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Albert TOCHE

**

006

LA COUPURE

BEUIL - GUILLAUMES - PEONE - ENTRAUNES

18 CANONS TONNENT

SOSPEL - CASTELLAR - L'AUTHION

GUERRE 1939 - 1945

Résistance

NICE - Mai 1985

Analyse du témoignage

Écriture : 1984 - 70 pages

Avant-Propos du témoin

Si la Résistance dans le canton de Guillaumes a été assez spectaculaire pour faire date en ce qui concerne les actions menées dans le Département des Alpes Maritimes, et plus remarquées que celles qui ont eu pour théâtre le Plateau de Dina et le Massif de l'Audibergue (puisque ces actions ont nécessité l'envoi d'un bataillon de l'armée allemande), c'est que la configuration du terrain montagneux se prêtait admirablement aux opérations qui s'y sont déroulées et toute l'affaire a débuté vraiment au printemps de 1944. En tant que témoin oculaire et participant effectif, je puis apporter mon témoignage, celui d'un homme faisant partie de la communauté guillaumoise, d'un habitant de cette commune qui a vu la Résistance s'y implanter. Le climat de suspicion et de peur qui a régné durant quelques semaines, peu après l'arrivée des deux équipes de maquisards a cédé, pour se changer en une ambiance chaleureuse entre eux et nous, pour la plupart des habitants qui ont compris, peu à peu, que l'heure de la revanche avait sonné. Ce sont ces faits d'armes et cette atmosphère spéciale que je veux faire revivre comme un témoin qui serait en quelque sorte en dehors de cette Résistance plus ou moins encadrée, et comme membre d'une communauté qui s'est intégrée de gré ou de force aux exigences de l'heure.
If the Resistance movement in the area of Guillaumes has been spectacular enough to be singled out as regards the actions carried out in the Departement of the Alpes Maritimes, and more noticed than those which took place on the "Plateau de Dina" and in the "Massif de l'Audiberge",(since those actions required an entire battalion of the German army to be dispatched there), it is due to the mountainous configuration of the land that perfectly befitted the operations that took place there, and the whole thing really started in spring 1944. Being an eye witness and an effective participant, I can give my testimony, that of a member of the Guillaumes community, that of an inhabitant of this town, who saw the Resistance movement taking root here. The atmosphere of suspicion and of fear that prevailed for a few weeks, shortly after the arrival of the two groups of Maquisards, ceased, and was replaced by a warm atmosphere between them and us, for most of the people in the village who understood gradually that the time for revenge had come. These are the military actions, and the special atmosphere that I want to bring back to life as a witness who would be somehow outside of this more or less guided Resistance movement, and as a member of this community which adjusted itself, whether they liked it or not to the necessities of the time.

POSTFACE de Michel EL BAZE

Renvoyé de l'Armée d'Armistice, Albert Toche rejoint sa famille à Guillaumes où, tout naturellement, il collabore à la Résistance organisée dans ce Canton qui fut le premier du Département à être libéré le 24 Juillet 1944. Mais il ne décroche pas ! Et il participe à la création du Groupe Étranger d'Artillerie qui, en position à Castelar ou Sospel, apportera sa contribution à la libération du Département des Alpes Maritimes. Le récit, simple, exempt de fioritures, nous conduit enfin à Treves où le jeune Albert Toche "occupe" l'Allemagne nazie vaincue. Il appartiendra au lecteur d'imaginer ce que tait le témoin, le courage, les souffrances endurées et sa remarquable persévérance dans sa lutte pour le Pays.

AVANT-PROPOS

Si la Résistance dans le canton de GUILLAUMES a été assez spectaculaire pour faire date en ce qui concerne les actions menées dans le Département des ALPES-MARITIMES, et plus remarquées que celles qui ont eu pour théâtre le Plateau de DINA et le Massif de l'AUDIBERGUE (puisque ces actions ont nécessité l'envoi d'un bataillon de l'armée allemande), c'est que la configuration du terrain montagneux se prêtait admirablement aux opérations qui s'y sont déroulées et toute l'affaire a débuté vraiment au printemps de 1944. En tant que témoin oculaire et participant effectif, je puis apporter mon témoignage, celui d'un homme faisant partie de la communauté guillaumoise, d'un habitant de cette commune qui a vu la Résistance s'y implanter. Le climat de suspicion et de peur qui a régné durant quelques semaines, peu après l'arrivée des deux équipes de maquisards a cédé, pour se changer en une ambiance chaleureuse entre eux et nous, pour la plupart des habitants qui ont compris, peu à peu, que l'heure de la revanche avait sonné. Ce sont ces faits d'armes et cette atmosphère spéciale que je veux faire revivre comme un témoin qui serait en quelque sorte en dehors de cette RESISTANCE plus ou moins encadrée, et comme membre d'une communauté qui s'est intégrée de gré ou de force aux exigences de l'heure.
If the Resistance movement in the area of Guillaumes has been spectacular enough to be singled out as regards the actions carried out in the Departement of the Alpes Maritimes, and more noticed than those which took place on the "Plateau de Dina" and in the "Massif de l'Audiberge",(since those actions required an entire battalion of the German army to be dispatched there), it is due to the mountainous configuration of the land that perfectly befitted the operations that took place there, and the whole thing really started in spring 1944. Being an eye witness and an effective participant, I can give my testimony, that of a member of the Guillaumes community, that of an inhabitant of this town, who saw the Resistance movement taking root here. The atmosphere of suspicion and of fear that prevailed for a few weeks, shortly after the arrival of the two groups of Maquisards, ceased, and was replaced by a warm atmosphere between them and us, for most of the people in the village who understood gradually that the time for revenge had come.

These are the military actions, and the special atmosphere that I want to bring back to life as a witness who would be somehow outside of this more or less guided Resistance movement, and as a member of this community which adjusted itself, whether they liked it or not to the necessities of the time.

LIVRE I

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LA MÉMOIRE

À LINA

Mon épouse

À MARTINE, YVAN, HELENE, MICHEL

Mes enfants

40 ANNEES APRES !…

LA RÉSISTANCE

DANS LE

CANTON DE GUILLAUMES

AVRIL - AOUT 1944

Renvoyé "en civil" de l'Armée d'Armistice à Grenoble (Sous-Officier au 2ème Régiment d'Artillerie) fin Novembre 1942, au moment du passage en zone sud de l'Occupant allemand, je reviens dans ma famille à Guillaumes le Sauze pour occuper la fonction paramilitaire d'Agent de Maîtrise des Eaux et Forêts en résidence à Guillaumes . Je ne parlerai que pour mémoire du climat insolite, et de la méfiance que chaque Français éprouvait pour celui qu'il ne connaissait pas intimement, durant toute cette époque troublée. La seule possibilité de faire de la Résistance à ce moment-là dans le Département se résumait à écouter la "Radio de Londres" et à diffuser le modeste feuillet du journal Combat que je montais de temps en temps à Guillaumes, lorsque mes affaires m'obligeaient à descendre à Nice. Les F.F.I. s'installent à Beuil et à Péone (hameau des Beaumettes au pied du Col de Crous ) dans le courant Avril-Mai 1944. Ils sont, à ce qu'il nous semble formés de deux équipes d'une quinzaine de maquisards. Ils descendent de temps en temps à Guillaumes le matin très tôt, et cela ressemble plutôt à des raids. Ils demanderont au cordonnier Dalessandri de leur confectionner des paires de chaussures, sans ticket naturellement. Les deux boulangers Garnier et Ginésy sont contactés pour leur fournir du pain. D'autres commerçants reçoivent leur visite et accueillent avec réticence, en paiement, des bons de réquisition. Ces bons sont signés Commandant SAPIN, mais après tout c'est un Commandant qui a sous ses ordres des "terroristes"!… Le C.D.L. se forme peu après sous le manteau avec M. René Robert, Hôtelier - Président M. Raoul Graille, chef-cantonnier- M. Baldocchi Ingénieur T.P.E. des Ponts-et-Chaussées - M. Suzini, Brigadier des Eaux et Forêts, etc… En tant que militaire je suis contacté par le Président du C.D.L. pour faire partie de l'équipe étant dans le même cas que Raoul Graille. J'y mets une condition: Faire entrer comme membre du C.D.L. au moins 1 des 12 habitants de Guillaumes qui étaient signalés comme "communistes" sur une liste adressée à la Gestapo à Nice, mais que la Police française alertée a pu intercepter. Grâce à un policier parent de M. Liautaud, Greffier, et après la fouille des maisons de ces "coupables", ils ne partiront pas pour les camps de concentration ou le S.T.O., mais l'alerte a été plus que chaude! Ma demande n'ayant pas été acceptée je n'ai pas fait partie, volontairement, en tant que membre, du Comité de Libération de Guillaumes. Peu à peu la Résistance vient en surface! et ses chefs circulent à pied dans les rues de Guillaumes. On se montre les Officiers comme le Commandant Beauregard, le Lieutenant Colonelli (3 mois de Saint-Cyr) le Capitaine Lippmann, le Capitaine François (qui n'est pas du secteur). Naturellement on sait que le Commandant Sapin est le chef, mais on ne le connait pas sous son vrai nom de Commandant Lécuyer. Nous avons connaissance que sur le plateau Saint Jean-Baptiste à Beuil des parachutages d'armes par containers ont lieu la nuit, mais malheureusement leur nombre est réduit et nous n'aurons pas beaucoup d'armes. D'autres parachutages ont lieu également au Col des Champs. La mise au point des conditions de ces parachutages ainsi que les contacts avec la Résistance à l'extérieur se font par l'intermédiaire d'un Officier-Radio, Canadien parachuté, possédant un poste-émetteur et résidant à Entraunes. C'est vers cette époque que nous avons connaissance de la liquidation au Col de la Cayolle de deux Allemands montés sur un side-car qui venaient de Barcelonette et voulaient rejoindre NICE. Aucun soldat allemand ne s'y hasardera plus! Le 3 Mai 1944 L'Adjudant-Chef de gendarmerie Rémond à Puget- Théniers sauve 8 Pugétois qui allaient être fusillés par le peloton d'exécution. Etant Alsacien il eut le courage de reprocher, en allemand, à l'Officier chargé de cette exécution, l'horreur de cet acte. Mais 70 habitants de Puget après être restés toute une nuit à genoux sur la place seront déportés en Allemagne. Les Allemands brûlent des fermes dont celle de Magnan au Plan d'Entrevaux, d'autres à Colmars- les- Alpes. Le fils Magnan était d'ailleurs dans une des deux formations F.F.I. à Guillaumes. Toutes ces nouvelles sont colportées, mais arrivent avec peu de détails et du retard, la population n'en étant pas informée outre mesure. Elle est peut-être davantage au courant, par la radio, des expéditions punitives" exercées par les Allemands aidés des miliciens", contre les "terroristes" du plateau des Glières ou du Vercors, pour… l'exemple. C'est vers cette époque du début Juin que j'ai vu pour la dernière fois les deux frères Magnan de Puget- Théniers, dont l'aîné Magnan Aimé était mon camarade de classe à "Jules- Ferry" à Cannes. Ils étaient passés à Guillaumes avec d'autres jeunes gens, en camionnette et ils devaient se rendre à un rassemblement de la Résistance. C'est au retour que les Allemands les ont lâchement assassiné, le 11 Juin 1944, en les faisant descendre de la camionnette, et en leur disant qu'ils étaient libres pour leur tirer dans le dos pendant qu'ils couraient dans cette prairie de Saint- Julien- du- Verdon qui est devenue le lieu de pèlerinage annuel auprès du monument qui est érigé à leur mémoire (11 otages dont 5 lycéens). A la date du 8 Juillet 1944 le Capitaine François et nos F.F.I. font sauter le viaduc de Barthéou à l'entrée des gorges de Daluis. C'est la "Coupure ". Les gorges de Daluis isolent la haute vallée du Var, comme celles du Cians (où le Pont de Pra d'Astier a sauté également la veille, le 7 Juillet, et forment obstacle pour atteindre Beuil et Valberg). Le canton de Guillaumes (sauf le village de Daluis) avec ses communes: Entraunes, Saint- Martin d'Entraunes, Villeneuve d'Entraunes, Châteauneuf d'Entraunes, Le Sauze, Péone, Beuil, devient, par le fait de son isolement voulu un véritable réduit !, entouré de hautes montagnes coupées par des cols difficiles à franchir, mais qui seront gardés naturellement. Il faut citer au Nord le Col de la Cayolle, et le Col des Champs, à l'Est les Cols de Pal, Crous, Couillole, Roua. A l'Ouest, une véritable chaîne forme une barrière naturelle la séparant du Département des Basses- Alpes avec deux cols très hauts (2 000 mètres pour le col se trouvant au pied du Mont Saint- Honorat ) et un passage au-dessus du hameau de Sussis.

DÉSORMAIS, LA POPULATION DE Guillaumes

ET DU CANTON SE SENT DIRECTEMENT CONCERNÉE

ET FAIT CAUSE COMMUNE AVEC LES F.F.I.

A partir de cette action nous ne recevrons plus de nouvelles, de journaux, de lettres, puisque le service par autocar sur la relation Nice- Guillaumes n'atteint plus le canton. Le camion descendant journellement le lait de la coopérative laitière de Guillaumes sur Nice s'est arrêté également, mais les paysans du canton continuent néanmoins d'apporter une quantité importante de leur production. Seules circulent les quelques voitures ou camionnettes qui fonctionnent pour la plupart au charbon de bois, et ce carburant ne fait pas défaut! Nos deux équipes vont et viennent en camionnette de Péone ou de Guillaumes jusqu'à la "coupure". Même M. Baudouin le camionneur, le transporteur public, ne peut plus exercer son activité, et pour cause. Les bouchers se ravitaillaient soit aux abattoirs de Nice, ou à Annot. Il y a assez de moutons dans les pacages de haute montagne car les "montagnes" possèdent plusieurs milliers de transhumants! La viande de mouton sera celle de tous les jours! si l'on peut dire, car les tickets existaient bien toujours!

POUR Guillaumes ET LE CANTON

UNE NOUVELLE VIE

DE VERITABLE CAMP RETRANCHÉ S'ORGANISE

M. Susini - Brigadier des Eaux et Forêts devient "l'Adjudant de quartier" ou des effectifs, si l'on préfère. C'est lui qui adresse, par l'intermédiaire des facteurs, aux jeunes hommes des différents hameaux: Bouchanières, Saint- Brès, Villeplane, Villetale, Le Sauze, etc… et dans les communes avoisinantes, l'ordre de se rendre, à tour de rôle avec couverture et repas froid jusqu'aux points sensibles désignés. Les trois gendarmes dont le Brigadier Maurin, Odasso, etc… graissent les armes, organisent dans le lit du torrent du Tuébi des séances journalières de tir avec les mitraillettes Stein et autres, des lancers de grenades avec des cailloux, pour économiser les munitions. La coopérative laitière s'organise également pour un autre travail. Puisque le lait ne peut plus être évacué sur Nice, M.M. Coste et Agnely fabriqueront des dizaines de kgs de fromage que l'on vendra aux habitants. Mais c'est le pain qui va manquer. Le C.D.L. a bien obligé les paysans à faire moudre chez le "moulinier" Porcier Théodule, les derniers grains gardés jalousement. Nous allons être réduits à une petite ration de 100 grammes de pain journalier, et cela durera plus d'un mois! Les bouchers quant à eux tuent et débitent les moutons requis par le C.D.L. et payés avec des bons. Nous sommes habitués à cette viande, puisque durant ces années de restrictions elle a bien arrangé les menus des gens de la vallée, et ce sont des morceaux de "moutonnaise", c'est-à-dire de la viande de mouton salée et quelquefois fumée, qui venaient s'ajouter hors-tickets aux repas. Le troc habituel de ces dures années de guerre n'a fait que se renforcer durant cette période critique, mais les gens avaient peu. Le jardinage était une nécessité mais en Juin-Juillet il n'y a pas encore beaucoup de légumes dans les jardins en plus des haricots, des salades, radis, carottes… Les cigarettes et le tabac dont la provenance reste pour nous, habitants, à demi! mystérieuse, seront distribués aux combattants en priorité. Les gars "maquisards" se sentant chez eux s'installent au grand jour, et à tour de rôle à la faveur des repos, déjeunent et dînent dans des hôtels-restaurants René Robert, et Belleudy … On met les pieds sous la table de marbre, le revolver dégainé à côté de l'assiette pour les Officiers.

C'EST LA VERITABLE AUTARCIE DANS LE CANTON

MAIS AUTARCIE DE DÉNUEMENT

Nous revenons pour quelque temps à cette économie fermée, à ce troc qui était habituel dans nos montagnes et que nos grands-parents avaient connu jusqu'en 1880, avant que la route n'y arrive. A l'époque Guillaumes produisait principalement du vin et des légumes Le Sauze, du blé, de l'avoine, de l'orge (dont on faisait un pain grossier! ) Villeneuve d'Entraunes, des fruits, des légumes, des noix dont on tirait l'huile Beuil, des lentilles, des pommes de terre, du foin etc… Depuis que le canton de Guillaumes est isolé, des bruits circulent à Nice indiquant que le "réduit du haut-pays" contient 3000 terroristes ! Le Commandement (la Police française en l'occurrence) accrédite volontiers cette nouvelle pour affoler les Allemands. En comptant: hommes, femmes, enfants, réfugiés Juifs ou autres, on n'est pas loin d'approcher de ce chiffre… En réalité en tant que combattants nous n'avons jamais été plus d'une centaine en tout! Si les deux "éléments" de maquisards vont et viennent jusqu'à la "coupure" le Commandement et le C.D.L. veulent également structurer une Résistance armée parmi la population, et surtout parmi les hommes assez jeunes, aussi serons-nous intégrés rapidement dans les rangs de l'Armée Secrète, l'A.S., et ensuite de l'O.R.A. Des équipes d'une dizaine d'hommes se forment au mieux des sympathies: Graille Raoul, Pons Robert, Toche Albert etc… pour ne citer que ceux-là, seront des chefs ayant assez d'expérience militaire (ils sont Sous-Officiers), pour qu'on leur confie un commandement de groupes, mais avec des hommes jeunes, inexpérimentés, et n'ayant même pas une arme chacun, ce ne sera pas chose facile! Presque chaque soir les chefs de groupe sont au rapport du Lieutenant Colonelli, pour connaître les ordres et juger la situation. J'insiste tout de suite sur le fait qu'il existe, sur les cartes d'état-major le tracé de deux chemins muletiers: l'un partant de Léouvé, passant par le Col de Roua pour descendre ensuite sur Guillaumes l'autre partant de Daluis pour monter vers les hameaux de Villeplane, La Saussette, pour aboutir au Sauze. M. Fournier en tant que cantonnier vicinal surveille et a la charge du nettoiement du chemin jusqu'au Col de Roua. Ces chemins muletiers, l'ennemi peut les emprunter facilement et on doit en organiser la défense. Je dis au Lieutenant Colonelli que c'était bien beau d'aller de jour et de nuit à la "coupure" pour "recevoir" l'ennemi, mais que celui-ci pouvait accéder au réduit par les voies qui sont celles des pays de montagne, toujours en hauteur! Colonelli prend ma remarque au vol et me demande, puisque je suis du pays, d'organiser un poste d'observation et de Résistance au Col de Roua puis à Villeplane. Aussi, le Dimanche 9 Juillet 1944 Me voilà parti pour trois heures de marche avec mon équipe dans les rangs de laquelle Coco Brun, Rosin Blanc sont parmi les plus jeunes et nous arrivons chargés et fatigués à la ferme Cotton au-dessous du Col de Roua Nous prenons possession de la grange avec l'assentiment de la famille Cotton, et le jeune fils se joint à nous pour nous aider dans les tours de garde. L'organisation de la surveillance de jour et de nuit au col devient vite monotone. De temps en temps et toujours la nuit nos émissaires passent sans encombre, car un homme même seul est repéré très loin dans nos montagnes. La grande affaire c'est la difficulté dans laquelle nous nous trouvons pour assurer notre ravitaillement. Il y a trois heures de marche à pied pour joindre Guillaumes. Heureusement l'âne de la famille Cotton conduit par son courageux propriétaire nous servira, tous les trois jours de liaison avec le P.C. de Guillaumes. L'ordinaire n'est pas fameux car nos familles doivent se priver pour nous faire porter des légumes, et très peu de viande. Naturellement tout est mis en commun. Le "poulet au lard" sera souvent le plat unique type! … Comprenez: de grosses pommes de terre que nous faisons bouillir et baptisons "poulets" puis que nous dégustons avec un peu de sel, et des petits dés de lard. Heureusement la moutonnaise ou quelques rares tranches de jambon du pays viennent corser le menu de temps en temps. En fin de semaine je reviens avec mon équipe à Guillaumes, remplacé par un groupe de F.F.I. qui venait de Canaux, je pense. Les chefs de groupe continuent de se plaindre auprès de Colonelli du manque d'armes et de munitions pour leurs hommes et surtout du manque d'armes à tir plongeant. Pas un mortier n'a été parachuté. Nous saurons plus tard que la pénurie et le manque d'armes, surtout de mortiers, ont été le fait de tous les maquis de montagne. Après une nuit de sommeil à Guillaumes me voilà reparti pour installer le poste de Villeplane. Il y a maldonne! Des ordres avaient été donnés et des gars de chez nous s'étaient déjà mis en place aux abords du hameau en un point situé à peu près à la même distance que l'était le Col de Roua par rapport à la "coupure" et d'où l'on voyait très bien le début des gorges ainsi que le village de Daluis. Il ne me restait plus qu'à rejoindre Guillaumes. Il faut à présent parler de cette journée du 14 Juillet 1944, qui tombait cette année-là un Vendredi. Les autorités, c'est-à-dire les membres du C.D.L., les Officiers F.F.I. , le service d'ordre, les quelques maquisards au repos, la population toute entière et même l'épouse du Maire, Mme Agnely, se réunissent autour du terre-plein portant le drapeau, près de la Mairie de Guillaumes. Après une courte allocution prononcée par le Président du C.D.L., les trois couleurs, le drapeau français frappé de la Croix de Lorraine, monte le long du mât pour claquer enfin joyeusement en écho de nos coeurs.

C'EST A CE MOMENT-LÀ,

C'EST CE JOUR-LÀ,

QUE NOUS NOUS CONSIDÉRONS LIBERES DE LA BOTTE ALLEMANDE.

C'EST CE JOUR-LÀ QUE NOUS POUVONS DIRE

QUE LE CANTON DE GUILLAUMES

EST LA PREMIÈRE ENTITÉ GEOGRAPHIQUE

DU DÉPARTEMENT DES ALPES-MARITIMES

À AVOIR ASSUMÉ SA LIBÉRATION,

ET NOUS AVONS SALUÉ NOTRE DRAPEAU EN TOUTE LIBERTÉ.

Un mot simplement sur la bousculade qui a suivi cette cérémonie et où Mme Agnely prise à partie a dû être protégée par les Officiers F.F.I. M. Agnely, Maire, à qui l'on avait demandé de ne pas paraître à la cérémonie, a été conduit, dans l'après-midi jusqu'à Beuil. Je n'ajouterai rien à cette affaire qui a été jugée après la Libération, et qui a eu son épilogue devant la Cour de Justice de Nice. Cette journée du 14 Juillet 1944,toute exaltante qu'elle fut, ne devait pas faire oublier que les Allemands étaient amplement informés de cette emprise territoriale que la Résistance s'était taillée dans le Département, et nous nous doutions bien qu'ils ne tarderaient pas à venir. De notre côté le "dispositif" était en place pour les recevoir, si ce terme peut indiquer "en pointillé" une ligne de défense: Col de Roua - Coupure- Villeplane. Aux points hauts chaque groupe étant en place, les deux groupes F.F.I. étaient à la "coupure". Deux groupes légèrement en retrait (Pons Robert et moi-même) devaient prêter main-forte à l'avant et surveiller le fond des gorges où une infiltration était à craindre surtout de nuit, puisque le VAR avait un étiage très bas en cette saison estivale. Deux groupes étaient répartis vers la Saussette -Villeplane. C'est le Mardi 18 Juillet dans la matinée que nous sommes avertis qu'une forte concentration allemande se forme à Touet- sur- Var. Nous nous doutons bien que l'après-midi sera chaude et pendant que nous recevons les Allemands à la "coupure", et que l'attaque échoue, nous saurons plus tard que simultanément ils ont attaqué également le Pont de Pra- d'Astier et qu'ils ont obligé nos camarades de Beuil à quitter l'entrée des gorges pour se réfugier à l'intérieur du défilé des "Grandes Clues".Le Mercredi 19 Juillet très tôt c'est encore sur Pra- d'Astier que l'effort des Allemands se fait sentir mais avec l'appui de mortiers. Les Allemands ont peur néanmoins et n'osent pas s'engager dans le défilé pour atteindre la " Grande Clue". Dans l'après-midi ils se retirent et la route des gorges de Daluis, taillée plus haut dans le même massif schisteux ocre leur inspirera davantage confiance. C'est la conclusion qu'il faut tirer du changement rapide d'objectif qui va se décider. Le Jeudi 20 Juillet voit d'importants mouvements allemands s'effectuer tout le long de la vallée pour remonter de Touet- sur- Var vers Entrevaux avec comme but Daluis où une forte concentration nous est signalée par nos émissaires. On compte au moins une dizaine de camions. Le maquis de Beuil est averti. Le Capitaine Rodolphe va nous aider et nous enverra de l'armement et des hommes. Le Vendredi 21 Juillet sera une journée d'escarmouches et nous saurons plus tard que les Allemands ont réquisitionné les mulets et leurs propriétaires dans un vaste secteur autour de Daluis. Nous comprenons qu'ils s'organisent et tâtent le "dispositif" adverse pour être à même de franchir une dizaine de kilomètres dont sept de gorges presque infranchissables. Ce sera durant la nuit qu'ils commenceront à se rapprocher des points hauts, mais ils seront prudents! Bientôt le jour se lève, très tôt en cette saison, et ce matin du Samedi 22 Juillet sera le début d'une journée longue et dure. Nous craignons que d'un côté, malgré l'âpreté du défilé et de l'autre en face, une troupe nombreuse et aguerrie, la balance penche vers ceux qui ont les armes adaptées à ce combat inégal. C'était vers 5 ou 6 heures du matin. Je reste le souffle coupé par le fait suivant. Armé de mes jumelles, je distingue, à quatre kilomètres au moins, un gradé allemand sur le contrefort est des gorges formant plateau (probablement le Collet de Monte) procéder avec l'aide de ses pieds à un nivellement grossier du sol. C'est vraisemblablement pour servir d'emplacement pour l'installation d'une arme lourde. Je ne me trompe pas. Un quart d'heure plus tard les servants installent un mortier en batterie qui va prendre, au-delà de l'entaille des gorges, sous son tir, une bonne partie de la route qui serpente en face. La nuit a été complice pour cette prise de position et cette seule arme sera suffisante pour forcer le verrou de la "Tête de Femme". Durant ce temps ce qui était prévisible s'accomplit. Espacés les uns des autres, toute une Compagnie s'ébranle pour traverser le Var et monter par le sentier serpentant dans le ravin en direction du Col de Roua. De l'autre côté de la "coupure" la même manoeuvre s'effectue et davantage sous le couvert, les mulets conduits par leurs propriétaires en tête, une troupe évaluée à une centaine d'hommes monte au-dessus des vignes de Daluis pour suivre le chemin muletier qui grimpe vers La Saussette- Villeplane. Je sais également, puisque les Allemands sont là depuis deux jours, que le gros de la troupe est à la sortie nord de Daluis, et bientôt c'est du "transformateur", à deux kilomètres de la "coupure", que partiront les premiers coups de mortier qui viennent encadrer la "Tête de Femme". Les gorges de Daluis ont sept kilomètres de route et la possibilité de la surveiller par la face est des gorges n'avait pas échappé au Commandement ainsi que la possession du poste du Col de Roua situé du même côté. Aussi, comme il fallait s'y attendre, les camarades postés au Col de Roua doivent décrocher devant la montée de toute cette Compagnie allemande. Knittel essaye bien de retarder l'avance, avec un fusil mitrailleur de renfort, car ce sont des F.F.I. de Beuil envoyés par le Capitaine Rodolphe qui viennent nous aider. Avant midi le poste du Col de Roua, la ferme Cotton tombent aux mains des Allemands. La situation devient vite infernale dans les gorges où nos équipes ne seront plus que des éléments retardateurs. Les camarades de la "coupure" remontent les vallons plutôt que de revenir par la route où les parapets et les tunnels sont la seule protection. Les coups de mortier commencent à se rapprocher. Il faut se tenir à distance respectueuse. Nous recevons l'ordre, Pons Robert et moi-même, d'opérer notre repli, et d'établir à nouveau notre position de défense au Pont des Roberts, à deux kilomètres de la sortie sud de Guillaumes. Nous installons bientôt nos hommes au "verrou", mais sans grande conviction. On nous avait promis un et peut-être deux mortiers qui devaient arriver en renfort par le Col des Champs. Vers 17 heures un Officier et un groupe venant bien du Col des Champs se présentent à nous. Mais de mortiers… pas question! Quelques fusils arment ces jeunes qui sont tous fatigués. Nous sommes également tous fatigués par les nuits de veille, les marches de jour et de nuit, par le manque de réserves de nos organismes affaiblis, et nous sommes surtout déçus par le manque d'armement adéquat. Le combat en montagne est inséparable d'une certaine stratégie toute simple: à savoir: la possession de points hauts grâce à un armement léger à tir plongeant. Nous savons également que dans ce milieu d'après-midi, tout un bataillon ennemi dont les deux ailes marchantes sont chacune sur un sentier muletier qui dominent le gros de la troupe qui a rétabli provisoirement le viaduc de Barthéou, et qui n'essuie plus que des tirs sporadiques, chemine sur une route qui n'a plus de destructions sur toute la longueur des gorges. Si nos groupes F.F.I. n'ont pu résister sur sept kilomètres de gorges par manque d'armes à tir plongeant, comment pourrions-nous tenir en échec un bataillon qui, s'étant divisé en trois tronçons, fera sa jonction à quelques centaines de mètres de nous ? C'est de cela que nous discutons avec l'Officier qui n'a que quelques hommes avec lui. Nous savons et on nous l'a assez répété, que nous ne devons pas exposer nos gars inutilement. Dans une heure au plus, les Allemands nous verront avec leurs jumelles. Il faut faire comme presque toute la population de Guillaumes, remonter sur les hauteurs vers Bouchanières, Le Sauze, Châteauneuf. Nous convenons avec cet Officier que la partie est perdue en ce qui concerne la résistance dans les gorges. De plus, les gars que nous savions être à la "coupure", et qui peu à peu ont reculé, les combattants guillaumois des postes de la Saussette- Villeplane ainsi que ceux qui étaient en "intervalles" reviennent par petits groupes. Ils passent à côté de nous, ils sont exténués, certains hagards. Ils ont eu peur, cela se voit, car les coups de mortier étant bien ajustés il fallait se tenir plus loin que la portée de ces damnés engins. Donc vers 17 heures 30, 18 heures nous décrochons. J'emmène mon équipe en direction du Sauze par la Route du Gréotier. Pons retourne vers Guillaumes avec la sienne, ainsi que le Lieutenant et ses hommes. Arrivés au Sauze- Ville, nous convenons, ma famille et moi, d'un lieu éloigné du village qui nous servira de boîte aux lettres de nuit pour les nouvelles à venir. Je prends quelques victuailles. Les camarades qui habitent ce village font de même et nous repartons pour rejoindre un poste d'observation au-dessus du village sur la Larre. A plat ventre, dans un bouquet de genêts, les jumelles aux yeux, c'est vers 18 heures 30 que nous entendons - avant de les voir - le bruit caractéristique d'une troupe en marche: martèlement assourdi des chaussures de montagne, tintinnabulement des bidons et des armes, hennissement des chevaux, ordres brefs dans une langue que nous connaissions malheureusement que trop depuis quatre années, par le canal de la radio. Bientôt c'est une centaine de soldats précédés par les chevaux et mulets conduits par des paysans qui arrivent à Sauze- Ville. Quelques Officiers ou Sous-Officiers braquent leurs jumelles vers la montagne, vers nous. C'est la fouille des maisons dès l'arrivée. Tout d'un coup des cris sont poussés qui montent du village, et je reconnais dans mes jumelles M. Boyer et son fils qui sont malmenés par les soldats, poussés à la pointe de leurs baïonnettes jusqu'au milieu de la place. Nous avons su plus tard qu'étant "garde-messier" on avait trouvé chez lui le revolver qu'il devait posséder, pour faire respecter et garder les récoltes, mais il avait égaré l'autorisation manuscrite de ce port d'armes. Il passera la nuit à faire du pain à Guillaumes aidé par son fils. Je dis à mes gars que ces messieurs vont penser à notre poste d'observation eux aussi, et qu'il faut déguerpir vers la forêt d'Enaux où nous connaissons une grange pour y passer la nuit. Nous saurons plus tard qu'un poste d'observation avait été placé par les Allemands en ce même lieu avant la nuit. Bientôt nous arrivons sans encombre à la grange et nous allons y passer une nuit très calme. Ce Dimanche 23 Juillet sera une journée d'attente, où nous pensons bien que les Allemands ne viendront pas nous relancer. Mais il vaut mieux quitter au plus tôt ces lieux, et je vais profiter de la nuit et du clair de lune pour laisser mon équipe dans sa tanière et aller reconnaître le sentier qui, par le Col du Mont Saint- Honorat pourrait nous conduire vers Annot, vers les Basses- Alpes. A 21 heures, plutôt éreinté j'arrive à la bergerie située encore assez loin du col, mais le berger que je connais m'offre une jatte de lait et un peu de pain et nous allons nous étendre durant quelques heures. Au lever du jour, accompagné par le berger, nous sommes bientôt rejoints par Magnan du Plan d'Entrevaux, et vers six heures du matin nous arrivons tous trois au Col du Saint- Honorat. Là, le berger indique à Magnan les repères où serpente le sentier vers Le Castellet pour rejoindre la vallée d'Annot. Ce dernier veut rentrer chez lui pour y constater les dégâts occasionnés par les Allemands. Si je suis monté si haut sur la montagne, c'est pour nous évader d'une vallée devenue dangereuse par l'afflux de plus de 800 Allemands! C'est pour repérer le passage d'un col très peu fréquenté et pouvoir ensuite diriger ma troupe assez rapidement à travers le moutonnement de montagnes dont l'altitude plafonne entre 2000 et 2500 mètres. Aidé de ma carte d'état-major nous arriverons bien à rejoindre un camp de F.F.I. vers Annot ou Saint- Auban. Il ne me reste plus qu'à descendre chercher mes gars à la grange pour reprendre ensuite ce sentier, pour quitter la vallée. J'espère que mon équipe aura pu avoir à l'aube, des nouvelles et du ravitaillement pour les deux ou trois jours de marche qui nous attendent. Vers 10 heures, à travers la forêt de mélèzes, toute silencieuse j'arrive à la grange où je n'entends aucun bruit, où je ne vois plus personne! Mes hommes ont déserté le campement, mais ils n'ont rien laissé, ce qui laisse supposer qu'ils n'ont pas été surpris, qu'ils sont partis de leur propre gré. Ça alors! Il ne me reste plus qu'à partir sous le couvert pour arriver en vue du village et grâce aux jumelles essayer de découvrir ce qui se passe. Vers 11 heures j'ai faim et après m'être restauré, je suis si fatigué que je m'endors. C'est un appel où je crois discerner mon prénom qui me réveille. Armé de mes jumelles j'aperçois, tout en contrebas, assez loin, un homme qui agite un drapeau blanc (une serviette au bout d'un bâton en l'occurrence). C'est Trouche qui faisait partie de mon équipe! Je ne peux y croire! Je réponds à ses appels et me dépêche de le rejoindre. Il m'apprend que tous les Allemands sont partis dans la nuit du Dimanche 23 au Lundi 24 Juillet à 4 heures du matin. C'est le garde des Eaux et Forêts Torre qui précédait à pied toute cette colonne, jusqu'à Daluis, où les camions étaient stationnés. Pourquoi ce départ si rapide ? Nul n'a ignoré l'attentat auquel Hitler a échappé les jours précédents. Nous avons pensé que cette troupe était rappelée, de ce fait, par le Quartier Général à Nice. Il est possible également que le Commandement allemand ne veuille pas dégarnir le front de mer, puisqu'il s'attendait à un débarquement imminent. Revenons au Samedi 22 Juillet 1944 au moment où, de notre poste d'observation sur la Larre, les Allemands occupent Sauze- Ville. Dans le même temps le gros de la troupe, venant par la route, et ayant absorbé au Pont des Roberts la Compagnie qui descendait du Col de Roua, se présentait sur le pont aux portes de Guillaumes, pour être "accueillie" par les anciens avec M. Rebuffo en tête. Guillaumes s'était vidé de ses habitants dans le courant de l'après-midi vers Saint- Brès, Bouchanières, Barels, Châteauneuf d'Entraunes, Las Tourres etc… et il ne restait plus dans le village que des personnes âgées de plus de 70 ans. Selon la méthode adoptée par les troupes allemandes en campagne, c'est le jeune Verselli Jean placé en avant comme otage qui est entré le premier dans Guillaumes suivi par tout le bataillon. C'est en Novembre c'est-à-dire plus de quatre mois après qu'un berger a trouvé son corps laissé sans sépulture dans une touffe de buis sur le sentier allant à Bouchanières. Il avait été abattu par les Allemands avant leur départ de Guillaumes. Ce soir-là à la nuit, les sentinelles allemandes occupaient des postes d'observation en hauteur autour de Guillaumes comme celui de la Larre au Sauze, celui du château fort etc… Le Samedi soir et le Dimanche 23 Juillet les Allemands ont amélioré leur ordinaire en vivant sur l'habitant, et nombreux ont été les lapins et poulets qui ont cuit dans des lessiveuses sur des feux de campement. Les caves ont reçu leur visite également et la maison forestière a été mise à sac. Les destructions à la grenade des moteurs des camions de Baudouin et autres habitants, et quelques voitures incendiées ont marqué le passage de cette troupe qui n'a pas stationné longtemps, heureusement, pour Guillaumes et ses habitants. Les membres du C.D.L. et certains groupes s'étaient repliés vers le Col de la Cayolle après avoir fait sauter le pont sur la Barlatte. La plupart ont reflué sur Esteing et même dans des refuges forestiers comme celui de la Boulière. Il faut malheureusement à présent faire le bilan de cette guérilla. Le 18 Juillet dès l'attaque au mortier à partir du transformateur de Daluis, nos hommes surpris par ces obus encadrant la "Tête de Femme" ont payé un lourd tribut dès le premier moment, cependant que plusieurs Allemands sont tués ou blessés par le tir de notre mitrailleuse. C'est le Lieutenant Colonelli qui reçoit un éclat de ces obus de mortier dans les reins. Blanc Oscar de Sussis qui est blessé à l'oeil, Brocquin Gabriel reçoit des éclats dans les jambes. Fernand Boyer, après avoir chargé les blessés dans une voiture aura bien des difficultés pour revenir à Guillaumes sans encombre. Les tunnels des gorges de Daluis auront rendu un grand service en l'occurrence, et de plus auront servi d'abri momentané pour le décrochage des groupes. Brocquin, n'étant que légèrement blessé restera à Guillaumes, mais les deux autres blessés seront accompagnés jusqu'à l'hôpital de Barcelonette. Le Lieutenant Colonelli ne survivra pas à ses blessures. Plus tard ses parents voudront qu'il soit enseveli dans la terre qu'il a voulu défendre. Son tombeau est au fond du cimetière de Guillaumes, à la place d'honneur. Blanc Oscar, quant à lui, mal remis de ses blessures perdra un oeil. Verselli Jean, 19 ans, ouvrier agricole, dont le cadavre a été découvert vers Bouchanières ne pouvait être cité comme F.F.I. puisqu'il est mort comme otage. Néanmoins Guillaumes a honoré deux garçons qui se sont battus dans les gorges de Daluis et qui sont morts plus tard en poursuivant la libération du Département. La Municipalité de Guillaumes a voulu honorer la mémoire de François Michelas, F.F.I. en donnant ce nom à l'ancienne Place de l'Eglise. L'ancienne Place du Four s'appelle depuis la Libération: Place Sini F.F.I. Le sacrifice de ces garçons était ressenti par tous, mais quelle bonne nouvelle les habitants de la vallée ont apprise ce Lundi matin 24 Juillet 1944: "Les Allemands sont partis ce matin à 4 heures!"… après avoir reçu une colonne d'une centaine de leurs camarades qui étaient descendus par le Col des Champs. Les habitants du canton de Guillaumes reprenaient espoir après toute cette peur qui s'était infiltrée partout. Nous savions par la radio que les Allemands étaient attaqués par les Alliés, par les F.F.I , et que le débarquement Allié sur les côtes de Provence ne pouvait tarder. Nous devions poursuivre les Allemands où ils possédaient une petite garnison. C'est donc du canton de Guillaumes libéré le premier dans le Département que plusieurs actions ont été menées à leur terme. La garnison allemande de Puget- Théniers s'étant rendue, grâce aux actions conjuguées du Capitaine Rodolphe et du Capitaine François, ce sont 27 soldats allemands prisonniers qui arrivent à Guillaumes. Ils logeront au dépôt des trams. Ils vont être employés à la reconstruction sommaire du Pont de la Barlatte et du viaduc de Barthéou. Ces Allemands prisonniers dans un canton si éloigné des théâtres d'opérations des armées en présence rendaient plus tangible le sentiment que nous avions d'avoir accompli une action valable, et d'avoir aidé à battre cet ennemi si "coriace". Il semblait légitime à toute cette population que possédant des prisonniers, elle avait gagné "sa petite guerre"!

LA LIBÉRATION

DU DEPARTEMENT DES

ALPES-MARITIMES

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Contribution du

Groupe Étranger d'Artillerie

du Groupement Alpin Sud

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CASTELLAR

SOSPEL

L'AUTHION

15 AOUT 1944 / 25 AVRIL 1945

Après le départ des Allemands de Guillaumes, le 24 Juillet 1944, ce canton qui se voulait le premier du Département à être libéré, voit les F.F revenir et leurs cadres reprendre en main la réorganisation de leurs groupes de maquisards. Ils continuent de contrôler l'emprise géographique constituée par la vallée du Var jusqu'à Pont- de- Gueydan et la vallée du Cians jusqu'à Touet- sur- Var. 15 Août 1944 Ce jour-là à 8 heures, les premiers éléments du VIème Corps d'Armée américain du Général Truscott débarquaient sur une plage de l'est varois. Cette opération avait été préparée dans la nuit par l'assaut simultané des commandos d'Afrique au Rayol- Canadel, de la Brigade des Diables américains et canadiens au Levant et à Port- Cros, et l'héroïque sacrifice des marins français du groupe naval de la Corse tombés dans le piège meurtrier de l'Esquillon. La 1ère Armée Française, ayant à sa tête le Général de Lattre de Tassigny débarquait elle aussi, pour commencer sa marche glorieuse qui allait la conduire de la Provence au Rhin puis au Danube. 16 Août 1944 Le Capitaine Rodophe et le Capitaine François profitent du choc moral que le débarquement a pu provoquer chez l'ennemi pour obtenir la reddition de la garnison allemande de Puget- Théniers. Ils dirigeront les 27 prisonniers sur Guillaumes. Ces hommes seront employés à la réfection sommaire du pont sur la Barlatte et du viaduc de Barthéou. 17 Août 1944 Le Commandant Malherbe Chef d'Etat-Major F.F installe son P.C. à Plan- du- Var. 18 Août 1944 Le P.C. Départemental F.F descend de Valberg à Puget- Théniers. Le lendemain du débarquement sur les côtes de Provence l'insurrection gagne presque toutes les villes au fur et à mesure de la progression des unités américaines le long de la côte. Les groupes F.F de montagne eux, continuent leur pression axée dans le sens Nord-Sud pour joindre soit les patriotes des villes soit l'armée américaine. Les 23 et 24 AoûtLes patriotes sont attaqués par les Allemands dans la ville d'Antibes. Ces derniers font sauter les phares de la Brague et de la Garoupe. Les F.F arriveront à neutraliser l'ennemi et à occuper les postes clés. Le 28 AoûtC'est la libération de Nice. Là aussi beaucoup de patriotes niçois trouveront la mort en voulant chasser les Allemands. Les noms des groupes: Joseph le Fou, Manzone, etc… restent présents dans toutes les mémoires. Les dernières directives du Général de Gaulle indiquaient "la levée en masse" de tous les Français et l'obligation de mettre sur pied une unité dans chaque Département pour aider les Alliés à chasser l'ennemi de France. Si ce dessein était plutôt chimérique il allait dans le sens qu'il fallait associer, après les avoir réorganisé en bataillons, les divers groupes F.F C'est le Général de Division Aérienne Cochet, Délégué Militaire pour le théâtre d'opérations Sud, qui a désigné, à la date du 28 Août, le Colonel Lanusse comme Commandant du groupe de Subdivisions des Basses- Alpes et des Alpes- Maritimes, pour la reprise en main des groupes F.F qui seront dissous de ce fait, pour renaître sous le vocable militaire de "bataillons". Il fallait naturellement entrer en liaison et prendre part aux opérations nous, combattants français, avec les différentes armes qui constituaient ces unités américaines. Déjà la langue anglaise était un obstacle, et notre Commandement n'avait pas une tâche facile se trouvant en position d'infériorité puisque c'était une obligation de s'adresser aux Américains pour obtenir de l'armement, des uniformes, du ravitaillement. Les Américains hésiteront quelques jours avant de traverser le Var mais puisque Nice s'est libérée, que les Allemands en sont partis, cette frontière naturelle sera franchie et les Américains poursuivront l'ennemi jusqu'à la prochaine ligne de résistance qui se situe vers Cap- d'Ail. Cette ligne de résistance sera tenue par l'ennemi durant une semaine, jusqu'au 3 Septembre. Du 5 au 8 Septembre Les Américains sont à Menton et s'arrêtent au Pont Saint- Louis, à la frontière. Mais on ne peut plus parler de libération des populations. Dans ce secteur frontalier les Mentonnais ballottés à deux reprises sont partis, soit du côté français, soit en Italie. C'est plutôt le "no man's land "! Le front va se stabiliser. Les troupes allemandes tiennent encore le 1/5ème du Département et se sont retirées dans les montagnes. Elles vont verrouiller solidement les Cols de Castillon, de Braus et de Brouis. La cuvette de Sospel leur permettra de tenir au Moulinet, à Turini. Les Allemands seront également au Col de la Madone des Fenestres, ainsi qu'au Col de Fer et du Pourrial. La ville de Sospel va souffrir énormément, car les tirs de l'artillerie américaine se concentrent sur les routes et ouvrages d'art qui permettent aux convois allemands de circuler. Les habitants de Sospel vont vivre de longues semaines dans leurs caves avec vue par le soupirail qui laisse passer le tuyau de l'appareil de chauffage. La libération de Sospel date du 28 Octobre 1944 Cette fois l'ennemi va se retrancher à nouveau et prendra ses quartiers d'hiver sur les sommets à la frontière presque, dans les forteresses de l'Authion, de Milles- Fourches, de Plan Caval etc… Cette partie du Département limitée en gros par la route de Sospel à Turini, puis par celle suivant le cours de la Vésubie par La Bollène, Roquebillière, Saint Martin Vésubie, se présente comme un triangle s'appuyant sur la frontière franco-italienne. Ce triangle, les Allemands l'ont vite compris qu'il était une véritable forteresse, avec un relief tourmenté et de nombreuses cimes approchant les 3000 mètres d'altitude. Aucune route ne coupait ce massif. Seule la route remontant le cours de la Roya par Vintimille- Breil- Fontan, jusqu'à Tende étant une véritable rocade en territoire italien, permettait aux Allemands de ravitailler les ouvrages qu'ils occupaient. Cette position inexpugnable devait interdire aux Américains toute velléité d'attaque de front en début de saison d'hiver, et, raisonnablement c'est un duel d'artillerie qui va s'intensifier durant tout l'hiver. Le Groupe Etranger d'Artillerie du Groupement Alpin Sud va, lui aussi, apporter sa modeste contribution durant cette période en tant qu'unité combattante d'artillerie, pour la libération du Département des Alpes- Maritimes. Renvoyé de l'armée d'armistice de Grenoble dans mes foyers en Novembre 1942, à la suite du passage de la ligne de démarcation par l'armée allemande qui pénétrait ainsi dans la zone dite "libre ", je me trouvais sous le coup, en 1944, par mon rengagement pour deux années en 1942, d'un rappel sous les armes pour la durée de la guerre. Je m'attendais à ce rappel depuis le rétablissement de la Subdivision Militaire de Nice. Je voulais devancer ce rappel et il s'agissait de retrouver des artilleurs si possible. J'apprends la formation de bataillons comme le 74ème Bataillon de la Haute-Tinée dont les hommes sont pour la plupart des volontaires de nationalité étrangère - beaucoup d'Italiens. Son effectif s'élève à une trentaine d'Officiers, du double de Sous-Officiers et de près de 600 hommes. Il sera stationné le long de la Tinée. Ce bataillon, ainsi que les bataillons Rivièra - 25 - Corniche - Estérel - font partie de la région R2 = Alpes- Maritimes, et formeront le Groupement Alpin Sud. M. Susini plus au fait, à cette époque des projets du Commandement que moi-même, m'indique qu'à la caserne Saint- Jean d'Angély, Avenue des Diables Bleus à Nice, un Groupe d'Artillerie est en train d'être mis sur pied et qu'on cherche des Sous-Officiers et des Officiers d'Artillerie. Le Capitaine d'Artillerie Dubeau, alias "Commandant Foncet" dans la Résistance, s'était occupé, jusqu'à la libération de Nice, du ravitaillement des maquis. Sa blessure, provoquée par l'éclatement d'une grenade à Plan- du- Var, était guérie. C'était lui qui avait formé le projet de mettre sur pied un Groupe d'Artillerie avec des canons pour la plupart français, qui avaient servi aux Allemands pour armer les points sensibles du front de mer, mais que ces derniers avaient rendu inutilisables en prélevant sur chaque canon une pièce essentielle du mécanisme comme il est d'usage en cas de repli.

C'est donc au début d'Octobre 1944

que je prends contact avec le Commandant Foncet, qui me souhaite la bienvenue et me présente à quelques Officiers dont: Lieutenant Brulin, Lieutenant Taffe, Lieutenant Patard, Lieutenant Couillet, Capitaine Hugues etc… et quelques Sous-Officiers: Maréchal- des- Logis Chef Giubergia, Maréchal- des- Logis Vittéroy, et Jandin etc… La situation que nous expose le Commandant Foncet est la suivante: - NOUS AVONS RECUPERE DU MATERIEL (CANONS ET MATERIELS DE TRACTION) - GRACE AUX AMERICAINS NOUS POURRONS NOUS SERVIR CHEZ EUX (en munitions) - NOUS SOMMES UNE POIGNEE D'OFFICIERS ET DE SOUS-OFFICIERS (DONC L'ENCADREMENT EXISTE) - IL NOUS MANQUE: CE QUI EST PRIMORDIAL (LES HOMMES). Le Commandant Foncet avait déjà terminé les démarches en accord, avec le Commandement, pour aller chercher les hommes là, où ils étaient! Ils n'étaient pas loin ces hommes, à la caserne Auvare située près de notre casernement. Cette caserne, dès que vous en aviez franchi le portail, vous ne pouviez pas vous tromper sur la troupe qui l'habitait! Des gardes armés faisaient les cent pas. Des chevaux de frise, des barrières de fil de fer barbelés entouraient les bâtiments bas dans lesquels étaient logés plusieurs centaines de prisonniers italiens. C'étaient les soldats de l'armée Badoglio, qui avaient "levé la crosse en l'air" qui ne voulaient plus servir "l'Axe". Quelques milliers de ces soldats étaient arrivés jusqu'au Col de Moulinès à Beuil, puis avaient franchi la frontière à Isola. D'autres avaient fui par les cols reliant Saint- Martin- Vésubie à l'Italie. Ceux qui restaient prisonniers c'étaient les irrésolus, et surtout ceux qui n'avaient eu aucun moyen mécanique pour rejoindre la frontière. Le changement de casernement était déjà commencé et la cour Saint- Jean d'Angély s'est vite animée, car la majorité de cette troupe s'est portée volontaire. Nous leur promettions la… discipline militaire et non celle des prisonniers, l'ordinaire et la tenue militaire au lieu du pauvre "rata" de ces temps de restrictions. Bientôt plus de 400 soldats ayant changé de camp! étaient prêts à nous aider à vaincre l'ennemi devenu commun. Quant à moi, ma situation se régularisait. J'avais terminé la première partie des hostilités comme Maréchal-des-Logis Chef d'Artillerie, n'ayant pu accomplir le stage de six mois comme Aspirant auquel j'avais été proposé. Mon état signalétique et des services mentionne à cette époque: - " Rappelé à l'activité par note n° 299 I/I du 10-11-1944 de la Subdivision des Alpes- Maritimes. - " Affecté au Groupe d'Artillerie du Groupement Alpin Sud comme Maréchal-des-Logis Chef à compter du: 1-11-1944. - " Rayé des contrôles du Bureau Régional d'Effectif annexe de Grenoble, le: 1-11-1944. Nous existions sur le "papier ", sur les contrôles et du point de vue Intendance, n'est-ce pas Ottavy ? car c'est important!… Il nous faut à présent être: "opérationnels". Quelques Officiers et Sous-Officiers sont venus, durant cette période se joindre à nous: le Capitaine Rixens, et le Maréchal-des-Logis Masse ce dernier venant de Cannes, avec qui l'entente sera parfaite, et nous ferons du bon travail. Notre premier souci sera de donner une instruction valable à ces hommes, d'en faire des artilleurs! Je vais donc régner sur 90 hommes que le Commandant Foncet a bien voulu me confier pour les familiariser avec le service de ma batterie de 155 court Schneider, composée de 4 canons (4 canons… à réparer !). Dans ma batterie, au bout de quelque temps, et après certains tests j'ai vite fait de distinguer une dizaine de gars, certains parlant français, pour les faire nommer Sous-Officiers: chef de pièce. C'est que je dois donner une instruction à des étrangers, à des Italiens, la plupart Piémontais. La solution était à ma portée: connaissant le patois de nos montagnes je n'ai pas hésité, beaucoup de mots se rapprochant par la prononciation du piémontais, à mélanger le patois-français. Et ma foi, le but sera atteint, jour après jour, mes deux sections de deux canons arriveront à coordonner correctement leurs mouvements. Pour parfaire l'image de la naissance de ce Groupe d'Artillerie on ne pouvait concevoir de posséder des matériels pesant plusieurs tonnes sans s'inquiéter du matériel de traction. Aussi le Parc à Matériel contigu à la caserne abritait un nombre important de tracteurs T.A.R. 5, de camions, de camionnettes et de voitures de liaison. Naturellement ces véhicules ont souffert et ont besoin de révision. Ce sera le travail du Chef de Parc de trouver des mécaniciens et d'instruire des chauffeurs qui auront à conduire d'ailleurs, certains véhicules récupérés sur l'armée italienne.

Le Chef de Parc continuera à dénicher jusque dans le Département du Var, et à nous amener des pièces de canon en assez bon état. Nous arriverons au total de 18 canons!: deux batteries de 4 canons de 155 court Schneider, une batterie de 4 canons de 105 obusier, une batterie de 88 allemand, et une section de 2 pièces de 75 m/m.

Parallèlement à l'instruction que chacun des responsables des différentes batteries dispensaient à ses hommes, d'après un programme établi afin d'arriver à l'occupation continue de la cour de la caserne, il fallait penser à réparer le matériel. Certaines culasses de canon ne possédaient plus de levier d'armement, de ressort de percussion, de percuteur, etc… Je me revois encore, un formulaire établi en anglais et français signé par l'autorité habilitée, dans une main, et dans l'autre main la pièce qui pouvait servir de modèle pour en fabriquer une autre, sur ce camion-atelier… merveilleux! où brillaient des machines-outils, devant un Américain qui ne comprenait pas ma démarche En conclusion, il était impossible à un gars de l' "U.S. Army" de fabriquer une pièce "bricolée" pour réparer un canon. On s'est visiblement retenu de me rire au nez. Nullement découragés, par cette fin de non-recevoir, et conscients que nous étions, dans le Groupe, sûrs d'arriver finalement au but, c'est-à-dire: Faire tirer ces canons ! Nous nous sommes mis en mesure, mes camarades et moi-même de trouver des entreprises civiles de fonderie, mécanique, tôlerie et chaudronnerie, pour leur faire exécuter les pièces manquantes. Une des premières qui nous a rendu service, se trouvait au 16, de l'Avenue des Diables Bleus, chez "Tombarel ", à deux pas de la caserne ou plutôt du "Quartier Saint- Jean d'Angély" parce que, pour les artilleurs que nous étions, c'est cette appellation qui est de tradition. Une autre difficulté était apparue dès les premiers temps de cette instruction dispensée à nos canonniers, à nos chefs de pièce. Nous n'avions pas un seul appareil de pointage! Il fallait en trouver, car nous ne pouvions pas balancer à 6 ou 8 kilomètres dans… la nature, des "pélôts" de près de 50 kilogrammes, sans connaître leur… point de chute! Le Commandant Foncet après renseignements s'est rendu chez "Huet" à I et nous est revenu avec les appareils. Nous étions parés… à tirer. Tous ces préparatifs, ainsi que l'instruction de nos hommes, quoique effectués dans la fièvre d'une organisation qui n'était aidée par personne, au contraire! avaient demandé obligatoirement plusieurs semaines et nous avions hâte de prouver QUE NOTRE ENTREPRISE ETAIT VALABLE. Les Américains quant à eux ne l'entendaient pas de cette oreille. Pour eux nous ne possédions, en l'occurrence, que de vieilles pétoires! Ils auraient volontiers comparé nos canons à des bouches à feu se chargeant encore par la gueule, et tirant des boulets!… tandis que nous ne pouvions qu'admirer leurs batteries à 6 canons, bi-flèches, de 105 l., se chargeant presque automatiquement. Après force atermoiements le Colonel Thomas J. Shryock, JR., Field Artillery, Commanding, commandant l'artillerie américaine du secteur veut bien, entouré de son état-major, se pencher sur notre cas. Vers la mi-Novembre donc, grâce à nos propres moyens, c'est-à-dire nos véhicules et nos tracteurs T.A.R. 5 tirant chacun un canon nous faisons mouvement, un beau matin, par la Promenade des Anglais jusque sur la plage, derrière l'église Notre- Dame- de- Lourdes. Notre troupe au grand complet, et notre artillerie, dont les bouches à feu sont dirigées vers le large s'étirent jusque sur l'emprise est de l'aéroport actuel. Et sous l'oeil intéressé et peut-être amusé de ces messieurs les "riches Américains" CHACUNE DES BATTERIES, A TOUR DE ROLE, AU COMMANDEMENT DE CHAQUE CHEF DE SECTION, A DONNE DE LA VOIX. Pour ma batterie de 155 court Schneider, chaque bouche à feu a lancé, pour la première fois, l'obus à double ceinture américain, car les nôtres ne possèdent qu'une ceinture seulement. Heureusement pour nous, durant la guerre 1914-1918 les Américains avaient copié et fourni à la France des milliers de canons dans plusieurs calibres, dont le 155 m/m, et nous pouvions nous servir de leurs obus. La démonstration de notre autonomie du point de vue "mouvements" ainsi que celle consistant à savoir que nos canons n'étaient pas "postiches" étant faite, le Commandement américain ne pouvait refuser au Colonel Lanusse et au Commandant Foncet chef du Groupe Etranger d'Artillerie, du Groupement Alpin Sud, l'honneur d'être enfin sur la frontière aux côtés des Alliés. Le feu vert étant donné par les artilleurs américains, nos préparatifs sont rapides, et chaque unité va faire mouvement séparément pour rejoindre son lieu de stationnement et sa position de batterie.

JE LAISSERAI LE SOIN AU JOURNAL DE MARCHE DE CHAQUE UNITE EN CAMPAGNE, ET A CELUI DU COMMANDANT DE GROUPE DE PRECISER LES DATES AUXQUELLES LES DIFFERENTES BATTERIES ONT PRIS POSITION, AINSI QUE LES FAITS SAILLANTS QUI ONT MARQUE NOTRE ACTION. MON BUT SERA ATTEINT SI SIMPLEMENT J'AI PU DEFINIR L'AMBIANCE DANS LAQUELLE S'EST DEROULEE CETTE ACTION.

Nous nous trouvons un matin au petit jour, sur la Basse Corniche avec nos quatre pièces attelées à des tracteurs roulant à petite allure, nos hommes dans des camions, nous-mêmes dans des "Jeeps" en tête de colonne, nous étant fixé comme but d'arriver au plus tôt à Menton puis à Castellar où nous attend notre position de batterie. Peu de monde pour nous voir passer jusqu'à Cap- d'Ail, mais à partir du virage où les Allemands ont résisté toute une semaine, c'est le "no man's land". Le paysage automnal est triste, surtout lorsque l'homme l'a déserté, et dans Menton silencieux nous prendrons nos distances car nous sommes accueillis par des tirs d'interdiction. C'est l'A.L.V.F. c'est-à-dire l'artillerie lourde sur voie ferrée. C'est un canon allemand de gros calibre placé sous le tunnel ferroviaire de la frontière qui fait entendre sa grosse voix. Heureusement il tire sporadiquement. C'est le souvenir également de cette vision: des avenues, des rues désertes bordées d'arbres chargés de fruits d'or, des oranges, des mandarines, des citrons, qui eux, à leur habitude ont poussé, et ne seront pas ramassés. Les lacets pour arriver à Castellar sont vite franchis. Nous laissons de part et d'autre de la route quelques secteurs entourés de tresse blanche délimitant les champs de mine, pour nous installer là où le détachement précurseur a déjà balisé l'emplacement des quatre pièces. La position de batterie va se situer à 300 mètres d'altitude en avant et à l'est de la dernière épingle à cheveux de la route se trouvant au Sud de Castellar. Nous ne sommes qu'à 2 kilomètres à vol d'oiseau de la frontière italienne. C'est un véritable mur qui se dresse devant nous, et nous aurons un site terrible puisqu'il faudra passer au-dessus de 800 mètres pour ne pas toucher le Mont Carpano, et au-dessus de 1200 mètres d'altitude pour la cime de Restaud. C'est que sur toute la longueur de la chaîne les avant-postes américains sont installés et il ne s'agira pas d' "écrêter "! La position de batterie est à dix minutes à pied pour monter au village. Vers midi, libéré de nos canons nous arrivons avec nos véhicules dans le village. Encore un souvenir qui reste gravé: celui de tables, installées dans la cour de l'hôtel-restaurant situé sur la place, chargées de poulets bien dodus prêts à être embrochés pour servir l'ordinaire de messieurs les Américains. A cette époque de restrictions pour nous, c'était tentant! Le cantonnement se situera dans le village, désert et silencieux. Quelques personnes qui s'occupent du gardiennage nous indiquent les maisons que nous pourrons occuper. Nous installons nos hommes par chambrées, situons le lieu des cuisines et du réfectoire, notre mess des Officiers et nos chambres. Avec le Sous- Lieutenant Couillet nous partagerons la même chambre, si l'on peut donner ce nom à une pièce quelconque, sans confort! mais nous ne sommes pas venus dans un lieu de villégiature ! L'organisation de la position de la batterie m'incombe plus particulièrement, et durant les jours qui vont suivre les servants de chaque pièce auront à coeur de protéger les canons, et de ce fait de se protéger eux-mêmes. Il faut reconnaître que les Italiens savent d'instinct manier pioches, pelles, barres à mine etc… Les sacs à terre remplis ne tarderont pas à protéger par des murs épais juxtaposés, les endroits où le rocher étant presque à fleur de terre, la barre à mine même ne pouvait faire son office. Cette position de batterie presque enterrée, s'est même payée le luxe d'avoir une tranchée de communication entre les quatre pièces! Tous ces travaux de Génie Militaire ont été coupés par des séances d'instruction de jour comme de nuit, car nous étions à présent… au pied du mur et dans la réalité! De plus nous attendions la venue du Capitaine qui devait commander la batterie. Il était annoncé depuis notre départ de Nice, et il n'a pas tardé à rejoindre. Il s'agit du Capitaine Giraud, Artilleur de Réserve, Entrepreneur de Travaux Publics à Béziers. Peu après je suis nommé Adjudant par ordre n° 42 du Groupement Alpin Sud à compter du 15 - 12 - 1944. Seul Sous-Officier français dans la batterie, je suis heureusement bien secondé par ma dizaine de Sous-Officiers italiens qui ont leurs hommes bien en main. Avec le Capitaine Giraud le travail sérieux va commencer et tout d'abord il faut mettre en place les yeux de la batterie. Nous allons monter: le Lieutenant Couillet, le Capitaine Giraud et moi-même avec la Jeep, jusqu'à 600 et 700 mètres d'altitude, par un chemin de terre tracé par les Américains au bulldozer et qui leur permet de ravitailler leurs avant-postes. C'est après le seuil du "Berceau" que nous monterons à pied jusque sur la crête, et que nous choisirons notre abri pour y placer la binoculaire. Chacun à tour de rôle nous y passerons de longues heures pour les réglages de tir, et les observations que nous pourrons communiquer à la batterie grâce au fil que nous brancherons sur l'observatoire américain. Les jours, les nuits vont se succéder désormais dans une activité qui sera peut-être monotone car il faut mettre en place les horaires de la garde de la batterie, tirer de jour, tirer de nuit par sections ou pour toute la batterie. Nos tirs seront pour la plupart, des tirs d'interdiction et de harcèlement. Nous pratiquerons par salves et même le tir par pièce à intervalles irréguliers. Nos objectifs seront naturellement les portions de voies de communication italiennes situées en dehors des angles morts, vers le Sud- Est, puisque le maillage du terrain en routes y est plus dense. Les routes arrivant aux villages de Latte et Grimaldi sont les objectifs habituels. Les routes longeant la Roya et le pont la traversant, dans Vintimille, ainsi que la gare, la belle gare internationale - monument de marbre! - souffriront beaucoup. Hélas, c'est malheureusement la guerre! La Mortola, ainsi que la Via Aurelia sur certaines portions sont visées également. Dans la mesure où nous avons vu sur une voie qui permet le ravitaillement des forts et ouvrages tenus par les Allemands, le tir est préparé et s'effectue sur un point de passage obligé. Le temps passe, et cette année 1945 voit ma promotion au grade supérieur, puisque je suis nommé: Adjudant- Chef par ordre n° 57 du Groupement Alpin Sud à compter du 1- 1- 1945 et je passe à la 1ère Batterie du Groupe Etranger d'Artillerie. En fait je suis nommé Adjudant- Chef dans ma Batterie. Des rapports cordiaux s'établissent peu à peu entre les Officiers-Artilleurs américains et nous-mêmes. Nous nous invitons mutuellement, et en fin de repas la bière, le cognac trois étoiles, et le gros cigare sont de rigueur au mess américain. Si les "beans" sont acceptables, nous prisons un peu moins leurs "puddings" et autres mets sucrés. Nous aimons mieux en fait le menu français type: pommes de terre frites, salade et bifteck. Pour cela nous ferons ce qu'il faut! Nous faisons ouvrir le moulin à huile de Castellar et y détachons deux Siciliens qui sont spécialistes en la matière! Nos hommes, durant les périodes de repos, armés de sacs à terre propres, ramasseront sur le gazon les olives très mûres pour porter ensuite tout le chargement au moulin. Nous aurons ainsi une belle coulée d'huile verte fruitée, dont nous avions perdu le goût depuis ces cinq longues années de restrictions. Il est toujours utile, sinon indispensable, lorsqu'on est "en ligne" d'employer les temps morts pour améliorer sans cesse la protection d'une position qu'elle soit d'infanterie ou d'artillerie. J'ai fait mention du travail sérieux que mes hommes avaient fourni pour cela. Nous avions été repérés de l'autre côté du "mur ", et heureusement les coups de mortier ne nous étaient pas toujours destinés, mais n'ont jamais pu nous atteindre par leur portée relativement faible. Comme il fallait s'y attendre, par un bel après-midi ensoleillé au moment où nous nous apprêtions à mettre en batterie, ce sont les miaulements caractéristiques des obus passant au-dessus de nos têtes qui ont fait aplatir toute la section ventre contre terre, puis le premier instant de panique passé, rejoindre les abris. Quant à moi, en arrière comme chef de section il ne m'est resté que la solution de sauter sur la route à l'abri du mur de soutènement. D'autres tirs de contre-batterie viendront dorénavant nous surprendre soit de jour, soit de nuit, mais en tant qu'artilleurs nous étions presque sûrs qu'il s'agissait d'une section allemande "baladeuse" ! du calibre 77 m/m qui avait un tir un peu trop tendu, et un peu moins précis, du fait des changements fréquents de position. En tant que vieux artilleurs notre position était impeccable, sur un éperon où les coups longs ennemis passaient au-dessus, puis derrière nous, pour tomber finalement en-dessous de la route. Quand aux coups courts c'était en avant de la position et plus bas en altitude qu'ils faisaient panache. Le seul ennui! était dans le fait, que malgré tous ces avantages ! les oliviers ont arrêté quelques obus rasants, et nous avons eu quelques blessés légers. Heureusement tous les coups ne tuent pas! Il est raisonnable de penser également qu'il n'y avait pas, de l'autre côté de la frontière tellement de bouches à feu disponibles pour répondre au pilonnage américain, et surtout de calibres adéquats pour effectuer des tirs plongeants avec angles d'arrivée au sol efficaces. Les permissions pour nous rendre dans nos familles ont été rares durant ces mois-là, et si je me suis rendu à Nice je n'ai jamais eu plus de 48 heures chaque fois. Le plus beau cadeau qui était apprécié à cette époque c'était d'apporter deux ou trois litres d'huile d'olive! C'est vers la mi-Mars que nos camarades américains ont été remplacés par les Forces Françaises Libres qui quittent l'Alsace le 7 Mars pour venir s'installer à leur place tout le long de la frontière franco-italienne partie sud. La 1ère D.F.L. nous ayant pris en compte c'est dans le 1er Régiment d'Artillerie que nous allons nous intégrer, et plus particulièrement dans le Groupement que commande le Lieutenant-Colonel Maubert. Nous recevons l'ordre de faire mouvement sur Sospel où notre soutien d'artillerie sera plus efficace puisqu'il s'agit à présent de la dernière bataille et non plus d'un duel d'artillerie. C'est toujours par nos propres moyens que ce "déménagement" s'est opéré. Sûrement nous n'avons pas été dans la tradition de rapidité d'exécution voulue! Sûrement ce n'était pas un changement de position très orthodoxe, mais plutôt un peu du genre "romanichel!" avec tous nos impedimenta. Nous avions des problèmes, mais l'important était d'être en position de batterie à Sospel au jour dit. Après avoir traversé à nouveau Menton où nous attendait le Capitaine Rixens avec sa section de 75 m/m, puisqu'il était jusqu'à présent en position vers le couvent de l'Annonciade, nous remontons le Val du Careï, pour traverser Monti et faire halte à Castillon. Ce village a énormément souffert du fait qu'il a été bombardé par les canons de marine de la flotte américaine pour en chasser les Allemands. Nous arrivons en début d'après-midi sur notre position nouvelle de batterie située à l'Ouest de Sospel, Quartier Cantemerle. Nous n'avons aucune difficulté pour arriver dans une prairie bordant le torrent de la Bévéra qui descend du Moulinet. Le soir-même, nos quatre 155 court Schneider sont à leur place au fond de la prairie, les munitions stockées vers le mur qui limite en arrière cette propriété. Nos hommes ont repéré les maisons et villas vides que le détachement précurseur a réquisitionné, et nous savons que la plâtrière, de l'autre côté de la route, pourra nous recevoir et nous abriter si nous subissons des bombardements. Notre nouvelle position de batterie se trouve à présent dans la "cuvette" de Sospel. A l'Ouest se trouve le Col de Braus et au Nord le massif abrupt où s'étagent à différentes altitudes des forts et des blockhaus comme celui de l'Albarée près du Mont Gros avec ses 1266 mètres d'altitude, inoccupé d'ailleurs. Plus au Nord après Turini et sa forêt, le relief s'élève jusqu'à la Pointe des Trois Communes à 2082 mètres. L'Authion au Sud lui faisant face formant haut plateau, a permis dans ses monticules rocheux la construction des forts de La Forca, Plan- Caval, Mille- Fourches, tous à plus de 2000 mètres d'altitude. C'est dans ces ouvrages souterrains que les Allemands se sont réfugiés et d'où il faudra les déloger. Nos hommes travaillent de la pelle et de la pioche pour creuser de nouvelles alvéoles à chacune des quatre pièces. Dans l'attente de l'assaut final nous reprenons nos tirs d'interdiction et de harcèlement sur les portions de voies ferrées et de routes italiennes qui serpentent dans la vallée de la Roya. Nos objectifs sont, du Nord au Sud: La Giandola, Pienne- Basse, Libre, Fanghetto, Oliveta- San- Michele. Les gradés sont plus sereins car la position est à six kilomètres de la frontière et nos bouches à feu n'ont plus l'air de canons anti-aériens comme à Castellar. La hantise d'écrêter est terminée. Bientôt notre batterie subira ici aussi quelques salves, mais ce sera… sans grand dommage! Encore quelques jours, puis, après une préparation d'artillerie assez sévère C'est le 10 Avril que tout le Groupement du Lieutenant-Colonel Maubert, dont nous faisons partie, soutient l'attaque de la 4ème Brigade pour prendre pied sur le Massif de l'Authion. Le Groupement Marsault (3ème groupe renforcé de batteries de tous les autres groupes) étant à pied d'oeuvre à Peyra Cava, les chars et les gars du 1er Bataillon de la Légion Etrangère vont venir à bout de la résistance opiniâtre des Allemands enfermés dans les ouvrages fortifiés. Le mausolée, érigé dans le village de l'Escarène, qui a recueilli les corps de 86 Légionnaires non réclamés par des familles étrangères, sur près de 300 Légionnaires tombés dans cet assaut, témoigne de la dureté de ces combats. Mais que ce soit en 1944- 1945 ou en 1793-1794 à 150 ans de différence, ces combats ont lieu sur le même massif, d'une grande valeur stratégique. Les colonnes républicaines de la future armée d'Italie commandées par les grands chefs de l'époque: Masséna, Dumerbion etc…, et surtout Bonaparte qui, ne pouvant attaquer de front par l'axe Bévéra- Roya, mit au point la fameuse manoeuvre tournante en remontant la vallée de la Roya pour surprendre l'ennemi et le battre. Aussi le Massif de l'Authion conserve-t-il ce souvenir par deux monuments élevés l'un à la mémoire des sans-culottes, l'autre à celui des combattants de la 2ème guerre mondiale. L'un après l'autre les forts de l'Authion, La Forca, Mille- Fourches, Plan- Caval, La Béole tombent, mais le repli de l'ennemi sera lent, servi qu'il était par le relief et la faculté de mieux se mouvoir ensuite sur la seule route longeant la Roya. Breil sera libéré le15 Avril. Mais il faudra attendre le 20 Avril pour que nos soldats entrent dans Fontan et Saorge. Enfin le 25 Avril l'ennemi passe le Col de Tende en direction de l'Italie et des éléments de la 1ère D.F.L. ainsi que du 3ème RA. occupent Tende et La Brigue. Nos artilleurs peuvent faire la jonction avec le Groupement Chavannac, qui opère sur la Riviéra Italienne, pour rejoindre Vintimille. Le Traité de Paris, le 10 Février 1947 redonna à la communauté française les territoires qui, historiquement et géographiquement dépendaient de l'ancien Comté de Nice, Tende, La Brigue, et divers hameaux jusqu'à la ligne de crête. Le plébiscite du 12 Octobre 1947 accorda 92 % des voix à la France. Comme la 1ère D.F.L., au repos "dans la plaine" la capitulation de l'Allemagne nous trouve au repos sur la position de la batterie. La 1ère Section de ma batterie se déplacera jusque sur la grand-place de Sospel et tirera - à obus réels - sur la frontière! les 21 coups de canon pour saluer LA VICTOIRE.

QUEL A ETE LE BILAN DE NOTRE ACTION Pendant ces quelques mois durant lesquels nous nous sommes efforcés d'être efficaces, malgré tout?… Nul mieux que notre Commandant de Groupe: le Chef d'Escadron Dubeau dit "Foncet ", commandant le Groupe Etranger d'Artillerie, ne saurait le dire, car en tant que Chef il possède toutes les données, et c'est surtout à lui QU'EN REVIENT L'HONNEUR.

Je me permets néanmoins d'affirmer que nous avons rempli notre rôle d'artilleurs puisque la 1ère Batterie à elle seule, a tiré près de 4000 obus de 155 court Schneider, durant cette période. Je me permets de rapprocher notre action de celle des débuts de la formation de l'Artillerie des Forces Françaises Libres, lorsque le Général de Gaulle est parti d'Angleterre avec seulement 6 canons de 75 m/m pour rejoindre les possessions françaises d'outre-mer. Je me permets enfin d'ajouter que ces 18 canons réparés et amenés jusqu'à la frontière représentaient le 1/4 du nombre de bouches à feu mises en position par un Régiment d'Artillerie Divisionnaire comme le 1er Régiment d'Artillerie de la 1ère D.F.L. C'était un appoint conséquent… tout cela dit sans forfanterie. Nous allons stationner sur la position de batterie bien après le 8 Mai 1945. Nous resterons à Sospel après le 1er Juin 1945 date à laquelle la 1ère D.F.L. fait mouvement vers la région parisienne pour y cueillir, le 18 Juin 1945 à PARIS, les lauriers bien mérités en passant sous l'Arc de Triomphe de l'Etoile. Elle défilera devant le Général de Gaulle et la population parisienne. Durant les quelques semaines d'inactivité et de repos à Sospel nous ferons quelques incursions dans les villages de la vallée de la Roya, et notre Jeep sera une des premières à serrer au plus près les rochers pour passer du Pont Saint- Louis à Menton jusqu'à Vintimille. Nous verrons la gare dévastée, le pont sur la Roya démoli, et les démineurs déjà au travail pour détecter les obus non éclatés. Notre retour au Quartier Saint- Jean d'Angély va s'échelonner sur quelques jours et s'effectuera toujours par nos propres moyens. Je ne soulignerai que pour mémoire la remise en ordre de tout le matériel de traction et de tir, et la démobilisation progressive du Groupe Etranger d'Artillerie du Groupement Alpin Sud.

LE GROUPE D'ARTILLERIE "Foncet " AVAIT HEUREUSEMENT REMPLI SON CONTRAT MORAL " LA LIBERATION DU DEPARTEMENT DES ALPES-MARITIMES "

Il ne restait plus qu'à raccompagner à la frontière franco-italienne, en cars, quelques 400 à 500 "artilleurs" qui avaient dans leur poche un certificat attestant qu'ils avaient servi les forces Alliées durant une période de "volontariat" de plusieurs mois jusqu'à la victoire finale. Encore un souvenir qui revient en mémoire: le jour du départ de nos "hommes" plusieurs dizaines de femmes étaient à l'extérieur des grilles du quartier pour leur dire adieu pendant que les cars se remplissaient. "Sacrés artilleurs!". Nos hommes étant partis dans la 2ème quinzaine du mois de Juin, Officiers et Sous- Officiers, nous attendions une nouvelle affectation qui tardait, car la mise en place des nouvelles structures du pays, la paix revenue, demandait obligatoirement plusieurs mois. Enfin à la date du 10 Septembre 1945, quittant la 36ème D, je me retrouve à Moulins dans l'Allier, où j'aide à la formation du 16ème Régiment d'Artillerie Blindée (3ème Division Blindée) avec ses batteries de chars-canons, pour traverser la frontière et aller en occupation en Allemagne dans la région de Trèves. La classe des jeunes soldats - classe 1945 - n'ayant pas été appelée sous les drapeaux, le Régiment est dissous et je suis muté le 16 Avril 1946 dans le duché de Bade à l'Ecole Spéciale pour Officiers d'Achern où la loi de dégagement des cadres du 5 Avril 1946 viendra terminer ma carrière militaire. Mon état des services portera les mentions suivantes:

LIVRE II

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NOTES ET DOCUMENTS

Déclaration du

Capitaine Claude Nahmias de Beauregard,

ex Chef des Opérations

dans la vallée du Daluis-Haut-Var

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Maurice Colonelli, lorsque l'allemand arrive en zone sud, fut, comme tous ses camarades de l'Ecole Spéciale Militaire de St. Cyr, rendu à la vie civile. Nommé Sous-Lieutenant il fut affecté aux Chantiers de la Jeunesse mais "l'esprit Pétain" qui régnait dans cet organisme officiel n'était pas pour lui plaire. Très rapidement il décida de déserter les chantiers transformés en camp de travail pour le plus grand profit de l'occupant. Je me rappelle certaine conversation que nous avons eue ensemble concernant cette question des chantiers. Il m'avoua son profond dégout et mépris pour certains de ses camarades.qui, refusant de prendre parti, restaient encore dans un quelconque commissariat régional attendant mensuellement leurs soldes sans faire quoi que ce soit pour hâter la délivrance de notre patrie. Maurice Colonelli n'était pas de ceux qui se bornent à une résistance passive. Déserteur des Chantiers il aurait pu comme tant d'autres borner là son patriotisme et suivant l'expression méridionale "se planquer" Maurice Colonelli était officier et à ce titre il voulait servir; l'arrivée de l'allemand l'avait empêché de porter l'uniforme, soit, il se battra sans uniforme! Il entre dans l'O.R.A. (Organisation de Résistance de l'Armée) et choisit comme département, un de ceux renommé à juste titre comme des plus dangereux, les Alpes-Maritimes, département côtier infesté d'Allemands, bourré de Gestapo, et de Milice. La situation dans ce département est loin d'être brillante, l'O.R.A.ainsi que toute la Résistance a été complètement désorganisée fin I943 par l'arrestation des principaux chefs. Tout était à reprendre à zéro. Le Commandant Malherbe- Gautier, magnifique Officier de Cavalerie, son chef départemental, lui confie le secteur sud-est du département. De Février à Mai 1944 il va tenter de regrouper les éléments épars de la Résistance, de rassembler les bonnes volontés, de constituer un noyau d'hommes qui veulent se battre. Durant cette époque il participera au parachutage d'armes sur Levens, parachutage qui fut des plus dangereux, étant donnée la proximité des troupes allemandes. En Mai 1944 il est arrêté par les Allemands et dirigé sur le camp de travail S.T.O. en Allemagne. En cours de transfert il parvient à s'évader et rejoint son poste de combat. Le Commandant Malherbe- Gautier l'affecte au maquis de Beuil commandé par le Capitaine Rodolphe (de Lestang- Labrousse) mais les événements maintenant vont se précipiter. Depuis le 6 Juin les troupes françaises et alliées ont pris pied sur le sol de France. Le Général Koenig nous a fait passer le message rouge, "Méfiez-vous du toréador" qui ordonne l'intensification des guérillas. Le 5 Juillet nous faisons sauter les ponts séparant la Vallée du Daluis et la Vallée du Cians, du sud des Alpes- Maritimes. Guillaumes et Beuil deviennent les avant-postes de la vaste zone libérée qui s'étend jusqu'à Colmars, Allos, Col de Larches, pour rejoindre par Guillestre le maquis de Haute- Savoie. Le Lieutenant "Colmar" (Colonelli ) est provisoirement affecté au commandement du sous-quartier du Col du Roy, mais par suite de la probabilité de plus en plus grande d'une attaque allemande, une réorganisation des forces a lieu et le Lieutenant Colmar est mis à la disposition du Capitaine Nahmias de Beauregard, commandant le sous-secteur de Daluis. Le Lieutenant Colonelli va alors montrer ses réelles qualités de chef en aidant au maximum son camarade dans l'organisation défensive du sous-secteur. Le 14 Juillet chargé de mission il fera une chute assez grave en moto, qui l'immobilise. Mais lorsque le 16 se déclenche l'attaque allemande sur nos avant-postes de Daluis, le Lieutenant Colonelli demandera malgré ses blessures à monter immédiatement au feu, la situation est des plus critiques; face à notre Compagnie O.R.A. plus de 1000 Allemands! face à nos rares fusils-mitrailleurs, des mitrailleuses lourdes, et légères, des canons légers, des mortiers. Du 16 au 18 Juillet, Colonelli va se donner "à fond ", ne se repliant d'un poste que sur ordre et pour y revenir prendre position dans la nuit, donnant à ses hommes le parfait exemple du sang-froid et du courage. Le 18 Juillet, vers 14 heures la position de la "Tête de Femme" devient intenable. L'ennemi a progressé dans la nuit et prend sous son feu la totalité de notre poste. Sur la poignée d'hommes que commande Colmar s'abattent le tir des mitrailleuses, des mortiers, et des canons à répétition. L'ordre de repli est donné, Colmar fait replier ses hommes puis reste seul avec le F.F Sini pour évacuer le matériel et les munitions restants. Sous un feu terrible ils vont tenter l'évacuation de l'armement qui ne doit pas tomber aux mains de l'ennemi. Au cours d'un dernier voyage le Lieutenant Colonelli et Marcel Sini tombent tous deux mortellement blessés, victimes de leur courage et de leur esprit d'abnégation.

Signé: Nahmias de Beauregard

;Guillaumes - Le château fort**

La Résistance dans le canton de Guillaumes, où la population a dû prendre les armes, n'a fait que ressusciter un instinct de défense que nos ancêtres avaient connu. Dès le XIVème siècle quelques citadelles et châteaux fortifiés sont élevés en des points névralgiques, commandés par le seigneur propriétaire ou un "castellan" dépendant du souverain, assisté en permanence de quelques hommes d'armes pour rassurer la population. En cas de danger des milices étaient levées dans le voisinage.

Vers l'An 1300, il y avait un "castellan" à Nice, Villefranche, Eze, Saorge, Guillaumes et La Turbie.

HISTORIQUE DU 1er REGIMENT D'ARTILLERIE

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Extraits de la plaquette

de la 1ère D.F.L.

(page 9)

Juin 1940 Désastre en France; lueur d'espoir venant d'Angleterre d'où le Général de Gaulle appelle à lui tous ceux qui veulent continuer la lutte. Les Français qui ont eu l'énergie et la chance de s'échapper de France, ceux qui se trouvent en Angleterre, évacués de Dunkerque où combattants de Norvège sont rapidement groupés, habillés, armés et installés au camp d'Aldershot. Dès le mois d'Août 1940, un corps expéditionnaire est constitué. L'artillerie fournit une section de deux canons de 75 m/m avec personnel, commandée par le Lieutenant Quirot et l'Aspirant Petitjean, une batterie de quatre canons de 75 m/m avec quelques hommes commandée par le Lieutenant Chavannac, le complément de personnel devant être trouvé en Afrique Noire. Le matériel, canons et tracteurs, est français et revient de Norvège. Le personnel se compose de gradés d'active ou de réserve, de trois ou quatre canonniers ayant déjà fait du service et d'une cinquantaine de jeunes recrues, étudiants, agriculteurs, employés qui se sont échappés de France. L'aîné le canonnier Paulet, 48 ans, licencié ès sciences a cinq enfants il sera un père pour tous ces jeunes et guidera leurs premiers pas dans la vie militaire en leur donnant à chaque instant l'exemple d'une valeur morale exceptionnelle. Si l'on demande l'âge du benjamin Sylva, tout le monde répondra dix-sept ans tout en sachant parfaitement qu'il s'est vieilli de plus d'un an pour pouvoir faire campagne. Paulet et Sylva trouveront la mort à Bir- Hacheim. Le 31 Août, le corps expéditionnaire des Forces Françaises Libres, le Général de Gaulle à sa tête, quitte l'Angleterre sur deux bateaux, le "Pennland" et le "Westernland ", le matériel est chargé sur des cargos. Des bateaux de guerre britanniques et français font partie du convoi. Après une courte escale à Freetown, le corps expéditionnaire se trouve devant Dakar. On escompte un accueil chaleureux: déception; les parlementaires sont accueillis par des rafales de mitrailleuses; une bataille sévère qu'il est inutile de prolonger s'engage entre les navires de guerre. Le corps expéditionnaire se rend à Douala au Cameroun, colonie qui vient de rallier la France Libre. C'est là que les artilleurs venant d'Angleterre font connaissance avec celui qui sera leur chef prestigieux: le Capitaine Jean-Claude Laurent- Champrosay… Le 3 Février 1945, la 1ère D.F.L. est sur le Rhin. Pendant quelques semaines encore, le Régiment monte la garde sur le fleuve effectuant des tirs de représailles en terre allemande pour répondre aux bombardements de Sélestat. Le 11 Février, à Saverne, l'étendard victorieux est présenté une nouvelle fois au Général de Gaulle . C'est maintenant aux environs de Sainte- Marie- aux- Mines que le Régiment se porte, par fractions, pour y goûter quelques jours de repos; et dès le 7 Mars, le voilà de nouveau en route pour les Alpes, cette fois, avec la Division tout entière. Plus que jamais il va s'y articuler en groupements séparés ET QUI COMPRENDRONT PARFOIS DES ELEMENTS ETRANGERS ET JUSQU'A DES CANONS PRIS A L'ENNEMI. Ce sont des opérations de caractère local qui seront entreprises en divers points du front des Alpes, pour fixer d'abord, battre ensuite un ennemi installé sur les crêtes, dans les forts et dans les hautes vallées qui bordent la frontière d'Italie. Au Nord, le Groupement du Commandant Crespin opère en Haute- Tarentaise à la fin de Mars par mauvais temps, puis se porte en Maurienne pour soutenir une demi-brigade de chasseurs, enfin, en Ubaye contribue à repousser l'ennemi jusqu'au Col de Larche. Le 10 Avril, le Lieutenant-Colonel Maubert soutient l'attaque de la 4ème Brigade pour prendre le Massif de l'Authion avec en position à Peyracava le Groupement Marsault (3ème groupe renforcé de batteries de tous les autres groupes) tandis qu'au Nord, le Groupement Morlon appuyant des éclaireurs-skieurs fait diversion par ses tirs en Haute- Tinée et en Haute- Vésubie et qu'au Sud le Groupement Chavanac opère sur la Riviéra Italienne: Tour à tour, les forts de l'Authion: La Forca, Mille- Fourches, Groupe Etranger d'Artillerie du G.A.S., Plan Caval, La Béole, tombent sous les tirs massifs d'obus explosifs et fumigènes. Puis les batteries sont déplacées et sur I même, occupent des positions acrobatiques et dangereuses, l'une d'elles à moins de mille mètres des Allemands; elles tirent sur Tende et San Dalmazzo en Italie. La vallée de la Roya est conquise. Le 25 Avril, c'est une dernière relève, par des éléments de montagne. Le Régiment est au repos dans la plaine où le trouve la capitulation de l'Allemagne. Deux pièces du Régiment en batterie sur la Place Masséna à Nice, tirent les 101 coups de canon de la Victoire. La campagne du 1er Régiment d'Artillerie est terminée. Devenant le 1er Régiment d'Artillerie Coloniale, il prend jusqu'au 30 Mai un repos mérité, puis fait mouvement vers la région parisienne. Le 18 Juin 1945, avec ses quatre groupes et tout son matériel, guidé par le Colonel Bert qui l'a commandé pendant toute la campagne de France, il passe sous l'Arc de Triomphe de l'Etoile et défile devant le Général de Gaulle , à qui pendant cinq ans, dans les pires moments de la tourmente, il a toujours répondu "Présent".