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L'oeuvre
de Michel El Baze: Les guerres du XXe siècle à travers
les témoignages oraux |
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Colonel
(ER) Guy Fradin "Plus d'honneur que d'honneurs" ![]()
Il faut sept ans pour faire un soldat Napoléon Octobre 1940. La batterie Saharienne Portée Mixte dont je faisais partie, vient d'être dissoute. Après deux ans d'entraînement intensif en plein désert, école d'endurance et d'initiative, c'était une magnifique unité, connaissant à fond son métier, capable d'agir et de réagir rapidement et efficacement en toutes circonstances, digne en tous points des grandes traditions Sahariennes. Nous étions tous prêts aux actions les plus hardies et les plus extravagantes, aux limites de l'impossible, Rhadamès et même l’Éthiopie nous semblaient des objectifs à notre portée, fut ce au bout de difficultés et de fatigues extraordinaires. L'Armistice de 1940 nous a surpris d'autant plus que notre potentiel était intact. Sans entamer notre moral, il nous a jetés dans un cruel désarroi, vite surmonté d'ailleurs. Nous ne nous sentions aucunement responsables de la défaite et pour l'artilleur, surtout saharien, l'essentiel a toujours été de ne pas se laisser abattre. Était-il bien nécessaire de dissoudre une telle unité, parfaitement au point, pour en disperser les éléments aux quatre coins de l'Algérie et de la reconstituer aussitôt après avec du matériel hétéroclite et du personnel ne connaissant ni l'Artillerie ni le Sahara? Pas plus sans doute qu'il n'était nécessaire de dissoudre le III/67° R.A.A. dont deux ans d'entraînement intensif et six mois de guerre avaient fait une unité de premier ordre qui aurait certainement rendu d'énormes services en Italie. Le commandement peut avoir ses raisons. Mais de telles décisions ont sur le moral des exécutants un effet désastreux. En particulier, les sous-officiers, de retour dans les régiments qu'ils avaient quittés deux ans auparavant, volontaires pour les unités sahariennes, y retrouveront leurs camarades promus aux grades supérieurs. Le seul profit qu'ils auront retiré de leur séjour au Sahara est d'avoir appris à souffrir et à prendre des initiatives. Avec en prime le paludisme et la dysenterie. Mais à tous les échelons, le désert a formé des chefs. Certains feront pendant la guerre une brillante carrière, d'autres pas mais tous savent et feront leur métier. Quant à moi, j'ai demandé à être affecté au Groupe de Montagne du 67° R.A.A. à Batna. Je n'ai aucune difficulté à l'obtenir; personne ne le demande. L'Artillerie de montagne est considérée comme une "succursale du bagne" et le groupe de Batna comme un groupe de discipline où l'on envoie le cas échéant les gens dont on ne peut ou ne sait rien faire. Quand je vais me présenter au Colonel Bourdila commandant le 67° R.A.A., il me manifeste son étonnement de me voir choisir une telle garnison et me propose de me prendre à l’État-major du Régiment à Constantine. Je lui réponds que j'ai demandé le III/67° en toute connaissance de cause et que je ne l'échangerais volontiers contre aucune autre affectation. Il n'insiste pas, persuadé sans doute que j'ai rapporté du Sud un sérieux coup de bambou. Je prends donc le commandement de la 8e Batterie, actuellement sous les ordres de l'Aspirant Sentz. Officier de tout premier ordre, Sentz a su faire de son unité, au cours et à la suite de la première campagne de Tunisie, une batterie d'élite. Appliquant le principe de Turenne: "Si vous voulez avoir une armée, occupez-vous d'abord de son ventre", mon premier soin est d'aller visiter les cuisines et de vérifier que le peu de moyens dont nous disposons est bien utilisé. J'ai su que ce geste avait été très remarqué, d'autant plus que mon képi bleu et mon burnous passaient difficilement inaperçus. Par la suite, grâce à l'impeccable gestion du Brigadier d'ordinaire Straumann, en manoeuvres ou en campagne, tout le monde mangera correctement malgré les difficultés de toute sorte. Les consignes se passent sans trop de difficultés, mais lorsque je me renseigne sur les activités du groupe, on me répond qu'on ne sort guère qu'une fois par mois et qu'après une marche de 20 kilomètres environ, les hommes et les mulets rentrent blessés, fatigués et inaptes pour un mois. Quelques jours après, je prends la tête de la batterie pour une petite sortie. Malgré les protestations de quelques gradés qui trouvent qu'on ne marche pas assez vite, je maintiens une allure lente Les 20 kilomètres fatidiques sont avalés et, à la surprise générale, tout le monde rentre au quartier en bon état. Désormais, la batterie sera dehors à peu près quinze jours par mois. Nous marchons et manoeuvrons de nuit comme de jour et bivouaquons dans tous les coins des Aurès. Finalement, une section pourra faire Batna le Chélia (82 km et dénivelée de 1300 m) en 24 heures. Au cours des manoeuvres de Souk Ahras, la batterie fera en plus des manoeuvres, l0OO km en un mois et rentrera au complet. Bien entendu, le dos des mulets est soigné avec autant de sollicitude que les pieds des hommes. Sous la conduite de chefs de pièce remarquables, tels les Maréchaux des Logis Bouvier et Bey, l'instruction va bon train. Les mises en batterie et sorties de batterie se font à une allure record Les hommes sont entraînés à se déplacer en tous terrains par "binômes" servant-conducteur à distance minimum de 50 m et habitués à utiliser l'environnement pour se camoufler. Personne n'appréhende plus la fatigue, l'isolement et les intempéries. Les gradés peuvent manoeuvrer isolément avec leurs hommes parfois plusieurs jours de suite. Tout le monde sait comme aux compagnies sahariennes durer et prendre des initiatives . Les grands chefs, depuis le colonel commandant le régiment jusqu'au Colonel Mendras, Inspecteur de l'Artillerie en passant par le terrible Général Kergoat commandant l'Artillerie en Algérie nous félicitent de nos performances. Mais l'essentiel, c'est que deux ans plus tard, pendant six mois de campagne dans les rangs de l'Infanterie, tous sauront en toutes circonstances, "retomber sur leurs pattes" et remplir leur mission. Le plus beau titre de gloire de la 8° Batterie, c'est qu'elle n'aura que deux tués du fait de l'ennemi avec seulement deux jours de repos dans toute la campagne. Ce résultat, elle l'a obtenu grâce à deux ans d'instruction et d'entraînement intensifs. C'est dans les djebels de l'Aurès qu'elle a gagné la guerre bien avant de la gagner sur le terrain en Tunisie où elle méritera amplement son surnom de "Batterie de fer, le nez toujours en l'air".
I - Le débarquement américain - La marche d'approche II
- La conquête de la dorsale orientale IV
- Manœuvre sur la Grande Dorsale
La plus grande immoralité, c'est de ne pas savoir son métier. Napoléon
Le bon soldat n'est pas tant celui qui se bat que celui qui marche Napoléon 8 novembre 1942 Je me trouve depuis la veille à Alger avec quelques dizaines de camarades (deux capitaines ou lieutenants par régiment). Nous avons été convoqués avec ordre de nous mettre en civil, pour suivre un stage sur les débarquements. Mais quand nous nous sommes présentés le 7 dans l'après midi à l’État Major, on nous a dit que les conférenciers qui devaient venir de Vichy étaient retenus en France et que nous pouvions retourner dans nos garnisons respectives. Comme la plupart de mes camarades, je pense profiter de cette aubaine pour passer le dimanche dans la capitale et rentrer lundi à Batna. Dans la soirée, je rencontre mon ancien commandant de groupe, le Commandant de Laffont, affecté à Alger dans un service de renseignement. Il me confie qu'un énorme convoi allié a passé Gibraltar et s'avance en Méditerranée. On suppose que c'est pour l’Égypte. Après dîner, je vais au cinéma où l'on passe "Trois de Saint-Cyr" et je rentre me coucher au petit hôtel où j'ai pris une chambre du côté de Saint Charles de l'Agha. Dans le courant de la nuit, j'entends dans un demi sommeil des détonations; je rêve plus ou moins que c'est une manoeuvre, mais des rafales de mitrailleuse me réveillent tout à fait et me donnent à penser qu'il s'agit de bien autre chose. Je me rase, je m'habille et vers 5 heures je descends dans la rue déserte. Les tirs continuent, lointains ou parfois plus proches et ne semblent pas provoquer la moindre émotion parmi la population. Je rencontre quelques camarades en civil, errant comme moi en quête de renseignements. Vers 6 heures, j'arrive du coté de la Grande Poste où j'assiste à une scène assez bizarre. Devant la brasserie Laferrière, sous les palmiers, une automitrailleuse pointe son canon sur le mur de la Poste. A coté, un F.M. en batterie et ses deux servants couchés sous un arbre. Un officier de spahis qui me parait être le Commandant Verthier que j'ai connu à Ouargla commande cet élément. A son commandement, le blindé tire quelques coups qui écorniflent la façade de la Poste où rien ne bouge. Puis tout le monde s'en va. Pendant cette scène qui semble extraite d'un film surréaliste, une jeune femme sac à main sur le bras et cabas à la main, passe sans se soucier autrement de cet incident. Je me retrouve seul sur le terrain avec l'impression d'avoir rêvé et continue ma promenade solitaire. Les rues commencent à se peupler de gens qui cherchent à se renseigner. On parle déjà d'un débarquement américain. Le fameux convoi serait donc pour nous et non pour l’Égypte. Des coups de canon que je reconnais vite pour des départs de 75 éclatent du coté du port. C'est une batterie du 65e R.A.A. commandée par le Capitaine Babron qui tire presque à bout portant sur un destroyer canadien qui cherche à entrer dans le port. Beaucoup de gens circulent maintenant sur le Boulevard Front de mer, cherchant à savoir ce qui se passe. En arrivant vers le square Bresson, j'assiste au bombardement de la batterie de D.C.A. du Musoir par des petits biplans américains. Peu de pertes semble-t'il de part et d'autre. Mais ce spectacle nous démoralise. Après s'être fait battre par les Allemands, ce sont maintenant les Américains qui nous tapent dessus... Quand cela finira-t'il? La plus grande partie de la journée se passe à errer dans les rues, en quête de renseignements, en compagnie du Lieutenant Blum du groupe de Sétif. En fin d'après-midi, nous apprenons que le P.C. de la défense d'Alger se trouve à la Caserne d'Orléans. Nous y montons rapidement pour expliquer notre situation et nous mettre à la disposition du commandement. En entrant dans la caserne, nous croisons une file de prisonniers américains. Ce sont des "rangers" aux mines plutôt patibulaires. Nous allons nous présenter à un lieutenant-colonel qui nous déclare ne pouvoir nous utiliser en tant qu'officiers. Je lui propose alors de servir comme simple fantassin. "Nous n'avons pas d'armes à vous donner" me répond-t’il. Je lui suggère qu'on pourrait nous donner les armes prises aux "rangers" américains dont nous apprendrons vite à nous servir. Impossible parait-il. Je lui demande alors, puisque je suis inutile à Alger, si je puis rentrer à Batna. Il acquiesce et nous signe un ordre de mission qui nous autorise à rentrer dans nos garnisons par "tous les moyens à notre disposition". Nous retournons en ville où je réussis à téléphoner à Batna. J'obtiens sans trop de difficulté le Commandant Capello et lui expose ce qui se passe à Alger. "Ne vous inquiétez pas" me répond-t'il. "Nous partons demain pour la Tunisie. Lochen a pris le commandement de la 8e Batterie. Rentrez à Batna dès que vous le pourrez et rejoignez-nous en Tunisie avec les véhicules, le personnel et le matériel que nous n'aurons pu emmener". Je suis rassuré. Le baroud contre les Américains n'était donc qu'un baroud d'honneur. Nous allons bientôt pouvoir mettre en pratique notre formation acquise au cours de deux ans d'entraînement, contre les Allemands et les Italiens. Le Général Weygand nous rappelait récemment encore qu'ils demeuraient nos ennemis et l'annonce de l'invasion de la "zone libre" ne fera que nous confirmer dans ces dispositions. Le soir tombe. On entend des rafales isolées, et on aperçoit même quelques trajectoires de balles traceuses. Les Américains semblent reprendre la manoeuvre qui nous a réussi en 1830: débarquement à Sidi-Ferruch et progression vers Fort l'Empereur. Ils auraient d'ailleurs été guidés par des officiers français. D'après les bruits qui circulent, une équipe de militaires et de civils était au courant des projets de débarquement et les auraient aidés. Le Général Mast, commandant la Division d'Alger, aurait prévenu le samedi après-midi tous les officiers de l’État-major de ne pas s'alarmer s'ils entendaient des tirs pendant la nuit. Ce ne seraient que des manoeuvres. Puis accompagné de quelques complices dont le Colonel Jousse, il serait allé accueillir les avant-gardes américaines sur la plage de Sidi-Ferruch. D'autre part, des "résistants" se seraient emparés, par surprise, de quelques points stratégiques dont la Grande Poste (ce qui expliquerait l'action contre la Poste dont j'ai été témoin ce matin). Au cours de ces actions sporadiques, le Colonel Jacquin et le Capitaine Pilafort (?) auraient été tués. Ces rumeurs plus ou moins confirmées nous paraissent extravagantes. Nous avons toujours considéré les Commissions d'Armistice allemandes ou italiennes comme représentant un ennemi contre lequel nous reprendrions un jour ou l'autre la lutte. Les directives du Commandant étaient fort claires. Le III/67 en particulier était en permanence sur pied de guerre. Son départ immédiat pour la Tunisie n'a rien d'une improvisation. Les "conspirateurs", si conspirateurs il y a, nous considéraient-ils comme des ennemis? Ou plutôt, ces combinaisons louches auraient-elles pour but des intérêts personnels plutôt que ceux de la France? Par ailleurs, la présence de l'Amiral Darlan à Alger nous semble tout à fait normale. Certainement le Maréchal est d'accord pour que nous marchions avec les Américains et il nous parait normal qu'il ne puisse le dire officiellement. De toute façon ces questions de haute politique ne nous intéressent guère. Les bruits qui circulent entretiennent une atmosphère malsaine mais pour nous, la seule chose qui compte vraiment est de partir en Tunisie dès que possible. Tard dans la soirée, on apprend qu'un armistice a été signé. Le malentendu est dissipé, malheureusement au prix de quelques vies humaines, et la population d'Alger fait un accueil chaleureux aux troupes américaines. Mais le lendemain, on apprend que des troupes anglaises ont aussi débarqué, contrairement dit-on aux conditions d'armistice. Le souvenir de Mers-el-Kébir est encore présent à toutes les mémoires. Alger se renfrogne aussitôt, les gens rentrent chez eux et les Anglais sont accueillis avec froideur, sinon hostilité. Dans la nuit, la rade d'Alger s'est couverte de navires. Dès le matin, les rivages de la baie sont truffés de batteries de D.C.A. Je vois pour la première fois des canons de 40 Bofors. Des chasseurs américains tournent en permanence au-dessus de la ville. Sans arrêt débarque du matériel ultramoderne que nous regardons avec l’intérêt que l'on devine. 10 Novembre 17 heures. Je sors des W-C. devant l'Aletti quand une alerte aérienne se déclenche. Une vingtaine d'avions allemands tentent de bombarder les navires épars sur la rade. Aussitôt, le tir de la D.C.A. se déchaîne. Un véritable plafond d'éclatement obscurcit le ciel. Les Allemands essaient de piquer dans ce barrage. Déjà les chasseurs américains sont sur eux. Je regarde, médusé, ce spectacle inimaginable pour un artilleur de l'Armée de l'Armistice à qui les munitions sont si chichement mesurées. Au bout d'un temps que je ne puis apprécier, le calme revient. Les bombardiers ennemis ont disparu: en fuite ou descendus? Il semble bien en tout cas qu'ils aient manqué leurs objectifs. Quelques éclats de ferraille sont tombés à coté de moi. Je ne m'en suis même pas aperçu. Je m'éloigne, partagé entre un sentiment d'admiration sur le plan technique et d'amertume en songeant à notre pénurie et notre matériel anachronique. Au bout de quelques jours passés à me documenter de mon mieux, je réussis à prendre un train pas trop complet en direction de Constantine et je rentre à Batna sans trop de difficultés. Pendant ce temps, le groupe est parti en Tunisie. Le 8 novembre à 5 heures du matin, le Lieutenant Lochen reçoit l'ordre de mise sur pied de la 8° batterie. Ordre exécuté aussitôt sans difficulté, le groupe étant en permanence sur pied de guerre. La batterie va camper au jardin du groupe. Le 9 novembre à 19 heures, l'unité embarque en gare de Batna. La campagne de Tunisie est commencée.L'effectif de la 8° batterie est le suivant:
La Division de marche d'Alger comprend: - G.R.D. Capitaine André. - 1er R.T.A. Colonel Conne. - 9e R.T.A. Colonel Maunier-Condroyer. - 65e R.A.A. Colonel Dumas II/65° R.A.A. tracté - III/65° R.A.A. montagne. - Une batterie de 47 anti-char. - Génie, Services etc.
A la guerre, le moral est au matériel comme trois est à un. Napoléon 15 Décembre Le bord Est de Kef el Garia est déjà tenu par le Sous-groupement Santini; un groupement aux ordres du Colonel Conne est chargé de s'emparer des passages de la Dorsale Orientale. Il comprend: - 1° R.T.A. Colonel Conne - 1/9° R.T.A. Chef de bataillon Goutard - III/65° R.A.A. Chef d'escadron Astruc - 8°/67 R.A.A. - Détachement Gentien (cavalerie) Il relève le sous-groupement Santini dans la région sud-ouest de Kef el Garia par le I/9e R.T.A., détache le III/Ier R.T.A. (Commandant Marty) vers Hadjeb el Aioun en renforcement de la B.L.M. (Col. du Vigier) et se porte vers Ousseltia avec le II/Ier R.T.A. et le groupe de montagne du 65e R.A.A. Le ravitaillement, théoriquement assure par le Ier R.T.A., arrive très mal. Heureusement, le B.C. Straumann et son adjoint Hugot se débrouillent toujours aussi bien. Grâce à eux, les pois cassés, les nouilles et les lentilles de l'Intendance nous fournissent une pitance réconfortante, presque savoureuse et toujours prête à temps. Le peu de viande que l'on touche et quelques vivres glanés de ci de là font le complément. Du reste, notre appétit est tel que nous avalerions n'importe quoi.16 Décembre Le P.C. du groupement Conne est, à partir de 12 heures à Dairet el Garia, celui du 1/9e R.T.A. à 3Km 5 à l'ouest. Dans la nuit du 16 au 17, le II/Ier R.T.A. (Commandant Le Hingrat) et le III/65e T.A.A. occupent Ousseltia. Des reconnaissances sur Ain Djeloula prennent contact avec un détachement motorisé italo-allemand. 17 Décembre Le col d'Ain Djeloula est occupé par le détachement Le Hingrat. La 9e Batterie du 65e R.A.A. reçoit l'ordre de se porter à Ain Djeloula pour y contre-battre les auto canons allemands. Le commandant Astruc part en reconnaissance. Je le supplie de m'emmener avec lui et, après quelques réticences, il y consent. Le col d'Ain Djeloula est un étroit passage dans une falaise rocheuse verticale. Ce genre de site, fréquent dans les Aurès, nous est familier et je repère rapidement une position de batterie possible. Le défilement est impeccable; quant à l'observatoire, il n'y a que l'embarras du choix sur la crête. Nous rentrons au P.C. et je déploie toute ma diplomatie pour persuader les camarades du 65 de me prêter une camionnette pour pouvoir emmener au moins une pièce à Ain Djeloula et prendre part à l'action. Ils renâclent un petit peu mais finalement on peut embarquer la pièce de Bouvier avec un petit élément d'observation et de transmissions. Départ à la nuit et arrivée à Ain Djeloula vers minuit. 18 Décembre Heureusement, j'ai reconnu le terrain dans la journée et nous sommes habitués a manoeuvrer de nuit. Vers 1 heure du matin, j'ai déterminé la position de pièce. Mise en batterie, reconnaissance de l'observatoire et pose de la ligne téléphonique terminée vers 3 heures. Au lever du jour, la pièce est prête à tirer. L'observatoire est idéal. Bien abrités derrière un mur de rocher, Senach, Cachia et moi-même, observons le magnifique champ de tir qui s'étend devant nous au pied du Djebel Chakeur. Je fignole un croquis perspectif et prépare quelques tirs avec l'aide de mon thermomètre de skieur et du graphique de réduction des sites conçu et réalisé par moi-même et dont je ne suis pas peu fier. Très utile d’ailleurs en raison des différences d'altitude assez importantes entre les objectifs éventuels, la pièce et l'observatoire. Tout cela sent un peu l’école à feu et me fait presque oublier que nous sommes à la guerre et que l'essentiel est de tirer sur l'ennemi plutôt que de faire de la théorie. Il fait un temps superbe. Tout à coup, j'entends du bruit derrière moi et en me retournant, j'aperçois un spectacle assez extraordinaire. Des canonniers du III/65 grimpent la pente trop raide pour leurs mulets, portant sur leur dos les morceaux d'une pièce de 75 M. Très discutable du point de vue technique, c'est néanmoins un bel exploit sportif. Voilà de vrais montagnards. Ils viennent mettre leur engin en batterie à une trentaine de mètres de mon observatoire. Je n'en vois pas l'utilité. Je n'y vois même que des inconvénients. La portée du 75 M et la courbure de ses trajectoires permettent bien mieux qu'avec le 65 de trouver des positions très défilées permettant de tirer où il faut. De plus, cette pièce sur la crête constitue un objectif de choix pour l'artilleur d'en face s'il y en a. Il y en a effectivement et même sur roulettes. Vers 10 heures, des véhicules apparaissent sur la route sortant de derrière le Chakeur. À la jumelle, on les voit armés d'un canon long. On a tellement parlé de chars, que tout le monde les prend pour tels et que l'on perçoit un mouvement d'émotion très net sur toute la crête. Que peut-on faire contre ces engins? Heureusement il y a des antichars... Mon voisin ne semble pas de cet avis et il entreprend de tirer dessus. La manoeuvre parait laborieuse et je crois comprendre qu'il s'embrouille un peu dans les plateaux et tambours, souvenirs du 75 de campagne et les graduations continues du 75 M. Enfin le premier coup part et va se perdre dans la nature. Le collègue d'en face n'est pas long à réagir. Une lueur de départ apparaît sur un blindé ennemi et un obus vient exploser devant la pièce sur le rocher. Les éclats et les pierres voltigent jusqu'à nous. J'ai l'impression que Cachia et Senach sont légèrement émus et je leur fais replier le goniomètre boussole pour les occuper. Le peloton de pièce de 75 s'est bien abrité derrière le rocher et les coups suivants ne feront que des blessés légers par éclats de pierre. Les autres pièces de la batterie tirent et leurs coups tombent assez loin des "chars" ennemis. Surprise... ces derniers font marche arrière et disparaissent derrière le Chakeur. A ce moment seulement je réalise que ces fameux "chars" sur lesquels on voyait d'ailleurs s'agiter du personnel, ne sont que des auto canons peu blindés et découverts. Un simple coup de 65 bien placé aurait fait sauter l'engin avec ses munitions. C'est sans doute pour cela que, se voyant pris à partie par des canons qu'ils ne pouvaient pas repérer, ils ont battu en retraite. Quelle occasion perdue! Si seulement mon voisin était resté dans le ravin au lieu de venir s'exhiber sur la crête! J'enrage et me promets bien de me défaire du complexe d'infériorité du à mon petit calibre et des scrupules d’école à feu... Je ne tarde pas à repérer des indices d'activité ennemie à droite du Chakeur. Quelques mesures, un petit calcul, un coup de téléphone à la pièce et Bouvier envoie le premier coup de canon de la campagne. L'obus explose à proximité d'un rassemblement qui se disperse à vive allure. Et je continue à assaisonner tout ce qui bouge dans le coin. Cela fera toujours peur à l'ennemi et remontera le moral des tirailleurs. Profitant de la dextérité du peloton de pièce, j'envoie même quand l'objectif en vaut la peine un"par 4 fauchez 3 tours" qui imite à la perfection "par la droite par batterie"; l'ennemi pourra ainsi se faire des illusions sur nos effectifs. Pendant ce temps, le 65e R.A.A. continue à monter ses pièces sur la crête. "Perseverari diabolicum..." Bouvier n'a pas négligé le ravitaillement et vers midi, il nous envoie la soupe. Tout en cassant la croûte, je demande aux hommes s'ils veulent voir courir des Italiens. Quelques coups provoquent une débandade dans un rassemblement à coté d'une mechta; les hommes à qui j'ai prêté mes jumelles sont enthousiasmés. Tout à l'heure, ils raconteront à la pièce qu'ils ont vu disperser la corvée de soupe italienne. Pour mettre plus d'ambiance, lorsque le tir me parait particulièrement efficace, je remplace le commandement "mêmes éléments" par: "la rince ". A la pièce on comprend tout de suite et l'ardeur redouble. Tant pour éviter le voisinage des sympathiques collègues du 75 qui maintenant garnissent la crête que pour avoir de meilleures vues derrière le Chakeur où il parait y avoir des choses intéressantes, je laisse Rousseau surveiller le champ de tir et je suis la crête vers le sud. Après une petite promenade, j'arrive dans la position de la 5e compagnie du II/Ier R.T.A., Capitaine Festas. Je discute le coup avec ce sympathique camarade et il veut bien que j'installe mon observatoire à coté du sien. Vues très intéressantes. Je quitte Festas à la tombée de la nuit. Nuit qui se passera à surveiller le champ de tir, la pièce pointée sur un unique tir préparé (pas d'appareil de repérage de nuit). 19 Décembre Je vais occuper l'observatoire Festas dès le lever du jour. Nous observons le terrain et je tire sur tout ce qui nous semble intéressant. Liaison Infanterie-Artillerie parfaite. Une maison isolée dont la porte tournée vers nous parait être fermée par une toile de tente semble être un P.C. d'après les allées et venues aux environs. Je tire; un obus tombe dans la bicoque et la porte disparaît. Enthousiasme de Festas qui prépare aussitôt un coup de main. Il part avec 20 hommes. Je suis sa progression que j'appuie par quelques coups sur tout ce qui me parait lui faire obstacle. Je bombarde le fameux P.C., lorsque je vois des gens courir tout autour et je m’aperçois avec terreur que je ne puis plus distinguer à cette distance les amis et les ennemis. Je me tais donc mais je trépigne en attendant le retour du détachement. Enfin il rentre au complet. Festas me raconte son expédition et me fait part des ses impressions de "baptême du feu". Il a tué plusieurs Italiens, a ramassé une balle dans le talon de son soulier et ramène deux prisonniers, et du matériel: mitrailleuses, F.M., fusils, grenades etc... Les prisonniers sont des Piémontais réservistes. Ils font partie d'un bataillon appuyé par des automoteurs allemands. La veille, les Allemands se sont repliés sur Sousse en leur conseillant de résister jusqu'à la mort (sic). Enthousiasme très restreint du Piémontais qui est coiffeur dans le civil. Il nous décrit ensuite les effets terrifiants de l'artillerie: "Terrible, à droite, à gauche, devant, derrière, partout..." Je bois du petit lait... Après un moment d'hésitation, je lui demande si ce tir si bien encadrant a tué beaucoup de monde. "Non, personne" me répond-t'il. Ouf! je n'ai pas de meurtre sur la conscience, mais cela commence à me rendre sceptique sur l'efficacité de l'artillerie. Et pourtant!.. Sur ces entrefaites, l’État-major du bataillon m'envoie l'ordre de faire monter ma pièce sur la crête!.. C'est idiot, donc ça se fera. Fort des recommandations reçues à Fontainebleau, je réponds que je suis seul juge de la technique d'emploi de mon matériel et que je laisserai ma pièce là où elle est. Que si je ne puis pas tirer là où on me demandera de tirer, je veux bien passer en Conseil de Guerre. Que l'on ne met pas les mortiers sur les crêtes ni les mitrailleuse dans les ravins etc... Personne n'insiste. Pendant ce temps, la 8e Batterie affectée depuis la veille à l'appui du I/9e R.T.A. (Commandant Goutard) reçoit l'ordre de se porter au sud d'Ousseltia. Le Lieutenant Lochen est allé reconnaître la région pendant que le Lieutenant Dupont emmène la batterie. Lochen vient me prévenir. Pendant que la pièce se prépare au départ, je vais rendre compte au P.C. du bataillon et prendre congé. Le Capitaine adjoint, moitié figue moitié raisin, me dit: "Alors, vous avez fait votre petite guerre"...Un peu gêné, je lui réponds que j'ai fait de mon mieux pour me rendre utile... Adieux à Festas... Quel dommage, on s'entendait si bien... Son Commandant lui a promis une citation. Sur quoi, il lui a dit: "Mais il y a un artilleur qui m'a bien aidé; on pourrait peut-être lui en donner une aussi". Réponse: "Son régiment s'occupera de lui..." Le temps se met à la pluie. La batterie, la 1ère pièce et moi-même, nous retrouvons au milieu de la nuit au Bordj des Domaines. Je prends mon cheval Sultan et suivi du fidèle Mohammed bel Hadj, je vais jusqu'à la Maison des Eaux prendre contact avec le G.R.D. de la Division d'Alger. En chemin, un chien nous suit en aboyant. Excédé par ce manque de discrétion à proximité de l'ennemi, je tire mon pistolet pour le réduire au silence. Plus prompt que moi, Sultan, que ce vacarme agace aussi, l'étend pour le compte d'un coup de pied bien ajusté. Le Capitaine André, commandant le G.R.D. m'accueille avec enthousiasme: "Enfin de l'artillerie!" Je lui fais remarquer que mon artillerie est plutôt modeste: 4 pièces de 65. Mais, me dit-il, nous avons repoussé cet après-midi une incursion de blindés allemands à coups de mortiers de 60; nous les avons bluffés mais ça ne peut pas durer. Alors, vos 65 sont les bienvenus. Je décide avec lui de mettre en batterie à environ 1 km Sud du Bordj des Domaines, pour pouvoir prendre de flanc une attaque ennemie débouchant comme la veille de la Sauvagère ou de Pichon. Il pleut toujours. Je passe le reste de la nuit dans mon manteau trempé, dans une espèce de grotte dont le plafond laisse suinter l'eau goutte à goutte. Les canonniers Lachache et Ali ben Rabah, malades, sont évacués. 20 Décembre Je vais prendre contact avec le Chef de Bataillon Goutard commandant le 1/9e R.T.A. que nous appuyons. En nous attendant, le Capitaine André a fait des prodiges pour tromper l'adversaire: fagots traînés derrière les side-cars pour faire de la poussière, A.M. du Lieutenant Schmidt embusquées dans les hangars de Pichon, tirant à bout portant sur les véhicules allemands qui passent dans la rue et retraitant ensuite par les jardins etc... Le Commandant Goutard décide de passer à l'offensive et d'envoyer la 3e Compagnie (Capitaine de Valois) le long du bord Sud du djebel Ousselat en direction de l'Est vers l'Argoub en Négrila. Une section de la 8e Batterie l'accompagnera. Je désigne la 2e Section. La compagnie de Valois fait mouvement dans l'après-midi et le Lieutenant Dupont l'accompagne. Le ravitaillement est toujours incomplet et arrive très mal. 21 Décembre Dupont a effectué sa reconnaissance et revient chercher sa section qui part rejoindre la 3e Compagnie vers 3 heures du matin. Dans la matinée, l’échelon de la batterie laissé à la Kessera avec l'Adjudant-chef Larrieu vient au km 10 sur la route Maktar-Pichon. Le déplacement s'effectue avec l'aide d'un camion prêté par le 65e R.A.A. Dans l’après-midi, je projette d'aller voir le détachement de Valois Dupont qui doit être suivant mes estimations vers la cote 474 à 4 ou 5 km environ vers l'Est au pied du bord Sud de l'Ousselat. J'entreprends de passer par la montagne au lieu de suivre la piste. Je ne pensais pas que le Djebel. Ousselat était aussi difficile. Partout d'énormes blocs de calcaire grisâtre qu'il faut escalader l'un après l'autre, des pentes très raides, des buissons qui entravent la marche, peu ou pas de sentiers ou de traces... Des ravins dans tous les sens; il est difficile de s'orienter. Cette reconnaissance est très pénible mais elle ne sera pas inutile. Je finis par arriver à la position probable du détachement mais ne trouve que ses traces; il a déjà fait mouvement vers l'Est. Je rentre à la batterie en suivant cette fois la piste Sud de l'Ousselat, beaucoup plus facile... et sans me douter de ce qui aurait pu m'y arriver. La batterie reçoit l'ordre de se tenir prête à appuyer un mouvement de la 2e Compagnie (Capitaine Bessaguet).J’ai toujours remarqué que les honnêtes gens n’étaient bons à rien Napoléon 22 Décembre Mise en batterie de la Première Section derrière la Crète de Sidi bou Kreder, 1 km environ au sud-ouest du marabout, observatoire sur la crète pour être en mesure d’appuyer le mouvement de la Compagnie Bessaguet. Le Brigadier-chef Mehault de la 3e pièce vient au ravitaillement et rend compte que la veille au soir, la 2e Section a tiré sur des véhicules ennemis. Pensant que les mitrailleuses seront plus utiles à la 2e Section qu'à la batterie, je les envoie avec le ravitaillement en vivres et en munitions sous les ordres du Major Argiot et du Chef Salem. Le temps de régler quelques détails et je vais partir les rejoindre à cheval pour ne pas perdre de temps car il me tarde de savoir ce que fait la 2e Section. Au moment où je vais partir, le bruit court que la Compagnie de Valois est encerclée. Presque aussitôt, une vive fusillade éclate en direction de l'Est et quelques éléments du convoi de ravitaillement reviennent. Le convoi a été attaqué vers la cote 474. Sekiou et Lahouel ont été tués. Le chef Salem a pu délivrer Abdessemed, Ferhat et Amrani faits prisonniers et rentre avec 6 hommes. Le Marèchal des Logis Major Argiot a réussi à s’échapper avec quelques conducteurs et continue sa mission. Le 2e c.c. Ali ben Belgacem n'a pas lâché son mulet au milieu de la fusillade, ce qui représente déjà une jolie performance. Mais l'animal l'a entraîné dans une course éperdue au terme de laquelle il s'est retrouvé seul dans la nature. Apercevant la kouba de la villa Jobert, il l'a prise pour un marabout et s'y est dirigé. Reçu à coups de fusil, il a fait demi-tour et s'est retrouvé perdu dans le bled. C'est alors qu'il a entendu des coups de canon et pensant que c'était la batterie qui tirait, il a marché au canon comme un brave. Pour arriver jusqu'à la section, il lui a fallu passer dans une zone battue par les mortiers ennemis. C'est alors qu'à la grande hilarité des spectateurs, on les a vus lui et son brêle qu'il n'a toujours pas lâché zigzaguer entre les éclatements, appelant les malédictions d'Allah sur tous ces objets qui tombaient du ciel. Finalement il a rejoint la section avec ses caisses à munitions. Mission accomplie. On lui fait un accueil enthousiaste et le surnomme sur le champ "le Héros". Plus tard, proposé pour une citation bien méritée, il dira modestement à ses camarades: "Il faut aussi citer mon brêle, c'est lui qui a tout fait". Qui aurait dit que ce petit bonhomme qui passait pour l'un des plus mauvais canonniers de l'unité, se conduirait au feu comme un brave... Tant il est vrai que les bons soldats ne donnent satisfaction qu'au combat, en permission ou en taule.Le mouvement de la compagnie Bessaguet ne se fera pas pour le moment dans l'incertitude où l'on est sur l'importance des forces ennemies en face de nous et sur leur position exacte. Nous restons donc sur nos positions et dans une attente anxieuse du retour probable du Détachement de Valois. Tout à coup, vers 19 heures, une vive fusillade éclate en direction de l'Est, puis plus rien. L'inquiétude est à son comble. Certainement le détachement a été attaqué sur la route du retour; mais que faire dans l'obscurité sans risquer de tirer sur des amis? On guette le moindre bruit. Certains croient parfois entendre le mulet de flèche de la 3e pièce dont le chargement fait un bruit caractéristique... Bientôt cependant, quelques isolés ou des petits groupes commencent à arriver avec ou sans matériel. Avant la fin de la nuit, le Lieutenant Dupont a réussi à rassembler la plus grande partie de son personnel et rentre à la batterie. Que s'est-il passé pendant ces deux jours aux alentours de la Ferme Henchir Stella où a opéré le Détachement de Valois? Dans la nuit du 21, le Lieutenant Dupont rejoint la 3e Cie et vers 5 heures du matin, le détachement arrive sur les pentes Sud de l'Argoub en Négrila. La progression a été assez difficile dans un terrain très accidenté dont les falaises et les oueds répercutent et amplifient les mille bruits d'une colonne en marche. Malgré toutes les précautions, le bruit parait énorme et l'on peut craindre qu'il n'alerte l'ennemi s'il y en a à proximité. Il semble que non et le détachement prend position en avant de la ligne cote 399 Hir Stella. La section met en batterie sur un piton dénudé à 400m environ au Nord de la Ferme. Vues très dégagées. Il faut creuser pour s'abriter. Surveillance n°1 en direction de l'Est. Le Lieutenant Dupont va prendre contact avec le Capitaine de Valois et dans le courant de la matinée, ils repèrent loin vers le Sud un important rassemblement de véhicules. Il ne semble pas possible de les prendre à partie mais ils décident de remanier le dispositif et la section est pointée sur une surveillance n°2 en direction d'Henchir Stella soit à peu près vers le Sud. Dans l'après-midi, un bruit de moteurs se fait entendre, des poussières vers le Sud Ouest et un élément motorisé allemand: side-car, motos, automitrailleuses apparaît et défile sur le chemin de la Sauvagère. Cela a tout l'air d'une reconnaissance mais à 800 millièmes environ de la surveillance, impossible de tirer dessus. Pendant qu'il disparaît derrière la crète d'Henchir el Bania, le Lieutenant Dupont fait retirer les pièces de leurs alvéoles et mettre en batterie à 800 mil. environ à droite de la surveillance. Cette opération est à peine terminée que vers 17 h la colonne allemande s'annonce par un nuage de poussière et reparaît sur la piste marchant à une allure assez réduite. La section ouvre le feu à 2000m environ, mais la 4e pièce est tout de suite immobilisée par un incident de tir (long feu vraisemblablement). Le premier coup de la 3e est court, mais le second expédie au fossé un side-car qui disparaît dans une gerbe de flammes. L'équipage se réfugie sur un autre véhicule et la colonne s’arrête. Sur l'une des A.M., on aperçoit un observateur, officier sans doute qui cherche à repérer à la jumelle d'où viennent les coups. La 3e pièce continue à tirer et un autre obus atteint l’automitrailleuse. Nouveau feu d'artifice. Les Allemands se regroupent sur les véhicules restants et la colonne disparaît. L'action a duré environ une minute et la pièce a tiré une dizaine de coups. Les pièces sont replacées dans leurs alvéoles et un détachement descend à la ferme sous la protection d'une équipe de servants pour abreuver les mulets. Le gardien de la ferme, italien semble-t'il, ne parait pas très coopératif. Laissé en liberté par erreur, il semble bien qu'il soit allé dans la nuit renseigner l'ennemi. La nuit du 21 au 22 est assez calme. On entend toutefois quelques bruits de moteur dans le lointain. Peut-être pas si loin d'ailleurs car, au lever du jour, Alenda signale des casques jaunes dans la haie de cactus devant la ferme. Les pièces sont aussitôt sorties des trous, pointées à vue et le tir commence, à obus à balles d'abord, puis à explosifs. Alenda et Guyot ont déjà commencé à tirer au F.M. de façon très efficace semble-t'il. L'ennemi réagit aussitôt par des tirs de mortier et d'armes automatiques. Le combat prend des allures de western. Mais le feu ennemi s'avère peu dangereux en raison de la position dominante de la section et des aménagements: tranchées, murettes, etc... que le personnel est entraîné à réaliser. Seul, Guyot est blessé au pied par un éclat de mortier. Il semble y avoir des éléments ennemis à droite et à gauche de la ferme et un mortier derrière la ferme, peut-être un P.C. à la cote 350. Le Lieutenant Dupont fait cesser le feu après une quarantaine de coups. Le tir sera repris un peu plus tard car le mortier recommence à tirer et des mouvements sont repérés dans les cactus. Finalement l'ennemi se retire derrière les crêtes au Sud de Henchir Stella, laissant de nombreux tués sur le terrain. Le Lieutenant Dupont et les chefs de pièce font renforcer la position. Il n'y aura par la suite aucune perte du fait des tirs ennemis qui reprennent de temps en temps au cours de la journée. Le brigadier-chef Mehault a été envoyé avant le jour au ravitaillement. En fin de matinée, on entend la fusillade du coté de 474. Le convoi de ravitaillement a été attaqué. Puis c'est l'attente anxieuse. Enfin, au début de l'après-midi, le Major Argiot arrive avec quelques mulets et fait le récit de l'embuscade. Puis c'est Ali ben Belgacem qui rejoint avec son mulet au milieu d'un tir de mortier. La journée s'achève dans un calme relatif. Le Capitaine de Valois, craignant d'être encercle par des forces vraiment trop supérieures, décide de se replier sur la position principale à la faveur de la nuit. La pluie a recommencé et il fait froid; la section marche au milieu de la colonne. Vers 19 heures, le détachement arrive à 474. L'embuscade ennemie est toujours là et le mitraille presque à bout portant. Tout le monde fait face à gauche et riposte au tir ennemi. Au milieu des trajectoires des balles traceuses et des lueurs, les mulets s'affolent, échappent aux conducteurs et s'enfuient dans le djebel. Par miracle, il n'y a qu'un seul tué, un tirailleur de la 3e Compagnie. Mais plusieurs animaux sont tués ou blessés, dont Khelifa, le cheval du Maréchal des Logis.Bey, qui, pour son compte reçoit une balle qui passe entre ses jambes en trouant sa capote. De nombreux impacts seront relevés sur le matériel. L'ennemi, sans doute quelques hommes, opérant à partir de la villa Jobert, cesse le feu et, par petits groupes ou isolément, tirailleurs et canonniers rejoignent leurs unités. Le combat de la ferme Henchir Stella est passé à peu près inaperçu dans le désordre provoqué par les deux embuscades de 474, les attaques allemandes des jours suivants et la prise de la cote 376. C'est pourtant un glorieux fait d'armes qui a probablement influencé le déroulement des opérations par son action sur les arrières ennemis. Le combat a été très dur, à courte distance et nos tirs très efficaces. Un blessé allemand fait prisonnier à la cote 376 a déclaré qu'il y avait eu du côté allemand 90 tués environ à Hir Stella, surtout du fait de l'artillerie. Même si ce chiffre est exagéré, les pertes allemandes ont certainement été sérieuses, l'effet moral important et cela a du contribuer, avec le mauvais temps à diminuer l'esprit combatif des assaillants de 376. 23 Décembre Au lever du jour, un détachement du 1/9e R.T.A. appuyé par la 1ère pièce, va occuper le lieu des embuscades. L'opération se déroule sous une pluie battante et ne rencontre pas d'opposition. Les morts sont ramenés. Sekiou a été retrouvé son mousqueton à la main, ses cartouches à côté de lui, tué en combattant. Guyot, ne pouvant marcher a passé la nuit sur le terrain. On le retrouve sur son mulet transi mais vivant. Quelques mulets sont restés sur le terrain, immobiles sous la pluie, avec leur chargement. D'autres s'en sont débarrassé dans des endroits presque inaccessibles et errent dans la nature. On a peine à croire que ces animaux, chargés à près de 180 kilos, aient pu grimper dans des endroits où l'on ne peut accéder qu'en faisant de l'escalade. Beaucoup de matériel est récupéré mais deux flèches, deux freins et un tube n'ont pu être retrouvés. En fin de journée, presque tout le personnel a rejoint. Douaki est rentré seul avec son mulet, son mousqueton et son sac. Le fonctionnaire Brigadier Feminèche rentre avec 5 conducteurs. Le mulet "siffleur" est rentré tout seul avec sa mitrailleuse. Finalement, on s'en tire à bon compte, mais l'embuscade a été payante pour l'ennemi: le 1/4 d'un bataillon et la moitié d'une batterie indisponibles pour plusieurs jours avec un minimum de frais. Par contre, l'affaire d'Henchir Stella lui a coûté cher. Au soir du 23 décembre, la situation est la suivante: - P.C. du 1/9e R.T.A. (Commandant Goutard) à la Mon des Eaux. - 1ère Compagnie (Capitaine Jammes) vers la Mon des Eaux. - 2e Compagnie (Capitaine Bessaguet) sur la Crète entre Si bou Kreder et la cote 376. - 3e Compagnie (Capitaine de Valois) en cours de regroupement. - 4e Compagnie (Capitaine Férellec) vers Si bou Kreder. - 8e/67 R.A.A. (1ère Section) 800m S.O. du carrefour de Si bou Kreder, observatoire sur là crête à environ 500m sud du même carrefour. (2e Section) en cours de regroupement. - 6e/65 R.A.A. (Capitaine Righini) derrière la Mon des Eaux. - 1 bataillon de Tanks Destroyers (Capitaine Steel) vers la Mon des Eaux. - III/Ier R.T.A. (Commandant Marty) au sud. 24 Décembre Il s'agit maintenant d'aller récupérer le matériel perdu dans la montagne. Comme je connais un peu l'endroit, (reconnaissance du 21 décembre) je décide d'y aller avec un détachement à pied et de rassembler le matériel que l'on pourra retrouver dans un endroit accessible. Dupont se tiendra prêt à l'y récupérer avec les mulets. Au lever du jour, je pars avec une partie du personnel de la 2e Section. Il pleut toujours, le brouillard réduit la visibilité. Nous dépassons les premiers éléments de la Compagnie Férellec et nous voila dans le no man's land. Les hommes, énervés par les combats des jours précédents, très impressionnés par l'embuscade de nuit, fatigués et se sentant isolés dans le brouillard, voient des ennemis partout. Le Maréchal des Logis. Soleihavoup pique un plat ventre en s'écriant: -"Attention il nous vise". Renseignements pris, c'est une chèvre qui agite ses cornes dans un creux de rocher. La tension est à son comble quand Miavril s'écrie:-"En voilà un". Ce coup-ci, c'est une vache. "Oui, lui dis-je et c'est même un cocu". Tout le monde s'esclaffe et le moral remonte de plusieurs crans. Au fond, les gens de l'Afrika Korps doivent être à l'abri par un temps pareil, je connais un peu le coin et j'ai un peu l'habitude du brouillard en montagne. Il y a donc un minimum de risques et la progression reprend. Finalement, nous arrivons vers 474 de mauvaise mémoire et nous commençons à trouver du matériel et des mulets. Je fais mettre Alenda et le F.M. dont il se sert si bien sur un piton d’où il pourra éventuellement nous couvrir et au travail. Il s'agit de ramener le matériel au voisinage de la piste mais il est à peu près impossible de le descendre à bras des escarpements abrupts où nos chers brêles les ont largués. Tant pis, nous le ferons rouler jusqu'en bas. Peut-être sera-t'il indisponible mais nous l'aurons récupéré. Couchés sur le dos, je pousse avec Bey un tube récalcitrant jusqu'à ce que ses 102 kilos dégringolent avec fracas dans le ravin. Enfin tout le matériel est retrouvé et rassemblé dans un endroit à peu près plat. Nous rentrons à la batterie vers 16 heures, fatigués, affamés mais satisfaits. Je vais rendre compte au Commandant Neyrod commandant le II/65 R.A.A. commandant l'artillerie du secteur. La section de la 2e Compagnie (Adjudant Georgel) qui occupait la cote 376, reçoit l'ordre de l'évacuer pour la nuit et de la réoccuper au lever du jour. 25 Décembre Au lever du jour, on aperçoit des mouvements sur 376. Il est difficile d'identifier ces occupants, mais quand il fait plus clair, on voit nettement qu'ils ne portent pas de capote; ce sont donc des Allemands. Le Maréchal des Logis. observateur Rousseau, de permanence à l'observatoire les a également repérés et ouvre le feu sur eux à 1400m. La 2e Compagnie tire également et rend compte au Commandant Goutard. J'arrive à l'observatoire et repère très vite des indices d’activité ennemie dans toute la zone. Je tire un peu au hasard sur tout ce qui se présente et en particulier sur des obusiers en batterie dans une haie de cactus près de la villa Jobert. Ce doit être des 105, à tir très courbe et grande durée de trajet. Ils prennent d'ailleurs à partie mon observatoire ou peut-être seulement la crète car leur tir a l'air assez dispersé. Je riposte aussitôt. Les 65 explosent dans les cactus et tout se tait. Par la suite, dès que je vois sortir de la fumée derrière les cactus (parfois de magnifiques ronds) un tir numéroté arrive dans les secondes qui suivent et tout rentre dans l'ordre. Dans l'après-midi, des infiltrations ennemies atteignent les environs de la ferme Henchir el Louz. Une contre-attaque, appuyée par la 1ère Section et la 6e Batterie du 65e R.A.A. les repousse. Le Commandant Goutard décide de monter une attaque pour récupérer 376. La 4e Compagnie (Férellec) attaquera vers le Sud et la 1ère (Jammes) vers l'Est. Appui de feux de la 2e Compagnie. L'attaque échoue: Férellec bloqué à 200 m de 376 et Jammes arrêté au débouché. Incomplètement mis au courant de cette opération et n'ayant reçu aucune demande de tir, j'hésite à tirer sur 376 et me borne à quelques tirs d'encagement dans les creux autour de la crète. J’espère ainsi arrêter ou au moins gêner le ravitaillement et les renforts destinés aux occupants de 376. Constatant la prodigalité des tirs ennemis, je me dis qu'ils devraient bientôt manquer de munitions. C’était raisonner d'après notre pénurie. Les longues rafales de M.G. 40 et de mitraillettes entameront si peu les approvisionnements allemands que l'on trouvera après la prise de 376 plus de 40 000 cartouches. Pendant ce temps, les T.D. américains progressent sur la route de la Sauvagère. Manoeuvrant dans une atmosphère de kermesse, sans aucun souci de s'abriter ou de se camoufler, très fiers de leur matériel qu'ils font admirer aux tirailleurs ils tirent à vue avec leurs 75 sur tous les Allemands qu'ils voient se déplacer sur la crète-. Ce tir de foire donne quelques résultats et l'on trouvera le lendemain quelques cadavres allemands visiblement atteints de plein fouet par des obus. Les gens de l'Afrika Korps ne tirent pas mal non plus et le Capitaine Steel est tué d'une balle que sa tête texane n'a pu arrêter malgré la dureté dont il se vantait. Le Lieutenant Marcus le remplace. A la tombée du jour, le Commandant Goutard rassemble sur la crête, à coté de mon observatoire, les officiers du bataillon et quelques autres dont moi-même et mes deux lieutenants. Il s'agit d'étudier le terrain et de mettre au point l'opération du lendemain .On déploie des cartes, on observe le terrain, discute etc... Le résultat ne se fait pas attendre. Des fumées que je connais bien apparaissent dans les cactus. Au bout d'un long moment, quelques obus explosent sur la crête. La séance d'école de guerre se termine aussitôt et je me retrouve seul avec Lochen et Dupont, tandis qu'une galopade effrénée accompagnée d'une avalanche de pierres retentit derrière nous. Ce sont les servants de la défense rapprochée qui effectuent vers la batterie la plus belle descente en ramasse que j'aie jamais vue de ma vie. Je les injurie, eux et leurs ascendants jusqu’à la 2e génération, mais rien n'y fait. Ils ne s’arrêteront sans doute qu'aux cuisines. Je suis d'ailleurs obligé de m'abriter car mon collègue d'en face prend sa revanche. Il nous gratifie d'un beau tir d’efficacité et nous nous aplatissons comme des punaises derrière un gros bloc de rocher. Pas question de riposter car il n'y a pas de téléphone à proximité, le soir est tombé brusquement et nous n'avons pas d'appareil de repérage de nuit. Les coups courts atterrissent sous notre nez mais le caillou est solide. Les longs nous rasent les fesses et vont dans le ravin non loin de la position de batterie. Le tout sans dommage. Mais nous avons eu chaud. Joyeux Noël! Le Commandant Goutard fait savoir que l'attaque de l'après-midi sera renouvelée le lendemain matin de 7 h à 7 h 45 après préparation d'artillerie et avec l'appui des T.D. américains. 26 Décembre L'attaque prévue a lieu mais elle échoue sous des feux très violents d'armes automatiques. Dans la nuit, j'ai transporté mon observatoire à la cote 529 d'où les vues sont bien meilleures sur toute la zone. Le Chef de Bataillon Goutard vient d'ailleurs installer son observatoire à coté du mien. Les transmissions Pierson, Sénach, Cachia font des prodiges pour nous relier à la batterie avec leurs vieux appareils modèle 16 et leur câble d'exercice. Malgré la vétusté du matériel, l'humidité qui s'infiltre partout, les transmissions fonctionneront toujours et contribueront largement au succès final. Bessaguet se prépare à recommencer l'attaque, mais le Commandant Goutard lui prescrit d'attendre l'appui de l'artilllerie. Dans l'après-midi, la Batterie du 65e R.A.A. et les T.D. américains exécutent une préparation sur 376 et 361. La fin du tir est marquée par 4 coups fusants sur 376. A ce moment, le groupe de mitrailleuses qui appuie la 2e Compagnie tire au ras de la crête pour couvrir l'attaque conduite par le Lieutenant Franqueville qui arrive sur la crête mais reflue devant une contre-attaque allemande appuyée par mortiers. En tentant de déplacer un F.M., Franqueville est blessé et le servant du F.M. tué. Bessaguet le remplace et suivi du Sergent Nahroun qui a remplacé Franqueville, progresse sur la paroi Est de 376. Tout à coup, le crépitement caractéristique d'une M.G. 40 et une pluie de brindilles provenant d'un buisson haché par les balles, lui révèlent la présence devant lui d'une mitrailleuse ennemie. "Couche-toi, mon capitaine", lui crie Nahroun. Conseil superflu, Bessaguet est déjà aplati sur le sol comme une feuille de papier. Quand la mitrailleuse se tait, Bessaguet expédie posément une rafale de 3 coups, économique mais efficace car l'adversaire ne réagit plus. Dans un dernier effort, suivi de Nahroun et de quelques hommes, il réussit à prendre pied sur 376. Les Allemands reculent puis contre attaquent. Bessaguet et ses hommes les repoussent au F.M. et à la grenade mais il n'y a plus que quelques grenades et quelques cartouches et l'ennemi contre-attaque à nouveau... Que distingue-t-on de tout cela à 529? Pas grand chose, car étant donné la modicité de mes moyens (la 2e Section étant toujours indisponible) je ne suis pas trop mis dans le coup. Et les vues fichantes que j'ai sur toute la zone me permettent de repérer des quantités d'objectifs sur lesquels je tire plus ou moins suivant leur importance. Je vois bien de l'activité sur 376 mais qu'est-ce que c'est au juste? Il ne faudrait pas risquer de tirer sur le fantassin ami qui doit déjà avoir assez d'ennuis comme cela... Tout à coup surgit le Lieutenant Julien, adjoint au commandant Goutard, hors d'haleine: "Vite, mon capitaine", me dit-il, "Bessaguet est sur la cote 376 et les Allemands contre-attaquent". Qu'à cela ne tienne; j'ai justement un tir numéroté sur les pentes Ouest de 376 et je l'envoie au moment où je distingue nettement à la jumelle Bessaguet sortant à mi-corps de l'escarpement Est de 376, le F.M. à la hanche, vidant ses derniers chargeurs sur les durs de l'Afrika Korps qui chargent mitraillette à la main. Je remarque aussi rapidement qu'un individu, sans doute le chef de section les suit, pistolet au poing. Serait-ce pour décourager toute velléité de recul? Mais je m’aperçois aussi, aussitôt le Commandement parti, que je me suis trompé de tir! Celui-là est destiné au ravin derrière 376. Je corrige immédiatement et les coups sont encore sur leur trajectoire que déjà la rectification est faite et les coups du nouveau tir, le bon celui-là partent. Ils atterrissent juste au milieu des assaillants chez qui on perçoit un flottement très net. Réminiscence d'Henchir Stella? Déjà le commandement: "la rince", est parti et la section débite à toute allure à site zéro, 1450. Tout le monde redescend en vitesse, officier en tête sans doute. Un éclopé suit péniblement et se rapproche du point de chute du dernier coup de la pièce de Galbourdin que je viens d'entendre partir. Hallucinant. J'ai envie de lui crier: "Fous le camp, tu vas te faire moucher"; l'obus arrive exactement où je l'attendais et le type disparaît dans la fumée de l'éclatement. Une petite augmentation et je sucre maintenant le fond du ravin derrière 376 où le camarade de l'Afrika Korps doit essayer de rallier ses troupes. Il n'a pas du y réussir, car on n'en entend plus parler. En attendant, bravo pour les téléphonistes! Sans eux qu'aurions-nous fait? J'avais bien prévu un relais par signaux à bras qui fonctionnait bien mais avec quelle lenteur! Cela n'aurait pas donné grand chose dans un cas comme celui-ci... L'action sur 376 est la sanction de nos deux ans d'instruction et d’entraînement. Tout fonctionne au quart de poil! Et quand je pense qu'il s'en est fallu de peu que je ne fasse pas la campagne avec la 8e Batterie! Ma Batterie... Sur son perchoir, Bessaguet a fait ouf! Mais la situation n'est guère brillante. Peu ou même plus de munitions. La nuit tombe et si l'ennemi revenait, il serait sans doute plus difficile de le repousser. Il cherche la liaison à droite et à gauche et finit par trouver une section de la Compagnie Jammes commandée par un adjudant. Il envoie ce dernier rendre compte qu'il tient la cote 376 avec 12 hommes et n'a plus de munitions. L'adjudant arrive au P.C. où se trouve le Général Deligne qui, jugeant la situation désespérée, avait déjà donné l'ordre de repli. Apprenant que 376 est à nous, il explique à Goutard et à Jammes que: "là est la clef de la situation et qu'il faut la garder à tout prix". La Compagnie Jammes va relever Bessaguet. 27 Décembre Dans la matinée et dans l'euphorie de la victoire je décide d'aller voir un peu les fantassins. Je laisse Lochen à l'observatoire et pars sur la crête avec l'Adjudant Chef Larrieu. Chemin faisant, je rencontre Bessaguet qui me saute au cou: "Mon vieux, tu m'as sauvé la vie". Ça me fait plaisir, mais je pense qu'il exagère un peu. Ce n’est qu’à la réflexion que je comprends combien je l'ai aidé. Les tirailleurs ont trouvé sur 376 un matériel énorme: 1 mortier de 81, 17 fusils mitrailleurs, 5 mitraillettes, 40 fusils dont un à lunette, plus de 40.000 cartouches en bandes et en chargeurs de 6 pour fusils. Plus que n'en a actuellement un bataillon français. Mais lorsqu'il n'y a plus de camions, comment faire pour transporter toute cette camelote? Surtout lorsqu'on n'a pas de brêles! La 8e Batterie reçoit en souvenir de la 2e Cie une mitrailleuse allemande, accompagnée d'une aimable dédicace au crayon sur une feuille de carnet (que j'ai malheureusement perdue) que j'affecte immédiatement à la défense rapprochée et une "Smesser" que je m'attribue. Sur 376, je vois pour la première fois le spectacle lamentable d'un champ de bataille après la bataille: quelques cadavres (peut-être le type d'hier soir), des armes, des munitions et le pire: des effets personnels, lettres, photos,... affreux. En continuant, j'arrive chez Jammes que je trouve dans son trou individuel. Je m'installe à coté de lui et nous commençons à discuter le coup, pendant que quelques obus tombent çà et là sur la crête. Nous découvrons être du même pays, Jammes étant enfant de l'Aude comme moi. Quel plaisir de parler de notre petite patrie... Pendant ce temps, défilent sur la route de la Sauvagère quelques A.M. et des fantassins. Il s'agit, me dit Jammes, d'une reconnaissance appuyée par deux compagnies. Tout à coup, sur une crête en face de nous, apparaissent quelques individus habillés de jaune sable, poussant un canon. Il s'agit sûrement d'une pièce antichars qui se propose de tirer sur les A.M. -"Il faut téléphoner à l'artillerie", me dit Jammes. -"Ne t'en fais pas, lui dis-je, l'artillerie c'est moi; mon Lieutenant est à l'observatoire et il connaît son boulot". Je n'ai pas fini de parler que deux coups de 65 arrivent sur la crête, aussitôt suivis d'un tir d'efficacité et l'équipe antichar s'éparpille comme une volée de moineaux. Jammes est visiblement impressionné. Après cette petite démonstration de liaison Infanterie-Artillerie, il ne me reste plus qu'à prendre congé. Je souhaite bonne journée à Jammes et je vais retrouver Larrieu qui discute avec son homologue. Je lui dis: -"Alors on s'en va?", et nous nous dirigeons sans hâte vers l’arrière. A ce moment, je vois quelques tirailleurs nous emboîter le pas. Jammes, furieux sort de son trou et leur intime l'ordre de retourner à leur poste. Il tire même quelques coups de pistolet en l'air (peu impressionnant, en raison du faible calibre de nos armes individuelles). Explication d'un tirailleur: -"Le capitaine (moi), a dit qu'on s'en allait". Il s'attire quelques appréciations bien senties de Larrieu et de son collègue sur la vertu de sa grand-mère. Décidément, les ordres de repli sont les mieux compris et les plus rapidement exécutés. L’après-midi se passe dans le calme. La "reconnaissance" du matin a échoué devant une forte résistance allemande: artillerie et infanterie. La zone Sud de l'Ousselat a l'air très peuplée. Dupont voudrait bien aller récupérer son bazar mais le Commandant Goutard estime qu'il vaut mieux ne pas se risquer en avant des lignes. 28 Décembre Journée calme, marquée seulement par l'évacuation du canonnier Fauquet pour entorse et du canonnier Zender pour fatigue générale. Ce dernier cas est très caractéristique; nous avons fourni des efforts considérables depuis le début de la campagne et surtout depuis une dizaine de jours. Malgré notre entraînement, nous commençons à accuser le coup. Moi-même, je tire la langue pour monter à l'observatoire. Quant à Zender, ne pouvant plus se tenir debout, ses camarades devaient le soutenir pour aller aux feuillées. Mais il y a beaucoup plus grave. Depuis quelque temps, on signale de nombreuses désertions de tirailleurs, surtout au 4e R.T.T. (qui devra même être relevé). Or, les canonniers Chergui et Medjeba ont disparu depuis hier. Après enquête, il est à peu près certain qu'ils ont déserté. Passe encore que des Tunisiens qui ont leurs familles chez l'ennemi et ne sont pas très sûrs du résultat final, désertent, mais nos Algériens... Moi qui me croyais sûr de mes hommes, je suis horriblement vexé. 29 Décembre Gros remue-ménage dans le secteur. Attaque de la Sauvagère et de la villa Jobert par 15 chars américains et une section d'infanterie française sur véhicules blindés. Un reporter de la Dépêche Algérienne, Frison-Roche, que j'ai bien connu lorsque j'étais stagiaire à l'E.H.M. de Chamonix les accompagne. Il ne semble pas que cette affaire ait été préparée avec tout le soin désirable: Liaison avec les chars et l'artillerie insuffisante ou même inexistante, pas de reconnaissance, idée de manoeuvre assez vague... L'attaque tombe sur une défense sérieuse et non neutralisée. Les chars foncent en tirant au hasard, vont jusqu'au fond du décor et reviennent à toute allure dans les lignes. Il en faut d'autres pour impressionner les vétérans de l'A.K. Deux chars et les transports d'infanterie, touchés par des antichars bien camouflés s'immobilisent. Les fantassins et Frison-Roche sont faits prisonniers. J'observe ce triste spectacle à la jumelle sans pouvoir faire autre chose que d'envoyer un peu au hasard quelques coups de canon. On ne gaspille pas les munitions dans l'artillerie de montagne, surtout les précieuses munitions soustraites à grand peine au contrôle des commissions d'armistice. Profitant du baroud, Dupont essaie de sortir avec sa section mais il est accueilli par un tir d'artillerie et se retire prudemment. 30 Décembre Il ne renonce pas pour autant et vers 3 heures du matin accompagné d'un petit détachement de tirailleurs qui va faire une reconnaissance sur la piste Sud de l'Ousselat, il pousse sans difficulté jusqu'à 474 et ramène le matériel. Malheureusement, les effets personnels ont disparu avec les paquetages, toiles de tente, couvertures, etc... Dupont regrette son matelas pneumatique, Bey son sac, etc... Les pillards indigènes sont passés par là. Tout est perdu sauf l'honneur: nous avons récupéré notre matériel; mais après la dégringolade dans le ravin, nous n'espérons plus pouvoir l'utiliser. C'était oublier que le matériel de 65 M a été étudié pour résister aux chutes en montagne. A tout hasard, on remonte les pièces. Ça a l'air de fonctionner. On tire quelques coups... ça tient! La batterie est de nouveau au complet. Et vive l'artillerie de montagne! Le canonnier Larzillière, blessé accidentellement la veille en nettoyant son mousqueton est évacué. Presque toutes les nuits, l'infanterie déclenche de violents tirs d'armes de toute nature sans autre motif que des alertes données par des guetteurs énervés. Il semble d'ailleurs que l'ennemi pratique lui aussi ce tir "sur les fantômes". Sous-produit de l'opération: détérioration d'armes dont le canon est bouché par de la terre et que l'on a omis de nettoyer. 31 Décembre Journée calme. Je vais rendre compte au Colonel Dumas, commandant l'A.D., que nous avons récupéré notre matériel et que la batterie est de nouveau au complet. Je m'attends un peu à recevoir des compliments. Pas du tout. Il me fait simplement remarquer que j'ai eu tort d'exposer la vie de mes hommes et la mienne pour récupérer du matériel qui peut se remplacer (voire) alors que les hommes se remplaceront plus difficilement. Je veux bien croire que je suis irremplaçable mais m'en vais un peu défrisé. Activité réduite chez l'ennemi. Il fête peut-être la Saint Sylvestre; nous aussi, avec les lentilles de l'Intendance
Les Français, ces magnifiques combattants, éternels sacrifiés, farouchement accrochés à des positions perdues d'avance d’Arcy Dawson 1er Janvier 1943 Le Commandant Goutard fête lui aussi le nouvel an à sa manière et passe la nuit à explorer le Sud de l'Ousselat avec deux sections. Il serait arrivé à l'oued Jebbana, ce qui parait étonnant et a donné l'alerte à un poste allemand à Henchir el Bania. Nous mettons à profit le calme relatif pour souffler un peu, tacher de mieux apprécier la situation et améliorer nos conditions matérielles. Deux Allemands blessés ont été faits prisonniers le 27 au matin sur 376. On les emmène à l’hôpital sur des mulets et quelques-uns de nos canonniers qui parlent allemand discutent un peu avec eux. Ce sont des jeunes de 22 à 23 ans qui ont déjà 3 ans de campagnes: France, Crète, Libye, etc... Comme on leur demande s'ils n'ont pas assez de la guerre ils répondent en riant "Tant qu'il y aura des juifs, nous nous battrons". A part cela, très détendus et n'ayant pas l'air d'avoir passé la nuit sur le terrain. -"Mon Capitaine, me disent les hommes, c'est un plaisir de se battre avec des types comme ça". Tout va donc pour le mieux, sauf le ravitaillement. Le 9e R.T.A. chez qui nous sommes en subsistance sans y être tout en y étant, refuse en outre de payer le prêt à la fin du mois de décembre. Je vais soumettre le problème à l'Artillerie Divisionnaire à qui il me semblerait plus logique d’être rattaché. Je tombe à pic. Le Colonel Dumas, commandant l'A.D. est un ancien combattant de la guerre 14-18. Cavalier passé dans l'Artillerie, il ne passe pas pour être un technicien remarquable. Mais sa principale préoccupation est que les unités sous ses ordres ne manquent de rien et surtout pas de munitions. D'une bravoure frisant l'inconscience, couvert de cicatrices, il n'hésite jamais à se porter là où il juge sa présence utile. Il a conservé les traditions de son arme d'origine et réagit vite. Le jour même, nous sommes pris en subsistance par le II/65. Tout s'arrange comme par enchantement et le ravitaillement se fait le soir même dans de bien meilleures conditions. Le 9e R.T.A. est bien débarrassé et nous très satisfaits. 2 Janvier Dans la matinée, je vois sortir du fond du décor, sur la route de la Sauvagère, une colonne hétéroclite de mulets, d'arabas, d'indigènes mais aussi de soldats allemands. Ceux-ci, manquant de camions, ont du réquisitionner de la main d'oeuvre locale pour transporter leur camelote. Histoire d'échauffer les pièces et de mettre un peu d'animation dans le secteur, j'envoie 6 coups sur ce cirque qui se disperse avec entrain dans toutes les directions. Pendant ce temps, le Commandant Goutard, se fait creuser un abri dans les parois de 376. Dans cet embryon de souterrain en "sape russe", sans doute souvenir des cours de travaux du Génie qu'il a du subir à l’École Militaire et qui risque de s'ébouler sur lui, il est plus heureux qu'un roi et rêve de reconstituer un front continu "comme en 14-18". Pour l'y aider, je mets à sa disposition ma défense rapprochée et mes vaillants fuyards du 25 décembre qui n'ont pas grand chose à faire et renforceront utilement la défense de la position. Vers 16 heures, une patrouille du 1er R.T.A. arrive jusqu'à Hir el Assel sans rencontrer personne. L'ennemi semble s’être retiré sur Hir el Bania et la Ferme Sainte Juliette. 3 Janvier Au début de la matinée, le Lieutenant Dupont va explorer les environs de 474 et récupère encore du matériel, qui n'est pas forcément à nous d'ailleurs. J'entends même dire que certains mulets de provenance indéterminée auraient demandé à s'engager dans l'artillerie de montagne et que le Maréchal-ferrant Bridonneau s'occuperait activement à les immatriculer. Tant mieux, on n'a jamais assez de brêles. Nous avons été très bien accueillis par les habitants de la mechta voisine auprès de laquelle Straumann et Hugot ont installé leur cuisine. Le soir quelques uns d'entre eux viennent déguster le "jus" de l'ordinaire et discuter un peu. Nous apprenons ainsi beaucoup de choses intéressantes. Lors de notre arrivée, le 19 décembre, l'un d'eux a dit: -"Soyez les bienvenus, vous resterez ici 60 jours". Le propos m'a été rapporté et, bien que j’aie pu constater dans le Sud des cas de "seconde vue" assez extraordinaires, je suis plutôt sceptique car depuis le début de la campagne, nous ne sommes jamais restés bien longtemps à la même place. La chose a d'ailleurs fait le tour de la batterie et de petits malicieux comptent les jours: "50 au jus, 45 au jus, etc..." Puis on n'y pensera plus... Si le calme règne à Pichon il n'en est pas de même dans le Sud au col de Fondouk el Okbi. Les Allemands attaquent le col avec chars et artillerie et en délogent le 2e R.T.A. qui se retire sur le Djebel Trozza après avoir subi des pertes sérieuses. On aperçoit des chars (sans doute allemands) en flammes. Dans la soirée, l'aviation américaine intervient, bombarde le col et stoppe l'avance ennemie.De son côté, l'aviation allemande fait son apparition dans notre zone. Des bombardiers lâchent leurs bombes sur Pichon, 3 chasseurs mitraillent la route et incendient un camion de la 6e batterie du 65e R.A.A. Un avion (sans doute allemand) brûle au-delà de Pichon. Désormais l'aviation allemande, les fameux F.W. 190 et les Messerschmidt 109, les "Flying Bullets" comme les ont surnommés les Anglais, vont faire régner l'insécurité sur les routes. Dans la nature, nous sommes à peu près tranquilles, mais de l'observatoire, je vois parfois un avion piquer, mitrailler un véhicule et dégager après avoir incendié et parfois fait exploser sa cible. Peut-être voit-on aussi quelques avions amis mais nous ne savons guère les reconnaître, sauf les Lockeed Lightning ou P 38 américains à deux fuselages. Mais il n'y en a guère. 4 Janvier La journée et les jours suivants se passent dans le calme. Aucun indice d'activité ennemie sauf les incursions de l'aviation. Lochen en profite pour aller faire une liaison à Tébessa d'où il rapporte quelques nouvelles. Le III/67 serait à "Chambord" mais nous ne savons pas quel coin de Tunisie désigne ce nom conventionnel. Ce vocabulaire camouflé est d'un emploi courant et d'ailleurs malcommode. Suivant ce code la 8e Cie s'appelle Sycomore. Le 8 janvier dans l'après-midi, on aperçoit un combat d'aviation au-dessus du Djebel Trozza. Trois avions de nationalité inconnue sont abattus. La "décision des gardes d'écurie" prévoit une attaque ennemie pour le lendemain. Est-ce une conséquence? Les canonniers Mihoubi et Saadi disparaissent. Encore des désertions. Ce n'est sans doute pas du aux tracts que les Allemands lancent sur nos lignes. Rédigés en arabe, ils sont illisibles pour la quasi-totalité des militaires indigènes. Un de nos canonniers qui en a ramassé un, demande à l'Adjudant Chef Larrieu ce que cela signifie. Imperturbable, Larrieu répond:-"C'est les Allemands qui disent que tu es un c..." Fureur de notre brave Mohammed qui jure de faire passer à ces mécréants le goût du couscous. Nous ne sommes pas beaucoup plus forts d'ailleurs et les tracts en français et en arabe par lesquels nous ripostons ne témoignent pas d'une grande psychologie. Mais j'en ai assez de ces désertions et demande à Larrieu de s'occuper de la question. Seul un gradé indigène ou un parfait connaisseur de la vie en A.F.N. peut débrouiller ces "histoires arabes". 9 Janvier Je vais à Maktar, faire mandater les états de solde de décembre. En fouinant dans les services, je récupère diverses choses intéressantes, en particulier quelques lettres pour la batterie. C'est le premier courrier, ou à peu près, que nous recevons depuis le départ. Les nouvelles ne sont pas mauvaises; l'arrière tient le coup. 10 Janvier Toujours pas d'activité ennemie. Le Commandant Goutard décide d'envoyer une section de la 2e Cie explorer les environs d'Henchir el Bania. La 1ère pièce va mettre en batterie vers 474 sous les ordres du Lieutenant Lochen pour l'appuyer au besoin. La reconnaissance rentre vers 12 heures sans avoir rencontré personne. Un autre canonnier, Mohammed ben Belgacem a disparu. Cette fois, il est certain que ce sont des civils tunisiens qui incitent nos hommes à déserter et les emmènent chez les Allemands. 11 Janvier Mis en appétit par sa promenade de la veille, Lochen décide d'aller faire un tour dans le no man's land. Pensant avec raison qu'il ne faut pas se borner à la piste Sud de l'Ousselat, il se dirige avec une partie de sa section vers la villa Jobert. En arrivant vers la Sauvagère, il est pris à partie par des tirs de mortier et d'armes automatiques du 1er R.T.A. Khamari Ali reçoit quelques balles dans la caissette de cartouches qu'il transporte. Plus de peur que de mal. On a sans doute oublié de prévenir le 1er R.T.A. De toute façon, cela n'aurait pas servi à grand chose; les tirailleurs ont la détente facile; plusieurs de leurs officiers et gradés en ont fait l'expérience. Lochen oblique vers l'Est mais en arrivant vers Hir el Assel, ce sont les Allemands qui se mettent à tirer, sans doute au mortier, depuis le Ferme Sainte Juliette. Lochen bat en retraite. Seuls, le chef Bocher et Tartary réussiront à arriver à la villa Jobert qu'ils trouvent déserte. Ils ramènent diverses bricoles et quelques livres dont "Les 7 Piliers de la Sagesse". Quelques jours auparavant, s'est produit un incident tragi-comique. Une nuit, la défense rapprochée de la batterie que j'ai mis à la disposition du 9e R.T.A., fait feu de toutes ses pièces. Je pense que c'est encore un tir "sur les fantômes" et les engueule en conséquence. Dans la matinée, le Commandant Goutard me convoque et me félicite pour la brillante conduite de mes hommes qui auraient pendant la nuit repoussé des infiltrations ennemies. Il me précise que l'on a trouvé devant la position des traces de sang, un casque allemand, des grenades etc... Il faut les citer, me dit-il. Je le remercie, mais reste assez sceptique et je fais ma petite enquête. Elle aboutit assez rapidement. Un tirailleur du 9e R.T.A. a ramassé sur 376 quelques trophées: casques, grenades, boites en plastique contenant du beurre et un fromage malodorant et une bouteille de "schnaps". S'étant assis dans les rochers devant la position, au soleil et à l'écart des regards indiscrets, il a dégusté le schnaps puis, si bien manipulé les grenades (offensives heureusement), qu'il s'en est fait sauter une par la figure. Un peu écorché, il a abandonné son bazar pour aller se soigner en catimini. Non sans laisser quelques traces de sang Pendant la nuit, mes vaillants guerriers, croyant entendre du bruit ont tiré sur les fantômes. Tout s'explique. Pas de citation. J'ai peut-être eu tort. Leurs citations n'auraient pas été beaucoup moins valables que d'autres... L'histoire arabe de désertions est aussi sur le point de s'éclaircir. Les canonniers Bachtouti et Karoui engagent comme par hasard la conversation avec le Maréchal des Logis chef Lhassani. Après un échange de banalités, ils lui confient négligemment que le soir même, ils vont partir. -"Et où?" demande Lhassani. -"Chez les Allemands". Sollicités de s'expliquer, ils racontent qu'un civil leur a proposé de les conduire à travers l'Ousselat dans un endroit où ils seront bien tranquilles jusqu'à l'inéluctable victoire allemande. Lhassani se fait montrer le "chemin de la liberté" et leur conseille vivement de suivre le "passeur". Vers 19 heures il va s'embusquer sur le sentier et lorsque vers 2o heures les faux déserteurs arrivent avec leur cornac, il les arraisonne avec d'horribles menaces. Le suppôt d'Hitler s'appelle Amara ben Mohammed ben Abdallah. Il est aussitôt interrogé par Salem qui le terrorise et sans le brutaliser lui soutire d'intéressantes révélations. Le service de recrutement allemand est dirigé par un certain Ali ben Meskine qui demeure quelque part dans l'Est. Des complices: Amara ben Touami et un certain Belgacem seront arrêtes le lendemain. Il y a aussi un nommé Ali dit "le brigadier Ali", caril a servi au 62e R.A.A. à Tunis. Ce dernier est introuvable. 12 Janvier La capture du "passeur" est un succès incontestable mais pose des problèmes. Qu'allons nous en faire? Le Commandant Goutard pense qu'il faut l'envoyer à la prévôté de la Division. Certains dont l'Adjudant Chef Larrieu sont d'avis de le fusiller devant la batterie rassemblée. Cette justice un peu théâtrale sera, disent certains, appréciée de nos canonniers et de la population locale comme un acte de chef. Ils ont sans doute raison, mais la réalisation ne me parait pas tellement simple. Cela dépasse d'ailleurs un peu ma compétence, mais dans la situation où nous sommes, je pourrais bien en prendre la responsabilité. D'autre part, j'en fais une affaire personnelle. Ce sont "nos hommes" que cet individu a fait déserter. Et peut-on être juge et partie? C'est plutôt un cas de légitime défense. Aussi, quand Larrieu me le présente, je l'emmène dans le fond d'un oued avec l'intention de l'exécuter moi-même d'une balle de mon Mauser de récupération. Je lui en explique les raisons et suis prêt à mettre ma menace à exécution. Mais Larrieu m'en dissuade, faisant valoir que nos désertions ne sont qu'un cas particulier et que la prévôté sera sûrement intéressée par nos captures et pourra mieux que nous les utiliser pour faire cesser les désertions dans l’ensemble de la Division. Je me rends à ses raisons et on expédie le pauvre diable et ses comparses à la prévôté de la D.M.A. avec un rapport. Réaction immédiate: -"Mon capitaine, vous avez réussi un coup de maître; nous n'arrivions pas à découvrir les coupables; désormais plus de désertions, etc..." Il n'en sortira rien bien entendu. J'ai bien envie d'avoir une explication avec le citoyen Ali ben Meskine et je pars sur le "chemin de la liberté" avec Larrieu et quelques hommes. L'expédition tourne court car la résidence d'Ali ben Meskine s'avère assez loin dans les lignes allemandes. On reverra tout ce beau monde au mois d'Avril. Le lendemain, Larrieu part dans cherche du "brigadier Ali". Il arrive dans son douar mais le loustic ne nous a pas attendu. Personne n'a rien vu et ne sait rien. A la fin, un "chibani" lui explique cette discrétion: -"Je connais bien Ali mais je ne puis rien te dire car si vous l'attrapez vous ne lui ferez rien et moi je suis trop vieux pour me défendre". Comme il avait raison. Dans la matinée du 12, une batterie de 75 D.C.A. aux ordres du Capitaine Laloe est arrivée dans le secteur. Enfin, nous allons être un peu défendus contre l'aviation ennemie. Illusion de courte durée. Dans l'après-midi, un avion ennemi se présente. La batterie tire dessus et le manque. Aussitôt, arrivent une douzaine de ses collègues qui bombardent la position. La batterie riposte mais ne tarde pas à être mise hors de combat. Nous contemplons tristement ce spectacle en nous remémorant la boutade de Clemenceau: "Il y a trois choses inutiles: les... attributs masculins du Pape, le ministre de la Guerre et la D.C.A..." 15 Janvier Le Commandant Capello, commandant le III/67 R.A.A. vient nous rendre visite. Je lui rends compte de ce que nous avons fait depuis que nous avons quitté le groupe. Il nous donne quelques nouvelles. Le Major Argiot est nommé adjudant à compter du 10 janvier. Le Maréchal des Logis Rousseau doit rejoindre Batna le 18 janvier en vue de l'instruction de 150 hommes des Chantiers de Jeunesse qui doivent être affectés au Groupe. Le Groupe sera armé de matériel moderne. Encore une illusion, mais cela nous donne de l'espoir pour le moment. L'Aspirant Baudouin a été blessé au cours des combats de Décembre en remplaçant le servant d'une mitrailleuse au cours d'une attaque italienne et a fait l'objet d'une citation très élogieuse. L'Aspirant Sentz a failli être tué et a été proposé pour une citation. Proposition qui est revenue avec demande d'explication: -"Que fait Sentz au groupe? Il est en situation irrégulière; étant agent civil, il n'a pas le droit de prendre part aux opérations et fait la guerre à ses risques et périls". Effectivement, en 1942, Sentz a été mobilisé comme ne remplissant pas les conditions requises pour faire partie de l'Armée de l'Armistice. Il était resté au Groupe comme agent civil. Le 10 novembre, il avait repris son uniforme et était parti sans hésiter avec le Groupe. Ces explications sont heureusement acceptées. Sentz est réintégré dans l'Armée, cité et sera nommé sous-lieutenant, grade amplement mérité depuis plusieurs années déjà. Il terminera la guerre comme Capitaine et sera de nouveau rendu à la vie civile ne remplissant pas non plus, parait-il, les conditions requises pour être conservé dans l’Armée. Une fois de plus, on s'est privé des services de ce militaire dans l’âme, tout en conservant des gens qui ne le valaient pas et de loin. La voiture de liaison a été envoyée à Ousseltia pour révision. Des services divers ont été mis en place dans le village et surtout aux alentours et en particulier des dépôts de munitions et un centre de ravitaillement des subsistances à la Ferme Bertol. La batterie s'y ravitaillera désormais avec ses propres moyens (arabas). Au cours d'une perquisition dans une mechta des environs, l'Adjudant Chef Larrieu découvre de nombreux effets militaires enterrés mais malheureusement pas ceux dérobés à la 2e section à la suite de l'embuscade du 22 décembre. 17 JanvierIl est important d'avoir beaucoup de souliers Napoléon La voiture de liaison rentre d'Ousseltia. Un des fuyards des combats de décembre revient à la batterie. J'ai oublié son nom mais son histoire vaut d’être contée. Il est parti sans se retourner et au bout de quelques jours est arrivé à la Meskiana où il s'est arrêté. Consciencieusement il est allé se présenter à l'administrateur à qui il a déclaré que toute son unité, capitaine en tète, avait péri dans la bataille. Seul survivant, il a réussi à gagner la Meskiana et vient demander ce qu'il doit faire. L'administrateur, un peu étonné, m'écrit pour vérifier ses dires et me demander, le cas échéant, ce qu'il faut faire de l'intéressé. Je lui réponds que tout le monde se porte bien, el hamdou lillah, et qu'il me renvoie ce foudre de guerre. Envoyer ce dernier au conseil de guerre serait ridicule. On lui fait donc constater que tout le monde est bien vivant à la batterie et qu'il n'est qu'un minable. Il exprime son repentir et Larrieu lui demande si à la prochaine occasion il se sauvera de nouveau. Il répond après réflexion: -"Je ne sais pas. Peut - être je sauve, peut-être je sauve pas". C'est un sage. Les poux ont fait leur apparition. Ils en veulent particulièrement au Maréchal des Logis. Pierson. Toutes ses tentatives pour s'en débarrasser échouent. Il fait même bouillir ses effets dans une marmite de récupération. Peine perdue. Il y a aussi les puces. Malheur à celui qui monte sa guitoune à certains endroits, peut-être anciens emplacements de campements nomades où les horribles bestioles se seraient incrustées. Dupont en fait la triste expérience. Quant au Commandant Capello, habitué au luxe et à l'élégance, il qualifie volontiers ses subordonnés montagnards de "snobs de l'inconfort" et a entrepris de se loger dans une mechta abandonnée. Il en ressort bien vite, rongé par la vermine. Personnellement tous ces animaux ne semblent pas me trouver à leur goût. C'est extraordinaire car je suis aussi hirsute, crasseux et barbu que tout le monde. Un soir, je vais avec Lochen me baigner dans l'oued Marguellil. Brrr...et le savon est rare. L'expérience n'a pas grand résultat et ne sera pas renouvelée. Les palabres continuent aux cuisines. Le patriarche du coin, le père Ali, nous raconte l’histoire du pays. Il nous parle entre autres de l'occupation Romaine (le pays est couvert de ruines datant de cette époque). "Ou bad, nous dit-il, djaou el Celt" (Et après vinrent les Celtes). Et il nous décrit très exactement l'invasion vandale, puis le retour des Romains (les Byzantins) et la fuite des Vandales dans le djebel où ils sont restés très longtemps et à qui ils ont donné leur nom (Ould celt: les fils des Celtes); puis ils ont disparu et personne ne sait ce qu'ils sont devenus. Effectivement, le Djebel Ousselat est truffé de vestiges que la carte d’État Major qualifie de ruines berbères: restes de murs, cuvettes aménagées autour d'oliviers très vieux, marches d'escalier taillées dans le roc etc... Voilà un bel exemple de transmission orale de l'Histoire. Pauvre cheikh Ali, les Allemands l'ont tué après notre départ. Très intéressants aussi sont les récits des bergers qui, dans la journée, vont garder leurs troupeaux un peu partout. Ils observent toutes sortes de choses et nous en font part. Dans la poussière ou dans un tas d'orge, ils modèlent les formes du terrain et nous expliquent ce qu'ils ont vu à tel ou tel endroit. Pierson ne passe pas tout son temps à lutter contre les poux. Avec ses acolytes, il démonte sans cesse ses vieux postes téléphoniques mle 16, les fait sécher, vérifie son vieux câble d'exercice, etc... Grâce à eux, nous aurons toujours des transmissions correctes avec du matériel hors d'usage. On a trouvé sur 376 deux postes radio portatifs qui nous seraient bien utiles pour remplacer les téléphones. Pierson saurait les utiliser mais des lampes sont cassées et il n'y en a pas de rechange. Les États Majors sont un peu mieux installés que nous, dans des fermes européennes. Je suis parfois invité à l'A.D. où le Colonel Dumas mène la vie dure à ses deux capitaines: Butin et Chidaine dit "la mine bondissante". Je puis même un jour, luxe suprême, m'y faire couper les cheveux par un coiffeur occasionnel. Un jour où je suis invité à déjeuner, le Colonel Dumas sort de son silence soucieux au milieu du repas pour me demander si tout va bien à la 8e Batterie. -"A peu près", lui dis-je. -"Mais enfin qu'est ce qui ne va pas". Comme on ne parle pas de service à table, je réponds évasivement. Il réclame des précisions et quand il a suffisamment insisté je lui récite tous les déficits de l'unité: habillement, harnachement, etc... -"Et qu'avez-vous fait?" -Mon Lieutenant est allé à Maktar mais n'a pu obtenir ces effets de l'Intendance". -Chidaine! Appelez-moi l'Intendant! Chidaine s'exécute et réussit au dessert à avoir l'Intendant qui ne semble pas content d'être dérangé. Le Colonel Dumas l'engueule copieusement et exige que nos demandes soient satisfaites. Lochen ira le lendemain à Maktar et aura tout ce qu'il voudra... 18 Janvier Rousseau quitte l'unité et part pour Batna, chargé de commissions pour tout le monde et avec un certain regret semble-t'il. Il pourra certainement dissiper certains malentendus et réparer certaines erreurs. Pour mon compte, j'ai appris qu'un individu non identifié avait répandu le bruit de ma mort avec force précisions: le lieu où j'étais enterré, etc... Les regrets étaient unanimes, on m'avait cité en exemple aux enfants des écoles... Par chance, seule ma femme n'était pas au courant, le colporteur de fausses nouvelles était trop ivre pour trouver mon domicile. L'Adjudant Argiot prend les fonctions d'observateur et le canonnier Kadjoul Abdallah disparaît. 19 Janvier Escarmouches dans la région de Fondouk el Okbi où les Tabors Marocains s'emparent d'une hauteur surnommée "le Haricot". Mais ce que nous ne savons pas encore, c'est que des affaires sérieuses ont commencé dans le Nord. Von Arnim a lancé une attaque contre la Division Marocaine du Général Mathenet qui a rapidement été mise hors de combat. Un groupement de chars et d'infanterie italo-allemand (Groupt Weber) débouche le 20 dans la plaine d'Ousseltia. Le Colonel Conne est chargé de la défense du secteur Nord de la D.M.A. Avec ses maigres ressources, il organise trois "bouchons", centres de résistance à base d'infanterie et d’antichars, à Bir Aouled ben Salmi, 15 km Nord d'Ousseltia. Pont de l'Oued Marouf à 8 km et lisières Nord d'Ousseltia. 20 Janvier Cependant tout est calme à Pichon. Dans la matinée, un aumônier militaire vient célébrer une messe à la maison des Eaux. Puis un lieutenant du Génie Anglais nous fait une démonstration d'engins antichars. Pour la première fois, nous voyons des charges creuses et sommes très étonnés de voir une "mine ruche" creuser comme à l’emporte-pièce un trou de 20 cm de diamètre et de plus de 1 m de profondeur dans la terre sans qu'on sache où sont passés les déblais. Seul incident: 4 avions allemands mitraillent 2 camions sur la route d'Ousseltia. Mais déjà on entend vers le Nord une violente canonnade. Deux batteries du 65e R.A.A . ont ouvert le feu sur les chars allemands, un peu trop loin semble-t'il et sans grand résultat. A la nuit, l'ennemi a enlevé le premier bouchon et a atteint l'Oued Marouf. Nous ne connaîtrons ces précisions que plus tard mais nous savons déjà qu'une puissante attaque allemande descend la vallée et va nous prendre à revers. 21 Janvier Sur les instructions du Commandant Goutard, je prends toutes dispositions pour pouvoir tirer dans un angle de 180 à 270 degrés pour pouvoir faire face à des attaques pouvant venir de l'Est ou du Nord. L'observatoire est reporté juste au-dessus de la batterie; nous attendons l'ennemi. Pour nous distraire, l'aviation française fait son apparition dans le ciel. C'est l'Escadrille Lafayette qui engage le combat au-dessus de nous avec une escadrille allemande. Après un ballet aérien auquel nous ne comprenons pas grand chose, tout se disperse, laissant un avion brûler au sol vers Ain el Mhrarma à 12 km environ vers l'Ouest. Le Groupt Weber a débordé le bouchon de l'Oued Marouf et dans la nuit du 20 au 21 a atteint Bir Es Sadi à 10 km environ à l'Est d'Ousseltia. En début d'après-midi, l'aviation américaine lance un "tapis de bombes" sur les positions ennemies. Puis la brigade blindée U.S. du Général Robinett descend des hauteurs de la Kessera et attaque vers 15 heures les "panzer" allemands. Après de violents combats de chars, l'offensive allemande est stoppée. 22 Janvier Au lever du jour, la canonnade reprend dans le Nord. Un combat de chars est en cours vers Bir Es Sadi. En fin de matinée, le calme est revenu. Les Allemands seraient en retraite vers le Nord. Les unités d'infanterie française qui tenaient la Dorsale entre Henchir Karachoum et Djeloula ont du se replier dans des conditions très pénibles jusqu'au Sud du Djebel Rihana. Nous sommes les seuls à rester en place dans l'Ousselat et à Pichon. Dans l'après-midi, je vais avec Larrieu et quelques hommes reconnaître l'avion abattu la veille. C'est un F.W. 190 le pilote a été tué et partiellement brûlé. quelques papiers épars aux environs semblent indiquer qu'il était récemment encore en France. Nous l'enterrons et essayons de mettre sur sa tombe la croix noire de son avion. Impossible de la détacher, le métal est trop dur. 23 Janvier La menace allemande semble définitivement écartée. J'en profite pour aller à Maktar toucher le prêt. Dans l'après-midi, Straumann va au ravitaillement à la Ferme Bertol. Pendant qu'il perçoit les vivres, des avions allemands mitraillent la Ferme. Le personnel de l'Intendance saute dans les abris. Ne perdant pas le nord, Straumann profite de l'aubaine, rafle tout ce qu'il peut et rentre dare-dare à la batterie. Grâce à son esprit d'à propos, l'ordinaire sera un peu amélioré. Seuls dégâts: deux mulets blessés et quelques rayons de roue cassés aux arabas. 24 Janvier Dans la nuit, on entend vers l'Est chez l'ennemi, de forts bruits de moteurs. Dans la matinée, une batterie allemande qu'il n'est pas possible de repérer, tire quelques coups aux environs du carrefour des routes Pichon-Maktar et Pichon-Ousseltia. Dans l'après-midi, ordre de l'A.D. de replier l'échelon lourd sur Kef el Garia. Le mouvement s'effectue dans la nuit. 25 Janvier Deux batteries allemandes sont repérées, l'une vers Henchir el Bania, l'autre derrière la Ferme Sainte Juliette. Comme je dispose d'un excellent observatoire, d'où je vois bien cette dernière, le Colonel Dumas me confie le soin de tirer dessus avec la 6e Cie du 65e R.A.A. (Capitaine Righini) dont les 75 sont plus efficaces et portent un peu plus loin que nos 65 M. Je règle sans difficulté et expédie 50 coups sur l'objectif. Pendant ce temps, une section de 155 C (Lieutenant Laurent) qui vient d'arriver dans le secteur, vers la Maison des Eaux, prend à partie la batterie d'Henchir el Bania. Spectacle magnifique. Les éclatements du 155 soulèvent d'énormes colonnes de poussière et de fumée. Les Allemands ripostent un peu pour le principe mais se taisent bientôt. Aucune des deux batteries ne tirera plus par la suite. 26 Janvier L'Adjudant Argiot et le B.C. Guiglia vont à la cote 632 qui constitue un excellent observatoire, pour essayer de repérer des indices d'activité ennemie. Ils ne voient rien. Les positions des deux batteries prises à partie la veille paraissent abandonnées. Première arrivée importante de courrier depuis notre départ de Batna. 27 Janvier Les goums marocains sont arrivés dans le secteur car des infiltrations allemandes sont signalées dans le Djebel Ousselat. A coté de nous se trouve le 72e Goum (Lieutenant Delage). Dans la journée, on entend des bruits de combat dans l'Ousselat. Le soir, les goumiers ramènent un adjudant allemand qu'ils ont attrapé à la course et atteint à bout de souffle. Il revient de Russie, et, excepté la crainte des goumiers, trouve la Tunisie plus agréable que la Russie. Il donne sans trop de difficultés semble-t'il des renseignements intéressants sur les troupes allemandes qui essaient de traverser l'Ousselat. Vers 21 heures, on entend une forte explosion vers le bordj des Domaines. Ce serait une mine qui a explosé près du mur de clôture sans trop de dégâts. Peut-être un engin manipulé sans précautions par les goumiers? 28 Janvier Des bruits de combat se font à nouveau entendre dans le nord du Djebel. Puis l'aviation (mais laquelle?) effectue un bombardement sur cette région. Enfin, dans l’après-midi, les bruits semblent s'éloigner vers l'Est. L'ennemi semble s’être retiré sur le bord est de la trouée de Pichon. L'observatoire de la cote 529 s'avérant insuffisant, je renvoie Argidt , accompagné du canonnier Rossillon à 632 pour observer cette zone. A notre gauche, le Groupement de Latour, 1er et 6e Tabor progresse sur la ligne Sidi Sefiane-Fesquiet es Souk. Il occupe en fin de journée la ligne 736.854.860.895. Le 72e goum protège ce mouvement vers le sud par des patrouilles sur la cote 808, 449 (Bir Esouz) et 715 (Sidi Aissa). 29 Janvier Les observateurs reviennent. Ils ont décelé des mouvements aux environs de la Ferme Henchir Stella. Quatre avions allemands viennent bombarder le Bordj des Domaines en toute quiétude. Il y aurait un tué. Dans l’après-midi, mitraillage d'une Jeep américaine à coté de la Maison des Eaux. Les deux occupants sautent en catastrophe tandis que la voiture va échouer en flammes dans le décor. Tous deux sont blessés. L'un d'eux arrive à peu près nu à la Maison des Eaux, ayant du se débarrasser de ses vêtements qui avaient pris feu. Mais il semble qu'une unité de D.C.A. américaine soit arrivée dans le secteur. Les incursions aériennes sont parfois saluées par des éclatements fusants. Peut-être est-ce la batterie du Capitaine de Pazzis qui lui a été donnée par un général américain pour sa belle résistance contre des blindés, lors du débarquement du 8 novembre. 30 Janvier Il sera peut-être nécessaire de porter une section en avant, peut-être dans le col Nord de 474 avec observatoire à 632 malgré la longueur de la liaison téléphonique. Lochen va étudier le problème. Dans l'après-midi, une batterie allemande tire quelques coups sur la crête 632-676. Les mitraillages d'avion continuent. Trois camions sont aperçus en flammes sur la route Pichon-Ousseltia. 31 Janvier Dans la matinée, une patrouille du 72e Goum trouve la ligne de crête 788-801-808 occupée. Il semble y avoir là 2 compagnies allemandes, sans doute arrivées par la piste conduisant au marabout de Sidi Saad ben Hadid, semblant vouloir attaquer l'une vers le bordj des Domaines, l'autre vers 632. J'envoie immédiatement la 2e Section se mettre en batterie dans l'Oued el Arar à 1 km environ à l'Est du Bordj des Domaines. Les Allemands ont déjà débordé à droite et à gauche le poste avancé des goumiers sur le Kef el Agreb. Quelques coups de 65 et ils regagnent leurs positions de départ sans insister. Par mesure de précaution, je fais replier l'échelon sur les pentes du Djebel el Halfa. ler Février Nouvelle tentative allemande repoussée comme la veille à coups de canon. Notre cote monte chez les goumiers. C'est vraiment agréable de travailler avec ces merveilleux guerriers et avec un bon camarade comme Delage. Le 72e Goum dont la fière devise est: "Mourons gras", est bien digne de faire équipe avec la"batterie de fer"! Un soir, je rentre d'une petite balade en avant des lignes, entre chien et loup. Pour plus de sécurité et pour éviter de recevoir un coup de fusil d'un tirailleur nerveux ou d'un de mes héros de la défense rapprochée, je vais passer par un petit col gardé par les goumiers. Je m'avance bien en vue pour être reconnu du chouf qu'ils ont placé dans les rochers au-dessus du col, un boujadi sans doute, tandis que le mokkadem déguste le thé avec ses hommes sous un arbre un peu en dessous. A une cinquantaine de mètres, j'entends le caporal interpeller le guetteur, sur ce ton particulier qui porte très loin: -"Ach koun idji?": Qui est-ce qui vient? Sur le même ton, le guetteur répond: -"C'est le capitaine de l'artillerie". C'est tout; je puis être tranquille; salutations rituelles au passage et je regagne la batterie. Le secteur d'Ousseltia vient d’être réorganisé. Au Nord, les hauteurs de la Dorsale sont abandonnées. La plaine est gardée par des unités américaines derrière un immense champ de mines. Depuis la route Ousseltia-Kairouan au Nord du Djebel Rihana, jusqu'à Pichon, nous tenons encore la Dorsale. L'ensemble des unités qui l'occupent est commandé par le Général américain Roosevelt qui a pour adjoint le Colonel Conne. C'est probablement vers cette époque que ce dernier vient nous rendre visite. Je suis à l'observatoire lorsque Lochen me téléphone: -"Mon capitaine, le général est là". Je descends en vitesse plein d'appréhension. Elle est vite dissipée. Calme, souriant, il respire la bienveillance, la bravoure tranquille et la franchise. Il n'est que colonel mais il fait pratiquement fonction de général qu'il sera d'ailleurs bientôt. -"Ne vous dérangez pas, me dit-il, j'ai un moment libre et je viens vous voir". Il se promène sur la position, pose quelques questions, tandis que son adjoint, aussi souriant et détendu que son patron, bavarde avec Lochen. Quand il nous quitte, il a gagné l'admiration et la sympathie de tout le monde. Nos canonniers indigènes, prompts à juger les hommes ne tarissent pas d'éloges. Maintenant, lorsqu'on saura que l'on "marche avec le général Conne" tous, jusqu'au dernier conducteur, iront de bon coeur et en toute confiance. 2 Février Il est très difficile de repérer les positions ennemies qui nous surplombent de 400 m environ et se camouflent dans des broussailles assez denses. J'essaie en vain de trouver quelque objectif, lorsqu'un goumier se précipite vers moi et me dit: -"Mon capitaine, ils sont là". Je scrute avec mes jumelles la crête qu'il me désigne mais ne vois rien d'anormal. Comme il insiste et que nous ne pouvons nous entendre, je lui montre mon croquis perspectif. "C'est là", me dit-il en indiquant un point de la crête. Je regarde à nouveau l'endroit correspondant sur le terrain et ne vois toujours rien. Mais, confiant dans les facultés visuelles des Marocains, j'envoie 4 coups à l'endroit indiqué. Aussitôt je vois surgir des broussailles des individus qui se dispersent dans toutes les directions. Liaison infanterie artillerie parfaite. Avec des observateurs de cette qualité, la 2e Section tirera une centaine de coups dans la journée avec un plein succès d'après les comptes rendus des postes avancés. 3 Février Je vais à Maktar toucher la solde de Janvier. L'aviation allemande bombarde les bois de la Kessera. Un dépôt de munitions et 7 camions sautent. Un camion de mines saute sur la route de Pichon. A la batterie, Lochen stoppe une attaque allemande qui descend du Kef Snouber. 4 Février A part quelques tirs sur 801 où l'on aperçoit fréquemment des mouvements ennemis, la journée est calme. La cote 808 est inoccupée mais 808 est fortement tenue sans doute par 2 sections. Sur Draa Lassoued, les goumiers ont trouvé des traces de travaux correspondant à une section environ. Dans l'après-midi, un violent combat aérien a lieu vers Ousseltia. Deux avions au moins tombent en flammes et l'on aperçoit un parachute. On saura plus tard que c'étaient deux avions américains attaqués par 8 chasseurs allemands. Les Allemands se sont emparé du col du Faid au Sud de Fondouk el Okbi. Vers 22 h 30 des éléments allemands attaquent les cotes 632, 676 et 474 (Sersouf Dar Morda). L'attaque est repoussée. 5 Février On entend de violents bruits de combat d'infanterie vers le signal du Taourirt dont un bataillon du 29e R.T.A. (Bataillon Pagès) s'était emparé au début janvier. Tir observé sur ce qui semble être un observatoire ennemi à la cote 801. La ligne amie passe par le signal du Taourirt (887) le col 736, l'avancée 854, la ligne de crête jusqu’à 881 (nord du Kef el Guitoune) le signal 812, le Kroumet el Krada (609). En face, l'ennemi tient les cotes 682 et 605 avec des postes qui semblent couvrir les pistes venant de Sidi Ahmed vers le nord; la cote 743, la ligne de crête 798.808.801 signal 788. Un observatoire semble installé à la cote 704. L'ensemble des points 798.808.801.788 et 704 parait constituer une organisation solide. Une reconnaissance a trouvé le Kef Snouber inoccupé. Plus au Sud, l'ennemi tient l'Argoub en Négrila, Henchir el Bania, Ferme Sainte Juliette. Dans cette zone l'activité est réduite. 6 Février Notre secteur est étrangement calme. A tout hasard, pour ne pas rester inactif, après avoir fait la synthèse de divers renseignements ou indices: études de la carte, observations des goumiers, direction des bruits, palabres des bergers... J'exécute quelques tirs sur des coordonnées et à des heures où je suppose qu'il doit se trouver quelque chose. Cela remonte le moral des troupes amies et abaisse peut-être celui de l'adversaire. Les quelques tirs allemands tombés chez nous au mois de Janvier n'avaient peut-être pas d'autre but. Un jour de janvier, un obus est tombe derrière une muraille de rocher presque verticale où s'abritait un élément de transmissions. Le poste radio a été détruit, l'opérateur et un mulet tués. Ce coup malheureux est certainement dû au seul hasard et non à la malice de l'artilleur d'en face. C'est ce que nos anciens de 14-18 appelaient le "coup du cuisinier". Plus tard, un prisonnier allemand d'une unité ayant participé aux combats de l'Ousselat dira qu'il ne comprenait pas comment l'artillerie française avait pu les repérer, alors que leurs positions étaient invisibles de tout observatoire terrestre. C'est peut-être pour cela qu'ils avaient fini par chasser les bergers indigènes de leur zone en les accusant de "trahison". Nous commençons à nous embourgeoiser dans ce secteur calme. Des éléments de confort, (si l'on peut dire), apparaissent. Lochen, grâce à sa parfaite connaissance de l'anglais a réussi à se procurer une caisse de rations anglaises, dite"caisse pour quatorze men" qui améliore un peu nos repas fraternels avec le 72e Goum. L'Intendance nous ayant gratifié au titre de "viande sur pied" d'une chèvre squelettique, Straumann lui-même a hésité à la sacrifier. Convenablement soignée, elle n'engraisse pas beaucoup mais donne du lait. Je m'offre donc pour améliorer le jus un petit café au lait matinal. Il ne manque plus que les croissants... Jusqu'au jour où le débit de lait baisse. Renseignements pris, c'est le planton de l'adjudant-chef qui vient sournoisement traire la chèvre avant mon fidèle "Babai". Il estime que son patron est un grand chef lui aussi. Il n'a pas tort, d'autant plus que Larrieu lui a fait subir un dressage intensif et particulièrement efficace. 7 Février Des observateurs américains viennent reconnaître un observatoire sur les pentes de 529. Le I/9e R.T.A. va être relevé par une unité américaine et sans doute envoyé au repos. Les collègues américains ne semblent pas enthousiasmés par la perspective de coltiner leur matériel à pied dans le djebel. Voyant comment nous procédons, ils cherchent à se procurer des animaux de bât chez les paysans tunisiens. Ils trouvent des ânes mais sont un peu embarrassés pour le mode d'emploi. Les spécialistes de la 8e leur prodiguent conseils, vieux harnachement et encouragements mais ça n'a pas l'air de marcher très fort. La 2e Section tire parfois presque à limite de portée, en raison du site fortement positif des objectifs. Je reconnais une position plus avancée vers Sidi bou Krit. 8 Février La 1ère Section n'ayant pratiquement plus rien à faire à sa position actuelle, je la fais mettre en position à l'endroit reconnu la veille à la cote 450. Elle aura des possibilités de tir un peu meilleure que la 2e; mais heureusement qu'il n'y a pas d'artillerie en face. Nous sommes dominés de 400 m par les positions ennemies. Une quarantaine d'avions allemands nous survolent, se dirigeant vers l'Ouest. 9 Février Cette fois ce sont 40 à 50 avions américains qui passent en direction de Kairouan. 10 Février Le I/9e R.T.A. va être relevé par le 135th Combat Team américain, à partir du 13. A cette date, la 8e Cie passera aux ordres du Sous-groupement de Latour. Il est question d'un coup de main des goums sur la fameuse cote 801, avec appui de la batterie. 11 Février Il fait un temps affreux: vent très violent, neige à partir de 600 mètres. 12 Février En prévision du coup de main sur 801, j'entreprends un réglage percutant de précision sur la dite cote. Catastrophe! Impossible de régler, en raison du nombre élevé de coups anormaux. Sans raison apparente, certains coups sont courts de 500 à 700 m. Cela avait déjà été remarqué à plusieurs reprises et en particulier les 25 et 26 décembre. Les munitions ont été mal stockées, ont souffert de l'humidité et des intempéries. Certaines cartouches sont desserties, d'autres sont gonflées et on a pris la mauvaise habitude de les enfoncer à coups de masse pour pouvoir fermer la culasse. Quelques-unes sont rebutées quand elles sont vraiment inutilisables. Parmi celles qui sont utilisées, il y en a dans lesquelles la poudre brûle mal, à tel point que l'on en retrouve des lamelles intactes devant la pièce. Le Canonnier Spiteri, pointeur à la 1ère pièce a même eu la main légèrement brûlée en ouvrant la culasse par de la poudre qui brûlait encore. Les coups anormaux se remarquent au tir par un recul moins net. Je suis très ennuyé; non seulement il est difficile dans ces conditions d'exécuter des tirs précis mais certains coups arrivent près des postes avancés des goumiers. Cela va confirmer la fâcheuse réputation de l'artilleur de "tirer sur le fantassin de préférence ennemi". Je tente d'expliquer tout cela à Delage qui ne fait qu'en rire et me dit: -"Mes hommes s'en sont bien aperçu mais savez-vous ce qu'ils disent: -"Ce sont les obus du capitaine, ils font du mal aux Allemands, pas à nous". 13 Février C'est vraiment agréable de travailler avec des guerriers de cette trempe. A des qualités physiques exceptionnelles, ils joignent un sens du terrain, des aptitudes à toutes sortes de lutte, un esprit guerrier hors de pair. C'est un régal de les voir, trottinant sur leurs ''nalls'', souples comme des chats, arpenter le djebel sans fatigue apparente. Ils vous tombent dessus sans que rien ait laissé soupçonner leur proximité. J'en fais l’expérience un jour où avec le Chef Bocher, je suis allé faire une petite reconnaissance dans l'Ousselat. Nous nous défilons dans un fond d'oued entre de hautes murailles rocheuses. Tout à coup, une ombre passe entre le soleil et nous. Nous nous aplatissons contre le rocher, nos armes en arrêt. Trop tard d'ailleurs. Heureusement, c'est un goumier, qui défile un instant au-dessus de nous et se perd dans le maquis. Il aurait pu nous descendre sans que nous ayons su ce qui nous arrivait. 14 Février Le I/9e R.T.A. est relevé par les Américains. Nous essayons d'entrer en liaison avec ces derniers. C'est assez difficile malgré les efforts de Lochen. 15 Février Nous apprenons qu'une attaque allemande de grande envergure a débouché dans le Sud entre Sbeitla et Gafsa et malmènerait sérieusement le 2e Corps américain: Rommel est arrivé... 16 Février Les Américains ont brusquement disparu sans préavis. Ça sent le roussi... Nous avons une impression d'isolement et de danger imminent quoique imprécis. La "vie de château" va-t'elle prendre fin? La journée se passe dans des occupations de routine. Lochen est même allé à Maktar la veille chercher du harnachement et des voitures. A 23 h 45, arrive l'ordre de repli sur une position à 3 km S.E. du village de la Kessera: 30 km au moins... Un rapide calcul: il y a juste 60 jours que nous sommes arrivés ici. Le "voyant extra lucide" avait vu juste. Mais nous avons d'autres soucis. Après deux mois d'immobilité, nous avons perdu notre entraînement... 30 km et plus peut-être, ça va être dur. 17 Février Comme d'habitude, les ordres du Colonel Conne sont clairs, concis et précis. La manoeuvre est simple. Ce sera déjà assez difficile de l'exécuter. Mais ceci est notre affaire. Lochen se charge d'évacuer tout ce qu'on peut emporter comme matériel, à l'aide de deux camions mis à notre disposition. Nous serons obligés d'en laisser, même des munitions. Nous les retrouverons d'ailleurs au mois d'avril. Dupont, avec la V.L. va reconnaître le nouveau bivouac et préparer le mouvement des voitures hippo. Quant à moi, je prends la tête de la batterie de tir et à 4 heures du matin, je file sur la Kessera en coupant au court à travers le bled par des pistes plus ou moins praticables. Il fait nuit noire. Quand je commence à distinguer mes pieds, je comprends que le jour va se lever. Et nous n'avons pas encore atteint le rebord du plateau. Quand il fait jour, je fais disperser tout le monde comme nous en avons l'habitude car nous sommes encore en terrain découvert. Enfin, nous atteignons l'abri des bois de la Kessera et vers 15 h 30, nous retrouvons Dupont et son détachement précurseur. Bêtes et gens sont épuisés et nous avons besoin de repos. Nous soupçonnons sans avoir de renseignements précis que l'avance allemande se poursuit rapidement dans le Sud. En fait, elle s'oriente déjà vers le Nord et menace le Kef. Les dernières réserves du Colonel Conne, un bataillon et une batterie, aux ordres du Lieutenant Colonel Guinet, vont "barrer" la trouée de Sbiba, large de 8 km. Nos coéquipiers du I/9e R.T.A. au lieu d'aller au repos vont défendre Thala. Quant à nous, avec quelques unités repliées en même temps que nous, nous défendrons la Grande Dorsale, avec des troupes américaines que l'on ne voit pas d'ailleurs. Tout parait calme. Les derniers éléments français achèvent de se replier pour être mis au repos, au moins théoriquement, la défense de cette portion de la Grande Dorsale étant à la charge de la division américaine du Général Allen. Après avoir absorbé le repas réconfortant et bien gagné préparé par Straumann et Hugot, tout le monde se repose, lorsque, à 17 heures arrive l'ordre suivant: dans la nuit du 17 au 18, la 8e Batterie se déplacera jusqu'à Ras el Ma (35 km environ); elle est mise à la disposition du Groupement Mathenet qui n'a plus d'artillerie ou presque. On nous a encore pris pour des motorisés! Réflexion désabusée de Lochen qui dit bien ce qu'elle veut dire: "Nous sommes comme les p.... nous marchons avec tout le monde". Il est impossible d'exécuter cet ordre. Je file immédiatement sur Siliana avec la V.L. à l'E.M. du Groupement Mathenet pour essayer de le faire rapporter. La route de la Kessera à Siliana est très étroite, difficile et sillonnée de véhicules américains roulant tous feux éteints. Heureusement, Blazeix se débrouille comme un dieu. Après de longues explications, j'obtiens l'autorisation de ne faire l'étape de Ras el Ma que dans la nuit du 18 au 19. Il ne semble pas d'ailleurs que l'on ait un besoin urgent de nous dans le secteur. Nous allons rejoindre le III/67 et notre bon Commandant Capello, ce qui n'est pas forcément un avantage. Mieux valait peut-être faire le trottoir comme disait Lochen.
Ce n'est pas un génie qui me souffle à
l'oreille ce que j'ai à
dire ou à faire dans telle circonstance inattendue
pour les autres Napoléon 18 Février Après une journée de repos bien insuffisante, nous partons pour Ras el Ma. La progression est très pénible sur la route de la Kessera à Silliana, très étroite, très mauvaise, très fréquentée. Le temps est affreux. Les pieds des hommes et surtout le dos des mulets souffrent terriblement. J’arrête la colonne à Sidi Marchett à 7 ou 8 km de Ras el Ma. Il pleut à torrents. 19 Février La pluie continue toute la journée, faisant beaucoup de mal au matériel, aux animaux et aux hommes. La manoeuvre prend des allures de retraite de Russie. 20 Février Nous repartons pour nous arrêter à 3 km de Ras el Ma. Je commence à craindre de n'amener à destination qu'un convoi d'éclopés au lieu d'une batterie de montagne. Maigre consolation: la pluie tombe aussi chez l'ennemi et sape son moral, alors que le notre est inattaquable. C'est ainsi que le Brigadier-chef Porraz se trouve nez à nez à la tombée du jour avec trois Italiens dont deux officiers désireux de se rendre. Il nous les amène et nous invitons ces adversaires malheureux à partager avec nous les délices du restaurant Straumann. Ils parlent parfaitement le français et très sincèrement n'ont pas l'air enthousiasmés par la guerre contre la France. Ni même par la guerre tout court. L'un d'eux me dit: -"Nous sommes l'armée du Roi, nous nous faisons casser la gueule en Tunisie et pendant ce temps, l'armée de Mussolini défile à Rome". Pour le consoler, je lui fais remarquer que dans toutes les armées du monde il y a des spécialistes du casse pipe et des spécialistes du défilé. C'est d'autant plus à propos que nous avons eu récemment connaissance d'une circulaire du Haut-Commandement nous exhortant à combattre vaillamment sur le front tunisien pendant que se mettait sur pied à Alger l'armée qui allait marcher vers la victoire finale. 21 Février Pendant ce temps, les unités américaines qui défendaient le bord sud-est de la Grande Dorsale, ont filé vers le Sud, pour faire face à l'attaque allemande qui a atteint Kasserine et menace Thala. Les troupes françaises restent seules face aux Italo-Allemands qui ont occupé la plaine d'Ousseltia et commencent à s'infiltrer dans l'Es Satour. Dans la journée, la batterie rejoint le bivouac du III/67 à Ras el Ma. La pluie tombe toujours. Lochen repart pour chercher des caisses à munitions laissées à la Kessera. 22 Février Sur l'ordre du Commandant de groupe, je vais reconnaître une position de batterie à la cote 773 dans le nord du Djebel Bargou. 23 Février La batterie part à 5 heures du matin et vient prendre position vers la cote 820. Lochen rentre en ramenant les précieuses caisses Dans le Sud, l'attaque allemande a été stoppée par d'intenses bombardements de l'artillerie et de l'aviation britanniques et des forteresses volantes américaines ainsi que par l'arrivée de la 8e Armée britannique dans le Sud Tunisien. 24 Février Sur l'ordre du Commandant de groupe, la batterie se met en position au-dessus de la cote 773, sur une sorte de balcon où le défilement est nul et où elle constitue un objectif de choix pour l'artillerie adverse. Dans l'après-midi, le Commandant Capello et le Capitaine Lecointe du III/ 7e R.T.M., que nous appuyons, viennent assister à la mise en place de tirs d’arrêt. Le Lieutenant Dupont est détaché à l'observatoire interallié. 25 Février La journée se passe à aménager la position. L'endroit me parait très malsain pour peu qu'il y ait en face un artilleur curieux et doté de canons tirant plus loin que les nôtres. Il n'y aura jamais assez de tranchées et d'abris dans ce cas. Protection bien faible mais cela vaut mieux que rien. L'échelon est venu s'installer dans un ravin au-dessous de nous, près d'une mechta qui empoisonne le marc d'olives. 26 Février Le secteur est étrangement calme. La monotonie de la journée est égayée par la visite d'un commandant anglais. Il commande un "bataillon" d'artillerie quelque part à coté de nous et vient regarder le paysage de notre observatoire qui serait meilleur que le sien Nous l'invitons à déjeuner et l'abreuvons copieusement de gros rouge de l'Intendance qu'il semble apprécier tout particulièrement. Finalement il nous quitte, marchant encore à peu près droit et s'écriant: "Le devoir avant tout" (en français dans le texte). Les jours suivants se passent dans l'attente et l'aménagement de la position. Le ravitaillement arrive bien mais quelquefois un peu en retard. Un jour, nous touchons de la viande très belle mais un peu faisandée. Straumann l’accommode et nous la consommons de bon appétit malgré un léger fumet de charogne. Hélas! deux ou trois heures après, tout le monde la restitue allègrement. Nous n'en sommes pas autrement incommodés mais nous nous sentons frustrés d'un repas. Le pain est un peu meilleur et un peu moins moisi qu'à Pichon. 2 Mars Pendant que nous fignolons l'aménagement de la position (elle comporte en particulier une "sape russe" à rendre jaloux le Commandant Goutard et qui n'est guère plus efficace que la sienne si ce n'est contre la pluie et encore), le Commandant Capello vient nous faire exécuter quelques tirs en prévision d'une attaque possible. Nous sommes presque à limite de portée, même avec des sites fortement négatifs. Un tir de contre préparation est prévu à une distance topo de 6000 m. 3 Mars Remise en place de re-tirs d’arrêt en présence du Capitaine Carbuccia commandant le III/7e R.T.M. Cela tourne à l'école à feu et j'ai un peu l'impression de gaspiller nos précieuses munitions. Nos mulets de caisses à munitions ne sont pas motorisés! Enfin, si cela peut remonter le moral du fantassin et impressionner l'ennemi... ou lui faire repérer nos positions... Il ne semble toujours y avoir personne en face mais à tout hasard, je prévois une position de rechange. Les jours suivants se passent sans incident marquant. Dans le Sud, la D.M.A. est relevée par la D.M.C. (Géneral Welvert). Les attaques ennemies sur la Grande Dorsale seraient ralenties et ne seraient plus que des tentatives d'infiltration. 9 Mars Toutes les munitions stockées à l'échelon sont, sur ordre du groupe, ramenées près du P.C. Ça sent le départ. Sans doute allons nous rejoindre la D.M.C. Les semaines précédentes, depuis notre départ de Pichon, ont été particulièrement éprouvantes. Nous avons de plus l'impression désagréable de ne pas avoir servi à grand chose. Ce n'est sans doute qu'une impression car notre seule présence et nos coups de canon dans le décor ont sûrement été utiles. Pour moi, j'aurais préféré continuer à appuyer sur la Grande Dorsale, les goumiers et les tirailleurs aux prises avec les Italo-Allemands. 10 Mars Effectivement, l'ordre arrive de rejoindre l'ancien bivouac du Groupe à Ras el Ma. Départ à 15 heures et arrivée à minuit après une étape pénible. Enfin il ne pleut plus ou pas beaucoup. Mais la 5e batterie n'a pas encore retrouvé sa grande forme. 11 Mars Départ à 6 h 30. Arrivée vers 12 h à Henchir Farouah et bivouac. Les hommes sont fatigués et de nombreux mulets blessés. 12 Mars Départ à 11 heures, arrivée à 15 heures à Harig Belloune, à 6 km Sud de la Kessera. 13 Mars Sur ordre du commandant de groupe, je vais reconnaître une position de batterie vers Tellet el Hallouf. Nous allons appuyer une unité de goumiers qui défend depuis le 17 février la zone assez confuse de Ras el Fedja-Kef el Abiod. La batterie me rejoint vers 15h et prend position en 460-726 à 500 m environ sud-ouest de la cote 752 qui constitue un observatoire acceptable. Les jours suivants se passent à aménager la position. Les hommes et les animaux "refont leur bosse". On soigne les blessures et remet de l'ordre un peu partout. Ce n'était pas du luxe. Le Colonel Radiguet de la Bastaie qui a remplacé le Colonel Chauvin à la tête du 67e R . A . A . à la veille du départ en Tunisie, vient nous visiter. Nous aimions bien le Colonel Chauvin, chef énergique et efficace, et il nous le rendait bien. Aussi nous n'avons guère apprécié le changement. C'est d'ailleurs la seule fois où nous verrons notre commandant de régiment pendant toute la campagne. Il arrive à cheval avec de belles bottes. Je l'accueille à pied avec mes gros souliers. Ce "snobisme artilleur de montagne" comme dirait le Commandant Capello n'a pas dû beaucoup plaire à un ancien artilleur à cheval de Fontainebleau. 20 Mars La seule distraction de la journée consiste à mettre en place des tirs variés pour le cas où... La batterie commence à piaffer. Quand finirons-nous de jeter notre poudre aux moineaux? 21 Mars Nous recevons un renfort de 30 canonniers indigènes. 22 Mars Remise en place de re-tirs. Un officier de réserve, le Lieutenant Gueron est affecté à la batterie. Plus on est de fous plus on rit. Cette nouvelle recrue ne parait pas devoir déparer la collection. 23 Mars Est-ce la suite de la visite de notre grand chef? Une vague de promotions s'abat sur la batterie. Le Major Versini, les Maréchaux des Logis Rousseau et Malek, le Brigadier-chef Laberenne, le Brigadier Senach, les Canonniers Alenda, Cachia, Tartary, Feminèche, Talbi sont nommés aux grades supérieurs. Ces promotions amplement méritées s'arrosent au "gros furieux" de l'Intendance. 25 Mars Le Lieutenant Dupont est muté à l’État-major du groupe en qualité d'observateur. 30 Mars Les goumiers que nous appuyons ou faisons semblant d'appuyer sont relevés par des zouaves. Ce changement, joint à d'autres indices, et à quelques "bruits non contrôlés" semble présager un peu de mouvement dans le secteur. Nous apprenons avec joie la nomination du Colonel Conne au grade de Général. Rarement les subordonnés auront été "aussi bien récompensés dans la personne de leur supérieur". 31 Mars Le commandant de notre secteur est le Colonel Froger, commandant le 3e Zouaves (2 bataillons). Son P.C. est à un carrefour de pistes à 2 km 5 au Nord de 752. Nous faisons partie de la 1ère Armée (Général Anderson) qui est avec la 8e Armée (Général Montgomery) sous les ordres du Général Alexander, commandant en chef en Tunisie. Dans le Sud, après le départ du Général Rommel, rappelé en Allemagne, le Général italien Messe a pris le commandement de la Ière Armée Italo-Allemande qui comprend entre autres unités l'Afrika Korps et la 5e Armée blindée allemande. Ces forces sont attaquées par la VIIIe Armée britannique, tandis que le IIe C.A. américain cherche à déboucher d'El Guettar pour les prendre de flanc. Le Général Alexander a l'intention de reprendre la passe de Fondouk el Okbi pour couper la retraite à Kairouan à l’Armée Messe. L'opération sera couverte par une attaque des forces françaises sur Pichon. Nous allons donc participer à l'offensive alliée dans une région que nous connaissons bien mais nous n'en savons encore rien ou pas grand chose.
Entrez hardiment, tout est votre. Jeanne d'Arc au siège d'Orléans ler Avril Comme les précédentes, la journée se passe sans événement marquant, mais quelques indices donnent à penser qu'une action d'envergure se prépare. La batterie renforcée et reposée par une quinzaine de jours relativement calmes est prête à y participer. 2 AvrilSur l'ordre du groupe, je vais en reconnaissance dans la région d'El Ala. La batterie suit et fait étape au passage de l'oued Kerd. 3 AvrilLa batterie se met en position à 1500 m. N.O. de Kroumet el Ahjar, observatoire à la cote 457. 4 Avril Aucun objectif n’apparaît dans le paysage. Seuls, quelques obus allemands éclatant vers la cote 407 témoignent de la présence ennemie. Dans l'après-midi des reconnaissances motorisées anglaises circulent dans la plaine. Comme le soir tombe, je vois un véhicule se déplaçant à vive allure sur la route Pichon Maktar en direction de Maktar, à 6 km environ de mon observatoire. Tout à coup, une salve tombe à quelques centaines de mètres derrière lui, puis aussitôt après une autre devant. La troisième est au but. La voiture prend feu et ses occupants s'enfuient à toutes jambes. Chapeau pour l'artilleur d'en face. J'espère qu'il ne nous a pas repérés et qu'il n'a pas trop de munitions. 5 Avril Cela n’empêche pas les Anglais de progresser en direction de Pichon. Il ne parait pas y avoir beaucoup d'opposition en face. Cependant, quelques mouvements de personnel sont visibles à la cote 313. J'y expédie quelques salves et tout se disperse ou se camoufle. 6 Avril Vers 15 heures la batterie fait mouvement vers le Nord et va bivouaquer dans l'oued Redjel, à l'Ouest de Ktifet el Homrane. Je vais reconnaître une position au Nord de Kt el Homrane. Elle devra être occupée demain matin, batterie prête à tirer à 7 heures; on sent que quelque chose se prépare. 7 Avril Dès le lever du jour, la batterie se porte au Nord de la cote 435. Le mouvement s'effectue dans les fonds d'oued qui sillonnent le terrain de toutes parts. Camouflage parfait, si parfait même que je perds le contact. Tous les fonds d'oued se ressemblent et à peu près tous on été utilisés par des troupes en marche. Je ressens la plus belle frousse de toute la campagne. Ai-je bien donné les instructions nécessaires et ont elles été bien comprises? Si la batterie continuait vers les lignes ennemies et se faisait décimer bêtement par une impardonnable faute de manoeuvre? J'erre un peu au hasard et finis à un confluent d'oueds par retrouver la colonne que je remonte en catastrophe. Aucun danger, Lochen savait ce qu'il y avait à faire et à 7 heures la batterie est prête à tirer. Observatoire à proximité d’où je puis contempler le terrain que nous avons occupé pendant 60 jours, que nous avons abandonné il y a presque 2 mois et que nous allons reconquérir, in cha Allah. La journée se passe dans l'attente. L'attaque du Djebel Halfa est prévue pour demain 5 h 30, à l'heure même où le 9e C.A. britannique attaquera la trouée de Fondouk el Okbi. 8 Avril Après une préparation d'artillerie exécutée par 1er II/65 R. A. A. (Commandant Neyrod), une compagnie du Ier R.T.A. (8° Cie?), progressant dans les éclatements du 75, s'empare sans coup férir du Djebel Halfa. J'arrive au sommet avec le Commandant Capello juste à temps pour voir les prisonniers, mains en l'air, gardés par les tirailleurs. A ma grande surprise, je reconnais sous l'uniforme allemand nos déserteurs de l'hiver dernier. Les Allemands, avec leur esprit d'organisation habituel, ont constitué un bataillon avec les clients d'Ali ben Meskine. Chaque groupe de combat est composé de 2 gradés allemands, d'un mélange de Marocains et d'Algériens, pas toujours d'accord entre eux, et de 2 ou 3 Tunisiens qui surveillent l'ensemble pour le compte du chef de groupe. Le bataillon a son insigne, ses médailles commémoratives, comptabilité, livrets matricules, etc... Organisation impeccable, made in Germany... Le seul défaut est qu'un déserteur reste un déserteur et ne se bat guère mieux sous un drapeau que sous un autre. Ceux là n'ont pas fait le poids devant leurs anciens compagnons d'armes. Ces derniers sont furieux et ne leur ont pas fait de cadeau. Ils les ont fusillés à bout portant dans leurs "trous de renard". Les casques allemands n'ont pas résisté aux balles de Lebel et les traîtres ont eu la fin qu'ils méritaient. Traîtres ou pauvres bougres crédules enrôlés de gré ou de force d'un coté ou de l'autre. qui peut juger? De toute façon, nous ne sommes pas là pour apprécier des cas particuliers; "Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens" Les survivants n'en mènent pas large. Les mains en l'air et n'ayant guère envie de les baisser, ils ne sont guère rassurés sur le sort qui les attend. Il ne faudrait pas trop pousser pour qu'ils rempilent dans l'Armée Française. Dans la cuvette entre l'Halfa et le Bordj des Domaines, deux Allemands, harcelés et canardés de toutes parts résistent toujours autour d'une mitrailleuse et il vaut mieux ne pas les approcher de trop près... Mais nous avons autre chose à faire. "Quand vous aurez le téléphone..." me dit le Commandant Capello. "Il est là" lui dis-je. Senach et Cachia sont là. Ils nous ont suivi pas à pas avec leurs bobines de fil et leurs appareils. Essoufflés, ils peuvent à peine parler, mais le téléphone marche... comme d'habitude. Le commandant me désigne alors dans la région Sidi bou Kreder, cote 376, quelques objectifs que je prends aussitôt à partie avec la 1ère Section. L'avance se poursuit et vers 16 heures, le Lieutenant Lochen porte la 2e Section à Si bou Kreder. Le reste de la batterie l'y rejoint peu après. Nous y trouvons beaucoup de matériel abandonné par l'ennemi et en particulier du fil téléphonique meilleur que le notre bien qu'un peu plus lourd. Nous retrouvons aussi les munitions laissées là le 17 Février. Elles partent aussitôt en direction de l'ennemi. A la nuit , l'infanterie atteint son dernier objectif: la cote 592. 9 Avril La progression reprend, appuyée par la batterie en position aux "Ruines romaines" de Henchir el Louz. Très vite, il faut déplacer la 2e Section qui met en batterie dans le col Nord de 474 et tire sur l'Argoub en Négrila. La 1ère Section rejoint la 2e. Dans l'après-midi, l'Argoub en Négrila est pris par l'infanterie appuyée de chars Churchill. Dans le Sud, une violente bataille est en cours. Malgré une intense préparation d'artillerie et d'aviation, le 9e C.A. britannique n'a pu s'emparer de Fondouk el Okbi. Les éléments de tête de la Division progressent vers Kairouan. Le Général Welvert est avec eux. 10 Avril Je vais en reconnaissance à la cote 422 où je trouve les goumiers qui s'en sont emparé hier matin après un dur combat avec le Bataillon italien San Marco, une vieille et coriace connaissance. Nous y mettons en batterie dans l'après-midi. Mais il ne semble plus y avoir personne en face de nous. Comme précédemment, nous trouvons beaucoup de matériel ennemi et en profitons pour améliorer notre équipement: toiles de tente, fil téléphonique, armes, munitions, etc... Mais dans ce remue ménage, j'ai perdu mon sitomètre et à ma grande contrariété, il est impossible de le retrouver. La joie de notre victoire est attristée par la nouvelle de la mort de notre chef, le Général Welvert, un artilleur, dont la Jeep a sauté sur une mine. 11 Avril Le Lieutenant Lochen va reconnaître un point d'eau, dans la plaine, car il n'y en a guère dans le voisinage de notre piton. Il revient vers midi avec de l'eau et.... Ali ben Meskine, directeur de l'agence de voyages qui fonctionnait si bien l'hiver dernier. Pourquoi n'a t'il pas suivi la déroute de son bataillon de "volontaires" et de ses commanditaires allemands? Il se croyait sans doute en sécurité dans son domaine et ne pouvait penser que les hasards de la guerre le feraient tomber précisément entre les mains de ceux qui avaient découvert ses activités. Tablait-il sur notre bêtise (Si vous l'attrapez, vous ne lui ferez rien....) Pour l'instant, il n'a pas l'air très rassuré. Je le confie à la garde du brigadier Talbi Said de la défense rapprochée. Comme l'arrestation d'Amara ben Mohammed, le 12 janvier, la capture d'Ali ben Meskine pose un problème. Faut-il le fusiller ou l'envoyer à la prévôté? Il n'a pas été pris en flagrant délit comme Amara. D'autre part, alors que les activités de ce dernier nous concernaient directement, celles d'Ali ben Meskine, chef de l'organisation de désertion intéressent tout le Corps d’Armée. Enfin, je ne suis plus aussi libre de mes décisions qu'en Janvier. Bien entendu, le Commandant Capello (qui d'ailleurs n'a pas vécu la période des désertions) donne l'ordre de l'envoyer à la prévôté. En attendant, je vais vérifier que le prisonnier ne s'est pas évadé. Je trouve Talbi et ses acolytes se chauffant au soleil en inventoriant leurs prises de guerre. Pas d'Ali ben Meskine en vue. -Où est le prisonnier?, dis-je à Talbi. -Il est là, me répond t'il avec un bon sourire en tirant sur un fil téléphonique. Un hurlement lui répond dans un buisson voisin. Écoeuré par la compagnie de ce triste individu, il l'a attaché par ses attributs masculins avec un fil téléphonique et relégué à quelque distance. Il suffit de tirer sur le fil pour vérifier que l'oiseau ne s'est pas envolé. Il fallait y penser... Dans la soirée, un brigadier chef et 5 canonniers nous arrivent en renfort. 12-13-14 Avril La batterie est mise au repos. C'est la première fois (et ce sera la dernière) depuis le début de la campagne. Nous allons bivouaquer à Souk es Sebt sur les bords de l'oued Marguellil. Nous y passerons trois jours inoubliables dans l'euphorie de la victoire. Il y a à proximité un immense champ de fèves et tout le monde se régale de fèves fraîches en prenant soin de n’abîmer ni les plantes ni le champ. Les gens de la 8e Batterie ne sont pas des sauvages. Mais la récolte est sérieusement compromise... Le propriétaire contacté refuse avec dignité nos propositions d'indemnisation, geste assez naturel dans un pays où le sens de l'hospitalité est poussé très loin. C'est sans doute à cette époque que le Maréchal des Logis Soleilhavoup, chef de la 4e pièce apprend qu'il est l'heureux père d’une petite fille. Je l'envoie aussitôt en permission et lui recommande de ne pas trop se presser pour rentrer. Il part tout content chargé de multiples commissions pour Batna. On le verra d'ailleurs revenir très rapidement. L'ambiance de l'arrière lui a vite semblé moins sympathique que celle de la batterie. Le soir, rassemblement dans une immense tente allemande récupérée par Lochen. Chacun y va de sa romance: Larrieu avec "Johnny Palmer", Porraz "Je suis un dur, un vrai, un tatoué", "Cobra, serpent fatal" etc... Cette dernière romance, plutôt mélancolique a le don d'exciter l'hilarité de Lochen. Bref, tout le monde, bêtes et gens met "la bulle entre ses repères" et nous en avions grand besoin. Je mets mes loisirs à profit pour rédiger un rapport détaillé sur les agissements d'Ali ben Meskine, rapport qui l'accompagne à la prévôté de la D.M.C. où il est envoyé par les soins du Groupe. 15 AvrilLe repos est terminé. Nous partons vers
le Nord avec le Groupe. Départ à 10 heures et arrivée vers 17 heures dans l'Oued M'zata près de Robaa. 18 Avril Je vais avec le Commandant Capello au P.C. du Colonel Lagarde qui nous emmène faire un tour d'horizon à la cote 648 Il ne semble pas y avoir grande activité en face. Le climat est à l'optimisme. La campagne parait de plus en plus devoir se terminer bientôt par la victoire. Seul point noir: les innombrables mines laissées un peu partout par tout le monde dans des emplacements aussi divers qu'oubliés. 19 Avril Le commandant m'emmène avec le Lieutenant Gueron en reconnaissance dans la vallée de l'Oued Alliligat. Partout des pancartes "Achtung Minen" avec la tête de mort à l'appui. Il n'y a peut-être rien derrière. Mais il y a aussi sûrement des champs de mines sans pancarte. Les sapeurs en ont relevé pas mal et l'on voit partout des tas de tellermines, mines S, mines piquet italiennes, etc... Pas mal aussi de grenades percutantes italiennes de types très divers que nous nous amusons à lancer dans la nature. Cette distraction n'est d'ailleurs pas sans danger et un maréchal des logis de la 7e Batterie y perdra la main droite par suite d'une explosion prématurée. Je trouve une position de batterie possible vers Henchir bou Tina à gauche de 646 avec observatoire vers 753. 20 Avril Reconnaissance de la position par les chefs de section et l'artificier. Occupation de la position et transport de 600 coups pendant la nuit. La 9e Batterie rejoint le Groupe. 2l-22 Avril Aménagement de la position. Reconnaissance d’une position d'échelons. 23 Avril La batterie reçoit l’ordre vers 16 h de se porter au Mausolée, en appui du III/29e R.A.A. (Chef de Bataillon de Lanlay). Départ à 19 h, arrivée vers 23 h. 24 Avril Reconnaissance et mise en batterie derrière Kef el Trab. Observatoire à la cote 446. L'ennemi (Italiens) semble se renforcer. De nombreux mouvements sont observés surtout vers la cote 477. Des fantassins et des muletiers se déplacent sur une piste à flanc de coteau en pleine vue, mais trop dispersés pour qu'un tir soit très efficace. Tout ce monde passe par un col et disparaît derrière la crête. Je prépare un tir sur l’autre côté du col et l'envoie au moment où le détachement disparaît derrière la crête et se regroupe probablement hors des vues ennemies. De cette façon, l'objectif et les obus devraient arriver au même moment au même endroit. Après 2 ou 3 exercices de ce genre, le téléphone sonne. On me demande. C’est un capitaine d'infanterie qui se trouve quelque part sur notre gauche. J'ai un moment d'inquiétude quand le camarade me demande si c'est moi qui tire derrière 477. Aurais-je tiré sur nos fantassins? -"Oui" lui dis-je. -"C’est formidable me répondt'il. Je vois arriver des hommes, des chevaux, des mulets au milieu d'un tir d'artillerie particulièrement réussi et dans un désordre indescriptible". Nous nous congratulons un moment, puis je continue à assaisonner tout ce qui bouge dans le décor. La crête de 477 constitue un saillant dans notre front et le camarade qui m'a téléphoné et dont je regrette d'avoir oublié le nom, voit l'envers de notre champ de tir. En réalité, les Italiens ne se renforcent pas, ils se replient. Mais nous ne nous en apercevrons que le lendemain. Vers midi, je jette un coup d'oeil vers l'arrière car on vient de me signaler l'arrivée de la soupe. Effectivement je repère dans la vallée un canonnier porteur de gamelles monter vers l'observatoire. Sa démarche est curieuse: il avance, recule, s'en va à gauche, puis à droite, s’arrête, repart... Il a tout bonnement aperçu sur son chemin quelques unes des 3 pointes caractéristiques des mines bondissantes et regarde avec soin où il pose les pieds. Enfin il arrive et nous cassons la croûte de bon coeur en plaisantant un peu notre ravitailleur. Mais il faudra faire attention pour redescendre. A la fin de la journée, la batterie a tiré 266 coups, surtout sur 477 et je n'ai pas l'impression d’avoir gaspillé nos munitions. 25 Avril Dans la matinée, l'ennemi parait évacuer ses positions. Quelques camions sont aperçus sur la route des "Ponts blancs" et aussitôt pris à partie avec quelques résultats semble t'il. Vers 13 heures, le bataillon se porte vers le Nord, accompagné de la Ière Section à la poursuite de l'ennemi en retraite. Au passage, on constate les résultats du tir de ce matin: 3 tués et un nombreux matériel laissé sur le terrain dont deux pièces d'artillerie. Le détachement arrive vers 19 heures à Oum el Abouab. La ferme est partiellement détruite. Des inscriptions encore visibles sur des pans de mur proclament: "Nous ne repartirons pas". Un petit cimetière voisin atteste avec un peu d'humour noir le bien fondé de cette affirmation. Le reste de la batterie rejoint à la nuit tombée. Accompagné du Maréchal des Logis Galbourdin, je me porte à sa rencontre dans l'obscurité la plus complète. Tout à coup nous entendons un bruit suspect dans les buissons bordant la route. Nous sautons aussitôt dans le fossé, l'arme en arrêt. -"Qui vive?" Personne ne répond... J'ai bien envie de tirer en direction du bruit, mais pris d’une inspiration subite, je m'écrie: "Ach koun ad-a?" Une voix chevrotante me répond aussitôt: -"C'est moi!" Ah! Ah! lui dis-je, "Goul ou Allah" "Ou Allah" me répond t'il. Après cet incident tragi comique, nous rejoignons le reste de la batterie et rentrons à Oum el Abouab ou nous bivouaquons. 26 Avril Départ vers 6 heures. Arrivée vers 11 heures à Hir Sfisifa. La batterie par Hir Dahmane el Bekr et les échelons par la route du Djebel Fouzar continuent vers le Nord et arrivent à la nuit vers 860-905. Le bataillon se met en position face à l'Est. Il est trop tard pour qu'il soit utile de mettre en batterie. Je ne puis joindre le chef de bataillon. Le Lieutenant Gueron rejoint vers minuit. 27 Avril Vers 2 heures arrive l'ordre d'aller mettre en batterie vers le Koudiat Oum el Akiab pour une action éventuelle en direction du nord-est. Reconnaissance et mise en batterie dans la matinée vers la cote 296. Comme le secteur parait calme, j'en profite pour mettre le maximum de personnel au repos. En début d’après-midi, je suis en train de m'offrir une petite sieste, lorsque l'Adjudant Chef Larrieu et quelques sous-officiers viennent me demander si les hommes peuvent se rééquiper au dépôt de matériel voisin. Mal réveillé, je leur demande si le père Noël s'est trompé de date. -"Non, me disent-ils mais les Allemands nous ont laissé pas mal de marchandises". Effectivement, il y a tout près, dans un bois d'oliviers, des montagnes de matériel, d'équipements, d'habillement et même de paquetages individuels. -"Bien entendu" et tout le monde va se rhabiller aux frais du 3e Reich. Ce n'est d'ailleurs que de la récupération, tous les effets ou presque provenant de pays occupés par les Allemands. Les chemises en particulier, ont été confectionnées en France. Les souliers éculés, les chemises en lambeaux, les culottes qui laissent voir la peau et pas toujours aux endroits décents font vite place à des effets neufs ou à peu près. Pourvu qu'on ne nous prenne pas pour des gens de l'Afrika Korps! Pendant que nous savourons ainsi les joies de la victoire, quelques habitants du pays essaient de se servir eux aussi. Nous leur expliquons gentiment qu'ils n'y ont aucun droit et qu'avant de se livrer au pillage, ils peuvent au moins attendre que nous soyons partis. Comme ils n'ont pas l'air de comprendre, je saisis mon Mauser de récupération et tire quelques coups dans leur voisinage immédiat. Ça pète, les traceuses ricochent sur les rochers. En un clin d'oeil tout ce beau monde détale et disparaît. Ils ne tarderont pas sans doute à revenir. En attendant, la "batterie de fer" habillée de neuf est en route pour la gloire. Car vers 16 heures le bataillon reçoit un ordre fleuve, débutant par: "Il n'y a en face de nous que des Italiens..." et prescrivant de se porter au Nord de la route n° 3 vers Kt el Faaia. Après avoir étudié cet indigeste travail d’État Major, le Commandant de Lanlay donne ses ordres et part à grandes enjambées. Je le rattrape et, trottinant à coté de lui, je lui demande ce qu'il attend de moi. -"Je n'en sais rien", me dit-il. De fait, l'ordre serait à peu près inexécutable même s'il n'y avait personne en face et la nuit va tomber. Si seulement il était arrivé plus tôt... Je dis au commandant que je puis appuyer son mouvement tant qu'il fera jour et que je le rejoindrai dès le lendemain matin. En attendant, je lui détache deux sous officiers en liaison. La batterie se met en position vers 922-960 cote 295. Je surveille la progression du bataillon qui ne rencontre semble t'il aucune opposition, jusqu'à ce que la nuit soit complète. Il ne reste plus qu'à attendre le lever du jour... 28 Avril Aucune nouvelle du bataillon. On a bien entendu une fusillade dans sa direction supposée, mais il y en a dans toutes les directions. La liaison ne s'est pas encore manifestée. Je prends deux hommes avec moi et pars dans l'axe de marche de mes fantassins. Le parcours, faiblement vallonné, débouche sur la plaine et sur la route n° 3 de Pont de Fahs à Saouaf. De l'espèce de col où je suis arrivé, j'ai beau scruter le terrain en direction de Kt el Faaia, je ne vois pas trace d'éléments amis. Seuls, les cadavres de deux mulets me font penser qu'il y a un certain danger à s'aventurer dans ce terrain découvert. Je pense que, par un réflexe classique, le bataillon a du dévier de son axe de marche et se trouve peut-être dans les collines situées à droite. Je m'y engage avec circonspection et tombe effectivement sur des éléments amis vers la cote 342. Les tirailleurs exténués dorment dans les embryons de trous qu'ils ont creusé à la hâte. J'arrive au P.C. où le Commandant de Lanlay m'explique qu'il est tombé en pleine nuit sur une ligne de résistance située vraisemblablement entre la Maison Forestière de Loukanda et la cote 328. Échauffourée nocturne, pagaille, les Italiens plus coriaces que prévu, arrêt. Tout le monde est très fatigué et redoute une contre attaque ennemie à laquelle il serait difficile de résister si l'ennemi est plus en forme que nous. Tandis que j'envoie chercher la 1ère Section, un adjudant- chef du bataillon me guide vers les avant postes. Arrivés sur une crête, je passe le nez au dessus d'un talus et aperçois à 7 ou 800 mètres la position italienne. Splendide! on voit les mitrailleuses, les mortiers, les hommes dans leurs trous etc... on va s'amuser quand les pièces seront là. Cependant, des claquements secs se font entendre. J'ai l'impression que l'adjudant chef tape dans ses mains. Peut-être applaudit-il à mes exploits futurs? Je lui en demande les raisons. -"Ce n'est pas moi, me dit-il, c'est une mitrailleuse lourde qui nous tire dessus". Aie aie! et il n'y avait que des Italiens... Mais ils vont voir de quel bois nous nous chauffons! Je descends à la rencontre de la 1ère Section. Sitôt arrivée, je la fais mettre en batterie et vais installer mon observatoire sur la crête surplombant la route Pont de Fahs Saouaf et parallèle à celle occupée par l'ennemi. Dès le téléphone installé et ce n'est pas long, j'envoie quelques coups sur la position ennemie. Agitation chez l'adversaire, satisfaction chez les tirailleurs Les uns rentrent dans leurs trous, les autres sortent le nez des leurs pour voir le spectacle. Le reste de l'après-midi se passe à encadrer quelques objectifs caractéristiques. Pas de coups au but (il faut économiser les munitions) mais l'effet moral est indéniable. De temps en temps, j'envoie quelques coups sur un trou où deux individus s'affairent autour d'un engin qui pourrait bien être le mortier qui envoie un peu au hasard semble t'il quelques obus dans notre zone. Aucun coup dans le trou, mais tous à proximité immédiate et les deux types se ratatinent dans leur alvéole. J'entends passer mes obus au dessus de moi et ce bruissement familier me remplit d'aise. Mais il est tout à coup remplacé par un bruit infernal semblable à celui d'un déraillement. A force de raccourcir le tir, j'ai accroché la crête militaire derrière moi. J'ai failli terminer la campagne par une sorte d'hara kiri. Quand la nuit tombe, je laisse les pièces pointées sur le tir qui me parait le plus opportun en cas d'agitation exagérée chez l'adversaire, je vais casser la croute avec le Commandant de Lanlay et prendre un peu de repos sous la guitoune installée par mon fidèle Mohammed bel Hadj. 29 Avril Vers 2 heures du matin alerte. Le Lieutenant Jean m'apporte un ordre du Commandant de Groupe. Je dois rejoindre d'urgence la position de la 2e Section. Cela me parait absurde et de surcroît difficilement exécutable au moins dans l'immédiat. Nous appuyons des gens qui sont au contact de l'ennemi, dans une situation assez précaire, à qui nous apportons donc un appui très utile, dans des conditions techniques excellentes. Et il nous faut nous replier sur une position à 5 ou 6 km de l'ennemi où nous serons à peu près inutiles. D’autre part, les hommes et les mulets sont très fatigués, beaucoup de mulets sont blessés... N’est ce pas faire le jeu de l'ennemi que de mettre la moitié de la batterie hors d'usage par une marche de nuit parfaitement inutile. Et ce, au moment où nous allons sans doute avoir l'occasion de nous employer à fond pour achever la déroute de l'adversaire... - "Imaginez vous, dis-je au Lieutenant Jean que vous ne m'avez pas trouvé (il a eu effectivement toutes les peines du monde à arriver ici). Vous devez être fatigué, mangez un morceau, partagez ma guitoune, demain nous y verrons plus clair". Au lever du jour, je vais trouver le Commandant de Lanlay et lui expose la situation. Je suis désolé de l'abandonner mais j'ai reçu un ordre que je lui montre et il me faut bien l'exécuter. Il doit nous prendre pour des rigolos. Je le quitte à grand regret et après une marche qui n'a rien de triomphal, nous rejoignons le reste de la batterie. L'étape a été extrêmement pénible. Accueil mi figue mi raisin du Commandant Capello à qui j'explique tant bien que mal les raisons de mon retard. Le reste de la journée se passe dans l'inaction comme prévu. A cela près que des tirs sporadiques de l'artillerie ennemie nous causent quelques pertes. Le Canonnier Mekkaoui et le Maréchal des Logis Chef Malek blessé à la mâchoire sont évacués. Les hommes enragent. Deux mulets blessés doivent être abattus. Je reconnais une position de batterie mieux défilée, comptant l'occuper le lendemain. 30 Avril Dans la nuit arrive l'ordre de se porter sur Ain Zaress. Le groupe est affecté à un groupement aux ordres du Général Conne. Tout le monde jubile. Si nous nous fatiguons, ce ne sera pas pour rien. De fait, les fatigues recommencent. Départ à 6 heures, arrivée vers 11 heures à Ain Zaress. Un mulet est mort en route. Dans l'après-midi, reconnaissance des commandants de batterie dans la région de Ras el Kef, à une quinzaine de km en direction de Saouaf. ler Mai Départ à 6 h 30. Étape longue et pénible. Mise en batterie vers 16 heures en 076-906. La région est truffée de mines dont beaucoup ont été relevées par le Génie et s'empilent çà et la. Les mouvements nécessaires doivent s'effectuer avec de grandes précautions. Il y a en particulier, dissimulées dans les broussailles des mines anti personnel italiennes fixées sur un piquet et actionnées par 4 fils verdâtres tendus horizontalement. La mine saute quand on tire sur 3 d'entre eux ou quand on coupe le 4e. Je suis allé avec 2 téléphonistes, reconnaître un observatoire vers la cote 298 à 2 km Nord Est de la position de batterie. Le retour à la nuit tombante est plutôt scabreux. Je tâche de repérer les grandes dalles rocheuses où il y a un minimum de chances de trouver des mines. Enfin, nous rejoignons la batterie sans encombre. 2 MaiJournée calme. L'infanterie ayant progressé, je vais reconnaître une position plus avancée. L'observatoire sera jumelé avec celui de la 7e batterie en position à notre gauche. 3 Mai Changement de position de batterie et d'observatoire. La batterie est à la cote 286, l'observatoire sur la crête entre 298 et 428. 4 Mai Malgré des renseignements très précis fournis par des civils venant de la zone ennemie, il est impossible de repérer le moindre objectif. Personne ne bouge en face et la journée se passe dans un repos relatif et fort utile pour le personnel et les animaux et à l'observatoire dans l'étude de notre zone d'action. A la tombée du jour, cependant, un tir fusant éclate sur l'observatoire de la 9e Batterie. Il semble exécuté par 2 pièces dont j'ai repéré l'emplacement probable. A tout hasard, j'envoie quelques obus sur cet objectif imprécis. Coïncidence ou efficacité? Le tir cesse et ne reprendra plus par la suite. 5 Mai Départ du Lieutenant Gueron, affecté à Alger en "mission spéciale". 6 Mai L'Aspirant Baudouin est affecté à la batterie. Le retour de ce sympathique ancien de la 8, de taille assortie à celles des Lieutenants Lochen et Dupont, blessé et décoré dès le début de la campagne est chaleureusement accueilli. Comme pour fêter son arrivée, la batterie effectue quelques tirs, en particulier sur la cote 376 où des mouvements ennemis ont été décelés et sur un feu aperçu dans la montagne. Il semble que l'ennemi brûle du matériel qu'il est obligé d'abandonner. Est ce le commencement de la fin? La journée se passe dans un calme relatif, à observer la zone ennemie et à tirer sur ce qui parait être un objectif valable: emplacements de mortiers ou d'armes automatiques, retranchements, etc... Aucune réaction de la part de l'ennemi. 8 Mai Dans la matinée, des mouvements ennemis sont visibles vers Sidi Zid. Des fantassins, probablement allemands, sortent d'un massif rocheux situé sur les pentes Sud, où j'ai tiré la veille, le considérant comme un emplacement possible d'armes automatiques. La batterie tire. Au cours du tir, une cartouche se coince dans la chambre de la 1ère pièce. Cet incident assez fréquent au cours de la campagne, à cause du gonflement de certaines douilles, dû sans doute à un stockage défectueux, se réglait à coups de masse. Quelques coups bien appliqués suffisaient pour enfoncer la cartouche récalcitrante. La culasse fermée, le coup parti, la douille s'éjectait normalement. Cette fois ci, la cartouche ne peut être enfoncée à fond ni extraite. Le refouloir à tête évidée s'écrase sur l'ogive du projectile et ne peut être retiré. La hampe casse. On visse dans le morceau de bois restant une vis de support de F.M. à laquelle on attache une chaîne. La chaîne casse... Malgré tous ces efforts la 1ère pièce est inutilisable... Lorsqu'on me rend compte de cet incident, je me remémore aussitôt tous les accidents de ce genre dont j'ai entendu parler et en particulier l'explosion d'une pièce de 75 qui a failli coûter la vie à mon père à Verdun en 1917. Je donne immédiatement l'ordre de ne plus toucher à la pièce sous aucun prétexte et de rendre compte au Groupe qui fera envoyer le tube au Parc, seul compétent pour régler l'affaire et nous fournira peut-être un tube de rechange. Lochen transmet l'ordre à Bocher, chef de la 1ère Section qu'il connaît bien car ils ont été sous officiers ensemble. Sachant que Bocher est têtu comme un bon Breton, il insiste tout particulièrement. Le reste de la matinée se passe dans le calme. Vers 14 heures, au moment où la chaleur solaire incite tout le monde à la somnolence, j’entends une explosion isolée du côté de la batterie. Me retournant, je vois un nuage de fumée au dessus de la 1ère Section. Je pense immédiatement que c'est un projectile ennemi, peut-être un coup de réglage et tout furieux, j'essaie de repérer d'où il peut bien être parti. Mais rien ne bouge en face. Tout à coup on m'appelle au téléphone. C'est Lochen qui me rend compte que, profitant du calme de l'après-midi, Bocher et Bouvier ont à nouveau essayé d'extraire la cartouche. Au cours de cette tentative, la pièce a explosé. Bocher est grièvement blessé. Bouvier, criblé de petits éclats ne semble pas en danger. Je descends en catastrophe à la batterie. Malgré les recommandations de Lochen. -"N'oublie pas que le Capitaine a formellement interdit que l'on touche à la pièce", après le déjeuner, Bocher est allé trouver Bouvier. -"Viens, j'ai une idée. Profitons de ce que tout le monde fait la sieste". Ils sont allés à la pièce, ont appliqué la pointe d'une pioche sur l'amorce de la douille et tandis que l'un maintenait la pioche, l'autre tapait dessus à coups de masse. On pouvait espérer que la déflagration de la poudre éjecterait la douille... Mais l'obus... Les explosifs sont vicieux et leurs réaction pas toujours prévisibles. Pourquoi l'obus a t'il explosé? Il l'a fait cependant. L'arrière du tube a volé en éclats. Bouvier a été projeté en arrière, presque indemne par miracle. A une centaine de mètres de là, le Lieutenant Dupont, couché sous sa tente, a vu passer au dessus de lui un morceau de ferraille qui est allé tomber un peu plus loin. Tout le monde se précipite. Bocher horriblement blessé. Très calme, il s'informe des suites de l'accident, rabroue le médecin du groupe que l'on a mis un bon moment à trouver: "-Vous ne pouvez pas être à votre poste comme tout le monde!", impressionne tout le monde par son énergie. J'arrive sur ces entrefaites Je suis atterré en voyant l'état lamentable de ce vaillant soldat, ce parfait honnête homme, père de famille de surcroît. Et les larmes me montent aux yeux quand je l'entends me demander pardon d'avoir enfreint mes ordres... -"Mais non, Bocher, je sais bien que ce que vous avez fait, vous l'avez fait dans l’intérêt du service, parce que vous ne pouviez vous résoudre à ce qu'une de vos pièces soit indisponible, par conscience professionnelle..." Pourvu qu'on puisse le sauver! -"Si les intestins ne sont pas perforés", a dit le toubib... On l'évacue aussitôt sur l’hôpital de campagne, à la ferme Montrosier. Je sais qu'il y a là un docteur tout à fait remarquable, le médecin Lieutenant Verdez, que j'ai bien connu à Batna. J'expédie aussitôt le Canonnier Rossillon avec un mot pour Verdez: "Bocher ne peut s'en tirer à moins d'un miracle mais si quelqu'un peut faire ce miracle, c'est vous". Hélas, Rossillon rentrera le lendemain porteur de la réponse suivante: "Nous n'avons pu opérer le chef Bocher qui était bien bas quand on nous l'a amené. Nous avons tout tenté pour le remonter: réchauffement électrique, sérum, transfusion de sang... les dégâts abdominaux étaient trop considérables". C'est fini, nous avons perdu l'un des meilleurs d'entre nous, par un accident stupide, à quelques jours de la victoire. 9 Mai Car maintenant, on sent que la fin approche. L'opération prévue depuis le 4 en vue de s'emparer du Djebel Kef en Naama à laquelle nous devions participer, n'aura pas lieu. L'Aspirant Baudouin va reconnaître la position du III/65e R.A.A. que nous pouvons être appelés à remplacer. 10 Mai La nouvelle de la mort de Bocher attriste tout le monde. L'initiative irraisonnée (on ne peut dire l'indiscipline) de ce vaillant soldat estimé de tous, a réalisé ce que l'ennemi n'avait pu faire en six mois de campagne. Nous le pleurons tous au fond de notre coeur. Les trois pièces restantes ne restent pas inactives. La matinée se passe à tirer dans la zone ennemie, spécialement sur Ain Zektoune, point d'eau important, où se trouvent certainement des organisations ennemies. Dans l'après-midi, nous recevons l'ordre de relever le III/65e R.A.A. en appui du I/9e R.T.A. Nous allons donc retrouver nos camarades de l'hiver et même en face d'une autre cote 376. 11 Mai La batterie occupe la position de son homologue, la 8e Compagnie du 65e R.A.A à 1km S.O. de la cote 522. Du plus loin qu'il m’aperçoit, Jammes court à ma rencontre: - "Quel plaisir de te retrouver, me dit-il. Et puis toi, au moins tu sais tirer!" Le plaisir est largement partagé. Les retrouvailles avec nos compagnons de misère sur les pentes de l'Ousselat sont franchement cordiales. Le bataillon est maintenant commandé par le Commandant Buffin. Je vais me présenter à lui et lui rappelle notre première rencontre en 1940, lorsque, élève de l’École de Guerre, il était venu faire un stage dans le Territoire des Oasis avec quelques uns de ses camarades. J'avais accompagné les stagiaires à Fort Flatters avec le Commandant Duprez. Ils y avaient étudié l'implantation d'un point d'appui au km 14. Cet ouvrage avait été ensuite réalisé et occupé par le Lieutenant Clerget Vaucouleurs et le corps franc de la 1er C.S.P. J'avais alors admiré l'énergie du Capitaine Buffin. Affreusement malade dans le Potez T.O.E. qui nous avait transporté à Flatters, il avait retrouvé toute son énergie en touchant terre et n'avait cessé d'arpenter le terrain sans défaillance jusqu'à l'achèvement de la reconnaissance. Là aussi la prise de contact est franchement cordiale. La liaison Infanterie-Artillerie devrait baigner dans l'huile et les gens d'en face n'ont qu'à bien se tenir... Ils semblent avoir très bien compris d'ailleurs car dans l'après-midi arrive l'ordre de ne plus tirer, des pourparlers étant en cours pour la reddition de la division italienne en face de nous. L'arrivée de la "batterie de fer" a été décisive. C'est bien la fin des hostilités. Dans le soir tombant, des gerbes de projectiles traceurs s’élèvent un peu partout dans le ciel, dessinant le V de la victoire. Nous les contemplons avec joie, avec un peu de vague à l’âme aussi, en songeant à nos six mois de fatigue, à notre modeste mais bien réelle contribution au succès final, à nos morts, à Bocher surtout, qui a manqué de si peu ce beau jour. 12 Mai Nous avançons sur la cote 376 abandonnée par l'ennemi pendant la nuit. Accompagné de Larrieu et du Brigadier chef Guiglia, je vais faire un tour dans la zone ex ennemie et voir les résultats des tirs des jours précédents. Je puis identifier quelques uns de mes objectifs. Les coups de 65 ont fait quelques ravages. Nous finissons par arriver à Ain Zektoune où nous trouvons une importante concentration de P.C., postes de secours, cuisines etc... J'éprouve quelques remords, maintenant que la guerre est finie, d'avoir troublé la tranquillité des riz-pain-sel, cuistots, infirmiers, etc... et autres gens inoffensifs qui occupaient cette petite oasis. Mais Larrieu interrompt mes réflexions: - Regardez ce que vous avez derrière vous , mon capitaine. - Mais, lui dis-je, mes jumelles. - Mais non, plus loin. Je regarde alors plus loin derrière moi et aperçois un Italien, porteur d'une escopette aussi longue que notre "canne à pèche Lebel" qui descend du djebel. S'il avait voulu nous descendre, il aurait pu le faire en toute tranquillité, mais il ne semble pas y penser. Nous l'arraisonnons, Guiglia l'interpelle dans sa langue maternelle et il nous assure de ses intentions pacifiques et de son désir de se joindre à nous. Entendu, ... nous l'emmènerons avec nous. En explorant les lieux, nous découvrons un superbe lit de camp. Je pense aussitôt à Lochen qui depuis le début de la campagne n'a d'autre plumard que le brancard destiné aux blessés. Celui ci est peut-être un peu lourd, mais nous avons un porteur... Gros succès quand nous rentrons chez les tirailleurs avec notre porteur de lit. Le paddock est récupéré avec joie par Lochen et le prisonnier sous la protection de Guiglia est vite adopté par la batterie. 13 Mai La journée se passe dans le calme. Straumann va chercher de l'eau à Ain Zektoune. Le prisonnier que pour plus de commodité nous avons baptisé "Cézigue" effectue diverses corvées à la satisfaction générale. Au passage, il admire nos canons et leurs emplacements bien protégés et artistement camouflés. Il les trouve tout de même un peu petits et demande à Guiglia: - A combien tirent-ils, Vittorio. - Oh, pas bien loin, à une quinzaine de kilomètres. Cezigue est dans l'admiration et ne demande qu'à rester avec des artilleurs aussi prestigieux. Nous ne demanderions pas mieux que de le garder, mais le Commandant Capello ne l'entend pas de cette oreille et il faudra bientôt, à notre grand regret, l'envoyer dans un camp de prisonniers. Il nous quittera la larme à l'oeil. 14 Mai Nous quittons à regret nos camarades du I/9e R.T.A. pour nous diriger vers Ain Zaress. Nous bivouaquons vers 12 heures à "l'Abreuvoir". Pendant le déjeuner, un mulet s'échappe et va gambader dans un champ de mines voisin. On retient le conducteur qui voulait aller le chercher. Le résultat ne se fait pas attendre et la pauvre bête se fait mettre en morceaux (qu'on ne pourra même pas aller récupérer) sur un de ces damnés engins. 15 Mai Je vais reconnaître un bivouac un peu moins malsain vers Ain Zaress. 16-17 Mai Occupation de ce bivouac à 1 km Sud environ d'Ain Zaress. ` 18 Mai Ordre de désigner un détachement devant participer au défilé de la Victoire à Tunis. Hélas ce détachement ne comportera que des hommes à pied. Nous aurions tant aimé défiler avec nos brêles et notre matériel. 19 Mai Départ à 10 h 20 pour Tunis. Transportés en camions nous arrivons vers 16 heures. 20 Mai Défilé dans Tunis à partir de 10 heures dans l'enthousiasme général et retour à Ain Zaress aussitôt après. 21-22 Mai Je vais reconnaître la tombe du Maréchal des Logis chef Bocher aux environs d’Ouï el Abouab et vais avec le peloton de pièce y déposer les restes de la 1ère pièce. Le Commandant Capello désire que chaque batterie organise une cérémonie pour marquer la fin de la campagne. Avec des piquets de tente italiens et du fil téléphonique, nous bricolons un mat de pavillon imposant. Nous mettons soigneusement au point une prise d'armes comportant essentiellement la levée des couleurs et l'appel des morts. La cérémonie se déroule dans un ordre impeccable et le commandant, pourtant peu prodigue de compliments me dit simplement: "C'est bien". Il a l'air visiblement satisfait. La batterie n'a pas failli à sa réputation. 23-24 Mai Travaux de routine: Entretien du matériel, soins aux animaux, nettoyage et entretien etc... 25 Mai Ordre d'embarquer en chemin de fer à la gare de Pont de Fahs. La reconnaissance s'effectue dans l'après-midi. C'est un chemin de fer dont le matériel est passablement délabré. Le point de première destination serait Bouira via Ouled Rahmoun. Spectacle inoubliable et qui suffirait à nous payer de toutes nos peines: la plaine de Pont de Fahs couverte à perte de vue de prisonniers allemands et italiens. 26 Mai Nous devons former nous mêmes le train avec des wagons dispersés un peu partout. Ce petit train minable, nos mulets fatigués, nos petits canons, notre équipement hétéroclite excite l'hilarité de nos adversaires de la veille. Ils rigolaient sans doute moins quand les 65 leur arrivaient sur la figure! Il est vrai que beaucoup de ceux qui les ont reçus ne sont pas là pour en parler. Nous finissons par nous caser tant bien que mal, matériel, animaux et hommes dans ce train inconfortable et ridicule. Il n'y a pas de wagons de voyageurs mais nous avons déniché un vieux fourgon poste dans lequel trôneront superbement les cadres de la batterie. Ainsi nous ne perdrons pas complètement la figure! Voilà comment la Patrie honore ses serviteurs victorieux! Et nous voilà partis pour une destination inconnue... 27 Mai La destination se précise quand à la gare d'Oulmen, le train est dirigé sur Khenchela. Dans la nuit, la Campagne de Tunisie a fait une dernière victime: le mulet Camillette mort d'épuisement. A l'arrivée à Khenchela, j'apprends que la batterie rejoindra Batna par la route. On aurait peut-être pu nous le dire plus tôt! Quoiqu'il en soit, la satisfaction est générale. Nous allons retrouver notre bonne vieille garnison et... nos familles: tout ce que nous avons défendu pendant six mois. C'est pleins d'enthousiasme que nous allons bivouaquer à la Ferme Morin. 28-29-30-31 Mai Les 140 km de Khenchela à Lambèse sont avalés sans difficulté avec étapes à Edgar Quinet, Touffana, Lavéran. ler - 2 Juin A Lambèse, nous cantonnons dans les bâtiments militaires dont un sapeur astucieux a décore les murs avec des pierres trouvées dans les ruines sur lesquelles sont gravés les numéros des cohortes de la IIIe Légion Augusta. Nous y faisons de beaux rêves, veillés par les mânes de nos glorieux anciens les légionnaires romains. 3 Juin Départ de Lambèse vers 6 heures, capitaine en tête. Nous rejoignons le reste du Groupe, venu par la route de Constantine. Défilé en ville, acclamés par la population en délire. En queue de colonne, une voiture de liaison allemande traîne dans la poussière un immense drapeau à croix gammée. L'accueil de nos concitoyens de Batna sera notre plus belle récompense (et à peu près la seule). Et nous avons défilé avec nos brêles... Le IIIe Groupe du 67e R.A.A. sombrera petit à petit dans l'oubli. Revues, remises de décorations, manoeuvres diverses, nous distrairont un temps de l'inaction dans laquelle nous laisse le Commandement. Puis il sera question de nous transformer en Groupe Auto. Nous entraînons aussitôt des conducteurs sur les quelques véhicules dont nous disposons. Pendant ce temps, un autre Groupe portant le numéro III se constitue à Constantine. Un coup sérieux est porté à notre moral lorsque nous changeons de numéro. Nous sommes désormais le Ve Groupe (ce qui rappelle fâcheusement la 5e roue de la charrette). Toujours pas de matériel moderne... Bientôt, nous voyons roder en ville des recruteurs de "l'armée de Gaulle". Malgré le désir de tous de participer à la suite des opérations, l’appât d'un avancement rapide et de soldes mirifiques, ils ne feront déserter à peu de chose près que quelques bons à rien. Il est d'ailleurs interdit de qualifier ces derniers de déserteurs. Ils ont simplement changé de corps de leur propre initiative ou quelque chose dans ce genre. Pour tuer le temps, nous reprenons nos virées dans les Aurès. On s'amuse bien, on conserve la forme, mais le coeur n'y est plus. Tous les jours, des sous officiers et des canonniers viennent nous demander si l'on repartira bientôt en campagne et avec quel matériel. Nous ne pouvons que leur faire les réponses vagues et dilatoires que nous recevons nous mêmes... Petit à petit des mutations interviennent. Je pourrais moi même avoir une place dans le Groupe qui nous a volé notre numéro. Bien entendu je la refuse. Je finirai par atterrir à l’État Major d'un Corps d'Armée fantôme, le 2e C.A. sous les ordres de notre ancien colonel, le Colonel Chauvin, lui même "sur la touche". Lochen partira comme officier de liaison en Russie, d'autres ailleurs. Vers la fin de l'année la "batterie de fer", devenue 14e Batterie a pratiquement cessé d'exister. Ce que l’ennemi n'avait pu faire, notre commandement s'en est chargé.Par suite de l'abandon et du sacrifice inutiles de milliers de soldats allemands et italiens en Tunisie, nous nous sommes trouvés dans l'impossibilité de repousser le débarquement en Italie du Sud. L'entreprise alliée a réussi et les Anglo-Saxons ont acquis la confiance nécessaire pour risquer un nouveau débarquement en France... La catastrophe de Tunisie a porté un coup fatal au prestige du Duce et a mis fin à son rêve d"'Imperium Romanum". Maréchal Rommel Nous avons contracté envers les Français une dette de reconnaissance pour la façon dont ils ont tenu le long flanc de la Grande Dorsale au début de la campagne. Sans eux nous n'aurions pu maintenir notre emprise dans le Nord. Mal armés, ils ont combattu suivant les grandes traditions de l'Armée Française ressuscitant les gloires antiques de la France sur le sol Tunisien. Général Alexander Nous sommes des serviteurs inutiles. Nous n'avons fait que notre devoir. Commandant la 1ère Armée Britannique. (St Luc 17-10)
Pour la Patrie, les Sciences et la Gloire. Devise de l’École Polytechnique
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