der Metropole in Algerien, geht Capitaine Gaston Roger Kriegsfreiwilliger Flüchtiger des Krieges Widerstandskämpfer Offizier der Légion d'Honneur in den Widerstand mit seinen Harki gegen sein Land. Die Pieds noirs werden bei der Lektüre des schmerzhaften Zeugnisses dieses verzweifelten Patrioten erschüttert sein, dem sie, ich bin dessen sicher, ihre aufrichtigen Gefühle zuwenden werden.

 

 

Commando de Chasse "Partisan 4" 
Je choisis le maquis

  L’histoire, que les plus humbles comme les plus grands écrivent chaque jour, a besoin du témoignage de tous. C’est le devoir de chacun d’écrire ce qu’il fit, ce qu’il vit au cours de ces années terribles qui arrachèrent à la Patrie l’honneur par lambeaux et son héritage par morceaux.   Ainsi moi-même, GASTON Roger, ex-capitaine d’infanterie, né le 27 octobre 1920 à Paris 9e, engagé volontaire en 1938, évadé de guerre, Résistant-maquisard, titulaire de douze titres de guerre, ex-officier de la Légion d’Honneur, en toute objectivité, sans complexe de culpabilité devant mes concitoyens, je rassemble ces quelques feuillets afin qu’ils conservent mon témoignage pour que, demain, sous la pression de milliers d’autres semblables, soit revue et corrigée la relation officielle des événements depuis 1958. J’avoue avoir perdu beaucoup des illusions qui me conduisirent de Norvège à l’Algérie par l’Indochine et d’autres propriétés de Papa. Je crains d’avoir fait une des dernières retraites de l’homme libre. Sans doute, les générations futures, caporalisées, collectivisées, "nationalisées", acquerront une seconde nature qu’elles subiront jusqu’à ce qu’une troisième habitude leur soit à son tour imposée par les circonstances. Mais je n’aurai pas voulu, pas plus que laissé faire cela. Toujours choqué par le drame algérien, j’accuse ceux qui acceptèrent avoir tourné la page, d’en avoir refusé la lecture, ou d’analphabétisme. Sur cette page, il y a la menace vieille comme le monde : "malheur au vaincu!" C’est la loi de la nature. Un des deux mille Français entièrement à part (suivant l’expression consacrée) depuis vingt-quatre mois; au nom du Peuple, je ne saurai oublier que dix-sept millions de bulletins lâchement soulagés, en avril 1962, ont fait de nous des parias, ainsi que des millions des nôtres, des exilés, des déportés, des asservis. Bien que parmi les vainqueurs des vainqueurs, je suis prisonnier des vaincus parce que condamné à 5 ans d’emprisonnement pour avoir commandé un maquis en Algérie, plus précisément dans la région de Bouira, en Kabylie. Par la suite, ayant refusé de supporter toute atteinte à la dignité humaine, de prison en prison, par punition, je suis arrivé à Valence. Dans ces lignes, je n’ai pas la prétention de faire tout l’historique du problème Algérien, ni le procès de ceux qui me tiennent dans leurs fers. De tous ces événements, je ne connais actuellement qu’une partie. Celle que j’ai mesurée à la fatigue, à la soif de mes hommes, à la longueur des pistes, parmi les rocs, les chênes, les oliviers, les cèdres de Kabylie, au cours des nuits de marche ou d’embuscade, des aubes d’attaque, des soirs de deuil. Je veux exprimer la détresse qui m’étreint lorsque je me retourne sur une fraction de ma vie passée au milieu d’hommes, mes frères, que, pour raison d’état, le pouvoir m’a fait assassiner par complicité. De plus, il n’est pas de jour que des injures nous soient adressées par certains qui se veulent grands et généreux.   Quand les Français intelligents comprendront-ils que l’O.A.S. ne fut qu’un mythe ? Quand voudront voir les plus partiaux d’entre eux, en ce sigle, le dernier espoir d’un million des nôtres acculé par le régime au cercueil ou à la valise ? Quand aura-t’on fini de juger coupables ceux qui ne furent que vaincus ?   Cette histoire est aussi celle de centaines de capitaines.   Rentré d’Indochine en 1954 et affecté au 22è Bataillon de Chasseurs Alpins, à la tête de la 2ème compagnie, je suis reparti vers l’A.F.N. en septembre 1955. Depuis cette date, d’abord au Maroc Oriental, puis en Kabylie jusqu’à ce que je sois fait prisonnier le 10 mai 1962, j’ai combattu pour que l’Algérie demeurât française. Au journal de marche de mon commando : 24 morts, plus de 60 blessés, 5 Médailles Militaires, plus de 150 citations, des centaines de H.L.L. mis hors de combat, illustrèrent plus de six ans de campagne. Mon commando, fin 1961, composé pour moitié de Chasseurs du contingent, était complété avec des Harkis recrutés sur place. Dès 1957, réalisant que priver l’organisation rebelle de son ravitaillement, du renseignement, était le premier objectif à atteindre, je regroupai à Tikjda tous les habitants des hameaux épars dans la montagne. Tikjda, station de sports d’hiver et estivale en plein Djurjura, à 30 km de Bouira, et située sur le territoire des douars Haizer et Tighrempt, fut ainsi occupé, pavillons et hôtels appartenant aux Européens, par les familles de ceux chez qui je recrutai mes premiers Harkis. Par parenthèse, je signale que ce regroupement prit spontanément le nom d’Ouled Gaston, ce qui signifie "les Enfants de Gaston".   Lorsque, le 1er août 1958, mon unité devint entièrement opérationnelle, relevée de toute servitude territoriale, et que je changeai de cantonnement pour m’installer dans une ferme en ruines à 3 km au nord de Bouira, certains me suivirent et je les intégrai aux nouvelles harkas que je créai à partir d’éléments du Douar Errich. Inlassablement, au cours de mes missions, je recherchai, sur ordre, les anciens militaires de l’Armée d’Afrique, d’Indochine, les montagnards solides, afin que les Chasseurs voient à leurs côtés lutter leurs compatriotes Kabyles. Alors que mes Chasseurs du contingent métropolitain ne restaient que 18 mois au plus avec moi, ces hommes du Djurjura devinrent rapidement, du fait de leur stabilité, de leur connaissance du terrain et de l’ennemi, de leur courage, la principale force de mon commando. Certains, comme le Sergent Fedjki, le Caporal Meliani, vieux soldats dont la retraite assurait les modestes besoins , m’opposèrent bien longtemps leur peu d’exigence, leur aspiration au repos après bien des années à courir l’Italie, la France, l’Allemagne, l’Indochine. Manquant de cadres pour mes harkas, j’insistai, fort des promesses dont on nous abreuvait alors et dont le rappel serait d’une ironie trop amère. Bref, j’étalai les avantages de la Paix Française après ce dernier coup de collier. Tous les arguments furent bons pour les arracher à leurs mechtas et les rejeter dans la tourmente. Ils servirent d’exemple aux plus hésitants. J’eus l’embarras du chois à partir de mai 1958. Il ne fut pas rare de voir succéder dans mon commando le fils au père, le cadet à l’aîné, afin que reste dans la famille la place gardée, gagne-pain peut-être, mais aussi et surtout, fierté de servir comme Français dans une unité d’origine métropolitaine. Confiants en mes paroles et en mes actes, reflets des ordres reçus, ils me suivirent dans toutes les opérations. Plus de 180.000 Harkis et Moghaznis, dans toute l’Algérie, furent ainsi de toutes les peines et de peu de joies. Ils étaient devenus irréversiblement Français à part entière par le sang versé, qu’il fut le leur ou celui de l’ennemi. Aucun décret, ordre ou référendum ne pouvait infirmer cette vérité fondamentale née d’une lutte à mort entre deux conceptions de l’homme. Rejetés, ils devaient mourir.   Après six ans de mensonge, de duplicité, de faux-fuyants, en décembre 1961, il devint flagrant que le pouvoir repoussait l’Algérie avec plus de force encore que l’ennemi n’en employait à nous l’arracher.   J’eus mes premiers soupçons dès I959. Fin août, le Président de la République passa, je ne sus jamais trop pourquoi, de popote en popote. Car il ne voulut rien entendre comme il ne voulut rien dire. Je fus invité à sa table, lors de son passage à Tizi-Ouzou, par le Général Faure. Je compris, au cours de la conversation, par la façon brutale, même grossière avec laquelle il interrompit le plaidoyer pour l’Algérie Française du Général Faure, qu’il avait une arrière-pensée inavouable encore. Ma qualité d’ancien délégué à la propagande du R.P.F. dans les Basses-Alpes, m’aida beaucoup dans l’interprétation de cette attitude. Ce ne furent pas les professions de foi de Mr Delouvrier, après que le général se fût retiré pour la nuit, qui me firent oublier la mine grave, le regard triste des Généraux Challe, Massu, Faure, entre autres.   Déjà le malaise avait rongé la confiance. Au soulèvement du 22 avril 1961 contre l’abandon, j’étais en permission en Métropole. En juillet 1961, au cours d‘une opération sur les crêtes du Djurjura, j’interceptai un groupe de H.L.L. se rendant en Tunisie. Parmi les ennemis hors de combat, mortellement atteint, se trouvait Si Salah, ancien commandant de la Willaya IV, qui devait décéder une heure après sa récupération sur le terrain. Les quelques mots qu’il put prononcer sur la duplicité de De Gaulle, et l’amertume avec laquelle il le rendit responsable de sa mort, grandirent encore en moi la certitude que notre sort était confié à un criminel. Je ne parlai jamais de ces révélations. Le Général Simon, alors commandant de la Z.E.A. m’ayant paru très agité par la mort de Si Salah sur son territoire. Il me dit, m’ayant convoqué au P.C. de la Division, qu’il craignait que l’opinion publique y voit un assassinat déguisé en opération, par le fait qu’il participa aux pourparlers de Lugrin en 1960... et que nous étions en pleine période d’arrêt unilatéral des opérations offensives. J’avoue qu’à l’époque, je ne compris rien aux réactions du Général Simon, mais depuis, depuis, j’ai rencontré, en concentration à Fresnes lui aussi, le lieutenant musulman qui fut le guide et l’interprète de Si Salah au cours des prises de contact puis de son voyage incognito à Paris, venant offrir la reddition de deux Willayas. Toujours est-il que, pour montrer sa bonne foi, le Général Simon monta une opération héliportée, quarante-huit heures plus tard, afin que je récupère le corps de Si Salah. Après l’avoir fait mettre dans un cercueil (!) il le fit enterrer à Bouira au cimetière du Fort Turc. Les semaines passant, la suspicion s’installa en maîtresse au sein de l’Armée. Les réunions de Corps devinrent silencieuses, chacun n’osant exprimer sa pensée par crainte qu’elle ne fut mal interprétée. Sur le terrain, mes commandos, avec une sorte de frénésie, multipliaient sorties, embuscades, raids, obtenant des résultats magnifiques malgré la raréfaction de l’ennemi. Je couvris de mines et d’actions offensives une surface de plus en plus grande du secteur, à la recherche d’un ennemi pratiquement détruit, dont les rares survivants se terraient aux abois. Mes Harkis m’interrogeaient sans relâche, étonnés des bruits qui couraient d’accord avec le F.L.N. Que pouvais-je leur répondre ? Je souffrais déjà physiquement de cette trahison, recherchant la consolation précaire dans la pensée, après chaque combat, que tout fellagha tué était un interlocuteur valable en moins. Un jour de décembre 1961, je reçus l’ordre de renvoyer chez eux, par fractions, ces éléments de mon commando. J’ai vu pleurer des soldats qui, en Tunisie, en Italie, en Indochine, et avec moi en Kabylie, certains depuis six ans, cités, blessés, héroïquement avaient combattu pour l’honneur de nos armes et pour rester mes enfants. Et j’ai pleuré aussi, car pour beaucoup d’entre eux, j’avais usé de mots ronflants, de grands gestes, de toute mon influence pour les amener à reprendre les armes encore une fois pour la même cause, celle de la plus grande France. Alors ma décision fut prise. Je savais qu’il ne nous restait plus une chance sur mille de sauver l’Algérie. Je décidais de rester parmi eux, vivant leur vie, partageant leur sort, acceptant de mourir, tant j’étais dégoûté et las de mon pays, et pour ne pas être parjure. Pressentant que je n’accepterais pas la politique d’abandon, le commandement civil gaulliste de Bouira (Sous-préfet Salmon et Administrateur Ossola) monta alors un complot de toutes pièces en accord avec mon Chef de Corps le Commandant Bley (sortant tout droit du cabinet de Mesmer). Le Général Simon, trompé ou non, je n’en sais rien encore, m’ordonna de choisir le 22 Février 1962 entre les arrêts de forteresse et le "rapatriement" immédiat sur ma demande.  

Je choisis le maquis    
Commando de Chasse "Partisan 4"
Après une première et courte période au cours de laquelle je connus un demi-échec, par manque d’organisation, ayant été pris de court par mon nouvel ennemi, je reformai mon maquis sur de nouvelles bases. Durant deux mois, mes anciens Harkis me cachèrent, me ravitaillèrent et me renseignèrent. Eux attendaient de moi un miracle que j’attendais de Dieu. Mais, comme dit "l’autre", l’heureuse issue du drame algérien m’enchaîna et précipita leurs souffrances. Aux dernières nouvelles, 31 d’entre eux ont été éventrés, égorgés, fusillés, bouillis ou brûlés entre le 1er juin et le 1er août 1962. (La liste de ces martyrs n’est certainement pas close, hélas.) Comment pourrais-je pardonner pareils crimes, fussent-ils perpétrés pour la raison d’état ? Comment pourrais-je retrouver la paix, arracher de ma mémoire les mille souvenirs qui me lient à ceux que j’ai abandonnés ? Comment regarderais-je l’avenir, bien que légalement innocent du crime de génocide dont l’Histoire me fera porter le poids comme officier français ? 
  En prenant le maquis le 25 février I962, j’ai dénoncé ce crime monstrueux dont une nation prenait, par omission, la responsabilité. L’information dirigée m’a traitée d’officier félon (ô ironie), de bandit, d’assassin, de fasciste, moi, résistant et maquisard de 1943. Je n’ai de sang français sur les mains que le mien et celui de mes hommes, versé sous bien des cieux du monde sans autre esprit que de le bien faire payer à l’ennemi.   La liberté ne me rendra pas l’Algérie. L’amnistie ne me rendra pas mes morts, mes blessés, certains atrocement. Inlassablement, mon esprit erre à travers la Kabylie. Par lui, je vais de croix en croix, où ils sont tombés, suivant un terrible chemin d’amertume, de doute et de regret. La grâce présidentielle ne me rendra pas l’honneur de la France, pas l’oubli, pas le sourire, en moi, de ceux qui torturés après le 1er juin par les Fels, dans leur dernier hurlement m’ont maudit. Car j’étais la France pour eux, non pas du fait du prince dont se sert certain, mais par leur foi en un capitaine de l’Armée Française, leur chef durant tant d’années, parmi eux pour le meilleur et pour le pire.   Caché, à partir du 1er avril, j’ai vu les autorités civiles et militaires dans le secteur de Bouira, imposer le F.L.N. aux populations déroutées. J’ai mesuré le temps qui me restait avant d’être pris par la pénétration ennemie dans un secteur où ne survivaient pas 50 H.L.L. en armes sur plus de trois mille, avant que la peur ne changea de camp. J’ai vu effectuer le désarmement des autodéfenses pour assurer plus facilement cette pénétration dans les zones réfractaires. J’ai écouté des discours du sous-préfet de Bouira menaçant ceux qui ne pavoisaient pas aux couleurs blanches et vertes avant le 1er mai. J’ai assisté, clandestin, au regroupement des forces françaises abandonnant aux tueurs revenant de Tunisie, en une demi-journée, des douars entiers. J’ai soigné un partisan M.N.A. (Mouvement Nationaliste Algérien tendance nationaliste modérée), ayant réussi à s’échapper d’un ancien poste au nord d’El Adjiba, transféré intact aux rebelles. Ce partisan me dit que ce fut devant un gradé de gendarmerie qu’il fut torturé (4 dents et un doigt brisés) pour lui faire avouer la position de mon refuge. Pourchassé de cache en cache, vivant comme ceux que j’avais tant poursuivis, traqué par les forces régulières et fellagha réunies, j’ai contemplé, désespéré, l’écroulement de six ans de pacification et le déchaînement en haines, en vengeances, en instincts grégaires d’une minorité, qui, par le couteau, trancha 130 ans de civilisation. Parce que cohéritier de cette civilisation, j’ai défendu la France de 1955 au IO mai 1962 avec la même passion, pour les mêmes raisons que de 1939 au 8 mai 1945. A vingt ans, je me suis battu, j’ai pris le maquis pour libérer le sol national, libérer l’Alsace Lorraine qu’on voulait nous voler. A quarante ans, j’ai lutté pour libérer l’Algérie de la peur, du racisme, du panarabisme et de leurs collaborateurs blancs et autres, et garder 15 départements qu’on voulait nous voler. Sans famille et sans biens là-bas, j’ai défendu l’intégrité du territoire, l’honneur de la Patrie et le mien. Qu’un jour, les couteaux définitivement oubliés au vestiaire, aurait dû être mise en place une autonomie partielle puis complète, possible. Que cette autonomie aurait débouché sur une totale indépendance en garantissant effectivement les droits de toutes les minorités, qu’elles fussent raciales ou confessionnelles, si l’intégration ne pouvait être effectuée, possible encore ? Pour ma part, j’ai cru, je crois, je croirai toujours que l’Algérie Française pouvait vivre.   Mais pas ça ! Par ce que les générations à venir, des deux côtés de la Méditerranée nous reprocheront lorsque les égoïsmes, les lâches soulagements, les appétits du pouvoir, auront été oblitérés par le temps. Pas de ces Pâques sanglantes souillant une armée passive, une nation démissionnaire, après une capitulation déshonorante. Pas cette prime à la violence, justification du terrorisme le plus atroce, le plus bestial, le plus fort parce que le plus primitif. Pas ce racisme fanatique arabe dédouané par le racisme gaullien. Pas ces tribunaux d’exception, créé par le même décret d’élargissement des tortionnaires et égorgeurs fellaghas, afin que certains d’entre eux y siègent, déshonorant la justice. Pas ces cimetières désertés qu’aucun Pied-Noir n’approchera plus jamais, qu’aucune main blanche jamais plus n’entretiendra. Pas ces prisons où les hurlements de nos disparus sont étouffés par la surdité du régime. Et plus tard, en métropole, pas de ces geôles politiques où De Gaulle cherche à arracher leur personnalité à ceux qui y sont jetés par quatre, voire six, même sept, 23 heures sur 24, dans des taudis, véritables basses-fosses de 3,60 sur 3,10 sans table ni siège. Pas des réponses désabusées ou ironiques de la Croix-Rouge, Ligue des Droits de l’Homme, et autres organismes aux appels à la conscience humaine.   On a appelé à la raison d’état, au bon plaisir, au fait du prince, au racisme nationaliste, aux révisions déchirantes, au bon sens, à l’intérêt financier, au crépuscule d’un peuple pour motiver cet abandon. Mille masques pour une seule honte. On a détruit en moi ce qu’il y avait de plus beau dans l’esprit d’un soldat, le respect à la parole donnée, sa foi en son combat de toujours pour repousser l’horizon autour de son pavillon, et le refus d’amener ce pavillon, si ce n’est pour en faire un linceul. Il peut être fait usage de ces lignes. Elles peuvent être divulguées en témoignage, comme jetées à l’oubli. Je les ai vécues avant de les écrire, je n’ai pas plus peur de l’avenir que honte de mon passé. Je me regarde toujours en face, sans rougir, ce que ne peuvent faire tous les officiers ayant encore leur nom dans l’annuaire. Il faut avoir au front commencé sa carrière et pleuré chaque pas d’abandon de rizière, de djebel; il faut avoir souffert dans sa propre chair la mort de chacun de ses soldats; il faut avoir de faux dieux tenté de tenir les serments, avoir donné son cœur, sans le monnayer, pour comprendre pourquoi nous avons essayé ce qu’un peuple vaincu nous enviera demain. Jusqu’à ma mort, et joint à d’autres combats semblables que l’avenir nous réserve, à l’aube desquels nos prisons s’ouvriront, je garderai indéfectiblement unis le sens de la guerre victorieuse d’avant-hier et celui de la bataille perdue d’hier. S’il plaît à Dieu que cette bataille perdue soit une guerre morte, les youyou d’Alger sont le glas de la France.   Oui, je sais. C’est de la littérature sentimentale pour midinette, avec des mots de quatre sous, comme me l’a dit mon juge le 4 janvier I963. Mais, C’est avec des mots comme ceux là que l’on m’a recruté pour défendre la France, comme en 1914, en 1870, en 1789 le furent nos ancêtres. C’est avec des mots comme ceux-là que j’ai, durant Vingt ans, recruté des cœurs, des tripes et des bras pour servir la France. C’est avec des mots comme ceux-là que j’ai tué mes Chasseurs et assassiné mes Harkis.
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Valence, le 30 avril 1964