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Sergent Major

Charles Piquois

146

Mon épopée peu glorieuse

Guerre 1939 - 1945

Témoignage

Nice - Mai 1995

Analyse du témoignage

Campagne de France

Écriture : 1940 - 30 pages

POSTFACE de Michel EL BAZE

Le Sergent Charles Piquois a vécu au ras du sol les péripéties de la Campagne de France de 1940.

Son récit simple et authentique apportera sans doute quelques éléments intéressants aux chercheurs qui étudient cette triste période de notre histoire.

Sergeant Charles Piquois lived on the around all the events of the campaign of France in 1940. His account simple and thrue will no doubt bring a few interesting elements to the researchers who study this sad period of our history.

La mémoire

La mémoire : seul bagage incessible

Jacques ATTALI

...J'ai utilisé mon carnet de route et relaté très objectivement la vie des fantassins du ler Bataillon du 41è Régiment d'Infanterie, dès leur arrivée dans la Somme. Ceci peut paraître long et pourtant j'ai supprimé des passages superflus. Mais il situe le contexte dans lequel nous avions été témoins de ce qu'on a appelé le coup de main de l'Adjudant Tardiveau. Après l'embarquement du 1/41 en gare de Dannemarie (Haut-Rhin), et quelques conflits avec les cheminots lors du chargement du matériel et des vélos excédentaires (!), 56 heures de voyage en train, entrecoupées d'arrêts, le bataillon débarque à Clermont (Oise). Les voies étant hors d'usage, on ne peut aller plus loin. Le G.R.D.l. est incapable de fournir des renseignements sur l'ennemi. En langage de troupier, on disait à ce moment-là "tâter du boche" Moral à zéro en apprenant la percée éclair des troupes allemandes et la guerre terrifiante portée vers les arrières. On évoque l'invasion de la Pologne; quelques amis parisiens craignent les raids sur la capitale. Et puis, en gare de Creil, notre convoi en arrêt côtoyait des rames de wagons emportant vers quel destin des milliers de civils apeurés. Pauvre bétail humain plus à plaindre que nous.
Incendie d'un train de munitions à 1 km sur une voie de garage. Tour à tour, les wagons s'enflamment, c'est un feu d'artifice inattendu avec détonations et retombées multicolores. Voilà un divertissement qui fait rire nos gars ! Les derniers réfugiés quittent leur domicile et nous donnent de la boisson... Embarquement en camions de la 2è Compagnie. C'est la lère fois depuis la déclaration de guerre : on nous gâte. Je dormirai nuitamment, tout équipé, sur la montagne de sacs d'allégement.

Arrivée, dans la nuit noire à Ressons sur Matz.

On campe sous bois et dormons tous à nouveau malgré les bombardements aériens. C'est le manque de renseignements qui cause de l'inquiétude, les officiers ne possèdent aucune carte de la région. A deux reprises, dès le lever du jour, l'aviation recommence son attaque; la gare et surtout une féculerie sont transformés en brasier en quelques secondes. Il faut cacher la roulante sous un bosquet ; gare aux fumées ! Et puis, à chaque explosion les chevaux affolés font des ruades. Le cycliste Joseph Lancien s'active pour reconnaître le lieu de stationnement des sections.

Départ le lendemain pour Cuvilly.

Puis une dizaine de kilomètres à pied, la nuit, à destination du lieu-dit "la Poste". Nos fantassins ont hérité d'un baril de vieux cognac; quelques gorgées nous mettent la tête en feu, mais les copains bretons ont du tempérament ! Un point noir : le manque de pain. Avec Theilley, sergent-comptable d'une compagnie voisine, la 1ère Compagnie, nous ouvrons en vain quelques boulangeries désertes. Dans le clair matin, notre ami en verve, crie à tue-tête : - Monsieur le boulanger, faites-nous du pain ! Il faut bien rire ! 20 mai 1940 Départ le lendemain pour Tilloloy, 2 jours de repos. Des estafettes motocyclistes ont été envoyées en reconnaissance à l'avant : vide complet. Nous envions ces compagnons qui enfourchent des side-cars 'Terrot. De près, chacun s'attarde devant les chenillettes que nous avions vues rutilantes avec leurs remorques, lors du rassemblement du 41è R.I. sur le Champ de Mars à Rennes. C'était la revue générale avant l'embarquement. Nous sommes dans une immense ferme de Picardie, enclose dans ses murs. Des centaines de volailles sont rassemblées dans la cour. On leur balance du haut des greniers des pelletées de grain. On gobe des oeufs crus avec des rasades de vin blanc. Et puis d'énormes cochons qui couinent dans leurs bâtiments sont libérés et partent à travers champs.

Départ dans la matinée du 23 pour Beuvraignes.

Le ravitaillement en pain s'avère difficile.

Départ dans la nuit pour Hallu, arrivée à 4 heures du matin. En passant à Roye, on voit la gare en piteux état, la ville est sinistrée et les soldats mus par un instinct curieux pénètrent dans les magasins. Certains cherchent des chemises. Mais que faire de chemises à carreaux ou de chemises blanches de cérémonie ? En voilà qui, dans une pharmacie font une toilette avec des litres d'eau de Cologne et emplissent leurs poches de tubes d'aspirine ! Inconscience ?

Départ pour Chaulnes, cantonnement au N.E. de la ville.

Pour la première fois c'est la rencontre avec des fantassins du 22è Régiment de Volontaires Etrangers qui ont essuyé le feu ennemi, non loin de Péronne... Nous ignorions qu'autour de Péronne avaient eu lieu des duels de chars et d'aviation. Les Allemands consolidaient cette tête de pont, pivot de futures attaques. Ie Général Frère, commandant la 7ème Armée, voulait reprendre Péronne. Plus tard, le Grand État Major appela la bataille de la Somme, la bataille d'Hangest en Santerre. Des Espagnols, anciens exilés républicains sont interrogés par mon ami Aladel, promu Sous Lieutenant d'active. - Ils se défendent d'être fuyards ou déserteurs. C'est pitoyable à voir. Leurs fusils n'ont pas de bretelles de cuir, mais des cordes. Pas de havresacs ; la toile de tente orange, roulée et passée en bandoulière en tient lieu. Ces gars-là aux visages burinés et sales ont faim et soif.

Départ le soir pour Hattencourt.

Arrivée le 25 Mai à minuit.

On lève le pied pour Lihons en repassant encore par Hallu et Chaulnes. Nous sommes familiers de ces marches nocturnes échappant à l'observation de l'ennemi. Incompréhension, et tous les gradés au niveau des Compagnies sont ignorants sur ce qui se passera demain. Installation du T.C. à Lihons. Je ravitaille la 2è Compagnie à Soyécourt puis à Foucaucourt. A la tombée de la nuit, on peut apporter le courrier à vélo, puis avec la camionnette. Ah ! le courrier sacré ; souventes fois nous guettions Peltier, le vaguemestre du 41è R.I. avec sa traction verdâtre -. Coualan, sergent de réserve, excellent ami, me demande 2 chargeurs pour son P.A. 7,65, car il n'a pas de munitions. A certains niveaux, la dotation en munitions n'a pas été recomplétée depuis la Sarre. Je conserve pour moi un seul chargeur. Et notre pauvre camionnette de réquisition Citroën dont le train avant fut faussé en heurtant un pont dans le Territoire de Belfort l'hiver dernier... jamais réparée ! Le 25 de chaque mois, en qualité de sergent-chef comptable, je renouvelais mes bons de commande. Ah ! certes, nous touchions à profusion de la graisse d'armes et de chaussures ; des chemises, des pantalons, des godillots... jamais ! Jean Amat, notre chauffeur débrouillard, a déniché dans une remise un petit trèfle Citroën, cabriolet nerveux marchant avec de l'essence trouvée où ? Moyen utile pour les liaisons. Nous lui ferons grand mal en heurtant par l'arrière un camion de 5 tonnes de munitions sous la rafale d'un Messerschmitt. Plus de peur que de mal, hormis une contusion au genou et le devant de la jambe écorché... Mais voilà que pour compliquer, le Trésorier nous réunit et se débarrasse de la solde et du prêt qu'il faudrait répartir dans les sections échelonnées au Nord. Les "types" gueulent. Ont-ils besoin du prêt, de l'indemnité de combat, de l'argent expédié par les familles ? C'est ridicule. De la bouffe, de la boisson du tabac, oui. Du fric ? Quelle dérision ! Je remporte le tout. En plus, quelques-uns me confient de l'argent personnel pour réexpédier, par les bons soins du vaguemestre.

Le dimanche 26 mai 1940.

Attaque vers Assevillers.

Plusieurs morts et blessés à la 2è Compagnie. Ayant de graves blessures aux reins, le Lieutenant Gomet est évacué. Le Lieutenant Rivière, lui aussi instituteur dans le civil, le remplace... Supériorité du feu des Allemands avec les Minen, disent nos gars et pas d'aviation d'appui. Vive colère et imprécations ! On pense aussi à la débauche d'obus de 75 dont nos artilleurs arrosaient l'Allemand dans la Sarre, au niveau des bois de l'Ermerich et du Brandenbusch. Il est vrai que pour leur apprentissage, ils tiraient à obus réels, fusants et percutants. 0ù sont ces artilleurs ? où sont les tanks d'accompagnement appuyant les unités selon les principes sacro-saints du Manuel du Gradé d'Infanterie ? Hoedi, un adjudant d'active de la Section de Commandement, vu le lendemain, se plaint que nos fantassins ne pouvaient s'enterrer dans la plaine, faute d'outils adéquats. Il a creusé, dit-il, son trou individuel avec un couteau de chasse. Échec de la manoeuvre ; les Allemands ayant des observatoires, ont des vues imprenables et il est impossible de les dénicher... Aigreur du Chef de Bataillon Hermann qui parlait d'en découdre et avait bâti des répétitions d'attaque en rase campagne dès septembre 1939, dans les Ardennes. Témoignage de mon camarade Albert Bertrand de Montaudin (Mayenne) dont je fus le chef de section adjoint en 1939 (Légion d'honneur, Médaille militaire, Croix de guerre), gravement mutilé le 7 juin 1940 : - A la 4è Section de la 2è Compagnie, on est revenu à 24 : attaque quasi inutile En réalité, cette section commandée par le Lieutenant Servet fut hachée dans la presque totalité. L'agent cycliste m'apporte dans des vieux journaux les portefeuilles, les objets personnels, la plaque perforée du bracelet d'identité sectionnée en deux. Tout est collé par le sang noirâtre. Cela fend le coeur. Mon boulot consistera à inventorier ces pauvres pièces des copains tués et de glisser l'ensemble dans des pochettes destinées au ministère des Anciens Combattants., rue Bellechasse, à Paris, par l'intermédiaire de l'Officier des Détails du 41è R.I. C'est la guerre dans sa cruauté ! Notre premier mort sera Emile Josse, placide conducteur, tué net d'une balle dans le coeur, expirant dans les bras de son copain Marcel Debesne. Il sera enterré auprès de l'église de Soyécourt sous 40 cm de terre rocailleuse. Son nom sera glissé dans une bouteille vide. Le 5 juin au matin, à Lihons : Bombardement du village par l'aviation; les bombes hurlent. Attaque de blindés d'artillerie. Repli au sud de la localité en direction de la carrière. L'eau stagnante et noire gît dans des cavités remplies d'arbres morts. Nuit du 5 au 6 : Aux emplacements de combat. Le 6 juin : Lihons brûle, retour vers la carrière, on est coupé de tout. Le 7 juin : Dans la nuit, ordre de repli vers Rosières en Santerre, en partie occupé par les Allemands exténués qui dorment dans les maisons. Des immeubles flambent. Mon petit copain le Caporal Lucien Saliot, originaire des environs d'Avranches, a été tué au cours de cette retraite : c'était le plus jeune engagé de la 2è Compagnie.

Faits typiques durant le séjour à Lihons.

Avant l'arrivée du 1er Bataillon du 41è R.l., les Anglais occupaient le pays, notamment la plaine de Méharicourt, petite base d'aviation. Ils sont partis en laissant dans de confortables baraques des vêtements de sport, des gants de boxe, des ballons. Réflexions amères de nos gars. On se souvient des tracts lancés par l'aviation allemande sur nos emplacements et points d'appuis dans la Sarre (novembre 1939 à Janvier1940) au bois du Wiedau, entre Forbach et Sarreguemines. Ces tracts fustigeaient les Anglais. Ne critiquons pas. Peut-être valait-il mieux faire du sport que taper la belote à longueur de jour dans la paille des granges en sirotant du rouge ? J'installe la roulante dans une cour au N.E. de Lihons, sur la route de Chaulnes. Nous aménageons un abri dans une cave. Mon "bureau" occupe une salle à manger débarrassée de ses meubles. Les Britanniques avaient disposé des planches sur des tréteau, c'est épatant. La VVB est planquée sous une remise. Au premier étage, il y a profusion de bandes de toile et de paquets de talc; c'était une infirmerie ou un stock pour une antenne sanitaire. Pas un seul avion français ne passera dans le ciel, mais seulement une petite patrouille de chasse anglaise, à basse altitude. Un matin, 5 à 6 chars français, type Renault, roulent sur la route avec un bruit de ferraille; ils vont vers Chaulne. Ce sont les seuls blindés aperçus durant toute cette guerre. Ah ! si; une semaine plus tard, non loin de Chantilly, quelques gros chars seront rangés sous un bois dans l'attente d'un hypothétique ravitaillement en carburant. Dès le début de Juin, nous aidons le GRD1 à construire une chicane avec des briques et le traditionnel matériel agricole. On s'attend à une attaque de blindés. A côté, des caisses remplies de bouteilles d'essence dont le col est entouré de chiffons. Mais pas de grenades incendiaires ! Je songe alors aux récits sur les combats en Espagne : fantassins contre blindés ! Le GQG préconise la défense des bourgs "en hérissons"- et çà tiendra par endroits. Consignes impératives du capitaine commandant la C.H.R. qui réunit les comptables et les "caporaux-rata" : Toutes les meilleures boissons trouvées dans les caves doivent être acheminées pour les sections en lère ligne. En Picardie, il y a peu de points d'eau. Par manque de courant, les puits artésiens ne fonctionnent plus. Le moindre filet d'eau est conservé pour la roulante et surtout pour les chevaux. On boit du Cinzano pur, apporté par un gradé qui a découvert une cave coopérative... En 1985, en allant dire bonjour à Georges Martinais, directeur d'école honoraire longtemps maire de la Chapelle des Fougeretz, au nord de Rennes, j'appris que c'était lui le découvreur. Actif adjudant préposé au ravitaillement du ler Bataillon et ami d'A. Rochard ! L'aviation allemande emplit le ciel : Heinkel III allant bombarder vers le sud. Un petit Heinkel de reconnaissance tourne souvent au dessus de la bourgade. "Il est blindé, entend-on, inutile de tirer dessus" En fait de blindage, le moteur, le réservoir et l'habitacle étaient protégés par des boudins de caoutchouc-mousse. Dès le début de Juin, le ravitaillement devient très compliqué. On tue sur place des vaches atteintes de la fièvre aphteuse. Certaines, blessées, saignent et meuglent en s'approchant des villages. Elles ont soif et peur. Il faut chercher ou aménager d'autres abris, en recouvrant des tranchées à l'aide de balles de paille pressée. En creusant, je mets à jour une botte en cuir, puis des ossements datant de la guerre 1914-1918. On s'est battu ici, il y a une vingtaine d'années. Je déterre un fémur d'une longueur exceptionnelle. A l'été 1916, en liaison avec les Anglais, nos pères avaient aussi pour objectif la reprise de Péronne, Dompierre; Fay tombaient avec 3500 prisonniers allemands. Une semaine après, c'était au tour de Chaulnes. Le 15 août, les Français reprenaient Soyécourt, Deniécourt, à quelques kilomètres de Lihons... Un matin, nous voyons passer en voiture à cheval un copain du 2è Bataillon, le Sergent-chef comptable Gaston Guénard. Il a récupéré des percos pris aux Allemands; tout le monde s'approche avec curiosité... Le 5 juin Stationnent dans Lihons : le GRDI, 21, la CHR du 41 et un groupe du 304 RALP. Et toutes les fumées des roulantes, continuent de monter dans le ciel. Mais comment faire ? Cependant, ce que nous cuisinions ne peut plus être acheminé vers les sections. On nous informe que sur Vermandovillers, les routes sont minées. Quelques camarades ont entendu parler d'une relève de la l9è D.I. Toujours les bobards ! Le 5, au petit jour, nous nous tenons à gauche de la route de Chaulnes. Vers le nord, la ligne d'horizon est en feu : éclairs orangés et bruit d'enfer. Nous n'avons que nos fusils; au diable le PA 7,65, je me sens plus rassuré avec un mousqueton. Je peux le dire à ce jour : au fond de la VVB, une caisse contient 2 FM tout neufs, confiés dans la Sarre par le Sergent chef comptable François Pène (hors comptabilité !) Il suffit d'ôter la graisse qui les englue. Je m'improvise chef de section, tous les cuistots et hommes de service sont promus combattants à part entière. Quelques lourds chars allemands passent à une centaine de mètres, négligeant la bourgade. En fin de matinée, blottis derrière les arbres, nous voyons les blindés se déployer dans la plaine vers Méharicourt; ils roulent très lentement, sans doute sur le terrain d'aviation des Anglais. Des hommes sont autour des coupoles : pionniers allemands ou prisonniers français ? On ne peut alors faire feu et je réalise que ma mauvaise paire de jumelles est restée dans la maison de Lihons. Un capitaine du GRDI, de taille imposante et assez goguenard, tient une mitraillette Thomsson dans la main. Quelques rares initiés en sont dotées, parait-il, depuis 1939, mais nous, pauvres fantassins, nous n'avons que des embarrassantes "cannes à pêche". Il me somme de rassembler et de poster mon monde dans les jardins. Mais l'ennemi ne viendra pas de ce côté. L'un de mes cuistots, le plus ancien (35 à 40 ans) ne me quitte pas; il se traîne, pris de panique. Qui n'a connu certaines minutes cette peur animale qui vous torture les tripes ? Dans l'après-midi, nous serons contents; de nous abriter près d'une douve marécageuse. Les vaches blessées nous poursuivent en file indienne et nous font repérer par les avions de chasse qui tournoient comme des frelons. Il faut attacher à un arbre un chien errant. ... Après le combat du Bois Étoile (Adjudant Tardiveau), plus de 200 fantassins allemands prisonniers arrivent en fin d'après-midi à Lihons ! Joseph Lemolland, notre caporal d'ordinaire, tout essoufflé vient me chercher : - "Tardireau a fait des prisonniers, il y en a une longue colonne". Ils sont épuisés; leur ravitaillement n'a pas suivi. Dans chaque unité allemande les pertes sont énormes. Nous les rassemblons dans une cour de ferme enclose, du côté opposé à l'église. Avec peine, j'essaie de me remémorer des mots simples, des phrases interrogatoires en langue allemande apprises au Collège, pour mon bac passé en 1933. Les officiers ont été séparés de la troupe. C'est un médecin-vétérinaire auxiliaire qui a pris la tête des prisonniers valides et semble le plus haut gradé. Certains ont la diarrhée et se posent à terre, d'autres veulent boire ou grignoter un croûton. Quelques-uns sortent de leur vareuse du chocolat fondu. A peu près tous portent le calot avec un petit rond rouge, leur visage est gris de poussière. Armement, ceinturons, casques, masques ont été entassés dès leur capture. Nos gars regardent avec curiosité et pitié cette pauvre horde, les bottes en particulier en excellent état et les lunettes de combat que portent les myopes, (élastiques passant derrière les oreilles à la place des branches). Un officier de la CHR vient virilement nous dire qu'il n'y a aucune pitié à avoir envers de tels salauds. D'ailleurs, en dehors d'un peu d'eau croupie au fond des margelles, nous ne pourrons rien donner. Et puis, sécurité avant tout, ils sont plus nombreux que nous ici; gardons en main les flingues et les cartouches ! L'aviation d'observation ennemie tournoie là-haut et espionne cette activité. Un ordre viendra du PC Division, à la nuit tombante, pour acheminer les prisonniers de Tardiveau vers Rosières en Santerre ou au sud... à pied bien entendu, faute de camions. Réflexion du médecin-vétérinaire qui, après avoir rassemblé ses compagnons d'un ordre bref, en rangs par trois, me demande s'il est nécessaire de prendre le pas cadencé et de faire tête- gauche. Il a compris ma réplique en français : - On ne vous en demande pas tant. Vous obéirez à notre officier responsable ! Ce que nous ignorions le 5 au soir, c'est que ces prisonniers seraient libérés par les leurs, au sud de Saint Just en Chaussée, probablement deux jours après. Que faire maintenant ? Nous sommes regonflés, on fera d'autres prisonniers ! Dans notre maison de Iihons, je découvre une carte entoilée Paris- Reims en provenance de la Royal Air Force. Ça peut servir. Avec ma boussole, elle me permettra d'échapper à l'ennemi dans les jours suivants, autour de Montdidier, en remorquant vaille que vaille 30 à 40 isolés de tous poils. Moi, l'homme poli, en ai-je poussé des jurons ! Le 5 juin, au soir Les blindés allemands occupaient Hallu et Chilly, mais nous ne le savions pas. Impression de décousu et de panique dans les P.C. autour de Chaulnes, on dit que, vers le nord, toutes les routes sont coupées. Il est toujours question d'une relève de la Division ' Au coeur du bourg de Lihons, un canon de 75 est pointé sans protection aucune pour déboucher à zéro. Un capitaine âgé est le seul servant, assis sur une chaise... Mes cuisiniers et des conducteurs participent à une patrouille vers le N.E. Ils ont vu des blindé allemands grillés, de très jeunes S.S. en tenue d'apparat à demi-consumés à leur poste de pilotage, mais aussi des batteries d'artillerie de chez nous littéralement écrasées. Ils sont fiers de rapporter comme trophée un long fanion de char allemand, avec le rond S.S., bien enroulé sur des tourillons. Du coté de Chantilly, nous le jetterons dans un puits, ayant le pressentiment que tôt ou tard, nous serons aux mains de l'ennemi. Le 6 juin 40 Dans l'après-midi, le bombardement de Lihons s'accentue : artillerie et aviation conjuguées. Avec l'Adjudant G. Martinais du P.C. du Bataillon, nous nous blottissons dans des trous individuels et nous nous passons une bouteille de vin blanc tiède. Le soleil cuit ; épuisé, je crois que j'ai dormi un peu. L'air est empuanti, la poussière vole, le clocher de l'église s'abat. Contrairement à mon avis, un cycliste veut sauver des flammes un grand sac de tabac. Il ne reviendra pas. J'apprends que nos bons chevaux sont tués, après s'être débattus, emmêlant brides et cordes. Les avions Messerschmitt rasent les arbres avec des hurlements comparables aux sirènes. Ils ne tirent pas toujours, c'est terrifiant. Et ces vaches qui bavent sentant notre présence ; là-haut les aviateurs ont la tâche aisée... Imprécations de tous qui cherchons en vain, dans le ciel, des avions français. L'après-midi se passe, cloués au sol, au nord de la voie ferrée, dans la plaine. Je suis coincé entre le moteur électrique d'un concasseur et un muret, il fait très chaud, les lèvres collent. Impression de fin du monde, on ne voit rien, hormis les avions volant bas. Dans la soirée, je rampe dans un ruisseau à sec plein d'orties. J'ai perdu une bande molletière, ma poitrine est couverte de cloques, mais je ne sens rien, étant à la recherche des cuisiniers et autres fantassins qui se regroupent avec leurs fusils. Ils sont comme des bêtes apeurées. Je leur dis que rien n'est perdu, il faut attendre des ordres et si nous touchons des munitions perforantes ou incendiaires (?) Les blindés allemands seront foutus en l'air. Des fusées éclairantes ne cessent de monter dans le ciel. Il m'arrive de tâter constamment ma musette bourrée de fric, du registre-comptabilité, du cahier de courrier, le tout saucissonné avec du fil téléphonique. Me croirez-vous si je vous disais par coeur comment les sommes d'argent étaient ventilées ?

Ordinaire :

Indemnités de combat :

Prêt et sommes dues :

9466,98 11460,00

10388,02

Total

31315,00 F

Si nous avions obliqué plus à l'ouest, nous étions coincés à Beaufort en Santerre avec le Groupe Trimel de la lère Compagnie (31 copains fusillés par l'ennemi). D'autres péripéties nous attendaient dans Montdidier, vers Plainval et aux confins de l'Oise...

Je reprendrai un jour mon carnet de route

pour en extraire les temps forts, ainsi:

- La traversée nocturne de Rosières en feu où les copains eurent le réflexe de m'extraire d'une fosse remplie de mélasse de betteraves dans laquelle j'ai failli périr enlisé ! - La longue marche sans vivres vers Montdidier où nous fûmes coincés par les attaques incessantes des bombardiers légers qui tiraient sur les ambulances. - Panique au sujet d'éventuels parachutistes largués sur les arrières. - Nuit d'angoisse dans le Parc de Vaux, au sein d'une multitude de soldats ivres non encadrés. Vide absolu; pas de troupes pour la relève tant espérée ! - Marche de 30 km vers le sud, par Tricot, Maignelay, dans la plaine nue et retour vers le nord donc vers l'ennemi, à la recherche d'une liaison avec un P.C. du 41è RI. - Regroupement à Quincampoix et Plainval d'une cinquantaine d'isolés, sous l'autorité du Sous lieutenant Aladel, blessé le 26 mai à Assevillers, mais plus combatif que jamais. - Encerclement par les blindés allemands (60 à 8o) qui cherchent le P.C. de la l9è DI. - Avant-gardes ennemies repoussées par les mitrailleuses de 20 m/m de Louis Simonneaux - Consignes du P.C. Colonel 41è RI : "Marcher ou crever" "Gagner l'Oise par marches forcées". "Mettre nuitamment une rivière entre les Boches et nous" ainsi s'exprimait le Commandant Jan du 3è Bataillon, un vieux de 1 4 18. - Dans la forêt de Chantilly, après la destruction par le Génie du pont de Beaumont sur Oise, je n'ai plus que 7 gars qui me suivent aveuglément et que je remorquerai jusqu'à Rennes. Nous n'avons rien mangé depuis 3 jours, l'estomac est noué. Un soir, les nerfs craquent, je m'isole pour pleurer. On remonte sur l'Oise entre Boran et Saint Maximin, avec une voiture abandonnée par les civils, remise marche par Jean Amat, habile mécano. Et de P.C. en P.C. fantoches allons-nous inconsciemment nous jeter dans "la gueule du loup" ? - Pagaille monstre d'isolés, de gradés sans troupes, de permissionnaires égarés, d'unités n'ayant pas essuyé le feu, de tirailleurs sénégalais paniqués par l'aviation. Bref, ce calvaire, ou ce bordel, devait durer jusque dans les lieux de regroupement. La Gendarmerie d'Ecouen me rédige un laissez-passer et un ordre de mission pour Maisons Laffite et le Stade de Colombes, où nous retrouvons la chaude fraternité de G. Martinais et A.Rochard.
Les 11 et 12 juin L'ordre de regroupement est donné pour Rennemoulin près du château de Versailles...C'est en avalant du bouillon de boeuf bien chaud versé dans une boite en fer blanc ramassée dans la rigole que j'apprends l'entrée en guerre des italiens. Salauds ! Le GCG préconise de creuser des fossés antichars autour de la Capitale. Pauvre France ! Pauvres troufions crasseux, noirs de suie, poursuivis par la chasse allemande, mêlés au flot de réfugiés, effectuant des pansements à Saint Luperce près de Chartres à des civils terrorisés. Échappant de peu au bombardement des trains de munitions dans la plaine de Baud à l'entrée de Rennes. Le 17 Au quartier Mac Mahon quasi désert, j'apure ma comptabilité, rends le fric au trésorier du Dépôt 440 Ouf ! Les Allemands sont à Vitry. Le 18 Ils arrivent dans la ville et foncent vers les ports bretons. Fait prisonnier le soir, je m'évade à la tombée de la nuit en suivant la voie ferrée, toujours en tenue militaire, amaigri, et méconnaissable. J'abats environ 50 km dans la nuit calme pour revoir ma petite Solange, institutrice suppléante à Carnet, près de Saint James.
Mon épopée peu glorieuse s'achèvera à Avranches, juste à midi, sur la place Littré, entouré de curieux qui me reconnaissent et la ville est vide d'Allemands heureusement.