|
POSTFACE de Michel EL BAZE
Troublé dès 1958 par la politique de la Métropole
en Algérie, le Capitaine Gaston Roger engagé volontaire
évadé de guerre résistant Officier de la Légion d’Honneur
prend le maquis avec ses Harkis contre son Pays. Les Pieds
noirs vibreront à la lecture du douloureux témoignage de
ce patriote désemparé à qui ils adresseront, j’en suis
sûr, leurs affectueuses pensées.
Disturbed
from 1958 by the policy of the Metropolis in Algeria,
the Captain Gaston Roger committed volunteer fugitive
of war resistant Officer of the Legion of Honor takes
the maquis with his Harkis against his Country. Black
Feet will vibrate to the perusal of the painful
testimony of this leaves patriot to who they address,
I am sure, their affectionate thinks.
Beunruhigt seit 1958 durch die
Politik der Metropole in Algerien, geht Capitaine
Gaston Roger Kriegsfreiwilliger Flüchtiger des
Krieges Widerstandskämpfer Offizier der Légion
d'Honneur in den Widerstand mit seinen Harki gegen
sein Land. Die Pieds noirs werden bei der Lektüre
des schmerzhaften Zeugnisses dieses verzweifelten
Patrioten erschüttert sein, dem sie, ich bin
dessen sicher, ihre aufrichtigen Gefühle zuwenden
werden.
Commando
de Chasse "Partisan 4"
Je choisis le maquis
L’histoire, que les plus humbles
comme les plus grands écrivent chaque jour, a besoin
du témoignage de tous. C’est le devoir de chacun
d’écrire ce qu’il fit, ce qu’il vit au cours de ces
années terribles qui arrachèrent à la Patrie
l’honneur par lambeaux et son héritage par morceaux.
Ainsi moi-même, GASTON Roger, ex-capitaine
d’infanterie, né le 27 octobre 1920 à Paris 9e, engagé
volontaire en 1938, évadé de guerre, Résistant-maquisard,
titulaire de douze titres de guerre, ex-officier de la
Légion d’Honneur, en toute objectivité, sans complexe de
culpabilité devant mes concitoyens, je rassemble ces
quelques feuillets afin qu’ils conservent mon témoignage
pour que, demain, sous la pression de milliers d’autres
semblables, soit revue et corrigée la relation officielle
des événements depuis 1958. J’avoue avoir perdu beaucoup
des illusions qui me conduisirent de Norvège à l’Algérie
par l’Indochine et d’autres propriétés de Papa. Je crains
d’avoir fait une des dernières retraites de l’homme libre.
Sans doute, les générations futures, caporalisées,
collectivisées, "nationalisées", acquerront une seconde
nature qu’elles subiront jusqu’à ce qu’une troisième
habitude leur soit à son tour imposée par les
circonstances. Mais je n’aurai pas voulu, pas plus que
laissé faire cela. Toujours choqué par le drame algérien,
j’accuse ceux qui acceptèrent avoir tourné la page, d’en
avoir refusé la lecture, ou d’analphabétisme. Sur cette
page, il y a la menace vieille comme le monde :
"malheur au vaincu!" C’est la loi de la nature. Un des
deux mille Français entièrement à part (suivant
l’expression consacrée) depuis vingt-quatre mois; au nom
du Peuple, je ne saurai oublier que dix-sept millions de
bulletins lâchement soulagés, en avril 1962, ont fait de
nous des parias, ainsi que des millions des nôtres, des
exilés, des déportés, des asservis. Bien que parmi les
vainqueurs des vainqueurs, je suis prisonnier des vaincus
parce que condamné à 5 ans d’emprisonnement pour avoir
commandé un maquis en Algérie, plus précisément dans la
région de Bouira, en Kabylie. Par la suite, ayant refusé
de supporter toute atteinte à la dignité humaine, de
prison en prison, par punition, je suis arrivé à Valence.
Dans ces lignes, je n’ai pas la prétention de faire tout
l’historique du problème Algérien, ni le procès de ceux
qui me tiennent dans leurs fers. De tous ces événements,
je ne connais actuellement qu’une partie. Celle que j’ai
mesurée à la fatigue, à la soif de mes hommes, à la
longueur des pistes, parmi les rocs, les chênes, les
oliviers, les cèdres de Kabylie, au cours des nuits de
marche ou d’embuscade, des aubes d’attaque, des soirs de
deuil. Je veux exprimer la détresse qui m’étreint lorsque
je me retourne sur une fraction de ma vie passée au milieu
d’hommes, mes frères, que, pour raison d’état, le pouvoir
m’a fait assassiner par complicité. De plus, il n’est pas
de jour que des injures nous soient adressées par certains
qui se veulent grands et généreux.
Quand les Français intelligents
comprendront-ils que l’O.A.S. ne fut qu’un
mythe ? Quand voudront voir les plus partiaux
d’entre eux, en ce sigle, le dernier espoir d’un
million des nôtres acculé par le régime au cercueil
ou à la valise ? Quand aura-t’on fini de juger
coupables ceux qui ne furent que vaincus ?
Cette histoire est aussi celle de centaines de
capitaines. Rentré d’Indochine en 1954 et affecté au 22è
Bataillon de Chasseurs Alpins, à la tête de la 2ème
compagnie, je suis reparti vers l’A.F.N. en septembre
1955. Depuis cette date, d’abord au Maroc Oriental, puis
en Kabylie jusqu’à ce que je sois fait prisonnier le 10
mai 1962, j’ai combattu pour que l’Algérie demeurât
française. Au journal de marche de mon commando : 24
morts, plus de 60 blessés, 5 Médailles Militaires, plus de
150 citations, des centaines de H.L.L. mis hors de combat,
illustrèrent plus de six ans de campagne. Mon commando,
fin 1961, composé pour moitié de Chasseurs du contingent,
était complété avec des Harkis recrutés sur place. Dès
1957, réalisant que priver l’organisation rebelle de son
ravitaillement, du renseignement, était le premier
objectif à atteindre, je regroupai à Tikjda tous les
habitants des hameaux épars dans la montagne. Tikjda,
station de sports d’hiver et estivale en plein Djurjura, à
30 km de Bouira, et située sur le territoire des douars
Haizer et Tighrempt, fut ainsi occupé, pavillons et hôtels
appartenant aux Européens, par les familles de ceux chez
qui je recrutai mes premiers Harkis. Par parenthèse, je
signale que ce regroupement prit spontanément le nom
d’Ouled Gaston, ce qui signifie "les Enfants de Gaston". Lorsque, le 1er août 1958, mon unité devint
entièrement opérationnelle, relevée de toute servitude
territoriale, et que je changeai de cantonnement pour
m’installer dans une ferme en ruines à 3 km au nord de
Bouira, certains me suivirent et je les intégrai aux
nouvelles harkas que je créai à partir d’éléments du Douar
Errich. Inlassablement, au cours de mes missions, je
recherchai, sur ordre, les anciens militaires de l’Armée
d’Afrique, d’Indochine, les montagnards solides, afin que
les Chasseurs voient à leurs côtés lutter leurs
compatriotes Kabyles. Alors que mes Chasseurs du
contingent métropolitain ne restaient que 18 mois au plus
avec moi, ces hommes du Djurjura devinrent rapidement, du
fait de leur stabilité, de leur connaissance du terrain et
de l’ennemi, de leur courage, la principale force de mon
commando. Certains, comme le Sergent Fedjki, le Caporal
Meliani, vieux soldats dont la retraite assurait les
modestes besoins , m’opposèrent bien longtemps leur peu
d’exigence, leur aspiration au repos après bien des années
à courir l’Italie, la France, l’Allemagne, l’Indochine.
Manquant de cadres pour mes harkas, j’insistai, fort des
promesses dont on nous abreuvait alors et dont le rappel
serait d’une ironie trop amère. Bref, j’étalai les
avantages de la Paix Française après ce dernier coup de
collier. Tous les arguments furent bons pour les arracher
à leurs mechtas et les rejeter dans la tourmente. Ils
servirent d’exemple aux plus hésitants. J’eus l’embarras
du chois à partir de mai 1958. Il ne fut pas rare de voir
succéder dans mon commando le fils au père, le cadet à
l’aîné, afin que reste dans la famille la place gardée,
gagne-pain peut-être, mais aussi et surtout, fierté de
servir comme Français dans une unité d’origine
métropolitaine. Confiants en mes paroles et en mes actes,
reflets des ordres reçus, ils me suivirent dans toutes les
opérations. Plus de 180.000 Harkis et Moghaznis, dans
toute l’Algérie, furent ainsi de toutes les peines et de
peu de joies. Ils étaient devenus irréversiblement
Français à part entière par le sang versé, qu’il fut le
leur ou celui de l’ennemi. Aucun décret, ordre ou
référendum ne pouvait infirmer cette vérité fondamentale
née d’une lutte à mort entre deux conceptions de l’homme.
Rejetés, ils devaient mourir.
Après six ans de mensonge, de
duplicité, de faux-fuyants, en décembre 1961, il
devint flagrant que le pouvoir repoussait l’Algérie
avec plus de force encore que l’ennemi n’en
employait à nous l’arracher.
J’eus mes premiers soupçons dès I959. Fin août,
le Président de la République passa, je ne sus jamais trop
pourquoi, de popote en popote. Car il ne voulut rien
entendre comme il ne voulut rien dire. Je fus invité à sa
table, lors de son passage à Tizi-Ouzou, par le Général
Faure. Je compris, au cours de la conversation, par la
façon brutale, même grossière avec laquelle il interrompit
le plaidoyer pour l’Algérie Française du Général Faure,
qu’il avait une arrière-pensée inavouable encore. Ma
qualité d’ancien délégué à la propagande du R.P.F. dans
les Basses-Alpes, m’aida beaucoup dans l’interprétation de
cette attitude. Ce ne furent pas les professions de foi de
Mr Delouvrier, après que le général se fût retiré pour la
nuit, qui me firent oublier la mine grave, le regard
triste des Généraux Challe, Massu, Faure, entre autres. Déjà le malaise avait rongé la confiance. Au
soulèvement du 22 avril 1961 contre l’abandon, j’étais en
permission en Métropole. En juillet 1961, au cours d‘une
opération sur les crêtes du Djurjura, j’interceptai un
groupe de H.L.L. se rendant en Tunisie. Parmi les ennemis
hors de combat, mortellement atteint, se trouvait Si
Salah, ancien commandant de la Willaya IV, qui devait
décéder une heure après sa récupération sur le terrain.
Les quelques mots qu’il put prononcer sur la duplicité de
De Gaulle, et l’amertume avec laquelle il le rendit
responsable de sa mort, grandirent encore en moi la
certitude que notre sort était confié à un criminel. Je ne
parlai jamais de ces révélations. Le Général Simon, alors
commandant de la Z.E.A. m’ayant paru très agité par la
mort de Si Salah sur son territoire. Il me dit, m’ayant
convoqué au P.C. de la Division, qu’il craignait que
l’opinion publique y voit un assassinat déguisé en
opération, par le fait qu’il participa aux pourparlers de
Lugrin en 1960... et que nous étions en pleine période
d’arrêt unilatéral des opérations offensives. J’avoue qu’à
l’époque, je ne compris rien aux réactions du Général
Simon, mais depuis, depuis, j’ai rencontré, en
concentration à Fresnes lui aussi, le lieutenant musulman
qui fut le guide et l’interprète de Si Salah au cours des
prises de contact puis de son voyage incognito à Paris,
venant offrir la reddition de deux Willayas. Toujours
est-il que, pour montrer sa bonne foi, le Général Simon
monta une opération héliportée, quarante-huit heures plus
tard, afin que je récupère le corps de Si Salah. Après
l’avoir fait mettre dans un cercueil (!) il le fit
enterrer à Bouira au cimetière du Fort Turc. Les semaines
passant, la suspicion s’installa en maîtresse au sein de
l’Armée. Les réunions de Corps devinrent silencieuses,
chacun n’osant exprimer sa pensée par crainte qu’elle ne
fut mal interprétée. Sur le terrain, mes commandos, avec
une sorte de frénésie, multipliaient sorties, embuscades,
raids, obtenant des résultats magnifiques malgré la
raréfaction de l’ennemi. Je couvris de mines et d’actions
offensives une surface de plus en plus grande du secteur,
à la recherche d’un ennemi pratiquement détruit, dont les
rares survivants se terraient aux abois.
Mes Harkis m’interrogeaient sans relâche, étonnés
des bruits qui couraient d’accord avec le F.L.N. Que
pouvais-je leur répondre ? Je souffrais déjà
physiquement de cette trahison, recherchant la
consolation précaire dans la pensée, après chaque
combat, que tout fellagha tué était un interlocuteur
valable en moins.
Un jour de décembre 1961, je reçus l’ordre de renvoyer
chez eux, par fractions, ces éléments de mon commando.
J’ai vu pleurer des soldats qui, en Tunisie, en Italie, en
Indochine, et avec moi en Kabylie, certains depuis six
ans, cités, blessés, héroïquement avaient combattu pour
l’honneur de nos armes et pour rester mes enfants. Et j’ai
pleuré aussi, car pour beaucoup d’entre eux, j’avais usé
de mots ronflants, de grands gestes, de toute mon
influence pour les amener à reprendre les armes encore une
fois pour la même cause, celle de la plus grande France.
Alors ma décision fut prise. Je savais qu’il ne nous
restait plus une chance sur mille de sauver l’Algérie. Je
décidais de rester parmi eux, vivant leur vie, partageant
leur sort, acceptant de mourir, tant j’étais dégoûté et
las de mon pays, et pour ne pas être parjure. Pressentant
que je n’accepterais pas la politique d’abandon, le
commandement civil gaulliste de Bouira (Sous-préfet Salmon
et Administrateur Ossola) monta alors un complot de toutes
pièces en accord avec mon Chef de Corps le Commandant Bley
(sortant tout droit du cabinet de Mesmer). Le Général
Simon, trompé ou non, je n’en sais rien encore, m’ordonna
de choisir le 22 Février 1962 entre les arrêts de
forteresse et le "rapatriement" immédiat sur ma demande.
Je choisis le maquis
Commando
de Chasse "Partisan 4"
Après une première et courte période au cours de laquelle
je connus un demi-échec, par manque d’organisation, ayant
été pris de court par mon nouvel ennemi, je reformai mon
maquis sur de nouvelles bases. Durant deux mois, mes
anciens Harkis me cachèrent, me ravitaillèrent et me
renseignèrent. Eux attendaient de moi un miracle que
j’attendais de Dieu. Mais, comme dit "l’autre", l’heureuse
issue du drame algérien m’enchaîna et précipita leurs
souffrances. Aux dernières nouvelles, 31 d’entre eux ont
été éventrés, égorgés, fusillés, bouillis ou brûlés entre
le 1er juin et le 1er août 1962. (La liste de ces martyrs
n’est certainement pas close, hélas.) Comment pourrais-je
pardonner pareils crimes, fussent-ils perpétrés pour la
raison d’état ? Comment pourrais-je retrouver la
paix, arracher de ma mémoire les mille souvenirs qui me
lient à ceux que j’ai abandonnés ? Comment
regarderais-je l’avenir, bien que légalement innocent du
crime de génocide dont l’Histoire me fera porter le poids
comme officier français ? En prenant le maquis le 25 février I962, j’ai
dénoncé ce crime monstrueux dont une nation prenait, par
omission, la responsabilité. L’information dirigée m’a
traitée d’officier félon (ô ironie), de bandit,
d’assassin, de fasciste, moi, résistant et maquisard de
1943. Je n’ai de sang français sur les mains que le mien
et celui de mes hommes, versé sous bien des cieux du monde
sans autre esprit que de le bien faire payer à l’ennemi. La liberté ne me rendra pas l’Algérie. L’amnistie
ne me rendra pas mes morts, mes blessés, certains
atrocement. Inlassablement, mon esprit erre à travers la
Kabylie. Par lui, je vais de croix en croix, où ils sont
tombés, suivant un terrible chemin d’amertume, de doute et
de regret. La grâce présidentielle ne me rendra pas
l’honneur de la France, pas l’oubli, pas le sourire, en
moi, de ceux qui torturés après le 1er juin par les Fels,
dans leur dernier hurlement m’ont maudit.
Car j’étais la France pour eux,
non pas du fait du prince dont se sert certain,
mais par leur foi en un capitaine de l’Armée
Française, leur chef durant tant d’années, parmi
eux pour le meilleur et pour le pire.
Caché, à partir du 1er avril, j’ai vu les
autorités civiles et militaires dans le secteur de Bouira,
imposer le F.L.N. aux populations déroutées. J’ai mesuré
le temps qui me restait avant d’être pris par la
pénétration ennemie dans un secteur où ne survivaient pas
50 H.L.L. en armes sur plus de trois mille, avant que la
peur ne changea de camp. J’ai vu effectuer le désarmement
des autodéfenses pour assurer plus facilement cette
pénétration dans les zones réfractaires. J’ai écouté des
discours du sous-préfet de Bouira menaçant ceux qui ne
pavoisaient pas aux couleurs blanches et vertes avant le
1er mai. J’ai assisté, clandestin, au regroupement des
forces françaises abandonnant aux tueurs revenant de
Tunisie, en une demi-journée, des douars entiers. J’ai
soigné un partisan M.N.A. (Mouvement Nationaliste Algérien
tendance nationaliste modérée), ayant réussi à s’échapper
d’un ancien poste au nord d’El Adjiba, transféré intact
aux rebelles. Ce partisan me dit que ce fut devant un
gradé de gendarmerie qu’il fut torturé (4 dents et un
doigt brisés) pour lui faire avouer la position de mon
refuge. Pourchassé de cache en cache, vivant comme ceux
que j’avais tant poursuivis, traqué par les forces
régulières et fellagha réunies, j’ai contemplé, désespéré,
l’écroulement de six ans de pacification et le
déchaînement en haines, en vengeances, en instincts
grégaires d’une minorité, qui, par le couteau, trancha 130
ans de civilisation. Parce que cohéritier de cette
civilisation, j’ai défendu la France de 1955 au IO mai
1962 avec la même passion, pour les mêmes raisons que de
1939 au 8 mai 1945. A vingt ans, je me suis battu, j’ai
pris le maquis pour libérer le sol national, libérer
l’Alsace Lorraine qu’on voulait nous voler. A quarante
ans, j’ai lutté pour libérer l’Algérie de la peur, du
racisme, du panarabisme et de leurs collaborateurs blancs
et autres, et garder 15 départements qu’on voulait nous
voler. Sans famille et sans biens là-bas, j’ai défendu
l’intégrité du territoire, l’honneur de la Patrie et le
mien. Qu’un jour, les couteaux définitivement oubliés au
vestiaire, aurait dû être mise en place une autonomie
partielle puis complète, possible. Que cette autonomie
aurait débouché sur une totale indépendance en
garantissant effectivement les droits de toutes les
minorités, qu’elles fussent raciales ou confessionnelles,
si l’intégration ne pouvait être effectuée, possible
encore ? Pour ma part, j’ai cru, je crois, je croirai
toujours que l’Algérie Française pouvait vivre. Mais pas ça !
Par ce que les générations à
venir, des deux côtés de la Méditerranée nous
reprocheront lorsque les égoïsmes, les lâches
soulagements, les appétits du pouvoir, auront été
oblitérés par le temps. Pas de ces Pâques
sanglantes souillant une armée passive, une nation
démissionnaire, après une capitulation
déshonorante. Pas cette prime à la violence,
justification du terrorisme le plus atroce, le
plus bestial, le plus fort parce que le plus
primitif. Pas ce racisme fanatique arabe dédouané
par le racisme gaullien. Pas ces tribunaux
d’exception, créé par le même décret
d’élargissement des tortionnaires et égorgeurs
fellaghas, afin que certains d’entre eux y
siègent, déshonorant la justice. Pas ces
cimetières désertés qu’aucun Pied-Noir
n’approchera plus jamais, qu’aucune main blanche
jamais plus n’entretiendra. Pas ces prisons où les
hurlements de nos disparus sont étouffés par la
surdité du régime. Et plus tard, en métropole, pas
de ces geôles politiques où De Gaulle cherche à
arracher leur personnalité à ceux qui y sont jetés
par quatre, voire six, même sept, 23 heures sur
24, dans des taudis, véritables basses-fosses de
3,60 sur 3,10 sans table ni siège. Pas des
réponses désabusées ou ironiques de la
Croix-Rouge, Ligue des Droits de l’Homme, et
autres organismes aux appels à la conscience
humaine.
On a appelé à la raison d’état, au bon plaisir,
au fait du prince, au racisme nationaliste, aux révisions
déchirantes, au bon sens, à l’intérêt financier, au
crépuscule d’un peuple pour motiver cet abandon. Mille
masques pour une seule honte. On a détruit en moi ce qu’il
y avait de plus beau dans l’esprit d’un soldat, le respect
à la parole donnée, sa foi en son combat de toujours pour
repousser l’horizon autour de son pavillon, et le refus
d’amener ce pavillon, si ce n’est pour en faire un
linceul. Il peut être fait usage de ces lignes. Elles
peuvent être divulguées en témoignage, comme jetées à
l’oubli. Je les ai vécues avant de les écrire, je n’ai pas
plus peur de l’avenir que honte de mon passé. Je me
regarde toujours en face, sans rougir, ce que ne peuvent
faire tous les officiers ayant encore leur nom dans
l’annuaire. Il faut avoir au front commencé sa carrière et
pleuré chaque pas d’abandon de rizière, de djebel; il faut
avoir souffert dans sa propre chair la mort de chacun de
ses soldats; il faut avoir de faux dieux tenté de tenir
les serments, avoir donné son cœur, sans le monnayer, pour
comprendre pourquoi nous avons essayé ce qu’un peuple
vaincu nous enviera demain. Jusqu’à ma mort, et joint à
d’autres combats semblables que l’avenir nous réserve, à
l’aube desquels nos prisons s’ouvriront, je garderai
indéfectiblement unis le sens de la guerre victorieuse
d’avant-hier et celui de la bataille perdue d’hier. S’il
plaît à Dieu que cette bataille perdue soit une guerre
morte, les youyou d’Alger sont le glas de la France. Oui, je sais. C’est de la littérature
sentimentale pour midinette, avec des mots de quatre sous,
comme me l’a dit mon juge le 4 janvier I963. Mais,
C’est avec des mots comme ceux là
que l’on m’a recruté pour défendre la France,
comme en 1914, en 1870, en 1789 le furent nos
ancêtres. C’est avec des mots comme ceux-là que
j’ai, durant Vingt ans, recruté des cœurs, des
tripes et des bras pour servir la France. C’est
avec des mots comme ceux-là que j’ai tué mes
Chasseurs et assassiné mes Harkis.
#POSTFACE_de_Michel_EL_BAZE
Valence, le 30 avril 1964
|
|