Docteur André QUEGUINER
Capitaine
Raymond SOCLET
William
LABUSSIERE
095
Flying Tiger's story
Guerre
1939 - 1945
Témoignages
Nice -
Octobre 1991
Analyse
des témoignages
GUERRE d' Indochine
Ecriture
: 1988 - 50 Pages
Les
chercheurs, officiels ou non, disposant d'archives
militaires de l'époque
pourront
retrouver les noms réels de certains personnages,
des
"bons "ou des "méchants":
Prénom,
initiale du nom et grade de l'époque ont été
conservés,
ainsi
que l'affectation.
Cela
n'intéressera que l'historien
et
il était inutile que les enfants aient à supporter
les conséquences
du
comportement de parents
qui
en général poursuivirent leur carrière...
René J. Poujade
POSTFACE de Michel EL BAZE
Ces témoignages sur les
événement survenus en Indochine pendant la seconde
guerre mondiale, révèlent le comportement de gens
restés fidèles à Vichy qui ont adopté ses "visions
politiques". En conflit : des officiers ralliés à
la France Libre : Lecoq, Quéguiner, Soclet... et
ceux fidèles au maréchal dont ceux de l'État
Major. Apparait aussi Willy Labussière, ami du
Général Chennault et un de ses anciens meilleurs
pilotes qui rencontra le héros américain de
l'aventure. René F. Poujade a recueilli ces
témoignages auprès de Dr Quéguiner, du Capitaine
Soclet et de Willy Labussière. Il leurs a soumis
son texte et ils lui ont donné leur accord pour sa
publication.
PREFACE DE RENÉ J. POUJADE
Lavry, Poivraud, Vaci,
Lapidaire : des pseudos transparents ayant au
moins conservé l'initiale exacte. Le Docteur André
Queguiner et Raymond Soclet sont devenus mes amis
comme l'est William Labussière. Je dois aux trois
derniers les détails de ce qu'ils ont vécu de
l'affaire Bishop. Labussière, comme mes amis
Pierre Boulle et mon "Patron" Eugène Robert, fut
condamné par le Tribunal Militaire pour
"dissidence et haute trahison" et connut le bagne
et sa "Barre de l'Indochine". Le Colonel Lecocq
fut tué lors des combats du coup de force japonais
du 9 mars 1945. Le Général Lemonnier fut décapité
à Langson après l'attaque... "Poivraud" a
poursuivi une carrière dans l'ombre, comme
d'autres qui se sont souvenus qu'ils étaient
officiers de carrière. Le Dr. Quéguiner a
poursuivi une belle carrière civile, comme
Soclet... et Labussière. Lorsqu'on évoque le rôle
néfaste, incontestablement de l'O.S.S. (premier
nom de la CA.) et de son chef local Helliwell
l'ami du Viêt Minh, dans les événements survenus
en Indo-Chine de 1944 à 1954, on oublie que sa
francophobie primaire avait cependant quelques
bases outre les motivations de F.D.Roosevelt et
les rapports intimes de la First Lady... Pour les
É.M. US et les agents de l'O.S.S., ignorants des
contingences et ne jugeant que sur les faits qui
les touchaient directement, les Français
d'Indo-Chine servant sous l'Amiral-Gouverneur
Général Decoux; et le Général Commandant Supérieur
Mordant ne pouvaient être que des collaborateurs
des Japonais, c'est à dire des ennemis des États
Unis d'Amérique traîtreusement attaqués à Pearl
Harbour..., félicités pour leurs victoires par le
Gougal et le Génésuper. En familiers de la Bible,
ils jugeaient l'arbre à ses fruits. Comment
concevoir que le traitement infligé habituellement
aux pilotes de la XIV° US. Air Force par les
autorités d'Indochine serait sans conséquence,
particulièrement lorsqu'il s'agissait d'un Bishop,
héros reconnu en Chine ? La découverte des
horreurs nazies par les Américains, encore toute
récente, puis celles, encore fraîches, des "Japs",
alors qu'ils conservaient en mémoire les récentes
déclarations collaborationnistes des tenants de
Vichy en Indo-Chine les confirmaient dans leur
analyse simpliste, mais non sans fondement, de la
situation. On comprend cette réaction américaine,
sans pour autant la faire sienne en tout, lorsque
l'on connait l'histoire de Bishop, pilote des
Flying Tigers.
Table
L'Indo - Chine sous la
botte japonaise 9
Le camouflet 10
L'Indochine que
connaissaient les Américains 11
Le Potez de Lao
Kay 12
Les aventuriers
de A.V.G. 13
Croquis de la
zone d'opération de Bishop 15
Les Tigres
Volants attaquent 16
La capture du
Tigre 17
Camarades de
combat 18
Un Tigre dans la
gueule du loup 20
Le Tigre en cage
21
Le Tigre sort ses
griffes 22
La mémoire
La
mémoire : seul bagage incessible
Jacques ATTALI
L'Indo -
Chine sous la botte japonaise
A Tokyo, le 2 Septembre
1945, en présence du Général Leclerc, le Japon
capitula mettant ainsi fin à la Deuxième Guerre
Mondiale, menée contre l'Axe Berlin - Rome -
Tokyo. Depuis 1937, la Chine était en état de
guerre pour résister aux Japonais. Depuis la fin
de 1940, la France en Indo-Chine était en butte
aux empiétements graves contre sa souveraineté. Le
7 Décembre 1941, la Guerre du Pacifique éclatait à
Pearl Harbour, puis en Malaisie et à Bornéo à
partir des bases japonaises octroyées en
Indo-Chine par Vichy. Pearl Harbour engagea
officiellement les Etats Unis dans la Deuxième
Guerre Mondiale. Les Territoires Français du
Pacifique et des Indes rallièrent la France Libre,
suivis, plus tard et manu militari, par Madagascar
et Djibouti. Sous l'autorité de l'Amiral Decoux
nommé Gouverneur Général par Vichy, l'Indo-Chine
appliqua, outre les "lois de Vichy" , les "accords
de défense commune franco-japonaise de
l'Indo-Chine", conclus par Vichy et Tokyo. Une
résistance "gaulliste" naquit dans ce territoire
totalement occupé (terminologie japonaise et
allemande) depuis Juillet 1941 par les forces
japonaises de mer et de terre. (compris leurs
aviations). Début Mars 1945, les troupes
japonaises attaquèrent les nôtres par surprise:
Après de sanglants combats souvent suivis de
massacres, nos soldats se retrouvèrent
prisonniers, sauf des éléments réussissant à
passer en Chine, durement. Au milieu de Septembre
1945, la capitulation des troupes japonaises
libéra les prisonniers de Saïgon : Ils prirent le
contrôle de la capitale de la Cochinchine avant
l'arrivée de Leclerc. Ceux du Tonkin furent
maintenus sous la "protection" des Japonais
contrôlés par les Chinois et les Américains, peu
amicaux. Leclerc atterrit à Saïgon le 5 Octobre
1945. Il avait été précédé par la Mission du
Commandant de Riencourt, parachutée fin Août aux
environs de Saïgon pour transmettre au Maréchal
Comte Teraushi, Commandant Supérieur de l'Armée
Japonaise dans la Région Sud, les instructions de
Lord Louis Mountbatten, Commandant en Chef Allié
dans le Sud-est Asiatique. (S. E.A. C.). Au
Tonkin, la Mission Messmer connut quelques
déboires du fait du Viêt Minh. Sainteny y fut
parachuté pour dégager un "modus vivendi"... qui
ne plaisait guère aux Chinois, ni aux Américains
de 1'0 S.S.. (ancêtre de la C I.A. et alliée des
Viêts). Dans cette atmosphère, commencèrent les
premiers rapatriements aériens d'ex-autorités
françaises de l'Indo-Chine occupée. Le transit se
faisait par la Chine.
Le camouflet
La France Combattante, à la
suite de la France Libre, entretenait une Mission
Militaire Française (M.M.F.) à Tchung King,
capitale repliée de la République de Chine; la
Chine Nationaliste du Maréchal Tchang Kai Chek.
Après son évasion rocambolesque de la prison de
Saïgon, à la fin de 1944, William Labussière avait
été affecté à la MMF, en raison de ses liens
amicaux avec les hauts dirigeants chinois et le
général Claire Chennault, son ancien chef des
A.V.G. devenu celui de la XIV° US.AF. Il avait
reçu le nom d'emprunt de Capitaine W. Martin Un
jour, sur ordre de Sainteny, "retenu" à Hanoï, le
capitaine Chabut eut à présenter le personnel de
la Mission Française à une "personnalité de
l'Indo-Chine sur la route du rapatriement":
C'était l'ex "Chef de la Résistance Officielle en
Indo-Chine" . Labussière avait jadis eu
directement affaire avec ce personnage, alors
Commandant Supérieur des Troupes d'Indo-Chine sous
le proconsulat de l'Amiral - Gouverneur Decoux.
Apprenant tardivement que des services avaient
fonctionné à son insu contre les Japonais, il ne
l'avait pas admis à l'heure où, pourtant,il
devenait le Chef de la Résistance Officielle : Il
réorganisa les Services de Renseignement, ce qui
ne fut pas sans conséquence fâcheuse lors du coup
de force japonais du 9 Mars 45. Très au-dessous de
ce qu'aurait exigé sa charge, il fut inexistant ce
jour crucial. C'est à ce chef d'une saugrenue
"Résistance Officielle" que le capitaine Chabut
eut à présenter le personnel de la M.M.F. : Six ou
sept officiers de la Mission face au voyageur sur
le retour et se croyant encore un avenir. Le
général les "passa en revue", s'annexant en
quelque sorte ceux qu'il avait combattus. (Pierre
Boulle qu'il fit condamner au bagne, et qui écrira
le "Pont de la Rivière Kwaï", était de ceux-là).
Le général avançait la main, serrait celle de
l'officier et prononçait une banalité de
circonstance. Quatre s'étaient ainsi présentés.
L'ex Chef de la Résistance Officielle tendit
normalement la main vers le "Capitaine Martin" que
lui présentait le capitaine Chabut : L'aviateur
resta au"garde-à-vous", mains le long du corps et
visage hermétique. Le sourire du Grand Chef se
figea soudain dans le visage, jusque là réjoui.
Les yeux cherchèrent aide avec inquiétude.
Toujours au "garde-à-vous", fixant le général dans
les yeux, à haute et intelligible voix et avec
tout l'humour qui le caractérisait, l'aviateur aux
ailes de la France Libre articula dans un silence
impressionnant - Général, je ne suis pas le
Capitaine W. Martin, mais le Sergent William
Labussière que vous avez fait condamner au bagne
en Indo-Chine, parce qu'il voulait rejoindre la
France Libre ! Un ange passa : Têtes ! Le général
répondit au bout d'un moment - Je le regrette L'ex
Tigre Volant répliqua - Pas tant que moi ! Chacun
se retint de ne pas s'esclaffer. Ce fut la déroute
de l'ex-Génésuper qui serra encore, machinalement,
la main d'un officier de la Mission, de Montpezat,
qui eut le mot de la fin : Se tournant vers
Labussière, il lui dit en riant - Sacré farceur
qui nous a fait gagner une coupe de champagne ! Ce
fut le seul commentaire. Le général prit l'avion
qui le ramena en France, à l'oubli. Le Capitaine
Martin était à Tchung King en milieu de
connaissance. A son retour en Chine, William
Labussière avait retrouvé ses amis, dont le
général Chennault. Lewis Bishop, l'ex-A.V.G. se
retrouva là également. Avant de répondre à la
mobilisation française de Septembre 1939,
Labussière avait été, depuis 1937, un des as des
volontaires de Chennault, les fameux "A.V.G.",
futurs "Tigres Volants". D'Indo-Chine, il avait
tenté de rallier les Forces Françaises Libres, par
la mer pour ne pas "voler" un avion à Vichy ...
qui eut été la solution de facilité. Sur ordre du
Génésuper Mordant, il avait été condamné aux
travaux forcés et mis aux fers de la sinistre
"Barre de l'Indochine" réinventée par
l'Amiral-Gouverneur Decoux. Fin 1944, profitant
des spectaculaires "retournements de vestes" il
s'était évadé en compagnie de Pierre Boulle et de
Eugène Robert. Ils avaient emprunté l'avion du
Commandant de Langlade venu en mission clandestine
en Indochine, pour gagner la Chine. En raison de
ses amitiés avec les Chinois et les Américains, il
avait été affecté à la Mission Militaire Française
où il était devenu le "Capitaine Martin". La
mémorable poignée de main refusée termina sur un
coup d'éclat de Gascon l'histoire militaire du
Bordelais William Labussière en Indo-Chine, mais
non ses rapports avec Chennault. Cette histoire
situe deux des personnages de "l'affaire Bishop".
L'Indochine que connaissaient les
Américains
Il est inconcevable qu'en
Indo-Chine, à l'époque, on n'ait pas tenu compte
de la façon dont les Américains de Chine
percevaient les comportements de l'administration
française dans notre possession occupée de fait
par les forces japonaises : Ce fut pourtant le
cas, parce que les autorités françaises
d'Indochine étaient persuadées de la victoire du
III° Reich nazi, et donc des "Japs" en Extrême
Orient. Un rappel et deux documents aideront à
comprendre les réactions américaines, sans nuances
: - Quelques semaines avant l'affaire Bishop, sous
menace américaine au gouvernement du maréchal
Pétain, Vichy avait refusé à l'amiral Decoux
d'envoyer, sous la protection d'une escadre
japonaise, la Marine-Indochine et des forces
amphibies à la reconquête de la Nouvelle Calédonie
ralliée à la France Libre. (ce qui évita le poteau
à l'Amiral, à la Libération ...). - Le I° Mai 1942
(Tél. 191) l'Amiral interrogeait notre ambassadeur
à Pékin, auprès du gouvernement chinois de
collaboration avec les Japonais (Wang Chin Wey),
sur l'opportunité de faire venir en Indo-Chine nos
blindés de Chine (Shang Haï et Tien Tsin) "pour la
défense du Tonkin si l'attitude des adversaires
(sic) du Japon évoluait défavorablement à l'égard
de la France" . - A l'heure de la décisive
victoire aéro-navale US à Midway, la très
officielle revue "Indochine" (n° 97) publiait un
article de fond, inspiré : "... l'axiome
fondamental est que la collaboration
franco-japonaise est sincère et sans
arrière-pensée ..." Plus loin, "Du côté français,
la collaboration japonaise a épargné à l'Indochine
un destin tragique... Le Gouverneur Général, le
gouvernement français ont maintes fois proclamé la
nécessité de son adoption sans réserve...". Enfin"
...nous sommes persuadés que les autorités
japonaises ne trouveront aucun sujet d'alarme dans
une collaboration de plus en plus étroite qui sert
à leurs intérêts bien compris". Les Américains
n'ignoraient rien de cela ...
Le Potez de Lao Kay
La XIV° USA. Air Force (elle
succéda aux A.V.G. à la mi 1942) opérait souvent
avec brutalité et pas toujours avec discernement.
Entre elle et l'Indo-Chine clandestine, le
renseignement fonctionnait bien : Les Américains
l'ont reconnu de façon significative. Un jour, par
exemple, un capitaine du B.S.M. de Hanoï (Bureau
des Statistiques Militaires, en fait
S.R.Intercolonial indépendant de l'E.M.) fit
transiter par un poste frontière une information
pour les "Tigres Volants" : Onze bombardiers
japonais, partant d'un camp des environs de Hanoï,
allaient attaquer Tchung King... (jour et heure
précisés).La chasse des "Volunteers" de Chennault
les attendit sur leur trajet : Neuf "Japs" furent
abattus, aucun ne s'approcha de la capitale
chinoise repliée. Ces opérations de renseignement
se faisaient à l'insu et en cachette du
commandement; aux risques du résistant impliqué.
Agissant en contradiction des ordres de
l'Amiral-Gouverneur et du Génésuper, il risquait
le Tribunal Militaire sous inculpation de haute
trahison passible de la peine de mort, comme ce
fut le cas pour le Lieutenant E.Robert, du B S.M.;
qui évita le poteau mais non le bagne et les fers
de la "Barre de l'Indochine"de l'Amiral. Un mois
avant "l'affaire Bishop" , l'amiral Berenger,
Commandant la marine en Indochine, avait, sur
ordre (Avril 1942),livré aux Japonais les 100.000
tonneaux de nos navires marchands; ordonnant aux
E.M et aux équipages de servir à bord sous
pavillon nippon ! Nos marins réagirent. La.
réplique américaine fut significative devant cet
acte d'hostilité envers les Alliés, d'autant que
le refus de nos marins prouvait qu'il n'y avait
pas lieu de céder aux "Japs" sur ce point Les
événements du Pacifique de Mai 1942 furent mal
perçus par les Grands Chefs de l'Indo-Chine : Ils
nourrissaient un sentiment de supériorité envers
les généraux américains, ces "civils en uniforme".
Alors que les derniers soldats laissés par Mac
Arthur aux Philippines devaient capituler, la Navy
de Nimitz remportait une victoire aéro-navale
décisive à Midway : Les Américains y virent avec
raison un changement du flux des opérations, et
leur moral s'en trouva "gonflé" . Peu avant la
patrouille des Flying Tigers du 17 Mai, et après
la livraison des navires, un antique "Potez 25"
d'observation de la base de Tong fut abattu dans
l'arrière pays de Lao Kay : Des forces japonaises
étant stationnées en Indo-Chine "co-défendue" par
les Français et les Japonais, les Américains
avaient fait savoir qu'ils considéreraient comme
ennemi tout ce qui naviguerait ou volerait dans
les zones sensibles du Tonkin. Le Potez portait
les bandes jaunes imposées par la Commission
d'Armistice à nos navires et nos avions. ("Quebec"
en code naval). Dans cette ambiance mal perçue de
notre côté, une patrouille de deux chasseurs US,
volant en croisant sans cesse leurs lignes de vol
pour se protéger mutuellement des surprises,
surprit notre vétuste Potez effectuant un vol
d'exercice de transmission optique terre-air, par
panneaux. Il suffit d'une rafale... Alerté par un
appel du préposé Tonkinois de la station du Chemin
de Fer de Pho Lu Ba Hoa, le Médecin Capitaine
André Queguiner, avec les capitaines Tominatze et
Stache, partit en pirogue dans les remous du
fleuve, à la recherche d'éventuel survivant. Le
corps de l'adjudant chef Migeon, atteint de deux
balles, était encore empêtré dans son parachute.
Les restes du sergent chef Vigne ne furent pas
découverts. Cette affaire avait consterné les
Français du poste. Ils comprenaient mal le
comportement des pilotes de Chennault, privés
qu'ils étaient généralement d'information qui ne
soit pas de la propagande. Les Américains voyaient
dans l'installation de camps de prisonniers
Britanniques, Néerlandais et Américains en
Indochine une preuve de notre co-belligérance
réelle. On essaya, côté français, d'imaginer qu'il
y avait eu confusion du Potez avec l'avion
japonais "K.5.Y.Yokosuka" , un appareil très peu
construit et jamais vu au Tonkin : En fait,
l'A.V.G. pensait que nos avions devaient
s'entraîner loin de la frontière de Chine pour
affirmer leur neutralité.
Les aventuriers de A.V.G.
La patrouille du 17 Mai 1942
fut effectuée un mois avant la dissolution des
"A.V.G. (American Volunteers Group), et à leur
initiative. Cette formation "privée" de l'aviation
chinoise rassemblait un lot instable mais efficace
d'aventuriers-casse cou, indisciplinés, vêtus à
leur convenance, qui servaient librement sous
contrat civil dans les escadrilles que Chennault
avait constituées à la demande du
Maréchal-Président Tchang Kai Check. Le personnel
des A.V.G. avait été recruté par une société
privée d'import et de maintenance de matériel
aéronautique, qui payait les soldes, la "CAMCO" de
William Pawley. (caractéristique du milieu). La
France d'avant 39, aux usines d'aviation
nationalisées avait lamentablement échoué dans une
tentative... Le général de l'USA.AF. Bissel (plus
ancien en grade que Chennault d'un fatidique seul
jour... et en opposition acharnée avec lui), était
l'allié de l'impossible général Stilwell, Chef
d'E.M. et ennemi intime de Tchang Kai Check (ami
de Chennault) qu'il surnommait "cacahuète" Fin
Mai, Bissel décida de verser d'office les A.V.G.
dans la XIV° USA. Air Force de création en cours,
basée en Chine. Sans demander l'avis de ces civils
volontaires dans des escadrilles de l'aviation
chinoise, il leur ordonna de signer un engagement
qui les contraignait à la discipline militaire.
Malgré la menace d'être déclarés "déserteurs", pas
un ne le fit. Les A.V.G. rentrèrent aux Etats
Unis. Les "Flying Tigers" volaient sur "Curtiss
P.40". Ces "Warhawk" (Faucon-guerrier) étaient
reconnaissables aux dents de requin peintes sur le
renflement de la prise d'air du moteur, sous le
nez au profil de squale de l'avion et à l'oeil en
avant de l'alignement des échappements. En fait,
cette peinture impressionnante popularisait
l'invention des pilotes britanniques de la Desert
Air Force en Lybie : Ils avaient été frappés par
le profil de l'avant du "P.40.B" , appelé
"Tomahawk. MK.11" dans la Royal Air Force. Ce ne
fut pas le seul lien entre les "P.40" des A.V.G.
et le 112th. Desert Air Group Squadron : Les
premiers 100 "P.40" envoyés en Chine provenaient
d'un contingent initialement destiné à la Grande
Bretagne. En guère plus de six mois, 30 "P.40" des
"Flying Tigers" descendirent 286 pilotes "Japs" ,
contre 23 des leurs. En Novembre 1941, un mois
avant Pearl Harbour, un numéro de l'hebdomadaire
en couleurs India Illustrated News tomba entre les
mains d'un pilote des A.V.G. : Les "Dents du
Squale" y ornaient le nez d'un P.40 du 112th.
D.G.S. de la R.A.F.. Ce Totem fut adopté
d'enthousiasme par les pilotes de Chennault, qui
le rendirent universellement célèbre. (plus tard,
des pilotes Allemands du Messerschmitt 210 le
peignirent également sur leur avion). En fait, le
surnom de Tigre Volant, communément appliqué à
tous les pilotes alliés en Chine, n'apparut que
peu avant la dissolution des A.V.G.. Bien qu'il
leur ait été attribué en raison de leurs exploits,
ce fut paradoxalement la XIV° USA. A.F. qui le
rendit célèbre; ainsi que l'insigne représentant
un Tigre Volant traversant le "V" de "Victory" .
Ce nom de Flying Tiger avait été trouvé par la
Walt Disney Org., à la demande des Chinois. Selon
l'ésotérisme des Célestes, le tigre correspondait
assez bien au pilote-type A.V.G. : Frondeur,
indiscipliné, ayant le goût du risque jusqu'à la
témérité, allant toujours de l'avant, le tigre
affectionne les métiers à risques et méprise
l'autorité établie et la hiérarchie... Les pilotes
des A.V.G., puis ceux de la XIVe, avaient une
particularité peu banale : Sous le blouson, ils
portaient un plastron aux couleurs du drapeau
chinois où des idéogrammes donnaient l'identité du
pilote et promettaient une bonne récompense à qui
ramènerait un Tiger sain et sauf. Précaution pas
inutile car des pilotes-convoyeurs Italiens pour
le compte des "Japs" furent pris par des paysans
et découpés en morceaux... Ces panneaux ont sauvé
bien des vies alliées.
Les Tigres Volants attaquent
Le plan de vol, pour l'après
midi du Dimanche 17 Mai 1942, de la 3° Escadrille
du Staff de Chennault à Point "X'" China portait :
"Attaquer un train chargé de militaires japonais
quittant Lao Kay en direction de Hanoï." (de la
frontière sino-tonkinoise vers la capitale à 200
km et terminus d'une ligne rectiligne). C'était de
la routine pour les "Flying Tigers" qui
surveillaient depuis leur terrain de Chan Yi la
frontière avec le Tonkin et attaquaient le trafic
nippon. Leurs renseignements leurs venaient de
leurs agents indigènes et d'un réseau français,
F.F.L. à l'époque à dominante d'officiers du
B.S.M. Ce matin là, Lewis S. Bishop, Flight Leader
de huit "Warhawk P. 40" qui devaient effectuer la
mission sur l'axe de la ligne de Lao Kay, réunit
ses pilotes pour le "briefing" . Ancien de la Navy
(l'USAF date de cette guerre), cet originaire de
Kalb Junction (N.Y.) s'était porté volontaire pour
l'American Volunteers Group, comprenant trois
escadrilles à Kun Ming et trois à Point "X" China.
Chacune avait une trentaine de pilotes. Bishop
servait au 3rd. Pursuit Squadron, dit des "Hells
Angels" (Anges de l'Enfer), basé à Chan Yi. Cette
unité voisinait avec "Adam & Eve" et "Pandas"
. La future grande base de la XIV° USA.AF. était à
une bonne heure de vol de Lao Kay. Le Chasseur
Curtiss P.40 était une bonne arme : Doté de six
mitrailleuses, il emportait jusqu'à 300 kg. de
bombes à fragmentation. Il fut l'avion de chasse
le plus construit de la deuxième Guerre Mondiale :
Près de 14.000 exemplaires divers combattirent sur
tous les fronts, depuis la Lybie à l'U.R.S.S. Pour
l'attaque principale, Bishop avait prévu, venant
de Chine, de surgir en groupe sur l'objectif
principal. Au retour, après une large boucle, les
appareils opéreraient en tandem pour "straffer" la
gare de triage, où les "Japs" avaient un camp à
quelques kilomètres au Sud de Lao Kay. Les
dernières bombes y seraient larguées, avant de
franchir la frontière. A leur premier passage, les
"Warhawk" surgirent sur le train chargé de "Japs"
, mitraillant et bombardant. Le convoi dérailla en
voulant fuir dans les éclatements qui tordaient
les rails. Les pertes furent importantes, comme la
panique. Surprise, la défense contre-avions (Bokù)
ne s'était guère manifestée. Il n'en serait pas de
même au retour. Des mitrailleuses lourdes de
D.C.A. "Type 98" (année 1938), mono-canon à
chargeur et sur trépied axial tous azimuts, et des
mitrailleuses "Type 92" (de l'année 1932), sur
affût mis en D.C.A., armaient la défense de la
base japonaise : Alertés, on savait que, sous le
commandement d'officiers sabre-au-clair, les
servants accueilleraient la deuxième vague de
"Téki Tora" ,(Tigre ennemi : "Tora" , qui signifie
"Tigre",f ut le mot-code de l'attaque aérienne
surprise de Pearl Harbour). Après avoir "éclaté"
vers le Sud, le Squadron, scindé en patrouilles de
deux, revint attaquer la gare de triage et le camp
de Pho Moi ; le long de la rive gauche du Fleuve
Rouge, au pied d'une colline. Les "P.40" s'en
prirent également à la gare même de Lao Kay, au
dessous du "Point A" où était un poste de D.C.A.
français. Au delà, sur la Nam Ti, le pont
international détruit menait au poste chinois de
Ho Kéou. En face de la gare, un pont intact
conduisait au camp français, siège de la
Subdivision Militaire, où s'élevait "Fort Lao".
Bishop s'était choisi la gare de triage de Pho
Moï. Venant du S-E, plongeant dans une D.C.A.
déchaînée, il précipita son "Curtiss" sur
l'objectif. A la ressource, coupant le Fleuve
Rouge en biais, son "P.40" fut atteint par dessous
: Des flammes s'échappèrent en arrière du moteur,
qui se mit à hoqueter. L'aviateur, à la limite
d'altitude inférieure, parvint à s'éjecter du
chasseur en perdition et à déclencher son
parachute soudain déployé au dessus de la verdure.
Pilote et appareil touchèrent le sol dans une zone
de dense végétation, à l'Ouest du camp français.
D'une fenêtre de Fort Lao, le Médecin Capitaine
Queguiner observait bien l'action : L'alerte fut
donnée immédiatement. Défavorable, le vent avait
fait atterrir l'aviateur à moins d'un kilomètre de
la frontière, mais, à cause des Japonais, il
n'était pas possible de le faire passer
immédiatement en Chine. La D.C.A. française, dont
une Oerlikon de 20 m/m installée au "Point A'." ,
avait exaspéré les Japonais par la mauvaise
volonté évidente des servants.
La capture du Tigre
Les troupes de la
Subdivision de Lao Kay étaient commandées par le
commandant (bientôt Lieutenant-colonel) Lecocq,
secrètement rallié à la France Libre. C'est à lui
que le Docteur Queguiner, qui nourrissait les
mêmes sentiments patriotiques, vint rendre compte
de ce qu'il avait observé. Peu après, un Nguoi nhà
quê (villageois) entra signaler au Commandant
qu'il y avait un pilote américain dans une cai nhà
(maison). L'homme n'était pas blessé et, bien
qu'armé, n'était pas menaçant. Le commandant
Lecocq choisît le Lieutenant Raymond Soclet,
officier sûr, pour aller récupérer l'aviateur.
Lecocq spécifia qu' il fallait "l'arrêter
ostensiblement" , de façon à ne donner aucun motif
aux Japonais. Le "Toubib" , prenant sa trousse
d'urgence, offrit d'accompagner le Lieutenant :
"pour le cas où il y aurait besoin d'un
médecin..." Les deux officiers descendirent au
village, où ils furent conduits vers le pilote.
Vêtu d' une combinaison, l'aviateur attendait
calmement qu'on vienne le tirer de sa fâcheuse
position. Sa seule demande fut "No Jap, please !"
Le Lieutenant Soclet s'avança vers lui. En tenant
son revolver par le canon, pour bien montrer ses
bonnes intentions, il lui déclara qu'il était "my
prisoner" . Les espions des Japonais, s'il y en
avait sur place, ne notèrent pas la façon curieuse
qu'avait ce Lieutenant d'Infanterie Coloniale de
"menacer un ennemi de la crosse et non du canon".
Ils rapportèrent seulement que l'Américain était
bien le "horyo" (prisonnier de guerre) des
Furançù. Les deux officiers encadrant Bishop,
rentrèrent au plus vite au poste ; tandis que les
patrouilles japonaise furieuses d'être
bredouilles, commençaient à manifester une
dangereuse nervosité de mauvais augure. Retourné
voir les débris de l'avion, le "Toubib" Breton en
rapporta un morceau pris sur une pièce déchiquetée
: En surimpression sur un lambeau d'étoile blanche
à point rouge sur fond bleu de l'US.Air Force, on
reconnaissait un morceau de la lune blanche aux
douze rayons blancs sur fond bleu de la China Air
Force dont dépendait l'A.V.G. Sortant de leur camp
de Pho Moï, des détachements nippons commençaient
à se répandre en ville, faisant preuve de
nervosité comme il était habituel à la soldatesque
japonaise et coréenne. L'un d'eux, accompagnant un
officier arrogant, se présenta au camp français.
Pour bien montrer sa détermination et répondre aux
manoeuvres d'intimidation nippone, le commandant
Lecocq fit sonner "la générale" . Les Marsouins
comprirent d'autant mieux cette sonnerie qu'elle
était peu habituelle et qu'ils voyaient les "Japs"
manoeuvrer autour du poste. Le "rikugùn shôkô"
(officier de l'Armée) fut introduit, à sa demande,
devant le Commandant : Il "exigeait la restitution
du prisonnier de guerre" ! Immédiatement ! Lecocq,
que sa superbe carrière d'officier de Méhariste
Colonial avait habitué à en imposer par la dignité
affirmée, le prit de haut. Malgré les prétentions
du "Jap" proclamant "koré wa watashi no mono désù"
(ceci est le mien), le Commandant maintint qu'il
s'agissait bien de "son prisonnier", capturé par
ses soldats, et qu'il le garderait en attendant
les ordres du Commandant Supérieur. Il appuya sa
décision en rappelant qu'il agissait sur "son"
Territoire Militaire dans l'Indochine où la
souveraineté française était reconnue et proclamée
par "Sa majesté l'Empereur du Japon lui même"...!
L'"argument juridique" s'appuyant sur cet auguste
personnage considéré comme un Dieu-vivant, mettait
le Nippon dans une position dont l'inconfort était
manifeste. Il n'apprécia pas mais fit contre
mauvaise fortune bon coeur, réclamant cependant de
voir le "hikôshi téki" (aviateur ennemi). Ne
pouvant faire autrement sans ruiner son argument
juridique, Lecocq consentit, souverainement. Entre
temps, le médecin capitaine Quéginer avait
conseillé au pilote de s'allonger sur un brancard
et d'y simuler le boxeur "K.O." . C'est le
spectacle que le Nippon eut sous les yeux lorsque
le commandant le conduisit constater la présence
de "son prisonnier" . Le "Jap" regarda Bishop avec
méchanceté, imaginant sans doute tous les sévices
barbares orientaux que ses pareils réservaient à
leurs captifs. Le "Shôkô" à peine sorti, survint
le capitaine Poivraud, descendu de son "Point A'"
pour voir l'Américain. Il lui déclara tout de go
"If you try to escape, we shot you !" . (si vous
essayez de vous évader, nous vous tuons). Il s'en
fut ensuite rendre compte au commandant d'une
soi-disant "victoire de sa DCA contre le 3 P.40"
abattu, ajoutant que cela valait bien une citation
à la Croix de Guerre ! (à ruban noir et vert de
Vichy). Lecocq répondit par un sourire
interrogateur. Le lendemain, encore outré, il
raconta la scène au "Toubib"..., qui retrouva le
capitaine observant le départ de la Mission
Astarté, en Octobre 1945 à Saïgon... Comme il en
avait l'obligation, Lavry, l'adjoint de Lecocq,
rendit compte à l'E.M. de Hanoï qu'on détenait un
aviateur américain que la DCA avait abattu sur Lao
Kay. La réponse du Génésuper Mordant jeta la
consternation à la Subdivision où le pilote avait
été bien reçu et avait reçu l'assurance qu'il
serait l'hôte, un peu forcé, des autorités
militaires françaises.
Camarades
de combat
A l'époque, selon que les
militaires étaient "en poste" à la frontière ou
"en garnison" dans le Delta, les mentalités, vis à
vis du conflit en cours, différaient parfois du
tout au tout. La crainte d'une invasion chinoise
au Tonkin pour y pourchasser les Japonais, avait
fait entreprendre la construction de
fortifications et "redistribuer les personnels"
selon la formule "Mariés dans le delta et
Célibataires (ou mariés en cette situation) à la
frontière" . Les militaires vivant en célibataire
"avaient généralement la famille en France; les
"mariés" s'estimaient en "séjour colonial" ou peu
s'en fallait. Dans cette "redistribution" , le
Docteur André Quéginer s'était trouvé en poste à
Lao Kay, bien que le Service de Santé des Troupes
Coloniales l'ait affecté au Centre Annam comme
Médecin Hors Cadres Chef de la Province de Kontum.
Au mess des officiers de Hanoï, on entendait alors
prédire la "prochaine et inéluctable victoire du
III° Reich"... Dans les postes, la mentalité était
généralement tout autre; les officiers
correspondaient souvent avec leur homologue
anglo-saxon, ou Chinois, de l'autre côté de la
frontière. A Lao Kay, le contact était le
Lieutenant Rawlson, fils d'un général britannique
de la Grande Guerre, en poste à Ho Kéou. Cette
différence de mentalité permet de comprendre les
péripéties de "l'affaire Bishop" : Les officiers
de Lao Kay pouvaient difficilement imaginer que
leurs camarades de Hanoï aient un autre
comportement qu'eux. Le "Toubib" , à l'occasion
d'une "rotation en position de deuxième ligne"
dans le Delta, fut victime de ce déphasage :
Venant d'entendre à la radio la nouvelle du
débarquement américain en Afrique du nord, il se
précipita au mess pour annoncer l'importante
nouvelle. L'unique réaction fut cette réplique
immédiate : "les Allemands vont les refoutre à la
mer". Pour ces officiers, dont quelques uns
s'étaient battus en France en Mai-Juin 1940, Il
n'y eut pas d'autre commentaire à l'ouverture du
Second Front à l'Ouest ! C'est dire l'influence de
la Propagande... La réponse du message de Lavry
vint par la voie hiérarchique : Le prisonnier
devait être conduit, sous escorte armée, à l'E.M.
du Génésuper à Hanoï, pour interrogatoire au 2°
Bureau. Au passage, le commandant de la Brigade de
Langson avait ajouté "avec les menottes" à titre
de "mesure de sécurité" . Lecocq reçut le message
en présence du Lieutenant Soclet et maîtrisant
difficilement sa colère, lui dit : "C'est vous qui
le conduirez à Hanoï, demain matin et en ami !".
Dans son livre "Avec Chennault en Chine: Journal
d'un Tigre Volant" , Bob Smith reproduit des pages
de son bloc-notes : "La radio chinoise dit qu'il
(Bishop) est indemne mais en territoire ennemi" .
Dans la soirée, Lecocq eut l'occasion de redire à
l'Américain qu'il était en sécurité chez les
Français et qu'il ne serait pas remis en captif
aux Japonais. C'est également ce que lui confirma
Soclet le 18 Mai au matin, lorsqu'ils prirent
place, seuls, dans un compartiment de 2° Classe du
train de Hanoï. Le voyage se fit sans menottes. Le
convoi quitta Lao Kay au milieu des traces du
bombardement de la veille. Dans un anglais quelque
peu hésitant, Soclet conversa avec Bishop tout au
long du trajet, en camarades de combat qu'ils
s'estimaient être effectivement. Le Lieutenant
était déjà fortement engagé dans la résistance
clandestine et travaillait régulièrement avec les
anglo saxons en Chine. L'escorte militaire était
symbolique. Les deux officiers firent le
recensement et le tri des papiers du pilote. Ils
lui avaient été laissés et non mis sous scellé à
Lao Kay, contrairement aux instructions. Il y
avait même le code, preuve des bonnes intentions
de Lecocq qui défiait ainsi la hiérarchie à propos
de la conduite envers les prisonniers américains.
Bishop confia tous ses papiers d'importance
militaire à Soclet, qui lui promit de les faire
passer à Chennault au plus tôt. Ce fut fait à la
première occasion, lui valant un très chaleureux
témoignage de satisfaction du "Patron" des Tigres
Volants, devenus entre temps la XIV° USA.Air
Force.
Un
Tigre dans la gueule du loup
L'officier informa
l'Américain que, selon la procédure normale, il
devait le conduire à l'Etat Major du Commandant
Supérieur des Troupes d'Indochine. Le pilote,
cependant ''resterait avec nous" comme cela
s'était passé à Lao Kay. Soclet lui conseilla de
dire qu'il s'était égaré sur le territoire
français, au cours d'une patrouille qui n'était
pas une mission de combat, en dépit des
apparences. Ils dînèrent tranquillement dans leur
compartiment, et toujours seuls. Le train entra à
la nuit en gare de Hanoï. Une voiture militaire
les attendait, avec le capitaine Chef du 2° Bureau
du Génésuper. Peu de mots furent échangés. Soclet
reconnut son "ancien" et lui dit "Il doit rester
avec nous, ce n'est pas un ennemi..." Le capitaine
Vaci répondit "On ne peut pas faire autrement que
l'interroger d'abord, puis on le confiera aux Japs
pour leur propre interrogatoire" . Ces propos
laissaient entendre que le pilote serait ensuite
récupéré par les autorités militaires françaises :
Un double interrogatoire s'expliquait en effet par
l'existence des "accords de défense commune
franco-japonaise de l'Indochine" signés par Vichy.
Bien qu'un tel processus eut marqué un manque de
confiance désobligeant des "Japs" envers notre 2°
Bureau, cela se comprenait pour que les Nippons ne
perdent pas la face. La voiture rallia rapidement
l'E.M. éclairé à giorno. Une certaine animation y
régnait. Sur la véranda, devant le 2° Bureau, un
petit groupe d'officiers français et japonais
attendait le prisonnier. Le capitaine Vaci
congédia le Lieutenant Soclet en lui disant "tu
peux partir, on s'en occupera" . Pas très rassuré
par la tournure des événements, le Lieutenant
rappela encore : "vous le récupérerez, je le lui
ai promis" . Il n'obtint qu'un signe d'épaule, qui
ne l'encouragea guère. Cette attitude
caractéristique de la hiérarchie à l'époque, était
en harmonie avec la propagande défaitiste dans
laquelle des "chefs" se complaisaient avec un
masochisme qu'illustraient bien ces bandes jaunes
qu'imposaient les vainqueurs du moment. (à leur
capitulation, les Japonais obtiendront que leurs
avions soient frappés seulement d'une croix
verte...). Les larmes aux yeux, Soclet regrettait
de n'avoir pas conseillé à Bishop de "tenter la
belle" . Ecoeuré, il s'éloigna et n'eut qu'une
hâte : rejoindre le poste frontière et son air
pur. Il ignorait à quel point le Génésuper Mordant
avait pour politique de "donner des gages aux
Japonais" . La seule consolation du Lieutenant
était d'avoir, au moins, sauvé les papiers
opérationnels du pilote. Rentré à Lao Kay, il
rendit compte à Lecocq du déroulement de sa
mission. Celui-ci dissimula très mal sa colère
contre la couardise de la hiérarchie. Il devenait
évident que la, convocation en vue
d'interrogatoire au 2° Bureau du pilote américain
n'avait été qu'une comédie pour que ne fut pas
trop flagrante la livraison directe aux Japonais :
"On" aurait préféré que les "Japs" le capturent à
Lao Kay, mais on n'osait faire le reproche en face
à Lecocq. Grâce aux Japonais (qui laissèrent
subtilement en place les archives du Gougal)
l'explication de certains faits fut connue par la
suite : Le 6 Février 1942, dans sa Circulaire n°
7.SN/CAB, le Gouverneur Général écrivait : "... le
gaullisme... devra être condamné de la façon la
plus formelle et la plus précise, ainsi que tout
désaccord avec la politique extérieure du
gouvernement français" (de Vichy). Ce même 18 Mai
1942 où Bishop, "pris en charge" par le 2° Bureau
du Génésuper, était livré à l'occupant nippon,
l'Amiral-Gouverneur Général Decoux, informé,
écrivait à son Secrétariat Général à Hanoï, sous
n° 163.SS (sic) "Voyez Génésuper (Mordant) dès son
arrivée et mettez-vous d'accord avec lui sur ses
entretiens à engager avec le commandement japonais
au sujet des bombardements aériens chinois (les
Tigres Volants) et actions de représailles à
engager en commun." L'Amiral précise bien
"représailles...en commun" et après entente avec
le "commandement japonais" (en Indochine). Pour
les Américains, en ce qui les concernait, comment
de tels faits n'auraient-ils pas été des actes
caractérisés de collaboration ? Cela se passait en
Mai 42 : L'Allemagne et le Japon étaient encore à
leur apogée ; cependant, Bir Hakeim, Guadalcanal,
l'A.F.N. et Stalingrad étaient proches...
Le Tigre en cage
Bishop ne fut pas la seule
victime de cette collaboration que tant de
responsables nièrent par la suite en prétextant,
contre les faits, la contrainte d'une
occupation... que par ailleurs ils contestent.
D'autres l'ignorèrent par soucis de carrière. Il y
eut, au moins, un aviateur abattu au sol après
capture par nos forces, et plusieurs livrés aux
"Japs". Certains étaient couchés sur leur lit
d'hôpital à Lannessan. L'un, bien que
particulièrement atteint, fut livré sans problème
de conscience par le médecin colonel concerné. Le
Génésuper, et pas que lui, trouvait normal de
livrer ainsi "nos prisonniers" , alors que les
"accords de défense commune" constituaient une
excellente base juridique pour refuser de les
remettre à un moment où les "Japs" étaient
soucieux d'obtenir de nous que nous maintenions
l'ordre sur le territoire pour la sûreté de leurs
bases. Cette position eut été d'autant plus
judicieuse que le "Gaimusho" (Affaires Etrangères
Nippon) proclamait que l'Indo-Chine était sous
souveraineté française, ce qui l'arrangeait à tous
points de vue. La preuve qu'il était possible de
refuser de livrer "nos Américains" en 1942 fut
administrée, par les mêmes autorités françaises
d'Indochine, au cours des derniers six mois de
notre souveraineté : L'Armée, ralliée depuis peu à
la France Combattante, décida de garder désormais
les prisonniers alliés, relativement nombreux,
abattus sur le territoire de l'Indochine. On les
reconduisait à la frontière, par groupes : Les
Nippons étaient pourtant alors bien plus
"chatouilleux" qu'en 1942 ! Bishop fut victime de
ceux qui s'attendaient à la victoire de l'Axe et
se comportaient en conséquence, aveuglément. Bob
Smith, à la date du 25 Mai 42, note dans son
bloc-notes : "Ce sont des officiels français qui
l'avaient, il allait bien mais les Japonais l'ont
récupéré" . Par la suite, la XIV° Air Force n'eut
aucun complexe à bombarder des objectifs en
Indochine. Haïphong, outre le Transindochinois,
fut une de ses cibles préférées, mais aussi Hanoï,
avant l'extension à toute l'Indochine en 1945. Les
Français qui ignoraient le comportement de leurs
responsables civils et militaires étaient
consternés. Certains n'ont appris la vérité que
bien des années après. Toujours au 25 Mai, Smith
poursuit : "...des bruits courent d' une énorme
rançon offerte par le Généralissime (Tchang Kai
Chek). Les Japonais ne voulaient pas de rançon :
Ils détenaient un authentique héros de guerre
américain et voulaient exploiter cette capture le
mieux possible" . Les Japonais de Hanoï
interrogèrent "sérieusement" Bishop, comme ils
savaient le faire avec une rare sauvagerie. Ils le
transférèrent ensuite en Chine, dans la zone de la
XXIII° Armée. De là il fut envoyé dans un camp de
la région de Shanghaï, dépendant de la XIII°
Armée, non loin du Q.G. de l'Armée Expéditionnaire
de Chine, à Nankin. La ville était la capitale de
la république de Wang Chin Wei ; collaborateur des
Japonais, il avait été, avec Chang Kai Chek, de
l'équipe de Sun Yat Sen, le "Père de la République
de Chine" . C'est là que, par la suite, Bishop vit
arriver des "Batt-Cor Survivors" (survivants de
Bataan et de Corrégidor), rendus à l'état de
squelettes après de démoniaques "marches de la
mort" et autres supplices aux Philippines et en
mer. Bishop frappait l'attention de ses camarades
de captivité par sa force morale remarquable.
C'est ce que note Seymour Lewis, qui s'occupa
beaucoup des suites de cette captivité
démentielle. Un des survivants dit un jour au
docteur : "Nous avions de la vénération pour
Bishop" . Mordant, lui, l'avait livré. Un autre
rescapé, raconte Lewis, lui rapporta cette
histoire extraordinaire : "Nous étions neuf ou dix
dans une cellule, Bishop avec nous. Dire que nous
étions maltraités serait vraiment un euphémisme.
Un certain jour, un groupe de Suédois fut signalé
autour du camp et les Japonais essayèrent de leur
montrer leurs bons traitements aux prisonniers.
(pendant la guerre, les Suédois, restés neutres,
furent en affaire avec l'Allemagne nazie et le
Japon : ils en profitèrent pour visiter des
camps). Lorsqu'ils approchèrent de notre cellule,
ils (les Japs) ne permirent qu'à Bishop de se
montrer et les "Japs" disaient que le bruit qui
courait sur le surpeuplement des cellules était
faux : "regardez, un seul homme par cellule !"...
Nous, les autres, étions entassés au fond et, avec
le misérable éclairage, on ne pouvait nous voir.
Bishop réussit à capter le regard d'un Suédois et,
avec ses mains croisées sur la poitrine, se mit
subtilement à utiliser le code Morse en tapant
avec ses doigts sur ses bras et en signalant aux
visiteurs qu'il y avait d'autres prisonniers dans
la cellule, avec lui. Par chance, un des Suédois
comprenait le Morse et, sans compromettre Bishop,
il insista pour être autorisé à entrer dans la
cellule et il nous découvrit. Les Suédois dirent à
nos geôliers que leur gouvernement serait saisi du
traitement plus que bestial des prisonniers, et le
résultat fut notre élargissement. Ce n'est là
qu'une des histoires de Bishop. Je suis sur que
nous pourrions écrire un livre sur lui ... ".
Pendant que Bishop partageait une cellule trop
petite avec des "Batt-Cor Survivors" , Mac Arthur
libérait les Philippines et Nimitz débarquait à
Okinawa, île métropolitaine du Japon. En
Indo-Chine, les derniers "Fidèles du Maréchal"
rejoignaient le général Mordant, devenu "Chef de
la Résistance Officielle" : On sauvait alors les
pilotes américains de la captivité japonaise...
Comme disaient les bonnes âmes : La situation
avait grandement évolué !
Le Tigre sort ses griffes
A la fin de la guerre du
Pacifique, un maquis chinois encadré par des
Américains fit irruption dans un camp de
prisonniers, neutralisa la garde japonaise et
libéra Bishop et ses camarades. Chennault, qui
tenait à le voir et à lui rendre publiquement
hommage, le fit venir à Tchung King par avion. En
sa qualité d'ancien du 14th. Foreign Volunteers
Squadron, Labussière, devenu Capitaine Martin de
la Mission Française en Chine, fut invité par
Chennault au pot offert en l'honneur du pilote
descendu à Lao Kay deux ans plus tôt. Victime du
complot des généraux US, Chennault ne commandait
plus la célèbre XIV° Air Force depuis le 31
Juillet 1945. Levant son verre pour un toast,
Bishop rappela sa capture et la façon dont les
officiels de Hanoï l'avaient livré aux "Japs" .
Devant ses amis qui ne cachaient pas leurs
sentiments envers les Français d'Indochine
qualifiés "Français de Vichy" , Bishop déclara :
"... je regrette de le dire devant Labussière ici
présent, mais je ne serai satisfait que lorsque
j'aurai abattu un officier français de la
collaboration de Vichy". Le "Capitaine Martin" se
leva et se présenta comme étant le pilote Willy
Labussière qui, de 1937 à 1939, faisait équipe
avec Boulingre et Poivre, le héros national de la
China Air Force. Il déclara d'abord qu'il
comprenait parfaitement les sentiments qui
motivaient Bishop, ayant lui même été arrêté par
les Vichystes et mis aux fers au cachot après
condamnation au bagne. Ensuite, calmement mais
fermement, il rappela qu'il était également
présent en tant que Capitaine Martin, de la M.M
F., et qu'en sa qualité de représentant officiel
de la France, il ne pouvait continuer à entendre
de pareils propos de son camarade des A.V.G.. Et
il sortit. Cela n'empêcha pas les deux amis de se
rencontrer fraternellement le lendemain, avant le
rapatriement de Bishop. De temps à autre, pendant
une quarantaine d'années, ils eurent des nouvelles
l'un de l'autre par Chennault, jusqu'à la mort de
celui-ci en 1968 après avoir rendu visite à
Labussière à Paris. Ensuite, le Bulletin des
A.V.G., qui proclamait "Flying Tigers do it
better" (les Tigres Volants font ça mieux), fut
leur seul lien, jusqu' à la disparition de Bishop
en 1986. C'est au cours d'un entretien de ce genre
que Labussière évoqua une affaire qui eut.une
incidence certaine sur l'opinion que se faisaient
Chennault et les dirigeants américains de l'esprit
de résistance des autorités françaises d'Indochine
aux empiétements japonais. L'affaire est peu
connue bien que caractéristique de la façon de
raisonner "hexagonalement" des responsables
français de l'administration de Vichy en
Indo-Chine. Labussière rapporte:" Parmi les 22
officiers formant le Staff de Point X - China, se
trouvait le Chief of Staff Harvery Greenlaw, avec
sa femme Olga qui était statisticienne. En Août
1940, ils avaient été envoyés discrètement par
Chennault à Haïphong, auprès du Français William
Labussière, ancien pilote d'Ankow de 1937 à 1939.
(à la mobilisation il rallia la 2/595 de Chasse et
combattit contre le Siam). L'objet de la mission
confié à H. Greenwald par Chennault était de
transmettre à l'Amiral Decoux (Gouverneur Général
de l'Indo-Chine Française) l'offre d'accepter,
sans bourse délier, la livraison de 11 chasseurs
Curtiss Haw-75, avec armement et pièces de
rechange, initialement destinés à la Chine : Le
récent blocus des côtes s'opposait à leur
débarquement en Chine de Tchang Kai Chek. Cette
offre était assortie d'un avertissement : En cas
de refus du Gouvernement Général de l'Indo-Chine,
il ne pourrait s'opposer à l'acheminement des
Curtiss vers le Siam (Thaïland), acquéreur
potentiel de ces avions et impatient de les
obtenir en les payant cash" . Transmis à l'E.M. de
l'Air (général Tavera) par l'Amiral Decoux,
l'offre fut catégoriquement refusée par ce
dernler, sous prétexte que Vichy disposait d'une
Mission d'Achat aux U.S.A., Notre Mission revint
des USA bredouille : Les Américains avaient conclu
que les Français n'étaient pas spécialement
décidés à combattre, mais voulaient peut être
rétrocéder aux Nippons les avions achetés aux
Américains ; ce qu'ils n'auraient pas osé faire
d'avions offerts. On confond parfois Lewis S.
Bishop, le héros des A.V.G., avec Louïe Bishop, de
la XIV° Air Force, qui termina sa vie comme
colonel de l'USA-AF l'année où son fils entra à
l'Académie de l'Air Force. Lui aussi fut
"descendu", rentrant de mission en Birmanie début
1944. (famille à Colorado Springs. Il a totalisé
10.000 heures de vol).
Derniers souvenirs
Labussière rappelle une
affaire qui vint naturellement aux oreilles de
Chennault… Comme ses officiers, il s'en tint aux
faits : Début de 1942, d'ordre du général Tavera
commandant l'aviation en Indo-Chine, trois
chasseurs "Morane" de la base de Tong s'envolèrent
pour rejoindre trois "Zéro" japonais basés près
d'Hanoï. Ils devaient se retrouver en un point et
patrouiller ensemble ensuite. On en était à
l'époque des victoires-éclair japonaises, sur tous
les fronts. Lorsque les trois "Morane" se
présentèrent au rendez-vous, les "Zéros" étaient
déjà là. Sans le moindre préavis, ils piquèrent en
tirant sur nos avions, abattant le leader. Les
deux autres n'eurent d'autre réflexe que de
plonger pour éviter le combat. Ils "cassèrent du
bois en voulant se poser en catastrophe. Les
Américains notèrent que, s'agissant des Japonais,
le réflexe de riposte pratiqué par Vichy envers
les Anglo-Saxons et les Français Libres était
soudain oublié... Le bruit couru que la mission
étonnante, prévue pour les deux "patrouilles
alliées de la défense commune franco-japonaise de
l'Indo-Chine " était de donner la chasse à un
avion d'A.V.G. : Les Américains retinrent
l'organisation d'une patrouille mixte entre le
Japon belligérant et la "France neutre". Pour eux,
elle illustrait la "Défense commune" signée par
Vichy ; d'une façon plus affirmée que des tirs de
D.C.A. et même que la capture de pilotes descendus
sur le territoire indochinois. Les Américains
n'ignoraient pas les instructions du général
Mordant à la D.C.A. en cas de survol allié : Tirer
et abattre. Cet ordre, diffusé dans les unités et
à bord des bâtiments de la "Royale", était assorti
d'une mention caractéristique de l'homme qui se
voulait un "Chef" : "à incinérer après avoir pris
connaissance". Le "Pacha" d'un aviso bourlingueur
basé à Saïgon, Enseigne de Vaisseau brestois,
avait épinglé ce spécimen de littérature militaire
d'époque, agrémenté d'un dessin approprié : un
parapluie !
Documents
Cf le CD
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