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                   Index historique ElBAZE  corpus                                                        
Liste des 134 manuscrits   #Manuscrits                

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FUSSINGER Gérald

051

ON M'APPELLAIT... FUFU !

GUERRE 1939-1945

Témoignage

NICE - Décembre 1987

Analyse du témoignage

Ecriture : 1987 - 450 pages

051 - Tome I - Guerre et captivité

052 -Tome II - Sur le chemin de la Rédemption

Il a fallut qu'un jour, 42 ans plus tard, je lise sur NICE-MATIN, un article qui me toucha. Il était fait appel aux souvenirs des anciens combattants pour que la postérité, apprenne ce que nous avons vécu.

J'ai fouillé dans mon garage, retrouvé de vieux journaux, de vieux récits et j'ai envoyé le tout à Michel El Baze, responsable de l'article.

En retour il m'a demandé de faire ce livre. Est ce que cela en valait la peine ? A vous de juger.

Allez, salut tout le monde.

Ras le bol de FUFU, ce teigneux, cet emmerdeur. Il était si bien enfoui au fond de ma mémoire.

Il a fallu qu'il en sorte pour de nouveau me faire peur, aimer, rire et pleurer aussi. Il va regagner son petit jardin secret, il ne veut même pas signer, cette tête de lard !

Alors je le fais pour lui.

MANDELIEU, le 10/04/1987 à 10 h du soir… OUF ! ! !

POSTFACE de Michel EL BAZE

Marie-Pierre (20 ans) enfourne "au kilomètre" le manuscrit de Gérald Fussinger dans son Mac quand je l'entends s'écrier : "Ça, c'est un mec". En un mot elle venait de traduire un sentiment que vous éprouverez, lecteur, en dévorant les tomes I et II de ce témoignage exceptionnel de celui qui, de la cohorte des prisonniers de guerre a su se lever et dire "non", c'est-à-dire : Résister.
Marie-Pierre, 20 years of age, quickly puts in the manuscript by Gerald Fussinger in her Mac when I hear her exclaim : "That's what I call a man". In one word she had just summarise your feeling, dear reader has you avidly go through volume I and II of this exceptional testimony from he who from the line of the prisoners of war managed to stand up and say "No", that is to say to be a Resistant.

PRÉFACE DE MICHEL EL BAZE

"En guise d'introduction", Gérald FUSSINGER présente son témoignage et se décrit lui -même mieux que je ne pourrais le faire et toute préface de cet ouvrage aurait été superflue s'il n'y avait la correspondance échangée avec l'auteur et mon plaisir d'en reproduire ici quelques extraits qui affirment mieux encore la personalité de notre admirable FUFU "ce mec" -comme disent les stagiaires T.U.C. Marie-Pierre et Nathalie -qui voudraient bien le connaître . A l'origine de notre rencontre un des articles paru dans NICE-MATIN et l'envoi de quelques pages le 27 novembre 1986, d'abord :Et "mon avis" fut d'inciter mon correspondant à persévérer dans la rédaction de son témoignage. Puis le 27 novembre suivant :
J'ai eu une vie difficile travaillant dès l'âge de 13 ans. Je suis un autodidacte avec encore de nombreuses lacunes dans mon instruction, mon éducation. Ce qui m'a plu dans votre appel, c'est son côté non lucratif et l'aide d'une équipe qualifiée. Je ne pensais pas que ma guerre pourrait encore intéresser quelqu'un. Je n'attends qu'un mot de vous pour reprendre le stylo, après 40 ans. N'ayez crainte, mes souvenirs sont toujours là, bien vivants, trop vivants même car il est des heures si terribles qu'elles vous marquent à jamais de leur empreinte.
Encore le 9 Décembre
C'est avec une grande joie que j'ai reçu votre missive. Ainsi grâce à vous je vais pouvoir écrire, après 40 ans de silence la relation de mes aventures, de mes états d'âme, de mes révoltes, de mes joies. Je pense que vous avez raison. Il faut, pour les générations futures, le témoignage de notre époque. Maintenant je considère cela comme un dernier devoir que la vie m'imposerait. N'ai-je pas lu avec beaucoup d'intérêt les souvenirs du Capitaine COIGNET un soldat de NAPOLEON. Mon récit comportera un préambule dans lequel je me situerai pour une meilleure compréhension de ma mentalité, de mon éducation, de mes réactions. Puis le récit partira de mon incorporation au 153ème R.I.F., mon instruction militaire, la vie sur la ligne MAGINOT seront évoquées. Puis j'aborderai la drôle de guerre. Je camperai quelques uns de mes camarades. Je parlerai de notre mentalité et enfin du 10 mai 1940. Je rentrerai de plain pied dans ce qui fut la fin de nos illusions, de nos convictions. Nous n'avons pas à rougir mais nous nous sommes battus avec de faibles moyens. Des camarades sont morts à mes côtés et nos officiers, le Commandant SOURIAU entre autre, ont mérités notre admiration. Ensuite je parlerai de la captivité, de la misère humaine, de l'homosexualité, de la dégradation de certaines valeurs auxquelles j'étais attaché et aussi la fierté que j'éprouvais à être en prison avec d'autres évadés. Nous étions le refus et avions l'impression d'être redevenus des hommes malgré les humiliations et notre grande misère. Je parlerai de ma dernière évasion en y incorporant les 2 récits que je vous ai fait parvenir. Et pour finir je parlerai de la période se situant entre mon évasion et la Libération, période riche encore en aventures. Puis je terminerai par un épilogue, pas trop long, émaillé sans doute de quelques considérations sur l'âme humaine. Etant donné que mon récit sera cocasse, émouvant et je l'espère intéressant pour le lecteur j'ai pensé à l'intituler "Tribulations d'un bidasse de l'an 40". Je m'excuse par avance, d'employer en permanence le "je". C'est une autobiographie d'une tranche de ma vie. Alors je ne tricherai pas. Quand je dirai par exemple : "Je suis dans la merde" il s'agira bien de moi et pas d'un autre. Je n'ai jamais cherché à me mettre en valeur. Ma médaille des évadés date de 55 et c'est un camarade qui l'a demandé pour moi. Enfin je ne fais parti d'aucune association d'Anciens Combattants. Je restais tout seul dans mon petit coin jusqu'au jour très récent où un Monsieur EL BAZE s'est occupé de remuer mes souvenirs. Je vais me mettre au boulot. J'espère, je suis certain que vous ne serez pas déçu.
Enfin, quelques mois plus tard, l'annonce de la terminaison de l'ouvrage par ces quelques lignes.
Dans votre lettre du 4 décembre 1986, vous m'avez demandé d'écrire une relation de ma tranche de vie concernant la guerre 39/45 et susceptible d'intéresser l'historien et le psychologue. C'est dans cet état d'esprit que j'ai entrepris ma narration. Pendant cinq mois la feuille blanche étalée devant moi a fait office de confessionnal. Je n'ai pas triché mais mes écrits dépasse sans doute le cadre que vous lui aviez assigné. Je vous autorise donc à retrancher ce que vous jugerez impropre ou indigne d'être imprimé. Je vous laisse seul juge.
Il est bien évident que je me suis interdit de manipuler le texte original ou même de préférer les "versions édulcorées" que FUSSINGER me présentait. D'où sa dernière lettre du 25 août 1987. Le lecteur ne sera sans aucun doute pas déçu de vivre avec l'auteur cette tranche de vie exceptionnelle racontée avec la simplicité des grands et qu'il y prendra le même plaisir que "mes filles" ont eu à l'enfourner dans l'ordinateur.
Depuis que je vous avais adressé mes élucubrations, je me posais des questions car avant d'écrire le récit de mes aventures j'avais été amené à faire un choix entre deux modes d'expression. Ecrire suivant le mode classique en employant un langage châtié et conventionnel ou opter pour des expressions plus proches de la réalité. Mon livre devant servir de témoignage, laissant ma pudeur de côté, j'ai choisi la solution la plus réaliste. Parfois, effrayé par mon audace "verbale", j'étais tenté de faire marche arrière, de rentrer dans la moralité, et puis ma franchise naturelle a triomphé de mes scrupules et je vous ai transmis mon manuscrit. Votre appel et surtout l'opinion de vos filles m'ont apporté une sorte de délivrance et une joie profonde. Ainsi des jeunes avaient compris et approuvé le sens de mon récit. Il ne contient pas de message mais simplement, il souligne que dans la vie, il faut toujours espérer et aussi que l'amour doit être le moteur de toutes actions. Ainsi je suis le "mec". Ce que j'ai pu sourire à ce qualificatif. Je suis pourtant le contraire d'un "macho" et je suis ému par la souffrance que l'on voit à la télé. J'ai par exemple horreur des corridas et je suis prèt à applaudir quand le toréro se fait embrocher et je ne serai jamais chasseur. C'est toujours à mon corps défendant que je me suis battu, que j'ai accompli quelques trucs pas trop moches. Il y a, c'est certain, un fauve qui sommeil en chacun de nous. Sinon comment expliquer cet instinct qui me permettait de m'orienter en pleine nuit dans des forêts immenses, comment expliquer ces réactions animales qui aux heures cruciales que j'ai vécues me transformaient de mouton en loup prèt à mordre. En chacun de nous existe une dualité du bien et du mal, du courage et de la lacheté. Et je dois avouer que la guerre en permettant de me découvrir n'a pas eu pour moi qu'un côté négatif. Et à l'heure actuelle encore, elle m'a fait revivre, en pensée, des moments exaltants....
Voilà ! Qu'ajouter, sinon vous souhaiter le même plaisir, le même interêt que nous avons éprouvé en découvrant un Homme dans la tourmente.

EN GUISE D'INTRODUCTION DU TÉMOIN

Les lignes qui vont suivre sont la narration non édulcorée de faits authentiques. Elles ne sont pas écrites pour la bibliothèque rose mais pour servir de témoignage. Certains termes pourront vous choquer, certaines descriptions vous écoeurer. J'ai décidé que mon récit serait sincère. Si je supprime certains passages, en perdant de la substance ma narration perdra de sa force et de sa véracité. Ce langage parfois trivial est voulu, les expressions familières conservées. N'ayant pas envisagé de faire carrière au Quai d'Orsay, j'ai toujours eu mon franc parler et horreur de me voiler la face quitte à regarder entre mes doigts. Ce qui n'est pas mon genre. Dans toutes guerres il y a du courage, de la lâcheté, de la mort, du sexe, de l'amour, de l'abnégation et de l'écoeurement. Peut-on oblitérer certains actes, en glorifier d'autres sans faire acte de tricherie. Si mon livre vous déplaît, alors refermez-le, et jetez-le à la poubelle. Là au moins certains de mes souvenirs y seront à leur place. Qui suis-je ? Né le 9 Juillet 1918 à la fin de celle qui devait être la der des der, dans le petit village d'Essoyes dans l'Aube, là ou vécu et repose le grand peintre Auguste Renoir. Je passai, jusqu'à l'âge de neuf ans, une enfance sans histoires. Mes parents étaient pauvres et mon père du partir à la ville chercher un emploi de garçon coiffeur. Ce fut le commencement de mes malheurs. Un soir un ami de la famille vint armé d'un révolver demander à ma mère de fuir en sa compagnie en m'emmenant. Ce fut une nuit de cauchemar et nous nous retrouvâmes fuyant dans le noir avec cet homme armé qui me terrosisait. Nous vécûmes un an à Brion-sur-Ource et j'étais devenu Jaquou le croquant. Je fis une fugue et on me retrouva dans les marais ou je m'étais caché. Dans les jours qui suivirent je tombai malade, paralysie infantile avait dit le médecin. Pendant un mois je luttais contre la mort, allongé sur un petit lit de sangles. Mais je réussis à m'en sortir après avoir déliré de longues heures, marchant comme un vieillard, les reins brisés par la maladie. Enfin ma mère se décida à fuir cet homme et parti pour Troyes ou je pus retourner à l'école et rattraper mon retard. A 12 ans 1/2 j'obtins mon certificat d'études avec la mention bien. Peu de temps après mon père mourut. Ma mère me mit au boulot immédiatement et par chance je fis un travail agréable dans les bureaux d'une fabrique de registres. Le 12 février 1934 la grève générale fut décrétée pour protester contre les menées facistes des Croix de Feu. Le 13 février mon patron me mis à la porte car il était lui-même le responsable des Croix de Feu de la région. Alors commença pour moi un errance qui me vit faire plusieurs métiers. Ma mère vivait avec un nouvel ami, terrassier de profession. Et avec lui je connu la dure loi de ces grands chantiers où se réfugie souvent la lie de la société. Là, j'appris à me défendre, à me battre. J'avais pratiqué le football, fait des courses cyclistes. Un soir, n'ayant pu rejoindre mes camarades partis tôt à l'entraînement, je passai dire bonjour à mes anciens collègues de bureau. A la petite porte de l'usine je croisai un jeune fille qui ne fit même pas attention à moi. Mais mon coeur, lui, avait fait tilt. Mon ancien patron me surprit parmi le personnel du bureau. Il me demanda si je voulais revenir parmi eux car me dit-il, il m'estimait beaucoup. J'acceptai avec joie et quelques jours plus tard, j'étais près de ma petite brunette, qui bien que m'accordant quelques baisers qui me rendaient fou ne voulu jamais me fréquenter. Elle me trouvait un peu chien fou et un tantinet cavaleur. Il est vrai que j'avais oublié d'être timide. Voilà ! Vous savez l'essentiel de ma personne. Je vais passer la plume à un nouveau personnage qui va naître avec son uniforme de soldat. Ses copains l'appelaient Fufu.

Table

**

PREFACE ........................................ .........................8

EN GUISE D'INTRODUCTION 11

LIVRE I - La Mémoire 13

LE SERVICE MILITAIRE 14

LA DROLE DE GUERRE 33

LA GUERRE - LA BATAILLE 57

EN CAPTIVITE 69


                              LIVRE 2

AK 791 - MOSBERG 112

SUR LE CHEMIN DE LA REDEMPTION

Un jour parmi dix-sept 129

Qu'il est long le chemin qui mène à toi... 140

LIBERTE !

ENFIN LIBRES ! - LE DERNIER JOUR 150

LA VIE SOUS L'OCCUPATION 157

LIVRE II Documents................................................178

N'accepter de subir que pour espérer !

Espérer pour agir !

Tel est le chemin de la liberté.

Aux anciens Prisonniers, aux évadés.

A mon ami Roland CHAILLOUX.

A mon copain Georges TAUVEL, dit "Bouboule".

A Jean COUHARD, camarade admirable et généreux.

A celui qui fut le meilleur des hommes Michel GIRAUD.

Au lieutenant PELT.

A toutes celles et ceux qui, au péril de leur vie, m'ont aidé.

A Monsieur EL BAZE qui, sans me connaitre, m'a encouragé à écrire ce livre.

Ces quelques lignes en témoignage de ma reconnaissance et mon souvenir ému.

F.G.

LIVRE I
***
LA Mémoire

La mémoire : seul bagage incessible

Jacques ATTALI

LE SERVICE MILITAIRE

**

3 Septembre 1938. Ils sont quatre dans le train qui roule vers l'Est, quatre jeunes gars qui vont rejoindre leur affectation, le 153 ème Régiment d'Infanterie de Forteresse sur la ligne Maginot. Ils rient, ils plaisantent, sans doute pour masquer leur secrète angoisse d'un destin inconnu. Ils voyagent en 1ère classe, n'ayant pu trouver place en 3ème et le vieux Monsieur qui se trouvait dans le luxueux compartiment à leur arrivée, n'a pas protesté contre cette intrusion. Il sourit même, car sans doute se remémore-t-il sa jeunesse. A Montier en Der il souhaite bonne chance à tout le monde et s'en va toujours souriant. Je suis, moi, Gérald FUSSINGER, matricule 239 de la circonscription de TROYES (AUBE) l'un de ces conscrits. Ma mère était bien triste lorsque je l'avais quitté sur le quai de la gare. Elle ne pouvait s'empêcher de penser aux années qui avaient précédé la guerre 14 -18 et la menace d'un nouveau conflit était sérieuse. Là-bas à l'Est, s'agitait un moustachu ridicule qui ne savait parler que d'espace vital, de revanche. Nous les jeunes, nous avions confiance. On nous avait répété que la ligne Maginot était imprenable et c'est vers elle que le train nous emportait. L'autorité militaire m'avait pourtant demandé lors de conseil de révision, vers qu'elle arme allait mes préférences. "Chasseurs Alpins", avais-je inscrit sur ma feuille. J'avais choisi les cimes et on m'envoyait vers la profondeur des casemates. Enfin je m'efforcerai à une adaptation totale à ce que l'on exigera de moi. Deux ans à tenir et après bonjour la vie, le mariage, les enfants, une bonne situation, la pêche le dimanche, le muguet cueilli dans les bois, en famille, pour le 1er Mai. Les yeux fermés, je pouvais toujours rêver à ma petite fiancée brune qui deviendrait la compagne de ma vie. Evidemment, il y avait Adolphe ! ! Il faudra bien qu'on lui ferme sa grande gueule à celui-là. Quand ce sera fait, tout rentrera dans l'ordre et on oubliera vite ces quelques mauvais moments qu'il nous aura faits passer, à nous, les petits Français. L'émotion, ça creuse, surtout quand on à 20 ans. ! Nous avons ouvert nos musettes, sorti les casses-croute et l'indispensable pinard. Heureuse surprise, un conscrit sort un litre de Marc de Bourgogne et nous offre la tournée du coeur, puis la re-tournée suivit d'une re-re-tournée et nous sommes de plus en plus gais. Ce qui fait que quand nous arrivons à ROHNRBACH-LES-BITCHES (Moselle) dans la soirée, nous ne marchons plus très droit et parlons très, très fort. Un copain suggère de ne pas aller nous enfermer tout de suite et de visiter le pays. Bras-dessus, bras-dessous, nous faisons le tour du village, sans oublier une petite tournée au bistro du coin. Bref, quand nous nous pointons à la caserne, le comité d'accueil ne nous semble pas tellement sympathique. C'est qu'il nous engueule, ce type avec des trucs dorés sur les manches. - Alors déjà en retard ! Et bourrés en plus.! D'où venez vous ? - De TROYES, parviens-je à articuler. - Ah ça ne m' étonne pas, des Troyens ! ! Nous étions ébahis. Qu'avions nous de particulier, nous les Troyens ? Cela je devais l'apprendre un peu plus tard. TROYES était ville ouverte. Beaucoup de durs, de repris de justice, chassés des autres villes avaient le droit d'y habiter et leurs mauvaise réputation rejaillissait sur nous, pauvres petits agneaux, si doux , si obéissants. On nous sépara, chacun rejoignant son affectation dans la caserne. Alors qu'il m'emmenait vers la CM 6, traduisez, Compagnie de Mitrailleuses n° 6, je dis à mon guide : - Je casserais bien une petite croûte. - D'accord ! me repondit-il avant de m'entraîner vers les cuisines. A peine étais-je installé à une table du réfectoire que je vis déboucher un grand gaillard qui à ma vue s'arrêta interdit. Deux cris jaillirent en même temps. - CANIVET ! FUFU ! Et nous tombâmes dans les bras l'un de l'autre. Que de kilomètres à bicyclette, que de rigolades, que de souvenirs en commun. Et quel bonheur pour moi de retrouver un ami. Il me dit : - Attends, je vais te chercher à bouffer ! Et quelques instants plus tard, il revint avec un énorme steack, des frites à profusion, du fromage, des fruits, du pinard. Je lui dis : - C'est toujours comme ça ? Il rigola franchement en me répondant : - Attends demain, tu verras bien ! Ce soir là, quand je m'endormis dans ma chambrée, sur mon lit bien dur, dans lequel j'eus la surprise de trouver des revues de femmes nues! , cadeau d'un ancien, les rêves qui vinrent me visiter était d'un rose très, très tendre. TA - TA - TA - GA - DA - TA - TA. Qu'est-ce que ce bruit insolite et répétitif ? - Debout là dedans ! Merde, je réalise, je suis trouffion. Nous sommes une vingtaine de gars hébétés à nous regarder dans le blanc des yeux. Les ordres arrivent ! - Faites vos lits au carré puis, aux toilettes ! ! Un volontaire pour le jus ! Dans trois quarts d'heure rassemblement dans la cour du quartier ! On est un peu paumés. Personne pour le jus. Le gradé qui nous avait réveillé demande : - Qui sait faire du vélo ? Je bondis : - Moi ! moi ! - C'est bien vous irez chercher le café . Re-merde. Je viens de me faire pigeonner et les autres se marrent. Je suis fumasse et je jure d'être sur mes gardes. C'est bien simple je ne saurai plus nager, courir, chanter, etc..., etc...Je serai désormais une vraie potiche. La première journée se passa à l'habillement. Il y avait un tas de vieilles godasses dans une pièce et c'était à vous de trouver des chaussures à votre pointure. Au magasin il y avait des lots d'uniformes et le magasinier vous en donnait un en vous disant : - Si ça ne va pas, démerdez-vous avec les autres. Et c'était alors des essais, des échanges au milieu des rires et des grosses plaisanteries. Les uniformes étant "bleu horizon" il y en eut un qui s'écria : - Hé ! les gars on va refaire la guerre de 14. Nous étions déçus. Un ancien qui nous servait de guide nous expliqua qu'il fallait avoir terminé ses classes pour avoir droit au port de l'uniforme kaki, à la grosse ceinture et au béret de la forteresse. On nous emmena ensuite pour vérifier nos connaissances avec entre autre une rédaction sur nos premières impressions. L' ancien qui nous servait de guide nous prévint : - Soyez gentils, ne marquez pas de conneries!! Je suivis son conseil et sans en faire trop, je dis que j'avais été agréablement surpris par l'accueil, le confort, la compréhension de ceux qui avaient la charge de faire de nous des soldats. La vie s'organisa doucement dans les jours qui suivirent. On fit plus ample connaissance, des amitiés se nouèrent suivant les affinités de chacun. On apprit à distinguer un Caporal d'un Colonel, un Sergent d'un Capitaine. On apprit à marcher, à saluer, à courir, à ramper. Il y avait des cloches qui nous faisaient rire tel ce petit gars qui s'esclaffait à chaque commandement . Le sous-officier était vert de rage, mais il n'y avait rien à faire, c'était nerveux. - Garde à vous ! - Hi hi hi Etait la réponse et nous on suivait. Au bout de 3 jours, avec l'assentiment du lieutenant ce malheureux soldat eut droit à un instructeur particulier et nous perdîmes un beau sujet de rigolade. Il y avait aussi ceux qui enregistraient les ordres avec un temps de retard et la pagaille s'installait et nos instructeurs gueulaient. Que serait-ce quand nous toucherions nos fusils nos cannes à pêche comme nous les baptisions ! Notre chambrée était commandée par un caporal secondé par un première classe. Ils étaient vraiment chic avec nous nos anciens. Notre sergent, un Alsacien avait la curieuse habitude de nous demander notre nom à chaque fois que nous le croisions. Soldat FUSSINGER Soldat BONTEMPS. etc.. Au bout de huit jours il était capable de citer tous les soldats de la compagnie par leur patronyme et je trouvais cela admirable. Un jour on nous fit faire une longue marche avec le barda sur les épaules. 30 kms environ avec arrêt toutes les 50 minutes avec 10 minutes de pause. Des voitures hippomobiles suivaient et quand un gars s'écroulait, on le chargeait dans une charrette. Habitué à la dure et aux efforts, je n'eus pas à recourir aux braves canassons qui d'ailleurs étaient aussi crevés que nous. Quinze jours se sont écoulés depuis mon incorporation. Je sais saluer, marcher au pas d'un air martial, discerner un gradé du facteur. Je sais démonter un fusil mitrailleur, ramper avec une mitrailleuse sur les bras. J'ai même écrasé la main d'un copain lors d'une course de reptation, affût de la mitrailleuse sur les avant-bras. J'étais en seconde position derrière un Alsacien costaud et je voulus faire la même opération que lorsque je courais à bicyclette : me jeter sur la ligne. D'un magistral coup de reins, je me propulsais en avant et pan ! ! ma mitrailleuse de 25 kgs atterrit violemment sur la main de mon concurrent qui avait dévié de sa ligne. J'avais gagné mais le lieutenant qui jugeait l'arrivée me disqualifia . Ce geste calma la colère du blessé qui me tendit sa main valide. Moi je me sentais le vainqueur moral et nous devînmes de bons copains. Je compris vite que les casemates n'étaient pas pour nous qui étions destinés à couvrir les intervalles entre les gros ouvrages de la ligne Maginot. Souvent on nous envoyait poser des barbelés entre les rails que d'autres équipes enfonçaient avec une sonnette, sorte de masse qui tombait de haut sur le rail maintenu debout. Cette sonnette était remontée à l'aide d'un cable et retombait sans cesse sur le rail qui s'enfonçait profondément dans le sol. Nous étions deux par rouleaux de barbelés et nous tenions chacun le bout d'une barre passée dans ce rouleau. Nous opérions par groupe de 4 équipes. La première démarrait, entortillait le fil autour d'un rail, partait pour le suivant en respectant un schéma tracé d'avance et les autres équipes suivaient en croisant le barbelé. C'était efficace comme protection et les rails avaient fait leur preuve comme anti-char. Malheureusement nous nous blessions souvent aux pointes acérées de ce fil mais nous avions reçu nos piqûres qui nous protégeait de tout, sauf de la vérole. Lors de ces séances de piqûres, qui se faisaient en série j'avais devant moi un rouquin dont le nom commençait par la lettre E, moi je suivais avec F, comme FUSSINGER, et je me souviens qu'à chaque fois qu'on lui plantait l'aiguille dans le dos, salut la compagnie, je le voyais palir, ses genoux pliaient doucement et vlan ! dans les bras de FUFU qui le remettait aux infirmiers. L'armée avait fait une belle recrue avec ce pauvre gars. Ces piqûres rendaient malade la plupart des copains. Il ne fallait pas manger, ni boire d'alcool. Moi je n'avais aucune réaction à part une petite douleur à l'épaule et le soir n'en pouvant plus d'avoir faim, je cassai la croûte sans dommage. Un camarade m'avait vu faire, c'était un robuste paysan vieilli avant l'âge et vivant en ménage avec une nana de son milieu. Lui aussi cassa la croûte mais il commit l'erreur de boire du pinard. La réaction ne se fit pas attendre, il se mit à pâlir, à claquer des dents et paraissait si près de casser sa pipe que j'avertis le service sanitaire. Il réussit à s'en tirer mais il n'en fut pas de même pour ce brave Caporal Chef CHAMPAGNE un joueur de rugby musclé, qui lui ne se remit pas d'une absorption un peu chargée, de bonne bière alsacienne. Il dédéda dans la nuit, malgré les soins attentifs dont il fut l'objet. Pour les piqûres suivantes on nous fit uriner et analyser nos urines ce qui n'avait pas été fait la 1ère fois. Négligence ? Oubli ? Les bruits de guerre se faisaient de plus en plus alarmiste Adolphe parlait d'envahir la TCHECOSLOVAQUIE pour protéger les Sudètes. Une nuit l'alerte générale fut déclenchée. Nous nous mîmes en tenue de campagne et en compagnie de notre caporal j'allais au magasin me munir d'une mitrailleuse et de ses munitions. Ainsi lestés, avec le renfort de deux autres bidasses nous partîmes occuper un minuscule fortin ou nous installâmes notre matériel devant le créneau, une bande de cartouches engagée, l'arme prête à tirer. Notre cabot donna des ordres : - Lui sera le tireur, moi j' engagerai les bandes que les copains me passeront. Et la longue attente commença, avec déjà l'angoisse pour compagne. Je scrutais la nuit, pensant voir déferler les nazis en bandes compactes et hurlantes. Comme nous étions naïfs d'imaginer ainsi la guerre ! ! Après de longues heures de veille, l'aube arriva, rassurante. Malgré notre fatigue notre chef nous demanda de vérifier la mitrailleuse pour voir si elle était en bon état. Horreur, elle n'avait pas de percuteur. C'était une mitrailleuse d'exercice. Notre caporal était fou de rage et il nous dit : - Les gars vous venez de découvrir l'armée française, le bordel partout. Allez on s'en va, rester ici n'a aucun sens ! ! Et ce fut le retour peu glorieux d'un groupe de mitrailleurs qui aurait eu vraiment bonne mine si les Allemands avaient pointé leur nez. Après cette alerte nous fûmes consignés dans la caserne prêts à rejoindre les positions atribuées à chaque Compagnie. Quelques classes avaient été mobilisées et nous accueillîmes du mieux que nous le pûmes ces réservistes désenchantés pour qui nous vidâmes les magasins de leurs tenues de guerre. Pour un bordel, ce fut un beau bordel. Vraiment en ce septembre 1938 la FRANCE n'avait pas l'esprit guerrier et les gars affichaient une mauvaise volonté évidente surtout la classe 1936 qui se croyait bien débarrassée du service militaire, accompli depuis peu. Enfin, petit à petit, chacun trouva sa place et la vie repris son cours, avec notre instruction et la mise en condition de nos anciens. Il y avait parmi les gradés qui nous commandaient, un adjudant-chef baptisé par la troupe B.O - B.O car il disait toujours après chaque ordre "Beo Beo" soit Bulletin Officiel : B.O. Quand la garde était relevée et qu'il était de semaine il passait l'inspection en faisant lever tour à tour la jambe gauche et la droite, comme si nous allions taper dans un ballon. Il passait alors derrière le soldat et vérifiait qu'aucun clou ne manquait aux chaussures. 1 clou en moins = 1 jour de taule. Ce gradé avait une énorme cicatrice à la tempe et m'étant renseigné sur l'origine de ce trou, il me fut répondu qu'ayant trouvé sa femme en train de se faire caresser par un collègue il avait pris son arme de service et pan dans la gueule à Jean. Hélas ! comme me le disait le trouffion qui me rapportait la chose, il s'était manqué. Par ordre supérieur, la cantine avait été fermée et nous avions soif de pinard. Un soir je demandais deux ou trois bidons vides et je me proposais de faire le mur pour aller m'approvisionner au bistrot de BINING. Cette proposition fut accueillie avec joie et quelques minutes plus tard avec des ruses de Sioux, évitant les sentinelles, j'escaladais le mur de la caserne. Mon coeur battait la chamade et j'étais excité par cette aventure. Quand j'arrivais au café je jetais un coup d'oeil par la vitre. Malédiction ! ! La salle était pleine de sous-off. Que faire si on m'interrogeait ? Je décidais d'y aller au culot. Je poussais la porte vivement, fit un salut militaire impeccable et je me dirigeais d'un pas assuré vers le comptoir où je tendis mes bidons. J'avais arboré un gracieux sourire, inquiet néanmoins du silence qui avait marqué mon entrée ! Mais tout se passa bien et je réglais avant de prendre le chemin du retour, alourdi toutefois par huit litres de pinard accrochés dans mon dos. J'eus un peu plus de difficultés à repasser le mur, mais j'avais gagné. Avec beaucoup de fierté, je réintégrais la chambrée ou je m'attendais à être porté en triomphe. A ma surprise un seul bidasse, assis sur son lit, lisait calmement. - Où sont les autres ? Parvins-je à articuler. - Ben…à la cantine. Ils viennent de la rouvrir! Je m'effondrais sur mon lit en murmurant. - Les vaches, oh les vaches me faire ça à moi! Mélancoliquement je débouchais un bidon et j'entrepris de noyer ma déconvenue. Quand les autres revinrent je ronflais depuis un moment cuvant mon vin et ma rancœur. Ce fut avec une immense joie et grand soulagement que nous apprîmes les accords de MUNICH en cette fin de Septembre 1938. Il y avait dans ma chambrée, juste dans le lit faisant face au mien, un réserviste Parisien très distingué et beau gosse, qui me regardait sans cesse en souriant. Dans le civil il était assistant metteur en scène et dans ma naïveté de petit provincial je pensais qu'il me trouvait sympa. Or, une nuit alors que tout le monde dormait, je fus réveillé par un léger attouchement. Il faisait sombre et je posais la question : - Qui est là ? - C'est moi Georges D… - Que veux-tu ? Alors je sentis deux bras m'enlacer alors qu'une bouche cherchait la mienne. Je me débattis en silence en disant : - Oh ça ne vas pas ! ! Mais il insistait , me répétant je t'aime et d'autres mots d'amour. - Je serai à toi. J'ai de l'argent et tu ne manqueras de rien etc…… Alors je vis soudain rouge et je lui dis : - Si tu ne me fous pas le camp immédiatement je te balance mon poing dans la gueule. Il était amoureux sans doute, mais pas téméraire et il décampa sans demander son reste ! Je venais de faire connaissance avec ma première "pédale" et le lendemain, inquiet, je me posais des questions sur mon physique. Avais-je le genre "prout, prout, ma chère ? " Un bon copain consulté me rassura ! - Au contraire tu fais viril et comme ce réserviste est une mignonne c'est cela qui l'a séduit. Heureusement la démobilisation arriva pour ces réservistes car j'avais à faire à un ou plutôt une obstinée qui me filait le train partout, au football, aux douches et qui faisait la gueule quand il me voyait écrire à ma promise. Peu de temps après ces évènements, après que tout fut rentré dans l'ordre, on nous octroya nos premières permissions de 48 heures. Avec le voyage cela nous laissait peu de temps à passer à la maison et de plus j'étais fauché. Pourtant revêtu de ma vieille tenue bleu horizon, je débarquai chez moi tout heureux de retrouver ma mère et ma fiancée. En arrivant, je me mis en civil vite fait et je me sentis léger, léger sans mes gros godillots. Le dimanche je fus reçu pour la première fois chez ma jolie brunette et en compagnie de ces gens simples et affables, je passais une merveilleuse journée. Oublié le service, oubliée la menace de guerre. Il était si naturel d'ébaucher des projets d'avenir entre deux baisers. Le retour à la caserne fut bien triste mais une heureuse nouvelle m'attendait car les tests que j'avais passés à mon arrivé s'étant montré positifs j'étais muté à BITCHE dans les transmissions. C'est le cœur léger que je dis au revoir à mes copains. BITCHE était une petite ville encombrée de soldats, mais c'était plus animé que ce triste ROHRBACH où je venais de vivre des événements qui déjà s'imprégnaient dans ma mémoire. Autant les casernements que je venais de quitter étaient modernes, autant ceux que je découvrais étaient vieillots, inconfortables ! Le 153 ème était logé dans une ancienne caserne datant de l'époque ou l'ALSACE était allemande et les murs gris n'engageaient pas à la joie de vivre. Les chambres des transmissions étaient faites pour 12 à 15 gars avec bien sûr un Caporal pour surveiller. Nous les bleus étions logés au 2 ème étage, les anciens au rez-de-chaussée et au 1er une chambre était réservée pour le futur peloton des élèves caporaux. Sous les combles était une immense salle de cours réservée à l'instruction théorique. D'entrée le travail me plut, principalement l'étude du morse qui bien vite n'eut plus de secret pour moi. Petit à petit une sélection s'opéra, les plus doués étant destinés à faire des radios, les autres des téléphonistes. Moi qui n'avait pas d'instruction, j'apprenais avec joie l'électricité et ses lois, l'usage des postes ER17, ER40, R11 ces derniers destinés à la liaison terre-avion. Un jour on me demanda si je voulais suivre le peloton des élèves caporaux et comme je ne demandais que cela j'acquiesçais avec joie. Et c'est ainsi que je me retrouvai chambre 17 au 1er étage avec d'autres soldats qui avaient au départ un gros avantage sur moi. Ils étaient tous titulaires du brevet élémentaire, étaient fils de bonne famille et moi en pauvre prolétaire, je me sentais un peu paumé en leur compagnie, surtout quand la discussion prenait un ton un peu relevé. C'est vraiment là où j'ai commencé à souffrir de mon inculture et je décidais de remédier à cet état de chose. Je me mis alors à lire des bouquins sérieux, je m'efforçais d'être parmi les meilleurs et petit à petit mes copains me reconnurent pour un des leurs, sans arrières pensées, tout au moins je le supposais. J'avais pour voisin de lit un gars originaire de l'YONNE dont les parents étaient commerçants. Vous dire qu'il sympathisa avec moi dès le début serait faux. C'était un blond, presque rouquin qui n'avait pas l'air commode. Pourtant je désirais son amitié car je sentais que sous son air sévère se cachait un bon cœur. Je ne m'étais pas trompé et la suite de ce récit vous en apportera la preuve. Il se prénommait ROLAND et comme moi il était un sportif accompli. La vie s'organisa bien vite. Salle de cours le matin, exercice sur le terrain l'après-midi nous maintenait dans une bonne forme car sans être excellente la nourriture était bonne. Nous avions monté une équipe de football et parmi les joueurs il y avait un avant-centre formidable avec qui je m'entendais à merveille, jouant moi-même à la place d'inter-droit. J'avais un dribble excellent mais une frappe de balle qui laissait à désirer au point de vue puissance. Je mettais l'adversaire dans le vent et lançait mon copain droit au but en criant : - A toi Jack. Et croyez-moi que quand il tapait, si le goal arrêtait la balle, il n'avait pas besoin de se souffler dans les doigts pour se réchauffer. Je me souviens également d'un cross organisé par la compagnie avec quelques vedettes de la spécialité. A sept ou huit cents mètres de l'arrivée nous avions une côte en sous-bois à escalader et nous étions encore cinq ou six en bas de ce raidillon que je grimpais à un train soutenu. Au sommet, surprise, je me retrouvai seul. Je jetai un regard en arrière et je vis que les cracks avaient plutôt l'air congestionné et l'œil terne. J'accélérai encore et je terminai 1er avec une confortable avance. Je venais de découvrir que si je ne courrais pas tellement vite sur cent mètres, pour le fond, il faudrait s'accrocher à mes pompes. Je ne pensais pas à cette époque que cela me serait très utile. Mais on en est pas encore là. Enfin Noël arriva. J'étais triste car je n'avais pas d'argent de poche, ma mère en ayant à peine pour elle, ne pouvait m'en envoyer. Je lavais bien les treillis des copains, moyennant rétribution bien sûr, mais cela suffisait à peine à améliorer l'ordinaire. Ce soir de réveillon je regardais mes amis se préparer joyeusement en me posant des questions. - Alors FUFU, tu viens avec nous ? - Oh non je n'en ai pas envie ! Ils insistaient. - Allez lacheur, c'est Noël. Mais je répondais toujours négativement. Puis ils partirent vers la ville, les tavernes, et moi j'étais seul, les larmes aux yeux me posant des questions. - Pourquoi la vie s' était-elle toujours acharnée sur moi ? Pourquoi cet enfer de ma jeunesse ? Qu'avais-je fait de mal ? J'en étais à ressasser ma mélancolie quand, vers les 7 heures du soir la porte de la chambre s'ouvrit. - FUSSINGER ! ! - Présent ! - Tiens un mandat pour toi. - Sans blague ? - Oui 20 Francs. Tu m'excuseras, me dit encore le vaguemestre ,on t'avait oublié. Je saisis le mandat, les 20 Fs et regardai l'envoyeur. Cela venait de PARIS et mon frère s'était souvenu, pour une fois qu'il y avait un défenseur de la patrie dans la famille. Je partis bien vite retrouver mes copains qui applaudirent à mon arrivée. - Je ne voulais pas vous laisser tomber, merci de votre accueil les gars. Et ce soir là avec, mes amis, je vécu un des plus beaux Noël de ma jeune existence. Au printemps je bénéficiai d'une permission de détente et arrivé à TROYES, j'allai trouver le directeur de la firme ou je travaillais avant mon service et lui demandai de m'employer pendant mon congé car j'étais raide comme un passe-lacet et ma mère ne pouvait me nourrir sans rien faire. Et puis j'entendais payer la place de cinéma à ma petite amie, boire un pot avec les copains plus jeunes ou exemptés de service militaire. Pour mon retour à la caserne, je décidai d'emmener mon vélo de course que je m'étais payé en allant le soir, ma journée terminée, empierrer les voies de chemin de fer, travail sans doute pénible mais qui m'avait permis de m'équiper. Ma mère avait une devise que j'avais faite mienne. "On a rien, sans rien." MUNICH était déjà oublié et les rumeurs de guerre revoyaient le jour. L'été 39 était chaud et les environs de BITCHE avec ses forêts, ses lacs se prétaient à de jolies balades en groupe. J'adorais grimper aux arbres et sauter de branches en branches et les amis m'avaient baptisé "TARZAN". Quand j'ouvrais la porte de notre chambre ils avaient pris l'habitude de crier "TARZAN" alors imitant le cri du seigneur de la jungle je bondissais sur mon lit. Un jour répondant à ce cérémonial, je pris mon élan atterris sur mon lit de camp et manquai de me casser la gueule car ils avaient mis mon lit en bascule et je ne dus qu'à un miracle de rester en équilibre. J'aurais pu m'assommer. J'étais vraiment furieux et m'adressant à toute la chambrée qui se marrait je dis : - Je ne peux pas vous casser la gueule à tous en même temps, mais chacun votre tour je vous attends sur le palier. C'était bien sûr prétentieux de ma part mais j'avais appris que le culot était presque toujours payant. Et je sortis devant la porte, attendant d'un air décidé. Ça ne sortais pas vite et je me réjouissais. Ils se concertaient puis l'un deux se détacha, mon bon gros FAVROT, un pacifique s'il y en avait un , un gars qui dernièrement au tir, s'était fait poché un œil par un violent recul de son mousqueton lors d'un exercice à balles réelles. Il avait alors tendu son arme au gradé en lui disant : - Je ne tiendrais plus jamais un fusil de ma vie, faites de moi ce que vous voulez. Et c'est lui qui maintenant se tenait devant moi, m'offrant en cible un joli menton agrémenté d'une mignonne fossette. J'éclatai de rire. - Non pas toi, mon vieux. Vois-tu, jusqu'à 18 ans je faisais comme toi, j'offrais mon menton. Résultat j'ai eu le nez fracturé et plusieurs fois les yeux au beurre noir. J'ai vécu dans un milieu ou la force et la méchanceté primaient. Après 18 ans je n'ai plus attendu qu'on me frappe et je m'en suis toujours bien porté depuis, cela dit je serais très heureux de te serrer la main car tu es le seul à avoir fait acte de courage. Puis nous réintégrâmes notre chambrée où je m'excusais auprès des occupants de mon mauvais réflexe mais je ne pus terminer cet incident sans leur dire en rigolant : - N' empèche que vous êtes une belle bande de lavettes. Parmi les anecdotes amusantes dont je me souviens, il y a celle du crevard, qui dans les premiers jours de mon service, peu avant MUNICH, alors que nous étions consignés et mangions dans nos chambres, s'était emparé de la grosse boîte de sardines destinée à notre casse-croûte, avait sorti son sexe, l'avait, sous nos yeux ébahis trempé longuement dans l'huile, parmi les sardines sans doute surprises de se trouver en si charmante compagnie et, reposant la boîte sur la table, nous avait adressé un sonore: - Bon appétit messieurs. Inutile de vous dire que ce soir-là, il fit un repas de roi alors que nous, nous serrions la ceinture. Une autre anecdote cocasse mérite, elle aussi, quelques lignes. Il y avait parmi les élèves caporaux, un petit gars nommé CHASSAGNE, qui dormait tout le temps d'un sommeil de plomb et cela dès qu'il avait un moment de libre et nous l'avions baptisé "La marmotte". Un soir des copains décidèrent de lui faire une farce. Après l'extinction des feux, ils se saisirent de son lit, lui dedans, et le transportèrent dans le corridor. Imaginez la tête du sergent qui heureusement était un appelé lors de l'appel du matin. CHASSAGNE se contenta de nous traiter de débiles. Quinze jours plus tard, rebelote, mais cette fois il fut transporté dans la cour, où il fut découvert par le clairon. Il fallut bien que les coupables aillent chercher le lit vite fait, car la marmotte, comme si rien se s'était passé était partit faire sa toilette. Pour l'appel du matin tout était rentré dans l'ordre. Un jour qu'une pluie froide s'annonçait je décidais, avec mon gros FAVROT, de tirer au flanc. Nous devions aller dans la nature et j'avais envie de terminer un livre intéressant. Nous nous fîmes donc "porter pâle" et nous partîmes à la visite en déclarant au major que nous avions mal dans la poitrine. Le verdict tomba: Ventouses pour tous les deux. On nous fit allonger sur le sol et l'infirmier nous barda littéralement le dos des verres préalablement chauffés. Pendant ce temps un pauvre type qui toussait à fendre l'âme se faisait refuser par le major. Mystère de la médecine. A ce moment j'eus le malheur de regarder FAVROT. Le fou rire nous attrapa et les verres s'entrechoquèrent en un joli bruit cristallin qui provoqua l'hilarité de l'infirmier qui nous traita de cons manquant de discrétion. Quand les copains revinrent, trempés, crottés, ayant une revue d'armes à présenter, ils trouvèrent deux gaillards tranquillement allongés, plongés dans leur livre et tout heureux de s'en être si bien tirés. Chaque matin il y avait un rassemblement dans la cour et cela était pour mon œil amusé, une certaine joie de voir arriver l'adjudant-chef suivit de l'adjudant. Ils étaient vraiment cocasses lorsqu'ils étaient ensemble. Imaginez-vous Don Quichotte, le chef, suivit de Sancho Pança ou Double pattes et Patachon les comiques du cinéma muet de mon enfance. L'adjudant-chef PELT était un grand Alsacien, sec comme un sarment de vigne, sévère et redouté. Nul ne l'avait jamais vu sourire. Son œil perçant voyait tout. Il était le prototype même de l'adjudant de littérature. Impitoyable avec ses inférieurs, respectueux envers ses supérieurs. Ce n'est que plus tard que je devais réviser mon jugement et apprendre malgré moi à aimer cet homme, à le comprendre. Pour l'instant il était l'ennemi n°1 de tous les bidasses, dont moi-même, de la compagnie. L'ennemi n°2 était "le petit pou", surnommé ainsi par les anciens par rapport au n°1 qui était le pou-chef pour tous. Le petit pou était un être ambitieux, bien que très limite intellectuellement. De petite taille, légèrement bedonnant il portait sur son visage, le reflet de ses sentiments. N'avait-il pas dit un jour à un ancien qui remplissait les fonctions de secrétaire auprès du lieutenant commandant la compagnie ! - Dites-moi, BOUYON ! Que pensez-vous de ma femme ? Elle ne sera pas digne d'être la femme de l'officier que j'espère devenir . Je devrais sans doute m'en séparer. N'est-ce pas ? Tout le personnage était dans sa réflexion ! Je ne vous parlerai pas du lieutenant car je n'en ai aucun souvenir. N'est-ce pas l'apanage des gens intelligents de savoir se faire oublier ? Puisque je viens de vous parler de l'adjudant-chef, permettez-moi de vous citer un incident qui ouvrit le contentieux qui devait s'établir entre nous. Avec un camarade de ma ville et pas n'importe lequel puisqu'il s'agissait du premier du peloton, nous décidâmes de partir en fausse permission. Pour cela il fallait la complicité du sergent de semaine qui justement était un appelé. Le samedi, après la revue de détail, partant discrètement avec une petite valise, contenant nos effets civils, rampant sous les fenètres du bureau des sous-officiers il s'agissait d'aller jusqu'au mur d'enceinte ou un poteau providentiel servait à l'escalade. Je dois dire que cet endroit avait servi à des générations de bidasses allemands et français car le mur était usé par les nombreux clous dont nos chaussures étaient garnies. De l'autre côté du mur nous attendaient le sergent et l'ordonnance du lieutenant, avec 2 bibyclettes que nous enfourchâmes vivement pour aller prendre le train à une gare voisine, car il y avait toujours un service à la station de BITCHE et ce service contrôlait chaque permissionnaire. Une fois dans le train, nous ouvrîmes nos valises et nous mîmes en civil. On nous avait prévenu qu'à METZ nous devrions nous planquer car le service en gare, important, s'intéressait aussi aux jeunes civils encombrés d'une valise. A l'arrivée dans cette ville il fallut cavaler pour trouver des W.C libres. J'en conclus que nous n'étions pas les seuls en défaut. Je vais vous raconter une anecdote qui vous dira quelle triste mentalité était devenue la notre à qui on répétait sans cesse : - Vous avez perdu ceci ? Vous avez perdu cela ? Démerdez-vous ! ! Et c'est ce qu'on faisait, en allant, sous prétexte de rendre visite à un copain d'une autre compagnie, récupérer ou tenter de récupérer un objet semblable à celui que vous étiez sensé avoir perdu. Je me souviens qu'un jour, un bidasse bredouillant, avait été surpris chez nous. Nous l'avons foutu à poil et avons transporté ses vêtements à l'autre bout de la caserne. Nu comme un ver, il avait traversé toute la place d'armes en courant, le zizi ballotant en tout sens sous les yeux des trouffions rigolant à gorge déployée. Donc me trouvant dans le train avec mon copain, nous décidâmes, à la gare de BAR-LE-DUC, et disposant de quelques temps, d'aller boire une bière. Nous choisîmes un beau café et nous installâmes à une table garnie en son centre d'une corbeille remplie de fruits, pommes, bananes, etc…Nous étions en train de siroter notre demi en devisant quand je constatais que mon copain louchait sur les bananes. Je lui posais la question: - Tu as faim ? Il me répondit affirmativement en me disant : - Oui mais je suis fauché, j'ai juste ce qu'il faut pour payer la bière. J'étais dans le même cas. Qu'est-ce qui m'a pris, moi qui suivant les préceptes de ma mère était d'une honnêteté certaine. Attend, lui dis-je, on va casser la croûte. Après un regard vers le patron, installé derrière son comptoir et qui regardait dehors, dans l'espoir de recevoir d'autres clients que nous même, je saisissais une banane que j'ouvris d'un coup d'ongle sur toute sa longueur. J'en extirpais le fruit délicatement et le passais sous la table à mon ami soudain hilare. - Mange discrètement ! lui conseillai-je, mais c'était inutile car il avait compris. Je refermais la peau de banane et la reposais délicatement dans la corbeille. Je fis la même opération pour moi et quand ce fut terminé j'appelai le patron qui jeta un coup d'œil sur la table, comptant les fruits et ne remarquant rien d'anormal encaissa les consommations. Nous sortîmes avec l'empressement que l'on devine et bondîment dans le train où nous pûmes enfin rigoler de tout notre saoul à la pensée de la tête du gars ou de la dame désirant manger une banane et ne trouvant qu'une pelure dans laquelle, si j'en avais eu le temps, j'aurai glissé un papier signé Arsène Lupin. 48 heures après nous étions de retour à la caserne. Le sergent qui nous couvrait avait bien fait son travail et tout baignait dans l'huile. La semaine suivante, après la soupe du midi, et avant la sempiternelle revue du samedi, nous décidâmes, mon camarade LAURENT et moi-même de payer un pot aux gars qui avaient tenu les vélos. Ils acceptèrent de bon cœur et nous les retrouvâmes à la cantine. Après nous être installé à une table je commandais un litre de rouge et 4 verres et tout en sirotant notre "gros qui tache" nous narrâmes nos aventures, sans oublier, l'épisode des bananes, ce qui fit beaucoup rire et créa tout de suite une ambiance fort sympathique. Notre litre terminé et pensant à la revue, je fis mine de me lever, quand le sergent commanda un autre litre de vin. Il nous fallut obéir et la conversation repris, passionnante comme peut l'être un dialogue de trouffions. Le 2ème litre éclusé et ne voulant pas être en reste mon copain LAURENT commanda un 3ème litre. L'ambiance était devenue franchement rigouillarde. Nous arborions tous les quatre une mine vermillon et euphorique, oubliée la revue, oubliée la caserne. Quand le 4ème litre arriva sur la table, les langues étaient devenues pateuses et le regard éteint . Pour ma part, mon copain assis en face de moi, avait du mal à rester dans mon collimateur. Il semblait danser sur sa chaise. Enfin alors qu'il restait encore une vingtaine de minutes avant cette foutue revue de détail, nous nous levâmes pesamment pour regagner notre quartier. En arrivant dans la chambrée ou nous fîmes une entrée très bruyante et très remarquée, nous fûmes accueillis par des interjections angoissées. - HUGUES, FUFU la revue, allez, préparez-vous en vitesse. Et merde pour la revue, fut ma réponse. Alors que mon compagnon tant bien que mal se préparait, moi je me laissai tomber sur mon lit, complètement paf que j'étais. Les copains me secouaient mais je les envoyais balader grossièrement et, alors que déjà on entendait, les pas, les ordres dans les chambrées où l'inspection avait commencée, j'eus des hauts de cœur révélateur. Je vais dégueuler ! éructai-je et rien pour réceptionner la marchandise. Soudain un camarade avisa le seau à charbon à moitié vide, car à cette époque nous nous chauffions avec des poêles et se précipitant vers moi, eu juste le temps de me le présenter. Une odeur de vinasse se répandit immédiatement, rendant l'atmosphère empoisonnée. Le seau avait à peine regagné sa place que la porte s'ouvrit devant notre adjudant-chef. - Garde à vous ! tout le monde était figé dans une attitude impeccable, sauf mon compagnon de beuverie qui avait du mal à se tenir sur ses jambes. Je rigolais en douce toujours allongé les bras en croix. Je me disais : - "Il va se casser la gueule devant le pou-chef" et cette pensée me réjouissait mais la vache, il encaissait mieux que moi. L'adjudant-chef le regarda d'un air dubitatif et réprobateur. LAURENT le 1er du peloton, le meilleur de la promotion. Puis il arriva devant mon lit. - Qu'est-ce qu'il a celui là ? - Je suis malade mon ad. mon ad - ad. judant-chef. - Oui je vois. Il abrégea l'inspection et sur le pas de la porte se retourna l'air courroucé. - Nouvelle revue dans 1 heure et que tout soit en ordre. Ainsi les copains, au lieu de profiter de leur samedi allaient devoir rebriquer et patienter encore un moment. Qu'est-ce que j'entendis comme reproches. Je dus leur dire de me laisser roupiller 1/2 heure en leur promettant de me tenir debout. Heureusement que j'avais vomi. Ainsi je n'avais pas tant d'alcool à distiller que mon pauvre LAURENT qui était de plus en plus bourré. Une heure plus tard, debout au pied de mon lit, les jambes appuyées contre celui-ci pour assurer mon équilibre je pus enfin faire à peu près bonne figure, alors que LAURENT était lui à l'extrème limite de sa résistance. La porte était à peine refermée que je m'écroulais de nouveau sur mon lit et sombrais dans un sommeil profond et sonore, un vrai sommeil d'ivrogne. Quand je m'éveillai vers les 6 heures du soir j'étais seul dans la carrée. Les copains avaient disparu, sans doute partis en ville. Je décidais de les rejoindre car le grand air me ferait du bien. La bouche pâteuse, les membres lourds, j'arrivais enfin à me rendre correct. J'eus bien sûr quelques difficultés à enrouler seul la grosse ceinture d'étoffe qui entourait notre corps, sous le ceinturon et je descendis dans la cour. Je devais en passant devant le corps de garde me présenter en saluant et le sergent ou le gradé de service vérifierait ma tenue. Si quelque chose clochait il me ferait retourner sans dire ce qui n'allait pas et il m'était arrivé de me présenter plusieurs fois de suite avant de me rendre compte que ma cravate était mal ajustée. Ce jour-là, horreur, c'était le pou-chef qui était de service. En m'approchant de ce redoutable cerbère je sentais ma pomme d'adam qui faisait l'ascenseur vitesse grand V. Il me regardait venir de son air amène habituel. Je m'arrêtai à deux pas de lui, fit un salut impeccable et m'annonçai. - Soldat de 2 ème classe FUSSINGER mon adjudant-chef ! ! - Tiens je vous croyais très malade ? - J'ai récupéré et je vais essayer de casser une petite croûte en ville pour me remettre ! Je crus discerner une petite lueur amusée dans son regard qui me fixait intensément, mais le reste du visage demeurait de marbre, alors que sa bouche laissait tomber un HUM ! sceptique de mauvais augure. - Ouais ! Ayez encore un malaise de ce genre et vous entendrez parler de moi. Allez, fichez le camp ! ! - Merci mon adjudant-chef. Entre lui et moi venait de s'ouvrir un contentieux qui allait par la suite connaître quelques rebondissements mémorables. L'été s'écoula calmement avec tous les petits problèmes inhérents à la vie militaire. Il y eu l'émouvante remise de la fourragère rouge et j'entends encore notre Colonel s'écrier : - Elle est teintée du sang de vos anciens. N'oubliez jamais la devise de votre régiment - "Partout où se trouve le 153 l'ennemi ne passe pas, il recule." Nous étions enfin devenu des soldats à part entière. La fête du régiment où le public était admis, laisse en moi deux souvenirs bien différents. D'abord celui de BOUYON, le secrétaire du lieutenant qui monté sur un cheval et déguisé en cow-boy devait crever des ballons attachés à un mât, lui-même monté sur un caisson où un soldat était dissimulé. Le mât était creux et des ficelles actionnaient des épingles permettant à distance de crever les ballons. A chaque coup de feu le soldat du caisson tirait sur une ficelle et plof le ballon éclatait . Théoriquement le truc était bien trouvé. Or, lors de la présentation de ce numéro on ne tint pas compte de la fraîcheur de la nuit qui avait ramollit la baudruche et au lieu d'être bien gonflés, les ballons ressemblaient plutôt à de vieilles pomme blettes ! Le numéro étant maintenu, nous vîmes BOUYON arriver au grand galop sur son fringant coursier. Le haut-parleur le présenta comme un nouveau Buffalo Bill et un tonnerre d'applaudissements salua son tour de présentation. Il sorti alors son révolver, tendit le bras et sans presque viser, tira. Rien ne se passa ! Il tira de nouveau, encore manqué. C'était la consternation et les gens commençaient à se marrer. Nouvelle détonation. Alors on vit un ballon se dégonfler doucement, tout doucement. Parmi la foule c'était du délire, les gens croulaient de rire . Et BOUYON qui insistait, nouveau coup de feu encore manqué et alors qu'il venait de rengainer son pistolet pan, surprise un ballon venait d'éclater tout seul , comme un grand. Le préposé aux ficelles, complètement paniqué avait tiré sans rien avoir entendu, tellement la foule était devenue bruyante. Jetant son cheval au galop, rouge comme une pivoine BOUYON disparu de la place sous le tonnerre d'applaudissements des centaines de badauds ravis d'avoir si bien ri. L'autre souvenir que j'ai de cette fête est celui d'une pauvre fille qu'un bidasse avait récupéré. Il lui fit ça aux sentiments et réussit à l'entrainer à l'armurerie. Là, sur une paillasse providentielle il avait abusé de sa naïveté. Elle était consentante et avait pris du plaisir, mais quand le salaud fut rassasié il appela un copain pour le remplacer malgré les protestations de cette pauvre gosse. Puis ayant à son tour épuisé ses munitions, le deuxième trouffions en appela un troisième et ainsi de suite une grande partie de la nuit. C'est un camarade en la compagnie de qui je me promenais qui m'avait mis au courant de cette abomination, alors que nous avions croisé cette pauvre épave qui errait comme une âme en peine dans la cour du quartier, alors ouverte aux civils à l'occasion de la fête du régiment. J'avais fait une réflexion égrillarde et peut-être un peu désobligeante. Il me répondit : - Elle a baisé toute la nuit et je ne suis pas très fier d'appartenir au même régiment que ces fumiers. J'étais moi-même très ému et écœuré, mais personne ne porta le pet, la fille garda le silence et plus jamais on ne parla de cette triste histoire. Au cours de cet été eut lieu une manœuvre sur nos futures positions de guerre. L'état-major était au complet, installé sous une grande tente. J'étais le radio chargé de la liaison avec un avion qui émettait des renseignements que j'étais censé réceptionner sur un poste R11, les autres camarades de l'équipe devant manœuvrer les panneaux de toile en guise de réponse. Ce fut un fiasco total car la réception était inaudible et pour le faire savoir les copains s'emmelaient un peu les pinceaux avec les panneaux et l'observateur de l'avion devait être complètement paumé. Les officiers étaient furieux et le faisaient savoir mais que pouvais-je faire, moi simple radio avec un appareil vétuste et un manque évident de pratique. Terre-avion pour nous c'était la première fois, nous étions plus virtuoses avec le poste ER17 et les calages de réseau n'avaient plus de secrets pour nous ti-ti-ti-ta-ti-ti-ti-ta. J'adorais le manipulateur, alors qu'un camarade tournait la gégène fournissant le courant. Nous étions bien assimilés à nos anciens qui comptaient les jours les séparant de la libération. Il y avait parmi eux des sujets particulièrement remarquables, tel O… ce moine à la barbe blonde fleurie. Un jour les anciens l'avaient fait un peu boire, puis l'avaient entrainé dans un de ces établissement que Marthe RICHARD n'avait pas encore condamné. Ils avaient alors demandé à une pensionnaire de s'occuper particulièrement de leur collègue qui était puceau en la priant de prendre son temps pour bien faire les choses. Quand le gars était redescendu, une heure plus tard, il affichait une mine ravie et avait chaudement remercié ses camarades en leur disant qu'il venait de découvrir une chose formidable et qu'il comprenait maintenant pourquoi la femme avait été créée. Il conserva sa foi mais ne songea plus qu'à fonder un foyer en se promettant d'honnorer autant sa compagne que son Dieu. Il y avait aussi un grand type rigolard qui en guise de montre, avait dans la poche de son treillis un énorme réveil attaché par une ficelle. Il le faisait parfois sonner au réfectoire et quand le sous-off. de service s'approchait pour voir d'où venait ce bruit insolite, il sortait son réveil, le consultait d'un air sérieux et disait : - Il est juste 11 heures sergent, l'heure de la soupe. On nous servait souvent du riz au gras pas très appétissant, si bien q'un jour un soldat à l'esprit contestataire envoya sa gamelle au plafond ou elle resta collée. La garde allait foncer sur lui, c'est alors que d'autres gamelles s'envolèrent et se collèrent au plafond. C'était devenu un jeu et cela créa un beau bordel, cela sentait la révolte et je me demandais bien comment cela allait se terminer. Mais il n'y eu pas de suite car notre Colonel REX ne voulut pas jeter le discrédit sur son régiment. C'était un homme intelligent que nous respections tous. Il devait hélas être emporté par une crise cardiaque au début des hostilités. Il y eu aussi des grèves à PARIS. Des mouvements d'extrème droite avaient formé un mouvement séditieux du nom de "La Cagoule" et déjà des attentats avaient lieu. Les ouvriers manifestaient. Un peloton d'intervention fut formé, prèt à être embarqué pour aller combattre les émeutiers et nous restions dans la cour les mousquetons formés en faisceaux, notre casque en permanence sur la tête et commandé par le plus sévère des capitaine de notre bataillon. Les hommes l'avaient surnommé le "Tigre". Il était beau comme un Dieu, froid comme un bloc de marbre et son regard était de feu. Il me faisait l'impression d'un vrai dur.Il y avait parmi nous des communistes dont certains disaient, en parlant du capitaine :- La première balle sera pour lui, car jamais nous ne tirerons sur des ouvriers. Belle ambiance, une veille de guerre, alors que pas bien loin de nous, d'autres bidasses, pas habillés comme nous, bien sûr, s'entrainaient ferme et s'apprêtaient sérieusement avec confiance à nous voler dans les plumes. Parfois à l'exercice, avec nos postes nous arrivions à capter des messages émanant d'eux. Ils pompaient vite et nous les sentions super entrainés. Parmi les exercices que j'avais aimé, lors de mon instruction celui qui avait ma préférence était le tir. Nous nous servions de nos armes individuelles dans un stand réservé à cet effet. On nous avait appris ce qu'était la ligne de mire et le meilleur moyen d'envoyer un ennemi dans un monde sans aucun doute, meilleur. Au début il s'agissait de tir réduit avec des cartouches aux charges atténuées. Ayant toute ma jeunesse rêvé d'être cow-boy j'étais vraiment à mon article et j'obtins vite d'excellents résultats. Malheureusement pour moi, du fait de mon transfert dans les transmissions, je n'avais jamais exercé mon adresse au tir réel. Jugez de ma joie lorsqu'un jour, on nous annonça une séance de tir à 200 m à balles réelles. J'étais impatient d'arriver sur le terrain ou la vue des cibles lointaines excita ma nervosité. On nous fit allonger sur le sol et un sous-officier nous fit prendre la bonne position. Les premiers coups de feu retentirent et certaines recrues laissèrent échapper leur mousqueton que l'on nous avait bien recommandé de tenir fermement. Moi je cramponnais ma vieille pétoire de toutes mes forces et je tirai. Surprise ! ! mon mousqueton ne manifesta pas beaucoup de recul. Je tirai encore quelques balles et nous allâmes voir ce qui était advenu de nos pruneaux. Pour ma part quelques égarés s'étaient logés dans le bas de la cible et l'adjudant-chef qui regardait les résultats y alla de sa vacherie. - C'est tout ce que vous pouvez faire ? Pffu ! J'étais vexé au dernier degré et je réfléchissais. Ça ne pouvait venir que de mon arme qui avait du faire la guerre 14-18 du début à la fin en 1ère ligne, pour ensuite poursuivre sa carrière chez les gardes mobiles avant d'échouer comme moi dans les transmissions. Avec la hausse 200 m les balles essoufflées venaient brouter l'herbe au ras de la cible. Quelques-unes moins fainéantes essayaient de se faire remarquer en venant détériorer le bas du panneau. Mine de rien pour la 2 ème séance je relevais la hausse au maximum.On verrait bien si mon intuition était bonne. Et le miracle eut lieu. Je fis18 points. L'adjudant-chef, qui décidemment ne me lachait pas les baskets me dit : - C'est mieux, mais ce n'est pas formidable. Alors je ruais dans les brancards. - Mon adjudant-chef si vous trouvez un pèlerin qui fasse mieux avec mon escopette présentez-le moi ! Regardez ma hausse elle est au maxi et nous tirons à 200 m. ! Il prit mon arme, l'examina et me dit, sûr de lui. - Je vais vous faire voir ! Il avait la réputation d'être un excellent tireur très entrainé. Je le vis allonger sa grande carcasse sur le sol, viser longuement et pan, les cinq balles partirent vers le but en miaulant. Tout le monde s'était arrêté de tirer et j'étais un peu inquiet en allant voir le résultat en compagnie de mon supérieur. En arrivant vers la cible je commençais à sourire car le noir était intact. Ensemble nous comptâmes les points et j'eus alors un grand sourire heureux,17 points. Un de moins que moi. Je triomphais. - Vous voyez mon adjudant-chef cela venait de mon arme. Il esquissa une grimace qui se voulait un sourire et me répondit : - D'accord ! nous reviendrons la semaine prochaine et je vous procurerais un mousqueton neuf. ! Pourquoi ce gradé revêche s'intéressait-il à moi ? Est-ce parce qu'il savait que j'avais eu une jeunesse malheureuse et que j'essayais de me montrer l'égal de mes camarades . Etait-ce parce que j'avais de lointaines origines alsaciennes ? Lui-même était né Allemand mais ne les aimait guère. Pendant l'autre guerre il était de l'autre côté et nous savions tous qu'il en avait souffert. Dès qu'il avait pu le faire , il avait choisi l'Armée Française et avec les années, s'était élevé au rang qu'il occupait présentement et qui était sans doute son bâton de maréchal. Lorsque nous revînmes la semaine suivante, j'eus droit à un magnifique mousqueton sorti tout droit de l'armurerie. Je demandai une balle d'essai qui me fut accordée. Je pris la position du tireur couché et je visai longuement, sous l'œil ironique de mon adjudant présent à mes côtés. J'avais essayé à vide la détente qui était très douce. J'appuyais mon doigt lentement et pan ! ! je lachais le coup en même temps qu'une bramée qui fit sursauter mon entourage. Jamais de ma vie, je n'avais pris une pèche pareille. Le recul avec cette arme neuve était terrible et j'avais l'épaule en compote. L'adjudant-chef me regardait avec une lueur amusée dans les yeux. - Alors on va voir le résultat ? Ensemble nous nous dirigeâmes vers la cible et ce fut à mon tour d'afficher un sourire vainqueur. Là, en plein centre, ma petite balle avait fait son trou et c'était le plus merveilleux trou de balle que j'ai jamais vu. La séance de tir se poursuivit. J'avais été dans l'obligation de protéger mon épaule avec mon mouchoir et mon béret et cette épaule endolorie me faisait terriblement souffrir, mais le résultat était probant et l'adjudant me dit alors ces paroles qui me ravirent : - Vous reviendrez vous entrainer pour passer le concours de tireur d'élite. C'est très bien. Moi je buvais du petit lait : - Salut Buffalo Bill, ton successeur arrive enfin. Tu pourras lui réserver une petite place pour plus tard, quand il viendra te rejoindre au pays des chasses éternelles. Hélas, il ne fut plus jamais question de concours. Le petit moustachu allemand était devenu vraiment trop remuant et nos chefs avaient d'autres chats à fouetter que de s'occuper de tir aux pigeons. Le tir à l'homme menaçait d'être pour bientôt. Un matin, un sergent vint me trouver et me dit: - FUSSINGER, il va y avoir à BITCHE un grande prise d'armes comprenant 3 régiments, de nombreux Généraux et des Officiers Supérieurs y assisteront. C'est le drapeau de notre régiment qui a été choisi et qui sera présenté par un lieutenant décoré de la dernière guerre, deux sous-officiers médaillés et trois 2ème classe. Vous avez été sélectionné pour être un de ces soldats. Le ciel me serait tombé sur la tête que je n'aurais pas été plus ému. Il me dit encore : - Vous aurez des gants blancs à crispin. La manœuvre n'en sera pas facilité mais nous comptons sur vous. Pourquoi un tel honneur venait-il de m'échoir? Je n'avais pas l'impression de le mériter. Je n'avais jamais fayoté, j'étais simplement correct avec mes supérieurs. Certes, je manœuvrais assez bien, mais je n'étais pas le seul dans ce cas. Mes copains ne manquèrent pas de me mettre en boîte et j'en entendis de toutes sortes, mais je tins bon et quand le grand jour arriva j'étais fin prêt. Je me rendis au magasin où pour la circonstance on renouvela mes équipements et on me donna un mousqueton flambant neuf, puisje me rendis dans la cour de la caserne où les gradés, sur leur 31, nous attendaient. Le lieutenant nous donna alors ses instructions : - Vous n'obéirez qu'à mes ordres qui seront brefs et ne seront entendus que par nous. C'est un grand honneur qui nous est fait. J'espère que vous serez à la hauteur. Cet officier était vraiment sympa. Il avait la poitrine constellée de décorations, ainsi que les sous-officiers qui prirent place à ses côtés. Nous les soldats avions pris place derrière et c'est le lieutenant qui portait le drapeau de notre régiment. Etant placé à la droite du groupe je pouvais examiner à loisir cet étendard, plus de première fraîcheur, mais qui portait le nom de toutes les batailles auxquelles le 153ème. avait participé. Je crois que c'est à partir de ce jour que je compris vraiment ce que voulait dire le mot patrie. Dans le civil je n'étais qu'une pauvre cloche, sans aucun bien, sans avenir. Je pensais toujours : - Mais qu'as-tu à défendre ? Tu es Français bien sûr, mais tu deviendrais Allemand qu'est-ce que cela changerait ? Tu serais une cloche allemande, pas plus. Et brusquement devant ce morceau d'étoffe pour qui, d'autres avant moi avaient su mourir, je sus enfin ce que signifiait l'attachement de l'homme à ses racines, à sa culture, à son sol. Nous partîmes d'un bon pas et sortîmes de la caserne pour nous rendre sur l'immense champ de manœuvre. Nous devions avoir fière allure, avec nos armes bien arrimées sur l'épaule droite, nos gants et crispins blancs, tranchant sur le brun des crosses de nos mousquetons. Les gens pourtant habitués à la troupe s'arrêtaient à notre passage, les hommes se découvraient devant ce qui représentait tant de gloire et j'étais porté comme par un nuage. C'était moi, le petit inconnu, mon drapeau et moi, mes supérieurs et moi qui recevions l'hommage de la foule et je me rendais compte que l'heure que je vivais serait pour moi inoubliable. Lorsque nous débouchâmes sur la place, une sonnerie."Au drapeau" retentit. J'étais ému au dernier degré de voir tous ces soldats alignés dans un ordre impeccable et je sentais tous les regards dirigés sur nous. Et là-bas, tout au fond de la place l'état-major au grand complet qui semblait nous attendre. Les ordres donnés par notre lieutenant étaient murmurés mais précis. - Section halte ! ! - Présenter armes. ! - Armes sur l'épaule. Droite. ! - Demi-tour à droite, marche. ! - En avant marche. A gauche, gauche. Avec un bel ensemble nous manœuvrions et nous avons présenté notre drapeau aux différentes compagnies rassemblées là. Le 37ème R.I.F., le 153ème R.I.F., le 155ème Artillerie différents corps et à chaque passage les soldats nous présentaient les armes en un claquement unique, sec comme un coup de feu. Nous arrivâmes enfin devant l'état-major silencieux et au garde-à-vous, nous nous arrêtâmes sur un bref. - Section halte. Présentez armes. Et d'un même mouvement je vis les officiers saluer notre glorieux étendard, alors que retentissaient tambours et clairons . Puis après un rapide maniement d'armes, éxécuté de nouveau de manière impeccable, nous fîmes demi-tour pour aller gagner la place qui nous était assignée. Puis le défilé des troupes commença, interminable. Nous présentions les armes aux soldats qui d'un énergique têtes gauche nous rendaient notre salut. Je ressentais une impression de force, de sécurité. Non, nous ne pourrions jamais être battu par les Allemands, nous étions invincibles. Le retour fut comme l'aller marqué par le respect des civils. Une étrange euphorie m'habitait et j'étais heureux mais vidé de mes forces tout à la fois. Je sentais que ce que je venais de vivre serait ancré dans ma mémoire jusqu'à ma mort et j'aurai l'occasion ami lecteur, de vous reparler de cette émotion ressentie. Mais n'anticipons pas. ! Quelque temps après cet évènement mémorable eut lieu l'examen du peloton. Je m'en tirai avec l'excellente place de 9ème et avec l'assurance de passer caporal avant ma libération, mes efforts avaient payé. Pour clôturer cet évènement, nos sous-officiers nous firent savoir qu'il y avait une tradition à respecter. Cet examen se terminait toujours par une petite fête dans un restaurant situé au bord du lac d'ASSELFURT proche de la ville de BITCHE. Nous partîmes en fin d'après-midi dans un ordre impeccable, commandé par le sergent THOMAS, en serre file. Nous ne prîmes le pas de route qu'une fois sortis de la ville et nous nous mîmes à chanter quelques chansons gaillardes. La soirée fut mémorable avec un excellent repas, bien arrosé et chacun poussa sa chansonnette ou raconta une histoire corsée. A minuit j'entrainais deux camarades faire un tour en barque. La nuit était merveilleuse, les étoiles se reflétaient dans les eaux glauques du lac et j'avais 20 ans. De retour à l'embarcadère nous apprîmes qu'un copain avait fait une chute de 4 mètres de hauteur, à partir du mur dominant la plage mais comme il était vraiment saoul il était tombé comme une grosse merde. Splaf…et les dégats étaient minimes. Par contre le sergent THOMAS qui devait nous ramener pour minuit était complètement H.S., incapable de se tenir debout ne serait-ce qu'une seconde et nous pensions l'abandonner à son triste sort. Mais comment rentrer à 3 heures du matin, dans une caserne, avec une permission de minuit? Je me concertais avec des camarades et à quatre nous l'empoignâmes, qui par un bras, qui par une jambe et nous prîmes la route ! Dieu que nous en avons bavé, même à quatre, et nous même n'étant pas tellement frais. Nous tenions une grande partie de la route et le reste de la troupe suivait en débandade. Après une marche, qui bien que n'étant pas celle de MAO nous apparut très longue, nous arrivâmes en vue de la caserne. Tout le long de notre parcours du combattant le sergent THOMAS avait fait le mort. De temps à autre des pièces de monnaie tombaient de sa poche et un de nos copains était préposé au ramassage, ce qui n'était pas évident étant donné l'obscurité. Soudain à proximité du poste, notre sergent donna signe de vie et nous le remîmes sur pieds. La vache, il nous avait abusé et s'était fait ramener en stop par 4 trouffions maintenant épuisés. Les ordres claquèrent dans la nuit. - Section rassemblement. En avant marche. - Et c'est devant une sentinelle ébahie qui nous présenta les armes que nous fîmes une entrée très, très digne dans notre cantonnement. Il y avait dans notre groupe des transmissions, un caporal-chef de carrière dont je tairai le nom au cas bien improbable où ces lignes lui tomberaient sous les yeux. Dans le civil, avant son engagement, il avait travaillé comme cantonnier dans une petite commune. Il avait été pris dans l'Armée malgré ses pieds plats et quand il venait avec nous en execice à la campagne, il avait tendance à faucher les marguerites avec ses grands pieds. La tradition voulait que nous chantions sur la route de Louviers, il y avait un cantonnier et qui cassait et qui cassait des tas de cailloux et ce refrain était repris en chœur alors que nous regardions ce pauvre caporal-chef devenir rouge comme une pivoine. C'était bête et méchant mais allez donc raisonner des attardés de vingt ans qui se croyaient devenus des hommes parce qu'ils étaient soldats. Au demeurant, ce type était la bonté même qui savait pertinemment bien qu'il avait été mis au placard dans les transmissions. Il était marié et le rêve de sa femme était de le voir un jour défiler fièrement avec nous. Donc à chaque fête où le régiment était sollicité pour défiler en ville, on pouvait être sûr de voir arriver notre "crabe chef "tiré à quatre épingles, le fusil sur l'épaule prêt à s'incorporer à nous. Et immanquablement l'adjudant arrivait à sa hauteur, l'appelait par son nom et de l'index lui indiquait l'entrée de notre bâtiment. Et ce pauvre gars, écarlate, au bord des larmes, regagnait en raclant de ses godasses bien briquées le sol de la cour, une chambrée où il donnait libre cour à sa rancœur. Et sur le parcours, je songeais à une jeune femme, attendant parmi les bravos la venue de l'être aimé, qui malheureusement ne lui donnerait jamais la joie d'être fière de lui. Et moi aussi bizarre que cela puisse vous paraître j'étais attristé par cette méchanceté gratuite. Pressentais-je alors confusément que la vie vengerait ce pauvre type et que tous, collectivement et individuellement un jour qui n'était plus tellement lointain, nous serions à notre tour humiliés. Car les rumeurs de guerre se faisaient chaque jour plus précises Adolphe tournait maintenant ses regards vers la POLOGNE. Quotidiennement des incidents éclataient pour DANTZIG et la tension montait inexorablement. Nous n'étions pas très chaud pour l'affrontement. Nous étions les enfants de la dernière der des der comme on l'appelait. Toute mon enfance avait été bercée de récits plus ou moins atroces et les noms du chemin des Dames, de DOUAUMONT, du colonel DRIANT etc… n'avaient pas de mystère pour moi. Ma mère me racontait comment un proche cousin était venu lui rendre visite au sortir de l'hôpital. Elle avait entendu un pas lourd dans l'escalier. C'était notre héros qui aggripé à la rampe venait péniblement à sa rencontre. A VERDUN il avait pris la mitraille dans le ventre et il était si mal en point que ma mère en était effrayée. Il mourut peu après, dans d'atroces souffrances. Il avait 20 ans. Et les récits de mon cousin Albert, décorés de la Croix de Guerre, de la Médaille Militaire. C'était le costaud de la famille, svelte, nerveux, increvable. Il était percé comme une écumoire, un trou dans la joue, d'où la salive s'écoulait encore, un autre dans l'estomac, une balle l'avait traversé de part en part et il était resté trois jours sur le champ de bataille. Abandonné par les médecins après avoir reçu l'extrême onction, il avait survécu. C'était le héros n°1 de mon enfance passée au milieu des rescapés de cette atroce boucherie. Mais je ne tenais pas à revivre ce qu'ils avaient connu et mes camarades étaient dans le même cas. Vingt ans après, les hommes avaient-ils oublié ? Pourquoi les Allemands, qui eux aussi avaient tant souffert, s'étaient-ils laissé fanatiser par ce caporal fou, avide de revanche et de sang ? Heureusement que nous avions notre ligne maginot, garantie imprenable. De gros ouvrages protégeaient BITCHE. Des casemates immenses avec des petits trains circulant à l'intérieur, des réserves de vivre, d'eau, de carburant, de munitions; des cuisines, un bloc opératoire et même de quoi ensevelir les morts. Tout était prévu pour un long siège. Chaque ouvrage, de son artillerie couvrait son voisin en des tirs croisés et les rails anti-chars avait fait la preuve de leur efficacité. Nous, entre les intervalles étions là pour parer à une éventuelle percée. Alors qu'avions-nous à redouter ? Lorsque j'étais allé en permission, j'avais remarqué des affiches représentant un soldat devant une casemate, avec en gros titre : "TRAVAILLEZ EN PAIX, il veille" et les civils avaient confiance en nous, en notre ligne maginot. L'été 1939 s'étirait sous un chaud soleil propice au farniente et les Français ne s'en privaient pas, fiers de leurs nouveaux congés, de leurs vacances. A la fin du mois d'août je tombais malade, une grave angine me cloua au lit et l'on m'isola dans une chambre spéciale. J'avais beaucoup de fièvre et la gorge toute blanche, mais le contexte ne se prétait guère à une thérapeutie individuelle attentive. Les services médicaux, étaient, ainsi que tout le bataillon, maintenus en état d'alerte. Petit à petit on sembla m'oublier ! Un gars m'apportait mes repas. Bonjour, bonsoir, salut. La conversation n'allait pas plus loin car j'étais abruti par la fièvre. Et puis un jour, plus personne ne vint. J'étais encore très mal foutu, m'alimentant avec peine, mais à mon âge on a besoin de remontant. Je me dis : - Tiens pas de petit déjeuner ce matin ? A onze heures pas de dîner. Je commençais à devenir mauvais. A deux heures de l'après-midi, n'y tenant plus, je me levais péniblement tenant à peine sur mes guiboles et je sortis de ma chambre. Dans le couloir, personne, dans les autres chambres, personne. Je me trainais vers les cuisines, encore personne. J'étais ahuri, je venais de débarquer sur une autre planète. Je cherchais à bouffer, à boire, et je trouvais facilement de quoi me nourrir. Puis cela fait, ayant retrouvé quelques forces, je sorti dans la cour pour rejoindre ma chambrée que je touvais vide. Imaginez mon désarroi. Etre seul, absolument seul, dans une immense caserne habituellement si animée. J'errai dans les couloirs, j'appelai et ma voix résonnait étrangement. L'angoisse peu à peu me gagnait. N'étais-je pas entrain de délirer ? C'est alors, qu'étant dans la cour, je vis un sous-officier se diriger vers moi, l'air surpris. Il me dit : - Quest-ce que vous foutez là ? - Je suis malade, lui répondis-je, et j'étais en salle d'isolement. - Comment vous n'êtes pas au courant de l'alerte générale ? Tout le monde à rejoint les positions ! ! - Que dois-je faire ? et l'habituelle réponse arriva : - Démerdez-vous ! ! - Eh bien soit, je me démerderai ! Je regagnai ma chambre où seules mes affaires étaient restées. Je posai mon sac sur mon lit et j'entrepris de faire mon barda. Je m'équipai de pied en cap. A l'instar de mes camarades qui n'avaient rien laissé, je ramassai absolument tout et avec le mousqueton la charge était imposante. Ainsi harnaché, j'allai chercher mon vélo, garé dans le magasin et j'entrepris de rejoindre ROHRBACH-LES-BITCHES où se tenaient nos positions. J'avais une douzaine de kms à faire sur la route, plus 2 ou 3 kms de mauvais chemin à franchir pour retrouver la ferme MORENHOFF P.C. de notre régiment. En temps normal, disposant de toutes mes forces, ce parcours du combattant aurait été de la rigolade. Mais je n'était vraiment pas flambard et pas vraiment prêt pour en découdre avec le moustachu. Enfin! Avec beaucoup de peine, j'enfourchais mon vélo de course et "en voiture Simone. " Mes premiers coups de pédales furent loin de rappeler le champion que j'aurais voulu être. J'avais vraiment l'impression de pédaler dans la semoule et entraîné par mon barda je tenais une grande partie de la route. Je transpirais à grosses gouttes et je voyais la sueur s'écraser sur mon cadre. A la moindre bosse je devais mettre pieds à terre me hissant tant bien que mal, plutôt mal que bien en haut de ce qui à chaque fois me faisait penser au Galibier. Seigneur Jésus, je n'avais pas de couronne d'épines sur la tête mais la gamelle qui y était posée la valait bien, et si un jour, tous deux, nous avons été frères ce fut bien ce jour là. Je ne me suis pas chronométré mais ce fut long, interminable. Quand j'arrivai au terme de mon voyage mes copains me regardèrent effarés. Je sus plus tard que ruisselant de sueur, blanc comme un linge, des cheveux échappés de mon casque me collant au visage, les yeux creux et le regard éteint, je les avais effrayé. Je leur dit simplement: - Foutez-moi la paix, laissez-moi, ne me touchez pas et je tombais sur le sol, mon vélo à mes côtés et mon mousqueton dans les bras. Cinq minutes plus tard, je dormais profondemment, baignant dans ma transpiration. Mes copains me laissèrent ainsi, respectant ma volonté. Je m'éveillai au petit jour couvert de rosée et transi de froid. J'avais faim, très faim. Surpris je tatai ma gorge. Rien, plus rien, je pouvais déglutir sans douleur. J'étais certes endolori, mes jambes me faisaient mal, mais j'étais guéri. Qui donc osera dire après cela que les miracles n'existent pas ? Je repris très vite des forces et je me mêlai aux travaux que l'adjudant-chef PELT, notre maître d'œuvre nous faisait exécuter. Nos officiers s'étaient établis dans la ferme MORENHOFF alors que nous étions sans abris. Avec nos toiles de tente individuelles fortements usagées et de ce fait, perméables, nous avions confectionné de grandes tentes où nous pouvions loger plusieurs soldats. Ces toiles étaient carrées et pouvaient se boutonner ensemble. C'était une sorte d'auvent ouvert à toutes les intempéries. Nous avions aussi récupéré de la paille qui nous isolait de l'humidité et nous avions entassé notre barda sous ce médiocre campement. Tant que le temps resta beau nous trouvions cela merveilleux. Nous étions en camping et n'aurait été le travail imposé, nous nous serions amusés comme des fous. Il n'y avait qu'un seul inconvénient: la roulante était installée dans la cour de la ferme et trois fois par jour il nous fallait parcourir 2 kms, aller-retour compris, pour la soupe ou le jus. Nous étions installés dans une contre pente, par rapport à la ligne de front, un ruisseau courait au fond du vallon et une source très fraîche sourdait non loin de ce petit cours d'eau. Il y avait dans ce vallon idyllique quelques pommiers, des noyers et quelques terres cultivées, principalement des champs de pommes de terre. Je retrouvais là mes vieilles racines paysannes et j'étais heureux. Nous avions entrepris la continuation de ce qui devait être le futur P.C. du colonel SUBERVIE, une casemate presque terminée, mais j'anticipe. Notre premier ouvrage avait été l'installation de nos postes de campagne R11 et ER17. Nous avions effectué le calage de réseau et nous pouvions être en liaison permanente avec les états-major des trois bataillons qui devaient en cas de conflit dépendre de notre régiment qui serait le 166 R.I.F. dont la fière devise était : "Vaincre ou mourir". J'avais réussi avec le poste R11 à capter un poste civil par lequel j'avais en permanence des nouvelles fraîches. En ce dernier jour du mois d'Août, la tension était à son comble et l'inquiétude se lisait sur tous les visages. Toutes les pensées étaient tournées vers la POLOGNE où se jouait notre destin. Y aurait-il un second MUNICH ? C'était impensable. On ne pouvait laisser le nazisme dévorer toute l'EUROPE sans intervenir. Nous n'avions pas l'esprit combatif, sans doute, mais confusément, nous sentions qu'un conflit devenait inéluctable et que notre cause était celle de la justice et de la liberté. Le 1er Septembre, j'appris par le poste que les troupes allemandes venaient d'envahir la POLOGNE. Ce fut la consternation: qu'allait faire la FRANCE qu'un pacte d'assistance mutuelle liait aux Polonais ? C'est le 3 Septembre au matin que nous eûmes la réponse à cette interrogation. A midi, l'ANGLETERRE déclara l'ouverture des hostilités avec le 3ème Reich et à 17 h, la FRANCE suivra. Quelques camarades y allèrent de leurs larmes et cela me surprit. Il est vrai que, pour la plupart d'entre eux, la vie s'était montrée clémente. Pour moi, c'était un peu différent car j'avais été élevé à la rude école de la misère et de la rue et, sans être un dur, j'étais plus coriace que la plupart de mes amis. Le petit épisode qui suit vous fera comprendre quel était l'état d'esprit de mes copains ! Je me souviens qu'il faisait beau, en ce jour de Septembre. La nature était belle, l'herbe tendre et dans le bas du vallon, le ruisseau gazouillait gentiment. 17 h approchant. On nous avait laissé libre de notre temps et je décidais d'aller laver mon linge à la rivière. Un ami m'interpella : - Mais, tu es fou ! Nous, on va s'abriter dans la casemate inoccupée du Colonel ! J'éclatais de rire: Non mais ! Qu'est-ce que vous croyez, bande de cons ? Qu'à 5 h, on va subir un déluge de feu ; que les Allemands vont nous attaquer ! Vous trouvez qu'ils ne sont pas assez occupés avec les "polacks " ? Et tranquillement, je partis laver mon linge. Quand je revins une heure plus tard, un silence gêné accueillit mon retour. Goguenard, je demandais : - Combien de morts ? - Quelques grognements, seuls, me répondirent et chacun se remit à ses occupations. Le repas au soir aurait très bien pu se dérouler au Café du Commerce. Chacun faisait des pronostics et nous étions tous d'accord pour dire que ce ne serait pas long. Notre potentiel était énorme avec notre empire et l'ANGLETERRE avec ses Colonies était puissante. On allait tous s'y mettre et écraser ce trublion aux théories fumeuses.14 - 18 aurait dû leur suffire, non ? Et c'est ainsi que, pour nous, commença la drôle de guerre ?

LA DROLE DE GUERRE

***

Septembre-Octobre 1939. Les premières pluies se mirent à tomber, venant ajouter à notre peine. Nous étions toujours logés sous nos toiles de tente. Il nous fallait, une fois dessous, éviter de les toucher car, immédiatement, l'eau se mettait à ruisseler, inondant notre paille. Le terrain était argileux et glissant, nos godasses, nos capotes ne pouvaient sécher et nous étions toujours occupés à consolider l'abri du Colonel, alors que nous savions que ce brave homme préférait le confort de la ferme et ses commodités. D'ailleurs, tout le réseau téléphonique convergeait vers cette ferme, par l'intermédiaire des boîtes de coupures, prévues depuis longtemps à cet effet. La grogne s'installa parmi nous, s'amplifia de jour en jour et, finalement, le camarade qui avait dit un jour qu'il ne tirerait pas sur les ouvriers mais, plus volontiers, sur celui qui commandait la troupe, lors du voyage que nous aurions dû faire pour rétablir l'ordre à PARIS. Donc, ce camarade proposa de déclencher un mouvement de grève pour marquer notre volonté de construire un abri pour nous. Je tombais d'accord, ainsi que tous ceux qui étaient concernés par ce futur abri. Cela se passait un matin et nous décidâmes de ne pas reprendre le travail après la pause casse-croûte. Nous avions déja déposé mais, sans résultat, une requête auprès de l'Adjudant-Chef. Et c'est ainsi que nous nous installâmes sur les cailloux qu'on nous faisait trimballer à longueur de journée. Ayant terminé son repas pris dans son abri confortable et bétonné, notre Supérieur arriva sur le chantier. Nous voyant tous assis, il consulta sa montre et, l'air furibond, nous lança : - Pas encore au travail ? C'est l'heure ! Personne ne broncha. Je le regardai du coin de l'oeil. Son teint, déjà naturellement coloré, virait au rouge brique. Que signifie cette plaisanterie ? - Ce n'est pas une plaisanterie ! rétorqua un camarade. On voudrait se construire un abri potable, c'est tout ! - On ne discute pas les ordres ! J'ai dit "au travail". Personne n'obtempérant, il se dirigea alors vers le camarade, assis à l'extrêmité du tas de cailloux et le fixant bien dans les yeux, réïtéra son injonction : - Au travail ! On aurait entendu une mouche voler. Un siècle sembla s'écouler puis, lentement, le soldat se leva, attrapa la première pierre à sa portée et la transporta à sa destination. Et il en fut ainsi de tous les copains. L'incitateur à cette mince contestation se levant sans demander son reste. L'Adjudant-Chef arriva à ma hauteur, répéta son injonction implacable, en fixant son regard dans le mien. A mon tour, je le regardais sans impertinence, mais sans ciller et au commandement : "au travail !", je restai le cul sur ma pierre. Il réitéra son imposition et je demeurai toujours assis. Alors, se maîtrisant avec difficulté, il me cria d'une voix de stentor : - Garde-à-vous ! Demi-tour, droite ! Droite ! En tenue de campagne immédiatement! Venez me voir dans mon Poste de Commandement .Pas de gymnastique ! Marche !… Coudes au corps, je me dirigeai vers notre tente où je revêtis ma tenue de guerre et ainsi habillé, casqué, cartouchières sur la capote, le masque à gaz brinquebalant à mon côté, mon arme à la bretelle, je me dirigeais vers le Poste de Commandement, situé plus haut sur la pente. Je passais vers mes camarades, un peu honteux de leur conduite et à la hauteur du meneur de la première heure, je crachais ostensiblement pour marquer mon mépris. Je gravis les derniers mètres menant à l'abri de mon Supérieur, suivi par les regards compatissants de tous ces dégonflés. Ainsi harnaché, j'eus du mal à pénétrer à l'intérieur car l'entrée était formée de chicanes assez étroites. Mon Adjudant-Chef m'attendait debout, derrière la table lui servant de bureau. Je me mis au garde-à-vous et le saluai. Il me commanda : "Repos !" et, me montrant un papier sur la table, me dit : - Lisez et signez ! Je me saisis de la note et en entrepris la lecture. Elle était adressée au Colonel et relatait mon refus d'obéissance, en demandant qu'une sanction soit appliquée. Je demandais alors : - Quelle est cette sanction ? - Conseil de Guerre me fut-il répondu, car nous sommes en période d'hostilités ! J'aurais pu reculer, ne pas signer mais cela aurait été contraire à mes principes. En acceptant de faire la grêve pour une cause juste, humaine, j'avais engagé mon honneur, quelqu'en soient les conséquences je devais aller jusqu'au bout car c'était ma dignité d'homme qui était en jeu et attrapant la plume, j'apposais mon paraphe au bas de la feuille. Sacré gamin ! fut son seul commentaire. Je compris alors, vaguement, que cet homme qui, lui aussi avait son honneur à préserver, n'était peut-être pas dénué de coeur. Il mit le papier dans une enveloppe et me la tendit, en m'enjoignant de porter ce message au Colonel. Je rejoignis le sentier qui menait à la ferme et, chemin faisant, je songeais aux conséquences de mon acte. Sans doute, après jugement, me muterait-on dans les Corps-Francs avec quelques fortes têtes ? Adieu les transmissions ! Adieu les galons que j'attendais ! Je pensais à ma pauvre mère qui n'aurait peut-être pas approuvé mon geste et commençais à avoir quelques regrets, mais j'en revenais toujours à ma dignité. Je savais que je serais toujours intransigeant avec elle, quelqu'en soit le prix, les conséquences et j'étais loin de me douter que l'avenir me fournirait maintes occasions de la défendre, au péril de ma vie ! En arrivant à la ferme, suant, étouffant sous la charge, je croisai le Lieutenant MANTELET, alors Responsable des Transmissions. C'était un homme froid, pénétré de ses responsabilités et nous savions tous l'inimitié qui existait entre lui - Officier de Réserve - et notre Adjudant-Chef de carrière. Je décidai rapidement d'utiliser cette dissension pour rétablir, si possible, ma situation bien compromise. J'ai une lettre pour le Colonel, j'ai refusé d'obéir aux ordres de l'Adjudant-Chef PELT pour exécuter les vôtres qui étaient antérieurs et nous autorisaient à bâtir un abri pour nous. Mes camarades et moi avons appuyé notre réclamation par un refus de travail ; mes collègues ont repris leur activité et j'ai été le seul à persister dans mon refus. Il y avait du machiavel dans ma présentation des faits et je scrutais sur le visage du lieutenant les effets de ma tirade. Il ne me répondit pas, le masque impénétrable ouvrit la lettre, la lut et me dit : - En plus vous avez signé ! Puis soudain sévère il entreprit de me faire la morale. - Vous avez été, vous et vos camarades choisis pour appartenir à un groupe d'élite. Vous êtes dans les transmissions et vous savez que nous devons avoir confiance en vous. Vous allez immédiatement retourner voir l'adjudant-chef PELT à qui vous remettrez ce mot que je vais écrire et vous attendrez ses ordres . Cette affaire n'ira pas plus loin. Il griffonna quelques mots sur le papier que je lui avais remis, le replaça dans l'enveloppe qu'il me tendit non cachetée. - Et maintenant, rompez ! ! Merde ! je m'en tirais bien pour le moment et je dois avouer que j'en étais heureux mais quelles couleuvres allais-je devoir avaler. Je redescendis sur ma position et en arrivant j'observais la situation. Les copains trimballaient toujours des pierres, alors que l'adjudant-chef assis sur un tas de cailloux surveillait l'ouvrage. Il était légèrement éloigné et cela me convenait car en descendant j'avais lu la réponse du lieutenant et elle était ainsi rédigée. "Le soldat FUSSINGER vous fera des excuses et reprendra le travail. " Mon supérieur prit connaissance du billet, redressa sa haute taille et me dit : - Alors, j'attends ! Après avoir jeté un coup d'œil à mes copains qui faisaient semblant d'être occupés, tout en tendant l'oreille, je jetai un discret, mais très discret : - Je vous fais mes excuses mon adjudant-chef ! ! La vache ! ! Plus fort me cria-t-il, que tout le monde entende ! Alors fou de rage, de honte et de regrets, je gueulai de toutes mes forces : - Je vous fais mes excuses mon adjudant-chef. - C'est bon, maintenant allez vous mettre en tenue et reprenez le travail. Et d'une couleuvre…une ! ! Après m'être débarrassé de tout mon fourbi je revins parmi mes compagnons avec lesquels je n'échangeais pas un mot. A 17 heures l'adjudant-chef cria : - Terminé, vous pouvez aller travailler pour vous ! J'emboitai le pas à mes copains lorsqu'il m'arrêta : - Pas vous, vous avez perdu du temps, il faut le rattaper. Allez ! au travail ! Et une deuxième couleuvre ! ! Je repris donc le boulot la rage au ventre me rendant compte qu'il avait décidé de me briser, de me mater. Nous n'échangeâmes pas une parole, par un regard. La nuit était tombée et je transportais toujours des pierres, sous la surveillance du pou-chef, toujours assis sur ses cailloux. N'ayant jamais éprouvé de haine pour personne, trouvant ce sentiment très vil, je me demandais ce qui se passait en moi vis à vis de cet homme impassible à mes côtés. Quand il me libéra enfin nous nous quittâmes comme deux étrangers venant de se croiser. Je regagnai ma tente et sans même regarder mes copains je m'étendis, crevé par toutes ces émotions, par le chemin de la ferme et le travail. La nuit porte conseil, dit-on. Au petit jour, je décidai d'agir comme si rien ne s'était passé, remettant même en place un camarade qui se permettait de dire du mal de notre adjudant-chef. Lui et moi nous avions agi selon notre conscience et s'il existait un contentieux entre nous cela ne regardait personne. Il avait du penser comme moi, car nos rapports, au demeurant courtois, reprirent comme avant l'incident. Parfois je remarquais que son regard s'attardait sur ma modeste personne. Que pensait-il de moi ? Etais-je vraiment un mauvais soldat ? Je lui posais des problèmes c'était certain, mais je sentais malgré tout qu'il ne m'en voulait pas. Pour lui, j'étais sans doute "un cas". De l'autre côté du ruisseau, des artilleurs avaient installé un campement situé juste en face de nous, sur la colline. Au début, des chenillettes avaient apporté des tôles ondulées, des planches, des pieux et en peu de temps ils avaient monté une confortable cagna qui exitait notre envie. Au demeurant nos rapports étaient courtois, car nous avions l'occasion de faire la causette, à la source commune. Ils avaient un petit complexe de supériorité, vis à vis des pauvres biffins qui n'étaient même pas foutus d'avoir un abri potable. J'ai toujours été un lève tôt et chaque matin j'allais faire ma toilette dans l'eau courante de notre rivière. Un matin ou selon mon habitude, j'allais faire mes ablutions, je vis avec surprise que les artilleurs avaient déménagés. J'allais visiter leur cagna, restée intacte. Plus traces d'aucune présence, tout était à l'abandon. Je remontais à toute pompe vers notre tente et gueulai un "debout là dedans", retentissant. Mes camarades ahuris se dressèrent sur leur couche en maugréant et je leur expliquai la situation. Bien que n'étant pas encore Caporal j'en avais la fonction et j'étais responsable de l'équipe. - Allez les gars ! au boulot. On va démolir la cagna des artilleurs avant que d'autres pensent à le faire. Je vous promets que dans deux jours nous serons à l'abri. Sitôt dit, sitôt fait. Ayant enfin eu l'autorisation de nous construire un abri, toute la matinée fut employée à démonter, à trimballer les matériaux nécessaire à la construction que j'avais envisagée. Je choisis un emplacement dans un talus bordé de noisetiers et nous creusâmes un trou suffisant pour la cabane dont je rêvais. Les murs furent constitués par les pieux que nous avions en nombre suffisant. Je gardais les plus beaux pour la facade que je fis légèrement inclinée. Une légère charpente soutenait les tôles ondulées et j'espérais bien un jour récupérer une gouttière . Je fabriquai une porte qui fermait hermétiquement et l'aération se faisait par le toit, le long des tôles ondulées. Il n'y avait pas de fenêtres, mais quand il faisait beau la porte en deux parties permettait un éclairage suffisant. Au demeurant nous avions fabriqué des éclairages avec des flacons remplis d'essences suivant le principe des fameuses lampes Pigeon, avec cependant un seul défaut, les notres pouvaient exploser en cas de surchauffe. Je vous rassure, cela ne s'est pas produit dans nos équipes. Un matin par contre, j'ai cru en voyant sortir un camarade d'une cagna voisine que des sénégalais avaient pris la relève dans la nuit. Le gars qui était en face moi était d'un noir magnifique. En regadant mieux je reconnus PROTEAU, un parisien d'un genre dur à cuire qui se demanda pourquoi je me fendais pas la pipe. - Tu as vu ta gueule ? - Non pas encore, je me lève. - Va voir dans la glace ! ! Nous laissions toujours une glace, soit accroché à un arbre ou à la façade de nos abris. C'était pratique pour la séance de rasage. Il se dirigea vers le miroir et s'exclama : - Oh la vache ! - Quoi la vache ? demandai-je. Alors il m'expliqua qu'ayant des lits superposés, pour gagner de la place pour la table et les tabourets, il couchait à l'étage supérieur. Et le gars sous lui, aimant lire au lit le soir utilisait pour cela une de nos fameuses et surtout fumeuses lampe de chevet. Toute la soirée, s'étant endormi tôt, il avait été fumé comme un hareng. Il prit le parti d'en rire à son tour mais en se jurant de dire son fait à son voisin du rez-de-chaussée. Comme la nature l'avait doté de biceps assez impressionnants je ne vis plus jamais ce trouffion noir, tout au moins extérieurement car nous ne manquions pas de pinard. L'armée pour cela faisait bonne mesure et nous touchions même de la gniole. Des bruits circulaient, affirmant que du bromure était mélangé à nos aliments, pour calmer nos ardeurs mais si c'était vrai, je dois avouer que cela n'avait pas grand effet et les conversations déviaient souvent sur des souvenirs grivois et chacun y allait de son soupir. Un de nos copains, postier de son état était plutôt attiré par la vinasse. Il se relevait la nuit, se tapant ses 2 kms pour revenir avec un seau de toile plein de pinard. Mais dans l'ensemble nous ne voulions pas devenir alcoolique alors que lui par contre, n'avait pas ce souci. Et comme il buvait également la gniole qui nous était attribuée il changea à vue d'œil et un beau jour pris d'une violente crise d'étylisme il se saisit d'un couteau et menaça le personnel des cuisines où il avait été muté, étant devenu imcapable de tenir un emploi dans les transmissions. Il fut bien vite désarmé et expédié à l'arrière et nous n'entendîmes plus jamais parler de lui. Pour ma part je récoltais cette eau de vie dans une bouteille et quelquefois, après le jus, j'en mettais dans mon quart et y mettait le feu pour enlever l'ether que soit disant elle contenait.J'avais ma petite réserve en prévision de l'hiver qui s'annonçait rude. L'adjudant-chef souffrant de voir les récoltes s'abîmer nous avait fait arracher les pommes de terre qui s'entassaient dans une grange de la ferme qui avait été évacuée de ses proprétaires. Au début de cette drôle de guerre, alors que rien ne s'était passé, je fus désigné avec un Caporal réserviste, manche comme tout, pour aller installer un central téléphonique dans le village évacué de Gros Rederching, sur la frontière. On nous emmena en camionnette, après avoir fait des adieux émouvants à nos camarades. Nous faisions figure de condamnés à mort car nous allions aux avants-poste de la ligne maginot où nous devions assurer la liaison avec des groupes de G.M.R. qui gardaient les fortins disséminés le long de la frontière. Nous choisîmes une maison confortable pour installer notre central téléphonique dans un rez-de-chaussée buanderie. Quelle tristesse dans ce village dont les habitants avaient du fuir précipitamment, n'emportant que leur bien le plus précieux. Des tasses à café, du sucre, des couverts tout était resté en état, sur la table. Sur le côté de la maison il y avait une étable où une vache avait été abandonnée. Des animaux domestiques erraient à l'aventure dans les rues, les jardins du village et je vis parfois des camionnettes venir charger des porcs, des poules, des lapins, avec des cris de joies de la part des participants à ce safari d'un nouveau genre. Je dis à mon "cabot " : - Chouette on aura du lait le matin. Pour le reste nous irons chercher notre subsistance à une roulante de campagne. Le travail était peinard, car il fallait simplement assurer la permanence de l'écoute. Le premier matin muni d'un seau j'entrepris de traire la vache, en vain. Je n'avais pas l'habitude et je tirais sur les mamelles comme je l'avais vu faire chez moi quand j'étais gosse. Le soir rebelotte, rien. La vache se retournait pour me regarder d'un air stupide et je me disais ; ' si on ne lui tire pas son lait elle doit souffir et si elle souffre elle doit gueuler et rien de tout cela ne se produit, un vrai mystère à moins que…' Je me résolus à monter une planque, mon fusil à la main et j'attendis. Au petit jour je vis un trouffion s'approcher avec des airs de conspirateurs et un seau à la main. Moi je faisais le mort bien dissimulé dans un recoin. Doucement il vint vers la vache la flatta et s'installa le seau entre les jambes. Et bientôt j'entendis le mélodieux zin, zin que fait le lait en frappant le fond du récipient. Sans bruit je m'approchai et j'appuyai le canon de mon mousqueton (vide) sur sa nuque en criant : - Si tu bouges, je te fais sauter la gueule. Il se mit alors à crier comme un cochon qu'on égorge, tremblant de tous ses membres. Je retirai mon flingue et le questionnai. C'était un soldat cultivateur dans le civil, qui avait la charge de ravitailler en lait un petit poste voisin. - Bon, lui dis-je, je vais être bon prince. un litre de lait par jour pour nous et je te laisse t'occuper de la vache. Sinon…et je fis manœuvrer la culasse de mon mousqueton. Il fut bien vite d'accord et tout marcha comme je l'avais espéré. Une nuit entendant des piétinements dehors je pris mon arme et je sortis. C'étaient des soldats Français, marchant de chaque côté de la route en files interminables. Je compris que l'attaque allait se déclencher. Combien de ces pauvres types allaient mourir ? J'étais consterné à cette pensée. Un arrêt s'étant produit un petit gars de mon âge me demanda : - Où sommes-nous ? Ou allons-nous ? Je lui répondis avec un petit sentiment de culpabilité- En ALLEMAGNE. - C'est loin ? - Non, à 500 km. Il se mit à bafouiller et moi, ému je rentrai dans la maison. Ils attaquèrent à l'aube, sautant sur des mines, mitraillés, bombardés, mais ils progressèrent et de ce fait nous ne fûmes plus concernés par le téléphone. On vint nous rechercher et j'entassais des poules vivantes dans des sacs, des pommes de terre, du ravitaillement et nous fîmes un retour triomphal près des copains heureux à la pensée des omelettes que nous pourrions déguster car je gardais les poules vivantes. En hiver, perchées dans les haies elles eurent si froids qu'elles perdirent leur crête qui gela. Mais elle résistèrent et se remirent à pondre au printemps. Il y avait quelques temps que nous étions installés dans notre nouvel et confortable abri quand, un matin, où fidèle à mes habitudes de tôt levé, je m'apprêtais à descendre à la rivière je vis dans le fond du vallon, là ou nous avions démoli un abri pour construire le notre, des gens gesticuler, des bras se lever et des têtes se tourner dans ma direction. Des clameurs se firent entendre. Je bondis dans notre cabane. - Merde ! ! les gars, les artilleurs sont revenus ! ! Tous mes camarades, vite réveillés, se ruèrent dehors. Pendant ce temps, les artilleurs avaient entrepris une marche menaçante dont nous étions à coup sûr le but. Je lançai un ordre : - Prenez les flingues ! Ça impressionne !! (Du vrai Far West !). Les copains obtempérèrent et deux minutes plus tard, nous attendions de pied ferme nos voisins en colère. La prise de contact fut dénuée d'aménité. - Bande de salauds ! C'est vous qui avez démoli notre abri ? - Bien sûr ! répondis-je. Mais, il était abandonné et rien ne laissait supposer que vous alliez revenir. Nous n'avions rien pour construire le nôtre ! On nous avait dit de nous démerder, alors on s'est démerdé ! Le Cercle des Artilleurs se rapprocha, menaçant. Alors, j'attrapai mon mousqueton par le canon, prêt à m'en servir comme d'une massue et d'une voix suave, je leur dis : - Maintenant, si vous voulez la bagarre, nous, on n'est pas contre ! A ce moment, "l'homme de CRO-MAGNON" qu'à travers mes ancêtres sommeillait depuis des temps immémoriaux, remonta en moi et mes copains devaient me ressembler. Devant cette attitude, les artilleurs hésitèrent, puis se replièrent en proférant des menaces. Les Transmissions de l'Etat-Major du 16ème R.I.F. venaient de remporter leur première bataille. Par la suite, le mousqueton nous accompagna dans toutes nos sorties. On ne sait jamais avec ces sacrés artilleurs qui, d'ailleurs, retrouvèrent vite leur confort car les mêmes chenillettes ramenèrent les mêmes matériaux et il n'y eut aucune suite fâcheuse à cette affaire ! Pour tuer le temps, nous avions constitué des équipes de football. Il y avait l'équipe du haut, celle de la ferme et des Officiers en somme et la nôtre, les pélés de l'Adjudant-Chef, ceux du bas. On jouait entre nous, chacun de notre côté jusqu'au jour où le haut nous lança un défi. Lorsque le grand jour arriva, MALEDICTION ! J'étais mal foutu et déclarais forfait, préférant lire dans la cagna. J'en étais à cette occupation quand l'Adjudant-Chef vint "traîner ses guêtres" de mon côté. Je venais justement de sortir pour pisser un coup et à ma vue, il sursauta : - Que faites-vous là ? Le match va commencer ! - Je sais ! Mais, je suis mal foutu, mon Adjudant-Chef - Mal foutu ! Mal foutu ! Ça ne doit pas être bien grave. Allez rejoindre l'équipe, c'est un ordre et ne discutez pas !! Merde et remerde ! Je l'aurai toujours sur le dos, celui-la. Cette fois, j'obéis car je risquais de nouveaux emmerdements et arrivais juste à temps pour occuper ma place d'inter-droit. En face, l'équipe était redoutable avec, notamment dans les buts, un gardien de grande classe SWAMBERGER. La partie commença, serrée. Je vis bientôt apparaître un nouveau spectateur, en la personne de l'Adjudant-Chef. Mais, ce faux-jeton avait un panier sous le bras et il faisait semblant de ramasser des pissenlits. Je me marrais intérieurement, bien sûr mais, chose curieuse, cette présence me stimula et me déchaînais littéralement. Je dribblais, fonçais et quand, enfin, je collais un but à ce brave SWAMBERGER, je regardais dans la direction de mon Adjudant-Chef et suis certain d'y avoir vu l'ombre d'un sourire. Nous gagnâmes notre match et la suprématie du bas sur le haut ne fut plus jamais contestée. Puis l'hiver, petit à petit, s'installa d'abord timidement, puis avec plus de rigueur. Plus de football, plus de trempettes dans la rivière ! Aux premières neiges, je construisis une luge avec laquelle je m'amusais comme un grand demeuré que j'étais puis, le froid devenant intense, le ruisseau descendant en cascade de la colline pour se jeter dans la petite rivière au fond du vallon, gela complètement. Je décidais un jour de faire une descente complète de ce ruisseau à plat ventre, sur ma luge, me servant de mes godillots pour conserver la bonne direction. Il fallait sauter les cascades, s'engouffrer entre des haies d'épineux pour terminer la course au ras des fils de fer barbelés, empêchant toute progression en direction de la rivière. C'était un "truc" vraiment "casse-gueule", mais il y avait en moi un petit côté "kamikaze" et j'aimais parfois me faire peur ! Les copains venaient assister au spectacle et même l'Adjudant-Chef daignait se mêler à l'assistance. La luge allait vraiment vite et le saut de la plus grande des cascades devait, vu de la berge, paraître impressionnant. Il fallait garder le traîneau bien serré contre la poitrine à la réception brutale sur la glace et, surtout, bien conserver la trajectoire ! Personne ne voulait essayer jusqu'au jour où le petit CHASSAGNE, notre "marmotte" se décida : "Enfin de la concurrence ! pensais-je. A mon tour de jouir du spectacle !". CHASSAGNE, bien à plat ventre sur sa luge, prit un départ correct. Je voyais son petit nez rougi par le froid, virer au violet, mais il se cramponnait ferme. Il sauta la grande cascade en bolide, ne put redresser sa course et s'enfonça la tête la première dans les épineux en poussant un grand cri. Nous étions atterrés et nous nous précipitâmes, avec un léger temps de retard, vers notre camarade en perdition. Qu'allions-nous retrouver ? Avec d'infinies précautions, nous tirâmes sur les deux guibolles qui, seules, émergeaient du buisson. Seigneur ! Il n'était pas "jojo" notre camarade ! ça saignait de partout mais, par chance, il n'avait rien de cassé. Un peu hébété, il ne savait que répéter : - Pour un jeu à la con, c'est un jeu à la con ! Quand à nous, soulagés de la bonne fin de l'aventure, nous rigolions comme des baleines devant une montagne de plancton. C'est ainsi que disparut le seul concurrent qui s'était présenté à mon jeu "débile " ! Bientôt, l'hiver s'installa, terrible. La neige recouvrait tout en une épaisseur incroyable. La température était sibérienne : - 20° ; - 25° ; - 30° jusqu'à - 32°. Aller à la soupe était une vraie corvée. Nos aliments étaient gelés ainsi que le vin et, pour la journée, du vin chaud nous fut offert par les civils. On nous servit le vin "à la hache" car les fûts avaient éclatés. On en rigole encore ! On nous avait remis à tous une paire de bottes en caoutchouc avec une pointure de "41". J'avais pris les miennes - pointure "43" - et enfilais 3 paires de chausettes les unes sur les autres. Nos gants de laine étaient inefficaces et nous entassions, sur notre dos, tous les vêtements disponibles. Les W.C. étaient constitués par des feuillées ouvertes à tous les vents et quand il fallait mettre son cul au-dessus de la tranchée servant de fosse d'aisances, nous y regardions à deux fois, retardant au maximum le moment où il faudrait exposer les bijoux de famille à la morsure du froid. Essayez donc de lire le journal dans ces conditions ! Nous allions chercher l'eau dans la casemate vide, destinée au Colonel. Les travaux en profondeur, ayant débouchés sur une source, avait été abandonnés et un basting mis en travers de la nappe permettait de puiser l'eau avec nos seaux en toile. Nous avions un nouvel abri en dur, situé à 50 mètres de cette casemate. Un jour, étant de corvée d'eau, je me penchais sur cette nappe, le basting bascula et piquais une tête dans l'eau glacée. J'eus beaucoup de mal à m'en sortir avec toutes ces fringues sur le dos et mes bottes pleines. Il ne servait à rien de crier car j'étais seul, au fond de cette casemate et sans lumière, ayant perdu ma lampe électrique. Après maints efforts, je réussis à me hisser sur le sol glissant, tremblant d'angoisse à la pensée de crever là dans ce trou où une main invisible semblait me maintenir au fond. Je restais ainsi haletant, allongé dans la glaise, l'espace de deux minutes, récupérant de mes efforts et de ma peur, puis, saisissant mon seau, je regagnai notre abri, trempé jusqu'aux os. Par - 30° (froid idéal pour la congélation) l'effet fut presque instantané et quand je pénétrais dans l'abri, auréolé d'une pellicule de glace, j'étais au bord de l'évanouissement, les lèvres rentrées, incapable de prononcer le moindre mot. Les copains réalisèrent vite ce qui m'était arrivé et, en moins de deux, me mirent à poil et me frictionnèrent vigoureusement. L'un d'eux mit une énorme rasade de gnole dans mon quart et cinq minutes plus tard, j'avais retrouvé mes esprits. Mais, quelle trouille j'avais éprouvé !! Ce que nous appréhendions tous plus ou moins, c'était de monter la garde à la ferme ! Un poste bien chauffé avec des couchettes , du café, en permanence, avait été prévu mais les lieux de garde n'étaient pas protégés du froid. Il y en avait deux : un devant la ferme et l'autre, situé à environ 300 mètres de toutes habitations. Il y avait là un dépôt de munitions et je revois encore ces obus entassés sous la neige avec, sur le côté, une petite guérite seule, au milieu de l'immense silence de ces endroits. La garde avait été réduite à 1 heure, étant donné la basse température. Avec nos passe-montagnes, nos trois capotes, nos trois pantalons et nos bottes : nous n'étions plus des soldats, mais des "momies". Il y avait de quoi devenir dingue et c'est d'ailleurs ce qui était arrivé à un copain qui, malgré le mot de passe, crié à 30 mètres de lui manoeuvra son fusil pour me tirer dessus. Il n'y a qu'à l'appel de son nom qu'il avait consenti à me laisser approcher et, m'ayant reconnu, était parti comme une fusée vers la chaleur, vers "la vie". Il y avait 50 à 60 centimètres de neige tassée qui crissait sous les talons ; un bruit avait circulé que des loups, chassés par le froid, erraient sur la ligne "MAGINOT". Je pense maintenant qu'il devait s'agir de chiens abandonnés par leur maîtres à l'exode et qui étaient retournés à la vie sauvage, constituant des meutes peu rassurantes. Pour ma part, je n'en ai jamais vu ! Avant la chute des neiges, j'allais parfois errer dans le village abandonné de BINING. J'avais toujours le coeur serré par le spectacle de ces maisons vides d'occupants, avec leurs portes ouvertes par des troufions sans scrupules, à la recherche d'un objet précieux oublié ou ce qui était plus louable, d'aliments servant à améliorer l'ordinaire. Tous les animaux de basse-cour avaient été consommés, mais il restait des chats squelettiques qui erraient comme des fantômes dans ces tristes demeures que j'avais connu si vivantes ! Ayant un jour entendu un miaulement plaintif, je pénétrais dans une grange où j'aperçus un minuscule matou que, malgré sa défense, je voulus saisir pour le ramener dans notre abri. Mal m'en prit car il m'enfonça profondément ses petites dents dans un de mes doigts. Il serrait terriblement et je secouais la main pour le faire lâcher prise, sans résultat. J'essayais de le décrocher avec ma main restée valide. Impossible ! Alors, je le saisis doucement par le cou et commençais à serrer, mais il ne relâcha pas son étreinte. La mort dans l'âme, je dus l'étrangler complètement pour arriver à me dégager. Quand je jetais ce pauvre petit corps amaigri, par terre, je versais quelques larmes de honte et de regrets. Malgré mon doigt qui me faisait terriblement souffrir, je décidai d'adopter un chat, ce jour-même, et me mis en chasse. Ces pauvres matous étaient redevenus sauvages, mais je finis par découvrir une petite boule grise qui se recroquevilla à mon approche. Cette fois, je parlais doucement à ce pauvre animal, m'approchant avec circonspection. Lorsque j'avançais la main, il se laissa caresser en me fixant de son regard apeuré. Au bout d'un quart d'heure, il était sur mon bras pelotonné contre moi, ronronnant de plaisir. Je le ramenai dans notre cagna où je lui préparai un repas de roi " ! Le soir, quand je me couchai, j'avais sur la poitrine mon nouveau pensionnaire que, ne sachant quel nom lui donner, je baptisai MINET tout simplement. Et bientôt, nous devînmes inséparables : lui et moi. Il "mangeait comme quatre", devenait costaud et me suivait partout comme un chien. Je lui disais : - MINET , sur l'épaule ! On va en patrouille ! Et hop ! Mon chat à gauche, mon fusil à droite, nous arpentions collines et vallées sous le sourire amical des soldats que nous croisions. Quand la première neige fit son apparition par une nuit glacée, nous étions bien au chaud, dans notre abri. Ce matin-là, toujours le premier levé, je sortis avec mon chat sur les talons. Il sembla pétrifié d'effroi, ne reconnaissant plus son environnement, puis avança timidement une patte, ainsi que l'autre et complètement affolé, se mit à courir droit devant lui. Je mis un moment à le rattraper, tremblant de tous ses membres. Je le saisis et le serrais contre moi pour le rassurer, puis ramassais de la neige que je lui fis sentir, avec laquelle je m'amusais un certain temps en la faisant glisser entre mes doigts, puis le reposais à terre et m'éloignais en direction de l'abri. Il prit bien vite son élan et me sauta sur l'épaule à sa place habituelle. Entre nous, c'était vraiment le grand amour ! Et NOEL arriva que la plupart d'entre nous devait passer sur le front. Nous avions le coeur serré en pensant à la tristesse des nôtres, demeurés si loin de nous. C'était vraiment un NOEL blanc avec un froid intense. Il avait été prévu un théâtre aux Armées où nous allions par roulement. Cela nous mit un peu de baume au coeur d'être en contact avec quelques civils et n'avons pas ménagé nos applaudissements. Nous espérions tous une permission qui tardait à venir. Lorsque le Nouvel An vit le jour, la drôle de guerre se poursuivait avec des mouvements de troupe continuels pour ceux qui étaient aux avant-postes. Nous, soldats de forteresse, étions inamovibles ! J'appris aussi qu'à ROHRBACH venait d'arriver le 5ème Colonial et dans ce Régiment se trouvait mon beau-père qui, en fait, n'était pas marié à ma mère, mais qui me considérait un peu comme son fils. Je décidais d'aller à sa recherche pour lui présenter mes voeux. Je savais, par ma mère, qu'il était cuistot et qu'une roulante se trouve facilement. Seulement, il y avait un "hic " : je ne pouvais me rendre sur les positions du 5ème Colonial, sans ordre de mission. Quoiqu'il m'en coûta, je résolus de rencontrer l'Adjudant-Chef pour lui expliquer la situation. Il me reçut assez posément, m'écouta poliment et me répondit par ces mots : - Je ne suis pas habilité pour établir un ordre de mission pour une semblable démarche, mais comme je vous connais, je suppose que vous allez passer outre et partir quand même !! Merde ! C'était un fin psychologue, cet Adjudant-Chef. Je bredouillai un : "C'était bien mon intention", en effet. Il me regardait, perplexe, et les sentiments qui l'agitaient se lisaient sur son visage. Il devait penser : "Quel emmerdeur celui-là ! Quelle source d'ennuis !". Il me fixa encore un moment, puislaissa tomber le résultat de sa longue réflexion : - Etant donné que vous allez partir et que vous m'avez, hélas, prévenu, je vous donne 24 heures pendant lesquelles je m'efforcerai de vous oublier. Allez ! Foutez le camp - Merci, mon Adjudant-Chef ! A demain ! Je fonçais dans notre abri m'équiper pour ma randonnée et, muni de mon fusil, partis à l'aventure, évitant les chemins où je risquais de rencontrer des gradés curieux qui m'auraient demandé mes papiers. C'était toujours la SIBERIE ! La température devait s'établir aux alentours de - 30° et, malgré la hauteur de la neige, elle était tellement dure que je pouvais marcher sans problèmes, à part quelques glissades dans les descentes : ce qui m'amusait plutôt ! Pourtant, j'eus à un certain moment un instant d'émotion. La neige s'effondra sous mes pas et je tombais "cul par dessus tête" dans une tranchée de 2 mètres de haut, dont je n'avais pu deviner la présence car elle était cachée par l'épaisse couche de neige. Après avoir lutté durant un bon quart d'heure pour me sortir de ce guêpier, avec l'aide de mon mousqueton et de ma baïonnette, je réussis enfin à refaire surface. Par la suite, ma progression fut plus circonspecte. J'arrivais enfin à ROHRBACH où les Coloniaux étaient cantonnés et interrogeais les troufions : "JOJO, le cuistot, vous connaissez ?" et ainsi, de renseignements en renseignements, parvenais à la roulante où "JOJO" me fit l'accueil que vous deviniez. - Eh ! Les gars ! Venez voir ! Mon gamin est là. Je vous l'avais dit qu'il se démerderait pour venir me souhaiter la bonne année. Les potes étaient tous de vieux briscards qui avaient bourlingué un peu partout dans notre empire colonial et je devais faire figure de "minet" au milieu d'eux. JOJO jugea bon de les affranchir. - On a travaillé ensemble pendant un an comme terrassier et il ne craint pas la chataigne ! Et, comme se parlant à lui-même, il ajouta : - Il m'a même mis K.O. un jour où j'en avais un coup dans l'aile et que j'étais devenu emmerdant ! Ceux qui connaissaient JOJO et ses énormes biceps avaient du mal à le croire, mais il était tellement affirmatif qu'ils me considérèrent avec bienveillance car ces durs à cuire ne connaissaient qu'une loi : celle du plus fort. Ils étaient résistants au mal, cabochards, mais braves coeurs ! Le pinard chaud et bien sucré commença à circuler. Il y avait une grange avec, en son milieu, un feu de bois à même le sol. Il y avait aussi une carcasse de boeuf posée par terre et qui dégelait lentement. Et nous entreprîmes à quelques-uns un réveillon insolite. Nous coupions des morceaux de viande que nous faisions rissoler à la flamme du feu de bois. Sous la cendre, nous avions mis des pommes de terre à cuire, le pinard coulait à flots et la fumée des cigarettes nous enveloppait. Je voyais les ombres fantastiques de mes camarades d'un soir, danser sur les murs de la grange. Une étrange torpeur nous avait envahi et je songeais, malgré moi, aux hommes des cavernes : nos ancêtres ! C'est ainsi qu'ils avaient dû vivre, penser devant une carcasse fumante où chacun puisait sa pitance et leur réflexion ne devait pas être tellement différente de la nôtre car, pour eux aussi, la mort rôdait devant leur caverne, comme pour nous, devant notre grange. Quand l'heure du repos arriva, JOJO me dit : - Tu prends une chambre, n'importe où ! C'est gratuit Je pris congé et pénétrais dans la première maison qui se présentait. Je montais au 1er étage à la recherche d'un lit, mais il avait dû servir pour le chauffage car la pièce était vide. Je trouvais néanmoins de quoi me couvrir et m'allongeais sur le sol. Avant de m'endormir, j'eus une pensée pour ma petite fiancée, une pour ma mère et, avant de fermer les yeux, je lâchais une bordée d'injures destinée à l'emmerdeur moustachu dont les troupes à une portée de fusil devaient, comme moi, s'enquiquiner et claquer des dents. Dans la chambre, il y avait de si jolies fleurs sur les carreaux. Je me levais à l'aube et retournais dans la grange où le feu était éteint et la carcasse avait regelé. Sous les cendres restaient quelques braises et, bien vite, de joyeuses flammes s'élevèrent. Un par un, les soldats firent leur apparition, sales, pas rasés et certains, malodorants. C'était la guerre avec son cortège de misère ! En ce qui me concerne, je m'étais frictionné le visage avec de la neige. Rien de tel pour remettre les idées en place ! JOJO s'activait pour le café que nous bûmes avec un bon casse-croûte composé de sardines, un peu de marmelade et le tout arrosé d'une bonne rasade de gnole. Je me sentais d'attaque pour refaire le chemin de la veille ! Je pris congé de mes nouveaux amis et étreignis JOJO en lui recommandant de prendre soin de lui. Si ces pauvres gars avaient su ce qui les attendait, quelques mois plus tard, en BELGIQUE ! Beaucoup furent tués au combat. Pour sa part, mon beau-père, dont une partie de la cuisse fut arrachée par un éclat d'obus, réussit à remettre sa mitrailleuse sur pied et tira jusqu'à ce qu'il tombe évanoui sur sa pièce où les Allemands le récupérèrent et le soignèrent admirablement. Il conserva sa jambe, ce qui lui permit de rejoindre le maquis où il eut la tristesse de perdre son beau-frère, tué lors d'une embuscade. En arrivant sur ma position habituelle, après un retour sans histoire, j'allais trouver mon Supérieur pour lui signaler ma venue. Il m'accueillit avec la grimace, qui lui tenait lieu de sourire, en me disant : - J'aime mieux vous voir là ! Au fait, vous l'avez trouvé, votre beau-père ? Je lui répondis affirmativement et il me dit : - C'est bien ! En sortant, j'allais voir dans l'abri voisin mon ami FAVROT, Téléphoniste, Secrétaire et Confident du pou-Chef Il me mit au courant de la réaction de mon Adjudant-Chef qui, après ma demande de la veille, était venu le trouver pour épancher sa rancoeur : - Ce FUSSINGER, il m'en fait voir ! On n'arrête pas de s'engueuler et quand il a un service à demander, c'est à moi qu'il s'adresse ! Si je l'avais empêché de partir, il m'aurait, en pensée, traité de "peau de vache" et il serait parti quand même. Alors, je lui ai donné le feu vert, mais je n'ai pas fini de me faire du souci ! Brave PELT ! Dans le fond, je crois que je l'aimais bien et étais le seul, sans doute, car tout le monde était terrorisé à son contact. Vers la fin du mois de Janvier, mon tour arriva de partir en permission. Je ne tenais plus en place à la pensée de revoir ma mère et ma fiancée. La gare, où nous embarquions, se trouvait à DIEMERINGEN et pour y aller, nous disposions d'une camionnette bâchée, conduite par WANTIER, un Chtimi casse-cou qui faisait merveille sur les routes verglacées. En ce temps-là, pas de chaînes ! Pas de pneus cloutés ! Hélas ! Nous embarquâmes à l'aube. Il faisait un "froid de canard" et les courants d'air finissaient de nous congeler. WANTIER ne connaissait que la conduite pied au plancher et soudain, à la sortie d'un virage, alors que nous roulions sur un étroit chemin, il poussa une bramée : - Cramponnez-vous, les gars ! V'là du monde! J'eus le temps de jeter un coup d'oeil par un trou de la bâche. Horreur ! Un véhicule fonçait sur nous et WANTIER ne pouvait pas freiner car nous roulions sur une vraie patinoire. Je n'eus pas le temps de réfléchir bien longtemps. Un craquement sinistre se fit entendre et tout le côté gauche de la camionnette vola en éclats et retomba sur la route, avec la bâche arrachée. Miracle ! Assis sur la banquette longeant le véhicule, nous étions au complet, le cul à l'air. Alors, WANTIER, sans lever le pied, se retourna et, superbe, nous apostropha : - Vous êtes tous là, les gars ! Alors, ça va ! Et, comme s'adressant à lui-même : - Et puis, qu'est-ce que ça peut foutre ? Vous êtes soldats, alors un peu plus tôt, un peu plus tard ! C'est un véritable paquet d'esquimaux glacés qu'il déposa devant la gare et, tout soldat que nous étions, nous mimes un sacré moment à récupérer l'usage de la parole. Mon chat s'était cramponné de toutes ses griffes à ma capote et il était comme nous, aussi "sonné". Enfin, je pus m'installer dans le wagon qui nous était réservé . Le chauffage marchait et une douce torpeur m'envahit bientôt. Mon chat, lui aussi réchauffé, ronronnait doucement. A METZ, je descendis, MINET sur mon épaule et allais goûter à ce que ces dames de la CROIX-ROUGE nous servaient : casse-croûte, café bien chaud, etc… Je dois dire que j'obtins un certain succès avec mon chat, devenu un splendide matou. Les mains de ces dames le caressaient tendrement et je songeais à leur caresser volontiers, moi aussi, leur petit chat. Hélas ! Je n'eus droit qu'à quelques charmants sourires ! Malgré leur dévouement, elles devaient être arrivées à un certain degré de saturation, question troufions Nous étions des centaines à défiler dans cette gare et notre propreté laissait à désirer car nous manquions de salles de bain. Par - 30°, notre cher "zizi" n'avait pas tellement envie de faire trempette. Dans l'eau, je m'entends! Quand je débarquais enfin à TROYES et que j'arrivais chez ma mère celle-ci, qui ne m'attendait pas, éclata en sanglots en m'étreignant. J'étais toujours "son petit" et elle ne pouvait se résigner à me voir soldat. Mon chat se mit à explorer la maison et se laissa facilement caresser par ma mère. Tout était nouveau pour lui - le lieu, les odeurs - et il partait à la découverte de son nouveau domaine. Je n'avais pas l'intention de le ramener au Front où il risquait de se faire trucider. Ma mère, d'ailleurs, fut d'accord pour le garder. Bien vite, j'abandonnais mes vêtements militaires pour ma chère tenue civile et me rendis chez ma fiancée, avec laquelle je passais la soirée. Nous étions très sages, tous les deux, car lors de ma précédente permission, alors que nous allions céder à l'émoi de nos sens, elle avait éclaté en sanglots. Bouleversé, je lui avais demandé la raison de ses larmes et elle m'avait dit : - GERALD, je suis à toi, tu le sais ! Mais j'avais toujours espéré que tu saurais attendre pour m'offrir la nuit de noces, dont j'ai toujours rêvé ! Elle n'avait que 18 ans à peine et ses parents, d'origine italienne, l'avait élevé dans le respect des traditions. Emu moi aussi jusqu'aux larmes, je l'avais serré bien fort sur mon coeur et lui avais promis d'attendre. Je vais donc, dans les lignes qui vont suivre, aborder le problème de la sexualité ! J'ai longuement réfléchi sur l'opportunité d'un tel sujet dans un récit destiné à des Archives. Puis, j'ai pensé que mon récit serait tronqué si je ne parlais pas de ce qui était une des préoccupation majeure des soldats, j'ai nommé: le sexe. Nous n'étions pas des saints, pas des dieux, mais simplement des hommes. Beaucoup d'entre nous, mariés, avaient eu une vie sexuelle régulière. D'autres avaient des maîtresses ou avaient eu des expériences qui les avaient marqué. Nous vivions tous sur des souvenirs et sur des espérances. Je n'échappais pas à la règle ! En dehors de ma fiancée, pour qui j'avais un profond respect, j'avais parmi mes relations affectives une voisine un peu plus âgée que moi qui exerçait (comme une véritable profession de luxe !) le commerce de ses charmes qui étaient magnifiques. En tant que fille intelligente, elle n'avait que trois ou quatre riches protecteurs qui lui permettaient une vie confortable. Avec moi, c'était différent car elle m'aimait bien et me donnait parfois son corps à caresser. Elle me disait souvent : - Tu sais, GERALD ! Ce sont des filles comme moi qui font les meilleures épouses. Moi, j'aurai bien vécu et je ne souhaite qu'une chose : vieillir avec un homme qui sera mon petit mari, pour qui je serais pleine d'intentions ! Moi, je me contentais de sourire à ces allusions à peine déguisées, quand à l'avenir ! Donc, peu de temps après mon arrivée, j'allais trouver cette voisine qui me sauta au cou, en me disant : - Tiens ! Voilà mon amant de coeur ! Mon petit soldat chéri ! Comme à chaque fois, ses baisers me mettaient dans tous mes états et, s'étant assurée manuellement de l'effet produit, me dit en rigolant : - Et impatient, en plus de cela ! Mais, mon petit, il te faudra attendre ! J'ai pour ami un Colonel assez exclusif. J'essaierai de me libérer demain soir et si tu le veux bien, tu m'attendras devant l'Hôtel X, à 9 heures du soir. Je ferai tout mon possible pour t'offrir une grande nuit d'amour ! J'étais aux anges. Je l'embrassai et la caressai encore un peu, puis pris congé avec la promesse du lendemain. La journée d'attente fut interminable, puis le soir arriva enfin. J'étais briqué comme un sou neuf et comme ma mère s'étonnait du grand soin apporté à ma toilette ,je lui affirmai que je sortais avec des copains. Mais elle ne fut pas dupe et me fit des recommandations sur les femmes de mauvaises vies qui transmettaient des maladies honteuses. A cette époque, c'était la grande trouille des jeunes gens car il n'existait pas encore de ces remèdes miracles qui vous guérissent une "chaude-pisse" en 48 heures. Je la rassurais de mon mieux et partis tout guilleret. Une demi-heure plus tard, j'arpentais le bitume devant l'Hôtel dans l'état que vous pouvez imaginer. Trois quarts d'heure plus tard, j'avais compris que le Colonel avait pris le pas sur le pauvre bidasse que j'étais et me mis à errer tristement dans ma ville sans lumière car nous étions en guerre. Soudain, je reçus la lueur d'une lampe électrique en pleine poire. Alors qu'un "Tu montes, chéri !" retentissait à mes oreilles, je saisis la main tenant la lampe et la retournai en direction du visage de celle qui m'avait interpellé. Ma fois, elle était agréable à regarder ! Elle devait avoir dans les 35 ans, avait de beaux cheveux châtains bouclés et une bouche engageante. Je n'étais encore jamais allé avec une fille exerçant le métier de pute dans la rue car je tenais bien trop à ma santé. Des copains sportifs, avec qui je pratiquais de la bicyclette, n'avaient pas ces scrupules et souvent, à la sortie des réunions, disaient en rigolant : - On va s'en faire tailler une ! Et c'était à qui arriverait le premier chez la "spécialiste choisie " ! Ils me disaient : - Viens donc ! Comme cela, on ne risque rien! Mais, j'avais toujours refusé de les suivre. Ce soir là, c'était différent. J'avais besoin d'une femme, de ses caresses, de sa chaleur et je ne pus résister. Timidement, je lui demandais si elle pouvait me faire une "petite fantaisie". Je l'entendis rire et me répondre : - Bien sûr ! Si tu as quinze francs à dépenser ! Je n'étais pas riche, ayant donné la presque totalité de ma prime de combat à ma mère, mais j'avais de quoi payer. Je lui répondis : - Va ! Je te suis ! Quand elle monta les escaliers devant moi, elle me donna à admirer de jolies jambes, surmontées d'une non moins belle croupe qui ondulait à chaque pas. A peine la porte ouverte, j'étais déjà prêt à engager la "bataille". L'intérieur de la chambre était propret, pas luxueux certes, mais le grand lit était accueillant. Je regardai la fille qui m'observait en me détaillant. Elle était vraiment "appétissante", gracieuse et n'arrêtait pas de me sourire. Elle me dit : - Tu es bien jeune ! Quel âge as-tu ? - Vingt-deux ans, cette année ! - Et tu n'es pas soldat ? - Si ! Je suis sur la ligne MAGINOT, dans la nature ! - Oh ! Mon pauvre petit, comme tu as dû avoir froid ! Allez ! Déshabille-toi complètement, je vais te la faire oublier ta ligne MAGINOT ! Avant de vous raconter la suite, je veux rendre hommage à ces femmes que bien souvent la vie, plus que le vice, a condamné à exercer ce "métier". Elles savent être douces, compréhensibles, chaleureuses. Leur expérience en fait des psychologues et elles savent, mieux que beaucoup d'autres femmes, faire oublier les mauvais jours. Quand je me retrouvai tout nu devant cette inconnue, je ne fus pas intimidé. Elle se montrait maternelle, douce. Elle s'approcha de moi avec une cuvette qu'elle me demanda de tenir devant moi. S'emparant de mon sexe, elle entreprit de faire une toilette intime qui, déjà pour moi, était le paradis. Sa main savonnée s'attardait sur mon ventre, mes cuisses, mes fesses. Elle ne semblait pas pressée et contemplait tendrement l'effet de ses manoeuvres érotiques. C'était vraiment du "grand art " ! Dès que je fus bien propre et essuyé par une serviette chaude, qui ajoutait encore à l'effet produit, elle me poussa vers le grand lit où je m'allongeai, un peu anxieux de la suite des événements. A son tour, elle quitta ses vêtements en un streep-tease consommé, me donnant son corps à contempler. Elle avait des formes pleines,des seins lourds mais fermes, des fesses charnues qui auraient inspiré RUBENS et un sexe qui paraissait petit entre ses deux cuisses bien remplies et lisses comme un miroir. Elle s'allongea à mes côtés et commença à m'embrasser le cou, les épaules pendant que ses mains - très actives - parcouraient tout mon corps en touches savantes et délicates. Je me mis à gémir de plaisir ! Puis sa bouche descendit, sa langue parcourut mon ventre, ses petites dents me mordillèrent et mes mains sur son corps se firent, elles aussi, caressantes. Elles effleuraient des seins dont les grosses pointes avaient durci, me prouvant que ma partenaire n'était pas insensible à mes caresses. Elle se tourna doucement en m'enjambant carrément, mit son sexe au-dessus de mon visage: ce qui exprime le désir qu'elle avait d'une caresse réciproque. Mais, je songeai qu'elle était une prostituée et me contentai de la couvrir de ma main brûlante, comme une braise. Pendant de longues minutes, elle me retourna, me caressa au plus intime de ma personne et, sentant que je ne pourrai résister plus longtemps, s'empara goulûment de mon sexe qu'elle ne consentit à libérer que lorsque complètement épuisé, "vidé", je l'eus supplié de me laisser reposer. J'étais anéanti ! Jamais de ma vie, je n'avais éprouvé un tel plaisir et elle paraissait heureuse du résultat obtenu. Elle continuait à me donner de petits baisers sur le corps, me contemplant, me parlant gentiment. - Alors, mon petit soldat heureux ? Moi, je revenais doucement du paradis ! Soudain, comme prise d'une subite inspiration, elle me dit : - Veux-tu passer la nuit avec moi ? Je te promets que tu ne le regretteras pas. Tu sais ! Je suis en bonne santé. Je suis en carte et surveillée médicalement. Tu n'as aucune crainte à avoir car je m'entoure de précautions. J'ai bien senti que tu étais réticent pour certaines choses. Mais je te demande de me faire confiance. Seulement, je ne peux passer la nuit avec toi, gratuitement. J'ai des comptes à rendre, tu comprends ! Il me faut 50 Frs: c'est le minimum que je puisse te demander ! Je lui expliquai alors qu'à part les 15 francs que je lui avais donnés, j'étais fauché et elle eut l'air vraiment déçue. Souriante, elle m'avoua :- Tu sais ! Ce n'est pas souvent que j'ai un "petit pigeon" comme toi, dans mon lit. J'aurais tellement voulu te garder, cette nuit ! Et elle ajouta encore, l'air gourmande : - Si tu savais ce que tu perds ! Je rigolais et lui fis une grosse bise sur la joue: - Je te remercie, tu sais ! Je vais te faire un aveu : jamais de ma vie, je n'ai éprouvé un plaisir aussi intense. Quand je serai là-bas de nouveau pour mes copains, le soir en leur parlant de toi, je revivrai ces moments que tu m'as fait connaître ! Elle me regardait, émue, et je lui dis encore : - Tu es vraiment une brave, une bonne fille et, en plus, tu es vraiment une belle "nénette " ! - Tais-toi ! Donnes-moi plutôt une cigarette ! On va en griller une ensemble, en bavardant, en parlant de toi ! Un peu plus tard, je la quittai avec regrets. Elle me fit promettre de revenir la voir à ma prochaine permission. Nous nous serrâmes la main avec beaucoup d'émotion et quand je m'éloignais lentement, heureux, comblé j'entendis son pas marteler le trottoir. Dans le froid de la nuit, elle avait repris son sale boulot ! Je ne sais même pas son nom ! Je ne devais jamais la revoir et pourtant, elle est restée gravée dans mes souvenirs, dans la petite place réservée à ceux ou celles qui ont mérité ma gratitude ! Le lendemain, je rendis visite à ma voisine qui, d'entrée, s'excusa : - Tu sais ! Mon Colonel m'a gardé toute la nuit ! - Eh bien ! Tant mieux, il a rudement bien fait! Elle me regarda, interloquée : - Comment ? Tu n'as pas attendu ? - Oh si ! Trois quarts d'heure puis, en partant, j'ai été récupéré par une pute qui a été très gentille. J'en suis encore sur les genoux ! Sa réaction fut surprenante : - Salaud ! Tu n'es qu'un salaud ! Fous-le camp, je ne veux plus te voir. M'avoir fait ça à moi, qui t'avait tant promis ! Mais, sa colère me laissa froid. Je lui dis : - Si tu le prends comme cela, d'accord ! Je fous le camp. D'ailleurs, je n'ai vraiment plus besoin de tes services pour le moment ! Je n'eus que le temps de mettre la porte entre moi et un objet volant non identifié qu'elle me balança violemment. Elle aussi, je ne devais plus la revoir ! Je sus plus tard qu'au Colonel français succéda un Commandant allemand pour finir par un Capitaine américain qui, normalement, devint en AMERIQUE un petit mari comblé, bichonné par une petite Française bien sage mais qui, comme toutes les Françaises, n'avait pas son pareil pour vous faire mettre les doigts de pieds en éventail. Ainsi va la vie ! J'avais également d'autres relations féminines, particulièrement deux petites dactylos avec qui j'avais travaillé et un peu flirté : il y avait la blonde RENEE et la brune LUCETTE. J'avais été longtemps amoureux de cette dernière qui avait mon âge. Elle représentait pour moi la femme de mes rêves avec sa peau ambrée, ses beaux cheveux noirs et son profil de médaille. Hélas ! Elle me trouvait un peu "chien fou" et si elle m'avait accordé quelques baisers, sa vie sentimentale était ailleurs. Pourtant, à la déclaration de la guerre, elle m'avait proposé d'être ma marraine, comme cela se faisait, et j'avais accepté avec joie. Elle m'envoyait des lettres gentilles, amicales et m'avait même tricoté un pull-over chaud bleu marine auquel je tenais beaucoup. Je profitais donc de ma permission pour rencontrer ces demoiselles avec qui j'allais prendre un "pot de l'amitié". LUCETTE profita de l'occasion pour me remettre une obole que je refusais, sachant qu'elle n'était pas très argentée. Mais, elle insista tellement avec son beau sourire qu'un peu honteux, je finis par céder. Quand je la regardais, j'étais, malgré moi, très ému. Qu'étais-je vraiment pour elle ? Un copain? Seulement un copain ? Si j'étais fiancé à une autre fille, n'était-ce pas parce qu'elle avait toujours dit "non" à mes prétentions ? Secrètement, j'avais eu des regrets, mais la vie en avait décidé ainsi. Je restais fidèle à mes pensées d'avenir avec ma petite NINA. Je passai un bon moment avec mes copines en blaguant sur HITLER, sur ma vie sur le Front. Il y avait pour moi, en arrière-pensée, le moment du retour qui approchait : le froid, la neige, les gardes, les corvées, les dangers et, surtout, le grand point d'interrogation que constituait l'avenir. J'avais foi en mon étoile et j'étais persuadé que je m'en tirerai intact ! D'ailleurs, j'étais le seul de ma compagnie à ne pas avoir de bracelet d'identité. L'Armée m'avait oublié et je ne l'avais jamais réclamé. Je disais toujours à mes copains : - On a numéroté vos abattis, pas les miens. Vous ne trouvez pas que c'est bon signe ? Quand nous nous quittâmes, mes amies et moi, j'eus droit à la bise et celle de LUCETTE fut un peu plus appuyée. Décidément, celle-là me ferait vite perdre les pédales ! Et le jour du départ arriva. Ma fiancée était sur le quai avec moi, toujours sérieuse et tendre. Quand nous nous dîmes "adieu" - alors que je l'embrassais longuement - mes yeux, comme attirés par une force inconnue, se portèrent sur le pont qui enjambe les voies ferrées de la gare de TROYES. Et j'eus la joie de voir mes deux copines venues assister à mon départ et LUCETTE qui, discrètement avec un petit signe de la main, me disait un "au revoir" qui ne pouvait être un adieu. Dans le train, où je somnolais, je revivais ces dix jours de bonheur. Mon coeur était empli de gratitude pour ces femmes qui, à des degrés divers, m'avaient communiqué leur chaleur humaine, leur bonté. Elles étaient notre bonheur et comptaient sur nous pour les protéger ; elles devinaient nos souffrances et savaient les apaiser. Dans la guerre, la femme sait se sublimer et ma tendresse lui était dédiée !Je ne regarde même pas le paysage, je n'entends même pas les gars qui m'entourent parler de leurs exploits. Les musettes sont pleines, le pinard circule et les voix se font plus fortes. Qu'importe, je suis dans mon rêve ! Je sais qu'un compagnon me manquera à mon arrivée. MINET n'est plus sur mon épaule et j'ai versé une larme en le quittant. Je lui ai parlé comme à un gosse : - Tu sais, MINET ! C'est pour ton bien, avec moi, tu serais peut-être tué ! Et puis, regardes toutes ces chattes que tu as honorées. Tu vas en avoir des rejetons, petit salaud ! Tu sais ! Je reviendrai un jour et tu resteras avec moi, le reste de ta vie ! Hélas ! Je ne devais plus revoir MINET. Après mon départ, il s'était réfugié dans le grenier où je bricolais et n'en avait plus bougé refusant de s'alimenter. Un matin, ma mère avait trouvé mon superbe chat, allongé au pied de mon établi. MINET était mort d'amour et d'ennui ! Et moi, comme un gosse, j'ai pleuré longuement, sans pudeur en lisant la lettre de ma mère, m'annonçant la triste nouvelle. A mon retour, je retrouvai la neige, le froid, mon Adjudant-Chef et tous les problèmes que j'avais oubliés. Le soir, je racontai ma perme aux copains, n'omettant aucun détail et, comme les Contes des Mille-et-une-Nuits, je dus encore entretenir cette petite flamme d'espoir qui brûlait en chacun de nous. Et puis, la routine reprit dans sa monotonie. Petit à petit, le froid devint moins vif. Parfois, un timide souffle tiède évoquait le printemps et la fonte des neiges arriva, provoquant une véritable débâcle. L'eau ruisselait de partout, rendant les routes impraticables. Il y avait, au-dessus de la contre-pente où nous étions installés, un groupe d'artilleurs avec leurs canons "155" courts braqués sur la ligne SIEGFRIED. Les artilleurs s'étaient enterrés dans un abri confortable que j'avais visité. Je m'étais étonné de voir cette installation, juchée sur le plateau dominant notre colline, sans aucune possibilité d'évacuation des eaux. Notre Adjudant-Chef n'aurait pas commis une telle erreur, lui, qui nous faisait creuser des drains pour tous nos ouvrages ! Je leur avais posé la question : - Et à la fonte des neiges ? Ils m'avaient répondu, avec un bel ensemble : - Ça ne risque rien ! On a tout prévu ! Au début du dégel, ils avaient effectivement déblayé la neige, tenté de creuser le sol pour faciliter l'écoulement de l'eau. Mais, hélas pour eux, le sol était gelé en profondeur et la flotte commença à monter rapidement dans la cagna si bien qu'un matin, lorsque j'allais leur rendre visite, je ne trouvais plus personne : l'eau arrivait à hauteur du plafond, même les canons étaient restés sur place et s'enfonçaient lentement dans le sol détrempé. La nourriture n'était pas variée : boeuf en daube, pommes de terre, fayots, etc… et les gars se plaignaient. Je décidai, dans la mesure du possible, d'améliorer l'ordinaire. J'avais remarqué qu'il y avait toujours, devant les cuisines, un énorme quartier de boeuf suspendu à un crochet. C'était la ration du jour qui attendait d'être transformée en daube. J'avais repéré également l'endroit où était stockée la végétaline. En faisant la queue pour toucher très vite la ration de mon groupe, je pouvais me procurer un peu de graisse : ce que je fis à la première occasion. En arrivant à notre cagna, j'annonçai à mes copains : - Ce soir, casse-croûte de chômeur ! Ils me regardèrent, ébahis...Qu'es aco ? - Vous verrez bien, c'est une recette de ma mère quand nous n'avons plus rien à bouffer à la maison ! Je m'étais procuré également de l'ail et du gros sel. Le soir, je récupérai tout le pain que je pus trouver et le coupai en tranches. Je mis la gamelle du groupe sur un bon feu de braises et fis fondre la végétaline dans laquelle je mis le pain à frire. Quand il était doré à point, je le sortais, le frottais vivement avec de l'ail et le parsemais de gros sel. Personne ne connaissait cette recette, n'ayant jamais "crevé la dalle" comme moi, dans ma jeunesse ! Ils se regalèrent littéralement et me firent promettre de recommencer. Je leur répondis : - Ne soyez pas impatients, les gars ! Samedi, ce sera bifteck-frites ! Le Dimanche, j'allais chercher la soupe. J'avais un couteau très affûté dans ma poche. En prenant la file, je m'arrangeai pour faire en sorte qu'elle se rapproche du mur, donc de la viande convoitée, et réussis ma manoeuvre. Nous devions passer à 50 centimètres d'un demi-boeuf et alors qu'il me restait encore 3 ou 4 mètres à parcourir, je préparai mon couteau et visai l'endroit où j'allais entailler la barbaque. Ce fut un véritable assassinat ! Le couteau allait, venait dans cette maudite bête qui ne songeait même pas à réagir ! Le trouffion derrière moi se bidonnait comme un connard et moi malgrè le froid,je commençais à transpirer. Je surveillais les abords tout en cisaillant ce morceau qui tardait à se détacher. Enfin, un dernier coup. Hop ! Il était à moi. Je le mis tel quel sous ma capote et l'air innocent, je tendis mon bouteillon au cuistot, qui n'avait rien vu. Je m'empressai de déguerpir et rejoignis triomphalement mon équipe. - Allez, au peluches, les gars ! Taillez les frites, je me charge du reste ! Les pommes de terre ne manquaient pas et nous en avions toujours une petite réserve. Et c'est ainsi qu'en ce Dimanche de Février, ce fut une petite fête parce que des steacks un peu durs avaient remplacé la sempiternelle daube. Comme vous voyez, j'avais fait mien le sacro-saint principe militaire. Le" démerdez-vous", étant en passe de devenir une véritable institution! Mais, n'allez pas croire après cela que je suis un type malhonnête ! Je tiens à votre disposition de nombreux témoignages de ma probité et ne réprouve rien de plus que le vol. Vous lirez, plus loin dans ce récit, comment on pouvait se débrouiller pour vivre et, surtout, pour survivre ! J'avais eu très faim dans ma prime jeunesse. Dès l'âge de 9 ans, j'allais derrière la charrue des paysans ramasser les pommes de terre oubliées lors de la récolte et, bien souvent, cuites sous la cendre, avec seulement un peu de sel : ces pommes de terre constituaient mon seul repas ou bien une tête d'ail et toujours un peu de sel. Je n'avais pas oublié, je n'oublierai jamais ! C'est au mois de Mars qu'arriva enfin ma nomination au grade de Caporal et cela me fit plaisir. Deux jours après, je fus désigné comme Chef de Poste pour une nuit de garde. Il faisait encore très froid avec du brouillard et l'humidité nous transperçait. Mais, enfin, j'allais rester "au chaud "… Je n'aurai qu'a assurer la bonne marche de la garde du Poste de Commandement du Colonel. Jusqu'à deux heures du matin, tout se passa bien. Je sommeillais sur la couchette prévue pour le Chef de Poste. J'entretenais le feu, faisais chauffer le café que nous avions à profusion et veillais à ce que le tour de garde soit bien respecté. Aux environs de deux heures et demi, le "petit" CHASSAGNE - notre "marmotte" - qui avait assuré la relève devant l'entrée de la ferme pénétra dans le poste. Je l'interrogeai : - Qu'est-ce qui se passe la "marmotte " ? - Rien ! J'ai froid ! Je ne veux pas crever, j'veux du café ! Je lui répondis : - Bois et va reprendre ton poste, en vitesse ! Alors, il me fit un de ces "cinémas " : - Oui ! Maintenant que tu as des galons, tu vas devenir vache. Tu n'as pas pitié de moi ! Qui veux-tu qu'il vienne à cette heure-ci ? Puis, il se fit suppliant : - FUFU, laisse-moi "au chaud", je craque ! Je t'en prie, FUFU ! J'étais emmerdé comme jamais je ne l'avais été ! Je regardais son petit nez plus rouge qu'à l'accoutumée, ses yeux larmoyants, ses lèvres tremblantes et j'avais pitié de lui, notre petite "marmotte" projeté dans cette galère pour laquelle il n'était pas fait. Je décidai d'un compromis : - Ecoute JEAN ! Tu restes équipé devant la porte, à l'intérieur bien sûr et ton quart à la main. Au moindre bruit, tu sors. Tu sais ce que je risque par ta faute. Moi, quand j'étais de garde, je n'aurais jamais osé demandé cela au Chef de Poste. Tu n'as plus qu'une demi-heure à tirer. J'espère que rien n'arrivera ! Il y avait à peine un quart d'heure que ces paroles avaient été échangées lorsque la porte s'ouvrit sous une violente poussée. Le Lieutenant MANTELET se dressait devant nous, imposant, glacial derrière ses lunettes. Je fermai vivement les yeux pour faire croire que je somnolais. L'Officier interrogea CHASSAGNE : - C'est vous qui êtes de garde ? - Oui ! Mon Lieutenant ! - Pourquoi n'êtes-vous pas à votre Poste ? - J'avais froid ! Je suis venu prendre un peu de café ! - Où est le Chef de Poste ? - Là ! dit CHASSAGNE, en me désignant. Mon Supérieur s'approcha de moi et me braqua sa lampe dans les yeux : - Ah ! C'est encore vous, FUSSINGER ! Vous aurez de mes nouvelles demain ! Et il sortit sur ces menaces. Je passais le reste de la nuit à gamberger sur mon avenir. CHASSAGNE avait terminé sa garde à son poste. Ingratitude humaine, il ne s'était pas excusé et ne m'avait même pas remercié ! On m'avait prié d'assister au rassemblement du matin, alors qu'ayant été de garde, j'en étais normalement dispensé. Je me doutais que j'allais être sur la sellette . A l'appel de mon nom, je sortis du rang. Un silence de mort s'était établi. Merde ! Je n'étais quand même pas le Capitaine DREYFUS ! Le Lieutenant MANTELET tenait un papier à la main, ce document était la sentence.Il commença à lire lentement, distinctement et moi, j'avais la gorge serrée. Quel était mon crime ? Une fois de plus, j'étais victime de mon bon coeur ! Je me disais : "A l'avenir, si j'ai encore des galons, je serai impitoyable. FUFU, tu vas payer cher ton apprentissage de gradé". " Le Caporal FUSSINGER, étant Chef de Poste la nuit dernière, a autorisé le soldat CHASSAGNE qui devait assurer la garde devant le Poste de Commandement du Colonel, à pénétrer dans le Poste pour boire du café ! En conséquence, le Caporal FUSSINGER est condamné ...-Ma gorge se serre, je n'ai plus de salive.- … est condamné à 4 jours de prison. La sentence prendra effet à partir de ce jour". Ouf ! Merci encore, mon Lieutenant ! Dans tous règlements, il y a la lettre et l'esprit. Vous avez pour moi, une fois de plus, fait le bon choix! Je me surpris à sourire discrètement. Il n'y avait pas de prison à la ferme, alors la condamnation restera symbolique ! Hélas pour moi ! Le Lieutenant MANTELET avait tout prévu. Il y avait dans un de ces bâtiments, constituant cette ferme imposante, un petit réduit haut d'un mètre environ, mais assez profond et fermé par une porte où un petit coeur découpé dans le bois faisait office d'aérateur. Habituellement, en temps de paix, ce lieu servait de bauge à cochons. Ce réduit avait été nettoyé, garni de paille et c'est en cet endroit encore parfumé qu'un Sous-Officier m'enferma, en se marrant. - On viendra te chercher quand tu seras bien gras ! La vache ! Je n'avais pas envie de rire, moi ! J'avais bénéficié d'une couverture, la paille était confortable. Que voulez-vous que fasse un bidasse brisé par les émotions et une nuit de veille ? Une demi-heure plus tard, je dormais du sommeil du juste, la conscience en paix. Dans le fond, je crois que j'étais un foutu soldat : "un cas" en quelque sorte ! Ce fut pour moi quatre jours de repos coupés par quelques sorties pour les besoins naturels, la toilette et les repas. J'étais le premier taulard de la compagnie et, parfois, une tête venait masquer le jour qui pénétrait parcimonieusement par la lucarne, alors qu'une voix souvent narquoise me disait : "Ça va là-dedans ?" , assimilé à mon rôle de cochon, je répondais comme il se doit par un grognement. Qu'on me laisse méditer en paix ! C'est si bon de pouvoir se replier un peu sur soi-même. J'en avais parfois marre de cette promiscuité continuelle où tout se faisait en commun. Etre seul, pouvoir rêver, pouvoir s'évader, ne serait-ce qu'un moment du quotidien ! J'avais actuellement cette possibilité de faire le point, de m'interroger sur moi-même. Je me rendais compte que je n'étais pas un soldat standardisé. Je voulais comprendre les ordres que je recevais. Je savais bien que le manuel disait en substance : "La discipline est la force principale des Armées" C'était sans doute vrai, mais les ordres reçus demandaient parfois réflexion car c'est ma peau qui était en jeu. Pourquoi cette réflexion venait-elle me troubler ainsi ? Par rapport aux autres, aux copains, qui étais-je ? Un modèle ou un exemple à rejeter ? Et mon Adjudant-Chef, qu'allait-il penser de moi ? Au fait, pourquoi ce souci au sujet de cette terreur d'Adjudant-Chef ?Je ne m'expliquais pas vraiment ma mansuétude vis-à-vis de ce gradé qui m'en avait fait baver, qui avait failli me faire "passer le falot". Je n'avais ni haine, ni rancune envers lui. Il faisait son métier strictement selon sa conscience, ses principes. Lui et moi, chacun dans un registre différent, étions semblables et dans un contexte autre, peut-être, aurais-je été heureux d'être son ami ? Mais, pour l'instant, il était le pou-chef et moi, je moisissais sur la paille par la faute d'un copain qui avait joué avec mes bons sentiments. Et puis, j'essayais de me remonter le moral. Je me disais : "Tu es FUFU dans ta tour d'ivoire. Tu seras toujours intouchable. Il y a de la force en toi. Ne te laisse plus jamais surprendre, sois toujours sur tes gardes et restes toujours dans le droit chemin, selon ta conscience. Il y va de ton honneur et de ta dignité d'homme car maintenant tu es un homme et comme tel, ton comportement sera toujours exemplaire". Ce serment, fait à moi-même dans une soue à cochon, un mois de Mars 1940, je ne devais jamais y faillir et suis si heureux - 46 ans plus tard - de pouvoir me raser chaque matin, sans avoir à rougir d'une mauvaise action, d'une lâcheté me revenant en mémoire. Au bout de 4 jours qui somme toute passèrent rapidement, je regagnais mon abri du bas, sans avoir eu à encourir les "foudres" de mon Adjudant-Chef. J'avais payé ! L'incident était clos et je repris mes occupations habituelles, après avoir cousu mes "sardines" sur mes manches. Dans le fond, j'étais fier de la première promotion de ma vie ! Quelques jours plus tard, j'appris que mon Adjudant-Chef avait été promu au grade de Lieutenant. Allait-il changer ? Serait-il plus humain, moins coriace avec ses hommes J'en étais à ruminer ces réflexions quand FAVROT - le Secrétaire- Téléphoniste du Poste de Commandement du nouveau Lieutenant - vint me chercher : - Allez, FUFU ! Le Pou-chef voudrait te voir ! Merde ! Ça y est ! L'heure du "savon" avait sonné. Il ne me lacherait jamais les "pompes", celui-là ! C'est dans cet état d'esprit que je pénétrai dans l'abri de l'ex-Adjudant-Chef. Je fis un salut impeccable, bafouillais un "mes respects, mon Ad… mon Lieutenant" en même temps que mes yeux se tournaient vers la table où trônait une bouteille de champagne, entourée de trois verres et d'une boîte de biscuits. Le nouveau Lieutenant avait saisi mon regard, et esquissant son espèce de sourire - grimace habituelle - laissa tomber ces étranges paroles : - Selon la tradition, j'arrose mes galons. Comme mes moyens ne me permettent pas de payer à boire à tout le monde, je trinque avec celui pour qui j'ai le plus d'estime ! La "foudre" me serait tombée aux pieds que je n'aurais, sans doute, pas eu l'air plus con et surpris. Quarante-six ans après cette scène, mes yeux s'humidifient encore d'émotion ! Ainsi, cet homme redoutable avait un coeur, des sentiments qu'il pouvait exprimer par un geste qui me bouleversait. Je "perdis les pédales" pour la première fois devant lui. Je bafouillais - … Je croyais, mon Lieutenant, qu'entre vous et moi… - Quoi entre vous et moi ? Vous voulez parler de vos conneries ? Son sourire s'accentua : - Elles prouvent que vous avez du caractère et du coeur. Sachez faire la part des choses et vous serez un bon, un très bon soldat ! - Merci mon Lieutenant ! Je m'attendais si peu à vos paroles que j'ai du mal à reprendre mes esprits ! Alors, il ajouta, soudain redevenu sérieux : - Et quand ça va chauffer, vraiment chauffer, on verra lequel de nous deux aura le plus de couilles au cul ! J'éclatai derechef de rire : - On verra, mon Lieutenant ! Pour ma part, je penche pour un match nul ! FAVROT, qui avait assisté en témoin muet à cette scène, versa le champagne et c'est dans l'euphorie, en écoutant quelques souvenirs de notre nouveau Lieutenant, tout en grignotant des biscuits, que se termina la soirée. J'avais demandé à FAVROT de ne pas parler de cette scène aux copains. Incompris, ils m'auraient - sans doute - traité de "fayot" et je ne pouvais pas tolérer une chose pareille. Cette scène m'avait marqué profondément et je savais maintenant que certains hommes cachent, sous une "carapace" apparemment invulnérable, un coeur, des sentiments qu'ils n'expriment jamais. Pour ma part, en regardant toujours Monsieur PELT (je dis "Monsieur" car, pour moi, il en était un et très grand) droit dans les yeux, non pour le défier mais pour lui faire comprendre que je n'étais pas un robot, que moi aussi j'avais une âme, une volonté. Simplement en accordant mes actes avec cette fermeté, j'avais su trouver la faille. Nous ne nous sommes jamais serrés la main car le Règlement l'interdit et quand, quelques jours plus tard avec mon barda sur le dos, je partis pour ma nouvelle affectation de Chef de Poste-Radio au Poste de Commandement du 3ème Bataillon, il était devant son abri. De loin, je lui fit un salut où je mis toute mon âme et je savais que dans le sien, il y avait de l'affection et de la tristesse. Son emmerdeur le quittait…Je ne devais jamais le revoir mais où qu'il soit actuellement, sur terre ou au ciel, qu'il sache que je lui voue une amitié éternelle ! Sans le savoir, il a aidé le gamin que j'étais à devenir un homme. Merci encore ! Merci Lieutenant PELT Mon Lieutenant ! Dès que j'arrivai à la ferme BOMBACHEROFF - lieu de ma nouvelle affectation - je me présentai devant les gradés et constatais qu'ils avaient tous de bonnes "bouilles". Principalement le Chef de l'Etat-Major, le Commandant SOURIAU qui, dans le civil, était le Doyen de la Faculté de Lettres de NANCY. Un Sous-Officier m'emmena vers mon nouvel abri et me présenta mon équipe dans laquelle j'eus la joie de reconnaître Roland CHAILLEUX, mon meilleur ami et Clémentine, notre petite folle, artiste lyrique dans le civil plutôt porté vers le sexe fort, bien que vivant avec une femme anglaise non conformiste. Nous l'avons baptisé "Clémentine" avec un peu de tendresse car il ressemblait plus à une fille qu'à un garçon et son uniforme lui seyait comme un tablier à une vache. Il était imberbe, avait une peau de pêche et des yeux de gazelle. Un jour, j'avais même surpris un copain - un vrai dur - qui l'avait pris par la taille et lui avait "roulé un vrai patin", comme au cinéma ! Clémentine n'avait pas protesté et lui disait même: - Eh ! Tu n'embrasses pas mal pour une grosse brute Le copain, remis de ses émotions, m'avait dit : - Tu m'excuseras ! Mais je suis en état de manque ! Et moi, j'avais bien rigolé en regardant Clémentine disparaître. Il y avait dans mon nouveau groupe, constitué d'une douzaine de soldats, des types plus âgés que Roland et moi-même. Quelques-uns étaient Radios, la plupart Téléphonistes. Parmi eux se trouvaient des Parisiens, des Vosgiens et des Chtimis. Ils me regardaient tous comme une bête curieuse et sans aménité. Il n'y avait jamais eu de gradés, même un "cabot" comme moi dans leur abri et je devais faire figure d'emmerdeur. Je devrai jouer serré pour m'imposer ! Quand je pénétrais dans l'abri souterrain, je fus tout de suite édifié : un vrai bordel, mon lit un tas de fumier, le sol jonché de saleté, en guise de poêle un bidon de 200 litres avec un vieux tuyau émergeant à tous les vents. Je réunis les gars et pris la parole. J'utilisais un langage direct et franc : - Je ne suis pas ici pour vous emmerder mais, au contraire, pour vous aider à mieux vivre ! Je ne veux plus de ce bordel et dans les jours qui vont suivre, je vais essayer de faire de cet abri quelque chose qui ne ressemble pas à une porcherie ! Un Chtimi m'interrompit : - Toi, le "cabot " ! Tu ne vas pas commencer à nous faire chier. On s'est très bien passé de toi jusqu'à présent et on n'a pas l'intention de changer quoi que ce soit ! Je sentis la colère m'envahir et je me contins avec difficulté. C'était pourtant le moment de m'imposer car ils attendaient tous ma réaction. Je ne porterai pas un motif, ce qui m'aurait déconsidéré. J'emploierai la seule méthode valable avec ces rudes gars du Nord : la force. - Je n'ai pas l'intention de me servir de mes modestes "sardines" pour obtenir satisfaction. J'ai d'autres arguments pour ceux que ça pourrait intéresser ! Et je montrais mon poing droit. - S'il y a des contestataires parmi vous : c'est maintenant ou jamais. Je pose ma veste et on va s'expliquer là-haut. Quoiqu'il arrive, je vous donne ma parole que cela restera entre nous ! Les gars se regardèrent, médusés. - Alors, on est d'accord ? Je les fixai un par un comme le pou-chef l'avait fait pour nous, au début de la guerre. Vous en souvenez-vous ? Et tous opinèrent du chef avec, je dois l'avouer, quelques réticences. Mais, je venais de gagner la première manche et revenu prendre l'air en surface, j'eus le plaisir de voir un Parisien, âgé de 35 ans environ, venir vers moi et me dire : - Bravo ! Ça va enfin changer ! J'allais ensuite voir le Sous-Officier, directement responsable de nous, et lui fis part de mes projets de réorganisation. Il me dit : - Vous avez "carte blanche" pour faire de votre groupe un exemple. On sait que l'on peut compter sur vous. Vos gars sont braves, mais un peu portés sur la bière et quand ils ont bu, ça ne se passe pas toujours bien ! Je lui répondis : - Ne vous en faites pas ! J'en fais mon affaire. Merci Chef de votre confiance ! Il est un fait que la drôle de guerre avait provoqué à tous les échelons un relâchement de la discipline. Le Général DE GAULLE avait parlé plus tard de "chienlit" mais c'était un peu ça ! Par essence, le Français est frondeur, indiscipliné mais bien commandé, il sait être brave, généreux jusqu'au sacrifice. Il est certain que nous n'avions pas l'esprit de "CEUX DE VERDUN" et je me demandais comment ça tournerait quand il faudra "aller au charbon". Je passai donc ma première nuit dans cet abri inconfortable sur ma couche pourrie. A ma gauche dormait mon cher camarade Roland et ainsi, nous avions retrouvé la même disposition que dans notre chambrée de BITCHE. Cette cagna était faite dans le style courant préconisé par l'Autorité Militaire. D'abord, on creusait un grand trou de la dimension nécessaire et d'une profondeur de 3 mètres environ. Dans le fond, on entassait de grosses pierres et construisait un drain dirigé vers le bas de la pente. Ensuite, on coulait un radier, ainsi que les murs dans lesquels de gros cailloux étaient incorporés. Ces murs étaient hauts de 2 mètres environ et servaient de support à des rails alignés les uns à côté des autres. Puis on mettait une couche de terre, ensuite une couche d'arbres serrés les uns contre les autres. Puis,si nous avions des tôles ondulées ou du papier goudronné nous disposions cela pour assurer l'étanchéité de l'ensemble et le tout était recouvert d'une terre qui, bien vite, devenait verdoyante. A chaque extrémité, une sortie était prévue et ces ouvertures étaient obturées avec les moyens du bord. Ensuite des couchettes étaient installées et, pour ce faire, nous disposions de bois de mine et de planches. Mais ce matériel arrivait au compte-gouttes et vous avez lu au début de cet ouvrage comment nous devions nous débrouiller! A l'intérieur, une table rustique et des bancs nous permettaient de manger confortablement installés,ou de jouer aux cartes ou d'écrire. A part nos lampes artisanales que je vous ai décrites plus haut, nous avions des bougies qui dispensaient leur maigre lueur et leur odeur de cire. Au petit matin, fidèle à mon habitude, je me levai tôt et gueulai : - Debout là-dedans ! - On a du boulot ! Qui s'occupe du chauffage ? - Moi ! répondit un des Chtimis. - Alors vas-y, gars ! Allume ! Je le vis fourrager dans le vieux fût de 200 litres qui tenait lieu de poêle, prendre une bouteille et verser quelques gouttes d'un liquide dont j'ignorais la composition. Il posa un couvercle sur le trou ménagé en haut du bidon et craqua une allumette qu'il présenta à la base du bidon où un trou pour le tirage avait été foré. L'effet fut immédiat. Une violente explosion retentit, le couvercle alla, avec unbruit métallique, heurter les rails du plafond alors qu'un épais nuage de cendres se répandait partout et me faisait tousser, éternuer, alors que les autres ne bougeaient pas, ne disaient rien. J'étais ahuri, stupéfait ! Je posai alors une timide question : - Vous avez l'air habitué ! Ça arrive souvent ? - Mais tous les matins ! répondirent plusieurs voix. Alors je me mis à gueuler, alors que les gars se marraient. - Je suis tombé chez les fous, ma parole ! Allumer du feu avec de l'essence dans un bidon pourri et avec vos munitions à côté. Ah ! Mais ça va changer, les gars ! Moi, je vous le dis et à partir d'aujourd'hui ! Premièrement, éteignez ce feu. Ensuite, quand vous aurez bouffé, deux zèbres viendront avec moi. On va faire un tour à BINING et nous chercherons un poêle dans une maison abandonnée. Les autres, vous sortirez ce tas de ferraille et nettoierez toute la cagna ! Vous ferez prendre l'air à vos pourritures de paillasses et vous vous démerderez pour trouver de la paille neuve ou du foin. Mes Supérieurs m'ont "donné carte blanche". Que chacun fasse son boulot et vous verrez que ce soir, tout ira mieux ! Et c'esi ainsi que sur la route qui desservait BINNING,vous auriez pu voir,un beau matin de Mars,trois trouffions suant et ahanant en traînant un magnifique poêle qui trouva bien vite sa place dans l'abri nettoyé.Je n'avais pas oublié les tuyaux et, luxe suprême,il y avait même une clé pour le tirage. Dans l'après-midi, un Chef vint aux nouvelles: - Alors FUSSINGER, ça va ? - Ça va Chef ! Je crois que j'ai une bonne équipe. Venez voir leur travail ! Il poussa un petit sifflement admiratif : - Eh bien ! Bravo les gars ! Ça a drôlement changé ! - Mais ce n'est pas fini, Chef ! Voila ce que je veux encore faire ! Et ce disant, je l'entraînai vers la sortie principale, en lui disant : - Regardez ! Si un pruneau tombe devant la porte, on y passe tous ! Il faut faire un mur en chicane et, en bout, des escaliers à la place de cette pente glissante et, de l'autre côté, prévoir également un pare-éclats ! - Mais ! Il n'y a pas de maçons ! - Et moi alors ! - Vous savez maçonner ? - Bien sûr ! J'ai travaillé dans le bâtiment quand j'avais 17 ans et un vieux maçon qui m'avait à la bonne m'a appris le métier ! - Eh bien ! Allez-y ! On verra bien ! Je m'adressai à mes gars : - Les copains, on va se faire le plus chouette abri de tout le secteur. J'ai même repéré une ligne électrique qui passe non loin d'ici. Le courant n'étant pas coupé, on doit pouvoir s'électrifier ! Ils avaient l'air de me prendre pour un malade, mais je donnai l'exemple ; petit à petit, je gagnai leur confiance. Bientôt, les pierres et le ciment s'accumulèrent près de notre abri. J'avais, moi-même, entaillé la place de mes murs dont j'entamai la construction. Je les montai, épais, solides, les plus belles pierres devant retaillées, comme pour un mur de villa, la caillasse derrière, noyée dans un mortier que je faisais riche et, bientôt, dans un arrondi majestueux, la sortie principale s'éleva. Les Sous-officiers d'abord, puis les officiers vinrent voir en curieux. Alors que j'avais presque terminé, un Sergent-chef vint avec une bouteille dans laquelle il y avait un message dont il me lu le contenu : "En l'an de grâce 1940, ce mur a été construit par le Caporal FUSSINGER du 3ème Bataillon du 166ème R.I.F. " En souriant il me dit : - C'est pour les générations futures. Je le remerciai en rigolant et je noyai la bouteille dans le mur. Si vous voulez contrôler la véracité de cette anecdote, allez à la recherche d'un abri situé en pleine nature, près de la ferme de Bambacherof et cassez, si vous le pouvez le mur d'entrée. Vous y trouverez mon nom. Je fis les escaliers avec le même amour qui avait présidé à l'érection de mon mur et j'eus droit à des félicitations de mes supérieurs et aussi à une requête. Ils me demandèrent de faire le même travail pour les abris des Sous-officiers. Ainsi je n'étais plus radio, j'étais devenu le maçon du 3ème Bataillon. Je disposais de mon temps comme je l'entendais et prenais qui je voulais avec moi. Dans l'abri tout baignait dans l'huile et l'idée d'électrifier notre cagna ne m'avait pas abandonné. Je ne me souviens plus si c'est d'en avoir parlé avec mes supérieurs ou si l'un d' eux avait eu la même idée, toujours est-il qu'un jour nous vîmes arriver des poteaux de bois et du fil de fer, je dis bien de fer, car le cuivre devait servir à d'autres choses, et des soldats tirèrent la ligne ne passant pas très loin de notre abri, pour se terminer dans la cagna des gradés. J'allai parler pour nous, mais il me fut répondu : - Si vous voulez l'électricité dans votre palace, démerdez-vous. Je dois vous dire que la réponse ne m'avait pas surpris. C'était une question d'habitude en somme ! Aussitôt dit, aussitôt fait. j'allais dans le village abandonné récupérer le matériel nécessaire, soit des interrupteurs, des ampoules, du fil, des outils, des clous et tout cela existait en profusion. Je me souviens avoir failli y laisser ma peau.J'avais dans un grenier, attrapé deux fils qui pendaient et je me mis à danser une bourrée à faire pâlir de jalousie un Auvergnat. Le courant passait encore par ces fils et si je n'avais pas été isolé par le plancher, j'aurai gagné une Croix de Guerre à titre posthume en esquissant le plus beau pas de danse de ma vie. J'étais vraiment sonné et le cul dans la poussière je mis un certain temps à reprendre mes esprits. Pendant ce temps mes gars avaient récupéré des poteaux et j'avais des isolateurs. Nous prîmes du fil de fer sur des clôtures abandonnées et chacun se mit au travail. Les poteaux furent dressés, je me chargeais de l'installation intérieure, nous tîrames les fils et nous nous adressâmes à un bon gros gars, électricien de son métier pour effectuer le branchement sur la ligne principale. Il arriva muni de griffes que les employés du téléphone utilisent pour grimper aux poteaux. Une petite pluie fine s'était mise à tomber, mais dans l'euphorie du moment nous n'y prenions pas garde. Pourtant nous, les radios, nous connaissions les dangers de l'humidité. Quand il fut équipé, notre électricien empoigna le poteau emportant avec lui, les deux extrémités de fils sensés alimenter notre cagna. Nous le regardâmes monter et commencer son travail, puis nous le quittâmes des yeux et commançâmes à discuter entre nous. Soudain l'un d'entre nous, levant les yeux s'écria : - CHEVARIN ! ! A notre tour nous levâmes la tête et ce que nous vîmes nous rempli d'effroi. CHEVARIN accroché aux fils, la face congestionnée, les pieds à peine retenus par ses griffes, ne donnait plus signe de vie. Je criai : - Une échelle, foncez chercher une échelle à la ferme. Et pendant que l'un de nous courait pour chercher de quoi décrocher notre copain, nous vîmes ce dernier glisser lentement le long du poteau humide et s'écraser à nos pieds comme une poire trop mûre. Splach ! ! Nous nous précipitâmes sur lui et un camarade s'écria : - La langue, il se coupe la langue ! ! CHEVARIN faisait de drôles de bruits avec sa gorge. Il émettait une sorte de ronflement alors que de la bave sortait par les coins de sa bouche. L'un de nous sorti son couteau et pendant que je tenais la langue, entrepris de desserrer l'étau de ses dents. Enfin sa respiration se fit plus régulière mais il était toujours dans le cirage. Avec un brancart qui nous fut amené, nous le transportâmes à la ferme où le médecin-major s'occupa de lui. Il demanda des volontaires pour veiller le malade et avec CHAILLOUX, nous restâmes à ses côtés. A minuit il reprit enfin ses esprits, se dressa sur sa couche nous regarda, étonné, en nous disant : - Ben merde, qu'est-ce-que je fous là ? Et avant que nous ayons eu le temps de lui répondre il reprit d'un coup sec la position allongée, en émettant un ronflementt qui nous réjouit le cœur. Notre copain s'était endormi pour un sommeil réparateur qui dura 24 heures. Il fut bien vite sur pieds, ne gardant aucun souvenir de sa mésaventure et quand le temps se fut remis au sec, c'est un autre soldat qui se chargea du branchement. Ce fut un grand jour pour nous et un émerveillement. Rendez-vous compte, il suffisait de tourner un bouton et notre abri s'illuminait. Enfin, c'est un bien grand mot pour une si petite lumière, car il y avait des pertes de courant et la lumière, si elle était suffisante n'évoquait quand même pas les Galeries Lafayette une veille de Noël. Tout baignait vraiment dans l'huile. L'Armée Française doucement mais sûrement s'embourgeoisait. Les lignes téléphoniques assurant les liaisons, nous les radios, nous étions en chomage. Nul entrainement ne nous aidait à conserver la main. Nous vivions sur notre acquis de l'armée d'active et j'étais inquiet pour l'avenir.Si un jour, les lignes étaient coupées, saurions-nous encore caler un réseau, manipuler notre morse à la cadence requise ? Et si le poste avec qui nous serions en contact émettait trop vite serions nous en mesure de réceptionner son message ? Il n'est pas de mon devoir de critiquer, après coup, les erreurs, la négligence de tous. Je pressentais que le réveil serait brutal, qu'une guerre ce n'était pas ce farniente dans lequel nous nous installions avec plaisir. Ceux d'en face que faisaient-ils ? S'endormaient-ils comme nous en pensant à leurs petits problèmes personnels ? Je n'osais y croire. Un avion Allemand avait été abattu par notre D.C.A. et les aviateurs avaient pu sauter en parachute. Faits prisonniers, ils avaient été reçus avec les honneurs par notre Etat-major. Ils étaient jeunes, arrogants, sûrs de leur victoire. Ils s'étaient simplement étonnés que nous ayons du pinard et surtout du café à profusion. Eux, ils ne connaissaient pas. Heil Hitler ! ! Nous assistions souvent à des combats aériens et nos Curtiss semblaient plus maniables mais moins rapides que les messerschmitts. Un jour que mélancoliquement, j'assistais à une de ces bagarres tout en pissant à proximité de notre abri, j'entendis un miaulement strident en même temps qu'une balle venait se ficher en terre à cinquante centimètres de mon zizi. Je ne pris même pas le temps de remballer les gaules et je filai dare-dare dans l'abri ou les copains me demandèrent ce qui se passait. - Les gars vous avez failli avoir un ennuque pour cabot ! ! Tout le monde se marra mais depuis ce jour les gars de là-haut ont perdu un spectateur. Les meetings aériens, on verra après la guerre ! ! Un après-midi d'avril, alors qu'avec mon copain CHAILLOUX je faisais une petite sieste, CLEMENTINE pénétra dans l'abri et nous apercevant couchés, nous interpella : - Eh tous les deux on s'amuse. Coquins ! ! puis se penchant vers nous. - Vous voulez que je vous fasse une pipe. J'adore ! Je filais un coup de coude à ROLAND en lui murmurant - On lui fout une fessée ?… - D'accord, me répondit-il suavement. - Allez CLEMENTINE, on est disposé, amène-toi ! Tout heureux il ne se fit pas prier et se glissa entre nous deux en disant : - Par qui je commence ? Après nous être concerté du regard, nous nous saisîmes brutalement de notre copain et l'allongeâmes en travers de nos jambes. En moins de deux la culotte fut baissée, et nous mîmes à l'air deux jolies petites fesses roses que bien des filles auraient voulu posséder. CLEMENTINE ne protestait pas et quand nous commençames la fessée ce ne fut pas l'effet esconpté qui se manifesta. Il disait bien : - Les vaches, oh les vaches. Mais au bout d'un moment dans un râle il murmura : - Vous me faites drôlement du bien. Surpris, nous nous arrêtâmes, le retournâmes et nous fûmes les témoins ahuris d'une splendide érection. Décontenancé je le repoussai et le virai en l'insultant puis avec mon copain, nous nous regardâmes en rigolant. Nos pantalons en un endroit bien précis faisait d'étranges bosses. Mystère de la libido, douceur de ces petites fesses caressées un peu rudement, qui saura jamais définir ce qui se passe en nous, qui saura analyser nos pulsions. Que ferions-nous sans les barrières de la morale ? CLEMENTINE était dangereuse à fréquenter. Le printemps était là avec toute sa splendeur et nous en ressentions toute sa force et nous souffrions de l'absence de ces femmes pour qui nous phantasmions dans nos nuits sans sommeil. CLEMENTINE était une erreur de la nature et pour nous le plus chouette des copains, mais plus d'un soldat en état de manque risquait de virer sa cuti dans un moment de cafard, d'isolement. CLEMENTINE ne voyait pas le mal. La morale de son milieu habituel n'était pas notre morale. Il aimait et désirait indifféremment une femme, un homme, pourvu qu'il trouve son plaisir et que sa soif de tendresse soit assouvie. Moins que nous, il souffrait de la guerre et des contraintes qu'elle imposait. Pour lui l'Armée était un immense terrain de chasse et il en profitait. A quelques temps de là , par un bel après-midi ensoleillé un Sous-officier vint me trouver, accompagné d'un trouffion qui n'avait pas le sigle des transmissions sur la manche. Il me dit : - FUSSINGER vous allez accompagner cet homme et en cours de route il vous expliquera ce qu'on attend de vous. Emmenez un peu de matériel, de quoi réparer une ligne. J' étais intrigué. Pourquoi étais-je encore choisi pour ce boulot qui aurait mieux convenu à un téléphoniste ? Enfin je verrai bien. J'emboitai le pas au bidasse et je commençai à l'interroger. - Ou m'emmènes-tu ? - Aux avants postes. - Ah bon, et pourquoi faire ? - Mon chef vous mettra au courant ! Il n'était pas loquace le frère et la route était longue jusqu'aux A.P. A un moment donné le bruit d'une canonnade attira notre attention. Nous passions à ce moment devant un poste d'observation muni d'une lunette binoculaire. Je demandais à l'observateur la permission d'examiner le terrain où nous nous rendions et mon guide me confirma que la rafale d'obus que nous venions de voir était destinée à son secteur. Ça devenait drôlement interessant ! ! Nous repartîmes après avoir remercié l'observateur de son obligeance et nous redoublâmes de précautions au fur et à mesure que nous approchions du poste concerné. Bientôt, sur les talons de mon guide, je pénétrai dans cette petite casemate dont le dôme dépassait à peine le sol. Un groupe de mitrailleurs en était le personnel et je me présentai au sergent, chef de poste. Il m'entraina vers la meurtrière, où était installée une mitrailleuse Hotchkiss et me fit voir une petite lampe dans un coin discret et il m'expliqua ce qu'il attendait de moi. A 100 mètres devant le bloc était disposé au ras du sol, 2 piquets espacés d'une quinzaine de mètres. Un de ces piquets était creux et à l'intérieur se trouvait une boule métallique attachée à un fil, lui même relié à l'autre piquet. Si un ennemi s'entravait dans ce fil, la petite boule montait et établissait un contact avec le fil électrique relié à une batterie. La lampe s'allumait et le mitrailleur n'avait plus qu'a arroser l'endroit ainsi signalé. Ils avaient du agir ainsi une nuit précédente et il devait y avoir des dégats à réparer, c'est pourquoi ils avaient demandé un spécialiste. Et c'est sur ma pauvre pomme que ce boulot était tombé, sans doute pour que j'ai quelque chose à raconter à mes petits enfants, plus tard à condition que j'arrive à survivre à toutes ces conneries. Puis le Sergent me mit au courant en me signalant que l'endroit était truffé de pièges à grenade, qu'il faudrait que je progresse lentement en me dissimulant le plus possible car les gars d'en face cherchaient à faire des prisonniers et pour me rassurer définitivement, il me garnit littéralement de grenades défensives, accrochées à mon ceinturon. Il me dit encore : - C'est ce qu'il y a de mieux pour vous défendre, laissez votre mousqueton de toutes façons nous vous couvrons. Du regard, je cherchais si un photographe ne trainait pas dans le coin, pour la postérité, l'image d'un vrai héros ça serait pas mal pour l'album de famille ! Quand je m'engageai vers le but désigné, ma luette se baladait drôlement dans mon gosier asséché. Je me disais : "Merde, il y a des centaines de soldats capable de faire ce boulot et c'est sur moi que cela tombe". En sortant j'avais entendu le chef de poste me souhaiter bonne chance et me faire une dernière recommandation "Attention aux pièges ! ! " Tu parles, je ne pensais qu'à cela. C'était pire que de marcher sur des œufs et les herbes étaient hautes. Le trouillomètre à zéro, un œil sur l'horizon, l'autre à mes pieds, j'avançais prudemment : "- Hola BUFFALO BILL me regardes-tu de là-haut ? Si oui protège-moi car j'ai à faire à de drôles d'indiens. " Après une marche d'un siècle je trouvais le corps du délit. Un premier tube, puis l'autre et le cable toujours tendu entre les deux. Je tirai sur ce fil et avec satisfation je vis que ça fonctionnait. Je n'avais plus qu'à trouver la coupure entre le piège et le poste et faire une épissure. Un signal émis par le poste me signala que la réparation était faite. Alors sans me faire prier je revins vers le poste, si vite que j'évitai de justesse un de leur piège à con et je dus faire un entrechat digne d'un danseur de l'Opéra de PARIS pour que la petite goupille d'une jolie petite grenade quadrillée ne tombe du joli petit trou dans lequel, elle était à peine engagée et que l'ensemble ne me pète dans la gueule, m'envoyant rejoindre prématurément mon idole BUFFALO BILL. Je pénétrai enfin dans le poste où les gars me payèrent un canon de rouge et un petit coup de gniole. Je ne leur ai pas dit que si on m'avait mis une olive entre les deux fesses j'en aurait tiré un litre d'huile. Eux ils m'enviaient, je repartais un peu à l'arrière, ce que je fis vitesse grand V pour regagner mon cher abri. Décidément, je me rendais compte que j'aurais du mal à devenir un héros. Je n'avais rien d'un inconscient ou d'un matamore. Je tenais vraiment à ma peau et il me tardait que tout cela puisse finir ! D'ailleurs, ma permission approchait. Elle était prévue pour le 10 Mai. La nature était magnifique, l'herbe verte. Nous pouvions laver notre linge sale, nous foutre à poil et nous savonner tant que ça pouvait. Nous revivions vraiment ! Quand à moi, je pensais à ce qui m'attendait en permission, ma fiancée, mes copines et une certaine reine du macadam qui m'avait promis une formidable nuit d'amour à 50 "balles " : tarif de faveur. C'est vous dire combien mes nuits devenaient agitées ! J'avais 22 ans, j'étais en pleine forme et j'étais comme tous les mâles de l'univers au printemps. Je bouillonnais de sève et d'impatience ! Les avions allemands venaient de plus en plus souvent nous rendre visite et nous scrutions en vain le ciel, dans l'espoir d'apercevoir les nôtres. Un jour, j'ai manqué de respect à notre brave Colonel, par la faute d'un zinc allemand qui faisait du rase-mottes dans la vallée, où était installé le Poste de Commandement du 166ème. J'étais devant cet abri et notre Colonel était sorti pendant un instant pour prendre l'air . Je vis brusquement un avion arriver à toute vitesse. Sans même réfléchir, j'attrapai mon Colonel par une aile et le tirai brutalement vers l'abri. Il n'avait pas eu le temps de dire "ouf" et alors que tout confus, je m'excusais de ma violence. Il me répondit : - Vous avez bien fait, mon petit ! Brave Colonel SUBERVIE ! Avec ses cheveux blancs, sa grosse moustache à la gauloise il avait vraiment l'air d'être notre père à tous et nous l'aimions bien. Jamais je n'ai entendu un soldat se plaindre de lui! Un autre jour, alors que je me rendai à la ferme MORENHOFF, j'entendis un bruit de moteur. Surpris, je vis apparaître un avion à croix gammée en train de voler bas. J'étais seul au milieu des champs ! Je me mis à genoux, épaulais mon mousqueton et vidais tout mon chargeur sur ce "coucou" planant doucement, semblant se promener. Quand je le vis amorcer un virage un peu plus loin, la trouille s'empara de moi et je courus me réfugier dans un buisson. C'était vraiment prétentieux de ma part de songer un instant qu'il avait pu me remarquer ! Si je l'avais descendu, j'aurais maintenant une chouette histoire à vous raconter. Hélas ! Il disparut à l'horizon comme il était venu sans inquiétude. Il y avait un truc que nous, les biffins, nous n'aimions pas beaucoup, je veux parler des batteries volantes de 155 ! On voyait surgir un jour une batterie de canons et ses servants. Les gars s'installaient, pointaient leurs pièces sur l'objectif désigné, tiraient quelques salves d'obus et foutaient le camp. Nous, on pensait à la riposte. Les Schleus pouvaient les repérer et répliquer. Comme nous étions les seuls à rester sur place, nous vivions un moment dans l'inquiétude, hésitant à quitter nos abris. Un jour que j'étais en vadrouille, je passai - sans le savoir - sous une batterie fraîchement installée. Les artilleurs, sans s'occuper de moi, balancèrent leurs premiers pruneaux. Bordel ! Je crus sur l'instant que ma tête partait avec. J'entendais des petits oiseaux et je me demandai ce qui m'arrivait. Quand je réalisai, je me dirigeai vers eux en me courbant. Goguenards, ils me regardaient en se marrant comme des gosses dans un cirque. J'allais les engueuler quand l'un d'eux me dit : - Eh ! le cabot. Tu veux leur balancer un pruneau ? Alors, viens ! Et il m'expliqua le fonctionnement de son engin : - Il est chargé ! Tu tires là-dessus mais ouvre la bouche, sinon gare aux oreilles ! Et c'est ainsi que moi, modeste biffin, j'eus l'occasion de canonner et peut-être d'occire quelques bidasses verts de gris ! Mais cela, Dieu seul le sait et certainement qu'il s'en fout !

LA GUERRE

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LA BATAILLE

Enfin le 9 Mai arriva et lorsque la camionnette m'emmena j'étais nettoyé, rasé, impeccable. Le soir je m'installais dans un coin du wagon qui devait me transporter à TROYES et je me mis à rêver à mes amours. J'étais loin de la guerre, des copains, des soucis quotidiens. Une douce musique résonnait en mon coeur, une chanson de RINA KETTY revenait sans cesse à mon esprit : "J'attendrais le jour et la nuit, j'attendrais toujours ton retour". Et ce refrain devait résonner également dans le coeur des petites Troyennes que j'affectionnais : "Votre vaillant soldat arrive, soyez patientes". Tu parles ! Nous trouvions que le train ne semblait pas aussi pressé que nous. L'attente dans les gares était bien longue. Sur le quai, il y avait des gendarmes et en chemin des avions allemands nous avaient survolé à maintes reprises, mais sans nous attaquer. Nous avions bien essayé de glaner quelques renseignements, mais personne n'était en mesure de nous dire quoique ce soit de positif. Enfin le train arriva à la gare de MONTIER-EN-DER. Je commençais à respirer l'air du pays, mais l'arrêt se prolongea anormalement. Un gars penché à la portière s'écria : - Ils décrochent la machine ! ! Je voulus descendre pour aller aux renseignements mais un des nombreux gendarmes qui garnissaient le quai m'en empêcha puis ses collègues se mirent à encadrer le train, l'arme à la main. Je fonçais de l'autre côté. Même barrière infranchissable. Nous étions consternés, inquiets, que se passait-il ? Puis un soldat s'écria : - La locomotive, elle change de côté ! C'était vrai et nous fûmes ébranlés par le choc produit quand elle s'accrocha sans ménagement au wagon de queue. Il fallait que je sorte car j'étais trop près de chez moi. Cette permission, il y avait trop longtemps que je l'attendais. Je fis encore une tentative alors que le train s'ébranlait sur le chemin du retour, mais ils avaient prévu le coup. Et les pandores s'échelonnaient sur une grande distance, insensibles aux insultes des soldats déçus, qui les traitaient d'embusqués. Bientôt nous n'eûmes d'autres ressources que de nous asseoir dans notre coin respectif. Personne ne parlait, chacun étant en proie à son chagrin, à ses désillusions. Il était si cruel de penser à nos êtres chers, femmes, fiancées, mères, enfants qui devaient tant se réjouir de notre retour. Un gars passa dans le couloir en criant : - Cette fois, c'est la bagarre, les frisés ont envahi la BELGIQUE ! ! Ces paroles nous ramenèrent à la réalité. Ils allaient voir ces cons-la de quel bois nous nous chauffions, nous, les Français, 14-18 ne leur avaient pas suffit. Eh bien on allait leur faire comprendre. Ce renseignement avait réveillé notre ardeur guerrière et atténué un peu notre déconvenue. Mais ce fut un bien triste moment que celui où je retrouvais mes copains. Aucun ne songea à me mettre en boîte, chacun ayant des raisons d'être triste, inquiet, surtout les gars du Nord qui pensaient à leurs familles premières exposées ! Le mois qui suivit mon retour fut pour tous un véritable enfer moral. Les premières nouvelles qui nous parvinrent faisaient état de nos défaites successives. Nous ne pouvions y croire. Tant de slogans trottaient dans notre tête. - La route du fer est et restera coupée - Travaillez en paix, il veille - Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts - Le soldat français, le mieux équipé du monde - etc Et depuis le 10 Mai cette dégringolade dans nos certitudes, cette guerre de communiqués mensongers. Nos lettres reçues au compte-gouttes étaient de plus en plus alarmistes. Que faisions-nous ? A quoi servait la ligne MAGINO ? Où étaient nos tanks ? Nos avions? Que faisait GAMELIN ? Nos politiciens ? Une sourde colère m'habitait. Je me criais : "Non ce n'est pas possible, nos anciens ne sont pas morts pour rien!" Et pourtant, inexorablement les hordes nazies déferlaient sur la FRANCE. Les Hollandais avaient abandonné, les Belges avaient capitulé, comme les Polonais avant eux qui en un mois avaient été rayés de la carte. Plus tard j'ai voulu savoir la vérité sur notre défaite. J'ai lu différents ouvrages mais la vraie réponse je l'ai trouvée récemment dans l'admirable livre de PIERRE MIQUEL "La Seconde Guerre Mondiale -"C'est une analyse loyale, objective des évènements qui nous ont conduit au désastre". Nous avions en face de nous une formidable machine de guerre, montée par des gens fanatisés qui parlaient de revanche et rêvaient de dominer le monde avec le nazisme. Le peuple russe, plus tard, avait compris et ses soldats se battirent jusqu'à la mort. Combien d'entre nous était près à le faire, ayant l'impression d'avoir été trompés, floués. Nous étions broyés sur place sans avoir combattu. En six jours la défaite de la FRANCE apparut inévitable. GAMELIN fut limogé. On rappela PETAIN: 80 ans, VEYGAND: 76 ans mais que pouvaient faire ces combattants d'une autre guerre sinon cautionner un désastre qui s'annonçait imminent. A la fin mai les Français résistaient encore à DUNKERQUE cependant que les Anglais regagnaient leur île. Puis nous restâmes dans notre isolement n'ayant plus de contact avec le reste de la FRANCE, notre cher pays, là où les nôtres étaient sensés vivre confiant sous notre protection. Malgré le recul, malgré le temps écoulé je suis là devant ma feuille et les mêmes larmes de rage et de désespoir perlent à mes yeux. En ce mois de mai 1940 une plaie béante s'est ouverte en mon cœur. J'ai perdu ma confiance en l'homme, en tout ceux politiques ou militaires qui avaient trahi, soit par légèreté, soit par incompétence ma foi en eux, en la force de mon pays, de ma patrie. Je savais que les heures que je vivais me transformeraient à tout jamais en un sceptique incurable et je maudissais notre impuissance, notre passivité. Des avions allemands, parfois, venaient nous survoler. Je gueulais alors : "Tous dehors" et on tirait conmme des enragés, en pure perte évidemment. Un jour que nous participions à cet exercice, un de mes gars, à demi éméché était resté dans les escaliers de l'abri, alors que nous étions déployés devant tiraillant sans arrêt. Il avait pointé son mousqueton à 15 cm de ma tête et avait tiré. Complètement sonné, l'oreille bouchée par l'explosion, j'avais failli retourner mon arme contre lui, tellement j'étais fou de rage. Et puis en voyant ce pauvre gars du Nord complètement à la dérive, inquiet de savoir les siens en pleine bataille, alors que lui se les roulaient tranquillement sur la ligne Maginot, sa misère m'avait calmé. Pendant deux jours j'aurais pu chanter : "Et j'entends siffler le train", tellement j'avais l'impression d'avoir une locomotive dans l'oreille droite. Puis d'étranges rumeurs se firent jours. Nous risquions d'être encerclés, les Allemands avançaient à toute vitesse vers nos positions et le 14 juin l'ordre incroyable arriva. On allait évacuer la ligne MAGINOT. Nous étions atterrés. Abandonner nos abris, les casemates nos barbelés, abandonnner aussi une partie de nos affaires personnelles. A quoi cela avait-il servi de creuser, construire, bétonner. A rien ! ! Et nous allions avoir à nous battre en rase campagne avec un matériel qui n'était pas prévu pour cela. Personne ne comprenait ! Pourquoi ne pas nous adosser à la ligne MAGINOT et résister jusqu'à ce que nos forces se regroupent. Il restait encore de la FRANCE libre, nous avions des colonies ! Alors pourquoi partir à l'aventure. Je vous donne ici un aperçu de notre état d'esprit. Je vous décris à travers moi la guerre vue par le petit bout de la lorgnette. Je ne cite pas de chiffres, je suis peut-être imprécis sur les dates. D'autres que moi, avec des documents auront une vue d'ensemble que nous n'avions pas. Nos officiers, souvent les larmes aux yeux donnaient des consignes qui se succèdaient sans arrêt: - Chargez-vous au minimum. Laissez sur place vos livres, vos affaires inutiles. Priorité aux munitions aux vivres et surtout pas de fébrilité, du calme et du silence. Nous décrocherons à la nuit. Il ne faut pas que l'ennemi se doute de quelque chose. Tu parles ! ! avec leur 5ème colonne qui était partout, ils avaient dû le savoir avant moi, qu'on foutait le camp comme des foireux. Pour ma part je passai la journée à faire mon barda. L'as de carreau de la dernière guerre avait été remplacé avantageusement par un havresac plus confortable. Mais la couverture roulée surmontée de la gamelle avait été conservée. Le quart nouveau en aluminium et plat était accroché au ceinturon, nos cartouchières étaient pleines et nous avions touché du "singe", des sardines, des biscuits et du pinard. Ajoutez le mousqueton, la baïonnette et collez-vous cela sur le dos en vous disant: j'ai 30 ou 40 bornes à me taper et je suis sûr que vous resterez sur place, victime d'un infarctus. Et moi qui avait été raisonnable dans mes choix de ce que je devais éliminer ou conserver je contemplais d'un œil inquiet l'invraisemblable échafaudage constitué par certains soldats. En neuf mois qu'est-ce qu'ils avaient pu accumuler comme bazar et cela pour leur confort, et à l'heure du choix, beaucoup n'avaient pu se résigner à larguer un objet devenu cher. Moi j'avais jeté un dernier regard à mon beau vélo de course que j'avais eu l'imprudence d'amener pendant mon service. J'avais tant travaillé pour me l'acheter et maintenant, un autre l'enfourcherait qui n'aurait que le mal de le ramasser. Quand la nuit fut tombée on nous rassembla en silence. Après un dernier regard à notre cher abri, nous prîmes le départ vers le sud par la route menant vers DIEMERINGEN. Nous marchions en tête, avec les officiers du 3ème bataillon, les compagnies de mitrailleuses suivaient ainsi que les canons de 25 et de 47, des chevaux, quelques chenillettes transportant les munitions et le matériel lourd dans de petites remorques tractées. Nous n'avions pas besoin de consignes de silence, nous avions le cœur si lourd, une telle angoisse nous étreignait. C'est un peu de nous même que nous laissions sur ce sol de LORRAINE que nous n'avions pas su défendre. La première heure se passa relativement bien. Nous étions couvert de sueur et la halte de 10 minutes fut la bienvenue. L'ordre régnait encore et personne ne grognait. Pourtant, quand le signal du départ fut donné, quelques culs eurent du mal à obéir. Sous la charge invraisemblable de leur propriétaire ils restaient collés au sol et l'on vit les premiers objets voler de-ci, de-là. Notre retraite prenait son vrai visage. La deuxième pause fut très différente. Des gars commencèrent à se laisser tomber lourdement sur le sol, à se délester encore davantage. La sueur ruisselait sur les visages, les pas devenaient trainants et notre bataillon commença à jouer à l'accordéon. Et toujours dans la nuit nous avancions sans connaitre le but de notre procession, sans qu'aucun autre ordre que celui de marcher ne nous parvint. Moi j'étais jeune, dans une bonne forme physique que j'avais préservée, courant, marchant, faisant de la culture physique, jouant au football. J'avançais sans souffrir et bien que cela semble prétentieux à l'écrire, arriva un moment où je me retrouvais seul en tête. Je décidais de continuer jusqu'à ce que la fatigue ait raison de mon endurance et ainsi je fis des kilomètres dans la nuit, éclaireur de l'armée à BOURBAKY nouvelle formule, qui se trainait loin derrière moi. Pourtant vers une heure du matin, je décidais de mettre fin à ma cavale solitaire. Je déchargeais mon barda, sortis un casse-croûte et le cul sur une borne, j'attendis le passage du marathon. Par petits groupes ils se mirent bientôt à passer devant moi lamentable troupeau de trainards épuisés, démoralisés et je ne pensais pas à applaudir. Les genoux avaient du mal à se lever, les godasses raclaient le sol en un bruit qui n'avait rien de martial. Ces gars dont beaucoup avaient dépassé la trentaine, pas entrainés, embourgeoisés dans leur abri, bien nourris, certains bedonnants, découvraient brusquement les horreurs d'une retraite. C'était une armée battue que je voyais défiler dans la nuit et moi je regardais cela, fixant dans ma mémoire ces images invraisemblables de pauvres types, désemparés par des évènements qui les dépassaient. J'étais semblable à eux, sans doute, mais il y avait en moi une étrange lucidité qui d'acteur me transformait en spectateur. Je guettais le passage de mon ami CHAILLOUX. Mes yeux s'étaient habitués à l'obscurité et j'avais en outre la chance d'avoir une vue excellente. D'ailleurs, à mon âge j'ignore encore le port d'une paire de lunettes. Quand il passa à ma hauteur je l'interpellais amicalement : - ROLAND, arrête-toi un moment, j'ai une proposition à te faire. Tu vois, c'est le bordel, nul ne sait où nous allons, nos officiers plus âgés sont à la traine. Je te propose de chercher une grange et de nous reposer dans le foin. - D'accord , me repondit-il, je suis crevé. Aussitôt dit aussitôt fait. Nous nous mîmes en route jusqu'au premier village rencontré où je repérai une grange dans laquelle il nous fut facile de nous installer. Rompus de fatigue, nous ne tardâmes pas à nous endormir alors que dehors le lamentable troupeau de trainards continuait à vivre son calvaire. Quand je m'éveillais, il faisait grand jour. Je secouais énergiquement mon copain en lui disant : - ROLAND c'est l'heure, on va repartir mais pas sans avoir cassé une petite croûte. Ce que nous fîmes avec voracité car les émotions nous avaient mis en appétit. Quand j'ouvris la porte pour sortir, l'arrière garde passait encore, visages creusés par l'insomnie, l'épuisement, l'angoisse. Nous, nous étions en forme. A 22 ans on récupère vite et c'est presque joyeux de nous sentir si bien que tout en devisant, après quelques kilomètres, nous rejoignirent nos camarades écroulés sur les bords d'un cours d'eau. Notre brave colonel SUBERVIE était debout sur le bord de la route, inquiet pour ses petits, encourageant les retardataires et quand nous passâmes à ses côtés, il nous gratifia d'un "allez mes petits, allez vous reposer" , qui m'alla droit au cœur et me rendit un peu honteux. Il ne pouvait savoir que nous avions triché, que nous étions prêts à repartir si on nous l'avait demandé. Moi j'ai fait comme quelques autres l'avaient fait avant moi. Vite déshabillé je pénétrais dans la rivière où je fis quelque brasses. Pour moi les vacances continuaient. Les roulantes s'étaient installées au bord de l'eau et le midi nous eûmes droit à un bon repas chaud, puis le matériel regroupé, les hommes reposés, nous repartîmes dans l'après-midi. Toute la matinée les commentaires étaient allés bont train. "Les gars des casemates avaient été sacrifiés et devaient s'oposer aux Allemands". Nous devions marcher jusqu'aux VOSGES pour éviter l'encerclement et reconstituer une armée pour contre-attaquer. Enfin un motif d'espérer. Mais dans l'état où nous étions aurions-nous la possibilité, même à marches forcées, de briser l'étau qui se refermait sur nous. Nous avions quitté la zone évacuée au début des hostilités et des civils sortaient sur le devant de leur porte pour nous voir passer. Beaucoup pleuraient et certains nous insultaient, nous traitant de lâches. Moi dont les arrières grand parents avaient quitté la LORRAINE, après 70 pour rester Français, je comprenais leur peine et j'étais honteux. Une jeune fille en larme marcha un moment à mes côtés, me disant - Pourquoi, mais pourquoi nous abandonnez-vous sans combattre ? Nous ne comprenons pas ! ! Alors je m'arrêtais pour essayer de la rassurer, en lui disant : - Un jour nous reviendrons. Elle me fixa de ses grands yeux clairs de Lorraine, puis brusquement me tendit ses lèvres. Dans le baiser que nous échangeâmes, je mis toute mon âme, toute la tendresse qu'il y avait en moi à l'égard de ce peuple lorrain tant de fois crucifié par des guerres absurdes. Puis je m'éloignais d'elle en me retournant pour lui envoyer des baisers de la main. Aucun des soldats qui me cotoyaient n'avait sifflé. Ils continuaient de marcher, automates dont le ressort était presque à bout de course avec chacun une tonne de plomb sur le cœur. A un certain moment un mot courut dans les rangs, répercuté de bouches à oreilles. Qui a une carte Michelin, c'est pour l'état-major ! ! Aussi invraisemblable que cela puisse paraître nos officiers n'avaient plus de cartes couvrant la région où nous devions nous rendre. Ils n'avaient à leur disposition que les cartes d'état-major concernant la zone que nous avions quittés. C'est dans ces conditions que nous atteignîmes SARREBOURG. Les gens étaient plus nombreux à nous regarder passer, plus méprisant, plus cruels aussi. Si beaucoup comprenaient notre détresse, la plupart n'admettaient pas notre abandon sans combats.:"- Et la ligne MAGINOT, alors, qu'en avez-vous fait" ? ? Nous arrivâmes enfin sur le canal de la MARNE au RHIN que nous franchîmes le 17 juin 1940. Et l'ordre arriva de ne plus reculer, de nous installer, de nous battre. Je retrouvais bien vite mes automatismes. Installer le poste ER 17, caler le réseau avec le PC du colonel et les deux autres bataillons. On renforça mon équipe par quatre autres radios et bien vite tout fut en état de marche. Nous étions installés près d'un village dont je crois me souvenir du nom, HESSE et la première nuit d'attente commença interminable. Au petit jour des explosions se firent entendre, le génie faisait sauter les ponts et peu après je vis arriver les premiers blessés entre autre un pauvre type allongé sur le dos sur un brancart, une couverture posée sur lui. Il avait la couleur d'un cadavre mais il parlait malgré sa souffrance. Ce qui m'effraya le plus ce fut de voir ses deux guibolles entortillées de moletières qui dépassaient de la couverture. Lui était sur le dos et ses deux godasses pointaient vers le sol. Ses deux jambes, brisées à la hauteur des cuisses avaient fait demi-tour. Je questionnais les brancardiers : - Que s'est-il passé ? Sur un ton coléreux l'un deux me répondit : - Le bordel ; ces cons du Génie ont fait sauter les ponts sans prévenir ! Lui était allongé avec sa mitrailleuse en batterie, attendant les Schleus, quand d'énormes moellons ont volé dans les airs et lui sont tombés dessus. Il a les cuisses en bouillie. A-t-il survécu, est-il maintenant amputé des deux jambes ? Je dois dire que la vue de ce pauvre gars nous avait refroidi. Bientôt les Allemands qui la veille avaient, nous le sûmes plus tard, pénétrés dans SARREBOURG musique en tête, firent leur apparition sur l'autre rive du canal. Ils étaient motorisés, eux, et aux premières rafales envoyées par les copains des compagnies de mitrailleuses, que je connaissais bien pour y avoir fait mes classes, les camions stoppèrent et les soldats se portèrent de suite à l'attaque en poussant leurs cris de guerre nazis. Et par vagues successives leurs cadavres commencèrent à joncher le sol où ils restèrent tout le jour. Ils durent se replier en désordre étonnés de cette résistance à laquelle ils étaient loin de s'attendre. Et heureuse surprise, nous apprîmes qu'un régiment de Polonais s'était même permis le luxe de contre-attaquer à la baïonnette comme en 14 et la "course à l'échalotte" s'était poursuivie pendant 6 km. Notre moral remontait mais je tempérai l'optimisme de mes copains. - Attendez demain, les gars, ils n'ont pas encore d'artillerie, mais ça ne saurait tarder ! Dans la nuit, ils avaient ramassé leurs morts, leurs blessés et au petit jour le terrain était dégagé. Puis les premiers pruneaux commencèrent à tomber et le combat s'engagea, meurtrier. Il faisait un temps magnifique et le ciel dégagé permettait aux avions allemands de venir nous observer. Ils ne s'en privaient pas car les nôtres brillaient par leur absence et notre D.C.A., tractée par de vieux camions Rochet-Schneider à bandages pleins de la dernière guerre -camions si poussifs que nous devions les pousser dans les côtes un peu rudes- donc notre D.C.A. manquait vraiment d'efficacité. J'avais été chargé d'une mission dans le village et j'eus la surprise de voir, dans la rue principale, deux jeunes filles qui regardaient le spectacle, tranquillement installées devant la porte de leur maison. Je les apostrophais brutalement : - Vous êtes cinglées, vous ne voyez pas qu'on est en pleine bagarre vous n'entendez pas les obus chuinter au-dessus de vos têtes ! Allez ! ! A la cave en vitesse, sinon je vais vous y conduire à grands coups de pompe dans le train. Elles me regardèrent, effarées en pensant sans doute ! "De quoi se mêle-t-il celui là" ! ! J'avais essayé de prendre un air méchant et cela avait marché. Elles disparurent aussi vite qu'elles le purent et malgré moi je me mis à rigoler. C'était bien la première fois que je parlais ainsi à deux belles nénettes. Mais la guerre a ses exigences. En revenant de ma mission je croisai des blessés qui partaient vers un hôpital de campagne installé dans le village. Mon ancienne compagnie avait "morflé" et je vis arriver, marchant difficilement, une toile de tente posée sur les épaules, un de mes premiers camarades de régiment, ROGER BONTEMPS un coiffeur d'EPINAL. Je me précipitai vers lui : - Roger, qu'as-tu reçu ? - Un éclat d'obus dans le dos ! Il était pâle et avait l'air de beaucoup souffrir. Je fis quelques pas à ses côtés en le soutenant, mais je dus l'abandonner à son sort pour rejoindre mon P.C. où l'on pouvait avoir besoin de moi. - Bon courage Roger et surtout bonne chance ! Toute la journée, la bataille fit rage puis la nouvelle se répandit qu'un régiment avait cédé sous la pression allemande et ordre nous fut donné de décrocher, dès la tombée de la nuit. Et l'infernale poursuite recommença avec les Allemands sur nos talons. Nous étions régiment de couverture et à chaque croisement de route nous laissions des éléments destinés à retarder la progression ennemie. Le décrochage se fit relativement en bon ordre. Pourtant je remarquai un lieutenant complètement paniqué nous crier sur un ton pleurnichard : "Vite, vite, ils arrivent !" et notre seule réponse fut le mépris. Un autre gradé, un sergent-chef de carrière vint me proposer sa mitraillette allemande devenue soudain encombrante. Un vieux modèle avec lequel il avait jusqu'alors paradé et qui lui paraissait bien dangereuse au cas où les Allemands l'auraient trouvée sur lui. Je l'envoyais balader vertement. L'engagement auquel nous avions participé avait rétabli la véritable échelle des valeurs. Je me souviens d'un petit lieutenant d'active que nous avions baptisé POUPETTE pendant notre service. Il avait des traits délicats et ne paraissait vraiment pas fait pour le métier des armes. Or ,depuis notre départ de la ligne MAGINOT, cet officier faisait montre d'une énergie peu commune, galvanisant les soldats par ses paroles, par son courage. Notre commandant SOURIAU aussi était un vivant exemple de ce que nous aurions dû tous éprouver! Du sang-froid, de la dignité, de la fierté. Après une marche épuisante de quelques heures nous fîmes halte dans un petit bois. Nous nous laissâmes tomber sur le dos, appuyés sur notre barda et essayâmes de trouver le sommeil. Mais à peine étions-nous installés qu'une estafette arriva affolée en criant : - Mon commandant ! Les Boches sont dans le même bois que nous ! Et de nouveau, ce fut la fuite éperdue, laissant toujours derrière nous des soldats sacrifiés, destinés à couvrir notre retraite. C'est ainsi que nous arrivâmes dans un village qui devait autant que ma mémoire s'en souvienne, s'appeler LA FRAIMBOLLE. Ordre nous fut donné de faire halte et de chercher un endroit pour nous reposer. Avec mon équipe, nous dénichâmes un immense grenier et peu de temps après, épuisés, nous nous endormîmes, malgré l'angoisse qui nous tenaillait. Au petit matin notre état-major reçut l'ordre de rester sur place, alors qu'une ligne de défense avait été établie dans la nuit. J'examinais l'endroit où nous nous trouvions. En face de nous se trouvait une petite gare de campagne dont les vitres scintillaient au soleil. Sur les rails, un wagon-citerne stationnait et derrière des bassins où des truites commençaient à moucher attiraient ma curiosité. Notre roulante avait pu s'installer dans les bois et nous eûmes droit à un bon jus. Une belle journée s'annonçait qui hélas vit bientôt apparaître dans l'azur du ciel l'inévitable mouchard. Cet avion espion allemand indescendable qui de l'aube au crépuscule accompagnait notre déroute. On ne me demanda même pas d'installer notre poste ER17. Les liaisons s'effectuaient soit par estafettes, ces motards si courageux que j'avais vu à l'oeuvre lors de la bataille sur le canal, soit avec le poste ER 40 à portée plus limitée, il est vrai, que nos appareils morses. J'en étais là de mes réflexions quand je vis un soldat tirer un coup de mousqueton dans le foudre de ce qu'il supposait être du vin. Et le miracle eu lieu, le pinard se mit à couler sous les yeux du gars, ravi, qui se mit à boire et à remplir son bidon. Alors que les autres bidasses alertés se mirent à accourir, munis de bidons, de gamelles, etc… Je ne sais si les officiers furent prévenus mais il n'y eut aucune intervention et les soldats accouraient de partout, faisant la queue bien sagement pour avoir droit à ce don du ciel qu'était le pinard pour un soldat en détresse. Le cuistot nous avait prévenu le matin : - Les gars, je n'ai plus rien à faire cuire, vous taperez dans vos réserves ! ! Hélas, beaucoup s'étaient délestés de leurs conserves alors que ma pomme, tout heureux, avait rempli ma musette tout le long du chemin, me permettant même de choisir parmi les bonnes choses abandonnées. La faim, je connaissais et je ne voulais pas connaître de nouveau, ces affres de ma jeunesse quand ma mère ne pouvait plus assurer les fins de quinzaine. Mais il y a toujours des débrouillards ! Un gars demanda au cuistot si éventuellement il pourrait nous cuisiner des truites. Bien qu'un peu surpris, le cuisinier avait répondu affirmativement. Alors le troufion avait demandé un nageur et accompagné de ce sportif s'était rendu sur le bord d'un des petits étangs où s'ébattaient les truites. Se saisissant alors d'une grenade défensive, il l'avait balancé au milieu du bassin en criant : "Couchez-vous !" à l'adresse des soldats assistant à cette pêche d'un nouveau genre. De mon observatoire je vis une énorme gerbe d'eau où des truites scintillaient monter dans les airs et la surface du bassin se couvrit de ces pauvres poissons, assommés par la puissance de l'explosion. Il répéta l'opération dans un autre bassin et je vis d'autres soldats se mettre à poil et sortir les truites qui s'entassèrent sur les berges. Je vins à mon tour participer à cette pêche qui aurait surpris St PIERRE lui-même. Nous en étions tous à nous réjouir en pensant à notre futur repas, quand un brave curé arriva en courant, embarrassé dans sa soutane. - Mes truites, criait-il, bande de sauvages, vous n'avez pas le droit de faire cela. C'est propriété d'autrui, arrêtez, arrêtez ! ! Tu parles qu'on allait s'arrêter comme cela. Au contraire cette intervention déclencha un rire énorme parmi les bidasses rassemblés et les lazzis se mirent à pleuvoir. - Mais c'est un don du ciel, mon père, c'est un nouveau miracle. Par la grâce de DIEU, les filets sont pleins. Alléluia ! ! Alors devant une telle unanimité ce brave curé battit en retraite, scandalisé par notre barbarisme. Et quand midi arriva nous eûmes droit à une énorme portion de poisson copieusement arrosée, trop arrosée par le pinard qui coulait à flots. Derrière nous, le combat avait repris. On nous amena le cadavre d'un soldat tué par un éclat de mortier. Quatre planches, quelques clous lui assurèrent une mise en terre décente. Un trou avait été creusé rapidement et le commandant présida à la mise en terre. Nous avions formé une haie d'honneur devant cette tombe où reposait l'un des nôtres et nous présentions les armes. Horrifié, je vis en face de moi, un bidasse tellement saoul que j'eus peur un moment qu'il ne bascule dans le trou. Dans les bois, des chants séditieux retentissaient, des paroles de l'INTERNATIONALE résonnaient à mes oreilles et une profonde tristesse mêlée à une froide rage m'envahissait. - Chantez bande de cons, chantez car demain il sera trop tard. Les gars que nous avons au cul vous feront pousser une autre chansonnette. Et le soir l'infernale poursuite recommença, doublée d'une partie de cache-cache, de marches, de contre-marches. C'est ainsi que nous arrivâmes dans les bois de St QUIRIN, sur les premières pentes du DOUON où le gros de la troupe était sensé s'être retranché. Avec la toile de tente de mon ami Roland et la mienne, je fis un abri qui nous permettrait d'éviter la rosée du matin et rompus de fatigue, nous nous allongeâmes côte à côte. C'est alors que CLEMENTINE vint nous demander de lui faire une petite place. Nous acquiesçâmes en bougonnant et lui laissâmes un espace libre entre nous deux. " Que celui qui n'a jamais fauté lui jette la première pierre !: JESUS". Je commençais à m'endormir quand je sentis une petite main se poser sur ma cuisse. J'étais tellement crevé que je ne réagis pas. Alors la petite main s'enhardit et doucement elle se posa sur ma braguette qu'elle déboutonna. Que se passa-t-il en moi à ce moment ? Etait-ce la fatigue ou l'incertitude du lendemain ? Un certain fatalisme s'était emparé de moi. Et puis merde après tout, demain je serai peut-être crevé, alors vas-y CLEMENTINE, caresses ce sexe gonflé que ta main si douce vient de saisir. Mon pouls s'est accéléré, je me retrouve quelques mois en arrière, avec une belle fille nue qui s'occupe de moi si gentiment. La caresse est savante, délicate. A nos côtés Roland dort comme un loir. Et dans la magie d'un soir d'été, alors qu'au loin la bataille fait rage, la petite main de notre CLEMENTINE chérie arriva à ses fins. Dans un sursaut de tout mon être je quittais enfin l'enfer pour le paradis. J'eus la force de murmurer : "Merci CLEMENTINE" et je m'endormis d'un sommeil de plomb. Quand je m'éveillais le lendemain matin je me rendis compte que CLEMENTINE avait réparé le désordre de ma toilette et m'avait rendu décent. J'étais en colère contre moi et je m'insultais. Ainsi à ma grande honte, je m'étais fais avoir par une petite folle. Je me fis le serment que jamais, plus jamais de ma vie pareil fait ne se renouvellerait et croyez-moi j'ai tenu parole. Aussi quand CLEMENTINE toute souriante, s'approcha de moi, l'accueil fut plutôt frais. - Alors FUFU on y vient ? Je tins à mettre immédiatement les choses au point. - Ecoute André, je te remercie pour hier soir, mais ne t'avises pas de recommencer parce que tu vois celui-là, et je lui montrais mon poing droit. Eh bien je le balance en plein dans ta jolie petite gueule. Son sourire me désarma, mais je lui affirmais que je parlais très sérieusement. Il me dit alors ces paroles qui me laissèrent pantois. - J'ai une proposition à te faire FUFU, mais rassures-toi, une proposition honnête. Voilà, j'ai pensé que tu ne voudrais pas te laisser faire prisonnier, alors je te demande de m'emmener avec toi. Tu sais FUFU avec toi je n'aurais pas peur. Malgré moi, j'étais ému de sa confiance et je lui répondis : - Ecoutes André je te remercie mais je suis chef de poste radio et ma mission, mon devoir est de rester avec mes camarades. Je ne puis déserter, car c'est cela que tu me proposes. Tu aurais dû comprendre que j'étais incapable de trahir la confiance que l'on a mise en moi. Il était troublé, perdu. Je lui dis encore : - Va rejoindre ton groupe et à l'avenir, laisse-moi oublier un instant de faiblesse. - C'était quand même bon, non ! me dit-il en faisant une pirouette. Mon pied droit lui effleura les fesses, mais il avait été plus rapide que moi. Méditatif, je le regardais s'éloigner de sa démarche de fille et malgré moi une pensée bienveillante l'accompagnait. Pauvre CLEMENTINE, qu'est-ce que tu foutais là, dans cet enfer. J'allais prendre les ordres de mes supérieurs et l'on me confirma que mes suppositions étaient justes. On devait rester sur place, s'incruster, résister, car nous étions l'ultime rempart qui devait permettre aux autres régiments de se réorganiser. La devise de notre régiment était : "Vaincre ou mourir". Nous ne pouvions plus vaincre. Alors nous restait-il à mourir. Comment cela allait-il se terminer. Mourir à 22 ans sans avoir connu de très grandes joies. Mon DIEU évitez-moi de penser à cela. Je veux vivre, je veux aimer, être aimé. J'ai promis à ma mère de revenir intact de la guerre, mais j'ai parfois des moments de doute, de peur même. Cela vous prend dans les entrailles, une angoisse mortelle surgit en vous et il vous faut toute votre volonté pour réagir, retrouver votre sang-froid, votre dignité. J'envie ceux qui se comportent en héros et je me pose des questions. Sont-ils en proie aux mêmes troubles que les miens ou sont-ils d'une espèce différente. Le commandant nous demanda de nous enterrer le mieux que nous le pourrions le faire en creusant des trous individuels ou collectifs. J'optai pour une tranchée assez grande pour contenir l'effectif de mon poste et nous nous mîmes au travail. J'avais également installé notre poste ER17 que nous avions trimballé péniblement jusque là en nous relayant pour le porter. Nous étions au bord d'un chemin qui descendait sur St QUIRIN et j'avais dû installer l'antenne à l'air libre sur ce chemin. Pendant que les copains finissaient l'aménagement de la tranchée, je cherchais à me mettre en liaison avec les autres postes du régiment et les V d'appel, suivis de notre indicatif s'envolèrent dans les airs. Bientôt la liaison radio fut établie et le commandant me demanda d'instituer une écoute permanente en établissant un tour de garde. La journée se passa dans le calme. Il n'y avait plus de roulante pour la soupe et nous devions vivre sur nos réserves. Moi, je partageais ma pitance avec mon copain Roland, mais nous risquions d'avoir soif car nous n'avions plus d'accès à l'eau. La veille, sans en aviser mes camarades, j'avais pénétré dans une petite épicerie, tenue par une brave grand-mère et j'avais acheté une bouteille de rhum en lui disant : - Je crois qu'on va en avoir besoin ! Je décidais d'attendre encore avant d'ouvrir cette bouteille mais je savais que l'heure était proche où nous aurions recours à ce stimulant. Quand le soir arriva, j'étais à l'écoute d'un éventuel appel radio. J'avais décidé de rester jusqu'à minuit et de me faire relever par Roland. Dans la nuit qui tombait j'avais cherché un endroit un peu abrité en cas de bombardement et j'avais repéré un rocher contre lequel j'avais installé ma couverture et mes affaires, me proposant de venir m'allonger là une fois mon service terminé. Donc, vers minuit, la relève assurée, je me dirigeais vers mon lieu de repos, lorsqu'à ma grande surprise, j'entrevis dans l'obscurité une forme allongée à la place que j'avais choisi. - Holà, vire-toi de là, c'est ma place, allez ouste ! Pas de réponse. Je me penchais pour attraper cet importun par le col quand une voix apeurée me supplia: - C'est toi FUFU je t'en prie laisse-moi là, j'ai peur. J'étais vraiment surpris car l'homme qui me parlait ainsi était BIZET, un gars de mon abri. Agé de 35-36 ans, véritable sosie du grand acteur Pierre BLANCHARD, bien connu à cette époque. BIZET jouait volontiers les durs et les oracles et le trouver là claquant des dents, en pleine déprime ! ! ! - Allez, pousse-toi que je puisse m'allonger ! ! A contre-coeur il m'obéit, libérant la moitié de ma couverture. A peine avais-je pris place à ses côtés qu'il se colla littéralement contre moi, comme un enfant apeuré le fait avec sa mère. Merde et remerde, hier soir une pédale, ce soir un foireux. Vraiment j'étais gâté. Hier j'avais risqué de virer ma cuti, maintenant je risquais de me mettre à claquer des dents, car la trouille est communicative, surtout quand vous entendez le chuintement des obus de mortier passer au dessus de votre tête et que le bruit des explosions ne paraît pas tellement lointain. Je pris le parti de le laisser à mes côtés en lui disant fermement : - D'accord mais tu boucles ta grande gueule. Ça ne sert à rien de se lamenter. Autant essayer de dormir. Ce que je fis avec l'insouciance que l'on retrouve souvent chez les jeunes, en murmurant toutefois et pour moi seul "Inch Allah demain il fera jour…". Quand je m'éveillais à l'aube je jetais un coup d'oeil circulaire sur ce qui m'entourait. La plupart des soldats se reposaient encore allongés à même le sol. J'avais les "côtes en long" et je fis quelques mouvements pour me remettre en forme, puis négligemment je jetais un coup d'oeil sur le rocher couvert de mousse qui nous avait protégé et soudain j'éclatais de rire malgré le tragique de la situation. Balançant un grand coup de godasses sur ce monticule je le vis s'effondrer en poussière sur la gueule de BIZET, qui réveillé en sursaut crut à une attaque allemande. Ce que j'avais pris la veille pour un rocher n'était en fait qu'une vieille souche pourrie. Parmi les nombreux objets qui s'alignaient le long de la route, témoins de notre désarroi, j'avais eu l'occasion d'échanger mes chaussures éculées, puis j'avais ramassé un gros revolver et un pullover. Il n'y avait qu'à se baisser pour se servir, le magasin était vaste et bien fourni. Du savon, des conserves, des armes, des munitions et des tas d'objets personnels. Les Allemands, derrière nous, devaient être bien renseignés sur l'état d'esprit des soldats qu'ils avaient à combattre et dire que moi, j'étais dans ce bordel, lucide comme un correspondant de guerre, pesant mes chances de me sortir vivant de ce guêpier en conciliant mon devoir et mes possibilités de survie. Je me répétais sans cesse : "FUFU reste lucide, sois attentif. Tu arrives à un tournant de ta vie où le moindre geste peut te sauver ou te condamner". En tout homme il y a le primitif, le fauve qui sommeille et je les sentais ressurgir en moi. Je sentais confusément que cette journée du 21 Juin 1940 serait cruciale pour moi, pour les autres. Nous n'avions plus de ravitaillement, sauf les prévoyants qui comme moi avaient consenti à traîner une charge supplémentaire mais combien utile. C'était surtout de soif que nous commencions à souffrir. Les heures s'égrenaient lentement dans l'apathie mêlée d'une sourde angoisse. C'est à midi que l'enfer se déchaîna. Les mortiers, les mitrailleuses, les grenades participaient au concert. Les branches des arbres, hachées par la mitraille tombaient dans un craquement sec. Sous la voûte des grands hêtres et des pins les chants guerriers des Allemands, leurs cris de nazis ivrent de gloire se répercutaient, nous glaçant d'épouvante. Réfugiés dans notre trou nous attendions la fin de ce cauchemar. Notre commandant imperturbable circulait parmi ses hommes les encourageant par son calme. Un peu après 15 h il vint sur le bord de notre tranchée où nous étions blottis et demanda :- Qui est le chef de poste ? - Moi mon commandant - Bien ! La situation est désespérée et nous allons sans doute être faits prisonniers. Vous allez passer un dernier message en clair. Veuillez noter… Je pris le carnet réservé à cet usage et inscrivis ce qui suit. - … Sommes encerclés. Lutterons jusqu'au bout. Vive la FRANCE. commandant SOURIAU troisième bataillon 166ème R.I.F. Allez.Transmettez et détruisez votre poste complètement. Et il ajouta : - Si parmi vous il y en a qui veulent faire un carton pour l'honneur, qu'il vienne à mes côtés" Personne ne bouge. A quoi bon puisque tout était consommé. Je me souviens que mon copain ROLAND, assis au fond de la tranchée, me cria : - Et toi FUFU fais pas le con, pour nous faire massacrer. Le pauvre, il me prenait vraiment pour BUFFALO BILL. Je passais mon message en morse, puis je saisis la masse qui était dans le sac à outils et j'entrepris de détruire ce qui représentait notre dernier lien avec le monde extérieur. J'avais du mal à refouler mes larmes, je me devais malgré mon petit grade de donner l'exemple du calme. C'est à ce moment que je songeais à ma bouteille de rhum. Je l'extirpais de la musette posée sur le bord de la tranchée et m'efforçant de sourire je m'écriais : - Regardez les gars, la surprise du jour ! ! et charité bien ordonnée commençant toujours par soi-même je m'en enfilais une grande rasade derrière la cravate. Nous étions 8, nous avions tous la trouille, la bouteille ne pouvait résister bien longtemps. 5 minutes plus tard, je la balançais dans le décor. Croyez-moi si vous voulez, mais je puis vous affirmer qu'un grand verre de rhum dans un tel moment ça vous donne un sacré coup de tonus. La mitraille faisait toujours rage. Je contemplais avec désespoir mon poste détruit quand soudain, comme par miracle, un silence impressionnant succéda au vacarme. C'était encore plus angoissant et nous en étions à nous regarder inquiets quand un cri me fit sursauter. Un soldat dévalait la pente en criant : - Mon commandant ! Mon commandant ! On n'a plus de munitions pour notre mitrailleuse ! Il voulait parler de l'arme installée au sommet de la colline et qui représentait notre ultime défense. Je vis alors le commandant se diriger vers nous et demander : - Y a-t-il des volontaires pour porter des munitions? Un silence embarrassé s'installa parmi nous. Le soldat LAPORTE, un Vosgien d'EPINAL fut le premier à réagir. Il me regarda et me posa la question : - Qu'est-ce qu'on fait FUFU ? On y va. - On y va ! et joignant le geste à la parole j'enjambais le parapet. La fusillade avait repris, intense, mortelle. Et je voudrais, arrivé à ce passage, m'adresser à vous lecteur confortablement installé dans votre fauteuil, pour vous dire que le type qui vidait le carquois du poste, contenant les outils qui prenait des bandes de mitrailleuse pour les entasser dedans et qui partait ainsi lesté, à l'escalade de la colline, n'avait rien à voir avec le type qui deux minutes plus tôt se trouvait dans la tranchée. J'entendais les balles siffler à mes oreilles et croyez-moi quand elles ricochent sur les arbres et partent en tourbillonnant, cela fait une drôle de musique. Mais cela me laissait insensible car j'avais reçu une énorme décharge d'adrénaline qui m'avait transformé. Je n'étais plus moi mais un autre et je montais, montais vers le danger, peut-être vers la mort et pourtant mécaniquement un pas succédait à un autre. Soudain, je les vis là devant moi, les Allemands qui venaient à ma rencontre. Que faire ? J'étais désarmé, me rendre ? Je n'y ai même pas songé. Alors leur échapper ! ! D'un geste rapide je balançais les munitions, désormais inutiles et me retournant, je me mis à courir en direction du P.C. Je zigzaguais à travers les arbres alors qu'ils me canardaient en courant eux aussi. Soudain, sur mes talons, une forte explosion vint me surprendre. Je me jetais à terre en pensant : "Les cons, ils me balancent des grenades". Aussitôt la deuxième explosion, je me relevai et repartis de plus belle. Ils ont bonne mine les athlètes des Jeux Olympiques avec leurs 10 secondes au 100 m. Moi je venais de pulvériser le record du monde de la distance. Malheureusement le chronométreur était absent ce jour là. J'arrivai enfin comme un bolide à notre tranchée dans laquelle je piquais une tête, reprenant difficilement mon souffle le coeur battant à plus de 200 pulsations. J'étais écrasé au fond de mon abri quand j'entendis parler allemand, ou plutôt vociférer car il ne savent rien faire d'autre que gueuler. Prudemment je me levai et pointant ma tête au ras de la tranchée je jetai un coup d'oeil sur le paysage. Ce que je vis me stupéfia. L'état-major au grand complet était réuni à quelques mètres à ma gauche. Cinq ou six Allemands les tenaient en respect et tout le monde avait les bras levés. Je me baissais vivement, étant au ras des paquerettes, personne ne m'avait vu. Avec un peu de chance, ils allaient foutre le camp et moi le soir je pourrai peut-être m'en tirer. J'en étais là de mes réflexions quand une violente explosion me fit sursauter, puis soudain réaliser. Mon cousin ALBERT, héros de mon enfance, m'avait souvent raconté qu'il ne prenait jamais de risques quand il dépassait une tranchée lors d'une attaque. Il balançait tout simplement une grenade dans les trous. Je savais aussi que pour se rendre, Français ou Allemands criaient : "camarade" ou "kamerad" en levant les bras. Tel un diable sortant de sa boîte je me dressais en criant moi aussi : "camarade, camarade !" Toutes les têtes se tournèrent dans ma direction. Un Schleu, baïonnette au canon, s'élança sur moi. J'essayai de sourire en lui disant : "Fais pas le con !" mais il ne quitta pas son air mauvais pour autant. "raus, schnell !". Je venais d'apprendre mes premiers mots d'allemand. Je sortis en vitesse de mon trou et, asticoté par ce mauvais coucheur, j'allais rejoindre les autres. Les frisés ne paraissaient pas pressés de partir, semblant attendre des ordres. Le petit "gefreiter" qui les commandait avait l'air sympa, (évidemment c'était un caporal comme moi ). Le vrai type germanique, blond, les yeux bleus, l'air énergique. 46 ans après j'ai toujours son image dans mon souvenir. Par contre il y en avait un qui avait vraiment une sale gueule et si on lui avait coupé les oreilles son casque lui aurait bouché la vue. Ils étaient tous impressionnants avec leurs grenades à manche enfilées dans leurs petites bottes, leurs mausers avec la courte baïonnette, leurs manches retroussées alors que nous avions encore la capote obligatoire. Oui vraiment nous étions toujours en 14. Il ne fallait pas bouger, pas parler, les coups de baïonnette partaient tout seuls. Avec angoisse je me rappelais soudain que j'avais un petit revolver cycliste dans ma poche, celui que j'avais trouvé étant resté dans la tranchée avec mon mousqueton. Oh ce n'était pas une arme méchante mais s'ils me trouvaient avec cela je n'y coupais pas. Insensiblement je me glissais à l'intérieur du groupe et ainsi abrité, je baissais un bras, l'oeil aux aguets, puis d'un geste rapide je saisis mon petit pétard dans ma poche gauche et le laissais tomber dans les feuilles. Ouf encore une belle émotion vécue. Insensiblement je revins à la place que j'occupais auparavant et je jetais un coup d'oeil sur la tranchée que je venais d'abandonner. Ma musette était restée sur le bord du trou et elle contenait mes deux pullovers, celui de ma marraine LUCETTE et celui que j'avais trouvé. Je n'avais qu'une chemise et ma capote sur le dos car nous étions en Juin et nous gardions les lainages pour la nuit. Je décidais de risquer le coup, de reprendre mon bien. J'avais retrouvé toute ma lucidité, la peur s'étant envolée. M'adressant au soldat allemand le plus proche de moi, je l'interpellai : - Eh toto ! ! Il me regarda surpris et de nouveau je fis un sourire. Il n'y a rien de tel pour inspirer confiance. - Was ist loss ? Je crus comprendre qu'il m'interrogeait. Alors du doigt je montrais ma musette. Il me regardait surpris, ne comprenant pas. Alors je mis mes mains autour de mon cou en faisant : "Brrr" puis je montrais de nouveau ma musette, puis je lui fis voir que je n'avais rien sous ma capote. Il me dit : "ja ja" et me posant son flingue sur la poitrine il me fit signe d'aller jusqu'à l'objet de mes désirs. Quand je me penchais pour saisir ma musette il gueula encore un truc que je ne compris pas, mais son mauser était pointé sur ma petite gueule et c'est avec une douceur d'ange que je sortis mes deux pullovers. Il redoutait sans doute que je prenne une arme et quand je me redressais, je lui fis un nouveau sourire en lui disant : "Merci". Il avait compris et me rendit mon sourire mais cela ne l'empêcha pas de m'asticoter encore avec son flingue pour m'inciter à rejoindre les autres. Notre attente ne dura pas bien longtemps. Après s'être assuré qu'il ne restait plus un Français dans le proche secteur, les frisés toujours vociférant nous enjoignirent de partir, les bras toujours hauts levés. Tout en trottinant, serrés comme des moutons se rendant aux abattoirs, nous parcourûmes ainsi une cinquantaine de mètres lorsqu'une violente rafale de mitrailleuse s'abattit sur nous. A ma gauche, un petit pasteur protestant, que nous avions cru un instant déserteur, car il s'était arrêté deux jours dans son village de LORRAINE, s'écroula en portant les mains à sa gorge d'où un flot de sang jaillissait. Le larynx n'était pas atteint car il cria en tombant à genoux : "Qui a tiré ?". A ma droite, un autre soldat partit en courant tout en se tenant la tête rougie par le sang qui jaillissait entre ses doigts. Un peu devant, un autre sautillait sur une jambe, les doigts de pied de son autre jambe sectionnés par une balle et moi j'étais intact au milieu de ce carnage. Je ne savais s'il y avait d'autres blessés, car harcelés par les Allemands, nous nous étions mis à courir dans le chemin qui descendait vers St QUIRIN. Enfin nous fûmes hors d'atteinte de cette mitrailleuse sans doute française, qui avait tapé dans le tas, son servant n'entendant que les Allemands crier des ordres. Ces derniers nous incitèrent alors à ralentir. Alors que nous arrivions dans leurs lignes nous eûmes une nouvelle frayeur en découvrant un mitrailleur allemand tenant son camarade exsangue sur ses genoux. A notre vue il le lâcha et bondit sur sa pièce en faisant mine de tirer, sans doute pour venger son copain mourant ou tout au moins gravement touché. Notre petit "Gefreiter" l'engueula fermement car il tenait à nous ramener intact à ses chefs et nous étions d'accord avec lui. S'il n'y avait eu que moi je l'aurais nommé général. A peine avions-nous parcouru 100 mètres que le chuintement si caractéristique des mortiers se fit entendre. Pêle-mêle, Allemands et Français confondus nous nous jetâmes à plat ventre. C'était un bombardement en règle et les explosions nous encadraient.Et c'est ici, dans ce tragique moment que se place un épisode amusant. Nous étions tous le nez dans la poussière et en levant la tête pour juger de la situation je vis à un mètre de moi, une musette abandonnée, d'où dépassait un morceau de lard. Avec le recul je me rends compte que ce que je fis à ce moment était insensé, mais il me fallait ce bout de lard. Doucement je me mis à ramper et plaf ! ! je posais ma main sur l'objet de ma convoitise, ne bougeant plus d'un poil. Dès que le tir cessa, les frisés nous relevèrent vigoureusement. Je vis que l'un d'eux avait de l'écume au coin des lèvres. Etaient-ils dopés ? Moi j'avais mon morceau de lard au bout du bras et personne ne supposa que c'était une arme, même secrète que je brandissais. Nous dépassâmes un tas de sacs à dos de l'armée allemande et nous comprîmes que les frisés montaient à l'attaque en tenue allégée. Combien de ces sacs ne retrouveraient pas leurs propriétaires ? Après 1 km environ une zone tranquille enfin atteinte nous poussâmes tous un grand soupir de soulagement. Prisonniers sans doute mais vivants et je me rendais compte que les Schleus aussi étaient heureux. Ils avaient quitté la zone de combat et ayant fait un état-major prisonnier, ils seraient décorés. C'est alors que Roland remarqua mon bout de lard qui,avec la sueur et la poussière,avait pris une drôle de couleur. - Tu vas foutre cela en l'air, tu es dégueulasse ! ! - Attends qu'on baisse les bras je les mettrai dans ma poche. Si tu crois qu'on nous emmène vers un restaurant 4 étoiles tu te goures mon pote. Nous avions tous la gorge desséchée par le manque d'eau, la peur, les émotions et lorsque nous débouchâmes sur la place de St QUIRIN et que nous aperçûmes la fontaine d'où s'écoulait une eau fraîche et limpide ce fut une ruée sauvage que les Allemands ne purent endiguer. Les coups de crosse se mirent à pleuvoir avec leur corollaire d'injures, de cris et ils commençaient à nous refouler, quand dominant le vacarme un ordre, parti d'un balcon surplombant la place, arrêta net nos ennemis qui se mirent au garde-à-vous. Tout le monde s'était immobilisé, quand l'officier qui était intervenu, d'un geste large nous indiqua la fontaine et nous cria en français : "Vous pouvez boire" C'est invraisemblable de voir la quantité d'eau que l'on peut ingurgiter quand on commence à se déshydrater ! Puis nous reprîmes notre marche, avec cette fois l'autorisation de poser les mains sur notre tête. J'avais mis mon lard dans ma poche de capote et mes mains bien grasses allaient me dispenser de brillantine pendant quelques jours. Les Fritz nous activaient et nous laissaient parler. Des bruits commencèrent à circuler : ils se débarrassent des traînards et cela nous incitait, malgré notre épuisement à marcher bon train. C'est ainsi que le soir nous pénétrâmes dans le village de CIREY où l'on nous parqua dans la cour de l'école. Enfin au repos, chacun s'écroula dans son coin, n'ayant pas envie de commenter la situation, cherchant l'oubli des heures vécues.

.c.EN CAPTIVITE

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Nous en avions réchappé. Cette phrase résonnait dans ma tête. J'étais prisonnier mais la guerre ne saurait s'éterniser. Le principal n'était-il pas d'avoir sauvé sa peau.! L'avenir, la libération, on avait le temps d'y penser. Les Allemands nous ayant pris en charge allaient certainement nous donner à manger. Aucun de nous ne pensait que les jours qui allaient suivre seraient terribles, rendus insuppor-tables par un autre genre de souffrance, que beaucoup ignoraient, sauf moi peut-être pour qui c'était une hantise. La faim avec en corollaire l'affaiblissement progressif et l'obsession permanente qui s'installe dans votre esprit. Manger manger n'importe quoi, mais manger. La nuit arriva sans que les Allemands ne songent à nos estomacs vides. Nous étions allongés à même la terre et j'avais donné un pullover à mon ami. L'heure du choix m'avait posé un problème de morale. Le pull bleu que ma marraine m'avait tricoté comptait beaucoup pour moi. Il m'allait bien, il était chaud et confortable alors que celui que j'avais trouvé avait une échancrure et était moins épais. Roland était pour moi comme un frère et je ne pouvais que lui offrir celui auquel je tenais le plus. Il accepta avec reconnaissance mais je lui dis toutefois : - Tu sais Roland, quand la guerre sera terminée, tu me le rendras. En attendant, à le voir sur toi me fera penser à LUCETTE, ma petite marraine. Ce soir- là, malgré notre inconfortable situation, nous nous endormîmes soulagés avec toutefois en toile de fond dans nos pensées les horreurs que nous venions de vivre. La journée du lendemain se serait annoncée radieuse en temps de paix. Nous étions le 22 Juin et malgré la faim qui commençait à nous torturer, nous nous laissions gagner par l'espoir d'une proche libération. Un Armistice ne saurait tarder à être signé puisque nous étions les derniers combattants d'une guerre perdue. D'autres prisonniers arrivaient en aussi mauvais état que nous. Nous cherchions tous un ami, une relation. Nous interrogions et nous éprouvions une certaine joie d'être encore en vie, de pouvoir respirer l'air vivifiant des VOSGES. La journée s'écoula ainsi assez rapidement, faite d'espoir. Quelques Allemands nous gardaient et à part leurs équipements n'avaient pas l'air tellement différents de nous. Certains nous disaient en mauvais français : "Guerre pas bon, bientôt finie" et nous échangions même des sourires alors que la veille on ne pensait qu'a se taper sur la gueule. J'en étais à mes méditations sur la connerie humaine quand Roland s'approcha de moi, un petit air gêné sur son visage qui commençait à perdre ses belles couleurs. - Ton morceau de lard, tu l'as toujours ! En guise de réponse je plongeais ma main dans la poche de ma capote et en sortis un objet long et noirâtre qui était sensé avoir appartenu à un cochon. :" Tiens le voila, patate !". Il fit une moue dubitative, se demandant si je ne me trompais pas. - Tu sais Roland, si tu n'en veux pas, je n'insiste pas. Il protesta : - Mais si, mais si, j'en veux, seulement tu m'excuseras. J'ai connu des hors-d'oeuvre plus appétissants. - Eh bien mon vieux, vu les circonstances ce sera les hors-d'oeuvre, le plat principal, les légumes, le fromage et le dessert ; et sur ces paroles j'entrepris de couper le morceau en deux. Comme nous n'avons plus de couteaux je dus user la couenne sur l'angle d'une pierre. Quand je tendis sa part à mon copain j'avais les mains plutôt grasses et cela me rappela une scène de cinéma où CESAR BORGIA s'essuyait les mains sur ses longs cheveux ! Les miens étant assez courts et suffisamment gras j'optai pour la capote. Vu l'état où elle se trouvait, un peu plus, un peu moins, qu'importait. En nous regardant mastiquer laborieusement tous les deux nous éclatâmes de rire à la surprise de nos voisins. Entendre rire de nouveau, était-ce donc si surprenant ? Bah ! Nous étions encore de grands gosses et après la tension de ces jours de bataille cela paraissait si bon de pouvoir se détendre un peu. Après une nuit semblable à la précédente on nous rassembla et nous eûmes droit à un premier comptage.: "Ein zwei, drei, vier" et toujours ces coups de gueule qui écorchaient nos oreilles de latin, et toujours ces coups de crosses distribués à "coeur que veux-tu". Puis on nous fit sortir de la cour de l'école, pour, ensuite, colonne par 4 prendre la route pour une direction inconnue et cela toujours sans bouffer. On nous avait encore prévenu : "Malheur aux traînards". Certains bruits faisaient état de massacres et la trouille d'une défaillance nous faisait tenir debout. Ce n'est qu'après de longues heures de marche que nous atteignîmes LORQUIN où l'on nous parqua dans l'asile d'aliénés. Certains prisonniers étaient à bout de forces mais les plus forts avaient soutenu les plus faibles et nous étions tous là, serrés comme des moutons apeurés. C'est alors qu'eut lieu la première distribution de vivre. Un camembert qui avait dû venir tout seul dans les VOSGES et deux ou trois biscuits par soldat. J'avais trouvé une place sur un banc et machinalement j'avais posé mon "claquot" à côté de moi, gardant mes mains libres pour tenir mes biscuits que je dévorais. Mal m'en prit car lorsque je voulus disputer aux asticots ces protéines, indispensables à ma survie le "calendos" avait disparu. Je sais bien qu'il avait tendance à marcher tout seul, mais quand même ! Par acquit de conscience je jetais un regard sous le banc, rien. Je jetais un coup d'oeil soupçonneux à mes voisins mais des enfants de choeur un jour de grand'messe n'auraient pas eu l'air plus innocents. Alors ce soir là, mélancoliquement, je resserrais mon ceinturon d'un cran. Le temps s'était couvert et nous allions de nouveau dormir à même le sol. Je me mis à fureter partout et j'eus la chance de découvrir des pélerines à ypérite : sorte de papier imperméable que je m'empressais de saisir car la pluie menaçait. J'allais retrouver Roland qui me présenta un caporal-chef de ses amis, instituteur dans l'YONNE, région d'où était originaire mon camarade. J'avais toujours aimé les instituteurs car je leur devais le peu de savoir que je possédais et celui-là avait un visage qui respirait la bonté. " MICHEL" - "FUFU". Une rapide et franche poignée de main. J'avais un nouveau copain, plus âgé que nous et je devais l'apprendre, très inquiet sur le sort de sa femme et de ses deux enfants. Mais Michel était un fervent catholique qui avait une foi indécrottable en notre SEIGNEUR-DIEU et il s'en remettait à la Providence pour son avenir. Je réserverai, plus loin, quelques lignes à mon nouvel ami, qui devait m'aider dans ma transformation morale et influencer mon jugement sur beaucoup de choses. La pluie ne tarda pas à faire son apparition, une vraie pluie d'été, drue, serrée, tiède. Chacun cherchait à s'abriter comme il le pouvait, mais nous étions parqués dans une cour dont le sol se transforma en boue et il n'y avait pas d'abri va-lable. Il nous fallut donc, quand la nuit fut tombée, nous allonger ainsi, dans l'humidité. Heureusement que j'avais trouvé ces pèlerines car enveloppés dedans, nous pûmes nous endormir sans trop de difficultés. Mon estomac, lui ne trouvait pas le sommeil. La vache, il n'arrêtait pas de gazouiller. Sans doute, on était au printemps mais ce n'était pas une raison pour imiter les oiseaux. Moi qui redoutait tant cette saloperie de faim. J'étais servi. Je commençait à phantasmer : un beefteack frites par pitié ! Les femmes, oubliées. Excusez-moi, les nénettes, ce n'est pas à vos charmantes cuisses que je rêvais ce soir là, mais à une énorme cuisse de poulet bien tendre. Comme la vie est bizarre avec ses priorités changeantes !! Et dans les jours qui suivirent notre jeune continua. On se demandait avec angoisse si les Frisés voulaient purger notre organisme de toutes les impuretés amassées par dix mois de boeuf en daube (ah ce boeuf en daube tant décrié, si seulement on pouvait en avoir un peu). Puis nos gardiens inventèrent un jeu amusant (pour eux). Par dessus les grands grillages qui limitaient notre espace vital, il balançaient des bouts de pain, pendant que d'autres soldats allemands nous mitraillaient avec... leurs appareils photo. Nous devions évoquer des moineaux piaillards et ils riaient.... Mais ils riaient...car nous nous précipitions sur le moindre bout de pain à notre portée. C'était une ruée sauvage, une lutte pour la vie et je n'étais pas le dernier, je n'avais plus d'état d'âme. Je voulais survivre, cela était mon seul objectif. Il y avait un gars de notre ancien P.C qui était resté avec nous un chtimi que je n'aimais pas particulièrement car il n'avait pas l'air franc des copains de sa région. Il nous regardait nous expliquer, d'un air réprobateur en nous disant : - Vous n'avez aucune dignité ! Je pensais : "Ce con, il va me filer des complexes. Je suis un primitif, ça je le sais, mais quand même, qu'un gars que je n'aime pas me le rappelle ! !" Aussi jugez de ma délivrance, quand avançant la main pour saisir un morceau de pain ,enseveli que j'étais sous une vraie mêlée de rugby, une autre main heurta la mienne et du bout de cette main, mon chtimi si fier qui tentait vainement d'atteindre l'objet de notre convoitise réciproque. - Tiens, DEWALD et ta diginité, qu'en fais-tu? - Je n'en ai plus rien à foutre. J'ai faim, tu comprends, j'ai faim ! Pendant ce temps les autres s'étaient relevés, le bout de pain s'était envolé et nous, à quatre pattes, nous étions comme deux andouilles, entrain d'échanger nos mondanités. Et les Allemands ne se privaient pas de nous filmer. C'était si bon pour leur propagande. Ce récit ne serait pas complet si je ne parlais ici d'un problème de plus en plus présent, celui de l'hygiène. Nous étions trop nombreux pour les points d'eau qui nous étaient réservés. Pour boire il nous fallait "faire la queue" alors la toilette, il ne fallait pas espérer la faire. Nos intestins commençaient à nous poser des problèmes. Le régime que nous avions vécu, celui que nous vivions, n'étaient pas fait pour que nous ayons des selles normales. La dysentrie fit son apparition et nous n'avions pas de papier pour nous essuyer le "derche". Alors voyez les dégâts dans nos pantalons. Quand il nous fallait marcher, notre entre-jambe s'irritait bien vite, nous causant des douleurs intolérables que seule une hygiène totale aurait pu guérir. Je n'ai jamais lu dans les récits qu'il me fut donné de parcourir plus tard, la description de ce mal qui nous concernait tous. Evidemment, un héros qui a le cul merdeux ce n'est pas très romantique et le mythe en prend un coup. Mais je pense que cela devait être écrit. Tant pis pour les esthètes. Qu'ils lisent Jules Verne ou F. Cooper , leurs héros sont toujours impeccables, mais je dois avouer qu'eux non plus, n'ayant pas de papier, je me suis souvent demandé comment ils résolvaient leurs problèmes. Notre impatience allait grandissante car les allemands nous criaient : Guerre finie ! Nous n'osions le croire, d'autant plus qu'ils nous gardaient avec la même rigueur. Enfin, un matin ils nous firent comprendre que nous allions être regroupés pour être démobilisés. Nous devinrent fous de joie à la pensée de pouvoir bientôt regagner nos foyers et nous ne nous fîmes pas prier pour former la longue colonne qui, à pied, prit la direction de Sarrebourg. La route nous parue interminable et tout le long de notre cortège, les soldats ennemis montaient une garde vigilante. Nous étions épuisés par les privations, la fatigue se lisait sur le vi-sage de chacun de nous et les civils nous regardaient passer les larmes aux yeux. Certains nous tendaient à boire ou un peu de victuailles malgré les Fritz qui les repoussaient sans ménagement. Aux approches de Sarrebourg ces mêmes gens qui quelques jours auparavant nous avaient dit leur mépris, nous criaient maintenant "Bravo les petits gars, qu'est-ce que vous leur avez mis! Une brave femme le visage innondé de larmes m'a apostrophé alors que je passais à sa hauteur "Bravo, les hopitaux sont pleins, ils ne savent plus où les mettre, vous vous êtes bien battus. Et devant ces gens, devant notre peuple qui nous encourageait nous éprouvions un sentiment de réconfort un regret de n'avoir pu faire mieux. Et nous retrouvions un peu de notre dignité perdue, nous redressions la tête. Etions-nous responsables de cette écrasante défaite ? Nous avions prouvé que nous savions nous battre, alors que les moyens nous manquaient. Seule l'imprévoyance, la légèreté de nos gouvernements étaient à impliquer. Le peuple allemand n'était pas différent du notre, un fou avait su les galvaniser, en faire des vainqueurs. Chez nous, personne n'avait fait le nécessaire pour nous transformer en combattant ayant du coeur au ventre avec un moral pouvant nous conduire jusqu'au sacrifice suprême, dans l'esprit de la Marne, de Verdun. Et pourtant pendant quelques jours, nous avions confirmé notre valeur. Merci braves Lorrains de votre accueil aux vaincus, vous l'avez fait sans fleurs, mais avec tout votre coeur. Notre entrée à Sarrebourg fut un peu comme une douche froide s'abattant sur nous. Partout flottaient des oriflammes rouges avec la sinistre croix gammée en son centre. Beaucoup de soldats allemands nous dévisageaient, un sourire ironique sur les lèvres et de nouveau un peu de honte nous envahissait. C'est dans cet état d'esprit qu'on nous fit pénétrer dans une caserne où déjà beaucoup de prisonniers étaient rassemblés. Avec mes copains nous trouvâmes à nous loger dans d'immenses écuries où de la paille avait été disposé. Au moins nous avions un toit, une couche qui nous semblait confortable après la terre nous avait servi de matelas depuis notre départ de la ligne Maginot. Dans un coin de la cour se trouvait l'ancien abreuvoir avec hélas un seul robinet pour l'alimenter et les mêmes problèmes allaient se présenter. Faire la queue pour boire, pour essayer de faire un brin de toilette ! Des tinettes avaient été creusées à la mode allemande. Une tranchée avec devant un gros basting sur lequel nous nous asseyons pour déféquer et là aussi il fallait faire la queue. Délaissant mes copains, j'allais reconnaitre les lieux et je croisais des soldats de toutes armes, deuxième classe et gradés confondus en un maelstrom humain se mouvant en désordre. Sur certaines manches je remarquais l'emplacement des galons arrachés au dernier moment de la bataille, souvent par peur et certains à l'heure du tri, officiers d'un côté, homme de troupe de l'autre ont dû regretter leur geste un peu lâche, on doit s'assumer jusqu'au bout. Je constatai aussi que la discipline et le respect avaient disparu et qu'il était de bon ton de tutoyer tout le monde quelque soit l'âge et le grade, et certains touffions semblaient y prendre un certain plaisir, une sorte de revanche sur leur médiocrité en somme. Malgré ma fatigue j'allais, j'écoutais, j'observais. Je me rendais compte que je vivais une expérience exceptionnelle qui m'aiderait à comprendre l'homme. Je n'avais pas étudié dans ma jeunesse, mais j'avais devant moi le livre de la vie grand ouvert et les pages se tournaient seules. Comme dans les mois précédents, je me retouvais acteur, mais surtout témoin et sans le savoir j'introduisais en moi la trame de ce bouquin, devant lequel je suis installé, d'écrivant cette période de ma vie passée, ces scènes qui devaient m'imprégner à tout jamais de leur cruauté, de leur émotion et parfois de leur douceur. Mes pas me portèrent devant l'entrée de la caserne, où l'on accedait par une cour d'honneur. Le soldat de garde me fit comprendre que je ne devais pas aller au delà. Un immense étendard flottait au sommet du bâtiment où se trouvait le poste de garde et d'autres drapeaux étaient piqués un peu partout. Les nazis avaient l'air d'aimer l'apparat, mais à ce point, cela était ridicule, aussi ridicule que leur façon de lever le bras en gueulant :- "Heil Hitler". Est-ce qu'on criaient : -" Vive Daladier", nous ? On aurait plutôt gueuler :-" Aux chiottes" Je remarquai un petit bâtiment d'où s'échappait de la vapeur et j'en conclu que je venais de découvrir la chaufferie. Je vis également une mitrailleuse prenant en enfilade l'immense mur qui clôturait la caserne. Et longeant ce mur je cherchai un endroit où il serait possible de se hisser sur sa crête. Je trouvai bien vite des traces dans le mur du fond et en souriait presque, j'évoquai les générations de soldats ayant pratiqués l'escalade à cet endroit. J'étais heureux de ma trouvaille mais quand je vins en faire part à mes amis je ne trouvais qu'indifférence. Dans la soirée on nous distribua un petit sac contenant des biscuits au cumin et un peu de margarine. Les Allemands commençaient à s'organiser mais d'abord à leur profit. Le pillage de nos réserves leur avait apporté ce dont depuis longtemps ils étaient privés, beurre, café, chocolat, riz, épices. Hitler leur avait dit : -" Il faut choisir entre le beurre et les canons." C'est ainsi qu'ils avaient eu des canons et nous le beurre. Maintenant ils avaient les deux et nous, juste un peu de margarine. Nos estomacs étant calmés, la chasse au bobards, aux bouteillons comme nous le disions, allait pouvoir commencer. J'avais récupéré un copain de mon bled avec le père de qui j'avais travaillé. Il avait fait son service au 37ème R.I.F. à BITCHE où nous nous étions rencontrés une ou deux fois. Ainsi à l'instar des trois mousquetaires nous devinrent quatre bien décidés à ne pas nous séparer, ROLAND, MICHEL, ALBERT et FUFU pour vous servir. Nous décidâmes de toujours laisser l'un de nous pour garder notre emplacement car de nouveaux soldats arrivaient en aussi bon état que nous et nous ne pouvions plus nous serrer davantage. Les journées allaient s'écouler dans l'attente des rumeurs tantôt optimistes, tantôt alarmistes. La FRANCE avait un nouveau gouvernement formé par PETAIN qui avait fait don de sa personne au Pays. Les Anglais continuaient la lutte; l'armistice avait été signé, une partie de la FRANCE resterait libre. Au plus tard à Noël tout le monde aurait réintégré ses foyers. D'autres moins pessimistes parlaient du 14 Juillet. C'était incroyable de constater l'impact d'un bouteillon sur une masse de pauvres types complètement débousssolés. D'où venaient ces bruits ? Lancés par les Allemands sans doute. C'est ainsi que nous apprîmes qu'à BACCARAT une sentinelle avait tiré de nuit à la mitraillueuse sur des prisonniers trop bruyants. Etait-ce vrai ? N'était-ce pas pour nous inciter à rester tranquille. Il y avait quelques jours que nous étions enfermés dans cette caserne quand je perçu une animation inaccoutumée vers la cour d'honneur. Curieux comme une pipelette toujours à l'affût de ce qui était différent du train train qui s'installait parmi nous, je me rendis en toute hâte à l'entrée où avait lieu le remue ménage et là, je vis une dame en uniforme de la Croix Rouge qui discutait avec les prisonniers. Me faufilant près d'elle, j'entendis qu'elle proposait de transmettre de nos nouvelles à nos familles. Ecrivez sur n'importe quoi, dites simplement que tout va bien et la Croix Rouge transmettra votre message. Je me mis à la recherche d'un bout de papier et d'un crayon et c'est ainsi que je pus adresser des nouvelles rassurantes à ma mère et à ma fiancée. Par la suite, par trois fois, je renouvellai l'opération et j'ai conservé ces documents retrouvé dans les archives de ma mère. Mais j'étais toujours obsédé par mon estomac vide. Un jour je décidai de prendre quelques risques pour me procurer du ravitaillement. Je me dirigeai donc vers le mur du fond et après m'être assuré que le type de garde à la mitrailleuse regardait le spectacle de la cour, hop ! j'escaladai le mur. Arrivé sur la crète, j'observai ce qui se passait à l'extérieur. Un trottoir longeait la caserne et je me dis : "c'est bien le diable si des civils ne l'empruntent pas". Effectivement j'en vis plusieurs déambuler et je me décidait à agir. Je revins comme un bolide près de mes copains et je les interrogeai : - Vous avez du pognon ? Surpris ils fouillèrent dans leurs poches et exhibèrent quelques billets. - Aboulez, je vais essayer d'améliorer l'ordinaire. Il me faut une ficelle et un bout d'étoffe assez grand. Allez en chasse, revenez avec ce que vous aurez dégotté. Un quart d'heure plus tard, j'avais ce qu'il fallait. Je confectionnai alors un panier, genre parachute retourné et je reparti vers le mur, qu'avec les mêmes précautions, j'escaladai de nouveau et je me mis à l'affût. A peine cinq minutes s'étaient-elles écoulées que je vis arriver une brave dame qui marchait hativement sur le trottoir . Je la sifflai doucement. Elle se retourna, regarda derrière elle, puis sur le côté et ne voyant rien allait repartir quand je l'interpellai : - Madame levez la tête. Je suis là. - Oui, que voulez-vous ? -A manger ! j'ai de l'argent voulez-vous aller voir dans une épicerie, achetez n'importe quoi. - Oui mais comment faire ? En guise de réponse je laissai descendre mon parachute lesté d'un cailloux et de l'argent. Elle prit le billet et parti d'un pas alerte en me disant de patienter, qu'elle n'en aurait pas pour longtemps. Ce "pas longtemps" me paru un siècle car j'avais peur que la sentinelle ne me repère. Mais la providence veillait et peu de temps après je vis la brave femme revenir en me disant : - Je suis navrée, il n'y a plus rien d'autre que des pommes de terre, les voulez-vous ? - Envoyez toujours, je me débrouillerai. Elle emplit mon torchon de patates, me rendit la monnaie et s'éclipsa non s'en m'avoir plaint et souhaité bonne chance. Moi je lui dis : - Merci, je vous fais une grosse bise, à la prochaine ! et muni de mon précieux chargement je fonçais trouver mes amis. Quel accueil ! Vraiment j'avais pas le pot. Cela me rappelait le jour où je m'étais pointé avec mon pinard alors que tous les gars s'étaient abreuvés à la cantine. - Des patates ? Tu parles, on va les bouffer crues C'est pour ça que tu as pris notre fric etc… etc… Je laissai passer l'orage et calmement je leur répondis : - Vous êtes vraiment des "caves". Qu'est-ce que les Allemands vous donnent tous les matins? de la margarine. Alors de la margarine plus des patates ça donne quoi ? Des pommes sautées. Alors là ils me prirent vraiment pour un dingue. Des pommes sautées dans un camp de prisonniers. Et le feu ? et un récipient hein, c'est pour nous faire saliver que tu nous dis cela. Je les rassurais et je dis à ROLAND :" Toi, tu m'as toujours fait confiance, alors demande aux copains de garder leur margarine pendant deux jours. Je vous promets des pommes sautées." Et je me mis en chasse, furetant dans tous les coins à la recherche d'un récipient que je finis par dégoter sous la forme d'un vieux seau qui avait du contenir de la peinture. Installé près de l'écoulement des eaux de l'abreuvoir, je me mis au travail. Tranquillement, patiemment avec de la terre sablonneuse j'entrepris d'astiquer mon ustensile. Ma persévérance fut récompensée car je pus redonner un certain lustre à mon seau que j'amenais triomphalement à mes camarades en leur disant :"Un seau, plus des patates, plus de la margarine, ça fait quoi ? en se marrant, avec un bel ensemble ils répondirent :"des pommes sautées". - Et où vas-tu les faire cuire ? vous en faites pas. J'ai mon idée , et, sur ces paroles mystérieuses je disparus à nouveau les laissant à leurs suppositions. Je me dirigeais vers la chaufferie que j'avais repérée à mon arrivée et me glissais à l'intérieur. Il n'y avait qu'un Français qui voulu me virer. Je lui gueulais :"des pommes sautées ça t'intéresses ? le gars ouvrit des yeux ronds en répétant :"des pommes sautées.., des pommes sautées..." puis ayant bien réfléchi :"oui, bien sur que ça m'intéresse". Alors il me faut du feu et du sel. Si tu as cela tu auras ta part. Et aussi procure moi un couteau je n'ai rien pour les éplucher. -"d'accord , me répondit le gars, je peux te fournir cela. Bon merci. Alors à demain à 11 heures. Malgré ma faim je revins à mon campement en sifflotant. Je voyais danser devant mes yeux des petites patates rondes et dorées à souhait et je sentais ma bouche s'humidifier doucement. Mes copains encore un peu sceptiques mirent scrupuleuseument leur corps gras de coté, malgré leur faim. C'était surtout dur pour ALBERT Nadot, mon pays, qui avait la facheuse habitude d'engloutir en une seule fois la nourriture qui nous était attribuée. Une boule pour six, un peu d'erzatz de miel, des biscuits au cumin, le tout parcimonieusement. Nous, les copains d'Albert, nous faisions de petites parts que nous grignotions au fil des heures, afin de calmer nos crampes d'estomac. En prévision d'une soupe ou d'un jus problématique, nous nous étions tous lancé à la recherche d'un récipient et il ne restait plus une seule boîte de conserves vide dans le camp. Pour ma part, j'avais déniché un masque à gaz que je m'étais empressé de balancer, ne concervant que l'étui qui devait contenir au moins deux litres. Je m'étais contenté de le rincer et m'en servais pour boire. Les gars assez chanceux pour avoir conservé un couteau creusaient des cuillères dans des planches, dans des morceaux de bois et je me disais qu'un jour j'en ferai autant en empruntant un canif, ce que je fit par la suite. Donc, pour en revenir à mes patates, ayant récupéré la margarine de mes amis et y ayant ajouté la mienne, muni de mon seau et des précieux tubercules, je pris le chemin de la chaufferie sous l'oeil inquiet de notre petit groupe, inquiet, non pas pour moi, mais pour ce qu'ils m'avaient confié avec réticences. Arrivé près du préposé à la chaufferie, je lui demandais comment je pourrait procéder et il m'indiqua un réchaud à charbon qu'il s'était procuré. -Ça fera l'affaire , dis-je. -As-tu le sel, le couteau ? -Voilà , me répondit-il en me présentant les objets demandés ! Je me mis de suite aux peluches que je m'évertuais à faire les plus mince possible, pas comme au service militaire où les gars avaient tendance à couper les patates au carré pour aller plus vite. Puis je les fendis en deux ou en quatre suivant leur grosseur. Je fis alors fondre le gras en ma possession sur le cubilot, où le type des douches avait mis des braises retirées de la chaudière. J'étais inquiet pour mon récipient. Pourvu qu'il résiste. Mais il se comporta très bien , et sous deux paires d'yeux emerveillés, les patates prirent une teinte dorée qui nous ravissait. Je les remuais avec amour avec un morceau de planche que j'avais envie de lécher. Une délicieuse odeur de cuisine venait chatouiller agréablement nos narines et nos glandes salivaires en filaient un tel rayon que nous étions obligés de déglutir comme si nous avions la bouche pleine d'aliments. Puis jugeant qu'elles étaient à point, je les salais et donnais sa part au chauffeur qui se mit à les déguster lentement tout en me remerciant. Il me fallait maintenant traverser la grande cour, au milieu des soldats affamés et je craignais une agression. Ventre affamé n'a pas d'oreilles dit un proverbe. Je décidai de me lancer au galop à travers cette cohorte de crevards qui durent se contenter de respirer dans mon sillage, le fumet odorant de mes patates. Et c'est un FUFU triomphant qui posa son récipient devant ses copains éblouis. Notre repas avait quelque chose d'irréel. Quatre prisonniers dégustaient des pommes rissolées entourés de soldats affamés qui les regardaient avec des yeux de loup. Après nous être léchés les doigts, bien calés dans notre paille, le ventre enfin garni, nous nous payâmes la plus belle sieste de notre vie. Deux jours s'écoulèrent avant que je fisse une nouvelle tentative. D'autres prisonniers avaient remarqué mon manège. D'autres endroits de franchissement étaient utilisés et les Allemands devenus méfiants avaient rendu leur garde plus vigilante. Mais la faim fait sortir le loup des bois, tant pis pour le risque ! Après un coup d'oeil sur le garde, qui au loin semblait se désintéresser de mon secteur, j'entrepris mon ascension. A peine étais-je en haut que j'entendis le bruit d'une courte rafale, alors que le mur à un mètre de moi volait en éclats. Je me laissais tomber vite fait et je m'étalais de tout mon long contre le mur. Levant la tête, je vis le Schleu hilare qui, de loin me menaçait du doigt. J'étais tombé sur un brave type qui s'était contenté de me filer une bonne trouille. Ça lui suffisait et à moi aussi. Je revins tristement raconter ma mésaventure à mes amis. Les pommes sautées ne seraient plus qu'un bon souvenir. Quelques jours plus tard, un cri circula dans l'écurie qui nous tenait lieu d'habitacle : LES POUX !! Effectivement nous avions commencé à nous gratter mais sans chercher à deviner d'où venaient nos démangeaisons. Un gars plus curieux avait fouiné et avait trouvé un, puis plusieurs spécimens de poux de corps assez gros avec une croix de Lorraine sur le dos. Les premiers gaullistes en somme ! Aussi sec, les pulls, les chemises, les pantalons subirent une inspection en règle et les exclamations saluaient chaque découverte, c'était presque une course au record. Pour ma part, j'en avais une quinzaine à mon actif et j'étais dans la moyenne. ROLAND, lui, nous regardait d'un air dégouté. "Moi, ça ne me pique pas. Je ne vois pas pourquoi je chercherais", et malgré nos supplications il refusait obstinément la partie de chasse. Méchamment je lui dit :" c'est ta peau de rouquin qui les repousse !". Le regard qu'il me décocha m'aurait fait rentrer dans un trou de souris. Ce que je me trouvais con d'avoir dit cela, cette imbécilité à mon frère ROLAND. Aussi, pourquoi niait-il l'évidence ? Des poux, il devait en avoir, comme tout le monde. Un matin, alors qu'il avait laissé son pull à notre garde, étant parti voir s'il pouvait faire un brin de toilette, je m'emparais du tricot de ma chère marraine et je me mis en chasse, clac, clac, entre les deux pouces. Je mis soigneusement les cadavres de coté, malgré ma répugnance. Mes autres copains rigolaient d'avance en pensant à la gueule de ROLAND à son retour. Il me surprit en pleine chasse et voulu me reprendre le pull. Mais il est à moi ! lui dis-je et j'ai le droit de savoir si tu l'as transformé en élevage. Tiens, regardes, j'en suis à plus de 30 et il en reste, et tout ton linge doit être semblable. Il était atterré, refusant de croire cette vérité infâme. Il était pouilleux ! Alors ce fut une chasse sauvage, il ne manquait que les cors pour l'hallali. Puis il commença à se gratter de plus en plus furieusement. Lui qui n'avait rien ressenti jusqu'à présent semblait souffrir de mille piqures et nous, pendant ce temps, nous riions comme des débiles, amusés par la réaction de notre pote bien aimé. L'inaction commençait à nous peser sérieusement. Des jeux de cartes avaient fait leur apparition. Et des parties de poker enragées s'engageaient. Des sommes folles s'entassaient sur la table. D'où sortait tout cet argent ? Des caisses des régiments, des foyers, des cantines ? On se rendait compte que l'argent avait perdu sa valeur et qu'un morceau de pain valait plus qu'un billet de 1.000 Frs. D'autres, avaient récupéré un ballon de foot-ball et formaient des équipes de sixte. Intéressé par le sport, je m'inscrivis dans une équipe mais je terminais complètement vidé ! Jouer au foot-ball le ventre vide, c'était aberrant et je n'eus aucune envie de recommencer. D'ailleurs, la sous-alimentation commençait à faire des dégâts, et il n'était pas rare de voir un gars s'écrouler victime d'une hypoglicémie qui le laissait sans force sur le sol. Les copains l'emmenaient à plusieurs vers un local où des toubibs français s'occupaient à le remettre sur pieds. La dysentrie faisait des ravages et certains soldats ne quittaient pas les lieux d'aisance du jour et de la nuit, ils se vidaient doucement dans des coliques atroces. Il était temps que tout cela se termine. Nous savions que PETAIN avait pris le pouvoir. Des journaux spécialement édités pour les prisonniers faisaient état d'une future collaboration avec le GRAND REICH, alors que l'Angleterre continuait la lutte. Nous étions complètement déboussolés. D'autres bruits faisaient état d'un grand rassemblement dans un camp où nous serions désinfectés, mieux nourris, en attendant la démobilisation qui aurait lieu avant Noël. Nous ne pensions pas encore à nous évader, quoi que j'avais dit à mes copains :" Si une occasion de foutre le camp se présente, je la prends". Mais ROLAND préchait l'attente ainsi que MICHEL. Quant à ALBERT, taciturne, il vivait replié sur lui même. Il ne savait pas encore que sa mère avait été tuée dans un bombardement de TONNERRE, une petite ville de l'Yonne où elle tentait de trouver refuge à l'exode. Mais peut-être avait-il une prescience de cette triste nouvelle. Enfin le jour tant attendu arriva. Nous étions des milliers dans cette caserne et les Allemands ne choisissaient pas ceux qui devaient partir. C'était à nous de rester groupés car quand le Fritz préposé au comptage disait stop, toutes les lamentations n'y faisaient rien, la séparation était irrémédiable. Nous partîmes dans SARREBOURG, troupeau plus lamentable encore qu'à notre arrivée. Nous étions affaiblis par le jeune, beaucoup souffraient des intestins et nous étions dévorés par les poux. Les gens étaient silencieux ou s'éclipsaient à notre passage, des étendards nazis flottaient, des pancartes rédigées en allemand s'étalaient partout. La peste brune était tombée sur la ville comme une chappe de plomb.. Nous arrivâmes enfin sur le quai de la gare où des wagons à bestiaux étaient alignés. "Chevaux 8 - Hommes 40". Vous connaissez peut-être? A l'époque, c'était le transport idéal pour ce que nous appelions de la chair à canons. En fait de 40, c'était plutôt des groupes de 60 qu'ils comptaient devant chaque wagon. Des soldats allemands en armes, étaient disposés tout le long du convoi, veillant à ce que nul ne puisse s'échapper. Et c'est en braillant des "Schnell - los" ponctués de coups de crosse qu'ils nous enjoignirent de monter dans nos sleeping. Nous étions serrés comme des harengs dans une boîte de "Capitaine Cook". Impossible de s'assoir, encore moins de s'allonger. Des vivres furent distribuées qu'un sous officier, nommé responsable du wagon, devait répartir dès que le train roulerait. La petite lucarne destinée à l'aération du compartiment comportait un entrelas de barbelés assez serré. Que signifiait toutes ces précautions puisque l'armistice était signée depuis longtemps. Une rumeur se mit à circuler : "Ils nous emmène en Allemagne." Personne ne voulait croire cela. On parlait plus volontiers de METZ ou NANCY, mais pas l'ALLEMAGNE. Pour y faire quoi ? Nous nous rendîmes bien compte, quand le train s'ébranla après que les Fritz eurent vérouillé les portes que nous ne partions pas vers le Sud, et nous étions malgré nous assez inquiets. Nous nous organisâmes pour voyager dans les meilleures conditions possibles. La moitié des prisonniers resterait debout alors que l'autre moitié se taperait le derrière sur le plancher, en essayant de somnoler. Un roulement s'établirait pour venir respirer quelques minutes devant la petite lucarne grillagée. Les pains contenus dans un sac furent fractionnés en parts égales et l'espèce de fromage, qui rappelait vaguement le gruyère, également. Il y avait quelques bidons d'eau que certains bidasses avaient pu sauver de la grande bagarre. Nous étions ainsi parés pour le voyage que nous esperions bref. Notre convoi roulait doucement passant sur des ponts de fortune que le génie allemand avait réparé. Les gars qui étaient debouts devant la fenêtre nous tenaient au courant de ce qu'ils voyaient. On nous arrêta en rase campagne. Les portes s'ouvrirent et on nous fit signe de descendre pour pisser. Les Allemands montaient une garde sévère et il avait été dit aux interprètes qu'en cas d'évasion ceux qui étaient restés dans le wagon seraient sévèrement chatiés, de sorte que l'auto-surveillance s'était instaurée. Ces messieurs avaient l'air de s'y connaitre en psychologie. Nous ne savions plus où nous étions. D'après la position du soleil nous nous rendions compte que nous allions vers le nord à petite vitesse. La nuit nous surprit sur une voie de garage. Enfin un peu de fraicheur allait faire disparaitre cette chaleur suffocante qui, avec nos démangeaisons, nous avaient incommodés toute la journée. Le soleil estival était devenu notre ennemi. Lorsqu'un prisonnier plus fragile que les autres donnait des signes d'épuisement, nous le laissions un moment près de la fenêtre. La solution la plus commode que nous ayons trouvé pour le repos était que le gars appuyé contre la paroi du wagon écarte les jambes entre lesquelles un autre prisonnier prenait place dans la même position et ainsi de suite, chacun s'appuyant sur l'autre, en général, un copain. Et ainsi nous pûmes trouver un semblant de repos. Les corps entassés et mal-propres, dégageaient une odeur aigre et fétide difficile à supporter. Certains restaient le nez collé contre les fentes des portes où un peu d'air filtrait. Nous étions complètement démoralisés. La faim, les poux, la sensation d'étouffement, les mauvaises odeurs, l'angoisse du lendemain, la peur, comment pouvions-nous supporter tout cela ? Alors ces récits sur les nazis, c'était donc vrai! Allions nous devenir des esclaves ? Quand les portes s'ouvrirent le lendemain matin, la lumière sembla cruelle à nos yeux fatigués, habitués à la pénombre. Un par un, nous nous laissâmes tomber de notre prison roulante, nous installant un peu partout pour faire nos besoins. Les Allemands nous regardaient d'un air dégouté, eux si nets, si arrogants. Pareille aux autres, j'étais devenu une épave, peut-être un peu plus résistant, un peu plus optimiste aussi parce que plus jeune. Il y avait toujours en moi cet instinct de survie exacerbé par les privations. Et je sentais la révolte me gagner. Des salauds, tous des salauds, on n'avait pas le droit de traiter ainsi des hommes simplement coupables d'avoir défendu leur pays. Un jour la roue se remettrait à tourner dans le bon sens. L'ANGLETERRE n'était pas vaincue, le monde finirait par se révolter. Et je m'accrochais à cette pensée avec un impératif : Survivre. Nous roulions de nouveau. SARREGUEMINES. Arrêt puis l'annonce par les gars de la fenêtre de noms franchement boches, puis SARREBRUCK ou l'on nous mis sur une voie de garage. Un Fritz vint ouvrir les portes mais il nous fut interdit de descendre. Alors chacun à notre tour nous allâmes devant la porte pour pisser sous l'œil hilare du frisé de service qui devait s'amuser à compter les zizis. Sur la voie qui longeait notre convoi un train de soldats allemands manœuvra et s'arrêta près du notre. Nous étions quelques uns à nous presser contre les barbelés de la petite fenêtre et la rage au cœur nous écoutions ces conquérants nous adresser leurs lazzis : - "Nous Frankreich. Mademoiselle promenade. Pommes frites vous kaput. Ah ! Ah ! "Non seulement ils étaient cruels mais ils étaient cons. En moi-même je me disais : -" Je vous baiserai un jour, je ne sais pas comment, mais je vous baiserai.". En attendant c'est nous qui étions baisés et en beauté. Enfin nous repartîmes. Une altercation avait eu lieu dans le wagon car le sous-officier chargé de la répartition des vivres avait été surpris entrain de s'ingurgiter de la nourriture qu'il avait détourné la veille. Il avait failli y laisser la peau tellement les gars étaient scandalisés par cette conduite abjecte. Mes copains et moi nous restions silencieux. Nous vivions dans notre monde intérieur fait de souvenirs, d'amour, de joie. Avions-nous tout perdu définitivement ? MICHEL priait pour les siens et pour nous. Parfois, moi, l'athée, je lui disais méchamment : - Ton Dieu, il nous laisse dans la merde. Avons-nous tant pêché qu'il nous punisse aussi sévèrement ? Ton Dieu ne connait pas le pardon, la bonté, il est trop sévère, trop cruel. Non je ne puis croire en lui. Il me répondait : - Tout à un sens dans la vie, le bon, le mauvais et en définitive tout à une fin. J'ai la foi, le Seigneur m'épargnera, me soutiendra et je reverrai les miens. Et je lui disais : - Comme je t'envie MICHEL de croire ainsi. Moi je ne crois qu'en moi pour m'en tirer et moi ma foi me dit aussi que je survivrai. Il me souriait avec tendresse en me disant : - Sacré FUFU ! Enfin nous arrivâmes en fin d'après-midi dans une grande gare avec TRIER marqué sur les panneaux. Un prisonnier qui connaissait l'Allemand nous confirma que nous étions à TREVES, une grande ville du PALATINAT. Après avoir manœuvré un moment, notre convoi s'immobilisa le long d'un quai garni de soldats en armes. Les portes des wagons s'ouvrirent avec fracas et l'on nous donna l'ordre de descendre. L'ankylose avait gagné la plupart d'entre nous. Le ventre vide, l'œil hagard, les mouvements incertains, nous reformâmes notre colonne de pauvres bougres et nous nous mîmes en marche, sans ordres, sinon ceux des frisés qui nous houspillaient sans arrêt. Nos vainqueurs allaient exhiber les vaincus à la foule. Il en est ainsi de toutes les guerres. C'était Barnum Parade sans la musique. Nous, nous étions la ménagerie. Mon Dieu, quand je me souviens de ce voyage, j'en ai encore le rouge de la honte qui me monte aux joues. Les adultes crachaient ostensiblement dans notre direction, les "gretchen" nous montraient du doigt en riant. C'était ça les Franzosen, les tombeurs de femme, les grands amoureux. C'était ces gens malpropres, ma-lodorants à qui les gosses jetaient des pierres, faussement grondés par les soldats qui bombaient le torse. Ils étaient de retour chez eux en vainqueur et la nuit qui venait leur serait très douce. Le repos du guerrier s'annonçant bien pour eux ! Quant à nous, après une longue marche exhibition, nous attaquâmes une côte qui dominait la ville. A son sommet, on distinguait au fur et à mesure que nous approchions, de grands bâtiments, puis des tours et de grands grillages entourant des alignements de baraques en bois.Pour la première fois nous faisions la découverte d'un camp avec ses miradors et ses barbelés infranchissables. Après avoir pénétré dans le camp par la porte sévèrement gardée, on nous réparti dans les baraques où les pièces ne comportaient aucun aménagement intérieur à part un poêle qui avait du servir aux sodats allemands antérieurement. Enfin, il y avait un plancher où nous nous installâmes en nous allongeant le plus vite possible. Cela ne nous était pas arrivé depuis deux jours ! Et toujours pas à bouffer ! Les vaches ! Comment ils nous traitaient. Moi qui n'avait pas un pouce de graisse en temps normal, je commençais à compter mes côtes. Mes hanches saillantes me faisaient souffrir quand elles étaient trop longtemps en contact avec le plancher et mon entre-jambe irrité me causait des douleurs à la limite du supportable et toujours ces poux qui nous démangeaient sans arrêt. Ces moments vécus par la plupart des prisonniers Français furent parmi les plus éprouvants de ma vie et je voudrais que le lecteur s'imprègne de ces scènes, de cette atmosphère déprimante, de ces souffrances de chaque minute pour mieux comprendre mon récit. Nous sommes vaincus, humiliés, sans nouvelles de nos êtres chers, nous avons faim, nous sommes sales, nous ne connaissons pas notre avenir et nous sommes là, allongés à même le sol, épuisés, démoralisés. Que reste-t-il de notre condition humaine ? Rien, absolument rien, nous sommes des épaves. Quand je vois maintenant à la télé, des scènes semblables à celles que j'ai vécues, car hélas il y a toujours des guerres, mon cœur se serre, il se souvient et pour ces pauvres types que je vois sur le petit écran, qu'ils soient Arabes, Salvadoriens, Afghans, Russes, Iraniens, Irakiens où autres quelques larmes me montent aux yeux. Moi je sais. Jusqu'à ma mort je saurai, je connaîtrai leurs pensées. C'est comme un fardeau que ma mémoire trimballe depuis 47 ans et nul ne pourra m'en débarasser, jamais. La journée du lendemain fut consacrée à notre mise en condition. Le matin distribution d'eau teintée baptisée café et une boule de pain pour six avec un peu de faux miel. Dans la journée une louche de soupe aux choux généralement et il n'y aura rien à espérer d'autre. C'était juste ce qu'il fallait pour ne pas mourir de faim. Dans la matinée on nous coupa les cheveux, on nous fit prendre une douche froide et on nous débarrassa de tout ce qui avait une valeur et que certains prisonniers avaient pu sauver : montres, briquets, couteaux, etc… Puis des Allemands s'occupèrent de nous donner une nouvelle identité c'est à dire qu'ils nous photographièrent à tour de rôle portant devant nous une ardoise avec un numéro. C'est ainsi que je devins le P.G. 18025. Le sol devant la baraque servant à ces opérations était jonché d'objets brisés. Les Français préféraient piétiner, détruire ces souvenirs, ces cadeaux plutôt que d'en faire profiter nos vainqueurs. Et enfin dernière humiliation, ils nous firent mettre tout nu en nous ordonnant de faire un ballot de nos effets qui passèrent dans une étuve afin de les débarraser des parasites dont il étaient infestés. Des civils derrière les barbelés regardaient le spectacle et prenaient des photos et les femmes moqueuses, avaient l'air particulièrement intéressées quoique aucun zizi ne manifesta une humeur batailleuse. Honteux eux aussi, ils se contentaient d'admirer nos arpions en baissant la tête. Nous devions avoir l'air con, embarrassés de nos mains, nous tournions, virions, incapable d'engager la moindre conversation. Lorsqu'on nous rendit nos effets, tout enveloppés de vapeur, ce fut un concert de lamentations car tout ce qui était en cuir était ratatiné, quant au tissu n'en parlons pas, il avait l'air de sortir de la gueule d'une vache. Et tout semblait avoir diminué d'une pointure. Comme nos tailles avaient fait de même ça collait quand même. Quelle était belle l'Armée Française ! ! Nous fûmes vite persuadés d'avoir à contribuer à l'effort de guerre Allemand et en vue d'une future affectation, on nous avait demandé notre profession. Un tuyau circulait parmi nous : "Dites que vous êtes paysan, vous serez plus sûr de bouffer." Alors imperturbable, j'avais déclaré cultivateur en espérant qu'ils ne poursuivraient pas leurs recherches très avant. Une fois chez le paysan on avisera. Mes copains avaient fait de même et les Schleus se montraient surpris. Dans l'Armée Française il n'y avait que des paysans. Petit à petit, la vie s'organisa. Nous n'avions plus de poux, nous pouvions nous laver, des coiffeurs pouvaient nous raser, nous pouvions adresser des nouvelles aux notres mais nous n'avions rien à branler de la journée. Voilà pour le côté positif. Côté négatif : la faim permanente, obsessionnelle. Pour toucher la ration de soupe, il fallait faire la queue parfois pendant des heures. On avait remarqué que les premiers servis avaient un bouillon très clair, alors que ceux qui arrivaient alors que les énormes marmites étaient presques vides, bénéficiaient d'un bouillon plus consistant. Si le calcul était mal fait, il fallait attendre une nouvelle cuisson et alors vous n'aviez que de la flotte. Le marché noir avait fait son apparition. Des gars plus habiles, ou déjà planqués avaient, qui du tabac, qui un peu de nourriture, qui une bague et des échanges se faisaient, à des taux prohibitifs. Des bouteillons circulaient soigneusement entretenus par les Allemands. Et toujours cette rumeur qui disait que nous serions chez nous pour Noël. Mais nous n'y croyons plus. On pensait plutôt à Pâques ou à la Trinité ! ! Si nous pouvions écrire, nous étions par contre toujours sans nouvelles de nos famille et l'inquiétude nous rongeait le cœur. Les gardiens n'étaient pas tendre avec nous et faisaient régner la discipline à coups de crosse. Je me souviens entre autre d'un adjudant que nous avions baptisé "cigare". Une vraie brute, prompte à dégainer son révolver ou à vous flanquer son pied dans le bas du dos. Quand nous le voyions arriver nous nous dispersions comme une volée de moineaux. Ne disait-on pas qu'il avait flingué un prisonnier qui s'était, à son avis, approché trop près des barbelés ? Bien vite le camp porta la marque d'une trop grande animation. Les petits arbres perdirent leurs écorces, l'herbe disparue pour faire place à la poussière. Il y avait au milieu du camp une immense place qui devint pour tous la "place noire" de sinistre mémoire. Là , avait lieu les rassemblements, les séances de comptages interminables, des heures debout, dans l'attente du bon vouloir de ces messieurs, les punitions aussi. Qui ne se souvient des heures de pelote, coudes au corps, le ventre vide et l'épuisement qui bien vite gagnait les organismes déficients. Pour ma part, j'ai toujours réussi à y échapper, mais je me souviens avoir vu tourner pendant des heures des soldats belges qui s'efforçaient tant bien que mal, à rester debout alors que les Fritzs déchainés gueulaient en cadence - Ein zwei, ein zwei schneller ! ! Quand les Allemands avaient besoin de main d'œuvre pour une corvée, ils prenaient les premiers pélerins à leur portée. Un jour DEWALD, celui que je n'aimais pas tellement, revint avec une boule de pain dissimulée sous sa capote. Il s'installa dans son coin et méthodiquement se mit à mastiquer son pain sans s'occuper de nos regards avides. La boule entière y passa et disparue dans les profondeurs de son estomac. Nous étions bien une vingtaine à saliver mais c'était de bonne guerre. Chacun pour soi. Il s'endormit bien vite repu, puis son sommeil devint agité et il se mit à gémir. La boule de pain allemande, telle une brique lui était restée sur son pauvre organe digestif rétrécit par le jeune. On cru vraiment qu'il allait crever là, sous nos yeux et nous ne pouvions rien faire, car les Schleus auraient pu s'appercevoir qu'il avait volé un pain. Il lui fallu toute la nuit pour venir à bout de son parpaing. Un jour je trouvais dans la cour un minuscule bout de journal. Une pensée me vint immédiatement à l'esprit. "Si je dessinais un ticket de soupe." Il me fallait un crayon, MICHEL en avait un et une épingle qu'un prisonnier me prêta. Alors avec application je dessinai mon faux ticket qui ressemblait à un timbre poste avec le pointillé servant au découpage.Bien sûr, il était moins brillant que l'authentique mais avec un peu de pot, dans la cohue, peut-être que ça marcherait? Mes copains, inquiets me mirent en garde. - Attention FUFU, si ça ne marche pas, tu vas dérouiller. Et je leur répondais : - Oui, mais si ça marche qui est-ce qui n'aura plus faim ? Et muni de mon étui de masque à gaz, j'allais prendre la file qui se trouvait en permanence devant les cuisines. La soupe fonctionnait toute la journée car nous étions des milliers à circuler dans ce camp. Au fur et à mesure que j'approchais mon assurance diminuait. Je regardais mon faux ticket, il n'était pas convainquant, mais quand j'ai décidé quelque chose, en principe je vais jusqu'au bout même si c'est une connerie. Enfin mon tour arriva. Je posai calmement mon faux ticket sur la banque et je tendis ma gamelle. Le Fritz, incrédule regarda ma lamentable imitation, puis ses yeux se posèrent sur moi, accusateurs. Il ne dit pas un mot et leva la main en indiquant la sortie. Je disparu à toute vitesse, ayant peur qu'il se ravise et me mêlai à la foule. Quand je revins les copains m'accueillirent par des lazzis : - Alors cette soupe, elle était bonne ? Seul MICHEL me regardait d'un air songeur. - Sacré FUFU ! me dit-il en hochant la tête. A ses yeux je devais passer pour un attardé. Parmi les trouffions prisonniers, j'avais remarqué un géant toujours torse nu, avec des muscles saillants, un véritable athlète. Il était paraît-il professeur d'éducation physique et culturiste. Les Allemands toujours admiratifs pour ce qui est "kolossal" lui accordait des bons de soupe supplémentaires et notre gaillard conscient de sa supériorité ne faisait jamais la queue. Il allait directement aux cuisines sous les insultes des gars qui n'aimaient pas les "passe-droit". Mais il suffisait qu'il se retourne pour que le silence s'établisse. Comme toujours la force primait sur la correction, la camaderie. L'égoïsme régnait en maître. Un jour, j'appris que tôt le matin un camion s'arrêtait dans le camp et chargeait des prisonniers pour aller travailler sur le terrain d'aviation. Une soupe consistante était servie le midi et comme le soir nous avions la possibilité d'avoir la soupe au choux du stalag, ça faisait deux soupes dans la journée. Mais avant de tenter ma chance, je tins à assister à l'embarquement. C'était homérique vraiment. Le véhicule à ridelles s'arrêtait et c'était la ruée à qui prendrait place. Une mélée de rugby n'était qu'un aimable divertissement comparé à cette empoignade. De vrais sauvages, les coups partaient dans tous les azimuths et le chauffeur embrayait dès qu'il jugeait la cargaison suffisante. Je décidais de faire une expérience et le matin suivant, j'étais parmis la centaine de candidats à la bonne soupe. Le camion arriva et je bondis aussi enragé que les autres forcenés, j'attrapais une ridelle et tentais de me hisser à l'intérieur du véhicule. Un "gefang" suspendu à mes basques mettait toute sa conviction à me faire redescendre. Sans me retourner, je lui balançais un coup de godasse qui du faire mouche, car soudain libéré, je m'élevais à toute vitesse avant de me retrouver dans le camion qui démarra aussitôt. A l'intérieur nous étions une belle brochette de brutes à nous marrer et à nous cramponner. Le conducteur de la bétaillère aurait eu sa place dans le rallye de Monte-Carlo. Il nous fit traverser la ville tambour battant et, après un superbe virage sur l'aile nous déposa à l'entrée du champ d'aviation. Le militaire qui était monté à ses cotés nous fit mettre en rang et l'habituel "ein - twei - drei" résonna à nos oreilles, puis un civil nous pris en charge et répartit le travail dans les petits groupes qu'il avait constitués. J'avais hérité d'une pelle, un autre d'une pioche et l'on commença avec d'autres esclaves à creuser une tranchée. Etant donné l'état de nos forces, le travail n'avançait pas vite mais les Frisés nous laissaient en paix. C'était des ouvriers pour la plupart ou trop vieux, ou trop jeune pour être soldats. Quand midi sonna, on nous rassembla pour la soupe et nous étions fébriles, anxieux de voir si ce que l'on nous avait affirmé était vrai. Quand la roulante arriva, nous nous précipitâmes dans un bel ensemble vers l'objet de nos rêves. Une mémé accompagnait le cuistot et c'est elle qui distribua les assiettes et une cuillère. Quelle merveille que cette soupe onctueuse avec, une grande quantité de grains de blés décortiqués tenant lieu de riz, article dont les Allemands étaient seuvrés depuis bien longtemps et, comble de bonheur, des petits morceaux de viande parsemaient le fond de nos assiettes. Le tout fut vite englouti, malheureusement il n'y eu pas de "rabe" et il nous semblait que nous aurions pu en avaler trois ou quatre fois plus. Pour ma part, mon repas terminé, j'allais trainer vers les ouvriers qui, installés à une table rustique située en plein air finissaient leur casse croute. J'en vis un sortir un bout de fromage, l'éplucher et balancer ces déchets dans une proche poubelle. Sans aucune pudeur, je saisis ces restes de fromage et je les avalai. Je vis alors que les ouvriers m'observaient et je me sentis rougir. Etais-je vraiment tombé au rang d'un chien affamé. Toujours cette notion de survie qui me hantait ! Je vis un jeune gars qui discrètement poussait un morceau de pain vers le bout de la table, sans doute honteux lui aussi. Je m'approchai et je me saisis du pain que je mis dans ma poche. Nous échangeâmes un regard ou tous nos sentiments devaient se lire. Pour moi, ce type ne pouvait être un ennemi, seule l'absurdité des hommes en avait décidé ainsi. L'après midi passa assez rapidement. Mon estomac ne me faisait plus souffrir et je pensais qu'au retour je pourrais encore le garnir. Après nous avoir de nouveau compté, le garde nous fit monter dans le camion où cette fois, aucune bagarre ne fut nécessaire. Mélancoliquement, sur le chemin du retour, nous eûmes tout le loisir d'admirer une ville où les gens étaient libres de circuler mais peut-être pas de penser selon leurs désirs. Les oriflammes nazi qui flottaient un peu partout rappelaient à tous qu'il y avait quelque part un petit moustachu ridicule qui pensait pour eux. Heil Hitler.Comme cela nous surprenait de voir tous ces gens s'aborder ainsi en levant le bras droit en braillant Heil Hitler. Entre nous, on se marrait, jaune sans doute, mais on se marrait. Malgré la faim qui revint bien vite me harceler, je ne retournais pas au terrain d'aviation. Je ne voulais pas avoir à me battre tous les jours sous l'oeil hilare de nos gardiens, je préférais économiser mes forces. Pourtant les Allemands nous imposèrent de nouvelles restrictions. La boule pour six devint la boule pour huit et c'est MICHEL que nous avions choisi pour la distribution. Il avait récupéré un canif avec lequel il coupait les parts soigneuseuments mesurées. Les miettes étaient récupérées et chacun repartait dans son coin muni de sa portion congrue. ALBERT, à son habitude avalait tout d'un seul coup. Il était ainsi calmé pour un petit moment mais après il nous regardait mastiquer avec mélancolie. J'avais essayé de le raisonner en lui disant :"ALBERT, fait comme nous, fait des petites parts". Il m'avait engueulé et m'avais dit désespéré :"Je ne peux pas résister à cette envie de tout manger, je souffre trop". Un jour j'eus une surprise formidable. Alors que j'avais fait la queue plus de deux heures avant d'arriver vers le cuistot qui remplissait les gamelles, celui-ci me regarda d'un air appitoyé. J'avais le visage émacié, les yeux creux et les guibolles en coton. Je le vis alors verser une louche, puis une autre et ainsi jusqu'à ce que ma boîte de masque à gaz fut remplie à ras bord. J'étais inondé de bonheur, surtout que j'étais arrivé pour un fond de cuve. Eperdu de reconnaissance je lui criai : "Merci vieux, merci", avant de m'enfuir comme un voleur avec mon précieux chargement. Je m'installai au pied d'un petit arbre et appuyé contre son maigre tronc, lentement, avec délice, avec en arrière pensée la crainte d'une indigestion, j'ingurgitai le contenu de mon récipient. Qu'importai la suite, l'instant était merveilleux. Il n'y eu pas de dégats, simplement je m'endormis sur place repu, détendu, heureux. Nul ne fit attention à moi. C'était tellement banal un prisonnier écroulé sur le sol et dormant. Mais moi, je devais avoir le sourire aux lèvres. Je n'étais pas un fumeur impénitent, pourtant j'aimais bien en griller une de temps à autre, et dans mes coups de cafard pendant la drôle de guerre, j'adorais bourrer ma pipe et étendu sur le dos, laisser mes pensées s'envoler au rythme des volutes de la fumée de mon cubilot, comme je l'appelais. Je ne sais si je vous l'ai déjà dit, mais j'étais ce qu'on appelle en langage trivial, mon langage préféré parce que vivant, expressif, un vrai fouille merde et je mettais mon nez un peu partout. C'est ainsi qu'un jour, j'entrepris d'explorer le poële qui tronait au milieu de notre résidence quatre étoiles, et je poussai une exclamation de joie, en exhibant sous les yeux incrédules des autres locataires, devinez quoi ? Une boîte en carton pleine à ras bord de magnifiques mégots. ROLAND, ALBERT et MICHEL ne fumant pas, ma trouvaille était pour moi seul. Je bourrai consciencieusement mon brûle gueule, me mis en quête de feu qu'hélas je n'avais pas et cinq minutes plus tard, je partis dans mes rêveries, dont curieusement les femmes étaient exclues, ce truc que nous avions entre les jambes ne servant plus que pour pisser. Non, ce à quoi nous rêvions tous, ce n'était pas à du caviard, de la langouste ou autre mets délicat, non, notre vision à tous, c'était un gros, un énorme steak accompagné d'un kilo de frites. Je suppose que pour nos voisins Belges, il devait s'agir de moules frites. A chacun ses phantasmes. Voilà en quelques pages, quelques anecdotes résumées, en gros la vie dans un stalag. Beaucoup de nationalités étaient représentées. Belges, Hollandais, quelques Polonais, des Asiatiques, des Arabes, des Africains, des Anglais et ces communautés s'étaient regroupées suivant leur nationalité, vivant leur captivité à leur façon. Je n'oublierai jamais le départ des Anglais. Ils étaient certe prisonniers, mais pas vaincus. Quand ils furent rassemblés pour le départ vers un autre camp, le plus gradé d'entre eux prit le commandement et c'est en sifflant le :" Il est long le chemin", la tête haute levée, marchant au pas cadencé, qu'ils quittèrent le stalag sous nos applaudissements et à la grande fureur des Frisés qui profitèrent de l'occasion pour distribuer force coups de crosse. Maintenant les départs pour les Kommandos étaient de plus en plus fréquents et nous étions impatients, mes amis et moi d'être enfin désignés. Enfin un convoi de cultivateur fut formé et en nous serrant pour rester groupés, nous quittâmes enfin ce camp abhorré où nous avions tant souffert. Nous n'avions touché que notre pain et un peu de margarine et nous espérions que le voyage ne serait pas très long. Enfin dans la soirée, nous parvînmes dans un village typiquement Schleu répondant au nom d' HÜFFELSHEIM. On nous enferma dans une grande salle du premier étage d'un édifice qui avait du être la maison communale. Des lits à étage avaient été installés et chacun choisit une couche à sa convenance. En cours de route, sur le chemin venant de la gare, un prisonnier grand, fort au visage de brute, s'était fait remarqué par son culot, sa grande gueule. Il avait un petit barda qu'il avait posé sur les épaules de son voisin en lui disant : - Porte-moi cela. Comme l'autre protestait il lui avait dit : - Tu veux que je te casse la gueule, dans mon équipe de rugby je suis pilier, tu vois ce que je veux dire ? Et cela avec un fort accent du sud-ouest. Personne n'avait bronché. C'était la loi de la jungle parmi les hommes. Evidemment il choisit ce qu'il estima être la meilleure place, près de la fenêtre et nul ne chercha à contester son choix. il s'installait en maître et nous pressentions qu'il dicterait sa loi car il était le plus fort. Il se vantait d'ailleurs d'avoir fait de la taule et il ne se trouvait pas dépaysé par notre condition. Vraiment ce type me déplaisait, mais il allait falloir le supporter. Après une nuit passée au calme sur une paillasse, qui nous parue être le summum du confort, un vieux gardien vint nous réveiller en criant : - Auf stehen ! cri auquel la brute prénommée Olive répondit par un "ta gueule vieux con" qui déclancha l'hilarité. Après un brin de toilette, on nous rassembla pour nous emmener sur la place du village où nous comprîmes que là, se tenait le marché aux esclaves. Les paysans les plus importants choisissaient déjà pour enfin terminer par le moins riche qui évidemment récoltait le plus minable d'entre nous. Le premier de ces messieurs posa son regard sur moi. Dans ma petite tête une rapide reflexion s'imposa. Chez cet homme à l'air aisé, j'aurai peut-être une bonne soupe, alors lâchement je lui souris. J'avais fait mouche. A ma grande surprise il me dit en excellent Français : - Il me faut deux hommes. Avez-vous un camarade ? Je désignai immédiatement mon copain ALBERT, ROLAND devant rester avec MICHEL. Le hobereau fit la moue tant il est vrai que mon copain ne payait pas de mine. Enfin il accepta et il nous entraina dans son sillage, vers une belle maison avec bien sûr un énorme tas de fumier dans la cour. Sa femme et une jolie et distinguée jeune fille, nous attendaient sur le pas de la porte. Une grande bringue qui devait être la bonne, vaquait à de menus travaux et un autre homme, le commis de ferme, nous attendait près du tas de fumier vers lequel on nous dirigea. On nous remis deux fourches en nous ordonnant de charger une voiture. Les vaches, ça commençait bien ! ! Nous étions complètement épuisés, le ventre plus creux que jamais et il nous fallait, les pieds dans le fumier, soulever des fourches qui semblaient peser une tonne. ALBERT me disait : - FUFU, s'il faut attendre midi comme cela, je vais tomber la gueule dans la merde. Je lui repondais : - On sera deux mon pauvre ALBERT, je ne tiens plus sur mes guibolles. Soudain un retentissant "Kommt, kafe trincken" sembla s'adresser à nous. ALBERT me dit : - On nous appelle ! ! Nous posâmes nos fourches et après nous être essuyés les pieds dans la paille de l'étable et passé les mains sous l'eau nous nous dirigeâmes vers la cuisine. Je ne pris même pas la peine d'examiner le décor, que plus tard je découvris extrêmement propre et coquet, car mon regard fut immédiatement attiré par la grande table situé au fond de la pièce. Table ou deux assiettes fumantes étaient disposées ainsi qu'une cafetière, de nombreuses tartines de pain de seigle, du beurre, de la confiture. Cela nous semblait incroyable ! Du regard j'interrogeai la patronne qui nous regardait en souriant ainsi que sa fille qui nous dit en français : - C'est pour vous, mangez à votre faim ! Avec timidité malgré notre impatience, nous prîmes place et nous emparant de nos cuillères, penchés en avant, sans aucune retenue, tels des chiens lappant leur pitance, nous attaquâmes notre soupe. Dans le silence qui nous entourait, je remarquai soudain le bruit que nous faisions avec nos cuillères, notre gloutonnerie. Je levai la tête et je vis que le sourire avait disparu des lèvres de nos patronnes et je réalisai que nous mangions comme de véritables porcs. Je balançai un coup de pompes dans les tibias d'ALBERT qui me regarda, surpris : - Qu'est-ce qu'il y a ? - On nous observe, un peu de tenue ! - Je n'en ai rien à foutre ! fut sa réponse, alors qu'ayant retrouvé mon sens de la dignité, me redressant, j'évitai de faire de nouveaux bruits, mal interprétés par ces Allemandes qui devaient avoir une bien piètre opinion sur notre civilisation. ALBERT s'empiffra littéralement. Quant à moi, certain d'avoir désormais à manger, je décidai ne ne pas faire d'excès. Il fallait que je me refasse une santé. La bonne nourriture, la vie au grand air, l'activité retrouvée, autant de facteur favorable à ma proche résurrection. On nous fit faire différents petis travaux avant le repas du midi, que nous prîmes encore dans cette cuisine, mais après les maîtres des lieux. Il ne fallait pas mélanger les torchons avec les serviettes. On nous servit encore de la nourriture à profusion et toujours sous le regard des deux maîtresses qui s'extasiaient de l'appétit féroce de mon copain. La demoiselle s'inquiéta même de me voir manger plus modérément qu'ALBERT, alors que j'étais un peu plus grand, plus costaud. Je lui racontai alors les restrictions alimentaires que nous avions subies et estimant qu'il serait néfaste pour ma santé de trop me gaver, je préférais m'alimenter progressivement. Elle m'aprouva et me demanda quel était mon métier réel. Je lui répondis qu'avant mon service militaire, je travaillais dans les bureaux d'une fabrique de registres. Elle me posa ensuite la question du pourquoi de mon mensonge. - Sans doute pour manger à votre faim chez un paysan ! ! Devant ma réponse affirmative, elle me répondit : - Ça ne fait rien, nous pensons que vous saurez vous adapter à notre genre de vie. Elle ajouta encore. - Mon père était lieutenant pendant la dernière guerre, il n'a aucune haine contre les Français, simplement il est heureux que nous vous ayons prouvé notre supériorité. Avec un petit sourire, je laissa tomber un "provisoirement" qui la surprit. Si en plus de cela les Français étaient insolents ou allions-nous! Dans le courant de l'après-midi, pioche sur l'épaule, nous accompagnâmes le patron dans une vigne et il nous demanda d'enlever l'herbe. Il nous confirma que sa principale activité était la culture de la vigne et que son vin blanc était renommé. Mais il avait aussi beaucoup de champs, deux chevaux et des vaches. Comme aurait dit Fernand RAYNAUD "un pauv' paysan quoi". Nous revînmes assez tard dans l'après-midi et le commis nous montra notre futur boulot: Nettoyer l'étable, donner à manger aux vaches, faire de même avec les chevaux et seulement après que tout soit terminé, nous pourrions passer à table et ensuite rejoindre le camp. De retour dans le Kommando les commentaires allèrent bon train. Chacun avait mangé à sa faim malgré la fatigue dûe au manque d'entraînement, dans l'ensemble tout le monde se montrait satisfait. Nous eûmes même droit à une crise de fou rire car un prisonnier arriva l'air extasié en disant : - Les gars, demain je me fais la patronne. Elle est drôlement gentille et toute la journée elle m'a parlé de bite. J'ai pas osé la sortir, mais ça ne va pas tarder. Elle va voir ce que c'est qu'un Français. Un gefang l'interpella : - Eh andouille! tu sais ce que ça veux dire "bitte" en allemand ? Ça veux dire s'il vous plait. Heureusement que tu ne lui a pas mis la main au panier, sans cela tu étais bon pour la forteresse. Effectivement, dans les jours qui suivirent on nous fit prendre connaissance d'une loi interdisant tous rapports avec une femme allemande sous peine, suivant la gravité des cas, d'emprisonnement en forteresse, ou de peine de mort. Heil HITLER. Nous étions prévenus. Et la vie s'organisa. Chaque matin le wachman nous réveillait à 6 h en gueulant son auf stehen auquel invariablement OLIVE répondait par :"ta gueule vieux con" si bien qu'un jour le gardien posa la question : - Wass ta gueule vieux con ? sans sourciller OLIVE répondit : - Egal gutt morgen ! en français. Heureusement pour lui, l'autre ne chercha pas à approfondir. Mais le lendemain, voulant nous faire une bonne surprise avec un bon accent teuton, au réveil il nous cria "ta gueule vieux con" alors que nous arrivions difficilement à maitriser notre fou rire. Il y avait un autre gardien assez gentil qui fut bientôt baptisé DALADIER parce qu'il disait toujours que notre ministre était responsable de la guerre. Il nous parlait aussi d'un autre Kommando logé dans le village et dont les "gefang" étaient occupés au drainage. Il disait "nicht viel essen, die katz moi pan pan,eux essen"... Il nous disait aussi qu'il tuait les chats du patelin et que les prisonniers les mangeaient. Effectivement, un mois plus tard, trouver un matou dans le bled équivalait à chasser le tigre dans les bois de MEUDON. Parmi les travaux les plus pénibles que nous eûmes à accomplir, c'était l'arrachage des "Kartofel". Les champs nous semblaient interminables et tout le monde, c'est à dire, la bonne, le commis un autre gars de 19 ans et nous mêmes, munis d'un croc, à longueur de journée, nous détérrions les patates que nous mettions en sacs quand elles étaient sèches et transportions sur notre dos jusqu'au véhicule tracté par les chevaux. De retour en camp nous nous écroulions complètement lessivés, mais une nuit suffisait pour que nous récupérions car la nourriture était bonne et nous avions retrouvé notre poids normal. La bonne qui s'appelait JOHANNA avait environ 18 ans et n'était pas désagréable avec nous. Ce n'était pas une beauté mais elle avait des yeux splendides. Dommage qu'elle se morde les oreilles à chaque fois qu'elle riait tellement sa bouche était grande. Mais c'était une fille saine avec ce qu'il fallait pour occuper un garçon un peu entreprenant. Comme en général, je nettoyait l'étable alors qu'elle procédait à la traite des vaches, je lui posais des questions pour tenter d'apprendre l'allemand, puis avec l'espoir de la séduire un peu, je roucoulais des airs de TINO ROSSI. Ce n'est pas que je chantais bien mais les intonations latines la changeaient un peu de leurs braillements et je voyais qu'elle écoutait mes romances. Si ça n'avait pas été une "deutch mädel", ça n'aurait pas fait un pli, pensais-je dans ma petite tête. Si bien qu'un jour le patron s'étant absenté avec ALBERT, le commis m'entraina dans l'immense cave qu'il me fit visiter puis il me dit en me montrant le haut de l'escalier : - Toi gucken chef, nicht kommt. Je pigeais ce qu'il me demandait et je montais faire le guet. Je l'entendais bricoler en bas et je me doutais bien qu'il était en train de déguster la production de la ferme. Au bout d'un assez long moment il m'appela, me fit voir un tuyau de caoutchouc plongeant dans un fût, et un verre vide. Il me fit signe de me servir en me disant en portant une main en visière au dessus de ses yeux comme le faisait les indiens pour surveiller mon cher BUFFALO BILL : "Moi gucken" et il monta à son tour pour observer. M'étant servi, je dégustais mon vin en connaisseur. C'est vrai qu'il était bon son pinard, un peu sec peut être mais il coulait bien. J'en repris un deuxième verre que je trouvais encore meilleur, puis un troisième pour étayer vraiment ma conviction. C'est alors que le frisé, inquiet, vint me chercher en me disant :" genug, genug". Je me sentais très bien, plus du tout prisonnier, et je crois que j'avais ramassé de bonnes couleurs, bien que ce fut du vin blanc. La bonne m'attendait dans la cour avec deux grands paniers. Elle me fit comprendre qu'on allait couper des choux. Il me semblait qu'il y avait du vent dans les voiles et je tanguais un peu. La môme avait un drôle de petit sourire sur sa grande bouche. C'est vrai que je me la farcirais bien cette grande bringue. Elle n'aurait qu'un mot à dire et, fik fik fraulein !! comme disaient les soldats allemands. Arrivé dans le champ nous nous mîmes au travail elle devant moi, offrant à ma concupiscence une magnifique paire de fesses. Au bout d'un moment, je n'y tins plus, l'alcool m'ayant rendu euphorique, d'un seul coup pan, je lui collais la main au panier. Expression vulgaire que l'on peut traduire par main au cul, expression plus rationnelle, plus explicite. Mes aïeux, quelle réaction ! parmi les insultes qu'elle me décocha, je compris que j'étais un salaud de Français. Que j'étais saoul comme un cochon, qu'elle était une jeune fille allemande etc... Je me contentais de la regarder en riant, ce qui fini par la désarmer. Elle se contenta de me dire : - Tu es fou, en se tapant sur la tête avec son index, toi kaput si tu recommences ! Un peu dégrisé, je pris une mine contrite qui amena un sourire sur ses lèvres. Ouf j'avais frolé la forteresse. Elle ne parla à personne de cet incident et, par la suite fut toujours très gentille avec moi. Elle me fit même de la peine le jour ou ALBERT mangea devant elle un morceau de chocolat. Elle me dit :"chocolat, moi jamais mangé". Moi je n'avais pas encore reçu de colis, sinon je lui aurais donné ma tablette. Car maintenant, il nous était possible d'échanger du courrier avec nos familles et j'avais reçu des nouvelles rassurantes. Il n'en était pas de même pour ALBERT qui avait ainsi appris que sa mère avait été tuée par les Allemands, d'où sa tristesse et sa haine pour nos geoliers. Nous touchions deux imprimés par mois pour correspondre et une étiquette pour un colis. ALBERT ne laissa pas voir ses sentiments mais il devint encore plus taciturne, et nous parlions peu tous les deux. Je respectais sa douleur, je la comprenais. Octobre arriva et nous fîmes les vendanges. Cela me rappela mon enfance en Champagne où le même travail s'effectuait dans la joie. Mais ici l'ambiance était différente et j'étais triste à cette évocation du passé. Un soir de retour au Kommando, je trouvais une atmosphère différente des autres soirs. Que se passait-il ? ROLAND intérrogé me mit au courant. Un prisonnier nommé DUMAS, un gars à lunettes timide et emprunté avait cru avoir ramassé des morpions, tellement son ventre le démengeait ! Il en avait parlé au gardien qui l'avait fait examiné et ils avaient trouvé qu'en fait de morpions le gars avait des poux à croix de lorraine. Par crainte d'une épidémie, genre typhus, et pour ne pas contaminer les civils, les autorités avaient décidé de nous transporter avec nos affaire à l'hôpital de la ville la plus proche qui, je crois me souvenir, était BAD KREUZNACH, car cet établissement possédait le matériel nécessaire. Et le lendemain, nous partîmes en camion pour la désinfection. Le même cérémonial qu'à TREVES recommença. On nous fit mettre à poil et nous prîmes une douche, alors que nos affaires passaient à l'autoclave. Ensuite, toujours à poil, on nous regroupa dans la cour où un coiffeur muni d'une tondeuse nous attendait. Et la mise de la boule à zéro commença. Nous étions transformés en véritables bagnards. Je me souviens qu'il y avait parmi nous un avocat aux beaux cheveux frisés qui suppliait qu'on l'épargne. Le sous-officier qui dirigeait l'opération parut se rendre à ses raisons et lui fit signe : seulement un petit peu. L'avocat heureux, s'installa et effectivement le coiffeur lui en enleva qu'un tiers. L'opération terminé, alors qu'il se levait pour nous rejoindre, le sous-off regarda le travail, fit la moue et dit encore un peu et, c'est ainsi que par trois opérations successives il rasèrent complètement le crâne de notre dandy. Nous on s'en foutait, par contre, ce que nous aimions moins, c'était de voir toutes ces petites péronelles d'infirmières qui, un appareil photo à la main, n'arrêtaient pas de nous prendre sous tous les angles. Ecoeuré, je tournais la tête et je pris une bonne tarte sur la tronche, donné par le gradé allemand qui me gueula "toi, pas bouger, schwein !". A peine étions nous de retour au Kommando qu'OLIVE s'en prit au responsable de notre escapade. Sans arrêt, il l'insultait, le ridiculisait et le pauvre bougre était incapable de se défendre. Cela dura toute la soirée et alors que, déshabillé, j'allais m'allonger sur ma paillasse, les dernières paroles d'OLIVE me révoltèrent. Je criais : - OLIVE, ça suffit, ferme ta gueule ! Il se retourna surpris. Quelqu'un pour la première fois avait osé contester son emprise sur le Kommando. - Qui a dit cela ? - Moi, rétorquais-je ! Je ne pus en dire plus, une masse de 85 kgs arriva sur ma pauvre pomme et je pris en pleine figure un coup de tête qui m'envoya à l'autre bout de la carrée. J'étais vraiment sonné, étendu sur le dos tout mon bazar à l'air, et je me mis à gamberger sur la conduite à suivre. J'étais incapable de reprendre le combat immédiatement. Il fallait que je récupère, que je réfléchisse. Je me relevai péniblement et je regagnais ma couche sous les regards apitoyés de tous les prisonniers. Que devaient penser ROLAND, ALBERT, MICHEL. Eux qui savaient que j'avais horreur de passer pour un dégonflé. Non mes chers copains, ayez confiance, ce n'est pas fini. Demain, lorsque j'aurais récupéré, je lui rentrerai dans le chou, mais je vous en prie, laissez moi, je n'ai que faire de votre commisération. L'orgueil à ceci de bon, il vous transcende. J'avais les lèvres tuméfiées, j'étais tondu et mes amis avaient pitié de moi et surtout la brute avait encore affirmé son emprise sur nous tous. Je passais une partie de la soirée à élaborer un plan de bataille, à me motiver, à m'encourager, jusqu'à ce que la fatigue s'empare de moi. Dès qu'à 6 h du matin le classique "auf stehen!" eut retenti, je me levais d'un bond et m'habillais à toute hâte. Je jetais un coup d'oeil sur OLIVE qui, assis sur le bout d'un banc, laçait ses chaussures en sifflotant fier de sa victoire de la veille. Quatre ou cinq mètres me séparaient de lui. Alors, je pris mon élan, mon poing droit armé et vlan ! de toute ma violence je lui balançai en pleine poire. L'impact le fit basculer de son siège et, profitant de mon avantage, je lui bondis dessus en cognant comme un sauvage. Mais, il en avait vu d'autres et il savait se battre, de plus, il pesait 20 kgs de plus que moi. Il réussit à se mettre à plat-ventre moi sur son dos, et se releva en force. J'étais accroché à lui essayant de le maîtriser mais je ne faisais vraiment pas le poids. Sa grosse patte avait réussi à m'accrocher et irrésistiblement il me tirait pour me placer devant lui. Je réalisais qu'à moins d'un miracle j'étais foutu et c'est à ce moment qu'un robuste chtimi nommé BAUDEL se décida à venir à mon secours. - "FUFU à raison, y en a marre !" et vlan, il lui balança une pêche qui obligea OLIVE à me lacher. J'en profitais pour foutre le camp à toute vitesse pour me réfugier chez mon paysan. J'eus des nouvelles par les copains que je rencontrais et ce n'était pas fait pour me rassurer. Ils me disaient : - Tu sais, OLIVE, il va te tuer. Il te cherchait avec son ceinturon, ce soir, ça va être ta fête, etc... Alors l'angoisse s'installa en moi, j'avais peur, terriblement peur car je savais que la 3ème manche risquait de m'être fatale, et je fus en proie à des coliques de mauvaise augure. Pourtant j'étais décidé à vendre chèrement ma peau. Je ne pouvais pas gagner mais, en me servant de mes jambes, de mes poings, tout joueur de rugby qu'il était, il serait marqué. Quand le soir arriva, je trainais le plus possible, laissant ALBERT me précéder. Je voulais être seul pour me concentrer, pour mettre le maximum d'atouts dans mon jeu. Quand j'arrivais en haut des marches donnant sur notre grande salle et que je poussais la porte, un silence de mort régnait sur le Kommando. Attentif, prêt à bondir, ayant reçu l'habituelle décharge d'adrénaline dont je ressentais les effets, je regardais la scène qui s'offrait à mes yeux. Tous les gars étaient allongés sur leur lit dans l'attente de la mise à mort. OLIVE, installé à la table centrale, son tabac, son papier à cigarette devant lui, semblait méditer. Il en avait prit plein la gueule et il avait le visage marqué, ce qui le rendait plus redoutable encore. J'avais retrouvé tout mon calme, tout mon sang froid, et je décidais de bluffer. Enjambant le banc faisant face à mon adversaire, je m'installais posément sans le quitter des yeux lui disant: "tu permets" en même temps que je saisissais son tabac et son papier. Puis j'entrepris de rouler une cigarette. On aurait entendu une mouche voler tellement l'atmosphère était tendue. Miracle, je ne tremblais pas, toute ma volonté bandée, en vue d'une possible réaction d'OLIVE. Quand j'eus terminé ma cigarette, je la portais à mes lèvres tuméfiées et approchant mon visage du sien je lui demandais du feu. La surprise se lisait sur sa face de brute, il devait s'attendre à tout sauf à cela, à ce défi insensé, et moi, je serrais les fesses car je n'en pouvais plus de résister aux contractions de mon intestin. Il me fallait encore bluffer un peu. Je me levais lentement et je dis de l'air le plus calme du monde : - Vous m'excusez les gars, mais j'ai besoin de m'alléger ! Et nonchalamment sous l'oeil ébahi de tous les "gefang" silencieux, je descendis les escaliers. Une fois en bas, c'est au pas de course que je parcourru les derniers mètres, craignant de lacher dans ma culotte les effets de ma trouille. Ouf, quel soulagement, j'étais encore sur mon basting lorsque j'entendis un pas lourd dans les escaliers, une silhouette massive se découpa dans la lumière. De nouveau la panique s'empara de moi, mon dieu j'allais finir la guerre dans la merde car, j'en étais certain, il allait m'en tirer une qui me ferait basculer dans la tranchée. Je feignis de ne pas le remarquer, tirant nerveusement sur ma cigarette, OLIVE s'installa à son tour, et avec une heureuse surprise, j'entendis que son intestin était dans le même état que le mien. Quel bruit délicieux à mes oreilles, que ces bons gros pets foireux Soudain, il me regarda hilare et moi, enfin détendu, je me mis à rire aussi. Si les copains avaient pu nous voir avec nos visages amochés en train de nous marrer à en pleurer... Il me tendis enfin la main : - Moi j'aime les gars qu'ont les couilles au cul, si tu veux on sera potes désormais ! - Oui, mais à une condition, c'est que tu ne fasses plus chier les autres ! - C'est promis. Et c'est toujours en nous marrant que nous réintégrâmes nos pénates, à la grande surprise des autres prisonniers, sans doute pas très au courant de ces moeurs de voyous. Les ayant fréquenté, à mon corps défendant, quand j'étais terrassier. Je connaissais leurs réactions. Avec eux dans ce temps là, le courage était toujours respecté. OLIVE n'avait pas failli à la règle du milieu. L'hiver approchait, le travail ralentissait dans les fermes. Un incident s'était produit avec le jeune Allemand arrogant qui venait parfois aider au travail. Un jour, il m'avait insulté et je lui avais répondu vertement. Nous étions alors dans les champs, il s'était baissé et m'avait balancé un caillou. Pour ne pas être en reste, j'avais ramassé une motte de terre et vlan, en pleine gueule. Il m'avait jeté un regard haineux et le soir avait parlé de cet incident au chef. C'est sans doute ce qui a valu à ALBERT d'être préféré à moi lorsqu'il fallu choisir celui qui passerait l'hiver à la ferme. Les paysans procédaient à un dégraissage et un nouveau Kommando fut formé pour aller travailler dans une fabrique de gélatine à SOBERHEIM sur la NAHE. MICHEL, ROLAND, OLIVE, BAUDEL étaient du voyage. Je fis des adieux attristés à ALBERT, je serais la main à JOHANNA et nous prîmes le train où un compartiment nous avait été réservé. Aprés un voyage sans histoire, nous arrivâmes dans une petite ville assez accueillante où les gens maintenant habitués à voir des "gefang" ne faisaient plus tellement attention à nous. Le Kommando, où quelques collègues nous avaient précédés, nous fit bonne impression, avec au rez de chaussée, une grande cuisine où s'activait une femme d'une cinquantaine d'années qui nous accueillit avec le sourire. Il y avait encore dans ce grand rez de chaussée des sanitaires bien propres où nous pourrions faire notre toilette en toute sérénité. Au 1er étage, après avoir dépassé la salle des "wachman", nous pénétrâmes dans notre future résidence, assez accueillante, n'eut été les barreaux qui défiguraient les deux grandes fenêtres. Je remarquai l'habituelle disposition des Kommandos de prisonniers. Au milieu une grande table et des bancs, et tout autour les lits à un étage couplés par deux. Avec ROLAND nous choisîmes deux places côte à côte au premier, MICHEL occupait le lit voisin du mien. Comme c'était l'heure de la soupe, une corvée fut désignée pour aller à la cuisine, d'où les camarades remontèrent avec une lessiveuse pleine de patates cuites à l'eau, une gamelle de sauce blanche, un morceau de saucisse de viande et une boule pour six. Nous fîmes la grimace et nous commençâmes à regretter nos paysans. Enfin, il y avait assez de patates pour calmer notre faim, on verrait bien par la suite. Le soir fut une réédition du repas du midi et on se rendit compte que question variété il n'y avait pas grand chose à espérer. Restait à découvrir le travail !! Le matin, après avoir fait un brin de toilette et bu leur erzatz de café, nous partîmes sous la conduite d'un soldat allemand assez jeune et vraiment sympathique et nous découvrîmes après une marche d'un kilomètre cinq cent environ, l'usine KARL EWALD, gélatine en tout genre. Si les bureaux situés à l'entrée ainsi que le grand batiment sis à gauche de l'entrée étaient relativement récents, le reste de l'usine n'était pas engageant. Des rails courraient dans les cours, des tas de vieille peaux et des monceaux d'os étaient visibles ainsi que des batiments mal entretenus. Des ouvrières allemands, les pieds enveloppés dans de vieux sacs de jute circulaient avec des fourches sur l'épaule ou poussaient de vieilles brouettes grinçantes chargées de peaux visqueuses et verdâtres. Des ouvrières en blouses blanches apparaissaient aux fenêtres du grand batiment situé sur la gauche et visiblement nous étions l'objet de leur curiosité. Un grand monsieur sorti des bureaux, nous fit un discours dans un français tellement pur, dans un langage chatié, que j'aurais bien voulu maitriser, qu'un moment, nous nous demandâmes si nous n'avions pas affaire à un compatriote. Il remarqua notre surprise et tint à nous affranchir : - Je suis le docteur GOEBELS, sous directeur de cette firme, j'ai longtemps représenté cette fabrique dans votre pays et c'est moi qui suis chargé de vous transmettre les ordres. Ils procédèrent à une sélection et quatre d'entre nous furent dirigés vers le batiment des femmes où un bruit de machines se distinguait. C'était une véritable ruche, où, telles des abeilles, des jeunes filles s'activaient. Mon coeur se mit à battre plus fort car, vous l'aviez compris, j'adorais la compagnie des femmes. Elles m'attiraient comme les fleurs attirent les papillons et je les regardais sans complexe. Certaines étaient désirables, les autres quelconques méritaient un moment d'attention car elles avaient la jeunesse pour elles et cette jeunesse, à mes yeux, est toujours belle à regarder. Elles nous dévisageaient sans hostilité, échangeant entre elles des propos sans doute égrillards car elles riaient, et moi, dans cette ambiance, je me sentais revivre. On nous installa, MICHEL et moi, à une machine destiné à faire des plaquettes de gélatine. Ce n'était pas compliqué, pas fatigant. Nous faisant face, de l'autre coté de la machine, il y avait deux charmantes "gretchen", blondes comme les blés dont j'avais du mal à détacher mon regard. Elles aussi me regardaient effrontément en discutant. Je demandais alors à MICHEL qui avait des notions d'allemand, ce qu'elles racontaient. Il ne put maitriser un sourire en me disant: - "Elles parlent de tes yeux". Je fus surpris - "Mes yeux, qu'est ce qu'ils ont mes yeux ?" Alors, en se marrant franchement, il compléta son renseignement -"Elles disent aussi que tu as le regard cochon". Ainsi ça se voyait à ce point ma tendance à déshabiller les nénettes sur qui se posait mon regard ? J' étais peut-être un malade, un obsédé sexuel !! Le soir, arrivé au Kommando, je pris ma glace et pour la première fois de ma vie je regardais la couleur de mes yeux. Gris vert avec des paillettes jaunes. Personne ne m'en avait jamais parlé. Et bien si ça les intéressait, les "Gretchen", je m'efforcerai de les rendre encore plus cochons, mes yeux. Elles se sentiront vraiment à poil sous mon regard lubrique. Car c'était tout ce que je pouvais faire pour défendre ce qui nous restait de réputation. On avait, certes, perdu la guerre, mais mesdemoiselles on avait quelque part une sacré réserve de munitions. A vous de phantasmer, na! Hélas, je ne restais pas longtemps à cette place, ils craignaient peut-être que je commette un viol. Achtung, pas toucher femmes allemandes !!! Ils m'envoyèrent tout simplement à la chaufferie, comme il fallait deux hommes, OLIVE demanda à venir avec moi. Je me serais bien passé de sa compagnie car je me méfiais encore de lui. Il pouvait profiter de notre isolement pour me balancer un mauvais coup. Mais je dois reconnaitre qu'il respecta nos engagements, en général les gars du milieu ont une parole qu'ils respectent. Mais ce que sa conversation pouvait être lassante. Il passait son temps à récriminer après tout et j'aurais préféré être seul avec mes pensées. Tout doucement l'hiver arrivait et il s'annonçait aussi terrible que le précédent. Pourrions nous résister au froid avec la pauvre nourriture qui nous était distribuée ? Nous manquions de corps gras mais, curieusement, nous n'étions jamais malade à part les engelures qui nous firent cruellement souffrir. J'avais quitté la chaufferie et nous effectuions divers travaux avec les os, les vieilles peaux que nous basculions dans des cuves d'acide, ou transportions dans de grands bacs remplis de chaux. Les travaux les plus pénibles étaient réservés à des manoeuvres allemands car je crois que la convention de GENEVE nous dispensait de certaines tâches malsaines et trop pénibles. Dans un atelier vieillot se trouvait des broyeuses, des malaxeuses etc, et je fus affecté à une de ces machines. Le contre-maître de cet atelier, qu'un dimanche, de la fenêtre de notre Kommando nous avions vu parader en S.A. chemise brune et croix gammée sur le bras, avait fait une confidence à MICHEL. Il était un fervent catholique et il se devait de nous aider à calmer notre faim. Chaque matin dans un endroit connu de nous seuls, il laisserait son casse croûte et il nous demandait, à tour de rôle, d'y faire honneur. Un habit n'ayant jamais fait un moine, un S.A. pouvait bien avoir un coeur. Un matin, j'eus un accident qui aurait pu être grave. Ma machine s'étant bloquée, je voulu tirer sur la courroie pour la remettre en marche. Hélas elle repartit toute seule, entrainant ma main qui se trouva engagée entre la poulie et cette transmission. Je n'eus même pas le temps de crier, je me retrouvais avec la main en compote et trois ongles arrachés. Je souffrais terriblement et même après que le médecin m'eut fait un pansement, les élancements de mes doigts me promettaient une belle nuit blanche. On me ramena au Kommando où j'eus tout le loisir de méditer sur ma triste condition. Le lendemain soir, OLIVE profitant de mon infirmité provisoire recommença son cirque. J'eus beau le supplier de rester tranquille, il me répondait en se marrant :" A ta place, je fermerais ma gueule, l'invalide". Le salaud, l'ordure, il profitait de mon impuissance pour rompre le pacte de non agression. C'est alors que BAUDEL, mon sauveur de la précédente bagarre se leva et lui dit : - Tu n'as pas entendu ce que t'a dit FUFU ? Ecrase-toi un peu !! OLIVE le fixa alors de son air de tueur et, se mettant en garde lui répondit : - Tu veux de la bagarre, alors d'accord. Nous assistâmes à un véritable combat de poids lourds. Tout se passait en silence pour ne pas alerter les gardiens. Ils n'essayaient pas de frapper au visage comme l'auraient fait de vrais boxeurs, mais ils se frappaient à grands coups dans la poitrine en ahanant comme des bucherons. Le combat était équilibré car les adversaires étaient du même poids. Un marteau ayant servi à de menus aménagements dans notre cambuse était resté sur la table et je saisis le regard d'OLIVE qui tentait de s'en approcher. C'était vraiment un assassin en puissance. Je n'eus que le temps de bondir et de ma main valide soustraire cette arme à la tentation d'OLIVE. Avec BAUDEL j'étais quitte. OLIVE sentant qu'il ne pouvait pas gagner à la régulière baissa brusquement sa garde en disant "ça suffit maintenant". BAUDEL n'insista pas et chacun regagna sa place épuisé. Le gardien n'avait rien entendu et pourtant le lendemain de cette histoire OLIVE fut transféré dans un autre Kommando. Il partit en sifflotant nous narguant une dernière fois. Personne ne lui souhaita bon voyage, heureux qu'il aille se faire pendre ailleurs. Et l'hiver s'installa avec un froid très vigoureux et la neige fit son apparition. Nous nous protégions comme nous le pouvions avec les pieds enveloppés de vieux chiffons. On nous avait remis des sabots de bois et je dois dire que c'était efficace, mais nous étions sous alimentés et nous grelottions souvent tellement la bise était glaciale. Des corbeaux aussi affamés que nous venaient manger dans les vieilles peaux et se montraient très malins. Ils creusaient toujours au même endroit de façon à atteindre les peaux non gélées et ils arrivaient ainsi à créer de petits tunnels dans lesquels ils disparaissaient presque complètement. Je décidais d'en capturer un. A cet effet je me planquais derrière de vieux sacs. Un corbeau arriva et après avoir observé les environs, ne voyant rien de suspect, il s'enfonça dans la cavité. Je n'attendais que cela, bondissant tel un fauve sur ma modeste proie, je plongeai la main et en extirpai la pauvre bête à qui je tordis le cou immédiatement, en m'excusant, bien sûr. Quand de retour au camp je tendis mon volatile à la cuisinière en lui demandant de le mettre dans la soupe, elle récria mais j'insistais fermement et le soir nous eûmes droit à une soupe au corbeau. Mais c'est en vain que nous cherchâmes les yeux sur le bouillon. La pauvre bête était encore plus maigre que nous. Avec nos camarades, nous nous concertions souvent au sujet de la nourriture et nous souhaitions tous une amélioration que nous avions réclamés en vain. Je proposai alors de faire la grève pour attirer l'attention sur notre situation. Hélas un seul répondit présent, mon camarade ROLAND, dont je tiens à souligner ici le courage car les nazis n'acceptaient pas ce genre de manifestation. Nous décidâmes alors de ne pas reprendre le travail après le repas du midi. Ce que nous fîmes en nous installant sur une marche dans la cour de l'usine. Nous fûmes vite repérés et, le contre maître général Herr HILL, un personnage rougeaud que nous trouvions un peu ridicule avec son caban vert d'où ses mains sortaient rarement et son petit chapeau genre tyrolien, s'approcha de nous et nous interpella "Was ist los ? Arbeit, schnell" Tu parles ! On ne faisait même pas attention à lui, son visage prenait une belle teinte rouge brique et en rigolant je dis à ROLAND : - Si on tient encore cinq minutes, il tombe raide à nos pieds, frappé de congestion ! ROLAND jeta un coup d'oeil sur le contre maître et acquiesça : - Tu as raison, je crois qu'on va l'avoir Devenu fou furieux, Herr HILL s'adressant à moi me fit voir ses deux poignets croisés en criant "prison". Nous éclatâmes franchement de rire et nous lui répondîmes en français "On s'en fout, on y est déjà". Il partit alors d'un pas nerveux en direction des bureaux. Je dis à ROLAND "attendons la suite, ça ne saurait tarder ! ! ! " et nous continuâmes à bavarder calmement car nous étions décidés à subir jusqu'au bout les conséquences de notre geste. Une demi-heure ne s'était pas écoulée que nous vîmes arriver Herr HILL en compagnie de deux officiers. Respectueux des règlements en vigueur dans toutes les armées du monde, nous nous levâmes d'un seul bond et nous fîmes un salut militaire énergique. Un des deux officiers parlant français nous questionna sur la raison de notre geste et nous lui expliquâmes que la nourriture n'était pas en accord avec le travail exigé, travail de plus en plus pénible. Je fis aussi remarquer que nous étions toujours des soldats et que nous espérions être traités comme tels. A ma grande surprise cet officier nous demanda de reprendre le travail et se dit prêt à examiner notre cas. Il tint parole, car le soir même nous eûmes un dessert et il en fut de même dans les jours qui suivirent. Mais je ne pus m'empécher de féliciter mes camarades pour leur courage et leur solidarité. Il est vrai que j'avais l'habitude maintenant de ne pas trop compter sur les autres. Les colis arrivaient maintenant, sauf pour moi qui n'avait rien reçu de ma mère, celle ci étant trop pauvre, et je n'avais pas envoyé d'étiquettes à ma fiancée, par pudeur. Chacun, à la réception de ces bonnes choses venues de FRANCE s'isolait dans son coin et faisait l'inventaire sur son lit. Ces colis n'étaient jamais partagés, chacun pour soi et cela me choquait. Aussi, le jour où le gardien m'appela pour me remettre un somptueux colis offert par la Croix Rouge Troyenne, je m'installais sur la table et déballais le tout sous le regard de l'assemblée. En ayant fait l'inventaire, je dis :- " Les gars, si parmis vous, il y en a qui ont faim, ne vous génez pas, c'est pour nous tous". Seul, un silence embarrassé me répondit, puis, MICHEL vint vers moi avec des victuailles dans la main. En les posant sur la table il me regarda et je vis qu'il avait les yeux embués de larmes. Il me dit simplement: - "FUFU c'est toi le meilleur, merci pour la leçon". Moi aussi MICHEL, en écrivant cela je pleure, car je sais que depuis bien longtemps tu reposes à la droite de ton Seigneur que tu aimais tant et qui t'a rappelé à lui bien trop tôt. Le monde avait tellement besoin de toi, car le meilleur ce n'était pas moi, MICHEL, mais bien toi qui savait toujours consoler, apaiser, instruire. A tes cotés je n'étais qu'un primitif, une brute. Mais tu m'as tant aidé en me faisant comprendre qu'il existait un autre monde que celui que j'avais fréquenté. Si j'ai posé mon colis sur la table, n'est-ce pas un peu grace à toi que j'ai eu cette impulsion. Trois ans plus tôt, moi aussi je serais allé dans mon coin. Mais l'exemple de MICHEL se montra contagieux. Chacun se mit à fouiller, à faire l'inventaire de ses précieuses réserves et les victuailles s'amoncelèrent près de mon colis. Fromage, conserves, biscuits, chocolat, confitures etc. Nous décidâmes sur le champ de faire un gueuleton et chacun se mit à couper, assembler, faire des parts égales. Evidemment cela ne se passa pas sans bruit et les gardiens intrigués vinrent voir ce qui se passait. Il y avait sur la table des articles dont ils étaient privés et leurs yeux brillaient de convoitise. Mais, malgré la sympathie que nous pouvions avoir pour eux, car ils n'étaient pas emmerdants, ce soir là ils durent à se contenter de visualiser notre chocolat. Noël s'était passé dans la tristesse, loin des notres, sans avenir, personne n'avait envisagé de marquer cette date d'une façon particulière. J'avais simplement remarqué que les Allemands attachaient beaucoup d'importance au 25 décembre et quand nous revenions de l'usine, nous voyions des arbres de noël scintiller dans les maisons. Un jour, étant resté au Kommando pour une corvée, en attendant mes camarades, j'éprouvais le besoin de transcrire sur le papier mes états d'âme du moment. Ayant conservé le feuillet sur lequel je m'étais épanché je vous en livre le contenu.

SOBERUHEIM, Février 1941

PARTIR ! PARTIR !

Un train passe en sifflant, emportant avec lui peut-être en FRANCE, un peu de mon désespoir. Mon regard erre sur le monotone paysage hivernal qui limite mon horizon. Le vent souffle et chante dans les barreaux. Cette barrière inutile qui découpe mon champ visuel en petites tranches, rendant encore plus sombre le triste tableau qui se présente à ma vue. Une blonde fraülein passe, la chevelure flottante, un sourire vague sur les lèvres. La neige recouvre de son blanc linceul cette terre étrangère que jamais je n'aurais du connaître. Quelques arbres, de leurs grands bras décharnés, semblent prier le ciel, le prendre à témoin de leurs malheurs. Qu'ils sont laids si nus et tout gris dans ce blanc paysage. PARTIR, quitter ce pays où tout me paraît horrible ! Le ciel lui même à son bleu limpide souillé de vilains nuages gris. L'infini n'est plus l'infini puisque là, devant moi, il prend fin en une grande ligne noire, nette et droite comme le bord de mon feuillet. Un vol de corbeau traverse l'espace, et le vent m'apporte leurs cris de souffrance. J'établis une parallèle entre le décor et moi-même. J'aurais voulu me décrire, je n'aurais pas mieux réussi. Le ciel, mon âme. Là non plus il n'y a plus d'infini puisque mes pensées, naguère si nombreuses, infiniment diverses, se résument en une seule, nette et droite comme la ligne qui borde mon hori zon. PARTIR ! ! ! PARTIR, toujours ce mot, ce cri de souffrance traverse mon cerveau, martelant mes tempes en une cadence obsédante. PARTIR, un petit mot de rien et pourtant ! ! PARTIR, c'est briser ses chaînes, être libre, revoir les siens et vivre, surtout, car j'ai le droit de vivre. Mon crime ? Etre français, bon pour tuer, bon à tuer. Je n'ai rien fait de mal. On m'a dit -" marche", j'ai marché. On m'a dit - "tue", j'ai peut être tué ? Pourquoi ? A t-on le droit de me condamner. Je ne le crois pas. Alors, pourquoi suis-je ici PARTIR, c'est mon droit, c'est mon devoir. Je dois vivre, je suis sur terre pour cela. Je pars, je suis libre ! ! Hélas, le vent souffle plus fort, mon regard ne veut plus voir l'horizon, il s'accroche aux barreaux. Dans l'escalier, un lourd bruit de bottes se fait entendre. C'est mon gardien. On lui a dit de me garder, Il me garde, pas plus ! Il ne cherche pas à comprendre lui, il a raison. A vrai dire, il n'y a pas une telle différence entre nous deux, et le sort capricieux pourrait un jour inverser les rôles. Il hériterait de mes pensées, moi des siennes et nous mènerions tous deux la même vie imbécile. Ne plus penser, c'est PARTIR un peu ! ! Que faire pour cela ? Attacher son esprit à des riens, ne voir que le matériel de la vie. Cela exige une certaine discipline de mon cerveau. Est-ce possible ? Je prends une cigarette, l'allume, suis d'un oeil distrait la fumée qui s'en échappe, en volutes légères, si légères. Le feu tout à l'heure si brillant, s'effondre en un tas de braises à peine rouges. Mes pensées s'effritent elles aussi, la vie matérielle me reprend, j'oublie. Que la solitude est cruelle qui me laisse si seul avec mon vrai moi. Que de temps écoulé, perdu, depuis notre capture. Depuis longtemps l'illusion d'un proche retour s'était envolée, et je commençais à penser à l'évasion. Nous avions tous vécus des moments terribles qui nous avaient abattu mais, l'heure était venu de relever la tête. Chaque soir en m'endormant, j'y pensais et j'en avais parlé à ROLAND qui préconisait d'attendre les beaux jours car, partir en hiver eut été suicidaire. J'étais d'accord avec lui, mais, je rongeais mon frein. Quant à MICHEL, quand je lui en parlais, il ne savait que me répondre - " mon sort est entre les mains de Dieu qui m'impose ces épreuves, et je continuerai à subir". Je lui rétorquais - " il est bien écrit quelque part: : Aide toi, le ciel t'aidera", il se contentait d'affirmer qu'il serait un poids mort pour nous deux, ROLAND et moi et qu'il nous ferait échouer. Mes arguments n'arrivaient jamais à le faire changer d'avis. Il y avait trois mois que nous étions dans ce Kommando, quand on s'avisa que nos cheveux avaient repoussé et que nous avions l'air un peu manouche. Comme nous touchions de l'argent, je fis une proposition à mes copains : - Mon père était coiffeur et, ayant de son sang dans les veines, je dois, l'atavisme aidant, pouvoir venir à bout de vos balais brosse. Vous vous cotisez pour m'acheter des outils et je vous ferai les coupes à l'oeil. Le marché conclu, le gardien se chargea de nous procurer le matériel et, le dimanche suivant eut lieu la cérémonie de la première coupe. On tira ma première victime au sort et je m'installai, tirant un peu la langue, mais je m'en sorti très bien et toute la carrée y passa. Pour le dernier c'était presque parfait, le sang avait parlé et j'étais heureux, quand un copain posa soudain une question idiote :- " Et pour toi, FUFU ? " Merde, je n'avais pas pensé à cela. Dans ma petite tête, je réfléchissais pour choisir celui qui m'abimerait le moins, MICHEL, ROLAND, non, alors P' TIT LOUIS, un joyeux luron nivernais. Il s'approcha en rigolant et je lui tendis la tondeuse attendant stoïquement qu'il attaque. Tout le monde s'était groupé derrière moi et les encouragements commencèrent à fuser. Vas y P' TIT LOUIS, un peu plus à gauche, non, un peu plus à droite, un vrai massacre à la tondeuse. Puis, d'un seul coup P' TIT LOUIS posant les outils dit : - J'abandonne, au suivant . Je commençais à l'avoir saumâtre à sentir tous ces gars entrain de se payer ma fiole, un autre se dévoua sans plus de succès quant au résultat, puis un troisième prit sa place avant que je me décide à voir ce qu'il en était. Pour être chouette, j'étais chouette, il y en avait à tous les étages de mes pauvres cheveux, une vrai coupe à l'allemande ma nuque n'ayant plus un poil. Bon garçon, j'ai pris le parti d'en rire, je dis :- ça va comme ça ! la prochaine fois, j'essaierais une autre série de surdoués. Les femmes étaient souvent au centre de nos conversations, de nos préoccupations, et nous nous rappelions nos aventures passées, enjolivées par le temps écoulé. M'étant procuré un cahier, j'entrepris un jour d'écrire une petite nouvelle très érotique que je baptisais MARGUERITE du nom de mon héroïne. C'était vraiment cochon et destiné à faire phantasmer les copains. Le résultat dépassa mes espérances, et, après avoir fait le tour de l'assemblée, ma petite nouvelle fut très sollicitée. Quand un gars venait me trouver et discrètement me disait :- " tu peux me prêter MARGUERITE" j'étais certain de le voir le soir plongé dans cette saine lecture et j'étais non moins certain que dans le noir alors que tout le monde dormait, un pauvre gars solitaire me faisait gentiment cocu avec ma blonde MARGUERITE. La sexualité refoulée était une source supplémentaire à nos souffrances habituelles. Plus d'un an s'était écoulé depuis ma rencontre avec ma gentille prostituée. Le dimanche, le nez collé à nos barreaux, nous regardions passer les gretchen endimanchées, dont certaines étaient très jolies. Elles nous regardaient moqueuses et ajoutaient à nos tourments de mâle. Sous nos plaisanteries égrillardes, se cachaient en réalité une immense détresse morale et un besoin physique obsessionnel. Combien de temps faudrait-il attendre la joie de tenir une femme dans nos bras ? Je vous ai dit que nous étions exempts de certains travaux malsains. Or, un jour, surprise, l'un de nous descendit dans la fosse d'acide pour en extraire les os ramollis. A l'aide d'une fourche, il fallait vider cette cuve assez profonde et, une fois le fond atteint, le manoeuvre devait jeter très haut sa fourchée, recevant ainsi des projections malsaines. Le gefang qui avait accepté le travail était un postier parisien que j'appelerais YOUGUI dans ce récit car, c'est ainsi que les Allemands prononçaient son nom. Il était agé d'une trentaine d'années, pas très grand mais robuste. Il s'était ainsi prostitué pour un paquet de cigarettes qu'il exhiba triomphalement le soir. Quelques jours plus tard, quand il fallu de nouveau vider cette cuve, l'un de nous fut désigné, et lorsqu'il voulu protester on lui rétorqua que ce que YOUGUI avait fait il pouvait le faire aussi, mais lui n'eut pas droit aux cigarettes. Et il en fut ainsi pour la cuve de chaux, puis pour d'autres travaux, protégés, ou plutôt interdits par la convention de GENEVE. YOUGUI servait de test et touchait la récompense de son odieuse collaboration. Nous en avions marre de sa conduite et, un jour que nous étions quelques-uns regroupés dans un coin, un camarade fit une suggestion : - "Il faudrait que l'un de nous trouve un prétexte pour lui casser la gueule". En acquiesçant, les copains me regardèrent avec des mines qui en disaient long sur leur pensées. Je protestais : - Holà, les gars, il faudrait quand même pas me prendre pour ZORRO. Croyez moi, j'aime pas la bagarre Les cons, ils se mirent tous à rire comme des baleines (si toutefois une baleine peut rigoler). - Oh ! ça va, te fais pas prier, on ne te demande pas grand chose ! Je protestai encore mollement : - Si vous croyez que c'est marrant d'avoir les yeux pochés, les lèvres tuméfiées ou le nez en compote ! ! - Allez FUFU, un bon geste Les vaches, ils m'avaient aux sentiments. - D'accord, je m'en occuperai demain ! Ils affichèrent tous des mines réjouies. Demain, grand spectacle gratuit :" FUFU, l'ange exterminateur contre le traitre YOUGUI " Et les questions fusèrent - " comment vas tu t'y prendre ? Quand ? Où ?" Je les calmais en leur répondant- "Il faut que je réfléchisse, je veux mettre tous les atouts de mon coté". Le soir dans mon lit, je passais en revue les travaux qui revenaient par cycles réguliers. Il y aurait vers les 3 heures de l'après midi, la corvée des bacs. Il s'agissait de tirer sur le sol rendu glissant par la chaux humide, de lourds bacs de bois, munis de deux poignées que l'un de nous remplissait de vieux os détrempés. Nous formions la chaîne, armés de crochets de fer avec lesquels nous saisissions un bac, qu'en courant nous passions au camarade suivant qui, lui même après un bout de course le passait au suivant et ainsi de suite jusqu'au dernier qui le vidait dans une grande cuve située au ras du sol. C'est cette corvée que je choisis pour provoquer YOUGUI. Quand l'heure arriva je m'arrangeais pour être celui qui lui passerai le bac. Et le cycle infernal commença. J'attrapais au galop le bac en bois qu'un copain me présentait, je pris ma course et le balançais en le faisant tourner sur lui même à YOUGUI qui manqua la réception. - Hé ! tu peux pas faire attention. Au deuxième bac, rebelotte, cette fois il prit un air méchant pour me dire : - Non mais, tu le fais exprès ! Je ne lui répondis pas et je continuai mon manège, alors comprenant que je me moquais de lui, rouge de colère il me dit - Si tu continues, je vais te casser la gueule ! - Ah oui ! où cela ? et quand ? Encore une rotation, le bac toujours aussi mal envoyé, et la réponse arriva : - Tout à l'heure, dans les vestiaires ! Je tenais ma proie, il ne fallait pas que je la lache et les bacs arrivèrent dans ses jambes le perturbant, le destabilisant. Fou de rage il me disait : - Petit con, quand je t'aurai démoli, j'espère que tu n'iras pas te plaindre aux Allemands. - D'accord, tu as ma parole, tu me donnes la tienne ? - Entendu salaud, ça va être ta fête ! Moi, je rigolais doucement, il était à point. La nouvelle parcouru toute la chaîne du travail. Tout à l'heure au vestiaire ! ! Je dois dire qu'après cette corvée, nous enlevions les sacs qui protégeaient nos jambes des projections et nous allions les déposer dans la pièce qui nous était réservée. Il n'y avait aucun placard et nous posions nos affaires à même le sol. Je laissais partir tout le monde, seul ROLAND était resté à mes cotés. Je vidais entièrement mes poches de tout ce qui aurait pu me blesser en cas de combat au sol et mon copain souriait de mes précautions. La routine, lui dis-je suavement et je pris la direction des vestiaires. J'éxaminais rapidement la situation. Les camarades s'étaient alignés de chaque coté de la pièce. YOUGUI était au centre, m'attendant les bras croisés. En moi-même je pensais "le con" il ne connait rien à la bagarre ! Je m'approchais de lui tel un fauve. Il m'apostropha : - Alors merdeux... Mais il ne pu continuer sa phrase car, je venais de lui balancer un magistral coup de sabot dans le tibia gauche là où ça fait mal. Sous l'impact, il se pencha en avant et c'est ce que j'attendais. Un formidable crochet entre les deux yeux lui projeta la tête en arrière et il s'étala de tout son long. Je lui bondis dessus pour l'achever mais c'était inutile, il était K.O. Je le trainai alors contre le mur du fond contre lequel je le maintins assis. Il revint doucement du pays des songes et je l'aidai à se relever. Quand il fut debout adossé au mur, je me reculais et lui posai cette question - "c'est fini, tu as compris!". Mais non, il n'avait pas compris car il se mit en garde en criant - "non ce n'est pas fini, salaud". J'étais très calme, car, je savais par expérience que quand on prend un tel coup les reflexes sont diminués. Mon gauche était inoffensif, mais je résolu de le tester. Il n'eut aucune peine à l'esquiver, mais une droite à assommer un boeuf suivait. Comme la première fois j'avais visé entre les deux yeux et je sentis que j'avais touché juste. Tel un pantin désarticulé, YOUGUI glissa le long du mur et prit la position horizontale. Je me penchais sur lui. Bonne nuit les petits, il en avait pour un moment. Un copain me dit d'un air réprobateur : - Tu l'as tué ! Je rigolais en lui répondant : - Oui, pour cinq minutes. Herr HILL nous attendait à la sortie du vestiaire et, à son habitude se mit à nous compter Ein, zwei, drei, vier etc... J'étais le dernier, s'adressant à moi il s'écria - "Il manque un homme, où est-il ?". De mon pouce, j'indiquais mes arrières en lui répondant - "Là dedans". Il s'engouffra dans le vestiaire puis ressortit l'air affolé : - Qui a fait cela ? - Ich, dis-je en posant ma main sur ma poitrine et en souriant de toutes mes dents. Oh mystère de l'âme allemande ! ! Je m'attendais à tout sauf à ce qui se produisit. M'attrapant le bras droit et le levant haut dans le ciel il s'écria devant toute la troupe médusé - Du bist MAX SCHMELING ! Le grand MAX étant le boxeur allemand champion du monde des poids lourds et idole de son pays. Ainsi, je venais de démolir leur chouchou et il m'acclamait presque. Quand YOUGUI sorti, il faisait triste figure et avait perdu de sa superbe. Le soir, nous devions passer deux par deux pour la paye dans le bureau de Monsieur GOEBELS, et je me présentai toujours avec YOUGUI dont les yeux commençaient à prendre une jolie teinte violacée, s'accordant très bien avec ses poils noirs. Le sous-directeur étonné posa la question pour savoir ce qui s'était passé. Or, au lieu de répondre - " Jai rencontré un camion" YOUGUI dressa un doigt accusateur vers moi en disant - C'est lui Monsieur, comme les gosses à l'école. Indigné, je bondis sur lui qui se recroquevilla atterré, je criai - Salaud, on ne devait pas moucharder, tu avais promis Monsieur GOEBELS s'interposa alors en disant - Ce sont des affaires entre vous, nous ne sommes pas concernés, attendez d'être de retour dans votre Kommando. Le gardien qui nous ramena ne posa aucune question. Le soir, assis sur son lit YOUGUI contemplait les dégâts. Montrant ses yeux à son voisin de lit, il lui disait - "ça, je me rappelle, mais ça, disait-il, en indiquant son tibia enflé et douloureux, ça, je n'en ai aucun souvenir" et il ne le su jamais. Un camarade non violent me dit - " Tu es une brute" alors que MICHEL, avec un petit air réprobateur se contenta d'un "sacré FUFU" ponctué d'un gros soupir. Je le sais bien MICHEL, je suis irrécupérable, mais il fallait bien que quelqu'un se dévoue, car, par la suite c'est lui, YOUGUI, qui est rentré dans le droit chemin et c'est tout ce que nous demandions. L'hiver ne désarmait pas facilement, mais nous venions d'attaquer le mois de mars et je relançais ROLAND car je ne pouvais continuer à subir cette vie misérable sans réagir. Je m'insurgeais contre la passivité de mes camarades. Parmis eux, il y avait un petit type d'origine italienne qui avait fait siennes les théories de GANDHI. Il était d'une nonchalance incroyable et comme excuses il nous disait "si vous croyez que je vais travailler pour ces cons, ils me font chier" avec un accent méridional inimitable. Jugez de ma surprise, quand un soir il vint me trouver et me dit : - FUFU, j'ai une carte michelin de la région, si tu m'emmènes elle est pour toi. - PASCAL, je ne te crois pas ! Alors, il alla jusqu'à sa paillasse et en extirpa la précieuse carte, un véritable trésor. Mais il n'était pas question pour moi d'emmener PASCAL qui aurait été un véritable boulet, lui qui n'arrêtais pas de geindre et je le lui dit, bien que me rendant compte de ma cruauté. - Vends moi ta carte, PASCAL ! - Non, emmène moi FUFU, le fric je m'en fous, je veux aller chez moi, dans mon midi, je te promets de marcher, de tenir le coup ! Mais je ne voulais pas prendre un tel risque et il fallut une semaine de discussions pour qu'il consente à me la prêter, afin que je la recopie, selon les étapes que j'envisageais. Avec l'argent de ma paye, je m'étais procuré une petite valise où je rangeais les quelques affaires que j'avais pu amasser. Le soir, munis de la précieuse carte, punaisée dans le couvercle de ma valise posée sur la grande table et ouverte en face de moi, méthodiquement par étapes de 30 ou 40 km, je traçais sur des feuilles blanches le chemin de la liberté. ROLAND restait passif, il m'avait dit: "FUFU, tu te démerdes et je te suis". J'avais commencé à me priver des biscuits de l'armée française qui nous étaient distribués au compte goutte. J'avais même pu en voler une certaine quantité lors d'une corvée et tout cela était dans un sac caché classiquement dans ma paillasse. Un soir que je recopiais ma carte, la porte de notre chambre s'ouvrit brusquement alors qu'un "achtung" énergique nous fit tous dresser comme un seul homme. Accompagné par les gardiens, un officier allemands venait nous rendre visite. J'eus un moment de panique bien vite réprimé. J'avais devant moi la valise ouverte avec la carte épinglée. Une étape presque entièrement dessinée était posé sur la table.J'avais toujours l'heureuse habitude de travailler loin de la porte et toujours en face d'elle en cas d'incursion d'un gardien. Mais un officier ! ! Nous étions tous figés au garde à vous et je poussais un énorme soupir de soulagement lorsqu'il commenda le repos avant de commencer son inspection. Mes copains avaient changés de couleur eux aussi. Si j'étais pris, il y aurait une enquête pour savoir qui était concerné, des fouilles, des représailles et ils devaient penser que j'étais cuit. Heureusement que je perd rarement les pédales. Je repris calmement ma place sur mon banc, fermais tranquillement ma valise et je fis passer la feuille compromettante sous une autre feuille blanche sur laquelle j'esquissais une tête quelconque. L'officier s"approcha de moi, se pencha et je sentais son souffle dans mon cou. Regardant mon dessin élaboré, il se contenta de dire - " ach ! sehr gutt" ce n'était pourtant pas du MATISSE. La sueur commençait à perler sur mon front, le temps s'était arrêté, un silence de mort s'était établi et je sentais tous ces regards posés sur moi? La tension était extrême et, une fois de plus, j'étais au centre du spectacle. Mais, ce n'était pas du théatre, même si je m'efforçais d'être un bon comédien. L'officier ne s'empara pas de mon dessin pour le voir de plus près, découvrant ainsi l'esquisse de ma carte, cachée dessous. Il se redressa, continua son inspection et disparu avec les gardiens. Ouf!, oufi, c'était le seul cri qui sortait de nos poitrines. MICHEL s'approcha de moi amical et me dit : - Sais tu FUFU que tu m'as causé une belle peur ? Je lui répondit : - Je ne risquais rien MICHEL, ton patron est avec moi. N'as- tu jamais vu mon ange gardien voleter au dessus de moi ? Enfin détendu, je plaisantais heureux. Cette fois, avec une olive coincée dans mes fesses, on aurait récolté deux litres d'huile. Mais cela, je le gardais pour moi, je tenais à préserver mon image de marque, tant il est vrai qu'il y a toujours un petit coté cabotin en chacun de nous. Mon intention était de scier un barreau et de partir de nuit. Ainsi nous aurions quelques heures d'avance avant que notre évasion soit découverte, mais ROLAND ne voulait rien savoir jugeant mon projet trop dangereux. Que faire alors ? Partir de l'usine ? de jour, c'était impossible. Comment aurions-nous pu franchir les murs et courrir la campagne avec nos uniforme de P.G. La seule solution était de trouver une cachette sûre, attendre toute la nuit et la journée du lendemain, car sortir la première nuit aurait été suicidaire l'usine serait gardée. ROLAND se rallia à mon plan, mais j'étais en colère après lui et plusieurs fois, j'essayai de le convaincre d'adopter mon premier plan. Le soir allongé sur ma paillasse, je cherchais la solution de la cachette et ma mémoire me représentait chaque section de l'usine susceptible de nous abriter une trentaine d'heures, immobiles, entourés d'ennemis, sans la possibilité de faire nos besoins naturels. Mon vieux ROLAND, je te dois quelques heures d'insomnie, toi, tu t'en fous. J'entends ta respiration régulière à coté de moi. Tu n'as même pas voulu te priver de tes biscuits pour faire une réserve. Tu me prends pour ta nounou, sale petit bourgeois que j'aime plus que mon frère. Un soir en revenant de l'usine, j'eus une énorme surprise. Tois prisonniers évadés venaient de se faire épingler et avant que l'on vienne les récupérer, ils avaient été enfermés dans notre Kommando. Et parmis eux se trouvait ALBERT NADOT. Mon brave ALBERT, le visage plus creux que jamais, écrasé par la poisse qui le poursuivait. Nous nous embrassâmes affectueusement et je sentis sa main qui glissait quelque chose dans la mienne, alors qu'à l'oreille il me murmurait "la boussole, sauve la boussole, ils ne nous ont pas encore fouillés". Discrètement, je glissai le précieux objet dans ma poche et je demandai quelques renseignements à mon "pays".Ils étaient partis sur un coup de cafard, marchant de jour malgré leurs uniformes voyants. Je les engueulai en les traitant de vrais gosses. - Une évasion, ça se prépare, ça ne s'improvise pas et on marche de nuit, vous aviez tout pour réussir et vous vous êtes fait avoir comme des bleus. Ils reconnurent que j'étais dans le vrai et se dire prêts à remettre ça. Ils avaient gouté à la liberté un instant retrouvée et j'étais certain qu'une prochaine fois, ils n'agiraient plus ainsi à la légère. Quand ALBERT nous quitta, avec ses camarades, je le serrais sur mon coeur en lui souhaitant bonne chance ! Je ne l'ai jamais revu ! ! Quand arriva le mois d'avril j'étais prêt à tenter l'aventure. J'avais prévu un scenario qui tenait debout. Mon problème était d'emmener quelques affaires mais surtout, mon sac de biscuits à l'usine, car ma réserve était assez conséquente. Je ne pouvais l'emmener par petites quantités car l'usine était infestée de rats et je devais attendre le plus tard possible pour effectuer le transfert. Ayant longuement réfléchi à la question, je m'adressai à PASCAL car, j'avais remarqué qu'il avait une pélerine caoutchoutée, genre pélerine cycliste. Il consenti à me la vendre toujours larmoyant, toujours suppliant - " FUFU, emmène-moi!" mais, je ne calais pas. Avec ROLAND nous avions retenu la date du 17 avril car, je tenais compte de la lune. Nous avions besoin de sa clarté pour notre marche nocture. J'espérais qu'avant notre départ nous aurions de la pluie pour que, revétu de ma fameuse pélerine je puisse transporter mes vivres, mais le temps restait désespérement beau. Il y avait, derrière notre Kommando, une petite cour grillagée qui nous était accessible. La NAHE, jolie petite rivière coulait non loin de là. Un soir, accroché aux barbelés, j'écoutais une musique venue d'une maison voisine. J'étais triste à mourir. Retrouverais-je enfin cette joie de vivre, ma fiancée, un foyer ? Quinze mois déjà que j'avais quitté les miens. Le gardien vint me rejoindre et comme moi, se mit à écouter la musique. - "Die Paloma, FUSSINGER !" , et il me regarda. C'était un beau garçon sympa. Dans son regard, la même tristesse que dans mon âme. C'est la guerre Schweinerei !. Non, lui non plus n'était pas mon ennemi malgré son uniforme. Je suis même certain que nous aurions pu être copains en temps de paix, pourtant j'allais m'évader et si je me trouvais au bout de son fusil, il me tirerait comme un lapin. Par devoir. La guerre, quelle connerie, t'as raison mon pote ! Enfin, peu de temps avant notre grande aventure, la pluie se mit à tomber, et je décidais d'en profiter. Ce matin là, j'enfilais ma pélerine et serrant mon barda contre ma poitrine, je descendis au rassemblement pour le sempiternel ein, zwei, drei vier. J'avais l'air d'une grosse matrone et mes copains en rigolaient mais pas moi. Pourvu que le gardien ne remarque rien. Pourvu que la pluie redouble. Pourvu que mes bras ne me lachent pas car le chemin était long. Mais les Dieux étaient avec moi et tout se passa bien. Il me fallait maintenant trasporter cela à notre cache car j'avais opté pour le grand hangar rempli de sacs d'os jusqu à une grande hauteur. J'avais récupéré des planches et ayant sorti quelques sacs tout au sommet du tas, j'avais construi un abri bien dissimulé dans lequel on accédait en soulevant un sac plein. Des plaches disjointes du hangar constituaient le mur du fond et par les fentes nous pourrions surveiller les allées et venues. Notre odeur étant partout dans l'usine j'espérais que même si ils avaient recours à des chiens ils ne nous découvriraient pas. Inutile de vous dire que j'avais employé des ruses de sioux pour aménager cette cache. Je regrettais de n'avoir pu me procurer du poivre, car les chiens n'aiment pas cela et leur odorat s'en trouve altéré. J'avais également fait des sacs tyroliens avec de solides emballages en jute et je les avais planqué dans notre repaire. Quand l'après midi du 17 avril 1941 marqua l'heure de la grande aventure je fis mes dernières recommandations à ROLAND, nerveux comme une jeune mariée. - Je partirai le premier en faisant semblant d'aller aux W.C. un,quart d'heure après tu feras de même. Sois calme, ne cours pas, aie l'air naturel. Je pris congé des copains, embrassant MICHEL qui avait les yeux humides en nous souhaitant bonne chance. C'était si dur pour lui de perdre ses deux amis. - Que Dieu vous garde ! Dix minutes plus tard, j'étais installé dans notre abri, dans l'attente de mon copain, ce ne fut pas très long. Le bruit d'une course, les sacs qu'on escalade et ROLAND essoufflé tomba à mes cotés. Je l'engueulais aussitôt : - Mais, tu es fou, tu as du te faire repérer ! On a même pas démarré que c'est déjà compromis. Je devais être vert de rage et je l'insultais copieusement.Ça commençait bien. Pour m'excuser il me dit : - J'avais peur, je ne peux pas t'expliquer. Mais si, ROLAND, tu aurais pu m'expliquer ce que je savais déjà. Mais cette peur tu l'avais dominée et tu étais là, près de moi, prêt à m'épauler dans la reconquête de notre liberté. Une heure s'écoula environ puis une certaine agitation sembla s'emparer de l'usine. Herr HILL s'était aperçu de la disparition de ses deux grévistes. Qu'avaient-ils encore inventer ces deux là ? A travers les planches disjointes, on vit un groupe épars chercher, interpeller, puis des pas se firent entendre dans le hangar, les sacs furent escaladés et on marcha sur nos têtes. Nous avions levé les bras pour maintenir les planches qui supportaient les sacs. Notre coeur battait la chamade et nous devions retenir notre souffle. Quand nous entendîmes "sie sind nicht da" et que le bruit du groupe s'éloignant parvint à nos oreilles, ROLAND voulu parler mais je lui mis la main sur la bouche et il comprit qu'il fallait attendre. Il n'avait jamais du lire les aventures de BUFFALO BILL et les ruses des sioux lui étaient inconnues. Les Allemands auraient pu nous tendre un piège et un des leurs resté sur place aurait pu nous surprendre. Une demie heure plus tard je jugeai le danger écarté et nous pûmes bavarder à voix basse. Les heures s'écoulèrent sans nouvelle alerte et la fin du travail arriva. Nous imaginions nos camarades regagnant le Kommando et supputant nos chances de réussite. Je dis à ROLAND - "Ne nous ayant pas trouvé, ils doivent s'imaginer que nous avons quitté l'usine. Demain soir on levera l'ancre". Mais voilà que soudain de nouveaux pas se firent entendre. les sacs furent de nouveau escaladés et celui qui donnait accès à notre cache brutalement doulevé alors qu'un "raoust" énergique nous intima l'ordre de sortir. De nouveau, je mis la main vivement sur la bouche de ROLAND et je la maintins appuyée. Il faisait très sombre et on ne pouvait nous voir du dessus. Soudain le bruit d'un fusil que l'on arme me fit sursauter. J'entrevis un canon se glisser dans le trou alors que quelqu'un nous cria en allemand "Sortez, ou je tire". C'est foutu ROLAND, nous voilà de nouveau les bras en l'air.Devant nous, le concièrge se tient une carabine à la main. Le fumier, il se nomme DEFLIZE et il s'était vanté d'être descendant d'émigrés. Ses arrières grands-parents avaient fui la révolution française mais fier de son ascendance il nous avait dit - " Je vous aime bien". Il se tenait devant nous, hargneux, fier de sa capture et il nous emmena dans le bureau où, sous sa garde, nous attendions le wachman qui devait nous ramener au camp. Ce ne fut pas un retour glorieux. Le gardien nous faisait courir le fusil dans les reins, faché qu'il était du souci que nous lui causions. Arrivé au Kommando, il fit aligner les copains contre le mur et nous ordonna de nous mettre nus… L'autre gardien était venu prêter main forte à son collègue. J'avais glissé mes copies de carte dans mon pantalon et je serrai la boussole dans ma main. Celle-là il fallait absolument que je la sauve et ça tournait à toute vitesse dans ma petite tête. Je me répétais: souviens-toi FUFU, ne t'affoles jamais, efforces toi de dominer les évènements, les hommes. Ta vie est, et sera toujours à ce prix. Quand j'enlevais mon pantalon, le gardien tout heureux vit mes cartes se répandre sur le sol. Avec son collègue, ils étaient le fusil armé à la main, nous surveillant comme si deux types à poil pouvaient être dangereux. Alors qu'ils regardaient mes cartes, je jugeais le moment venu de tenter une diversion pour sauver la boussole. Levant la tête, regardant fixement le plafond, je poussais une exclamation! Que croyez vous qu'ils firent ces deux ploucs ? Avec un bel ensemble, ils suivirent la direction de mon regard en disant "was ? " Ils auraient mieux fait de regarder par terre, car la boussole que j'avais déposé au bout de mon pied était passée sous leur nez pour atterir près d'un copain qui s'empressa de la ramasser et de la mettre dans sa poche. Malgré notre échec, je venais de les baiser et j'en ressentis une petite joie. Nous ne fûmes pas maltraité à part quelques coups de crosse bien justifiés après ce qui s'était passé. Ils nous firent comprendre que nous serions jugés et que nous irions en prison, mais de cela, on s'en foutait. Le soir, sur ma paillasse, je me posais des questions. Pourquoi DEFLIZE était-il venu directement sur nous ? Pourquoi avait-il soulevé le seul sac permettant de nous découvrir ? Y avait-il un traitre parmis nous ? Ça, je ne l'ai jamais su. Quelques années plus tard, refaisant le chemin de ma captivité avec ma femme et ma fille, je me suis présenté à Herr GOEBELS devenu directeur de la fabrique. Il ne m'avait pas oublié et, en hôte charmant nous fit visiter l'usine, nous entrainant vers le hangar et montrant le tas d'os qui n'avait pas bougé dit à ma femme - "Voyez-vous, c'est là-haut que nous l'avons récupéré "et moi, je revivais intensément ces minutes dramatiques que pour vous, je viens d'évoquer. En attendant qu'une décision soit prise à notre sujet, les Allemands avaient décidé de nous renvoyer au travail et je dois dire que notre retour ne passa pas inaperçu. Les petites nénettes nous montraient du doigt, nous adressaient des sourires. Et moi j'étais fier comme un jeune coq. Catalogué comme gréviste, boxeur et maintenant évadé, ces petites gretchen devaient penser que j'aurais fait "ein gutt Deutch." J'avais même repéré une jolie brune qui travaillait dans les bureaux les deux journées où nous restâmes encore à bricoler. Je la vis passer plusieurs fois non loin de moi. Elle me regardait à la dérobée et, quand je portais mes yeux sur sa petite et délicieuse personne, elle détournait la tête en rougissant. C'était d'un romantisme ! ! J'en rigole encore. Mais, deux jours plus tard, terminé RUDOLPH VALENTINO ! De nouvelles aventures m'attendaient et ce n'était plus le moment de plaisanter. Une nouvelle fois, nous fîmes nos adieux aux camarades et nous partîmes pour la gare. Où allions nous ? Le wachman interrogé ne nous répondait pas. Il nous fit monter dans un compartiment réservé et s'installa vers le coin de la porte, le fusil entre les jambes. Les civils qui passaient dans le couloir jetaient un coup d'oeil sur nous et devaient se poser des questions "deux types dangereux", sans doute Le voyage fut charmant, à part que nous n'avions pas à bouffer, nos vivres ayant été saisis. Nous allions toujours vers le nord et j'admirais le RHIN majestueux, ses îles, ses chateaux et ses berges couvertes de vignes. Plus tard, ce souvenir devait m'aider à découvrir et à aimer WAGNER. L'ALLEMAGNE était belle, ses habitants étaient courageux, romantiques, mais hèlas, ils étaient nazis. Tous sacrifiaient à ce rite ridicule et je les vois encore, allant au travail un attaché-case à la main gauche, se saluant par un Heil HITLER retentissant. Au sujet des attachés-cases, une petite anecdote. A les voir déambuler ainsi, avec leurs "attachés", j'en avais déduit que l'ALLEMAGNE était un pays d'intellectuels comme nous qui étions tous des paysans. C'est à l'usine que j'eus la clé de ce mystère à l'heure du casse-croûte car en réalité les attachés-cases renfermaient tout le petit en-cas du café-trink. Nous, en FRANCE, on se contentait d'une musette contenant un pain, un camembert , et un litre de rouge. Autre pays, autres moeurs ! ! En fin d'après midi, nous arrivâmes à la petite ville d'OBERWESEL, située un peu en dessous de KOBLENTZ. Le gardien nous trimballa un peu en ville et s'arréta devant la maison d'arrêt. Merde, il allait nous mettre dans une prison civile, nous, des militaires. Le wachman parlementa un moment avec un maton et s'en alla sans un mot. Le gardien nous enjoignit à le suivre et il ouvrit la porte d'une cellule où se trouvait déjà un délinquant allemand, puis il ferma la lourde porte sur nous. Il n'y avait qu'un lit dans cette étroite pièce, et nous comprîmes qu'il nous faudrait dormir par terre. Je demandais au prisonnier :"nicht essen ?" mais il me regarda d'un air si abruti que je n'insistais pas. Je dis à ROLAND - "ça y est mon vieux, on va encore crever de faim" mais il n'avait pas le coeur à répondre. Nous choisîmes chacun notre coin et, allongés à même le sol, nous essayâmes de trouver dans le sommeil une solution à nos crampes d'estomac. Peut-être que demain matin nous aurions droit à un bon café chaud avec quelques croissants ? La journée était déjà bien commencée quand la porte de la cellule s'ouvrit. Notre wachman venait nous récupérer. Il était frais et rose et devait avoir fait un bon casse-croûte. Il nous fit sortir de prison et nous quittâmes la ville pour attaquer une route qui s'élevait régulièrement en direction de l'ouest. Le soleil commençait à taper et nous avions terriblement faim. Je demandai au gardien si enfin nous allions avoir à manger et il me répondit : "Ja, là-haut" et notre calvaire continua. J'étais affailbli par les restrictions volontaires que je m'étais imposées en vue de notre évasion, me privant de biscuits et ROLAND avait l'air plus solide que moi. Nous fîmes ainsi des kilomètres avant de déboucher sur un plateau où le camp de WIBELSEHEIM avait été construit dans le style classique: Barbelés, miradors, baraquements... Il était temps pour moi que nous arrivions, car je ne devais qu'à mon orgueil d'être encore debout. Je devais manquer de glucose et je sentais venir la défaillance. Dans l'allée centrale, je passais à coté d'un soldat en uniforme polonais qui allait manger sa soupe. Il vit alors mon regard de détresse, spontanément il me tendit sa gamelle et sa cuillère en me disant :"Kamarade, essen". Je me jetais littéralement sur sa pitance que j'engloutis à toute vitesse. Puis, je regardais le soldait en pleurant pour lui dire merci et je vis que lui aussi avait les yeux humides. Quel admirable peuple que ces Polonais, les Allemands, dans leur fureur d'avoir été repoussé par eux sur le canal de la MARNE au RHIN, cherchaient dans nos rangs quand nous avions été fait prisonniers en nous intérrogeant "Polak, polaks.." sans doute voulaient-ils leur faire payer cher leur courage et leur détermination. Pendant que je me restaurais, ROLAND avait suivi le gardien qui avait pénétré dans les bureaux du stalag, mon camarade restant dehors. J'allais le rejoindre jusqu'à ce qu'un autre soldat allemand nous conduise à notre baraquement. Quand nous pénétrâmes dans la pièce, je remarquais que de nombreux lits étaient inocupés et nous en choisîmes un à notre convenance sous le regard de la dizaine de gefang occupant la pièce. L'un d'eux vint vers nous et nous posa cette question : "Evadés ? " Devant notre réponse affirmative sa physionomie s'éclaira et il cria aux autres "ce sont des amis ! !". Alors, ils virent tous nous serrer la main en nous confirmant qu'eux aussi étaient des évadés. Ils s'enquirent de l'état de notre estomac et nous donnèrent à manger. L'un d'eux nous dit : - "Nous attendons qu'une cellule soit libre pour purger notre peine de 15 jours de prison. Il y a une très grande entente entre nous, notre devise est un pour tous, tous pour un. En cellule le régime est sévère, une soupe tous les trois jours, un morceau de pain tous les jours. Aussi, nous nous restreignons un peu et nous faisons passer la nourriture aux copains emprisonnés - Mais comment est-ce possible ? interrogeais-je. Alors, il me donna des détails : - Chaque matin, les tolards sortent et, sous bonne garde, vont faire leur toilette dans les lavabos qui ont été évacués. Nous planquons le rab de nourriture sous les lavabos et les gars se débrouillent pour consommer sur place ou dans leur cellule. Ça marche comme cela depuis toujours, les anciens renseignent les nouveaux et vous en ferez autant car la chaîne "évadés" ne doit pas s'interrompre. Autre chose... Toutes les combines, tous les renseignements que vous pourrez donner se transmettront de bouche à oreilles. Voilà... On compte sur vous . Quelle ambiance formidable régnait dans cette pièce. Nous étions entre nous, les gars du refus. Bien sur, nous étions tous des perdants, mais nous avions tous la même idée en tête : RECOMMENCER ! ! et je me sentais fier d'être avec eux, ces hommes étaient sortis du troupeau et c'étaient mes amis. Je trouvais cela merveilleux car, il y avait dans le regard que nous échangions la même flamme, la même fièrté, la même sympathie. Loin de moi l'idée d'accabler mes camarades prisonniers qui ont subi leur captivité sans broncher. Beaucoup ont des excuses. Il fallait faire un choix difficile. Ou bien faire le gros dos et laisser passer la guerre en s'installant le plus confortablement possible dans la place que les Allemands nous avaient attribuée, ou risquer sa peau pour revoir le pays. Vous comprendrez dans les lignes qui vont suivre que l'on pouvait très bien, en captivité, être heureux et comme les soldats d'ANNIBAL s'endormir dans les délices de Capoue. Mais je n'en suis pas encore là et l'histoire continue ! Les Allemands ne nous laissèrent pas dans l'oisiveté. Sur l'immense plateau de WIEBELSHEIM où nous campions, une forêt avait été rasée et il restait d'énormes souches à transporter. Alors, il nous rassemblèrent avec d'autres minables, nous comptèrent, bien évidement, et nous emmenèrent sur le chantier où on nous distribua de grandes et solides perches. Arrivés devant une souche extraite du sol par un tracteur, nous engagions ces perches sous la racines. D'autres gefang saisissaient le bout resté libre et ho hisse avec un bel ensemble nous soulevions la souche que nous emmenions en cadence vers le lieu où des camions venaient les chercher. Parfois, un plaisantin entonnait le chant des bateliers de LA VOLGA que nous reprenions en choeur, mais, les feldgrau nous intimaient l'ordre de nous taire et se faisaient un plaisir de nous balancer des coups de crosse : - "toi pas content, toi pas partir, los scheller ! !". Nous étions fin avril et l'hiver tint à effectuer un petit baroud d'honneur. La neige mouillée, poussée par un vent violent et froid venait se plaquer sur nos visages. Mais personne ne se plaignait car nous avions fait un choix et nous en payions le prix. Je savais maintenant comment fabriquer une boussole. Je savais aussi que le chiffre 3 était le meilleur pour constituer une équipe, que la marche dans les bois était pénible, mais la plus sûre, que les rivières posaient de graves problèmes, qu'il fallait se méfier des voies ferrées et aussi hélas, des mouchards. Chacun apportait son expérience au service de tous les évadés en puissance. Mais notre belle harmonie ne dura pas, car un jour, au retour d'une corvée nous trouvâmes notre piaule envahit par des gars du Sud Ouest, des landais, des résiniers libérés par les Allemands pour reprendre chez eux leurs occupations mais au service de l'ALLEMAGNE. Nous avons voulu sympathiser avec ces gars qui rentraient en FRANCE mais le dialogue s'avéra bien vite impossible. C'était des gens rudes qui employaient un patois incompréhensible pour parler entre eux et ils se montrèrent bien vite méprisant envers nous. Cela fut bien plus flagrant, quand le matin comme d'habitude, ayant fait la part de rab de soupe pour les taulards, les résiniers alors en force et protégés par les Schleus se tapèrent le supplément. Nous étions outrés, écoeurés , et devant nos invectives les Landais ne savaient que répondre avec un gros rire. Ils (les évadés) n'avaient qu'à rester tranquille. C'est pour moi un très mauvais souvenir et j'étais profondément choqué. Chaque jour j'apprenais à mieux connaître l'homme, à l'aimer ou à le detester mais pas à le haïr, car je m'étais juré de supprimer ce mot de mon vocabulaire. Je cherchais toujours une motivation à telle ou telle conduite, je m'efforçais à une meilleure compréhension, mais parfois j'étais honteux d'appartenir à la race humaine. Qui donc a dit : - Plus je connais les hommes, plus j'aime mon chien. Avait-il fait la guerre ce penseur, avait-il été prisonnier ? J'avais été convoqué dans le bureau du commandant responsable du camp. Lorsqu'ils m'avaient fouillé les frisés s'étaient emparés de la lettre que je destinais à ma mère : "A lui remettre en cas de décès". Dans cette lettre, je lui demandais de pardonner aux Allemands qui avaient l'ordre de nous garder, alors que mon devoir de soldat était de m'évader. Je lui disais aussi qu'il faudrait bien qu'un jour la haine disparaisse entre nos peuples car j'avais rencontré ici de braves gens qui, comme nous, avaient horreur de la guerre, cette abomination. Et je lui demandais pardon de la peine que je lui causais, je terminais en lui disant qu'elle n'avait pas à rougir de moi et que c'était cela le principal. Le commandant était forcément en possession de la lettre. Il me demanda mes motivations et je lui dis que bien que prisonnier je me considérais toujours comme un soldat. Il me demanda si je recommencerais. Je lui fis un sourire en lui répondant "sans doute" et il me sourit lui aussi en n'omettant pas cependant de me dire "attention, la récidive coûte cher et vous avez déjà un petit dossier, alors, je vous mets en garde". On se serait presque cru dans un salon, en train d'échanger des mondanités ! Le premier mai fut un jour de repos et la soupe fut plus consistante que d'habitude. Il y avait même de la viande, mais, ce qui nous surpris c'est que personne ne fut en mesure de dire à quel animal ou plutôt à quelle charogne elle avait appartenu. Enfin, cela calmait notre faim pour quelques temps et nous changeait des rutabagas et des choux constituant nos menus habituels. J'avais remarqué que dans le camp beaucoup de prisonniers avaient de grands cheveux. Comme j'avais sauvé mes outils de coiffeur du désastre, j'eus l'idée de me faire un peu d'argent pour envoyer à ma mère et, sortant un banc devant la porte du baraquement je posais mes outils dessus et je criais : "30 pfening la coupe ! au premier de ces messieurs", et les gars vinrent de plus en plus nombreux. J'avais remarqué un type qui m'observait depuis un moment. Il s'approcha de moi et me dit : - Toi, tu es coiffeur comme moi je suis évèque ! - Pourquoi ? Ça se voit ? C'est mon père qu'était coiffeur. J'ai pris sa succession. Le gars rigola et me dit :- Tu sais, moi, j'en suis un vrai, mais je n'ai plus d'outils ! Il était sympa, alors, je lui proposais un arrangement. On allait travailler à la chaîne, moi je commencerai à la tondeuse et lui ferait la finition "ça marche" me répondit-il. Comme chez tout bon coiffeur qui se respecte, ma clientèle faisait la queue, car mes prix défiaient toute concurence. Je fis asseoir les prisonniers par série de 5 sur le banc et en avant la tondeuse. Ça, c'était du grand art. Le soir, je partageais loyalement avec mon garçon coiffeur et tout cela dans la bonne humeur générale. J'avais fini par amasser un joli petit pécule en argent de camp et avant de m'endormir, comme un avare je tatais ma poche gonflée. J'avais maintenant de quoi voir venir. Enfin arriva notre tour d'aller en cellule. Bizarrement c'était des Polonais qui faisaient office de matons. Sans doute étaient-ils originaires des régions que les Allemands avaient annexées. Et, pour cette raison ils bénéficiaient d'un traitement de faveur. Ils n'étaient pas mauvais avec nous et nous gardaient avec une certaine philosophie. Dans cette baraque-prison il y avait une grande allée centrale avec des petites cellules réparties de chaque coté. La mienne se trouvait tout au fond et à droite de l'allée. L'inventaire fut vite fait. Un bas flanc sans paillasse, une petite couverture, et une énorme tinette, le tout éclairé par un petit vasistas grillagé. Je venais de découvrir ce qui serait mon univers pendant 15 longs jours. Qu'est ce que j'allais m'emmerder ! ! Je voyais fuir aussi mes plus belles années. Au mois de juillet j'aurai 23 ans. A quoi se résumait ma jeunesse, où avait-elle abouti ? Là, le cul sur une planche avec la perspective d'avoir un peu plus faim dans les jours à venir. J'en avais marre et le découragement s'emparait de moi insidieusement. J'avais perdu mes amis. ROLAND moisissait dans une cellule voisine. Le reverrai-je ? Ce n'était pas certain ! J'en étais là à ressasser ma mélancolie quand je perçu un grattement sur la cloison mitoyenne avec la pièce voisine. Je m'approchai et collai mon oreille contre la séparation. - Y a t-il quelqu'un , entendis-je - Oui - Baisse-toi et enlève la deuxième planche du bas ! Surpris je me baissais et ne voyant rien je le disais au gars que j'entendais rire. - Vas à chaque bout et retires les clous ! J'obtempérai et avec mes ongles je décollai les pointes qui n'offrirent aucune résistance. Une minute plus tard, je serrai la main de mon voisin qui me précisa que dans toutes les cellules la deuxième planche était libre et que le soir on pouvait si on le désirait se réunir à plusieurs pour jouer aux cartes, le prisonnier de la première cellule assurant le guet. - Mais cela est notre secret, et on ne le divulgue qu'à ceux qui arrivent pour purger leur peine. Maintenant, si tu veux fumer,tu trouveras des cigarettes et des allumettes coincées dans le couvercle de la tinette. Tu vois, les Schleus on les baise comme on veut . me précisa t-il. C'était très réconfortant mais je dis au copain . - Je vais me retirer dans mes appartements, j'ai surtout besoin de solitude et de repos, et je vais roupiller le plus possible pour récupérer . Je réintégrai ma cellule et je m'allongeai sur la planche me couvrant de ma maigre couverture. Il faisait froid et la nuit n'était pas encore là. Pourtant brisé, anéanti je m'abimai dans l'oubli. Trois jours plus tard, un frisé vint me chercher : - "Raus, schnell, alles mit nemen". Je me dis "merde, qu'est ce que j'ai encore fait, ils ne me lacheront pas les pompes !". Un camion attendait dans la cour, déjà rempli de prisonniers. Le wachman me fit monter en vitesse, sans me laisser le temps de prévenir ROLAND. J'avais tout juste eu le temps de récupérer mon barda chez le polak maton. Le camion nous emmena à OBERWESEL où nous prîmes le train qui parti en direction du sud. Les gars discutaient entre eux, l'un d'eux me dit : - C'est le printemps, les travaux des champs ont commencé et à la campagne ils ont besoin de main d'oeuvre. - J'espère que tu as raison vieux, chez les paysans on bouffe mieux qu'au stalag. Puis, je me posais la question de savoir pourquoi on m'avait fait sortir de prison prématurément. Et une seule réponse venait de mon esprit ! L'officier qui m'avait interrogé ! ! Je crois que nous nous étions compris tous les deux. Cela avait été une rencontre d'homme à homme, non pas entre vainqueur et vaincu, entre ami et ennemi, non, simplement le temps d'un regard, d'une réflexion, d'une appréciation. Le contact s'était établi entre nous, fait d'estime et de compréhension. La Wehrmacht n'a jamais été la S.S. heureusement pour nous et j'en avais la preuve, mais il y avait des brebis galeuses et j'aurais hélas, l'occasion de vous en parler. Pour l'instant, toute ma gratitude allait vers cet officier, qui sachant que je ne baisserai pas les bras, délibérement m'envoyait dans un Kommando situé plus près de la FRANCE, chez des paysans ou je pourrai me refaire une santé. Merci mon commandant, j'espère que la guerre a été clémente pour vous. J'ai débarqué dans le village de WOLFERSWEILER. Le wachman nous a remis à un de ses collègues de notre nouveau Kommando situé dans le centre du village. C'est une grande maison avec une immense salle où trois lits superposés font le tour de la pièce. Aimant bien les hauteurs, je choisis le plus haut perché, je pourrais mieux voir le spectacle permanent de notre communauté. Puis le gardien m'emmena vers mon futur chef, Herr KARL WELSCH, qui habitait une belle maison située dans une petite rue du village. D'emblée, cela fit tilt dans mes pensées. Le gardien nous ayant laissé seuls, j'examinai mon nouveau patron, un petit vieux tout souriant, coiffé d'une casquette à la française et qui, en guise de préambule me dit "Kriegs pas bon, ich VERDUN. Komt mit". Je lui emboitai le pas et il me présenta sa fille Frau LEONARD dont le mari était soldat. Comme le père, la fille les yeux rieurs masqués de lunettes, me fit une excellente impression. Et dans cette cuisine une jeune fille brune dont les longs cheveux noirs tombant sur les épaules me fit songer à une petite sauvageonne. Elle s'affairait à mettre un tas de bonnes choses sur la table. Des oeufs durs, du jambon, de la confiture, du pain de seigle. J'en étais ébloui, surtout quand la jeune fille que la patronne venait d'appeler MARIA me dit en allemand : "pour vous". Avant de m'installer, je regardais plus attentivement MARIA. Elle avait le visage halé des gens de la campagne. Ses yeux noirs se posaient sur moi sans timidité, son nez petit et légèrement retroussé adoucissait ce que le regard pouvait avoir de dur et sa bouche saignante comme un beau fruit avait le petit défaut d'avoir la lèvre inférieure qui dépassait légèrement celle du haut comme dans un geste de moquerie permanent. MARIA était petite mais bien proportionnée. Sa robe aux couleurs vives moulait une belle poitrine que l'on devinait ferme. Deux jolis bras ronds et bronzés étaient malheureusement terminés par des mains de fille de la campagne, habituée aux durs travaux des champs. Sa taille cambrée mettait en relief une croupe qui allait sans doute me faire phantasmer. Mais sa démarche n'avait pas la grâce que l'on prête aux manequins. Qu'importe ! je sus d'emblée que j'aimerai cette fraulein dont d'admirables dents blanches éclairaient le sourire. J'étais fou de joie et prêt à me défoncer pour ces braves gens qui m'avaient réservé un tel accueil. Ils m'avaient regardé manger anxieux, semblait-il de me voir caler si vite. Le chef s'inquiéta :"nicht gut..." je souris alors en lui faisant voir mon estomac. Je commençais à maîtriser l'allemand et, je lui expliquai que depuis de longs mois j'avais souffert de la faim mais que je comptais bien me rattraper. Il était au courant de mon évasion manquée et me le fit savoir. Il me dit aussi que chez lui je serai bien traité et que je ne penserai pas à partir. Puis il m'enjoignit à le suivre et me fit visiter son domaine situé au coeur du village. Dans l'écurie bien tenue, je comptai une dizaine de vaches, dans une stalle voisine, deux superbes juments, des cochons, des poules et bien sûr le tas de fumier dont l'importance servait de critère pour établir l'aisance de son propriétaire. Puis, il attela une charrette à quatre roues, mit deux faux, deux fourches et m'invita à monter. J'étais heureux, je venais de tirer le gros lot et je souriais à mon chef qui me rendait mon sourire. Il avait vraiment une bonne bouille le pépé. Il m'offrit même une cigarette que je fumai avec un plaisir extrême. Après les mégots et toutes les feuilles séchées que nous avions essayés, cette cigarette allemande avait dans ma bouche un goût de miel. Arrivés dans le champ, nous descendîmes et il me remis une faux en me faisant signe de commencer. Merde, jamais je n'avais fauché, enfin, il faut un début à tout. Je levais la faux bien haut et vlan, de toute l'énergie qui me restait je l'abaissai sur l'herbe. Un grand craquement se fit entendre et je restai le manche à la main, alors qur le fer était entré d'au moins vingt centimètres dans le sol ! J'étais atterré, timidement, je regardais le pépé m'attendant au pire. Mais non, ce brave papy continuait à me sourire en suçotant sa pipe. Il se contenta de me demander quel était mon vrai métier. Je lui fis comprendre qu'avant la guerre j'avais travaillé dans les bureaux, lui dire tous les emplois que j'avais tenu n'aurait servi à rien. - Ça ne fait rien, maintenant tu vas apprendre. D'abord, quel est ton nom ? - GERALD - Ça s'écrit comment ? Je lui épelais - Alors ce sera GUERALD... verstanden ! - Ya wol, chef ! Et prenant sa faux, avec patience il m'enseigna. Une demie heure plus tard j'avais l'impression d'avoir été faucheur toute ma vie alors que j'avais été plutôt fauché. Le repas du soir fut familial. On me présenta le petit garçon de la patronne, alors agé de 5 ans et on lui dit que j'étais son oncle. J'étais vraiment ému par tant de gentillesse. MARIA me servait copieusement en me faisant remarquer que j'étais maigre et qu'il fallait que je me remplume. Bref, je venais de quitter l'enfer pour le paradis. Restait à voir la vie du Kommando où je revins dans la soirée. Je me présentais à mes nouveaux copains qui m'accablèrent de questions. Je vis alors que le fait de sortir de prison après une évasion me conférait d'emblée un certain prestige. L'interprète du Kommando se présenta de lui-même. EMILE, mais je dois avouer que sa gueule ne me revins pas. Un gars s'approcha de moi et me dit : - C'est une tante, il se fera un plaisir de te faire une pipe ou de te prêter ses fesses au choix. Même les allemands se servent de lui, c'est notre putain de service Tout cela dit devant EMILE qui me regardait en riant. Ainsi, après avoir entrevu le paradis je replongeais en enfer. Dans la promiscuité, l'abjection, quelle triste humanité. Par contre, il y avait des gens intéressants dans ce Kommando. On y jouait au bridge, aux échecs et je me promis d'apprendre tous ces jeux inconnus de moi. En bon prolétaire, je ne connaissais que la belotte et les dames. Installé sur ma paillasse, je regardais les gars vivre, s'agiter sous moi. Aucun n'avait l'air malheureux. Ils parlaient de leur boulot, des petites anecdotes de la vie courante. Ils avaient choisi comme responsable un gars à l'air énergique et sympathique qui servait de tampon entre les prisonniers et l'autorité militaire. Il avait droit à double courrier et accompagnait les gardiens quand il avait des achats à faire, car, comme nous touchions de la monnaie de camps, nous avions le droit d'acheter les objets dont nous avions besoin: Rasoirs, couteaux, glace, brosse à dent ... Seul le savon faisait défaut et celui que nous touchions était sans doute fait avec du platre. Ce soir-là, lorsque je fermai les yeux, avant de m'endormir, curieusement une tignasse brune se balançait devant moi et, bien en dessous, une belle petite paire de fesses en marquait le rythme. Enfin, je reprenais goût à la vie. Le premier dimanche de mon arrivée, une fois les bêtes soignées, la patronne m'enjoignit de la suivre. Elle monta au 1er étage et ouvrant une porte me fit voir la salle de bains accueillante que je fus surpris de trouver dans cette maison campagnarde. Puis, elle me fit comprendre que chaque dimanche je pourrais faire ma toilette en ces lieux. Vous dire mon ravissement, moi qui, en FRANCE habitait un taudis sans confort, sans eau, sans gaz, sans électricité, avec un plafond tout noir et pour moi un réduit sans fenêtre ou l'on avait installé mon lit. Resté seul je me déshabillai en hâte et me laissai couler dans ce bain que MARIA m'avait préparé, après avoir pris le sien. Accroché à la paroi de la baignoire, je vis, oublié là, un petit poil, noir et frisé. Je sus tout de suite d'où il venait. Avec précaution je le décrochai et le regardai amoureusement, puis le gardant comme un fétiche, je le mis dans mon portefeuille. J'étais inondé de bonheur, j'avais l'impression de vivre un rêve incroyable, un peu comme un voyageur égaré dans le désert et qui au détour d'une dune, débouche dans une oasis. J'en étais certain,les contes de fée, ça existait et j'en étais la preuve. Nous étions en mai et le printemps s'installait avec toutes ses odeurs, ses couleurs. Le soleil haut dans le ciel diffusait une douce chaleur qui me pénétrait délicieusement. Mes forces étaient revenues et avec elles, puissant, un désir qui parfois me rendait indécent. Je vivais trop avec MARIA. Nous étions toujours ensemble et avec elle je faisais bien des progrès dans la langue de Goethe. J'avais appris à maîtriser les chevaux, à labourer. J'étais un vrai valet de ferme, bien nourri, bien traité. Hélas je me rendais compte que je devenais amoureux de ma petite MARIA. Oh ! elle n'étais pas du genre aguicheuse et puis n'était-elle pas fiancée à un soldat allemand ? Ne faisait-elle pas partie des Jeunesses Hitlériennes ? Mais j'avais sous les yeux, toute la journée, une fille saine, simple, courageuse, souriante et qui était aux petits soins pour moi. Je commençai à combattre ces sentiments que je sentais sourdre en moi mais quand nous revenions, installés tous deux sur le char de foin qui sentait si bon et que les guides à la main je conduisais d'une main sure l'attelage, je sentais son regard posé sur moi. Si je tournais la tête pour lui sourire elle baissait les yeux pudiquement. J'avais souvent des érections que je m'efforçais de dissimuler mais j'avais parfois vu un regard amusé se porter sur une bosse inconvenante. Non vraiment MARIA ne pouvait ignorer le puissant attrait qu'elle excerçait sur moi. Je me réveillai un matin avec un violent mal de gorge et de la fièvre. Je laissai donc mes camarades partir à leur travail attendant que le gardien vienne vérifier qu'il ne restait pas de prisonniers dans le Kommando. Lorsqu'il me découvrit, il s'enquit du motif de ma présence puis il m'intima l'ordre d'aller au travail. Je décidai alors de refuser car j'étais vraiment mal foutu. Nous discutions fermement, restant chacun sur nos positions lui en bas, moi sur mon perchoir, près du plafond. A bout d'arguments il alla chercher son fusil, et me mettant en joue, après avoir manœuvré la culasse, il me cria : - Je compte jusqu'à trois. Ein, zwei… Je commençais à savoir comment c'était fait l'orifice d'un mauser. Si des camarades s'étaient trouvés là, mon esprit cabotin m'aurait peut-être incité à résister mais il n'y avait aucun témoin pour admirer mon courage alors que croyez-vous que je fis ? Une demi-heure plus tard, j'étais chez mes patrons qui s'occupèrent de moi en commençant à me bourrer d'aspirine. Trois jours plus tard, après avoir travaillé au ralenti je pus de nouveau vaquer à mes occupations. Les lignes qui vont suivre relèvent de la pornographie la plus abjecte. J'aurais pu ne pas les écrire. Pourtant il s'agit de faits authentiques, le langage écrit est celui qui était employé par les acteurs de cette homosexualité répugnante que l'on découvrait dans certains camps. Il peut sans doute exister un acte d'amour entre deux individus du même sexe. Je n'ai pas à juger mais ce que j'ai vécu visuellement n'avait rien à voir avec l'amour. A la campagne les journées sont longues, du lever du soleil à son coucher nous étions occupés. Matin et soir il fallait soigner les bêtes, même le dimanche matin. Mais après nous étions libres de notre temps que nous passions enfermé dans notre kommando. Nous jouions, lisions, mais certains s'adonnaient à d'autres jeux ou la morale en prenait un bon coup. (sans jeu de mots) Oh ! ce n'était pas discret car soit sur son lit, soit au milieu de la pièce, MIMILE, la putain de service, enlevait son pantalon, s'installait à genoux et crument s'écriait : - S'il y en a qui veulent m'enculer, qu'ils ne se gènent pas. Parfois son appel restait sans réponse, d'autres fois un gars en état de manque s'approchait et sous l'œil interessé de l'assistance sodomisait EMILE tout heureux de s'offrir en spectacle. Un dimanche je vis même un honorable commerçant parisien descendre de son lit, sortir son sexe en érection et nous regardant tous avec un air de défi s'écrier : - Moi je vous emmerde tous, je n'en peux plus ! et se dirigeant vers EMILE à genoux sur son lit, tremblant comme un feuille, il entreprit de le pénétrer. Il y allait à grands coups mais devait manquer sa cible car MIMILE se retourna pour lui dire : - Espèce de con, tu me mets ça dans les couilles. Toute la salle, alors éclata d'un rire homérique, inextingible si bien que notre pauvre commerçant déçu vit son zizi se ratatiner à toute vitesse. Ayant remballé sa marchandise, les larmes dans la voix s'adressant à nous tous il s'écria encore : - Bande de vaches, pour une fois que j'étais décidé, j'en ai marre, marre. Et il alla s'écrouler sur son lit, brisé de honte et de déception. Voilà ce à quoi nous en étions réduit en ce joli mois de mai 41. Il y avait dans notre kommando un pauvre abruti, petit, mal foutu, édenté, attardé mais qui était doté d'un sexe énorme, monstrueux. Quand il bandait il l'exhibait fièrement et brusquement nous étions tous complexés. Je me demande même si un âne ne l'aurait pas été. Bien sûr MIMILE était très intéressé par cette superbe bite. Il venait l'admirer, la toucher, mais n'avait jamais osé s'en servir. Jugez de notre intérêt quand, un dimanche, s'installant les fesses à l'air au milieu de la pièce, il appela notre minus en lui disant : - Il faut absolument que tu m'encules. J'en ai trop envie. Nous poussâmes un OH ! de surprise devant cette prétention. Il allait littéralement se faire défoncer quoique depuis longtemps ses fronces avaient du se prêter à quelques beaux engins, mais tout de même. Excité par ces paroles, l'idiot du village à son habitude faisait admirer son engin qu'il tenait à deux mains, sous le regard gourmand de MIMILE qui lui cria : - Vas-y. Qu'est-ce que tu attends ? L'autre se mit en position, l'énorme tête logé entre les deux fesses d'EMILE et il se mit à pousser comme un sourd. Sa victime ne restait pas inactive, allant à sa rencontre comme pour aider à la pénétration. Mais leurs efforts étaient vains, l'énorme gland restait coincé à l'entrée, refusant obstinément d'écarteler ces deux fesses pourtant consentantes. C'est alors que se leva le Chouan. Il avait à la main une boîte de beurre reçu la veille et malheureusement immangeable parce que rance. Il s'approcha du couple et s'adressant à l'idiot lui dit : - Pousse-toi, je vais arranger cela. Et plongeant sa main de paysan dans la boîte il en tira un gros paquet de beurre qu'il colla dans la raie d'EMILE prouvant ainsi que MARLON BRANDO n'avait rien inventé dans le "Dernier tango à Paris". - Vas-y, ça va rentrer maintenant ! Si jusqu'à présent, intéressés ou écœurés par ce spectacle nous regardions en silence, à la vue du beurre qui fondait et s'étalait par terre entre les jambes de notre interprête nous ne pûmes résister plus longtemps et le fou rire nous empoigna. L'abruti nous regardait puis regardait sa matraque qui petit à petit prenait des airs de plus en plus penchés et MIMILE qui disait dépité : - C'est dommage mais il faudra pourtant qu'on y arrive. Dans la nuit qui suivit, je fus réveillé par des secousses agitant mon habitacle. L'abruti couchant sous moi mais au rez-de-chaussée, je réalisai qu'EMILE faisait une nouvelle tentative. Je me laissai dégringoler à toute vitesse, et de toutes mes forces dans le noir, je balançai des coups de pompe. J'entendis couiner, puis le bruit d'une fuite précipitée et ayant regagné ma couche je pus reprendre mon sommeil interrompu. De temps en temps les gardiens appelaient EMILE. Nous savions ce que cela signifiait . Quand il revenait il se tenait les fesses ou s'essuyait la bouche pour bien nous faire comprendre que la collaboration pour lui avait un sens bien particulier et il en tirait profit. Parfois il nous disait : - "Ce soir je suce le haut" et gentiment il montait sur les lits haut perchés et il taillait une plume "aux pauvres gars en état de manque". Un jour que j'urinais dans la tinette disposée dans un coin je sentis une main s'emparer de mon sexe et je me retournai brusquement. EMILE était en face de moi me disant avec gentillesse. - J'ai envie de te sucer, pourquoi refuses-tu ? Il vit partir ma droite qu'il esquiva. Jamais plus il ne s'adressa à moi. Un soir que j'étais rentré prématurément au camp, j'eus la surprise de trouver un camarade pleurant, assis sur son lit. C'était un Bordelais très gentil qui pratiquait la lutte et sain comme peut l'être un vrai sportif. Je m'approchai de lui et le questionnai : - Tu as reçu des mauvaises nouvelles ? - Non ! - Alors ? Je viens de tromper ma femme. Je rigolai - Ce n'est pas grave dans notre situation. C'est presque permis. - Tu ne comprends pas ! C'est avec EMILE. Je sursautai : - Toi, tu as enculé EMILE ? - Oh non, mais il m'a sucé et tout le temps que ça a duré, j'ai fermé les yeux et quand j'ai jouis, je lui ai pris la tête et j'ai murmuré le nom de ma femme. Alors comme on console un gosse, je lui parlai gentiment et je lui fis un aveu : - Un soir pendant, la bataille, une pédale m'a caressé le sexe et je me suis laissé masturber ! - Toi FUFU ? - Oui, moi. Ne parle à personne de ce qui vient de se produire, jamais. Ce sera ton secret, tu oublieras. Il me regardait profondément ému et il me dit : - FUFU, tu sais que tes paroles m'ont fait du bien. On est deux à avoir un sale secret, je me sens moins coupable. Merci FUFU. Etions-nous encore des hommes dignes de ce nom ou des porcs ? J'étais écœuré au dernier degré. Les Allemands avaient brisé la plupart d'entre nous, détruisant notre sens moral. J'aurais voulu en rire, mais à l'époque je n'y songeais pas. J'étais désespéré par ce que je voyais. Cette guerre a fait 40 millions de morts, mais a-t-on jamais parlé des vies qu'elle a brisées, des consciences qu'elle a dévoyées ? Combien de millions d'êtres se sont retrouvés, l'âme souillée à jamais par des souvenirs qui n'auraient pas eu leur place dans le contexte d'une vie normale. Sans doute vous ai-je choqué, mais je n'ai pas voulu céder à l'hypocrisie du silence. Il fallait que cela fut écrit. Des baraquements avaient été édifiés à la lisière de notre village et lorsque nous avions vu qu'une clôture de barbelés les ceinturaient, nous en avions déduit que c'était réservé à notre usage. Effectivement, un dimanche on nous invita à rassembler nos affaires et nous prîmes le chemin de notre nouveau camp. Il y avait plusieurs pièces et les lits étaient à un étage. J'optai, comme à l'habitude pour le haut, non loin d'une fenêtre grillagée. Nous nous étions regroupés par affinités et MIMILE avait été prié de choisir une autre pièce, ce qui fit qu'une atmosphère un peu plus saine régna dans notre cambuse. Je n'avais pas abandonné mon idée d'évasion et à cet effet je choisis deux camarades qui me paraissaient répondre à ce que j'attendais d'eux. Un quatrième voulu entrer dans la confidence mais je lui dis de chercher d'autres équipiers. Il se passait une chose curieuse en moi. Je sentais ma combativité disparaitre peu à peu. La pensée d'avoir de nouvelles aventures à vivre, d'avoir à me séparer de mes si bons patrons et surtout de quitter ma petite MARIA, me rendait mélancolique. Je me posais la question. Et si tu échoues encore ? Camp de représailles sans doute, les Allemands m'avaient prévenu. Ils avaient ce qu'il fallait pour mater les durs et moi je n'en étais pas un. MARIA ! plus je la cotoyais, plus je la désirais. Son image maintenant se substituait à celle de ma fiancée pourtant si belle mais si lointaine. Quand je devais lui écrire, je restais devant ma feuille, sans inspiration, répugnant au mensonge et j'avais un sentiment de culpabilité. Mais toujours mes pensées me ramenaient à MARIA, ma petite sauvageonne. Cela tournait à l'obsession. Si bien qu'un matin, cédant à une pulsion soudaine alors qu'elle était occupée à traire, je lui attrapais la tête à deux mains et posais mes lèvres sur les siennes. Elles n'eut aucune réaction, paralysée par la surprise, effrayée par mon audace et mon baiser devint un vrai baiser d'amant. Quand je me relevai je vis ses yeux agrandis de stupeur me fixer, elle était incapable de prononcer la moindre parole. Effrayé moi-même par mon acte insensé, j'allai me réfugier dans la grange, en proie à des émotions diverses. MARIA était une jeune fille allemande, elle faisait partie des Jeunesses Hitleriennes, son fiancé était un soldat. Elle était mineure n'ayant que 19 ans. Sans doute allait-elle me dénoncer et j'allais partir en forteresse ! ! Mais je fermais les yeux, j'avais le gout de sa bouche sur mes lèvres, je sentais encore le parfum de sa saine haleine de jeune fille de la campagne et je me disais "tant pis je vivrai avec ce souvenir". MARIA évita mon regard toute la journée. Elle semblait plongée dans un monde de réflexions. Savait-elle que ma vie dépendait de sa décision.? Le lendemain, je la retrouvais toujours aussi lointaine, se comportant avec moi comme si j'étais un ectoplasme. J'avais passé une sale nuit partagé entre la trouille et le désir. Machinalement, je passai mes doigts sur mes lèvres et une joie profonde m'envahissait. MARIA, ma petite MARIA. Ou alors je me voyais entre deux soldats prenant le chemin de la forteresse. Pendant plusieurs jours, elle sembla m'ignorer, mais je savais qu'elle n'avait pas parlé et ma confiance revenait. Devais-je faire une nouvelle tentative ? C'était risqué. Alors attendre une occasion ? C'était plus raisonnable. Je lui adressais la parole, je lui souriais, mais elle continuait à rester de marbre. Mes pulsions revenaient, j'étais devenu amoureux fou d'une petite femme, pas extrèmement jolie, mais désirable, gentille, gaie et saine et je voulais encore gouter à ses lèvres. J'avais beau essayer de me raisonner : - "tu es bien, tu bouffes bien, personne ne t'embête, tu vas tout gacher ! mais vas te faire fiche, CUPIDON ne me laissait plus de repos. Et puis un jour .... Nous étions en train de charger du foin sur la grande charrette où elle était montée. Moi avec une fourche, je lui passais ce qu'on m'amenait et elle égalisait la charge. Un petit vent venu de FRANCE me fit penser qu'il allait pleuvoir. Je m'intéressais à la météo, à la manière des paysans. Alors, voulant absolument renouer le dialogue avec MARIA je lui dit : - Demain, nous aurons de la pluie, elle regarda le ciel à son tour et me répondit : - Non, demain il fera beau, et un dialogue de sourd s'instaura entre nous : - Il fera beau. - Il pleuvra. Excédé par son entêtement je lui dis alors : - Moi je te parie qu'il pleuvra. - D'accord, me répondit elle, que paries -tu ? - Un baiser, répondis-je en souriant. Elle marqua un temps d'arrêt me fixant droit dans les yeux et lentement me dit : - Ja wol, mais je ne risque pas grand chose car il fera beau . Alors, je devins fou de joie, je me mis à chanter, à sauter, danser en priant les Dieux qu'ils fassent pleuvoir. MARIA sérieuse, contemplait mon exubérance, se demandant sans doute pourquoi j'exprimais tant de joie pour une si petite chose. Le soir, allongé sur ma paillasse, tous les sens en éveil, j'écoutais le vent de FRANCE m'apporter avec la pluie qui tardait à venir la promesse d'une petite bouche pulpeuse que je dégusterais comme un fruit savoureux. Toc silence toc silence toc.. toc toc, cela résonne dans mes oreilles comme l'ouverture d'un opéra. D'abord espacé, pianissimo puis allegro le rythme s'accentuant pour venir en un formidable concert chanter la force d'un bel amour naissant au coeur de la guerre, dans un environnement hostile. Alleluia. Demain, MARIA tu seras à moi. La pluie s'était remise à tomber, les Dieux m'avaient exaucé. En faisant ma toilette, je tremblais comme un collégien. Et si elle s'était moquée de moi:"Tu sais ce qu'elle risque elle aussi, autant, sinon plus que toi. L'opprobe des gens de son village, la prison, le crâne rasé, la colère de son fiancé. Les nazis ne jouent pas avec ces choses là. Non, elle ne peut accepter un tel risque ! !". Quand j'arrivai dans l'écurie, là où le matin, ma petite sauvageonne, les cheveux en désordre, à peine éveillée, trayait les vaches, je ne vis personne. J'étais déçu à en pleurer et, la mort dans l'âme je commençai mon travail. J'en étais à mes tristes reflexions d'amoureux déçu quand j'entendis derrière moi un léger toussotement. Je me retournais d'une pièce. MARIA était devant moi, bien peignée, maquillée, le visage emprunt de gravité. J'étais ébloui, fasciné et je m'approchai d'elle, ouvrant les bras dans lesquels elle vint se blottir, son petit visage levé vers moi. Sans paroles, avec une grande douceur, je posai mes lèvres sur les siennes provoquant l'embrasement subit de nos deux corps, trop longtemps privés de caresses. Quand enfin nous pûmes reprendre notre souffle, je plongeai mon regard dans ses beaux yeux de braise et je lui murmurai tendrement : - MARIA, je t'aime. Ich liebe dich meine kleine MARIA Moi aussi GUERALD je t'aime. Nous sommes fous, mais je t'aime. Puis, soudain sérieuse, apeurée même : - Je suis une jeune fille allemande GUERALD, je me confie à toi ! Nous passâmes la journée sur un nuage, nous bécotant dès que nous le pouvions, nous souriant dès que les gens ne pouvaient plus nous observer. J'étais ivre de bonheur et si loin de mon pays, de ma fiancée. Quand je pensais à elle, un sentiment de remords, vite étouffé, me venait à l'esprit. La passion avait tout emporté dans un gouffre insondable. Il n'y avait plus que MARIA sur terre. De retour au camp n'égligeant mes copains, j'allai m'allonger pour revivre en pensées mes instants de bonheur. J'échafaudais des projets insensés. Je me voyais à demeure, commis de culture avec MARIA qui deviendrait ma femme. LYDIE ma fiancée, belle comme elle l'était trouverait facilement un mari plus valable que moi. D'ailleurs, mes pauvres lettres avaient dû la renseigner sur mon état d'esprit. Je ne savais mentir. La passion qui nous animait MARIA et moi nous avait transformés en deux blocs incandescents qui brûlait d'un feu que seul un rapport sexuel total aurait pu éteindre. Mais devant mon insistance à trouver une solution elle m'avait fait voir son ventre en me disant : - "Et si tu mets un petit franzose là dedans ? Non GUERALD c'est trop dangereux". Un matin, alors que le seau entre les jambes elle trayait une vache, traitreusement, tout en l'embrassant, j'avais glissé ma main sous le récipient, atteignant son sexe. Mes amis, le VESUVE à coté faisait figure de volcan éteint. Lorsque sous ma caresse précise la vague de son spasme déferla sur elle, je n'eus que le temps de saisir le récipient plein de lait. La vache avait tourné la tête nous regardant comme seule un bovin peut regarder un tel spectacle. Un peu après MARIA s'était relevée, transfigurée par le plaisir appuyée tendrement contre mon épaule, elle me dit en confidence : - "Tu sais GUERALD, les garçons allemands ne nous caressent pas, ce que j'ai éprouvé est formidable". Je sus ainsi qu'elle n'était pas vierge, mais je m'en doutais et je m'en foutais. Elle me dit encore : - Je voudrais que toi aussi tu aies du plaisir, mais ce n'est pas facile. je la rassurais : - On s'arrangera MARIA, ne t'en fais pas pour moi, tu trouveras toute seule. Quelques jours plus tard, la patronne bien imprudente, nous envoya dans la cave, dégermer un gros tas de pommes de terre. Aussitôt dans les bras l'un de l'autre je m'occupai de donner du plaisir à ma petite partenaire. Soudain, je sentis sa main se glisser adroitement dans mon pantalon et sortir mon sexe. Quelques minutes plus tard un torrent de lave nous emportait. MARIA avait enfin trouvé la solution. Une demi heure plus tard, sorti de la cave, je croisais MARIA qui, toute souriante me dit : - GUERALD, je suis contente. J'ai gagné ! Je fis le monsieur surpris : - Tu as gagné quoi ? Alors riant franchement elle me répondit : - Ben, tu es kaput ! - Et ça alors ? je lui montrais une superbe bosse qui à sa vue avait déformé mon pantalon. Alors, MARIA extasiée leva les yeux au ciel en disant : - Ach, die Franzosen ! ! Plus tard, lors de mon voyage en ALLEMAGNE, je suis allé dans cette ferme. La patronne que j'interrogeais sur le sort de MARIA me répondit en riant :- "MARIA est mariée avec un Français et elle a déjà 6 gosses. J'avais peut-être un fusil à répétition mais mon successeur devait avoir une mitraillette. Ach, die Franzosen ! Si la journée, j'avais l'impression de ne plus être prisonnier, le soir au camp il en allait différemment. Nous étions nombreux et un adjudant allemand commandait le camp. Dès son arrivée notre vie changea, il ne nous aimait pas et nous le démontra en vrai sadique qu'il était. Le dimanche, il nous rassembla, fit sortir l'abruti au gros sexe de nos rangs et lui dit : - "C'est toi qui va commander le garde à vous, repos, etc...". L'idiot était enchanté et prenant du recul, il commanda : - " Garde à vous" tout le monde obéi sauf moi qui garda la position du soldat au repos. L'air mauvais l'adjudant s'approcha de moi et me dit : - Vous n'avez pas compris ? - J'ai compris Herr Feldwebel, mais je suis soldat français et caporal, lui n'est que deuxième classe. Je n'ai pas à obtempérer. Il me regarda d'un air sombre et gueula : - "garde à vous". Je me redressais vivement et me tint raide devant lui. Il était blême de rage et se mit à m'insulter, criant : - Vous les soldats français, vous allez bientôt combattre avec nous contre les Anglais. Je lui répondis : - Ça m'étonnerait, les Anglais sont nos amis. Je crus un instant qu'il allait me casser la gueule mais il s'abstint, me regardant avec méchanceté. Décidement les adjudants et moi, ça ne marchait pas fort. Curieusement j'étais resté calme, alors que mes copains me regardaient en se demandant qu'elle mouche m'avait piqué. Le savais-je moi- même ? Etais-ce de la révolte ? Du cabotinage, le désir de me tester, le plaisir de résister ? Je l'avais fait et je m'en tirais sans dommage. C'était le principal. Mais cette ordure ne s'en tint pas là. Il nous fit lever une heure plus tôt et commanda lui-même la scéance de culture physique en nous disant : - "Ce sera comme ça tous les jours". Les gars fatigués par les durs travaux des champs commencèrent à récriminer. Les sourires disparurent et quand une nuit nous fûmes réveillés en sursaut par l'adjudant ivre, je sus que la mesure était comble. Un tabouret avait été disposé au milieu de la pièce et l'on nous fit mettre nus. Ensuite, chacun à notre tour nous dûmes, sous l'oeil intéressé du sadique, monter sur le siège alors qu'un wachman armé d'une spatule cherchait dans les poils de notre sexe d'éventuels morpions ou le signe d'une circoncision. De nouveau dans mon lit je me mis à réfléchir à la meilleure manière de nous débarrasser de cet énergumene et je trouvai. Le matin au réveil je pris la parole : - "Les gars, comme moi vous en avez tous marre. On ne peut se révolter, mais voilà ce que vous allez faire. Toute la journée vous allez bailler, trainer au boulot faire les endormis. Vos chefs vous interrogerons. Dites-leur tout ce que nous subissons. Ils tiennent à nous et croyez moi, ils agiront. Ce qui fut dit fut fait et le soir, je glanais un tas de renseignements interessants. - "Il faut continuer les gars, on tient le bon bout". Je sentais en moi revivre l'âme de SPARTACUS. Le dimanche suivant, une voiture officielle de la Wermach s'arrêta devant le camp et un commandant en descendit. Il alla directement au bureau des wachman et nous entendîmes de violents éclats de voix. Puis un gardien nous rassembla au garde-à-vous dans la cour. Le commandant suivi du feldwebel écarlate, sorti et ils vinrent prendre place face à nous. L'officier parla d'une voix forte alors que l'adjudant au garde à vous répondait sans relache:- "Ja whol Herr Kommandant". Puis, se tournant vers nous, l'officier nous dit en excellent français :- "cet homme est indigne de notre armée, il sera puni comme il le mérite. Rompez !". Le soir même l'adjudant disparu avec armes et bagages et nous reprîmes notre petit train-train habituel. L'époque des moissons était arrivé. Autant l'hiver avait été rude, autant l'été était chaud, parfois torride. J'avais abandonné l'idée de m'évader et j'avais donné ma place au camarade qui m'avait contacté lorsque j'avais manifesté mon intention de faire une nouvelle tentative. Tous mes conseils, toutes mes combines avaient été enseignées. Les gars me faisaient confiance, s'étonnant de mon abandon. L'un d'eux, plus perspicace me dit en souriant : - "N'y aurait-il pas une petite gretchen en cause ?". Je protestais auprès de ce copain qui était mon voisin de lit. Il compléta sa réflexion en me disant : - "Je te parle de ça, parce qu'une nuit tu as prononcé le nom de MARIA alors que tu dormais, peut-être que dans ton rêve tu faisais une prière à la vierge". Je me contentais d'émettre un rire qui était un aveu. Un soir en revenant de mon travail, je trouvais ce camarade dans un état inhabituel. Il me prit dans un coin en me disant "c'est pour ce soir". Les deux autres copains virent prendre part à la conversation et me firent part de leur plan : attendre minuit, cisailler les barbelés et foncer jusqu'au jour. Ils regrettaient que je ne veuille pas me joindre à eux mais je n'y songeais même plus. J'aimais MARIA. Ils me dirent adieu, je leur souhaitais bonne chance et je revins m'allonger sur ma paillasse. J'avais des états d'âme et je n'étais pas très fier de moi. Quand les gardiens, au reveil, virent les barbelés pendre lamentablement ce fut la panique. Appels, menaces... Ils avaient des raisons d'être en colère car pour eux c'était la relève certaine pour des postes, qui ne seraient plus des planques. Les services hitlériens s'occupant de la jeunesse avait adressé deux étudiants à mon patron pour la saison des moissons. D'abord, une vrai pin-up venue de COLOGNE. C'était une fille très gentille. A coté d'elle ma petite sauvageonne faisait pâle figure et je vis bientôt qu'elle en souffrait, d'autant plus qu'ANNIE, c'est ainsi qu'elle se prénommait, profitait de ses moments de loisirs pour venir discuter avec moi. MARIA un matin laissa éclater sa jalousie. - Elle est belle ANNIE ? - Oui, bien sûr - Elle est intelligente ? - Sans doute ! mais qu'est-ce que ça peut faire puisque je t'aime ! - On dit ça ! ! - Et puis, tu me caresses si bien ma MARIA. Alors, elle se colla contre moi en me disant : - Je t'aime tant GUERALD et je suis si malheureuse. Il me fallut quelques baisers passionnés pour la rassurer. Quand ANNIE eut terminé son stage, elle fut remplacée par un jeune gars blond, bien balancé qui de suite sympathisa avec moi. Il me dit franchement : - "je n'aime pas les paysans, ni leur travail". Je lui fis remarquer qu'il était tombé dans une bonne maison et qu'il mangeait sans doute mieux qu'en ville. Le soir il regagnait le camp prévu pour eux, qui étaient astreints à une certaine discipline. Ayant remarqué mes chaussures éculés, il me dit : "Je vais m'occuper de cela". Effectivement, le lendemain il vint avec une chaussure basse qui avait été taillée dans une chaussure montante et deux jours plus tard il m'apporta la chaussure de l'autre pied malheureusement plus grande de deux pointures. Il s'excusa en me disant : - C'est tout ce que j'ai pu faucher. Moi par contre j'étais ravi. Depuis longtemps mes chaussettes avaient été remplacées par des carrés de tissus appelés fusslapen et il était facile de combler le vide d'une chaussure en rajoutant un peu d'étoffe. En marchant vite cela ne se remarquerait pas. En faisant du troc j'avais pu me procurer une veste d'aviateur bleue, un petit calot que je portais incliné et un pantalon droit qui m'allait bien. Je devenais coquet pour plaire à MARIA et mon élégance toute militaire la faisait sourire. Moi, je souriais moins quand parfois je la voyais avec sa tenue nazi des Hitlers Jugend. Elle avait peut-être fière allure mais, de voir ce brassard rouge à croix gammée sur le bras me rendait malade. MARIA avait une soeur plus jeune qu'elle qui venait parfois donner un coup de main. Elle était très différente de ma chérie. Plus grande, plus fine, très élancée, ce que l'on appelle une belle plante. Ajoutez à cela une démarche élégante et vous aurez l'image d'une jeune fille de la ville, peu rompue à la dure vie de la campagne. Elle me manifestait une certaine froideur et pourtant je la surpris souvent me regardant à la dérobée. Quand elle se voyait découverte elle rougissait violemment. Quels étaient donc tes sentiments pour moi, délicieuse petite LORE ? Je n'ai jamais voulu les connaître et c'était mieux ainsi. Un jour, un wachman me demanda de l'accompagner en ville pour faire des achats. J'étais un de ceux qui parlait le mieux l'allemand car j'étudiais à mes moments perdus. Disposant d'un certain pécule je revins avec un petit accordéon. Je m'étais mis dans la tête d'apprendre seul mais, bien vite, je du abandonner car je n'étais pas doué. Un matin, arrivant comme de coutume prendre mon travail, je trouvais la maison en effervescence. Ma patronne, en larmes, vint au devant de moi et me dit tout de go : - GUERALD, ce matin nos armées ont envahi la RUSSIE. J'ai peur pour mon mari ! Des sentiments contradictoires se bousculèrent en moi. J'avais envie de crier, de sauter de joie. Enfin un élément qui nous était favorable. Je pensais "Ils sont tous foutus, comme NAPOLEON l'a été" et puis d'un autre côté, de voir ces braves gens consternés me faisait de la peine. Je sentais bien qu'elle venait à moi comme on va vers un ami, elle attendait des paroles consolatrices que j'étais incapable de lui prodiguer. Je me détournai géné en lui disant : - La guerre est une chose très triste, Madame. Deux jours plus tard, nous étions alors le 24 juin 1941, le moral était revenu. La radio qui marchait toute la journée annonçait victoire sur victoire et nous qui avions chanté le soir du 22 juin, nous commencions à faire triste mine. Mais qui donc arrèterait ces démons ? ! ! ! Avec MARIA, nous continuions à vivre sur notre nuage, nous partions tous les deux faucher le seigle, elle faisant les bottes avec ces beaux épis que ma faux couchait. Puis avec les gerbes nous faisions un tas qui nous dissimulait aux yeux d'éventuels passants. Elle sortait alors le casse-croûte du panier et nous faisions un véritable repas d'amoureux, nous bécotant sans arrêt. Ensuite, bien sûr, nous nous faisions un petit plaisir. La guerre, on s'en foutait pas mal MARIA et moi. Un jour que nous étions allés désherber un champ de pommes de terre, brusquement, elle porta la main à son flan, poussant un cri de douleur et se laissa tomber au sol. Affolé, je couru jusqu'à elle et m'agenouillant je lui pris la main en disant : - MARIA, MARIA qu'as tu ? Elle entrouvrit légèrement les paupières, ses petites dents se découvrant sur un sourire et m'attrapant la tête elle m'embrassa violemment. C'est à ce moment que mon esprit toujours en éveil me signala un danger. M'arrachant à son étreinte, je levais la tête et vis un couple qui nous regardait surpris. Alors, je me mis à taper dans la main de MARIA criant : - Was ist los ? bist du krank ? antwort MARIA ( qu'arrive t-il ? es-tu malade ? réponds MARIA) Elle se redressa, compris la situation et se releva en se tenant le flan, paraissant souffrir énormément, tout en disant : - Es ist nicht, es ist nicht (ce n'est rien, ce n'est rien) Sans un mot les gens disparurent. Avaient-ils été dupes . Je disputais MARIA : - Tu est folle, tu veux notre perte. Elle me regarda consternée ! - GUERALD, j'avais envie que tu me fasses l'amour. Je n'en peux plus d'attendre, je veux être à toi. Je lui répondis en lui montrant son ventre : -Je suis comme toi MARIA mais souviens toi, et si je mettais un petit Franzose là-dedans hein ! Elle sourit alors en murmurant : - Pourvu que ces idiots ne disent rien. Notre retour ne fut pas gai, l'inquiétude nous rongeait. Les jours qui suivirent se passèrent dans le calme, nous nous tenions sur nos gardes. Or, un matin MARIA ne vint pas à son travail, remplacée par la patronne. Inquiet, je demandai de ses nouvelles et obtins cette réponse qui me foudroya sur place. - Son fiancé est arrivé hier soir et ce matin elle est sans doute fatiguée. Tout cela dit avec un petit sourire coquin qui en disait long sur ses pensées. Ça devait arriver un jour. J'avais essayé de me faire à cette idée, mais j'avais l'impression d'avoir reçu un coup de massue sur la tête et mon coeur était comme enserré dans un étau. La jalousie était en moi, je m'imaginais MARIA entrain de faire l'amour avec un autre et c'était intolérable. Cependant, je devais faire bonne figure, surtout s'il se présentait à moi. Cela se produisit dans le courant de l'après midi. Il arriva, MARIA à son bras, apparement indifférente à ma modeste personne. Il avait l'air d'un brave garçon, solide et sain comme on en rencontre dans nos campagnes. Malheureusement, il était vétu de vert de gris. Il vint discuter avec moi en me disant qu'il était à PARIS. Puis il me parla des Français : - Tous trop maigres, parce qu'ils font trop l'amour En moi même je pensais -"pauvre con, si tu connaissais MARIA, comme je la connais, tu aurais bonne mine avec tes raisonnements débiles. MARIA, plus je la caressais, plus elle embellissait. "Allez, fou le camp sale schleu, laisses-moi à ma peine". Pendant les quelques jours qui suivirent, MARIA sembla m'ignorer. Je souffrais terriblement et je faisais mon travail de façon mécanique. Jugez de ma surprise lorsqu'un jour, pénétrant dans la grange je m'entendis héler : "GUERALD, GUERALD". Je levais la tête MARIA était dans le foin. J'attrapais l'échelle et montais aussi vite que je le pouvais. MARIA était allongé, les jupes retroussées, son sexe brun offert à ma convoitise, délicieusement impudique et souriante. Doucement elle me dit : - GUERALD, maintenant viens, tu peux. Que se passa -t-il en moi ? Ma jalousie explosa mauvaise conseillère. Je me penchais sur MARIA, la giflais violement et je m'enfuis comme un fou allant me réfugier dans l'écurie où je me mis à sangloter comme un gosse. La raison me revenais, qu'avais-je fait à MARIA qui venait de m'offrir le plus beau gage d'amour qu'une femme puisse donner à un homme et cela au risque de sa vie et de son honneur. "C'est toi qu'elle aimait" et j'étais un misérable, je devais aller me jeter à ses pieds. Je retournais à la grange pour me faire pardonner mais il était trop tard, elle avait disparu. Une demie heure plus tard, elle vint me trouver et me donna des ordres, sèchement. Elle était blanche comme une morte, son regard se posait sur moi sans aménité. ! - Attelle la voiture, prends une faux, une fourche. Quand ce sera prêt, attends moi ! Une fois la voiture apprétée, je l'attendis installé sur le banc, les guides à la main. Lorsqu'elle arriva elle m'arracha les rennes en me disant : "va derrière", je quittais le siège et j'allais m'appuyer contre la ridelle de droite. Elle fouailla les chevaux qui partirent de bon train et sortie du village elle redoubla ses coups de fouets, passant son humiliation sur les pauvres bêtes, qui partirent au grand galop m'obligeant à me cramponner ferme pour ne pas basculer. Grand Dieu que la colère lui allait bien à ma Walkirie avec ses longs cheveux noirs emportés par le vent de la course, sa robe aux couleurs vives plaquée sur son corps nerveux, son profil volontaire où toutes ses pensées étaient inscrites. MARIA, je suis certain de ne t'avoir jamais autant aimé qu'à cet instant. Arrivé dans le champ, vite descendu, elle m'intima l'ordre de faucher. Je voulu profiter de notre isolement pour lui demander pardon mais, elle me fit taire en me disant : - Tu n'es qu'un sale français, un lâche prisonnier, un chien tordu, ne m'adresse plus jamais la parole, jamais ! Le retour fut comme l'aller, silencieux et accéléré. Sans un mot, sans un regard, elle me quitta à l'arrivée. Je ne devais plus jamais la revoir. Le lendemain matin un soldat vint me chercher, fusil à l'épaule. Il me fit ramasser mes affaires et nous partîmes tous deux en direction de MOSBERG. Que s'était-il passé ? 46 ans après j'en suis encore à faire des suppositions ! Etait-ce les gens qui nous avaient surpris, qui avaient parlé ? Etait-ce son fiancé qui avait des doutes ? Le Kommando où je me rendais avait-il besoin d'un interprète ? En mon fort intérieur, j'ai une conviction. Même sous le coup de la colère MARIA n'avait pu me trahir. Notre amour avait été trop beau, trop plein de promesses MARIA, comme moi a du souffrir et je lui en demande pardon. En temps normal, sans doute n'aurais-je jamais remarqué MARIA, petite sauvageonne perdue dans la campagne. Mais, elle était venue à moi, comme un ange descendu du ciel, elle m'avait tendu la main, m'avait aidé à revivre, à espérer. Je n'avais pas su la comprendre l'espace d'un instant et maintenant j'allais expier pour cet amour coupable. N'est ce pas mon ami MICHEL qui m'avait dit un jour : - Tu sais FUFU, dans la vie tout se paye, parfois très cher. L'heure avait sonnée pour moi, et je savais pourquoi j'allais payer.

Notes et documents

Cf le CD