mis à jour / updated :


             


L'oeuvre de Michel El Baze: Les guerres du XXe siècle à travers les témoignages oraux   




060



Guerre 1939-1945

Pierre BEUVELET
Soixante années ont passé!...
Un quart de siècle... Une tranche de vie!
Tome I
Enfance, famille, éducation.

Tome II
Résistance - Déportation en Allemagne


POSTFACE DE MICHEL EL BAZE

Dans le premier tome de ce récit de vie exceptionnelle, Pierre Beuvelet nous raconte les étapes franchies, de sa prime enfance jusqu’à la veille de la guerre, pour parfaire son éducation laïque et religieuse. Cette introduction permettra aux chercheurs de mieux cerner la personnalité de celui qui montra au cours des douloureux événements qui suivirent, le courage indispensable à qui veut accomplir tous ses devoirs dus à sa Patrie et néanmoins survivre. Pierre Beuvelet réalise ici son dernier devoir, celui de témoigner afin d’apporter aux historiens, les éléments oraux nécessaires à l’écriture de l’Histoire de notre Pays, pour effacer l’oubli.

 

Table

**

CHAPITRE I

PRIME ENFANCE - 1919 - 1925

CHAPITRE II

ENFANCE - FAMILLE -
ÉDUCATION LAÏQUE -
1925 - 1931 -

CHAPITRE III

ÉDUCATION RELIGIEUSE
1932 - 1937
LES FRÈRES DES ÉCOLES CHRÉTIENNES
Juvenat -Noviciat - Scolasticat Professorat

  Je dédie ce récit de ma vie à mes petits enfants afin qu'ayant appris ce que j'ai souffert et peiné dans le courant de mon existence sur cette terre, ils puissent en tirer des leçons et que cela les aide à bien vivre, que ce soit au sens physique comme au sens moral et spirituel du terme.

 

 

Chapitre I
SOMMAIRE

PRIME ENFANCE - 1919 - 1925
  Je suis né un 4 Mai 1919 dans un petit village à la limite de l'Ile de France et de la Picardie à Neuilly sous Clermont, cette dernière ville étant surtout connue par le fait que notre premier roi capétien était Comte de Clermont et qu'elle renferme en ses murs, un asile psychiatrique et une prison de femmes. C'était un Dimanche à 19 heures. Je tiens tout ceci de ma bonne maman qui voulut bien me le raconter, dans ma prime jeunesse. Ma mère était née de Paul Pierre et de Eugénie Breton le 16.5.1896. Mon grand-père maternel était né riche, il avait même été le plus gros propriétaire foncier de la commune de Neuilly Sous Clermont, ayant comme demeure une ancienne commanderie des Templiers qui, dans ma jeunesse tombait en ruines mais, à l'époque où je naissais, le grand-père, écrasé par une série de mauvaises récoltes avait vendu sa ferme, se réservant de vendre toutes ses terres au fur et à mesure de ses besoins. C'était un petit homme qui faisait dans les 1,50 m. mais trapu et très fort. Il était surtout connu par quelques cuites mémorables, dont une surtout, une certaine soirée d'hiver ou, ayant picolé trop de cidre, il avait parcouru 15 km à la lumière d'une lampe à pétrole, jusqu'au moment où, n'y tenant plus, il s'était tout simplement couché dans la neige sur le bord de la route. Le froid plus vif du matin l'avait réveillé et dessaoulé, toujours avec sa lanterne. Il s'était empressé de rejoindre sa pauvre femme qui déjà le croyait mort. Il est évident que de nos jours la circulation étant plus intense, on l'aurait plus rapidement retrouvé ou tout simplement écrasé… Ma grand-mère était de Domont, dans l'Oise et appartenait à une famille de citadins très bien unis. Il y avait souvent des reproches de sa part à l'encontre de grand-père qui était plutôt rustique, bien qu'excellent homme, dévoué à la chose commune et travailleur. C'est lui qui, les jours de fête, défilait à la tête des sapeurs-pompiers du pays, décoré de la Croix du Sauvetage et qui, le soir, menait le bal sur la place avec sa trompette ou son bugle, aidé de 2 ou 3 autres camarades joueurs de violon, saxo ou accordéon. A l'époque où je naissais ma grand-mère avait encore sa mère, maman Eugénie Breton, plus couramment appelée Man-Nie, celle-ci m'a souvent bercé sur ses genoux au coin de l'âtre pour me faire attendre, les trois quarts du temps, l'heure de la tétée. Car ma mère me nourrissait au sein ce qui se faisait couramment à cette époque, juste après l'Armistice de Rhotondes, le lait pasteurisé ou en poudre étant inconnu dans les campagnes. A défaut du lait maternel, c'était le lait de vache qu'on allait quérir à la ferme d'à côté. Ayant subi son baptême du feu au mois d'Août 1914 à Mercy Le Haut, ayant ensuite fait la bataille de la Marne - la Cote 304 - le Mort Homme-Verdun - mon père venait tout juste d'être démobilisé; il avait fait ses quatre ans deux mois de guerre, passant pour la plupart du temps entre les balles, mais quelquefois, les mauvais jours, les rôles étant inversés, c'était les balles qui lui passaient au travers. Grand Mutilé, Croix de Guerre, il terminait comme Sergent. N'ayant dans sa prime jeunesse jamais voulu apprendre à écrire. Un an avant ma naissance, ma mère, qui servait dans un café de Clermont (Oise), fut attirée par ce jeune homme grand (Å 1,83 m.) et beau; il était brun de cheveux avec raie sur le côté et petite moustache couvrant toute la lèvre supérieure, en outre, il était pourvu d'un joli timbre de baryton, il n'hésitait pas à pousser la romance quand on le lui demandait. Bien que ma mère fut très pieuse et pratiquante (elle faisait sa prière du soir au pied de son lit et plus tard m'apprit les prières, alors que je lui tenais compagnie au pied du lit conjugal), elle se laissa circonvenir, si je puis me permettre ce doux euphémisme. Et disons que c'est en leur compagnie que six mois plus tard ils se présentaient à l'autel et devant Monsieur le Maire pour être officiellement unis par le mariage. Et le 4 Mai 1919 à 19 h., un Dimanche.. Je naissais avec pas mal de difficultés, car j'étais plutôt gros: neuf livres. J'avais le cordon autour du cou et le placentas sur la tête (c'est cela qui s'appelle être "né coiffé" et donne de la chance paraît-il). Quelques gifles bien appliquées sur mes petites fesses firent venir mes premiers vagissements. Heureusement il n'y a pas que des pleurs dans la vie et comme ma maman était bonne nourrice, elle me présenta son sein que je suçais gloutonnement. Mes souvenirs de prime enfance remontent à quelques mois après ma naissance. Depuis mon landau j'assistais à un banquet de mariage celui de la cousine Isoline Breton avec Hildevert Detrait. Les gens mangeaient, gesticulaient, chantaient et se disputaient, tandis que des enfants jouaient en courant autour de ma voiture, s'arrêtant parfois pour secouer mon landau. J'étais aussi très intéressé par les poules qui se creusaient des nids dans la terre battue de la grange où se déroulait la noce, se rejetant de la poussière sur le dos pour s'enlever leurs parasites, je n'avait pas six mois et j'avais pu observer ces détails. Plus tard,je devais avoir deux ou trois ans, à l'occasion de vacances lors d'un voyage dans la carriole du grand-père à Domont, j'eus la permission de monter le cheval mécanique à trois roues de mon cousin Gaston Breton; je roulais en pédalant sur des pavés dans une rue en pente, bien entendu les trois éléments eurent bien vite raison de moi car je m'écorchais les genoux en tombant et je m'en tenais là. Jamais de ma vie je n'aurai de cheval mécanique et ce n'est que très tard, vers 13 ans, que j'apprendrai à me tenir sur une bicyclette. Quelques mois après ma naissance, mon père ayant trouvé un emploi chez Vve Cliquot Ponsardin à Reims. On s'installa à Reims 12 Rue St Thierry actuelle Rue Clémence Fouriaux. En fait il ne faisait que se rapprocher de chez lui car il était de la Neuville Sous Laon et sa mère, ma grand-mère Zoé Chedaille habitait à quelques centaines de mètres de là, Rue du Mont d'Arène. Bien qu'étant très jeune je me rappelle fort bien de ma rue, si l'on pouvait encore appeler cela une rue car elle était en ruines. Nous habitions un deux-pièces sans cuisine dans une maison qui n'avait plus de toit, notre porte donnait sur un chartil qui servait de porche. La première pièce avait sa fenêtre unique sur la rue. Cette pièce avait la plupart de ses vitres en papier huilé et servait de cuisine et salle de séjour elle devait faire 4 m. x 4 m. C'était la seule pièce chauffée par ce que j'appellerai un poêle de guerre; un foyer, un four montés sur 4 pattes de 40 cm, fait de cet engin une espèce de monstre à ventre rouge qui, de temps en temps, crachait la flamme. J'avais beaucoup de respect pour ce feu et instruit par l'expérience je ne m'approchais de lui que fort prudemment et à distance respectable. C'est devant ce feu que ma maman me tenant sur ses genoux faisait ma toilette et il parait même qu'un jour, n'ayant rien fait dans mes couches, de mon petit robinet partit un jet qui fit augmenter la quantité de soupe qui bouillait dans la marmite. Nous étions pauvres, maman ne se résignait pas à jeter son potage… Quand papa rentra du travail maman ne dit rien et servit la soupe, tout le monde en mangea et la trouva fort bonne… La seconde pièce était la chambre de mes parents, un double lit en fer, une armoire à glace, deux chaises et mon berceau… Je me rappelle avoir vu venir deux tables de nuit livrées par un marchand de meubles. Ces meubles, de part et d'autre du lit, supportaient l'un une lampe de chevet à pétrole et l'autre un réveil et renfermaient en leur flanc des choses très utiles la nuit d'où leurs noms : les vases de nuit. Car pour se rendre au W.-C. à la turc commun à tout l'immeuble qui comprenait plusieurs étages rafistolés et renforcés par des arbres entiers appliqués contre les murs et qui servaient d'étais, il fallait traverser la cour en diagonale. L'hiver cette cour verglacée ou recouverte de neige était balayée par un blizzard (que l'Amiral Byrd n'aurait pas renié), et qui vous enlevait toute envie de recommencer. D'où l'utilité des vases de nuit… La chambre avait elle aussi une fenêtre placée très haut, grillagée de l'extérieur ce qui me fait penser que nous étions en contrebas de la cour et justifiait amplement son humidité. Tous les après-midi ma maman me mettait au lit pour faire la sieste et lorsqu'elle partait pour faire des courses en ville, me confiait à une petite voisine bossue qui vendait des poteries dans le magasin qui avait sa porte de service dans le chartil en face de la nôtre. Cette jeune femme m'adorait et eut beaucoup de peine quand nous quittâmes le quartier. Ce quartier n'était vraiment pas beau à voir, car Reims avait été pendant toute la guerre de 1914 à 1918 copieusement bombardé à tel point qu'il n'y avait, sur des milliers d'habitations existantes en 1914, que 48 maisons intactes en 1919. Il n'y avait donc autour de nous que maisons éventrées, inhabitées, sans portes ni fenêtres car, le bois étant rare, tous ces accessoires indispensables à une maison devaient servir à se chauffer. Bien entendu il était dangereux de s'aventurer dans de telles maisons en démolition, les pans de murs par grand vent s'abattaient, les poutres et les tuiles des toits s'effondraient à leur tour et formaient des espèces d'entonnoirs dans les trous des bombes qui étaient à l'origine de ces états de faits. Je me souviens d'un accident juste devant chez nous : un motocycliste sur un side-car perdit le contrôle de son véhicule et se retrouva très mal en point au fond d'une cave. Les accidents dus aux démolitions étaient fréquents… Deux ans après moi naissait ma soeur Raymonde un petit pruneau tout noir qui accaparait ma mère plus souvent que je ne le désirai. Je devins jaloux et je dus faire quelques frasques car un jour, me levant de ma sieste vespérale dans les bras de ma mère, mon père qui était un bricoleur habile me montra le martinet qu'il était en train de fabriquer avec des lacets de cuir extrait de son ceinturon militaire. Je devais par la suite en faire la triste expérience en en prenant quelques coups sur les jarrets lorsque j'avais fait des bêtises. C'est à cette époque que j'allais à l'école maternelle pour la première fois, Rue du Mont d'Arène à deux pas de chez ma grand-mère Zoé née Chedaille. J'aimais aller à l'école où ma maman m'accompagnait chaque matin et venait me reprendre à la sortie. A l'intérieur après être passé sous un portillon qui arrêtait le passage des grandes personnes, il y avait d'abord une cour de récréation avec du gazon et des fleurs, qu'il était interdit de piétiner, l'aire de jeux étant goudronnée. Les classes étaient larges et spacieuses, deux appartements comme celui de mes parents auraient pu y tenir à l'aise. La maîtresse était douce et gentille et savait nous instruire tout en s'amusant, il y avait aussi des instruments de musique, des jouets uniquement destinés à faire de la cacophonie et à détendre nos petits nerfs d'enfants. Mais tout cela était trop beau car mon père décida de déménager. Adieu mon école, ma grand-mère Zoé et ses histoires - elle connaissait les Contes de Perrault - mais papa me promit que grand-mère viendrait nous rejoindre quand nous serions installés. En vérité ce n'était pas le beau fixe entre grand-mère Zoé et papa. Mon père me racontait souvent sa jeunesse : Son père les avait quitté très jeune pour habiter Paris et l'enfant qu'il était, était resté longtemps perturbé, faisant "pipi au lit" et n'apprenant rien en classe. Grand-mère était divorcée de force, sans pension, avec 6 enfants à élever. Elle avait avec ses économies acheté un petit commerce de vins et liqueurs et arrivait bon an mal an à joindre les deux bouts… Mais elle n'avait pas le temps d'être tendre avec ses enfants et particulièrement avec Fernand mon père qui ne lui apportait que des déboires. Aussi n'avait-elle aucune patience envers lui. Un jour qu'elle réparait les sabots de sa petite famille, elle laissa choir par inadvertance sa boîte de clous. Justement le petit Fernand rentrait de l'école : - Fernand ! - Oui man ! - Viens ici ! - Qu'est qu'y a ! - J'ai laissé tomber mes clous, viens les ramasser ! - C'est pas moi qui les a fait tomber ! - Ramasses ! - Nom, je ramasserai pas ! - Et bien ramasse-ça ! Et pan ! d'un coup de sabot sur la tête, elle l'étendit sur le carreau de sa cuisine. Bien entendu elle le ranima immédiatement, mais il faut reconnaître qu'à cette époque on savait se faire obéir. Je me rappelle du déménagement de nos meubles. Papa avait emprunté un chariot de livreur de boisson à traction hippomobile. C'était un déménagement de pauvre, il ne pouvait en être autrement. Les quelques meubles et les quelques hardes eurent du mal à occuper la totalité du camion, aussi prîmes-nous place, mon père, maman, ma petite soeur et moi sur le plateau de ce charreton. Il fallait pour ainsi dire traverser tout Reims pour nous rendre au Foyer Rémois au 12 de l'Allée de l'Amour Maternelle (que cette rue était donc bien nommée !). Jusque là, mes sorties dans Reims, outre nos visites à grand-mère Zoé avaient été la messe le Dimanche en compagnie de ma mère à l'église St Thomas Avenue de Laon. Maintenant je découvrais les plaies de la grande ville. Que des maisons éventrées, sans toit ni fenêtres; les rues étaient en terre battue, avec des tas de pavés qui serviraient plus tard à refaire les chaussées; point de tramways, pas de transport en commun, 90 % de la population va à pieds. La Place Royale si jolie plus tard quand je la verrai presque reconstruite en 1938, et entourée de 4 murs immenses percés de fenêtre et de portes qui donnent sur le vide. Seul le Roi "Louis XV" en bronze, dit "Le bien-aimé" surplombe intact ce désastre. Dans la cathédrale, noire d'avoir vu le feu et entourée d'échafaudage, il n'est pas question d'y pénétrer, seule une petite nef latérale à gauche de l'entrée, sert d'église. Le Palais de Justice à côté et méconnaissable, il est couvert de palissade, d'échafaudage et de bâches qui sont sensées le protéger de la pluie. Au bout d'une avenue longue et droite : Avenue de la Suippe, nous arrivons au Foyer Rémois : c'est une cité-jardin toute neuve construite en principe pour les ouvriers par Mr Charbonneau un patron des Verreries Charbonneau de Cormontreuil, qui pas idiot, s'est mis à faire des cités-jardins un peu partout à la périphérie de Reims. Nous allons avoir un logement à un étage comprenant, au rez-de-chaussée, une cuisine salle de séjour, une buanderie avec un lavoir et une petite cave (de quoi loger un tonneau de 75 l.) Au premier, où on accède par un escalier, deux chambres, celle des parents à droite et celle des enfants à gauche. Le chauffage se fait dans chaque pièce avec des feux continus baptisés "mirusses". Derrière la maison un petit jardin d'une trentaine de mètres de long sur 5 à 6 m. de large et, au fond du jardin, un cabanon avec volière pour élever poules et lapins.permettront, par la suite, d'améliorer l'ordinaire familial. Nous sommes en 1924. J'ai 5 ans. Je suis toujours en école maternelle mais l'école est encore en construction, aussi les autorités ont-elles fait des bâtiments provisoires en bois (les baraques "Adrian") florissant un peu partout dans Reims. A côté de cette école une église, en bois également, nous permettra d'attendre la définitive. Je me souviens d'avoir assisté au baptême d'un enfant né pendant la guerre, André Petit 15 ans, moi, tout petit, récitant mes prières et lui, très grand, ne disant mot. Le pauvre finira mal en 1945 : il décédera fou et brûlé par l'alcool au dernier degré. C'était un bon copain. Hélas ! quel malheur que l'alcoolisme. A l'école des champs, car tout autour nous n'avons qu'un rang de barbelés qui nous sépare des champs de blé envahis par les coquelicots et les bleuets, j'ai comme maîtresse Mme De Lespinois, catholique bon teint, elle diffère de ses consoeurs car elle paraît s'intéresser d'avantage à ses élèves. Les jours de pluie nous pataugeons dans la boue aux heures de récréations et je suis souvent grondée lorsque je rentre à la maison, pourtant on me dit soigneux, gentil et obéissant; j'écoute du mieux que je peux mais il faut avouer qu'à l'école maternelle où j'apprends à lire et à compter, addition et soustraction, les possibilités sont vite atteintes. Ma soeur Raymonde née un an et demi après moi est encore un petit bébé et mes rapports avec elle ne vont guère au-delà des caresses et des baisers. Je joue avec elle en remuant sa voiture, son berceau ou ses hochets pour l'endormir. Autant que je me le rappelle, son berceau est très joli, c'est un cadeau de Mr Charles, un des patrons de papa, il est en bois de chêne fait de barreaux tournés reliant deux ovales en même bois qui forment le fond et le bord du berceau, un col de cygne se terminant par une tête de cigogne tenant dans son bec un anneau qui soutient des rideaux de tulle qui permettent, une fois tirés, de protéger le bébé des mouches, et partant, de lui faciliter le sommeil. A cette époque je fais connaissance de ma tante Raymonde, une demoiselle qui travaille chez un médecin. Elle m'apporte, lors de sa visite, une très jolie auto décapotable avec direction mobile qu'on commande du volant et des phares qui s'éclairent à l'aide d'une pile plate. J'ai sympathisé beaucoup avec cette tante que je ne reverrai jamais plus. Plus tard j'appris par mon père qu'elle était morte après un séjour prolongé dans un hôpital. Je ne saurai jamais de quoi elle est décédée. Quand on est gosse, la mort est toujours quelque chose de mystérieux et de terrible qu'on évite d'approfondir. C'est vers cette époque qu'à l'occasion d'une soirée joyeuse en famille, tournant en dansant autour de la table de la salle de séjour, je me prends un pied dans une chaise, mais comme je tenais dans ma bouche un petit drapeau anglais avec une hampe en bois grosse comme un crayon, je tombe malencontreusement dessus et m'enfonce la hampe dans le palais, me faisant un joli trou d'où s'échappent des flots de sang. C'est mon premier sang versé, si je puis dire, de plus, ça me fait mal, je ne puis rien manger pendant plusieurs jours. Aussi je reste à la maison jusqu'à complète cicatrisation. Je serai plus prudent par la suite car j'ai ainsi appris que des jouets peuvent blesser. Mais notre école maternelle est construite en 1925, Boulevard Pommery, en belles pierres de taille et béton et j'y fait un court séjour avant l'âge fatidique des 6 ans. Les classes sont spacieuses et bien éclairées. Le chauffage est un central au charbon qui chauffe toute l'école - il y fait très bon l'hiver - ça nous change des hauts poêles à charbon de l'école précédente. A peu près à la même époque, nous changeons d'église située non loin du Moulin de la Housse (un vieux moulin à vent qui avait été transformé pendant la guerre de 14-18 en blockhaus-observatoire qui permettait de voir jusqu'au fort de la Pompelle et de Berru pour surveiller les lignes allemandes). Notre église en bois avait été désaffectée et transformée en patronage, où nous passions les après-midi du Jeudi et du Dimanche à jouer et où nous assistions vers les 17 heures à une heure de projection de Pathé-Baby, moyennant un prix d'entrée de 50 centimes. C'est là que j'assistais pour la première fois à la projection de films de Charly Chaplin, sous-titrés et muets comme il se doit, mais les réactions des enfants étaient telles que les réflexions, questions et réponses fusant de toutes parts rendaient ces séances on ne peut plus vivantes. Donc notre nouvelle église St Nicaise (un saint martyr rémois qui fut décapité par les vandales sur le seuil de sa cathédrale pour avoir voulu protéger ses fidèles et le Saint-Sacrement). L'emplacement de son martyre est maintenant indiqué en face du choeur de la Cathédrale de Reims actuelle. L'église St Nicaise fut consacrée par le Cardinal Luçon en 1924, celui qui avait prié dans sa cathédrale en flammes quand les Allemands la bombardèrent au canon tirant depuis Cernay, à plusieurs reprises, alors qu'elle servait d'hôpital pour les soldats français et allemands. Autant que je me souvienne, le Cardinal Luçon était un petit vieillard au dos voûté, très gentil, souriant et onctueux qui nous bénissait et nous faisait baiser son anneau pastoral. Cette inauguration eut lieu en grande pompe, la cloche fut bénite. Mon père qui avait une fort jolie voix chantait dans la tribune près des orgues, dans le choeur des hommes. A quelque temps de là, en 1926, je fis aussi ma communion privée entre mon père et ma mère qui m'accompagnaient à la sainte table, je me souviens que j'étais aux anges. L'église en forme de croix très régulière, avec ses deux chapelles latérales aussi profonde que le choeur que dominait, peint par un artiste moderne, un immense portrait du Sacré Coeur sur un fond bleu constellé d'étoiles, était située au centre de la cité-jardin du foyer rémois.. A droite, la chapelle de la Sainte Famille où St Joseph, la Ste Vierge et l'Enfant Jésus étaient représentés travaillant chez eux à Nazareth. Jésus aidait son père charpentier en travaillant sur un établi et Marie filait la laine sur sa quenouille. A gauche, la chapelle de la Sainte Vierge où un panneau mural représentait l'Ange Gabriel révélant à Marie en prière : qu'elle serait la Mère de Dieu (L'Annonciation). Du même côté sur la droite de cette chapelle, près du confessionnal de l'Abbé Croutelle, curé de la paroisse, une crèche en pierre grandeur nature représentait la Vierge et Joseph en adoration près de l'Enfant Dieu. Cette crèche était chaque année arrangée et décorée aux approches de la fête de Noël. A gauche de la chapelle de la Ste Famille se trouvaient les fonts baptismaux, dont l'entrée était protégée par une jolie grille en fer forgée. Tout autour de l'église des tableaux peints d'un mètre carré chacun représentaient, en peinture stylisée moderne, les différentes stations du Chemin de Croix du Christ. J'aimais bien mon église, l'hiver il y faisait chaud et l'été frais. On y chantait de belles mélodies en français ou en grégorien. Je me souviens que mes parents avaient leur chaises réservées sur le bas-côté droit de l'église juste en face de la statue grandeur nature de Jeanne d'Arc. C'était la bonne période pour ma soeur et moi, nos parents s'entendaient bien et ne manquaient pas la messe du Dimanche. Ils ne manquaient pas non plus les retraites qui chaque année, pendant le Carême, étaient prêchées par les Pères Rédemptionistes Gros et Crouzet (je me rappelle encore leurs noms). C'était l'occasion de beaucoup de décorum; croix monumentale illuminée de centaines de bougies qui s'allumaient automatiquement grâce à un fil de coton qui les reliait les unes aux autres. Bénédiction des jouets d'enfants : ma petite conduite décapotable et ma machine à vapeur d'enfant avait été présentées à cette occasion, j'en étais très fier.

 

 

Chapitre II
SOMMAIRE

ENFANCE - FAMILLE
ÉDUCATION LAÏQUE
1925 - 1931 -
  A la rentrée d'Octobre 1925 j'entrais à la grande école laïque du Boulevard Pommery, dont le Directeur était Monsieur Henry, que je connaissais bien car j'allais souvent jouer chez lui avec son fils Pierre plus âgé que moi d'au moins 5 ans. Je connaissais mieux sa femme et sa fille, elle-même encore demoiselle ayant passé l'âge de la majorité. Pierre Henry avait dû naître par accident car ses parents, déjà âgés, n'étaient pas loin de la retraite. Monsieur Henry portait des demi-pince-nez de presbyte, avait des cheveux tout blancs avec un toupet à la Thiers et une moustache et une mouche sur le menton à la Napoléon III. C'était un excellent homme qui devenait sévère le cas échéant, et il le fallait bien car il était aussi le censeur de son école de garçon qui contenait 1200 élèves. C'était une école soeur de mon école maternelle, dans le même style, avec les mêmes matériaux de construction mais qui s'élevait sur 4 étages et une centaine de mètres de long, ses locaux furent vite trop étroits, compte tenu du nombre d'élèves qui venaient tous du Foyer Rémois et des quartiers environnant, et il fallut vite construire plusieurs classes dans des baraques Adrian en bois, au milieu de la cour de récréation. J'entrais en 6e dans la classe d'un jeune maître beau brun qui n'avait pas encore fait son service militaire et qui ne me laisse pas beaucoup de souvenir à cela près qu'à la fin de l'année il nous quitta. Mais il vint nous rendre visite en Sous-Lieutenant l'année suivante, il faisait son service militaire qui durait alors plusieurs années. J'eus ensuite comme maître un certain Mr Lacroix, grosse brute bourrue d'une quarantaine d'années bien sonnée, athée. C'est de lui que j'apprenais que le Père Noël n'était pas le petit Jésus, comme me le disaient mes parents, mais que c'était bel et bien ces derniers qui déposaient leurs cadeaux dans les souliers. Bien entendu je ne manquai pas l'occasion de leur rapporter les dires du maître, auprès duquel en pleine classe j'avais tenu tête en protestant : disant que ce n'était pas vrai et déclenchant un chahut et une rigolade générale dans la classe. Je n'avais pas été puni, car le maître était compréhensif mais j'y avais échappé de justesse. Bien entendu mon père m'avait accompagné à l'école et avait demandé à voir Monsieur Henry, hors de ma présence . Le maître avait été convoqué chez le Directeur. Mais moi je n'en avais plus entendu parlé. A part moi, je m'étais bien juré de ne plus rien rapporter de ce qui se passait en classe, craignant maintenant les représailles du maître. Mais tout se passa bien. L'année suivante je me retrouvais avec Mme de Lespinois qui était passée de l'école maternelle à la grande école. Sous sa férule maternelle, je crois que je progressais mieux. J'avais des devoirs le soir, je les faisais à la maison, mon père contrôlait souvent ce que je faisais. J'étais très intéressé par l'histoire et la géographie, l'arithmétique me convenait bien mais l'orthographe n'était pas mon fort. Par contre, au point de vue conduite, je ramenais chaque Samedi la médaille d'honneur. J'étais sage comme une image. C'est vers cette époque que j'ai vu démolir deux pâtés de maisons anciennes qui séparaient l'entrée du Foyer Rémois face à notre école. Le bruit des poids balancés par les grues pour abattre les murs fut souvent l'occasion de distractions pour la classe, nous avions du mal à suivre les exposés ou les dictées, mais cela ne dura pas et nous vîmes sortir de terre de beaux bâtiments qui firent plus tard de jolis logements et magasins. Vers l'âge de 5 ans ma soeur fréquenta l'école maternelle, j'avais 7 ans et c'est moi qui la conduisait et la reprenait après la classe, la tenant gentiment par la main jusqu'à la maison, 12 Allée de l'Amour Maternel, faisant très attention à la traversée des rues et marchant sur les trottoirs. Il est vrai qu'il y avait très peu d'autos dans le quartier et qu'on y voyait plus souvent des voitures à cheval, fiacres ou charrettes transportant denrées ou matériaux. Un tramway électrique sur rail arrivait cependant à son terminus, juste au bout de l'Avenue de la Suippe, pas très loin de l'école Pommery que nous fréquentions. Vers l'âge de huit ans, ma soeur en ayant six passés, nous commençâmes à bien jouer ensemble les jours de vacances au papa et à la maman, toute idée de rapport sexuel étant exclue bien sûr, nous nous contentions de singer tous les actes de la vie que faisaient notre papa et notre maman en toute innocence. Je construisais des maisons ou à défaut lui dessinais sur le sol le plan d'une maison dans laquelle elle installait sa cuisine, salle à manger, chambre à coucher pour poupée. Puis nous jouions à la dînette, demandant à notre maman gâteau, pommes, carottes et eau. Nous jouions au médecin, elle était infirmière, il s'agissait de soigner des poupées et une ou deux fois une petite camarade plus jeune à qui nous imposions des cataplasmes de terre et d'eau dans des feuilles de papier journal pour soi-disant soigner sa bronchite. Et bien entendu il y avait des tisanes et des sirops à boire. Personnellement je n'étais nullement intéressé par le sexe de la petite fille, sachant en voyant presque tous les jours ma mère faire la toilette de ma soeur dans une lessiveuse, comment était fait une petite fille, la réciproque étant vraie aussi pour ce qui concernait ma soeur vis-à-vis de moi. Elle savait comment j'étais fait. C'était ainsi, nous ne cherchions nullement à comprendre la différence. Nous jouions aussi à la messe, j'avais découpé dans du papier d'emballage des vêtements sacerdotaux; es instruments de la messe : calice, ciboire, poterie, tabernacle, étaient taillés dans du carton plus fort. D'autres fois nous jouions à la Guerre de Cent Ans . J'avais taillé dans du papier d'emballage des armures et des heaumes, le tout agrafé par des épingles à couture que j'avais empruntées à ma maman, les armes étaient faites de troncs de tournesol que papa avait l'habitude de planter au fond du jardin près du poulailler. Bien entendu je faisais deux camps, ma soeur était Jeanne d'Arc, côté français et moi j'étais le Prince-Noir, côté anglais; nous nous partagions pour cela les petits voisins et voisines et nous nous bataillions avec force lances et épées en tournesol, les couvercles de lessiveuse et de seaux hygiéniques faisant office de boucliers. Bien entendu cela finissait toujours par Jeanne sur le bûcher, représenté en l'occurrence par un gros poteau de fer qui supportait des lignes électriques du quartier. Le parti anglais y attachait ma pauvre soeur après un simulacre de jugement de l'i.évêque Cauchon; représenté par un petit garçon. Des brindilles étaient entassées aux pieds de ma soeur et on faisait semblant d'y mettre le feu. Cela durait une bonne matinée, jusqu'à ce que notre maman nous appelle pour nous mettre à table ou que le retour du travail de papa nous fasse rentrer plus rapidement encore car il n'aimait pas qu'on massacre ses tournesols, on n'avait droit de prendre que les troncs morts et ce n'était pas toujours le cas. Bien entendu, entre 6 et 8 ans, j'eus droit à toute la série de maladies possibles : Coqueluche, rougeole, scarlatine, bronchite, grippe et j'en passe. J'étais en tant que malade transféré dans la chambre de mes parents, là où il y avait un poêle mirusse pour réchauffer l'atmosphère l'hiver. Et je trouvais le temps bien long, malgré les livres d'images et les lectures pour enfants qu'on m'apportait. Une soeur du St Sauveur, Soeur Marie Jean venait nous faire des piqûres quand cela était nécessaire. Et quand j'avais bien supporté la chose on me donnait une sucette que je dégustais jusqu'au bâtonnet de jonc. Car en l'absence de maman, j'embrasais le bâtonnet et je fumais en tirant sur le bout non incandescent. Cela faisait une fumée très âcre qui me faisait tousser. D'où inquiétude supplémentaire pour la maman. Je me souviens aussi que je fus opéré pour la seconde fois des amygdales la première opération ayant eu lieu à l'âge de trois ans, beaucoup trop tôt. Je me rappelle, on m'avait enroulé dans un drap, ne pouvant absolument pas bouger, on m'avait mis un écarteur dans la bouche et un masque de chloroforme sur le nez mais j'avais eu le temps de me désarticuler la mâchoire. C'était, en plus, fort désagréable car il fallait vomir par la suite le chloroforme ingurgité. Aussi m'étais-je promis de ne pas faire le malin et de me laisser faire puisqu'il fallait recouper ces amygdales qui avaient repoussé objet de la deuxième intervention chirurgicale.. C'est à la clinique de la Rue des Moissons que cela se passa. Je fus très courageux mais je fus très malade ensuite, car ayant respiré trop de chloroforme, les vomissements post-opératoires ne cessaient plus. J'étais malade comme une bête et ma gorge me faisait bien mal… Depuis cette date je ne pouvais supporter l'odeur du chloroforme ni de l'éther qui me faisaient défaillir. C'est vers l'âge de neuf ans que je fis ma première et dernière école buissonnière. Cela se passait un Dimanche, nous étions donc allés au patronage avec Pierre Henry, le fils du Directeur de l'école primaire. Mais je ne sais quelle mouche le piqua ce jour-là, il me vanta l'existence d'un petit train avec lequel on pouvait jouer près du pont de Vrilly sur le canal de l'Aisne à la Marne. Cela se trouvait derrière le champ de manoeuvre des Essarts, où j'étais venu presque chaque année avec mes parents voir les évolutions des as de l'aviation de l'époque : Doret, Détroyat, Védrine, etc., et presque tous les Jeudi avec maman qui y venait faire de l'herbe pour les lapins. Cela se trouvait à 4 bons kilomètres du "patro" c'était déjà une belle promenade pour y aller et il fallait traverser la Route Nationale de Châlons. A pieds d'oeuvre, nous trouvâmes des plates-formes sur voie de 60 c'était en fait une voie qui avait servi pendant la guerre de 14-18 pour ravitailler le Fort de La Pompelle en vivres et en munitions. Il restait donc sur place deux ou trois wagons capables de rouler. Le jeu consistait pour nous à pousser une plate-forme roulante jusqu'à une autre plate-forme immobilisée en haut d'une pente de faible déclivité, de monter rapidement sur la plate-forme de départ et de sauter sur celle qu'on avait poussé tandis que ce wagon commençait déjà à redescendre entraîné par son propre poids, il fallait sauter de 1 m. à 1,50 m. au-dessus du vide. Et ce qui devait arriver arriva. A force de fouler l'herbe, la semelle de mes petits souliers sans clous était devenu luisante comme de la cire. A la 4ème entreprise mon pied d'appel glissa et je tombai la tête la première vers le sol, distant d'un mètre cinquante; j'aurai sans doute dû me briser le crâne, mais ma jambe gauche fut prise comme dans un étau entre deux morceaux de fer qui faisaient office de crochets se contrariant l'un l'autre et je restais suspendu par le genou gauche à la plate-forme immobile de départ, la tête en bas, mes mains touchant le sol. Je fis une traction et me décrochais tout seul, tandis que mes compagnons accouraient pour me remettre sur pied. Pierre Henry qui se sentait responsable de ma présence en ces lieux m'inspecta : - Tu n'as pas de mal ? - Si un peu, au genou… Il me regarde mieux. - Mais tu as un trou dans le genou. En effet sans que cela me fasse très mal ni saigne particulièrement, j'avais un trou de forme ovale, sur le côté gauche du genou, de 5 cm de long sur 2 cm de large et 2 cm de profondeur, on apercevait bien l'os blanc au fond du trou. Alors je perdis connaissance, et la jambe ne put plus me porter, je m'affalais sur le sol. J'avais surtout peur de la correction que mon père, qui n'était pas facile, n'allait pas manquer de m'infliger, correction tout à fait méritée d'ailleurs ! Lorsque je me réveillais, j'étais dans les bras d'une belle dame et dans une limousine conduite par un monsieur très bien habillé. Pierre Henry était à mes côtés et guidait ces braves gens vers mon domicile… Ce couple, depuis un moment, était arrêté près du Pont de Vrilly avec leur voiture et nous observait s'attendant d'un moment à l'autre à ce qu'arrive un accident. Ce qui n'avait pas manqué d'arriver. Quand la voiture accosta devant chez moi, quelqu'un alla chercher mon père qui jardinait de l'autre côté de la maison. Un attroupement s'était formé autour de la voiture, tous les gosses du quartier étaient là, intéressés à la fois par la belle voiture et intrigués par ma présence. Tout se passa bien pour moi, pas d'algarade du père et au contraire mes sauveteurs lui proposèrent de nous mener lui et moi chez le Docteur Bouvier un chirurgien pour me faire panser et soigner. Je ne coupais pas de ma piqûre antitétanique et de quarante jours de lit. Ma punition fut de voir pendant un mois la Soeur Marie Jean venir me brûler la plaie à vif avec du nitrate d'argent pour éviter que la chair ne fasse des bourgeons et ne pousse irrégulièrement. A cette époque on ne pratiquait pas encore les greffes, autrement je crois que j'y aurai eu droit. Je me rappelle qu'il faisait un temps magnifique et que je languissais de ne pouvoir jouer dehors avec mes petits camarades. J'étais bien puni. Par la suite, je ne recommençais plus pareille escapade et n'ai jamais manqué une heure de classe. C'était la mauvaise période, les 2 années qui précèdent mes dix ans. Car il m'arriva d'autres aventures qui me laissèrent toutes des traces. Il faut dire que j'avais un tempérament plutôt sanguin, mangeant bien, j'étais rondouillard et pas très habile de mes gestes. Un jour que mon père désherbait son jardin en arrachant des mottes d'herbes, je m'amusais à empiler ces mottes et à en faire des sortes de petites tours de base carrée plus haute que large et d'une quarantaine de centimètres de hauteur. Je jouais à monter sur ces tas et à me balancer, m'amusant à retrouver mon équilibre, car le balancement du tas allait à l'opposé de mon oscillation. Et ce qui devait arriver, arriva, je me retrouvais le menton par terre, heureusement ma langue bien placée était sauve mais pour mes dents il n'en était pas de même, toutes mes incisives étaient découronnées et étaient devenues coupantes comme des rasoirs, une d'entre elles était franchement écornée et j'ai dû ainsi les conserver tout le long de ma vie, évitant de montrer mes sales dents quand je souriais… Une autre aventure m'arriva à la même époque. Un soir que ma maman m'avait envoyé faire des courses chez l'épicier près de l'école, je fus accosté par un vieux bonhomme tout noir, que je connaissais comme étant forgeron Boulevard Pommery . - Bonsoir mon petit ! - Bonsoir monsieur ! - Peux-tu m'indiquer où habite Mr Petit ? (cela tombait bien c'était un ami de mes parents). - Oui bien sûr ! et je lui donnais l'adresse exacte : 67, Allée de l'Argonne ! - Puisque tu connais, conduis-moi, j'ai peur de ne pas trouver seul ! (et il me prit la main de force). Alors là je pris peur criant que je n'avais pas le temps de lui montrer le chemin, que j'avais des courses à faire ! Heureusement une voisine qui me connaissait obligea le bonhomme à me lâcher. Je filais sans demander mon reste, je faisais ma course et contractais une sainte frayeur à me promener seul dehors la nuit… C'est à quelque temps de là que ma maman nous fit une excellente soupe à l'oignon. D'ordinaire, elle passait sa soupe réservant les oignons à elle-même et à papa. Ce soir-là, les oignons étaient restés dans la soupe, rien à faire pour me la faire manger. Malgré les reproches et les menaces je restais devant ma soupe froide tandis que la famille finissait normalement son repas. Au dessert mon père excédé m'empoigna et me jeta dehors de force car je me débattais comme un pauvre diable, tellement je craignais les ténèbres. Mieux que cela je tentai de repousser la porte, ma main gauche glissa et le petit doigt se retrouva pris dans la charnière de la porte côté gonds, tandis que mon père la refermait à clé à double tour. Inutile de vous dire que je poussais de tels hurlements provoqués par la douleur que mon père regarda depuis l'intérieur de la maison vers la porte et ce qu'il vit l'incita à l'ouvrir bien vite : de la charnière jaillissait un petit flot de sang. La porte ouverte mon petit doigt avait sa phalangette mince comme une feuille de carton et ça saignait énormément. Là mon père se mit à pleurer car il n'avait pas voulu cela le pauvre homme ! Pansement hâtif, et, assis sur le cadre de sa bicyclette, nous revoilà chez le bon Docteur Bouvier l'ongle enlevé, le pansement fait, la piqûre antitétanique de rappel exécutée, nous revînmes à la maison. Je vous jure que depuis ce temps là, j'adore la soupe à l'oignon. Un autre jour ma mère me demanda d'aller chercher une douzaine d'oeufs, chez le menuisier qui élevait aussi des poules pondeuses. J'y allais sans coup férir, la porte de son magasin actionna une sonnerie et j'attendis sa femme qui avait l'habitude d'accueillir la clientèle éventuelle, hélas, à la place de la maîtresse de maison, ce fut le chien, plus haut que moi quand il était sur ses pattes de derrière qui précipitamment me fit une belle morsure au bras droit. Hurlements de peur et de douleurs, je ne suis pas tombé car le chien se serait peut-être acharné sur moi. La patronne arriva enfin, attacha son chien et me ramena à la maison après m'avoir soigné et donné quelques bonbons. La chair de mon bras n'était pas arrachée, mais les quatre crocs m'avaient si profondément pénétrés dans le bras que j'en gardais longtemps les cicatrices. C'était vraiment une période néfaste que celle qui précéda l'avènement de mes neuf ans. Ce fut aussi le moment où ma mère tomba malade et se mit à cracher le sang. On parla de nous mettre en préventorium, ma soeur Raymonde et moi. Mais la santé de notre mère se rétablit rapidement et quelques mois plus tard, nous fûmes réveillés dans la nuit pour finir la nuit chez une voisine Mme Daugristel, très brave femme que fréquentait notre maman. C'était une veuve qui avait deux filles et un garçon qui allait à l'école des Frères. Ce fut cette dame qui nous fit lever, fit faire notre toilette et nous prépara le déjeuner. A nos questions, elle nous disait que notre mère était très malade. En arrivant à l'école j'apprenais par mon maître d'école que j'avais une petite soeur, c'était déjà annoncé par le journal local "le Nord-Est ". J'étais très étonné car ni la famille, ni les amis ne m'avaient prévenu. En fait maman avait eu bien du mal pour avoir cette petite fille : 300 grammes, c'était la deuxième de jumelles dont la première était mort-née, cette petite Annie dont je fus le parrain plus tard, tenait dans une boîte à chaussures remplie de coton hydrophile, les doigts de ses petites mains étaient comme des allumettes suédoises tellement ils étaient fins. C'était le 29 Février 1928. Il y a 60 ans de cela et maintenant, en 1988, c'est une mère de famille qui aide à la ferme son mari aux travaux des champs et des vignes; elle a eu deux enfants, une fille, Évelyne, et un garçon Dominique. Évelyne est mariée et je suis une fois de plus son parrain. Lui est célibataire et travaille dans une banque à Reims après avoir fait son service au 4e Cuirassier à Reims. C'est vers cette époque que je fis connaissance avec la sexualité. Nous jouions dans mon jardin avec mon voisin André Mourot un garçon de mon âge et apprenions à grimper à un poirier. Bien collé au tronc de l'arbre je m'efforçais à progresser vers le haut, c'est alors que le frottement de mon bas-ventre avec l'arbre provoqua une réaction que je trouvais à la fois curieuse et agréable. J'eus pendant quelques jours de fortes envies de grimper aux arbres mais la réaction ne se faisait pas à tout coup et à la fin c'était fatigant et puis je n'y pensais plus. L'année suivante, en 1929, alors que ma mère avait très fortement pris de l'ampleur à la hauteur du ventre, nous allâmes ma soeur et moi pendant les grandes vacances en colonie de vacances, offerte pour un mois par la maison Vve Cliquot Ponsardin où travaillait mon père. Cela se passait à Verzenay un village viticole tout au bout et à l'est de la montagne de Reims. Nous étions hébergés dans la succursale vinicole de la maison, dans des dortoirs mis à la disposition des vendangeurs pendant la période des vendanges qui ne commençait en champagne qu'au mois d'Octobre. Un grand réfectoire, les filles d'un côté, les garçons de l'autre, permettait de prendre tous ses repas sur de grandes tables montées sur tréteaux. Deux anciennes infirmières, Melles Gout et Desmarais qui avaient fait la guerre de 1914 dirigeaient le centre, aidées de quelques demoiselles et cuisinières du pays. Le programme était simple, le matin lever à 8 heures, 8 h 1/2 petit déjeuner, 9 h. gymnastique suédoise, 10 h. temps libre, jeux divers jusqu'à midi. Repas puis sieste jusqu'à 15 heures. Rassemblement et promenade jusqu'à 18 heures avec une pose pour le goûter que nous emportions dans de petits papiers d'osier. Le Dimanche, tous en rang, nous nous rendions à la messe à l'église paroissiale que nous soyons catholiques, protestants ou même Juifs. Au cours de nos promenades nous visitâmes le phare de Verzenay, construit dans des buts de propagande et de publicité par une marque de champagne, il n'éclairait plus depuis longtemps, mais il était encore possible de le gravir entièrement et de là d'apercevoir le Fort de La Pompelle et celui du Mont Cornillet et jusque vers Châlons les jours de beau temps. De l'autre côté du village de Verzenay, vers Villedomange et le Cran de Ludes un moulin monumental avait été construit mais sérieusement gardé, il était impossible de le visiter. Nos parents pouvaient nous rendre visite tous les Dimanche, il suffisait pour cela qu'ils amènent un pique-nique qu'ils partagent avec leurs enfants à l'endroit de leur choix. Pour venir, alors qu'on nous avait transportés en camion équipé de bancs pour nous asseoir, les parents devaient prendre, juste devant la gare de Reims, un train en voie de 60 qui s'appelait le C.B.R. (Ceinture Banlieue Rémoise) et qui les amenait à Verzenay vers 9 h. Pour revenir, le même train en sens inverse passait vers 17 heures et les amenait à Reims vers 19 heures. Il n'était pas rapide mais il était très pris le Dimanche par les promeneurs aimant la montagne de Reims. Lors de la première visite, mon père seul vint nous voir alors qu'il y avait à peine une semaine que nous étions là. Après les effusions habituelles, mon père nous amena en promenade à proximité du village. Il faut vous dire que depuis huit jours je n'avais pu aller au W.-C. car ceux-ci, très malpropres, me répugnaient et lors des sorties je n'avais pu m'isoler suffisamment. Je retenais donc mes envies, jusqu'au moment où je ne puis plus tenir, je pressais donc mon père de sortir du village pour y faire ce que vous pensez. Mais cela n'alla pas assez vite et c'est dans mon pantalon que je me soulageais malgré moi. Bien entendu je l'avouai à mon père, qui me fit enlever le pantalon dans la nature, le pantalon retourné une espèce de bâton brun de 40 cm de long en tomba, tellement dur qu'on aurait pu se battre avec. Pas de mauvaise odeur et pas de saleté dans le pantalon, ça tenait du miracle et pourtant cela s'explique fort bien. J'expliquais à mon père qui se rendit aux W.-C. incriminés et sur réclamation de sa part, les W.-C. furent tenus propre à l'avenir, j'avais toujours gagné ça dans mon aventure. Quand nous revînmes à la maison, ma soeur et moi nous eûmes une double surprise : d'abord nous avions changé de domicile. Nous avions quitté le 12 Allée de l'Amour Maternel et habitions maintenant au 1 Allée de la Belle Humeur. La seconde surprise était que la famille s'était agrandie d'une troisième petite fille blonde "Simone" celle-là était normale et c'était un bien joli bébé. Mais j'aurai bien aimé avoir un petit frère, je commençais à avoir trop de filles auprès de moi. Puis vint l'année de ma communion solennelle. Après plusieurs années de catéchisme, le moment était venu d'avoir droit à un joli costume marin et un joli brassard blanc. Je me souviens qu'à cette occasion, le curé et le vicaire ainsi que le prêtre prêchant la retraite avaient été invités par mes parents à assister à notre repas, des amis et des parents étaient là aussi, en particulier ma marraine Tante Constance, soeur de maman. Cette année-là j'étais recruté par Mlle Mendron la fille du Notaire Me Mendron Boulevard Descaubaux, pour faire partie de la meute de Louveteaux, la 7ème Reims. Je pense même que cela a dû avoir lieu l'année qui précéda ma communion solennelle. Ma vie changea du tout au tout, mes Jeudi et Dimanche après-midi se passaient à la meute dont le local se trouvait au centre commercial n° 1 du Foyer Rémois, dans une ancienne mercerie. Je fus vite choisi par ma cheftaine comme sizenier (responsable de 6 louveteaux), ma sizaine était celle des fauves et je m'empressai de décorer mon coin par une frise de loups de la même couleur. Puis vinrent des dessins faits au pochoir que Mlle Denise Mendron nous apprenait à faire. Plusieurs fois dans l'année à l'occasion des ponts, nous faisions des grands camps : coucher dans la paille sous la tente ou dans des cabanes de fortune ne me faisait plus peur. Et puis il y avait la cuisine à préparer, je m'y dévouais à coeur joie et ne me débrouillais pas trop mal. Bientôt ayant fait ma promesse et conquis mes 2 étoiles, je me lançais à la poursuite des badges (petit brevet de spécialité), je décrochais successivement ceux de cuisinier, secouriste, bricoleur, botaniste. J'assistais à plusieurs jamborees régionaux. Disons que le scoutisme me prenait tellement que je ne pensais plus à travailler en classe. De plus, je trouvais moyen, en manquant un saut périlleux dans une course avec obstacles, de me casser la clavicule droite. Là, encore immobilisation, pas de classe. Mais j'étais très dorloté par les cheftaines, Mlle Mendron Denise fille d'un Notaire renommé, Mlle Bureau fille du Directeur du journal rémois le Nord-Est et Mlle Harmel Petite fille de Léon Harmel grand patron des filatures de Reims qui venaient me rendre visite et m'apporter des livres. Je dévorais littéralement toute la collection de la Marquise de Sévigné j'aimais beaucoup lire et j'en avais le temps. De plus, pouvant marcher, j'allais rendre visite à ma grand-mère paternelle qui était venue se reloger à proximité de chez nous. Maman souvent lui envoyait des victuailles, fruits et gâteaux qu'elle confectionnait très bien, ma mère étant très bonne cuisinière. Ma grand-mère devenait de plus en plus imposante, du fait de sa taille 1,80 m. (cent kilos au moins). Elle avait une chevelure extraordinaire. Ses cheveux, poivre et sel descendaient jusqu'au sol derrière elle quand elle les laissait tomber pour les coiffer. Le plus souvent elle les tressait en nattes qu'elle portait en chignon sur sa tête. J'aimais la voir car elle me racontait sa vie et bien souvent les Contes de Perrault qu'elle connaissait par coeur ou encore les fables de La Fontaine. Plus tard elle déménagera encore une fois, Rue Chevigné, plus loin de chez nous, et j'irai moins la voir. Mais souvent ma mère, rentrant du marché de St Maurice, passait la voir pour lui apporter quelques gâteries. Ma mère était une sainte car je ne lui connaissais pas de défaut. Elle était bonne pour nous et pour les autres. Charitable plus qu'on ne l'est habituellement. Je me rappelle que j'eus pendant au moins un mois un petit garçon plus pauvre que nous qui appartenait à une famille nombreuse, à coucher dans mon lit, côte à côte avec moi, il utilisait mes pyjamas. Maman l'avait précédemment baigné et épouillé après lui avoir coupé les cheveux. Il avait bien cinq ans de moins que moi et me tirait les cheveux le matin au réveil, je ne trouvais pas la chose très plaisante et m'en plaignais à maman qui me disait : - Il faut bien que tu gagnes ton ciel ! Un jour ce petit Marcel disparut récupéré par ses parents et je ne le revis plus jamais. Je ne saurai jamais ce qu'il est devenu, ne connaissant même pas son nom de famille. J'avais dix ans quand ma grand-mère Zoé fut admise à l'hôpital civil de Reims qui se trouvait alors près de l'église St Rémi. Je revois encore son enterrement, le corbillard, les fleurs, les oncles et tantes du côté de mon père ainsi que les cousins Houdelette. L'absoute fut dite dans une chapelle latérale de l'église St Rémi, car il faut bien le dire, 10 ans après la guerre de 14-18, cette basilique n'était toujours pas reconstruite car elle avait été très endommagée par les bombardements au moins autant que la cathédrale. Par contre, formant écran, cette basilique avait bel et bien protégé tout le quartier du faubourg. Fléchambault qui se trouvait en-dessous d'elle. Était-ce un bien ? était-ce un mal ? car ce quartier était maintenant composé de vieilles maisons sans confort, sales et lépreuses, habitées de pauvres gens et fréquentées par la racaille de la société, il ne faisait pas bon s'y promener seul le soir à la nuit tombée. Les mauvais garçons à la sortie des quelques bistrots du faubourg y jouaient fréquemment du couteau ou du rasoir et il ne se passait pas une semaine sans que la gazette locale y relate quelques crimes. Ma grand-mère Zoé fut enterrée au cimetière du Sud, près d'une esplanade complantée d'arbres qui s'appelait "les Arènes ", peut-être en souvenir d'anciennes arènes romaines qui avaient dû exister là du temps des Gallo-Romains. Plus tard mon père fera transférer son corps au cimetière de l'Est, car nous y avions déjà là, mon parrain, mon oncle Paul Chedaille, qui se trouvait dans le carré des soldats morts pour la France. Par sa disparition, ma grand-mère tirait un trait entre sa génération et la mienne, j'avais appris beaucoup de choses par elle : qu'elle était cousine du Général Boulanger par exemple. Qu'un certain Monsieur Beuvelet surintendant de Louis XIV à Rethel, dans les Ardennes, avait été oncle de St Jean Baptiste de la Salle et qu'il avait aidé ce dernier à implanter une des premières écoles des Frères des Écoles Chrétiennes dans la région. Qu'elle avait été mariée deux fois, la 1ère fois avec un certain Houdelette qui lui avait donné trois enfants, dont l'oncle Joseph et les tantes Juliette et Raymonde. Puis mariée une seconde fois, après son veuvage du premier, avec un Mr Beuvelet Camille (mon grand-père que je n'ai jamais connu mais qui vivait Rue Petit à Paris). Elle eut de lui un garçon Fernand, mon père Sans doute découragé par le caractère très entier de ma grand-mère Zoé, le grand-père Beuvelet Camille n'avait pas attendu de mourir pour quitter ma grand-mère. Ce qui fit que ses derniers enfants, Paul et Émile mes oncles, portaient le nom de jeune fille de grand-mère Chedaille. Mais les deux oncles, Paul et Émile, devaient mourir, le deuxième aux Éparges, son nom est mentionné dans le Mémorial de Navarin et l'autre Paul à la fin de la guerre, mort à Reims des suites de ses blessures, après avoir eu le temps d'être mon parrain en 1919, mais je ne me souvenais pas de lui, je ne l'avais connu que photographié, en militaire, c'était un fort beau Brigadier de Dragons. J'aimais bien ma grand-mère, ce n'était pas le cas de mon père qui se disputait souvent à son sujet avec l'oncle Joseph Houdelette, son demi-frère. A neuf ans j'avais aussi été recruté comme enfant de choeur de la paroisse. On ne sait plus ce que c'est que d'être enfant de choeur de nos jours. Sachez seulement que nous étions une bonne vingtaine dans le choeur, chaque Dimanche pour la grand' messe de 10 heures et les Vêpres de 15 heures en l'église St Nicaise du Foyer Rémois. Il y avait deux acolytes et deux aides acolytes, deux porte-flambeaux, une thuriféraire qui manipulait l'encensoir et présentait la navette pleine d'encens, portée par le naviculaire, l'ensemble sous la haute direction du cérémoniaire qui tenait le claquoir à l'aide duquel il commandait les changements de positions, à genoux, debout, assis, etc… Il y avait dans ces enfants de choeur toutes sortes de garçons, des bons et des mauvais. C'est de l'un de ceux-ci, Marcel Thiébault, d'au moins 6 ans mon aîné que j'appris un jour que nous nous soulagions la vessie le long d'un mur du Chemin Vert : que mon "oiseau ", comme je l'appelais, pouvait donner du lait, il me proposa de me montrer comment il fallait faire mais devant ma révolte, il n'insista pas, me traitant d'imbécile. Je n'en parlais pas à la maison, le sexe étant à l'époque tabou dans les familles, mais je m'arrangeais pour ne plus avoir ce garnement à mes côtés… Nous avions aussi à la paroisse un bedeau extraordinaire, 1,90 m. dans sa grande robe noire moirée et portant sur sa poitrine une bonne vingtaine de décorations. C'était un ancien militaire qui, en plus d'avoir fait la guerre de 14-18, avait dû faire pas mal de campagnes aux colonies, c'était le père du Marcel dont il est question plus haut. Les fonctions d'enfants de choeur n'étaient pas une sinécure, surtout quand il fallait servir la messe à 6 heures du matin en hiver par la neige et le verglas, il fallait avoir un certain courage. Au bout de la semaine le vicaire vous remettait généreusement 1 franc. La tirelire ne se remplissait pas vite à l'époque. Pour la messe de 7 heures on vous remettait 50 centimes, pour les messes d'enterrement 1,50 Fr. et il fallait trouver une excuse pour manquer l'école laïque, car il fallait un mot écrit des parents et une excuse valable. C'est lors d'un enterrement que je quittais les enfants de choeur définitivement. J'avais été convoqué chez l'abbé Guwyner au sujet d'un enterrement qui devait avoir lieu dans l'après-midi. L'abbé s'était montré très gentil, m'avait fait asseoir sur ses genoux, et avait vainement tenté de glisser ses grosses pattes velues entre ma cuisse droite et la jambe de ma petite culotte courte. Comprenant qu'il en voulait à mon "oiseau" (décidément celui-ci intéressait bien des gens), je m'échappais en promettant de venir à l'enterrement. Mais j'étais littéralement scandalisé et cette fois, j'en parlais à maman qui rapporta le fait à papa pendant le repas de midi. Celui-ci entra dans une violente colère jurant que je ne remettrai plus les pieds à l'église. Je lui répétais alors que j'avais à servir un enterrement… Il m'interdit d'y aller et partit de ce pas trouver le curé de la paroisse ou l'Abbé Croutelle pour lui expliquer ce qui s'était passé entre l'Abbé Guwyner et moi. L'explication dut être orageuse. Je ne fus plus enfant de choeur et mon père n'alla plus à la messe… Il faut dire que mon père traversait sa période noire et nous en fit traverser une de même couleur, à ma mère, à mes soeurs et à moi. Souvent mon père rentrait fort tard le soir et ne soupait plus avec nous, car passé vingt heures. Maman nous faisait manger et mettait mes petites soeurs au lit. Moi je restais à faire mes devoirs scolaires, très préoccupé de ce qui allait arriver car plus papa tardait plus cela devenait grave… Il rentrait quelquefois ivre mort, étant tombé plusieurs fois de son vélo, il saignait des blessures qu'il s'était faites, vomissant partout, il fallait le déshabiller pour le coucher. C'était pénible de voir mon père dans cet état mais ce n'était pas le plus terrible. Le plus terrible c'était quand il rentrait entre deux vins et qu'il nous trouvait tous à table, faisant alors une colère de tous les diables parce qu'on ne l'avait pas attendu, que la soupe était froide, ou qu'on ne lui avait pas préparé ses "charentaises". Tous les sujets étaient bons à disputes. Ma mère évitait de lui répondre sachant fort bien que la discussion ne ferait qu'envenimer les choses. Il menaçait de se tuer après nous avoir tués tous avec son rasoir. Terreur des enfants, tout le monde pleurait, moi l'aîné, je tenais tête, profitant d'une accalmie pour que sans que mon père le voit, cacher couteaux et rasoir dans des coins qu'il aurait du mal à trouver. Il faut dire qu'après avoir eu une solide dentition (mon père tordait avec ses dents des pièces de 5 centimes de Napoléon III en bronze ou soulevait des chaises), il souffrait terriblement de maux de dents, peut-être se consolait-il dans l'alcool, croyant y trouver un calmant, sans doute. Il faut dire aussi que dans la maison où il travaillait, une maison de champagne, on donnait à chaque caviste chaque jour 2 bouteilles de vin blanc de champagne à consommer sur place. Il était alors facile de s'enivrer. Plusieurs fois mon père menaça de se jeter dans le canal. Comme il ne savait pas nager il aurait sûrement coulé comme un plomb. Alors je le suivais de loin depuis son lieu de travail, de bistrot en bistrot, l'attendant dehors sous la pluie, me cachant de lui et de tous car je n'aurai pas aimé qu'on me voit là. A la fin, ou je le ramenais prétextant toute sorte de raisons fausses pour justifier ma présence dans le quartier ou je faisais un saut jusqu'à la maison pour tranquilliser ma maman sur les faits et gestes de mon père. Bien entendu mon père avait du succès auprès des femmes. C'était un fort bel homme et ses absences n'étaient pas toujours pour des beuveries, il y avait aussi des coucheries. Un jour une voisine prise de boisson elle aussi, eut le culot de se vanter d'être sa maîtresse et de le dire à ma mère. J'aurai tué cette femme, mais il me fut donné un jour de venger ma mère. J'avais 11 ans et cette femme Mme Caron était plus petite que ma mère, en fait j'étais plus grand qu'elle et un jour que cette femme venait se mêler à nos jeux, j'en profitais pour la coincer loin de tout regard et lui donnais une volée de coups de poing sans raison. Elle criait : - Arrête. Arrête Pierre, tu me fais mal ! Je m'arrêtais enfin parce que j'étais essoufflé par mon effort. Je me contentais de lui dire : - Souviens-toi du vase de Soissons ! La pauvre femme a dû se dire que j'étais devenu fou et la chose en resta là car mon père ne fut pas mis au courant. Sur ses entrefaites je passais dans la troupe de scouts de France de la 7ème Reims. J'y restais deux ans où j'y finissais comme chef de patrouille des Coqs, la 1ère patrouille étant celle des Hirondelles, la seconde des Écureuils. La troupe avait été fondée par Maurice Droesch mais au bout d'un an, il était entré au grand séminaire pour se faire prêtre. Quand j'y entrais, c'était Henri Barbier un ingénieur qui était scoutmaster Là je fis rapidement, étant ancien 1er Sizenier des Louveteaux, ma promesse, puis je passais ma seconde classe et me préparais à passer la 1ère classe avant d'obtenir le titre de Chevalier de France. J'avais de la prétention mais le destin en décida autrement.

 

 

Chapitre III
SOMMAIRE

ÉDUCATION RELIGIEUSE
1932 - 1937
LES FRÈRES DES ÉCOLES CHRÉTIENNES
Juvenat -Noviciat - Scolasticat Professorat

Sur ses entrefaites j'avais 12 ans et me trouvais en 2ème dans la classe de Mr Hue et voyant que je ne réussirai pas mon C.E.P. à l'école Pommerie où j'étais, une demoiselle Sarrazin qui s'occupait de l'enfance malheureuse et des Pupilles de la Nation dont je faisais partie, usa d'influence et me fit accepter chez les Frères des Écoles Chrétiennes de la Rue de Contraie à Reims. Après un examen d'entrée j'étais introduit dans la classe préparatoire au C.E.P. C'était la véritable école chrétienne, prière le matin avant que la classe commence et prière à la fin de la classe. Mon professeur était le cher Frère Bonose Robert, un peu ventripotent, il enseignait à cause des lois Combe de 1904 en civil. C'était un excellent maître qui ne nous quittait pas de la journée et nous enseignait beaucoup plus que ne prévoyait le programme du C.E.P. En plus de l'arithmétique, il y avait la géométrie et l'algèbre. En plus du français il y avait des heures d'anglais et d'allemand. Les sciences comprenaient la physique, chimie, zoologie et biologie. Histoire universelle du monde ancien et nouveau, géographie universelle. En fait j'étais dans une classe préparatoire au Brevet Élémentaire d'Instituteur. Bien entendu il y avait aussi éducation civique, morale et religieuse. Je retrouvais dans cette école des camarades scouts. Briois Rondelet, Fillion, cela me permettait de ne pas être seul pour rentrer chez moi le midi et le soir car il y avait 3 bons kilomètres à faire à pied de mon domicile à l'école. L'ambiance de l'école m'enchantait, je travaillais nettement mieux et à la fin de l'année j'obtenais mon Certificat d’Études Primaires Religieux, puis le C.E.P. officiel laïque, enfin le Certificat d’Études Primaires Supérieur. L'exemple de mes maîtres, l'histoire de leur congrégation fondée par St Jean Baptiste de la Salle, un Rémois sous Louis XIV, leurs activités dans le monde, fit que je pensais tout naturellement être fait pour cette vie religieuse. Je m'en ouvrais à mon maître qui envoya à mes parents un Frère recruteur. Le Frère Athanase ancien Officier ayant fait la guerre de 14-18, très décoré, portant ses petits rubans sur la poitrine, ne manqua pas d'impressionner mes parents. Bien que mon père soit réticent, je me retrouvais grâce à une bourse que j'avais obtenue en tant que Pupille de la Nation, au petit Noviciat des Frères des Écoles Chrétiennes le 14 Septembre 1932 à Bettange-sur-Mess (Grand Duché de Luxembourg). J'y arrivais accompagné par le Frère Athanase et trois autres camarades de Reims - Gérard Moisselin venant comme moi de la Rue de Contraie, De Sylvestri et Marcel Azola qui venaient de l'école de la Rue de Courlancy. Nous formâmes un groupe à part de Champenois, face à la majorité des élèves de Bettange-sur-Mess qui étaient Lorrains ou Alsaciens. l y avait cette année-là 120 petits novices répartis en 4 classes de 30 élèves chacune. Je fus mis en seconde avec le Frère Apollo Louis, un jeune Frère des environs de REIMS, il devait avoir dans les 25 ans, il était bon professeur mais avait tendance à favoriser certains élèves. Ma première année fut relativement mauvaise, je ne quittais pas le peloton du milieu du classement, de plus, j'avais une tendance très nette à la dissipation, je faisais le clown et ce que je croyais, des mots d'esprit; cela ne manqua pas de m'attirer certaines punitions. Je crois que j'étais en fait en pleine période de puberté et cela me troublait profondément. En entrant au Petit Noviciat, on passait une visite médicale, à poils, complètement, le médecin prenait tout son temps pour vous examiner en présence du Frère Infirmier, Frère Joseph. Il ne manqua pas de faire observer en manipulant mon sexe pour me faire vainement décalotter que j'avais un prépuce avantageux qu'il faudrait opérer. Cela me fit peur de passer sur le billard, aussi je décidais de m'opérer moi-même. Pour l'avoir vu faire par d'autres camarades à Reims, je savais qu'on pouvait découvrir le gland en tirant sur la peau, lorsque le sexe est en érection. Je profitais donc des moments où j'étais au W.-C. pour le faire, je n'y arrivais pas, cela faisait mal, mais un beau jour j'y parvenais, mais impossible de faire reprendre la position normale après la découverte du gland qui était très sensible et tout couvert d'un produit gras et blanc sentant fort, je me lavais le sexe au savon assez dégoûté et j'attendais que tout retourne à la normale, ce qui ne manqua pas de se faire. C'est à cette époque que mon corps me joua des tours. La nuit j'avais des pollutions nocturnes, sans que je les provoque… J'étais très ennuyé et considérais cela comme un péché, n'allant pas communier le jour où ça m'arrivait et me confessant au contraire à notre aumônier luxembourgeois chaque fois que cela se produisait. Chaque semaine le Frère Directeur Frère Ariste Marie nous recevait en particulier, c'était la récollection, chacun passait par ordre alphabétique. On faisait le point de la semaine, on exposait ses difficultés. Je m'ouvrais à lui de mes problèmes de pertes séminales, mais loin de dire que cela était naturel pour un jeune homme, il me donnait des conseils pour soi-disant les éviter. Moi je ne trouvais qu'une solution, celle d'enlever mon pantalon de pyjama pour ne pas me faire coincer les parties. Et ce qui devait arriver arriva. Un jour, n'y tenant plus devant une érection qui m'était venue toute seule, je me masturbais et me vidais les bourses très abondamment. Cela se passait dans les waters, à l'abri de tout regard indiscret, mais je crois que je ne pus m'empêcher, dans ma jouissance, de pousser un soupir de soulagement. Je me sentais enfin mieux physiquement car moralement le péché était bel et bien fait. Je recourais de temps en temps à cette solution et bien entendu, dans mes rapports avec le Frère Directeur, je parlais des pollutions qui se faisaient rares, maintenant, et rien d'autres. Le reste était le sujet de mes entrevues avec mon confesseur. La vie au Juvénat était très disciplinaire et communautaire. Lever tous les jours que Dieu fait à six heures du matin. A six heures trente, après la toilette exécutée à l'eau froide hiver comme été, on se retrouvait dans l'oratoire, où, pendant une demi-heure, on récitait à l'aide de petits livres de prières, la prière du matin. Chacun a sa place réservée avec prie-Dieu, le tout en bois dur sans coussin. A sept heures messe basse, à laquelle la plupart des assistants communiaient. Il y avait là, en plus des Juvénistes, les Anciens, une vingtaine de Frères qui avaient passé l'âge de la retraite et qui attendaient tranquillement d'être rappelés à Dieu. Le Doyen, Frère Jean avait 92 ans et marchait avec une canne difficilement. Un groupe de 50 jeunes Frères qui avaient fait des voeux annuels, formaient le scolasticat qui dure en principe deux ans et prépare au Brevet Supérieur d'Instituteur en leur donnant une formation théologique et pédagogique. Ils assistent à la messe et ils sont déjà là bien avant que nous arrivions pour y participer aussi car ils se lèvent à 4 h 1/2 du matin et la chapelle leur sert d'oratoire. A 7 h 45, nous nous retrouvons dans notre oratoire pour réciter un chapelet (5 dizaines) pendant que les Frères Cuisiniers nous préparent le petit déjeuner que nous prenons à 8 heures. A 8 h 15, nous sortons tous dans la cour de récréation pour une courte récréation d'un quart d'heure. Puis ce sont les cours en classe jusqu'à 10 h. où une récréation d'une demi heure nous permet de nous ébattre et délasser. A 10 h 30 reprise des cours jusqu'à midi heure à laquelle nous sommes réunis avec nos professeurs à l'oratoire où nous récitons l'Angélus. Puis immédiatement après c'est le repas de midi, pendant lequel un petit novice, à tour de rôle, lit pendant tout le repas, après la lecture de la vie du Saint du jour, un livre édifiant ou instructif comme "Vingt mille lieues sous les mers" de Jules Verne. Bien entendu pas question de parler pendant tout ce temps là, on ne parle que par geste pour demander le sel, le pain ou la boisson, de la bonne eau légèrement teintée de vin. A l'occasion de certaines fêtes, les Dimanche et les Jeudi, au moment du dessert, un "Benedicamus Domino !" est prononcé à haute et joyeuse voix par le Frère Directeur. Nous répondons allègrement par un "Deo Gracias !" et c'est le début de bavardages qui fusent de toutes parts, préludes aux conversations que nous pouvons avoir pendant le quart d'heure de récréation qui suit en semaine. Car le Dimanche il y a une courte promenade avant les Vêpres de 15 heures, pour ceux qui n'auront pas reçu visite de leur famille. Et le Jeudi la promenade dure plus longtemps, l'on va plus loin puisque l'on ne rentre que pour le salut de 18 heures le soir. C'est ainsi que l'on apprend à pieds à connaître le Grand Duché de Luxembourg, un petit pays vallonné, couvert de prairies et de forêts car il y a peu de cultures, dans la moitié Nord du pays. Le Sud étant surtout couvert de terrils car on y extrait du minerai de fer et on le travaille dans des hauts fourneaux qui, les soirs d'été, quand les fenêtres du dortoir sont ouvertes, nous font voir le ciel embrasés d'Esch-sur-Alzette à 20 km de là. Je n'aurai qu'une visite de mes parents la 2ème année, car ils sont toujours aussi pauvres et ils ont dû beaucoup se priver pour pouvoir venir. Je leur fais visiter l'établissement. De la cave au grenier tout peut être vu. Comme ils sont arrivés la veille, ils coucheront chez l'aumônier qui a une maison en dehors du couvent dans le village, après que nous ayons soupé ensemble dans la salle à manger des visiteurs située dans le bâtiment des anciens. C'est l'ancien château de Bettange que les Frères chassés de France en 1904, réaménagèrent avant de l'agrandir de deux corps de bâtiments plus grands et dans lesquels le Juvénat et le Scolasticat tenaient à l'aise ainsi que la chapelle commune. Le lendemain, après la messe de 9 h., grand' messe solennelle à laquelle assistaient tous les habitants du village et les visiteurs qui le désiraient. J'avais quartier libre et nous en profitâmes, mes parents et moi, pour filer jusqu'à la gare et aller visiter la capitale du Grand Duché : Luxembourg. C'est une vieille ville dont la gare en granite rappelle celle de Metz par sa construction solide à l'allemande. Elle possède un pont remarquable construit par un ingénieur français qui enjambe d'une seule arche un petit ruisseau l'Alzette très encaissé, entouré de jardins très romantiques, deux viaducs à plusieurs arches reliant la vieille ville à la nouvelle. On y voit le palais grand ducal, gardé par deux soldats près de leur guérite. On dit que l'armée du Grand Duché n'a que 240 hommes, ce ne sera pas sur eux qu'il faudra compter pour arrêter les Allemands quand ceux-ci passeront par là pour envahir la France en 40. Nous visitons aussi la cathédrale qui renferme en ses flancs Notre-Dame DE Luxembourg, une Vierge Noire comme celle de Liesse, également miraculeuse. Achats de souvenirs, envois traditionnels de cartes postales à la famille et aux amis, achats de cigares monumentaux pour le fumeur qu'est mon père. Et ce sera après le retour à Bettange, le départ pour Reims de mes parents heureux de nous être revus… Les jours de semaine, après le repas de midi, nous avions récréation jusqu'à 13 h 30 dans la cour pavée de schistes. Cours jusqu'à 15 h, récréation d'un quart d'heure et classe jusqu'à 17 h 30. Là nous avions : prière du soir jusqu'à 18 h 00, lecture pieuse jusqu'à 18 h 30. Puis salut ou chapelet ou chemin de croix jusqu'à 19 heures. Puis repas du soir avec le même cérémonial que le midi. "Bénédicité" au début et "Grâces" à la fin. Après le repas, 1 heure d'études nous amenait à la dernière prière du soir. Les litanies de la Ste Vierge avec le dernier Angélus. A partir de là c'était le silence complet. En file indienne nous montions à notre dortoir au 4e étage, seul l'escalier de bois à nez de fer résonnait du bruit de chacun de nos pas. On se déshabillait en silence sous la surveillance de deux Frères qui avaient leurs alcôves dans notre dortoir, on enfilait le pyjama obligatoire et on se glissait très rapidement dans le lit surtout l'hiver, où, même par les plus grands froids il n'y avait pas de chauffage. Auprès de chaque lit, une petite table de nuit dans laquelle on pouvait mettre quelques affaires personnelles, linge, matériel de toilette et un vase de nuit destiné à être utilisé en cas de besoin. Le matin il fallait le vider et le nettoyer avec une balayette et de l'eau Javel qu'on tenait à notre disposition dans le cabinet de toilette, qui consistait en un grand couloir dans lequel un grand tuyau amenait de l'eau essentiellement froide qu'il fallait dégeler en le couvrant de nos mains l'hiver ou en passant des torches de papier enflammé dessous . Une fois par semaine, le Samedi, nanti d'un slip de bain, on nous conduisait aux douches par groupe de 20 (autant qu'il y avait de douches); dans la matinée tout le monde y passait. Dans l'après-midi c'était les scolastiques qui s'y rendaient car on ne mettait la chaufferie en route que le Samedi, par économie. Les cérémonies pour la célébration des fêtes religieuses étaient splendides et marquées d'un faste que je n'ai jamais retrouvé nulle part ailleurs. D'abord on s'y préparait longtemps à l'avance, les meilleures voix dont je faisais partie participaient à la chorale à 4 voix mixtes d'hommes. Les gens des alentours le sachant se déplaçaient d'assez loin pour venir nous écouter, en particulier pour les grandes fêtes Noël, Pâques, la Pentecôte, la Fête-Dieu, la fête de la Ste Vierge, St Joseph, St Jean Baptiste de la Salle - le saint fondateur comme on l'appelait - étaient l'occasion de chanter des messes à 4 voix de Palestina-Gounod, Haendel, ou des Cantate comme celle de Noël (Van Bach) qui durait une heure de temps, tous les acteurs se répondant les uns les autres : Anges, bergers, Marie, Joseph et les Rois Mages. Bien entendu le grégorien n'était pas délaissé, toutes les messes étaient dites en latin et chantées en grégorien. Les offices de la Semaine Sainte étaient pour moi aussi merveilleux car je m'étais mis à aimer le chant et je chantais très juste ce qui me donna l'occasion de chanter en solo. Je dois dire que je passais par toutes les voix au fur et à mesure que je grandissais. Je fus donc successivement, soprano, alto, basse, ténor et baryton martin avec 4 octaves dans la gorge. Et nous chantions alors sans micro bien entendu. J'étais doué aussi pour le théâtre, nous montions deux fois par an des pièces de théâtre, j'étais dans le coup chaque fois et jouais les rôles principaux, le Bourgeois Gentilhomme, Kadoc d'Yvonic, "Rictius Varus des Enfants Nantais", Abner, d'Athalie - etc... Bien que j'ai toujours eu un petit défaut de zézaiement, mes maîtres me forçaient à la déclamation et je le faisais récitant des vers de Victor Hugo ou de La Fontaine à l'occasion de petites séances récréatives organisées les après-midi d'hiver où il faisait vraiment trop froid pour sortir - 14 ° avec 60 cm de neige, ça se voyait presque tous les ans. A Reims, la neige l'hiver et plus encore les grands froids étaient fréquents, on ne s'étonnera donc pas que je n'aime ni la neige ni l'hiver. J'adore par contre le soleil, c'est pour cela que pour mes vieux jours, si Dieu me prête vie, j'ai préféré la Provence ou la Côte-d'Azur à toute autre région de France. Ne voulant pas pour autant la quitter car elle est la Patrie pour laquelle, comme mes ancêtres, j'ai combattu et j'ai souffert. Nous avions comme professeur de dessin le Frère Aghabus (un nom qui prête à rire mais qui fut celui d'un compagnon de St Paul) . C'était un excellent professeur de dessin et de peinture. Me trouvant doué car je remportais presque toujours le 1er prix de dessin, il m'initia à la peinture et je fis avec lui des oriflammes sur toile peinte à la main et représentant les saints protecteurs. Les après-midi de la semaine nous avions chaque jour une heure de travaux manuels, je fus affecté à la bibliothèque et devint bibliothécaire du Petit Noviciat, mon rôle étant d'entretenir les livres, de les couvrir, de les réparer. Je m'initiai ainsi à la reliure, ça me plaisait. Pour la période de vacances scolaires point de retour dans la famille on jugeait sans doute que notre vocation n'était pas assez enracinée. Nous passions donc 15 jours du mois d'Août à Bettange à faire différents travaux saisonniers, ramassage du foin, des fruits, des pommes de terre et des betteraves. Il faut dire que nous avions un important troupeau de porcs élevés et engraissés par le Frère Arthème et qu'il fallait avoir de quoi pour les nourrir; à notre tour les cochons nous fournissaient les 3/4 de la viande que nous mangions. Le reste sangliers et cerfs provenaient d'achats ou de dons que les chasseurs luxembourgeois faisaient à la communauté. J'étais souvent désigné pour aller chercher ses gibiers à la gare de Dippack. Nous n'avions pas souvent de la viande de boeuf et encore moins du poulet car à cette époque on ne connaissait pas les élevages de poulets forcés que l'on connaît aujourd'hui. Les 15 autres jours de vacances, premiers jours de Septembre, se passaient à Hachy en Belgique dans la province d'Arlon, c'était le pensionnat de Queuleu-les-Metz qui s'était réfugié là en 1904 à la suite de la séparation de l'église et de l’État et des lois votées sous le ministère Combes. Ce pensionnat se trouvait à plus de 150 km de Bettange et pour nous y rendre, il nous fallait aller à pieds jusqu'à Klein Bettigen (Petit Bettange) pour prendre le train, en traversant la frontière belgo-luxembourgeoise. Nous couchions, bien entendu, dans les dortoirs du pensionnat, profitions des classes et des réfectoires ainsi que de la chapelle. Les cours de récréation étaient spacieuses et bien aménagées en agrès pour le sport. De plus nous faisions des promenades, c'est ainsi que nous visitâmes St Hubert dans la forêt ardennaise toute proche et Arlon. Nous nous baignions quelquefois dans un petit ruisseau, La Semoys qui me rappelait à chaque coup mon dernier grand camp scout en 1933, année où je devais me rendre à Bettange-sur-Mess. Notre camp avait duré 8 jours, nous étions allés par le train de Reims à Sedan, nous avions alors passé la frontière belge pour arriver à Bouillon, où le château immense de Godefroi de Bouillon nous accueillît. Nous couchâmes ce soir-là sur les bords de la Semoys qui se trouve large de 50 mètres à cet endroit, mais qui est peu profonde 50 cm, c'était sans danger pour nous enfants qui pour la plupart ne savions pas nager. Puis à pieds en chantant le long des routes et en plantant nos tentes le soir, nous longeâmes une bonne partie de la Semoys qui est une rivière pleine de méandres qui se jette dans la Meuse. Nous visitâmes ainsi Marbehan, Florenville, Orval. C'est Orval avec sa Trappe qui me fit le plus d'impression car cette Trappe avait toujours son abbatiale en ruine, bombardée qu'elle avait été en 1914. Je me demande maintenant comment cela a dû se passer en 40-45 car on s'est beaucoup battu dans le secteur. Les Frères Trappistes nous reçurent de façon très hospitalière et nous eûmes même le droit de profiter du réfectoire des visiteurs. Une surprise nous attendait là, car notre archevêque de Reims, le Cardinal Suhard, vint nous visiter au camp et nous lui fûmes tous présentés, à tous il avait en plus de sa bénédiction un petit mot gentil à nous dire. En fait, il visitait ses ouailles car Orval se trouve dans l'Archevêché de Reims ainsi qu'une bonne partie de la province d'Arlon en Belgique. En 1936… éclata la Révolution en Espagne, de nombreux Frères de Barcelone avaient réussi à s'échapper et nous racontaient les scènes d'horreur auxquelles ils avaient assisté… Les Républicains avaient commencé par détrôner le Roi Juan Carlos le 14 Avril 1931 et n'avaient pas su contrôler leurs extrémistes communistes ou anarchistes notoires, ils avaient donc commencé par éliminer tout ce qui était chrétien dans des provinces entières. Ils tenaient les villes Barcelone, Madrid, Bilbao. Alors les Partis de Droite se révoltèrent contre la République et sous la direction du Général Franco, venu du Maroc Espagnol, ils se liguèrent et peu à peu rejetèrent sur les frontières les dernières Brigades Internationales. On les appelait ainsi parce que les Républicains avaient recruté des hommes de toute l'Europe : Russes, (pilotes d'avions), Allemands, Polonais, Belges, Anglais et même Français (Malraux - d'Astier de la Vigerie - Marcy) en étaient. Seulement les Franquistes mieux commandés et partout mieux organisés, aidés des Allemands nazis et des Italiens fascistes, devaient gagner la guerre civile en Mars 1939. C'est alors qu'allait commencer la nôtre, mais nous y reviendrons. C'est un fait, la guerre civile est la pire des calamités qui puisse arriver à un peuple. Le Généralissime Franco devait ensuite gouverner l'Espagne pendant 37 ans et la tenir en dehors du grand conflit de 1940-45, mais ce peuple sympathique avait suffisamment souffert dans sa chair pour qu'il lui soit demandé davantage et cela, Franco l'avait bien compris. De l'autre côté de la France, pas très loin de Bettange, un autre homme faisait déjà parler de lui : Hitler Adolf, ancien Caporal autrichien pendant la guerre de 1914-18, peintre en bâtiment, illuminé, à moitié fou. Il composa un livre raciste "Mein Kampf" ("Mon Combat") dans lequel il décrivait par avance tout ce qu'il allait faire par la suite. L'Allemagne d'alors, après la guerre de 14-18 et la chute de Guillaume II, n'arrive pas à se relever de ses ruines. Très travaillée par le communisme, la République de Weimar est en pleine banqueroute, les Partis s'expliquent entre eux à coups d'attentats, d'assassinats et d'incendies. A Munich un petit groupe d'anciens combattants de 1914-18 - Adolf Hitler, Rhöem, Göering, etc. - forme un groupe de Chemises Brunes, les S.A., (Sections d'Assaut) qui s'activent pour se rendre sympathiques au peuple allemand qui sort très diminué de la grande guerre : des millions de morts et de blessés. Au point de vue économique l'Allemagne est à zéro : la Rhénanie est occupée pour 10 ans par les Français et la Rhür, le coeur de l'industrie allemande est occupée par les Anglais. Peu à peu, à coup d'élections basées sur une propagande intense qui attaque à la fois les capitalistes, les communistes et les Juifs. Le Parti Nazi obtient la majorité au Reichstag, (Chambre des Députés allemands) et le Maréchal Hindenburg, Président de la République dite de Weimar, confie la place de Grand Chancelier du Reich au chef du Parti Nazi, Adolf Hitler. A partir de ce moment, nous sommes en 1939, le peuple allemand adhère de plus en plus au nazisme. Il faut dire que tous les dirigeants des partis politiques opposés, communistes, chrétiens démocrates, Juifs, sont arrêtés ainsi que leur famille est envoyés dans les premiers camps de concentration (Konzentrazion Läger) dont Dachau est le 1er exemplaire, créé dès 1933, ensuite, Buchenwald et Flossenburg. Je ne me doute pas qu'un jour j'y serai déporté et en parlerai en connaissance de cause... Pour ce qui me concerne je suis élève des Frères des Écoles Chrétiennes à Bettange-sur-Mess à partir du 14 Septembre 1933. J'ai réussi à passer à Reims deux Certificats d’Études Primaires, le catholique et le laïc. Pendant trois ans je progresse au Petit Noviciat en vue de passer le Brevet Élémentaire d'Instituteur. Au mois de Juillet 1935, je rate l'écrit, il me manque 1/2 point de moyenne et mes supérieurs refusent de me présenter au repêchage du mois d'Octobre. Car depuis Juillet je suis entré au Noviciat des Frères, Rue de Courlancy à Reims et c'est au début Septembre, après un mois de postulat, on procède à la remise d'habit. Désormais je vais porter par-dessus une chemise et un pantalon, une soutane noire agrémentées d'un rabat blanc qu'il faudra apprendre à mettre. Ce costume est complété par un manteau qui existait déjà au temps de Louis XIV, avec deux bras flottants et un tricorne noir (d'où l'appellation des Frères Quatre Bras). Dans le recueillement, la prière et l'étude de la Ste Règle et des Écritures Saintes, nous nous acheminons vers la fin du Noviciat qui est la prononciation des voeux annuels : Pauvreté, chasteté, obéissance. Enseigner gratuitement et stabilité dans l’Institut. Malheureusement, au mois de Janvier 1936, ma mère tombe gravement malade. J'obtiens de mes supérieurs l'autorisation d'aller la voir à l'hôpital de la Maison Blanche. Je peux encore l'embrasser la veille de sa mort et avant sa mise en bière. Elle a offert, cette bonne chrétienne, cette sainte, sa vie pour sauver celle du Pape Pie XI qui est gravement malade et qui ne lui survivra que quelques mois. Mon père reste seul avec quatre filles : Raymonde 16 ans, Anne-Marie 9 ans, Simone 8 ans et Jacqueline 2 ans. Raymonde, courageusement, jouera le rôle d'une bonne mère de famille. Notre maman est enterrée au cimetière de l'Est à quelques mètres du cimetière militaire où est enterré mon oncle Paul qui est aussi mon parrain, comme je l'ai déjà dit. Au mois de Juillet 1936, je retourne à Bettange pour y faire mon scolasticat pendant 2 ans, sous la direction du Frère Smal. J'y prépare mon Brevet Élémentaire d'Instituteur et en même temps le Brevet Supérieur. La vie religieuse y devient plus intense. Réveil à 4 h 30 le matin. Prières, oraisons, messe se succédant jusqu'à 8 heures du matin où l'on prend le petit déjeuner. Pas de récréation sauf une demi heure après le déjeuner par groupe. C'est le seul moment où, en se promenant dans le jardin, on a le droit d'enfreindre la règle du silence. On discute alors de sujets spirituels. L'après-midi on reprend les cours abandonnés à midi jusqu'à 18 heures. Ce sont alors les exercices spirituels. Prière du soir, Chapelet, Coulpe, Avertissement des Défauts, Salut vespéral. Au bout d'une année d'études préparatoires au Brevet Supérieur, je passe d'abord le Brevet Élémentaire d'Instituteur au mois de Juin à Metz et m'attendais à suivre une seconde année à Bettange mais le manque de maître me fait désigner par mes supérieurs pour l’École St Vincent, Rue Belle-Ile à Metz. Là je retrouve le Frère Ariste-Marie qui avait été mon Directeur au Petit Noviciat de Bettange et je suis nommé professeur dans la classe de 6ème, un vieux Frère, à la limite d'âge, doit temporairement m'aider. Nous avons en effet dans cette classe 95 élèves répartis en deux divisions. La correction des devoirs et la préparation des cours et l'enseignement me prennent toute ma journée de 8 heures à 23 heures. Réveil à 4 h 30, toilette, nettoyage de la chambre, prières, oraisons, messe et déjeuner nous tiennent jusqu'à 7 h 30. De 7 h 30 à 8 h. il faut être soit en classe soit dans la cour pour recevoir les élèves. Je suis paraît-il estimé de mes supérieurs et des parents d'élèves et je tiendrai le coup jusqu'au mois de Janvier 1938, date à laquelle ma soeur Raymonde, qui a 17 ans et qui tenait le ménage de mon père et de mes trois petites soeurs de 10 ans, 9 ans, et 3 ans, meurt après quelques jours de soins à l'Hôpital de la Maison Blanche à Reims. C'est le drame. Je fais le voyage pour assister aux obsèques de ma soeur qui est enterrée dans la même sépulture que ma mère qui l'a précédée deux ans plus tôt au cimetière de l'Est à Reims.. Bien entendu mon père simple ouvrier caviste me demande de l'aider pécuniairement. Je m'adresse au Frère Provincial Aristide Marie (grand mathématicien) qui me dit qu'il va me muter à Reims, pour être près de ma famille mais qu'il ne peut pas verser de pension à mon père. Cela ne m'intéresse pas, je lui répète qu'il faut aider mon père pécuniairement. Il ne veut rien savoir et prétend que l'Institut est trop pauvre. Je finis par lui demander ma liberté. Il m'ordonne alors au nom de la Sainte obéissance de rester stable chez les Frères des Écoles Chrétiennes. Je prends "in petto" la décision de partir définitivement avec ou sans son accord. Je lui demande seulement l'autorisation d'aller chercher mes affaires personnelles au Foyer Rémois, chez mon père. Il m'accorde deux heures et il m'attend encore, s'il est encore en vie le pauvre ! Par contre je me trouve excommunié pour 6 mois car je manque au respect de mes voeux annuels : Pauvreté, Chasteté, Obéissance, Enseigner gratuitement et Stabilité dans l'Institut, qui auraient été renouvelables pour un an, au 1er Juillet 1938, avant que de prononcer par la suite deux séries de voeux triennaux et plus tard des voeux perpétuels.

 SOMMAIRE



HAUT_DE_PAGE