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                   Index historique ElBAZE  corpus                                                        
Liste des 134 manuscrits   #Manuscrits                

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Robert FOUICH

107

Des Dardanelles

à Sophia Antipolis

Les Dardanelles, Cassino,

l'Algérie Française, Sophia Antipolis

Guerre 1914 - 1918

Guerre 1939 - 1945

Témoignage

Nice - Septembre 1992

Analyse du témoignage

Écriture : 1992 - 263 Pages

POSTFACE de Michel EL BAZE

Ce témoignage me parait satisfaire pleinement les règles que m'ont "imposées" les professeurs Paul Raybaut et Ralph Schor quand, découvrant ma collection, il me demandèrent "d'exiger" des témoins de se placer dans leur famille, leur clan, leur clocher pour écrire leur récit de vie, apportant ainsi aux chercheurs de disciplines diverses - et non seulement aux historiens - les matériaux qui leurs permettront d'écrire l'Histoire de notre Pays, les péripéties de notre temps et de mieux appréhender les mentalités contemporaines. Des Dardanelles à Sophia Antipolis débute, en fait, en 1912 par l'arrivée en Algérie de quelques Audois . Après les longues années de la Grande Guerre l'un deux y revint en 1919 avec sa jeune épouse Bourguignonne. Sont évoqués : l'Algérie Française heureuse, le bled et Alger la Blanche, les Chantiers de la Jeunesse, l'École des Élèves Officiers de Réserve de Cherchell, le 7è RTA, la Campagne d'Italie et Cassino où Robert Fouich fût blessé au combat. C'est, enfin, la passionnante relation d'une demi siècle de fonctions administratives les plus diverses et en apothéose, la Capitale Contribution de témoin à "l'aménagement de Sophia Antipolis, à sa création et à la réussite" de la prestigieuse technopole
This testimony dressed me to satisfy fully rules that have me "imposed" professor Paul Raybaut and Ralph Schor when, discovering my collection, they asked me to demand witnesses to place in their family, their clan, their steeple to write their account of life, bringing thus to various discipline seekers - and not only to historians - materials that will allow their to write the History of our Country, adventures of our time and to better apprehend contemporary mentalities. From Dardanelles to Sophia Antipolis begins, in fact, in 1912 by the arrival in Algeria of some Audois. After the long years of the Great War. One return in 1919 with his youth marries Burgundy. Are evoked : the happy "French Algeria", the "bled" and Algiers the White, Yards of the Youth, the School of Pupils Officiate Reserve of Cherchell, 7th RTA, the Campaign of Italy and Cassino where Robert Fouich was hurt to the combat. That is, finally, the passionnante relationship of an half century administrative function the most various and in apotheosis, the Capital Contribution of witness to the adjustment of Sophia Antipolis, to its creation and to the success of the prestigious technopole

PRÉFACE DE RENÉ BOURGEON

Professeur

Ancien Doyen de la Faculté de Médecine de Nice

Membre de l'Académie de Médecine

Président du Cercle Algérianiste des Alpes-Maritimes

En présentant "Des Dardanelles à Sophia Antipolis", on s'attend à découvrir un Français comme tant d'autre; cependant, l'attention ne peut qu'être attirée par les deux mots si simples: "Recrutement d'Alger. Cette petite précision frappait fort peu l'opinion il y a plus de 30 ans; l'Algérie c'était tout simplement la France. Mais, après avoir été des "Africains", puis des "Algériens" ces hommes ont été baptisés "Pieds-Noirs" et on ne cesse plus de parler d'eux, dans les discours et les livres; langues et plumes s'activent!... La spécificité de ces hommes et des ces femmes est telle que les chercheurs du monde entier s'intéressent à leur sort et à leur identité. Tout naturellement, les associations nationales d'intérêt public comme le Cercle Algérianiste, recueillent les documents relatifs à cette époque de l'Histoire de France. Mais ce n'est pas seulement à ce titre que le texte de Robert Fouich est passionnant; il m'a intéressé aussi en raison des relations personnelles et professionnelles qui m'ont fait connaître de très près sa carrière. Son recueil présente une vision globale du curriculum de sa famille et de sa vie, en même temps qu'ils fournit les souvenirs détaillés des différents épisodes et des multiples contacts qui on jalonné une carrière bien remplie. La saga familiale évoque bien la spécificité du véritable "Pied-Noir", la rencontre du combattant des Dardanelles au sein de l'Armée d'Orient, avec la survivante d'une famille éprouvée par l'occupation allemande d'une partie de la France, en 1917. L'installation du jeune couple métropolitain dans une province française en voie d'expansion illustre la vie de ces cadres dont la carrière s'est déroulée depuis les gros villages jusqu'aux préfectures et à la capitale: Aïn Beida, Affreville, Blida, Constantine, Alger. La vie itinérante et enthousiaste de ces fonctionnaires de la IIIe République a développé l'Administration certes, mais aussi répandu la culture française dans un pays où les structures étaient encore à consolider après de si longs siècles d'abandon La jeunesse de Robert Fouich est marquée par les pérégrinations d'écoles à lycées au gré de la carrière du chef de famille. A l'adolescence, en 1941, l'Algérie, profondément meurtrie, est à l'heure des Chantiers de la Jeunesse. Voici donc l'enrôlement au Groupement 103 des Chantiers de Blida. La libération de ce service légal est brève, car vint l'heure du débarquement allié du 8 Novembre 1942. Le rappel sous les drapeaux 10 jours plus tard, conduit le jeune Fouich, âgé de 21 ans, à Cherchell, avec l'École des Cadres de cette armée africaine, dont la bravoure va étonner alliés et adversaires de la France. A peine terminée l'instruction des Élèves Officiers, le 7ème RTA est lancé en Italie en direction de Venafro et de Cassino. Ce sont les rudes et héroïques combats des Abruzzes de l'hiver 1944, avec la percée historique de la redoutable ligne Gustav, dont la prise du Belvédère est la consécration. Mais le 3 Février 1944, c'est une grave blessure qui interrompt cette carrière militaire si inattendue. Carrière qui n'est qu'un entracte dans le curriculum d'une activité civile qui ne cessera pas malgré les péripéties d'un expatriement. Il existe, en effet, une période algérienne qui a duré 42 ans, dont la moitié dans la Fonction Publique aux Préfectures d'Alger et de Constantine, au CATI et au Consulat Général de France durant lesquels se manifeste l'état d'esprit du véritable Français d'Algérie ni grand colon, ni important financier. Cette période traduit l'enthousiasme de création d'une si belle et honorable oeuvre sociale, nuancée d'un ardent patriotisme. Le "rapatriement" conduit Robert Fouich à exposer avec une grande émotion les dernier instants de l'Algérie française, puis les conditions tellement difficiles de l'organisation de cet imposant et dramatique exode. La séquence hexagonale est la 2ème vie de l'auteur. Elle s'est poursuivie à Nancy, Grenoble puis Nice. La préparation des Jeux Olympiques de 1968 et du symbole qu'est sa flamme, illustrent bien la fréquente improvisation qui préside aux réalisation des plus grandioses au sein du C.O.J.O. L'apothéose d'une carrière administrative allait se révéler dans un tout autre domaine et à Nice. Coordonner une réforme administrative et organiser l'information auprès du Préfet des Alpes-Maritimes, ont été le tremplin d'une participation à la vie locale et économique du Département. L'étude d'une communauté urbaine avec Nice comme chef-lieu et des districts environnants fut le prémice de ce qui allait devenir l'aménagement du Plateau de Valbonne (1975-1990). L'association de cinq communes allait permettre la création de Sophia-Antipolis, fleuron exceptionnel de la technologie moderne. Les qualités bien connues de syndicaliste habile de longue date et d'organisateur administratif réputé, ont permis à Robert Fouich de négocier entre les aspirations des uns et les réticences des autres... Pour mener à son terme l'oeuvre phare de Nice et de la Côte d'Azur, en qualité de Directeur puis Conseiller du SY.MI.VAL. Ces lignes trop brèves ne peuvent qu'être un encouragement à se plonger dans l'original. Préfacer un tel recueil est un honneur que j'apprécie d'autant mieux que j'ai pu suivre de près les méritoires et courageux efforts de l'Homme lors de son implantation niçoise en 1964 à la Direction des Rapatriés, alors que j'étais moi-même Conseiller auprès de François Missoffe. Plus tard, étant aux prises avec la création de la Faculté de Médecine, j'ai apprécié le dynamisme et l'esprit créatif du Conseiller Technique du Préfet des Alpes-Maritimes, puis sa foi, peu partagée alors par les administratifs, en l'avenir de cette première technopole européenne qu'est Sophia-Antipolis, dont la réputation est aujourd'hui mondiale. Tous mes compliments les plus chaleureux à Robert Fouich et à cet autre "Pied-Noir" qu'est Michel El Baze; ils sont les véritables "luminairistes" de la pensée française en Algérie et contribuent à immortaliser la belle flamme destinée à honorer à jamais les Français d'Algérie.
In presenting "From Dardanelles to Sophia Antipolis", one waits to discover a French as so other however, the attention is attracted by the two words so simple : Recruitment of Algiers. This small precision would knock strong bit the opinion there are more than 30 years Algeria was all simply France. But, after having been "Africans", then of "Algerians" these men have been baptized "Black-Feet" and one no longer ceases to speak of them, in speeches and language books and feathers activate !... The specificity these men and these women is such that seekers of the whole world concern in their lot and to their identity. Whole naturally, national associations of public interest as the Circle Algérianiste, collect relative documents to this period of the History of France. But this is only to this title that the text of Robert Fouich is fascinated he has concerned also, by professional and personal reason, relationships that have me made know very near his career. His testimony presents a global vision of the curriculum of his family and his life, at the same time they provide precise souvenirs of the different episodes and the multiple contacts that one lined a well filled career. The saga family evokes well the specificity of the real Black-Foot, the encounter of the combatant of Dardanelles within the Army of Orient, with the survivor of a staunch family by the German occupation of a part of France, in 1917. The installation of the young couples metropolitan in a French province in the process of expansion illustrates the life of these frameworks whose career is unfolded since the large villages until prefectures and to the capital : Aïn Beida, Affreville, Blida, Constantine, Algiers. The enthusiastic and itinerant life of these officials of the IIIth Republic has developed the Administration indeed, but also spread the French culture in a country where structures were again to consolidate after so long centuries of desertion The youth of Robert Fouich is marked by peregrinations of schools to high schools according to the career of the chief of family. To the adolescence, in 1941, Algeria, deeply bruised, is to the hour of Yards of the Youth. Here is therefore the enrolment to the Grouping 103 of Yards in Blida. The liberation of this legal service is brief, because came the hour from the allied landing 8 November 1942. The reminder under flags 10 days later, conduits the young Fouich, old of 21 years, to Cherchell, with the School of Frameworks of this African Army, whose bravery is going to surprise allies and adversaries of France. Hardly ended the instruction of Pupils Officiate, 7th RTA is launched in Italy in direction of Venafro and Cassino. These are the rough and heroic combats of Abruzzes in the winter 1944, with the historical opening of the fearsome line Gustav, whose plug of the Belvédère is the consecration. But 3 February 1944, is a serious injury that stop this unexpected military career. Career that is an intermission in the curriculum of a civil activity that will not cease despite adventures of a repatriation. There exists, indeed, an Algerian period that has lasted 42 years, whose half in the public service to Prefectures of Algiers and Constantine, to the CATI and to the General Consulate of France during which demonstrates the state of real French spirit of Algeria neither great colonist, neither important financier. This period translates the enthusiasm from creation of a so beautiful and honorable social work, a fiery patriotism. The repatriation behaved Robert Fouich to expose with a great emotion the last instants of the French Algeria, then the so difficult conditions of the organization of this imposing and dramatic exodus. The hexagonal sequence is the 2th life of the author. It is continued to Nancy, Grenoble then Nice. The Olympic Game preparation of 1968 and the symbol which is its flame, illustrate well the frequent improvisation that presides over realization of the grandest to the breast of the C.O.J.O.The apotheosis of an administrative career was going to appear in a whole other area and in Nice. To coordinate an administrative reform and to organize the information beside the Prefect of Alpes-Maritimes, have been the springboard to a participation to the economic and local life of the Department. The study of an urban community with Nice as chief-place and districts was the primacy of what was going to become the adjustment the Tray of Valbonne (1975-1990). The association of the five communes was going to allow the creation of Sophia-Antipolis, exceptional floret of the modern technology. Well known qualities of syndicalism clever for a long time and reputed administrative organizer, have allowed Robert Fouich to negotiate between aspirations of the ones and reticences of others... To lead to its term the beacon work of Nice and the Coast of Azure, in quality of Director then Counselor of the SY.MI.VAL. These too brief lines are an encouragement to dive in the character. To preface a such collection is an honor that I appreciates as much better that I have been able to follow by near the meritorious and courageous effort of the Man during his implantation niçoise in 1964 to the Direction of Repatriates, while I was to Counsel myself beside François Missoffe. Later, being to plugs with the creation of the Ability of Medicine, I have appreciated the dynamism and the creative spirit of the Technical Counselor of the Prefect of Alpes-Maritimes, then his faith, shared bit then by the administrative, in the future of this first European technopole which is Sophia-Antipolis, whose reputation is today world. All my most cordial compliments to Robert Fouich and to this other Black-Foot Michel El Baze, they are the real luminairistes of the French thought in Algeria and contribute to immortalize the beautiful flame destined to honor forever French of Algeria.

PRÉFACE DE MAURICE MOUCHAN

Maire-Adjoint de Nice

"Classe 1941 - Recrutement d'Alger - n° matricule 2105" est l'intéressant témoignage de Robert Fouich sur une tranche de vie de l'Algérie française. C'est le récit détaillé des services militaires ou assimilés qu'il a effectués entre 1941 et 1945. L'auteur a d'abord accompli son service civil obligatoire dans les Chantiers de la Jeunesse 103 à Sidi-Ferruch et Mahelma. Libéré en janvier 1942, il a adhéré à l'Association des Anciens des Chantiers, à Blida. Mais, aussitôt après le débarquement des Anglo-saxons du 8 novembre 1942, il est mobilisé dans les Chantiers de la Jeunesse militarisés. Il est envoyé à Fort de l'Eau et El Riath, à Rovigo puis à Mouzaïaville et El Affroun. Nommé au grade d'Assistant, il participe à la chaîne de montage des GMC fournis par l'Amérique à la France au Champ de Manoeuvre, à Alger. Il est ensuite affecté à l'Ecole des Elèves officiers de Cherchell où il appartint à la 2ème promotion "Tunisie" (été 1943) et est nommé Sergent breveté Chef de Section. Il choisit alors le 7ème RTA, à Sétif, où il commande un peloton d'élèves caporaux, avant d'aller embarquer pour l'Italie à Bizerte. Il participe, dans l'infanterie, aux durs combats des Abruzzes. Il est blessé grièvement le 3 février 1944, sur le Belvédère et doit abandonner la 10ème Compagnie. C'est alors le retour à Blida, au centre de fracture, la réforme définitive et la réintégration à la Préfecture d'Alger. Dans un dernier chapitre bien documenté, Robert Fouich apporte son témoignage sur la façon dont certains événements historiques ont été vécus en Algérie et les mentalités de l'époque 1940 1945. Il tire les enseignements de la victoire du Corps Expéditionnaire Français en Italie qui conquiert Rome et atteint Sienne. Evoquant la décolonisation, il exprime l'espoir d'un nouveau sursaut français et pense possible le rétablissement de relations étroites entre la France et le Maghreb. L'auteur a publié en 1985 un important ouvrage de références sur Sophia-Antipolis, la première technopole européenne (320 pages). Je suis heureux de retrouver dans ce témoignage, un camarade de promotion de l'Ecole des Elèves Aspirants de Cherchell. Robert Fouich retrace dans ces lignes une période où la Jeunesse Française d'Afrique du Nord, alliée à tous leurs camarades qui nous avaient rejoints en passant par l'Espagne, se montraient avides de participer à la libération du territoire métropolitain. L'enthousiasme qui transparait du récit est bien symptomatique de l'état d'esprit qui régnait à cette époque. Merci à Robert Fouich d'avoir contribué à la connaissance de la mentalité de la jeunesse "Pied Noir" en cette période cruciale de notre existence et merci à l'Association Nationale des Croix de Guerre et Valeur Militaire et à son président de la Section de Nice d'avoir fixé ce témoignage pour le confier à la postérité.

ROBERT FOUICH

Je ne me suis pas appliqué ici à faire une oeuvre littéraire.

Ceci n'est que la consignation aussi exacte et objective que possible

des quelques jours vécus de la Campagne d'Italie,

la reproduction étoffée de mon carnet de route.

Mon but était de créer un document plus fidèle que la mémoire

et ce à ma seule intention.

C'est à dire que je n'ai pas fait d'efforts pour modifier ou enjoliver

ni d'ailleurs pour bien écrire.

J'ai d'ailleurs eu beaucoup de mal à terminer.

Blida, Mai 1944

Table

Préface de M. le Professeur René Bourgeon 9

La mémoire 13

I - Saga familiale - 1912 - 1964 15

1 - Des Dardanelles à Salonique - Mon père 1911 - 1918 17

2 - Brazey-en-Plaine - Ma mère 1917 - 1919 19

3 - Tizi-Ouzou - Alger - Affreville - Ain Beïda - Notre enfance 1921 - 1933 21

Tizi - Ouzou (1919 - 1920) 21

Alger (1920 - 1925) 21

Affreville (1925 - 1928) 22

Ain-Beida (1928 - 1933) 23

4 - Alger 25

Études secondaires 1933 - 1941 25

Blida (1941 - 1949) 27

II - Classe 1941

- Recrutement d'Alger - n° matricule 2105 49

Préface de M. Maurice Mouchan 51

1 - Les Chantiers de la Jeunesse - Un service civil obligatoire 53

Les Anciens des Chantiers 54

Les Chantiers militarisés 54

2 - L'École des Élèves Officiers de Cherchell 56

3 - Le 7e Régiment de Tirailleurs Algériens 58

Sétif 58

En route pour l'Italie! 60

Les Abruzzes et le Belvédère 64

L'hôpital et la réforme 89

4 - Contexte historique 91

III - Un demi siècle de fonction publique 121

1 - Rédacteur Temporaire à la Préfecture d'Alger - 1942 - 1946 123

2 - Rédacteur, Chef de Bureau puis Attaché à la Préfecture

de Constantine - 1946 - 1956 125

3 - Alger - 1956 - 1962 - Attaché puis Chef de Division de

Préfecture - Détaché au CATI - Mis à la disposition du

Consulat Général de France 127

4 - Nancy - Aide Sociale et Tutelle Hospitalière - 1962 - 1964 136

5 - Nice - Direction des Rapatriés - 1964 - 1967 139

6 - Grenoble - Les Xèmes Jeux Olympiques d'Hiver - 1967 - 1968 143

7 - Quatre ans au Cabinet du Préfet des Alpes-Maritimes - 1968-1972 147

8 - La D. E. C. E. - 1972 - 1975 152

9 - Sophia Antipolis et le SYMIVAL - 1975 -1990 158

10 - Cannes - Délégation Spéciale - Janvier 1990 166

11 - Syndicalisme et défense corporative 170

a) Les Syndicats 170

b) L'Association des Directeurs de Préfecture 173

En guise de bilan 181

IV - Fermez le ban !.. 203

1 - Rubans et médailles 205

2 - Ecrire... 213

V - Addenda 225 1 - Matériaux généalogiques sur mes ascendants maternels 227 2 - Documents - Autour du 12 Février 1921 230

Index 249

La mémoire

La mémoire : seul bagage incessible

Jacques ATTALI

I

Saga familiale

1912 - 1964

1 - Des Dardanelles à Salonique

Mon père 1911 - 1918

Promu, en raison de sa bonne conduite, à la première classe, à compter du 1er septembre 1914, alors qu'il n'avait pas encore 21 ans, le soldat Fouich Pierre-Alexandre ne désespérait pas d'arriver au grade de général avant une quarantaine d'années de services. Très fier de cette distinction, il en fit part, de Seddul-Bahr, à ses "chers aimés" de Limoux avec une satisfaction qui perçait sous une pudique ironie, invoquant la classe: "Noël! Noël! Anges joufflus, chantez et vous, braves gens, esbaudissez-vous... mieux vaut la classe, oh gué! mieux vaut la classe..." Que d'événements pour le jeune provincial en tout juste deux ans!... Il avait quitté le logis familial et la forge paternelle, après un court intérim d'instituteur, pour aller... "en Afrique", rejoindre sa soeur Elodie, de treize ans son aînée. Jean Tisseyre, son aventureux beau-frère, comptait bien faire rapidement fortune dans le négoce des vins algériens. Mais, Pierre jugea vite plus sage de rechercher un emploi indépendant et stable; agréé comme commis stagiaire à la Banque de l'Algérie, il avait été affecté en 1912 en Grande Kabylie, dans la petite bourgade de Tizi-Ouzou. Bel homme, véritable dandy, il était allé poser, en 1913, dans le studio du photographe local. Elégamment appuyé sur sa canne à pommeau d'argent, il avait fière allure dans son costume trois-pièces tout neuf, avec son col empesé et sa cravate soigneusement nouée, son canotier à large ruban, la moustache élégante, le regard direct quoique un peu rêveur. Son initiation bancaire fut interrompue par son appel sous les drapeaux, peu après son vingtième anniversaire. Envoyé en garnison à Bastia, il terminait ses classes lorsque fut déclarée la guerre. Cette guerre - "la Grande" - survenait aux lendemains des conflits balkaniques de 1912 et 1913. Elle devait s'avérer mortelle pour l'Empire Ottoman dont le reflux territorial se poursuivait lentement mais inexorablement depuis trois siècles. L'alliance de la Turquie à l'Allemagne et à l'Autriche- Hongrie puis l'ouverture des fronts russe et serbe firent que, moins d'un mois après le début des hostilités - dès le 1er septembre 1914 - Pierre - qui avait finalement adopté son deuxième prénom Alexandre, peut-être en hommage au grand conquérant macédonien qui apporta la civilisation grecque en orient - se retrouva à l'extrême sud de la presqu'île de Gallipoli, à une heure de bateau de l'île de Ténédos, dans la mer Egée, au nord de Lesbos. La France, la Grande-Bretagne, la Russie et la Serbie firent front à l'ennemi. Chacun pensait que la guerre serait brève. En février 1915, la force navale détachée au Levant, sous le commandement de l'Amiral Guépratte, à l'initiative de Winston Churchill, appareilla pour les Dardanelles. L'Amirauté britannique voulait entreprendre le passage du détroit avec la flotte, seule, alors que l'amiral Carden estimait préférable d'attendre la coopération des troupes destinées à marcher sur Constantinople. L'attaque fut déclenchée le 18 mars 1915. Elle se solda par des pertes sévères: 628 hommes et 20 officiers hors de combat; 3 cuirassés coulés; de nombreux bateaux avariés. Le 25 avril, le Corps du Général Amade devait participer avec un bataillon sénégalais à un débarquement sur la presqu'île de Gallipoli et la pointe asiatique de Koum Kaled; ce fut l'occasion d'une relève et Alexandre put s'embarquer pour la France avec de nombreux permissionnaires. Il s'arrêta à Marseille et se fit photographier, grave, le cheveu dru, clair et ondulé, la moustache conquérante... agenouillé sur un prie-dieu... une cigarette non allumée entre les doigts. Il retrouva à Limoux, son père, François et Mélanie, sa mère, qui s'étaient fait beaucoup de souci pour lui, seul fils de leurs quatre enfants. Elodie, sa soeur aînée, avait quitté depuis longtemps la maison familiale construite, pierre à pierre, autour de la forge à l'angle de l'avenue du Pont de Fer et de la rue d'Aude, avec seulement l'aide d'un tâcheron et celle d'amis. Au village, lorsqu'elle y revenait, on ne reconnaissait plus ses trois fils, Georges, Louis et Pierre, tant ils avaient grandi. Joséphine, la seconde, avait 28 ans; son mari - Jean - était au front et l'insouciante gaieté de son petit Jojo, 4 ans, ne parvenait pas à apaiser son angoisse. Jeanne, la dernière des quatre enfants Fouich, la plus jeune soeur de Pierre, avait maintenant 19 ans. Elle était devenue diablement jolie! ... Mais les jours de permission passent vite. Il fallut bientôt repartir. Le front français se stabilisait. En Orient, les stratèges ne parvenaient pas à s'entendre sur les objectifs de l'expédition des Dardanelles: simple diversion ou ouverture des détroits aux russes? La chaleur fut forte en juillet 1915 et des myriades de mouches devinrent un insupportable fléau. Les pertes furent énormes: 32.000 tués, 13.000 disparus, 100.000 blessés et médiocres furent les résultats. L'échec fut constaté et les troupes alliées débarquèrent en octobre 1915, à Salonique, contraignant les allemands à une guerre sous-marine sans restriction, qui fut la cause de l'inter-vention américaine. En mai 1916, Alexandre qui avait obtenu la croix de guerre était aux frontières gréco-serbo-bulgares. Avec son copain Léon, il disposait à Kirie, en Macédoine grecque, d'une "maison de campagne" devant laquelle ils avaient planté leur tente. La température était déjà élevée, mais Alexandre était en parfaite santé: calot de repos coquettement incliné sur le crâne, en treillis, il commençait à prendre goût à la pipe. Mais il trouvait le temps fort long malgré les lettres d'une jeune bourguignonne, Marcelle Chaussier, avec qui il avait été mis en relation par son vieil ami Papillon. En juin 1917, enfin, il obtint une nouvelle permission. Le 21, il arriva dans la jolie rade de Tarente après une traversée difficile. Il adressa aussitôt une carte postale à Limoux, précisant qu'il espérait partir par chemin de fer, le soir même et retrouver les bords de l'Aude vers le 30. Mais il dut attendre encore 48h. Il quitta Livourne le 25 juin au matin et arriva le soir à Gènes, après un voyage magnifique. La population italienne fit un accueil enthousiaste aux permissionnaires français, charmés par le paysage de la Riviéra et ses 40 km de superbes villas. Après Vintimille et Marseille, ce ne fut pourtant pas vers Limoux qu'il se dirigea tout d'abord. Il fit un crochet par Brazey-en-Plaine, dans la Côte d'Or, d'où, pour s'excuser, il promit à ses parents 21 jours complets de séjour à Limoux. "Vous n'avez rien à regretter", les assura-t-il peu après... "ni moi non plus", précisa-t-il, car son séjour bressan lui avait permis de connaître sa marraine de guerre et de la découvrir plus jolie et plus douce encore qu'il ne l'avait imaginée d'après les portraits qu'elle s'était faits faire chez Chesnay, à Dijon. Lui aussi, se rendit au studio bourguignon pour poser, les joues pleines, le teint frais, les cheveux frisés et fraîchement taillés, la moustache moins élégante, plus sobre et plus courte qu'à Tizi-Ouzou ou même qu'à Marseille, l'uniforme de gros drap bleu horizon du 176ème Régiment d'In-fanterie, plus sobre. Après 3 semaines limouxines, il fallut, hélas, repartir mais, dès Tarascon, le 28 juillet 1917, le cafard avait disparu. Le 4 août, Alexandre s'apprêta à se rembarquer à Marseille. A Négovani, il retrouva avec plaisir son ami Léon Freytes, qui, deux ans après, épousa sa soeur Jeanne, à Limoux. La guerre et le séjour des armées alliées en orient se prolongeaient. Le 15 septembre 1917, une offensive générale ordonnée par le nouveau commandant en chef, le Général Franchet d'Esperey, contraint la Bulgarie à demander l'armistice. Constantinople fut occupée le 17 novembre 1917. Fin 1918, le caporal Pierre Fouich fut pressenti pour poursuivre sa carrière militaire en direction de la Roumanie, du Danube et de la Russie, mais six années de services militaires avaient suffi à son bonheur. L'armistice venait d'être signé. Il préféra rejoindre la France, où Marcelle l'attendait, puis l'Afrique et la Banque d'Algérie qui l'avait titularisé.

2 - Brazey-en-Plaine

Ma mère 1917 - 1919

Le 28 mars 1917, lorsqu'on lui souhaita son vingt deuxième anniversaire, Marcelle Chaussier ne put retenir ses larmes. Son ouïe, décidément, ne s'améliorait pas et elle ne pouvait pas se résigner à ne pas tout saisir de ce qui se disait autour d'elle, de se trouver exclue des plaisanteries et des rires... Elle s'indignait d'avoir à subir une cruelle infirmité imputée à une banale ablation des amygdales. L'atmosphère était d'ailleurs devenue mélancolique dans la grande maison si animée, il y a encore moins d'un ans, lorsque Joseph Balme, restaurateur, accueillait ses hôtes bruyants, tout heureux de faire étape à Brazey. Le gîte était réputé à plus d'une lieue à la ronde, notamment pour la qualité de sa table! On y logeait confortablement "à pied et à cheval". Hélas, Joseph qui n'avait que 58 ans avait disparu, laissant sa compagne Marie, mère de Marcelle, veuve pour la deuxième fois. Il avait été un bon mari et avait choyé Marcelle et sa soeur Paule comme ses vrais enfants. Marcelle n'avait guère connu son père, Paul Chaussier, de Trouhaut (St Seine l'Abbaye), ancien du 128e à Sedan puis employé de commerce, à Belfort et Modane qu'une "fluxion de poitrine" avait enlevé à son affection. Il n'avait pas quarante ans; elle, tout juste trois. Sa mère, Prudence Marie Droin, était née à Trouhans (St Jean de Losne, près de Brazey) ;alors que les Allemands occupaient la maison familiale, sans égard pour la qualité du chef de famille, premier magistrat de la commune. Mariée à 19 ans, veuve une première fois à 28 ans, elle faisait de son mieux, veuve à nouveau à 46 ans, pour tenir seule son commerce. Elle s'appelait désormais Marie Balme-Droin, pour des raisons commerciales. Paulette, soeur de Marcelle, avait épousé, il y avait déjà 4 ans, un méridional, employé des contributions indirectes à Dijon, mobilisé comme officier, envoyé au front, gazé et soigné à l'hôpital temporaire de Martillac, en Gironde, dès 1915. Marcelle avait une grande affection pour Paule, son aînée de 4 ans, et beaucoup d'admirative sympathie pour Léo. Elle avait pourtant envié sa soeur d'avoir pu apprendre la musique, d'avoir pu poursuivre ses études à Dijon, de s'y être fait des amis. L'un d'eux, ancien condisciple de l'Ecole Normale, actuellement aux Dardanelles, lui avait procuré un filleul de guerre, Pierre-Alexandre Fouich, qu'elle appelera Alex, peut-être parce que le prénom de Pierre lui rappelait un petit frère, mort bébé, et qu'elle n'avait pas connu, ou parce que celui d'Alexandre évoquait le grand conquérant macédonien qui donna naissance, en orient, à une nouvelle civilisation. Alexandre ayant écrit qu'il espérait une permission, avait été invité à venir à Brazey. Ses lettres à l'écriture régulière et nette, au style agréable, étaient attendues avec impatience et curiosité. Marcelle avait envoyé à son lointain filleul le portrait qu'elle s'était fait tirer à Dijon, où elle avait accompagné sa soeur chez le photographe. Paule et Marcelle avaient posé tour à tour, sur le même fauteuil sculpté, fixant avec sérieux l'objectif. Elles portaient des robes jumelles à petits carreaux blancs et noirs, avec des parements blancs, assortis aux gants qu'elles tenaient à la main; la première était un peu plus ronde, la seconde un peu plus grande. Trois mois plus tard, Marcelle rencontra son filleul de guerre. Il lui plut, devint son fiancé, mais il fallut attendre encore plus de deux ans pour le mariage qui eut lieu à Brazey, le 6 septembre 1919, au cours de la permission libérable d'Alex. Ce fut alors le départ de Brazey, l'embarquement à Marseille, la traversée de la Méditerranée, l'arrivée à Alger, puis l'installation à Tizi-Ouzou...

3 - Tizi-Ouzou - Alger - Affreville - Ain Beïda

Notre enfance 1921 - 1933

Une vingtaine de kilomètres avant d'atteindre Constantine, la capitale orientale de l'Algérie, Alex (27 ans), Marcelle (25) et leurs deux enfants, Bobi et Janine, avaient changé de train à Ouled Rahmoun, abandonnant ainsi la grande transversale reliant le Maroc à la Tunisie via Alger. Ce fut, pour les Fouich, une heureuse diversion car la fatigue d'un long voyage commençait à se faire sentir. Le transbordement s'effectua sans trop de difficultés malgré le nombre et le poids des bagages. Le nouveau train, sur voie étroite, était pittoresque, le paysage surprenait par sa monotonie et Marcelle s'amusait à compter les arbres qui se faisaient rares. Il lui tardait d'arriver à Aïn Beïda car le mois d'octobre était déjà bien entamé: il fallait alors avoir 7 ans révolus pour être admis à l'école primaire et Bobi qui avait atteint l'âge de raison en février, allait se trouver à nouveau retardé par ce changement de résidence pour effectuer sa rentrée scolaire. Pour Janine qui venait seulement d'avoir six ans, en cette année 1928, c'était moins important!.. Tizi - Ouzou (1919 - 1920) Marié à Brazey le 6 septembre 1919, après sa démobilisation, Alex avait rejoint Tizi-Ouzou avec sa jeune épouse. Leur séjour n'y avait pas excédé dix mois car ils avaient rapidement obtenu une mutation dans la capitale où ils avaient séjourné cinq ans avant d'en passer trois à Affreville. Ain Beïda serait leur quatrième affectation. En Kabylie, les Européens étaient peu nombreux. Son chef-lieu n'était encore qu'une bien modeste bourgade dont, les jours de marché, les .indigènes du bled envahissaient les rues et encombraient jusqu'aux seuils des portes où ils jouaient aux dominos avant de sombrer dans une sieste profonde et de reprendre, à la fraîcheur, les chemins poussiéreux empruntés, à l'aller, dès l'aube. Marcelle, venue directement de sa lointaine Bourgogne, en avait un peu peur et s'habituait mal à la solitude durant les longues heures de bureau d'Alex. Fort heureusement, l'annonce d'une première naissance incita bientôt la Banque de l'Algérie à prendre en considération une demande de mutation pour Alger. Alger (1920 - 1925) Ce fut rue Villotran, dans un immeuble situé non loin du Champ de Manoeuvres, de la rue Sadi Carnot et de la rue Hoche que naquit, le 12 février 1921, le petit Robert, Jean, Philibert. Une sage femme, Mme Ausseill, présida à sa naissance car l'époque n'était pas encore aux accouchements en clinique. Marcelle - qui avait dû être opérée la veille d'un malencontreux flegmon - et Alex en furent très fiers: c'était un beau bébé blond qu'ils appelèrent Bobi. Ce surnom lui resta. Les Fouich se lièrent avec un collègue d'Alex, les Lorquin qui eurent leur petite Simone à peu près à la même époque. Lorquin, bachelier, eut le courage de préparer sa licence en droit après son mariage. Il devint plus tard directeur de la succursale de Tunis de la Banque de l'Algérie. Dix huit mois après, Janine vint compléter la famille. Elle aussi, fut un beau bébé, les cheveux très fins, d'un blond encore plus doré que ceux de Bobi, d'immenses yeux bleus, les joues bien remplies, le teint très clair. Affreville (1925 - 1928)Depuis la guerre, le coût de la vie ne cessait de croître et l'inflation se développait rapidement. Cette maladie avait traversé la mer et éprouvait les populations algériennes. Le niveau de vie des français d'Algérie était encore moins élevé qu'en métropole, contrairement à certaines apparences. Les salaires dans les banques étaient alors peu élevés et les allocations familiales pratiquement inexistantes. La victoire, en 1924, du cartel des gauches et l'envoi comme Gouverneur Général du socialiste Maurice Violette n'y changea rien. Les Fouich furent donc tout heureux, en mars 1925, d'être mutés à Affreville. Pour la première fois, ils allaient être logés dans les confortables immeubles modernes de la Banque, tous construits dans une même architecture cossue avec, en rez-de-chaussée, de solides grilles. Mais, dans la plaine du Chéliff, la chaleur estivale était de plomb et le paludisme n'avait pas encore été résorbé. Marcelle y attrapa la typhoïde. Pour lui éviter la contagion, on expédia Bobi à Alger où étaient arrivés depuis peu sa marraine, Paule, la soeur de Marcelle et son parrain, Léo, Chef du service des contributions au Gouvernement général: on profita d'une occasion et il prit le train accompagné par le monteur du chauffage central. Mais Léo, venu le réceptionner à la gare centrale, les manqua: ils étaient descendus à la gare de l'Agha, au plus près du 98 rue Michelet où oncle Léo et tante Paule n'avaient pu trouver à louer qu'un appartement éclairé par des soupiraux. Les passants faisaient sur les murs des ombres mouvantes qui intriguaient et inquiétaient quelque peu Bobi. Il se trouvait bien entre son parrain et sa marraine qui n'avaient pas d'enfant et l'aimaient beaucoup. Léo plaisantait souvent: un soir, au. moment du coucher, il apparut en gibus disant qu'ils allaient à l'opéra; à table, il assurait que des chataignes tombaient du plafond ou que le roquefort n'était bon qu'avec des vers. Il y avait, dans l'appartement, toutes sortes d'objets à découvrir: sur le dessus de cheminée, un petit chalet en bois dont le toit s'ouvrait; dans le placard, le képi, le casque et la lourde épée ramenés de la guerre par le lieutenant Bornes. Mais Léo et Paule étaient parfois bien sévères: un caprice valut, un jour, à Bobi d'être enfermé dans un placard obscur; une autre fois, il dût ameuter le voisinage en criant "on m'assassine!... on m'assassine!..." pour éviter le supplice du thermomètre. De retour à Affreville, Bobi retrouva avec joie sa soeur qui avait grandi et devenait une agréable camarade de jeu. Ils se chamaillaient souvent mais étaient très sages lorsqu'ils allaient chez leurs voisins, M. Jouvent, Directeur de la succursale, son épouse et leurs deux enfants, Georges et Mado, qui avaient à peu près leurs âges. D'Affreville, Bobi et Janine gardaient le souvenir d'un incendie impres-sionnant, à peu de distance de la Banque et du déraillement du train qui, préci-sément, amenait d'Alger l'oncle Léo et tante Paule. Ain-Beida (1928 - 1933) A Affreville, nous étions relativement près d'Alger: à une centaine de kilomètres à l'Ouest, vers Miliana. Mais, en octobre 1928, la Banque de l'Algérie envoya papa poursuivre sa carrière à Ain-Beïda. Nous étions désormais éloignés de la capitale algérienne d'environ cinq cents kilomètres. Aïn-Beïda était une petite ville de l'Est constantinois - dix mille habitants à dominante berbère- située à 90 kilomètres de Tébessa, en direction de la frontière tunisienne, à 1000 mètres d'altitude, près de la Meskiana et de Khenchela, porte de l'Aurès. L'immeuble de la B.A. était coquet. Notre appartement de fonction, vaste et confortable, était contigu à celui du Directeur, au premier étage. Au-dessous, étaient les bureaux et la loge du concierge. La Banque n'était pas éloignée du Centre, du Café Coppolani et du Cercle. Sur le coté, nous avions en vis-à-vis le Maire, le Dr Willigens, un notable très digne a la belle barbe rectangulaire. Je fus inscrit à l'école primaire et perdis presque une année en raison de mon mois de naissance Mes premières études ne furent pas exceptionnelles avec M. Charbonnau, mon instituteur. Mais, au cours de l'année scolaire 1932-1933, je fus stimulé - notamment pour l'écriture et l'orthographe - par le Directeur, M. Cachau, mon "professeur de français" qui apprécia mon très bon travail, mon application et ma conduite. Par contre, dans les premiers mois, mon "professeur de sciences", M. Millet m'avait jugé dissipé, trop sur de moi, un peu expéditif. J'obtins le Certificat d'Etudes Primaires, le fameux CEP, avec mention "Bien". Mes principaux compagnons de classe furent Benassaï, Bozzi, Douvreleur, Guillemot,... Comme à Affreville, nos camarades habituels furent les enfants du Directeur, Colette et René Cattin, Janine Beal puis André Landaret et son petit frère Georges. Pour Noël, mon oncle Léo et ma tante Paule - mes parrain et marraine - m'offrirent leur phonographe à manivelle et quelques disques (musique classique et chansons de troupiers). J'entendis à Ain-Beida, pour la première fois, les crachotis d'un poste de TSF contenu dans une mallette. Tout le monde s'en extasia! Je pus admirer un biplan après son atterrissage sur un champ voisin. Toute la population se déplaça à cette occasion avec les autorités civiles et militaires. Le pilote, M. Viaud, était-il le Capitaine commandant la place ou son frère? Avec Janine, nous fîmes du piano avec pour professeur la fille du pharmacien (ou du Directeur du Crédit Lyonnais?), Melle Vigo. Je n'avais guère d'oreille, ce qui ne m'empêcha pas d'être pressenti par le curé pour tenir l'harmonium de l'église. Surtout, je considérais que le piano était un instrument de fille. Janine, elle, se conduisit en homme en ne dénonçant pas mon imprudence. Nous jouions dans le jardin public et, la tirant avec ma carabine à plomb, je l'atteins un jour à l'articulation de deux doigts de la main. Je n'étais pas fier!... Je me vois dans ce jardin avec un casque colonial. La mode en passa complètement dans mes années d'adulte. C'est à Ain-Beïda qu'excédé par les plaisanteries de mes camarades, "Bobi le chien", "Bobi le chien", j'ai décidé de m'appeler désormais "Bobby". Cela me posait et faisait anglais! Je me souviens d'une fête à l'école où j'ai eu à interpréter au mirliton: "De bon matin, j'ai rencontré le train, de trois grands rois qui partaient en voyage..." Janine, elle, eut l'occasion d'être déguisée en paysanne. Qu'elle était jolie... et pourtant si rarement joyeuse!... Parfois, c'était papa qui me donnait le bain dominical. Il utilisait sans ménagement un énorme savon de Marseille carré qui me chatouillait!... A plusieurs reprises, ma grand-mère maternelle est venue nous rendre visite. Elle, aussi, fut atteinte de la paratyphoïde. Tous les étés, nous allions chez elle, à Brazey. La maison était vaste, avec des dépendances nombreuses, des jardins potagers et fruitiers, une grande allée qui menait aux bords de la rivière... Nos bagages étaient nombreux, nos malles fort lourdes car nous ramenions des pommes pour tout l'hiver. Mes camarades d'école m'instruisirent de bien des choses étranges. Lorsqu'ils m'assurèrent que les enfants ne naissaient pas dans les choux, je ne pus admettre que maman m'avait trompé. J'imaginais une interprétation moyenne: ils étaient conçus par une femme spécialisée et vendus au Galeries Lafayette Une fois ou deux, papa participa à un convoi de fonds sur Alger ou Tunis (car il appartenait à la Banque de l'Algérie... et de la Tunisie). Il avait, dans certaines circonstances, un grand cache- poussière gris. Une année, il contracta une grave maladie au contact des billets qu'il manipulait avec dextérité. Il faillit mourir et sa température dépassa les 40°. Confondant degrés et dixièmes, je l'ai jugé condamné et ai orné la pendule blanche de la cheminée, de petits drapeaux tricolores. Mais, au dernier moment, il put éviter d'être transféré en ambulance à Constantine et se rétablit peu à peu. Dans les derniers temps de notre séjour Aïn Beïdeen, maman m'autorisait à faire quelques sorties à vélo. Lorsqu'on m'annonça que nous allions partir pour Alger, j'eus quelques regrets, concevant mal que la capitale Algéroise puisse être plus agréable à vivre qu'Aïn Beïda. Mais nous étions en 1933. Nos études primaires venaient de s'achever. Il était grand temps, surtout pour moi qui avait 12 ans révolus, de leur donner un prolongement sérieux.

4 - Alger

Études secondaires 1933 - 1941

Alger avait attiré mes parents pour deux raisons: ils en avaient déjà éprouvé les charmes; ils y seraient enfin auprès de tante Paule, la soeur de maman, de l'oncle Léo et de leur petit Jacot. L'oncle Léo occupait une situation enviable. Chef de service au Gouvernement Général de l'Algérie, à la Direction des Finances, il avait contribué à l'avancement de papa et à sa mutation. Il avait une Renault. Un jour, nous étions sortis en famille et il s'était inquiété de bruits anormaux; c'était un plumeau oublié sur l'aile avant (plumeau et marche-pieds sont aujourd'hui périmés!). Pendant longtemps, je fus considéré comme le futur héritier des Bornes dont j'étais le filleul: Tante Paule avait dépassé la quarantaine et avait perdu l'espoir d'une maternité. En 1931, elle partit en vacances d'été à Brazey après avoir cru à une grossesse nerveuse. Elle revint en octobre avec un beau poupon au grand étonnement de leur concierge. Ils avaient fini par trouver Rue Elysée Reclus un bel appartement avec vue sur la mer, non loin de celui qu'ils occupaient 98 Rue Michelet. J'y ai vu atterrir les premiers hydravions faisant la liaison avec la France. J'y ai admiré avec attendrissement notre petit Jacot déguster avec appétit des bananes écrasées dans du sucre en poudre. Mon oncle avait été gazé pendant la Grande Guerre. Il était emphysémateux. Il supportait de plus en plus difficilement le climat humide de la capitale Algéroise. Son médecin, le Dr Azan, un Homéopathe en renom, lui préscrivait des cures annuelles au Mont Dore et lui conseillait une résidence au climat plus sec. Pau fut sollicité mais ce fut finalement Nîmes qu'il obtint. Il y devint Directeur des Contributions Indirectes et y mourût en 1937, à l'âge de 51 ans, alors que nous arrivions pour aller passer nos vacances annuelles à Brazey. Jacques avait seulement six ans! Papa avait envisagé de nous faire poursuivre nos études à l'E.P.S., mais maman avait pour nous plus d'ambitions. Elle tint à nous faire inscrire au lycée. Pour Janine, ce fut le lycée de la Rue Michelet puis "le Lycée Fromentin" à la Redoute. Pour moi, le "petit Lycée de Mustapha" ou "Lycée Pierre Gauthier", de la Rue Hoche, avant le "grand Lycée Bugeaud", de la Rue Bab Azoun. Cela me valut le grand plaisir d'être abonné aux TA. Je fus inscrit en A' et fis du latin avec un professeur Bourguignon assez volumineux, portant chapeau à larges bords, jovial et plaisantant facilement, M. Gabriel Humbert. Mais, en 5ème, avec le même professeur, nous retrouvâmes les mêmes plaisanteries, aux mêmes moments et affectâmes de ne pas en rire ce qui nous déconsidéra à ses yeux. Notre professeur d'histoire et géographie fut surnommé "Petit Carré" selon une expression utilisée dans son cour. Nous surveillions jalousement son empressement auprès de Mme Belanger, la gracieuse épouse de notre professeur d'anglais. J'eus plus tard, pour les lettres, l'élégant M. Chozky et sa belle lavalière. Mon professeur de gymnastique, un beau garçon, s'intéressait d'assez près à l'anatomie de ses élèves. Mon camarade préféré était Yves Bouat, féru de bateaux à voiles. Il s'engagea dans la Marine Nationale et fût tué à Mers el Kébir, lors de l'attaque tragique en 1942, de la flotte française par les Anglais. J'eu également pour condisciple, Yves Beyer, fils de plombier, Arnaud qui exploita plus tard le beau magasin familial d'articles de sports de la Rue d'Isly, Bagur qui réussit comme moi, en 1946, le 1er concours de rédacteurs de l'Administration Départementale Algérienne ouvert après guerre, Aumeran, Jean Descuns (frère du neuro chirurgien), Courgeon à qui j'ai donné, un jour, un magistral coup de pied au derrière... Nous nous attribuions réciproquement de surnoms. Je fus tour à tour "le Pirate aux Yeux Bleus", "Inpérator Unus Couillus", "Le Mauvais Garçon", "Ribouldingue"... J'étais assez dissipé et dûs redoubler ma 4ème. En mai 1936, j'ai donné mes premiers coups de raquette à l'annexe du Raquette Club du chemin de la Madeleine. En Août, nous étions, comme tous les ans, avec maman à Brazey... et, comme tous les deux ans, papa qui avait droit au passage gratuit en mer une année sur deux. Nous avons fait un mémorable pique nique dans "l'Ile aux Cochons" de St Germain des Bois. Il y avait, avec mon oncle Léo et ma tante Paule, leurs vieux amis parisiens, les Chavarot. On se saluait la main tendue ou le poing fermé, selon ses tendance politiques. Les Croix de Feu avaient échoué, en 1934 et Léon Blum venait d'arriver au pouvoir alors que la menace hitlérienne se précisait. En Novembre, de retour à Alger, je fis partie de l'équipe minime du RUA, victorieuse en football par 5 à 0 de l'USA. Notre entraîneur était l'Anglais Reggan et nous étions stimulés par le voisinage des frères Couard, de Jasseron... Heureusement, le changement de lycée me stimula. J'obtint le prix d'excellence. "Roi au royaume des aveugles", selon M. Durin, mon austère professeur de sciences naturelles, je compris, à mes dépends, que toute vérité n'est pas bonne à dire. Mais pour le professeur de lettres qui m'accueillit en 3ème, mon titre n'était pas contestable. Ses louanges m'incitèrent à confirmer mon classement. Les distributions de prix étaient réellement solennelles, les discours édifiants: 50 ans plus tard, j'ai évoqué, dans un éditorial, mon professeur agrégé de lettre, M. Vincent;, qui avait traité de "l'autorité, notion capitale dans la vie des hommes et des sociétés". Parmi mes professeurs, je me souvins surtout de M.M. Joulin (Histoire et géo) qui appréciait mon style; Cazenave (Espagnol) qui jouait avec nous, à mains nues, en récréation, à la pelote basque; Custaud (Physique et Chimie) dit "Brosse à dents" à cause de sa belle moustache; Chevalier (Dessin) un peu bossu; Schaeffer qui nous apprenait un anglais fortement imprégné d'accent marseillais et que nous chahutions pas mal; Escaffre, dit "Tintin", en Philo. Mes principaux rivaux furent Lucas, Servajean-Hilst et Truche. Avec Philippe Bertsch (mort prématurément à Marseille, en 1981), Lucien Vernet et André Verduzier, nous formions le quatuor des mousquetaires. Arnold, l'élégant, le fantaisiste, mort à Blida des suites d'une blessure de guerre mal soignée, contractée en Tunisie, et Marc Henry, le fils du colon, maire de Dupperré. Celui ci nous ayant invité à la fête de son villages, Bertsch nous présenta René Cavalgante qui disposait de la voiture de son père pour nous conduire sur place, près d'Affreville et de Miliana. Nous fîmes un excellent séjour à Duperré avec plusieurs promenades à cheval. Nous profitâmes au maximum de la fête du village. A Alger, papa obtint par ses relations bancaires un vaste appartement au 7 de la Rue de Mulhouse, dans un immeuble où logeaient les Vernet. Pour "Lulu" qui avait le goût de l'affabulation tout était "derrière sa porte" (transformée en cible pour le lancer de poignards). Il m'assura un jour, sans rire, que sa mère était une soeur aînée prématurément vieillie. Josette, sa cadette, m'apprit à danser le tango. Encore toute jeune (12 ans) mais déjà très jolie fille, elle me fit honte, lorsque pour "faire la rue Michelet" en ma compagnie, elle s'affubla d'un chapeau rouge des plus voyants. Nos autres amies furent Denise Boulet (beaux yeux rieurs, toque de petit gris), Vera Toupine (très belle blonde, assez délurée) et sa soeur, Renée (plus conformiste)... Elles participèrent à nos premières surprises parties. Nous fîmes plusieurs courts séjours dans le cabanon des Bertsch, à Alger Plage. Les sous sol de la villa des Verduzier, décorés par Achille Arnold, furent les témoins d'une mémorable soirée de nouvel an. Généralement, nous ne pouvions pas participer aux joyeuses fêtes estivales car nous partions chaque été pour Brazey et passions tous les deux ans par Limoux.Exceptionnellement, en 1938, nous avons séjourné une semaine dans la sous préfecture audoise: maman avait aidé tante Paule à déménager Nîmes et à s'installer à Dijon. Nos vacances furent délicieuses. Janine connut Jo. Je fis du tandem avec ma cousine Marthe, nous allâmes à Couiza voir ses propres cousines et participâmes avec elles à des vendanges. Blida (1941 - 1949) Au début de l'année 1941, papa fût muté à Blida où j'ai terminé ma philo dans d'excellentes conditions, au collège Duverier. Les classes y étaient moins chargées, les professeurs moins titrés mais plus proches des élèves. La Banque de l'Algérie nous logea "Villa Guite", bourgeoise et vaste demeure à l'entrée de la "Ville des Roses", en venant d'Alger. Les pièces du rez- de chaussée furent un jour visitées par des cambrioleurs. En novembre 1942, elles hébergèrent plusieurs de mes camarades mobilisés avec moi aussitôt après le débarquement américain. Nous quittâmes par la suite la villa Guite pour une villa moderne. Après mon bac, en juillet 1941, disposant seulement d'un maximum de deux ans de sursis et ne pouvant terminer une licence, j'ai cru préférable de répondre à l'appel des Chantiers de la Jeunesse. Affecté à Mahelma, je fis l'Ecole des cadres de Camp de Chênes où j'obtins les galons de chef d'équipe (7ème sur 2 ou 300!) Démobilisé à l'improviste en Janvier 1942, je m'inscrivis en Faculté de Lettres pour une licence d'Espagnol. En Juin, je ne fus évidemment pas reçu et me suis orienté sur le droit, recherchant une activité professionnelle car mes parents ne disposaient plus d'allocations familiale et pas encore de sécurité sociale. Au printemps 1942, mon futur beau frère vint rendre visite à Janine. Ils décidèrent de se marier. Le mariage fut intime (27 Juillet). Seul, mon camarade Foissac se joignit à la famille en qualité de témoin. Après leur voyage de noces à Limoux, Janine et Jo s'installèrent à Alger où Jo devait commencer des études d'architecte. Après mon service, je fis partie des Anciens des Chantiers, avec mon camarade Foissac. En Septembre 1942, je fus admis à la Préfecture d'Alger en qualité de rédacteur temporaire et pris une chambre meublée à Mustapha supérieur. Mais le débarquement américain du 8 Novembre motiva, dans les huit jours, notre rappel sous les drapeaux: l'Algérie fut le pays où le pourcentage de mobilisation fut le plus élevé du monde. Comme ancien des Chantiers, je fus maintenu dans une unité de jeunes désormais militarisés. A Mouzaïaville et El Affroun, j'eus à instruire des jeunes sans avoir moi-même reçu une longue formation militaire. Après avoir participé au Champ de Manoeuvres d'Alger à la grande chaîne de montage des GMC américains, je fus admis à l'Ecole des E.O.R. de Cherchell. Mais je fus moins heureux qu'à Camp des Chênes et fus seulement promu au grade de sergent breveté chef de section (cet échec m'affecta beaucoup; il résulta de moindre besoins en aspirants, de mon classement probable comme giraudiste à l'époque où de Gaulle cherchait à s'imposer et à mon appartenance à la section d'un adjudant moins bien dotée en aspirants que celles de l'adjudant chef, du sous lieutenant et du lieutenant!) Pour bien marquer qu'on avait eu tort de me refuser les galons d'aspi, je choisis le 7è RTA de Sétif (qui devait partir au combat) de préférence au 1er RTA (qui restait provisoirement à Blida où j'aurais été près des miens) Je fus blessé dans le secteur de Cassino après une courte campagne. Je revins à Blida me faire soigner et fus réformé à Constantine. Juste avant ma sortie de l'hôpital de Blida, maman vint m'annoncer la naissance de ma petite nièce et filleule, Nicole. Jo, mobilisé avec moi, finit par se retrouver au 1er RTA, à Blida. Janine se replia sur la villa Guite. Le 30 Août 1944, Jo gagna Mers el Kébir puis Marseille, Gérardmer où il eut un orteil gelé, puis l'Alsace où il tomba le 15 Mars 1945. Janine et Coline purent partir le 30 Avril 1945 pour Toulouse et Limoux. Janine retrouva Jo le 8 Mai 1945 à l'Hôpital Purpan de Toulouse; elle lui donna son sang ce qui n'évita pas l'amputation... J'ai retrouvé ma place à la Préfecture le 1er Décembre 1944 et me suis partagé entre deux chambres meublées, M. Ausseill qui avait successivement perdu son fils et sa femme m'accueillant chez lui pour avoir une compagnie. Le concours de rédacteur des Préfectures d'Algérie eut lieu en Avril 1946 mais, seuls, les trois premiers lauréats furent affectés à Alger. Je dus rejoindre Constantine. J'y fis connaissance de Dilette en Septembre après des vacances à Brazey et vint la présenter à mes parents à Blida en Avril 1947. Nous nous mariâmes à Constantine le 4 Octobre 1947. En Juillet 1948, je dus la laisser à l'Hôpital St Genis Laval de Lyon. J'ai effectué pendant deux mois la navette entre Lyon et Brazey (qui fut vendu peu après). En Septembre, je dus rejoindre Constantine d'où je revins récupérer Dilette le 1er Décembre (grâce à un convoi psychiatrique, j'ai bénéficié d'un transport gratuit). En 1949, papa obtint sa retraite de la Banque d'Algérie. Avec maman, après avoir recherché une résidence vers Lyon, ils s'installèrent à Toulouse dans une coquette villa dont ils firent l'acquisition Rue Raymond Naves, dans un quartier résidentiel nommé "Moscou". Notre séjour constantinois dura 10 ans. Ce fut ensuite Alger (1956 - 1962) - Nancy (1962 - 1964) puis Nice.

II

Classe 1941

Recrutement d'Alger

n° matricule 2105

1 - Les Chantiers de la Jeunesse

Un service civil obligatoire Le 1er juillet 1940, après la débâcle et l'armistice, les corps d'armée furent dissous. Cent mille hommes des classes, 38, 39 et 40 venaient d'être appelés sous les drapeaux. Ils n'avaient reçu aucune instruction militaire et ne pouvaient pas être renvoyés chez eux compte tenu de l'état matériel et moral où les avaient laissés une lamentable déroute. L'Etat-Major les confia au Général de la Porte du Theil en lui demandant d'en faire..."ce qu'il voudrait" (sic). Les Chantiers de la Jeunesse furent alors créés et organisés par une loi du 18 janvier 1941 qui rendit le service civil obligatoire. C'est ainsi que je fus convoqué pour recevoir "un complément d'éducation morale et physique" et devenir "un homme". Mon incorporation se fit le 9 juillet 1941, à la halle aux tabacs, au Groupement 103 de Blida, le Groupement "Isly" qui comptait environ 2000 jeunes. La vaste salle sans cloisons avait été, pour la circonstance, dotée de châlits superposés en bois. Je fus affecté à la couchette n°98. Aussitôt immatriculé sous le n°2393, je fus douché et habillé: short, chemisette et casque colonial kaki, brodequins, molletières, ceinture, béret et cravate vert forestier. Le lendemain, après avoir subi une visite médicale, je fus radiographié. Le 3ème jour fut consacré à la vaccination, le 4ème au repos. Notre départ pour les chantiers eut lieu le 13 juillet. Je fus affecté à un groupe de bord de mer, à Sidi Feruch, comptant environ 150 jeunes (chef de groupe Bordes). L'entrée du "Camp de Bretagne" était signalée par un portique rustique. Tout autour d'une allée centrale étaient disposées des tentes "marabout". Au fond, une place avec le haut mât du drapeau. Il y avait aussi une construction en dur pour les magasins et les écuries et deux totems en bois sculptés d'inspiration africaine. Mon équipe, la 4ème, comprenait, sous les ordres d'un chef d'équipe et d'un second, 12 jeunes issus de couches - très diverses - de la société. Nous vivions sous la tente, au milieu des pins. Nous nous levions vers les 7 heures du matin. Après avoir rendu honneur au pavillon, nous étions initiés aux joies de l'hébertisme, partagions des repas frugaux, travaillions à des travaux de forestage, de débroussaillement et d'aménagement de notre cantonnement. Au cours de marches et de veillées, nous devions chanter ("A la claire fontaine", "Notre Alger", "le Vieux Chalet", "J'avais un camarade"...). Peu doué pour le chant, je faisais parfois semblant de chanter. Mon rôle dans un choeur de marins bretons, se limita, un soir, à venir crier à la fin: "tout le monde en bas!". Dès le 3 août 1941, je fus affecté à l'Ecole des Cadres de Camp des Chênes, à plus de 1500 m d'altitude, dans l'Atlas Blidéen, vers le Rocher des Singes, sur la route de Médéa, Berrouaghia, Boghari... J'avais été choisi pour un peloton d'élèves Chef d'équipe. La sélection était flatteuse car, selon le Commissaire Régional Van Hecke, "tout le système (des Chantiers) (était) conçu en fonction des cadres". Ceux-ci devaient être "impeccables à tous point de vue, moral, physique et intellectuel" et donner l'exemple, "en tous temps et en tous domaines". J'eus pour principaux camarades Albert Foissac, Roland de France, Gabriel Detienne. Sur les pistes de Camp des Chênes, je me suis découvert un pied de montagnard assez sûr et des qualités de marcheur insoupçonnées. J'ai appartenu à la 10è équipe du 1er groupe. C'était l'équipe "Napoléon", ex-équipe "Saint-Louis" dont la devise était "Justice et Vertu". Nous avons étudié l'organisation des Chantiers, les Fonctions des cadres, les devoirs des chefs et les procédés de commandement. Nous avons reçu des cours de secourisme, d'hygiène, de topographie et de morse, d'histoire et de géographie... Je ne me souviens pas avoir fait des prouesses mais j'ai dû être apprécié car j'ai été nommé Chef d'équipe en bon rang: 7ème sur 130 : un numéro spécial du 1er novembre 1941 de "Quand Même" le journal du groupement (Commissaire Camus) donne la liste des lauréats.Après un voyage de fin de stage à Berrouaghia et Médéa, j'obtins ma première permission pour Blida et la "Villa Guite". Je fus alors affecté, avec ma double barrette blanche, à Mahelma, en lisière de la "Forêt des Planteurs" de Zéralda. Je revins à Camp des Chênes pour participer à une grande marche sur Alger -9 étapes d'environ 35 km- à l'occasion d'un jamboree : Médéa, Bourkika, Dolfussville, Miliana, Hammam Righa, La Chiffa, Boufarik et Douéra. A Dolfussville, le Caïd nous offrit un couscous délicieux quoique un peu sec et sans garnitures. Un viticulteur nous fit remplir nos gourdes d'un savoureux vin blanc de 15 ou 16°. Je fus libéré le 31 janvier 1942 et obtins un certificat de moralité et d'aptitude élogieux. Les Anciens des Chantiers Je devins le 788è adhérent de l'Association des Anciens des Chantiers de la Jeunesse. Celle-ci avait pour but de prolonger l'enseignement reçu, d'entretenir le culte et l'amour de la France, de conserver l'esprit d'équipe, le goût du travail, le sens d'une vie droite, généreuse et dévouée au bien commun. Nous fîmes notamment deux sorties dominicales, l'une en Mai 1942 à Chréa, la seconde, en Juin, à Sidi-Ferruch. Je fus alors nommé Chef adjoint du District de Blida si j'en juge par un récépissé du Commissaire adjoint Metz, Chef Départemental de l'ADAC d'Alger, me donnant quitus d'une somme de 630 F, montant d'un reliquat de comptes. Le récépissé, établi à El Affroun, n'est pas daté: on peut penser qu'il coïncide avec mon retour au groupement 103 des Chantiers de la Jeunesse, au 3è groupe d'El Affroun, le 24 janvier 1943. Que s'était-il donc passé entre-temps? Les Chantiers militarisés Je m'étais inscrit à la Faculté des Lettres d'Alger dès Février, pour préparer une licence d'espagnol. Bien évidemment, je n'avais pas été prêt en Juin. J'avais dû modifier mes objectifs. J'étais entré le 18 Septembre 1942 à la Préfecture d'Alger comme rédacteur temporaire pour pouvoir gagner ma vie et ne plus être à la charge de mes parents, qui ne bénéficiaient plus d'allocations familiales (et pas encore de la sécurité sociale !). Je m'étais inscrit en Faculté de Droit. Mais les Américains avaient débarqué en Afrique du Nord. Aussitôt, après un semblant de résistance dûe à une mauvaise information des autorités, Alger était devenue la capitale de la France en guerre. 175000 Français de souche européenne avaient été mobilisés dans l'Armée d'Afrique placée sous l'autorité du Général Giraud : "Un seul but, la Victoire". J'avais moi-même été rappelé aux Chantiers de la Jeunesse de Blida et affecté au 6è groupe d'Oued El Alleug. Nous campions à la ferme Bernard et, pendant quelques jours, mon beau-frère Jo fut des notres. Je fus rapidement désigné pour participer à l'encadrement de jeunes à la salle Jeanne d'Arc, à Blida, puis pour subir une instruction militaire à l'Ecole des Chefs de Corps de Reconnaissance et de Combat de Fort de l'Eau. Nous partîmes ensuite dans les montagnes de Rovigo, vers l'oued Merdja, effectuer des manoeuvres et nous exercer au tir. Pour Noël, je partis -sans permission- pour Blida. Au retour, je faillis ne pas retrouver mon unité qu'il fut un instant question de transférer à Alger à la suite de l'attentat dont fut victime l'Amiral Darlan. J'obtins une vraie permission pour fêter en famille l'année 1943. Mais j'avais perdu l'habitude des nourritures riches et eus une de mes premières "crise de foie". Après Fort de l'Eau, je fus dirigé sur El Riath, pour compléter ma formation militaire, à l'Ecole Technique des G.C.R. Nous fîmes des démonstrations de tir le 9 janvier, au polygone d'Hussein-Dey. Je fis ensuite partie, de l'encadrement de jeunes à incorporer dans l'Armée, au Maroc. Notre voyage par chemin de fer fut très long. Nous croisions des convois américains parfois pillés. Mais les pillards confondaient caisses d'outillages divers avec les emballages de victuailles qu'ils recherchaient. Nous passâmes par Fort Lyautey, Rabat, Fez et Oran. Ce fut mon premier voyage au Maroc mais pas le plus instructif sur le plan touristique. A Casablanca, j'eus la déception de ne pas apercevoir l'océan alors qu'à Alger, il suffisait d'emprunter les boulevards circulaires pour dominer le port et pouvoir admirer la plus belle rade du monde. Le 24 janvier, je fus affecté au 3ème groupe à El Affroun, puis, le 5 mars, au 11ème, à Mouzaïaville. Je reçus le grade (et l'étoile) d'Assistant, l'équivalent du grade d'Aspirant. Je perçus une solde appréciable : 4239 Frs dont il est vrai, étaient déduits les repas (207 Frs), l'impôt cédulaire et la contribution nationale (210 Frs). Nous fîmes alors de l'instruction militaire. Les jeunes qui nous donnèrent le plus de mal furent des étudiants en médecine. Du 20 avril au 9 mai 1943, nous fûmes dirigés sur Alger, et cantonnés au jardin d'Essai. Je me souviens avoir dû me glisser avec d'autres sous des camions pour me protéger des éclats d'un mitraillage aérien. Les feuillées étaient insuffisantes, mais il nous était formellement interdit d'utiliser les tranchées-abris creusées en cas d'alerte. Nous ne devions pas davantage nous servir des latrines du secteur britannique "off limits". Diverses consignes d'hygiène nous étaient données : douches, coiffeurs, jeunes galeux... On nous invitait à l'observance d'une strict discipline : le travail ne devait pas abolir échanges de salut et marques de respect. On nous rappellait, enfin, que nos rations de pain étaient les doubles de celles des civils et qu'il fallait éviter de nous faire envoyer de la nourriture par la poste. Le 21 mai, je fus désigné comme commandant d'un détachement de 20 jeunes ("à choisir parmi les meilleurs") pour aider au travail de montage de planeurs sous l'autorité du Commandant de la Base Aérienne américaine de Blida. Nous pûmes admirer le sens de la discipline et de la démocratie outre atlantique à l'occasion des repas (officiers, sous-officiers et hommes de troupe confondus). Quelques jours après, je fus envoyé à Cherchell, à l'Ecole d'Elèves Aspirants de Réserve de l'Afrique du Nord. C'en était définitivement terminé, pour nous des Chantiers de la Jeunesse, mais d'autres ont combattu dans les Abruzzes avec les chars du 7è R.C.A., "Régiment de tradition des Chantiers de la Jeunesse nord-africains".

2 - L'École des Élèves Officiers de Cherchell

Dès le 23 novembre 1942, la décision avait été prise de créér à Cherchell, une école d'élèves aspirants, qui devint un St Cyr africain. Cherchell, ancien et redoutable centre de piraterie barbaresque, était alors le centre administratif et commercial d'une riche région provinciale agricole française. La petite ville et son port avaient été choisis en raison de leur site et de leur environnement en terrain de manoeuvres (notamment "le plateau sud" qui dominait Cherchell et d'où l'on découvrait les horizons marins). Désigné pour Cherchell le 26 mai 1943, j'y suis arrivé seulement le 4 juin, après avoir transité par Mouzaïaville, puis Hussein-Dey, aux côtés de la musique régionale et, enfin, à Alger, à la caserne d'Orléans. L'Ecole des E.O.R. avait été aménagée vaille que vaille dans le quartier Dubourdier, libéré par un bataillon du 1er RTA, parti pour la Tunisie combattre l'Africa Korps allemand. Ces locaux s'étant avérés insuffisants, quelques unités avaient dû être cantonnées dans l'ancien parc à fourrage : ce fut le cas de ma compagnie. Le commandement n'ignorait pas que les pertes au combat allaient être considérables parmi les chefs de section et de peloton. Entre décembre 1942 et mai 1945, nous fûmes 5000 à avoir été formés à Cherchell. Selon le Général d'armée J.Cailles qui, alors colonel, commanda l'Ecole du 20 Février 1942 au 2 Mai 1943, les anciens de Cherchell peuvent se targuer "d'avoir été le fer de lance de l'armée française pendant les dures campagnes d'Italie, de France et d'Allemagne, d'abord, puis d'Indo-chine, ensuite". Les trois quarts des élèves environ, furent des français d'Afrique, presque tous réservistes. Parmi les autres, venant de métropole, beaucoup s'étaient évadés en passant par l'Espagne. Les mentalités n'étaient pas identiques et quelques dissensions opposèrent certains élèves d'origine différente... La première promotion, la promotion "Weygand", avait été libérée le 30 Avril. Elle avait comporté 1101 élèves. La notre fut baptisée "Tunisie". Elle compta 326 élèves commandés par le Lieutenant- Colonel Guillebaud (4è RTT), le Commandant Larroque (RTS) et le Commandant de Roquigny (3è RTA). Il y eut ensuite les promotions "Libération", "Marche au Rhin" puis "Rhin français" (Lieutenant- Colonel Huguet). Nous fûmes tous placés dans le même creuset d'une instruction inter-armée et soumis au dur entraînement de l'infanterie : école du soldat, armement, instruction du tir, organisation du terrain, combats, sports, observation et topographie, conduite automobile. Notre tenue fut française, en drap et toile avec bandes molletières, capote d'infanterie, casque, harnachement de cuir... Notre allure était des plus martiales lorsque nous défilions en ville!. Beaucoup moins lorsque nous "crapahutions" dans un djebel au relief tourmenté. Qu'il était dur, aussi, au cours de longues marches, de coller à la Compagnie qui suivait à pied le cheval du Capitaine du Lattay (4è RTT)! Notre file s'étirait et des "coups d'accordéon" obligeaient les traînards à de gros efforts. Et le soleil africain de cet été 1943 fut torride! Quelle joie lorsque nous pouvions nous plonger dans l'eau claire des immenses plages de sable fin!... Notre compagnie comportait 4 sections. La 1ère était commandée par un lieutenant (Lt Luquay, du 29° RTA), la seconde par un sous-lieutenant (S-Lt Faure, du même régiment), la 3è par un adjudant chef (l'Adjudant Chef Désiré, du 1er RTA), la dernière -la mienne- par l'Adjudant Menjès, du 13°RTS. J'eus la grande déception de ne pas être nommé Aspirant mais seulement Sergent breveté chef de section. Ce brevet consolateur, ne me fut d'ailleurs jamais officiellement notifié. Je ne dispose pas davantage de la liste des lauréats. Mais je suis à peu prés certain que la proportion des nominations "d'aspi", dans chacune des 4 sections, fut inversement proportionnelle au grade de son chef. Notre compagnie ne fut pas non plus privilégiée par l'origine de ses élèves (les Chantiers de la Jeunesse pour la plupart). Et notre promotion bénéficia seulement de 45% de nominations au grade d'Aspirant alors que ce pourcentage s'éleva, pour les autres, jusqu'à 85% . Nous pûmes choisir notre affectation, en fonction de notre rang de classement. On nous précisa les unités en instance de départ au front et celles qui partiraient plus tard. Je choisis le 7è RTA, de Sétif, qui devait aller se battre, de préférence au 1er, de Blida cependant, dont le départ devait être ultérieur. J'avais bien mérité une permission de 10 jours!... Bien entendu, je l'ai passée dans ma famille, à Blida. Elle me permit d'avoir quelques informations sur l'évolution des événements politiques et la progression des combats. Mais il me semble que je ne me posais pas tellement de questions, me pliant sans effort aux circonstances, subissant mon destin avec discipline. Et l'époque n'était pas à la surinformation. On ne disposais ni de transistors, ni de la télé. La campagne de Tunisie s'était terminée à notre avantage. Sur 70000 soldats français, fort mal équipés, 16000 avait été tués, blessés ou portés disparus. Le 8 septembre 1943, Américains et Anglais avaient débarqué au pied de la botte italienne, à Tarente et à Salerne. Le roi d'Italie avait abandonné le pouvoir. En Afrique du Nord, l'équipement des troupes françaises était retardé par des difficultés de transport et de délicats problèmes techniques. La froideur entre les Forces Françaises Libres et l'Armée d'Afrique subsistait. Le Général Juin avait reçu le commandement du futur Corps Expéditionnaire Français en Italie, et l'entraînait à sa mission sur le littoral oranais, entre Arzeuw et Mostaganem. A Blida, le ravitaillement des civils s'était un peu amélioré, beaucoup à cause des Américains et du marché noir. Les cigarettes blondes avaient fait leur apparition. Les Indigènes revendaient le lait condensé qu'on fournissait aux enfants. Un de mes amis d'enfance, avait été tué à Blida, où il avait été mobilisé dans l'aviation. Voulant partir en permission à Alger, il avait voulu sauter sur la plate forme d'un camion qui passait, avait manqué son coup et avait roulé sous les roues. Un autre camarade de lycée, retour de Tunisie où il avait été blessé par une arme amie défaillante, venait d'arriver à l'hôpital auxiliaire. Nous lui rendîmes visite. Son plâtre était infesté de punaises!... Le pauvre Achille, un gai compagnon, un talentueux imitateur de Charles Trenet, était bien délaissé! Mal soigné, il mourut en Décembre. La nouvelle m'en parvint à Sétif, au moment où je partais pour l'Italie !... Cette permission fut la dernière avant la perte de mon intégrité physique et mon congé de convalescence. Elle fut excellente. Je le suppose, du moins, car je n'en ai conservé aucun souvenir. Un billet signé le 30 septembre 1943, par ordre du major de l'école d'E.A. d'A.F.N. en est la seule trace. Il précisait que, nommé au grade de Sergent à compter du 1er octobre, je devais rejoindre le 7è RTA, mon corps d'affectation, à l'expiration de ma permission.

3 - Le 7e Régiment de

Tirailleurs Algériens

1 - Sétif

Je partis donc pour Sétif, sans grand état d'âme: à l'époque, je n'avais guère d'expérience et, comme pour la plupart de mes contemporains, faire mon devoir me paraissait simple et naturel. Mes parents surent me cacher leurs craintes : maman avait perdu son père des suites de la guerre de 1870 alors qu'elle n'avait pas 3 ans, papa avait fait les Dardanelles, également dans l'infanterie et connaissait les risques que j'allais courir; il m'avoua, à mon retour, s'être fait, à mon sujet, beaucoup de soucis... Le 13 octobre 1943, je suis donc arrivé à Sétif, important marché des hauts plateaux constantinois, à 1200 mètres d'altitude. Les larges avenues de la petite ville de colonisation aboutissaient à l'église et au monument aux morts de la Grande Guerre. L'église était très classique avec son clocher, son horloge et sa croix. Elle faisait face au monument: un troupier "bleu horizon", brandissant un drapeau et soutenant une République assise, sereine, en bronze sur un socle de pierre, un mur arrondi, des listes de tués, deux urnes, les palmes de la Croix de Guerre... Tirailleurs, Zouaves, Chasseurs, chaque corps de troupe disposait de sa propre caserne. La notre était contiguë au bureau de la place. Je fus affecté au Bataillon de Tradition du 7è RTA, à la 34ème Compagnie (2° Cie d'instruction) et reçu le commandement d'un peloton d'élèves Caporaux jusque là confiés à l'Adjudant Chef Martin. Je fus placé sous les ordres du Commandant Biraben, du Capitaine Simonpierri, du Lieutenant Coubé et du Sous-Lieutenant Pommier. Mes collègues sous-officiers furent le Sergent Chef Rossi et les Sergents Clotet, le Calvy, Gaudino et Planté. J'avais la responsabilité de l'emploi du temps de mes élèves. J'ai réussi à conserver le programme de la semaine du 22 au 27 novembre 1943. Ecrit de ma plume et signé par mes soins le 18, il a été visé par le chef de bataillon. Le matin, je faisais faire des exercices et de l'éducation physique au stade puis de l'instruction sur la mitrailleuse, les grenades, les gaz de combat et du tir sur le terrain de manoeuvres. L'après-midi, j'avais choisi les côtes 1077 et 977, 1093 et 1125, 1111 et 1085 pour initier mes élèves aux patrouilles, au combat offensif et au combat défensif. Au quartier, j'avais prévu douches et soins de propreté, revues d'armes et interrogations ou études surveillées. Arriva alors le 8 décembre 1943. Ce fut le jour de mon départ du dépôt de Sétif pour rejoindre mon régiment qui avait quitté l'Oranie. Il s'y était entraîné pour l'Italie où il allait combattre avec le C.E.F.I. et la 5ème Armée américaine. Ce jour-là, j'ai commencé à tenir un carnet de route qu'il m'a suffit de reproduire sans beaucoup le modifier ni l'enjoliver. J'étais à Sétif depuis le 17 octobre, près de 2 mois! Rarement, depuis ma mobilisation, je n'était resté plus d'un mois au même endroit . J'aurais dû me méfier! Tout au contraire, je venais d'annoncer à mes parents que je viendrais en permission à Blida pour Noël... Deux jours auparavant, on m'avait annoncé que nous partirions à 8 h 36 avec une vingtaine de sous-officiers . La veille, alors que je bouclais ma valise, j'eus la surprise d'une sympathique visite de mes élèves caporaux venus me faire leurs adieux. Pendant plus d'un mois, j'avais été leur Directeur de Peloton. Je les avais un peu secoués car il avaient tout d'abord manifesté une certaine mauvaise volonté en raison de difficultés matérielles et de l'instabilité des stages. Mais j'avais réussi à leur inculquer un peu de l'esprit des Chantiers et ils m'avaient, semble-t-il apprécié. Le même soir, on nous avait rameuté en hâte pour rejoindre la gare et un détachement d'environ 200 hommes. Le commandant de Zouaves qui le commandait nous fit remonter car nous n'avions même pas de vivres de route. Ma dernière nuit au quartier fut mauvaise. Jusqu'à plus de 2 heures du matin le quartier avait résonné du bruit des Tirailleurs musulmans cassant du bois pour préparer le méchoui de l'Aïd el Kébir.

En route pour l'Italie!

Finalement, nous partîmes bien le 8, à l'heure initialement prévue. Nous occupâmes évidemment un wagon à bestiaux. Il faisait partie d'un train de soldats de la 8ème Armée britannique que nous vîmes avec envie se substanter jusqu'à 6 ou 7 fois par jour, ou prendre un thé chaud. Le voyage dura seulement 48 heures, mais je ne pus guère admirer un paysage nouveau pour moi. Je dus rester couché en permanence, avec une migraine exceptionnelle. Elle dura, moins forte, pendant plus de 8 jours avec des accès de fièvre et des saignements de nez fréquents . Le 10 décembre, nous arrivons dans la banlieue de Bizerte, en gare de la Pêcherie. Après deux heures d'attente, sous une pluie fine et intermittente, des camions des Forces Françaises Libres viennent nous chercher et nous conduisent, deux km plus loin, aux portes de la ville, à la caserne du 4ème RTT . Là, surprise, personne veut de nous. Vers midi, on ne sait trop pourquoi, nous repartons sous la pluie, à quatre km de là, avec des valises qui commencent à nous peser. Nouveau contre ordre : il nous faut rebrousser chemin. Heureusement, nous sommes pris en stop par des camions anglais. Centre d'Instruction Divisionnaire et 7ème RTA sont introuvables. Nous nous installons alors dans des locaux de la caserne en attendant d'être fixés sur notre sort. Il est même question de repartir à Sétif! Pendant une huitaine de jours, désoeuvrement le plus complet ! Nous allons parfois en ville. Bizerte a été entièrement évacuée. Avant guerre, la ville a dû être plaisante. Elle a été touchée plus que nous ne l'imaginions par des bombardements américains. On peut compter les immeubles intacts. Partout, on voit des toitures enfoncées, des murs effondrés ou criblés de balles et d'éclats. L'église a été épargnée. Juste en face, un établissement de bain tenu par un civil. Nous en profitons pour prendre une bonne douche chaude. La boue envahit rues et trottoirs. La ville serait une ville morte sans une intense circulation de véhicules militaires. Certains sont obligés d'utiliser des chaînes. Nous repérons une cantine anglaise où l'on nous assure pouvoir être admis. Mais nous nous en faisons proprement expulser! Le quartier indigène est toujours habité. Beaucoup de marchands ambulants. D'excellentes pâtisseries avec gâteaux variés, confiseries aux amandes, nougat, rahat-loukoums. J'aurais aimé en offrir à Janine, ma soeur, qui les aurait appréciés... Le 16 décembre, nous sommes enfin affectés en CID3 (Centre d'Instruction Divisionnaire), à la CP7. Je suis séparé de deux compagnons de chambrée de Sétif. Planté, administrateur adjoint, est affecté à la CP3, Gaudino à la CS (?). L'après-midi, je suis présenté au commandant de la compagnie, le Capitaine Dieumegarde. Il est assisté par le Lieutenant Zadi, le Sous-Lieutenant Fichoux, l'Adjudant Chef Goelff, l'Adjudant Bena, les Sergents ou Sergents-Chefs Badmington, Choux et Ninu. Je suis affecté au Bureau; ma profession civile de rédacteur de préfecture a fait "tilt". J'obtiens une planque, alors que, pendant 21 mois de services à l'arrière, j'ai toujours été sur la brèche : instruction, peloton, stages. Mais cela n'est sans doute que provisoire! Nous abandonnons nos frusques françaises en échange d'équipements américains neufs et assez complets. Je rends sans regret mes molletières. Par contre, je conserve mes brodequins de cuir. Ils sont moins élégants que les chaussures américaines mais mieux adaptés "au tout terrain". J'ai un pantalon de sortie, des souliers vernis, un rasoir, un peigne, des serviettes éponges... Le grand luxe! Nous bivouaquons avec plusieurs autres unités françaises à 3 ou 4 km de Bizerte, à proximité d'une caserne. Nous partons vers 17 heures, sous une pluie battante, avec un camarade de Tunis, également affecté au Bureau : on nous a accordé une permission de 48 heures pour la capitale tunisienne. Arrivés sur la route, un signe et, presque aussitôt, un "command-car" américain nous prend en charge et nous dépose à Matteur. Là, bien qu'il fasse déjà nuit, un GMC, américain encore, s'arrête. Nous descendons au Bardo et, à pied puis en tram, nous traversons le quartier arabe puis le quartier juif pour gagner le centre. Nous nous séparons sous une pluie qui s'est remise à tomber fort. Faute d'un centre d'accueil pour sous-officiers, je prends une chambre dans un hôtel proche de la gare. Il y a 2 bons lits. Un seul m'est nécessaire. Je l'ai trouvé très bon après avoir dîné dans un restaurant choisi au hasard. Le lendemain, je me fais raser et couper les cheveux. Une bonne friction pour finir et me voici chez un dentiste pour faire soigner une couronne branlante.Je dépose ma valise et mes effets civils chez les Lorquin qui m'invitent à déjeuner. J'ai encore le temps de me promener dans des rues animées et d'admirer les vitrines. Je vais même au cinéma. Retour sans problèmes. J'ai apprécié cette permission qui m'a permis de prendre un peu de bon temps! Le 21 décembre et les jours suivants, je me mets au travail. Mon "Bureau" est installé sous une tente pyramidale, avec des caisses en guise de tables. J'établis avec deux sergents du renfort des états de filiation à fournir pour l'embarquement dont la date n'est pas fixée. Nous ne sommes pas à l'aise avec les noms arabes. Noël 1943. Nous commençons un concours de bridge dans la soirée. Mon initiation à ce jeu est toute récente mais je suis déjà passionné. Vers 22 heures, des scouts venus de Tunis nous donnent un petit spectacle. A minuit, sous de grandes tentes spécialement dressées, nous entendons la messe, parfois émouvante. Avec les autres sous-officiers français de la compagnie, c'est alors un très agréable réveillon jusqu'à 5 heures du matin : apéritif, charcuterie copieuse, choux braisé, tranches de porc, gâteaux, liqueurs, chants... Je me lève tard, le lendemain. L'après-midi, promenade à l'arsenal de Ferryville. 28 décembre 1943. L'embarquement est annoncé pour le lendemain à 8 heures. Mais les "états T.Q.M." sont à refaire en 13 exemplaires en répartissant les effectifs par bateaux (1 bateau de 170, 1 de 160, le troisième de 60). Le capitaine me confie la direction de ce travail. J'y emploie mes deux collègues sergents, une dactylo et des secrétaires de circonstance choisis parmi les Français lettrés. Nous réussissons à terminer tard dans la nuit. Le 29 au matin, catastrophe!... On s'aperçoit que 7 exemplaires sont à refaire sur un modèle différent avec dates de naissance, noms des personnes à prévenir en cas d'accident. Nous nous remettons à l'ouvrage en plein vent car notre tente-bureau a été démontée. A 17 heures, des camions viennent nous chercher. Ouf! nous venons tout juste de terminer. J'ai eu chaud! Ce sont encore des camions gaullistes que nous utilisons. Ils nous conduisent à quai. Une dizaine de bateaux anglais et américains, type LST, sont alignés, portes largement ouvertes à l'avant. On entre dans une immense cale où s'entassent des véhicules. De chaque côté, 3 ou 4 mètres sont réservés pour les couchettes. Lavabos avec eau chaude et eau froide, douches, wc. A l'arrière, les couchettes de l'équipage, les cabines des officiers, la cuisine. Sur le pont, les superstructures sont à l'arrière, d'autres camions s'entassent encore. Notre navire est le LST 319. Nous passons la nuit à quai et appareillons le 30, vers 9 heures, par un temps couvert et sous une pluie fine. Dans le chenal gisent des dizaines d'épaves nous obligeant à zigzaguer. Dès la sortie, nous nous formons par groupes de 6 bateaux de même type navigant en 2 colonnes de 3. Nous croisons un convoi faisant route sur Bizerte. Dès la sortie du canal, nous tanguons et roulons malgré la mer belle car nos bateaux de débarquement sont à fond plat pour pouvoir approcher le plus possible des rives sablonneuses. Nous ne cessons pas de voir les côtes. Notre appétit est d'autant plus solide que nous inaugurons l'alimentation américaine: boeuf et haricots ou boeuf et pommes de terre, boîtes de rations C avec biscuits sucrés, bonbons et sucre, café, limonade ou chocolat; boîtes de ration K (3 pour la journée). Nous découvrons ces boites de rations K comme des enfants explorent leurs souliers à la Noël. Dans l'une, nous trouvons une boîte de pâté aux oeufs, des biscuits, des cigarettes blondes, ou chewing-gum et bonbons. Dans la seconde, du fromage et du chocolat. Dans la troisième du corned-beef et des vitamines. Des anglais voyagent avec nous. Ils s'empiffrent! Trois ou quatre parfois cinq, par jour, avec un bon pain blanc qui nous fait envie, du beurre, des pâtés. Ils n'auraient pas l'idée de nous offrir quoi que ce soit ou de nous autoriser l'accès de leur cantine! Mais, en fin de traversée, ils nous vendent des cigarettes : nous nous apercevons trop tard qu'elles sont moisies! La mer s'est levée. C'est une véritable tempête ! Nous passons entre l'île de Capri et le continent italien. Notre réveillon est consacré au sommeil pour éviter le mal de mer. Nous passons devant Naples et attendons longtemps en rade de Pozzuoli. Nous débarquons à la nuit à Bagnoli. Nous nous formons en sections, mettons sacs à terre mais personne ne vient nous chercher. Le commandant de bateau accepte que nous dormions dans la cale à condition d'évacuer dès 8 heures le lendemain après avoir tout nettoyé! En ce 1er janvier 1944, nous n'aurons pas foulé longtemps la terre italienne!... Dimanche 2. Nous allons prendre nos camions sur une grande "area". Nous sommes assaillis par de nombreux Italiens de tous âges qui demandent à échanger pommes et mandarines contre des cigarettes ou des biscuits. Nous partons enfin. Après différents détours et plusieurs attentes, nous arrivons à Succivo où nous devons cantonner. Nous installons notre bureau dans un local commercial où nous trouvons des tables "ad hoc" munies de multiples tiroirs. Nous travaillons à l'aise. Le premier soir, nous couchons sur notre lieu de travail avec mes camarades sous-officiers. Mais, le lendemain, avec un tirailleur parlant italien, nous partons en quête d'un logis. On nous offre une chambre magnifique. Mais, elle nous est aussitôt soufflée par le capitaine: nous l'échangeons avec celle moins confortable, qu'il avait trouvée, dans la même cour. Slimane, l'ordonnance du capitaine loge avec nous. J'ai noté l'adresse: 17 rue Virgilio. Je suis affecté aux effectifs. Le travail ne manque pas. Nous avons quartier libre le soir. Mais, il n'y a pas d'éclairage dehors et tous les civils sont chez eux. Il semble qu'ils craignent beaucoup les Sénégalais et les Tabors marocains, parfois pillards. La régions est assez belle. Les arbres abondent. Je suis surpris par la façon de cultiver la vigne. Les ceps sont plantés près des arbres, les sarments s'enroulent autour des troncs puis sur des fils de fer disposés horizontalement, assez haut, entre les arbres. Il y a beaucoup de belles pommes, un peu comme celles d'Amérique. Jeudi, en début d'après-midi, le Capitaine s'apprête à partir pour Naples. Il me propose de l'accompagner. Je saute sur l'occasion. Nous sommes dans la capitale de la Campanie dominée par le Vésuve en feu, une demi-heure plus tard. Nous nous promenons dans la grande rue, très mouvementée. D'immenses bâtisses de style officiel, souvent lourdes et pas très belles. Cela rappelle parfois l'Exposition Universelle ou notre Gouvernement Général de l'Algérie. Partout, des magasins, des vitrines bien garnies : vêtements, bijoux, objets de luxe, objets d'art magnifiques mais, aussi, articles d'un goût douteux. Naples ne nous paraît pas avoir été endommagée. A chaque coin de rue, on nous propose restaurants, siñorinas.... La prostitution parait répandue. Elle correspond sans doute à une situation économique dramatique. Elle se pratique en famille, par des femmes mariées ou par des gamines de 15 à 16 ans, dans la pièce commune séparée par un rideau, sous l'image d'une vierge ou la croix du Christ, comme un commerce normal! Le dimanche, nous faisons la grasse matinée et ratons la messe. L'après-midi, nous allons faire un tour à Fratta-Magiore. Mardi 11. Nous changeons de cantonnement et nous nous installons à Caivano, une petite ville d'environ 15000 habitants, à quelques kilomètres de Succivo, à 14 km de Naples. Nous succédons au 7ème Chasseur, le régiment de tradition des Chantiers de la Jeunesse : j'y aurais sans doute retrouvé quelques anciens camarades. Le P.C. s'installe dans les dépendances et la cour d'une magnifique maison de maître. Notre bureau a été celui du fils de la maison qui serait actuellement capitaine, sur le front. Toujours avec Verdier, nous disposons d'une chambre fort confortable : un lit chacun, des tables, une armoire, un cabinet de toilette attenant. Jeudi 13 janvier 1944. Nous devons presque tous partir en renfort pour le 7ème RTA. J'ai dû travailler la veille presque vers minuit pour terminer les contrôles nominatifs. Un renfort destiné au CIA arrive. Je retrouve parmi eux la plupart de mes élèves caporaux. Le soir, je reçois un gros paquet de courrier : les lettres s'échelonnent du 5 décembre au 2 janvier. Vendredi. A midi, nous allons chez un vieil Italien qui nous avait proposé une côtelette de porc, des frites, du pain et du vin blanc pour 70 lires. Nous prenons double portion. Je fais préparer de l'eau chaude pour une douche. Toute la famille de mes hôtes s'est affairée. J'ai eu pour tub un baquet pas plus grand qu'une casserole !Samedi 15 janvier. Je demande à mon capitaine l'autorisation d'aller changer à Naples de l'argent français. Je me promène toute la journée avec plus de 15000 frs dans ma sacoche. Avec Santou et Gaudino, nous prolongeons l'escapade. Repas dans une famille: un steak, des frites et du pain pour 80 lires.

Les Abruzzes et le Belvédère

Dimanche 16 janvier. Caivano A 5 heures, je suis réveillé par le vacarme d'une porte qu'on secoue et les appels impatients d'Alloua, le planton du bureau. Il était temps et l'initiative de ce brave Alloua est heureuse : je dormais à poings fermés en raison de la défaillance du réveil ! Je bondis de mon lit, me trempe sous le robinet du cabinet de toilette et boucle mon sac marin. Puis je rejoins le P.C de la compagnie, installé dans un bel appartement d'une rue voisine. Adieu, ma chambre confortable et mon lit à double matelas du 224 Corso Prince Umberto ! Il fait noir encore, mais déjà les sections arrivent dans la grande cour dallée encombrée des paquetages des hommes. Les Italiens sont tombés du lit, eux aussi : hommes, femmes, enfants rodent tout autour. Ils sont à l'affût d'un morceau de pain, d'un biscuit, d'un "caramelo". Peut-être aussi surveillent-ils le déménagement. Je parcours à nouveau le bureau, m'assied une dernière fois à ma table de chêne, feuillette le contrôle nominatif que j'ai ouvert il y a peu de jours et où, hier encore, j'inscrivais les dernières mutations. Le Chef Choux, Chef comptable, nous distribue, à Chodorowich et à moi quelques bougies, des allumettes et du tabac, du papier hygiénique aussi(!)... les derniers petits avantages des "planqués" du bureau. Mais les GMC sont dans la rue. Après les derniers appels, les sections s'y installent, non sans discussions et bousculades. Les gradés crient leurs ordres, leurs engueulades... Je fais mes derniers adieux à ceux qui restent... le Lieutenant Zadi, le Sous-Lieutenant Pommier arrivé hier d'Afrique et que j'avais déjà quitté à Sétif, le Chef Choux, Tomasini qui doit à sa femme de rester, Verdier, mon compagnon de chambre, qui ne sait pas trop s'il doit regretter de rester ou s'en réjouir et ne sait pas assez cacher la question qu'il se pose : "combien en reverrai-je?"... le fourrier qui depuis un mois attend en vain le télégramme qui doit luis annoncer la naissance d'un nouveau bébé, Beck, le Sergent de l'ordinaire, à qui je n'oublie pas de resquiller une boule de pain et deux ou trois boîtes de conserves, d'autres, encore, dont j'ai oublié les noms et même les visages... Merzouf, Alloui Alloua, les plantons du bureau et qui semblent émus. Dans un coin, affaissé et gémissant, Izemzine, un Sergent indigène qui se dit malade mais que le capitaine et le Sous-Lieutenant Fichoux traitent de simulateur et bousculent. Chodorowich et moi, nous embarquons dans le camion de ravitaillement, moins plein... dernier avantage, mais le Sous-Lieutenant Fichoux, chef du renfort, nous confie les papiers...dernier empoisonnement. Izemzine est hissé également sur ce camion. Le capitaine vient nous faire ses adieux. il me dit qu'il était satisfait de moi et qu'il m'aurait volontiers gardé; j'apprends après qu'il l'a dit à beaucoup. Mes élèves Caporaux de Sétif sont là, assez émus. Portelli est de garde. Je leur donne ma dernière leçon et leur dit de partir sans regrets lorsque leur tour viendra, d'être courageux même si quelque chose, malgré eux, leur serre la gorge, de ne surtout pas montrer aux autres le lamentable spectacle d'un Izemzine. Le renfort de la CP3 nous a rejoint et le convoi s'ébranle. Emotion chez ceux qui restent, émotion chez ceux qui partent. Que va-t-il se passer? Les chants éclatent et le départ est triomphal sous les yeux des Italiens qui ne savent trop que penser. Mais, bientôt, Caivano est laissé derrière nous et le froid du matin, calme un enthousiasme qui, chez les indigènes surtout, n'est pas bien profond. Nous devons aller à 60 kms de là, m'a dit le Sous-Lieutenant Fichoux, mais j'ignore où exactement. Heureusement, j'ai la carte routière... plus ou moins réquisitionnée hier, à Naples, chez un particulier. Nous passons à Caserta... Plus loin, c'est Capoue ou ce qu'il en reste. Les destructions sont plus importantes encore qu'à Bizerte où, du moins les murs avaient généralement tenu bon ; je crois expliquer la chose par une différence d'agents destructeurs : là bas bombardements aériens et éclats de DCA, ici, grosse artillerie et densité des tirs. Non, ce n'est pas vers Cassino que nous nous dirigeons. Nous en quittons la route, obliquons vers Vénafro (?)... Le jour s'est levé, le froid devient moins pénible, j'ai faim ! Le convoi ralentit, s'arrête parfois. Les indigènes descendent pour uriner. Les camions repartent et quelques uns sont laissés sur la route et doivent s'accrocher au véhicule suivant. Le long d'une voie ferrée où les rails ont disparu et d'un ruisseau empli de cresson, le convoi s'arrête et se range. Tout d'un coup, au dessus des montagnes, on entend de violents crépitements de mitrailleuses et de canons DCA. De petits nuages noirs surgissent, puis s'estompent. Le silence revient, puis cesse. Les crépitements se déplacent. On perçoit très nettement parfois, le vrombissement d'un avion qui remonte. mais on ne voit rien. Ah, si, voici, tout d'un coup, deux avions, tout là-haut, qui montent, descendent, s'enfuient, reviennent et piquent tour à tour. Et plus rien. Ah qu'est-ce que ce point blanc?... Et là? Ce nuage noir qui s'élève de la montagne? La conclusion du combat, un parachutiste et la fumée de l'avion qui s'est écrasé au sol. Tout cela a duré une minute et, pour le 1er combat aérien auquel j'assiste, je suis déçu : on voit mieux au cinéma !... Mais le convoi s'ébranle, à nouveau, coupe le ruisseau en passant à gué, le pont étant détruit. Quelques petits kilomètres encore sur une route empierrée et poussiéreuse qui pénètre bientôt entre des bois d'oliviers. Les camions nous déposent sous ces oliviers, à l'endroit même qu'occupait hier un bataillon médical, monté ce matin plus haut car l'endroit a été repéré et s'est fait arroser durant la nuit. Je vais voir le Sous-Lieutenant Fichoux, pour lui assurer qu'Izemzine est décidément bien malade et le convaincre de la nécessité de la faire évacuer. En effet, celui-ci semble bien mal, très pâle et défait. Pendant le trajet, il a craché du sang. Le lieutenant donne son accord et me charge de faire le nécessaire. Je fais transporter Izemzine sur un GMC vide et avec l'Adjudant Béna, nous montons à la recherche d'un bataillon médical qui serait situé 400m plus haut. Nous croisons une jeep à croix-rouge. Je l'arrête et, d'accord avec un lieutenant dentiste qui l'occupe, je fais monter le malade qui sera ainsi soigné... à moins qu'il ne soit trop tard déjà, ce qui n'est pas à exclure. Sous les oliviers où s'est arrêté le renfort, Chodorowich procède à la distribution des vivres tandis que le Sous-Lieutenant Fichoux est parti en jeep à la recherche d'autorités et d'ordres. En attendant, nous mangeons. Pour faire passer le temps, nous suçons des bonbons ou nous faisons chauffer du chocolat. Mais, bientôt, une autre distraction s'offre à nous. Pas bien loin (400m peut-être), de dix en dix mètres éclatent des obus. Surprise, un peu d'émoi et d'agitation en particulier chez les indigènes. Il ne saurait s'agir, paraît-il de projectiles d'artillerie, nos propres artilleurs se trouvant 20 km plus haut. Il s'agirait d'un autocanon demeuré sur les hauteurs environnantes insuffisamment nettoyées ou peut-être de mortiers ennemis dont les servants usent leur dernier stock de munitions. Parfois, des véhicules français passent sur la route. Des anciens du régiment reconnaissant des camarades au passage, les interrogent. Déjà, on parle de blessés, de tués... On n'ose pas trop circuler par crainte des mines. N'en restait-il pas à Bizerte malgré les mois écoulés?... Vers 3 heures, le Lieutenant Fichoux revient, un peu pâle, un obus est passé si près de leur jeep qu'ils ont instinctivement baissé la tête. Nous allons passer la nuit à Vénafro où le lieutenant repart emmenant Chodorowich et les papiers. "Sac au dos"! Par groupes, de chaque côté de la route, nous revenons sur la petite ville. Nous allons cantonner autour d'une petite placette où nous trouvons la Compagnie de Service. Nos camarades installent les sections dans les locaux vides. Une grande partie occupe une salle de cinéma atteinte par endroits par des projectiles d'artillerie, une autre un casernement de la milice locale dont il ne reste plus qu'un élément. Parfois, nous croisons un gradé italien qui salue; Chodorowich et moi, nous sommes à part puisque nous n'avons pas d'hommes à encadrer. Nous découvrons un petit appartement évacué et mon camarade qui parle l'italien demande aux voisins si nous pouvons l'occuper. Nous y invitons Santou qui vient avec son planton. Nous nous installons dans une pièce intacte où il ne reste qu'une grande table et une vierge sous globe : c'était le logis du curé de l'église voisine. La nuit est plutôt mauvaise. Plus de lit comme à Caivano et le carrelage parait dur. On entend des coups de canons à intervalles réguliers. Certains semblent proches. L'air de montagne est assez froid, surtout le matin. Lundi 17 janvier - Vénafro Le matin arrive sans que nous ayons pris beaucoup de repos. Je ne suis pas pressé aussi je flâne dans les pièces poussiéreuses. Je mange un peu, je fais ma toilette sur le rebord d'une fenêtre avec l'eau de mon bidon. puis le Sous-Lieutenant Fichoux nous fait demander, Chodorowich et moi. Il nous faut, d'après quelques indications, répartir le renfort entre les trois bataillons. Nous faisons les affectations à notre guise pour éviter d'attirer tout le monde sur notre dos. Au fur et à mesure, nous classons les livrets individuels et les plaques d'identité. Mais l'après-midi, déjà, nous pressentons que le travail sera à refaire. Aussi préférons-nous attendre des instructions plus précises et,surtout, définitives. Sur la placette, on voit arriver plusieurs cercueils de bois blanc. Les camarades sous officiers ayant autrefois appartenus au régiment, partent en "dodge" reconnaître les tués. Ils reviendront, certains quelque peu émus. En attendant, nous faisons un tour dans le village entouré de montagnes à la neige fondante et qui s'y adosse. Sur la crête qui nous surplombe, des obus ont écorché le roc et laissé une plaie rousse. Ce qui frappe, à Vénafro, c'est le nombre important d'églises. J'en ai bien vu huit ou dix et le village n'est pas bien grand. Mais, bientôt, je passe devant un bâtiment protégé par une grande grille : c'est un séminaire. Les rues sont étroites, tortueuses, monstrueuses. J'ai vu une chose qui a satisfait mon orgueil de français. Quelque chose que nous avons, nous, Armée Française et que, même les Américains n'ont pas.. en aussi bien. C'est une boulangerie. Montée directement sur véhicule roulant, elle peut fonctionner dès l'arrivée au cantonnement sans qu'il soit nécessaire, comme pour les boulangeries de campagnes américaines, de construire une assise de briques. Le véhicule moteur est le pétrin. Deux remorques vont avec, ce sont des fours. Il y a là deux sections. C'est-à-dire deux combinaisons four-pétrin. A l'une d'elle, il n'y a qu'un seul four. Le second est resté dans un ravin des environs de Constantine. Réparé, il rejoindra sans doute bientôt. Cette boulangerie est capable de "sortir" 300 boules à l'heure. Actuellement, elle prend de l'avance car elle doit prochainement se déplacer... Vers l'avant! C'est généralement le signe d'une offensive, nous explique un chef. Il nous raconte aussi que ces boulangeries sont de fabrication récente. Elles étaient réparties dans les différents groupements de jeunesse de France. Celle ci à une histoire. Destinée aux Chantiers de Provence, elle était sur des quais, à Marseille, lorsque le général Weygand l'aperçut et la fit embarquer pour l'Afrique du Nord. On la camoufla dans des fermes : un élément vers Casablanca, l'autre vers Constantine. Les boulangers, sauf les cadres, sont surtout des annamites. Nous assistons à la préparation d'une fournée. Le pétrin mécanique tourne, brassant la pâte. Un mitron y puise un bon morceau, qu'il coupe, jette sur la balance. Il retranche ou ajoute rapidement un petit morceau met la boule dans un panier enfariné, jette celui ci sur une glissière qui descend. D'autres ouvriers entassent les corbeilles au bord du four. Dehors (nous sommes sous une grande tente), des ouvriers scient du bois. Une autre grande tente laisse apercevoir des milliers de boules entassées. Un peu plus loin, une croix allemande noire isolée, au bord d'un talus ombragé ! A côté, deux américains flirtent avec une charmante et toute jeune italienne. Nous descendons vers la ville. Nous croisons des "berlinettes", jeunes filles françaises des transmissions. Je n'aimais guère les femmes en uniforme lorsque j'étais à Alger. Ici, cela fait plaisir d'en voir. Nous ne manquons jamais d'échanger des sourires et des bonjours au passage. Nous stationnons longtemps à la fontaine. L'eau coule à flots, très claire, continuellement, tombe dans un petit bassin, disparait sous le chemin à la boue liquide, reparait de l'autre côté en une vaste mare limpide malgré les objets hétéroclites que l'on voit (segments de colonnades romaines, en particulier, sans compter les détritus et boîtes de conserve). La mare se resserre, passe sous un ponceau, va actionner un moulin, s'évase encore et longe un lavoir où s'échelonnent cinquante à cent femmes actives. Les femmes défilent à la fontaine, porteuses de jarres et de cruches, de bassines de vieux cuivre ou de seaux qu'elles portent en équilibre sur leur tête. Elles sont rarement jolies, moins souvent encore bien faites, jamais bien vêtues. C'est le village pauvre ici. Les riches, les oisives, les belles sont à Naples. A l'un des jets, est adapté un tuyau qui va à un véhicule automobile français : c'est une pompe qui rejette l'eau dans un bassin de toile d'où elle est ensuite distribuée aux véhicules de toutes sortes : GMC, dodges, jeeps, français et américains, qui viennent continuellement remplir des nourrices ou des réservoirs. Il fait bon là ! Le temps est splendide. L'air n'est pas froid. Enfin, nous continuons notre promenade, traversons la grand'rue, section de la route de Naples. Des milliers de fils téléphoniques s'enchevêtrent, les uns foulés aux pieds, d'autres arrachés par les véhicules... Au carrefour, deux gars de la RR (Régulatrice Routière) réglementent la circulation. Ils ont le casque ripoliné blanc des MP américains mais, sur le côté, le losange tricolore. Nous mangeons dans notre chambre. La Cie de Services stationnée ici nous sert nos repas : assez moyens. Pas de vin. Impossible de rien trouver à acheter à manger ou à boire. Nous buvons l'eau d'un puits très profond.Mardi 18 janvier - Vénafro Rien de nouveau. Il faut encore remanier les pièces matricules et faire des listes mais les ordres n'ont pas encore l'air bien définitifs. Je profite de ce que Sigu à l'air de vouloir mettre son nez là dedans pour laisser tomber. Le Sous-Lieutenant Fichoux et l'Adjudant Béna partent sans nous attendre pour le Régiment. Ce sont des anciens et ce dont on manque surtout c'est d'officiers. Le Commandant Peponnet qui, lui aussi, monte en renfort (son prédécesseur a été blessé assez grièvement) réunit les sous officiers et nous dit quelques mots. Le Lieutenant Zadi, de la CL7, vient faire un tour ici. Mais il n'apporte pas de courrier. Le soir, nous descendons chez les italiens du rez de chaussée. Ils ont un beau poste de radio malgré leur apparence plutôt misérable. Nous écoutons Radio Alger mais le poste marche mal et les informations sont insignifiantes. Cela fait plaisir d'entendre les speakers français et l'indicatif connu !... Mercredi 19 janvier 1944 - Vénafro Ce matin, enfin, nous recevons des instructions définitives pour la répartition des hommes et cadres du renfort entre les trois bataillons. Le 3ème est celui qui en absorbera la majeure partie. Santou, qui, maintenant, a la responsabilité du renfort, me demande de commander le piquet d'honneur qu'il doit envoyer cet après-midi aux obsèques des tués du 7ème RTA. Cela n'a rien de bien emballant mais c'est mon tour et j'accepte. A 16 heures, après avoir passé mes dix hommes en revue, leur avoir fait changer de casque -pour éviter le mélange de casques français avec des casques américains-, leur avoir fait donner des gants, brosser leurs souliers, vérifié leur maniement d'armes (depuis Sétif, je n'avais pas commandé...), nous nous sommes engouffrés dans deux dodges et, précédés de l'officier "d'Etat-Civil", en route pour la chapelle ardente ! Celle-ci, en dehors de la ville, est une petite église. Tout contre, un bâtiment tient lieu de mosquée. Je dispose d'abord mes hommes sur deux rangs, face à face, de chaque côté de la porte de la chapelle. L'office est rapide.Quatre ou cinq cercueils défilent entre nous, à tour de rôle. Et pour chacun d'eux : "l'arme sur l'épaule... droite !". "Présentez... arme !" "Reposez... arme !" Dès que le dernier est passé, ô ce n'est pas compliqué, il suffit de se déplacer de dix pas et de recommencer. Même cela va plus vite puisque parfois il passe deux ou trois clients à la fois. Il y en a eu onze en tout. Au fur et à mesure, les cercueils ou, simplement, les corps enveloppés de toile blanche sont chargés sur des dodges : deux par véhicule. Et le cortège se forme : en tête la jeep de l'aumônier et de l'officier de l'état-civil, les cercueils, les linceuls et nos deux dodges. Je suis assis à côté du chauffeur et, dans la voiture qui nous précède, je vois, à chaque cahot, bouger les pieds de deux cadavres musulmans, m'étonnant d'être à peu près devenu insensible. Je m'accommode maintenant très facilement des différentes situations qui se présentent, à des moments où je pourrais m'émouvoir, je n'ai aucune émotion ou, si j'en ai, elle n'est que passagère. Je quitte des camarades sans regrets, presque avec indifférence. Dans quelques jours, je constaterai la même facilité d'adaptation, la même absence d'émotion ou de vive surprise, lors de mes premières expériences au feu ou au combat. Combien il faut se féliciter de tout cela ! Les sensations, les émotions, tout cela est bien inutile dans la guerre et serait bien gênant souvent... Nous quittons vite la route pour un chemin empierré. Il fait beau. Nous passons sous un bois de pins. Nous voici arrivés ! A la lisière du bois, les camionnettes s'arrêtent devant le cimetière, vaste carré sur terrain plat légèrement incliné, divisé en quatre par deux allées qui se coupent perpendiculairement. Mon camarade Chodorowich est là, avec une trentaine d'hommes qui s'activent à terminer les fosses. Se doutait-il, à ce moment, que d'autres gradés surveilleraient bientôt le creusage de son propre trou? En attendant, il se fait reprocher une erreur : il a fait creuser une tombe dans un secteur réservé aux artilleurs ! Ce cimetière est français. Nous sommes engagés depuis peu. Déjà pourtant, on peut compter pas mal de croix, à droite, pas mal de croissants, à gauche. Il semble y avoir beaucoup de gradés, officiers et surtout sous-officiers. Je dispose mon piquet et rend à nouveau les honneurs. On dispose les cercueils aux pieds des tombes en attendant qu'elles soient achevées. L'aumônier, pour les chrétiens, mon collègue Moussaoui, pour les musulmans, disent les dernières prières. Puis, alors qu'arrivent les camions d'autres armes, pour d'autres obsèques., Nous descendons les corps dans les fosses. J'y participe personnellement pour activer. Nous devons attendre encore un peu car voici tout un escadron de chasseurs venus accompagner des corps d'officiers. Leur clairon lance plusieurs fois sa lugubre et belle sonnerie dans l'air calme. Les armes claquent. C'est fini, nous pouvons filer... Jeudi 20 janvier 1944 - Vénafro Dès le matin, Chodorowich et moi allons rôder à nouveau en ville, laissant Sigu qui commence à regretter de s'être lancé dans le soin des paperasses. Nous passons devant un atelier de peinture où l'on confectionne des panneaux indicateurs et blanchit des casques destinés à la RR. Nous faisons un tour à la gare, détruite, repassons à nouveau dans les rues que nous connaissons par coeur. On commence à s'empoisonner ! Nous saluons le Général Juin qui passe à pied, en béret, suivi de tout un Etat-Major parmi lequel des généraux. Tout au grand chef, je ne pense pas à regarder s'il y a le Général de Montabert qui sera "mon" général. Savais-je, d'ailleurs, qu'il était là? A notre retour, nous apprenons que le départ aura probablement lieu dans la nuit. Santou est bien déçu : il avait réussi à organiser un repas avec des chaufferettes pour un prochain jour. L'après-midi, la répartition du renfort entre les bataillons est achevée, sur le papier. On effectue un rassemblement pour en informer les hommes, procéder à des appels... Après quoi, la soupe. Je vais avoir "à prendre le jour" et seconder Santou pour les derniers préparatifs. Nous allons toucher nos armes individuelles : fusils américains. J'arrête au passage le Lieutenant Arpajou et Monjo, en jeep, du 7ème RCA. Nous recevons du CID, les colis... de Noël, envoyés par la croix rouge américaine. Ils sont très bien conçus, comportent des victuailles (deux tablettes de chocolat, du chocolat en poudre, du pâté, du fromage, du sucre...) des vêtements (deux mouchoirs, une paire de chaussettes, une paire de gants, un beau nécessaire à coudre...) des objets de toilette (savon à barbe, pour les dents, pour la toilette, brosses à dents, lames de rasoir, miroir...) du papier à lettres, des crayons... Prévus pour un seul, chacun de ces colis doit être partagé en trois ou quatre : ce n'est pas toujours très facile ! Il faut faire toucher le ravitaillement, faire entreposer les sacs de marins du 1er et du 2ème groupe dans un local désigné, faire charger ceux du 3ème dans un camion. Je m'en occupe dans la nuit ainsi que de la garde. Le réveil est prévu pour quatre heures. Ce sera notre dernière nuit sous un toit.

Vendredi 21 janvier 1944 : Vénafro. PC arrière (près d'Aquafondata)

4 heures et demie. Après avoir bouclé mon sac marin et monté mon sac d'assaut (nous gardons avec nous, avec ce qui nous avons sur le dos, nos objets de toilette, un jeu de linges de corps de rechange, une couverture et la toile de tente). Je vais réveiller tout le monde, dans les différentes salles du cantonnement, éclairé par la lampe torche de Santou. Une heure plus tard, les camions commencent à arriver. Avec Santou, je fais procéder à l'embarquement. Ce n'est pas facile, mal éclairé comme nous le sommes et avec des hommes indisciplinés (surtout les sections de français et de juifs) qui veulent les meilleurs places. Il doit y avoir 25 hommes par camion : 16 sur les banquettes, assis au milieu sur leurs sacs. Avec de la discipline, ce serait facile, et les hommes ne seraient pas trop serrés, mais la nuit facilite les fantaisies individuelles et nous empêchent d'y mettre bon ordre. Au fur et à mesure, nous faisons avancer les camions, comptons 25 hommes, tachons de les caser, et faisons évacuer. Bientôt, le dernier GMC est chargé. Il rejoint les 12 précédents et le convoi s'ébranle. Nous repassons par Pozzoli et empruntons la même route empierrée qui passe devant l'endroit où nous avons débarqué dimanche. Il fait sombre, on n'y voit pas grand chose mais devinons que nous suivons une route accidentée de montagne. Bientôt, lentement, le jour commence à pointer malgré la brume. Nous dépassons les véhicules d'un groupe médical garés sur le bas côté de la route. Des "chaufferettes" ébouriffées qui s'éveillent et s'étirent nous gratifient d'un gentil sourire de leur visage encore boursouflé de sommeil. Je n'aurais pas cru les trouver si près des lignes. Il est vrai que nous ne sommes pas encore sur le front ainsi que je le constaterai bientôt. Mais tout de même ! Le chauffeur, mon voisin, m'explique qu'elles font du bon travail, très courageux, mais qu'elles ne serrent pas assez le ravin, gênant ainsi les croisements. La route à l'air d'avoir disparu. Peut-être l'avons-nous quittée sans que je m'en aperçoive. Nous roulons lentement sur des pistes irrégulières aux creux et bosses prononcés, qui aboutissent sur un grand terre-plein. Les camions nous y déposent. Il est environ 8 heures. C'est là que sont les PC arrières du régiment avec les bureaux, les Chefs comptables, les cuisiniers, les dépôts de munitions... Après un moment d'attente, les groupes se séparent pour aller installer leur bivouac. Nous nous installons sur les pentes d'un ravin. J'apprendrai par la suite que le versant opposé qui s'élève jusqu'à ces crêtes élevées et rocailleuses est le Monna Casale où mon groupe et en particulier ma future compagnie, la 10ème, se sont illustrés. Ma compagnie y a gagné la magnifique citation ci-après : "La ...ème Compagnie du ...ème Régiment de Tirailleurs Algériens, lors de la prise de Monna-Casale, le 12 janvier 1944, a ajouté une page de gloire à l'épopée des tirailleurs algériens. Rejetée, par un bombardement sévère qui mit hors de combat tous ses officiers de la Jumelle Est qu'elle venait de conquérir, a été regroupée par son Chef de Bataillon qui lui dit : "Vous n'avez plus d'officiers pour vous commander. Qu'importe ! La ...ème Compagnie n'en a pas besoin. Reprenez cette crête. En avant !". Entraînée par deux sergents indigènes, est repartie en avant, a repris son objectif pour la deuxième fois, en fut chassée par une contre-attaque. Mais sans désemparer, est remontée une troisième fois à l'assaut. Ayant repris la Jumelle et contre-attaquée à nouveau, toutes les munitions étant épuisées, ses tirailleurs ramassèrent des pierres et debouts, farouches attendirent à bonne portée les grenadiers allemands qu'ils refoulèrent à coups de pierres. Ravitaillée enfin en munitions, est repartie à l'attaque avec le reste du bataillon, et, malgré la fatigue d'une lutte qui durait depuis neuf heures, a emporté, dans un suprême élan, le sommet de Monna-Casale." Et quoique n'ayant pas participé à ce combat, j'ai eu un grand plaisir à en trouver le récit, à mon retour, sur l'hebdomadaire "TAM". Il m'est facile de remplacer les blancs par le n° de ma Compagnie et de mon régiment (10ème Compagnie du 7ème RTA)... Presque sans arrêt, des pièces d'artillerie, toutes proches, tirent. Le régiment aurait attaqué, ce matin, à 5 heures et ça marcherait bien. Le front ne doit pas être bien loin. On y accède par une piste où les camions ne peuvent encore pas passer mais que les jeeps parcourent sans arrêt, portant une caisse ou deux de munitions, ou des vivres. On comprend mieux leur utilité et leur nombre ici que dans les villes. Souvent, ce sont de tout jeunes français qui les pilotent (classe 43?) rarement des indigènes. Pourtant, elles n'ont pas détrôné les mulets. En voici une colonne qui monte. Les muletiers, en uniformes usés, démodés, déchirés, sont des italiens et ces deux messieurs en chapeaux tyroliens avec l'inimitable plume sont, paraît-il, des officiers ! Nous montons notre tente en commun, les frères Bensehila et moi, à proximité de la crête plutôt que dans le ravin. Et, pour la première fois, mais sans grande conviction, ne sachant encore pas ce qu'est la guerre, nous construisons notre abri. L'après-midi, on nous utilise à divers travaux. Avec quelques hommes, je fais ranger des caisses de munitions par catégories et mettre à part celles qui ont été atteintes par le feu. Des caisses en fer de munitions sont trouées comme des passoires, la chaleur ayant fait exploser certaines cartouches. Je trouve par terre une carte postale allemande. Je la ramasse en souvenir. Elle est illustrée par le dessin d'un farouche guerrier moyenâgeux armé d'un gourdin à pointes qui se retrousse les manches. J'écris à la maison mon premier mot de la montagne. La journée est splendide. Il fait presque chaud et rares sont les creux où il reste un peu de neige. Le ciel est bleu, l'air calme et l'on entend que les coups de départ, moins fréquents cet après-midi et comme assourdis par la paix de la nature et le "ron-ron" paisible d'un avion d'observation. En fin d'après-midi, nous montons par la piste de manière à voir plus loin. Ce sont de hautes montagnes, nombreuses et enneigées. De nombreuse batteries d'artillerie. Au moment où nous allons regagner notre tente, quatre avions boches, des chasseurs, surgissent au ras d'une crête, nous survolent et disparaissent non sans avoir déchaîné les pièces de DCA dispersées un peu partout. Nous apprendrons qu'ils ont mitraillé les hommes qui travaillaient à la piste, là-haut, d'où nous arrivions et qu'ils ont fait une victime et deux blessés.Samedi 22 janvier 1944 - PC arrière - 10ème Compagnie Si la journée d'hier avait été agréable, il n'en a certes pas été de même de la nuit et, cela, pas seulement parce que depuis Bizerte nous avions perdu l'habitude de coucher à la belle étoile... Il a fait un froid méchant, qui mordait jusqu'au sang, un froid qui ne nous laissait aucun répit, nous réveillant à chaque instant, s'en prenant surtout aux pieds qu'il durcissait, qu'il piquait comme avec des millions de fines aiguilles... Et le matin, lorsqu'il fallut se chausser, qu'elle souffrance !... Aujourd'hui, c'est à élargir la piste, afin d'en permettre le passage aux GMC que l'on nous emploie. Ce n'est pas très facile : il y a d'énormes blocs de rochers qu'il faut faire sauter. La plus grande partie du renfort travaille là et quoiqu'il n'y ait là que des non-spécialistes, le travail avance rapidement. Ailleurs Bensehila fait creuser un abri pour deux officiers. Ils le veulent en pleine terre de manière à ce qu'il ait des murs très épais, avec un toit de rondins recouverts de terre, grand et large pour disposer d'un peu d'espace autour de leurs couches et d'une table!!! A midi, le ravitaillement n'est pas arrivé et les hommes doivent reprendre le travail le ventre creux. Ils ne sont pas contents et je les comprends. Mais, à 15 heures, arrive l'ordre de rejoindre le bataillon. Nous quittons aussitôt le travail, démontons notre guitoune, faisons notre sac et soupons. Vers 5 heure et demie, 6 heures, nous prenons un sentier de montagne, en file indienne. Nous fermons la marche, les frères Bensehila, Pila et moi... B... a bu et il ne va pas tarder à le regretter. Dans l'obscurité, il butte, glisse, tombe (d'autant plus que beaucoup sont chaussés à l'américaine avec semelles en caoutchouc, ce n'est pas le rêve pour la montagne et la neige). Il s'est plus ou moins foulé le pied et suit avec difficultés. Il râle. Pila l'aide et le guide à la voix pour qu'ils ne perdent pas contact. Vers 8 heures et demie, nous sommes arrivés. Nous sommes dans une sorte de petite vallée. Voici des murs de soutien pour les terres. Le Chef de Bataillon, le Commandant Peponnet que nous n'avions pas vu à Vénafro, nous fait le court discours d'usage. Puis, avec le capitaine Adjudant Major, il nous répartit par compagnie. Je suis affecté à la 10ème avec 3 sergent indigènes (Moussaoui, Laouati, Tamama), un Caporal français (le jeune Bensehila que je garde avec plaisir car c'est un garçon dévoué et bien élevé) et une quinzaine d'hommes. Je commande le détachement et, guidé par un agent de liaison, nous rejoignons la compagnie qui n'est pas très éloignée, sur le flanc d'une montagne rocailleuse. Malgré l'heure tardive, le Lieutenant Piau, commandant la compagnie (j'apprendrai avec stupéfaction, les jours suivants, qu'il n'est que sous-lieutenant et de réserve), me fait appeler. il est dans un bel abri de pierres, assez grand, couché, avec le Sous-Lieutenant Fichoux. C'est ce dernier qui m'a demandé à la compagnie. Ils me reçoivent avec bienveillance, m'interrogent, m'offrant leur gourde, attention qui me touche car j'avais grand soif et rien à boire (je constaterai par la suite que les rapports entre officiers et sous officiers sont moins distants au front qu'à l'arrière). Je suis ensuite invité à aller me reposer. Avec Bensehila, nous montons notre tente un peu au hasard, dans la nuit et ne tardons pas à ronfler. Dimanche 23 janvier 1944 La nuit est meilleure que la précédente. Pourtant, au matin, nous nous apercevons que notre tente a été dressée sur un terrain en pente, bosselé et même broussailleux. Nous avons glissé dans la nuit et nos pieds sont sortis de la toile ! Il ne fait pas tout a fait jour mais nous devons plier bagages : il nous faut avancer pour suivre le régiment qui se rapproche du front (notre bataillon est actuellement sinon au repos du moins sur la 2ème ligne de crêtes, en réserve). Nous avons du mal à rassembler nos affaires et, surtout, à mettre nos chaussures. C'est un moment de grande douleur, qui dure bien un quart d'heure et démoralise plus que tout, fait gémir et venir les larmes aux yeux, car les pieds sont gelés. On fait son sac avec la toile de tente encore givrée. Depuis plusieurs heures, on entend des tirs de préparation fournis et violents. Je vais rôder vers les cuisines pour voir s'il n'y a pas de "jus". Mais le renfort n'était pas prévu. Par contre, nous avons à percevoir des rations K. A ce moment, à quelques mètres et presque coup sur coup, tombent trois obus de 77, sans doute, et qui nous encadrent. Au premier, manquant d'entraîne-ment, je n'ai pas eu le temps de me baisser. Je suis resté debout et ai entendu un léger sifflement, tout près, au dessus de ma tête. Le second m'a fait plonger et m'a éclaboussé de débris terreux. Le troisième s'est un peu éloigné. Je me retourne et vois quelqu'un à terre. Je me précipite ainsi qu'un Chef qui faisait les distributions. Ca n'est pas bien grave : un éclat à la fesse. Avant de nous disperser, pour éviter qu'un seul obus fasse trop de dégâts, j'ai le temps d'apprendre qu'il s'agit d'un Chef de section et qu'il est spécialiste des éclats à la fesse. Je saurai plus tard, bien après, que c'était celui auquel j'allais succéder au commandement de la 1ère section, un Sergent Chef très brave, très aimé des hommes, et qui a eu une magnifique citation : "Sergent Chef Taddei Dominique, du 7ème RTA : Chef de section d'une audace extraordinaire, le 12 janvier 1944, a entraîné sa section à l'attaque du Monna Casale avec une fougue admirable. Arrivé l'un des premiers sur l'objectif, l'a conquis à la grenade et à la baïonnette. Rejeté de son objectif par un violent tir d'artillerie, l'a reconquis, reperdu, puis reconquis, se cramponnant farouchement au terrain, le défendant mètre par mètre, superbe de ténacité. Manquant de munitions a pris et mis en batterie une mitrailleuse allemande. Voyant sur sa droite une compagnie marocaine en difficulté devant une casemate allemande, à dirigé le tir de sa mitrailleuse sur l'embrasure de la casemate, la neutralisant et permettant la progression des marocains. Toujours en tête de sa section et stupéfiant les hommes par sa folle audace, a puissamment contribué au succès de cette attaque. Cinq citations antérieures." Taddei est évacué aussitôt ainsi qu'un de mes hommes de renfort, atteint d'un minuscule éclat à la cuisse (ce dont il ne s'aperçoit que plus tard !) C'est en quelque sorte mon baptême du feu. Je n'ai pas ressenti de fortes impressions. Malgré le raisonnement, je continue à aller donner des ordres à mes hommes, sans qu'il y ait de grande nécessité, ni urgence. Dans la matinée, avec le Sous-Lieutenant Piau, commandant la compagnie, nous interrogeons les hommes du renfort pour décider où les affecter. Je les connais peu quoiqu'ils viennent tous de la CP7 : j'étais au bureau.Ils n'ont pas l'air bien brillants, même et peut-être surtout les européens (dont plusieurs juifs qu'on nous avait recommandé de disperser). Le lieutenant apprend avec satisfaction que j'ai mon brevet de Chef de Section et que je suis passé par Cherchell. Il me dit que je prendrai la 1ère section dont le chef vient d'être blessé mais que, pour la 1ère fois, je monterai à l'attaque comme adjoint La matinée est calme. Nous construisons nos abris en entassant des pierres, faciles à trouver sur les murettes de soutien des terres cultivées en terrasses. Bensehila m'aide. L'après-midi cela bagarre dur, pas très loin. Mais l'ordre de partir n'arrive pas. Est-ce que cela ne marcherait pas aussi bien qu'on l'avait espéré? A 5 heures, arrive l'ordre de s'installer sur place pour la nuit. Je renforce encore notre abri et l'agrandit de telle sorte que je puisse m'y allonger, je le recouvre de ma toile de tente. Tout à l'heure, Bensehila est allé chercher de la paille, sur des meules, près des maisonnettes où les sous-lieutenants ont installé leur P.C. C'est là, au rapport, que nous apprendrons qu'Anglais et Américains ont effectué un débarquement près de Rome, à Anzio. Ils ont réussi à établir une tête de pont de 25 km de profondeur et disposent déjà d'un corps d'armée. La nouvelle est accueillie avec enthousiasme : nous y voyons l'effondrement prochain de notre front et le défilé à Rome. De 7 heures à 9 heures, je suis de quart, là haut sur la crête, auprès d'une sentinelle disposant d'un F.M et de grenades... En effet, il faut éviter d'être surpris par une patrouille allemande toujours possible malgré l'occupation par le reste du régiment de la ligne de crête précédente. Il fait très sombre. Le silence règne et nous devons garder l'immobilité car le moindre bruit prend une grande résonance. Il ne faut pas fumer. Parfois nous frissonnons. Le danger n'est pas grand et c'est pourtant ce quart qui m'a le plus impressionné, plus que les bombardement de minens, que les patrouilles et, même, que l'occupation de la petite crête où je devais être blessé et où j'étais monté avec le pressentiment d'un sort encore moins favorable... Enfin, le quart est achevé. Après avoir attendu que la sentinelle soit allée chercher son successeur, je descends chercher le mien, un sergent indigène. Il fait très noir. Je ne connais pas assez les lieux et me repère très mal. Je tombe, glisse, cherche, perdu dans ces rocs qui se ressemblent tous, hésitant entre les abris, tous pareils. Enfin, je trouve mon remplaçant et, après bien d'autres recherches, mon propre abri pourtant tout voisin. Cette nuit-ci, j'enlève mes chaussures. Mon blouson aussi, dont j'enveloppe mes pieds. Et je prends la précaution de recouvrir mes souliers de mon imperméable pour qu'ils gardent leur chaleur et ne gèlent pas. Le "plafond" est un peut bas mais je peux me tenir assis. Après un nouveau casse-croûte, je m'endors pour une nuit excellente. Lundi 24 janvier 1944 Il pleuvine vers 7 heures, lorsque je me réveille. On est si bien "au lit", que je ne me décide pas à me lever. J'ouvre une boîte de fromage, croque quelques biscuits, suce un bonbon... J'écris à Blida. Je me lève seulement dans la matinée pour me rendre au P.C de la compagnie où le Sous-Lieutenant Piau réunit les cadres. Il répartit les hommes du renfort dans les différentes sections et me donne le commandement de la 1ère : il avait d'abord projeté d'utiliser le renfort pour le ravitaillement en munitions. Je réclame Bensehila comme caporal "à disposition" (lui-même, l'avait souhaité) mais ma section est déjà complète et, pour le moment, un caporal français est nécessaire ailleurs. Mais, me dit le Lieutenant Piau, je vous le donnerai dès que possible. (en attendant, il est affecté à la 2ème section commandée par le Sous-Lieutenant Fichoux) A midi, nous apprenons que le régiment va être relevé et que nous allons partir au repos. Je note sur mon carnet de route : "n'aurais-je jamais l'occasion de combattre ou bien cette guerre ne me verra-t-elle à l'oeuvre que le jour de l'armistice?". Je n'allais pas tarder à obtenir une réponse! Pourtant, j'étais assez content. Mais mon plaisir n'était rien à côté de la joie des hommes et gradés de ma section. Il faut dire qu'ils étaient en ligne depuis le début du mois et qu'ils avaient eu de chaudes journées (comme celle du 12). "C'est toi qui nous porte chance", me diront quelques tirailleurs. A 6 heures, nous partons, colonne par un. Nous sommes en queue du bataillon, ma section est en arrière garde. Moi, pour la 1ère fois, à la tête d'une section. Mon sac -privilège des Chefs de section- est sur un mulet (je vois un Chef indigène, l'adjoint du Sous-Lieutenant Fichoux qui porte le sien sur le dos !). Le chemin est difficile en raison de la boue et les à coups sont nombreux. Les mulets tombent souvent ou, trop chargés, perdent leur charge : ils gênent notre marche. Je déboucle mon ceinturon sans songer qu'il n'est pas retenu par mon sac et je ne m'aperçois pas que je le perds ainsi que mon bidon. Au bout de 4 km environ, nous sommes rendus. Nous devons camper là, sur cette crête exposée au vent. Nous étions mieux d'où nous venons ! Mon sac n'arrive pas, le mulet étant en panne. Sans, mon caporal, m'invite à coucher avec lui. Nous faisons le lit à même le sol, il a de nombreuses couvertures. Mardi 25 janvier 1944 Le matin, un tirailleur vient nous apporter du café qu'il vient de faire chauffer entre deux pierres. J'essaie de voir Bensehila (le sergent) dont la compagnie ne doit pas être loin. Je le trouve et nous cherchons ensuite son frère. Nous bavardons un long moment avec le Sous-Lieutenant Fichoux, très simple et qui nous montre nos lignes sur ses cartes. Il a hérité d'une carabine à répétition américaine, très légère. Je commence à m'apercevoir qu'en campagne, on change facilement d'armes individuelles. On fait des échanges entre camarades ou avec les américains, on s'empare d'armes dont les propriétaires ne sont plus. Ceci, surtout pour les gradés. C'est ainsi que j'ai déjà abandonné mon Springfield 1903 pour une mitraillette Thompson : celle de Taddéi qu'on s'est empressé de me remettre comme un insigne de mes fonctions. Je retrouve mon sac mais dans les avatars survenus la veille au mulet, ont disparu aussi mon quart, mes ciseaux et un paquet de lames. Deux tirailleurs du groupe de commandement construisent une maisonnette en pierres pour Sans, le planton et moi : être Chef de Section, cela comporte des privilèges ! Sur les conseils de Sans, je choisis un vieux tirailleur (par ailleurs agent de transmission comme planton : c'est Ketfi dont j'apprécierai par le suite le dévouement) Je profite de mes loisirs pour faire connaissance de mes hommes. Mon adjoint est un sergent indigène, Boulala. Avec Sans, le caporal français et Ketfi, ils constituent le groupe de commandement de ma section. Le 1er groupe est commandé par un caporal, Toumi. Il comprend : Nabet qui provient du renfort. Les 2 autres groupes sont commandés par des sergents indigènes : Khellef et Bittatache. J'ai en tout 32 hommes. L'effectif théorique est de 45 mais il n'aurait jamais été atteint. Les tirailleurs sont beaucoup plus sympathiques que ceux de Sétif : ce sont de vieux soldats non des recrues. Ils sont formés et même plus "civilisés". Débrouillards, ils savent construire de beaux abris. Ils se battent bien, paraît-il. On peut compter sur eux... A 4 heures et demie, le temps se couvre. Il commence à pleuvoir. Nous nous préparons à nous installer dans notre maisonnette. Mais l'ordre de départ arrive. Il n'est plus question de repos. Il nous faut aller ailleurs aider le 4ème RTT. Bien des tirailleurs sont découragés, tous désappointés. En leur portant mes ordres, j'essaie de les rassurer et de leur donner de l'espoir. On distribue du ravitaillement supplémentaire mais, trop chargés, nous sommes obligés d'en laisser. J'abandonne les boîtes de haricots ou de légumes avec porc, songeant au bonheur avec lesquelles on les recueillerait en Algérie ou en France où le ravitaillement est rare. Une jeep qui navigue rapidement sur la boue sans souci des sauts ni des embardées nous apporte de la soupe chaude, mais nos gamelles sont au fond des sacs. Par contre, nous remplissons nos bidons de vin : il est trop rare pour qu'on le dédaigne. La nuit tombe rapidement lorsque nous partons. L'obscurité ne tarde pas à devenir complète si bien qu'on croit souvent avoir perdu contact alors que le prédécesseur est devant nous, à un mètre. Les sentiers sont accidentés, très glissants. A chaque incident du terrain, on renseigne celui qui suit : "un gros trou", "ça monte", "une grosse flaque". Les chutes sont fréquentes, ponctuées de jurons énergiques. Celui qui me précède est le sous-officier adjoint de la 2ème section. Il tombe souvent, s'empêtre dans son fusil. Je suis au début plus heureux, surtout parce que je n'ai pas de sac sur le dos. Mais, par la suite, peut-être parce que la fatigue commence à se faire sentir, je vais prendre plusieurs fois de suite contact avec la boue et l'eau. Ma capote, mes gants, mon fusil, tout est maculé. Je songe qu'il me faudra du temps avant d'être assez propre pour un éventuel quartier libre ! Lors d'une pause, je suis rejoint par Nabet, un juif arrivé avec mon renfort et affecté à ma section. Il me déclare qu'ayant 8/10 de myopie, il ne peut suivre malgré sa bonne volonté. Je lui dis de se débrouiller, ne pouvant le faire réformer sur le champ ni l'abandonner sur place. Le 29, je m'apercevrai qu'il n'a pu continuer et je ne le reverrai jamais. Nous croisons d'énormes canons américains en difficulté dans la montée, embourbés, patinant. Quelle belle cible ce sera s'ils ne peuvent être dépannés avant le jour !... Enfin, nous arrivons aux camions où les hommes s'entassent, un peu au petit bonheur. Je monte à côté d'un chauffeur. Le convoi s'ébranle. La route est très droite, tortueuse, glissante, longeant des ravins profonds qu'on devine seulement. La nuit est toujours aussi noire et il n'est pas question de se servir des phares. Parfois, seulement, du jet de lumière d'une lampe torche. Nous dépassons quelques maisons... ou plutôt les quelques pans de murs qui leur restent. Un camion a loupé un virage que le chauffeur n'a pas vu. Je descends aussitôt. Heureusement le camion n'est pas allé loin, il est retombé sur ses roues d'une hauteur de 5 à 6 mètres. Mais les hommes avaient vu venir l'accident, ce camion n'était pas bâché. Ils ont sauté...et c'est leur malheur. Un homme semble bien mal en point. Six autres sont blessés plus ou moins grièvement. Je cherche les autres avec les Sous-Lieutenants, qui sont là également. Rien ! Heureusement, ce camion n'était pas au complet. Par contre, impossible de mettre la main sur le chauffeur qui s'est enfui, épouvanté Nous chargeons les blessés sur un camion qui descend mais le chauffeur ne veut plus repartir, la nuit l'effraie. Enfin, nous repartons mais je ne retrouve plus mon propre camion... ni ma section ! Des véhicules arrêtés encombrent la route si étroite. Nous stationnons de longues minutes, souvent. Mais nous sommes pressés, il faut continuer. L'obscurité est devenue plus opaque encore : c'était donc possible ! il nous faut marcher devant les camions, dans l'eau, les guide en criant : "à gauche", "à droite", s'y reprendre à dix fois pour prendre un virage, gueuler pour arrêter les camions dont les roues affleurent le précipice, avec ses 25 hommes qui dorment quand même, recroquevillés et grelottants. C'est la descente maintenant et la route est repérée par l'ennemi qui la bombarde. On voit les lueurs des coups de départ. Une ambulance accidentée à un virage nous donne un mal de chien, et nous arrête une demi-heure. Au cours des manoeuvres, je me fais coincer la jambe entre elle et la roue du GMC qui recule. Je gueule, le chauffeur arrête à moins une. Mais ma jambe a été froissée et me refuse tout service. Un sous officier indigène me remplace. Je vais m'asseoir, découragé, craignant pour ma jambe. Mais elle n'a été que meurtrie et, au bout d'une heure, je ne sentirai plus rien. Il recommence à pleuvoir ! Cela manquait... La nuit s'éclaircit un peu et, par moment, nous pouvons guider le camion, debouts sur les marches pieds. Vers 7 heures et demie, nous arrivons ! Quelle nuit ! Plus tard, sur la carte, je verrai que nous avons fait seulement une dizaine de kilomètres. Mercredi 26 janvier 1944 - St Elia Vers 7 heures et demie, les camions s'arrêtent sur une portion de route qui forme une sorte de corniche avec falaises rocheuses sur la droite et ravins sur la gauche. Un camion a dû rester en panne quelque part car je ne retrouve qu'une dizaine d'hommes de ma section. Nous attendons sur place un certain temps : on est allé chercher les ordres. Plusieurs fois, nous devons sauter dans le fossé et nous plaquer contre la falaise : des coups tombent pas bien loin. Le secteur à l'air animé si l'on en croit le bruit des coups -départs et arrivés- qui ne chôment guère. Bientôt, en file indienne, nous descendons la route qui rejoint en lacets une plaine en forme de cuvette. La pluie fine qui tombait ne va pas tarder à cesser, le jour se lève et le soleil perce les nuages. Les rochers des falaises laissent parfois la place à des coquets petits bois d'oliviers ou de pins, le sol est couvert d'une herbe tendre. La plaine aussi est jolie avec ses vergers, sa verdure et ses maisons nettes dispersées. Le tout, éclairé en jaune, est d'aspect très riant et me met le coeur en joie. J'évoque les joyeux pique-niques qu'on pourrait faire dans ces décors et j'essaie de faire partager mon enthousiasme au Sous-Lieutenant Fichoux. Mais celui-ci y répond mal et, à chaque arrêt, il s'affale contre le talus. Il semble fatigué et soucieux. Alors, j'étais loin de telles pensées. Aujourd'hui, sachant que cette journée devait lui être fatale, je me demande s'il n'avait pas quelque funeste pressentiment. Au passage, l'adjudant de la compagnie me remet mon sac qu'une jeep transportait jusqu'ici. Nous sommes maintenant dans la plaine. Les arbres sont nombreux. Tout autour, des cultures. Parfois une maisonnette plus ou moins éventrée. Là un gros char a culbuté du chemin. Plus loin, deux gars des Chantiers : le 7ème RCA est là ! Tout près du village de St-Elia, nous nous arrêtons un moment. Le Sous-Lieutenant Fichoux plaisante avec un caporal barbu -son planton- et me raconte qu'à Monna Casale, il lançait des cailloux aux boches faute de grenades. C'est par ailleurs, un rôdeur, un voleur, un paresseux. Bientôt, le Sous-Lieutenant Piau revient..Il a obtenu des ordres du bataillon et nous montre, sur la carte, l'emplacement où nous devons constituer un point d'appui fermé : c'est dans la plaine, sur la boucle du Rapido, à quelques km du village. Sans plus attendre, nous partons pour notre emplacement, toujours en file par un. Nous ne pénétrons pas dans le village de St Elia mais, bientôt, nous le longeons sur une route poudreuse. Toutes les crêtes opposées, elles forment une véritable muraille, sont à l'ennemi, aussi longeons-nous les haies et les murs. Notre route rejoint une voie plus importante où nous faisons une centaine de mètres avant de nous engager sur un sentier à gauche (c'est une route secondaire Cassino-Belmonte-Attina). Nous marchons en pleins champs et l'endroit semble marécageux : l'eau coule il faut y mettre les pieds. Je saurai bientôt qu'il s'agit de l'eau du Rapido que les boches ont détourné avant de se replier sur les crêtes. Nous allons dépasser un char enlisé lorsque, brutalement, 3 obus tombent sur mon groupe, échelonné dans le sens de la marche, en plein sur la colonne. C'est à croire que nous sommes repérés et que les mortiers à plusieurs tubes, le fameux minens, sont pré-réglés car les boches n'auraient probablement pas eu le temps de faire un tir précis aussi rapidement. Il est vraisemblable aussi de penser que c'est le char enlisé qui était visé. Je me retourne. A six pas, trois hommes gisent à terre. Je me précipite. Sur le 1er, malgré mon inexpérience, mon verdict est rapide, je ne m'y attarde pas. (il s'agit du tirailleur Amrane Ali). Les deux autres, sont, plus ou moins, grièvement blessés : Benyaya Ramdane, Benzidi Achour. Je les débarrasse de leurs sacs, les réconforte un peu puis les confie au Sergent Bittattache avec mission de les conduire au poste de secours tout proche (que nous venons de dépasser) et de rejoindre ensuite. Je ne le reverrai jamais et je le soupçonne fort d'avoir fichu le camp. Le Capitaine Gaubillot à qui je ferais part de mon opinion (l'Adjudant-Major) me répondra "attention, à Monna Casale il a été très brave". Effectivement, j'ai relevé son nom sur "Tam". Mais, pendant tout ce temps, la colonne s'est disloquée. Plus personne devant, je ne vois plus le commandant de compagnie. j'appelle en vain Boulala, mon adjoint. Soit il n'entend pas ou fait le sourd (plus tard je m'apercevrai qu'il a perdu son sac et, dans l'impossibilité de savoir ce qu'il a fait pendant les heures qui ont suivi, je me promettrai de le tenir à l'oeil. J'apprendrais plus tard qu'il a également été très brave à Monna Casale). J'essaie de regrouper quelques hommes mais avec assez peu de succès. Ils sont planqués comme des lapins et on sont bien qu'ils en ont assez. En outre, ce qui n'arrange rien, je n'en connais guère et suis peu connu. Je remarque un tirailleur du renfort, moitié nègre, qui me suit sans "hésitation ni murmures", SNP Embareck. Enfin, avec quelques hommes de diverses sections que j'ai pu regrouper, je retrouve le Lieutenant Piau, qui a appuyé sur la droite et s'est arrêté à 300m de l'emplacement prévu, à l'abri d'un mur. Il me félicite de l'avoir rejoint si vite (il est lui même avec seulement une douzaine d'hommes) et me charge de choisir quelques emplacements de tir et d'installer le F.M. Il m'apprend que le Sous-Lieutenant Fichoux a été blessé ainsi que neuf hommes de sa section. Ils étaient devant moi, et je n'ai rien vu tomber. J'inspecte les crêtes à la jumelle et il me semble voir remuer des boches. Dans la journée, petit à petit, le reste de la compagnie arrive, par petits groupes, le reste de ma section rejoindra le soir. Le mur derrière lequel nous sommes devait être destiné à protéger les cultures des cimes du Rapido qu'il borde. Celui ci est à sec et le lit est plein de gros cailloux. Derrière les champs, fractionnés par des ruisseaux où court une eau claire. Perpendiculairement au mur, une allée bordée de saules dénudés, au bras désolés. C'est là qu'à la nuit tombante, j'aurai à installer ma section pour protéger la compagnie et fermer, à l'est, le point d'appui que nous formons. Le bataillon nous a envoyé un groupe de mitrailleuses lourdes. La nuit, ainsi que tous les chefs de sections, je prendrai un quart de deux heures. Mission : surveiller l'ensemble des sentinelles de la compagnie, de minuit à 2 heures; cela fait des quarts étendus. Je dors dans un petit trou hâtivement creusé dans l'allée, côte à côte avec Sans qui arrive avec la nuit. Jeudi 27 janvier 1944 - Le Marino Ce matin, l'air est rempli du bruit de l'artillerie surtout alliée. Dans cette allée où est installée ma section, on est vu des crêtes opposées, il faut s'abstenir de bouger. Je préfère aller contre le mur bavarder avec Bensehila et Sans plutôt que de rester là, couché dans mon trou inconfortable. Je n'ai d'ailleurs rien à faire là où un guetteur suffit à assumer la sécurité, presque totale de jour. A une heure et demie, le Lieutenant Piau m'appelle et me confie ma première mission dangereuse : une patrouille. Il s'agit de prendre contact avec la compagnie de garde du Q.G et d'envoyer son commandant à notre chef de bataillon. Cela est assez facile à réaliser. La seconde partie de la mission est d'aller reconnaître la hauteur du "Marino" que l'on voit d'ici et dont on ne sait pas si elle est encore occupée par les Allemands. Dans la négative, même mission pour le village de Cairo. Le Marino est une petite colline verte, au pied des crêtes qui forment sur le sud-ouest l'ouverture de la cuvette de St Elia. Cairo est un village, qui s'encaisse entre le Marino, au nord, et la muraille de crêtes, au sud, au sommet desquelles se détache l'abbaye du Mont Cassin. J'examine à la jumelle village et colline sans d'ailleurs rien remarquer. J'emmène avec moi le Caporal Toumi et les tirailleurs Merabet, Denoune et Guedouche. Après m'être débarrassé de mes papiers et objets personnels que je confie à Bensehila, nous partons, conduits par le sergent Moussaoui qui connait déjà l'emplacement de la compagnie de garde mais qui n'a pas l'air de trouver très amusant d'y retourner : le terrain est évacué par les boches mais les mortiers ne s'arrêtent pas d'y lancer leurs projectiles. On commence à savoir combien ils sont meurtriers, c'est maudits engins ! D'abord, longeant les rives asséchées du Rapido, puis sous les saules, nous arrivons sans encombres à la compagnie de garde où nous laisse Moussaoui. C'est un lieutenant qui commande la compagnie. Je lui explique ce que je sais de la situation et lui fait part de l'invitation du chef de bataillon. Puis je me renseigne sur ce qui peut m'être utile pour la seconde partie de ma mission : selon le Lieutenant, le Marino est encore occupé. Une patrouille y est allée le matin et en est revenue non sans mal (plusieurs blessés). Je décide cependant d'y aller. Avec le lieutenant, nous convenons que je ferai tirer des balles traceuses au cas où j'aurais besoin de l'aide de ses mitrailleuses pour me replier. A cet effet, il me donne une douzaine de cartouches que je répartis entre mes tirailleurs disposant d'un fusil. puis nous partons. L'aller s'effectue assez rapidement. Il ne saurait être question de ne pas se faire voir : toutes les crêtes sont occupées par l'ennemi et la plaine n'offre guère à cet endroit que les maigres rideaux de saules bordant de multiples ruisseaux d'irrigation pour se dissimuler. Nous les longeons. Je suis en tête, bien entendu. Les autres, suivent de dix mètres en dix mètres. J'essaie de me repérer pour le retour. Ce n'est pas bien facile. Deux ou trois fois, je m'arrête et nous observons le Marino. Malgré sa nudité impossible de rien voir. L'espace que nous traversons est un "no man's land" complètement désert. Bientôt, nous ne sommes plus qu'à quelques dizaines de mètres au pied du Marino. Nous en avons franchi presque un millier depuis la compagnie de garde du Q.G. Un chemin longe la base de la colline. Sans doute doit-il y grimper. Nous devons appuyer sur la droite car, à gauche, un champ me paraît suspect et me semble miné : tous les dix mètres il y a un arbre scié à 0,50m ou 1m de hauteur pour faciliter l'observation et les tirs d'artilleries. Sans doute peut-être, aussi, pour constituer un obstacle anti-chars. Au pied du Marino, un épais réseau de barbelés. J'observe une dernière fois. Mais il faut y aller malgré les gros risques si on veut voir quelque chose. Je m'engage dans les barbelés, Toumi aussi, à ma gauche. Nous sommes empêtrés en plein milieu lorsqu'une rafale sèche retentit. Nous nous plaquons. Je me demande un instant s'il ne s'agit pas de la mitraillette d'un de mes hommes. Mais une seconde rafale me fixe. Ce sont les boches. Je donne le signal de repli. Très bien exécuté... sans que j'ai à le répéter ! Quel plaisir d'être si bien obéi ! Toumi et moi, plutôt que de revenir sur nos pas (nous sommes toujours dans les barbelés), nous sautons du côté du Marino, courrons sur la gauche, longeons le bois aux arbres abattus (sans nous soucier cette fois des mines possibles) et regagnons les haies de saules. Là, une nouvelle rafale bien ajustée nous jette dans le ruisseau. Toumi part d'un bond, je lui laisse prendre quelques mètres d'avance et vais en faire autant. Mais voilà Merabet qui, soufflant comme un phoque, ne peut plus avancer. J'attends un moment. Il me fait remarquer des tâches de sang. Il doit y avoir un blessé ! Je lève la tête mais une rafale me la fait baisser. Il faut suivre le lit du ruisseau. mais ce diable de Merabet asthmatique, n'en peut plus. Tous les dix pas, je dois l'attendre, non sans impatience. Il est vrai qu'il n'est pas commode de marcher là. L'eau freine les mouvements et les pieds s'enfoncent dans la vase. Nous sommes encombrés par nos armes et je m'aperçois que j'ai gardé ma montre au poignet, la belle montre que j'ai acheté à Naples ! Devrais-je la ramener arrêtée en Algérie! Je la mets dans la poche la mieux protégée et prend soin de ne pas la tremper. Au début, j'étais gai de l'aventure et de se bain forcé. Je plaisantais Merabet qui, lui, ne semblait pas trouver drôle l'aventure et geignait. Mais ça commence à devenir long ! A chacune de mes tentatives de monter sur la berge une rafale ne tarde pas à retentir, nous montrant que nous ne sommes pas oubliés. On nous tire comme des lapins. En outre, l'eau commence à devenir froide. Nous étions mouillés tout à l'heure jusqu'aux genoux. Les fesses sont parfois caressées maintenant. Nos mitraillettes commence à se mouiller. le ruisseau est souvent trop étroit et il faut forcer pour passer. D'autres fois, un ponceau trop bas nous oblige à un bond rapide sur le sol ferme et, chaque fois, c'est l'inévitable rafale. Je commence d'ailleurs à m'énerver contre Merabet qui me retarde. En quelques bonds, je serais loin ! J'essaie de me distraire en regardant les objets que traîne les ruisseaux : pelle, boîtes de conserves... Je m'étonne de voir là, où les Américains ne sont vraisemblablement jamais venus des boîtes de rations K. En outre, il y a le souci de s'orienter, souvent des bifurcations se présentent dont toutes ne s'éloignent pas du Marino qui semble toujours tout près. Tout d'un coup, un bruit d'herbes violemment froissées et de pas, tout près au dessus de nos têtes. Nous nous immobilisons et, pour la première fois, l'idée d'être fait prisonnier me fait passer dans le dos un drôle de frisson. Ouf ! C'est Denoune qui, blessé au bras, égaré par la douleur, marche à découvert sans se préoccuper de l'ennemi et qui s'écroule quelques pas plus loin. Il ne veut plus avancer et veut rester là. J'en profite pour abandonner le ruisseau et, le forçant à marcher, en deux, trois bonds, je gagne un chemin creux où nous sommes passés en venant. Nous ne sommes plus très loin de la compagnie de garde. Nous attendons Merabet. Au bout d'un moment, je l'entends barboter. Je le guide de la voix mais le bougre ne répond pas. Il me répondra après qu'il croyait que c'étaient des boches... Des boches qui l'appelaient par son nom ! Enfin, il arrivera à s'en tirer, il n'est plus qu'à une cinquantaine de mètres. Avec Denoune qui n'a pas la force de se courber et qui marcherait n'importe où, je gagne la compagnie de garde où je le laisse pour être soigné. Là, deux Américains demandaient à un adjudant comment ces diables de Français faisaient pour franchir les ruisseaux. Me montrant, l'adjudant en riant, leur répondis. Sacrés Américains ! Enfin, ils m'offrent une cigarette que je fume avec plaisir. Puis, je reprend le chemin de la compagnie, lourds de mes souliers et de mon pantalon mouillés. Là, on commençait à se faire du souci pour moi. Mes tirailleurs, dont Merabet, étant déjà rentrés sans pouvoir dire ce que j'étais devenu. Mon planton Ketfi, dit "le vieux", ne tenais pas en place, paraît-il. Il allait et venait, très inquiet et le montrant. Tout de suite, je suis entouré et questionné par mes chefs de groupe, mon caporal adjoint Sans, mon petit protégé Bensehila et Ketfi, mon planton... Je m'échappe pour aller rendre compte. mais le lieutenant est au bataillon et je peux aller me changer. Ketfi a déjà ouvert mon sac et en retire le linge de rechange dont heureusement j'ai un jeu : caleçon, tricot, chemise, chaussettes. Au fur et à mesure, avec des soins maternels, il me passe chaque vêtement qu'il a au préalable déboutonné. Il est touchant d'attention et le contraste me fait songer aux jeunes tirailleurs que je voyais à Sétif, venant depuis peu de leurs gourbis... Cela fait du bien de se changer, car il commençait à faire frais. Je ne peux remettre mes effets mouillés. Bensehila me prête son treillis, ne conservant que son pantalon. Puis je mange avec conviction et bois le chocolat chaud que Ketfi a déjà fait chauffer. Mais je n'ai pas terminé que le lieutenant me fait appeler. Il revient du bataillon où on lui a demandé de dépêcher une section de renfort car la 9ème Compagnie, au combat sur les crêtes, est en difficultés ! Il désigne ma section et moi, par conséquent. Je suis un peu contrarié car déjà bien fatigué mais je ne fais pas d'objection. Je vais donner mes ordres et charge Boulala de veiller à leur exécution. Je vais mettre mes souliers mouillés car pour rejoindre le lieutenant, j'avais emprunté ceux, trop courts mais secs, de Bensehila. Je bataille bien pendant une demie heure. Enfin, tout est près et, sous la conduite de l'agent de liaison, nous allons au P.C du Bataillon prendre les ordres du commandant . Vers l'embranchement du Rapido et du Rio Secco, semble être le barrage constitué par un pont détruit. Prés du P.C, je laisse mes hommes et vais avec l'agent de liaison du P.C. En chemin, nous rencontrons le commandant à qui je me présente. Il avait donné contre-ordre, paraît-il, mais qui ne nous a pas touché. Pourtant, il m'emmène au P.C où il demande l'avis de son adjoint car il est hésitant. Le P.C, installé dans une maison aux portes bien closes aux plafonds élevés, aux lampes à pétrole éclairées, à la cheminée qui flambe, à la table mise où sont assis les adjoints du commandant et où lui-même s'assied, est diablement plus sympathique que notre coin de Rapido. Je suis claqué mais je n'ose pas m'asseoir ni demander une tasse de café ni un verre de la bouteille de liqueur que je vois avec envie sur la table... On m'aurait pourtant très certainement servi l'une et l'autre ! De même, je ne parle pas de la patrouille de cet après-midi ce qui serait une bonne façon de me faire mousser auprès du commandant puisque c'est sur sa demande qu'on l'a organisée. Enfin, je peux partir : le contre ordre est confirmé ! Au retour, je trouve moyen, au pont détruit, de glisser sur une pierre et de me mouiller à nouveau un pied qui était séché. Notre guide se trompe de chemin, hésite. Enfin, nous revenons au port. Le lieutenant me fait raconter ma patrouille. Il dit qu'il me remercie et qu'il pensera à moi en temps opportun. Sur le moment, je n'y fais pas très attention, surtout satisfait d'être dispensé de quart et de pouvoir aller dormir. C'était pourtant un débouché favorable vers la nomination au grade d'aspirant. Je lui réponds que j'ai été content d'avoir bien fait ce qu'il m'avait confié mais que je ne serai pas volontaire pour les missions qui pourront se présenter; pourtant, je les accomplirai chaque fois de mon mieux. Il dit c'est naturel, ça se comprend lorsqu'on a réalisé le danger. Heureusement, on ne réalise vraiment qu'après. Sur ce, je vais, enfin me coucher !... Vendredi 28 janvier 1944 - Des prisonniers en dormant En principe, nous devons partir. A tout moment, nous attendons l'ordre mais rien ne vient. Le lieutenant m'apprend que le Sous-Lieutenant Fichoux serait mort des suites de ses blessures. La nouvelle m'affecte et me surprend. Elle m'affecte car c'était un garçon sympathique. Nous commencions à devenir copains. A l'embarquement, il était officier T.Q.M(?) et j'étais son adjoint, c'est lui qui m'avait réclamé à la compagnie. Elle me surprend, cette nouvelle, car on avait dit d'abord qu'il n'avait reçu que des blessures superficielles. Mais la face avait été atteinte ! La journée va donc passer en attente, chacun restant le plus possible dans son trou afin de ne pas trop attirer l'attention des observateurs ennemis. Je suis toujours contre le mur, abandonnant ma section et conversant avec Sans, Bensehila et Ketfi qui nous fait de temps en temps du chocolat. On casse souvent la croûte... un peu pour passer le temps, un peu par gourmandise. Nos sacs sont bouclés et nous sommes prêts à partir. J'avais abandonné mes effets mouillés mais je profite de ces loisirs pour les faire sécher. Parfois, je vais voir le lieutenant et nous parlons un peu mais je ne le connais encore pas assez pour y trouver beaucoup d'intérêt. Il en est de même avec les autres sous-officiers français, le chef Auer de la section d'engins, Broussard, du groupe de mitrailleuses lourdes mis à notre disposition, les sergents Rau et Stone, de la section d'engins... Violents bombardements parfois, souvent très près. A la nuit tombante, je vais faire un peu de toilette au ruisseau voisin. Mon quart se passe sans incident. Mais en le prenant, j'apprend que trois boches dont deux Alsaciens (!) et un caporal autrichien (!) sont venus se constituer prisonniers à l'un des postes de ma section. Mon sous-officier de quart ne m'a pas réveillé puisqu'il y avait un chef de section de service. Je m'identifie à ma section et suis fier d'avoir fait, en dormant, trois prisonniers !... Il leur a fallu en faire du chemin pour venir jusqu'à nous ! C'est bizarre qu'ils n'aient pas été arrêtés avant! Quinze autres seraient partis avec eux. "Ils", les boches, seraient très éprouvés par les tirs de notre artillerie. Dans leur compagnie, ils n'avaient plus, disent-ils que 600 coups à tirer par mitrailleuse. Depuis quelques jours, ils n'avaient qu'une boîte de pâté pour quinze, vivant sur les vivres de réserve de leur bataillon car leur ravitaillement était coupé. Ils ont ajouté que, si leurs copains savaient avoir des Français devant eux, ils viendraient plus facilement se constituer prisonniers. Ils ont entendu parler d'un débarquement mais cela aurait été démenti par leurs gradés. En attendant, ces sacrés Allemands, malgré leur 600 coups par pièces, ils résistent à toutes les attaques ! Leurs minens vont continuer à affecter plus ou moins notre moral et, nos effectifs. Samedi 29 janvier 1944 - Le ravin Gandoet La matinée s'écoule sans incidents, toujours dans l'attente. En fait, nous avons perdu la liaison et c'est pour la rétablir que le lieutenant, ennuyé par cette situation, m'envoie chercher vers midi... alors que je me mettais à table (!).Il me donne mission de rétablir la liaison avec le bataillon, d'indiquer au commandant notre position et le peu de renseignements que nous avons sur la situation et, surtout, de provoquer ses ordres car il semble que nous puissions avoir mieux à faire qu'ici. A la jumelle, il m'indique un endroit où se trouve le bataillon : à proximité de maisons, sur la montagne juste en face, c'est à dire sur le Belvédère. Mais la région est encore loin d'être nettoyée, je devrai faire très attention, en particulier à cette faille très profonde qui grimpe là haut, à flanc de montagne. J'apprendrai plus tard qu'il s'agissait du ravin Gandoêt. Je donne les ordres de préparatifs aux deux groupes de ma section que j'emmène avec moi : le groupe de Khehef et celui de Mahdi. Boulala que j'avais décidé d'emmener se dérobe, se plaint de ses pieds gelés. Il me déçoit, j'avais espéré mieux de lui. Pourtant je le laisse. Après avoir rapidement terminé mon repas, nous partons, moi en tête, bien entendu. D'abord, nous longeons le lit du Rapido, puis du Rio Secco que nous remontons, nous rapprochant de la faille que je dois emprunter ensuite. Déjà, j'ai fait prendre les dispositions de combat et je me suis fait protéger par deux éclaireurs. Tout au long du trajet, nous prendrons bien des précautions qui me paraîtrons un peu ridicules par la suite car nous n'aurons fait aucune mauvaise rencontre et aurons seulement croisé des Français. Ces précautions étaient cependant indispensables car les Allemands avaient laissé de nombreux tireurs isolés et actifs. Le lit de la rivière est jonché d'objets abandonnés, boches surtout mais de type américain aussi : les masques à gaz surtout encombrent, semble-t-il. Il nous faut quitter notre cheminement et marcher à découvert sur un bout de plaine où les traces de chars sont nombreuses. Je fais redoubler les précautions, ayant soin d'avoir toujours un fusil mitrailleur en batterie prêt à tirer. Je passe tout près d'un cadavre horrible qui me rappelle certaines gravures de morts de la grande guerre. C'est un indigène qui a sauté sur une mine. Ses deux jambes sont coupées nets et les moignons sont couverts de sang noir. Le corps est sur le dos dans une attitude qui traduit la souffrance. Le visage est affreux, jaune et gris, tout desséché, déjà et, surtout, les traits convulsés et grimaçants. Je n'ai eu qu'un regard pour cette horrible chose mais j'ai eu la nausée et ces traits resteront fixés dans ma mémoire. Il me faut faire reconnaître deux maisons. Elles sont occupées par des Français. J'y vais. Il s'agit de la 6ème Compagnie. Je demande des renseignements sur la région. Un lieutenant me confirme qu'elle est infestée de boches isolés. Il a justement une section qui effectue le nettoyage. De plus, le terrain est miné : six de ses hommes ont, le matin, sauté sur les mines. Enfin, nous arrivons au pied de cette faille que nous voyions déjà de notre point de départ. Elle est profonde et très large, beaucoup plus qu'il n'y paraissait de là-bas. Contrairement à ce que m'avait recommandé le lieutenant, je ne fais pas marcher un groupe sur chaque lèvre : je préfère les garder ensemble sur la rive gauche. Je recommande à mes hommes de marcher le plus possible sur mes traces. Moi-même, je m'efforce de choisir l'endroit où je mets les pieds. La montée est très dure car la pente est raide. Le terrain rocailleux, s'éboule fréquemment. Souvent, à bout de souffle, nous devons nous arrêter un moment. Nous montons sans cesse et sommes toujours aussi loin du sommet. Enfin, du côté droit, nous voyons des Français. Nous y allons. C'est le 2ème bataillon et, en particulier, son renfort : j'y vois Ninu et d'autres. Je laisse un groupe et continue l'ascension. Mais, décidément, je n'ai pas besoin de protection : je renvoie mon 2ème groupe rejoindre le 1er et ne garde qu'un agent de liaison avec moi. Après avoir souvent demandé des renseignements aux tirailleurs qui sont nombreux ici, je finis par parvenir au P.C du bataillon. J'y vois le commandant qui me dit : "vous ne dépendez plus de moi, mais du colonel. Restez où vous êtes..." Il semble se désintéresser de nous. Après tout, tant mieux ! Mais, au passage, en redescendant, je tombe sur le Capitaine Adjudant-Major Gaubillot, qui me fait raconter ma petite histoire et répéter les paroles du commandant. Plus malin et sachant bien que nous ne serons pas de trop ici, il téléphone au colonel qui, bien entendu, nous remet à sa disposition. Le capitaine rédige alors l'ordre au Lieutenant Piau d'avoir à rejoindre et me le remet. Je demande un agent de liaison du bataillon pour plus de sûreté et je redescend. Au passage, je reprends mes hommes. La descente est presque aussi fatigante que la montée et il faut faire encore plus attention de ne pas recevoir de blocs sur la tête. De nombreux chars français circulent dans le lit du Rapido. Après un moment de repos, dans la nuit, nous repartons mais, cette fois, en tête de la compagnie, le guide devant moi; Bientôt, sur la berge, je vois une mine déterrée. Je fais arrêter, vais me rendre compte et vois tout un secteur miné entouré d'un ruban blanc. Nous repartons en faisant un léger détour. Le guide commence déjà à hésiter sur notre chemin. Il nous faut souvent nous arrêter pour qu'il retrouve ses souvenirs. Mais j'ai l'impression qu'il y va plutôt d'instinct, je ne peux pas l'aider car nous ne passons pas par le ravin et c'est heureux car, de nuit, ce serai vraiment trop dur. Nous sommes au milieu des vergers lorsqu'un tir très violent de minens tombe à proximité ! Débandade. Arrêt. Au bout d'un moment, nous décidons de partir : nous risquons tout autant arrêtés qu'en marche. Notre guide ne veut plus avancer et, pas davantage, la plupart des hommes, préférant l'immobilité qui leur donne l'illusion d'un peu de sécurité. Au fond, ils s'enfouiraient volontiers la tête dans le sol, comme l'autruche et Mektoub ! Il fait très noir, et, lorsque nous repartons, nous sommes sur une descente dans un enclos bizarrement parsemés de souches, de creux et de bosses, de fils de fer barbelé dans lesquels on vient butter. Quelques dizaines de mètres et les tirs redoublent de violence. Les hommes se jettent au pied de deux maisons. J'en fais autant. Au bout d'un moment, je m'aperçois que toute la compagnie n'a pas suivi. J'essaie de faire retourner le guide. Il a la frousse. J'y vais donc moi-même et, pour éviter de me perdre, je lui dis de me guider à la voix. Le reste de la compagnie est là. Nouvelle attente. Tout le monde perd son temps ici et, plus ou moins, la tête... y compris le lieutenant. Il veut que nous partions par petits paquets. Mais il n'y a qu'un guide ! Mon avis est qu'il n'y a qu'à partir en bloc si on veut arriver ensemble. Il m'importe surtout de ne pas rester là, endroit manifestement visé. Nous sommes tout près de la route, assez encaissée.Il suffit de la franchir et de gagner la montagne en face : il sera plus aisé de s'abriter. Après bien des hésitations, nous nous décidons. D'ailleurs les tirs s'espacent. Enfin, la montagne! On commence à l'escalader en suivant un sentier qui se tortille. Le guide hésite aux jonctions. La montée est harassante. Il y a du tirage à l'arrière, surtout à la section d'engins qui trimballe armes et munitions. Nous nous arrêtons souvent et j'en suis content. Je suis fourbu et marche maintenant comme un somnambule. Le lieutenant s'est maintenant intercalé entre le guide et moi. Il me demande si le guide ne s'est pas trompé et s'il n'aurait pas mieux valu suivre mon itinéraire de l'après-midi. Je lui dis que je ne pense pas car la direction semble bonne: même si c'est plus long par là, cela vaut mieux car c'est moins dur. Enfin, nous passons devant une petite maison que je reconnais et qui doit être le P.C du 2ème bataillon. Nous ne sommes plus très loin. Mais nous devons laisser passer une très longue file de robustes mulets, conduits par des italiens et chargés de vivres et de munitions. Les mulets sont formidables : lorsqu'au bout d'un moment, après avoir déchargé, ils redescendent, ils vont au trot dans ce sentier irrégulier et rocailleux et leurs conducteurs se pendent à leurs queues pour ne pas tomber. Cela nous a fait un long repos car la file comprenait près de 200 mulets. Enfin, nous repartons... Bientôt, nous sommes rendus : il est deux heure et demie! Nous ne faisons pas de longs préparatifs pour nous coucher, nous contentant de nous adosser à un rocher. Ketfi fait le lit et bonsoir !Dimanche 30 janvier 1944 - Belvédère Le matin, réveil en fanfare ! Gros tirs d'artillerie et de minens boches. Nous sommes à proximité de l'extrémité du sillon dont j'ai déjà parlé, de cette faille qui grimpe de la plaine de St Elia au Belvédère et c'est là que semblent se concentrer les tirs. Dans la journée, il y en aura plusieurs aussi puissants les uns que les autres. Parfois, nous verrons, au début d'un tir, un petit nuage rose qui se répandra gentiment au dessus de cet endroit : c'est un obus de réglage qui indique le début d'une série. Il n'est pas facile de se construire un abri ici où les rocs sont d'une seule pièce et nous nous contentons des abris naturels, parfois étroits et incommodes que nous fermons avec nos sacs. Ketfi s'est débrouillé, hier, pour ramasser une caisse de rations K que les Italiens, pressés, avaient laissée sur le chemin. Il ouvre toutes les boîtes, en retire les friandises, les cigarettes et le fromage. Avec les biscuits et le reste, il fait le généreux. Nous, Sans, Bensehila et moi grignoterons toute la journée. Ketfi, hier, a également "fauché" une "nourrice" à moitié pleine d'eau (il devait être chargé comme un baudet). Nous nous en sommes désaltérés à l'arrivée, mais bien mal acquis ne profite jamais, elle recevra un tout petit éclat qui la percera et nous devrons distribuer l'eau qui reste. Notre mission est d'occuper les crêtes conquises au fur et à mesure de l'avance des unités qui nous précèdent. La mission n'est pas des plus glorieuses mais les minens pleuvent. Souvent, des Américains passent, ou stationnent près de nous. Ils ont l'air "emmerdés" et c'est bien là le mot qui convient le mieux. Ah ! ils ne sont pas aussi à l'aise que dans les rues des grandes villes. Ils trouvent que la pente est rude (pensent-ils qu'on devrait inventer une jeep encore plus "tout terrain"?) et le matériel bien lourd. Ils continuent leur éternelle mastication mais j'ai plaisir à voir qu'ils sont barbus presque autant que nous et sales aussi. Leur tenue n'est pas la même que la nôtre. Ils n'ont plus la capote mais un blouson beaucoup plus chaud et une combinaison assortie plus fonctionnels. A 13 heures, le Lieutenant Piau (qui avait reçu le 26 un petit éclat dans le gras de l'avant-bras et dont la blessure risque de s'aggraver si elle n'est pas soignée) est évacué. C'est d'ailleurs sur l'ordre du médecin qu'il consent à partir. Au fond de lui-même il n'est pas fâché: moniteur d'éducation physique dans le civil, il ne veut pas risquer de perdre son bras... et son métier. Finalement, il restera dans l'armée, subira une intervention chirurgicale pour enrayer un début de gangrène, participera à l'offensive du Garigliano, à la campagne de France, fera deux séjours de trois ans en Indochine, deux séjours encore en Algérie et terminera avec le grade de lieutenant-colonel. Il dit en partant qu'il fera son possible pour revenir vite. Il dit encore qu'il me remercie. Le chef Auer prend le commandement de la compagnie. Ma section s'est amenuisée. Nous ne sommes plus que 24 et plusieurs se disent malades et demandent à être évacués. J'essaie le plus possible de les faire patienter. En attendant, je remanie ma section. Il est difficile de remplacer un tireur ou même un chargeur faute de gens compétents ! C'est un peu fort car il n'est pas difficile de porter des boîtes chargeurs et de les introduire sur un F.M. mais il est vrai que, dans les dépôts, on a une façon de concevoir l'instruction qui est cause de cet état de fait déplorable. Le 25, en quittant l'endroit où nous étions au "repos" (!!), j'ai dû laisser un malade. Le 26, j'ai eu un tué, deux blessés, un disparu (sergent Bitattache). Le 27, un blessé. Le 28, un malade évacué (le Caporal Toumi qui nous rejoindra par la suite). Le 29, un disparu (Nabet qui a du se perdre dans la nuit). Nous étions 32 à mon arrivée. Nous sommes 8 de moins, et, ce soir, je devrai laisser encore partir mon adjoint, le sergent Boulala, dont les pieds sont très enflés. A 14 heures, l'ordre nous est donné de déposer nos sacs et de les grouper dans un coin, par section, de laisser aussi nos capotes et de nous mettre en blouson et cartouchières : préparatifs de départ pour l'attaque. En effet, la colonne de Bensehila est déjà montée à l'assaut de la côte 915; les blessés commencent à affluer au poste de secours du bataillon, installé en plein vent, sur le sentier qui descend, à quelques vingt mètres de nous. Tribi a été blessé à la tête. Bensakri, Matten ont été tués. Tous trois étaient des sous-officiers du renfort. Les prisonniers sont nombreux aussi, ni si jeunes, ni si fatigués qu'on le dit. Des indigènes les insultent. Si on les laissait faire, il n'y aurait pas des prisonniers. Des Américains leur montrent le poing et cela est nouveau pour eux : c'est qu'ils ont vu le feu de près! Tout d'un coup, sur la crête voisine, de l'autre côté du sillon, à 400m environ, des hommes refluent en hâte et en désordre. C'est la 11ème Compagnie repoussée par une contre attaque très violente et un puissant bombardement de minens. Le petit Bensehila ne tient pas en place. Je n'arrive ni à le rassurer ni à le retenir. Il voit déjà son frère tué (le pauvre type ! il ne se doutait pas que son frère serait bientôt évacué sur l'Afrique du Nord pour pieds gelés et que ce serait lui qui serait tué!). Je descend aussi aux nouvelles. Le chef Santou, du renfort, est en nage. C'est lui qui a maintenant le commandement de la compagnie dont les officiers sont tombés. Il cherche le chef de bataillon pur lui annoncer les nouvelles. Il a vu Bensehila sain et sauf. Je retourne à notre rocher où le Caporal Bensehila est revenu, désolé de n'avoir pas vu son frère : mes affirmations le laissent sceptique ! Au bout d'un long moment, j'aperçois mon camarade de Cherchell. Nous l'appelons et il ne tarde pas à être vers nous. Il est complètement bouleversé. Un peu hagard, découragé, les yeux exorbités, enfoncés dans son visage sale et jaune, il parle par saccades tandis qu'on essaie de le réconforter et qu'on lui donne à boire. A 16 heures, le chef Auer n'est pas là. Rau et Stone me disent qu'il était allé au P.C du bataillon, il y a déjà deux ou trois heures et qu'ils commencent à être inquiets. Je vais voir. Le Capitaine Gaubillot me dit qu'il a été atteint par un obus à la jambe et qu'il est mort presque aussitôt. Il continue en disant qu'il me donne le commandement de la compagnie. Je lui objecte que je ne suis pas le plus ancien, ni d'ailleurs le plus gradé. Il maintient sa décision (il reste trois sergents français qui étaient déjà à la compagnie avant moi, un adjudant et deux chefs indigènes). Je suis estomaqué et à vrai dire un peu inquiet. La responsabilité est grosse et imprévue. Ce sentiment s'atténuera vite. Le capitaine me présente à un lieutenant qui doit m'indiquer notre mission et me faire reconnaître l'emplacement où je dois installer la compagnie. C'est au cours de cette même reconnaissance que le Chef Auer a été atteint. Notre mission principale est de protéger un repli éventuel de la 9ème Compagnie isolée en pointe sur la côte 700. Dans cette éventualité, la difficulté serait de discerner avec exactitude le moment où tous les hommes de la 9° seraient passés pour donner l'ordre de tirer sur les boches à leur poursuite et de les arrêter. La mission secondaire est de tenir notre position dont la perte aurait pour effet de couper la 9° du bataillon et du ravitaillement. Le lieutenant, me transmet les indications du chef de bataillon, puis me laisse. Je retourne à la compagnie, je convoque les gradés et leur annonce que le Chef Auer est blessé (je leur cache sa mort). Cette nouvelle perte, alors que celle du lieutenant est si proche, cause un certain désarroi mais je ne le laisse pas augmenter. J'annonce que je prends le commandement et, sans attendre, je donne mes ordres. Personne, d'ailleurs, n'a l'air choqué comme je le craignais. De mon côté, par mon attitude, je m'efforce de paraître trouver la situation normale. Je donne l'ordre de reprendre les sacs et capotes et de se préparer à partir. J'emmène les chefs de sections sur l'emplacement où nous devons nous installer et je donne à chacun sa mission. La 3ème section est en pointe au débou-ché du chemin de repli. C'est la section du Chef Chabia. J'ai, pour la renforcer, un groupe de mitrailleuses lourdes qu'on a mis à ma disposition. C'est elle qui aura la part la plus importante. J'installe la 2ème section, celle de Fraga; égale-ment Chef, sur la crête, auprès d'une maisonnette et de meules de paille. C'est à elle qu'il revient de nous garantir d'une infiltration par le flanc droit. Notre flanc gauche est protégé par les restes de la 11ème Compagnie (une trentaine d'hom-mes récupérés par Santou), disposés à mi-pente. Je garde ma SME et ma 1ère section en réserve. J'installe mon P.C un peu en arrière mais au centre du dispositif. Peu à peu, tout s'organise. Je vérifie en détail l'organisation des sections, l'emplacement des FM et des mitrailleuses lourdes. J'organise les gardes, fais reconnaître les positions des sections, de mon P.C, du P.C de bataillon aux agents de liaison, fais percevoir des munitions supplémentaires, en particulier des grenades, et le ravitaillement par l'adjudant indigène. Un troupeau de moutons et de chèvres abandonnés passe au milieu de nous. Les indigènes les pourchassent à la grande joie des Américains.A la nuit, entre 19 et 20 heures, je suis convoqué au bataillon. Il y a le Chef de Bataillon, le Capitaine Adjudant Major, Santou qui commande la 11ème. Bientôt, arrive l'Adjudant Chef Binart, que le commandant me présente et qui prend le commandement de la cie, à mon grand soulagement (d'autant plus que le Capitaine Gaudillot me dépeignait la situation en termes noirs et me faisait craindre maintes surprises). A nouveau, avec l'Adjudant Chef, je fais le tour du dispositif, lui expliquant notre mission et les dispositions que j'ai prises. Près de la maisonnette, que le Chef de Bataillon parlait de transformer en "bochlaus" (il semblait y tenir !), l'Adjudant Chef me montre un tas noir : le Chef Auer, simplement recouvert d'une couverture, et qui, le pauvre, passera, la nuit, tout seul, en plein air. Notre nouveau commandant de la compagnie, se trouvait tout près, il lui a fait un garrot mais il est mort très vite. L'Adjudant Chef s'installe dans un abri déjà construit, tout près de mon P.C que Ketfi a construit trop petit et où je devrai me recroqueviller. Lundi 31 janvier 1944 - Côte 720 Après une nuit calme et quelques tasses de chocolat avalées tranquillement, vers 9 heures, nous partons sur la côte 720. Bien entendu, ma section est en tête... Pendant la 1ère partie du trajet, rien à signaler sinon que les montées sont pénibles et qu'il fait chaud. Arrivés en bas de la crête, je fais déployer ma section (jusqu'alors nous marchions colonne par un). J'envoie un groupe à gauche, un groupe à droite pour reconnaître deux maisonnettes. Comme prévu, le passage est libre. la crête est balayée par des tirs de mitrailleuses. Mon caporal, Nabti, est blessé par deux balles. Enfin, nous sommes au sommet. Nous trouvons la crête occupée par une compagnie d'Américains. Nous faisons comme s'ils n'y avait personne et j'installe mes trois fusils-mitrailleurs sur les rochers de la ligne de crête. Immédiatement derrière, une coulée de terres cultivées de fèves maintenues en terrasses par des murettes. Je bavarde avec un Américain d'origine française (de la Louisiane) très brun et pas très sympathique. Il me dit que leurs pertes ont été lourdes, qu'ils ont reçu, en 5 renforts successifs, des hommes peu entraînés. Leur compagnie est commandée par un sous-lieutenant. La plupart des Américains sont couchés dans leurs abris de pierre et n'en sortent guère... Encore une fois, il faut construire notre abri en pierre. Ca devient fatigant quoique Ketfi fasse le plus gros du travail. Vers 17 heures, les Américains partent à l'attaque d'une crête voisine, les Français du 1er bataillon également. De mon observatoire, je vois qu'ils se font tirer dessus par derrière. Je cours croyant que c'est de notre crête que les mitrailleuses américaines tirent. Quelle pagaille ! Que les histoires de liaison et de tactique de Cherchell paraissent idiotes ici ! A 18h30, un message du bataillon nous parvient. Les Français du 1er bataillon viennent de se faire violemment contre attaquer. Nous devons redoubler de vigilance. D'autres Américains viennent remplacer ceux qui étaient partis. L'adjudant-chef s'était installé avec son P.C dans une casemate boche que les précédents Américains avaient abandonnée. Mais leurs remplaçants ne l'entendaient pas ainsi et le font déguerpir ! Amitié franco-américaine ! Très violent tir de minens sur notre crête. Parmi nos hommes, partis en corvée d'eau, SNP. Embarek, de ma section, noir très fruste et qui m'avait suivi sans "hésitation ni murmure" lors du bombardement du 26 est blessé. Sur sa civière d'évacuation, il pleure et geint, j'essaie de le réconforter et lui dit au-revoir. Nuit assez calme, je dors assez bien car les nombreuses couvertures et toiles de tentes de Ketfi sont suffisantes contre le froid. contre le bruit, aussi pour avoir l'impression d'être en sécurité, je mets ma capote sur la tête, sans enlever mon casque (!). Mardi 1er février 1944 La plaine est submergée par une mer de vapeur où flottent, détachés, les sommets. Plusieurs fois dans la journée, nous sommes sous le feu des mortiers, très violent; Ketfi me rapporte une combinaison américaine et une lampe torche. A son ami Sans, il offre un petit pistolet américain. Il a, paraît-il trouvé tout cela. Je ne cherche pas à approfondir. Nous ne quittons guère nos murettes de pierres. Choisir l'instant favorable pour aller faire ses besoins n'est pas aisé ! Les Américains, eux ne se dérangent pas. Ils urinent depuis leurs trous. A 16h30, - "l'Adjudant Chef Binard est blessé", vient m'annoncer quelqu'un. Un "merde" instinctif et énergique me vient spontanément aux lèvres. Je téléphone au Capitaine Gaudillot puis descend au P.C du bataillon pour le voir. Je me plains de ce qu'on ne réponde jamais lorsque notre opérateur radio appelle le bataillon. Sur notre droite, la 6ème Compagnie se déplace allant rejoindre son bataillon et nous laisse à découvert. Je dois aller installer la section Fraga à sa place. Après bien des recherches, je finis par trouver. A 21H30, le Lieutenant Lederman vient me relever. Dans la nuit, le ravitaillement arrive avec l'Adjudant Guessoum (?). J'ai deux lettres : une de Blida, une de Geneviève. Je les lirai demain, au jour. Nuit calme, passée dans la fameuse casemate que les Américains ont enfin libérée. Mercredi 2 février 1944 Le Capitaine Gaubillot, une canne à la main, vient nous voir. Il ne prend guère la peine de se camoufler, voulant prouver son courage. Mais les hommes disent qu'on n'a pas besoin de lui pour faire repérer notre position. Il me charge de lancer une patrouille pour reconnaître en particulier les maisons situées au devant de notre position, sur la hauteur suivante. J'y envoie Laouati que cela n'enchante guère et quelques hommes. Du haut de la crête, près du poste téléphonique de l'artilleur de liaison, nous suivons l'opération à la jumelle. Il y a là le fameu. Commandant Pichon, du 1er bataillon, le Capitaine Gaubillot et moi. Bientôt, on voit les hommes; de la patrouille qui débouchent précautionneusement. Laouati les commande par gestes. Ils progressent chacun leur tour, par petits bonds, le long d'un sentier, se planquent après quelques mètres. Le commandant dit que la patrouille, plus que l'attaque est un excellent moyen pour former le soldat. Le capitaine approuve leur manoeuvre. Je suis un peu surpris de voir que le commandant et le capitaine considèrent la patrouille avec sang froid comme s'il s'agissait d'un exercice sans danger. Il est vrai que, du fait de leurs grades, ils sont maintenant dispensés de ces petites opérations. Leur intérêt est limité mais elles sont dangereuses. J'ai, moi, le point de vue de celui qui fait les patrouilles, eux, celui de ceux qui regardent ceux qui les font. Les "huiles" s'en vont, non sans que le capitaine m'ait recommandé de suivre l'opération et de lui en rendre compte. Peu à peu, la chose devient intéressante. L'éclaireur de tête a vu quelque chose et, d'un bond précipité, reflue en arrière avec ses camarades. On se concerte, on hésite... La patrouille aborde une petite maison, la fouille. Rien. Elle repart et ne voilà-t-il pas Hadjadj qui, sans s'en faire, la laisse partir et pose culotte derrière la maison! Nouveau groupe de maisons à explorer. Les précautions redoublent. La patrouille disparait derrière la maison. Tout d'un coup, de grands cris et elle ressort avec un prisonnier... un boche qui se cachait. Bientôt, sur un mulet errant, les hommes de patrouille hissent un autre boche, un blessé et c'est le retour, en cet étrange équipage. Je rends compte par téléphone au Capitaine Gaubillot.

Fin du récit rédigé en 1944 et retranscription pure et simple du carnet écrit au crayon

A 12h, avec deux sections et un groupe de mitrailleuses légères, je vais m'installer sur une crête en avant. J'y trouve les Américains. Le lieutenant qui devait primitivement rester sur 720 nous rejoint. Gros bombardement. Balles. Le bombardement devient de plus en plus intensif. Les obus tombent à côté de moi. Dans mon trou, un mort, deux blessés, moi survivant. Je retrouve l'endroit où j'avais laissé mes affaires pulvérisées, ma mitraillette en miettes. Je cherche longtemps l'étui de mes jumelles. Ma capote, à quelques mètres de là est étalée et couverte de débris. Le lieutenant me désigne pour aller, avec la 1ère section, occuper la crête encore plus en avant! Nous nous sommes trompés d'objectif. Mais, sur des crêtes élevées (831-915), à gauche et à droite, les Allemands se réinstallent où s'accrochent. Après avoir fait quelques réserves car la nuit tombe, je pars avec mes trois groupes de quelques hommes chacun. Je marche lentement, la base en avant. Rien. J'arrive sur une croupe où j'ai dix hommes. Comme elle est aplatie, pour la tenir, je suis obligé d'espacer mes guetteurs et mes armes. Chacun est isolé de 20 à 30 mètres. J'essaie de descendre sur la droite où j'ai le groupe du Caporal Toumi pour le faire resserrer et regrouper ainsi mon dispositif. Mais, chaque fois, des balles sifflent aux oreilles, de l'endroit où cependant doit se trouver ce groupe. Là dessus, arrive le lieutenant avec ce qui reste de la compagnie sauf une section. Il est engagé dans la montée lorsque à nouveau les balles sifflent. Il s'arrête et tout le monde avec lui, barda sur le dos. Je reste longuement près de lui. Il ne sait que décider. D'origine alsacienne; son frère ayant été mobilisé dans l'armée allemande, il avait la hantise de le retrouver, en face avec l'ennemi, au combat... Moi, j'incline fortement pour le repli. Mais les boches couronnent la croupe où mes hommes se sont plus ou moins retirés, leur moral étant à plat. Il nous faut descendre sous le feu du fusil mitrailleur. A l'abri d'un mur nous risquons drôlement les grenades!. Le lieutenant hésite longtemps. Alors notre mitrailleuse légère se met en action ce qui détermine le lieutenant au repli. Cela se fait plus ou moins en désordre. C'était la seule solution. Nous nous étions trouvés seulement devant une patrouille. Mais nos effectifs étaient faibles et pittoyable de l'état moral de nos hommes (et le notre!) Opération lamentable! En deux occasions, j'ai essayé de tirer: une fois avec ma mitraillette de remplacement, une fois avec un F.M, en vain! Les chargeurs étaient vides!... Je rentre fourbu, complètement à plat. C'est tout juste si je ne pleure pas en apprenant qu'on laisse au moins un tué et trois blessés. J'ai une soif terrible et rien à boire. Je n'ai pas de ressort. Je trouve mon trou et je m'y fourre... Jeudi 3 février 1944Les Américains attaquent sur 831 et les Français sur 915. Minens, balles de toute nature. L'ordre arrive de rallier la compagnie pour attaquer le piton d'où nous avons dû nous retirer hier. Malgré mon peu d'enthousiasme, j'exécute. Je pars en tête de la 2ème section (sergent Carboni et 6 hommes). Le lieutenant est en tête de la 1ère, sur ma droite (Sergent Khellef et 8 ou 9 hommes). Peu d'enthousiasme des hommes qui se planquent et ne veulent plus bouger dès que les tirs commencent. Le lieutenant est parti sur la droite. Je fonce debout, essayant d'exciter les hommes qui se laissent faire peu à peu. Au moment où j'arrive sur la crête, des balles venant de l'arrière droit me fauchent. Je reste environ deux longues heures, tout seul, de 10h à midi, couché sur le dos, sous les rafales venant de devant et de derrière et les obus (poussières et éclats!). J'écris à ce moment là: "blessé dans les fesses et la jambe droite. Je ne peux plus bouger la jambe droite. Je suis sous le feu. Si je meurs, j'aurai gagné mes galons d'aspi. Je pense à mes parents. Qu'ils n'aient pas trop de peine. Je les embrasse". J'ai cru, alors, que j'allais mourir et j'ai prié à haute voix bien que n'ayant plus pratiqué depuis plusieurs années. De temps à autre, j'ai appelé bien que risquant d'être ramassé par les Allemands. Carboni et Hadjadj viennent me chercher. Me mettent sur une couverture sans se faire tirer dessus. Je braille car la jambe me fait horriblement mal. Ils me tirent jusqu'en bas, vont chercher un brancard et me transportent au P.C du bataillon. Là, l'adjudant toubib me dit qu'il n'y a qu'une balle, fracture. Il me fait une planchette et ligature le tout. Des brancardiers m'emmènent sur les sentiers. Relais nombreux. Au premier relais, je rencontre Saïchi, adjudant toubib et Contamin qui, n'ayant pas de char à combattre fait le brancardier. Vers la rivière de la plaine de St Elia, passage très visé et bombardé. Les brancardiers hâtent le pas (trois mulets, des blessés tués sur place). On nous gare dans une petite maison pour nous mettre à l'abri des éclats puis on nous transporte dans le lit de la rivière à sec. On nous dépose un long moment. Des dodges nous prennent, puis des sanitaires. Au triage, on me fait une espèce de gouttière. On nous donne à boire du chocolat et une tartine de confiture. Puis, en route, sur Venafro, au monastère! Là, je suis opéré dans la nuit, on me fait un plâtre (Dr Molandre, de Bône).

L'hôpital et la réforme

Le dimanche 6 février, des sanitaires conduites par des Françaises m'emmènent à Bagnoli. J'ai connu l'une d'elles, Madeleine Grima, à Alger. Nous sommes admis dans un hôpital de campagne américain. L'un de nous réclame un pistolet: il en résulte un quiproquo risible entre l'instrument sanitaire et une arme. Des officiers, nous visitent. Nouvel éclat de rire collectif lorsque un camarade, interrogé sur la nature de ses blessures, se dit victime d'hémor-roïdes! Une fort jolie infirmière américaine insiste pour que je sacrifie ma barbe de quinze jours que je voulais conserver : ce n'est pas facile de se raser, couché sur le dos et avec un poil de sanglier multicolore qui nécessite tout un paquet de lames... Nous sommes merveilleusement soignés! Nous mangeons fort bien. Les 9 et 10, nouveaux transferts sur des centres de passage. Je souffre de gaz intestinaux et mon ventre est douloureusement comprimé par un énorme plâtre. Les infirmiers américains sont fort prévenants et très patients. Enfin, le temps se stabilise et permet notre embarquement sur un Douglas de transport. Nous sommes le 12 février 1944. C'est le jour de mon 23è anniversaire! Nous arrivons à midi à Bizerte dans l'hôpital Sidi Abdallah. De jeunes marins français s'occupent de nous. Ils nous font beaucoup regretter nos infirmiers américains!... Le 14, nouveau transfert pour l'hôpital Louis Vaillard, au Belvédère de Tunis. La réduction de ma fracture est mauvaise. On doit ouvrir mon plâtre (épilation gratuite et douloureuse comprise!), étirer ma jambe après piqûre intraveineuse pour atténuer la douleur, me replâtrer... Les évacuations sur le Centre de fractures de Blida sont ajournées. Le 25, enfin, on me dépose sur un brancard en attendant le départ. C'est là que me trouve M. Lorquin, prévenu télégraphiquement par papa et désolé de n'avoir pu me manifester plustôt son amitié. A 20 heures, le train sanitaire démarre. Long voyage! Dans les gares, la Croix Rouge nous offre quelques douceurs. Le dimanche 27, à 15 heures, nous arrivons enfin à Blida, où je revois mes parents, très émus et quelques amis. Au centre de fractures, installé dans un collège réquisitionné, on m'enlève ma chemise, prêtée par l'hôpital militaire de Bizerte. Je n'ai plus que quelques papiers personnels et mon carnet de route protégés par le carton brun d'une boîte "U.S Army Field. Ration K; Dinner Unit". On installe au bout de ma jambe une traction de 5 kg et il n'y a plus qu'à attendre, couché sur le dos, pour moi une position inhabituelle et inconfortable. Ma fracture se ressoude rapidement. Elle est franche, je suis jeune et sain. L'épouse du général de Montsabert commandant la 3° DIA à laquelle j'appartenais visite l'hôpital. Elle s'étonne d'apprendre que je ne suis pas décoré. A vrai dire, je n'avais pas encore pensé que j'avais pu le mériter. Le 6 avril, maman qui me rend régulièrement visite, m'annonce la naissance de Nicole, ma petite nièce qui sera ma filleule. C'est peu après, le 18, qu'en calèche, je pourrai rejoindre le domicile de mes parents et l'admirer. J'ai obtenu 50 jours de convalescence. J'ai encore des béquilles que j'abandonnerai bientôt pour des cannes. Je vais faire de la rééducation avec Marcel Régis, un ancien champion de boxe algérois. J'envie un peu les jeunes mauresques qui me dépassent en courant. Le 29 juillet, je reçois une lettre du Commandant Peponnet, mon ancien Chef de Bataillon. Il m'apprend qu'il m'avait proposé pour la Médaille Militaire, évoque "ma citation du ;Belvédère, me donne des nouvelles d'officiers et sous-officiers. Le bataillon, précise-t-il, "s'est vaillamment comporté, talonnant sans arrêt le Boche pendant un mois et demi" au prix malheureusement de "60 tués dont 4 officiers, 200 blessés, une quarantaine de disparus"... Le 2 novembre, je suis présenté à l'expertise de médecins militaires à Constantine. Leur commission propose ma réforme définitive n°1. Mon fémur, fracturé au 1/3 supérieur, s'est ressoudé en crosse, avec un cal volumineux. J'ai 4 à 5 cm de raccourcissement, une hypotonie marquée du quadriceps, une arthrite chronique légère du genou droit, une gène fonctionnelle assez marquée. De nos jours, j'aurais sans doute été mieux soigné et probablement réopéré car les guerres permettent à la chirurgie d'accomplir de grands progrès... Le centre d'appareillage me fournira une chaussure orthopédique montante et un brodequin désappareillé de type "SOR". Puis, après bien des palabres, il acceptera de prendre partiellement en charge des chaussures basses, plus esthétiques, confectionnées par un bottier agréé d'Hussein Dey (aujourd'hui replié sur Toulouse)Finalement, le Journal Officiel du 20 novembre 1944 m'a attribué la Croix de Guerre avec palme. Ma citation est élogieuse mais elle comporte quelques inexactitudes secondaires. La Médaille Militaire me sera attribuée en 1950. Le 1er décembre 1944, je réintègre mes fonctions de rédacteur temporaire à la Préfecture d'Alger. On m'avait assuré que je pourrais être nommé sous-lieutenant mais déconseillé de le demander car, dans une carrière militaire, j'aurais été handicapé par ma mutilation.
C'est seulement en 1946, après la démobilisation, que je pourrai me présenter au premier concours ouvert depuis 1942 pour devenir Rédacteur de l'Administration Départementale Algé-rienne. Je serai affecté à Constantine. Les trajets à pied entre mon domicile du Coudiat, Bd Mercier, et la Préfecture, près de la Place de la Brèche et du Rhumel, achèveront ma rééducation...

4 - Contexte historique

Les deux premiers chapitres de ce témoignage ont été rédigés en Novembre et Décembre 1991, en utilisant quelques notes et documents précieusement conservés. Ils ont été écrits avec la volonté de laisser une trace aussi objective que possible de l'époque de mon service civil obligatoire et de ma formation militaire. Ils complètent la reproduction, à peine étoffée, en Mai 1944, d'un carnet de route tenu au jour le jour, entre le 8 Décembre 1943 et le 3 Février 1944 : les deux mois de ma courte carrière de combattant. C'est le récit d'un sous-officier d'infanterie "pied noir" de 23 ans, dont il est nécessaire d'élargir l'horizon. Pour tous les Européens d'Algérie d'avant les années 40, la France était un beau et grand pays. Tous ne la connaissaient pas directement mais tous la paraient des plus hautes valeurs. Pour mon ancien camarade de lycée, Gabriel Conessa, la France, l'Algérie et sa mère se confondaient en une seule et même entité. Nous étions fiers d'appartenir à l'Empire Français que nous considérions comme une des toutes premières puissances mondiales. Nous admirions son oeuvre colonisatrice et n'imaginions pas qu'elle puisse être un jour contestée. Nous étions foncièrement patriotes Nous considérions l'Algérie comme un pays européen et nous nous étonnions d'être qualifiés d'Africains par des parents métropolitains d'apparence parfois plus méditerranéenne que la notre. Pour nous, l'Afrique du Nord n'était pas l'Afrique. La mobilisation s'était effectuée, dans nos trois départements, avec le plus grand calme. Ferhat Abbas, lui-même, s'était engagé dans l'armée française. L'armistice de Juin 1940 fit sur nous l'effet d'un véritable coup de massue. La population resta fidèle à la France dans les mauvais jours comme elle l'avait été dans les bons. Elle comprit parfaitement que l'armistice était, dans l'immédiat, la meilleure solution et se rangea sans hésiter derrière le Chef de l'Etat, ignorant à peu près tout de l'appel à la résistance londonien. Par contre, elle sut, à l'occasion, berner les commissions d'armistice, notamment l'italienne et seconder le Général Weygand, "Vice Roi de l'Empire", qui prépara, dans la clandestinité, la future Armée d'Afrique. Jamais l'emprise des uniformes ne fut si grande sur les populations! Un des contrôleurs italiens des conditions d'armistice évoqua dans un rapport officiel cette Armée d'Afrique qui a l'orgueil d'une "armée invaincue" L'Algérie s'était étonnée de l'attitude anglaise à Dunkerque. Elle s'indigna de l'attaque de Mers el Kébir et ne comprit pas les tentatives de dislocations de l'Empire. Elle manqua d'informations objectives sur la France occupée, avant et après le débarquement anglo-américain du 8 novembre 1942. Celui-ci fut réalisé dans le plus grand secret, quatre mois seulement après été décidé. Le président Roosevelt avait enjoint aux Anglais d'écarter les FFL de l'opération car, depuis Mers el Kébir, Dakar, la Syrie et Madagascar, l'Armée Française était farouchement anti-gaulliste. Seuls, quelques volontaires résistants avaient été contactés par le Consul d'Amérique à Alger pour préparer le reprise du combat de l'Armée d'Afrique contre l'Allemand et la venue du Général Giraud qui avait demandé à prendre le commandement en chef des troupes alliées là où des forces françaises combattraient. Le plan anglo-américain comporta quelques lacunes et ne put éviter de courtes tentatives de "résistance à l'invasion" à Casablanca, à Oran et à Alger. La présence inopinée de l'Amiral Darlan dans la capitale amena les Alliés à traiter avec lui. L'arrivée du Général Giraud fut retardée de quelques heures mais une proclamation radiodiffusée appela, en son nom, les forces françaises aux armes contre l'Allemagne et l'Italie en leur assignant "un seul but : la victoire". Ce fut, alors, aussitôt, une nouvelle mobilisation qui concerna 20 classes soit 16,4% de la population, pourcentage supérieur à celui de la Métropole en 1918. Cet effort patriotique fut unique au monde. Les Musulmans furent également appelés avec les Européens mais dans une proportion dix fois moindre. Sur les 260.000 hommes qui furent placés sous le commandement du Général de Lattre de Tassigny pour débarquer, en août 1944, sur les côtes varoises, 20.000 seulement n'étaient pas originaires d'AFN. Malgré ses mérites, le plan anglo-saxon de 1942 manqua d'ampleur et d'audace. Il laissa la Tunisie à découvert. Le Maréchal Kesselring décida aussitôt d'y intervenir. Mais les Français et le Général Barré refusèrent le passage aux Allemands et les affrontèrent dès le 11 novembre, dans les pires conditions d'infériorité, sur instructions du Général Juin. Ils participèrent, d'abord pratiquement seuls, à la bataille de Tunisie qui s'acheva en Mai 1943 par une victoire durement acquise qui coûta à l'ennemi 340.000 hommes, 1.200 canons et 400 chars. Pendant ce temps, à l'arrière, à Alger "Deuxième Ville de France" devenue la "Capitale de la France en guerre", au lycée Fromentin, où s'était installé "une apparence de gouvernement", c'était la lutte pour le pouvoir. On s'en souciait fort peu dans la population civile, encore moins parmi les combattants. Darlan ayant été assassiné le jour de Noël, le Général Giraud avait été nommé Haut Commissaire en Afrique. Roosevelt et Churchill n'avaient pas réussi à convaincre Staline de les rejoindre à Anfa au Maroc. Ils y avaient réuni Giraud et de Gaulle. Celui-ci sut profiter de la victoire française en Tunisie, à laquelle il n'avait aucunement participé et de l'incon-cevable incompétence politique du Haut Commissaire. Il atterrit à Boufarik le 30 mai 1943. Un Comité Français de Libération Nationale fut créé. Il fut présidé alternativement par les deux frères ennemis. Le parti communiste s'y infiltra. Les dissidents venus de Londres parlèrent de "souveraineté française violée par les Américains" et voulurent épurer ceux qui n'avaient jamais formellement condamné l'action du Gouver-nement de Vichy. En septembre 1943, la Corse fut libérée. Giraud, dès lors confiné dans les affaires militaires, fut définitivement éliminé en Avril 1944. Cependant, dès la fin de l'été 1943, le Général Juin avait constitué l'ossature d'un corps de débarquement, limité pour des raisons logistiques, à 65.000 hommes, 12.000 véhicules et 2.500 mulets (les Pieds Noirs la désignèrent avec humour, sous le nom de "Royal Brêle Force", mais les mulets s'avérèrent parfaitement adaptés à la montagne). Le Corps Expéditionnaire Français (CEF ou, plus tard, CEFI) compta, à l'origine, seulement deux grandes unités, la 2ème DIM et la 3ème DIA, avec deux régiments de Chasseurs d'Afrique équipés de tanks destroyers, un régiment d'Artillerie et un groupement de Tabors. En Septembre 1943, la 5ème Armée Américaine et diverses unités britanniques débarquèrent à Salerne et conquirent Naples. Mais Kesselring se retrancha sur la "ligne Gustave" et les Anglo-Saxons furent contraints à une guerre de montagne pour laquelle ils étaient ni équipés, ni entraînés. Le 25 novembre, débarquèrent les premiers détachements de la 2ème DIM mais ce fut seulement le 16 décembre qu'ils purent passer à l'action car les Américains doutaient de l'Armée Française, toujours sous le coup de la défaite de 1940. Dans une véritable tempête de neige, furent obtenus les succès du Pantano et de la Mainarde. Les Français obtinrent "un créneau national" et la 3ème DIA débarqua fin Décembre sous un ciel gris, un vent glacé soufflant en tempête, dans la boue. Dans la sauvage âpreté des Abruzzes, le CEFI conquit, au prix de pertes sanglantes, l'estime des Alliés et le respect des Allemands. Mais, faute de réserves, il ne put exploiter la victoire au Belvédère, conquérir Cassino et enfoncer la ligne Gustave. Le monastère fut bombardé avec autant de stupidité que d'acharnement. Il fallut attendre Mai 1944 pour qu'une offensive décisive puisse être lancée, que triomphassent enfin les vues stratégiques du Général Juin et que Rome fut conquise, le 5 juin 1944. Les Français atteignirent Sienne le 3 juillet. En prenant congé du Pape Pie XII, le Maréchal Kesselring déclara: "sans le Corps Expéditionnaire Français, les Alliés ne se seraient pas emparés de Cassino. Mais la victoire ne fut pas exploitée en direction des Balkans ce qui aurait permis d'éloigner la guerre du sol français et éviter à l'armée rouge d'exercer son contrôle. Les Alliés, en effet, avaient débarqués en Normandie le 6 juin 1944. Les Français du CEFI étaient appelés à se préparer à participer au débarquement du 15 Août 1944 sur les côtes provençales. La victoire italienne fut "quasi inutile" selon le Général Juin qui estimait possible d'être à Vienne avant six mois. Certes, les Français avaient prouvé leur capacité militaire et effacé la défaite de 1940. Mais la psychologie de la population nord-africaine avait changé. En novembre 1942, les maghrebins avaient pu faire des comparaisons entre l'Amérique et notre pays. La France leur avait donné le spectacle de ses divisions et de ses luttes intestines. Les revendications nationalistes éveillées par le discours de Brazzaville avaient été favorisées par les prisonniers de l'axe puis soutenues par les Anglo-Saxons. Nous avions fait participer à la guerre des Indigènes marocains, tunisiens et algériens sans les récompenser de leurs efforts. Les germes de la décolonisation avaient été semés et de nombreux Français la considéraient avec une faveur inconsciente... Bien des ennuis actuels de la France en découlent ! Il en est de même pour les occidentaux qui méconnaissent le monde arabe et l'Orient. En ce qui concerne notre pays, la campagne d'Italie n'aura pas été entièrement inutile. Elle lui aura permis de prouver qu'elle est capable de sursaut lorsqu'on lui assigne un noble objectif. Elle lui aura aussi donné de reprendre une place honorable parmi les puissances mondiales. Il serait désormais indispensable qu'elle réagisse à nouveau. C'est encore possible si on restaure son unité, si on la mène avec une respectable autorité, si on la réhabitue au travail, à l'ordre et à la morale. Contrairement à ce que pense la majorité des Français, son action coloniale a laissé, en AFN au moins, quelques traces d'une amitié profonde et d'une compréhension mutuelle entre Musul-mans et Français. Il est souhaitable que soient enfin rétablies des relations étroites entre la France et le Maghreb. Pourquoi, alors, la France ne pourrait-elle pas participer à l'urgente rénovation de l'Afrique en installant - par exemple à Sophia-Antipolis - une Assemblée Euro-Africaine ?

III

Un demi siècle

de fonction publique

Alger

La Préfecture, la Mairie, l'Hôtel Aletti

1 - Rédacteur Temporaire à la Préfecture d'Alger

1942 - 1946

Comme beaucoup d'enfants, j'ai longtemps rêvé de devenir chef de gare (à cause du sifflet et des tickets à distribuer) ou Président de la République (n'imaginant pas fonction plus éminente!...). Maman me déconseillait d'entrer à la Banque de l'Algérie. Sans doute avait-elle ses raisons: à cette époque, les salaires y étaient insuffisants (mais ma retraite aurait probablement été très supérieure). Elle rêvait pour moi d'une carrière de fonctionnaire: son beau-frère, mon oncle Léo, étant chef de service aux Finances, au Gouvernement Général de l'Algérie. Elle me parlait souvent - je n'ai jamais su pourquoi - des "zoe-forêts". Cela évoquait pour moi des bois mais absolument pas des eaux. Encore actuellement, je n'ai pas eu l'occasion ou la curiosité de demander des précisions sur l'association de ces deux compétences, les eaux relevant, me semble-t-il, de l'Agriculture pour les eaux rurales et de l'Équipement (anciennement Ponts et Chaussées) en matière d'eaux urbaines. Maman m'avait fait inscrire au lycée alors que papa estimait l'EPS plus compatible avec nos moyens financiers. Né en février, je n'avais pu commencer qu'à 12 ans révolus mes études secondaires (après mon Certificat d'Études Primaires obtenu avec mention). Ayant dû redoubler ma 4ème, j'obtins mes Bacs ("B" et "Philo") en 1941. Les possibilités de sursis étaient alors limitées à deux ans. Ce n'était pas suffisant pour me permettre de terminer une licence qui en exigeait trois. J'ai donc choisi de rejoindre aussitôt les Chantiers de Jeunesse. J'en fus libéré au bout de sept mois, un peu inopinément. Sans trop réfléchir, je m'inscrivis en Fac de Lettres pour préparer une licence d'espagnol. J'avais été assez bon dans cette matière au lycée. Bien évidemment, je n'étais pas prêt en juin et ne réussis pas à mon examen. Je me dis alors qu'une licence d'espagnol ne pouvait guère conduire qu'au professorat et je ne me voyais pas passer toute une vie à enseigner. Le droit me parut une matière plus utile. Surtout, je ne voulus plus être à la charge de mes parents alors qu'ils ne bénéficiaient plus d'allocations familiales et que la sécurité sociale restait à inventer. La mère d'une amie de ma soeur était Chef de Bureau à la Préfecture d'Alger (Mme Petitjean). Sur son conseil, je rendis visite à M. Raimondi, le Chef de la Division des Finances et du Personnel. C'était "un monsieur", sérieux et sévère d'allure mais très bon. C'était aussi le père d'un ancien camarade de classe. Après l'enquête réglementaire de moralité, il me fit recruter à compter du 18 septembre 1942 comme rédacteur temporaire: les concours, seule voie normale d'accès à la Fonction Publique, étaient suspendus car nous étions toujours officiellement en guerre. Je fus affecté aux Affaires Économiques. Mais, moins de deux mois après, le 8 novembre 1942, les alliés débarquèrent en Afrique du Nord. Avec de nombreuses classes de recrutement, je fus aussitôt rappelé sous les drapeaux (134.000 mobilisés soit 2,13 % de la population dont 16,4 % de français et 176.500 "indigènes", le plus fort pourcentage mondial). Ma guerre fait l'objet de récits distincts. Indiquons simplement ici qu'elle me valut un important raccourcissement de la jambe droite qui aurait contrarié une éventuelle carrière militaire. Je fus réformé "définitif" et démobilisé près de six mois avant mes camarades de recrutement. En raison de la pénurie de jeunes cadres dans le civil, j'aurais sans doute facilement pu entrer dans le privé ou un établissement nationalisé. Mais je l'ignorais et personne ne me le conseilla... J'eus l'agréable surprise d'apprendre que je pouvais demander ma réintégration dans l'Administration Départementale Algérienne. Je revins donc le 1er décembre 1944 à la Préfecture d'Alger où le Secrétaire Général, M. Lavaysse, m'affecta comme Chef du service des autorisations administratives automobiles. On ne pouvait, alors circuler en auto qu'avec des titres de services publics (S.P) ou d'Intérêt Général (I.G); on distribuait aussi des bons d'essence et des autorisations d'achat de véhicule. Le service - "un des plus ingrats de la Préfecture, selon mon Chef de Division" - avait jusque-là été tenu par deux collègues rédacteurs principaux, un musulman puis un Corse. L'un et l'autre avaient fait l'objet de critiques ou de soupçons. Le premier après avoir été muté par mesure disciplinaire devint Chef de Cabinet du Gouverneur Général de l'Algérie qui cherchait sans doute à se concilier une famille de notables indigènes influents. Nos décisions pouvaient, en effet, susciter bien des convoitises en cette période d'extrêmes pénuries: un pauvre fellah me proposa un jour innocemment, selon les pratiques normales pour les musulmans, un billet de banque; je faillis le "sortir" à coup de pied au derrière; je fus encore plus indigné lorsqu'un ancien camarade de classe, bijoutier, essaya de me tenter par "une bague pour ta fiancée". Fiancé, je ne l'étais d'ailleurs pas encore! Mon Chef de Division lui-même était un faible et manquait de sérieux. Il finit par lasser l'indulgence du Secrétaire Général et finit par se faire sanctionner durement. J'avais plusieurs jeunes collaborateurs et collaboratrices. L'ambiance du bureau était agréable, le travail souvent abondant. Organiser me convenait. Malgré mon inexpérience administrative, j'étais à mon affaire et mon autorité fut respectée. Mon Chef de Division, le Secrétaire Général et le Préfet Périllier proposèrent ma titularisation. Mais les concours sont de règle dans la Fonction Publique. Ils avaient simplement été suspendus en raison de notre état de guerre et allaient être ouverts à nouveau après l'armistice du 7 mai 1945. Je comprenais mal que des concours fussent nécessaires pour juger de l'aptitude de rédacteurs temporaires. N'avions-nous pas fait nos preuves sur le terrain? Pour moi-même, comme pour une dizaine de collègues, je me suis mis en relation avec le Secrétaire du Syndicat. C'était un Chef de Bureau, Camille Maclet. Je me sentis en sympathie avec lui. Ce fut sans doute le début de ma carrière syndicale: rien ne m'y avait jusque-là prédisposé. Pourtant ma démarche ne connut pas le succès. Nous dûmes subir les épreuves du concours ouvert non seulement dans les trois Préfectures Algériennes mais aussi dans plusieurs Chefs Lieux Métropolitains. Certains d'entre nous furent recalés et l'Administration perdit quelques excellents éléments. Pour ma part, j'avais dû solliciter un congé sans solde d'un mois pour pouvoir me préparer. Le concours eut lieu le 1er mars 1946. Je fus reçu 8ème sur 12.

2 - Rédacteur, Chef de Bureau puis

Attaché à la Préfecture de Constantine

1946 - 1956

Malgré diverses démarches, je ne pus être affecté sur place et dus me résoudre à rejoindre la Préfecture de Constantine. J'y fus accueilli avec sympathie et curiosité. Ma future belle-mère, secrétaire d'un des deux Secrétaires Généraux, fut une des premières invitée à venir admirer "le beau rédacteur aux yeux bleus". M. Massari, Chargé du Personnel, me fit miroiter l'intérêt et "la poésie" des Finances. Mais il m'affecta finalement à la Police Générale où le Chef de Division, M. Rossat, me confia aux soins d'une dame chargée des distributions d'armes. C'est ainsi que, pendant deux mois, je fus l'auxiliaire d'un commis alors que l'on considérait les rédacteurs comme denrée rare. Mais je fus rapidement muté au service des réquisitions de logements, des dommages de guerre, des victimes "des événements du 8 mai 1945" et de la Défense Passive. Mon futur beau-père y était également employé. En 1947, il apparut que le service des réquisitions pouvait être rattaché à la 1ère Division (M. Pageaux) et ne justifiait plus l'utilisation de deux rédacteurs (l'autre, un Principal, métropolitain était M. Pétin). Je fus affecté à la 2ème, chez M. Ferri. J'y remplaçais un collègue muté à Alger (M. Ortz) qui me laissa son appartement (dont le propriétaire était précisément notre Chef de Division). J'eus à travailler au Service des Mines, des Chemins de Fer Algériens (CFA), des PTT et des expropriations. A l'occasion d'une réorganisation décidée par le Préfet Papon, encore jeune fonctionnaire, j'eus à diriger mon premier "Bureau", celui des Travaux Publics et des Transports rattaché à la 4ème Division (celle de M. Pinelli) En 1951, avec plus de 80 % des Chefs de Division, Rédacteurs Principaux et Rédacteurs de l'Administration Départementale Algérienne, je fus intégré à compter du 1er juin 1949 dans le Cadre national des Préfectures avec le grade d'attaché. En 1955, fut créée la 6ème Division dont M. Beauseigneur, un des premiers coopérants métropolitain après M. et Mme Pétin, était le chef. Le service des indemnisations des victimes des "événements d'Algérie" y fut rattaché. Je réussis à le lancer très rapidement: c'était psychologiquement et matériellement indispensable. Grâce à mon activité syndicale et à mes très cordiales relations avec le Chef du Bureau des Préfectures au Gouvernement Général, M. Voëgtlin, j'eus connaissance d'une possibilité d'affectation à Alger, dans un service créé pour les besoins des "événements d'Algérie". Algérois d'origine, je n'étais pas parti de la capitale algérienne avec enthousiasme. Certes, j'avais trouvé à la Préfecture de Constantine - et apprécié - un excellent et très exceptionnel esprit de camaraderie. Je m'y étais plu, m'y étais installé et m'y étais marié. Mais, comme moi-même, Dilette était attirée par Alger où nous faisions de fréquents séjours. Ma soeur, Janine, et les siens y résidaient encore ainsi que de nombreux amis de jeunesse. Nous étions en froid avec mes beaux-parents... Les "événements" étaient éprouvants à Constantine (ils n'allaient pas tarder à l'être tout autant à Alger!). A Constantine, je commençais à pouvoir entrevoir des perspectives de nomination au grade de Chef de division. Cela risquait de devenir bien plus difficile à Alger, dans un service extérieur à la Préfecture dotée d'un effectif plus étoffé d'attachés. Je pris néanmoins le risque de poser ma candidature. Il me fallut négocier avec mes patrons; comme toujours, ils ne voulaient pas d'un départ non compensé. Finalement, je fus mis le 29 juin 1956, "dans l'intérêt du service", à la disposition du Directeur de la Sûreté Nationale en Algérie pour être affecté au Centre Régional du Matériel (échelon d'Alger).

3 - Alger : 1956 - 1962

Attaché puis Chef de Division de Préfecture

Détaché au CATI

Mis à la disposition du Consulat Général de France

A Alger, je fus affecté aux Services techniques du matériel de la Sûreté Nationale. Les S.T.M. venaient de s'implanter à Hydra, Chemin de la Madeleine, dans un beau parc de 5 hectares, ancienne propriété de Me Fabiani, non loin du quartier général du Général Massu. Ils occupaient une belle villa mauresque, "Dar El Nador", d'un étage, avec patio central. Les services étaient dirigés par un Ingénieur en Chef, M. André Sterlin, ancien Commandant en second d'un beau paquebot à trois cheminées, "le Champollion". Bien évidemment, nous surnommions notre patron "l'Amiral". C'était un père de famille nombreuse, venu du CATI de Dijon, compétent mais un peu hâbleur. Il était assisté d'un attaché de préfecture issu de la division administrative du CATI de Toulouse, Jean Cottenet, d'un ingénieur chargé du service automobile et de l'armement, Pierre Faure, et d'un architecte, Commot, pour le bureau immobilier. S'y ajoutaient quelques agents administratifs ou ouvriers d'origines diverses. Je fus chargé de l'habillement et des matériels divers, le 2ème Bureau, correspondant sensiblement à l'Intendance dans l'Armée. J'eus à gérer un stock d'uniformes usagés et d'accessoires jetés en vrac dans une ancienne cuisine mais comptabilisés sur fichiers à cartes perforées. Un renfort de policiers venait d'arriver à l'aéroport de Maison- Blanche. Je dus y aller avec ma 4 CV personnelle et participer à la prise de mesures de personnels souvent aussi ventrus que dépourvus d'enthousiasme pour leur nouvelle mission. Drôle de tâche pour un cadre de préfecture, spécialisé dans "l'administration générale de synthèse"!... Les besognes auxquelles j'allais devoir m'atteler ne furent pas toutes aussi "vulgaires" même si la plupart de mes collègues des services classiques, fiers de leurs techniques juridiques, de leurs missions administratives et de leur qualité de proches collaborateurs de Préfets, les considéraient avec quelque condescendance. Elles allaient être abondantes, souvent urgentes, délicates et, parfois, dangereuses, exigeant beaucoup de travail, de faculté d'adaptation, de sens des responsabilités. En fait, de 1954 à 1983 - l'année de ma retraite - je n'ai jamais eu le temps de m'ennuyer dans mes divers emplois; au contraire, j'ai souvent eu à constater combien injustifiée était la réputation faite aux fonctionnaires de se laisser vivre, de n'avoir aucun souci à se faire ni d'initiatives à prendre, d'être des improductifs ou de simples "plumitifs". Petit à petit, j'eus à organiser des magasins, à ajuster une comptabilité matière aux réalités physiques, à gérer des budgets importants, à effectuer des achats onéreux en tenant compte d'une réglementation inadaptée aux temps de guerre, à diriger un personnel hétéroclite, à m'imposer auprès de mes collègues et de mon personnel, à me faire apprécier de mes chefs sans me faire oublier dans les Préfectures. Je fus assimilé à un ingénieur et détaché sur un emploi technique. Après avoir reçu des matériels de métropole, nous dûmes équiper de pied en cape plusieurs unités de CRS, parfois à raison d'une ou deux en trois mois. Or, les personnels des Compagnies Républicaines de Sécurité sont des fonctionnaires civils vivant en casernement 24 heures sur 24. Leurs dotations sont très complètes: effets d'habillement, matériels de campement, de sport, pharmaceutique, administratif, véhicules automobiles, armement, moyens de transmission... J'eus à choisir entre le bois, le charbon et le propane pour l'alimentation de cuisinières à acquérir pour 200 rationnaires. Je fis confiance à certains fournisseurs qui me conseillèrent honnêtement et contribuèrent à ma formation dans un métier nouveau pour moi. J'appris que, "pour touiller le rata", des spatules en bois avoisinant le mètre de hauteur étaient nécessaires. Je fis une confusion entre cisailles à barbelés et cisailles à haies. J'ai commandé aussi quelques jeux de poteaux de rugby alors qu'en Algérie ce sport était peu pratiqué en raison d'absence de pelouses sur les stades. Dans l'ensemble, mes erreurs furent - heureusement - exceptionnelles. Les personnels venaient en partie des CATI métropolitains et des Préfectures. Ils comptaient beaucoup de vacataires, de contractuels, d'anciens gendarmes ou sous officiers - excellents collaborateurs - des musulmans, des femmes. Dans les périodes d'affrontement, les tensions furent vives entre ces divers éléments (entre européens et indigènes, notamment, mais souvent aussi entre européens d'Algérie et métropolitains, entre musulmans proches du FLN et musulmans fidèles à la France). Parmi les algériens, les ouvriers donnaient satisfaction mais les administratifs étaient beaucoup moins sûrs. J'eus l'occasion d'aider un jeune musulman à se mettre à l'abri à Biskra et il m'exprima sa reconnaissance et celle de ses parents par une carte que j'ai conservée précieusement. Chef de Bureau de l'Habillement et des matériels divers, j'eus, à plusieurs reprises, à assurer l'intérim de "l'Amiral" et à régler certains problèmes de construction, d'armement et d'automobile. J'ai constaté en ces circonstances qu'un administratif s'adapte généralement mieux aux problèmes techniques qu'un technicien aux problèmes administratifs. Nous avions construit, sur place, de vastes magasins et en utilisions d'autres au port et à l'École de Police d'Hussein-Dey. Nous avions construit un vaste atelier automobile comme il n'en existait aucun d'aussi moderne en métropole. Je me déplaçais de temps à autre, souvent seul, dans une voiture de service, pour visiter nos annexes de Constantine ou d'Oran et les unités de CRS à Tlemcen, Mostaganem, Bône... Cela s'est toujours bien passé mais j'ai sans doute souvent risqué ma peau!... Les officiers de CRS disposaient de salles à manger (acquises par mes soins). J'y fus reçu à plusieurs reprises et eus l'occasion d'apprécier par exemple mon premier - et excellent! - coq au vin dans une ambiance agréable. Je me suis parfois senti en sympathie avec des officiers de qualité (Cdt Roumy, Cdt Henriot, Colonel Arsimolles, beau-frère de Mimi Subias, Cdt Huillet, sœur de mon beau père, un parent éloigné...). Les événements d'Algérie devenaient de plus en plus éprouvants et nous en subissions les contrecoups. Dans l'Administration, on prenait des mesures tardives souvent inopérantes. On faisait appel à des coopérants surtout intéressés par les avancements exceptionnels qu'on leur accordait. Les fonctionnaires musulmans bénéficiaient de leur côté, de généreuses promotions. Et, dans le même temps, on refusait toute mutation en métropole aux fonctionnaires d'Algérie. La Sûreté Nationale en Algérie avait obtenu à compter du 1er avril 1958 un poste d'ingénieur susceptible d'être réglementairement confié à un chef de division de Préfecture préalablement placé en position de détachement. Bien entendu, j'avais participé à la création de cet emploi. Il m'était destiné et j'espérais qu'il favoriserait ma promotion au grade de chef de division. Il en fut bien ainsi. Mais les procédures administratives sont toujours longues et compliquées. Je dépendais simultanément de la Préfecture d'Alger et de la Sûreté Nationale en Algérie, direction du Gouvernement Général et du Ministère de l'Intérieur! A la Préfecture de Constantine, je serais arrivé en premier rang mais, à Alger, j'avais à compter avec une vingtaine de concurrents souvent plus anciens. J'ai suivi de très près, à chacune des nombreuses étapes de la procédure, la préparation du tableau d'aptitude, en liaison avec les syndicats des Préfectures (à Alger et à Paris), avec les responsables de la Préfecture d'Alger, de la Direction de la sûreté nationale et du Ministère de l'Intérieur. J'y comptais pas mal de relations et y bénéficiais d'un appréciable capital de camaraderie et d'estime (MM. Sterlin, bien évidemment, Bargeton, sous-directeur de la SNA, Fabre, directeur du personnel au ministère, Michel Ducrocq et son successeur Albert Daures, au secrétariat général du syndicat FO des Préfectures, Azoulay et Bignon mes excellents collègues algérois...) Finalement j'eus la joie d'être retenu au tableau national d'aptitude le 27 mars 1958, au titre de la Préfecture d'Alger (détaché). Les événements du 13 mai 1958, cette "révolution fraternelle", occasion volontairement perdue et nouvelle "journée de dupes" pour l'Algérie Française, retardèrent ma nomination. Ils amenèrent une certaine tension entre Alger et Paris, les deux capitales et entraînèrent l'ajournement des promotions prévues de Bougie, Aumale et Saïda en chef lieux de Département dotés de Préfecture. Finalement, j'ai été reconduit au tableau de 1959 et nommé à compter du 1er septembre de cette année. J'étais alors le plus jeune chef de division de Préfecture de France et d'Algérie. Ma nomination dans un emploi d'Ingénieur des Services du Matériel du Ministère de l'Intérieur aux services techniques du matériel de la Sûreté Nationale en Algérie est intervenue seulement le 26 août 1960, avec effet rétroactif. Vers le début de l'année 1961, on envisagea de créer trois CATI et un service central de matériel de la SNA par division de nos services qui disposaient de simples antennes à Constantine et à Oran. Pendant l'un de mes intérims, j'avais été amené à formuler des propositions à cet effet, à la place de "l'Amiral". Pourtant, l'Indépendance approchait. Mais les autorités cherchaient encore à le dissimuler et, pour notre part nous ne pouvions en admettre l'éventualité. Le Directeur de la Sûreté Nationale en Algérie était à ce moment là, le Préfet Jacques Aubert. Je l'avais connu alors qu'il était Secrétaire Général de la Préfecture de Constantine. Comme tous les cadres du "G.G.", il avait été replié "au Rocher noir", cité administrative artificielle créée à l'Est d'Alger, près de Réghaïa. A cause de son isolement et par sympathie, nous l'avions invité "au Timgad" (notre 4 pièces en copropriété à Hydra, indemnisé 20 ans plus tard pour un peu plus du prix d'une voiture). J'avais recommandé à Dilette de ne pas aborder les problèmes d'actualité mais, inévitablement, la conversation vint à rouler sur la politique de la France en Algérie. Nous étions loin de l'approuver; lui, considérait comme souhaitable une sorte de fédéralisme. Nous nous heurtâmes courtoisement. Il nous considéra comme "des comploteurs". Cela ne l'empêcha pas de garder avec moi d'excellents rapports et de m'aider ultérieurement (parfois pour des tiers). Je devins chef de la division technique du CATI d'Alger et fut rattaché au Préfet de Police d'Alger, M. René Jamin, puis M. Vitalis Cros et à son Secrétaire Général, M. Jacques Chartron. Mes rapports avec Alphonse Perrois, successeur de M. Sterlin, furent parfois tendus car ses prérogatives avaient été limitées à celle d'un service central. J'ai continué à faire entretenir nos bâtiments malgré la perspective de plus en plus menaçante de l'Indépendance (signature des accords d'Évian le 16 mars 1962 - référendum - limité à la métropole - du 9 avril 1962...) Les CRS algériennes, estimées trop proches des pieds noirs, furent peu à peu dissoutes. Nous fûmes chargés de rapatrier les matériels des CRS métropolitaines et des services français (DST, ST). Sur les conseils d'un de mes chefs de bureau (Bisgambiglia), j'ai utilisé un cadre de l'administration pour faire effectuer sur Perpignan le déménagement de l'essentiel de mon mobilier. Chargé sur un camion de CRS, ce cadre bascula dans un virage sur la chaussée, risquant un accident qui m'aurait coûté cher. Les dégâts furent relativement limités en raison du soin apporté à l'emballage (réalisé à mes frais par des déménageurs musulmans). Et mon mobilier, expédié avec le matériel administratif, échappa à la vindicte des dockers marseillais qui "s'amusèrent" à plonger dans les eaux portuaires les cadres des "colonialistes". Après une exaltante période de création, nous étions entré dans une phase de démolitions!... Aux pires moments des "événements d'Algérie" tout au long de ces dramatiques et interminables huit années de guerre, nous n'avions jamais envisagé de solliciter une mutation "en Métropole". Comme la plupart des fonctionnaires d'Algérie, nous aurions eu le sentiment de déserter. En mars 1962, cependant, il apparut que la France capitulait sans condition et donnait la victoire au FLN. Les vacances de chefs de division dans les préfectures de l'hexagone furent officiellement notifiées à l'ensemble des préfets pour permettre aux candidats de se manifester. Il fut bien spécifié que leurs demandes seraient examinées seulement dans la mesure où le Ministre chargé des Affaires Algériennes les assortiraient d'un avis favorable. Je fis connaître au ministre compétent que j'étais susceptible de solliciter un emploi au titre de la coopération technique dans les départements ou territoires d'outre mer. Et j'écrivis à divers anciens patrons ou relations pour explorer diverses possibilités: au Préfet Jacques Aubert, nouveau Directeur Général de la Sûreté Nationale après avoir dirigé la Sûreté Nationale en Algérie, à Albert Daures, Secrétaire Général du syndicat FO, à Pierre Cazejust, Préfet du Gard, à Michel Ducrocq qui me mit en contact avec la Société Centrale d'Équipement du Territoire, au Préfet Henri Écal, Directeur du Cabinet du Secrétaire d'État aux Rapatriés... Pendant ce temps, un exécutif provisoire algérien se mettait en place. A la Préfecture de Police, on nous présenta son chef, Abderrahman Farès, un notable, dans la cinquantaine, notaire dans le village de colonisation de Koléa, au sud ouest d'Alger. Paul Bignon, qui avait estimé le Conseiller Général, refusa courageusement de serrer la main du délégué du FLN. Notre nouveau Secrétaire Général fut un avocat kabyle, très courtois, avec qui je n'eus que des rapports espacés et sans problèmes. Le 14 mai, j'ai officiellement posé ma candidature aux Préfectures de Nice, Marseille, Montpellier, Perpignan, La Rochelle, Ajaccio, Châteauroux, Tours, Blois, Nantes ou Orléans par ordre de préférence. Le 12 juin, j'ai à nouveau sollicité Montpellier, Perpignan, Ajaccio, Avignon, Carcassonne ou à défaut une ville méditerranéenne, un chef lieu de Région Économique, une Société d'Économie Mixte, la Protection Civile ou la Rochelle. Et le 27 Juin, comme Azoulay, j'ai sollicité un emploi à l'Ambassade de France auprès de M. Vitalis Cros qui allait céder son poste de Préfet à un certain M. Kassab. Un Consul Général de France fut nommé à Alger: M. Jacques Juillet. Il avait été ministre plénipotentiaire à Rio de Janeiro après avoir appartenu au corps préfectoral. Je l'avais connu à la Préfecture de Constantine comme Directeur du Cabinet du Préfet Petitbon. Il avait même assisté à notre mariage. Je suis allé le saluer. Il était pratiquement seul dans une belle villa vide du Télémly, avec une seule secrétaire. Il me demanda de venir l'assister. Je dûs réserver ma réponse, invoquant mes responsabilité au CATI. Mais le lendemain, j'appris que nos installations d'Hydra avaient été occupées militairement par la Willaya IV de Ben Kedda, venu supplanter Ben Bella. Je m'y rendis avec ma voiture de service, pour apprécier la situation, déménager mon bureau de mes objets personnels et faire le plein d'essence. A la sortie, une sentinelle en armes m'invita à ouvrir mon coffre arrière. Je tendis les clés à un de mes anciens ouvriers qui blêmit. Mais le militaire exigea que j'ouvrisse moi-même, ce que je fis. Après quelques palabres, il me laissa ressortir. J'étais désormais libre d'aller rejoindre Jacques Juillet, villa de Malglaive. Je le fis sans tarder, en plein accord avec M. Tayebi Hocine qui m'autorisa même, par écrit, à conserver provisoirement mon véhicule de service. J'ai commencé aussitôt à recevoir de nombreux compatriotes venus exposer leurs problèmes et leurs angoisses. Sans directives ni moyens, je fis de mon mieux pour les réconforter en leur donnant de simples conseils inspirés par le bon sens. Peu de jours après, Jacques Juillet fut rappelé d'urgence à Paris. Lui aussi, était un libéral ayant cru à des solutions politiques nouvelles pour régler les rapports France-Algérie. Mais - ce fut à son honneur - il sut réagir devant les exactions graves commises par les Algériens; il réclama des mesures et, notamment, l'intervention de l'Armée Française consignée dans ses casernes; il fit d'imprudentes confidences à la presse parisienne... Entre la mise en place d'un exécutif provisoire (mars 1962) et l'Indépendance (Juillet 1962), des "disparitions" avaient déjà été constatées. Cela avait été le cas d'un ancien condisciple de lycée, Jean De Buzon, fils d'un peintre réputé. Alerté par Kiki Albarès, je m'étais efforcé de le faire rechercher par la Préfecture de Police. Il avait été enlevé en se rendant chez ses parents au boulevard Bru et n'a jamais été retrouvé. Au cours de ces mois tragiques, j'ai eu également à intervenir en faveur d'un de mes ouvriers (Sansoni), arrêté parce que mobilisé avec son unité territoriale au cours du putsch, d'un jeune ami, Youra Dolgouchine (13-14 ans) brutalement séparé de sa mère au cours d'une rafle, d'Edmond Brua, rédacteur en chef du "Journal d'Alger" et célèbre auteur folklorique qui avait transgressé l'heure du couvre-feu alors qu'il se trouvait à la Pointe Pescade avec un journaliste étranger. J'ai moi-même, été victime du vol, devant mon immeuble, de mon véhicule de service... Bref, le Consul Général de France fut rappelé à Paris. Je l'ai quitté vers 13 H après l'avoir invité à déjeuner à la maison. Mais il avait décliné l'invitation ayant encore à faire avant de prendre l'avion à 15h. Un nouveau Consul Général remplaça aussitôt Jacques Juillet. M. Jean Herly était un diplomate de carrière. Il eut un adjoint, M. Pierre Dessaux. Il considérait avec flegme les incidents quotidiens et notamment les déboulonnages de statues. Il paraissait surtout préoccupé d'éviter de se mouiller et de recenser les clubs où se distraire. Je ne voulus pas différer plus longtemps mon congé de détente en attendant d'y voir plus clair et d'obtenir une probable affectation à l'Ambassade. Je rendis ma voiture de service au CATI et, le 8 août 1962, nous primes l'avion pour Marseille. Notre périple métropolitain nous amena à Cannes, Ruffey, Bians, Dijon, Sarreguemines, Paris, Le Perreux, Nevers puis Perpignan. Papa, hélas, n'y était plus. Il s'était éteint le 26 mars 1962, après une longue et cruelle maladie, le jour même de la fusillade de la Rue d'Isly. Je n'appris son décès qu'après ses obsèques, par une communication téléphonique officielle du Sous-Préfet de Limoux au Préfet de Police d'Alger... J'avais mis à profit mes loisirs pour effectuer de nouvelles démarches en vue d'une affectation. Sur la suggestion de "tante Yvonne", je m'étais adressé au député Arthur Conte pour une éventuelle nomination à Perpignan. J'avais écrit à René Ricaud, alors Secrétaire Général de l'Hérault ainsi qu'à Jean Ségui, un cousin par alliance, chirurgien à Carcassonne et à M. Jean Deleplanque, Sous-Préfet de Grasse. Azoulay m'avait appris à Ruffey que j'avait été retenu pour Lille. M. René Jannin, devenu Préfet du Loir et Cher et qui siégeait à la Commission Administrative Paritaire, me précisa que cette désignation avait été faite compte tenu "de mon intention de rester provisoirement en Algérie". Je fis part de ma surprise au Ministère de l'Intérieur et, lui faisant remarquer que Lille était à l'opposé de Perpignan, j'ai sollicité un nouvel examen de ma situation. Je me rendis au ministère le 12 septembre et me suis efforcé par la suite, à diverses reprises, de joindre téléphoniquement le Chef du Bureau des Préfectures. On me donna finalement le choix entre Lille, Reims et Nancy. Sur le chemin du retour à Alger, de passage à Issoire, le 17 septembre, nous prîmes, en désespoir de cause, la décision d'accepter Nancy en raison de sa proximité avec Sarreguemines où se trouvaient nos cousins Bornes et Ruffey où mes beaux-parents (affectés à Lons-le-Saulnier en 1961) avaient aménagé une belle maison. Le 24 septembre 1962, nous étions sur l'aéroport de Perpignan, prêts à prendre l'avion du retour. Je fus invité par haut-parleur à me présenter à la Police de l'Air et des Frontières. On me notifia alors un télégramme du Consulat d'Alger me conseillant de ne pas rentrer pour raison de sécurité personnelle. Nous fûmes bien désorientés! Dilette estima courageusement qu'il lui fallait rentrer pour récupérer le maximum de nos effets et du mobilier de campement laissé à Alger. Appelé au téléphone, le Consul Général m'assura que sa mise en garde me concernait seul et me promit de faire accueillir Dilette à Maison-Blanche. Nous partageâmes nos liquidités et nos trousses de toilette. Dilette partit seule, me laissant Youki. Je revins à Perpignan mais m'installais à l'hôtel pour ne pas compliquer la vie à tante Yvonne, facilement perturbée. En trois jours, Dilette fit merveille. Hébergée par Simone Cavalgante, elle fut aidée par nos voisins (notamment M. Rafael, d'Air France) et conseillée par Azoulay, mon excellent collègue qui se confirma un ami solide et efficace. Elle put acheter des valises, solda notre compte courant postal, rencontra des musulmans complaisants l'incitant à rester... mais ses nerfs furent mis à rude épreuve, notamment à l'occasion d'une perquisition des nouvelles autorités policières algériennes dans les garages de notre immeuble: elle s'aperçut avec effroi, après leur départ, que j'avais encore dans l'appartement mon arme de service. Le consulat la fit aussitôt récupérer. Je m'en fus attendre Dilette à l'aéroport de Toulouse-Blagnac. De là, nous partîmes à Lyon où avaient été dirigés quelques valises et paquets. Mes beaux-parents nous y rejoignirent et nous emmenèrent à Ruffey où ils nous hébergèrent. J'ai aussitôt réclamé la confirmation officielle de mon affectation métropolitaine. Le Ministère de l'Intérieur me la fit parvenir après plusieurs jours d'attente qui nous parurent bien longues! Je me suis évidemment interrogé sur les "raisons de sécurité personnelle" qui avaient incité le Consul Général de France à Alger à me faire télégraphier de n'y pas rentrer. A Dilette, M. Dessaux, adjoint au Consul Général, avait précisé que j'étais recherché par la Préfecture de Police et que certains de mes anciens collaborateurs tenaient sur mon compte des propos préjudiciables à mon honneur professionnel. Cela -ai-je considéré- mettait fin dans des conditions moralement et matériellement préjudiciables à mes 40 années d'existence algérienne. Dès le 1er octobre, j'ai donc fermement protesté auprès de M. Jean Herly en le priant de demander des explications à "la P.P." et "de donner aux calomnies les suites qu'elles comportaient". J'ai alerté mes anciens patrons, les Préfets Jacques Aubert, René Jannin, Vitalis Cros, mon ancien secrétaire général, Jacques Chartron, puis Jacques Juillet dès que je connus sa nouvelle affectation. Je n'ai d'abord reçu que des réponses aimables que j'ai jugées un peu trop prudentes et insuffisantes. Sur mon insistance, M. Herly m'a finalement précisé, impatienté, que M. Farès avait demandé mon départ à M. Jeanneney "du fait de mes activités OAS". Il avait -ajoutait-il- transmis mes dénégations(?), mais le nouveau gouvernement avait "un oeil plus dur sur ces questions d'opinion". J'étais libre de rentrer à Alger, mais au risque de Barberousse ou de Maison-Carrée d'où il aurait "l'amer devoir d'essayer de me sortir". Il n'y avait plus rien à dire! Je connaissais évidemment l'arbitraire de l'État Algérien et avais évidemment eu vent des graves et inadmissibles exactions ayant précédé ou suivi l'Indépendance. Bien entendu, j'avais été un partisan convaincu de l'Algérie Française. Mais je n'ai jamais adhéré à l'OAS. Et je soupçonnais déjà l'État Français de la manipuler. Quant aux "calomnies de mes anciens collaborateurs", j'ai supposé qu'elles pouvaient avoir émané d'anciens employés de bureaux musulmans désireux d'avoir le champ libre. Parmi eux, j'ai songé tout spécialement à M'Hamed Megdoud. Jeune, assez élégant, il était intelligent mais lymphatique et d'une susceptibilité maladive. Je l'avais proposé en août 1960 pour le grade d'attaché de Préfecture au titre de la promotion sociale. Il était très vraisemblablement profondément nationaliste et normalement arriviste. Le 27 juillet, au lendemain de l'occupation militaire de Dar El Nador par l'Armée de Libération Nationale (Willaya IV), il m'annonça téléphoniquement que le Préfet d'Alger m'avait mis à la disposition du Consul et l'avait nommé Chef de Division à ma place. De son côté, le jeune Bekretaoui, un commis qui avait connu quelques difficultés avec les autorités militaires française, ne m'avait sans doute pas ménagé. Certains coopérants métropolitains me furent sans doute également hostiles (M. et Mme Morlet..). Ils eurent très peur après la découverte, également le 27 juillet, d'une mitraillette cachée dans des pneumatiques du CATI, avec des tracts, journaux et bandes magnétiques; la soldatesque algérienne avait brutalisé et menacé employés et résidents - femmes et enfants compris - les alignant devant une murette et les invitant à faire une dernière prière. Avec un humour très noir, leurs collègues pieds noirs les avaient, au surplus, menacés de les transformer "en brochettes de patos". Perrois m'informa, enfin, d'une "affaire Zilberstein", un litige sur une livraison de gabardine pour CRS réceptionnée par Bisgambiglia, mon chef de bureau de l'habillement et dont les factures auraient été prises en charge par mes soins le 27 juillet. Tout cela fut bien mesquin! Cela fût même dérisoire à côté de la souffrance de tout un peuple! Mais cela m'amertuma profondément. Trente ans après, c'est encore avec peine que j'ai entrouvert ce dossier...

4 - Nancy: Aide Sociale et Tutelle Hospitalière

1962 - 1964

Ayant donc été affecté à la Préfecture de Meurthe et Moselle, j'ai téléphoné à mon futur Secrétaire Général pour lui demander si je pouvais être hébergé en attendant de trouver un logement à louer: il m'a répondu que les hôtels ne manquaient pas, à proximité de la gare! Réponse un peu sommaire estima un Chef de Division n'ayant pu rejoindre son poste dans son Algérie natale abandonnée par la France!... Par la suite, Jean Paolini, futur Préfet de Police et futur Directeur du Cabinet du Ministre de l'Intérieur, s'avéra pourtant un excellent patron, bienveillant, à l'esprit vif et très clair. Père d'un enfant handicapé, homme de coeur, il favorisa - contre mon propre avis - la titularisation d'un jeune employé dont j'estimais qu'il n'honorerait pas la Fonction Publique et qu'il relevait plutôt des aides sociales. En bon Corse, il ne tarda pas à me remettre un texte de son illustre compatriote, Napoléon Bonaparte, préconisant - déjà! - l'indépendance des colonies et leur administration indirecte. Cela ne me convainquit guère. Et je ne suis pas davantage convaincu, en ce début de l'année 1992, où se manifestent les problèmes de l'immigration maghrébine en France et de nouveaux "événements d'Algérie" entre frères musulmans. Mon affectation précise ne fut pas immédiate. La Direction des Finances était libre mais on préféra la confier à un collègue plus expérimenté. Celui-ci me laissa la Direction des Affaires Sociales et de la tutelle hospitalière. J'en eus la responsabilité à compter du 31 janvier 1963. Mon personnel n'était pas des plus nombreux: 36 fonctionnaires et auxiliaires sérieux, appliqués, très disciplinés, manquant parfois d'imagination et de fantaisie. Mais ils me furent tout dévoués, acceptant sans rechigner ma jeunesse et mes initiatives novatrices (notamment celle - révolutionnaire à leurs yeux! - d'arrondir au franc les participations familiales à l'aide sociale). Mes Chefs de bureau furent Thomas (qui faisait du théâtre culturel), Mlle Thirion (une vieille fille fragile) et Mlle Willemin (qui avait fait toute sa carrière administrative au service des aliénés). Le pool dactylographique se composait de quatre dames dont les plus jeunes, assez avenantes, venaient alternativement prendre mon courrier en sténo. Mes compétences englobaient désormais l'aide médicale, l'aide aux personnes âgées, aux infirmes, aux malades mentaux. C'était un domaine nouveau pour moi, parfois sordide (notamment au Bureau d'Assistance Judiciaire où je découvris de bien tristes aspects de notre pauvre humanité!). La tutelle hospitalière m'intéressa et j'eus à apprendre pas mal de termes médicaux. En novembre, je fis publier un recueil sur les conditions d'admission à l'aide sociale, le précédent - largement périmé - remontant à 1956. C'est en Meurthe et Moselle que j'eus mes premiers contacts avec les Commissions Départementales et Conseils Généraux, auxquels les Préfets, alors agents des Départements, soumettaient (chaque mois ou deux fois par an) de nombreux rapports. En Lorraine, les élus et notamment le Président du Conseil Général, un rural, freinaient la résorption des tas de fumiers devant les maisons, en bordure de routes nationales. J'ai visité quelques établissements hospitaliers et découvert l'étendue de leurs patrimoines immobiliers. Une mère supérieure me fit un jour offrir une bouteille enveloppée dans du papier journal: elle contenait une excellente mirabelle provenant des fruits de l'hospice; celui-ci bénéficiait du privilège des bouilleurs de cru. J'eus à faire quelques conférences sur l'aide sociale à des secrétaires de mairie ainsi qu'à des élèves des écoles normales d'instituteurs. Je pris beaucoup d'intérêt à mes nouvelles fonctions. Mon Préfet, Jean Gervais, était un homme fort courtois. La Préfecture était modestement située dans un angle de la Place Stanislas dont tout un côté était occupé par les prestigieux bâtiments de l'Hôtel de Ville. Mais, Nancy contrastait beaucoup avec Alger!... Notre départ d'Algérie avait été des plus douloureux. Dilette, surtout, supportait mal les rigueurs du climat lorrain et nous avions peu d'affinités avec des populations aux mentalités fort différentes des nôtres. J'avais accepté un appartement dans la Cité Chalandon du Haut-du-Lièvre (12000 habitants en 5 immeubles: "une honte" pour l'ancien Ministre du Logement, selon sa propre expression). Notre immeuble abritait seulement 500 membres de familles d'enseignants et de fonctionnaires mais l'ensemble des résidents de la Cité était populeux. Les différences de classes y étaient plus tranchées qu'ailleurs, une cravate suffisant aux yeux des ouvriers à vous faire classer parmi "les bourgeois" et à leur rappeler leur condition de "prolétaires". Je souhaitais une mutation pour un département plus ensoleillé. J'ai multiplié les demandes de mutation et ai effectué diverses démarches auprès du Syndicat, de MM.. Aubert, Cazejust, Ricaud, Jacques Juillet Celui-ci avait été nommé Préfet de la Préfecture de l'Ariège. Selon Dilhan, un collègue connu, un poste de Chef de Division était vacant à Foix mais nous ne l'avons pas sollicité. Peut-être nous serions-nous plûs aux côtés du château du Comte Phoebus de Foix (entendre "Foüch", comme pour Fouich). J'ai recherché un détachement auprès de la Mission Interministérielle d'Aménagement touristique du Languedoc-Roussillon (faisant appel à M. Guenot, un ingénieur en Chef de l'Équipement d'une famille autrefois amie, à Brazey). Une réforme administrative se préparait, devant confier à une même direction les services de la santé, de l'aide sociale, de la protection maternelle et infantile. J'ai posé des jalons au Ministère de la Santé et espéré pouvoir obtenir la future direction de la DDASS de Nîmes. Mais une opportunité s'est présentée et je me suis empressé de la saisir aussitôt. Elle me fut signalée par un ancien collègue d'Alger, Guy Azoulay. M. Missoffe, Ministre des Rapatriés, ne voulait pas que ses directions départementales se pérennisassent comme l'avaient fait les directions d'Anciens Combattants. Il souhaitait les intégrer aux Préfectures. L'expérience avait été inaugurée dans les Bouches du Rhône et avait réussi: mon autre ancien collègue d'Alger, Paul Bignon, avait été muté de Melun pour devenir Directeur des Rapatriés à Marseille. Lorsqu'il apprit que M. Missoffe recherchait un ancien d'Algérie pour la Direction des Alpes-Maritimes, il lui fit soumettre mon nom. M. Missoffe, pressé de remettre de l'ordre dans son service niçois qui lui causait bien du tracas, me convoqua aussitôt. Il agréa immédiatement ma candidature. Grâce au Préfet Jacques Aubert, les réticences de M. Gervais, mon nouveau patron et de mon Secrétaire Général, Jean Paolini, furent vite levées. En quelques jours, j'obtins ma mutation pour Nice et fis mes adieux dans les Salons Préfectoraux. Dans une courte allocution, j'ai déclaré "être pied-noir et fier de l'être". Seuls des pieds-noirs peuvent comprendre combien ces simples paroles furent appréciées et réconfortantes pour la douzaine d'entre eux, encore traumatisés par leur douloureuse transplantation, perdus dans les brumes lorraines et pleurant encore leur Algérie natale abandonnée à jamais!...

5 - Nice - Direction des Rapatriés

1964 - 1967

Notre séjour niçois commença dans l'euphorie. Pour Dilette, Nice - alors - était la seule résidence métropolitaine acceptable. Elle était aussi la plus sollicitée. Je l'obtins cependant avec une facilité étonnante. Nous y avons tout d'abord bénéficié d'un climat de rêve. Le ciel bleu et le soleil retrouvés, les marchés colorés et animés, les mentalités méditerranéennes nous donnèrent un peu l'impression d'être revenus dans l'Alger d'autrefois. Ce furent des amis algérois qui nous hébergèrent d'abord quelques jours chez eux (les Houis). Et des amis de nos fiançailles (les Bercq) qui nous procurèrent rapidement un studio meublé (rue Parmentier vers la rue... Michelet) en attendant la finition d'un appartement à louer, avenue Piatti, à proximité immédiate de leur petit immeuble. La tâche qui m'attendait m'avait été décrite comme particulièrement ardue. Longtemps, les autorités gouvernementales s'étaient imaginées qu'avec leurs fameux "Accords d'Évian", les européens pourraient et voudraient se maintenir dans une Algérie à laquelle ils avaient généreusement octroyé l'indépendance. Des moyens de transports exceptionnels à la mesure de leur exode vers la métropole leur avaient été refusés. Depuis quelques années, les Alpes-Maritimes avaient accueillis plus de 4.800 familles originaires du Maroc et de Tunisie, d'Indochine, aussi. Mais elles avaient été, un certain temps, plus ou moins officiellement fermées aux rapatriés d'Algérie, jugés peu compatibles avec le tourisme de luxe auxquels le département jugeait avoir vocation. Au cours de l'année 1961, arrivèrent cependant sur la Côte d'Azur, les premiers réfugiés d'Algérie. Mon prédécesseur rendit compte qu'ils se distinguaient par "une violence s'extériorisant fréquemment", "un état d'esprit plus ou moins frondeur", "un moral très bas...". Une circulaire "confidentielle" (!) du Secrétaire d'État aux rapatriés avait enfin permis, le 14 septembre 1961, de leur fournir une assistance "conditionnelle et restrictive". Ce fut seulement le 26 décembre de cette même année qu'une loi fut promulguée en leur faveur mais son décret d'application n'intervint qu'en mars 1962. Au cours des quatre premiers mois de 1962, les arrivées de familles rapatriées (notamment en provenance de l'Algérie) s'accélérèrent. Ils furent 777 dont 264 en mars et 315 en avril. Le service compétent (une antenne marseillaise du Ministère des rapatriés) fut rapidement débordé. Il avait ouvert 27.000 dossiers correspondant sensiblement à 60.000 rapatriés. Mais il parvenait tout juste à leur régler de simples allocations d'accueil. Un rapport d'inspection en date du 21 décembre 1963 proposa une réorganisation administrative locale, une simplification des circuits de travail, une meilleure installation matérielle des bureaux. M. François Missoffe, Ministre des Rapatriés, demanda à son collègue de l'Intérieur, M. Roger Frey, de lui fournir un "administrateur de qualité", "dynamique et expérimenté", "ayant une connaissance personnelle des problèmes d'organisation et ayant pu fournir la preuve de (son) dynamisme, de (sa) puissance de travail, de (son) sens des responsabilités et de (sa) compétence administrative". Bref, il fallait trouver un oiseau rare! Bignon -, Directeur des Rapatriés à Marseille, avait, d'Alger, en 1962, postulé pour Nice mais ce n'est qu'après avoir exercé ses fonctions à Melun qu'il avait pu finalement s'implanter sur la Méditerranée (rive Nord). Il suggéra ma candidature qui reçut rapidement l'agrément de principe du Ministère des Rapatriés. Il m'en informa par courrier le samedi 11 janvier 1964. Azoulay, alors son adjoint, me téléphona le même jour. Dès le lundi, je pris de premiers contacts à Paris avec les Rapatriés et l'Intérieur. Le 20 janvier, je fus convoqué par M. Missoffe. Très simple et très direct, le Ministre m'invita à faire preuve de psychologie, à beaucoup recevoir, à sortir souvent, "à boire l'anisette dans les bars" avec mes anciens compatriotes (!), à appliquer les textes avec souplesse, à diriger mon personnel avec fermeté, à ne pas céder aux importuns. A plusieurs reprises, il me signala personnellement quelques cas particuliers. Le 22 avril, il me téléphona directement pour me demander si tout allait bien, pour m'inviter à voir plus souvent Maître Pasquini, à monter à Paris. Pasquini était à Nice, avec mon Préfet Pierre Jean Moatti et le Maire, Jean Médecin, l'un des trois personnages dont je devais tenir le plus grand compte... Le Préfet, je l'ai décrit dans mon livre sur Sophia Antipolis avec suffisamment de justesse pour justifier l'approbation téléphonique de sa veuve. Très autoritaire, il était redouté de ses collaborateurs. Il ne tint pas à traiter personnellement des problèmes de rapatriés bien que (ou parce que) lui-même était originaire d'Algérie (et non de Corse). Il me laissa une extrême liberté pour m'en occuper en son nom... en prenant grand soin de ne pas susciter ses observations qui auraient été vives. Mon Secrétaire Général, Bernard Couzier, très fin psychologue, sut me conseiller utilement dans mes rapports avec lui. Maître Pasquini était alors "quelqu'un". RPR, il était Premier Vice-Président de l'Assemblée Nationale; localement, Adjoint au Maire, il nourrissait de vives ambitions. Originaire d'Algérie, lui aussi, d'origine corse recherchait à la fois la clientèle des rapatriés et celle des insulaires Il fut l'un des premiers à m'envoyer des félicitations lorsque la presse mentionna ma nomination. Jean Médecin avait abandonné la Présidence du Conseil Général mais son autorité restait grande. Antigaulliste, lui aussi, il s'intéressait aux rapatriés et avait créé un service municipal à leur écoute. Bien entendu, c'était entre les trois notables, la mésentente la plus cordiale. Il me fallut manoeuvrer à leur égard avec beaucoup de prudence et de doigté. J'eus aussi des contacts avec d'autres élus s'intéressant aux rapatriés (Fernand Icart qui allait commencer une carrière politique, Francis Palméro, Président du Conseil Général de 1961 à 1973 avec une interruption de 3 ans) ainsi qu'avec les Présidents de leurs associations. Les effectifs de ma direction étaient numériquement importants (une centaine de personnes) mais très hétérogènes sur le plan de la qualité. Surtout, ils étaient très mal utilisés. Ils comportaient trois ou quatre cadres valables dont plusieurs m'étaient hiérarchiquement supérieurs. Fort de la création d'une 7ème Division à la Préfecture et de ma nomination comme Directeur, je leur fis confiance, imposai mon autorité à tous, structurai mes quatre bureaux au mieux, éliminant quelques éléments incompétents ou douteux. Sur le plan des locaux, j'ai rapidement exploité la bonne volonté du Ministère des Rapatriés et fait édifier en 3 mois un préfabriqué avenue Béatrix qui remplaça avantageusement les locaux en ruine d'un vieil hôtel du Boulevard Carabacel. Pour ma part, avant d'aller avenue Béatrix, je me suis installé dans les belles boiseries de l'ancien Cabinet de l'Inspecteur d'Académie, rue Galléan. Je prescrivis efficacité et rendement même au risque d'erreurs, veillant à éviter tout excès de formalisme, apportant un soin tout particulier aux prêts de reclassement aux membres des professions industrielles, commerciales ou libérales ainsi qu'aux indemnités particulières (40.000 F au maximum aux personnes âgées propriétaires de biens immobiliers abandonnés). Mon rapport d'activités en date du 14 août 1964 fut annoté par M. Moatti. Alors qu'il était généralement avare de compliments, il écrivit: "Vu et Compliments à M. Fouich qui a redressé une situation qui était loin d'être bonne, en peu de temps. Il reste encore beaucoup à faire mais nous l'y aiderons et je sais que nous pouvons compter sur son dévouement et celui de sa division". Il restait effectivement beaucoup à faire. Les difficultés de toutes sortes ne manquèrent pas. Les textes étaient très insuffisants pour faire place aux besoins et remédier à d'innombrables situations douloureuses. J'eus quelques accrochages notamment avec le Préfet (qui m'avait gratuitement prêté, un jour, une arrière pensée politique) et avec certains représentants ministériels. Il me fallut déployer beaucoup d'efforts pour stimuler et contrôler mon personnel, apprécier des situations délicates, prendre personnellement des décisions critiquables... Dans les derniers mois de 1966, le Gouvernement annonça la prochaine fermeture des directions de rapatriés. Il fallut mettre les bouchées doubles, rassurer mes agents et faciliter le reclassement de divers vacataires, contractuels ou fonctionnaires de ma direction, légitimement inquiets de leur situation professionnelle ou de leur maintien à Nice. En moins de 3 ans, nous avions contribué à l'accueil de 80.000 rapatriés, accéléré le rythme de leur réinstallation, alloué de nombreux secours et allocations pour un montant global d'environ 220 millions de francs. Le 2 mai 1967, en l'absence du Préfet et du Secrétaire Général, mon collègue M, chargé à la Préfecture du Service du Personnel m'annonça qu'un télégramme officiel du Ministère de l'Intérieur me mettait à la disposition du Comité d'Organisation des Xèmes Jeux Olympiques d'Hiver et m'invitait à me présenter à Grenoble... le 8 mai. Il me fallut plusieurs démarches pour comprendre qu'il ne s'agissait absolument pas d'une sanction administrative (tout au contraire) mais d'une mission temporaire comportant d'ailleurs quelques avantages matériels. Probablement, y avait-il eu diverses tractations préalables auxquelles j'avais été étranger. Et comme je n'étais niçois que depuis 3 ans!... Je fis rapidement mes adieux. Une mission était terminée. Une autre allait débuter. Mes fonctions de Directeur des Rapatriés m'avaient apporté beaucoup de satisfactions car j'avais été en mesure d'aider un peu mes malheureux compatriotes. Malheureux, certes, ils l'étaient! Beaucoup avaient perdu leur situation et la plupart de leurs biens matériels. Mais, surtout, la politique officielle avait cherché à les culpabiliser, à les isoler de la communauté française et les avaient moralement meurtris. A Constantine déjà, en 1955, j'avais eu l'occasion de créer, en quelques jours, le premier service d'indemnisation des "événements d'Algérie". Là-bas, du fait de mes ascendances métropolitaines et de mes séjours annuels en France, je passais parfois pour un "Frangaoui". Mes séjours dans la capitale algéroise ont été intermittents: à ma naissance, pour mes études secondaires et de 1956 à 1962. Mais, alors, j'étais accaparé par un travail intense, spécialisé et isolé à Hydra. Je n'y fréquentais qu'un nombre limité de compatriotes. A Nice, au contraire, une pointe d'accent pied-noir était aussitôt identifiée. Au surplus, mes visiteurs étaient mis en confiance par une superbe photo d'Alger, placée face à eux, derrière mon bureau (et acquise auprès de mon ami Philippe Bertsch, photographe replié à Marseille). J'ai compté pour la "colonie" pied-noir. J'ai retrouvé de vieux amis et m'en suis fait de nouveaux. J'ai eu l'occasion de rendre bien des services. Ma nouvelle mission allait - elle aussi - s'avérer des plus intéressantes. Elle contribua, non à panser des plaies, mais à la gloire de la France, voire à celle de son Président de la République que j'avais quelques raisons de ne point trop aimer...

6 - Grenoble: Les Xèmes

Jeux Olympiques d'Hiver

1967 - 1968

Je me rendis à Grenoble, par la route, le 8 mai 1967, avec mon fourgon 403 de service de la Direction des Rapatriés. Une chambre m'y avait été retenue à l'Hôtel Bristol par le Comité d'Organisation des Jeux Olympiques, le COJO. Là, au Parc Paul Mistral, à proximité du nouvel Hôtel de Ville, je fus présenté à mon nouveau grand patron, le Docteur Robert Héraut, ancien Directeur de l'Institut National des Sports. En même temps que moi, il accueillit d'importants renforts en personnel énergiquement réclamés par M. François Missoffe, Ministre de la Jeunesse et des Sports, après le quasi-fiasco des semaines de Chamrousse, destinées à tester l'état de préparation des installations nécessaires aux Xèmes Jeux Olympiques d'hiver, programmés pour février 1968. Ainsi renforcés quelques mois avant l'ouverture, les différents services du COJO purent être restructurés. Un Secrétaire Général pour les services administratifs et la gestion fut nommé: M. Hervé Bourseiller, ancien Secrétaire Général du Mans (qui me reprocha un jour de trop signer moi-même.. Le Chef de Cabinet du Directeur Général fut M. Michel Soulignac, le Directeur sportif, M. Paul Briglia, Inspecteur de la Jeunesse et des Sports, le Directeur de l'Hébergement, un Commissaire en Chef de la Marine, M. Roland Chatenet. Le Directeur des Relations Extérieures dont je devais être l'adjoint, était encore attendu. Ce serait un diplomate, M. Henri Fauville, Conseiller du Commerce Extérieur au Chili. Notre Direction était chargée de l'accueil (invitations, protocole et hôtesses), de l'animation (cérémonies et trajet de la Flamme), de la propagande et des liaisons avec le service de presse. Après de premiers contacts et diverses réunions, je pus revenir quelques jours à Nice pour passer mes consignes et prendre congé mais un petit séjour en Corse (où se trouvaient, à Calacuccia, nos cousins Jeannette et Roby) et une cure thermale militaire à Amélie les Bains passèrent au compte "profits et pertes". Je revins à Grenoble par le train le 18 mai. Le 26, je pus m'installer dans un petit mais très coquet appartement, 8 rue des Eaux Claires. Dilette vint m'y rejoindre à plusieurs reprises: la première fois, malheureusement, je dus l'abandonner pour une mission inopinée à Paris. Une indemnité mensuelle de 500 F couvrit le montant de mon loyer grenoblois. J'allais, au surplus, bénéficier d'une indemnité de 33% et d'un convenable remboursement de mes frais de déplacement. Ceux-ci furent d'ailleurs nombreux (près de 25.000 kilomètres en chemin de fer ou en voiture... dont certains à Nice, à Ruffey ou à Montpellier). Il me fallut patienter plusieurs jours pour obtenir des locaux convenables, du mobilier, une secrétaire, une voiture de service (Renault R4 puis R8 équipée, l'hiver, de pneus à clous). Plus tard, nous déménageâmes dans une des tours de la Cité Olympique. Quant à mes fonctions, elles furent longtemps imprécises. J'avais officiellement obtenu celles d'Adjoint au Directeur (ou de Directeur Adjoint?) sur le rappel de ma qualité de Directeur de Préfecture mais n'eus pratiquement pas à les exercer réellement. J'avais été affecté plus spécialement au service "invitations - protocole" et eus à m'occuper épisodiquement d'invitations, d'accréditation, d'animation, de personnel et de matériels, de cérémonies protocolaires (en particulier du délicat découpage de la tribune officielle entre autorités gouvernementales françaises et personnalités du Comité International Olympique). Le Directeur Général s'intéressait tout particulièrement aux problèmes de la Flamme. Il prit l'habitude de s'adresser directement à moi pour les résoudre. Dans le même temps, le Secrétaire Général et le Directeur des Services Techniques s'en déchargèrent tant l'opération paraissait nébuleuse et risquée, ne bénéficiant d'aucune dotation budgétaire. Je finis par lui consacrer 98% de mon temps avec un attaché de Préfecture dijonnais et une sténodactylographe puis un contractuel, M. Giraud, recruté, à mon insu, début juin. Celui-ci, selon "Grenoble Panorama" avait connu l'échec à "Service et Méthodes". Assez particulier, il fut surtout utilisé pour les questions de protocole et comme chef de caravane, pendant le parcours de la Flamme. Les documents relatifs à la question étaient épars et je découvris seulement le 21 novembre 1967 une photocopie d'une lettre du 15 décembre... 1964 de la Société "La Mure-Union", proposant d'alimenter la Flamme par du propane. De tels errements sont particuliers aux services de mission récemment créés et encore sans traditions administratives: j'avais eu à en pâtir aux services du matériel à Alger; j'ai eu, à nouveau, à les déplorer à Nice, en prenant la direction du SYMIVAL (mon prédécesseur conservant ses dossiers pour ses nouvelles fonctions à Sophia-Antipolis). Par contre, à défaut de tradition, on trouve, dans les services neufs, plus d'adaptabilité et d'enthousiasme: j'ai pu le constater aux chantiers de jeunesse (par rapport à l'Armée), aux S.T.M, à l'ODEAM, et à Sophia Antipolis. La mise au point du trajet de la Flamme fut laborieuse. Jusqu'ici, on ne l'avait pas organisé à l'occasion des Jeux d'hiver en raison des rigueurs climatiques. Pour la circonstance, on avait tout d'abord envisagé un parcours de six jours, limité aux Alpes, avec large utilisation de la voie aérienne. Puis on décida d'augmenter l'effort physique et de visiter également le Massif Central et les Pyrénées. Un représentant des moniteurs de ski avait reconnu consciencieusement les itinéraires montagneux. Un avant-projet fut approuvé le 9 mai à Téhéran (Le Prince Reza Pahlavi, Shah d'Iran, avait été élu membre du CIO comme beaucoup de nombreux aristocrates ou hautes personnalités). Ce fut le 18 mai que j'eus à participer à une première réunion sur le sujet. Je fis établir une première note générale d'information et des fiches techniques qui furent adressées aux Préfets de Région puis présentées dans chacune des Préfectures concernées. Nous primes contact avec les organisateurs du Tour de France cycliste. Le projet définitif comporta 50 étapes et plus de 7.300 kilomètres à parcourir sportivement ou, sur 1.900 kilomètres, par des moyens mécaniques divers. J'aurais préféré le réduire mais les demandes étaient pressantes et je dus moi-même accorder au Président Palméro un itinéraire bis pour visiter Monaco. Nous nous entendîmes avec le Comité Professionnel du Butane et du Propane pour l'alimentation de la Flamme et la fourniture des flambeaux. Sa contribution technique fut importante. Elle comprit l'équipement de la vasque principale et je fis intervenir personnellement M. Missoffe pour qu'il fournisse gratuitement l'intégralité du propane nécessaire (75 tonnes!) Je me rendis moi-même aux Houillères de la Mure pour emprunter ou acquérir des lampes de mineur. Faute de moyens financiers, nous dûmes mettre à contribution les villes-étapes pour l'accueil de la caravane et la fourniture de vasques. Un journal local des Alpes-Maritimes nous traita de "pique-assiettes". En raison de la longueur du trajet et des étapes elles-mêmes, il fallut constituer une double caravane (12 véhicules et 25 personnes). Grâce à mes relations algéroises, j'obtins le concours des CRS et, par leur intermédiaire, la fourniture gratuite de véhicules de la Régie Renault. Les moyens complémentaires en personnel nous furent accordés seulement les 4 et 9 décembre. Deux Capitaines de l'Armée assistèrent M. Giraud ainsi que des techniciens du propane. Le contrecoup d'État déclenché le 13 décembre 1967 en Grèce par le Roi Constantin retarda d'un jour les cérémonies d'allumage à Olympie. La Flamme fut accueillie à Orly le 19 décembre 1967 et, après avoir traversé Paris, elle arriva à 23 heures à l'Institut National des Sports pour sa première veillée. Il apparut déjà qu'on s'acheminait vers un plein succès. Pourtant, les photographes faillirent mettre fin au mythe de la Flamme: ils demandèrent au porteur de recommencer l'allumage de la vasque et, dans l'émotion, celui-ci ralluma sa torche sans utiliser la lampe de mineur censée conserver la Flamme d'origine. 5.000 porteurs et 60 à 80.000 accompagnateurs appartenant à toutes les disciplines sportives furent mobilisés pour convoyer la Flamme qui fut applaudie par plus de 2 millions de spectateurs. L'opération fut considérée comme la plus importante manifestation omnisports jamais organisée en France. Elle connut un exceptionnel succès. Ce fut la révélation de l'éclatante santé physique et morale de la jeunesse sportive française. Et pourtant, trois mois après, ce fut l'explosion sociale de mai 1968. Personnellement, j'ai rencontré la flamme à Orly, à Besançon, à Cannes, à Nice (où le dynamique Adjoint aux Sports, Charles Ehrmann me proposa de m'emmener, derrière lui, sur sa moto) et, bien sûr, à Grenoble. Avec Dilette, nous avons assisté à son extinction, le 19 février, à 21 heures 19, au stade de glace, avec beaucoup d'émotion... Dans le cadre de mes occupations professionnelles, j'ai pu visiter, dans l'Isère, de très beaux sites, assister aux cérémonies d'ouverture et de clôture, à plusieurs épreuves (matches de hockey et patinage artistique, descente hommes - Killy dans le brouillard! - saut à St. Nizier), à des réceptions, cocktails, repas officiels, ainsi qu'à de très beaux spectacles. Ce fut une période de travail intense et de soucis, mais aussi d'enthousiasme et d'intenses satisfactions professionnelles et personnelles. Je suis resté jusqu'à fin mars au COJO où j'eus à rédiger mon rapport d'activités (en grande partie repris dans le rapport officiel), faire expédier divers souvenirs au Musée des Sports, distribuer le reliquat de cadeaux destinés aux V.I.P. (Very Important Personnage, expression que j'ai découverte à cette occasion) et participer à la liquidation des services (qui se prolongea d'ailleurs encore plusieurs mois). Mais il me tardait de retrouver une vie à deux moins épisodique et mon affectation niçoise. Le 1er avril, comme prévu (ce ne fut pas un poisson d'avril), je pris mes nouvelles fonctions au Cabinet du Préfet des Alpes-Maritimes.

7 - Quatre ans au Cabinet du

Préfet des Alpes-Maritimes

1968-1972

Aussitôt après avoir été avisé de ma mise à la disposition du COJO, je m'étais inquiété de la durée de cette mission inattendue et, surtout, de mon affectation ultérieure. Le Ministère de l'Intérieur, où je continuais à entretenir quelques bonnes relations, m'assura que je reviendrais à la Préfecture des Alpes-Maritimes à l'issue des Jeux Olympiques. Je tins à garder des contacts avec elle et vins assister à la réception d'adieux du Préfet Pierre Jean Moatti, remplacé - lui aussi inopinément - en juin 1967. Je me suis rapidement présenté à son successeur, René Georges Thomas ainsi qu'à son Directeur de Cabinet, le Sous-Préfet Jean Busnel. Il fut convenu que je serais affecté auprès d'eux, comme Conseiller Technique au Service du Courrier et de la Coordination à créer dans le cadre de la réforme administrative de 1964 (M. Moatti ne s'en était guère préoccupé!). M. Thomas, qui passait à tort pour un aimable mondain, un peu fumiste et peu travailleur, inspira plusieurs réalisations importantes pour l'avenir du Département ou l'amélioration de son image de marque. Il imposa l'autorité préfectorale sur les Services extérieurs qu'il avait pour mission d'animer et de coordonner et se réserva personnellement le contrôle de la construction et de l'urbanisme. Il ne céda pas aux objections de son Secrétaire Général, Gérard Prioux (lequel s'indigna de ma position de "super Directeur"). A l'arrivée de Pierre Costa, ancien Conseiller Technique au Cabinet du Ministre du Logement (M. Chalandon), il lui confia l'Administration Générale pour qu'il n'interfère pas sur son "domaine réservé". L'objet d'une de mes premières missions fut de concrétiser (en quinze jours) le souhait du Préfet de création d'un bulletin d'information. J'eus ensuite à publier (en février 1970) le premier annuaire administratif départemental. Sa mise à jour ne fut pas une mince affaire tant les mutations de fonctionnaires et les réorganisations de services administratifs sont fréquentes. J'ai modernisé et réorganisé le bureau du Courrier. Je l'ai doté d'une machine à affranchir et ai veillé à la régularité de navettes avec la Préfecture Annexe, située au-delà du Paillon (le Préfet Moatti avait laissé les bureaux et les Services dans un grand degré de vétusté, réservant tous les crédits au faste du Palais et de ses réceptions). Pendant deux ans, j'ai animé le Comité de rédaction d'un ouvrage sur les Alpes-Maritimes, contribuant à la censure ou à la réduction de certains textes au choix des illustrations et à la correction des épreuves. Ce livre fut publié, en décembre 1972, dans la collection "Richesses de France" qui en avait déjà édité un en 1960, à l'occasion du centenaire du rattachement du Département à la France. Il me donna l'occasion de survoler ses sites avec Claude Breteaux, le photographe - Directeur de la publication. Nous empruntâmes, à cette occasion, un hélicoptère de la Gendarmerie dont une portière avait été enlevée pour faciliter les vues (heureusement prévenus, nous nous étions équipés d'anoraks car il faisait froid en altitude). Quelques vols stationnaires nous ayant désorientés, nous dûmes descendre pour lire des panneaux routiers. Ma connaissance de la région, nous évita de confondre St Martin du Var et Levens. Un mois après ma prise de fonctions, survinrent les événements de mai 1968. Un matin, je vis M. Busnel complètement effondré, vert d'inquiétude. J'avais personnellement connu pire pendant 7 ans où "les événements d'Algérie" furent autrement tragiques. Le manque de sang-froid d'un membre du Corps Préfectoral, par ailleurs très estimable, m'étonna beaucoup... J'ai rencontré quelques problèmes avec Max Palmiéri, Attaché de Préfecture, Chef de Bureau du Cabinet, auquel le Préfet Moatti avait conféré le titre de Chef Adjoint de Cabinet, comme à Marie-Angèle Caussignac, son prédécesseur dans la fonction. Trop souvent, dans l'Administration, les problèmes de préséance empoisonnent les relations entre collègues lorsque les attributions, les grades et les titres ne coïncident pas rigoureusement!... J'étais, en outre, quelque peu tiraillé entre le prestige de mon appartenance au Cabinet avec le titre de Conseiller Technique (calqué sur ceux des Ministères) et l'ambiguïté de ma situation de Directeur sans direction. En décembre 1969, un de mes collègues Chef de Division (M. Brun) étant "admis à faire valoir ses droits à la retraite", le Secrétaire Général, M. Cottez avait proposé la création d'une 4ème Direction dont la responsabilité me serait confiée. J'avais moi-même fait acte de candidature. Finalement, le Préfet R.G. Thomas m'indiqua qu'il préférait me conserver à son Cabinet: je me suis évidemment rallié à sa décision. J'eus alors à m'occuper également d'urbanisme avec Mlle Rousset qui en était précédemment chargée sous l'autorité de Mlle Caussignac. Très consciencieuse, rompue à une réglementation complexe et d'application difficile, elle fut une collaboratrice sûre. Notre domaine comprenait les plans d'urbanisme, mises en révision des plans d'occupation des sols, l'harmonisation des secteurs frontaliers franco-monégasque, lotissements, permis de construire... Nous fûmes évidemment très sollicités. Il est très probable que j'aie eu à instruire un recours sur refus de permis de construire opposé aux immeubles où nous avons obtenu un appartement en location en 1980 (Les Gémeaux). J'ai été à l'origine, après visite du chantier, d'une autorisation de construire d'une villa d'aspect lunaire et futuriste, à caractère expérimental, à Tourrettes-sur-Loup. Nous fûmes ultérieurement invités à y prendre une coupe de champagne par son propriétaire. Cette villa fît l'objet d'un article publié dans la revue "Plaisir de France". Le Maître d'Oeuvre, M. Anti Lovac était assez réputé. J'ai apprécié mes contacts avec les architectes. Je me souviens d'avoir été intéressé par les idées originales de l'un d'eux, M. Marguerita, qui aurait préféré quelques tours de grande hauteur à des immeubles à hauteur limitée formant, sur la Promenade des Anglais, un mur infranchissable aux vues arrières. Bien entendu, j'ai participé les dimanches et jours fériés aux permanences du corps préfectoral. J'eus à ce titre, plusieurs fois, à autoriser l'utilisation de l'hélicoptère de la Protection Civile. Il s'agissait d'une simple formalité qui me donnait de l'importance aux yeux de mes camarades du club de tennis. J'ai souvent représenté le Préfet à des manifestations d'Anciens Combattants, au Négresco où j'ai pris la parole devant des maîtres d'oeuvres en attente d'intégration dans la profession d'architecte, à l'Hôtel de Paris, à Monte-Carlo, à un congrès de droguistes, à la Réserve de Beaulieu, au côté du jeune Président de la SACEM (Société des Auteurs Compositeurs de Musique)... Recevant les journaux au titre du Dépôt Légal, je fus étonné de constater combien de choses avaient à écrire les professionnels de la charcuterie. Je fus chargé d'établir des projets de comptes-rendus hebdomadaires - confidentiels - sur l'évolution de l'opinion en ce qui concernait le référendum sur l'organisation de la Région. Ces synthèses de rapports de police étaient bien évidemment corrigés à plusieurs échelons et, en dernier lieu, par le Préfet qui en assurait la responsabilité. Ces rapports soulignaient que les résultats électoraux seraient des plus serrés. Ils mentionnaient "le particularisme niçois,... réalité qui ne peut être ignorée", le souhait "de la création d'une région "Côte-d'Azur" ou, à défaut, de l'érection de Nice en Métropole d'équilibre" (souhait qui serait sans doute devenu "un préalable impératif" sans l'action personnelle de M. Thomas), "l'intérêt d'une décentralisation et d'une déconcentration des décisions d'investissements publics". Étaient également soigneusement notées et analysées les prises de position des personnalités, pour ou contre la région. Le dernier en date de ces rapports fut adressé au Ministre de l'Intérieur le 23 avril 1969. Quelques jours après, l'échec du référendum entraînait la démission du Général de Gaulle, Président de la République depuis le 21 décembre 1958 et réélu, pour la première fois en décembre 1965, au suffrage universel. Je fus en contact avec Aimable Gastaud, le pittoresque Maire de Tende, Conseiller Général, Fondateur du Comité de rattachement de Tende et de la Brigue à la France. Ce rattachement fut décidé après le "vote de consentement du 12 octobre 1947 (2603 oui, 208 non) comme le rappela M. Gastaud le 8 juillet 1969 à M. Thomas en se réjouissant de la signature à Rome d'une convention en vue de la reconstruction de la ligne ferroviaire Nice - Tende - Coni - Turin - Europe Centrale". M. Thomas, Préfet moderne, avait su obtenir la création, dans les Alpes-Maritimes, de l'ODEAM et de l'ODEAR, organismes dont seules sont normalement dotées les Régions. Comme toute création nouvelle, ces bureaux d'études et d'aménagement enlevaient une partie des attributions de services classiques; ils furent accueillis avec scepticisme et réticences par certains fonctionnaires; pour ma part, je leur ai manifesté de la sympathie et les ai aidé de mon mieux. Ils ont joué un rôle important dans l'établissement des schémas d'aménagement et d'urbanisme, la création de ports de plaisance... et l'aménagement du Plateau de Valbonne à partir du projet sophipolitain, aménagement auquel je devais plus tard consacrer 15 ans de ma vie professionnelle. Un des dossiers intéressants que je fus amené à suivre fut celui du plan départemental de fusion et de regroupement de communes. Il avait été établi en application d'une loi de juillet 1971. Les Alpes-Maritimes comptaient alors 722.000 habitants répartis en 163 communes dont 58 de moins de 200 habitants. Ce plan fit l'objet d'un arrêté préfectoral en date du 11 septembre 1972. Il proposait quelques rares fusions "avec création de communes associées" (L'Escarène et Touët de l'Escarène, Menton et Castillon, Puget-Théniers et 4 autres communes), deux fusions simples, la création d'une communauté urbaine avec Nice comme Chef-lieu, celle de trois Districts (dont celui de Cagnes-sur-Mer) et de trois Syndicats Intercommunaux à vocation multiple, des SIVOM, intéressant Menton, Antibes et Coursegoules. Je pris l'initiative de faire imprimer et publier des cartes des circonscriptions administratives (communes, cantons et arrondissements) avec les chiffres de population résultant du recensement de 1962. Mais, comme les autres plans départementaux, ce projet connut un échec quasi total et la France continue à détenir le record du nombre de communes (37.708, en 1968). Ma secrétaire parisienne fut appelée au secrétariat particulier du Préfet par permutation avec Josette Diaz (l'âge de Coline), autrefois à la Direction des Rapatriés. Mlle Diaz (que j'ai personnellement entraînée en vue du concours de sténodactylographe auquel elle se classa première) resta ma fidèle secrétaire pendant plus de quinze ans et me suivit à la DECE puis à la Direction du SYMIVAL. Pour ses 40 ans, elle eut la joie d'avoir un petit Sébastien. Le travail de Cabinet me plaisait sur de nombreux points. Il permettait d'avoir des vues plus complètes sur les divers dossiers à traiter. Mais ceux-ci étaient trop nombreux et trop variés pour qu'on puisse s'y attacher. Surtout, mon bureau, au rez-de-chaussée de la rue de la Préfecture était bien sombre et je m'usais les yeux à corriger les épreuves d'imprimés ou à lire les minuscules caractères des Journaux Officiels. J'obtins finalement en mai-juin 1972, la Direction des Équipements et du Contrôle des Établissements qui avait été créée en 1969.

8 - La D. E. C. E.

1972 - 1975

Vieux garçon, courtois et d'apparence très placide, M. René Georges Thomas n'avait pas la réputation d'un Préfet de choc. En fait - je le découvris pus tard - il était intelligent, lucide, moderne et entreprenant. Alors que nous nous trouvions en pleine période d'expansion économique, il estima qu'il fallait activer l'exécution des équipements programmés. Profitant du départ à la retraite de mon collègue Brun, en décembre 1969, il prescrivit la création d'une 4ème direction. Il voyait dans cette création un avantage accessoire: un meilleur équilibrage des attributions de deux secrétaires généraux. M. Cottez, secrétaire général pour l'administration (et le personnel) lui soumit un projet et proposa - selon mon propre souhait - de me confier la responsabilité de la nouvelle direction. Après mure réflexion et après m'avoir aimablement consulté, M. Thomas préféra me conserver à son Cabinet. Il en fut de même après le départ, en octobre 1970, d'un autre collègue, Jaubert (autrefois à Oran). Ce fut seulement le 29 mai 1972 que je fus nommé Directeur des Équipements et du Contrôle des Établissements, la DECE, créée le 29 janvier 1970. La Préfecture venait tout récemment d'être dotée de deux secrétaires généraux, MM. Pierre Degrave et Pierre Costa. Je pris mes nouvelles fonctions un mois plus tard. La 4ème Direction avait reçu une partie des attributions de la 3ème, les Affaires Communales ayant été scindées en deux. Ses services étaient répartis sur 3 étages, dans le bâtiment de la Préfecture Annexe, Avenue Félix Faure. Ils étaient parfois isolés les uns des autres. Le personnel de la DECE lui avait été chichement mesuré, quantitativement et qualitativement. Il avait dû fournir de gros efforts, d'abord dans la période toujours délicate du démarrage puis lorsqu'il fut privé d'un directeur à plein temps. Ma nomination lui fit espérer la fin d'une période difficile. Je me suis évidemment employé à organiser la DECE et à renforcer ses effectifs. Mais ma pugnacité a parfois agacé mon secrétaire général, M. Degrave, lui-même tributaire de son collègue M. Costa pour les attributions de personnels. En dehors de ma secrétaire - Josette Diaz que j'avais réussi à faire muter du Cabinet - j'ai disposé à la DECE de trois bureaux. Celui des Constructions Scolaires et des Équipements Généraux comprenait trois sections: affaires scolaires, travaux d'équipement urbain et d'équipement rural, comptabilité. Le Bureau des Aménagements Spécialisés intervenait en matière d'équipement routier, d'eau et d'assainissement, d'aménagements dans le domaine public maritime et les aéroports. Le Bureau des Établissements et de l'Habitat Urbain assurait la tutelle des Sociétés d'Économie Mixte, des Sociétés de Crédit immobilier et des Sociétés ou Offices d'HLM. Le 1er était dirigé par Mme Szekely, Attaché Principal, joueuse de bridge pendant ses loisirs, le second par Gaston Revel, Attaché Principal proche de la retraite que j'avais déjà eu sous mon autorité à la Direction des Rapatriés et Mlle Hubert, Attaché et poétesse à temps perdu. Les attributions de la DECE étaient fort intéressantes car en prise directe avec un début d'essor des Alpes Maritimes. Je m'y suis personnellement consacré avec enthousiasme et conviction. En matière scolaire, nous étions en étroite liaison avec le Ministère de l'Éducation Nationale, la Mission Régionale, le Rectorat, le Service Préfectoral de l'Action Économique, l'Inspection Académique et la Direction Départementale de l'Équipement. Nous avions à faire assurer la livraison de nombreuses constructions neuves programmées pour chaque rentrée scolaire. En 1973, quatre CES, une nouvelle tranche d'un lycée polyvalent, 126 classes maternelles et primaires... Au titre des équipements routiers, nous intervenions dans la construction, l'entretien et l'exploitation de nouvelles sections d'autoroute, de voies nationales et de chemins départementaux indispensables pour remédier à l'asphyxie routière des Alpes-Maritimes. En octobre 1974, avec l'aide déterminante de Fernand Icart, Député devenu Ministre de l'Équipement, nous pûmes faire programmer in-extremis le projet d'extension sud de l'aéroport Nice Côte d'Azur. Les travaux spectaculaires qui furent réalisés permirent de remblayer un delta sous-marin du Var et de supprimer les nuisances sonores qui s'opposaient au développement vers l'ouest de l'agglomération niçoise. Nous eûmes fréquemment à nous occuper des problèmes de la nappe phréatique du Var et à essayer d'arbitrer entre les vues divergentes de l'Équipement et de l'Agriculture. Nous intervenions aussi dans les problèmes de plages naturelles à concéder, à exploiter, à désenclaver... Pendant longtemps, nous suivîmes avec attention certains mouvements de terrain à Roquebillière, redoutant la répétition de la catastrophe de 1926. Nous fîmes exécuter des travaux de remise en état de canaux d'irrigation insuffisamment étanches. Nous envisageâmes une nouvelle évacuation et la reconstruction du vieux village... Finalement les choses paraissent s'être arrangées. Nos attributions étaient étendues et variées. Nous n'avions vraiment pas le temps de nous ennuyer! Les problèmes de lotissements étaient de vrais casse-tête. Je me souviens avoir contribué à la recherche de solutions avec les représentants des co-lotis de l'Aubarède (communes de Mougins et du Cannet). J'ai travaillé aussi sur le dossier de Cannes Marina, un ambitieux programme de 3.250 logements avec un port de 11 ha et un pont a surélever sur une route nationale. J'ai contribué à la résorption de l'habitat insalubre des Alpes-Maritimes, alors un des plus importants à subsister en France métropolitaine. Au cours d'un stage de formation de 3 jours à Aix-en-Provence, j'ai visité les chantiers de Fos-sur-Mer où "1500 lits" avaient été réalisés par la SONACOTRA en moins d'un an. Avec 2 autres stagiaires - et plus tard le Directeur Général des Services Techniques de la ville de Nice, également ancien de l'Afrique du Nord - nous avons lancé des idées qui permirent d'aboutir à des solutions originales et pragmatiques. Il faut dire que la construction d'une bretelle d'autoroute devant passer sur le bidonville de la "Digue des Français" était urgente: elle était nécessaire pour évacuer les déblais du chantier de l'éphémère "Zygofolies" et remblayer la plate-forme d'extension de l'aéroport. J'ai également participé avec intérêt à la recherche de solutions aux difficultés rencontrées dans l'exécution d'un programme coopératif de maisons individuelles à Drap. Mon plus gros dossier fut celui du grand ensemble de Carros-le-Neuf. Il a été "refilé" à la DECE lorsqu'il est devenu difficile. Je m'y suis personnellement consacré avec beaucoup d'intérêt. Je l'ai souvent défendu même lorsque certains des plus éminents "tuteurs" étaient tentés de dresser un constat d'échec de l'opération. Carros-le-Neuf était l'une des dix Villes Nouvelles dont le Préfet Moatti avait lancé l'idée. Il en avait prématurément ordonné le démarrage alors que tout n'était pas encore prêt. Aménageur, Commune et tutelle furent rapidement dépassés. J'eus à interpréter des comptes-rendus d'expertise souvent contradictoires (Inspection Générale des Ponts et Chaussées, Trésorier Payeur Général, Cour des Comptes...). Il m'appartint d'établir de multiples notes et rapports. J'étais en contact permanent avec le Préfet, le Secrétaire Général, le Sous-Préfet, le Maire, les Services Techniques... Il fallut finalement que le Département vienne au secours financier de l'Office Départemental d'H.L.M. Celui-ci fut dissous et fusionné avec l'Office Municipal de Nice du Président José Balarello. Un nouvel aménageur fut recherché pour une nouvelle tranche de travaux. Ce que j'appris avec Carros-le-Neuf me servit beaucoup lorsque j'eus à m'occuper de Sophia-Antipolis. J'aimais beaucoup mes fonctions de Directeur des Équipements et du Contrôle des Établissements. Ma Direction comportait moins d'une quarantaine de fonctionnaires et d'auxiliaires: ses effectifs avaient été calculés au plus juste! Mais, dans l'ensemble, notre équipe, assez jeune, était satisfaisante. Nous avions conscience de participer à l'indispensable essor du Département. Les Alpes-Maritimes avaient longtemps vécu sur la réputation de leur site et de leur climat. Elles accumulaient certains retards d'équipements que nous contribuions à réduire et leur situation financière n'était pas des meilleures. Je ne demandais qu'à poursuivre ma tâche. Mais un nouveau Préfet avait été affecté à Nice, à la fin de l'année 1973. M. Pierre Lambertin était d'un tout autre tempérament que M. Thomas. Comme toujours, il considérait l'oeuvre de son prédécesseur d'un oeil critique. Le Ministère de l'Intérieur acceptait de revoir les effectifs d'attachés de la Préfecture à condition que soit respecté l'organigramme-type de la fameuse circulaire 195 bis. Nous n'avions normalement droit qu'à 3 directions et non à 4. De son côté, le Sénateur Joseph Raybaud, un notable local qui comptait, réclamait le regroupement des affaires communales dans une seule direction. Enfin, la période d'expansion économique s'achevait: il fallait à nouveau freiner la consommation des crédits d'équipement. Bref, le Préfet préparait la suppression de la DECE. Il me proposa la Direction de la Réglementation: j'ai crains de m'y ennuyer. Il me suggéra la Direction de la Protection Civile: c'était à nouveau une Direction très technique et participant aux contraintes du Cabinet. En septembre 1974, M. Lambertin me demanda d'accepter les fonctions de Secrétaire Général du Conseil Général: j'y serais - me fit-il miroiter - "le 3ème personnage du Département". J'en doutais mais ne pus que me soumettre. M. Jacques Médecin agréa aussitôt le principe de ma nomination. Mais, sur intervention du Docteur Salvadori et du Sénateur Joseph Raybaud, le Conseil Général préféra choisir un fonctionnaire du cru. J'en fus finalement soulagé me voyant mal au service de multiples patrons de fait. Et la décentralisation n'était pas encore en vue!... Le 3 décembre 1974, le Préfet me proposa finalement un poste de Chargé de Mission à l'Aide Sociale. Il m'indiqua aussi qu'il en désignerait un pour l'aménagement du Plateau de Valbonne. J'avais pratiqué l'Aide Sociale à Nancy et cela ne m'avait pas déplu. Mais j'ai préféré de beaucoup m'orienter vers Valbonne Sophia Antipolis. Le Préfet accepta. La tâche paraissait proche de celle que je devais abandonner. M. Francis Palméro, était Président du Syndicat Mixte d'Aménagement et d'Équipement du Plateau de Valbonne. Je l'avais connu alors qu'il était Président du Conseil Général et que j'étais Conseiller Technique au Cabinet du Préfet R.G. Thomas. Il agréa aussitôt ma candidature. Mais, pendant plusieurs mois, la nature exacte des fonctions que je devais exercer ne fut pas précisée. Le démarrage de l'opération "Plateau de Valbonne" était difficile. Le Préfet et, bien évidemment, le Secrétaire Général hésitaient à trop s'y impliquer. Finalement, M. Lambertin décida le 20 mai 1975 d'une nouvelle organisation des Services de la Préfecture des Alpes-Maritimes. La DECE n'y figurait plus. Par un arrêté en date du 22 mai, je fus nommé Conseiller Technique pour l'Aménagement du Plateau de Valbonne à compter du 2 juin 1975. J'étais mis à la disposition du SYMIVAL pour y exercer les fonctions de Directeur Administratif.

9 - Sophia Antipolis et le SYMIVAL

1975 -1990

Je suis assez fier d'avoir participé à l'aménagement de Sophia Antipolis, à sa promotion et à sa réussite. Contrairement à certains, j'ai toujours cru à son succès et, comme beaucoup, je m'y suis consacré avec enthousiasme. J'en ai évoqué la genèse et esquissé les perspectives d'avenir dans un ouvrage de 320 pages, publié en 1985, "Sophia Antipolis - A la Conquête de l'An 2000" . Je me contenterai donc ici, de revenir sur certains points et de les préciser. L'inspirateur de la technopole, alors que le mot lui-même n'existait pas, fut incontestablement Pierre Laffitte, Directeur de l'Ecole des Mines de Paris. Ayant une juste et rare vision de l'avenir, il sut faire partager sa foi à Francis Palméro, Président du Conseil Général, puis au Préfet, René Georges Thomas, à Jérôme Monod, Délégué à l'Aménagement du Territoire et à l'Action Régionale ainsi qu'à de nombreux Chefs d'Entreprises. Il sut prendre des risques personnels pour lancer l'opération. Celle-ci exigeait des moyens considérables et des concours nombreux. Au surplus, les possibilités d'actions individuelles sont, de nos jours, des plus limitées. Notre civilisation est caractérisée par la complexité et le travail collectif. Notre système administratif repose sur la méfiance à l'égard de l'individu, le partage des responsabilités et la multiplication des contrôles. Le Département des Alpes-Maritimes avait un besoin vital de diversifier son économie. Il s'intéressa aussitôt au projet de Pierre Laffitte. Il le prit à son compte en en élargissant considérablement les objectifs. Il participa à l'Association Sophia Antipolis. L'adhésion des cinq communes à l'opération s'avéra indispensable, nécessaire le concours de l'Etat, souhaitable celui de la Chambre de Commerce et d'Industrie. Un consensus entre ces divers partenaires réunis au sein d'un Syndicat Mixte était nécessaire: il fut parfois ambigu. Parmi les représentants des membres associés, on me désigna trois francs-maçons d'obédiences différentes et un ancien collaborateur . Personnellement, j'y ai décelé quelques sceptiques et de simples figurants. Chacun avait sa personnalité, ses qualités et ses défauts. Rares étaient ceux qui acceptaient totalement de tenir compte des autres, de subordonner l'intérêt général à leur petit amour propre. Le "mal français" est avant tout le mal des Français: l'individualisme!... Cet individualisme ne concerne pas seulement les êtres humains mais les collectivités elles-mêmes. Chacune ne voit que son intérêt propre et n'accepte pas de céder quelques profits immédiats pour récolter davantage à terme. Ainsi l'article 11 des statuts du SYMIVAL prévoyant une péréquation des taxes professionnelles n'a pu être appliqué. Ainsi, Sophia-Antipolis (pas plus que Marseille) n'a pas su (comme Lyon) profiter des avantages du District (à défaut de la Communauté Urbaine)... Pierre Laffitte ne cessa de se proclamer "urbi et orbi" le père de Sophia. Cela est, en grande partie, indiscutable... sur le plan spirituel. Cela l'est beaucoup moins matériellement parlant. Mais les médias l'ont admis, une bonne fois pour toute, oubliant souvent que de nombreuses autres collectivités et personnalités participent aux décisions et aux réalisations: l'Etat, surtout au début; le Département des Alpes-Maritimes qui s'engagea financièrement de plus en plus; la Chambre de Commerce et d'Industrie qui apporte son concours technocratique, commercial et économique; les communes qui fournissent les terrains. Pierre Laffitte, devenu Sénateur au décès de Francis Palméro dont il était le suppléant, joue un grand rôle mais il aurait pu faire mieux avec un brin de diplomatie, de souplesse et quelques compromis. On doit, en tout cas, le créditer d'une foi sans défaillance, d'une grande persévérance dans l'action, de constance dans l'occupation du terrain et d'une grande compétence dans le domaine de la haute technologie. A partir du moment où, l'affaire parut devoir réussir, chacun voulut s'en glorifier et se l'approprier. Cela, je me suis efforcé de le combattre en répartissant aussi équitablement que possible les mérites de chacun dans mon livre et divers articles. Des divergences regrettables et des rivalités préjudiciables survinrent. Quelques erreurs ou maladresses furent commises. L'Association fut cantonnée dans les seules activités d'animation et son rôle fut souvent injustement apprécié. L'Etat et le Département attachèrent trop d'importance aux aspects sociaux et politiques. La Chambre de Commerce et d'Industrie s'en tint trop exclusivement aux seuls aspects économiques et techniques. Les communes recherchèrent tous les avantages sans s'engager financièrement ni apporter un minimum de rigueur dans la gestion. Et, pourtant, Sophia-Antipolis s'engagea de plus en plus sur le chemin de la réussite et de la notoriété. Je fus mis à la disposition du Syndicat Mixte aménageur du Parc International d'Activités de Valbonne Sophia-Antipolis le 3 juin 1975. Cette "mise à disposition" ne reposa sur aucune base juridique. Nommé Directeur Administratif et Financier du SYMIVAL, j'ai continué à dépendre de la Préfecture et du Ministère de l'Intérieur. Ma rémunération, toujours à la charge de l'Etat, ne fut pas modifiée. Je n'ai bénéficié ni des avantages consentis à la plupart des membres de la Délégation, puis de la SAEM, ni même d'une voiture de service. Disposant d'une double casquette (préfectorale et syndicale), il me fallut, en priorité, donner au SYMIVAL quelques moyens financiers. J'eus à l'imposer auprès de la Chambre de Commerce et d'Industrie à qui le Préfet Lambertin avait, un peu imprudemment, laissé espérer une totale liberté. Je dus aussi l'affranchir d'une excessive emprise de la DATAR, bref contribuer à lui donner une certaine personnalité. Tout cela, d'ailleurs, en application de directives de M. Silberzahn, Sous-Préfet de Grasse, à qui le Préfet avait confié le dossier de Sophia et en plein accord avec mon Président, Francis Palméro. Celui-ci ne fut pas omniprésent. Il n'intervînt qu'à bon escient, fut un excellent conciliateur et me fit la plus large confiance: ce dont j'eus le plus besoin mais qu'il est souvent si difficile de trouver, dans l'Administration Départementale du moins dans les Services classiques et sous la lourde hiérarchie préfectorale!... Avec M. Lambertin, nos rapports auraient pu être bons; ils furent simplement corrects et, en définitive, assez froids. Le Préfet n'avait pas su me cacher certains de ses préjugés à l'égard des "Pieds-Noirs". Il cherchait à paraître très autoritaire mais était assez hésitant. Très attaché à la forme juridique, il lui manqua peut-être un peu de ce qui fit la force de l'Administration Algérienne: savoir s'inspirer de l'esprit des textes sans en être esclave. Avec Claude Girod, j'eus des entretiens quotidiens. Nous partagions nos préoccupations et recherchions, sans relâche, les bonnes solutions, multipliant notes d'informations et propositions. Je lui ai accordé la considération traditionnelle des Directeurs de Préfecture à l'égard des membres du Corps Préfectoral bien qu'il ait cessé d'en faire partie et que je n'aie en rien été subordonné à la Mission Interministérielle. Malgré nos âges et nos tempéraments différents, nous nous sommes complétés et avons noué des liens d'amitié. Grâce à Pierre Costa, encore Chef du Personnel avant d'être nommé Préfet puis de revenir à Nice comme Directeur Général des Services Départementaux, je pus emmener avec moi ma secrétaire Josette Diaz. Elle aussi, en près de 25 ans de collaboration, est devenue une amie. Elle m'a été - et me reste - précieuse. Emmanuel Exposito dont j'ai apprécié le caractère enjoué et l'égalité d'humeur, a été un excellent collaborateur. Peut-être aurais-je dû leur laisser plus d'initiatives: ils ont prouvé avec Alain Catroux, mon successeur en 1983 à la Direction du SYMIVAL, qu'ils étaient capables d'assurer plus de responsabilités.Nos rapports avec le Général Ivan Belasco, Directeur de l'Association Sophia Antipolis, ont été souvent difficiles mais nous nous sommes estimés profondément et cela nous a permis de franchir des étapes décisives. Adrien Corbière, acharné à convaincre et incapable de toute concession, m'impatienta souvent. Nos rapports avec Marc Reynaud, Christian Cabrol, Catherine Bommelaer, les époux Vassort, Serer et tant d'autres furent cordiaux. Je suis fier de l'estime - devenue amitié - que me manifesta le Président Maurice Bosquet. J'ai apprécié aussi la constante courtoisie de Jean-Jacques Robert, un des meilleurs Présidents de la Chambre de Commerce. L'arrivée au pouvoir des socialistes et de leurs alliés communistes, en mai 1981, altéra rapidement l'atmosphère administrative. Au début de la décentralisation, le Préfet prit ses distances avec l'opération Sophia Antipolis avant même la prise de pouvoir effective du Président du Conseil Général. La présidence de la Mission Interministérielle se trouva elle-même, un certain temps vacante. Celle de M. Palméro fut contrariée par de sérieuses atteintes à sa santé. Le problème du logement - après la fameuse Loi Quillot - risqua de compromettre notre équilibre financier. La Direction du SYMIVAL me parut soudain bien lourde et l'avenir incertain. Je crus que mon départ susciterait les réformes structurelles que je considérais comme indispensables. Il se trouva facilité par une opportunité à saisir: elle me permettait d'être promu pour ordre à Marseille, dans mon cadre d'origine (les Préfectures) sous réserve de libérer mon poste au bout de six mois. Je pris donc ma retraite à compter de février 1983, pour mon 62ème anniversaire, n'acceptant pas l'offre de Francis Palméro qui souhaitait me conserver à la Direction du SYMIVAL. De nombreuses candidatures se manifestèrent pour me succéder soit spontanément (comme celles de Santamaria, Ingénieur des Travaux Publics à la DDE ou d'Escavi, du Service foncier) soit, sur suggestion de Claude Girod, celle d'Alain Catroux, Délégué Général du Bureau d'Industrialisation. J'ai soutenu celle-ci. Elle fut agréée. Ancien assureur, ayant été Adjoint au Maire de Cannes, Catroux avait d'excellentes relations avec les élus locaux et les milieux professionnels. Peu administratif mais surtout homme de terrain, agissant avec souplesse et diplomatie, il sut s'entendre avec M. Palméro puis avec Pierre Donnet qui lui succéda, après son décès, en juin 1985. Tous deux réussirent à traverser sans encombres les périodes agitées que connut le SYMIVAL, parfois contesté par le Club des Dirigeants et, même la Chambre de Commerce et d'Industrie. Pour ma part, j'ai été nommé Conseiller Technique à temps partiel, pour six mois, sur proposition de M. Palméro. Ma rémunération fut minimale: elle compensa simplement la perte de mes indemnités mensuelles de Directeur de Préfecture. M. Lambertin consentit à mon recrutement par le SYMIVAL en souhaitant que ma mission ne fut pas renouvelée (?). Elle le fut 14 fois et mon retrait définitif ne tint qu'à moi... Je n'ai pas travaillé beaucoup avec Michel Lafon, arrivé en 1981 à la Fondation où il ne tarda pas à remplacer Ivan Belasco. Parfois désorienté par la difficulté des relations humaines dans les Alpes-Maritimes, il paraît avoir réussi, surtout d'ailleurs comme Délégué Général aux Télécommunications. J'ai apprécié aussi la cordialité de mes relations avec Vergniaud, Ludmilla Spyridakis, Monique Aillaud, Roselyne Koskas et tant d'autres... En définitive, la durée de mes services au SYMIVAL a été de quinze ans, jusqu'au 3 août 1990. Dans mes dernières fonctions, je me suis efforcé d'être discret et de n'empiéter en rien sur les prérogatives de mon successeur à la Direction Syndicale. Je me suis spécialisé dans les relations publiques, l'information et la promotion. J'ai bénéficié d'une exceptionnelle liberté d'action et d'une absence totale de directives ou de critiques. Les approbations, elles-mêmes, furent rares et souvent tacites. J'ai commencé par élargir l'information donnée en 1979 (3 lettres aux Administrateurs Syndicaux) puis de 1980 à 1985 ("SYMIVAL AN VII" à "SYMIVAL AN XII" qui furent adressés également aux Conseillers Généraux, aux Parlementaires, à certains Maires et à la plupart des Chefs de Services Administratifs). Pendant près de deux ans, je me suis consacré à la préparation de "Sophia Antipolis - A la Conquête de l'An 2000". Je l'ai fait publier, à titre personnel, pour essayer d'éviter l'approbation exclusive par quelques uns des mérites d'une participation à une oeuvre collective. A la demande de Pierre Donnet, j'ai créé "SYMIVAL ACTUALITÉS", un bulletin trimestriel enregistré à la Commission Paritaire de la Presse sous le n° 2025 ADEP. J'ai obtenu, pour la maquette et certains titres, le concours d'un ami journaliste, Jean Brua (fils d'Edmond Brua). Puis j'ai demandé à deux jeunes dessinateurs (Laurin et Grossi) d'y coopérer. Ils qualifièrent le vert initial de couleur froide et le remplacèrent par un fond ocre, une couleur chaude . Mais ils utilisèrent aussi des bandeaux noirs qui furent jugés un peu funèbres. Catroux souhaitait le recours à la quadrichromie. Je fis un essai à l'occasion du numéro de janvier 1988 destiné à lancer un projet de golf. Le coût n'en fut pas estimé incompatible avec les finances syndicales. Je pus continuer à l'utiliser. "SYMIVAL ACTUALITES" devînt une véritable revue à laquelle j'ai consacré beaucoup d'intérêt et de soins: choix des sujets, des personnalités à interviewer, rédaction, illustrations, composition, correction des épreuves, avec le constant souci de contribuer à la promotion de Sophia et à l'union de ses artisans. J'avais eu l'idée de symboliser les élipses du sigle du SYMIVAL par la grande roue d'un Parc d'attractions. Je l'avais faite photographier sous tous ses angles par Martinetti un photographe niçois de talent, ancien collaborateur de M. Palméro aux Chemins de Fer de Provence. Laurin en tira le dessin d'une main satellisant sur orbites les cinq communes du Syndicat Mixte, comme on jette des dés sur une table de jeu. Pour "la quatre de couverture" de ce même numéro (le dixième), j'ai repris l'illustration de mon livre. Il m'apparut, après coup, que les couleurs de "la une" s'harmonisaient mal avec celles de "la quatre". Les couleurs du n° 12 s'assortirent mieux mais j'ai trouvé un peu grinçants et manquant d'optimisme les dessins de Laurin: ils ne donnaient pas à Sophia l'image souhaitable. Bouronne, Directeur Général de la SAEM, les critiqua lui-même en des termes qui me déplurent et m'incitèrent à mettre un terme à mon contrat mais il dût lui-même partir, un peu précipitamment... J'ai donc continué. J'ai suggéré à notre imprimeur de faire dessiner une couverture symbolisant l'attractivité de Sophia sur les cadres étrangers. Cela fut trés heureusement réalisé. Toujours dans un souci d'oecuménisme et de promotion, j'ai demandé à François Kester, Secrétaire Général de la Chambre de Commerce et d'Industrie, de traiter de l'impact économique de Sophia Antipolis: il le fit avec brio. Comme toujours, un numéro à peine bouclé, il fallait penser au suivant car un trimestre passe vite!... Avril 1989 coïncidant avec les 20 ans de l'idée sophipolitaine, j'ai consacré le n° 14 à cet anniversaire qui donna lieu à diverses manifestations promotionnelles organisées par Pierre Laffitte. Le dossier du n° 15 fut consacré aux jeunes. J'y ai moi-même contribué en invitant la fille de mon ancien boulanger, devenue ingénieur dans une grande entreprise internationale de la technopole. Je l'ai interviewée car son histoire est exemplaire: elle correspond à l'objectif des promoteurs de l'opération d'aménagement du Parc International d'Activités Sophipolitain. Ce dossier fut illustré, en couverture, par la photographie de la gracieuse compagne de Frédéric Grossi, mon maquettiste. J'ai parfois utilisé dans la revue syndicale des photographies que j'ai moi-même réalisées, bien entendu, sans réclamer des droits d'auteur!... Un dossier sur l'aménagement fut confié à une jeune étudiante en communication, nièce d'une camarade de club et descendante d'un grand mathématicien de la Révolution. Je l'ai fait illustrer par une carte routière, sur-dessinée, à ma demande par la DDE. J'ai moi-même risqué un éditorial consacré à l'importance du détail. Mais, à ma très grande confusion, je l'ai commencé par un "Et bien..." au lieu de cet "Eh bien..." qu'exigeait un français décidemment bien pointilleux!... Pour "la quatre de couverture", j'ai utilisé la belle illustration, à la fois figurative et informatique de la .Florence du XXème siècle . Elle aurait probablement mérité d'être adoptée pour symboliser la Technopole Sophipolitaine. Mais elle avait le label N.I.H. (Not Invented Here) puisqu'imaginée par la Fondation Sophia Antipolis (ou le CAD?). La SAEM, un peu ingrate à l'égard des orbites adoptées par le Président Palméro, lui préféra une chouette sinistre puis, en mars 1990, un logo-type moderne, genre ectoplasme, réalisés à grand frais avec recours à des spécialistes de la communication... "Construire l'avenir" fut magnifiquement illustré par nos maquettistes. Marie Hélène Monge traita de l'image de Sophia "dans le miroir de la presse". Dans le n° 18, j'ai tenté d'inciter les détracteurs du SYMIVAL à la patience par un texte plusieurs fois amendé voire aseptisé. Moi-même, j'ai cru devoir censurer le drapeau rouge orné de la faucille et du marteau qu'on m'avait proposé (non sans à propos) pour illustrer un article de Roselyne Koskas sur l'économie de marché dans les pays de l'Est: il aurait probablement suscité des réactions regrettables. Après le coup de gueule d'Yves Crépet, Président du Club des Dirigeants, la Chambre de Commerce et d'Industrie et la SAEM cherchèrent à créer leur propre politique d'information. Très habilement, Alain Catroux et Pierre Donnet surent les cantonner dans le domaine technique, rechercher le concours de professionnels de la communication et se concilier Nice-Matin . A l'approche de mes 70 ans, j'ai estimé qu'il était temps de prendre du champ. Je me suis encore consacré à la publication du n° 14 qui fut le dernier "SYMIVAL ACTUALITÉS". J'y ai annoncé de nouvelles orientations, donné un nouveau coup de projecteur sur le Club des cinq Communes du Syndicat Mixte, fait rédiger un article sur la coopération Université -Entreprises et présenter le Club des Technopoles. Évoquant le 5ème anniversaire du décès du Président Francis Palméro, j'ai annoncé la cessation de mes fonctions en août 1990 et le départ à la retraite de Claude Girod. J'ai exercé mes fonctions au SYMIVAL une quinzaine d'années sept ans à la Direction, huit comme Conseiller Technique. Ces dernières ont constitué une utile transition vers ma retraite définitive... et des occupations personnelles... Un des handicaps majeurs de 1'opération Sophia Antipolis fut, au moins dans sa phase initiale, une assise financière longtemps précaire. Le SYMIVAL put bénéficier de quelques emprunts avantageux mais d'aucun fonds de roulement. Les subventions de l'Etat lui furent attribuées selon la règle habituelle, à posteriori, après réalisation des travaux. Les crédits de fonctionnement furent des plus limités mais, fort heureusement, la Préfecture puis le Conseil Général fournirent gratuitement certaines prestations: locaux, mobilier, matériels divers, fournitures de bureau, photocopies, frais postaux... tandis que l'État prenait en charge mon traitement. Préfet et Conseillers Généraux, échaudés par l'opération de Carros-le-Neuf, redoutaient l'éventuelle mise en jeu des garanties d'emprunts. Ils subordonnèrent parfois l'engagement des travaux à la commercialisation de terrains aménagés. Ce ne fut pas toujours sans incidence sur leur coût! Ces difficultés nous obligèrent à beaucoup de rigueur et nous contraignirent à des efforts d'imagination. Je réussis, au tout début, alors que nos besoins étaient grands, à utiliser une subvention allouée au Département; lorsque - honnêtement - je voulus la restituer, cela fut impossible, personne n'acceptant de reconnaître une part de responsabilité dans l'erreur... Grâce à ma double casquette, je pus longtemps certifier, au nom du Préfet, les subventions de l'État que je recevais au titre du SYMIVAL. Cela comportait d'évidents avantages! Grâce à l'intelligence du Trésorier Payeur Général, je pus faire bénéficier le Syndicat Mixte d'importants intérêts de fonds placés en démontrant que, soumis aux règles de la comptabilité communale, celui-ci ne bénéficiait pas comme les communes - et pour cause! - d'avances sur recettes fiscales. L'opération fut et reste victime de la sacro-sainte devise républicaine: Liberté - Egalité - Fraternité . En France, on refuse à la Province - mais pas toujours à la Région Parisienne! - toute originalité, tout élitisme, tout traitement particulier. Sophia Antipolis justifierait pourtant des mesures spécifiques, des investissements massifs et d'une direction unique pour confirmer et étendre un succès qui n'est pas seulement le sien mais celui de la France tout entière. Il lui fallait, par exemple, des logements pour l'accueil de ses cadres. Mais des logements spécifiques, adaptés à ses seuls besoins. Or, l'Administration (Préfecture, DDE et Communes) a voulu les utiliser pour régler le problème général de l'habitat social dans les Alpes-Maritimes... Ce n'est d'ailleurs pas seulement à Sophia Antipolis que se pose le problème d'une législation, d'une réglementation et de procédures adaptées,en fait,seulement à une partie de la population. Des droits sont donnés à tous mais rien n'oblige vraiment des marginaux, de plus en plus nombreux, à accomplir leurs devoirs... Il reste que Sophia Antipolis est un succès auquel je suis heureux d'avoir participé. Je lui souhaite sincèrement un bel avenir.

10 - Cannes - Délégation Spéciale

Janvier 1990

Faire partie pendant un mois d'une "Délégation Spéciale" fut pour moi une intéressante expérience dont je n'ai peut-être pas pleinement profité. En mars 1989, le Maire sortant, Mme Anne-Marie Dupuy (RPR) avait été battue de 581 petites voix par son ami politique Michel Mouillot (UDF), après une campagne "excédant les limites de ce qui peut être toléré dans le cadre de la polémique". Sur recours d'un colistier de Mme Dupuy, d'abord repoussé par le Tribunal Administratif, le Conseil d'État décida de nouvelles élections. Pour remplacer provisoirement le Conseil Municipal, une Délégation spéciale constituée "de hauts fonctionnaires compétents en matière de gestion communale" prit le relais pour les affaires courantes et urgentes. Dans les tous derniers jours de décembre 1989, je fus téléphoniquement pressenti par M. De Charrieres, Directeur du Cabinet du Préfet pour en faire partie. Un peu surpris d'être choisi par un Préfet socialiste implacable adversaire de Jacques Médecin dont je dépendais - alors- administrativement mais, en définitive, un peu flatté, j'ai accepté après une courte hésitation. Le 1er janvier 1990, la Délégation Spéciale fut composée d'un Préfet honoraire, de moi-même "ancien Directeur de Préfecture", d'un Lieutenant Colonel en retraite, d'un Trésorier Principal honoraire et d'un Substitut honoraire. Ces cinq "sages" tinrent leur première réunion dans le vaste Cabinet du Maire de Cannes, dès le 2 janvier. Ils désignèrent leur Président qui fut tout naturellement le Préfet Claude Charbonnaud et, sur ma proposition un Vice-Président, M. Victor Robin, leur doyen. Je reçus délégation pour assurer la gestion des affaires municipales en ce qui concerne l'Éducation, les Affaires Sociales et le 3ème âge, l'Hygiène et la Santé et, à ma demande, le Tourisme. M. Robin fut Délégué aux Services Techniques, M. Lassays au Personnel, à l'État Civil et aux Cimetières. Les finances furent tout naturellement confiées à M. Michel, ancien Trésorier. Je pouvais éventuellement suppléer M. Lassays et aurais aimé procéder à un mariage mais n'en eus ni le temps ni l'occasion. Dès notre première réunion, je fis noter que nous allions assurer des fonctions d'Adjoint (et non de simples Conseillers Municipaux) ce qui allait nous permettre de bénéficier des indemnités de fonction correspondantes. Le Secrétaire Général nous présenta les Chefs de Services Municipaux et nous eûmes aussitôt à signer nos premiers documents car, dans les Mairies, les fonctionnaires n'ont pas délégation de signature. J'ai occupé - très peu - le luxueux bureau du Premier Adjoint (un ancien Ambassadeur) juste au-dessus de celui du Maire, au 2ème étage de l'Hôtel de Ville, face au port et au Suquet. J'avais un autre bureau dans l'Annexe et eus à me déplacer dans d'autres bâtiments pour rencontrer mes Chefs de Services. J'obtins voiture officielle et chauffeur pour mes déplacements entre Nice et Cannes que je pus limiter, à deux par semaine. Bien évidemment, le Président fut plus assidu à la Mairie, de même que mes collègues de Cannes, libres d'autres obligations professionnelles. La Délégation se réunit généralement le lundi. Nos principales décisions collectives furent l'octroi de subventions en principe limitées au 1/12ème provisoire sauf nécessité à apprécier. J'eus l'occasion de représenter mon Président à un déjeuner clôturant le "Plan de Communication Retraites". J'eus ainsi l'opportunité d'apprendre que je pourrais bénéficier d'une petite retraite de la CRAM pour mes services rémunérés par le SYMIVAL depuis 1983. Nous accueillîmes les Commandants de deux bâtiments de l'US Navy lors de leur visite protocolaire. J'ai déjeuné dans le Centre d'Apprentissage Municipal. Avec Dilette, nous assistâmes à un ou deux beaux spectacles au Palais des Festivals. Notre mission prit fin rapidement et nous nous sentîmes presque frustrés tant nous commencions à y prendre goût. La passation des pouvoirs donna lieu à une cérémonie officielle et à des propos courtois. Nous avions préparé en commun l'allocution de notre Président et j'avais suggéré "l'hommage appuyé" qu'il fit à la machine administrative et aux personnels municipaux. M. Mouillot fit état de notre grande crédibilité, de notre compétence et de notre disponibilité. Il nous remercia et souhaita que nous restions amis. J'eus droit à deux lettres personnelles du Préfet et du Maire. J'eus l'occasion de renouer avec deux nouveaux Cannois, d'anciens Préfets connus à mes débuts, à Constantine: MM. Jacques Juillet et Pierre Cazejust.

11 - Syndicalisme et défense corporative

a) Les Syndicats J'ai évoqué, par ailleurs, le démarrage de ma carrière syndicale: une vaine tentative pour éviter les aléas d'un concours jugé superfétatoire. Avec plusieurs collègues, rédacteurs temporaires, nous estimions, en effet, avoir déjà concrètement prouvé notre aptitude à la Fonction Publique. Spontanément, j'ai eu la conscience de la nécessité de défendre les fonctionnaires contre les lourdeurs administratives et l'arbitraire des Chefs. Je ne connaissais guère d'autres milieux professionnels mais je pressentais que, partout, il fallait faire respecter ses droits. Pour moi, les Syndicats étaient tout aussi indispensables et tout aussi respectables que les Chambres Consulaires, les associations, groupements et clubs divers dissimulant mal, sous des bannières philosophiques ou philanthropiques, des objectifs ou intérêts essentiellement particuliers. J'ignorais alors tout des obédiences syndicales. A la Préfecture de Constantine où j'ai débarqué en juin 1946, on attendait avec une grande impatience des renforts en personnel. J'y fus, dès 1949, recruté dans l'équipe syndicale par Robert Maury, un Chef de Bureau de classe, avec Henri Guérin et quelques autres jeunes collègues. Le Syndicat regroupait alors la quasi totalité d'un personnel peu nombreux et exceptionnellement uni. Il était indépendant et j'appris plus tard que cette indépendance remontait à la scission C.G.T./F.O. de 1947. En mars 1951, j'ai succédé à Robert Maury comme Secrétaire Général du Syndicat. J'en ai assuré la direction jusqu'à mon départ pour Alger, en juillet 1956. Cette tâche m'a mis en valeur et m'a procuré de nombreuses satisfactions. Elle a, notamment élargi des fonctions administratives où je me trouvais parfois un peu trop encadré. J'ai été à l'écoute attentive de nos adhérents des divers cadres, tout en sachant décider. J'ai bénéficié, à cet égard, d'un crédit suffisant d'estime et de confiance. Et, ce faisant, j'ai su conserver des relations satisfaisantes avec la hiérarchie. M. Tony Roche, mon Secrétaire Général, a estimé en me notant que je ne devais "pas laisser émousser (mon) sens du commandement". Mais le Préfet Maurice Papon, futur Ministre, a qualifié un jour d'intelligente mon action syndicale. En dehors d'Henri Guérin et d'autres collègues rédacteurs, j'eus comme Adjoints deux jeunes Commis ou Auxiliaires, un musulman, Benamoun (qui devint Sous-Préfet) et un israélite, Bismuth: en Algérie, on n'était pas aussi racistes qu'on le dit et qu'on le fut parfois ensuite en métropole, même aux pires moments d'affrontement!... Le bulletin mensuel que j'ai fait éditer et que j'ai rédigé personnellement en grande partie nous donna de l'importance. Mais un de mes éditoriaux agaça mon Secrétaire Général, Pierre Cazejust, qui crut devoir m'adresser par écrit de solennelles remontrances et justifier les demandes "d'éléments de réponse" du Cabinet Préfectoral: je les avais considérées comme trop fréquentes, souvent inutiles et détournant les services de tâches plus importantes. Petit à petit, je me suis rapproché des Syndicats Algérois et Oranais des Préfectures. J'ai suscité la création d'un Comité d'Entente car la Préfecture de Constantine me paraissait défavorisée par rapport aux deux autres. J'en ai assuré la présidence alternativement, une année sur trois. Mes démarches auprès du Secrétaire Général chargé du Personnel étaient fréquentes. Nous étions également en contacts réguliers avec les Chefs des Bureaux des Préfectures et les Directeurs de la Fonction Publique tant au "G.G." qu'au Ministère de l'Intérieur et nous nous déplacions parfois à Alger et à Paris. J'ai participé à l'organisation des élections en vue de la constitution de Commissions Administratives ou de Comités Techniques Paritaires et en ai été souvent membre. C'était lourd et pas tellement productif!... J'ai eu l'occasion de pousser un Chef de Division vers la retraite et à obtenir une répartition plus satisfaisante des crédits votés par le Conseil Général pour l'achat de mobilier A maintes reprises, je suis intervenu pour l'augmentation des effectifs des Préfectures. Ayant eu connaissance d'une ordonnance du 15 juin 1945 relative aux candidats aux Services Publics empêchés d'y accéder ou n'ayant pu bénéficier de conditions d'avancement plus favorables, j'ai mené une action persévérante auprès du "G.G." et de "l'Intérieur". Cela m'a permis de bénéficier en 1960, avec 5 autres collègues, d'une reconstitution de carrière avantageuse. Nous souhaitions pour les personnels des Préfectures Algériennes des statuts à la mesure de leur importance par rapport à la plupart des Préfectures métropolitaines. Nous nourrîmes longtemps, à cet égard, des illusions qu'entretint hypocritement le Gouvernement Général. Grâce à une lettre du Préfet Graeve à son collègue Papon, j'eus connaissance de la position ministérielle: elle était ancienne, ferme et constante. Après une ultime démarche à Paris, j'ai estimé qu'il ne fallait plus s'acharner à un vain combat. J'ai incité mes amis des trois Préfectures d'Algérie à accepter l'intégration de nos cadres A et B dans les cadres nationaux. Heureuse décision qui nous fut fort utile après l'indépendance et le repli en catastrophe sur la métropole!... Une fois acquise cette intégration, j'ai entretenu des contacts étroits avec les trois Syndicats Nationaux des Préfectures (FO, CFTC et C.G.T.) pour apprendre à les connaître. J'aurais souhaité qu'ils s'unissent mais on me fit sentir combien cela était impossible voire utopique. Après une longue période d'observation, j'ai constaté que, dans "nos maisons", le syndicat FO était le mieux structuré, le plus sérieux, le plus puissant. J'ai favorisé la visite à Constantine, en mars 1951, de son Secrétaire Général, René Auzanneau, un tribun ardent, à l'organe sonore, à l'éloquence brillante, à la conviction communicative. Le 20 avril 1953, faisant preuve d'une cohésion et d'un réalisme remarquables, les Chefs de Division et Attachés Constantinois décidèrent - à l'unanimité moins une voix - d'adhérer, à titre individuel, au Syndicat FO. En mai 1954, j'ai, pour la première fois, représenté les Préfectures d'Algérie au Congrès National FO des Préfectures. Celui-ci s'est déroulé à Nice, dans la magnifique salle du centre universitaire méditerranéen créé par Paul Valéry. J'ai été impressionné par la compétence des Syndicalistes métropolitains. Avec Dilette qui m'avait accompagné, nous avons été éblouis par Nice et Menton. Nous fûmes invités à plusieurs somptueuses réceptions ainsi qu'à une sortie en mer sur "le Gallus". Nous bénéficiâmes d'un temps de rêve. La gaieté des collègues métropolitains et, surtout, leur décontraction et leur extrême familiarité nous sidérâmes. En mai 1955, j'ai été Délégué à un second Congrès, à Paris et, à mon retour, au cours d'une Assemblée Générale Extraordinaire, j'ai fait décider l'adhésion globale et complète de nos adhérents au Syndicat National. Malgré nos appréhensions, notre Syndicat Local conserva la quasi totalité de ses 259 membres. L'année suivante, j'ai organisé des manifestations à l'occasion du Xème anniversaire du Syndicat Constantinois. J'y ai invité des collègues du Comité d'Entente (Maclet et Azoulay d'Alger, Candela d'Oran, notamment) et trois représentants du Syndicat National (Ducrocq, successeur d'Auzanneau et qui faisait honneur à notre cadre, Dilhan, de Foix et Rouvière, de Lyon). Ce fut une totale réussite. J'ai essayé, à cette occasion, de rallier nos collègues métropolitains à l'idée de l'Algérie Française. Mais je me suis aperçu en 1962, que comme la plupart des Français, ils avaient des idées bien fausses et très conformistes, sur le problème... Le Syndicat Oranais a fini par rejoindre les rangs de Force ouvrière mais Alger est resté farouchement indépendant. Lorsque j'y ai été muté, j'ai continué à entretenir les meilleures relations avec mes collègues Azoulay et Bignon. J'ai collecté les cotisations d'adhérents individuels au Syndicat National mais j'étais dans un service trop marginal pour pouvoir continuer une véritable action syndicale. Les temps étaient d'ailleurs venus où il fallait commencer à songer à ma promotion au grade de Chef de Division. Mon affectation algéroise aurait pu la contrarier car j'entrais en concurrence avec de nombreux collègues plus anciens; elle l'a, au contraire, favorisée et je l'obtins en 1959 avant même mon collègue Bignon, un Attaché de grande qualité, fils de l'ancien Caissier Principal de papa, à la Banque de l'Algérie. Rapidement, je pus d'ailleurs constater combien était difficilement conciliables fonctions de direction et action syndicale. A la Préfecture de Bône, créée en 1956, l'arrivée de fonctionnaires métropolitaines mit rapidement fin à l'unité syndicale que nous avions réussi à préserver à Constantine. Dans les premiers mois de l'année 1962, la défaite de la France en Algérie et l'avènement prochain de l'Algérie algérienne apparaissaient inéluctables. Les accords d'Évian du 16 mars furent loin de mettre un terme à la profonde inquiétude des populations européennes. Ils n'allaient pas tarder à se révéler une immense duperie. Fonctionnaires et assimilés se rassemblèrent le 24 mars 1962 en un Cartel de la Fonction Publique. Ils réclamèrent l'assurance de conserver leur place dans la Fonction Publique Française et de ne pas être maintenus d'office en Algérie. Le Comité d'Entente des Syndicats du Personnel des Préfectures et sous-préfectures d'Algérie décida d'adhérer au cartel et, avec Azoulay, nous participâmes à quelques réunions, Boulevard Baudin, à la maison des étudiants. MM. Guillaumat, Ministre de la Fonction Publique et Christian Fouchet, Haut Commissaire de la République en Algérie, donnèrent des assurances. Et la situation des fonctionnaires et cadres de l'État en service en Algérie fit l'objet d'une ordonnance, le 30 mai 1962. L'exode des européens, notamment des femmes et des enfants, avait déjà commencé. Il s'accéléra à la mi-juin. La plupart des fonctionnaires d'Algérie réclamèrent leur intégration dans les cadres de l'État et leur affectation en France. Cela demanda souvent plusieurs mois. Certains attendirent la décision les concernant en métropole refusant de rejoindre l'Algérie après un congé. Ils ne furent pas toujours bien accueillis dans l'hexagone. La plupart eurent du mal à s'y adapter. Ils découvrirent souvent avec surprise que le soleil y était rare même au sud de la Loire et les températures assez fraîches...En juin 1962, peu avant la débâcle, j'avais encore participé à un Congrès National du Syndicat FO, à Grenoble: J'avais tenu à y exprimer les soucis de mes compatriotes Algériens et cherché à recueillir le maximum d'informations sur les possibilités qui leur seraient offertes. J'avais aussi défendu la cause des Chefs de Division, estimant que le train des revendications des personnels des Préfectures devait, certes, être poussé par la base mais également, tiré par le sommet de la hiérarchie. Cela n'a jamais été facilement admis. En France - et cela crève les yeux depuis que le régime socialiste s'est installé - on est anti-élitiste. On veut l'égalité parfaite même si l'égalisation se fait par le bas. Dans les Préfectures, parmi le personnel, les Chefs de Division font figure de privilégiés: ce sont "des gros". A la lutte des classes, se substituent les jalousies hiérarchiques et corporatives. Au Ministère de l'Intérieur, au surplus, on a tendance à servir le Corps Préfectoral et la Police avant les Préfectures et leurs cadres. Enfin, dans la Fonction Publique Française, on constate la suprématie des Préfets dans l'Administration Départementale!... Avec Dilette, nous profitâmes de notre voyage à Grenoble pour passer Pentecôte à Ruffey. Nous passâmes quelques jours à Paris où j'entrepris diverses démarches dans les Ministères. Nous rentrâmes à Alger par avion, via Marseille, si heureux de retourner au pays que nous sablâmes le champagne avant l'atterrissage. A l'aéroport, le spectacle n'était pas gai: embouteillages, amoncellements de candidats au départ, femmes surtout, avec vieillards et enfants, bagages hétéroclites, cages à canaris, au milieu d'hommes en armes. Mais notre trajet de Maison Blanche à Alger et Hydra fut plus paisible qu'au retour, début mars, de mon ultime visite à papa, quinze jours avant son décès, le 26 mars, jour de l'atroce fusillade de la rue d'Isly... Ce fut ensuite mon départ en congé, mon retour manqué à Alger que je n'ai jamais revu, mon affectation à Nancy où je fus un simple adhérent du Syndicat FO, ma participation le 28 septembre 1963, à titre personnel, à un Congrès Régional à Strasbourg, mon affectation inespérée à Nice début février 1964... Le mois suivant, à l'occasion de la confection projetée d'un annuaire professionnel, mon collègue Leber (connu à Constantine et Bône) sollicita mon adhésion à l'Association des Directeurs de Préfectures et sous-préfectures de France et d'Outre-Mer. J'y souscrivis. Ce devait être le début d'une nouvelle décennie d'actions corporatives. b) L'Association des Directeurs de Préfecture En 1948, une certaine parité instaurée en 1941, avait été rompue entre les Chefs de Division de Préfecture et les Chefs de Service Départementaux. Quelques uns de nos collègues, inquiets de la détérioration de leur situation matérielle et morale décidèrent de réagir en fondant une association régie par la loi du 1er juillet 1901. Ils se réunirent à cet effet, d'abord le 16 mai 1954 à Toulouse, puis le 20 juin 1954 à Versailles. Leur objectif était double: enrayer le processus de dégradation de leur corps; développer entre eux des liens d'amitié. Ils réclamèrent non seulement la révision de leur échelonnement indiciaire mais, aussi, l'appellation de Directeurs . La création de l'Association ne paraît pas avoir soulevé l'enthousiasme du Syndicat FO! Les comptes-rendus des réunions ne font-ils pas état d'une volonté de n'engager aucune polémique et de considérer comme clos l'incident que constitue la réaction boudeuse de FO? L'Association, quant à elle, laissa à ses membres leur liberté individuelle syndicale . Le titre de Directeurs fut reconnu aux Chefs de Division dès 1963 par le Ministre de l'Intérieur mais une simple circulaire du Ministre des Finances suffit à la supprimer. Ce fut, pour ma part, en mars 1964 que j'ai donné mon adhésion à l'Association. Elle était alors dirigée, depuis 1962, par Bernos qui avait succédé au Premier Président qui fut Etelin (Loiret). Honoré Bernos, Directeur de la Protection Civile en Seine et Oise (futures Yvelines) était un personnage haut en couleur, fort à l'aise avec tous et particulièrement prolixe. Dès octobre 1964, je lui écrivis pour lui réclamer des informations et lui suggérer divers points à inclure à notre cahier de revendications. Le 5 mars 1966, à Paris, j'ai assisté à ma première Assemblée Générale de l'Association. Elle avait lieu en principe tous les ans (puis tous les deux ans). Je fus empêché de participer à celle de Marseille, le 27 janvier 1968: j'étais en plein trajet de la Flamme Olympique; les jeux de Grenoble n'allaient pas tarder à commencer. Mais cela ne m'a pas empêché d'être élu au Conseil d'Administration! Dès lors, j'ai multiplié les entretiens téléphoniques et les correspondances, notamment avec Bernos, Dedrick, le Secrétaire Général de l'Association, Debert et Riffaud, du Syndicat FO, aiguillonnant les uns et les autres, les incitant à unir leurs efforts. J'ai participé aux Assemblées Générales du 15 novembre 1969, à Paris et du 21 novembre 1970, à Bordeaux. Là, nous tombâmes d'accord avec Dedrick pour considérer que les Chefs de Division ne pourraient obtenir satisfaction qu'en acceptant une diminution de leurs effectifs et une certaine sélection. La majorité de nos collègues étaient loin de partager cette opinion. Fernand Dedrick, intelligent, bel homme, assez satisfait de lui-même, était Secrétaire Général de l'Association depuis plusieurs années. Un peu comme Bernos, il paraissait flatté par la fréquentation des Préfets et Hauts-fonctionnaires des Ministères et soucieux de leur plaire. Il occupa longtemps une situation particulière et prééminente à la Préfecture de la Seine Maritime. En vue de l'Assemblée Générale de Caen, j'ai formulé un certain nombre de critiques et de suggestions. J'ai préconisé un renouvellement aussi large et démocratique que possible du Conseil d'Administration. Le 22 novembre 1972l cette suggestion a été suivie d'effet: Pierre Adans, du Calvados, a été élu Président, Lemière, Secrétaire Général et moi-même Secrétaire Général Adjoint. Le Trésorier Général fut Marceau Levêque puis Maurice Malin, son Adjoint. Pierre Adans, cultivé et sérieux, fut un Président actif et efficace avec lequel je m'entendis bien. Lemière fut promu au grade d'Administrateur Civil peu après. Levêque et Malin, collègues de qualité furent toujours assidus. Bernos et Dedrick ne m'en voulurent pas de les avoir un peu poussés vers la sortie. Bernos, en sa qualité de Président d'Honneur, continua à participer à nos travaux et à se montrer bavard. A l'occasion d'une réunion à Versailles, il m'accueillit chez lui, avec son épouse, comme un fils. Dedrick fut élu Président quelques années plus tard, lorsqu'Adans obtint sa retraite. Nous fîmes équipe dans de bonnes conditions. Dès la promotion de Lemière, j'eus à assurer les fonctions de Secrétaire Général de l'Association. Ma nomination, décidée en Conseil d'Administration, fut entérinée par l'Assemblée Générale le 7 octobre 1974. Sa réunion avait été repoussée en raison des élections présidentielles. Également parce que nous attendions les résultats de notre action. Pourquoi, cette action? Il nous faut remonter... à la Révolution et à Napoléon!... La création des départements français est à imputer à la Révolution, non à Napoléon Bonaparte. Mais c'est celui-ci qui a délégué le Préfet pour remplir, au nom du Gouvernement, une fonction administrative de gestion, de contrôle et de tutelle, parfois même de police. Le Préfet était également, avant la décentralisation de 1982, l'Agent du Département: il préparait les travaux du Conseil Général et assurait l'exécution de ses délibérations . Il disposait, pour assurer ses fonctions, de Commis peu nombreux, travaillant dans les bureaux de la Préfecture sous l'autorité d'un Chef de Bureau puis d'un Chef de Division, d'un Secrétaire Général. Ce personnel était reparti dans les Services de façon empirique et peu cohérente, selon les départements. Il fut étatisé et doté d'un cadre national en 1940. Bien que n'ayant jamais bénéficié d'une très grosse rémunération, il jouissait d'une certaine considération. Celle-ci est allée en s'amenuisant au fur et à mesure de l'accroissement des effectifs et, peu à peu, de la création de services spécialisés: Ponts et Chaussées, Inspections du Travail ou de la Jeunesse et des Sports, Anciens Combattants... Les Préfectures étaient assez jalousées et les Services extérieurs contestèrent vite la suprématie des Préfets qui ne s'étendait pourtant pas ni sur les Finances, ni sur l'Enseignement Supérieur, ni sur la Justice, ni sur l'Armée. Le Ministère de l'Intérieur perdit de l'importance et celui des Finances en prit... beaucoup! Les personnels des Administrations financières finirent par être imbus de leur importance. Ils se considérèrent comme plus utiles que les autres. L'attribution aux Chefs de Division de Préfecture du titre de Directeur fut contestée le 25 juillet 1962 dans une circulaire du Trésor Syndical: le Secrétaire Général de la Fédération des Finances s'opposa à ce que l'on instaurât une Administration sans nuances où ceux qui, à grand peine, assurent la rentrée des impôts, seraient au même point que ceux qui n'ont qu'à puiser dans la caisse!... (sic) En 1964, une réforme administrative s'efforça de permettre aux Préfets .d'exercer pleinement son rôle d'animation, de direction générale et de coordination des services publics dans le département.. Un nouveau service fut créé dans les Préfectures, celui du Service de la Coordination et de l'Action Économique. Sorte d'État-major Départemental, il préparait la programmation des Grands Équipements et l'attribution des Subventions de l'État. Par contre, la tutelle hospitalière et l'Action Sociale échappa à nos maisons: elles furent intégrées avec la Santé et quelques autres attributions à la Direction Départementale de l'Action Sanitaire et Sociale (la DASS). Comme pour la plupart des réformes, on n'alla pas au fond des choses en attribuant tous les moyens nécessaires. Les fonctionnaires concernés durent effectuer un effort constant d'adaptation au contexte administratif et économique. En 1966, les cadres supérieurs du gaz et de l'électricité dénoncèrent .le pouvoir occulte qu'exercent les Finances. Elles disposent, estimèrent-ils d'une autorité supérieure à celle du Gouvernement . Et la crainte de représailles fiscales les font respecter! De son côté, M. Albin Chalandon, un parlementaire non conformiste qui occupa un poste ministériel, considéra la France comme un pays traditionnellement si centralisé que l'on peut se demander s'il a jamais été une démocratie . Il s'éleva contre l'arbitraire du pouvoir et de l'administration. Le Gouvernement ne se risquait guère à toucher à la grille indiciaire des fonctionnaires pour éviter de bouleverser un édifice fragile et contesté de toute part. Il ne pouvait augmenter l'ensemble de leurs rémunérations qu'avec la plus extrême parcimonie car ils étaient nombreux et que la moindre majoration multipliée par leur nombre représentait un total impressionnant. Il préférait agir de façon plus ou moins occulte sur les indemnités forfaitaires n'ayant pas de répercussion sur les retraites. Un essai de séparation du grade et de l'emploi fut tenté dans les Ponts et Chaussées puis dans les Services fiscaux avec l'intention plus ou moins affirmée de l'étendre aux autres administrations. Bien que cela ait constitué l'opportunité d'obtenir de meilleurs traitements, les Syndicats y furent hostiles car ils refusaient de nouvelles sélections et redoutaient que la précarité des emplois fonctionnels ne favorisât l'arbitraire. Syndicats de Préfectures et Association des Directeurs avaient des positions analogues: ils réclamaient des majorations d'indice... mais pour tous, sans les inconvénients et les risques - supposés - de cette diabolique fonctionnarisation. Depuis 1963, les Chefs de Division plafonnaient à l'indice 585, avec une classe exceptionnelle, contingentée à 20 % de leurs effectifs, avec deux échelons dotés des indices nets ridiculement rapprochés 600 et 610. En 1966, le Conseil Supérieur de la Fonction Publique avait été saisi d'une proposition du Ministre de l'Intérieur pour fixer à 615 leur indice maximum. Au titre de la classe exceptionnelle ou d'un emploi fonctionnel? La question resta posée. Mais elle était subsidiaire et la décision essentielle fut elle-même ajournée. En 1969, au Ministère de l'Intérieur, M. Pandraud évoqua un projet de statut comportant un nouvel organigramme des Préfectures, 120 emplois dotés de l'indice 650 ou 630 et 180 à 200 emplois de Directeurs Divisionnaires avec normalisation de la classe exceptionnelle. On s'inspirait 1à des réformes en cours dans les Services fiscaux. Nous étions, à l'époque, environ 380 Chefs de Division. Commença alors une intense activité syndicale. Profitant de ma double appartenance, j'ai essayé de rapprocher les vues assez doctrinaires du Syndicat FO et celles parfois plus pragmatiques et souples de l'Association. Cela n'alla pas sans difficultés. Le Syndicat admettait mal une association catégorielle représentant seulement le grade le plus élevé de la hiérarchie, "les riches" aux yeux des subalternes. Mes démarches ne visèrent pas seulement le Secrétaire Général du Syndicat (Riffaud, puis Debert, puis Sirot) mais des collègues dont j'appréciais l'intelligence (Jacques Favier, de l'Yonne, qui fut membre du Conseil Économique et Social, Sastre, à Dijon, ancien responsable national CFTC, Lemoine, dirigeant de la mutuelle, mon prédécesseur à Nancy...). Mes interventions furent nombreuses et pressantes, par lettres et par téléphone, auprès de Bernos, Dedrick puis surtout d'Adans. En 1972 et 1973, il fut beaucoup question d'une mission d'Inspecteurs Généraux de l'Administration, .la mission Krieg . Nous n'eûmes qu'une connaissance officieuse et partielle du rapport qu'elle déposa. "Les Préfectures y sont assassinées", indiqua un de nos informateurs haut placé à une de nos collègues niçoises. Il y aura un arbitrage chez le Premier Ministre s'efforça-t-on de nous rassurer et les crédits nécessaires feront l'objet d'un avenant au budget 1974... En février de cette nouvelle année, l'Association adopta un texte préparé par Adans, longuement discuté, remanié et mis au point en réunion de Bureau et du Conseil d'Administration. Ce mémoire relatif à l'amélioration de la carrière des Chefs de Division, Directeurs de Préfecture fut imprimé et diffusé. J'en fus le Cosignataire. Il fut présenté à plus d'une quinzaine d'interlocuteurs Ministres, Secrétaires d'État ou membres de Cabinets Ministériels par Adans, alternativement accompagné par moi-même, Gontier, de Lyon, Dedrick, Bernos, Levêque, du Loiret ou Malin, du Cher. M. Chirac, alors Ministre de l'Intérieur, me parut intelligent, très vif d'esprit et direct. Il se déclara acquis à notre cause et favorable à 118 emplois à 650. Comme beaucoup de ses collègues Présidents d'un Conseil Général, il connaissait bien et estimait les Directeurs de Préfecture. J'ai rédigé à cette époque plus d'une douzaine de circulaires pour informer nos adhérents. Mon compte rendu moral à l'Assemblée Générale du 7 octobre 1974, à Clichy, coïncida avec le 20ème anniversaire de notre groupement. J'ai vainement suggéré la recherche de formes d'actions plus performantes... Après un insolite dépôt d'une fiche au Conseil Supérieur de la Fonction Publique, en décembre 1975, nous effectuâmes une démarche pressante auprès de M. Poniatowski, Ministre d'État, Ministre de l'Intérieur et de son Directeur de Cabinet, Jean Paolini. Notre affaire aboutit enfin à la publication de deux Décrets au Journal Officiel du 6 novembre 1977. L'appellation de Directeurs de Préfecture était officialisée 118 emplois fonctionnels de Chefs de Service Administratifs .des Préfectures étaient créés. Mais seulement 22 d'entre eux étaient dotés de l'indice 650, dans les Préfectures Chefs-lieux de Région. 96 autres plafonnaient à 630. La consultation du Comité Technique Paritaire Central nous fut promise: cela nous orientait vers une application assez souple de la réforme qui nous donna satisfaction. Elle prit effet au 7 novembre 1977 Avant la nomination des Chefs de Services Administratifs, les 2/3 des Directeurs avaient plus de 55 ans et, parmi eux, 1/3 étaient de classe exceptionnelle. La sélection fut opérée essentiellement en fonction de l'ancienneté de façon à permettre au plus grand nombre de bénéficier des nouveaux indices six mois au moins avant le départ en retraite ou, en tout cas, d'accéder à la classe exceptionnelle. Ce que nous recherchâmes, souvent en vain, ce furent des nominations à l'indice 650 sur des emplois de Préfecture de Région non pourvus pour des collègues affectés dans des Préfectures ordinaires. L'Administration procéda à quelques nominations pour ordre pour tourner la difficulté. J'en eus connaissance et en fis état. Grâce à la bienveillance du Préfet de la Région PACA, M. Somveille, que j'avais connu à Constantine et d'une demande de mise en retraite anticipée, j'ai pu personnellement en bénéficier en août 1982. Adans, retraité, fut remplacé à la Présidence de l'Association par Dedrick. Celle -ci se préoccupa de la définition et des responsabilités des CSA, d'une organisation nouvelle des Préfectures, des indemnités forfaitaires... Elle fit publier un mémoire tendant à ce que les fonctionnaires du Cadre Supérieur des Préfectures soient rigoureusement traités sur un pied d'égalité avec leurs collègues des Services Extérieurs: ce n'était encore pas le cas. L'Association s'inquiéta aussi des projets de décentralisation administrative. Ceux-ci aboutirent rapidement en 1981-1982 après 1'élection présidentielle sous 1'énergique impulsion de M. Gaston Deferre, Ministre d'État, Ministre de l'Intérieur et de la Décentralisation, Maire de Marseille. Les cadres et personnels des Préfectures allaient se trouver écartelés entre l'État, les Régions et les Départements. De nouvelles inégalités allaient être créées par des élus locaux au gré des circonstances et des affinités. Bien que n'ayant jamais appartenu à aucun parti, j'étais assez mal à l'aise dans un nouveau régime fortement politisé, décourageant les cadres, discréditant les valeurs, l'autorité et l'effort, favorisant les départs à la retraite à 60 ans, prônant l'égalisation absolue (surtout par le bas!), proscrivant toute répression, instaurant les 39 heures hebdomadaires même dans la police!!... J'exerçais depuis 11 ans mon mandat de Secrétaire Général de l'Association et commençais à m'en lasser. Je cherchais d'ailleurs à obtenir l'indice plafond en m'engageant à partir à la retraite au bout de six mois. Je finis par l'obtenir le 30 août 1982. Le 8 octobre 1983, retraité depuis 2 mois, je remis mon mandat de Secrétaire Général de l'Association lors de l'Assemblée Générale de Macon. Je fus remplacé par Lombard. De son côté, Leclerc succéda à Dedrick, également retraité. Je fus nommé Secrétaire Général honoraire mais n'ai plus guère joué de rôle actif en dehors d'une réunion dont j'ai favorisé la tenue à Nice en 1986.
J'ai longtemps été convaincu de la nécessité des Syndicats et de l'Association mais ai été déçu de constater qu'ils favorisaient surtout le conservatisme voire le favoritisme et qu'il se créait entre eux et l'Administration une sorte de complicité. Je n'ai jamais trouvé ce que j'y cherchais vraiment. Peut-être suis-je atypique? Nos milieux et nos valeurs professionnels étaient inégaux. Le corps préfectoral - et surtout les Secrétaires Généraux de Préfecture - maintenaient les cadres administratifs supérieurs dans une position subalterne même lorsqu'ils avaient besoin de leur compétence juridique et technique. Et nos personnalités n'étaient pas assez fortes pour s'affirmer... notamment dans le domaine de la rhétorique. Nous évoluions dans un cadre trop étriqué. Et Syndicats et Association étaient à notre image!...

En guise de bilan

A l'heure de la retraite, peut-être conviendrait-il d'établir un bilan de ce demi-siècle de participation à la Fonction Publique? Ce bilan devrait comporter un actif et un passif, c'est-à-dire recenser chacun des éléments positifs et des aspects négatifs, les évaluer, voire les chiffrer, les comparer et faire une balance. Ce serait un travail long, difficile, contestable, et nécessitant le recours à des experts. Je me contenterai, ici, de banales considérations d'ordre général et d'une appréciation globale. J'ai, de la Fonction Publique, une assez haute idée. J'estime qu'elle devrait occuper une place éminente dans la Nation. Il est bien possible qu'elle ne l'ait jamais obtenue même sous Napoléon Bonaparte. Elle est souvent méconnue, fort injustement considérée par ceux qui n'en font pas partie et systématiquement dénigrée. Elle s'est beaucoup dégradée au cours de ces dernières années. Premier point: elle souffre d'une grave crise d'identité. La vraie Fonction Publique est celle de l'État. En sont exclus: les Fonctionnaires Territoriaux et les Agents des Services Nationalisés. Bien qu'ancien syndicaliste, je me suis souvent demandé si elle ne devrait pas être réservée aux cadres supérieurs et moyens, à l'exclusion des Commis, dactylographes et simples employés de bureau. Une chose est, à mes yeux, certaine: la démocratisation, la multiplication des effectifs ne favorisent pas la qualité de l'ensemble. On le voit bien dans l'Éducation Nationale et même dans la société civile et, par exemple, les clubs de tennis. La "Culture" de masse de la télévision et des médias est insuffisante, néfaste, même, souvent. L'objectif de la Fonction Publique est l'Intérêt Général. Hélas, l'Intérêt Général est difficilement discernable. Il est souvent incompatible avec des intérêts particuliers au demeurant parfois fort légitimes. Troisième observation: le fonctionnaire même de très haut niveau, n'est pas entièrement libre de ses décisions. Celles-ci doivent respecter lois et règlements et tenir compte de l'ordre public, des traditions, des moeurs, bref de la société. Les grandes décisions sont prises par les Députés et les Sénateurs, au nom de l'État. Là aussi, l'inflation numérique n'est pas compatible avec la qualité. Et l'objectivité, l'intégrité sont parfois moins répandues dans les milieux politiques que dans la Fonction Publique. Élus et fonctionnaires sont souvent complémentaires et s'entendent parfaitement pour jouer leurs partitions respectives. De grandes inégalités ont toujours existé entre fonctionnaires selon leurs catégories: Administrations Centrales, Finances, Affaires Étrangères ou autres Ministères moins privilégiés. Elles se sont aggravées, d'abord avec la prolifération d'établissements semi-publics, ensuite après la décentralisation et les avantages consentis aux personnels territoriaux. Parmi les fonctionnaires du Ministère de l'Intérieur, ceux des Préfectures sont particulièrement jalousés. Ils comprennent une élite, le Corps Préfectoral et des Corps Administratifs dont se sert ou s'inspire le Premier mais qu'il considère comme de simples exécutants. L'Intérieur a tendance à privilégier le Corps Préfectoral, la Police et, depuis peu, la Protection Civile. La grille indiciaire des années 1945 est très contraignante. A partir de l'instant où l'on a été reçu à un concours, on est figé dans une catégorie où l'on n'avance que très lentement, échelon par échelon, généralement tous les deux ans et le plus souvent à l'ancienneté. La hiérarchie est lourde, très stricte. Faire preuve d'initiative et d'originalité est souvent mal vu aussi bien par les Chefs que par les pairs. Il y a beaucoup plus de Préfets que de Préfectures et de Généraux que de Divisions ou de Corps d'Armée. D'une manière générale, les fonctionnaires sont intègres et s'efforcent à l'objectivité. Ils s'accommodent tant bien que mal des contraintes qui limitent leur action. Bien entendu, au fur et à mesure qu'ils montent dans la hiérarchie, ils bénéficient de plus de pouvoirs, d'une considération accrue et de certains menus privilèges. Le vrai fonctionnaire n'occupe pas un simple emploi. Il est investi d'une mission. Simone de Beauvoir qui avoue publiquement avoir exercé des tâches d'enseignante uniquement pour des considérations alimentaires et sollicité des certificats médicaux pour obtenir des congés exceptionnels n'est pas digne de la Fonction Publique. Les rémunérations sont souvent inférieures à ce qu'elles devraient être. Le mérite n'a pas grande influence sur leur croissance et l'ancienneté ne les augmente que fort lentement. Les retraites sont probablement un peu plus avantageuses que dans le secteur privé mais doivent également être complétées par la capitalisation. Pour compenser la médiocrité des traitements, on accorde parfois aux fonctionnaires quelques décorations, hochets auxquels ils ne sont pas insensibles. Les responsabilités des fonctionnaires ne sont pas nulles. Elles sont souvent ressenties comme plus importantes que dans la réalité car le fonctionnaire est généralement très consciencieux, qu'il est très surveillé et qu'il a une salutaire crainte du gendarme. Les fonctions assurées peuvent être très variées, notamment dans les Préfectures mais chaque mutation exige de gros efforts d'adaptation. Certains fonctionnaires préfèrent les éviter et deviennent des spécialistes. J'ai connu à l'Aide Sociale un Chef de Bureau qui n'avait jamais perdu le contact avec son Service des aliénés initial et une collègue, Directeur de la Réglementation, qui continuait à exercer ses compétences de débutante à la Police Générale. Globalement, je ne me suis pas enrichi dans la Fonction Publique. Mais j'ai la satisfaction d'avoir exercé un métier intéressant et varié. J'ai eu l'occasion de rendre service à de nombreux usagers et j'ai probablement été plus utile à la Collectivité que beaucoup. J'ai eu une assez large part d'initiatives, de responsabilités et de satisfactions. De contraintes aussi, de travail et de déceptions. Mais toute médaille a son revers et la Bible ne nous a-t-elle pas enjoint de gagner notre pain à la sueur de notre front? La Fonction Publique appelle d'impératives réformes. Malgré sa masse et son inertie, je la crois perfectible, non pas une fois pour toute mais jour après jour. Il serait en premier lieu, indispensable d'améliorer le travail législatif, d'élaguer de nombreux textes, de restreindre le champ d'action de l'État, de faire strictement respecter ses décisions. Comme je l'ai suggéré dans mes derniers articles sur Sophia Antipolis, il conviendrait de constater la totale inadaptation de notre législation, de notre réglementation et de nos procédures à une bonne partie de la population. A défaut de pouvoir réformer rapidement la société, il faut limiter l'importance du droit strict, permettre aux responsables à tous les niveaux de s'en inspirer sans en être esclave, augmenter leur part d'initiative, de responsabilités et d'efficacité. Comme l'a souligné Casamayor en conclusion d'une série d'articles consacrés après mai 1968 à l'Administration, "les problèmes humains sont les plus importants". Il faut "développer la promotion du bas vers le haut et la considération du haut vers le bas". Personnellement, je verrais volontiers une multiplication des incursions de généralistes dans des Services entièrement colonisés par des spécialistes voire même l'attribution provisoire de missions publiques à des personnalités privées.

IV

Fermez le ban !..

1 - Rubans et médailles

J'ai toujours eu, pour les décorations, la plus respectueuse considération. Je ne les voyais pas autrement que militaires. Montant au front, dans les Abruzzes, avec des éléments de renfort destinés à reconstituer le 3ème Bataillon du 7ème Régiment de Tirailleurs Algériens, le 22 janvier 1944, j'admirais la batterie des médailles qui ornait la poitrine d'un sergent-chef de carrière. Il avait certainement été un valeureux combattant. Mais il était, alors, en proie à un funeste pressentiment. Il avait bu et il donnait le fâcheux spectacle de son désarroi. En queue de colonne, nous devions nous relayer pour le soutenir et l'aider à porter son paquetage. Affecté à la 10ème Compagnie du 7ème RTA, je n'ai eu qu'une courte carrière de combattant. Celle-ci se termina le 3 février, sur le Belvédère, dans le secteur de Cassino qui allait bientôt devenir célèbre. Je fus jeté à terre, brutalement, vers 10 heures, alors qu'à la tête de six hommes difficilement rassemblés, j'arrivais sur la crête qui nous avait été assignée. Seul, pendant deux heures, attendant des secours, je crus ma fin proche. J'eus une pensée pour mes parents et "des galons d'aspirant bien mérités". Mais j'étais loin d'imaginer que j'allais obtenir la Croix de Guerre avec palme puis la Médaille Militaire. Ce fut la Générale de Monsabert qui, visitant l'hôpital de Blida où j'avais fini par arriver, s'étonna d'apprendre que je n'étais pas décoré. Elle m'assura qu'elle allait faire réparer ce qu'elle considérait comme un fâcheux oubli. Le 29 juillet, une lettre de mon ancien Commandant, le Chef de Bataillon E. Peponnet, me précisa qu'il m'avait proposé pour la Médaille Militaire et évoqua "ma citation du Belvédère". Une telle proposition fut effectivement signée par le Général de Monsabert, commandant la 3ème Division d'Infanterie Algérienne du Corps Éxpéditionnaire Français" en Italie, lui-même rattaché à la 7ème Armée Américaine du Général Américain Clark. Cette citation, à l'ordre de l'Armée, devint officielle le 7 novembre 1944 sous la signature du Général de Gaulle. Elle comporta l'attribution de la Croix de Guerre. Le 15 décembre, un capitaine blidéen en relation professionnelle avec papa, à la Banque de l'Algérie, lui remit l'extrait du JORF du 16 novembre 1944 me concernant. Cette citation comporte plusieurs inexactitudes. Elle ignore notamment mes fonctions habituelles de Chef de Section et la réalité de nos ultimes attaques avec le Lieutenant Lederman sur deux objectifs voisins avec les débris de notre compagnie.

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En ce qui concerne la Médaille Militaire, ce furent deux Chefs de Division de la Préfecture de Constantine qui relancèrent la proposition et la firent aboutir (Décret du 18 avril 1950 - JO du 21): Georges Pageaux et Maurice Lacroix, Officiers de réserve à 5 galons. Les cartes de félicitations du Préfet Maurice Papon et de Maurice Lacroix me firent particulièrement plaisir ainsi que la visite d'un trio de jeunes et jolies collègues rédactrices. Un article élogieux: "Un camarade à l'honneur" fut publié à mon sujet dans la publication mensuelle du Syndicat du Personnel, "Notre Bulletin". J'en étais le rédacteur en chef mais mon prédécesseur, Robert Maury, lui-même ancien combattant et blessé de guerre, s'arrangea pour m'en faire la surprise.

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A la Préfecture de Constantine, j'entendis souvent brocarder le goût de certains pour les décorations civiles et la facilité ambiguë avec laquelle on pouvait "ramasser" le Nicham Iftikar: je ne l'ai pas sollicité et personne ne me l'a décerné! Aux services techniques du matériel de la Sûreté Nationale en Algérie, la tâche fut lourde et parfois dangereuse. J'étais pourtant loin, à l'époque, de penser qu'elle pouvait être assimilée à des services de guerre. A la même époque pourtant, un collègue métropolitain en mission en Algérie, obtint la Légion d'Honneur pour avoir, pendant "les événements", alors qu'il était en service à la Préfecture de Bône, participé à un vol en hélicoptère: il me l'apprit lui-même plus tard, à Nice, où nous nous retrouvâmes.

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Le 30 septembre 1964, le Cabinet du Préfet des Alpes-Maritimes m'invita à lui renvoyer "avant le 3 octobre et dûment rempli" un mémoire de proposition pour le grade de Chevalier de l'Ordre National du Mérite. La formule administrative, sèche et péremptoire, était bien dans le style de M. Pierre Jean Moatti. Mais elle confirmait les compliments manuscrits dont il avait annoté mon premier rapport d'activités du 19 août 1964 (j'étais alors Directeur des Rapatriés). L'Ordre du Mérite avait été créé moins d'un an auparavant par le Général de Gaulle. Il était destiné à limiter les attributions de Croix de la Légion d'Honneur. Il paraissait encore peu prisé. Dilette m'incita à refuser une décoration instituée par "le bradeur de l'Algérie Française" mais je ne crus pas devoir suivre ce conseil impulsif. La proposition fut renouvelée tous les six mois. Le 7 juillet 1966, le Préfet Jacques Aubert, un ancien "patron" à Constantine puis à Alger, alors Directeur du Cabinet du Ministre de l'Intérieur, m'avisa de ma prochaine promotion. Celle-ci fut concrétisée par un décret du 16 décembre 1966. J'eus à acquitter dix francs au titre des droits de chancellerie et, le 6 janvier 1967, à l'occasion "des voeux", je fus décoré par le Préfet Moatti, avec plusieurs autres récipiendaires, dans les magnifiques salons du Palais de la Préfecture. La Croix me fut offerte par mes collaborateurs de la Direction des Rapatriés.

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A l'issue des Xe Jeux Olympiques d'hiver de Grenoble qui furent un grand succès national, le Directeur Général du COJO et son Secrétaire Général furent décorés de la Croix de la Légion d'Honneur. Plusieurs de mes collègues furent honorés de l'Ordre National du Mérite. Étant déjà titulaire du ruban bleu depuis peu, j'obtins "à titre exceptionnel" la médaille d'Honneur de la Jeunesse et des Sports (arrêté ministériel du 11 mars 1968). La médaille d'argent me fut attribuée au titre de la promotion du 1er janvier 1976, le Chef de Bureau du Cabinet du Ministre étant alors Alexandre Vinokouroff, un ancien collaborateur du CATI d'Alger.

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Quelques années plus tard, deux collègues de la Préfecture des Alpes-Maritimes, ayant des titres militaires inexistants ou inférieurs aux miens furent promus dans l'Ordre National de la Légion d'Honneur. A l'occasion d'une visite que je rendis, à Paris, au Préfet Jean Paolini, Directeur du Cabinet du Ministre de l'Intérieur, je lui ai confié "ma faiblesse" pour une telle décoration. Sur sa suggestion, son collègue Pierre Lambertin me proposa dans les premiers jours de 1979. J'en fis part, en juillet, à un autre de mes anciens patrons, Maurice Papon, alors Ministre du Budget. Celui-ci appela, à son tour, l'attention de son collègue de l'Intérieur sur ma candidature. Par décret du 28 décembre 1979, je fus nommé au grade de Chevalier de la Légion d'Honneur: j'avais 37 ans de Services Civils et Militaires. La Croix me fut remise par mon Préfet qui décora par la même occasion son Secrétaire Général, Édouard Lacroix, promu Officier de l'Ordre National du Mérite. Nice-Matin confondit les deux ordres et, pour éviter un rectificatif, me consacra quelques jours plus tard, un nouvel article: "Un hommage rendu au SYMIVAL": la Légion d'Honneur de M. Fouich". Le 9 février 1980, j'ai affrêté pour quelques amis personnels, un petit car. Je leur ai fait visiter Sophia Antipolis et leur ai offert une coupe de champagne au Novotel. J'ai reçu un abondant courrier de bien agréables félicitations.

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Le 28 février 1989, Claude Girod m'annonça téléphoniquement que le Journal Officiel venait de publier ma promotion au grade d'Officier de l'Ordre National du Mérite. Cela me surprit car personne ne m'avait indiqué que j'avais été proposé et je n'avais pas eu, comme précédemment, à signer une déclaration de candidature. J'appris qu'ayant l'ancienneté requise, la Grande Chancellerie avait demandé l'avis du Préfet Pensa. Celui-ci ayant été favorable, l'affaire avait normalement abouti. Cela me fit plaisir. J'en fis part à un camarade de club, journaliste à Nice-Matin. J'eus droit à un bel article qui m'attira quelques félicitations (bien moins nombreuses cependant que pendant mes périodes d'activité...). N'ayant plus d'obligations quant au choix de la personnalité devant me remettre l'insigne de mon grade d'officier, je choisis comme parrain un ami, le Général Ivan Belasco avec qui j'avais travaillé à Sophia Antipolis. La cérémonie eut lieu au restaurant interentreprises des Bouillides. Alain Catroux, mon successeur au SYMIVAL, fut notre hôte. J'avais limité les invitations à une trentaine de personnes sympathiques de mon entourage professionnel, en excluant élus et grands patrons. Jean-Marie Ciais, l'imprimeur de "Symival Actualités" et éditeur de mon livre s'était joint à eux ainsi que Paul et Hélène Lafage. Ces vieux amis d'Alger venus spécialement de Marseille, nous firent la surprise de nous accueillir à Sophia où ils étaient arrivés quelques instants avant nous. Le discours d'Ivan Belasco fut chaleureux et impressionna mes jeunes collaborateurs de "Symival Actualités". Je répondis avec simplicité et un peu d'humour.

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Me voici donc, à mon tour, titulaire de nombreuses décorations. Je ne dispose pas, matériellement, de la totalité des rubans et breloques correspondants. Cela ferait une assez belle batterie à arborer et de nombreux diplômes à encadrer... J'en suis assez fier mais je sais combien il faut en relativiser la valeur. Dans l'ordre réglementaire - qui n'est ni celui de leur attribution ni celui de mes mérites - je devrais les porter dans l'ordre suivant:
- Croix de Chevalier de la Légion d'Honneur - Médaille Militaire - Croix et Rosette d'Officier de l'O.N.M. - Croix de Guerre avec palme - Croix du Combattant - Médaille Commémorative de la Campagne d'Italie avec barrette étoilée des blessés de guerre - Médaille d'argent de la Jeunesse et des Sports.

2 - Ecrire...

J'ai toujours eu le goût d'écrire et admiré le style des grands écrivains. En classe de première, au lycée Bugeaud, j'avais, pour l'écriture, une certaine facilité. Mon style avait fait l'objet d'appréciations flatteuses de mon professeur d'histoire et de géographie, M. Joulain. Il s'est, par la suite, alourdi, dans l'Administration. Encore actuellement, je dois surveiller mon orthographe, longtemps mauvaise. Elle s'est améliorée, comme par miracle, vers ma douzième année. Mes accords du subjonctif restent incertains et j'ai tendance à éviter ce mode de verbe car il me paraît pompeux et suranné. J'ai besoin de beaucoup travailler, de raturer, de perfectionner. Je dois "cent fois sur le métier, remettre mon ouvrage". Mais je suis souvent impatient, vais un peu trop vite, fais plusieurs choses à la fois: il arrive que je me libère de textes insuffisamment corrigés. Il semble me souvenir qu'enfant, avec Janine, ma soeur, nous écrivions un petit journal. En novembre 1939, Achille Arnold, plus âgé que nous, partit pour effectuer son service militaire à Constantine. Il avait réuni chez ses parents plusieurs de ses nombreux amis. Et j'avais, à cette occasion, rédigé un petit discours que je lus au dessert. J'en ai encore le texte!. Après l'armistice, je fus à mon tour appelé aux Chantiers de la Jeunesse. Le service national ne dura que 6 à 7 mois. Je fis ensuite partie d'une association d'Anciens à Blida. Cela me donna l'occasion d'écrire, dans le Bulletin des Chantiers, mon premier article imprimé. J'y évoquais le Maréchal Pétain "droit comme un I". Le Chef de l'État français - qui jouissait d'un très grand prestige auprès des Indigènes - était venu à Alger où avaient été rassemblés les jeunes des Chantiers arrivés de leurs cantonnements respectifs, après de longues marches pédestres. J'y avais moi-même participé et me souviens avoir beaucoup souffert dans les derniers kilomètres d'une étape qui en compta quarante et se termina par la rude montée de Miliana. Du 8 décembre 1943, date de mon départ pour le front au 27 février 1944, jour de mon retour à Blida par train sanitaire, j'ai tenu un carnet de route où j'ai mentionné brièvement mes activités militaires puis guerrières et hospitalières. Le 3 février 1944, blessé sur le Belvédère, dans le secteur de Cassino, j'avais pu y inscrire au crayon un message pour mes parents. J'y faisais allusion à mon demi-échec de Cherchell, qui me tenait décidément à coeur... J'eus la chance de pouvoir conserver ce carnet. Au cours de ma convalescence, en mai 1944, j'en ai fidèlement reproduit le texte sur un cahier d'écolier, en l'étoffant légèrement, d'après mes souvenirs encore frais, "sans le modifier ni l'enjoliver". A la Préfecture de Constantine, je devins rapidement Secrétaire Général du Syndicat du Personnel. Ces fonctions me procurèrent de nombreuses satisfactions grâce à l'esprit de camaraderie qui régnait parmi nous, à l'indépendance du Syndicat depuis la scission CGT-FO, à l'adhésion d'environ 95 % du personnel et, aussi, à l'estime de mes Chefs. Je fis imprimer par un fournisseur de la Préfecture, M. Braham, "Notre Bulletin", une publication mensuelle 15 x 25 qui suscita l'intérêt de nos adhérents, celui du Corps Préfectoral mais aussi celui des deux autres Préfectures Algériennes et du Gouvernement Général. J'en étais le rédacteur principal. Sur l'un des numéros de ce bulletin, j'ai risqué un éditorial contestant l'utilité des "éléments de réponse" trop fréquemment réclamés par le Cabinet du Préfet à chacune des incessantes interventions d'élus. Cela me valut une sévère diatribe de mon Secrétaire Général, Pierre Jean Cazejust. J'y répondis non moins fermement - quoique très inquiet - deux fois plus longuement. Sur un autre numéro de "Notre Bulletin", Robert Maury, mon prédécesseur au Syndicat, lui-même ancien combattant et mutilé de guerre, me fit la surprise d'un article en première page, "un camarade à l'honneur" à la suite de ma médaille militaire. Avec d'autres documents et divers éléments de notre mobilier, ce bulletin est resté à Alger et je n'ai pas réussi à en récupérer un seul exemplaire!... Plus tard, à "Notre Bulletin" se substitua, avec mon accord, un organe syndical commun aux trois Préfectures d'Alger, d'Oran et de Constantine dont les Syndicats s'unirent au sein d'un Comité d'Entente. A deux ou trois reprises, j'eus l'occasion d'écrire pour la revue du Syndicat National FO des Préfectures. J'y fis, notamment, le compte-rendu du séjour que j'avais organisé, en 1956, de trois responsables nationaux. Je n'ai pas manqué d'y évoquer la réponse du Préfet à une question que je lui avais posée en leur présence pour qu'il réfute une perfide allusion d'un grand quotidien parisien quant au coût de la présence française en Algérie: sensiblement l'équivalent du déficit annuel de la SNCF. A la Préfecture de Nancy, je fis, es-qualité, publier un opuscule 15 x 21 dont j'avais fait préparer le texte sur les diverses aides sociales. J'avais commencé un texte sur les rapatriés mais je n'ai pas eu le courage de le mener à terme. Au Comité d'Organisation des Xèmes Jeux Olympiques d'hiver, j'ai rédigé le rapport d'activités qui m'avait été demandé; l'essentiel a été repris dans le rapport officiel. Celui-ci a fait l'objet d'un ouvrage luxueux hors commerce tiré à 3000 exemplaires et achevé d'imprimer en mai 1969 ("Grenoble 1968" Citius - Altius - Fortius". Début 1964, peu avant mon arrivée à la Préfecture des Alpes-Maritimes, le Préfet René Georges Thomas avait demandé l'édition d'un Bulletin mensuel d'Information. En moins d'un mois, je fis dessiner une maquette de couverture, adopter le projet d'éditorial et publier le premier numéro de ce bulletin d'information jumelé au traditionnel recueil des Actes Administratifs. Bien évidemment, le "Bulletin d'information et R.A.A." rendit compte des principales manifestations et réunions officielles. J'essayais d'aller à l'essentiel, de clarifier, de synthétiser. J'évitais d'alourdir les comptes-rendus par la liste fastidieuse des participants mais ne pouvait manquer de citer régulièrement Préfet et Président du Conseil Général. J'en devins en quelque sorte l'historiographe. Cela ne manqua pas de faire tiquer le Sénateur Joseph Raybaud, éternel rival de Francis Palméro. Les articles de Nice-Matin me servirent beaucoup. Je les découpais régulièrement et obtins du quotidien local, certaines plaques en aluminium pour la reproduction de photographies et d'illustrations Dans la partie "Actes Administratifs", je me suis efforcé de faire remplacer certains arrêtés par un résumé mais cela était-il tout à fait légal?. Au surplus, cela exigeait des services un travail supplémentaire. Je me suis contenté de supprimer certains considérants ou visas fastidieux et, surtout, d'ajouter un titre synthétique. Il y aurait beaucoup à faire dans le domaine de la publicité légale mais quel grand Chef aura jamais le loisir de s'occuper de petites choses? ("De minimis non curat praetor"). Le Préfet Thomas me demanda aussi de publier le premier annuaire administratif des Alpes-Maritimes. Ce fut une lourde tâche, toujours à actualiser qui rendit de grands services non seulement aux fonctionnaires mais au public. Certains officiels m'ayant suggéré d'inclure dans l'annuaire un "trombinoscope", je fis publier dans le Bulletin d'Information, au fur et à mesure de leur arrivée dans le département, la photographie des Chefs de Service. J'eus encore à participer à la préparation d'un ouvrage collectif et illustré sur les Alpes-Maritimes. Cela exigea deux ans de travail et me valut mes premiers 500 F de droits d'auteur. Comme au CATI pour les cadeaux commerciaux, je ne les ai pas accepté sans me poser beaucoup de questions tant, comme beaucoup de fonctionnaires, j'étais jaloux de préserver mon indépendance et mon intégrité. J'eus également à rédiger, tout au long de ma carrière - y compris lorsqu'assez rapidement j'ai été promu Chef de Bureau puis Chef de Division - lettres, notes, rapports, discours, éditoriaux voire articles. J'ai, bien sûr, souvent été rectifié, complété ou censuré par mes Secrétaires Généraux, mes Préfets, mes Présidents dont plus d'une fois, j'ai été "le nègre". Je ne me souviens pas de textes notables écrits lors de mon passage à la DECE après mon départ du Cabinet. Par contre, au SYMIVAL, en dehors ou dans le cadre de mes fonctions de Direction administrative et financière, j'ai pas mal "pondu", ayant un certain sens de "la communication" Utilisant les relations que je m'étais faites au Cabinet, j'ai tout d'abord donné une interview à la Tribune Économique des Alpes-Maritimes, un organe d'annonces judiciaires et légales. Ce texte fut publié en première page, sur trois colonnes le 9 août 1975. "M. Robert Fouich présente SYMIVAL". Le sous-titre "Les Grandes interviews de la Tribune" n'était pas de mon cru. Bien pompeux, il n'était pas tout à fait exact: questions et réponses avaient été intégralement réalisées par mes soins?!... J'ai fait publier la première plaquette de présentation du Parc et de ses aménageurs en juillet 1977. Elle fut plusieurs fois rééditée. Elle a inspiré les listes d'entreprises implantées à Sophia de la CCI ainsi que les guides de l'Association Sophia Antipolis. Au cours de l'année 1979, j'ai soumis à la signature du Président Palméro trois lettres d'information destinées aux Administrateurs Syndicaux. De 1980 à 1985, j'ai élargi cette information aux élus (Députés, Sénateurs et Conseillers Généraux) à certains Maires et aux chefs de Service Administratifs. Fin 1982, j'ai personnellement signé un article, après ceux que j'avais préparé pour mon Président ou sollicité des Préfets, Présidents du Conseil Général, de la CCI ou de l'Association Sophia Antipolis: "La Symphonie d'un nouveau monde". En février 1983, j'avais obtenu, dans les meilleurs conditions, ma retraite des Préfectures. Je n'avais pas souhaité poursuivre mes (trop lourdes) fonctions de Directeur du SYMIVAL et avais accepté des fonctions à temps partiel de Conseiller Technique. En 1984, j'ai fait éditer le premier plan-guide du Parc de Valbonne Sophia Antipolis pour contribuer à une meilleure orientation des usagers et visiteurs du Parc. Claude Girod (avec qui j'avais été en contact quotidien depuis septembre 1975) estimait que l'expérience des anciens constituait un capital devant être exploité par la société après leurs périodes de pleine activité. Il m'avait suggéré l'idée d'écrire l'histoire de Sophia Antipolis, souvent déformée à leur profit par plusieurs de ses éminents artisans, en collaboration avec Maurice Bosquet, ancien Président de la Mission Interministérielle. L'idée fit son chemin. Elle prit corps lorsqu'une amie de jeunesse, Denise Valéro, chercha à faire éditer une histoire romancée qu'elle avait elle-même écrite sur un ancien sultan marocain. Je voulus tenter l'aventure à titre personnel malgré ses risques. Elle n'était pas incompatible (bien au contraire) avec le contrat que m'avait confié Francis Palméro. Je me mis à l'ouvrage avec continuité, après avoir fait part de mon projet à diverses autorités ou anciens collègues susceptibles de m'éclairer. Je réunis le plus de documents possibles et entrepris diverses recherches, notamment aux archives départementales où je pus consulter les comptes-rendus sténodactylographiés des débats au Conseil Général. Je pris contact avec diverses personnalités et les ai questionnées. Jour après jour, souvent au lever, j'ai consciencieusement noirci du papier. Suis-je devenu un auteur, un écrivain ou un simple plumitif, terme dédaigneux dont le Colonel de Rosnay, Commandant du Groupement de CRS d'Alger, qualifiait "les administratifs"? Il me fallut près de deux ans pour mettre au point mon manuscrit. Je parvins à le boucler et ce fut un premier succès. J'en avais, plus d'une fois, douté. Je continuais à me poser de nombreuses questions sur la façon de le faire éditer, sur les risques financiers d'une impression à compte d'auteur, sur les problèmes de promotion et de commercialisation... J'avais pris connaissance d'une étude de la revue "Lire" sur l'art d'écrire et de se faire éditer. J'avais aussi lu avec attention le guide pratique de l'écrivain rédigé par Jean Guinot, un universitaire prolifique. J'en retins que "le livre représente moins de 1% de l'économie nationale, que "le Français consomme 92 kg de viande, boit 17 litres d'alcool et lit la moitié d'un livre par an". "300 écrivains professionnels seulement tirent de la littérature des revenus dont la moyenne correspond au salaire d'une secrétaire..." Bref, rien de bien encourageant! Le tour des éditeurs locaux fut vite fait: deux visites assez décevantes. J'avais bien évidemment fait part de mon projet à l'imprimeur avec lequel je travaillais au SYMIVAL et à son fils, devenu un ami, qui était sur le point de lui succéder. Ils se déclarèrent intéressés. J'ai commencé la rédaction de mon livre en janvier 1984. En avril 1985, il fut convenu que Jean-Marie Ciais l'éditerait. Je lui remis le manuscrit le 31 juillet et eu à corriger les premières épreuves le 26 août 1986. Il y eut plusieurs aller et retour entre le sous-traitant Cannois chargé de la composition et moi-même. J'ai effectué les dernières corrections le 3 octobre, pressé d'aboutir car estimant le moment favorable pour la publication de mon ouvrage. Une ultime relecture par un tiers aurait permis de remédier aux 200 "coquilles, fautes vénielles et moins vénielles" relevées à ma demande par Jo, mon beau-frère qui maniait parfaitement la langue française. L'impression commença le 18 octobre, le pliage le 24; la sortie des 150 premiers exemplaires eut lieu le 29 octobre. Mais Jean-Marie Ciais fit réimprimer la jaquette qui comportait quelques légers défauts techniques qu'en professionnel perfectionniste, il ne pouvait accepter. J'avais choisi le sous-titre "A la conquête de l'An 2000" après de laborieuses recherches. J'y ai songé en pensant à un ami montagnard (Gérard Pons). Il fut utilisé ultérieurement par Nice-Matin pour un encart publicitaire sur la vie des entreprises. Mon cousin Roby m'ayant signalé le plagiat, j'en ai fait la remarque au quotidien local mais mon titre (et d'ailleurs l'oeuvre elle-même) n'avait pas fait l'objet des formalités de copyright et dépôt légal. Le 5 novembre 1985, Jacques Médecin présenta mon livre au cours d'une réception organisée par les services départementaux dans les locaux du Conseil Général. Pierre Laffitte, évidemment, plusieurs élus, haut-fonctionnaires et journalistes y assistaient. Je pus obtenir pas mal d'annonces dans différents titres surtout locaux. Surtout J.C. Vérots, un excellent journaliste de Nice-Matin qui avait écrit en 1969, le 29 avril, le premier article sur Sophia Antipolis, me fit l'honneur d'une élogieuse critique. En novembre, j'ai effectué moi-même la livraison d'ouvrages en dépôt-vente aux librairies "Logos" de Sophia Antipolis, à "la Sorbonne" à Nice et à Cannes, à Antibes aussi... J'ai fait livrer le Conseil Général, le SYMIVAL et le BIAM dont, à ma demande, les Assemblées responsables, avaient passé d'importantes quantités de mon livre. L'imprimeur n'avait pas donné suite à un projet de convention que je lui avais soumis en septembre. Il avait estimé que les frais d'impression seraient rapidement couverts par les commandes officielles. Il avait plus ou moins admis que je pourrais bénéficier du pourcentage revenant à la commercialisation que j'assurerais moi-même. J'ai fixé à 120 F le prix de vente au public, à 80 F le prix libraires et collectivités. Le 8 novembre, aux Gémeaux, Dilette et moi avions convié quelques amis - dont l'éditeur et son épouse Denise - pour fêter la sortie de mon livre. Tous sont restés longuement avec nous et la soirée fut joyeuse. Par timidité, j'ai cependant refusé de répondre devant tous à l'amicale interview de Denise Valéro. Finalement, j'ai retiré d'assez substantiels droits d'auteur payés par acomptes en 5 ans (pour des raisons fiscales et pour faire de la trésorerie à Jean-Marie). Mais, si j'ai pu suivre occasionnellement avec sa secrétaire, la progression des recettes, je n'ai jamais pu obtenir le moindre bilan. Pour le solde, Jean-Marie parut avoir des regrets découvrant tardivement l'importance de mon bénéfice!... Les ventes en librairies furent limitées à environ 400 exemplaires et les ventes par correspondance chez l'éditeur à 200. Une ou deux fois, j'ai connu les affres de séances de signature où l'on ne se bousculait pas. C'est évidemment à la librairie Logos, au coeur de Sophia Antipolis que j'ai connu le plus de succès mais j'avoue en avoir attendu davantage. Il est vrai que mon livre n'avait pas visé le grand public. J'avais, au contraire, volontairement entendu laisser une trace objective et détaillée d'une réussite collective abusivement revendiquée par quelques-uns pour leur gloriole exclusive. Mais mon livre a beaucoup servi aux journalistes, aux étudiants, aux aménageurs éventuels. Il a été largement diffusé dans le monde (Oslo - Rio de Janeiro - Tunis...). Il figure dans plusieurs centres de documentation, banques de données et bibliothèques (à la DATAR, dans des Ambassades, des Universités, des Préfectures...). On m'a plusieurs fois suggéré de le rééditer ou d'en écrire une suite mais je me suis contenté d'articles de synthèse. Et il aurait fallu que j'y consacre encore beaucoup de travail, que je me dote d'un équipement informatique de traitement de texte... A compter de décembre 1985, en ma qualité de Conseiller Technique au SYMIVAL et à la demande de Pierre Donnet, nouveau Président du Syndicat Mixte et de son Directeur (mon successeur, Alain Catroux) j'ai créé "Symival Actualités". Ce fut un excellent bulletin trimestriel qui a remplacé les lettres annuelles ("SYMIVAL AN VII" à "SYMIVAL AN XII"). J'ai demandé à Jean Brua, un journaliste de Nice-Matin d'en établir les premières maquettes et de donner à certains titres une allure plus professionnelle. J'ai toujours moi-même choisi les thèmes à traiter, rédigé la plupart des textes, choisi les photos et les illustrations. J'ai recherché un dessinateur et, par Catherine Bommelaer, ai eu l'occasion de faire travailler des jeunes, Frédéric Grossi, Laurin et Éric Coligaris). Pour deux articles, j'ai fait appel à un journaliste pigiste, Jean-Jacques Antier, puis à deux stagiaires, Marc Brua et Marie Hélène Monge. Avec Jean-Marie Ciais, nous nous sommes efforcés de les guider, de canaliser leur enthousiasme, de les former, d'éviter leurs erreurs... J'ai traité à plusieurs reprises le thème de "Sophia Antipolis dans la bataille de l'emploi" pour faciliter les démarches difficiles des jeunes cherchant à entrer dans la vie active. Dans mon enquête sur "l'Habitat Sophipolitain", pour la première fois j'ai, timidement, dénoncé quelques unes des erreurs commises pour inciter des responsables à y remédier. J'ai réalisé (questions et réponses) une interview de Jacques Médecin. Ayant réussi à l'isoler dix minutes, j'ai pu vérifier combien l'entourage fabrique les personnages et attise inutilement "la guerre des Chefs". J'ai consacré un numéro spécial aux "20 ans de Sophia" que j'ai été le premier à fêter (un peu à l'avance!). J'ai essayé de promouvoir les communes membres du SYMIVAL et les notables locaux: une photo de notables (disparus) considérés comme des pionniers a donné l'occasion à mon ancien Préfet de faire preuve de quelque mesquinerie... Dans un article intitulé "De minimis non curat praetor", je me suis moi-même hissé au rang "du prêteur, du Chef, de l'édile" en écrivant "Et bien, il a tort..." au lieu de "Eh bien, il a tort...". Peu à peu Symival Actualités - dont la parution fut très régulière - fut officiellement immatriculé comme organe de presse. Il devint une véritable revue, de bonne qualité après avoir abandonné une couleur froide (le vert) pour l'ocre, couleur chaude (et un noir jugé funèbre). Finalement, la quadrichromie fut adoptée bien que plus coûteuse. Pierre Donnet et Alain Catroux en furent satisfaits. Mais, peu à peu, quelques divergences apparurent avec la SAEM (et son éphémère Directeur René Bouronne). On me reprocha à mots couverts mon souci d'oecuménisme, notamment lorsque j'accordais une (juste) part à Pierre Laffitte. Je ne fus pas informé de la recherche d'un nouveau logo pour Sophia Antipolis alors que je faisais moi-même moderniser par mes jeunes celui du SYMIVAL esquissé par Francis Palméro et plusieurs fois amélioré par Jean-Marie Ciais à ma demande. Finalement en août 1990, j'ai décidé de prendre une retraite complète. La transition, entre ma semi-activité et ma retraite intégrale fut plus aisée que je ne l'avais craint. D'abord, nous partîmes à la Preste où Dilette dut recommencer une série de cures thermales. Ensuite, on me demanda si je pouvais fournir certains articles ou interventions sur Sophia Antipolis. J'ai évidemment accepté car cela me flattait et me donnait l'occasion de synthétiser et d'actualiser mon livre. Le premier article me fut commandé par Jean-Marie Mangou, ancien Directeur des Services Fiscaux dans les Alpes-Maritimes. Cet article devait être publié en septembre. Il fut prêt avant mon départ du SYMIVAL. Destiné à la Revue de la Société de Géographie de Marseille, il évoquait bien évidemment les relations de Nice et de sa rivale, chef-lieu de Région. Il fut publié en février 1991. J'en fus assez fier: bien que le tirage ait été limité à 300 exemplaires, la revue est publiée sous la direction d'un professeur à l'Université d'Aix-Marseille. Au surplus, Ferdinand de Lesseps fut Président d'Honneur de la Société (que de titres de gloire pour quelqu'un qui a failli être l'arrière petit-fils de Gustave Eiffel!...). Le deuxième article me fut proposé par la Directrice des Archives Départementales pour la revue trimestrielle "Mesclun" (Culture et tradition dans les Alpes-Maritimes). Ce jeune Chef de Service préféra s'adresser à moi (fonctionnaire donc en principe objectif) plutôt qu'à un élu risquant de s'attribuer un peu généreusement l'exclusive paternité de Sophia Antipolis. Bien évidemment, la revue étant publiée par l'Office Départemental d'Action Culturelle, sous l'égide du Conseil Général, je mis un certain accent dans mon article sur le rôle des élus départementaux dans l'aménagement de la technopole. Comme quoi l'objectivité des organes de presse est toujours quelque peu orientée! En l'occurrence, et en dehors de l'objectivité, on peut constater que l'Administration départementale n'est pas en mesure d'assurer la régularité de ses publications: l'article m'avait été demandé pour fin 1990; par suite des carences de l'éditeur, il a subi des retards successifs; j'en ai corrigé les épreuves en juillet 1991 et en espère encore la parution... retardée par une polémique publique entre les autorités locales et le Préfet Yvon Ollivier quant à l'extension de Sophia Antipolis. Troisième opportunité: une invitation du Recteur de l'Université de Pise à participer à un Congrès organisé par ses soins sur le thème "Universités et Technopoles". J'avais été en contact avec M.G.F. Elia le 5 juillet 1989 à l'occasion de sa "recherche sociologique sur la ville de Sophia Antipolis". Il avait pris connaissance de mon livre et souhaité que je contribue à le renseigner. Le Congrès devait avoir lieu en février mais il fut repoussé en avril à cause de la guerre du Golfe (qui nous priva d'un second voyage en Égypte!...). Dilette m'accompagna à Pise. Nous y fûmes surpris par une vague de froid et de mauvais temps mais bénéficiâmes de la gentillesse et de la générosité de l'hospitalité italienne. Mon exposé avait été programmé aussitôt après celui du Recteur, avant celui de Ludmila Spyridakis, Collaboratrice de Pierre Laffitte, de celui du Professeur Lebraty au CERAM et de nombreux autres intervenants étrangers et surtout italiens: Sophia Antipolis est en effet un exemple à suivre pour ces derniers. M. Elia en profita d'ailleurs lui-même pour publier un ouvrage sous-intitulé "Sophia, je t'aime!". Je fus écouté avec attention. Par contre, je n'ai moi-même pas tiré le meilleur profit des autres interventions, faute d'une traduction simultanée satisfaisante. Dans mes deux articles et dans mon intervention en Italie, comme toujours depuis 15 ans, j'ai cherché avec conviction à servir Sophia. Constatant une certaine jalousie de l'État vis-à-vis de la Côte d'Azur, j'ai rappelé que Sophia Antipolis avait été déclarée d'intérêt national. J'ai déploré certaines de ses faiblesses et souhaité que son exemplarité soit poursuivie. Cette idée a été développée et progressivement mise au point dans mes trois textes successifs. J'en terminais avec ma longue période d'écriture sur Sophia Antipolis. A notre retour de cure, en août 1991, toujours démangé par le goût d'écrire et l'idée de laisser une trace de mon passage sur terre, j'ai repris ma saga familiale. Mon rendement a été assez bon puisque j'ai terminé "Aïn Beïda", rédigé "Alger et Blida", entrepris le récit de ma vie professionnelle jusqu'en 1975, repris et terminé les chapitres "Rubans et médailles" et "Écrire". 9+Il me reste à évoquer la période 1975-1990. Et à remettre cent fois sur le métier mon ouvrage, à polir ces textes rédigés un peu vite, au milieu de mille occupations, voyages et obligations familiales sans assez de continuité ni de moyens informatiques modernes.Bref, j'ai de l'occupation pour quelques temps encore. J'oubliais un article sur les tours de France de la Flamme Olympique. Il a été publié, scindé et remanié avec mon accord par "les Petites Affiches". Puis, intégralement, par "l'Avenir Côte d'Azur" avec des illustrations dont deux ramenées de notre voyage touristique à Olympie. Je n'ai bien évidemment perçu aucun droit d'auteur mais j'ai été content d'être tiré à 3000 et 7000 exemplaires... Le 24 septembre 1991, rentrant de l'Agence Havas où nous avions programmé un nouveau séjour à Hammamet, j'ai trouvé une lettre de M. Mezghani encore susceptible de me replonger dans le dossier "Sophia Antipolis"! M. Mezghani est un ancien ingénieur agronome tunisien, rencontré en 1982 au Café Maure du vieil Hammamet. Il a été fonctionnaire à Constantine, à l'époque de l'Algérie Française. Nous avions sympathisé et entretenu de loin en loin quelques rapports. Il est soucieux de coopération franco-tunisienne et de l'avenir de son pays. Ayant lu mon livre et certains de mes articles, il a lancé avec la Chambre de Commerce locale l'idée d'une technopole sfaxienne. Dans un article publié en août dernier dans "la Gazette du Sud", il me cite, se félicite de ses liens d'amitié avec "un des précurseurs du Premier Technopole de France" et conclut en évoquant l'avenir de Sfax et celui de sa jeunesse qui va "s'attaquer, elle aussi, à la conquête de l'An 2000". Cela m'a profondément ému!... Peu après, mes contacts avec le SYMIVAL ont été relancés. Josette Diaz, Exposito, Marie-Christine m'ont reproché d'être trop discret et de ne pas faire suffisamment appel à eux pour la frappe de mes textes, les photocopies etc.... Ma saga familiale, mon histoire militaire et la relation de ma vie professionnelle les ont d'ailleurs intéressé. Leur gentillesse m'a remis au travail pour compléter, remanier ou corriger ce qui pourrait constituer un témoignage algérianiste assez substantiel allant de la grande guerre à l'An 2000. Fin 1991, j'ai pensé que mes "mémoires de guerre" pourraient peut-être être édités à compte d'auteur. J'ai fait établir un devis mais mon ami Ciais ne pouvant pas assurer la commercialisation, même partielle, j'ai renoncé à cette formule, onéreuse et qui m'aurait personnellement imposé d'importantes tâches matérielles et de très probables complications fiscales. Sur les conseils de Maurice Mouchan rencontré à la traditionnelle réception préfectorale de janvier 1992, j'ai pris contact avec Michel El Baze, un ancien Algérois, Président de l'Association des titulaires de la Croix de Guerre et de la Valeur Militaire. L'entretien a été fructueux avec cet humaniste exceptionnel, ancien engagé volontaire, prisonnier de guerre, résistant, socialiste, gaulliste et marié avec une très sympathique Autrichienne rencontrée en captivité. Michel El Baze, féru d'informatique, a lui-même artisanalement publié ses souvenirs de guerre puis, dans le cadre de son association, 101 volumes de témoignages sur les grandes guerres au XXème siècle. En guère plus d'un mois, il a édité un 102ème ouvrage, le mien, "Classe 1941 - Recrutement d'Alger - N° matricule 2105". Ce n'est pas un succès littéraire mais quelques appréciations d'amis ou de proches m'ont touché. Michel El Baze a été vivement intéressé par ma saga familiale. Il l'a aussitôt "saisie" sur son ordinateur et me presse de la publier car pour les universitaires, assure-t-il, le contexte renforce l'intérêt des matériaux apportés aux historiens par les témoignages. J'y réfléchis. Mes textes étaient seulement destinés à mes proches. Au surplus le récit de ma vie professionnelle ne risque-t-il pas de susciter de regrettables polémiques?... Il pourrait, par contre, intéresser des candidats à la Fonction Publique et contribuer à la véritable histoire de l'Algérie Française...

V

Addenda

1 - Matériaux généalogiques

sur mes ascendants maternels

Michel El Baze m'a remis, le 22 Mai 1992, quelques exemplaires imprimés de ma "Saga Familiale". Dilette, après en avoir fait une nouvelle lecture, m'a fait observer, à juste titre, certaines obscurités dans la rédaction du passage relatif à mes grands parents maternels. Je l'ai rectifié et me suis replongé dans mon dossier généalogique. Celui-ci, longtemps négligé, mériterait une remise en ordre et des recherches plus approfondies. Je m'efforce, ci-après, d'en faire la synthèse. A la 7° génération de mes ascendants, figure un certain Pierre Chaussier, né à Bligny. le Sec, à proximité de St Seine l'Abbaye, entre 1730 et 1750, au début du règne de Louis XV. Cet aïeul était propriétaire fermier à Bligny. Il en était maire à la naissance de son fils Denis, le 1er Janvier 1779, époque de graves disettes de la fin du règne. Il s'était marié à Catherine Capitain décédée le 9 Décembre 1779, à l'âge de 45 ans environ, sous le règne de Louis XVI. Denis Chaussier était prénommé Pierre Denis sur les registre paroissiaux: il avait été "ondoyé à la maison", en naissant, à cause d'un danger de mort et baptisé le lendemain, sur les fonts baptismaux. Il s'était installé à Verrey, sous Salmaise, dans le canton de Flavigny, peut être à l'occasion de son mariage avec Jeanne Lombard, de Jally. les Moulins. Il y est décédé le 2 Janvier 1839, à l'âge de 65 ans passés. Son épouse lui survécut jusqu'au 11 Janvier 1858. Elle avait 82 ans, était toujours domiciliée à Verrey et disposait de rentes. Denis avait 20 ans lors de l'exécution de Louis XVI et 52 lorsque Napoléon 1er fût exilé à St Hélène. Il est mort sous Louis Philippe. Son fils, Nicolas Chaussier, est né le 27 Germinal de l'An VII (le 16 Avril 1799). Propriétaire cultivateur, Adjoint au maire de St Martin, dans le canton de St Seine, il résidait dans le Hameau de Fromenteau. Il s'est marié le 19 Novembre 1822, à l'âge de 29 ans, à Epigny, à une jeune fille de 17 ans, Jeanne, Françoise, Élisabeth Huot qui y était née. Douze ans plus tard, le 27 Décembre 1834 - Nicolas avait alors 34 ans - est né leur fils, Paul Denis. Paul Denis épousa Marie, Claudine, Henriette Dubois. Celle-ci était née à Dijon, le 8 Septembre 1837. Ses parents y avaient tenu une pension de famille qu'avait fréquenté Gustave Eiffel, l'ingénieur dijonnais devenu célèbre, de 5 ans l'aîné d'Henriette. Celle-ci - un fort bon parti - avait été quasiment fiancée avec lui mais s'était mariée avec Paul Denis Chaussier, en 1856 ou 1857. Eiffel demanda plus tard à sa mère de lui trouver une bonne épouse et se maria lui-même le 8 Juillet 1862, (son épouse avait 17 ans; Henriette 25 ans avait déjà 2 enfants). Le mariage d'Henriette et de Paul fût assez mal assorti, ce qui ne les empêcha pas d'avoir 4 enfants : Paul, Chaude, Philibert, mon grand père maternel en 1858, Bernard deux ans plus tard, Louis en 1845 et Marcel en 1867. Le couple n'était pas doués pour l'agriculture. Tout leur bien dû être vendu. Paul Denis mourut en 1899, à l'âge de 65 ans, un an après son fils Paul, mon grand père. Henriette titulaire du brevet élémentaire devint institutrice à Trouhans, vers St Jean de Losne et Brazey en Plaine. Elle s'occupa de ses petites filles Paule et Marcelle, (ma tante et ma mère depuis peu orphelines de père), de Marcelle, leur cousine, fille de Bernard et assura la charge de deux autres de ses petits enfants, Charles et Paul, fils de Louis. Le 10 Mai 1900, dans une lettre à son fils Marcel, Henriette fît allusion à la situation politique à Paris où s'ébauchait la politique sociale de Millerand. Elle s'inquiéta des retombées éventuelles d'un échec électoral de son fils Bernard dans sa compétition avec "le père Corbillot, un adversaire acharné" et des difficultés supplémentaires qui en résulteraient pour son autre fils, Louis, à se maintenir à Chatillon. Henriette se déclara surmenée par son travail à l'école, ses charges familiales et sa situation financière. Elle recommanda à Marcel de faire de sa petite fille "une bonne fille, simple et naturelle, ce qui ne doit pas exclure du tout la bonne tenue et la distinction". Sur un carnet, elle notait soigneusement quelques recettes culinaires, les dates de naissance et de décès des siens et divers comptes (des rentrées de sommes de 10.000 F, des estimations de meubles et objets à vendre ou à acheter), on dût l'amputer d'une jambe et on citait ce que cette femme, un peu hors du commun, disait au chirurgien: "Docteur, coupez ma jambe assez haut afin de n'avoir pas à recommencer: j'ai deux petits enfants à élever!". Henriette Dubois, veuve de mon grand-père, Paul Denis Chaussier, mourut à Trouhans le 17 Avril 1911. Elle était âgée de 73 ans. Mon grand père, Paul, Claude Philibert Chaussier eut 20 ans en Octobre 1878. Il est probable qu'il s'engagea dans l'Armée lorsque ses parents durent vendre leur ferme. A moins qu'il n'ait été tiré au sort pour 5 ans (1872: réforme du service militaire. Janvier 1879: arrivée au pouvoir des Républicains et de Jules Grévy). Il fût sous Officier en 128e, à Sedan. Le 9 Novembre 1889, à Trouhans, âgé de 31 ans, il épousa Marie, Prudence Droin, âgée de 19 ans qui lui fût probablement présentée par sa mère, Henriette. Il avait quitté l'Armée et était devenu employé de commerce(?). Mes grands parents vécurent à Belfort où naquirent leurs trois enfants: Paule en 1891, Pierre en 1893, mort à l'âge de 9 mois, et Marcelle, ma mère en 1895. Ils s'installèrent à Modane ou mon grand père offrit à ses enfants les 5 volumes d'un nouveau dictionnaire encyclopédique. Mais Paul mourut prématurément à l'âge de 40 ans d'une "fluxion de poitrine", le 21 Avril 1898, à Trouhans. Mon grand père maternel fût l'aîné de trois autre garçons: Bernard, Louis et Marcel.Bernard eut deux enfants: Charles, Marie, Henri qui épousa Ninette, une cousine, et fût médecin au Congo Belge avant de se retirer à Salins, dans le Jura; "la cousine d'Amérique" qui épousa un soldat américain et vécut à Seattle, avec sa fille Jeanine. Louis eut cinq enfants. Seul à Paris, en 1928, il vivait misérablement dans un infâme taudis de la Place Clichy. Il gagnait de quoi survivre en faisant "l'homme sandwich". Ancien professeur d'Agriculture, il s'était mis à boire après une typhoïde. Il était resté profondément bon, bien élevé et délicat. Marcel, enfin, eut trois enfants: Marcelle épousa Albert Michaud, ébéniste -marchand de meubles à Seurre et eut un fils Bernard; Maurice époux de Germaine Joignot retirée à Trouhans avec sa fille Marcelle; Suzanne. Celle-ci, à 89 ans, reste d'une étonnante fraîcheur intellectuelle. J'avais six ans lorsque j'ai assisté à son mariage le 19 Août 1927, à Trouhans. Son mari, Pierre Bridon, devint Inspecteur d'Académie. Il décéda le 29 Mars 1984, à Vannes. Leur fils Michel est professeur au collège Montaigne dans cette même ville. Marié à Eve, une enseignante, elle aussi, ils ont deux enfants Didier et Anne Claire. C'est grâce à ma tante Paule et, surtout à Suzanne Bridon que j'ai pu recueillir quelque précieux éléments de ma généalogie. Il me faudrait beaucoup travailler pour recenser mes nombreux petits cousins. J'ai connu à Fromenteau, dans leur vaste maison, Georges Chaussier, un cousin qui vivait avec sa mère, "la tante Herminie", son épouse Louise, sa fille Ninette et épisodiquement avec un ou plusieurs de leurs fils (Edmond, René, Maurice et George). Ce furent tous de grands et beaux garçons. L'aîné, Edmond avait épousé une Belge et vécut en Belgique ce qui paraît expliquer pourquoi le Dr Henri Chaussier cousin germain de maman fût médecin au Congo Belge. Je ne suis pas remonté très loin en ce qui concerne ma parenté, du côté de ma grand-mère maternelle, Marie Droin. Je sais seulement que ses parents étaient Pierre Droin, maire de Trouhans et Prudence Camusard, dite "Fanny". Ils eurent quatre enfants Émilie, Félix et Marie. J'ai bien connu l'oncle Émile, frère de ma grand mère qui venait nous voir à Brazey, juché sur un archaïque vélo qu'il conduisait lentement. La tante Prudence, sa femme, lui survécut malgré sa frêle constitution et ses plaintes incessantes sur son état de santé. Elle nous fit rire lorsqu'elle acquit sur le marché de Brazey, de la cretonne fleurie et colorée pour s'en faire des culottes. De cette branche sont issus des Gillot, Rougeot, Desgranges, Gautherot, Lauvergnier, Bornes... Et bien d'autres.

Nice, les 28.V.et 26. VIII. 1992

2 - Documents

Autour du 12 Février 1921

En Juin 1991, J'ai reçu de ma cousine Denise Bornes plusieurs lettres vieilles de plus de 70 ans, adressées à ma tante Paule et relatives aux circonstances de ma naissance, le 12 Février 1921 à Alger, rue Villotran. La première émane de ma grand-mère maternelle venue assister maman à l'occasion de sa première grossesse. Elle est écrite sur le papier à en tête de Brazey ("Épicerie, mercerie, faïences, spécialités de café: brûlage à la maison; café, restaurant"). Cette grossesse avait été contrariée depuis une quinzaine de jours par une fluxion dentaire, une dent de sagesse arrachée, une inflammation osseuse, un gros abcès qu'il fallut inciser à domicile après anesthésie le 11 Février. Maman, "dure à la souffrance, fut gaie à son réveil". Le même jour, papa, évoqua à son tour , pour sa belle soeur et son beau-frère, ses souffrances, ses nuits d'insomnie, sa joue démesurément enflée. Reprenant la plume le 13 Février, ma grand-mère précisa les circonstances de ma venue au monde, le samedi 12 Février 1921, à 9 H 1/2. Maman, ayant dû se faire administrer deux lavements successifs, ressentit dans la nuit de violentes coliques. La délivrance s'annonçant, la sage-femme avait été appelée et était arrivée deux heures avant. "Sans ses bandages, toujours bien fraîche, elle aurait fait une jolie accouchée", estima ma grand-mère, surmenée depuis 3 semaines et qui éprouva quelques longues minutes de malaise. Nouvelle lettre de ma grand-mère le 14 Février. Elle s'inquiéta de la santé de ma tante, grippée à Paris où, avec son mari, elle n'a encore pu trouver un logement. Elle se réjouit de leur projet de voyage à Brazey et peut être à Alger. Maman espérait se lever le dimanche suivant après 9 jours de lit à cause de l'abcès et des drains. "Le petit Robert est magnifique, de longs cheveux comme sa maman les avaient. Il dort toute la journée, à soif vers 11 heures mais ne tète pas encore assez fort". Maman a pu écrire à son tour le 21 Février, venant de se lever et évoquant "L'événement précipité qui n'a pas eu de mauvaises conséquences: Bobby est superbe. On le voit pousser déjà et il ne souffre pas". Elle-même avait bien maigri. Son abcès était de forme gangreneuse et il lui fallait éviter de contaminer autrui. Elle n'avait pas eu la permission d'embrasser son "petit" les premiers jours. "Pouvoir se peigner et se débarbouiller est un luxe", indique-t-elle. Il a fallu se mettre à trois, Alex, maman et moi pour débroussailler mes cheveux. En ce moment le petit Bobby dort dans une corbeille. Le berceau n'était pas prêt, ma belle soeur ayant mis un peu de superstition dans les préparatifs à l'avance". Maman demandait à sa soeur d'aller voir aux Galeries si les prix des voitures étaient les mêmes qu'à Alger. Elle précisait qu'Alex avait touché la seconde partie de la prime. "La sage-femme n'a pris que 100 F, ajouta t-elle, mais comme nous avons 210 F de frais de médecin et la pharmacie, notre budget s'équilibre. Ces frais seront remboursés en octobre aux 4/5. J'ai peur qu'on nous passe des difficultés: il y a eu deux médecins qui ont fait chacun une note un peu plus forte. L'opération a coûté 60 F. 30 F pour arracher ma dent et 20 F par visite. Il ne fait pas bon être malade en ville! Heureusement que la Banque pare à cela. Il parait que beaucoup ont des remboursements de plus de 300 F. J'ai envie de faire la surprise à Alex de l'attendre sans me recoucher. Dans 1 mois, nous serons réunis, espérait-elle. Bobby vous sourira, il commence, on dirait, quand ce n'est pas une grimace". Le 21 Février, ma grand-mère signala que son départ avait été fixé au 20 Mars ajoutant avoir soigné "cette pauvre Marcelle avec toutes les attentions d'une mère sans épargner (mes) peines. Elle s'est levée de 1 h jusqu'à 7 heures trente. Je voudrais bien qu'une douzaine de bouteilles de ma cave se trouvent dans un placard ici pour lui donner des forces. Le petit Robert est très gentil, il tête sa goutte et dort presque tout le temps. Je serai heureuse de vous avoir à Pâques. Combien de temps resterez-vous? Donnez moi des nouvelles de votre sortie dans le monde", ajoutait-elle.

Documents

Cf le CDRom