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L'oeuvre de Michel El Baze: Les guerres du XXe siècle à travers les témoignages oraux   





Marcel ALLIBERT
Le Sang des Garrigues

Faire face dans l'honneur!
GUERRE 1939 - 1945

Témoignage

Résistance dans les Basses-Alpes

P.S.: Nul plan directeur n'articule un récit volontairement anecdotique, les faits et les personnages s'entremêlant au hasard des émergences de la mémoire, au sein d'une histoire par sa nature même, protéiforme. La subdivision en"années maîtresses"restitue l'ambiance.

Mr. Marcel ALLIBERT, evdg
alias
Marcel DUMAS, Henri de VOMANOSQUE, Paul PEYROLLES
Commandant-adjoint civil et militaire et Chef des Corps Francs du District D.3 de l'Armée Secrète des BASSES-ALPES
Chef du Réseau Autonome de Renseignement, Evasion et Action"PHENIX"
Officier de Liaison et Envoyé Spécial du Chef National Adjoint de l'Armée Secrète, Henry MALACRIDA
Officier F.F.I. homologué - Chargé de Mission F.F.L.
Croix de Guerre, Etoile d'Argent pour faits de Résistance
Croix et Médaille du Combattant et du Combattant Volontaire de la Résistance
Médaille Commémorative des Forces Françaises Libres

 

POSTFACE de Michel EL BAZE

Exclu de l'Ecole Primaire Supérieure d'Aix-en-Provence pour propagande hostile à l'Etat français, Marcel Allibert s'engage dans l'Armée Secrète et consacre alors sa jeunesse à la Résistance, d'abord comme organisateur de chaînes d'évasion de France, puis de ravitailleur des maquis des Basses-Alpes pour prendre part ensuite à tous les combats pour la Libération du Pays comme Chef des Corps-Francs de l'Armée Secrète du Secteur de Forcalquier. Cité à l'Ordre de la Division, sa Croix de Guerre, dit-il aujourd'hui, l'autorise à dire et écrire"le vrai sans se soucier des impacts hostiles". Excluded from the Upper primary school of Aix en Provence because of hostile propaganda activities against the French state, Marcel Allibert joins the secret army and dedicate his youth to the Resistance, first of all as an organiser of chains of evasion in France, then supplier of the maquis in the Basses Alpes, to take part eventually in all the fighting for the liberation of the country as head of the Corps Francs of the secret army of Forcalquier. Promoted to the order of the division, his Croix de Guerre, he is saying today allows him to tell and write"The truth without setting store by the hostile impacts".

AVANT-PROPOS DU TEMOIN

Les combattants de l'ombre, soldats d'une armée clandestine qui se voulait secrète pour une efficacité meilleure, n'eurent ni le goût ni le loisir de tenir à jour des archives exhaustives ni des chroniques détaillées de leur aventure, donc de préparer un matériau scientifique pour le chercheur, l'historien ou le jeune étudiant. Près d'un demi-siècle s'est écoulé. Il devient indispensable de jeter sur le papier, comme un naufragé lance à la mer sa bouteille, le témoignage vécu des faits et gestes que la mémoire, pas encore sénilisée, a pu retenir en filtrant l'essentiel. C'est par la juxtaposition de ces témoignages, par leur recoupement, que l'Histoire de la véritable Résistance pourra peut-être un jour émerger des amas d'affabulations qui l'ont trop souvent déformée, défigurée, parfois même déshonorée. Si j'apporte ma pierre à l'édifice, ce n'est ni vanité, ni outrecuidance, ni opportunisme: j'ai passé l'âge des hochets et la quête des satisfecit n'est pas mon objectif. Mais trop de faux patriotes, par la suite comblés d'honneurs, de prébendes, de puissance - eux qui avaient collaboré à lèche-cul avec l'ennemi - ont parlé, écrit, ratiociné sur une Résistance dont ils n'ont vécu, au mieux, (pour ceux qui jugèrent habile de pratiquer un subtil et équivoque"double-jeu") que quelques mois, quelques semaines, quelques jours, quelques heures même parfois, au moment où il fut avéré que la Résistance était triomphante, pour tenter d'effacer quatre années de leur servilité envers l'Occupant!… Trop de ces faquins ont acquis des pouvoirs exorbitants au sein des deux dernières Républiques, pour que les authentiques combattants de l'Armée de l'Ombre restent à tout jamais silencieux, leur silence dût-il n'être que mépris… ce qu'il fut jusqu'alors! Car ce que nous avons fait avec nos camarades, aux heures noires de la Clandestinité, c'était tout simplement et bonnement notre Devoir, ce qui ne demandait aucune publicité. Par contre, notre Honneur - et sur ce point aucun compromis n'est concevable - réside dans l'acte de Volontariat que nous avons accompli: Rien ni personne ne nous contraignait au combat, sinon la présence sur notre sol de l'ennemi vainqueur (qu'il eut été tellement plus facile de servir!) et, comme l'a déclaré le Général de Gaulle, la conviction qui nous animait de défendre"une certaine idée de la France". Avec le recul des années, ce qui me frappe dans la qualité de ces Résistants que j'ai bien connus, les survivants comme les disparus, c'est qu'ils appartenaient - sauf rares exceptions - à ce bon vieux Tiers État des humbles, des mal pourvus: instituteurs, professeurs, petits avocats, facteurs, postières, téléphonistes, paysans pauvres des montagnes, restaurateurs, ingénieurs, meuniers, étudiants, mineurs, dactylos, mères de famille, réfugiés sans travail ni foyer, ouvriers, docteurs, jeunes sans avenir assuré, proscrits, traqués, tous des petits, des obscurs, pas des traîne-savates, mais des"bons serviteurs"de la Patrie. Tous ont subi la faim, le froid, la peur… certains la torture… jusqu'à en souffrir longtemps dans leur chair et parfois même à en mourir. Mais ceux qui ont survécu à la tourmente avaient transcendé leurs souffrances en un merveilleux Espoir, leur peur en un miraculeux Courage de la fuite-en-avant qui fut souvent héroïque! De leur rédemption par la douleur, ils firent leur libération qui devint la Libération de tout un Peuple asservi. Surtout, ils avaient en commun, par-delà les passions politiques, religieuses, philosophiques, le sens de l'Honneur, qui implique le goût du Devoir et l'acceptation du Sacrifice. Ils avaient aussi - et peut-être au-dessus du raisonnable - l'Amour de la France, fussent-ils Espagnols, Polonais, Italiens, Arméniens, Arabes, Français des quatre azimuts, du Centre ou des Marches, îliens Corses, Chrétiens, Juifs, Musulmans, Laïques ou Franc-Maçons. Leur aurait-on ouvert le coeur qu'on y eut trouvé, gravé à côté du flamboyant Liberté, le mot France. Alors... Quand je vois, j'entends, je subis les rodomontades de certains arrivistes tirant argent sonnant d'un risque imaginaire de racisme ou d'antisémitisme en France! En France, terre d'asile des opprimés de toutes races et de toutes confessions! En France, où depuis bientôt 2000 ans, l'Etranger plus et mieux que l'Autochtone et que partout ailleurs dans le monde est propulsé au faîte des honneurs, de l'argent, de la puissance!… Une envie incoercible me saisit de leur clamer en face: "- Où étiez-vous, vous ou les vôtres, lorsque les hordes nazies hitlériennes et fascistes mussoliniennes pillaient et violaient le pays d'asile où vous vivez grassement? Vous contentiez-vous de regarder, de craindre, de subir? Qu'avez-vous fait pour les combattre? Si vous n'étiez pas, vous ou les vôtres, dans la Résistance authentique, si vous n'avez pas lutté à mains et poitrine nues d'abord, la mitraillette et la grenade au poing ensuite, alors, au nom de la France souffrante, au nom de la France résistante, en son nom: taisez-vous!"."Il y aura toujours en France suffisamment de patriotes respectueux du Droit de l'Homme pour que - sauf du fait de l'étranger vainqueur Occupant que n'arrêteraient ni vos Ligues, ni vos Lois - le racisme soit combattu, muselé, proscrit. Il n'est besoin ni de Lois, ni de Ligues qui sont offenses pour nos martyrs et pour la légendaire hospitalité de notre Peuple." C'est certainement ce que leur auraient dit nos femmes et nos filles de la Résistance, qui accueillaient au pauvre foyer de leur pénurie, au risque de mort ou de torture et de déportation, tous les traqués, sans distinction de croyance, de doctrine, de couleur de peau… qui, en outre, savaient soigner, consoler, apaiser, réconforter, se dévouer, elles qui n'ont connu de l'Armée de l'Ombre que le Devoir, si rarement les honneurs, mais qui en furent l'Honneur, plus encore - de ce fait - que les hommes! C'est ce détestable contexte de notre Histoire contemporaine qui exige que soit brisé le mur du silence. Que des témoignages authentiques fassent enfin litière de tous les arrivismes, de toutes les exploitations éhontées d'une saga qui fut contée, en lettres de sang, en larmes de rage, par d'autres, par de braves gens. The fighters of darkness, soldiers of a clandestine army which claimed to be secret for a better efficiency, had neither the will nor the opportunity to keep exhaustive archives up to date, nor detailed diaries of their adventures, to prepare therefore some scientific material for the researcher, the historian, or the young student. More than half a century has gone by, it becomes indispensable to put down on paper, just like a shipwrecked fellow would cast his bottle at sea, the actual testimony of facts and actions that the memory not yet impaired by old age, manage to retain filtering only the essential. It is by putting together those testimonies, by their cross checking that the History of the actual Resistance movement may one day be able to come out of the mass of lies that too often distorted it, disfigured it, sometimes even dishonouring it. If I add my contribution to this building it is not out of vanity, nor pride, nor opportunism, I have gone past the age of playing around, and receiving satisfecit is not my objective. Too many would be patriots, later on received honours, sinecures, powers, those very persons who vilely collaborated with the enemy, talked, wrote, expatiated on a Resistance movement which they only knew at best (for those who thought it was cunning to play a subtle and equivocal double game) for a few months, a few weeks, a few days, a few hours even sometimes at the moment when it turned out that the resistance movement was triumphant, to try to blot out four years of servility toward the occupying forces!.. Too many of those rascals acquired huge powers within those last two republics, for the authentic fighters of the army of darkness to remain for ever silent, even if their silence was only made of contempt... That's what it was until then! Because what we did with our companions, during the dark hours of the Clandestinity, it was simply and only our Duty, it did not require any publicity. On the other hand, our Honour, and in that respect there is no possible compromise, lays in the Voluntary actions that we accomplished, nothing, nor anybody was forcing us to fight, only the presence on our soil of the conquering enemy, (and it would have been so much easier to serve them!), and how had said the General De Gaulle, the idea that was animating us to defend"a certain idea of France". After so many years gone by, what strike me in the quality of those resistant that I knew well, those alive as well as those who died is the fact that they belonged to that good old class of common people, poorly gifted by life, school teacher, teachers, small lawyers, postmen, and women, telephonists, power mountain countrymen, restaurants owners, engineers, millers, office clerks, house wives, refugees without work nor accommodation, workers, doctors, young people with no future in sight, outlawed, chased, all small and obscure people, they were softy lot but"good servants"of the nation. They all endured hunger, cold, fear... some of them torture... up to the point of suffering deeply from it in their flesh, some even reached the point of dying. But those who survived the turmoil, had transformed their sufferings into a marvellous hope, their fear into a marvellous go ahead courage which very often was exceptional! Of their redemption from pain they made a liberation which in turn became the Liberation of a whole People reduce to slavery. Above all, they had in common, beyond the political, religious and philosophical passions, the sense of honour, which implies a taste for duty, and the acceptance of sacrifice. They also had, -perhaps beyond reason-, the love for France, whether they were Spanish, Polish, Italian, Armenians, Arabs, French from all areas, from the center, from the border country, Corsicans, Christians, Jews, Muslims, Lay people, or Free masons. If we had opened their heart, we would have found engraved next to the flamboyant liberty, the word France. So... When I see, hear, or have to put up with the fuss made by some go betters who draw some immediate profit from an imaginary risk of antisemitism or racism in France! In France, a land of asylum for all the oppressed from any race, or religion! In France, where for more than 2000 years, the foreigner, more and better than the locals, and than in any other country in the world, is pushed toward the acme of honours, richness, and power!.. An irresistible urge grips me to shout in their face: -"Where were you, you and your lot when the Nazi Hitlerian hordes, and fascist Mussolinians, were looting and violating the land asylum where you live lavishly. Were you only looking, dreading, and suffering? What have you done to fight against them? If you were not you and your lot in the authentic resistance movement, if you have not fought with bare hands and breasts first, with the machine gun and hand grenade afterwards, so in the name of the France that suffered, in the name of the France that resisted, in its name, please keep quiet!"-"There will always be in France, enough patriots respectful of human rights, in order - except from the fact of the occupying stranger, conqueror, that neither your leagues, nor you laws could stop - for racism to be fought, muzzled, proscribed. No leagues, nor laws are needed for they are as many offences to our martyrs, and for the legendary hospitality of our people." This is certainly what our women our girls from the Resistance movement would have said, them who used to greet in their poor dwellings in dearth, risking death, torture, deportation, all those chased, without distinction of beliefs, doctrines, colour of the skin... who, moreover could cure, comfort, calm down, devote themselves, them who knew of the Army of Darkness, only the Duties, so rarely the Honours, but which honoured it even more than men in that respect! It is this detestable context of our contemporary history that demands that the wall of silence be broken. May some authentic testimonies clear away at last all the ambiguous ambitions, all the shameless use of a saga that
was told in letter of blood, letters of rage, by others, by good people.

 

SOMMAIRE

LIVRE I

LA MEMOIRE

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TABLE

- 1941: le Verbe   #LE_VERBE
- 1942: l'Organisation   #L-ORGANISATION
- 1943: l'Action   #L-ACTION
- 1944: le Glaive    #LE_GLAIVE
Jusqu'au 8 Juin 1944
Du 6 Juin au 19 Août 1944
6 - 7 - 8 Juin 1944
8 Juin 1944-9 Juin 1944
10 Juin - 15 Juillet 1944
6 - 9 Juillet
16 Juillet 1944
17 Juillet - 14 Août 1944
15 - 19 Août 1944
19 Août au matin
22 Août - Septembre 1944
- Conclusion    #CONCLUSION

LIVRE II

DOCUMENTS

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- Diplôme du Chargé de Mission de 4ème classe ALLIBERT signé: Charles DE GAULLE
- PHOTOS des Maquis et Corps-Francs du District D.3. de l'ARMEE SECRETE des BASSES-ALPES:
1: Lieutenant CANDELIER René, alias RENAUD chef militaire du District
2: Sous-Lieutenant ALLIBERT Marcel, alias DUMAS Commandant-Adjoint civil et militaire du District
3: Quelques maquisards à la ferme EMBLARD de SIGONCE
4: Sous-Lieutenant ALLIBERT (AIX - 1944)
5: Sous-Lieutenant ALLIBERT (AVIGNON, en mission près le Général COCHET, Septembre 1944)
- Montage d'une partie du Corps-Franc"PHENIX"de l'A.S. 42 de FORCALQUIER - SAINT-MAYME exécuté à partir de photos d'identité, en Septembre 1944.
- Demande du Colonel PAVELET Secrétaire Général de la Commission d'Homologation des Unités Combattantes de la Résistance (13 Mars 1958).
- Réponse de M. ALLIBERT à la demande du Colonel PAVELET
- Copie du Rapport des Activités de M. ALLIBERT dans la Résistance, adressé au Colonel PAVELET le 24 Mars 1958, en réponse à sa demande du 13 Mars.
- Organigramme du District D.3. de l'ARMEE SECRETE BAS-ALPINE 49
- Copie de la Lettre manuscrite de H. MALACRIDA annonçant la citation à l'Ordre de la Division (Croix de Guerre avec Etoile d'Argent) à M. ALLIBERT
- PHOTOCOPIE de la dédicace du Président du G.P.R.F. Félix GOUIN à M. ALLIBERT
- Diplome de la Médaille Commémorative des Services Volontaires FRANCE-LIBRE, attribuée à M. ALLIBERT
- Citation
- La Croix de Guerre

 
1941: LE VERBE
#TABLE

J'ai joui de la chance précoce et de l'insigne honneur d'avoir pour professeur de Lettres et de Droit Henri MALACRIDA, garibaldien par filiation, socialiste et franc-maçon de haut grade, qui a illuminé mon adolescence par sa bonté charismatique et son idéologie d'un républicanisme intransigeant, plaçant au-dessus de toutes valeurs l'Equité, la Liberté et la Fraternité humaines… sans négliger le courage! Il fut exclu de l'Enseignement en 1941 par le gouvernement de VICHY, en fonction de son appartenance au"GRAND ORIENT DE FRANCE". Je fus exclu la même année de l'Ecole Primaire Supérieure d'AIX (la SUP, comme nous l'appelions dans notre argot de potaches) pour propagande anti-allemande et anti-vichyste, ceci contre l'avis unanime du Conseil des Professeurs, mais sur ordre formel et impératif de l'inspecteur primaire BERNAMONTI de l'Académie d'AIX-MARSEILLE. Ayant au même moment réussi au concours d'entrée à l'Ecole Normale, je présentai aussitôt ma démission pour me consacrer librement à la Résistance. Notre amitié indestructible avec MALACRIDA, qui perdure dans notre affection réciproque avec sa veuve Madeleine, date de 1941, quand s'abaissait la barrière qui sépare le maître de l'élève, alors que nous luttions au coude-à-coude pour le Mouvement"COMBAT"puis pour l'ARMEE SECRETE. Il me nomma son officier de liaison et son envoyé spécial en ROUSSILLON d'abord, en HAUTE-PROVENCE ensuite… Titres bien honorifiques pour les fonctions que je remplissais au début, qui consistaient en collages de tracts anti-nazis, transports de messages entre Résistants, puis distribution de journaux clandestins (COMBAT, FRANC-TIREUR, LIBERATION, LE POPULAIRE) au fur et à mesure que des imprimeurs lyonnais non moins clandestins les éditèrent et auprès desquels MALACRIDA se les procurait pour les ramener à AIX. Il s'y ajouta très vite"l'ACTION N.A.P."qui avait pour but de noyauter les administrations publiques en recrutant dans leur sein des adeptes de la Résistance naissante et aussi de réussir à convaincre des" COMPAGNONS DE FRANCE"et des"Légionnaires"du Maréchal PETAIN fourvoyés, de changer de camp. Nous nous y sommes employés à fond. Cela représentait force kilomètres à parcourir sur un vieux vélo aux pneus usés jusqu'à la trame. D'autre part, il fallait vivre: manger, boire, dormir, se vêtir, tous problèmes cruciaux pour les désargentés à cette époque de pénurie aiguë. Trop pauvres, mes parents ne pouvaient subvenir entièrement à mes besoins et je ne pouvais occuper dans la maison familiale la place d'un proscrit dès lors que le foyer parental devenait un asile de choix pour les traqués de la police vichyste, puis de la Milice et de la Gestapo. Déjà, en 1941, des réfugiés républicains espagnols y trouvaient le gîte et le couvert et l'un d'eux, le señor Lopez ORTIZ Y SANTIAGO, ancien commandant en chef des Transports de l'Armée de l'EBRE, modèle magnifique du soldat sans peur au sang-froid imperturbable, dormait dans ma chambre tandis que je couchais dans un réduit attenant à la cuisine. Plus tard devaient lui succéder trois anciens de la SUP d'AIX: Armand COLLOMB, Paul-Charles DEODATO et Lucien ROSTAGNE, réfractaires au S.T.O. (Service du Travail Obligatoire en ALLEMAGNE)… puis un fourreur juif d'AVIGNON dont la femme et les enfants dormaient dans la vaste chambre de mes parents… également un commandant des F.F.L. (Forces Françaises Libres du Général DE GAULLE) parachuté à LYON avec sa femme Yvette (enceinte!) et son poste radio-émetteur, qui avaient miraculeusement échappé à la rafle de la Gestapo qui prit FRENAY (alias TAVERNIER)… et encore bien d'autres dont mes parents eux-mêmes ne connaissaient pas toujours l'identité, mais que MALACRIDA avait aiguillé sur eux avec le mot de passe:"Je viens de la FONTAINE des QUATRE DAUPHINS". Vivre, donc, ce fut pour moi d'abord travailler… Au début comme dessinateur chez un oncle architecte, Léopold BUSQUET, en AVIGNON où je nouai quelques contacts utiles pour la Résistance, trop peu nombreux à mon gré… ensuite, et en accord avec MALACRIDA et le commandant Lopez ORTIZ, comme barman au BOULOU, près du PERTHUS, chez mes cousins Pierre et Sarah DOSIO qui y tenaient l'hôtellerie CATALANE. Des amis locaux du señor Lopez ORTIZ m'aidèrent à y créer le R.A.R.E.A. (Réseau Autonome de Renseignement, Evasion et Action)"PHENIX", qui eut la possibilité de faire passer en ESPAGNE quatre-vingt-dix-huit patriotes des deux sexes, les uns désirant rejoindre LONDRES ou ALGER via le PORTUGAL pour y combattre l'Allemand, les autres, des Espagnols qui rentraient dans l'ombre en CATALOGNE pour y poursuivre la lutte contre le régime du Général FRANCO, Caudillo des Espagnes, leur ennemi numéro un. Ces passages m'étaient très éprouvants, car si mes" passagers"rejoignaient le PERTHUS en car, je m'y rendais sur mon toujours plus vieux vélo… et le col était rude à grimper! Là-haut, nous devions attendre la nuit pour user d'un itinéraire qu'un malicieux hasard m'avait fait découvrir … spéculer sur la bonne foi de douaniers complices et de gardes-mobiles familiers de l'Hôtellerie Catalane où, en échange de leur cécité temporaire et des renseignements divers qu'ils nous fournissaient, ils trouvaient à s'abreuver à bon compte! Mais que d'émotions lorsque, l'un suivant l'autre, je guidais mes" passagers"par des sentiers muletiers menant vers LA JUNQUERA, jusqu'à ce que le cri d'un hibou quatre fois modulé m'assure que l'Espagnol de relève allait les prendre en charge! Que d'émotions, car nous n'étions pas les seuls oiseaux de nuit sur ces sentiers pyrénéens: outre l'irruption toujours possible de douaniers ou de guardias civiles espagnols, il y avait les contrebandiers. J'ai encore en mémoire la cavalcade, certaines nuits sans lune, de mulets bardés d'étoffes (les tissus se faisaient rarissimes en FRANCE) que des contrebandiers faisaient dévaler à grands gestes et coups de triques… alors que tapis derrière des buissons et grelottants de froid (et de peur aussi nous nous faisions petits, tout-petits, ces gens-là ayant la navaja prompte lorsqu'ils craignaient que leur fructueux trafic soit découvert! Quand ils arrivaient sains et saufs, les uns au PORTUGAL, les autres en CATALOGNE, nos patriotes évadés écrivaient un bref billet:"notre enfant est bien arrivé. Nous l'appellerons PEDRO"-"nacimiento del niño. Se llamara PEDRO"- Ce billet me faisait retour par l'itinéraire inverse et j'avais ainsi l'assurance que les protégés de MALACRIDA (Francs-Maçons, Juifs, socialistes Belges ou Français) ou les Espagnols du señor Lopez ORTIZ, avaient atteint leur but. Le futur président du Gouvernement Provisoire de la République Française, Félix GOUIN, paya un lourd tribut dans les geôles franquistes du camp de MIRANDA, avant de pouvoir rallier ALGER, pour avoir fait confiance à des passeurs traîtres de Bourg-Madame. Ce fut d'autant plus absurde qu'il connaissait, par mes parents comme par MALACRIDA, mes activités de"passeur", mes pseudos Henri de VOMANOSQUE et Paul PEYROLLES, et le bon fonctionnement de notre filière d'évasion qui fut sûre, jusqu'au bout, à cent pour cent.


#TABLE

1942:
L'ORGANISATION

Dès Juillet 1942, les"passages"au PERTHUS se raréfient: Ni Lopez, ni MALACRIDA ne m'envoient plus beaucoup de candidats. Pressentant que des évènements importants se préparent, je brûle d'envie de rejoindre, à mon tour, LONDRES et les F.F.L.… après avoir, toutefois, revu mes parents, pris langue avec MALACRIDA et convaincu le señor Lopez ORTIZ de prendre à sa seule charge les évasions par le R.A.R.E.A."PHENIX". Ayant doté mon vélo de pneus et chambres neufs (grâce à mes pourboires de barman, car le"marché noir"des pneus est fort coûteux!) je pars seul, un petit matin d'été, pour ma"grande étape"cycliste digne des TOURS DE FRANCE de jadis: le BOULOU-PEYROLLES où j'arrive à la nuit tombée, épuisé par ce pédalage solitaire sur cinq départements. La joie des retrouvailles avec mes parents d'abord, avec Lopez ensuite, avec MALAC, enfin - comme nous l'appelions par amitié - fut douchée par son refus formel de me laisser partir pour LONDRES"à l'heure où toutes les forces vives de la Résistance intérieure doivent se regrouper sur le sol de la Patrie, car c'est en FRANCE que le combat déterminant pour l'avenir de la nation doit être livré et le sera!". J'enterrai mon rêve de départ outre-manche - contre promesse d'un rattachement du Réseau"PHENIX"aux F.F.L. - et acceptai l'ordre de servir en Provence. D'ailleurs, le travail n'y manquait pas: Au Puy-Sainte Réparade, l'instituteur Jean FRANCHI avait créé un très bon groupe d'action… à MANOSQUE, le conseiller général socialiste Louis MARTIN-BRET, bien épaulé par le cabaretier Jean VIAL() avait mis sur pied une organisation de l'Armée Secrète qui rayonnait sur les BASSES-ALPES, avec le noyau dur de SIGONCE pris en charge par l'instituteur Marcel ANDRE et celui de VOLX par le cultivateur MERENTIE… à FORCALQUIER, Denis ROSTAGNE, grand mutilé de la guerre 14-18, mettait en place, aidé par Emile GIRARD, le meunier de MANE et quelques paysans amis, une clandestinité musclée mais un peu autonome, qu'il paraissait souhaitable à MALAC' d'intégrer ultérieurement à celle de MARTIN-BRET… A PEYROLLES, les Espagnols du commandant Lopez ORTIZ se regroupaient derrière le capitaine Rosendo GUIJARRO en vue de placer un élément armé vers MIRABEAU et mes parents continuaient leur Résistance-Accueil… A AIX, MALAC' avait étoffé son système avec des agents de liaison tels AILLAUD, FAURY, FANNY, DEODATO, COLLOMB et bien d'autres qui me pardonneront (peut-être! de n'avoir plus leurs noms en mémoire. Une inscription à la Faculté de Droit d'AIX pour une année de Capacité (fictive) me permit d'obtenir une carte d'étudiant, précieuse en cas de contrôle policier et comme ma bourse s'était un peu garnie lors de mon stage hôtelier du BOULOU, je n'étais plus une charge pour mes parents et je pus reprendre, aux côtés de mes camarades, notre travail de liaison. Pour laisser libre aux Résistants de passage ma chambrette familiale, je transportai mes pénates dans un vieux cabanon voisin d'une pinède propice à une fuite silencieuse en cas de menace d'arrestation: cela devint mon"studio".
Novembre 1942. Le 11, anniversaire de l'Armistice de 1918, les armées nazies allemandes et fascistes italiennes envahissent la zone Sud, jusqu'alors prétendue"libre", en représailles du débarquement américain en AFRIQUE du Nord. Le 27, la Flotte française se saborde à TOULON. L'impact de ces événements est considérable sur la Résistance en Provence: conciliabules, réunions d'urgence, messages, ordres et contre-ordres… un bouillonnement vital, une agitation fertile, la preuve d'un élan trop optimiste - comme l'Histoire le montrera de manière sanglante par la suite - autour de notre MALAC' qui savait que la propagande allait laisser la place aux armes, le Verbe au Glaive… et dont nous attendions tous qu'il nous ordonnât de participer de toutes nos forces au miracle de la Résurrection violente de la Patrie. C'est au cours d'une liaison sur AIX que je vis"mon"premier char allemand et que j'assistai, la rage au coeur, à une scène d'humiliation que je ressens encore: une jeune femme, qui se disait Française offrant un bouquet de fleurs à des officiers allemands et italiens dont les troupes faisaient jonction au pied de la GRANDE FONTAINE de la ville! Seule consolation: la foule des vaincus était bien clairsemée pour applaudir leurs vainqueurs… On était loin des cohues joyeuses des carnavals d'antan! J'avais recruté peu de temps auparavant une jeune téléphoniste aux P.T.T. d'AIX, Malou GROULIER, qui devait nous rendre d'inestimables services: liaisons avec MALAC' et le restaurateur LAMOUR, obtention (en"priorité-Gestapo", s'il vous plaît!) de communications téléphoniques AIX-FORCALQUIER, mise en sacs postaux de courriers semblant provenir d'ALLEMAGNE, renseignements au bénéfice du Réseau"PHENIX"obtenus en faisant parler des officiers allemands logés d'office chez ses parents (moral de leurs troupes, échecs en U.R.S.S. et en Méditerranée, mutations prochaines, etc). Elle devait, à la Libération, épouser un Américain et devenir Mistress O'CARNOHAN. La date exacte m'échappe, mais c'est dans cette même"plage"de notre histoire que je fus chargé de transmettre d'AIX à MANOSQUE, de MALAC' à MARTIN-BRET, le message annonçant la capture à LYON, par la Gestapo, du Chef national du Mouvement"COMBAT", FRENAY alias TAVERNIER, les consignes de"mise au vert"pour les responsable de l'Armée Secrète des BASSES-ALPES et le nouveau pseudo de MALACRIDA, APELLE, annulant les précédents: FONTAINE et DETRE. L'histoire de ce message, par son caractère pittoresque, mérite d'être contée en détail. Ecrit de la main même de MALAC', nous hésitons longtemps et contradictoirement lui et moi sur la meilleure cachette possible pour son transport. Je finis par avoir gain de cause et le glisse, plusieurs fois replié, sous les allumettes d'une petite boîte que je portais dans une poche de mon pantalon de golf. Me voilà pédalant vers MANOSQUE lorsque je butte à l'improviste sur un barrage"volant"allemand, dans la montée de VENELLES. Merde! Trop tard pour faire demi-tour ou m'échapper latéralement. Il faut prendre la file surveillée par un soldat de la Wehrmacht, mitraillette sous le bras. Mon tour arrive: - Papiers! Ma carte d'étudiant en Droit fait bonne impression, mais" fouille au corps"cependant. Les grosses pattes du fouilleur ne sentent rien de suspect On en arrive à mon porte-cigarettes contenant cinq ou six malheureuses CELTIQUES dont le gros module permettait de rouler trois cigarettes en récupérant les mégots. Le sous-officier allemand fouilleur en écrase une, puis une autre sous ses doigts velus. C'en est trop! J'explose d'une sainte colère: - Pas la peine de gâcher du tabac si rare! Bon dieu! Fumez-en plutôt une, au lieu de la gaspiller! Eberlué, le soudard en porte une à sa gueule. Je lui offre du feu en grattant une allumette sur la boîte sortie de ma poche pas encore fouillée. Il aspire, souffle: Nous prélevions timbres et même bandes de censure sur des lettres de prisonniers de guerre à leurs familles, terminions les cachets postaux à l'encre de Chine délayée sur des enveloppes vierges dans lesquelles nous glissions des récits de notre soi-disant séjour outre-Rhin, laudatifs pour les Allemands et injurieux pour les Alliés. De la sorte, bien des parents de Résistants à qui facteur ou postière remettait tout naturellement ces courriers, leur servant ainsi de témoin, échappèrent aux représailles de la Gestapo. - Ach! Pon tabak! Il a un rire satisfait. - Herhauss! Fous le camp! me vomit-il. Je remets dans ma poche la boîte d'allumettes porte-message et, lentement, car l'émotion m'a coupé les jambes, je repars, repérant au passage, couché dans le fossé du bord de route, un tireur derrière son fusil mitrailleur en batterie et son pourvoyeur bien placé: malheureux ceux qui voudraient forcer le barrage en fuyant! Ils n'iraient pas loin vivants. Jusqu'à MANOSQUE, rien d'autre. Là, je reconnais la blanchisserie-teinturerie où je dois trouver MARTIN-BRET. Or, ce dernier ne m'a jamais vu et MALAC' ne m'a pas donné de mot de passe. L'affaire s'annonce mal! Dénégations des dames et demoiselles qui me reçoivent: - Nous ne connaissons pas ce monsieur! Têtes de jeunes hommes qui apparaissent puis disparaissent dans l'arrière-boutique après m'avoir scruté! Et le temps qui s'écoule, alors qu'il faut que je regagne PEYROLLES avant le couvre-feu! Je cite aux dames tous les noms de socialistes résistants que je connais… Enfin, on me reçoit dans l'arrière-salle où je reconnais MARTIN-BRET au portrait détaillé que m'en a fait MALAC'. J'ouvre ma boîte-message en faisant choir une partie des allumettes et tends le message à MARTIN-BRET: - Il est écrit de sa main, mais non signé. Vous devez reconnaître son écriture. Heureusement que je ne l'ai pas avalé après l'avoir appris par coeur, comme prévu en cas de danger! Les gars qui entourent le chef de l'Armée Secrète des BASSES-ALPES ont des regards aussi peu amènes que possible: je risque, là encore, de passer un mauvais quart d'heure! MARTIN-BRET lit, puis m'interroge: - Pas de mauvaise rencontre? Personne qui t'ait suivi jusqu'ici? Où habites-tu? Je lui raconte brièvement l'affaire du barrage de VENELLES, j'enchaîne sur mon père qu'il se trouve avoir connu lors du congrès du Parti Socialiste. Ouf! On m'offre sur le pouce un verre de rouge dont j'avais bougrement besoin. Les"gardes"de MARTIN-BRET ont maintenant des regards humains, presque fraternels. J'explique ma hâte de rentrer avant le couvre-feu. Ils comprennent. On me laisse filer… et je parviens enfin à mon"studio", claqué, vidé, à bout de nerfs… où je m'endors tout habillé, avec en dernière image cohérente, le bon sourire de MARTIN-BRET dont je ne sais pas encore qu'il va devenir un héros et un martyr de la Résistance, mais dont j'ai soudain l'intuition qu'il m'a adopté comme ami.

 

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1943: L'ACTION

L'année 1943 est celle de la mise en oeuvre du S.T.O. allemand qui malgré la récente création de la MILICE de DARNAND étoffant le S.O.L. (Service d'Ordre Légionnaire) de PETAIN, devint par effet boomerang de multiplication des" réfractaires"qui s'y soustraient, le grand pourvoyeur des Maquis, avec en outre les désertions des Chantiers de Jeunesse du général DE LA PORTE DU THEIL et le volontariat de mineurs polonais, de transfuges de l'armée italienne et de jeunes ou vieux Français de toutes conditions… sans rejeter dans l'oubli nos dynamiques réfugiés espagnols. A la fin du printemps, comme tant de jeunes de la classe 43/1, je fus convoqué aux Chantiers de Jeunesse dans le JURA, puis requis pour le S.T.O. C'était beaucoup pour un même garçon! Je devins donc tout naturellement insoumis aux Chantiers de Jeunesse et réfractaire au S.T.O. Obligé de ce fait de changer d'identité, je pris le nom de ma mère, DUMAS, pour lequel MALAC' me fournit des faux papiers avec lieu de naissance à FEZ, alors occupé par les Américains, ce qui coupait court à toute vérification par l'ennemi. MALACRIDA désirant de plus en plus le ralliement du groupement ROSTAGNE de FORCALQUIER à l'organisation MARTIN-BRET de MANOSQUE, profita de l'occasion et me chargea de préparer l'opération, car le fils ROSTAGNE avait été mon condisciple à la SUP d'AIX et nous ne doutions pas que son père lui avait évité le départ en ALLEMAGNE. Je pars à vélo pour FORCALQUIER où Denis et Malvina ROSTAGNE me reçoivent comme leur propre fils, Lucien, dont ils m'avouent assez vite qu'il est là, caché chez eux! On se revoit avec joie: tout devient simple, Lulu va partir chez mes parents à PEYROLLES et moi je prendrai sa place ici à FORCALQUIER. C'est ainsi que je m'installais, sous le nom de Marcel DUMAS, dans la CITE DES QUATRE REINES où mille complicités me permirent de subsister de Mai 1943 au 6 Juin 1944: pompiste, puis dessinateur aux Ponts et Chaussées, j'appréciais l'aide constante et désintéressée des ingénieurs LAUGIER, HUGUES et DANTU, l'affectueuse camaraderie du dessinateur Maurice MAGNAN et de la dactylo Denise LAURENT, l'aide plus bourrue mais non moins efficace que m'apportèrent les cantonniers et leurs chefs d'équipe. Les"Ponts", comme nous appelions ce qui est devenu"L'EQUIPEMENT", étaient un véritable nid de résistants, tous complices de ROSTAGNE, le grand mutilé de l'autre guerre où il avait perdu ses deux jambes. Quel monument que cet homme à la poitrine d'aurochs, au visage grêlé, grognon, ronchon, abrupt, rugueux, droit et ferme sur ses prothèses et ses deux cannes, avec un coeur grand comme une montagne! Et son épouse, fluette, effacée, menue, de santé précaire mais d'une obstination et d'un courage hors du commun! Plus d'un an, je partageais leur vie, recevant avec eux réfractaires et maquisards de passage ou en mission… ravitaillant de nuit les maquis de la LAYE abrités près du MOULIN BAS sur la route de BANON… participant aux divers coups de main du maquis de la ferme EMBLARD de SIGONCE que dirigeaient le sarrois Georges SCHNEIDER et son adjoint Maurice BENIACAR… vivant le jour aux"Ponts"où quelques siestes réparatrices - veillé par Maurice MAGNAN - m'aidaient à me dépenser la nuit sur les routes ou dans les bois. Deçà, delà, un ou deux jours de congé accolés à un Dimanche me permettaient de me rendre à AIX, chez MALAC', en liaison. Au cours de l'une d'elles, nous mettons sur pied une entrevue ROSTAGNE-MALACRIDA à AIX pendant laquelle Lulu et moi nous nous retrempons, Cours Mirabeau et quartiers circumvoisins, dans notre proche passé de potaches, tandis que les anciens négocient âprement le ralliement de ROSTAGNE à MARTIN-BRET, font litière des querelles partisanes, des jalousies de chapelles et de clochers, bref signent l'accord tant désiré - pour lequel j'avais tant plaidé près de ROSTAGNE - qui débouche sur une unification accrue de l'Armée Secrète des BASSES-ALPES. Le soir-même, Denis ROSTAGNE et moi rentrons au bercail forcalquiéren et Lulu chez mes parents à PEYROLLES. Il ne devait pas, d'ailleurs, y demeurer bien longtemps: quelques imprudences qu'il commit contraignirent mon père à le renvoyer chez le sien, pour éviter que les erreurs d'un seul mettent en danger un Centre d'Accueil fonctionnant pour tous. Il termina sa carrière de résistant au maquis inter-allié de GANAGOBIE. L'union avec MARTIN-BRET nous procura la possibilité de recevoir des parachutages d'armes et de munitions, de matériel et de chaussures, mais ni d'argent ni de tabac (hormis quelques cigarettes"JOB"que nos camarades des F.F.L. glissaient amicalement dans les"colis"des containers). Le message annonciateur était:"Quand reviendra le temps des cerises"et le responsable de la Réception devait faire en morse optique avec une lampe-torche la lettre"Q", sur le terrain balisé par trois feux en ligne sur la grande médiane. C'est près de SIGONCE que nous eûmes la joie délirante, aux environs de NOEL, de voir s'ouvrir en plein ciel nocturne les"pépins"porteurs du viatique qui allait transformer les réfractaires en maquisards, les traqués en soldats! Denis ROSTAGNE voulut à tout prix y participer. On dut, par moments selon les difficultés du terrain, le faire porter (et il était lourd!) par quatre gars tenant un siège de fortune obtenu en croisant deux grosses branches d'arbres entortillées de vieux sacs de jute… mais quel exemple pour nous, les jeunes, les valides, de voir ce vieux poilu de l'autre guerre, ce grand mutilé - dont je savais combien il pouvait souffrir pour l'avoir vu, certaines nuits, se traîner sur les moignons de ses jambes amputées aux abcès gros comme mon poing, jusqu'à la salle d'eau pour des ablutions calmantes! - de voir cet homme que nous aimions comme un père, nous dominer, nous galvaniser, comme un chef et diriger avec sagesse l'éparpillement des containers chez plusieurs fermiers complices, ceci jusqu'à l'aube pour qu'il me ramène, sur son"pétacycle", ce tricycle à moteur pétaradant pour mutilés, en ville où, toilette rapide et changement de vêtements accomplis, je retrouve, un peu somnolent, mon travail de dessinateur. A la suite de ce parachutage, je fis la connaissance de Gabriel BESSON, Gaby-le-Saboteur, de l'Armée Secrète de MANOSQUE: nous étions chargés de récupérer chez un fermier une caisse de chargeurs de fusil mitrailleur qu'un parachute égaré par le vent y avait déposé. Pendant les quelques heures de ce portage, j'en appris plus en maniement d'explosifs (Plastic), de détonateurs et autres dispositifs de destruction que si j'avais suivi un long stage militaire! BESSON était un puits de science et d'expérience en la matière. Sa mort tragique après la Libération me peina fort lorsqu'à la lecture d'un journal local j'appris son lâche assassinat. Peu de temps auparavant, j'avais fait la connaissance, en lui apportant des journaux clandestins, d'Emile GIRARD, le meunier de MANE, qui se ruina en livrant sa farine à la Résistance pour que des boulangers amis en pétrissent le pain des maquis. Ce petit homme réservé et sa si gracieuse épouse ont accueilli chez eux tant de résistants que c'est miracle si la Gestapo ne les a pas arrêtés. A la même époque, je contactai Marcel ANDRE, l'instituteur de SIGONCE et le docteur BAUER alias AUBER de FONTIENNE. Le premier me conserva, jusqu'à sa fin horrible au charnier de SIGNES, son indéfectible amitié. Quant au second, nonobstant les services que nous lui avions rendus en abritant et nourrissant son épouse et ses jeunes enfants, il me garda longtemps rancune de lui avoir réquisitionné pour deux heures sa voiture, afin de sauver d'un danger mortel le camarade LECA alias BRACHET, chef des Milices Patriotiques de Dauphin, que j'avais fait escorter en lieu sûr, à VOLX, au Corps-Franc CANDELIER-RENAUD. La fin de 1943 fut pour moi une période de contacts incessants: je n'étais pas un"enfant du pays"et il devenait urgent que les divers responsables me connaissent et me fassent confiance, comme l'ont fait le chef du Service d'Atterrissage et Parachutage (S.A.P.) FIGUIERES, le capitaine de gendarmerie RIBOULET, l'ingénieur des P.T.T. TRICON, le sous-préfet BELLION de FORCALQUIER, le docteur JOUVE de DIGNE, Marcel SICARD de Saint MAIME, René CANDELIER alias RENAUD du maquis puis Corps-Franc de VOLX (devant qui Auguste MERENTIE, leur fondateur, s'était volontairement effacé), son adjoint AUPHAN alias ZOF et aussi des maquisards et résistants avec lesquels j'étais appelé à"travailler"de plus en plus fréquemment: COLOMB, GERARDINI, CRICELLI, BIELAK, MYSCZIAZEK, SAID BEN SAID, BERTIN, KLIMEK, MANDINI, BAYARD (mais oui! c'était son nom), GROBOZ et son épouse Marinette, RIBOULET Raymond, BENIACAR, APPLANAT, NOWAK, CARBONEL, Maurice, SZALA, PROT, ROCHE, BAILLE, CHABASSUT, le petit René EMBLARD (qui devint un héros à 14 ans!)… et encore nos"agents": GASTINEL Andrée, LAURENT Marie-Thérèse et BASSET Marie-Ange de FORCALQUIER, GOIN Georgette et LAURENT de Saint MAIME, la petite institutrice stagiaire de SIGONCE, Rolande de VOLX et Marie-Ange d'ORAISON, dont les noms m'échappent… et puis des fermiers, ça et là, où l'on était sûr de trouver accueil et secours en cas de coup dur. Si l'on y ajoute les inévitables liaisons sur AIX avec MALAC' - annoncées et programmées par téléphone entre Marithé LAURENT et Malou GROULIER - avec le non moins inévitable accueil-repas chez LAMOUR au restaurant d'ORLEANS, on comprendra qu'il me restait peu de temps pour des réjouissances personnelles. D'autant plus que papa ROSTAGNE s'étant mis en tête de"flanquer une bonne trouille"à certains collaborateurs ou miliciens et autres serviteurs de l'ennemi qu'il avait identifiés, me demanda de fabriquer des tracts tricolores (papier blanc, crayons bleu et rouge, estompage au buvard) représentant en caricature HITLER et MUSSOLINI pendus… avec un seul slogan, en noir:"Après eux, toi, bientôt!". C'était mon pensum du soir, lorsque tout était calme. Il en glissait un par enveloppe, aux en-têtes les plus diverses (Sociétés de Chasse, de Pêche, de Boules, de Sports) qu'il s'était procurés Dieu sait où! Nous les faisions poster à MANOSQUE, VOLX où DIGNE par le chauffeur du car de FORCALQUIER… sans les timbrer, bien entendu, ce qui accroissait la jouissance de notre cher ROSTAGNE se délectant de savoir qu'en plus les destinataires acquitteraient une surtaxe postale! Comme on le voit, la Résistance réservait aussi de menus plaisirs à qui savait se les procurer.

 

 

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1944:LE GLAIVE

Ce petit jeu des tracts tricolores faillit nous coûter cher: un matin du printemps 1944, la Gendarmerie de FORCALQUIER, toujours fidèle à la Résistance, nous avertit que la Gestapo ferait une"visite"nocturne au domicile des ROSTAGNE. Aussitôt, branle-bas de sauvetage: mise à l'abri de papa ROSTAGNE et de son"pétacycle" dans un cabanon de la Route des Mourres, avec paille et couvertures, vivres et boisson… mise en alerte du Maquis de SIGONCE et des amis de MANE et Saint MAIME. Madame ROSTAGNE et moi demeurons seuls, chacun dans sa chambre, après avoir convenu de toutes les réponses à faire aux questions que notre imagination nous permettait de concevoir. Minuit sonne, puis une heure. Pensant que la visite était remise, je m'endors. Soudain des coups violents ébranlent la porte d'entrée. Madame ROSTAGNE parlemente à travers l'huis avec un gendarme français lui annonçant"ces messieurs de la police allemande". Elle ouvre: irruption brutale de soldats en armes, dirigés par un civil. Ils plaquent Malvina ROSTAGNE contre une cloison du couloir, envahissent ma chambre où l'un d'eux me braque avec sa mitraillette, les autres fouillant coins et recoins, même un placard où un malheureux fromage de chèvre achève de sécher dans ses feuilles de châtaignier! On me laisse passer un pantalon, puis on examine mes papiers d'élève-ingénieur aux Ponts et Chaussées qui semblent satisfaire le civil, ma carte de travail étant bien à jour du timbre PETAIN mensuel. Les interrogatoires commencent, dans la salle à manger pour mon hôtesse, dans ma chambre pour moi, toujours braqué par le soldat allemand. Comprenant qu'outre le père soupçonné de donner asile à des"terroristes", on recherche le fils ROSTAGNE, que son métier de dessinateur désigne comme l'auteur des fameux tracts, je me décide à jouer à fond la carte des faux courriers et j'exhibe au civil allemand" la dernière lettre de mon copain qui travaille à OPLADEN, en ALLEMAGNE, où il est bien traité, bien nourri, etc…". L'enveloppe à oblitération nazie authentifie le récit et dédouane son auteur! Reste à"blanchir"son père: là, c'est du sublime. Sa femme et moi chargeons le malheureux en insistant lourdement sur son déphasage sexuel provoqué par ses amputations, ce qui amène ce héros de l'autre guerre, ce grand soldat, à courir la campagne après les fillettes, justifiant ainsi ses absences inopinées de plusieurs jours!!! Il nous eut jeté ses cannes à la figure s'il avait entendu toutes nos calomnies… mais ça marche: le civil a des hésitations dans son questionnaire. Je le rassure sur les allées et venues de jeunes gens dans cette maison: quelques condisciples de passage qui, partant pour l'ALLEMAGNE où ils vont travailler, viennent s'informer sur l'adresse de leur copain dans le Grand Reich! Ça continue à bien marcher! J'enchaîne sur mon propre cas: sans nouvelles de mes parents depuis que les envahisseurs anglo-saxons occupent le MAROC, je n'ai qu'une hâte, c'est que l'ALLEMAGNE gagne vite la guerre pour que je puisse rentrer chez moi, au lieu de vivoter comme locataire de ce vieux couple désuni! Aussi incroyable que cela paraisse - et me paraisse près d'un demi-siècle plus tard! - nos réponses identiques à madame ROSTAGNE et à moi, l'absence du fils et du père, l'ambiance triste et démunie qui règne dans la maison, semblent convaincre le civil de la Gestapo qu'on l'a fourvoyé. Trois heures du matin. Ces"messieurs"nous quittent, avec un adieu poli du civil qui, oubliant le méprisant tutoiement dont il avait usé depuis le début, me dit: - Je vous plains, monsieur, de vivre dans cette atmosphère pénible! Prenez courage! La victoire est proche! Et il s'en va le dernier. Madame ROSTAGNE referme à clé et au verrou, puis rentre dans sa chambre où je l'accompagne, craignant qu'elle ait un malaise. - Fais-moi vite une infusion! me dit-elle. Me demander cela à moi, qui n'avais jamais procédé à une telle opération! Je fais bouillir de l'eau. J'y jette ce que je trouve d'herbes sèches dans le buffet: tilleul, thym, romarin, fenouil. Je passe la mixture sur un bol où je mets une pastille de saccharine -cet ersatz de sucre - et j'amène triomphalement ce breuvage fumant à ma chère hôtesse. Tout aussi incroyable que l'adieu du civil de la Gestapo fut son merci souriant: - C'est presque buvable! Et elle le but, parce que c'était chaud. Le lendemain, alors que vers midi et demi j'allais récupérer papa ROSTAGNE et son"pétacycle", nous apprenons par la Gendarmerie qu'il était heureux que nul n'ait tenté de fuir de la maison, car elle était cernée jusqu'au petit jour par une troupe nazie en armes, qui avait ordre de tirer à vue! En Février 1944, j'avais failli quitter définitivement FORCALQUIER: MALACRIDA et moi avions été trop optimistes en ne me rajeunissant que d'un an dans mes faux papiers ce qui avait eu pour but de me faire à nouveau requérir pour le S.T.O., mais cette fois sous mon pseudo de Marcel DUMAS! Un comble! Tout s'était finalement bien passé car les ingénieurs des Ponts avaient obtenu de l'Ingénieur en Chef départemental, mon maintien comme"indispensable"- donc non soumis au S.T.O. - à FORCALQUIER. A la même époque, MALACRIDA m'institua responsable Armée Secrète pour l'agglomération de FORCALQUIER et chef-adjoint civil et militaire du district, sous Marcel ANDRE et Georges SCHNEIDER, à charge de considérer ROSTAGNE et GIRARD comme conseillers techniques à consulter avant toute opération. Toujours à peu près à la même époque, Maurice MAGNAN découvrit dans les archives des Ponts, le plan détaillé, dressé par les troupes italiennes d'Occupation, de tous les ponts du département avec les emplacements de mines et de boîtes d'artillerie pour leur destruction. Evidemment, nous en avons pris un calque, remis à MALAC' qui le transmit à LONDRES via LYON. Ceci implique que les liaisons avec AIX continuaient: je descendais à la gare de PUYRICARD, très proche de la cité de SEXTIUS, où aucune surveillance n'était exercée, contrairement à la gare d'AIX où j'avais failli être pris avec un lot important de documents, un jour de fouille générale. Le sous-chef de gare, ami d'enfance de mon père, m'avait sauvé en m'abritant dans son bureau avec mes documents jusqu'à la fin de la fouille. C'est lui qui m'avait indiqué la petite gare de PUYRICARD. Et comme j'avais, dans ce village, l'accueil assuré chez Germain COLLOMB, j'en usais chaque fois que nécessaire. Comme j'usais, à PERTUIS, de l'accueil du pharmacien CREVAT et de Paul GUINDE, agent du R.A.R.E.A." PHENIX"dans cette ville d'interdits de séjour. Il nous est d'ailleurs arrivé, dans cette même ville, d'être surpris par le couvre-feu et de nous réfugier, avec BAYARD, dans un hôtel réquisitionné par les Allemands, de coucher tout habillés sur le lit non occupé de l'un d'eux, et de sortir de l'hôtel dès potron-minet sans plus de bruit qu'en y entrant et sans faire aboyer le chien-loup - au demeurant peu agressif envers nous - qui assurait la garde nocturne à l'entrée. Il fallait être vraiment inconscient pour oser de pareilles absurdités dans une ville où sévissaient les S.S. à tête de mort, les"Das Reich"je crois, qui ne connaissaient ni pitié ni miséricorde et dont l'humour n'était pas la vertu dominante! Nous en avions, par contre, une assez bonne dose, heureusement!
Jusqu'au 8 Juin 1944
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C'est l'organisation logistique du district qui nous occupe: coups de main divers sur des stocks indispensables à notre intendance, réquisitions de véhicules nécessaires à la mobilité de nos combattants, stockage de vivres, essence, armes, chez des fermiers amis et de pain recuit chez Andrée GASTINEL, en plein FORCALQUIER! SCHNEIDER, qui avait fait la guerre d'ESPAGNE dans les Brigades Internationales, nous initie au close-combat, au tir et au démontage-remontage des armes - nouvelles pour nous - que sont la mitraillette STEN, la mitrailleuse BROWNING et le fusil mitrailleur anglais dont j'ai oublié le nom. Il nous fait aussi participer à des sabotages de lignes électriques à haute tension où nous avons appris à manier le"Plastic", explosif tout nouveau pour nous et dont le pouvoir brisant est extraordinaire. Mais il commit une grave erreur, celle d'établir son P.C. (Poste de Commandement) dans la ferme EMBLARD de SIGONCE, qui était habitée par une femme et un gamin de quatorze ans notamment, au lieu des granges abandonnées qui avaient été jusqu'alors l'asile des maquisards. Ce fut un premier accroc dans la confiance dont il jouissait, car son choix mettait en péril la vie de civils en cas d'attaque ennemie. Un deuxième accroc fut d'apprendre incidemment qu'il avait un frère au service de la Gestapo. Tout cela, ajouté à son tempérament cassant et dominateur, provoqua de si vives tensions entre lui et nos maquisards, qu'il fut remplacé par René CANDELIER alias RENAUD, de VOLX, comme chef militaire du district, dès le 10 Juin, puis relevé, le 10 Juillet du dernier commandement qui lui restait, celui de chef du maquis de SIGONCE.
Du 6 Juin au 19 Août 1944
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C'est purement et simplement la lutte armée, la guérilla, entre les maquis et l'Occupant nazi et ses séides. C'est le combat à un contre dix, contre un ennemi qui durcit ses coups au fur et à mesure que la débâcle approche pour lui. C'est le harcèlement par nos gars mal armés et si peu équipés, mais qui utilisent toutes les possibilités du terrain, procédant par attaques surprises avec repli immédiat à couvert, c'est David contre Goliath, mais c'est aussi, comme le généralissime EISENHOWER le dira plus tard, le coup d'arrêt"porté par l'équivalent de deux divisions"à une remontée des forces allemandes vers la NORMANDIE à un moment où la tête de pont du débarquement à ARROMANCHES n'était pas encore entièrement assurée. C'est également la facilitation du débarquement franco-allié du DRAMMOND, en Méditerranée, au point que les blindés américains ont pu arriver de FREJUS à FORCALQUIER sans tirer un seul coup de canon. Décrire tous ces combats serait superflu: cela a été fait et bien fait depuis lors. Et les archives historiques du Fort de VINCENNES regorgent de comptes-rendus authentiques et précis. Par contre, évoquer, si faire se peut, l'ambiance qui régnait en ces durs moments, telle qu'elle fut ressentie et vécue, ne peut que rendre plus vivant, plus humain, plus accessible le récit de chaque fait d'arme.
6 Juin 1944. RADIO-LONDRES nous apprend le débarquement en NORMANDIE et nous attendons le message de soulèvement immédiat:"se méfier du toréador"ou son inverse,"ne pas se méfier du toréador"qui impliquait l'ordre d'attendre, l'arme au pied. L'ambiguïté des deux textes trop"voisins"et les difficultés d'écoute dues au brouillage ennemi provoquent alors une inévitable confusion: les uns ont cru entendre le premier message, les autres le second! D'où, appel à MARTIN-BRET qui confirme, le 7 Juin: soulèvement immédiat.
7-8 Juin 1944
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Dans la soirée du 7, je réceptionne à l'entrée du cimetière de FORCALQUIER, une dizaine de volontaires de SIGONCE, PIERRERUE et NIOZELLES, pour renforcer notre effectif local et"prendre la ville". On les a doté, chacun, d'une STEN et de trois chargeurs, soit quelques minutes de feu en"tir économique". C'est bien peu! Je les interroge - heureusement! - sur leur habileté au tir à la mitraillette: ils ne s'en sont jamais servis et ne savent ni la démonter, ni la remonter! Je leur fais alors, à l'abri des grands ifs du cimetière (ce qui donne à la chose un aspect quelque peu morbide), un cours rapide de pratique… puis, en route vers la Poste où le Receveur ami nous ouvre les portes et que nous investissons pour en neutraliser le standard et maîtriser les communications téléphoniques hors FORCALQUIER. J'y installe mon P.C. Je prends cinq gars avec moi et, au vu d'une liste dressée par ROSTAGNE et ses amis, nous partons pour les arrestations d'un certain nombre de collaborateurs des Allemands nazis. Toutes se passent sans incident, sauf celle du chef milicien FAUCON qui donne lieu à un drame sanglant, le premier de cette insurrection: notre camarade Raymond RIBOULET, fils du capitaine de Gendarmerie, est assassiné à bout portant de trois balles de revolver par FAUCON, lui-même abattu à son tour d'une rafale de STEN. Deux morts en quelques secondes! Dans cette nuit du 7 au 8 Juin,"le sang des oliviers"s'est mis à couler… C'est ce titre:" LE SANG DES OLIVIERS"que le sous-préfet BELLION, devenu préfet et homme de lettres, voulait donner à un ouvrage sur la guerre"des collines"qu'il souhaitait écrire. Une vie administrative trop dense l'en a empêché. Le reste de la nuit, lugubrement, se passe en patrouilles, relèves, gardes diverses.
8 Juin 1944
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Dès six heures du matin, je réclame à SCHNEIDER par téléphone, un fusil mitrailleur avec tireur, pourvoyeur et chargeurs. Je place un guetteur à la citadelle que je fais relier à la Poste par un téléphone de campagne que nous installe l'ingénieur TRICON des P.T.T. Les nouvelles qui nous parviennent sont mauvaises: les F.T.P. (Francs-Tireurs et Partisans, d'obédience communiste) qui devaient assurer le barrage de certaines voies d'accès à FORCALQUIER n'ont pas reçu l'ordre de se soulever. Il faut pallier cette défection en abattant quelques platanes en travers de la route de DIGNE et en demandant aux PONTS de placer un rouleau compresseur en travers du viaduc sur la sortie vers MANE et BANON. Nous enregistrons avec tristesse la défaite des manosquins de MARTIN-BRET qui ne put lui-même s'échapper que d'extrême justesse de la ferme où il avait installé son P.C., l'ennemi l'ayant investi. Prévoyant le pire, je fais annoncer par le crieur public à la population de ne pas réagir à un signal unique et prolongé de la sirène d'alarme. Ce signal non modulé est destiné à nos troupes et leur donnera l'ordre de repli, actionné par le guetteur de la citadelle. Je renouvelle ma demande d'un FM à SCHNEIDER, en insistant car cette arme, nous permettant de battre la place du Bourguet en cas de retour des Allemands, couvrirait notre retraite vers la citadelle et, de là, vers les couverts de VILLENEUVE et Saint MAIME où il nous serait plus facile de continuer le combat, surtout en utilisant l'art de deux tireurs d'élite dotés du fusil américain à onze coups. En fin de matinée, un événement cocasse se produit: Le Conseil Municipal vient m'offrir sa démission, que je refuse évidemment, puisque seul le Comité de Libération (qui n'a pas encore siégé) aurait qualité pour l'accepter. Les braves édiles ne savent plus quelle attitude adopter. Pour couper court et m'en débarrasser, je leur demande de rentrer chez eux et de s'y considérer comme prisonniers sur parole. Ce qu'ils firent, les bougres! En début d'après-midi, un coup de téléphone du"responsable de MONTLAUX"nous affirme qu'un général de VICHY, qu'ils viennent de manquer à MONTLAUX, se dirige vers BANON, en voiture. Brûlant d'intercepter ce général, qui serait à la fois une belle prise de guerre et un très bon élément d'échange si certains de nos chefs étaient pris, j'enfourche ma moto et, suivi d'un camion avec dix hommes armés, nous nous mettons en"position barrage"sur la route de BANON, en surplomb de la chaussée, sous le couvert d'une chênaie, notre camion caché dans un chemin creux voisin, moteur au ralenti, prêt à se mettre en travers de la route pour immobiliser la voiture du général. A peine étions-nous là en début d'attente, que le son lugubre, continu, prolongé, non modulé de la sirène d'alarme de FORCALQUIER nous parvient et nous poigne le coeur. Demi-tour immédiat - au diable l'étoile de VICHY! - nous fonçons sur FORCALQUIER. A MANE, un camion de renforts venu de Saint MAIME nous rejoint. J'ouvre la route à moto. Nous rasons le rouleau compresseur en train de se positionner sur le viaduc. Ma moto prend de l'avance sur les camions et je vire court face à la statue du Félibre sur le boulevard du Bourguet… Là, je suis littéralement gerbé par une rafale de balles d'une mitrailleuse jumelée battant l'avenue depuis la place de l'Hôtel de Ville… Ça crépite, ça fuse autour de ma moto, mais par miracle je n'ai même pas une égratignure! La rage au coeur, je tourne bride, suivi de mes deux camions qui ont vu de loin les jets de balles et ont commencé à virer devant les PONTS, où la route est élargie… Nous revoilà filant sur Saint MAIME où j'espère que nos camarades viendront nous rejoindre. Hélas, Gino MANDINI qui a pu décrocher dès le début de l'alarme, m'y apprend le drame: huit des nôtres, obnubilés par l'ordre qu'avait, la veille, donné SCHNEIDER (et que j'ignorais), selon lequel"tout combattant qui abandonnerait son poste serait fusillé", ont préféré tirer sur l'ennemi jusqu'à leur dernière balle, avant d'être pris, traînés jusqu'au mur de l'Eglise et fusillés sans jugement… cependant que Maurice CARBONNEL, présent jusqu'à leur holocauste, les avait supplié de se replier vers la citadelle en obéissant à mon ordre. Rien n'y fit et ces martyrs de la Résistance dont les noms sont gravés sur la plaque de marbre au lieu même de leur supplice, ont préféré la mort face à l'ennemi à un repli qu'ils avaient été amenés à confondre, par la faute d'un ordre mal donné et non explicité, avec un possible abandon de poste. Les autres combattants, obéissant à la consigne de repli, se retrouvèrent à la fois sauvés et disponibles pour la suite des combats. Meurtri au plus profond des sentiments de la camaraderie de combat et furieux contre SCHNEIDER pour son ordre mal donné, je retourne vers SIGONCE, par VILLENEUVE. SCHNEIDER s'y trouve, navré (en apparence) et prétend n'avoir jamais interdit un repli sur ordre! Nous sommes tous à bout de nerfs. On convient que je rejoindrai la ferme EMBLARD à moto, pendant que les camarades s'y rendent à pied en coupant à travers bois. J'avance donc, attentif aux ornières du chemin charretier que je dois suivre… lorsque, de nouveau, sans avoir rien vu de loin, je suis gerbé par une mitrailleuse jumelée (la même? une autre?) à la lisière d'un champ de blé encore vert. J'y plonge en tombant de ma moto… je rattrape au vol ma mitraillette, cours, saute, replonge, bondis, file en zigzag, rebondis… jusqu'au bout du champ où je tombe sur le dos au creux d'un canal d'arrosage - à sec - qui me reçoit et m'abrite, hors d'haleine, pendant que les balles écrêtent la rive au-dessus de moi et font vriller la poussière du sol aride. L'une d'elles m'a d'ailleurs effleuré la tempe droite et le sang coule en se mêlant à la poussière et à la sueur. Je dois avoir une gueule à faire peur! Les boches ont changé le tir: ils s'acharnent maintenant sur le petit groupe de copains qui filent à travers bois vers la ferme EMBLARD. J'aperçois SCHNEIDER et deux autres qui obliquent vers la route de MONTLAUX. Je fais comme eux, ne voulant pas lâcher Georges SCHNEIDER à qui je veux encore demander des comptes au sujet de nos fusillés. On se rejoint sur la route et j'apprends alors qu'on attend le retour de la voiture qui emmenait à FORCALQUIER le fusil mitrailleur que je demandais depuis le matin! Un bruit de pneus crissants… c'est elle! Le chauffeur, un as de la conduite, a réussi à échapper au tir des nazis en faisant un demi-tour, époustouflant devant la sous-préfecture, en plein sur un groupe d'Allemands qui s'égaillèrent comme une volée de poulailles avant de lâcher quelques rafales qui n'ont qu'à peine écorné la carrosserie. Nous montons à bord et nous nous tassons dans la bonne chère traction qui nous mène à MALLEFOUGASSE, chez un fermier ami de SCHNEIDER, qui nous fit boire, manger et assura même la garde pendant que nous prenions un peu de sommeil réparateur.
9 Juin 1944. Nous quittons MALLEFOUGASSE pour le maquis EMBLARD où nous parviennent peu à peu, au cours de la journée, les nouvelles les plus diverses: les nazis ont poursuivi Gino MANDINI qui revenait de Saint MAIME et n'a dû son salut qu'à un caveau du cimetière de SIGONCE dont une dalle disjointe, qui céda à ses efforts, lui a permis de s'introduire pour la nuit dans l'obscurité fétide des lieux… Les nazis ont arrêté BAYARD, alias PILOU, heureusement non armé, qui arrivait à SIGONCE en liaison. Nous saurons plus tard qu'il fut"vigoureusement interrogé"par la Gestapo de DIGNE mais que, vu son jeune âge et l'absence de preuves,"il ne fut condamné qu'à la déportation en ALLEMAGNE". Un bienheureux bombardement de la gare de triage d'AVIGNON par l'aviation alliée lui permit, sautant du train que les sentinelles avaient abandonné pour courir à l'abri, de fuir à contre-voie vers l'Est. Il mettra un mois pour atteindre SIGONCE, marchant la nuit, dormant le jour, grappillant de ferme en ferme une pauvre pitance de survie… les nazis, à FORCALQUIER, traquent"le terroriste"partout où ils espèrent le trouver, mais leur quête est vaine… Enfin, une liaison de VOLX nous annonce que Georges SCHNEIDER est relevé de son commandement de chef militaire du district, remplacé par CANDELIER-RENAUD, et que suis confirmé dans mes fonctions d'adjoint au chef civil et militaire du district et commandant du chef-lieu, dont j'avais été le seul à en assurer le guet, l'alarme et le plan de protection des accès et du repli.
10 Juin-15 Juillet 1944
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Période d'intense activité pour moi. Abrité pour un temps chez EMBLARD, j'y prends ma part de gardes nocturnes et de corvées diverses. Désireux d'affirmer à la population de FORCALQUIER notre présence et la continuation de la lutte, je fais des apparitions inopinées, escorté d'un seul maquisard en armes, jamais le même, allant jusqu'à nous faire servir un pastis dans tel ou tel autre bar de la ville où se réunissent joueurs de boules et de cartes qui colportent les nouvelles, font et défont les réputations… j'amène Gino MANDINI chez un dentiste pour une extraction urgente et nous repassons dignement, à moto, par la place de l'Hôtel de Ville, devant les Allemands dubitatifs… Je retourne à MANE rencontrer MARTIN-BRET chez GIRARD, à Saint MAIME chez SICARD, à SIGONCE chez ANDRE, dans une atmosphère de cordialité virile et de chaude amitié. Il me confirme toute la réorganisation du district - et, à son échelon, du Département - après les malheureux événements des 6-9 Juin. On s'accorde sur le thème" guérilla-surprise, attaques-éclairs, replis immédiats à couvert". Cette tactique sera portée au summum de la réussite par René CANDELIER alias RENAUD, avec des coups d'une audace inouïe: lui et son adjoint AUPHAN enlèveront à la Gestapo de MARSEILLE leur voiture de prestige, une traction avant et son contenu (armes de poing et serviette de documents!)… avec trois hommes du Corps-Franc de VOLX et deux du Corps-Franc de Saint MAIME, il s'emparera d'un camion de tabac au dépôt départemental d'APT… il fournira plusieurs tonnes de sucre aux maquis. Merveilleux entraîneur d'hommes, toujours sur la brèche, d'un courage frisant la témérité, il veille à tout, partout: minages de ponts et voies ferrées, barrages de route, harcèlement de convois ennemis, dont l'un par le Corps-Franc de VOLX au Nord de LA BRILLANNE, l'autre par le Corps-Franc de Saint MAIME au pied de NOTRE-DAME DES ANGES: quatre Allemands tués, dont deux officiers… Nous ignorions alors qu'il irait glaner bien d'autres lauriers de gloire en INDOCHINE, en ALGERIE, en AFRIQUE Noire et qu'il serait promu général, puis nommé directeur du Renseignement au S.D.E.C.E.! Pour l'heure, son aire d'activité oscillait entre VOLX-MANOSQUE et VOL-LURS, rive droite de la DURANCE. Il me confia en priorité la zone d'action Saint MAIME-MANE-FORCALQUIER et Saint MAIME-NIOZELLES-PIERRERUE, au coeur du dispositif. Marcel ANDRE, que je rencontre alors souvent et avec une sympathie de plus en plus amicale, donne son accord:
Le 6 Juillet. Je crée le Corps-Franc Saint MAIME, en écrémant les meilleurs éléments des maquis de SIGONCE et de FORCALQUIER. A peine le Corps-Franc est-il créé qu'il doit intervenir en catastrophe, le 8 Juillet, pour harceler entre SIGONCE et FORCALQUIER, un convoi ennemi qui vient d'investir la ferme EMBLARD à SIGONCE. Ont trouvé la mort dans cette attaque, SAID BEN SAID, madame EMBLARD et une jeune inconnue qui tira contre les nazis à la mitrailleuse, alimenté en munitions par le fils EMBLARD, jusqu'à ce qu'une balle allemande lui ôte la vie. Le petit EMBLARD, pris par les boches au moment où il tentait de faire sauter les munitions qui restaient encore fut gracié, car il avait à peine quatorze ans! Les autres maquisards avaient réussi une percée des lignes adverses et s'étaient égaillés dans les bois. Quant à notre Corps-Franc, il usa force munitions sur ce convoi qui riposta fermement: des traces de sang relevées plus tard sur le bitume nous ont convaincu que nos balles avaient, pour certaines d'entre elles, fait mouche.
Le 9 Juillet. SCHNEIDER, absent lors de l'attaque de son Maquis, est relevé de son dernier commandement. Avec LECA alias BRACHET, chef des Milices Patriotiques de Dauphin, nous signons un accord d'entraide Armée Secrète - Francs-Tireurs Partisans - Certains de nos gars sont autorisés à rejoindre les F.T.P., tel l'italien MARIO et, selon les missions, nous mêlons nos hommes, nos armes, notre matériel… ce qui est une réussite diplomatique importante, car il régnait jusqu'alors une tension certaine entre l'A.S. et les F.T.P.… Le fils CASTOR, de SIMIANE, un de mes anciens condisciples Aixois, me donne des nouvelles de Jean FRANCHI, du PUY-Sainte REPARADE, devenu Chef National Adjoint de l'O.R.A. (Organisation de Résistance de l'Armée) et du Señor Lopez ORTIZ, dont le groupe de Mirabeau, force Action du réseau PHENIX, mène la vie dure aux convois allemands. CASTOR, hélas! trouvera une mort aussi absurde qu'injuste, à l'aube de la Libération, mitraillé par l'aviation américaine! La guerre à des rictus qui font mal à l'âme. Les autorités de FORCALQUIER, sous-préfet et capitaine de gendarmerie en tête, se trouvent confrontées au problème des"pillards de fermes"et impuissantes à le résoudre. Elles font alors appel au Corps-Franc Saint MAIME pour prendre sur le fait ces voyous déguisés en Maquisards qui brûlaient les pieds des paysans pour leur faire avouer où était caché leur magot! Sur ordre express des autorités, les pillards pris en flagrant délit sont fusillés. Même une femme du l'être que le Maquis de PIERRERUE (interceptant un car pour vérification) trouva porteuse d'une liste des Résistants, BELLION, ROSTAGNE et RIBOULET en excellente place, qu'elle allait livrer à la Gestapo de DIGNE entre deux pillages de fermes. Les opérations de maintien de l'ordre effectuées en accord total avec les autorités officielles du moment et à leur demande, nous faisaient courir des risques supplémentaires, car c'était en civil et sans arme que nous procédions aux enquêtes… Ce qui nous amena parfois à tomber sur des barrages volants allemands, dont seuls nos bons faux papiers permirent de nous tirer les braies nettes: Léon ROUX, responsable S.A.P. de MANE-FORCALQUIER, s'en souvient encore, lui qui fut intercepté et braqué par un Allemand en possession d'une mitraillette juste derrière moi, à Saint MAIME, en Juillet! Il est aujourd'hui Président des Associations d'Anciens Combattants et Résistants de FORCALQUIER et sa région. Pour compliquer notre action, il nous est arrivé d'oeuvrer a contrario des décisions des autorités, lorsque notre enquête et les interrogatoires de témoins notables nous avaient convaincu de l'innocence d'un suspect: certain photographe de FORCALQUIER doit encore avoir présente à l'esprit la journée terrible d'attente qui aurait dû le mener au peloton d'exécution et que nous avons pu terminer au mieux en le raccompagnant libre et sauf chez lui. Mais que de temps passé à ces enquêtes et combien difficile était le fait de rendre bonne et sereine justice en cette époque de troubles sanglants!
16 Juillet 1944
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Jour néfaste entre tous! Nos Chefs MARTIN-BRET, Marcel ANDRE, CUSIN, PIQUEMAL, FAVIER, LATIL et tous les autres membres du Comité Départemental de Libération des BASSES-ALPES, tombent dans un traquenard tendu par la Milice, sont pris et emmenés au siège de la Gestapo de MARSEILLE, torturés et, le 18 Juillet, fusillés et jetés encore pantelants dans une fosse de chaux vive, à SIGNES. Le traquenard avait eu lieu à ORAISON où nous avions une agent, Marie-Ange, qui nous avait été recommandée par Rolande de VOLX. Voyant que des miliciens déguisés en Maquisards arrêtaient, après un simulacre de fusillade avec des Allemands complices, nos Chefs arrivés depuis peu, elle prend l'initiative de venir nous en avertir. Ne pouvant passer par le Pont de LA BRILLANNE qu'elle pense gardé par des Allemands, elle rejoint la DURANCE un peu à l'Ouest, se déshabille et roule sa jupe et son chemisier en turban mal foutu sur sa tête et, en petite tenue, se glisse dans la rivière. Excellente nageuse, elle se laisse porter par le courant jusqu'à atterrir à mi-distance entre VILLENEUVE et VOLX. Revêtue, elle gagne Saint MAIME à pied au moment où le soir s'annonce car c'est vers 16 heures qu'un haut-parleur avait proclamé l'arrestation de nos amis et, faute d'un véhicule, il a fallu près de cinq heures à Marie-Ange pour nous rejoindre. On la fait reposer chez LAURENT, le restaurateur-hôtelier, cependant que le branle-bas de combat met en oeuvre tous nos effectifs disponible: une liaison d'abord vers VOLX pour alerter CANDELIER, six hommes en barrage au pied de Notre-Dame-de-la-Roche et six autres vers LINCEL, le restant prêt à foncer en JUVAQUATRE vers le lieu où serait signalé le véhicule emportant nos Chefs. Tout cela en vain. Ils sont déjà sinon arrivés à MARSEILLE, du moins tout près! Nous ne pouvons plus rien absolument plus rien, pour les sauver. Le magnifique effort de Marie-Ange se révèle inutile! Quelle dérision! Jour néfaste entre tous! J'aurais dû me trouver parmi eux, pour exercer la fonction de Secrétaire Départemental du Comité et ce n'est qu'après en avoir longuement débattu avec Marcel ANDRE, qu'un délai de huit jours m'avait été consenti pour mettre au courant, en détail, mon Adjoint CRICELLI de toutes les affaires du district. J'avais, par contre et sur son ordre, remis à ANDRE la liste de tous nos résistants avec leurs pseudos que nous avions caché derrière la parabole du petit phare de son vélo. Elle a dû y rester… et j'ai la certitude que Marcel ANDRE n'a trahi personne sous la torture, puisqu'aucun des noms figurant sur la liste n'a été plus inquiété qu'à l'ordinaire par l'ennemi. Jour néfaste entre tous! Au cours de conversations, quelques jours auparavant avec MARTIN-BRET et ANDRE, j'avais plaidé de toutes mes forces pour que la réunion du Comité se tienne à Saint MAIME où nous disposions des moyens suffisants de protection. Mais MARTIN-BRET s'était obstiné pour ORAISON où, disait-il, il fallait"secouer l'apathie de la population". Marcel ANDRE, par contre, penchait pour Saint MAIME et c'est, j'en suis témoin, réellement à contre-coeur qu'il rejoignit ORAISON.
17 Juillet - 14 Août 1944
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Période cruciale pour nous tous: nous n'avons plus de Chefs au niveau Départemental… MALACRIDA, lui aussi en alerte, ne peut plus être joint au téléphone: AIX est muet CANDELIER, ROSTAGNE, GIRARD, et SICARD me demandent de continuer à assumer mes fonctions à l'échelon du District!… CANDELIER, après une tentative de contact à MARSEILLE, trouve le Commandant MAURIN alias LATOUR, qui lui précise les missions des groupements de l'Armée Secrète dans le District FORCALQUIER. Nous survivons cahin-caha, sans argent pour payer notre ravitaillement, sans ordres précis, en enfants perdus. Heureusement, Saint MAIME nous offre mille ressources du coeur et de l'amitié: le restaurateur LAURENT et son épouse deviennent à la fois table d'hôtes et point de ralliement de nos liaisons… Des parents de Géo GOIN abritent au fenil nos gars pour la nuit et leur offrent le déjeuner du matin… Je couche chez SICARD à Saint MAIME ou chez GIRARD à MANE, escorté de mon inséparable Pierre COLOMB… MANDINI, CRICELLI et MICZIASCZEK battent la campagne et quêtent notre pitance auprès de fermiers complaisants… Les vergers locaux sont pleins de pêches à cueillir et le sucre de RENAUD bourre nos poches: nous parvenons donc, tant bien que mal, à nous sustenter. La coopération avec les F.T.P. de DAUPHIN est au beau fixe: ils se montrent compréhensifs et n'abusent pas de la situation. Nous faisons plusieurs expéditions en commun, dont une à Saint Michel- l'Observatoire. Le reste du temps: barrages routiers, patrouilles, gardes de nuit… La routine… Mais avec cette blessure béante dans notre amitié de combat: nos chefs sont morts, trahis, non vengés… et nous ne connaissons pas le traître! 15 Août 1944. Pour la nuit du 14 au 15 Août 1944, CRICELLI reçoit d'un responsable S.A.P. (Section d'Atterrissage et Parachutage) l'ordre d'attendre un parachutage sur le terrain de Saint MAIME, mais en faisant la lettre"A","commune pour cette nuit à tous les terrains", au lieu de notre lettre"Q"habituelle, en morse optique. L'affaire me semble louche et je charge Nellianto GERARDINI, l'Italien fidèle, d'organiser les moyens d'évacuation immédiate du terrain. Bien m'en prit! L'avion parachuteur nous survole une fois… CRICELLI s'acharne à faire en morse sa lettre"A"… L'avion revient, pique, nous mitraille dans l'axe du terrain, arrosant les alentours aux bombes au phosphore: feu d'artifice en bleu, en vert, en rouge, en jaune, en violet! La colline brûle autour de nous! Chacun se rue sur les véhicules où s'éloigne à pied: c'est la dispersion, bien organisée par GERARDINI, avant le regroupement au Sud du cimetière, dans la plaine. Pas de mort, aucun blessé, mais forte émotion pour tous! Au petit jour du 15, je remonte"inspecter les dégâts"sur le terrain: tout a brûlé alentour, les arbres sont scalpés à trois mètres du sol et le sol jonché de feuillage haché! De-ça, de-là, une bombe non explosée que je ramasse: section hexagonale avec ailettes de queue, corps rempli de phosphore et grosse tête explosive ovoïde… J'en garde deux avec la plus extrême délicatesse et, en tandsad derrière GROBOZ nous filons à moto vers VOLX pour montrer"ces choses"à CANDELIER, qui portent sur leur culot la mention"made in CHICAGO". Quel cadeau de la part de nos amis Américains! Mais quel est le salopard qui a décidé que tous les terrains devaient faire la lettre A? 19 Août 1944. Dès le lendemain du 15 Août, jour du débarquement Allié sur nos côtes méditerranéennes, nous recevons l'ordre de CANDELIER de nous porter en barrage à LINCEL pour tenter d'éviter toute remontée vers les ALPES des blindés S.S. stationnés à APT. Le 19 au matin. Une liaison de Saint MAIME vient nous trouver dans la petite chapelle près de laquelle nous avons installé, à côté d'un petit stock de bombes GAMMON anti-chars, au plastic, une mitrailleuse battant un virage aigu en contre-bas:" une colonne de blindés descend de DIGNE sur FORCALQUIER". Avec deux gars, je fonce en JUVA sur FORCALQUIER. Arrêt à MANE, chez GIRARD, qui ne sait rien sur ces blindés, sinon qu'ils doivent avoir atteint FORCALQUIER. Nous repartons, grimpons la côte au Nord de MANE, amorçant le virage au sommet… Là, nez à nez avec un char: on s'éjecte de la bagnole, pistolet ou mitraillette au poing, pour se coller contre le char, dans l'angle mort de ses armes automatiques… La coupole s'ouvre: un casque, une tête, un torse habillé en kaki et un rire amusé qui éclate: - Hello! Boys! Ce sont les Américains! Un autre char! Un autre! Encore un! Puis une Jeep et un command-car d'où un Colonel, parlant français, descend et nous questionne. Cartes du District à même l'asphalte, nous lui montrons nos positions, celles des blindés Allemands, notre barrage que le Corps-Franc de VOLX doit venir renforcer. Le Colonel est satisfait: depuis la mer, il n'a tiré qu'un seul coup de canon… C'est à FORCALQUIER qu'une gamine tellement folle de joie, en grimpant sur un char pour embrasser son conducteur, a appuyé sur un mauvais bouton et déclenché le tir! Les chars continuent leur route sur APT. Nous, nous reprenons la JUVA et notre arrivée à FORCALQUIER, dans le délire de la foule en folie qui hurle sa joie, nous embrasse, nous secoue, nous bouscule, s'accroche à nous, et le couronnement de notre aventure! Je l'officialise en commandant le premier"salut aux couleurs"depuis 1940, devant un carré de militaires: Américains, Gendarmes, Maquisards et F.F.I.… et la foule où j'ai vu pleurer des vieux lorsque la sonnerie du clairon accompagnait nos trois couleurs, hissées en plein azur par Nellianto GERARDINI.
22 Août 1944
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Regroupés sous les ordres du Major écossais BINGS, les Maquis de REILLANNE, CERESTE, APT et nos deux sections de VOLX et Saint MAIME, renforcées par MANE et FORCALQUIER, prennent APT avec l'appui d'un seul blindé Américain. Aucune perte chez nous. Trois Allemands en side-car abattus d'une rafale de fusil-mitrailleur. Décrochage des quelques trente chars nazis qui vont se faire prendre entre VALENCE et MONTELIMAR, dans la nasse tendue par la 1ère Armée Française et les unités blindées Américaines, sur les deux rives du RHONE, l'aviation pilonnant et détruisant en amas de ferraille calcinée, ces chars qui furent l'orgueil de l'Armée nazis, ces monstres sacrés des Panzerdivisionen!
Septembre 1944
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C'est la fin de notre saga de la Résistance. Ceux d'entre nous qui le souhaitèrent purent s'engager, avec leur armement et leur matériel, dans la 1ère Compagnie fondée à VALENSOLE, du Bataillon"BLEONE 20"stationné à DIGNE. Sous les ordres du Commandant LINDENMANN, le Bataillon fut engagé sur le front des ALPES, secteur JAUSIERS-BARCELONNETTE, puis intégré à la 1ère Armée Française de LATTRE de TASSIGNY, dont il partagea dès lors l'existence.

#TABLE

CONCLUSION

Toutes ces anecdotes ne composent pas, bien évidemment, le récit exhaustif de mon aventure dans l'Armée de l'Ombre. Des dizaines d'autres pourraient y figurer, mais cela exigerait la rédaction d'un volume! Il eut été possible de raconter, par exemple, comment nous avons sauvé de la déportation les deux filles du restaurateur LAMOUR en fournissant à leur père de faux rapports sur des parachutages et des liaisons imaginaires mais vraisemblables, qu'il remit à la Gestapo en échange des documents d'identité rendus à ses enfants qu'il pu alors mettre à l'abri… Comment mon père, païen notoire, pris en liaison pour le R.A.R.E.A. PHENIX en AVIGNON, fut sorti de prison par une intervention de l'Evêché!… comment notre ami COLOMB, dans une ferme près de BANON, tomba au travers d'un plancher pourri, dans le local où le paysan-braconnier élevait un furet, et en ressortit puant le fauve à plein nez!… comment le futur Avocat de la Cour de PARIS, Paul Charles DEODATO, commit à PEYROLLES un délit de vol (!) en s'emparant d'une liasse de feuille de tickets d'alimentation, ce qui permit à quelques réfractaires du S.T.O. de mieux manger pendant quelques jours… comment les industriels marseillais PAGES et DELASSUS, qui ripaillaient certains week-ends dans une auberge près de FORCALQUIER, furent amenés à nous prêter leur fourgonnette Juvaquatre et à nous procurer une petite aide financière en contre-partie des joyeuses heures qu'ils avaient passées… comment le premier élément libérateur d'APT fut notre chienne DAKAR, brave bête qui ignorait que l'attaque de la ville n'aurait lieu qu'au signal d'un coup de canon tiré par un char américain, signal qui n'eut lieu qu'à midi alors que nous l'attendions depuis l'aube, avec une patience dont DAKAR ne sut pas faire preuve!… comment l'Abbé BASSET de FORCALQUIER, aussi résistant que son curé-doyen était collaborateur, nous offrit sa soutane et son vélomoteur avec Ausweiss, poussant le scrupule jusqu'à ânonner la prière des agonisants (en latin!)"au cas où"… comment, grâce à un Commandant que je pus aider à gagner LARAGNE dans les délais, les bombardements du viaduc de FORCALQUIER furent interrompus, alors que l'aviation américaine avait tué plusieurs civils de la ville sans toucher l'oeuvre d'art que représente ce magnifique viaduc en courbe… comment notre volubile Andrée GASTINEL découragea par son verbiage un S.S. qui fouillait la maison de ses parents où notre pain recuit de réserve était entreposé… comment je pus m'enfuir, en bondissant d'un camion qui m'emmenait vers l'interrogatoire de la Gestapo de DIGNE, en profitant d'un ralentissement du convoi en haut de côte et du couvert d'un immense champ de tournesols… et tant d'autres petites histoires! Que le centième de cela fut vécu par quelque haut personnage de l'Etat, ne doutons pas que les hygiographes se fussent jetés sur cette pâture pour écrire quelque magnifique page d'histoire! Par bonheur pour le lecteur éventuel, ce ne sont que des souvenirs, aujourd'hui bien lointains, d'un moment de la vie d'un combattant de l'Armée de l'Ombre.  

 

Notes et Documents

Cf le CD