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R.J. POUJADE

077

Cours martiales d'Indochine

Tome II

Dans la gueule du Ma Koui

GUERRE 1939 - 1945

NICE - Octobre 1990

Analyse du témoignage

Écriture: 1985 .-.150 Pages


Table

LA MEMOIRE 1

DANS LA GUEULE DU "MA KOUI Pierre Boulle 8

Le Zouave de la Sonde  Charles LONGELIN 17

Les chaînes du Tigre Volant William LABUSSIERE 22

Le Docteur Schweitzer d'Extrême-Orient  Docteur BECHAMP 28

LE TEMOIN GENANT  Raymond Rudoni 31

DU FLEUVE ROUGE AU NIEMEN  Général Pierre Pouyade 36

Commandant BJERING  "COMME" JEAN MOULIN 39

DES FRANÇAIS LIBRES POTENTIELS  Gendarme Esprit Moustier 41
LA RESURRECTION DU MARSOUIN DECAPITE  Soldat Cron 43

CAMPS DE LA MORT JAPS  Hoa Binh comme Rawa Ruska 49

ET LA VIE REPRIT SES DROITS Le sort des tortionnaires  51


Notes et Documents  LES BENEFIQUES 
BOMBES ATOMIQUES 
RESEAUX DE RESISTANCE CLANDESTINE EN INDO-CHINE.  
CRIMINELS DE GUERRE JAPONAIS


The Flying Tigers American Volunteer Group - Chinese Air Force
A BRIEF HISTORY WITH RECOLLECTIONS AND COMMENTS BY GENERAL CLAIRE LEE CHENNAULT
: SELF IMPOSED EXILE - AIR-RAID WARNING  -ATTACK SUPPLY LINES -WRIGHT PROPOSITION  -SALARIES OUTLINED  -GEOGRAPHY LESSONS -FIRST COMBAT -GENESIS OF FLYING TIGERS -JAPANESE OCCUPATION -CHINA'S SOUNDEST INVESTMENT






La mémoire


sommaire

DANS LA GUEULE DU "MA KOUI:

Pierre Boulle
Pierre Boulle, qui deviendra l'auteur du "Pont de la Rivière Kwaï", fut un cas: alors que ses camarades se firent prendre en essayant de sortir d'Indo-Chine, lui se fit "pêcher" en y pénétrant clandestinemen! Ingénieur dans une plantation de l'Ouest de la Malaisie, il avait été mobilisé en Indo-Chine en 1939. Démobilisé après la curieuse campagne de la guerre franco-thaïlandaise suscitée par le Japon, il était retourné en Malaisie où il avait repris contact avec un planteur qui deviendra le représentant de De Gaulle auprès de Lord Louis Mountbatten: De Langlade. Celui-ci regroupait tous les Français désireux de poursuivre le combat avec le Général De Gaulle. C'est à cette occasion que Boulle rencontra un évadé d'Indo-Chine: le Professeur May, un chirurgien de renom. Avant de s'embarquer pour Singapour, Boulle avait constaté que les Japonais commençaient à s'installer en Cochinchine; partout créant des bases navales et aériennes en vue d'opérations vers le sud-est asiatique, selon un projet maintes fois exprimé ces dernières années au nom du "droit à l'espace vital". Etant encore à Saïgon, Boulle rencontra un ancien condisciple du lycée d'Avignon, officier de marine, qui se vantait d'avoir "participé" à une opération de reconquête de la Nouvelle-Calédonie: les fumées de deux unités de la Royal Navy dans les eaux des Indes Néerlandaises avaient refroidi l'ardeur de notre "armada de broc", que menaient des gens traumatisés par Mers-el-Kébir que n'avait pas encore justifié la capitulation de Toulon précédant le sabordage. Cette aventure constituait la matérialisation d'une des obsessions de l'Amiral Decoux: si les gouvernants de Vichy ne s'étaient pas opposés au projet, le Gougal d'Indo-Chine aurait terminé sa vie comme l'amiral de Toulon, Laborde. Telle était l'ambiance en Extrême-Orient lorsque Boulle parvint à Singapour, bien décidé à poursuivre la guerre contre l'envahisseur. Il y avait eu, avant sa grande entreprise, une tentative de débarquement d'agents de renseignement franco-britanniques sur la côte de Cochinchine: elle avait dû rebrousser chemin à la vue d'une escadre japonaise croisant au large de Camau. Après Pearl Harbour et le débarquement de la presqu'île de Kha, en Malaisie, De Langlade avait suggéré aux Anglais de se faire parachuter en Indo-Chine pour y constituer une sorte de "5ème Colonne" contre les Japonais: Pierre Boulle se proposa pour l'accompagner. Le manque d'avions fit que l'affaire avorta: il n'y en avait que deux pouvant effectuer une telle mission, et ils étaient indispensables ailleurs. L'irrésistible avance des Japonais contraignit les Français à partir de Singapour et ils rallièrent l'Inde puis la Birmanie à la frontière de Chine, pour agir sur le territoire de l'Indo-Chine. Ayant des accords avec Vichy qui entretenait une ambassade auprès de Tchang Kaï Sheck, les Chinois soulevèrent des difficultés mais, inquiets pour leur "Route de Birmanie" vitale, ils ne tardèrent pas trop à trouver un de ces arrangements dont ils ont toujours le secret: De Langlade et Boulle se feront passer pour des Britanniques. C'est sous cette identité que, individuellement, ils rejoignirent Kun Ming au cours de voyages homériques mais de train-train courant sur cette célèbre "Route"… Boulle était devenu "Rule" et Langlade, "Long" (à ne pas confondre avec André Lan, qui participera à l'évasion de Boulle et de ses camarades et appartenait au réseau Giraud-Lan). C'est ainsi que, peu avant l'arrivée des "Japs" à Singapour, Boulle quitta la ville le 30 Janvier 1942, via Rangoon. La Chine n'était plus ravitaillée, avant l'entrée des Japonais en Indo-Chine, que par cette fameuse "Route de Birmanie" que Boulle réussit à parcourir en cinq jours et par le Chemin de Fer du Yu Nan qui, depuis Haïphong et Hanoï, conduisait à Kun Ming. Plus que la "route", qui n'était qu'une affreuse piste, notre voie ferrée constituait le poumon qui permettait à la Chine de résister, faiblement, aux troupes japonaises qui, depuis des années, s'essoufflaient dans une conquête sans cesse à recommencer. A en croire les Nippons, cette voie ferrée les empêchait de régler "l'incident de Chine"; comme ils appelaient pudiquement cette guerre de conquête commencée au nord de la Chine, au "Pont de Papier". En 1940, ils étaient à la frontière du Tonkin. Depuis notre défaite de Juin 40 en France, nous avions dû faire des concessions aux Japonais quant à l'exploitation de la ligne. On en était rapidement arrivé à l'arrêt total de l'exploitation ferroviaire au-delà de la frontière du Tonkin et, pour éviter toute surprise, les Chinois avaient enlevé plusieurs longueurs de rails. Kun Ming, l'ancien terminus, était restée une place de commerce et de trafic. La ville fourmillait de toutes sortes d'espions et d'intermédiaires douteux opérant sans vergogne. Les ressortissants français, assez nombreux, se répartissaient entre les "pétainistes" frayant avec le consul et les "gaullistes" qui se regroupaient autour du Professeur Reclus, de l'Ecole Française. Boulle avait 28 ans lorsque débuta, en Avril 1942, l'action de la Mission Indo-Chinoise conçue par Langlade à partir de l'important centre de douane de Mong Tseu. Là aussi évoluait une étrange faune cosmopolite trafiquant avec les colonels et généraux chinois qui reconnaissaient l'autorité de Tchang Kaï Sheck lorsque cela leur convenait. Mandarins et contrebandiers étaient de la partie, souvent associés. Tous ces gens étaient peu recommandables, mais avaient des intérêts communs liés à l'état de guerre. La Mission Free French camouflée en mission du Colonial Office rejoignit la frontière du Tonkin au poste de Pin Kou Yin, où elle demeura un temps avant d'aller s'installer à Muong La, en Pays Thaï, face à la Province de Laïchau qui contrôle l'entrée dans notre 4ème Territoire Militaire du Tonkin, près du Nord-Laos. Mong Tseu est sur une crête de la rive gauche du Song Koï, le Fleuve Rouge qui s'appelle le Yan Kiang en Chine, et à l'Ouest du Chemin de Fer du Yu Nan qui franchit la frontière sur le pont de Lao Kay. La ville de Kun Ming est au nord. C'est une région où foisonnent les minorités ethniques et de langages. L'endroit semblait bien choisi. Moins surveillé que les environs de Langson, il offrait deux voies de pénétration praticables: le Song Koï, Fleuve Rouge passant par Lao Kay, et le Song Da, la Rivière Noire passant par Laï Chau. Un premier contact avait été projeté pour Juillet 1942 avec le poste français de Ba Na Koum (les postes français et chinois, de part et d'autre de la frontière, portaient souvent le même nom). L'héroïque défense des Français Libres à Bir-Hakeim était connue partout et avait auréolé les Français Libres qui, pour la première fois depuis Juin 1940, avaient sauvé l'honneur de nos armes. Il y avait eu de longues tractations pour rencontrer le Commandant du Territoire Militaire et non le lieutenant du poste que les Chinois qualifiaient de "pê tê nii" ("pétainiste"). Il fallait donc attendre une inspection du Commandant Fourmachat au poste du Lieutenant P… Le commandant avait la réputation d'être disposé à combattre les "Japs" s'ils venaient sur son territoire; ce qu'il confirma lors du coup de force japonais de Mars 1945. A cette époque, on avait tendance à confondre la compréhension envers ceux qui voulaient continuer le combat dans les unités des F.F.L. et l'opposition plus ou moins ferme aux Nippons en Indo-Chine: celle-ci pouvait avoir diverses motivations, y compris racistes comme le montrent divers récits et mémoires… L'influence du martèlement de la propagande de Vichy et les serments exigés de tous - auxquels étaient très sensibles les militaires qui n'avaient pas encore compris que nous ne menions plus la guerre d'autrefois - ne rendaient pas les choses simples; d'autant plus que le drapeau français continuait à flotter et entretenait la fiction de notre souveraineté entière. Même lorsqu'on est d'accord, rien ne se fait facilement en Chine dans les multiples interférences politiques et d'affaires. L'utilité des différents intervenants n'est pas toujours évidente et les obligations de la déroutante politesse des Célestes font obligatoirement un casse-tête du moindre colloque. Quant aux "interprètes", c'était une corporation comme seule pouvait en être dotée la Chine: impossible ici de n'employer qu'un de ces personnages gonflés de leur importance et se refusant absolument à admettre que le sens d'un seul mot, fut-il technique, puisse leur échapper. Chacun d'entre-eux connaissait à peu près sa propre langue, dans son idiome villageois, et vaguement un autre parler vernaculaire. Le chinois-mandarin et le chinois du Yu Nan ne se parlaient que rarement dans ces montagnes peuplées de mosaïques d'ethnies dotées chacune de sa propre langue: on devine ce que pouvait donner une phrase parvenant au bout de la chaîne des interprètes ne voulant "perdre la face" ! Au cours d'une visite de bon voisinage faite par le Général chinois Fan au Commandant Fourmachat à Laï Chau, ce noble Céleste remit au Français une lettre personnelle de Langlade-Lan. Celui-ci, signant de son vrai nom suivi de sa qualité d'Officier des Forces Françaises Libres, demandait une entrevue avec le Commandant du Territoire Militaire de Laï Chau. Cela n'avait en soi rien de réellement extraordinaire, puisqu'il y avait des relations de "bon voisinage" admises avec les Chinois… contre lesquels les autorités d'Indo-Chine construisaient une "mini-ligne Maginot" et prétendaient défendre la colonie dans le cadre d'Accords franco-japonais de Défense Commune. Le commandant promit aux Chinois de lui répondre sous peu: on crut comprendre qu'il allait prendre ses dispositions pour que l'entrevue ait lieu, sans engagement sur les suites possibles. Il se ravisa, probablement après avoir rendu compte hiérarchiquement, car il n'y eut pas de réponse. Des espions chinois ou indo-chinois avaient déjà été acheminés vers le delta: ils étaient sensés prendre contact avec des amis d'autrefois de Boulle. L'expérience fut décevante; ce qui conduisit à étudier l'envoi d'une mission d'Officiers de la France Libre, qui pourraient mieux se rendre compte des possibilités locales. De Langlade voulait payer de sa personne et entrer en Indo-Chine clandestinement; comme il le fit ensuite à plusieurs reprises. Un contre-ordre l'en empêcha: il devait rejoindre un poste de haute responsabilité dans l'organisation de la France Libre dans le sud-est asiatique. Fort de la connaissance du pays qu'il avait et des relations conservées au Tonkin, Boulle se proposa pour la mission aventurée en Indo-Chine. Compte tenu des éléments naturels et de la surveillance à la frontière, la solution choisie fut de la franchir en se confiant à des contrebandiers habitués à se frayer un chemin à pied dans la jungle: on descendrait ensuite le Nam Na, affluent de la Rivière Noire (Song Da), puis il faudrait naviguer de nuit par Laï Chau et Hoâ Binh, jusqu'à Hanoï. Il y aurait beaucoup moins de risques de se faire repérer au cours de cette navigation insolite dans le delta; tandis que le passage par la montagne, beaucoup plus lent, aurait mis le clandestin à la merci de la cupidité d'un "Secrétaire" ou d'un Chef de Village avide de prime et d'occasion unique de "donner un gage de loyalisme envers l'administration"… qui pouvait aider fortement à faire passer l'éponge sur la contrebande que tous pratiquent normalement. La solution de descendre la Rivière Noire en radeau avait été retenue comme offrant le plus d'avantages et de sécurité: on évitait ainsi les routes dont les tournants et les villages pouvaient cacher un danger et les pistes où les mauvaises rencontres avec des contrebandiers, les miliciens de la G.I. où les militaires n'étaient pas exclus dans des régions comme Hoâ Binh où la jungle impénétrable obligeait à emprunter les routes. On échapperait aussi au soudain tête-à-tête avec "ông cop", le "Seigneur Tigre", ou quelque buffle sauvage aux larges cornes en faux. Plus prosaïquement, on éviterait de laisser des traces que suivraient les chiens hurlants dans la nuit des villages endormis. Compte tenu des rapides et des nombreux rochers affleurants du début du parcours, l'embarcation choisie était une sorte de radeau rustique, spécialement conçu pour une telle navigation. Pierre Boulle construisit un engin en deux parties, à moitié immergeable, qui devait le porter avec ses impedimenta. Il en avait fait une étude sérieuse et n'était pas peu fier de son invention. Il regrettait cependant que le temps lui ait manqué pour tout vérifier et éprouver, mais le temps pressait. La navigabilité du Nam Na, lui-même affluent de la Rivière Noire, était pratiquement nulle; ce qui signifiait que son cours constituait une piste de pénétration au Tonkin. Connue de tous, elle risquait d'être sous surveillance des miliciens ou des auxiliaires des douanes, au voisinage de la frontière, lorsqu'on devra emprunter son lit caillouteux, à pied et dans l'eau, pour pénétrer en Indo-Chine. Comme guides et pour le portage, on avait recruté des "Houni" - race réputée "sauvage" par les Tonkinois - qui vivaient de contrebande. C'étaient, malgré des charges inimaginables, d'increvables marcheurs. Ils connaissaient bien tous les passages possibles, dont ils ne dévoilaient jamais les tracés. Les chinoiseries des traductions et des tractations terminées, la caravane s'ébranla enfin: on avait prévu de passer le 1er Août. Bien que démontable, le radeau de Boulle constituait un encombrant fardeau sur ces pistes de jungle montagneuse. Il comportait deux flotteurs en bambou que l'on reliait avant la mise à l'eau. Une planche était arrimée entre les deux éléments, sur laquelle le voyageur devait prendre place, n'étant pas assis hors d'eau. Précairement placé, il ne disposait que d'un long bambou pour contrôler la navigation. Les documents, le matériel de sabotage et le ravitaillement étaient répartis dans deux colis soigneusement enveloppés dans une toile imperméable et maintenus par des cordages. La progression, de nuit et sans lumière, sous les rafales de ces pluies tropicales inondant hommes et terrain, irait dans le noir absolu entre des arbres immenses. Pour ne pas se perdre, Boulle devrait tenir la loque du vêtement de l'homme se coulant devant lui avec régularité: bien que vêtus de noir, les "Houni" semblent suivre la piste sans plus de difficultés qu'une colonne de fourmis. Ils progressent en silence, régulièrement sous la charge qui ne paraît guère leur peser. Boulle, lui, malgré ses qualités sportives, peinerait dur en dérapant sur les cailloux et glissant dans la boue; craignant de perdre le contact avec l'homme qui progressera devant lui et qu'il ne fera qu'entrevoir: l'aventure commencerait pourtant ensuite. Laï Chau est entre les postes de Phong To et de M'Boum, gardant les vallées; à une dizaine de kilomètres à vol d'oiseau du point le plus proche de la frontière. Dans la Haute Région, le plus court chemin est rarement la ligne droite et une distance à vol d'oiseau ne constitue pas un renseignement topographique, tant les vallées sont séparées par d'impénétrables chaînes montagneuses recouvertes de jungle dense. Orientées selon une ligne générale N.O.-S.E., du Yu Nan au golfe du Tonkin, le Song Ma et le Nam Na encadrent une montagne, une dans la multitude qui descend du Tibet. Des rapides s'engouffrent parfois entre des falaises qu'ils rongent, se précipitant entre de monstrueux rochers qui en font des torrents fracassants, ou traversant paresseusement une jungle dégringolant d'un escarpement impressionnant. Çà et là, des failles ménagent un espace étroit où l'on découvre une modeste rizière bordée par quelques paillotes à moitié camouflées naturellement par de grands arbres tutélaires. Dans la Haute Région, vivent des "Thô", race des contreforts tibétains jadis exploitée par les industrieux tonkinois qui affectent toujours de les considérer comme une race inférieure. Ces frontaliers vivent autant de contrebande que de culture du riz ou d'élevage de basse-cour; ne dédaignant pas la culture clandestine du pavot, qui est une institution de ces régions. Les Thô sont réputés pour leurs splendides costumes, différents selon le village. Des Chinois et des Tonkinois se sont établis au voisinage de la frontière. Ils sont généralement spécialisés en "import-export" plus ou moins clandestin et autres activités y concourant. Il y a aussi des fonctionnaires… Des postes de la Coloniale et de la Garde Indo-Chinoise surveillaient la frontière, prêtant leur concours aux douaniers beaucoup moins actifs. L'administration des Territoires Militaires entretenait également des "partisans" villageois qui quadrillaient la région, à l'affût de nouveaux arrivants qui étaient autant de suspects dans les contrées hors des passages habituels. Pourvus de quelques vieux fusils et d'un paquet de munitions, ces partisans étaient en quête de captures génératrices de substantielles "primes". Ils avaient généralement vite fait de localiser l'étranger au hameau, signalé ou non, et de s'en assurer à moins que leur intérêt bien compris ne les ait rendus sourd et aveugle à l'occasion. Les relations avec les postes chinois correspondant aux nôtres dépendaient de la personnalité du chef de poste, un lieutenant ancien ou un capitaine d'infanterie coloniale parlant parfois la langue du pays ou le tonkinois. Il n'était pas rare, surtout dans un petit poste, que son chef soit un sous-officier. Très vite, généralement à l'insu du Commandement au moins jusqu'en fin de 1944, il y eut des contacts par ces postes-frontières, non seulement avec les Chinois, mais aussi avec les officiers de renseignement britanniques ou américains: les informations parvenaient clandestinement au B.S.M., un service de renseignement créé avant la guerre par Georges Mandel, Ministre des Colonies. Le Colonel Maupin, qui dirigeait le B.S.M., ainsi que les autres officiers, étaient presque tous ralliés à la France Libre. Dans ces postes, selon les périodes et surtout les nécessités de l'écoulement des productions indo-chinoises, ou de ses pénuries, certaines contrebandes étaient tolérées, voire encouragées sans que les gabelous en soient toujours avisés. Dans la région de Bac Lac, il y eut un temps où les "contrebandiers" passaient directement sur la route, en colonne et en vue du poste, sans attendre la tombée de la nuit. Cela déclencha un jour une grande colère d'un inspecteur des douanes venu de Hanoï. Il tonna, menaça tout le monde dans le poste et ne se calma qu'à la perspective de risquer la colère meurtrière des contrebandiers qui ne s'embarrasseraient pas - lui rappela-t-on - des subtilités de l'administration. En "haut lieu", lorsqu'il fit son rapport, on lui conseilla fortement d'oublier les règlements et de tenir compte des impératifs de la vie en période de pénurie et de marchés déséquilibrés. Des responsables locaux entreprenants, parfois en contact avec la France Libre en Chine, réussissaient à se ménager des liens de bon voisinage avec leurs homologues chinois, eux-mêmes en contact avec un observateur anglo-saxon; comme étaient supposés l'être "Long" et "Rule". C'est ainsi que De Guerny, en apprenant à monter à bicyclette à "madame-épouse-lieutenant-chinois", découvrit un très performant central-radio de fabrication américaine… et s'en procura le chiffre. Une "poste" clandestine fonctionnait aussi parfois. Certains contacts se révélèrent très utiles lors du coup de force japonais du 9 Mars 1945: le Capitaine F. Michel, échappé miraculeusement et à force d'énergie du piège mortel de Langson, réussit facilement et avec sa troupe, à faire passer une colonne retraitant vers la Chine, les guidant au poste qu'il avait tenu longtemps. Cron, le "décapité" était avec lui (Colonne Seguin). Malgré les postes échelonnés, la frontière entre la Chine et le Tonkin n'avait rien de comparable à celle serpentant entre les lignes Siegfried et Maginot. Nos Ingénieurs du Génie avaient commencé à en construire une à l'échelle et avec les moyens locaux, pour garder la "porte du delta" à Langson. Totalement inefficace, elle fut enlevée rapidement par les Japonais lors des combats du 9 Mars 1945 et fut un prétexte au massacre des survivants par les "Japs", dont le Général Lemonnier qui en supervisait la construction. Peut-être en partie impressionnés par la propagande faite sur le "Mur de l'Atlantique" qu'ils reprenaient dans la presse et la radio d'Indo-Chine, nos grands chefs se sont aventurés dans "le béton", grâce aux cimenteries du Tonkin dont ils accaparaient la production et aux effectifs qu'ils détournaient de l'entraînement militaire. Chaque mois, pourtant, l'expérience démontrait que les formidables complexes souterrains des Japonais ne permettaient pas de tenir face aux assauts appuyés des "Marines" et des "G.I.'s", pas plus que n'avait tenu Corrégidor (ou Sébastopol); tandis que les fameux "Chindits" et "Marauders" de Birmanie apportaient la preuve de l'efficacité de troupes formées au combat de jungle et en perpétuel mouvement. A Laï Chau, nos constructions militaires n'étaient encore que des promesses, sur le plan "béton". Dès le début, l'aventure de Boulle fut impressionnante. Le franchissement de la frontière se fit comme prévu: jungle impénétrable, escarpements, rochers et grosses pierres obligeant à des acrobaties à tâtons, nuit totale et pluie diluvienne, progression à la queue leu leu et, ce qui n'avait pas été prévu, presque tout de suite les pieds nus car les sandales ne résistèrent pas longtemps aux soudains reports de tout le poids du corps sur une seule lanière. Après une progression, épuisante pour lui sur les premiers kilomètres du Territoire Militaire, l'émissaire de la France Libre s'installa sur une rive pour s'y camoufler pour la journée, seul avec son matériel, non loin d'habitations qu'il découvrit à l'aube sur l'autre bord. Le grand moment de l'aventure était arrivé. A la nuit tombée, il assembla les éléments de son radeau qu'il mit à l'eau après y avoir amarré ses colis étanches. Bien assis sur sa planche promue banc de nage, il poussa l'engin dans le courant. Il ne tarda pas à constater que son arche se révélait totalement impossible à guider, sans doute à cause de sa forme rectangulaire. Par contre, le radeau était très résistant et supportait bien les chocs sur les rochers affleurants qu'il était difficile d'éviter. Dans la nuit noire de la jungle, le navigateur solitaire ne retrouvait plus ses sensations de "canoïste" confirmé sur la Durance. Assis dans l'eau, il parvenait cependant à progresser vers l'aval encore bien éloigné. De l'affluent aux eaux rares, il connut une descente folle sur le flot tumultueux de la Nam Na, avec l'intermède d'un pool, au pied d'une falaise où les eaux tournaient continuellement en rond, dont il pensa ne pas pouvoir se dégager. Somme toute, pensait-il, la navigation était moins confortable que prévue mais le système fonctionnait puisque la descente se poursuivait sans aléas majeurs dui fait de la résistance de son engin fait de bambous bien assemblés, souples et tenant le choc. Mais le "ma coui" (mauvais génie) du Son Da (Rivière Noire) l'attendait à l'aube de sa quatrième nuit. Alors qu'il dormait épuisé sur la rive, il fut arraisonné à 15 km. de Laï Chau par des villageois que dirigeait un Tonkinois parlant français: le type d'homme même dont il fallait se méfier. Boulle lui débita une histoire rocambolesque, préparée mais qui ne convainquit pas du tout: le prisonnier fut amené au village. Par crainte d'impair, tant cet insolite voyageur semblait assuré, il fut traité comme un hôte, mais discrètement surveillé de près. Au demeurant, ce qui comptait pour le Tonkinois était d'avoir fait la démonstration de sa vigilance, vis-à-vis des "autorités"; pour le reste il lui importait peu des suites qui étaient des problèmes compliqués de Français. Le lendemain, le Lieutenant Peyre, Inspecteur de la Garde Indo-Chinoise, qu'on avait prévenu de nuit, était au chevet de Pierre Boulle; dans l'intention de "s'assurer de sa personne". Poursuivant sa galéjade de la veille, le navigateur malchanceux se présenta comme le prospecteur d'une grande compagnie: mission terminée, il avait fait le projet de rejoindre sportivement Hanoï sur un radeau. En soi, cela n'avait rien d'incroyable: le temps des aventuriers et des touristes intrépides fascinés par les montagnes sauvages d'Indo-Chine n'était pas révolu. Nous étions en outre dans une période où la colonie devant se suffire à elle-même faisait l'inventaire de toutes ses ressources. Ce qui paraissait bizarre par contre, était le manque de sociabilité dont avait fait preuve jusque là le canoïste d'un nouveau genre: personne ne l'avait encore vu, ni même signalé dans sa prospection. Les Européens, d'habitude, ne manquent pas d'aller saluer ceux qui se morfondent sur un piton loin des distractions. Le voyageur que leur bon génie leur envoie et qui, pour un jour, dissipera la monotonie des lieux, est assuré d'être reçu avec tout le faste que permet le poste ou la plantation. Pour être si discret il fallait que celui-ci soit d'un genre spécial. Le Lieutenant de la Garde Indo-Chinoise se laissa probablement convaincre, aidé en cela par l'attitude coopérative du navigateur qui demanda tout de suite à être présenté au Commandant Militaire du 4ème Territoire. Il lui fut répondu qu'il devait attendre, cet officier étant en tournée. Superbement, Boulle répondit qu'il attendrait son retour à Laï Chau. L'inspecteur, qui ne savait comment le retenir sans risquer un "retour de bâton" si la fable n'en était pas une et si le prisonnier était "bien placé", s'en montra très satisfait et l'assura que ce n'était qu'une formalité à remplir, pendant laquelle on s'efforcerait de lui rendre la vie agréable. Enfin, on avait de quoi meubler les soirées au bungalow et dans les maisons européennes ! On goba tellement bien la galéjade que Boulle fut invité aux noces d'un planteur qui comptait bien en faire l'attraction dont on causerait longtemps en Haute Région et dans tout le Tonkin. Le voyageur insolite fut présenté aux Européens, civils et militaires; ainsi qu'aux autorités locales asiatiques, flattées d'un si grand honneur sans concurrence qui les hausserait dans l'estime des villageois. L'hôte très entouré raconta son histoire, l'embellissant à souhait au risque de se trouver parfois embarrassé lorsqu'il se fiait aux souvenirs topographiques ou qu'il mentionnait des personnages rencontrés alors qu'il était mobilisé. Celui que l'on considérait comme un explorateur-prospecteur amoureux de la navigation fluviale des temps anciens, fut logé dignement et vécut une semaine sereine: son histoire semblait acceptée, ce qui lui permettrait de prendre des contacts utiles avant de poursuivre sa route vers Hanoï. Le huitième jour était un Dimanche et le Commandant du 4ème Territoire Militaire venait de rentrer dans la nuit. Le "prospecteur" demanda à lui être présenté. Il fut reçu rapidement. Boulle déclina son identité réelle, dès l'abord. Le Commandant de Laï Chau répliqua calmement qu'il était un officier fidèle du maréchal envers lequel il avait engagé sa foi par serment. Il voulait rester dans cette ligne, sans compromission, et devait, en conséquence, arrêter sur-le-champ l'Officier de la France Libre. Il ne voulut pas entendre parler de "mission d'exploration-prospection", mais celui qui était maintenant un prisonnier fut traité de façon correcte à Laï Chau, avant d'être convoyé sur Hanoï. En 1945, le Flight Lieutenant Kino, de la Force 136 de S.O.E., en mission en Indo-Chine alors ralliée à De Gaulle, notera le comportement qu'il jugera aberrant d'officiers se déclarant ennemis des Japs, mais pour le reste "sans opinion". Fourmachat était de ceux-là: un militaire qui se trompait de guerre, mais qui savait se battre. A son passage à Son La, Boulle eut le réconfort de se voir "reçu en ami" par le Résident et les officiers: sans aucune contrainte, il fut invité à leur table et logé dans une chambre. Mais, inéluctablement, la Maison Centrale de Hanoï marqua la fin de cette étonnante entreprise. Pendant quinze jours et quinze nuits, un commissaire opiomane et son équipe se relayèrent pour le questionner sans arrêt; le privant pratiquement de sommeil, boire et manger. Les mêmes questions lui étaient posées comme une litanie, reprises ensuite par l'un ou l'autre: on voulait lui faire avouer des choses qui n'avaient jamais existé. Il se trouvait que, à cette époque particulièrement, l'Amiral Decoux voulait, à tout prix, "découvrir l'organisation gaulliste en Indo-Chine"; ce dont témoigne sa note manuscrite en date du 5 Août 1941 adressée au Secrégal et à l'I.G.P. une semaine avant l'interrogatoire, soit après la capture. Dans ce document comminatoire au Secrétaire Général du Gouvernement Général et à l'Inspecteur Général de la Police, le Gouverneur Général de l'Indo-Chine expliquait comment s'y prendre et concluait d'un impératif "me renseigner" sans réplique. On comprend que les inquisiteurs s'en soient trouvés stimulés et aient cherché à complaire au maître du jour à l'ire redoutable. Faver voulait absolument connaître les noms des "complices en Indo-Chine". Vainement, parce que Boulle opposait le mutisme… et parce qu'il n'y en avait pas. Dans ses fumées d'opium, le commissaire ne reculait devant aucun chantage: "poteau", "Japs", "pauvre mère" qui résidait en France et à laquelle "on pourrait chercher des ennuis", toutes les menaces sournoises furent proférées. L'interrogatoire ne donnait rien alors que la propagande, qui s'était emparée de l'affaire, avait besoin d'un procès suivi d'une condamnation sévère qui effacerait le camouflet de la "fugue d'Arnoux" évoquée dans la note du mois d'Août du Gougal. Decoux y stigmatisait la conduite de la police: "Si l'on a répété dans cette affaire les mêmes erreurs que lors de la fugue d'Arnoux - non-arrestation de la maîtresse pour de stupides raisons de sensiblerie - on aurait eu gravement tort". La noria des questionneurs prit fin, sans avoir rien appris, et la date du procès fut fixée. Il eut lieu en Octobre 1942: Boulle fut traduit devant la Cour Martiale de Hanoï, qui avait bien du travail. Le Commissaire du gouvernement était le Commandant Pied, un professionnel dont d'autres firent connaissance. Le tribunal était présidé par le Colonel Assy, manifestement à ses débuts dans cet emploi qui le dépassait: il se montra d'autant plus enclin à la dureté qu'il était manifeste qu'il se perdait dans la conduite des débats. Un commandant et un capitaine l'assistaient, ainsi qu'un lieutenant puisque l'accusé avait ce grade. Un avocat tonkinois, désigné d'office, était supposé assurer la défense. Au fond de la salle, comme pour un peloton d'exécution, un adjudant et douze gendarmes attendaient, en armes, le prononcé du jugement. La chaleur était étouffante. L'acte d'accusation soutenait que le Lieutenant Pierre Boulle était accusé de "s'être engagé dans une armée étrangère, avoir pénétré clandestinement en Indo-Chine". Pour ces motifs, il était passible de la peine de mort. Témoignages et plaidoiries furent sobres. Appliquant les consignes du Général-Commandant-Supérieur en Indo-Chine, Mordant, le commissaire du gouvernement exposa que l'action menée par le "Lieutenant de réserve Pierre Boulle" était de celles pour lesquelles la peine de mort était applicable: peut-être parce que, venant de Malaisie, l'accusé n'avait pas eu à déserter, le commissaire réclama les "travaux forcés à perpétuité". Questionné, Boulle répondit fièrement qu'il ne regrettait rien. Le jugement attendu tomba: Travaux Forcés à Perpétuité, ce qui, remarqua le condamné, correspondait aux initiales de la devise de l'Etat français: "Travail, Famille, Patrie". Le prisonnier fut reconduit à la Prison Centrale où il devait finir ses jours à moins d'une amnistie problématique dans l'Indo-Chine occupée. L'Amiral-Gouverneur Decoux, comme il le racontera dans son livre-plaidoyer "A la Barre de l'Indo-Chine", vouait une admiration aux amiraux-gouverneurs du temps de la conquête, espérant peut-être avoir un jour son buste auprès des leurs dans le Palais du Gouverneur-Général à Saïgon, face au majestueux Boulevard Norodom; à deux pas de la cathédrale dont le chevet s'ornait d'une affiche immense proclamant qu'il n'y avait qu'un seul chef, le maréchal poupin à la moustache blanche dont l'oeil surveillait la foule comme un autre Cao Daï panthéifié avant sa mort. L'amiral, qui s'était vu nommer Haut-Commissaire dans le Pacifique en compensation du refus de Vichy de le laisser s'engager dans une aventure guerrière contre la Nouvelle-Calédonie sous la protection d'une flotte japonaise, ne dédaignait pas pour autant de s'intéresser aux détails patibulaires: c'est ainsi qu'il institua cette punition démoniaque appelée "La Barre de l'Indo-Chine" qu'il fit appliquer aux "traîtres gaullistes" qui n'eurent que le tort de vouloir continuer le combat. Alors que ses amis Robert et Labussière firent l'expérience de la "barre", curieusement, Boulle échappa à cette torture, probablement parce que son flegme déroutait, comme son genre de protestation et d'opposition dont il ne se départit jamais: il ne reconnaissait aucun droit à ceux qui l'avaient condamné et le gardaient en prison. Il énonçait cela d'un ton glacial et très "british" auquel la chiourme n'était pas habituée et s'en trouvait désarmée. Il n'en connut pas moins les brimades et les longues semaines d'isolement au cachot, car le zéle envers la Révolution Nationale comptait beaucoup pour l'avancement des fonctionnaires. Fin Mars 1943, le débarquement allié en Afrique du Nord et les opérations avaient été un succès. En Indo-Chine, cela commençait à faire sérieusement réfléchir les "fidèles du maréchal". Ils découvraient le revirement de leur idole maritime, l'Amiral de la Flotte Darlan, ce qui perturbait les marins dont le crédo était "la ligne de conduite de l'amiral"… maintenant traître au dire du maréchal ! Boulle décida de se manifester au plus haut niveau: il adressa une lettre à l'amiral-gouverneur-général, par laquelle il réclamait la "libération immédiate"… des prisonniers gaullistes, ainsi que leur acheminement à la frontière de Chine pour qu'ils puissent poursuivre le combat contre l'Occupant. Il précisait que la mesure devait être immédiate et que la proposition ne serait pas renouvelée. Le tout s'accompagnait d'une mise en garde correspondant à une menace précise; ce qui pouvait étonner d'un condamné à perpétuité dans le fond de sa cellule (page 10 de son rapport en date du 7 Décembre 1945, rédigé à Calcutta). Dans les dernières semaines de 1944, Pétain étant à Sigmaringen, Decoux se rallia in extremis au gouvernement de De Gaulle. Il consentit quelques adoucissements; ce qui démontrait que, les "Japs" étant plus nerveux à cette époque, ce n'avait pas été pour leur donner des gages que le Gougal s'était montré si cruel pendant quatre ans. Boulle connut deux années d'emprisonnement à Hanoï, puis à Saïgon par peur d'une évasion des "gaullistes". Il forma une solide équipe avec d'autres condamnés pour avoir voulu continuer le combat, dont le Docteur Bechamp qui en mourut Labussière et Robert qui devinrent ses amis et avec lesquels je le rencontre souvent. Lorsque les événements de guerre, sur tous les fronts, rendirent le vichysme moins virulent en Indo-Chine avant de l'inciter à se renier sans vergogne, les autorités commencèrent à craindre un débarquement allié sur la côte indo-chinoise. L'amiral décida de transférer les prisonniers gaullistes dans une prison du Laos. Au même moment, le réseau de résistants Mingant-Lan mit en oeuvre son projet de faire évader les "dissidents" de la prison de Saïgon, pour les faire passer en Chine. C'est ainsi que les trois amis réussirent une peu banale évasion en groupe, à laquelle participa De Langlade, à la fin mais spectaculairement: le Lieutenant F.F.I. Pierre Boulle, en fin 1944 revint aux Indes. On doit à Pierre Boulle le livre "Le Pont de la Rivière Kwaï" dont a été tiré un magnifique film. Ce roman est considéré par ceux qui ont "pratiqué" les Japonais comme un véritable documentaire, ainsi que le film. Dans "Aux Sources de la Rivière Kwaï", Boulle raconte ses aventures en Indo-Chine, au temps de sa mobilisation contre le Siam et de sa captivité de Vichy. C'est grâce à mon chef de Groupe Franc au cours de la Campagne de France en 1940, Eugène Robert, que j'ai fait connaissance avec Pierre Boulle et leur ami William Labussière: j'ai souvent le plaisir de les rencontrer en amis à la terrasse de la Coupole où ils évoquent parfois leurs souvenirs, Boulle toujours flegmatique et comme détaché des choses bien qu'auteur à succès; mais ceci est une autre histoire.


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Le Zouave de la Sonde: Charles LONGELIN

Longelin, Ch'timi licencié en droit, avait fait la campagne de France de Mai-Juin 40 au fameux 9ème Zouaves. Il avait 23 ans lorsqu'il imagina de rallier les Forces Françaises Libres à partir de l'Indo-Chine. En Juin sur le bord du Canal de l'Ailette, il avait été blessé et fait prisonnier. Tôt évadé, en Juillet 1940, il retourna chez lui, en zone interdite. A peine arrivé à la maison, sa mère lui parla de l'Appel du Général De Gaulle dont le nom était tout un programme. Elle lui demanda quelles étaient ses intentions, et ajouta qu'elle lui préparait son bagage, comme si la chose allait de soi pour cette mère digne des antiques. Longelin, partageant totalement l'engagement maternel, gagna la zone non-occupée, dite "libre", où ses espoirs de rejoindre Londres ne purent se concrétiser. Pour vivre, il trouva embauche comme contractuel dans la police locale: à Toulon, il établissait de fausses cartes d'identité aux évadés alsaciens et lorrains; ainsi qu'à quelques autres. Il constata que le moyen paraissant le plus sûr pour rejoindre les F.F.L. restait de s'embarquer à destination de l'Indo-Chine et de profiter d'une escale. On recrutait alors des volontaires au "titre spécial de l'Indo-Chine"… avec l'accord des Allemands et des Anglais, mais dans des prospectives différentes. Longelin se trouvait être trop jeune de trois ans pour pouvoir contracter un tel engagement, dit "spécial": il eut vite fait de contourner la difficulté, en s'arrogeant l'identité de son frère prisonnier au Stalag VII.A en Allemagne. Le 1er Avril 1941, il s'embarqua pour un voyage de trois mois contournant l'Afrique. Le 29 Mai, à la sortie du Détroit de la Sonde, il crut son heure enfin arrivée: un méchant aviso de réquisition, fumant autant que toute une escadre, se présentait pour arraisonner le paquebot voguant vers l'Indo-Chine sous pavillon tricolore surmontant le jaune du navicert. Le navire mit en panne à l'approche de l'antique "Sirius" de la Königlische Kriegs Marine. Longelin ne fut peut-être pas le seul à se dire que l'heure de rejoindre le combat était arrivée, mais il fut le seul à passer aux actes. Il avait déjà préparé un radeau, en cachette, y logeant quelques vivres et de l'eau. L'apparition du modeste représentant de la Marine Royale Néerlandaise lui parut un signe: il tenta sa chance en lançant l'esquif à l'eau, malgré les requins que l'on voyait s'approcher des évacuations des cuisines, et sauta à la suite. Le "Sirius" manoeuvra pour le repêcher: Charles fut étonné de constater qu'il ne soulevait pas l'enthousiasme des Bataves. Les Hollandais louèrent le courage, mais signifièrent tout de suite qu'ils ne pourraient rien pour le candidat aux F.F.L.… De petits hommes habillés de vert, coiffés d'un casque métallique rond sur leur figure cuivrée, armés d'un Mauser et d'un sabre d'abordage de l'Armée des Indes Orientales Néerlandaises, le regardaient sans aménité. Les autorités du bord expliquèrent au "déserteur" la position de leur gouvernement: certes, la reine et ses ministres siégeaient maintenant en exil à Londres, où était également le Général De Gaulle, mais ce gouvernement des Pays-Bas avait des accords avec "le gouvernement légal de la France siégeant à Vichy". En conséquence, les "déserteurs gaullistes" devaient être embarqués sur le premier navire pour l'Indo-Chine… Tous les candidats à la France Libre qui se manifestèrent à l'occasion d'un arraisonnement dans le Détroit de la Sonde constatèrent que les marins de Sa Majesté Wilhemine respectaient scrupuleusement ces accords. J'en fis l'expérience, avec bien d'autres un mois plus tard, lorsque le "Sirius" arraisonna notre paquebot "Compiègne" et que ses "petits hommes verts" montèrent à bord avec des officiers de marine néerlandais: ils ne voulurent rien entendre et nous firent observer que, si nous mettions les pieds à Batavia, nous serions vite repérés et repris. Longelin, à peine réconforté à bord du patrouilleur, fut ramené sur le "Sagittaire". Contrairement à la formule célèbre de Voltaire à propos du Canada perdu, disant "qu'on ne s'occupe pas des écuries lorsque le château brûle", et au mot de Churchill, selon qui "le sort des colonies serait réglé à la fin de la guerre", les Hollandais réagissaient comme les Français de Vichy: en fonctionnaires se retranchant derrière "le règlement". La suite démontra que ce n'était pas le bon choix: un an plus tard, les Japonais étaient à Batavia et les arraisonneurs étaient au fond de la mer ou mis dans des camps de la mort nippons; peut-être certains d'entre eux se sont-ils retrouvés prisonniers à Saïgon au début de 1943 ? Notre candidat aux combats des Forces Françaises Libres se retrouva aux fers à fond de cale, comme un criminel. Débarqué à Saïgon, il fut traduit devant la Cour Martiale, le 6 Février 1942: deux jours plus tôt, l'escadre de l'Amiral hollandais Doorman, avait été défaite par les Japonais à Bornéo. Longelin fut condamné à 5 ans de travaux forcés et dégradation militaire, confiscation de biens et autres peines annexes, pour "tentative d'engagement dans une armée étrangère en temps de guerre et sans autorisation du gouvernement". Le Colonel Grelot présidait le tribunal. L'avocat était un compatriote de l'accusé, Maître Jacquemart. Ancien combattant de la Grande Guerre décoré de la Légion d'Honneur et de la Croix de Guerre, il ôta sa toge et la lança aux juges militaires. Le Ministère Public était occupé par le Commandant Roy, un éminent juriste, qui demanda l'indulgence du jury en raison du passé de l'accusé dont la famille était en "zone interdite": sa mansuétude lui valut les foudres du Gouverneur-Général Decoux, qui le sanctionna en le cantonnant dans les bureaux, eu égard à sa grande compétence et à la pénurie de juristes de haut niveau en Indo-Chine. Longelin fut enfermé à la Prison Centrale de Saïgon, dont le directeur se trouvait être un ancien policier mis dans ce poste pour faire respecter la discipline nouvelle. Cette rencontre fut toutefois profitable au prisonnier: son stage dans la police à Toulon lui valut d'être très rapidement affecté à des "tâches administratives". Il s'occupa d'abord de la bibliothèque, puis de la tenue des divers "Etats" dont sont friandes toutes les administrations, fussent-ils "Néant". Il en vint à être chargé d'établir les tours des gardes des gardiens… au nom du gradé qui estimait préférable de faire effectuer son travail par un bagnard pendant que lui-même jouait aux cartes: l'effort est pénible sous ces latitudes et il faut bien occuper "son monde". C'est ainsi que Longelin s'efforça d'affecter les "fayots" et les vichystes aux postes n'étant pas en contact avec les "gaullistes". Cela nécessitait la tenue de deux registres; dont un faux qu'il présentait au gardien-chef lorsque des gardiens se plaignaient "d'être toujours aux mauvais tours". Il tira un autre avantage de cette position de scribe semi-officiel: il pouvait pratiquer le sport dans l'enceinte de la prison. Longelin, comme les autres gaullistes en général, ne fut libéré qu'au 21 Novembre 1944; c'est-à-dire au moment de la libération de Strasbourg ! Il y avait au moins deux mois que les autorités civiles et militaires de l'Indo-Chine avaient fait officiellement allégeance au Gouvernement provisoire de la République Française… et que le dernier "gouvernement du maréchal" avait émigré dans le IIIème Reich. On peut s'étonner du temps de réaction de ceux qui prétendaient savoir décider en toutes occasions. Ces tergiversations n'empêchèrent pas, par la suite, le Gouverneur de la Cochinchine, Hoef d'écrire un rapport dans lequel il rappelait ses sentiments gaullistes jusque-là bien cachés: c'était pourtant à lui de libérer Longelin et les autres. Une fois sorti, il fut cependant accusé de nouvelles "activités subversives anti-vichystes", juste une semaine avant le coup de force japonais du 9 Mars 1945. Convoqué à la Sûreté, il fut interrogé. A cette époque, le Commandant Ducoroy, Directeur de la Jeunesse et des Sports d'Indo-Chine, effectuait une tournée dans le sud. Il fut le Père des "Jeunesses" bien encadrées. Elles crieront des chants des Hitlerjüngend, en annamite sur le stade de Dakao lors de notre captivité voisine… Après sa libération de la Centrale de Saïgon, Longelin intégra, grâce au Commandant Graille du B.S.M., le Service Cartographique (E.M. Général Noël). Il y trouvait de nombreuses occasions de déplacement, sans attirer l'attention. Je l'ai rencontré à l'époque à Phnom Penh, au Café de la Poste. Je venais de terminer ma semaine au Central d'Alerte de la Poste, en face, où j'officiais de façon peu orthodoxe: j'avais rendez-vous avec le Médecin-Capitaine Mutter auquel je devais remettre des documents concernant la veille japonaise. Longelin était là, l'orchestre jouait, les nouvelles de la guerre en Europe annonçaient la fin prochaine et nous "ne donnions pas six mois de plus aux Japs". Sautant sur l'estrade et empruntant une clarinette, l'immense Ch'timi improvisa une variation en "swing" de la "Marche Lorraine" qui lui valut des applaudissements nourris. Dont ceux de l'Officier-Interprète japonais de la Mission de Saïgon (Mr Konishi), capitaine venu enquêter au sujet d'un incident grave, auquel j'étais directement mêlé: le lendemain du coup de force japonais du 9 Mars 1945, le Capitaine Konishi ne parut pas me reconnaître, ni Longelin; alors qu'il aurait pu nous confondre facilement, devant Bankorek à la Liaison… Longelin avait quantité de contacts avec des gens dont l'activité avait toujours ressorti de ce que l'amiral appelait le "complot gaulliste". Il rencontra le célèbre Sergent Menut dit "crâne-en-zinc"; qu'actionnait le japonisant Capitaine Rouanet, l'homme qui me sauva de l'exécution, in extremis au Camp Virgile. Menut s'était fait une spécialité de coupeur de tête de "Japs" égarés près des arroyos bordés de càï nha du genre de l'institutionnelle Ti Sâo: les corps disparaissaient dans la rizière. Il convient de dire qu'il n'était pas le seul et que l'équipe de rugby… fêta ainsi, et en ces lieux, une belle victoire. Je revois toujours ce Menut, toujours affairé et armé d'un immense Lebel 86-93, venant me demander un hébergement clandestin à Phnom Penh: ouvrant sa musette en toile brune d'un modèle 14-18, il m'y montra la tête au crâne rasé d'un troupier du Mikado et me dit simplement "J'peux pas aller avec ça à l'hôtel !". Quelle tête aurait fait Lucien Plasson qui, à l'époque, "jouait du poste B.2. avec Calcutta"… Menut et le Chef Hesnault, un ancien de la campagne de France de 39-40 à la carrure de catcheur, étaient probablement les recordmen de ce sport dans le Sud-Indo-Chine; ce dernier collectionnait les sabres de samouraï qu'il se procurait aussi bien chez Ti Sâo qu'au très sélect "Pointe des Blagueurs". Vers cette époque, Longelin rencontra un de ceux que l'amiral classait dans le "complot gaulliste": Auvray avait été interné à Long Xuyen par "lettre de cachet" du Gougal, puis, lors de la libération de la France, astreint à résidence à Dalat. Il y eut l'occasion de tenter de porter secours à l'épouse du gouverneur général, qui fut victime d'un terrible accident en sa présence. L'automobile était conduite par un chauffeur européen de la Direction de la Police et on ne sut jamais ce qui se passa exactement. Toujours est-il que l'Ingénieur des Ponts § Chaussées Auvray tenta de porter secours à la blessée, mais qu'il était trop tard: la brave fille de Rochefort succomba. Mettant en avant le geste spontané de son condisciple à l'Ecole Centrale, Monsieur Martin intervint auprès de Decoux pour le faire relever de sa peine, s'en portant garant: il obtint qu'Auvray ne soit plus interdit de séjour "à Saïgon"… alors que la France était libérée. Le 9 Mars 1945, Longelin débarqua sur les quais de Saïgon, de la chaloupe l'amenant de Phnom Penh, tandis que j'en faisais autant du tramway venant des plantations où stationnait la 4ème Compagnie du 11ème R.I.C. Nous étions en ville lors de l'attaque soudaine des Japonais au début de la nuit de ce mémorable début de week-end. Poursuivi, le "Grand Charles" fut cerné par des "Japs" dans la cour du Palais de Justice: très vite débusqué, il fut sorti de sa cachette sans ménagements. Les soldats étaient furieux parce qu'ils venaient de découvrir un poste-radio et qu'ils faisaient un rapprochement entre lui et l'appareil. Longelin eut à subir un interrogatoire sur place, sommaire mais avec intervention de coups de crosses de fusils et coups de pieds en rafales. Quand ce n'était pas une baïonnette acérée qui lui chatouillait les côtes, c'était un canon de fusil ou de revolver. A grands coups de pieds et de crosses, il fut conduit dans les locaux de la sinistre Kempétaï, justement surnommée la "Gestapo Jap". Les coups pleuvaient tellement qu'il en vint à "préférer" ceux donnés à coups de ces espèces de chaussures de basquet, noires et dont le gros orteil est séparé des autres, à ceux de brodequins du même modèle que les Français… On le fit pénétrer dans les locaux en le tirant par les cheveux et les oreilles, en lui assénant des coups de plat de sabre-baïonnette sur la tête et en hurlant férocement ces "Koura-koura !" qui nous devinrent familiers. Les cris et les injures ne cessaient pas. Longelin distinguait parfois le mot "gaulliste" et se demandait ce que cela pouvait bien signifier. L'interrogatoire commença enfin, après cette mise en condition: il s'aperçut vite que la Kempétaï n'avait pas tardé à récupérer les archives de l'administration française. Celle-ci n‘avait rien fait pour camoufler ces documents compromettants dans un pays occupé par un ennemi dont la sauvagerie était bien connue. L'Amiral Decoux écrit dans son livre-plaidoyer qu'il s'attendait au coup de force japonais. Dans ces conditions, il n'y a que deux explications possibles au comportement criminel de son administration: ou c'était de l'impéritie, ou ce fut volontaire; ce qui signifie que la "noble tâche de l'épuration des dissidents" était laissée à l'Occupant. Longelin connut alors un véritable enfer. Après le "tabassage" de son premier interrogatoire, il se réveilla d'une longue perte de connaissance dans une de ces sinistres cages de la Kempétaï aux barreaux de bois et plafonds bas. Il lui fallut ouvrir les paupières avec les doigts. Tout autour retentissaient des cris de douleur. A l'extérieur, on entendait encore parfois un coup de feu. Soudain, la porte fut ouverte et il fut brutalement extrait du cachot où s'entassaient des prisonniers dans le même état que lui. L'officier nippon qui l'interrogea parlait français. Il affectait d'être désolé de devoir accomplir cette tâche: il disait regretter les mauvais traitements infligés, ajoutant aussitôt "mais on est à la guerre et j'attends beaucoup de la compréhension des bons Français". Suivit un interrogatoire d'identité où le prisonnier dut donner les noms de sa parenté, des personnalités de son village et de ses amis. Dès que la litanie était terminée, les mêmes questions étaient posées à nouveau, parfois dans un autre ordre: toutes les erreurs, même de détail, étaient sanctionnées par des coups qui, manifestement, ravissaient les deux brutes qui l'encadraient: l'officier interrogateur prenait la mine désolée de celui qui n'a pas voulu cela. On passa ensuite à ses occupations en Indo-Chine: pourquoi y était-il venu, n'étant pas un militaire des Troupes Coloniales en 1940 ? En quoi consistaient ses "activités gaullistes" dont faisaient état les documents français ? Qui voyait-il, et pourquoi ? Là aussi, les questions étaient posées plusieurs fois de suite, parfois avec des variantes ou des retours en arrière impromptus. Toutes les erreurs, nombreuses dans cette partie de l'interrogatoire puisqu'il ne voulait rien dévoiler, provoquaient une volée de coups qui n'épargnaient ni son visage, ni les parties les plus sensibles. Quand il restait évanoui malgré les coups et les pots d'eau jetée à la volée, on le traînait dans la cage où il était abandonné sans soin. Cela dura quatre jours, pendant lesquels il persista dans ses déclarations: "Il n'était qu'un simple soldat comme d'autres, qui ne savait rien de ce dont on lui parlait ici". Les Japonais rétorquaient que c'était faux, puisqu'il avait été condamné pour "gaullisme" et qu'il était gradé à l'époque où il avait été mis en prison, pendant trois ans et demi. Il se souvint alors de la fameuse classification de "bons Français" qu'avait employé l'officier: l'expression correspondait à la phraséologie de la Révolution Nationale chère à l'amiral qui, jusqu'au tout début de 1945, jouissait de la confiance des Japonais. Pour la forme car il ne croyait guère à la valeur d'un tel argument - mais il n'en avait pas d'autre - il déclara que sa condamnation avait été la sanction d'une erreur de jeunesse, compréhensible en 1941. Devant la réaction intéressée du Nippon, il ajouta que cela était du passé, avant la guerre du Pacifique et qu'il était de cette majorité de Français à laquelle ne viendrait pas à l'idée celle d'attaquer la puissante armée japonaise; d'autant plus que la France et le Japon n'étaient pas en guerre: fatigue des bourreaux, manque de conviction d'un officier-interprète nécessairement informé de l'évolution rapide de la guerre (le terrible bombardement de Tokyo dans la nuit du 9 au 10 Mars par les Superforteresses volantes avait été une terrifiante révélation) ou simplement exemple typique du manque de suite dans les idées qui caractérisait assez les militaires nippons, ils embarquèrent leur prisonnier dans un camion qui le déposa au Camp Virgile. Il y retrouva des "anciens" de la Maison Centrale, dont Eggenspieler qui était blessé, et par la suite à Des Pallières, Dauphin lui aussi blessé, Huchet réduit à l'état de grabataire par la captivité japonaise succédant à celle de l'amiral; ainsi que moi-même, que Konishi n'avait pas reconnu ou voulu reconnaître, et qui n'avais connu que la Centrale de Montpellier. Dans le camp, Longelin se préoccupa tout de suite de rechercher une forme de Résistance possible. Il fut dans le secret des postes de radio clandestins que bricolèrent Raymond Iontzeff et Pierre De Guerny. Les informations les plus significatives sur l'évolution de la guerre étaient indirectement communiquées aux autres prisonniers, par divers moyens: dans le bâtiment dit de la "C.H.R.", j'affichais un "journal mural" qui donnait les nouvelles sous la forme des actuels dessins de Jacques Faizant, talent en moins. On s'étonnait de mon imagination et certains n'y voyaient qu'une forme de "cravate", mais l‘information passait. Il y avait toujours de l'animation sur les vérandas vers l'intérieur de ce fameux bâtiment de la C.H.R. du 11ème R.I.C., dont l'autre façade donnait sur le Boulevard Norodom. Le "restaurant" de Berkmans, dont la spécialité était une sorte de biscuit sec fait d'os de buffle pilés, préparait ce plat sur le feu allumé dans une vasque de W.-C. transformée en fourneau. Dans les étages, il y avait toujours de l'animation autour des tables de jeu tenues par des Corses. Là se jouaient les soldes des compagnies, qui les avaient distribuées avant leur capture en brousse et les piastres passées en fraude par les "Côn Gaï". De temps à autre, passait un marchand de saucisses de chien, provenant de Dakao ou de Tanh Dinh grâce au trafic qu'autorisait un gracile aspirant japonais en service du côté des écuries. Il n'y avait aucun soin sanitaire dans ce camp où les hommes perdaient facilement 20 à 25 kilos en quatre mois, faute de pouvoir manger. La recherche de la nourriture fut un stimulant de l'esprit naturellement débrouillard du Marsouin, comme des Français en général. Un des exploits de Longelin à Des Pallières fut de se régaler d'une mascotte des gardiens nippons: un soir, avec deux camarades qui s'étaient institués les "gardiens du ravitaillement clandestin en saucisses de chien", le "Grand Charles" coinça le faon-mascotte dans le couloir des feuillées et lui "fit son affaire". Il paraît qu'aucun rejeton de biche ne fut jamais si savoureux. Après la capitulation du Japon - que nous apprîmes par notre radio clandestine et dont nous informâmes le colonel japonais commandant le camp, Mazura - le 11ème R.I.C.-reconstitué s'arma et libéra Saïgon fin Septembre 1945. Longelin participa aux combats et fut blessé. On le soigna à l'hôpital Grall. Lors de la prise d'armes du 11 Novembre 1945 devant Leclerc, le "Grand Charles" se perdit dans la foule pour assister à cette cérémonie revêtant une si haute signification patriotique en de telles circonstances: il découvrit dans l'assistance un des Japs de la tristement célèbre Kempétaï avec laquelle il avait eu affaire: l'homme fut arrêté, par Longelin, et passa ensuite "à la toise"; c'est-à-dire qu'il fut présenté aux anciennes victimes de la "Gestapo-Jap". Il y fut reconnu et passa en jugement à Saïgon. J'ai rencontré Longelin à Saïgon, peu avant son rapatriement sanitaire à bord du cuirassé "Richelieu". Nous avons dégusté une "Tiger Beer" - au fiel de boeuf - au "Cintra" qui ne laisse pas indifférents ceux qui l'ont fréquenté. A une table voisine se trouvait un "sous-officier supérieur" de l'E.M. de la D.C.C. Sans doute à cause de ses fonctions avant le coup de force japonais, il se prenait pour un as de "O.S.S." et essaya de nous expliquer ce qu'était la collaboration: nous en rions encore quarante ans après. Longelin fut accueilli en France, odieusement, par des abrutis enivrés de propagande: on aimerait savoir ce qu'ils firent sous l'Occupation…


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Les chaînes du Tigre Volant: William LABUSSIERE

Le pilote de chasse William Labussière, alors âgé de 32 ans, fut du fameux trio de curieux évadés de la Maison Centrale de Saïgon vers la Chine, en fin 1944. William eut toujours un profond respect pour les qualités d'homme de son père. Celui-ci, volontaire à 16 ans au cours de la Grande Guerre, avait été réformé après une première blessure grave. A peine remis, il s'était à nouveau porté volontaire et avait été mis définitivement hors de combat; ayant perdu l'oeil droit et subi d'autres blessures (son nom est lié à l'Association des Grands Blessés). Dès l'adolescence, le jeune Labussière sortait déjà de l'ordinaire et manifestait une rare constance: en admiration devant les acrobaties des aviateurs de Mérignac, il s'ouvrit à son père de son ardent désir d'être pilote. Il s'entendit répondre qu'on en reparlerait dans un an. Tout ce temps, Willy ne parla plus de son projet: le 365ème jour, il se présenta devant son père et lui demanda quelle était sa décision. Reconnaissant "son sang", le père donna son autorisation. C'est ainsi que notre héros se retrouva élève-pilote chez Blériot, à Buc, avant de faire son service militaire comme pilote de chasse. Il était en Côte d'Ivoire, toujours plein de projets, quand, en 1936, il estima qu'il fallait répondre aux nazis qui apportaient une aide puissante au Général Franco. Labussière devint chef d'escadrille dans l'Aviation Républicaine Espagnole, où il ne percevait que la modeste solde de l'armée, pour de très nombreuses missions bien réelles. Avec ses chasseurs, des "Moscas I.16", il se distingua dans le ciel ibérique. En Août 1937 il donna sa démission, se rendant compte que les Soviétiques, qui aidaient les Républicains, avaient entrepris un noyautage intensif de l'aviation: il estimait cette intrusion politique nuisible à la vitale efficacité opérationnelle. Depuis le mois de Juin 1937, l'armée japonaise - un Etat dans l'Etat - avait commencé des opérations en Chine du Nord: le gouvernement de Tokyo qualifiait cela "d'incident de Chine", et les grandes puissances affectaient de le croire: il s'agissait, en fait, des premiers combats nécessaires à ce qui allait devenir la "guerre de la plus grande Asie orientale", au cours de la deuxième guerre mondiale. Le programme d'expansion japonais vers les mers du sud n'était pas un mystère, pas plus que celui de Hitler, mais nul ne voulait en tenir compte. Sans recommandation, Labussière se présenta à l'ambassade de Chine à Paris: sur présentation de ses références, il fut immédiatement engagé sous contrat pour aller affronter les réputés aviateurs japonais dans le ciel de l'Empire Céleste. William Labussière fut un des meilleurs as de l'escadrille de volontaires que commandait l'Américain Claire Chennault: ces A.V.G. (American Volunters Group) porteront bientôt le nom fameux de "Tigres Volants". Chennault, qui resta jusqu'à sa mort l'ami de Labussière, classait celui-ci parmi ses meilleurs pilotes; appréciation dont il était avare. Lorsque la France mobilisa en 1939, Labussière rompit son contrat chinois. L'épouse du Maréchal Tchang Kaï-chek, Président de la République de Chine, était une femme de grande culture et de sens politique internationalement reconnue, mais aussi le Ministre de l'Aviation. Elle avait une particulière admiration pour les volontaires français: elle fit cadeau à Labussière d'un sceau personnel en or, à son nom chinisé de "Lê Po Shuê" (Cime des Neiges). Il rejoignit Hanoï, où il fut mobilisé et affecté à l'Escadrille de Chasse 2/595, dite "Panthère Noire", avec son fidèle et inséparable André Boulingre qui dessina l'insigne de l'unité. Boulingre, avant la Chine, avait aussi "fait l'Espagne" où ce virtuose de la voltige aérienne avait appartenu à l'escadrille de André Malraux, au statut assez particulier. Avec Labussière et Poivre, il avait formé l'équipe des trois as français du fameux "Pursuit Squadron". Omer Poivre fut descendu le 14 Décembre 1937 au cours d'un combat héroïque contre des Japonais, en voulant protéger un pilote chinois. La Maréchale Tchang Kaï-chek fit élever un monument commémoratif à l'emplacement où l'avion de Poivre s'était écrasé: chaque promotion de l'armée de l'air chinoise venait s'y recueillir et effectuer des acrobaties en l'honneur du héros qui était devenu leur "Guynemer". L'Indo-Chine ne disposait alors que de vieux avions: une soixantaine de "Potez 25", 4 "Farman" quadrimoteurs et 10 hydravions "Loire 130", plus divers petits "zincs". L'embargo mis sur 20 "Morane 406" de chasse, destinés à la Chine, avait permis la création de deux escadrilles basées à Hanoï (2/595, "Panthère Noire") et Tourane (2.596). Encore faut-il noter que ces chasseurs étaient dépourvus de leur armement principal, le canon Hispano-Suiza. Début de 1940, Chennault avait envoyé son adjoint Harwey Greenlaw, qu'accompagnait son épouse Olga, prendre contact avec Labussière pour transmettre une proposition à l'Amiral-Gouverneur Decoux: offre gratuite de 11 chasseurs Curtiss que le blocus japonais empêchait de débarquer en Chine. L'amiral refusa ce cadeau, arguant qu'il y avait une mission d'achat aux U.S.A. et préférant que les avions soient vendus à la Thaïlande… A la fin de 1940, Labussière eut à combattre l'aviation japonaise au nord du Tonkin, puis il combattit contre l'aviation thaïlandaise, plus moderne et plus nombreuse, obtenant des succès. Il se retrouva ensuite à la frontière du Tonkin: à cette époque étaient entrés en activité les Accords de Défense Commune Franco-Japonaise de l'Indo-Chine… dirigés contre les Anglo-Saxons. De la fin de 1940 à la mi-Juillet 1941, la tâche de l'Occupation de l'Indo-Chine par les Japonais s'étendit jusqu'à la Cochinchine et le Cambodge: les "Japs" étaient partout. Labussière constata vite, par des discours et des notes de service impératives, que, pour le Colonel Tavera qui commandait l'aviation, l'ennemi n'était pas le Japonais qui occupait un territoire sous souveraineté française, mais les "A.V.G." qui luttaient en Chine et à la frontière contre les "Japs". Précédant Pouyade, le futur héros de Normandie-Niémen, Labussière décida de rejoindre les Forces Aériennes Françaises Libres, via la Chine; en emportant le plus d'informations possibles sur l'Occupant. Le Colonel, puis Général, Tavera avait fait signer à ses pilotes un engagement à ne pas "déserter" par voie aérienne: en dépit de la répulsion qu'il ressentait envers son "patron" pour son "collaborationnisme" affiché, Labussière s'obligea à respecter sa signature et à trouver un autre moyen pour rejoindre le Général De Gaulle. Il décida d'emprunter une jonque et de rallier par mer. Il avait fait la connaissance d'un sous-officier métis du nom de Greiveldinger: avec lui, il prépara un embarquement sur une plage du Golfe du Tonkin, à Doson. Ils espéraient que la jonque qu'ils s'étaient procurés parviendrait à se faufiler en profitant des écrans que constituaient les nombreuses îles de la Baie d'Along; au milieu d'une intense et incontrôlable navigation indigène à la pêche ou au commerce… licite ou non. Willy avait choisi de s'embarquer le 6 Août 1941, qui se trouvait être celui de son 29ème anniversaire. Les contretemps et les mouchardages firent qu'ils furent capturés au moment d'embarquer. Il avait sur lui des documents concernant l'implantation des Japonais au Tonkin. Il fut aussitôt incarcéré. Son camarade, qui n'embarquait aucun document, fut condamné à une peine légère. Labussière passa devant la Cour Martiale de Hanoï le 6 Septembre 1941. Comme envers les autres "déserteurs-qui-voulaient-reprendre-le-combat" cette juridiction manqua de tenue. Le Colonel Maso présidait le tribunal. Labussière fut assez étonné de s'entendre insulter à propos de ses motivations: il pensait que des militaires pouvaient très bien réprouver l'acte d'indiscipline et en reconnaître la noblesse d'inspiration: il apparut également que le fait d'avoir emporté des documents pouvant aider à combattre les Japonais était le plus répréhensible; comme s'il s'était agi d'un "gumpõ kàigi" (tribunal militaire nippon). Toutefois, compte tenu de ses "services exceptionnels dans l'aviation d'Indo-Chine", le colonel-président estima qu'il pourrait y avoir un jour une grâce; qui ne pourrait toutefois intervenir avant "la fin des hostilités". Son départ n'ayant pas été effectif, et compte tenu de ses "services exceptionnels", Labussière fut condamné à 5 ans de travaux forcés et à la confiscation de ses biens présents et à venir. Il ne se priva pas de donner son opinion sur ses juges. Qu'il fut en avion ou en prison, ce Bordelais obstiné autant que plein de ressources n'était vraiment pas un personnage ordinaire: il commença son évasion le jour même de sa condamnation, dès son retour en prison. Il avait été remis dans la prison militaire: dès qu'il fut dans la cellule, il passa sous le bât-flanc et entreprit de creuser un trou dans le mur, avec sa cuillère. Il fut découvert peu avant d'être dehors; ce qui lui valut d'être immédiatement transféré à la Maison Centrale et d'y être enfermé dans une cellule réservée aux "durs". Il devint par la suite le recordman des jours de cachot et de mise aux fers: il n'y eut que Camille Huchet chef d'un des tous premiers réseaux de la Résistance en Indo-Chine, et mon patron à ce titre à Saïgon, pour lui disputer cette primauté. Agé de 54 ans, ce "paisible" importateur-exportateur fit 60 jours de cachot, dont la moitié pour une prétendue tentative d'évasion de la Maison Centrale. Il avait été dénoncé par son "boy". Au tribunal, il jeta sa Médaille Militaire et sa Croix de Guerre de la Grande Guerre à la tête du Procureur Lafu. Libéré fin 1944, il fut "vendu" aux "Japs" en Mars 45, pour un dépôt d'armes camouflé derrière un doublage. Il fut martyrisé par la Gestapo-Jap. C'est par 30 jours de cachot que Labussière inaugura sa captivité vichyste: il connut ensuite le couloir réservé aux "Hautes Trahisons", comme l'indiquait un panneau. Il y eut comme camarades Eugène Robert, Pierre Boulle, le Docteur Bechamp, tout particulièrement, et quelques autres que les autorités qualifiaient de "dissidents" et de "traîtres". Fin 1941 se produisit un événement caractéristique et révélateur du comportement des fidèles de la Révolution Nationale. Labussière avait une rage de dent. Le praticien de la prison dut avouer son impuissance à le soigner et rédigea une demande au Gouverneur-Général Decoux pour que son patient puisse être soigné à l'hôpital. Inouï, mais vrai… Pendant que la demande suivait la voie hiérarchique, le visage du prisonnier s'enflait démesurément car, ni le directeur de la prison, ni le Résident, ni le Commandant Supérieur des Troupes malgré ses multiples étoiles, n'avait l'autorité suffisante pour permettre de soigner la dent d'un sergent-pilote. (Pour les "classes nouvelles" rappelons que l'un des slogans de base de la Révolution Nationale était la capacité à trancher des "chefs", dont il y avait une profusion… qui se retranchait derrière la hiérarchie). La réponse de "l'Amiral Pan-Pan" vint enfin. Elle suffit à juger l'homme: l'extraction de la dent à l'hôpital Lanessan était autorisée par le gouverneur-général de l'Indo-Chine, "… à condition que cela soit fait sans anesthésie". Ce fut le cas. On doute que ce soit cette marque combien remarquable qui convainquit un enseigne de vaisseau de l'époque, et futur mémorialiste sous ses deux étoiles amirales en 1983, d'insister sur "l'humanité" de son amiral. Cette note de Decoux fut retrouvée, comme le témoigna Dauphin, autre victime des lettres de cachet du Gougal, auquel le Général Salan la montra par la suite. Un tel comportement aide à comprendre les difficultés qui surgiront en fin de 1945. Après l'évasion de Robert, qui fut suivie de mesures d'une rare sévérité pour ne pas dire plus, Labussière fut du second voyage d'évacuation des prisonniers vers le sud. Pendant deux jours, dans l'espace réduit du wagon du Trans-Indochinois, les menottes ne lui furent jamais retirées, même pas pour se rendre aux toilettes. Il alla directement de la gare à la Maison Centrale de Saïgon. Son opposition constante lui valut à nouveau de connaître le cachot. Il y fut enfermé à la suite de sa complicité dans la tentative d'évasion, en pleine ville, de Robert à la faveur d'une occasion fortuite. Le régime du cachot était le pain sec, c'est-à-dire du pain de maïs si indigeste que la population civile en mangeait rarement plus d'une tranche d'un coup. Il fut mis à la "Barre de l'Indo-Chine", supplice médiéval que l'amiral nostalgique de la période des "Grands Amiraux" avait ressuscité. Elle n'était pas du même genre que celle de Hanoï, en forme de joug. A Saïgon, il s'agissait d'une barre, traversant les deux murs de la cellule, où coulissaient deux manilles dans lesquelles on enserrait les chevilles du forçat. Dans sa "Barre de l'Indo-Chine", l'Amiral Decoux écrira un plaidoyer où il dira sa nostalgie de ses grands ancêtres dont les bustes, au Palais Norodom, l'inspiraient: il n'a pas précisé si la "Barre de l'Indo-Chine" que connut Labussière fut un des exemples qu'il reçut en legs. C'est pourtant cette barre-là qui colle à sa mémoire. On ne peut mieux comparer le cachot où fut enfermé Labussière à Saïgon qu'à ces W.-C. "à la turque" des écoles primaires d'autrefois et des restaurants chics du Versailles des années 60; qui auraient eu la profondeur de la taille d'un homme. Comme les murs, le sol était revêtu de coaltar. L'obscurité y était à peu près complète et le jour ne se distinguait de la nuit que par le passage matinal de la corvée: d'un jet d'eau assuré, elle nettoyait du même coup bagnard et cellule. Une scène de Moyen-Age sous l'oeil indifférent du gardien. C'est dans ce tombeau, en slip, cheville serrée dans l'anneau et sur la barre d'acier, le ventre vide et dans l'obscurité, que le prisonnier passa la nuit de Noël 1943: une tranche de pain sec de maïs et une cruche d'eau firent son menu de réveillon. A cette date, l'Afrique du Nord et les derniers territoires extra-métropolitains, sauf l'Indo-Chine, avaient rallié la France Combattante; mais Willy dut accomplir ses 60 jours de cachot sans le moindre adoucissement: les futurs "résistants" Hoef et Cast n'avaient pas jugé convenable ou utile une suspension de la peine de cachot. Leur réflexion prendra encore un an et ce qu'ils en écriront en 1945 donne une idée de la bassesse de certains "chefs". La nourriture ordinaire des prisonniers était à peine suffisante, bien que l'on fut en Cochinchine: on n'y connaissait pas les disettes et même la famine que connut le Tonkin où se conjuguaient le manque de produits du sol et les rafles japonaises. La farine de blé avait disparu et, depuis longtemps, il n'y avait plus de lait. Il y avait un problème sérieux au sujet de cet aliment nécessaire aux enfants, quant aux Indochinois, qui n'admettaient que le lait condensé sucré. Quelques années plus tôt, un gouverneur-général avait fait venir de France des vétérinaires sans doute compétents dans le lait, mais ignorant complètement les moeurs indochinoises. Il avait été à peu près impossible de faire admettre la consommation de lait de vache, aux non-Européens non complètement "intégrés" à nos goûts: pour la masse, ce lait n'était qu'un excrément à peine bon pour fertiliser le potager ! Lorsqu'on leur faisait remarquer qu'ils raffolaient de "lait Nestlé", ils répondaient que ce n'était pas la même chose, puisqu'il s'agissait dans ce cas de "lait d'oiseau"… comme l'indiquaient les oisillons voraces de l'étiquette. Ils n'en démordaient pas. Pour ce qui le concernait directement, l'Amiral Decoux avait résolu le problème du lait. Lorsque son épouse était d'un de ces voyages pour lesquels beaucoup de faste oriental se déployait, on accrochait à son convoi spécial une bétaillère réservée à la vache-de-l'amiral et à son vacher. C'était une solution pour avoir toujours le lait frais qu'aimait l'épouse du Gougal. On en souriait plus qu'on en brocardait et cela meublait les conversations des mess et bungalows: les employés du Trans-Indochinois, et d'autres, savaient si Madame-Amirale accompagnait son Prince Protecteur d'Annam d'époux, rien qu'à la présence de la bétaillère. Il fallut attendre la réussite vérifiée du débarquement de Normandie, pour voir évoluer lentement les comportements; en commençant par les fonctionnaires de base qui, sur de petites choses et en cachette de leurs chefs osèrent quelques dérogations aux règlements. Puis, ce furent les "petits chefs", qui prenaient soin de réclamer le secret vis-à-vis de leurs collègues et des chefs. Ce fut enfin le tour de ceux-ci qui, étant amenés à constater certains "errements", n'osaient réprimander leurs subordonnés et en vinrent aussi à se chercher d'éventuels témoignages de la part de leurs prisonniers. Le directeur découvrit soudain de la sympathie pour les "gaullistes", en raison écrira-t-il en 1945… de ses attaches socialistes d'avant-guerre. Les "gaullistes" ne lui semblèrent plus être ces individus "dangereux" dont il conseillait l'exeat immédiat de l'hôpital Grall au pusillanime directeur. Ce n'est qu'à la fuite des gouvernants de Vichy à Sigmaringen que les choses commencèrent vraiment à changer à toute vitesse: Labussière se vit offrir de bonnes bouteilles et de bons cigares, voire de l'argent, par des militaires qui le qualifiaient ouvertement de traître quelques semaines plus tôt. Fin de 1944, il fut de l'évasion rocambolesque qui, par Xieng Kouang, fit envoler Boulle et Robert avec lui vers la Chine et Calcutta. Tandis que ses amis poursuivaient leur route, on se souvint de ses exploits en Chine sous les ordres de Chennault, maintenant Commandant de la fameuse XIVème US.AF., pour l'affecter à la Mission Française en Chine. Il devint le Capitaine Willy Martin. Il retrouva des camarades des "Flying Tigers", qui le brocardèrent un peu du manque d'enthousiasme des pilotes du Tonkin à passer la frontière pour combattre… à 130 km de leur base. Seul le Sous-Lieutenant Coquillard fit le saut en Mars 1945: il se "crasha" au cours de sa première mission au profit de la Colonne Alessandri pour laquelle quatre avions restés au Tonkin travaillèrent en Haute Région. C'est à Kun Ming que Labussière rencontra un ami qu'il croyait perdu: Bishop, pilote de la XIVème US.AF. qui avait été abattu par les Japonais près de Lao Kay plus de deux ans auparavant. Dirigé sur Hanoï sous l'escorte d'un lieutenant ami, il avait été confié au 2ème Bureau du Génésuper: sur ordre du Général Mordant, Bishop fut remis aux Japonais qui le réclamaient. Ils lui firent subir un interrogatoire "musclé", puis il fut transféré dans un camp en Chine. A la fin de la guerre, il se trouvait dans un camp proche de la capitale de la Chine collaborant avec les Japonais: c'est de là qu'il s'évada au moment de l'écroulement du Japon, en profitant de l'action d'un groupe de guérillas. Il rejoignit Kun Ming. Il se trouva un jour à un banquet en son honneur, où avait été invité Labussière en sa qualité d'ancien des "A.V.G." plus que de représentant de la Mission Française en Chine. Bishop raconta son odyssée, insistant sur la fourberie à son égard dont avaient fait preuve les autorités militaires françaises. Il termina en disant que s'il en avait l'occasion, il se vengerait en tuant un officier français vichyste. Labussière se leva, dit qu'il comprenait la colère de son camarade et qu'il la partageait d'autant plus qu'il avait été mis aux fers en Indo-Chine par les gouvernants vichystes, mais que, en tant qu'officier français, il ne pouvait paraître approuver, par sa présence, le projet de son camarade Bishop des Tigres Volants. Après la capitulation du Japon, William Labussière reçut mission d'aller à Hanoï y embarquer des hauts responsables militaires dans un "Dakota". Via Kun Ming, ils devaient être acheminés vers la France pour y rendre compte de leur comportement pendant l'Occupation japonaise de l'Indo-Chine. (Le mot "Occupation" est celui qu'employaient les Nippons: il correspondait à la réalité, comme on l'a vu pour Bishop). Parmi ces voyageurs brusqués se trouvait le Général Tavera. Celui qui s'appelait maintenant William Martin se souvenait de l'arrivée du Colonel Tavera sur le front du Cambodge et de sa morgue envers le valeureux Ganglof, commandant d'escadrille, et des équipages rentrant de mission, auxquels il avait adressé des menaces en se prévalant de la "confiance du maréchal"… avant de faire un spectaculaire "cheval de bois". Par la suite, il avait donné des ordres stricts pour pourchasser les avions de Chennault. Il fut le dernier des généraux d'Indo-Chine à se "rallier". Mettant pied à terre sur l'aérodrome de Gia Lam, en débarquant de Kun Ming, Labussière vit la troupe de "réprouvés" galonnés qui attendaient avec quelqu'anxiété un peu glorieux envol vers un destin incertain en cette période d'épuration. Soudain, un petit homme excité, gesticulant et rouge de colère, s'avança vers l'avion: il exigeait, disait-il, plus de considération de la part de ce "petit capitaine" qui prétendait enfourner toutes ces "personnalités" dans ce Dakota au confort nul. Souriant à son habitude, Willy le calma d'un coup en lui signalant qu'il ne devait pas se fier à ce nom de Capitaine William Martin sous lequel il avait été présenté; car il était en fait "ce pilote de chasse que lui, le général, et d'autres collabos, avaient envoyé au bagne". Ce fut la douche froide, et pas seulement pour le général. Chacun s'empressa de monter à bord de l'appareil, avec discipline et en silence. Entassés de part et d'autre du couloir central de cet avion rustique, les passagers aux maigres bagages n'en menaient pas large. Chacun essayait de deviner son sort sur le visage énigmatique de cet avion dont ils avaient contribué à faire le recordman du cachot et de la "Barre de l'Indo-Chine". L'air mystérieux, Willy Labussière goûtait ces minutes en pensant à ses camarades des "Flying Tigers" et des geôles de l'Amiral "Pan-Pan". Sa vengeance fut cependant comme celle du Bon Roy Henri, qui se contenta de faire transpirer le Duc de Mayenne au lendemain de sa défaite. Quant à lui, la tête du Général Tavera le payait de bien des peines: finie l'arrogance de l'homme qui "avait la confiance du maréchal" pour ne pas se battre et faire condamner aux travaux forcés ceux qui voulaient le faire, ou même à mort, par contumace il est vrai; comme ce fut le cas de Robert Barbier qui, à bord de son "Potez 25", dut se poser en Thaïlande où il connut les cages et les crachats de la foule et qui, l'Amiral Decoux s'étant refusé à intervenir, ne fut libéré que sur les menaces des Britanniques. Après la fin de sa mission à Kun Ming, Labussière continua à se passionner pour tout ce qui concerne l'aviation, particulièrement en Extrême-Orient, où il resta en rapport constant avec Chennault, jusqu'à la mort de celui-ci qui lui rendit visite peu avant son décès. Il est resté en contact avec ses compagnons de geôles d'Indo-Chine, Robert et Boulle…: c'est ainsi que je fis sa connaissance et que nous sommes devenus amis.


sommaire

Le Docteur Schweitzer d'Extrême-Orient:   Docteur BECHAMP
Bechamp était une personnalité reconnue comme telle en Chine. Il s'y était fixé après la Grande Guerre. Docteur en médecine et Consul de France, ce compatriote de Colette comptait des savants et des lettrés dans sa famille, dont le chimiste Antoine Bechamp et la poétesse Lucie Delarue-Mardrus. C'était un érudit passionné de tout: sciences, littérature, philosophie, langues vivantes et mortes, arts, artisanat, civilisations et techniques nouvelles. Il correspondait régulièrement avec des savants comme Paul Langevin et le Père Theilhard de Chardin. L'illustre Jésuite ne manquait pas de visiter Bechamp à l'occasion de ses missions d'étude en Chine: il était reconnu comme un des grands Français d'Extrême-Orient où il était considéré comme un sage; la consécration suprême. Homme universel, Bechamp se proclamait athée, mais n'en conserva pas moins qu'un seul livre en prison: une Bible en hébreu qu'il annotait en grec ancien. Elle ne le quittait jamais et il la lisait et relisait. Le chinois était une des nombreuses langues qu'il parlait; ce qui l'avait amené à exercer la fonction de Consul de France à Tchang-tchéou. Ses nombreuses occupations lui prenaient beaucoup de temps et avaient sans doute nui à sa santé. Dès Juin 1940, cet homme peu conformiste, et assez frondeur, se rallia à la France Libre que venait de créer le Général De Gaulle et mit son consulat au service des "Free French". Il était de passage à Hong Kong lors de l'attaque japonaise de Décembre 1941. Il y fut pris au piège des combats et vécut la capitulation britannique, après que la concession eut été privée d'eau. Il suivit alors le sort de la communauté française de la Concession: les Japonais l'embarquèrent sur un paquebot nippon qui transportait nos compatriotes en Indo-Chine. Cela se passait en Février 1942. Il y avait au moins six mois que les Japonais savaient que le Docteur Bechamp était un "agent de la France Libre". Malgré cela et probablement à cause du réel respect que leur inspirait ce savant-philosophe, les Nippons ne lui causèrent aucun ennui et affectèrent de le considérer comme un Français entre d'autres. L'intention du docteur était de profiter d'une escale à Kouang-tchéou-wan, territoire occupé par les Japonais mais sous souveraineté nominale de la France, pour rallier Tchoung-king: ses amis chinois lui auraient facilité l'opération. C'était compter sans la police politique mise en place par le gouverneur-général de l'Indo-Chine, dont dépendait ce territoire proche. Les autorités de Vichy en Extrême-Orient n'eurent pas la délicatesse des Nippons en cette occasion. Une vedette française accosta la coupée du navire japonais et vint y réclamer le Docteur Bechamp, qui fut amené par des gendarmes français. Son voyage se termina dans une cellule de la Maison Centrale de Hanoï. La Cour Martiale le condamna à 15 ans de travaux forcés et aux peines annexes: vu son âge, cela correspondait à la perpétuité. A 55 ans, c'était un vieil homme en paraissant dix de plus. Il fut incarcéré comme un malfaiteur, sans considération pour son état physique déplorable, ni pour le capital moral qu'il représentait pour la France dans ce pays qui respecte les érudits et vénère les vieillards. L'Amiral Decoux qui forgea sa propagande sur l'image du "vieux maréchal au visage rose et à la moustache blanche" - et qui fulminera en 1949 à propos de la préservation, vis-à-vis des Indochinois, de l'image des Français éminents - ne se soucia guère du cas de Bechamp. En captivité, la santé précaire du savant se détériora encore plus et il fallut se décider à l'hospitaliser. Le vieux docteur, qui n'était pas encore à retrouver un peu de santé, fut ramené en prison sur instructions du Gougal, à la suite de l'évasion de Robert et aussitôt après. Il n'y eut pas de réaction du directeur de l'hôpital Lanessan à la suite de cette mesure de représailles envers un malade grave: ce médecin de très haut grade se montra tout aussi pusillanime lorsque des aviateurs américains hospitalisés dans ses services furent livrés aux Japonais, sur un brancard; en dépit de la souveraineté française toujours proclamée de part et d'autre, mais toujours bafouée. D'ordre du Gougal, on s'inquiétait parfois de ses desiderata, mais ce n'était qu'une feinte puisque l'ordre était de n'y pas donner suite. Bechamp ne quittait pas la cellule n° 1 où se trouvait déjà Pierre Boulle. Celui-ci put apprécier l'homme extraordinaire que l'amiral-gouverneur faisait mourir lentement dans ses geôles, en connaissance de cause. Atteint de déformations de la colonne vertébrale, l'estomac et les intestins malades, Bechamp ne pouvait véritablement pas se mouvoir. Même pour de minimes déplacements dans la cellule, il fallait le porter plus que le soutenir. On devait l'aider à se déshabiller. Il était pratiquement toujours couché, mais son intelligence demeurait intacte. Il se nourrissait mal, son estomac ne pouvant accepter qu'un peu de riz. Il était tellement pitoyable, que le gardien-chef, malgré les ordres draconiens reçus et rappelés continuellement, prit sur lui de lui donner un oreiller. Il fallut pourtant bien l'évacuer sur l'hôpital, de crainte de le voir expirer en prison. Il trouva encore la force, avant d'être évacué, de donner des conseils à Robert qui essayait de se faire hospitaliser pour s'évader: il lui indiqua comment simuler une maladie cardiaque et autres maladies graves. Il y avait longtemps que tous les médecins l'ayant visité avaient conclu à la nécessité absolue de l'hospitaliser d'urgence: en cette période d'autoritarisme pointilleux et rancunier, personne ne voulait en prendre l'initiative sans instructions formelles de l'amiral-gouverneur et nul ne voulait les réclamer. Bechamp continuait à s'affaiblir. L'opinion du savant sur ceux qui avaient en charge l'ordre en Indo-Chine se résumait en cette phrase qu'il prononça devant ses camarades: "Ces gens-là sont des misérables !". Ils allaient en apporter la démonstration. Son sort fut en fait dépendant de la défaite de Rommel en Lybie: la défaite du "Renard du désert", dont la renommée avait été portée jusqu'à Hanoï et Saïgon par les propagandes conjuguées de Berlin et de Vichy, causa une surprise qui fut salutaire pour certains. Le repli de l'Afrikakorps tournait à la déroute; laissant entrevoir un autre horizon qu'un mur d'oriflammes frappées de la svastika. Quelqu'un osa "demander des instructions" au Gougal. Bechamp ne mangeait pratiquement plus rien de ce qui lui était présenté, et il ne se levait plus. Les consignes étaient cependant toujours appliquées: s'enquérir de ses desiderata et n'en pas tenir compte. L'autorisation de l'amiral-gouverneur vint enfin et le prisonnier fut hospitalisé à Lanessan. La phobie de l'évasion, malgré l'état grabataire du malade, était telle que Decoux ordonna, presqu'aussitôt, d'évacuer Bechamp sur Saïgon. On devine ce que fut un voyage de deux jours et nuits, dans un tel état et dans de telles conditions. A l'hôpital de la capitale de la Cochinchine, il fut enfermé dans les locaux disciplinaires. Cet acharnement, qui ne cède en rien à celles de Darnand en France, étonne aujourd'hui; d'autant plus que les anciens responsables de l'époque expliquent les incarcérations de "dissidents" par les nécessités du "double jeu", mais en oubliant de dire ce que furent les incarcérations. Rien ne les obligeait à être inhumain, voire barbare. Les Nippons ne se souciaient pas de ces questions; puisque Decoux osa des libérations en fin 1944 au moment où les Japonais étaient particulièrement attentifs à son comportement. La façon dont furent traités les prisonniers gaullistes s'apparente aux pratiques des "Japs" telles que nous les avons expérimentées après le 9 Mars 1945, les coups en moins: détruire l'individu par les privations et les mauvais traitements. L'amiral a défini sa vision de la justice dans son télégramme n° 7850 du 21 Décembre 1941, adressé à Vichy juste avant l'arrivée de Bechamp à Hanoï: "une répression qui devrait être rapide et énergique". Pour cela il donna des directives à sa police et aussi aux juges; dans ce cadre fut sanctionné le Commandant Roy, commissaire du gouvernement qui trouvait des circonstances atténuantes aux justiciables. En Novembre 1943 seulement, alors que le débarquement allié en Italie avait réussi, on osa enfin faire admettre Bechamp dans une salle de l'hôpital Grall: en 3ème classe. Ce ne fut d'ailleurs réalisé qu'après de longues discussions, mises en garde et autres dégagements de responsabilité; à l'encontre d'un pauvre homme à qui la maladie interdisait de bouger de son lit. Il n'était plus qu'une ombre et l'issue fatale et proche avait fini par décider de ne pas le renvoyer en prison. Les autorités voulaient se donner bonne conscience et éviter que leur manque d'humanité soit trop flagrant si le décès survenait à la Maison Centrale: la peur les commandait. Bechamp se retrouva sur une couche qui ne changeait guère avec celle de la prison, isolé et non en salle commune pour éviter qu'il se livre à la propagande; alors que le front de Normandie venait de céder devant les Américains… Pendant sa dernière semaine de vie, quelques rares personnes furent autorisées à le visiter, sous haute surveillance: il apprit ainsi que l'heure de la victoire et de la libération avait sonné pour sa patrie, du Général Sabattier connu en Chine. Le 20 Juillet 1944, le Docteur Bechamp mourut dans la solitude à l'hôpital Grall à Saïgon. Robert était alors hospitalisé dans ce même hôpital, dans une cellule à moins de 30 mètres de son ami: il demanda, à plusieurs reprises et en vain, d'aller se recueillir devant la dépouille de Bechamp. On finit par autoriser une femme à prendre en charge les derniers devoirs: future épouse d'un officier de Leclerc, qui deviendra le Président du Conseil de Paris, Chavanac, elle faisait partie de la Résistance (Médaille Militaire, Croix de Guerre, Medal of Freedom, Médaille de la Résistance). Le corps fut mis en bière en présence de son avocat, Me Jacquemard, et de deux relations de Chine dont le Général G. Sabattier. Le convoi funèbre fut suivi par quelques dizaines de personnes, dont la plupart jugeaient utile de faire enfin acte d'indépendance. Sur le cercueil, quelques fleurs nouées de tricolore. Ce même jour, avait lieu l'attentat contre Hitler et la chevauchée libératrice commençait en France; cependant l'administration de l'amiral demeurait toujours aussi rancunière. Ses membres s'étonneront, fin 1945, que cela n'ait pas été oublié; bien que les sanctions aient été très minimes, particulièrement envers les grands responsables. Le Docteur Bechamp est mort de sévices et de manque de soins, d'ordre supérieur, mais l'administration de Vichy en Indo-Chine se rendait bien compte de son infamie en la circonstance: elle informa la famille en laissant croire que ce savant avait été victime des Japonais. Sa seule parente, une cousine germaine, dut attendre 40 ans pour savoir la vérité. Alertée par mon récit paru dans le Journal des Combattants, elle vint à Paris: j'étais présent lorsque Madame Chavanac, dans son salon près de la Porte d'Auteuil, lui raconta les faits à son arrivée de Saint-Sauveur-en-Puisaye et que cette merveilleuse femme évoqua la façon dont elle apprit le décès du Docteur Bechamp. Au nom d'un régime agonisant et honni, l'Amiral-Gouverneur-Général Decoux avait triomphé d'un vieil honnête homme…


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LE TEMOIN GENANT   Raymond Rudoni
Raymond Rudoni, jeune marin du commerce, n'eut pas plus de chance avec la "filière indo-chinoise" qu'avec les escales africaines. Il fut très tôt un "rebelle" et l'on sait que la marine est très chatouilleuse sur ce point. En Août 1940, il était en Côte d'Ivoire à bord du "Sainte Louise", récente prise de guerre sur les Allemands que les autorités de Vichy voulaient rendre au IIIème Reich. A la suite d'un "mouvement" à bord, la Police Maritime intervint. Accusé d'en avoir été le meneur, Rudoni fut traduit devant un Tribunal Maritime. Le Commandant Le Merdy, Capitaine du "Sainte Louise" le chargea peu. Bien que le matelot eut une réputation de "comploteur gaulliste", bien établie, il fut acquitté avec félicitations du jury et à la colère de la Royale. En application d'un décret de Vichy, il fut ramené en France, avec interdiction d'embarquer. A son passage à Casablanca, il fut arrêté sous l'inculpation de "propagande gaulliste" et enfermé pendant un mois dans une promiscuité inouïe, avant d'être enfin rapatrié. Cette affaire eut une suite assez cocasse puisque ses parents, alors qu'il était en Indo-Chine, se virent présenter par l'administration de Vichy la facture des frais entraînés pour son "hébergement" ! Il était pourtant majeur selon la loi, puisque mobilisé en temps de guerre. Par débrouillardise Rudoni parvint à se faire embarquer sur le "Cap Vallera" en partance vers l'Indo-Chine: ses faux documents le présentaient comme "garçon de restaurant". On ne mit guère de temps à bord à se rendre compte que la spécialité était usurpée, d'autant qu'il retrouva sur son steamer le Lieutenant Pouzeau qui l'avait connu sur le "Sainte Louise" lors de son affaire. Alertée, la Gendarmerie Maritime adressa un message au commandant du bord, mais le Capitaine Mauros, après avoir convoqué son matelot, étouffa l'histoire. La Gendarmerie Maritime veillait: à l'escale à Madagascar, elle voulut enfermer Rudoni à la prison maritime. Il fallut que le Commandant Mauros se portât garant du matelot, avant de pouvoir le récupérer. Au passage dans le Détroit de la Sonde, le "Cap Varella" fut arraisonné par un petit aviso batave de réquisition, fumant autant qu'une escadre et transportant des troupes armées jusqu'aux dents. L'espoir de pouvoir enfin "rejoindre De Gaulle" naquit dans le coeur de plusieurs des Français. Il fallut déchanter. On leur expliqua, comme on le fit à bien d'autres, que le gouvernement néerlandais s'était replié à Londres, avec la reine, et y entretenait de bonnes relations avec le "Mouvement des Français Libres"; mais que ses représentants dans les Indes Néerlandaises avaient des instructions strictes pour ne pas laisser les Français descendre à Batavia et… les force à poursuivre vers l'Indo-Chine, en vertu d'accords avec le gouvernement du Maréchal Pétain. Pour bien se faire comprendre, les Hollandais informèrent les passagers et équipage du "Cap Varella" que ceux qui passeraient outre seraient facilement repérés à terre et seraient rembarqués, manu militari, sur le prochain bateau vers Saïgon. C'est ainsi que Rudoni accosta au port fluvial de la capitale de la Cochinchine. Peu de temps après, rentrant de Hué où il venait d'être opéré et huit jours après avoir touché terre, il fut arrêté à Saïgon. Officiellement, c'était toujours l'affaire de la "Sainte Louise" qui le poursuivait, malgré son acquittement par le Tribunal Maritime. Cela faisait beaucoup de vindicte envers un simple matelot, d'autant qu'il était assez facile de le surveiller à son bord. Cette fois, comme le lui dit le Commandant Mauros, le Capitaine du "Cap Varella" ne pouvait rien faire; la dénonciation d'un officier du bord avait suivi son cours et nul ne pouvait entraver la marche de la "justice" de l'Etat français, même si elle allait à l'encontre d'un jugement. (Cet officier fut "introuvable" aux Chargeurs Réunis, après la guerre…). C'est ainsi que, le 2 Avril 1942, à bord du "Cap Varella" où flottait encore le drapeau français en terre indo-chinoise et dont on sait ce qu'en a dit l'amiral-gouverneur-général, un jeune enseigne de vaisseau de 2ème classe, accompagné de deux marins "en armes et baïonnette-au-canon", vint "prendre en charge" le Matelot Raymond Rudoni. Contre toute attente, il ne fut pas conduit devant une autorité maritime ou à la Prison Centrale, mais au Commissariat Spécial de Khanh Hoï, au Port de Saïgon. Un inspecteur de la Sûreté l'y réceptionna et l'enchaîna à un tuyau. Il y resta huit jours, sans explication ni interrogatoire. Toujours sans que lui ait été indiqué le motif de son arrestation, lui fut notifié l'arrêt du gouverneur, paru au J.O. (page 1042). Cette "lettre de cachet" ordonnait son transfert au "Camp d'Internement Administratif" de Long Xuyen, en Cochinchine. La voiture qui vint le prendre dans les locaux de la Sûreté était l'antique fourgon, datant de la Grande Guerre, qui servait d'habitude au transport des condamnés à mort. On l'y attacha au Gendarme Alle, chargé du transfert: une chaîne de un mètre cinquante les reliait. Le "panier à salade" laissa son passager au Marché Central, où, toujours tenu par sa laisse métallique, il fut embarqué dans un car chinois. Il s'agissait d'un véhicule de fabrication locale: une plate-forme de camion Chevrolet sur laquelle on avait construit une caisse en bois, très basse pour des raisons de centre de gravité, aux ouvertures sans vitre; dont les bancs de bois, bas et serrés, aux dossiers symboliques, contraignaient les Européens à se tenir les genoux à la hauteur des épaules. On s'y entassait outre mesure, jusqu'à former une masse monolithique à l'intérieur de laquelle, même un mouvement du bras devait être étudié d'avance. L'impériale du car, comme sur tous ces véhicules exploités par des Chinois, était surchargée de ballots, paniers et cages enchevêtrés d'où s'échappaient les cris de tous les animaux de la basse-cour et les lamentations aiguës des noirs "cochons-planche" ou des boys protestant contre la maladresse d'un voyageur. Cette arrestation à bord et cet internement sans comparution étaient assez surprenants. Ils ne faisaient qu'inaugurer les multiples tracasseries envers les marins du commerce assez justement soupçonnés d'être de tièdes partisans de l'Ordre Nouveau. La chronologie des événements en Indo-Chine apporte peut-être une indication déterminante si on la rapproche de la cause des premiers démêlés du Matelot Rudoni avec la Royale, au temps où il était question de rendre le "Sainte Louise" à la marine du IIIème Reich Allemand: de Janvier à Avril 1942, l'Amiral Decoux négocia avec les Japonais les conditions de mise à la disposition de la marine nippone les longs-courriers français immobilisés à quai dans les ports d'Indo-Chine; du fait de la guerre de la grande Asie extrême-orientale que venait de déclencher l'attaque sournoise de Pearl Harbour. Autorités d'Indo-Chine, légales françaises et d'occupation japonaises, se congratulaient à propos des victoires de la marine et de l'Armée de l'Empire du Soleil Levant: celui-ci demandait plus que des paroles… La solution concernant ces navires était proche, lorsque le Matelot Rudoni fut arrêté à bord du "Cap Varella": elle était typique des autorités de Vichy. Par décision n° 385, en date du 11 Avril 1942, la Section de Liaison de l'Escadre japonaise (numéro de téléphone 21.415) signifiait aux commandants de nos navires de commerce… "la Marine Japonaise a décidé de réquisitionner votre bateau à la date du 12 Avril à 8 heures du matin… pour répondre à l'appel de votre patrie et aussi pour servir la noble cause de la collaboration en Orient entre deux pays amis, la France et le Japon". Il était précisé que les E.M. et équipages resteraient à bord, sous pavillon japonais. Le document était signé "Capitaine de Vaisseau Horiuti". Le "Cap Varella" (8 000 t.), comme le bel "Aramis" (17 500 t.), faisaient partie des onze navires réquisitionnés pour servir un pays que les autorités d'Indo-Chine considéraient en "allié". 100 000 tonnes furent ainsi livrées, justification posthume de la tragédie de Mers-el-Kébir, et de Toulon. L'Amirauté d'Indo-Chine confirma l'ordre donné aux marins de la Marchande, par les Nippons: par "Ordre du Jour n° 107.EM.3. de Saïgon 11 Avril 1942 - Marine Indo-Chine - Etat-major", l'Amiral Berenger, Commandant de la Marine Nationale en Indo-Chine, et de la flotte marchande puisque nous étions en état de guerre, donnait l'ordre de maintenir à bord des navires remis aux Nippons… "leurs commandants, leurs états-majors et leurs équipages". Il était spécifié "sous contrôle de la Marine Japonaise et sous pavillon japonais". Il s'agissait bien d'une cession, en temps de guerre, de navires de commerce français militarisés, à un gouvernement membre de l'Axe contre lequel la France était toujours en guerre puisqu'il n'y avait pas de traité de paix de signé, ni même d'envisagé (telle était bien la situation juridique du gouvernement de Vichy qui, par ailleurs, avait signé avec le Japon un accord de "Défense Commune Franco-Japonaise de l'Indo-Chine", contre les alliés). A bord du "Lecomte-de-Lisle", l'ordre du jour fut lu par le Capitaine de vaisseau Robin. Ce navire fut le seul, par la suite, à ne pas avoir été coulé par les Américains: attaqué et sévèrement atteint, il put s'échouer… Il nous fut rendu en 1951. Il y eut un beau scandale sur nos navires à la lecture du peu glorieux Ordre du Jour 107 de celui qui fut le vainqueur de la bataille navale de Kho Chang (Siam): un matelot du paquebot "Aramis" jeta sa Croix de Guerre à l'eau et les équipages refusèrent de servir sous pavillon nippon. Il n'y eut pas de suite de la part des Japonais à cette "mutinerie", ce qui montre à l'évidence que les autorités d'Indo-Chine - amiral-gouverneur-général et amiral commandant la marine - auraient pu ne pas se soumettre à la honteuse requête japonaise, quant au personnel. En France ou Outre-Mer, les autorités de Vichy ont donné maints exemples de leurs finasseries dérisoires et humiliantes. Cette capitulation lamentable explique que la Marine-Indo-Chine ait tenu à "mettre hors d'état de nuire" le Matelot Rudoni; à titre de précaution en se souvenant de son refus de Côte d'Ivoire de rendre une prise aux Allemands: qu'aurait-il pu faire pour s'opposer à la livraison de nos propres navires ? Le prisonnier, toujours enchaîné au Gendarme Alle et bien tassé entre les passagers, s'assit dans le car. Après les palabres habituels, le véhicule prit la route en peinant. Il s'agissait d'une longue expédition. Long Xuyen est très loin dans l'ouest, de l'autre côté des deux larges bras du début du delta du Mékong qu'il faudrait passer sur un bac. Brave type et peu fier de son rôle, le gendarme demanda au matelot de s'engager à ne pas essayer de s'évader du car; ce qui lui permettrait de lui enlever la chaîne de forçat malgré les ordres impératifs qui lui avaient été solennellement donnés. Rudoni lui fit remarquer que, le voudrait-il, toute évasion d'un tel véhicule paraissait impossible à réaliser avec la moindre chance. Alle se contenta de la remarque et libéra son prisonnier. Au cours du voyage, il lui offrit quelques "job" et "bastos" et même un "carêm caï" (sorbet) au passage d'un bac. Il ne lui remit les chaînes qu'à l'arrivée à Long Xuyen. Le camp, que certains pour leur défense présenteront comme une villégiature champêtre au bord d'un cours d'eau, constituait en fait un lieu d'internement comme ceux de France: il ne s'y trouvait pas uniquement des "gaullistes", mais parfois des gens dont le Gougal voulait s'assurer… sans les traduire devant un tribunal, militaire ou autre. A cette époque le Chef de Province Delpy en avait la charge: il n'appréciait pas du tout le travail qu'on lui avait imposé et n'y mettait aucun zèle, étant toujours disposé à écouter les doléances et à trouver une solution qu'il pensait acceptable sans qu'il courut les foudres du Gougal. Prétextant des travaux à entreprendre à l'intérieur du "blockhaus" où devait être enfermé le "dangereux gaulliste", le responsable du camp décida de le loger, "en attendant"… au bungalow normalement prévu pour les voyageurs européens. Harcelé au sujet de cette imprudence, et après avoir longuement tergiversé, Delpy dut pourtant transférer Rudoni dans le blockhaus. Il y devint le "numéro 4". Il y fit connaissance avec d'autres "Internés Administratifs", comme les époux Bouvier et Monsieur Metter, Professeur au lycée Chasseloup-Laubat à Saïgon, et Dauphin, un aviateur parlant anglais et japonais. Le blockhaus était un ouvrage datant de la conquête, comme on disait: "du temps des amiraux-gouverneurs". A l'époque, la pacification en cours nécessitait encore de contrôler la rive droite du Mékong où apparaissaient parfois des bandes de pirates très à l'aise dans ce pays quadrillé par des voies d'eau. Le chef de la garde était le Gendarme Levenard. Livoreil et Detter l'assistaient. Aucun n'appréciait ce rôle de garde-chiourme. Après que les marins civils eurent été débarqués des navires marchands à la suite de leur refus de servir sous pavillon nippon, il y eut une tentative de les employer comme gardes du camp de Long Xuyen: une fois encore, Marine-Indo-Chine ne fit pas preuve de beaucoup de discernement: elle avait mis Rudoni "au trou" pour éviter qu'il "contamine" ses collègues… et elle le faisait surveiller par ceux qui, naturellement, avaient eu la même réaction que lui. L'expérience tourna court et la Maréchaussée reprit les consignes. Chaque soir, un gendarme cadenassait la porte à l'extérieur. Dans la journée, les prisonniers avaient le droit d'effectuer une promenade le long du "rach" limoneux qui coulait lentement au bord de la prairie du camp. Les gendarmes dépendaient du Capitaine d'Hers, officier de caractère, engagé dans la Résistance clandestine. A l'occasion d'une inspection de son personnel, il tint à s'entretenir avec Rudoni dont il connaissait évidemment le motif d'internement. Il lui demanda quel serait son comportement "en cas de coup dur avec les Japs". La réponse fut immédiate: "Je me battrais !". D'Hers lui dit que c'est ce qu'il attendait et qu'il l'inscrivait comme volontaire devant rejoindre ses gendarmes quand sonnerait enfin l'heure qu'on croyait être celle d'une insurrection française. Il fallut attendre deux ans avant que l'occasion se présente, et Rudoni venait d'être libéré depuis quelques mois… mais soumis à résidence, seul dans un village annamite. Le 9 Mars 1945, alors que naissait son premier enfant, le matelot réprouvé rejoignit la petite troupe du Capitaine d'Hers à l'heure du "coup de force japonais". Il y retrouva ses anciens gendarmes, un peu troublés bien qu'ils aient eu un comportement acceptable, correct. Rudoni se trouva en charge d'une barge, ayant des marins de la Royale sous ses ordres: ils furent tous cités et décorés de la Croix de Guerre, par leurs officiers qui oublièrent celui qui les commandait avant la reddition du groupe mobile constitué par les marins à pied. Le Capitaine d'Hers fut tué en voulant faire sauter un pont: il fut fait Compagnon de la Libération par le Général De Gaulle. Pour l'heure, le problème du gouverneur de la Cochinchine était de choisir un homme à poigne pour remplacer Delpy jugé par trop "compréhensif" envers les "suppôts de Ganelon". Cet administrateur affairé trouvait cependant le temps de pousser le zèle jusqu'à s'assurer que les prisonniers étaient non seulement privés de liberté sans jugement, mais encore qu'ils étaient mal traités ! Enfin, le fonctionnaire "à la botte" fut découvert. Gamion remplaça Delpy tout heureux de lui passer la charge: le nouveau ne ratait pas une occasion d'appliquer les instructions en les agrémentant de remarques envers ces mauvais Français. Il décida que le blockhaus était trop "confortable pour des traîtres" et réquisitionna la prison civile de Long Xuyen pour y enfermer les "gaullistes", et rien qu'eux. C'est à cette époque que Rudoni vit l'irascible Monsieur Chauvet, Directeur des Affaires Politiques du Gouvernement-Général de l'Indo-Chine, venu inspecter Long Xuyen et veiller "à l'ordre", la marotte du Gougal. Le régime infligé dans cette geôle d'un autre âge était dur à tous égards. En Janvier 1943, avec Dauphin et d'autres, Rudoni fit la grève de la faim pour réclamer la réintégration au camp d'internement, même dans le blockhaus: ils s'appuyaient sur les termes mêmes de la "lettre de cachet" qui les avait expédiés à Long Xuyen et qui portaient le mot "internement" et non celui de "emprisonnement". Devant tant de détermination faisant référence à la décision administrative, Gamion accepta de donner satisfaction aux détenus de la prison, mais leur réserva une humiliation toute gratuite très dans l'esprit des Volontaires de la Révolution Nationale. Vêtus de shorts en loques, les prisonniers furent conduits à pieds vers le camp, pieds et torse nus, squelettiques et manifestement malades de privations dans cette région d'abondance: la foule manifesta sa colère sans retenue (grâce à la providentielle "Résistance Officielle" où s'engouffrèrent les fonctionnaires en fin 1944 - pour ne pas faire grand'chose, sinon rien, en Mars 1945 - la condamnation à "indignité nationale" infligée après la guerre pour ces mauvais traitements, à Gamion, se trouva relevée pour "faits de résistance": il ne fut pas un cas unique…). En Juin 1943, les événements d'Afrique du Nord et d'Europe donnant à réfléchir aux chefs de l'Indo-Chine, le sort des victimes de la Révolution Nationale commença à évoluer un peu, en partant de la base de l'administration: la mort du ministre de Vichy Pucheu, qu'un sauf-conduit du Général Giraud n'avait pas fait échapper au poteau d'exécution, eut un effet salutaire en Indo-Chine: en dépit des rodomontades pétainistes maintenues. Un jour, Rudoni, comme d'autres, fut astreint à résidence surveillée loin d'un centre fréquenté par des Européens. Il se retrouva ainsi, seul des anciens de Long Xuyen, à Chaudoc sur un bras du Mékong, à la frontière du Cambodge. Il y resta jusqu'en Octobre 1944, date de la mise en place progressive en Indo-Chine de la "Résistance Officielle": le Maréchal Pétain avait quitté la France et présidait son dernier "gouvernement" Laval à Sigmaringen et l'Amiral-Gouverneur-Général Decoux venait de faire allégeance au Gouvernement Provisoire de la République Française. Libre, Rudoni ne s'en trouva pas moins pendant plus d'un an dans une situation précaire: il lui fallait vivre avec 10 piastres par jour ! (100 francs de l'époque). En fait, il ne survécut que grâce à l'aide confidentielle que lui accordait l'Administrateur-Adjoint Colonna, en poste à Chaudoc: clandestinement, il lui donna du travail rétribué dans une coupe de bois des Sept Montagnes. Il y vécut, y fondant une famille, jusqu'au 9 Mars 1945 où les Japonais déclenchèrent leur coup de force. Il fut père le même jour, cependant, sans prendre le temps de voir son bébé, il rejoignit immédiatement le Groupement du Transbassac, avec le Capitaine d'Hers. Au moment où il allait être fait prisonnier, il traversa le fleuve en s'aidant d'un tronc de bananier; amenant avec lui un de "ses gendarmes" de Long Xuyen. Capturé par la suite, il réussit à se faire passer pour un civil et à gagner Saïgon: il était un jeune père de 25 ans qui ne s'avouait toujours pas vaincu. Nous nous voyons souvent et sommes très amis: il m'a raconté ce jour du Repas des Rescapés du 9 Mars 45 à la Mutualité où le hasard des inscriptions et des "situations géographiques" le mirent, avec Dauphin, au voisinage de leur ex-geôlier, Gamion, nullement gêné et prêt à évoquer "le bon temps".



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DU FLEUVE ROUGE AU NIEMEN:
Général Pierre Pouyade

Pouyade a laissé un nom particulièrement célèbre dans l'épopée de la France Libre, lié à celui du fameux régiment d'aviation de chasse "Normandie-Niemen" engagé sur le front de l'Est dans l'armée soviétique. Des évadés d'Indo-Chine, c'est celui dont le nom fut le plus connu en France. Il parlait parfois de son évasion au Club de la France Libre où il rencontrait d'anciens résistants d'Indo-Chine qu'il revoyait à la Fédération des Réseaux de la Résistance F.F.L.-F.F.C. d'Indo-Chine 1940-1945. Pierre Pouyade était un pilote réputé. En 1942, à peine âgé de 30 ans, il commandait une escadrille de chasse au Tonkin, ce qui n'était pas courant. Il considérait qu'un pilote de chasse est fait pour combattre les ennemis qui occupent sa patrie: comme ses camarades évadés, ou qui tentèrent l'aventure, il pouvait dire que "le Soldat qui combat a toujours raison". En cela, il s'opposait au général que Vichy, envoya spécialement en Indo-Chine pour y commander l'aviation selon les nouvelles idées du temps. Cette aviation était vétuste, hétéroclite surtout, et squelettique; condamnée à ne faire que "du vol de temps de paix" dans un monde en guerre. Sauf quand il s'agissait d'attaquer les avions américains des "Tigres Volants"… mais ceux-ci eurent vite fait de la dissuader d'entreprendre. La Chine était à quelques 150 kilomètres de sa base. Choisissant la solution la plus simple pour un aviateur, Pouyade décida de s'envoler vers un terrain du Yu Nan d'où rejoindre la France Libre et ses F.A.F.L., grâce à la Mission Militaire Française en Chine. Malgré la courte distance, ce n'était pas une mission de tout repos qu'il s'assignait là. En dépit de l'unification théoriquement obtenue par le Kuo Minh Tang, peu de régions de la république que présidait Tchang Kaï Sheck étaient sûres. Pouyade ne connaissait pas l'anglais et, bien entendu, pas le chinois. Il se soucia "d'emprunter" un dictionnaire franco-anglais qui lui permette de palier ses trous dans la langue de Churchill et de Roosevelt, les amis du moment de Tchang. Il rencontra La Varende, récemment arrivé de France après son combat de Saumur et en service au S.R. Colonial camouflé sous le nom de B.S.M. (Bureau des Statistiques Militaires): celui-ci offrit son dictionnaire, réalisant une partie de son rêve de rejoindre la France Libre; mais ce n'est pas à ce titre qu'il devint F.F.L.… Ayant préparé son plan, mis de l'ordre dans ses affaires, enfoui son dictionnaire franco-anglais dans sa poche, le Capitaine Pouyade commanda au Mécano surnommé "Toto" de vérifier particulièrement bien le Potez-T.O.E. numéro 30; en vue d'un départ vers 10 heures pour une "mission prolongée le long de la frontière". Bien sûr, il n'avait aucun ordre de mission, mais, vis-à-vis de ceux qui restaient à terre, il devait faire croire qu'il en avait un consistant à empêcher les incursions des "Tigres Volants" à la frontière du Tonkin, selon les ordres du Général Tavera. Décidé, soulagé par l'action qui commençait, Pouyade s'installa à son poste. Le moteur répondit à la première sollicitation: la tête serrée dans le casque de cuir, l'évadé en puissance fit un signe de la main. Cales enlevées, tandis que le crachin tonkinois semblait se lever, le Potez roula quelque temps puis s'envola avec élégance. Il disparut très vite à la vue des hommes du terrain, comme s'il rejoignait directement la ligne de la frontière, mais mit bientôt le cap sur Laï Chau. Ce même mémorable 2 Octobre 1942, la Wehrmacht était bloquée devant le Festung Stalingrad, mais Pouyade ne savait pas encore que cela le concernait. Ce même jour, Vichy devait s'incliner définitivement à Madagascar et, dans le Pacifique, les US. Marines fortifiaient leur tête de pont à Guadalcanal, première île reconquise grâce aux bases de territoires français ralliés à la France Libre. Le but du raid était Tchung King, s'il pouvait se ravitailler, car il savait que les performances de son Potez 25 ne lui permettraient certainement pas d'y parvenir d'un seul jet. Au-dessus des montagnes couvertes d'une luxuriante végétation, l'appareil commença à donner des signes inquiétants, après que la frontière de Chine eut été franchie sans difficulté. Le niveau d'essence était bien bas et, surtout, le Potez faisait des bons désordonnés que rien n'expliquait: il fallait se poser au plus vite alors que le sol se présentait sous la forme d'un moutonnement de sommets de grands arbres de jungle. Soudain surgit ce qui pouvait faire office de terrain acceptable mais court. L'urgence décida: brutalement le Potez 25 n° 30 termina sa carrière en s'écrasant en territoire Céleste. Le pilote, lui, était indemne. Prenant quelques affaires, et d'abord sa boussole, Pouyade entreprit de poursuivre sa route vers le combat, à pied ou éventuellement avec les moyens du bord. C'est ainsi que, hors de la forêt, il chevaucha un temps un buffle aux cornes en faux. La marche fut épuisante à travers la jungle infestée de sangsues et de moustiques: le "régime jockey" le changeait de celui de Tone. Exténué, souffrant du paludisme, il eut cependant de chance de ne pas tomber dans les mains des bandes "incontrôlées" qui, elles, contrôlaient chacun des morceaux du territoire de la Chine des Seigneurs de la Guerre dont Tchang avait fait des généraux ou des maréchaux, selon leur puissance. Il arriva enfin au but et fut reçu en héros par la Mission Militaire Française en Chine. A quelques jours de là il découvrit et fit libérer l'Adjudant d'Aviation Bernavon, lui aussi évadé d'Indo-Chine, que les pirates avaient capturé et "retenaient". Le départ du capitaine avait fait scandale en Indo-Chine; d'autant que son chef, le Général Tavera qui n'était pas à une approximation près, se vantait devant l'Amiral Decoux de "savoir bien tenir son monde". Une Cour Martiale eut à juger le Capitaine Pierre Pouyade, déserteur en temps de guerre avec emport de matériel et d'armement militaire, pour s'engager dans une armée étrangère. Sous le manteau on l'accusait des pires vilenies, donnant à la "désertion" des motifs nullement honorables; selon l'opinion qu'émettait l'Amiral Decoux et qu'il reprendra dans son livre-plaidoyer. Le Tribunal Militaire suivit le Commissaire du gouvernement et condamna Pouyade comme "traître" à la peine de mort et à la confiscation de ses biens: il ignorait pourtant alors que "l'engagement dans une armée étrangère" (les Forces Aériennes Françaises Libres) conduirait le capitaine dans une division aérienne de l'Armée Rouge, selon les ordres du Chef des Français Libres. La presse et la radio d'Indo-Chine diffusaient la propagande qu'orchestrait un officier de marine, ex-douanier chinisant. Elle s'empara de l'affaire. Le "déserteur", parti combattre aux ordres du "Ganelon de Londres" au lieu d'attendre que la politique officielle de "Défense Commune Franco-Japonaise de l'Indo-Chine" permette "d'attendre hors des combats la fin de cette guerre mondiale", fut flétri comme il se doit… et accusé d'être un couard ! Plus nerveux que jamais, le Général Tavera prit des mesures draconiennes: il embarqua les aviateurs de la base de Tong dans un train et les relégua dans le sud. Ils se retrouvèrent à Baria, tandis que leur général déclarait, toujours content de lui, que "avec le départ des brebis galeuses" l'aviation d'Indo-Chine "était maintenant derrière le maréchal". Rien de moins sûr, comme il le constata… Le périple qui conduisit Pouyade jusqu'au combat sous le signe de la France Libre fut assez étonnant: de Chine, il s'envola vers les Indes, poursuivit vers l'Arabie, le Soudan anglo-égyptien, le Tchad, le Niger, les U.S.A. et l'Islande aux eaux encombrées de banquises, avant d'arriver enfin en Angleterre. Il imaginait peut-être une réception qui date, en son honneur: celle qu'il reçut l'irrita passablement sur le moment, bien qu'elle fut de routine comme il l'apprit par la suite lorsqu'il comprit quelle guerre implacable était menée, où tous les coups semblaient permis à l'ennemi. Il passa deux semaines au secret, sans cesse interrogé par des policiers tenaces qui voulaient s'assurer que cet aviateur venu de si loin n'était pas un sous-marin de Vichy acheminé après l'affaire de Madagascar. Il traversa cette épreuve, que connurent bien des Français et autres Européens qui rallièrent l'Angleterre, avant d'être l'hôte de Patriotic School. Cette institution pour pupilles de la Navy servait maintenant d'antichambre de la France Libre. Pouyade y fit la connaissance d'autres volontaires. Il eut pour voisin un petit monsieur volubile, que tous les jeunes d'avant 1939 avaient lu sous la signature de Jaboune et que connurent les "chers auditeurs" de l'O.R.T.F.…: Jean Nohain. Comme son frère l'Acteur Claude Dauphin, il "rejoignit" les Forces Françaises Libres pour combattre dans la libération de sa patrie. (Il sera blessé, à la 2ème D.B.). Le Général Valin, Commandant des Forces Aériennes Françaises Libres - F.A.F.L. - fut très heureux de recevoir ce commandant d'escadrille réputé. Aussitôt, celui-ci demanda à partir tout de suite "en escadrille de combat". Il s'étonna fort de s'entendre dire que "les candidats ne manquaient pas" et que "la liste d'attente" était pleine ! Le général lui expliqua que, avant de voler en combat à l'Ouest, il fallait se familiariser avec les procédures et le jargon de la Royal Air Force, adoptés par toutes les "Air Force" basées en Angleterre. Ce n'était pas le petit dictionnaire confié par La Varende qui pourrait le dispenser des stages. Valin connaissait et appréciait cet entraîneur d'hommes, volontaire et cordial, qu'était le svelte et brun Capitaine Pierre Pouyade: il lui proposa de rejoindre, sur le front soviétique, le régiment d'aviation de chasse français "Normandie", que commandait un de ses camarades de "promo", l'as de l'acrobatie Tulasne. De Gaulle voulait, expliqua-t-il, que la France Libre soit présente partout où se menait la guerre contre l'Occupant (au cours des six premiers mois de combat, en 1943, "Normandie-Niemen", perdit 83 % de son effectif volant: renforcé par des volontaires, dont ceux arrivés avec Pouyade, il continua à se distinguer et à subir des pertes à la mesure de sa fureur au combat: j'y perdis, du côté de Smolensk, mon camarade de jeunesse Maurice Bon. "Normandie-Niemen" fut une des gloires de la France Libre, qui n'en manqua pas, et sa renommée ne tarda pas à être mondiale: 45 ans après, on l'évoque et on l'étudie dans les écoles d'Union Soviétique où plus de 300 agglomérations portent son nom; mais pas une en France…). Pouyade accepta d'enthousiasme. Il rejoignit en Juin 1943 la prestigieuse unité formée par Pouliquen et commandée par son camarade Tulasne. Lorsque celui-ci ne revint pas de mission, ce fut à l'évadé d'Indo-Chine de reprendre le commandement des fameux chasseurs sur "Yak": il fut le chef estimé et aimé de "Normandie-Niemen". Des fronts de Smolensk et d'Orel, de sinistre mémoire, à l'entrée en Prusse Orientale qui fut le berceau du militarisme teuton, il se couvrit de gloire avec ses pilotes: l'un d'eux, qui fut tué en combat, était l'Adjudant Adrien Bernavon, comme lui et avec lui évadé d'Indo-Chine et condamné à mort. Effectuant 5240 missions en 4354 heures de vol et 869 combats, "Normandie-Niemen" se vit reconnaître 310 victoires aériennes officielles et 249 objectifs au sol, pour une perte en effectifs de 80 % des pilotes: tels étaient les "déserteurs" que faisait condamner l'Amiral Decoux. La renommée de Pouyade fut telle que le Maréchal Joseph Staline tint à le rencontrer: il le convoqua au Kremlin pour s'y entretenir longuement avec lui; mais ceci est une autre histoire…


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Commandant BJERING: "COMME" JEAN MOULIN

Des informations déjà recueillies et surtout les listes de suspects de gaullisme découvertes dans les dossiers de la Sûreté d'Indo-Chine, permirent à la Kempétaï (la "Gestapo-Jap") de s'emparer de responsables de la Résistance. Ainsi, résistants et fonctionnaires aux occupations liées au renseignement, dans l'armée ou le civil, se retrouvèrent-ils dans les mêmes geôles (par un effet imprévu, les "mises au pas du B.S.M." par éloignement de résistants gaullistes mirent ceux-ci hors d'atteinte de la Kempétaï. Ainsi du Capitaine M. Mingant…). Des résistants importants, dont des chefs de réseaux, furent assassinés par les "Japs", d'autres survécurent aux traitements inouïs qui leur furent infligés. Ainsi du Chef de Bataillon Bjering. C'était un de ces étrangers que définissent si bien les vers célèbres évoquant le Légionnaire, "devenu fils de France non par le sang reçu mais par le sang versé". Bjering dirigeait un réseau de Résistance au Tonkin. Capturé par les Japonais, ceux-ci le martyrisèrent longuement pour le faire parler: il choisit de mourir sous les coups. Nous connaissons l'image de Jean Moulin réduit à l'état de pantin sanglant que Christian Pineau eut à raser un matin dans la cour du Fort de Montluc; de même, le sobre rapport de Georges Thomas nous rappelle les derniers moments de Bjering dont il fut le voisin dans une cellule, à Lanessan. La lecture de ce récit fera ressortir par l'exemple l'anarchie qui caractérisait les organismes nippons de toutes sortes, que H.N. Drain, F.O. Intelligence (S.C.C.) cible si bien: "travail en compartiments étanches… la main droite ignore ce que fait la gauche et même chaque main ignorant ce que font ses doigts". C'est cette pagaille de l'organisation nipone qui sauva probablement Thomas: en passe de subir de terribles sévices, il se retrouva soudain, illogiquement, dans une relative quiétude dont il sortit, à la suite "d'abus", simplement enfermé dans un camp ordinaire ! Voici comment Thomas relate sa captivité et la mort du Commandant Bjering: "… Arrêté le 23 Avril 1945 par la Kempétaï, j'ai été conduit dans les locaux cellulaires de la Sûreté (ex-Sûreté française) où se trouvaient déjà nombre de nos compatriotes de la Sûreté et de la Police. Après quelques jours d'internement, où nous étions à 22 dans une cellule de 8 au plus, j'ai contracté la dysenterie. Une nuit, celle du 4 au 5 Mai, ayant demandé à la sentinelle de sortir pour faire mes besoins, celle-ci refusa et m'indiqua une tinette qui se trouvait dans la cellule. Devant mon extrême faiblesse, je me suis assis sur le rebord de cette tinette qui s'ouvrit en deux, avec comme contenu les urines de mes camarades. La sentinelle ouvrit la porte, me fit mettre à genoux et me frappa d'un revers de baïonnette sur le crâne, me provoquant un traumatisme. Ayant réclamé un docteur, non pour la blessure occasionnée mais pour la dysenterie, celui-ci, un Japonais parlant correctement le français, m'expédia à Lanessan. Nous sommes donc le 5 Mai (1945) au matin. Un collègue d'une cellule voisine, Viaud, également atteint de dysenterie, m'accompagna à l'hôpital. Là nous fûmes mis en cellule sous la garde d'un gendarme nippon. J'ai su par la suite qu'il s'appelait Ikeda. Le Médecin-Colonel Saint Etienne nous prodiguait les soins, malgré le peu de médicaments, accompagné d'une charmante infirmière qui demeurait à l'époque Bd. Carreau - son nom, hélas, je l'ai oublié. Cette personne, au début de mon internement à l'hôpital, rendait visite à ma femme, tous les jours. Par la suite, avec sa complicité, mon épouse venait me rendre visite en cellule et apportait à mes camarades de détention - nous étions douze - des nouvelles de leurs familles et aussi le peu d'informations qui filtraient des événements du Pacifique. Parmi mes camarades d'infortune à Lanessan, il y avait Lecomte, Viaud, Pigot, Rodouin, etc, et, dans la cellule voisine de la mienne, le Commandant Bjering. Je puis dire que la sentinelle japonaise n'a jamais exercé de sévices contre nous; par contre une équipe venait à peu près tous les jours, vers midi - équipe composée de deux ou trois Japs et d'un interprète vietnamien - questionner Bjering. Tout ce que nous pouvions entendre de notre cellule étaient les gémissements sous les coups et les réponses de Bjering qui, invariablement, étaient celles-ci: "Vous ne saurez jamais rien !". Je ne me rappelle pas le nombre de jours que dura l'agonie de Bjering. Il est mort un après-midi dans sa cellule: il venait d'être interrogé, maltraité, écartelé. On a découvert sur lui, en guise de ceinture de flanelle, un lambeau de drapeau français marqué d'une Croix de Lorraine. Quelques jours après la mort de Bjering, Rodouin s'évada mais fut repris le lendemain: c'en fut fait de notre … "tranquillité". Le Colonel Saint Etienne, après avoir subi de nombreuses pressions de la part de la Kempétaï, accepta de nous mettre "exeat" et nous fûmes dirigés vers la Citadelle, le 1er Juillet. Il y avait 55 jours que j'étais à Lanessan. J'ai retrouvé Ikeda au procès des criminels de guerre japonais, en Avril 1948 à Saïgon où j'étais cité comme témoin: je le fis acquitter, car c'était vraiment le lampiste qui s'était fait arrêter parce qu'il était gendarme…". Comme on le voit, les méthodes d'interrogatoire de la Kempétaï ne différaient guère de celles de la Gestapo. Le Japon faisait partie de l'Axe Berlin-Rome-Tokyo pour lequel l'homme n'avait pas de valeur par lui-même.


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DES FRANÇAIS LIBRES POTENTIELS:  Gendarme Esprit Moustier
Outre les tentatives d'évasion, parfois réussies, il y eut les cas de militaires dont les essais demeurèrent ignorés. Il y eut ceux qui s'interrogèrent sur leur devoir: participer à sauvegarder la présence française en Indo-Chine ou reprendre le combat en rejoignant les Forces Françaises Libres ? Il y avait sans doute plusieurs façons de servir la patrie, pourvu que l'on soit déterminé à ne pas participer à la "Défense Commune Franco-Japonaise de l'Indo-Chine" que prévoyaient les accords Tokyo-Vichy. Dès 1943, les autorités de la France Libre, dont une antenne était installée à Kun Ming en Chine, faisaient savoir aux militaires contactés, pour qu'ils le diffusent, que, sauf instruction particulière de leur part, les militaires et fonctionnaires en service en Indo-Chine devaient y rester, tout en prenant contact avec elles. Ce fut le cas, exemplaire, pour le Lieutenant Mac Carthy, en poste à la frontière du Tonkin. Parent du Général Catroux - ancien gouverneur-général de l'Indo-Chine, devenu un des chefs de la France Libre - Mac Carthy lui avait écrit pour qu'il lui facilite son accueil en Chine, par où il voulait rejoindre les F.F.L.: Catroux lui répondit en lui ordonnant de rester à son poste. Il serait faux de prétendre que de nombreux soldats et surtout marins attendaient avec impatience de reprendre les armes à l'appel de la France Libre: la "fidélité à la parole donnée à la personne du maréchal" et le poids de la propagande insensée empêchaient beaucoup de rompre avec une sécurisante discipline. Ce n'est pas la place ici de sonder les coeurs et les reins, mais il est non moins certain que beaucoup de jeunes cadres et d'hommes de troupe n'attendaient que l'occasion ou les ordres: ceux-ci ne vinrent qu'après la libération de la France et celle-là était rare au Tonkin et inexistante ailleurs. Le Gendarme Moustier fut un exemple de militaire à la fois discipliné et désireux de reprendre le combat contre l'Axe. Il avait été en service au Cap Saint Jacques, à l'embouchure de la Rivière de Saïgon. Une de ses fonctions d'alors consistait à ravitailler en langoustes la cuisine du gouverneur de la Cochinchine (Mr Hoef) et du gouverneur-général (Amiral Decoux) lors de ses nombreux séjours dans la capitale de la Cochinchine. Il allait choisir les crustacés, les disposait dans un panier et faisait porter celui-ci au car assurant la liaison avec Saïgon. Un jour, le boy chargé de porter le panier ne trouva rien de mieux, pour laisser la marchandise à l'air, que de coincer le panier contre la chaudière du gazogène du camion: après le long trajet, ce fut un lot de langoustes en voie de putréfaction qui fut livré au Palais. Le brave Esprit Moustier fut sanctionné pour ne pas avoir surveillé personnellement l'embarquement de la précieuse marchandise. Il est probable qu'il accepta la punition… Cependant, sa réputation de parfait gendarme "aux ordres de ses chefs" restait entière: Moustier fut choisi par son capitaine pour escorter les prisonniers Boulle, Labussière et Robert lors de leur "transfert-évasion" de fin 1944. Il accepta avec empressement de les accompagner jusqu'à la frontière de Chine et de rejoindre la France Combattante avec eux. C'était là un acte courageux, car ce sous-officier avait une femme et une petite fille qu'il allait devoir laisser dans l'Indo-Chine occupée par les Japonais, dont on prévoyait un coup de force. Après "l'évasion" des prisonniers, des jours d'arrêt lui furent infligés "pour la forme" lui dit-on: en fait, la gendarmerie lui tint rigueur de son "manquement" et son avancement s'en ressentit, même après la Libération. Après l'envol de ses prisonniers vers la liberté, le Gendarme Moustier, fut affecté au Laos, comme Commissaire de Police au poste de Savanakhet. Il rejoignit moins d'une semaine avant le coup de force japonais du 9 Mars 1945. Bien sûr, il ne connaissait rien à la région. Lorsque les Japonais attaquèrent par surprise à la nuit, Moustier et sa famille logeaient au bungalow, comme des voyageurs ordinaires. Entendant la fusillade, il rejoignit la jungle toute proche avec sa femme et sa fillette. Il était en short, son épouse en chemise de nuit et l'enfant en pyjama. A cette époque, les nuits sont fraîches dehors. Au matin du 10 Mars, alors qu'il y avait encore des coups de feu sporadiques et que s'entendaient les hurlements des "Japs", le boy laotien du Chef Banet, s'étant muni d'un gamelon dans lequel il avait mis du ravitaillement pour son maître, partit à sa recherche dans la jungle: il n'avait vu Banet ni dans le tas de cadavres ni dans le lot de prisonniers et en avait déduit qu'il avait réussi, comme quelques autres, à se cacher dans la brousse. Dans ce cas, le départ ayant été soudain, le Chef Banet devait se tenir aux abords immédiats pour surveiller et prendre des dispositions pour survivre et rejoindre un maquis (effectivement Banet rejoignit un maquis du Laos qui lutta jusqu'à l'arrivée des premières forces françaises venues des Indes). Le boy ne rencontra pas Banet mais découvrit Moustier et sa famille. Il leur donna le gamelon et, les trois jours suivants, vint leur apporter du ravitaillement, des vêtements et des nouvelles locales. Le quatrième jour, le Laotien dit au gendarme que les japonais laissaient maintenant les civils libres dans l'agglomération - ils étaient moins de dix - mais gardaient les militaires. Moustier décida immédiatement où était son devoir: il fallait qu'il rejoigne d'autres militaires encore libres, tandis que sa femme et sa fille rentreraient à Savanakhet. Son épouse l'implora. Devant l'inconnu qui lui faisait peur, elle le supplia de les accompagner. Elle arguait qu'il était au Laos comme commissaire de police et non comme gendarme en brigade. "Viens avec nous, Esprit, tu n'es pas militaire mais commissaire !". Noblement, Moustier répliqua "Femme, moi me rendre à ces singes ! Non, tu vois le Gendarme Moustier se rendre à ces singes ? Toi, femme, tu rentres !". C'était sans réplique et ce que firent les deux femmes, tandis que Esprit Moustier s'enfonçait seul dans la jungle. Il y rencontra et rejoignit le maquis que commandait le Lieutenant Dumonet (futur général). Il fut des hommes encore en armes qui accueillirent les "nouveaux arrivés de France" avec leurs grands chapeaux en feutre kaki. Il poursuivit sa carrière dans la gendarmerie, vaguement suspecté sur le plan de l'inconditionnalité de l'arme. Il prit sa retraite comme garde-champêtre à Gréasque, en Provence, toujours marqué par la sorte de suspicion de ses chefs à la suite des arrêts qui lui avaient été infligés "pour la forme", à Hanoï par le Colonel Cavalin. C'est le colonel et non le gendarme qui a une plaque à son nom pour sa "résistance"…



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LA RESURRECTION DU MARSOUIN DECAPITE:  Soldat Cron

"Shikishima-nõ yamatõ gorokõ wo hi tõ towaba Asahi ni niù yamà zakùrà banà": "Personnellement, si on me demande ce qui est le coeur du Japon, je répondrais que c'est le parfum des fleurs du cerisier sauvage au Soleil Levant"

(poète Norigana Motoori).
Ce poème étonne ceux qui ont connu les militaires nippons, comme étonne l'amour de nombreux bourreaux nazis pour la musique… Mais Neron aussi était un artiste !

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L'histoire est assez connue, de ce policier parisien du temps de la Libération que les nazis fusillèrent sur les bords de la Seine, et qui survécut. Pour ma part, j'ai rencontré à la caserne de Clignancourt, à Paris après la deuxième guerre mondiale, un "Marsouin" que les "Japs" avaient décapité. L'affaire s'était passée dans la région de Langson au milieu de la première quinzaine du mois de Mars 1945, au poste de Dong Dang; celui-là même dont le nom permit à F.D. Roosevelt de faire un jeu de mot en demandant "Where is ding-dong ? ". Alors que la guerre se terminait en Europe, alors que dans cette même nuit commençait la mise en application du plan US de destruction systématique de toutes les villes du Japon par l'aviation, les troupes japonaises qui occupaient l'Indo-Chine déclenchèrent ce qu'on appela le "coup de force japonais du 9 Mars 1945". Les administrations civiles et militaires françaises furent balayées. Au même moment, le tiers de Tokyo brûlait sans que les Japonais aient pu opposer la moindre résistance aux Super-Forteresses Volantes B.29 non armées. (Jamais vues en Europe). Au cours de ces opérations, la férocité légendaire des soldats nippons, dans et après le combat, s'illustra surtout au Tonkin: l'histoire de Cron est typique.

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En cette veille de week-end succédant à une période de tension, la garnison du poste de Dong Dang, à la frontière avec la Chine, n'est forte que de 190 hommes, Français et Indo-Chinois placés sous les ordres du Commandant Soulie et de trois officiers. Bloqués par les ordres dans leur poste, ils savent que leur destin est de succomber à une attaque japonaise, faute de pouvoir manoeuvrer pour gagner la Chine. Une casemate abrite deux canons de 75 m/m, prévus pour repousser un envahisseur venant de l'autre côté de la frontière. L'armement collectif comprend en outre deux mortiers et quatre mitrailleuses qui ont "fait la Grande Guerre". Depuis le matin, les hauteurs entourant Dong Dang sont occupées par des troupes japonaises de la sinistre Division Légère venue du sud de la Chine. Après des jours d'alerte, le calme semble être revenu. On note cependant que les Japs ont "conseillé" à leurs collaborateurs de "s'éloigner pendant quelque temps". Soudain, alors que la nuit est déjà tombée, l'artillerie nipone déclenche un tir nourri sur le poste, puis l'infanterie se jette à l'assaut de nos positions. Le Commandant Soulie effectue une contre-attaque de nuit, qui repousse les Japs, mais il est tué au combat. La journée du 10 se passe sous le feu des armes automatiques et le harcèlement des obus. Toute la nuit du 10 au 11 Mars, le matraquage et les assauts continuent sans souci des pertes des assaillants, parfois à la lueur de brasiers improvisés. Au matin du 11, le Capitaine Anoss, qui a maintenant le commandement du poste, entraîne une contre-attaque efficace, jusqu'au village où il délivre un fonctionnaire français. Les Japonais, qui ne peuvent prendre pied dans le poste, somment les Français de se rendre: ils se heurtent à un refus catégorique. Dans la nuit du 11 au 12 Mars, l'artillerie nipone s'en prend méthodiquement aux embrasures et détruit successivement nos canons et nos mitrailleuses. En fin de nuit, ivres de haine xénophobe et de "choum" (alcool de riz indo-chinois), les Coréens et Mandchous de l'armée japonaise se ruent à l'assaut à la baïonnette en hurlant des "Banzaï !", sous les moulinets des sabres et des drapeaux dits "oeufs sur le plat" (par référence au drapeau japonais rond rouge sur fond blanc que brandissent officiers et sous-officiers lancés au premier rang. Les Marsouins (soldats de la Coloniale, redevenue Troupes de Marine) et les Bigors (artilleurs des T.D.M.), mais aussi les Tirailleurs Indo-Chinois, se défendent avec vaillance, sans espoir et pour l'honneur; dignes de leurs anciens de la Division Bleue à Bazeilles en 1870. La vague japonaise, sans cesse renforcée et attaquant sans souci des pertes, déferle sur le poste et submerge la défense à bout de munitions et sans possibilité de manoeuvre. Encombrés de blessés, isolés en petits groupes qui tiennent encore, les survivants doivent se rendre au matin. Les Japonais rassemblent les prisonniers, y compris les blessés qu'ils laissent sans soins. Le général qui commandait l'assaut arrive; avec cinq officiers qui l'encadrent il prend place sur une chaise. Face aux captifs, il les examine longuement. Le Capitaine Anoss est appelé. Il s'avance vers les officiers ennemis. Un interprète le questionne en anglais. Le tàisho (général) adresse ses félicitations au capitaine pour la vaillante défense de Dong Dang et demande à l'officier de transmettre leur part à ses soldats; ce que fait Anoss. L'espoir renait chez les prisonniers, tandis que le capitaine revient vers les Japonais. Ils le font asseoir sur le sol, position habituelle chez les Asiatiques, et son interrogatoire commence. Aucun Français ne comprend, ni n'entend, les questions. Quelle réponse a pu faire le capitaine, ou refusé de donner ? Nul ne le sait. Un officier japonais s'approche de lui, décroche son sabre de la bélière et, sans sortir la lame de son fourreau, assène un coup terrible sur la tête du Français: Anoss s'écroule. Le Jap dégaine son revolver et le tue d'une balle dans la tête, devant les prisonniers surpris et atterrés. Il est onze heures à Tokyo, heure imposée par les Japonais en Indo-Chine; en avance d'une demi-heure sur notre heure normale. L'après-midi se passe, sinistre, dans l'appréhension, sans soins pour les blessés qui gémissent. Les Français et Indo-Chinois font connaissance avec la sauvagerie, qui n'a pas été tempérée par un long séjour en Indo-Chine, des Mandchous, Coréens, Formosans et même Chinois de l'armée de terre japonaise. Ceux-ci ne sont arrivés de Chine que depuis quatre jours, et pour le coup de force. Leurs officiers subalternes, frustres fils de paysans nippons à la recherche d'un "espace vital", se laissent facilement aller à leurs instincts sanguinaires que les maquisards chinois ont encore exacerbé. Leur xénophobie orgueilleuse s'ajoute à leur hargne de savoir perdue leur guerre pour "la plus grande Asie extrême-orientale", la Daï Tõ-a sensõ. Vers 19 heures, au hasard, les Japonais désignent une dizaine de Coloniaux et une quarantaine de Tirailleurs, avec quelques femmes indo-chinoises qui sont venues rejoindre leurs maris. A renfort de coups de gueule et de crosse, ils sont descendus au village. On les arrête près d'une fosse qui vient d'être fraîchement creusée. L'ordre leur est donné de se déshabiller complètement et de rester nus, les mains dans le dos… Tandis que les "héitéï" (soldats) ligotent les captifs et s'affublent de leurs pauvres dépouilles, les "hashidàn" (sous-officiers) s'assurent la prise à deux mains sur les longues poignées de sabres de samouraï ou, pour les armes de modèle européen, font d'impressionnants moulinets. Les malheureux condamnés savent qu'ils vont payer de leur vie l'hécatombe qu'ils ont faite des assaillants et, surtout, le crime de lèse-majesté que constitue le seul fait de s'opposer aux soldats de l'Empereur du Japon, puisqu'il est l'égal d'un dieu. L'hommage rendu le matin à leur courage de combattants ne change rien à cela: un Japonais que les circonstances ont amené à combattre les soldats de l'Empereur se fait ensuite le "sabùkù", le suicide rituel (le mot "hara-kiri" est une expression triviale pouvant se traduire: "tripes au soleil"). Les prisonniers sont poussés, nus et les mains liées, vers la fosse commune. Un à un, ils doivent s'agenouiller et incliner la tête. Les sentinelles se répartissent pour surveiller l'opération. La silhouette inoubliable se dresse encore dans la mémoire des Anciens: le fusil, baïonnette-au-canon, est appuyé sur la cartouchière en cuir fauve et maintenu par le coude et la main droite; la main gauche ne serre l'arme que lorsque le soldat se précipite en hurlant des "ki wo tsùké" (garde-à-vous) sur un prisonnier récalcitrant. Français et Indo-Chinois, stoïques, inclinent le corps pour recevoir le coup de sabre asséné avec un cri de fauve. Inutile d'attendre une aide: les troupes françaises qui ont pu échapper aux assauts japs retraitent vers la Chine et les aviateurs américains de la proche XIVème USA.AF. n'ont pas encore pardonné les traitements infligés aux leurs tombés au Tonkin et livrés aux Japonais sur l'ordre du commandement de nos troupes. Un à un, les corps basculent d'eux-mêmes sous le choc de la lame et tombent habituellement de biais. Arrive le tour de Bravaki, que Cron voit agenouillé près de lui au bord de la fosse. Bravaki est ancien Légionnaire. Ses bons services lui ont valu d'obtenir la nationalité française, et il s'est engagé dans la Coloniale. Il se tient, les genoux légèrement écartés, le buste et la tête droits. Lorsqu'il sent le mouvement de faux de l'exécuteur, il crie avec force "Vive la France !". Le "Jap", surpris, dévie le coup qui frappe les épaules. Bravaki accuse le choc mais ne tombe pas. Le "gunsõ" élève lentement sa lame gluante de sang, puis avec un "han" terrible, l'abat à nouveau. Une nouvelle fois, notre Marsouin-ex-Légionnaire crie "Vive la France !", juste avant le choc sur la base du cou. Il vacille mais ne tombe pas. Le sang gicle, mais il faut un troisième coup de sabre pour abattre le Marsouin Bravaki, Français par le sang versé. Cron voit cette horreur qui le bouleverse. C'est maintenant à son tour. Déjà la nuit s'annonce, qui tombe rapidement sous ces latitudes. Le Jap, d'un pied sur le mollet et d'une main sur l'épaule, rectifie la position du condamné au bord de la fosse où gisent les corps noyés de sang. Le sabre ensanglanté du sous-officier nippon s'élève, marque un temps d'arrêt pour que le bourreau vise le point d'impact choisi, puis s'abat vivement sur la nuque, dans un grand "han" qui libère la force. Le martyr bascule. Que se passe-t-il exactement au moment du choc ? Cron perd-il l'équilibre sous l'effet de l'émotion, ou a-t-il voulu tenter un coup en accompagnant le mouvement de la lame ? Le fait est qu'il bascule de lui-même à l'instant où la lame le frappe: au lieu de trancher les vertèbres à angle droit, l'acier attaque le cou de biais, glisse en scalpant, mais ne coupe rien de vital. Assommé, le corps s'allonge sur ceux des morts: la tête n'est pas détachée mais est couverte de sang, ainsi que les épaules et le tronc. Le soir et la fatigue des bourreaux font que ceux-ci ne remarquent rien: ce n'est d'ailleurs pas la seule tête qui n'ait pas été détachée. Cela est normal. Les gardes, pour terminer leur horrible tâche, s'escriment sur les corps mutilés. Certains reçoivent plus de dix coups de ces redoutables baïonnettes en forme de longs couteaux acérés. Au commandement "atsùmé !", les "gunsõ" rassemblent leurs hommes à grands coups de gueule et de crosse. Ivres de sang, de "choum" et de saké, tous s'épongent avec la petite serviette que chaque soldat japonais porte au ceinturon à côté de son petit bidon. On dirait des bûcherons s'interpellant en s'épongeant et se rafraîchissant après une rude besogne. Enfin alors que la nuit est tombée, tournant le dos à ses victimes, la troupe remonte vers le poste de Dong Dang où les autres prisonniers s'inquiètent. Définitivement réveillé par la fraîcheur nocturne, réelle au Tonkin, Cron se dégage des morts dont le sang lui englue la peau. En se contorsionnant, il se hisse sur le bord de la fosse commune et s'y allonge pour reprendre des forces. Péniblement, il se redresse et, nu et les mains encore liées, il entreprend de descendre vers la rivière où il espère au moins se désaltérer dans l'eau boueuse. Sortant de la fosse, il rencontre un Tirailleur, lui aussi rescapé, blessé après un coup de plat de sabre et neuf coups de baïonnette, qui se traîne lamentablement, les mains encore serrées dans une corde. Les deux miraculés se libèrent mutuellement les mains, tandis que, là-haut, les hurlement des Japs rompent le silence. Cron a encore le courage et la force, malgré son épuisement, de charger le Tirailleur sur son dos et de poursuivre son calvaire dans la nuit, en s'arrêtant sans cesse. Vers minuit, ils arrivent à une paillote. Ils y sont accueillis, lavés, restaurés, pansés sommairement et cachés; tandis que passent les patrouilles japonaises. Le Tirailleur est un Tonkinois de la montagne voisine et peut bientôt aller se réfugier auprès des siens. Un montagnard, prenant Cron en charge, le guide pendant deux jours en brousse et lui indique la piste vers la Chine proche. A un croisement Cron rencontre un détachement français, sous les ordres du Lieutenant F. Michel, qui retraite depuis Langson où il a échappé de justesse aux Japonais à Ky Lua. Le "décapité" sent renaître l'espoir, mais reste souvent prostré. C'est à force d'énergie que Michel réussit à conduire Cron jusqu'en Chine: continuellement, le soldat s'agenouille, revivant son martyre devant les hommes de la colonne. Montrant sa terrible blessure, il raconte: "C'est comme ça qu'ils m'ont fait ça !". Ce récit repris sans cesse commence à porter sur le moral de la petite troupe et Michel doit intervenir durement et rabrouer le blessé dont la tête dodeline malgré une "minerve" faite de tresses de bambou. Très marqué par son aventure, Cron s'attache tellement à son sauveur dont la piste a croisé la sienne par miracle, qu'il ne quitte même pas l'officier lorsque celui-ci a besoin de s'isoler. La tête passant d'un bord à l'autre, appuyé sur un bâton, Cron essaye de rester à côté de celui qu'il appelle toujours "mon lieutenant". Le plus souvent, il traîne en arrière de la colonne, qui doit ralentir et parfois s'arrêter pour l'attendre. Il faut alors le rabrouer rudement et le menacer de l'abandonner, pour qu'il trouve enfin la force de poursuivre la marche sur la piste de montagne. Il lui arrive de s'arrêter soudain en déclarant "Veux rester là !", avant de reprendre le récit de l'horreur. Enfin, avec les autres, il parvient à Kun Ming, siège de la Mission de la France Combattante qui a succédé à celle de la France Libre. Cron est enfin soigné. Chacun veut voir le héros d'un tel drame. Sur proposition du Lieutenant Michel, le Soldat de 1ère Classe d'Infanterie Coloniale Fernand Cron reçoit la Médaille Militaire et la Croix de Guerre 39-45 devant ses camarades. Il avait probablement eu une bonne fée sur son berceau, car la chance ne le quitte pas dans ce sud-est asiatique où le Japon vient enfin de capituler: lors de son rapatriement, son avion fait escale aux Indes et Cron en profite pour aller faire un tour dans la capitale proche de Calcutta. A son retour à l'aérodrome, un fonctionnaire lui interdit l'embarquement, sous prétexte que son ordre de mission n'est pas "correct". L'avion s'envole sans lui… et s'écrase dans la jungle ! (ce qui explique que Sainteny, dans son livre, écrit que Cron a trouvé la mort dans un avion après avoir échappé à la décapitation). Au vu de la liste des passagers inscrits pour le départ, l'avis de décès de Cron est diffusé: lui, tout naturellement, après avoir fait confirmer son ordre de mission, prend l'avion suivant et finit par arriver en France où l'on fête le double rescapé. Des opérations successives, subies en Chine, lui ont donné l'usage à peu près normal du cou, mais il est nécessaire de terminer proprement le travail; ce qui est entrepris à Paris. C'est à cette époque que j'ai fait sa connaissance, alors qu'il était en service à l'infirmerie de la caserne de Clignancourt. Il m'a raconté son odyssée que, plus tard, m'a complété le Lieutenant F. Michel, devenu Colonel. C'est lui qui le proposa pour la Légion d'Honneur: en 1980, au pays du Pineau, il assista à la remise de la Croix au Marsouin qu'il avait ramené en Chine. Ses enfants, présents à la cérémonie, connaissent son histoire: peuvent-ils imaginer réellement ce que fut le martyr de leur père ?


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"YUKAI HAIBOKU !" Les joyeux vaincus

"Joyeux vaincus !": Tel fut le qualificatif que donnèrent les Japonais aux militaires français en Indo-Chine. Leur comportement leur était incompréhensible,à eux qui considéraient la captivité comme le pire des déshonneurs. Ils s'étonnaient à voir les Français plastronner et pérorer ouvertement sur la "victoire finale", alors que la "glorieuse Armée du Japon" occupait l'Indo-Chine de fait et avait conquis toutes les colonies des Blancs jusqu'à la frontière de l'Inde. Ils comprenaient d'autant moins notre comportement que, après notre défaite de Mai-Juin 40 en France, suivie par l'asservissement de notre patrie, nos troupes d'Indo-Chine avaient été défaites en 24 heures, en Septembre 1940 à Langson, par ce que nous surnommions leur "misérable armée de Canton". Les Français, quant à eux, constataient une évolution caractéristique du comportement des soldats nippons (et coréens) dont le stationnement se prolongeait: cela était particulièrement visible en Cochinchine et au Cambodge. Manifestement, ils se "civilisaient" au contact des Européens et des Asiatiques au caractère méridional. De ces "joyeux vaincus", certains purent éviter la captivité et poursuivre le combat avant de rejoindre la Chine pour s'y reconstituer; beaucoup des autres se retrouvèrent dans de durs camps de prisonniers et le reste dans des geôles ou des camps de la mort. Cela n'entre pas dans le cadre de cet ouvrage, mais il serait injuste de ne pas le mentionner ici. Schématiquement, quatre sortes de troupes japonaises intervinrent contre nos troupes à l'occasion du coup de force du 9 Mars 1945, plus la Kempétaï (Gestapo-Jap). - Des unités déjà stationnées en Indo-Chine en voie de "familiarisation". Elles représentaient environ la moitié des effectifs. - Des unités ayant fait mouvement depuis la Chine où elles venaient de participer aux durs combats de l'opération Ichi Go; souvent cruelles comme la Division Légère qui attaqua à Langson. - Des unités rameutées de Birmanie, où elles avaient beaucoup souffert, qui opérèrent particulièrement au nord de Saïgon et se montrèrent, dans l'ensemble, rudes mais correctes. Des officiers de ces troupes parlaient le français. - Des unités fournies par la Marine Impériale Japonaise, surtout dans la zone du Cap Saint Jacques, formées de Troupes de Marine et Fusiliers Marins (il n'y a guère de différence dans la Marine Impériale, d'autant plus que les navires se font rares). Ces soldats firent en général preuve de modération, surtout leurs officiers. Après les premiers jours, si l'on excepte des massacres au Laos (Thaket) et les atrocités dans les locaux de la Kempétaï, les militaires faits prisonniers connurent une dure captivité, surtout au Tonkin qui connaissait la famine. La captivité japonaise n'eut rien de comparable avec celles des Stalags ou Oflags allemands et il n'y eut rien qui puisse se comparer aux commandos campagnards ou même d'usines: c'est fort justement que les prisonniers des "Japs" se voient aligner sur les réfractaires des camps allemands qui vécurent l'enfer de ceux de Rawa Ruska, au voisinage du front Est. D'après ce qui semblait être un plan concerné en haut lieu, l'élimination physique de tous les captifs fut entreprise à partir de la fin du mois de Juin 1945: par malnutrition et manque de soins, suivis de travaux pénibles sans justification rationnelle; et par les sévices. Il est indéniable que les deux bombes atomiques lancées sur le Japon au début d'Août 45 furent bénéfiques pour les prisonniers français et anglo-saxons des camps d'Indo-Chine, ainsi que pour les internés civils (…en définitive pour le peuple nippon qui évita ainsi une hécatombe de plus d'un million de vies au débarquement…). Ainsi, les Français capturés en Indo-Chine, qu'ils fussent pétainistes, gaullistes ou qu'ils s'en soient tenus à assurer leur service, connurent le même genre de captivité japonaise. La Kempétaï s'occupa particulièrement à ceux qui, résistants ou non, avaient une activité de renseignement, officielle ou clandestine, ou qui détenaient un moyen radio de correspondre avec les forces alliées ou le Gouvernement Provisoire de la République. Cela entraîna quelques confusions après 1945, surtout pour la définition de la qualité de "résistant".



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CAMPS DE LA MORT JAPS  Hoa Binh comme Rawa Ruska

Hõa Binh ! Nul besoin d'en dire plus pour les anciens d'Indo-Chine de 1940-1945. Il ne s'agissait plus de s'évader pour reprendre le combat libérateur, mais de survivre miraculeusement à une infernale captivité qui succéda aux opérations du coup de force japonais du 9 Mars 1945. Il n'est que juste, ici, après les récits d'évasions réussies, ou non suivies d'internements par les autorités de Vichy, de rappeler le calvaire que furent les camps de la mort des Japs. Certains quittèrent les fers des cachots de l'Amiral Decoux pour les cages et les salles de torture de la Kempétaï ou les camps d'extermination de l'armée japonaise. Ce fut le cas de Huchet, mon ancien "patron" que je vis lorsqu'il fut amené au camp sur un brancard: rapatrié, il ne survécut guère: il mourut la veille du jour où, avec Mingant, il devait déposer le dossier de son réseau - sans doute le premier dans le sud - à l'organisme parisien d'homologation (Général Dejussieu Pontcarral, ancien Chef d'Etat-Major des F.F.I.). A l'issue des combats du 9 Mars 1945, surtout au Tonkin, les Japonais procédèrent souvent au massacre des prisonniers: certaines garnisons de postes furent exterminées; d'autres eurent un ou deux rescapés, par miracle. Après certains flottements dus à l'étonnante impréparation des troupes nipones dès qu'il ne s'agit pas d'assaut, les survivants furent généralement traités sans brutalités habituelles, mais avec une rudesse et la constante menace de sévices graves ou mortels. L'habitat était réduit aux murs et toiture. La nourriture, à base de potage aux liserons d'eau et de la boule de riz, rendait squelettique en quelques semaines. L'habillement se réduisait au short et à la chemisette. Et il y eut ceux qui connurent les cages de la Kempétaï, parfois pour des motifs obscurs. En Juin furent créés et entrèrent en activité ce qu'on appela fort justement les "Camps de la Mort", car telle était leur unique raison d'être. Il y en eut dans le sud, vers la région des Trois Frontières, mais les plus importants et les plus connus furent ceux de Hõa Binh, au Tonkin. En langue annamite (on ne disait pas "viêtnamienne", puisque l'Empire se nommait Annam; dont dépendait le Tonkin, alors que la Cochinchine était une colonie), "hõa binh" signifie "paix": on ne sait si les Japonais ont choisi ce lieu en raison de son nom et pour faire de l'humour macabre. La petite localité du coude de la Rivière Noire est située à la séparation entre le delta tonkinois couvert de rizières et la jungle montagneuse qui vient border les rivières descendant de la frontière de Chine. Les arbres, immenses et serrés, s'élèvent démesurément dans une végétation luxuriante qui grouille de vie animale: la densité des fûts est si forte que la lumière du jour ne passe qu'à peine en plein midi. Nul humain ne vit en ces lieux. L'humidité imprègne et pourrit tout dans cet enfer vert où les fourmis dévoreuses, les sangsues assoiffées de sang et les moustiques qui arrachent les chairs véhiculent toutes les maladies tropicales: l'eau est partout, mais on ne peut la boire sans danger. Il n'y a pratiquement pas de clairière et les espaces libres, où construire un petit camp, sont inexistants. Les débris de toutes sortes et les cruelles pousses de bambous ont vite fait de transformer les pieds nus en chair sanguinolente. Cette jungle envahissante n'est traversée que par la Route Coloniale vers la Chine et le Laos qui se défend difficilement contre la végétation anarchique, et par les cours d'eau descendant de la montagne et même du Tibet. Les Japonais savaient ce qu'ils faisaient en créant des camps en ces sinistres lieux. Lorsque les premiers prisonniers français y furent conduits, en camion ou à pied, il n'y avait rien là qui puisse indiquer qu'on y allait installer un camp. Les convois de camions bâchés échelonnaient des groupes de 250 à 300 hommes le long de la route. Il n'y avait pas d'espace pour les accueillir, ni la moindre pitance pour les nourrir. Chaque groupe ignorait qu'il avait des voisins à quelques kilomètres. Hommes de troupe et officiers se virent affecter des outils divers, remarquables en ceci qu'ils n'avaient pas été entretenus et qu'ils étaient inadaptés aux travaux de coupe. Après ceux des gardiens et seulement hors des épuisantes heures de travail, les prisonniers purent se construire de très sommaires abris: de part et d'autre une allée, deux bat-flancs de bambou écrasé puis clayonné et un toit en feuilles longues, assez peu étanche. Par la suite, un clayonnage de bambou écrasé put être dressé en guise de mur. Ces paillotes misérables étaient plus pauvres que les plus rustiques de celles des villageois de la montagne. La nourriture, vraiment de famine, était servie dans des récipients divers de récupération. Les sévices de toutes sortes étaient monnaie courante et les soins inexistants: l'infirmerie était un mouroir. Les malheureux prisonniers, déjà fort diminués à leur arrivée, ne tardèrent pas à prendre l'aspect de cadavres ambulants n'ayant plus aucune réaction. Les travaux de défrichage et les brutalités n'avaient d'autre objet que d'épuiser à mort les prisonniers: de temps à autre, des responsables japonais des travaux surgissaient sur un chantier et s'exclamaient qu'ils avaient mal donné l'orientation de la coupe et que, en conséquence, il allait falloir tout recommencer dans la bonne direction. Nul de ceux qui vécurent cet enfer ne peut dire s'il est possible qu'il y ait pu avoir une autre explication à ces travaux dits de "défrichage". La mortalité dans les camps de Hõa Binh fut effarante: on a estimé que la durée moyenne de vie dans les chantiers le long de la route se situait autour de six semaines. C'est-à-dire que, sans la bombe atomique - qui permit au Mikado de terminer la guerre en sauvant la face - il ne serait resté aucun prisonnier au Tonkin dont les camps fournissaient les continuelles relèves. Dans le sud, il en aurait été probablement de même, mais, outre les camps de la mort, les Japs avaient imaginé une "solution finale" plus expéditive et classique. Le long de certaines routes, d'ailleurs nullement stratégiques nécessairement, ils avaient fait creuser, par les prisonniers, des "tranchées de défense antichars": elles avaient la particularité d'être inhabituellement parallèles à la voie et d'être de section carrée de la taille d'un homme… Le souvenir des Camps de la Mort est rarement évoqué, comme est passé sous silence celui des cachots pour gaullistes du gouverneur-général. Les médias privés ou officiels ignorent ces faits, alors qu'il leur arrive d'évoquer l'enfer du sinistre "Siam-Burma Death Railway" qu'immortalisa Pierre Boulle (un des pensionnaires des cachots d'Indo-Chine), dans son livre "Le pont de la Rivière Kwaï" et dans le film. On évoque parfois la "Marche de la Mort" des rescapés de la bataille de Bataan aux Philippines, mais les médias n'y associent jamais le souvenir des camps d'Indo-Chine. On peut lire le nom de "Hõa Binh", à côté de ceux des principaux camps de la mort nazis, sur la plaque de bronze du Monument de la Déportation que le Général Billotte fit élever à Créteil, face à la préfecture du Val de Marne. Le Mémorial de la Déportation, au Struthof, au nord des Vosges, rappelle le souvenir des camps de la mort des Japonais dans cet ancien camp d'extermination nazi: qui le sait ? A Rennes aussi… Au début des années 80, un Directeur de l'éphémère Ministère des Anciens Combattants confondait avec suffisance, devant le Président d'une association de combattants du 9 Mars 45 en Indo-Chine, les camps japs avec ceux du Viêt Minh; on venait pourtant de créer une Commission Historique .


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ET LA VIE REPRIT SES DROITS  Le sort des tortionnaires

Une question est aujourd'hui posée, à la découverte de ces faits: que sont devenus les responsables des sévices envers les gaullistes en Indo-Chine ?

Qu'advint-il à leur chef l'Amiral Decoux ?
Dans le plaidoyer qu'il écrivit après la guerre, l'amiral-gouverneur-général explique sa conduite envers les "dissidents" par la nécessité d'enrayer les départs qui auraient affaibli ses troupes. En fait, cet affaiblissement aurait été dramatique si, début 1942, Vichy avait laissé l'Amiral Decoux entreprendre la reconquête de la Nouvelle-Calédonie sous la protection d'une escadre japonaise:

son plan prévoyait l'engagement de toute la Marine-Indo-Chine (plus des bâtiments normalement basés à Madagascar) et de la quasi-totalité des troupes terrestres opérationnelles.

Pour comprendre ce qu'il advint ensuite en France, il convient d'avoir trois notions en tête:
- Au moment où les affaires vinrent à être jugées, la période pré-révolutionnaire de l'épuration métropolitaine était déjà passée. Il fallait clore la répression et la justice ne frappait plus que les crimes de sang.

L'Indo-Chine était loin…
- Alors que Paris était libérée, était née en Indo-Chine ce que l'on nomma curieusement la "Résistance Officielle", c'est-à-dire qui s'opposait à l'ennemi (ce qui est la moindre des choses pour un militaire), mais non aux autorités françaises. Les fidèles de la Révolution Nationale en mal de "dédouanement" s'y engagèrent… tout à la fin de 1944. Son "chef" fut en quelque sorte "imposé" aux autorités d'Alger, sous prétexte de maintenir la cohésion… Cette facilité à retourner la veste conduisit à des situations surprenantes, comme celle de ce responsable de prison cochinchinoise qui, après avoir été condamné à l'indignité nationale, en fut relevé pour "faits de résistance" (les "mémos" écrits par ces personnages en fin 1945 pour expliquer leur conduite étonneront les historiens: j'en ai lus quelques-uns).

Il faut ajouter que les amitiés politiques retrouvées furent aussi utiles…
On comprend pourquoi, les victimes de ces sévices s'étant trouvées dispersées à la fin de la guerre, il fut assez rarement fait état des actes barbares commis contre les gaullistes qui préférèrent traiter leurs geôliers et juges par le mépris. La main de la justice fut assez légère envers ceux qui eurent à comparaître. En définitive. Ce furent surtout les officiers qui durent payer leurs erreurs, surtout les marins. Il est vrai qu'ils occupèrent des postes en vue au temps de la gloire de l'Amiral Decoux. Le sort réservé à l'ancien gouverneur-général nommé par Vichy fut assez curieux: Decoux bénéficia des circonstances du moment. Bien sûr, on ne pouvait pas le comparer à certains amiraux de Vichy tristement célèbres. Si sa politique envers l'Occupant japonais peut prêter à discussions, celle qu'il mena contre les gaullistes - foncièrement répressive - fut parfaitement indigne; et nocive par rapport aux Indo-Chinois. A propos du traitement infligé aux "dissidents", il suffit de se rapporter à ce qu'ont écrit le Général Sabattier, Commandant de la Division du Tonkin (qui mena la longue marche vers la Chine) et le Capitaine de vaisseau Poher, Chef d'Etat-Major de la Marine: ils emploient les mêmes termes pour stigmatiser cette conduite. Ils ne sont pourtant pas critiques envers l'amiral pour sa politique envers les Japonais, pour l'essentiel. Decoux lui-même, par son revirement soudain et spectaculaire de fin 1944 et du début de 1945, apporta la démonstration que les Nippons n'étaient pas à l'origine des mesures envers les gaullistes. L'amiral devait passer en Haute-Cour en 1948. A cette époque, ses victimes gaullistes étaient dispersées par le monde. Il se trouvait que le Gouvernement de la IVème République, une fois de plus, se voyait dans l'obligation de solliciter les Etats-Unis d'Amérique, justement à propos de l'Indo-Chine où la guerre coûtait cher. Faire passer l'Amiral Decoux devant la Haute-Cour présentait un danger diplomatique: pour sa défense, il aurait pu rappeler les instructions qu'il avait reçues du Général De Gaulle en fin 1944 (après son ralliement au moment où Laval s'enfuyait): le Chef du Gouvernement Provisoire de la République Française (G.P.R.F.) lui avait fait parvenir ses instructions en cas de débarquement allié en Indo-Chine. On peut les résumer ainsi:

Aide à un débarquement britannique; désengagement en cas de débarquement américain (la raison était que Roosevelt avait annoncé sa détermination à expulser la France de l'Indo-Chine).
Cette affaire, dont le gouvernement de 1948 ne voulait pas qu'il soit fait mention à la barre, était connue de tous, mais on n'en parlait pas officiellement (les U.S.A. n'avaient plus la même vision des choses). Cependant. Il fallait considérer que, si l'Amiral Decoux faisait cette "révélation" à la barre pour laisser entendre qu'il n'était pas le seul à s'être opposé aux alliés, la France se trouverait dans une position inconfortable: il était impossible de nier et, si on confirmait, on créait un incident diplomatique qu'exploiteraient à Washington les ennemis de l'aide à la France en Indo-Chine. Fortuitement, Mr Surleau, fonctionnaire "dissident" d'Indo-Chine, fut informé de la chose. Il a écrit une lettre dans laquelle il précise ses sources et les raisons du non-lieu dont bénéficia l'Amiral Decoux… qui s'empressa d'écrire dans son livre ce que De Gaulle lui avait ordonné en cas de débarquement US. Ce n'était pas un document officiel, comme aurait été l'enregistrement d'une déclaration à la barre. Pendant cette période où se jouait son sort, l'amiral était malade et avait dû être hospitalisé. Pensait-on, à Paris, qu'il n'y aurait peut-être pas à le juger ? En fait il se rétablit par la suite et se remaria.

Jean Decoux ne survécut guère à sa seconde femme et mourut en 1963.

Il repose dans un cimetière de Savoie.
Depuis, le temps a passé. Le pardon et non l'oubli est intervenu,. Mais il convient de se souvenir de ces drames qui étonnent quarante ans plus tard. Pourquoi ces sévices qui ne pouvaient que dresser les uns contre les autres les Français et rendre impossible une passation normale de pouvoirs à l'heure de la Libération ? C'est d'ailleurs ce qui se passa. Le fait que ces sévices aient existé fait douter des motivations et des fondements de la Révolution Nationale:

Etait-il nécessaire d'ajouter aux drames de la France ?
Nous devons avoir une pensée spéciale pour ceux qui, abusés par l'omniprésente propagande, ont tout ignoré de ces ignominies et ont dû, par la suite, en supporter l'opprobre. En France on sut assez tôt comment se comportaient les collaborateurs dans la répression vichyste: en Indo-Chine il n'en fut pas de même. Ceux qui entendirent parler des condamnations imaginaient qu'il s'agissait de sanctions de principe n'ayant d'autre objet que de bluffer les "Japs":

Comment auraient-ils imaginé les sinistres cellules-tombeaux où l'on enchaînait les gaullistes pendant 60 jours ?

Comment imaginer que les ordres venaient de si haut ?
Ceux qui arrivèrent de France en 1945 et au début de 1946, après avoir participé aux combats de la libération de la France, étaient informés de ces sévices: ils ne pouvaient se douter que la grande masse des Français vivant en Indo-Chine les avait ignorés. Certains ne l'apprirent que 35 ans plus tard. Quel obstacle à la réconciliation entre Français de bonne volonté, à un moment où elle était vitale. D'anciens responsables de l'administration de Vichy en Indo-Chine, et non des moindres, ont publié des livres sur cette période: comme tous les responsables de Vichy, ils expliquent qu'ils ont fait une politique de Résistance aux prétentions de l'Occupant. Seuls. Le Général Sabattier et le Capitaine de vaisseau Poher ont eu quelques mots pour stigmatiser ces sévices indignes, moyenâgeux, auxquels les "Japs" furent étrangers. Cet oubli volontaire est un excellent critère de l'objectivité de ces mémoires-plaidoyers, à commencer par le livre de l'Amiral-Gouverneur-Général J. Decoux.

Mars 1986
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Notes et Documents

LES BENEFIQUES

BOMBES ATOMIQUES

La brusque fin de la deuxième guerre mondiale, à la suite des explosions atomiques au Japon, a sauvé les prisonniers français de l'extermination dans les camps japonais d'Indo-Chine. Depuis 1946, différents mouvements plus ou moins manipulés et relayés par des médias plus soucieux de sensationnel que d'objectivité, ont créé la légende des "Bombes A" anéantissant subitement des "innocents". L'horreur est bien réelle, mais il convient de la situer dans son époque. Les deux villes détruites étaient d'importants centres industriels où la quasi-totalité de la population travaillait pour l'armement; en outre, Hiroshima était le centre du principal Commandement japonais en cas de débarquement. On ne parle jamais de la destruction par le feu de la ville allemande de Dresde, autrement horrible, qui fit plus de victimes que la bombe "A" sans justification stratégique… Les Japonais eux-mêmes reconnaissent que la bombe atomique fut nécessaire pour qu'il soit mis fin à la guerre: cette horreur leur évita la perte de plus d'un million de compatriotes, tout en "sauvant la face" (et un autre million d'Américains). Au début d'Août 1945, le Japon avait perdu la quasi-totalité de ses conquêtes rapides des six premiers mois de guerre et les alliés en étaient à l'assaut final sur le Japon même: - les Britanniques avaient reconquis la Birmanie et, avec une petite escadre française (dont notre cuirassé "Richelieu"), en étaient à la libération de la Malaisie et de Singapour - les Américains, après avoir libéré les îles Salomon, la Nouvelle-Guinée et les Philippines, avaient conquis Iwojima et Okinawa qui étaient de vieux territoires japonais dont les habitants furent exterminés en combattant - le territoire métropolitain nippon n'était plus que ruines et la formidable flotte nipone de 1942 avait disparu. En moins de quatre mois, toutes les villes de plus de 10000 habitants avaient été détruites, parfois à 90 ou 1000 % par des raids d'escadres de Super-Forteresses Volantes (qui n'opérèrent jamais en Europe) ou escadrilles de bombardiers de porte-avions et même par des bombardements de l'artillerie des Task Forces de l'US. Navy s'approchant tout près des côtes pour assurer leurs tirs; tout cela sans pratiquement de réaction aérienne japonaise - le Japon ne maintenait plus ses troupes que sur les côtes de Java à Séoul: elles étaient isolées du Japon et du combat décisif. Outre la ville sacrée de Kyoto - et la capitale Tokyo déjà détruite au tiers dans la nuit du 9 au 10 Mars 1945 par le premier des bombardements d'anéantissement, qui fut plus meurtrier que celui d'Hiroshima - les U.S.A. avaient programmé d'épargner quatre villes des bombardements classiques: elles constituaient les objectifs "réservés" pour le bombardement atomique (deux "objectifs" et deux "objectifs de remplacement", dont Nagasaki…). Cependant, au début d'Août, les dirigeants de l'Empire Nippon ne voulaient pas admettre la défaite, par orgueil: 2000 avions transformables en autant de "Kamikazé", une armée de 2 millions d'hommes que doublaient les réserves et que multiplieraient les volontaires, comme Okinawa en avait apporté la démonstration, étaient prêts à se sacrifier pour que l'invasion américaine soit un bain de sang qui sauverait l'Honneur Nippon. Il ne s'agissait pas d'une rodomontade, comme celle du "Volksturm" en Allemagne, mais d'une détermination de tout un peuple décidé à mourir plutôt que de connaître la défaite et le déshonneur de l'invasion de la patrie. Les estimations de l'époque - confirmées depuis tant par les Américains que par les Japonais - prévoyaient un million et demi de morts japonais et près d'un million d'Américains en cas de débarquement et de combats sur les grandes îles du Japon. Fallait-il sacrifier deux millions et demi d'êtres et combattre encore pendant un an, ou frapper le grand coup de la bombe "A" ? Il suffit de poser la question. En outre, il devenait urgent de terminer la guerre pour mettre en oeuvre le Plan Marshall qui allait relever l'Europe de ses ruines. Cet aspect du problème est systématiquement occulté par ceux qui condamnent les deux bombes "A" d'Août 1945, comme par les médias qui participent ainsi à la désinformation. Les U.S.A. ignoraient-ils que le Japon avait demandé les conditions de la fin des hostilités, en s'adressant à l'U.R.S.S. avec laquelle le gouvernement de Tokyo avait des accords de non-belligérance depuis 1941 ? Moscou n'avait pas transmis cette requête aux Anglo-Saxons, se réservant d'attaquer le Japon en Août, comme elle avait demandé à le faire à Potsdam. Le choix américain, pour être cornélien, n'en était pas moins évident: 2500000 ou 250000 ? Il faut ajouter à cela qu'il convient de tenir compte de la mentalité japonaise de 1945: ce terrible "feu du ciel", comme l'appelèrent les Nippons, permit à l'Empereur du Japon d'imposer la capitulation tout en sauvant la face: l'honneur nippon était sauf, puisqu'on ne lutte pas contre des "éléments célestes", surtout s'ils surpassent en puissance le fameux "Kamikazé", ce vent divin qui avait sauvé jadis le Japon de l'envahisseur chinois (encore y eut-il une révolte militaire contre l'Empereur et certains commandants, comme le Maréchal Teraushi à Saïgon d'où il commandait tout le sud-est asiatique, hésitèrent-ils avant d'accepter la capitulation). Il est historiquement exact de prétendre que les deux bombes "A", avec leurs 250000 victimes, ont été, en définitive, bénéfiques pour l'issue du conflit; si horrible que cela soit à écrire. Telle est pourtant la vérité.

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RESEAUX DE RESISTANCE CLANDESTINE EN INDO-CHINE.

1940-1945
Comme en France, des Réseaux de Résistance Clandestine ayant travaillé pour la France Libre, puis la France Combattante et avec les alliés anglo-saxons, ont été reconnus au même titre que ceux de France métropolitaine. Les Réseaux homologués sont: Bjering: officier d'origine scandinave, servant à la LégionGiraud-Lan: officiers de S.R. (Lan deviendra citoyen US) Graille: officier de S.R. dans le sud Maupin-Levain: officiers de S.R. (Maupin dirigea le B.S.M.) Mingant: officier de S.R. au Tonkin (venait de Tien Tsin) Plasson: commerçant à Phnom Penh Nicolau-Bocquet: civils Tricoire: civil. Il conviendrait d'y ajouter un des premiers créés, celui de Mr Huchet à Saïgon: il travaillait avec l'I.S. britannique et en liaison avec le Capitaine Graille. Mr Huchet est décédé lors de son arrivée en France, alors qu'il allait déposer son dossier, en compagnie du Capitaine Mingant, au Service d'Homologation (Général Dejussieu Pontcarral). Les membres de son réseau ont été, pour l'essentiel, pris en charge par d'autres réseaux avec lesquels ils avaient travaillé après l'arrestation de Mr Huchet par les Français. On notera que le B.S.M. (service intercolonial de renseignement en E.O. mis en place par le Ministre Georges Mandel), dirigé par le Colonel Maupin, fut le maître d'oeuvre des principaux réseaux. Son ossature était essentiellement militaire. Lors de la création de la Résistance Officielle, après le ralliement au G.P.R.F. des autorités d'Indo-Chine (fin 1944) les E.M. et Services de l'Armée et de la Marine (2ème B° et Radio) participèrent à la transmission des informations concernant les Japonais: avant cela leur était strictement interdit.

CRIMINELS DE GUERRE JAPONAIS
De même que le tribunal de Nuremberg jugea les principaux criminels de guerre nazis tandis que d'autres cours siégeaient dans les ex-pays occupés, le tribunal de Tokyo jugea les principaux criminels nippons et d'autres cours, au Japon ou dans les pays ex-occupés, siégeaient sous l'autorité locale. Le Général Douglas Mac Arthur, Commandant en Chef Allié et Proconsul des vainqueurs au Japon, décida que l'Empereur Hiro Hito ne serait pas inscrit sur la liste des criminels de guerre, bien qu'il fut, au moins nominalement, la source de l'autorité en sa qualité de souverain d'essence divine. Plusieurs raisons expliquent cette décision qui revenait à classer l'Empereur Hiro Hito au niveau du Roi Emmanuel d'Italie: - la Constitution du Japon déclarait la "Personne de l'Empereur inviolable et sacré" - si l'Empereur n'avait rien fait contre la guerre que de la juger inopportune à son déclenchement et de l'arrêter en profitant des bombes atomiques, il était exact qu'il était tenu en dehors des décisions prises en son nom par le dictateur de fait, le Général et Premier Ministre Hidéki Tojo - la position de Mac Arthur était que "on ne fusille pas le Japon", appuyé en cette vision réaliste par l'Amiral Nimitz, vainqueur sur mer, qui aimait à répéter cette boutade: "Il faudrait pendre les Japonais un à un". Onze juges siégèrent au tribunal de Tokyo, dont un Français. Le procès dura du 3 Mai 1946 au 12 Novembre 1948. Il y avait cinq chefs d'accusation principaux, se décomposant en: Crimes contre la paix; Crimes contre les lois de la guerre; Crimes contre l'Humanité. Les exécutions, par pendaison, des sept principaux coupables eurent lieu à Tokyo le 23 Décembre 1948. On retint une liste de 28 principaux responsables symboliques, dont trois ne parurent pas (deux décédés et un devenu fou). Tous furent reconnus coupables, dont le Général Hidéki Tojo qui fut le Premier Ministre (dictateur) pendant la guerre qu'il déclencha. Outre les sept pendus, il y eut dix-sept condamnations aux travaux forcés à perpétuité (autres à 20 ans). D'autres tribunaux, tant à Tokyo que dans les pays ex-occupés, jugèrent particulièrement les responsables d'atrocités envers les prisonniers. A Saïgon ont comparu, entre autres, le Lieutenant-Colonel de l'Armée Tunéyoshi Sigheoru, Chef d'Etat-Major de la Division Légère qui attaqua Langson le 9 Mars 1945 et procéda aux massacres généralisés; le Colonel Shizume et le Capitaine Inuda qui firent décapiter le Colonel Robert; le Capitaine Sakamoto; le Commandant Tomita et le Capitaine Ichikawa dans une fournée de 13 membres de la Kempétaï… et d'autres qui furent fusillés sur le champ de tir de Saïgon. Les poursuites envers les criminels de guerre japonais cessèrent assez vite, dans la mesure où il fut très difficile de les reconnaître après la défaite du Japon; souvent faute de survivants de leurs victimes. Il y eut environ 200000 Japonais frappés de ce que nous avons appelé en France "Indignité Nationale", dont la quasi-totalité des parlementaires: moins de dix ans après ils recouvrèrent leurs droits. Comme pour les criminels de guerre nazis, les cendres des condamnés furent dispersées secrètement: il n'a pu rester d'eux, selon la tradition japonaise, que des rognures d'ongles et des poils destinés à l'autel des ancêtres.    






sommaire

   

L'oeuvre

L'oeuvre de postérité de Michel El Baze, 85 ans, est maintenant terminée. Ce Niçois d'adoption, né à Alger et installé place Grimaldi depuis 1959, a édité cent-trente-huit témoignages de guerres du XXième siècle, première et seconde guerres mondiales, Indochine, Algérie, racontées par ceux qui les ont vécues, comme militaire ou comme civil, dans l'enfer des tranchées ou l'inquiètude des bombardements. Cent-trente-huit "pierres, plus ou moins bien taillées, des parcelles de mémoire qui serviront à construire un monument du souvenir" selon le général Yves Chevalier de Lauzières, ancien président honoraire de l'association nanotionales des croix de guerre dont Michel El Baze etait responsable.


Ce grand dessein, qui l'a mobilisé pendant 15 ans a été achevé en 1995 et intéresse depuis longtemps les historiens étrangers. En décembre 1990 à Nice, un colloque avait réuni 25 chercheurs autour de cet ingénieur des travaux publics devenu contrôleur à la direction départementale de l'équipement avant de prendre sa retraite en 1981. Sollicité par de nombreux historiens, Michel El Baze a donc décidé de fait don de sa collection tirée en vingt exemplaires. Une remise symbolique qui s'est déroulée au palais Masséna de Nice au bénéfice de vingt conservateurs dont un Américain du département de la défense à Washington, un Anglais du musée impérial de la guerre de Londres et un Allemand de Freiburg.

Ni historien, ni écrivain

L'ancien conseiller municipal de la ville de Nice acquiert une notoriété internationale mais il n'en tire pas pour antant gloire ou vanité et ne revendique surtout pas le statut d'historien. Il est vrai qu'il se défent de prétendre à une quelconque vérité historique:

"J'extrais des matériaux que je mets à disposition des cherchers". Sans doute fait-il signer à ses témoins des déclaration sur l'honneur certifiant l'authenticité de leurs déclarations mais il reste conscient de n'avoir ni le temps ni les moyens de les vérifier. Aprèss s'être aperçu que deux "collaborateurs" avaient puisé une partie de leur récit dans des ouvrages déja parus. Il a ainsi fait procéder à une seconde édition dans laquelle il met en italique les passages suspects et informe ses lecteurs du plagiat.

"Le numéro 7 de la collection a été écrit sous un nom d'emprunt. J'ai demandé à l'auteur de révéler sa véritable identité. Pour toute réponse, il a alors réclamé le retrait de son témoignage. Ce que j'ai refusé." raconte Michel El Baze qui par ailleurs, ne réécrit pas les manuscrits. "Je ne change ni un point, ni une virgule et me contente de corriger éventuellement les fautes d'orthograpge. Ce n'est pas de la littérature".

Comme il le répète avec modestie, ce gardien de la mémoire collective ne garantit en aucune façon l'authenticité des textes. Anglais, Américain et Allemands ne lui en tiennent pas rigueur. Bien au contraire. Intéressés au premier chef, les Français se sont montrés jusqu'à présent indifférents. Mais il est vrai que nul n'est prophète en son pays....





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The Flying Tigers American Volunteer Group - Chinese Air Force

In April, 1942, President Franklin D. Roosevelt wrote of the American Volunteer Group:
"The outstanding gallantry and conspicuous daring that the American Volunteer Group combined with their unbelievable efficiency is a source of tremendous pride throughout the whole of America.  The fact that they have labored under the shortages and difficulties is keenly appreciated . . . "
After the American Volunteer Group was disbanded on July 4, 1942, the China Air Task Force of the United States Army Air Forces, commanded by General Chennault, officially took over air operations in China.  In early March, 1943, the 14th Air Force was activated under the command of Chennault and replaced the China Air Task Force.  Chennault remained in command of the 14th Air Force  until the end of July, 1945.  General Chennault formally retired from the military for the second time in October, 1945.


A BRIEF HISTORY WITH RECOLLECTIONS AND COMMENTS BY GENERAL CLAIRE LEE CHENNAULT

  In April, 1937, Claire L. Chennault, then a captain in the United States Army Air Corps, retired from active duty and accepted an offer form Madame Chiang Kai-shek for a three month mission to China to make a confidential survey of the Chinese Air Force.  At that time China and Japan were on the verge of war and the fledgling Chinese Air Force was beset by internal problems and torn between American and Italian influence.  Madame Chiang Kai-shek took over leadership of the Aeronautical Commission in order to reorganize the Chinese Air Force.  This was the beginning of Chennault's stay in China which did not terminate until 1945 at the close of World War II.  Chennault's combat and other experiences between 1937 and 1941 in China are another story, but it was these experiences together with the knowledge he attained of combat tactics and the operations of Japanese Air Force over China that laid the ground work for the organization of the American Volunteer Group in 1941.

The official status of Claire L. Chennault in China prior to 1942 was always a subject of speculation.  Chennault himself states that he was a civilian advisor to the Secretary of the Commission for Aeronautical Affairs, first Madame Chiang and later T.V. Soong.  Until he returned to active duty with the United States Army in the spring of 1942, four months after Pearl Harbor, he had no legal status as a belligerent and held no rank other than retired captain in the United States Army.  Even while he commanded the American Volunteer Group in combat, his official job was adviser to the Central Bank of China, and his passport listed his occupation as a farmer.

In the summer of 1938 Chennault went to Kunming, the capital of Yunnan Province in Western China, to forge, at the request of Madame Chiang, a new Chinese Air Force from an American mold.



SELF IMPOSED EXILE


It was during these years of self-imposed exile in the Chinese hinterland, that Chennault laid the foundation for the unique American air operations that featured the final three years of the Japanese war in China.  In addition to his solid relations with Chinese of both high and low estate, these operations were based on clusters of strategically located air fields and an air-raid warning system that covered Free China.  Without those three solid supports American air power could hardly have functioned in China.

"All over Free China these human ant heaps rose to turn mud, rocks, lime and sweat into 5,000 foot runways to nest planes not yet built in Los Angels and Buffalo factories*"



AIR-RAID WARNING


Describing the Chinese air-raid warning net, Chennault states:

"The Chinese air-raid warning system was a vast spidernet of people, radios, telephones, and telegraph lines that covered all of Free China accessible to enemy aircraft.  In addition to continuous intelligence of enemy attacks, the net served to locate and guide lost friendly planes, direct aid to friendly pilots who had crashed or bailed out, and helped guide our technical intelligence experts to wrecks of crashed enemy aircraft."

"Most efficient sector of the net was developed in Yunnan as a dire necessity.  It was the Yunnan net that was a key to the early A.V.G. successes and the defense of Chinese terminals on this side of the Hump against fantastic numerical odds."*

Early in 1939 the Japanese began their tremendous effort to break the back of Chinese resistance by sustained bombing of every major population center in Free China.  It was the virtually unopposed and continuous bombing of the major centers of Free China by Japanese Air Force that directly led to the organization of the American Volunteer Group.  In the fall of 1940 the Generalissimo instructed Chennault to go to the United States for the purpose of obtaining American planes and American pilots to end the Japanese bombing.

Chennault's original plans called for the injection of a rejuvenated Chinese Air Force spearheaded by American volunteers to upset the Pacific stalemate.



ATTACK SUPPLY LINES


Concerning the proposed American Volunteer Group, Chennault states:

"My plan proposed to throw a small but well-equipped air force into China.  Japan, Like England, floated her life blood on the sea and could be defeated more easily by slashing her salty arties than by stabbing for her heart.  Air bases in Free China could put all of the vital Japanese supply lines and advanced staging areas under attack.

"This strategic concept of China as a platform of air attack on Japan offered little attraction of the military planners of 1941.  It was not until the Trident Conference of 1943 that I found any appreciation of my strategy or any support for the plans to implement it.  This support came from two civilians, President Franklin D. Roosevelt and Prime Minister Winston Churchill, and was offered against the strong advise of their military advisers."*

Unfortunately, the only salvage out of all Chennault's plans and efforts during 1940-41 was the First (and only) American Volunteer Group of fighter pilots and fighter planes.  In discussing the genesis of the American Volunteer Group, Chennault states:

"Methods of implementing the fighter-group plan developed faster than I expected.  It became evident during the winter that China had a small but powerful circle of friends in the White House and Cabinet.  Dr. Lauchlin Currie was sent to China as President Roosevelt's special adviser and returned a strong backer of increased aid to China in general and my air plans in particular.  Another trusted adviser of the President-Thomas Corcoran-did yeoman service in pushing the American Volunteer Group project when the pressure against it was strongest."



WRIGHT PROPOSITION


"Planes were a tough problem.  China had been a long-time, profitable customer for Curtiss-Wright, so my old friend, Burdette Wright, Curtiss Vice-President, came up with a proposition.  They had six assembly lines turning out P-40's for the British, who had taken over a French order after the fall of France.  If the British would waive their priority on 100 P-40B's then rolling off one line, Curtiss would add a seventh assembly line and make 100 later-model P-40's for the British.  The British were glad to exchange the P-40B for a model more suitable for combat.

"The P-40B was not equipped with a gun sight, bomb rack or provisions for attaching auxiliary fuel tanks to the wing or belly.  Much of our effort during training and combat was devoted to makeshift attempts to remedy these deficiencies.  The combat record of the First American Volunteer Group in China is even more remarkable because its pilots were aiming their guns through a crude, homemade, ring-and-post gun sight instead of the more accurate optical sights used by the Air Corps and the Royal Air Force.

"Personnel proved a tougher nut to crack.  The military were violently opposed to the whole idea of American volunteers in China.  Lauchlin Currie and I went to see General Arnold in April of 1941.  He was 100% opposed to the project.

"In the Navy, Rear Admiral Jack Towers, then Chief of the Bureau of Aeronautics and later Commander of the Navy's Pacific Air Forces also viewed the A.V.G. as a threat to his expansion program. . .

". . . It took direct personal intervention from President Roosevelt to pry the pilots and ground crews from the Army and Navy.  On April 15, 1941, an unpublished executive order went out under his signature, authorizing reserve officer and enlisted men to resign from the Army Air Corps, Naval and Marine air services for the purpose of joining the American Volunteer Group in China.

"Orders went out to all military air fields, signed by Secretary Knox and General Arnold, authorizing bearers of certain letters freedom of the post, including permission to talk with all personnel . . .



SALARIES OUTLINED


" . . . Their offer was a one-year contract with CAMCO (Central Aircraft Manufacturing Company) to 'manufacture, repair and operate aircraft at salaries ranging from $250 to $750 a month.  Traveling expenses, 30 days leave with pay, quarters, and $30 additional for rations were specified.  They would be subject to summary dismissal by written notice for insubordination, habitual use of drugs or alcohol, illness not incurred in line of duty, malingering, and revealing confidential information.  Before the end of the A.V.G., I had to dismiss at least one man for every cause except revealing confidential information.  A system of fines was initiated for minor offences.

"There was not mention in the contract of a $500-bonus for every Japanese plane destroyed.  Volunteers were told simply that there was a rumor that the Chinese government would pay $500 for each confirmed Jap plane.  They could take the rumor for what it was worth.  It turned out to be worth exactly $500 per plane.  Although initially the five-hundred-dollar-bonus was paid for confirmed planes destroyed in air combat only, the bonus was soon applied to planes destroyed on the ground - if they could be confirmed."*

The first contingent (of pilots) of the American Volunteer Group left San Francisco on July 10, 1941, aboard the Dutch ship Jaegersfontaine.  Just before leaving, Chennault received confirmation of Presidential approval for the second American Volunteer Group of bombers with a schedule of 100 pilots and 181 gunners and radio men to arrive in China by November, 1941, and an equal number to follow in January, 1942.

Upon returning to the Orient in the summer of 1941, Chennault arranged with the British for the use of the Royal Air Force Keydaw airdrome at Toungoo, Burma.  Arrangements were made by the Chinese with the British for the assembly and test flying by the A.V.G. of its P-40's.  The A.V.G. P-40's were assembled at Rangoon, and all radios, oxygen equipment, and armament were installed by A.V.G. group mechanics at Toungoo.

Speaking of the combat training routines of the A.V.G. at Toungoo, Chennault states:

"Our Toungoo routine began at 6:00 a.m. with a lecture in a teakwood classroom near the field, where I held forth with black-board, maps, and mimeographed textbooks.  All my life I have been a teacher, ranging from the one-room schools of rural Louisiana to director of one of the largest Air Corps flying schools, but I believe that the best teaching of my career was done in that teakwood shack at Toungoo, where the assortment of American volunteers turned into the word-famous Flying Tigers, whose aerial combat record has never been equaled by a group of comparable size.



GEOGRAPHY LESSONS


"Every pilot who arrived before September 15 got seventy-two hours of lectures in addition to sixty hours of specialized flying.  I gave the pilots a lesson in the geography of Asia that they all needed badly, told them something of the war in China, and how the Chinese air-raid warning net worked.

"I taught them all I knew about the Japanese.  Day after day there were lectures from my notebooks, filled during the previous four years of combat.  All of the bitter experience from Nanking to Chunking was poured out in those lectures.  Captured Japanese flying and staff manuals, translated into English by the Chinese, served as textbooks.  From these manuals the American pilots learned more about Japanese tactics than any single Japanese pilot ever knew."*

In describing the results of such combat training, Chennault says:

"Later there was ample opportunity for comparison.  The A.V.G. and R.A.F. fought side by side over Rangoon with comparable numbers, equipment, and courage against the same odds.  The R.A.F. barely broke even against the Japanese, while the Americans rolled up a 15 to 1 score.  In February, 1942, the Japanese threw heavy raids against Rangoon and Port Darwin, Australia, in the same week.  Over Rangoon five A.V.G. pilots in P-40's shot down 17 out of 70 enemy raiders without loss.  Over Darwin, 11 out of 12 U.S. Army Forces P-40's were shot down by a similar Japanese force.  A few weeks later a crack R.A.F. Spitfire squadron was rushed to Australia from Europe and lost 17 out of 27 pilots over Darwin in two raids.  The Spitfire was far superior to the P-40 as a combat plane.  It was simply a matter of tactics.  The R.A.F. pilots were trained in methods that were excellent against German and Italian equipment but suicide against the acrobatic Japs.  The only American squadron in China that the Japanese ever liked to fight was a P-38 squadron that had fought in North Africa and refused to change its tactics against the Japanese.

"During the first year of the war the A.V.G. tactics were spread throughout the Army and Navy by intelligence repots and returned A.V.G. veterans.  At least one Navy Commander in the Pacific and an Air Force colonel with the Fifth Air Force in Australia were later decorated for "inventing" what were originally the A.V.G. tactics."*

Following the Japanese attack on Pearl Harbor on December 7, 1941, an agreement was worked out between the Chinese and the British whereby one squadron of the A.V.G. would assist the R.A.F. in the defense of Rangoon with the other two squadrons to be stationed at Kunming, the China end of the Burma Road, where there was an adequate warning net and dispersal fields.



FIRST COMBAT


The Third A.V.G. squadron moved to Rangoon on December 12, 1941, to join the R.A.F. in the defense of Rangoon.  The First and Second squadrons flew from Toungoo to Kunming on the afternoon of the 18th.  The first combat for the A.V.G. occurred over southern Yunnan Province on December 20, 1941.  In their first combat, a combination of the First and Second Squadrons, shot down nine out of ten Japanese bombers with a loss of one A.V.G. aircraft.  The second engagement brought the Third Squadron onto action over Rangoon on December 23, with the R.A.F. flying beside the Tigers.  The total haul of Japs was six bombers and four fighters.  The R.A.F. lost five planes and pilots and the A.V.G. lost four planes and two pilots. 

Then, on Christmas Day, two waves totaling 80 Jap bombers and 48 fighters hit Rangoon.  The A.V.G. knocked down 23 of them, the biggest victory of the war, with six more Jap planes believed shot down over the Gulf of Martaban.  The A.V.G. suffered not the loss of a single plane.

The 28th brought another heavy enemy attack - 20 bombers and 25 fighters.  The A.V.G. got 10 of them with no losses.

The next day, the 29th, the Japs threw 40 bombers and 20 fighters against the Tigers who scored 18 kills with a loss of only a single aircraft.

Now it was the day of New Year's Eve but it dawned with no let up in the Jap assault.  80 planes crowding the skies over Rangoon.  The Tigers shot down 15 without the loss of a single aircraft.

In 11 days of fighting, the A.V.G. had officially knocked 75 enemy aircraft out of the skies with an undetermined number of probable kills such as the losses the Japs suffered over the Gulf of Martaban.  The A.V.G. losses were two pilots and six aircraft.

Early in January, the Rangoon defense was reinforced by eight planes from the First Squadron and the A.V.G. began their first strafing of the war.  Hitting the Jap air base in Thailand, they wiped out a dozen planes on the ground.  On January 13, the remainder of the First Squadron joined the other A.V.G. forces at Rangoon and there followed a series of raids on Jap air bases.  Ten days later, January 23, after a series of engagements over Kunming and Rangoon, the Japes attacked Rangoon in force again, 72 planes appearing there and the A.V.G. got 21 of them with the loss of only one American pilot.  Air battles continued over Rangoon until it finally fell to enemy ground forces at the end of February.  During this time, in one strafing raid in Thailand, the A.V.G. knocked out upwards of 60 enemy aircraft on the ground, the biggest ground victory of the war.  But advancing Jap ground forces slowly drove the A.V.G. to bases at Magwe in Burma and eventually into the interior of China.

There, the Tigers continued to carry out their final missions, supporting the Chinese ground forces on both eastern and western fronts as well as defending Chinese cities against attacks by the Japanese Air Force.

Concerning the A.V.G. combat statistics, Chennault says:

"Although, the A.V.G. was blooded over China, it was the air battles over Rangoon that stamped the hallmark on its fame as the Flying Tigers.  The cold statistics for the 10 weeks the A.V.G. served at Rangoon show its strength varied between twenty and five serviceable P-40's.  This tiny force met a total of a thousand-odd Japanese aircraft over Southern Burma and Thailand.  In 31 encounters they destroyed 217 enemy planes and probably destroyed 43.  Our losses in combat were four pilots killed in the air, one killed while strafing and one taken prisoner.  Sixteen P-40's were destroyed.  During the same period, the R.A.F., fighting side by side with the A.V.G., destroyed 74 enemy planes, probably destroyed 33, with a loss of 22 Buffaloes and Hurricanes.

"Winston Churchill, then Prime Minister of the United Kingdom, added his eloquence to these statistics, cabling the Governor of Burma, 'The victories of these Americans over the rice paddies of Burma are comparable in character, if not in scope, with those won by the R.A.F. over the hop fields of Kent in the Battle of Britain.' 

"Air Vice Marshal D.F. Stephenson who replaced Manning in January, 1942, noted that while the ratio of British to German planes in the battle of Britain and been one to four, the ratio of Anglo-American fighters to Japanese planes over Rangoon was one to from four to 14"*



GENESIS OF FLYING TIGERS


In describing the genesis of the name "Flying Tigers" and the group's insignia, Chennault says:

"Before I left the United States in the summer of 1941, I asked a few friends in Louisiana to watch the newspapers and send me any clippings about the A.V.G.  Now I was being swamped with clippings from stateside newspapers, and my men were astonished to find themselves world famous as the Flying Tigers.  The insignia we made famous was by no means original with the A.V.G.  Our pilots copied the shark-tooth design on their P-40's noses from a colored illustration in the India Illustrated Weekly depicting an R.A.F. squadron in the Libyan Desert with shark-nose P-40's.  Even before that the German Air Force painted shark's teeth on some of its Messerschmitt 210 fighters.  With the pointed nose of a liquid cooled engine it was an apt and fearsome design.  How the term Flying Tigers was derived from the shark-nosed P-40's I never will know.  At any rate we were somewhat surprised to find ourselves billed under that name.  It was not until just before the A.V.G. was disbanded that we had any kind of group insignia.  At the request of the China Defense Supplies in Washington, the Walt Disney organization in Hollywood designed our insignia consisting of a winged tiger flying through a large V for victory."*

After the fall of Rangoon, the sluggish match between the Japanese Air Force and the A.V.G.-R.A.F., combination continued over Northern Burma.  The Japanese now had an estimated 14 air regiments spaced in Southern Burma and Thailand with a strength of between 400 to 500 planes.  This compared with about 30 serviceable fighters and a dozen Blenheim bombers of the Allied force.

In summing up the results of the Burma campaign, Chennault says:

"In his official report on the Burma campaign Air Vice Marshall D.F. Stephenson had this to say of the A.V.G.:

'In the Burma campaign the main brunt of the fighting was borne by the P-40 squadrons of the American Volunteer Group.  They were first in the field with pilots well trained, and good fighting equipment.  The great majority of enemy aircraft destroyed in Burma fell to their guns.  Their gallantry in action won the admiration of both services'."*



JAPANESE OCCUPATION


After the Burma campaign ended with the capture and occupation by the Japanese of that country, the A.V.G. continued its fight against the Japs, first in Western China and then in Eastern China.

The A.V.G. was finally disbanded on July 4, 1942.  The group celebrated its final day in the air by knocking down five enemy fighters over Hengyang and escorting U.S. Army Air Forces B-25's to bomb the Japanese air base at Canton.  At midnight on July 4, 1942, the American Volunteer Group passed into history.  In summarizing that history over the preceding year, Chennault states:

"The group that the military experts predicted would not last three weeks in combat had fought for seven months over Burma, China, Thailand, and French Indo-China, destroying 299 Japanese planes with another 153 probably destroyed.  All of this with a loss of 12 P-40's in combat and 61 on the ground, including the 22 burned at Loi-Wing.  Four pilots were killed in air combat; six were killed by anti-aircraft fire; three by enemy bombs on the ground; and three were taken prisoner.  Ten more died as a result of flying accidents.  Although the Japanese promised on their radio broadcasts to shoot A.V.G. prisoners as bandits, they treated our three prisoners as well as regular British and American POW's.  I took it as an indication of the enemy's genuine respect for our organization.

"Most of the group had been decorated by the Chinese government; 10 pilots had been awarded the British and American distinguished Flying Crosses.  My personal awards included the Chinese Cloud Banner and Long Sword of a Commander, the Order of the British Empire, and the U.S. Distinguished Service Medal.  The flashing shark's teeth of our P-40's and our trademark as Flying Tigers were world famous.



CHINA'S SOUNDEST INVESTMENT


"The group had whipped the Japanese Air Force in more than 50 air battles without a single defeat.  With the R.A.F. it had kept the port of Rangoon and the Burma Road open for 2 1/2 precious months while supplies trickled into China.  With less than one-third of its combat strength it saved China from final collapse on the Salween.  Its reputation alone was sufficient to keep Japanese bombers away from Chunking.  It freed the cities of East China from years of terror bombing and finally gave both Chinese and American morale an incalculable boost at a time when it was sagging dangerously low.  All this cost the Chinese $8,000,000 - about $3,000,000 in salaries and personnel expenses and $5,000,000 for planes and equipment.  After the final accounting was made, I wrote Dr. Soong my regrets that expenses had exceeded my original estimates.

"He replied, 'The A.V.G. was the soundest investment China ever made.  I am ashamed that you should even consider the cost'."*

PRESIDENT PRAISES GROUP

In April, 1942, President Franklin D. Roosevelt wrote of the American Volunteer Group:

"The outstanding gallantry and conspicuous daring that the American Volunteer Group combined with their unbelievable efficiency is a source of tremendous pride throughout the whole of America.  The fact that they have labored under the shortages and difficulties is keenly appreciated . . . "

After the American Volunteer Group was disbanded on July 4, 1942, the China Air Task Force of the United States Army Air Forces, commanded by General Chennault, officially took over air operations in China.  In early March, 1943, the 14th Air Force was activated under the command of Chennault and replaced the China Air Task Force.  Chennault remained in command of the 14th Air Force  until the end of July, 1945.  General Chennault formally retired from the military for the second time in October, 1945.

*Quoted portions from Way of a Fighter by Claire L. Chennault