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Général Bernard DROUIN
Ajdt-Chef Jacques PERROTIN
Prisonniers du Viet Minh
GUERRE d’INDOCHINE
TABLE
POSTFACE de Michel EL BAZE
TABLE
Tombé
du ciel aux mains des Viets, l’Adjudant-Chef Perrotin va
subir pendant plus de 4 années, de 1948 à 1953, les
souffrances de la captivité. "L’expérience"
du Général Drouin, de Mai à Août 1954 sera heureusement
plus courte. Ces
deux témoignages montrent combien les situations et les
comportements peuvent être différents dans le temps et
surtout comment chaque témoin affirme sa vérité, la
sienne, que le chercheur comparera avec intérêt avec la
vérité des autres, de ceux qui ont témoigné sur ce même
sujet.
Fallen from the sky
to hands of Viets, the Adjudant-Chief Perrotin is
going to undergo during more of 4 years, 1948 to 1953,
sufferings of the captivity. "The experience" of General
Drouin, from May to August 1954 will be happily
shorter. These two testimonies show how
much situations and behaviors can be different at one
time and especially how each witness asserts his
truth, that the seeker will compare with interest with
the truth of others, these who have testified on this
same subject.
Vom Himmel gefallen in die
Hande der Viet, wird der Adjudant-Chef Perrotin
wahrend mehr als 4 Jahren von 1948 bis 1953, die
Leiden der Gefangenschaft ertragen. "Die Erfahrung" des Général
Drouin von Mai bis August 1954 wird glücklicherweise
kürzer sein. Diese beiden Zeugnisse zeigen,
wie die Situationen und Verhaltensweisen in der Zeit
unterschiedlich sein konnen und vorallem wie jeder
Augenzeuge seine Wahrheit behauptet, die seine, die
der Forscher mit Interesse mit der Wahrheit der
Anderen, die zum gleichen Thema ausgesagt haben,
vergleichen wird.
PROLOGUE du GÉNÉRAL DROUIN
TABLE
Les
souvenirs qui suivent ne concernent que le convoi des
officiers subalternes de Dien Bien Phu au camp N°1, la vie
que nous avons mené au camp N°1 pendant trois mois et
notre retour. Chaque convoi a eu son aventure propre et
chaque camp sa discipline, ses brimades, son rythme de
rééducation, son hygiène ou plutôt son manque d'hygiène et
les décès subséquents. Même au camp N°1, les officiers qui
y ont passé deux, trois ou quatre ans, sinon plus, n'ont
pas été soumis au régime que nous avons connu. En outre,
résister à la captivité suppose des qualités physiques et
morales qui varient suivant les individus. Tous les
prisonniers libérés à Viétri n'ont pas gardé le même
souvenir de cette période, mais chaque témoignage, n'en
reste pas moins une partie de la vérité.
Souvenirs
that follow concern only the subordinate officer convoy
of Dien Bien Phu to the camp N°1, the life that we have
led to the camp N°1 during three month and our return.
Each convoy has had its each adventure and each camp its
discipline, its brimades, its rhythm of re-education,
its hygiene or rather its lack of hygiene and subsequent
death. Even to the camp N°1, officers who have past two,
three or four years, otherwise more, have not been
submitted to the regime that we have known. In besides,
to resist to the captivity supposes physical qualities
and morals that vary following individuals. All
prisoners liberated in Viétri have not kept the even
remember from this period, but each testimony, remains a
part of the truth.
Die Erinnerungen,
die folgen, betreffen nur den Konvoi der
untergeordneten Offiziere von Dien Bien Phu zum
Truppenlager Nr.l, das Leben, das wir im Lager Nr.l
wahrend drei Monaten geführt haben und unsere
Rückkehr. Jeder Konvoi hat sein eigenes Abenteuer
gehabt und und jedes Truppenlager seine Disziplin,
seine Schikanen, seinen Rhythmus der Umerziehung,
seine Hygiene oder vielmehr sein Fehlen von Hygiene
und die nachfolgenden Todesfalle. Dasselbe im Lager
Nr.l, die Offiziere, die dort zwei, drei, oder vier
Jahre, wenn nicht mehr,verbracht haben, hatten nicht
die Lebensweise, die wir gekannt haben. Ausserdem
setzt der Widerstand gegenüber der Gefangenschaft
physische und moralische Eigenschaften voraus, die
entsprechend den Individuen verschieden sind. Alle
Gefangenen, die in Viétry befreit worden sind, haben
nichtdiesselbe Erinnerung an diese Zeit bewahrt,
aber jedes Zeugnis bleibt nichtsdestoweniger ein
Teil der Wahrheit.
TABLE
POSTFACE_de_Michel_EL_BAZE
PROLOGUE_du_GENERAL_DROUIN
LA CAPTIVITÉ APRÈS DIEN BIEN PHU
La
capture
La
marche vers le camp n°1
Trois
ou quatre souvenirs marquants pendant la
marche
Le camp n°1
La libération
ADJUDANT-CHEF
JACQUES PERROTIN PRISONNIER DU VIÊT-MINH
QUELQUES
SOUVENIRS...
Général
Bernard Drouin La Cie B du C.L.I./5e R.I.C.
au Laos 29
Jacques Perrotin
Mission " Gaurs " 33
GÉNÉRAL DROUIN
LA CAPTIVITÉ APRES DIEN BIEN
PHU
TABLE
La capture
Nous sommes le 7 Mai 1954. Il est 17 heures 30. Par les
écoutes radio des réseaux viets nous savons que Giap a
fixé 18 heures pour l'assaut final qui doit emporter les
dernières résistances Les ordres qui ont été diffusés à
tous sont : A 18 heures plus personne ne doit tirer.
Auparavant détruire les armes, les postes radio et les
archives. Pas de drapeaux blancs. Ce n'est pas une
reddition, mais l’arrêt des combats. Du reste que
pouvait-on faire d'autre ? Dans la nuit du 6 au 7 les
Viets ont submergé toute la rive Est de la Nam Yom. Ils
tirent a vue directe sur les P.C. (ce n'est pas grave),
sur les dépôts de munitions quasi vides, sur les
artilleurs. Au centre de résistance principal il reste
quelques obus de 105, mais toutes les pièces sont hors
service. A Isabelle, au sud, il reste trois obusiers en
état de tir, mais plus de munitions. Hanoï a demandé des
contre-attaques pour reprendre les P.A. qui bordent au
plus près la rivière à l'est. Mais avec quoi ? Il n'y
a même plus de secrétaires dans les P.C. Alors toute la
journée nous avons droit à un festival aérien
invraisemblable Tous les moyens que nous avons vainement
réclamés depuis deux mois pour essayer de faire lâcher
prise aux Viets nous sont brusquement accordés sans que
nous n'ayons rien demandé et alors que tout ce carrousel
ne sert plus à rien. Depuis le matin on a envisagé de
faire une percée vers le sud-ouest avec tous les hommes
valides. mais les uns après les autres les commandants de
bataillon ont rendu compte que leurs effectifs valides
étaient ridicules et que leurs hommes étaient trop épuisés
pour tenter quoique ce soit. L'idée est abandonnée. A
17 heures 30 tous les avions sont partis et les Viets
déferlent pendant que le silence s'établit sur l'ensemble
de la position. Une demi-heure plus tard les files de
prisonniers, valides ou blessés, commencent à s'engager
sur la R.P.41, pour le mois de marche, qui à raison de 30
km par nuit en moyenne, nous verra rejoindre la frontière
de Chine et les camps. A
la hauteur des Dominique, premier tri. Les officiers sont
séparés de leurs hommes. On piétine longuement. Un
commandant viet sort d'un P.C. souterrain et met à part le
Général de Castries qui me donne l'ordre de ne pas le
quitter, le Viet ne proteste pas, trois ou quatre colonels
dont le chef d’État Major et le Colonel Vaillant
commandant de l'Artillerie. Il réclame longuement le
Colonel Langlais et le Commandant Bigeard, sans succès. La
nuit tombe. Notre petit groupe, escorté par une section de
Bo-doï se met en route. Au bout d'une heure on quitte la
R.P.41 pour un sentier qui s'en va vers le Nord. Encore
une heure de marche et nous découvrons que notre
destination est le P.C. de Giap. Seul le Général de
Castries est introduit dans l'abri. Les autres attendent
dehors, somnolent ou admirent la vue magnifique sur nos
positions qu'avait notre adversaire. Nous situons ce P.C.
à environ deux kilomètres au Nord de la position de
Béatrice, le C.R. du 3/13e DBLE tombé la première nuit de
l'attaque. Le colloque des chefs dure à peu près deux
heures. Puis
on repart vers la R.P. 41 où notre chef d'escorte arrête
d'autorité un camion chinois qui a l'air de remonter à
vide. On embarque. Ma montre indique deux heures du matin.
Ça roule doucement. On remonte des colonnes de prisonniers
et des compagnies de Bo-doï étroitement imbriquées. Au
petit jour arrêt. On fait 1500 m environ sur une petite
piste qui mène à trois ou quatre paillotes. L'une est
occupée par trois ou quatre officiers capturés la nuit du
6 au 7. Nous sommes répartis dans deux autres paillotes et
autorisés à dormir. En fin de matinée, travaux de
propreté, bol de riz et interrogatoire par le chef du 2ème
bureau viet. C'est le fils d'un mandarin resté fidèle à la
France, puis au Gouvernement légal. En
fin d'après midi départ pour le camp de regroupement des
officiers, de l'autre coté de la colline où nous
retrouvons tous nos camarades. Le camp est à 40 kilomètres
de Dien Bien Phu, ou peu s'en faut. Ce devait être une
halte pour les troupes viets avant d’être engagées dans
les combats ou pour les coolies qui assuraient le
ravitaillement. Il y a là de très longs abris en feuillage
qui mettent à peu près à l'abri de la pluie. La
deuxième nuit, vers 22 heures, au milieu du premier
sommeil, alerte. Un gradé viet escorté de six Bo-doï, le
doigt sur la détente du P.M., agite une lanterne et une
liste de cinq ou six noms. J'en suis. Les camarades
réveillés font une tête d'enterrement. Ils sont persuadés,
et l'avoueront plus tard que nous allons être fusillés.
Pour ma part je me demande seulement quelle lubie peut
bien les prendre en pleine nuit. On retraverse la colline,
le petit camp de la veille, la rivière des ablutions et on
s’arrête au milieu d'une grande clairière d'herbe à
éléphants. - Attendez là, dit le gradé. Il fait froid et
il bruine. Serrés les uns contre les autres on somnole,
mal, jusqu'au petit matin. Arrive alors un responsable qui
sait où nous allons, et une nouvelle escorte. En route. On
traverse d'abord une batterie de mitrailleuses
antiaériennes servie par des Chinois. Puis on prend une
piste de ravitaillement des troupes qui assiégeaient Dien
Bien Phu. Entièrement sous bois avec un platelage en
lattes de bambous fixées au sol aux deux extrémités. Une
seule voie de roulement mais avec des garages assez
rapprochés, utilisable en tous temps et parfaitement
invisible d'avion. Du beau travail. Très vite nous
constatons qu'on nous ramène à Dien Bien Phu. A la tombée
de la nuit nous sommes dans la zone d'attente des
bataillons qui ont donné l'assaut. Là aussi du beau
travail, des tranchées profondes de deux mètres, excavées
de chaque coté en abris permettant juste de se coucher à
50 ou 60 cm du fond, à l'abri de la pluie et des obus de
105 qui même s'ils éclatent au fond de la tranchée ne font
aucun dégât. Creusées sous les arbres ces tranchées sont
invisibles d'avion. A la nuit tombée nous gagnons ce qui
fut le P.C. du Groupement de Castries, marchant bien en
file indienne derrière notre guide qui traverse
allègrement les champs de mines. Le matin on nous donne
une grande perche et un parachute à matériel pour servir
de toile de tente. Le campement est vite établi sur une
des Éliane, mais comme l'intendance ne suit pas, nous
avons le droit de fouiller les abris dans le rayon de
surveillance de nos gardes. On a vite réuni de quoi faire
un repas, mais il faut partager avec l'escorte. Dans
l'après midi nous passons tous à l'interrogatoire :
Chef du B3 groupement, chef du B3 para, un commandant de
bataillon para, un commandant de compagnie non para. Dans
l'ensemble, nous semble-t-il des questions sans grand
intérêt. Sous
nos pieds la vallée de la Nam Youm, la piste d'aviation,
les P.C., les dépôts. Partout une activité fébrile. Les
Viets ont réussi à remettre quelques GMC en route. Ce sont
des légionnaires prisonniers qui les conduisent. Ils sont
en train de tout récupérer : armement, munitions,
vivres, médicaments. Les rations sont ouvertes et leur
contenu rangé par nature. De même pour les trousses de
médicaments. Les blessés ont été sortis de leurs abris et
installés à l'air libre sous des tentes de fortune comme
la notre. Des hélicoptères évacuent sur le Laos les
blessés dont l'état dépasse les compétences du service de
santé viet. Nous
passons une deuxième fois à l'interrogatoire et puis en
fin d'après midi du deuxième jour, en route, mais cette
fois par la R.P.41. Pour la rejoindre il faut traverser
les Dominique. En bordure du sentier, un colis éclaté de
rations dans un champ de mines. Malgré les cris de nos
gardiens, je réussis à crocheter trois ou quatre boites
sans provoquer d'explosion, ce sera notre repas du soir.
Nous marchons toute la nuit pour retrouver au petit matin
notre camp de regroupement. Les
camarades ont été constitués en quatre groupes de marche
de quarante hommes environ. Nous sommes affectés au groupe
D. Les officiers supérieurs sont regroupés à part. Ils
auront droit à un camion, au moins jusqu'à la rivière
claire. Pour les 150 ou 160 officiers subalternes tout se
fera à pied. Mais les unités viets qui redescendent vers
le delta ne sont pas plus motorisées que nous. Il n'y a
pas huit jours que la bataille est terminée et déjà les
Bo-doï et leurs cadres trottent allègrement vers l'Est et
le Delta.
La marche vers
le camp n°1 TABLE
Notre commandant de convoi est un
officiel viêt-minh assez pittoresque. Il parle un français
remarquable et les anciens du camp N°1 le reconnaîtront
comme un de leurs anciens chefs de camp. Il n'est pas
particulièrement sadique, mais nous aurons droit à
quelques engueulades savoureuses, comme celle du 3ème ou
4ème jour où, l’arrêt ayant été fait en bordure d'une
rivière et la plupart d'entre nous en ayant profité pour
faire toilette, il nous rassemble aussitôt et prend un air
écoeuré pour nous expliquer que nous n'étions pas à Paris
sur la place de la concorde pour nous exhiber à poil
devant les filles dont nous devions respecter la pudeur;
et en route pour une étape supplémentaire. Au
départ nous ignorons, bien sûr, notre destination finale.
D'abord, nous suivons la R.P.41 et nous traversons des
lieux que beaucoup d'entre nous connaissent bien :
Tuan Giao et le carrefour de la route de Lai Chau où les
Viets ont installé un grand hôpital et de nombreux dépôts,
le col des Méos, Sonla, Nasan, le carrefour de Conoi où
nous quittons la R.P.41 pour gagner Ta Khoa et le bac de
la Rivière Noire. De là on gagne le fleuve rouge au
travers d'un paysage grandiose. Après le fleuve rouge
traversé à Yen Bay la route nous mène sur la Rivière
Claire à Tuyen Quang. Nous ne sommes plus qu'à cinq ou six
étapes du camp N°1 que nous rejoindrons après avoir
traversé à gué le Song Gam. Ainsi résumée notre équipée de
Dien Bien Phu au camp N°1 évoque une promenade type "Club
Med". En
fait. Au départ on marche de jour, on dort la nuit, mais
ça ne dure que jusqu'à Tuan Giao, atteint au bout de trois
ou quatre étapes. Là, première grande fouille. On nous
confisque, montres, alliances, piastres, stylos, crayons,
carnets, couteaux et tout ce qui peut être considéré comme
inutile pour un prisonnier et susceptible de favoriser son
évasion. Mais l'après midi merveille; le chef de convoi
s'est procuré un petit boeuf qui est partagé entre les
quatre groupes et grillé aussitôt. Ce sera le seul jusqu'à
l'arrivée. Vers
18 heures départ pour la première étape de nuit qui nous
mène vers deux heures du matin au pied du col des Méos.
Dans l'après midi, premier ravitaillement en riz. Chaque
groupe envoie une corvée au magasin à riz local, et
perçoit le riz pour les quatre ou cinq étapes suivantes.
Pendant que les corvées reviennent et que leur chargement
est réparti entre tous les prisonniers, nous assistons à
un remarquable bombardement de la route que nous allons
emprunter et des lacets du col. Notre départ en sera
retardé jusqu'à ce que les équipes de déblaiement et de
réparation soient en place. Le franchissement du col
n'aura lieu qu'au petit jour. Aussi on dévale assez vite
les quelques kilomètres qui nous séparent du premier
village et des premiers couverts. Pas plus les prisonniers
et leurs gardiens que les Bo-doï qui marchent à notre
hauteur n'ont envie d'attirer l'attention d'un éventuel
avion d'observation. Après on s'installe dans la routine. A
la tombée de la nuit les quelques cinquante hommes valides
de chaque groupe s'alignent en colonne par un. Le
responsable du groupe rend l'appel au chef de la section
de gardiens qui rend l'appel au chef de convoi et en
route. Les malades constituent un cinquième groupe qui
marche à son allure. Vers deux ou trois heures du matin on
arrive à l'étape. L'équipe chargée de faire cuire le riz
se met au travail pendant que les autres dorment là où ils
peuvent. S'il ne pleut pas, tout va bien. S'il pleut, il
faut trouver un refuge : grenier à riz, paillote
abandonnée, dessous de case à partager avec buffles,
boeufs, cochons, poulets et autres animaux familiers.
Pendant la journée, repas, corvées diverses,
ravitaillement, viennent rompre le repos dont nous avons
tous besoin. Et le soir on repart, non sans avoir rebouché
les feuillées ouvertes dès l'arrivée. Le
Groupe D auquel j'appartiens et dont je serai bientôt élu
responsable à la disparition pour maladie de celui qui a
été désigné au départ par les Viets (Le moins ancien dans
le grade le moins élevé), est gardé par une section d'une
vingtaine de Bo-doï. Le chef de section est jeune et
costaud. Il fait semblant, sur ordre sans doute, de ne pas
comprendre le français. En fait il lui arrive de le parler
et même assez bien. C'est lui qui m'apprendra dans un jour
de bonté à reconnaître dans la nature, trois ou quatre
plantes sauvages comestibles, et je découvrirai tout en
fin de marche que son rêve est d'aller en France, dans une
école militaire, pour y terminer sa formation d'officier.
Trois ou quatre souvenirs marquants pendant la marche
TABLE
La traversée de la Rivière Noire à Ta Khoa. La garde a été
renforcée. Nous marchons, un Bo-doï, un prisonnier. C’est
une zone favorable aux évasions, et la veille dans la
descente sur Ta Khoa, cinq prisonniers ont profité d'un
orage pour sauter dans un ravin. Personne ne les reverra.
Le bac sur la Rivière Noire a été annoncé coulé si l'on en
croit les C.R. d'opérations aériennes reçus à Dien Bien
Phu. En fait, il est seulement à deux ou trois kilomètres
en aval de la route et le sentier qui y mène de chaque
coté du fleuve doit être complètement invisible d'avion. La
traversée du Fleuve Rouge par une très claire nuit de
pleine lune. Dans Yen Bai une bonne partie de la
population a été rassemblée pour nous regarder passer.
Certains ont entendu des quolibets lancés par les plus
jeunes. Pour ma part, j'ai surtout été frappé par l'air
accablé des plus âgés, comme si de voir passer tant
d'officiers français prisonniers leur faisait perdre leur
dernier espoir de revenir à une vie libérée des
contraintes du régime viet. C'est,
me semble-t-il à deux étapes de Yen Bai que les Viets
regroupent plusieurs milliers de prisonniers de Dien Bien
Phu pour une grande séance de cinéma. Les cinéastes sont
russes. Nos gardes nous transmettent les ordres et nous
"défilons" sous la conduite du Général de Castries et
d'officiers supérieurs que nous avons retrouvé le matin
pour la première fois depuis un mois. On passe et repasse
devant les caméras jusqu'à ce que le metteur en scène soit
satisfait. Le soir, ordre d'amener les malades au grand
hôpital construit à proximité. Le lendemain départ pour la
dernière partie du voyage que nous ferons de jour car
l'aviation française ne patrouille plus dans une zone où
sont presque tous les camps de prisonniers. La
dernière étape enfin. Nous savons que le camp N°1 est tout
proche car nous avons croisé des camarades partant sous
escorte au ravitaillement. Le ciel est menaçant, mais nos
gardiens encore plus épuisés que nous ne progressent plus
que très lentement. Mon lieutenant bo-doï m'explique que
ses hommes sont aussi à bout de forces. Je lui propose de
nous charger de l'armement des plus fatigués et il
accepte. Bien sûr sans nous donner aussi les munitions,
mais cela permet d'arriver avant la nuit à la rivière qui
encercle le village où est construit le camp n°1. C'est là
que nous allons vivre jusqu'à la mi-Août. Nous
sommes aux environ du 15 juin.
Le camp n°1 TABLE
La colonne s’arrête au bout de la
piste qui bute sur la rivière gonflée par les orages de la
dernière nuit. Un villageois arrive en face, se
déshabille, roule l'essentiel de sa défroque et met ses
paquets sur sa tête avant de traverser avec de l'eau
jusqu'aux épaules. Nous en faisons autant avec précaution
car le courant est fort. On nous guide ensuite jusqu'au
village, non sans nous avoir montré au passage les
cuisines, et nous sommes répartis par six ou dix dans les
paillotes des habitants et confiés à leur garde.
Interdiction d'aller au camp des anciens, de l'autre coté
de la rivière, nous le découvrirons plus tard. En
attendant corvée de perception de riz, repas et nuit à
l'abri. Nous sommes six à loger dans une canhia plutôt
petite, logement d'un Bo-doï démobilisé après blessure, de
sa femme et de leurs deux bébés. Nous apprendrons par la
suite que c'est le fils d'un ancien notable du village
resté sinon francophile, du moins franchement
anti-vietminh et maintenu en quarantaine dans sa maison,
la plus vaste et jolie paillote du village. Aucun de nous
n'y est logé et il y à interdiction de lui adresser la
parole. Le
lendemain, rassemblement pour présentation au chef de
camp. On en profite pour nous fouiller une nouvelle fois,
ce sera la dernière, et pendant ce temps nos maigres
bagages laissés là où nous avons dormi, sont fouillés par
nos gardiens individuels. Notre escorte de la route a
disparu et nous prenons connaissance de notre nouvel
emploi du temps. Au
petit jour réveil; perception à la cuisine par l'homme de
corvée du groupe du riz matinal. Puis corvées,
essentiellement le bois pour les cuisines, il faut ramener
un fagot par personne et tous les trois ou quatre jours
perception du riz à un magasin distant de dix kilomètres
environ. Chaque homme de corvée, ou plutôt chaque
"volontaire", car les Viets ne se mêlent pas de la
désignation des porteurs, ramène quinze à vingt kilos de
riz ou de paddy dans des sacs que nous faisons en
utilisant les pantalons de combat, bas des jambes
soigneusement ficelés. Une fois les deux jambes pleines,
on boucle la ceinture. Ça se porte assez facilement, une
jambe sur chaque épaule. C'est une corvée assez
sympathique, car on sort du camp et si à l'aller c'est
groupés et gardés, au retour on peut rentrer
individuellement, à sa vitesse, en compagnie de qui on
veut. Au magasin on croise des "ralliés", c'est à dire des
déserteurs, qui jouissent d'une liberté relative, mais à
qui nous n'avons pas le droit d'adresser la parole. Au
retour, repas dans les mêmes conditions que le matin. L'après
midi en principe, on est libre sauf quand il y a séance de
rééducation ou corvée supplémentaire, comme par exemple
aller couper et ramasser des bambous destinés à aménager
notre salle d'instruction en plein air. Pour ma part
j'utilise l'après midi pour ramasser les plantes sauvages
comestibles que j'ai appris à reconnaître, ce qui permet
d'améliorer l'ordinaire, puis pour aller à la pêche avec
succès quand un camarade, prisonnier depuis l'affaire
Langson - Caobang, m'aura donné un hameçon, que trop
malade, il ne peut plus utiliser. Le
soir après le repas pris toujours dans les mêmes
conditions, notre gardien nous autorise à profiter de son
feu pour griller les poissons. Il est partie prenante
ainsi que sa femme mais en échange il fait du thé et nous
en profitons. Nous partageons aussi souvent des graines
d'arbre à pain et même un soir un porcelet, que sa mère
affolée par un orage mémorable a écrasé. Les
anciens sont, eux, répartis dans trois grandes baraques
qu'ils ont construites de l'autre coté de la rivière et
qui délimitent la place des rassemblements. C'est leur
troisième ou quatrième camp pour certains. Il y a là des
camarades prisonniers depuis sept ou huit ans, mais
surtout les survivants des Colonnes Charton et Lepage et
ceux des combats de la Rivière Noire avant Nasan. Certains
sont très éprouvés physiquement et moralement, mais dans
l'ensemble ils parlent peu des épreuves qu'ils ont
endurées. Il me faudra longtemps pour apprendre la saga de
leurs déménagements successifs, l'histoire des tentatives
d'évasion, le sort réservé aux évadés après leur capture,
l'agonie des malades (mais ça, nous ne serons pas long à
en faire la découverte nous mêmes). Car malheur à celui
qui se paye une dysenterie, un accès pernicieux ou toute
autre maladie grave. Nos médecins n'ont rien pour nous
soigner, le médecin viet du camp, en fait un vague
infirmier, n'en a pas non plus. Alors si ça ne guérit pas
tout seul !... Et pourtant, un mois après notre
arrivée, notre gardien s'étant plaint que sa canhia était
trop petite pour qu'il nous garde plus longtemps, nous
avons été répartis par deux dans les baraques des anciens
et j'ai eu droit aux confidences de ceux qui nous ont
accueillis La vie y est mené au même rythme, mais tout y
est plus rodé. Les cuisines sont à proximité ce qui
facilite les perceptions, les magasins aussi, comme les
casernements de nos gardiens. Pas de gardes dans le camps,
mais le commandant y a des "oreilles". Heureusement il y a
longtemps que les anciens ont identifié les bavards. C'est
dans l'espace entre les baraques que se rend l'appel du
matin et que se fait la distribution des coupe-coupe pour
ceux qui vont à la corvée de bois. Là aussi, chacun doit
en principe ramener un fagot aux cuisines chaque jour,
sauf les malades ou prétendus tels. Car s'il y a
malheureusement de vrais malades, il y a aussi ceux qui se
vantent de "faire de la résistance passive" en refusant
systématiquement toute participation aux travaux d’intérêt
collectif. Naturellement ils acceptent leur part de riz,
même s'ils ne vont jamais à la perception, ou le morceau
de poisson péché par ceux qui ne font pas la sieste, ou la
cuillerée de crosses de fougères ou autre plante
comestible ramassée au hasard de la confection des fagots.
Les anciens savent aussi les précautions sanitaires à
respecter scrupuleusement : l'eau à faire bouillir
avec une branche d'oranger de citronnier ou autre arbre
fruitier, le nettoyage des gamelles et leur mise à l'abri
totale des rats, le brûlage systématique à la tombée de la
nuit du dessous des bas flancs pour éliminer le maximum de
moustiques, la deuxième cuisson du riz pour ceux qui ont
des problèmes de digestion. Tout cela, ils le doivent à
leur expérience de taulard et aussi aux conseils des
médecins qui sont avec nous et ne peuvent guère agir que
par prévention. Mais
le grand problème de la vie du camp, c'est la rééducation.
Il s'agit pour le commandant du camp et son adjoint de
faire de nous des hommes nouveaux en nous faisant prendre
conscience de nos erreurs passées d'une part, de ce que
l'oncle Ho et le peuple vietnamien attendent de nous en
échange de leur clémence d'autre part. Ça se traduit par
d'interminables séances de rééducation, heureusement pas
journalières, dont sortent des manifestes stupides que
nous devons signer à l'intention du commandement et du
Gouvernement Français. Tout le monde ou presque signe, car
c'est le seul moyen que nous avons de faire savoir que
nous sommes toujours en vie. Pour ma part comme je me suis
blessé à une jambe au cours d'une corvée, je n'ai plus le
droit de traverser la rivière jusqu'à cicatrisation, et je
coupe ainsi aux séances dans la salle d'instruction en
plein air. Mais il ne devait pas être prévu dans le manuel
d'instruction à l'usage des chefs de camp que la
population des prisonniers pouvait doubler d'un seul coup
avec de mauvais sujets persuadés que la guerre n'en avait
plus pour longtemps, donc qu'ils n'avaient rien à gagner à
faire preuve de trop de docilité. La tâche était donc rude
pour notre chef de camp et je ne suis pas certain qu'il
s'y soit beaucoup employé Du reste, début Août, il nous
quittait brusquement pour une destination inconnue alors
que réapparaissait le chef du service de renseignement
avec une liste d'officiers qu'il devait interroger. J'en
faisais à nouveau partie. L'interrogatoire
était cette fois parfaitement détendu, beaucoup plus une
conversation courtoise qu'une suite de questions. Nous
n'étions pas au courant des accords de Genève, ni même des
pourparlers entre Mendès France et les représentants d'Ho
Chi Minh. Aussi suis je très surpris de la question
suivante : - Supposez, mon capitaine (c'était la
première fois qu'il utilisait mon grade), que la France
décide d'évacuer le Tonkin et de se replier sur la
Cochinchine. Croyez vous que ce soit possible et en
combien de temps ? Réponse : - Je ne suis pas un
spécialiste de la logistique et je n'ai pas les éléments
pour répondre à votre question. Réplique : - Allons,
mon capitaine, vous sortez de l'école d’État Major et vous
avez donc les connaissances nécessaires. Pensez-vous qu'un
délai de trois mois soit suffisant. Réponse : -
C'est fonction du volume du matériel et de personnel à
déplacer et des moyens qui y seront consacrés, mais un
délai de trois mois parait raisonnable. On bavarda ensuite
de la formation des officiers et des possibilités de
perfectionnement qui leur sont offertes. On prend le thé
et on se sépare. Et
puis vers le 15 Août retour de notre chef de camp qui nous
réunit tous, anciens et nouveaux, dans la salle
d'instruction au grand air construite au mois de juin. Il
nous apprend que l'accord d'armistice a été signé, que les
échanges de prisonniers sont commencés et qu'en
conséquence nous allons bientôt prendre la route du Fleuve
rouge. Une douzaine de "bons élèves", choisis parmi les
anciens, les "bavards" repérés en particulier, vont partir
le soir même.
La libération
TABLE
Naturellement, nous sommes persuadés que le départ est
imminent et que l'on va nous lâcher tout de suite sur la
route du retour. Nous nous livrons même à des évaluations
sur le temps qu'il nous faudrait pour rejoindre le Fleuve
Rouge à marches forcées. Heureusement l'organisation ne
perd pas ses droits et nous comprendrons, après coup, que
les camps sont vidés en commençant par les plus proches de
Viétri, les camps vidés devenant gîtes d'étape pour les
colonnes en mouvement. En ce qui nous concerne pas
possible de partir sans ravitaillement et en abandonnant
tout. Il y a le matériel de cuisine à traîner, les
provisions de riz jusqu'au prochain point de perception,
la touque de sel, de l'huile (on ne savait pas qu'il y en
avait), un cochon vivant et j'en passe. Les prisonniers
suivant leur état physique sont classés en porteurs
lourds, porteurs légers et dispensés. Je fais partie des
porteurs lourds et à quatre nous devons acheminer une
touque de cinquante kilos d'huile, pleine à ras bords,
suspendue sous un bambou. C'est lourd et il faut changer
d'épaule en marchant. on prend vite le coup et en
changeant d'équipe tous les kilomètres, c'est supportable
et n’empêche pas d'aller vite. Trop vite car au passage
d'un marigot un porteur glisse et la touque s'allège d'un
bon quart. C'est sans importance car personne ne contrôle.
Le chef de camp a renoncé à commander le déplacement,
juste un petit groupe de bo-doï en tête et derrière une
joyeuse pagaille. Chaque équipe va à son rythme sans se
soucier de autres. Nous devons bien être échelonnés sur
trois ou quatre kilomètres. Et quel changement
d'ambiance ! Les villageois sont devant leurs maisons
et nous offrent des bols de thé. Le chef de camp nous fait
distribuer des piastres viet compensant en partie ce qui
nous a été confisqué il y a trois mois. Du coup on peut
même s'acheter des bananes. Pendant deux ou trois jours
c'est l'euphorie et puis après avoir traversé le Song Yam,
ça bloque. L'inquiétude gagne les anciens qui se
souviennent d'épisodes identiques. En fait, nous avons
gagné la région où il y a beaucoup de camps, nous sommes
partis trop tôt. L'organisation logistique était mauvaise
ou le débit des moyens fluviaux à Viétri est insuffisant.
Quoiqu'il en soit il faut attendre notre tour car
itinéraires et camps de transit sont embouteillés. Ça nous
permettra de visiter plusieurs camps de troupes où nous
transiterons. Rien à voir avec le camp N°1, partout le
désordre, la saleté, des conditions d'hygiène déplorables.
Il y a même des charognes aux points d'eau. Et à proximité
même du camp, le cimetière avec de longues files de petits
tumulus, quelquefois des croix avec un nom parfois rien.
C'est sans commune mesure avec le camp N°1 où nous n'avons
laissé que cinq ou six tombes. Si certains d'entre nous
sont en mauvais état, rien de comparable avec ce que nous
voyons sortir d'un camp où nous devons passer la nuit. Les
quinze derniers sont de vrais squelettes appuyés les uns
sur les autres ou s'aidant d'un bâton. Je doute qu'ils
aient tous pu gagner Viétri. On reste là deux jours, le
temps d'allonger la liste des morts avec un grand
lieutenant de Légion qui, officier de renseignement, a
subi une captivité spéciale. Il meurt d'une leptospirose
ictero hémorragique. Au
camp suivant on stationne quatre à cinq jours et j'y
débute une leptospirose qui me vaut un transport à
l'infirmerie. Je suis si mal en point que je fais l'étape
suivante brancardé par des paysans que le chef de camp a
réquisitionnés. A la nuit nous sommes isolés à une
vingtaine dans un petit camp très à part de l'itinéraire,
mais dans un site grandiose et sauvage. Mise à l'écart
définitive ? Pour moi peu importe. Je suis incapable
de m'alimenter. Les camarades m'obligent à boire des
litres de tisane, et le lendemain les porteurs sont là. On
rejoint le convoi principal et on traverse la Rivière
Claire. Le voyage à pied est fini. Dans le camp de transit
où nous passons la nuit, on attend les camions; je ne vais
ni mieux ni plus mal. Conciliabule autour du paquet de 35
kilos d'os que je suis devenu. On va chercher le
Médecin-Capitaine Amstrong qui vient de nous rejoindre. La
leptospirose, il connaît ça, et en quatre ans de captivité
à l’hôpital central du Viêt-minh, il a vu nombre de
camarades en mourir. Son diagnostic est sans espoir :
- Si vous le laissez il mourra. Si vous l'emportez, il
claquera en route. "Perdu pour perdu" on me roule dans une
couverture et en route. Une rivière en crue nous arrête.
Un camarade me charge sur son dos pour le passage à gué.
je ne sais combien de temps on roule. Je dors et ne fais
surface que lorsqu'on me secoue pour vérifier si je vie
toujours. Et
puis c'est l'arrivée à Viétri. Je vais nettement
mieux ? Assez pour constater que nous avons droit à
un accueil délirant des populations locales. Partout des
banderoles, de la musique, des adieux touchants. Pour ma
part j'ai droit à un bas flanc que je partage avec deux
tirailleurs algériens et un sénégalais, eux aussi en
mauvais état. Les Algériens subissent un dernier cours de
propagande politique. "En échange de la clémence de
l'oncle Ho qu'ils se conduisent désormais en vaillants
combattants de la paix. etc. . etc." On nous sert un fort
bon repas, pâtes en sauce et je ne sais plus quelle
viande. C'est mon premier repas depuis huit jours. Avant
d'embarquer visite du médecin vietnamien qui me fait un
beau certificat attestant que j'ai fait une dysenterie
amibienne qu'il a "soigné" d'une piqûres d'émétine.
Heureusement son médicament devait être éventé, car
autrement... A sa décharge au moment de la poussée de
fièvre finale, les médecins de Lanessan m'ont bien traité
à la quinine intraveineuse. Dans l'après midi civière
obligatoire et embarquement. nous sommes le 2 septembre. L'aventure
est terminée.
A la nuit c'est Hanoï
et l’Hôpital Lanessan pour une semaine de bilans et
de soins avant le "Debriefing" par le service de
renseignements français. Et puis dès qu'on nous a
remis sur pied l'évacuation sur Saïgon où sont
regroupés les organes liquidateurs des formations de
Dien Bien Phu. Il ne me reste plus qu'à
repasser de 32 ou 33 kilos à un poids plus normal.
ADJUDANT-CHEF JACQUES PERROTIN
PRISONNIER DU VIÊT-MINH
du 6 novembre 1948 au 18 janvier 1953
TABLE
Après
la dissolution du C.L.I., de Savanakhet je rejoignis
Saïgon et embarquais sur le Sontay à destination de la
France, que j'avais quittée 7 ans plus tôt, comme la
plupart de mes camarades. Je pensais bien rejoindre en
Métropole les unités aéroportées alors en formation à
cette époque, mais en raison de ma spécialisation, je fus
retenu pour être initié aux techniques que l'on appelées,
plus tard, contre - mesures électroniques, liées au
renseignement, qui depuis sont devenues primordiales.
L'année 1947 fut consacrée à cette formation. Je repartis
pour Saïgon début 1948 et affecté au groupement des
contrôles radio, rattaché au Haut Commissariat. Notre
mission était d'écouter les émissions radio Viêt-minh
(personnel civil) et de rechercher sur le terrain les
émetteurs. (personnel militaire). A cet effet nous avions
équipé un petit avion Morane 500 dont l'équipage était
composé, d'un pilote, de moi-même, chargé d'identifier les
stations et d'effectuer les mesures tendant à les
localiser, et d'un navigateur qui reportait les mesures
sur les cartes. Jusqu'en Novembre 1948, nous avons
effectué un grand nombre de missions en Cochinchine, sans
incident notable. Ce travail était plaisant et utile. On
pensait bien parfois "et si on se faisait descendre", mais
le danger ne nous apparaissait pas réel. De
Tourane à Bong Son sur la côte d'Annam, s'étendait une
zone jamais pénétrée depuis 1945, hormis quelques
incursions aériennes. Véritable sanctuaire, les Viets y
régnaient sans partage. Nous savions qu'ils disposaient là
d'une station de radiodiffusion de propagande. Nous
reçûmes mission en novembre 1948 de trouver cette station
en opérant à partir de Pleiku ou d'Ankhe. La saison de
mousson commençant il s'avéra impossible de franchir la
chaîne annamitique, encombrée de nuages, avec notre
coucou. Nous décidâmes d'aller opérer à partir de Tourane
que nous rejoignimes un jour d'accalmie. Nous nous
présentâmes au chef de secteur qui nous dit
textuellement : - Je ne sais pas qui vous envoie,
mais il n'est sûrement pas au courant de la situation dans
le secteur, nos avions ne peuvent pénétrer à plus de 20 km
dans cette zone sans se faire allumer Et comme nous
sourions, forts de notre impunité dans le Sud et le
trouvant timoré, il ajoute : - Enfin je suis bien
content de voir des héros " Nous partîmes le lendemain
pour effectuer la mission. J'identifiais la station et
comme je commençais à faire mes mesures, une grêle de
balles claqua autour de l'avion, pendant un long moment,
perçant le fuselage. Personne n'était touché sauf le
moteur qui se mit à crachoter " Attention les gars il faut
se poser " dit le pilote. Il avisa une grève au bord d'une
rivière et nous y posa adroitement en plané. Le train
cassa et l'avion se mit en pylône. Pas trop de mal, seul
le navigateur était blessé. nous sortimes de l'avion, le
pilote arracha la jauge d' essence sous l'aile et y mit le
feu. Mais déjà les gongs d'alerte d'un village voisin se
mirent à résonner et nous vîmes arriver des groupes de
Viets à travers le rideau de bambous. Ils s'en prirent
d'abord au navigateur, resté un peu en arrière à cause de
sa blessure, en lui lançant des grenades. Je fis feu de ma
Sten pour le dégager . Plusieurs tombèrent, les autres
marquèrent un temps d’arrêt. Cependant un autre groupe
m'arriva dans le dos pour me couper la route. Je reçus une
volée de grenades. je fonçais sur eux en mitraillant . Ils
payèrent le prix et je pus me dégager. J'avais perdu de
vue le pilote et le navigateur. Non loin de là, je me
jetais dans une rivière et la traversais à la nage. Sur
l'autre rive tout redevint calme. Je marchais en me
camouflant, en direction de Tourane que j'espérais bien
atteindre ou au moins une zone sous notre contrôle.
Combien de temps ai je pu marcher? je n'ai jamais pu
l'évaluer. Malgré mes précautions je fus repéré, les gongs
résonnèrent à nouveau et la chasse à l'homme recommença.
Quant un groupe de poursuivants arriva à bonne portée
j’appuyais sur la détente. Les coups ne partirent pas. Ils
se précipitèrent sur moi et je fus assommé. Quand je
retrouvais mes esprits, j'étais ligoté, le visage
ensanglanté et calmement certain que ma vie s’arrêtait là.
. . Un
Bo-doï vint me prendre en charge et mitraillette dans le
dos, me poussa à travers rizières et marais où mes petites
chaussures disparurent aspirées par la boue. On m'amène
devant un commissaire politique, lequel m'abreuve
d'injures, me reproche les victimes de ma réaction et ne
me cache pas que le cas était grave. Le
lendemain je vis des Spitfire tournoyer au dessus de
l'épave de l'avion, à notre recherche. Trop tard... On me
logea dans les habitations d'un village où l'on me réserva
une pièce avec un bat-flanc, surveillé nuit et jour par
des supplétifs assis, la nuit, au pied du bat-flanc où
j'essayais de dormir.Vint Noël et une offensive de
charme. On me propose de changer de camp, le mien n'ayant
aucune chance de l'emporter dans cette guerre. On me
présente une jeune fille qui voudrait bien m'épouser, un
repas copieux m'est servi. Toutefois le repas était
assorti d'un questionnaire sur l'état et l'implantation
des Français. L'appétit coupé, je refusai sur tous les
points. Cette
situation dura un certain temps. Nous nous déplacions
souvent, toujours de nuit, au gré sans doute des
déplacements de l'autorité qui m'a en charge. Je
m'efforçais toujours de situer ma position approximative
en me basant sur les astres et les temps de marche.
Apparaissent alors les premiers signes de la méthode qui
allait m’être appliquée, dont le premier volet est
l'humiliation. On m'enferma dans une case dont les
fenêtres étaient munis de barreaux et l'on fit défiler les
enfants et la population comme au Zoo. Sous entendu :
"Voyez nous pouvons maîtriser les colonialistes". On me
réveilla une nuit, deux Bo-doï, baïonnette au canon
m'encadrèrent et nous marchâmes en direction du sud, toute
la nuit. A l'arrivée on me fit entrer par une ouverture
étroite, à mi - hauteur du mur, dans une cellule étroite
et sombre. On me fit coucher sur un bat-flanc de lattes de
bambou auquel on m'attacha avec des menottes. Je vécus
dans cette cellule près de trois mois, un bol de riz deux
fois par jour, libre de mes mouvements le jour, attaché la
nuit. Parfois un Viet apparaissait à l'ouverture : -
Eh toi, viens ici ! Je m'approchais et recevais un
coup de bâton qui me renvoyait au grabat. Une
nuit en homme en noir me fit sortir et déclara tout en
marchant : - Nous allons voir Chef, attention lui
c'est très méchant, vous dire tout ce que vous savez, si
vous parler, vous avoir tout ce que vous voulez. Il
m'introduisit dans une case où se trouvait un bureau, sur
lequel était mis en évidence, un crâne de grand singe
flanqué de deux bougies. L'homme en noir dit : - Au
revoir Monsieur, puis se ravisa, me regarda dans les yeux
et reprit : - Adieu Monsieur. Toute cette mise en
scène me fit sourire intérieurement car je pensais à tort
d'ailleurs, que ne m'ayant pas éliminé jusqu'à présent,
ils ne le feraient plus maintenant. Un homme entra,
universitaire distingué apparemment, me posa des questions
personnelles pour me situer, et argumenta.- Combien notre
action était odieuse, que la France avait construit en
Indochine plus de prisons que d’écoles etc... - et
m'offrit du café. Il me proposa ensuite d'entrer dans leur
camp. Je serai ainsi du bon, côté. Je lui répliquai que
c'était hors de question et retournai croupir dans ma
cellule. On me sortit enfin de ce tombeau et je ressentis
vivement le soleil, la douceur de l'air, et les odeurs de
la terre qui me faisaient revivre... Le
soir même je fus intégré à un groupe de prisonniers.
Depuis six mois je n'avais pas parlé librement. Je parlai,
parlai sans fin. La sentinelle s'en inquiéta et me rappela
à l'ordre. J'appris
que nous étions à la prison de Phu Chau. C'était la prison
du secteur 5 (Lien Khu V) composée d'un quadrilatère de
paillotes dortoir et d'un bâtiment central en bambous
tressés recouvert de torchis, percé d'alvéoles, où
l'occupant ne pouvait se tenir que couché ou accroupi,
réservées aux Vietnamiens qui généralement n'en sortait
que pour être exécutés. Cette prison regroupait les
prisonniers politiques et accessoirement les prisonniers
de guerre considérés aussi comme politiques. On nous
sépara des Vietnamiens pour être conduits à cinq ou six
kilomètres dans une ancienne pagode qui venait d’être
mitraillée par les Spitfire et notre premier travail fut
de la remettre en état. Cet endroit devint,
alternativement avec la prison, notre camp pendant toute
la durée de l'internement, suivant les circonstances. La
pagode était considérée comme régime allégé, la prison
comme régime aggravé. Nous
n'étions guère qu'une trentaine de prisonniers encadrés
par une garde de cinq à six hommes et un Kapo qui faisait
office d'interprète. Ce dernier ancien de la marine
française effectuait là sans doute sa reconversion. Comme
j'étais alors adjudant chef il me surnomme "patron" et je
ne fus bientôt connu que sous ce patronyme, qui me suivit
jusqu'à la libération, cocasse sous ce régime. La plupart
des prisonniers étaient des légionnaires de diverses
nationalités, d'autres vinrent nous rejoindre au fur et à
mesure des prises, par petits paquets : Français
ramenés du Laos ou des Hauts Plateaux, Marocains,
Tunisiens et un Sénégalais. La
vie s'organisa : Ration alimentaire, une mesure de
riz, mesurée dans une boite de 50 cigarettes Players, midi
et soir, une poignée de liserons d'eau bouillis, du sel.
Le matin les gardes faisaient l'appel et nous partions
pour les travaux : transport de riz à dos d'homme sur de
longues distances, travaux de rizière, terrassement,
etc... Après le riz du soir, rassemblement et chant
obligatoire. On nous apprit phonétiquement une chanson à
la gloire d'Ho Chi Minh. Elle devint la rengaine
obligatoire de chaque jour. Ensuite on pouvait chanter à
volonté. C'est là que les légionnaires allemands
imaginèrent de chanter dans leur langue les pires chansons
national-socialiste anti - communistes, où il était
question d’affûter les couteaux pour égorger ces porcs,
cela sous les applaudissements des gardes et du kapo. Puis
nous étions enfermés, couchés sur un bat-flanc collectif,
une natte pour se couvrir. Un
sous-officier légionnaire allemand particulièrement
athlétique et décidé, tenta un soir de faire la belle avec
un de ses camarades. Je pensais qu'ils pouvaient réussir
étant données ses qualités . Ils furent ramenés au camp le
lendemain et tabassés sous nos yeux par le kapo et
exécutés le jour suivant. Conséquence, retour à la prison,
régime et discipline aggravés. Exemple : Un matin au
rassemblement, le chef de garde demande : - Y a -t-il
des malades ? Des mains se lèvent. - Trop de malades
aujourd’hui, diète pour tout le monde ! Nous
repartîmes pour la pagode après un temps. Commencèrent
alors, outre les travaux, les cours d'éducation
politique : Apologie de l'oncle Ho, notre bon père
qui souhaitait seulement faire de nous des hommes
nouveaux, puis nous libérerait. Apologie de Staline, (Xit
Ta Linh). L'éducateur enchaînait : - Et maintenant
dites franchement ce que vous pensez. Naïf je le fis. Les
brimades qui suivirent me montrèrent que ce n'était pas le
bon chemin et que pour les éviter, il fallait répéter ce
qui nous était enseigné. Venaient
ensuite les autocritiques et les confessions écrites de
nos crimes. Comme chacun ne confessait que des peccadilles
le commissaire commenta : - Vous êtes des menteurs,
vous ne pouvez pas ne pas être des criminels. Mauvais
résultats, retour à la prison, nouveau tour de vis. Ces
allers et retours de la prison à la pagode, avec le
miroitement d'une libération ne cessèrent jamais. Cela
faisait partie du système pour nous briser. A ce régime,
nous nous affaiblîmes progressivement, durs travaux,
alimentation insuffisante, pas d'hygiène, on se lavait à
l'eau de pluie, souvent dans les rivières et absence
totale de médicaments. Les maladies commencèrent à faire
des ravages Dysenterie que l'on ne pouvait arrêter,
ulcères tropicaux qui dévoraient des membres entiers,
béribéri qui finissait par étouffer le patient, gale
infectée etc... Parfois des camarades mouraient en
quelques jours, sans que nous en connaissions la cause. Le
Sénégalais perdit la raison voyant des mauvais génies
partout, refusant d'entrer dans les lieux où était mort un
camarade. Nous
quittâmes la prison pour rejoindre un camp provisoire à un
jour de marche. Ce camp était installé en forêt sur une
coupe de bois. On coupait le bois destiné à l'alimentation
d'une locomotive circulant la nuit dans la zone. Ce bois
était évacué de la coupe jusqu'à la voie ferrée par des
camions à gazogène. Nous étions sur la coupe astreints à
un quota et nous travaillions nus, car la sueur mouillait
rapidement les vêtements. C'est là que je fus l'objet d'un
geste qui me toucha. Un misérable gardien de buffles vint
vers moi et m'offrit son repas, une poignée de riz gluant
enveloppé dans une feuille de bananier. Épuisé
et fiévreux, les gardes décidèrent de me renvoyer à la
prison. Ils me chargèrent sur le camion de bois. Arrivé
dans le village près de la voie ferrée, j'y passai une
partie de la nuit. Une soif ardente me prit et je bus, bus
sans fin à même les jarres d'eau. Quand on m'embarqua sur
le train, miracle, j'allais mieux et arrivé au camp tout à
fait bien. (Sans doute une déshydratation) Quelques
jours plus tard on me renvoya à pied cette fois, sur la
coupe de bois. Dans un village, au cours d'une pause
quelques personnes s'assemblèrent, se consultèrent et
m'apportèrent un peu de nourriture. Ce qui en dit long sur
mon aspect physique du moment. Je rentrai au camp pour
assister à l'exécution capitale de deux déserteurs
allemands, qui mécontents de leur sort chez les Viets
avaient tenté de rejoindre les Hauts Plateaux. Rattrapés
on les fusilla devant nous pour l'exemple. On
nous ramena à la pagode. Les cours de rééducation
reprirent avec quelque soulagement du coté physique. Je
fus dans les semaines qui suivirent appelé et emmené seul
dans un village, logé chez l'habitant et plutôt bien
traité. Qu'arrivait-il ? On me ramena à la Pagode et
surprise, tous mes camarades étaient partis, libérés. Une
nouvelle palanquée de prisonniers arriva et tout repartit
dans le même ordre. Parmi eux quatre Marocains, dont un
caporal. Je dois souligner la fidélité et la grande
dignité dont ils firent preuve jusqu'à la fin. C'était
réconfortant. Arriva également un sous officier français
ayant eu la jambe coupée. Il resta lui aussi jusqu'à la
fin, obligé de suivre nos déplacements en claudiquant sur
ses béquilles. Seul le travail lui fut épargné. Comme l'on
était "démocratique" il nous fut demandé d'élire un
délégué des prisonniers. Je fus élu. Dans ma naïveté, il
m'en restait encore une dose, j'acceptai, pensant pouvoir
défendre les intérêts de mes camarades, comme une sorte de
délégué syndical. La suite montra qu'ils s'agissait en
fait de trouver un sous Kapo. Dans le cadre de l'éducation
politique, on nous remit des thèmes dont nous devions
discuter le soir à la veillée. J'étais chargé d'en
remettre le compte rendu au chef de camp. En réalité nous
nous racontions les films que nous avions vu ou parlions
de "bouffe" et je remettais des dialogues imaginaires,
allant dans le sens de l'histoire. En
revenant d'une corvée de portage de riz, un légionnaire en
avait subtilisé une poignée. Il avait également piqué
quelques brins de bambous pour le faire cuire. Le riz ne
se voyait pas; les bambous, si. Le Kapo l'interpella et se
mit en colère. - Tu seras fusillé pour ça ! Outré je
m'interposais en disant : - Je veux bien qu'il soit
puni, mais fusillé, vous y allez un peu fort. Le Kapo
vitupéra. - Comment, voilà le délégué, qui devrait faire
régner la discipline et il prend la défense du
voleur ! Il s'approcha en levant la main pour me
gifler. Hors de moi j'explosai. - Toi, petit bonhomme, si
tu me touches, je t'écrases. Scandale, le Kapo hurla à la
garde, deux sentinelles arrivèrent, baïonnette au canon.
On me menotta les mains derrière le dos, on me coucha dans
une cellule et l'on me passa les pieds dans une sorte de
carcan de bois fait de deux pièces mobiles, percées de
deux trous pour les pieds et l'on cala le tout avec deux
coins et un maillet. Je restai quarante huit heures dans
cette position avec un peu d'eau. En me libérant le Kapo
dit : - Estimes toi très heureux pour cette fois, la
prochaine tu y passes ! Et je rentrai dans le rang. Les
Viets cherchèrent à introduire parmi nous un ou plusieurs
mouchards. Une nuit on appela et emmena un légionnaire.
Absent toute la nuit, il ne rentra qu'à l'aube et nous
raconta : - Ils m'ont conduit dans un cimetière, me
déclarant que j'allais être exécuté. On me fit creuser ma
tombe. Au moment de passer à l'acte, un messager
providentiel arriva avec un papier qu'il remit au
responsable du peloton. celui-ci déclara : - Le Chef
consent à te gracier, à une condition, tu nous répéteras
tous les propos de tes camarades. Naturellement il
acquiesça, mais eu l’honnêteté de nous prévenir. Les
Viets craignaient par dessus tout deux choses : Les
raids aériens. Les incursions terrestres ou aéroportées.
Les avions étaient signalés de proche en proche par les
gongs des villages survolés. Nous devions nous camoufler
et surtout nous taire, comme si nous pouvions être
entendus. Ils ne plaisantaient pas sur cette règle. Un
garde nous cria un jour avec des accents hystériques. -
Taisez vous ou je vous brûle la cervelle ! Lorqu'une
opération, même lointaine semblait menacer la zone, nous
étions rassemblés, colonne par deux, les bras attachés et
liés les uns aux autres. on nous emmenait alors à des
lieues, hors de notre séjour habituel. Ensuite la chose
fut simplifiée, on nous fit creuser une large fosse,
profonde, qui pouvait tous nous contenir. En cas d'alerte
nous devions y descendre et en cas d'urgence il eût été
facile de nous mitrailler depuis le bord. Pourtant, un
légionnaire polonais croyait à une intervention qui
viendrait nous libérer. Chaque matin il s'éveillait à
l'aube et guettait les bruits qui auraient pu annoncer une
action. Espoir toujours déçu... S'évader !!...
rêve sans cesse caressé, qui avait au moins le mérite de
tenir nos imaginations en éveil, mais qui ne résistait pas
à l'analyse. Il n'y avait aucune difficulté à quitter le
camp et se lancer dans la nature mais : - Après six
mois de camp nous n'avions plus la force nécessaire à un
effort prolongé. - Il fallait une réserve de nourriture
suffisante pour tenir plusieurs jours, voire une semaine.
- Les diguettes et les sentiers étaient surveillés nuit et
jour par des supplétifs, sans compter cette faculté que je
n'ai jamais bien comprise, de repérer un européen, de loin
et par nuit noire. -Toute tentative était sanctionnée par
une exécution capitale, étant considérés comme déserteurs.
Un Moï pourtant habitué à vivre et se mouvoir dans la
jungle, fut rattrapé et ramené. Il ne dut son salut qu'au
fait qu'il constituait un capital de propagande à cette
époque où les Viets cherchaient à séduire les Moïs des
hauts plateaux. Des
déserteurs, principalement légionnaires se trouvaient dans
le secteur. La plupart avait déserté pour des raisons
futiles. Individus sans conséquence, méprisés par les
Viets, ils nous rejoignirent et partagèrent notre sort.
Seuls ceux qui pouvaient être utiles, notamment dans la
propagande, vis à vis de leurs camarades d'en face, furent
laissés en circulation. Certains venaient nous visiter, de
temps à autre, sans agressivité, nous donnant parfois les
seules nouvelles de l'extérieur que nous ayons eues. Ils
parlaient souvent d'un déserteur allemand de haut rang
opérant dans le nord. L'un d'eux répétait toujours en me
voyant : - Ah ! Vous alors, chaque fois que je
vous vois, je m'étonne de la chance que vous avez eue de
rester en vie. A quoi faisait-il allusion ?...
Vinrent nous rejoindre, quasi simultanément, un lieutenant
de Légion, pris au Laos et un aspirant de Gendarmerie pris
sur les hauts plateaux. Tous deux originaires d'AFN ils
devinrent intimes. Lors de nos déplacements, ils étaient
souvent abordés par des Viets affables qui leurs posaient
sans doute la question piège : - Dites nous
franchement ce que vous pensez du Viêt-minh ? Ils
s'exprimaient en termes virulents et sans détours à
l'égard du Viet -minh et du communisme en général. Nous,
les anciens, savions que ce jeu était dangereux. Nous les
avertîmes sans succès. Ces propos furent enregistrés ou
répétés dans cette ambiance de délation qui caractérise le
système. On vint les chercher à la Pagode pour les emmener
à la prison de Phu-Chau, mauvais signe. Quelques huit
jours plus tard les mines mystérieuses et les
chuchotements des sentinelles me firent présager un
événement; l'une d'elle annonça carrément qu'ils avaient
été exécutés durant la nuit. Leur origine coloniale, pesa
sans doute dans la décision. Nous
repartîmes pour un autre chantier. Il s'agissait cette
fois du creusement d'un canal important, une dizaine de
kilomètres. Méthode viet : Estimation du cubage des
déblais, tant d'habitants dans la région, tant de m3 par
habitant, contrôle de l'exécution. Nous étions là encore
astreints à un quota journalier. Ce quota atteint il nous
était possible de faire un travail supplémentaire qui nous
serait payé. Toujours en manque de nourriture, nous
essayâmes, mais nous aperçûmes bientôt que la nourriture
que nous pouvions acheter avec cette prime dérisoire était
loin de compenser l'effort supplémentaire fourni. Nous y
renonçâmes. C'est
sur ce chantier que nous fûmes mitraillés par un avion de
la Marine. Nous nous étions mis à l'abri, dès le début de
l'alerte. Notre Sénégalais innocent se tenait droit au
centre d'un glacis, complètement indifférent à ce qui
arrivait. Je revois les impacts de balles fusant tout
autour de lui. Il ne fut pas touché. Merci, Dieu des
innocents!!. . Nous
rejoignîmes la Pagode et la vie continua au rythme
habituel, y compris celui des disparitions par maladie.
Dans cette galère, il y eut pourtant un jour de
jubilation, celui où nous avons mangé le chien du chef de
camp. Le poste de garde était à distance du bâtiment où
nous étions logés, prolongé par un appentis où nous
faisions cuire le riz; le chien venait souvent renifler
autour des marmites. Un jour quelqu'un décida qu'on allait
le manger. Pendant que des guetteurs étaient en place, le
chien fut assommé, dépecé, découpé et cuit sommairement
pendant qu'on allait enterrer, tête, peau et entrailles
dans un champ de manioc voisin, et mangé en un temps
record. Je revois encore le chef de camp cherchant son
chien un peu plus tard, sifflant et appelant "Cho Cho"... Au
deuxième semestre 1952 des signes nouveaux apparurent.
J'étais dans ce camp depuis quatre ans. Les gardiens et
les prisonniers viets de la prison de Phu Chau me voyaient
depuis toujours, connaissaient les vicissitudes de mon
parcours et étaient enclins à la confidence. Certains
prisonniers ne m'avaient-ils pas confié la manière dont
les Viets s'étaient imposés dans le secteur : Tissage
méthodique de réseaux de délation, exécutions sommaires de
notables et de ceux qui résistaient, me désignant même
l'emplacement des charniers, près des villages, ce dont
personne ne s'est jamais soucié !! On parla de grands
déménagements vers le Nord, des déserteurs actifs d'abord,
puis d’États-majors, peut-être de troupes. On recensa les
prisonniers originaires des pays de l'Est pour les
rapatrier, leur dit-on, dans leurs foyers, via le Tonkin
et la Chine. Beaucoup d'entre eux se méfiant de cette
mesure étaient réticents. Pourtant alléchés par la
perspective d'en finir la plupart se déclarèrent. Ils
partirent quelques temps après. Que sont-ils
devenus ?? J'étais
assez lié avec un jeune hongrois. il me promit avant de
partir que, si nous nous en sortions, il me ferait signe,
soit par la Légion soit par la Presse. Je n'ai jamais reçu
aucune nouvelle. On nous déclara que le Président Ho Chi
Minh dans sa grande bonté allait tous nous libérer, à
condition bien sûr que nous y mettions de la bonne
volonté. Nous devions devenir avant cela, de véritables
amis du Vietnam. Nous commençâmes à y croire. Des
cours d'éducation politique intensifs recommencèrent,
accentués par des confessions écrites, dont on exigea
qu'elles fussent de plus en plus compromettantes bien
qu'imaginaires. Terrible chantage !! Les
conditions de vie s'améliorèrent. Deux messages de la
Croix Rouge écrits par ma famille, en souffrance depuis
des années, me furent remis. Alors j'y crus cette fois, à
cette libération !! Quelques jours avant Noël on nous
déclare que cette fois le jour arrivait. Le jour de Noël
on nous rassembla pour signer solennellement l'appel de
Stockholm. Au pied du mur, il fallait y aller. Seul le
caporal marocain fit des difficultés, prétextant qu'il ne
savait pas écrire. Qu'à cela ne tienne, on lui fit faire
une croix. Les jours qui suivirent on nous sépara en deux
groupes : l'un composé des malades et invalides
destiné à être libéré sur Tourane, l'autre par ceux qui
pouvaient marcher, qu'on libérerait à une centaine de
kilomètres plus bas, à Anh Khe. Nous prîmes la route,
désormais amis du Vietnam, en vertu de quoi nous devions
chanter en traversant les villages la rengaine "Ho Chi
Minh Muong Nam" apprise par coeur, jamais comprise, mais
que je peux encore réciter aujourd’hui. C'est
dans l'un de ces villages qu'on nous arrête devant un
groupe de personnages en noir, officiers ou commissaires
politiques. L'un d'eux, que je n'avais jamais vu, vint
vers moi et me dit : - Vous savez, Monsieur Perrotin,
je vous ai suivi, vous avez souffert et je sais que vous
avez été courageux, excusez nous, mais notre organisation
n'était pas encore au point. Puis il me chargea d'exprimer
ses regrets à Mme Salomon (l'épouse du pilote de notre
avion, infirmière à Saïgon). - Que voulez vous,
ajouta-t-il, son mari a essayé de s'enfuir, nous avons du
l'abattre.(je l'avais appris pas les confidences de la
prison) Quel Cynisme !! Revenus
dans la plaine à hauteur d'Anh Khe, on nous installa dans
un village. Bien nourris, il fallait nous regonfler, lavés
au savon, rasés etc.; nous avons attendu quinze jours dans
ce village et le doute nous reprit. S'ils allaient changer
d'avis ?? Quinze jours au cours desquels nous
assistâmes de loin à leur attaque d'un poste qui
prolongeait la défense d’Anh Khe. Nous vîmes le poste
tirer au canon, puis se taire. Le
17 janvier on nous équipa de deux jours de vivres, une
poche de riz et de la viande séchée dans un bambou. Nous
partîmes pour être lâchés, mais il fallait encore
traverser la chaîne annamitique, couverte de jungle, avant
de parvenir en vue d'Anh Khe. Nous le fîmes par des
sentiers connus des guides, pistes taillées au coupe coupe
et invisibles. Nous couchâmes à la belle étoile. Le
lendemain nous eûmes à traverser des marais, la dernière
"vacherie", pensais je. Avec mille précautions, les guides
nous amènent sur la route à quelques kilomètres d'Anh Khe
et en silence nous firent signe qu'on pouvait aller. Nous
fûmes évacués sur Pleiku ou je reçus des souliers et
déambulais sous les yeux amusés de la garnison. Je ne
savais plus marcher avec. Évacué sur Saïgon à l’Hôpital
Grall, rapatrié sanitaire, je passai trois mois à
l’hôpital du Val de Grâce. Chez
nos camarades libérés à Tourane, deux moururent encore
après leur libération, ce qui portait à plus de cinquante
morts, le bilan des disparus sur les 90 prisonniers que
j'avais vu passer dans le camp.
Non, M. Boudarel n'a
torturé personne, au sens moyenâgeux du terme, il a
seulement mis ses prisonniers dans les conditions
adéquates pour que la déchéance physique et les
maladies fassent la besogne à sa place.
Une
interrogation, qui restera sans doute à jamais sans
réponse, me tracasse encore : Pourquoi les Viets
ont-ils, en quelque sorte vidé cette zone où ils étaient
en sûreté, pour se regrouper au delà du 16e parallèle, qui
allait devenir, à la suite des accords de Genève, la
limite des territoires Viêt-minh ?
Quelques
souvenirs...
Général Bernard Drouin
La Cie B du C.L.I./5e R.I.C. au Laos
TABLE
La
Compagnie B est créée administrativement le 10 Septembre
1945, à Nilavéli, pour être parachutée au Laos. Beaucoup
des soixante élus ont suivi le stage de saut à Jessore en
Juin/Juillet et certains ont été rappelés d'un stage de
jungle qui se déroulait dans un camp entre Colombo et
Kandy. Seul le Capitaine Le Guillou n'est pas breveté. Le
12 septembre a lieu la mise en place à Jessore, près de
Calcutta. Surprise, ce sont deux Dakotas français qui nous
amènent à Calcutta, mais ils n'ont pas l'ordre d'aller à
Jessore. Après d'interminables coups de téléphone à Force
136, des camions viennent nous chercher et nous terminons
la journée sur la route du Bengale. Il est fort tard quand
nous débarquons au camp. Dans
la semaine qui suit nous touchons nos parachutes et
quelques cartes de la région de Vientiane. Les Anglais de
la base sont plus que cordiaux et les pots d'adieu se
succèdent. Pour
le parachutage il n'y a que deux avions Dakota car ce sont
les appareils qui nous ont amené de Ceylan qui doivent
nous larguer. Las ! à leur mise en place à Jessore,
un des deux appareils casse son train. Deux jours de
réparation. Du coup le scénario de mise en place est
arrêté de la façon suivante : Le 22 un détachement de
vingt hommes sur le seul avion disponible avec le
Capitaine Le Guillou. Le 23, deux avions chargés chacun à
vingt paras pour le reste de la compagnie. Mais le 23,
après une longue escale à Rangoon, nos pilotes tourneront
longtemps avant de trouver la zone de saut et dans la
nuit, c'est le retour à Jessore. En fait ce ne sont que
les 28 et 30 Septembre que nous sauterons à Nong Khai pour
rejoindre Than Deua de l'autre côté du Mékong. Les
largages des deux premiers avions ont été assurés par un
capitaine écossais de l’École de Saut de Jessore qui s'est
laissé persuader que les équipages français, n'ayant pas
de largueur confirmé, il devait à ses élèves une mise en
place exemplaire. A l'arrivée du dernier avion nous
apprendrons qu'au retour de la mission du 28, au dessus de
Calcutta, alors qu'il était assis à la place du copilote,
un vautour ayant percuté et traversé le cockpit, il avait
été pratiquement décapité par ce projectile imprévu. Ce
sera en fait le premier mort à la Compagnie B. Une
fois le détachement regroupé à Ha Deua nous devons
rejoindre Vientiane par la route. Au moment du départ, le
1er octobre, arrive l'ordre de ne gagner Vientiane sous
aucun prétexte, mais de rejoindre Ban Than Ngon au bac de
la Nam Ngum sur la route Vientiane - Ban Keun. Il y a
trois itinéraires possibles : - La route par
Vientiane, interdite. - La piste directe, impossible, car
totalement inondée et impraticable en cette saison. - Une
piste par Ban Houa Xieng dont l'entrée est à six ou sept
kilomètres plus bas sur le fleuve et qui débouche sur la
route Paksane - Vientiane avant le carrefour de la route
de Ban Keun. Trajet
total entre quarante et cinquante kilomètres. Mais il fait
très chaud et au bout de deux ou trois kilomètres il y a
trois victimes de coups de soleil, incapables de marcher.
Le temps de trouver une charrette à boeufs et ce n'est
qu'à la nuit que le détachement arrive à l'entrée de la
piste. Il y à là un village, une pagode et un bonze qui
parle français. Installation défensive pour la nuit et au
petit matin, le bonze nous trouve un guide. Heureusement,
car la piste est entièrement sous l'eau, trente
centimètres aux meilleurs endroits, mais soixante à
soixante dix en moyenne. Il y à même un passage à trois
mètres qui va nous retenir deux heures et nous obliger à
réquisitionner deux pirogues. Nous arrivons à Houa Xieng
vers quinze heures. Près de huit heures pour un trajet que
la carte donnait d'environ dix kilomètres. A
Houa Xieng l'accueil est sympathique. Mais impossible de
trouver un interprète. L'installation défensive est vite
réalisée. On se débrouille avec les quelques mots de
laotiens extraits des lexiques qu'on nous a donné à
Jessore. Il reste à parcourir un peu plus de trente
kilomètres de route cette fois. Le
3 octobre plus besoin de guide. En revanche les trois
charrettes réquisitionnées sont les bienvenues et
permettent une allure soutenue. En début d'après midi nous
arrivons à Tha Ngon. La Compagnie B est regroupée au
complet pour le première fois depuis son parachutage. Car
le lendemain je suis expédié à Ban Na Oi Nou, à un
douzaine de kilomètres, pour y prendre le commandement
d'un détachement de trois sous-officiers français et d'une
cinquantaine de Laotiens qui serviront vite de noyau à une
compagnie laotienne qui sera encadrée par des sous
officiers et gradés qui proviendront de la Compagnie B,
mise à mort progressivement, bien avant sa dissolution
officielle en Janvier 1946. Mais
n'était-ce pas là sa mission ?.
Jacques Perrotin
du
1er Commando du C. L. I
Mission " Gaurs "
de novembre 1944 à Fin Mai 1945
TABLE
Fin
Mai 1944, alors que nous étions en stage à la mer, près de
Didjelli, fut désignée la première équipe envoyée à
l’entraînement aux Indes. Elle demandait des éléments
ayant déjà des connaissances des transmissions radio
(j'étais de ceux là) ou susceptibles d’être formés
rapidement. Fiers et pleins d'ardeur, nous partîmes pour
Alger où nous fût remis l'ordre de mission qui confirmait
notre départ. Au
rythme de départ de D. C 3 disponibles, nous arrivâmes à
New Dehli après les trajets suivants : Alger- Le
Caire, le Caire- Abadan, Abadan- Karachi, Karachi- New
Dehli, puis deux journées en train nous amenèrent à Poona
via Bombay. Durant toute une semaine les Britanniques nous
soumirent à de rigoureuses épreuves, physiques d'abord
sous les pluies et dans la boue de la mousson, puis
intellectuelles. Les stages d'instruction, principalement
ceux de radio, de chiffre et de technique se succédèrent
entrecoupés de brèves permissions. Fin octobre, la plupart
d'entre nous étaient capables d'entrer dans les réseaux
radios anglais et d'y opérer aisément. Nous attendions le
moment d’être appelés en opérations réelles. Je fus, je
crois le premier élu de l'équipe quand on m'annonça :
- Tu pars pour quelques jours à Rawalpindi, puis tu
rejoindras Calcutta… Je sus que le moment était arrivé.A
Calcutta, au Service Action, on me confirma mon départ en
Indochine dans les prochains jours, via Kumming, où le
lieu et l'objet de ma mission me seraient dévoilés. En
attendant il me fut remis une somme d'argent destinée à
l'achat d'un trousseau civil (costumes et linge de corps)
d'où je dus faire disparaître toute trace d'origine. Les
préparatifs terminés, le service action me convoqua pour
me préciser : - Soyez prêt demain matin à quatre
heures. Je passai cette dernière nuit à Swinhoe Street
sans beaucoup dormir, essayant d'anticiper la suite des
événements. A quatre heures, une Jeep arriva et le
conducteur en m'éveillant, me tendit des vêtements, "Tiens
mets ça", me dit-il, et j'enfilai un uniforme d'aspirant
de la RAF. Dans le petit jour, la Jeep me conduisit
jusqu'à l’Aéroport militaire de Calcutta et j'embarquai à
bord d'un avion qui décolla à destination de Kumming. A
Kumming, je fus réceptionné par un officier de la Mission
Militaire Française qui me conduisit dans une maison
d'accueil, avec interdiction de parler français en
présence du personnel de service chinois. Ces précautions
vestimentaires et linguistiques devaient, me dit-on,
camoufler la présence de Français de l'extérieur à
proximité de l'Indochine occupée par les Japonais. Je ne
suis pas du tout sûr que ma façon de m'exprimer en anglais
ait totalement convaincu le boy chinois. Ma
mission me fut précisée : - Vous allez être largué au
Laos, sur le plateau du Traninh à proximité de Xieng
Kouang. Serons largués avec vous deux émetteurs récepteurs
radio, une machine à vapeur (pour recharge des accus) tous
les documents du chiffre et d'identification de votre
station. Un comité d'accueil vous attendra. Vous vous
mettrez à leur disposition. Votre mission consiste à
établir la liaison avec Calcutta, chiffrer et transmettre
les messages qui vous seront remis, recevoir et déchiffrer
les instructions de Calcutta à eux destinés. L'après
midi suivant je réembarquai dans l'avion qui m'avait amené
de Calcutta, cette fois vêtu d'un simple battle-dress.
L'avion décolla, direction du Laos. Peu après, les
mitrailleurs anglais prirent place dans les tourelles,
m'indiquant qu'il y avait possibilité de rencontre avec
des avions japonais en patrouille. A la tombée de la nuit,
nous arrivâmes à hauteur du lieu prévu. Les Anglais me
désignèrent d'un geste l'endroit du largage, un grand
espace herbeux sommairement balisé. Dans l'un des angles
se tenait un groupe d'hommes et quelques camionnettes.
L'Anglais me fit signe de me préparer, me photographia, me
souhaita bonne chance et me poussa dans le vide. L'avion
fit un tour, largua le matériel et disparut. Le groupe
d'hommes, un officier venant de la région de Hanoï,
l'adjoint au chef du camp de Khan Khai et le sous
officier, chef de la station radio du même lieu vinrent à
ma rencontre. Pendant que l'on récupérait et chargeait mon
matériel dans une camionnette, l'officier me définit ma
position. - Vous allez vous intégrer à la garnison
française de Khan Khai. A partir de maintenant vous êtes
le Maréchal des Logis Jacques Martin de l'artillerie
coloniale, artificier, vous venez de Hanoï, telle unité,
vous êtes officiellement chargé du recensement et du
contrôle de validité des munitions du dépôt de Khan Khai.
Vous aurez ainsi tout le périmètre du dépôt pour vous
installer. On me remit une carte à en-tête des troupes
d'Indochine attestant ma nouvelle identité et un paquetage
réglementaire de sous officier "Bigor" dont je revêtis
aussitôt l'uniforme. (Les sous officiers étaient autorisés
à porter des vêtements civils les jours de congé et en
dehors du service, d'où les vêtements achetés à Calcutta).
De plus je dus mémoriser un curriculum vitae succinct,
date d'arrivée en Indochine, bateau qui m'avait amené,
unités etc. qui devait me permettre de répondre aux
questions indiscrètes de mes camarades. Ces
formalités accomplies, nous partîmes pour le camp de Khan
Khai, nous y arrivâmes de nuit, comme si nous avions fait
par la route le trajet de Hanoï via Vinh. Il
faut se rappeler que l'Indochine était occupée par les
Japonais depuis 1941. Des accords étaient intervenus avec
le gouvernement de Vichy qui y avait nommé un
représentant, l'Amiral Decoux. L'Armée avait été mise en
sommeil, mais maintenue, réplique de l'Armée d'armistice
en France. Dans les premiers temps les relèves
s'effectuèrent régulièrement, puis la situation évoluant,
cette armée vécut en vase clos. Dans les années 43-44 des
liens s'établirent entre certains éléments de ces troupes
et les Alliés en vue de préparer une action qui libérerait
l'Indochine des Japonais, d'où ma mission d'agent de
liaison dans une phase qui devenait plus active. Le camp
de Khang Khai situé en altitude (1000 m) était surtout
destiné à recevoir des militaires fatigués par un long
séjour ou le climat du delta. Le 5e R. E. I., y envoyait
des légionnaires, malades, alcooliques, fatigués, qui sous
la houlette de l'Adjudant Scheiterer, devaient retrouver
un peu de santé et d'aptitude au service militaire. Au
total une soixantaine de légionnaires, autant de coloniaux
et le personnel de la station radio aux ordres du Sergent
Margheritora, assurant les liaisons avec Hanoï, Vinh,
Viétri et d'autres stations de la côte. Dans la
confidence, puisqu'il m'avait accueilli, Margheritora,
m'introduisit dans la garnison, à la popote des sous
officiers ou mon histoire n'éveilla aucun soupçon. Il me
fallut toutefois répondre à des interrogations concernant
des personnes que j'étais sensé connaître à Hanoï. J'y
répondis par des propos vagues et banaux. Je m'installai
dans le périmètre du dépôt de munitions, protégé des
curieux par les restrictions d'usage à ce genre
d'établissement. La liaison avec Calcutta fut établie et
parfaitement rodée au bout de quelques jours. Alors
les parachutages d'armes et de matériel destinés à équiper
ceux qui nous aideraient le moment venu, commencèrent.
Nous étions prévenus des dates et coordonnées, des lieux
de largage . Des équipes, soit venues de la côte, soit
prises dans la garnison de Khang Khai s'y rendaient,
balisaient le terrain, recevaient les containers et les
acheminaient. Il y eut des "bavures" sans conséquences
graves, car, pour lors, il n'y avait pas de Japonais dans
le secteur. Alors que l'on avait attendu en vain les
avions au lieu indiqué, Calcutta confirmait l'exécution du
largage. Il fallait alors rechercher l'endroit réel. Nous
y étions souvent aidés par les populations qui redoutaient
les containers, qu'ils croyaient être des bombes; par
contre il fallait faire vite car les toiles des parachutes
les intéressaient énormément. J'avais pourtant beaucoup
d'admiration pour les navigateurs anglais qui, de nuit,
conduisaient leurs avions de Calcutta jusqu'à un point
précis du Laos. Les repères étaient rares et les feux d'un
village pouvaient être trompeurs. En
Décembre arriva le Commando Ayrolles. Le largage du
matériel et du personnel devait s'effectuer en deux fois.
Le premier avion se présenta à l'heure et au lieu précis,
une plaine herbeuse. Cette nuit là un troupeau de buffles
y paissait. Quand le Libérator se présenta à basse
altitude, le troupeau partit au galop de charge et
s’arrêta net. Au passage suivant, dans l'autre sens pour
larguer l'équipe, le troupeau repartit en sens inverse et
stoppa en plein dans la DZ. Notre camarade Antoine
Ayrolles, frère du capitaine, nous confiait un moment plus
tard, son angoisse au cours de la descente, entendant
mugir sous ses pieds le troupeau de buffles, pourtant bien
belle image: Des Buffles accueillant des Gaurs. Le
parachutage du deuxième groupe, celui du chef du commando,
fit l'objet d'une bavure telle que je les ai décrites plus
haut. Enfin, tout le commando se regroupa au camp de Khang
Khai, s'inscrivant dans le paysage de la garnison sous le
couvert d'une mission topographique venant du delta, les
galons tombèrent et nos camarades se retrouvèrent en
uniforme de deuxième classe, bandes molletières et calots
à pointes, comme au bon vieux temps. Le parachutage
d'armes, de vivres, de matériel, s'intensifièrent. Le
Commando Ayrolles, sorte de détachement précurseur, à ce
qu'il m'a semblé, parcourait le plateau du Traninh,
recherchant des lieux d'atterrissage possibles pour une
unité aéroportée. Les armes, le matériel et les vivres
parachutés étaient entreposés dans des caches pour un
approvisionnement immédiat du gros du C. L. I. quand il
entrerait en action. En
Février, des renseignements nous parvinrent faisant état
d'une colonne japonaise en provenance de Vinh et se
dirigeant vers nous. La garnison et le Commando Ayrolles
se mirent en alerte, prêts à riposter à une agression. La
route de Vinh vers le Laos traversant le camp, la colonne
japonaise, à pied, se présenta s’arrêta au milieu du camp,
puis reprit sa route pour aller s'installer à Xieng
Khouang. Les
parachutages et nos activités se poursuivirent, mais la
présence des Japonais à proximité nous contraignit à plus
de prudence, car on pouvait les rencontrer inopinément.
C'est ainsi qu'au village de Khan Khai, je me suis trouvé
nez à nez avec deux d'entre eux. Je vérifiai
instinctivement la présence de mon Smith & Wesson sous
mes vêtements; ils passèrent leur chemin. Fin Février une
délégation japonaise sous le prétexte de relations de bon
voisinage se présenta au camp. En réalité, ils vinrent
examiner les travaux de mise en défense effectués par la
garnison depuis leur arrivée dans les parages. Avec
quel regard les troupes françaises de Khan Khai ont-elles
vu se dérouler ces événements ? Dans
son livre "Les Maréchaux de la Légion" paru en 1977,
Pierre Sergent nous le révèle par le témoignage de
l'Adjudant Scheitterer, chef du détachement du 5e R. E. I.
du lieu :
"En septembre 1944, le
commandant de la garnison de Khang Khai convoqua
Scheitterer :- Des événements graves se
préparent Scheitterer, je dois vous prévenir,
puisque vous êtes l'adjudant de compagnie. Le
commandement français va faire de la plaine de
Jarres une base de départ que les troupes
aéroportées venant de Calcutta utiliseront pour des
opérations contre les Japonais. Nous allons aider à
la création de cette base pour les parachutistes. Ça
va commencer par des parachutages nocturnes
qu'effectueront les libérators...Ils largueront
d'abord les containers d'armement, de matériel et de
munitions que nous entreposerons dans des caches;
les effectifs parachutés seront de cent à deux cent
hommes. A partir de maintenant ne vous étonnez plus
de rien..." Le premier "colis" expédié par
Libérator, fut un adjudant chef(!!) Il arriva avec
du matériel radio et un code secret lui permettant
d'entrer directement en contact avec Calcutta. Les
parachutages se succédèrent alors. Les DZ étaient
préparées par les légionnaires dans les clairières
qui bordent la Plaine des Jarres. Une vingtaine
d'hommes, tous sous officiers ou officiers
atterrirent et s'installèrent dans un relais de
chasse. Quand les soldats nippons arrivèrent sur la
route, à la hauteur du camp, les légionnaires, les
coloniaux et les parachutistes étaient prêts à
vendre chèrement leur peau. Le bataillon nippon
s’arrêta en face du camp. Un ordre claqua. Les
défenseurs s'attendaient au pire. Les soldats
japonais s'affalèrent dans les fossés et se mirent à
casser la croûte. L'alerte avait été chaude."
Le
matin du 9 Mars fut pour nous, un matin comme les autres.
Margheritora, le chef de la station radio locale me fit
part de son étonnement de ne pas entendre la station de
radiodiffusion Radio Hanoï, qui donnait habituellement des
informations. Sur la fréquence, on entendait semblait-il,
du japonais. Par ailleurs ses correspondants habituels
restaient muets. Un peu plus tard je reçus de Calcutta un
message interrogateur : Que se passe-t-il ?
L'Indochine ne répond plus , nos stations de la côte sont
muettes. Ce message remis au Commando Ayrolles et à la
garnison, mit tout le monde sur le pied de guerre et par
bribes on apprit le coup de force japonais contre les
garnisons d'Indochine. Pourquoi nos voisins de Xieng
Khouang n'avaient-ils pas bougés ?. Des patrouilles
de part et d'autre s'observèrent pendant près d'une
semaine sans qu'un coup de feu ne fut tiré.
Attendaient-ils des renforts...? Je
n'avais plus aucune raison de me dissimuler. Je quittai le
dépôt de munitions et vint m'installer dans les locaux de
la station radio locale, pour peu de temps, car des
instructions de Calcutta nous demandèrent d'évacuer Khan
Khai pour rejoindre la frontière chinoise où convergeaient
toutes les troupes du Tonkin et du Laos qui avaient
échappé aux Japonais. Le
17 Mars un convoi formé des troupes, de porteurs et de
quelques animaux de bât, portant munitions et vivres
quitta Khan Khai en direction du Nord. Le Commando
Ayrolles, avant de prendre la jungle devait faire sauter
les dépôts de munitions et installations restantes. Nous
avions déjà parcouru une dizaine de kilomètres quand nous
parvinrent les bruits d'une série d'explosions. Tout
espoir de voir le C. L. I. descendre du ciel sur ce
plateau était perdu. Il avait trop tardé... Nous
avons marché plus de deux mois par les pistes du Moyen,
puis du Haut Laos par de longues étapes, parfois plus
courtes selon le relief, les possibilités d'hébergement ou
de ravitaillement, nous arrêtant parfois quelques jours
dans des vallées encore heureuses et peu touchées par les
événements extérieurs. Le soir je me mettais en liaison
avec Calcutta qui nous renseignait sur les mouvements
japonais dans le Nord pour nous éviter des rencontres
fâcheuses. De plus nous pûmes obtenir un parachutage de
ravitaillement. Nous ne fûmes pas poursuivis par les
Japonais de Xieng Khouang que nous venions de quitter, en
raison sans doute des actions du Commando Ayrolles resté
dans la région. Sur notre parcours, des rescapés des
garnisons du Bas Laos, nous rejoignirent. Des civils
fuyaient aussi l'autorité japonaise, c'est ainsi qu'une
famille chinoise dont les membres portaient tour à tour
sur une litière une grand mère très âgée, se mit sous
notre protection. En
pays Méo, la progression devint plus difficile; sentiers
abrupts tracés en ligne droite, ignorant les courbes de
niveau, forêts de bambous infestées de sangsues, bref,
tous les pièges de la jungle. Jusque
là, nous recrutions des porteurs qui d'un village à
l'autre portaient nos charges; maintenant les populations
se raréfiaient, les distances entre villages
s'allongeaient et les habitants rechignaient à s'éloigner
de leurs foyers. Au
cours d'une étape, nous marchons dans une forêt assez
dense, les porteurs devant nous. Les ayant perdus de vue,
un moment dans une courbe, nous retrouvâmes les charges
posées au bord du sentier, les porteurs s'étaient évanouis
dans la jungle. Dès ce moment, je dus porter tout mon
matériel radio. Cet effort supplémentaire, après deux mois
de marche, me conduisit à un état proche de l'épuisement.
Envahi par des accès de fièvre, je dus m’arrêter dans un
village méo en compagnie d'un légionnaire qui lui
souffrait de dysenterie qu'il soignait à l'opium, tandis
que la colonne poursuivait sa route. Après
deux jours de repos et ayant abandonné le plus gros de mon
fardeau, je repris la route en compagnie du légionnaire.
La frontière chinoise n'était plus très éloignée et l'on
commençait à rencontrer des éléments rescapés du Haut
Tonkin. Après une journée de marche, la fièvre me reprit
et je dus m’arrêter à nouveau. Par bonheur, un médecin
rescapé du Tonkin se trouva sur ma route. Me voyant en
piteux état, il fit confectionner une litière,
réquisitionna des porteurs et me fit transporter jusqu'à
Muong Sing, dernière agglomération de quelque importance,
avant la Chine. Installé dans les locaux d'une ancienne
infirmerie, le médecin qui m'avait recueilli, m'y visitait
chaque jour, mais il était démuni de médicaments et mon
état empirait, une forte fièvre me tenait à demi
inconscient et je m'alimentais difficilement. Deuxième
chance, un piper Cub américain de Sze Mao vint en liaison
à Muong Sing. Le pilote repartait seul. Le médecin,
profitant de l'opportunité, me fit embarquer à la place du
passager. Que ce médecin de qui je n'ai jamais rien su
soit remercié ! Il m'a tiré d'un bien mauvais pas. A
Sze Mao, le pilote me débarqua et m'étendit à l'ombre sous
les ailes de l'avion, puis disparut. Était-il aller
chercher du secours ? En tous cas j'attendis
longtemps. Troisième chance, tout à coup apparurent devant
moi mes camarades Coulonnier et Spétic du Gaur K, rescapés
du Tonkin. Exclamations! Interrogations ? - Un DC 3
décollant dans un instant nous emmène à Kumming. Allez, on
t'embarque ! dit Spétic. Ainsi fut fait et j'atterris
à l’Hôpital Américain de Kumming, où lavé de pied en cap,
désinfecté, mes vêtements, papiers et documents brûlés,
j'y fus soigné énergiquement pour fièvre d'origine
inconnue, puis malaria. Remis
sur pied, je fus évacué par un vol DC3, ainsi qu'un groupe
rescapé du Tonkin, vers l’Hôpital Anglais de Dibrugarth
dans la province d'Assam au Nord Est de l'Inde, près de la
frontière birmane. Je
n'avais plus de contact avec Calcutta et me trouvais
complètement isolé. Un général anglais accompagné d'un
officier français vinrent me visiter à Dibrugarth. Je fis
part de ma situation au Français et lui exprimai mon désir
de rejoindre Calcutta. - Ne parlez pas de votre mission
aux Anglais, me dit-il, je m'occupe de votre recueil. Le
temps passa. Guéris, nous fûmes regroupés dans un camp de
convalescence près de Dibrugarth. La mousson arriva. Il
tombait des trombes d'eau pendant des semaines, dans ce
pays, l'un des plus pluvieux au monde. D'autre part,
c'était la période où Anglais et Français eurent de
sérieux différents à propos de la Syrie, nos rapports
devinrent de glace. Nous ne percevions qu'un maigre pécule
pour nos dépenses personnelles, pas de nouvelles de
Calcutta, bref, moral à zéro, les Anglais m'apparaissant
plutôt des geôliers que des partenaires. Je
résolus de rejoindre Calcutta par mes propres moyens. Je
m'étais informé du départ des trains vers le Sud et un
dimanche, ayant sollicité l'autorisation d'assister à la
messe à l'église de Dibrugarth (ce que je faisais
habituellement) je sautai dans le train en partance.
Naturellement je n'avais pas de billet et à chaque arrêt,
les wagons ne communiquant pas entre eux, je descendais
pour remonter dans le wagon que venait de quitter le
contrôleur. Me nourrissant de produits locaux achetés sur
les quais, évitant les contrôles M.P, j'atteignis Calcutta
après deux jours de voyage.
Je me rendis à Swinhoe
Street, lieu de mon départ, où je fus accueilli
chaleureusement par le Capitaine de Vaisseau de
Riencourt. Quelques semaines plus tard je rejoignis
le C.L.I. à Trincomalée et suivis dès lors le
parcours du Commando Léger N°1.
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