BERNARD Georges
GUIMAS
Lucien
084
En
traversant le Liechtenstein
GUERRE
1939 - 1945
Témoignages
NICE
- Décembre 1990
Analyse des
témoignages
Évasion d'Allemagne
Écriture
: 1989 - 50 Pages
Prologue
de GUIMAS Lucien
28 Avril 1941 1 heure 30 du
matin Georges et moi… nous rampons… les barbelés…
sont encore proches… L'obscurité est totale. Tout ce qui nous encombrait a été
abandonné dans le petit bois où nous étions
dissimulés depuis la veille… 21 h 30 !… à 1000
mètres environ de l'emplacement où nous sommes
actuellement. Seuls ont été conservés, en poches:
boussole, poivre, montre, marks civils, et…
"carnet noir" (sur lequel j'ai noté, chaque jour,
mon séjour chez Hitler). Vers 23 heures, nous
avons quitté notre "cachette". Partis
perpendi-culairement à la route
Feldkirch-Liechtenstein, nous avons progressé
(après le franchissement de la voie ferrée)… par
bons de 5 à 6 pas, courbés, proches (parfois main
dans la main)… Puis arrêt, à plat ventre, un
instant… attentifs. Le passage lumineux, d'un
convoi de wagons-voyageurs, venant de Suisse, nous
a permis de contrôler nos position et direction. Nous rampons… Georges et moi… très
lentement. Pas le moindre reflet du soleil sur la
lune… notre complice… Nos yeux guettent, avec
impatience, l'apparition des barbelés… que nous
devinons à proximité. Nos informations disent que les postes
douaniers sont distants de 1200 mètres. L'un est
en bord de route, près de la voie ferrée. Le
second est sur notre droite, au bas de la colline,
où brillent quelques lumières d'habitations. Nous
rampons… Moi, et Georges… dans l'axe de ces deux
bâtiments, à éviter ! Soudain le silence que nous
écoutons n'est plus total… Nous avons l'impression
d'un léger "brouhaha" éloigné, sur notre droite.
Peu après, le bruit est perceptible… Il s'amplifie
mathématiquement. Je sors la boîte de poivre… et
la vide avec un minimum de gestes, derrière nos
corps immobiles. Nous décelons le frottement du
cuir sur l'herbe… des pas… réguliers, comme le
pendule de l'horloge qui fixe notre destin. Les
pas se rapprochent… inexorablement. La "chose",
cause de ce vacarme est à 100 mètres, 50 mètres,
moins peut-être, légèrement à l'arrière de
l'endroit, où nous sommes acroupis. J'imagine un
chien à la droite de cette sentinelle assurant la
surveillance entre les postes… Je crois entendre
le cliquetis métallique de son fusil en
bandoulières… Je suppose la réaction agressive de
l'homme à l'apparition soudaine de deux monticules
suspects… Une courte seconde, je pense bondir
droit devant… courir le risque !… fatal ? Corps et
visage en terre… oreilles closes, pour ne pas
entendre l'injonction qui va déchirer le calme de
la nuit… yeux fermés, pour ne pas voir le jet de
lumière dirigé soudainement vers nos ombres… En pensée… se profilent les visages de
ceux qui ont motivé notre aventure… voilés par le
spectre de la baraque "40" du stalag VII A, à
Moosburg…
J'évoque…
ma
guerre…
nos
captivités…
notre
évasion…
28 April
1941 1 hour 30 of the morning Georges and me... we
crawl... barbed wires... are again close... The
darkness is total. Whole what encumbered us
has been abandoned in the small forest where we
were concealed since the vigil... 21 h 30 ! at
1000 meters approximately of the site where we
are currently. Alone have been preserved, in
pockets: compass, pepper, watch, civilians marks
, and "black note" book (on which I have noted,
each day, my stay at Hitler). To 23 hours, we
have left our "hide-out". Going
perpendiculairement to the road
Feldkirch-Liechtenstein, we have progressed
(after the clearing of the railroad way),
curved, close (sometimes hand in the hand)...
Then stop, to flat stomach, an instant...
attentive. The luminous passage, of a convoy of
trucks-travelers, coming from Switzerland, has
allowed us to control our position and
direction. We crawl Georges and me
very slowly. The lesser reflection of the sun on
the moon... our accomplice... Our eyes watch,
with impatience, the appearance of barbed wires
that we guess to proximity. Our information tell that
positions douaniers are distant 1200 meters. One
is in edge of road, close to the shod way. The
second is on our right, to the low of the hill,
where shine some lights of habitations. We
crawl... Me, and Georges in the axis of these
two buildings, to avoid ! Sudden the silence
that we listen is not more total... We have the
impression of a light far uproar, on our right.
Bit after, the noise is perceptible... It
amplifies mathématiquement. I exit the canister
of pepper... and empties it with a minimum of
gestures, behind our immobile bodies. We divulge
the rubbing of leather on the herb... the
regular feet, as the pendulum of the clock that
fixes our destiny. Inexorably. The "thing",
cause of this din is to 100 meters, 50 meters,
less can-be, slightly to the defers the place,
where we are. I imagines a dog to the right of
this sentry insuring the supervision between
positions... I believe to hear the metallic
rattle of his gun in shoulderstraps... I suppose
the aggressive reaction of the man to the sudden
appearance of two suspicious hillocks... A short
seconds, I think to leap straight ahead... to
run the risk ! fatal ? Body and face in earth
...close ears, to does not hear the injunction
which is going to tear the calm of the night...
closed eyes, to does not see the directed light
suddenly throw to our shades... In thought... profile
faces of these who have motivated our
adventure... veiled by the specter of the hut
"40" of the Stalag VII A, in Moosburg
I
evokes...
my war...
our captivity...
our escape...
Postface
de Jean-Louis ARMATI
Comment s'évader du Stalag
VII/B de Memmingen en Avril 1941 ? Réponse : en
traversant le Liechtenstein ! La recette est
simple : Faites-vous affecter au Kommando de
Bohen, munissez-vous de vêtements civils, d'une
bonne paire de chaussons, non pour pantoufler mais
pour sortir sans bruit de la "barak" de quelques
provisions et d'un peu d'argent Rendez-vous à pied
à la gare de Kempten (20 km) prenez un billet pour
Innsbruck puis pour Feldkirch et là, par un petit
chemin de traverse passez tranquillement au
Liechtenstein puis en Suisse par une nuit sans
lune Succès garanti ! La suite n'est que
formalités administratives sans véritables
difficultés. C'est à quelques détails près l'aventure
que Georges Bernard et Lucien Guimas ont vécue
ensemble entre le 24 et le 28 Avril 1941, passant
de la captivité en Stalag à la presque liberté de
la prison de St Gallen. Un atout cependant, sans
lequel rien n'eut été possible : Georges Bernard
parlait couramment la langue de Goethe. Grâce à
cette connaissance que l'un d'eux avait de
l'allemand, nos deux évadés ont véritablement mené
leur "cavale" tambour battant, sans accroc, en
pères pantouflards C'est du moins l'impression qui émane du
récit fait par Guimas, dans son carnet de route
rédigé à l'époque où les événements se sont
déroulés.
How could one escape from
the Stalag VII-B of Memmingen in April 1941 ?
Reply : in crossing the Liechtenstein! The
receipt is simple: Get yourself appointed to the
Bohen Kommando, supply you civil clothes, a good
pair of slippers, not for "pantoufler" around in
but to exit without noise of the "barak " in
silence, some provisions and a few money. Go on
foot to the station of Kempten (20 km) take a
ticket for Innsbruck and for Feldkirch, and
there, by a small path of crosses, pass quietly
to the Liechtenstein then in Switzerland by a
night without moon. Success is guaranteed ! The
continuation is only administrative formalities
without real difficulties. It is to some details near
the adventure that Georges Bernard and Lucien
Guimas have lived totality between 24 and 28
April 1941, pass of the captivity in a Stalag to
the near liberty of the prison of St Gallen. An
advantage however, without which nothing having
been possible: Georges Bernard spoke commonly
the language of Goethe. Thanks to this knowledge
that one of them had of the German language, our
two fugitives have truly led their escape drum
beating, without snag. At least, this is the
impression that emanates from the suitable
account by Guimas, in its notebook of road
written to the period where events took place.
Table
LA MEMOIRE
Quelques
pages de mon " carnet noir " 7
Prologue
8
Ma… guerre - 1939…1940
Juin 1940
9
14 Juin 1940 9
15 Juin 9
17 Juin 10
18 Juin 10
19 Juin 10
Prisonniers
10
Samedi 22 Juin 10
23 Juin 11
29 Juin (sous réserve) 11
6 Juillet 11
26 Juillet 11
Stalag
VII A à Moosburg 12
27 Juillet 12
29 Juillet 12
Nos…captivités
Kommando…
Ruhpolding 14
2 Août 1940 14
3 Septembre 14
15 Septembre 14
3 Octobre 15
30 Octobre 15
1er Novembre 15
3 Novembre 15
5 Novembre 16
Passage
au Stalag VII A 16
Kommando
de Freilassing 16
20 Novembre 16
21 Novembre 16
22 Novembre 17
24 Novembre 17
26 Novembre 17
Retour
au VII A 18
29 Novembre 1940 18
1er Décembre 18
Kommando
à Moosburg 18
La
"vie" au Stalag 19
Memmingen…
VII B 21
Kommando
de Böhen 21
4 au 5 Avril 1941 21
Courant Avril jusqu'au 23 22
Informations
et croquis complices de l'Aventure 23
Notre évasion
Départ à
pied… Böhen 26
Jeudi 24 Avril 1941 26
Vendredi 25 Avril 26
16 h dans une grange 27
Samedi 26 Avril 27
Deuxième
nuit… à la belle étoile 27
Kempten…
le train 28
Innsbruck…
à l'hôtel 28
Innsbruck…
au restaurant 29
Innsbruck…
la gare 30
Feldkirch…
train terminus 30
Vers…
la frontière 30
Le
Rhin… la Suisse 31
Libres
Accueil…
à Buchs 34
En
prison… à St Gallen 34
29 Avril 1941 34
30 Avril 35
1er Mai (et les jours suivants)
35
Annemasse…
la France 35
Démobilisés…
Annecy 35
6 Mai 1941 36
7 Mai 6 h. 36
Marseille…
avec la famille de Georges 36
8 au 11 Mai 1941 36
13 au 15 Mai 37
16 Mai 37
17 Mai 37
Dimanche 18 Mai 37
Solitude
!… en zone libre 38
19 Mai 1941 38
20 Mai 38
Mai 38
2 Juin 38
7 Juin 38
Juillet 38
1er Août et jours suivants 39
26 Août 39
Clandestin
!… en zone occupée 39
La mémoire
La
mémoire : seul bagage incessible
Jacques ATTALI
Ma… guerre
1939…1940
Mobilisé le 26 Août 1939, au 15ème Génie
Compagnie Chemin de Fer T.N. à Toul (Meurthe et
Moselle) 2ème Sapeur - Matricule 2751. 6 jours
après… 1er Septembre, c'est la mobilisation
générale. Le 2 Septembre, France et Angleterre
déclarent la guerre à l'Allemagne… Notre compagnie
est à Lagney… puis, se déplace, en utilisant les
voies ferrées, car nous sommes logés dans des
wagons aménagés (15 couchettes…) à Hesse,
Benestroff, Sarralbe, Sarreguemines…
Juin 1940
14 Juin
1940 Notre détachement, en camion, quitte
Mittersheim, après avoir procédé au minage du
pont. Une équipe reste sur place (Loscat) avec
mission de le faire sauter si nécessaire. Le
train-cantonnement de la compagnie, passe devant
notre groupe, sans s'arrêter, en provenance de
Benestroff… ! Adieux à toutes nos affaires
personnelles (photos et montre en ce qui me
concerne…). Arrêt à Benestroff, bombardé la veille
(un commandant d'artillerie nous demande le
"nécessaire" pour faire sauter ses pièces). 15 Juin Nous rejoignons la compagnie à
Barisey-La-Cote, occupée à la réparation des voies
ferrées, et, sommes informés en détail du
bombardement dont ils ont été la cible (un train
complet de munitions était garé à côté de leurs
wagons-couchettes !). Au-dessus de nous, un avion
nous mitraille en passant. Je suis désigné, dans
une équipe commandée par le Sergent-Chef Cordelet
(remplaçant le Lieutenant Roussin, malade)… Il est
14 heures. Avant notre départ en camion, nous
procédons au "nettoyage" de la cave d'un bistrot
et à la distribution de son contenu. Arrivés à
Blainville, nous couchons dans une grange. Le lendemain, en pension chez un débitant
de boissons, nous participons à la réquisition de
viande, répartis équitablement avec les "civils"
restés sur place.17 Juin Cordelet décide du départ… pas
d'explosif. Les ponts de Blainville ne sauteront
pas… du moins par notre équipe! Arrêt à Luneville;
la T.S.F. diffuse un discours de Pétain (des
Lorrains pleurent… les autres sont indifférents,
en apparence…). A proximité du pont (que nous
devons détruire), dans une grande ferme, nous
assistons à l'affolement des habitants."Vous ne
connaissez pas les boches" disent-ils et dans la
cave ils prient collectivement à haute voix.
J'assiste sans participer, essayant de comprendre
cette panique… 18 JuinD'autres scènes émouvantes, des "civils
qui restent" accrochés à leur terre…
indescriptible !. Une équipe, à laquelle participe
Georges, dispose les explosifs, dans la chambre
appropriée du pont. Emotion lorsque l'un des
explosifs que l'on descend au fond de la cavité
(prof. 3 m. environ) se détache du fil de fer
utilisé pour la manoeuvre. L'équipe fait sauter le
pont après avoir entendu ou cru entendre l'arrivée
des Allemands. Il est 22 h 15, nous partons. Deux
copains manquent à l'appel… Déserteurs… ou évadés
de guerre (avec ou sans médaille ?). Toute la nuit
le camion roule… vers l'Ouest, le Sud. 19 Juin Au lever du soleil nous arrivons à
Gerardmer (70 km environ. à vol d'oiseau… 5 à 6
fois plus au compteur) après de nombreux arrêts et
changements de direction. Démarches à l'état-major
siégeant à Bresse pour régulariser notre
déplacement. Il en est de même pour les nombreux
militaires arrivant de toutes parts… qui
bénéficient d'une provision de cartouches ! Sans
attendre la distribution de cette manne inutile,
notre camion monte le col de la Grosse Pierre
(parcours identique à celui effectué à tandem avec
Suzy… 4 ans avant). Arrêt au sommet, le groupe se
met à l'abri dans un pavillon abandonné. Pendant
les 2 jours qui suivent, nous mangeons nos
provisions (et quelques rapines)… la boisson est
assurée au "Café du Col" où logent des "gars de la
Légion" arrivés dans un car matelassé avec lequel
ils ont traversé les lignes allemandes.
Prisonniers
Samedi 22 Juin Vers midi, un motard seul, en gris, se
présente pour dire que la guerre est terminée, que
nous sommes prisonniers, et que nous pouvons nous
rendre à Colmar avec notre camion… pour nous faire
"démobiliser". Il repart après avoir sablé le
champagne avec ceux de la Légion (plus tard, nous
serons informés que l'armistice a été signé le
même jour, à 18 h 35). A signaler l'incident de
Georges, qui, supposant une tournure favorable des
événements, est descendu à La Bresse à la
recherche d'un véhicule et de nourriture… mais la
ville est maintenant sous le contrôle de
l'adversaire. Arrêté, puis interrogé, il doit
monter dans un camion mitrailleur bien gardé par
des soldats… direction le sommet du Col (où nous
sommes spectateurs !). Assis au départ, il doit
céder sa place et c'est debout, otage involontaire
à l'avant du véhicule que Georges termine le
parcours. Heureusement les Francs-Tireurs
dissimulés à proximité ne se manifestent pas… 23 Juin Nous avons le privilège de partir avec
notre camion, et croisons sur la route la file,
presque interrompue de nos camarades… effectuant
le parcours à pieds! Après une soixantaine de
kilomètres, nous arrivons à Colmar, et logeons à
l'usine Kiener. La paille est remplacée par des
bobines de fils, en vrac sur le sol (après
ouverture des emballages)… ce qui me vaut les
menaces, avec sa baïonnette d'un "Posten". 29 Juin(sous réserve) Avec
Davin, Rubio, Ferrand, Vigne, notamment, nous
sommes transférés à l'usine Hausmann, où la
rivière autorise baignades et nettoyages. Est-ce :
l'Ill, affluent du Rhin qui prend sa source dans
le Jura alsacien et qu'il ne faut pas confondre
avec un affluent du même fleuve, d'une identique
appellation : l'Ill, en provenance de l'Autriche,
et rejoignant le Rhin avant le Lac de Constance
(Bodensee)… que nous retrouverons plus tard ! 6 Juillet L'organisation des K.G. se précise, et
personne ne se fait d'illusion sur sa situation
(sauf les rêveurs) ! La compagnie est disloquée
lors d'un nouvel emménagement à l'usine Ameco…
mais nous restons Georges, Ferrand et moi. Notre
séjour à Colmar, à 3 emplacements différents
depuis le 23 Juin rend difficile de préciser dates
et lieux de quelques incidents, pendant cette
période, jusqu'au 25 Juillet… A noter. a) Arrivée
d'un camion rempli à ras bord de pains… 2 ou 3
camarades, plus affamés que les autres ou plus
courageux, escaladent le chargement et se
ravitaillent. Le groupe de gendarmes également
prisonniers… aide les gardiens allemands dans
leurs recherches des "coupables". b) Un Posten
procède à la distribution de petites tranches de
pain en les lançant au milieu des groupes à
droite, à gauche. Il se réjouit des bousculades et
disputes que n'excuse pas la faim. Je regarde le
spectacle, appuyé contre la grille qui nous sépare
de la vie libre… Le "lanceur" est à une dizaine de
mètres. Il a probablement observé mon attitude,
et, dirige un jet alimentaire dans ma direction…
j'attrape le "trésor" au vol et le lui retourne à
ses pieds… c) Malgré le service d'ordre, les
civils nous ravitaillent et je n'ai aucun mérite à
ce qui précède grâce à mon estomac "élastique"
(indispensable en captivité… si possible). Parmi
ces dévoués(ées), une jeune fille (A. M., Rue J) à
Ingersheim à qui je peux remettre une lettre datée
du 15/07/70; une autre, venue voir son mari K.G.
habitant Nancy, à qui je confie la missive datée
du 20 suivant.26 Juillet Un mois s'est écoulé, lentement, à Colmar
constitué de très longues journées avec
"ravitaillement" comme enjeu principal. Je songe à
m'évader car je ne prévois pas une proche
libération, contrairement aux "bobards" que la
propagande fait circuler de bouches à oreilles.
L'obstacle principal à la réalisation de ce projet
est le manque momentané d'argent… du fait de
l'arrêt de la distribution du courrier, mandats,
colis, et, depuis 8 jours, plus de contacts avec
l'extérieur. "On" annonce le départ pour Châlons !
A 3 h, départ à pieds, en colonnes réglementaires.
Nous traversons Neuf Brisach… et franchissons le
Rhin. Instant historique pour chaque participant
du cortège, avec des pensées diverses… quand
refranchirons-nous ce fleuve magnifique en sens
inverse… "Bientôt" pour la majorité… 5 à 10 ans
pour moi. Adieu la liberté… Adieu tous ! A Vieux
Brisach (Breisach-Am-Rhein car nous sommes chez
Hitler) embarquement dans des wagons à bestiaux,
trente cinq dans le nôtre; "confort" relatif mais
acceptable.
Stalag VII
A à Moosburg
27 Juillet Vers 10 h, arrivée à Moosburg 340 km de
Colmar, à 45 km au Nord/Nord-Est de München à vol
d'oiseau. Nous couchons sous des tentes. La vie de
K.G. est commencée véritablement. 29 Juillet Jour Officiel. Je change d'identité. Le
2ème Sapeur Guimas, matricule 3751 devient le
Kriegsgefangener n° 38333 du stalag VII A (Georges
me précède n° 38331). Une longue file d'attente
pour les formalités : photos, empreintes, cheveux
à ras, et, bien entendu la fouille. Sur les
conseils d'un "spécialiste" qui rôde autour, je
lui confie mon appareil photo et clichés
(notamment ceux pris à Sarreguemines). Evidemment,
à la "sortie" le "spécialiste" a disparu. Il
m'apprend, pour pas trop cher, que je dois me
méfier des autres, au même titre que des gardiens
allemands. Opinion rapidement confirmée par le
marché du camp (1 mark = 50 à 70 frs, à discuter)…
Le quartier arabe… Les joueurs de "Bonneteau"
(Georges gagne 50 frs), mais nous évitons la
bagarre de justesse… pour avoir écourté la partie.
Nos…captivités
Elle peut dater du 22 Juin, au sommet du
Col de la Grosse Pierre, ou du lendemain, lors de
notre arrivée à Colmar. On peut la fixer au 26
Juillet, après avoir quitté la terre de France et
traversé le Rhin, ou plus officiellement le 29
Juillet à Moosburg en changeant d'identité, mais
je préfère celle qui suit : 2 Août 1940. J'ai utilisé ce mois de Juillet à me
fixer un seul but, non situé dans le temps :
sortir de cette armée sans arme et, pour
commencer, je me… dégrade, car lors de mon séjour
dans l'un des camps de Colmar, j'ai falsifié mon
livret militaire et cousu un galon doré sur chaque
manche de ma veste. Pour mémoire, un sous-officier
est exempté de travail… c'est un avantage, mais,
il est plus facile de préparer une évasion dans un
kommando que derrière les barbelés d'un Stalag.
Kommando…
Ruhpolding
2 Août
1940 Nous quittons le "VII A". Vers 9 h 30 un
train "voyageurs" nous amène vers 15 h à Garching,
puis un camion nous transporte à Ruhpolding. Notre
kommando, constitué d'une vingtaine de K.G., est
logé convenablement dans une grande salle. Georges
est désigné par le Posten : "Interprète", ce qui
doit lui permettre d'améliorer sa langue
allemande. Pendant ce mois d'Août j'effectue
divers chantiers à Brandt (éboulement dans la
montagne); également des remplacements chez les
Mayer (à la place de Rich) et, à Zell chez Max
Gastager ou Faidherbe bénéfice d'une très bonne
nourriture et de la compagnie de gens très
sympathiques (je me souviens d'un repas constitué
uniquement de pâtisseries !). 3
Septembre Je suis affecté à la ferme de S-- H-- R
(11 enfants) la nourriture n'est pas bonne. Il n'y
a qu'un seul plat pour les 9 présents au 1er
repas. Dès le lendemain je demande une assiette.
Prière collective avant et après le déjeuner de
midi… Je me lève à chaque fois et sors. Je
justifie mon comportement au Posten (informé de
tout ce qui se passe chez nos "patrons") en
expliquant que nous n'avons pas le même Dieu ! 15
Septembre 1ère carte pour écrire. Tout un roman
condensé en quelques lignes classiques. Le lendemain je commence à travailler
dans la menuiserie "Johann Kaltenbacher".
L'atmosphère est plus cordiale. L'horaire est de 7
h à 11 h - 12 h à 15 1/2 - 15 h 50 à 18 h, semaine
anglaise : Lundi matin 8 h. Le "Meister" travaille
à l'établi avec 2 ouvriers : Otto 20 ans (gagne 70
marks par semaine) et Georges (militaire en
affectation spéciale pour 6 semaines gagne 50
marks, nourri et logé, par semaine). Un apprenti
complète l'équipe : Peter (3 marks par jour, logé
et nourri). La nourriture est excellente : le
matin 1 tasse de café, pain et confiture sans
limitation; midi et soir : abondante et variée
(viandes, desserts…). Entre 15 h 30 et 15 h 50 :
thé ou café avec tartines. Très souvent le patron
ou son épouse m'offrent : savon, pâte dentifrice,
pastilles contre la toux; moi je partage mon
chocolat avec leur petite fille Maria, qui doit
avoir le même âge que ma fille… 8 ans. Le Samedi,
je reste à l'atelier et confectionne à ma
convenance quelques objets en bois, casiers,
étagères, porte-manteau, sandales, pièces pour jeu
d'échec… et divers 3 Octobre L'apprenti Peter me prend en photo… et,
le 9 tout le personnel est photographié devant la
menuiserie. Je suis pris également à mon établi,
mais je n'ai pas eu le tirage. N.B. : nous avons
bénéfice de 4 cartes (n° 2/22 Sept - n° 3/01 Oct.
- n° 4/13 Oct - n° 5/27 Oct.) et le 29 je reçois
un colis… ouvert rapidement (les 2 tubes de
dentifrice sont envoyés au Stalag pour contrôle). 30 Octobre J'ai un furoncle à l'index droit, et, je
dois me reposer dans la chambre de Peter. Le major
militaire extrait le germe le lendemain matin et
l'après-midi repos ! 1er
Novembre Le matin je reçois les soins du docteur.
Exempt de travail, je suis conduit, comme
d'habitude à la menuiserie, où je déjeune. Le
patron bienveillant me suggère d'aller en
promenade vers Rauchberg (1645 m). A 13 h… je
pars… seul ! Je suis de retour à 18 h 15… le
Posten, qui m'attend, me ramène au kommando.
Inconcevables… ces moments privilégiés. Mes
pensées solitaires ne sont pas ternies par l'idée
de profiter des circonstances… Mon évasion doit
être sérieusement préparée. 3 Novembre A 11 h 15 le posten annonce le retour au
Stalag de quelques K.G. dont Georges et moi. Le
lendemain après-midi, je fais mes adieux à la
famille, Kaltenbacher, dont la compréhension et
l'amabilité sont incroyables (car pour ces
parfaits chrétiens bavarois, nous ne devrions être
que des soldats ennemis… désarmés). La rumeur
locale fait croire que nous rentrons travailler en
France… "Guimas… Frankreich Fabrik", me dit le
patron en me serrant la main. Les yeux de sa femme
sont embués. J'embrasse la petite Maria en
songeant que je n'ai pas vu Lucienne depuis le 18
Février de l'année précédente (date de départ
d'une très courte permission). Le soleil est
radieux ! Le lendemain, je reçois ma paye : 35
marks 90, j'achète un jeu d'échecs 2 M 40. 5 Novembre Adieux aux sympathiques camarades du
Kommando Ruhpolding (bière et cigarettes). Le train nous emporte vers le Stalag. Pendant le parcours… nous croisons 2
évadés que l'on ramène à leur point de départ…
accompagnés (pour moi c'est un rappel).
Passage au
Stalag VII A
6 / 19 Novembre Mon premier achat en emménageant à la
"16B" est une valise (8 M 40). Je note une carte
n° 9 le lendemain de mon arrivée, et, une fouille
très sévère le Jeudi 14 où "argent" et "carnet
noir" ont pris des risques. Je participe à deux parties de football
sur la grande place… Mais ayant cessé cette
activité (qui aurait pu être professionnelle) à la
suite d'une blessure en début de saison 33/34… il
en résulte des douleurs à l'épaule m'interdisant
tout effort ! J'enregistre les symptômes au cours
des soins à l'infirmerie… (pour être utilisés plus
tard?).
Kommando
de Freilassing
20
Novembre Départ du VII A, à 11 h. Arrivée à
Freilassing vers 21 h. Nous entrons dans un hall
de gare fermé de toute part. Une centaine de nos
compatriotes allongés sur 2 niveaux. L'impression
du bagne, pas de douche… Deux récipients en tôle,
genre poubelle, sont disposés près de la porte…
L'urine déborde, l'odeur n'est pas supportable…
sauf pour les "anciens" ! A côté, une petite pièce
sert de cuisine (le "service" est tournant, pour
les 2 plats qui se succèdent rapidement…).
Impossible de s'asseoir pour absorber nos portions
indigestes ! Deux sous-officiers français dirigent
cette "armée" docile au service du "Grand Reich". 21
Novembre Premier jour de travail sur la voie
ferrée. Georges et moi faisons équipe pour
répandre le ballast à la pelle. Nous simulons des
douleurs aux bras pour ralentir la cadence. Le
"Posten" nous engueule. Les "anciens" du kommando
n° 2258 ne semblent pas approuver notre
comportement… nous dérangeons !Nourriture mauvaise en plein air à midi.
La journée se termine… triste ! 22
Novembre Georges et moi, avec quelques
"réfractaires", nous nous déclarons "malades", et,
en l'absence du docteur… sommes exemptés de
travail jusqu'au Lundi, ce qui n'interdit pas la
corvée de "chiottes" le Samedi.
24 Novembre
La centaine de "types" est
agglomérée dans le local. Impossible de laver son
linge. Après de vives réclamations, nous avons le
droit à la lettre n° 7… comme les autres. Le soir,
nos gardiens menacent : sanctions sévères, y
compris envoi dans un centre disciplinaire. Seuls
les anciens ont la possibilité de boire de la
bière. Encore malade le lendemain avec quelques
"tire-au-flanc" (pas de beurre pour eux). Le soir…
deux K.G. manquent à l'appel ! "Bravo"
pensons-nous avec certains… mais les autres… !
particulièrement le n° 7--2 (S--R) dont j'ai noté
les réflexions prononcées à voix haute le
lendemain matin en partant au chantier :
"Maintenant nous allons être vissés… c'est
malheureux… ce sont toujours ceux qui ne font rien
qui payent pour les autres… ce n'est pas moi qui
m'évaderai, je ne veux pas être fusillé". 26
Novembre Le nombre de ceux qui se font porter
"pâles" est de 26, et le lendemain il en a 7 de
plus, tous examinés en détail par le docteur
allemand. En ce qui me concerne, pour ce contrôle
médical, je simule une douleur à l'épaule gauche,
m'interdisant de lever le bras, sauf s'il est
manipulé par un tiers… dans ce cas n'opposer
aucune résistance au mouvement qui vous est imposé
(méthode efficace non décelable, mise au point à
Moosburg). Résultat : avec 11 autres je suis
reconnu inapte au "travail de Force" du chantier,
et renvoyé au Stalag. Pour Georges, c'est plus difficile (son
lumbago "imaginaire" n'est pas reconnu), il est
incorporé dans les 21 simulants que le toubib
retourne au boulot. Dès son arrivée sur le
chantier, après avoir effectué "difficilement"
quelques pelletées, il explique dans la même
langue que le Posten, son incapacité physique
d'exécuter le travail "très dur" que l'on exige de
lui. Le gardien apitoyé (ou faisant simulacre de
l'être) autorise Georges à s'abriter dans un
hangar. Mais le patron arrive sur les lieux pour
contrôler l'activité de sa "main-d'oeuvre à bon
marché", et hurle son indignation à Georges et à
la sentinelle, au spectacle de cette complicité.
Georges doit se remettre à travailler (ou faire
semblant)… pour peu de temps, car dès l'inspection
terminée, Georges est autorisé à rejoindre son
aire de repos ! Le soir, il explique longuement
aux autorités du kommando qu'il est malade, et ne
veut pas que ses camarades se moquent de son
comportement. Sa situation n'est pas vivable, etc…
et pour terminer sa plaidoirie (en langue
allemande évidemment) qu'il s'évadera malgré tous
les risques, y compris celui d'être fusillé.
Premier résultat: Il est exempté de travail pour 2
jours (nos gardiens ne désirant pas d'ennuis avec
un indésirable de ce genre) inscrit avec moi et
les autres sur "l'inventaire" retour.
Retour au VII A
29 Novembre 1940 Réveil à 4 h 30 (après une nuit semblable
aux précédentes). Adieu kommando n° 2558 qui
représente ce qu'il y a de pire (hélas, je ne
savais pas ce qui se passait ailleurs, et surtout
un peu plus tard, notamment au Stalag 325 à
Rawa-Ruska). Arrêt à l'hôpital de Freissing pour un
contrôle supplémentaire de notre état physique,
(sauf Georges, cas particulier). Arrivée vers 15 h
à la baraque 15A du stalag VII A à Moosburg, sans
autre problème… sauf pour Georges. Il est conduit
par le Posten à l'infirmerie du camp pour être
examiné, en détail par le médecin "français" !
auquel il explique son histoire (le Posten
assiste, sans comprendre) et obtient le feu vert,
sans sanction pour retour au Stalag
(mécontentement manifesté par le gardien). En ce
qui me concerne, je vais le lendemain à la
consultation et bénéfice de 8 jours, exempté de
service. Revue des dortoirs, défense de sortir. Un
K.G. couché sur son lit, est brutalisé (coup de
pied) par le chef allemand… noté la réflexion de
l'adjudant français : "C'est un geste bête, mais
de rester couché lorsque c'est défendu est encore
plus bête".
1er Décembre
J'organise mon séjour au
Stalag avec l'objectif d'une libération anticipée
mais j'ignore encore qu'il durera 4 mois environ.
Pendant cette période, il me faut me procurer, par
tous les moyens l'indispensable minimum,
c'est-à-dire dans l'ordre : vêtements et
chaussures, nourriture condensée (sans oublier le
poivre), carte détaillée de l'Allemagne du Sud,
boussole (petite et lumineuse de préférence),
briquet ou allumettes, montre (luminescente si
possible), valise (elle a déjà été achetée 8 m 70)
éventuellement faux passeport et papiers
d'identité suisse… En attendant un plan d'évasion
précis, sans oublier un collègue parlant la langue
allemande (Georges n'avait pas encore pris de
décision, craignant des représailles contre sa
femme à Valenciennes).
Kommando à Moosburg
18 Décembre 1940 Je suis affecté au Kommando n° 334 qui
opère dans la ville de Moosburg avec cet horaire :
8 à 9 h - 9 h 30 à 12 h-13 h - 15 h 30-17 h.
Pelletage, chargements, nettoyages, corvées les
plus diverses. L'hiver est rude (- 25° à - 30°) et
le travail pénible, mais… cette position couplée
"Stalag-kommando" va permettre l'approvisionnement
de l'équipement pour une évasion à deux… avec
Georges, j'espère. Le contact avec la population
autorise tous les échanges possibles avec pour
principal résultat d'améliorer notre alimentation
afin de rester en bonne forme physique. Le
meilleur rapport de ce "marché noir" est de vendre
en ville ce que l'on achète au camp : chandails,
chaussures, couvertures, capotes militaires
françaises et allemandes, en particulier volés en
majorité dans les magasins du Stalag par des "K.G.
privilégiés", avec la complicité probable de ceux
qui veillent au maintien de l'ordre. Ce n'est pas
mon problème. Les fournisseurs du camp et de la
ville, les acheteurs à l'intérieur ou hors des
barbelés, les revendeurs au "marché VII A", ou
dans les rues de Moosburg sont anonymes, mais
participent indirectement à mes projets… En
principe, les ventes aux civils sont effectués en
marks réels, pour approvisionner ce qui est
précisé précédemment. Mes achats à Moosburg se
résument à cigarettes et alimentation pour être
répartis (s'ils ont subi avec succès les
"fouilles" lors de nos rentrées au Stalag) au prix
coûtant pour les "amis de la barak" et, avec une
majoration normale à quelques intermédiaires au
marché du camp. A titre indicatif le paquet de 20
cigarettes d'une valeur de 50 pfenning est cédé à
60 pf et proposé "ailleurs" aux environs de 1 mark
et plus, ou détaillé à 5 pf minimum la cigarette.
Ces prix sont en "mark camp" de 10 % inférieur au
"mark ville" (1 m. ville = 1,10 m camp). A la
bourse la cote de la monnaie française est
variable… successivement j'acquiers 17 m 5 pour
350 frs, 6 m pour 200 frs et 28 m pour 700 frs
(moyenne : 1 mark égal un peu plus de 24 frs). Sur
mon "carnet noir" j'ai noté les prix d'achats les
plus divers en marks officiels : les vins suivant
leur qualité de 1 m 40 pf à 2 m 50 pf la
bouteille. Le pain de 500 gr à : 0,18 m. - les
petits pains : 0,05 m pièce - les 125 gr de beurre
: 0,45 m - le saucisson de 1/2 kg : 1,00 m - le
miel, les 125 gr : 0,65 m, ou le petit carré :
0,25 m - un fromage : 0,40 m, ou 1,60 par boîte de
4… suivant son pourcentage de matière grasse ! -
0,45 m la boîte de "pastille Wybert" contre la
toux (nous sommes en hiver) - sans omettre la
poudre anti-poux : 0,50 m la boîte. Il faut
ajouter quelques accessoires ménagers dont
certains sont destinés à "l'objectif", les prix,
comme les précédents ne peuvent avoir aucun
caractère statistique: briquet : 1,50 m - montre à
aiguilles fluo : 12 m. - peigne : 0,50 m. -
chandail : 2,50 m. passe-montagne : 1,50 m. -
pullover : 1 m. - Second pull : 2,50 m.
L'acquisition des vestes, pantalons, chaussures,
chemises, cravates, casquettes, imperméables,
valise… boussole et montre (phosphorescentes) font
l'objet de plusieurs échanges d'une valeur
supérieure à 100 marks ! Le passage de ces objets
encombrants doit échapper au contrôle du poste de
garde, et… surtout éviter les fouilles fréquentes
dans les baraques (une par semaine en moyenne,
mais 5 en 10 jours fin Février)… un peu d'astuces,
et, beaucoup de chances étalées pendant ce dernier
séjour au VII A du 29 Novembre 1940 au 31 Mars
1941.
La "vie" au Stalag
Pendant mes séjours à
Moosburg, il n'y a pas que cet approvisionnement
au marché noir, et, la vision de revoir ceux qui
sont de l'autre côté du Rhin (représentants
espoirs et interrogations). Notre vie de tous les
jours continue. Georges à la "25" dite des
intellectuels, et moi à la 16 B (j'ai quitté la
15A). La suite sera donc résumée en chapitres:
le plus important, celui de la santé est positif,
grâce au séjour à Ruhpolding du 2 Août au 5
Novembre, et, malgré l'intermède très court du
"chantier de voie ferrée" (10 jours). C'est avec
stupéfaction et pitié que j'assiste à la déchéance
de quelques "K.G." recherchant dans les "cuves à
déchets", d'immangeables suppléments de
nourriture… certains (paraît-il) ont échangé leurs
portions réglementaires contre tabac ou cigarettes
(je n'ose le croire). A signaler toutefois, une otite à
l'oreille gauche, vers le 11 Décembre, qui me vaut
4 jours de soins à l'infirmerie, où j'y rencontre
un "évadé repris" condamné pour effraction d'un
pavillon, et, d'espionnage (car possesseur d'un
appareil photo) au cours de sa tentative. Il a la
ferme intention de la renouveler et nous en
parlons sérieusement mais un matin, je constate
son absence… départ vers un "camp de répression" ? Les nouvelles de "France"… toujours trop
courtes, peuvent constituer le second chapitre.
Les colis qui m'arrivent représentent beaucoup de
sacrifices financiers de la part de Suzy… Les
lettres ne peuvent répondre à nos questions,
posées par l'intermédiaire de cartes appropriées
(quelques lignes d'une écriture très serrée)
numérotées de 8 (3/12/1940) à 21 (28/02/1941) soit
une par semaine pendant cette période
intermédiaire au VII A. En sus, de Villiers Le
Bel, quelques nouvelles dont une, postée le 14
Novembre, et réceptionnée le 5 Janvier. N° 3 Les
"loisirs", la détente sont indispensables,
particulièrement pour ceux de la "25" qui sont
exemptés de service, mais pour les autres aussi.
Belote… Echecs (je joue mal). Bridge (encore plus
mal, et Georges se défoule à mes dépens). Poker
(très peu, car la chance n'est pas de mon côté),
le plus souvent à la baraque 25. D'autres
distractions, plus collectives, sont préparées par
des professionnels et amateurs : concert polonais
le Dimanche 8 Décembre. "Fête de la Barak 25" le
31 Décembre. Soirée de gala organisée le 4 Janvier
1941 par le "Théâtre du camp", le titre de la
revue (avec travestis) est "Nuit de Noël à
Moosburg", sans oublier la St. Lucien le Mercredi
8 (1 bouteille de vin français = 1,40 m et
d'italien = 2 m). N° 4 Les
faits, les conversations, les ragots… tous très
divers "agrémentent" notre captivité, et, je note
(toujours sur mon carnet noir), courant Décembre :
Notre ami Ferrand, a enfin réussi à revenir de
Freilassing quelques jours après notre départ
mouvementé, et, nous signale que le sergent-chef
"français" avait dit : "Bernard a été puni de 21
jours de prison, pour avoir menacé de s'évader".
Un autre K.G. qui était avec nous à Ruhpolding
rapporte que le Posten barbu avait déclaré :
"Guimas et Ferrand ont été renvoyés au Stalag avec
motif"… lequel ? Le Sergent-Chef X - du 1er de
Cambrai nous affirme que lorsqu'il a été "ramené"
après une tentative d'évasion, le "responsable
français" avait prononcé cette phrase "Ce sont ces
gens-là qui nous font du tort, il faudrait un
exemple". Si l'on ajoute le comportement des
"anciens" du kommando n° 2558 et, l'incident
suivant, le 31 Janvier 1941 mon opinion formulée
dès mon arrivée à Moosburg se confirme. Au kommando de Moosburg, je procède à la
Fabrik, au chargement d'un wagon à la vitesse
normale d'un prisonnier de guerre. Mon coéquipier
estimant que mon rendement est inférieur à celui
d'un civil allemand m'en fait la remarque, comme
s'il était chargé de défendre les intérêts du
patron hitlérien ! de paroles en paroles, les
gestes suivent… et, se rendant compte de son
infériorité physique, ce "minable" se saisit d'une
scie à bois. Ce souvenir, restera longtemps marqué
au rouge à mon poignet gauche (et son nom en bonne
place, dans mon carnet noir!).
N° 5
Les conversations
relatives à d'éventuelles évasions prolifèrent au
stalag, et, bien que j'estime disproportionnés les
risques à prendre pour sortir du VII A, je me
laisse convaincre par Occelli Mle n° 49134, du
10ème Dragon à Orange (Vaucluse) qui a un plan
précis, mais ne travaillant pas, doit passer par
les égouts, et moi, avec !… les barbelés étant
infranchissables. Nous devons être le 26 Février
(nouvelle lune). Au moment où je m'introduis dans
le conduit obscur et réduit, nos complices de
surveillance donnent l'alarme (gardiens et chiens
nous attendent à la sortie). J'avoue un
soulagement à cette annonce. Je liquide ma gourde
de rhum (incorporée à mes bagages) et vais
rejoindre ma couchette, pour m'endormir
lourdement. Le lendemain, ou peu de jours après, j'ai
l'accord de Georges pour que nous tentions
ensemble l'aventure. Tout notre matériel est prêt,
et Georges a le feu vert pour utiliser un plan en
provenance des "Intellectuels de la 25" !
Memmingen… VII B
Nous attendons notre incorporation, tous
deux dans un kommando à la campagne. Mais un
contingent est désigné pour être transféré au VII
B, et nous sommes du voyage pour Memmingen situé à
une centaine de kilomètres à l'ouest de Munchen,
ce qui nous rapproche sensiblement de la frontière
suisse, et, nous console de la modification de
notre programme.
1er Avril 1941
Le départ est caractérisé
par une fouille très sévère (mais nous avons des
valises invisibles) et notre arrivée le soir, à la
nuit est sans problème. Les "anciens" nous
préviennent que la fouille au réveil sera très
scrupuleuse. En conséquence, nous utilisons nos
heures de sommeil à cacher "nos trésors" en
effectuant de nombreux déplacements aux W.-C.
Dissimulés sous une vaste capote de cavalerie…
vêtements, alimentations et divers, se déplacent
incognito vers des emplacements bien déterminés…
la boussole et le couteau sont disposés dans la
partie supérieure du réservoir de la chasse d'eau
d'un des W-C.… Le lendemain, comme prévu,
l'inspection est très organisée, et le monticule
des "interdits" est d'un volume qui satisfait la
direction du VII B, sans inconvénient pour nous !
Après cette opération, nous sommes rassemblés avec
l‘ensemble des occupants du Stalag. La dissolution
est caractérisée par le "Vive De Gaulle" habituel
sanctionné par les sourires pleins d'humour des
soldats allemands…
Kommando de Böhen
4 au 5
Avril 1941
Incorporés dans le même
kommando (grâce aux conversations de Georges… en
langue maternelle de nos gardiens) nous arrivons à
Böhen avec 8 camarades. Le Posten semble
bienveillant, et le local est acceptable. Je
travaille dans une grande ferme. Le patron est
correct, mais strict. La nourriture est bonne,
mais le beurre est réservé à la famille !
Courant Avril jusqu'au 23
Les contacts avec les
habitants sont sympathiques et plus
particulièrement avec les jeunes. Georges parle
très souvent avec eux, et, un soir reçoit de l'un
des gosses, quelques tickets d'alimentation… "Tu
peux en avoir besoin" dit-il sans se douter de nos
intentions. Probablement en remerciement de
distribution de chocolat effectuée suivant nos
possibilités. Nos compagnons ignorent notre
projet… la méfiance est de rigueur pour éviter
toute imprudence (Rault seul sera informé). Notre
action va déranger la paisible ambiance, d'autant
que les fêtes se succèdent en ce mois d'Avril :
Dimanche 6: les Rameaux - le 11 : Vendredi Saint -
les 13 et 14 : Pâques, sans omettre que le 20 Suzy
doit souffler les 35 bougies du gâteau de son
anniversaire et que nous fêtons la St Georges le
23. C'est probablement entre ces deux dernières
dates que nous récapitulons le projet établi par
Reuter, de la baraque 25, connaissant parfaitement
la région du Vorarlberg où il passait ses vacances
(l'un des premiers évadés aux environs de Noël).
Pour nous, l'opération doit s'effectuer
théoriquement en 2 nuits… la première de Böhen à
Kempten à pieds (25 km environ) puis en train
jusqu'à Innsbruck (120 à 150 km), et vers
Feldkirch (150 à 200 km) où nous arrivons à 20 h
09 ou 20 h 22. Passage prévu des frontières du
Liechtenstein, et de la Suisse cette seconde nuit.
Tout est précisé sur une feuille de papier, d'un
côté les instructions, de l‘autre un croquis du
parcours pédestre entre la gare de Feldkirch et
les barbelés. Sur le petit "almanach du Trait
d'Union" édité à notre usage par les services de
la propagande "hitlérienne" la nouvelle lune est
fixée au Samedi 26 Avril… mais nous décidons
d'avancer d'une nuit, ce qui est rationnel car il
faut toujours prévoir… l'imprévisible.
Notre évasion
Départ à pied… Böhen
Jeudi 24 Avril 1941 Journée de repos. Une de plus. C'est la
fête à l'église du village. Malgré le soleil, nous
restons allongés sur nos lits, dans la "barak".
Les heures s'écoulent lentement. A 21 h… toilette
et rasage… 1 heure plus tard nous sommes couchés. A 23 heures, nous nous habillons "en
civils", lentement, silencieusement et, à 23 h 45,
nous franchissons, chaussons aux pieds et
chaussures autour du coup, la porte située à
l'arrière du bâtiment (elle n'est pas fermée à
clé… et le Posten possède une chambre en ville…).
Il pleut… Nous nous dirigeons vers le bois… Une
fenêtre s'ouvre proche et bruyante… Le dernier
pavillon est passé, nous atteignons la lisière du
petit bois… Il est minuit… Nous laissons sur place
nos savates mouillées, enfilons très rapidement
nos chaussures, et, valise en main prenons la
direction de Kempten, situé à 20 km et que nous
devons atteindre tôt le matin pour prendre le
train direction Innsbruck… Mais… Vendredi
25 AvrilNous marchons au milieu de la route, vers
le Sud… Georges allume une cigarette… Au loin, sur
les hauteurs, à notre droite, légèrement en
arrière… une lumière bleue apparaît… Nous
continuons (Georges dissimule le rouge brillant de
sa cigarette) nous marchons… La pluie a cessé. Vers 3 heures 1/2, le silence de la nuit
est troublé par un bruit de moteur, à l'arrière,
qui se rapproche, une lueur blanche apparaît de
plus en plus intense. Nous avons tout juste le
temps de piquer un "sprint" d'une vingtaine de
mètre, côté droit dans le champ et, de nous jeter
à plat ventre, le nez dans l'herbe humide… Sur la
route, assourdissante, l'auto-phare passe
rapidement… Le rayon lumineux frôle nos dos
enfoncés et fait briller l'horizon… Nous étions
informés de ces engins de recherches… Heureusement
le silence revenu, nous ne cherchons pas à
supposer si notre disparition au kommando a été
signalée, ou, si nos silhouettes ont été décelées
dans la nuit noire… Il est 4 heures, ceux qui sont
à notre poursuite attendent à la prochaine
agglomération… très certainement. Le soleil va
bientôt chasser l'obscurité protectrice. Droit
devant nous, perpendiculairement à la route que
nous venons de quitter, nous accélérons notre
course à la recherche d'un asile.
16 h dans une grange
A 4 h 1/2… Devant nous une
grange où sont empilés des supports en bois,
utilisés pour le séchage du foin… Nous effectuons
une ascension laborieuse car obligatoirement très
silencieuse… Les lumières s'allument face à nous.
Nous sommes installés au sommet de cet assemblage,
et, dissimulés assistons toute la journée au
spectacle d'une ferme en animation… Hommes,
femmes, chiens circulent plus ou moins activement
à quelques mètres de notre refuge. Immobiles, sans
oser parler, grignotant par instant quelques
aliments. Il nous semble qu'un groupe d'hommes en
gris arrive à la ferme et stationne longuement… Midi… le soir… Le froid… c'est long ! A 21 h nous partons, toujours vers le Sud
et rejoignons une voie praticable… Soudain un
bruit de moteur… Nous nous dissimulons fausse
alerte… ce n'est qu'un tracteur poussif qui se
déplace lentement. Samedi 26
Avril Nous poursuivons notre trajet, dans les
champs, parallèlement au chemin. Il est minuit… Je
chute dans ce que je crois être un ravin… Sans
mal, mais la valise s'est échappée de mes mains,
et nos recherches avec Georges qui m'a rejoint
sont longues et vaines.
Deuxième nuit… à la belle étoile
Cet incident nous oblige à
passer la nuit à p roximité. Adossés à un arbre,
nous essayons de sommeiller (après avoir teinturé
notre aire de repos avec du poivre en poudre). Il
fait froid… Très froid. Cette nuit abominable ne
se termine que lorsque la clarté nous autorise à
constater la présence de notre indispensable
valise à quelques mètres… Elle semble nous défier,
intacte ! Aux abords, un ruisseau facilite notre
nettoyage sommaire. Les aboiements d'un chien à
quelques 200 mètres, incitent à quitter les lieux.
La boussole nous indique la direction sud. Peu de
temps après, nous rejoignons une "Nationale", et,
bientôt un écriteau "KEMPTEN 5KM", confirme que
nous sommes dans la bonne direction. Nous occupons
le trottoir de droite, et, apercevons les premiers
immeubles de Kempten. Deux gendarmes à moto
circulent en sens inverse, et arrivés presque à
notre hauteur, lèvent l'avant-bras gauche, main
ouverte, pour signaler qu'ils changent leur
trajectoire. Les 2 motos s'engagent dans le petit
chemin que nous allions traverser, et nous nous
arrêtons pour leur permettre de passer… devant
nous, sans nous frôler, mais presque ! Cette scène
n'a duré qu'une dizaine de secondes pendant
lesquelles nous adoptons l'attitude "indifférente"
du joueur de poker en des moments stratégiques.
Ouf !
Kempten… le train
L'agglomération est
atteinte. Vers 9 heures nous arrivons à proximité
de la gare. Une troupe allemande passe une revue
devant cet édifice. Nous bifurquons. Promenade dans la ville, en variant le
parcours, mais nos jambes sont lourdes, malgré de
courts arrêts sur les bancs du petit jardin
public… face à la gendarmerie ! A 10 h 1/2, la gare est vide… Georges se
renseigne sur les horaires, et… nous reprenons la
pénible marche jusqu'à 13 h ! Georges, au guichet fait assaut de
politesse avec un Feldwebel (s-off. allemand)
"Après vous…" etc, avant de prendre deux billets
pour Innsbruck (6,20 marks l'unité). Le train part
à 13 h 10. Nous prenons place sur la plate-forme
arrière du petit train de montagne. La femme
contrôleuse nous dévisage de la tête aux pieds…
vérifie nos billets et rentre à l'intérieur du
wagon continuer son travail. Revenue sur la
plate-forme, elle s'adresse à moi en souriant,
heureusement Georges qui regarde le paysage
intervient pour répondre à l'invitation faite de
nous asseoir avec les autres voyageurs, car il
fait froid. Nous prenons place, Georges près de la
fenêtre et moi à côté fermant les paupières et
simulant le sommeil… pour éviter la conversation
qui s'engage entre Georges et le passager qui lui
fait face, et, lors de notre arrivée, avait
abandonné la lecture de son journal "nous sommes
frères, nés à Genève, peintres en bâtiment, venons
travailler à Innsbruck"… bla, bla, bla… etc!
Bourdonnement incompréhensible enregistré par mon
oreille droite. L'atmosphère est lourde, il semble
(probablement à tort) que l'entourage se méfie de
nous : arrêt à Reutte (1er tiers du parcours).
Changement de train, toujours accompagnés de notre
interlocuteur. Nouveau stop à Garmisch (second tiers du
trajet), encore escortés du même… Nous l'oublions
adroitement au cours de l'attente de l'Express en
provenance de Munich. Installés confortablement
dans un compartiment, la beauté du paysage qui
défile ne nous fait pas oublier notre mésaventure
de la nuit et notre promenade dans Kempten. A proximité d'Innsbruck, nous observons
attentivement les lieux… car il faut trouver un
abri le soir, suite aux imprévus de la veille. Enfin la gare… Nous sommes aux environs
de 20 h. Les quais sont encombrés (notre programme
prévoyait que la veille nous utiliserions
l'omnibus à 15 h 25 ou l'express à 17 h 30 environ
pour rejoindre Feldkirch)… mais nos pensées sont
pour le présent immédiat. Nous nous séparons et
suivons la foule direction "sortie". Le portillon…
Le ticket (il me semble que tous les regards
convergent sur moi)… Quelques centaines de pas
dans la cité… Nous nous rejoignons… un minimum de
paroles… Que faire ?
Innsbruck… à l'hôtel
Nos pas se dirigent vers
l'extérieur d'Innsbruck mais la banlieue est
éloignée, et, ce que nous avons pu constater au
travers des vitres du train n'est pas
encourageant… Demi-tour… Nous retournons aux
abords de la gare. La journée se termine. Les lampadaires,
en s'allumant, notifient qu'une décision doit être
prise sans tarder. Georges s'adresse à quelques
passants, et, à sa question chacun indique le même
"Brasserie-Hôtel" à proximité, où nous voyons de
nombreux uniformes gris circuler. Un client
"civil" sort de l'établissement, légèrement ému,
et Georges entame une conversation d'où il ressort
qu'il n'est pas important que nous soyons démunis
de papier d'identité… car on ne nous les demandera
pas… Rassuré, mais perplexe, Georges (Suisse),
toujours en allemand, s'adresse à un nouveau
promeneur… "Nicht verstehen"… "Italia" est la
réponse ! "Helvetia" indique Georges en se
frappant la poitrine… Continuation du dialogue par
l'italien dans sa langue d'origine… Georges "Nicht
verstehen…" et, dans le silence de cette rue
tyrolienne nous entendons : "Dans ce patelin, je
ne comprends personne…" etc. Un long entretien, en
français, auquel je suis heureux de participer,
confirme les informations précédentes… Le temps passe… La Brasserie se vide de
ses occupants; et plus particulièrement de ceux
costumés en gris ! La décision est dictée… par le
froid qui traverse nos vêtements… de plus s'il y a
échec, il vaut mieux qu'il s'accomplisse avec
confort ! Notre entrée est discrète… Nous nous
accoudons au comptoir, avec le minimum de paroles,
devant… deux chopes de "München Pression",
qu'assoiffés nous absorbons par petites gorgées
(merveilleusement délicieuses) mais rapidement.
Nous réglons à l'avance (3 marks) la chambre
sollicitée, puis, derrière le "garçon de salle"
montons à l'étage. Après les formalités d'usage,
il nous gratifie d'un "Heil Hitler" réglementaire
(auquel nous répondons avec la même sincérité), et
ferme la porte de la grande pièce à 2 lits… refuge
de luxe avec verrou! Rapidement, nous nettoyons
corps et vêtements, puis, après avoir disposé nos
pantalons humides entre sommiers et matelas…
prenons possession de nos lits… Très vite… le
sommeil, les rêves !
Innsbruck… au restaurant
Dimanche 27 Avril Vers
8 heures… réveil… Pas de bruit suspect… mais notre
appréhension d'une intervention policière
matinale, active nos mouvements. Lavés, rasés,
habillés, nous quittons bientôt notre abri tout
confort… descendons l'escalier. Dans le hall, un
regard côté gauche nous fait percevoir de nombreux
soldats allemands dans la Brasserie. Nous tournons
à droite, et sortons de l'hôtel… Il est 9 heures. Lentement, nous explorons cette cité,
recherchant un emplacement pour nous restaurer…
Vers 10 h, sous les arcades, en bordure de l'Inn
(cet affluent du Danube, qui traverse le Tyrol et
prend sa source dans le canton des Grisons en
Suisse) nous rentrons dans un cabaret pratiquement
désert, et, paisiblement installés, dégustons
notre café au lait… lectures, causeries (à voix
basse pour moi!). Le temps passe… La salle se remplit,
c'est l'heure de commander le déjeuner, le serveur
demande nos tickets de viande, ce qui ne pose pas
de problème (Georges en était muni grâce à un
jeune de Böhen). Alimentés suffisamment, notamment
par des boulettes de boeuf délicieuses, nous
quittons ce lieu public. Nous croisons beaucoup de
promeneurs, en déambulant… c'est Dimanche. Un
gosse nous dévisage avec insistance… par
précaution (inutile ?) nous accélérons notre
marche, et modifions plusieurs fois de direction,
sans oublier que nous devons rejoindre la gare.
Innsbruck… la gare
Au guichet, Georges se
procure les billets pour Feldkirch… des
"Aller-Retour" ce qui est inhabituel (mais peut
avoir un effet positif lors des contrôles) soit 6
m 40 x 2 x 2 = 25 marks 60 pf au total. Le train
"omnibus" part à 15 h 25. Voyage confortable, sans
incident pendant la moitié du parcours. A Landeck (où le chemin de fer quitte la
vallée de l'Inn), un "Super Contrôleur" examine
attentivement nos 4 billets 2 "aller" et 2
"retour"… pour nous, l'opération dure très, très
longtemps ! Quelques banquettes plus loin, après
avoir poinçonné les tickets… il vérifie les
papiers d'identité. Attente… inquiète de sa sortie
du compartiment.
Feldkirch… train terminus
Notre omnibus arrive en gare
de "Feldkirch" à 20 h 09. Passage du portillon.
Sans consulter notre petit croquis, que nous avons
en mémoire, nous découvrons le pont sur l'Ill (non
gardé, comme prévu dans nos instructions). Nous
attendons la fin du jour en parcourant quelques
rues de cette cité historique dont certaines sont
caractérisées par arcades et voûtes. Bientôt nous
franchissons l'Ill (qui prend sa source dans la
province du Vorarlberg, près de la frontière
suisse, et, rejoint le Rhin en amont du lac de
Konstanz). La guérite, près du pont est vide
(comme précédemment). Valise à la main, nous nous
engageons sur la route de Buchs, vers la
frontière. Nous croisons quelques civils attardés…
c'est la tombée du jour, et, nous dépassons un
chemin vers Bludenz à notre gauche. A la sortie
des faubourgs (2 km environ après le pont sur
l'Ill), nous nous dissimulons dans un petit bois,
en surélévation, au droit de la route. De l'autre
côté c'est la voie de chemin de fer
"Feldkirch-Buchs". Il est 21 h 30… Nous attendons…
Au loin une cloche sonne 11 fois… ma montre
indique 22 heures. Une autre commence à tinter, à
plus de distance. Nous comptons pour être sûr… 1,
2, 3… 10, 11… Elles sont en terres libres…
Vers… la frontière
Une heure plus tard, à 23 h,
nous nous dégageons sur place de tout ce qui était
précieux, indispensable (valise, aliments,
imperméables de couleur claire), il y a quelques
instants. A l'aise, avec un chandail de laine, je
ne conserve en poche que le strict nécessaire…
Partis perpendiculairement à la route, nous
quittons le bois et traversons la voie ferrée. En
plaine, nous continuons dans la même direction.
Arrêt, après quelques centaines de mètres, pour
nous orienter par rapport à la ligne de chemin de
fer que nous devons essayer de suivre
parallèlement. D'après nos calculs, nous sommes à
1,500 km de la frontière (en réalité nous sommes
plus proches, car l'orientation au départ était
oblique et non perpendiculaire à la voie ferrée…
supposition, après !). Les 2 postes "frontière"
sont distants de 1200 m. l'un est implanté sur
notre gauche, près de la ligne de chemin de fer.
L'autre est disposé sur notre droite au bas de la
colline boisée. Un poste suisse est signalé (sur
notre plan) à une trentaine de mètres en
territoire neutre. De ce second poste de garde… il
est prudent de se méfier! Malgré les indications
rassurantes. Suite à ce court arrêt, nous
effectuons un quart de tour, à gauche en faisant
confiance à la colline boisée côté droit derrière
laquelle la frontière est également signalée mais,
très surveillée et en conséquence pratiquement
interdite suivant nos informations. Notre lente
avance "style indien" se poursuit… mais la
position "plat-ventre" se prolonge. Nous écoutons…
le silence. Un convoi, venant de Suisse constitue
un trait lumineux (et sonore) nous permettant de
vérifier notre progression dans l'axe déterminé.
L'obscurité est totale, la nouvelle lune était
fixée au 26 Février… il est près de minuit et nous
sommes encore le 27 ! Nous rampons posément, les
yeux rivés vers le Sud-Ouest, anxieux toutefois.
Soudain, nous percevons un bruissement, qui en
quelques instants s'amplifie… Immobilisés, nous
rentrons nos corps en terre… de plus en plus, au
fur et à mesure que les pas, qui viennent du
Nord-Ouest, se rapprochent. L'homme est à nos
côtés, peut-être accompagné d'un chien. Il passe
derrière nos silhouettes invisibles. Pendant ces
minutes interminables… que de pensées ! Echouer si
près du but… Comment préparer une nouvelle
évasion… La marche de l'homme (probablement la
sentinelle assurant la surveillance entre les deux
édifices de la douane) s'est éloignée lentement…
nous pouvons à nouveau percevoir le manque total
de bruit, et attendre quelques instants.
Relativement rassurés, après ce long "stop", nous
continuons à nous traîner sur le ventre… Mais tout
de suite… les barbelés sortent de la nuit et
apparaissent à quelques mètres, majestueux dans
leur laideur. Rapidement pour moi, plus
sereinement pour Georges… ils sont traversés (mon
pullover est déchiré par les pointes des fils de
fer). Nous courons une quinzaine de mètres sur
cette terre du Liechtenstein, puis restons
accroupis. Il est 2 h 15, heure allemande (… une
heure de plus, ici en pays neutre).
Le Rhin… la Suisse
Lundi 28 Avril 1941 Après avoir franchi un petit ruisseau (1
m. de largeur environ) nous marchons rapidement,
orientés par la voie ferrée qui traverse, sur 9 à
10 km, cette "principauté" de 159 km2 et aboutit
en Suisse, à Buchs, après avoir utilisé un pont,
pour franchir le Rhin. Ce viaduc est notre
objectif depuis le départ, Jeudi soir, et, pour
l'atteindre la prudence est plus que jamais de
rigueur. Nous évitons toute rencontre, en
particulier dans les agglomérations, que nous
longeons, et, que nous supposons être les
faubourgs de Vaduz, pour la plus importante. Nous
nous dissimulons si possible à l'apparition de
tout ce qui bouge, même en imaginaire. Il n'est
pas possible de déterminer si les patrouilles
seront favorables car, même suisses nous pourrions
être accompagnés jusqu'à la frontière que nous
venons de dépasser… et remis à nos anciens
gardiens! Il est 5 h 25, heure locale… Nous
marchons sur le pont de chemin de fer traversant
le Rhin… puis courons, franchissons la moitié du
fleuve. Nous sommes libres, levons les bras pour
nous rendre aux autorités suisses… pour manifester
joie et fierté d'avoir mené à bien ce que tout
prisonnier de guerre doit tenter… une fois au
moins… C'est ma conviction à cet instant… par la
suite… mieux informé… j'ai compris que les
circonstances auraient pu m'interdire de réaliser
en plusieurs années ce Rêve, commencé le 26
Juillet 1940, au moment où le troupeau de soldats
français traversait ce même fleuve… en sens
inverse !
Libres
Accueil… à
Buchs
L'accueil des soldats de
garde au poste de frontière est sympathique. Ils
nous font partager leur petit déjeuner… et plus
tard le déjeuner. La nourriture est bonne,
cigarettes, bière, chocolat ne manquent pas.
Evidemment nous leur résumons notre évasion:
Eloignement du kommando à Böhen le Jeudi 24 Avril
à 23 h… 2 nuits à l'extérieur avant d'utiliser le
chemin de fer à Kempten, le Samedi 26 à 13 h 10,
puis, passer une nuit à l'hôtel à Innsbruck. Enfin
le Dimanche 27, notre déjeuner en ville… parcours
en train de 15 h 25 à 20 h 09. Traversée du ponton
sur l'Ill à Feldkirch à 21 h 00 environ. Passages
de la frontière allemande le Lundi 28 Avril à 2 h
15, et celle du Liechtenstein à 5 h 30, (heure
suisse) soit un peu plus de 2 heures pour
traverser la Principauté. Au total : 77 h environ,
soit 48 h de retard sur le plan de base…
heureusement, nous avions prévu la moitié de
"l'imprévisible" par rapport à la "nouvelle lune"
mentionnée la nuit du 26 au 27… elle aurait refusé
sa complicité, ne pouvant retarder le 1er
quartier, de son apparition. Mais… et, nous ne
nous en formalisons pas, la police suisse nous
considère comme "suspects". Dans le courant de
l'après-midi, nous sommes transférés à Sargans, et
longuement interrogés. Le menu du dîner est
convenable. Nous retournons à Buchs : visite
médicale, enquête complémentaire, fouille stricte.
J'échange 30 marks contre 18 francs suisses. Pour
terminer, nous sommes dirigés vers la "prison
civile", semblable à toutes les autres… la nuit
est froide… il n'y a plus de chauffage. L'agent
qui nous surveille refuse de nous donner une
boisson (c'est le règlement).
En prison… à St Gallen
29 Avril 1941 Partis de Buchs, vers 8 heures, nous
arrivons à la maison d'arrêt de St Gallen, 2h plus
tard. Fouilles (argent confisqué), photos,
empreintes, identité… c'est sérieux ! Les
policiers ne nous séparent pas. La porte de la
cellule se referme. Le confort est similaire aux
autres geôles où sont emprisonnés les "droit
commun" dont un condamné à un séjour de longue
durée. La petite fenêtre nous fait constater que
l'épaisseur des murs est supérieure à 1 m. Pour
nous défouler nous hurlons "dans une tour de
Londres… il y avait un prisonnier…" etc, et, les
passants que nous pouvons entrevoir, lèvent la
tête intrigués. Le porte-clefs intervient
sévèrement pour nous faire taire… protestations
véhémentes contre les conditions inadmissibles de
notre incarcération. Dialogue sans résultat.
30 Avril
Le procureur-général nous
convoque suite à notre comportement bruyant de la
veille. La conversation se prolonge. A notre
requête d'être entendus au consulat, la réponse
est : "Le consul ne peut faire grand-chose pour
vous, mais moi, je vais m'occuper de votre
situation et améliorer votre sort". ll tiendra
parole… Dans un couloir, nous dialoguons avec 2
évadés qui arrivent : Baradur et Duran.
1er Mai (et les jours suivants)
L'après-midi nous sortons en
ville conduits par un chef infirmier militaire,
avec un groupe de soldats convalescents (l'argent
confisqué lors de notre identification est rendu à
chaque sortie, et repris au retour de la
promenade… toujours le règlement). Quelques achats
: bière 1/2 litre = 0,30 F - tasse café nature =
0,30 F - brioche = 2 F - charcuterie fine 0,4 kg =
3 F - paquet de cigarettes "celtique" = 0,70 F.
Les policiers sont parfaits. L'un me fait cadeau
d'un costume marron, de bonne qualité, et en bon
état. Georges hérite d'une veste et d'un
imperméable.
Annemasse… la France
5 Mai 1941
Réveil à 4 h 30. Nous
quittons très tôt cette prison, devenue très vite,
une maison de détention sympathique. Dans le
train, direction France, d'autres "K.G. évadés"
s'incorporent à notre groupe. A la station de
Lausanne, Georges et un autre compagnon sont
conduits au Fort de la ville pour être interrogés
par un représentant de l'armée suisse sur ce
qu'ils ont pu observer en territoire ennemi,
notamment les mouvements de troupes (… un bon
repas leur est offert) puis, en tramway,
retournent à Genève (nous ne nous retrouverons
qu'en France). Me concernant, j'échange à Genève
mes 18 francs suisses (que je m'étais procuré pour
30 marks deutchland)… qui valent 400 F français
(traduction dans la Patrie des banques : 400 F =
30 marks = 18 F suisses !). A proximité de la
frontière, avant de nous remettre à la disposition
des autorités françaises, les fonctionnaires
d'Helvétie persistent dans leurs amabilités et
offrent des cigarettes (j'hérite d'un billet de
loterie n° 224497… non gagnant) probablement pour
s'excuser de ne pas être directement concernés par
les conflits en cours ! Il est midi…
Démobilisés… Annecy
Enfin, nous nous retrouvons
Georges et moi, à Annemasse, au centre d'accueil…
Procès-verbal d'évasion… Allocution d'un officier
(Pétain… etc…). Dans notre brève réponse nous
signalons la similitude des propagandes… Là-bas
les portraits d'Hitler en quantité… ici ceux de
Pétain dans toutes les boutiques. Egalement, nous
racontons qu'au VII B, à Memmingen, le "Vive De
Gaulle" était rituel à la fin de chaque
rassemblement. Déjeuner sommaire… L'après-midi,
promenade en terre de France. Dommage que les
vitrines des magasins soient encombrées de
portraits du maréchal (probablement le
prolongement de la Fête du Travail… 1er Mai…
Ailleurs, il en est de même pour le Reichsführer).
Le soir, nous rentrons à l'hôtel de la gare pour y
passer notre première nuit… autonomes.
6 Mai 1941
Vers 6 h, nous quittons
Annemasse, pour rejoindre Annecy, à une trentaine
de kilomètres, et, régler les dernières formalités
au centre de démobilisation du canton. Fiche n°
11690. En sus d'une prime de 1000,00 Frs, j'ai
droit à une paire de chaussures et un peu de
linge, également un costume (mais il n'y en a pas
à ma taille !). Je signale qu'en Suisse nos
gardiens ont prévu la carence de l'administration
de Vichy… A noter que les démobilisés qui n'ont
pas la possibilité d'indiquer un domicile, en zone
libre, où ils peuvent se retirer sont "conservés"
par les autorités du centre démobilisateur dans un
camp approprié… Heureusement pour moi (car je suis
dans cette situation) je désigne le domicile des
parents de Georges à Marseille (Villa Tredos,
Impasse Jean André). En sortant de l‘édifice,
débarrassé des matricules n° 3751 (567ème Cie.
SCFTN du 15ème Génie à Toul) et n° 38333 (Stalag
VII A et VII B…), je vais à la Banque de France
"troquer" 51,50 marks (probablement un peu moins
de 700 Frs… mon carnet noir est muet sur ces
précisions). Vers 19 h nous allions au buffet de
la gare pour nous alimenter avant de nous
transporter à Marseille, et y rencontrons (hasard
bénéfique pour la suite, en ce qui concerne le
séjour en zone libre) mon ancien patron de la Sté
Electro-Luminescence où j'avais travaillé en 1929.
Nous dînons en conséquence, avec Monsieur Sinai
Lucien (120 Frs à 3) auquel nous parlons de notre
séjour chez Hitler, et qui nous informe : "zone
libre… Pétain… Vichy… zone occupée…" etc… Le train démarre à 20 h 30. Nous nous
installons dans le compartiment pour un voyage de
près de 10 h, confortablement. Mr Sinai nous tient
compagnie une partie de la nuit (mêmes sujets de
conversation… de plus, il va s'occuper de ma
position et d'un éventuel emploi) puis rejoint son
wagon-lit.
7 Mai 6 h.
Gare de Marseille. Nous
utilisons le tramway pour nous rendre à l'Impasse
Jean André. Nous entrons dans la Villa "Tredos".
Les parents de Georges nous accueillent. Ils
représentent pour nous deux : la France.
Marseille… avec la famille de Georges
8 au 11 Mai 1941 Les démarches commencent, avec priorité
pour les cartes d'alimentation. Je rencontre Mr
Sinai, qui s'occupe d'un éventuel emploi,
conformément à notre conversation à Annecy, Mrs
Masson et Thyerry (pour Lyon) m'aident dans ces
recherches. Suite des inscriptions : chômage,
Comité de Secours, Réfugiés. Un peu de
distractions… Courses à l'hippodrome… Ni gain, ni
perte. Je vais à la gendarmerie pour le costume
auquel j'ai droit, puis au centre démobilisateur…
sans résultat. Inscription au bureau du port, pour
un emploi de docker !
13 au 15 Mai
Suite à l'intervention de Mr
Sinai, je rencontre Monsieur Lévy (12ème bureau,
d'Air France) qui m'engage aux Ets Messiers, à
Bidos (près d'Oloron-Sainte-Marie, dans les
Pyrénées atlantiques) sans précision de
qualification… Mais j'ai du travail. Nous nous
déplaçons Georges et moi, aux environs de
Montélimar chercher du ravitaillement dans une
ferme de la famille Bernard.
16 Mai
Je vais au bureau des
réfugiés pour obtenir le transport gratuit jusqu'à
Pau (25 km d'Oloron-Sainte-Marie) où j'ai trouvé
du travail. Résultat négatif qui vaut bien
quelques lignes supplémentaires : 1°) Je dois
"solliciter" de mon employeur (Ets Messiers) un
certificat de travail légalisé. 2°) Je dois
"solliciter" du préfet, muni de la pièce précitée,
l'autorisation de quitter le département des
Bouches-du-Rhône. 3°) Je dois "solliciter" du
bureau des réfugiés une demande de transport
gratuit avec les documents justificatifs précisés
plus haut. 4°) Après enquête de contrôle, le bon
me sera éventuellement remis, me permettant de
"solliciter" (4ème fois) un billet de transport au
guichet de la gare. Et, je n'aime pas solliciter…
et je payerai, au prix normal mon billet
S.N.C.F.!… Le soir rentré à la Villa "Tredos",
l'ambiance me fait oublier toutes ces
tracasseries, et, nous mettons au net le "carnet
noir"… 17 Mai Ce qui s'est passé la veille, va se
renouveler pour l'obtention des "cartes
vestimentaires", au 22ème secteur, Rue St
Sébastien où nous obtenons les papiers permettant
l'achat de chaussures (contre 2 F en timbres).
Pour les vêtements, c'est une autre adresse, avec
2 services, et, il nous faut 3 ou 4 déplacements
entre le 51 Rue Grignon, et la Rue de Paradis
(répartis toute la journée), pour obtenir
satisfaction (après avoir assisté à une
"chamaillerie" entre fonctionnaires). Pourquoi
décrire ces deux faits divers de tous les jours…
peut-être par ce qu'ils ont choqué l'idée que l'on
se faisait de la France il y a moins d'un mois. Dimanche
18 Mai Je note quelques achats : chaussures :
270 F - 2 chemises : 54 F et 3 paires de
chaussettes 20 Frs. L'après-midi au stade,
j'assiste à la victoire de l'O.M. sur le S.C.
Nîmes par 4 à 0 (ce S.C. Nîmes que j'avais
rencontré avec le Gallia Club de Paris, en 1930).
Le soir c'est le départ : 19 h 35… de la fenêtre
du compartiment, je regarde s'éloigner l'amitié.
Solitude !… en zone libre
19 Mai 1941 Arrêt en gare de Toulouse à 3 h 30. Repas
à l'hôtel des "Quatre Saisons" (44 Frs). Train
dans lequel je rencontre un ami de Georges (Mr
Ulmo de Valenciennes). La conversation facilite la
transition entre Marseille et Oloron-Sainte-Marie
où je débarque à 14 h 30 (mon carnet… note les
phrases entendues pendant le trajet : "en
Allemagne, les ouvriers travaillaient 70 h tandis
que nous, c'était 40 h de loisirs"… Un monsieur
très bien avec Légion d'Honneur. Et peu après Pau,
par le contrôleur : "… je leur disais, aux jeunes
soldats qui chahutaient dans les wagons… vous êtes
trop indisciplinés pour gagner la guerre". Dès ma
sortie de la gare, je passe aux Ets Messiers, à
Bidos, prendre contact; puis recherche et trouve à
Oloron-Sainte-Marie : chambre et pension… début
d'une nouvelle façon de vivre, transitoire dont
j'ignore la durée.
20 Mai
Reprise de contact avec le
monde du travail, 2 semaines après ma
démobilisation. Le bureau de dessin est en
surélévation de l'atelier mécanique, sans la
moindre séparation. Le bruit me semble diabolique.
Devant moi punaisé à la table, un calque vierge
sur lequel je vais tracer les éléments d'une pompe
hydraulique. En main un tire-ligne (retour de 650
jours en arrière !). Mai Adaptation à des techniques nouvelles, au
rythme du vacarme perçu dans le local… devenant
lentement grondement, puis rumeur. 2 Juin Quotidien comme les autres, ce Lundi de
la Pentecôte. Mes 34 bougies n'ont pas été
enflammées, aucune lumière du côté de Suzy, qui
par l'intermédiaire de la Sainte Forclum, essaye
de me faire revenir vers Paris. 7 Juin Ce Samedi, les usines Messiers et Renault
(où travaille Suzy) sont au repos. Second
anniversaire de cette même date en 1930, où nous
songeons séparément à la mairie du XIXème
arrondissement, et, analysons différemment notre
déplacement du lendemain avec le Gallia Club, dans
les Ardennes.
Juillet
La rumeur des machines
toutes proches est maintenant à peine perceptible.
J'essaye de mieux comprendre les lois du mouvement
et de l'équilibre… Il me faut quitter ces Pyrénées
qui séparent Pétain et Franco, pourtant proches…
Caricature de mon problème avec Suzy que je dois
résoudre rapidement en abandonnant ma situation
"régularisée" en zone libre pour celle de "civil
sans identité" en zone occupée. 1er Août
et jours suivants En fin de semaine, je me déplace,
essayant d'organiser ma vie solitaire, comme Suzy
a déjà accommodé la sienne depuis bientôt 2 ans.
Arudy, Aramits, mais surtout Pau, capitale du
Béarn plein d'histoire, où naquit celui qui devint
Henri IV. Entourée de sites qui frappent par leur
beauté, cette ville mérite par ses promenades,
statues, monuments, sans omettre le fameux Château
des Vicomtes de Béarn où fut détenu prisonnier
l'Emir Arabe Abd-El-Kader… Souvent le soir, je
résume mes souvenirs avec l'aide de mon "carnet
noir". 26 Août En 1939, à cette même date… mobilisation…
gare de l'Est… des cheveux blonds absorbés par la
foule… dernière vision. Je regarde les torrents
d'Aspe et d'Ossa se réunir devant moi pour
constituer le Gave d'Oloron, lequel rejoint celui
de Pau, affluent de ce fleuve tumultueux qu'est
l'Adour… Je contemple ces images de la vie, de la
nôtre… Des semaines qui s'écoulent sans
information positive. Je construis seul mon
"Cheval de Troie" pour franchir la limite imposée
par les "vainqueurs", sans la complicité de
l‘agence de Toulouse de la Sté Forclum… ni
l'assistance d'un passeur rétribué ou bénévole.
Clandestin !… en zone occupée
30 Août 1941 La banlieue nord de la région parisienne
Villiers Le Bel… je parcours l'Avenue de la Gare
derrière mes lunettes noires… Le Quartier des
Charmettes… la Rue Centrale… le Pavillon N° 8,
construit par mes grands-parents. C'est le 9ème
anniversaire de Lucienne… C'est l'aube d'une vie
semi-clandestine, longue et complexe… avec Suzy
que je retrouve après deux ans de séparation.
Documents
CF
le CD
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