Robert FOUICH
107
Des Dardanelles
à
Sophia Antipolis
Les
Dardanelles, Cassino,
l'Algérie
Française, Sophia Antipolis
Guerre
1914 - 1918
Guerre
1939 - 1945
Témoignage
Nice -
Septembre 1992
Analyse du
témoignage
Écriture : 1992 - 263
Pages
POSTFACE de Michel EL BAZE
Ce témoignage me parait
satisfaire pleinement les règles que m'ont
"imposées" les professeurs Paul Raybaut et Ralph
Schor quand, découvrant ma collection, il me
demandèrent "d'exiger" des témoins de se placer
dans leur famille, leur clan, leur clocher pour
écrire leur récit de vie, apportant ainsi aux
chercheurs de disciplines diverses - et non
seulement aux historiens - les matériaux qui leurs
permettront d'écrire l'Histoire de notre Pays, les
péripéties de notre temps et de mieux appréhender
les mentalités contemporaines. Des Dardanelles à
Sophia Antipolis débute, en fait, en 1912 par
l'arrivée en Algérie de quelques Audois . Après
les longues années de la Grande Guerre l'un deux y
revint en 1919 avec sa jeune épouse Bourguignonne. Sont évoqués : l'Algérie Française
heureuse, le bled et Alger la Blanche, les
Chantiers de la Jeunesse, l'École des Élèves
Officiers de Réserve de Cherchell, le 7è RTA, la
Campagne d'Italie et Cassino où Robert Fouich fût
blessé au combat. C'est, enfin, la passionnante relation
d'une demi siècle de fonctions administratives les
plus diverses et en apothéose, la Capitale
Contribution de témoin à "l'aménagement de Sophia
Antipolis, à sa création et à la réussite" de la
prestigieuse technopole
This testimony dressed me
to satisfy fully rules that have me "imposed"
professor Paul Raybaut and Ralph Schor when,
discovering my collection, they asked me to
demand witnesses to place in their family, their
clan, their steeple to write their account of
life, bringing thus to various discipline
seekers - and not only to historians - materials
that will allow their to write the History of
our Country, adventures of our time and to
better apprehend contemporary mentalities. From
Dardanelles to Sophia Antipolis begins, in fact,
in 1912 by the arrival in Algeria of some
Audois. After the long years of the Great War.
One return in 1919 with his youth marries
Burgundy. Are evoked : the happy
"French Algeria", the "bled" and Algiers the
White, Yards of the Youth, the School of Pupils
Officiate Reserve of Cherchell, 7th RTA, the
Campaign of Italy and Cassino where Robert
Fouich was hurt to the combat. That is, finally, the
passionnante relationship of an half century
administrative function the most various and in
apotheosis, the Capital Contribution of witness
to the adjustment of Sophia Antipolis, to its
creation and to the success of the prestigious
technopole
PRÉFACE
DE RENÉ BOURGEON
Professeur
Ancien
Doyen de la Faculté de Médecine de Nice
Membre
de l'Académie de Médecine
Président
du Cercle Algérianiste des Alpes-Maritimes
En présentant "Des
Dardanelles à Sophia Antipolis", on s'attend à
découvrir un Français comme tant d'autre;
cependant, l'attention ne peut qu'être attirée par
les deux mots si simples: "Recrutement d'Alger.
Cette petite précision frappait fort peu l'opinion
il y a plus de 30 ans; l'Algérie c'était tout
simplement la France. Mais, après avoir été des
"Africains", puis des "Algériens" ces hommes ont
été baptisés "Pieds-Noirs" et on ne cesse plus de
parler d'eux, dans les discours et les livres;
langues et plumes s'activent!... La spécificité de
ces hommes et des ces femmes est telle que les
chercheurs du monde entier s'intéressent à leur
sort et à leur identité. Tout naturellement, les
associations nationales d'intérêt public comme le
Cercle Algérianiste, recueillent les documents
relatifs à cette époque de l'Histoire de France.
Mais ce n'est pas seulement à ce titre que le
texte de Robert Fouich est passionnant; il m'a
intéressé aussi en raison des relations
personnelles et professionnelles qui m'ont fait
connaître de très près sa carrière. Son recueil
présente une vision globale du curriculum de sa
famille et de sa vie, en même temps qu'ils fournit
les souvenirs détaillés des différents épisodes et
des multiples contacts qui on jalonné une carrière
bien remplie. La saga familiale évoque bien la
spécificité du véritable "Pied-Noir", la rencontre
du combattant des Dardanelles au sein de l'Armée
d'Orient, avec la survivante d'une famille
éprouvée par l'occupation allemande d'une partie
de la France, en 1917. L'installation du jeune
couple métropolitain dans une province française
en voie d'expansion illustre la vie de ces cadres
dont la carrière s'est déroulée depuis les gros
villages jusqu'aux préfectures et à la capitale:
Aïn Beida, Affreville, Blida, Constantine, Alger.
La vie itinérante et enthousiaste de ces
fonctionnaires de la IIIe République a développé
l'Administration certes, mais aussi répandu la
culture française dans un pays où les structures
étaient encore à consolider après de si longs
siècles d'abandon La jeunesse de Robert Fouich est marquée
par les pérégrinations d'écoles à lycées au gré de
la carrière du chef de famille. A l'adolescence,
en 1941, l'Algérie, profondément meurtrie, est à
l'heure des Chantiers de la Jeunesse. Voici donc
l'enrôlement au Groupement 103 des Chantiers de
Blida. La libération de ce service légal est
brève, car vint l'heure du débarquement allié du 8
Novembre 1942. Le rappel sous les drapeaux 10
jours plus tard, conduit le jeune Fouich, âgé de
21 ans, à Cherchell, avec l'École des Cadres de
cette armée africaine, dont la bravoure va étonner
alliés et adversaires de la France. A peine terminée l'instruction des Élèves
Officiers, le 7ème RTA est lancé en Italie en
direction de Venafro et de Cassino. Ce sont les
rudes et héroïques combats des Abruzzes de l'hiver
1944, avec la percée historique de la redoutable
ligne Gustav, dont la prise du Belvédère est la
consécration. Mais le 3 Février 1944, c'est une
grave blessure qui interrompt cette carrière
militaire si inattendue. Carrière qui n'est qu'un
entracte dans le curriculum d'une activité civile
qui ne cessera pas malgré les péripéties d'un
expatriement. Il existe, en effet, une période
algérienne qui a duré 42 ans, dont la moitié dans
la Fonction Publique aux Préfectures d'Alger et de
Constantine, au CATI et au Consulat Général de
France durant lesquels se manifeste l'état
d'esprit du véritable Français d'Algérie ni grand
colon, ni important financier. Cette période
traduit l'enthousiasme de création d'une si belle
et honorable oeuvre sociale, nuancée d'un ardent
patriotisme. Le "rapatriement" conduit Robert Fouich à
exposer avec une grande émotion les dernier
instants de l'Algérie française, puis les
conditions tellement difficiles de l'organisation
de cet imposant et dramatique exode. La séquence
hexagonale est la 2ème vie de l'auteur. Elle s'est
poursuivie à Nancy, Grenoble puis Nice. La
préparation des Jeux Olympiques de 1968 et du
symbole qu'est sa flamme, illustrent bien la
fréquente improvisation qui préside aux
réalisation des plus grandioses au sein du
C.O.J.O. L'apothéose d'une carrière administrative
allait se révéler dans un tout autre domaine et à
Nice. Coordonner une réforme administrative et
organiser l'information auprès du Préfet des
Alpes-Maritimes, ont été le tremplin d'une
participation à la vie locale et économique du
Département. L'étude d'une communauté urbaine avec
Nice comme chef-lieu et des districts environnants
fut le prémice de ce qui allait devenir
l'aménagement du Plateau de Valbonne (1975-1990).
L'association de cinq communes allait permettre la
création de Sophia-Antipolis, fleuron exceptionnel
de la technologie moderne. Les qualités bien
connues de syndicaliste habile de longue date et
d'organisateur administratif réputé, ont permis à
Robert Fouich de négocier entre les aspirations
des uns et les réticences des autres... Pour mener
à son terme l'oeuvre phare de Nice et de la Côte
d'Azur, en qualité de Directeur puis Conseiller du
SY.MI.VAL. Ces lignes trop brèves ne peuvent qu'être
un encouragement à se plonger dans l'original.
Préfacer un tel recueil est un honneur que
j'apprécie d'autant mieux que j'ai pu suivre de
près les méritoires et courageux efforts de
l'Homme lors de son implantation niçoise en 1964 à
la Direction des Rapatriés, alors que j'étais
moi-même Conseiller auprès de François Missoffe.
Plus tard, étant aux prises avec la création de la
Faculté de Médecine, j'ai apprécié le dynamisme et
l'esprit créatif du Conseiller Technique du Préfet
des Alpes-Maritimes, puis sa foi, peu partagée
alors par les administratifs, en l'avenir de cette
première technopole européenne qu'est
Sophia-Antipolis, dont la réputation est
aujourd'hui mondiale. Tous mes compliments les plus chaleureux
à Robert Fouich et à cet autre "Pied-Noir" qu'est
Michel El Baze; ils sont les véritables
"luminairistes" de la pensée française en Algérie
et contribuent à immortaliser la belle flamme
destinée à honorer à jamais les Français
d'Algérie.
In presenting "From
Dardanelles to Sophia Antipolis", one waits to
discover a French as so other however, the
attention is attracted by the two words so
simple : Recruitment of Algiers. This small
precision would knock strong bit the opinion
there are more than 30 years Algeria was all
simply France. But, after having been
"Africans", then of "Algerians" these men have
been baptized "Black-Feet" and one no longer
ceases to speak of them, in speeches and
language books and feathers activate !... The
specificity these men and these women is such
that seekers of the whole world concern in their
lot and to their identity. Whole naturally,
national associations of public interest as the
Circle Algérianiste, collect relative documents
to this period of the History of France. But
this is only to this title that the text of
Robert Fouich is fascinated he has concerned
also, by professional and personal reason,
relationships that have me made know very near
his career. His testimony presents a global
vision of the curriculum of his family and his
life, at the same time they provide precise
souvenirs of the different episodes and the
multiple contacts that one lined a well filled
career. The saga family evokes
well the specificity of the real Black-Foot, the
encounter of the combatant of Dardanelles within
the Army of Orient, with the survivor of a
staunch family by the German occupation of a
part of France, in 1917. The installation of the
young couples metropolitan in a French province
in the process of expansion illustrates the life
of these frameworks whose career is unfolded
since the large villages until prefectures and
to the capital : Aïn Beida, Affreville, Blida,
Constantine, Algiers. The enthusiastic and
itinerant life of these officials of the IIIth
Republic has developed the Administration
indeed, but also spread the French culture in a
country where structures were again to
consolidate after so long centuries of desertion The youth of Robert Fouich
is marked by peregrinations of schools to high
schools according to the career of the chief of
family. To the adolescence, in 1941, Algeria,
deeply bruised, is to the hour of Yards of the
Youth. Here is therefore the enrolment to the
Grouping 103 of Yards in Blida. The liberation
of this legal service is brief, because came the
hour from the allied landing 8 November 1942.
The reminder under flags 10 days later, conduits
the young Fouich, old of 21 years, to Cherchell,
with the School of Frameworks of this African
Army, whose bravery is going to surprise allies
and adversaries of France. Hardly ended the
instruction of Pupils Officiate, 7th RTA is
launched in Italy in direction of Venafro and
Cassino. These are the rough and heroic combats
of Abruzzes in the winter 1944, with the
historical opening of the fearsome line Gustav,
whose plug of the Belvédère is the consecration.
But 3 February 1944, is a serious injury that
stop this unexpected military career. Career
that is an intermission in the curriculum of a
civil activity that will not cease despite
adventures of a repatriation. There exists, indeed, an
Algerian period that has lasted 42 years, whose
half in the public service to Prefectures of
Algiers and Constantine, to the CATI and to the
General Consulate of France during which
demonstrates the state of real French spirit of
Algeria neither great colonist, neither
important financier. This period translates the
enthusiasm from creation of a so beautiful and
honorable social work, a fiery patriotism. The repatriation behaved
Robert Fouich to expose with a great emotion the
last instants of the French Algeria, then the so
difficult conditions of the organization of this
imposing and dramatic exodus. The hexagonal
sequence is the 2th life of the author. It is
continued to Nancy, Grenoble then Nice. The
Olympic Game preparation of 1968 and the symbol
which is its flame, illustrate well the frequent
improvisation that presides over realization of
the grandest to the breast of the C.O.J.O.The apotheosis of an
administrative career was going to appear in a
whole other area and in Nice. To coordinate an
administrative reform and to organize the
information beside the Prefect of
Alpes-Maritimes, have been the springboard to a
participation to the economic and local life of
the Department. The study of an urban community
with Nice as chief-place and districts was the
primacy of what was going to become the
adjustment the Tray of Valbonne (1975-1990). The
association of the five communes was going to
allow the creation of Sophia-Antipolis,
exceptional floret of the modern technology.
Well known qualities of syndicalism clever for a
long time and reputed administrative organizer,
have allowed Robert Fouich to negotiate between
aspirations of the ones and reticences of
others... To lead to its term the beacon work of
Nice and the Coast of Azure, in quality of
Director then Counselor of the SY.MI.VAL. These too brief lines are
an encouragement to dive in the character. To
preface a such collection is an honor that I
appreciates as much better that I have been able
to follow by near the meritorious and courageous
effort of the Man during his implantation
niçoise in 1964 to the Direction of Repatriates,
while I was to Counsel myself beside François
Missoffe. Later, being to plugs with the
creation of the Ability of Medicine, I have
appreciated the dynamism and the creative spirit
of the Technical Counselor of the Prefect of
Alpes-Maritimes, then his faith, shared bit then
by the administrative, in the future of this
first European technopole which is
Sophia-Antipolis, whose reputation is today
world. All my most cordial
compliments to Robert Fouich and to this other
Black-Foot Michel El Baze, they are the real
luminairistes of the French thought in Algeria
and contribute to immortalize the beautiful
flame destined to honor forever French of
Algeria.
PRÉFACE
DE MAURICE MOUCHAN
Maire-Adjoint de Nice
"Classe 1941 - Recrutement
d'Alger - n° matricule 2105" est l'intéressant
témoignage de Robert Fouich sur une tranche de vie
de l'Algérie française. C'est le récit détaillé
des services militaires ou assimilés qu'il a
effectués entre 1941 et 1945. L'auteur a d'abord
accompli son service civil obligatoire dans les
Chantiers de la Jeunesse 103 à Sidi-Ferruch et
Mahelma. Libéré en janvier 1942, il a adhéré à
l'Association des Anciens des Chantiers, à Blida. Mais, aussitôt après le débarquement des
Anglo-saxons du 8 novembre 1942, il est mobilisé
dans les Chantiers de la Jeunesse militarisés. Il
est envoyé à Fort de l'Eau et El Riath, à Rovigo
puis à Mouzaïaville et El Affroun. Nommé au grade
d'Assistant, il participe à la chaîne de montage
des GMC fournis par l'Amérique à la France au
Champ de Manoeuvre, à Alger. Il est ensuite
affecté à l'Ecole des Elèves officiers de
Cherchell où il appartint à la 2ème promotion
"Tunisie" (été 1943) et est nommé Sergent breveté
Chef de Section. Il choisit alors le 7ème RTA, à
Sétif, où il commande un peloton d'élèves
caporaux, avant d'aller embarquer pour l'Italie à
Bizerte. Il participe, dans l'infanterie, aux durs
combats des Abruzzes. Il est blessé grièvement le
3 février 1944, sur le Belvédère et doit
abandonner la 10ème Compagnie. C'est alors le
retour à Blida, au centre de fracture, la réforme
définitive et la réintégration à la Préfecture
d'Alger. Dans un dernier chapitre bien documenté,
Robert Fouich apporte son témoignage sur la façon
dont certains événements historiques ont été vécus
en Algérie et les mentalités de l'époque 1940
1945. Il tire les enseignements de la victoire du
Corps Expéditionnaire Français en Italie qui
conquiert Rome et atteint Sienne. Evoquant la
décolonisation, il exprime l'espoir d'un nouveau
sursaut français et pense possible le
rétablissement de relations étroites entre la
France et le Maghreb. L'auteur a publié en 1985 un
important ouvrage de références sur
Sophia-Antipolis, la première technopole
européenne (320 pages). Je suis heureux de retrouver dans ce
témoignage, un camarade de promotion de l'Ecole
des Elèves Aspirants de Cherchell. Robert Fouich
retrace dans ces lignes une période où la Jeunesse
Française d'Afrique du Nord, alliée à tous leurs
camarades qui nous avaient rejoints en passant par
l'Espagne, se montraient avides de participer à la
libération du territoire métropolitain.
L'enthousiasme qui transparait du récit est bien
symptomatique de l'état d'esprit qui régnait à
cette époque. Merci à Robert Fouich d'avoir contribué à
la connaissance de la mentalité de la jeunesse
"Pied Noir" en cette période cruciale de notre
existence et merci à l'Association Nationale des
Croix de Guerre et Valeur Militaire et à son
président de la Section de Nice d'avoir fixé ce
témoignage pour le confier à la postérité.
ROBERT
FOUICH
Je ne me suis pas appliqué
ici à faire une oeuvre littéraire.
Ceci
n'est que la consignation aussi exacte et
objective que possible
des
quelques jours vécus de la Campagne d'Italie,
la
reproduction étoffée de mon carnet de route.
Mon
but était de créer un document plus fidèle que la
mémoire
et
ce à ma seule intention.
C'est
à dire que je n'ai pas fait d'efforts pour
modifier ou enjoliver
ni
d'ailleurs pour bien écrire.
J'ai
d'ailleurs eu beaucoup de mal à terminer.
Blida, Mai 1944
Table
Préface de M. le
Professeur René Bourgeon 9
I - Saga
familiale - 1912 - 1964 15
1 -
Des Dardanelles à Salonique - Mon père 1911 -
1918 17
2 -
Brazey-en-Plaine - Ma mère 1917 - 1919 19
3 -
Tizi-Ouzou - Alger - Affreville - Ain Beïda -
Notre enfance 1921 - 1933 21
Tizi - Ouzou (1919 - 1920) 21
Alger (1920 - 1925) 21
Affreville (1925 - 1928) 22
Ain-Beida (1928 - 1933) 23
4 -
Alger 25
Études secondaires 1933 - 1941
25
Blida (1941 - 1949) 27
II -
Classe 1941
-
Recrutement d'Alger - n° matricule 2105 49
Préface de M. Maurice Mouchan
51
1 - Les Chantiers de la
Jeunesse - Un service civil obligatoire 53
Les Anciens des Chantiers 54
Les Chantiers militarisés 54
2 - L'École des Élèves
Officiers de Cherchell 56
3 - Le 7e Régiment de
Tirailleurs Algériens 58
Sétif 58
En route pour l'Italie! 60
Les Abruzzes et le Belvédère
64
L'hôpital et la réforme 89
4 - Contexte historique 91
III - Un
demi siècle de fonction publique 121
1 - Rédacteur
Temporaire à la Préfecture d'Alger - 1942 -
1946 123
2 -
Rédacteur, Chef de Bureau puis Attaché à la
Préfecture
de
Constantine - 1946 - 1956 125
3 -
Alger - 1956 - 1962 - Attaché puis Chef de
Division de
Préfecture
- Détaché au CATI - Mis à la disposition du
Consulat
Général de France 127
4 -
Nancy - Aide Sociale et Tutelle Hospitalière -
1962 - 1964 136
5 -
Nice - Direction des Rapatriés - 1964 - 1967 139
6 -
Grenoble - Les Xèmes Jeux Olympiques d'Hiver -
1967 - 1968 143
7 -
Quatre ans au Cabinet du Préfet des
Alpes-Maritimes - 1968-1972 147
8 -
La D. E. C. E. - 1972 - 1975 152
9 -
Sophia Antipolis et le SYMIVAL - 1975 -1990 158
10 -
Cannes - Délégation Spéciale - Janvier 1990 166
11 -
Syndicalisme et défense corporative 170
a) Les Syndicats 170
b) L'Association des Directeurs
de Préfecture 173
IV -
Fermez le ban !.. 203
1 -
Rubans et médailles 205
2 -
Ecrire... 213
V -
Addenda 225 1 - Matériaux généalogiques sur
mes ascendants maternels 227 2 - Documents -
Autour du 12 Février 1921 230
Index 249
La mémoire
La
mémoire : seul bagage incessible
Jacques ATTALI
I
Saga
familiale
1912 - 1964
1 - Des
Dardanelles à Salonique
Mon père 1911 - 1918
Promu, en raison de sa
bonne conduite, à la première classe, à compter du
1er septembre 1914, alors qu'il n'avait pas encore
21 ans, le soldat Fouich Pierre-Alexandre ne
désespérait pas d'arriver au grade de général
avant une quarantaine d'années de services. Très
fier de cette distinction, il en fit part, de
Seddul-Bahr, à ses "chers aimés" de Limoux avec
une satisfaction qui perçait sous une pudique
ironie, invoquant la classe: "Noël! Noël! Anges
joufflus, chantez et vous, braves gens,
esbaudissez-vous... mieux vaut la classe, oh gué!
mieux vaut la classe..." Que d'événements pour le jeune provincial
en tout juste deux ans!... Il avait quitté le
logis familial et la forge paternelle, après un
court intérim d'instituteur, pour aller... "en
Afrique", rejoindre sa soeur Elodie, de treize ans
son aînée. Jean Tisseyre, son aventureux
beau-frère, comptait bien faire rapidement fortune
dans le négoce des vins algériens. Mais, Pierre jugea vite plus sage de
rechercher un emploi indépendant et stable; agréé
comme commis stagiaire à la Banque de l'Algérie,
il avait été affecté en 1912 en Grande Kabylie,
dans la petite bourgade de Tizi-Ouzou. Bel homme,
véritable dandy, il était allé poser, en 1913,
dans le studio du photographe local. Elégamment
appuyé sur sa canne à pommeau d'argent, il avait
fière allure dans son costume trois-pièces tout
neuf, avec son col empesé et sa cravate
soigneusement nouée, son canotier à large ruban,
la moustache élégante, le regard direct quoique un
peu rêveur. Son initiation bancaire fut
interrompue par son appel sous les drapeaux, peu
après son vingtième anniversaire. Envoyé en
garnison à Bastia, il terminait ses classes
lorsque fut déclarée la guerre. Cette guerre - "la Grande" - survenait
aux lendemains des conflits balkaniques de 1912 et
1913. Elle devait s'avérer mortelle pour l'Empire
Ottoman dont le reflux territorial se poursuivait
lentement mais inexorablement depuis trois
siècles. L'alliance de la Turquie à l'Allemagne et
à l'Autriche- Hongrie puis l'ouverture des fronts
russe et serbe firent que, moins d'un mois après
le début des hostilités - dès le 1er septembre
1914 - Pierre - qui avait finalement adopté son
deuxième prénom Alexandre, peut-être en hommage au
grand conquérant macédonien qui apporta la
civilisation grecque en orient - se retrouva à
l'extrême sud de la presqu'île de Gallipoli, à une
heure de bateau de l'île de Ténédos, dans la mer
Egée, au nord de Lesbos. La France, la
Grande-Bretagne, la Russie et la Serbie firent
front à l'ennemi. Chacun pensait que la guerre
serait brève. En février 1915, la force navale détachée
au Levant, sous le commandement de l'Amiral
Guépratte, à l'initiative de Winston Churchill,
appareilla pour les Dardanelles. L'Amirauté
britannique voulait entreprendre le passage du
détroit avec la flotte, seule, alors que l'amiral
Carden estimait préférable d'attendre la
coopération des troupes destinées à marcher sur
Constantinople. L'attaque fut déclenchée le 18
mars 1915. Elle se solda par des pertes sévères:
628 hommes et 20 officiers hors de combat; 3
cuirassés coulés; de nombreux bateaux avariés. Le
25 avril, le Corps du Général Amade devait
participer avec un bataillon sénégalais à un
débarquement sur la presqu'île de Gallipoli et la
pointe asiatique de Koum Kaled; ce fut l'occasion
d'une relève et Alexandre put s'embarquer pour la
France avec de nombreux permissionnaires. Il
s'arrêta à Marseille et se fit photographier,
grave, le cheveu dru, clair et ondulé, la
moustache conquérante... agenouillé sur un
prie-dieu... une cigarette non allumée entre les
doigts. Il retrouva à Limoux, son père, François
et Mélanie, sa mère, qui s'étaient fait beaucoup
de souci pour lui, seul fils de leurs quatre
enfants. Elodie, sa soeur aînée, avait quitté
depuis longtemps la maison familiale construite,
pierre à pierre, autour de la forge à l'angle de
l'avenue du Pont de Fer et de la rue d'Aude, avec
seulement l'aide d'un tâcheron et celle d'amis. Au
village, lorsqu'elle y revenait, on ne
reconnaissait plus ses trois fils, Georges, Louis
et Pierre, tant ils avaient grandi. Joséphine, la
seconde, avait 28 ans; son mari - Jean - était au
front et l'insouciante gaieté de son petit Jojo, 4
ans, ne parvenait pas à apaiser son angoisse.
Jeanne, la dernière des quatre enfants Fouich, la
plus jeune soeur de Pierre, avait maintenant 19
ans. Elle était devenue diablement jolie! ... Mais les jours de permission passent
vite. Il fallut bientôt repartir. Le front
français se stabilisait. En Orient, les stratèges
ne parvenaient pas à s'entendre sur les objectifs
de l'expédition des Dardanelles: simple diversion
ou ouverture des détroits aux russes? La chaleur
fut forte en juillet 1915 et des myriades de
mouches devinrent un insupportable fléau. Les
pertes furent énormes: 32.000 tués, 13.000
disparus, 100.000 blessés et médiocres furent les
résultats. L'échec fut constaté et les troupes
alliées débarquèrent en octobre 1915, à Salonique,
contraignant les allemands à une guerre
sous-marine sans restriction, qui fut la cause de
l'inter-vention américaine. En mai 1916, Alexandre qui avait obtenu
la croix de guerre était aux frontières
gréco-serbo-bulgares. Avec son copain Léon, il
disposait à Kirie, en Macédoine grecque, d'une
"maison de campagne" devant laquelle ils avaient
planté leur tente. La température était déjà
élevée, mais Alexandre était en parfaite santé:
calot de repos coquettement incliné sur le crâne,
en treillis, il commençait à prendre goût à la
pipe. Mais il trouvait le temps fort long malgré
les lettres d'une jeune bourguignonne, Marcelle
Chaussier, avec qui il avait été mis en relation
par son vieil ami Papillon. En juin 1917, enfin, il obtint une
nouvelle permission. Le 21, il arriva dans la
jolie rade de Tarente après une traversée
difficile. Il adressa aussitôt une carte postale à
Limoux, précisant qu'il espérait partir par chemin
de fer, le soir même et retrouver les bords de
l'Aude vers le 30. Mais il dut attendre encore
48h. Il quitta Livourne le 25 juin au matin et
arriva le soir à Gènes, après un voyage
magnifique. La population italienne fit un accueil
enthousiaste aux permissionnaires français,
charmés par le paysage de la Riviéra et ses 40 km
de superbes villas. Après Vintimille et Marseille,
ce ne fut pourtant pas vers Limoux qu'il se
dirigea tout d'abord. Il fit un crochet par
Brazey-en-Plaine, dans la Côte d'Or, d'où, pour
s'excuser, il promit à ses parents 21 jours
complets de séjour à Limoux. "Vous n'avez rien à
regretter", les assura-t-il peu après... "ni moi
non plus", précisa-t-il, car son séjour bressan
lui avait permis de connaître sa marraine de
guerre et de la découvrir plus jolie et plus douce
encore qu'il ne l'avait imaginée d'après les
portraits qu'elle s'était faits faire chez
Chesnay, à Dijon. Lui aussi, se rendit au studio
bourguignon pour poser, les joues pleines, le
teint frais, les cheveux frisés et fraîchement
taillés, la moustache moins élégante, plus sobre
et plus courte qu'à Tizi-Ouzou ou même qu'à
Marseille, l'uniforme de gros drap bleu horizon du
176ème Régiment d'In-fanterie, plus sobre. Après 3 semaines limouxines, il fallut,
hélas, repartir mais, dès Tarascon, le 28 juillet
1917, le cafard avait disparu. Le 4 août,
Alexandre s'apprêta à se rembarquer à Marseille. A
Négovani, il retrouva avec plaisir son ami Léon
Freytes, qui, deux ans après, épousa sa soeur
Jeanne, à Limoux. La guerre et le séjour des armées alliées
en orient se prolongeaient. Le 15 septembre 1917,
une offensive générale ordonnée par le nouveau
commandant en chef, le Général Franchet d'Esperey,
contraint la Bulgarie à demander l'armistice.
Constantinople fut occupée le 17 novembre 1917. Fin 1918, le caporal Pierre Fouich fut
pressenti pour poursuivre sa carrière militaire en
direction de la Roumanie, du Danube et de la
Russie, mais six années de services militaires
avaient suffi à son bonheur. L'armistice venait
d'être signé. Il préféra rejoindre la France, où
Marcelle l'attendait, puis l'Afrique et la Banque
d'Algérie qui l'avait titularisé.
2 - Brazey-en-Plaine
Ma mère 1917 - 1919
Le 28 mars 1917,
lorsqu'on lui souhaita son vingt deuxième
anniversaire, Marcelle Chaussier ne put retenir
ses larmes. Son ouïe, décidément, ne s'améliorait
pas et elle ne pouvait pas se résigner à ne pas
tout saisir de ce qui se disait autour d'elle, de
se trouver exclue des plaisanteries et des
rires... Elle s'indignait d'avoir à subir une
cruelle infirmité imputée à une banale ablation
des amygdales. L'atmosphère était d'ailleurs
devenue mélancolique dans la grande maison si
animée, il y a encore moins d'un ans, lorsque
Joseph Balme, restaurateur, accueillait ses hôtes
bruyants, tout heureux de faire étape à Brazey. Le
gîte était réputé à plus d'une lieue à la ronde,
notamment pour la qualité de sa table! On y
logeait confortablement "à pied et à cheval".
Hélas, Joseph qui n'avait que 58 ans avait
disparu, laissant sa compagne Marie, mère de
Marcelle, veuve pour la deuxième fois. Il avait
été un bon mari et avait choyé Marcelle et sa
soeur Paule comme ses vrais enfants. Marcelle
n'avait guère connu son père, Paul Chaussier, de
Trouhaut (St Seine l'Abbaye), ancien du 128e à
Sedan puis employé de commerce, à Belfort et
Modane qu'une "fluxion de poitrine" avait enlevé à
son affection. Il n'avait pas quarante ans; elle,
tout juste trois. Sa mère, Prudence Marie Droin,
était née à Trouhans (St Jean de Losne, près de
Brazey) ;alors que les Allemands occupaient la
maison familiale, sans égard pour la qualité du
chef de famille, premier magistrat de la commune.
Mariée à 19 ans, veuve une première fois à 28 ans,
elle faisait de son mieux, veuve à nouveau à 46
ans, pour tenir seule son commerce. Elle
s'appelait désormais Marie Balme-Droin, pour des
raisons commerciales. Paulette, soeur de Marcelle,
avait épousé, il y avait déjà 4 ans, un
méridional, employé des contributions indirectes à
Dijon, mobilisé comme officier, envoyé au front,
gazé et soigné à l'hôpital temporaire de
Martillac, en Gironde, dès 1915. Marcelle avait
une grande affection pour Paule, son aînée de 4
ans, et beaucoup d'admirative sympathie pour Léo.
Elle avait pourtant envié sa soeur d'avoir pu
apprendre la musique, d'avoir pu poursuivre ses
études à Dijon, de s'y être fait des amis. L'un
d'eux, ancien condisciple de l'Ecole Normale,
actuellement aux Dardanelles, lui avait procuré un
filleul de guerre, Pierre-Alexandre Fouich,
qu'elle appelera Alex, peut-être parce que le
prénom de Pierre lui rappelait un petit frère,
mort bébé, et qu'elle n'avait pas connu, ou parce
que celui d'Alexandre évoquait le grand conquérant
macédonien qui donna naissance, en orient, à une
nouvelle civilisation. Alexandre ayant écrit qu'il
espérait une permission, avait été invité à venir
à Brazey. Ses lettres à l'écriture régulière et
nette, au style agréable, étaient attendues avec
impatience et curiosité. Marcelle avait envoyé à son lointain
filleul le portrait qu'elle s'était fait tirer à
Dijon, où elle avait accompagné sa soeur chez le
photographe. Paule et Marcelle avaient posé tour à
tour, sur le même fauteuil sculpté, fixant avec
sérieux l'objectif. Elles portaient des robes
jumelles à petits carreaux blancs et noirs, avec
des parements blancs, assortis aux gants qu'elles
tenaient à la main; la première était un peu plus
ronde, la seconde un peu plus grande. Trois mois
plus tard, Marcelle rencontra son filleul de
guerre. Il lui plut, devint son fiancé, mais il
fallut attendre encore plus de deux ans pour le
mariage qui eut lieu à Brazey, le 6 septembre
1919, au cours de la permission libérable d'Alex.
Ce fut alors le départ de Brazey, l'embarquement à
Marseille, la traversée de la Méditerranée,
l'arrivée à Alger, puis l'installation à
Tizi-Ouzou...
3 - Tizi-Ouzou - Alger - Affreville -
Ain Beïda
Notre enfance 1921 - 1933
Une vingtaine de
kilomètres avant d'atteindre Constantine, la
capitale orientale de l'Algérie, Alex (27 ans),
Marcelle (25) et leurs deux enfants, Bobi et
Janine, avaient changé de train à Ouled Rahmoun,
abandonnant ainsi la grande transversale reliant
le Maroc à la Tunisie via Alger. Ce fut, pour les
Fouich, une heureuse diversion car la fatigue d'un
long voyage commençait à se faire sentir. Le
transbordement s'effectua sans trop de difficultés
malgré le nombre et le poids des bagages. Le
nouveau train, sur voie étroite, était
pittoresque, le paysage surprenait par sa
monotonie et Marcelle s'amusait à compter les
arbres qui se faisaient rares. Il lui tardait
d'arriver à Aïn Beïda car le mois d'octobre était
déjà bien entamé: il fallait alors avoir 7 ans
révolus pour être admis à l'école primaire et Bobi
qui avait atteint l'âge de raison en février,
allait se trouver à nouveau retardé par ce
changement de résidence pour effectuer sa rentrée
scolaire. Pour Janine qui venait seulement d'avoir
six ans, en cette année 1928, c'était moins
important!.. Tizi -
Ouzou (1919 - 1920) Marié à Brazey le 6 septembre 1919, après
sa démobilisation, Alex avait rejoint Tizi-Ouzou
avec sa jeune épouse. Leur séjour n'y avait pas
excédé dix mois car ils avaient rapidement obtenu
une mutation dans la capitale où ils avaient
séjourné cinq ans avant d'en passer trois à
Affreville. Ain Beïda serait leur quatrième
affectation. En Kabylie, les Européens étaient peu
nombreux. Son chef-lieu n'était encore qu'une bien
modeste bourgade dont, les jours de marché, les
.indigènes du bled envahissaient les rues et
encombraient jusqu'aux seuils des portes où ils
jouaient aux dominos avant de sombrer dans une
sieste profonde et de reprendre, à la fraîcheur,
les chemins poussiéreux empruntés, à l'aller, dès
l'aube. Marcelle, venue directement de sa
lointaine Bourgogne, en avait un peu peur et
s'habituait mal à la solitude durant les longues
heures de bureau d'Alex. Fort heureusement,
l'annonce d'une première naissance incita bientôt
la Banque de l'Algérie à prendre en considération
une demande de mutation pour Alger. Alger
(1920 - 1925) Ce fut rue Villotran, dans un immeuble
situé non loin du Champ de Manoeuvres, de la rue
Sadi Carnot et de la rue Hoche que naquit, le 12
février 1921, le petit Robert, Jean, Philibert.
Une sage femme, Mme Ausseill, présida à sa
naissance car l'époque n'était pas encore aux
accouchements en clinique. Marcelle - qui avait dû
être opérée la veille d'un malencontreux flegmon -
et Alex en furent très fiers: c'était un beau bébé
blond qu'ils appelèrent Bobi. Ce surnom lui resta.
Les Fouich se lièrent avec un collègue d'Alex, les
Lorquin qui eurent leur petite Simone à peu près à
la même époque. Lorquin, bachelier, eut le courage
de préparer sa licence en droit après son mariage.
Il devint plus tard directeur de la succursale de
Tunis de la Banque de l'Algérie. Dix huit mois après, Janine vint
compléter la famille. Elle aussi, fut un beau
bébé, les cheveux très fins, d'un blond encore
plus doré que ceux de Bobi, d'immenses yeux bleus,
les joues bien remplies, le teint très clair. Affreville
(1925 - 1928)Depuis la guerre, le coût de la vie ne
cessait de croître et l'inflation se développait
rapidement. Cette maladie avait traversé la mer et
éprouvait les populations algériennes. Le niveau
de vie des français d'Algérie était encore moins
élevé qu'en métropole, contrairement à certaines
apparences. Les salaires dans les banques étaient
alors peu élevés et les allocations familiales
pratiquement inexistantes. La victoire, en 1924,
du cartel des gauches et l'envoi comme Gouverneur
Général du socialiste Maurice Violette n'y changea
rien. Les Fouich furent donc tout heureux, en mars
1925, d'être mutés à Affreville. Pour la première
fois, ils allaient être logés dans les
confortables immeubles modernes de la Banque, tous
construits dans une même architecture cossue avec,
en rez-de-chaussée, de solides grilles. Mais, dans
la plaine du Chéliff, la chaleur estivale était de
plomb et le paludisme n'avait pas encore été
résorbé. Marcelle y attrapa la typhoïde. Pour lui
éviter la contagion, on expédia Bobi à Alger où
étaient arrivés depuis peu sa marraine, Paule, la
soeur de Marcelle et son parrain, Léo, Chef du
service des contributions au Gouvernement général:
on profita d'une occasion et il prit le train
accompagné par le monteur du chauffage central.
Mais Léo, venu le réceptionner à la gare centrale,
les manqua: ils étaient descendus à la gare de
l'Agha, au plus près du 98 rue Michelet où oncle
Léo et tante Paule n'avaient pu trouver à louer
qu'un appartement éclairé par des soupiraux. Les
passants faisaient sur les murs des ombres
mouvantes qui intriguaient et inquiétaient quelque
peu Bobi. Il se trouvait bien entre son parrain et
sa marraine qui n'avaient pas d'enfant et
l'aimaient beaucoup. Léo plaisantait souvent: un
soir, au. moment du coucher, il apparut en gibus
disant qu'ils allaient à l'opéra; à table, il
assurait que des chataignes tombaient du plafond
ou que le roquefort n'était bon qu'avec des vers.
Il y avait, dans l'appartement, toutes sortes
d'objets à découvrir: sur le dessus de cheminée,
un petit chalet en bois dont le toit s'ouvrait;
dans le placard, le képi, le casque et la lourde
épée ramenés de la guerre par le lieutenant
Bornes. Mais Léo et Paule étaient parfois bien
sévères: un caprice valut, un jour, à Bobi d'être
enfermé dans un placard obscur; une autre fois, il
dût ameuter le voisinage en criant "on
m'assassine!... on m'assassine!..." pour éviter le
supplice du thermomètre. De retour à Affreville, Bobi retrouva
avec joie sa soeur qui avait grandi et devenait
une agréable camarade de jeu. Ils se chamaillaient
souvent mais étaient très sages lorsqu'ils
allaient chez leurs voisins, M. Jouvent, Directeur
de la succursale, son épouse et leurs deux
enfants, Georges et Mado, qui avaient à peu près
leurs âges. D'Affreville, Bobi et Janine gardaient le
souvenir d'un incendie impres-sionnant, à peu de
distance de la Banque et du déraillement du train
qui, préci-sément, amenait d'Alger l'oncle Léo et
tante Paule. Ain-Beida
(1928 - 1933) A Affreville, nous étions relativement
près d'Alger: à une centaine de kilomètres à
l'Ouest, vers Miliana. Mais, en octobre 1928, la
Banque de l'Algérie envoya papa poursuivre sa
carrière à Ain-Beïda. Nous étions désormais
éloignés de la capitale algérienne d'environ cinq
cents kilomètres. Aïn-Beïda était une petite ville
de l'Est constantinois - dix mille habitants à
dominante berbère- située à 90 kilomètres de
Tébessa, en direction de la frontière tunisienne,
à 1000 mètres d'altitude, près de la Meskiana et
de Khenchela, porte de l'Aurès. L'immeuble de la B.A. était coquet. Notre
appartement de fonction, vaste et confortable,
était contigu à celui du Directeur, au premier
étage. Au-dessous, étaient les bureaux et la loge
du concierge. La Banque n'était pas éloignée du
Centre, du Café Coppolani et du Cercle. Sur le
coté, nous avions en vis-à-vis le Maire, le Dr
Willigens, un notable très digne a la belle barbe
rectangulaire. Je fus inscrit à l'école primaire et
perdis presque une année en raison de mon mois de
naissance Mes premières études ne furent pas
exceptionnelles avec M. Charbonnau, mon
instituteur. Mais, au cours de l'année scolaire
1932-1933, je fus stimulé - notamment pour
l'écriture et l'orthographe - par le Directeur, M.
Cachau, mon "professeur de français" qui apprécia
mon très bon travail, mon application et ma
conduite. Par contre, dans les premiers mois, mon
"professeur de sciences", M. Millet m'avait jugé
dissipé, trop sur de moi, un peu expéditif.
J'obtins le Certificat d'Etudes Primaires, le
fameux CEP, avec mention "Bien". Mes principaux compagnons de classe
furent Benassaï, Bozzi, Douvreleur, Guillemot,...
Comme à Affreville, nos camarades habituels furent
les enfants du Directeur, Colette et René Cattin,
Janine Beal puis André Landaret et son petit frère
Georges. Pour Noël, mon oncle Léo et ma tante
Paule - mes parrain et marraine - m'offrirent leur
phonographe à manivelle et quelques disques
(musique classique et chansons de troupiers).
J'entendis à Ain-Beida, pour la première fois, les
crachotis d'un poste de TSF contenu dans une
mallette. Tout le monde s'en extasia! Je pus
admirer un biplan après son atterrissage sur un
champ voisin. Toute la population se déplaça à
cette occasion avec les autorités civiles et
militaires. Le pilote, M. Viaud, était-il le
Capitaine commandant la place ou son frère? Avec Janine, nous fîmes du piano avec
pour professeur la fille du pharmacien (ou du
Directeur du Crédit Lyonnais?), Melle Vigo. Je
n'avais guère d'oreille, ce qui ne m'empêcha pas
d'être pressenti par le curé pour tenir
l'harmonium de l'église. Surtout, je considérais
que le piano était un instrument de fille. Janine,
elle, se conduisit en homme en ne dénonçant pas
mon imprudence. Nous jouions dans le jardin public
et, la tirant avec ma carabine à plomb, je
l'atteins un jour à l'articulation de deux doigts
de la main. Je n'étais pas fier!... Je me vois dans ce jardin avec un casque
colonial. La mode en passa complètement dans mes
années d'adulte. C'est à Ain-Beïda qu'excédé par les
plaisanteries de mes camarades, "Bobi le chien",
"Bobi le chien", j'ai décidé de m'appeler
désormais "Bobby". Cela me posait et faisait
anglais! Je me souviens d'une fête à l'école où
j'ai eu à interpréter au mirliton: "De bon matin,
j'ai rencontré le train, de trois grands rois qui
partaient en voyage..." Janine, elle, eut
l'occasion d'être déguisée en paysanne. Qu'elle
était jolie... et pourtant si rarement joyeuse!... Parfois, c'était papa qui me donnait le
bain dominical. Il utilisait sans ménagement un
énorme savon de Marseille carré qui me
chatouillait!... A plusieurs reprises, ma grand-mère
maternelle est venue nous rendre visite. Elle,
aussi, fut atteinte de la paratyphoïde. Tous les
étés, nous allions chez elle, à Brazey. La maison
était vaste, avec des dépendances nombreuses, des
jardins potagers et fruitiers, une grande allée
qui menait aux bords de la rivière... Nos bagages
étaient nombreux, nos malles fort lourdes car nous
ramenions des pommes pour tout l'hiver. Mes camarades d'école m'instruisirent de
bien des choses étranges. Lorsqu'ils m'assurèrent
que les enfants ne naissaient pas dans les choux,
je ne pus admettre que maman m'avait trompé.
J'imaginais une interprétation moyenne: ils
étaient conçus par une femme spécialisée et vendus
au Galeries Lafayette Une fois ou deux, papa participa à un
convoi de fonds sur Alger ou Tunis (car il
appartenait à la Banque de l'Algérie... et de la
Tunisie). Il avait, dans certaines circonstances,
un grand cache- poussière gris. Une année, il
contracta une grave maladie au contact des billets
qu'il manipulait avec dextérité. Il faillit mourir
et sa température dépassa les 40°. Confondant
degrés et dixièmes, je l'ai jugé condamné et ai
orné la pendule blanche de la cheminée, de petits
drapeaux tricolores. Mais, au dernier moment, il
put éviter d'être transféré en ambulance à
Constantine et se rétablit peu à peu. Dans les
derniers temps de notre séjour Aïn Beïdeen, maman
m'autorisait à faire quelques sorties à vélo.
Lorsqu'on m'annonça que nous allions partir pour
Alger, j'eus quelques regrets, concevant mal que
la capitale Algéroise puisse être plus agréable à
vivre qu'Aïn Beïda. Mais nous étions en 1933. Nos
études primaires venaient de s'achever. Il était
grand temps, surtout pour moi qui avait 12 ans
révolus, de leur donner un prolongement sérieux.
4 - Alger
Études secondaires 1933 -
1941
Alger avait attiré mes
parents pour deux raisons: ils en avaient déjà
éprouvé les charmes; ils y seraient enfin auprès
de tante Paule, la soeur de maman, de l'oncle Léo
et de leur petit Jacot. L'oncle Léo occupait une
situation enviable. Chef de service au
Gouvernement Général de l'Algérie, à la Direction
des Finances, il avait contribué à l'avancement de
papa et à sa mutation. Il avait une Renault. Un
jour, nous étions sortis en famille et il s'était
inquiété de bruits anormaux; c'était un plumeau
oublié sur l'aile avant (plumeau et marche-pieds
sont aujourd'hui périmés!). Pendant longtemps, je
fus considéré comme le futur héritier des Bornes
dont j'étais le filleul: Tante Paule avait dépassé
la quarantaine et avait perdu l'espoir d'une
maternité. En 1931, elle partit en vacances d'été
à Brazey après avoir cru à une grossesse nerveuse.
Elle revint en octobre avec un beau poupon au
grand étonnement de leur concierge. Ils avaient
fini par trouver Rue Elysée Reclus un bel
appartement avec vue sur la mer, non loin de celui
qu'ils occupaient 98 Rue Michelet. J'y ai vu
atterrir les premiers hydravions faisant la
liaison avec la France. J'y ai admiré avec
attendrissement notre petit Jacot déguster avec
appétit des bananes écrasées dans du sucre en
poudre. Mon oncle avait été gazé pendant la Grande
Guerre. Il était emphysémateux. Il supportait de
plus en plus difficilement le climat humide de la
capitale Algéroise. Son médecin, le Dr Azan, un
Homéopathe en renom, lui préscrivait des cures
annuelles au Mont Dore et lui conseillait une
résidence au climat plus sec. Pau fut sollicité
mais ce fut finalement Nîmes qu'il obtint. Il y
devint Directeur des Contributions Indirectes et y
mourût en 1937, à l'âge de 51 ans, alors que nous
arrivions pour aller passer nos vacances annuelles
à Brazey. Jacques avait seulement six ans! Papa
avait envisagé de nous faire poursuivre nos études
à l'E.P.S., mais maman avait pour nous plus
d'ambitions. Elle tint à nous faire inscrire au
lycée. Pour Janine, ce fut le lycée de la Rue
Michelet puis "le Lycée Fromentin" à la Redoute.
Pour moi, le "petit Lycée de Mustapha" ou "Lycée
Pierre Gauthier", de la Rue Hoche, avant le "grand
Lycée Bugeaud", de la Rue Bab Azoun. Cela me valut
le grand plaisir d'être abonné aux TA. Je fus
inscrit en A' et fis du latin avec un professeur
Bourguignon assez volumineux, portant chapeau à
larges bords, jovial et plaisantant facilement, M.
Gabriel Humbert. Mais, en 5ème, avec le même
professeur, nous retrouvâmes les mêmes
plaisanteries, aux mêmes moments et affectâmes de
ne pas en rire ce qui nous déconsidéra à ses yeux.
Notre professeur d'histoire et géographie fut
surnommé "Petit Carré" selon une expression
utilisée dans son cour. Nous surveillions
jalousement son empressement auprès de Mme
Belanger, la gracieuse épouse de notre professeur
d'anglais. J'eus plus tard, pour les lettres,
l'élégant M. Chozky et sa belle lavalière. Mon
professeur de gymnastique, un beau garçon,
s'intéressait d'assez près à l'anatomie de ses
élèves. Mon camarade préféré était Yves Bouat,
féru de bateaux à voiles. Il s'engagea dans la
Marine Nationale et fût tué à Mers el Kébir, lors
de l'attaque tragique en 1942, de la flotte
française par les Anglais. J'eu également pour
condisciple, Yves Beyer, fils de plombier, Arnaud
qui exploita plus tard le beau magasin familial
d'articles de sports de la Rue d'Isly, Bagur qui
réussit comme moi, en 1946, le 1er concours de
rédacteurs de l'Administration Départementale
Algérienne ouvert après guerre, Aumeran, Jean
Descuns (frère du neuro chirurgien), Courgeon à
qui j'ai donné, un jour, un magistral coup de pied
au derrière... Nous nous attribuions
réciproquement de surnoms. Je fus tour à tour "le
Pirate aux Yeux Bleus", "Inpérator Unus Couillus",
"Le Mauvais Garçon", "Ribouldingue"... J'étais
assez dissipé et dûs redoubler ma 4ème. En mai 1936, j'ai donné mes premiers
coups de raquette à l'annexe du Raquette Club du
chemin de la Madeleine. En Août, nous étions,
comme tous les ans, avec maman à Brazey... et,
comme tous les deux ans, papa qui avait droit au
passage gratuit en mer une année sur deux. Nous
avons fait un mémorable pique nique dans "l'Ile
aux Cochons" de St Germain des Bois. Il y avait,
avec mon oncle Léo et ma tante Paule, leurs vieux
amis parisiens, les Chavarot. On se saluait la
main tendue ou le poing fermé, selon ses tendance
politiques. Les Croix de Feu avaient échoué, en
1934 et Léon Blum venait d'arriver au pouvoir
alors que la menace hitlérienne se précisait. En
Novembre, de retour à Alger, je fis partie de
l'équipe minime du RUA, victorieuse en football
par 5 à 0 de l'USA. Notre entraîneur était
l'Anglais Reggan et nous étions stimulés par le
voisinage des frères Couard, de Jasseron...
Heureusement, le changement de lycée me stimula.
J'obtint le prix d'excellence. "Roi au royaume des
aveugles", selon M. Durin, mon austère professeur
de sciences naturelles, je compris, à mes dépends,
que toute vérité n'est pas bonne à dire. Mais pour
le professeur de lettres qui m'accueillit en 3ème,
mon titre n'était pas contestable. Ses louanges
m'incitèrent à confirmer mon classement. Les distributions de prix étaient
réellement solennelles, les discours édifiants: 50
ans plus tard, j'ai évoqué, dans un éditorial, mon
professeur agrégé de lettre, M. Vincent;, qui
avait traité de "l'autorité, notion capitale dans
la vie des hommes et des sociétés". Parmi mes
professeurs, je me souvins surtout de M.M. Joulin
(Histoire et géo) qui appréciait mon style;
Cazenave (Espagnol) qui jouait avec nous, à mains
nues, en récréation, à la pelote basque; Custaud
(Physique et Chimie) dit "Brosse à dents" à cause
de sa belle moustache; Chevalier (Dessin) un peu
bossu; Schaeffer qui nous apprenait un anglais
fortement imprégné d'accent marseillais et que
nous chahutions pas mal; Escaffre, dit "Tintin",
en Philo. Mes principaux rivaux furent Lucas,
Servajean-Hilst et Truche. Avec Philippe Bertsch
(mort prématurément à Marseille, en 1981), Lucien
Vernet et André Verduzier, nous formions le
quatuor des mousquetaires. Arnold, l'élégant, le
fantaisiste, mort à Blida des suites d'une
blessure de guerre mal soignée, contractée en
Tunisie, et Marc Henry, le fils du colon, maire de
Dupperré. Celui ci nous ayant invité à la fête de
son villages, Bertsch nous présenta René
Cavalgante qui disposait de la voiture de son père
pour nous conduire sur place, près d'Affreville et
de Miliana. Nous fîmes un excellent séjour à
Duperré avec plusieurs promenades à cheval. Nous
profitâmes au maximum de la fête du village. A Alger, papa obtint par ses relations
bancaires un vaste appartement au 7 de la Rue de
Mulhouse, dans un immeuble où logeaient les
Vernet. Pour "Lulu" qui avait le goût de
l'affabulation tout était "derrière sa porte"
(transformée en cible pour le lancer de
poignards). Il m'assura un jour, sans rire, que sa
mère était une soeur aînée prématurément vieillie.
Josette, sa cadette, m'apprit à danser le tango.
Encore toute jeune (12 ans) mais déjà très jolie
fille, elle me fit honte, lorsque pour "faire la
rue Michelet" en ma compagnie, elle s'affubla d'un
chapeau rouge des plus voyants. Nos autres amies
furent Denise Boulet (beaux yeux rieurs, toque de
petit gris), Vera Toupine (très belle blonde,
assez délurée) et sa soeur, Renée (plus
conformiste)... Elles participèrent à nos
premières surprises parties. Nous fîmes plusieurs
courts séjours dans le cabanon des Bertsch, à
Alger Plage. Les sous sol de la villa des
Verduzier, décorés par Achille Arnold, furent les
témoins d'une mémorable soirée de nouvel an.
Généralement, nous ne pouvions pas participer aux
joyeuses fêtes estivales car nous partions chaque
été pour Brazey et passions tous les deux ans par
Limoux.Exceptionnellement, en 1938, nous avons
séjourné une semaine dans la sous préfecture
audoise: maman avait aidé tante Paule à déménager
Nîmes et à s'installer à Dijon. Nos vacances
furent délicieuses. Janine connut Jo. Je fis du
tandem avec ma cousine Marthe, nous allâmes à
Couiza voir ses propres cousines et participâmes
avec elles à des vendanges. Blida
(1941 - 1949) Au début de l'année 1941, papa fût muté à
Blida où j'ai terminé ma philo dans d'excellentes
conditions, au collège Duverier. Les classes y
étaient moins chargées, les professeurs moins
titrés mais plus proches des élèves. La Banque de
l'Algérie nous logea "Villa Guite", bourgeoise et
vaste demeure à l'entrée de la "Ville des Roses",
en venant d'Alger. Les pièces du rez- de chaussée
furent un jour visitées par des cambrioleurs. En
novembre 1942, elles hébergèrent plusieurs de mes
camarades mobilisés avec moi aussitôt après le
débarquement américain. Nous quittâmes par la
suite la villa Guite pour une villa moderne. Après mon bac, en juillet 1941, disposant
seulement d'un maximum de deux ans de sursis et ne
pouvant terminer une licence, j'ai cru préférable
de répondre à l'appel des Chantiers de la
Jeunesse. Affecté à Mahelma, je fis l'Ecole des
cadres de Camp de Chênes où j'obtins les galons de
chef d'équipe (7ème sur 2 ou 300!) Démobilisé à
l'improviste en Janvier 1942, je m'inscrivis en
Faculté de Lettres pour une licence d'Espagnol. En
Juin, je ne fus évidemment pas reçu et me suis
orienté sur le droit, recherchant une activité
professionnelle car mes parents ne disposaient
plus d'allocations familiale et pas encore de
sécurité sociale. Au printemps 1942, mon futur beau frère
vint rendre visite à Janine. Ils décidèrent de se
marier. Le mariage fut intime (27 Juillet). Seul,
mon camarade Foissac se joignit à la famille en
qualité de témoin. Après leur voyage de noces à
Limoux, Janine et Jo s'installèrent à Alger où Jo
devait commencer des études d'architecte. Après mon service, je fis partie des
Anciens des Chantiers, avec mon camarade Foissac. En Septembre 1942, je fus admis à la
Préfecture d'Alger en qualité de rédacteur
temporaire et pris une chambre meublée à Mustapha
supérieur. Mais le débarquement américain du 8
Novembre motiva, dans les huit jours, notre rappel
sous les drapeaux: l'Algérie fut le pays où le
pourcentage de mobilisation fut le plus élevé du
monde. Comme ancien des Chantiers, je fus maintenu
dans une unité de jeunes désormais militarisés. A
Mouzaïaville et El Affroun, j'eus à instruire des
jeunes sans avoir moi-même reçu une longue
formation militaire. Après avoir participé au
Champ de Manoeuvres d'Alger à la grande chaîne de
montage des GMC américains, je fus admis à l'Ecole
des E.O.R. de Cherchell. Mais je fus moins heureux
qu'à Camp des Chênes et fus seulement promu au
grade de sergent breveté chef de section (cet
échec m'affecta beaucoup; il résulta de moindre
besoins en aspirants, de mon classement probable
comme giraudiste à l'époque où de Gaulle cherchait
à s'imposer et à mon appartenance à la section
d'un adjudant moins bien dotée en aspirants que
celles de l'adjudant chef, du sous lieutenant et
du lieutenant!) Pour bien marquer qu'on avait eu
tort de me refuser les galons d'aspi, je choisis
le 7è RTA de Sétif (qui devait partir au combat)
de préférence au 1er RTA (qui restait
provisoirement à Blida où j'aurais été près des
miens) Je fus blessé dans le secteur de Cassino
après une courte campagne. Je revins à Blida me
faire soigner et fus réformé à Constantine. Juste
avant ma sortie de l'hôpital de Blida, maman vint
m'annoncer la naissance de ma petite nièce et
filleule, Nicole. Jo, mobilisé avec moi, finit par
se retrouver au 1er RTA, à Blida. Janine se replia
sur la villa Guite. Le 30 Août 1944, Jo gagna Mers
el Kébir puis Marseille, Gérardmer où il eut un
orteil gelé, puis l'Alsace où il tomba le 15 Mars
1945. Janine et Coline purent partir le 30 Avril
1945 pour Toulouse et Limoux. Janine retrouva Jo
le 8 Mai 1945 à l'Hôpital Purpan de Toulouse; elle
lui donna son sang ce qui n'évita pas
l'amputation... J'ai retrouvé ma place à la Préfecture le
1er Décembre 1944 et me suis partagé entre deux
chambres meublées, M. Ausseill qui avait
successivement perdu son fils et sa femme
m'accueillant chez lui pour avoir une compagnie. Le concours de rédacteur des Préfectures
d'Algérie eut lieu en Avril 1946 mais, seuls, les
trois premiers lauréats furent affectés à Alger.
Je dus rejoindre Constantine. J'y fis connaissance
de Dilette en Septembre après des vacances à
Brazey et vint la présenter à mes parents à Blida
en Avril 1947. Nous nous mariâmes à Constantine le
4 Octobre 1947. En Juillet 1948, je dus la laisser à
l'Hôpital St Genis Laval de Lyon. J'ai effectué
pendant deux mois la navette entre Lyon et Brazey
(qui fut vendu peu après). En Septembre, je dus
rejoindre Constantine d'où je revins récupérer
Dilette le 1er Décembre (grâce à un convoi
psychiatrique, j'ai bénéficié d'un transport
gratuit). En 1949, papa obtint sa retraite de la
Banque d'Algérie. Avec maman, après avoir
recherché une résidence vers Lyon, ils
s'installèrent à Toulouse dans une coquette villa
dont ils firent l'acquisition Rue Raymond Naves,
dans un quartier résidentiel nommé "Moscou". Notre
séjour constantinois dura 10 ans. Ce fut ensuite Alger (1956 - 1962) -
Nancy (1962 - 1964) puis Nice.
II
Classe
1941
Recrutement
d'Alger
n°
matricule 2105
1 - Les
Chantiers de la Jeunesse
Un service civil
obligatoire Le 1er juillet 1940, après la débâcle et
l'armistice, les corps d'armée furent dissous.
Cent mille hommes des classes, 38, 39 et 40
venaient d'être appelés sous les drapeaux. Ils
n'avaient reçu aucune instruction militaire et ne
pouvaient pas être renvoyés chez eux compte tenu
de l'état matériel et moral où les avaient laissés
une lamentable déroute. L'Etat-Major les confia au
Général de la Porte du Theil en lui demandant d'en
faire..."ce qu'il voudrait" (sic). Les Chantiers
de la Jeunesse furent alors créés et organisés par
une loi du 18 janvier 1941 qui rendit le service
civil obligatoire. C'est ainsi que je fus convoqué
pour recevoir "un complément d'éducation morale et
physique" et devenir "un homme". Mon incorporation se fit le 9 juillet
1941, à la halle aux tabacs, au Groupement 103 de
Blida, le Groupement "Isly" qui comptait environ
2000 jeunes. La vaste salle sans cloisons avait
été, pour la circonstance, dotée de châlits
superposés en bois. Je fus affecté à la couchette
n°98. Aussitôt immatriculé sous le n°2393, je fus
douché et habillé: short, chemisette et casque
colonial kaki, brodequins, molletières, ceinture,
béret et cravate vert forestier. Le lendemain,
après avoir subi une visite médicale, je fus
radiographié. Le 3ème jour fut consacré à la
vaccination, le 4ème au repos. Notre départ pour
les chantiers eut lieu le 13 juillet. Je fus
affecté à un groupe de bord de mer, à Sidi Feruch,
comptant environ 150 jeunes (chef de groupe
Bordes). L'entrée du "Camp de Bretagne" était
signalée par un portique rustique. Tout autour
d'une allée centrale étaient disposées des tentes
"marabout". Au fond, une place avec le haut mât du
drapeau. Il y avait aussi une construction en dur
pour les magasins et les écuries et deux totems en
bois sculptés d'inspiration africaine. Mon équipe, la 4ème, comprenait, sous les
ordres d'un chef d'équipe et d'un second, 12
jeunes issus de couches - très diverses - de la
société. Nous vivions sous la tente, au milieu des
pins. Nous nous levions vers les 7 heures du
matin. Après avoir rendu honneur au pavillon, nous
étions initiés aux joies de l'hébertisme,
partagions des repas frugaux, travaillions à des
travaux de forestage, de débroussaillement et
d'aménagement de notre cantonnement. Au cours de marches et de veillées, nous
devions chanter ("A la claire fontaine", "Notre
Alger", "le Vieux Chalet", "J'avais un
camarade"...). Peu doué pour le chant, je faisais
parfois semblant de chanter. Mon rôle dans un
choeur de marins bretons, se limita, un soir, à
venir crier à la fin: "tout le monde en bas!". Dès le 3 août 1941, je fus affecté à
l'Ecole des Cadres de Camp des Chênes, à plus de
1500 m d'altitude, dans l'Atlas Blidéen, vers le
Rocher des Singes, sur la route de Médéa,
Berrouaghia, Boghari... J'avais été choisi pour un
peloton d'élèves Chef d'équipe. La sélection était
flatteuse car, selon le Commissaire Régional Van
Hecke, "tout le système (des Chantiers) (était)
conçu en fonction des cadres". Ceux-ci devaient
être "impeccables à tous point de vue, moral,
physique et intellectuel" et donner l'exemple, "en
tous temps et en tous domaines". J'eus pour
principaux camarades Albert Foissac, Roland de
France, Gabriel Detienne. Sur les pistes de Camp des Chênes, je me
suis découvert un pied de montagnard assez sûr et
des qualités de marcheur insoupçonnées. J'ai
appartenu à la 10è équipe du 1er groupe. C'était
l'équipe "Napoléon", ex-équipe "Saint-Louis" dont
la devise était "Justice et Vertu". Nous avons
étudié l'organisation des Chantiers, les Fonctions
des cadres, les devoirs des chefs et les procédés
de commandement. Nous avons reçu des cours de
secourisme, d'hygiène, de topographie et de morse,
d'histoire et de géographie... Je ne me souviens
pas avoir fait des prouesses mais j'ai dû être
apprécié car j'ai été nommé Chef d'équipe en bon
rang: 7ème sur 130 : un numéro spécial du 1er
novembre 1941 de "Quand Même" le journal du
groupement (Commissaire Camus) donne la liste des
lauréats.Après un voyage de fin de stage à
Berrouaghia et Médéa, j'obtins ma première
permission pour Blida et la "Villa Guite". Je fus alors affecté, avec ma double
barrette blanche, à Mahelma, en lisière de la
"Forêt des Planteurs" de Zéralda. Je revins à Camp
des Chênes pour participer à une grande marche sur
Alger -9 étapes d'environ 35 km- à l'occasion d'un
jamboree : Médéa, Bourkika, Dolfussville, Miliana,
Hammam Righa, La Chiffa, Boufarik et Douéra. A
Dolfussville, le Caïd nous offrit un couscous
délicieux quoique un peu sec et sans garnitures.
Un viticulteur nous fit remplir nos gourdes d'un
savoureux vin blanc de 15 ou 16°. Je fus libéré le 31 janvier 1942 et
obtins un certificat de moralité et d'aptitude
élogieux. Les
Anciens des Chantiers Je devins le 788è adhérent de
l'Association des Anciens des Chantiers de la
Jeunesse. Celle-ci avait pour but de prolonger
l'enseignement reçu, d'entretenir le culte et
l'amour de la France, de conserver l'esprit
d'équipe, le goût du travail, le sens d'une vie
droite, généreuse et dévouée au bien commun. Nous fîmes notamment deux sorties
dominicales, l'une en Mai 1942 à Chréa, la
seconde, en Juin, à Sidi-Ferruch. Je fus alors nommé Chef adjoint du
District de Blida si j'en juge par un récépissé du
Commissaire adjoint Metz, Chef Départemental de
l'ADAC d'Alger, me donnant quitus d'une somme de
630 F, montant d'un reliquat de comptes. Le
récépissé, établi à El Affroun, n'est pas daté: on
peut penser qu'il coïncide avec mon retour au
groupement 103 des Chantiers de la Jeunesse, au 3è
groupe d'El Affroun, le 24 janvier 1943. Que s'était-il donc passé entre-temps? Les
Chantiers militarisés Je m'étais inscrit à la Faculté des
Lettres d'Alger dès Février, pour préparer une
licence d'espagnol. Bien évidemment, je n'avais
pas été prêt en Juin. J'avais dû modifier mes
objectifs. J'étais entré le 18 Septembre 1942 à la
Préfecture d'Alger comme rédacteur temporaire pour
pouvoir gagner ma vie et ne plus être à la charge
de mes parents, qui ne bénéficiaient plus
d'allocations familiales (et pas encore de la
sécurité sociale !). Je m'étais inscrit en Faculté
de Droit. Mais les Américains avaient débarqué en
Afrique du Nord. Aussitôt, après un semblant de
résistance dûe à une mauvaise information des
autorités, Alger était devenue la capitale de la
France en guerre. 175000 Français de souche
européenne avaient été mobilisés dans l'Armée
d'Afrique placée sous l'autorité du Général Giraud
: "Un seul but, la Victoire". J'avais moi-même été
rappelé aux Chantiers de la Jeunesse de Blida et
affecté au 6è groupe d'Oued El Alleug. Nous
campions à la ferme Bernard et, pendant quelques
jours, mon beau-frère Jo fut des notres. Je fus
rapidement désigné pour participer à l'encadrement
de jeunes à la salle Jeanne d'Arc, à Blida, puis
pour subir une instruction militaire à l'Ecole des
Chefs de Corps de Reconnaissance et de Combat de
Fort de l'Eau. Nous partîmes ensuite dans les
montagnes de Rovigo, vers l'oued Merdja, effectuer
des manoeuvres et nous exercer au tir. Pour Noël,
je partis -sans permission- pour Blida. Au retour,
je faillis ne pas retrouver mon unité qu'il fut un
instant question de transférer à Alger à la suite
de l'attentat dont fut victime l'Amiral Darlan.
J'obtins une vraie permission pour fêter en
famille l'année 1943. Mais j'avais perdu
l'habitude des nourritures riches et eus une de
mes premières "crise de foie". Après Fort de
l'Eau, je fus dirigé sur El Riath, pour compléter
ma formation militaire, à l'Ecole Technique des
G.C.R. Nous fîmes des démonstrations de tir le 9
janvier, au polygone d'Hussein-Dey. Je fis ensuite partie, de l'encadrement
de jeunes à incorporer dans l'Armée, au Maroc.
Notre voyage par chemin de fer fut très long. Nous
croisions des convois américains parfois pillés.
Mais les pillards confondaient caisses
d'outillages divers avec les emballages de
victuailles qu'ils recherchaient. Nous passâmes
par Fort Lyautey, Rabat, Fez et Oran. Ce fut mon
premier voyage au Maroc mais pas le plus
instructif sur le plan touristique. A Casablanca,
j'eus la déception de ne pas apercevoir l'océan
alors qu'à Alger, il suffisait d'emprunter les
boulevards circulaires pour dominer le port et
pouvoir admirer la plus belle rade du monde. Le 24 janvier, je fus affecté au 3ème
groupe à El Affroun, puis, le 5 mars, au 11ème, à
Mouzaïaville. Je reçus le grade (et l'étoile)
d'Assistant, l'équivalent du grade d'Aspirant. Je
perçus une solde appréciable : 4239 Frs dont il
est vrai, étaient déduits les repas (207 Frs),
l'impôt cédulaire et la contribution nationale
(210 Frs). Nous fîmes alors de l'instruction
militaire. Les jeunes qui nous donnèrent le plus
de mal furent des étudiants en médecine. Du 20 avril au 9 mai 1943, nous fûmes
dirigés sur Alger, et cantonnés au jardin d'Essai.
Je me souviens avoir dû me glisser avec d'autres
sous des camions pour me protéger des éclats d'un
mitraillage aérien. Les feuillées étaient
insuffisantes, mais il nous était formellement
interdit d'utiliser les tranchées-abris creusées
en cas d'alerte. Nous ne devions pas davantage
nous servir des latrines du secteur britannique
"off limits". Diverses consignes d'hygiène nous
étaient données : douches, coiffeurs, jeunes
galeux... On nous invitait à l'observance d'une
strict discipline : le travail ne devait pas
abolir échanges de salut et marques de respect. On
nous rappellait, enfin, que nos rations de pain
étaient les doubles de celles des civils et qu'il
fallait éviter de nous faire envoyer de la
nourriture par la poste. Le 21 mai, je fus désigné comme
commandant d'un détachement de 20 jeunes ("à
choisir parmi les meilleurs") pour aider au
travail de montage de planeurs sous l'autorité du
Commandant de la Base Aérienne américaine de
Blida. Nous pûmes admirer le sens de la discipline
et de la démocratie outre atlantique à l'occasion
des repas (officiers, sous-officiers et hommes de
troupe confondus). Quelques jours après, je fus envoyé à
Cherchell, à l'Ecole d'Elèves Aspirants de Réserve
de l'Afrique du Nord. C'en était définitivement
terminé, pour nous des Chantiers de la Jeunesse,
mais d'autres ont combattu dans les Abruzzes avec
les chars du 7è R.C.A., "Régiment de tradition des
Chantiers de la Jeunesse nord-africains".
2 - L'École des Élèves Officiers de
Cherchell
Dès le 23 novembre 1942, la
décision avait été prise de créér à Cherchell, une
école d'élèves aspirants, qui devint un St Cyr
africain. Cherchell, ancien et redoutable centre
de piraterie barbaresque, était alors le centre
administratif et commercial d'une riche région
provinciale agricole française. La petite ville et
son port avaient été choisis en raison de leur
site et de leur environnement en terrain de
manoeuvres (notamment "le plateau sud" qui
dominait Cherchell et d'où l'on découvrait les
horizons marins). Désigné pour Cherchell le 26 mai
1943, j'y suis arrivé seulement le 4 juin, après
avoir transité par Mouzaïaville, puis Hussein-Dey,
aux côtés de la musique régionale et, enfin, à
Alger, à la caserne d'Orléans. L'Ecole des E.O.R.
avait été aménagée vaille que vaille dans le
quartier Dubourdier, libéré par un bataillon du
1er RTA, parti pour la Tunisie combattre l'Africa
Korps allemand. Ces locaux s'étant avérés
insuffisants, quelques unités avaient dû être
cantonnées dans l'ancien parc à fourrage : ce fut
le cas de ma compagnie. Le commandement n'ignorait pas que les
pertes au combat allaient être considérables parmi
les chefs de section et de peloton. Entre décembre
1942 et mai 1945, nous fûmes 5000 à avoir été
formés à Cherchell. Selon le Général d'armée
J.Cailles qui, alors colonel, commanda l'Ecole du
20 Février 1942 au 2 Mai 1943, les anciens de
Cherchell peuvent se targuer "d'avoir été le fer
de lance de l'armée française pendant les dures
campagnes d'Italie, de France et d'Allemagne,
d'abord, puis d'Indo-chine, ensuite". Les trois
quarts des élèves environ, furent des français
d'Afrique, presque tous réservistes. Parmi les
autres, venant de métropole, beaucoup s'étaient
évadés en passant par l'Espagne. Les mentalités
n'étaient pas identiques et quelques dissensions
opposèrent certains élèves d'origine différente...
La première promotion, la promotion "Weygand",
avait été libérée le 30 Avril. Elle avait comporté
1101 élèves. La notre fut baptisée "Tunisie". Elle
compta 326 élèves commandés par le Lieutenant-
Colonel Guillebaud (4è RTT), le Commandant
Larroque (RTS) et le Commandant de Roquigny (3è
RTA). Il y eut ensuite les promotions
"Libération", "Marche au Rhin" puis "Rhin
français" (Lieutenant- Colonel Huguet). Nous fûmes tous placés dans le même
creuset d'une instruction inter-armée et soumis au
dur entraînement de l'infanterie : école du
soldat, armement, instruction du tir, organisation
du terrain, combats, sports, observation et
topographie, conduite automobile. Notre
tenue fut française, en drap et toile avec bandes
molletières, capote d'infanterie, casque,
harnachement de cuir... Notre allure était des
plus martiales lorsque nous défilions en ville!. Beaucoup
moins lorsque nous "crapahutions" dans un djebel
au relief tourmenté. Qu'il était dur, aussi, au
cours de longues marches, de coller à la Compagnie
qui suivait à pied le cheval du Capitaine du
Lattay (4è RTT)! Notre file s'étirait et des
"coups d'accordéon" obligeaient les traînards à de
gros efforts. Et le soleil africain de cet été
1943 fut torride! Quelle joie lorsque nous
pouvions nous plonger dans l'eau claire des
immenses plages de sable fin!... Notre compagnie comportait 4 sections. La
1ère était commandée par un lieutenant (Lt Luquay,
du 29° RTA), la seconde par un sous-lieutenant
(S-Lt Faure, du même régiment), la 3è par un
adjudant chef (l'Adjudant Chef Désiré, du 1er
RTA), la dernière -la mienne- par l'Adjudant
Menjès, du 13°RTS. J'eus la grande déception de ne
pas être nommé Aspirant mais seulement Sergent
breveté chef de section. Ce brevet consolateur, ne
me fut d'ailleurs jamais officiellement notifié.
Je ne dispose pas davantage de la liste des
lauréats. Mais je suis à peu prés certain que la
proportion des nominations "d'aspi", dans chacune
des 4 sections, fut inversement proportionnelle au
grade de son chef. Notre compagnie ne fut pas non
plus privilégiée par l'origine de ses élèves (les
Chantiers de la Jeunesse pour la plupart). Et
notre promotion bénéficia seulement de 45% de
nominations au grade d'Aspirant alors que ce
pourcentage s'éleva, pour les autres, jusqu'à 85%
. Nous pûmes choisir notre affectation, en
fonction de notre rang de classement. On nous
précisa les unités en instance de départ au front
et celles qui partiraient plus tard. Je choisis le
7è RTA, de Sétif, qui devait aller se battre, de
préférence au 1er, de Blida cependant, dont le
départ devait être ultérieur. J'avais bien mérité une permission de 10
jours!... Bien entendu, je l'ai passée dans ma
famille, à Blida. Elle me permit d'avoir quelques
informations sur l'évolution des événements
politiques et la progression des combats. Mais il
me semble que je ne me posais pas tellement de
questions, me pliant sans effort aux
circonstances, subissant mon destin avec
discipline. Et l'époque n'était pas à la
surinformation. On ne disposais ni de transistors,
ni de la télé. La campagne de Tunisie s'était terminée à
notre avantage. Sur 70000 soldats français, fort
mal équipés, 16000 avait été tués, blessés ou
portés disparus. Le 8 septembre 1943, Américains
et Anglais avaient débarqué au pied de la botte
italienne, à Tarente et à Salerne. Le roi d'Italie
avait abandonné le pouvoir. En Afrique du Nord,
l'équipement des troupes françaises était retardé
par des difficultés de transport et de délicats
problèmes techniques. La froideur entre les Forces
Françaises Libres et l'Armée d'Afrique subsistait.
Le Général Juin avait reçu le commandement du
futur Corps Expéditionnaire Français en Italie, et
l'entraînait à sa mission sur le littoral oranais,
entre Arzeuw et Mostaganem. A Blida, le ravitaillement des civils
s'était un peu amélioré, beaucoup à cause des
Américains et du marché noir. Les cigarettes
blondes avaient fait leur apparition. Les
Indigènes revendaient le lait condensé qu'on
fournissait aux enfants. Un de mes amis d'enfance,
avait été tué à Blida, où il avait été mobilisé
dans l'aviation. Voulant partir en permission à
Alger, il avait voulu sauter sur la plate forme
d'un camion qui passait, avait manqué son coup et
avait roulé sous les roues. Un autre camarade de lycée, retour de
Tunisie où il avait été blessé par une arme amie
défaillante, venait d'arriver à l'hôpital
auxiliaire. Nous lui rendîmes visite. Son plâtre
était infesté de punaises!... Le pauvre Achille,
un gai compagnon, un talentueux imitateur de
Charles Trenet, était bien délaissé! Mal soigné,
il mourut en Décembre. La nouvelle m'en parvint à
Sétif, au moment où je partais pour l'Italie !... Cette permission fut la dernière avant la
perte de mon intégrité physique et mon congé de
convalescence. Elle fut excellente. Je le suppose,
du moins, car je n'en ai conservé aucun souvenir.
Un billet signé le 30 septembre 1943, par ordre du
major de l'école d'E.A. d'A.F.N. en est la seule
trace. Il précisait que, nommé au grade de Sergent
à compter du 1er octobre, je devais rejoindre le
7è RTA, mon corps d'affectation, à l'expiration de
ma permission.
3 - Le 7e Régiment de
Tirailleurs
Algériens
1 - Sétif
Je partis donc pour Sétif,
sans grand état d'âme: à l'époque, je n'avais
guère d'expérience et, comme pour la plupart de
mes contemporains, faire mon devoir me paraissait
simple et naturel. Mes parents surent me cacher
leurs craintes : maman avait perdu son père des
suites de la guerre de 1870 alors qu'elle n'avait
pas 3 ans, papa avait fait les Dardanelles,
également dans l'infanterie et connaissait les
risques que j'allais courir; il m'avoua, à mon
retour, s'être fait, à mon sujet, beaucoup de
soucis... Le 13 octobre 1943, je suis donc arrivé à
Sétif, important marché des hauts plateaux
constantinois, à 1200 mètres d'altitude. Les
larges avenues de la petite ville de colonisation
aboutissaient à l'église et au monument aux morts
de la Grande Guerre. L'église était très classique
avec son clocher, son horloge et sa croix. Elle
faisait face au monument: un troupier "bleu
horizon", brandissant un drapeau et soutenant une
République assise, sereine, en bronze sur un socle
de pierre, un mur arrondi, des listes de tués,
deux urnes, les palmes de la Croix de Guerre...
Tirailleurs, Zouaves, Chasseurs, chaque corps de
troupe disposait de sa propre caserne. La notre
était contiguë au bureau de la place. Je fus affecté au Bataillon de Tradition
du 7è RTA, à la 34ème Compagnie (2° Cie
d'instruction) et reçu le commandement d'un
peloton d'élèves Caporaux jusque là confiés à
l'Adjudant Chef Martin. Je fus placé sous les
ordres du Commandant Biraben, du Capitaine
Simonpierri, du Lieutenant Coubé et du
Sous-Lieutenant Pommier. Mes collègues
sous-officiers furent le Sergent Chef Rossi et les
Sergents Clotet, le Calvy, Gaudino et Planté.
J'avais la responsabilité de l'emploi du temps de
mes élèves. J'ai réussi à conserver le programme
de la semaine du 22 au 27 novembre 1943. Ecrit de
ma plume et signé par mes soins le 18, il a été
visé par le chef de bataillon. Le matin, je
faisais faire des exercices et de l'éducation
physique au stade puis de l'instruction sur la
mitrailleuse, les grenades, les gaz de combat et
du tir sur le terrain de manoeuvres. L'après-midi,
j'avais choisi les côtes 1077 et 977, 1093 et
1125, 1111 et 1085 pour initier mes élèves aux
patrouilles, au combat offensif et au combat
défensif. Au quartier, j'avais prévu douches et
soins de propreté, revues d'armes et
interrogations ou études surveillées. Arriva alors le 8 décembre 1943. Ce fut
le jour de mon départ du dépôt de Sétif pour
rejoindre mon régiment qui avait quitté l'Oranie.
Il s'y était entraîné pour l'Italie où il allait
combattre avec le C.E.F.I. et la 5ème Armée
américaine. Ce jour-là, j'ai commencé à tenir un
carnet de route qu'il m'a suffit de reproduire
sans beaucoup le modifier ni l'enjoliver. J'étais à Sétif depuis le 17
octobre, près de 2 mois! Rarement, depuis ma
mobilisation, je n'était resté plus d'un mois au
même endroit . J'aurais dû me méfier! Tout au
contraire, je venais d'annoncer à mes parents que
je viendrais en permission à Blida pour Noël...
Deux jours auparavant, on m'avait annoncé que nous
partirions à 8 h 36 avec une vingtaine de
sous-officiers . La veille, alors que je bouclais
ma valise, j'eus la surprise d'une sympathique
visite de mes élèves caporaux venus me faire leurs
adieux. Pendant plus d'un mois, j'avais été leur
Directeur de Peloton. Je les avais un peu secoués
car il avaient tout d'abord manifesté une certaine
mauvaise volonté en raison de difficultés
matérielles et de l'instabilité des stages. Mais
j'avais réussi à leur inculquer un peu de l'esprit
des Chantiers et ils m'avaient, semble-t-il
apprécié. Le même soir, on nous avait rameuté en
hâte pour rejoindre la gare et un détachement
d'environ 200 hommes. Le commandant de Zouaves qui
le commandait nous fit remonter car nous n'avions
même pas de vivres de route. Ma dernière nuit au
quartier fut mauvaise. Jusqu'à plus de 2 heures du
matin le quartier avait résonné du bruit des
Tirailleurs musulmans cassant du bois pour
préparer le méchoui de l'Aïd el Kébir.
En route pour l'Italie!
Finalement, nous partîmes
bien le 8, à l'heure
initialement prévue. Nous occupâmes évidemment un
wagon à bestiaux. Il faisait partie d'un train de
soldats de la 8ème Armée britannique que nous
vîmes avec envie se substanter jusqu'à 6 ou 7 fois
par jour, ou prendre un thé chaud. Le voyage dura
seulement 48 heures, mais je ne pus guère admirer
un paysage nouveau pour moi. Je dus rester couché
en permanence, avec une migraine exceptionnelle.
Elle dura, moins forte, pendant plus de 8 jours
avec des accès de fièvre et des saignements de nez
fréquents . Le 10 décembre,
nous arrivons dans la banlieue de Bizerte, en gare
de la Pêcherie. Après deux heures d'attente, sous
une pluie fine et intermittente, des camions des
Forces Françaises Libres viennent nous chercher et
nous conduisent, deux km plus loin, aux portes de
la ville, à la caserne du 4ème RTT . Là, surprise,
personne veut de nous. Vers midi, on ne sait trop
pourquoi, nous repartons sous la pluie, à quatre
km de là, avec des valises qui commencent à nous
peser. Nouveau contre ordre : il nous faut
rebrousser chemin. Heureusement, nous sommes pris
en stop par des camions anglais. Centre
d'Instruction Divisionnaire et 7ème RTA sont
introuvables. Nous nous installons alors dans des
locaux de la caserne en attendant d'être fixés sur
notre sort. Il est même question de repartir à
Sétif! Pendant une huitaine de jours,
désoeuvrement le plus complet ! Nous allons
parfois en ville. Bizerte a été entièrement
évacuée. Avant guerre, la ville a dû être
plaisante. Elle a été touchée plus que nous ne
l'imaginions par des bombardements américains. On
peut compter les immeubles intacts. Partout, on
voit des toitures enfoncées, des murs effondrés ou
criblés de balles et d'éclats. L'église a été
épargnée. Juste en face, un établissement de bain
tenu par un civil. Nous en profitons pour prendre
une bonne douche chaude. La boue envahit rues et
trottoirs. La ville serait une ville morte sans
une intense circulation de véhicules militaires.
Certains sont obligés d'utiliser des chaînes. Nous
repérons une cantine anglaise où l'on nous assure
pouvoir être admis. Mais nous nous en faisons
proprement expulser! Le quartier indigène est
toujours habité. Beaucoup de marchands ambulants.
D'excellentes pâtisseries avec gâteaux variés,
confiseries aux amandes, nougat, rahat-loukoums.
J'aurais aimé en offrir à Janine, ma soeur, qui
les aurait appréciés... Le 16 décembre,
nous sommes enfin affectés en CID3 (Centre
d'Instruction Divisionnaire), à la CP7. Je suis
séparé de deux compagnons de chambrée de Sétif.
Planté, administrateur adjoint, est affecté à la
CP3, Gaudino à la CS (?). L'après-midi, je suis
présenté au commandant de la compagnie, le
Capitaine Dieumegarde. Il est assisté par le
Lieutenant Zadi, le Sous-Lieutenant Fichoux,
l'Adjudant Chef Goelff, l'Adjudant Bena, les
Sergents ou Sergents-Chefs Badmington, Choux et
Ninu. Je suis affecté au Bureau; ma profession
civile de rédacteur de préfecture a fait "tilt".
J'obtiens une planque, alors que, pendant 21 mois
de services à l'arrière, j'ai toujours été sur la
brèche : instruction, peloton, stages. Mais cela
n'est sans doute que provisoire! Nous abandonnons nos frusques françaises
en échange d'équipements américains neufs et assez
complets. Je rends sans regret mes molletières.
Par contre, je conserve mes brodequins de cuir.
Ils sont moins élégants que les chaussures
américaines mais mieux adaptés "au tout terrain".
J'ai un pantalon de sortie, des souliers vernis,
un rasoir, un peigne, des serviettes éponges... Le
grand luxe! Nous bivouaquons avec plusieurs autres
unités françaises à 3 ou 4 km de Bizerte, à
proximité d'une caserne. Nous partons vers 17
heures, sous une pluie battante, avec un camarade
de Tunis, également affecté au Bureau : on nous a
accordé une permission de 48 heures pour la
capitale tunisienne. Arrivés sur la route, un
signe et, presque aussitôt, un "command-car"
américain nous prend en charge et nous dépose à
Matteur. Là, bien qu'il fasse déjà nuit, un GMC,
américain encore, s'arrête. Nous descendons au
Bardo et, à pied puis en tram, nous traversons le
quartier arabe puis le quartier juif pour gagner
le centre. Nous nous séparons sous une pluie qui
s'est remise à tomber fort. Faute d'un centre
d'accueil pour sous-officiers, je prends une
chambre dans un hôtel proche de la gare. Il y a 2
bons lits. Un seul m'est nécessaire. Je l'ai
trouvé très bon après avoir dîné dans un
restaurant choisi au hasard. Le lendemain, je me
fais raser et couper les cheveux. Une bonne
friction pour finir et me voici chez un dentiste
pour faire soigner une couronne branlante.Je
dépose ma valise et mes effets civils chez les
Lorquin qui m'invitent à déjeuner. J'ai encore le
temps de me promener dans des rues animées et
d'admirer les vitrines. Je vais même au cinéma.
Retour sans problèmes. J'ai apprécié cette
permission qui m'a permis de prendre un peu de bon
temps! Le 21 décembre et
les jours suivants, je me mets au travail. Mon
"Bureau" est installé sous une tente pyramidale,
avec des caisses en guise de tables. J'établis
avec deux sergents du renfort des états de
filiation à fournir pour l'embarquement dont la
date n'est pas fixée. Nous ne sommes pas à l'aise
avec les noms arabes. Noël 1943. Nous
commençons un concours de bridge dans la soirée.
Mon initiation à ce jeu est toute récente mais je
suis déjà passionné. Vers 22 heures, des scouts
venus de Tunis nous donnent un petit spectacle. A
minuit, sous de grandes tentes spécialement
dressées, nous entendons la messe, parfois
émouvante. Avec les autres sous-officiers français
de la compagnie, c'est alors un très agréable
réveillon jusqu'à 5 heures du matin : apéritif,
charcuterie copieuse, choux braisé, tranches de
porc, gâteaux, liqueurs, chants... Je me lève
tard, le lendemain. L'après-midi, promenade à
l'arsenal de Ferryville. 28 décembre 1943.
L'embarquement est annoncé pour le lendemain à 8
heures. Mais les "états T.Q.M." sont à refaire en
13 exemplaires en répartissant les effectifs par
bateaux (1 bateau de 170, 1 de 160, le troisième
de 60). Le capitaine me confie la direction de ce
travail. J'y emploie mes deux collègues sergents,
une dactylo et des secrétaires de circonstance
choisis parmi les Français lettrés. Nous
réussissons à terminer tard dans la nuit. Le 29 au matin,
catastrophe!... On s'aperçoit que 7 exemplaires
sont à refaire sur un modèle différent avec dates
de naissance, noms des personnes à prévenir en cas
d'accident. Nous nous remettons à l'ouvrage en
plein vent car notre tente-bureau a été démontée.
A 17 heures, des camions viennent nous chercher.
Ouf! nous venons tout juste de terminer. J'ai eu
chaud! Ce sont encore des camions gaullistes que
nous utilisons. Ils nous conduisent à quai. Une
dizaine de bateaux anglais et américains, type
LST, sont alignés, portes largement ouvertes à
l'avant. On entre dans une immense cale où
s'entassent des véhicules. De chaque côté, 3 ou 4
mètres sont réservés pour les couchettes. Lavabos
avec eau chaude et eau froide, douches, wc. A
l'arrière, les couchettes de l'équipage, les
cabines des officiers, la cuisine. Sur le pont,
les superstructures sont à l'arrière, d'autres
camions s'entassent encore. Notre navire est le
LST 319. Nous passons la nuit à quai et
appareillons le 30, vers 9 heures, par un temps
couvert et sous une pluie fine. Dans le chenal
gisent des dizaines d'épaves nous obligeant à
zigzaguer. Dès la sortie, nous nous formons par
groupes de 6 bateaux de même type navigant en 2
colonnes de 3. Nous croisons un convoi faisant
route sur Bizerte. Dès la sortie du canal, nous
tanguons et roulons malgré la mer belle car nos
bateaux de débarquement sont à fond plat pour
pouvoir approcher le plus possible des rives
sablonneuses. Nous ne cessons pas de voir les
côtes. Notre appétit est d'autant plus solide que
nous inaugurons l'alimentation américaine: boeuf
et haricots ou boeuf et pommes de terre, boîtes de
rations C avec biscuits sucrés, bonbons et sucre,
café, limonade ou chocolat; boîtes de ration K (3
pour la journée). Nous découvrons ces boites de
rations K comme des enfants explorent leurs
souliers à la Noël. Dans l'une, nous trouvons une
boîte de pâté aux oeufs, des biscuits, des
cigarettes blondes, ou chewing-gum et bonbons.
Dans la seconde, du fromage et du chocolat. Dans
la troisième du corned-beef et des vitamines. Des
anglais voyagent avec nous. Ils s'empiffrent!
Trois ou quatre parfois cinq, par jour, avec un
bon pain blanc qui nous fait envie, du beurre, des
pâtés. Ils n'auraient pas l'idée de nous offrir
quoi que ce soit ou de nous autoriser l'accès de
leur cantine! Mais, en fin de traversée, ils nous
vendent des cigarettes : nous nous apercevons trop
tard qu'elles sont moisies! La mer s'est levée. C'est une véritable
tempête ! Nous passons entre l'île de Capri et le
continent italien. Notre réveillon est consacré au
sommeil pour éviter le mal de mer. Nous passons
devant Naples et attendons longtemps en rade de
Pozzuoli. Nous débarquons à la nuit à Bagnoli.
Nous nous formons en sections, mettons sacs à
terre mais personne ne vient nous chercher. Le
commandant de bateau accepte que nous dormions
dans la cale à condition d'évacuer dès 8 heures le
lendemain après avoir tout nettoyé! En ce 1er
janvier 1944, nous n'aurons pas foulé longtemps la
terre italienne!... Dimanche 2. Nous
allons prendre nos camions sur une grande "area".
Nous sommes assaillis par de nombreux Italiens de
tous âges qui demandent à échanger pommes et
mandarines contre des cigarettes ou des biscuits.
Nous partons enfin. Après différents détours et
plusieurs attentes, nous arrivons à Succivo où
nous devons cantonner. Nous installons notre
bureau dans un local commercial où nous trouvons
des tables "ad hoc" munies de multiples tiroirs.
Nous travaillons à l'aise. Le premier soir, nous
couchons sur notre lieu de travail avec mes
camarades sous-officiers. Mais, le lendemain, avec
un tirailleur parlant italien, nous partons en
quête d'un logis. On nous offre une chambre
magnifique. Mais, elle nous est aussitôt soufflée
par le capitaine: nous l'échangeons avec celle
moins confortable, qu'il avait trouvée, dans la
même cour. Slimane, l'ordonnance du capitaine loge
avec nous. J'ai noté l'adresse: 17 rue Virgilio.
Je suis affecté aux effectifs. Le travail ne
manque pas. Nous avons quartier libre le soir.
Mais, il n'y a pas d'éclairage dehors et tous les
civils sont chez eux. Il semble qu'ils craignent
beaucoup les Sénégalais et les Tabors marocains,
parfois pillards. La régions est assez belle. Les
arbres abondent. Je suis surpris par la façon de
cultiver la vigne. Les ceps sont plantés près des
arbres, les sarments s'enroulent autour des troncs
puis sur des fils de fer disposés horizontalement,
assez haut, entre les arbres. Il y a beaucoup de
belles pommes, un peu comme celles d'Amérique. Jeudi, en début
d'après-midi, le Capitaine s'apprête à partir pour
Naples. Il me propose de l'accompagner. Je saute
sur l'occasion. Nous sommes dans la capitale de la
Campanie dominée par le Vésuve en feu, une
demi-heure plus tard. Nous nous promenons dans la
grande rue, très mouvementée. D'immenses bâtisses
de style officiel, souvent lourdes et pas très
belles. Cela rappelle parfois l'Exposition
Universelle ou notre Gouvernement Général de
l'Algérie. Partout, des magasins, des vitrines
bien garnies : vêtements, bijoux, objets de luxe,
objets d'art magnifiques mais, aussi, articles
d'un goût douteux. Naples ne nous paraît pas avoir
été endommagée. A chaque coin de rue, on nous
propose restaurants, siñorinas.... La prostitution
parait répandue. Elle correspond sans doute à une
situation économique dramatique. Elle se pratique
en famille, par des femmes mariées ou par des
gamines de 15 à 16 ans, dans la pièce commune
séparée par un rideau, sous l'image d'une vierge
ou la croix du Christ, comme un commerce normal! Le dimanche, nous
faisons la grasse matinée et ratons la messe.
L'après-midi, nous allons faire un tour à
Fratta-Magiore. Mardi 11. Nous
changeons de cantonnement et nous nous installons
à Caivano, une petite ville d'environ 15000
habitants, à quelques kilomètres de Succivo, à 14
km de Naples. Nous succédons au 7ème Chasseur, le
régiment de tradition des Chantiers de la Jeunesse
: j'y aurais sans doute retrouvé quelques anciens
camarades. Le P.C. s'installe dans les dépendances
et la cour d'une magnifique maison de maître.
Notre bureau a été celui du fils de la maison qui
serait actuellement capitaine, sur le front.
Toujours avec Verdier, nous disposons d'une
chambre fort confortable : un lit chacun, des
tables, une armoire, un cabinet de toilette
attenant. Jeudi 13 janvier 1944. Nous
devons presque tous partir en renfort pour le 7ème
RTA. J'ai dû travailler la veille presque vers
minuit pour terminer les contrôles nominatifs. Un
renfort destiné au CIA arrive. Je retrouve parmi
eux la plupart de mes élèves caporaux. Le soir, je
reçois un gros paquet de courrier : les lettres
s'échelonnent du 5 décembre au 2 janvier. Vendredi. A midi,
nous allons chez un vieil Italien qui nous avait
proposé une côtelette de porc, des frites, du pain
et du vin blanc pour 70 lires. Nous prenons double
portion. Je fais préparer de l'eau chaude pour une
douche. Toute la famille de mes hôtes s'est
affairée. J'ai eu pour tub un baquet pas plus
grand qu'une casserole !Samedi 15 janvier. Je
demande à mon capitaine l'autorisation d'aller
changer à Naples de l'argent français. Je me
promène toute la journée avec plus de 15000 frs
dans ma sacoche. Avec Santou et Gaudino, nous
prolongeons l'escapade. Repas dans une famille: un
steak, des frites et du pain pour 80 lires.
Les Abruzzes et le Belvédère
Dimanche 16 janvier. Caivano A 5
heures, je suis réveillé par le vacarme d'une
porte qu'on secoue et les appels impatients
d'Alloua, le planton du bureau. Il était temps et
l'initiative de ce brave Alloua est heureuse : je
dormais à poings fermés en raison de la
défaillance du réveil ! Je bondis de mon lit, me
trempe sous le robinet du cabinet de toilette et
boucle mon sac marin. Puis je rejoins le P.C de la
compagnie, installé dans un bel appartement d'une
rue voisine. Adieu, ma chambre confortable et mon
lit à double matelas du 224 Corso Prince Umberto !
Il fait noir encore, mais déjà les sections
arrivent dans la grande cour dallée encombrée des
paquetages des hommes. Les Italiens sont tombés du
lit, eux aussi : hommes, femmes, enfants rodent
tout autour. Ils sont à l'affût d'un morceau de
pain, d'un biscuit, d'un "caramelo". Peut-être
aussi surveillent-ils le déménagement. Je parcours
à nouveau le bureau, m'assied une dernière fois à
ma table de chêne, feuillette le contrôle
nominatif que j'ai ouvert il y a peu de jours et
où, hier encore, j'inscrivais les dernières
mutations. Le Chef Choux, Chef comptable, nous
distribue, à Chodorowich et à moi quelques
bougies, des allumettes et du tabac, du papier
hygiénique aussi(!)... les derniers petits
avantages des "planqués" du bureau. Mais les GMC
sont dans la rue. Après les derniers appels, les
sections s'y installent, non sans discussions et
bousculades. Les gradés crient leurs ordres, leurs
engueulades... Je fais mes derniers adieux à ceux
qui restent... le Lieutenant Zadi, le
Sous-Lieutenant Pommier arrivé hier d'Afrique et
que j'avais déjà quitté à Sétif, le Chef Choux,
Tomasini qui doit à sa femme de rester, Verdier,
mon compagnon de chambre, qui ne sait pas trop
s'il doit regretter de rester ou s'en réjouir et
ne sait pas assez cacher la question qu'il se pose
: "combien en reverrai-je?"... le fourrier qui
depuis un mois attend en vain le télégramme qui
doit luis annoncer la naissance d'un nouveau bébé,
Beck, le Sergent de l'ordinaire, à qui je n'oublie
pas de resquiller une boule de pain et deux ou
trois boîtes de conserves, d'autres, encore, dont
j'ai oublié les noms et même les visages...
Merzouf, Alloui Alloua, les plantons du bureau et
qui semblent émus. Dans un coin, affaissé et
gémissant, Izemzine, un Sergent indigène qui se
dit malade mais que le capitaine et le
Sous-Lieutenant Fichoux traitent de simulateur et
bousculent. Chodorowich et moi, nous embarquons
dans le camion de ravitaillement, moins plein...
dernier avantage, mais le Sous-Lieutenant Fichoux,
chef du renfort, nous confie les papiers...dernier
empoisonnement. Izemzine est hissé également sur
ce camion. Le capitaine vient nous faire ses
adieux. il me dit qu'il était satisfait de moi et
qu'il m'aurait volontiers gardé; j'apprends après
qu'il l'a dit à beaucoup. Mes élèves Caporaux de
Sétif sont là, assez émus. Portelli est de garde.
Je leur donne ma dernière leçon et leur dit de
partir sans regrets lorsque leur tour viendra,
d'être courageux même si quelque chose, malgré
eux, leur serre la gorge, de ne surtout pas
montrer aux autres le lamentable spectacle d'un
Izemzine. Le renfort de la CP3 nous a rejoint et
le convoi s'ébranle. Emotion chez ceux qui
restent, émotion chez ceux qui partent. Que
va-t-il se passer? Les chants éclatent et le
départ est triomphal sous les yeux des Italiens
qui ne savent trop que penser. Mais, bientôt,
Caivano est laissé derrière nous et le froid du
matin, calme un enthousiasme qui, chez les
indigènes surtout, n'est pas bien profond. Nous
devons aller à 60 kms de là, m'a dit le
Sous-Lieutenant Fichoux, mais j'ignore où
exactement. Heureusement, j'ai la carte
routière... plus ou moins réquisitionnée hier, à
Naples, chez un particulier. Nous passons à
Caserta... Plus loin, c'est Capoue ou ce qu'il en
reste. Les destructions sont plus importantes
encore qu'à Bizerte où, du moins les murs avaient
généralement tenu bon ; je crois expliquer la
chose par une différence d'agents destructeurs :
là bas bombardements aériens et éclats de DCA,
ici, grosse artillerie et densité des tirs. Non,
ce n'est pas vers Cassino que nous nous dirigeons.
Nous en quittons la route, obliquons vers Vénafro
(?)... Le jour s'est levé, le froid devient moins
pénible, j'ai faim ! Le convoi ralentit, s'arrête
parfois. Les indigènes descendent pour uriner. Les
camions repartent et quelques uns sont laissés sur
la route et doivent s'accrocher au véhicule
suivant. Le long d'une voie ferrée où les rails
ont disparu et d'un ruisseau empli de cresson, le
convoi s'arrête et se range. Tout d'un coup, au
dessus des montagnes, on entend de violents
crépitements de mitrailleuses et de canons DCA. De
petits nuages noirs surgissent, puis s'estompent.
Le silence revient, puis cesse. Les crépitements
se déplacent. On perçoit très nettement parfois,
le vrombissement d'un avion qui remonte. mais on
ne voit rien. Ah, si, voici, tout d'un coup, deux
avions, tout là-haut, qui montent, descendent,
s'enfuient, reviennent et piquent tour à tour. Et
plus rien. Ah qu'est-ce que ce point blanc?... Et
là? Ce nuage noir qui s'élève de la montagne? La
conclusion du combat, un parachutiste et la fumée
de l'avion qui s'est écrasé au sol. Tout cela a
duré une minute et, pour le 1er combat aérien
auquel j'assiste, je suis déçu : on voit mieux au
cinéma !... Mais le convoi s'ébranle, à nouveau,
coupe le ruisseau en passant à gué, le pont étant
détruit. Quelques petits kilomètres encore sur une
route empierrée et poussiéreuse qui pénètre
bientôt entre des bois d'oliviers. Les camions
nous déposent sous ces oliviers, à l'endroit même
qu'occupait hier un bataillon médical, monté ce
matin plus haut car l'endroit a été repéré et
s'est fait arroser durant la nuit. Je vais voir le
Sous-Lieutenant Fichoux, pour lui assurer
qu'Izemzine est décidément bien malade et le
convaincre de la nécessité de la faire évacuer. En
effet, celui-ci semble bien mal, très pâle et
défait. Pendant le trajet, il a craché du sang. Le
lieutenant donne son accord et me charge de faire
le nécessaire. Je fais transporter Izemzine sur un
GMC vide et avec l'Adjudant Béna, nous montons à
la recherche d'un bataillon médical qui serait
situé 400m plus haut. Nous croisons une jeep à
croix-rouge. Je l'arrête et, d'accord avec un
lieutenant dentiste qui l'occupe, je fais monter
le malade qui sera ainsi soigné... à moins qu'il
ne soit trop tard déjà, ce qui n'est pas à
exclure. Sous les oliviers où s'est arrêté le
renfort, Chodorowich procède à la distribution des
vivres tandis que le Sous-Lieutenant Fichoux est
parti en jeep à la recherche d'autorités et
d'ordres. En attendant, nous mangeons. Pour faire
passer le temps, nous suçons des bonbons ou nous
faisons chauffer du chocolat. Mais, bientôt, une
autre distraction s'offre à nous. Pas bien loin
(400m peut-être), de dix en dix mètres éclatent
des obus. Surprise, un peu d'émoi et d'agitation
en particulier chez les indigènes. Il ne saurait
s'agir, paraît-il de projectiles d'artillerie, nos
propres artilleurs se trouvant 20 km plus haut. Il
s'agirait d'un autocanon demeuré sur les hauteurs
environnantes insuffisamment nettoyées ou
peut-être de mortiers ennemis dont les servants
usent leur dernier stock de munitions. Parfois,
des véhicules français passent sur la route. Des
anciens du régiment reconnaissant des camarades au
passage, les interrogent. Déjà, on parle de
blessés, de tués... On n'ose pas trop circuler par
crainte des mines. N'en restait-il pas à Bizerte
malgré les mois écoulés?... Vers 3 heures, le
Lieutenant Fichoux revient, un peu pâle, un obus
est passé si près de leur jeep qu'ils ont
instinctivement baissé la tête. Nous allons passer
la nuit à Vénafro où le lieutenant repart emmenant
Chodorowich et les papiers. "Sac au dos"! Par
groupes, de chaque côté de la route, nous revenons
sur la petite ville. Nous allons cantonner autour
d'une petite placette où nous trouvons la
Compagnie de Service. Nos camarades installent les
sections dans les locaux vides. Une grande partie
occupe une salle de cinéma atteinte par endroits
par des projectiles d'artillerie, une autre un
casernement de la milice locale dont il ne reste
plus qu'un élément. Parfois, nous croisons un
gradé italien qui salue; Chodorowich et moi, nous
sommes à part puisque nous n'avons pas d'hommes à
encadrer. Nous découvrons un petit appartement
évacué et mon camarade qui parle l'italien demande
aux voisins si nous pouvons l'occuper. Nous y
invitons Santou qui vient avec son planton. Nous
nous installons dans une pièce intacte où il ne
reste qu'une grande table et une vierge sous globe
: c'était le logis du curé de l'église voisine. La
nuit est plutôt mauvaise. Plus de lit comme à
Caivano et le carrelage parait dur. On entend des
coups de canons à intervalles réguliers. Certains
semblent proches. L'air de montagne est assez
froid, surtout le matin. Lundi 17 janvier - Vénafro Le
matin arrive sans que nous ayons pris beaucoup de
repos. Je ne suis pas pressé aussi je flâne dans
les pièces poussiéreuses. Je mange un peu, je fais
ma toilette sur le rebord d'une fenêtre avec l'eau
de mon bidon. puis le Sous-Lieutenant Fichoux nous
fait demander, Chodorowich et moi. Il nous faut,
d'après quelques indications, répartir le renfort
entre les trois bataillons. Nous faisons les
affectations à notre guise pour éviter d'attirer
tout le monde sur notre dos. Au fur et à mesure,
nous classons les livrets individuels et les
plaques d'identité. Mais l'après-midi, déjà, nous
pressentons que le travail sera à refaire. Aussi
préférons-nous attendre des instructions plus
précises et,surtout, définitives. Sur la placette,
on voit arriver plusieurs cercueils de bois blanc.
Les camarades sous officiers ayant autrefois
appartenus au régiment, partent en "dodge"
reconnaître les tués. Ils reviendront, certains
quelque peu émus. En attendant, nous faisons un
tour dans le village entouré de montagnes à la
neige fondante et qui s'y adosse. Sur la crête qui
nous surplombe, des obus ont écorché le roc et
laissé une plaie rousse. Ce qui frappe, à Vénafro,
c'est le nombre important d'églises. J'en ai bien
vu huit ou dix et le village n'est pas bien grand.
Mais, bientôt, je passe devant un bâtiment protégé
par une grande grille : c'est un séminaire. Les
rues sont étroites, tortueuses, monstrueuses. J'ai
vu une chose qui a satisfait mon orgueil de
français. Quelque chose que nous avons, nous,
Armée Française et que, même les Américains n'ont
pas.. en aussi bien. C'est une boulangerie. Montée
directement sur véhicule roulant, elle peut
fonctionner dès l'arrivée au cantonnement sans
qu'il soit nécessaire, comme pour les boulangeries
de campagnes américaines, de construire une assise
de briques. Le véhicule moteur est le pétrin. Deux
remorques vont avec, ce sont des fours. Il y a là
deux sections. C'est-à-dire deux combinaisons
four-pétrin. A l'une d'elle, il n'y a qu'un seul
four. Le second est resté dans un ravin des
environs de Constantine. Réparé, il rejoindra sans
doute bientôt. Cette boulangerie est capable de
"sortir" 300 boules à l'heure. Actuellement, elle
prend de l'avance car elle doit prochainement se
déplacer... Vers l'avant! C'est généralement le
signe d'une offensive, nous explique un chef. Il
nous raconte aussi que ces boulangeries sont de
fabrication récente. Elles étaient réparties dans
les différents groupements de jeunesse de France.
Celle ci à une histoire. Destinée aux Chantiers de
Provence, elle était sur des quais, à Marseille,
lorsque le général Weygand l'aperçut et la fit
embarquer pour l'Afrique du Nord. On la camoufla
dans des fermes : un élément vers Casablanca,
l'autre vers Constantine. Les boulangers, sauf les
cadres, sont surtout des annamites. Nous assistons
à la préparation d'une fournée. Le pétrin
mécanique tourne, brassant la pâte. Un mitron y
puise un bon morceau, qu'il coupe, jette sur la
balance. Il retranche ou ajoute rapidement un
petit morceau met la boule dans un panier
enfariné, jette celui ci sur une glissière qui
descend. D'autres ouvriers entassent les
corbeilles au bord du four. Dehors (nous sommes
sous une grande tente), des ouvriers scient du
bois. Une autre grande tente laisse apercevoir des
milliers de boules entassées. Un peu plus loin,
une croix allemande noire isolée, au bord d'un
talus ombragé ! A côté, deux américains flirtent
avec une charmante et toute jeune italienne. Nous
descendons vers la ville. Nous croisons des
"berlinettes", jeunes filles françaises des
transmissions. Je n'aimais guère les femmes en
uniforme lorsque j'étais à Alger. Ici, cela fait
plaisir d'en voir. Nous ne manquons jamais
d'échanger des sourires et des bonjours au
passage. Nous stationnons longtemps à la fontaine.
L'eau coule à flots, très claire, continuellement,
tombe dans un petit bassin, disparait sous le
chemin à la boue liquide, reparait de l'autre côté
en une vaste mare limpide malgré les objets
hétéroclites que l'on voit (segments de colonnades
romaines, en particulier, sans compter les
détritus et boîtes de conserve). La mare se
resserre, passe sous un ponceau, va actionner un
moulin, s'évase encore et longe un lavoir où
s'échelonnent cinquante à cent femmes actives. Les
femmes défilent à la fontaine, porteuses de jarres
et de cruches, de bassines de vieux cuivre ou de
seaux qu'elles portent en équilibre sur leur tête.
Elles sont rarement jolies, moins souvent encore
bien faites, jamais bien vêtues. C'est le village
pauvre ici. Les riches, les oisives, les belles
sont à Naples. A l'un des jets, est adapté un
tuyau qui va à un véhicule automobile français :
c'est une pompe qui rejette l'eau dans un bassin
de toile d'où elle est ensuite distribuée aux
véhicules de toutes sortes : GMC, dodges, jeeps,
français et américains, qui viennent
continuellement remplir des nourrices ou des
réservoirs. Il fait bon là ! Le temps est
splendide. L'air n'est pas froid. Enfin, nous
continuons notre promenade, traversons la
grand'rue, section de la route de Naples. Des
milliers de fils téléphoniques s'enchevêtrent, les
uns foulés aux pieds, d'autres arrachés par les
véhicules... Au carrefour, deux gars de la RR
(Régulatrice Routière) réglementent la
circulation. Ils ont le casque ripoliné blanc des
MP américains mais, sur le côté, le losange
tricolore. Nous mangeons dans notre chambre. La Cie
de Services stationnée ici nous sert nos repas :
assez moyens. Pas de vin. Impossible de rien
trouver à acheter à manger ou à boire. Nous buvons
l'eau d'un puits très profond.Mardi 18
janvier - Vénafro Rien de nouveau. Il faut encore remanier
les pièces matricules et faire des listes mais les
ordres n'ont pas encore l'air bien définitifs. Je
profite de ce que Sigu à l'air de vouloir mettre
son nez là dedans pour laisser tomber. Le
Sous-Lieutenant Fichoux et l'Adjudant Béna partent
sans nous attendre pour le Régiment. Ce sont des
anciens et ce dont on manque surtout c'est
d'officiers. Le Commandant Peponnet qui, lui
aussi, monte en renfort (son prédécesseur a été
blessé assez grièvement) réunit les sous officiers
et nous dit quelques mots. Le Lieutenant Zadi, de
la CL7, vient faire un tour ici. Mais il n'apporte
pas de courrier. Le soir, nous descendons chez les
italiens du rez de chaussée. Ils ont un beau poste
de radio malgré leur apparence plutôt misérable.
Nous écoutons Radio Alger mais le poste marche mal
et les informations sont insignifiantes. Cela fait
plaisir d'entendre les speakers français et
l'indicatif connu !... Mercredi
19 janvier 1944 - Vénafro Ce matin, enfin, nous recevons des
instructions définitives pour la répartition des
hommes et cadres du renfort entre les trois
bataillons. Le 3ème est celui qui en absorbera la
majeure partie. Santou, qui, maintenant, a la
responsabilité du renfort, me demande de commander
le piquet d'honneur qu'il doit envoyer cet
après-midi aux obsèques des tués du 7ème RTA. Cela
n'a rien de bien emballant mais c'est mon tour et
j'accepte. A 16 heures, après avoir passé mes dix
hommes en revue, leur avoir fait changer de casque
-pour éviter le mélange de casques français avec
des casques américains-, leur avoir fait donner
des gants, brosser leurs souliers, vérifié leur
maniement d'armes (depuis Sétif, je n'avais pas
commandé...), nous nous sommes engouffrés dans
deux dodges et, précédés de l'officier
"d'Etat-Civil", en route pour la chapelle ardente
! Celle-ci, en dehors de la ville, est une petite
église. Tout contre, un bâtiment tient lieu de
mosquée. Je dispose d'abord mes hommes sur deux
rangs, face à face, de chaque côté de la porte de
la chapelle. L'office est rapide.Quatre ou cinq
cercueils défilent entre nous, à tour de rôle. Et
pour chacun d'eux : "l'arme sur l'épaule... droite
!". "Présentez... arme !" "Reposez... arme !" Dès
que le dernier est passé, ô ce n'est pas
compliqué, il suffit de se déplacer de dix pas et
de recommencer. Même cela va plus vite puisque
parfois il passe deux ou trois clients à la fois.
Il y en a eu onze en tout. Au fur et à mesure, les
cercueils ou, simplement, les corps enveloppés de
toile blanche sont chargés sur des dodges : deux
par véhicule. Et le cortège se forme : en tête la
jeep de l'aumônier et de l'officier de
l'état-civil, les cercueils, les linceuls et nos
deux dodges. Je suis assis à côté du chauffeur et,
dans la voiture qui nous précède, je vois, à
chaque cahot, bouger les pieds de deux cadavres
musulmans, m'étonnant d'être à peu près devenu
insensible. Je m'accommode maintenant très
facilement des différentes situations qui se
présentent, à des moments où je pourrais
m'émouvoir, je n'ai aucune émotion ou, si j'en ai,
elle n'est que passagère. Je quitte des camarades
sans regrets, presque avec indifférence. Dans
quelques jours, je constaterai la même facilité
d'adaptation, la même absence d'émotion ou de vive
surprise, lors de mes premières expériences au feu
ou au combat. Combien il faut se féliciter de tout
cela ! Les sensations, les émotions, tout cela est
bien inutile dans la guerre et serait bien gênant
souvent... Nous quittons vite la route pour un
chemin empierré. Il fait beau. Nous passons sous
un bois de pins. Nous voici arrivés ! A la lisière
du bois, les camionnettes s'arrêtent devant le
cimetière, vaste carré sur terrain plat légèrement
incliné, divisé en quatre par deux allées qui se
coupent perpendiculairement. Mon camarade
Chodorowich est là, avec une trentaine d'hommes
qui s'activent à terminer les fosses. Se
doutait-il, à ce moment, que d'autres gradés
surveilleraient bientôt le creusage de son propre
trou? En attendant, il se fait reprocher une
erreur : il a fait creuser une tombe dans un
secteur réservé aux artilleurs ! Ce cimetière est
français. Nous sommes engagés depuis peu. Déjà
pourtant, on peut compter pas mal de croix, à
droite, pas mal de croissants, à gauche. Il semble
y avoir beaucoup de gradés, officiers et surtout
sous-officiers. Je dispose mon piquet et rend à
nouveau les honneurs. On dispose les cercueils aux
pieds des tombes en attendant qu'elles soient
achevées. L'aumônier, pour les chrétiens, mon
collègue Moussaoui, pour les musulmans, disent les
dernières prières. Puis, alors qu'arrivent les
camions d'autres armes, pour d'autres obsèques.,
Nous descendons les corps dans les fosses. J'y
participe personnellement pour activer. Nous
devons attendre encore un peu car voici tout un
escadron de chasseurs venus accompagner des corps
d'officiers. Leur clairon lance plusieurs fois sa
lugubre et belle sonnerie dans l'air calme. Les
armes claquent. C'est fini, nous pouvons filer... Jeudi 20
janvier 1944 - Vénafro Dès le matin, Chodorowich et moi allons
rôder à nouveau en ville, laissant Sigu qui
commence à regretter de s'être lancé dans le soin
des paperasses. Nous passons devant un atelier de
peinture où l'on confectionne des panneaux
indicateurs et blanchit des casques destinés à la
RR. Nous faisons un tour à la gare, détruite,
repassons à nouveau dans les rues que nous
connaissons par coeur. On commence à s'empoisonner
! Nous saluons le Général Juin qui passe à pied,
en béret, suivi de tout un Etat-Major parmi lequel
des généraux. Tout au grand chef, je ne pense pas
à regarder s'il y a le Général de Montabert qui
sera "mon" général. Savais-je, d'ailleurs, qu'il
était là? A notre retour, nous apprenons que le
départ aura probablement lieu dans la nuit. Santou
est bien déçu : il avait réussi à organiser un
repas avec des chaufferettes pour un prochain
jour. L'après-midi, la répartition du renfort
entre les bataillons est achevée, sur le papier.
On effectue un rassemblement pour en informer les
hommes, procéder à des appels... Après quoi, la
soupe. Je vais avoir "à prendre le jour" et
seconder Santou pour les derniers préparatifs.
Nous allons toucher nos armes individuelles :
fusils américains. J'arrête au passage le
Lieutenant Arpajou et Monjo, en jeep, du 7ème RCA.
Nous recevons du CID, les colis... de Noël,
envoyés par la croix rouge américaine. Ils sont
très bien conçus, comportent des victuailles (deux
tablettes de chocolat, du chocolat en poudre, du
pâté, du fromage, du sucre...) des vêtements (deux
mouchoirs, une paire de chaussettes, une paire de
gants, un beau nécessaire à coudre...) des objets
de toilette (savon à barbe, pour les dents, pour
la toilette, brosses à dents, lames de rasoir,
miroir...) du papier à lettres, des crayons...
Prévus pour un seul, chacun de ces colis doit être
partagé en trois ou quatre : ce n'est pas toujours
très facile ! Il faut faire toucher le
ravitaillement, faire entreposer les sacs de
marins du 1er et du 2ème groupe dans un local
désigné, faire charger ceux du 3ème dans un
camion. Je m'en occupe dans la nuit ainsi que de
la garde. Le réveil est prévu pour quatre heures.
Ce sera notre dernière nuit sous un toit.
Vendredi 21 janvier 1944 : Vénafro.
PC arrière (près d'Aquafondata)
4 heures et demie. Après
avoir bouclé mon sac marin et monté mon sac
d'assaut (nous gardons avec nous, avec ce qui nous
avons sur le dos, nos objets de toilette, un jeu
de linges de corps de rechange, une couverture et
la toile de tente). Je vais réveiller tout le
monde, dans les différentes salles du
cantonnement, éclairé par la lampe torche de
Santou. Une heure plus tard, les camions
commencent à arriver. Avec Santou, je fais
procéder à l'embarquement. Ce n'est pas facile,
mal éclairé comme nous le sommes et avec des
hommes indisciplinés (surtout les sections de
français et de juifs) qui veulent les meilleurs
places. Il doit y avoir 25 hommes par camion : 16
sur les banquettes, assis au milieu sur leurs
sacs. Avec de la discipline, ce serait facile, et
les hommes ne seraient pas trop serrés, mais la
nuit facilite les fantaisies individuelles et nous
empêchent d'y mettre bon ordre. Au fur et à
mesure, nous faisons avancer les camions, comptons
25 hommes, tachons de les caser, et faisons
évacuer. Bientôt, le dernier GMC est chargé. Il
rejoint les 12 précédents et le convoi s'ébranle.
Nous repassons par Pozzoli et empruntons la même
route empierrée qui passe devant l'endroit où nous
avons débarqué dimanche. Il fait sombre, on n'y
voit pas grand chose mais devinons que nous
suivons une route accidentée de montagne. Bientôt,
lentement, le jour commence à pointer malgré la
brume. Nous dépassons les véhicules d'un groupe
médical garés sur le bas côté de la route. Des
"chaufferettes" ébouriffées qui s'éveillent et
s'étirent nous gratifient d'un gentil sourire de
leur visage encore boursouflé de sommeil. Je
n'aurais pas cru les trouver si près des lignes.
Il est vrai que nous ne sommes pas encore sur le
front ainsi que je le constaterai bientôt. Mais
tout de même ! Le chauffeur, mon voisin,
m'explique qu'elles font du bon travail, très
courageux, mais qu'elles ne serrent pas assez le
ravin, gênant ainsi les croisements. La route à
l'air d'avoir disparu. Peut-être l'avons-nous
quittée sans que je m'en aperçoive. Nous roulons
lentement sur des pistes irrégulières aux creux et
bosses prononcés, qui aboutissent sur un grand
terre-plein. Les camions nous y déposent. Il est
environ 8 heures. C'est là que sont les PC
arrières du régiment avec les bureaux, les Chefs
comptables, les cuisiniers, les dépôts de
munitions... Après un moment d'attente, les
groupes se séparent pour aller installer leur
bivouac. Nous nous installons sur les pentes d'un
ravin. J'apprendrai par la suite que le versant
opposé qui s'élève jusqu'à ces crêtes élevées et
rocailleuses est le Monna Casale où mon groupe et
en particulier ma future compagnie, la 10ème, se
sont illustrés. Ma compagnie y a gagné la
magnifique citation ci-après : "La ...ème
Compagnie du ...ème Régiment de Tirailleurs
Algériens, lors de la prise de Monna-Casale, le 12
janvier 1944, a ajouté une page de gloire à
l'épopée des tirailleurs algériens. Rejetée, par
un bombardement sévère qui mit hors de combat tous
ses officiers de la Jumelle Est qu'elle venait de
conquérir, a été regroupée par son Chef de
Bataillon qui lui dit : "Vous n'avez plus
d'officiers pour vous commander. Qu'importe ! La
...ème Compagnie n'en a pas besoin. Reprenez cette
crête. En avant !". Entraînée par deux sergents
indigènes, est repartie en avant, a repris son
objectif pour la deuxième fois, en fut chassée par
une contre-attaque. Mais sans désemparer, est
remontée une troisième fois à l'assaut. Ayant
repris la Jumelle et contre-attaquée à nouveau,
toutes les munitions étant épuisées, ses
tirailleurs ramassèrent des pierres et debouts,
farouches attendirent à bonne portée les
grenadiers allemands qu'ils refoulèrent à coups de
pierres. Ravitaillée enfin en munitions, est
repartie à l'attaque avec le reste du bataillon,
et, malgré la fatigue d'une lutte qui durait
depuis neuf heures, a emporté, dans un suprême
élan, le sommet de Monna-Casale." Et quoique
n'ayant pas participé à ce combat, j'ai eu un
grand plaisir à en trouver le récit, à mon retour,
sur l'hebdomadaire "TAM". Il m'est facile de
remplacer les blancs par le n° de ma Compagnie et
de mon régiment (10ème Compagnie du 7ème RTA)...
Presque sans arrêt, des pièces d'artillerie,
toutes proches, tirent. Le régiment aurait
attaqué, ce matin, à 5 heures et ça marcherait
bien. Le front ne doit pas être bien loin. On y
accède par une piste où les camions ne peuvent
encore pas passer mais que les jeeps parcourent
sans arrêt, portant une caisse ou deux de
munitions, ou des vivres. On comprend mieux leur
utilité et leur nombre ici que dans les villes.
Souvent, ce sont de tout jeunes français qui les
pilotent (classe 43?) rarement des indigènes.
Pourtant, elles n'ont pas détrôné les mulets. En
voici une colonne qui monte. Les muletiers, en
uniformes usés, démodés, déchirés, sont des
italiens et ces deux messieurs en chapeaux
tyroliens avec l'inimitable plume sont, paraît-il,
des officiers ! Nous montons notre tente en
commun, les frères Bensehila et moi, à proximité
de la crête plutôt que dans le ravin. Et, pour la
première fois, mais sans grande conviction, ne
sachant encore pas ce qu'est la guerre, nous
construisons notre abri. L'après-midi, on nous
utilise à divers travaux. Avec quelques hommes, je
fais ranger des caisses de munitions par
catégories et mettre à part celles qui ont été
atteintes par le feu. Des caisses en fer de
munitions sont trouées comme des passoires, la
chaleur ayant fait exploser certaines cartouches.
Je trouve par terre une carte postale allemande.
Je la ramasse en souvenir. Elle est illustrée par
le dessin d'un farouche guerrier moyenâgeux armé
d'un gourdin à pointes qui se retrousse les
manches. J'écris à la maison mon premier mot de la
montagne. La journée est splendide. Il fait
presque chaud et rares sont les creux où il reste
un peu de neige. Le ciel est bleu, l'air calme et
l'on entend que les coups de départ, moins
fréquents cet après-midi et comme assourdis par la
paix de la nature et le "ron-ron" paisible d'un
avion d'observation. En fin d'après-midi, nous
montons par la piste de manière à voir plus loin.
Ce sont de hautes montagnes, nombreuses et
enneigées. De nombreuse batteries d'artillerie. Au
moment où nous allons regagner notre tente, quatre
avions boches, des chasseurs, surgissent au ras
d'une crête, nous survolent et disparaissent non
sans avoir déchaîné les pièces de DCA dispersées
un peu partout. Nous apprendrons qu'ils ont
mitraillé les hommes qui travaillaient à la piste,
là-haut, d'où nous arrivions et qu'ils ont fait
une victime et deux blessés.Samedi 22
janvier 1944 - PC arrière - 10ème Compagnie Si la journée d'hier avait été agréable,
il n'en a certes pas été de même de la nuit et,
cela, pas seulement parce que depuis Bizerte nous
avions perdu l'habitude de coucher à la belle
étoile... Il a fait un froid méchant, qui mordait
jusqu'au sang, un froid qui ne nous laissait aucun
répit, nous réveillant à chaque instant, s'en
prenant surtout aux pieds qu'il durcissait, qu'il
piquait comme avec des millions de fines
aiguilles... Et le matin, lorsqu'il fallut se
chausser, qu'elle souffrance !... Aujourd'hui,
c'est à élargir la piste, afin d'en permettre le
passage aux GMC que l'on nous emploie. Ce n'est
pas très facile : il y a d'énormes blocs de
rochers qu'il faut faire sauter. La plus grande
partie du renfort travaille là et quoiqu'il n'y
ait là que des non-spécialistes, le travail avance
rapidement. Ailleurs Bensehila fait creuser un
abri pour deux officiers. Ils le veulent en pleine
terre de manière à ce qu'il ait des murs très
épais, avec un toit de rondins recouverts de
terre, grand et large pour disposer d'un peu
d'espace autour de leurs couches et d'une table!!! A midi, le ravitaillement n'est pas
arrivé et les hommes doivent reprendre le travail
le ventre creux. Ils ne sont pas contents et je
les comprends. Mais, à 15 heures, arrive l'ordre de
rejoindre le bataillon. Nous quittons aussitôt le
travail, démontons notre guitoune, faisons notre
sac et soupons. Vers 5 heure et demie, 6 heures,
nous prenons un sentier de montagne, en file
indienne. Nous fermons la marche, les frères
Bensehila, Pila et moi... B... a bu et il ne va
pas tarder à le regretter. Dans l'obscurité, il
butte, glisse, tombe (d'autant plus que beaucoup
sont chaussés à l'américaine avec semelles en
caoutchouc, ce n'est pas le rêve pour la montagne
et la neige). Il s'est plus ou moins foulé le pied
et suit avec difficultés. Il râle. Pila l'aide et
le guide à la voix pour qu'ils ne perdent pas
contact. Vers 8 heures et demie, nous sommes
arrivés. Nous sommes dans une sorte de petite
vallée. Voici des murs de soutien pour les terres.
Le Chef de Bataillon, le Commandant Peponnet que
nous n'avions pas vu à Vénafro, nous fait le court
discours d'usage. Puis, avec le capitaine Adjudant
Major, il nous répartit par compagnie. Je suis
affecté à la 10ème avec 3 sergent indigènes
(Moussaoui, Laouati, Tamama), un Caporal français
(le jeune Bensehila que je garde avec plaisir car
c'est un garçon dévoué et bien élevé) et une
quinzaine d'hommes. Je commande le détachement et,
guidé par un agent de liaison, nous rejoignons la
compagnie qui n'est pas très éloignée, sur le
flanc d'une montagne rocailleuse. Malgré l'heure
tardive, le Lieutenant Piau, commandant la
compagnie (j'apprendrai avec stupéfaction, les
jours suivants, qu'il n'est que sous-lieutenant et
de réserve), me fait appeler. il est dans un bel
abri de pierres, assez grand, couché, avec le
Sous-Lieutenant Fichoux. C'est ce dernier qui m'a
demandé à la compagnie. Ils me reçoivent avec
bienveillance, m'interrogent, m'offrant leur
gourde, attention qui me touche car j'avais grand
soif et rien à boire (je constaterai par la suite
que les rapports entre officiers et sous officiers
sont moins distants au front qu'à l'arrière). Je
suis ensuite invité à aller me reposer. Avec
Bensehila, nous montons notre tente un peu au
hasard, dans la nuit et ne tardons pas à ronfler. Dimanche
23 janvier 1944 La nuit est meilleure que la précédente.
Pourtant, au matin, nous nous apercevons que notre
tente a été dressée sur un terrain en pente,
bosselé et même broussailleux. Nous avons glissé
dans la nuit et nos pieds sont sortis de la toile
! Il ne fait pas tout a fait jour mais nous devons
plier bagages : il nous faut avancer pour suivre
le régiment qui se rapproche du front (notre
bataillon est actuellement sinon au repos du moins
sur la 2ème ligne de crêtes, en réserve). Nous
avons du mal à rassembler nos affaires et,
surtout, à mettre nos chaussures. C'est un moment
de grande douleur, qui dure bien un quart d'heure
et démoralise plus que tout, fait gémir et venir
les larmes aux yeux, car les pieds sont gelés. On
fait son sac avec la toile de tente encore givrée.
Depuis plusieurs heures, on entend des tirs de
préparation fournis et violents. Je vais rôder
vers les cuisines pour voir s'il n'y a pas de
"jus". Mais le renfort n'était pas prévu. Par
contre, nous avons à percevoir des rations K. A ce
moment, à quelques mètres et presque coup sur
coup, tombent trois obus de 77, sans doute, et qui
nous encadrent. Au premier, manquant
d'entraîne-ment, je n'ai pas eu le temps de me
baisser. Je suis resté debout et ai entendu un
léger sifflement, tout près, au dessus de ma tête.
Le second m'a fait plonger et m'a éclaboussé de
débris terreux. Le troisième s'est un peu éloigné.
Je me retourne et vois quelqu'un à terre. Je me
précipite ainsi qu'un Chef qui faisait les
distributions. Ca n'est pas bien grave : un éclat
à la fesse. Avant de nous disperser, pour éviter
qu'un seul obus fasse trop de dégâts, j'ai le
temps d'apprendre qu'il s'agit d'un Chef de
section et qu'il est spécialiste des éclats à la
fesse. Je saurai plus tard, bien après, que
c'était celui auquel j'allais succéder au
commandement de la 1ère section, un Sergent Chef
très brave, très aimé des hommes, et qui a eu une
magnifique citation : "Sergent Chef Taddei
Dominique, du 7ème RTA : Chef de section d'une
audace extraordinaire, le 12 janvier 1944, a
entraîné sa section à l'attaque du Monna Casale
avec une fougue admirable. Arrivé l'un des
premiers sur l'objectif, l'a conquis à la grenade
et à la baïonnette. Rejeté de son objectif par un
violent tir d'artillerie, l'a reconquis, reperdu,
puis reconquis, se cramponnant farouchement au
terrain, le défendant mètre par mètre, superbe de
ténacité. Manquant de munitions a pris et mis en
batterie une mitrailleuse allemande. Voyant sur sa
droite une compagnie marocaine en difficulté
devant une casemate allemande, à dirigé le tir de
sa mitrailleuse sur l'embrasure de la casemate, la
neutralisant et permettant la progression des
marocains. Toujours en tête de sa section et
stupéfiant les hommes par sa folle audace, a
puissamment contribué au succès de cette attaque.
Cinq citations antérieures." Taddei est évacué
aussitôt ainsi qu'un de mes hommes de renfort,
atteint d'un minuscule éclat à la cuisse (ce dont
il ne s'aperçoit que plus tard !) C'est en quelque
sorte mon baptême du feu. Je n'ai pas ressenti de
fortes impressions. Malgré le raisonnement, je
continue à aller donner des ordres à mes hommes,
sans qu'il y ait de grande nécessité, ni urgence.
Dans la matinée, avec le Sous-Lieutenant Piau,
commandant la compagnie, nous interrogeons les
hommes du renfort pour décider où les affecter. Je
les connais peu quoiqu'ils viennent tous de la CP7
: j'étais au bureau.Ils n'ont pas l'air bien
brillants, même et peut-être surtout les européens
(dont plusieurs juifs qu'on nous avait recommandé
de disperser). Le lieutenant apprend avec
satisfaction que j'ai mon brevet de Chef de
Section et que je suis passé par Cherchell. Il me
dit que je prendrai la 1ère section dont le chef
vient d'être blessé mais que, pour la 1ère fois,
je monterai à l'attaque comme adjoint La matinée
est calme. Nous construisons nos abris en
entassant des pierres, faciles à trouver sur les
murettes de soutien des terres cultivées en
terrasses. Bensehila m'aide. L'après-midi cela bagarre dur, pas très
loin. Mais l'ordre de partir n'arrive pas. Est-ce
que cela ne marcherait pas aussi bien qu'on
l'avait espéré? A 5 heures, arrive l'ordre de s'installer
sur place pour la nuit. Je renforce encore notre
abri et l'agrandit de telle sorte que je puisse
m'y allonger, je le recouvre de ma toile de tente.
Tout à l'heure, Bensehila est allé chercher de la
paille, sur des meules, près des maisonnettes où
les sous-lieutenants ont installé leur P.C. C'est
là, au rapport, que nous apprendrons qu'Anglais et
Américains ont effectué un débarquement près de
Rome, à Anzio. Ils ont réussi à établir une tête
de pont de 25 km de profondeur et disposent déjà
d'un corps d'armée. La nouvelle est accueillie
avec enthousiasme : nous y voyons l'effondrement
prochain de notre front et le défilé à Rome. De 7 heures à 9 heures, je suis de quart,
là haut sur la crête, auprès d'une sentinelle
disposant d'un F.M et de grenades... En effet, il
faut éviter d'être surpris par une patrouille
allemande toujours possible malgré l'occupation
par le reste du régiment de la ligne de crête
précédente. Il fait très sombre. Le silence règne
et nous devons garder l'immobilité car le moindre
bruit prend une grande résonance. Il ne faut pas
fumer. Parfois nous frissonnons. Le danger n'est
pas grand et c'est pourtant ce quart qui m'a le
plus impressionné, plus que les bombardement de
minens, que les patrouilles et, même, que
l'occupation de la petite crête où je devais être
blessé et où j'étais monté avec le pressentiment
d'un sort encore moins favorable... Enfin, le
quart est achevé. Après avoir attendu que la
sentinelle soit allée chercher son successeur, je
descends chercher le mien, un sergent indigène. Il
fait très noir. Je ne connais pas assez les lieux
et me repère très mal. Je tombe, glisse, cherche,
perdu dans ces rocs qui se ressemblent tous,
hésitant entre les abris, tous pareils. Enfin, je
trouve mon remplaçant et, après bien d'autres
recherches, mon propre abri pourtant tout voisin.
Cette nuit-ci, j'enlève mes chaussures. Mon
blouson aussi, dont j'enveloppe mes pieds. Et je
prends la précaution de recouvrir mes souliers de
mon imperméable pour qu'ils gardent leur chaleur
et ne gèlent pas. Le "plafond" est un peut bas
mais je peux me tenir assis. Après un nouveau
casse-croûte, je m'endors pour une nuit
excellente. Lundi 24
janvier 1944 Il pleuvine vers 7 heures, lorsque je me
réveille. On est si bien "au lit", que je ne me
décide pas à me lever. J'ouvre une boîte de
fromage, croque quelques biscuits, suce un
bonbon... J'écris à Blida. Je me lève seulement
dans la matinée pour me rendre au P.C de la
compagnie où le Sous-Lieutenant Piau réunit les
cadres. Il répartit les hommes du renfort dans les
différentes sections et me donne le commandement
de la 1ère : il avait d'abord projeté d'utiliser
le renfort pour le ravitaillement en munitions. Je
réclame Bensehila comme caporal "à disposition"
(lui-même, l'avait souhaité) mais ma section est
déjà complète et, pour le moment, un caporal
français est nécessaire ailleurs. Mais, me dit le
Lieutenant Piau, je vous le donnerai dès que
possible. (en attendant, il est affecté à la 2ème
section commandée par le Sous-Lieutenant Fichoux)
A midi, nous apprenons que le régiment va être
relevé et que nous allons partir au repos. Je note
sur mon carnet de route : "n'aurais-je jamais
l'occasion de combattre ou bien cette guerre ne me
verra-t-elle à l'oeuvre que le jour de
l'armistice?". Je n'allais pas tarder à obtenir
une réponse! Pourtant, j'étais assez content. Mais
mon plaisir n'était rien à côté de la joie des
hommes et gradés de ma section. Il faut dire
qu'ils étaient en ligne depuis le début du mois et
qu'ils avaient eu de chaudes journées (comme celle
du 12). "C'est toi qui nous porte chance", me
diront quelques tirailleurs. A 6 heures, nous
partons, colonne par un. Nous sommes en queue du
bataillon, ma section est en arrière garde. Moi,
pour la 1ère fois, à la tête d'une section. Mon
sac -privilège des Chefs de section- est sur un
mulet (je vois un Chef indigène, l'adjoint du
Sous-Lieutenant Fichoux qui porte le sien sur le
dos !). Le chemin est difficile en raison de la
boue et les à coups sont nombreux. Les mulets
tombent souvent ou, trop chargés, perdent leur
charge : ils gênent notre marche. Je déboucle mon
ceinturon sans songer qu'il n'est pas retenu par
mon sac et je ne m'aperçois pas que je le perds
ainsi que mon bidon. Au bout de 4 km environ, nous
sommes rendus. Nous devons camper là, sur cette
crête exposée au vent. Nous étions mieux d'où nous
venons ! Mon sac n'arrive pas, le mulet étant en
panne. Sans, mon caporal, m'invite à coucher avec
lui. Nous faisons le lit à même le sol, il a de
nombreuses couvertures. Mardi 25
janvier 1944 Le matin, un tirailleur vient nous
apporter du café qu'il vient de faire chauffer
entre deux pierres. J'essaie de voir Bensehila (le
sergent) dont la compagnie ne doit pas être loin.
Je le trouve et nous cherchons ensuite son frère.
Nous bavardons un long moment avec le
Sous-Lieutenant Fichoux, très simple et qui nous
montre nos lignes sur ses cartes. Il a hérité
d'une carabine à répétition américaine, très
légère. Je commence à m'apercevoir qu'en campagne,
on change facilement d'armes individuelles. On
fait des échanges entre camarades ou avec les
américains, on s'empare d'armes dont les
propriétaires ne sont plus. Ceci, surtout pour les
gradés. C'est ainsi que j'ai déjà abandonné mon
Springfield 1903 pour une mitraillette Thompson :
celle de Taddéi qu'on s'est empressé de me
remettre comme un insigne de mes fonctions. Je
retrouve mon sac mais dans les avatars survenus la
veille au mulet, ont disparu aussi mon quart, mes
ciseaux et un paquet de lames. Deux tirailleurs du
groupe de commandement construisent une
maisonnette en pierres pour Sans, le planton et
moi : être Chef de Section, cela comporte des
privilèges ! Sur les conseils de Sans, je choisis
un vieux tirailleur (par ailleurs agent de
transmission comme planton : c'est Ketfi dont
j'apprécierai par le suite le dévouement) Je
profite de mes loisirs pour faire connaissance de
mes hommes. Mon adjoint est un sergent indigène,
Boulala. Avec Sans, le caporal français et Ketfi,
ils constituent le groupe de commandement de ma
section. Le 1er groupe est commandé par un
caporal, Toumi. Il comprend : Nabet qui provient
du renfort. Les 2 autres groupes sont commandés
par des sergents indigènes : Khellef et
Bittatache. J'ai en tout 32 hommes. L'effectif
théorique est de 45 mais il n'aurait jamais été
atteint. Les tirailleurs sont beaucoup plus
sympathiques que ceux de Sétif : ce sont de vieux
soldats non des recrues. Ils sont formés et même
plus "civilisés". Débrouillards, ils savent
construire de beaux abris. Ils se battent bien,
paraît-il. On peut compter sur eux... A 4 heures et demie, le temps se couvre.
Il commence à pleuvoir. Nous nous préparons à nous
installer dans notre maisonnette. Mais l'ordre de
départ arrive. Il n'est plus question de repos. Il
nous faut aller ailleurs aider le 4ème RTT. Bien
des tirailleurs sont découragés, tous
désappointés. En leur portant mes ordres, j'essaie
de les rassurer et de leur donner de l'espoir. On
distribue du ravitaillement supplémentaire mais,
trop chargés, nous sommes obligés d'en laisser.
J'abandonne les boîtes de haricots ou de légumes
avec porc, songeant au bonheur avec lesquelles on
les recueillerait en Algérie ou en France où le
ravitaillement est rare. Une jeep qui navigue
rapidement sur la boue sans souci des sauts ni des
embardées nous apporte de la soupe chaude, mais
nos gamelles sont au fond des sacs. Par contre,
nous remplissons nos bidons de vin : il est trop
rare pour qu'on le dédaigne. La nuit tombe rapidement lorsque nous
partons. L'obscurité ne tarde pas à devenir
complète si bien qu'on croit souvent avoir perdu
contact alors que le prédécesseur est devant nous,
à un mètre. Les sentiers sont accidentés, très
glissants. A chaque incident du terrain, on
renseigne celui qui suit : "un gros trou", "ça
monte", "une grosse flaque". Les chutes sont
fréquentes, ponctuées de jurons énergiques. Celui
qui me précède est le sous-officier adjoint de la
2ème section. Il tombe souvent, s'empêtre dans son
fusil. Je suis au début plus heureux, surtout
parce que je n'ai pas de sac sur le dos. Mais, par
la suite, peut-être parce que la fatigue commence
à se faire sentir, je vais prendre plusieurs fois
de suite contact avec la boue et l'eau. Ma capote,
mes gants, mon fusil, tout est maculé. Je songe
qu'il me faudra du temps avant d'être assez propre
pour un éventuel quartier libre ! Lors d'une
pause, je suis rejoint par Nabet, un juif arrivé
avec mon renfort et affecté à ma section. Il me
déclare qu'ayant 8/10 de myopie, il ne peut suivre
malgré sa bonne volonté. Je lui dis de se
débrouiller, ne pouvant le faire réformer sur le
champ ni l'abandonner sur place. Le 29, je
m'apercevrai qu'il n'a pu continuer et je ne le
reverrai jamais. Nous croisons d'énormes canons
américains en difficulté dans la montée,
embourbés, patinant. Quelle belle cible ce sera
s'ils ne peuvent être dépannés avant le jour !...
Enfin, nous arrivons aux camions où les hommes
s'entassent, un peu au petit bonheur. Je monte à
côté d'un chauffeur. Le convoi s'ébranle. La route
est très droite, tortueuse, glissante, longeant
des ravins profonds qu'on devine seulement. La
nuit est toujours aussi noire et il n'est pas
question de se servir des phares. Parfois,
seulement, du jet de lumière d'une lampe torche.
Nous dépassons quelques maisons... ou plutôt les
quelques pans de murs qui leur restent. Un camion
a loupé un virage que le chauffeur n'a pas vu. Je
descends aussitôt. Heureusement le camion n'est
pas allé loin, il est retombé sur ses roues d'une
hauteur de 5 à 6 mètres. Mais les hommes avaient
vu venir l'accident, ce camion n'était pas bâché.
Ils ont sauté...et c'est leur malheur. Un homme
semble bien mal en point. Six autres sont blessés
plus ou moins grièvement. Je cherche les autres
avec les Sous-Lieutenants, qui sont là également.
Rien ! Heureusement, ce camion n'était pas au
complet. Par contre, impossible de mettre la main
sur le chauffeur qui s'est enfui, épouvanté Nous
chargeons les blessés sur un camion qui descend
mais le chauffeur ne veut plus repartir, la nuit
l'effraie. Enfin, nous repartons mais je ne
retrouve plus mon propre camion... ni ma section !
Des véhicules arrêtés encombrent la route si
étroite. Nous stationnons de longues minutes,
souvent. Mais nous sommes pressés, il faut
continuer. L'obscurité est devenue plus opaque
encore : c'était donc possible ! il nous faut
marcher devant les camions, dans l'eau, les guide
en criant : "à gauche", "à droite", s'y reprendre
à dix fois pour prendre un virage, gueuler pour
arrêter les camions dont les roues affleurent le
précipice, avec ses 25 hommes qui dorment quand
même, recroquevillés et grelottants. C'est la
descente maintenant et la route est repérée par
l'ennemi qui la bombarde. On voit les lueurs des
coups de départ. Une ambulance accidentée à un
virage nous donne un mal de chien, et nous arrête
une demi-heure. Au cours des manoeuvres, je me
fais coincer la jambe entre elle et la roue du GMC
qui recule. Je gueule, le chauffeur arrête à moins
une. Mais ma jambe a été froissée et me refuse
tout service. Un sous officier indigène me
remplace. Je vais m'asseoir, découragé, craignant
pour ma jambe. Mais elle n'a été que meurtrie et,
au bout d'une heure, je ne sentirai plus rien. Il
recommence à pleuvoir ! Cela manquait... La nuit
s'éclaircit un peu et, par moment, nous pouvons
guider le camion, debouts sur les marches pieds. Vers 7 heures et demie, nous arrivons !
Quelle nuit ! Plus tard, sur la carte, je verrai
que nous avons fait seulement une dizaine de
kilomètres. Mercredi
26 janvier 1944 - St Elia Vers 7 heures et demie, les camions
s'arrêtent sur une portion de route qui forme une
sorte de corniche avec falaises rocheuses sur la
droite et ravins sur la gauche. Un camion a dû
rester en panne quelque part car je ne retrouve
qu'une dizaine d'hommes de ma section. Nous
attendons sur place un certain temps : on est allé
chercher les ordres. Plusieurs fois, nous devons
sauter dans le fossé et nous plaquer contre la
falaise : des coups tombent pas bien loin. Le
secteur à l'air animé si l'on en croit le bruit
des coups -départs et arrivés- qui ne chôment
guère. Bientôt, en file indienne, nous descendons
la route qui rejoint en lacets une plaine en forme
de cuvette. La pluie fine qui tombait ne va pas
tarder à cesser, le jour se lève et le soleil
perce les nuages. Les rochers des falaises
laissent parfois la place à des coquets petits
bois d'oliviers ou de pins, le sol est couvert
d'une herbe tendre. La plaine aussi est jolie avec
ses vergers, sa verdure et ses maisons nettes
dispersées. Le tout, éclairé en jaune, est
d'aspect très riant et me met le coeur en joie.
J'évoque les joyeux pique-niques qu'on pourrait
faire dans ces décors et j'essaie de faire
partager mon enthousiasme au Sous-Lieutenant
Fichoux. Mais celui-ci y répond mal et, à chaque
arrêt, il s'affale contre le talus. Il semble
fatigué et soucieux. Alors, j'étais loin de telles
pensées. Aujourd'hui, sachant que cette journée
devait lui être fatale, je me demande s'il n'avait
pas quelque funeste pressentiment. Au passage,
l'adjudant de la compagnie me remet mon sac qu'une
jeep transportait jusqu'ici. Nous sommes
maintenant dans la plaine. Les arbres sont
nombreux. Tout autour, des cultures. Parfois une
maisonnette plus ou moins éventrée. Là un gros
char a culbuté du chemin. Plus loin, deux gars des
Chantiers : le 7ème RCA est là ! Tout près du
village de St-Elia, nous nous arrêtons un moment.
Le Sous-Lieutenant Fichoux plaisante avec un
caporal barbu -son planton- et me raconte qu'à
Monna Casale, il lançait des cailloux aux boches
faute de grenades. C'est par ailleurs, un rôdeur,
un voleur, un paresseux. Bientôt, le
Sous-Lieutenant Piau revient..Il a obtenu des
ordres du bataillon et nous montre, sur la carte,
l'emplacement où nous devons constituer un point
d'appui fermé : c'est dans la plaine, sur la
boucle du Rapido, à quelques km du village. Sans
plus attendre, nous partons pour notre
emplacement, toujours en file par un. Nous ne
pénétrons pas dans le village de St Elia mais,
bientôt, nous le longeons sur une route poudreuse.
Toutes les crêtes opposées, elles forment une
véritable muraille, sont à l'ennemi, aussi
longeons-nous les haies et les murs. Notre route
rejoint une voie plus importante où nous faisons
une centaine de mètres avant de nous engager sur
un sentier à gauche (c'est une route secondaire
Cassino-Belmonte-Attina). Nous marchons en pleins
champs et l'endroit semble marécageux : l'eau
coule il faut y mettre les pieds. Je saurai
bientôt qu'il s'agit de l'eau du Rapido que les
boches ont détourné avant de se replier sur les
crêtes. Nous allons dépasser un char enlisé
lorsque, brutalement, 3 obus tombent sur mon
groupe, échelonné dans le sens de la marche, en
plein sur la colonne. C'est à croire que nous
sommes repérés et que les mortiers à plusieurs
tubes, le fameux minens, sont pré-réglés car les
boches n'auraient probablement pas eu le temps de
faire un tir précis aussi rapidement. Il est
vraisemblable aussi de penser que c'est le char
enlisé qui était visé. Je me retourne. A six pas,
trois hommes gisent à terre. Je me précipite. Sur
le 1er, malgré mon inexpérience, mon verdict est
rapide, je ne m'y attarde pas. (il s'agit du
tirailleur Amrane Ali). Les deux autres, sont,
plus ou moins, grièvement blessés : Benyaya
Ramdane, Benzidi Achour. Je les débarrasse de
leurs sacs, les réconforte un peu puis les confie
au Sergent Bittattache avec mission de les
conduire au poste de secours tout proche (que nous
venons de dépasser) et de rejoindre ensuite. Je ne
le reverrai jamais et je le soupçonne fort d'avoir
fichu le camp. Le Capitaine Gaubillot à qui je
ferais part de mon opinion (l'Adjudant-Major) me
répondra "attention, à Monna Casale il a été très
brave". Effectivement, j'ai relevé son nom sur
"Tam". Mais, pendant tout ce temps, la colonne
s'est disloquée. Plus personne devant, je ne vois
plus le commandant de compagnie. j'appelle en vain
Boulala, mon adjoint. Soit il n'entend pas ou fait
le sourd (plus tard je m'apercevrai qu'il a perdu
son sac et, dans l'impossibilité de savoir ce
qu'il a fait pendant les heures qui ont suivi, je
me promettrai de le tenir à l'oeil. J'apprendrais
plus tard qu'il a également été très brave à Monna
Casale). J'essaie de regrouper quelques hommes
mais avec assez peu de succès. Ils sont planqués
comme des lapins et on sont bien qu'ils en ont
assez. En outre, ce qui n'arrange rien, je n'en
connais guère et suis peu connu. Je remarque un
tirailleur du renfort, moitié nègre, qui me suit
sans "hésitation ni murmures", SNP Embareck.
Enfin, avec quelques hommes de diverses sections
que j'ai pu regrouper, je retrouve le Lieutenant
Piau, qui a appuyé sur la droite et s'est arrêté à
300m de l'emplacement prévu, à l'abri d'un mur. Il
me félicite de l'avoir rejoint si vite (il est lui
même avec seulement une douzaine d'hommes) et me
charge de choisir quelques emplacements de tir et
d'installer le F.M. Il m'apprend que le
Sous-Lieutenant Fichoux a été blessé ainsi que
neuf hommes de sa section. Ils étaient devant moi,
et je n'ai rien vu tomber. J'inspecte les crêtes à
la jumelle et il me semble voir remuer des boches.
Dans la journée, petit à petit, le reste de la
compagnie arrive, par petits groupes, le reste de
ma section rejoindra le soir. Le mur derrière
lequel nous sommes devait être destiné à protéger
les cultures des cimes du Rapido qu'il borde.
Celui ci est à sec et le lit est plein de gros
cailloux. Derrière les champs, fractionnés par des
ruisseaux où court une eau claire.
Perpendiculairement au mur, une allée bordée de
saules dénudés, au bras désolés. C'est là qu'à la
nuit tombante, j'aurai à installer ma section pour
protéger la compagnie et fermer, à l'est, le point
d'appui que nous formons. Le bataillon nous a
envoyé un groupe de mitrailleuses lourdes. La
nuit, ainsi que tous les chefs de sections, je
prendrai un quart de deux heures. Mission :
surveiller l'ensemble des sentinelles de la
compagnie, de minuit à 2 heures; cela fait des
quarts étendus. Je dors dans un petit trou hâtivement
creusé dans l'allée, côte à côte avec Sans qui
arrive avec la nuit. Jeudi 27
janvier 1944 - Le Marino Ce matin, l'air est rempli du bruit de
l'artillerie surtout alliée. Dans cette allée où
est installée ma section, on est vu des crêtes
opposées, il faut s'abstenir de bouger. Je préfère
aller contre le mur bavarder avec Bensehila et
Sans plutôt que de rester là, couché dans mon trou
inconfortable. Je n'ai d'ailleurs rien à faire là
où un guetteur suffit à assumer la sécurité,
presque totale de jour. A une heure et demie, le Lieutenant Piau
m'appelle et me confie ma première mission
dangereuse : une patrouille. Il s'agit de prendre
contact avec la compagnie de garde du Q.G et
d'envoyer son commandant à notre chef de
bataillon. Cela est assez facile à réaliser. La
seconde partie de la mission est d'aller
reconnaître la hauteur du "Marino" que l'on voit
d'ici et dont on ne sait pas si elle est encore
occupée par les Allemands. Dans la négative, même
mission pour le village de Cairo. Le Marino est
une petite colline verte, au pied des crêtes qui
forment sur le sud-ouest l'ouverture de la cuvette
de St Elia. Cairo est un village, qui s'encaisse
entre le Marino, au nord, et la muraille de
crêtes, au sud, au sommet desquelles se détache
l'abbaye du Mont Cassin. J'examine à la jumelle
village et colline sans d'ailleurs rien remarquer.
J'emmène avec moi le Caporal Toumi et les
tirailleurs Merabet, Denoune et Guedouche. Après
m'être débarrassé de mes papiers et objets
personnels que je confie à Bensehila, nous
partons, conduits par le sergent Moussaoui qui
connait déjà l'emplacement de la compagnie de
garde mais qui n'a pas l'air de trouver très
amusant d'y retourner : le terrain est évacué par
les boches mais les mortiers ne s'arrêtent pas d'y
lancer leurs projectiles. On commence à savoir
combien ils sont meurtriers, c'est maudits engins
! D'abord, longeant les rives asséchées du Rapido,
puis sous les saules, nous arrivons sans encombres
à la compagnie de garde où nous laisse Moussaoui.
C'est un lieutenant qui commande la compagnie. Je
lui explique ce que je sais de la situation et lui
fait part de l'invitation du chef de bataillon.
Puis je me renseigne sur ce qui peut m'être utile
pour la seconde partie de ma mission : selon le
Lieutenant, le Marino est encore occupé. Une
patrouille y est allée le matin et en est revenue
non sans mal (plusieurs blessés). Je décide
cependant d'y aller. Avec le lieutenant, nous
convenons que je ferai tirer des balles traceuses
au cas où j'aurais besoin de l'aide de ses
mitrailleuses pour me replier. A cet effet, il me
donne une douzaine de cartouches que je répartis
entre mes tirailleurs disposant d'un fusil. puis
nous partons. L'aller s'effectue assez rapidement.
Il ne saurait être question de ne pas se faire
voir : toutes les crêtes sont occupées par
l'ennemi et la plaine n'offre guère à cet endroit
que les maigres rideaux de saules bordant de
multiples ruisseaux d'irrigation pour se
dissimuler. Nous les longeons. Je suis en tête,
bien entendu. Les autres, suivent de dix mètres en
dix mètres. J'essaie de me repérer pour le retour.
Ce n'est pas bien facile. Deux ou trois fois, je
m'arrête et nous observons le Marino. Malgré sa
nudité impossible de rien voir. L'espace que nous
traversons est un "no man's land" complètement
désert. Bientôt, nous ne sommes plus qu'à quelques
dizaines de mètres au pied du Marino. Nous en
avons franchi presque un millier depuis la
compagnie de garde du Q.G. Un chemin longe la base
de la colline. Sans doute doit-il y grimper. Nous
devons appuyer sur la droite car, à gauche, un
champ me paraît suspect et me semble miné : tous
les dix mètres il y a un arbre scié à 0,50m ou 1m
de hauteur pour faciliter l'observation et les
tirs d'artilleries. Sans doute peut-être, aussi,
pour constituer un obstacle anti-chars. Au pied du
Marino, un épais réseau de barbelés. J'observe une
dernière fois. Mais il faut y aller malgré les
gros risques si on veut voir quelque chose. Je
m'engage dans les barbelés, Toumi aussi, à ma
gauche. Nous sommes empêtrés en plein milieu
lorsqu'une rafale sèche retentit. Nous nous
plaquons. Je me demande un instant s'il ne s'agit
pas de la mitraillette d'un de mes hommes. Mais
une seconde rafale me fixe. Ce sont les boches. Je
donne le signal de repli. Très bien exécuté...
sans que j'ai à le répéter ! Quel plaisir d'être
si bien obéi ! Toumi et moi, plutôt que de revenir
sur nos pas (nous sommes toujours dans les
barbelés), nous sautons du côté du Marino,
courrons sur la gauche, longeons le bois aux
arbres abattus (sans nous soucier cette fois des
mines possibles) et regagnons les haies de saules.
Là, une nouvelle rafale bien ajustée nous jette
dans le ruisseau. Toumi part d'un bond, je lui
laisse prendre quelques mètres d'avance et vais en
faire autant. Mais voilà Merabet qui, soufflant
comme un phoque, ne peut plus avancer. J'attends
un moment. Il me fait remarquer des tâches de
sang. Il doit y avoir un blessé ! Je lève la tête
mais une rafale me la fait baisser. Il faut suivre
le lit du ruisseau. mais ce diable de Merabet
asthmatique, n'en peut plus. Tous les dix pas, je
dois l'attendre, non sans impatience. Il est vrai
qu'il n'est pas commode de marcher là. L'eau
freine les mouvements et les pieds s'enfoncent
dans la vase. Nous sommes encombrés par nos armes
et je m'aperçois que j'ai gardé ma montre au
poignet, la belle montre que j'ai acheté à Naples
! Devrais-je la ramener arrêtée en Algérie! Je la
mets dans la poche la mieux protégée et prend soin
de ne pas la tremper. Au début, j'étais gai de
l'aventure et de se bain forcé. Je plaisantais
Merabet qui, lui, ne semblait pas trouver drôle
l'aventure et geignait. Mais ça commence à devenir
long ! A chacune de mes tentatives de monter sur
la berge une rafale ne tarde pas à retentir, nous
montrant que nous ne sommes pas oubliés. On nous
tire comme des lapins. En outre, l'eau commence à
devenir froide. Nous étions mouillés tout à
l'heure jusqu'aux genoux. Les fesses sont parfois
caressées maintenant. Nos mitraillettes commence à
se mouiller. le ruisseau est souvent trop étroit
et il faut forcer pour passer. D'autres fois, un
ponceau trop bas nous oblige à un bond rapide sur
le sol ferme et, chaque fois, c'est l'inévitable
rafale. Je commence d'ailleurs à m'énerver contre
Merabet qui me retarde. En quelques bonds, je
serais loin ! J'essaie de me distraire en
regardant les objets que traîne les ruisseaux :
pelle, boîtes de conserves... Je m'étonne de voir
là, où les Américains ne sont vraisemblablement
jamais venus des boîtes de rations K. En outre, il
y a le souci de s'orienter, souvent des
bifurcations se présentent dont toutes ne
s'éloignent pas du Marino qui semble toujours tout
près. Tout d'un coup, un bruit d'herbes violemment
froissées et de pas, tout près au dessus de nos
têtes. Nous nous immobilisons et, pour la première
fois, l'idée d'être fait prisonnier me fait passer
dans le dos un drôle de frisson. Ouf ! C'est
Denoune qui, blessé au bras, égaré par la douleur,
marche à découvert sans se préoccuper de l'ennemi
et qui s'écroule quelques pas plus loin. Il ne
veut plus avancer et veut rester là. J'en profite
pour abandonner le ruisseau et, le forçant à
marcher, en deux, trois bonds, je gagne un chemin
creux où nous sommes passés en venant. Nous ne
sommes plus très loin de la compagnie de garde.
Nous attendons Merabet. Au bout d'un moment, je
l'entends barboter. Je le guide de la voix mais le
bougre ne répond pas. Il me répondra après qu'il
croyait que c'étaient des boches... Des boches qui
l'appelaient par son nom ! Enfin, il arrivera à
s'en tirer, il n'est plus qu'à une cinquantaine de
mètres. Avec Denoune qui n'a pas la force de se
courber et qui marcherait n'importe où, je gagne
la compagnie de garde où je le laisse pour être
soigné. Là, deux Américains demandaient à un
adjudant comment ces diables de Français faisaient
pour franchir les ruisseaux. Me montrant,
l'adjudant en riant, leur répondis. Sacrés
Américains ! Enfin, ils m'offrent une cigarette
que je fume avec plaisir. Puis, je reprend le
chemin de la compagnie, lourds de mes souliers et
de mon pantalon mouillés. Là, on commençait à se
faire du souci pour moi. Mes tirailleurs, dont
Merabet, étant déjà rentrés sans pouvoir dire ce
que j'étais devenu. Mon planton Ketfi, dit "le
vieux", ne tenais pas en place, paraît-il. Il
allait et venait, très inquiet et le montrant.
Tout de suite, je suis entouré et questionné par
mes chefs de groupe, mon caporal adjoint Sans, mon
petit protégé Bensehila et Ketfi, mon planton...
Je m'échappe pour aller rendre compte. mais le
lieutenant est au bataillon et je peux aller me
changer. Ketfi a déjà ouvert mon sac et en retire
le linge de rechange dont heureusement j'ai un jeu
: caleçon, tricot, chemise, chaussettes. Au fur et
à mesure, avec des soins maternels, il me passe
chaque vêtement qu'il a au préalable déboutonné.
Il est touchant d'attention et le contraste me
fait songer aux jeunes tirailleurs que je voyais à
Sétif, venant depuis peu de leurs gourbis... Cela
fait du bien de se changer, car il commençait à
faire frais. Je ne peux remettre mes effets
mouillés. Bensehila me prête son treillis, ne
conservant que son pantalon. Puis je mange avec
conviction et bois le chocolat chaud que Ketfi a
déjà fait chauffer. Mais je n'ai pas terminé que
le lieutenant me fait appeler. Il revient du
bataillon où on lui a demandé de dépêcher une
section de renfort car la 9ème Compagnie, au
combat sur les crêtes, est en difficultés ! Il
désigne ma section et moi, par conséquent. Je suis
un peu contrarié car déjà bien fatigué mais je ne
fais pas d'objection. Je vais donner mes ordres et
charge Boulala de veiller à leur exécution. Je
vais mettre mes souliers mouillés car pour
rejoindre le lieutenant, j'avais emprunté ceux,
trop courts mais secs, de Bensehila. Je bataille
bien pendant une demie heure. Enfin, tout est près
et, sous la conduite de l'agent de liaison, nous
allons au P.C du Bataillon prendre les ordres du
commandant . Vers l'embranchement du Rapido et du
Rio Secco, semble être le barrage constitué par un
pont détruit. Prés du P.C, je laisse mes hommes et
vais avec l'agent de liaison du P.C. En chemin,
nous rencontrons le commandant à qui je me
présente. Il avait donné contre-ordre, paraît-il,
mais qui ne nous a pas touché. Pourtant, il
m'emmène au P.C où il demande l'avis de son
adjoint car il est hésitant. Le P.C, installé dans
une maison aux portes bien closes aux plafonds
élevés, aux lampes à pétrole éclairées, à la
cheminée qui flambe, à la table mise où sont assis
les adjoints du commandant et où lui-même
s'assied, est diablement plus sympathique que
notre coin de Rapido. Je suis claqué mais je n'ose
pas m'asseoir ni demander une tasse de café ni un
verre de la bouteille de liqueur que je vois avec
envie sur la table... On m'aurait pourtant très
certainement servi l'une et l'autre ! De même, je
ne parle pas de la patrouille de cet après-midi ce
qui serait une bonne façon de me faire mousser
auprès du commandant puisque c'est sur sa demande
qu'on l'a organisée. Enfin, je peux partir : le
contre ordre est confirmé ! Au retour, je trouve
moyen, au pont détruit, de glisser sur une pierre
et de me mouiller à nouveau un pied qui était
séché. Notre guide se trompe de chemin, hésite.
Enfin, nous revenons au port. Le lieutenant me
fait raconter ma patrouille. Il dit qu'il me
remercie et qu'il pensera à moi en temps opportun.
Sur le moment, je n'y fais pas très attention,
surtout satisfait d'être dispensé de quart et de
pouvoir aller dormir. C'était pourtant un débouché
favorable vers la nomination au grade d'aspirant.
Je lui réponds que j'ai été content d'avoir bien
fait ce qu'il m'avait confié mais que je ne serai
pas volontaire pour les missions qui pourront se
présenter; pourtant, je les accomplirai chaque
fois de mon mieux. Il dit c'est naturel, ça se
comprend lorsqu'on a réalisé le danger.
Heureusement, on ne réalise vraiment qu'après. Sur ce, je vais, enfin me coucher !... Vendredi
28 janvier 1944 - Des prisonniers en dormant En principe, nous devons partir. A tout
moment, nous attendons l'ordre mais rien ne vient.
Le lieutenant m'apprend que le Sous-Lieutenant
Fichoux serait mort des suites de ses blessures.
La nouvelle m'affecte et me surprend. Elle
m'affecte car c'était un garçon sympathique. Nous
commencions à devenir copains. A l'embarquement,
il était officier T.Q.M(?) et j'étais son adjoint,
c'est lui qui m'avait réclamé à la compagnie. Elle
me surprend, cette nouvelle, car on avait dit
d'abord qu'il n'avait reçu que des blessures
superficielles. Mais la face avait été atteinte !
La journée va donc passer en attente, chacun
restant le plus possible dans son trou afin de ne
pas trop attirer l'attention des observateurs
ennemis. Je suis toujours contre le mur,
abandonnant ma section et conversant avec Sans,
Bensehila et Ketfi qui nous fait de temps en temps
du chocolat. On casse souvent la croûte... un peu
pour passer le temps, un peu par gourmandise. Nos
sacs sont bouclés et nous sommes prêts à partir.
J'avais abandonné mes effets mouillés mais je
profite de ces loisirs pour les faire sécher.
Parfois, je vais voir le lieutenant et nous
parlons un peu mais je ne le connais encore pas
assez pour y trouver beaucoup d'intérêt. Il en est
de même avec les autres sous-officiers français,
le chef Auer de la section d'engins, Broussard, du
groupe de mitrailleuses lourdes mis à notre
disposition, les sergents Rau et Stone, de la
section d'engins... Violents bombardements
parfois, souvent très près. A la nuit tombante, je
vais faire un peu de toilette au ruisseau voisin.
Mon quart se passe sans incident. Mais en le
prenant, j'apprend que trois boches dont deux
Alsaciens (!) et un caporal autrichien (!) sont
venus se constituer prisonniers à l'un des postes
de ma section. Mon sous-officier de quart ne m'a
pas réveillé puisqu'il y avait un chef de section
de service. Je m'identifie à ma section et suis
fier d'avoir fait, en dormant, trois prisonniers
!... Il leur a fallu en faire du chemin pour venir
jusqu'à nous ! C'est bizarre qu'ils n'aient pas
été arrêtés avant! Quinze autres seraient partis
avec eux. "Ils", les boches, seraient très
éprouvés par les tirs de notre artillerie. Dans
leur compagnie, ils n'avaient plus, disent-ils que
600 coups à tirer par mitrailleuse. Depuis
quelques jours, ils n'avaient qu'une boîte de pâté
pour quinze, vivant sur les vivres de réserve de
leur bataillon car leur ravitaillement était
coupé. Ils ont ajouté que, si leurs copains
savaient avoir des Français devant eux, ils
viendraient plus facilement se constituer
prisonniers. Ils ont entendu parler d'un
débarquement mais cela aurait été démenti par
leurs gradés. En attendant, ces sacrés Allemands,
malgré leur 600 coups par pièces, ils résistent à
toutes les attaques ! Leurs minens vont continuer
à affecter plus ou moins notre moral et, nos
effectifs. Samedi 29
janvier 1944 - Le ravin Gandoet La matinée s'écoule sans incidents,
toujours dans l'attente. En fait, nous avons perdu
la liaison et c'est pour la rétablir que le
lieutenant, ennuyé par cette situation, m'envoie
chercher vers midi... alors que je me mettais à
table (!).Il me donne mission de rétablir la
liaison avec le bataillon, d'indiquer au
commandant notre position et le peu de
renseignements que nous avons sur la situation et,
surtout, de provoquer ses ordres car il semble que
nous puissions avoir mieux à faire qu'ici. A la
jumelle, il m'indique un endroit où se trouve le
bataillon : à proximité de maisons, sur la
montagne juste en face, c'est à dire sur le
Belvédère. Mais la région est encore loin d'être
nettoyée, je devrai faire très attention, en
particulier à cette faille très profonde qui
grimpe là haut, à flanc de montagne. J'apprendrai
plus tard qu'il s'agissait du ravin Gandoêt. Je
donne les ordres de préparatifs aux deux groupes
de ma section que j'emmène avec moi : le groupe de
Khehef et celui de Mahdi. Boulala que j'avais
décidé d'emmener se dérobe, se plaint de ses pieds
gelés. Il me déçoit, j'avais espéré mieux de lui.
Pourtant je le laisse. Après avoir rapidement
terminé mon repas, nous partons, moi en tête, bien
entendu. D'abord, nous longeons le lit du Rapido,
puis du Rio Secco que nous remontons, nous
rapprochant de la faille que je dois emprunter
ensuite. Déjà, j'ai fait prendre les dispositions
de combat et je me suis fait protéger par deux
éclaireurs. Tout au long du trajet, nous prendrons
bien des précautions qui me paraîtrons un peu
ridicules par la suite car nous n'aurons fait
aucune mauvaise rencontre et aurons seulement
croisé des Français. Ces précautions étaient
cependant indispensables car les Allemands avaient
laissé de nombreux tireurs isolés et actifs. Le
lit de la rivière est jonché d'objets abandonnés,
boches surtout mais de type américain aussi : les
masques à gaz surtout encombrent, semble-t-il. Il
nous faut quitter notre cheminement et marcher à
découvert sur un bout de plaine où les traces de
chars sont nombreuses. Je fais redoubler les
précautions, ayant soin d'avoir toujours un fusil
mitrailleur en batterie prêt à tirer. Je passe
tout près d'un cadavre horrible qui me rappelle
certaines gravures de morts de la grande guerre.
C'est un indigène qui a sauté sur une mine. Ses
deux jambes sont coupées nets et les moignons sont
couverts de sang noir. Le corps est sur le dos
dans une attitude qui traduit la souffrance. Le
visage est affreux, jaune et gris, tout desséché,
déjà et, surtout, les traits convulsés et
grimaçants. Je n'ai eu qu'un regard pour cette
horrible chose mais j'ai eu la nausée et ces
traits resteront fixés dans ma mémoire. Il me faut
faire reconnaître deux maisons. Elles sont
occupées par des Français. J'y vais. Il s'agit de
la 6ème Compagnie. Je demande des renseignements
sur la région. Un lieutenant me confirme qu'elle
est infestée de boches isolés. Il a justement une
section qui effectue le nettoyage. De plus, le
terrain est miné : six de ses hommes ont, le
matin, sauté sur les mines. Enfin, nous arrivons
au pied de cette faille que nous voyions déjà de
notre point de départ. Elle est profonde et très
large, beaucoup plus qu'il n'y paraissait de
là-bas. Contrairement à ce que m'avait recommandé
le lieutenant, je ne fais pas marcher un groupe
sur chaque lèvre : je préfère les garder ensemble
sur la rive gauche. Je recommande à mes hommes de
marcher le plus possible sur mes traces. Moi-même,
je m'efforce de choisir l'endroit où je mets les
pieds. La montée est très dure car la pente est
raide. Le terrain rocailleux, s'éboule
fréquemment. Souvent, à bout de souffle, nous
devons nous arrêter un moment. Nous montons sans
cesse et sommes toujours aussi loin du sommet.
Enfin, du côté droit, nous voyons des Français.
Nous y allons. C'est le 2ème bataillon et, en
particulier, son renfort : j'y vois Ninu et
d'autres. Je laisse un groupe et continue
l'ascension. Mais, décidément, je n'ai pas besoin
de protection : je renvoie mon 2ème groupe
rejoindre le 1er et ne garde qu'un agent de
liaison avec moi. Après avoir souvent demandé des
renseignements aux tirailleurs qui sont nombreux
ici, je finis par parvenir au P.C du bataillon.
J'y vois le commandant qui me dit : "vous ne
dépendez plus de moi, mais du colonel. Restez où
vous êtes..." Il semble se désintéresser de nous.
Après tout, tant mieux ! Mais, au passage, en
redescendant, je tombe sur le Capitaine
Adjudant-Major Gaubillot, qui me fait raconter ma
petite histoire et répéter les paroles du
commandant. Plus malin et sachant bien que nous ne
serons pas de trop ici, il téléphone au colonel
qui, bien entendu, nous remet à sa disposition. Le
capitaine rédige alors l'ordre au Lieutenant Piau
d'avoir à rejoindre et me le remet. Je demande un
agent de liaison du bataillon pour plus de sûreté
et je redescend. Au passage, je reprends mes
hommes. La descente est presque aussi fatigante
que la montée et il faut faire encore plus
attention de ne pas recevoir de blocs sur la tête.
De nombreux chars français circulent dans le lit
du Rapido. Après un moment de repos, dans la nuit,
nous repartons mais, cette fois, en tête de la
compagnie, le guide devant moi; Bientôt, sur la
berge, je vois une mine déterrée. Je fais arrêter,
vais me rendre compte et vois tout un secteur miné
entouré d'un ruban blanc. Nous repartons en
faisant un léger détour. Le guide commence déjà à
hésiter sur notre chemin. Il nous faut souvent
nous arrêter pour qu'il retrouve ses souvenirs.
Mais j'ai l'impression qu'il y va plutôt
d'instinct, je ne peux pas l'aider car nous ne
passons pas par le ravin et c'est heureux car, de
nuit, ce serai vraiment trop dur. Nous sommes au
milieu des vergers lorsqu'un tir très violent de
minens tombe à proximité ! Débandade. Arrêt. Au
bout d'un moment, nous décidons de partir : nous
risquons tout autant arrêtés qu'en marche. Notre
guide ne veut plus avancer et, pas davantage, la
plupart des hommes, préférant l'immobilité qui
leur donne l'illusion d'un peu de sécurité. Au
fond, ils s'enfouiraient volontiers la tête dans
le sol, comme l'autruche et Mektoub ! Il fait très
noir, et, lorsque nous repartons, nous sommes sur
une descente dans un enclos bizarrement parsemés
de souches, de creux et de bosses, de fils de fer
barbelé dans lesquels on vient butter. Quelques
dizaines de mètres et les tirs redoublent de
violence. Les hommes se jettent au pied de deux
maisons. J'en fais autant. Au bout d'un moment, je
m'aperçois que toute la compagnie n'a pas suivi.
J'essaie de faire retourner le guide. Il a la
frousse. J'y vais donc moi-même et, pour éviter de
me perdre, je lui dis de me guider à la voix. Le
reste de la compagnie est là. Nouvelle attente.
Tout le monde perd son temps ici et, plus ou
moins, la tête... y compris le lieutenant. Il veut
que nous partions par petits paquets. Mais il n'y
a qu'un guide ! Mon avis est qu'il n'y a qu'à
partir en bloc si on veut arriver ensemble. Il
m'importe surtout de ne pas rester là, endroit
manifestement visé. Nous sommes tout près de la
route, assez encaissée.Il suffit de la franchir et
de gagner la montagne en face : il sera plus aisé
de s'abriter. Après bien des hésitations, nous
nous décidons. D'ailleurs les tirs s'espacent.
Enfin, la montagne! On commence à l'escalader en
suivant un sentier qui se tortille. Le guide
hésite aux jonctions. La montée est harassante. Il
y a du tirage à l'arrière, surtout à la section
d'engins qui trimballe armes et munitions. Nous
nous arrêtons souvent et j'en suis content. Je
suis fourbu et marche maintenant comme un
somnambule. Le lieutenant s'est maintenant
intercalé entre le guide et moi. Il me demande si
le guide ne s'est pas trompé et s'il n'aurait pas
mieux valu suivre mon itinéraire de l'après-midi.
Je lui dis que je ne pense pas car la direction
semble bonne: même si c'est plus long par là, cela
vaut mieux car c'est moins dur. Enfin, nous
passons devant une petite maison que je reconnais
et qui doit être le P.C du 2ème bataillon. Nous ne
sommes plus très loin. Mais nous devons laisser
passer une très longue file de robustes mulets,
conduits par des italiens et chargés de vivres et
de munitions. Les mulets sont formidables :
lorsqu'au bout d'un moment, après avoir déchargé,
ils redescendent, ils vont au trot dans ce sentier
irrégulier et rocailleux et leurs conducteurs se
pendent à leurs queues pour ne pas tomber. Cela
nous a fait un long repos car la file comprenait
près de 200 mulets. Enfin, nous repartons...
Bientôt, nous sommes rendus : il est deux heure et
demie! Nous ne faisons pas de longs préparatifs
pour nous coucher, nous contentant de nous adosser
à un rocher. Ketfi fait le lit et bonsoir !Dimanche
30 janvier 1944 - Belvédère Le matin, réveil en fanfare ! Gros tirs
d'artillerie et de minens boches. Nous sommes à
proximité de l'extrémité du sillon dont j'ai déjà
parlé, de cette faille qui grimpe de la plaine de
St Elia au Belvédère et c'est là que semblent se
concentrer les tirs. Dans la journée, il y en aura
plusieurs aussi puissants les uns que les autres.
Parfois, nous verrons, au début d'un tir, un petit
nuage rose qui se répandra gentiment au dessus de
cet endroit : c'est un obus de réglage qui indique
le début d'une série. Il n'est pas facile de se
construire un abri ici où les rocs sont d'une
seule pièce et nous nous contentons des abris
naturels, parfois étroits et incommodes que nous
fermons avec nos sacs. Ketfi s'est débrouillé,
hier, pour ramasser une caisse de rations K que
les Italiens, pressés, avaient laissée sur le
chemin. Il ouvre toutes les boîtes, en retire les
friandises, les cigarettes et le fromage. Avec les
biscuits et le reste, il fait le généreux. Nous,
Sans, Bensehila et moi grignoterons toute la
journée. Ketfi, hier, a également "fauché" une
"nourrice" à moitié pleine d'eau (il devait être
chargé comme un baudet). Nous nous en sommes
désaltérés à l'arrivée, mais bien mal acquis ne
profite jamais, elle recevra un tout petit éclat
qui la percera et nous devrons distribuer l'eau
qui reste. Notre mission est d'occuper les crêtes
conquises au fur et à mesure de l'avance des
unités qui nous précèdent. La mission n'est pas
des plus glorieuses mais les minens pleuvent.
Souvent, des Américains passent, ou stationnent
près de nous. Ils ont l'air "emmerdés" et c'est
bien là le mot qui convient le mieux. Ah ! ils ne
sont pas aussi à l'aise que dans les rues des
grandes villes. Ils trouvent que la pente est rude
(pensent-ils qu'on devrait inventer une jeep
encore plus "tout terrain"?) et le matériel bien
lourd. Ils continuent leur éternelle mastication
mais j'ai plaisir à voir qu'ils sont barbus
presque autant que nous et sales aussi. Leur tenue
n'est pas la même que la nôtre. Ils n'ont plus la
capote mais un blouson beaucoup plus chaud et une
combinaison assortie plus fonctionnels. A 13 heures, le Lieutenant Piau (qui
avait reçu le 26 un petit éclat dans le gras de
l'avant-bras et dont la blessure risque de
s'aggraver si elle n'est pas soignée) est évacué.
C'est d'ailleurs sur l'ordre du médecin qu'il
consent à partir. Au fond de lui-même il n'est pas
fâché: moniteur d'éducation physique dans le
civil, il ne veut pas risquer de perdre son
bras... et son métier. Finalement, il restera dans
l'armée, subira une intervention chirurgicale pour
enrayer un début de gangrène, participera à
l'offensive du Garigliano, à la campagne de
France, fera deux séjours de trois ans en
Indochine, deux séjours encore en Algérie et
terminera avec le grade de lieutenant-colonel. Il
dit en partant qu'il fera son possible pour
revenir vite. Il dit encore qu'il me remercie. Le
chef Auer prend le commandement de la compagnie.
Ma section s'est amenuisée. Nous ne sommes plus
que 24 et plusieurs se disent malades et demandent
à être évacués. J'essaie le plus possible de les
faire patienter. En attendant, je remanie ma
section. Il est difficile de remplacer un tireur
ou même un chargeur faute de gens compétents !
C'est un peu fort car il n'est pas difficile de
porter des boîtes chargeurs et de les introduire
sur un F.M. mais il est vrai que, dans les dépôts,
on a une façon de concevoir l'instruction qui est
cause de cet état de fait déplorable. Le 25, en quittant l'endroit où nous
étions au "repos" (!!), j'ai dû laisser un malade.
Le 26, j'ai eu un tué, deux blessés, un disparu
(sergent Bitattache). Le 27, un blessé. Le 28, un
malade évacué (le Caporal Toumi qui nous rejoindra
par la suite). Le 29, un disparu (Nabet qui a du
se perdre dans la nuit). Nous étions 32 à mon
arrivée. Nous sommes 8 de moins, et, ce soir, je
devrai laisser encore partir mon adjoint, le
sergent Boulala, dont les pieds sont très enflés. A 14 heures, l'ordre nous est donné de
déposer nos sacs et de les grouper dans un coin,
par section, de laisser aussi nos capotes et de
nous mettre en blouson et cartouchières :
préparatifs de départ pour l'attaque. En effet, la
colonne de Bensehila est déjà montée à l'assaut de
la côte 915; les blessés commencent à affluer au
poste de secours du bataillon, installé en plein
vent, sur le sentier qui descend, à quelques vingt
mètres de nous. Tribi a été blessé à la tête.
Bensakri, Matten ont été tués. Tous trois étaient
des sous-officiers du renfort. Les prisonniers
sont nombreux aussi, ni si jeunes, ni si fatigués
qu'on le dit. Des indigènes les insultent. Si on
les laissait faire, il n'y aurait pas des
prisonniers. Des Américains leur montrent le poing
et cela est nouveau pour eux : c'est qu'ils ont vu
le feu de près! Tout d'un coup, sur la crête
voisine, de l'autre côté du sillon, à 400m
environ, des hommes refluent en hâte et en
désordre. C'est la 11ème Compagnie repoussée par
une contre attaque très violente et un puissant
bombardement de minens. Le petit Bensehila ne
tient pas en place. Je n'arrive ni à le rassurer
ni à le retenir. Il voit déjà son frère tué (le
pauvre type ! il ne se doutait pas que son frère
serait bientôt évacué sur l'Afrique du Nord pour
pieds gelés et que ce serait lui qui serait tué!).
Je descend aussi aux nouvelles. Le chef Santou, du
renfort, est en nage. C'est lui qui a maintenant
le commandement de la compagnie dont les officiers
sont tombés. Il cherche le chef de bataillon pur
lui annoncer les nouvelles. Il a vu Bensehila sain
et sauf. Je retourne à notre rocher où le Caporal
Bensehila est revenu, désolé de n'avoir pas vu son
frère : mes affirmations le laissent sceptique !
Au bout d'un long moment, j'aperçois mon camarade
de Cherchell. Nous l'appelons et il ne tarde pas à
être vers nous. Il est complètement bouleversé. Un
peu hagard, découragé, les yeux exorbités,
enfoncés dans son visage sale et jaune, il parle
par saccades tandis qu'on essaie de le réconforter
et qu'on lui donne à boire. A 16 heures, le chef Auer n'est pas là.
Rau et Stone me disent qu'il était allé au P.C du
bataillon, il y a déjà deux ou trois heures et
qu'ils commencent à être inquiets. Je vais voir.
Le Capitaine Gaubillot me dit qu'il a été atteint
par un obus à la jambe et qu'il est mort presque
aussitôt. Il continue en disant qu'il me donne le
commandement de la compagnie. Je lui objecte que
je ne suis pas le plus ancien, ni d'ailleurs le
plus gradé. Il maintient sa décision (il reste
trois sergents français qui étaient déjà à la
compagnie avant moi, un adjudant et deux chefs
indigènes). Je suis estomaqué et à vrai dire un
peu inquiet. La responsabilité est grosse et
imprévue. Ce sentiment s'atténuera vite. Le
capitaine me présente à un lieutenant qui doit
m'indiquer notre mission et me faire reconnaître
l'emplacement où je dois installer la compagnie.
C'est au cours de cette même reconnaissance que le
Chef Auer a été atteint. Notre mission principale
est de protéger un repli éventuel de la 9ème
Compagnie isolée en pointe sur la côte 700. Dans
cette éventualité, la difficulté serait de
discerner avec exactitude le moment où tous les
hommes de la 9° seraient passés pour donner
l'ordre de tirer sur les boches à leur poursuite
et de les arrêter. La mission secondaire est de
tenir notre position dont la perte aurait pour
effet de couper la 9° du bataillon et du
ravitaillement. Le lieutenant, me transmet les
indications du chef de bataillon, puis me laisse.
Je retourne à la compagnie, je convoque les gradés
et leur annonce que le Chef Auer est blessé (je
leur cache sa mort). Cette nouvelle perte, alors
que celle du lieutenant est si proche, cause un
certain désarroi mais je ne le laisse pas
augmenter. J'annonce que je prends le commandement
et, sans attendre, je donne mes ordres. Personne,
d'ailleurs, n'a l'air choqué comme je le
craignais. De mon côté, par mon attitude, je
m'efforce de paraître trouver la situation
normale. Je donne l'ordre de reprendre les sacs et
capotes et de se préparer à partir. J'emmène les
chefs de sections sur l'emplacement où nous devons
nous installer et je donne à chacun sa mission. La
3ème section est en pointe au débou-ché du chemin
de repli. C'est la section du Chef Chabia. J'ai,
pour la renforcer, un groupe de mitrailleuses
lourdes qu'on a mis à ma disposition. C'est elle
qui aura la part la plus importante. J'installe la
2ème section, celle de Fraga; égale-ment Chef, sur
la crête, auprès d'une maisonnette et de meules de
paille. C'est à elle qu'il revient de nous
garantir d'une infiltration par le flanc droit.
Notre flanc gauche est protégé par les restes de
la 11ème Compagnie (une trentaine d'hom-mes
récupérés par Santou), disposés à mi-pente. Je
garde ma SME et ma 1ère section en réserve.
J'installe mon P.C un peu en arrière mais au
centre du dispositif. Peu à peu, tout s'organise.
Je vérifie en détail l'organisation des sections,
l'emplacement des FM et des mitrailleuses lourdes.
J'organise les gardes, fais reconnaître les
positions des sections, de mon P.C, du P.C de
bataillon aux agents de liaison, fais percevoir
des munitions supplémentaires, en particulier des
grenades, et le ravitaillement par l'adjudant
indigène. Un troupeau de moutons et de chèvres
abandonnés passe au milieu de nous. Les indigènes
les pourchassent à la grande joie des Américains.A la nuit, entre 19 et 20 heures, je suis
convoqué au bataillon. Il y a le Chef de
Bataillon, le Capitaine Adjudant Major, Santou qui
commande la 11ème. Bientôt, arrive l'Adjudant Chef
Binart, que le commandant me présente et qui prend
le commandement de la cie, à mon grand soulagement
(d'autant plus que le Capitaine Gaudillot me
dépeignait la situation en termes noirs et me
faisait craindre maintes surprises). A nouveau,
avec l'Adjudant Chef, je fais le tour du
dispositif, lui expliquant notre mission et les
dispositions que j'ai prises. Près de la
maisonnette, que le Chef de Bataillon parlait de
transformer en "bochlaus" (il semblait y tenir !),
l'Adjudant Chef me montre un tas noir : le Chef
Auer, simplement recouvert d'une couverture, et
qui, le pauvre, passera, la nuit, tout seul, en
plein air. Notre nouveau commandant de la
compagnie, se trouvait tout près, il lui a fait un
garrot mais il est mort très vite. L'Adjudant Chef
s'installe dans un abri déjà construit, tout près
de mon P.C que Ketfi a construit trop petit et où
je devrai me recroqueviller. Lundi 31
janvier 1944 - Côte 720 Après une nuit calme et quelques tasses
de chocolat avalées tranquillement, vers 9 heures,
nous partons sur la côte 720. Bien entendu, ma
section est en tête... Pendant la 1ère partie du
trajet, rien à signaler sinon que les montées sont
pénibles et qu'il fait chaud. Arrivés en bas de la
crête, je fais déployer ma section (jusqu'alors
nous marchions colonne par un). J'envoie un groupe
à gauche, un groupe à droite pour reconnaître deux
maisonnettes. Comme prévu, le passage est libre.
la crête est balayée par des tirs de
mitrailleuses. Mon caporal, Nabti, est blessé par
deux balles. Enfin, nous sommes au sommet. Nous
trouvons la crête occupée par une compagnie
d'Américains. Nous faisons comme s'ils n'y avait
personne et j'installe mes trois
fusils-mitrailleurs sur les rochers de la ligne de
crête. Immédiatement derrière, une coulée de
terres cultivées de fèves maintenues en terrasses
par des murettes. Je bavarde avec un Américain
d'origine française (de la Louisiane) très brun et
pas très sympathique. Il me dit que leurs pertes
ont été lourdes, qu'ils ont reçu, en 5 renforts
successifs, des hommes peu entraînés. Leur
compagnie est commandée par un sous-lieutenant. La
plupart des Américains sont couchés dans leurs
abris de pierre et n'en sortent guère... Encore
une fois, il faut construire notre abri en pierre.
Ca devient fatigant quoique Ketfi fasse le plus
gros du travail. Vers 17 heures, les Américains partent à
l'attaque d'une crête voisine, les Français du 1er
bataillon également. De mon observatoire, je vois
qu'ils se font tirer dessus par derrière. Je cours
croyant que c'est de notre crête que les
mitrailleuses américaines tirent. Quelle pagaille
! Que les histoires de liaison et de tactique de
Cherchell paraissent idiotes ici ! A 18h30, un message du bataillon nous
parvient. Les Français du 1er bataillon viennent
de se faire violemment contre attaquer. Nous
devons redoubler de vigilance. D'autres Américains
viennent remplacer ceux qui étaient partis.
L'adjudant-chef s'était installé avec son P.C dans
une casemate boche que les précédents Américains
avaient abandonnée. Mais leurs remplaçants ne
l'entendaient pas ainsi et le font déguerpir !
Amitié franco-américaine ! Très violent tir de
minens sur notre crête. Parmi nos hommes, partis
en corvée d'eau, SNP. Embarek, de ma section, noir
très fruste et qui m'avait suivi sans "hésitation
ni murmure" lors du bombardement du 26 est blessé.
Sur sa civière d'évacuation, il pleure et geint,
j'essaie de le réconforter et lui dit au-revoir.
Nuit assez calme, je dors assez bien car les
nombreuses couvertures et toiles de tentes de
Ketfi sont suffisantes contre le froid. contre le
bruit, aussi pour avoir l'impression d'être en
sécurité, je mets ma capote sur la tête, sans
enlever mon casque (!). Mardi 1er
février 1944 La plaine est submergée par une mer de
vapeur où flottent, détachés, les sommets.
Plusieurs fois dans la journée, nous sommes sous
le feu des mortiers, très violent; Ketfi me
rapporte une combinaison américaine et une lampe
torche. A son ami Sans, il offre un petit pistolet
américain. Il a, paraît-il trouvé tout cela. Je ne
cherche pas à approfondir. Nous ne quittons guère
nos murettes de pierres. Choisir l'instant
favorable pour aller faire ses besoins n'est pas
aisé ! Les Américains, eux ne se dérangent pas.
Ils urinent depuis leurs trous. A 16h30, - "l'Adjudant Chef Binard est
blessé", vient m'annoncer quelqu'un. Un "merde"
instinctif et énergique me vient spontanément aux
lèvres. Je téléphone au Capitaine Gaudillot puis
descend au P.C du bataillon pour le voir. Je me
plains de ce qu'on ne réponde jamais lorsque notre
opérateur radio appelle le bataillon. Sur notre
droite, la 6ème Compagnie se déplace allant
rejoindre son bataillon et nous laisse à
découvert. Je dois aller installer la section
Fraga à sa place. Après bien des recherches, je
finis par trouver. A 21H30, le Lieutenant Lederman vient me
relever. Dans la nuit, le ravitaillement arrive
avec l'Adjudant Guessoum (?). J'ai deux lettres :
une de Blida, une de Geneviève. Je les lirai
demain, au jour. Nuit calme, passée dans la fameuse
casemate que les Américains ont enfin libérée. Mercredi 2
février 1944 Le Capitaine Gaubillot, une canne à la
main, vient nous voir. Il ne prend guère la peine
de se camoufler, voulant prouver son courage. Mais
les hommes disent qu'on n'a pas besoin de lui pour
faire repérer notre position. Il me charge de
lancer une patrouille pour reconnaître en
particulier les maisons situées au devant de notre
position, sur la hauteur suivante. J'y envoie
Laouati que cela n'enchante guère et quelques
hommes. Du haut de la crête, près du poste
téléphonique de l'artilleur de liaison, nous
suivons l'opération à la jumelle. Il y a là le
fameu. Commandant Pichon, du 1er bataillon, le
Capitaine Gaubillot et moi. Bientôt, on voit les
hommes; de la patrouille qui débouchent
précautionneusement. Laouati les commande par
gestes. Ils progressent chacun leur tour, par
petits bonds, le long d'un sentier, se planquent
après quelques mètres. Le commandant dit que la
patrouille, plus que l'attaque est un excellent
moyen pour former le soldat. Le capitaine approuve
leur manoeuvre. Je suis un peu surpris de voir que
le commandant et le capitaine considèrent la
patrouille avec sang froid comme s'il s'agissait
d'un exercice sans danger. Il est vrai que, du
fait de leurs grades, ils sont maintenant
dispensés de ces petites opérations. Leur intérêt
est limité mais elles sont dangereuses. J'ai, moi,
le point de vue de celui qui fait les patrouilles,
eux, celui de ceux qui regardent ceux qui les
font. Les "huiles" s'en vont, non sans que le
capitaine m'ait recommandé de suivre l'opération
et de lui en rendre compte. Peu à peu, la chose devient intéressante.
L'éclaireur de tête a vu quelque chose et, d'un
bond précipité, reflue en arrière avec ses
camarades. On se concerte, on hésite... La
patrouille aborde une petite maison, la fouille.
Rien. Elle repart et ne voilà-t-il pas Hadjadj
qui, sans s'en faire, la laisse partir et pose
culotte derrière la maison! Nouveau groupe de
maisons à explorer. Les précautions redoublent. La
patrouille disparait derrière la maison. Tout d'un
coup, de grands cris et elle ressort avec un
prisonnier... un boche qui se cachait. Bientôt,
sur un mulet errant, les hommes de patrouille
hissent un autre boche, un blessé et c'est le
retour, en cet étrange équipage. Je rends compte
par téléphone au Capitaine Gaubillot.
Fin du récit rédigé
en 1944 et retranscription pure et simple du
carnet écrit au crayon
A 12h, avec deux sections et
un groupe de mitrailleuses légères, je vais
m'installer sur une crête en avant. J'y trouve les
Américains. Le lieutenant qui devait primitivement
rester sur 720 nous rejoint. Gros bombardement.
Balles. Le bombardement devient de plus en plus
intensif. Les obus tombent à côté de moi. Dans mon
trou, un mort, deux blessés, moi survivant. Je
retrouve l'endroit où j'avais laissé mes affaires
pulvérisées, ma mitraillette en miettes. Je
cherche longtemps l'étui de mes jumelles. Ma
capote, à quelques mètres de là est étalée et
couverte de débris. Le lieutenant me désigne pour
aller, avec la 1ère section, occuper la crête
encore plus en avant! Nous nous sommes trompés
d'objectif. Mais, sur des crêtes élevées
(831-915), à gauche et à droite, les Allemands se
réinstallent où s'accrochent. Après avoir fait
quelques réserves car la nuit tombe, je pars avec
mes trois groupes de quelques hommes chacun. Je
marche lentement, la base en avant. Rien. J'arrive
sur une croupe où j'ai dix hommes. Comme elle est
aplatie, pour la tenir, je suis obligé d'espacer
mes guetteurs et mes armes. Chacun est isolé de 20
à 30 mètres. J'essaie de descendre sur la droite
où j'ai le groupe du Caporal Toumi pour le faire
resserrer et regrouper ainsi mon dispositif. Mais,
chaque fois, des balles sifflent aux oreilles, de
l'endroit où cependant doit se trouver ce groupe.
Là dessus, arrive le lieutenant avec ce qui reste
de la compagnie sauf une section. Il est engagé
dans la montée lorsque à nouveau les balles
sifflent. Il s'arrête et tout le monde avec lui,
barda sur le dos. Je reste longuement près de lui.
Il ne sait que décider. D'origine alsacienne; son
frère ayant été mobilisé dans l'armée allemande,
il avait la hantise de le retrouver, en face avec
l'ennemi, au combat... Moi, j'incline fortement
pour le repli. Mais les boches couronnent la
croupe où mes hommes se sont plus ou moins
retirés, leur moral étant à plat. Il nous faut
descendre sous le feu du fusil mitrailleur. A
l'abri d'un mur nous risquons drôlement les
grenades!. Le lieutenant hésite longtemps. Alors
notre mitrailleuse légère se met en action ce qui
détermine le lieutenant au repli. Cela se fait
plus ou moins en désordre. C'était la seule
solution. Nous nous étions trouvés seulement
devant une patrouille. Mais nos effectifs étaient
faibles et pittoyable de l'état moral de nos
hommes (et le notre!) Opération lamentable! En
deux occasions, j'ai essayé de tirer: une fois
avec ma mitraillette de remplacement, une fois
avec un F.M, en vain! Les chargeurs étaient
vides!... Je rentre fourbu, complètement à plat.
C'est tout juste si je ne pleure pas en apprenant
qu'on laisse au moins un tué et trois blessés.
J'ai une soif terrible et rien à boire. Je n'ai
pas de ressort. Je trouve mon trou et je m'y
fourre... Jeudi 3
février 1944Les Américains attaquent sur 831 et les
Français sur 915. Minens, balles de toute nature.
L'ordre arrive de rallier la compagnie pour
attaquer le piton d'où nous avons dû nous retirer
hier. Malgré mon peu d'enthousiasme, j'exécute. Je
pars en tête de la 2ème section (sergent Carboni
et 6 hommes). Le lieutenant est en tête de la
1ère, sur ma droite (Sergent Khellef et 8 ou 9
hommes). Peu d'enthousiasme des hommes qui se
planquent et ne veulent plus bouger dès que les
tirs commencent. Le lieutenant est parti sur la
droite. Je fonce debout, essayant d'exciter les
hommes qui se laissent faire peu à peu. Au moment
où j'arrive sur la crête, des balles venant de
l'arrière droit me fauchent. Je reste environ deux
longues heures, tout seul, de 10h à midi, couché
sur le dos, sous les rafales venant de devant et
de derrière et les obus (poussières et éclats!).
J'écris à ce moment là: "blessé dans les fesses et
la jambe droite. Je ne peux plus bouger la jambe
droite. Je suis sous le feu. Si je meurs, j'aurai
gagné mes galons d'aspi. Je pense à mes parents.
Qu'ils n'aient pas trop de peine. Je les
embrasse". J'ai cru, alors, que j'allais mourir et
j'ai prié à haute voix bien que n'ayant plus
pratiqué depuis plusieurs années. De temps à
autre, j'ai appelé bien que risquant d'être
ramassé par les Allemands. Carboni et Hadjadj
viennent me chercher. Me mettent sur une
couverture sans se faire tirer dessus. Je braille
car la jambe me fait horriblement mal. Ils me
tirent jusqu'en bas, vont chercher un brancard et
me transportent au P.C du bataillon. Là,
l'adjudant toubib me dit qu'il n'y a qu'une balle,
fracture. Il me fait une planchette et ligature le
tout. Des brancardiers m'emmènent sur les
sentiers. Relais nombreux. Au premier relais, je
rencontre Saïchi, adjudant toubib et Contamin qui,
n'ayant pas de char à combattre fait le
brancardier. Vers la rivière de la plaine de St
Elia, passage très visé et bombardé. Les
brancardiers hâtent le pas (trois mulets, des
blessés tués sur place). On nous gare dans une
petite maison pour nous mettre à l'abri des éclats
puis on nous transporte dans le lit de la rivière
à sec. On nous dépose un long moment. Des dodges
nous prennent, puis des sanitaires. Au triage, on
me fait une espèce de gouttière. On nous donne à
boire du chocolat et une tartine de confiture.
Puis, en route, sur Venafro, au monastère! Là, je
suis opéré dans la nuit, on me fait un plâtre (Dr
Molandre, de Bône).
L'hôpital et la réforme
Le dimanche 6 février, des sanitaires
conduites par des Françaises m'emmènent à Bagnoli.
J'ai connu l'une d'elles, Madeleine Grima, à
Alger. Nous sommes admis dans un hôpital de
campagne américain. L'un de nous réclame un
pistolet: il en résulte un quiproquo risible entre
l'instrument sanitaire et une arme. Des officiers,
nous visitent. Nouvel éclat de rire collectif
lorsque un camarade, interrogé sur la nature de
ses blessures, se dit victime d'hémor-roïdes! Une
fort jolie infirmière américaine insiste pour que
je sacrifie ma barbe de quinze jours que je
voulais conserver : ce n'est pas facile de se
raser, couché sur le dos et avec un poil de
sanglier multicolore qui nécessite tout un paquet
de lames... Nous sommes merveilleusement soignés!
Nous mangeons fort bien. Les 9 et 10,
nouveaux transferts sur des centres de passage. Je
souffre de gaz intestinaux et mon ventre est
douloureusement comprimé par un énorme plâtre. Les
infirmiers américains sont fort prévenants et très
patients. Enfin, le temps se stabilise et permet
notre embarquement sur un Douglas de transport. Nous sommes le 12 février 1944. C'est le
jour de mon 23è anniversaire! Nous arrivons à midi
à Bizerte dans l'hôpital Sidi Abdallah. De jeunes
marins français s'occupent de nous. Ils nous font
beaucoup regretter nos infirmiers américains!... Le 14, nouveau
transfert pour l'hôpital Louis Vaillard, au
Belvédère de Tunis. La réduction de ma fracture
est mauvaise. On doit ouvrir mon plâtre (épilation
gratuite et douloureuse comprise!), étirer ma
jambe après piqûre intraveineuse pour atténuer la
douleur, me replâtrer... Les évacuations sur le
Centre de fractures de Blida sont ajournées. Le 25, enfin, on me
dépose sur un brancard en attendant le départ.
C'est là que me trouve M. Lorquin, prévenu
télégraphiquement par papa et désolé de n'avoir pu
me manifester plustôt son amitié. A 20 heures, le
train sanitaire démarre. Long voyage! Dans les
gares, la Croix Rouge nous offre quelques
douceurs. Le dimanche 27, à
15 heures, nous arrivons enfin à Blida, où je
revois mes parents, très émus et quelques amis. Au
centre de fractures, installé dans un collège
réquisitionné, on m'enlève ma chemise, prêtée par
l'hôpital militaire de Bizerte. Je n'ai plus que
quelques papiers personnels et mon carnet de route
protégés par le carton brun d'une boîte "U.S Army
Field. Ration K; Dinner Unit". On installe au bout
de ma jambe une traction de 5 kg et il n'y a plus
qu'à attendre, couché sur le dos, pour moi une
position inhabituelle et inconfortable. Ma
fracture se ressoude rapidement. Elle est franche,
je suis jeune et sain. L'épouse du général de Montsabert
commandant la 3° DIA à laquelle j'appartenais
visite l'hôpital. Elle s'étonne d'apprendre que je
ne suis pas décoré. A vrai dire, je n'avais pas
encore pensé que j'avais pu le mériter. Le 6 avril, maman qui me rend
régulièrement visite, m'annonce la naissance de
Nicole, ma petite nièce qui sera ma filleule. C'est peu après, le 18, qu'en calèche, je
pourrai rejoindre le domicile de mes parents et
l'admirer. J'ai obtenu 50 jours de convalescence.
J'ai encore des béquilles que j'abandonnerai
bientôt pour des cannes. Je vais faire de la
rééducation avec Marcel Régis, un ancien champion
de boxe algérois. J'envie un peu les jeunes
mauresques qui me dépassent en courant. Le 29 juillet, je
reçois une lettre du Commandant Peponnet, mon
ancien Chef de Bataillon. Il m'apprend qu'il
m'avait proposé pour la Médaille Militaire, évoque
"ma citation du ;Belvédère, me donne des nouvelles
d'officiers et sous-officiers. Le bataillon,
précise-t-il, "s'est vaillamment comporté,
talonnant sans arrêt le Boche pendant un mois et
demi" au prix malheureusement de "60 tués dont 4
officiers, 200 blessés, une quarantaine de
disparus"... Le 2 novembre, je
suis présenté à l'expertise de médecins militaires
à Constantine. Leur commission propose ma réforme
définitive n°1. Mon fémur, fracturé au 1/3
supérieur, s'est ressoudé en crosse, avec un cal
volumineux. J'ai 4 à 5 cm de raccourcissement, une
hypotonie marquée du quadriceps, une arthrite
chronique légère du genou droit, une gène
fonctionnelle assez marquée. De nos jours,
j'aurais sans doute été mieux soigné et
probablement réopéré car les guerres permettent à
la chirurgie d'accomplir de grands progrès... Le
centre d'appareillage me fournira une chaussure
orthopédique montante et un brodequin
désappareillé de type "SOR". Puis, après bien des
palabres, il acceptera de prendre partiellement en
charge des chaussures basses, plus esthétiques,
confectionnées par un bottier agréé d'Hussein Dey
(aujourd'hui replié sur Toulouse)Finalement, le Journal Officiel du 20
novembre 1944 m'a attribué
la Croix de Guerre avec palme. Ma citation est
élogieuse mais elle comporte quelques
inexactitudes secondaires. La Médaille Militaire
me sera attribuée en 1950. Le 1er décembre 1944,
je réintègre mes fonctions de rédacteur temporaire
à la Préfecture d'Alger. On m'avait assuré que je
pourrais être nommé sous-lieutenant mais
déconseillé de le demander car, dans une carrière
militaire, j'aurais été handicapé par ma
mutilation.
C'est seulement en 1946,
après la démobilisation, que je pourrai me
présenter au premier concours ouvert depuis 1942
pour devenir Rédacteur de l'Administration
Départementale Algé-rienne. Je serai affecté à
Constantine. Les trajets à pied entre mon
domicile du Coudiat, Bd Mercier, et la
Préfecture, près de la Place de la Brèche et du
Rhumel, achèveront ma rééducation...
4 - Contexte historique
Les deux premiers chapitres
de ce témoignage ont été rédigés en Novembre et
Décembre 1991, en utilisant quelques notes et
documents précieusement conservés. Ils ont été
écrits avec la volonté de laisser une trace aussi
objective que possible de l'époque de mon service
civil obligatoire et de ma formation militaire.
Ils complètent la reproduction, à peine étoffée,
en Mai 1944, d'un carnet de route tenu au jour le
jour, entre le 8 Décembre 1943 et le 3 Février
1944 : les deux mois de ma courte carrière de
combattant. C'est le récit d'un sous-officier
d'infanterie "pied noir" de 23 ans, dont il est
nécessaire d'élargir l'horizon. Pour tous les Européens d'Algérie d'avant
les années 40, la France était un beau et grand
pays. Tous ne la connaissaient pas directement
mais tous la paraient des plus hautes valeurs.
Pour mon ancien camarade de lycée, Gabriel
Conessa, la France, l'Algérie et sa mère se
confondaient en une seule et même entité. Nous
étions fiers d'appartenir à l'Empire Français que
nous considérions comme une des toutes premières
puissances mondiales. Nous admirions son oeuvre
colonisatrice et n'imaginions pas qu'elle puisse
être un jour contestée. Nous étions foncièrement
patriotes Nous considérions l'Algérie comme un
pays européen et nous nous étonnions d'être
qualifiés d'Africains par des parents
métropolitains d'apparence parfois plus
méditerranéenne que la notre. Pour nous, l'Afrique
du Nord n'était pas l'Afrique. La mobilisation s'était effectuée, dans
nos trois départements, avec le plus grand calme.
Ferhat Abbas, lui-même, s'était engagé dans
l'armée française. L'armistice de Juin 1940 fit
sur nous l'effet d'un véritable coup de massue. La
population resta fidèle à la France dans les
mauvais jours comme elle l'avait été dans les
bons. Elle comprit parfaitement que l'armistice
était, dans l'immédiat, la meilleure solution et
se rangea sans hésiter derrière le Chef de l'Etat,
ignorant à peu près tout de l'appel à la
résistance londonien. Par contre, elle sut, à
l'occasion, berner les commissions d'armistice,
notamment l'italienne et seconder le Général
Weygand, "Vice Roi de l'Empire", qui prépara, dans
la clandestinité, la future Armée d'Afrique.
Jamais l'emprise des uniformes ne fut si grande
sur les populations! Un des contrôleurs italiens
des conditions d'armistice évoqua dans un rapport
officiel cette Armée d'Afrique qui a l'orgueil
d'une "armée invaincue" L'Algérie s'était étonnée
de l'attitude anglaise à Dunkerque. Elle s'indigna
de l'attaque de Mers el Kébir et ne comprit pas
les tentatives de dislocations de l'Empire. Elle
manqua d'informations objectives sur la France
occupée, avant et après le débarquement
anglo-américain du 8 novembre 1942. Celui-ci fut
réalisé dans le plus grand secret, quatre mois
seulement après été décidé. Le président Roosevelt
avait enjoint aux Anglais d'écarter les FFL de
l'opération car, depuis Mers el Kébir, Dakar, la
Syrie et Madagascar, l'Armée Française était
farouchement anti-gaulliste. Seuls, quelques
volontaires résistants avaient été contactés par
le Consul d'Amérique à Alger pour préparer le
reprise du combat de l'Armée d'Afrique contre
l'Allemand et la venue du Général Giraud qui avait
demandé à prendre le commandement en chef des
troupes alliées là où des forces françaises
combattraient. Le plan anglo-américain comporta
quelques lacunes et ne put éviter de courtes
tentatives de "résistance à l'invasion" à
Casablanca, à Oran et à Alger. La présence
inopinée de l'Amiral Darlan dans la capitale amena
les Alliés à traiter avec lui. L'arrivée du
Général Giraud fut retardée de quelques heures
mais une proclamation radiodiffusée appela, en son
nom, les forces françaises aux armes contre
l'Allemagne et l'Italie en leur assignant "un seul
but : la victoire". Ce fut, alors, aussitôt, une
nouvelle mobilisation qui concerna 20 classes soit
16,4% de la population, pourcentage supérieur à
celui de la Métropole en 1918. Cet effort
patriotique fut unique au monde. Les Musulmans
furent également appelés avec les Européens mais
dans une proportion dix fois moindre. Sur les
260.000 hommes qui furent placés sous le
commandement du Général de Lattre de Tassigny pour
débarquer, en août 1944, sur les côtes varoises,
20.000 seulement n'étaient pas originaires d'AFN.
Malgré ses mérites, le plan anglo-saxon de 1942
manqua d'ampleur et d'audace. Il laissa la Tunisie
à découvert. Le Maréchal Kesselring décida
aussitôt d'y intervenir. Mais les Français et le
Général Barré refusèrent le passage aux Allemands
et les affrontèrent dès le 11 novembre, dans les
pires conditions d'infériorité, sur instructions
du Général Juin. Ils participèrent, d'abord
pratiquement seuls, à la bataille de Tunisie qui
s'acheva en Mai 1943 par une victoire durement
acquise qui coûta à l'ennemi 340.000 hommes, 1.200
canons et 400 chars. Pendant ce temps, à l'arrière, à Alger
"Deuxième Ville de France" devenue la "Capitale de
la France en guerre", au lycée Fromentin, où
s'était installé "une apparence de gouvernement",
c'était la lutte pour le pouvoir. On s'en souciait
fort peu dans la population civile, encore moins
parmi les combattants. Darlan ayant été assassiné
le jour de Noël, le Général Giraud avait été nommé
Haut Commissaire en Afrique. Roosevelt et
Churchill n'avaient pas réussi à convaincre
Staline de les rejoindre à Anfa au Maroc. Ils y
avaient réuni Giraud et de Gaulle. Celui-ci sut
profiter de la victoire française en Tunisie, à
laquelle il n'avait aucunement participé et de
l'incon-cevable incompétence politique du Haut
Commissaire. Il atterrit à Boufarik le 30 mai
1943. Un Comité Français de Libération Nationale
fut créé. Il fut présidé alternativement par les
deux frères ennemis. Le parti communiste s'y
infiltra. Les dissidents venus de Londres
parlèrent de "souveraineté française violée par
les Américains" et voulurent épurer ceux qui
n'avaient jamais formellement condamné l'action du
Gouver-nement de Vichy. En septembre 1943, la
Corse fut libérée. Giraud, dès lors confiné dans
les affaires militaires, fut définitivement
éliminé en Avril 1944. Cependant, dès la fin
de l'été 1943, le Général Juin avait
constitué l'ossature d'un corps de débarquement,
limité pour des raisons logistiques, à 65.000
hommes, 12.000 véhicules et 2.500 mulets (les
Pieds Noirs la désignèrent avec humour, sous le
nom de "Royal Brêle Force", mais les mulets
s'avérèrent parfaitement adaptés à la montagne).
Le Corps Expéditionnaire Français (CEF ou, plus
tard, CEFI) compta, à l'origine, seulement deux
grandes unités, la 2ème DIM et la 3ème DIA, avec
deux régiments de Chasseurs d'Afrique équipés de
tanks destroyers, un régiment d'Artillerie et un
groupement de Tabors. En Septembre 1943,
la 5ème Armée Américaine et diverses unités
britanniques débarquèrent à Salerne et conquirent
Naples. Mais Kesselring se retrancha sur la "ligne
Gustave" et les Anglo-Saxons furent contraints à
une guerre de montagne pour laquelle ils étaient
ni équipés, ni entraînés. Le 25 novembre,
débarquèrent les premiers détachements de la 2ème
DIM mais ce fut seulement le 16 décembre qu'ils
purent passer à l'action car les Américains
doutaient de l'Armée Française, toujours sous le
coup de la défaite de 1940. Dans une véritable
tempête de neige, furent obtenus les succès du
Pantano et de la Mainarde. Les Français obtinrent
"un créneau national" et la 3ème DIA débarqua fin
Décembre sous un ciel gris, un vent glacé
soufflant en tempête, dans la boue. Dans la
sauvage âpreté des Abruzzes, le CEFI conquit, au
prix de pertes sanglantes, l'estime des Alliés et
le respect des Allemands. Mais, faute de réserves,
il ne put exploiter la victoire au Belvédère,
conquérir Cassino et enfoncer la ligne Gustave. Le
monastère fut bombardé avec autant de stupidité
que d'acharnement. Il fallut attendre Mai 1944
pour qu'une offensive décisive puisse être lancée,
que triomphassent enfin les vues stratégiques du
Général Juin et que Rome fut conquise, le 5 juin
1944. Les Français atteignirent Sienne le 3
juillet. En prenant congé du Pape Pie XII, le
Maréchal Kesselring déclara: "sans le Corps
Expéditionnaire Français, les Alliés ne se
seraient pas emparés de Cassino. Mais la victoire ne fut pas exploitée en
direction des Balkans ce qui aurait permis
d'éloigner la guerre du sol français et éviter à
l'armée rouge d'exercer son contrôle. Les Alliés,
en effet, avaient débarqués en Normandie le 6 juin
1944. Les Français du CEFI étaient appelés à se
préparer à participer au débarquement du 15 Août
1944 sur les côtes provençales. La victoire
italienne fut "quasi inutile" selon le Général
Juin qui estimait possible d'être à Vienne avant
six mois. Certes, les Français avaient prouvé leur
capacité militaire et effacé la défaite de 1940.
Mais la psychologie de la population
nord-africaine avait changé. En novembre 1942, les
maghrebins avaient pu faire des comparaisons entre
l'Amérique et notre pays. La France leur avait
donné le spectacle de ses divisions et de ses
luttes intestines. Les revendications
nationalistes éveillées par le discours de
Brazzaville avaient été favorisées par les
prisonniers de l'axe puis soutenues par les
Anglo-Saxons. Nous avions fait participer à la
guerre des Indigènes marocains, tunisiens et
algériens sans les récompenser de leurs efforts.
Les germes de la décolonisation avaient été semés
et de nombreux Français la considéraient avec une
faveur inconsciente... Bien des ennuis actuels de
la France en découlent ! Il en est de même pour
les occidentaux qui méconnaissent le monde arabe
et l'Orient. En ce qui concerne notre pays, la
campagne d'Italie n'aura pas été entièrement
inutile. Elle lui aura permis de prouver qu'elle
est capable de sursaut lorsqu'on lui assigne un
noble objectif. Elle lui aura aussi donné de
reprendre une place honorable parmi les puissances
mondiales. Il serait désormais indispensable
qu'elle réagisse à nouveau. C'est encore possible
si on restaure son unité, si on la mène avec une
respectable autorité, si on la réhabitue au
travail, à l'ordre et à la morale. Contrairement à
ce que pense la majorité des Français, son action
coloniale a laissé, en AFN au moins, quelques
traces d'une amitié profonde et d'une
compréhension mutuelle entre Musul-mans et
Français. Il est souhaitable que soient enfin
rétablies des relations étroites entre la France
et le Maghreb. Pourquoi, alors, la France ne
pourrait-elle pas participer à l'urgente
rénovation de l'Afrique en installant - par
exemple à Sophia-Antipolis - une Assemblée
Euro-Africaine ?
III
Un demi
siècle
de
fonction publique
Alger
La Préfecture, la Mairie,
l'Hôtel Aletti
1 - Rédacteur Temporaire à la
Préfecture d'Alger
1942
- 1946
Comme beaucoup d'enfants,
j'ai longtemps rêvé de devenir chef de gare (à
cause du sifflet et des tickets à distribuer) ou
Président de la République (n'imaginant pas
fonction plus éminente!...). Maman me
déconseillait d'entrer à la Banque de l'Algérie.
Sans doute avait-elle ses raisons: à cette époque,
les salaires y étaient insuffisants (mais ma
retraite aurait probablement été très supérieure).
Elle rêvait pour moi d'une carrière de
fonctionnaire: son beau-frère, mon oncle Léo,
étant chef de service aux Finances, au
Gouvernement Général de l'Algérie. Elle me parlait
souvent - je n'ai jamais su pourquoi - des
"zoe-forêts". Cela évoquait pour moi des bois mais
absolument pas des eaux. Encore actuellement, je
n'ai pas eu l'occasion ou la curiosité de demander
des précisions sur l'association de ces deux
compétences, les eaux relevant, me semble-t-il, de
l'Agriculture pour les eaux rurales et de
l'Équipement (anciennement Ponts et Chaussées) en
matière d'eaux urbaines. Maman m'avait fait
inscrire au lycée alors que papa estimait l'EPS
plus compatible avec nos moyens financiers. Né en
février, je n'avais pu commencer qu'à 12 ans
révolus mes études secondaires (après mon
Certificat d'Études Primaires obtenu avec
mention). Ayant dû redoubler ma 4ème, j'obtins mes
Bacs ("B" et "Philo") en 1941. Les possibilités de
sursis étaient alors limitées à deux ans. Ce
n'était pas suffisant pour me permettre de
terminer une licence qui en exigeait trois. J'ai
donc choisi de rejoindre aussitôt les Chantiers de
Jeunesse. J'en fus libéré au bout de sept mois, un
peu inopinément. Sans trop réfléchir, je
m'inscrivis en Fac de Lettres pour préparer une
licence d'espagnol. J'avais été assez bon dans
cette matière au lycée. Bien évidemment, je
n'étais pas prêt en juin et ne réussis pas à mon
examen. Je me dis alors qu'une licence d'espagnol
ne pouvait guère conduire qu'au professorat et je
ne me voyais pas passer toute une vie à enseigner.
Le droit me parut une matière plus utile. Surtout,
je ne voulus plus être à la charge de mes parents
alors qu'ils ne bénéficiaient plus d'allocations
familiales et que la sécurité sociale restait à
inventer. La mère d'une amie de ma soeur était Chef
de Bureau à la Préfecture d'Alger (Mme Petitjean).
Sur son conseil, je rendis visite à M. Raimondi,
le Chef de la Division des Finances et du
Personnel. C'était "un monsieur", sérieux et
sévère d'allure mais très bon. C'était aussi le
père d'un ancien camarade de classe. Après
l'enquête réglementaire de moralité, il me fit
recruter à compter du 18 septembre 1942 comme
rédacteur temporaire: les concours, seule voie
normale d'accès à la Fonction Publique, étaient
suspendus car nous étions toujours officiellement
en guerre. Je fus affecté aux Affaires
Économiques. Mais, moins de deux mois après, le 8
novembre 1942, les alliés débarquèrent en Afrique
du Nord. Avec de nombreuses classes de
recrutement, je fus aussitôt rappelé sous les
drapeaux (134.000 mobilisés soit 2,13 % de la
population dont 16,4 % de français et 176.500
"indigènes", le plus fort pourcentage mondial). Ma
guerre fait l'objet de récits distincts. Indiquons
simplement ici qu'elle me valut un important
raccourcissement de la jambe droite qui aurait
contrarié une éventuelle carrière militaire. Je
fus réformé "définitif" et démobilisé près de six
mois avant mes camarades de recrutement. En raison
de la pénurie de jeunes cadres dans le civil,
j'aurais sans doute facilement pu entrer dans le
privé ou un établissement nationalisé. Mais je
l'ignorais et personne ne me le conseilla... J'eus
l'agréable surprise d'apprendre que je pouvais
demander ma réintégration dans l'Administration
Départementale Algérienne. Je revins donc le 1er
décembre 1944 à la Préfecture d'Alger où le
Secrétaire Général, M. Lavaysse, m'affecta comme
Chef du service des autorisations administratives
automobiles. On ne pouvait, alors circuler en auto
qu'avec des titres de services publics (S.P) ou
d'Intérêt Général (I.G); on distribuait aussi des
bons d'essence et des autorisations d'achat de
véhicule. Le service - "un des plus ingrats de la
Préfecture, selon mon Chef de Division" - avait
jusque-là été tenu par deux collègues rédacteurs
principaux, un musulman puis un Corse. L'un et
l'autre avaient fait l'objet de critiques ou de
soupçons. Le premier après avoir été muté par
mesure disciplinaire devint Chef de Cabinet du
Gouverneur Général de l'Algérie qui cherchait sans
doute à se concilier une famille de notables
indigènes influents. Nos décisions pouvaient, en
effet, susciter bien des convoitises en cette
période d'extrêmes pénuries: un pauvre fellah me
proposa un jour innocemment, selon les pratiques
normales pour les musulmans, un billet de banque;
je faillis le "sortir" à coup de pied au derrière;
je fus encore plus indigné lorsqu'un ancien
camarade de classe, bijoutier, essaya de me tenter
par "une bague pour ta fiancée". Fiancé, je ne
l'étais d'ailleurs pas encore! Mon Chef de Division lui-même était un
faible et manquait de sérieux. Il finit par lasser
l'indulgence du Secrétaire Général et finit par se
faire sanctionner durement. J'avais plusieurs
jeunes collaborateurs et collaboratrices.
L'ambiance du bureau était agréable, le travail
souvent abondant. Organiser me convenait. Malgré
mon inexpérience administrative, j'étais à mon
affaire et mon autorité fut respectée. Mon Chef de
Division, le Secrétaire Général et le Préfet
Périllier proposèrent ma titularisation. Mais les
concours sont de règle dans la Fonction Publique.
Ils avaient simplement été suspendus en raison de
notre état de guerre et allaient être ouverts à
nouveau après l'armistice du 7 mai 1945. Je
comprenais mal que des concours fussent
nécessaires pour juger de l'aptitude de rédacteurs
temporaires. N'avions-nous pas fait nos preuves
sur le terrain? Pour moi-même, comme pour une
dizaine de collègues, je me suis mis en relation
avec le Secrétaire du Syndicat. C'était un Chef de
Bureau, Camille Maclet. Je me sentis en sympathie
avec lui. Ce fut sans doute le début de ma
carrière syndicale: rien ne m'y avait jusque-là
prédisposé. Pourtant ma démarche ne connut pas le
succès. Nous dûmes subir les épreuves du concours
ouvert non seulement dans les trois Préfectures
Algériennes mais aussi dans plusieurs Chefs Lieux
Métropolitains. Certains d'entre nous furent
recalés et l'Administration perdit quelques
excellents éléments. Pour ma part, j'avais dû
solliciter un congé sans solde d'un mois pour
pouvoir me préparer. Le concours eut lieu le 1er
mars 1946. Je fus reçu 8ème sur 12.
2 - Rédacteur, Chef de Bureau puis
Attaché
à la Préfecture de Constantine
1946 - 1956
Malgré diverses
démarches, je ne pus être affecté sur place et dus
me résoudre à rejoindre la Préfecture de
Constantine. J'y fus accueilli avec sympathie et
curiosité. Ma future belle-mère, secrétaire d'un
des deux Secrétaires Généraux, fut une des
premières invitée à venir admirer "le beau
rédacteur aux yeux bleus". M. Massari, Chargé du
Personnel, me fit miroiter l'intérêt et "la
poésie" des Finances. Mais il m'affecta finalement
à la Police Générale où le Chef de Division, M.
Rossat, me confia aux soins d'une dame chargée des
distributions d'armes. C'est ainsi que, pendant
deux mois, je fus l'auxiliaire d'un commis alors
que l'on considérait les rédacteurs comme denrée
rare. Mais je fus rapidement muté au service des
réquisitions de logements, des dommages de guerre,
des victimes "des événements du 8 mai 1945" et de
la Défense Passive. Mon futur beau-père y était
également employé. En 1947, il apparut que le
service des réquisitions pouvait être rattaché à
la 1ère Division (M. Pageaux) et ne justifiait
plus l'utilisation de deux rédacteurs (l'autre, un
Principal, métropolitain était M. Pétin). Je fus
affecté à la 2ème, chez M. Ferri. J'y remplaçais
un collègue muté à Alger (M. Ortz) qui me laissa
son appartement (dont le propriétaire était
précisément notre Chef de Division). J'eus à
travailler au Service des Mines, des Chemins de
Fer Algériens (CFA), des PTT et des
expropriations. A l'occasion d'une réorganisation
décidée par le Préfet Papon, encore jeune
fonctionnaire, j'eus à diriger mon premier
"Bureau", celui des Travaux Publics et des
Transports rattaché à la 4ème Division (celle de
M. Pinelli) En 1951, avec plus de 80 % des Chefs de
Division, Rédacteurs Principaux et Rédacteurs de
l'Administration Départementale Algérienne, je fus
intégré à compter du 1er juin 1949 dans le Cadre
national des Préfectures avec le grade d'attaché.
En 1955, fut créée la 6ème Division dont M.
Beauseigneur, un des premiers coopérants
métropolitain après M. et Mme Pétin, était le
chef. Le service des indemnisations des victimes
des "événements d'Algérie" y fut rattaché. Je
réussis à le lancer très rapidement: c'était
psychologiquement et matériellement indispensable.
Grâce à mon activité syndicale et à mes très
cordiales relations avec le Chef du Bureau des
Préfectures au Gouvernement Général, M. Voëgtlin,
j'eus connaissance d'une possibilité d'affectation
à Alger, dans un service créé pour les besoins des
"événements d'Algérie". Algérois d'origine, je
n'étais pas parti de la capitale algérienne avec
enthousiasme. Certes, j'avais trouvé à la
Préfecture de Constantine - et apprécié - un
excellent et très exceptionnel esprit de
camaraderie. Je m'y étais plu, m'y étais installé
et m'y étais marié. Mais, comme moi-même, Dilette
était attirée par Alger où nous faisions de
fréquents séjours. Ma soeur, Janine, et les siens
y résidaient encore ainsi que de nombreux amis de
jeunesse. Nous étions en froid avec mes
beaux-parents... Les "événements" étaient
éprouvants à Constantine (ils n'allaient pas
tarder à l'être tout autant à Alger!). A Constantine, je commençais à pouvoir
entrevoir des perspectives de nomination au grade
de Chef de division. Cela risquait de devenir bien
plus difficile à Alger, dans un service extérieur
à la Préfecture dotée d'un effectif plus étoffé
d'attachés. Je pris néanmoins le risque de poser
ma candidature. Il me fallut négocier avec mes
patrons; comme toujours, ils ne voulaient pas d'un
départ non compensé. Finalement, je fus mis le 29
juin 1956, "dans l'intérêt du service", à la
disposition du Directeur de la Sûreté Nationale en
Algérie pour être affecté au Centre Régional du
Matériel (échelon d'Alger).
3 - Alger : 1956 - 1962
Attaché
puis Chef de Division de Préfecture
Détaché
au CATI
Mis
à la disposition du Consulat Général de France
A Alger, je fus affecté aux
Services techniques du matériel de la Sûreté
Nationale. Les S.T.M. venaient de s'implanter à
Hydra, Chemin de la Madeleine, dans un beau parc
de 5 hectares, ancienne propriété de Me Fabiani,
non loin du quartier général du Général Massu. Ils
occupaient une belle villa mauresque, "Dar El
Nador", d'un étage, avec patio central. Les
services étaient dirigés par un Ingénieur en Chef,
M. André Sterlin, ancien Commandant en second d'un
beau paquebot à trois cheminées, "le Champollion".
Bien évidemment, nous surnommions notre patron
"l'Amiral". C'était un père de famille nombreuse,
venu du CATI de Dijon, compétent mais un peu
hâbleur. Il était assisté d'un attaché de
préfecture issu de la division administrative du
CATI de Toulouse, Jean Cottenet, d'un ingénieur
chargé du service automobile et de l'armement,
Pierre Faure, et d'un architecte, Commot, pour le
bureau immobilier. S'y ajoutaient quelques agents
administratifs ou ouvriers d'origines diverses. Je
fus chargé de l'habillement et des matériels
divers, le 2ème Bureau, correspondant sensiblement
à l'Intendance dans l'Armée. J'eus à gérer un
stock d'uniformes usagés et d'accessoires jetés en
vrac dans une ancienne cuisine mais comptabilisés
sur fichiers à cartes perforées. Un renfort de
policiers venait d'arriver à l'aéroport de Maison-
Blanche. Je dus y aller avec ma 4 CV personnelle
et participer à la prise de mesures de personnels
souvent aussi ventrus que dépourvus d'enthousiasme
pour leur nouvelle mission. Drôle de tâche pour un
cadre de préfecture, spécialisé dans
"l'administration générale de synthèse"!... Les
besognes auxquelles j'allais devoir m'atteler ne
furent pas toutes aussi "vulgaires" même si la
plupart de mes collègues des services classiques,
fiers de leurs techniques juridiques, de leurs
missions administratives et de leur qualité de
proches collaborateurs de Préfets, les
considéraient avec quelque condescendance. Elles
allaient être abondantes, souvent urgentes,
délicates et, parfois, dangereuses, exigeant
beaucoup de travail, de faculté d'adaptation, de
sens des responsabilités. En fait, de 1954 à 1983
- l'année de ma retraite - je n'ai jamais eu le
temps de m'ennuyer dans mes divers emplois; au
contraire, j'ai souvent eu à constater combien
injustifiée était la réputation faite aux
fonctionnaires de se laisser vivre, de n'avoir
aucun souci à se faire ni d'initiatives à prendre,
d'être des improductifs ou de simples "plumitifs".
Petit à petit, j'eus à organiser des magasins, à
ajuster une comptabilité matière aux réalités
physiques, à gérer des budgets importants, à
effectuer des achats onéreux en tenant compte
d'une réglementation inadaptée aux temps de
guerre, à diriger un personnel hétéroclite, à
m'imposer auprès de mes collègues et de mon
personnel, à me faire apprécier de mes chefs sans
me faire oublier dans les Préfectures. Je fus
assimilé à un ingénieur et détaché sur un emploi
technique. Après avoir reçu des matériels de
métropole, nous dûmes équiper de pied en cape
plusieurs unités de CRS, parfois à raison d'une ou
deux en trois mois. Or, les personnels des
Compagnies Républicaines de Sécurité sont des
fonctionnaires civils vivant en casernement 24
heures sur 24. Leurs dotations sont très
complètes: effets d'habillement, matériels de
campement, de sport, pharmaceutique,
administratif, véhicules automobiles, armement,
moyens de transmission... J'eus à choisir entre le
bois, le charbon et le propane pour l'alimentation
de cuisinières à acquérir pour 200 rationnaires.
Je fis confiance à certains fournisseurs qui me
conseillèrent honnêtement et contribuèrent à ma
formation dans un métier nouveau pour moi.
J'appris que, "pour touiller le rata", des
spatules en bois avoisinant le mètre de hauteur
étaient nécessaires. Je fis une confusion entre
cisailles à barbelés et cisailles à haies. J'ai
commandé aussi quelques jeux de poteaux de rugby
alors qu'en Algérie ce sport était peu pratiqué en
raison d'absence de pelouses sur les stades. Dans
l'ensemble, mes erreurs furent - heureusement -
exceptionnelles. Les personnels venaient en partie des
CATI métropolitains et des Préfectures. Ils
comptaient beaucoup de vacataires, de
contractuels, d'anciens gendarmes ou sous
officiers - excellents collaborateurs - des
musulmans, des femmes. Dans les périodes
d'affrontement, les tensions furent vives entre
ces divers éléments (entre européens et indigènes,
notamment, mais souvent aussi entre européens
d'Algérie et métropolitains, entre musulmans
proches du FLN et musulmans fidèles à la France).
Parmi les algériens, les ouvriers donnaient
satisfaction mais les administratifs étaient
beaucoup moins sûrs. J'eus l'occasion d'aider un
jeune musulman à se mettre à l'abri à Biskra et il
m'exprima sa reconnaissance et celle de ses
parents par une carte que j'ai conservée
précieusement. Chef de Bureau de l'Habillement et des
matériels divers, j'eus, à plusieurs reprises, à
assurer l'intérim de "l'Amiral" et à régler
certains problèmes de construction, d'armement et
d'automobile. J'ai constaté en ces circonstances
qu'un administratif s'adapte généralement mieux
aux problèmes techniques qu'un technicien aux
problèmes administratifs. Nous avions construit,
sur place, de vastes magasins et en utilisions
d'autres au port et à l'École de Police
d'Hussein-Dey. Nous avions construit un vaste
atelier automobile comme il n'en existait aucun
d'aussi moderne en métropole. Je me déplaçais de
temps à autre, souvent seul, dans une voiture de
service, pour visiter nos annexes de Constantine
ou d'Oran et les unités de CRS à Tlemcen,
Mostaganem, Bône... Cela s'est toujours bien passé
mais j'ai sans doute souvent risqué ma peau!...
Les officiers de CRS disposaient de salles à
manger (acquises par mes soins). J'y fus reçu à
plusieurs reprises et eus l'occasion d'apprécier
par exemple mon premier - et excellent! - coq au
vin dans une ambiance agréable. Je me suis parfois
senti en sympathie avec des officiers de qualité
(Cdt Roumy, Cdt Henriot, Colonel Arsimolles,
beau-frère de Mimi Subias, Cdt Huillet, sœur de
mon beau père, un parent éloigné...). Les événements d'Algérie devenaient de
plus en plus éprouvants et nous en subissions les
contrecoups. Dans l'Administration, on prenait des
mesures tardives souvent inopérantes. On faisait
appel à des coopérants surtout intéressés par les
avancements exceptionnels qu'on leur accordait.
Les fonctionnaires musulmans bénéficiaient de leur
côté, de généreuses promotions. Et, dans le même
temps, on refusait toute mutation en métropole aux
fonctionnaires d'Algérie. La Sûreté Nationale en Algérie avait
obtenu à compter du 1er avril 1958 un poste
d'ingénieur susceptible d'être réglementairement
confié à un chef de division de Préfecture
préalablement placé en position de détachement.
Bien entendu, j'avais participé à la création de
cet emploi. Il m'était destiné et j'espérais qu'il
favoriserait ma promotion au grade de chef de
division. Il en fut bien ainsi. Mais les
procédures administratives sont toujours longues
et compliquées. Je dépendais simultanément de la
Préfecture d'Alger et de la Sûreté Nationale en
Algérie, direction du Gouvernement Général et du
Ministère de l'Intérieur! A la Préfecture de
Constantine, je serais arrivé en premier rang
mais, à Alger, j'avais à compter avec une
vingtaine de concurrents souvent plus anciens.
J'ai suivi de très près, à chacune des nombreuses
étapes de la procédure, la préparation du tableau
d'aptitude, en liaison avec les syndicats des
Préfectures (à Alger et à Paris), avec les
responsables de la Préfecture d'Alger, de la
Direction de la sûreté nationale et du Ministère
de l'Intérieur. J'y comptais pas mal de relations
et y bénéficiais d'un appréciable capital de
camaraderie et d'estime (MM. Sterlin, bien
évidemment, Bargeton, sous-directeur de la SNA,
Fabre, directeur du personnel au ministère, Michel
Ducrocq et son successeur Albert Daures, au
secrétariat général du syndicat FO des
Préfectures, Azoulay et Bignon mes excellents
collègues algérois...) Finalement j'eus la joie
d'être retenu au tableau national d'aptitude le 27
mars 1958, au titre de la Préfecture d'Alger
(détaché). Les événements du 13 mai 1958, cette
"révolution fraternelle", occasion volontairement
perdue et nouvelle "journée de dupes" pour
l'Algérie Française, retardèrent ma nomination.
Ils amenèrent une certaine tension entre Alger et
Paris, les deux capitales et entraînèrent
l'ajournement des promotions prévues de Bougie,
Aumale et Saïda en chef lieux de Département dotés
de Préfecture. Finalement, j'ai été reconduit au
tableau de 1959 et nommé à compter du 1er
septembre de cette année. J'étais alors le plus
jeune chef de division de Préfecture de France et
d'Algérie. Ma nomination dans un emploi
d'Ingénieur des Services du Matériel du Ministère
de l'Intérieur aux services techniques du matériel
de la Sûreté Nationale en Algérie est intervenue
seulement le 26 août 1960, avec effet rétroactif. Vers le début de l'année 1961, on
envisagea de créer trois CATI et un service
central de matériel de la SNA par division de nos
services qui disposaient de simples antennes à
Constantine et à Oran. Pendant l'un de mes
intérims, j'avais été amené à formuler des
propositions à cet effet, à la place de
"l'Amiral". Pourtant, l'Indépendance approchait.
Mais les autorités cherchaient encore à le
dissimuler et, pour notre part nous ne pouvions en
admettre l'éventualité. Le Directeur de la Sûreté
Nationale en Algérie était à ce moment là, le
Préfet Jacques Aubert. Je l'avais connu alors
qu'il était Secrétaire Général de la Préfecture de
Constantine. Comme tous les cadres du "G.G.", il
avait été replié "au Rocher noir", cité
administrative artificielle créée à l'Est d'Alger,
près de Réghaïa. A cause de son isolement et par
sympathie, nous l'avions invité "au Timgad" (notre
4 pièces en copropriété à Hydra, indemnisé 20 ans
plus tard pour un peu plus du prix d'une voiture).
J'avais recommandé à Dilette de ne pas aborder les
problèmes d'actualité mais, inévitablement, la
conversation vint à rouler sur la politique de la
France en Algérie. Nous étions loin de
l'approuver; lui, considérait comme souhaitable
une sorte de fédéralisme. Nous nous heurtâmes
courtoisement. Il nous considéra comme "des
comploteurs". Cela ne l'empêcha pas de garder avec
moi d'excellents rapports et de m'aider
ultérieurement (parfois pour des tiers). Je devins chef de la division technique
du CATI d'Alger et fut rattaché au Préfet de
Police d'Alger, M. René Jamin, puis M. Vitalis
Cros et à son Secrétaire Général, M. Jacques
Chartron. Mes rapports avec Alphonse Perrois,
successeur de M. Sterlin, furent parfois tendus
car ses prérogatives avaient été limitées à celle
d'un service central. J'ai continué à faire
entretenir nos bâtiments malgré la perspective de
plus en plus menaçante de l'Indépendance
(signature des accords d'Évian le 16 mars 1962 -
référendum - limité à la métropole - du 9 avril
1962...) Les CRS algériennes, estimées trop
proches des pieds noirs, furent peu à peu
dissoutes. Nous fûmes chargés de rapatrier les
matériels des CRS métropolitaines et des services
français (DST, ST). Sur les conseils d'un de mes
chefs de bureau (Bisgambiglia), j'ai utilisé un
cadre de l'administration pour faire effectuer sur
Perpignan le déménagement de l'essentiel de mon
mobilier. Chargé sur un camion de CRS, ce cadre
bascula dans un virage sur la chaussée, risquant
un accident qui m'aurait coûté cher. Les dégâts
furent relativement limités en raison du soin
apporté à l'emballage (réalisé à mes frais par des
déménageurs musulmans). Et mon mobilier, expédié
avec le matériel administratif, échappa à la
vindicte des dockers marseillais qui "s'amusèrent"
à plonger dans les eaux portuaires les cadres des
"colonialistes". Après une exaltante période de
création, nous étions entré dans une phase de
démolitions!... Aux pires moments des "événements
d'Algérie" tout au long de ces dramatiques et
interminables huit années de guerre, nous n'avions
jamais envisagé de solliciter une mutation "en
Métropole". Comme la plupart des fonctionnaires
d'Algérie, nous aurions eu le sentiment de
déserter. En mars 1962, cependant, il apparut que
la France capitulait sans condition et donnait la
victoire au FLN. Les vacances de chefs de division
dans les préfectures de l'hexagone furent
officiellement notifiées à l'ensemble des préfets
pour permettre aux candidats de se manifester. Il
fut bien spécifié que leurs demandes seraient
examinées seulement dans la mesure où le Ministre
chargé des Affaires Algériennes les assortiraient
d'un avis favorable. Je fis connaître au ministre
compétent que j'étais susceptible de solliciter un
emploi au titre de la coopération technique dans
les départements ou territoires d'outre mer. Et
j'écrivis à divers anciens patrons ou relations
pour explorer diverses possibilités: au Préfet
Jacques Aubert, nouveau Directeur Général de la
Sûreté Nationale après avoir dirigé la Sûreté
Nationale en Algérie, à Albert Daures, Secrétaire
Général du syndicat FO, à Pierre Cazejust, Préfet
du Gard, à Michel Ducrocq qui me mit en contact
avec la Société Centrale d'Équipement du
Territoire, au Préfet Henri Écal, Directeur du
Cabinet du Secrétaire d'État aux Rapatriés... Pendant ce temps, un exécutif provisoire
algérien se mettait en place. A la Préfecture de
Police, on nous présenta son chef, Abderrahman
Farès, un notable, dans la cinquantaine, notaire
dans le village de colonisation de Koléa, au sud
ouest d'Alger. Paul Bignon, qui avait estimé le
Conseiller Général, refusa courageusement de
serrer la main du délégué du FLN. Notre nouveau
Secrétaire Général fut un avocat kabyle, très
courtois, avec qui je n'eus que des rapports
espacés et sans problèmes. Le 14 mai, j'ai officiellement posé ma
candidature aux Préfectures de Nice, Marseille,
Montpellier, Perpignan, La Rochelle, Ajaccio,
Châteauroux, Tours, Blois, Nantes ou Orléans par
ordre de préférence. Le 12 juin, j'ai à nouveau
sollicité Montpellier, Perpignan, Ajaccio,
Avignon, Carcassonne ou à défaut une ville
méditerranéenne, un chef lieu de Région
Économique, une Société d'Économie Mixte, la
Protection Civile ou la Rochelle. Et le 27 Juin,
comme Azoulay, j'ai sollicité un emploi à
l'Ambassade de France auprès de M. Vitalis Cros
qui allait céder son poste de Préfet à un certain
M. Kassab. Un Consul Général de France fut nommé à
Alger: M. Jacques Juillet. Il avait été ministre
plénipotentiaire à Rio de Janeiro après avoir
appartenu au corps préfectoral. Je l'avais connu à
la Préfecture de Constantine comme Directeur du
Cabinet du Préfet Petitbon. Il avait même assisté
à notre mariage. Je suis allé le saluer. Il était
pratiquement seul dans une belle villa vide du
Télémly, avec une seule secrétaire. Il me demanda
de venir l'assister. Je dûs réserver ma réponse,
invoquant mes responsabilité au CATI. Mais le
lendemain, j'appris que nos installations d'Hydra
avaient été occupées militairement par la Willaya
IV de Ben Kedda, venu supplanter Ben Bella. Je m'y
rendis avec ma voiture de service, pour apprécier
la situation, déménager mon bureau de mes objets
personnels et faire le plein d'essence. A la
sortie, une sentinelle en armes m'invita à ouvrir
mon coffre arrière. Je tendis les clés à un de mes
anciens ouvriers qui blêmit. Mais le militaire
exigea que j'ouvrisse moi-même, ce que je fis.
Après quelques palabres, il me laissa ressortir.
J'étais désormais libre d'aller rejoindre Jacques
Juillet, villa de Malglaive. Je le fis sans
tarder, en plein accord avec M. Tayebi Hocine qui
m'autorisa même, par écrit, à conserver
provisoirement mon véhicule de service. J'ai
commencé aussitôt à recevoir de nombreux
compatriotes venus exposer leurs problèmes et
leurs angoisses. Sans directives ni moyens, je fis
de mon mieux pour les réconforter en leur donnant
de simples conseils inspirés par le bon sens. Peu
de jours après, Jacques Juillet fut rappelé
d'urgence à Paris. Lui aussi, était un libéral
ayant cru à des solutions politiques nouvelles
pour régler les rapports France-Algérie. Mais - ce
fut à son honneur - il sut réagir devant les
exactions graves commises par les Algériens; il
réclama des mesures et, notamment, l'intervention
de l'Armée Française consignée dans ses casernes;
il fit d'imprudentes confidences à la presse
parisienne... Entre la mise en place d'un exécutif
provisoire (mars 1962) et l'Indépendance (Juillet
1962), des "disparitions" avaient déjà été
constatées. Cela avait été le cas d'un ancien
condisciple de lycée, Jean De Buzon, fils d'un
peintre réputé. Alerté par Kiki Albarès, je
m'étais efforcé de le faire rechercher par la
Préfecture de Police. Il avait été enlevé en se
rendant chez ses parents au boulevard Bru et n'a
jamais été retrouvé. Au cours de ces mois
tragiques, j'ai eu également à intervenir en
faveur d'un de mes ouvriers (Sansoni), arrêté
parce que mobilisé avec son unité territoriale au
cours du putsch, d'un jeune ami, Youra Dolgouchine
(13-14 ans) brutalement séparé de sa mère au cours
d'une rafle, d'Edmond Brua, rédacteur en chef du
"Journal d'Alger" et célèbre auteur folklorique
qui avait transgressé l'heure du couvre-feu alors
qu'il se trouvait à la Pointe Pescade avec un
journaliste étranger. J'ai moi-même, été victime
du vol, devant mon immeuble, de mon véhicule de
service... Bref, le Consul Général de France fut
rappelé à Paris. Je l'ai quitté vers 13 H après
l'avoir invité à déjeuner à la maison. Mais il
avait décliné l'invitation ayant encore à faire
avant de prendre l'avion à 15h. Un nouveau Consul Général remplaça
aussitôt Jacques Juillet. M. Jean Herly était un
diplomate de carrière. Il eut un adjoint, M.
Pierre Dessaux. Il considérait avec flegme les
incidents quotidiens et notamment les
déboulonnages de statues. Il paraissait surtout
préoccupé d'éviter de se mouiller et de recenser
les clubs où se distraire. Je ne voulus pas
différer plus longtemps mon congé de détente en
attendant d'y voir plus clair et d'obtenir une
probable affectation à l'Ambassade. Je rendis ma
voiture de service au CATI et, le 8 août 1962,
nous primes l'avion pour Marseille. Notre périple
métropolitain nous amena à Cannes, Ruffey, Bians,
Dijon, Sarreguemines, Paris, Le Perreux, Nevers
puis Perpignan. Papa, hélas, n'y était plus. Il
s'était éteint le 26 mars 1962, après une longue
et cruelle maladie, le jour même de la fusillade
de la Rue d'Isly. Je n'appris son décès qu'après
ses obsèques, par une communication téléphonique
officielle du Sous-Préfet de Limoux au Préfet de
Police d'Alger... J'avais mis à profit mes loisirs pour
effectuer de nouvelles démarches en vue d'une
affectation. Sur la suggestion de "tante Yvonne",
je m'étais adressé au député Arthur Conte pour une
éventuelle nomination à Perpignan. J'avais écrit à
René Ricaud, alors Secrétaire Général de l'Hérault
ainsi qu'à Jean Ségui, un cousin par alliance,
chirurgien à Carcassonne et à M. Jean Deleplanque,
Sous-Préfet de Grasse. Azoulay m'avait appris à
Ruffey que j'avait été retenu pour Lille. M. René
Jannin, devenu Préfet du Loir et Cher et qui
siégeait à la Commission Administrative Paritaire,
me précisa que cette désignation avait été faite
compte tenu "de mon intention de rester
provisoirement en Algérie". Je fis part de ma
surprise au Ministère de l'Intérieur et, lui
faisant remarquer que Lille était à l'opposé de
Perpignan, j'ai sollicité un nouvel examen de ma
situation. Je me rendis au ministère le 12
septembre et me suis efforcé par la suite, à
diverses reprises, de joindre téléphoniquement le
Chef du Bureau des Préfectures. On me donna
finalement le choix entre Lille, Reims et Nancy. Sur le chemin du retour à Alger, de
passage à Issoire, le 17 septembre, nous prîmes,
en désespoir de cause, la décision d'accepter
Nancy en raison de sa proximité avec Sarreguemines
où se trouvaient nos cousins Bornes et Ruffey où
mes beaux-parents (affectés à Lons-le-Saulnier en
1961) avaient aménagé une belle maison. Le 24 septembre 1962, nous étions sur
l'aéroport de Perpignan, prêts à prendre l'avion
du retour. Je fus invité par haut-parleur à me
présenter à la Police de l'Air et des Frontières.
On me notifia alors un télégramme du Consulat
d'Alger me conseillant de ne pas rentrer pour
raison de sécurité personnelle. Nous fûmes bien
désorientés! Dilette estima courageusement qu'il
lui fallait rentrer pour récupérer le maximum de
nos effets et du mobilier de campement laissé à
Alger. Appelé au téléphone, le Consul Général
m'assura que sa mise en garde me concernait seul
et me promit de faire accueillir Dilette à
Maison-Blanche. Nous partageâmes nos liquidités et
nos trousses de toilette. Dilette partit seule, me
laissant Youki. Je revins à Perpignan mais
m'installais à l'hôtel pour ne pas compliquer la
vie à tante Yvonne, facilement perturbée. En trois
jours, Dilette fit merveille. Hébergée par Simone
Cavalgante, elle fut aidée par nos voisins
(notamment M. Rafael, d'Air France) et conseillée
par Azoulay, mon excellent collègue qui se
confirma un ami solide et efficace. Elle put
acheter des valises, solda notre compte courant
postal, rencontra des musulmans complaisants
l'incitant à rester... mais ses nerfs furent mis à
rude épreuve, notamment à l'occasion d'une
perquisition des nouvelles autorités policières
algériennes dans les garages de notre immeuble:
elle s'aperçut avec effroi, après leur départ, que
j'avais encore dans l'appartement mon arme de
service. Le consulat la fit aussitôt récupérer. Je
m'en fus attendre Dilette à l'aéroport de
Toulouse-Blagnac. De là, nous partîmes à Lyon où
avaient été dirigés quelques valises et paquets.
Mes beaux-parents nous y rejoignirent et nous
emmenèrent à Ruffey où ils nous hébergèrent. J'ai
aussitôt réclamé la confirmation officielle de mon
affectation métropolitaine. Le Ministère de
l'Intérieur me la fit parvenir après plusieurs
jours d'attente qui nous parurent bien longues! Je
me suis évidemment interrogé sur les "raisons de
sécurité personnelle" qui avaient incité le Consul
Général de France à Alger à me faire télégraphier
de n'y pas rentrer. A Dilette, M. Dessaux, adjoint
au Consul Général, avait précisé que j'étais
recherché par la Préfecture de Police et que
certains de mes anciens collaborateurs tenaient
sur mon compte des propos préjudiciables à mon
honneur professionnel. Cela -ai-je considéré-
mettait fin dans des conditions moralement et
matériellement préjudiciables à mes 40 années
d'existence algérienne. Dès le 1er octobre, j'ai
donc fermement protesté auprès de M. Jean Herly en
le priant de demander des explications à "la P.P."
et "de donner aux calomnies les suites qu'elles
comportaient". J'ai alerté mes anciens patrons,
les Préfets Jacques Aubert, René Jannin, Vitalis
Cros, mon ancien secrétaire général, Jacques
Chartron, puis Jacques Juillet dès que je connus
sa nouvelle affectation. Je n'ai d'abord reçu que
des réponses aimables que j'ai jugées un peu trop
prudentes et insuffisantes. Sur mon insistance, M.
Herly m'a finalement précisé, impatienté, que M.
Farès avait demandé mon départ à M. Jeanneney "du
fait de mes activités OAS". Il avait -ajoutait-il-
transmis mes dénégations(?), mais le nouveau
gouvernement avait "un oeil plus dur sur ces
questions d'opinion". J'étais libre de rentrer à
Alger, mais au risque de Barberousse ou de
Maison-Carrée d'où il aurait "l'amer devoir
d'essayer de me sortir". Il n'y avait plus rien à
dire! Je connaissais évidemment l'arbitraire de
l'État Algérien et avais évidemment eu vent des
graves et inadmissibles exactions ayant précédé ou
suivi l'Indépendance. Bien entendu, j'avais été un
partisan convaincu de l'Algérie Française. Mais je
n'ai jamais adhéré à l'OAS. Et je soupçonnais déjà
l'État Français de la manipuler. Quant aux
"calomnies de mes anciens collaborateurs", j'ai
supposé qu'elles pouvaient avoir émané d'anciens
employés de bureaux musulmans désireux d'avoir le
champ libre. Parmi eux, j'ai songé tout
spécialement à M'Hamed Megdoud. Jeune, assez
élégant, il était intelligent mais lymphatique et
d'une susceptibilité maladive. Je l'avais proposé
en août 1960 pour le grade d'attaché de Préfecture
au titre de la promotion sociale. Il était très
vraisemblablement profondément nationaliste et
normalement arriviste. Le 27 juillet, au lendemain
de l'occupation militaire de Dar El Nador par
l'Armée de Libération Nationale (Willaya IV), il
m'annonça téléphoniquement que le Préfet d'Alger
m'avait mis à la disposition du Consul et l'avait
nommé Chef de Division à ma place. De son côté, le
jeune Bekretaoui, un commis qui avait connu
quelques difficultés avec les autorités militaires
française, ne m'avait sans doute pas ménagé.
Certains coopérants métropolitains me furent sans
doute également hostiles (M. et Mme Morlet..). Ils
eurent très peur après la découverte, également le
27 juillet, d'une mitraillette cachée dans des
pneumatiques du CATI, avec des tracts, journaux et
bandes magnétiques; la soldatesque algérienne
avait brutalisé et menacé employés et résidents -
femmes et enfants compris - les alignant devant
une murette et les invitant à faire une dernière
prière. Avec un humour très noir, leurs collègues
pieds noirs les avaient, au surplus, menacés de
les transformer "en brochettes de patos". Perrois
m'informa, enfin, d'une "affaire Zilberstein", un
litige sur une livraison de gabardine pour CRS
réceptionnée par Bisgambiglia, mon chef de bureau
de l'habillement et dont les factures auraient été
prises en charge par mes soins le 27 juillet. Tout
cela fut bien mesquin! Cela fût même dérisoire à
côté de la souffrance de tout un peuple! Mais cela
m'amertuma profondément. Trente ans après, c'est
encore avec peine que j'ai entrouvert ce
dossier...
4 - Nancy: Aide Sociale et Tutelle
Hospitalière
1962 - 1964
Ayant donc été affecté à
la Préfecture de Meurthe et Moselle, j'ai
téléphoné à mon futur Secrétaire Général pour lui
demander si je pouvais être hébergé en attendant
de trouver un logement à louer: il m'a répondu que
les hôtels ne manquaient pas, à proximité de la
gare! Réponse un peu sommaire estima un Chef de
Division n'ayant pu rejoindre son poste dans son
Algérie natale abandonnée par la France!... Par la
suite, Jean Paolini, futur Préfet de Police et
futur Directeur du Cabinet du Ministre de
l'Intérieur, s'avéra pourtant un excellent patron,
bienveillant, à l'esprit vif et très clair. Père
d'un enfant handicapé, homme de coeur, il favorisa
- contre mon propre avis - la titularisation d'un
jeune employé dont j'estimais qu'il n'honorerait
pas la Fonction Publique et qu'il relevait plutôt
des aides sociales. En bon Corse, il ne tarda pas
à me remettre un texte de son illustre
compatriote, Napoléon Bonaparte, préconisant -
déjà! - l'indépendance des colonies et leur
administration indirecte. Cela ne me convainquit
guère. Et je ne suis pas davantage convaincu, en
ce début de l'année 1992, où se manifestent les
problèmes de l'immigration maghrébine en France et
de nouveaux "événements d'Algérie" entre frères
musulmans. Mon affectation précise ne fut pas
immédiate. La Direction des Finances était libre
mais on préféra la confier à un collègue plus
expérimenté. Celui-ci me laissa la Direction des
Affaires Sociales et de la tutelle hospitalière.
J'en eus la responsabilité à compter du 31 janvier
1963. Mon personnel n'était pas des plus nombreux:
36 fonctionnaires et auxiliaires sérieux,
appliqués, très disciplinés, manquant parfois
d'imagination et de fantaisie. Mais ils me furent
tout dévoués, acceptant sans rechigner ma jeunesse
et mes initiatives novatrices (notamment celle -
révolutionnaire à leurs yeux! - d'arrondir au
franc les participations familiales à l'aide
sociale). Mes Chefs de bureau furent Thomas (qui
faisait du théâtre culturel), Mlle Thirion (une
vieille fille fragile) et Mlle Willemin (qui avait
fait toute sa carrière administrative au service
des aliénés). Le pool dactylographique se
composait de quatre dames dont les plus jeunes,
assez avenantes, venaient alternativement prendre
mon courrier en sténo. Mes compétences englobaient
désormais l'aide médicale, l'aide aux personnes
âgées, aux infirmes, aux malades mentaux. C'était
un domaine nouveau pour moi, parfois sordide
(notamment au Bureau d'Assistance Judiciaire où je
découvris de bien tristes aspects de notre pauvre
humanité!). La tutelle hospitalière m'intéressa et
j'eus à apprendre pas mal de termes médicaux. En
novembre, je fis publier un recueil sur les
conditions d'admission à l'aide sociale, le
précédent - largement périmé - remontant à 1956.
C'est en Meurthe et Moselle que j'eus mes premiers
contacts avec les Commissions Départementales et
Conseils Généraux, auxquels les Préfets, alors
agents des Départements, soumettaient (chaque mois
ou deux fois par an) de nombreux rapports. En
Lorraine, les élus et notamment le Président du
Conseil Général, un rural, freinaient la
résorption des tas de fumiers devant les maisons,
en bordure de routes nationales. J'ai visité
quelques établissements hospitaliers et découvert
l'étendue de leurs patrimoines immobiliers. Une
mère supérieure me fit un jour offrir une
bouteille enveloppée dans du papier journal: elle
contenait une excellente mirabelle provenant des
fruits de l'hospice; celui-ci bénéficiait du
privilège des bouilleurs de cru. J'eus à faire
quelques conférences sur l'aide sociale à des
secrétaires de mairie ainsi qu'à des élèves des
écoles normales d'instituteurs. Je pris beaucoup
d'intérêt à mes nouvelles fonctions. Mon Préfet,
Jean Gervais, était un homme fort courtois. La
Préfecture était modestement située dans un angle
de la Place Stanislas dont tout un côté était
occupé par les prestigieux bâtiments de l'Hôtel de
Ville. Mais, Nancy contrastait beaucoup avec
Alger!... Notre départ d'Algérie avait été des
plus douloureux. Dilette, surtout, supportait mal
les rigueurs du climat lorrain et nous avions peu
d'affinités avec des populations aux mentalités
fort différentes des nôtres. J'avais accepté un
appartement dans la Cité Chalandon du
Haut-du-Lièvre (12000 habitants en 5 immeubles:
"une honte" pour l'ancien Ministre du Logement,
selon sa propre expression). Notre immeuble
abritait seulement 500 membres de familles
d'enseignants et de fonctionnaires mais l'ensemble
des résidents de la Cité était populeux. Les
différences de classes y étaient plus tranchées
qu'ailleurs, une cravate suffisant aux yeux des
ouvriers à vous faire classer parmi "les
bourgeois" et à leur rappeler leur condition de
"prolétaires". Je souhaitais une mutation pour un
département plus ensoleillé. J'ai multiplié les
demandes de mutation et ai effectué diverses
démarches auprès du Syndicat, de MM.. Aubert,
Cazejust, Ricaud, Jacques Juillet Celui-ci avait
été nommé Préfet de la Préfecture de l'Ariège.
Selon Dilhan, un collègue connu, un poste de Chef
de Division était vacant à Foix mais nous ne
l'avons pas sollicité. Peut-être nous serions-nous
plûs aux côtés du château du Comte Phoebus de Foix
(entendre "Foüch", comme pour Fouich). J'ai
recherché un détachement auprès de la Mission
Interministérielle d'Aménagement touristique du
Languedoc-Roussillon (faisant appel à M. Guenot,
un ingénieur en Chef de l'Équipement d'une famille
autrefois amie, à Brazey). Une réforme
administrative se préparait, devant confier à une
même direction les services de la santé, de l'aide
sociale, de la protection maternelle et infantile.
J'ai posé des jalons au Ministère de la Santé et
espéré pouvoir obtenir la future direction de la
DDASS de Nîmes. Mais une opportunité s'est
présentée et je me suis empressé de la saisir
aussitôt. Elle me fut signalée par un ancien
collègue d'Alger, Guy Azoulay. M. Missoffe,
Ministre des Rapatriés, ne voulait pas que ses
directions départementales se pérennisassent comme
l'avaient fait les directions d'Anciens
Combattants. Il souhaitait les intégrer aux
Préfectures. L'expérience avait été inaugurée dans
les Bouches du Rhône et avait réussi: mon autre
ancien collègue d'Alger, Paul Bignon, avait été
muté de Melun pour devenir Directeur des Rapatriés
à Marseille. Lorsqu'il apprit que M. Missoffe
recherchait un ancien d'Algérie pour la Direction
des Alpes-Maritimes, il lui fit soumettre mon nom.
M. Missoffe, pressé de remettre de l'ordre dans
son service niçois qui lui causait bien du tracas,
me convoqua aussitôt. Il agréa immédiatement ma
candidature. Grâce au Préfet Jacques Aubert, les
réticences de M. Gervais, mon nouveau patron et de
mon Secrétaire Général, Jean Paolini, furent vite
levées. En quelques jours, j'obtins ma mutation
pour Nice et fis mes adieux dans les Salons
Préfectoraux. Dans une courte allocution, j'ai
déclaré "être pied-noir et fier de l'être". Seuls
des pieds-noirs peuvent comprendre combien ces
simples paroles furent appréciées et
réconfortantes pour la douzaine d'entre eux,
encore traumatisés par leur douloureuse
transplantation, perdus dans les brumes lorraines
et pleurant encore leur Algérie natale abandonnée
à jamais!...
5 - Nice - Direction des Rapatriés
1964 - 1967
Notre séjour niçois
commença dans l'euphorie. Pour Dilette, Nice -
alors - était la seule résidence métropolitaine
acceptable. Elle était aussi la plus sollicitée.
Je l'obtins cependant avec une facilité étonnante.
Nous y avons tout d'abord bénéficié d'un climat de
rêve. Le ciel bleu et le soleil retrouvés, les
marchés colorés et animés, les mentalités
méditerranéennes nous donnèrent un peu
l'impression d'être revenus dans l'Alger
d'autrefois. Ce furent des amis algérois qui nous
hébergèrent d'abord quelques jours chez eux (les
Houis). Et des amis de nos fiançailles (les Bercq)
qui nous procurèrent rapidement un studio meublé
(rue Parmentier vers la rue... Michelet) en
attendant la finition d'un appartement à louer,
avenue Piatti, à proximité immédiate de leur petit
immeuble. La tâche qui m'attendait m'avait été
décrite comme particulièrement ardue. Longtemps,
les autorités gouvernementales s'étaient imaginées
qu'avec leurs fameux "Accords d'Évian", les
européens pourraient et voudraient se maintenir
dans une Algérie à laquelle ils avaient
généreusement octroyé l'indépendance. Des moyens
de transports exceptionnels à la mesure de leur
exode vers la métropole leur avaient été refusés.
Depuis quelques années, les Alpes-Maritimes
avaient accueillis plus de 4.800 familles
originaires du Maroc et de Tunisie, d'Indochine,
aussi. Mais elles avaient été, un certain temps,
plus ou moins officiellement fermées aux rapatriés
d'Algérie, jugés peu compatibles avec le tourisme
de luxe auxquels le département jugeait avoir
vocation. Au cours de l'année 1961, arrivèrent
cependant sur la Côte d'Azur, les premiers
réfugiés d'Algérie. Mon prédécesseur rendit compte
qu'ils se distinguaient par "une violence
s'extériorisant fréquemment", "un état d'esprit
plus ou moins frondeur", "un moral très bas...".
Une circulaire "confidentielle" (!) du Secrétaire
d'État aux rapatriés avait enfin permis, le 14
septembre 1961, de leur fournir une assistance
"conditionnelle et restrictive". Ce fut seulement
le 26 décembre de cette même année qu'une loi fut
promulguée en leur faveur mais son décret
d'application n'intervint qu'en mars 1962. Au
cours des quatre premiers mois de 1962, les
arrivées de familles rapatriées (notamment en
provenance de l'Algérie) s'accélérèrent. Ils
furent 777 dont 264 en mars et 315 en avril. Le
service compétent (une antenne marseillaise du
Ministère des rapatriés) fut rapidement débordé.
Il avait ouvert 27.000 dossiers correspondant
sensiblement à 60.000 rapatriés. Mais il parvenait
tout juste à leur régler de simples allocations
d'accueil. Un rapport d'inspection en date du 21
décembre 1963 proposa une réorganisation
administrative locale, une simplification des
circuits de travail, une meilleure installation
matérielle des bureaux. M. François Missoffe,
Ministre des Rapatriés, demanda à son collègue de
l'Intérieur, M. Roger Frey, de lui fournir un
"administrateur de qualité", "dynamique et
expérimenté", "ayant une connaissance personnelle
des problèmes d'organisation et ayant pu fournir
la preuve de (son) dynamisme, de (sa) puissance de
travail, de (son) sens des responsabilités et de
(sa) compétence administrative". Bref, il fallait
trouver un oiseau rare! Bignon -, Directeur des
Rapatriés à Marseille, avait, d'Alger, en 1962,
postulé pour Nice mais ce n'est qu'après avoir
exercé ses fonctions à Melun qu'il avait pu
finalement s'implanter sur la Méditerranée (rive
Nord). Il suggéra ma candidature qui reçut
rapidement l'agrément de principe du Ministère des
Rapatriés. Il m'en informa par courrier le samedi
11 janvier 1964. Azoulay, alors son adjoint, me
téléphona le même jour. Dès le lundi, je pris de
premiers contacts à Paris avec les Rapatriés et
l'Intérieur. Le 20 janvier, je fus convoqué par M.
Missoffe. Très simple et très direct, le Ministre
m'invita à faire preuve de psychologie, à beaucoup
recevoir, à sortir souvent, "à boire l'anisette
dans les bars" avec mes anciens compatriotes (!),
à appliquer les textes avec souplesse, à diriger
mon personnel avec fermeté, à ne pas céder aux
importuns. A plusieurs reprises, il me signala
personnellement quelques cas particuliers. Le 22
avril, il me téléphona directement pour me
demander si tout allait bien, pour m'inviter à
voir plus souvent Maître Pasquini, à monter à
Paris. Pasquini était à Nice, avec mon Préfet
Pierre Jean Moatti et le Maire, Jean Médecin, l'un
des trois personnages dont je devais tenir le plus
grand compte... Le Préfet, je l'ai décrit dans mon
livre sur Sophia Antipolis avec suffisamment de
justesse pour justifier l'approbation téléphonique
de sa veuve. Très autoritaire, il était redouté de
ses collaborateurs. Il ne tint pas à traiter
personnellement des problèmes de rapatriés bien
que (ou parce que) lui-même était originaire
d'Algérie (et non de Corse). Il me laissa une
extrême liberté pour m'en occuper en son nom... en
prenant grand soin de ne pas susciter ses
observations qui auraient été vives. Mon
Secrétaire Général, Bernard Couzier, très fin
psychologue, sut me conseiller utilement dans mes
rapports avec lui. Maître Pasquini était alors
"quelqu'un". RPR, il était Premier Vice-Président
de l'Assemblée Nationale; localement, Adjoint au
Maire, il nourrissait de vives ambitions.
Originaire d'Algérie, lui aussi, d'origine corse
recherchait à la fois la clientèle des rapatriés
et celle des insulaires Il fut l'un des premiers à
m'envoyer des félicitations lorsque la presse
mentionna ma nomination. Jean Médecin avait
abandonné la Présidence du Conseil Général mais
son autorité restait grande. Antigaulliste, lui
aussi, il s'intéressait aux rapatriés et avait
créé un service municipal à leur écoute. Bien
entendu, c'était entre les trois notables, la
mésentente la plus cordiale. Il me fallut
manoeuvrer à leur égard avec beaucoup de prudence
et de doigté. J'eus aussi des contacts avec
d'autres élus s'intéressant aux rapatriés (Fernand
Icart qui allait commencer une carrière politique,
Francis Palméro, Président du Conseil Général de
1961 à 1973 avec une interruption de 3 ans) ainsi
qu'avec les Présidents de leurs associations. Les
effectifs de ma direction étaient numériquement
importants (une centaine de personnes) mais très
hétérogènes sur le plan de la qualité. Surtout,
ils étaient très mal utilisés. Ils comportaient
trois ou quatre cadres valables dont plusieurs
m'étaient hiérarchiquement supérieurs. Fort de la
création d'une 7ème Division à la Préfecture et de
ma nomination comme Directeur, je leur fis
confiance, imposai mon autorité à tous, structurai
mes quatre bureaux au mieux, éliminant quelques
éléments incompétents ou douteux. Sur le plan des
locaux, j'ai rapidement exploité la bonne volonté
du Ministère des Rapatriés et fait édifier en 3
mois un préfabriqué avenue Béatrix qui remplaça
avantageusement les locaux en ruine d'un vieil
hôtel du Boulevard Carabacel. Pour ma part, avant
d'aller avenue Béatrix, je me suis installé dans
les belles boiseries de l'ancien Cabinet de
l'Inspecteur d'Académie, rue Galléan. Je
prescrivis efficacité et rendement même au risque
d'erreurs, veillant à éviter tout excès de
formalisme, apportant un soin tout particulier aux
prêts de reclassement aux membres des professions
industrielles, commerciales ou libérales ainsi
qu'aux indemnités particulières (40.000 F au
maximum aux personnes âgées propriétaires de biens
immobiliers abandonnés). Mon rapport d'activités
en date du 14 août 1964 fut annoté par M. Moatti.
Alors qu'il était généralement avare de
compliments, il écrivit: "Vu et Compliments à M.
Fouich qui a redressé une situation qui était loin
d'être bonne, en peu de temps. Il reste encore
beaucoup à faire mais nous l'y aiderons et je sais
que nous pouvons compter sur son dévouement et
celui de sa division". Il restait effectivement beaucoup à
faire. Les difficultés de toutes sortes ne
manquèrent pas. Les textes étaient très
insuffisants pour faire place aux besoins et
remédier à d'innombrables situations douloureuses.
J'eus quelques accrochages notamment avec le
Préfet (qui m'avait gratuitement prêté, un jour,
une arrière pensée politique) et avec certains
représentants ministériels. Il me fallut déployer
beaucoup d'efforts pour stimuler et contrôler mon
personnel, apprécier des situations délicates,
prendre personnellement des décisions
critiquables... Dans les derniers mois de 1966, le
Gouvernement annonça la prochaine fermeture des
directions de rapatriés. Il fallut mettre les
bouchées doubles, rassurer mes agents et faciliter
le reclassement de divers vacataires, contractuels
ou fonctionnaires de ma direction, légitimement
inquiets de leur situation professionnelle ou de
leur maintien à Nice. En moins de 3 ans, nous
avions contribué à l'accueil de 80.000 rapatriés,
accéléré le rythme de leur réinstallation, alloué
de nombreux secours et allocations pour un montant
global d'environ 220 millions de francs. Le 2 mai 1967, en l'absence du Préfet et
du Secrétaire Général, mon collègue M, chargé à la
Préfecture du Service du Personnel m'annonça qu'un
télégramme officiel du Ministère de l'Intérieur me
mettait à la disposition du Comité d'Organisation
des Xèmes Jeux Olympiques d'Hiver et m'invitait à
me présenter à Grenoble... le 8 mai. Il me fallut
plusieurs démarches pour comprendre qu'il ne
s'agissait absolument pas d'une sanction
administrative (tout au contraire) mais d'une
mission temporaire comportant d'ailleurs quelques
avantages matériels. Probablement, y avait-il eu
diverses tractations préalables auxquelles j'avais
été étranger. Et comme je n'étais niçois que
depuis 3 ans!... Je fis rapidement mes adieux. Une
mission était terminée. Une autre allait débuter. Mes fonctions de Directeur des Rapatriés
m'avaient apporté beaucoup de satisfactions car
j'avais été en mesure d'aider un peu mes
malheureux compatriotes. Malheureux, certes, ils
l'étaient! Beaucoup avaient perdu leur situation
et la plupart de leurs biens matériels. Mais,
surtout, la politique officielle avait cherché à
les culpabiliser, à les isoler de la communauté
française et les avaient moralement meurtris. A
Constantine déjà, en 1955, j'avais eu l'occasion
de créer, en quelques jours, le premier service
d'indemnisation des "événements d'Algérie".
Là-bas, du fait de mes ascendances métropolitaines
et de mes séjours annuels en France, je passais
parfois pour un "Frangaoui". Mes séjours dans la
capitale algéroise ont été intermittents: à ma
naissance, pour mes études secondaires et de 1956
à 1962. Mais, alors, j'étais accaparé par un
travail intense, spécialisé et isolé à Hydra. Je
n'y fréquentais qu'un nombre limité de
compatriotes. A Nice, au contraire, une pointe
d'accent pied-noir était aussitôt identifiée. Au
surplus, mes visiteurs étaient mis en confiance
par une superbe photo d'Alger, placée face à eux,
derrière mon bureau (et acquise auprès de mon ami
Philippe Bertsch, photographe replié à Marseille).
J'ai compté pour la "colonie" pied-noir. J'ai
retrouvé de vieux amis et m'en suis fait de
nouveaux. J'ai eu l'occasion de rendre bien des
services. Ma nouvelle mission allait - elle aussi
- s'avérer des plus intéressantes. Elle contribua,
non à panser des plaies, mais à la gloire de la
France, voire à celle de son Président de la
République que j'avais quelques raisons de ne
point trop aimer...
6 - Grenoble: Les Xèmes
Jeux
Olympiques d'Hiver
1967 - 1968
Je me rendis à Grenoble,
par la route, le 8 mai 1967, avec mon fourgon 403
de service de la Direction des Rapatriés. Une
chambre m'y avait été retenue à l'Hôtel Bristol
par le Comité d'Organisation des Jeux Olympiques,
le COJO. Là, au Parc Paul Mistral, à proximité du
nouvel Hôtel de Ville, je fus présenté à mon
nouveau grand patron, le Docteur Robert Héraut,
ancien Directeur de l'Institut National des
Sports. En même temps que moi, il accueillit
d'importants renforts en personnel énergiquement
réclamés par M. François Missoffe, Ministre de la
Jeunesse et des Sports, après le quasi-fiasco des
semaines de Chamrousse, destinées à tester l'état
de préparation des installations nécessaires aux
Xèmes Jeux Olympiques d'hiver, programmés pour
février 1968. Ainsi renforcés quelques mois avant
l'ouverture, les différents services du COJO
purent être restructurés. Un Secrétaire Général
pour les services administratifs et la gestion fut
nommé: M. Hervé Bourseiller, ancien Secrétaire
Général du Mans (qui me reprocha un jour de trop
signer moi-même.. Le Chef de Cabinet du Directeur
Général fut M. Michel Soulignac, le Directeur
sportif, M. Paul Briglia, Inspecteur de la
Jeunesse et des Sports, le Directeur de
l'Hébergement, un Commissaire en Chef de la
Marine, M. Roland Chatenet. Le Directeur des
Relations Extérieures dont je devais être
l'adjoint, était encore attendu. Ce serait un
diplomate, M. Henri Fauville, Conseiller du
Commerce Extérieur au Chili. Notre Direction était
chargée de l'accueil (invitations, protocole et
hôtesses), de l'animation (cérémonies et trajet de
la Flamme), de la propagande et des liaisons avec
le service de presse. Après de premiers contacts
et diverses réunions, je pus revenir quelques
jours à Nice pour passer mes consignes et prendre
congé mais un petit séjour en Corse (où se
trouvaient, à Calacuccia, nos cousins Jeannette et
Roby) et une cure thermale militaire à Amélie les
Bains passèrent au compte "profits et pertes". Je
revins à Grenoble par le train le 18 mai. Le 26, je pus m'installer dans un petit
mais très coquet appartement, 8 rue des Eaux
Claires. Dilette vint m'y rejoindre à plusieurs
reprises: la première fois, malheureusement, je
dus l'abandonner pour une mission inopinée à
Paris. Une indemnité mensuelle de 500 F couvrit le
montant de mon loyer grenoblois. J'allais, au
surplus, bénéficier d'une indemnité de 33% et d'un
convenable remboursement de mes frais de
déplacement. Ceux-ci furent d'ailleurs nombreux
(près de 25.000 kilomètres en chemin de fer ou en
voiture... dont certains à Nice, à Ruffey ou à
Montpellier). Il me fallut patienter plusieurs
jours pour obtenir des locaux convenables, du
mobilier, une secrétaire, une voiture de service
(Renault R4 puis R8 équipée, l'hiver, de pneus à
clous). Plus tard, nous déménageâmes dans une des
tours de la Cité Olympique. Quant à mes fonctions,
elles furent longtemps imprécises. J'avais
officiellement obtenu celles d'Adjoint au
Directeur (ou de Directeur Adjoint?) sur le rappel
de ma qualité de Directeur de Préfecture mais
n'eus pratiquement pas à les exercer réellement.
J'avais été affecté plus spécialement au service
"invitations - protocole" et eus à m'occuper
épisodiquement d'invitations, d'accréditation,
d'animation, de personnel et de matériels, de
cérémonies protocolaires (en particulier du
délicat découpage de la tribune officielle entre
autorités gouvernementales françaises et
personnalités du Comité International Olympique).
Le Directeur Général s'intéressait tout
particulièrement aux problèmes de la Flamme. Il
prit l'habitude de s'adresser directement à moi
pour les résoudre. Dans le même temps, le
Secrétaire Général et le Directeur des Services
Techniques s'en déchargèrent tant l'opération
paraissait nébuleuse et risquée, ne bénéficiant
d'aucune dotation budgétaire. Je finis par lui
consacrer 98% de mon temps avec un attaché de
Préfecture dijonnais et une sténodactylographe
puis un contractuel, M. Giraud, recruté, à mon
insu, début juin. Celui-ci, selon "Grenoble
Panorama" avait connu l'échec à "Service et
Méthodes". Assez particulier, il fut surtout
utilisé pour les questions de protocole et comme
chef de caravane, pendant le parcours de la
Flamme. Les documents relatifs à la question
étaient épars et je découvris seulement le 21
novembre 1967 une photocopie d'une lettre du 15
décembre... 1964 de la Société "La Mure-Union",
proposant d'alimenter la Flamme par du propane. De
tels errements sont particuliers aux services de
mission récemment créés et encore sans traditions
administratives: j'avais eu à en pâtir aux
services du matériel à Alger; j'ai eu, à nouveau,
à les déplorer à Nice, en prenant la direction du
SYMIVAL (mon prédécesseur conservant ses dossiers
pour ses nouvelles fonctions à Sophia-Antipolis).
Par contre, à défaut de tradition, on trouve, dans
les services neufs, plus d'adaptabilité et
d'enthousiasme: j'ai pu le constater aux chantiers
de jeunesse (par rapport à l'Armée), aux S.T.M, à
l'ODEAM, et à Sophia Antipolis. La mise au point
du trajet de la Flamme fut laborieuse. Jusqu'ici,
on ne l'avait pas organisé à l'occasion des Jeux
d'hiver en raison des rigueurs climatiques. Pour
la circonstance, on avait tout d'abord envisagé un
parcours de six jours, limité aux Alpes, avec
large utilisation de la voie aérienne. Puis on
décida d'augmenter l'effort physique et de visiter
également le Massif Central et les Pyrénées. Un
représentant des moniteurs de ski avait reconnu
consciencieusement les itinéraires montagneux. Un
avant-projet fut approuvé le 9 mai à Téhéran (Le
Prince Reza Pahlavi, Shah d'Iran, avait été élu
membre du CIO comme beaucoup de nombreux
aristocrates ou hautes personnalités). Ce fut le
18 mai que j'eus à participer à une première
réunion sur le sujet. Je fis établir une première
note générale d'information et des fiches
techniques qui furent adressées aux Préfets de
Région puis présentées dans chacune des
Préfectures concernées. Nous primes contact avec
les organisateurs du Tour de France cycliste. Le
projet définitif comporta 50 étapes et plus de
7.300 kilomètres à parcourir sportivement ou, sur
1.900 kilomètres, par des moyens mécaniques
divers. J'aurais préféré le réduire mais les
demandes étaient pressantes et je dus moi-même
accorder au Président Palméro un itinéraire bis
pour visiter Monaco. Nous nous entendîmes avec le
Comité Professionnel du Butane et du Propane pour
l'alimentation de la Flamme et la fourniture des
flambeaux. Sa contribution technique fut
importante. Elle comprit l'équipement de la vasque
principale et je fis intervenir personnellement M.
Missoffe pour qu'il fournisse gratuitement
l'intégralité du propane nécessaire (75 tonnes!)
Je me rendis moi-même aux Houillères de la Mure
pour emprunter ou acquérir des lampes de mineur.
Faute de moyens financiers, nous dûmes mettre à
contribution les villes-étapes pour l'accueil de
la caravane et la fourniture de vasques. Un
journal local des Alpes-Maritimes nous traita de
"pique-assiettes". En raison de la longueur du
trajet et des étapes elles-mêmes, il fallut
constituer une double caravane (12 véhicules et 25
personnes). Grâce à mes relations algéroises,
j'obtins le concours des CRS et, par leur
intermédiaire, la fourniture gratuite de véhicules
de la Régie Renault. Les moyens complémentaires en
personnel nous furent accordés seulement les 4 et
9 décembre. Deux Capitaines de l'Armée assistèrent
M. Giraud ainsi que des techniciens du propane. Le
contrecoup d'État déclenché le 13 décembre 1967 en
Grèce par le Roi Constantin retarda d'un jour les
cérémonies d'allumage à Olympie. La Flamme fut
accueillie à Orly le 19 décembre 1967 et, après
avoir traversé Paris, elle arriva à 23 heures à
l'Institut National des Sports pour sa première
veillée. Il apparut déjà qu'on s'acheminait vers
un plein succès. Pourtant, les photographes
faillirent mettre fin au mythe de la Flamme: ils
demandèrent au porteur de recommencer l'allumage
de la vasque et, dans l'émotion, celui-ci ralluma
sa torche sans utiliser la lampe de mineur censée
conserver la Flamme d'origine. 5.000 porteurs et
60 à 80.000 accompagnateurs appartenant à toutes
les disciplines sportives furent mobilisés pour
convoyer la Flamme qui fut applaudie par plus de 2
millions de spectateurs. L'opération fut
considérée comme la plus importante manifestation
omnisports jamais organisée en France. Elle connut
un exceptionnel succès. Ce fut la révélation de
l'éclatante santé physique et morale de la
jeunesse sportive française. Et pourtant, trois
mois après, ce fut l'explosion sociale de mai
1968. Personnellement, j'ai rencontré la flamme à
Orly, à Besançon, à Cannes, à Nice (où le
dynamique Adjoint aux Sports, Charles Ehrmann me
proposa de m'emmener, derrière lui, sur sa moto)
et, bien sûr, à Grenoble. Avec Dilette, nous avons
assisté à son extinction, le 19 février, à 21
heures 19, au stade de glace, avec beaucoup
d'émotion... Dans le cadre de mes occupations
professionnelles, j'ai pu visiter, dans l'Isère,
de très beaux sites, assister aux cérémonies
d'ouverture et de clôture, à plusieurs épreuves
(matches de hockey et patinage artistique,
descente hommes - Killy dans le brouillard! - saut
à St. Nizier), à des réceptions, cocktails, repas
officiels, ainsi qu'à de très beaux spectacles. Ce
fut une période de travail intense et de soucis,
mais aussi d'enthousiasme et d'intenses
satisfactions professionnelles et personnelles. Je
suis resté jusqu'à fin mars au COJO où j'eus à
rédiger mon rapport d'activités (en grande partie
repris dans le rapport officiel), faire expédier
divers souvenirs au Musée des Sports, distribuer
le reliquat de cadeaux destinés aux V.I.P. (Very
Important Personnage, expression que j'ai
découverte à cette occasion) et participer à la
liquidation des services (qui se prolongea
d'ailleurs encore plusieurs mois). Mais il me
tardait de retrouver une vie à deux moins
épisodique et mon affectation niçoise. Le 1er
avril, comme prévu (ce ne fut pas un poisson
d'avril), je pris mes nouvelles fonctions au
Cabinet du Préfet des Alpes-Maritimes.
7 - Quatre ans au Cabinet du
Préfet
des Alpes-Maritimes
1968-1972
Aussitôt après avoir été
avisé de ma mise à la disposition du COJO, je
m'étais inquiété de la durée de cette mission
inattendue et, surtout, de mon affectation
ultérieure. Le Ministère de l'Intérieur, où je
continuais à entretenir quelques bonnes relations,
m'assura que je reviendrais à la Préfecture des
Alpes-Maritimes à l'issue des Jeux Olympiques. Je
tins à garder des contacts avec elle et vins
assister à la réception d'adieux du Préfet Pierre
Jean Moatti, remplacé - lui aussi inopinément - en
juin 1967. Je me suis rapidement présenté à son
successeur, René Georges Thomas ainsi qu'à son
Directeur de Cabinet, le Sous-Préfet Jean Busnel.
Il fut convenu que je serais affecté auprès d'eux,
comme Conseiller Technique au Service du Courrier
et de la Coordination à créer dans le cadre de la
réforme administrative de 1964 (M. Moatti ne s'en
était guère préoccupé!). M. Thomas, qui passait à
tort pour un aimable mondain, un peu fumiste et
peu travailleur, inspira plusieurs réalisations
importantes pour l'avenir du Département ou
l'amélioration de son image de marque. Il imposa
l'autorité préfectorale sur les Services
extérieurs qu'il avait pour mission d'animer et de
coordonner et se réserva personnellement le
contrôle de la construction et de l'urbanisme. Il
ne céda pas aux objections de son Secrétaire
Général, Gérard Prioux (lequel s'indigna de ma
position de "super Directeur"). A l'arrivée de
Pierre Costa, ancien Conseiller Technique au
Cabinet du Ministre du Logement (M. Chalandon), il
lui confia l'Administration Générale pour qu'il
n'interfère pas sur son "domaine réservé". L'objet d'une de mes premières missions
fut de concrétiser (en quinze jours) le souhait du
Préfet de création d'un bulletin d'information.
J'eus ensuite à publier (en février 1970) le
premier annuaire administratif départemental. Sa
mise à jour ne fut pas une mince affaire tant les
mutations de fonctionnaires et les réorganisations
de services administratifs sont fréquentes. J'ai
modernisé et réorganisé le bureau du Courrier. Je
l'ai doté d'une machine à affranchir et ai veillé
à la régularité de navettes avec la Préfecture
Annexe, située au-delà du Paillon (le Préfet
Moatti avait laissé les bureaux et les Services
dans un grand degré de vétusté, réservant tous les
crédits au faste du Palais et de ses réceptions).
Pendant deux ans, j'ai animé le Comité de
rédaction d'un ouvrage sur les Alpes-Maritimes,
contribuant à la censure ou à la réduction de
certains textes au choix des illustrations et à la
correction des épreuves. Ce livre fut publié, en
décembre 1972, dans la collection "Richesses de
France" qui en avait déjà édité un en 1960, à
l'occasion du centenaire du rattachement du
Département à la France. Il me donna l'occasion de
survoler ses sites avec Claude Breteaux, le
photographe - Directeur de la publication. Nous
empruntâmes, à cette occasion, un hélicoptère de
la Gendarmerie dont une portière avait été enlevée
pour faciliter les vues (heureusement prévenus,
nous nous étions équipés d'anoraks car il faisait
froid en altitude). Quelques vols stationnaires
nous ayant désorientés, nous dûmes descendre pour
lire des panneaux routiers. Ma connaissance de la
région, nous évita de confondre St Martin du Var
et Levens. Un mois après ma prise de fonctions,
survinrent les événements de mai 1968. Un matin,
je vis M. Busnel complètement effondré, vert
d'inquiétude. J'avais personnellement connu pire
pendant 7 ans où "les événements d'Algérie" furent
autrement tragiques. Le manque de sang-froid d'un
membre du Corps Préfectoral, par ailleurs très
estimable, m'étonna beaucoup... J'ai rencontré
quelques problèmes avec Max Palmiéri, Attaché de
Préfecture, Chef de Bureau du Cabinet, auquel le
Préfet Moatti avait conféré le titre de Chef
Adjoint de Cabinet, comme à Marie-Angèle
Caussignac, son prédécesseur dans la fonction.
Trop souvent, dans l'Administration, les problèmes
de préséance empoisonnent les relations entre
collègues lorsque les attributions, les grades et
les titres ne coïncident pas rigoureusement!...
J'étais, en outre, quelque peu tiraillé entre le
prestige de mon appartenance au Cabinet avec le
titre de Conseiller Technique (calqué sur ceux des
Ministères) et l'ambiguïté de ma situation de
Directeur sans direction. En décembre 1969, un de
mes collègues Chef de Division (M. Brun) étant
"admis à faire valoir ses droits à la retraite",
le Secrétaire Général, M. Cottez avait proposé la
création d'une 4ème Direction dont la
responsabilité me serait confiée. J'avais moi-même
fait acte de candidature. Finalement, le Préfet
R.G. Thomas m'indiqua qu'il préférait me conserver
à son Cabinet: je me suis évidemment rallié à sa
décision. J'eus alors à m'occuper également
d'urbanisme avec Mlle Rousset qui en était
précédemment chargée sous l'autorité de Mlle
Caussignac. Très consciencieuse, rompue à une
réglementation complexe et d'application
difficile, elle fut une collaboratrice sûre. Notre
domaine comprenait les plans d'urbanisme, mises en
révision des plans d'occupation des sols,
l'harmonisation des secteurs frontaliers
franco-monégasque, lotissements, permis de
construire... Nous fûmes évidemment très
sollicités. Il est très probable que j'aie eu à
instruire un recours sur refus de permis de
construire opposé aux immeubles où nous avons
obtenu un appartement en location en 1980 (Les
Gémeaux). J'ai été à l'origine, après visite du
chantier, d'une autorisation de construire d'une
villa d'aspect lunaire et futuriste, à caractère
expérimental, à Tourrettes-sur-Loup. Nous fûmes
ultérieurement invités à y prendre une coupe de
champagne par son propriétaire. Cette villa fît
l'objet d'un article publié dans la revue "Plaisir
de France". Le Maître d'Oeuvre, M. Anti Lovac
était assez réputé. J'ai apprécié mes contacts
avec les architectes. Je me souviens d'avoir été
intéressé par les idées originales de l'un d'eux,
M. Marguerita, qui aurait préféré quelques tours
de grande hauteur à des immeubles à hauteur
limitée formant, sur la Promenade des Anglais, un
mur infranchissable aux vues arrières. Bien
entendu, j'ai participé les dimanches et jours
fériés aux permanences du corps préfectoral. J'eus
à ce titre, plusieurs fois, à autoriser
l'utilisation de l'hélicoptère de la Protection
Civile. Il s'agissait d'une simple formalité qui
me donnait de l'importance aux yeux de mes
camarades du club de tennis. J'ai souvent
représenté le Préfet à des manifestations
d'Anciens Combattants, au Négresco où j'ai pris la
parole devant des maîtres d'oeuvres en attente
d'intégration dans la profession d'architecte, à
l'Hôtel de Paris, à Monte-Carlo, à un congrès de
droguistes, à la Réserve de Beaulieu, au côté du
jeune Président de la SACEM (Société des Auteurs
Compositeurs de Musique)... Recevant les journaux
au titre du Dépôt Légal, je fus étonné de
constater combien de choses avaient à écrire les
professionnels de la charcuterie. Je fus chargé
d'établir des projets de comptes-rendus
hebdomadaires - confidentiels - sur l'évolution de
l'opinion en ce qui concernait le référendum sur
l'organisation de la Région. Ces synthèses de
rapports de police étaient bien évidemment
corrigés à plusieurs échelons et, en dernier lieu,
par le Préfet qui en assurait la responsabilité.
Ces rapports soulignaient que les résultats
électoraux seraient des plus serrés. Ils
mentionnaient "le particularisme niçois,...
réalité qui ne peut être ignorée", le souhait "de
la création d'une région "Côte-d'Azur" ou, à
défaut, de l'érection de Nice en Métropole
d'équilibre" (souhait qui serait sans doute devenu
"un préalable impératif" sans l'action personnelle
de M. Thomas), "l'intérêt d'une décentralisation
et d'une déconcentration des décisions
d'investissements publics". Étaient également
soigneusement notées et analysées les prises de
position des personnalités, pour ou contre la
région. Le dernier en date de ces rapports fut
adressé au Ministre de l'Intérieur le 23 avril
1969. Quelques jours après, l'échec du référendum
entraînait la démission du Général de Gaulle,
Président de la République depuis le 21 décembre
1958 et réélu, pour la première fois en décembre
1965, au suffrage universel. Je fus en contact
avec Aimable Gastaud, le pittoresque Maire de
Tende, Conseiller Général, Fondateur du Comité de
rattachement de Tende et de la Brigue à la France.
Ce rattachement fut décidé après le "vote de
consentement du 12 octobre 1947 (2603 oui, 208
non) comme le rappela M. Gastaud le 8 juillet 1969
à M. Thomas en se réjouissant de la signature à
Rome d'une convention en vue de la reconstruction
de la ligne ferroviaire Nice - Tende - Coni -
Turin - Europe Centrale". M. Thomas, Préfet moderne, avait su
obtenir la création, dans les Alpes-Maritimes, de
l'ODEAM et de l'ODEAR, organismes dont seules sont
normalement dotées les Régions. Comme toute
création nouvelle, ces bureaux d'études et
d'aménagement enlevaient une partie des
attributions de services classiques; ils furent
accueillis avec scepticisme et réticences par
certains fonctionnaires; pour ma part, je leur ai
manifesté de la sympathie et les ai aidé de mon
mieux. Ils ont joué un rôle important dans
l'établissement des schémas d'aménagement et
d'urbanisme, la création de ports de plaisance...
et l'aménagement du Plateau de Valbonne à partir
du projet sophipolitain, aménagement auquel je
devais plus tard consacrer 15 ans de ma vie
professionnelle. Un des dossiers intéressants que je fus
amené à suivre fut celui du plan départemental de
fusion et de regroupement de communes. Il avait
été établi en application d'une loi de juillet
1971. Les Alpes-Maritimes comptaient alors 722.000
habitants répartis en 163 communes dont 58 de
moins de 200 habitants. Ce plan fit l'objet d'un
arrêté préfectoral en date du 11 septembre 1972.
Il proposait quelques rares fusions "avec création
de communes associées" (L'Escarène et Touët de
l'Escarène, Menton et Castillon, Puget-Théniers et
4 autres communes), deux fusions simples, la
création d'une communauté urbaine avec Nice comme
Chef-lieu, celle de trois Districts (dont celui de
Cagnes-sur-Mer) et de trois Syndicats
Intercommunaux à vocation multiple, des SIVOM,
intéressant Menton, Antibes et Coursegoules. Je
pris l'initiative de faire imprimer et publier des
cartes des circonscriptions administratives
(communes, cantons et arrondissements) avec les
chiffres de population résultant du recensement de
1962. Mais, comme les autres plans départementaux,
ce projet connut un échec quasi total et la France
continue à détenir le record du nombre de communes
(37.708, en 1968). Ma secrétaire parisienne fut appelée au
secrétariat particulier du Préfet par permutation
avec Josette Diaz (l'âge de Coline), autrefois à
la Direction des Rapatriés. Mlle Diaz (que j'ai
personnellement entraînée en vue du concours de
sténodactylographe auquel elle se classa première)
resta ma fidèle secrétaire pendant plus de quinze
ans et me suivit à la DECE puis à la Direction du
SYMIVAL. Pour ses 40 ans, elle eut la joie d'avoir
un petit Sébastien. Le travail de Cabinet me
plaisait sur de nombreux points. Il permettait
d'avoir des vues plus complètes sur les divers
dossiers à traiter. Mais ceux-ci étaient trop
nombreux et trop variés pour qu'on puisse s'y
attacher. Surtout, mon bureau, au rez-de-chaussée
de la rue de la Préfecture était bien sombre et je
m'usais les yeux à corriger les épreuves
d'imprimés ou à lire les minuscules caractères des
Journaux Officiels. J'obtins finalement en
mai-juin 1972, la Direction des Équipements et du
Contrôle des Établissements qui avait été créée en
1969.
8 - La D. E. C. E.
1972 - 1975
Vieux garçon, courtois
et d'apparence très placide, M. René Georges
Thomas n'avait pas la réputation d'un Préfet de
choc. En fait - je le découvris pus tard - il
était intelligent, lucide, moderne et
entreprenant. Alors que nous nous trouvions en
pleine période d'expansion économique, il estima
qu'il fallait activer l'exécution des équipements
programmés. Profitant du départ à la retraite de
mon collègue Brun, en décembre 1969, il prescrivit
la création d'une 4ème direction. Il voyait dans
cette création un avantage accessoire: un meilleur
équilibrage des attributions de deux secrétaires
généraux. M. Cottez, secrétaire général pour
l'administration (et le personnel) lui soumit un
projet et proposa - selon mon propre souhait - de
me confier la responsabilité de la nouvelle
direction. Après mure réflexion et après m'avoir
aimablement consulté, M. Thomas préféra me
conserver à son Cabinet. Il en fut de même après
le départ, en octobre 1970, d'un autre collègue,
Jaubert (autrefois à Oran). Ce fut seulement le 29
mai 1972 que je fus nommé Directeur des
Équipements et du Contrôle des Établissements, la
DECE, créée le 29 janvier 1970. La Préfecture
venait tout récemment d'être dotée de deux
secrétaires généraux, MM. Pierre Degrave et Pierre
Costa. Je pris mes nouvelles fonctions un mois
plus tard. La 4ème Direction avait reçu une partie
des attributions de la 3ème, les Affaires
Communales ayant été scindées en deux. Ses
services étaient répartis sur 3 étages, dans le
bâtiment de la Préfecture Annexe, Avenue Félix
Faure. Ils étaient parfois isolés les uns des
autres. Le personnel de la DECE lui avait été
chichement mesuré, quantitativement et
qualitativement. Il avait dû fournir de gros
efforts, d'abord dans la période toujours délicate
du démarrage puis lorsqu'il fut privé d'un
directeur à plein temps. Ma nomination lui fit
espérer la fin d'une période difficile. Je me suis
évidemment employé à organiser la DECE et à
renforcer ses effectifs. Mais ma pugnacité a
parfois agacé mon secrétaire général, M. Degrave,
lui-même tributaire de son collègue M. Costa pour
les attributions de personnels. En dehors de ma secrétaire - Josette Diaz
que j'avais réussi à faire muter du Cabinet - j'ai
disposé à la DECE de trois bureaux. Celui des
Constructions Scolaires et des Équipements
Généraux comprenait trois sections: affaires
scolaires, travaux d'équipement urbain et
d'équipement rural, comptabilité. Le Bureau des
Aménagements Spécialisés intervenait en matière
d'équipement routier, d'eau et d'assainissement,
d'aménagements dans le domaine public maritime et
les aéroports. Le Bureau des Établissements et de
l'Habitat Urbain assurait la tutelle des Sociétés
d'Économie Mixte, des Sociétés de Crédit
immobilier et des Sociétés ou Offices d'HLM. Le
1er était dirigé par Mme Szekely, Attaché
Principal, joueuse de bridge pendant ses loisirs,
le second par Gaston Revel, Attaché Principal
proche de la retraite que j'avais déjà eu sous mon
autorité à la Direction des Rapatriés et Mlle
Hubert, Attaché et poétesse à temps perdu. Les
attributions de la DECE étaient fort intéressantes
car en prise directe avec un début d'essor des
Alpes Maritimes. Je m'y suis personnellement
consacré avec enthousiasme et conviction. En
matière scolaire, nous étions en étroite liaison
avec le Ministère de l'Éducation Nationale, la
Mission Régionale, le Rectorat, le Service
Préfectoral de l'Action Économique, l'Inspection
Académique et la Direction Départementale de
l'Équipement. Nous avions à faire assurer la
livraison de nombreuses constructions neuves
programmées pour chaque rentrée scolaire. En 1973,
quatre CES, une nouvelle tranche d'un lycée
polyvalent, 126 classes maternelles et
primaires... Au titre des équipements routiers,
nous intervenions dans la construction,
l'entretien et l'exploitation de nouvelles
sections d'autoroute, de voies nationales et de
chemins départementaux indispensables pour
remédier à l'asphyxie routière des
Alpes-Maritimes. En octobre 1974, avec l'aide
déterminante de Fernand Icart, Député devenu
Ministre de l'Équipement, nous pûmes faire
programmer in-extremis le projet d'extension sud
de l'aéroport Nice Côte d'Azur. Les travaux
spectaculaires qui furent réalisés permirent de
remblayer un delta sous-marin du Var et de
supprimer les nuisances sonores qui s'opposaient
au développement vers l'ouest de l'agglomération
niçoise. Nous eûmes fréquemment à nous occuper des
problèmes de la nappe phréatique du Var et à
essayer d'arbitrer entre les vues divergentes de
l'Équipement et de l'Agriculture. Nous
intervenions aussi dans les problèmes de plages
naturelles à concéder, à exploiter, à
désenclaver... Pendant longtemps, nous suivîmes
avec attention certains mouvements de terrain à
Roquebillière, redoutant la répétition de la
catastrophe de 1926. Nous fîmes exécuter des
travaux de remise en état de canaux d'irrigation
insuffisamment étanches. Nous envisageâmes une
nouvelle évacuation et la reconstruction du vieux
village... Finalement les choses paraissent s'être
arrangées. Nos attributions étaient étendues et
variées. Nous n'avions vraiment pas le temps de
nous ennuyer! Les problèmes de lotissements
étaient de vrais casse-tête. Je me souviens avoir
contribué à la recherche de solutions avec les
représentants des co-lotis de l'Aubarède (communes
de Mougins et du Cannet). J'ai travaillé aussi sur
le dossier de Cannes Marina, un ambitieux
programme de 3.250 logements avec un port de 11 ha
et un pont a surélever sur une route nationale.
J'ai contribué à la résorption de l'habitat
insalubre des Alpes-Maritimes, alors un des plus
importants à subsister en France métropolitaine.
Au cours d'un stage de formation de 3 jours à
Aix-en-Provence, j'ai visité les chantiers de
Fos-sur-Mer où "1500 lits" avaient été réalisés
par la SONACOTRA en moins d'un an. Avec 2 autres
stagiaires - et plus tard le Directeur Général des
Services Techniques de la ville de Nice, également
ancien de l'Afrique du Nord - nous avons lancé des
idées qui permirent d'aboutir à des solutions
originales et pragmatiques. Il faut dire que la
construction d'une bretelle d'autoroute devant
passer sur le bidonville de la "Digue des
Français" était urgente: elle était nécessaire
pour évacuer les déblais du chantier de l'éphémère
"Zygofolies" et remblayer la plate-forme
d'extension de l'aéroport. J'ai également
participé avec intérêt à la recherche de solutions
aux difficultés rencontrées dans l'exécution d'un
programme coopératif de maisons individuelles à
Drap. Mon plus gros dossier fut celui du grand
ensemble de Carros-le-Neuf. Il a été "refilé" à la
DECE lorsqu'il est devenu difficile. Je m'y suis
personnellement consacré avec beaucoup d'intérêt.
Je l'ai souvent défendu même lorsque certains des
plus éminents "tuteurs" étaient tentés de dresser
un constat d'échec de l'opération. Carros-le-Neuf
était l'une des dix Villes Nouvelles dont le
Préfet Moatti avait lancé l'idée. Il en avait
prématurément ordonné le démarrage alors que tout
n'était pas encore prêt. Aménageur, Commune et
tutelle furent rapidement dépassés. J'eus à
interpréter des comptes-rendus d'expertise souvent
contradictoires (Inspection Générale des Ponts et
Chaussées, Trésorier Payeur Général, Cour des
Comptes...). Il m'appartint d'établir de multiples
notes et rapports. J'étais en contact permanent
avec le Préfet, le Secrétaire Général, le
Sous-Préfet, le Maire, les Services Techniques...
Il fallut finalement que le Département vienne au
secours financier de l'Office Départemental
d'H.L.M. Celui-ci fut dissous et fusionné avec
l'Office Municipal de Nice du Président José
Balarello. Un nouvel aménageur fut recherché pour
une nouvelle tranche de travaux. Ce que j'appris
avec Carros-le-Neuf me servit beaucoup lorsque
j'eus à m'occuper de Sophia-Antipolis. J'aimais beaucoup mes fonctions de
Directeur des Équipements et du Contrôle des
Établissements. Ma Direction comportait moins
d'une quarantaine de fonctionnaires et
d'auxiliaires: ses effectifs avaient été calculés
au plus juste! Mais, dans l'ensemble, notre
équipe, assez jeune, était satisfaisante. Nous
avions conscience de participer à l'indispensable
essor du Département. Les Alpes-Maritimes avaient
longtemps vécu sur la réputation de leur site et
de leur climat. Elles accumulaient certains
retards d'équipements que nous contribuions à
réduire et leur situation financière n'était pas
des meilleures. Je ne demandais qu'à poursuivre ma
tâche. Mais un nouveau Préfet avait été affecté à
Nice, à la fin de l'année 1973. M. Pierre
Lambertin était d'un tout autre tempérament que M.
Thomas. Comme toujours, il considérait l'oeuvre de
son prédécesseur d'un oeil critique. Le Ministère
de l'Intérieur acceptait de revoir les effectifs
d'attachés de la Préfecture à condition que soit
respecté l'organigramme-type de la fameuse
circulaire 195 bis. Nous n'avions normalement
droit qu'à 3 directions et non à 4. De son côté,
le Sénateur Joseph Raybaud, un notable local qui
comptait, réclamait le regroupement des affaires
communales dans une seule direction. Enfin, la
période d'expansion économique s'achevait: il
fallait à nouveau freiner la consommation des
crédits d'équipement. Bref, le Préfet préparait la
suppression de la DECE. Il me proposa la Direction
de la Réglementation: j'ai crains de m'y ennuyer.
Il me suggéra la Direction de la Protection
Civile: c'était à nouveau une Direction très
technique et participant aux contraintes du
Cabinet. En septembre 1974, M. Lambertin me
demanda d'accepter les fonctions de Secrétaire
Général du Conseil Général: j'y serais - me fit-il
miroiter - "le 3ème personnage du Département".
J'en doutais mais ne pus que me soumettre. M.
Jacques Médecin agréa aussitôt le principe de ma
nomination. Mais, sur intervention du Docteur
Salvadori et du Sénateur Joseph Raybaud, le
Conseil Général préféra choisir un fonctionnaire
du cru. J'en fus finalement soulagé me voyant mal
au service de multiples patrons de fait. Et la
décentralisation n'était pas encore en vue!... Le 3 décembre 1974, le Préfet me proposa
finalement un poste de Chargé de Mission à l'Aide
Sociale. Il m'indiqua aussi qu'il en désignerait
un pour l'aménagement du Plateau de Valbonne.
J'avais pratiqué l'Aide Sociale à Nancy et cela ne
m'avait pas déplu. Mais j'ai préféré de beaucoup
m'orienter vers Valbonne Sophia Antipolis. Le
Préfet accepta. La tâche paraissait proche de
celle que je devais abandonner. M. Francis
Palméro, était Président du Syndicat Mixte
d'Aménagement et d'Équipement du Plateau de
Valbonne. Je l'avais connu alors qu'il était
Président du Conseil Général et que j'étais
Conseiller Technique au Cabinet du Préfet R.G.
Thomas. Il agréa aussitôt ma candidature. Mais,
pendant plusieurs mois, la nature exacte des
fonctions que je devais exercer ne fut pas
précisée. Le démarrage de l'opération "Plateau de
Valbonne" était difficile. Le Préfet et, bien
évidemment, le Secrétaire Général hésitaient à
trop s'y impliquer. Finalement, M. Lambertin
décida le 20 mai 1975 d'une nouvelle organisation
des Services de la Préfecture des Alpes-Maritimes.
La DECE n'y figurait plus. Par un arrêté en date
du 22 mai, je fus nommé Conseiller Technique pour
l'Aménagement du Plateau de Valbonne à compter du
2 juin 1975. J'étais mis à la disposition du
SYMIVAL pour y exercer les fonctions de Directeur
Administratif.
9 - Sophia Antipolis et le SYMIVAL
1975 -1990
Je suis assez fier
d'avoir participé à l'aménagement de Sophia
Antipolis, à sa promotion et à sa réussite.
Contrairement à certains, j'ai toujours cru à son
succès et, comme beaucoup, je m'y suis consacré
avec enthousiasme. J'en ai évoqué la genèse et
esquissé les perspectives d'avenir dans un ouvrage
de 320 pages, publié en 1985, "Sophia Antipolis -
A la Conquête de l'An 2000" . Je me contenterai
donc ici, de revenir sur certains points et de les
préciser. L'inspirateur de la technopole, alors que
le mot lui-même n'existait pas, fut
incontestablement Pierre Laffitte, Directeur de
l'Ecole des Mines de Paris. Ayant une juste et
rare vision de l'avenir, il sut faire partager sa
foi à Francis Palméro, Président du Conseil
Général, puis au Préfet, René Georges Thomas, à
Jérôme Monod, Délégué à l'Aménagement du
Territoire et à l'Action Régionale ainsi qu'à de
nombreux Chefs d'Entreprises. Il sut prendre des
risques personnels pour lancer l'opération.
Celle-ci exigeait des moyens considérables et des
concours nombreux. Au surplus, les possibilités
d'actions individuelles sont, de nos jours, des
plus limitées. Notre civilisation est caractérisée
par la complexité et le travail collectif. Notre
système administratif repose sur la méfiance à
l'égard de l'individu, le partage des
responsabilités et la multiplication des
contrôles. Le Département des Alpes-Maritimes
avait un besoin vital de diversifier son économie.
Il s'intéressa aussitôt au projet de Pierre
Laffitte. Il le prit à son compte en en
élargissant considérablement les objectifs. Il
participa à l'Association Sophia Antipolis.
L'adhésion des cinq communes à l'opération s'avéra
indispensable, nécessaire le concours de l'Etat,
souhaitable celui de la Chambre de Commerce et
d'Industrie. Un consensus entre ces divers
partenaires réunis au sein d'un Syndicat Mixte
était nécessaire: il fut parfois ambigu. Parmi les
représentants des membres associés, on me désigna
trois francs-maçons d'obédiences différentes et un
ancien collaborateur . Personnellement, j'y ai
décelé quelques sceptiques et de simples
figurants. Chacun avait sa personnalité, ses
qualités et ses défauts. Rares étaient ceux qui
acceptaient totalement de tenir compte des autres,
de subordonner l'intérêt général à leur petit
amour propre. Le "mal français" est avant tout le
mal des Français: l'individualisme!... Cet
individualisme ne concerne pas seulement les êtres
humains mais les collectivités elles-mêmes.
Chacune ne voit que son intérêt propre et
n'accepte pas de céder quelques profits immédiats
pour récolter davantage à terme. Ainsi l'article
11 des statuts du SYMIVAL prévoyant une
péréquation des taxes professionnelles n'a pu être
appliqué. Ainsi, Sophia-Antipolis (pas plus que
Marseille) n'a pas su (comme Lyon) profiter des
avantages du District (à défaut de la Communauté
Urbaine)... Pierre Laffitte ne cessa de se proclamer
"urbi et orbi" le père de Sophia. Cela est, en
grande partie, indiscutable... sur le plan
spirituel. Cela l'est beaucoup moins
matériellement parlant. Mais les médias l'ont
admis, une bonne fois pour toute, oubliant souvent
que de nombreuses autres collectivités et
personnalités participent aux décisions et aux
réalisations: l'Etat, surtout au début; le
Département des Alpes-Maritimes qui s'engagea
financièrement de plus en plus; la Chambre de
Commerce et d'Industrie qui apporte son concours
technocratique, commercial et économique; les
communes qui fournissent les terrains. Pierre
Laffitte, devenu Sénateur au décès de Francis
Palméro dont il était le suppléant, joue un grand
rôle mais il aurait pu faire mieux avec un brin de
diplomatie, de souplesse et quelques compromis. On
doit, en tout cas, le créditer d'une foi sans
défaillance, d'une grande persévérance dans
l'action, de constance dans l'occupation du
terrain et d'une grande compétence dans le domaine
de la haute technologie. A partir du moment où, l'affaire parut
devoir réussir, chacun voulut s'en glorifier et se
l'approprier. Cela, je me suis efforcé de le
combattre en répartissant aussi équitablement que
possible les mérites de chacun dans mon livre et
divers articles. Des divergences regrettables et
des rivalités préjudiciables survinrent. Quelques
erreurs ou maladresses furent commises.
L'Association fut cantonnée dans les seules
activités d'animation et son rôle fut souvent
injustement apprécié. L'Etat et le Département
attachèrent trop d'importance aux aspects sociaux
et politiques. La Chambre de Commerce et
d'Industrie s'en tint trop exclusivement aux seuls
aspects économiques et techniques. Les communes
recherchèrent tous les avantages sans s'engager
financièrement ni apporter un minimum de rigueur
dans la gestion. Et, pourtant, Sophia-Antipolis
s'engagea de plus en plus sur le chemin de la
réussite et de la notoriété. Je fus mis à la disposition du Syndicat
Mixte aménageur du Parc International d'Activités
de Valbonne Sophia-Antipolis le 3 juin 1975. Cette
"mise à disposition" ne reposa sur aucune base
juridique. Nommé Directeur Administratif et
Financier du SYMIVAL, j'ai continué à dépendre de
la Préfecture et du Ministère de l'Intérieur. Ma
rémunération, toujours à la charge de l'Etat, ne
fut pas modifiée. Je n'ai bénéficié ni des
avantages consentis à la plupart des membres de la
Délégation, puis de la SAEM, ni même d'une voiture
de service. Disposant d'une double casquette
(préfectorale et syndicale), il me fallut, en
priorité, donner au SYMIVAL quelques moyens
financiers. J'eus à l'imposer auprès de la Chambre
de Commerce et d'Industrie à qui le Préfet
Lambertin avait, un peu imprudemment, laissé
espérer une totale liberté. Je dus aussi
l'affranchir d'une excessive emprise de la DATAR,
bref contribuer à lui donner une certaine
personnalité. Tout cela, d'ailleurs, en
application de directives de M. Silberzahn,
Sous-Préfet de Grasse, à qui le Préfet avait
confié le dossier de Sophia et en plein accord
avec mon Président, Francis Palméro. Celui-ci ne
fut pas omniprésent. Il n'intervînt qu'à bon
escient, fut un excellent conciliateur et me fit
la plus large confiance: ce dont j'eus le plus
besoin mais qu'il est souvent si difficile de
trouver, dans l'Administration Départementale du
moins dans les Services classiques et sous la
lourde hiérarchie préfectorale!... Avec M. Lambertin, nos rapports auraient
pu être bons; ils furent simplement corrects et,
en définitive, assez froids. Le Préfet n'avait pas
su me cacher certains de ses préjugés à l'égard
des "Pieds-Noirs". Il cherchait à paraître très
autoritaire mais était assez hésitant. Très
attaché à la forme juridique, il lui manqua
peut-être un peu de ce qui fit la force de
l'Administration Algérienne: savoir s'inspirer de
l'esprit des textes sans en être esclave. Avec Claude Girod, j'eus des entretiens
quotidiens. Nous partagions nos préoccupations et
recherchions, sans relâche, les bonnes solutions,
multipliant notes d'informations et propositions.
Je lui ai accordé la considération traditionnelle
des Directeurs de Préfecture à l'égard des membres
du Corps Préfectoral bien qu'il ait cessé d'en
faire partie et que je n'aie en rien été
subordonné à la Mission Interministérielle. Malgré
nos âges et nos tempéraments différents, nous nous
sommes complétés et avons noué des liens d'amitié. Grâce à Pierre Costa, encore Chef du
Personnel avant d'être nommé Préfet puis de
revenir à Nice comme Directeur Général des
Services Départementaux, je pus emmener avec moi
ma secrétaire Josette Diaz. Elle aussi, en près de
25 ans de collaboration, est devenue une amie.
Elle m'a été - et me reste - précieuse. Emmanuel
Exposito dont j'ai apprécié le caractère enjoué et
l'égalité d'humeur, a été un excellent
collaborateur. Peut-être aurais-je dû leur laisser
plus d'initiatives: ils ont prouvé avec Alain
Catroux, mon successeur en 1983 à la Direction du
SYMIVAL, qu'ils étaient capables d'assurer plus de
responsabilités.Nos rapports avec le Général Ivan
Belasco, Directeur de l'Association Sophia
Antipolis, ont été souvent difficiles mais nous
nous sommes estimés profondément et cela nous a
permis de franchir des étapes décisives. Adrien
Corbière, acharné à convaincre et incapable de
toute concession, m'impatienta souvent. Nos
rapports avec Marc Reynaud, Christian Cabrol,
Catherine Bommelaer, les époux Vassort, Serer et
tant d'autres furent cordiaux. Je suis fier de
l'estime - devenue amitié - que me manifesta le
Président Maurice Bosquet. J'ai apprécié aussi la
constante courtoisie de Jean-Jacques Robert, un
des meilleurs Présidents de la Chambre de
Commerce. L'arrivée au pouvoir des socialistes et
de leurs alliés communistes, en mai 1981, altéra
rapidement l'atmosphère administrative. Au début
de la décentralisation, le Préfet prit ses
distances avec l'opération Sophia Antipolis avant
même la prise de pouvoir effective du Président du
Conseil Général. La présidence de la Mission
Interministérielle se trouva elle-même, un certain
temps vacante. Celle de M. Palméro fut contrariée
par de sérieuses atteintes à sa santé. Le problème
du logement - après la fameuse Loi Quillot -
risqua de compromettre notre équilibre financier.
La Direction du SYMIVAL me parut soudain bien
lourde et l'avenir incertain. Je crus que mon
départ susciterait les réformes structurelles que
je considérais comme indispensables. Il se trouva
facilité par une opportunité à saisir: elle me
permettait d'être promu pour ordre à Marseille,
dans mon cadre d'origine (les Préfectures) sous
réserve de libérer mon poste au bout de six mois.
Je pris donc ma retraite à compter de février
1983, pour mon 62ème anniversaire, n'acceptant pas
l'offre de Francis Palméro qui souhaitait me
conserver à la Direction du SYMIVAL. De nombreuses
candidatures se manifestèrent pour me succéder
soit spontanément (comme celles de Santamaria,
Ingénieur des Travaux Publics à la DDE ou
d'Escavi, du Service foncier) soit, sur suggestion
de Claude Girod, celle d'Alain Catroux, Délégué
Général du Bureau d'Industrialisation. J'ai
soutenu celle-ci. Elle fut agréée. Ancien
assureur, ayant été Adjoint au Maire de Cannes,
Catroux avait d'excellentes relations avec les
élus locaux et les milieux professionnels. Peu
administratif mais surtout homme de terrain,
agissant avec souplesse et diplomatie, il sut
s'entendre avec M. Palméro puis avec Pierre Donnet
qui lui succéda, après son décès, en juin 1985.
Tous deux réussirent à traverser sans encombres
les périodes agitées que connut le SYMIVAL,
parfois contesté par le Club des Dirigeants et,
même la Chambre de Commerce et d'Industrie. Pour ma part, j'ai été nommé Conseiller
Technique à temps partiel, pour six mois, sur
proposition de M. Palméro. Ma rémunération fut
minimale: elle compensa simplement la perte de mes
indemnités mensuelles de Directeur de Préfecture.
M. Lambertin consentit à mon recrutement par le
SYMIVAL en souhaitant que ma mission ne fut pas
renouvelée (?). Elle le fut 14 fois et mon retrait
définitif ne tint qu'à moi... Je n'ai pas
travaillé beaucoup avec Michel Lafon, arrivé en
1981 à la Fondation où il ne tarda pas à remplacer
Ivan Belasco. Parfois désorienté par la difficulté
des relations humaines dans les Alpes-Maritimes,
il paraît avoir réussi, surtout d'ailleurs comme
Délégué Général aux Télécommunications. J'ai
apprécié aussi la cordialité de mes relations avec
Vergniaud, Ludmilla Spyridakis, Monique Aillaud,
Roselyne Koskas et tant d'autres... En définitive, la durée de mes services
au SYMIVAL a été de quinze ans, jusqu'au 3 août
1990. Dans mes dernières fonctions, je me suis
efforcé d'être discret et de n'empiéter en rien
sur les prérogatives de mon successeur à la
Direction Syndicale. Je me suis spécialisé dans
les relations publiques, l'information et la
promotion. J'ai bénéficié d'une exceptionnelle
liberté d'action et d'une absence totale de
directives ou de critiques. Les approbations,
elles-mêmes, furent rares et souvent tacites. J'ai
commencé par élargir l'information donnée en 1979
(3 lettres aux Administrateurs Syndicaux) puis de
1980 à 1985 ("SYMIVAL AN VII" à "SYMIVAL AN XII"
qui furent adressés également aux Conseillers
Généraux, aux Parlementaires, à certains Maires et
à la plupart des Chefs de Services
Administratifs). Pendant près de deux ans, je me
suis consacré à la préparation de "Sophia
Antipolis - A la Conquête de l'An 2000". Je l'ai
fait publier, à titre personnel, pour essayer
d'éviter l'approbation exclusive par quelques uns
des mérites d'une participation à une oeuvre
collective. A la demande de Pierre Donnet, j'ai créé
"SYMIVAL ACTUALITÉS", un bulletin trimestriel
enregistré à la Commission Paritaire de la Presse
sous le n° 2025 ADEP. J'ai obtenu, pour la
maquette et certains titres, le concours d'un ami
journaliste, Jean Brua (fils d'Edmond Brua). Puis
j'ai demandé à deux jeunes dessinateurs (Laurin et
Grossi) d'y coopérer. Ils qualifièrent le vert
initial de couleur froide et le remplacèrent par
un fond ocre, une couleur chaude . Mais ils
utilisèrent aussi des bandeaux noirs qui furent
jugés un peu funèbres. Catroux souhaitait le
recours à la quadrichromie. Je fis un essai à
l'occasion du numéro de janvier 1988 destiné à
lancer un projet de golf. Le coût n'en fut pas
estimé incompatible avec les finances syndicales.
Je pus continuer à l'utiliser. "SYMIVAL
ACTUALITES" devînt une véritable revue à laquelle
j'ai consacré beaucoup d'intérêt et de soins:
choix des sujets, des personnalités à interviewer,
rédaction, illustrations, composition, correction
des épreuves, avec le constant souci de contribuer
à la promotion de Sophia et à l'union de ses
artisans. J'avais eu l'idée de symboliser les
élipses du sigle du SYMIVAL par la grande roue
d'un Parc d'attractions. Je l'avais faite
photographier sous tous ses angles par Martinetti
un photographe niçois de talent, ancien
collaborateur de M. Palméro aux Chemins de Fer de
Provence. Laurin en tira le dessin d'une main
satellisant sur orbites les cinq communes du
Syndicat Mixte, comme on jette des dés sur une
table de jeu. Pour "la quatre de couverture" de ce
même numéro (le dixième), j'ai repris
l'illustration de mon livre. Il m'apparut, après
coup, que les couleurs de "la une" s'harmonisaient
mal avec celles de "la quatre". Les couleurs du n°
12 s'assortirent mieux mais j'ai trouvé un peu
grinçants et manquant d'optimisme les dessins de
Laurin: ils ne donnaient pas à Sophia l'image
souhaitable. Bouronne, Directeur Général de la
SAEM, les critiqua lui-même en des termes qui me
déplurent et m'incitèrent à mettre un terme à mon
contrat mais il dût lui-même partir, un peu
précipitamment... J'ai donc continué. J'ai suggéré
à notre imprimeur de faire dessiner une couverture
symbolisant l'attractivité de Sophia sur les
cadres étrangers. Cela fut trés heureusement
réalisé. Toujours dans un souci d'oecuménisme et
de promotion, j'ai demandé à François Kester,
Secrétaire Général de la Chambre de Commerce et
d'Industrie, de traiter de l'impact économique de
Sophia Antipolis: il le fit avec brio. Comme toujours, un numéro à peine bouclé,
il fallait penser au suivant car un trimestre
passe vite!... Avril 1989 coïncidant avec les 20
ans de l'idée sophipolitaine, j'ai consacré le n°
14 à cet anniversaire qui donna lieu à diverses
manifestations promotionnelles organisées par
Pierre Laffitte. Le dossier du n° 15 fut consacré aux
jeunes. J'y ai moi-même contribué en invitant la
fille de mon ancien boulanger, devenue ingénieur
dans une grande entreprise internationale de la
technopole. Je l'ai interviewée car son histoire
est exemplaire: elle correspond à l'objectif des
promoteurs de l'opération d'aménagement du Parc
International d'Activités Sophipolitain. Ce
dossier fut illustré, en couverture, par la
photographie de la gracieuse compagne de Frédéric
Grossi, mon maquettiste. J'ai parfois utilisé dans
la revue syndicale des photographies que j'ai
moi-même réalisées, bien entendu, sans réclamer
des droits d'auteur!... Un dossier sur l'aménagement fut confié à
une jeune étudiante en communication, nièce d'une
camarade de club et descendante d'un grand
mathématicien de la Révolution. Je l'ai fait
illustrer par une carte routière, sur-dessinée, à
ma demande par la DDE. J'ai moi-même risqué un éditorial
consacré à l'importance du détail. Mais, à ma très
grande confusion, je l'ai commencé par un "Et
bien..." au lieu de cet "Eh bien..." qu'exigeait
un français décidemment bien pointilleux!... Pour
"la quatre de couverture", j'ai utilisé la belle
illustration, à la fois figurative et informatique
de la .Florence du XXème siècle . Elle aurait
probablement mérité d'être adoptée pour symboliser
la Technopole Sophipolitaine. Mais elle avait le
label N.I.H. (Not Invented Here) puisqu'imaginée
par la Fondation Sophia Antipolis (ou le CAD?). La
SAEM, un peu ingrate à l'égard des orbites
adoptées par le Président Palméro, lui préféra une
chouette sinistre puis, en mars 1990, un logo-type
moderne, genre ectoplasme, réalisés à grand frais
avec recours à des spécialistes de la
communication... "Construire l'avenir" fut magnifiquement
illustré par nos maquettistes. Marie Hélène Monge
traita de l'image de Sophia "dans le miroir de la
presse". Dans le n° 18, j'ai tenté d'inciter les
détracteurs du SYMIVAL à la patience par un texte
plusieurs fois amendé voire aseptisé. Moi-même,
j'ai cru devoir censurer le drapeau rouge orné de
la faucille et du marteau qu'on m'avait proposé
(non sans à propos) pour illustrer un article de
Roselyne Koskas sur l'économie de marché dans les
pays de l'Est: il aurait probablement suscité des
réactions regrettables. Après le coup de gueule d'Yves Crépet,
Président du Club des Dirigeants, la Chambre de
Commerce et d'Industrie et la SAEM cherchèrent à
créer leur propre politique d'information. Très
habilement, Alain Catroux et Pierre Donnet surent
les cantonner dans le domaine technique,
rechercher le concours de professionnels de la
communication et se concilier Nice-Matin . A l'approche de mes 70 ans, j'ai estimé
qu'il était temps de prendre du champ. Je me suis
encore consacré à la publication du n° 14 qui fut
le dernier "SYMIVAL ACTUALITÉS". J'y ai annoncé de
nouvelles orientations, donné un nouveau coup de
projecteur sur le Club des cinq Communes du
Syndicat Mixte, fait rédiger un article sur la
coopération Université -Entreprises et présenter
le Club des Technopoles. Évoquant le 5ème
anniversaire du décès du Président Francis
Palméro, j'ai annoncé la cessation de mes
fonctions en août 1990 et le départ à la retraite
de Claude Girod. J'ai exercé mes fonctions au SYMIVAL une
quinzaine d'années sept ans à la Direction, huit
comme Conseiller Technique. Ces dernières ont
constitué une utile transition vers ma retraite
définitive... et des occupations personnelles... Un des handicaps majeurs de 1'opération
Sophia Antipolis fut, au moins dans sa phase
initiale, une assise financière longtemps
précaire. Le SYMIVAL put bénéficier de quelques
emprunts avantageux mais d'aucun fonds de
roulement. Les subventions de l'Etat lui furent
attribuées selon la règle habituelle, à
posteriori, après réalisation des travaux. Les
crédits de fonctionnement furent des plus limités
mais, fort heureusement, la Préfecture puis le
Conseil Général fournirent gratuitement certaines
prestations: locaux, mobilier, matériels divers,
fournitures de bureau, photocopies, frais
postaux... tandis que l'État prenait en charge mon
traitement. Préfet et Conseillers Généraux,
échaudés par l'opération de Carros-le-Neuf,
redoutaient l'éventuelle mise en jeu des garanties
d'emprunts. Ils subordonnèrent parfois
l'engagement des travaux à la commercialisation de
terrains aménagés. Ce ne fut pas toujours sans
incidence sur leur coût! Ces difficultés nous
obligèrent à beaucoup de rigueur et nous
contraignirent à des efforts d'imagination. Je
réussis, au tout début, alors que nos besoins
étaient grands, à utiliser une subvention allouée
au Département; lorsque - honnêtement - je voulus
la restituer, cela fut impossible, personne
n'acceptant de reconnaître une part de
responsabilité dans l'erreur... Grâce à ma double
casquette, je pus longtemps certifier, au nom du
Préfet, les subventions de l'État que je recevais
au titre du SYMIVAL. Cela comportait d'évidents
avantages! Grâce à l'intelligence du Trésorier
Payeur Général, je pus faire bénéficier le
Syndicat Mixte d'importants intérêts de fonds
placés en démontrant que, soumis aux règles de la
comptabilité communale, celui-ci ne bénéficiait
pas comme les communes - et pour cause! -
d'avances sur recettes fiscales. L'opération fut
et reste victime de la sacro-sainte devise
républicaine: Liberté - Egalité - Fraternité . En
France, on refuse à la Province - mais pas
toujours à la Région Parisienne! - toute
originalité, tout élitisme, tout traitement
particulier. Sophia Antipolis justifierait
pourtant des mesures spécifiques, des
investissements massifs et d'une direction unique
pour confirmer et étendre un succès qui n'est pas
seulement le sien mais celui de la France tout
entière. Il lui fallait, par exemple, des
logements pour l'accueil de ses cadres. Mais des
logements spécifiques, adaptés à ses seuls
besoins. Or, l'Administration (Préfecture, DDE et
Communes) a voulu les utiliser pour régler le
problème général de l'habitat social dans les
Alpes-Maritimes... Ce n'est d'ailleurs pas
seulement à Sophia Antipolis que se pose le
problème d'une législation, d'une réglementation
et de procédures adaptées,en fait,seulement à une
partie de la population. Des droits sont donnés à
tous mais rien n'oblige vraiment des marginaux, de
plus en plus nombreux, à accomplir leurs
devoirs... Il reste que Sophia Antipolis est un
succès auquel je suis heureux d'avoir participé.
Je lui souhaite sincèrement un bel avenir.
10 - Cannes - Délégation Spéciale
Janvier 1990
Faire partie pendant un
mois d'une "Délégation Spéciale" fut pour moi une
intéressante expérience dont je n'ai peut-être pas
pleinement profité. En mars 1989, le Maire
sortant, Mme Anne-Marie Dupuy (RPR) avait été
battue de 581 petites voix par son ami politique
Michel Mouillot (UDF), après une campagne
"excédant les limites de ce qui peut être toléré
dans le cadre de la polémique". Sur recours d'un
colistier de Mme Dupuy, d'abord repoussé par le
Tribunal Administratif, le Conseil d'État décida
de nouvelles élections. Pour remplacer
provisoirement le Conseil Municipal, une
Délégation spéciale constituée "de hauts
fonctionnaires compétents en matière de gestion
communale" prit le relais pour les affaires
courantes et urgentes. Dans les tous derniers
jours de décembre 1989, je fus téléphoniquement
pressenti par M. De Charrieres, Directeur du
Cabinet du Préfet pour en faire partie. Un peu
surpris d'être choisi par un Préfet socialiste
implacable adversaire de Jacques Médecin dont je
dépendais - alors- administrativement mais, en
définitive, un peu flatté, j'ai accepté après une
courte hésitation. Le 1er janvier 1990, la
Délégation Spéciale fut composée d'un Préfet
honoraire, de moi-même "ancien Directeur de
Préfecture", d'un Lieutenant Colonel en retraite,
d'un Trésorier Principal honoraire et d'un
Substitut honoraire. Ces cinq "sages" tinrent leur
première réunion dans le vaste Cabinet du Maire de
Cannes, dès le 2 janvier. Ils désignèrent leur
Président qui fut tout naturellement le Préfet
Claude Charbonnaud et, sur ma proposition un
Vice-Président, M. Victor Robin, leur doyen. Je
reçus délégation pour assurer la gestion des
affaires municipales en ce qui concerne
l'Éducation, les Affaires Sociales et le 3ème âge,
l'Hygiène et la Santé et, à ma demande, le
Tourisme. M. Robin fut Délégué aux Services
Techniques, M. Lassays au Personnel, à l'État
Civil et aux Cimetières. Les finances furent tout
naturellement confiées à M. Michel, ancien
Trésorier. Je pouvais éventuellement suppléer M.
Lassays et aurais aimé procéder à un mariage mais
n'en eus ni le temps ni l'occasion. Dès notre
première réunion, je fis noter que nous allions
assurer des fonctions d'Adjoint (et non de simples
Conseillers Municipaux) ce qui allait nous
permettre de bénéficier des indemnités de fonction
correspondantes. Le Secrétaire Général nous
présenta les Chefs de Services Municipaux et nous
eûmes aussitôt à signer nos premiers documents
car, dans les Mairies, les fonctionnaires n'ont
pas délégation de signature. J'ai occupé - très
peu - le luxueux bureau du Premier Adjoint (un
ancien Ambassadeur) juste au-dessus de celui du
Maire, au 2ème étage de l'Hôtel de Ville, face au
port et au Suquet. J'avais un autre bureau dans
l'Annexe et eus à me déplacer dans d'autres
bâtiments pour rencontrer mes Chefs de Services.
J'obtins voiture officielle et chauffeur pour mes
déplacements entre Nice et Cannes que je pus
limiter, à deux par semaine. Bien évidemment, le
Président fut plus assidu à la Mairie, de même que
mes collègues de Cannes, libres d'autres
obligations professionnelles. La Délégation se
réunit généralement le lundi. Nos principales
décisions collectives furent l'octroi de
subventions en principe limitées au 1/12ème
provisoire sauf nécessité à apprécier. J'eus
l'occasion de représenter mon Président à un
déjeuner clôturant le "Plan de Communication
Retraites". J'eus ainsi l'opportunité d'apprendre
que je pourrais bénéficier d'une petite retraite
de la CRAM pour mes services rémunérés par le
SYMIVAL depuis 1983. Nous accueillîmes les
Commandants de deux bâtiments de l'US Navy lors de
leur visite protocolaire. J'ai déjeuné dans le
Centre d'Apprentissage Municipal. Avec Dilette,
nous assistâmes à un ou deux beaux spectacles au
Palais des Festivals. Notre mission prit fin
rapidement et nous nous sentîmes presque frustrés
tant nous commencions à y prendre goût. La
passation des pouvoirs donna lieu à une cérémonie
officielle et à des propos courtois. Nous avions
préparé en commun l'allocution de notre Président
et j'avais suggéré "l'hommage appuyé" qu'il fit à
la machine administrative et aux personnels
municipaux. M. Mouillot fit état de notre grande
crédibilité, de notre compétence et de notre
disponibilité. Il nous remercia et souhaita que
nous restions amis. J'eus droit à deux lettres
personnelles du Préfet et du Maire. J'eus
l'occasion de renouer avec deux nouveaux Cannois,
d'anciens Préfets connus à mes débuts, à
Constantine: MM. Jacques Juillet et Pierre
Cazejust.
11 - Syndicalisme et défense
corporative
a) Les Syndicats J'ai
évoqué, par ailleurs, le démarrage de ma carrière
syndicale: une vaine tentative pour éviter les
aléas d'un concours jugé superfétatoire. Avec
plusieurs collègues, rédacteurs temporaires, nous
estimions, en effet, avoir déjà concrètement
prouvé notre aptitude à la Fonction Publique.
Spontanément, j'ai eu la conscience de la
nécessité de défendre les fonctionnaires contre
les lourdeurs administratives et l'arbitraire des
Chefs. Je ne connaissais guère d'autres milieux
professionnels mais je pressentais que, partout,
il fallait faire respecter ses droits. Pour moi,
les Syndicats étaient tout aussi indispensables et
tout aussi respectables que les Chambres
Consulaires, les associations, groupements et
clubs divers dissimulant mal, sous des bannières
philosophiques ou philanthropiques, des objectifs
ou intérêts essentiellement particuliers.
J'ignorais alors tout des obédiences syndicales. A
la Préfecture de Constantine où j'ai débarqué en
juin 1946, on attendait avec une grande impatience
des renforts en personnel. J'y fus, dès 1949,
recruté dans l'équipe syndicale par Robert Maury,
un Chef de Bureau de classe, avec Henri Guérin et
quelques autres jeunes collègues. Le Syndicat
regroupait alors la quasi totalité d'un personnel
peu nombreux et exceptionnellement uni. Il était
indépendant et j'appris plus tard que cette
indépendance remontait à la scission C.G.T./F.O.
de 1947. En mars 1951, j'ai succédé à Robert Maury
comme Secrétaire Général du Syndicat. J'en ai
assuré la direction jusqu'à mon départ pour Alger,
en juillet 1956. Cette tâche m'a mis en valeur et
m'a procuré de nombreuses satisfactions. Elle a,
notamment élargi des fonctions administratives où
je me trouvais parfois un peu trop encadré. J'ai
été à l'écoute attentive de nos adhérents des
divers cadres, tout en sachant décider. J'ai
bénéficié, à cet égard, d'un crédit suffisant
d'estime et de confiance. Et, ce faisant, j'ai su
conserver des relations satisfaisantes avec la
hiérarchie. M. Tony Roche, mon Secrétaire Général,
a estimé en me notant que je ne devais "pas
laisser émousser (mon) sens du commandement". Mais
le Préfet Maurice Papon, futur Ministre, a
qualifié un jour d'intelligente mon action
syndicale. En dehors d'Henri Guérin et d'autres
collègues rédacteurs, j'eus comme Adjoints deux
jeunes Commis ou Auxiliaires, un musulman,
Benamoun (qui devint Sous-Préfet) et un israélite,
Bismuth: en Algérie, on n'était pas aussi racistes
qu'on le dit et qu'on le fut parfois ensuite en
métropole, même aux pires moments
d'affrontement!... Le bulletin mensuel que j'ai
fait éditer et que j'ai rédigé personnellement en
grande partie nous donna de l'importance. Mais un
de mes éditoriaux agaça mon Secrétaire Général,
Pierre Cazejust, qui crut devoir m'adresser par
écrit de solennelles remontrances et justifier les
demandes "d'éléments de réponse" du Cabinet
Préfectoral: je les avais considérées comme trop
fréquentes, souvent inutiles et détournant les
services de tâches plus importantes. Petit à
petit, je me suis rapproché des Syndicats Algérois
et Oranais des Préfectures. J'ai suscité la
création d'un Comité d'Entente car la Préfecture
de Constantine me paraissait défavorisée par
rapport aux deux autres. J'en ai assuré la
présidence alternativement, une année sur trois.
Mes démarches auprès du Secrétaire Général chargé
du Personnel étaient fréquentes. Nous étions
également en contacts réguliers avec les Chefs des
Bureaux des Préfectures et les Directeurs de la
Fonction Publique tant au "G.G." qu'au Ministère
de l'Intérieur et nous nous déplacions parfois à
Alger et à Paris. J'ai participé à l'organisation
des élections en vue de la constitution de
Commissions Administratives ou de Comités
Techniques Paritaires et en ai été souvent membre.
C'était lourd et pas tellement productif!... J'ai
eu l'occasion de pousser un Chef de Division vers
la retraite et à obtenir une répartition plus
satisfaisante des crédits votés par le Conseil
Général pour l'achat de mobilier A maintes
reprises, je suis intervenu pour l'augmentation
des effectifs des Préfectures. Ayant eu
connaissance d'une ordonnance du 15 juin 1945
relative aux candidats aux Services Publics
empêchés d'y accéder ou n'ayant pu bénéficier de
conditions d'avancement plus favorables, j'ai mené
une action persévérante auprès du "G.G." et de
"l'Intérieur". Cela m'a permis de bénéficier en
1960, avec 5 autres collègues, d'une
reconstitution de carrière avantageuse. Nous
souhaitions pour les personnels des Préfectures
Algériennes des statuts à la mesure de leur
importance par rapport à la plupart des
Préfectures métropolitaines. Nous nourrîmes
longtemps, à cet égard, des illusions qu'entretint
hypocritement le Gouvernement Général. Grâce à une
lettre du Préfet Graeve à son collègue Papon,
j'eus connaissance de la position ministérielle:
elle était ancienne, ferme et constante. Après une
ultime démarche à Paris, j'ai estimé qu'il ne
fallait plus s'acharner à un vain combat. J'ai
incité mes amis des trois Préfectures d'Algérie à
accepter l'intégration de nos cadres A et B dans
les cadres nationaux. Heureuse décision qui nous
fut fort utile après l'indépendance et le repli en
catastrophe sur la métropole!... Une fois acquise
cette intégration, j'ai entretenu des contacts
étroits avec les trois Syndicats Nationaux des
Préfectures (FO, CFTC et C.G.T.) pour apprendre à
les connaître. J'aurais souhaité qu'ils s'unissent
mais on me fit sentir combien cela était
impossible voire utopique. Après une longue
période d'observation, j'ai constaté que, dans
"nos maisons", le syndicat FO était le mieux
structuré, le plus sérieux, le plus puissant. J'ai
favorisé la visite à Constantine, en mars 1951, de
son Secrétaire Général, René Auzanneau, un tribun
ardent, à l'organe sonore, à l'éloquence
brillante, à la conviction communicative. Le 20
avril 1953, faisant preuve d'une cohésion et d'un
réalisme remarquables, les Chefs de Division et
Attachés Constantinois décidèrent - à l'unanimité
moins une voix - d'adhérer, à titre individuel, au
Syndicat FO. En mai 1954, j'ai, pour la première
fois, représenté les Préfectures d'Algérie au
Congrès National FO des Préfectures. Celui-ci
s'est déroulé à Nice, dans la magnifique salle du
centre universitaire méditerranéen créé par Paul
Valéry. J'ai été impressionné par la compétence
des Syndicalistes métropolitains. Avec Dilette qui
m'avait accompagné, nous avons été éblouis par
Nice et Menton. Nous fûmes invités à plusieurs
somptueuses réceptions ainsi qu'à une sortie en
mer sur "le Gallus". Nous bénéficiâmes d'un temps
de rêve. La gaieté des collègues métropolitains
et, surtout, leur décontraction et leur extrême
familiarité nous sidérâmes. En mai 1955, j'ai été Délégué à un second
Congrès, à Paris et, à mon retour, au cours d'une
Assemblée Générale Extraordinaire, j'ai fait
décider l'adhésion globale et complète de nos
adhérents au Syndicat National. Malgré nos
appréhensions, notre Syndicat Local conserva la
quasi totalité de ses 259 membres. L'année
suivante, j'ai organisé des manifestations à
l'occasion du Xème anniversaire du Syndicat
Constantinois. J'y ai invité des collègues du
Comité d'Entente (Maclet et Azoulay d'Alger,
Candela d'Oran, notamment) et trois représentants
du Syndicat National (Ducrocq, successeur
d'Auzanneau et qui faisait honneur à notre cadre,
Dilhan, de Foix et Rouvière, de Lyon). Ce fut une
totale réussite. J'ai essayé, à cette occasion, de
rallier nos collègues métropolitains à l'idée de
l'Algérie Française. Mais je me suis aperçu en
1962, que comme la plupart des Français, ils
avaient des idées bien fausses et très
conformistes, sur le problème... Le Syndicat
Oranais a fini par rejoindre les rangs de Force
ouvrière mais Alger est resté farouchement
indépendant. Lorsque j'y ai été muté, j'ai
continué à entretenir les meilleures relations
avec mes collègues Azoulay et Bignon. J'ai
collecté les cotisations d'adhérents individuels
au Syndicat National mais j'étais dans un service
trop marginal pour pouvoir continuer une véritable
action syndicale. Les temps étaient d'ailleurs
venus où il fallait commencer à songer à ma
promotion au grade de Chef de Division. Mon
affectation algéroise aurait pu la contrarier car
j'entrais en concurrence avec de nombreux
collègues plus anciens; elle l'a, au contraire,
favorisée et je l'obtins en 1959 avant même mon
collègue Bignon, un Attaché de grande qualité,
fils de l'ancien Caissier Principal de papa, à la
Banque de l'Algérie. Rapidement, je pus d'ailleurs
constater combien était difficilement conciliables
fonctions de direction et action syndicale. A la
Préfecture de Bône, créée en 1956, l'arrivée de
fonctionnaires métropolitaines mit rapidement fin
à l'unité syndicale que nous avions réussi à
préserver à Constantine. Dans les premiers mois de l'année 1962,
la défaite de la France en Algérie et l'avènement
prochain de l'Algérie algérienne apparaissaient
inéluctables. Les accords d'Évian du 16 mars
furent loin de mettre un terme à la profonde
inquiétude des populations européennes. Ils
n'allaient pas tarder à se révéler une immense
duperie. Fonctionnaires et assimilés se
rassemblèrent le 24 mars 1962 en un Cartel de la
Fonction Publique. Ils réclamèrent l'assurance de
conserver leur place dans la Fonction Publique
Française et de ne pas être maintenus d'office en
Algérie. Le Comité d'Entente des Syndicats du
Personnel des Préfectures et sous-préfectures
d'Algérie décida d'adhérer au cartel et, avec
Azoulay, nous participâmes à quelques réunions,
Boulevard Baudin, à la maison des étudiants. MM.
Guillaumat, Ministre de la Fonction Publique et
Christian Fouchet, Haut Commissaire de la
République en Algérie, donnèrent des assurances.
Et la situation des fonctionnaires et cadres de
l'État en service en Algérie fit l'objet d'une
ordonnance, le 30 mai 1962. L'exode des européens,
notamment des femmes et des enfants, avait déjà
commencé. Il s'accéléra à la mi-juin. La plupart
des fonctionnaires d'Algérie réclamèrent leur
intégration dans les cadres de l'État et leur
affectation en France. Cela demanda souvent
plusieurs mois. Certains attendirent la décision
les concernant en métropole refusant de rejoindre
l'Algérie après un congé. Ils ne furent pas
toujours bien accueillis dans l'hexagone. La
plupart eurent du mal à s'y adapter. Ils
découvrirent souvent avec surprise que le soleil y
était rare même au sud de la Loire et les
températures assez fraîches...En juin 1962, peu avant la débâcle,
j'avais encore participé à un Congrès National du
Syndicat FO, à Grenoble: J'avais tenu à y exprimer
les soucis de mes compatriotes Algériens et
cherché à recueillir le maximum d'informations sur
les possibilités qui leur seraient offertes.
J'avais aussi défendu la cause des Chefs de
Division, estimant que le train des revendications
des personnels des Préfectures devait, certes,
être poussé par la base mais également, tiré par
le sommet de la hiérarchie. Cela n'a jamais été
facilement admis. En France - et cela crève les
yeux depuis que le régime socialiste s'est
installé - on est anti-élitiste. On veut l'égalité
parfaite même si l'égalisation se fait par le bas.
Dans les Préfectures, parmi le personnel, les
Chefs de Division font figure de privilégiés: ce
sont "des gros". A la lutte des classes, se
substituent les jalousies hiérarchiques et
corporatives. Au Ministère de l'Intérieur, au
surplus, on a tendance à servir le Corps
Préfectoral et la Police avant les Préfectures et
leurs cadres. Enfin, dans la Fonction Publique
Française, on constate la suprématie des Préfets
dans l'Administration Départementale!... Avec
Dilette, nous profitâmes de notre voyage à
Grenoble pour passer Pentecôte à Ruffey. Nous
passâmes quelques jours à Paris où j'entrepris
diverses démarches dans les Ministères. Nous
rentrâmes à Alger par avion, via Marseille, si
heureux de retourner au pays que nous sablâmes le
champagne avant l'atterrissage. A l'aéroport, le
spectacle n'était pas gai: embouteillages,
amoncellements de candidats au départ, femmes
surtout, avec vieillards et enfants, bagages
hétéroclites, cages à canaris, au milieu d'hommes
en armes. Mais notre trajet de Maison Blanche à
Alger et Hydra fut plus paisible qu'au retour,
début mars, de mon ultime visite à papa, quinze
jours avant son décès, le 26 mars, jour de
l'atroce fusillade de la rue d'Isly... Ce fut ensuite mon départ en congé, mon
retour manqué à Alger que je n'ai jamais revu, mon
affectation à Nancy où je fus un simple adhérent
du Syndicat FO, ma participation le 28 septembre
1963, à titre personnel, à un Congrès Régional à
Strasbourg, mon affectation inespérée à Nice début
février 1964... Le mois suivant, à l'occasion de
la confection projetée d'un annuaire
professionnel, mon collègue Leber (connu à
Constantine et Bône) sollicita mon adhésion à
l'Association des Directeurs de Préfectures et
sous-préfectures de France et d'Outre-Mer. J'y
souscrivis. Ce devait être le début d'une nouvelle
décennie d'actions corporatives. b) L'Association des
Directeurs de Préfecture En
1948, une certaine parité instaurée en 1941, avait
été rompue entre les Chefs de Division de
Préfecture et les Chefs de Service Départementaux.
Quelques uns de nos collègues, inquiets de la
détérioration de leur situation matérielle et
morale décidèrent de réagir en fondant une
association régie par la loi du 1er juillet 1901.
Ils se réunirent à cet effet, d'abord le 16 mai
1954 à Toulouse, puis le 20 juin 1954 à
Versailles. Leur objectif était double: enrayer le
processus de dégradation de leur corps; développer
entre eux des liens d'amitié. Ils réclamèrent non
seulement la révision de leur échelonnement
indiciaire mais, aussi, l'appellation de
Directeurs . La création de l'Association ne
paraît pas avoir soulevé l'enthousiasme du
Syndicat FO! Les comptes-rendus des réunions ne
font-ils pas état d'une volonté de n'engager
aucune polémique et de considérer comme clos
l'incident que constitue la réaction boudeuse de
FO? L'Association, quant à elle, laissa à ses
membres leur liberté individuelle syndicale . Le
titre de Directeurs fut reconnu aux Chefs de
Division dès 1963 par le Ministre de l'Intérieur
mais une simple circulaire du Ministre des
Finances suffit à la supprimer. Ce fut, pour ma part, en mars 1964 que
j'ai donné mon adhésion à l'Association. Elle
était alors dirigée, depuis 1962, par Bernos qui
avait succédé au Premier Président qui fut Etelin
(Loiret). Honoré Bernos, Directeur de la
Protection Civile en Seine et Oise (futures
Yvelines) était un personnage haut en couleur,
fort à l'aise avec tous et particulièrement
prolixe. Dès octobre 1964, je lui écrivis pour lui
réclamer des informations et lui suggérer divers
points à inclure à notre cahier de revendications. Le 5 mars 1966, à Paris, j'ai assisté à
ma première Assemblée Générale de l'Association.
Elle avait lieu en principe tous les ans (puis
tous les deux ans). Je fus empêché de participer à
celle de Marseille, le 27 janvier 1968: j'étais en
plein trajet de la Flamme Olympique; les jeux de
Grenoble n'allaient pas tarder à commencer. Mais
cela ne m'a pas empêché d'être élu au Conseil
d'Administration! Dès lors, j'ai multiplié les
entretiens téléphoniques et les correspondances,
notamment avec Bernos, Dedrick, le Secrétaire
Général de l'Association, Debert et Riffaud, du
Syndicat FO, aiguillonnant les uns et les autres,
les incitant à unir leurs efforts. J'ai participé aux Assemblées Générales
du 15 novembre 1969, à Paris et du 21 novembre
1970, à Bordeaux. Là, nous tombâmes d'accord avec
Dedrick pour considérer que les Chefs de Division
ne pourraient obtenir satisfaction qu'en acceptant
une diminution de leurs effectifs et une certaine
sélection. La majorité de nos collègues étaient
loin de partager cette opinion. Fernand Dedrick,
intelligent, bel homme, assez satisfait de
lui-même, était Secrétaire Général de
l'Association depuis plusieurs années. Un peu
comme Bernos, il paraissait flatté par la
fréquentation des Préfets et Hauts-fonctionnaires
des Ministères et soucieux de leur plaire. Il
occupa longtemps une situation particulière et
prééminente à la Préfecture de la Seine Maritime. En vue de l'Assemblée Générale de Caen,
j'ai formulé un certain nombre de critiques et de
suggestions. J'ai préconisé un renouvellement
aussi large et démocratique que possible du
Conseil d'Administration. Le 22 novembre 1972l
cette suggestion a été suivie d'effet: Pierre
Adans, du Calvados, a été élu Président, Lemière,
Secrétaire Général et moi-même Secrétaire Général
Adjoint. Le Trésorier Général fut Marceau Levêque
puis Maurice Malin, son Adjoint. Pierre Adans,
cultivé et sérieux, fut un Président actif et
efficace avec lequel je m'entendis bien. Lemière
fut promu au grade d'Administrateur Civil peu
après. Levêque et Malin, collègues de qualité
furent toujours assidus. Bernos et Dedrick ne m'en
voulurent pas de les avoir un peu poussés vers la
sortie. Bernos, en sa qualité de Président
d'Honneur, continua à participer à nos travaux et
à se montrer bavard. A l'occasion d'une réunion à
Versailles, il m'accueillit chez lui, avec son
épouse, comme un fils. Dedrick fut élu Président
quelques années plus tard, lorsqu'Adans obtint sa
retraite. Nous fîmes équipe dans de bonnes
conditions. Dès la promotion de Lemière, j'eus à
assurer les fonctions de Secrétaire Général de
l'Association. Ma nomination, décidée en Conseil
d'Administration, fut entérinée par l'Assemblée
Générale le 7 octobre 1974. Sa réunion avait été
repoussée en raison des élections présidentielles.
Également parce que nous attendions les résultats
de notre action. Pourquoi, cette action? Il nous
faut remonter... à la Révolution et à Napoléon!... La création des départements français est
à imputer à la Révolution, non à Napoléon
Bonaparte. Mais c'est celui-ci qui a délégué le
Préfet pour remplir, au nom du Gouvernement, une
fonction administrative de gestion, de contrôle et
de tutelle, parfois même de police. Le Préfet
était également, avant la décentralisation de
1982, l'Agent du Département: il préparait les
travaux du Conseil Général et assurait l'exécution
de ses délibérations . Il disposait, pour assurer
ses fonctions, de Commis peu nombreux, travaillant
dans les bureaux de la Préfecture sous l'autorité
d'un Chef de Bureau puis d'un Chef de Division,
d'un Secrétaire Général. Ce personnel était
reparti dans les Services de façon empirique et
peu cohérente, selon les départements. Il fut
étatisé et doté d'un cadre national en 1940. Bien
que n'ayant jamais bénéficié d'une très grosse
rémunération, il jouissait d'une certaine
considération. Celle-ci est allée en s'amenuisant
au fur et à mesure de l'accroissement des
effectifs et, peu à peu, de la création de
services spécialisés: Ponts et Chaussées,
Inspections du Travail ou de la Jeunesse et des
Sports, Anciens Combattants... Les Préfectures
étaient assez jalousées et les Services extérieurs
contestèrent vite la suprématie des Préfets qui ne
s'étendait pourtant pas ni sur les Finances, ni
sur l'Enseignement Supérieur, ni sur la Justice,
ni sur l'Armée. Le Ministère de l'Intérieur perdit
de l'importance et celui des Finances en prit...
beaucoup! Les personnels des Administrations
financières finirent par être imbus de leur
importance. Ils se considérèrent comme plus utiles
que les autres. L'attribution aux Chefs de
Division de Préfecture du titre de Directeur fut
contestée le 25 juillet 1962 dans une circulaire
du Trésor Syndical: le Secrétaire Général de la
Fédération des Finances s'opposa à ce que l'on
instaurât une Administration sans nuances où ceux
qui, à grand peine, assurent la rentrée des
impôts, seraient au même point que ceux qui n'ont
qu'à puiser dans la caisse!... (sic) En 1964, une réforme administrative
s'efforça de permettre aux Préfets .d'exercer
pleinement son rôle d'animation, de direction
générale et de coordination des services publics
dans le département.. Un nouveau service fut créé
dans les Préfectures, celui du Service de la
Coordination et de l'Action Économique. Sorte
d'État-major Départemental, il préparait la
programmation des Grands Équipements et
l'attribution des Subventions de l'État. Par
contre, la tutelle hospitalière et l'Action
Sociale échappa à nos maisons: elles furent
intégrées avec la Santé et quelques autres
attributions à la Direction Départementale de
l'Action Sanitaire et Sociale (la DASS). Comme
pour la plupart des réformes, on n'alla pas au
fond des choses en attribuant tous les moyens
nécessaires. Les fonctionnaires concernés durent
effectuer un effort constant d'adaptation au
contexte administratif et économique. En 1966, les cadres supérieurs du gaz et
de l'électricité dénoncèrent .le pouvoir occulte
qu'exercent les Finances. Elles disposent,
estimèrent-ils d'une autorité supérieure à celle
du Gouvernement . Et la crainte de représailles
fiscales les font respecter! De son côté, M. Albin Chalandon, un
parlementaire non conformiste qui occupa un poste
ministériel, considéra la France comme un pays
traditionnellement si centralisé que l'on peut se
demander s'il a jamais été une démocratie . Il
s'éleva contre l'arbitraire du pouvoir et de
l'administration. Le Gouvernement ne se risquait
guère à toucher à la grille indiciaire des
fonctionnaires pour éviter de bouleverser un
édifice fragile et contesté de toute part. Il ne
pouvait augmenter l'ensemble de leurs
rémunérations qu'avec la plus extrême parcimonie
car ils étaient nombreux et que la moindre
majoration multipliée par leur nombre représentait
un total impressionnant. Il préférait agir de
façon plus ou moins occulte sur les indemnités
forfaitaires n'ayant pas de répercussion sur les
retraites. Un essai de séparation du grade et de
l'emploi fut tenté dans les Ponts et Chaussées
puis dans les Services fiscaux avec l'intention
plus ou moins affirmée de l'étendre aux autres
administrations. Bien que cela ait constitué
l'opportunité d'obtenir de meilleurs traitements,
les Syndicats y furent hostiles car ils refusaient
de nouvelles sélections et redoutaient que la
précarité des emplois fonctionnels ne favorisât
l'arbitraire. Syndicats de Préfectures et Association
des Directeurs avaient des positions analogues:
ils réclamaient des majorations d'indice... mais
pour tous, sans les inconvénients et les risques -
supposés - de cette diabolique fonctionnarisation.
Depuis 1963, les Chefs de Division plafonnaient à
l'indice 585, avec une classe exceptionnelle,
contingentée à 20 % de leurs effectifs, avec deux
échelons dotés des indices nets ridiculement
rapprochés 600 et 610. En 1966, le Conseil Supérieur de la
Fonction Publique avait été saisi d'une
proposition du Ministre de l'Intérieur pour fixer
à 615 leur indice maximum. Au titre de la classe
exceptionnelle ou d'un emploi fonctionnel? La
question resta posée. Mais elle était subsidiaire
et la décision essentielle fut elle-même ajournée. En 1969, au Ministère de l'Intérieur, M.
Pandraud évoqua un projet de statut comportant un
nouvel organigramme des Préfectures, 120 emplois
dotés de l'indice 650 ou 630 et 180 à 200 emplois
de Directeurs Divisionnaires avec normalisation de
la classe exceptionnelle. On s'inspirait 1à des
réformes en cours dans les Services fiscaux. Nous
étions, à l'époque, environ 380 Chefs de Division.
Commença alors une intense activité syndicale.
Profitant de ma double appartenance, j'ai essayé
de rapprocher les vues assez doctrinaires du
Syndicat FO et celles parfois plus pragmatiques et
souples de l'Association. Cela n'alla pas sans
difficultés. Le Syndicat admettait mal une
association catégorielle représentant seulement le
grade le plus élevé de la hiérarchie, "les riches"
aux yeux des subalternes. Mes démarches ne
visèrent pas seulement le Secrétaire Général du
Syndicat (Riffaud, puis Debert, puis Sirot) mais
des collègues dont j'appréciais l'intelligence
(Jacques Favier, de l'Yonne, qui fut membre du
Conseil Économique et Social, Sastre, à Dijon,
ancien responsable national CFTC, Lemoine,
dirigeant de la mutuelle, mon prédécesseur à
Nancy...). Mes interventions furent nombreuses et
pressantes, par lettres et par téléphone, auprès
de Bernos, Dedrick puis surtout d'Adans. En 1972
et 1973, il fut beaucoup question d'une mission
d'Inspecteurs Généraux de l'Administration, .la
mission Krieg . Nous n'eûmes qu'une connaissance
officieuse et partielle du rapport qu'elle déposa.
"Les Préfectures y sont assassinées", indiqua un
de nos informateurs haut placé à une de nos
collègues niçoises. Il y aura un arbitrage chez le
Premier Ministre s'efforça-t-on de nous rassurer
et les crédits nécessaires feront l'objet d'un
avenant au budget 1974... En février de cette nouvelle année,
l'Association adopta un texte préparé par Adans,
longuement discuté, remanié et mis au point en
réunion de Bureau et du Conseil d'Administration.
Ce mémoire relatif à l'amélioration de la carrière
des Chefs de Division, Directeurs de Préfecture
fut imprimé et diffusé. J'en fus le Cosignataire.
Il fut présenté à plus d'une quinzaine
d'interlocuteurs Ministres, Secrétaires d'État ou
membres de Cabinets Ministériels par Adans,
alternativement accompagné par moi-même, Gontier,
de Lyon, Dedrick, Bernos, Levêque, du Loiret ou
Malin, du Cher. M. Chirac, alors Ministre de
l'Intérieur, me parut intelligent, très vif
d'esprit et direct. Il se déclara acquis à notre
cause et favorable à 118 emplois à 650. Comme
beaucoup de ses collègues Présidents d'un Conseil
Général, il connaissait bien et estimait les
Directeurs de Préfecture. J'ai rédigé à cette
époque plus d'une douzaine de circulaires pour
informer nos adhérents. Mon compte rendu moral à
l'Assemblée Générale du 7 octobre 1974, à Clichy,
coïncida avec le 20ème anniversaire de notre
groupement. J'ai vainement suggéré la recherche de
formes d'actions plus performantes... Après un insolite dépôt d'une fiche au
Conseil Supérieur de la Fonction Publique, en
décembre 1975, nous effectuâmes une démarche
pressante auprès de M. Poniatowski, Ministre
d'État, Ministre de l'Intérieur et de son
Directeur de Cabinet, Jean Paolini. Notre affaire
aboutit enfin à la publication de deux Décrets au
Journal Officiel du 6 novembre 1977. L'appellation
de Directeurs de Préfecture était officialisée 118
emplois fonctionnels de Chefs de Service
Administratifs .des Préfectures étaient créés.
Mais seulement 22 d'entre eux étaient dotés de
l'indice 650, dans les Préfectures Chefs-lieux de
Région. 96 autres plafonnaient à 630. La
consultation du Comité Technique Paritaire Central
nous fut promise: cela nous orientait vers une
application assez souple de la réforme qui nous
donna satisfaction. Elle prit effet au 7 novembre
1977 Avant la nomination des Chefs de Services
Administratifs, les 2/3 des Directeurs avaient
plus de 55 ans et, parmi eux, 1/3 étaient de
classe exceptionnelle. La sélection fut opérée
essentiellement en fonction de l'ancienneté de
façon à permettre au plus grand nombre de
bénéficier des nouveaux indices six mois au moins
avant le départ en retraite ou, en tout cas,
d'accéder à la classe exceptionnelle. Ce que nous
recherchâmes, souvent en vain, ce furent des
nominations à l'indice 650 sur des emplois de
Préfecture de Région non pourvus pour des
collègues affectés dans des Préfectures
ordinaires. L'Administration procéda à quelques
nominations pour ordre pour tourner la difficulté.
J'en eus connaissance et en fis état. Grâce à la
bienveillance du Préfet de la Région PACA, M.
Somveille, que j'avais connu à Constantine et
d'une demande de mise en retraite anticipée, j'ai
pu personnellement en bénéficier en août 1982. Adans, retraité, fut remplacé à la
Présidence de l'Association par Dedrick. Celle -ci
se préoccupa de la définition et des
responsabilités des CSA, d'une organisation
nouvelle des Préfectures, des indemnités
forfaitaires... Elle fit publier un mémoire
tendant à ce que les fonctionnaires du Cadre
Supérieur des Préfectures soient rigoureusement
traités sur un pied d'égalité avec leurs collègues
des Services Extérieurs: ce n'était encore pas le
cas. L'Association s'inquiéta aussi des projets de
décentralisation administrative. Ceux-ci
aboutirent rapidement en 1981-1982 après
1'élection présidentielle sous 1'énergique
impulsion de M. Gaston Deferre, Ministre d'État,
Ministre de l'Intérieur et de la Décentralisation,
Maire de Marseille. Les cadres et personnels des
Préfectures allaient se trouver écartelés entre
l'État, les Régions et les Départements. De
nouvelles inégalités allaient être créées par des
élus locaux au gré des circonstances et des
affinités. Bien que n'ayant jamais appartenu à
aucun parti, j'étais assez mal à l'aise dans un
nouveau régime fortement politisé, décourageant
les cadres, discréditant les valeurs, l'autorité
et l'effort, favorisant les départs à la retraite
à 60 ans, prônant l'égalisation absolue (surtout
par le bas!), proscrivant toute répression,
instaurant les 39 heures hebdomadaires même dans
la police!!... J'exerçais depuis 11 ans mon mandat de
Secrétaire Général de l'Association et commençais
à m'en lasser. Je cherchais d'ailleurs à obtenir
l'indice plafond en m'engageant à partir à la
retraite au bout de six mois. Je finis par
l'obtenir le 30 août 1982. Le 8 octobre 1983,
retraité depuis 2 mois, je remis mon mandat de
Secrétaire Général de l'Association lors de
l'Assemblée Générale de Macon. Je fus remplacé par
Lombard. De son côté, Leclerc succéda à Dedrick,
également retraité. Je fus nommé Secrétaire
Général honoraire mais n'ai plus guère joué de
rôle actif en dehors d'une réunion dont j'ai
favorisé la tenue à Nice en 1986.
J'ai longtemps été
convaincu de la nécessité des Syndicats et de
l'Association mais ai été déçu de constater
qu'ils favorisaient surtout le conservatisme
voire le favoritisme et qu'il se créait entre
eux et l'Administration une sorte de complicité.
Je n'ai jamais trouvé ce que j'y cherchais
vraiment. Peut-être suis-je atypique? Nos
milieux et nos valeurs professionnels étaient
inégaux. Le corps préfectoral - et surtout les
Secrétaires Généraux de Préfecture -
maintenaient les cadres administratifs
supérieurs dans une position subalterne même
lorsqu'ils avaient besoin de leur compétence
juridique et technique. Et nos personnalités
n'étaient pas assez fortes pour s'affirmer...
notamment dans le domaine de la rhétorique. Nous
évoluions dans un cadre trop étriqué. Et
Syndicats et Association étaient à notre
image!...
En guise
de bilan
A l'heure de la retraite,
peut-être conviendrait-il d'établir un bilan de ce
demi-siècle de participation à la Fonction
Publique? Ce bilan devrait comporter un actif et
un passif, c'est-à-dire recenser chacun des
éléments positifs et des aspects négatifs, les
évaluer, voire les chiffrer, les comparer et faire
une balance. Ce serait un travail long, difficile,
contestable, et nécessitant le recours à des
experts. Je me contenterai, ici, de banales
considérations d'ordre général et d'une
appréciation globale. J'ai, de la Fonction
Publique, une assez haute idée. J'estime qu'elle
devrait occuper une place éminente dans la Nation.
Il est bien possible qu'elle ne l'ait jamais
obtenue même sous Napoléon Bonaparte. Elle est
souvent méconnue, fort injustement considérée par
ceux qui n'en font pas partie et systématiquement
dénigrée. Elle s'est beaucoup dégradée au cours de
ces dernières années. Premier point: elle souffre
d'une grave crise d'identité. La vraie Fonction
Publique est celle de l'État. En sont exclus: les
Fonctionnaires Territoriaux et les Agents des
Services Nationalisés. Bien qu'ancien
syndicaliste, je me suis souvent demandé si elle
ne devrait pas être réservée aux cadres supérieurs
et moyens, à l'exclusion des Commis,
dactylographes et simples employés de bureau. Une
chose est, à mes yeux, certaine: la
démocratisation, la multiplication des effectifs
ne favorisent pas la qualité de l'ensemble. On le
voit bien dans l'Éducation Nationale et même dans
la société civile et, par exemple, les clubs de
tennis. La "Culture" de masse de la télévision et
des médias est insuffisante, néfaste, même,
souvent. L'objectif de la Fonction Publique est
l'Intérêt Général. Hélas, l'Intérêt Général est
difficilement discernable. Il est souvent
incompatible avec des intérêts particuliers au
demeurant parfois fort légitimes. Troisième
observation: le fonctionnaire même de très haut
niveau, n'est pas entièrement libre de ses
décisions. Celles-ci doivent respecter lois et
règlements et tenir compte de l'ordre public, des
traditions, des moeurs, bref de la société. Les
grandes décisions sont prises par les Députés et
les Sénateurs, au nom de l'État. Là aussi,
l'inflation numérique n'est pas compatible avec la
qualité. Et l'objectivité, l'intégrité sont
parfois moins répandues dans les milieux
politiques que dans la Fonction Publique. Élus et
fonctionnaires sont souvent complémentaires et
s'entendent parfaitement pour jouer leurs
partitions respectives. De grandes inégalités ont
toujours existé entre fonctionnaires selon leurs
catégories: Administrations Centrales, Finances,
Affaires Étrangères ou autres Ministères moins
privilégiés. Elles se sont aggravées, d'abord avec
la prolifération d'établissements semi-publics,
ensuite après la décentralisation et les avantages
consentis aux personnels territoriaux. Parmi les
fonctionnaires du Ministère de l'Intérieur, ceux
des Préfectures sont particulièrement jalousés.
Ils comprennent une élite, le Corps Préfectoral et
des Corps Administratifs dont se sert ou s'inspire
le Premier mais qu'il considère comme de simples
exécutants. L'Intérieur a tendance à privilégier
le Corps Préfectoral, la Police et, depuis peu, la
Protection Civile. La grille indiciaire des années
1945 est très contraignante. A partir de l'instant
où l'on a été reçu à un concours, on est figé dans
une catégorie où l'on n'avance que très lentement,
échelon par échelon, généralement tous les deux
ans et le plus souvent à l'ancienneté. La
hiérarchie est lourde, très stricte. Faire preuve
d'initiative et d'originalité est souvent mal vu
aussi bien par les Chefs que par les pairs. Il y a
beaucoup plus de Préfets que de Préfectures et de
Généraux que de Divisions ou de Corps d'Armée.
D'une manière générale, les fonctionnaires sont
intègres et s'efforcent à l'objectivité. Ils
s'accommodent tant bien que mal des contraintes
qui limitent leur action. Bien entendu, au fur et
à mesure qu'ils montent dans la hiérarchie, ils
bénéficient de plus de pouvoirs, d'une
considération accrue et de certains menus
privilèges. Le vrai fonctionnaire n'occupe pas un
simple emploi. Il est investi d'une mission.
Simone de Beauvoir qui avoue publiquement avoir
exercé des tâches d'enseignante uniquement pour
des considérations alimentaires et sollicité des
certificats médicaux pour obtenir des congés
exceptionnels n'est pas digne de la Fonction
Publique. Les rémunérations sont souvent
inférieures à ce qu'elles devraient être. Le
mérite n'a pas grande influence sur leur
croissance et l'ancienneté ne les augmente que
fort lentement. Les retraites sont probablement un
peu plus avantageuses que dans le secteur privé
mais doivent également être complétées par la
capitalisation. Pour compenser la médiocrité des
traitements, on accorde parfois aux fonctionnaires
quelques décorations, hochets auxquels ils ne sont
pas insensibles. Les responsabilités des
fonctionnaires ne sont pas nulles. Elles sont
souvent ressenties comme plus importantes que dans
la réalité car le fonctionnaire est généralement
très consciencieux, qu'il est très surveillé et
qu'il a une salutaire crainte du gendarme. Les
fonctions assurées peuvent être très variées,
notamment dans les Préfectures mais chaque
mutation exige de gros efforts d'adaptation.
Certains fonctionnaires préfèrent les éviter et
deviennent des spécialistes. J'ai connu à l'Aide
Sociale un Chef de Bureau qui n'avait jamais perdu
le contact avec son Service des aliénés initial et
une collègue, Directeur de la Réglementation, qui
continuait à exercer ses compétences de débutante
à la Police Générale. Globalement, je ne me suis
pas enrichi dans la Fonction Publique. Mais j'ai
la satisfaction d'avoir exercé un métier
intéressant et varié. J'ai eu l'occasion de rendre
service à de nombreux usagers et j'ai probablement
été plus utile à la Collectivité que beaucoup.
J'ai eu une assez large part d'initiatives, de
responsabilités et de satisfactions. De
contraintes aussi, de travail et de déceptions.
Mais toute médaille a son revers et la Bible ne
nous a-t-elle pas enjoint de gagner notre pain à
la sueur de notre front? La Fonction Publique appelle
d'impératives réformes. Malgré sa masse et son
inertie, je la crois perfectible, non pas une fois
pour toute mais jour après jour. Il serait en
premier lieu, indispensable d'améliorer le travail
législatif, d'élaguer de nombreux textes, de
restreindre le champ d'action de l'État, de faire
strictement respecter ses décisions. Comme je l'ai
suggéré dans mes derniers articles sur Sophia
Antipolis, il conviendrait de constater la totale
inadaptation de notre législation, de notre
réglementation et de nos procédures à une bonne
partie de la population. A défaut de pouvoir
réformer rapidement la société, il faut limiter
l'importance du droit strict, permettre aux
responsables à tous les niveaux de s'en inspirer
sans en être esclave, augmenter leur part
d'initiative, de responsabilités et d'efficacité.
Comme l'a souligné Casamayor en conclusion d'une
série d'articles consacrés après mai 1968 à
l'Administration, "les problèmes humains sont les
plus importants". Il faut "développer la promotion
du bas vers le haut et la considération du haut
vers le bas". Personnellement, je verrais
volontiers une multiplication des incursions de
généralistes dans des Services entièrement
colonisés par des spécialistes voire même
l'attribution provisoire de missions publiques à
des personnalités privées.
IV
Fermez le
ban !..
1 - Rubans
et médailles
J'ai toujours eu, pour les
décorations, la plus respectueuse considération.
Je ne les voyais pas autrement que militaires.
Montant au front, dans les Abruzzes, avec des
éléments de renfort destinés à reconstituer le
3ème Bataillon du 7ème Régiment de Tirailleurs
Algériens, le 22 janvier 1944, j'admirais la
batterie des médailles qui ornait la poitrine d'un
sergent-chef de carrière. Il avait certainement
été un valeureux combattant. Mais il était, alors,
en proie à un funeste pressentiment. Il avait bu
et il donnait le fâcheux spectacle de son
désarroi. En queue de colonne, nous devions nous
relayer pour le soutenir et l'aider à porter son
paquetage. Affecté à la 10ème Compagnie du 7ème
RTA, je n'ai eu qu'une courte carrière de
combattant. Celle-ci se termina le 3 février, sur
le Belvédère, dans le secteur de Cassino qui
allait bientôt devenir célèbre. Je fus jeté à
terre, brutalement, vers 10 heures, alors qu'à la
tête de six hommes difficilement rassemblés,
j'arrivais sur la crête qui nous avait été
assignée. Seul, pendant deux heures, attendant des
secours, je crus ma fin proche. J'eus une pensée
pour mes parents et "des galons d'aspirant bien
mérités". Mais j'étais loin d'imaginer que
j'allais obtenir la Croix de Guerre avec palme
puis la Médaille Militaire. Ce fut la Générale de
Monsabert qui, visitant l'hôpital de Blida où
j'avais fini par arriver, s'étonna d'apprendre que
je n'étais pas décoré. Elle m'assura qu'elle
allait faire réparer ce qu'elle considérait comme
un fâcheux oubli. Le 29 juillet, une lettre de mon
ancien Commandant, le Chef de Bataillon E.
Peponnet, me précisa qu'il m'avait proposé pour la
Médaille Militaire et évoqua "ma citation du
Belvédère". Une telle proposition fut
effectivement signée par le Général de Monsabert,
commandant la 3ème Division d'Infanterie
Algérienne du Corps Éxpéditionnaire Français" en
Italie, lui-même rattaché à la 7ème Armée
Américaine du Général Américain Clark. Cette citation, à l'ordre de l'Armée,
devint officielle le 7 novembre 1944 sous la
signature du Général de Gaulle. Elle comporta
l'attribution de la Croix de Guerre. Le 15
décembre, un capitaine blidéen en relation
professionnelle avec papa, à la Banque de
l'Algérie, lui remit l'extrait du JORF du 16
novembre 1944 me concernant. Cette citation
comporte plusieurs inexactitudes. Elle ignore
notamment mes fonctions habituelles de Chef de
Section et la réalité de nos ultimes attaques avec
le Lieutenant Lederman sur deux objectifs voisins
avec les débris de notre compagnie.
* *
*
En ce qui concerne la
Médaille Militaire, ce furent deux Chefs de
Division de la Préfecture de Constantine qui
relancèrent la proposition et la firent aboutir
(Décret du 18 avril 1950 - JO du 21): Georges
Pageaux et Maurice Lacroix, Officiers de réserve à
5 galons. Les cartes de félicitations du Préfet
Maurice Papon et de Maurice Lacroix me firent
particulièrement plaisir ainsi que la visite d'un
trio de jeunes et jolies collègues rédactrices. Un
article élogieux: "Un camarade à l'honneur" fut
publié à mon sujet dans la publication mensuelle
du Syndicat du Personnel, "Notre Bulletin". J'en
étais le rédacteur en chef mais mon prédécesseur,
Robert Maury, lui-même ancien combattant et blessé
de guerre, s'arrangea pour m'en faire la surprise.
*
*
*
A la Préfecture de
Constantine, j'entendis souvent brocarder le goût
de certains pour les décorations civiles et la
facilité ambiguë avec laquelle on pouvait
"ramasser" le Nicham Iftikar: je ne l'ai pas
sollicité et personne ne me l'a décerné! Aux
services techniques du matériel de la Sûreté
Nationale en Algérie, la tâche fut lourde et
parfois dangereuse. J'étais pourtant loin, à
l'époque, de penser qu'elle pouvait être assimilée
à des services de guerre. A la même époque pourtant, un collègue
métropolitain en mission en Algérie, obtint la
Légion d'Honneur pour avoir, pendant "les
événements", alors qu'il était en service à la
Préfecture de Bône, participé à un vol en
hélicoptère: il me l'apprit lui-même plus tard, à
Nice, où nous nous retrouvâmes.
* *
*
Le 30 septembre 1964, le
Cabinet du Préfet des Alpes-Maritimes m'invita à
lui renvoyer "avant le 3 octobre et dûment rempli"
un mémoire de proposition pour le grade de
Chevalier de l'Ordre National du Mérite. La
formule administrative, sèche et péremptoire,
était bien dans le style de M. Pierre Jean Moatti.
Mais elle confirmait les compliments manuscrits
dont il avait annoté mon premier rapport
d'activités du 19 août 1964 (j'étais alors
Directeur des Rapatriés). L'Ordre du Mérite avait
été créé moins d'un an auparavant par le Général
de Gaulle. Il était destiné à limiter les
attributions de Croix de la Légion d'Honneur. Il
paraissait encore peu prisé. Dilette m'incita à
refuser une décoration instituée par "le bradeur
de l'Algérie Française" mais je ne crus pas devoir
suivre ce conseil impulsif. La proposition fut
renouvelée tous les six mois. Le 7 juillet 1966, le Préfet Jacques
Aubert, un ancien "patron" à Constantine puis à
Alger, alors Directeur du Cabinet du Ministre de
l'Intérieur, m'avisa de ma prochaine promotion.
Celle-ci fut concrétisée par un décret du 16
décembre 1966. J'eus à acquitter dix francs au
titre des droits de chancellerie et, le 6 janvier
1967, à l'occasion "des voeux", je fus décoré par
le Préfet Moatti, avec plusieurs autres
récipiendaires, dans les magnifiques salons du
Palais de la Préfecture. La Croix me fut offerte
par mes collaborateurs de la Direction des
Rapatriés.
* *
*
A l'issue des Xe Jeux
Olympiques d'hiver de Grenoble qui furent un grand
succès national, le Directeur Général du COJO et
son Secrétaire Général furent décorés de la Croix
de la Légion d'Honneur. Plusieurs de mes collègues
furent honorés de l'Ordre National du Mérite.
Étant déjà titulaire du ruban bleu depuis peu,
j'obtins "à titre exceptionnel" la médaille
d'Honneur de la Jeunesse et des Sports (arrêté
ministériel du 11 mars 1968). La médaille d'argent
me fut attribuée au titre de la promotion du 1er
janvier 1976, le Chef de Bureau du Cabinet du
Ministre étant alors Alexandre Vinokouroff, un
ancien collaborateur du CATI d'Alger.
*
*
*
Quelques années plus
tard, deux collègues de la Préfecture des
Alpes-Maritimes, ayant des titres militaires
inexistants ou inférieurs aux miens furent promus
dans l'Ordre National de la Légion d'Honneur. A
l'occasion d'une visite que je rendis, à Paris, au
Préfet Jean Paolini, Directeur du Cabinet du
Ministre de l'Intérieur, je lui ai confié "ma
faiblesse" pour une telle décoration. Sur sa
suggestion, son collègue Pierre Lambertin me
proposa dans les premiers jours de 1979. J'en fis
part, en juillet, à un autre de mes anciens
patrons, Maurice Papon, alors Ministre du Budget.
Celui-ci appela, à son tour, l'attention de son
collègue de l'Intérieur sur ma candidature. Par
décret du 28 décembre 1979, je fus nommé au grade
de Chevalier de la Légion d'Honneur: j'avais 37
ans de Services Civils et Militaires. La Croix me
fut remise par mon Préfet qui décora par la même
occasion son Secrétaire Général, Édouard Lacroix,
promu Officier de l'Ordre National du Mérite.
Nice-Matin confondit les deux ordres et, pour
éviter un rectificatif, me consacra quelques jours
plus tard, un nouvel article: "Un hommage rendu au
SYMIVAL": la Légion d'Honneur de M. Fouich". Le 9 février 1980, j'ai affrêté pour
quelques amis personnels, un petit car. Je leur ai
fait visiter Sophia Antipolis et leur ai offert
une coupe de champagne au Novotel. J'ai reçu un
abondant courrier de bien agréables félicitations.
* *
*
Le 28 février 1989,
Claude Girod m'annonça téléphoniquement que le
Journal Officiel venait de publier ma promotion au
grade d'Officier de l'Ordre National du Mérite.
Cela me surprit car personne ne m'avait indiqué
que j'avais été proposé et je n'avais pas eu,
comme précédemment, à signer une déclaration de
candidature. J'appris qu'ayant l'ancienneté
requise, la Grande Chancellerie avait demandé
l'avis du Préfet Pensa. Celui-ci ayant été
favorable, l'affaire avait normalement abouti.
Cela me fit plaisir. J'en fis part à un camarade
de club, journaliste à Nice-Matin. J'eus droit à
un bel article qui m'attira quelques félicitations
(bien moins nombreuses cependant que pendant mes
périodes d'activité...). N'ayant plus
d'obligations quant au choix de la personnalité
devant me remettre l'insigne de mon grade
d'officier, je choisis comme parrain un ami, le
Général Ivan Belasco avec qui j'avais travaillé à
Sophia Antipolis. La cérémonie eut lieu au
restaurant interentreprises des Bouillides. Alain
Catroux, mon successeur au SYMIVAL, fut notre
hôte. J'avais limité les invitations à une
trentaine de personnes sympathiques de mon
entourage professionnel, en excluant élus et
grands patrons. Jean-Marie Ciais, l'imprimeur de
"Symival Actualités" et éditeur de mon livre
s'était joint à eux ainsi que Paul et Hélène
Lafage. Ces vieux amis d'Alger venus spécialement
de Marseille, nous firent la surprise de nous
accueillir à Sophia où ils étaient arrivés
quelques instants avant nous. Le discours d'Ivan
Belasco fut chaleureux et impressionna mes jeunes
collaborateurs de "Symival Actualités". Je
répondis avec simplicité et un peu d'humour.
*
*
*
Me voici donc, à mon
tour, titulaire de nombreuses décorations. Je ne
dispose pas, matériellement, de la totalité des
rubans et breloques correspondants. Cela ferait
une assez belle batterie à arborer et de nombreux
diplômes à encadrer... J'en suis assez fier mais
je sais combien il faut en relativiser la valeur.
Dans l'ordre réglementaire - qui n'est ni celui de
leur attribution ni celui de mes mérites - je
devrais les porter dans l'ordre suivant:
- Croix de Chevalier de la
Légion d'Honneur - Médaille Militaire - Croix et
Rosette d'Officier de l'O.N.M. - Croix de Guerre
avec palme - Croix du Combattant - Médaille
Commémorative de la Campagne d'Italie avec
barrette étoilée des blessés de guerre -
Médaille d'argent de la Jeunesse et des Sports.
2 -
Ecrire...
J'ai toujours eu le goût
d'écrire et admiré le style des grands écrivains.
En classe de première, au lycée Bugeaud, j'avais,
pour l'écriture, une certaine facilité. Mon style
avait fait l'objet d'appréciations flatteuses de
mon professeur d'histoire et de géographie, M.
Joulain. Il s'est, par la suite, alourdi, dans
l'Administration. Encore actuellement, je dois
surveiller mon orthographe, longtemps mauvaise.
Elle s'est améliorée, comme par miracle, vers ma
douzième année. Mes accords du subjonctif restent
incertains et j'ai tendance à éviter ce mode de
verbe car il me paraît pompeux et suranné. J'ai
besoin de beaucoup travailler, de raturer, de
perfectionner. Je dois "cent fois sur le métier,
remettre mon ouvrage". Mais je suis souvent
impatient, vais un peu trop vite, fais plusieurs
choses à la fois: il arrive que je me libère de
textes insuffisamment corrigés. Il semble me souvenir qu'enfant, avec
Janine, ma soeur, nous écrivions un petit journal. En novembre 1939, Achille Arnold, plus
âgé que nous, partit pour effectuer son service
militaire à Constantine. Il avait réuni chez ses
parents plusieurs de ses nombreux amis. Et
j'avais, à cette occasion, rédigé un petit
discours que je lus au dessert. J'en ai encore le
texte!. Après l'armistice, je fus à mon tour
appelé aux Chantiers de la Jeunesse. Le service
national ne dura que 6 à 7 mois. Je fis ensuite
partie d'une association d'Anciens à Blida. Cela
me donna l'occasion d'écrire, dans le Bulletin des
Chantiers, mon premier article imprimé. J'y
évoquais le Maréchal Pétain "droit comme un I". Le
Chef de l'État français - qui jouissait d'un très
grand prestige auprès des Indigènes - était venu à
Alger où avaient été rassemblés les jeunes des
Chantiers arrivés de leurs cantonnements
respectifs, après de longues marches pédestres.
J'y avais moi-même participé et me souviens avoir
beaucoup souffert dans les derniers kilomètres
d'une étape qui en compta quarante et se termina
par la rude montée de Miliana. Du 8 décembre 1943, date de mon départ
pour le front au 27 février 1944, jour de mon
retour à Blida par train sanitaire, j'ai tenu un
carnet de route où j'ai mentionné brièvement mes
activités militaires puis guerrières et
hospitalières. Le 3 février 1944, blessé sur le
Belvédère, dans le secteur de Cassino, j'avais pu
y inscrire au crayon un message pour mes parents.
J'y faisais allusion à mon demi-échec de
Cherchell, qui me tenait décidément à coeur...
J'eus la chance de pouvoir conserver ce carnet. Au
cours de ma convalescence, en mai 1944, j'en ai
fidèlement reproduit le texte sur un cahier
d'écolier, en l'étoffant légèrement, d'après mes
souvenirs encore frais, "sans le modifier ni
l'enjoliver". A la Préfecture de Constantine, je devins
rapidement Secrétaire Général du Syndicat du
Personnel. Ces fonctions me procurèrent de
nombreuses satisfactions grâce à l'esprit de
camaraderie qui régnait parmi nous, à
l'indépendance du Syndicat depuis la scission
CGT-FO, à l'adhésion d'environ 95 % du personnel
et, aussi, à l'estime de mes Chefs. Je fis
imprimer par un fournisseur de la Préfecture, M.
Braham, "Notre Bulletin", une publication
mensuelle 15 x 25 qui suscita l'intérêt de nos
adhérents, celui du Corps Préfectoral mais aussi
celui des deux autres Préfectures Algériennes et
du Gouvernement Général. J'en étais le rédacteur
principal. Sur l'un des numéros de ce bulletin,
j'ai risqué un éditorial contestant l'utilité des
"éléments de réponse" trop fréquemment réclamés
par le Cabinet du Préfet à chacune des incessantes
interventions d'élus. Cela me valut une sévère
diatribe de mon Secrétaire Général, Pierre Jean
Cazejust. J'y répondis non moins fermement -
quoique très inquiet - deux fois plus longuement.
Sur un autre numéro de "Notre Bulletin", Robert
Maury, mon prédécesseur au Syndicat, lui-même
ancien combattant et mutilé de guerre, me fit la
surprise d'un article en première page, "un
camarade à l'honneur" à la suite de ma médaille
militaire. Avec d'autres documents et divers
éléments de notre mobilier, ce bulletin est resté
à Alger et je n'ai pas réussi à en récupérer un
seul exemplaire!... Plus tard, à "Notre Bulletin"
se substitua, avec mon accord, un organe syndical
commun aux trois Préfectures d'Alger, d'Oran et de
Constantine dont les Syndicats s'unirent au sein
d'un Comité d'Entente. A deux ou trois reprises,
j'eus l'occasion d'écrire pour la revue du
Syndicat National FO des Préfectures. J'y fis,
notamment, le compte-rendu du séjour que j'avais
organisé, en 1956, de trois responsables
nationaux. Je n'ai pas manqué d'y évoquer la
réponse du Préfet à une question que je lui avais
posée en leur présence pour qu'il réfute une
perfide allusion d'un grand quotidien parisien
quant au coût de la présence française en Algérie:
sensiblement l'équivalent du déficit annuel de la
SNCF. A la Préfecture de Nancy, je fis,
es-qualité, publier un opuscule 15 x 21 dont
j'avais fait préparer le texte sur les diverses
aides sociales. J'avais commencé un texte sur les
rapatriés mais je n'ai pas eu le courage de le
mener à terme. Au Comité d'Organisation des Xèmes Jeux
Olympiques d'hiver, j'ai rédigé le rapport
d'activités qui m'avait été demandé; l'essentiel a
été repris dans le rapport officiel. Celui-ci a
fait l'objet d'un ouvrage luxueux hors commerce
tiré à 3000 exemplaires et achevé d'imprimer en
mai 1969 ("Grenoble 1968" Citius - Altius -
Fortius". Début 1964, peu avant mon arrivée à la
Préfecture des Alpes-Maritimes, le Préfet René
Georges Thomas avait demandé l'édition d'un
Bulletin mensuel d'Information. En moins d'un
mois, je fis dessiner une maquette de couverture,
adopter le projet d'éditorial et publier le
premier numéro de ce bulletin d'information jumelé
au traditionnel recueil des Actes Administratifs.
Bien évidemment, le "Bulletin d'information et
R.A.A." rendit compte des principales
manifestations et réunions officielles. J'essayais
d'aller à l'essentiel, de clarifier, de
synthétiser. J'évitais d'alourdir les
comptes-rendus par la liste fastidieuse des
participants mais ne pouvait manquer de citer
régulièrement Préfet et Président du Conseil
Général. J'en devins en quelque sorte
l'historiographe. Cela ne manqua pas de faire
tiquer le Sénateur Joseph Raybaud, éternel rival
de Francis Palméro. Les articles de Nice-Matin me
servirent beaucoup. Je les découpais régulièrement
et obtins du quotidien local, certaines plaques en
aluminium pour la reproduction de photographies et
d'illustrations Dans la partie "Actes
Administratifs", je me suis efforcé de faire
remplacer certains arrêtés par un résumé mais cela
était-il tout à fait légal?. Au surplus, cela
exigeait des services un travail supplémentaire.
Je me suis contenté de supprimer certains
considérants ou visas fastidieux et, surtout,
d'ajouter un titre synthétique. Il y aurait
beaucoup à faire dans le domaine de la publicité
légale mais quel grand Chef aura jamais le loisir
de s'occuper de petites choses? ("De minimis non
curat praetor"). Le Préfet Thomas me demanda aussi de
publier le premier annuaire administratif des
Alpes-Maritimes. Ce fut une lourde tâche, toujours
à actualiser qui rendit de grands services non
seulement aux fonctionnaires mais au public.
Certains officiels m'ayant suggéré d'inclure dans
l'annuaire un "trombinoscope", je fis publier dans
le Bulletin d'Information, au fur et à mesure de
leur arrivée dans le département, la photographie
des Chefs de Service. J'eus encore à participer à la
préparation d'un ouvrage collectif et illustré sur
les Alpes-Maritimes. Cela exigea deux ans de
travail et me valut mes premiers 500 F de droits
d'auteur. Comme au CATI pour les cadeaux
commerciaux, je ne les ai pas accepté sans me
poser beaucoup de questions tant, comme beaucoup
de fonctionnaires, j'étais jaloux de préserver mon
indépendance et mon intégrité. J'eus également à rédiger, tout au long
de ma carrière - y compris lorsqu'assez rapidement
j'ai été promu Chef de Bureau puis Chef de
Division - lettres, notes, rapports, discours,
éditoriaux voire articles. J'ai, bien sûr, souvent
été rectifié, complété ou censuré par mes
Secrétaires Généraux, mes Préfets, mes Présidents
dont plus d'une fois, j'ai été "le nègre". Je ne
me souviens pas de textes notables écrits lors de
mon passage à la DECE après mon départ du Cabinet.
Par contre, au SYMIVAL, en dehors ou dans le cadre
de mes fonctions de Direction administrative et
financière, j'ai pas mal "pondu", ayant un certain
sens de "la communication" Utilisant les relations
que je m'étais faites au Cabinet, j'ai tout
d'abord donné une interview à la Tribune
Économique des Alpes-Maritimes, un organe
d'annonces judiciaires et légales. Ce texte fut
publié en première page, sur trois colonnes le 9
août 1975. "M. Robert Fouich présente SYMIVAL". Le
sous-titre "Les Grandes interviews de la Tribune"
n'était pas de mon cru. Bien pompeux, il n'était
pas tout à fait exact: questions et réponses
avaient été intégralement réalisées par mes
soins?!... J'ai fait publier la première plaquette
de présentation du Parc et de ses aménageurs en
juillet 1977. Elle fut plusieurs fois rééditée.
Elle a inspiré les listes d'entreprises implantées
à Sophia de la CCI ainsi que les guides de
l'Association Sophia Antipolis. Au cours de l'année 1979, j'ai soumis à
la signature du Président Palméro trois lettres
d'information destinées aux Administrateurs
Syndicaux. De 1980 à 1985, j'ai élargi cette
information aux élus (Députés, Sénateurs et
Conseillers Généraux) à certains Maires et aux
chefs de Service Administratifs. Fin 1982, j'ai
personnellement signé un article, après ceux que
j'avais préparé pour mon Président ou sollicité
des Préfets, Présidents du Conseil Général, de la
CCI ou de l'Association Sophia Antipolis: "La
Symphonie d'un nouveau monde". En février 1983, j'avais obtenu, dans les
meilleurs conditions, ma retraite des Préfectures.
Je n'avais pas souhaité poursuivre mes (trop
lourdes) fonctions de Directeur du SYMIVAL et
avais accepté des fonctions à temps partiel de
Conseiller Technique. En 1984, j'ai fait éditer le premier
plan-guide du Parc de Valbonne Sophia Antipolis
pour contribuer à une meilleure orientation des
usagers et visiteurs du Parc. Claude Girod (avec
qui j'avais été en contact quotidien depuis
septembre 1975) estimait que l'expérience des
anciens constituait un capital devant être
exploité par la société après leurs périodes de
pleine activité. Il m'avait suggéré l'idée
d'écrire l'histoire de Sophia Antipolis, souvent
déformée à leur profit par plusieurs de ses
éminents artisans, en collaboration avec Maurice
Bosquet, ancien Président de la Mission
Interministérielle. L'idée fit son chemin. Elle
prit corps lorsqu'une amie de jeunesse, Denise
Valéro, chercha à faire éditer une histoire
romancée qu'elle avait elle-même écrite sur un
ancien sultan marocain. Je voulus tenter
l'aventure à titre personnel malgré ses risques.
Elle n'était pas incompatible (bien au contraire)
avec le contrat que m'avait confié Francis
Palméro. Je me mis à l'ouvrage avec continuité,
après avoir fait part de mon projet à diverses
autorités ou anciens collègues susceptibles de
m'éclairer. Je réunis le plus de documents
possibles et entrepris diverses recherches,
notamment aux archives départementales où je pus
consulter les comptes-rendus sténodactylographiés
des débats au Conseil Général. Je pris contact
avec diverses personnalités et les ai
questionnées. Jour après jour, souvent au lever,
j'ai consciencieusement noirci du papier. Suis-je
devenu un auteur, un écrivain ou un simple
plumitif, terme dédaigneux dont le Colonel de
Rosnay, Commandant du Groupement de CRS d'Alger,
qualifiait "les administratifs"? Il me fallut près
de deux ans pour mettre au point mon manuscrit. Je
parvins à le boucler et ce fut un premier succès.
J'en avais, plus d'une fois, douté. Je continuais
à me poser de nombreuses questions sur la façon de
le faire éditer, sur les risques financiers d'une
impression à compte d'auteur, sur les problèmes de
promotion et de commercialisation... J'avais pris
connaissance d'une étude de la revue "Lire" sur
l'art d'écrire et de se faire éditer. J'avais
aussi lu avec attention le guide pratique de
l'écrivain rédigé par Jean Guinot, un
universitaire prolifique. J'en retins que "le
livre représente moins de 1% de l'économie
nationale, que "le Français consomme 92 kg de
viande, boit 17 litres d'alcool et lit la moitié
d'un livre par an". "300 écrivains professionnels
seulement tirent de la littérature des revenus
dont la moyenne correspond au salaire d'une
secrétaire..." Bref, rien de bien encourageant! Le
tour des éditeurs locaux fut vite fait: deux
visites assez décevantes. J'avais bien évidemment
fait part de mon projet à l'imprimeur avec lequel
je travaillais au SYMIVAL et à son fils, devenu un
ami, qui était sur le point de lui succéder. Ils
se déclarèrent intéressés. J'ai commencé la
rédaction de mon livre en janvier 1984. En avril
1985, il fut convenu que Jean-Marie Ciais
l'éditerait. Je lui remis le manuscrit le 31
juillet et eu à corriger les premières épreuves le
26 août 1986. Il y eut plusieurs aller et retour
entre le sous-traitant Cannois chargé de la
composition et moi-même. J'ai effectué les
dernières corrections le 3 octobre, pressé
d'aboutir car estimant le moment favorable pour la
publication de mon ouvrage. Une ultime relecture
par un tiers aurait permis de remédier aux 200
"coquilles, fautes vénielles et moins vénielles"
relevées à ma demande par Jo, mon beau-frère qui
maniait parfaitement la langue française.
L'impression commença le 18 octobre, le pliage le
24; la sortie des 150 premiers exemplaires eut
lieu le 29 octobre. Mais Jean-Marie Ciais fit
réimprimer la jaquette qui comportait quelques
légers défauts techniques qu'en professionnel
perfectionniste, il ne pouvait accepter. J'avais
choisi le sous-titre "A la conquête de l'An 2000"
après de laborieuses recherches. J'y ai songé en
pensant à un ami montagnard (Gérard Pons). Il fut
utilisé ultérieurement par Nice-Matin pour un
encart publicitaire sur la vie des entreprises.
Mon cousin Roby m'ayant signalé le plagiat, j'en
ai fait la remarque au quotidien local mais mon
titre (et d'ailleurs l'oeuvre elle-même) n'avait
pas fait l'objet des formalités de copyright et
dépôt légal. Le 5 novembre 1985, Jacques Médecin
présenta mon livre au cours d'une réception
organisée par les services départementaux dans les
locaux du Conseil Général. Pierre Laffitte,
évidemment, plusieurs élus, haut-fonctionnaires et
journalistes y assistaient. Je pus obtenir pas mal
d'annonces dans différents titres surtout locaux.
Surtout J.C. Vérots, un excellent journaliste de
Nice-Matin qui avait écrit en 1969, le 29 avril,
le premier article sur Sophia Antipolis, me fit
l'honneur d'une élogieuse critique. En novembre,
j'ai effectué moi-même la livraison d'ouvrages en
dépôt-vente aux librairies "Logos" de Sophia
Antipolis, à "la Sorbonne" à Nice et à Cannes, à
Antibes aussi... J'ai fait livrer le Conseil
Général, le SYMIVAL et le BIAM dont, à ma demande,
les Assemblées responsables, avaient passé
d'importantes quantités de mon livre. L'imprimeur
n'avait pas donné suite à un projet de convention
que je lui avais soumis en septembre. Il avait
estimé que les frais d'impression seraient
rapidement couverts par les commandes officielles.
Il avait plus ou moins admis que je pourrais
bénéficier du pourcentage revenant à la
commercialisation que j'assurerais moi-même. J'ai
fixé à 120 F le prix de vente au public, à 80 F le
prix libraires et collectivités. Le 8 novembre,
aux Gémeaux, Dilette et moi avions convié quelques
amis - dont l'éditeur et son épouse Denise - pour
fêter la sortie de mon livre. Tous sont restés
longuement avec nous et la soirée fut joyeuse. Par
timidité, j'ai cependant refusé de répondre devant
tous à l'amicale interview de Denise Valéro.
Finalement, j'ai retiré d'assez substantiels
droits d'auteur payés par acomptes en 5 ans (pour
des raisons fiscales et pour faire de la
trésorerie à Jean-Marie). Mais, si j'ai pu suivre
occasionnellement avec sa secrétaire, la
progression des recettes, je n'ai jamais pu
obtenir le moindre bilan. Pour le solde,
Jean-Marie parut avoir des regrets découvrant
tardivement l'importance de mon bénéfice!... Les
ventes en librairies furent limitées à environ 400
exemplaires et les ventes par correspondance chez
l'éditeur à 200. Une ou deux fois, j'ai connu les
affres de séances de signature où l'on ne se
bousculait pas. C'est évidemment à la librairie
Logos, au coeur de Sophia Antipolis que j'ai connu
le plus de succès mais j'avoue en avoir attendu
davantage. Il est vrai que mon livre n'avait pas
visé le grand public. J'avais, au contraire,
volontairement entendu laisser une trace objective
et détaillée d'une réussite collective abusivement
revendiquée par quelques-uns pour leur gloriole
exclusive. Mais mon livre a beaucoup servi aux
journalistes, aux étudiants, aux aménageurs
éventuels. Il a été largement diffusé dans le
monde (Oslo - Rio de Janeiro - Tunis...). Il
figure dans plusieurs centres de documentation,
banques de données et bibliothèques (à la DATAR,
dans des Ambassades, des Universités, des
Préfectures...). On m'a plusieurs fois suggéré de
le rééditer ou d'en écrire une suite mais je me
suis contenté d'articles de synthèse. Et il aurait
fallu que j'y consacre encore beaucoup de travail,
que je me dote d'un équipement informatique de
traitement de texte... A compter de décembre 1985, en ma qualité
de Conseiller Technique au SYMIVAL et à la demande
de Pierre Donnet, nouveau Président du Syndicat
Mixte et de son Directeur (mon successeur, Alain
Catroux) j'ai créé "Symival Actualités". Ce fut un
excellent bulletin trimestriel qui a remplacé les
lettres annuelles ("SYMIVAL AN VII" à "SYMIVAL AN
XII"). J'ai demandé à Jean Brua, un journaliste de
Nice-Matin d'en établir les premières maquettes et
de donner à certains titres une allure plus
professionnelle. J'ai toujours moi-même choisi les
thèmes à traiter, rédigé la plupart des textes,
choisi les photos et les illustrations. J'ai
recherché un dessinateur et, par Catherine
Bommelaer, ai eu l'occasion de faire travailler
des jeunes, Frédéric Grossi, Laurin et Éric
Coligaris). Pour deux articles, j'ai fait appel à
un journaliste pigiste, Jean-Jacques Antier, puis
à deux stagiaires, Marc Brua et Marie Hélène
Monge. Avec Jean-Marie Ciais, nous nous sommes
efforcés de les guider, de canaliser leur
enthousiasme, de les former, d'éviter leurs
erreurs... J'ai traité à plusieurs reprises le
thème de "Sophia Antipolis dans la bataille de
l'emploi" pour faciliter les démarches difficiles
des jeunes cherchant à entrer dans la vie active.
Dans mon enquête sur "l'Habitat Sophipolitain",
pour la première fois j'ai, timidement, dénoncé
quelques unes des erreurs commises pour inciter
des responsables à y remédier. J'ai réalisé
(questions et réponses) une interview de Jacques
Médecin. Ayant réussi à l'isoler dix minutes, j'ai
pu vérifier combien l'entourage fabrique les
personnages et attise inutilement "la guerre des
Chefs". J'ai consacré un numéro spécial aux "20
ans de Sophia" que j'ai été le premier à fêter (un
peu à l'avance!). J'ai essayé de promouvoir les
communes membres du SYMIVAL et les notables
locaux: une photo de notables (disparus)
considérés comme des pionniers a donné l'occasion
à mon ancien Préfet de faire preuve de quelque
mesquinerie... Dans un article intitulé "De
minimis non curat praetor", je me suis moi-même
hissé au rang "du prêteur, du Chef, de l'édile" en
écrivant "Et bien, il a tort..." au lieu de "Eh
bien, il a tort...". Peu à peu Symival Actualités
- dont la parution fut très régulière - fut
officiellement immatriculé comme organe de presse.
Il devint une véritable revue, de bonne qualité
après avoir abandonné une couleur froide (le vert)
pour l'ocre, couleur chaude (et un noir jugé
funèbre). Finalement, la quadrichromie fut adoptée
bien que plus coûteuse. Pierre Donnet et Alain
Catroux en furent satisfaits. Mais, peu à peu,
quelques divergences apparurent avec la SAEM (et
son éphémère Directeur René Bouronne). On me
reprocha à mots couverts mon souci d'oecuménisme,
notamment lorsque j'accordais une (juste) part à
Pierre Laffitte. Je ne fus pas informé de la
recherche d'un nouveau logo pour Sophia Antipolis
alors que je faisais moi-même moderniser par mes
jeunes celui du SYMIVAL esquissé par Francis
Palméro et plusieurs fois amélioré par Jean-Marie
Ciais à ma demande. Finalement en août 1990, j'ai décidé de
prendre une retraite complète. La transition, entre ma semi-activité et
ma retraite intégrale fut plus aisée que je ne
l'avais craint. D'abord, nous partîmes à la Preste
où Dilette dut recommencer une série de cures
thermales. Ensuite, on me demanda si je pouvais
fournir certains articles ou interventions sur
Sophia Antipolis. J'ai évidemment accepté car cela
me flattait et me donnait l'occasion de
synthétiser et d'actualiser mon livre. Le premier
article me fut commandé par Jean-Marie Mangou,
ancien Directeur des Services Fiscaux dans les
Alpes-Maritimes. Cet article devait être publié en
septembre. Il fut prêt avant mon départ du
SYMIVAL. Destiné à la Revue de la Société de
Géographie de Marseille, il évoquait bien
évidemment les relations de Nice et de sa rivale,
chef-lieu de Région. Il fut publié en février
1991. J'en fus assez fier: bien que le tirage ait
été limité à 300 exemplaires, la revue est publiée
sous la direction d'un professeur à l'Université
d'Aix-Marseille. Au surplus, Ferdinand de Lesseps
fut Président d'Honneur de la Société (que de
titres de gloire pour quelqu'un qui a failli être
l'arrière petit-fils de Gustave Eiffel!...). Le
deuxième article me fut proposé par la Directrice
des Archives Départementales pour la revue
trimestrielle "Mesclun" (Culture et tradition dans
les Alpes-Maritimes). Ce jeune Chef de Service
préféra s'adresser à moi (fonctionnaire donc en
principe objectif) plutôt qu'à un élu risquant de
s'attribuer un peu généreusement l'exclusive
paternité de Sophia Antipolis. Bien évidemment, la
revue étant publiée par l'Office Départemental
d'Action Culturelle, sous l'égide du Conseil
Général, je mis un certain accent dans mon article
sur le rôle des élus départementaux dans
l'aménagement de la technopole. Comme quoi
l'objectivité des organes de presse est toujours
quelque peu orientée! En l'occurrence, et en
dehors de l'objectivité, on peut constater que
l'Administration départementale n'est pas en
mesure d'assurer la régularité de ses
publications: l'article m'avait été demandé pour
fin 1990; par suite des carences de l'éditeur, il
a subi des retards successifs; j'en ai corrigé les
épreuves en juillet 1991 et en espère encore la
parution... retardée par une polémique publique
entre les autorités locales et le Préfet Yvon
Ollivier quant à l'extension de Sophia Antipolis.
Troisième opportunité: une invitation du Recteur
de l'Université de Pise à participer à un Congrès
organisé par ses soins sur le thème "Universités
et Technopoles". J'avais été en contact avec
M.G.F. Elia le 5 juillet 1989 à l'occasion de sa
"recherche sociologique sur la ville de Sophia
Antipolis". Il avait pris connaissance de mon
livre et souhaité que je contribue à le
renseigner. Le Congrès devait avoir lieu en
février mais il fut repoussé en avril à cause de
la guerre du Golfe (qui nous priva d'un second
voyage en Égypte!...). Dilette m'accompagna à
Pise. Nous y fûmes surpris par une vague de froid
et de mauvais temps mais bénéficiâmes de la
gentillesse et de la générosité de l'hospitalité
italienne. Mon exposé avait été programmé aussitôt
après celui du Recteur, avant celui de Ludmila
Spyridakis, Collaboratrice de Pierre Laffitte, de
celui du Professeur Lebraty au CERAM et de
nombreux autres intervenants étrangers et surtout
italiens: Sophia Antipolis est en effet un exemple
à suivre pour ces derniers. M. Elia en profita
d'ailleurs lui-même pour publier un ouvrage
sous-intitulé "Sophia, je t'aime!". Je fus écouté
avec attention. Par contre, je n'ai moi-même pas
tiré le meilleur profit des autres interventions,
faute d'une traduction simultanée satisfaisante.
Dans mes deux articles et dans mon intervention en
Italie, comme toujours depuis 15 ans, j'ai cherché
avec conviction à servir Sophia. Constatant une
certaine jalousie de l'État vis-à-vis de la Côte
d'Azur, j'ai rappelé que Sophia Antipolis avait
été déclarée d'intérêt national. J'ai déploré
certaines de ses faiblesses et souhaité que son
exemplarité soit poursuivie. Cette idée a été
développée et progressivement mise au point dans
mes trois textes successifs. J'en terminais avec
ma longue période d'écriture sur Sophia Antipolis. A notre retour de cure, en août 1991,
toujours démangé par le goût d'écrire et l'idée de
laisser une trace de mon passage sur terre, j'ai
repris ma saga familiale. Mon rendement a été
assez bon puisque j'ai terminé "Aïn Beïda", rédigé
"Alger et Blida", entrepris le récit de ma vie
professionnelle jusqu'en 1975, repris et terminé
les chapitres "Rubans et médailles" et "Écrire".
9+Il me reste à évoquer la période 1975-1990. Et à
remettre cent fois sur le métier mon ouvrage, à
polir ces textes rédigés un peu vite, au milieu de
mille occupations, voyages et obligations
familiales sans assez de continuité ni de moyens
informatiques modernes.Bref, j'ai de l'occupation pour quelques
temps encore. J'oubliais un article sur les tours de
France de la Flamme Olympique. Il a été publié,
scindé et remanié avec mon accord par "les Petites
Affiches". Puis, intégralement, par "l'Avenir Côte
d'Azur" avec des illustrations dont deux ramenées
de notre voyage touristique à Olympie. Je n'ai
bien évidemment perçu aucun droit d'auteur mais
j'ai été content d'être tiré à 3000 et 7000
exemplaires... Le 24 septembre 1991, rentrant de
l'Agence Havas où nous avions programmé un nouveau
séjour à Hammamet, j'ai trouvé une lettre de M.
Mezghani encore susceptible de me replonger dans
le dossier "Sophia Antipolis"! M. Mezghani est un
ancien ingénieur agronome tunisien, rencontré en
1982 au Café Maure du vieil Hammamet. Il a été
fonctionnaire à Constantine, à l'époque de
l'Algérie Française. Nous avions sympathisé et
entretenu de loin en loin quelques rapports. Il
est soucieux de coopération franco-tunisienne et
de l'avenir de son pays. Ayant lu mon livre et
certains de mes articles, il a lancé avec la
Chambre de Commerce locale l'idée d'une technopole
sfaxienne. Dans un article publié en août dernier
dans "la Gazette du Sud", il me cite, se félicite
de ses liens d'amitié avec "un des précurseurs du
Premier Technopole de France" et conclut en
évoquant l'avenir de Sfax et celui de sa jeunesse
qui va "s'attaquer, elle aussi, à la conquête de
l'An 2000". Cela m'a profondément ému!... Peu après, mes contacts avec le SYMIVAL
ont été relancés. Josette Diaz, Exposito,
Marie-Christine m'ont reproché d'être trop discret
et de ne pas faire suffisamment appel à eux pour
la frappe de mes textes, les photocopies etc....
Ma saga familiale, mon histoire militaire et la
relation de ma vie professionnelle les ont
d'ailleurs intéressé. Leur gentillesse m'a remis
au travail pour compléter, remanier ou corriger ce
qui pourrait constituer un témoignage algérianiste
assez substantiel allant de la grande guerre à
l'An 2000. Fin 1991, j'ai pensé que mes "mémoires
de guerre" pourraient peut-être être édités à
compte d'auteur. J'ai fait établir un devis mais
mon ami Ciais ne pouvant pas assurer la
commercialisation, même partielle, j'ai renoncé à
cette formule, onéreuse et qui m'aurait
personnellement imposé d'importantes tâches
matérielles et de très probables complications
fiscales. Sur les conseils de Maurice Mouchan
rencontré à la traditionnelle réception
préfectorale de janvier 1992, j'ai pris contact
avec Michel El Baze, un ancien Algérois, Président
de l'Association des titulaires de la Croix de
Guerre et de la Valeur Militaire. L'entretien a
été fructueux avec cet humaniste exceptionnel,
ancien engagé volontaire, prisonnier de guerre,
résistant, socialiste, gaulliste et marié avec une
très sympathique Autrichienne rencontrée en
captivité. Michel El Baze, féru d'informatique, a
lui-même artisanalement publié ses souvenirs de
guerre puis, dans le cadre de son association, 101
volumes de témoignages sur les grandes guerres au
XXème siècle. En guère plus d'un mois, il a édité
un 102ème ouvrage, le mien, "Classe 1941 -
Recrutement d'Alger - N° matricule 2105". Ce n'est
pas un succès littéraire mais quelques
appréciations d'amis ou de proches m'ont touché. Michel El Baze a été vivement intéressé
par ma saga familiale. Il l'a aussitôt "saisie"
sur son ordinateur et me presse de la publier car
pour les universitaires, assure-t-il, le contexte
renforce l'intérêt des matériaux apportés aux
historiens par les témoignages. J'y réfléchis. Mes
textes étaient seulement destinés à mes proches.
Au surplus le récit de ma vie professionnelle ne
risque-t-il pas de susciter de regrettables
polémiques?... Il pourrait, par contre, intéresser
des candidats à la Fonction Publique et contribuer
à la véritable histoire de l'Algérie Française...
V
Addenda
1 -
Matériaux généalogiques
sur
mes ascendants maternels
Michel El Baze m'a remis, le
22 Mai 1992, quelques exemplaires imprimés de ma
"Saga Familiale". Dilette, après en avoir fait une
nouvelle lecture, m'a fait observer, à juste
titre, certaines obscurités dans la rédaction du
passage relatif à mes grands parents maternels. Je
l'ai rectifié et me suis replongé dans mon dossier
généalogique. Celui-ci, longtemps négligé,
mériterait une remise en ordre et des recherches
plus approfondies. Je m'efforce, ci-après, d'en faire la
synthèse. A la 7° génération de mes ascendants,
figure un certain Pierre Chaussier, né à Bligny.
le Sec, à proximité de St Seine l'Abbaye, entre
1730 et 1750, au début du règne de Louis XV. Cet
aïeul était propriétaire fermier à Bligny. Il en
était maire à la naissance de son fils Denis, le
1er Janvier 1779, époque de graves disettes de la
fin du règne. Il s'était marié à Catherine
Capitain décédée le 9 Décembre 1779, à l'âge de 45
ans environ, sous le règne de Louis XVI. Denis Chaussier était prénommé Pierre
Denis sur les registre paroissiaux: il avait été
"ondoyé à la maison", en naissant, à cause d'un
danger de mort et baptisé le lendemain, sur les
fonts baptismaux. Il s'était installé à Verrey,
sous Salmaise, dans le canton de Flavigny, peut
être à l'occasion de son mariage avec Jeanne
Lombard, de Jally. les Moulins. Il y est décédé le
2 Janvier 1839, à l'âge de 65 ans passés. Son
épouse lui survécut jusqu'au 11 Janvier 1858. Elle
avait 82 ans, était toujours domiciliée à Verrey
et disposait de rentes. Denis avait 20 ans lors de
l'exécution de Louis XVI et 52 lorsque Napoléon
1er fût exilé à St Hélène. Il est mort sous Louis
Philippe. Son fils, Nicolas Chaussier, est né le 27
Germinal de l'An VII (le 16 Avril 1799).
Propriétaire cultivateur, Adjoint au maire de St
Martin, dans le canton de St Seine, il résidait
dans le Hameau de Fromenteau. Il s'est marié le 19
Novembre 1822, à l'âge de 29 ans, à Epigny, à une
jeune fille de 17 ans, Jeanne, Françoise,
Élisabeth Huot qui y était née. Douze ans plus
tard, le 27 Décembre 1834 - Nicolas avait alors 34
ans - est né leur fils, Paul Denis. Paul Denis épousa Marie, Claudine,
Henriette Dubois. Celle-ci était née à Dijon, le 8
Septembre 1837. Ses parents y avaient tenu une
pension de famille qu'avait fréquenté Gustave
Eiffel, l'ingénieur dijonnais devenu célèbre, de 5
ans l'aîné d'Henriette. Celle-ci - un fort bon
parti - avait été quasiment fiancée avec lui mais
s'était mariée avec Paul Denis Chaussier, en 1856
ou 1857. Eiffel demanda plus tard à sa mère de lui
trouver une bonne épouse et se maria lui-même le 8
Juillet 1862, (son épouse avait 17 ans; Henriette
25 ans avait déjà 2 enfants). Le mariage
d'Henriette et de Paul fût assez mal assorti, ce
qui ne les empêcha pas d'avoir 4 enfants : Paul,
Chaude, Philibert, mon grand père maternel en
1858, Bernard deux ans plus tard, Louis en 1845 et
Marcel en 1867. Le couple n'était pas doués pour
l'agriculture. Tout leur bien dû être vendu. Paul
Denis mourut en 1899, à l'âge de 65 ans, un an
après son fils Paul, mon grand père. Henriette
titulaire du brevet élémentaire devint
institutrice à Trouhans, vers St Jean de Losne et
Brazey en Plaine. Elle s'occupa de ses petites
filles Paule et Marcelle, (ma tante et ma mère
depuis peu orphelines de père), de Marcelle, leur
cousine, fille de Bernard et assura la charge de
deux autres de ses petits enfants, Charles et
Paul, fils de Louis. Le 10 Mai 1900, dans une
lettre à son fils Marcel, Henriette fît allusion à
la situation politique à Paris où s'ébauchait la
politique sociale de Millerand. Elle s'inquiéta
des retombées éventuelles d'un échec électoral de
son fils Bernard dans sa compétition avec "le père
Corbillot, un adversaire acharné" et des
difficultés supplémentaires qui en résulteraient
pour son autre fils, Louis, à se maintenir à
Chatillon. Henriette se déclara surmenée par son
travail à l'école, ses charges familiales et sa
situation financière. Elle recommanda à Marcel de
faire de sa petite fille "une bonne fille, simple
et naturelle, ce qui ne doit pas exclure du tout
la bonne tenue et la distinction". Sur un carnet,
elle notait soigneusement quelques recettes
culinaires, les dates de naissance et de décès des
siens et divers comptes (des rentrées de sommes de
10.000 F, des estimations de meubles et objets à
vendre ou à acheter), on dût l'amputer d'une jambe
et on citait ce que cette femme, un peu hors du
commun, disait au chirurgien: "Docteur, coupez ma
jambe assez haut afin de n'avoir pas à
recommencer: j'ai deux petits enfants à élever!".
Henriette Dubois, veuve de mon grand-père, Paul
Denis Chaussier, mourut à Trouhans le 17 Avril
1911. Elle était âgée de 73 ans. Mon grand père, Paul, Claude Philibert
Chaussier eut 20 ans en Octobre 1878. Il est
probable qu'il s'engagea dans l'Armée lorsque ses
parents durent vendre leur ferme. A moins qu'il
n'ait été tiré au sort pour 5 ans (1872: réforme
du service militaire. Janvier 1879: arrivée au
pouvoir des Républicains et de Jules Grévy). Il
fût sous Officier en 128e, à Sedan. Le 9 Novembre
1889, à Trouhans, âgé de 31 ans, il épousa Marie,
Prudence Droin, âgée de 19 ans qui lui fût
probablement présentée par sa mère, Henriette. Il
avait quitté l'Armée et était devenu employé de
commerce(?). Mes grands parents vécurent à Belfort
où naquirent leurs trois enfants: Paule en 1891,
Pierre en 1893, mort à l'âge de 9 mois, et
Marcelle, ma mère en 1895. Ils s'installèrent à
Modane ou mon grand père offrit à ses enfants les
5 volumes d'un nouveau dictionnaire
encyclopédique. Mais Paul mourut prématurément à
l'âge de 40 ans d'une "fluxion de poitrine", le 21
Avril 1898, à Trouhans. Mon grand père maternel
fût l'aîné de trois autre garçons: Bernard, Louis
et Marcel.Bernard eut deux enfants: Charles, Marie,
Henri qui épousa Ninette, une cousine, et fût
médecin au Congo Belge avant de se retirer à
Salins, dans le Jura; "la cousine d'Amérique" qui
épousa un soldat américain et vécut à Seattle,
avec sa fille Jeanine. Louis eut cinq enfants. Seul à Paris, en
1928, il vivait misérablement dans un infâme
taudis de la Place Clichy. Il gagnait de quoi
survivre en faisant "l'homme sandwich". Ancien
professeur d'Agriculture, il s'était mis à boire
après une typhoïde. Il était resté profondément
bon, bien élevé et délicat. Marcel, enfin, eut trois enfants:
Marcelle épousa Albert Michaud, ébéniste -marchand
de meubles à Seurre et eut un fils Bernard;
Maurice époux de Germaine Joignot retirée à
Trouhans avec sa fille Marcelle; Suzanne.
Celle-ci, à 89 ans, reste d'une étonnante
fraîcheur intellectuelle. J'avais six ans lorsque
j'ai assisté à son mariage le 19 Août 1927, à
Trouhans. Son mari, Pierre Bridon, devint
Inspecteur d'Académie. Il décéda le 29 Mars 1984,
à Vannes. Leur fils Michel est professeur au
collège Montaigne dans cette même ville. Marié à
Eve, une enseignante, elle aussi, ils ont deux
enfants Didier et Anne Claire. C'est grâce à ma tante Paule et, surtout
à Suzanne Bridon que j'ai pu recueillir quelque
précieux éléments de ma généalogie. Il me faudrait
beaucoup travailler pour recenser mes nombreux
petits cousins. J'ai connu à Fromenteau, dans leur vaste
maison, Georges Chaussier, un cousin qui vivait
avec sa mère, "la tante Herminie", son épouse
Louise, sa fille Ninette et épisodiquement avec un
ou plusieurs de leurs fils (Edmond, René, Maurice
et George). Ce furent tous de grands et beaux
garçons. L'aîné, Edmond avait épousé une Belge et
vécut en Belgique ce qui paraît expliquer pourquoi
le Dr Henri Chaussier cousin germain de maman fût
médecin au Congo Belge. Je ne suis pas remonté très loin en ce
qui concerne ma parenté, du côté de ma grand-mère
maternelle, Marie Droin. Je sais seulement que ses
parents étaient Pierre Droin, maire de Trouhans et
Prudence Camusard, dite "Fanny". Ils eurent quatre
enfants Émilie, Félix et Marie. J'ai bien connu
l'oncle Émile, frère de ma grand mère qui venait
nous voir à Brazey, juché sur un archaïque vélo
qu'il conduisait lentement. La tante Prudence, sa
femme, lui survécut malgré sa frêle constitution
et ses plaintes incessantes sur son état de santé.
Elle nous fit rire lorsqu'elle acquit sur le
marché de Brazey, de la cretonne fleurie et
colorée pour s'en faire des culottes. De cette
branche sont issus des Gillot, Rougeot,
Desgranges, Gautherot, Lauvergnier, Bornes... Et
bien d'autres.
Nice, les 28.V.et
26. VIII. 1992
2 - Documents
Autour du 12 Février 1921
En Juin 1991, J'ai reçu de
ma cousine Denise Bornes plusieurs lettres
vieilles de plus de 70 ans, adressées à ma tante
Paule et relatives aux circonstances de ma
naissance, le 12 Février 1921 à Alger, rue
Villotran. La première émane de ma grand-mère
maternelle venue assister maman à l'occasion de sa
première grossesse. Elle est écrite sur le papier
à en tête de Brazey ("Épicerie, mercerie,
faïences, spécialités de café: brûlage à la
maison; café, restaurant"). Cette grossesse avait
été contrariée depuis une quinzaine de jours par
une fluxion dentaire, une dent de sagesse
arrachée, une inflammation osseuse, un gros abcès
qu'il fallut inciser à domicile après anesthésie
le 11 Février. Maman, "dure à la souffrance, fut
gaie à son réveil". Le même jour, papa, évoqua à son tour ,
pour sa belle soeur et son beau-frère, ses
souffrances, ses nuits d'insomnie, sa joue
démesurément enflée. Reprenant la plume le 13 Février, ma
grand-mère précisa les circonstances de ma venue
au monde, le samedi 12 Février 1921, à 9 H 1/2.
Maman, ayant dû se faire administrer deux
lavements successifs, ressentit dans la nuit de
violentes coliques. La délivrance s'annonçant, la
sage-femme avait été appelée et était arrivée deux
heures avant. "Sans ses bandages, toujours bien
fraîche, elle aurait fait une jolie accouchée",
estima ma grand-mère, surmenée depuis 3 semaines
et qui éprouva quelques longues minutes de
malaise. Nouvelle lettre de ma grand-mère le 14
Février. Elle s'inquiéta de la santé de ma tante,
grippée à Paris où, avec son mari, elle n'a encore
pu trouver un logement. Elle se réjouit de leur
projet de voyage à Brazey et peut être à Alger.
Maman espérait se lever le dimanche suivant après
9 jours de lit à cause de l'abcès et des drains.
"Le petit Robert est magnifique, de longs cheveux
comme sa maman les avaient. Il dort toute la
journée, à soif vers 11 heures mais ne tète pas
encore assez fort". Maman a pu écrire à son tour le 21
Février, venant de se lever et évoquant
"L'événement précipité qui n'a pas eu de mauvaises
conséquences: Bobby est superbe. On le voit
pousser déjà et il ne souffre pas". Elle-même
avait bien maigri. Son abcès était de forme
gangreneuse et il lui fallait éviter de contaminer
autrui. Elle n'avait pas eu la permission
d'embrasser son "petit" les premiers jours.
"Pouvoir se peigner et se débarbouiller est un
luxe", indique-t-elle. Il a fallu se mettre à
trois, Alex, maman et moi pour débroussailler mes
cheveux. En ce moment le petit Bobby dort dans une
corbeille. Le berceau n'était pas prêt, ma belle
soeur ayant mis un peu de superstition dans les
préparatifs à l'avance". Maman demandait à sa
soeur d'aller voir aux Galeries si les prix des
voitures étaient les mêmes qu'à Alger. Elle
précisait qu'Alex avait touché la seconde partie
de la prime. "La sage-femme n'a pris que 100 F,
ajouta t-elle, mais comme nous avons 210 F de
frais de médecin et la pharmacie, notre budget
s'équilibre. Ces frais seront remboursés en
octobre aux 4/5. J'ai peur qu'on nous passe des
difficultés: il y a eu deux médecins qui ont fait
chacun une note un peu plus forte. L'opération a
coûté 60 F. 30 F pour arracher ma dent et 20 F par
visite. Il ne fait pas bon être malade en ville!
Heureusement que la Banque pare à cela. Il parait
que beaucoup ont des remboursements de plus de 300
F. J'ai envie de faire la surprise à Alex de
l'attendre sans me recoucher. Dans 1 mois, nous
serons réunis, espérait-elle. Bobby vous sourira,
il commence, on dirait, quand ce n'est pas une
grimace". Le 21 Février, ma grand-mère signala que
son départ avait été fixé au 20 Mars ajoutant
avoir soigné "cette pauvre Marcelle avec toutes
les attentions d'une mère sans épargner (mes)
peines. Elle s'est levée de 1 h jusqu'à 7 heures
trente. Je voudrais bien qu'une douzaine de
bouteilles de ma cave se trouvent dans un placard
ici pour lui donner des forces. Le petit Robert
est très gentil, il tête sa goutte et dort presque
tout le temps. Je serai heureuse de vous avoir à
Pâques. Combien de temps resterez-vous? Donnez moi
des nouvelles de votre sortie dans le monde",
ajoutait-elle.
Documents
Cf le
CDRom
|