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Liste des 134 manuscrits   #Manuscrits                

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Docteur André QUEGUINER

Capitaine Raymond SOCLET

William LABUSSIERE

095

Flying Tiger's story

Guerre 1939 - 1945

Témoignages

Nice - Octobre 1991

Analyse des témoignages

GUERRE d' Indochine

Ecriture : 1988 - 50 Pages

Les chercheurs, officiels ou non, disposant d'archives militaires de l'époque

pourront retrouver les noms réels de certains personnages,

des "bons "ou des "méchants":

Prénom, initiale du nom et grade de l'époque ont été conservés,

ainsi que l'affectation.

Cela n'intéressera que l'historien

et il était inutile que les enfants aient à supporter les conséquences

du comportement de parents

qui en général poursuivirent leur carrière...

René J. Poujade

POSTFACE de Michel EL BAZE

Ces témoignages sur les événement survenus en Indochine pendant la seconde guerre mondiale, révèlent le comportement de gens restés fidèles à Vichy qui ont adopté ses "visions politiques". En conflit : des officiers ralliés à la France Libre : Lecoq, Quéguiner, Soclet... et ceux fidèles au maréchal dont ceux de l'État Major. Apparait aussi Willy Labussière, ami du Général Chennault et un de ses anciens meilleurs pilotes qui rencontra le héros américain de l'aventure. René F. Poujade a recueilli ces témoignages auprès de Dr Quéguiner, du Capitaine Soclet et de Willy Labussière. Il leurs a soumis son texte et ils lui ont donné leur accord pour sa publication.

PREFACE DE RENÉ J. POUJADE

Lavry, Poivraud, Vaci, Lapidaire : des pseudos transparents ayant au moins conservé l'initiale exacte. Le Docteur André Queguiner et Raymond Soclet sont devenus mes amis comme l'est William Labussière. Je dois aux trois derniers les détails de ce qu'ils ont vécu de l'affaire Bishop. Labussière, comme mes amis Pierre Boulle et mon "Patron" Eugène Robert, fut condamné par le Tribunal Militaire pour "dissidence et haute trahison" et connut le bagne et sa "Barre de l'Indochine". Le Colonel Lecocq fut tué lors des combats du coup de force japonais du 9 mars 1945. Le Général Lemonnier fut décapité à Langson après l'attaque... "Poivraud" a poursuivi une carrière dans l'ombre, comme d'autres qui se sont souvenus qu'ils étaient officiers de carrière. Le Dr. Quéguiner a poursuivi une belle carrière civile, comme Soclet... et Labussière. Lorsqu'on évoque le rôle néfaste, incontestablement de l'O.S.S. (premier nom de la CA.) et de son chef local Helliwell l'ami du Viêt Minh, dans les événements survenus en Indo-Chine de 1944 à 1954, on oublie que sa francophobie primaire avait cependant quelques bases outre les motivations de F.D.Roosevelt et les rapports intimes de la First Lady... Pour les É.M. US et les agents de l'O.S.S., ignorants des contingences et ne jugeant que sur les faits qui les touchaient directement, les Français d'Indo-Chine servant sous l'Amiral-Gouverneur Général Decoux; et le Général Commandant Supérieur Mordant ne pouvaient être que des collaborateurs des Japonais, c'est à dire des ennemis des États Unis d'Amérique traîtreusement attaqués à Pearl Harbour..., félicités pour leurs victoires par le Gougal et le Génésuper. En familiers de la Bible, ils jugeaient l'arbre à ses fruits. Comment concevoir que le traitement infligé habituellement aux pilotes de la XIV° US. Air Force par les autorités d'Indochine serait sans conséquence, particulièrement lorsqu'il s'agissait d'un Bishop, héros reconnu en Chine ? La découverte des horreurs nazies par les Américains, encore toute récente, puis celles, encore fraîches, des "Japs", alors qu'ils conservaient en mémoire les récentes déclarations collaborationnistes des tenants de Vichy en Indo-Chine les confirmaient dans leur analyse simpliste, mais non sans fondement, de la situation. On comprend cette réaction américaine, sans pour autant la faire sienne en tout, lorsque l'on connait l'histoire de Bishop, pilote des Flying Tigers.

Table

L'Indo - Chine sous la botte japonaise 9

Le camouflet 10

L'Indochine que connaissaient les Américains 11

Le Potez de Lao Kay 12

Les aventuriers de A.V.G. 13

Croquis de la zone d'opération de Bishop 15

Les Tigres Volants attaquent 16

La capture du Tigre 17

Camarades de combat 18

Un Tigre dans la gueule du loup 20

Le Tigre en cage 21

Le Tigre sort ses griffes 22

La mémoire

La mémoire : seul bagage incessible

Jacques ATTALI

L'Indo - Chine sous la botte japonaise
A Tokyo, le 2 Septembre 1945, en présence du Général Leclerc, le Japon capitula mettant ainsi fin à la Deuxième Guerre Mondiale, menée contre l'Axe Berlin - Rome - Tokyo. Depuis 1937, la Chine était en état de guerre pour résister aux Japonais. Depuis la fin de 1940, la France en Indo-Chine était en butte aux empiétements graves contre sa souveraineté. Le 7 Décembre 1941, la Guerre du Pacifique éclatait à Pearl Harbour, puis en Malaisie et à Bornéo à partir des bases japonaises octroyées en Indo-Chine par Vichy. Pearl Harbour engagea officiellement les Etats Unis dans la Deuxième Guerre Mondiale. Les Territoires Français du Pacifique et des Indes rallièrent la France Libre, suivis, plus tard et manu militari, par Madagascar et Djibouti. Sous l'autorité de l'Amiral Decoux nommé Gouverneur Général par Vichy, l'Indo-Chine appliqua, outre les "lois de Vichy" , les "accords de défense commune franco-japonaise de l'Indo-Chine", conclus par Vichy et Tokyo. Une résistance "gaulliste" naquit dans ce territoire totalement occupé (terminologie japonaise et allemande) depuis Juillet 1941 par les forces japonaises de mer et de terre. (compris leurs aviations). Début Mars 1945, les troupes japonaises attaquèrent les nôtres par surprise: Après de sanglants combats souvent suivis de massacres, nos soldats se retrouvèrent prisonniers, sauf des éléments réussissant à passer en Chine, durement. Au milieu de Septembre 1945, la capitulation des troupes japonaises libéra les prisonniers de Saïgon : Ils prirent le contrôle de la capitale de la Cochinchine avant l'arrivée de Leclerc. Ceux du Tonkin furent maintenus sous la "protection" des Japonais contrôlés par les Chinois et les Américains, peu amicaux. Leclerc atterrit à Saïgon le 5 Octobre 1945. Il avait été précédé par la Mission du Commandant de Riencourt, parachutée fin Août aux environs de Saïgon pour transmettre au Maréchal Comte Teraushi, Commandant Supérieur de l'Armée Japonaise dans la Région Sud, les instructions de Lord Louis Mountbatten, Commandant en Chef Allié dans le Sud-est Asiatique. (S. E.A. C.). Au Tonkin, la Mission Messmer connut quelques déboires du fait du Viêt Minh. Sainteny y fut parachuté pour dégager un "modus vivendi"... qui ne plaisait guère aux Chinois, ni aux Américains de 1'0 S.S.. (ancêtre de la C I.A. et alliée des Viêts). Dans cette atmosphère, commencèrent les premiers rapatriements aériens d'ex-autorités françaises de l'Indo-Chine occupée. Le transit se faisait par la Chine.

Le camouflet

La France Combattante, à la suite de la France Libre, entretenait une Mission Militaire Française (M.M.F.) à Tchung King, capitale repliée de la République de Chine; la Chine Nationaliste du Maréchal Tchang Kai Chek. Après son évasion rocambolesque de la prison de Saïgon, à la fin de 1944, William Labussière avait été affecté à la MMF, en raison de ses liens amicaux avec les hauts dirigeants chinois et le général Claire Chennault, son ancien chef des A.V.G. devenu celui de la XIV° US.AF. Il avait reçu le nom d'emprunt de Capitaine W. Martin Un jour, sur ordre de Sainteny, "retenu" à Hanoï, le capitaine Chabut eut à présenter le personnel de la Mission Française à une "personnalité de l'Indo-Chine sur la route du rapatriement": C'était l'ex "Chef de la Résistance Officielle en Indo-Chine" . Labussière avait jadis eu directement affaire avec ce personnage, alors Commandant Supérieur des Troupes d'Indo-Chine sous le proconsulat de l'Amiral - Gouverneur Decoux. Apprenant tardivement que des services avaient fonctionné à son insu contre les Japonais, il ne l'avait pas admis à l'heure où, pourtant,il devenait le Chef de la Résistance Officielle : Il réorganisa les Services de Renseignement, ce qui ne fut pas sans conséquence fâcheuse lors du coup de force japonais du 9 Mars 45. Très au-dessous de ce qu'aurait exigé sa charge, il fut inexistant ce jour crucial. C'est à ce chef d'une saugrenue "Résistance Officielle" que le capitaine Chabut eut à présenter le personnel de la M.M.F. : Six ou sept officiers de la Mission face au voyageur sur le retour et se croyant encore un avenir. Le général les "passa en revue", s'annexant en quelque sorte ceux qu'il avait combattus. (Pierre Boulle qu'il fit condamner au bagne, et qui écrira le "Pont de la Rivière Kwaï", était de ceux-là). Le général avançait la main, serrait celle de l'officier et prononçait une banalité de circonstance. Quatre s'étaient ainsi présentés. L'ex Chef de la Résistance Officielle tendit normalement la main vers le "Capitaine Martin" que lui présentait le capitaine Chabut : L'aviateur resta au"garde-à-vous", mains le long du corps et visage hermétique. Le sourire du Grand Chef se figea soudain dans le visage, jusque là réjoui. Les yeux cherchèrent aide avec inquiétude. Toujours au "garde-à-vous", fixant le général dans les yeux, à haute et intelligible voix et avec tout l'humour qui le caractérisait, l'aviateur aux ailes de la France Libre articula dans un silence impressionnant - Général, je ne suis pas le Capitaine W. Martin, mais le Sergent William Labussière que vous avez fait condamner au bagne en Indo-Chine, parce qu'il voulait rejoindre la France Libre ! Un ange passa : Têtes ! Le général répondit au bout d'un moment - Je le regrette L'ex Tigre Volant répliqua - Pas tant que moi ! Chacun se retint de ne pas s'esclaffer. Ce fut la déroute de l'ex-Génésuper qui serra encore, machinalement, la main d'un officier de la Mission, de Montpezat, qui eut le mot de la fin : Se tournant vers Labussière, il lui dit en riant - Sacré farceur qui nous a fait gagner une coupe de champagne ! Ce fut le seul commentaire. Le général prit l'avion qui le ramena en France, à l'oubli. Le Capitaine Martin était à Tchung King en milieu de connaissance. A son retour en Chine, William Labussière avait retrouvé ses amis, dont le général Chennault. Lewis Bishop, l'ex-A.V.G. se retrouva là également. Avant de répondre à la mobilisation française de Septembre 1939, Labussière avait été, depuis 1937, un des as des volontaires de Chennault, les fameux "A.V.G.", futurs "Tigres Volants". D'Indo-Chine, il avait tenté de rallier les Forces Françaises Libres, par la mer pour ne pas "voler" un avion à Vichy ... qui eut été la solution de facilité. Sur ordre du Génésuper Mordant, il avait été condamné aux travaux forcés et mis aux fers de la sinistre "Barre de l'Indochine" réinventée par l'Amiral-Gouverneur Decoux. Fin 1944, profitant des spectaculaires "retournements de vestes" il s'était évadé en compagnie de Pierre Boulle et de Eugène Robert. Ils avaient emprunté l'avion du Commandant de Langlade venu en mission clandestine en Indochine, pour gagner la Chine. En raison de ses amitiés avec les Chinois et les Américains, il avait été affecté à la Mission Militaire Française où il était devenu le "Capitaine Martin". La mémorable poignée de main refusée termina sur un coup d'éclat de Gascon l'histoire militaire du Bordelais William Labussière en Indo-Chine, mais non ses rapports avec Chennault. Cette histoire situe deux des personnages de "l'affaire Bishop".

L'Indochine que connaissaient les Américains

Il est inconcevable qu'en Indo-Chine, à l'époque, on n'ait pas tenu compte de la façon dont les Américains de Chine percevaient les comportements de l'administration française dans notre possession occupée de fait par les forces japonaises : Ce fut pourtant le cas, parce que les autorités françaises d'Indochine étaient persuadées de la victoire du III° Reich nazi, et donc des "Japs" en Extrême Orient. Un rappel et deux documents aideront à comprendre les réactions américaines, sans nuances : - Quelques semaines avant l'affaire Bishop, sous menace américaine au gouvernement du maréchal Pétain, Vichy avait refusé à l'amiral Decoux d'envoyer, sous la protection d'une escadre japonaise, la Marine-Indochine et des forces amphibies à la reconquête de la Nouvelle Calédonie ralliée à la France Libre. (ce qui évita le poteau à l'Amiral, à la Libération ...). - Le I° Mai 1942 (Tél. 191) l'Amiral interrogeait notre ambassadeur à Pékin, auprès du gouvernement chinois de collaboration avec les Japonais (Wang Chin Wey), sur l'opportunité de faire venir en Indo-Chine nos blindés de Chine (Shang Haï et Tien Tsin) "pour la défense du Tonkin si l'attitude des adversaires (sic) du Japon évoluait défavorablement à l'égard de la France" . - A l'heure de la décisive victoire aéro-navale US à Midway, la très officielle revue "Indochine" (n° 97) publiait un article de fond, inspiré : "... l'axiome fondamental est que la collaboration franco-japonaise est sincère et sans arrière-pensée ..." Plus loin, "Du côté français, la collaboration japonaise a épargné à l'Indochine un destin tragique... Le Gouverneur Général, le gouvernement français ont maintes fois proclamé la nécessité de son adoption sans réserve...". Enfin" ...nous sommes persuadés que les autorités japonaises ne trouveront aucun sujet d'alarme dans une collaboration de plus en plus étroite qui sert à leurs intérêts bien compris". Les Américains n'ignoraient rien de cela ...

Le Potez de Lao Kay

La XIV° USA. Air Force (elle succéda aux A.V.G. à la mi 1942) opérait souvent avec brutalité et pas toujours avec discernement. Entre elle et l'Indo-Chine clandestine, le renseignement fonctionnait bien : Les Américains l'ont reconnu de façon significative. Un jour, par exemple, un capitaine du B.S.M. de Hanoï (Bureau des Statistiques Militaires, en fait S.R.Intercolonial indépendant de l'E.M.) fit transiter par un poste frontière une information pour les "Tigres Volants" : Onze bombardiers japonais, partant d'un camp des environs de Hanoï, allaient attaquer Tchung King... (jour et heure précisés).La chasse des "Volunteers" de Chennault les attendit sur leur trajet : Neuf "Japs" furent abattus, aucun ne s'approcha de la capitale chinoise repliée. Ces opérations de renseignement se faisaient à l'insu et en cachette du commandement; aux risques du résistant impliqué. Agissant en contradiction des ordres de l'Amiral-Gouverneur et du Génésuper, il risquait le Tribunal Militaire sous inculpation de haute trahison passible de la peine de mort, comme ce fut le cas pour le Lieutenant E.Robert, du B S.M.; qui évita le poteau mais non le bagne et les fers de la "Barre de l'Indochine"de l'Amiral. Un mois avant "l'affaire Bishop" , l'amiral Berenger, Commandant la marine en Indochine, avait, sur ordre (Avril 1942),livré aux Japonais les 100.000 tonneaux de nos navires marchands; ordonnant aux E.M et aux équipages de servir à bord sous pavillon nippon ! Nos marins réagirent. La. réplique américaine fut significative devant cet acte d'hostilité envers les Alliés, d'autant que le refus de nos marins prouvait qu'il n'y avait pas lieu de céder aux "Japs" sur ce point Les événements du Pacifique de Mai 1942 furent mal perçus par les Grands Chefs de l'Indo-Chine : Ils nourrissaient un sentiment de supériorité envers les généraux américains, ces "civils en uniforme". Alors que les derniers soldats laissés par Mac Arthur aux Philippines devaient capituler, la Navy de Nimitz remportait une victoire aéro-navale décisive à Midway : Les Américains y virent avec raison un changement du flux des opérations, et leur moral s'en trouva "gonflé" . Peu avant la patrouille des Flying Tigers du 17 Mai, et après la livraison des navires, un antique "Potez 25" d'observation de la base de Tong fut abattu dans l'arrière pays de Lao Kay : Des forces japonaises étant stationnées en Indo-Chine "co-défendue" par les Français et les Japonais, les Américains avaient fait savoir qu'ils considéreraient comme ennemi tout ce qui naviguerait ou volerait dans les zones sensibles du Tonkin. Le Potez portait les bandes jaunes imposées par la Commission d'Armistice à nos navires et nos avions. ("Quebec" en code naval). Dans cette ambiance mal perçue de notre côté, une patrouille de deux chasseurs US, volant en croisant sans cesse leurs lignes de vol pour se protéger mutuellement des surprises, surprit notre vétuste Potez effectuant un vol d'exercice de transmission optique terre-air, par panneaux. Il suffit d'une rafale... Alerté par un appel du préposé Tonkinois de la station du Chemin de Fer de Pho Lu Ba Hoa, le Médecin Capitaine André Queguiner, avec les capitaines Tominatze et Stache, partit en pirogue dans les remous du fleuve, à la recherche d'éventuel survivant. Le corps de l'adjudant chef Migeon, atteint de deux balles, était encore empêtré dans son parachute. Les restes du sergent chef Vigne ne furent pas découverts. Cette affaire avait consterné les Français du poste. Ils comprenaient mal le comportement des pilotes de Chennault, privés qu'ils étaient généralement d'information qui ne soit pas de la propagande. Les Américains voyaient dans l'installation de camps de prisonniers Britanniques, Néerlandais et Américains en Indochine une preuve de notre co-belligérance réelle. On essaya, côté français, d'imaginer qu'il y avait eu confusion du Potez avec l'avion japonais "K.5.Y.Yokosuka" , un appareil très peu construit et jamais vu au Tonkin : En fait, l'A.V.G. pensait que nos avions devaient s'entraîner loin de la frontière de Chine pour affirmer leur neutralité.

Les aventuriers de A.V.G.

La patrouille du 17 Mai 1942 fut effectuée un mois avant la dissolution des "A.V.G. (American Volunteers Group), et à leur initiative. Cette formation "privée" de l'aviation chinoise rassemblait un lot instable mais efficace d'aventuriers-casse cou, indisciplinés, vêtus à leur convenance, qui servaient librement sous contrat civil dans les escadrilles que Chennault avait constituées à la demande du Maréchal-Président Tchang Kai Check. Le personnel des A.V.G. avait été recruté par une société privée d'import et de maintenance de matériel aéronautique, qui payait les soldes, la "CAMCO" de William Pawley. (caractéristique du milieu). La France d'avant 39, aux usines d'aviation nationalisées avait lamentablement échoué dans une tentative... Le général de l'USA.AF. Bissel (plus ancien en grade que Chennault d'un fatidique seul jour... et en opposition acharnée avec lui), était l'allié de l'impossible général Stilwell, Chef d'E.M. et ennemi intime de Tchang Kai Check (ami de Chennault) qu'il surnommait "cacahuète" Fin Mai, Bissel décida de verser d'office les A.V.G. dans la XIV° USA. Air Force de création en cours, basée en Chine. Sans demander l'avis de ces civils volontaires dans des escadrilles de l'aviation chinoise, il leur ordonna de signer un engagement qui les contraignait à la discipline militaire. Malgré la menace d'être déclarés "déserteurs", pas un ne le fit. Les A.V.G. rentrèrent aux Etats Unis. Les "Flying Tigers" volaient sur "Curtiss P.40". Ces "Warhawk" (Faucon-guerrier) étaient reconnaissables aux dents de requin peintes sur le renflement de la prise d'air du moteur, sous le nez au profil de squale de l'avion et à l'oeil en avant de l'alignement des échappements. En fait, cette peinture impressionnante popularisait l'invention des pilotes britanniques de la Desert Air Force en Lybie : Ils avaient été frappés par le profil de l'avant du "P.40.B" , appelé "Tomahawk. MK.11" dans la Royal Air Force. Ce ne fut pas le seul lien entre les "P.40" des A.V.G. et le 112th. Desert Air Group Squadron : Les premiers 100 "P.40" envoyés en Chine provenaient d'un contingent initialement destiné à la Grande Bretagne. En guère plus de six mois, 30 "P.40" des "Flying Tigers" descendirent 286 pilotes "Japs" , contre 23 des leurs. En Novembre 1941, un mois avant Pearl Harbour, un numéro de l'hebdomadaire en couleurs India Illustrated News tomba entre les mains d'un pilote des A.V.G. : Les "Dents du Squale" y ornaient le nez d'un P.40 du 112th. D.G.S. de la R.A.F.. Ce Totem fut adopté d'enthousiasme par les pilotes de Chennault, qui le rendirent universellement célèbre. (plus tard, des pilotes Allemands du Messerschmitt 210 le peignirent également sur leur avion). En fait, le surnom de Tigre Volant, communément appliqué à tous les pilotes alliés en Chine, n'apparut que peu avant la dissolution des A.V.G.. Bien qu'il leur ait été attribué en raison de leurs exploits, ce fut paradoxalement la XIV° USA. A.F. qui le rendit célèbre; ainsi que l'insigne représentant un Tigre Volant traversant le "V" de "Victory" . Ce nom de Flying Tiger avait été trouvé par la Walt Disney Org., à la demande des Chinois. Selon l'ésotérisme des Célestes, le tigre correspondait assez bien au pilote-type A.V.G. : Frondeur, indiscipliné, ayant le goût du risque jusqu'à la témérité, allant toujours de l'avant, le tigre affectionne les métiers à risques et méprise l'autorité établie et la hiérarchie... Les pilotes des A.V.G., puis ceux de la XIVe, avaient une particularité peu banale : Sous le blouson, ils portaient un plastron aux couleurs du drapeau chinois où des idéogrammes donnaient l'identité du pilote et promettaient une bonne récompense à qui ramènerait un Tiger sain et sauf. Précaution pas inutile car des pilotes-convoyeurs Italiens pour le compte des "Japs" furent pris par des paysans et découpés en morceaux... Ces panneaux ont sauvé bien des vies alliées.

Les Tigres Volants attaquent

Le plan de vol, pour l'après midi du Dimanche 17 Mai 1942, de la 3° Escadrille du Staff de Chennault à Point "X'" China portait : "Attaquer un train chargé de militaires japonais quittant Lao Kay en direction de Hanoï." (de la frontière sino-tonkinoise vers la capitale à 200 km et terminus d'une ligne rectiligne). C'était de la routine pour les "Flying Tigers" qui surveillaient depuis leur terrain de Chan Yi la frontière avec le Tonkin et attaquaient le trafic nippon. Leurs renseignements leurs venaient de leurs agents indigènes et d'un réseau français, F.F.L. à l'époque à dominante d'officiers du B.S.M. Ce matin là, Lewis S. Bishop, Flight Leader de huit "Warhawk P. 40" qui devaient effectuer la mission sur l'axe de la ligne de Lao Kay, réunit ses pilotes pour le "briefing" . Ancien de la Navy (l'USAF date de cette guerre), cet originaire de Kalb Junction (N.Y.) s'était porté volontaire pour l'American Volunteers Group, comprenant trois escadrilles à Kun Ming et trois à Point "X" China. Chacune avait une trentaine de pilotes. Bishop servait au 3rd. Pursuit Squadron, dit des "Hells Angels" (Anges de l'Enfer), basé à Chan Yi. Cette unité voisinait avec "Adam & Eve" et "Pandas" . La future grande base de la XIV° USA.AF. était à une bonne heure de vol de Lao Kay. Le Chasseur Curtiss P.40 était une bonne arme : Doté de six mitrailleuses, il emportait jusqu'à 300 kg. de bombes à fragmentation. Il fut l'avion de chasse le plus construit de la deuxième Guerre Mondiale : Près de 14.000 exemplaires divers combattirent sur tous les fronts, depuis la Lybie à l'U.R.S.S. Pour l'attaque principale, Bishop avait prévu, venant de Chine, de surgir en groupe sur l'objectif principal. Au retour, après une large boucle, les appareils opéreraient en tandem pour "straffer" la gare de triage, où les "Japs" avaient un camp à quelques kilomètres au Sud de Lao Kay. Les dernières bombes y seraient larguées, avant de franchir la frontière. A leur premier passage, les "Warhawk" surgirent sur le train chargé de "Japs" , mitraillant et bombardant. Le convoi dérailla en voulant fuir dans les éclatements qui tordaient les rails. Les pertes furent importantes, comme la panique. Surprise, la défense contre-avions (Bokù) ne s'était guère manifestée. Il n'en serait pas de même au retour. Des mitrailleuses lourdes de D.C.A. "Type 98" (année 1938), mono-canon à chargeur et sur trépied axial tous azimuts, et des mitrailleuses "Type 92" (de l'année 1932), sur affût mis en D.C.A., armaient la défense de la base japonaise : Alertés, on savait que, sous le commandement d'officiers sabre-au-clair, les servants accueilleraient la deuxième vague de "Téki Tora" ,(Tigre ennemi : "Tora" , qui signifie "Tigre",f ut le mot-code de l'attaque aérienne surprise de Pearl Harbour). Après avoir "éclaté" vers le Sud, le Squadron, scindé en patrouilles de deux, revint attaquer la gare de triage et le camp de Pho Moi ; le long de la rive gauche du Fleuve Rouge, au pied d'une colline. Les "P.40" s'en prirent également à la gare même de Lao Kay, au dessous du "Point A" où était un poste de D.C.A. français. Au delà, sur la Nam Ti, le pont international détruit menait au poste chinois de Ho Kéou. En face de la gare, un pont intact conduisait au camp français, siège de la Subdivision Militaire, où s'élevait "Fort Lao". Bishop s'était choisi la gare de triage de Pho Moï. Venant du S-E, plongeant dans une D.C.A. déchaînée, il précipita son "Curtiss" sur l'objectif. A la ressource, coupant le Fleuve Rouge en biais, son "P.40" fut atteint par dessous : Des flammes s'échappèrent en arrière du moteur, qui se mit à hoqueter. L'aviateur, à la limite d'altitude inférieure, parvint à s'éjecter du chasseur en perdition et à déclencher son parachute soudain déployé au dessus de la verdure. Pilote et appareil touchèrent le sol dans une zone de dense végétation, à l'Ouest du camp français. D'une fenêtre de Fort Lao, le Médecin Capitaine Queguiner observait bien l'action : L'alerte fut donnée immédiatement. Défavorable, le vent avait fait atterrir l'aviateur à moins d'un kilomètre de la frontière, mais, à cause des Japonais, il n'était pas possible de le faire passer immédiatement en Chine. La D.C.A. française, dont une Oerlikon de 20 m/m installée au "Point A'." , avait exaspéré les Japonais par la mauvaise volonté évidente des servants.

La capture du Tigre

Les troupes de la Subdivision de Lao Kay étaient commandées par le commandant (bientôt Lieutenant-colonel) Lecocq, secrètement rallié à la France Libre. C'est à lui que le Docteur Queguiner, qui nourrissait les mêmes sentiments patriotiques, vint rendre compte de ce qu'il avait observé. Peu après, un Nguoi nhà quê (villageois) entra signaler au Commandant qu'il y avait un pilote américain dans une cai nhà (maison). L'homme n'était pas blessé et, bien qu'armé, n'était pas menaçant. Le commandant Lecocq choisît le Lieutenant Raymond Soclet, officier sûr, pour aller récupérer l'aviateur. Lecocq spécifia qu' il fallait "l'arrêter ostensiblement" , de façon à ne donner aucun motif aux Japonais. Le "Toubib" , prenant sa trousse d'urgence, offrit d'accompagner le Lieutenant : "pour le cas où il y aurait besoin d'un médecin..." Les deux officiers descendirent au village, où ils furent conduits vers le pilote. Vêtu d' une combinaison, l'aviateur attendait calmement qu'on vienne le tirer de sa fâcheuse position. Sa seule demande fut "No Jap, please !" Le Lieutenant Soclet s'avança vers lui. En tenant son revolver par le canon, pour bien montrer ses bonnes intentions, il lui déclara qu'il était "my prisoner" . Les espions des Japonais, s'il y en avait sur place, ne notèrent pas la façon curieuse qu'avait ce Lieutenant d'Infanterie Coloniale de "menacer un ennemi de la crosse et non du canon". Ils rapportèrent seulement que l'Américain était bien le "horyo" (prisonnier de guerre) des Furançù. Les deux officiers encadrant Bishop, rentrèrent au plus vite au poste ; tandis que les patrouilles japonaise furieuses d'être bredouilles, commençaient à manifester une dangereuse nervosité de mauvais augure. Retourné voir les débris de l'avion, le "Toubib" Breton en rapporta un morceau pris sur une pièce déchiquetée : En surimpression sur un lambeau d'étoile blanche à point rouge sur fond bleu de l'US.Air Force, on reconnaissait un morceau de la lune blanche aux douze rayons blancs sur fond bleu de la China Air Force dont dépendait l'A.V.G. Sortant de leur camp de Pho Moï, des détachements nippons commençaient à se répandre en ville, faisant preuve de nervosité comme il était habituel à la soldatesque japonaise et coréenne. L'un d'eux, accompagnant un officier arrogant, se présenta au camp français. Pour bien montrer sa détermination et répondre aux manoeuvres d'intimidation nippone, le commandant Lecocq fit sonner "la générale" . Les Marsouins comprirent d'autant mieux cette sonnerie qu'elle était peu habituelle et qu'ils voyaient les "Japs" manoeuvrer autour du poste. Le "rikugùn shôkô" (officier de l'Armée) fut introduit, à sa demande, devant le Commandant : Il "exigeait la restitution du prisonnier de guerre" ! Immédiatement ! Lecocq, que sa superbe carrière d'officier de Méhariste Colonial avait habitué à en imposer par la dignité affirmée, le prit de haut. Malgré les prétentions du "Jap" proclamant "koré wa watashi no mono désù" (ceci est le mien), le Commandant maintint qu'il s'agissait bien de "son prisonnier", capturé par ses soldats, et qu'il le garderait en attendant les ordres du Commandant Supérieur. Il appuya sa décision en rappelant qu'il agissait sur "son" Territoire Militaire dans l'Indochine où la souveraineté française était reconnue et proclamée par "Sa majesté l'Empereur du Japon lui même"...! L'"argument juridique" s'appuyant sur cet auguste personnage considéré comme un Dieu-vivant, mettait le Nippon dans une position dont l'inconfort était manifeste. Il n'apprécia pas mais fit contre mauvaise fortune bon coeur, réclamant cependant de voir le "hikôshi téki" (aviateur ennemi). Ne pouvant faire autrement sans ruiner son argument juridique, Lecocq consentit, souverainement. Entre temps, le médecin capitaine Quéginer avait conseillé au pilote de s'allonger sur un brancard et d'y simuler le boxeur "K.O." . C'est le spectacle que le Nippon eut sous les yeux lorsque le commandant le conduisit constater la présence de "son prisonnier" . Le "Jap" regarda Bishop avec méchanceté, imaginant sans doute tous les sévices barbares orientaux que ses pareils réservaient à leurs captifs. Le "Shôkô" à peine sorti, survint le capitaine Poivraud, descendu de son "Point A'" pour voir l'Américain. Il lui déclara tout de go "If you try to escape, we shot you !" . (si vous essayez de vous évader, nous vous tuons). Il s'en fut ensuite rendre compte au commandant d'une soi-disant "victoire de sa DCA contre le 3 P.40" abattu, ajoutant que cela valait bien une citation à la Croix de Guerre ! (à ruban noir et vert de Vichy). Lecocq répondit par un sourire interrogateur. Le lendemain, encore outré, il raconta la scène au "Toubib"..., qui retrouva le capitaine observant le départ de la Mission Astarté, en Octobre 1945 à Saïgon... Comme il en avait l'obligation, Lavry, l'adjoint de Lecocq, rendit compte à l'E.M. de Hanoï qu'on détenait un aviateur américain que la DCA avait abattu sur Lao Kay. La réponse du Génésuper Mordant jeta la consternation à la Subdivision où le pilote avait été bien reçu et avait reçu l'assurance qu'il serait l'hôte, un peu forcé, des autorités militaires françaises.

Camarades de combat

A l'époque, selon que les militaires étaient "en poste" à la frontière ou "en garnison" dans le Delta, les mentalités, vis à vis du conflit en cours, différaient parfois du tout au tout. La crainte d'une invasion chinoise au Tonkin pour y pourchasser les Japonais, avait fait entreprendre la construction de fortifications et "redistribuer les personnels" selon la formule "Mariés dans le delta et Célibataires (ou mariés en cette situation) à la frontière" . Les militaires vivant en célibataire "avaient généralement la famille en France; les "mariés" s'estimaient en "séjour colonial" ou peu s'en fallait. Dans cette "redistribution" , le Docteur André Quéginer s'était trouvé en poste à Lao Kay, bien que le Service de Santé des Troupes Coloniales l'ait affecté au Centre Annam comme Médecin Hors Cadres Chef de la Province de Kontum. Au mess des officiers de Hanoï, on entendait alors prédire la "prochaine et inéluctable victoire du III° Reich"... Dans les postes, la mentalité était généralement tout autre; les officiers correspondaient souvent avec leur homologue anglo-saxon, ou Chinois, de l'autre côté de la frontière. A Lao Kay, le contact était le Lieutenant Rawlson, fils d'un général britannique de la Grande Guerre, en poste à Ho Kéou. Cette différence de mentalité permet de comprendre les péripéties de "l'affaire Bishop" : Les officiers de Lao Kay pouvaient difficilement imaginer que leurs camarades de Hanoï aient un autre comportement qu'eux. Le "Toubib" , à l'occasion d'une "rotation en position de deuxième ligne" dans le Delta, fut victime de ce déphasage : Venant d'entendre à la radio la nouvelle du débarquement américain en Afrique du nord, il se précipita au mess pour annoncer l'importante nouvelle. L'unique réaction fut cette réplique immédiate : "les Allemands vont les refoutre à la mer". Pour ces officiers, dont quelques uns s'étaient battus en France en Mai-Juin 1940, Il n'y eut pas d'autre commentaire à l'ouverture du Second Front à l'Ouest ! C'est dire l'influence de la Propagande... La réponse du message de Lavry vint par la voie hiérarchique : Le prisonnier devait être conduit, sous escorte armée, à l'E.M. du Génésuper à Hanoï, pour interrogatoire au 2° Bureau. Au passage, le commandant de la Brigade de Langson avait ajouté "avec les menottes" à titre de "mesure de sécurité" . Lecocq reçut le message en présence du Lieutenant Soclet et maîtrisant difficilement sa colère, lui dit : "C'est vous qui le conduirez à Hanoï, demain matin et en ami !". Dans son livre "Avec Chennault en Chine: Journal d'un Tigre Volant" , Bob Smith reproduit des pages de son bloc-notes : "La radio chinoise dit qu'il (Bishop) est indemne mais en territoire ennemi" . Dans la soirée, Lecocq eut l'occasion de redire à l'Américain qu'il était en sécurité chez les Français et qu'il ne serait pas remis en captif aux Japonais. C'est également ce que lui confirma Soclet le 18 Mai au matin, lorsqu'ils prirent place, seuls, dans un compartiment de 2° Classe du train de Hanoï. Le voyage se fit sans menottes. Le convoi quitta Lao Kay au milieu des traces du bombardement de la veille. Dans un anglais quelque peu hésitant, Soclet conversa avec Bishop tout au long du trajet, en camarades de combat qu'ils s'estimaient être effectivement. Le Lieutenant était déjà fortement engagé dans la résistance clandestine et travaillait régulièrement avec les anglo saxons en Chine. L'escorte militaire était symbolique. Les deux officiers firent le recensement et le tri des papiers du pilote. Ils lui avaient été laissés et non mis sous scellé à Lao Kay, contrairement aux instructions. Il y avait même le code, preuve des bonnes intentions de Lecocq qui défiait ainsi la hiérarchie à propos de la conduite envers les prisonniers américains. Bishop confia tous ses papiers d'importance militaire à Soclet, qui lui promit de les faire passer à Chennault au plus tôt. Ce fut fait à la première occasion, lui valant un très chaleureux témoignage de satisfaction du "Patron" des Tigres Volants, devenus entre temps la XIV° USA.Air Force.

Un Tigre dans la gueule du loup

L'officier informa l'Américain que, selon la procédure normale, il devait le conduire à l'Etat Major du Commandant Supérieur des Troupes d'Indochine. Le pilote, cependant ''resterait avec nous" comme cela s'était passé à Lao Kay. Soclet lui conseilla de dire qu'il s'était égaré sur le territoire français, au cours d'une patrouille qui n'était pas une mission de combat, en dépit des apparences. Ils dînèrent tranquillement dans leur compartiment, et toujours seuls. Le train entra à la nuit en gare de Hanoï. Une voiture militaire les attendait, avec le capitaine Chef du 2° Bureau du Génésuper. Peu de mots furent échangés. Soclet reconnut son "ancien" et lui dit "Il doit rester avec nous, ce n'est pas un ennemi..." Le capitaine Vaci répondit "On ne peut pas faire autrement que l'interroger d'abord, puis on le confiera aux Japs pour leur propre interrogatoire" . Ces propos laissaient entendre que le pilote serait ensuite récupéré par les autorités militaires françaises : Un double interrogatoire s'expliquait en effet par l'existence des "accords de défense commune franco-japonaise de l'Indochine" signés par Vichy. Bien qu'un tel processus eut marqué un manque de confiance désobligeant des "Japs" envers notre 2° Bureau, cela se comprenait pour que les Nippons ne perdent pas la face. La voiture rallia rapidement l'E.M. éclairé à giorno. Une certaine animation y régnait. Sur la véranda, devant le 2° Bureau, un petit groupe d'officiers français et japonais attendait le prisonnier. Le capitaine Vaci congédia le Lieutenant Soclet en lui disant "tu peux partir, on s'en occupera" . Pas très rassuré par la tournure des événements, le Lieutenant rappela encore : "vous le récupérerez, je le lui ai promis" . Il n'obtint qu'un signe d'épaule, qui ne l'encouragea guère. Cette attitude caractéristique de la hiérarchie à l'époque, était en harmonie avec la propagande défaitiste dans laquelle des "chefs" se complaisaient avec un masochisme qu'illustraient bien ces bandes jaunes qu'imposaient les vainqueurs du moment. (à leur capitulation, les Japonais obtiendront que leurs avions soient frappés seulement d'une croix verte...). Les larmes aux yeux, Soclet regrettait de n'avoir pas conseillé à Bishop de "tenter la belle" . Ecoeuré, il s'éloigna et n'eut qu'une hâte : rejoindre le poste frontière et son air pur. Il ignorait à quel point le Génésuper Mordant avait pour politique de "donner des gages aux Japonais" . La seule consolation du Lieutenant était d'avoir, au moins, sauvé les papiers opérationnels du pilote. Rentré à Lao Kay, il rendit compte à Lecocq du déroulement de sa mission. Celui-ci dissimula très mal sa colère contre la couardise de la hiérarchie. Il devenait évident que la, convocation en vue d'interrogatoire au 2° Bureau du pilote américain n'avait été qu'une comédie pour que ne fut pas trop flagrante la livraison directe aux Japonais : "On" aurait préféré que les "Japs" le capturent à Lao Kay, mais on n'osait faire le reproche en face à Lecocq. Grâce aux Japonais (qui laissèrent subtilement en place les archives du Gougal) l'explication de certains faits fut connue par la suite : Le 6 Février 1942, dans sa Circulaire n° 7.SN/CAB, le Gouverneur Général écrivait : "... le gaullisme... devra être condamné de la façon la plus formelle et la plus précise, ainsi que tout désaccord avec la politique extérieure du gouvernement français" (de Vichy). Ce même 18 Mai 1942 où Bishop, "pris en charge" par le 2° Bureau du Génésuper, était livré à l'occupant nippon, l'Amiral-Gouverneur Général Decoux, informé, écrivait à son Secrétariat Général à Hanoï, sous n° 163.SS (sic) "Voyez Génésuper (Mordant) dès son arrivée et mettez-vous d'accord avec lui sur ses entretiens à engager avec le commandement japonais au sujet des bombardements aériens chinois (les Tigres Volants) et actions de représailles à engager en commun." L'Amiral précise bien "représailles...en commun" et après entente avec le "commandement japonais" (en Indochine). Pour les Américains, en ce qui les concernait, comment de tels faits n'auraient-ils pas été des actes caractérisés de collaboration ? Cela se passait en Mai 42 : L'Allemagne et le Japon étaient encore à leur apogée ; cependant, Bir Hakeim, Guadalcanal, l'A.F.N. et Stalingrad étaient proches...

Le Tigre en cage

Bishop ne fut pas la seule victime de cette collaboration que tant de responsables nièrent par la suite en prétextant, contre les faits, la contrainte d'une occupation... que par ailleurs ils contestent. D'autres l'ignorèrent par soucis de carrière. Il y eut, au moins, un aviateur abattu au sol après capture par nos forces, et plusieurs livrés aux "Japs". Certains étaient couchés sur leur lit d'hôpital à Lannessan. L'un, bien que particulièrement atteint, fut livré sans problème de conscience par le médecin colonel concerné. Le Génésuper, et pas que lui, trouvait normal de livrer ainsi "nos prisonniers" , alors que les "accords de défense commune" constituaient une excellente base juridique pour refuser de les remettre à un moment où les "Japs" étaient soucieux d'obtenir de nous que nous maintenions l'ordre sur le territoire pour la sûreté de leurs bases. Cette position eut été d'autant plus judicieuse que le "Gaimusho" (Affaires Etrangères Nippon) proclamait que l'Indo-Chine était sous souveraineté française, ce qui l'arrangeait à tous points de vue. La preuve qu'il était possible de refuser de livrer "nos Américains" en 1942 fut administrée, par les mêmes autorités françaises d'Indochine, au cours des derniers six mois de notre souveraineté : L'Armée, ralliée depuis peu à la France Combattante, décida de garder désormais les prisonniers alliés, relativement nombreux, abattus sur le territoire de l'Indochine. On les reconduisait à la frontière, par groupes : Les Nippons étaient pourtant alors bien plus "chatouilleux" qu'en 1942 ! Bishop fut victime de ceux qui s'attendaient à la victoire de l'Axe et se comportaient en conséquence, aveuglément. Bob Smith, à la date du 25 Mai 42, note dans son bloc-notes : "Ce sont des officiels français qui l'avaient, il allait bien mais les Japonais l'ont récupéré" . Par la suite, la XIV° Air Force n'eut aucun complexe à bombarder des objectifs en Indochine. Haïphong, outre le Transindochinois, fut une de ses cibles préférées, mais aussi Hanoï, avant l'extension à toute l'Indochine en 1945. Les Français qui ignoraient le comportement de leurs responsables civils et militaires étaient consternés. Certains n'ont appris la vérité que bien des années après. Toujours au 25 Mai, Smith poursuit : "...des bruits courent d' une énorme rançon offerte par le Généralissime (Tchang Kai Chek). Les Japonais ne voulaient pas de rançon : Ils détenaient un authentique héros de guerre américain et voulaient exploiter cette capture le mieux possible" . Les Japonais de Hanoï interrogèrent "sérieusement" Bishop, comme ils savaient le faire avec une rare sauvagerie. Ils le transférèrent ensuite en Chine, dans la zone de la XXIII° Armée. De là il fut envoyé dans un camp de la région de Shanghaï, dépendant de la XIII° Armée, non loin du Q.G. de l'Armée Expéditionnaire de Chine, à Nankin. La ville était la capitale de la république de Wang Chin Wei ; collaborateur des Japonais, il avait été, avec Chang Kai Chek, de l'équipe de Sun Yat Sen, le "Père de la République de Chine" . C'est là que, par la suite, Bishop vit arriver des "Batt-Cor Survivors" (survivants de Bataan et de Corrégidor), rendus à l'état de squelettes après de démoniaques "marches de la mort" et autres supplices aux Philippines et en mer. Bishop frappait l'attention de ses camarades de captivité par sa force morale remarquable. C'est ce que note Seymour Lewis, qui s'occupa beaucoup des suites de cette captivité démentielle. Un des survivants dit un jour au docteur : "Nous avions de la vénération pour Bishop" . Mordant, lui, l'avait livré. Un autre rescapé, raconte Lewis, lui rapporta cette histoire extraordinaire : "Nous étions neuf ou dix dans une cellule, Bishop avec nous. Dire que nous étions maltraités serait vraiment un euphémisme. Un certain jour, un groupe de Suédois fut signalé autour du camp et les Japonais essayèrent de leur montrer leurs bons traitements aux prisonniers. (pendant la guerre, les Suédois, restés neutres, furent en affaire avec l'Allemagne nazie et le Japon : ils en profitèrent pour visiter des camps). Lorsqu'ils approchèrent de notre cellule, ils (les Japs) ne permirent qu'à Bishop de se montrer et les "Japs" disaient que le bruit qui courait sur le surpeuplement des cellules était faux : "regardez, un seul homme par cellule !"... Nous, les autres, étions entassés au fond et, avec le misérable éclairage, on ne pouvait nous voir. Bishop réussit à capter le regard d'un Suédois et, avec ses mains croisées sur la poitrine, se mit subtilement à utiliser le code Morse en tapant avec ses doigts sur ses bras et en signalant aux visiteurs qu'il y avait d'autres prisonniers dans la cellule, avec lui. Par chance, un des Suédois comprenait le Morse et, sans compromettre Bishop, il insista pour être autorisé à entrer dans la cellule et il nous découvrit. Les Suédois dirent à nos geôliers que leur gouvernement serait saisi du traitement plus que bestial des prisonniers, et le résultat fut notre élargissement. Ce n'est là qu'une des histoires de Bishop. Je suis sur que nous pourrions écrire un livre sur lui ... ". Pendant que Bishop partageait une cellule trop petite avec des "Batt-Cor Survivors" , Mac Arthur libérait les Philippines et Nimitz débarquait à Okinawa, île métropolitaine du Japon. En Indo-Chine, les derniers "Fidèles du Maréchal" rejoignaient le général Mordant, devenu "Chef de la Résistance Officielle" : On sauvait alors les pilotes américains de la captivité japonaise... Comme disaient les bonnes âmes : La situation avait grandement évolué !

Le Tigre sort ses griffes

A la fin de la guerre du Pacifique, un maquis chinois encadré par des Américains fit irruption dans un camp de prisonniers, neutralisa la garde japonaise et libéra Bishop et ses camarades. Chennault, qui tenait à le voir et à lui rendre publiquement hommage, le fit venir à Tchung King par avion. En sa qualité d'ancien du 14th. Foreign Volunteers Squadron, Labussière, devenu Capitaine Martin de la Mission Française en Chine, fut invité par Chennault au pot offert en l'honneur du pilote descendu à Lao Kay deux ans plus tôt. Victime du complot des généraux US, Chennault ne commandait plus la célèbre XIV° Air Force depuis le 31 Juillet 1945. Levant son verre pour un toast, Bishop rappela sa capture et la façon dont les officiels de Hanoï l'avaient livré aux "Japs" . Devant ses amis qui ne cachaient pas leurs sentiments envers les Français d'Indochine qualifiés "Français de Vichy" , Bishop déclara : "... je regrette de le dire devant Labussière ici présent, mais je ne serai satisfait que lorsque j'aurai abattu un officier français de la collaboration de Vichy". Le "Capitaine Martin" se leva et se présenta comme étant le pilote Willy Labussière qui, de 1937 à 1939, faisait équipe avec Boulingre et Poivre, le héros national de la China Air Force. Il déclara d'abord qu'il comprenait parfaitement les sentiments qui motivaient Bishop, ayant lui même été arrêté par les Vichystes et mis aux fers au cachot après condamnation au bagne. Ensuite, calmement mais fermement, il rappela qu'il était également présent en tant que Capitaine Martin, de la M.M F., et qu'en sa qualité de représentant officiel de la France, il ne pouvait continuer à entendre de pareils propos de son camarade des A.V.G.. Et il sortit. Cela n'empêcha pas les deux amis de se rencontrer fraternellement le lendemain, avant le rapatriement de Bishop. De temps à autre, pendant une quarantaine d'années, ils eurent des nouvelles l'un de l'autre par Chennault, jusqu'à la mort de celui-ci en 1968 après avoir rendu visite à Labussière à Paris. Ensuite, le Bulletin des A.V.G., qui proclamait "Flying Tigers do it better" (les Tigres Volants font ça mieux), fut leur seul lien, jusqu' à la disparition de Bishop en 1986. C'est au cours d'un entretien de ce genre que Labussière évoqua une affaire qui eut.une incidence certaine sur l'opinion que se faisaient Chennault et les dirigeants américains de l'esprit de résistance des autorités françaises d'Indochine aux empiétements japonais. L'affaire est peu connue bien que caractéristique de la façon de raisonner "hexagonalement" des responsables français de l'administration de Vichy en Indo-Chine. Labussière rapporte:" Parmi les 22 officiers formant le Staff de Point X - China, se trouvait le Chief of Staff Harvery Greenlaw, avec sa femme Olga qui était statisticienne. En Août 1940, ils avaient été envoyés discrètement par Chennault à Haïphong, auprès du Français William Labussière, ancien pilote d'Ankow de 1937 à 1939. (à la mobilisation il rallia la 2/595 de Chasse et combattit contre le Siam). L'objet de la mission confié à H. Greenwald par Chennault était de transmettre à l'Amiral Decoux (Gouverneur Général de l'Indo-Chine Française) l'offre d'accepter, sans bourse délier, la livraison de 11 chasseurs Curtiss Haw-75, avec armement et pièces de rechange, initialement destinés à la Chine : Le récent blocus des côtes s'opposait à leur débarquement en Chine de Tchang Kai Chek. Cette offre était assortie d'un avertissement : En cas de refus du Gouvernement Général de l'Indo-Chine, il ne pourrait s'opposer à l'acheminement des Curtiss vers le Siam (Thaïland), acquéreur potentiel de ces avions et impatient de les obtenir en les payant cash" . Transmis à l'E.M. de l'Air (général Tavera) par l'Amiral Decoux, l'offre fut catégoriquement refusée par ce dernler, sous prétexte que Vichy disposait d'une Mission d'Achat aux U.S.A., Notre Mission revint des USA bredouille : Les Américains avaient conclu que les Français n'étaient pas spécialement décidés à combattre, mais voulaient peut être rétrocéder aux Nippons les avions achetés aux Américains ; ce qu'ils n'auraient pas osé faire d'avions offerts. On confond parfois Lewis S. Bishop, le héros des A.V.G., avec Louïe Bishop, de la XIV° Air Force, qui termina sa vie comme colonel de l'USA-AF l'année où son fils entra à l'Académie de l'Air Force. Lui aussi fut "descendu", rentrant de mission en Birmanie début 1944. (famille à Colorado Springs. Il a totalisé 10.000 heures de vol).

Derniers souvenirs

Labussière rappelle une affaire qui vint naturellement aux oreilles de Chennault… Comme ses officiers, il s'en tint aux faits : Début de 1942, d'ordre du général Tavera commandant l'aviation en Indo-Chine, trois chasseurs "Morane" de la base de Tong s'envolèrent pour rejoindre trois "Zéro" japonais basés près d'Hanoï. Ils devaient se retrouver en un point et patrouiller ensemble ensuite. On en était à l'époque des victoires-éclair japonaises, sur tous les fronts. Lorsque les trois "Morane" se présentèrent au rendez-vous, les "Zéros" étaient déjà là. Sans le moindre préavis, ils piquèrent en tirant sur nos avions, abattant le leader. Les deux autres n'eurent d'autre réflexe que de plonger pour éviter le combat. Ils "cassèrent du bois en voulant se poser en catastrophe. Les Américains notèrent que, s'agissant des Japonais, le réflexe de riposte pratiqué par Vichy envers les Anglo-Saxons et les Français Libres était soudain oublié... Le bruit couru que la mission étonnante, prévue pour les deux "patrouilles alliées de la défense commune franco-japonaise de l'Indo-Chine " était de donner la chasse à un avion d'A.V.G. : Les Américains retinrent l'organisation d'une patrouille mixte entre le Japon belligérant et la "France neutre". Pour eux, elle illustrait la "Défense commune" signée par Vichy ; d'une façon plus affirmée que des tirs de D.C.A. et même que la capture de pilotes descendus sur le territoire indochinois. Les Américains n'ignoraient pas les instructions du général Mordant à la D.C.A. en cas de survol allié : Tirer et abattre. Cet ordre, diffusé dans les unités et à bord des bâtiments de la "Royale", était assorti d'une mention caractéristique de l'homme qui se voulait un "Chef" : "à incinérer après avoir pris connaissance". Le "Pacha" d'un aviso bourlingueur basé à Saïgon, Enseigne de Vaisseau brestois, avait épinglé ce spécimen de littérature militaire d'époque, agrémenté d'un dessin approprié : un parapluie !

Documents

Cf le CD