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                   Index historique ElBAZE  corpus                                                        
Liste des 134 manuscrits   #Manuscrits                

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BERNARD Georges

GUIMAS Lucien

084

En traversant le Liechtenstein

GUERRE 1939 - 1945

Témoignages

NICE - Décembre 1990

Analyse des témoignages

Évasion d'Allemagne

Écriture : 1989 - 50 Pages

Prologue de GUIMAS Lucien

28 Avril 1941 1 heure 30 du matin Georges et moi… nous rampons… les barbelés… sont encore proches… L'obscurité est totale. Tout ce qui nous encombrait a été abandonné dans le petit bois où nous étions dissimulés depuis la veille… 21 h 30 !… à 1000 mètres environ de l'emplacement où nous sommes actuellement. Seuls ont été conservés, en poches: boussole, poivre, montre, marks civils, et… "carnet noir" (sur lequel j'ai noté, chaque jour, mon séjour chez Hitler). Vers 23 heures, nous avons quitté notre "cachette". Partis perpendi-culairement à la route Feldkirch-Liechtenstein, nous avons progressé (après le franchissement de la voie ferrée)… par bons de 5 à 6 pas, courbés, proches (parfois main dans la main)… Puis arrêt, à plat ventre, un instant… attentifs. Le passage lumineux, d'un convoi de wagons-voyageurs, venant de Suisse, nous a permis de contrôler nos position et direction. Nous rampons… Georges et moi… très lentement. Pas le moindre reflet du soleil sur la lune… notre complice… Nos yeux guettent, avec impatience, l'apparition des barbelés… que nous devinons à proximité. Nos informations disent que les postes douaniers sont distants de 1200 mètres. L'un est en bord de route, près de la voie ferrée. Le second est sur notre droite, au bas de la colline, où brillent quelques lumières d'habitations. Nous rampons… Moi, et Georges… dans l'axe de ces deux bâtiments, à éviter ! Soudain le silence que nous écoutons n'est plus total… Nous avons l'impression d'un léger "brouhaha" éloigné, sur notre droite. Peu après, le bruit est perceptible… Il s'amplifie mathématiquement. Je sors la boîte de poivre… et la vide avec un minimum de gestes, derrière nos corps immobiles. Nous décelons le frottement du cuir sur l'herbe… des pas… réguliers, comme le pendule de l'horloge qui fixe notre destin. Les pas se rapprochent… inexorablement. La "chose", cause de ce vacarme est à 100 mètres, 50 mètres, moins peut-être, légèrement à l'arrière de l'endroit, où nous sommes acroupis. J'imagine un chien à la droite de cette sentinelle assurant la surveillance entre les postes… Je crois entendre le cliquetis métallique de son fusil en bandoulières… Je suppose la réaction agressive de l'homme à l'apparition soudaine de deux monticules suspects… Une courte seconde, je pense bondir droit devant… courir le risque !… fatal ? Corps et visage en terre… oreilles closes, pour ne pas entendre l'injonction qui va déchirer le calme de la nuit… yeux fermés, pour ne pas voir le jet de lumière dirigé soudainement vers nos ombres… En pensée… se profilent les visages de ceux qui ont motivé notre aventure… voilés par le spectre de la baraque "40" du stalag VII A, à Moosburg…

J'évoque…

ma guerre…

nos captivités…

notre évasion…

28 April 1941 1 hour 30 of the morning Georges and me... we crawl... barbed wires... are again close... The darkness is total. Whole what encumbered us has been abandoned in the small forest where we were concealed since the vigil... 21 h 30 ! at 1000 meters approximately of the site where we are currently. Alone have been preserved, in pockets: compass, pepper, watch, civilians marks , and "black note" book (on which I have noted, each day, my stay at Hitler). To 23 hours, we have left our "hide-out". Going perpendiculairement to the road Feldkirch-Liechtenstein, we have progressed (after the clearing of the railroad way), curved, close (sometimes hand in the hand)... Then stop, to flat stomach, an instant... attentive. The luminous passage, of a convoy of trucks-travelers, coming from Switzerland, has allowed us to control our position and direction. We crawl Georges and me very slowly. The lesser reflection of the sun on the moon... our accomplice... Our eyes watch, with impatience, the appearance of barbed wires that we guess to proximity. Our information tell that positions douaniers are distant 1200 meters. One is in edge of road, close to the shod way. The second is on our right, to the low of the hill, where shine some lights of habitations. We crawl... Me, and Georges in the axis of these two buildings, to avoid ! Sudden the silence that we listen is not more total... We have the impression of a light far uproar, on our right. Bit after, the noise is perceptible... It amplifies mathématiquement. I exit the canister of pepper... and empties it with a minimum of gestures, behind our immobile bodies. We divulge the rubbing of leather on the herb... the regular feet, as the pendulum of the clock that fixes our destiny. Inexorably. The "thing", cause of this din is to 100 meters, 50 meters, less can-be, slightly to the defers the place, where we are. I imagines a dog to the right of this sentry insuring the supervision between positions... I believe to hear the metallic rattle of his gun in shoulderstraps... I suppose the aggressive reaction of the man to the sudden appearance of two suspicious hillocks... A short seconds, I think to leap straight ahead... to run the risk ! fatal ? Body and face in earth ...close ears, to does not hear the injunction which is going to tear the calm of the night... closed eyes, to does not see the directed light suddenly throw to our shades... In thought... profile faces of these who have motivated our adventure... veiled by the specter of the hut "40" of the Stalag VII A, in Moosburg

I evokes...

my war...

our captivity...

our escape...

Postface de Jean-Louis ARMATI

Comment s'évader du Stalag VII/B de Memmingen en Avril 1941 ? Réponse : en traversant le Liechtenstein ! La recette est simple : Faites-vous affecter au Kommando de Bohen, munissez-vous de vêtements civils, d'une bonne paire de chaussons, non pour pantoufler mais pour sortir sans bruit de la "barak" de quelques provisions et d'un peu d'argent Rendez-vous à pied à la gare de Kempten (20 km) prenez un billet pour Innsbruck puis pour Feldkirch et là, par un petit chemin de traverse passez tranquillement au Liechtenstein puis en Suisse par une nuit sans lune Succès garanti ! La suite n'est que formalités administratives sans véritables difficultés. C'est à quelques détails près l'aventure que Georges Bernard et Lucien Guimas ont vécue ensemble entre le 24 et le 28 Avril 1941, passant de la captivité en Stalag à la presque liberté de la prison de St Gallen. Un atout cependant, sans lequel rien n'eut été possible : Georges Bernard parlait couramment la langue de Goethe. Grâce à cette connaissance que l'un d'eux avait de l'allemand, nos deux évadés ont véritablement mené leur "cavale" tambour battant, sans accroc, en pères pantouflards C'est du moins l'impression qui émane du récit fait par Guimas, dans son carnet de route rédigé à l'époque où les événements se sont déroulés.
How could one escape from the Stalag VII-B of Memmingen in April 1941 ? Reply : in crossing the Liechtenstein! The receipt is simple: Get yourself appointed to the Bohen Kommando, supply you civil clothes, a good pair of slippers, not for "pantoufler" around in but to exit without noise of the "barak " in silence, some provisions and a few money. Go on foot to the station of Kempten (20 km) take a ticket for Innsbruck and for Feldkirch, and there, by a small path of crosses, pass quietly to the Liechtenstein then in Switzerland by a night without moon. Success is guaranteed ! The continuation is only administrative formalities without real difficulties. It is to some details near the adventure that Georges Bernard and Lucien Guimas have lived totality between 24 and 28 April 1941, pass of the captivity in a Stalag to the near liberty of the prison of St Gallen. An advantage however, without which nothing having been possible: Georges Bernard spoke commonly the language of Goethe. Thanks to this knowledge that one of them had of the German language, our two fugitives have truly led their escape drum beating, without snag. At least, this is the impression that emanates from the suitable account by Guimas, in its notebook of road written to the period where events took place.

Table

LA MEMOIRE

Quelques pages de mon " carnet noir " 7

Prologue 8

Ma… guerre - 1939…1940

Juin 1940 9

14 Juin 1940 9

15 Juin 9

17 Juin 10

18 Juin 10

19 Juin 10

Prisonniers 10

Samedi 22 Juin 10

23 Juin 11

29 Juin (sous réserve) 11

6 Juillet 11

26 Juillet 11

Stalag VII A à Moosburg 12

27 Juillet 12

29 Juillet 12

Nos…captivités

Kommando… Ruhpolding 14

2 Août 1940 14

3 Septembre 14

15 Septembre 14

3 Octobre 15

30 Octobre 15

1er Novembre 15

3 Novembre 15

5 Novembre 16

Passage au Stalag VII A 16

6 / 19 Novembre 16

Kommando de Freilassing 16

20 Novembre 16

21 Novembre 16

22 Novembre 17

24 Novembre 17

26 Novembre 17

Retour au VII A 18

29 Novembre 1940 18

1er Décembre 18

Kommando à Moosburg 18

18 Décembre 1940 18

La "vie" au Stalag 19

N° 3 20

N° 4 20

N° 5 20

Memmingen… VII B 21

1er Avril 1941 21

Kommando de Böhen 21

4 au 5 Avril 1941 21

Courant Avril jusqu'au 23 22

Informations et croquis complices de l'Aventure 23

Notre évasion

Départ à pied… Böhen 26

Jeudi 24 Avril 1941 26

Vendredi 25 Avril 26

16 h dans une grange 27

Samedi 26 Avril 27

Deuxième nuit… à la belle étoile 27

Kempten… le train 28

Innsbruck… à l'hôtel 28

Innsbruck… au restaurant 29

Dimanche 27 Avril 29

Innsbruck… la gare 30

Feldkirch… train terminus 30

Vers… la frontière 30

Le Rhin… la Suisse 31

Lundi 28 Avril 1941 31

Libres

Accueil… à Buchs 34

En prison… à St Gallen 34

29 Avril 1941 34

30 Avril 35

1er Mai (et les jours suivants) 35

Annemasse… la France 35

5 Mai 1941 35

Démobilisés… Annecy 35

6 Mai 1941 36

7 Mai 6 h. 36

Marseille… avec la famille de Georges 36

8 au 11 Mai 1941 36

13 au 15 Mai 37

16 Mai 37

17 Mai 37

Dimanche 18 Mai 37

Solitude !… en zone libre 38

19 Mai 1941 38

20 Mai 38

Mai 38

2 Juin 38

7 Juin 38

Juillet 38

1er Août et jours suivants 39

26 Août 39

Clandestin !… en zone occupée 39

30 Août 1941 39

La mémoire

La mémoire : seul bagage incessible

Jacques ATTALI

Ma… guerre

1939…1940

Mobilisé le 26 Août 1939, au 15ème Génie Compagnie Chemin de Fer T.N. à Toul (Meurthe et Moselle) 2ème Sapeur - Matricule 2751. 6 jours après… 1er Septembre, c'est la mobilisation générale. Le 2 Septembre, France et Angleterre déclarent la guerre à l'Allemagne… Notre compagnie est à Lagney… puis, se déplace, en utilisant les voies ferrées, car nous sommes logés dans des wagons aménagés (15 couchettes…) à Hesse, Benestroff, Sarralbe, Sarreguemines…

Juin 1940

14 Juin 1940 Notre détachement, en camion, quitte Mittersheim, après avoir procédé au minage du pont. Une équipe reste sur place (Loscat) avec mission de le faire sauter si nécessaire. Le train-cantonnement de la compagnie, passe devant notre groupe, sans s'arrêter, en provenance de Benestroff… ! Adieux à toutes nos affaires personnelles (photos et montre en ce qui me concerne…). Arrêt à Benestroff, bombardé la veille (un commandant d'artillerie nous demande le "nécessaire" pour faire sauter ses pièces). 15 Juin Nous rejoignons la compagnie à Barisey-La-Cote, occupée à la réparation des voies ferrées, et, sommes informés en détail du bombardement dont ils ont été la cible (un train complet de munitions était garé à côté de leurs wagons-couchettes !). Au-dessus de nous, un avion nous mitraille en passant. Je suis désigné, dans une équipe commandée par le Sergent-Chef Cordelet (remplaçant le Lieutenant Roussin, malade)… Il est 14 heures. Avant notre départ en camion, nous procédons au "nettoyage" de la cave d'un bistrot et à la distribution de son contenu. Arrivés à Blainville, nous couchons dans une grange. Le lendemain, en pension chez un débitant de boissons, nous participons à la réquisition de viande, répartis équitablement avec les "civils" restés sur place.17 Juin Cordelet décide du départ… pas d'explosif. Les ponts de Blainville ne sauteront pas… du moins par notre équipe! Arrêt à Luneville; la T.S.F. diffuse un discours de Pétain (des Lorrains pleurent… les autres sont indifférents, en apparence…). A proximité du pont (que nous devons détruire), dans une grande ferme, nous assistons à l'affolement des habitants."Vous ne connaissez pas les boches" disent-ils et dans la cave ils prient collectivement à haute voix. J'assiste sans participer, essayant de comprendre cette panique… 18 JuinD'autres scènes émouvantes, des "civils qui restent" accrochés à leur terre… indescriptible !. Une équipe, à laquelle participe Georges, dispose les explosifs, dans la chambre appropriée du pont. Emotion lorsque l'un des explosifs que l'on descend au fond de la cavité (prof. 3 m. environ) se détache du fil de fer utilisé pour la manoeuvre. L'équipe fait sauter le pont après avoir entendu ou cru entendre l'arrivée des Allemands. Il est 22 h 15, nous partons. Deux copains manquent à l'appel… Déserteurs… ou évadés de guerre (avec ou sans médaille ?). Toute la nuit le camion roule… vers l'Ouest, le Sud. 19 Juin Au lever du soleil nous arrivons à Gerardmer (70 km environ. à vol d'oiseau… 5 à 6 fois plus au compteur) après de nombreux arrêts et changements de direction. Démarches à l'état-major siégeant à Bresse pour régulariser notre déplacement. Il en est de même pour les nombreux militaires arrivant de toutes parts… qui bénéficient d'une provision de cartouches ! Sans attendre la distribution de cette manne inutile, notre camion monte le col de la Grosse Pierre (parcours identique à celui effectué à tandem avec Suzy… 4 ans avant). Arrêt au sommet, le groupe se met à l'abri dans un pavillon abandonné. Pendant les 2 jours qui suivent, nous mangeons nos provisions (et quelques rapines)… la boisson est assurée au "Café du Col" où logent des "gars de la Légion" arrivés dans un car matelassé avec lequel ils ont traversé les lignes allemandes.

Prisonniers

Samedi 22 Juin Vers midi, un motard seul, en gris, se présente pour dire que la guerre est terminée, que nous sommes prisonniers, et que nous pouvons nous rendre à Colmar avec notre camion… pour nous faire "démobiliser". Il repart après avoir sablé le champagne avec ceux de la Légion (plus tard, nous serons informés que l'armistice a été signé le même jour, à 18 h 35). A signaler l'incident de Georges, qui, supposant une tournure favorable des événements, est descendu à La Bresse à la recherche d'un véhicule et de nourriture… mais la ville est maintenant sous le contrôle de l'adversaire. Arrêté, puis interrogé, il doit monter dans un camion mitrailleur bien gardé par des soldats… direction le sommet du Col (où nous sommes spectateurs !). Assis au départ, il doit céder sa place et c'est debout, otage involontaire à l'avant du véhicule que Georges termine le parcours. Heureusement les Francs-Tireurs dissimulés à proximité ne se manifestent pas… 23 Juin Nous avons le privilège de partir avec notre camion, et croisons sur la route la file, presque interrompue de nos camarades… effectuant le parcours à pieds! Après une soixantaine de kilomètres, nous arrivons à Colmar, et logeons à l'usine Kiener. La paille est remplacée par des bobines de fils, en vrac sur le sol (après ouverture des emballages)… ce qui me vaut les menaces, avec sa baïonnette d'un "Posten". 29 Juin(sous réserve) Avec Davin, Rubio, Ferrand, Vigne, notamment, nous sommes transférés à l'usine Hausmann, où la rivière autorise baignades et nettoyages. Est-ce : l'Ill, affluent du Rhin qui prend sa source dans le Jura alsacien et qu'il ne faut pas confondre avec un affluent du même fleuve, d'une identique appellation : l'Ill, en provenance de l'Autriche, et rejoignant le Rhin avant le Lac de Constance (Bodensee)… que nous retrouverons plus tard ! 6 Juillet L'organisation des K.G. se précise, et personne ne se fait d'illusion sur sa situation (sauf les rêveurs) ! La compagnie est disloquée lors d'un nouvel emménagement à l'usine Ameco… mais nous restons Georges, Ferrand et moi. Notre séjour à Colmar, à 3 emplacements différents depuis le 23 Juin rend difficile de préciser dates et lieux de quelques incidents, pendant cette période, jusqu'au 25 Juillet… A noter. a) Arrivée d'un camion rempli à ras bord de pains… 2 ou 3 camarades, plus affamés que les autres ou plus courageux, escaladent le chargement et se ravitaillent. Le groupe de gendarmes également prisonniers… aide les gardiens allemands dans leurs recherches des "coupables". b) Un Posten procède à la distribution de petites tranches de pain en les lançant au milieu des groupes à droite, à gauche. Il se réjouit des bousculades et disputes que n'excuse pas la faim. Je regarde le spectacle, appuyé contre la grille qui nous sépare de la vie libre… Le "lanceur" est à une dizaine de mètres. Il a probablement observé mon attitude, et, dirige un jet alimentaire dans ma direction… j'attrape le "trésor" au vol et le lui retourne à ses pieds… c) Malgré le service d'ordre, les civils nous ravitaillent et je n'ai aucun mérite à ce qui précède grâce à mon estomac "élastique" (indispensable en captivité… si possible). Parmi ces dévoués(ées), une jeune fille (A. M., Rue J) à Ingersheim à qui je peux remettre une lettre datée du 15/07/70; une autre, venue voir son mari K.G. habitant Nancy, à qui je confie la missive datée du 20 suivant.26 Juillet Un mois s'est écoulé, lentement, à Colmar constitué de très longues journées avec "ravitaillement" comme enjeu principal. Je songe à m'évader car je ne prévois pas une proche libération, contrairement aux "bobards" que la propagande fait circuler de bouches à oreilles. L'obstacle principal à la réalisation de ce projet est le manque momentané d'argent… du fait de l'arrêt de la distribution du courrier, mandats, colis, et, depuis 8 jours, plus de contacts avec l'extérieur. "On" annonce le départ pour Châlons ! A 3 h, départ à pieds, en colonnes réglementaires. Nous traversons Neuf Brisach… et franchissons le Rhin. Instant historique pour chaque participant du cortège, avec des pensées diverses… quand refranchirons-nous ce fleuve magnifique en sens inverse… "Bientôt" pour la majorité… 5 à 10 ans pour moi. Adieu la liberté… Adieu tous ! A Vieux Brisach (Breisach-Am-Rhein car nous sommes chez Hitler) embarquement dans des wagons à bestiaux, trente cinq dans le nôtre; "confort" relatif mais acceptable.

Stalag VII A à Moosburg

27 Juillet Vers 10 h, arrivée à Moosburg 340 km de Colmar, à 45 km au Nord/Nord-Est de München à vol d'oiseau. Nous couchons sous des tentes. La vie de K.G. est commencée véritablement. 29 Juillet Jour Officiel. Je change d'identité. Le 2ème Sapeur Guimas, matricule 3751 devient le Kriegsgefangener n° 38333 du stalag VII A (Georges me précède n° 38331). Une longue file d'attente pour les formalités : photos, empreintes, cheveux à ras, et, bien entendu la fouille. Sur les conseils d'un "spécialiste" qui rôde autour, je lui confie mon appareil photo et clichés (notamment ceux pris à Sarreguemines). Evidemment, à la "sortie" le "spécialiste" a disparu. Il m'apprend, pour pas trop cher, que je dois me méfier des autres, au même titre que des gardiens allemands. Opinion rapidement confirmée par le marché du camp (1 mark = 50 à 70 frs, à discuter)… Le quartier arabe… Les joueurs de "Bonneteau" (Georges gagne 50 frs), mais nous évitons la bagarre de justesse… pour avoir écourté la partie.

Nos…captivités

Elle peut dater du 22 Juin, au sommet du Col de la Grosse Pierre, ou du lendemain, lors de notre arrivée à Colmar. On peut la fixer au 26 Juillet, après avoir quitté la terre de France et traversé le Rhin, ou plus officiellement le 29 Juillet à Moosburg en changeant d'identité, mais je préfère celle qui suit : 2 Août 1940. J'ai utilisé ce mois de Juillet à me fixer un seul but, non situé dans le temps : sortir de cette armée sans arme et, pour commencer, je me… dégrade, car lors de mon séjour dans l'un des camps de Colmar, j'ai falsifié mon livret militaire et cousu un galon doré sur chaque manche de ma veste. Pour mémoire, un sous-officier est exempté de travail… c'est un avantage, mais, il est plus facile de préparer une évasion dans un kommando que derrière les barbelés d'un Stalag.

Kommando… Ruhpolding

2 Août 1940 Nous quittons le "VII A". Vers 9 h 30 un train "voyageurs" nous amène vers 15 h à Garching, puis un camion nous transporte à Ruhpolding. Notre kommando, constitué d'une vingtaine de K.G., est logé convenablement dans une grande salle. Georges est désigné par le Posten : "Interprète", ce qui doit lui permettre d'améliorer sa langue allemande. Pendant ce mois d'Août j'effectue divers chantiers à Brandt (éboulement dans la montagne); également des remplacements chez les Mayer (à la place de Rich) et, à Zell chez Max Gastager ou Faidherbe bénéfice d'une très bonne nourriture et de la compagnie de gens très sympathiques (je me souviens d'un repas constitué uniquement de pâtisseries !). 3 Septembre Je suis affecté à la ferme de S-- H-- R (11 enfants) la nourriture n'est pas bonne. Il n'y a qu'un seul plat pour les 9 présents au 1er repas. Dès le lendemain je demande une assiette. Prière collective avant et après le déjeuner de midi… Je me lève à chaque fois et sors. Je justifie mon comportement au Posten (informé de tout ce qui se passe chez nos "patrons") en expliquant que nous n'avons pas le même Dieu ! 15 Septembre 1ère carte pour écrire. Tout un roman condensé en quelques lignes classiques. Le lendemain je commence à travailler dans la menuiserie "Johann Kaltenbacher". L'atmosphère est plus cordiale. L'horaire est de 7 h à 11 h - 12 h à 15 1/2 - 15 h 50 à 18 h, semaine anglaise : Lundi matin 8 h. Le "Meister" travaille à l'établi avec 2 ouvriers : Otto 20 ans (gagne 70 marks par semaine) et Georges (militaire en affectation spéciale pour 6 semaines gagne 50 marks, nourri et logé, par semaine). Un apprenti complète l'équipe : Peter (3 marks par jour, logé et nourri). La nourriture est excellente : le matin 1 tasse de café, pain et confiture sans limitation; midi et soir : abondante et variée (viandes, desserts…). Entre 15 h 30 et 15 h 50 : thé ou café avec tartines. Très souvent le patron ou son épouse m'offrent : savon, pâte dentifrice, pastilles contre la toux; moi je partage mon chocolat avec leur petite fille Maria, qui doit avoir le même âge que ma fille… 8 ans. Le Samedi, je reste à l'atelier et confectionne à ma convenance quelques objets en bois, casiers, étagères, porte-manteau, sandales, pièces pour jeu d'échec… et divers 3 Octobre L'apprenti Peter me prend en photo… et, le 9 tout le personnel est photographié devant la menuiserie. Je suis pris également à mon établi, mais je n'ai pas eu le tirage. N.B. : nous avons bénéfice de 4 cartes (n° 2/22 Sept - n° 3/01 Oct. - n° 4/13 Oct - n° 5/27 Oct.) et le 29 je reçois un colis… ouvert rapidement (les 2 tubes de dentifrice sont envoyés au Stalag pour contrôle). 30 Octobre J'ai un furoncle à l'index droit, et, je dois me reposer dans la chambre de Peter. Le major militaire extrait le germe le lendemain matin et l'après-midi repos ! 1er Novembre Le matin je reçois les soins du docteur. Exempt de travail, je suis conduit, comme d'habitude à la menuiserie, où je déjeune. Le patron bienveillant me suggère d'aller en promenade vers Rauchberg (1645 m). A 13 h… je pars… seul ! Je suis de retour à 18 h 15… le Posten, qui m'attend, me ramène au kommando. Inconcevables… ces moments privilégiés. Mes pensées solitaires ne sont pas ternies par l'idée de profiter des circonstances… Mon évasion doit être sérieusement préparée. 3 Novembre A 11 h 15 le posten annonce le retour au Stalag de quelques K.G. dont Georges et moi. Le lendemain après-midi, je fais mes adieux à la famille, Kaltenbacher, dont la compréhension et l'amabilité sont incroyables (car pour ces parfaits chrétiens bavarois, nous ne devrions être que des soldats ennemis… désarmés). La rumeur locale fait croire que nous rentrons travailler en France… "Guimas… Frankreich Fabrik", me dit le patron en me serrant la main. Les yeux de sa femme sont embués. J'embrasse la petite Maria en songeant que je n'ai pas vu Lucienne depuis le 18 Février de l'année précédente (date de départ d'une très courte permission). Le soleil est radieux ! Le lendemain, je reçois ma paye : 35 marks 90, j'achète un jeu d'échecs 2 M 40. 5 Novembre Adieux aux sympathiques camarades du Kommando Ruhpolding (bière et cigarettes). Le train nous emporte vers le Stalag. Pendant le parcours… nous croisons 2 évadés que l'on ramène à leur point de départ… accompagnés (pour moi c'est un rappel).

Passage au Stalag VII A

6 / 19 Novembre Mon premier achat en emménageant à la "16B" est une valise (8 M 40). Je note une carte n° 9 le lendemain de mon arrivée, et, une fouille très sévère le Jeudi 14 où "argent" et "carnet noir" ont pris des risques. Je participe à deux parties de football sur la grande place… Mais ayant cessé cette activité (qui aurait pu être professionnelle) à la suite d'une blessure en début de saison 33/34… il en résulte des douleurs à l'épaule m'interdisant tout effort ! J'enregistre les symptômes au cours des soins à l'infirmerie… (pour être utilisés plus tard?).

Kommando de Freilassing

20 Novembre Départ du VII A, à 11 h. Arrivée à Freilassing vers 21 h. Nous entrons dans un hall de gare fermé de toute part. Une centaine de nos compatriotes allongés sur 2 niveaux. L'impression du bagne, pas de douche… Deux récipients en tôle, genre poubelle, sont disposés près de la porte… L'urine déborde, l'odeur n'est pas supportable… sauf pour les "anciens" ! A côté, une petite pièce sert de cuisine (le "service" est tournant, pour les 2 plats qui se succèdent rapidement…). Impossible de s'asseoir pour absorber nos portions indigestes ! Deux sous-officiers français dirigent cette "armée" docile au service du "Grand Reich". 21 Novembre Premier jour de travail sur la voie ferrée. Georges et moi faisons équipe pour répandre le ballast à la pelle. Nous simulons des douleurs aux bras pour ralentir la cadence. Le "Posten" nous engueule. Les "anciens" du kommando n° 2258 ne semblent pas approuver notre comportement… nous dérangeons !Nourriture mauvaise en plein air à midi. La journée se termine… triste ! 22 Novembre Georges et moi, avec quelques "réfractaires", nous nous déclarons "malades", et, en l'absence du docteur… sommes exemptés de travail jusqu'au Lundi, ce qui n'interdit pas la corvée de "chiottes" le Samedi.

24 Novembre

La centaine de "types" est agglomérée dans le local. Impossible de laver son linge. Après de vives réclamations, nous avons le droit à la lettre n° 7… comme les autres. Le soir, nos gardiens menacent : sanctions sévères, y compris envoi dans un centre disciplinaire. Seuls les anciens ont la possibilité de boire de la bière. Encore malade le lendemain avec quelques "tire-au-flanc" (pas de beurre pour eux). Le soir… deux K.G. manquent à l'appel ! "Bravo" pensons-nous avec certains… mais les autres… ! particulièrement le n° 7--2 (S--R) dont j'ai noté les réflexions prononcées à voix haute le lendemain matin en partant au chantier : "Maintenant nous allons être vissés… c'est malheureux… ce sont toujours ceux qui ne font rien qui payent pour les autres… ce n'est pas moi qui m'évaderai, je ne veux pas être fusillé". 26 Novembre Le nombre de ceux qui se font porter "pâles" est de 26, et le lendemain il en a 7 de plus, tous examinés en détail par le docteur allemand. En ce qui me concerne, pour ce contrôle médical, je simule une douleur à l'épaule gauche, m'interdisant de lever le bras, sauf s'il est manipulé par un tiers… dans ce cas n'opposer aucune résistance au mouvement qui vous est imposé (méthode efficace non décelable, mise au point à Moosburg). Résultat : avec 11 autres je suis reconnu inapte au "travail de Force" du chantier, et renvoyé au Stalag. Pour Georges, c'est plus difficile (son lumbago "imaginaire" n'est pas reconnu), il est incorporé dans les 21 simulants que le toubib retourne au boulot. Dès son arrivée sur le chantier, après avoir effectué "difficilement" quelques pelletées, il explique dans la même langue que le Posten, son incapacité physique d'exécuter le travail "très dur" que l'on exige de lui. Le gardien apitoyé (ou faisant simulacre de l'être) autorise Georges à s'abriter dans un hangar. Mais le patron arrive sur les lieux pour contrôler l'activité de sa "main-d'oeuvre à bon marché", et hurle son indignation à Georges et à la sentinelle, au spectacle de cette complicité. Georges doit se remettre à travailler (ou faire semblant)… pour peu de temps, car dès l'inspection terminée, Georges est autorisé à rejoindre son aire de repos ! Le soir, il explique longuement aux autorités du kommando qu'il est malade, et ne veut pas que ses camarades se moquent de son comportement. Sa situation n'est pas vivable, etc… et pour terminer sa plaidoirie (en langue allemande évidemment) qu'il s'évadera malgré tous les risques, y compris celui d'être fusillé. Premier résultat: Il est exempté de travail pour 2 jours (nos gardiens ne désirant pas d'ennuis avec un indésirable de ce genre) inscrit avec moi et les autres sur "l'inventaire" retour.

Retour au VII A

29 Novembre 1940 Réveil à 4 h 30 (après une nuit semblable aux précédentes). Adieu kommando n° 2558 qui représente ce qu'il y a de pire (hélas, je ne savais pas ce qui se passait ailleurs, et surtout un peu plus tard, notamment au Stalag 325 à Rawa-Ruska). Arrêt à l'hôpital de Freissing pour un contrôle supplémentaire de notre état physique, (sauf Georges, cas particulier). Arrivée vers 15 h à la baraque 15A du stalag VII A à Moosburg, sans autre problème… sauf pour Georges. Il est conduit par le Posten à l'infirmerie du camp pour être examiné, en détail par le médecin "français" ! auquel il explique son histoire (le Posten assiste, sans comprendre) et obtient le feu vert, sans sanction pour retour au Stalag (mécontentement manifesté par le gardien). En ce qui me concerne, je vais le lendemain à la consultation et bénéfice de 8 jours, exempté de service. Revue des dortoirs, défense de sortir. Un K.G. couché sur son lit, est brutalisé (coup de pied) par le chef allemand… noté la réflexion de l'adjudant français : "C'est un geste bête, mais de rester couché lorsque c'est défendu est encore plus bête".

1er Décembre

J'organise mon séjour au Stalag avec l'objectif d'une libération anticipée mais j'ignore encore qu'il durera 4 mois environ. Pendant cette période, il me faut me procurer, par tous les moyens l'indispensable minimum, c'est-à-dire dans l'ordre : vêtements et chaussures, nourriture condensée (sans oublier le poivre), carte détaillée de l'Allemagne du Sud, boussole (petite et lumineuse de préférence), briquet ou allumettes, montre (luminescente si possible), valise (elle a déjà été achetée 8 m 70) éventuellement faux passeport et papiers d'identité suisse… En attendant un plan d'évasion précis, sans oublier un collègue parlant la langue allemande (Georges n'avait pas encore pris de décision, craignant des représailles contre sa femme à Valenciennes).

Kommando à Moosburg

18 Décembre 1940 Je suis affecté au Kommando n° 334 qui opère dans la ville de Moosburg avec cet horaire : 8 à 9 h - 9 h 30 à 12 h-13 h - 15 h 30-17 h. Pelletage, chargements, nettoyages, corvées les plus diverses. L'hiver est rude (- 25° à - 30°) et le travail pénible, mais… cette position couplée "Stalag-kommando" va permettre l'approvisionnement de l'équipement pour une évasion à deux… avec Georges, j'espère. Le contact avec la population autorise tous les échanges possibles avec pour principal résultat d'améliorer notre alimentation afin de rester en bonne forme physique. Le meilleur rapport de ce "marché noir" est de vendre en ville ce que l'on achète au camp : chandails, chaussures, couvertures, capotes militaires françaises et allemandes, en particulier volés en majorité dans les magasins du Stalag par des "K.G. privilégiés", avec la complicité probable de ceux qui veillent au maintien de l'ordre. Ce n'est pas mon problème. Les fournisseurs du camp et de la ville, les acheteurs à l'intérieur ou hors des barbelés, les revendeurs au "marché VII A", ou dans les rues de Moosburg sont anonymes, mais participent indirectement à mes projets… En principe, les ventes aux civils sont effectués en marks réels, pour approvisionner ce qui est précisé précédemment. Mes achats à Moosburg se résument à cigarettes et alimentation pour être répartis (s'ils ont subi avec succès les "fouilles" lors de nos rentrées au Stalag) au prix coûtant pour les "amis de la barak" et, avec une majoration normale à quelques intermédiaires au marché du camp. A titre indicatif le paquet de 20 cigarettes d'une valeur de 50 pfenning est cédé à 60 pf et proposé "ailleurs" aux environs de 1 mark et plus, ou détaillé à 5 pf minimum la cigarette. Ces prix sont en "mark camp" de 10 % inférieur au "mark ville" (1 m. ville = 1,10 m camp). A la bourse la cote de la monnaie française est variable… successivement j'acquiers 17 m 5 pour 350 frs, 6 m pour 200 frs et 28 m pour 700 frs (moyenne : 1 mark égal un peu plus de 24 frs). Sur mon "carnet noir" j'ai noté les prix d'achats les plus divers en marks officiels : les vins suivant leur qualité de 1 m 40 pf à 2 m 50 pf la bouteille. Le pain de 500 gr à : 0,18 m. - les petits pains : 0,05 m pièce - les 125 gr de beurre : 0,45 m - le saucisson de 1/2 kg : 1,00 m - le miel, les 125 gr : 0,65 m, ou le petit carré : 0,25 m - un fromage : 0,40 m, ou 1,60 par boîte de 4… suivant son pourcentage de matière grasse ! - 0,45 m la boîte de "pastille Wybert" contre la toux (nous sommes en hiver) - sans omettre la poudre anti-poux : 0,50 m la boîte. Il faut ajouter quelques accessoires ménagers dont certains sont destinés à "l'objectif", les prix, comme les précédents ne peuvent avoir aucun caractère statistique: briquet : 1,50 m - montre à aiguilles fluo : 12 m. - peigne : 0,50 m. - chandail : 2,50 m. passe-montagne : 1,50 m. - pullover : 1 m. - Second pull : 2,50 m. L'acquisition des vestes, pantalons, chaussures, chemises, cravates, casquettes, imperméables, valise… boussole et montre (phosphorescentes) font l'objet de plusieurs échanges d'une valeur supérieure à 100 marks ! Le passage de ces objets encombrants doit échapper au contrôle du poste de garde, et… surtout éviter les fouilles fréquentes dans les baraques (une par semaine en moyenne, mais 5 en 10 jours fin Février)… un peu d'astuces, et, beaucoup de chances étalées pendant ce dernier séjour au VII A du 29 Novembre 1940 au 31 Mars 1941.

La "vie" au Stalag

Pendant mes séjours à Moosburg, il n'y a pas que cet approvisionnement au marché noir, et, la vision de revoir ceux qui sont de l'autre côté du Rhin (représentants espoirs et interrogations). Notre vie de tous les jours continue. Georges à la "25" dite des intellectuels, et moi à la 16 B (j'ai quitté la 15A). La suite sera donc résumée en chapitres: le plus important, celui de la santé est positif, grâce au séjour à Ruhpolding du 2 Août au 5 Novembre, et, malgré l'intermède très court du "chantier de voie ferrée" (10 jours). C'est avec stupéfaction et pitié que j'assiste à la déchéance de quelques "K.G." recherchant dans les "cuves à déchets", d'immangeables suppléments de nourriture… certains (paraît-il) ont échangé leurs portions réglementaires contre tabac ou cigarettes (je n'ose le croire). A signaler toutefois, une otite à l'oreille gauche, vers le 11 Décembre, qui me vaut 4 jours de soins à l'infirmerie, où j'y rencontre un "évadé repris" condamné pour effraction d'un pavillon, et, d'espionnage (car possesseur d'un appareil photo) au cours de sa tentative. Il a la ferme intention de la renouveler et nous en parlons sérieusement mais un matin, je constate son absence… départ vers un "camp de répression" ? Les nouvelles de "France"… toujours trop courtes, peuvent constituer le second chapitre. Les colis qui m'arrivent représentent beaucoup de sacrifices financiers de la part de Suzy… Les lettres ne peuvent répondre à nos questions, posées par l'intermédiaire de cartes appropriées (quelques lignes d'une écriture très serrée) numérotées de 8 (3/12/1940) à 21 (28/02/1941) soit une par semaine pendant cette période intermédiaire au VII A. En sus, de Villiers Le Bel, quelques nouvelles dont une, postée le 14 Novembre, et réceptionnée le 5 Janvier. N° 3 Les "loisirs", la détente sont indispensables, particulièrement pour ceux de la "25" qui sont exemptés de service, mais pour les autres aussi. Belote… Echecs (je joue mal). Bridge (encore plus mal, et Georges se défoule à mes dépens). Poker (très peu, car la chance n'est pas de mon côté), le plus souvent à la baraque 25. D'autres distractions, plus collectives, sont préparées par des professionnels et amateurs : concert polonais le Dimanche 8 Décembre. "Fête de la Barak 25" le 31 Décembre. Soirée de gala organisée le 4 Janvier 1941 par le "Théâtre du camp", le titre de la revue (avec travestis) est "Nuit de Noël à Moosburg", sans oublier la St. Lucien le Mercredi 8 (1 bouteille de vin français = 1,40 m et d'italien = 2 m). N° 4 Les faits, les conversations, les ragots… tous très divers "agrémentent" notre captivité, et, je note (toujours sur mon carnet noir), courant Décembre : Notre ami Ferrand, a enfin réussi à revenir de Freilassing quelques jours après notre départ mouvementé, et, nous signale que le sergent-chef "français" avait dit : "Bernard a été puni de 21 jours de prison, pour avoir menacé de s'évader". Un autre K.G. qui était avec nous à Ruhpolding rapporte que le Posten barbu avait déclaré : "Guimas et Ferrand ont été renvoyés au Stalag avec motif"… lequel ? Le Sergent-Chef X - du 1er de Cambrai nous affirme que lorsqu'il a été "ramené" après une tentative d'évasion, le "responsable français" avait prononcé cette phrase "Ce sont ces gens-là qui nous font du tort, il faudrait un exemple". Si l'on ajoute le comportement des "anciens" du kommando n° 2558 et, l'incident suivant, le 31 Janvier 1941 mon opinion formulée dès mon arrivée à Moosburg se confirme. Au kommando de Moosburg, je procède à la Fabrik, au chargement d'un wagon à la vitesse normale d'un prisonnier de guerre. Mon coéquipier estimant que mon rendement est inférieur à celui d'un civil allemand m'en fait la remarque, comme s'il était chargé de défendre les intérêts du patron hitlérien ! de paroles en paroles, les gestes suivent… et, se rendant compte de son infériorité physique, ce "minable" se saisit d'une scie à bois. Ce souvenir, restera longtemps marqué au rouge à mon poignet gauche (et son nom en bonne place, dans mon carnet noir!).

N° 5

Les conversations relatives à d'éventuelles évasions prolifèrent au stalag, et, bien que j'estime disproportionnés les risques à prendre pour sortir du VII A, je me laisse convaincre par Occelli Mle n° 49134, du 10ème Dragon à Orange (Vaucluse) qui a un plan précis, mais ne travaillant pas, doit passer par les égouts, et moi, avec !… les barbelés étant infranchissables. Nous devons être le 26 Février (nouvelle lune). Au moment où je m'introduis dans le conduit obscur et réduit, nos complices de surveillance donnent l'alarme (gardiens et chiens nous attendent à la sortie). J'avoue un soulagement à cette annonce. Je liquide ma gourde de rhum (incorporée à mes bagages) et vais rejoindre ma couchette, pour m'endormir lourdement. Le lendemain, ou peu de jours après, j'ai l'accord de Georges pour que nous tentions ensemble l'aventure. Tout notre matériel est prêt, et Georges a le feu vert pour utiliser un plan en provenance des "Intellectuels de la 25" !

Memmingen… VII B

Nous attendons notre incorporation, tous deux dans un kommando à la campagne. Mais un contingent est désigné pour être transféré au VII B, et nous sommes du voyage pour Memmingen situé à une centaine de kilomètres à l'ouest de Munchen, ce qui nous rapproche sensiblement de la frontière suisse, et, nous console de la modification de notre programme.

1er Avril 1941

Le départ est caractérisé par une fouille très sévère (mais nous avons des valises invisibles) et notre arrivée le soir, à la nuit est sans problème. Les "anciens" nous préviennent que la fouille au réveil sera très scrupuleuse. En conséquence, nous utilisons nos heures de sommeil à cacher "nos trésors" en effectuant de nombreux déplacements aux W.-C. Dissimulés sous une vaste capote de cavalerie… vêtements, alimentations et divers, se déplacent incognito vers des emplacements bien déterminés… la boussole et le couteau sont disposés dans la partie supérieure du réservoir de la chasse d'eau d'un des W-C.… Le lendemain, comme prévu, l'inspection est très organisée, et le monticule des "interdits" est d'un volume qui satisfait la direction du VII B, sans inconvénient pour nous ! Après cette opération, nous sommes rassemblés avec l‘ensemble des occupants du Stalag. La dissolution est caractérisée par le "Vive De Gaulle" habituel sanctionné par les sourires pleins d'humour des soldats allemands…

Kommando de Böhen

4 au 5 Avril 1941

Incorporés dans le même kommando (grâce aux conversations de Georges… en langue maternelle de nos gardiens) nous arrivons à Böhen avec 8 camarades. Le Posten semble bienveillant, et le local est acceptable. Je travaille dans une grande ferme. Le patron est correct, mais strict. La nourriture est bonne, mais le beurre est réservé à la famille !

Courant Avril jusqu'au 23

Les contacts avec les habitants sont sympathiques et plus particulièrement avec les jeunes. Georges parle très souvent avec eux, et, un soir reçoit de l'un des gosses, quelques tickets d'alimentation… "Tu peux en avoir besoin" dit-il sans se douter de nos intentions. Probablement en remerciement de distribution de chocolat effectuée suivant nos possibilités. Nos compagnons ignorent notre projet… la méfiance est de rigueur pour éviter toute imprudence (Rault seul sera informé). Notre action va déranger la paisible ambiance, d'autant que les fêtes se succèdent en ce mois d'Avril : Dimanche 6: les Rameaux - le 11 : Vendredi Saint - les 13 et 14 : Pâques, sans omettre que le 20 Suzy doit souffler les 35 bougies du gâteau de son anniversaire et que nous fêtons la St Georges le 23. C'est probablement entre ces deux dernières dates que nous récapitulons le projet établi par Reuter, de la baraque 25, connaissant parfaitement la région du Vorarlberg où il passait ses vacances (l'un des premiers évadés aux environs de Noël). Pour nous, l'opération doit s'effectuer théoriquement en 2 nuits… la première de Böhen à Kempten à pieds (25 km environ) puis en train jusqu'à Innsbruck (120 à 150 km), et vers Feldkirch (150 à 200 km) où nous arrivons à 20 h 09 ou 20 h 22. Passage prévu des frontières du Liechtenstein, et de la Suisse cette seconde nuit. Tout est précisé sur une feuille de papier, d'un côté les instructions, de l‘autre un croquis du parcours pédestre entre la gare de Feldkirch et les barbelés. Sur le petit "almanach du Trait d'Union" édité à notre usage par les services de la propagande "hitlérienne" la nouvelle lune est fixée au Samedi 26 Avril… mais nous décidons d'avancer d'une nuit, ce qui est rationnel car il faut toujours prévoir… l'imprévisible.

Notre évasion

Départ à pied… Böhen

Jeudi 24 Avril 1941 Journée de repos. Une de plus. C'est la fête à l'église du village. Malgré le soleil, nous restons allongés sur nos lits, dans la "barak". Les heures s'écoulent lentement. A 21 h… toilette et rasage… 1 heure plus tard nous sommes couchés. A 23 heures, nous nous habillons "en civils", lentement, silencieusement et, à 23 h 45, nous franchissons, chaussons aux pieds et chaussures autour du coup, la porte située à l'arrière du bâtiment (elle n'est pas fermée à clé… et le Posten possède une chambre en ville…). Il pleut… Nous nous dirigeons vers le bois… Une fenêtre s'ouvre proche et bruyante… Le dernier pavillon est passé, nous atteignons la lisière du petit bois… Il est minuit… Nous laissons sur place nos savates mouillées, enfilons très rapidement nos chaussures, et, valise en main prenons la direction de Kempten, situé à 20 km et que nous devons atteindre tôt le matin pour prendre le train direction Innsbruck… Mais… Vendredi 25 AvrilNous marchons au milieu de la route, vers le Sud… Georges allume une cigarette… Au loin, sur les hauteurs, à notre droite, légèrement en arrière… une lumière bleue apparaît… Nous continuons (Georges dissimule le rouge brillant de sa cigarette) nous marchons… La pluie a cessé. Vers 3 heures 1/2, le silence de la nuit est troublé par un bruit de moteur, à l'arrière, qui se rapproche, une lueur blanche apparaît de plus en plus intense. Nous avons tout juste le temps de piquer un "sprint" d'une vingtaine de mètre, côté droit dans le champ et, de nous jeter à plat ventre, le nez dans l'herbe humide… Sur la route, assourdissante, l'auto-phare passe rapidement… Le rayon lumineux frôle nos dos enfoncés et fait briller l'horizon… Nous étions informés de ces engins de recherches… Heureusement le silence revenu, nous ne cherchons pas à supposer si notre disparition au kommando a été signalée, ou, si nos silhouettes ont été décelées dans la nuit noire… Il est 4 heures, ceux qui sont à notre poursuite attendent à la prochaine agglomération… très certainement. Le soleil va bientôt chasser l'obscurité protectrice. Droit devant nous, perpendiculairement à la route que nous venons de quitter, nous accélérons notre course à la recherche d'un asile.

16 h dans une grange

A 4 h 1/2… Devant nous une grange où sont empilés des supports en bois, utilisés pour le séchage du foin… Nous effectuons une ascension laborieuse car obligatoirement très silencieuse… Les lumières s'allument face à nous. Nous sommes installés au sommet de cet assemblage, et, dissimulés assistons toute la journée au spectacle d'une ferme en animation… Hommes, femmes, chiens circulent plus ou moins activement à quelques mètres de notre refuge. Immobiles, sans oser parler, grignotant par instant quelques aliments. Il nous semble qu'un groupe d'hommes en gris arrive à la ferme et stationne longuement… Midi… le soir… Le froid… c'est long ! A 21 h nous partons, toujours vers le Sud et rejoignons une voie praticable… Soudain un bruit de moteur… Nous nous dissimulons fausse alerte… ce n'est qu'un tracteur poussif qui se déplace lentement. Samedi 26 Avril Nous poursuivons notre trajet, dans les champs, parallèlement au chemin. Il est minuit… Je chute dans ce que je crois être un ravin… Sans mal, mais la valise s'est échappée de mes mains, et nos recherches avec Georges qui m'a rejoint sont longues et vaines.

Deuxième nuit… à la belle étoile

Cet incident nous oblige à passer la nuit à p roximité. Adossés à un arbre, nous essayons de sommeiller (après avoir teinturé notre aire de repos avec du poivre en poudre). Il fait froid… Très froid. Cette nuit abominable ne se termine que lorsque la clarté nous autorise à constater la présence de notre indispensable valise à quelques mètres… Elle semble nous défier, intacte ! Aux abords, un ruisseau facilite notre nettoyage sommaire. Les aboiements d'un chien à quelques 200 mètres, incitent à quitter les lieux. La boussole nous indique la direction sud. Peu de temps après, nous rejoignons une "Nationale", et, bientôt un écriteau "KEMPTEN 5KM", confirme que nous sommes dans la bonne direction. Nous occupons le trottoir de droite, et, apercevons les premiers immeubles de Kempten. Deux gendarmes à moto circulent en sens inverse, et arrivés presque à notre hauteur, lèvent l'avant-bras gauche, main ouverte, pour signaler qu'ils changent leur trajectoire. Les 2 motos s'engagent dans le petit chemin que nous allions traverser, et nous nous arrêtons pour leur permettre de passer… devant nous, sans nous frôler, mais presque ! Cette scène n'a duré qu'une dizaine de secondes pendant lesquelles nous adoptons l'attitude "indifférente" du joueur de poker en des moments stratégiques. Ouf !

Kempten… le train

L'agglomération est atteinte. Vers 9 heures nous arrivons à proximité de la gare. Une troupe allemande passe une revue devant cet édifice. Nous bifurquons. Promenade dans la ville, en variant le parcours, mais nos jambes sont lourdes, malgré de courts arrêts sur les bancs du petit jardin public… face à la gendarmerie ! A 10 h 1/2, la gare est vide… Georges se renseigne sur les horaires, et… nous reprenons la pénible marche jusqu'à 13 h ! Georges, au guichet fait assaut de politesse avec un Feldwebel (s-off. allemand) "Après vous…" etc, avant de prendre deux billets pour Innsbruck (6,20 marks l'unité). Le train part à 13 h 10. Nous prenons place sur la plate-forme arrière du petit train de montagne. La femme contrôleuse nous dévisage de la tête aux pieds… vérifie nos billets et rentre à l'intérieur du wagon continuer son travail. Revenue sur la plate-forme, elle s'adresse à moi en souriant, heureusement Georges qui regarde le paysage intervient pour répondre à l'invitation faite de nous asseoir avec les autres voyageurs, car il fait froid. Nous prenons place, Georges près de la fenêtre et moi à côté fermant les paupières et simulant le sommeil… pour éviter la conversation qui s'engage entre Georges et le passager qui lui fait face, et, lors de notre arrivée, avait abandonné la lecture de son journal "nous sommes frères, nés à Genève, peintres en bâtiment, venons travailler à Innsbruck"… bla, bla, bla… etc! Bourdonnement incompréhensible enregistré par mon oreille droite. L'atmosphère est lourde, il semble (probablement à tort) que l'entourage se méfie de nous : arrêt à Reutte (1er tiers du parcours). Changement de train, toujours accompagnés de notre interlocuteur. Nouveau stop à Garmisch (second tiers du trajet), encore escortés du même… Nous l'oublions adroitement au cours de l'attente de l'Express en provenance de Munich. Installés confortablement dans un compartiment, la beauté du paysage qui défile ne nous fait pas oublier notre mésaventure de la nuit et notre promenade dans Kempten. A proximité d'Innsbruck, nous observons attentivement les lieux… car il faut trouver un abri le soir, suite aux imprévus de la veille. Enfin la gare… Nous sommes aux environs de 20 h. Les quais sont encombrés (notre programme prévoyait que la veille nous utiliserions l'omnibus à 15 h 25 ou l'express à 17 h 30 environ pour rejoindre Feldkirch)… mais nos pensées sont pour le présent immédiat. Nous nous séparons et suivons la foule direction "sortie". Le portillon… Le ticket (il me semble que tous les regards convergent sur moi)… Quelques centaines de pas dans la cité… Nous nous rejoignons… un minimum de paroles… Que faire ?

Innsbruck… à l'hôtel

Nos pas se dirigent vers l'extérieur d'Innsbruck mais la banlieue est éloignée, et, ce que nous avons pu constater au travers des vitres du train n'est pas encourageant… Demi-tour… Nous retournons aux abords de la gare. La journée se termine. Les lampadaires, en s'allumant, notifient qu'une décision doit être prise sans tarder. Georges s'adresse à quelques passants, et, à sa question chacun indique le même "Brasserie-Hôtel" à proximité, où nous voyons de nombreux uniformes gris circuler. Un client "civil" sort de l'établissement, légèrement ému, et Georges entame une conversation d'où il ressort qu'il n'est pas important que nous soyons démunis de papier d'identité… car on ne nous les demandera pas… Rassuré, mais perplexe, Georges (Suisse), toujours en allemand, s'adresse à un nouveau promeneur… "Nicht verstehen"… "Italia" est la réponse ! "Helvetia" indique Georges en se frappant la poitrine… Continuation du dialogue par l'italien dans sa langue d'origine… Georges "Nicht verstehen…" et, dans le silence de cette rue tyrolienne nous entendons : "Dans ce patelin, je ne comprends personne…" etc. Un long entretien, en français, auquel je suis heureux de participer, confirme les informations précédentes… Le temps passe… La Brasserie se vide de ses occupants; et plus particulièrement de ceux costumés en gris ! La décision est dictée… par le froid qui traverse nos vêtements… de plus s'il y a échec, il vaut mieux qu'il s'accomplisse avec confort ! Notre entrée est discrète… Nous nous accoudons au comptoir, avec le minimum de paroles, devant… deux chopes de "München Pression", qu'assoiffés nous absorbons par petites gorgées (merveilleusement délicieuses) mais rapidement. Nous réglons à l'avance (3 marks) la chambre sollicitée, puis, derrière le "garçon de salle" montons à l'étage. Après les formalités d'usage, il nous gratifie d'un "Heil Hitler" réglementaire (auquel nous répondons avec la même sincérité), et ferme la porte de la grande pièce à 2 lits… refuge de luxe avec verrou! Rapidement, nous nettoyons corps et vêtements, puis, après avoir disposé nos pantalons humides entre sommiers et matelas… prenons possession de nos lits… Très vite… le sommeil, les rêves !

Innsbruck… au restaurant

Dimanche 27 Avril Vers 8 heures… réveil… Pas de bruit suspect… mais notre appréhension d'une intervention policière matinale, active nos mouvements. Lavés, rasés, habillés, nous quittons bientôt notre abri tout confort… descendons l'escalier. Dans le hall, un regard côté gauche nous fait percevoir de nombreux soldats allemands dans la Brasserie. Nous tournons à droite, et sortons de l'hôtel… Il est 9 heures. Lentement, nous explorons cette cité, recherchant un emplacement pour nous restaurer… Vers 10 h, sous les arcades, en bordure de l'Inn (cet affluent du Danube, qui traverse le Tyrol et prend sa source dans le canton des Grisons en Suisse) nous rentrons dans un cabaret pratiquement désert, et, paisiblement installés, dégustons notre café au lait… lectures, causeries (à voix basse pour moi!). Le temps passe… La salle se remplit, c'est l'heure de commander le déjeuner, le serveur demande nos tickets de viande, ce qui ne pose pas de problème (Georges en était muni grâce à un jeune de Böhen). Alimentés suffisamment, notamment par des boulettes de boeuf délicieuses, nous quittons ce lieu public. Nous croisons beaucoup de promeneurs, en déambulant… c'est Dimanche. Un gosse nous dévisage avec insistance… par précaution (inutile ?) nous accélérons notre marche, et modifions plusieurs fois de direction, sans oublier que nous devons rejoindre la gare.

Innsbruck… la gare

Au guichet, Georges se procure les billets pour Feldkirch… des "Aller-Retour" ce qui est inhabituel (mais peut avoir un effet positif lors des contrôles) soit 6 m 40 x 2 x 2 = 25 marks 60 pf au total. Le train "omnibus" part à 15 h 25. Voyage confortable, sans incident pendant la moitié du parcours. A Landeck (où le chemin de fer quitte la vallée de l'Inn), un "Super Contrôleur" examine attentivement nos 4 billets 2 "aller" et 2 "retour"… pour nous, l'opération dure très, très longtemps ! Quelques banquettes plus loin, après avoir poinçonné les tickets… il vérifie les papiers d'identité. Attente… inquiète de sa sortie du compartiment.

Feldkirch… train terminus

Notre omnibus arrive en gare de "Feldkirch" à 20 h 09. Passage du portillon. Sans consulter notre petit croquis, que nous avons en mémoire, nous découvrons le pont sur l'Ill (non gardé, comme prévu dans nos instructions). Nous attendons la fin du jour en parcourant quelques rues de cette cité historique dont certaines sont caractérisées par arcades et voûtes. Bientôt nous franchissons l'Ill (qui prend sa source dans la province du Vorarlberg, près de la frontière suisse, et, rejoint le Rhin en amont du lac de Konstanz). La guérite, près du pont est vide (comme précédemment). Valise à la main, nous nous engageons sur la route de Buchs, vers la frontière. Nous croisons quelques civils attardés… c'est la tombée du jour, et, nous dépassons un chemin vers Bludenz à notre gauche. A la sortie des faubourgs (2 km environ après le pont sur l'Ill), nous nous dissimulons dans un petit bois, en surélévation, au droit de la route. De l'autre côté c'est la voie de chemin de fer "Feldkirch-Buchs". Il est 21 h 30… Nous attendons… Au loin une cloche sonne 11 fois… ma montre indique 22 heures. Une autre commence à tinter, à plus de distance. Nous comptons pour être sûr… 1, 2, 3… 10, 11… Elles sont en terres libres…

Vers… la frontière

Une heure plus tard, à 23 h, nous nous dégageons sur place de tout ce qui était précieux, indispensable (valise, aliments, imperméables de couleur claire), il y a quelques instants. A l'aise, avec un chandail de laine, je ne conserve en poche que le strict nécessaire… Partis perpendiculairement à la route, nous quittons le bois et traversons la voie ferrée. En plaine, nous continuons dans la même direction. Arrêt, après quelques centaines de mètres, pour nous orienter par rapport à la ligne de chemin de fer que nous devons essayer de suivre parallèlement. D'après nos calculs, nous sommes à 1,500 km de la frontière (en réalité nous sommes plus proches, car l'orientation au départ était oblique et non perpendiculaire à la voie ferrée… supposition, après !). Les 2 postes "frontière" sont distants de 1200 m. l'un est implanté sur notre gauche, près de la ligne de chemin de fer. L'autre est disposé sur notre droite au bas de la colline boisée. Un poste suisse est signalé (sur notre plan) à une trentaine de mètres en territoire neutre. De ce second poste de garde… il est prudent de se méfier! Malgré les indications rassurantes. Suite à ce court arrêt, nous effectuons un quart de tour, à gauche en faisant confiance à la colline boisée côté droit derrière laquelle la frontière est également signalée mais, très surveillée et en conséquence pratiquement interdite suivant nos informations. Notre lente avance "style indien" se poursuit… mais la position "plat-ventre" se prolonge. Nous écoutons… le silence. Un convoi, venant de Suisse constitue un trait lumineux (et sonore) nous permettant de vérifier notre progression dans l'axe déterminé. L'obscurité est totale, la nouvelle lune était fixée au 26 Février… il est près de minuit et nous sommes encore le 27 ! Nous rampons posément, les yeux rivés vers le Sud-Ouest, anxieux toutefois. Soudain, nous percevons un bruissement, qui en quelques instants s'amplifie… Immobilisés, nous rentrons nos corps en terre… de plus en plus, au fur et à mesure que les pas, qui viennent du Nord-Ouest, se rapprochent. L'homme est à nos côtés, peut-être accompagné d'un chien. Il passe derrière nos silhouettes invisibles. Pendant ces minutes interminables… que de pensées ! Echouer si près du but… Comment préparer une nouvelle évasion… La marche de l'homme (probablement la sentinelle assurant la surveillance entre les deux édifices de la douane) s'est éloignée lentement… nous pouvons à nouveau percevoir le manque total de bruit, et attendre quelques instants. Relativement rassurés, après ce long "stop", nous continuons à nous traîner sur le ventre… Mais tout de suite… les barbelés sortent de la nuit et apparaissent à quelques mètres, majestueux dans leur laideur. Rapidement pour moi, plus sereinement pour Georges… ils sont traversés (mon pullover est déchiré par les pointes des fils de fer). Nous courons une quinzaine de mètres sur cette terre du Liechtenstein, puis restons accroupis. Il est 2 h 15, heure allemande (… une heure de plus, ici en pays neutre).

Le Rhin… la Suisse

Lundi 28 Avril 1941 Après avoir franchi un petit ruisseau (1 m. de largeur environ) nous marchons rapidement, orientés par la voie ferrée qui traverse, sur 9 à 10 km, cette "principauté" de 159 km2 et aboutit en Suisse, à Buchs, après avoir utilisé un pont, pour franchir le Rhin. Ce viaduc est notre objectif depuis le départ, Jeudi soir, et, pour l'atteindre la prudence est plus que jamais de rigueur. Nous évitons toute rencontre, en particulier dans les agglomérations, que nous longeons, et, que nous supposons être les faubourgs de Vaduz, pour la plus importante. Nous nous dissimulons si possible à l'apparition de tout ce qui bouge, même en imaginaire. Il n'est pas possible de déterminer si les patrouilles seront favorables car, même suisses nous pourrions être accompagnés jusqu'à la frontière que nous venons de dépasser… et remis à nos anciens gardiens! Il est 5 h 25, heure locale… Nous marchons sur le pont de chemin de fer traversant le Rhin… puis courons, franchissons la moitié du fleuve. Nous sommes libres, levons les bras pour nous rendre aux autorités suisses… pour manifester joie et fierté d'avoir mené à bien ce que tout prisonnier de guerre doit tenter… une fois au moins… C'est ma conviction à cet instant… par la suite… mieux informé… j'ai compris que les circonstances auraient pu m'interdire de réaliser en plusieurs années ce Rêve, commencé le 26 Juillet 1940, au moment où le troupeau de soldats français traversait ce même fleuve… en sens inverse !

Libres

Accueil… à Buchs

L'accueil des soldats de garde au poste de frontière est sympathique. Ils nous font partager leur petit déjeuner… et plus tard le déjeuner. La nourriture est bonne, cigarettes, bière, chocolat ne manquent pas. Evidemment nous leur résumons notre évasion: Eloignement du kommando à Böhen le Jeudi 24 Avril à 23 h… 2 nuits à l'extérieur avant d'utiliser le chemin de fer à Kempten, le Samedi 26 à 13 h 10, puis, passer une nuit à l'hôtel à Innsbruck. Enfin le Dimanche 27, notre déjeuner en ville… parcours en train de 15 h 25 à 20 h 09. Traversée du ponton sur l'Ill à Feldkirch à 21 h 00 environ. Passages de la frontière allemande le Lundi 28 Avril à 2 h 15, et celle du Liechtenstein à 5 h 30, (heure suisse) soit un peu plus de 2 heures pour traverser la Principauté. Au total : 77 h environ, soit 48 h de retard sur le plan de base… heureusement, nous avions prévu la moitié de "l'imprévisible" par rapport à la "nouvelle lune" mentionnée la nuit du 26 au 27… elle aurait refusé sa complicité, ne pouvant retarder le 1er quartier, de son apparition. Mais… et, nous ne nous en formalisons pas, la police suisse nous considère comme "suspects". Dans le courant de l'après-midi, nous sommes transférés à Sargans, et longuement interrogés. Le menu du dîner est convenable. Nous retournons à Buchs : visite médicale, enquête complémentaire, fouille stricte. J'échange 30 marks contre 18 francs suisses. Pour terminer, nous sommes dirigés vers la "prison civile", semblable à toutes les autres… la nuit est froide… il n'y a plus de chauffage. L'agent qui nous surveille refuse de nous donner une boisson (c'est le règlement).

En prison… à St Gallen

29 Avril 1941 Partis de Buchs, vers 8 heures, nous arrivons à la maison d'arrêt de St Gallen, 2h plus tard. Fouilles (argent confisqué), photos, empreintes, identité… c'est sérieux ! Les policiers ne nous séparent pas. La porte de la cellule se referme. Le confort est similaire aux autres geôles où sont emprisonnés les "droit commun" dont un condamné à un séjour de longue durée. La petite fenêtre nous fait constater que l'épaisseur des murs est supérieure à 1 m. Pour nous défouler nous hurlons "dans une tour de Londres… il y avait un prisonnier…" etc, et, les passants que nous pouvons entrevoir, lèvent la tête intrigués. Le porte-clefs intervient sévèrement pour nous faire taire… protestations véhémentes contre les conditions inadmissibles de notre incarcération. Dialogue sans résultat.

30 Avril

Le procureur-général nous convoque suite à notre comportement bruyant de la veille. La conversation se prolonge. A notre requête d'être entendus au consulat, la réponse est : "Le consul ne peut faire grand-chose pour vous, mais moi, je vais m'occuper de votre situation et améliorer votre sort". ll tiendra parole… Dans un couloir, nous dialoguons avec 2 évadés qui arrivent : Baradur et Duran.

1er Mai (et les jours suivants)

L'après-midi nous sortons en ville conduits par un chef infirmier militaire, avec un groupe de soldats convalescents (l'argent confisqué lors de notre identification est rendu à chaque sortie, et repris au retour de la promenade… toujours le règlement). Quelques achats : bière 1/2 litre = 0,30 F - tasse café nature = 0,30 F - brioche = 2 F - charcuterie fine 0,4 kg = 3 F - paquet de cigarettes "celtique" = 0,70 F. Les policiers sont parfaits. L'un me fait cadeau d'un costume marron, de bonne qualité, et en bon état. Georges hérite d'une veste et d'un imperméable.

Annemasse… la France

5 Mai 1941

Réveil à 4 h 30. Nous quittons très tôt cette prison, devenue très vite, une maison de détention sympathique. Dans le train, direction France, d'autres "K.G. évadés" s'incorporent à notre groupe. A la station de Lausanne, Georges et un autre compagnon sont conduits au Fort de la ville pour être interrogés par un représentant de l'armée suisse sur ce qu'ils ont pu observer en territoire ennemi, notamment les mouvements de troupes (… un bon repas leur est offert) puis, en tramway, retournent à Genève (nous ne nous retrouverons qu'en France). Me concernant, j'échange à Genève mes 18 francs suisses (que je m'étais procuré pour 30 marks deutchland)… qui valent 400 F français (traduction dans la Patrie des banques : 400 F = 30 marks = 18 F suisses !). A proximité de la frontière, avant de nous remettre à la disposition des autorités françaises, les fonctionnaires d'Helvétie persistent dans leurs amabilités et offrent des cigarettes (j'hérite d'un billet de loterie n° 224497… non gagnant) probablement pour s'excuser de ne pas être directement concernés par les conflits en cours ! Il est midi…

Démobilisés… Annecy

Enfin, nous nous retrouvons Georges et moi, à Annemasse, au centre d'accueil… Procès-verbal d'évasion… Allocution d'un officier (Pétain… etc…). Dans notre brève réponse nous signalons la similitude des propagandes… Là-bas les portraits d'Hitler en quantité… ici ceux de Pétain dans toutes les boutiques. Egalement, nous racontons qu'au VII B, à Memmingen, le "Vive De Gaulle" était rituel à la fin de chaque rassemblement. Déjeuner sommaire… L'après-midi, promenade en terre de France. Dommage que les vitrines des magasins soient encombrées de portraits du maréchal (probablement le prolongement de la Fête du Travail… 1er Mai… Ailleurs, il en est de même pour le Reichsführer). Le soir, nous rentrons à l'hôtel de la gare pour y passer notre première nuit… autonomes.

6 Mai 1941

Vers 6 h, nous quittons Annemasse, pour rejoindre Annecy, à une trentaine de kilomètres, et, régler les dernières formalités au centre de démobilisation du canton. Fiche n° 11690. En sus d'une prime de 1000,00 Frs, j'ai droit à une paire de chaussures et un peu de linge, également un costume (mais il n'y en a pas à ma taille !). Je signale qu'en Suisse nos gardiens ont prévu la carence de l'administration de Vichy… A noter que les démobilisés qui n'ont pas la possibilité d'indiquer un domicile, en zone libre, où ils peuvent se retirer sont "conservés" par les autorités du centre démobilisateur dans un camp approprié… Heureusement pour moi (car je suis dans cette situation) je désigne le domicile des parents de Georges à Marseille (Villa Tredos, Impasse Jean André). En sortant de l‘édifice, débarrassé des matricules n° 3751 (567ème Cie. SCFTN du 15ème Génie à Toul) et n° 38333 (Stalag VII A et VII B…), je vais à la Banque de France "troquer" 51,50 marks (probablement un peu moins de 700 Frs… mon carnet noir est muet sur ces précisions). Vers 19 h nous allions au buffet de la gare pour nous alimenter avant de nous transporter à Marseille, et y rencontrons (hasard bénéfique pour la suite, en ce qui concerne le séjour en zone libre) mon ancien patron de la Sté Electro-Luminescence où j'avais travaillé en 1929. Nous dînons en conséquence, avec Monsieur Sinai Lucien (120 Frs à 3) auquel nous parlons de notre séjour chez Hitler, et qui nous informe : "zone libre… Pétain… Vichy… zone occupée…" etc… Le train démarre à 20 h 30. Nous nous installons dans le compartiment pour un voyage de près de 10 h, confortablement. Mr Sinai nous tient compagnie une partie de la nuit (mêmes sujets de conversation… de plus, il va s'occuper de ma position et d'un éventuel emploi) puis rejoint son wagon-lit.

7 Mai 6 h.

Gare de Marseille. Nous utilisons le tramway pour nous rendre à l'Impasse Jean André. Nous entrons dans la Villa "Tredos". Les parents de Georges nous accueillent. Ils représentent pour nous deux : la France.

Marseille… avec la famille de Georges

8 au 11 Mai 1941 Les démarches commencent, avec priorité pour les cartes d'alimentation. Je rencontre Mr Sinai, qui s'occupe d'un éventuel emploi, conformément à notre conversation à Annecy, Mrs Masson et Thyerry (pour Lyon) m'aident dans ces recherches. Suite des inscriptions : chômage, Comité de Secours, Réfugiés. Un peu de distractions… Courses à l'hippodrome… Ni gain, ni perte. Je vais à la gendarmerie pour le costume auquel j'ai droit, puis au centre démobilisateur… sans résultat. Inscription au bureau du port, pour un emploi de docker !

13 au 15 Mai

Suite à l'intervention de Mr Sinai, je rencontre Monsieur Lévy (12ème bureau, d'Air France) qui m'engage aux Ets Messiers, à Bidos (près d'Oloron-Sainte-Marie, dans les Pyrénées atlantiques) sans précision de qualification… Mais j'ai du travail. Nous nous déplaçons Georges et moi, aux environs de Montélimar chercher du ravitaillement dans une ferme de la famille Bernard.

16 Mai

Je vais au bureau des réfugiés pour obtenir le transport gratuit jusqu'à Pau (25 km d'Oloron-Sainte-Marie) où j'ai trouvé du travail. Résultat négatif qui vaut bien quelques lignes supplémentaires : 1°) Je dois "solliciter" de mon employeur (Ets Messiers) un certificat de travail légalisé. 2°) Je dois "solliciter" du préfet, muni de la pièce précitée, l'autorisation de quitter le département des Bouches-du-Rhône. 3°) Je dois "solliciter" du bureau des réfugiés une demande de transport gratuit avec les documents justificatifs précisés plus haut. 4°) Après enquête de contrôle, le bon me sera éventuellement remis, me permettant de "solliciter" (4ème fois) un billet de transport au guichet de la gare. Et, je n'aime pas solliciter… et je payerai, au prix normal mon billet S.N.C.F.!… Le soir rentré à la Villa "Tredos", l'ambiance me fait oublier toutes ces tracasseries, et, nous mettons au net le "carnet noir"… 17 Mai Ce qui s'est passé la veille, va se renouveler pour l'obtention des "cartes vestimentaires", au 22ème secteur, Rue St Sébastien où nous obtenons les papiers permettant l'achat de chaussures (contre 2 F en timbres). Pour les vêtements, c'est une autre adresse, avec 2 services, et, il nous faut 3 ou 4 déplacements entre le 51 Rue Grignon, et la Rue de Paradis (répartis toute la journée), pour obtenir satisfaction (après avoir assisté à une "chamaillerie" entre fonctionnaires). Pourquoi décrire ces deux faits divers de tous les jours… peut-être par ce qu'ils ont choqué l'idée que l'on se faisait de la France il y a moins d'un mois. Dimanche 18 Mai Je note quelques achats : chaussures : 270 F - 2 chemises : 54 F et 3 paires de chaussettes 20 Frs. L'après-midi au stade, j'assiste à la victoire de l'O.M. sur le S.C. Nîmes par 4 à 0 (ce S.C. Nîmes que j'avais rencontré avec le Gallia Club de Paris, en 1930). Le soir c'est le départ : 19 h 35… de la fenêtre du compartiment, je regarde s'éloigner l'amitié.

Solitude !… en zone libre

19 Mai 1941 Arrêt en gare de Toulouse à 3 h 30. Repas à l'hôtel des "Quatre Saisons" (44 Frs). Train dans lequel je rencontre un ami de Georges (Mr Ulmo de Valenciennes). La conversation facilite la transition entre Marseille et Oloron-Sainte-Marie où je débarque à 14 h 30 (mon carnet… note les phrases entendues pendant le trajet : "en Allemagne, les ouvriers travaillaient 70 h tandis que nous, c'était 40 h de loisirs"… Un monsieur très bien avec Légion d'Honneur. Et peu après Pau, par le contrôleur : "… je leur disais, aux jeunes soldats qui chahutaient dans les wagons… vous êtes trop indisciplinés pour gagner la guerre". Dès ma sortie de la gare, je passe aux Ets Messiers, à Bidos, prendre contact; puis recherche et trouve à Oloron-Sainte-Marie : chambre et pension… début d'une nouvelle façon de vivre, transitoire dont j'ignore la durée.

20 Mai

Reprise de contact avec le monde du travail, 2 semaines après ma démobilisation. Le bureau de dessin est en surélévation de l'atelier mécanique, sans la moindre séparation. Le bruit me semble diabolique. Devant moi punaisé à la table, un calque vierge sur lequel je vais tracer les éléments d'une pompe hydraulique. En main un tire-ligne (retour de 650 jours en arrière !). Mai Adaptation à des techniques nouvelles, au rythme du vacarme perçu dans le local… devenant lentement grondement, puis rumeur. 2 Juin Quotidien comme les autres, ce Lundi de la Pentecôte. Mes 34 bougies n'ont pas été enflammées, aucune lumière du côté de Suzy, qui par l'intermédiaire de la Sainte Forclum, essaye de me faire revenir vers Paris. 7 Juin Ce Samedi, les usines Messiers et Renault (où travaille Suzy) sont au repos. Second anniversaire de cette même date en 1930, où nous songeons séparément à la mairie du XIXème arrondissement, et, analysons différemment notre déplacement du lendemain avec le Gallia Club, dans les Ardennes.

Juillet

La rumeur des machines toutes proches est maintenant à peine perceptible. J'essaye de mieux comprendre les lois du mouvement et de l'équilibre… Il me faut quitter ces Pyrénées qui séparent Pétain et Franco, pourtant proches… Caricature de mon problème avec Suzy que je dois résoudre rapidement en abandonnant ma situation "régularisée" en zone libre pour celle de "civil sans identité" en zone occupée. 1er Août et jours suivants En fin de semaine, je me déplace, essayant d'organiser ma vie solitaire, comme Suzy a déjà accommodé la sienne depuis bientôt 2 ans. Arudy, Aramits, mais surtout Pau, capitale du Béarn plein d'histoire, où naquit celui qui devint Henri IV. Entourée de sites qui frappent par leur beauté, cette ville mérite par ses promenades, statues, monuments, sans omettre le fameux Château des Vicomtes de Béarn où fut détenu prisonnier l'Emir Arabe Abd-El-Kader… Souvent le soir, je résume mes souvenirs avec l'aide de mon "carnet noir". 26 Août En 1939, à cette même date… mobilisation… gare de l'Est… des cheveux blonds absorbés par la foule… dernière vision. Je regarde les torrents d'Aspe et d'Ossa se réunir devant moi pour constituer le Gave d'Oloron, lequel rejoint celui de Pau, affluent de ce fleuve tumultueux qu'est l'Adour… Je contemple ces images de la vie, de la nôtre… Des semaines qui s'écoulent sans information positive. Je construis seul mon "Cheval de Troie" pour franchir la limite imposée par les "vainqueurs", sans la complicité de l‘agence de Toulouse de la Sté Forclum… ni l'assistance d'un passeur rétribué ou bénévole.

Clandestin !… en zone occupée

30 Août 1941 La banlieue nord de la région parisienne Villiers Le Bel… je parcours l'Avenue de la Gare derrière mes lunettes noires… Le Quartier des Charmettes… la Rue Centrale… le Pavillon N° 8, construit par mes grands-parents. C'est le 9ème anniversaire de Lucienne… C'est l'aube d'une vie semi-clandestine, longue et complexe… avec Suzy que je retrouve après deux ans de séparation.

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CF le CD