Albert TOCHE
**
006
LA COUPURE
BEUIL -
GUILLAUMES - PEONE - ENTRAUNES
18 CANONS
TONNENT
SOSPEL -
CASTELLAR - L'AUTHION
GUERRE
1939 - 1945
Résistance
NICE - Mai
1985
Analyse du témoignage
Écriture : 1984 - 70 pages
Avant-Propos du témoin
Si la Résistance dans le
canton de Guillaumes a été assez spectaculaire
pour faire date en ce qui concerne les actions
menées dans le Département des Alpes Maritimes, et
plus remarquées que celles qui ont eu pour théâtre
le Plateau de Dina et le Massif de l'Audibergue
(puisque ces actions ont nécessité l'envoi d'un
bataillon de l'armée allemande), c'est que la
configuration du terrain montagneux se prêtait
admirablement aux opérations qui s'y sont
déroulées et toute l'affaire a débuté vraiment au
printemps de 1944. En tant que témoin oculaire et
participant effectif, je puis apporter mon
témoignage, celui d'un homme faisant partie de la
communauté guillaumoise, d'un habitant de cette
commune qui a vu la Résistance s'y implanter. Le
climat de suspicion et de peur qui a régné durant
quelques semaines, peu après l'arrivée des deux
équipes de maquisards a cédé, pour se changer en
une ambiance chaleureuse entre eux et nous, pour
la plupart des habitants qui ont compris, peu à
peu, que l'heure de la revanche avait sonné. Ce
sont ces faits d'armes et cette atmosphère
spéciale que je veux faire revivre comme un témoin
qui serait en quelque sorte en dehors de cette
Résistance plus ou moins encadrée, et comme membre
d'une communauté qui s'est intégrée de gré ou de
force aux exigences de l'heure.
If the
Resistance movement in the area of Guillaumes has
been spectacular enough to be singled out as
regards the actions carried out in the Departement
of the Alpes Maritimes, and more noticed than
those which took place on the "Plateau de Dina"
and in the "Massif de l'Audiberge",(since those
actions required an entire battalion of the German
army to be dispatched there), it is due to the
mountainous configuration of the land that
perfectly befitted the operations that took place
there, and the whole thing really started in
spring 1944. Being an eye witness and an effective
participant, I can give my testimony, that of a
member of the Guillaumes community, that of an
inhabitant of this town, who saw the Resistance
movement taking root here. The atmosphere of
suspicion and of fear that prevailed for a few
weeks, shortly after the arrival of the two groups
of Maquisards, ceased, and was replaced by a warm
atmosphere between them and us, for most of the
people in the village who understood gradually
that the time for revenge had come. These are the
military actions, and the special atmosphere that
I want to bring back to life as a witness who
would be somehow outside of this more or less
guided Resistance movement, and as a member of
this community which adjusted itself, whether they
liked it or not to the necessities of the time.
POSTFACE de Michel EL BAZE
Renvoyé de l'Armée
d'Armistice, Albert Toche rejoint sa famille à
Guillaumes où, tout naturellement, il collabore à
la Résistance organisée dans ce Canton qui fut le
premier du Département à être libéré le 24 Juillet
1944. Mais il ne décroche pas ! Et il participe à
la création du Groupe Étranger d'Artillerie qui,
en position à Castelar ou Sospel, apportera sa
contribution à la libération du Département des
Alpes Maritimes. Le récit, simple, exempt de
fioritures, nous conduit enfin à Treves où le
jeune Albert Toche "occupe" l'Allemagne nazie
vaincue. Il appartiendra au lecteur d'imaginer ce
que tait le témoin, le courage, les souffrances
endurées et sa remarquable persévérance dans sa
lutte pour le Pays.
AVANT-PROPOS
Si la Résistance dans le
canton de GUILLAUMES a été assez spectaculaire
pour faire date en ce qui concerne les actions
menées dans le Département des ALPES-MARITIMES,
et plus remarquées que celles qui ont eu pour
théâtre le Plateau de DINA et le Massif de
l'AUDIBERGUE (puisque ces actions ont nécessité
l'envoi d'un bataillon de l'armée allemande),
c'est que la configuration du terrain montagneux
se prêtait admirablement aux opérations qui s'y
sont déroulées et toute l'affaire a débuté
vraiment au printemps de 1944. En tant que
témoin oculaire et participant effectif, je puis
apporter mon témoignage, celui d'un homme
faisant partie de la communauté guillaumoise,
d'un habitant de cette commune qui a vu la
Résistance s'y implanter. Le climat de suspicion
et de peur qui a régné durant quelques semaines,
peu après l'arrivée des deux équipes de
maquisards a cédé, pour se changer en une
ambiance chaleureuse entre eux et nous, pour la
plupart des habitants qui ont compris, peu à
peu, que l'heure de la revanche avait sonné. Ce
sont ces faits d'armes et cette atmosphère
spéciale que je veux faire revivre comme un
témoin qui serait en quelque sorte en dehors de
cette RESISTANCE plus ou moins encadrée, et
comme membre d'une communauté qui s'est intégrée
de gré ou de force aux exigences de l'heure.
If the Resistance movement in the area of
Guillaumes has been spectacular enough to be
singled out as regards the actions carried out in
the Departement of the Alpes Maritimes, and more
noticed than those which took place on the
"Plateau de Dina" and in the "Massif de
l'Audiberge",(since those actions required an
entire battalion of the German army to be
dispatched there), it is due to the mountainous
configuration of the land that perfectly befitted
the operations that took place there, and the
whole thing really started in spring 1944. Being
an eye witness and an effective participant, I can
give my testimony, that of a member of the
Guillaumes community, that of an inhabitant of
this town, who saw the Resistance movement taking
root here. The atmosphere of suspicion and of fear
that prevailed for a few weeks, shortly after the
arrival of the two groups of Maquisards, ceased,
and was replaced by a warm atmosphere between them
and us, for most of the people in the village who
understood gradually that the time for revenge had
come.
These
are the military actions, and the special
atmosphere that I want to bring back to life as
a witness who would be somehow outside of this
more or less guided Resistance movement, and as
a member of this community which adjusted
itself, whether they liked it or not to the
necessities of the time.
LIVRE I
**
LA
MÉMOIRE
À LINA
Mon épouse
À MARTINE, YVAN, HELENE, MICHEL
Mes enfants
40 ANNEES APRES !…
LA
RÉSISTANCE
DANS
LE
CANTON
DE GUILLAUMES
AVRIL - AOUT 1944
Renvoyé "en civil" de
l'Armée d'Armistice à Grenoble (Sous-Officier au
2ème Régiment d'Artillerie) fin Novembre 1942, au
moment du passage en zone sud de l'Occupant
allemand, je reviens dans ma famille à Guillaumes
le Sauze pour occuper la fonction paramilitaire
d'Agent de Maîtrise des Eaux et Forêts en
résidence à Guillaumes . Je ne parlerai que pour
mémoire du climat insolite, et de la méfiance que
chaque Français éprouvait pour celui qu'il ne
connaissait pas intimement, durant toute cette
époque troublée. La seule possibilité de faire de
la Résistance à ce moment-là dans le Département
se résumait à écouter la "Radio de Londres" et à
diffuser le modeste feuillet du journal Combat que
je montais de temps en temps à Guillaumes, lorsque
mes affaires m'obligeaient à descendre à Nice. Les
F.F.I. s'installent à Beuil et à Péone (hameau des
Beaumettes au pied du Col de Crous ) dans le
courant Avril-Mai 1944. Ils sont, à ce qu'il nous
semble formés de deux équipes d'une quinzaine de
maquisards. Ils descendent de temps en temps à
Guillaumes le matin très tôt, et cela ressemble
plutôt à des raids. Ils demanderont au cordonnier
Dalessandri de leur confectionner des paires de
chaussures, sans ticket naturellement. Les deux
boulangers Garnier et Ginésy sont contactés pour
leur fournir du pain. D'autres commerçants
reçoivent leur visite et accueillent avec
réticence, en paiement, des bons de réquisition.
Ces bons sont signés Commandant SAPIN, mais après
tout c'est un Commandant qui a sous ses ordres des
"terroristes"!… Le C.D.L. se forme peu après sous
le manteau avec M. René Robert, Hôtelier -
Président M. Raoul Graille, chef-cantonnier- M.
Baldocchi Ingénieur T.P.E. des Ponts-et-Chaussées
- M. Suzini, Brigadier des Eaux et Forêts, etc… En
tant que militaire je suis contacté par le
Président du C.D.L. pour faire partie de l'équipe
étant dans le même cas que Raoul Graille. J'y mets
une condition: Faire entrer comme membre du C.D.L.
au moins 1 des 12 habitants de Guillaumes qui
étaient signalés comme "communistes" sur une liste
adressée à la Gestapo à Nice, mais que la Police
française alertée a pu intercepter. Grâce à un
policier parent de M. Liautaud, Greffier, et après
la fouille des maisons de ces "coupables", ils ne
partiront pas pour les camps de concentration ou
le S.T.O., mais l'alerte a été plus que chaude! Ma
demande n'ayant pas été acceptée je n'ai pas fait
partie, volontairement, en tant que membre, du
Comité de Libération de Guillaumes. Peu à peu la
Résistance vient en surface! et ses chefs
circulent à pied dans les rues de Guillaumes. On
se montre les Officiers comme le Commandant
Beauregard, le Lieutenant Colonelli (3 mois de
Saint-Cyr) le Capitaine Lippmann, le Capitaine
François (qui n'est pas du secteur). Naturellement
on sait que le Commandant Sapin est le chef, mais
on ne le connait pas sous son vrai nom de
Commandant Lécuyer. Nous avons connaissance que
sur le plateau Saint Jean-Baptiste à Beuil des
parachutages d'armes par containers ont lieu la
nuit, mais malheureusement leur nombre est réduit
et nous n'aurons pas beaucoup d'armes. D'autres
parachutages ont lieu également au Col des Champs.
La mise au point des conditions de ces
parachutages ainsi que les contacts avec la
Résistance à l'extérieur se font par
l'intermédiaire d'un Officier-Radio, Canadien
parachuté, possédant un poste-émetteur et résidant
à Entraunes. C'est vers cette époque que nous
avons connaissance de la liquidation au Col de la
Cayolle de deux Allemands montés sur un side-car
qui venaient de Barcelonette et voulaient
rejoindre NICE. Aucun soldat allemand ne s'y
hasardera plus! Le 3 Mai
1944 L'Adjudant-Chef de gendarmerie Rémond à
Puget- Théniers sauve 8 Pugétois qui allaient être
fusillés par le peloton d'exécution. Etant
Alsacien il eut le courage de reprocher, en
allemand, à l'Officier chargé de cette exécution,
l'horreur de cet acte. Mais 70 habitants de Puget
après être restés toute une nuit à genoux sur la
place seront déportés en Allemagne. Les Allemands
brûlent des fermes dont celle de Magnan au Plan
d'Entrevaux, d'autres à Colmars- les- Alpes. Le
fils Magnan était d'ailleurs dans une des deux
formations F.F.I. à Guillaumes. Toutes ces
nouvelles sont colportées, mais arrivent avec peu
de détails et du retard, la population n'en étant
pas informée outre mesure. Elle est peut-être
davantage au courant, par la radio, des
expéditions punitives" exercées par les Allemands
aidés des miliciens", contre les "terroristes" du
plateau des Glières ou du Vercors, pour…
l'exemple. C'est vers cette époque du début Juin
que j'ai vu pour la dernière fois les deux frères
Magnan de Puget- Théniers, dont l'aîné Magnan Aimé
était mon camarade de classe à "Jules- Ferry" à
Cannes. Ils étaient passés à Guillaumes avec
d'autres jeunes gens, en camionnette et ils
devaient se rendre à un rassemblement de la
Résistance. C'est au retour que les Allemands les
ont lâchement assassiné, le 11 Juin 1944, en les
faisant descendre de la camionnette, et en leur
disant qu'ils étaient libres pour leur tirer dans
le dos pendant qu'ils couraient dans cette prairie
de Saint- Julien- du- Verdon qui est devenue le
lieu de pèlerinage annuel auprès du monument qui
est érigé à leur mémoire (11 otages dont 5
lycéens). A la date
du 8 Juillet 1944 le Capitaine François et nos F.F.I. font
sauter le viaduc de Barthéou à l'entrée des gorges
de Daluis. C'est la "Coupure ". Les gorges de
Daluis isolent la haute vallée du Var, comme
celles du Cians (où le Pont de Pra d'Astier a
sauté également la veille, le 7 Juillet, et
forment obstacle pour atteindre Beuil et Valberg).
Le canton de Guillaumes (sauf le village de
Daluis) avec ses communes: Entraunes, Saint-
Martin d'Entraunes, Villeneuve d'Entraunes,
Châteauneuf d'Entraunes, Le Sauze, Péone, Beuil,
devient, par le fait de son isolement voulu un
véritable réduit !, entouré de hautes montagnes
coupées par des cols difficiles à franchir, mais
qui seront gardés naturellement. Il faut citer au
Nord le Col de la Cayolle, et le Col des Champs, à
l'Est les Cols de Pal, Crous, Couillole, Roua. A
l'Ouest, une véritable chaîne forme une barrière
naturelle la séparant du Département des Basses-
Alpes avec deux cols très hauts (2 000 mètres pour
le col se trouvant au pied du Mont Saint- Honorat
) et un passage au-dessus du hameau de Sussis.
DÉSORMAIS, LA POPULATION
DE Guillaumes
ET
DU CANTON SE SENT DIRECTEMENT CONCERNÉE
ET
FAIT CAUSE COMMUNE AVEC LES F.F.I.
A partir de cette action
nous ne recevrons plus de nouvelles, de journaux,
de lettres, puisque le service par autocar sur la
relation Nice- Guillaumes n'atteint plus le
canton. Le camion descendant journellement le lait
de la coopérative laitière de Guillaumes sur Nice
s'est arrêté également, mais les paysans du canton
continuent néanmoins d'apporter une quantité
importante de leur production. Seules circulent
les quelques voitures ou camionnettes qui
fonctionnent pour la plupart au charbon de bois,
et ce carburant ne fait pas défaut! Nos deux
équipes vont et viennent en camionnette de Péone
ou de Guillaumes jusqu'à la "coupure". Même M.
Baudouin le camionneur, le transporteur public, ne
peut plus exercer son activité, et pour cause. Les
bouchers se ravitaillaient soit aux abattoirs de
Nice, ou à Annot. Il y a assez de moutons dans les
pacages de haute montagne car les "montagnes"
possèdent plusieurs milliers de transhumants! La
viande de mouton sera celle de tous les jours! si
l'on peut dire, car les tickets existaient bien
toujours!
POUR
Guillaumes ET LE CANTON
UNE
NOUVELLE VIE
DE
VERITABLE CAMP RETRANCHÉ S'ORGANISE
M. Susini - Brigadier
des Eaux et Forêts devient "l'Adjudant de
quartier" ou des effectifs, si l'on préfère. C'est
lui qui adresse, par l'intermédiaire des facteurs,
aux jeunes hommes des différents hameaux:
Bouchanières, Saint- Brès, Villeplane, Villetale,
Le Sauze, etc… et dans les communes avoisinantes,
l'ordre de se rendre, à tour de rôle avec
couverture et repas froid jusqu'aux points
sensibles désignés. Les trois gendarmes dont le
Brigadier Maurin, Odasso, etc… graissent les
armes, organisent dans le lit du torrent du Tuébi
des séances journalières de tir avec les
mitraillettes Stein et autres, des lancers de
grenades avec des cailloux, pour économiser les
munitions. La coopérative laitière s'organise
également pour un autre travail. Puisque le lait
ne peut plus être évacué sur Nice, M.M. Coste et
Agnely fabriqueront des dizaines de kgs de fromage
que l'on vendra aux habitants. Mais c'est le pain
qui va manquer. Le C.D.L. a bien obligé les
paysans à faire moudre chez le "moulinier" Porcier
Théodule, les derniers grains gardés jalousement.
Nous allons être réduits à une petite ration de
100 grammes de pain journalier, et cela durera
plus d'un mois! Les bouchers quant à eux tuent et
débitent les moutons requis par le C.D.L. et payés
avec des bons. Nous sommes habitués à cette
viande, puisque durant ces années de restrictions
elle a bien arrangé les menus des gens de la
vallée, et ce sont des morceaux de "moutonnaise",
c'est-à-dire de la viande de mouton salée et
quelquefois fumée, qui venaient s'ajouter
hors-tickets aux repas. Le troc habituel de ces
dures années de guerre n'a fait que se renforcer
durant cette période critique, mais les gens
avaient peu. Le jardinage était une nécessité mais
en Juin-Juillet il n'y a pas encore beaucoup de
légumes dans les jardins en plus des haricots, des
salades, radis, carottes… Les cigarettes et le
tabac dont la provenance reste pour nous,
habitants, à demi! mystérieuse, seront distribués
aux combattants en priorité. Les gars "maquisards"
se sentant chez eux s'installent au grand jour, et
à tour de rôle à la faveur des repos, déjeunent et
dînent dans des hôtels-restaurants René Robert, et
Belleudy … On met les pieds sous la table de
marbre, le revolver dégainé à côté de l'assiette
pour les Officiers.
C'EST
LA VERITABLE AUTARCIE DANS LE CANTON
MAIS
AUTARCIE DE DÉNUEMENT
Nous revenons pour
quelque temps à cette économie fermée, à ce troc
qui était habituel dans nos montagnes et que nos
grands-parents avaient connu jusqu'en 1880, avant
que la route n'y arrive. A l'époque Guillaumes
produisait principalement du vin et des légumes Le
Sauze, du blé, de l'avoine, de l'orge (dont on
faisait un pain grossier! ) Villeneuve
d'Entraunes, des fruits, des légumes, des noix
dont on tirait l'huile Beuil, des lentilles, des
pommes de terre, du foin etc… Depuis que le canton
de Guillaumes est isolé, des bruits circulent à
Nice indiquant que le "réduit du haut-pays"
contient 3000 terroristes ! Le Commandement (la
Police française en l'occurrence) accrédite
volontiers cette nouvelle pour affoler les
Allemands. En comptant: hommes, femmes, enfants,
réfugiés Juifs ou autres, on n'est pas loin
d'approcher de ce chiffre… En réalité en tant que
combattants nous n'avons jamais été plus d'une
centaine en tout! Si les deux "éléments" de
maquisards vont et viennent jusqu'à la "coupure"
le Commandement et le C.D.L. veulent également
structurer une Résistance armée parmi la
population, et surtout parmi les hommes assez
jeunes, aussi serons-nous intégrés rapidement dans
les rangs de l'Armée Secrète, l'A.S., et ensuite
de l'O.R.A. Des équipes d'une dizaine d'hommes se
forment au mieux des sympathies: Graille Raoul,
Pons Robert, Toche Albert etc… pour ne citer que
ceux-là, seront des chefs ayant assez d'expérience
militaire (ils sont Sous-Officiers), pour qu'on
leur confie un commandement de groupes, mais avec
des hommes jeunes, inexpérimentés, et n'ayant même
pas une arme chacun, ce ne sera pas chose facile!
Presque chaque soir les chefs de groupe sont au
rapport du Lieutenant Colonelli, pour connaître
les ordres et juger la situation. J'insiste tout
de suite sur le fait qu'il existe, sur les cartes
d'état-major le tracé de deux chemins muletiers:
l'un partant de Léouvé, passant par le Col de Roua
pour descendre ensuite sur Guillaumes l'autre
partant de Daluis pour monter vers les hameaux de
Villeplane, La Saussette, pour aboutir au Sauze.
M. Fournier en tant que cantonnier vicinal
surveille et a la charge du nettoiement du chemin
jusqu'au Col de Roua. Ces chemins muletiers,
l'ennemi peut les emprunter facilement et on doit
en organiser la défense. Je dis au Lieutenant
Colonelli que c'était bien beau d'aller de jour et
de nuit à la "coupure" pour "recevoir" l'ennemi,
mais que celui-ci pouvait accéder au réduit par
les voies qui sont celles des pays de montagne,
toujours en hauteur! Colonelli prend ma remarque
au vol et me demande, puisque je suis du pays,
d'organiser un poste d'observation et de
Résistance au Col de Roua puis à Villeplane. Aussi, le
Dimanche 9 Juillet 1944 Me voilà parti pour trois heures de
marche avec mon équipe dans les rangs de laquelle
Coco Brun, Rosin Blanc sont parmi les plus jeunes
et nous arrivons chargés et fatigués à la ferme
Cotton au-dessous du Col de Roua Nous prenons
possession de la grange avec l'assentiment de la
famille Cotton, et le jeune fils se joint à nous
pour nous aider dans les tours de garde.
L'organisation de la surveillance de jour et de
nuit au col devient vite monotone. De temps en
temps et toujours la nuit nos émissaires passent
sans encombre, car un homme même seul est repéré
très loin dans nos montagnes. La grande affaire
c'est la difficulté dans laquelle nous nous
trouvons pour assurer notre ravitaillement. Il y a
trois heures de marche à pied pour joindre
Guillaumes. Heureusement l'âne de la famille
Cotton conduit par son courageux propriétaire nous
servira, tous les trois jours de liaison avec le
P.C. de Guillaumes. L'ordinaire n'est pas fameux
car nos familles doivent se priver pour nous faire
porter des légumes, et très peu de viande.
Naturellement tout est mis en commun. Le "poulet
au lard" sera souvent le plat unique type! …
Comprenez: de grosses pommes de terre que nous
faisons bouillir et baptisons "poulets" puis que
nous dégustons avec un peu de sel, et des petits
dés de lard. Heureusement la moutonnaise ou
quelques rares tranches de jambon du pays viennent
corser le menu de temps en temps. En fin de
semaine je reviens avec mon équipe à Guillaumes,
remplacé par un groupe de F.F.I. qui venait de
Canaux, je pense. Les chefs de groupe continuent
de se plaindre auprès de Colonelli du manque
d'armes et de munitions pour leurs hommes et
surtout du manque d'armes à tir plongeant. Pas un
mortier n'a été parachuté. Nous saurons plus tard
que la pénurie et le manque d'armes, surtout de
mortiers, ont été le fait de tous les maquis de
montagne. Après une nuit de sommeil à Guillaumes
me voilà reparti pour installer le poste de
Villeplane. Il y a maldonne! Des ordres avaient
été donnés et des gars de chez nous s'étaient déjà
mis en place aux abords du hameau en un point
situé à peu près à la même distance que l'était le
Col de Roua par rapport à la "coupure" et d'où
l'on voyait très bien le début des gorges ainsi
que le village de Daluis. Il ne me restait plus
qu'à rejoindre Guillaumes. Il faut à présent
parler de cette journée du 14 Juillet 1944, qui
tombait cette année-là un Vendredi. Les autorités,
c'est-à-dire les membres du C.D.L., les Officiers
F.F.I. , le service d'ordre, les quelques
maquisards au repos, la population toute entière
et même l'épouse du Maire, Mme Agnely, se
réunissent autour du terre-plein portant le
drapeau, près de la Mairie de Guillaumes. Après
une courte allocution prononcée par le Président
du C.D.L., les trois couleurs, le drapeau français
frappé de la Croix de Lorraine, monte le long du
mât pour claquer enfin joyeusement en écho de nos
coeurs.
C'EST A CE MOMENT-LÀ,
C'EST
CE JOUR-LÀ,
QUE
NOUS NOUS CONSIDÉRONS LIBERES DE LA BOTTE
ALLEMANDE.
C'EST
CE JOUR-LÀ QUE NOUS POUVONS DIRE
QUE
LE CANTON DE GUILLAUMES
EST
LA PREMIÈRE ENTITÉ GEOGRAPHIQUE
DU
DÉPARTEMENT DES ALPES-MARITIMES
À
AVOIR ASSUMÉ SA LIBÉRATION,
ET
NOUS AVONS SALUÉ NOTRE DRAPEAU EN TOUTE LIBERTÉ.
Un mot simplement sur la
bousculade qui a suivi cette cérémonie et où Mme
Agnely prise à partie a dû être protégée par les
Officiers F.F.I. M. Agnely, Maire, à qui l'on
avait demandé de ne pas paraître à la cérémonie, a
été conduit, dans l'après-midi jusqu'à Beuil. Je
n'ajouterai rien à cette affaire qui a été jugée
après la Libération, et qui a eu son épilogue
devant la Cour de Justice de Nice. Cette
journée du 14 Juillet 1944,toute exaltante qu'elle fut, ne devait
pas faire oublier que les Allemands étaient
amplement informés de cette emprise territoriale
que la Résistance s'était taillée dans le
Département, et nous nous doutions bien qu'ils ne
tarderaient pas à venir. De notre côté le
"dispositif" était en place pour les recevoir, si
ce terme peut indiquer "en pointillé" une ligne de
défense: Col de Roua - Coupure- Villeplane. Aux
points hauts chaque groupe étant en place, les
deux groupes F.F.I. étaient à la "coupure". Deux
groupes légèrement en retrait (Pons Robert et
moi-même) devaient prêter main-forte à l'avant et
surveiller le fond des gorges où une infiltration
était à craindre surtout de nuit, puisque le VAR
avait un étiage très bas en cette saison estivale.
Deux groupes étaient répartis vers la Saussette
-Villeplane. C'est le
Mardi 18 Juillet dans la matinée que nous sommes avertis
qu'une forte concentration allemande se forme à
Touet- sur- Var. Nous nous doutons bien que
l'après-midi sera chaude et pendant que nous
recevons les Allemands à la "coupure", et que
l'attaque échoue, nous saurons plus tard que
simultanément ils ont attaqué également le Pont de
Pra- d'Astier et qu'ils ont obligé nos camarades
de Beuil à quitter l'entrée des gorges pour se
réfugier à l'intérieur du défilé des "Grandes
Clues".Le
Mercredi 19 Juillet très tôt c'est encore sur Pra- d'Astier
que l'effort des Allemands se fait sentir mais
avec l'appui de mortiers. Les Allemands ont peur
néanmoins et n'osent pas s'engager dans le défilé
pour atteindre la " Grande Clue". Dans
l'après-midi ils se retirent et la route des
gorges de Daluis, taillée plus haut dans le même
massif schisteux ocre leur inspirera davantage
confiance. C'est la conclusion qu'il faut tirer du
changement rapide d'objectif qui va se décider. Le Jeudi
20 Juillet voit d'importants mouvements allemands
s'effectuer tout le long de la vallée pour
remonter de Touet- sur- Var vers Entrevaux avec
comme but Daluis où une forte concentration nous
est signalée par nos émissaires. On compte au
moins une dizaine de camions. Le maquis de Beuil
est averti. Le Capitaine Rodolphe va nous aider et
nous enverra de l'armement et des hommes. Le
Vendredi 21 Juillet sera une journée d'escarmouches et nous
saurons plus tard que les Allemands ont
réquisitionné les mulets et leurs propriétaires
dans un vaste secteur autour de Daluis. Nous
comprenons qu'ils s'organisent et tâtent le
"dispositif" adverse pour être à même de franchir
une dizaine de kilomètres dont sept de gorges
presque infranchissables. Ce sera durant la nuit
qu'ils commenceront à se rapprocher des points
hauts, mais ils seront prudents! Bientôt le jour
se lève, très tôt en cette saison, et ce matin du
Samedi 22 Juillet sera le début d'une journée
longue et dure. Nous craignons que d'un côté,
malgré l'âpreté du défilé et de l'autre en face,
une troupe nombreuse et aguerrie, la balance
penche vers ceux qui ont les armes adaptées à ce
combat inégal. C'était vers 5 ou 6 heures du
matin. Je reste le souffle coupé par le fait
suivant. Armé de mes jumelles, je distingue, à
quatre kilomètres au moins, un gradé allemand sur
le contrefort est des gorges formant plateau
(probablement le Collet de Monte) procéder avec
l'aide de ses pieds à un nivellement grossier du
sol. C'est vraisemblablement pour servir
d'emplacement pour l'installation d'une arme
lourde. Je ne me trompe pas. Un quart d'heure plus
tard les servants installent un mortier en
batterie qui va prendre, au-delà de l'entaille des
gorges, sous son tir, une bonne partie de la route
qui serpente en face. La nuit a été complice pour
cette prise de position et cette seule arme sera
suffisante pour forcer le verrou de la "Tête de
Femme". Durant ce temps ce qui était prévisible
s'accomplit. Espacés les uns des autres, toute une
Compagnie s'ébranle pour traverser le Var et
monter par le sentier serpentant dans le ravin en
direction du Col de Roua. De l'autre côté de la
"coupure" la même manoeuvre s'effectue et
davantage sous le couvert, les mulets conduits par
leurs propriétaires en tête, une troupe évaluée à
une centaine d'hommes monte au-dessus des vignes
de Daluis pour suivre le chemin muletier qui
grimpe vers La Saussette- Villeplane. Je sais
également, puisque les Allemands sont là depuis
deux jours, que le gros de la troupe est à la
sortie nord de Daluis, et bientôt c'est du
"transformateur", à deux kilomètres de la
"coupure", que partiront les premiers coups de
mortier qui viennent encadrer la "Tête de Femme".
Les gorges de Daluis ont sept kilomètres de route
et la possibilité de la surveiller par la face est
des gorges n'avait pas échappé au Commandement
ainsi que la possession du poste du Col de Roua
situé du même côté. Aussi, comme il fallait s'y
attendre, les camarades postés au Col de Roua
doivent décrocher devant la montée de toute cette
Compagnie allemande. Knittel essaye bien de
retarder l'avance, avec un fusil mitrailleur de
renfort, car ce sont des F.F.I. de Beuil envoyés
par le Capitaine Rodolphe qui viennent nous aider.
Avant midi le poste du Col de Roua, la ferme
Cotton tombent aux mains des Allemands. La
situation devient vite infernale dans les gorges
où nos équipes ne seront plus que des éléments
retardateurs. Les camarades de la "coupure"
remontent les vallons plutôt que de revenir par la
route où les parapets et les tunnels sont la seule
protection. Les coups de mortier commencent à se
rapprocher. Il faut se tenir à distance
respectueuse. Nous recevons l'ordre, Pons Robert
et moi-même, d'opérer notre repli, et d'établir à
nouveau notre position de défense au Pont des
Roberts, à deux kilomètres de la sortie sud de
Guillaumes. Nous installons bientôt nos hommes au
"verrou", mais sans grande conviction. On nous
avait promis un et peut-être deux mortiers qui
devaient arriver en renfort par le Col des Champs.
Vers 17 heures un Officier et un groupe venant
bien du Col des Champs se présentent à nous. Mais
de mortiers… pas question! Quelques fusils arment
ces jeunes qui sont tous fatigués. Nous sommes
également tous fatigués par les nuits de veille,
les marches de jour et de nuit, par le manque de
réserves de nos organismes affaiblis, et nous
sommes surtout déçus par le manque d'armement
adéquat. Le combat en montagne est inséparable
d'une certaine stratégie toute simple: à savoir:
la possession de points hauts grâce à un armement
léger à tir plongeant. Nous savons également que
dans ce milieu d'après-midi, tout un bataillon
ennemi dont les deux ailes marchantes sont chacune
sur un sentier muletier qui dominent le gros de la
troupe qui a rétabli provisoirement le viaduc de
Barthéou, et qui n'essuie plus que des tirs
sporadiques, chemine sur une route qui n'a plus de
destructions sur toute la longueur des gorges. Si
nos groupes F.F.I. n'ont pu résister sur sept
kilomètres de gorges par manque d'armes à tir
plongeant, comment pourrions-nous tenir en échec
un bataillon qui, s'étant divisé en trois
tronçons, fera sa jonction à quelques centaines de
mètres de nous ? C'est de cela que nous discutons
avec l'Officier qui n'a que quelques hommes avec
lui. Nous savons et on nous l'a assez répété, que
nous ne devons pas exposer nos gars inutilement.
Dans une heure au plus, les Allemands nous verront
avec leurs jumelles. Il faut faire comme presque
toute la population de Guillaumes, remonter sur
les hauteurs vers Bouchanières, Le Sauze,
Châteauneuf. Nous convenons avec cet Officier que
la partie est perdue en ce qui concerne la
résistance dans les gorges. De plus, les gars que
nous savions être à la "coupure", et qui peu à peu
ont reculé, les combattants guillaumois des postes
de la Saussette- Villeplane ainsi que ceux qui
étaient en "intervalles" reviennent par petits
groupes. Ils passent à côté de nous, ils sont
exténués, certains hagards. Ils ont eu peur, cela
se voit, car les coups de mortier étant bien
ajustés il fallait se tenir plus loin que la
portée de ces damnés engins. Donc vers 17 heures
30, 18 heures nous décrochons. J'emmène mon équipe
en direction du Sauze par la Route du Gréotier.
Pons retourne vers Guillaumes avec la sienne,
ainsi que le Lieutenant et ses hommes. Arrivés au
Sauze- Ville, nous convenons, ma famille et moi,
d'un lieu éloigné du village qui nous servira de
boîte aux lettres de nuit pour les nouvelles à
venir. Je prends quelques victuailles. Les
camarades qui habitent ce village font de même et
nous repartons pour rejoindre un poste
d'observation au-dessus du village sur la Larre. A
plat ventre, dans un bouquet de genêts, les
jumelles aux yeux, c'est vers 18 heures 30 que
nous entendons - avant de les voir - le bruit
caractéristique d'une troupe en marche:
martèlement assourdi des chaussures de montagne,
tintinnabulement des bidons et des armes,
hennissement des chevaux, ordres brefs dans une
langue que nous connaissions malheureusement que
trop depuis quatre années, par le canal de la
radio. Bientôt c'est une centaine de soldats
précédés par les chevaux et mulets conduits par
des paysans qui arrivent à Sauze- Ville. Quelques
Officiers ou Sous-Officiers braquent leurs
jumelles vers la montagne, vers nous. C'est la
fouille des maisons dès l'arrivée. Tout d'un coup
des cris sont poussés qui montent du village, et
je reconnais dans mes jumelles M. Boyer et son
fils qui sont malmenés par les soldats, poussés à
la pointe de leurs baïonnettes jusqu'au milieu de
la place. Nous avons su plus tard qu'étant
"garde-messier" on avait trouvé chez lui le
revolver qu'il devait posséder, pour faire
respecter et garder les récoltes, mais il avait
égaré l'autorisation manuscrite de ce port
d'armes. Il passera la nuit à faire du pain à
Guillaumes aidé par son fils. Je dis à mes gars
que ces messieurs vont penser à notre poste
d'observation eux aussi, et qu'il faut déguerpir
vers la forêt d'Enaux où nous connaissons une
grange pour y passer la nuit. Nous saurons plus
tard qu'un poste d'observation avait été placé par
les Allemands en ce même lieu avant la nuit.
Bientôt nous arrivons sans encombre à la grange et
nous allons y passer une nuit très calme. Ce
Dimanche 23 Juillet sera une journée d'attente, où nous
pensons bien que les Allemands ne viendront pas
nous relancer. Mais il vaut mieux quitter au plus
tôt ces lieux, et je vais profiter de la nuit et
du clair de lune pour laisser mon équipe dans sa
tanière et aller reconnaître le sentier qui, par
le Col du Mont Saint- Honorat pourrait nous
conduire vers Annot, vers les Basses- Alpes. A 21
heures, plutôt éreinté j'arrive à la bergerie
située encore assez loin du col, mais le berger
que je connais m'offre une jatte de lait et un peu
de pain et nous allons nous étendre durant
quelques heures. Au lever du jour, accompagné par
le berger, nous sommes bientôt rejoints par Magnan
du Plan d'Entrevaux, et vers six heures du matin
nous arrivons tous trois au Col du Saint- Honorat.
Là, le berger indique à Magnan les repères où
serpente le sentier vers Le Castellet pour
rejoindre la vallée d'Annot. Ce dernier veut
rentrer chez lui pour y constater les dégâts
occasionnés par les Allemands. Si je suis monté si
haut sur la montagne, c'est pour nous évader d'une
vallée devenue dangereuse par l'afflux de plus de
800 Allemands! C'est pour repérer le passage d'un
col très peu fréquenté et pouvoir ensuite diriger
ma troupe assez rapidement à travers le
moutonnement de montagnes dont l'altitude plafonne
entre 2000 et 2500 mètres. Aidé de ma carte
d'état-major nous arriverons bien à rejoindre un
camp de F.F.I. vers Annot ou Saint- Auban. Il ne
me reste plus qu'à descendre chercher mes gars à
la grange pour reprendre ensuite ce sentier, pour
quitter la vallée. J'espère que mon équipe aura pu
avoir à l'aube, des nouvelles et du ravitaillement
pour les deux ou trois jours de marche qui nous
attendent. Vers 10 heures, à travers la forêt de
mélèzes, toute silencieuse j'arrive à la grange où
je n'entends aucun bruit, où je ne vois plus
personne! Mes hommes ont déserté le campement,
mais ils n'ont rien laissé, ce qui laisse supposer
qu'ils n'ont pas été surpris, qu'ils sont partis
de leur propre gré. Ça alors! Il ne me reste plus
qu'à partir sous le couvert pour arriver en vue du
village et grâce aux jumelles essayer de découvrir
ce qui se passe. Vers 11 heures j'ai faim et après
m'être restauré, je suis si fatigué que je
m'endors. C'est un appel où je crois discerner mon
prénom qui me réveille. Armé de mes jumelles
j'aperçois, tout en contrebas, assez loin, un
homme qui agite un drapeau blanc (une serviette au
bout d'un bâton en l'occurrence). C'est Trouche
qui faisait partie de mon équipe! Je ne peux y
croire! Je réponds à ses appels et me dépêche de
le rejoindre. Il m'apprend que tous les Allemands
sont partis dans la nuit du Dimanche 23 au Lundi
24 Juillet à 4 heures du matin. C'est le garde des
Eaux et Forêts Torre qui précédait à pied toute
cette colonne, jusqu'à Daluis, où les camions
étaient stationnés. Pourquoi ce départ si rapide ?
Nul n'a ignoré l'attentat auquel Hitler a échappé
les jours précédents. Nous avons pensé que cette
troupe était rappelée, de ce fait, par le Quartier
Général à Nice. Il est possible également que le
Commandement allemand ne veuille pas dégarnir le
front de mer, puisqu'il s'attendait à un
débarquement imminent. Revenons
au Samedi 22 Juillet 1944 au moment où, de notre poste
d'observation sur la Larre, les Allemands occupent
Sauze- Ville. Dans le même temps le gros de la
troupe, venant par la route, et ayant absorbé au
Pont des Roberts la Compagnie qui descendait du
Col de Roua, se présentait sur le pont aux portes
de Guillaumes, pour être "accueillie" par les
anciens avec M. Rebuffo en tête. Guillaumes
s'était vidé de ses habitants dans le courant de
l'après-midi vers Saint- Brès, Bouchanières,
Barels, Châteauneuf d'Entraunes, Las Tourres etc…
et il ne restait plus dans le village que des
personnes âgées de plus de 70 ans. Selon la
méthode adoptée par les troupes allemandes en
campagne, c'est le jeune Verselli Jean placé en
avant comme otage qui est entré le premier dans
Guillaumes suivi par tout le bataillon. C'est en
Novembre c'est-à-dire plus de quatre mois après
qu'un berger a trouvé son corps laissé sans
sépulture dans une touffe de buis sur le sentier
allant à Bouchanières. Il avait été abattu par les
Allemands avant leur départ de Guillaumes. Ce
soir-là à la nuit, les sentinelles allemandes
occupaient des postes d'observation en hauteur
autour de Guillaumes comme celui de la Larre au
Sauze, celui du château fort etc… Le Samedi
soir et le Dimanche 23 Juillet les Allemands ont amélioré leur ordinaire
en vivant sur l'habitant, et nombreux ont été les
lapins et poulets qui ont cuit dans des
lessiveuses sur des feux de campement. Les caves
ont reçu leur visite également et la maison
forestière a été mise à sac. Les destructions à la
grenade des moteurs des camions de Baudouin et
autres habitants, et quelques voitures incendiées
ont marqué le passage de cette troupe qui n'a pas
stationné longtemps, heureusement, pour Guillaumes
et ses habitants. Les membres du C.D.L. et
certains groupes s'étaient repliés vers le Col de
la Cayolle après avoir fait sauter le pont sur la
Barlatte. La plupart ont reflué sur Esteing et
même dans des refuges forestiers comme celui de la
Boulière. Il faut malheureusement à présent faire
le bilan de cette guérilla. Le 18 Juillet dès
l'attaque au mortier à partir du transformateur de
Daluis, nos hommes surpris par ces obus encadrant
la "Tête de Femme" ont payé un lourd tribut dès le
premier moment, cependant que plusieurs Allemands
sont tués ou blessés par le tir de notre
mitrailleuse. C'est le Lieutenant Colonelli qui
reçoit un éclat de ces obus de mortier dans les
reins. Blanc Oscar de Sussis qui est blessé à
l'oeil, Brocquin Gabriel reçoit des éclats dans
les jambes. Fernand Boyer, après avoir chargé les
blessés dans une voiture aura bien des difficultés
pour revenir à Guillaumes sans encombre. Les
tunnels des gorges de Daluis auront rendu un grand
service en l'occurrence, et de plus auront servi
d'abri momentané pour le décrochage des groupes.
Brocquin, n'étant que légèrement blessé restera à
Guillaumes, mais les deux autres blessés seront
accompagnés jusqu'à l'hôpital de Barcelonette. Le
Lieutenant Colonelli ne survivra pas à ses
blessures. Plus tard ses parents voudront qu'il
soit enseveli dans la terre qu'il a voulu
défendre. Son tombeau est au fond du cimetière de
Guillaumes, à la place d'honneur. Blanc Oscar,
quant à lui, mal remis de ses blessures perdra un
oeil. Verselli Jean, 19 ans, ouvrier agricole,
dont le cadavre a été découvert vers Bouchanières
ne pouvait être cité comme F.F.I. puisqu'il est
mort comme otage. Néanmoins Guillaumes a honoré
deux garçons qui se sont battus dans les gorges de
Daluis et qui sont morts plus tard en poursuivant
la libération du Département. La Municipalité de
Guillaumes a voulu honorer la mémoire de François
Michelas, F.F.I. en donnant ce nom à l'ancienne
Place de l'Eglise. L'ancienne Place du Four
s'appelle depuis la Libération: Place Sini F.F.I.
Le sacrifice de ces garçons était ressenti par
tous, mais quelle bonne nouvelle les habitants de
la vallée ont apprise ce Lundi matin 24 Juillet
1944: "Les Allemands sont partis ce matin à 4
heures!"… après avoir reçu une colonne d'une
centaine de leurs camarades qui étaient descendus
par le Col des Champs. Les habitants du canton de
Guillaumes reprenaient espoir après toute cette
peur qui s'était infiltrée partout. Nous savions
par la radio que les Allemands étaient attaqués
par les Alliés, par les F.F.I , et que le
débarquement Allié sur les côtes de Provence ne
pouvait tarder. Nous devions poursuivre les
Allemands où ils possédaient une petite garnison.
C'est donc du canton de Guillaumes libéré le
premier dans le Département que plusieurs actions
ont été menées à leur terme. La garnison allemande
de Puget- Théniers s'étant rendue, grâce aux
actions conjuguées du Capitaine Rodolphe et du
Capitaine François, ce sont 27 soldats allemands
prisonniers qui arrivent à Guillaumes. Ils
logeront au dépôt des trams. Ils vont être
employés à la reconstruction sommaire du Pont de
la Barlatte et du viaduc de Barthéou. Ces
Allemands prisonniers dans un canton si éloigné
des théâtres d'opérations des armées en présence
rendaient plus tangible le sentiment que nous
avions d'avoir accompli une action valable, et
d'avoir aidé à battre cet ennemi si "coriace". Il
semblait légitime à toute cette population que
possédant des prisonniers, elle avait gagné "sa
petite guerre"!
LA
LIBÉRATION
DU
DEPARTEMENT DES
ALPES-MARITIMES
*******
Contribution
du
Groupe
Étranger d'Artillerie
du
Groupement Alpin Sud
***
CASTELLAR
SOSPEL
L'AUTHION
15 AOUT
1944 / 25 AVRIL 1945
Après le départ des
Allemands de Guillaumes, le 24 Juillet 1944, ce
canton qui se voulait le premier du Département à
être libéré, voit les F.F revenir et leurs cadres
reprendre en main la réorganisation de leurs
groupes de maquisards. Ils continuent de contrôler
l'emprise géographique constituée par la vallée du
Var jusqu'à Pont- de- Gueydan et la vallée du
Cians jusqu'à Touet- sur- Var. 15 Août
1944 Ce jour-là à 8 heures, les premiers
éléments du VIème Corps d'Armée américain du
Général Truscott débarquaient sur une plage de
l'est varois. Cette opération avait été préparée
dans la nuit par l'assaut simultané des commandos
d'Afrique au Rayol- Canadel, de la Brigade des
Diables américains et canadiens au Levant et à
Port- Cros, et l'héroïque sacrifice des marins
français du groupe naval de la Corse tombés dans
le piège meurtrier de l'Esquillon. La 1ère Armée
Française, ayant à sa tête le Général de Lattre de
Tassigny débarquait elle aussi, pour commencer sa
marche glorieuse qui allait la conduire de la
Provence au Rhin puis au Danube. 16 Août
1944 Le Capitaine Rodophe et le Capitaine
François profitent du choc moral que le
débarquement a pu provoquer chez l'ennemi pour
obtenir la reddition de la garnison allemande de
Puget- Théniers. Ils dirigeront les 27 prisonniers
sur Guillaumes. Ces hommes seront employés à la
réfection sommaire du pont sur la Barlatte et du
viaduc de Barthéou. 17 Août
1944 Le Commandant Malherbe Chef d'Etat-Major
F.F installe son P.C. à Plan- du- Var. 18 Août
1944 Le P.C. Départemental F.F descend de
Valberg à Puget- Théniers. Le lendemain du
débarquement sur les côtes de Provence
l'insurrection gagne presque toutes les villes au
fur et à mesure de la progression des unités
américaines le long de la côte. Les groupes F.F de
montagne eux, continuent leur pression axée dans
le sens Nord-Sud pour joindre soit les patriotes
des villes soit l'armée américaine. Les 23 et
24 AoûtLes patriotes sont attaqués par les
Allemands dans la ville d'Antibes. Ces derniers
font sauter les phares de la Brague et de la
Garoupe. Les F.F arriveront à neutraliser l'ennemi
et à occuper les postes clés. Le 28 AoûtC'est la libération de Nice. Là aussi
beaucoup de patriotes niçois trouveront la mort en
voulant chasser les Allemands. Les noms des
groupes: Joseph le Fou, Manzone, etc… restent
présents dans toutes les mémoires. Les dernières
directives du Général de Gaulle indiquaient "la
levée en masse" de tous les Français et
l'obligation de mettre sur pied une unité dans
chaque Département pour aider les Alliés à chasser
l'ennemi de France. Si ce dessein était plutôt
chimérique il allait dans le sens qu'il fallait
associer, après les avoir réorganisé en
bataillons, les divers groupes F.F C'est le
Général de Division Aérienne Cochet, Délégué
Militaire pour le théâtre d'opérations Sud, qui a
désigné, à la date du 28 Août, le Colonel Lanusse
comme Commandant du groupe de Subdivisions des
Basses- Alpes et des Alpes- Maritimes, pour la
reprise en main des groupes F.F qui seront dissous
de ce fait, pour renaître sous le vocable
militaire de "bataillons". Il fallait
naturellement entrer en liaison et prendre part
aux opérations nous, combattants français, avec
les différentes armes qui constituaient ces unités
américaines. Déjà la langue anglaise était un
obstacle, et notre Commandement n'avait pas une
tâche facile se trouvant en position d'infériorité
puisque c'était une obligation de s'adresser aux
Américains pour obtenir de l'armement, des
uniformes, du ravitaillement. Les Américains
hésiteront quelques jours avant de traverser le
Var mais puisque Nice s'est libérée, que les
Allemands en sont partis, cette frontière
naturelle sera franchie et les Américains
poursuivront l'ennemi jusqu'à la prochaine ligne
de résistance qui se situe vers Cap- d'Ail. Cette
ligne de résistance sera tenue par l'ennemi durant
une semaine, jusqu'au 3 Septembre. Du 5 au 8
Septembre Les Américains sont à Menton et
s'arrêtent au Pont Saint- Louis, à la frontière.
Mais on ne peut plus parler de libération des
populations. Dans ce secteur frontalier les
Mentonnais ballottés à deux reprises sont partis,
soit du côté français, soit en Italie. C'est
plutôt le "no man's land "! Le front va se
stabiliser. Les troupes allemandes tiennent encore
le 1/5ème du Département et se sont retirées dans
les montagnes. Elles vont verrouiller solidement
les Cols de Castillon, de Braus et de Brouis. La
cuvette de Sospel leur permettra de tenir au
Moulinet, à Turini. Les Allemands seront également
au Col de la Madone des Fenestres, ainsi qu'au Col
de Fer et du Pourrial. La ville de Sospel va
souffrir énormément, car les tirs de l'artillerie
américaine se concentrent sur les routes et
ouvrages d'art qui permettent aux convois
allemands de circuler. Les habitants de Sospel
vont vivre de longues semaines dans leurs caves
avec vue par le soupirail qui laisse passer le
tuyau de l'appareil de chauffage. La
libération de Sospel date du 28 Octobre 1944 Cette fois l'ennemi va se retrancher à
nouveau et prendra ses quartiers d'hiver sur les
sommets à la frontière presque, dans les
forteresses de l'Authion, de Milles- Fourches, de
Plan Caval etc… Cette partie du Département
limitée en gros par la route de Sospel à Turini,
puis par celle suivant le cours de la Vésubie par
La Bollène, Roquebillière, Saint Martin Vésubie,
se présente comme un triangle s'appuyant sur la
frontière franco-italienne. Ce triangle, les
Allemands l'ont vite compris qu'il était une
véritable forteresse, avec un relief tourmenté et
de nombreuses cimes approchant les 3000 mètres
d'altitude. Aucune route ne coupait ce massif.
Seule la route remontant le cours de la Roya par
Vintimille- Breil- Fontan, jusqu'à Tende étant une
véritable rocade en territoire italien, permettait
aux Allemands de ravitailler les ouvrages qu'ils
occupaient. Cette position inexpugnable devait
interdire aux Américains toute velléité d'attaque
de front en début de saison d'hiver, et,
raisonnablement c'est un duel d'artillerie qui va
s'intensifier durant tout l'hiver. Le Groupe
Etranger d'Artillerie du Groupement Alpin Sud va,
lui aussi, apporter sa modeste contribution durant
cette période en tant qu'unité combattante
d'artillerie, pour la libération du Département
des Alpes- Maritimes. Renvoyé de l'armée
d'armistice de Grenoble dans mes foyers en
Novembre 1942, à la suite du passage de la ligne
de démarcation par l'armée allemande qui pénétrait
ainsi dans la zone dite "libre ", je me trouvais
sous le coup, en 1944, par mon rengagement pour
deux années en 1942, d'un rappel sous les armes
pour la durée de la guerre. Je m'attendais à ce
rappel depuis le rétablissement de la Subdivision
Militaire de Nice. Je voulais devancer ce rappel
et il s'agissait de retrouver des artilleurs si
possible. J'apprends la formation de bataillons
comme le 74ème Bataillon de la Haute-Tinée dont
les hommes sont pour la plupart des volontaires de
nationalité étrangère - beaucoup d'Italiens. Son
effectif s'élève à une trentaine d'Officiers, du
double de Sous-Officiers et de près de 600 hommes.
Il sera stationné le long de la Tinée. Ce
bataillon, ainsi que les bataillons Rivièra - 25 -
Corniche - Estérel - font partie de la région R2 =
Alpes- Maritimes, et formeront le Groupement Alpin
Sud. M. Susini plus au fait, à cette époque des
projets du Commandement que moi-même, m'indique
qu'à la caserne Saint- Jean d'Angély, Avenue des
Diables Bleus à Nice, un Groupe d'Artillerie est
en train d'être mis sur pied et qu'on cherche des
Sous-Officiers et des Officiers d'Artillerie. Le
Capitaine d'Artillerie Dubeau, alias "Commandant
Foncet" dans la Résistance, s'était occupé,
jusqu'à la libération de Nice, du ravitaillement
des maquis. Sa blessure, provoquée par
l'éclatement d'une grenade à Plan- du- Var, était
guérie. C'était lui qui avait formé le projet de
mettre sur pied un Groupe d'Artillerie avec des
canons pour la plupart français, qui avaient servi
aux Allemands pour armer les points sensibles du
front de mer, mais que ces derniers avaient rendu
inutilisables en prélevant sur chaque canon une
pièce essentielle du mécanisme comme il est
d'usage en cas de repli.
C'est donc au début d'Octobre 1944
que je prends contact
avec le Commandant Foncet, qui me souhaite la
bienvenue et me présente à quelques Officiers
dont: Lieutenant Brulin, Lieutenant Taffe,
Lieutenant Patard, Lieutenant Couillet, Capitaine
Hugues etc… et quelques Sous-Officiers: Maréchal-
des- Logis Chef Giubergia, Maréchal- des- Logis
Vittéroy, et Jandin etc… La situation que nous
expose le Commandant Foncet est la suivante: -
NOUS AVONS RECUPERE DU MATERIEL (CANONS ET
MATERIELS DE TRACTION) - GRACE AUX AMERICAINS NOUS
POURRONS NOUS SERVIR CHEZ EUX (en munitions) -
NOUS SOMMES UNE POIGNEE D'OFFICIERS ET DE
SOUS-OFFICIERS (DONC L'ENCADREMENT EXISTE) - IL
NOUS MANQUE: CE QUI EST PRIMORDIAL (LES HOMMES).
Le Commandant Foncet avait déjà terminé les
démarches en accord, avec le Commandement, pour
aller chercher les hommes là, où ils étaient! Ils
n'étaient pas loin ces hommes, à la caserne Auvare
située près de notre casernement. Cette caserne,
dès que vous en aviez franchi le portail, vous ne
pouviez pas vous tromper sur la troupe qui
l'habitait! Des gardes armés faisaient les cent
pas. Des chevaux de frise, des barrières de fil de
fer barbelés entouraient les bâtiments bas dans
lesquels étaient logés plusieurs centaines de
prisonniers italiens. C'étaient les soldats de
l'armée Badoglio, qui avaient "levé la crosse en
l'air" qui ne voulaient plus servir "l'Axe".
Quelques milliers de ces soldats étaient arrivés
jusqu'au Col de Moulinès à Beuil, puis avaient
franchi la frontière à Isola. D'autres avaient fui
par les cols reliant Saint- Martin- Vésubie à
l'Italie. Ceux qui restaient prisonniers c'étaient
les irrésolus, et surtout ceux qui n'avaient eu
aucun moyen mécanique pour rejoindre la frontière.
Le changement de casernement était déjà commencé
et la cour Saint- Jean d'Angély s'est vite animée,
car la majorité de cette troupe s'est portée
volontaire. Nous leur promettions la… discipline
militaire et non celle des prisonniers,
l'ordinaire et la tenue militaire au lieu du
pauvre "rata" de ces temps de restrictions.
Bientôt plus de 400 soldats ayant changé de camp!
étaient prêts à nous aider à vaincre l'ennemi
devenu commun. Quant à moi, ma situation se
régularisait. J'avais terminé la première partie
des hostilités comme Maréchal-des-Logis Chef
d'Artillerie, n'ayant pu accomplir le stage de six
mois comme Aspirant auquel j'avais été proposé.
Mon état signalétique et des services mentionne à
cette époque: - " Rappelé à l'activité par note n°
299 I/I du 10-11-1944 de la Subdivision des Alpes-
Maritimes. - " Affecté au Groupe d'Artillerie du
Groupement Alpin Sud comme Maréchal-des-Logis Chef
à compter du: 1-11-1944. - " Rayé des contrôles du
Bureau Régional d'Effectif annexe de Grenoble, le:
1-11-1944. Nous existions sur le "papier ", sur
les contrôles et du point de vue Intendance,
n'est-ce pas Ottavy ? car c'est important!… Il
nous faut à présent être: "opérationnels".
Quelques Officiers et Sous-Officiers sont venus,
durant cette période se joindre à nous: le
Capitaine Rixens, et le Maréchal-des-Logis Masse
ce dernier venant de Cannes, avec qui l'entente
sera parfaite, et nous ferons du bon travail.
Notre premier souci sera de donner une instruction
valable à ces hommes, d'en faire des artilleurs!
Je vais donc régner sur 90 hommes que le
Commandant Foncet a bien voulu me confier pour les
familiariser avec le service de ma batterie de 155
court Schneider, composée de 4 canons (4 canons… à
réparer !). Dans ma batterie, au bout de quelque
temps, et après certains tests j'ai vite fait de
distinguer une dizaine de gars, certains parlant
français, pour les faire nommer Sous-Officiers:
chef de pièce. C'est que je dois donner une
instruction à des étrangers, à des Italiens, la
plupart Piémontais. La solution était à ma portée:
connaissant le patois de nos montagnes je n'ai pas
hésité, beaucoup de mots se rapprochant par la
prononciation du piémontais, à mélanger le
patois-français. Et ma foi, le but sera atteint,
jour après jour, mes deux sections de deux canons
arriveront à coordonner correctement leurs
mouvements. Pour parfaire l'image de la naissance
de ce Groupe d'Artillerie on ne pouvait concevoir
de posséder des matériels pesant plusieurs tonnes
sans s'inquiéter du matériel de traction. Aussi le
Parc à Matériel contigu à la caserne abritait un
nombre important de tracteurs T.A.R. 5, de
camions, de camionnettes et de voitures de
liaison. Naturellement ces véhicules ont souffert
et ont besoin de révision. Ce sera le travail du
Chef de Parc de trouver des mécaniciens et
d'instruire des chauffeurs qui auront à conduire
d'ailleurs, certains véhicules récupérés sur
l'armée italienne.
Le Chef de Parc
continuera à dénicher jusque dans le Département
du Var, et à nous amener des pièces de canon en
assez bon état. Nous arriverons au total de 18
canons!: deux batteries de 4 canons de 155 court
Schneider, une batterie de 4 canons de 105
obusier, une batterie de 88 allemand, et une
section de 2 pièces de 75 m/m.
Parallèlement à
l'instruction que chacun des responsables des
différentes batteries dispensaient à ses hommes,
d'après un programme établi afin d'arriver à
l'occupation continue de la cour de la caserne, il
fallait penser à réparer le matériel. Certaines
culasses de canon ne possédaient plus de levier
d'armement, de ressort de percussion, de
percuteur, etc… Je me revois encore, un formulaire
établi en anglais et français signé par l'autorité
habilitée, dans une main, et dans l'autre main la
pièce qui pouvait servir de modèle pour en
fabriquer une autre, sur ce camion-atelier…
merveilleux! où brillaient des machines-outils,
devant un Américain qui ne comprenait pas ma
démarche En conclusion, il était impossible à un
gars de l' "U.S. Army" de fabriquer une pièce
"bricolée" pour réparer un canon. On s'est
visiblement retenu de me rire au nez. Nullement
découragés, par cette fin de non-recevoir, et
conscients que nous étions, dans le Groupe, sûrs
d'arriver finalement au but, c'est-à-dire: Faire
tirer ces canons ! Nous nous sommes mis en mesure,
mes camarades et moi-même de trouver des
entreprises civiles de fonderie, mécanique,
tôlerie et chaudronnerie, pour leur faire exécuter
les pièces manquantes. Une des premières qui nous
a rendu service, se trouvait au 16, de l'Avenue
des Diables Bleus, chez "Tombarel ", à deux pas de
la caserne ou plutôt du "Quartier Saint- Jean
d'Angély" parce que, pour les artilleurs que nous
étions, c'est cette appellation qui est de
tradition. Une autre difficulté était apparue dès
les premiers temps de cette instruction dispensée
à nos canonniers, à nos chefs de pièce. Nous
n'avions pas un seul appareil de pointage! Il
fallait en trouver, car nous ne pouvions pas
balancer à 6 ou 8 kilomètres dans… la nature, des
"pélôts" de près de 50 kilogrammes, sans connaître
leur… point de chute! Le Commandant Foncet après
renseignements s'est rendu chez "Huet" à I et nous
est revenu avec les appareils. Nous étions parés…
à tirer. Tous ces préparatifs, ainsi que
l'instruction de nos hommes, quoique effectués
dans la fièvre d'une organisation qui n'était
aidée par personne, au contraire! avaient demandé
obligatoirement plusieurs semaines et nous avions
hâte de prouver QUE NOTRE ENTREPRISE ETAIT
VALABLE. Les Américains quant à eux ne
l'entendaient pas de cette oreille. Pour eux nous
ne possédions, en l'occurrence, que de vieilles
pétoires! Ils auraient volontiers comparé nos
canons à des bouches à feu se chargeant encore par
la gueule, et tirant des boulets!… tandis que nous
ne pouvions qu'admirer leurs
batteries à 6 canons, bi-flèches, de 105 l.,
se chargeant presque automatiquement. Après force
atermoiements le Colonel Thomas J. Shryock, JR.,
Field Artillery, Commanding, commandant
l'artillerie américaine du secteur veut bien,
entouré de son état-major, se pencher sur notre
cas. Vers la mi-Novembre donc, grâce à nos propres
moyens, c'est-à-dire nos véhicules et nos
tracteurs T.A.R. 5 tirant chacun un canon nous
faisons mouvement, un beau matin, par la Promenade
des Anglais jusque sur la plage, derrière l'église
Notre- Dame- de- Lourdes. Notre troupe au grand
complet, et notre artillerie, dont les bouches à
feu sont dirigées vers le large s'étirent jusque
sur l'emprise est de l'aéroport actuel. Et sous
l'oeil intéressé et peut-être amusé de ces
messieurs les "riches Américains" CHACUNE DES
BATTERIES, A TOUR DE ROLE, AU COMMANDEMENT DE
CHAQUE CHEF DE SECTION, A DONNE DE LA VOIX. Pour
ma batterie de 155 court Schneider, chaque bouche
à feu a lancé, pour la première fois, l'obus à
double ceinture américain, car les nôtres ne
possèdent qu'une ceinture seulement. Heureusement
pour nous, durant la guerre 1914-1918 les
Américains avaient copié et fourni à la France des
milliers de canons dans plusieurs calibres, dont
le 155 m/m, et nous pouvions nous servir de leurs
obus. La démonstration de notre autonomie du point
de vue "mouvements" ainsi que celle consistant à
savoir que nos canons n'étaient pas "postiches"
étant faite, le Commandement américain ne pouvait
refuser au Colonel Lanusse et au Commandant Foncet
chef du Groupe Etranger d'Artillerie, du
Groupement Alpin Sud, l'honneur d'être enfin sur
la frontière aux côtés des Alliés. Le feu vert
étant donné par les artilleurs américains, nos
préparatifs sont rapides, et chaque unité va faire
mouvement séparément pour rejoindre son lieu de
stationnement et sa position de batterie.
JE
LAISSERAI LE SOIN AU JOURNAL DE MARCHE DE CHAQUE
UNITE EN CAMPAGNE, ET A CELUI DU COMMANDANT DE
GROUPE DE PRECISER LES DATES AUXQUELLES LES
DIFFERENTES BATTERIES ONT PRIS POSITION, AINSI QUE
LES FAITS SAILLANTS QUI ONT MARQUE NOTRE ACTION.
MON BUT SERA ATTEINT SI SIMPLEMENT J'AI PU DEFINIR
L'AMBIANCE DANS LAQUELLE S'EST DEROULEE CETTE
ACTION.
Nous nous trouvons un
matin au petit jour, sur la Basse Corniche avec
nos quatre pièces attelées à des tracteurs roulant
à petite allure, nos hommes dans des camions,
nous-mêmes dans des "Jeeps" en tête de colonne,
nous étant fixé comme but d'arriver au plus tôt à
Menton puis à Castellar où nous attend notre
position de batterie. Peu de monde pour nous voir
passer jusqu'à Cap- d'Ail, mais à partir du virage
où les Allemands ont résisté toute une semaine,
c'est le "no man's land". Le paysage automnal est
triste, surtout lorsque l'homme l'a déserté, et
dans Menton silencieux nous prendrons nos
distances car nous sommes accueillis par des tirs
d'interdiction. C'est l'A.L.V.F. c'est-à-dire
l'artillerie lourde sur voie ferrée. C'est un
canon allemand de gros calibre placé sous le
tunnel ferroviaire de la frontière qui fait
entendre sa grosse voix. Heureusement il tire
sporadiquement. C'est le souvenir également de
cette vision: des avenues, des rues désertes
bordées d'arbres chargés de fruits d'or, des
oranges, des mandarines, des citrons, qui eux, à
leur habitude ont poussé, et ne seront pas
ramassés. Les lacets pour arriver à Castellar sont
vite franchis. Nous laissons de part et d'autre de
la route quelques secteurs entourés de tresse
blanche délimitant les champs de mine, pour nous
installer là où le détachement précurseur a déjà
balisé l'emplacement des quatre pièces. La
position de batterie va se situer à 300 mètres
d'altitude en avant et à l'est de la dernière
épingle à cheveux de la route se trouvant au Sud
de Castellar. Nous ne sommes qu'à 2 kilomètres à
vol d'oiseau de la frontière italienne. C'est un
véritable mur qui se dresse devant nous, et nous
aurons un site terrible puisqu'il faudra passer
au-dessus de 800 mètres pour ne pas toucher le
Mont Carpano, et au-dessus de 1200 mètres
d'altitude pour la cime de Restaud. C'est que sur
toute la longueur de la chaîne les avant-postes
américains sont installés et il ne s'agira pas d'
"écrêter "! La position de batterie est à dix
minutes à pied pour monter au village. Vers midi,
libéré de nos canons nous arrivons avec nos
véhicules dans le village. Encore un souvenir qui
reste gravé: celui de tables, installées dans la
cour de l'hôtel-restaurant situé sur la place,
chargées de poulets bien dodus prêts à être
embrochés pour servir l'ordinaire de messieurs les
Américains. A cette époque de restrictions pour
nous, c'était tentant! Le cantonnement se situera
dans le village, désert et silencieux. Quelques
personnes qui s'occupent du gardiennage nous
indiquent les maisons que nous pourrons occuper.
Nous installons nos hommes par chambrées, situons
le lieu des cuisines et du réfectoire, notre mess
des Officiers et nos chambres. Avec le Sous-
Lieutenant Couillet nous partagerons la même
chambre, si l'on peut donner ce nom à une pièce
quelconque, sans confort! mais nous ne sommes pas
venus dans un lieu de villégiature !
L'organisation de la position de la batterie
m'incombe plus particulièrement, et durant les
jours qui vont suivre les servants de chaque pièce
auront à coeur de protéger les canons, et de ce
fait de se protéger eux-mêmes. Il faut reconnaître
que les Italiens savent d'instinct manier pioches,
pelles, barres à mine etc… Les sacs à terre
remplis ne tarderont pas à protéger par des murs
épais juxtaposés, les endroits où le rocher étant
presque à fleur de terre, la barre à mine même ne
pouvait faire son office. Cette position de
batterie presque enterrée, s'est même payée le
luxe d'avoir une tranchée de communication entre
les quatre pièces! Tous ces travaux de Génie
Militaire ont été coupés par des séances
d'instruction de jour comme de nuit, car nous
étions à présent… au pied du mur et dans la
réalité! De plus nous attendions la venue du
Capitaine qui devait commander la batterie. Il
était annoncé depuis notre départ de Nice, et il
n'a pas tardé à rejoindre. Il s'agit du Capitaine
Giraud, Artilleur de Réserve, Entrepreneur de
Travaux Publics à Béziers. Peu après je suis nommé
Adjudant par ordre n° 42 du Groupement Alpin Sud à
compter du 15 - 12 - 1944. Seul Sous-Officier
français dans la batterie, je suis heureusement
bien secondé par ma dizaine de Sous-Officiers
italiens qui ont leurs hommes bien en main. Avec
le Capitaine Giraud le travail sérieux va
commencer et tout d'abord il faut mettre en place
les yeux de la batterie. Nous allons monter: le
Lieutenant Couillet, le Capitaine Giraud et
moi-même avec la Jeep, jusqu'à 600 et 700 mètres
d'altitude, par un chemin de terre tracé par les
Américains au bulldozer et qui leur permet de
ravitailler leurs avant-postes. C'est après le
seuil du "Berceau" que nous monterons à pied
jusque sur la crête, et que nous choisirons notre
abri pour y placer la binoculaire. Chacun à tour
de rôle nous y passerons de longues heures pour
les réglages de tir, et les observations que nous
pourrons communiquer à la batterie grâce au fil
que nous brancherons sur l'observatoire américain.
Les jours, les nuits vont se succéder désormais
dans une activité qui sera peut-être monotone car
il faut mettre en place les horaires de la garde
de la batterie, tirer de jour, tirer de nuit par
sections ou pour toute la batterie. Nos tirs
seront pour la plupart, des tirs d'interdiction et
de harcèlement. Nous pratiquerons par salves et
même le tir par pièce à intervalles irréguliers.
Nos objectifs seront naturellement les portions de
voies de communication italiennes situées en
dehors des angles morts, vers le Sud- Est, puisque
le maillage du terrain en routes y est plus dense.
Les routes arrivant aux villages de Latte et
Grimaldi sont les objectifs habituels. Les routes
longeant la Roya et le pont la traversant, dans
Vintimille, ainsi que la gare, la belle gare
internationale - monument de marbre! - souffriront
beaucoup. Hélas, c'est malheureusement la guerre!
La Mortola, ainsi que la Via Aurelia sur certaines
portions sont visées également. Dans la mesure où
nous avons vu sur une voie qui permet le
ravitaillement des forts et ouvrages tenus par les
Allemands, le tir est préparé et s'effectue sur un
point de passage obligé. Le temps passe, et cette
année 1945 voit ma promotion au grade supérieur,
puisque je suis nommé: Adjudant- Chef par ordre n°
57 du Groupement Alpin Sud à compter du 1- 1- 1945
et je passe à la 1ère Batterie du Groupe Etranger
d'Artillerie. En fait je suis nommé Adjudant- Chef
dans ma Batterie. Des rapports cordiaux
s'établissent peu à peu entre les
Officiers-Artilleurs américains et nous-mêmes.
Nous nous invitons mutuellement, et en fin de
repas la bière, le cognac trois étoiles, et le
gros cigare sont de rigueur au mess américain. Si
les "beans" sont acceptables, nous prisons un peu
moins leurs "puddings" et autres mets sucrés. Nous
aimons mieux en fait le menu français type: pommes
de terre frites, salade et bifteck. Pour cela nous
ferons ce qu'il faut! Nous faisons ouvrir le
moulin à huile de Castellar et y détachons deux
Siciliens qui sont spécialistes en la matière! Nos
hommes, durant les périodes de repos, armés de
sacs à terre propres, ramasseront sur le gazon les
olives très mûres pour porter ensuite tout le
chargement au moulin. Nous aurons ainsi une belle
coulée d'huile verte fruitée, dont nous avions
perdu le goût depuis ces cinq longues années de
restrictions. Il est toujours utile, sinon
indispensable, lorsqu'on est "en ligne" d'employer
les temps morts pour améliorer sans cesse la
protection d'une position qu'elle soit
d'infanterie ou d'artillerie. J'ai fait mention du
travail sérieux que mes hommes avaient fourni pour
cela. Nous avions été repérés de l'autre côté du
"mur ", et heureusement les coups de mortier ne
nous étaient pas toujours destinés, mais n'ont
jamais pu nous atteindre par leur portée
relativement faible. Comme il fallait s'y
attendre, par un bel après-midi ensoleillé au
moment où nous nous apprêtions à mettre en
batterie, ce sont les miaulements caractéristiques
des obus passant au-dessus de nos têtes qui ont
fait aplatir toute la section ventre contre terre,
puis le premier instant de panique passé,
rejoindre les abris. Quant à moi, en arrière comme
chef de section il ne m'est resté que la solution
de sauter sur la route à l'abri du mur de
soutènement. D'autres tirs de contre-batterie
viendront dorénavant nous surprendre soit de jour,
soit de nuit, mais en tant qu'artilleurs nous
étions presque sûrs qu'il s'agissait d'une section
allemande "baladeuse" ! du calibre 77 m/m qui
avait un tir un peu trop tendu, et un peu moins
précis, du fait des changements fréquents de
position. En tant que vieux artilleurs notre
position était impeccable, sur un éperon où les
coups longs ennemis passaient au-dessus, puis
derrière nous, pour tomber finalement en-dessous
de la route. Quand aux coups courts c'était en
avant de la position et plus bas en altitude
qu'ils faisaient panache. Le seul ennui! était
dans le fait, que malgré tous ces avantages ! les
oliviers ont arrêté quelques obus rasants, et nous
avons eu quelques blessés légers. Heureusement
tous les coups ne tuent pas! Il est raisonnable de
penser également qu'il n'y avait pas, de l'autre
côté de la frontière tellement de bouches à feu
disponibles pour répondre au pilonnage américain,
et surtout de calibres adéquats pour effectuer des
tirs plongeants avec angles d'arrivée au sol
efficaces. Les permissions pour nous rendre dans
nos familles ont été rares durant ces mois-là, et
si je me suis rendu à Nice je n'ai jamais eu plus
de 48 heures chaque fois. Le plus beau cadeau qui
était apprécié à cette époque c'était d'apporter
deux ou trois litres d'huile d'olive! C'est vers
la mi-Mars que nos camarades américains ont été
remplacés par les Forces Françaises Libres qui
quittent l'Alsace le 7 Mars pour venir s'installer
à leur place tout le long de la frontière
franco-italienne partie sud. La 1ère D.F.L. nous
ayant pris en compte c'est dans le 1er Régiment
d'Artillerie que nous allons nous intégrer, et
plus particulièrement dans le Groupement que
commande le Lieutenant-Colonel Maubert. Nous
recevons l'ordre de faire mouvement sur Sospel où
notre soutien d'artillerie sera plus efficace
puisqu'il s'agit à présent de la dernière bataille
et non plus d'un duel d'artillerie. C'est toujours
par nos propres moyens que ce "déménagement" s'est
opéré. Sûrement nous n'avons pas été dans la
tradition de rapidité d'exécution voulue! Sûrement
ce n'était pas un changement de position très
orthodoxe, mais plutôt un peu du genre
"romanichel!" avec tous nos impedimenta. Nous
avions des problèmes, mais l'important était
d'être en position de batterie à Sospel au jour
dit. Après avoir traversé à nouveau Menton où nous
attendait le Capitaine Rixens avec sa section de
75 m/m, puisqu'il était jusqu'à présent en
position vers le couvent de l'Annonciade, nous
remontons le Val du Careï, pour traverser Monti et
faire halte à Castillon. Ce village a énormément
souffert du fait qu'il a été bombardé par les
canons de marine de la flotte américaine pour en
chasser les Allemands. Nous arrivons en début
d'après-midi sur notre position nouvelle de
batterie située à l'Ouest de Sospel, Quartier
Cantemerle. Nous n'avons aucune difficulté pour
arriver dans une prairie bordant le torrent de la
Bévéra qui descend du Moulinet. Le soir-même, nos
quatre 155 court Schneider sont à leur place au
fond de la prairie, les munitions stockées vers le
mur qui limite en arrière cette propriété. Nos
hommes ont repéré les maisons et villas vides que
le détachement précurseur a réquisitionné, et nous
savons que la plâtrière, de l'autre côté de la
route, pourra nous recevoir et nous abriter si
nous subissons des bombardements. Notre nouvelle
position de batterie se trouve à présent dans la
"cuvette" de Sospel. A l'Ouest se trouve le Col de
Braus et au Nord le massif abrupt où s'étagent à
différentes altitudes des forts et des blockhaus
comme celui de l'Albarée près du Mont Gros avec
ses 1266 mètres d'altitude, inoccupé d'ailleurs.
Plus au Nord après Turini et sa forêt, le relief
s'élève jusqu'à la Pointe des Trois Communes à
2082 mètres. L'Authion au Sud lui faisant face
formant haut plateau, a permis dans ses monticules
rocheux la construction des forts de La Forca,
Plan- Caval, Mille- Fourches, tous à plus de 2000
mètres d'altitude. C'est dans ces ouvrages
souterrains que les Allemands se sont réfugiés et
d'où il faudra les déloger. Nos hommes travaillent
de la pelle et de la pioche pour creuser de
nouvelles alvéoles à chacune des quatre pièces.
Dans l'attente de l'assaut final nous reprenons
nos tirs d'interdiction et de harcèlement sur les
portions de voies ferrées et de routes italiennes
qui serpentent dans la vallée de la Roya. Nos
objectifs sont, du Nord au Sud: La Giandola,
Pienne- Basse, Libre, Fanghetto, Oliveta- San-
Michele. Les gradés sont plus sereins car la
position est à six kilomètres de la frontière et
nos bouches à feu n'ont plus l'air de canons
anti-aériens comme à Castellar. La hantise
d'écrêter est terminée. Bientôt notre batterie
subira ici aussi quelques salves, mais ce sera…
sans grand dommage! Encore quelques jours, puis,
après une préparation d'artillerie assez sévère
C'est le 10 Avril que tout le Groupement du
Lieutenant-Colonel Maubert, dont nous faisons
partie, soutient l'attaque de la 4ème Brigade pour
prendre pied sur le Massif de l'Authion. Le
Groupement Marsault (3ème groupe renforcé de
batteries de tous les autres groupes) étant à pied
d'oeuvre à Peyra Cava, les chars et les gars du
1er Bataillon de la Légion Etrangère vont venir à
bout de la résistance opiniâtre des Allemands
enfermés dans les ouvrages fortifiés. Le mausolée,
érigé dans le village de l'Escarène, qui a
recueilli les corps de 86 Légionnaires non
réclamés par des familles étrangères, sur près de
300 Légionnaires tombés dans cet assaut, témoigne
de la dureté de ces combats. Mais que ce soit en
1944- 1945 ou en 1793-1794 à 150 ans de
différence, ces combats ont lieu sur le même
massif, d'une grande valeur stratégique. Les
colonnes républicaines de la future armée d'Italie
commandées par les grands chefs de l'époque:
Masséna, Dumerbion etc…, et surtout Bonaparte qui,
ne pouvant attaquer de front par l'axe Bévéra-
Roya, mit au point la fameuse manoeuvre tournante
en remontant la vallée de la Roya pour surprendre
l'ennemi et le battre. Aussi le Massif de
l'Authion conserve-t-il ce souvenir par deux
monuments élevés l'un à la mémoire des
sans-culottes, l'autre à celui des combattants de
la 2ème guerre mondiale. L'un après l'autre les
forts de l'Authion, La Forca, Mille- Fourches,
Plan- Caval, La Béole tombent, mais le repli de
l'ennemi sera lent, servi qu'il était par le
relief et la faculté de mieux se mouvoir ensuite
sur la seule route longeant la Roya. Breil sera
libéré le15 Avril. Mais il faudra attendre le 20 Avril
pour que nos soldats entrent dans Fontan et
Saorge. Enfin le 25 Avril l'ennemi passe le Col de
Tende en direction de l'Italie et des éléments de
la 1ère D.F.L. ainsi que du 3ème RA. occupent
Tende et La Brigue. Nos artilleurs peuvent faire
la jonction avec le Groupement Chavannac, qui
opère sur la Riviéra Italienne, pour rejoindre
Vintimille. Le Traité de Paris, le 10 Février 1947
redonna à la communauté française les territoires
qui, historiquement et géographiquement
dépendaient de l'ancien Comté de Nice, Tende, La
Brigue, et divers hameaux jusqu'à la ligne de
crête. Le plébiscite du 12 Octobre 1947 accorda 92
% des voix à la France. Comme la 1ère D.F.L., au
repos "dans la plaine" la capitulation de
l'Allemagne nous trouve au repos sur la position
de la batterie. La 1ère Section de ma batterie se
déplacera jusque sur la grand-place de Sospel et
tirera - à obus réels - sur la frontière! les 21
coups de canon pour saluer LA VICTOIRE.
QUEL A ETE LE BILAN DE
NOTRE ACTION Pendant ces quelques mois durant
lesquels nous nous sommes efforcés d'être
efficaces, malgré tout?… Nul mieux que notre
Commandant de Groupe: le Chef d'Escadron Dubeau
dit "Foncet ", commandant le Groupe Etranger
d'Artillerie, ne saurait le dire, car en tant
que Chef il possède toutes les données, et c'est
surtout à lui QU'EN REVIENT L'HONNEUR.
Je me permets néanmoins
d'affirmer que nous avons rempli notre rôle
d'artilleurs puisque la 1ère Batterie à elle
seule, a tiré près de 4000 obus de 155 court
Schneider, durant cette période. Je me permets de
rapprocher notre action de celle des débuts de la
formation de l'Artillerie des Forces Françaises
Libres, lorsque le Général de Gaulle est parti
d'Angleterre avec seulement 6 canons de 75 m/m
pour rejoindre les possessions françaises
d'outre-mer. Je me permets enfin d'ajouter que ces
18 canons réparés et amenés jusqu'à la frontière
représentaient le 1/4 du nombre de bouches à feu
mises en position par un Régiment d'Artillerie
Divisionnaire comme le 1er Régiment d'Artillerie
de la 1ère D.F.L. C'était un appoint conséquent…
tout cela dit sans forfanterie. Nous allons
stationner sur la position de batterie bien après
le 8 Mai 1945. Nous resterons à Sospel après le
1er Juin 1945 date à laquelle la 1ère D.F.L. fait
mouvement vers la région parisienne pour y
cueillir, le 18 Juin 1945 à PARIS, les lauriers
bien mérités en passant sous l'Arc de Triomphe de
l'Etoile. Elle défilera devant le Général de
Gaulle et la population parisienne. Durant les
quelques semaines d'inactivité et de repos à
Sospel nous ferons quelques incursions dans les
villages de la vallée de la Roya, et notre Jeep
sera une des premières à serrer au plus près les
rochers pour passer du Pont Saint- Louis à Menton
jusqu'à Vintimille. Nous verrons la gare dévastée,
le pont sur la Roya démoli, et les démineurs déjà
au travail pour détecter les obus non éclatés.
Notre retour au Quartier Saint- Jean d'Angély va
s'échelonner sur quelques jours et s'effectuera
toujours par nos propres moyens. Je ne soulignerai
que pour mémoire la remise en ordre de tout le
matériel de traction et de tir, et la
démobilisation progressive du Groupe Etranger
d'Artillerie du Groupement Alpin Sud.
LE
GROUPE D'ARTILLERIE "Foncet " AVAIT HEUREUSEMENT
REMPLI SON CONTRAT MORAL " LA LIBERATION DU
DEPARTEMENT DES ALPES-MARITIMES "
Il ne restait plus qu'à
raccompagner à la frontière franco-italienne, en
cars, quelques 400 à 500 "artilleurs" qui avaient
dans leur poche un certificat attestant qu'ils
avaient servi les forces Alliées durant une
période de "volontariat" de plusieurs mois jusqu'à
la victoire finale. Encore un souvenir qui revient
en mémoire: le jour du départ de nos "hommes"
plusieurs dizaines de femmes étaient à l'extérieur
des grilles du quartier pour leur dire adieu
pendant que les cars se remplissaient. "Sacrés
artilleurs!". Nos hommes étant partis dans la 2ème
quinzaine du mois de Juin, Officiers et Sous-
Officiers, nous attendions une nouvelle
affectation qui tardait, car la mise en place des
nouvelles structures du pays, la paix revenue,
demandait obligatoirement plusieurs mois. Enfin à
la date du 10
Septembre 1945, quittant la 36ème D, je me retrouve à
Moulins dans l'Allier, où j'aide à la formation du
16ème Régiment d'Artillerie Blindée (3ème Division
Blindée) avec ses batteries de chars-canons, pour
traverser la frontière et aller en occupation en
Allemagne dans la région de Trèves. La classe des
jeunes soldats - classe 1945 - n'ayant pas été
appelée sous les drapeaux, le Régiment est dissous
et je suis muté le 16 Avril 1946 dans le duché de
Bade à l'Ecole Spéciale pour Officiers d'Achern où
la loi de dégagement des cadres du 5 Avril 1946
viendra terminer ma carrière militaire. Mon état
des services portera les mentions suivantes:
LIVRE II
**
NOTES ET
DOCUMENTS
Déclaration du
Capitaine Claude Nahmias de
Beauregard,
ex Chef des Opérations
dans la vallée du Daluis-Haut-Var
**
Maurice Colonelli, lorsque l'allemand arrive en
zone sud, fut, comme tous ses camarades de l'Ecole
Spéciale Militaire de St. Cyr, rendu à la vie
civile. Nommé Sous-Lieutenant il fut affecté aux
Chantiers de la Jeunesse mais "l'esprit Pétain"
qui régnait dans cet organisme officiel n'était
pas pour lui plaire. Très rapidement il décida de
déserter les chantiers transformés en camp de
travail pour le plus grand profit de l'occupant.
Je me rappelle certaine conversation que nous
avons eue ensemble concernant cette question des
chantiers. Il m'avoua son profond dégout et mépris
pour certains de ses camarades.qui, refusant de
prendre parti, restaient encore dans un quelconque
commissariat régional attendant mensuellement
leurs soldes sans faire quoi que ce soit pour
hâter la délivrance de notre patrie. Maurice
Colonelli n'était pas de ceux qui se bornent à une
résistance passive. Déserteur des Chantiers il
aurait pu comme tant d'autres borner là son
patriotisme et suivant l'expression méridionale
"se planquer" Maurice Colonelli était officier et
à ce titre il voulait servir; l'arrivée de
l'allemand l'avait empêché de porter l'uniforme,
soit, il se battra sans uniforme! Il entre dans
l'O.R.A. (Organisation de Résistance de l'Armée)
et choisit comme département, un de ceux renommé à
juste titre comme des plus dangereux, les
Alpes-Maritimes, département côtier infesté
d'Allemands, bourré de Gestapo, et de Milice. La
situation dans ce département est loin d'être
brillante, l'O.R.A.ainsi que toute la Résistance a
été complètement désorganisée fin I943 par
l'arrestation des principaux chefs. Tout était à
reprendre à zéro. Le Commandant Malherbe- Gautier,
magnifique Officier de Cavalerie, son chef
départemental, lui confie le secteur sud-est du
département. De Février à Mai 1944 il va tenter de
regrouper les éléments épars de la Résistance, de
rassembler les bonnes volontés, de constituer un
noyau d'hommes qui veulent se battre. Durant cette
époque il participera au parachutage d'armes sur
Levens, parachutage qui fut des plus dangereux,
étant donnée la proximité des troupes allemandes.
En Mai 1944 il est arrêté par les Allemands et
dirigé sur le camp de travail S.T.O. en Allemagne.
En cours de transfert il parvient à s'évader et
rejoint son poste de combat. Le Commandant
Malherbe- Gautier l'affecte au maquis de Beuil
commandé par le Capitaine Rodolphe (de Lestang-
Labrousse) mais les événements maintenant vont se
précipiter. Depuis le 6 Juin les troupes
françaises et alliées ont pris pied sur le sol de
France. Le Général Koenig nous a fait passer le
message rouge, "Méfiez-vous du toréador" qui
ordonne l'intensification des guérillas. Le 5
Juillet nous faisons sauter les ponts séparant la
Vallée du Daluis et la Vallée du Cians, du sud des
Alpes- Maritimes. Guillaumes et Beuil deviennent
les avant-postes de la vaste zone libérée qui
s'étend jusqu'à Colmars, Allos, Col de Larches,
pour rejoindre par Guillestre le maquis de Haute-
Savoie. Le Lieutenant "Colmar" (Colonelli ) est
provisoirement affecté au commandement du
sous-quartier du Col du Roy, mais par suite de la
probabilité de plus en plus grande d'une attaque
allemande, une réorganisation des forces a lieu et
le Lieutenant Colmar est mis à la disposition du
Capitaine Nahmias de Beauregard, commandant le
sous-secteur de Daluis. Le Lieutenant Colonelli va
alors montrer ses réelles qualités de chef en
aidant au maximum son camarade dans l'organisation
défensive du sous-secteur. Le 14 Juillet chargé de
mission il fera une chute assez grave en moto, qui
l'immobilise. Mais lorsque le 16 se déclenche
l'attaque allemande sur nos avant-postes de
Daluis, le Lieutenant Colonelli demandera malgré
ses blessures à monter immédiatement au feu, la
situation est des plus critiques; face à notre
Compagnie O.R.A. plus de 1000 Allemands! face à
nos rares fusils-mitrailleurs, des mitrailleuses
lourdes, et légères, des canons légers, des
mortiers. Du 16 au 18 Juillet, Colonelli va se
donner "à fond ", ne se repliant d'un poste que
sur ordre et pour y revenir prendre position dans
la nuit, donnant à ses hommes le parfait exemple
du sang-froid et du courage. Le 18 Juillet, vers
14 heures la position de la "Tête de Femme"
devient intenable. L'ennemi a progressé dans la
nuit et prend sous son feu la totalité de notre
poste. Sur la poignée d'hommes que commande Colmar
s'abattent le tir des mitrailleuses, des mortiers,
et des canons à répétition. L'ordre de repli est
donné, Colmar fait replier ses hommes puis reste
seul avec le F.F Sini pour évacuer le matériel et
les munitions restants. Sous un feu terrible ils
vont tenter l'évacuation de l'armement qui ne doit
pas tomber aux mains de l'ennemi. Au cours d'un
dernier voyage le Lieutenant Colonelli et Marcel
Sini tombent tous deux mortellement blessés,
victimes de leur courage et de leur esprit
d'abnégation.
Signé: Nahmias de
Beauregard
;Guillaumes
- Le château fort**
La Résistance dans le canton de
Guillaumes, où la population a dû prendre les
armes, n'a fait que ressusciter un instinct de
défense que nos ancêtres avaient connu. Dès le
XIVème siècle quelques citadelles et châteaux
fortifiés sont élevés en des points
névralgiques, commandés par le seigneur
propriétaire ou un "castellan" dépendant du
souverain, assisté en permanence de quelques
hommes d'armes pour rassurer la population. En
cas de danger des milices étaient levées dans le
voisinage.
Vers l'An 1300, il
y avait un "castellan" à Nice, Villefranche,
Eze, Saorge, Guillaumes et La Turbie.
HISTORIQUE
DU 1er REGIMENT D'ARTILLERIE
**
Extraits de la
plaquette
de la 1ère
D.F.L.
(page 9)
Juin 1940
Désastre en France; lueur d'espoir venant
d'Angleterre d'où le Général de Gaulle appelle
à lui tous ceux qui veulent continuer la
lutte. Les Français qui ont eu l'énergie et la
chance de s'échapper de France, ceux qui se
trouvent en Angleterre, évacués de Dunkerque
où combattants de Norvège sont rapidement
groupés, habillés, armés et installés au camp
d'Aldershot. Dès le mois d'Août 1940, un corps
expéditionnaire est constitué. L'artillerie
fournit une section de deux canons de 75 m/m
avec personnel, commandée par le Lieutenant
Quirot et l'Aspirant Petitjean, une batterie
de quatre canons de 75 m/m avec quelques
hommes commandée par le Lieutenant Chavannac,
le complément de personnel devant être trouvé
en Afrique Noire. Le matériel, canons et
tracteurs, est français et revient de Norvège.
Le personnel se compose de gradés d'active ou
de réserve, de trois ou quatre canonniers
ayant déjà fait du service et d'une
cinquantaine de jeunes recrues, étudiants,
agriculteurs, employés qui se sont échappés de
France. L'aîné le canonnier Paulet, 48 ans,
licencié ès sciences a cinq enfants il sera un
père pour tous ces jeunes et guidera leurs
premiers pas dans la vie militaire en leur
donnant à chaque instant l'exemple d'une
valeur morale exceptionnelle. Si l'on demande
l'âge du benjamin Sylva, tout le monde
répondra dix-sept ans tout en sachant
parfaitement qu'il s'est vieilli de plus d'un
an pour pouvoir faire campagne. Paulet et
Sylva trouveront la mort à Bir- Hacheim. Le 31
Août, le corps expéditionnaire des Forces
Françaises Libres, le Général de Gaulle à sa
tête, quitte l'Angleterre sur deux bateaux, le
"Pennland" et le "Westernland ", le matériel
est chargé sur des cargos. Des bateaux de
guerre britanniques et français font partie du
convoi. Après une courte escale à Freetown, le
corps expéditionnaire se trouve devant Dakar.
On escompte un accueil chaleureux: déception;
les parlementaires sont accueillis par des
rafales de mitrailleuses; une bataille sévère
qu'il est inutile de prolonger s'engage entre
les navires de guerre. Le corps
expéditionnaire se rend à Douala au Cameroun,
colonie qui vient de rallier la France Libre.
C'est là que les artilleurs venant
d'Angleterre font connaissance avec celui qui
sera leur chef prestigieux: le Capitaine
Jean-Claude Laurent- Champrosay… Le 3 Février
1945, la 1ère D.F.L. est sur le Rhin. Pendant
quelques semaines encore, le Régiment monte la
garde sur le fleuve effectuant des tirs de
représailles en terre allemande pour répondre
aux bombardements de Sélestat. Le 11 Février,
à Saverne, l'étendard victorieux est présenté
une nouvelle fois au Général de Gaulle . C'est
maintenant aux environs de Sainte- Marie- aux-
Mines que le Régiment se porte, par fractions,
pour y goûter quelques jours de repos; et dès
le 7 Mars, le voilà de nouveau en route pour
les Alpes, cette fois, avec la Division tout
entière. Plus que jamais il va s'y articuler
en groupements séparés ET QUI COMPRENDRONT
PARFOIS DES ELEMENTS ETRANGERS ET JUSQU'A DES
CANONS PRIS A L'ENNEMI. Ce sont des opérations
de caractère local qui seront entreprises en
divers points du front des Alpes, pour fixer
d'abord, battre ensuite un ennemi installé sur
les crêtes, dans les forts et dans les hautes
vallées qui bordent la frontière d'Italie. Au
Nord, le Groupement du Commandant Crespin
opère en Haute- Tarentaise à la fin de Mars
par mauvais temps, puis se porte en Maurienne
pour soutenir une demi-brigade de chasseurs,
enfin, en Ubaye contribue à repousser l'ennemi
jusqu'au Col de Larche. Le 10 Avril, le
Lieutenant-Colonel Maubert soutient l'attaque
de la 4ème Brigade pour prendre le Massif de
l'Authion avec en position à Peyracava le
Groupement Marsault (3ème groupe renforcé de
batteries de tous les autres groupes) tandis
qu'au Nord, le Groupement Morlon appuyant des
éclaireurs-skieurs fait diversion par ses tirs
en Haute- Tinée et en Haute- Vésubie et qu'au
Sud le Groupement Chavanac opère sur la
Riviéra Italienne: Tour à tour, les forts de
l'Authion: La Forca, Mille- Fourches, Groupe
Etranger d'Artillerie du G.A.S., Plan Caval,
La Béole, tombent sous les tirs massifs d'obus
explosifs et fumigènes. Puis les batteries
sont déplacées et sur I même, occupent des
positions acrobatiques et dangereuses, l'une
d'elles à moins de mille mètres des Allemands;
elles tirent sur Tende et San Dalmazzo en
Italie. La vallée de la Roya est conquise. Le
25 Avril, c'est une dernière relève, par des
éléments de montagne. Le Régiment est au repos
dans la plaine où le trouve la capitulation de
l'Allemagne. Deux pièces du Régiment en
batterie sur la Place Masséna à Nice, tirent
les 101 coups de canon de la Victoire. La
campagne du 1er Régiment d'Artillerie est
terminée. Devenant le 1er Régiment
d'Artillerie Coloniale, il prend jusqu'au 30
Mai un repos mérité, puis fait mouvement vers
la région parisienne. Le 18 Juin 1945, avec
ses quatre groupes et tout son matériel, guidé
par le Colonel Bert qui l'a commandé pendant
toute la campagne de France, il passe sous
l'Arc de Triomphe de l'Etoile et défile devant
le Général de Gaulle , à qui pendant cinq ans,
dans les pires moments de la tourmente, il a
toujours répondu "Présent".
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