ROBERT FOUICH
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102 / 2
Saga
familiale
1914
- 1964
Nice
- Mars 1992
Table
1- DES DARDANELLES A
SALONIQUE 5
2 -
BRAZEY-EN-PLAINE 8
3 - Tizi-Ouzou-
Alger- Affreville- Ain Beïda 9
Notre
enfance 1921 -1933
TIZI - OUZOU (1919 - 1920) 9
ALGER (1920 - 1925) 9
AFFREVILLE (1925 - 1928) 10
AIN-BEIDA (1928 - 1933) 11
4 - Alger 13
Etudes
secondaires 1933 - 1941
La
mémoire
La
mémoire : seul bagage incessible
Jacques ATTALI
.c.1-
DES DARDANELLES A SALONIQUE
.c.Mon
père 1911 - 1918
Promu, en raison de sa
bonne conduite, à la première classe, à compter du
1er septembre 1914, alors qu'il n'avait pas encore
21 ans, le soldat Fouich Pierre-Alexandre ne
désespérait pas d'arriver au grade de général
avant une quarantaine d'années de services. Très
fier de cette distinction, il en fit part, de
Seddul-Bahr, à ses "chers aimés" de Limoux avec
une satisfaction qui perçait sous une pudique
ironie, invoquant la classe: "Noël! Noël! Anges
joufflus, chantez et vous, braves gens,
esbaudissez-vous... mieux vaut la classe, oh gué!
mieux vaut la classe..." Que d'événements pour le
jeune provincial en tout juste deux ans!... Il
avait quitté le logis familial et la forge
paternelle, après un court intérim d'instituteur,
pour aller... "en Afrique", rejoindre sa soeur
Elodie, de treize ans son aînée. Jean Tisseyre,
son aventureux beau-frère, comptait bien faire
rapidement fortune dans le négoce des vins
algériens. Mais, Pierre jugea vite plus sage de
rechercher un emploi indépendant et stable; agréé
comme commis stagiaire à la Banque de l'Algérie,
il avait été affecté en 1912 en Grande Kabylie,
dans la petite bourgade de Tizi-Ouzou. Bel homme,
véritable dandy, il était allé poser, en 1913,
dans le studio du photographe local. Elégamment
appuyé sur sa canne à pommeau d'argent, il avait
fière allure dans son costume trois-pièces tout
neuf, avec son col empesé et sa cravate
soigneusement nouée, son canotier à large ruban,
la moustache élégante, le regard direct quoique un
peu rêveur. Son initiation bancaire fut
interrompue par son appel sous les drapeaux, peu
après son vingtième anniversaire. Envoyé en
garnison à Bastia, il terminait ses classes
lorsque fut déclarée la guerre. Cette guerre - "la
Grande" - survenait aux lendemains des conflits
balkaniques de 1912 et 1913. Elle devait s'avérer
mortelle pour l'Empire Ottoman dont le reflux
territorial se poursuivait lentement mais
inexorablement depuis trois siècles. L'alliance de
la Turquie à l'Allemagne et à l'Autriche- Hongrie
puis l'ouverture des fronts russe et serbe firent
que, moins d'un mois après le début des hostilités
- dès le 1er septembre 1914 - Pierre - qui avait
finalement adopté son deuxième prénom Alexandre,
peut-être en hommage au grand conquérant
macédonien qui apporta la civilisation grecque en
orient - se retrouva à l'extrême sud de la
presqu'île de Gallipoli, à une heure de bateau de
l'île de Ténédos, dans la mer Egée, au nord de
Lesbos. La France, la Grande-Bretagne, la Russie
et la Serbie firent front à l'ennemi. Chacun
pensait que la guerre serait brève. En février
1915, la force navale détachée au Levant, sous le
commandement de l'Amiral Guépratte, à l'initiative
de Winston Churchill, appareilla pour les
Dardanelles. L'Amirauté britannique voulait
entreprendre le passage du détroit avec la flotte,
seule, alors que l'amiral Carden estimait
préférable d'attendre la coopération des troupes
destinées à marcher sur Constantinople. L'attaque
fut déclenchée le 18 mars 1915. Elle se solda par
des pertes sévères: 628 hommes et 20 officiers
hors de combat; 3 cuirassés coulés; de nombreux
bateaux avariés. Le 25 avril, le Corps du Général
Amade devait participer avec un bataillon
sénégalais à un débarquement sur la presqu'île de
Gallipoli et la pointe asiatique de Koum Kaled; ce
fut l'occasion d'une relève et Alexandre put
s'embarquer pour la France avec de nombreux
permissionnaires. Il s'arrêta à Marseille et se
fit photographier, grave, le cheveu dru, clair et
ondulé, la moustache conquérante... agenouillé sur
un prie-dieu... une cigarette non allumée entre
les doigts. Il retrouva à Limoux, son père,
François et Mélanie, sa mère, qui s'étaient fait
beaucoup de souci pour lui, seul fils de leurs
quatre enfants. Elodie, sa soeur aînée, avait
quitté depuis longtemps la maison familiale
construite, pierre à pierre, autour de la forge à
l'angle de l'avenue du Pont de Fer et de la rue
d'Aude, avec seulement l'aide d'un tâcheron et
celle d'amis. Au village, lorsqu'elle y revenait,
on ne reconnaissait plus ses trois fils, Georges,
Louis et Pierre, tant ils avaient grandi.
Joséphine, la seconde, avait 28 ans; son mari -
Jean - était au front et l'insouciante gaieté de
son petit Jojo, 4 ans, ne parvenait pas à apaiser
son angoisse. Jeanne, la dernière des quatre
enfants Fouich, la plus jeune soeur de Pierre,
avait maintenant 19 ans. Elle était devenue
diablement jolie! ... Mais les jours de permission
passent vite. Il fallut bientôt repartir. Le front
français se stabilisait. En Orient, les stratèges
ne parvenaient pas à s'entendre sur les objectifs
de l'expédition des Dardanelles: simple diversion
ou ouverture des détroits aux russes? La chaleur
fut forte en juillet 1915 et des myriades de
mouches devinrent un insupportable fléau. Les
pertes furent énormes: 32.000 tués, 13.000
disparus, 100.000 blessés et médiocres furent les
résultats. L'échec fut constaté et les troupes
alliées débarquèrent en octobre 1915, à Salonique,
contraignant les allemands à une guerre
sous-marine sans restriction, qui fut la cause de
l'inter-vention américaine. En mai 1916, Alexandre
qui avait obtenu la croix de guerre était aux
frontières gréco-serbo-bulgares. Avec son copain
Léon, il disposait à Kirie, en Macédoine grecque,
d'une "maison de campagne" devant laquelle ils
avaient planté leur tente. La température était
déjà élevée, mais Alexandre était en parfaite
santé: calot de repos coquettement incliné sur le
crâne, en treillis, il commençait à prendre goût à
la pipe. Mais il trouvait le temps fort long
malgré les lettres d'une jeune bourguignonne,
Marcelle Chaussier, avec qui il avait été mis en
relation par son vieil ami Papillon. En juin 1917,
enfin, il obtint une nouvelle permission. Le 21,
il arriva dans la jolie rade de Tarente après une
traversée difficile. Il adressa aussitôt une carte
postale à Limoux, précisant qu'il espérait partir
par chemin de fer, le soir même et retrouver les
bords de l'Aude vers le 30. Mais il dut attendre
encore 48 h. Il quitta Livourne le 25 juin au
matin et arriva le soir à Gènes, après un voyage
magnifique. La population italienne fit un accueil
enthousiaste aux permissionnaires français,
charmés par paysage de la Riviéra et ses 40 km de
superbes villas. Après Vintimille et Marseille, ce
ne fut pourtant pas vers Limoux qu'il se dirigea
tout d'abord. Il fit un crochet par
Brazey-en-Plaine, dans la Côte d'Or, d'où, pour
s'excuser, il promit à ses parents 21 jours
complets de séjour à Limoux. "Vous n'avez rien à
regretter", les assura-t-il peu après... "ni moi
non plus", précisa-t-il, car son séjour bressan
lui avait permis de connaître sa marraine de
guerre et de la découvrir plus jolie et plus douce
encore qu'il ne l'avait imaginée d'après les
portraits qu'elle s'était faits faire chez
Chesnay, à Dijon. Lui aussi, se rendit au studio
bourguignon pour poser, les joues pleines, le
teint frais, les cheveux frisés et fraîchement
taillés, la moustache moins élégante, plus sobre
et plus courte qu'à Tizi-Ouzou ou même qu'à
Marseille, l'uniforme de gros drap bleu horizon du
176ème Régiment d'In-fanterie, plus sobre. Après 3
semaines limouxines, il fallut, hélas, repartir
mais, dès Tarascon, le 28 juillet 1917, le cafard
avait disparu. Le 4 août, Alexandre s'apprêta à se
rembarquer à Marseille. A Négovani, il retrouva
avec plaisir son ami Léon Freytes, qui, deux ans
après, épousa sa soeur Jeanne, à Limoux. La guerre
et le séjour des armées alliées en orient se
prolongeaient. Le 15 septembre 1917, une offensive
générale ordonnée par le nouveau commandant en
chef, le Général Franchet d'Esperey, contraint la
Bulgarie à demander l'armistice. Constantinople
fut occupée le 17 novembre 1917. Fin 1918, le
caporal Pierre Fouich fut pressenti pour
poursuivre sa carrière militaire en direction de
la Roumanie, du Danube et de la Russie, mais six
années de services militaires avaient suffi à son
bonheur. L'armistice venait d'être signé. Il
préféra rejoindre la France, où Marcelle
l'attendait, puis l'Afrique et la Banque d'Algérie
qui l'avait titularisé.
.c.2
- BRAZEY-EN-PLAINE
.c.Ma
mère 1917 - 1919
Le 28 mars 1917,
lorsqu'on lui souhaita son vingt deuxième
anniversaire, Marcelle Chaussier ne put retenir
ses larmes. Son ouïe, décidément, ne s'améliorait
pas et elle ne pouvait pas se résigner à ne pas
tout saisir de ce qui se disait autour d'elle, de
se trouver exclue des plaisanteries et des
rires... Elle s'indignait d'avoir à subir une
cruelle infirmité imputée à une banale ablation
des amygdales. L'atmosphère était d'ailleurs
devenue mélancolique dans la grande maison si
animée, il y a encore moins d'un ans, lorsque
Joseph Balme, restaurateur, accueillait ses hôtes
bruyants, tout heureux de faire étape à Brazey. Le
gîte était réputé à plus d'une lieue à la ronde,
notamment pour la qualité de sa table! On y
logeait confortablement "à pied et à cheval".
Hélas, Joseph qui n'avait que 58 ans avait
disparu, laissant sa compagne Marie, mère de
Marcelle, veuve pour la deuxième fois. Il avait
été un bon mari et avait choyé Marcelle et sa
soeur Paule comme ses vrais enfants. Marcelle
n'avait guère connu son père, Paul Chaussier,
employé de commerce, qu'une "fluxion de poitrine"
avait enlevé à son affection. Il n'avait pas
quarante ans; elle, tout juste trois. Sa mère,
était née en 1870 à Trouhans alors que les
allemands occupaient la maison familiale, sans
égard pour la qualité du chef de famille, premier
magistrat de la commune. Mariée à 19 ans, veuve
une première fois à 28 ans, elle faisait de son
mieux, veuve à nouveau à 46 ans, pour tenir seule
son commerce. Née Prudence-Marie Droin, épouse
Chaussier en premières noces, remariée Balme, elle
s'appelait désormais Marie Balme-Droin, pour des
raisons commerciales. Paulette, soeur de Marcelle,
avait épousé, il y avait déjà 4 ans, un
méridional, employé des contributions indirectes à
Dijon, mobilisé comme officier, envoyé au front,
gazé et soigné à l'hôpital temporaire de
Martillac, en Gironde, dès 1915. Marcelle avait
une grande affection pour Paule, son aînée de 4
ans, et beaucoup d'admirative sympathie pour Léo.
Elle avait pourtant envié sa soeur d'avoir pu
apprendre la musique, d'avoir pu poursuivre ses
études à Dijon, de s'y être fait des amis. L'un
d'eux, ancien condisciple de l'Ecole Normale,
actuellement aux Dardanelles, lui avait procuré un
filleul de guerre, Pierre-Alexandre Fouich,
qu'elle appelera Alex, peut-être parce que le
prénom de Pierre lui rappelait un petit frère,
mort bébé, et qu'elle n'avait pas connu, ou parce
que celui d'Alexandre évoquait le grand conquérant
macédonien qui donna naissance, en orient, à une
nouvelle civilisation. Alexandre ayant écrit qu'il
espérait une permission, avait été invité à venir
à Brazey. Ses lettres à l'écriture régulière et
nette, au style agréable, étaient attendues avec
impatience et curiosité. Marcelle avait envoyé à
son lointain filleul le portrait qu'elle s'était
fait tirer à Dijon, où elle avait accompagné sa
soeur chez le photographe. Paule et Marcelle
avaient posé tour à tour, sur le même fauteuil
sculpté, fixant avec sérieux l'objectif. Elles
portaient des robes jumelles à petits carreaux
blancs et noirs, avec des parements blancs,
assortis aux gants qu'elles tenaient à la main; la
première était un peu plus ronde, la seconde un
peu plus grande. Trois mois plus tard, Marcelle
rencontra son filleul de guerre. Il lui plut,
devint son fiancé, mais il fallut attendre encore
plus de deux ans pour le mariage qui eut lieu à
Brazey, le 6 septembre 1919, au cours de la
permission libérable d'Alex. Ce fut alors le
départ de Brazey, l'embarquement à Marseille, la
traversée de la Méditerranée, l'arrivée à Alger,
puis l'installation à Tizi-Ouzou...
.c.3
- Tizi-Ouzou- Alger- Affreville-
Ain
Beïda
.c.Notre
enfance 1921 -1933
Une vingtaine de
kilomètres avant d'atteindre Constantine, la
capitale orientale de l'Algérie, Alex (27 ans),
Marcelle (25) et leurs deux enfants, Bobi et
Janine, avaient changé de train à Ouled Rahmoun,
abandonnant ainsi la grande transversale reliant
le Maroc à la Tunisie via Alger. Ce fut, pour les
Fouich, une heureuse diversion car la fatigue d'un
long voyage commençait à se faire sentir. Le
transbordement s'effectua sans trop de difficultés
malgré le nombre et le poids des bagages. Le
nouveau train, sur voie étroite, était
pittoresque, le paysage surprenait par sa
monotonie et Marcelle s'amusait à compter les
arbres qui se faisaient rares. Il lui tardait
d'arriver à Aïn Beïda car le mois d'octobre était
déjà bien entamé: il fallait alors avoir 7 ans
révolus pour être admis à l'école primaire et Bobi
qui avait atteint l'âge de raison en février,
allait se trouver à nouveau retardé par ce
changement de résidence pour effectuer sa rentrée
scolaire. Pour Janine qui venait seulement d'avoir
six ans, en cette année 1928, c'était moins
important!.. .c.TIZI -
OUZOU (1919 - 1920)Marié à Brazey le 6 septembre 1919, après
sa démobilisation, Alex avait rejoint Tizi-Ouzou
avec sa jeune épouse. Leur séjour n'y avait pas
excédé dix mois car ils avaient rapidement obtenu
une mutation dans la capitale où ils avaient
séjourné cinq ans avant d'en passer trois à
Affreville. Ain Beïda serait leur quatrième
affectation. En Kabylie, les Européens étaient peu
nombreux. Son chef-lieu n'était encore qu'une bien
modeste bourgade dont, les jours de marché, les
.indigènes du bled envahissaient les rues et
encombraient jusqu'aux seuils des portes où ils
jouaient aux dominos avant de sombrer dans une
sieste profonde et de reprendre, à la fraîcheur,
les chemins poussiéreux empruntés, à l'aller, dès
l'aube. Marcelle, venue directement de sa
lointaine Bourgogne, en avait un peu peur et
s'habituait mal à la solitude durant les longues
heures de bureau d'Alex. Fort heureusement,
l'annonce d'une première naissance incita bientôt
la Banque de l'Algérie à prendre en considération
une demande de mutation pour Alger. .c.ALGER
(1920 - 1925) Ce fut rue Villotran, dans un immeuble
situé non loin du Champ de Manoeuvres, de la rue
Sadi Carnot et de la rue Hoche que naquit, le 12
février 1921, le petit Robert, Jean, Philibert.
Une sage femme, Mme Ausseill, présida à sa
naissance car l'époque n'était pas encore aux
accouchements en clinique. Marcelle - qui avait dû
être opérée la veille d'un malencontreux flegmon -
et Alex en furent très fiers: c'était un beau bébé
blond qu'ils appelèrent Bobi. Ce surnom lui resta.
Les Fouich se lièrent avec un collègue d'Alex, les
Lorquin qui eurent leur petite Simone à peu près à
la même époque. Lorquin, bachelier, eut le courage
de préparer sa licence en droit après son mariage.
Il devint plus tard directeur de la succursale de
Tunis de la Banque de l'Algérie. Dix huit mois
après, Janine vint compléter la famille. Elle
aussi, fut un beau bébé, les cheveux très fins,
d'un blond encore plus doré que ceux de Bobi,
d'immenses yeux bleus, les joues bien remplies, le
teint très clair. .c.AFFREVILLE
(1925 - 1928) Depuis la guerre, le coût de la vie ne
cessait de croître et l'inflation se développait
rapidement. Cette maladie avait traversé la mer et
éprouvait les populations algériennes. Le niveau
de vie des français d'Algérie était encore moins
élevé qu'en métropole, contrairement à certaines
apparences. Les salaires dans les banques étaient
alors peu élevés et les allocations familiales
pratiquement inexistantes. La victoire, en 1924,
du cartel des gauches et l'envoi comme Gouverneur
Général du socialiste Maurice Violette n'y changea
rien. Les Fouich furent donc tout heureux, en mars
1925, d'être mutés à Affreville. Pour la première
fois, ils allaient être logés dans les
confortables immeubles modernes de la Banque, tous
construits dans une même architecture cossue avec,
en rez-de-chaussée, de solides grilles. Mais, dans
la plaine du Chéliff, la chaleur estivale était de
plomb et le paludisme n'avait pas encore été
résorbé. Marcelle y attrapa la typhoïde. Pour lui
éviter la contagion, on expédia Bobi à Alger où
étaient arrivés depuis peu sa marraine, Paule, la
soeur de Marcelle et son parrain, Léo, Chef du
service des contributions au Gouvernement général:
on profita d'une occasion et il prit le train
accompagné par le monteur du chauffage central.
Mais Léo, venu le réceptionner à la gare centrale,
les manqua: ils étaient descendus à la gare de
l'Agha, au plus près du 98 rue Michelet où oncle
Léo et tante Paule n'avaient pu trouver à louer
qu'un appartement éclairé par des soupiraux. Les
passants faisaient sur les murs des ombres
mouvantes qui intriguaient et inquiétaient quelque
peu Bobi. Il se trouvait bien entre son parrain et
sa marraine qui n'avaient pas d'enfant et
l'aimaient beaucoup. Léo plaisantait souvent: un
soir, au. moment du coucher, il apparut en gibus
disant qu'ils allaient à l'opéra; à table, il
assurait que des chataignes tombaient du plafond
ou que le roquefort n'était bon qu'avec des vers.
Il y avait, dans l'appartement, toutes sortes
d'objets à découvrir: sur le dessus de cheminée,
un petit chalet en bois dont le toit s'ouvrait;
dans le placard, le képi, le casque et la lourde
épée ramenés de la guerre par le lieutenant
Bornes. Mais Léo et Paule étaient parfois bien
sévères: un caprice valut, un jour, à Bobi d'être
enfermé dans un placard obscur; une autre fois, il
dût ameuter le voisinage en criant "on
m'assassine!... on m'assassine!..." pour éviter le
supplice du thermomètre. De retour à Affreville,
Bobi retrouva avec joie sa soeur qui avait grandi
et devenait une agréable camarade de jeu. Ils se
chamaillaient souvent mais étaient très sages
lorsqu'ils allaient chez leurs voisins, M.
Jouvent, Directeur de la succursale, son épouse et
leurs deux enfants, Georges et Mado, qui avaient à
peu près leurs âges. D'Affreville, Bobi et Janine
gardaient le souvenir d'un incendie
impres-sionnant, à peu de distance de la Banque et
du déraillement du train qui, préci-sément,
amenait d'Alger l'oncle Léo et tante Paule. .c.AIN-BEIDA
(1928 - 1933) A Affreville, nous étions relativement
près d'Alger: à une centaine de kilomètres à
l'Ouest, vers Miliana. Mais, en octobre 1928, la
Banque de l'Algérie envoya papa poursuivre sa
carrière à Ain-Beïda. Nous étions désormais
éloignés de la capitale algérienne d'environ cinq
cents kilomètres. Aïn-Beïda était une petite ville
de l'Est constantinois - dix mille habitants à
dominante berbère- située à 90 kilomètres de
Tébessa, en direction de la frontière tunisienne,
à 1000 mètres d'altitude, près de la Meskiana et
de Khenchela, porte de l'Aurès. L'immeuble de la
B.A. était coquet. Notre appartement de fonction,
vaste et confortable, était contigu à celui du
Directeur, au premier étage. Au-dessous, étaient
les bureaux et la loge du concierge. La Banque
n'était pas éloignée du Centre, du Café Coppolani
et du Cercle. Sur le coté, nous avions en
vis-à-vis le Maire, le Dr Willigens, un notable
très digne a la belle barbe rectangulaire. Je fus
inscrit à l'école primaire et perdis presque une
année en raison de mon mois de naissance Mes
premières études ne furent pas exceptionnelles
avec M. Charbonnau, mon instituteur. Mais, au
cours de l'année scolaire 1932-1933, je fus
stimulé - notamment pour l'écriture et
l'orthographe - par le Directeur, M. Cachau, mon
"professeur de français" qui apprécia mon très bon
travail, mon application et ma conduite. Par
contre, dans les premiers mois, mon "professeur de
sciences", M. Millet m'avait jugé dissipé, trop
sur de moi, un peu expéditif. J'obtins le
Certificat d'Etudes Primaires, le fameux CEP, avec
mention "Bien". Mes principaux compagnons de
classe furent Benassaï, Bozzi, Douvreleur,
Guillemot,... Comme à Affreville, nos camarades
habituels furent les enfants du Directeur, Colette
et René Cattin, Janine Beal puis André Landaret et
son petit frère Georges. Pour Noël, mon oncle Léo
et ma tante Paule - mes parrain et marraine -
m'offrirent leur phonographe à manivelle et
quelques disques (musique classique et chansons de
troupiers). J'entendis à Ain-Beida, pour la
première fois, les crachotis d'un poste de TSF
contenu dans une mallette. Tout le monde s'en
extasia! Je pus admirer un biplan après son
atterrissage sur un champ voisin. Toute la
population se déplaça à cette occasion avec les
autorités civiles et militaires. Le pilote, M.
Viaud, était-il le Capitaine commandant la place
ou son frère? Avec Janine, nous fîmes du piano
avec pour professeur la fille du pharmacien (ou du
Directeur du Crédit Lyonnais?), Melle Vigo. Je
n'avais guère d'oreille, ce qui ne m'empêcha pas
d'être pressenti par le curé pour tenir
l'harmonium de l'église. Surtout, je considérais
que le piano était un instrument de fille. Janine,
elle, se conduisit en homme en ne dénonçant pas
mon imprudence. Nous jouions dans le jardin public
et, la tirant avec ma carabine à plomb, je
l'atteins un jour à l'articulation de deux doigts
de la main. Je n'étais pas fier!... Je me vois
dans ce jardin avec un casque colonial. La mode en
passa complètement dans mes années d'adulte. C'est
à Ain-Beïda qu'excédé par les plaisanteries de mes
camarades, "Bobi le chien", "Bobi le chien", j'ai
décidé de m'appeler désormais "Bobby". Cela me
posait et faisait anglais! Je me souviens d'une
fête à l'école où j'ai eu à interpréter au
mirliton: "De bon matin, j'ai rencontré le train,
de trois grands rois qui partaient en voyage..."
Janine, elle, eut l'occasion d'être déguisée en
paysanne. Qu'elle était jolie... et pourtant si
rarement joyeuse!... Parfois, c'était papa qui me
donnait le bain dominical. Il utilisait sans
ménagement un énorme savon de Marseille carré qui
me chatouillait!... A plusieurs reprises, ma
grand-mère maternelle est venue nous rendre
visite. Elle, aussi, fut atteinte de la
paratyphoïde. Tous les étés, nous allions chez
elle, à Brazey. La maison était vaste, avec des
dépendances nombreuses, des jardins potagers et
fruitiers, une grande allée qui menait aux bords
de la rivière... Nos bagages étaient nombreux, nos
malles fort lourdes car nous ramenions des pommes
pour tout l'hiver. Mes camarades d'école
m'instrui-sirent de bien des choses étranges.
Lorsqu'ils m'assurèrent que les enfants ne
naissaient pas dans les choux, je ne pus admettre
que maman m'avait trompé. J'imaginais une
interprétation moyenne: ils étaient conçus par une
femme spécialisée et vendus au Galeries Lafayette
Une fois ou deux, papa participa à un convoi de
fonds sur Alger ou Tunis (car il appartenait à la
Banque de l'Algérie... et de la Tunisie). Il
avait, dans certaines circonstances, un grand
cache- poussière gris. Une année, il contracta une
grave maladie au contact des billets qu'il
manipulait avec dextérité. Il faillit mourir et sa
température dépassa les 40°. Confondant degrés et
dixièmes, je l'ai jugé condamné et ai orné la
pendule blanche de la cheminée, de petits drapeaux
tricolores. Mais, au dernier moment, il put éviter
d'être transféré en ambulance à Constantine et se
rétablit peu à peu. Dans les derniers temps de
notre séjour Aïn Beïdeen, maman m'autorisait à
faire quelques sorties à vélo. Lorsqu'on m'annonça
que nous allions partir pour Alger, j'eus quelques
regrets, concevant mal que la capitale Algéroise
puisse être plus agréable à vivre qu'Aïn Beïda.
Mais nous étions en 1933. Nos études primaires
venaient de s'achever. Il était grand temps,
surtout pour moi qui avait 12 ans révolus, de leur
donner un prolongement sérieux.
.c.4
- Alger
.c.Etudes
secondaires 1933 1941
Alger avait attiré mes
parents pour deux raisons: ils en avaient déjà
éprouvé les charmes; ils y seraient enfin auprès
de tante Paule, la soeur de maman, de l'oncle Léo
et de leur petit Jacot. L'oncle Léo occupait une
situation enviable. Chef de service au
Gouvernement Général de l'Algérie, à la Direction
des Finances, il avait contribué à l'avancement de
papa et à sa mutation. Il avait une Renault. Un
jour, nous étions sortis en famille et il s'était
inquiété de bruits anormaux; c'était un plumeau
oublié sur l'aile avant (plumeau et marche-pieds
sont aujourd'hui périmés!). Pendant longtemps, je
fus considéré comme le futur héritier des Bornes
dont j'étais le filleul: Tante Paule avait dépassé
la quarantaine et avait perdu l'espoir d'une
maternité. En 1931, elle partit en vacances d'été
à Brazey après avoir cru à une grossesse nerveuse.
Elle revint en octobre avec un beau poupon au
grand étonnement de leur concierge. Ils avaient
fini par trouver Rue Elysée Reclus un bel
appartement avec vue sur la mer, non loin de celui
qu'ils occupaient 98 Rue Michelet. J'y ai vu
atterrir les premiers hydravions faisant la
liaison avec la France. J'y ai admiré avec
attendrissement notre petit Jacot déguster avec
appétit des bananes écrasées dans du sucre en
poudre. Mon oncle avait été gazé pendant la Grande
Guerre. Il était emphysémateux. Il supportait de
plus en plus difficilement le climat humide de la
capitale Algéroise. Son médecin, le Dr Azan, un
Homéopathe en renom, lui préscrivait des cures
annuelles au Mont Dore et lui conseillait une
résidence au climat plus sec. Pau fut sollicité
mais ce fut finalement Nîmes qu'il obtint. Il y
devint Directeur des Contributions Indirectes et y
mourût en 1937, à l'âge de 51 ans, alors que nous
arrivions pour aller passer nos vacances annuelles
à Brazey. Jacques avait seulement six ans! Papa
avait envisagé de nous faire poursuivre nos études
à l'E.P.S., mais maman avait pour nous plus
d'ambitions. Elle tint à nous faire inscrire au
lycée. Pour Janine, ce fut le lycée de la Rue
Michelet puis "le Lycée Fromentin" à la Redoute.
Pour moi, le "petit Lycée de Mustapha" ou "Lycée
Pierre Gauthier", de la Rue Hoche, avant le "grand
Lycée Bugeaud", de la Rue Bab Azoun. Cela me valut
le grand plaisir d'être abonné aux TA. Je fus
inscrit en A' et fis du latin avec un professeur
Bourguignon assez volumineux, portant chapeau à
larges bords, jovial et plaisantant facilement, M.
Gabriel Humbert. Mais, en 5ème, avec le même
professeur, nous retrouvâmes les mêmes
plaisanteries, aux mêmes moments et affectâmes de
ne pas en rire ce qui nous déconsidéra à ses yeux.
Notre professeur d'histoire et géographie fut
surnommé "Petit Carré" selon une expression
utilisée dans son cour. Nous surveillions
jalousement son empressement auprès de Mme
Belanger, la gracieuse épouse de notre professeur
d'anglais. J'eus plus tard, pour les lettres,
l'élégant M. Chozky et sa belle lavalière. Mon
professeur de gymnastique était M. Laye, un beau
garçon qui s'intéressait d'assez près à l'anatomie
de ses élèves. Mon camarade préféré était Yves
Bouat, féru de bateaux à voiles. Il s'engagea dans
la Marine Nationale et fût tué à Mers el Kébir,
lors de l'attaque tragique en 1942, de la flotte
française par les Anglais. J'eu également pour
condisciple, Yves Beyer, fils de plombier, Arnaud
qui exploita plus tard le beau magasin familial
d'articles de sports de la Rue d'Isly, Bagur qui
réussit comme moi, en 1946, le 1er concours de
rédacteurs de l'Administration Départementale
Algé-rienne ouvert après guerre Aumeran (le futur
général ?), Jean Descuns (frère du neuro
chirurgien), Courgeon à qui j'ai donné, un jour,
un magistral coup de pied au derrière... Nous nous
attribuions réciproquement de surnoms. Je fus tour
à tour "le Pirate aux Yeux Bleus", "Inpérator Unus
Couillus", "Le Mauvais Garçon", "Ribouldingue"...
J'étais assez dissipé et dûs redoubler ma 4ème. En
mai 1936, j'ai donné mes premiers coups de
raquette à l'annexe du Raquette Club du chemin de
la Madeleine. En Août, nous étions, comme tous les
ans, avec maman à Brazey... et, comme tous les
deux ans, papa qui avait droit au passage gratuit
en mer une année sur deux. Nous avons fait un
mémorable pique nique dans "l'Ile aux Cochons" de
St Germain des Bois. Il y avait, avec mon oncle
Léo et ma tante Paule, leurs vieux amis parisiens,
les Chavarot. On se saluait la main tendue ou le
poing fermé, selon ses tendance politiques. Les
Croix de Feu avaient échoué, en 1934 et Léon Blum
venait d'arriver au pouvoir alors que la menace
hitlérienne se précisait. En Novembre, de retour à
Alger, je fis partie de l'équipe minime du RUA,
victorieuse en football par 5 à 0 de l'USA. Notre
entraîneur était l'Anglais Reggan et nous étions
stimulés par le voisinage des frères Couard, de
Jasseron... Heureusement, le changement de lycée
me stimula. J'obtint le prix d'excellence. "Roi au
royaume des aveugles", selon M. Durin, mon austère
professeur de sciences naturelles, je compris, à
mes dépends, que toute vérité n'est pas bonne à
dire. Mais pour le professeur de lettres qui
m'accueillit en 3ème, mon titre n'était pas
contestable. Ses louanges m'incitèrent à confirmer
mon classement. Les distributions de prix étaient
réellement solennelles, les discours édifiants: 50
ans plus tard, j'ai évoqué, dans un éditorial, mon
professeur agrégé de lettre, M. Vincent, qui avait
traité de "l'autorité, notion capitale dans la vie
des hommes et des sociétés". Parmi mes
professeurs, je me souvins surtout de M.M. Joulin
(Histoire et géo) qui appréciait mon style;
Cazenave (Espagnol) qui jouait avec nous, à mains
nues, en récréation, à la pelote basque; Custaud
(Physique et Chimie) dit "Brosse à dents" à cause
de sa belle moustache; Chevalier (Dessin) un peu
bossu; Schaeffer qui nous apprenait un anglais
fortement imprégné d'accent marseillais et que
nous chahutions pas mal; Escaffre, dit "Tintin",
en Philo. Mes principaux rivaux furent Lucas,
Servajean-Hilst et Truche. Avec Philippe Bertsch
(mort prématurément à Marseille, en 1981), Lucien
Vernet et André Verduzier, nous formions le
quatuor des mousquetaires. Arnold, l'élégant, le
fantaisiste, mort à Blida des suites d'une
blessure de guerre mal soignée, contractée en
Tunisie, et Marc Henry, le fils du colon, maire de
Dupperré. Celui ci nous ayant invité à la fête de
son villages, Bertsch nous présenta René
Cavalgante qui disposait de la voiture de son père
pour nous conduire sur place, près d'Affreville et
de Miliana. Nous fîmes un excellent séjour à
Duperré avec plusieurs promenades à cheval. Nous
profitâmes au maximum de la fête du village. A
Alger, papa obtint par ses relations bancaires un
vaste appartement au 7 de la Rue de Mulhouse, dans
un immeuble où logeaient les Vernet. Pour "Lulu"
qui avait le goût de l'affabulation tout était
"derrière sa porte" (transformée en cible pour le
lancer de poignards). Il m'assura un jour, sans
rire, que sa mère était une soeur aînée
prématurément vieillie. Josette, sa cadette,
m'apprit à danser le tango. Encore toute jeune (12
ans) mais déjà très jolie fille, elle me fit
honte, lorsque pour "faire la rue Michelet" en ma
compagnie, elle s'affubla d'un chapeau rouge des
plus voyants. Nos autres amies furent Denise
Boulet (beaux yeux rieurs, toque de petit gris),
Vera Toupine (très belle blonde, assez délurée) et
sa soeur, Renée (plus conformiste)... Elles
participèrent à nos premières surprises parties.
Nous fîmes plusieurs courts séjours dans le
cabanon des Bertsch, à Alger Plage. Les sous sol
de la villa des Verduzier, décorés par Achille
Arnold, furent les témoins d'une mémorable soirée
de nouvel an. Généralement, nous ne pouvions pas
participer aux joyeuses fêtes estivales car nous
partions chaque été pour Brazey et passions tous
les deux ans par Limoux. Exceptionnellement, en
1938, nous avons séjourné une semaine dans la sous
préfecture audoise: maman avait aidé tante Paule à
déménager Nîmes et à s'installer à Dijon. Nos
vacances furent délicieuses. Janine connut Jo. Je
fis du tandem avec ma cousine Marthe, nous allâmes
à Couiza voir ses propres cousines et participâmes
avec elles à des vendanges. .c.Blida
(1941 - 1949) Au début de l'année 1941, papa fût muté à
Blida où j'ai terminé ma philo dans d'excellentes
conditions, au collège Duverier. Les classes y
étaient moins chargées, les professeurs moins
titrés mais plus proches des élèves. La Banque de
l'Algérie nous logea "Villa Guite", bourgeoise et
vaste demeure à l'entrée de la "Ville des Roses",
en venant d'Alger. Les pièces du rez- de chaussée
furent un jour visitées par des cambrioleurs. En
novembre 1942, elles hébergèrent plusieurs de mes
camarades mobilisés avec moi aussitôt après le
débarquement américain. Nous quittâmes par la
suite la villa Guite pour une villa moderne. Après
mon bac, en juillet 1941, disposant seulement d'un
maximum de deux ans de sursis et ne pouvant
terminer une licence, j'ai cru préférable de
répondre à l'appel des Chantiers de la Jeunesse.
Affecté à Mahelma, je fis l'Ecole des cadres de
Camp de Chênes où j'obtins les galons de chef
d'équipe (7ème sur 2 ou 300!) Démobilisé à
l'improviste en Janvier 1942, je m'inscrivis en
Faculté de Lettres pour une licence d'Espagnol. En
Juin, je ne fus évidemment pas reçu et me suis
orienté sur le droit, recherchant une activité
professionnelle car mes parents ne disposaient
plus d'allocations familiale et pas encore de
sécurité sociale. Au printemps 1942, mon futur
beau frère vint rendre visite à Janine. Ils
décidèrent de se marier. Le mariage fut intime (27
Juillet). Seul, mon camarade Foissac se joignit à
la famille en qualité de témoin. Après leur voyage
de noces à Limoux, Janine et Jo s'installèrent à
Alger où Jo devait commencer des études
d'architecte. Après mon service, je fis partie des
Anciens des Chantiers, avec mon camarade Foissac.
En Septembre 1942, je fus admis à la Préfecture
d'Alger en qualité de rédacteur temporaire et pris
une chambre meublée à Mustapha supérieur. Mais le
débarquement américain du 8 Novembre motiva, dans
les huit jours, notre rappel sous les drapeaux:
l'Algérie fut le pays où le pourcentage de
mobilisation fut le plus élevé du monde. Comme
ancien des Chantiers, je fus maintenu dans une
unité de jeunes désormais militarisés. A
Mouzaïaville et El Affroun, j'eus à instruire des
jeunes sans avoir moi-même reçu une longue
formation militaire. Après avoir participé au
Champ de Manoeuvres d'Alger à la grande chaîne de
montage des GMC américains, je fus admis à l'Ecole
des E.O.R. de Cherchell. Mais je fus moins heureux
qu'à Camp des Chênes et fus seulement promu au
grade de sergent breveté chef de section (cet
échec m'affecta beaucoup; il résulta de moindre
besoins en aspirants, de mon classement probable
comme giraudiste à l'époque où de Gaulle cherchait
à s'imposer et à mon appartenance à la section
d'un adjudant moins bien dotée en aspirants que
celles de l'adjudant chef, du sous lieutenant et
du lieutenant!) Pour bien marquer qu'on avait eu
tort de me refuser les galons d'aspi, je choisis
le 7è RTA de Sétif (qui devait partir au combat)
de préférence au 1er RTA (qui restait
provisoirement à Blida où j'aurais été près des
miens) Je fus blessé dans le secteur de Cassino
après une courte campagne. Je revins à Blida me
faire soigner et fus réformé à Constantine. Juste
avant ma sortie de l'hôpital de Blida, maman vint
m'annoncer la naissance de ma petite nièce et
filleule, Nicole Jo, mobilisé avec moi, finit par
se retrouver au 1er RTA, à Blida. Janine se replia
sur la villa Guite. Le 30 Août 1944, Jo gagna Mers
el Kébir puis Marseille, Gérardmer où il eut un
orteil gelé, puis l'Alsace où il tomba le 15 Mars
1945. Janine et Coline purent partir le 30 Avril
1945 pour Toulouse et Limoux. Janine retrouva Jo
le 8 Mai 1945 à l'Hôpital Purpan de Toulouse; elle
lui donna son sang ce qui n'évita pas
l'amputation... J'ai retrouvé ma place à la
Préfecture le 1er Décembre 1944 et me suis partagé
entre deux chambres meublées, M. Ausseill qui
avait successivement perdu son fils et sa femme
m'accueillant chez lui pour avoir une compagnie.
Le concours de rédacteur des Préfectures d'Algérie
eut lieu en Avril 1946 mais, seuls, les trois
premiers lauréats furent affectés à Alger. Je dus
rejoindre Constantine. J'y fis connaissance de
Dilette en Septembre après des vacances à Brazey
et vint la présenter à mes parents à Blida en
Avril 1947. Nous nous mariâmes à Constantine le 4
Octobre 1947. En Juillet 1948, je dus la laisser à
l'Hôpital St Genis Laval de Lyon. J'ai effectué
pendant deux mois la navette entre Lyon et Brazey
(qui fut vendu peu après). En Septembre, je dus
rejoindre Constantine d'où je revins récupérer
Gillete le 1er novembre (grâce à un convoi
psychiatrique, j'ai bénéficié d'un transport
gratuit). En 1949, papa obtint sa retraite de la
Banque d'Algérie. Avec maman, après avoir
recherché une résidence vers Lyon, ils
s'installèrent à Toulouse dans une coquette villa
dont ils firent l'acquisition Rue Raymond Naves,
dans un quartier résidentiel nommé "Moscou". Notre
séjour constantinois dura 10 ans. Ce fut ensuite
Alger (1956 - 1962) - Nancy (1962 - 1964) puis
Nice. |